tag:theconversation.com,2011:/uk/topics/academie-francaise-24026/articlesAcadémie française – The Conversation2021-04-11T16:44:50Ztag:theconversation.com,2011:article/1584502021-04-11T16:44:50Z2021-04-11T16:44:50ZLa défense de la langue française, un mythe à revisiter<p>S’il y a bien un sujet qui transcende les clivages politiques et idéologiques, c’est la langue française. Il existe un large consensus concernant l’importance d’en connaître les formes correctes. C’est un instrument incontournable de la vie démocratique qui permet l’émancipation. Elle est considérée comme la pierre angulaire de la méritocratie républicaine, cette croyance qui veut que tout citoyen serait capable de la maîtriser au prix d’efforts consentis au sein de l’école de la République.</p>
<p>Des dizaines de milliers de professeurs œuvrent au quotidien pour aider l’ensemble des élèves, et plus particulièrement ceux issus de milieux défavorisés, à y parvenir. On ne compte plus les dictées, parfois <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/paris-ile-de-france/seine-saint-denis/plus-grande-dictee-du-monde-retour-au-stade-france-1651392.html">« géantes »</a> organisées aux quatre coins de France. Il existe même des plates-formes de remise à niveau en orthographe et la grammaire s’invite désormais au lycée.</p>
<p>Pourtant, malgré toute cette attention et ces milliers d’heures qui y sont consacrées, le niveau en langue est loin de l’excellence visée.</p>
<h2>Des difficultés bien identifiées</h2>
<p>7 % de la population adulte scolarisée en France est en situation d’illettrisme. Moins d’un élève sur deux en début de sixième est capable d’accorder correctement le verbe à son sujet dans la phrase « Des roses jaunes parfument le salon ». Seulement un élève de CM2 sur quatre parvient à orthographier correctement « inquiets » dans « Papa et maman, inquiets ». Même le Président de la République, Emmanuel Macron, a été épinglé pour avoir <a href="https://www.liberation.fr/checknews/2020/11/11/les-fautes-d-orthographe-d-emmanuel-macron-dans-le-livre-d-or-du-general-de-gaulle-sont-elles-authen_1805240/">écrit</a> : « les traces qui nous permettronS ». Jean‑Michel Blanquer, l’actuel Ministre de l’Education, n’est pas en reste, ayant été distingué pour sa maîtrise approximative du <a href="https://www.ouest-france.fr/politique/jean-michel-blanquer/quand-le-ministre-de-l-education-nationale-fait-deux-grosses-fautes-de-conjugaison-en-direct-6080411">passé simple</a>. </p>
<p>En réalité, tout le monde est en butte à des difficultés plus ou moins importantes et rares sont les personnes pouvant se prévaloir d’une connaissance fine de la langue française. L’importance qui y est accordée, d’une part, et les erreurs généralisées, d’autre part, ont pour conséquence une pratique largement répandue : s’offusquer ou se moquer des fautes des autres et en profiter, au passage, pour dévaloriser le <a href="https://www.20minutes.fr/societe/2158635-20171026-tenez-mescusez-jul-victime-plus-discrimination-orthographe">fautif</a>.</p>
<h2>Non, ce n’était pas mieux avant</h2>
<p>Pour expliquer l’écart qu’il existe entre les discours et la réalité, il est nécessaire de décortiquer le problème. On entend souvent l’argument d’un supposé laxisme entraînant le déclin du français. On retrouve ici un motif bien connu : le syndrome du « c’était mieux avant ». Mais pour la langue française, ce supposé âge d’or n’a jamais existé. C’est la focalisation exclusive sur les textes littéraires qui entretient cette illusion. Et il ne faut pas perdre de vue que, jusqu’à une période récente, très peu de personnes étaient capables d’écrire en français. La large diffusion de l’écrit remonte à 1945. </p>
<p>Quant à la comparaison à un siècle d’intervalle, elle est loin d’être <a href="https://www.persee.fr/doc/rfp_0556-7807_1990_num_90_1_2466_t1_0113_0000_1">aisée</a>. En effet, quand on dispose d’un échantillon représentatif d’un côté et des meilleurs élèves de l’autre, il est difficile d’en tirer des conclusions. Toujours est-il que l’on peut affirmer qu’il n’y a jamais eu autant de personnes écrivant quotidiennement français qu’aujourd’hui. Ainsi, le niveau moyen de la population est forcément meilleur qu’il y a un siècle.</p>
<p>Pour autant, ce niveau est-il suffisant pour une insertion réussie sur le marché du travail à une époque où savoir écrire est une compétence incontournable ? La réponse est sans doute <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/entreprises/entreprises-la-chasse-aux-fautes-d-orthographe_3486831.html">négative</a>. Et, contrairement à une idée reçue, ce n’est pas un problème purement français. Que ce soit au Canada, en Suisse ou en Belgique, les constats sont exactement les mêmes : une vision catastrophiste quant aux difficultés rencontrées par les élèves. Il faut donc chercher un autre coupable que le système scolaire français.</p>
<h2>Plusieurs explications</h2>
<p>Il y a en réalité deux paramètres principaux permettant d’expliquer ce phénomène. Le premier, c’est le nombre insuffisant d’heures d’enseignement. La majorité des élèves ne pourra pas dominer la langue française à partir du seul temps passé sur les bancs de l’école. Cela va donc créer des inégalités entre les enfants ayant de l’aide à la maison et les autres. Les études scientifiques montrent clairement le lien existant entre difficultés en français et <a href="https://www.researchgate.net/profile/Johannes-Ziegler-4/publication/24365381_Deficits_in_reading_acquisition_in_primary_school_cognitive_social_and_behavioral_factors_studied_in_a_sample_of_1062_children/links/5a9e5dd9a6fdccff6d1a6fa9/Deficits-in-reading-acquisition-in-primary-school-cognitive-social-and-behavioral-factors-studied-in-a-sample-of-1062-children.pdf">milieux défavorisés</a>.</p>
<p>Le second paramètre explicatif repose sur le caractère linguistiquement inadapté de l’orthographe française.</p>
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<p>Elle souffre en effet de deux défauts majeurs : la déconnexion de l’oral et l’absence de régularité. Concrètement, la place de l’orthographe grammaticale s’est fortement réduite à l’oral et à partir de ressemblances formelles il est difficile de savoir comment s’écrit un mot.</p>
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<p>« On écrit <em>je prends</em> mais <em>je peins</em>, <em>tu couds</em> mais <em>tu résous</em>, <em>il vend</em> et… <em>ça craint</em> ! » (<a href="https://www.lerobert.com/dis-moi-robert/robert-et-vous/dejouez-pieges/enfreindre-ou-absoudre.html"><em>Enfreindre ou absoudre</em>, Hoedt & Piron</a>)</p>
</blockquote>
<p>Il a donc fallu rédiger des centaines de règles spécifiques et dresser des listes pour permettre aux élèves d’apprendre les conjugaisons, les pluriels irréguliers, les accords, etc. Or, la conjonction entre l’indépendance de l’écrit et le grand nombre d’informations à mémoriser ne fait pas bon ménage. Cela a une conséquence pratique : il faut plus de temps pour apprendre à écrire en français que dans la plupart des autres langues alphabétiques. Plus l’écrit est proche de l’oral, plus il est facile d’apprendre à écrire. Dans les évaluations internationales des systèmes éducatifs, cela revient donc à comparer deux épreuves distinctes : une course de 100m à une course de 110m haies. Il n’est donc pas étonnant que les petits Français soient à la traîne.</p>
<p>De plus, l’attachement viscéral à une forme pure immuable, en s’opposant systématiquement à toute évolution, fait courir un risque au français. Les langues naturelles cessent d’évoluer uniquement quand elles sont mortes. Les puristes, sincères dans leur combat pour la défense du français, risquent finalement d’aboutir au résultat inverse de celui escompté. Et les premières victimes sont les élèves et plus particulièrement ceux de milieux défavorisés. C’est donc le figement de la forme de référence, du bon usage, ainsi que son contenu qui expliquent au moins en partie les problèmes actuels. Pour ne pas que la situation empire, il faut agir vite.</p>
<h2>Ni pure ni soumise</h2>
<p>La langue française est une œuvre collective abritée en chacun de nous. Elle se modèle au gré des usages que nous en faisons. Elle n’est <em>ni pure ni soumise</em> (j’emprunte l’expression à Alain Rey). Dans un <a href="https://www.lerobert.com/autour-des-mots/francais/qui-veut-la-peau-du-francais-9782321016885.html">ouvrage</a> paraissant le 6 mai 2021, j’aborde les problèmes que pose la distorsion qu’il existe entre la langue réellement en usage et le « bon usage ». La définition d’un bon usage mieux adapté à notre situation contemporaine est un enjeu démocratique majeur. </p>
<p>Pour défendre la langue française, encore faut-il laisser les locutrices et les locuteurs s’exprimer avec tolérance et <a href="https://www.laconvivialite.com/">convivialité</a> ! Et plutôt que se moquer des personnes qui font des « fautes de français », il paraît plus fécond d’évaluer avec objectivité les problèmes que pose la norme à acquérir.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/158450/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christophe Benzitoun publie un ouvrage aux éditions Le Robert. </span></em></p>Le purisme en langue est une attitude valorisée. Pourtant, il a des effets problématiques importants. De quoi le purisme est-il le nom ?Christophe Benzitoun, Maître de conférences en linguistique française, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1386332020-05-17T18:09:11Z2020-05-17T18:09:11ZLe/la Covid ? Réouvrir ou rouvrir ? Les leçons de grammaire du coronavirus<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/335067/original/file-20200514-77230-1m29q0z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C76%2C2433%2C1553&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Lorsqu’un mot entre dans la langue, il arrive que les règles régissant son usage ne soient pas fixées du premier coup.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Le Covid-19 a apporté son lot de <a href="https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2020/04/27/lundimanche-aperue-coronabdos-les-nouveaux-mots-du-confinement_6037915_4497916.html">nouveaux mots</a> (<em>lundimanche</em>, <em>apérue</em>, <em>coronabdos</em>, <a href="https://www.lefigaro.fr/langue-francaise/actu-des-mots/chloroquine-quatorzaine-coronapero-les-mots-qui-nous-ont-accompagnes-pendant-la-crise-20200503">voire encore</a> <em>corona</em>-<em>boomeurs</em>, <em>whatsappéros</em> ou <em>coronapéro</em>), mais aussi de nouveaux débats linguistiques. Exit le <a href="https://theconversation.com/pain-au-chocolat-vs-chocolatine-fight-85923">match</a> « pain au chocolat vs chocolatine », et place à des questionnements davantage en rapport avec les nouvelles réalités auxquelles sont désormais confrontés les francophones.</p>
<p><a href="https://www.franceculture.fr/sciences-du-langage/doit-dire-le-ou-la-covid-19">Doit-on dire</a> « le » ou « la » Covid-19 ? « Rouvrir » ou « réouvrir » : <a href="https://www.rtl.fr/culture/arts-spectacles/rouvrir-ou-reouvrir-que-faut-il-dire-et-ecrire-7800466522">que faut-il</a> dire et écrire ? <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/nouvelle-aquitaine/coronavirus-faut-il-dire-quatorzaine-quarantaine-1799024.html">Et sinon</a>, faut-il dire « quatorzaine » ou « quarantaine » ? Sur les réseaux sociaux, les internautes échangent des arguments en faveur de l’une ou de l’autre réponse à ces questions, sans jamais réussir à se mettre d’accord.</p>
<h2>Le ou la Covid-19 ?</h2>
<p>Dans le cas du mot <strong>covid-19</strong>, le débat porte sur le genre du mot. Doit-on dire <em>la</em> Covid-19, puisqu’il s’agit d’une maladie ; ou <em>le</em> Covid-19, puisque c’est un virus ? Quand l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a proposé ce terme le 11 février dernier, elle n’a pas précisé son genre (car en anglais la question ne se pose pas).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1227248333871173632"}"></div></p>
<p>Aussi, à partir de la mi-mars, et malgré l’utilisation du féminin sur le <a href="https://www.who.int/fr/emergencies/diseases/novel-coronavirus-2019/technical-guidance/naming-the-coronavirus-disease-(covid-2019)-and-the-virus-that-causes-it">site français</a> de l’OMS, les journalistes de France ont spontanément pris l’habitude de l’employer avec des articles masculins (<em>le</em>, <em>un</em>, <em>ce</em>, etc.). La règle voulant qu’en français, le genre de l’acronyme soit déterminé par le genre du premier mot (<em>co-</em> vient de « corona », <em>vi-</em> de « virus » et <em>d-</em> de l’anglais <em>disease</em> qui veut dire « maladie » ; <em>19</em> indique l’année de l’apparition du virus), et que le genre du mot <em>corona</em> soit masculin en français.</p>
<p>Puis les internautes leur ont emboîté le pas. C’est ainsi que l’usage du masculin s’est installé dans les pratiques des Français, comme le montre ce graphique réalisé à partir des requêtes sur Google au cours des 90 derniers jours en France. La séquence « la covid » est quasiment inexistante en face de la séquence « le covid » :</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/335060/original/file-20200514-77263-18zuvn7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/335060/original/file-20200514-77263-18zuvn7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=528&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/335060/original/file-20200514-77263-18zuvn7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=528&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/335060/original/file-20200514-77263-18zuvn7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=528&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/335060/original/file-20200514-77263-18zuvn7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=663&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/335060/original/file-20200514-77263-18zuvn7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=663&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/335060/original/file-20200514-77263-18zuvn7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=663&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p>Outre-Atlantique en revanche, très tôt, une note a circulé encourageant <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1657532/covid-linguistique-virus-epidemie-wuhan-usage">l’usage du féminin</a> (« la covid »), laquelle a été suivie quasi immédiatement d’une <a href="http://gdt.oqlf.gouv.qc.ca/ficheOqlf.aspx?Id_Fiche=26557671">notice</a> de l’Office québécois de la langue française (OQLF), le grand organisme qui régule la langue au Québec. Si bien qu’aujourd’hui les deux variantes sont en concurrence dans la Belle Province.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/335061/original/file-20200514-77243-1fel0n4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/335061/original/file-20200514-77243-1fel0n4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=528&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/335061/original/file-20200514-77243-1fel0n4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=528&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/335061/original/file-20200514-77243-1fel0n4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=528&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/335061/original/file-20200514-77243-1fel0n4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=663&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/335061/original/file-20200514-77243-1fel0n4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=663&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/335061/original/file-20200514-77243-1fel0n4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=663&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p>Les Québécois garderont-ils les deux genres, ou basculeront-ils du côté du féminin ? Difficile de répondre à cette question pour le moment, il faudra encore être patient pour voir si l’une des deux formes prend le dessus sur l’autre.</p>
<p>Dans l’Hexagone, <a href="http://www.culture.fr/franceterme">France Terme</a>, qui publie les résultats de la Commission d’enrichissement de la langue française chargée de nommer en français les réalités nouvelles et les innovations scientifiques et techniques, n’a pas encore proposé de recommandations (alors qu’elle a établi une liste de termes alternatifs aux anglicismes liés au Covid-19 qui commençaient à <a href="https://www.culture.gouv.fr/Actualites/coronavirus-les-mots-pour-le-dire">gagner du terrain</a>).</p>
<p>Quant à l’Académie française, elle vient de rendre <a href="https://www.bfmtv.com/societe/le-covid-ou-la-covid-l-academie-francaise-tranche-pour-le-feminin-1912676.html">son verdict</a>, en optant pour l’usage du féminin, suivant en cela l’OMS et l’OQLF. Mais c’est sans doute déjà trop tard…</p>
<h2>Des écoles qui rouvrent ou réouvrent ?</h2>
<p>Le couple <strong>rouvrir/réouvrir</strong> a également fait l’objet de pas mal de débats sur les réseaux sociaux.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1251764187296075778"}"></div></p>
<p>L’argument invoqué par les opposants à la variante <em>réouvrir</em> est que cette forme est peu plaisante à l’oreille (les linguistes diraient qu’elle n’est pas euphonique), en raison du fait qu’elle comporte deux voyelles contiguës (ce qu’on appelle techniquement un hiatus).</p>
<p>Pourtant la plupart des dictionnaires commerciaux et libres la mentionnent dans leurs nomenclatures, comme le rappelle le linguiste belge <a href="https://plus.lesoir.be/297992/article/2020-05-01/rouvrir-ou-reouvrir-inutile-de-sortir-de-vos-gonds">Michel Francard</a>. On trouve <em>réouverture</em> dans les pages du <em>Larousse</em> (mais il est absent du <em>Robert</em>), dans le <a href="https://www.cnrtl.fr/definition/r%C3%A9ouverture">TFLi</a> (mais pas dans le <em>Littré</em>).</p>
<p>Quand on y pense bien, ce n’est pas étonnant, sachant qu’existent dans la langue de nombreux verbes commençant par le préfixe <em>ré-</em> (et non <em>r-</em>) suivi d’une voyelle : <em>réapprovisionner</em>, <em>réentendre</em>, <em>réécouter</em>, etc.</p>
<p>En jetant un coup d’œil aux pratiques des twittos en France (Twitter permet de ne chercher que dans les tweets envoyés pendant les neuf derniers jours), on peut voir que même si l’utilisation de <em>rouvrir</em> est majoritaire, celle de <em>réouvrir</em> est loin d’être nulle :</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/335102/original/file-20200514-77263-yzgouq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/335102/original/file-20200514-77263-yzgouq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=528&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/335102/original/file-20200514-77263-yzgouq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=528&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/335102/original/file-20200514-77263-yzgouq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=528&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/335102/original/file-20200514-77263-yzgouq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=663&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/335102/original/file-20200514-77263-yzgouq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=663&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/335102/original/file-20200514-77263-yzgouq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=663&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p>La variante <em>réouvrir</em> reste toutefois fort stigmatisée, ce qui explique sans doute pourquoi elle est moins employée (trois fois moins, proportionnellement) que sa concurrente <em>rouvrir</em>. Les internautes ont en effet tendance à l’associer à une mauvaise maîtrise de la langue française, qui serait le propre « des jeunes qui ne savent plus parler ».</p>
<p>Que diraient pourtant ces censeurs s’ils savaient qu’on trouve cette forme déjà au début XVII<sup>e</sup> siècle, puis régulièrement sous la plume d’écrivains aussi célèbres que Céline ou Stendhal, et tout récemment <a href="https://twitter.com/20Minutes/status/1255130147377709062?s=20">dans le discours</a> de notre premier ministre Édouard Philippe ou dans les tweets du ministre de l’Éducation, Jean‑Michel Blanquer ?</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1260144498425937921"}"></div></p>
<h2>Quarantaine ou quatorzaine ?</h2>
<p>Un autre néologisme qui irrite pas mal d’internautes, le terme <strong>quatorzaine</strong>, qui tend à remplacer depuis quelques semaines le classique <strong>quarantaine</strong>. Sémantiquement, le mot <em>quarantaine</em> est une sorte de terme générique pouvant évoquer une durée variable, alors que <em>quatorzaine</em> est beaucoup plus précis, ce qui explique son succès dans le contexte que l’on vit actuellement, comme l’explique notre collègue <a href="https://information.tv5monde.com/video/quatorzaine-le-neologisme-de-la-crise-du-covid-19-l-humeur-de-linda">Myriam Bergeron Maguire</a>. Beaucoup ont argumenté que le mot n’est pas légitime car il ne figure pas dans les dictionnaires.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1238146779226439687"}"></div></p>
<p>Mais quand on y pense bien, est-ce là un motif valable pour le rejeter, sachant que tous les néologismes ont d’abord commencé par ne pas être dans « le » dictionnaire, par la force des choses ? En sont témoin les mots <em>déconfinement</em> et <em>reconfinement</em>, qui ont connu une notoriété soudaine plus ou moins au même moment dans les médias, mais qui ne figurent ni dans le <em>Robert</em>, ni dans le <em>Larousse</em> (le premier vient tout juste d’apparaître dans le <a href="https://fr.wiktionary.org/wiki/d%C3%A9confinement">Wiktionnaire</a>.</p>
<h2>Comment les mots entrent dans la langue ?</h2>
<p>Lorsqu’un mot nouveau entre dans la langue, il arrive que les règles régissant son usage (masculin ou féminin, formes de pluriel, dérivations, etc.) ne soient pas fixées du premier coup, et que des variantes concurrentes circulent. C’est ensuite l’usage – des internautes, des journalistes, des écrivains mais aussi des simples locuteurs – qui permet de faire pencher la balance en faveur de l’une ou de l’autre variante. En bout de chaîne, ce sont les dictionnaires qui entérinent l’issue de ces débats.</p>
<p>Si l’une des deux variantes prend clairement le dessus, l’autre est soit abandonnée (elle sort alors de l’usage, et n’est pas reprise par les dictionnaires), soit considérée comme « marquée » (régionale, archaïque, technique ou autre). Ce sera sans doute le cas du genre féminin de covid, qui devrait être accompagné de l’étiquette « régional » dans les dictionnaires fabriqués en France.</p>
<p>Signalons toutefois que ce genre de question n’est jamais réglé rapidement : le processus peut prendre du temps, et les usages coexister pendant des siècles (voir notamment le couple <em>rouvrir/réouvrir</em>).</p>
<p>Enfin, les chances de voir apparaître de nouveaux mots dans la nomenclature des dictionnaires dépendent de leur vitalité, sur le long terme. Les processus de <em>déconfinement</em> et de <em>reconfinement</em> seront-ils des réalités avec lesquelles il faudra apprendre à vivre dans les années à venir ? Pendant combien de temps mettra-t-on encore les gens en <em>quatorzaine</em> ? Les réponses à ces questions seront cruciales pour les lexicologues en charge des prochaines éditions de dictionnaires.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/138633/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mathieu Avanzi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’épidémie de coronavirus a apporté son lot de nouveaux mots (« apérue », « coronabdos ») mais aussi de débats sur l’orthographe et la grammaire. De quoi éclairer la manière dont évolue une langue.Mathieu Avanzi, Maître de conférences en linguistique francaise, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1263792019-11-06T20:15:55Z2019-11-06T20:15:55ZPourquoi la traduction est la langue de l’Europe<p>Neuvième femme admise à l’Académie française, la philosophe et philologue a fait son entrée sous la Coupole le jeudi 17 octobre 2019. Dans cet entretien vidéo, elle évoque le <em>Vocabulaire européen des philosophies : Dictionnaire des intraduisibles</em> (éditions du Seuil, 2004) qu’elle a coordonné, et les enjeux de la traduction dans un monde dominé par le « global english » ou « globish ».</p>
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<p><em><strong>Interview</strong> : Sonia Zannad / <strong>Réalisation</strong> : Benoît Tonson</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/126379/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Deuxième épisode d’une série d’entretiens avec la philosophe et philologue, admise récemment à l’Académie française.Sonia Zannad, Cheffe de rubrique Culture, The Conversation FranceBenoît Tonson, Chef de rubrique Science + Technologie, The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1258542019-10-27T20:38:48Z2019-10-27T20:38:48ZBarbara Cassin : « Le discours a le pouvoir de fabriquer du réel »<p>Neuvième femme admise à l’Académie française, la philosophe et philologue a fait son entrée sous la Coupole le jeudi 17 octobre 2019. Dans cet entretien vidéo, elle souligne le pouvoir du langage performatif, et établit un parallèle entre le dispositif de parole adopté par la commission Vérité et réconciliation – créée en 1995 en Afrique du Sud afin de sortir de l’apartheid – et le discours des sophistes.</p>
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<p><strong>Interview</strong> : Sonia Zannad / <strong>Réalisation</strong> : Benoît Tonson</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/125854/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Premier épisode d’une série d’entretiens avec la philosophe et philologue, admise récemment à l’Académie française.Sonia Zannad, Cheffe de rubrique Culture, The Conversation FranceBenoît Tonson, Chef de rubrique Science + Technologie, The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/873872018-01-16T21:21:34Z2018-01-16T21:21:34Z70, 80 et 90 : dites-moi comment vous les prononcez, je vous dirai qui vous êtes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/202131/original/file-20180116-53314-140apfj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C425%2C2105%2C1351&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La façon de prononcer ce chiffre peut en dire plus sur vous que vous ne le pensez.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/andymag/15062618675/in/photolist-oX2RKZ-dAf9wg-9SmBMQ-4T41Jv-6oxp85-gEg2Gp-cQaNbG-cQaNRQ-9BdSwr-GQi1Ri-7yb9p-8pSFYD-5psMRA-fMyS2-bjzC52-98REra-tEVCj-bMAZVp-3pDvGX-W3j5no-XKsCcH-HRAuFh-aNmB6k-c8d8eC-aNmW34-dxB5sM-9i1RGt-9ccJ6V-UcC6M9-5y1nPU-82qcS-6icDfo-6icCnG-SkiAg1-gtQV8D-aBuTWr-8pMmci-6i8sPn-ntPo1h-6i8rXz-axcvAd-pC8kTT-hjfdc-35M1oL-S7bnzC-8tTCfC-6i8ytT-hjbY7-cw85C9-fEnnfR">Andy Maguire/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>En français, l’expression des adjectifs cardinaux 70, 80 et 90 du français n’est pas régulière, contrairement à ce que l’on peut observer dans la plupart des autres langues d’origine indo-européenne (notamment le latin, dont le français est une des langues « filles »). Alors que certaines formes relèvent du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Syst%C3%A8me_d%C3%A9cimal">système décimal</a> (où septante = 7*10, huitante/octante = 8*10, nonante = 9*10), d’autres relèvent du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Syst%C3%A8me_vic%C3%A9simal">système vigésimal</a> (où quatre-vingt = 4*20, quatre-vingt-dix = 4*20+10) et d’autres encore de la combinaison des deux systèmes (voir soixante-dix = 6*10+10).</p>
<h2>Le système vigésimal</h2>
<p>Les origines du système vigésimal sont largement débattues par les spécialistes (certains affirment que ce sont les Gaulois qui comptaient sur une base de vingt ; <a href="https://www.degruyter.com/view/product/172537">d’aucuns ont pourtant rappelé</a> que le système était connu dans des civilisations antérieures aux Gaulois ; pour d’autres il pourrait s’agir d’une innovation gallo-romaine, qui ne doit rien aux civilisations antérieures), et il n’est pas possible de trancher en faveur de l’une ou de l’autre hypothèse.</p>
<p>Quant à l’évolution de la concurrence entre formes vigésimales et formes décimales dans l’histoire du français, elle est fort complexe. Disons pour faire simple que dans l’état actuel de nos connaissances, tout porte à croire que le système vigésimal était naguère bien plus répandu qu’il ne l’est aujourd’hui (on trouve dans des textes plus ou moins anciens les formes « trois vingts » pour 60, « trois vingt dix pour 70 », « sept vingt » pour 140, « quatorze vingt » pour 280, pour ne citer que les combinaisons les plus fréquentes. Un exemple historique est celui de l’hôpital des Quinze-Vingts à Paris, nommé ainsi par Louis IX car il s’agissait d’un hospice qui contenait à l’origine 300 lits.</p>
<p>On sait aussi que les formes en <em>-ante</em> ont connu leur période de gloire aux XVI<sup>e</sup> et XVII<sup>e</sup> siècle (elles étaient moins fréquentes au cours des siècles précédents et suivants), mais que même à cette époque, elles n’ont jamais été plus fréquentes dans les textes que leurs concurrents relevant du système vigésimal.</p>
<p>Pour la période moderne, les données enregistrées par les auteurs de l’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Atlas_linguistique_de_la_France">Atlas linguistique de la France</a>, publié entre 1902 et 1910 et les données récoltées par les linguistes animant <a href="https://francaisdenosregions.com">le blog Français de nos régions</a> (récemment publiées dans l’<a href="http://www.armand-colin.com/atlas-du-francais-de-nos-regions-9782200620103">Atlas du français de nos régions</a> aux éditions Armand Colin) nous permettent de documenter avec un peu plus de précision l’évolution des formes à la fin du XIX<sup>e</sup> et au début du XXI<sup>e</sup> siècles.</p>
<h2>Septante et nonante</h2>
<p>Les dénominations des cardinaux 70 et 90 à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle et au début du XXI<sup>e</sup> siècle.</p>
<iframe frameborder="0" class="juxtapose" width="100%" height="725" src="https://cdn.knightlab.com/libs/juxtapose/latest/embed/index.html?uid=beb8a71c-f08b-11e7-b263-0edaf8f81e27"></iframe>
<p><em>Faites glisser les cartes pour passer entre la fin du XIX<sup>e</sup> siècle et le début du XXI<sup>e</sup> siècle.</em></p>
<p>La comparaison des deux cartes permet de montrer qu’au XXI<sup>e</sup> siècle, les formes septante et nonante ne sont quasiment plus employées en France (si ce n’est dans quelques villages localisés à la frontière avec la Suisse romande), mais qu’il n’en a pourtant pas toujours été ainsi. À la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, le système décimal était (encore) le système de référence dans les dialectes parlés sur un large croissant à l’est du territoire, dont les pointes se situent en Belgique et dans l’extrême sud-ouest de l’Hexagone (l’existence d’attestations isolées dans les îles anglo-normandes et en Bretagne laisse même penser que le système décimal était jadis connu sur un territoire plus grand).</p>
<h2>Huitante et octante</h2>
<p>Les dénominations du cardinal 80 à la fin du <sup>e</sup> siècle et au début du XXI<sup>e</sup> siècle. Faites glisser les cartes pour passer entre les deux périodes.</p>
<iframe frameborder="0" class="juxtapose" width="100%" height="725" src="https://cdn.knightlab.com/libs/juxtapose/latest/embed/index.html?uid=cd8f277a-fac7-11e7-b263-0edaf8f81e27"></iframe>
<p><em>Faites glisser les cartes pour passer entre la fin du <sup>e</sup> siècle et le début du XXI<sup>e</sup> siècle.</em></p>
<p>Quant aux dénominations du cardinal 80, les données révèlent que contrairement à un préjugé relativement bien ancré (qui trouve notamment ses origines dans de nombreux dictionnaires de référence, comme <a href="http://www.cnrtl.fr/definition/octante">le <em>Trésor de la Langue Française</em></a> informatisé ou l’une des nombreuses éditions du <a href="http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/octante/55552">Petit Larousse</a>, la forme octante n’est employée par à peu près personne, que ce soit dans les dialectes de la fin du XIX<sup>e</sup> siècle ou dans les français régionaux du XXI<sup>e</sup> siècle. Les données montrent que ce sont plutôt les formes huitante et ses variantes qui sont le plus répandues après quatre-vingts, et ce peu importe l’époque. Cela étant dit, on constate comme c’était le cas pour 70 et 90 que les dénominations relevant du décimal de 80 ont aujourd’hui disparu en France et ne survivent qu’en Suisse (plus précisément dans les cantons de Vaud et de Fribourg, et en concurrence avec quatre-vingts dans le canton du Valais).</p>
<h2>Le rôle de l’école</h2>
<p>Suivant le programme des <a href="http://michel.delord.free.fr/iocalc45.pdf">Instructions officielles</a> de 1945 pour le calcul, l’arithmétique et la géométrie à l’école primaire, certains instituteurs ont préconisé l’apprentissage des formes septante, octante et nonante pour faciliter l’apprentissage du calcul aux petits Français (différents éléments nous laissent penser que cette pratique avait encore cours dans les années 1960.</p>
<p>De fait, tout porte à croire que si ces régionalismes ne sont aujourd’hui presque plus utilisés en France, mais qu’ils se maintiennent en Suisse et en Belgique, c’est en raison principalement de systèmes éducatifs autonomes et distincts (aujourd’hui, plus aucun petit Français n’apprend que 70 et 90 se disent septante et nonante, contrairement à ce qui se passe en Belgique ou en Suisse).</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/87387/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mathieu Avanzi est actuellement employé par le Fonds National de la Recherche Scientifique.</span></em></p>Mathieu Avanzi tient le blog « Français de nos régions » où il nous fait découvrir les différentes façons de parler le français. L’exemple de 70, 80 et 90 à travers l’histoire et la géographie.Mathieu Avanzi, Linguiste et spécialiste des français régionaux, Université catholique de Louvain (UCLouvain)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/881102017-11-29T20:38:30Z2017-11-29T20:38:30ZLe premier ministre, l’Académie et la langue française<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/196343/original/file-20171124-21795-ikj45m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C7%2C573%2C376&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Miss.Tic : le masculin l'emporte, mais où ?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/24275015@N03/4606362889">Magali Vacherot/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span></figcaption></figure><p>Depuis plusieurs semaines, un débat autour des traces de sexisme dans la langue française fait rage. Ce débat s’est centré autour d’un procédé appelé <a href="http://www.ecriture-inclusive.fr/"><em>écriture inclusive</em></a> dont l’objectif est « d’assurer une égalité des représentations entre les femmes et les hommes » dans la langue. La plupart de ses détracteurs et détractrices l’ont réduite au point pour marquer à la fois le masculin et le féminin (ex : <em>étudiant·e·s</em>). Au-delà de la polémique, ce débat a permis de montrer l’existence d’un large consensus sur la nécessité de faire évoluer les normes linguistiques. Et aussi d’illustrer les liens entre langue et politique. Parfois masqué sous une couche de mauvaise foi, à l’image de la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000036068906">circulaire</a> prise par le premier ministre français.</p>
<h2>Édouard Philippe défenseur de l’écriture inclusive</h2>
<p>Que dit cette circulaire ? Comme l’a très bien souligné <a href="http://www.huffingtonpost.fr/eliane-viennot/edouard-philippe-et-le-camp-retrograde-siffle-la-fin-de-la-recree-pour-lecriture-inclusive_a_23286147/">Éliane Viennot</a>, Édouard Philippe entérine assez largement les principes de l’écriture inclusive, contrairement à ce qu’affirment les articles de <a href="http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2017/11/21/01016-20171121ARTFIG00179-edouard-philippe-bannit-l-ecriture-inclusive-de-l-administration.php">presse</a> et le texte lui-même :</p>
<blockquote>
<p>« Je vous invite […] à ne pas faire usage de l’écriture dite inclusive. »</p>
</blockquote>
<p>Cette affirmation n’est compréhensible que si l’on réduit l’écriture inclusive à l’usage du point, ce qui est à l’évidence un stratagème grossier à visée politicienne. En effet, cette circulaire demande à féminiser les noms associés à des fonctions lorsque ces fonctions sont assurées par des femmes. On remarque même l’usage du mot <em>auteure</em> dans la circulaire. De plus, le premier ministre recommande l’usage de <em>le candidat ou la candidate</em> dans les actes de recrutement.</p>
<p>Suite à cette circulaire, un <a href="http://www.atlantico.fr/decryptage/ecriture-inclusive-dans-documents-publics-pour-69-francais-c-est-non-mais-que-recherchent-donc-ceux-qui-tentent-imposer-debat-3234853.html">sondage</a> a été réalisé pour mesurer l’adhésion de la population à la décision du premier ministre. En voici un extrait :</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/196354/original/file-20171125-21816-ni52qx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/196354/original/file-20171125-21816-ni52qx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=838&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/196354/original/file-20171125-21816-ni52qx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=838&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/196354/original/file-20171125-21816-ni52qx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=838&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/196354/original/file-20171125-21816-ni52qx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1053&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/196354/original/file-20171125-21816-ni52qx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1053&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/196354/original/file-20171125-21816-ni52qx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1053&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Sondage sur l’adhésion des Français à la décision du premier ministre vis-à-vis de l’écriture inclusive.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Atlantico</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La question qui se pose à la lecture de ce sondage est la suivante : comment interpréter les résultats ? En tant que partisan de l’écriture inclusive (mais pas forcément de l’usage du point), j’aurais pu répondre que j’étais plutôt d’accord avec le premier ministre pour peu que je lise la circulaire en question…</p>
<p>Ainsi, en dépit d’une posture clairement politicienne, le premier ministre défend une évolution de la norme tendant à rendre plus visible la place des femmes dans la langue. Et après des propos alarmistes, dont le désormais célèbre <a href="http://www.academie-francaise.fr/actualites/declaration-de-lacademie-francaise-sur-lecriture-dite-inclusive">« péril mortel »</a> qui frapperait la langue française à cause de l’écriture inclusive, même l’Académie française a prévu d’évoluer sur la question. C’est ce que l’on peut lire dans un <a href="https://www.courdecassation.fr/venements_23/relations_institutionnelles_7113/academie_fran_aise_8441/change_lettres_38070.html">courrier</a> de son Secrétaire perpétuel (une femme, contrairement à ce que laisse supposer sa dénomination) en réponse à une question posée par le Premier président de la Cour de cassation.</p>
<h2>L’Académie française a le pouvoir qu’on veut bien lui donner</h2>
<p>Le responsable de la Cour de cassation, observant un certain décalage entre l’usage et la position de l’Académie française relative à la féminisation des noms de fonctions dans les actes officiels, a pris sa plume pour demander l’avis de la vénérable institution. Il souhaite savoir si la position de l’Académie française a évolué depuis <a href="http://www.academie-francaise.fr/actualites/la-feminisation-des-noms-de-metiers-fonctions-grades-ou-titres-mise-au-point-de-lacademie">sa déclaration</a> du 10 octobre 2014. Or, comme le précisait elle-même l’Académie dans sa déclaration :</p>
<blockquote>
<p>« Les règles qui régissent dans notre langue la distribution des genres remontent au bas latin et constituent des contraintes internes avec lesquelles il faut composer. »</p>
</blockquote>
<p>On aurait peine à croire que cela ait changé en seulement trois ans. Pourtant, elle s’engage à émettre des « propositions propres à assurer la rectitude et la cohérence de ces nécessaires évolutions. »</p>
<p>Cet échange de courriers illustre une question intéressante sur le lien qu’il existe en France entre les sphères linguistique, juridique et politique. Le Premier président de la Cour de cassation précise que son institution souhaite se conformer à l’autorité de l’Académie, alors même que les usages des milieux politique et judiciaire autour de lui ont changé. Pourtant, il aurait pu se tourner vers les documents officiels que représentent le <a href="http://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hcefh__guide_pratique_com_sans_stereo-_vf-_2015_11_05.pdf">guide pratique</a> du Haut conseil à l’égalité ou bien la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jo_pdf.do?id=JORFTEXT000000866501">circulaire</a> du 11 mars 1986 relative à la féminisation des noms de métier, fonction grade ou titre et rédigée par le premier ministre de l’époque. Il y a donc plus de trente ans…</p>
<p>On le voit bien ici, la question de savoir qui détient l’autorité de réglementer la langue semble passablement embrouillée en France, y compris pour des professionnels de justice. Et les textes récents émanant du pouvoir politique ne permettent pas vraiment d’éclairer la situation. On a pu s’en rendre compte à l’occasion de l’application des rectifications orthographiques dans les manuels scolaires à la rentrée 2016 ou plus récemment par les positions prises par l’actuel ministre de l’Éducation nationale Jean‑Michel Blanquer.</p>
<h2>La loi, l’orthographe et la grammaire</h2>
<p>Dans un <a href="http://www.gouvernement.fr/argumentaire/reforme-de-l-orthographe-3763">communiqué</a> du précédent gouvernement de Manuel Valls, il est affirmé que la responsabilité de déterminer les règles en vigueur dans la langue française revient à l’Académie française. L’objectif de cette précision est de signifier que le ministère de l’Éducation nationale n’est nullement responsable de l’évolution de l’orthographe dans les manuels. On voit donc bien que la langue est un sujet sensible qui embarrasse les responsables politiques, d’autant plus quand cela touche l’enseignement. Mais que dit ce communiqué au sujet des textes de référence encadrant l’enseignement de l’orthographe ?</p>
<p>Trois sources sont citées : les rectifications orthographiques de 1990, le dictionnaire de l’Académie française et un <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jo_pdf.do?id=JORFTEXT000000485229">arrêté</a> du 28 décembre 1976. Concernant le dictionnaire, le premier tome de la neuvième édition est sorti il y a 25 ans et le dernier tome n’est pas encore paru à ce jour. Or, en 25 ans, de nombreux mots ont été créés et d’autres sont sortis de l’usage. Et le communiqué ne dit pas comment procéder dans les cas où les mots ne se trouvent pas dans le dictionnaire. De plus, il est peu probable que les enseignants consultent assidûment ce dictionnaire avant de préparer leurs leçons d’orthographe ou qu’ils demandent aux élèves de le consulter.</p>
<p>Pour ce qui est de l’arrêté de 1976, il s’agit d’un texte peu connu qui n’est sans doute pas appliqué. Cet arrêté stipule par exemple que les noms propres de personnes peuvent comporter un <em>s</em> au pluriel (ex : <em>les Duponts</em>). En conséquence, on ne peut normalement pas considérer qu’il s’agit là d’une faute. Par ailleurs, les programmes scolaires officiels ne descendent pas à un niveau de détail aussi fin que la forme orthographique de l’ensemble des mots, ni ne listent de manière explicite l’ensemble des règles de grammaire en vigueur. Dans les programmes, nulle trace de la règle du masculin qui l’emporte sur le féminin ni même du masculin considéré comme neutre.</p>
<p>À la lumière de ce qui précède, on ne peut qu’être étonné de la réponse de <a href="http://www.lcp.fr/la-politique-en-video/ecriture-inclusive-une-grammaire-comme-il-ny-quune-republique-repond-jean">Jean‑Michel Blanquer</a> à l’Assemblée nationale à propos d’une <a href="https://www.slate.fr/story/153492/manifeste-professeurs-professeures-enseignerons-plus-masculin-emporte-sur-le-feminin">tribune</a> d’enseignants affirmant qu’ils n’enseigneront plus cette règle. En guise de réponse, le ministre précise que « le programme comporte une grammaire ». Et il fait référence à l’autorité de l’Académie française sur la question. Mais la seule et unique grammaire de l’Académie date de 1932. Et on ne peut pas dire qu’elle ait fait l’unanimité. En conséquence, on ne voit pas sur quel texte législatif pourrait s’appuyer le ministre pour obliger les professeurs à enseigner cette fameuse règle.</p>
<h2>La langue au cœur de la démocratie</h2>
<p>Comme nous venons de le voir, malgré les circonvolutions politiques, il existe un large consensus pour faire évoluer les normes du français relatives à la féminisation. Certaines sont même déjà en usage depuis de nombreuses années. Et l’Académie française est visiblement en retard sur ce point. Or, dans la sphère politique, on fait très souvent référence à l’Académie dès qu’il est question de langue française. Et on accrédite l’idée que la langue est homogène et qu’il suffirait de faire appel à une autorité supérieure pour nous dicter ce que nous devons dire ou écrire. « Une grammaire, une langue, une République », comme l’a dit Jean‑Michel Blanquer devant la représentation nationale. Cependant, non seulement la langue est diverse, mais en plus l’Académie française n’a reçu aucun mandat démocratique pour remplir cette fonction.</p>
<p>On reproche beaucoup à l’Europe son manque de transparence et de démocratie. En même temps, les Français et les Françaises acceptent de se soumettre collectivement à une institution dont les membres se cooptent entre eux depuis près de quatre siècles. Et cela, sur une question aussi fondamentale que la langue française. Il est sans doute temps de mettre les questions relatives à la langue française au cœur de la démocratie. Afin que chaque citoyen et chaque citoyenne puissent se faire sa propre opinion en disposant d’<a href="https://www.revue-ballast.fr/lacademie-tienne-langue/">informations fiables</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/88110/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christophe Benzitoun ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La langue représente un enjeu de pouvoir fondamental. On a encore pu le voir récemment dans une circulaire du premier ministre portant sur l’écriture inclusive.Christophe Benzitoun, Maître de conférences en linguistique française, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/865222017-11-07T23:04:59Z2017-11-07T23:04:59ZDébat : L’écriture inclusive, un « péril mortel », vraiment ?<p>L’écriture inclusive – ou langage <a href="https://fr.Wikim%C3%A9dia.org/wiki/%C3%89pic%C3%A8ne">épicène</a> – vise à rendre les langues neutres du point de vue du genre, et ainsi à aider les femmes à se sentir davantage concernées et impliquées dans la communication écrite. Comme pour la féminisation des noms de métiers (<em>écrivaine, députée</em>, etc.), il s’agit de mettre à contribution la <a href="https://fr.Wikip%C3%A9dia.org/wiki/Morphologie_(linguistique)">morphologie</a> flexionnelle telle qu’on l’écrit, dans le but d’améliorer la visibilité des femmes dans la vie publique et de rééquilibrer leur position dans la société.</p>
<p>En français, cette démarche se traduit notamment par l’usage de graphies du type <em>étudiant·e·s</em>, <em>inscrit·e·s</em>, etc., qui a fait l’objet d’une <a href="http://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/guide_pratique-_vf-_2015_11_05.pdf">recommandation du Haut Conseil à l’égalité</a> en 2015. Qu’elle soit efficace ou non pour l’émancipation des femmes, l’écriture inclusive n’en est pas moins sujette à des <a href="https://www.arretsurimages.net/breves/2017-11-05/L-ecriture-inclusive-n-a-pas-vocation-a-reecrire-la-litterature-francaise-id20939">réactions passionnelles</a> et à de virulents discours idéologiques – pour preuve cette <a href="http://www.academie-francaise.fr/actualites/declaration-de-lacademie-francaise-sur-lecriture-dite-inclusive">condamnation officielle</a> de l’<a href="http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2017/10/27/ecriture-inclusive-non-l-academie-francaise-ne-decide-pas-seule-du-bon-usage-de-la-langue_5206995_4355770.html">Académie française</a> il y a quelques jours. À en croire les immortel·le·s – qui comptent quatre femmes pour trente hommes, « la langue française se trouve désormais en péril mortel, ce dont notre nation est dès aujourd’hui comptable devant les générations futures ».</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/n2ORvgdnO68?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>On peine à concevoir comment le français dans son ensemble, a fortiori le français parlé par quelque 270 millions de locuteurs selon les estimations officielles, pourrait se voir exposé à un « péril mortel » par la simple adoption de nouvelles conventions graphiques. Des écritures inclusives ont cours dans des langues de grande communication telles que le portugais, l’espagnol, l’allemand ou l’anglais, sans que ces dernières ne donnent aucun signe de « péril mortel ». On sait en outre que loin d’être en péril, le français conquiert au contraire du terrain, en France comme dans l’Afrique dite « francophone », aux dépens de centaines de langues autochtones en danger avéré de disparition. L’État français et l’Organisation internationale de la Francophonie y travaillent sans relâche, en investissant chaque année des sommes colossales dans sa promotion.</p>
<p>Au-delà de la querelle inclusive, cette condamnation s’inscrit dans la lignée d’interventions hostiles, de la part de l’Académie, à l’égard de la <a href="http://www.academie-francaise.fr/actualites/la-feminisation-des-noms-de-metiers-fonctions-grades-ou-titres-mise-au-point-de-lacademie">féminisation des noms de métiers</a>, de la <a href="http://www.academie-francaise.fr/actualites/la-langue-de-la-republique-est-le-francais">promotion des langues régionales</a>, de l’<a href="http://www.academie-francaise.fr/le-francais-dans-tous-ses-etats-seance-publique-annuelle">usage de l’anglais dans les institutions internationales</a>, du <a href="http://www.academie-francaise.fr/la-reconquete-de-la-langue-francaise">franglais</a>, du <a href="http://www.academie-francaise.fr/la-langue-francaise-langue-de-la-modernite-seance-publique-annuelle">« néo-argot des banlieues »</a>, ou de la <a href="http://www.academie-francaise.fr/actualites/declaration-de-lacademie-francaise-sur-la-reforme-de-lorthographe">rectification orthographique</a> recommandée par le Conseil supérieur de la langue française. L’Académie coche ainsi toutes les cases, ou presque, des différents discours idéologiques dominants analysés en sociologie du langage : <em>pour</em> la variété normée du français sur laquelle elle prétend exercer le monopole, <em>contre</em> les autres langues et variétés orales ou écrites de français, jugées illégitimes et menaçantes.</p>
<p>Dans cette « solennelle mise-en-garde » adoptée à l’unanimité contre l’écriture inclusive, les sociolinguistes reconnaîtront côte à côte <a href="https://www.bloomsbury.com/us/discourses-of-endangerment-9780826487452/"><em>discours de mise-en-péril</em></a>, <a href="http://www.ophrys.fr/fr/catalogue-detail/1888/la-variation-sociale-en-francais.html"><em>purisme</em> et <em>idéologie de la langue standard</em></a>. L’écriture inclusive y est envisagée comme étrangère à la langue, impure et animée par des visées impures. Elle remet en question la norme écrite standard par l’ajout de « formes secondes et altérées », aboutissant à une « langue désunie, disparate ».</p>
<p>De tels discours idéologiques, s’agissant du français comme d’autres langues dominantes, s’interprètent comme constitutifs de la <a href="http://editionstextuel.com/index.php?cat=020407&id=648"><em>reproduction des élites</em></a> : il s’agit en définitive de défendre le monopole sur la norme standard exercé par des classes dirigeantes majoritairement masculines, pour mieux légitimer leur accès exclusif au pouvoir.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/86522/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Geoffrey Roger est membre du groupe de recherches européen New Speakers in a Multilingual Europe (IS1306 - COST)</span></em></p>En s’en prenant à l’écriture inclusive, l’Académie française défend beaucoup plus que la norme standard du français écrit.Geoffrey Roger, Maître de conférences en linguistique, University of London Institute in ParisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/758762017-04-18T20:06:11Z2017-04-18T20:06:11ZL’ortografe, ça sert à koi ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/164573/original/image-20170409-2918-lr2cdm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C241%2C1544%2C1033&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Soupe de lettres.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://maxpixel.freegreatpicture.com/Spoon-Cup-Letters-Eat-Soup-Alphabet-Soup-2034919">Maxpixel</a></span></figcaption></figure><p>L’invention de l’écriture représente une avancée technologique majeure ayant révolutionné la pensée humaine. Elle a rendu possible la confection de listes et de tableaux, une moindre sollicitation de la mémoire, l’émergence de la pensée scientifique. Pour cela, l’humain a dû se doter d’une forme de représentation conventionnelle de la langue par écrit.</p>
<p>Ainsi, une réponse simple à la question posée en guise de titre pourrait être que l’orthographe permet de transcrire, de passer de l’oral à l’écrit. Concrètement, on utiliserait des lettres codant des sons (pour les langues comportant un alphabet). Mais la situation du français contemporain est très loin de cette relation directe entre parlé et écriture.</p>
<h2>La complexité de l’orthographe française</h2>
<p>Pour ce qui est du français, un des problèmes majeurs, c’est que l’on dispose de 26 lettres (héritées en grande partie de l’alphabet latin) pour transcrire 36 sons. Pour surmonter cette difficulté, on a ajouté des accents et combiné des lettres (par exemple <em>ch</em>, <em>gn</em>, <em>in</em>). Mais si l’on y regarde de près, on s’aperçoit que les combinaisons de lettres et les diacritiques transcrivent des sons qui sont déjà codés par d’autres caractères (<em>ph/f</em>, <em>au/o</em>, <em>ai/é</em>, <em>ç/s</em>). Et que dire de <em>ù</em> qui n’est utilisé que dans le mot <em>où</em> ? Ou bien encore de <em>monsieur</em> dans lequel <em>on</em> et <em>eu</em> renvoient au même son et où le <em>r</em> final ne se prononce pas. En conséquence, cela a effectivement permis de représenter tous les sons mais au prix d’une complexité énorme : plus d’une centaine de possibilités pour coder 36 sons alors qu’une langue comme le finnois en possède seulement une vingtaine.</p>
<p>De plus, il y a plusieurs siècles, à une époque où les rares lettrés maîtrisaient aussi le latin, des lettres étymologiques muettes ont été volontairement introduites en parallèle de l’évolution naturelle calquée sur la prononciation. Et à cela, on peut ajouter toutes les règles d’orthographe grammaticale qui sont venues encore complexifier l’ensemble (marques d’accord, conjugaison, pluriel, accord du participe passé…). On se retrouve alors avec des cas comme le suivant où il y a une seule marque de pluriel à l’oral (la différence de prononciation entre <em>le</em> et <em>les</em>) pour cinq à l’écrit : Le_s_ joli_s_ petit_s_ tableau_x_ multicolore_s_. L’orthographe française est donc très peu transparente c’est-à-dire que le passage du français parlé au français écrit est extrêmement complexe et difficile à prévoir à partir de règles. Elle comporte également de nombreuses lettres muettes.</p>
<p>Pourtant, l’orthographe est une construction issue de choix explicites d’un petit nombre de personnes et non d’une évolution naturelle. L’orthographe, ce n’est pas la langue mais seulement sa codification écrite. En <a href="http://bit.ly/2pmPtju">1835 par exemple, l’Académie française</a> a proposé et obtenu la modification graphique de plusieurs milliers de mots dont la suppression du <em>h</em> ou la substitution de <em>ph</em> par <em>f</em> dans certains mots comme <em>fantaisie</em>, <em>flegme</em> et <em>trône</em> (qui précédemment s’écrivaient <em>phantaisie</em>, <em>phlegme</em> et <em>thrône</em>). Et <em>nénufar</em> n’est devenu « officiellement » <em>nénuphar</em> qu’en 1935.</p>
<p>Bref, les choix d’aujourd’hui ne sont pas les mêmes que ceux d’hier ou de demain, comme le montrent ces deux extraits des <a href="http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k50996b">« Observations de l’Académie Françoise sur les Remarques de M. de Vaugelas »</a> (1704) qui exhibent les formes recommandées à l’époque : du parti de ceux qui cro_yent__ et ne sont plus employ_ez_. Mais, si cela dépend de choix, pourquoi avoir conservé une orthographe aussi compliquée ?</p>
<h2>Les raisons de la complexité</h2>
<p>De manière assez étonnante, l’orthographe du XVII<sup>e</sup> siècle, élaborée par et pour les lettrés connaissant le latin, n’a pas été repensée à l’époque de la démocratisation de la scolarité en France, période durant laquelle l’école représentait le seul contact avec le français pour des millions d’enfants. On a donc conservé des conventions fort complexes et depuis 1835 aucun changement notable n’est intervenu.</p>
<p>Cette situation a pour conséquence qu’aujourd’hui l’orthographe pose des problèmes dans l’apprentissage de l’écriture et de la lecture, avec un nombre élevé d’enfants dyslexiques ou dysorthographiques et d’adultes en situation d’illettrisme. De plus, le français écrit est central dans la scolarité. C’est lui qui donne accès aux autres matières. Il est donc la cause d’une part importante de l’échec scolaire. Par ailleurs, l’orthographe sert d’outil de sélection dans le cadre d’examens, de concours, de recrutements professionnels voire même de <a href="https://www.scienceshumaines.com/l-orthographe-ca-compte-sur-les-sites-de-rencontre_fr_37950.html">rencontres amoureuses</a>.</p>
<p>Or, l’aspect discriminant n’est pas, comme on pourrait le penser, un dommage collatéral. C’est au contraire une conséquence tout à fait voulue, comme l’atteste la célèbre citation de <a href="http://www.idref.fr/031877931">Mézeray (1673)</a>, membre de l’Académie française :</p>
<blockquote>
<p>« [L’Académie] déclare qu’elle désire suivre l’ancienne orthographe qui distingue les gens de lettres d’avec les ignorants et les simples femmes. »</p>
</blockquote>
<p>Tout ceci explique pourquoi, quand on écrit en français, on a l’impression que celui-ci a été truffé de pièges, de formes les plus éloignées que possible d’une écriture à base de règles intuitives, à l’image de <em>sonneur</em> qui prend deux <em>n</em> et <em>sonore</em> qui n’en prend qu’un.</p>
<p>Cette situation oblige à consacrer un temps considérable à l’enseignement de l’orthographe du français, au détriment des autres matières et des autres compétences langagières (savoir structurer un texte, présenter de manière claire et ordonnée une argumentation). Et cela pour un résultat somme toute assez modeste et qui <a href="http://bit.ly/2f4OVfQ">empire dans le temps</a>. Par comparaison, les petits Finlandais obtiennent des <a href="http://bit.ly/2pmMWWr">résultats meilleurs</a> que les Français en lecture pour un temps d’enseignement de l’orthographe nettement plus faible, le finnois étant une langue beaucoup plus transparente que le français. Dans ces conditions, n’est-il pas temps de regarder notre orthographe avec lucidité afin de trouver de véritables solutions ?</p>
<h2>Pour une réelle démocratisation de l’écrit</h2>
<p>L’orthographe n’est pas intouchable et elle n’a pas atteint une sorte de perfection indépassable, ce qui n’aurait aucun sens. Heureusement, le français n’est pas une langue morte et continue d’évoluer. Il est donc important de lancer un grand débat sur le rôle que la société souhaite assigner à l’orthographe (outil de sélection ou moyen d’accès facilité vers l’écrit). Cela conditionnera notre capacité à améliorer l’apprentissage des élèves et à amplifier la diffusion du français à l’étranger.</p>
<p>Le perfectionnement des méthodes d’enseignement seul ne permettra pas d’avancées significatives. Le temps consacré à l’orthographe, aussi important soit-il, est insuffisant et le restera si l’on continue à enseigner sa forme actuelle. Sauf à diminuer le temps dévolu aux autres matières, ce qui n’est pas souhaitable. Il faut donc une réflexion sur les conventions orthographiques elles-mêmes, dont la complexité doit être étudiée avec toute la rigueur nécessaire.</p>
<p>Pour qu’une grande langue comme le français puisse apporter toutes ses richesses au plus grand nombre, pour que l’apprentissage de ces formidables outils que sont la lecture et l’écriture ne soit plus synonyme de supplice, il est urgent que la société s’empare de ce sujet, sans se laisser aveugler par une conception élitiste de la langue. Il en va de notre capacité à partager ce bien commun que représente l’écrit, d’autant plus dans le monde contemporain où nous n’avons jamais autant eu besoin de savoir lire et d’écrire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/75876/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christophe Benzitoun ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’orthographe du français cumule deux propriétés contradictoires : c’est un moyen d’accès vers l’écrit et un instrument de distinction sociale. Quels problèmes cela pose-t-il et comment y remédier ?Christophe Benzitoun, Maître de conférences en linguistique française, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/657572016-09-30T04:48:50Z2016-09-30T04:48:50ZMarathon quotidien<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/138682/original/image-20160921-21723-189bm6w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Pour beaucoup d’enseignants, le métier est synonyme d’écrasement, de course tout aussi mentale que physique… et de solitude.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/josiahmackenzie/3414064391/">Josiah Mackenzie</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p><em>Choses vues, choses entendues. En sortant de l’école, des bribes de réalités viennent se confronter aux rêves du système éducatif.</em></p>
<p>Il a couru pour arriver au lycée ce matin, d’un bus à un métro, d’un métro à un RER, d’un RER à un deuxième bus. Ou bien elle a pris sa voiture pour faire près d’une centaine de kilomètres sur des routes de montagne que les lacets rendent dangereuses. Il a essayé en vain de trouver une place assise et a craint que l’humidité de sa chemise ne trahisse son effort physique et son angoisse. Elle a pincé les lèvres à plusieurs reprises, concentrée, attentive à ignorer l’appel du précipice sous ses roues. Il est arrivé largement en avance, soucieux de se faire bien voir ou bien elle est arrivée juste à l’heure.</p>
<p>Là où d’autres collègues, plus anciens ou plus chanceux, pourront se plaindre de la routine, ils ont, eux, remplaçants ou titulaires, la malchance d’être affectés sur plusieurs établissements. On les a prévenus la veille de la rentrée, ou ils ont reçu un appel quelques jours après. S’ils ont de la chance, ils rencontreront une oreille attentive, collègues ou chefs d’établissement, désireux de les aider. Oh, pas grand-chose : accepter de coordonner les emplois du temps, de laisser gentiment une salle à disposition, d’échanger des heures.</p>
<p>Parfois, on leur trouvera même une chambre à l’internat, pour les arranger. Sinon, leur année sera éprouvante. Salle des professeurs où, passant en coup de vent, il ne connaîtra personne. Bataille pour obtenir le remboursement de ses frais de route, qu’on lui calculera au plus juste, qu’on feindra d’oublier et qu’on lui versera enfin, un an après, quand sa vieille voiture, aussi épuisée qu’elle, aura déjà rendu l’âme. Ou pire, un accident sur une route solitaire et glacée, des cicatrices, une phobie de la conduite.</p>
<p>Mais qu’ils se rassurent, le plan de stratégie ambitieux de leurs académies, annoncé en grande pompe, déroulant des formules prétentieuses et des énoncés trompeurs, aura certainement porté, cette année, sur l’amélioration des conditions de travail des personnels.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/65757/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Blanche Lochmann est présidente de la Société des agrégés de l'Université</span></em></p>L’affectation multi-établissements entraîne une gymnastique mentale et physique parfois insoutenable et dangereuse pour certains enseignants.Blanche Lochmann, Professeur agrégé, Présidente, Société des agrégés de l'UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/532412016-01-24T22:07:20Z2016-01-24T22:07:20ZAlain Finkielkraut nouvel académicien, le fragile bonheur de l’immortalité<p>Alain Finkielkraut, né en France en 1949 dans une famille juive d’origine polonaise, écrivain, philosophe et essayiste français bien connu du grand public, auteur de nombreux ouvrages portant sur la culture, la politique ou la littérature, siége désormais Quai de Conti, au fauteuil numéro 21 de Félicien Marceau. Il a été élu le jeudi 10 avril à l’Académie française au premier tour par 16 voix sur 28, et reçu en séance solennelle sous la Coupole le jeudi 28 janvier 2016 par Pierre Nora.</p>
<h2>Une critique féroce du « progressisme »</h2>
<p>Son élection avait, on s’en souvient, donné lieu à de nombreux débats et même à d’intenses polémiques, non seulement dans les médias mais également au sein de la vénérable institution. Les Immortels s’étaient divisés en raison des prises de position politiques de l’intéressé : Finkielkraut était-il un « anticonformiste » ou un « réactionnaire » ? Si l’intéressé s’est toujours défendu avec véhémence d’être un « réac » ou même un « néo-réac », il ne s’en est pas moins toujours livré à une critique féroce de ce qu’il appelle lui-même le « progressisme ».</p>
<p>De fait, dans l’un de ses derniers ouvrages, <em>L’identité malheureuse</em>, paru en 2013, lequel a connu un réel succès populaire en librairie, le philosophe proclamait ironiquement : « le changement n’est plus ce qu’il était » : « le changement, expliquait-il en substance, n’est plus ce que nous faisons ou ce à quoi nous aspirons, le changement est ce qui nous arrive ».</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/108986/original/image-20160122-430-1wwpdq2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/108986/original/image-20160122-430-1wwpdq2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=395&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/108986/original/image-20160122-430-1wwpdq2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=395&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/108986/original/image-20160122-430-1wwpdq2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=395&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/108986/original/image-20160122-430-1wwpdq2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=496&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/108986/original/image-20160122-430-1wwpdq2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=496&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/108986/original/image-20160122-430-1wwpdq2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=496&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Cours de philosophie avec Alain Finkielkraut invité par le professeur Michaël Foessel, École Polytechnique, 23 octobre 2014.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/117994717@N06/15421839108/in/photolist-ysrR3C-y9K42v-xs9do1-qqq3JY-yeVs1A-rr6uW5-ycjArf-rWF4eZ-rrkLdC-romVN4-9nwaoe-9nwapR-9nuLDP-9nuLCi-9oyiQT-9nJBX6-9nMEM9-9oBnmG-9oBnvQ-s7V5s9-soW1eq-rniDxN-e23T1f-cC9L1o-t6Vdgs-puLXtJ">Ecole polytechnique Université Paris-Saclay/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ainsi, selon l’auteur de <em>L’imparfait du présent</em>, lui-même un ex-maoïste ayant participé au mouvement de Mai 1968, les « progressistes » d’aujourd’hui, les actuels « modernisateurs », ou encore les thuriféraires contemporains du « changement », qui sont le plus souvent des ex-révolutionnaires convertis en « réformateurs », ne seraient pas ce qu’ils prétendent être : des amis des hommes, de la liberté et de la culture. Ils sont plutôt des militants et des agents de l’avènement d’une « nouvelle humanité », c’est-à-dire de la destruction de la culture et de la dévastation du monde. Finkielkraut écrit dans son ouvrage, <a href="http://www.editions-stock.fr/la-seule-exactitude-9782234078970?gclid=CjwKEAiAw4e1BRDfi7vghaWU9jESJACzo9juuziJTTwHvgrdxFGjBPtAMirNHQzpKyAtwBn79hzTPRoCDQjw_wcB"><em>La seule exactitude</em></a>, paru en 2015 :</p>
<blockquote>
<p>On est à la fois con et snob, binaire et goguenard. On régresse avec un sourire en coin. On simplifie tout, en clignant de l’œil pour bien montrer qu’on n’est pas dupe. Et au bout du compte, rien ne subsiste, ni du passé ni du présent. Ne reste, en guise de réalité, qu’une dévastation narquoise.</p>
</blockquote>
<h2>Faire œuvre de culture</h2>
<p>Dans un monde héraclitéen où tout est perpétuellement en devenir, en mouvement et en mutation, que peut-il subsister d’un passé pour lequel Finkielkraut a confessé à de nombreuses reprises sa plurielle « nostalgie » : que ce soit la nostalgie de L’École « républicaine » d’antan, la nostalgie de la « nation » française d’avant 1968, ou encore la nostalgie de « la vie juive d’Europe centrale » d’avant la Shoah ? N’est-ce pas là afficher un passéisme vain ? Peut-on construire une œuvre littéraire et intellectuelle sur une telle nostalgie ? Est-ce bien là faire œuvre de « culture » ? Et l’Académie française serait-elle, en définitive, conforme à sa caricature, celle qu’une certaine opinion goguenarde ou narquoise s’en forge parfois : le réceptacle des inquiétudes et des récriminations ringardes, rances et obsolètes de vieillards cacochymes confrontés à un monde qu’ils s’obstinent à ne plus vouloir comprendre ?</p>
<p>On se souvient pourtant de la définition de la « culture » par <a href="http://www.cairn.info/revue-le-philosophoire-2004-1-page-190.htm">Hannah Arendt</a>, cette philosophe américaine que Finkielkraut se plaît si souvent à citer et à commenter. Dans <a href="http://mip-ms.cnam.fr/servlet/com.univ.collaboratif.utils.LectureFichiergw?ID_FICHIER=1295877017800"><em>Condition de l’homme moderne</em></a> elle écrit : </p>
<blockquote>
<p>Nulle part la durabilité pure du monde des objets n’apparaît avec autant de clarté, nulle part, par conséquent, ce monde d’objets ne se révèle de façon aussi spectaculaire comme la patrie non mortelle d’êtres mortels.</p>
</blockquote>
<p>Ainsi, la « haute culture », cette « patrie immortelle » à l’éclat nonpareil, pourrait-elle être autre chose en son essence qu’une « résistance » à la fuite du temps, des choses et des êtres, l’expression d’un refus fondamental de l’être humain que « tout passe », ou encore un effort surhumain pour s’arracher au métabolisme de la nature qui engendre et détruit sans cesse de nouvelles créatures dans un cycle perpétuel d’où jamais rien ne subsiste, bref : une quête d’immortalité au sein même de ce monde habité par des mortels ?</p>
<h2>Interroger le monde, sans relâche</h2>
<p>Vue sous ce jour, on comprendrait alors peut-être un peu moins mal la « position » du nouvel académicien : non pas opposer au monde tel qu’il va une fin de non-recevoir, mais l’interroger et le questionner sans relâche au travers de livres, d’articles ou de débats publics et radiophoniques, afin d’instiller le doute dans l’esprit des hommes, afin qu’ils ne se laissent pas entraîner malgré eux dans un vaste « processus » historique qui risquerait de leur ôter toute espèce de liberté individuelle de conscience ou d’action.</p>
<p>Bien plus, dans <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Quarto/Les-origines-du-totalitarisme-Eichmann-a-Jerusalem"><em>Les origines du totalitarisme</em></a>, la même Hannah Arendt nous a également appris que l’« essence » du totalitarisme consiste dans la tentative de mettre en mouvement simultanément toutes choses et toutes pensées, de sorte que plus rien ne puisse demeurer en l’état un seul instant : </p>
<blockquote>
<p>Le mouvement totalitaire ne peut tenir que dans la mesure où il est capable de mobiliser la volonté de l’homme pour le forcer à entrer dans ce gigantesque mouvement de l’Histoire auquel le genre humain est censé servir de matériel et qui ne connaît ni naissance ni mort.</p>
</blockquote>
<p>Tel serait alors en son fond l’enseignement de la philosophie dite « antitotalitaire », dont Finkielkraut a rappelé à maintes reprises qu’elle lui est venue à l’esprit (comme à quelques autres intellectuels, juifs ou non juifs, de sa génération) au lendemain de Mai 1968, une fois « dégrisé » de l’idéalisme révolutionnaire du « Juif imaginaire » – pour reprendre le titre de l’un de ses tout premiers livres : notre devoir est de résister non pas au changement en tant que tel, mais au volontarisme ou au militantisme du changement pour le changement.</p>
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<figcaption><span class="caption">Alain Finkieklkraut, sur « Le Juif imaginaire » en 1980.</span></figcaption>
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<p>Ajoutons ici que la découverte de l’ouvrage du philosophe Emmanuel Lévinas, <a href="http://la-philosophie.com/totalite-infini-emmanuel-levinas"><em>Totalité et infini</em></a> (un ouvrage paru en 1961, mais que Finkielkraut n’aurait lu qu’une bonne dizaine d’années plus tard), n’a pas peu compté également dans l’évolution intellectuelle de ce dernier depuis ses années de jeunesse militante, en lui instillant l’idée que face aux idéaux totalisants de l’Histoire – lesquels ne sont en réalité le plus souvent que des avatars de la théodicée chrétienne –, il est une pensée messianique inspirée du judaïsme qui permet d’arracher l’existence individuelle et singulière de chaque homme au « tribunal du monde » pour le rendre à la conscience de lui-même, c’est-à-dire du même coup à la conscience de sa responsabilité envers son prochain.</p>
<h2>Quête de pérennité… ou d’immortalité</h2>
<p>Mais que l’on ne s’y trompe cependant pas : la quête finkielkrautienne de l’immortalité ne doit en aucun cas être confondue ici avec la soif d’éternité. Si la première suppose en effet l’existence d’institutions culturelles, sociales et politiques, faites par et pour des hommes, qui ont pour rôle de traverser et structurer le temps de l’histoire humaine, la seconde tend vers un absolu qui transcenderait d’un seul coup et une fois pour toutes le temps du monde et des hommes.</p>
<p>On peut donc formuler l’hypothèse qu’en raison de son athéisme déclaré, Alain Finkielkraut n’espère nullement atteindre un jour une telle forme d’éternité métaphysique ou religieuse, mais seulement la « gloire » perdurable que confère la pérennité d’une œuvre intellectuelle et littéraire ciselée au fil du temps : c’est désormais chose faite avec son entrée sous la Coupole de l’Académie. Or un tel espoir, paradoxalement très proche de l’espérance chrétienne à laquelle s’était converti un de ses maîtres à penser, Charles Péguy, mais tout à fait distincte de l’inébranlable « foi » révolutionnaire des Modernes, ne peut procurer à celui qui s’en inspire qu’un bonheur incertain et fragile, car il n’est nullement exempt de l’inquiétude ou de l’angoisse devant un avenir qui demeure toujours foncièrement indéterminé.</p>
<p>On pourrait ainsi reprendre à propos de Finkielkraut les mots que celui-ci avait écrits dans <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Blanche/Le-Mecontemporain"><em>Le mécontemporain</em></a> au sujet de Charles Péguy, l’auteur de <em>Notre patrie</em> ou du <em>Mystère de la charité de Jeanne d’Arc</em> :</p>
<blockquote>
<p>Péguy vit dans l’angoisse de l’irréparable : l’auteur d’« Ève et de Clio » ne sait pas quel sera le visage de l’avenir ni à qui reviendra le mot de la fin. Le chrétien est ici incrédule, et le moderne, religieux : l’humanité du second s’élèvera demain jusqu’au point de vue où il est possible de contempler la totalité de ce qui est ; le Dieu du premier ne protège pas l’homme contre la liberté de défaire ce qui a été fait, d’abîmer ou de décréer le monde.</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/53241/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Claude Poizat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Reçu sous la Coupole le 28 janvier 2016, Alain Finkielkraut est un critique féroce de tout « progressisme ». Est-il pour autant réductible à l’étiquette de « néo-réac » ? Retour sur son parcours.Jean-Claude Poizat, Professeur agrégé de philosophie et docteur en sciences politiques (IEP de Paris), IpesupLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.