tag:theconversation.com,2011:/uk/topics/accidents-nucleaires-26969/articlesaccidents nucléaires – The Conversation2024-02-06T14:43:10Ztag:theconversation.com,2011:article/2228192024-02-06T14:43:10Z2024-02-06T14:43:10ZSûreté nucléaire et fusion entre ASN et IRSN : l’originalité du modèle à la française<p>Après un cavalier législatif manqué au printemps 2023, le gouvernement avait soumis au parlement un <a href="https://www.vie-publique.fr/loi/292470-projet-de-loi-surete-nucleaire-fusion-asn-et-irsn">projet de loi</a> visant à réformer la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection. Son article premier proposait de passer d’une organisation duale entre une Autorité de sûreté nucléaire (l’ASN) et un organisme de recherche et d’expertise, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (l’IRSN), à une organisation dite « intégrée ».</p>
<p>La commission du développement durable de l'Assemblée nationale a rejeté cet article premier le 5 mars dernier, mais le texte sera de nouveau examiné en séance plénière le 11 mars, pour un vote solennel prévu le mardi 19 mars.</p>
<p>Un établissement unique, l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR), disposerait à la fois des fonctions de recherche, d’expertise et de décision en matière de sûreté nucléaire et radioprotection.</p>
<p>Ce projet a suscité de <a href="https://theconversation.com/surete-du-nucleaire-en-france-comprendre-la-brusque-reforme-voulue-par-le-gouvernement-201191">nombreuses critiques et interrogations</a> et questionne ce qui fait la spécificité historique du modèle français : le dialogue entre expert, contrôleur et exploitant.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/surete-du-nucleaire-en-france-comprendre-la-brusque-reforme-voulue-par-le-gouvernement-201191">Sûreté du nucléaire en France : comprendre la brusque réforme voulue par le gouvernement</a>
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<h2>Aux origines du dialogue technique à la française</h2>
<p>Depuis les années 1960, l’expertise et le contrôle de la sûreté nucléaire sont assurés par un <a href="http://theses.univ-lyon2.fr/documents/lyon2/2003/foasso_c#p=163&q=dialogue+technique&o=0&a=highlight">« dialogue technique »</a> entre spécialistes qui se déroule <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-sociologie-1-2012-1-page-35.htm">dans des arènes fermées</a>.</p>
<p>D’abord internes au Commissariat à l’énergie atomique (CEA), puis étendues à EDF et aux différents constructeurs impliqués dans les projets, les discussions tournent autour d’incidents et d’accidents considérés comme « crédibles » au vu de l’expérience acquise et des meilleures connaissances disponibles.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/three-mile-island-tchernobyl-fukushima-le-role-des-accidents-dans-la-gouvernance-nucleaire-159375">Three Mile Island, Tchernobyl, Fukushima : le rôle des accidents dans la gouvernance nucléaire</a>
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<p>Le règlement des questions de sûreté est guidé par la recherche de consensus et le « jugement d’expert » constitue la base de toutes décisions. En pratique, ce dialogue n’est pas que technique et inclut ouvertement et librement tous les aspects liés aux décisions de sûreté (coût, retards, niveau de sûreté, développement des connaissances, compétitivité et comparaison internationale…).</p>
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<p>L’efficacité de ce dialogue dépend alors de deux valeurs cardinales :</p>
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<li><p>l’esprit des relations entre acteurs,</p></li>
<li><p>et la doctrine de la compétence.</p></li>
</ul>
<p>Il s’agit, pour chaque question technique, de respecter l’avis du plus compétent et cela indépendamment de son rattachement institutionnel. Ce fonctionnement requiert une certaine proximité, une bonne entente, un haut niveau de confiance mutuelle (permise par l’absence de cadre réglementaire formalisé) et enfin une totale autonomie vis-à-vis de la société et du pouvoir politique.</p>
<p>Autrement dit, la sûreté n’y est pas considérée comme un contrôle de conformité à des normes préétablies, mais comme un sujet devant être élucidé au cas par cas via le dialogue entre parties prenantes des projets.</p>
<p>En comparaison, les pays anglo-saxons développent dès les années 1950 des règles, des normes, des méthodes et un cadre légal spécifique pour la sûreté nucléaire qui demeurent sous contrôle des pouvoirs publics et de la justice.</p>
<p>Malgré le <a href="https://theconversation.com/un-nouveau-plan-nucleaire-pour-la-france-quand-lhistoire-eclaire-lactualite-181513">développement massif du nucléaire civil</a> en France, le modèle dialogique est maintenu dans les années 1970, avec <a href="https://www.cairn.info/revue-gerer-et-comprendre-2017-4-page-76.htm">l’instauration d’une réglementation « souple » qui respecte l’esprit des pionniers</a>.</p>
<p>Toutefois, en accompagnement du Plan Messmer, sont créées deux entités : un contrôleur au sein du ministère de l’Industrie (le Service central de sûreté des installations nucléaires (SCSIN)) et un institut de recherche et d’expertise au sein du CEA, l’Institut de protection et de sûreté nucléaire (IPSN).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/573478/original/file-20240205-15-1s2ceb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/573478/original/file-20240205-15-1s2ceb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=586&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/573478/original/file-20240205-15-1s2ceb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=586&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/573478/original/file-20240205-15-1s2ceb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=586&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/573478/original/file-20240205-15-1s2ceb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=736&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/573478/original/file-20240205-15-1s2ceb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=736&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/573478/original/file-20240205-15-1s2ceb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=736&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Dates clés du système de gouvernance français du nucléaire civil.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.sfen.org/rgn/la-riche-histoire-du-systeme-francais-de-controle-et-dexpertise-de-la-surete-nucleaire/">SFEN</a></span>
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<p>Un dialogue « à trois » se met alors en place pour expertiser et contrôler l’essor d’un gigantesque parc nucléaire de 58 réacteurs exploités par EDF, ainsi que de nombreux autres types d’installations nucléaires.</p>
<p>Les responsables de la sûreté affirment à cette époque ce qui fait l’originalité et la valeur du système français, à savoir : « <a href="http://theses.univ-lyon2.fr/documents/lyon2/2003/foasso_c#p=179&a=TH.4.1.5.3">l’existence d’une expertise technique qui base sa compétence sur le contact avec les développeurs, et qui joue le rôle de soutien de l’administration qui détient, elle, le pouvoir</a> ».</p>
<p>Les débats dans ce « petit monde de la sûreté » peuvent être extrêmement durs et aboutir à des conflits ouverts devant les responsables politiques et parfois même le grand public lui-même. Après l’accident de Tchernobyl, par exemple, deux visions s’affrontent au plan médiatique :</p>
<ul>
<li><p>celle du nouveau directeur de l’autorité de sûreté, <a href="http://theses.univ-lyon2.fr/documents/lyon2/2003/foasso_c#p=342&q=lav%C3%A9rie&o=0&a=highlight">Michel Lavérie, qui prône une plus grande ouverture vis-à-vis du public</a></p></li>
<li><p>et celle de <a href="http://theses.univ-lyon2.fr/documents/lyon2/2003/foasso_c#p=346&q=lav%C3%A9rie&a=TH.6.4.4.3">Pierre Tanguy, inspecteur général de la sûreté nucléaire (IGSN) à EDF et cadre historique de l’IPSN, qui souhaite que la sûreté nucléaire reste cantonnée dans le monde des spécialistes et loin du monde politique et médiatique</a>.</p></li>
</ul>
<p>Malgré cette divergence, les deux protagonistes s’accordent sur une chose : le modèle dialogique, permanent et continu entre expert, autorité et exploitant doit rester la base du modèle français.</p>
<h2>« French cooking », ou la cuisine nucléaire française face au modèle américain</h2>
<p>Après le choc de Tchernobyl, la <a href="https://www.lavoisier.fr/livre/environnement/une-longue-marche-vers-l-independance-et-la-transparence/saint-raymond/descriptif_2691813">gouvernance des risques nucléaires évolue progressivement</a> pour aboutir à la création de l’IRSN en 2002 (totalement détaché du CEA) et de l’ASN en 2006 (sous la forme d’une Autorité administrative indépendante (AAI)).</p>
<p>Toutefois, le modèle dialogique n’est pas abandonné et constitue toujours le fondement des expertises et des prises de décision liées à la <a href="https://www.asn.fr/l-asn-controle/reacteur-epr-de-flamanville">construction et au démarrage de l’EPR</a>, à l’après-Fukushima, aux <a href="https://www.asn.fr/l-asn-controle/reexamens-periodiques/reexamens-periodiques-pour-les-centrales-nucleaires">réexamens périodiques de sûreté</a> des réacteurs ou aux défaillances qui ont impacté récemment les réacteurs nucléaires français.</p>
<p>Ces différents épisodes montrent une autre spécificité du modèle français qu’est l’idée de « progrès continu ». Ce précepte constitue, selon l’économiste <a href="https://minesparis-psl.hal.science/hal-00827432v1/file/I3WP_13-ME-05.pdf">François Lévêque</a>, un point de divergence philosophique important par rapport au modèle américain de la sûreté : « On a affaire à une approche de la régulation fondée sur deux principes majeurs différents : à Washington, caler le niveau d’une sûreté assez sûre ; à Paris, faire continûment progresser la sûreté ».</p>
<p>En effet, la United States Nuclear Regulatory Commission (NRC) adopte, depuis les années 1980, un système basé sur la recherche de performance et d’efficacité à l’aide d’approches quantitatives (objectifs quantifiés, analyse coût-bénéfice, études probabilistes, doses reçues par les travailleurs ou la population…). Ces approches prennent une place croissante dans le processus de décision autour de la question « How safe is safe enough ? »</p>
<p>Du fait de leur différence, le modèle dialogique français est surnommé ironiquement <a href="https://www.annales.org/gc/2010/gc101/Rolina.pdf">« french cooking »</a> par les Anglo-Saxons pour appuyer sur le fait que tous les aspects liés à la sûreté se règlent entre spécialistes. Le « French cooking », qui a été mis en avant comme un facteur de réussite de la réalisation du programme nucléaire, est aujourd’hui régulièrement critiqué pour son <a href="https://www.cerna.minesparis.psl.eu/Donnees/data08/818-NukeMinesAEE.pdf">absence de prise en considération explicite d’objectifs quantifiés (et des coûts</a> associés) et une tendance à « toujours plus de sûreté ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/debat-letatisme-plombe-t-il-la-filiere-nucleaire-francaise-209874">Débat : L’Étatisme plombe-t-il la filière nucléaire française ?</a>
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<p>Si le modèle dialogique a perduré, c’est qu’il a aussi été un moteur de changements. C’est par ce mode de fonctionnement que la sûreté en France s’est adaptée. D’abord à l’évolution du parc nucléaire, mais aussi aux progrès des connaissances scientifiques et techniques, au retour d’expérience des incidents/accidents, à l’internationalisation des standards de sûreté ainsi qu’à la nécessité croissante de transparence et d’implication du public.</p>
<p>Sur ce dernier point, depuis plusieurs années, l’ASN et l’IRSN ont tenté d’exporter, <a href="https://hal.science/hal-02896863v1/file/0000162400_001.PDF">non sans difficulté</a>, un modèle de « <a href="https://www.irsn.fr/page/dialogues-techniques">dialogue technique » vers la société</a>. <a href="https://www.radioprotection.org/articles/radiopro/pdf/2018/02/radiopro170063.pdf">Des associations comme les commissions locales d’information (CLI) présentes autour des sites nucléaires, jouent un rôle important pour entretenir et alimenter ce processus</a>.</p>
<h2>Quelle place pour le modèle dialogique dans la future ASNR ?</h2>
<p>La possible naissance d’un nouvel organisme issu de la fusion de l’IRSN et de l’ASN met à l’épreuve le fonctionnement historique de la gouvernance des risques nucléaires. Néanmoins, le <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/ots/l16b1519_rapport-information.pdf">rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) de juillet 2023</a>, consacré à la reforme de la gouvernance des risques nucléaires, préconise de ne pas abandonner le « dialogue technique » à la française, « garant de la fluidité et de la qualité des contrôles [et que] notre pays aurait tort de céder à la tentation de l’autodénigrement de ses propres méthodes de travail ».</p>
<p>Se pose alors la question de la possibilité de faire perdurer un modèle dialogique « à deux » entre les industriels et la future ASNR.</p>
<p><a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2021-4-page-123.htm?try_download=1">Certains travaux</a> ont en effet montré que le dialogue à trois est un puissant garde-fou face aux risques d’excès de zèle du binôme ASN/IRSN ou, à l’inverse, de sa <a href="https://www.theses.fr/2008PA090046">« capture »</a> par les intérêts de l’industriel : « La nette séparation en trois entités autonomes entretenant des rapports de confrontation et de coalitions instables, mais reliées par des objectifs communs (sûreté et préservation du cadre leur permettant d’exister), est apparue comme de nature à favoriser de nombreuses négociations, mais aussi d’en réguler les excès éventuels ou le risque de capture ».</p>
<p>Pour se prémunir de ce type de dérives, le projet de loi préconise de conserver une forme de séparation entre expertise et décision avec, d’un côté, le corps d’experts/chercheurs de l’IRSN et les chargés d’affaires de l’ASN et, de l’autre, un <a href="https://www.asn.fr/tout-sur-l-asn/presentation-de-l-asn/l-organisation-de-l-asn#le-college">collège décisionnaire</a>, qui existe déjà au sein de l’ASN.</p>
<p>Toutefois, cette garantie semble oublier que seules les décisions stratégiques sont prises par le collège à l’heure actuelle tandis que les décisions du « quotidien », qui constituent le plus grand nombre, <a href="https://hal.science/hal-03338579/document">se règlent par consensus ou compromis à différentes étapes d’un dialogue pas que technique</a>.</p>
<p>La spécificité du modèle dialogique français est donc un argument à double tranchant.</p>
<ul>
<li><p>D’un côté, il est mobilisé par certains promoteurs de la réforme en raison de la proximité entre acteurs et d’une forme de porosité entre expertise et décision : s’il n’existe pas de séparation nette, on est en droit de se demander l’intérêt de conserver deux organismes distincts.</p></li>
<li><p>De l’autre, le dialogue à trois a été jugé efficace pour développer le parc nucléaire dans les années 1970-1980 et est aujourd’hui reconnu, tant au plan national qu’international. Il permet notamment d’éviter certaines dérives : excès de zèle ou capture du pouvoir.</p></li>
</ul>
<p>Dans tous les cas, le projet de réforme touche au fondement du fonctionnement du modèle dialogique qui a fait la force et la stabilité du système de gouvernance des risques nucléaires français. Reste à voir si ce nouveau modèle sera aussi efficace que le précédent pour assurer tant la sûreté que la réussite industrielle dans le contexte de développement d’un nouveau parc nucléaire et de <a href="https://theconversation.com/prolongement-des-centrales-nucleaires-comment-se-calculent-les-couts-93885">prolongation de la durée de vie des centrales existantes</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222819/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michaël Mangeon effectue régulièrement des travaux pour l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Mathias Roger ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La fusion de l'ASN et de l’IRSN proposée par le gouvernement est loin d'être anodine. Elle remet en cause ce qui fait la force du modèle français de gouvernance des risques nucléaires.Michaël Mangeon, Chercheur associé EVS-RIVES ENTPE, enseignant vacataire, consultant, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresMathias Roger, Chercheur en histoire et sociologie des sciences et des techniques, IMT Atlantique – Institut Mines-TélécomLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2182072023-11-21T16:55:04Z2023-11-21T16:55:04ZFukushima : 12 ans après l’accident, une décontamination des sols au bilan mitigé<p>En mars 2011, un puissant séisme puis un tsunami frappaient la côte orientale du Japon. La succession de ces deux événements a entraîné un <a href="https://theconversation.com/fukushima-affaire-classee-93160">accident d’ampleur dans la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi</a>, qui a provoqué la fusion du cœur de trois des réacteurs de la centrale. A la clé, un accident nucléaire classé au niveau 7 sur l’échelle internationale INES, <a href="https://theconversation.com/three-mile-island-tchernobyl-fukushima-le-role-des-accidents-dans-la-gouvernance-nucleaire-159375">comme l’accident de Tchernobyl</a>.</p>
<p>Il s’agissait donc d’un accident nucléaire dit « majeur », qui a entraîné des rejets radioactifs dans l’air dans les jours qui ont suivi, des rejets d’<a href="https://theconversation.com/fukushima-neuf-ans-apres-la-catastrophe-leau-contaminee-seme-toujours-la-discorde-133275">eau contaminée</a> (selon des travaux de l’IRSN, la contamination de l’océan provoquée par l’accident pourrait représenter la <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0265931X1100289X">plus grande pollution radioactive marine de l’Histoire</a>) et des dépôts radioactifs significatifs sur les sols d’une partie du Nord-Est du Japon.</p>
<p>Dans une étude menée par le BRGM avec des chercheurs français et japonais, <a href="https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.2301811120">publiée dans la revue scientifique PNAS</a>, nous avons adapté un outil de modélisation de l’érosion des sols pour prendre en compte leur contamination. Il s’agissait d’estimer la quantité d’éléments radioactifs encore présents dans les sols dans la région de Fukushima pour prévoir l’évolution de la contamination radioactive des paysages.</p>
<p>Ces travaux montrent que pour l’heure, le bilan est mitigé : les opérations de décontamination ont été efficaces là où elles ont pu être menées, mais il reste encore 67 % du césium 137 initial, principalement stocké dans les forêts, situés sur les pentes fortes de cette région montagneuse.</p>
<h2>De quelle radioactivité parle-t-on ?</h2>
<p>De très importants rejets radioactifs ont ainsi eu lieu dans l’environnement à la mi-mars 2011, entraînant l’évacuation des populations dans un rayon de 20 km autour de la centrale et une <a href="https://www.irsn.fr/savoir-comprendre/crise/laccident-centrale-nucleaire-fukushima-daiichi-japon-mars-2011">contamination durable des territoires autour de celle-ci</a>.</p>
<p>La répartition géographique et l’ampleur de cette contamination dépendent à la fois de la trajectoire du panache radioactif formé par les rejets de la centrale qui ont eu lieu pendant plusieurs jours et de la survenue de pluie ou de neige dans les zones traversées par le panache.</p>
<p>Rabattues au sol par les précipitations, les substances radioactives ont entraîné deux conséquences principales : une élévation permanente du <a href="https://laradioactivite.com/questionsdoses/debitsdedose">débit de dose radioactive</a> ambiant dû au rayonnement gamma émis par les radionucléides contenus dans les dépôts, et une contamination des sols et de la végétation. On parle des retombées initiales, ou de l’inventaire initial, car il faut dresser un inventaire des radionucléides en présence.</p>
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<p>Pour quantifier cet inventaire initial, on utilise des becquerels par mètre-carré (Bq/m<sup>2</sup>), qui décrivent le nombre de désintégrations radioactives par seconde et par unité de surface. Le césium 137 est l’un des radionucléides les plus problématiques, car il a été émis en grandes quantités et il présente une demi-vie relativement longue de 30 ans. C’est pourquoi notre étude s’est concentrée sur ce dernier.</p>
<h2>Une décontamination par le décapage des sols</h2>
<p>Pour réduire le débit de dose dans l’air et permettre le retour des habitants dans les zones évacuées, les autorités japonaises ont mis en œuvre un <a href="https://lejournal.cnrs.fr/articles/fukushima-les-lecons-dune-decontamination">programme de décontamination des sols sans précédent</a> à ce jour dans l’histoire. Ces opérations ont été réalisées entre 2013 et 2023 et se sont concentrées sur les zones cultivées et résidentielles.</p>
<p>Elles ont consisté à retirer la végétation et à décaper les cinq premiers centimètres du sol. Tous les matériaux retirés ont été stockés localement sur des parcelles agricoles, dans un premier temps, avant d’être entreposés pour 30 ans dans des sites dédiés à proximité du site de la centrale accidentée.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/560715/original/file-20231121-4807-4owosj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/560715/original/file-20231121-4807-4owosj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/560715/original/file-20231121-4807-4owosj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/560715/original/file-20231121-4807-4owosj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/560715/original/file-20231121-4807-4owosj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/560715/original/file-20231121-4807-4owosj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/560715/original/file-20231121-4807-4owosj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La couche superficielle des terres agricoles a été retirée et a été stockée dans des sacs en attendant son évacuation vers des sites de stockage temporaires, en 2014.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Olivier Evrard</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Ces cinq premiers centimètres de sol ont été remplacés par du sol « sain » provenant généralement de matériaux extraits de carrières locales aménagées pour l’occasion (essentiellement du granite concassé) et mélangés avec la couche de sol résiduelle. Une approche efficace, <a href="https://soil.copernicus.org/articles/5/333/2019/">comme l’ont montré des travaux de 2019</a>, que nous avons par la suite <a href="https://soil.copernicus.org/articles/9/479/2023/">approfondis en 2023</a>.</p>
<p>Un tel décapage du sol a permis de réduire les concentration en césium 137 d’environ 80 %, et de ramener la radioactivité résiduelle à des niveaux proches de la radioactivité naturelle moyenne. Cette approche contraste avec la stratégie adoptée à Tchernobyl en 1986, où les zones les plus contaminées restent encore interdites d’accès aujourd’hui.</p>
<p>Ce programme n’a toutefois pas traité les forêts, qui couvrent pourtant la plus grande partie des surfaces contaminées – 80 % – qui se situent principalement sur des pentes abruptes dans cette région montagneuse.</p>
<h2>Quand l’érosion transporte le césium 137… et déplace le problème</h2>
<p>Une fois que le césium 137 atteint la surface du sol, il est rapidement fixé aux particules fines du sol et reste concentré dans les quelques centimètres supérieurs du sol, ce qui le rend susceptible d’être transféré vers l’aval par l’érosion hydrique lors des précipitations.</p>
<p>De quelles quantités parle-t-on ? Tout dépend de la concentration initiale des retombées de radiocésium, et de l’ampleur de la perte de sol, en fonction des processus d’érosion locaux.</p>
<p>Pour évaluer la dispersion du césium 137 par érosion hydrique, nous avons eu recours à un modèle de ruissellement et d’érosion, en y ajoutant un module prenant en compte la concentration en césium dans les premiers centimètres de sol. L’objectif de ce nouveau modèle était de simuler le ruissellement et les transferts de sédiments et de césium 137 associés à travers le paysage, selon différents scénarios. Autrement dit, estimer ce qu’auraient été les flux et le stock de césium 137 sans la mise en œuvre de la décontamination.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/560724/original/file-20231121-4574-l43wj8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/560724/original/file-20231121-4574-l43wj8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=598&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/560724/original/file-20231121-4574-l43wj8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=598&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/560724/original/file-20231121-4574-l43wj8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=598&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/560724/original/file-20231121-4574-l43wj8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=752&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/560724/original/file-20231121-4574-l43wj8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=752&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/560724/original/file-20231121-4574-l43wj8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=752&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Localisation de la zone d’étude (carte A), reconstitution des retombées initiales de césium 137 (carte B), et utilisation des terres du bassin versant étudié (carte C).</span>
<span class="attribution"><span class="source">R. Vandromme et coll., PNAS</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Ce modèle a pu être calibré et utilisé grâce à des <a href="https://zenodo.org/records/7886524">mesures en rivière obtenues entre 2014 et fin 2019</a> par les <a href="https://www.nies.go.jp/index-e.html">équipes japonaises du National Institute for Environmental Studies</a> sur un petit bassin versant de 44 km<sup>2</sup> représentatif de la zone contaminée.</p>
<h2>Une décontamination partielle au bilan mitigé</h2>
<p>Pour évaluer le transfert et les sources de césium 137 associé aux sédiments, nous avons modélisé tous les événements pluvieux qui se sont produits de juin 2014 à décembre 2019, soit 296 événements. Les résultats ont permis de montrer l’importance des événements extrêmes dans la dynamique sédimentaire du bassin versant dans cette région : plus de la moitié des déplacements de sédiments et de césium se produisent pendant moins d’1 % du temps !</p>
<p>Lors de précédents travaux, des <a href="https://essd.copernicus.org/articles/13/2555/2021/essd-13-2555-2021.html">chercheurs du LSCE et leurs collègues</a> avaient déjà montré que les concentrations de césium 137 dans les sédiments transportés par les systèmes fluviaux drainant le principal panache de pollution radioactive avaient diminué d’environ 90 % entre 2011 et 2020.</p>
<p>Notre étude montre qu’après la décontamination de 16 % de la surface du bassin versant réalisée par les autorités japonaises, environ 67 % du césium radioactif initial subsiste encore dans les paysages, majoritairement dans les forêts. Le flux de césium 137 dans les rivières n’a été réduit que de 17 % par rapport aux simulations du cas fictif où aucune opération de décontamination n’aurait été menée.</p>
<p>Les opérations de décontamination ont donc été efficaces sur les surfaces traitées, mais comme elles n’ont pu être réalisées que sur une faible proportion de la surface du territoire, en raison de la présence majoritaire de forêts sur des pentes fortes et de la difficulté technique de décontaminer de telles zones, leur portée reste limitée.</p>
<p>Cette étude soulève des questions sur le rapport coût-bénéfice d’une entreprise de décontamination partielle, étant donné que, en 2019, seuls 30 % des habitants étaient retournés vivre dans la région. Cet outil de modélisation pourrait également servir à simuler des scénarios de gestion dans l’éventualité de futurs accidents nucléaires ou industriels.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218207/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Rosalie Vandromme a reçu des financements du BRGM et de l'ANR (Agence Nationale de la Recherche)</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Olivier Evrard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La décontamination des sols a-t-elle porté ses fruits à Fukushima ? Oui, là où elles ont pu être menées. Mais il reste encore 67 % du césium 137 initial dans le sol des forêts, répond une nouvelle étude.Rosalie Vandromme, Chercheur érosion des sols, BRGMOlivier Evrard, Directeur de recherche, Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2011912023-03-08T19:06:33Z2023-03-08T19:06:33ZSûreté du nucléaire en France : comprendre la brusque réforme voulue par le gouvernement<p>Face à l’urgence climatique et aux problématiques de souveraineté et de sécurité d’approvisionnement électrique, le gouvernement d’Emmanuel Macron a fait le choix d’accélérer la relance et la modernisation du parc nucléaire national.</p>
<p>Depuis l’annonce, en février 2022, de la « renaissance du nucléaire français », avec la construction à partir de 2028 de six réacteurs « nouvelle génération » (type EPR 2), les décisions se multiplient. À l’image de ce projet de loi visant <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/dossierlegislatif/JORFDOLE000046513775/">l’accélération des procédures</a> liées à la construction de nouvelles installations nucléaires et au fonctionnement des installations existantes.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/60ZHNqkk1mg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Depuis Belfort, Emmanuel Macron annonce la construction de six nouveaux réacteurs nucléaires. (France 24, 2022).</span></figcaption>
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<p>Dans le cadre de ce projet, un nouvel amendement du gouvernement propose une <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/amendements/0762/CION-ECO/CE602">réforme du système d’expertise et de contrôle de la sûreté nucléaire</a>. Pour en comprendre les enjeux, il faut revenir sur la manière dont ce système s’est développé en France.</p>
<h2>Un système d’expertise et de contrôle pour répondre aux défis du plan Messmer</h2>
<p>C’est au cours des années 1970, durant le développement du programme nucléaire français de centrales EDF, <a href="http://theses.univ-lyon2.fr/documents/lyon2/2003/foasso_c">qu’un système d’expertise et de contrôle de la sûreté nucléaire a été mis en place</a> autour de trois acteurs : l’industriel ; un petit service du ministère de l’Industrie créé en 1973 pour contrôler la sûreté nucléaire ; l’IPSN (l’Institut de protection et de sûreté nucléaire), un institut émanant du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) et chargé de l’expertise et de la recherche, créé en 1976.</p>
<p>Bien que les centrales soient de technologie américaine, le modèle d’expertise et de contrôle en vigueur outre-Atlantique est considéré comme trop dirigiste et réglementaire pour être transféré. On préfère alors conserver une approche historique, <a href="https://hal-mines-paristech.archives-ouvertes.fr/hal-01499002">plus souple et moins réglementaire</a> permettant la convergence des positions entre les spécialistes des différents organismes par l’échange direct, ce que les protagonistes nomment le « dialogue technique ». Les enjeux économiques et industriels s’entremêlent ici avec les aspects techniques et scientifiques.</p>
<p>Ce système se montre efficace pour suivre la cadence imposée par la construction à marche forcée du parc électronucléaire français ; il se trouve même conforté après l’accident nucléaire de Three Mile Island, survenu en 1979 aux États-Unis, dont le lien est établi avec <a href="http://theses.univ-lyon2.fr/documents/lyon2/2003/foasso_c">l’approche trop réglementaire de l’autorité de sûreté américaine aux dépens d’une expertise plus technique</a>.</p>
<h2>Après Tchernobyl, restaurer la confiance</h2>
<p>Au contraire, l’accident de Tchernobyl (1986), et en particulier l’affaire très médiatisée du « nuage radioactif », écorne l’image du nucléaire et celle du système de contrôle et d’expertise français.</p>
<p>En réponse, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) <a href="https://www.senat.fr/rap/r87-179/r87-1791.pdf">propose la création d’une agence nationale de sécurité et d’information nucléaire</a>, indépendante des pouvoirs publics, pour surveiller et réglementer les installations et assurer la communication auprès du public. Cette idée n’est pas directement reprise, mais actionne néanmoins une mutation progressive du système.</p>
<p>En 1998, le député et membre de l’OPECST <a href="https://www.vie-publique.fr/11138-jean-yves-le-deaut">Jean-Yves le Déaut</a> rédige, à la demande du nouveau premier ministre Lionel Jospin, un rapport intitulé « Le système français de radioprotection, de contrôle et de sécurité nucléaire : la longue marche vers l’indépendance et la transparence ». Il préconise alors la <a href="https://www.vie-publique.fr/rapport/24504-le-systeme-francais-de-radioprotection-de-controle-et-de-securite-nucle">création d’un expert public complètement indépendant du CEA et une autorité de sûreté forte et indépendante du gouvernement</a>. Ce rapport précise également que « construire un lien organique trop fort entre l’autorité de sûreté et le pôle d’expertise reviendrait à limiter la capacité d’expression du pôle d’expertise ».</p>
<p>La création en 2002 d’un établissement public d’expertise (l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, IRSN), comprenant 1 800 experts et chercheurs dans tous les domaines liés à la sûreté nucléaire et la radioprotection et, en 2006, d’une autorité administrative indépendante en charge de contrôle, forte de plus de 500 agents, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), parachève ce processus visant à restaurer la confiance du public dans le contrôle et l’expertise du nucléaire.</p>
<p>À la fin des années 2000, au moment où la France envisage une relance du nucléaire, le système d’expertise et de contrôle apparaît, pour certains, inadapté. Un <a href="https://www.vie-publique.fr/rapport/31268-avenir-de-la-filiere-francaise-du-nucleaire-civil-synthese-du-rapport">rapport sur l’avenir de la filière nucléaire</a> commandé par le président Nicolas Sarkozy à François Roussely, ancien dirigeant d’EDF, pointe les « excès de zèle » de l’ASN. De même, le rapport préconise que l’IRSN assure désormais la diffusion et la promotion des règles et normes de sûreté françaises pour favoriser les exploitants français à l’export.</p>
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<p>L’accident de Fukushima Daiichi, survenu en mars 2011, met provisoirement un terme à ces volontés de rapprocher un peu plus sûreté nucléaire et enjeux industriels. Le système français est alors régulièrement érigé en modèle par les instances internationales face aux risques de collusion entre contrôleur et contrôlé <a href="https://web.archive.org/web/20120710075620/http:/naiic.go.jp/wp-content/uploads/2012/07/NAIIC_report_lo_res.pdf">identifiée comme une cause profonde</a> de l’accident survenu au Japon.</p>
<h2>La nouvelle réforme, une rupture historique</h2>
<p>Aujourd’hui, alors que le spectre de Fukushima s’éloigne et que le gouvernement <a href="https://theconversation.com/un-nouveau-plan-nucleaire-pour-la-france-quand-lhistoire-eclaire-lactualite-181513">a annoncé vouloir relancer le programme nucléaire</a>, une <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/renforcement-lorganisation-du-controle-et-recherche-en-radioprotection-et-surete-nucleaire">proposition de réforme</a> du système d’expertise et de contrôle a été brusquement mise sur la table, par le biais d’un simple communiqué de presse du ministère de la Transition écologique. Celle-ci propose en particulier l’intégration de l’IRSN dans une « super ASN » qui disposerait ainsi du double rôle d’expert et de décideur en matière de sûreté.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/three-mile-island-tchernobyl-fukushima-le-role-des-accidents-dans-la-gouvernance-nucleaire-159375">Three Mile Island, Tchernobyl, Fukushima : le rôle des accidents dans la gouvernance nucléaire</a>
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<p>L’un des objectifs annoncés de la réforme est de <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/renforcement-lorganisation-du-controle-et-recherche-en-radioprotection-et-surete-nucleaire">« consacrer l’indépendance et la transparence du système de sûreté nucléaire français »</a>, en transférant l’IRSN vers l’ASN, une Autorité administrative indépendante, considérée comme objectivement plus indépendante, car non soumise à des tutelles ministérielles.</p>
<p>Le gouvernement présente ainsi son projet comme une évolution naturelle du système existant. Une analyse historique montre pourtant qu’il s’agit plutôt d’une rupture, à la fois sur la forme – le projet n’a jamais été discuté en amont par des organismes tels que l’OPECST – et sur le fond – le système actuel ayant été conçu en réponse à une crise de confiance dans le nucléaire qui s’est depuis notablement atténuée.</p>
<h2>Plus d’indépendance, mais quelle indépendance ?</h2>
<p>En outre, la réforme repose sur une définition restrictive de la notion d’indépendance, comme résultant d’un simple statut institutionnel. De nombreux travaux de l’<a href="https://www.iaea.org/publications/6565/regulatory-control-of-nuclear-power-plants">Agence internationale de l’énergie atomique</a>, de l’<a href="https://www.oecd-ilibrary.org/regulatory-management-practices-in-oecd-countries_5jm0qwm7825h.pdf">OCDE</a> ou des synthèses de <a href="https://www.foncsi.org/fr/publications/cahiers-securite-industrielle/relation-controleur-controle/CSI-controleur-controle.pdf">travaux de recherche</a> ont montré que la notion d’indépendance possède, au contraire, de multiples dimensions (fonctionnelle, organique, factuelle…).</p>
<p>Comme le rappelle un rapport de l’office parlementaire d’évaluation de la législation de 2004 sur les Autorités administratives indépendantes <a href="http://www.senat.fr/rap/r05-404-2/r05-404-2_mono.html">« l’indépendance est un état d’esprit, et un état d’esprit ne se décrète pas »</a>. En ce sens, l’indépendance n’est jamais définitivement acquise et il faut toujours composer avec le risque de capture de l’expertise et du contrôle par des enjeux politiques, industriels ou économiques. De ce point de vue, la proximité accrue de l’expertise et de la décision au sein d’une « super ASN », mettra à rude épreuve l’indépendance de l’expertise.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/UvLGItsQJi8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Audition de Claude Birraux, ancien président de l’Opecst sur la fusion ASN/IRSN (Public Sénat, 16 février 2023).</span></figcaption>
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<h2>Critiques et non-dits comme fondements de la réforme ?</h2>
<p>Un autre objectif annoncé de la réforme, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=PMbQHiUYKn4">tirée de la comparaison avec d’autres systèmes de contrôle qui intègrent dans un même organisme expertise et décision</a>, vise à <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/renforcement-lorganisation-du-controle-et-recherche-en-radioprotection-et-surete-nucleaire">« fluidifier le processus de décision et de gagner en coordination »</a> pour « renforcer les compétences et la puissance d’action de l’ASN ».</p>
<p>Bien que le gouvernement explique que le système actuel fonctionne et n’est pas en cause, cette réforme fait écho à des critiques envers l’IRSN et l’ASN, sujets souvent tabous dans le domaine nucléaire, qui ont été exposées publiquement ces dernières années.</p>
<p>Le constat d’une relation de pouvoir compliquée entre les deux organismes, voire d’une compétition médiatique, a été mis en avant par <a href="https://www.cairn.info/revue-commentaire-2021-4-page-785.htm">Yves Bréchet, ancien Haut-commissaire à l’Énergie atomique du CEA et Claude Le Bris</a>, qui pointent également le fonctionnement trop « juridique » et peu adapté aux contraintes industrielles de l’ASN.</p>
<p>De manière beaucoup plus directe, l’association Patrimoine nucléaire et climat (PNC) parle ouvertement des <a href="https://www.contexte.com/actualite/energie/document-lintegration-a-lasn-de-lexpertise-surete-de-lirsn-permet-de-mettre-fin-a-des-derives-selon-pnc-france_164497.html">dérives de l’IRSN qui polluent le processus « instruction-expertise-décision », en rendant publics ses avis avant les décisions de l’ASN</a>. L’expertise de l’IRSN constituerait alors une sorte de prédécision contraignant fortement la marge de manœuvre de l’ASN.</p>
<h2>Prendre la mesure des risques posés par cette réforme</h2>
<p>En définitive, il nous paraît clair que cette réforme transcrit une volonté de mieux concilier l’organisation de l’expertise et du contrôle de la sûreté avec les nouveaux enjeux industriels (construction de nouveaux réacteurs nucléaires et prolongation de la durée de fonctionnement des réacteurs en service).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/un-nouveau-plan-nucleaire-pour-la-france-quand-lhistoire-eclaire-lactualite-181513">Un nouveau plan nucléaire pour la France ? Quand l’histoire éclaire l’actualité</a>
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<p>Cette volonté provenant des milieux politiques et industriels pour une sûreté nucléaire plus fluide et plus en adéquation avec les enjeux industriels devrait selon nous être mieux explicitée et, surtout, assumée.</p>
<p>Dans un contexte de forts enjeux industriels et dans un monde en crise, une telle réforme ne représente pas seulement une rupture organisationnelle : au sein d’un système aux composants interdépendants, les <a href="https://pastel.archives-ouvertes.fr/tel-02066034">évolutions organisationnelles ne vont pas sans modifier les règles, les pratiques, les relations entre les acteurs</a> de la sûreté nucléaire et même la philosophie globale de l’expertise et du contrôle. De plus, de <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-l_accident_de_la_centrale_nucleaire_de_three_mile_island_michel_llory-9782738477088-13581.html">Three Mile Island</a> à <a href="https://www.iaea.org/publications/10962/the-fukushima-daiichi-accident">Fukushima</a>, en passant par <a href="https://www-pub.iaea.org/mtcd/publications/pdf/pub913e_web.pdf">Tchernobyl</a>, le fonctionnement du système de contrôle et d’expertise apparaît comme une des causes des grands accidents nucléaires.</p>
<p>Réaliser une évaluation complète des opportunités et risques potentiels paraît être une entreprise préalable indispensable au lancement d’une réforme impactant potentiellement la stabilité du système, la sûreté nucléaire et, au final, la crédibilité du nouveau programme nucléaire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201191/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michaël Mangeon effectue régulièrement des travaux pour l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Mathias Roger a reçu des financements de l'IRSN, notamment pour sa thèse de doctorat. </span></em></p>En pleine relance de la filière du nucléaire civil en France, le gouvernement d’Emmanuel Macron vient de lancer une réforme du système d’expertise et de contrôle de la sûreté nucléaire qui interroge.Michaël Mangeon, Chercheur associé EVS-RIVES ENTPE, enseignant vacataire Paris Nanterre, consultant, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresMathias Roger, Chercheur en histoire et sociologie des sciences et des techniques, IMT Atlantique – Institut Mines-TélécomLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1788592022-03-10T20:31:27Z2022-03-10T20:31:27ZQuels sont les dangers sanitaires et écologiques d’une activité militaire à Tchernobyl<p>Le 26 avril 1986, suite à une erreur humaine, le <a href="https://www.iaea.org/newscenter/focus/chernobyl/faqs">réacteur numéro quatre de la centrale nucléaire de Tchernobyl fondait à la stupéfaction générale</a>, libérant dans le ciel et dans l’environnement de grandes quantités de particules et de gaz radioactifs. En tout <a href="https://inis.iaea.org/collection/NCLCollectionStore/_Public/28/058/28058918.pdf">400 fois plus de radioactivité</a> que la bombe atomique larguée sur Hiroshima.</p>
<p>Depuis, le site, situé dans le nord de l’Ukraine, est entouré d’une zone d’exclusion de 2 600 kilomètres carrés interdite d’accès. Mise en place pour contenir les contaminants radioactifs, elle protège également la région des perturbations humaines.</p>
<p><iframe id="d9rRj" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/d9rRj/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>À l’exception d’une poignée de secteurs industriels, la majeure partie de la zone est complètement isolée de toute activité humaine et semble presque… normale. Par endroit, là où les niveaux de radiation ont suffisamment baissé avec le temps, les plantes et les animaux sont revenus en nombre significatif.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/449306/original/file-20220301-25-2h9q0c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Un renard debout dans l’herbe" src="https://images.theconversation.com/files/449306/original/file-20220301-25-2h9q0c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/449306/original/file-20220301-25-2h9q0c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=457&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/449306/original/file-20220301-25-2h9q0c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=457&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/449306/original/file-20220301-25-2h9q0c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=457&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/449306/original/file-20220301-25-2h9q0c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=574&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/449306/original/file-20220301-25-2h9q0c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=574&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/449306/original/file-20220301-25-2h9q0c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=574&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">La baisse de radioactivité dans certains secteurs ont permis à la vie de revenir. Ici, un renard près de la centrale.</span>
<span class="attribution"><span class="source">T. A. Mousseau, 2019</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
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<p>Au point que certains scientifiques ont suggéré que la zone d’exclusion était devenue une sorte d’Eden pour la faune… <a href="https://knowablemagazine.org/article/food-environment/2022/scientists-cant-agree-about-chernobyls-impact-wildlife">D’autres sont plus sceptiques</a> quant à cette interprétation. Les apparences peuvent être trompeuses. Dans les secteurs à forte radioactivité, la taille et la diversité des populations d’<a href="https://doi.org/10.1016/j.envpol.2012.01.008">oiseaux</a>, de <a href="https://doi.org/10.1016/j.ecolind.2012.10.025">mammifères</a> et d’<a href="https://doi.org/10.1098/rsbl.2008.0778">insectes</a> sont ainsi nettement plus faibles que dans ceux considérés comme plus « propres ».</p>
<p><a href="https://scholar.google.com/citations?user=fzimDsYAAAAJ&hl=en&oi=sra">J’ai passé plus de 20 ans</a> <a href="https://www.nytimes.com/2014/05/06/science/nature-adapts-to-chernobyl.html">à travailler en Ukraine, ainsi qu’au Belarus et à Fukushima, au Japon</a>, principalement <a href="https://doi.org/10.1146/annurev-ecolsys-110218-024827">sur les effets des radiations</a>…</p>
<p>Aussi, ces derniers jours, on m’a demandé à plusieurs reprises quel intérêt avaient les forces russes à être entrées par le nord de l’Ukraine en passant par cette friche atomique, et quelles pourraient être les conséquences environnementales de l’activité militaire dans cette zone.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/lpYoxBTyRec?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le 24 février dernier, les forces russes prenaient le contrôle de la centrale de Tchernobyl.</span></figcaption>
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<h2>Pourquoi passer par Tchernobyl ?</h2>
<p>Rétrospectivement, les avantages stratégiques de baser des opérations militaires dans la zone d’exclusion de Tchernobyl semblent évidents. Il s’agit d’une vaste région non peuplée reliée par une autoroute directement à la capitale ukrainienne, avec peu d’obstacles ou d’aménagements humains en chemin.</p>
<p>La zone de Tchernobyl jouxte également la Biélorussie et est donc à l’abri d’une attaque des forces ukrainiennes par le nord. La zone industrielle du site du réacteur est, en fait, un grand parking où peuvent être stationnés les milliers de véhicules d’une armée d’invasion.</p>
<p>Le site abrite également le principal <a href="https://www.prnewswire.com/news-releases/clean-futures-fund-forced-to-suspend-humanitarian-operations-at-chernobyl-nuclear-power-plant-due-to-russian-invasion-of-ukraine-and-capture-of-the-facility-301490882.html">réseau de commutation du réseau électrique</a> de la région. Il est possible d’éteindre les lumières de Kiev depuis cet endroit, même si la centrale elle-même ne produit plus d’électricité depuis 2000 – date à laquelle le <a href="https://abcnews.go.com/International/story?id=81920&page=1">dernier de ses quatre réacteurs a été arrêté</a>.</p>
<p>Ce contrôle de l’alimentation électrique revêt sans doute une importance stratégique, même si les besoins en électricité de Kiev pourraient probablement être satisfaits par d’autres nœuds du réseau électrique national ukrainien.</p>
<p>De plus, la centrale offre vraisemblablement une protection contre les attaques aériennes étant donné qu’il est improbable que les forces ukrainiennes (ou autres) se risquent à combattre sur un site contenant plus de 2,4 millions de kilogrammes de <a href="https://interestingengineering.com/first-spent-nuclear-fuel-from-chernobyl-is-safely-stored-after-34-years">combustible nucléaire usé radioactif</a>…</p>
<p>On parle là des <a href="https://doi.org/10.1007/BF02416427">matières hautement radioactives</a> produites par un réacteur nucléaire en fonctionnement normal. Un impact direct sur les piscines où ils sont conservés ou sur les installations de stockage en fûts secs de la centrale pourrait libérer dans l’environnement beaucoup plus de matières radioactives encore que la fusion et les explosions initiales de 1986. On assisterait alors à une catastrophe environnementale d’ampleur mondiale.</p>
<p>(<em>Le 8 mars, l’AIEA indiquait que <a href="https://www.iaea.org/fr/newscenter/pressreleases/mise-a-jour-15-declaration-du-directeur-general-de-laiea-sur-la-situation-en-ukraine">« la transmission à distance des données des systèmes de contrôle des garanties installés à la centrale nucléaire de Tchernobyl avait été coupée »</a>. Depuis le 9 mars, l’électricité est coupée mais <a href="https://twitter.com/iaeaorg/status/1501665264903016457?cxt=HHwWksCy4cWm_tYpAAAA">sans que cela pose pour l’heure de problème de sécurité selon l’AIEA</a>, ndlr</em>)</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/449621/original/file-20220302-21-1gk0qm.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Aperçu d’un site semi-abandonné, avec un peu d’herbe et les structures de la centrale dans le fond, toujours reliées à des pylônes électriques" src="https://images.theconversation.com/files/449621/original/file-20220302-21-1gk0qm.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/449621/original/file-20220302-21-1gk0qm.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=247&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/449621/original/file-20220302-21-1gk0qm.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=247&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/449621/original/file-20220302-21-1gk0qm.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=247&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/449621/original/file-20220302-21-1gk0qm.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=311&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/449621/original/file-20220302-21-1gk0qm.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=311&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/449621/original/file-20220302-21-1gk0qm.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=311&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Vue à distance de la centrale et du sarcophage qui recouvre le réacteur éventré.</span>
<span class="attribution"><span class="source">T.A. Mousseau</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
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<h2>Le risque environnemental</h2>
<p>Malgré le travail de nettoyage, la zone d’exclusion de Tchernobyl reste l’une des régions les plus contaminées par la radioactivité de la planète. Sur des milliers d’hectares entourant le site du réacteur, les débits de dose de rayonnement ambiant dépassent de plusieurs milliers de fois les <a href="https://doi.org/10.1016/j.envpol.2016.05.030">niveaux de fond normal</a>. Dans certaines parties de la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/For%C3%AAt_rousse">« Forêt rouge »</a> située autour de la centrale, il est possible de recevoir une <a href="https://youtu.be/EP2Ycv8j7fA">dose de rayonnement dangereuse</a> en quelques jours d’exposition seulement.</p>
<p>Les stations de surveillance des radiations installées un peu partout dans la zone ont enregistré le premier impact environnemental évident de l’invasion. Les capteurs mis en place par l’EcoCentre ukrainien de Tchernobyl en cas d’accident ou d’incendie de forêt ont révélé une augmentation spectaculaire des niveaux de radiation le long des routes principales et à proximité des réacteurs <a href="https://www.saveecobot.com/en/radiation-maps#12/51.3880/30.1048/gamma/comp+cams+fire">après 21 heures</a> le 24 février 2022.</p>
<p>C’est à ce moment-là que les envahisseurs russes sont arrivés, depuis la Biélorussie voisine.</p>
<p>Comme l’augmentation des niveaux de radiation était plus évidente à proximité des bâtiments du réacteur, on craignait que les structures de confinement aient été endommagées, bien que les autorités russes aient <a href="https://www.rferl.org/a/ukraine-invasion-russian-forces-chernobyl-/31721240.html">nié cette possibilité</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1497108007863435279"}"></div></p>
<p>Puis, le réseau de capteurs a brusquement <a href="https://www.saveecobot.com/en/radiation-maps#12/51.3970/30.1027/gamma/comp+cam%C3%A9ras+incendie">cessé d’émettre des rapports</a> au début du 25 février et n’a pas redémarré avant le 1<sup>er</sup> mars. Ce qui fait que l’ampleur totale des perturbations causées par les mouvements de troupes n’est pas claire.</p>
<p>Si c’est bien la poussière soulevée par les véhicules et non des dommages causés aux installations de confinement qui a provoqué l’augmentation des radiations, et en supposant que cette augmentation n’a duré que quelques heures, il est <a href="https://www.livescience.com/what-if-russia-bombed-chernobyl">peu probable qu’elle soit préoccupante à long terme</a>. De fait, la poussière perturbée devrait retomber à nouveau une fois les troupes parties. Ça ne veut pas dire qu’elle est sans conséquence.</p>
<p>En effet, les soldats russes, ainsi que les ouvriers de la centrale ukrainienne qui ont été <a href="https://www.cnn.com/2022/02/24/europe/ukraine-chernobyl-russia-intl/index.html">pris en otage</a>, ont sans aucun doute inhalé une partie des particules soulevées. Les chercheurs savent que la terre de la zone d’exclusion de Tchernobyl <a href="https://www.livescience.com/what-if-russia-bombed-chernobyl">peut contenir des radionucléides</a>, notamment du <a href="https://theconversation.com/bombe-atomique-ou-accident-nucleaire-quels-sont-leurs-effets-biologiques-respectifs-178979">césium 137, du strontium 90</a>, <a href="https://www-pub.iaea.org/mtcd/publications/pdf/pub1239_web.pdf">plusieurs isotopes du plutonium</a>, de l’uranium ainsi que de l’américium 241.</p>
<p>Même à des niveaux très faibles, ils sont tous <a href="https://doi.org/10.1111/brv.12723">toxiques, cancérigènes ou les deux en cas d’inhalation</a>.</p>
<h2>Des impacts sanitaires possibles</h2>
<p>Peut-être la menace la plus importante pour la région provient-elle de la potentielle libération dans l’atmosphère des radionucléides prisonniers depuis une trentaine d’années dans le sol et les plantes en cas de feu de forêt.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/449632/original/file-20220302-15-80t199.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Vue aérienne d’un feu de forêt à proximité de la centrale" src="https://images.theconversation.com/files/449632/original/file-20220302-15-80t199.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/449632/original/file-20220302-15-80t199.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/449632/original/file-20220302-15-80t199.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/449632/original/file-20220302-15-80t199.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/449632/original/file-20220302-15-80t199.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/449632/original/file-20220302-15-80t199.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/449632/original/file-20220302-15-80t199.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les feux de forêt dans la zone d’exclusion libèrent les particules radioactives piégées depuis 30 ans dans la végétation (ici en 2020).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/this-picture-taken-on-april-10-shows-a-field-fire-burning-news-photo/1209598073">Volodymyr Shuvayev/AFP</a></span>
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<p>De tels incendies ont récemment augmenté en fréquence, en taille et en intensité, probablement en raison du changement climatique. Et l’on sait qu’ils ont libéré des matières radioactives dans l’air et les <a href="https://doi.org/10.1038/srep26062">ont dispersées à grande échelle</a>.</p>
<p><a href="https://doi.org/10.1890/14-1227.1">Les retombées radioactives des feux de forêt</a> pourraient ainsi représenter la plus grande menace du site de Tchernobyl pour les populations humaines sous le vent de la région, ainsi que pour la <a href="https://doi.org/10.1146/annurev-ecolsys-110218-024827">faune et la flore de la zone d’exclusion</a>.</p>
<p>Actuellement, la zone abrite <a href="https://www.theatlantic.com/science/archive/2020/08/chernobyl-fires/615067/">énormément d’arbres morts</a> et de débris qui pourraient servir de combustible. Même en l’absence de combat, la simple présence militaire – avec ces milliers de soldats qui transitent, mangent, fument et font des feux de camp pour se réchauffer – augmente le risque d’incendie.</p>
<p>Il est <a href="https://wwnorton.com/books/Manual-for-Survival/">difficile de prévoir les effets des retombées radioactives</a> sur les personnes, mais les <a href="https://theconversation.com/at-chernobyl-and-fukushima-radioactivity-has-seriously-harmed-wildlife-57030">conséquences sur la flore et la faune</a> sont bien documentées.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/449322/original/file-20220301-19-16g6loz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Oiseau tenu dans la main et avec une tumeur visible sur la tête, à travers les plumes" src="https://images.theconversation.com/files/449322/original/file-20220301-19-16g6loz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/449322/original/file-20220301-19-16g6loz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=540&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/449322/original/file-20220301-19-16g6loz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=540&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/449322/original/file-20220301-19-16g6loz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=540&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/449322/original/file-20220301-19-16g6loz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=679&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/449322/original/file-20220301-19-16g6loz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=679&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/449322/original/file-20220301-19-16g6loz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=679&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La radioactivité peut provoquer des cancers, comme ici pour cet oiseau qui a développé une tumeur sur le crâne.</span>
<span class="attribution"><span class="source">T. A. Mousseau, 2009</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
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<p>L’exposition chronique à des doses même relativement faibles a été associée à de nombreux effets chez les animaux sauvages : des <a href="https://doi.org/10.1038/srep08363">mutations génétiques</a>, des <a href="https://doi.org/10.1016/j.mrgentox.2013.04.019">tumeurs</a>, des <a href="https://doi.org/10.1371/journal.pone.0066939">cataractes oculaires</a>, une <a href="https://doi.org/10.1371/journal.pone.0100296">stérilité</a> et des <a href="https://doi.org/10.1371/journal.pone.0016862">déficiences neurologiques</a>. <a href="https://doi.org/10.1093/jhered/esu040">Taille des populations</a> et <a href="https://doi.org/10.1016/j.jenvman.2018.05.032">biodiversité</a> sont également affectées dans les zones fortement contaminées et connaissent des baisses notables.</p>
<p>Quand on parle de rayonnements ionisants, d’irradiation, <a href="https://doi.org/10.17226/11340">il n’existe pas de niveau « sûr »</a>. Et les <a href="https://theconversation.com/irradiation-quelles-sont-les-consequences-sur-notre-corps-178754">risques pour la vie sont directement proportionnels au niveau d’exposition</a>.</p>
<p>Si le conflit en cours devait s’aggraver et endommager les installations de confinement des radiations à Tchernobyl, ou l’un des <a href="https://www.washingtonpost.com/climate-environment/2022/02/28/ukraine-nuclear-plant-chernobyl-russia/">15 réacteurs nucléaires</a> situés sur quatre autres sites en Ukraine, l’ampleur des dommages causés à l’environnement serait catastrophique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178859/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Timothy A. Mousseau a reçu des financements du Samuel Freeman Charitable Trust.</span></em></p>Si la centrale de Tchernobyl n’est plus en fonction, elle est au cœur d’une zone toujours très irradiée que les mouvements de troupes peuvent déstabiliser. Avec quels effets pour la population ?Timothy A. Mousseau, Professor of Biological Sciences, University of South CarolinaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1789792022-03-10T20:30:20Z2022-03-10T20:30:20ZBombe atomique et accident nucléaire : voici leurs effets biologiques respectifs<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/451177/original/file-20220310-18-19qeq2z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C0%2C1769%2C883&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La catastrophe de Tchernobyl (ici, visuel de la série de 2019) a montré les conséquences multiples d'un accident nucléaire.</span> <span class="attribution"><span class="source">Série Chernobyl, créée par Craig Mazin</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Depuis quelques jours, de nombreuses personnes sollicitent les pharmacies pour obtenir des comprimés d’iode afin de se prémunir d’un risque nucléaire. Ces réactions de masse révèlent une légitime inquiétude face à l’actualité géopolitique en Ukraine mais surtout une méconnaissance des phénomènes nucléaires et de leur impact sur la santé.</p>
<p>Les effets biologiques et cliniques d’une irradiation sont complexes : ils <a href="https://theconversation.com/irradiation-quelles-sont-les-consequences-sur-notre-corps-178754">dépendent très fortement de la dose et de la nature des radiations</a>. Cet article est l’occasion de faire des rappels importants sur la radioactivité et sur les différentes formes d’irradiation accidentelles possibles – ainsi que leurs <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0007455115001423">conséquences variables sur l’être humain</a>.</p>
<h2>D’où vient la radioactivité</h2>
<p>La radioactivité est un phénomène qui alarme souvent car on l’assimile à des catastrophes. Elle est pourtant partout présente à l’état naturel, mais à des quantités faibles. L’uranium 235 et 238 contenus dans la terre, le carbone 14 dans les végétaux et les animaux ou encore le potassium 40 dans notre alimentation sont autant d’éléments radioactifs naturels présents dans notre environnement quotidien : c’est ce qui explique que nous soyons, nous-mêmes, radioactifs.</p>
<p>L’unité de mesure de la radioactivité, le Becquerel (Bq), correspond à l’émission par seconde d’une particule physique (proton, neutron, électron…) ou d’un rayonnement (X, gamma), quelle que soit sa nature. Un homme de 75 kg émet ainsi 6000 Becquerels (Bq), tout comme un 1 kg de trottoir en granit. Un kg de bananes n’émet, lui, qu’une centaine de Bq. Pour un kg de nourriture, il est admis que sous les 1000 Bq, la radioactivité est considérée comme sans danger.</p>
<p>Pour comprendre l’origine de cette radioactivité, il faut plonger brièvement au cœur de la matière et des atomes qui la constitue. On représente souvent ces derniers par leur noyau autour duquel tournent de petites particules : les électrons. Le noyau des atomes est lui-même constitué d’autres particules, les protons et les neutrons, qui lorsqu’elles sont trop nombreuses rendent instables l’équilibre atomique.</p>
<p>La radioactivité reflète la tendance des atomes « trop lourds » à retrouver spontanément une plus grande stabilité en perdant une partie des composants de leur noyau, c’est-à-dire en se cassant en deux parties souvent inégales (fission nucléaire), ou en émettant un rayonnement alpha (noyaux d’hélium), bêta (électrons) ou gamma (photons).</p>
<p>Ces émissions ou désintégrations radioactives s’atténuent avec le temps à un rythme régulier et immuable. On appelle « période de désintégration radioactive » (ou demi-vie) le temps au bout duquel la quantité des désintégrations (la radioactivité) est réduite de moitié. Chaque noyau radioactif a une période qui lui est propre.</p>
<p>Lors d’une fission, les conséquences ne sont pas les mêmes. L’uranium 235 a la propriété de pouvoir se partager en deux atomes moins lourds sous l’action de neutrons, ce qui dégage alors une énergie considérable… qui libère à son tour d’autres neutrons susceptibles de créer la fission d’autres noyaux : c’est une réaction en chaîne.</p>
<p>Une telle réaction en chaîne peut être utilisée pour produire une explosion dévastatrice dans le cas d’une bombe atomique, ou être maîtrisée dans un réacteur pour produire de l’électricité.</p>
<h2>Comment sont confinés les éléments radioactifs dans un réacteur nucléaire</h2>
<p>Un réacteur contient une centaine de tonnes de combustible nucléaire, enrichi à quelques % en uranium 235. Ce combustible reste au sein d’un réacteur deux à trois ans.</p>
<p>Outre l’énergie libérée lors de la réaction initiale de fission de l’uranium, les émissions radioactives produisent beaucoup de chaleur, aussi un réacteur doit-il être refroidi durablement de façon continue, même après son arrêt, ce qui paradoxalement nécessite un apport indépendant en électricité. D’où l’<a href="https://theconversation.com/quels-sont-les-dangers-sanitaires-et-ecologiques-dune-activite-militaire-a-tchernobyl-178859">attention portée à ce qui se passe sur le site de Tchernobyl</a>, qui connaissait, <a href="https://www.lemonde.fr/energies/article/2022/03/09/tchernobyl-le-site-de-la-centrale-nucleaire-deconnecte-du-reseau-electrique-pas-d-impact-majeur-a-ce-stade-selon-l-aiea_6116811_1653054.html">mercredi 9 mars au soir, une coupure de courant</a>.</p>
<p>Le combustible nucléaire est confiné derrière trois barrières : la gaine des « crayons » de combustible (l’uranium est mis sous forme de pastilles, empilées en un « crayon » placé dans une gaine ; un assemblage est constitué d’un lot de crayons gainés), la paroi de la cuve du réacteur et l’enceinte en béton de confinement.</p>
<p>Il peut se produire des atteintes graves de ces barrières : à Tchernobyl, ce fut <a href="https://inis.iaea.org/collection/NCLCollectionStore/_Public/39/001/39001698.pdf">l’explosion physique liée à des erreurs de gestion du réacteur, avec ouverture de la cuve</a> ; à Fukushima, une fusion du cœur après le défaut de refroidissement du réacteur à l’arrêt après le tremblement de terre et l’inondation par le tsunami. Les produits de fission sont alors libérés dans l’environnement et impactent donc la santé.</p>
<p>La guerre en Ukraine serait susceptible de porter atteinte à un réacteur ou aux zones de stockages de matériaux radioactifs voire au dispositif d’apport d’électricité pour le refroidissement. Toutefois, en défaveur de ce type de scénario, la contamination toucherait aussi les soldats et la Russie toute proche. N’oublions pas non plus l’effet de mémoire collective des centaines de milliers de soldats, pompiers et liquidateurs qui ont éteint avec courage l’incendie du réacteur accidenté de Tchernobyl.</p>
<h2>Quels effets biologiques en cas d’accident nucléaire</h2>
<p>Le risque et les effets biologiques et cliniques dépendent de plusieurs facteurs : la dispersion des produits de fission relâchés dans l’atmosphère au gré des vents et qui retombent au gré des pluies ; la contamination des personnes, essentiellement par voie alimentaire ; la nature des émissions, des périodes de désintégration de chacun des produits de fission et de la chimie de leur assimilation dans l’organisme après contamination.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/451144/original/file-20220309-27-1ig2u4z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Carte montrant les taches de léopard sur les territoires de l’Ukraine, de la Biélorussie et de la Russie" src="https://images.theconversation.com/files/451144/original/file-20220309-27-1ig2u4z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/451144/original/file-20220309-27-1ig2u4z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=633&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/451144/original/file-20220309-27-1ig2u4z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=633&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/451144/original/file-20220309-27-1ig2u4z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=633&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/451144/original/file-20220309-27-1ig2u4z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=796&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/451144/original/file-20220309-27-1ig2u4z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=796&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/451144/original/file-20220309-27-1ig2u4z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=796&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Après l’accident à Tchernobyl, selon le sens du vent et les précipitations, les particules radioactives sont retombées de façon irrégulière au sol, formant des « taches de léopard » fortement contaminées (rouge) au milieu de zones qui l’étaient moins (orange).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Sting, d’après CIA Handbook of International Economic Statistics (1996) -- University of Texas</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Sans qu’il y ait forcément explosion comme pour une bombe atomique, un accident de centrale nucléaire entraîne plusieurs types d’effets selon les particules et rayonnements émis et ses principaux produits de fission présents (iode 131, césium 134 et 127 et strontium 90) – tous radioactifs.</p>
<p><strong>L’émission de rayonnements alpha, gamma et de neutrons</strong> représente une contribution importante à la dose de radiations induite par la réaction de fission qui serait reçue par des personnes à proximité – comme les premiers intervenants sur le réacteur de Tchernobyl en 1986. Ces personnes peuvent présenter un syndrome aigu d’irradiation (parfois surnommé « mal des rayons ») qui est plus ou moins rapide selon la dose reçue mais suit généralement le processus suivant :</p>
<ul>
<li><p>Dès les premières minutes, nausées, vomissements, diarrhées peuvent être observés. Ces symptômes non spécifiques seront suivis d’une période de rémission trompeuse.</p></li>
<li><p>Des brûlures cutanées (les érythèmes) peuvent survenir avant la fin du premier jour.</p></li>
<li><p>Un changement dans la composition sanguine s’opère ensuite au bout de quelques semaines (syndrome hématopoïétique), avec des risques hémorragiques et/ou d’infections qui peuvent persister pendant le premier mois.</p></li>
<li><p>Suivant la dose, on peut également observer un syndrome gastro-intestinal pendant lequel l’ulcération ou la perforation des muqueuses de l’estomac et de l’intestin peuvent provoquer des hémorragies ou des septicémies fatales.</p></li>
<li><p>Enfin, pour des doses encore plus importantes, un syndrome neuro-vasculaire peut conduire à un œdème cérébral fatal en quelques jours.</p></li>
<li><p>Pour des doses encore plus élevées, ces étapes ont lieu dans les premières heures. Sur les 600 pompiers (super-liquidateurs) de Tchernobyl, environ 150 souffrirent d’un syndrome aigu d’irradiation avec une soixantaine de morts rapides.</p></li>
</ul>
<p>À côté de la dose de radiation reçue, comme nous l’avons indiqué, la nature des <strong>produits de fission radioactifs</strong> expulsés lors de l’accident joue également un rôle. Voici les principaux :</p>
<p>● <strong>Iode 131</strong>. Comme l’iode naturel, l’iode 131 (émetteur bêta et gamma) a la particularité de se fixer exclusivement sur la thyroïde, qui l’utilise pour produire des hormones spécifiques. La contamination par l’iode 131 est essentiellement due à l’ingestion des produits qui le fixe (eau, lait et végétaux).</p>
<p>Cet élément pose un problème de santé tant que sa radioactivité n’est pas devenue négligeable. Du fait de sa période (demi-vie) de huit jours, on considère que cela prend trois mois – son activité résiduelle n’est plus que de 1/1000<sup>e</sup> au bout de 80 jours.</p>
<p>La fixation de l’iode 131 sur la thyroïde peut entraîner des cancers de cet organe. Cependant, la thyroïde ayant un développement très lent chez l’adulte, ce risque n’est véritablement significatif que chez les enfants.</p>
<p>À <a href="https://www.unscear.org/unscear/fr/chernobyl.html">Tchernobyl</a>, on a enregistré environ <a href="https://www.iaea.org/newscenter/pressreleases/chernobyl-true-scale-accident">6500 cas de cancers de la thyroïde</a> chez des enfants contaminés essentiellement par le lait. Environ 15 ont succombé à leur cancer de la thyroïde. À Fukushima, la quantité d’iode libéré a été beaucoup plus faible. De plus, la consommation de lait, culturellement moins importante, a été rapidement interdite après l’accident. Moins de 300 cas de cancers de thyroïde de l’enfant ont été répertoriés à Fukushima et on ne sait toujours pas si cela constitue un excès par rapport à la normale du pays.</p>
<p>La thyroïde de l’adulte est peu susceptible de se radio-cancériser et, à part quelques rares exceptions, le cancer de la thyroïde de l’adulte reste aujourd’hui peu létal.</p>
<p>En conséquence, la protection de la thyroïde par la saturation en iode stable avec un <a href="https://www.irsn.fr/FR/connaissances/Sante/accident-radioprotection-sante/situation-urgence/Pages/idees-recues-iode-stable.aspx#.Yikh_hDMJKM">comprimé d’iodure de potassium n’a d’intérêt que pour les enfants et les adultes jeunes au moment du passage du nuage radioactif</a> (prise entre 1 à 2 h avant l’émission radioactive et jusqu’à quelques d’heures après). En revanche, saturer la thyroïde d’iode quand on est un adulte de plus de 40 ans peut avoir des conséquences néfastes, et notamment déclencher une dérégulation de cet organe. Donc la vigilance vis-à-vis de l’ingestion d’iode 131 doit être limitée aux enfants et aux adultes jeunes, dans un laps de temps bien défini.</p>
<p>● <strong>Césium</strong>. Les césium 137 et 134 sont des émetteurs bêta et gamma de période respective d’environ 30 et 29 ans. Comme le césium se substitue facilement au potassium, présent au sein de toutes nos cellules, il ne cible aucun organe spécifiquement. Il peut aussi se fixer dans les végétaux (champignons, baies…) et ainsi contaminer toute la chaîne alimentaire. Pour l’homme, la longue période du césium radioactif et sa rétention biologique conduisent à une exposition prolongée des organismes à des doses faibles.</p>
<p>Avec un recul de plus de 30 ans après l’accident de Tchernobyl, aucune pathologie spécifique à une contamination au césium radioactif n’a émergé. Cette conclusion peut s’expliquer par la <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10654-017-0303-6">difficulté à mener des études épidémiologiques rigoureuses</a> (manquement dans l’enregistrement systématique des effets cliniques après l’accident, difficultés de rattachement au césium) mais aussi par la grande dispersion du césium dans l’atmosphère, ce qui en a ainsi réduit l’impact à distance du site.</p>
<p>● <strong>Strontium 90</strong>. Chimiquement, cet élément émetteur bêta peut se substituer facilement au calcium. Du fait d’une présence prolongée et de sa période de 29 ans, il pourrait entraîner des cancers de l’os (ostéosarcomes) mais aussi des leucémies si la moelle osseuse est atteinte. Il est à noter que le nombre de cancers de l’os potentiellement liés au strontium n’a pas été significatif après l’accident de Tchernobyl.</p>
<p>Produit moins abondant que le césium pendant la fission et moins volatil que l’iode, le strontium 90 ne représente un danger significatif que pour les régions les plus contaminées.</p>
<p>● <strong>Uranium</strong>. Quand la fission n’est pas complète ou quand un combustible neuf est endommagé, le problème des contaminations à l’uranium peut se poser. L’uranium naturel comprend trois composants, tous radioactifs : les uranium 238, 235 et 234, dont les périodes de désintégration sont respectivement de 4500, 700 et 0,25 millions d’années.</p>
<p>L’uranium est à la fois toxique chimiquement et radiologiquement. Très lourd et peu assimilable biologiquement, il peut se fixer dans les reins, les os, le foie et le poumon à long terme et contribuer à la mortalité cellulaire et aux dysfonctionnements graves des organes. En tant qu’atomes instables, ils sont émetteurs de rayons alpha qui déposent d’importantes quantités d’énergie là où ils se sont fixés et entraînent une mortalité cellulaire importante.</p>
<p>En conclusion, les <a href="https://www.unscear.org/docs/reports/2008/11-80076_Report_2008_Annex_D.pdf">conséquences sur la santé d’un accident de centrale nucléaire basée sur la fission</a> ne sont jamais négligeables.</p>
<p>Elles dépendent fortement de l’abondance de produits de fission émis et donc de l’endroit où l’on se trouve pendant l’accident : à Tchernobyl, une grande partie du cœur s’est volatilisée dans l’atmosphère sur près de 20000 km<sup>2</sup> du fait de 10 jours d’incendie en plus de l’explosion du réacteur ; à Fukushima, c’est une série de fuites, sans que le cœur soit à l’air libre, qui a contaminé une surface 10 à 30 fois plus réduite.</p>
<h2>Différences entre bombe atomique et accident de centrale : un problème de souffle et de masse</h2>
<p>Il existe trois différences fondamentales entre les explosions de bombes atomiques et les accidents de centrales nucléaires :</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/451167/original/file-20220310-25-1rq07tp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Vue du centre d’Hiroshima, rasé par l’explosion" src="https://images.theconversation.com/files/451167/original/file-20220310-25-1rq07tp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/451167/original/file-20220310-25-1rq07tp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/451167/original/file-20220310-25-1rq07tp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/451167/original/file-20220310-25-1rq07tp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/451167/original/file-20220310-25-1rq07tp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/451167/original/file-20220310-25-1rq07tp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/451167/original/file-20220310-25-1rq07tp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Lors de l’explosion d’une bombe nucléaire, l’effet blast est par définition dévastateur (ici, Hiroshima en 1945).</span>
<span class="attribution"><span class="source">US government</span></span>
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</figure>
<p>1) Le souffle (effet blast) est dévastateur dans un vaste périmètre dans le cas de l’explosion d’une bombe atomique et est la cause de la plupart des morts. Un réacteur nucléaire ne peut pas exploser comme une bombe atomique, mais peut exploser localement comme à Tchernobyl du fait d’un excès de puissance non maîtrisée.</p>
<p>2) Dans le cas d’une bombe, l’émission de rayonnements gamma et de neutrons est instantanée (effet flash) et produit des effets à plus grande distance que les effets de souffle ; en cas d’accident de centrale, les émissions de produits de fission peuvent continuer tant que le cœur du réacteur n’est pas reconfiné (ex : Tchernobyl) ou que la fusion du cœur n’est pas maîtrisée (Fukushima). Dans les deux cas, surfaces au sol et air sont contaminés.</p>
<p>3) Le cœur d’un réacteur moyen de centrale nucléaire à fission contient une centaine de tonnes de combustible alors que la masse de produits fissiles d’une bombe atomique est de l’ordre de la dizaine de Kg. Ainsi, bien que non négligeables, les émissions radioactives et la contamination de l’environnement pour une bombe atomique sont bien inférieures et durent moins longtemps que celles d’un accident grave de centrale.</p>
<p>C’est la raison essentielle de la sécurisation du combustible des réacteurs nucléaires par les trois barrières indispensable pour minimiser l’impact d’un potentiel accident. Et c’est aussi pourquoi les comprimés d’iode stable présentent un intérêt dans le cadre d’un accident de centrale nucléaire, à proximité du réacteur accidenté, et peu d’intérêt en cas d’explosion d’une bombe atomique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178979/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicolas Foray a été fondateur et conseiller scientifique de 2014 à 2020 (mais jamais dirigeant actif) de la Société Neolys Diagnostics, qui développe des tests de radiosensibilité. Il a reçu 2000 Euros en totalité pour cette fonction.
L'unité Inserm 1296 que dirige Nicolas Foray reçoit régulièrement des financements et subventions d'agences soutien à la recherche : ANR, projets d'Investissement d'avenir, INCa, Ligue, ARC, FRM, CNES, Commission Européenne, EDF. Toutes dans le cadre réglementé d'appels à projets publics.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Michel Bourguignon est membre de la Société Française de Radioprotection et rédacteur en chef de Radioprotection, journal scientifique de cette association.</span></em></p>Alors que la situation est compliquée à Tchernobyl et que la menace nucléaire a été évoquée par le président russe, voici les conséquences de ces deux types de risques. Qui n’ont que peu en commun.Nicolas Foray, Directeur de Recherche à l'Inserm, Unité U1296 « Radiations : Défense, Santé, Environnement », InsermMichel Bourguignon, Professeur émérite de Biophysique et Médecine Nucléaire, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1787542022-03-08T19:29:07Z2022-03-08T19:29:07ZIrradiation : quelles sont les conséquences sur notre corps ?<p>L’actualité géopolitique a brutalement fait ressortir au grand jour des craintes que l’on avait pu croire d’une autre époque. Le contexte ukrainien nous rappelle ainsi que le risque d’une irradiation accidentelle, causée par l’explosion d’une bombe atomique ou un accident de centrale nucléaire, n’est finalement pas négligeable.</p>
<p>Quelle que soit la source de l’irradiation, la survenue et la gravité des effets dits « radioinduits » obéissent à un grand principe : plus l’énergie absorbée par nos cellules est grande, plus l’effet biologique est important et plus les conséquences cliniques sont précoces et sévères.</p>
<p>Ceci est vrai pour une irradiation externe (la source de rayonnement est à l’extérieur du corps) comme pour une irradiation interne (la source de rayonnement est à l’intérieur du corps après ingestion ou inhalation de matières radioactives). La quantité d’énergie reçue s’appelle la « dose absorbée », et connaître la relation entre cette dernière et son effet biologique et clinique est la <a href="https://www.asn.fr/l-asn-reglemente/guides-de-l-asn/guide-national-d-intervention-medicale-en-cas-d-evenement-nucleaire-ou-radiologique">tâche majeure des radiobiologistes</a>.</p>
<p>Ce principe a deux corollaires : on doit bien connaître à la fois la <a href="https://www.irsn.fr/FR/connaissances/Nucleaire_et_societe/education-radioprotection/bases_radioactivite/Pages/9-concepts-de-dose.aspx#.YiaEhxDMJKM">dose</a> et les différents effets radioinduits possibles.</p>
<h2>Connaître la dose de radiation reçue</h2>
<p>Dans le cas d’une irradiation accidentelle, l’exposition aux rayonnements du corps humain est rarement homogène et n’est jamais mesurée en direct. Sa reconstitution a posteriori est donc souvent complexe et demande des approches combinées. Elle requiert à la fois des simulations qui tiennent compte du parcours des radiations et des matériaux qu’elles traversent, mais aussi de mesures sur échantillons biologiques (aberrations chromosomiques des lymphocytes sanguins, modifications radiochimiques de l’émail dentaire).</p>
<p>La dose absorbée dans notre corps est exprimée en <a href="https://www.radiobiologie.fr/ecole-des-radiations/cours-de-radiobiologie-nicolas-foray/cours-3-les-differentes-unites-des-radiations">Grays</a> (Gy), ou Joule par kg de tissu (J/kg). Voici quelques ordres de grandeur pour notre espèce :</p>
<ul>
<li><p>0,2 mGy : dose moyenne quotidienne reçue par un astronaute en mission</p></li>
<li><p>2 mGy : dose moyenne au sein pour un cliché de mammographie</p></li>
<li><p>20-40 mGy : dose aux organes pour un examen scanner</p></li>
<li><p>100-200 mGy (au corps entier) : dose au-dessus de laquelle le risque de cancer radioinduit est significatif</p></li>
<li><p>2 Gy : dose délivrée à la tumeur appliquée pour une session de radiothérapie anticancéreuse</p></li>
<li><p>4,5 Gy (au corps entier) : dose létale pour 50 % des individus</p></li>
<li><p>12 Gy (au corps entier) : dose conduisant à un décès rapide</p></li>
</ul>
<p>Les choses ne sont toutefois pas si simples, car il n’existe pas une unique sorte d’irradiation : selon la situation, la matière radioactive considérée, sont en fait émis différents types de radiation – rayon X, rayon alpha (émission d’un noyau d’Hélium), rayon bêta (émission d’un électron), émission de protons ou de neutrons…</p>
<p>Et tous ces rayonnements ne produisent pas forcément les mêmes effets biologiques pour une même dose absorbée.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/en5IhadzyrU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<h2>Estimer les effets biologiques</h2>
<p>Il a fallu introduire un facteur pour prendre en compte la nature des radiations. Cela conduit à la « dose équivalente », qui est la dose absorbée en Gy multipliée par le facteur de pondération (Wr) des radiations. L’unité est le <a href="https://www.radiobiologie.fr/ecole-des-radiations/cours-de-radiobiologie-nicolas-foray/cours-3-les-differentes-unites-des-radiations">Sievert (Sv)</a> et est définie par convention en considérant comme référence les effets causés par les rayons X dont le Wr est de 1. Par exemple, une dose de 1 Gy de rayons X correspond à 1 Sv alors que 1 Gy de particules alpha correspond à 20 Sv (le Wr des alpha est fixé à 20).</p>
<p>Et comme les effets biologiques ne sont pas non plus les mêmes selon la nature des tissus, il a fallu introduire un second facteur de pondération (Wt) pour prendre en compte de façon spécifique leur sensibilité relative (la somme de tous les Wt est égale à un).</p>
<p>Ainsi, pour chaque organe ou tissu, la dose équivalente est multipliée par le Wt adéquat. Par exemple, une dose de 1 Gy de rayon X au corps entier correspond à 1 Sv alors que si l’irradiation ne cible que les seins, la contribution est de 0,12 Sv (le Wt des seins est fixé à 0,12). L’ensemble des contributions de tous les organes exposés sont additionnées.</p>
<p>On obtient une nouvelle valeur, dénommée « dose efficace », qui permet de combiner des irradiations différentes et, ainsi, de prendre en compte des irradiations complexes.</p>
<p>C’est la dose efficace qui a été utilisée par la <a href="https://www.icrp.org/">Commission internationale de protection radiologique</a> pour calculer le risque des expositions aux rayonnements à partir de toutes les observations épidémiologiques et notamment celles des survivants de Hiroshima et Nagasaki.</p>
<h2>Les effets biologiques d’une irradiation</h2>
<p>Connaître la dose de radioactivité reçue ne suffit toujours pas : la dose efficace ne renseigne que sur un risque global (une probabilité de survenue) mais pas de conclure sur la nature des conséquences de son irradiation pour un individu donné. Pour les évaluer, il faut <a href="https://www.cea.fr/comprendre/Pages/sante-sciences-du-vivant/essentiel-sur-effets-des-rayonnements-ionisants-sur-vivant.aspx">décrypter les différents effets radioinduits</a>.</p>
<p>L’énergie absorbée par notre corps après une irradiation est d’abord absorbée par l’eau (le principal constituant de nos cellules), à travers des réactions chimiques dites de « radiolyse ». Il en résulte un stress oxydatif, l’eau oxygénée produite quelques millisecondes après irradiation pouvant <a href="https://link.springer.com/book/10.1007/978-3-642-75148-6">casser l’ADN contenu dans le noyau cellulaire</a>.</p>
<p>Le <a href="https://www.radiobiologie.fr/ecole-des-radiations/cours-de-radiobiologie-nicolas-foray/cours-5-importance-du-noyau-dans-la-letalite-radioinduite-effet-du-cycle-cellulaire">devenir des cassures de l’ADN (réparées ? Non réparées ? Mal réparées ? Tolérées ?)</a> conditionne alors la réponse au niveau cellulaire, puis tissulaire puis clinique à travers une succession de réactions qui peuvent s’étendre de la première minute à plusieurs années après l’irradiation.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/4IOlCD41KNc?wmode=transparent&start=228" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Il existe <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/31261657/">trois conséquences cliniques majeures</a> d’une irradiation :</p>
<ul>
<li><p>Les réactions dites de radiosensibilité ou radiotoxicité : elles entraînent une dysfonction des tissus ou des organes souvent associée à une inflammation. Les plus connues sont les radiodermites, des lésions cutanées qui apparaissent rapidement après exposition. Ce sont par exemple les brûlures des pionniers des radiations. Elles sont causées par la mort des cellules des organes ou tissus irradiés, elle-même causée par des cassures de l’ADN non réparées. Selon la dose reçue, elles vont de la simple rougeur à une nécrose voire la mort.</p></li>
<li><p>Les réactions dites de radiosusceptibilité : ce sont les cancers radioinduits, causés par une transformation cellulaire, elle-même causée par des cassures de l’ADN mal réparées.</p></li>
<li><p>Les réactions dites de radiodégénérescence : ce sont les conséquences d’un vieillissement cellulaire accéléré, causé par des lésions de l’ADN qui sont tolérées par les cellules et qui s’y accumulent avant d’y provoquer leur mort à long terme. C’est notamment le cas des cataractes.</p></li>
</ul>
<p>La gravité et la survenue de ces trois types de réactions radioinduites dépendent fortement de la dose de radiation absorbée. En particulier, plus la dose est élevée plus la probabilité de mort cellulaire est élevée. Cela est mis en œuvre de façon contrôlée lors d’une radiothérapie.</p>
<p>Les cancers radioinduits sont plutôt rencontrés après des doses faibles et répétées de radiation. Le vieillissement d’un tissu, d’expression tardive, est lié à sa transformation progressive, par exemple le cristallin (cataracte) ou le cœur et les vaisseaux. Cependant, après une irradiation accidentelle, on considère raisonnablement que les réactions de radiosensibilité et les cancers radioinduits constituent les effets cliniques radioinduits les plus graves.</p>
<h2>Connaître les individus les plus à risque</h2>
<p>En plus de cette dépendance vis-à-vis de la dose, <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02559800">il existe des individus plus radiosensibles et/ou radiosusceptibles</a> que d’autres. Ils peuvent souffrir des mêmes effets mais plus précocement et pour des doses de radiation plus faibles.</p>
<p>Par exemple, les individus porteurs de mutations dans les gènes dédiés à la réparation de l’ADN montrent une morbidité/mortalité plus grande en cas d’exposition aux radiations. Les porteurs de mutations dans les gènes de prédisposition au cancer ont, eux, plus de risque de développer des cancers radioinduits.</p>
<p>Avec la connaissance de la dose, l’une des priorités après l’irradiation de plusieurs individus est donc l’<a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/34281212/">identification des sujets potentiellement radiosensibles et radiosusceptibles</a>.</p>
<p>Contrairement à une idée fausse très répandue, le <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/23621935/">risque radioinduit ne dépend pas systématiquement de l’âge ou du sexe</a> même si ces facteurs sont importants. On peut définir trois grands groupes d’individus :</p>
<ul>
<li><p>Les individus les plus hyperradiosensibles/susceptibles qui représentent moins de 1 % de la population. Ce sont des enfants souffrant de maladies génétiques très rares dont les symptômes sont bien décrits et dont l’espérance de vie est limitée à une vingtaine d’années.</p></li>
<li><p>À l’opposé, au moins 80 % de la population présente une réponse normale après exposition aux rayonnements.</p></li>
<li><p>Entre les deux catégories précédentes, de 5 à 20 % de la population présente une réponse pathologique aux radiations, d’intensité intermédiaire, avec un continuum entre le peu anormal et le très pathologique.</p></li>
</ul>
<p>Ce sont par exemple des femmes qui présentent une dermite persistante à la suite d’une radiothérapie pour cancer du sein ou des hommes qui présentent une rectite durable à la suite d’une radiothérapie pour cancer de la prostate. Ce sont également celles avec une prédisposition familiale au cancer du sein (porteuses d’une mutation connue ou non) qui peuvent être plus à risque de cancers du sein radioinduits (entre 1 % et 1 ‰ cas dans la population générale).</p>
<p>Notons d’ailleurs que si on omet le risque de cancers du sein, très spécifique aux femmes, hommes et femmes présentent environ le même risque de cancer spontané et radioinduit.</p>
<p>Enfin, insistons sur le fait que les enfants, hors maladies génétiques définies plus haut et cancers de la thyroïde, n’ont pas forcément plus de risque de cancer que les adultes… Cependant, avec le recul, on observe que les personnes irradiées en bas âge ont un risque plus élevé de développer un cancer que celles qui ont été irradiées à l’âge adulte. En effet, un cancer requiert plusieurs années pour se former : un adulte exposé aux radiations n’a pas forcément « le temps » de développer un cancer radioinduit.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178754/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicolas Foray a été fondateur et conseiller scientifique de 2014 à 2020 (mais jamais dirigeant actif) de la Société Neolys Diagnostics, qui développe des tests de radiosensibilité. Il a reçu 2000 Euros en totalité pour cette fonction.
L'unité Inserm 1296 que dirige Nicolas Foray reçoit régulièrement des financements et subventions d'agences soutien à la recherche : ANR, projets d'Investissement d'avenir, INCa, Ligue, ARC, FRM, CNES, Commission Européenne, EDF. Toutes dans le cadre réglementé d'appels à projets publics.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Michel Bourguignon est membre de la Société Française de Radioprotection et rédacteur en chef de Radioprotection, journal scientifique de cette association.</span></em></p>Il y a beaucoup d’inquiétudes autour du risque nucléaire du fait de la guerre en Ukraine. Mais quels sont vraiment les effets des radiations sur le corps ? Et comment les mesure-t-on ? Décryptage.Nicolas Foray, Directeur de Recherche à l'Inserm, Unité U1296 « Radiations : Défense, Santé, Environnement », InsermMichel Bourguignon, Professeur émérite de Biophysique et Médecine Nucléaire, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1767332022-02-13T19:59:29Z2022-02-13T19:59:29ZNucléaire : retour sur le débat autour de la nouvelle taxonomie européenne<p>Dans le cadre de l’objectif de neutralité carbone fixé aux États membres à l’horizon 2050, Ursula Von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, a tenu sa promesse et fourni fin 2021 de <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_21_1804">nouvelles décisions</a> concernant le volet climatique de la « taxonomie » européenne ; cette taxonomie sert à classifier des activités économiques ayant un impact favorable sur l’environnement.</p>
<p>Contrairement à un premier texte publié en juin 2021, le nucléaire – au même titre que le gaz naturel – figure désormais dans ce classement.</p>
<p>Le 2 février 2022, le <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_22_711">communiqué de presse de la Commission</a> faisait ainsi savoir que « le collège des commissaires est finalement parvenu à un accord politique sur ce texte » qui « vise à orienter les investissements privés vers les activités nécessaires pour parvenir à la neutralité climatique », et qui « couvre (désormais) certaines activités des secteurs du gaz et du nucléaire ».</p>
<p>Cette décision était très attendue par la filière nucléaire et aussi par le gouvernement français qui vient d’annoncer sa volonté de <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/nucleaire/direct-nucleaire-suivez-le-discours-d-emmanuel-macron-a-belfort-sur-la-relance-de-la-filiere_4953483.html">reprendre le fil de la grande aventure du nucléaire civil</a> avec la prolongation de « tous les réacteurs qui peuvent l’être » au-delà de 50 ans et la construction d’au moins six nouveaux EPR. </p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/m4-r0y6t83w?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Emmanuel Macron annonce 6 nouveaux réacteurs EPR en France. (Euronews/Youtube, 10 février 2022)</span></figcaption>
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<p>Mais cette décision <a href="https://www.sudouest.fr/environnement/nucleaire/un-label-vert-europeen-pour-les-centrales-nucleaires-l-autriche-va-porter-plainte-8222832.php">est aussi très controversée</a> et largement critiquée par certains partis politiques (Europe Écologie–Les Verts ou La France insoumise) et gouvernements européens, Autriche et Luxembourg en tête.</p>
<p>Quels sont les principes de cette nouvelle nomenclature et du débat, à la fois technique et politique, provoqué par cette décision ?</p>
<h2>Un label « investissement vert » pour le nucléaire</h2>
<p>Associer la couleur <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/12/28/la-commission-europeenne-s-apprete-a-classer-le-nucleaire-comme-energie-verte_6107466_3234.html">« verte » à l’énergie nucléaire</a> est une manière de l’assimiler à une production renouvelable, comparaison qui, on peut le comprendre, fait grincer des dents chez les écologistes antinucléaires. Il s’agit en réalité d’un raccourci, le « vert » n’étant pas mentionné dans les textes officiels, <a href="https://www.greenpeace.fr/espace-presse/taxonomie-linclusion-du-nucleaire-et-du-gaz-est-un-hold-up-sur-la-transition-energetique-europeenne/">comme l’a d’ailleurs souligné Greenpeace</a>.</p>
<p><a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_22_2">Selon la Commission</a>, cette taxonomie permettra « de guider et de mobiliser les investissements privés en faveur des activités nécessaires pour parvenir à la neutralité climatique dans les 30 prochaines années » ; dans cette optique, « le gaz naturel et le nucléaire ont un rôle à jouer pour faciliter le passage vers un avenir s’appuyant majoritairement sur les énergies renouvelables ».</p>
<p>En d’autres termes, la labélisation du nucléaire permettra à la filière de bénéficier de meilleures conditions de financement et d’attirer les investisseurs privés désireux de montrer qu’ils répondent aux critères environnementaux, sociaux et de bonne gouvernance (ESG).</p>
<h2>« Sans causer de préjudice important »</h2>
<p>Tout cela devra néanmoins répondre à certaines conditions. Selon la taxonomie, une activité peut en effet être inclue si elle correspond à au moins l’un des six objectifs durables portant principalement sur ses émissions de gaz à effet de serre et son impact environnemental.</p>
<p>Rappelons ces six objectifs : atténuation du changement climatique ; adaptation au changement climatique ; utilisation durable et protection des ressources aquatiques et marines ; transition vers une économie circulaire ; contrôle de la pollution ; protection et restauration de la biodiversité et des écosystèmes.</p>
<p>Ladite activité devant également contribuer significativement à un ou plusieurs des six objectifs, « sans causer de préjudice important aux autres objectifs » – soit le principe DNSH en anglais, pour <em>Do Not Significant Harm</em>.</p>
<p>Et c’est bien cette dernière condition qui divise au sujet du nucléaire : car s’il permet de produire de l’électricité décarbonée, l’impact environnemental de ses déchets radioactifs et les risques d’accident, eux, continuent d’alerter.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1291226466630479872"}"></div></p>
<h2>Pour les pro, la condition de la neutralité carbone</h2>
<p>L’argument principal des partisans du nucléaire comme « énergie verte » repose, notamment en France, sur le fait indéniable que le nucléaire n’émet que très peu de CO<sub>2</sub>, ne contribuant ainsi pas au changement climatique et permettant à la France d’atteindre ses objectifs dans le domaine.</p>
<p><a href="https://www.lemondedelenergie.com/neutralite-carbone-nucleaire-taxonomie-europeenne/2021/10/12/">Selon Xavier Moreno</a>, à la tête du Think Tank Cérémé, il s’agit bien de « la seule énergie décarbonée à même de répondre aux besoins, l’intermittence des énergies renouvelables ne pouvant pas être compensée par du stockage à l’échelle des quantités en jeu ni au vu des technologies actuelles. »</p>
<p>Quid de son impact environnemental ? Suite à l’exclusion préliminaire du nucléaire de la taxonomie européenne et à la pression qui s’en est suivie de la part de certains États membres, <a href="http://www.senat.fr/rap/r21-213/r21-213_mono.html">dont la France</a>, la Commission a chargé son centre de recherche (le Joint Research Center, JRC) d’examiner la question.</p>
<p>Remises à l’été 2021, les <a href="https://publications.jrc.ec.europa.eu/repository/handle/JRC125953">analyses du JRC</a> n’ont révélé aucune preuve scientifique indiquant que l’énergie nucléaire serait plus dommageable pour la santé humaine ou l’environnement que d’autres technologies de production d’électricité déjà incluses dans la taxonomie – comme le solaire ou l’éolien.</p>
<p>Au sujet plus précis de la gestion des déchets radioactifs, le JRC conclut à « un vaste consensus dans la communauté scientifique […] selon lequel le stockage géologique en profondeur est la solution la plus efficace et sûre pour assurer le respect du principe DNSH ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1219023182453268482"}"></div></p>
<p>De cette manière, le rapport conclut que l’énergie nucléaire remplit les critères pour être incluse dans la liste des activités contribuant à la transition écologique de l’UE.</p>
<h2>Pour les anti, un frein au développement des ENR</h2>
<p>Les opposants <a href="https://paperjam.lu/article/labelliser-nucleaire-vert-prov">dénoncent eux une « provocation »</a> et un frein au développement des énergies renouvelables ; ils estiment d’autre part le nucléaire dangereux : ses déchets ne peuvent pas ne pas provoquer « de dommages significatifs »…</p>
<p>Ils dénoncent également la captation de futurs capitaux vers le nucléaire au détriment des énergies renouvelables : les prochains EPR ne seront mis en service que d’ici 10 ou 20 ans alors que les énergies renouvelables <a href="https://www.arte.tv/fr/videos/100627-137-A/ue-le-nucleaire-une-energie-verte/">sont compétitives et disponibles dès aujourd’hui</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/energies-renouvelables-la-necessite-dun-reseau-electrique-plus-intelligent-174062">Énergies renouvelables : la nécessité d’un réseau électrique plus intelligent</a>
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<p>Dès l’annonce de la décision de la Commission européenne concernant la nouvelle taxonomie, début février 2022, les gouvernements luxembourgeois et autrichien ont annoncé leur intention d’engager une action en justice afin de lutter <a href="https://www.sudouest.fr/environnement/nucleaire/un-label-vert-europeen-pour-les-centrales-nucleaires-l-autriche-va-porter-plainte-8222832.php">contre cette création d’un label « vert » pour les centrales nucléaires</a>.</p>
<p>La ministre du Climat et de l’Environnement, Leonore Gewessler, a ainsi qualifié la démarche d’« opération de cape et d’épée », rappelant que, pour l’Autriche, ni l’énergie nucléaire ni le gaz ne devraient être inclus dans la taxonomie ; ceux-ci sont <a href="https://www.euractiv.fr/section/energie/news/lautriche-menace-de-poursuivre-la-commission-au-sujet-des-regles-de-taxonomie-de-lue/">« nuisibles à l’environnement et détruisent l’avenir de nos enfants »</a>.</p>
<p>Et l’Autriche semble faire des émules : bien que divisé sur la question, le gouvernement allemand envisagerait également de <a href="https://www.euractiv.fr/section/developpement-durable/news/lallemagne-envisage-de-deposer-une-plainte-contre-la-taxonomie-verte-de-lue/">déposer une plainte contre la taxonomie verte de l’UE</a>, entraînant potentiellement Madrid dans son sillage…</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1488918993062838272"}"></div></p>
<h2>Et si la taxonomie ne prenait pas effet ?</h2>
<p>Avant de répondre à cette question, il importe de questionner, pour la France, la faisabilité d’un mix électrique sans nucléaire d’ici 2050.</p>
<p>Les scénarios <a href="https://assets.rte-france.com/prod/public/2021-10/Futurs-Energetiques-2050-principaux-resultats_0.pdf">développés par RTE</a> indiquent qu’un mix 100 % renouvelable est imaginable à la condition que nous investissions massivement, à la fois dans les renouvelables et dans la réduction de la consommation finale (via <a href="https://theconversation.com/efficacite-energetique-est-il-vraiment-possible-de-faire-mieux-avec-moins-113796">l’efficacité énergétique</a> et la sobriété énergétique).</p>
<p>De la même manière, les <a href="https://negawatt.org/index.php">scénarios Negawatt</a> indiquent qu’un mix sans nucléaire est réalisable, en mettant encore plus l’accent sur la réduction de nos consommations via l’adoption d’un <a href="https://negawatt.org/IMG/pdf/sobriete-scenario-negawatt_brochure-12pages_web.pdf">mode de vie plus sobre</a>… et donc plus contraignant.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/une-france-zero-carbone-en-2050-pourquoi-le-debat-sur-la-sobriete-est-incontournable-172185">Une France zéro carbone en 2050 : pourquoi le débat sur la sobriété est incontournable</a>
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<p>Si le nucléaire était finalement rejeté de la taxonomie – au cas où l’Autriche et le Luxembourg lanceraient une procédure devant la Cour de justice de l’UE et obtiendrait gain de cause – les conséquences seraient lourdes pour la France ; Paris envisage en effet de construire 14 nouveaux EPR d’ici 2050 et de rénover autant que possible les réacteurs existants pour les prolonger au-delà de 50 ans.</p>
<p>Cette décision aurait un <a href="https://www.arte.tv/fr/videos/100627-137-A/ue-le-nucleaire-une-energie-verte/">impact négatif significatif sur l’ensemble de l’industrie nucléaire civile</a> qui n’obtiendrait ainsi pas la certitude d’être reconnue institutionnellement et réglementairement comme une partie de la solution, avec donc moins de financements pour le nucléaire.</p>
<p>Cela l’empêcherait à la fois d’avoir accès à de <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/energie-environnement/pourquoi-la-taxonomie-europeenne-est-primordiale-pour-le-nucleaire-francais-1375958">meilleurs taux, de faire baisser le coût du capital et d’avoir une électricité plus compétitive</a>. EDF ne serait alors plus aussi compétitive à l’export, et rendrait compliqué la vente à l’étranger de ses réacteurs de nouvelle génération, ou de ses futurs petits réacteurs modulaires (SMR).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1491837442453876748"}"></div></p>
<p>Ce scénario semble toutefois très peu probable : à la fois au vu de la coalition de pays européens pro-nucléaires qui s’est formée (France, Pays-Bas, Finlande, Pologne, Finlande et nombreux pays de l’Est de l’UE), et du compromis géopolitique qui a été trouvé dans le même temps au sujet du gaz naturel pour satisfaire les intérêts d’autres pays européens.</p>
<p>L’Allemagne, par exemple, qui s’oppose à la France sur le nucléaire, aurait finalement accepté de soutenir Paris dans les négociations de l’été 2021, à condition que le gaz naturel (nécessaire à sa transition énergétique sans nucléaire) soit également inclus.</p>
<p>C’est au prix de tels aménagements que le texte sur la nouvelle taxonomie a pu être adopté, début février 2022, chaque pays venant avec son lot de contraintes et de contradictions, liées aux particularités de son mix énergétique…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/176733/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Carine Sebi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La décision d’inclure le nucléaire et le gaz naturel dans la liste des activités économiques ayant un impact favorable sur l’environnement divise au sein de l’Union européenne.Carine Sebi, Professeure associée et coordinatrice de la chaire « Energy for Society », Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1720892021-12-02T19:17:07Z2021-12-02T19:17:07ZRéacteurs nucléaires « SMR » : de quoi s’agit-il ? Sont-ils moins risqués ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/435143/original/file-20211201-27-4cnynx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=14%2C3%2C2481%2C1399&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Visuel du projet de réacteur SMR porté par la France, appelé Nuward.</span> <span class="attribution"><span class="source">EDF</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Il y a quelques semaines, le président Macron a présenté le plan de relance <a href="https://youtu.be/v9mQlu-EQ-I">France 2030</a> et mis en avant un nouveau type de réacteur nucléaire, les « SMR ».</p>
<p>Ces « small modular reactors » sont des petits réacteurs modulaires, dont la puissance est comprise entre 50 et 300 <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Watt">mégawatts électriques</a>. Certains projets de SMR reprennent des filières de réacteurs nucléaires existantes et miniaturisées, tandis que d’autres explorent de nouveaux concepts de réacteurs pour un déploiement sur le plus long terme.</p>
<h2>Les SMR, c’est pour quand ?</h2>
<p>Environ <a href="https://www.oecd-nea.org/jcms/pl_57979/small-modular-reactors-challenges-and-opportunities?details=true">70 projets de SMR sont identifiés</a> dans le monde à des stades plus ou moins avancés, dont un <a href="https://www.oecd-nea.org/jcms/pl_57979/small-modular-reactors-challenges-and-opportunities?details=true">quart</a> utilisent des filières « matures », de génération 3 (Gen-III), comme celle du parc français.</p>
<p>Ainsi, certains modèles pourraient être disponibles sur le marché mondial autour de 2030 et couvrir, selon l’agence de l’énergie nucléaire de l’OCDE, <a href="https://www.oecd-nea.org/upload/docs/application/pdf/2021-03/7560_smr_report.pdf">jusqu’à 10 % de la production nucléaire</a> dans le monde d’ici 2040.</p>
<p>L’investissement initial d’environ <a href="https://new.sfen.org/rgn/1-7-smr-paradis-ingenieurs/">1 milliard d’euros pour un réacteur SMR</a> devrait être bien moins élevé que pour un réacteur de grande puissance – en comparaison, l’EPR de Flamanville devrait coûter environ 12 milliards d’euros pour une puissance installée de <a href="https://www.ccomptes.fr/system/files/2020-07/20200709-synthese-filiere-EPR.pdf">1 600 mégawatts électriques</a>. Les SMR pourront ainsi répondre aux besoins de régions isolées, de pays dont le réseau électrique est peu développé ou dont les capacités financières ne permettent pas d’accéder au marché des gros réacteurs.</p>
<p>Actuellement, la stratégie de la France est donc de proposer un SMR pour le marché international. Avec <a href="https://www.conseil-national-industrie.gouv.fr/comites-strategiques-de-filiere/la-filiere-nucleaire">2 100 « années-réacteurs » d’expérience dans l’industrie nucléaire</a>, la France est reconnue mondialement dans la construction et l’exploitation des grands réacteurs pour la production d’électricité et des petits réacteurs pour la propulsion navale – une expertise nécessaire pour proposer un projet industriel de SMR, appelé <a href="https://www.cea.fr/presse/Pages/actualites-communiques/energies/nuward-smr.aspx">« Nuward »</a>, porté par le consortium EDF, CEA, Naval Group et Technicatome.</p>
<p>D’après la <a href="https://www.sfen.org/">Société française d’énergie nucléaire</a> un module de Nuward de 170 MWe de puissance pourrait être <a href="https://new.sfen.org/rgn/projet-smr-francais/">construit en trois ans</a>, après avoir consolidé l’ensemble des phases du projet (<em>basic design</em>, <em>detailed design</em> et <em>licensing</em>). Cela nous mènera en 2030 pour le premier béton en France et une commercialisation pour l’export.</p>
<h2>Comment fonctionnent les SMR ?</h2>
<p>L’appellation « SMR » rassemble en fait différents concepts, ou « filières », de réacteurs nucléaires. Il s’agit pour les SMR de miniaturiser les filières déjà industrielles, ou de rendre « petites » et « modulaires » les réacteurs dès leur conception, dans le cas de filières de nouvelle génération.</p>
<p>Aujourd’hui, la filière la plus mature pour les réacteurs haute puissance est la filière des réacteurs « à eau pressurisée », avec <a href="https://www.edf.fr/groupe-edf/espaces-dedies/l-energie-de-a-a-z/tout-sur-l-energie/produire-de-l-electricite/les-differents-types-de-reacteurs-nucleaires">environ 55 % des réacteurs installés dans le monde</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/433105/original/file-20211122-25-1eqyi5b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/433105/original/file-20211122-25-1eqyi5b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=514&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/433105/original/file-20211122-25-1eqyi5b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=514&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/433105/original/file-20211122-25-1eqyi5b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=514&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/433105/original/file-20211122-25-1eqyi5b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=645&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/433105/original/file-20211122-25-1eqyi5b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=645&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/433105/original/file-20211122-25-1eqyi5b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=645&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Dans le cœur d’un réacteur nucléaire : le triptyque combustible-modérateur-caloporteur définit le type de réacteur. Par exemple, pour les réacteurs à eau pressurisée utilisés en France pour la production d’électricité, le combustible est l’uranium enrichi, le modérateur et le caloporteur sont de l’eau.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Magnox_reactor_schematic.svg">Elsa Couderc, modifié à partir d’Emoscopes</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Une filière de réacteur est définie par un <a href="https://www.cea.fr/comprendre/Pages/energies/nucleaire/fonctionnement-reacteur-nucleaire.aspx?Type=Chapitre&numero=2">triptyque combustible-modérateur-caloporteur</a>, caractérisant un choix scientifique et technique de production de chaleur. Par exemple, dans la filière des réacteurs « à eau pressurisée », le combustible est un oxyde d’uranium enrichi autour de 5 % en uranium-235 tandis que le modérateur et le caloporteur sont de l’eau ordinaire.</p>
<p>La chaleur issue des réactions nucléaires au sein du réacteur peut être utilisée pour produire de l’électricité mais aussi par exemple pour le <a href="https://www.iaea.org/sites/default/files/39205082125_fr.pdf">chauffage urbain, la chaleur industrielle</a>, la <a href="https://www.iaea.org/sites/default/files/37204782124_fr_0.pdf">désalinisation de l’eau de mer</a>) ou la <a href="https://www.iaea.org/fr/bulletin/lelectronucleaire-et-la-transition-vers-une-energie-propre/bien-plus-quune-source-delectricite">production d’hydrogène</a>.</p>
<h2>Déchets, sûreté, ressources : les réacteurs du futur</h2>
<p>Pour répondre à l’exigence d’une exploitation durable des ressources naturelles et d’une optimisation de la gestion des déchets, deux autres filières de réacteurs haute puissance sont étudiées en France : la « filière des réacteurs à neutrons rapides » et la « filière des réacteurs à sels fondus ». Ces réacteurs devraient être matures dans plusieurs décennies, à la fois à l’échelle haute puissance et à l’échelle miniaturisée des SMR.</p>
<p>Ces nouveaux concepts, basés sur des critères de préservation des ressources naturelles, de gestion durable des déchets et de sûreté accrue, sont étudiés dans le cadre de GenIV, un <a href="https://www.gen-4.org/gif/jcms/c_9260/public">forum mondial qui réfléchit aux concepts de réacteurs du futur</a>. Une des idées serait de passer d’un « mono-recyclage » actuellement fait dans les réacteurs du parc français <a href="https://lenergeek.com/2019/06/20/dechets-radioactifs-difference-monorecyclage-multirecyclage/">à un « multi-recyclage »</a>, c’est-à-dire que l’on retraite plusieurs fois le combustible passé en réacteur.</p>
<h2>Miniaturiser les concepts de réacteurs nucléaires grande puissance</h2>
<p>Miniaturiser un réacteur pourrait avoir un intérêt économique pour plusieurs raisons. D’une part, la simplification du design permet une architecture intégrée et la suppression de certains systèmes.</p>
<p>D’autre part, une architecture modulaire permet une qualité de fabrication supérieure, une <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0149197021000433">réduction des coûts</a> et une optimisation des plannings des chantiers de construction. Elle a été développée pour les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Liberty_ship">chantiers navals</a> et est aujourd’hui utilisée dans les secteurs de la <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/Rapport%20construction%20hors-site_VF_Janvier%202021.pdf">construction</a> et de l’<a href="https://www.cairn.info/revue-de-l-ires-2009-3-page-135.htm">aéronautique</a>.</p>
<p>La complexité d’une centrale nucléaire est due au nombre d’équipements et systèmes, mais aussi à leurs interactions. L’idée de la modularité est de diviser la centrale en un ensemble de modules (par exemple les murs, ou un système de pompe), correspondant à une fonction bien identifiée et des interfaces bien définies. Bien entendu, cette fabrication modulaire suppose une chaîne d’approvisionnement adaptée, qualifiée pour la filière nucléaire et elle ne pourra se créer que si les SMR sont produits en grande quantité.</p>
<p>Enfin, la <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0301421515001214">standardisation de la fabrication</a> devrait permettre des économies d’échelles, une productivité plus importante et in fine une meilleure sûreté des réacteurs grâce à une fabrication plus normée.</p>
<h2>Les SMR sont-ils plus sûrs ?</h2>
<p>Comme tous les réacteurs nucléaires, les SMR devront respecter les standards les plus récents en matière de sûreté nucléaire. Celle-ci évolue de manière continue avec les retours d’expérience de l’exploitation des parcs de réacteurs nucléaires, les avancées des programmes de recherche et développement, et les incidents ou accidents.</p>
<p>Par exemple, aujourd’hui en France, le cadre réglementaire intègre ainsi le retour d’expérience de Tchernobyl et de Fukushima.</p>
<p>Les dispositions de sûreté y sont renforcées. Il oblige les installations à mettre en place des équipements dits « ultimes », pouvant résister à des événements exceptionnels (ce que l’on appelle le <a href="https://www.asn.fr/l-asn-informe/actualites/noyau-dur-situations-d-urgence-prescriptions-de-l-asn">« noyau dur »</a>).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quelle-gouvernance-des-risques-nucleaires-en-france-92081">Quelle gouvernance des risques nucléaires en France ?</a>
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<p>De manière générale, la simplification du design et la modularité devraient être favorables pour la sûreté, car ils permettent des contrôles plus aisés en exploitation pour l’un et une fabrication plus normée pour l’autre.</p>
<p>La diminution de la taille d’un réacteur et donc de sa puissance vont également dans le sens d’une meilleure sûreté, car il y aura moins de puissance résiduelle à évacuer en cas d’accident.</p>
<h2>Et l’innovation dans tout cela ?</h2>
<p>En attendant les réacteurs nucléaires de génération 4 (GenIV), d’autres innovations sont en cours et en particulier l’utilisation de « maquettes numériques » pour concevoir les nouveaux réacteurs, y compris les SMR et notamment le projet Nuward.</p>
<p>Ces « maquettes numériques », ou « BIM » (pour <em>building information modeling</em>), viennent du secteur de l’<a href="https://buildingsmartfrance-mediaconstruct.fr/definition-notions-bim/">architecture et de la construction</a> et représentent une opportunité majeure pour le nucléaire, car elles permettent d’optimiser le cycle de vie des installations nucléaires en <a href="https://www.andra.fr/emilie-bernard-bim-manager">proposant un objet numérique commun et partagé par l’ensemble des acteurs</a>, qui pourra être considéré comme le prototype du réacteur.</p>
<p>Enfin, les maquettes numériques devraient permettre de développer de nouveaux modes organisationnels et donc une plus grande efficacité opérationnelle.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/172089/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuelle Galichet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le plan de relance France 2030 fait la part belle au nucléaire avec les « SMR ». Comment fonctionnent ces réacteurs innovants ? Quand seront-ils déployés ?Emmanuelle Galichet, Enseignante chercheure en physique nucléaire, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1627002021-07-26T17:34:30Z2021-07-26T17:34:30ZITER : comment le numérique aide à éviter et contrôler les instabilités de la fusion nucléaire<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/408897/original/file-20210629-26-l38cxd.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C8%2C952%2C949&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une instabilité de Kelvin-Helmholtz simulée par ordinateur.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.reddit.com/r/CFD/comments/l9mmcm/simulation_of_a_kelvinhelmholtz_instability/">u/unnecessaryellipses1, Reddit</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Une énergie propre, sans risque d’accident grave et quasiment illimitée ? Cet objectif qui fait rêver est associé au principe de la fusion nucléaire depuis des décennies. À tel point qu’en 1986, malgré leurs fortes divergences, Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbatchev proposèrent une coopération permettant de tester cette approche. Ce projet, rejoint depuis par l’Union européenne, l’Inde, la Chine, le Japon et la Corée du Sud a pris le nom d’« ITER », pour « Réacteur thermonucléaire expérimental international ». Finalement initié en 2006, il fournira une preuve de concept que la fusion peut être une source d’énergie. La prochaine étape, un prototype à l’échelle industrielle, est en conception et s’appelle Demo – elle serait certainement mise en œuvre en pratique si ITER démontrait que l’on peut tirer de l’énergie d’un tel réacteur.</p>
<p>Quels principes se cachent derrière ce nom désormais bien connu ? Comment développer un projet d’une telle envergure en pratique ?</p>
<h2>Qu’est-ce que la fusion nucléaire ?</h2>
<p>L’énergie nucléaire est connue car elle nous permet, notamment en France, de nous alimenter en énergie, mais aussi bien sûr à cause des risques qui lui sont associés et qui ont mené à des accidents célèbres, en particulier ceux de <a href="https://theconversation.com/tchernobyl-epidemiologie-dune-catastrophe-58315">Tchernobyl en 1986</a> et <a href="https://theconversation.com/les-lecons-de-fukushima-56254">Fukushima en 2011</a>.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/406122/original/file-20210614-72954-1wo8dy8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/406122/original/file-20210614-72954-1wo8dy8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=936&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/406122/original/file-20210614-72954-1wo8dy8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=936&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/406122/original/file-20210614-72954-1wo8dy8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=936&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/406122/original/file-20210614-72954-1wo8dy8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1176&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/406122/original/file-20210614-72954-1wo8dy8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1176&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/406122/original/file-20210614-72954-1wo8dy8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1176&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Exemple d’une fission nucléaire de l’uranium.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Nuclear_fission.svg?uselang=fr">Fastfission, Wikipedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cette énergie est basée sur une réaction atomique, la <em>fission nucléaire</em>, qui consiste à casser un atome lourd en deux atomes plus légers. Dans les réacteurs actuels, c’est l’uranium qui est fissionné par collision avec un neutron, formant par exemple un atome de krypton et un second de baryum ou encore strontium et xénon. Lors de cette réaction, une partie de la masse initiale est convertie en énergie qu’on récupère et la réaction libère également un neutron qui, lui-même, va aller « casser » un autre atome et ainsi de suite. Hélas, il est possible de perdre le contrôle de ces réactions successives, ce qui peut mener à des accidents.</p>
<p>Dès les années 1940, les scientifiques G. P. Thomson et M. Blackman ont postulé, en déposant un brevet de réacteur, qu’il existait une approche qui consiste plutôt à « fusionner » deux atomes légers en un plus lourd avec là encore une perte de masse qu’on peut récupérer sous forme d’énergie cinétique (particule rapide), puis sous forme de chaleur. Cette réaction est celle qu’on retrouve au cœur de notre soleil et de la plupart des étoiles. Ces recherches ont commencé il y a 70 ans et ITER ne commencera à être testé qu’en 2025. Pourquoi est-ce si long ?</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/406123/original/file-20210614-73350-wxcfix.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/406123/original/file-20210614-73350-wxcfix.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=720&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/406123/original/file-20210614-73350-wxcfix.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=720&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/406123/original/file-20210614-73350-wxcfix.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=720&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/406123/original/file-20210614-73350-wxcfix.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=905&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/406123/original/file-20210614-73350-wxcfix.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=905&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/406123/original/file-20210614-73350-wxcfix.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=905&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Un noyau de deutérium et un noyau de tritium fusionnent en un noyau d’hélium.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Deuterium-tritium_fusion.svg?uselang=fr">Wykis/Wikipedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pour une raison finalement assez simple. Pour fusionner deux atomes d’hydrogène – le plus petit et le plus simple des atomes à fusionner, il faut chauffer le gaz d’hydrogène à plusieurs millions de degrés lorsque le gaz est très dense (plusieurs dizaines de fois la densité de l’aire), comme c’est le cas dans le soleil. Pour des densités plus raisonnables, que l’on considère en pratique dans un réacteur (plusieurs milliers de fois moins dense que l’air), il faut atteindre une température entre 100 et 150 millions de degrés. Évidemment, aucun matériau connu ne peut résister à de telles conditions. Comment chauffer alors un gaz à cette température et l’enfermer dans un réacteur sans danger ?</p>
<p>Heureusement, à cette température les gaz deviennent chargés électriquement, les électrons se séparent des atomes et on parle de « plasma ». L’idée géniale des scientifiques russes Igor Tamm et Andreï Sakharov dans les années 1950 a été de proposer un dispositif appelé « tokamak ». Il s’agit d’enfermer le plasma dans une chambre en forme de <em>donut</em>, ou « tore » en langage mathématique, et de le contraindre à tourner à l’intérieur du tore sans jamais s’approcher des bords à l’aide de champs magnétiques extrêmement puissants qui confinent le gaz au centre du tore.</p>
<p>L’objectif d’ITER est de savoir si cette technologie peut être utilisable pour la production d’énergie. Pour cela, ITER cherche à produire plus 5 à 10 fois d’énergie que celle utilisée pour chauffer le plasma et pour le confiner pendant quelques minutes. Si tel est le cas, on pourra passer à des prototypes industriels d’ici à 2050 ou 2060.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/406125/original/file-20210614-115215-1rjk1ae.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/406125/original/file-20210614-115215-1rjk1ae.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/406125/original/file-20210614-115215-1rjk1ae.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/406125/original/file-20210614-115215-1rjk1ae.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/406125/original/file-20210614-115215-1rjk1ae.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/406125/original/file-20210614-115215-1rjk1ae.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/406125/original/file-20210614-115215-1rjk1ae.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/406125/original/file-20210614-115215-1rjk1ae.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Le plasma dans sa cavité torique. Un humain indique l’échelle, en bas à droite.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.iter.org/img/resize-2000-70/all/content/com/gallery/media/7%20-%20technical/cs_and_plasma_in_tokamak_us-iter.jpg">ITER</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Bien que le principe des tokamaks existe depuis la fin des années 50, la construction d’ITER n’a commencé qu’à la fin des années 2000. En effet, la technologie des tokamaks est très compliquée et on a construit, au fur et à mesure des années, des tokamaks de plus en plus complexes et de plus en plus grands jusqu’à ITER qui devrait être le premier à produire plus d’énergie que celle utilisée pour le faire fonctionner.</p>
<h2>Quand le numérique permet de mieux contrôler les risques et les coûts</h2>
<p>Une des difficultés centrales pour faire fonctionner la fusion nucléaire est la gestion des « instabilités » : le confinement du plasma à 100-150 millions de degrés par le champ magnétique aura forcément de petits défauts. Ces défauts peuvent conduire une portion du plasma à « s’échapper » vers le bord de la chambre de confinement, conduisant au mieux à une perte d’énergie, au pire à des dégâts très lourds sur la chambre de confinement (ce type de dégâts ne donnerait pas lieu à un accident nucléaire type Fukushima, mais aurait un coût financier très important).</p>
<p>Un enjeu central est donc de détecter et prédire ces instabilités afin de les contrôler ou de les éviter. Une chambre de confinement ainsi que la plupart des dispositifs sont très chers et on ne peut pas se permettre de tester directement les solutions pour le contrôle des instabilités dans un vrai tokamak. Par conséquent, les physiciens utilisent des modélisations mathématiques et numériques de la dynamique du plasma dans la chambre de confinement afin de tester de potentielles méthodes de contrôle et de détection. Il s’agit d’abord de transcrire le problème sous la forme d’équations mathématiques (très complexes, car couplant des phénomènes se déroulant à différentes des échelles de temps et d’espace), puis de résoudre ces équations à l’aide de <a href="https://www.cea.fr/comprendre/Pages/nouvelles-technologies/essentiel-sur-supercalculateurs.aspx">superordinateurs</a> ce qui va permettre de prédire l’évolution du plasma et sa réponse à une nouvelle méthode de contrôle.</p>
<p>Ce processus de modélisation/simulation est en fait très fréquemment utilisé dans l’industrie et en physique : en météorologie pour <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Pr%C3%A9vision_num%C3%A9rique_du_temps">prévoir la météo</a>, pour la <a href="https://www.pourlascience.fr/sd/geosciences/prevoir-les-tsunamis-2239.php">prédiction de tsunami</a>, en <a href="https://www.inria.fr/fr/la-simulation-numerique-au-service-de-la-chirurgie">médecine pour les jumeaux numériques</a> ou encore dans l’<a href="https://www.youtube.com/watch?v=5-dn4lnS3s0">automobile</a> et l’aviation pour tester les prototypes. Ce type d’outils est utilisé pour simuler séparément les différents phénomènes présents dans un tokamak, car on ne sait pas encore modéliser le fonctionnement complet. Cela a déjà permis de proposer plusieurs <a href="https://www.ipp.mpg.de/5067514/runaways">pistes pertinentes</a> pour le contrôle d’instabilités ces dernières années.</p>
<p>Depuis peu, ces modèles numériques combinent approches physiques (modèles de mécanique des fluides et d’électromagnétisme) et méthodes d’intelligence artificielle, qui permettent de construire des modèles prédictifs à partir de données expérimentales ou de données issues des simulations.</p>
<p>D’un point de vue scientifique, ITER est un projet hors norme. Il est issu d’un partenariat entre plus de trente pays pour un budget d’environ 20 milliards d’euros sur plusieurs décennies. Il mobilise physiciens théoriciens, ingénieurs, spécialistes des matériaux, informaticiens, mathématiciens, qui collaborent afin de faire de ce vieux rêve une réalité pour la génération suivante pour qui l’enjeu énergétique sera central.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/162700/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Franck a reçu des financements de Eurofusion. </span></em></p>ITER vise à démontrer l’intérêt de la fusion nucléaire pour la production d’énergie. Sur ce chemin semé d’embûches, les outils numériques permettent de mieux contrôler les risques et les coûts.Emmanuel Franck, Chargé de recherche, InriaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1597862021-04-26T18:09:52Z2021-04-26T18:09:52ZTchernobyl, paradis des loups persécutés<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/397167/original/file-20210426-23-9y7t2k.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C0%2C2548%2C1808&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un loup à l'intérieur de la forêt rouge de la zone d'exclusion de Tchernobyl, en Ukraine, en septembre 2016.</span> <span class="attribution"><span class="source">REDFIRE Project / Nick Beresford, Sergey Gashchak</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Le loup est une espèce qui <a href="https://theconversation.com/mediar-entre-humanos-para-conservar-a-los-lobos-152430">suscite des passions contradictoires</a>. Pour certains, elle représente une menace sérieuse pour l’élevage extensif et les traditions rurales. Pour d’autres, il est le symbole de la nature sauvage et un élément fondamental pour l’équilibre des écosystèmes.</p>
<p>Bien qu’il s’agisse d’une espèce protégée dans toute l’Europe,le loup est chassé sans relâche, tant dans les pays où il se fait rare, comme la Suède et la Norvège, que dans ceux où il est plus répandu, <a href="https://theconversation.com/la-proteccion-del-lobo-es-una-oportunidad-para-las-zonas-rurales-156162">comme l’Espagne</a>. Menacé d’extermination dans une grande partie de l’Europe, le loup a finalement été confiné dans quelques refuges isolés.</p>
<p>Paradoxalement, Tchernobyl est devenu l’un d’entre eux.</p>
<p>Cela fait maintenant 35 ans qu’une catastrophe s’est produite à la centrale nucléaire de Tchernobyl, en Ukraine. Cet accident, le plus grave de l’histoire nucléaire, a entraîné l’évacuation de quelque 350 000 personnes et la création d’une zone de plus de 4 000 km<sup>2</sup>, pratiquement inhabitée, sans activité humaine, avec pour seuls occupants des animaux sauvages.</p>
<p>La zone d’exclusion de Tchernobyl abrite aujourd’hui une <a href="https://theconversation.com/tchernobyl-35-ans-apres-laccident-nucleaire-decouvrez-comment-la-nature-y-a-repris-ses-droits-118082">grande diversité d’animaux sauvages</a>, dont de nombreux grands mammifères d’Europe, tels que le lynx boréal, l’ours brun et le loup.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/tchernobyl-35-ans-apres-laccident-nucleaire-decouvrez-comment-la-nature-y-a-repris-ses-droits-118082">Tchernobyl : 35 ans après l’accident nucléaire, découvrez comment la nature y a repris ses droits.</a>
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<h2>Les loups de Tchernobyl</h2>
<p>Au moment de l’accident, les loups étaient présents à Tchernobyl, bien qu’intensément persécutés par la population locale. Trois décennies plus tard, Tchernobyl compte toujours l’une des plus fortes densités de loups d’Europe. Les enquêtes de terrain dans la partie biélorusse de la zone d’exclusion ont révélé la présence de <a href="https://getd.libs.uga.edu/pdfs/webster_sarah_c_201605_ms.pdf">plus de 100 individus par 1 000 km²</a>. Dans cette zone, les loups sont sept fois plus nombreux que dans les réserves naturelles voisines.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/392925/original/file-20210331-15-jexlx7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/392925/original/file-20210331-15-jexlx7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/392925/original/file-20210331-15-jexlx7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/392925/original/file-20210331-15-jexlx7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/392925/original/file-20210331-15-jexlx7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=384&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/392925/original/file-20210331-15-jexlx7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=384&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/392925/original/file-20210331-15-jexlx7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=384&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Groupe de loups se nourrissant des restes d’un élan, dans la zone d’exclusion de Tchernobyl, en Ukraine, en 2020.</span>
<span class="attribution"><span class="source">CHAR Project/Nick Beresford, Sergey Gashchack</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’abondance des loups à Tchernobyl n’est pas conditionnée par les niveaux de radiation. L’espèce occupe toute la région, des zones les moins contaminées aux environnements tels que la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/For%C3%AAt_rousse">forêt rouge</a> (appelée aussi forêt rousse), l’un des endroits les plus radioactifs de la planète. À ce jour, aucun effet négatif des radiations sur les loups vivant à Tchernobyl n’a été détecté.</p>
<p>Certains chercheurs pensent que la présence de loups à Tchernobyl n’est que le reflet de <a href="https://www.bbvaopenmind.com/ciencia/medioambiente/chernobil-y-fukushima-nuevos-santuarios-de-fauna-o-cementerios-de-animales-que-huyen-de-los-humanos/">l’augmentation des populations de loups en Europe</a>. Mais cela n’explique pas pourquoi ils y sont si abondants, plus que dans toute autre région, ni pourquoi ils occupent tous les habitats de Tchernobyl, quel que soit le niveau de radiation.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/392526/original/file-20210330-23-1p7hqh3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/392526/original/file-20210330-23-1p7hqh3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/392526/original/file-20210330-23-1p7hqh3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/392526/original/file-20210330-23-1p7hqh3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/392526/original/file-20210330-23-1p7hqh3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/392526/original/file-20210330-23-1p7hqh3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/392526/original/file-20210330-23-1p7hqh3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Groupe de loups vivant dans la zone d’exclusion de Tchernobyl, en Ukraine, en 2021.</span>
<span class="attribution"><span class="source">CHAR Project/Nick Beresford, Sergey Gashchack</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Plusieurs facteurs expliquent l’abondance des loups à Tchernobyl. Le principal est le fait que les humains, absents de la zone, ne peuvent pas les persécuter. Le maintien d’une très grande zone exempte de présence humaine est décisif. Comparé aux plus de 4 000 km<sup>2</sup> de Tchernobyl, le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Parc_national_des_pics_d%27Europe">parc national des pics d’Europe</a>, en Espagne, ne couvre qu’environ 650 km<sup>2</sup>. La zone d’exclusion abrite également en abondance les principales proies naturelles du loup : élans, cerfs, sangliers et castors. Sans intervention humaine, même en dépit de l’environnement radioactif, le loup et ses proies maintiennent un système prédateur-proie totalement naturel.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/392524/original/file-20210330-15-18qbc1.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/392524/original/file-20210330-15-18qbc1.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/392524/original/file-20210330-15-18qbc1.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/392524/original/file-20210330-15-18qbc1.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/392524/original/file-20210330-15-18qbc1.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/392524/original/file-20210330-15-18qbc1.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/392524/original/file-20210330-15-18qbc1.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un loup européen chassant un élan dans la forêt rouge, zone d’exclusion de Tchernobyl, Ukraine, en 2017.</span>
<span class="attribution"><span class="source">REDFIRE Project/Nick Beresford, Sergey Gashchack</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Des loups en mouvement</h2>
<p>Récemment, un jeune loup équipé par des scientifiques d’un collier émetteur GPS a été détecté en <a href="https://link.springer.com/article/10.1007%2Fs10344-018-1201-2">train de se déplacer de Tchernobyl vers des zones extérieures</a>. Cela montre que Tchernobyl devient un lieu à partir duquel la faune se propage vers les zones voisines, plutôt que comme une zone dangereuse où les animaux entrent et meurent des radiations.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/392900/original/file-20210331-17-10gtnqp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/392900/original/file-20210331-17-10gtnqp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/392900/original/file-20210331-17-10gtnqp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/392900/original/file-20210331-17-10gtnqp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/392900/original/file-20210331-17-10gtnqp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/392900/original/file-20210331-17-10gtnqp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/392900/original/file-20210331-17-10gtnqp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Un loup européen à côté d’un enregistreur de sons dans la forêt rouge, zone d’exclusion de Tchernobyl, Ukraine, en 2016.</span>
<span class="attribution"><span class="source">REDFIRE Project/Nick Beresford, Sergey Gashchack</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le déplacement de ce loup ne diffère pas de celui de nombreuses espèces migratrices qui utilisent Tchernobyl pendant la saison de reproduction ou l’hiver, et ne présente aucun risque pour la faune sauvage d’ailleurs. La dispersion des jeunes loups est un processus naturel chez ces animaux, résultat de la nécessité de rechercher de nouveaux territoires lorsque les populations sont trop nombreuses à un endroit. Elle ne contribue en aucun cas à la propagation de mutations causées par les radiations qui pourraient être néfastes pour l’espèce.</p>
<h2>L’avenir des loups de Tchernobyl</h2>
<p>Trois décennies après l’accident, la zone d’exclusion de Tchernobyl doit maintenant relever le défi de définir son avenir et, avec lui, celui des loups qui l’habitent.</p>
<p>Il faudra concilier la gestion d’une zone encore contaminée avec le démantèlement de la centrale nucléaire, le développement du tourisme et la conservation de la nature.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-jour-j-et-la-popularite-grandissante-du-tourisme-noir-118303">Le Jour J et la popularité grandissante du « tourisme noir »</a>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/389950/original/file-20210316-24-kdshzy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/389950/original/file-20210316-24-kdshzy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/389950/original/file-20210316-24-kdshzy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/389950/original/file-20210316-24-kdshzy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/389950/original/file-20210316-24-kdshzy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/389950/original/file-20210316-24-kdshzy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/389950/original/file-20210316-24-kdshzy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un loup dans la zone d’exclusion de Tchernobyl, en 2015.</span>
<span class="attribution"><span class="source">TREE Project/Nick Beresford, Sergey Gashchack</span></span>
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</figure>
<p>Il existe une opportunité de préserver, à Tchernobyl, une zone presque unique en Europe : un lieu dédié non seulement à la mémoire de l’accident, mais aussi à l’étude et à la conservation de la nature. L’entretien de cette vaste zone sera vital pour la conservation d’une multitude d’espèces menacées.</p>
<p>Ainsi, 35 ans après l’accident nucléaire qui devait mettre fin à toutes formes de vie dans cette région pour des milliers d’années, Tchernobyl est devenu l’un des grands refuges européens pour les loups persécutés. Et cela devrait continuer ainsi.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/159786/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Germán Orizaola reçoit des financements du ministère des Sciences et de l'Innovation (Espagne) par le biais du programme " Ramón y Cajal " (RyC-2016-20656), de la Principauté des Asturies par le biais du " Programa Grupos de Investigación " (IDI/2018/000151) et de la British Ecological Society (SR20-1169).</span></em></p>Trente-cinq ans après l’accident nucléaire, Tchernobyl est devenu un refuge pour les loups, chassés dans toute l’Europe.Germán Orizaola, Investigador Ramón y Cajal, Universidad de OviedoLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1593752021-04-23T20:33:58Z2021-04-23T20:33:58ZThree Mile Island, Tchernobyl, Fukushima : le rôle des accidents dans la gouvernance nucléaire<p>Jusque dans les années 1970, les centrales nucléaires étaient jugées intrinsèquement sûres, par conception. L’accident était appréhendé comme hautement improbable, pour ne pas dire impossible <a href="https://www.youtube.com/watch?v=_0P9S4F4KpQ">par les concepteurs et exploitants</a> ; cela en dépit d’<a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/14682745.2020.1806239">incidents récurrents</a> qui ne faisaient l’objet d’aucune publicité.</p>
<p>Tout bascule en 1979 avec l’accident Three Mile Island (TMI) aux États-Unis. Largement médiatisé malgré l’absence de victimes, il apporte la preuve qu’un accident dit « majeur », ici avec fusion du cœur, est possible.</p>
<p>Dans les décennies suivantes, deux autres accidents majeurs, classés 7 sur l’échelle INES, surviennent : Tchernobyl en 1986 et Fukushima en 2011.</p>
<h2>Le tournant des années 1980</h2>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/396778/original/file-20210423-13-utcxw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/396778/original/file-20210423-13-utcxw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/396778/original/file-20210423-13-utcxw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/396778/original/file-20210423-13-utcxw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/396778/original/file-20210423-13-utcxw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/396778/original/file-20210423-13-utcxw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/396778/original/file-20210423-13-utcxw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/396778/original/file-20210423-13-utcxw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les niveaux de classements des événements sur l’échelle INES.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.irsn.fr/FR/connaissances/Mediatheque/pages/Detail_Mediatheque_v2.aspx?GuidWeb=a1de7c68-6d78-4537-9e6a-e2faebed3900&GuidList=7cf45785-558c-4f48-9bd2-552aeae2c1a4&GuidItem=3&imgId=0965fc7f-a48d-4c73-b225-7dbd5fa2cd22|1&Cible=1">IRSN</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Nous ne reviendrons ici, ni sur cette catégorisation, ni sur l’invention, après l’accident de Tchernobyl, de l’échelle INES permettant de classer les événements anti-sécuritaires sur une échelle graduée, allant d’un simple écart à la norme jusqu’à l’accident majeur.</p>
<p>Nous partirons de la conversion, à partir de 1979, de l’accident comme événement inenvisageable en événement possible, appréhendé et présenté par les experts nucléaires comme une opportunité d’apprentissage et d’amélioration.</p>
<p>Dès lors, l’accident offre l’occasion de « tirer les leçons » afin de renforcer la sûreté nucléaire, dans une démarche d’amélioration continue.</p>
<p>Mais quelles leçons exactement ? Le dernier accident en date, Fukushima, a-t-il conduit à des évolutions profondes dans la gouvernance des risques nucléaires, à l’instar de Tchernobyl ?</p>
<h2>La fin de la logique de la faute</h2>
<p>Three Mile Island est souvent présenté comme le premier accident nucléaire : en dépit des barrières techniques et procédurales alors en place, l’accident a lieu, il est donc possible.</p>
<p>Certains, comme le sociologue Charles Perrow, le qualifient même de « normal », au sens d’inévitable, du fait de la complexité des installations nucléaires et du couplage fort – c’est-à-dire des interdépendances très fortes entre les éléments composant le système –, susceptibles d’entraîner des « effets boule de neige » difficilement maîtrisables.</p>
<p>Du côté des experts institutionnels, industriels et académiques, l’analyse de l’accident modifie la vision de la place de l’homme dans ces systèmes et de l’erreur humaine : de problème moral, imputable aux « mauvais comportements » humains, il devient un problème systémique, imputable à une mauvaise conception du système.</p>
<p>Rompant avec la logique de la faute, ces leçons ont ouvert la voie à la systématisation du retour d’expérience, prônant une logique de transparence et d’apprentissage.</p>
<h2>Tchernobyl et la gouvernance des risques</h2>
<p>C’est avec Tchernobyl que l’accident devient « organisationnel », conduisant les organisations nucléaires comme les pouvoirs publics à lancer des réformes structurantes des doctrines de sûreté, fondées sur la reconnaissance du caractère essentiel des « problèmes d’organisation et de culture […] à la sûreté des opérations » (<a href="https://www-pub.iaea.org/MTCD/Publications/PDF/P083_scr.pdf">AIEA, 1999</a>).</p>
<p>C’est aussi Tchernobyl qui initie des évolutions majeures des modalités de gouvernance des risques, aux échelles internationale, européenne et française. Un ensemble d’organisations et de dispositions législatives et réglementaires font alors leur apparition, dans le double souci de tirer les leçons de l’accident survenu dans la centrale ukrainienne et d’éviter qu’un tel accident se produise ailleurs.</p>
<p>La loi du 13 juin 2006 relative à la « transparence et à la sécurité en matière nucléaire » (dite TSN) qui promulgue, entre autres, le statut de l’ASN comme Autorité administrative indépendante du gouvernement, en est une manifestation emblématique.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"724999024999194625"}"></div></p>
<h2>Une possibilité pour chaque pays</h2>
<p>25 ans après Tchernobyl, c’est le Japon qui fait l’expérience d’un accident au sein de la centrale de Fukushima-Daïchi.</p>
<p>Tandis que l’accident survenu en 1986 pouvait être imputé, pour partie, <a href="https://theconversation.com/la-serie-chernobyl-reecrit-elle-lhistoire-122242">au régime soviétique et à sa technologie RBMK</a>, la catastrophe de 2011 concerne une technologie de conception américaine et un pays que beaucoup considèrent à la pointe de la modernité.</p>
<p>Avec Fukushima, l’accident grave redevient une possibilité qu’aucun pays ne saurait écarter. Il ne donne pourtant pas lieu aux mêmes mobilisations que celui de 1986.</p>
<h2>Fukushima, point de rupture ?</h2>
<p>Dix ans après la catastrophe japonaise, on peut en effet faire le constat que celle-ci n’a pas initié de rupture profonde : ni dans la manière de concevoir, maîtriser et contrôler la sûreté des installations ; ni dans les plans et dispositifs conçus pour gérer une crise similaire en France (ou en Europe).</p>
<p>C’est ce que montrent notamment les travaux réalisés dans le cadre du <a href="https://web.imt-atlantique.fr/x-ssg/projetagoras/index.php">projet de recherche Agoras</a>.</p>
<p>S’agissant de la préparation à la gestion de crise, Fukushima a conduit à réinterroger les frontières temporelles entre phase d’urgence et phase post-accidentelle, et à investir davantage cette dernière.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1244897086358851585"}"></div></p>
<p>Cette catastrophe a également conduit les autorités françaises à publier, en 2014, un plan de préparation à la gestion d’un accident nucléaire, faisant entrer ce dernier dans le régime commun de la gestion de crise.</p>
<p>Ces deux éléments se sont traduits par un renforcement du volet sécurité civile dans les exercices nationaux de gestion de crise conduits annuellement en France.</p>
<p>Mais comme le souligne de <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2019-4-page-43.htm">récents travaux</a>, l’observation de ces exercices nationaux n’a pas révélé d’évolution significative, ni dans leur organisation et leur déroulement ; ni dans le contenu des plans et dispositifs, ni plus généralement dans la manière d’appréhender une crise résultant d’un accident majeur. À l’exception toutefois de la création de groupes nationaux capables d’intervenir rapidement sur site (la FARN).</p>
<h2>Des changements limités</h2>
<p>On peut certes considérer qu’à l’image des effets induits par les accidents de Three Mile Island et de Tchernobyl, les transformations structurelles prennent du temps et qu’il est peut-être encore trop tôt pour constater une absence de changements significatifs.</p>
<p>Mais les travaux menés dans le cadre d’Agoras nous <a href="https://agoras2019.sciencesconf.org/">amènent à formuler l’hypothèse</a> que les changements demeureront limités ; cela pour deux raisons.</p>
<p>Une première raison tient au fait que des changements structurels ont été entrepris dans les 20 ans qui ont suivi l’accident de Tchernobyl ; on a vu la mise en place d’organisations dédiées à la prévention des accidents et à la préparation à la gestion de crise – comme l’ASN en France, ou encore des organismes de coopération européens (WENRA, ENSREG) et internationaux.</p>
<p>Ceux-ci ont entamé un travail continu sur les accidents nucléaires, développant progressivement des outils de compréhension et de réponse, ainsi que des mécanismes de coordination entre responsables publics et industriels, nationaux et internationaux.</p>
<p>Ces outils ont été « activés » à la suite de l’accident de Fukushima et ont permis de proposer rapidement une explication de cet accident, d’engager des procédures communes comme les évaluations complémentaires de sûreté (les fameux « stress tests »), et de proposer collectivement des révisions limitées des normes existantes de la sûreté nucléaire.</p>
<p>Ce travail a <a href="https://journals.openedition.org/sdt/14611">permis de normaliser l’accident</a>, en le faisant entrer dans les organisations et cadres de pensée existants de la sûreté nucléaire.</p>
<p>Cela a contribué à établir la conviction, parmi les professionnels du secteur et les pouvoirs publics français, que le régime de gouvernance en place était en mesure de prévenir et de faire face à un événement de grande ampleur, sans qu’il soit nécessaire de le réformer profondément.</p>
<h2>L’inertie du système français</h2>
<p>Une deuxième raison tient aux relations étroites qu’entretiennent en France les acteurs majeurs de la filière nucléaire civile (exploitants – EDF en premier lieu – et régulateurs – l’ASN et son appui technique l’IRSN), notamment autour de la définition et de l’évaluation des mesures de sûreté dans les centrales.</p>
<p>Ces relations sont constitutives d’un système d’action organisé exceptionnellement stable. L’accident de Fukushima a offert, un bref instant, une fenêtre d’opportunité pour imposer des mesures supplémentaires aux exploitants.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lheure-des-comptes-a-sonne-pour-le-nucleaire-francais-58174">L’heure des comptes a sonné pour le nucléaire français</a>
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<p>Mais cette fenêtre s’est rapidement refermée, et le système d’action a retrouvé sa stabilité. On observe l’inertie de ce système dans la production de nouveaux instruments de régulation, dont la conception et la mise à jour prennent plusieurs années.</p>
<p>On la retrouve également dans l’organisation des exercices de gestion de crise, qui <a href="https://journals.openedition.org/sociologie/7581">continuent de perpétuer les distinctions</a> sûreté-sécurité, accident-crise, intérieur de l’installation-environnement, et plus largement technique-politique – autant de distinctions qui préservent la forme et le contenu des relations qu’entretiennent régulateurs et exploitants.</p>
<h2>Apprendre des accidents</h2>
<p>À l’instar de Tchernobyl, Fukushima a d’abord été appréhendé comme un événement exceptionnel : en insistant sur la rencontre entre un tsunami de taille inédite et la centrale nucléaire, en mettant en avant l’absence d’agence de régulation indépendante au Japon, en insistant sur le respect excessif des Japonais pour la hiérarchie, il s’est agi de construire un événement singulier, pour postuler qu’il ne pouvait se reproduire à l’identique dans d’autres régions du monde.</p>
<p>Mais dans le même temps s’est opéré, notamment en France, un processus de normalisation, ne portant pas tant sur l’événement lui-même, que sur les risques qu’il représente pour l’organisation de la filière nucléaire, soit des acteurs et de formes de savoirs légitimes et autorisés.</p>
<p>Le processus de normalisation a ainsi abouti à faire entrer l’accident dans des catégories, institutions et dispositifs existants, afin de démontrer leur capacité à en prévenir l’occurrence et, si un accident survenait, à en limiter l’impact.</p>
<p>Il résulte d’un travail de délimitation de frontières, certaines parties cherchant à les maintenir, d’autres les contestant et travaillant à les déplacer.</p>
<p>On observe finalement le maintien de frontières auxquelles les acteurs de la filière (opérateurs et régulateurs) tiennent fortement : entre technique et politique, et entre experts et profanes.</p>
<h2>Questionner sans relâche la gouvernance nucléaire</h2>
<p>Si l’accident de Fukushima a pu être saisi par des acteurs politiques ou de la société civile pour contester la gouvernance de la filière nucléaire et son caractère « fermé », très vite aux échelles européenne et française, opérateurs et régulateurs ont entrepris de démontrer leur capacité, autant à prévenir un tel accident qu’à en gérer les conséquences ; cela afin de suggérer que l’on pouvait continuer à leur confier la régulation de ce secteur.</p>
<p>Quant au mouvement d’ouverture vers les acteurs de la société civile, celui-ci a été amorcé bien avant l’accident Fukushima (notamment avec la loi TSN de 2006), et ce dernier a, au mieux, prolongé une tendance préexistante.</p>
<p>Mais d’autres frontières semblent ces dernières années émerger ou se renforcer, notamment entre facteur technique et facteurs humain et organisationnel ou entre l’exigence de sûreté et les autres exigences des organisations nucléaires (performance économique et industrielle en particulier), sans que l’on sache précisément si cela est lié ou non aux accidents.</p>
<p>Ces mouvements, qui vont de pair avec une <a href="https://www.cairn.info/revue-gerer-et-comprendre-2017-4-page-76.htm">bureaucratisation des relations</a> entre le régulateur et son expert technique et entre ceux-ci et les opérateurs, appellent de nouvelles recherches à même de questionner leurs effets sur les fondements de la gouvernance des risques nucléaires.</p>
<h2>Se parler et s’entendre</h2>
<p>Les mêmes causes produisant les mêmes conséquences, c’est bien dans la fermeture de la filière nucléaire à toute forme de <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/03085147.2011.637335">« savoir inconfortable »</a>, selon le concept de Steve Rayner, que le bât blesse.</p>
<p><a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.2307/41165243">La recherche en sciences sociales</a> a depuis longtemps démontré la nécessité dans l’étude des problèmes complexes d’associer une pluralité d’acteurs de profil et de formation différents, pour un travail qui dépasse les frontières disciplinaires et institutionnelles.</p>
<p>Chercheurs en sciences sociales, ingénieurs et pouvoirs publics doivent se parler et, surtout, s’entendre. Cela signifie être prêts, pour les ingénieurs ou décideurs, à prendre en compte des faits ou savoirs susceptibles de remettre en cause des doctrines et arrangements établis et leur légitimité.</p>
<p>Les chercheurs en sciences sociales, eux, doivent être prêts à franchir les portes des organisations nucléaires, pour s’approcher au plus près de leur fonctionnement ordinaire, écouter ses acteurs, observer les situations de travail.</p>
<p>Mais notre expérience, notamment dans le cadre d’Agoras, nous montre que ce travail est non seulement long et coûteux, mais également semé d’embûches. Car même lorsqu’un acteur finit par être convaincu du bien-fondé de tel ou tel savoir, les relations étroites d’interdépendance qu’il entretient avec les autres acteurs de la filière, constitutives du système de gouvernance, compliquent pratiquement son opérationnalisation et, par suite, préviennent des évolutions majeures des modalités de gouvernance.</p>
<p>Finalement, le couplage fort caractérisant le système de gouvernance de la filière nucléaire en constitue sans doute l’une des vulnérabilités.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/159375/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stéphanie Tillement a reçu des financements du programme Investissements d’avenir et de l'ANR, dans le cadre du projet Agoras. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Olivier Borraz a reçu des financements du programme Investissements d’avenir et de l’ANR dans le cadre du projet Agoras.</span></em></p>Depuis les années 1980, les accidents nucléaires sont envisagés comme une opportunité d’apprentissage et d’amélioration de la sûreté.Stéphanie Tillement, Sociologue, IMT Atlantique – Institut Mines-TélécomOlivier Borraz, Directeur de recherche CNRS - Centre de Sociologie des Organisations, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1594102021-04-23T20:33:52Z2021-04-23T20:33:52ZRisques nucléaires : à quand la fin du monopole des experts internationaux ?<p>En décembre 2020, vingt ans après la fermeture définitive de la centrale, le ministère de la Culture de l’Ukraine a annoncé son intention de préparer la demande d’inscription de certains objets dans la zone d’exclusion autour de Tchernobyl sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco.</p>
<p>Le ministère prévoyait de soumettre sa demande au printemps 2021, une façon de marquer le 35<sup>e</sup> anniversaire de l’accident, le 26 avril.</p>
<p>Ce projet permettrait de mettre en place un dispositif de préservation du site, mais surtout de mettre en valeur son importance historique universelle.</p>
<h2>Sur la liste de l’Unesco</h2>
<p>Deux sites liés au passé sombre du nucléaire figurent déjà sur la liste de l’Unesco : le <a href="https://whc.unesco.org/fr/list/775/">Mémorial de la paix d’Hiroshima</a> et le <a href="https://whc.unesco.org/fr/list/1339/">Site d’essais nucléaires de l’atoll de Bikini</a>.</p>
<p>Le site de Tchernobyl symboliserait, lui, la longue histoire des accidents qui ont marqué l’âge de l’atome, de <a href="http://www.environmentandsociety.org/arcadia/nuclear-disaster-kyshtym-1957-and-politics-cold-war">Kyshtym</a> à <a href="https://www.laradioactivite.com/site/pages/Windscale.htm">Windscale</a> (1957) et de <a href="https://www.irsn.fr/FR/connaissances/Installations_nucleaires/Les-accidents-nucleaires/three-mile-island-1979/Pages/L-accident-de-Three-Mile-Island.aspx#.YIAaMj86-Uk">Three Mile Island</a> (1979) à Fukushima (2011), dont on a marqué le dixième anniversaire cette année.</p>
<p>Qui plus est, l’accident de Tchernobyl marque un moment particulier de cette histoire, à savoir le début de l’institutionnalisation de la gestion internationale des conséquences des accidents nucléaires, dont on a pu pleinement mesurer l’emprise au moment de l’accident de Fukushima.</p>
<h2>Un ensemble restreint d’organisations</h2>
<p>Si les origines des accidents sont le plus souvent expliquées par des facteurs liés au développement de l’industrie nucléaire et de ses instances régulatrices à l’échelle nationale, la « gestion » de leurs conséquences dépasse progressivement les frontières nationales.</p>
<p>À ce titre, l’accident de Tchernobyl va consacrer la monopolisation de l’autorité du savoir sur les radiations ionisantes par un ensemble restreint d’organisations – l’<a href="https://www.iaea.org/fr">Agence internationale de l’énergie atomique</a> (AIEA), la <a href="https://www.asn.fr/L-ASN/Relations-internationales/Les-relations-multilaterales/Les-cadres-institutionnels/La-Commission-internationale-de-protection-radiologique-CIPR">Commission internationale de radioprotection (CIPR)</a> et le <a href="http://www.unscear.org/unscear/fr/">Comité scientifique des Nations unies pour l’étude des effets des rayonnements ionisants</a> (UNSCEAR).</p>
<p>Par un jeu d’alliances et de cooptations, ces organisations se constituent en un ensemble monolithique sur le risque radiologique.</p>
<h2>Renvoi à une marginalité militante</h2>
<p>À partir de ce moment, les points de vue différents, qu’ils soient portés par des individus, scientifiques « dissidents », comme <a href="https://www.kbaverstock.org/">Keith Baverstock</a> qui a dirigé le programme de radioprotection au Bureau régional de l’<a href="https://www.who.int/fr">Organisation mondiale de la Santé</a> pour l’Europe, ou appartenant à des organisations telles que l’<a href="https://www.ippnw.org/about">International association of Physicians for the Prevention of Nuclear War (IPPNW)</a>, seront délégitimés, et renvoyés à une forme de marginalité militante.</p>
<p>Ce monopole se traduit par une internationalisation de la gestion de l’accident qui repose sur une série d’outils que nous nous proposons d’examiner ici. Ces outils visent à une « normalisation » de la situation post-accidentelle en dépolitisant la gestion des risques liés aux retombées radioactives.</p>
<p>Ils consacrent le pouvoir des experts proches des organisations nucléaires internationales de déterminer ce que sont les sacrifices acceptables en matière de santé et d’environnement.</p>
<p>Comme le soulignent les physiciens <a href="http://chernobyl-day.org/article/tchernobyl-une-catastrophe-de/">Bella et Roger Belbéoch</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Loin de mettre en cause le pouvoir qu’ils se sont assuré dans la société, la catastrophe nucléaire leur permet de se constituer en un corps unifié international aux pouvoirs encore renforcés. C’est au moment où les experts scientifiques ne peuvent plus rien promettre d’autre que la gestion des catastrophes que leur pouvoir s’installe de façon inéluctable. »</p>
</blockquote>
<h2>À Fukushima</h2>
<p>Ce monopole sur le savoir et la gestion de l’accident est bien présent au Japon en 2011, lors de la mise en place des mesures par les autorités japonaises, qui en se référant largement aux normes internationales, ont repoussé les contestations : l’accident était traité par les experts.</p>
<p>Cependant, un basculement s’opère lorsque le rapporteur de l’ONU <a href="https://fukushima.eu.org/selon-le-rapporteur-special-de-lonu-le-japon-doit-stopper-le-retour-des-enfants-et-jeunes-femmes-dans-les-territoires-contamines/">critique sévèrement</a> la gestion de la catastrophe par Tokyo.</p>
<p>Sur un tout autre plan, de nouveaux outils d’analyse proposés par les sciences sociales, comme la « production de l’ignorance », offrent un cadre d’analyse permettant d’extraire les critiques du seul registre du débat d’experts, ouvrant la voie à une repolitisation de l’accident et de ses conséquences.</p>
<h2>Rendre gérable l’accident nucléaire</h2>
<p>Mais, en premier lieu : comment rend-on gérable un accident nucléaire qui, comme cela a été le cas à Tchernobyl et à Fukushima, provoque de très importants rejets de particules radioactives, se propageant autour du globe et contaminant de façon durable des dizaines de milliers de kilomètres carrés ?</p>
<p>Plusieurs centaines de milliers de personnes ont été évacuées ou relogées de ces territoires, des centaines de milliers d’autres continuent encore aujourd’hui à y vivre dans un environnement affecté par la radioactivité.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/8KYpYrYKXdA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Le « zonage », c’est-à-dire la répartition de ces territoires en plusieurs « zones » en fonction de la densité de la contamination et des mesures de protection nécessaires, a été le premier instrument qui a permis, au Japon et dans l’ex-Union soviétique, de rendre l’accident maîtrisable.</p>
<p>Ainsi, par exemple, la politique gouvernementale mise en place par différents acteurs au Japon a reposé sur l’établissement de zones successives au cours des jours qui ont suivi la catastrophe : zones évacuées et décontaminées avec ensuite « levée d’ordre d’évacuation », zones « difficiles pour le retour » dans lesquelles la contamination radiologique reste élevée, et zones restant interdites.</p>
<p>Ce dispositif de zonage mis en place par le gouvernement japonais s’inscrit dans un cadre réglementaire établi par les deux grandes institutions nucléaires internationales que sont l’AIEA et la CIPR.</p>
<h2>Le seuil radiologique</h2>
<p>Le dispositif repose en particulier sur le choix d’un seuil radiologique à partir duquel seront évacuées les populations.</p>
<p>La CIPR fixe la dose limite pour le public en temps ordinaire à 1 millisievert (mSv)/an. Depuis 2007, la CIPR autorise les autorités gouvernementales à relever ce seuil (de 1 à 20m Sv/an) en cas d’accident nucléaire.</p>
<p>Lorsque les autorités japonaises, tout comme les autorités soviétiques en 1986, choisissent de relever le seuil suite à l’accident, elles le justifient en termes de quasi-absence de risques sanitaires.</p>
<p>Au Japon, les représentants du gouvernement considèrent que le risque de développer un cancer suite à une exposition à une dose inférieure ou égale à 100mSv est si faible selon « le consensus (scientifique) international, (qu’)il est invisibilisé par les effets cancérogènes d’autres facteurs ».</p>
<h2>Limiter les évacuations et les compensations</h2>
<p>La sociologue et historienne des sciences <a href="http://www.fondationecolo.org/activites/publications/Les-Notes-de-la-FEP-8-Catastrophes-nucleaires-et-normalisation-des-zones-contaminees">Sezin Topçu</a> montre comment ce dispositif de zonage, qui s’est imposé comme une modalité essentielle de gestion de l’accident nucléaire, est avant tout un outil permettant de limiter les évacuations et les compensations des dommages causés par l’accident, puisque leurs coûts (économiques, politiques ou sociaux) seraient prohibitifs pour l’industrie nucléaire et pour l’État.</p>
<p>Cette approche par l’optimisation est par ailleurs consacrée au niveau international dans les recommandations émises par l’AIEA et la CIPR.</p>
<p>Ainsi, dans le cas japonais, le seuil de 20 mSv/an aurait été <a href="https://www.radioprotection.org/fr/articles/radiopro/full_html/2020/01/radiopro200005/radiopro200005.html">choisi</a> en partie pour éviter d’évacuer la région de Naka Dori et ses grandes villes : le tracé permettait de limiter les zones d’évacuation, en évitant d’évacuer les grandes villes du centre de la préfecture, dont Fukushima.</p>
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<p>Le relèvement du seuil à 20 mSv, à peine annoncé par les autorités japonaises a été l’objet d’une large contestation, institutionnelle et associative, rouvrant ainsi la question de la dangerosité des faibles doses de radiations ionisantes.</p>
<p>La dénonciation de ce seuil vient en premier lieu de l’intérieur : le conseiller spécial en radioprotection du Cabinet du premier ministre, le professeur Toshiso Kosako, <a href="http://japanfocus.org/events/view/83">démissionne</a> en larmes le 30 avril 2011 :</p>
<blockquote>
<p>« Je ne peux pas accepter un tel seuil, appliqué aux bébés, enfants, et élèves des écoles primaires, pas seulement d’un point de vue universitaire, mais aussi en raison de mes valeurs humanistes. »</p>
</blockquote>
<h2>De nombreuses critiques</h2>
<p>Au niveau international, la décision de relever le seuil est aussi critiquée par les deux Rapporteurs spéciaux successifs des Nations unies, Anand Grover et Baskut Tuncak. Qui plus est, les deux experts remettent en question les fondements mêmes de la radioprotection, qui reposent sur le principe ALARA : As Low as Reasonably Achievable (« aussi bas qu’il est raisonnablement possible »).</p>
<p>Ce « raisonnablement » indique que des critères autres que sanitaires sont pris en compte, ce que <a href="https://ap.ohchr.org/documents/dpage_e.aspx?si=A/HRC/23/41/Add.5/Rev.1">Grover critique</a>, en se référant au « droit à la santé ». Le rapporteur précise en effet que « les recommandations de la CIPR sont basées sur le principe d’optimisation et de justification, selon lesquelles toutes les actions du gouvernement doivent maximiser les bénéfices sur le détriment. Une telle analyse risque-bénéfice n’est pas en accord avec le cadre du droit à la santé, parce qu’elle donne la priorité aux intérêts collectifs sur les droits individuels ».</p>
<p>Baskut Tuncak reprend les critiques de Grover dans son <a href="https://www.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=23772&LangID=E">rapport</a> publié en octobre 2018, en y précisant que « la décision du gouvernement japonais de multiplier par 20 ce qui est considéré comme le niveau acceptable d’exposition à la radiation est profondément troublante ».</p>
<h2>Mieux protéger les individus</h2>
<p>Les arguments similaires ont également été utilisés par des scientifiques biélorusses et ukrainiens qui se sont opposés, à la fin des années 1980, à la limite de dose de 35 rem (350msv) pour 70 ans de vie – une limite que les experts soviétiques de Moscou, avec le soutien des représentants de la CIPR, dont le chef du Service central de protection contre les rayonnements ionisants français Pierre Pellerin, essayaient d’imposer comme fondement de toutes les mesures d’intervention post-accidentelles.</p>
<p>Les chercheurs biélorusses et ukrainiens considèrent le critère de 35 rem comme inacceptable non seulement du point de vue scientifique mais également et surtout éthique.</p>
<p>Ils mettent en avant que dans les conditions d’incertitude de la science quant aux effets des rayonnements ionisants, il est dangereux de sous-évaluer les risques que la radioactivité représente pour les habitants des territoires affectés et considèrent que les autorités du pays ont une obligation morale de consacrer tous les moyens nécessaires à une plus grande protection des habitants des régions affectées, et en particulier <a href="https://www.editionspetra.fr/livres/les-politiques-de-la-radioactivite-tchernobyl-et-la-memoire-nationale-en-bielorussie">aux individus les plus vulnérables</a>.</p>
<h2>La dangerosité des faibles doses</h2>
<p>Les protagonistes de l’optimisation de la radioprotection dans le contexte post-accidentel insistent sur l’absence d’études prouvant des effets sanitaires importants en dessous de ces seuils.</p>
<p>Pendant longtemps, les arguments pour et contre ces seuils ont été abordés dans l’espace public ainsi que par les chercheurs en sciences sociales en termes de <a href="https://www.jstor.org/stable/41822210?seq=1">« controverses »</a> scientifiques et médicales – opposant les scientifiques liés à la sphère nucléaire qui ont longtemps nié la dangerosité des faibles doses, à des scientifiques hors de cette sphère, considérant que ces effets étaient sous-evalués.</p>
<p>La question de la dangerosité des <a href="https://theconversation.com/explainer-how-much-radiation-is-harmful-to-health-17906">faibles doses</a> de radioactivité est un des exemples les plus connus de telles controverses qui resurgissent régulièrement en dépit du développement des connaissances scientifiques sur ces risques.</p>
<p>Loin de survenir au moment de l’accident de Fukushima, elle s’inscrit dans un temps long et fait partie de « motifs » qui sont également présents dans les débats sur Tchernobyl ainsi que sur d’autres accidents nucléaires comme celui de <a href="https://www.cairn.info/revue-raison-presente-2017-4-page-61.htm">Kyshtym</a>, en Russie en 1957.</p>
<h2>Des mécanismes de production d’ignorance</h2>
<p>Plus récemment cependant, différents chercheurs en sciences sociales ont <a href="https://www.berghahnjournals.com/view/journals/ame/14/2/ame140202.xml">proposé</a> d’appréhender le maintien d’une position rassurante sur ces dangers comme <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/la_science_asservie-9782707173690">relevant des mécanismes de production d’ignorance</a>.</p>
<p>La production d’ignorance, qui peut être aussi bien involontaire qu’intentionnelle, a été analysée initialement pour de nombreux risques, comme le <a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre-golden-holocaust-la-conspiration-des-industriels-du-tabac-de-robert-proctor">tabac</a>.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/de-lagnotologie-production-de-lignorance-88500">De l’agnotologie, production de l’ignorance</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Aborder les risques radiologiques en termes de production d’ignorance permet de rompre avec l’<a href="https://www.seuil.com/ouvrage/uranium-africain-une-histoire-globale-gabrielle-hecht/9782021166002">« exceptionnalisme »</a> dont a longtemps bénéficié la question nucléaire, et d’inscrire les dangers des radiations ionisantes dans le champ plus large des risques sanitaires et de ses banals enjeux de pouvoir.</p>
<h2>Minimiser la gravité</h2>
<p>La gestion internationalisée des catastrophes nucléaires repose en fait sur différents mécanismes de production d’ignorance. Ainsi, la spécialiste en sociologie des sciences Olga Kuchinskaya décrit la <a href="https://mitpress.mit.edu/books/politics-invisibility">« politique d’invisibilisation »</a>, qui a été menée après la catastrophe de Tchernobyl.</p>
<p>Elle souligne que la mise en évidence des effets des radiations ionisantes dépend de l’existence d’infrastructures matérielles – telles que des appareils de mesure, systèmes d’information et équipements –, mais aussi institutionnelles (par exemple, suivre une cohorte de personnes pour rendre visibles des effets sanitaires dépend de cette articulation entre éléments matériels et institutionnels).</p>
<p>Cette infrastructure est fort coûteuse et, dans le cas de Tchernobyl, n’a pas été maintenue sur la durée. Qui plus est, le bilan sur les effets des radiations a été essentiellement pris en charge par des institutions internationales alors même que les médecins et chercheurs locaux, de leur côté, mettaient en évidence un tableau complètement différent et beaucoup plus alarmant de la situation sanitaire.</p>
<p><a href="https://www.actes-ud.fr/catalogue/tchernobyl-par-la-preuve">Kate Brown</a> décrit de son côté comment différentes instances internationales, et en premier lieu l’AIEA et l’OMS, se sont employées à redéfinir les effets sanitaires de Tchernobyl, à minimiser leur gravité, et ainsi à produire activement de « l’ignorance » à propos de l’impact de la catastrophe.</p>
<p>Cette non-connaissance a été en fait un instrument crucial qui a rendu la catastrophe « gérable » et a permis, comme le souligne <a href="https://press.princeton.edu/books/paperback/9780691151663/life-exposed">Adriana Petryna</a>, « le déploiement d’une connaissance faisant autorité, spécialement quand elle s’applique à la gestion de la population exposée ».</p>
<h2>Le monopole des experts internationaux, jusqu’à quand ?</h2>
<p>En remettant en cause le caractère « exceptionnel » du nucléaire et des rayonnements ionisants, ces critiques, qu’elles soient émises au sein des instances onusiennes ou par des chercheurs en sciences sociales, ouvrent la voie à un questionnement du monopole des institutions internationales nucléaires pour apprécier le risque radiologique et cadrer les politiques dites « post-accidentelles ».</p>
<p>Une repolitisation de la gestion des conséquences d’un accident qui fait entrer la « gestion » d’un accident nucléaire dans le cadre plus large des droits humains devient alors possible.</p>
<p>Lors du prochain accident nucléaire, il n’est pas certain que les citoyens acceptent que le pouvoir de ces experts internationaux « s’installe de façon inéluctable » en décidant à leur place quel est le risque acceptable.</p>
<p>La fin du monopole de ces experts permettrait un véritable débat sur les risques du nucléaire. Au moment où de nombreuses voix se prononcent en faveur du développement de l’énergie atomique en tant que moindre mal face au changement climatique, un tel débat devient urgent.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/159410/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Tatiana Kasperski a reçu des financements de Riksbankens Jubileumsfond, Suède et de National Science Foundation, États-Unis. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Christine Fassert ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La gestion internationale des accidents nucléaires, prétendument dépolitisée, ne va pas sans poser un certain nombre de problèmes.Christine Fassert, Socio-anthropologue, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneTatiana Kasperski, Chercheure associée - Departement des Humanités, Universitat Pompeu FabraLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1595742021-04-23T20:33:47Z2021-04-23T20:33:47ZPlus de trois décennies après Tchernobyl, la Russie joue crânement la carte nucléaire<p>Catastrophe humanitaire, sociale et environnementale, Tchernobyl a eu un impact majeur sur l’industrie nucléaire mondiale, entraînant la <a href="https://www.sortirdunucleaire.org/Le-nucleaire-et-l-Italie-des">sortie du nucléaire de l’Italie</a>, l’élan du <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2010/11/09/le-mouvement-anti-nucleaire-une-histoire-allemande_1437846_3214.html">mouvement anti-nucléaire en Allemagne</a>, l’<a href="https://www.vox.com/2016/2/29/11132930/nuclear-power-costs-us-france-korea">arrêt de la construction de nouvelles centrales pour un tiers de siècle aux États-Unis</a> et une perte importante du savoir-faire au <a href="https://www.world-nuclear.org/information-library/country-profiles/countries-t-z/united-kingdom.aspx">Royaume-Uni</a>, un pays <a href="http://large.stanford.edu/courses/2017/ph241/selvan1/">à l’origine du développement de l’industrie</a>. Et, bien entendu, Tchernobyl a aussi détruit la réputation de la filière nucléaire soviétique. Pourtant, la Fédération de Russie, surgie des décombres de l’URSS en 1991, accorde une place de plus en plus importante à cette énergie.</p>
<p>Des décennies après la tragédie, <a href="https://rosatom.ru/about/">20 % de la production électrique russe</a> proviennent en effet du nucléaire, dont la part dans le mix énergétique n’a cessé de croître tout au long des années 2000. La Russie est le <a href="https://pris.iaea.org/PRIS/WorldStatistics/NuclearShareofElectricityGeneration.aspx">quatrième producteur d’énergie nucléaire dans le monde</a>, après les États-Unis, la France et la Chine. Elle est également le <a href="https://www.world-nuclear.org/information-library/nuclear-fuel-cycle/mining-of-uranium/world-uranium-mining-production.aspxelleestpr%C3%A9sent%C3%A9eensepti%C3%A8meposition">septième producteur d’uranium</a>, et fabrique 17 % du combustible nucléaire.</p>
<p>Outre son rôle clé dans la <a href="https://minenergo.gov.ru/node/1026">Stratégie énergétique russe</a>, l’énergie nucléaire est un véritable <a href="https://www.sipri.org/sites/default/files/2019-02/eunpdc_no_61_final.pdf">levier de l’influence géoéconomique de la Russie dans le monde</a>. Cette filière, qui est l’un des rares secteurs russes hautement technologiques à l’export (aux côtés des secteurs de l’espace et de la défense), bénéficie du soutien financier et politique de l’État, qui voit là un moyen efficace d’étendre l’influence de Moscou en Europe et ailleurs, de renforcer l’intégration de l’économie russe dans l’économie mondiale et d’améliorer l’image du pays, nettement dégradée par les multiples aventures géopolitiques du Kremlin et par son bilan domestique en matière de libertés politiques et de droits humains.</p>
<h2>Le rôle central de Rosatom</h2>
<p>Le moteur de cette croissance industrielle est l’entreprise publique Rosatom (« Corporation nationale pour l’énergie atomique » de son nom complet), chargée de représenter les intérêts du gouvernement russe à l’étranger dans les secteurs nucléaires civil et militaire. Héritière du ministère soviétique de l’Énergie nucléaire, Rosatom a été créée en 2007 et dirigée jusqu’en 2016 par l’ancien premier ministre (aujourd’hui chef adjoint de l’administration présidentielle) Sergueï Kirienko. Ce dernier a réussi à consolider l’industrie nucléaire russe, dispersée au cours des années 1990 dans des centaines d’entreprises, sous un seul nom, qui est devenu l’une des rares « marques » russes reconnues à l’étranger.</p>
<p>Aujourd’hui, Rosatom contrôle plus de 400 entreprises et emploie plus de 275 000 personnes. En plus d’être un employeur recherché (et dans certains endroits du pays, unique), Rosatom est un contribuable important, ayant versé l’équivalent d’environ <a href="http://kremlin.ru/events/president/news/63517">3 milliards d’euros</a> au budget en 2019. Dans le même temps, le groupe est l’un des plus grands bénéficiaires du soutien financier de l’État pour la construction de nouvelles centrales nucléaires, en Russie comme à l’étranger. C’est aussi un bras armé de l’État russe, intégré verticalement tout au long de la chaîne de valeur : de l’extraction d’uranium, la production du combustible, la construction de centrales nucléaires et la fabrication d’équipements, l’exploitation et la maintenance, au démantèlement et à la gestion des déchets nucléaires.</p>
<p>Rosatom exploite à la fois la technologie nucléaire civile et militaire, contrôle le « bouton nucléaire » du Kremlin et tient la plume en matière de réglementation sectorielle. Le groupe supervise l’exploitation de la flotte russe de brise-glaces nucléaires et gère le développement de la <a href="https://cqegheiulaval.com/la-route-maritime-du-nord-realite-et-perspectives/">Route maritime du Nord</a>, qui comprend des infrastructures émergentes dans l’Arctique. Rosatom est également en charge de la coopération nucléaire à l’étranger, <a href="https://www.iaea.org/sites/default/files/20/09/russia_eng.pdf">représentant la Russie à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA)</a>. Ses représentants sont détachés auprès des ambassades russes à travers le monde, où ils développent des relations bilatérales avec les États fondées sur la coopération scientifique et technologique.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"897677766388314113"}"></div></p>
<p>Même si la Russie ne peut pas rivaliser avec la <a href="https://www.forumnucleaire.be/theme/dans-le-monde/chine#:%7E:text=Au%20total%2C%20ce%20sont%2039,la%20capacit%C3%A9%20de%20production%20nucl%C3%A9aire.">Chine</a> en termes de vitesse de construction de nouvelles centrales, son rythme constant d’un nouveau réacteur nucléaire tous les deux à trois ans est inatteignable pour l’industrie nucléaire européenne ou américaine. Cette croissance du secteur nucléaire russe a été rendue possible grâce à une politique étatique pro-nucléaire assumée. Alors que pays après pays <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/03/11/la-carte-du-nucleaire-dans-le-monde-apres-fukushima_6072782_3244.html">se retirait du nucléaire suite à l’accident de Fukushima en 2011</a>, le Kremlin n’a jamais cessé de soutenir l’industrie nucléaire nationale. Notamment pour des raisons géopolitiques : des pays récipiendaires de centrales nucléaires russes, et dépendant donc de Moscou dans ce secteur, peuvent se montrer moins enclins à critiquer le Kremlin pour son attitude internationale comme intérieure.</p>
<p>Début 2021, Rosatom construit 2 réacteurs nucléaires en Russie (dans le cadre du renouvellement du parc de 38 réacteurs opérationnels à ce jour) et 10 à l’étranger : 4 en Turquie (projet <a href="http://www.akkunpp.com/index.php?lang=en">Akkuyu</a>, 4800 MW), 2 en cours de la mise en service en Biélorussie (projet <a href="https://ec.europa.eu/info/news/ensreg-approves-preliminary-report-astravets-nuclear-power-plant-2021-mar-04_en">Astravets</a>, 2400 MW), 2 en Hongrie (<a href="https://www.power-technology.com/projects/paks-ii-nuclear-power-plant/">Paks-2</a>, 2400 MW) et 2 au Bangladesh (<a href="https://www.neimagazine.com/news/newsrussia-increases-support-for-bangladeshs-rooppur-nuclear-plant-7830228">Rooppur 1 & 2</a>, 2400 MW).</p>
<p>En outre, 5 sont au stade de la pré-construction : 1 en Finlande (<a href="https://www.power-technology.com/projects/hanhikivi-1-nuclear-power-plant/">Hanhikivi</a>, 1 200 MW) et 4 en Égypte (<a href="https://www.power-technology.com/projects/el-dabaa-nuclear-power-plant/">El-Dabaa</a>, 4 800 MW). Rosatom affiche également 35 nouveaux projets de centrales nucléaires au total, qui se trouvent à différents stades de développement, notamment en <a href="https://lenergeek.com/2018/06/11/rosatom-russe-reacteurs-nucleaires-chine/">Chine</a>, en <a href="https://www.newindianexpress.com/states/tamil-nadu/2019/nov/08/rosatom-seeks-collaboration-with-india-to-develop-small-reactors-2058689.html">Inde</a>, en <a href="https://world-nuclear-news.org/Articles/Rosatom-committed-to-Iranian-plant-project">Iran</a> et en <a href="https://english.alarabiya.net/business/energy/2020/02/10/Russian-state-nuclear-firm-advances-in-bid-process-for-Saudi-project-Rosatom">Arabie saoudite</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"909175890596302850"}"></div></p>
<h2>Le rôle de l’industrie nucléaire russe dans l’image du pays à l’étranger</h2>
<p>La contribution du nucléaire à l’image russe à l’étranger comporte trois éléments essentiels.</p>
<p>Tout d’abord, les prêts et les garanties financières que l’État russe fournit pour la construction de centrales nucléaires par Rosatom, ce qui confère au groupe un avantage concurrentiel déterminant, même en Europe. Citons, à titre d’exemples, le prêt gouvernemental de 10 milliards d’euros octroyé à la Hongrie pour la construction de Paks-2, ou l’achat de 34 % du projet de construction du réacteur nucléaire de Hanhikivi en Finlande. Quant aux pays pauvres primo-accédants au nucléaire, le financement par Moscou des projets de construction ou de recherche qui y sont menés permet au Kremlin d’étendre sa portée géopolitique au-delà de ses sphères d’influence traditionnelles (notamment en Afrique, en Amérique latine, ou encore en Asie du Sud-Est).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"796025065607491584"}"></div></p>
<p>Le deuxième élément tient à la capacité de Rosatom à proposer une gamme complète de services d’énergie nucléaire – conception et ingénierie des réacteurs, construction, exploitation, maintenance, approvisionnement en combustible nucléaire, récupération d’uranium usé, formation des experts locaux… Ce dernier aspect est indispensable pour les pays primo-accédants comme la Turquie, l’Égypte ou le Bangladesh, qui ambitionnent de pouvoir, à terme, exploiter par eux-mêmes leurs centrales nucléaires. En outre, en tant que propriétaire de la technologie, Rosatom est un consultant clé de ses pays clients sur le cadre réglementaire de l’industrie en création chez eux.</p>
<p>Le troisième élément est la domination historique de la technologie nucléaire russe sur certains marchés. C’est particulièrement vrai en Europe, où les technologies des réacteurs soviétiques <a href="https://www.irsn.fr/FR/connaissances/Installations_nucleaires/Les-accidents-nucleaires/accident-tchernobyl-1986/consequences-industrie-nucleaire/Pages/4-Les_reacteurs_VVER.aspx#.YIFvfX0zZEI">VVER</a> et <a href="https://www.irsn.fr/FR/connaissances/Installations_nucleaires/Les-accidents-nucleaires/accident-tchernobyl-1986/consequences-industrie-nucleaire/Pages/3-Les_reacteurs_RBMK.aspx#.YIFvkn0zZEI">RBMK</a> ont été imposées aux États satellites d’Europe centrale et orientale, ainsi qu’aux républiques baltes, pendant la guerre froide. C’est cette présence historique, en plus du financement étatique, qui a facilité l’obtention par Rosatom d’un contrat de construction en Hongrie (même si la conjoncture politique a empêché Rosatom de répliquer ce modèle en Pologne ou en <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/tensions-avec-moscou-prague-exclut-le-russe-rosatom-et-le-vaccin-spoutnik-20210419">République tchèque</a>).</p>
<p>En plus d’accroître l’influence politique de la Russie au sein de l’UE, la construction de nouvelles centrales nucléaires renforce les liens économiques entre le fournisseur russe et les pays clients européens pour les décennies à venir, avec un effet comparable à celui d’un gazoduc. Les étapes consécutives à la construction (fourniture du combustible nucléaire et d’équipements, ainsi que les contrats de maintenance) sont la véritable source de revenus (et d’emplois) pour la Russie pour les années à venir. En outre, le nucléaire permet à Moscou de co-définir le mix énergétique futur de l’Europe, ce qui peut lui donner la possibilité d’avancer ses pions sur d’autres dossiers, notamment <a href="https://theconversation.com/gazoduc-nord-stream-2-une-course-contre-la-montre-158810">celui du gaz</a>.</p>
<h2>Tchernobyl, un traumatisme surmonté ?</h2>
<p>Enfin, à travers ses projets nucléaires en Europe, le Kremlin cherche à améliorer l’image de marque du « nuke russe » aux yeux des pays de l’UE. Son implication dans le projet de Hanhikivi en Finlande s’inscrit pleinement dans cette démarche, car la Russie ne peut que bénéficier de l’association de son image à celle de ce pays européen reconnu dans le monde entier pour le haut niveau d’exigence de son régulateur nucléaire, l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (<a href="https://www.stuk.fi/web/en">STUK</a>).</p>
<p>Car Tchernobyl a causé un préjudice très profond à l’image du nucléaire « made-in-Russia ». C’est encore vrai aujourd’hui, même si l’accident s’est produit il y a 35 ans en Ukraine soviétique et si la technologie du réacteur RBMK utilisée à Tchernobyl ne fait pas partie de l’offre de Rosatom à l’export. C’est peut-être pour cette raison que Rosatom a vivement recommandé à toutes ses équipes de visionner la fameuse mini-série de HBO…</p>
<p>Quant à la population, les sondages montrent qu’elle a surmonté le traumatisme de la tragédie et a réappris à aimer l’énergie nucléaire. L’accident de Fukushima a servi de piqûre de rappel : en 2011, 40 % des personnes interrogées par le Centre Levada, un institut de sondages russe indépendant, <a href="https://www.levada.ru/2013/03/29/rossiyane-podderzhivayut-sohranenie-i-razvitie-atomnoj-energetiki/">estimaient nécessaire de sortir du nucléaire</a>. Cependant, le scepticisme n’a pas perduré, car le soutien à l’atome était remonté à 72 % <a href="https://www.levada.ru/2013/03/29/rossiyane-podderzhivayut-sohranenie-i-razvitie-atomnoj-energetiki/">dès 2013</a> et était encore de 74 % en <a href="https://bellona.org/news/nuclear-issues/2018-04-nuclear-power-wildly-popular-in-russian-independent-poll-shows">2018</a>…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/159574/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anastasiya Shapochkina est la présidente de l'Association Eastern Circles</span></em></p>La catastrophe du 26 avril 1986 n’a pas dissuadé la Russie de développer largement son industrie nucléaire. Son agence nationale Rosatom est devenue l’un des grands acteurs mondiaux du secteur.Anastasiya Shapochkina, Maître de conférences en géopolitique, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1375552020-05-03T17:45:25Z2020-05-03T17:45:25ZLe mystère des chevaux sauvages de Tchernobyl<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/331720/original/file-20200430-42946-b8gsld.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=74%2C60%2C1784%2C1158&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Troupeau de chevaux de Przewalski dans la zone d’exclusion de Tchernobyl. Septembre 2016.</span> <span class="attribution"><span class="source">Luke Massey (www.lmasseyimages.com)</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Du fait de la contamination radioactive, on prédisait au tout début que la zone resterait inhabitable pendant plus de 20 000 ans. Tchernobyl se transformerait en un désert sans vie, croyait-on alors.</p>
<p>Trois décennies plus tard, de nombreuses études révèlent pourtant qu'une <a href="https://theconversation.com/visitamos-la-fauna-de-chernobil-33-anos-despues-del-accidente-nuclear-112893">communauté animale diverse et abondante</a> s'est développée sur les lieux de la catastrophe. De nombreuses espèces menacées aux niveaux national et européen trouvent aujourd’hui refuge dans la zone d’exclusion de Tchernobyl.</p>
<p>Le cas des chevaux de Przewalski en est un exemple frappant.</p>
<h2>Le dernier cheval sauvage ?</h2>
<p>L’existence des chevaux sauvages dans les steppes asiatiques est connue de l’Occident depuis le XV<sup>e</sup> siècle. Mais ce n’est qu’en 1881 que la science décrivit formellement cette espèce, à partir d’un crâne et d’une peau rapportés par le colonel russe Nikolái Przewalski. C’est ainsi que les chevaux jusqu’ici connus sous le nom de <em>takhi</em> (sacrés) en Mongolie devinrent les chevaux de Przewalski (<em>Equus ferus przewalski</em>).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/318437/original/file-20200303-66106-1yviz8f.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/318437/original/file-20200303-66106-1yviz8f.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/318437/original/file-20200303-66106-1yviz8f.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/318437/original/file-20200303-66106-1yviz8f.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/318437/original/file-20200303-66106-1yviz8f.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/318437/original/file-20200303-66106-1yviz8f.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/318437/original/file-20200303-66106-1yviz8f.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Cheval de Przewalski, zone d’exclusion de Tchernobyl (Ukraine). Septembre 2015.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Nick Beresford</span></span>
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<p>Pendant très longtemps, ils ont été considérés comme les seuls chevaux sauvages du monde. <a href="https://science.sciencemag.org/content/360/6384/111">Des études récentes</a> indiquent toutefois qu’ils sont en réalité une forme sauvage descendant des premiers chevaux domestiqués par le peuple Botai dans le nord du Kazakhstan il y a 5 500 ans.</p>
<p>À l’époque du colonel Przewalski, ces chevaux sauvages étaient déjà rares dans les steppes de Chine et de Mongolie. Le surpâturage et la chasse pour la consommation humaine ont provoqué leur déclin final. Le dernier spécimen sauvage fut observé dans le désert de Gobi en 1969.</p>
<p>La population en captivité ne connaissait pas non plus une évolution très positive. Dans les années 1950, seuls 12 de ces animaux étaient encore en vie dans des zoos européens. À partir de ces quelques individus, un programme de reproduction en captivité fut toutefois lancé et réussit à sauver l’espèce de l’extinction.</p>
<p>Aujourd’hui, on recense 2 000 chevaux de Przewalski. Plusieurs centaines vivent en liberté dans les steppes d’Asie et dans différentes régions d’Europe. Et notamment, à la surprise générale, à Tchernobyl.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/326251/original/file-20200407-44994-1d79z7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C0%2C1914%2C1279&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/326251/original/file-20200407-44994-1d79z7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/326251/original/file-20200407-44994-1d79z7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/326251/original/file-20200407-44994-1d79z7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/326251/original/file-20200407-44994-1d79z7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/326251/original/file-20200407-44994-1d79z7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/326251/original/file-20200407-44994-1d79z7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Goupe de chevaux de Przewalski dans la zone d’exclusion de Tchernobyl (Ukraine), septembre 2016.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Luke Massey (lmasseyimages.com)</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<h2>Les chevaux de Tchernobyl</h2>
<p>À l’époque de l’accident dans la centrale nucléaire, aucun cheval de Pzrewalski ne vivait à Tchernobyl. Ce n’est qu’en 1998 que les 31 premiers individus arrivèrent dans la zone d’exclusion. Parmi eux, 10 mâles et 18 femelles étaient issus de la réserve naturelle d’Askania Nova, dans le sud de l’Ukraine, et 3 mâles provenaient d’un zoo local.</p>
<p>Après une importante mortalité liée à leur réinstallation et à la liberté, le taux de natalité élevé a porté la population à 65 individus en seulement cinq ans. Le braconnage intense entre 2004 et 2006 a décimé la population. Seuls 50 individus survivaient en 2007.</p>
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<span class="caption">Cheval de Przewalski mâle photographié par des appareils à capture d’images dans la forêt rouge, zona d’exclusion de Tchernobyl (Ukraine). Avril 2017.</span>
<span class="attribution"><span class="source">UK Centre for Ecology and Hydrology</span></span>
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<p>Du fait d’importantes mesures de protection, leur nombre a été multiplié par cinq seulement 20 ans après leur arrivée dans la zone. Le dernier recensement, effectué par des scientifiques locaux en 2018, a révélé que dans la partie ukrainienne de la zone d’exclusion vivent 150 chevaux. Ils se réunissent par troupeaux de 10 à 12, auxquels s’ajoutent des groupes de mâles et quelques chevaux solitaires. En 2018, au moins 22 poulains sont nés dans la zone d’exclusion. Certains ont migré vers le nord et se sont installés en Biélorussie.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/318631/original/file-20200304-66069-1kekvgt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/318631/original/file-20200304-66069-1kekvgt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/318631/original/file-20200304-66069-1kekvgt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/318631/original/file-20200304-66069-1kekvgt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/318631/original/file-20200304-66069-1kekvgt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=544&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/318631/original/file-20200304-66069-1kekvgt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=544&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/318631/original/file-20200304-66069-1kekvgt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=544&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">UK Centre for Ecology and Hydrology </span></span>
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</figure>
<p>Les appareils photo installés dans toute la zone d’exclusion ont montré que cette espèce, associée aux steppes, utilise pourtant beaucoup la forêt à Tchernobyl. Y compris la célèbre « forêt rouge », une des zones les plus radioactives de la planète.</p>
<p>Les <a href="http://www.esa.int/Space_in_Member_States/Spain/El_incendio_de_Chernobil_desde_el_espacio">récents incendies à Tchernobyl</a> ont sévèrement affecté certains lieux fréquentés par les chevaux de la zone. Une évaluation sera nécessaire pour mesurer les effets de ces feux sur la conservation de l’espèce dans la région.</p>
<h2>Les leçons à tirer des chevaux de Tchernobyl</h2>
<p>L’introduction des chevaux de Przewalski à Tchernobyl a été un succès, dont on peut tirer plusieurs leçons. Leur cas révèle une nouvelle fois qu’en l’absence d’humains, la zone s’est convertie en un refuge pour la faune sauvage. Cela doit nous faire réfléchir sur l’impact de la présence humaine sur les écosystèmes naturels. Sans activité humaine aux alentours et malgré une contamination radioactive, la mégafaune prospère.</p>
<p>D’autres zones affectées par la contamination radioactive comme celle résultant de l’accident de la <a href="https://esajournals.onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1002/fee.2149">centrale de Fukushima</a> et des essais de la bombe atomique dans les <a href="https://www.theguardian.com/world/2017/jul/15/quite-odd-coral-and-fish-thrive-on-bikini-atoll-70-years-after-nuclear-tests">atolls du Pacifique</a>, conservent également une grande diversité de faune. </p>
<p>Peut-être devrions-nous reconsidérer notre vision de l’impact à moyen et long terme de la radioactivité sur l’environnement.</p>
<p>Quoi qu’il en soit, nous avons besoin de comprendre mieux les mécanismes qui permettent à la faune de vivre dans des zones de contamination radioactive. </p>
<p>Beaucoup de questions se posent. Les organismes vivant à Tchernobyl sont-ils exposés à une radiation moins forte que prévue ? Cette exposition est-elle moins nocive ? Leurs organismes disposent-ils des mécanismes de réparation plus efficaces qu’attendu face aux dommages cellulaires causés par la radiation ?</p>
<p>Pour répondre à ces questions, nous devons continuer à faire appel à la science et à recueillir plus d'informations. </p>
<p>En septembre 2020, nous espérons commencer un travail avec les chevaux de Przewalski présents à Tchernobyl, pour tenter de dévoiler les mystères qui expliquent que cette espèce et beaucoup d’autres prospèrent dans la zone d’exclusion.</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été traduit de l'espagnol par <a href="https://theconversation.com/profiles/nolwenn-jaumouille-578077">Nolwenn Jaumouillé</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/137555/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Germán Orizaola a reçu des financements du Ministère de la science et de l’innovation espagnol à travers le programme "Ramón y Cajal" (RyC-2016-20656), de la principauté des Asturies à travers le Programme Grupos de Investigación (IDI/2018/000151) et de l’autorité suédoise de sécurité nucléaire.</span></em></p>Dans la zone d’exclusion de Tchernobyl, des chevaux sauvages originaires des steppes d’Asie prospèrent, avec une population en expansion alors que l’accident nucléaire fait tout juste ses 34 ans.Germán Orizaola, Investigador Programa Ramón y Cajal, Universidad de OviedoLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1342752020-03-30T19:02:34Z2020-03-30T19:02:34ZBarrières, confinement, distanciation : les leçons des accidents nucléaires<p>Depuis plusieurs semaines, nous vivons une situation exceptionnelle liée à la propagation du Covid-19, mais plus encore aux diverses mesures contraignantes mises en place pour limiter la pandémie : « confinement », « distanciation » sociale ou encore mise en place de « gestes barrières ».</p>
<p>Ces mesures – dont certaines ont une histoire qui remonte <a href="https://wwwnc.cdc.gov/eid/article/19/2/12-0312_article">au Moyen âge</a> – font partie d’une panoplie de méthodes de gestion des risques <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Le_gouvernement_des_technosciences-9782707175045.html">dont l’industrie nucléaire est le principal incubateur</a> depuis la Seconde Guerre mondiale.</p>
<p>L’étude de leur genèse et de leurs évolutions au fil des accidents constitue ainsi une source d’inspiration pour la gestion de la pandémie en cours et de ses suites.</p>
<h2>Mettre à distance les installations nucléaires</h2>
<p>En tant que vecteur du virus, l’humain est à la fois victime et bourreau de ses semblables. Un des premiers principes mis en place pour faire face au Covid-19 concerne la distanciation sociale, matérialisée par l’interdiction de rassemblements ou le respect d’une distance de sécurité entre chaque individu.</p>
<p>La protection par l’éloignement du danger – qui fut à la fin du XVIII<sup>e</sup> siècle, la <a href="https://www.cairn.info/revue-d-histoire-moderne-et-contemporaine-2011-3-page-34.htm">première forme de gestion des risques industriels</a> – a trouvé l’une de ses formes la plus aboutie dans l’industrie nucléaire.</p>
<p>Lors de la Seconde Guerre mondiale, pour des raisons de secret militaire et de protection contre les radiations, les sites du « projet Manhattan » de fabrication des bombes atomiques américaines sont choisis loin des villes. Le site de Hanford, par exemple, destiné à la production de plutonium, est sélectionné en 1942 dans une zone désertique, à plus de 30 km des premières zones urbaines.</p>
<p>Ce <a href="http://theses.univ-lyon2.fr/documents/lyon2/2003/foasso_c#p=0&a=top">principe d’éloignement des populations</a> a largement accompagné le développement des premiers réacteurs nucléaires à travers le monde.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/322309/original/file-20200323-112677-1h6y6ca.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/322309/original/file-20200323-112677-1h6y6ca.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/322309/original/file-20200323-112677-1h6y6ca.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/322309/original/file-20200323-112677-1h6y6ca.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/322309/original/file-20200323-112677-1h6y6ca.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=567&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/322309/original/file-20200323-112677-1h6y6ca.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=567&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/322309/original/file-20200323-112677-1h6y6ca.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=567&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le réacteur B d’Hanford (au centre) en 1944.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikipedia</span></span>
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<p>Mais cette méthode de gestion des risques n’a pas résisté à la survenue des premiers accidents et de leurs conséquences sanitaires qui, à l’instar du coronavirus, ne se sont pas arrêtés aux frontières.</p>
<p><a href="https://www.laradioactivite.com/site/pages/Windscale.htm">En 1957, l’accident de Winscale</a> provoque un nuage radioactif qui traverse toute l’Angleterre et une partie de l’Europe de l’Ouest. De même, en avril 1986 l’accident nucléaire de Tchernobyl entraîne une contamination massive de l’environnement dans plusieurs pays européens. En France, l’accident entraîne une crise de confiance durable à l’égard des experts et politiques, c’est l’affaire du <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/la-france-nucleaire-l-art-de-gouverner-une-technologie-contestee-sezin-topcu/9782021052701">« nuage de Tchernobyl »</a>.</p>
<h2>Confiner les atomes radioactifs</h2>
<p>Après avoir préconisé des mesures peu contraignantes pour tenir dans la durée, Emmanuel Macron <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/03/17/nous-sommes-en-guerre-face-au-coronavirus-emmanuel-macron-sonne-la-mobilisation-generale_6033338_823448.html">déclare finalement « la guerre » à l’épidémie le 16 mars</a> dernier.</p>
<p>En effet, la distance sociale est rapidement considérée comme insuffisamment efficace et des mesures de confinement sont mises en place.</p>
<p>À travers le respect du mot d’ordre « restez chez vous », on vise la limitation de la propagation du Covid-19 par le confinement d’une grande partie de la population, combinée à la mise en œuvre de gestes barrières – tousser dans son coude, ne pas se serrer la main, etc.</p>
<p>Dans le cas du nucléaire, c’est à partir des années 1950 que sont développées aux États-Unis les premières méthodes de « confinement » des matières radioactives au sein des installations nucléaires.</p>
<p>Il s’agit de mettre en place des barrières successives et indépendantes entre ces matières et l’environnement pour éviter leur dissémination en cas d’accident. La plupart des réacteurs aujourd’hui en exploitation dans le monde disposent de <a href="https://www.irsn.fr/FR/connaissances/Installations_nucleaires/La_surete_Nucleaire/risque-nucleaire/demarche-prevention/Pages/2-barrieres-de-confinement.aspx#.Xnye3HLjI2w">trois barrières de confinement successives</a> : une gaine métallique qui enveloppe le combustible radioactif ; le circuit primaire du réacteur ; enfin, un bâtiment étanche et résistant (appelé enceinte de confinement).</p>
<p>À la fin des années 1960, les Américains parachèvent cette méthode avec le concept de <a href="https://hal-mines-paristech.archives-ouvertes.fr/hal-00720761">« défense en profondeur »</a> basé sur une série de lignes de défenses physiques et organisationnelles.</p>
<p>En 1979, l’accident de Three Mile Island (Pennsylvanie) constitue un choc important pour l’opinion publique nord-américaine, mais confirme dans le même temps que l’enceinte de confinement du réacteur remplit parfaitement son rôle d’ultime barrière.</p>
<p>Critiquant l’absence d’un tel dispositif dans le cas de Tchernobyl et confiants dans la sûreté de leurs réacteurs, certains experts occidentaux n’ont pas hésité à qualifier la catastrophe russe d’« accident soviétique »… Ce n’est pas sans rappeler l’emploi du terme « virus chinois » par <a href="https://www.liberation.fr/direct/element/quand-trump-corrige-son-discours-a-la-main-pour-dire-virus-chinois-plutot-que-coronavirus_110962/">Donald Trump</a>.</p>
<p>En France, la mise en place des premières mesures de confinement des <a href="http://www.leparisien.fr/societe/coronavirus-les-derniers-rapatries-de-wuhan-quittent-carry-le-rouet-ce-dimanche-16-02-2020-8260617.php">rapatriés Français de Wuhan</a> dans des centres de vacances ou la gestion de malades dans la station alpines des Contamines ont également donné le sentiment d’une possible maîtrise de l’épidémie par le confinement des <em>clusters</em>. Alors que la vague épidémique commence à déferler sur l’Italie au début du mois de mars, certains experts et politiques français <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/03/12/en-italie-la-durete-des-mesures-restrictives-tient-a-la-fragilite-du-systeme-de-sante_6032715_3232.html">critiquent les mesures de confinement drastiques prises par nos voisins</a>.</p>
<h2>Quand survient la vague</h2>
<p>Le 11 mars 2011, un tsunami s’abat sur la centrale de Fukushima et détruit l’ensemble des dispositifs de confinement entraînant la fusion de trois réacteurs. Le réflexe politique est alors de le considérer lui aussi <a href="https://www.lesechos.fr/2016/05/nucleaire-sarkozy-ironise-sur-un-tsunami-a-fessenheim-207203">comme un accident typiquement japonais</a>, même si pour le président de l’Autorité de sûreté nucléaire française, c’est la preuve indéniable qu’un <a href="https://www.liberation.fr/futurs/2016/03/03/il-faut-imaginer-qu-un-accident-de-type-fukushima-puisse-survenir-en-europe_1437315">accident nucléaire est possible en France</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/323292/original/file-20200326-133007-1u954eb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/323292/original/file-20200326-133007-1u954eb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=771&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/323292/original/file-20200326-133007-1u954eb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=771&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/323292/original/file-20200326-133007-1u954eb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=771&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/323292/original/file-20200326-133007-1u954eb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=969&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/323292/original/file-20200326-133007-1u954eb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=969&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/323292/original/file-20200326-133007-1u954eb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=969&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’édition du <em>Parisien</em> du 26 mars 2020.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Le Parisien</span></span>
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<p>Pour faire face à l’échec du confinement révélé à Fukushima, l’idée retenue en France est de mettre en place une barrière de confinement supplémentaire : le noyau dur.</p>
<p>Ce dispositif propose de « sanctuariser » un nombre limité d’équipements vitaux pour l’installation en cas d’aléas naturels extrêmes. De plus, en cas d’accident, une Force d’action rapide nucléaire (FARN), composée de ressources humaines et de matériels d’urgence, doit permettre de sauver la situation. Si les acteurs du nucléaire se préparent à gérer le pire, ils n’ont pas abandonné pour autant l’idée de pouvoir le maîtriser ou d’en limiter les conséquences.</p>
<p>Malgré la mise en place de principes de confinement, si indispensables soient-ils, un accident nucléaire reste possible. Dans le cas du Covid-19, devant la <a href="https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/video-coronavirus-philippe-met-en-garde-contre-la-vague-extremement-elevee-qui-deferle-sur-la-france_3887263.html">« vague » qui arrive</a>, la tentative de maîtrise des milliers d’accidents journalier de perte de confinement individuels est un projet d’urgence complexe à mettre en œuvre mais qui paraît nécessaire.</p>
<p>À l’instar d’une crise nucléaire, la gestion de l’urgence sanitaire nécessite une préparation et un entraînement poussé, ce qui ne fut manifestement pas le cas comme en témoigne la <a href="https://theconversation.com/la-france-en-penurie-de-masques-aux-origines-des-decisions-detat-134371">gestion du stock de masques</a> dans notre pays.</p>
<p>En outre, la gestion d’une pandémie, comme celle d’un accident nucléaire, s’étale dans le temps et il est toujours périlleux d’en décréter la fin : <a href="https://mobile.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/coronavirus-pourquoi-deux-semaines-supplementaires-de-confinement-pourraient-ne-pas-suffire-a-endiguer-l-epidemie_3888985.html">nouvelles vagues épidémiques, déconfinement progressif</a> ou encore gestion des conséquences sociales et économiques à long terme.</p>
<p>Par exemple, à la catastrophe nucléaire de Fukushima s’est ajouté une catastrophe humaine, sociale et économique pour le Japon. On pense notamment à la <a href="https://www.irsn.fr/FR/connaissances/Installations_nucleaires/Les-accidents-nucleaires/accident-fukushima-2011/fukushima-2019/Documents/IRSN-Report-2019-00178_Shinrai-Research-Project_032019.pdf">gestion socio-politique complexe</a> des quelques 300 000 déplacés, qui ont été <a href="https://www.lepoint.fr/monde/insultes-et-stigmatisation-pour-les-deplaces-de-fukushima-10-03-2017-2110791_24.php">ostracisés</a>, tout comme le sont aujourd’hui les habitants de Wuhan.</p>
<p>L’exemple de la gestion du risque nucléaire invite avant tout à l’humilité dans nos capacités à maîtriser les risques par la distanciation et le confinement. L’épisode en cours encourage à se doter pour l’avenir de capacités de projection, de créativité et <a href="http://www.patricklagadec.net/fr/pdf/Lagadec-LeTempsdelInvention.pdf">d’invention</a> qui seront nécessaires à la préparation des crises futures.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/134275/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michaël Mangeon effectue des travaux pour l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), sans rapport avec l’objet de l’article. Il a reçu des financements de l’IRSN.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Mathias Roger effectue des travaux pour l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), sans rapport avec l’objet de l’article. Il a reçu des financements de l’IRSN.</span></em></p>Depuis la Seconde Guerre mondiale, l’industrie nucléaire est le principal incubateur des mesures de distanciation et de confinement mises en place pour prévenir les accidents et les crises.Michaël Mangeon, Enseignant vacataire risques environnementaux, chercheur et consultant indépendant, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresMathias Roger, Doctorant en histoire et sociologie des sciences et des techniques, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1332752020-03-10T18:44:22Z2020-03-10T18:44:22ZFukushima : neuf ans après la catastrophe, l’eau contaminée sème toujours la discorde<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/319404/original/file-20200309-118897-1m1f2vl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Inspecteurs de l’AIEA devant une aire de stockage d’eau contaminée. </span> </figcaption></figure><p>Le 11 mars 2011, le Japon est frappé par un séisme et un tsunami dévastateurs. La centrale de Fukushima Daiichi, où sont exploités six réacteurs nucléaires, est confrontée à une situation d'urgence absolue. Sur place, les équipes dirigées par <a href="https://theconversation.com/hommage-a-masao-yoshida-le-directeur-de-la-centrale-de-fukushima-mort-le-9-juillet-2013-99396">Masao Yoshida</a> mènent une lutte acharnée. Au fil des jours, les opérateurs parviennent à reprendre la main sur les installations en injectant de l'eau dans les cuves des réacteurs.</p>
<p>Or pour maintenir les réacteurs à basse température, cette injection d'eau doit être assurée en continu. Masao Yoshida prend vite conscience que le liquide, devenu radioactif, va finir par déborder, ou s'écouler par certaines fissures. Ses craintes deviennent très rapidement réalité : le 24 mars 2011, de l'eau fortement contaminée est détectée dans le bâtiment du réacteur 1.</p>
<p>Le 27 mars 2011, lors d’une réunion organisée au siège de l'exploitant Tepco, Yoshida expose sans détour la situation : le traitement des eaux est primordial pour stabiliser l'état des réacteurs. Il propose de rejeter à la mer l'eau faiblement contaminée stockée dans le centre de traitement des déchets afin d’y recevoir de l'eau fortement contaminée. </p>
<p>Il y a aussi le problème de l'inondation des sous-sols des bâtiments hébergeant les réacteurs 5 et 6. Pour Yoshida, la solution passe également par l’évacuation de l'eau et son rejet dans la mer. Il demande alors aux représentants de Tepco, du gouvernement et de l'Agence de sûreté industrielle et nucléaire (NISA) de se prononcer au plus vite sur ces rejets.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/319408/original/file-20200309-118951-yvspii.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/319408/original/file-20200309-118951-yvspii.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/319408/original/file-20200309-118951-yvspii.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/319408/original/file-20200309-118951-yvspii.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/319408/original/file-20200309-118951-yvspii.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/319408/original/file-20200309-118951-yvspii.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/319408/original/file-20200309-118951-yvspii.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">En mars 2011, préparation de l’injection d’eau dans le bâtiment du réacteur 4.</span>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/319407/original/file-20200309-118890-yqsvbf.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/319407/original/file-20200309-118890-yqsvbf.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/319407/original/file-20200309-118890-yqsvbf.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/319407/original/file-20200309-118890-yqsvbf.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/319407/original/file-20200309-118890-yqsvbf.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/319407/original/file-20200309-118890-yqsvbf.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/319407/original/file-20200309-118890-yqsvbf.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des réservoirs d’eau contaminée situés dans la zone G de Fukushima Daiichi (septembre 2013).</span>
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<h2>1500 tonnes rejetées</h2>
<p>Du côté des officiels, tout rejet en mer est inenvisageable, la radioactivité de l'eau dépassant le niveau autorisé pour une telle opération. Yoshida se plie à l'injonction, condamné à laisser les eaux souterraines monter, les infiltrations dans les bâtiments s'intensifier et les eaux stagnantes augmenter. Une telle situation menace les réseaux électriques et les moyens de refroidissement, pouvant entraîner, dans le pire des scénarios, la fusion du cœur des réacteurs. Le directeur de la centrale se projette : en cas d'extrême urgence, si rien n'est décidé, il se tient prêt à désobéir et rejeter ces eaux dans l'océan.</p>
<p>Le 2 avril 2011, une fuite d'eau hautement contaminée est découverte dans le réacteur 2. Une cellule de crise se réunit au matin du 4 avril. Les membres ordonnent à Yoshida de colmater la fuite coûte que coûte, sans proposer la moindre solution pour traiter et stocker l'eau. Yoshida explose, comme en témoigne son récit des événements rapporté dans <em><a href="https://amzn.to/2vJx4X8">L'accident de Fukushima Daiichi</a></em> :</p>
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<p>« Je crois que j'ai réagi assez violemment, je crois même que je leur ai crié dessus qu'il leur appartenait aussi de réfléchir au problème. Je pense que c'est à partir de ce moment qu'ils ont commencé à y réfléchir sérieusement. » </p>
</blockquote>
<p>Dans la journée du 4 avril 2011, il obtient finalement l'autorisation de rejeter 1500 tonnes d'eau contaminée retenues dans le centre de traitement et les tunnels de service des unités 5 et 6. Pourquoi 1500 tonnes ? </p>
<blockquote>
<p>« Quand j'ai posé la question au siège, ils m'ont répondu que cela avait été calculé en fonction de l'impact environnemental, qu'ils avaient déjà communiqué ce chiffre à la NISA et qu'il était trop tard pour revenir dessus. » </p>
</blockquote>
<p>Yoshida aurait voulu qu'on l'autorise à évacuer l'eau des tunnels de manière continue. La décision, qui l'étonne par sa rapidité, apporte malgré tout un grand soulagement. Elle va lui permettre de continuer l'injection d'eau dans les installations, en attendant l'arrivée des premiers réservoirs de stockage.</p>
<h2>Trop-plein à l'horizon</h2>
<p>Dans les années qui suivent la catastrophe, les travaux s'enchaînent et les réservoirs d'eau contaminée s'accumulent sur le site. En réponse au manque d'espace, plusieurs options sont envisagées : le stockage durable, l'évaporation, le rejet en mer de l'eau après traitement. </p>
<p>Dès 2014, l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) préconise cette dernière solution. En 2016, une commission d'experts mandatée par le ministère de l'Économie, du Commerce et de l'Industrie japonais (METI) s'aligne sur cet avis. Mais le projet suscite trop d'inquiétude au sein de l'opinion publique et le gouvernement décide de ne pas l'autoriser.</p>
<p>La situation évolue sensiblement le 9 août 2019 : Tepco déclare que la limite de stockage de l'eau contaminée sera <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/08/13/fukushima-par-manque-d-espace-de-stockage-de-l-eau-radioactive-pourrait-etre-deversee-dans-l-ocean_5499092_3244.html">atteinte à l'été 2022</a>. Une nouvelle commission est alors chargée d'examiner la possibilité du rejet en mer. Si l'Autorité de régulation nucléaire japonaise <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/japon/fukushima/le-japon-va-t-il-vraiment-deverser-l-eau-radioactive-de-la-centrale-nucleaire-de-fukushima-dans-l-ocean_3621433.html">y est favorable</a>, à l'instar du directeur général adjoint de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), Greenpeace se prononce en faveur du <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/energie-environnement/comment-16-grammes-de-tritium-dans-un-million-de-litres-deau-paralysent-fukushima-1166730">stockage à long terme</a>. </p>
<p>Au vu des enjeux, des polémiques et des incertitudes – en particulier en termes de pollution marine –, le gouvernement décide une nouvelle fois d’attendre.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/319410/original/file-20200309-58017-1mk71j6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/319410/original/file-20200309-58017-1mk71j6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/319410/original/file-20200309-58017-1mk71j6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/319410/original/file-20200309-58017-1mk71j6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/319410/original/file-20200309-58017-1mk71j6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/319410/original/file-20200309-58017-1mk71j6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/319410/original/file-20200309-58017-1mk71j6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Octobre 2019, le ministre de l’Environnement, Shinjiro Koizumi, en visite à Fukushima Daiichi.</span>
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<h2>Un dérapage et un ministre plus tard</h2>
<p>Nouveau rebondissement le 10 septembre 2019 : Yoshiaki Harada, ministre de l'Environnement, annonce aux journalistes que la seule solution au problème de l'eau contaminée consiste à la <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/japon/fukushima/le-japon-envisage-d-evacuer-l-eau-radioactive-de-fukushima-dans-le-pacifique_3610663.html">déverser en mer</a>. </p>
<p>Cette prise de position provoque un tollé, tout particulièrement chez les pêcheurs de la préfecture de Fukushima qui craignent pour leur activité. Le porte-parole du gouvernement tente de limiter les dégâts, réprimandant le ministre pour des propos qualifiés de « personnels ». Désavoué, Harada quitte ses fonctions dès le lendemain. Il est remplacé par le très populaire <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-eco/japon-le-nouveau-ministre-de-l-environnement-veut-se-debarrasser-du-nucleaire-20190912">Shinjiro Koizumi</a> qui se rend à Fukushima le <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/09/12/l-eau-contaminee-poison-durable-de-fukushima_5509489_3244.html">12 septembre 2019</a>. </p>
<p>Le nouveau ministre condamne l'irresponsabilité de son prédécesseur et déclare vouloir faire sortir le Japon du nucléaire. Il cherche à rassurer l’opinion publique mais aussi les pays voisins de l'archipel, comme la Corée du Sud, inquiète pour l'avenir de ses pêcheurs et la santé de ses athlètes, qui doivent rejoindre en juillet 2020 le Japon pour les Jeux olympiques d’été.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/319412/original/file-20200309-118897-19f3kkr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/319412/original/file-20200309-118897-19f3kkr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/319412/original/file-20200309-118897-19f3kkr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/319412/original/file-20200309-118897-19f3kkr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/319412/original/file-20200309-118897-19f3kkr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/319412/original/file-20200309-118897-19f3kkr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/319412/original/file-20200309-118897-19f3kkr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Stock d’équipements en Tyvek, J-Village ; en haut, une sculpture de footballeurs (7 octobre 2011).</span>
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<h2>En attendant les JO</h2>
<p>Le 19 décembre 2019, les organisateurs des JO ont dévoilé que le relais de la flamme olympique débutera le <a href="https://tokyo2020.org/fr/news/notice/20190312-02.html">26 mars prochain au J-Village</a>, un complexe d'entraînement de footballeurs situé dans la préfecture de Fukushima et utilisé comme base opérationnelle durant la crise nucléaire. </p>
<p>Une mise en scène soigneusement étudiée pour exposer au monde la renaissance de la région après la double catastrophe, naturelle et technologique, de 2011. Mais l'eau contaminée de Fukushima vient jouer les trouble-fêtes et le dossier est à nouveau évoqué dans les médias le 24 décembre. Selon un fonctionnaire d'État, <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/fukushima-rejeter-l-eau-contaminee-seule-solution-20191224">« l'option d'un simple stockage à long terme n'est plus envisagée »</a>. Les jeux sont-ils faits ? Pas encore, le gouvernement ayant tout intérêt à attendre la fin des JO pour se prononcer.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/319414/original/file-20200309-118885-esbyiy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/319414/original/file-20200309-118885-esbyiy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=301&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/319414/original/file-20200309-118885-esbyiy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=301&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/319414/original/file-20200309-118885-esbyiy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=301&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/319414/original/file-20200309-118885-esbyiy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=378&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/319414/original/file-20200309-118885-esbyiy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=378&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/319414/original/file-20200309-118885-esbyiy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=378&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">À gauche, Masao Yoshida, directeur de Fukushima Daiichi (mai 2011) ; à droite, Goshi Hosono, conseiller spécial du Premier ministre (avril 2011).</span>
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<h2>Le temps de la décision</h2>
<p>Aujourd'hui, la capacité de stockage de l'eau est sur le point d'atteindre sa limite et l'urgence se fait à nouveau sentir ; le gestionnaire se retrouve confronté à l'indécision du décideur. Est-ce un retour à la case départ ? Pas tout à fait, car la situation a évolué. </p>
<p>Premièrement, il ne s'agit plus de 1500 tonnes, mais bien d'un million de tonnes d'eau à déverser dans l'océan. Or, pour certains experts, cette eau est trop contaminée et son rejet inacceptable. </p>
<p>Au Japon, le projet divise et reste très discuté. Selon un sondage réalisé fin février 2020 par le quotidien <em>Asahi Shimbun</em>, il est approuvé seulement par <a href="https://www.upi.com/Top_News/World-News/2020/02/28/Report-Japan-requested-IAEA-valuation-of-Fukushima-plan/4961582912710/">31% des Japonais</a> (57% s'y opposent). </p>
<p>À l'échelle de la préfecture de Fukushima, l'ancien gouverneur Yuhei Sato considère que le rejet en mer serait une grave erreur et <a href="https://www.japantimes.co.jp/news/2020/02/25/national/social-issues/fukushima-radioactive-water-damage/#.XljQmkdCcUE">qu'il ruinerait tous les efforts</a> effectués pour dissiper l'image négative du public sur les produits agricoles locaux, la pêche et le tourisme. </p>
<p>D'autres voix se font toutefois entendre. Goshi Hosono, conseiller spécial du Premier ministre à l'époque de la catastrophe et actuellement député à la chambre des représentants, se déclare <a href="https://www.japantimes.co.jp/news/2020/02/25/national/social-issues/fukushima-radioactive-water-release/#.Xli8LkdCcUE">favorable au rejet en mer</a>. S'appuyant sur l'avis du groupe d'experts du METI, il estime que ce plan aurait une faible incidence environnementale et sanitaire. </p>
<p>Hosono a été un interlocuteur privilégié de Yoshida en mars 2011. Au plus fort de la crise, il a témoigné son empathie envers des équipes de la centrale dénigrées par les autres acteurs institutionnels. Figure respectée, sa récente intervention est un coup dur pour les opposants au rejet en mer.</p>
<p>De son côté, l'AIEA a enfoncé un peu plus le clou. Son directeur a rappelé, au cours d'une visite du site le 26 février, que l'option répond aux normes internationales et qu'elle relève d'un <a href="https://www.japantimes.co.jp/news/2020/02/27/national/iaea-chief-fukushima-water/#.Xli8J0dCcUE">moyen courant de libérer l'eau</a> dans les centrales du monde entier.</p>
<p>Le système d'acteurs a également changé depuis 2011. À l'époque, il se composait de l'exploitant, du gouvernement, de l'autorité de sûreté et, dans une certaine mesure, de l'opinion publique japonaise. Entre temps, un nouvel acteur est apparu : la communauté internationale, qui considère avec inquiétude la possibilité d'un rejet en mer et son impact délétère sur le vivant. Le débat désormais est planétaire. En plus de questionner le droit de contaminer le milieu marin, le projet met en jeu l'image du Japon, complexifiant d'autant la prise de décision.</p>
<p>Aucune solution n'est actuellement satisfaisante. Même si l'exploitant parvient à augmenter sa capacité de stockage, il n'est pas à l'abri d'une fissure et d'une fuite de cuve. Sans parler du combustible fondu des réacteurs 1, 2 et 3, matière hautement radioactive dont l'extraction soulève un immense défi technique. </p>
<p>Neuf ans plus tard, <a href="http://latelelibre.fr/reportages/fukushima-voyage-au-coeur-de-la-centrale/">l'accident de Fukushima</a> n'est toujours pas terminé.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/133275/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Que faire de l’eau contaminée qui s’accumule sur le site de Fukushima ? Entre stockage et rejets en mer, la polémique fait toujours rage au Japon.Aurélien Portelli, Chargé de recherche en histoire des risques industriels, Centre de recherche sur les Risques et les Crises, Mines Paris - PSLFranck Guarnieri, Directeur du Centre de recherche sur les risques et les crises, Mines Paris - PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1297222020-01-20T20:42:16Z2020-01-20T20:42:16ZAu Bélarus, la centrale nucléaire de la discorde<p>Un peu plus de trente ans après la catastrophe de Tchernobyl, le Bélarus, dont le territoire a pourtant été le <a href="https://eu.usatoday.com/story/news/world/2016/04/17/belarus-border-town-chernobyl-30th-anniversary/82888796/">plus touché par les retombées de l’accident</a>, s’apprête pour la première fois de son histoire à mettre en service une centrale nucléaire.</p>
<p>Dotée de deux réacteurs, la centrale d’Astravets (Ostrovets en <a href="http://regard-est.com/pourquoi-parler-de-belarus-pourquoi-ne-pas-parler-de-bielorussie">bélarussien</a>) a été construite par la compagnie Atomstroyexport, filiale du monopole public russe Rosatom, grâce à un « prêt » de 10 milliards de dollars consenti par Moscou qui couvre près de 90 % de son financement. L’un des deux réacteurs VVER-1 200 sera a priori destiné à la consommation intérieure, tandis que l’autre permettra au Bélarus d’exporter de l’électricité dans la région. Minsk s’est par ailleurs engagé à acheter auprès de la Russie l’ensemble du combustible nucléaire pour la durée de vie des réacteurs.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1164066908406255618"}"></div></p>
<h2>Une angoisse lituanienne</h2>
<p>Depuis que le projet a été annoncé en 2011, les autorités lituaniennes n’ont pas ménagé leurs efforts pour alerter leurs partenaires sur les risques que pourrait présenter cette installation en matière de sûreté. Elles ne manquent pas d’arguments :</p>
<ul>
<li><p>le Bélarus n’a aucune expérience en matière de nucléaire civil ;</p></li>
<li><p>la Russie, fournisseur de la centrale, a déjà connu des accidents nucléaires gravissimes ;</p></li>
<li><p>le site est reconnu comme zone sismique ;</p></li>
<li><p>la centrale est située à la toute proximité de la capitale lituanienne (50 km environ), foyer de peuplement important (500 000 habitants). Or l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) recommande depuis 2013 de ne pas installer de centrale nucléaire à moins de 100 km des zones de fort peuplement ;</p></li>
<li><p>les eaux de refroidissement utilisées seront celles de la rivière Néris, qui arrose Vilnius avant de se jeter dans le Nemunas (qui lui-même fournit la majeure partie de l’eau potable en Lituanie) ;</p></li>
<li><p>la construction de la centrale a été émaillée d’incidents sur lesquels ni les autorités bélarusses ni Atomstroyexport n’ont manifesté une forte appétence à la transparence.</p></li>
</ul>
<p>Le Bélarus, de son côté, rappelle qu’il a procédé en 2018 à des <a href="http://www.ensreg.eu/sites/default/files/attachments/hlg_p2018-36_155_belarus_stress_test_peer_review_report_0.pdf">stress-tests</a> exigeants et qu’il s’apprête à suivre les recommandations formulées par l’AIEA en matière de sûreté nucléaire. Il précise aussi qu’il ne compte pas renoncer à cette centrale qui va lui permettre de diversifier son mix énergétique.</p>
<h2>Un irritant bilatéral porté hors des frontières</h2>
<p>Vilnius a d’abord cherché des appuis auprès des capitales de l’Union européenne pour entraver la construction de la centrale. Mais le Bélarus n’étant pas membre de l’UE, la marge de manœuvre de Bruxelles et des États membres est minime.</p>
<p>La Lituanie a donc tenté de porter le différend devant d’autres instances. En 2011, elle a en particulier déposé une plainte devant la Convention d’Espoo (<a href="http://www.unece.org/fileadmin/DAM/env/eia/documents/legaltexts/conventiontextfrench.pdf">Convention sur l’évaluation de l’impact sur l’environnement dans un contexte transfrontière</a>, ONU, 1991) pour violation des évaluations d’impact environnemental. En effet, le Bélarus n’a pas effectué d’étude préalable d’impact sur l’environnement ni organisé de débat public dans le pays voisin ou de consultations bilatérales avec lui, comme le prévoit la Convention d’Espoo. En 2013, cette dernière a émis des recommandations à fin de rectification puis, en février 2019, une large majorité des pays parties ont statué sur le <a href="http://regard-est.com/lituanie-premiere-victoire-a-lencontre-de-la-centrale-nucleaire-belarusse-dastravets">caractère inapproprié du site de construction</a>. Notification qui n’a valeur que de recommandation.</p>
<p>Les autorités lituaniennes ont également poussé à la mention, dans le <a href="https://www.lrt.lt/naujienos/news-in-english/19/1124940/eu-s-green-deal-to-stifle-belarus-nuclear-energy-exports">« Green Deal »</a> proposé par la Commission européenne en décembre 2019, d’une clause selon laquelle les installations nucléaires dans les pays tiers doivent respecter les normes internationales les plus élevées en matière environnementale et de sécurité.</p>
<h2>Quand le temps presse</h2>
<p>En 2017, la Lituanie a adopté une loi l’engageant à ne pas acheter d’électricité provenant de sources produites au mépris des règles de sécurité. Le Parlement lituanien a alors déclaré la centrale d’Astravets « menace à la sécurité nationale, à l’environnement et à la santé publique ». Vilnius interdit également l’utilisation des infrastructures lituaniennes pour transporter l’électricité d’Astravets. En décembre 2019, le Parlement a adopté un amendement prévoyant des retraits de licence d’importation pour les agents économiques qui achèteraient de l’électricité provenant de cette centrale.</p>
<p>Mais pour que ces mesures aient du sens et que la Lituanie ne se trouve pas pénalisée dans son isolement, Vilnius a dû tenter de convaincre les pays voisins potentiellement clients de l’électricité bélarusse – Pologne, Lettonie, Estonie et Finlande – de s’engager dans le même sens. Avec un succès mitigé, puisque seule la Pologne a suivi le mouvement ébauché par Vilnius.</p>
<p>Alors que la centrale a procédé à ses premiers tests en décembre 2019, pour une mise en service du premier réacteur au cours du premier trimestre 2020, Vilnius change de nouveau de stratégie : pour le ministre des Affaires étrangères Linas Linkevičius, demander à Minsk de stopper le processus de mise en route de la centrale à ce stade serait tout aussi <a href="https://www.lrt.lt/en/news-in-english/19/1128472/demanding-belarus-to-stop-nuclear-plant-too-radical-says-lithuanian-foreign-minister">« irréaliste et trop radical »</a> que d’exiger son déplacement. Ayant échoué à disqualifier la centrale en hypothéquant sa rentabilité, Vilnius privilégie aujourd’hui le dialogue, afin de rester informé de l’avancée des travaux, de la mise en service et d’éventuels problèmes, au nom du pragmatisme.</p>
<h2>Une centrale au service des intérêts de la Russie ?</h2>
<p>Les caractéristiques de la centrale sont souvent mises en avant par ceux qui veulent y voir une preuve de la stratégie russe de mise sous tutelle du Bélarus. Par exemple, <a href="https://www.cepa.org/astravets-nuclear-power-plant">Minsk doit rembourser le prêt de la Russie d’ici à 2036</a>. Compte tenu de ses fragilités budgétaires, en cas de difficulté de remboursement, la propriété de la centrale pourrait passer dans les mains de la Russie, accroissant encore la <a href="https://www.atlanticcouncil.org/wp-content/uploads/2017/07/Nuclear_Geopolitics_in_the_Baltic_Sea_Region_web_0731.pdf">dépendance bélarusse</a>.</p>
<p>On soupçonne également Astravets de viser à maintenir la Russie dans son rôle d’acteur énergétique notable dans la région de la mer Baltique, en retardant la déconnexion des Baltes du système électrique BRELL (Bélarus, Russie, Estonie, Lettonie, Lituanie). Cette désynchronisation est en effet contraire aux intérêts de Moscou qui souhaite continuer d’exporter de l’électricité vers les pays de la région pour des raisons économiques, voire géopolitiques, mais aussi par souci de connexion entre la « Russie continentale » et l’enclave de Kaliningrad. La localisation de la centrale semble attester cette préoccupation : alors que les industries consommatrices d’électricité se trouvent plus au sud du pays, Astravets pèche étrangement par son éloignement des centres névralgiques bélarusses. Dès 1993, l’Académie des sciences de Minsk, évaluant une trentaine de sites possibles, avait d’ailleurs décrété que <a href="https://naviny.by/new/20170131/1485873043-uchenyy-na-ploshchadke-belaes-nichego-bolee-otvetstvennogo-chem">celui d’Astravets était le pire</a>.</p>
<p>Certains vont jusqu’à soupçonner la Russie de vouloir créer des dissensions dans la région : l’opposition frontale de la Lituanie n’a en effet pas fait l’unanimité auprès de ses partenaires, au point que Vilnius s’est un moment trouvé isolé sur le sujet d’Astravets, voire a suscité une fatigue au sein de l’UE, de l’AIEA, auprès de la Convention d’Espoo…</p>
<p>Par ailleurs, la localisation d’une centrale nucléaire aux portes de l’OTAN peut justifier une présence militaire russe pour protéger ce site sensible. Fin 2016, le Bélarus a installé une base militaire à proximité de la centrale afin d’assurer sa sécurité. Rien ne dit que cette base sera jugé suffisante par Moscou, qui pourrait souhaiter la renforcer.</p>
<p>Enfin, Vilnius estime que la centrale peut être utilisée comme instrument de guerre hybride : l’annonce, même erronée, d’un incident intervenu sur la centrale entraînerait l’évacuation de la capitale lituanienne, avec toutes les conséquences sociales, économiques et politiques que l’on peut imaginer…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/129722/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Céline Bayou ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Sa centrale nucléaire permettra au Bélarus de produire assez d’électricité pour assurer sa consommation intérieure et même pour en exporter. Mais cette perspective ne réjouit pas tous ses voisins…Céline Bayou, Chercheuse associée au Centre de recherche Europes-Eurasie (CREE), Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1253222019-10-16T19:39:48Z2019-10-16T19:39:48Z17 octobre 1969, Saint-Laurent-des-Eaux : retour sur un accident nucléaire français<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/297125/original/file-20191015-98648-1fvabj3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Mécaniciens découpant à la scie le bouclier de l’alvéole. </span> <span class="attribution"><span class="source">Association technique pour l’énergie nucléaire (Bulletin d’information, 1971, n°89)</span></span></figcaption></figure><figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/297133/original/file-20191015-98648-c9c0gk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/297133/original/file-20191015-98648-c9c0gk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/297133/original/file-20191015-98648-c9c0gk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/297133/original/file-20191015-98648-c9c0gk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/297133/original/file-20191015-98648-c9c0gk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/297133/original/file-20191015-98648-c9c0gk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/297133/original/file-20191015-98648-c9c0gk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/297133/original/file-20191015-98648-c9c0gk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Carte du parc des réacteurs EDF en exploitation (2019).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://bit.ly/35yWlAc">IRSN</a></span>
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</figure>
<p>Deux unités de production de type graphite-gaz sont actuellement en déconstruction dans la centrale nucléaire de Saint-Laurent-des-Eaux, exploitée par EDF. Or un accident, peu connu du public, est survenu il y a cinquante ans sur le réacteur Saint-Laurent A1.</p>
<p>Le 17 octobre 1969, les opérateurs procèdent au renouvellement des éléments combustibles du réacteur. Au cours de la manœuvre, ils font une erreur de chargement, entravant la bonne circulation du gaz carbonique qui sert de réfrigérant. Le combustible commence à surchauffer et 50 kg d’un mélange d’uranium et de magnésium entrent rapidement en fusion, libérant des produits radioactifs et des gaz rares.</p>
<p>La remise en état de la centrale, obligeant une phase délicate d’évacuation du combustible fondu, nécessite la mobilisation de moyens télécommandés et de plusieurs centaines d’agents. Certains interviennent au plus près du réacteur, notamment pour récupérer les débris d’uranium. L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) classera l’événement au <a href="https://www.asn.fr/Controler/Actualites-du-controle/Avis-d-incident-des-installations-nucleaires/Evenements-significatifs-classes-au-niveau-4-sur-l-echelle-INES">niveau 4</a> de l’<a href="https://www.irsn.fr/FR/connaissances/Installations_nucleaires/La_surete_Nucleaire/echelle-ines/Pages/1-criteres-classement.aspx?dId=8a15297f-e5f9-42cd-9765-ed2049203773&dwId=a1de7c68-6d78-4537-9e6a-e2faebed3900">échelle INES</a>. Ce niveau correspond à un accident entraînant des rejets mineurs dans l’environnement. Three Mile Island (TMI) en 1979 a été classé au niveau 5 (accident avec rejets limités), Tchernobyl en 1986 et Fukushima en 2011 au niveau 7 (accident avec effets considérables sur la santé et l’environnement).</p>
<p>Saint-Laurent est donc un accident nucléaire, même si ses conséquences sont sans commune mesure avec ces trois événements marquants. En effet, alors qu’environ 50 kg d’uranium auraient fondu à Saint-Laurent, ce sont plusieurs dizaines de tonnes d’uranium qui sont entrées en fusion à TMI, Tchernobyl et Fukushima. Toutefois, si Saint-Laurent ne semble pas avoir engendré de contamination importante pour l’environnement et les travailleurs, les experts ne disposent <a href="https://www.irsn.fr/FR/connaissances/Environnement/expertises-incidents-accidents/rejets-plutonium-accident-Saint-Laurent/Pages/1-accident-Saint-Laurent-des-Eaux-1969-1980.aspx#.XZ9yxWY682w">pas d’informations précises</a> sur les rejets radioactifs qui lui sont liés et à la remise en état de l’installation, ce qui inquiète des associations comme la Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (<a href="https://www.criirad.org/installations-nucl/st-laurent-des-eaux/CP_2016-03-25_St%20Laurent.pdf">CRIIRAD</a>).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/297119/original/file-20191015-98653-17xe4h9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/297119/original/file-20191015-98653-17xe4h9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=472&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/297119/original/file-20191015-98653-17xe4h9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=472&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/297119/original/file-20191015-98653-17xe4h9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=472&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/297119/original/file-20191015-98653-17xe4h9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=593&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/297119/original/file-20191015-98653-17xe4h9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=593&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/297119/original/file-20191015-98653-17xe4h9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=593&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les réacteurs Saint-Laurent A1 et Saint-Laurent A2, centrale nucléaire de Saint-Laurent-des-Eaux (Loir-et-Cher).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikimedia</span></span>
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</figure>
<h2>La mort d’une filière</h2>
<p>Examinons de plus près le contexte dans lequel cet accident est survenu. Les doutes sur la filière graphite-gaz, considérée alors comme la technologie nucléaire « nationale » par la France, apparaissent <a href="http://theses.univ-lyon2.fr/documents/getpart.php?id=lyon2.2003.foasso_c&part=76282.">au milieu des années soixante</a>. Ils se cristallisent entre 1967 et 1969 durant la « guerre des filières », qui oppose les partisans du graphite-gaz à ceux des réacteurs à eau légère, de conception américaine, deux des principales <a href="http://www.cea.fr/comprendre/Pages/energies/nucleaire/essentiel-sur-les-filieres-de-reacteurs-nucleaires.aspx">technologies nucléaires</a> à cette époque à l’international.</p>
<p>De Gaulle affiche sa préférence pour la filière française. Mais sa démission en avril 1969 et l’élection de Pompidou en juin à la présidence de la République joueront en la faveur des réacteurs américains. Le nouveau chef de l’État penche en effet plutôt pour la filière à eau légère, considérée selon des rapports d’experts comme plus <a href="https://www.senat.fr/rap/1968-1969/i1968_1969_0042_09.pdf">compétitive</a>.</p>
<p>Le 16 octobre 1969, veille de l’accident, Marcel Boiteux, directeur général d’EDF, se rend à Saint-Laurent pour son inauguration. Dans son allocution, il précise :</p>
<blockquote>
<p>« Il y a actuellement dans le monde environ 80 millions de kW en construction ou en commande dans les filières à eau légère, alors que dans la filière gaz-graphite il y en a 8 millions… Vous voyez la disproportion… Sur le plan de la fiabilité, il y a toutes les raisons de penser qu’avec de pareilles séries, les constructeurs à eau légère maîtriseront beaucoup plus facilement les ennuis inévitables que présente toute réalisation de pointe ; alors qu’avec le marché plus réduit qui s’offre à la filière gaz-graphite, où nous avons toutes raisons de penser que nous continuerons aussi à avoir des difficultés, on aura beaucoup plus de peine à les maîtriser. »</p>
</blockquote>
<p>Nul ne se doute alors que le discours de Boiteux fera figure de prophétie autoréalisatrice. Le 14 novembre, Pompidou annonce officiellement la fin du programme graphite-gaz. Cette décision déterminera la signification que les opérateurs vont accorder aux travaux de réparation menés sur Saint-Laurent A1. Comme le souligne l’historienne américaine Gabrielle Hecht dans son ouvrage de référence <a href="http://www.editionsamsterdam.fr/le-rayonnement-de-la-france/"><em>Le Rayonnement de la France</em></a> (2004), les travailleurs sont confrontés à une double menace : celle, technique, que génère l’accident ; celle de la fin du programme qui remet en cause leur identité professionnelle et leur expertise. La remise en état de la centrale permet justement aux opérateurs de réaffirmer leur statut de pionniers de l’atome, tout en donnant sens à l’abandon de la filière française.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/297122/original/file-20191015-98636-1j2032i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/297122/original/file-20191015-98636-1j2032i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/297122/original/file-20191015-98636-1j2032i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/297122/original/file-20191015-98636-1j2032i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/297122/original/file-20191015-98636-1j2032i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/297122/original/file-20191015-98636-1j2032i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=544&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/297122/original/file-20191015-98636-1j2032i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=544&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/297122/original/file-20191015-98636-1j2032i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=544&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Vue d’une partie du chantier de remise en état du réacteur accidenté.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Association technique pour l’énergie nucléaire (Bulletin d’information, 1971, n°91)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Accidents oubliés</h2>
<p>Le 31 octobre 1969, un <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1969/10/31/la-centrale-nucleaire-saint-laurent-des-eaux-tombe-en-panne_2417892_1819218.html">article du <em>Monde</em></a> fait état de l’accident comme « incident ». Cela ne provoque aucune réaction en France. De son côté, EDF le commente dans des documents diffusés au sein de revues spécialisées, en faisant de la remise en service de l’installation un fait de gloire. Quelques années plus tard, l’événement semble être déjà oublié, comme le montre un <a href="https://m.ina.fr/video/SXCO2043420/centrale-nucleaire-de-saint-laurent-des-eaux-video.html">reportage télévisé de France Régions 3 Reims</a> tourné à la centrale de Saint-Laurent en 1975.</p>
<p>Le 13 mars 1980, un autre accident, également classé au niveau 4, se produit sur Saint-Laurent A2. Il est présenté comme peu dangereux et maîtrisé le lendemain dans l’émission <a href="https://www.ina.fr/video/PAC05011316/panne-a-la-centrale-video.html"><em>Centre actualités</em></a> de France Régions 3 Orléans. Mais la « panne à la centrale » de 1980, pas plus que « l’incident » de 1969, ne paraît inquiéter les journalistes ni même l’opinion publique. On est loin à cette époque de la frénésie médiatique qu’un événement comme l’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen a provoqué ces dernières semaines en France.</p>
<p>C’est la catastrophe de Fukushima qui conduit à rouvrir les vieux dossiers du nucléaire français. Le 22 mars 2011, <em>Le Point</em> publie un article sur les accidents de Saint-Laurent, intitulé <a href="https://www.lepoint.fr/societe/le-jour-ou-la-france-a-frole-le-pire-22-03-2011-1316269_23.php">« Le jour où la France a frôlé le pire »</a>. Puis suit, en mai 2015, la diffusion sur Canal+ de <a href="https://www.canalplus.com/decouverte/nucleaire-la-politique-du-mensonge/h/5039447_50034">« Nucléaire, la politique du mensonge ? »</a>, un documentaire qui parvient à faire bouger les lignes ; on y explique que les deux événements survenus à Saint-Laurent-des-Eaux ont été cachés et leurs conséquences environnementales minimisées.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/FLArT8XA3pI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« Nucléaire, la politique du mensonge ? » (documentaire HD3/Youtube, 2016).</span></figcaption>
</figure>
<p>Alors ministre de l’Écologie, Ségolène Royal répond en constituant une mission d’enquête dont les conclusions sont rendues dans un <a href="https://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/164000355.pdf">rapport</a> de plus de cent pages. Selon ce document, la santé du public et l’environnement n’ont jamais été menacés et les rejets, essentiellement gazeux, ont été effectués sans dépasser les limites alors en vigueur ; une faible pollution de la Loire a été observée, ce que confirmeront les <a href="https://www.irsn.fr/FR/Actualites_presse/Actualites/Documents/IRSN_NI_Rejets-plutonium-Loire_17032016.pdf">travaux</a> de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) ; les événements n’ont pas été dissimulés, même si les pratiques en matière de transparence et de communication étaient très différentes à l’époque.</p>
<p>Après la parution de ce rapport plutôt rassurant, Saint-Laurent retombe dans l’oubli. Curieuse amnésie quand tant de personnes s’interrogent sur la possibilité d’un accident nucléaire en France… Le public connaît mieux les catastrophes de Tchernobyl et de Fukushima du fait de leur ampleur. Les accidents de Saint-Laurent relèvent toutefois bien d’une perte de mémoire. Ils renvoient en cela à des événements dont notre culture du risque n’a pu s’imprégner et tirer profit. Reste à savoir si les <a href="https://www.sortirdunucleaire.org/Forum-du-cinquantenaire-du-1er-accident-de-la">actions commémoratives</a>, organisées pour le cinquantenaire de l’accident de 1969, susciteront ou non un travail d’anamnèse auprès des populations au plan local et, peut-être, national.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/125322/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michaël Mangeon effectue des travaux pour l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), sans rapport avec l’objet de l’article. Il a reçu des financements de l’IRSN.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Aurélien Portelli ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Il y a 50 ans, le réacteur A1 de la centrale de Saint-Laurent-des-Eaux dans le Loir-et-Cher connaissait un problème de chargement de combustible.Aurélien Portelli, Chargé de recherche en histoire des risques industriels, Centre de recherche sur les Risques et les Crises, Mines Paris - PSLMichaël Mangeon, Chercheur et consultant indépendant - Enseignant vacataire risques environnementaux, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1222422019-08-29T19:07:12Z2019-08-29T19:07:12ZLa série « Chernobyl » réécrit-elle l’histoire ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/289075/original/file-20190822-170951-1c8jtaa.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=114%2C0%2C1350%2C739&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La mini-série de dix épisodes retrace la catastrophe nucléaire survenue en 1986 à Tchernobyl, en URSS.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://www.allocine.fr/series/ficheserie-22429/photos/detail/?cmediafile=21626447">Site Allociné</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>La série <em>Chernobyl</em>, diffusée en mai par la chaîne américaine HBO, a suscité un intérêt exceptionnel, qui lui a valu de nombreuses réactions. Outre les <a href="http://www.allocine.fr/article/fichearticle_gen_carticle=18682103.html">critiques dithyrambiques</a> de la presse et du public, il y en a une à première vue plus curieuse : le 10 juin, la chaîne publique russe NTV annonçait qu’elle produirait une <a href="http://www.leparisien.fr/culture-loisirs/series/chernobyl-remontee-contre-la-serie-la-russie-va-produire-sa-propre-version-10-06-2019-8090373.php">contre-série avec une narration alternative</a>.</p>
<p>Selon elle, tout comme d’autres voix critiques russes, le réalisateur de <em>Chernobyl</em> Craig Mazin, qui propose une vision « réaliste » de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, aurait exagéré le rôle funeste des autorités soviétiques dans l’accident. La version russe, prenant un peu « plus de liberté » avec l’histoire de la catastrophe, <a href="https://www.theguardian.com/world/2019/jun/07/chernobyl-hbo-russian-tv-remake">selon <em>The Guardian</em></a>, met un agent de la CIA et un agent du contre-espionnage soviétique au centre de l’intrigue.</p>
<p>Cette initiative nous révèle au moins deux choses : d’une part, que les débats politiques autour de l’accident de Tchernobyl et de ses causes sont loin d’être clos et affectent à la fois la production de la série et sa réception. D’autre part que le contexte historique de la Guerre froide a toujours un impact central sur la vision contemporaine de la catastrophe nucléaire.</p>
<h2>La thèse de l’accident soviétique</h2>
<p><em>Chernobyl</em> insiste en effet beaucoup sur l’idée que la catastrophe nucléaire est avant tout un accident soviétique. Cette thèse est portée dès les premières minutes du premier épisode par le protagoniste Andrei Legassov et devient centrale (attention, spoiler !) lors du dernier épisode consacré au procès des accusés et à la recherche des responsables de la catastrophe.</p>
<p>Plus que les opérateurs individuels mis en cause par le tribunal comme boucs émissaires, le protagoniste convoque – avec héroïsme car au péril de sa propre vie – l’Union soviétique tout entière sur le banc des accusés : la course technologique l’aurait conduite à devenir « la seule nation » utilisant des réacteurs avec du graphite dans les barres de contrôle et « sans confinement autour de la cuve, comme ça se fait à l’Ouest ».</p>
<p>De plus, la prééminence du secret dans tous les domaines de la vie publique aurait empêché les responsables de la centrale nucléaire de prendre connaissance de ses faiblesses technologiques – des informations indispensables pour empêcher la catastrophe. « Voilà ce qui a fait exploser le cœur d’un réacteur RBMK : nos mensonges ! », s’exclame Legassov lors de l’épisode final à propos du type de réacteur soviétique en cause.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/289086/original/file-20190822-170931-rtkxut.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/289086/original/file-20190822-170931-rtkxut.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/289086/original/file-20190822-170931-rtkxut.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/289086/original/file-20190822-170931-rtkxut.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/289086/original/file-20190822-170931-rtkxut.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/289086/original/file-20190822-170931-rtkxut.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/289086/original/file-20190822-170931-rtkxut.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Anatoli Stepanovitch Diatlov était l’ingénieur en chef adjoint de la centrale nucléaire de Tchernobyl la nuit de la catastrophe.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.allocine.fr/series/ficheserie-22429/photos/detail/?cmediafile=21626446">Allociné</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
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<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/289087/original/file-20190822-170941-1ryltx2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/289087/original/file-20190822-170941-1ryltx2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/289087/original/file-20190822-170941-1ryltx2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/289087/original/file-20190822-170941-1ryltx2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/289087/original/file-20190822-170941-1ryltx2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=376&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/289087/original/file-20190822-170941-1ryltx2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=376&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/289087/original/file-20190822-170941-1ryltx2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=376&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le cœur du réacteur en feu.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.allocine.fr/series/ficheserie-22429/photos/detail/?cmediafile=21626445">Allociné</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Le réalisme revendiqué de la série, une ambition qui explique sans doute une partie de son succès, a été discuté à plusieurs reprises depuis sa sortie. Le débat concerne les <a href="https://www.sciencesetavenir.fr/decouvrir/tele-cinema/ces-questions-que-l-on-se-pose-encore-apres-avoir-vu-la-serie-chernobyl_134402">effets sanitaires des radiations</a> ou encore l’exactitude des images historiques <a href="https://www.telerama.fr/series-tv/chernobyl-pour-les-sovietiques,-le-regime-communiste-etait-plus-fort-que-latome,n6310189.php">des personnages et décors de l’Union soviétique des années 1980</a>, mais la représentation de Tchernobyl comme un accident intrinsèquement soviétique soulève peu de questions.</p>
<p>Après tout, elle peut paraître évidente aujourd’hui, notamment pour les spectateurs plus jeunes, pour qui l’Union soviétique ainsi que la catastrophe de Tchernobyl constituent une réalité lointaine, <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/tchernobyl/pourquoi-la-serie-chernobyl-nous-fascine-et-nous-effraie-autant_3489739.html">comme l’a souligné la sociologue Christine Fassert dans un entretien récent</a>.</p>
<p>Pourtant, l’explication de la série (présentée comme « la vérité » éclatant au grand jour malgré les dissimulations et dénégations des responsables soviétiques) est le produit d’un travail de mémoire autour de l’accident, marqué par de nombreuses controverses autour des causes de la catastrophe et des responsabilités associées. Peut-on réellement dire que cet accident n’aurait pu se produire ailleurs qu’en URSS ? Les travaux en sciences sociales sur Tchernobyl, mais aussi sur d’autres accidents nucléaires, nous invitent à mettre la singularité soviétique de la catastrophe en doute.</p>
<h2>Une technologie exceptionnellement vulnérable ?</h2>
<p>La série renvoie d’abord aux défauts de conception de la technologie RBMK. Le choix de ce type de réacteurs était-il particulièrement risqué, voire soumis à une course scientifique et technologique délaissant les questions de sécurité ?</p>
<p>Certains travaux d’historiens, <a href="https://mitpress.mit.edu/books/producing-power">comme ceux de Sonja Schmid</a>, qui retracent les décisions ayant conduit à adopter la technologie RBMK en URSS, répondent par la négative. Le choix de cette technologie fait suite à des arbitrages très similaires à ceux de l’Ouest, prenant en compte des aspects politiques et économiques.</p>
<p>Rien ne permettait d’affirmer, avant la catastrophe de Tchernobyl, que cette technologie serait intrinsèquement plus dangereuse qu’une autre. Après l’accident, l’industrie nucléaire soviétique a tenté de réduire les vulnérabilités identifiées… tout comme dans le cas des accidents dans les réacteurs occidentaux – l’accident de Three Mile Island en 1979 aux États-Unis par exemple. Les accidents nucléaires ont toujours été appréhendés comme des « expériences » pour améliorer la technologie et la formation du personnel.</p>
<p>Dans quelle mesure les défauts de conception ont-ils joué un rôle dans la catastrophe de Tchernobyl ? Pointés par Andrei Legassov dans la série, ce sont en réalité d’abord les accusés du procès, comme Anatoli Diatlov, qui mettent en avant le rôle de la technologie RBMK. L’une de leurs stratégies de défense consistent à réduire la critique des « erreurs humaines », en insistant sur le fait que « toutes les procédures ont été respectées » sans pour autant empêcher la catastrophe. Si cette explication a le mérite d’éviter d’individualiser l’accident, on ne peut pas penser la conception d’un réacteur comme distincte de son opération. Les procédures sont loin d’être inéluctables et intangibles.</p>
<p><a href="https://www.puf.com/content/Le_nucl%C3%A9aire_%C3%A0_l%C3%A9preuve_de_lorganisation">Les travaux de sociologie du travail</a> sur les centrales nucléaires montrent que les opérateurs font bien plus que de suivre des procédures. Ils doivent les réinterpréter et les discuter avec leurs collègues en fonction de nombreuses situations imprévues, inédites, non-anticipées lors de la conception des réacteurs. Ces « parades » comblent ainsi partiellement une conception nécessairement imparfaite, incapable de prévoir tout ce qui pourrait arriver, que ce soit dans les réacteurs soviétiques ou occidentaux.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"724999024999194625"}"></div></p>
<h2>Le secret nucléaire en URSS… et en Europe</h2>
<p>En outre, cette histoire télévisuelle de l’accident soviétique renvoie au rôle du « système » politique et social dans son ensemble, presque défini par son recours systématique au secret. Si le rôle du secret dans les institutions nucléaires est indéniable, cela ne constitue là encore nullement une spécificité soviétique.</p>
<p>En Europe, la période post-Tchernobyl est marquée par <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/la-france-nucleaire-l-art-de-gouverner-une-technologie-contestee-sezin-topcu/9782021052701">des mobilisations à large échelle</a> contre « le gouvernement par le secret » et les discours rassurants des gouvernements, français avant tout. La protection des filières nucléaires nationales contre des critiques et mobilisations anti-nucléaires repose à cette période très largement sur la rétention d’informations jugées sensibles, comme les scénarios d’accidents étudiés en interne.</p>
<p>Comment comprendre alors que la thèse d’un « accident soviétique » soit aussi centrale dans la série ? Un premier élément de réponse renvoie au fait que la série reprend l’explication dominante de Tchernobyl, issue d’une longue construction historique, prise dans les enjeux politiques et économiques de la filière nucléaire. Ainsi, la critique de la conception des réacteurs RBMK est au départ portée par des « dissidents » soviétiques. Elle est ensuite reprise et formalisée dans les espaces de coopération internationaux sur l’accident, en particulier dans le cadre du travail de l’Agence internationale de l’énergie atomique. Elle est alors légitimée comme l’une des explications centrales de Tchernobyl.</p>
<p>Ultérieurement, elle est mobilisée lors des négociations d’adhésion européenne des pays ex-soviétiques (dont la Lituanie, où la série a été tournée en large partie) pour exiger la fermeture des anciens réacteurs de « type Tchernobyl » attestant officiellement la supériorité de la technologie occidentale.</p>
<h2>Un positivisme exacerbé</h2>
<p>Un deuxième élément de réponse à la prédominance de la lecture soviétique de l’accident de Tchernobyl renvoie davantage au rôle de la science et des scientifiques dans la série. Dans la conclusion du dernier épisode, le personnage d’Andrei Legassov soutient qu’« être scientifique » c’est chercher « la vérité », même si « bien peu de gens veulent réellement que nous la trouvions. Pourtant elle est toujours là quelque part, que nous le voyions ou pas, que nous choisissions de la dire ou non. […] Elle reste là à attendre pour l’éternité. »</p>
<p>Cette vision de la Science (avec une majuscule), qui doit être comprise dans le contexte <a href="http://www.slate.fr/story/178467/chernobyl-serie-interview-createur-craig-mazin-nucleaire-urss">du débat autour du climatoscepticisme aux États-Unis</a>, laisse bien peu de place au doute, à la controverse et aux désaccords sur ce qui s’est passé à Tchernobyl. À l’inverse, cette explication est très rassurante : il aurait suffi de connaître l’effet du « bouton d’urgence AZ5 » – pouvant conduire à l’explosion du réacteur dans certaines situations (une information classée secrète) pour éviter la catastrophe. La singularisation de Tchernobyl comme un « accident soviétique » produit une explication univoque et bien connue. Surtout, elle suggère qu’il serait très facile d’éviter qu’une telle catastrophe se reproduise. Comme si faire la vérité sur un problème suffisait pour y remédier.</p>
<p>Ce cadrage n’est pas dénué <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2019/08/BALDASSARRA/60137">d’un message plus large sur l’énergie nucléaire</a>, assumé par le réalisateur Craig Mazin : « Le sujet de <em>Chernobyl</em> n’est pas “l’énergie nucléaire est dangereuse”, car ce n’est pas le cas en Occident, où elle est très sûre. » Comment, dès lors, comprendre les autres catastrophes nucléaires, comme celle de <a href="https://theconversation.com/fukushima-seven-years-later-case-closed-93448">Fukushima Dai-ichi en mars 2011 au Japon</a> ? Singulariser les explications pourrait être bien une tendance générale de l’<a href="https://journals.openedition.org/sdt/14611">approche contemporaine des accidents nucléaires</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1104936223414587392"}"></div></p>
<h2>Des comportements « typiquement japonais »</h2>
<p>Dans le cas de Fukushima, bien loin de ces circonstances soviétiques, dans des réacteurs de technologie américaine et suivant les normes opérationnelles internationales, l’un des fils argumentaires (rassurant) consiste à exposer le caractère « typiquement japonais » du comportement des opérateurs. Cette fois-ci, ils auraient suivi les procédures de façon trop rigide et n’auraient pas osé signaler des problèmes potentiels, en raison d’un respect de la hiérarchie typiquement japonais !</p>
<p>Cet argument culturaliste est par exemple présent dans le <a href="https://www.cpepesc.org/IMG/pdf/version_francaise_du_rapport_independant_sur_Fukushima_1_.pdf">rapport officiel de la Commission d’enquête indépendante</a> sur l’accident nucléaire de Fukushima. Cependant, cette histoire, contestée à son tour, est peut-être trop simpliste pour constituer une trame crédible d’une prochaine œuvre cinématographique grand public. Après la contre-série russe de Tchernobyl, à quand la série-événement révélant « la vérité » sur Fukushima ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/122242/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Valerie Arnhold a reçu des financements de l'Agence nationale de recherche.</span></em></p>La série défend l’idée selon laquelle la catastrophe nucléaire de Tchernobyl n’aurait pas pu se produire ailleurs. Une thèse qui s’appuie sur des fondements historiques très contestables.Valérie Arnhold, Doctorante en sociologie des risques et des organisations, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1183032019-06-05T14:06:55Z2019-06-05T14:06:55ZLe Jour J et la popularité grandissante du « tourisme noir »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/277952/original/file-20190604-69071-3ish8x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des touristes sur la plage d'Omaha, en Normandie, lieu du débarquement des alliés en 1944, dont on commémore le 75e anniversaire. </span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>La France et la Grande-Bretagne commémorent, aujourd'hui et demain, le 6 juin, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Jour_J">le 75e anniversaire du Jour-J.</a></p>
<p>Les visiteurs sont nombreux à affluer vers les sites du débarquement de Normandie. En Angleterre, Portsmouth, sur la côte sud, est le point central de la commémoration. Son port et ses plages ont servi de point d'embarquement pour des milliers de soldats en 1944.</p>
<p>Au total, on estime que <a href="https://www.theguardian.com/world/2019/apr/22/normandy-prepares-for-75th-anniversary-of-d-day-landings">deux millions de « touristes du souvenir »</a> visiteront les plages de Normandie à l'occasion du 75e anniversaire cette année. </p>
<p>Déjà, la presse française rapporte que les abords d’Omaha Beach et du cimetière militaire américain de Colleville-sur-Mer <a href="https://www.ouest-france.fr/d-day/75e-anniversaire-du-debarquement-affluence-sur-les-sites-du-6-juin-gros-bouchons-omaha-beach-6378485">sont saturés depuis une semaine</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/277954/original/file-20190604-69055-16y5ila.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/277954/original/file-20190604-69055-16y5ila.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/277954/original/file-20190604-69055-16y5ila.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/277954/original/file-20190604-69055-16y5ila.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/277954/original/file-20190604-69055-16y5ila.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/277954/original/file-20190604-69055-16y5ila.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/277954/original/file-20190604-69055-16y5ila.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un groupe de touristes américains sur la plage d'Omaha, en Normandie.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
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<p>Il est facile de comprendre pourquoi tant de gens veulent visiter les principaux sites de ce qui est, après tout, l'un des moments marquants de la Seconde Guerre mondiale en Europe. Surtout pour les anciens combattants ou les familles de ceux qui ont risqué leur vie. </p>
<p>Mais il y a aussi ceux qui trouvent que l'idée de visiter des lieux marqués par la mort et la destruction est <a href="https://theconversation.com/it-may-be-macabre-but-dark-tourism-helps-us-learn-from-the-worst-of-human-history-60966">un peu macabre</a>. </p>
<p>Car la Normandie n'est qu'un des lieux marquants de ce type de tourisme. Selon certaines informations, des jours-ci, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/06/04/place-tiananmen-une-normalite-sous-etroite-surveillance_5471231_3210.html">les autorités chinoises assurent une sécurité renforcée</a> autour de la place Tiananmen à Pékin à l'occasion du 30e anniversaire de l'écrasement des manifestations étudiantes en 1989, qui ont fait des centaines de morts. </p>
<h2>Des vacances en enfer</h2>
<p><a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Tourisme_noir">Le « tourisme noir »</a>, aussi appelé « tourisme sombre », « tourisme catastrophe » ou encore <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0261517717300092">thanatourisme</a> - du mot grec “<em>thanatos</em>” signifiant mort), est un marché en pleine croissance, qu'il s'agisse de visiter les champs de bataille de Normandie ou le camp d'Auschwitz, en Pologne. Les gens ont de nombreuses bonnes raisons de faire un détour par cet abominable camp de la mort, ne serait-ce qu'à titre éducatif. Plusieurs décident ainsi, au moins une fois dans leur vie, de délaisser la plage et de visiter plutôt des sites où de sombres événements se sont déroulés.</p>
<p>Le tourisme noir a été identifié dans les années 1990. Il est défini comme « une attraction pour les lieux associés à la mort ». Les chercheurs estiment que cette tendance est <a href="https://www.researchgate.net/publication/269352606_Battlefield_sites_sites_as_dark_tourism_attractions_An_analysis_of_experience">difficile à cerner</a> car les touristes ne réalisent pas nécessairement qu'ils visitent un site identifié comme « sombre » ou « noir ». Plus de 2,1 millions de personnes ont visité le camp de concentration d'Auschwitz en 2018, alors que le mémorial du 11 septembre à New York a attiré plus de 6,8 millions de visiteurs en 2017. </p>
<p>La célèbre prison d'Alcatraz, aux États-Unis, attire environ 1,4 million de visiteurs chaque année. Et, fait intéressant, étant donné la perception répandue des risques pour la santé, le site de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, en Ukraine,<a href="https://theconversation.com/tchernobyl-33-ans-apres-laccident-nucleaire-la-nature-se-porte-bien-merci-118082"> devient aussi une destination populaire pour les curieux. </a></p>
<p>En raison de l'énorme succès <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Chernobyl_(mini-s%C3%A9rie)">de l'actuelle série dramatique <em>Chernobyl</em>, produite par HBO </a> sur la catastrophe, on peut parier qu'il y aura une augmentation du nombre de visiteurs sur le site de l'ancienne centrale nucléaire. En 2017, on estime <a href="https://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/32-ans-apres-tchernobyl-l-essor-du-tourisme-nucleaire-en-ukraine_123415">que 50 000 personnes ont visité la région</a>. </p>
<p>La même tendance s'observe sur le site de la catastrophe nucléaire de Fukushima, en 2011, au Japon, <a href="http://www.fukushimaminponews.com/news.html?id=943">qui a reçu environ 17 000 visiteurs en 2018 </a>.</p>
<h2>Fascination morbide ?</h2>
<p>Les raisons que les gens invoquent pour visiter ces sites touristiques marqués par la mort et la dévastation sont <a href="https://reader.elsevier.com/reader/sd/pii/S0261517717300092?token=6BB2057C8619103149A9DD5B413BADD4A3CAB2FB1B15FAB8A047CACAE3C5CED78FCBFDC1A204647C046902D0EF677E6F">nombreuses et variées</a>. Il peut s'agir de vouloir comprendre l'histoire de sa propre famille et de rendre hommage à ses proches. Il y a aussi un désir d'empathie ou d'identification avec les victimes d'atrocités, ou le désir de voir un site significatif à des fins d'éducation et de compréhension. Bien sûr, parfois, il y a un élément de voyeurisme.</p>
<p>Malheureusement, tout le monde n'aborde pas ces sites avec le respect qu'ils méritent. Nous vivons à l'ère de l'égoïsme et de l'égoportrait. Bien qu'ils soient inappropriés, de nombreux touristes font la queue pour se prendre en photo au mémorial du 11 septembre. <a href="https://uk.reuters.com/article/uk-usa-sept11-mood/sorrow-selfies-compete-at-new-yorks-9-11-memorial-15-years-on-idUKKCN11F1CA">Cela a conduit à des appels en faveur de l'interdiction des « bâtons de selfie » dans Ground Zero.</a> De même, les visiteurs d'Auschwitz ont été invités à <a href="https://www.independent.co.uk/news/world/europe/auschwitz-selfies-visitors-posing-railway-poland-a8833746.html">arrêter de se prendre en photos</a> lorsqu'ils déambulent sur les fameuses voies ferrées.</p>
<p>Quelles que soient les raisons pour lesquelles ils visitent les sites associés à la souffrance, à la mort et au deuil, beaucoup de gens trouvent leurs visites cathartiques et enrichissantes. Il ne fait aucun doute que parmi les nombreuses personnes qui se rendent ces jours-ci à Portsmouth ou sur les champs de bataille de Normandie pour le 75e anniversaire du jour J, il y en a beaucoup pour qui c'est la première occasion de rendre hommage à un parent ou à un grand-parent qui a sacrifié sa vie pour le bien commun. </p>
<p>Alors, pour tous ceux qui pourraient être attirés vers ces lieux par curiosité, ou simplement parce que c'est une destination inscrite dans votre <em>bucket list</em>, rappelez-vous que pour beaucoup de gens, vous marchez sur une terre sacrée. Allez-y donc doucement, et discrètement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/118303/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Liz Sharples ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les plages de Normandie, le camp d'Auschwitz, Tchernobyl ou Fukushima sont des destinations pour le «tourisme noir», soit la visite de lieux marqués par la mort et la destruction.Liz Sharples, Senior Teaching Fellow (Tourism), University of PortsmouthLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1180822019-05-31T15:10:15Z2019-05-31T15:10:15ZTchernobyl : 35 ans après l’accident nucléaire, découvrez comment la nature y a repris ses droits.<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/277290/original/file-20190530-69095-1wfzcju.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C16%2C1151%2C635&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Vue de la centrale nucléaire de Tchernobyl, en Ukraine, prise le 4 mai 2017, et du bâtiment de confinement installé sur le réacteur numéro 4.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Germán Orizaola</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Le 26 avril 1986, le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Catastrophe_nucl%C3%A9aire_de_Tchernobyl">réacteur numéro 4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl, en Ukraine, a explosé lors d’essais techniques</a>. L’accident a provoqué des radiations 400 fois plus élevées que celles libérées par la <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/732699/hiroshima-70ans-deuxieme-guerre-mondiale-bombe-atomique">bombe nucléaire larguée sur Hiroshima, au Japon, en 1945</a>.</p>
<p>Il s’agit, à ce jour, du plus grave accident nucléaire de l’histoire.</p>
<p>Les travaux de décontamination ont commencé immédiatement. Une zone d’exclusion a été créée autour de la centrale nucléaire. Quelque 350 000 personnes ont été évacuées. Elles ne sont jamais rentrées chez elles. Aujourd’hui encore, la zone est interdite aux êtres humains.</p>
<p>L’accident a eu un impact majeur sur la population humaine. Bien qu’il n’y ait pas de chiffres clairs, les conséquences sur la population, tant sur le plan physique (mortalité, maladies) que psychologique (évacuation massive) ont été très graves.</p>
<p>L’impact initial sur la nature a également été significatif. L’une des zones les plus touchées a été la forêt de pins, maintenant connue sous le nom de « forêt rouge ». Cette zone a reçu les plus fortes doses de radiation. Les pins sont morts instantanément et toutes leurs feuilles sont devenues rouges. Peu d’animaux ont survécu aux doses radioactives les plus élevées.</p>
<p>Par conséquent, après l’accident, on a supposé que la zone d’exclusion deviendrait un désert à vie. Étant donné la longue période de décomposition de certains composés radioactifs, on a supposé que la région resterait inhabitée pendant des siècles.</p>
<h2>La faune et la flore de Tchernobyl aujourd’hui</h2>
<p>Aujourd’hui, 35 ans après l’accident, Tchernobyl abrite des ours, des bisons, des loups, des lynx, des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Cheval_de_Przewalski">chevaux Przewalski</a> et quelque 200 espèces d’oiseaux, entre autres.</p>
<p>Entre le 4 et le 6 mars 2019, les principaux groupes de recherche travaillant sur la nature de Tchernobyl se sont réunis à Portsmouth, en Angleterre. Une trentaine de chercheurs d’Ukraine, de France, de Belgique, de Norvège, d’Espagne, d’Irlande et du Royaume-Uni ont présenté les derniers résultats de nos analyses. Il s’agit notamment d’études sur les grands mammifères, les oiseaux nicheurs, les amphibiens, les poissons, les abeilles, les vers, les bactéries ainsi que sur la décomposition des feuilles.</p>
<p>Les communications présentées ont montré que la zone d’exclusion abrite désormais une grande biodiversité. En outre, elles ont confirmé l’absence générale d’effets négatifs <a href="https://cna.ca/fr/enjeux-et-politique/rayonnement/quest-ce-que-le-rayonnement/">des rayonnements</a> sur les populations animales et végétales de Tchernobyl. Tous les groupes étudiés maintiennent des populations abondantes et parfaitement fonctionnelles dans la région.</p>
<p>Un parfait exemple de la diversité de la faune de Tchernobyl est donné par <a href="https://tree.ceh.ac.uk/">projet TREE</a> (<em>Transfer, Exposure and Effects</em>). Dans le cadre de ce projet, des caméras infrarouges ont été installées pendant plusieurs années dans toute la zone d’exclusion. Les photos révèlent la présence d’une faune abondante et ce, à tous les niveaux de rayonnement. Ces caméras ont détecté pour la première fois la présence d’ours bruns et de bisons européens dans la région ukrainienne, ainsi que l’expansion des populations de loups et de chevaux de Przewalski.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/266315/original/file-20190328-139349-1z0amj3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/266315/original/file-20190328-139349-1z0amj3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=428&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/266315/original/file-20190328-139349-1z0amj3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=428&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/266315/original/file-20190328-139349-1z0amj3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=428&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/266315/original/file-20190328-139349-1z0amj3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=538&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/266315/original/file-20190328-139349-1z0amj3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=538&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/266315/original/file-20190328-139349-1z0amj3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=538&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Bison européen (<em>Bison bonasus</em>), lynx roux (<em>Lynx lynx</em>), wapiti (<em>Alces alces</em>) et ours brun (<em>Ursus arctos</em>) photographiés par des caméras du projet TREE dans la zone d’exclusion de Tchernobyl, en Ukraine.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Project TREE/Sergey Gaschack</span></span>
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</figure>
<p>Notre <a href="https://www.gorizaola.wordpress.com/blog">travail avec les amphibiens de Tchernobyl</a> a également permis de détecter des populations abondantes de toutes les espèces, même dans les zones les plus contaminées. Nous avons également trouvé des preuves de réactions adaptatives aux rayonnements, comme des changements dans la coloration des grenouilles. Celles qui vivent dans la zone d’exclusion sont plus foncées, ce qui pourrait les protéger des radiations.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/266311/original/file-20190328-139374-1tsq409.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/266311/original/file-20190328-139374-1tsq409.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/266311/original/file-20190328-139374-1tsq409.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/266311/original/file-20190328-139374-1tsq409.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/266311/original/file-20190328-139374-1tsq409.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/266311/original/file-20190328-139374-1tsq409.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/266311/original/file-20190328-139374-1tsq409.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Grenouille adulte (<em>Hyla orientalis</em>), Tchernobyl, mai 2018.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Germán Orizaola</span></span>
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</figure>
<p>Certains effets négatifs du rayonnement ont toutefois été détectés au niveau individuel. Certains insectes, par exemple, semblent vivre moins longtemps et être plus affectés par les parasites dans les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Rayonnement_de_fond">zones à fort rayonnement</a>. Certains oiseaux présentent également des dommages à leur système immunitaire, une augmentation de l’albinisme et des altérations génétiques. Cela étant, ces altérations ne semblent pas affecter le maintien des populations.</p>
<p>L’absence générale d’effets négatifs des rayonnements sur la faune de Tchernobyl peut être due à plusieurs facteurs. D’une part, les organismes vivants pourraient être beaucoup plus résistants aux rayonnements que prévu. Par ailleurs, les espèces commenceraient à montrer des réactions d’adaptation qui leur permettraient de vivre dans des zones contaminées sans subir d’effets négatifs. De plus, l’absence d’humains dans la région pourrait favoriser de nombreuses espèces, en particulier les grands mammifères.</p>
<p>Cette dernière option indiquerait que la pression exercée par les activités humaines s’avérerait plus négative à moyen terme pour la faune sauvage qu’un accident nucléaire. Une vue tout à fait révélatrice de l’impact de l’être humain sur l’environnement naturel.</p>
<h2>L’avenir de Tchernobyl</h2>
<p>En 2016, la partie ukrainienne de la zone d’exclusion a été déclarée Réserve radiologique de la biosphère par le gouvernement ukrainien. Contrairement aux prévisions initiales, la zone sert aujourd’hui de refuge à de nombreuses espèces menacées à l’échelle européenne ou nationale. Il s’agit notamment de l’ours brun, du bison européen, du cheval de Przewaslki, de la cigogne noire et de l’aigle poméranien.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/266142/original/file-20190327-139341-1r7mv8j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/266142/original/file-20190327-139341-1r7mv8j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/266142/original/file-20190327-139341-1r7mv8j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/266142/original/file-20190327-139341-1r7mv8j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/266142/original/file-20190327-139341-1r7mv8j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/266142/original/file-20190327-139341-1r7mv8j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/266142/original/file-20190327-139341-1r7mv8j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Campagne et forêt riveraine dans la zone d’exclusion de Tchernobyl. Photo prise en mai 2016.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Germán Orizaola</span></span>
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<p>Au fil des ans, Tchernobyl est également devenu un excellent laboratoire naturel pour l’étude de l’évolution dans des environnements extrêmes.</p>
<p>Actuellement, plusieurs projets tentent de relancer l’activité humaine dans la région. <a href="https://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/32-ans-apres-tchernobyl-l-essor-du-tourisme-nucleaire-en-ukraine_123415">Le tourisme de catastrophe est devenu populaire, avec plus de 70 000 visiteurs en 2018</a>. Il est prévu de construire des installations solaires pour la production d’énergie. À l’automne dernier, un festival de musique électronique a été organisé dans la ville abandonnée de Prípiat.</p>
<p>En 35 ans, Tchernobyl est passée du statut de désert pour la vie à celui de zone d’intérêt pour la conservation de la faune. Paradoxalement, il est maintenant nécessaire de maintenir l’intégrité de la zone d’exclusion en tant que réserve si nous voulons qu’elle reste, à l’avenir, un refuge pour les êtres vivants.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/118082/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Germán Orizaola a reçu des fonds du ministère espagnol de la Science, de l'Innovation et des Universités, à travers le programme Ramón y Cajal. Il maintient des projets de recherche subventionnés par l'Agence suédoise de sécurité nucléaire (SSM-Strålsäkerhetsmyndighetens).</span></em></p>Trente-cinq ans après l’accident, Tchernobyl abrite une faune et une flore diversifiées, passant du statut de désert pour la vie à celui de zone d’intérêt pour la conservation de la faune.Germán Orizaola, Investigador Ramón y Cajal, Universidad de OviedoLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1126552019-03-10T20:02:27Z2019-03-10T20:02:27ZLes cerisiers de Fukushima<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/262919/original/file-20190308-155510-1flt9m4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le « Miharu Takizakura », cerisier pleureur de plus de mille ans. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/night-scenery-illuminated-miharu-takizakura-thousandyearold-1066840772">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>En ce mois de mars 2019, l’accident de Fukushima paraît intégré à notre imaginaire comme un souvenir traumatisant, une date de commémoration nous rappelant notre fragilité face à la démesure des forces naturelles. Huit ans déjà qu’un séisme sans précédent a secoué le Tohôku et que des vagues de près de vingt mètres ont balayé le site de Daiichi.</p>
<p>En Occident, au-delà de l’immédiateté de l’événement, on a vu dans ses conséquences démentielles une <a href="https://theconversation.com/sept-ans-apres-fukushima-affaire-classee-93160">rupture dans l’histoire</a> : contamination de vastes territoires autour de la centrale, déplacement de dizaines de milliers de personnes, destruction d’activités économiques, faillite technologique d’une grande puissance, renforcement du discrédit jeté sur les institutions japonaises, mise à l’arrêt du parc nucléaire nippon pour inspection et recours massif aux énergies fossiles ; et aussi, audits à l’échelle internationale de la mise en œuvre des normes de sûreté, remise en cause de la filière dans certains pays…</p>
<p>Fukushima a également été interprété comme un <a href="https://theconversation.com/tchernobyl-epidemiologie-dune-catastrophe-58315">« jumeau » de Tchernobyl</a>, réitération du « mal » radioactif produit par la démesure industrielle qui avait creusé le tombeau de l’incurie soviétique.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"972435842256994304"}"></div></p>
<h2>Une autre vision de la catastrophe</h2>
<p>Dans l’imaginaire japonais cependant, la rupture catastrophique ne renvoie ni à une brisure irréparable, ni à un refoulement dans une éternelle répétition du même. L’apocalypse <em>made in Japan</em> « porte en germe un avenir qu’il revient aux hommes de faire lever », souligne l’historien <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2011/04/BOUISSOU/20356">Jean‑Marie Bouissou</a> dès avril 2011.</p>
<p>Au Japon, la catastrophe s’ouvre sur une renaissance, dans un rapport spécifique au temps. La nécessité de réexaminer l’événement sous cet angle nous est apparue de manière spectaculaire lors de notre visite de la centrale accidentée en mars 2017.</p>
<p>Sur le terrain, le chantier de démantèlement et de décontamination, programmé sur plusieurs décennies, confronte les équipes à des défis technologiques inouïs. Il faut continuer de refroidir les réacteurs et les piscines, retirer les combustibles dégradés, contenir les rejets en traitant les eaux radioactives, créer de nouveaux moyens de stockage des boues contaminées et des déchets à une échelle inédite, identifier les éléments des combustibles fondus à l’aide de petits robots.</p>
<p>L’une des réalisations les plus ambitieuses est la construction d’un mur de glace autour des réacteurs pour isoler les eaux contaminées. Les mesures de radioactivité, affichant parfois des valeurs importantes, sont à la vue de tous et omniprésentes sur le site, où plus de six mille personnes œuvrent quotidiennement pour maîtriser les installations, toujours soumises au risque de séisme et de tsunami.</p>
<p>En circulant au plus près des réacteurs détruits, nous découvrons un site en pleine effervescence, lieu d’une reconfiguration des rapports entre l’homme, la nature et la technologie. Autour de nous s’étend un milieu artificialisé à l’extrême. La végétation a disparu et le béton a entièrement recouvert les collines, dans l’espoir de réduire la radioactivité des sols.</p>
<p>Pourtant, au cœur de ce paysage d’un autre monde, nous apercevons des arbres que les décontamineurs n’ont pas coupés : ce sont les cerisiers de Fukushima, alors en pleine fleuraison. Leur présence nous surprend et nous le faisons remarquer à l’ingénieur qui nous accompagne. Celui-ci nous précise que ces arbres ne seront pas retirés du site, alors même qu’ils obstruent le chantier et la circulation des équipements de décontamination. C’est que les travaux d’ingénierie menés à Daiichi ne se résument pas seulement à une « réparation » de la catastrophe ni à une restitution des lieux à leur état original.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1016245649648619520"}"></div></p>
<h2>La symbolique des cerisiers au Japon</h2>
<p>Pour les Japonais, les fleurs de cerisier constituent un polysème. D’abord reliées à la force de vie dans le Japon ancien, de nouvelles symboliques ont émergé.</p>
<p>À partir de la période Heian (794-1185), la chute des fleurs de cerisier renvoie au pathos de l’éphémère. Entre les VIII<sup>e</sup> et IX<sup>e</sup> siècles, l’esthétique de ce végétal devient également pour les Japonais le symbole de leur identité et de leur sentiment d’appartenance collective. Sous l’ère Meiji (1868-1912), la fleur de cerisier est associée à l’idéologie nationaliste promouvant la mort pour le roi, l’empereur, incarnation de la patrie. Cette symbolique atteint <a href="http://www.editions-hermann.fr/4136-kamikazes-fleurs-de-cerisiers-et-nationalisme.html">son paroxysme durant la guerre du Pacifique</a>, où les fleurs de cerisier sont utilisées pour nommer des corps d’armée et décorer les avions pilotés par les kamikazes.</p>
<p>Aujourd’hui encore, le cerisier occupe une place importante dans la culture nippone, malgré la signification funeste qu’il a eue durant la Seconde Guerre mondiale. <a href="https://apjjf.org/2011/9/29/Murakami-Haruki/3571/article.html">L’écrivain Haruki Murakami</a> explique à quel point les Japonais apprécient le spectacle fugace de la floraison des cerisiers, et se demande si les catastrophes n’influencent pas en quelque sorte cette manière de penser :</p>
<blockquote>
<p>« Tout au long de l’histoire, les Japonais ont survécu à tous les désastres qui nous sont tombés dessus. Nous les avons acceptés comme des événements dans un certain sens inévitables, qui se combinent pour surmonter les dommages qu’ils ont infligés. Ainsi, il est possible que ces expériences aient en quelque sorte influencé notre sensibilité esthétique. »</p>
</blockquote>
<p>Le cerisier reflète donc en partie l’âme des Japonais ; il participe à un imaginaire temporel que nous associons à la « logique d’actualisation ». Pour expliciter cette notion, remarquons qu’en Occident, les objets exposés dans des musées sont définitivement extraits du quotidien pour être donné à voir à travers leur valeur historique. Rien de tel au Japon. Ainsi, les trésors de Shôsôin sont uniquement montrés lors d’une exposition annuelle et restent invisibles le reste du temps. Ces objets sont exhibés non pas pour représenter le passé, mais pour montrer qu’ils sont toujours dans le présent.</p>
<p>De même, les palais et certains temples de Kyôto ne s’ouvrent que périodiquement, pour signifier que ces bâtiments sont encore utilisés ou habités. Autre illustration de cette logique avec le Meiji-mura : ce musée en plein air rassemble plus de soixante constructions de l’ère Meiji, transportées sur place et reconstruite à l’identique. Ces bâtiments représentent une modernité qui est à l’origine étrangère au Japon : « la matérialisation du passé dans un espace isolé fait sentir que le passé n’est pas antérieur au présent, mais qu’il est ailleurs », souligne à ce propos Masahiro Ogino dans son article <a href="https://www.jstor.org/stable/40989704?seq=1#page_scan_tab_contents">« La logique d’actualisation. Le patrimoine et le Japon »</a>.</p>
<p>La logique d’actualisation est ici assurée par la présence de certaines constructions, qui occupent les mêmes fonctions qu’autrefois : le visiteur peut envoyer une carte postale depuis un ancien bureau de poste ou utiliser certaines locomotives à vapeur pour se déplacer.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1065409606065754112"}"></div></p>
<h2>Fabriquer du sens pour réparer le monde</h2>
<p>Afin de saisir le rapport entre cet imaginaire du temps et l’activité sur le site de Daiichi, revenons au début de l’électronucléaire au Japon, dont le développement a été assuré par l’introduction de technologies étrangères.</p>
<p>Le premier réacteur de l’archipel est de type Magnox, de conception britannique. Construit dans la centrale de Tokai, il est raccordé au réseau électrique en juillet 1966. La construction du premier réacteur à eau bouillante (REB) de Fukushima Daiichi est quant à elle supervisée par la firme américaine General Electric. Il est mis en service en mars 1971.</p>
<p>La technologie nucléaire au Japon provient par conséquent d’un « ailleurs », comme la modernisation du pays sous l’ère Meiji était d’origine occidentale. Pour autant, la technologie à Daiichi n’a pas à être déplacée dans un lieu muséifié comme au Meiji-mura. Elle a été détruite et il faut en produire une nouvelle pour démanteler le site. Mais là encore, passé et présent s’articulent dans une logique d’actualisation symbolisée par les cerisiers : leur maintien à tout prix sur le site montre que le démantèlement s’inscrit dans une temporalité spécifiquement japonaise.</p>
<p>L’âme du Japon, puissance technologique reconnue qui a stupéfait le monde par sa faillite, doit s’actualiser non pas dans la reproduction ou la restauration d’un objet défaillant apporté par une puissance étrangère, mais dans la création de nouvelles technologies lucratives <em>made in Japan</em>, celles du démantèlement. Cette symbolique ne renvoie pas uniquement aux travaux de réparation menés par TEPCO et s’exprime également au sein de la société civile japonaise.</p>
<h2>Photos et arbre miraculé</h2>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/262936/original/file-20190308-155499-7vwdwl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/262936/original/file-20190308-155499-7vwdwl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/262936/original/file-20190308-155499-7vwdwl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=920&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/262936/original/file-20190308-155499-7vwdwl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=920&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/262936/original/file-20190308-155499-7vwdwl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=920&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/262936/original/file-20190308-155499-7vwdwl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1156&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/262936/original/file-20190308-155499-7vwdwl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1156&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/262936/original/file-20190308-155499-7vwdwl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1156&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Une des photos retenues dans le cadre du concours de la NHK sur les cerisiers de Fukushima.</span>
<span class="attribution"><span class="source">NHK/MCJP</span></span>
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</figure>
<p>Depuis 2012, la NHK (le groupe des stations publiques de radio et de télévision au Japon) organise ainsi un concours photographique intitulé « Les cerisiers de Fukushima », qui se veut le symbole de la reconstruction nationale. Une exposition, organisée à la Maison de la culture du Japon <a href="https://www.mcjp.fr/fr/agenda/les-cerisiers-de-fukushima">à Paris du 19 au 28 mars 2019</a>, présentera d’ailleurs trente photographies parmi les trois cent cinquante sélectionnées ou primées à ce concours.</p>
<p>Le projet porté par Yumiko Nishimoto s’inscrit dans ce même imaginaire. Avant l’accident de Fukushima, cette Japonaise habitait à Naraha, une ville située près de Fukushima. Évacuée, elle n’a pu revenir dans sa maison qu’en 2013. Elle lance alors un appel national au don pour planter <a href="https://www.la-croix.com/Actualite/Monde/20000-cerisiers-fleuriront-la-cote-de-Fukushima-_NG_-2013-03-19-922533">vingt mille cerisiers « Sakura »</a> sur les deux cents kilomètres de côte de la préfecture de Fukushima. Son objectif est de faire renaître l’espoir parmi la population. Le projet s’étale sur dix ans. Il suscite l’enthousiasme des Japonais et un millier de volontaires se mobilise pour planter les premiers arbres.</p>
<blockquote>
<p>« Je veux créer la plus belle allée de cerisiers du Japon, comme un symbole de la reconstruction après la catastrophe. […] Avec ses arbres et leurs fleurs qui fleurissent chaque année, je souhaite que les Japonais gardent en mémoire cette catastrophe tout en créant un environnement dont nos enfants pourront être fiers. »</p>
</blockquote>
<p>Plus récemment, le Miharu Takizakura, cerisier pleureur de plus de mille ans, a fait parler de lui dans les médias étrangers. Cet arbre, situé sur un territoire contaminé par l’accident, est considéré comme un miraculé et attire jour et nuit des <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/japon/la-photo-fukushima-un-cerisier-millenaire-devenu-symbole-de-reconstruction_3058193.html">dizaines de milliers de visiteurs</a>.</p>
<p>Acmé de cette construction de sens, le <a href="https://tokyo2020.org/fr/games/torch/olympic/">relais de la flamme olympique</a>, qui partira de Fukushima le 26 mars 2020 pour un voyage de 121 jours dans les préfectures nippones, au moment de la floraison des cerisiers.</p>
<h2>Fukushima, négatif de Tchernobyl ?</h2>
<p>Cette inscription de Fukushima dans une temporalité proprement japonaise contraste avec l’interprétation de l’événement par l’Occident et les instances internationales. Elle nous conduit en particulier à relire les rapprochements qui ont pu être faits entre Fukushima et Tchernobyl.</p>
<p>Le sarcophage de Tchernobyl, construit dans l’urgence pour confiner la carcasse de l’installation endommagée, frappe l’imaginaire contemporain. Avec le temps, le sarcophage s’est dégradé et une arche monumentale a été réalisée pour le recouvrir et assurer la sécurité du site pour les cent ans à venir. Autour, la zone sinistrée de Tchernobyl, interdite, est maintenue hors du temps et hors du monde. Avec son sarcophage et ses environs désertés, Tchernobyl suscite une terreur sacrée, associée à la commémoration régulière d’une nouvelle ère pour la sécurité.</p>
<p>Au plan institutionnel, la communauté nucléaire, sous l’égide de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), a en effet transcendé l’accident soviétique avec l’avènement du concept de <a href="https://www.iaea.org/publications/3753/safety-culture">« culture de sûreté »</a>, censé résoudre la question de la sécurité des centrales nucléaires.</p>
<p>L’AIEA a résorbé Fukushima dans ce système de significations, sans bouleverser ses fondements. Des dommages se sont produits, les enseignements tirés ont permis d’internaliser les causes dans les référentiels de sûreté existants, les résolutions prises <a href="https://www-pub.iaea.org/MTCD/Publications/PDF/SupplementaryMaterials/P1710/Languages/French.pdf">clôturent les représentations</a> de l’événement. La catastrophe n’était qu’un écart à l’exploitation normale des centrales nucléaires, idéalisée depuis Tchernobyl.</p>
<p>Pour l’AIEA, Fukushima représente donc une expérience et un événement terminés renvoyant à une conception linéaire du temps – celui de la répétition du même qui autorise la mesure – dans laquelle il est pris ; cela au même titre que l’activité nucléaire qui se poursuit dans une relative continuité à l’échelle mondiale.</p>
<p>La réaction du Japon à la catastrophe s’inscrit en partie dans cette temporalité : le pays a montré sa volonté de mieux se conformer aux règles internationales et a renforcé sa participation aux travaux de l’AIEA sur la prise en compte des séismes, dont il était déjà le leader. Mais cette conception occidentale d’un temps linéaire <a href="https://www.puf.com/content/Un_r%C3%A9cit_de_Fukushima_Le_directeur_parle">n’épuise pas l’imaginaire temporel</a> dans lequel est saisie la catastrophe. Pour certains, au Japon, l’accident reste un défi industriel et un événement en devenir.</p>
<p>Les travaux menés à Daiichi actualisent une renaissance technologique du Japon, dont TEPCO entend faire étalage, là où Tchernobyl a accéléré la déliquescence de l’URSS. Cette temporalité d’actualisation s’étend d’ailleurs à toute la région à travers la politique de retour des populations. Celle-ci, si elle n’est pas sans <a href="https://www.liberation.fr/planete/2017/03/31/fukushima-un-retour-force-en-terre-irradiee_1559867">soulever de vives polémiques</a>, témoigne néanmoins d’une logique opposée à celle qui opère à Tchernobyl, toujours fortement investi du fait même de sa mise à l’écart du monde.</p>
<p>À ces deux imaginaires du temps correspondent en outre deux imaginaires de causalité. Tandis que l’AIEA a conclu que l’accident de Fukushima était la conséquence d’une culture de sécurité insuffisante – soit d’une négligence organisationnelle qui aurait déterminé une série d’effets inéluctables et prévisibles au regard des connaissances scientifiques –, les scientifiques et intellectuels japonais ont volontiers raisonné par analogie pour expliquer cet événement. En le rapprochant notamment d’autres épisodes relatifs à la Seconde Guerre mondiale, ou en l’imputant à <a href="https://www.youtube.com/watch?v=NlCbjZRtH00">des traits du peuple japonais</a> dans son ensemble.</p>
<p>Loin de rejeter ces conclusions dans le camp de l’irrationalité, nous invitons à porter au contraire un regard réflexif sur toutes ces significations attribuées à Fukushima.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/112655/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Huit ans après la catastrophe qui frappa le Japon, une réflexion sur les multiples significations attribuées à Fukushima.Franck Guarnieri, Directeur du Centre de recherche sur les risques et les crises, Mines Paris - PSLAurélien Portelli, Chargé d’enseignement recherche en histoire des risques industriels, Mines Paris - PSLSébastien Travadel, Chargé de recherche en ingénierie et sécurité industrielle, Centre de recherche sur les risques et les crises, Mines Paris - PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1132522019-03-10T20:02:25Z2019-03-10T20:02:25ZEn souvenir des « liquidateurs » de Tchernobyl<p>Il y a huit ans, le 11 mars 2011, un accident <a href="https://www.irsn.fr/FR/connaissances/Installations_nucleaires/La_surete_Nucleaire/echelle-ines/Pages/1-criteres-classement.aspx?dId=8a15297f-e5f9-42cd-9765-ed2049203773&dwId=a1de7c68-6d78-4537-9e6a-e2faebed3900">classé 7</a> – soit le plus haut niveau sur l’échelle internationale des événements nucléaires dite <a href="https://www.iaea.org/topics/emergency-preparedness-and-response-epr/international-nuclear-radiological-event-scale-ines">INES</a> – a lieu à la centrale de Fukushima-Daiichi. Il survient dans la foulée du tremblement de terre d’une magnitude de 9,1 et du tsunami qui se sont produits peu avant sur la <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2018/04/PATAUD_CELERIER/58553">côte pacifique du Japon</a>.</p>
<p>L’intensité du drame de Fukushima n’a sûrement de comparable que celle qui frappa, le 26 avril 1986, la centrale russe de Tchernobyl (Ukraine). Mais si du Japon arrivèrent rapidement les terribles nouvelles, dans le cas de Tchernobyl, les autorités soviétiques mirent tout en œuvre pour dissimuler la gravité de la situation.</p>
<h2>En 1957, un premier désastre dissimulé</h2>
<p>Cette situation n’a rien d’inédit : 30 ans avant Tchernobyl, le 29 septembre 1957, un désastre se produit sur le complexe nucléaire de Maïak, à Kyshtym, dans l’Oural. Rien n’a filtré et ne filtrera avant le milieu des années 1990 – et encore, au compte-gouttes – à propos de cet accident. À Kyshtym, on fabrique du plutonium et c’est là aussi que la première bombe atomique est <a href="http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve?codeEve=983">mise au point en 1949</a>.</p>
<p>L’accident de 1957, classé 6 sur l’échelle INES, est dû à un système de refroidissement défectueux ; ses conséquences demeurent encore aujourd’hui largement sous-estimées, en dépit des 11 000 personnes évacuées et des 20 villages abandonnés.</p>
<p>Orziok, la ville construite à proximité du complexe de Kyshtym et donc hautement contaminée, sera baptisée « City 40 » par les autorités pour davantage de discrétion. Le lac Irtyash situé dans ses environs est surnommé le <a href="https://www.theguardian.com/cities/2016/jul/20/graveyard-earth-inside-city-40-ozersk-russia-deadly-secret-nuclear">« lac de la mort »</a>.</p>
<p>D’autres villes de Russie resteront <a href="https://www.courrierinternational.com/breve/2004/03/11/villes-fantomes-de-la-guerre-froide">longtemps secrètes</a>, coupées du monde, à cause de leurs liens avec le nucléaire.</p>
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<figcaption><span class="caption">Bande-annonce d’un documentaire consacré à « City 40 ». (Antenna Festival/YouTube, 2016).</span></figcaption>
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<h2>Les gueules noires au secours de Tchernobyl</h2>
<p>Mais qu’a-t-on su et que sait-on aujourd’hui vraiment de ces « liquidateurs » de Tchernobyl, anonymement sacrifiés sur l’autel de la patrie ? Parmi eux, plusieurs centaines, des milliers peut-être, d’ouvriers-mineurs dont personne n’a jamais entendu parler. Héros malgré eux, ces <a href="http://www.cnrtl.fr/definition/stakhanoviste">« stakhanovistes »</a> envoyés pour un sauvetage impossible sont pour beaucoup morts depuis des conséquences de leur intervention sur un site irradié au plus haut degré.</p>
<p>Il faut avoir lu l’ouvrage de la Biélorusse Svetlana Alexievitch, <a href="https://www.actes-sud.fr/actualites/svetlana-alexievitch-prix-nobel-de-litterature-2015">prix Nobel de littérature 2015</a>, <em>La Supplication. Tchernobyl, chroniques du monde après l’apocalypse</em> (1997), pour apprendre au détour d’une page l’implication de ces « gueules noires » dans les <a href="https://www.liberation.fr/planete/2011/03/19/la-lecon-de-tchernobyl-n-a-pas-ete-apprise_722751">travaux désespérés</a>, et finalement inutiles, entrepris en hâte pour tenter de parer au pire.</p>
<p>À la mi-mai 1986, soit quelques semaines après la catastrophe : alors que le réacteur brûle toujours, l’une des solutions envisagées pour tenter de l’éteindre – et éviter une seconde explosion gigantesque – consiste à creuser un tunnel de quelque 170 mètres de long sous le réacteur. Dans ce long couloir, l’installation d’un système permettant de refroidir l’ensemble, grâce à de l’azote liquide, est prévue. Dans le même temps, le renforcement du socle en béton du réacteur devait empêcher la formation de fissures par lesquelles l’eau contaminée pouvait gagner la nappe phréatique du Dniepr.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"724710406892167169"}"></div></p>
<h2>Jetés en enfer</h2>
<p>Pour ces travaux titanesques, les autorités font appel, en urgence et dans le plus grand secret, à des centaines, voire à des milliers de mineurs expérimentés. Les chiffres varient beaucoup selon les sources, qui elles-mêmes ne sont pas nombreuses.</p>
<p>Ces hommes, qui ne savaient ni où ils allaient ni pour quoi y faire, venaient des mines du <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/donetz-donbass/">Donbass</a>, de Toula, de Kiev, de Dniepropetrovsk mais aussi semble-t-il de Moscou, où certains travaillant pour le métro de la ville.</p>
<p>De la mine de Nikouline, près de Toula, arrivent ainsi 450 hommes. Le 14 mai, ce ne sont que les « meilleurs » d’entre eux qui partent, tant les volontaires ont été nombreux ! Ils sont enthousiastes, emportent leurs plus beaux vêtements et pensent qu’ils vont faire la fête. Mais dans l’enfer de Tchernobyl, ils vont travailler dans des conditions terribles : nus dans une chaleur torride, contraints à un rythme effréné – ils doivent pousser des wagonnets d’une tonne et demie toutes les deux minutes – et exposés à des niveaux de radiation très élevé, sans doute aux environs de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%B6ntgen">200 R/h</a>. Le tunnel est finalement abandonné ; le projet de refroidissement se solde par un échec.</p>
<p>On ne connaîtra sans doute jamais avec exactitude les bilans humains des accidents nucléaires de Tchernobyl et de City 40, qu’il faut évaluer sur le très long terme.</p>
<p>Beaucoup de ces liquidateurs, parmi lesquels de très nombreux mineurs ukrainiens développeront des cancers et mourront, âgés de 30 à 40 ans, dans les années qui suivent les évènements. À Tchernobyl, même les robots qui sont mis à contribution sur les lieux du drame afin de soulager les hommes, tombent en panne sous l’effet d’une irradiation trop forte… Le suivi médical de ces hommes laisse presque partout à désirer, même si les situations varient selon les pays, devenus depuis 1989 indépendants de l’URSS.</p>
<p>En 2000, près de 15 ans après la catastrophe de Tchernobyl, une centaine d’anciennes gueules noires de la mine de Nikouline, fermée en 1997, qui avaient pris part aux travaux de creusement du tunnel sous le réacteur, ont fait à pied les 200 km qui séparent leur ville de Moscou. Sur la place Rouge, devant le Kremlin, ils ont <a href="https://www.ina.fr/video/CAB00061652">jeté leurs médailles</a> de héros.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1103118786771775489"}"></div></p>
<h2>Sujet ultra-sensible</h2>
<p>Ces ouvriers auront travaillé des semaines durant avec une totale abnégation, sans aucune protection. Ils ont été sacrifiés à une cause supérieure : empêcher à tout prix une seconde explosion. En guise de compensation, ou « d’incitations matérielles », selon l’expression de l’époque, de très généreuses rations d’alcool leur étaient fournies sur place et des primes de toutes sortes promises : décorations, rente à vie, logement… Des promesses très loin d’avoir toutes été tenues.</p>
<p>En 2000, au moment de leur mouvement de protestation,un tiers des mineurs venus de Toula étaient morts. Ceux encore en vie souffrent, au mieux, de maux de tête ; au pire, ils sont invalides, sans parler de leurs enfants dont certains sont très gravement atteints, notamment de malformations. Il y a aussi les innombrables traumatismes psychologiques. Si les médecins reconnaissent tout cela oralement, ils refusent presque toujours de le certifier par écrit.</p>
<p>Ce que reçoivent les liquidateurs comme compensation paraît dérisoire et ne leur permet ni de se soigner, ni d’acheter les médicaments dont ils ont besoin ; encore moins de vivre décemment. Nombre se plaignent de l’<a href="http://www.journaldelenvironnement.net/article/les-liquidateurs-ces-heros-oublies,69720">indifférence des pouvoirs</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">« Tchernobyl : les liquidateurs en colère », reportage télé réalisé en 2000. (Ina/YouTube, 2012).</span></figcaption>
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<p>Afin de faire valoir leurs droits, certains ont fondé des associations de au sein desquelles ils se retrouvent, commémorent ce qu’ils ont accompli ensemble et tentent de vaincre l’oubli dont ils font l’objet. Ils s’efforcent aussi de rendre hommage à tous ceux sont morts des conséquences de cette course contre la montre qu’a été le travail des liquidateurs. Enfin, ils tentent de faire en sorte que leurs familles ne soient pas laissées pour compte après leur décès.</p>
<p>N’oublions pas que bon nombre d’entre eux ont été ostracisés après leur retour de Tchernobyl. Considérés comme contaminés, voire pestiférés, certains d’entre eux n’auront jamais pu se marier ni avoir d’enfants. Autant de vies gâchées !</p>
<p>Il y a quelques jours en France, à Cosne-sur-Loire dans la Nièvre, une ville proche de la centrale nucléaire de Belleville-sur-Loire, la projection du film <em>Fukushima, le couvercle du soleil</em>, a été censuré et la <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/japon/fukushima/nievre-un-film-sur-la-catastrophe-de-fukushima-censure-dans-une-commune-qui-heberge-une-centrale-nucleaire_3220981.html">projection annulée</a>.</p>
<p>Le sujet demeure ultra-sensible et l’on se demande si les leçons des catastrophes nucléaires de City 40, Tchernobyl et Fukushima ont été tirées… Mais chacun sait, au plus profond de lui-même que, comme le souligne Svetlana Alexievitch, « le prix à payer pour le progrès, pour une civilisation bâtie sur le confort et l’aisance de l’homme » est très élevé et qu’il peut engager à terme les sociétés sur la voie de leur propre destruction.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/113252/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Diana Cooper-Richet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>À l’occasion de l’anniversaire de la catastrophe de Fukushima, retour sur le sort des premiers hommes envoyés à Tchernobyl.Diana Cooper-Richet, Chercheur au Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1036182018-10-04T17:01:13Z2018-10-04T17:01:13ZQuand les fantômes japonais nous font réfléchir aux catastrophes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/238738/original/file-20181001-195260-1vsar3p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C59%2C1272%2C839&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Sortis de tombeau.</span> <span class="attribution"><span class="source">Sun Xin, Penninghen</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Le 11 mars 2011, le nord-est du Japon a subi une triple catastrophe : le tremblement de terre, le tsunami et l’accident grave de la <a href="https://theconversation.com/sept-ans-apres-fukushima-affaire-classee-93160">centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi</a>. Cette triple catastrophe a provoqué de lourdes pertes, à la fois matérielles et spirituelles. Le jour même, le désastre a ôté la vie à 15 894 personnes ; 3 500 sont décédées de causes « indirectement liées au désastre » (震災関連死 : shinsai kanren shi).</p>
<p>À ces morts s’ajoutent les disparus, dus principalement au tsunami : 2 600 personnes dont on ne retrouve pas les corps et dont l’existence demeure pour leurs proches en suspens, à mi-chemin entre la vie et la mort. Après la catastrophe, un certain nombre d’habitants de la région du Tōhoku ont cru voir réapparaître un de leurs proches disparus sous la forme d’un revenant (幽霊 : yūrei).</p>
<p>Ces expériences ont suscité de multiples réactions : émissions de télévision, ouvrages d’analyse ou de fiction qui tentent de donner un sens à ces rencontres et, à travers elles, à la catastrophe vécue par les Japonais. C’est le cas par exemple du best-seller de <a href="https://www.kinokuniya.co.jp/f/dsg-01-9784104049028">Shūji Okuno</a>, <em>Soyez auprès de moi, même sous forme d’âme : Écouter les expériences spirituelles après le 11 mars</em>, ou encore de l’ouvrage <em>Les fantômes du tsunami</em>, par <a href="https://www.payot-rivages.fr/payot/livre/les-fant%c3%b4mes-du-tsunami-9782228920513">Richard Lloyd Parry</a>.</p>
<p>De telles rencontres modifient nos manières de penser la causalité et la logique – ce que Jacques Derrida a appelé une <a href="https://www.idixa.net/Pixa/pagixa-0507291148.html">« hantologie »</a>, ou « logique du fantôme ».</p>
<p>Cet article esquisse une « hantologie » de Fukushima en se penchant sur la manière dont ces récits mettent en scène la relation aux morts, mais aussi les possibilités de penser l’avenir après la catastrophe.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/238745/original/file-20181001-195282-1p1ke6b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/238745/original/file-20181001-195282-1p1ke6b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=461&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/238745/original/file-20181001-195282-1p1ke6b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=461&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/238745/original/file-20181001-195282-1p1ke6b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=461&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/238745/original/file-20181001-195282-1p1ke6b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=579&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/238745/original/file-20181001-195282-1p1ke6b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=579&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/238745/original/file-20181001-195282-1p1ke6b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=579&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Fukushima Daiichi, le jour même, le désastre a ôté la vie à 15 894 personnes.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>« Est-ce que je suis morte ? »</h2>
<p>Dans une thèse intitulée « La ville visitée par les morts. Des phénomènes fantomatiques des chauffeurs de taxi », la sociologue japonaise Yuka Kudo <a href="https://www.parismatch.com/Actu/Insolite/J-ai-pris-un-fantome-dans-mon-taxi-900461">enquête sur les rencontres entre chauffeurs de taxi et fantômes</a>, notamment dans les villes d’Ishinomaki et de Kesennuma. Les récits de ces expériences sont d’autant plus intrigants que les rencontres avec des fantômes se sont produites dans l’espace confiné d’une voiture, et que les chauffeurs ont donc discuté avec eux de très près, dans une situation de grande promiscuité.</p>
<p>Parmi les cas cités par Kudo se trouve celui d’un chauffeur qui, au début de l’été suivant le tremblement de terre de 2011, est interpellé par une cliente habillée d’un manteau épais. Elle lui demande d’aller à Minami-hama, un quartier côtier complètement dévasté par le tsunami, et désormais réduit à un vaste terrain vide. Le chauffeur la prend à bord de son taxi, mais, tandis qu’il conduit, il est pris d’un doute. Il lui demande : « Pourquoi souhaitez-vous aller à Minami-hama ? Vous n’avez pas chaud avec ce manteau ? » Elle lui répond d’une voix tremblante : « Est-ce que je suis morte ? » Tout surpris, il se retourne, mais ne trouve personne dans la voiture.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/238740/original/file-20181001-195285-3zgiu7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/238740/original/file-20181001-195285-3zgiu7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=971&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/238740/original/file-20181001-195285-3zgiu7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=971&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/238740/original/file-20181001-195285-3zgiu7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=971&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/238740/original/file-20181001-195285-3zgiu7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1221&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/238740/original/file-20181001-195285-3zgiu7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1221&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/238740/original/file-20181001-195285-3zgiu7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1221&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Yūrei, Hyakkai-Zukan, vers 1737.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Suushi_Yurei.jpg">Sawaki Suushi/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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</figure>
<p>En août 2013, un autre chauffeur remarque une petite fille toute seule au bord de la route, en pleine nuit. Elle est en tenue d’hiver. Elle porte un manteau, un bonnet, une écharpe et des bottes, un accoutrement tout à fait hors saison. Comme il est minuit, il lui demande : « Petite, où sont ton papa et ta maman ? ». Elle lui répond : « Je suis seule ». Comme il estime que c’est une enfant perdue, il décide de l’emmener chez elle. À l’arrivée, elle disparaît en un instant, tout en disant : « Merci, monsieur ».</p>
<p>Le plus remarquable dans ces nombreux récits rapportés par Yuka Kudo tient aux réactions des chauffeurs de taxi. S’ils sont effrayés, tous témoignent a posteriori d’un profond respect pour ces entités qu’ils désignent sous les termes de « personnes ». Ils n’expriment pas de peur à leur égard, leur surprise initiale s’étant rapidement transformée en une forme de « déférence ».</p>
<p>Ils prennent ainsi la défense de ces morts qu’ils rencontrent. Lors de l’enquête menée par Kudo, l’un des chauffeurs s’énerve en lui disant : « Ne les appelle jamais « des fantômes » (yurei) avec un air de mépris ». Un autre raconte : « Le jour même de [ma rencontre avec cette « personne »] je me suis retenu d’en parler à quelqu’un d’autre, et maintenant je suis résolu à la garder secrète. Car si les autres pensent que je mens, leurs existences seraient niées » (Yudo, p.17).</p>
<p>Dans les <a href="https://www.telerama.fr/sortir/enfers-et-fantomes-dasie-au-quai-branly-bienvenue-dans-le-monde-des-tenebres,n5602789.php">croyances populaires japonaises</a>, les âmes qui ont laissé sur terre des chagrins, des colères ou des regrets ne peuvent pas quitter le monde. D’après l’enquête menée par Kudo et les chauffeurs de taxi, les fantômes d’Ishinomaki étaient plutôt jeunes. Ils n’ont pas manifesté l’intention de tirer vengeance de leur mort soudaine, mais un regret et une nostalgie indicibles les ont poussés à rester dans ce monde, pour revoir leurs proches et profiter encore un peu de cette terre. Les chauffeurs saisissent parfaitement la légitimité de leurs motivations à vouloir vivre encore, si bien qu’ils ont eu des égards et continuent à manifester toutes sortes d’attentions pour eux.</p>
<h2>Des morts en chair et en os</h2>
<p>Dans son livre <em>Toucher l’âme : le grand tremblement de terre et les morts vivants</em> (Tamashii ni fureru : Daishinsaito ikiteiru shisya, Transview, 2011), publié juste après la catastrophe en 2011, l’essayiste japonais <a href="https://www.nippon.com/en/tag/eisuke-wakamatsu/">Eisuke Wakamatsu</a> insiste sur la coexistence des vivants et des morts. Il constate la tendance à focaliser l’attention sur le nombre total des victimes et, ce faisant, à écarter le fait que chaque mort est irremplaçable. Mais il observe également la multiplication d’expériences qui résistent à ce penchant pour la généralisation : la plupart des récits de rencontres avec des morts sont en tous points semblables à ce que l’on vit avec des êtres vivants.</p>
<p>Pour Wakamatsu, ces morts ne sont pas de simples évocations, c’est-à-dire de simples souvenirs ou réminiscences, mais des êtres tout à fait actuels. Non réduits à des êtres de mémoire, les rencontres entre vivants vifs et vivants morts se produisent « en présence », comme si les morts étaient là, en chair et en os.</p>
<p>Les récits de rencontres avec des vivants morts paraissent peu rationnels, et soulèvent de lourdes suspicions chez ceux qui n’en ont pas fait l’expérience. Toutefois, cette défiance s’estompe quand ces manifestations sont exprimées dans le cercle des personnes affectées par la catastrophe, ou encore dans les registres de la littérature, du cinéma, des arts, de la philosophie et de la religion.</p>
<h2>Distinguer l’esprit du spectre</h2>
<p>Comment pourrions-nous penser comme une coexistence cette relation asymétrique fondamentale entre les morts et les vifs ? Dans <em>Spectres de Marx</em>, en se référant à l’interprétation de <a href="https://www.idixa.net/Pixa/pagixa-0611071139.html">Hamlet par Paul Valéry</a>, Jacques Derrida distingue l’esprit du spectre. Selon lui, ce qui est appelé esprit est étroitement associé au crâne, à l’intellect. L’esprit correspondrait à ce qui peut prendre l’aspect d’un corps et s’incarner à nouveau, sous la forme d’un spectre. Le spectre – réduit à la simple expression phénoménale de l’esprit – serait ainsi sans consistance véritable, pouvant apparaître, disparaître et se volatiliser ; tout le contraire de l’esprit, supposé éternel.</p>
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<span class="caption">Cette Chose nous regarde cependant et nous voit ne pas la voir même quand elle est là.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Jin/Penninghen</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<p>Une entité qui ne peut être réduite à une âme ou à un corps, et qui n’est par conséquent ni esprit ni spectre, reste difficile à nommer. Elle relève pourtant de l’expérience de chacun ; Derrida décide de l’appeler « Chose » :</p>
<blockquote>
<p>« Cette Chose qui n’est pas une chose, cette Chose invisible entre ses apparitions, on ne la voit pas non plus en chair et en os quand elle réapparaît. Cette Chose nous regarde cependant et nous voit ne pas la voir même quand elle est là. […] Nous appellerons cela l’effet de visière : nous ne voyons pas qui nous regarde. » (p. 26).</p>
</blockquote>
<p>Comme le spectre du père de Hamlet, qui reste invisible sous son armure, une Chose nous regarde sans être vue. Sa présence est d’autant plus puissante et décisive que nous ne parvenons pas à deviner ni quoi ni qui se tient sous la visière, à tel point qu’alors nous nous laissons déporter vers des logiques peu rationnelles et des causalités anachroniques. Derrida nomme cette logique du spectre hantologie ou « logique du fantôme ». Il y voit une entrée afin de déployer un champ de la pensée en direction de ces Autres qui sont occultés par l’effet de visière propre aux vivants.</p>
<h2>S’adresser aux morts pour fonder l’avenir</h2>
<p>Une autre réponse à la question « Comment vivre avec les morts après une catastrophe ? » est apportée par l’écrivain Seikō Itō, dans un roman au retentissement extraordinaire intitulé <a href="https://www.actes-sud.fr/catalogue/litterature/radio-imagination"><em>Radio imagination</em></a> (traduction française : Actes Sud, 2016).</p>
<figure class="align-right ">
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<span class="caption">Radio Imagination, 2016.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Actes Sud</span></span>
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</figure>
<p>Il met en scène le récit d’un homme de 38 ans, surnommé « DJ Ark ». Après le tsunami, il se retrouve accroché au sommet d’un grand cèdre. Devenu fantôme, depuis la cime de cet arbre immense, il émet « radio imagination », une radio que l’on ne peut entendre qu’en imagination. Il reçoit des e-mails d’auditeurs, vivants et morts, qui lui demandent de lire leurs messages ou de diffuser leur morceau préféré. Cette émission lui permet progressivement d’entamer un dialogue avec ses auditeurs, et d’aider les vivants et les morts à communiquer entre eux.</p>
<p>On pourrait lire dans cette œuvre l’expression d’une forme d’hypocrisie naïvement littéraire cherchant à décrire un impossible dialogue avec les morts. Parler pour ou à la place des victimes engage en effet une responsabilité, même en littérature. C’est d’ailleurs très certainement en anticipant ces critiques qu’Itō a rédigé son deuxième chapitre. On y découvre cinq bénévoles engageant une discussion dans une voiture, sur le chemin du retour de Fukushima à Tokyo. Tous tokyoïtes, ils n’ont pas été directement touchés par le désastre et se posent des questions éthiques.</p>
<p>Ils se demandent notamment s’ils doivent ou peuvent écouter Radio imagination. Nao, l’un des jeunes hommes de ce groupe de bénévoles, celui qui y fait figure de leader, estime qu’il s’agit d’une insulte faite aux morts. De quel droit nous pensons-nous capables d’imaginer les souffrances et le désespoir des victimes ?</p>
<blockquote>
<p>Tu auras beau tendre l’oreille, les souffrances d’un noyé emporté par la mer, la poitrine arrachée, mort dans l’eau de mer, jamais, jamais, tu auras beau faire, jamais les vivants comme nous ne pourrons les comprendre. S’imaginer pouvoir entendre sa voix, c’est n’importe quoi, et même en admettant que tu entendes réellement quelque chose, l’horreur, la véritable horreur de l’instant où il a perdu la vie, le désespoir, tu ne pourras jamais l’entendre. Ça c’est sûr. (Radio Imagination, p. 75-76)</p>
</blockquote>
<p>Cette discussion peut être vue comme une excuse soigneusement préparée par l’auteur pour se prémunir des réactions potentielles de son lectorat. Mais, en scénarisant le fait de réfléchir naïvement sur la bêtise qui consiste à dialoguer avec les victimes d’une catastrophe, Radio imagination problématise également le lien intime entre la littérature et les vivants, les vivants et les morts, la littérature et les morts.</p>
<h2>La littérature comme héritage</h2>
<p>Pour Itō, la littérature peut assumer une partie de l’héritage des morts, héritage qui consiste à tendre l’oreille aux victimes de catastrophes sur le temps long, non pas seulement à celles qui viennent de périr à cause des événements du 11 mars 2011, mais aussi à celles qui ont été provoquées par les phénomènes qui ont bouleversé le passé de cette société. Dans <em>Radio imagination</em>, l’un des protagonistes, qui est écrivain, se rappelle une cérémonie qui s’était tenue au Parc du Mémorial de la Paix de Hiroshima. Il rappelle ainsi que toute société coexiste avec la mémoire longue de ses morts – pour la société japonaise contemporaine, cela inclut les victimes des bombes de Hiroshima et de Nagasaki, ou encore celles des bombardements de Tokyo.</p>
<figure class="align-left ">
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<figcaption>
<span class="caption">Penninghen, Acil Benamara.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dans une interview au Monde le 17 mars 2011, intitulée <a href="http://toutsurlachine.blogspot.com/2011/03/kenzaburo-oe-nous-sommes-sous-le-regard.html">« Nous sommes sous le regard des victimes »</a>, le prix Nobel de littérature Kenzaburo Oê avait également évoqué les victimes de Hiroshima, de Nagasaki et les vingt-trois pêcheurs contaminés par la radioactivité après l’essai nucléaire de l’atoll de Bikini, pour réfléchir sur la catastrophe du point de vue des victimes. Pour lui, l’enjeu concernait la fabrique de l’avenir et les conséquences à tirer d’une histoire des aléas nucléaires, dont l’accident de la centrale de Fukushima contribuait à préciser la trajectoire funeste.</p>
<p>Ce rappel des victimes historiques des aléas nucléaires effectué par Oê fait écho, dans Radio imagination, à un appel à la reconnaissance d’une continuelle coexistence avec les morts.</p>
<h2>Hantologie et culture japonaise</h2>
<p>Du point de vue de la psychanalyse freudienne, quand une personne décède, ses proches sont enjoints d’opérer un travail de deuil afin de ne pas sombrer dans un état de mélancolie et de déni de réalité. Il est donc recommandé d’accepter le fait que cette personne ait perdu la vie, de bien le garder en mémoire et de sublimer la douleur insupportable associée à cette perte irremplaçable.</p>
<p>L’hantologie, telle qu’elle est pensée par Derrida, consiste plutôt à laisser le mort exister dans son altérité radicale, sans chercher à l’intérioriser dans un beau souvenir. Il s’agit plutôt d’apprendre à vivre avec l’échec du deuil, avec ce que la mort d’un être irremplaçable inaugure comme champ d’expérience inédit ; par exemple la possibilité qu’il revienne sans cesse, et hante le présent où nous vivons.</p>
<p><a href="http://www.ruedescartes.org/articles/2016-1-la-litterature-apres-fukushima/">Saeko Kimura</a>, spécialiste de littérature japonaise, a été la première à faire usage de l’hantologie derridienne pour analyser le corpus littéraires postérieur au 11 mars 2011. Dans son article « Hantologie de la littérature après Fukushima » (Shinsaigo bungaku no hyōzairon, Sonogo no shinsaigo bungakuron), elle tire parti des travaux de Derrida afin de questionner l’existence de morts vivants sous forme de spectres.</p>
<p>Pour mieux mettre en lien l’hantologie derridienne et la production littéraire japonaise qui a fait suite au désastre, Kimura s’inspire du genre dit « d’apparitions » du théâtre nō (夢幻能 : mugen nō). Dans ce genre qui met en scène des fantômes, des divinités ou des démons, un voyageur (appelé « waki ») tombe sur un vieil homme ou une femme (appelé « shite »). Au cours d’une danse, le shite se révèlera au waki sous sa forme véritable – celle d’un spectre. Il est important de noter que dans les nō d’apparition, le spectre ne vient pas du passé, il est contemporain et coexiste de manière très ordinaire avec le voyageur.</p>
<p>Kimura trouve dans ce corpus narratif de tradition ancienne l’expression d’une hantologie présente de longue date dans la littérature japonaise. Pour elle, le désastre ravive cette conception traditionnelle du statut hantologique des défunts :</p>
<blockquote>
<p>Ce ne sont pas les morts que la présence des fantômes ressuscite. C’est la mémoire des vivants. Dès lors, maintenant, on ne cesse de raconter des histoires, afin de ne pas laisser échapper ce que racontent les morts de cette catastrophe, tout en refusant le travail du deuil normal pour rester dans la mélancolie hantologique » (p.195).</p>
</blockquote>
<p>L’alliance de la violence et de la force de la nature avec l’invisible tragédie technique des réacteurs nucléaires de Fukushima, se sont unies pour révéler une béance dans le monde. La logique du fantôme – ou hantologie – peut aider à en saisir l’abîme. Cette « logique du fantôme » enrichit la flexibilité de la frontière entre la vie et la mort. Elle déploie notamment la possibilité d’une adresse aux spectres, c’est-à-dire aux Choses qui coexistent avec les vivants.</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été co-publié avec le <a href="https://blogterrain.hypotheses.org/">blog de la revue <em>Terrain</em></a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/103618/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laure Assaf est membre de la rédaction de la revue Terrain.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Yoann Moreau et Yuji Nishiyama ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Les récits mettent en scène la relation aux morts, mais aussi les possibilités de penser l’avenir après la catastrophe.Yuji Nishiyama, Associate Professor of philosophy, Tokyo Metropolitan UniversityYoann Moreau, Anthropologue , Mines Paris - PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1033032018-09-16T20:55:14Z2018-09-16T20:55:14ZCyclones et installations nucléaires : les risques en cinq points<p><em>Alors que la tempête Florence a frappé, samedi 15 septembre, la côte est des États-Unis, la présence de <a href="https://www.reuters.com/article/us-storm-florence-nuclear/us-nuclear-power-plants-prepare-for-hurricane-florence-idUSKCN1LR2C8">16 réacteurs nucléaires</a> dans les États de Caroline et de Virginie repose la question de la sécurité et des coupures de courant lors de la saison cyclonique. <a href="https://scholar.google.com/citations?hl=en&user=yxN_35oAAAAJ">Ted Kury</a>, directeur des études énergétiques à l’Université de Floride, nous explique pourquoi il faut veiller tout particulièrement sur les centrales nucléaires dans ce contexte météorologique.</em></p>
<hr>
<h2>1. Priorité absolue : éviter la surchauffe</h2>
<p>La mesure de sécurité la plus importante pour une centrale nucléaire concerne la protection des <a href="https://www.irsn.fr/FR/connaissances/Installations_nucleaires/Les-centrales-nucleaires/reacteurs-nucleaires-France/Pages/1-reacteurs-nucleaires-France-Fonctionnement.aspx#.W56LNf4zbUI">cœurs des réacteurs nucléaires</a>.</p>
<p>Les réacteurs fonctionnent à une température qui excède les 350 °C et s’appuient donc sur des systèmes de refroidissement pour évacuer cette chaleur. Quand ces systèmes font défaut, certaines parties du cœur du réacteur sont menacées de fondre. Ces entrées en fusion peuvent conduire à des explosions et à la possible dispersion de substances radioactives dans l’environnement.</p>
<p>Lorsque l’alimentation électrique du réacteur fait défaut, cela peut avoir des conséquences sur la capacité du système à refroidir la centrale.</p>
<p>Pour prévenir de tels accidents, la paroi extérieure des enceintes de confinement des réacteurs est faite de béton renforcé et d’acier. Ces enceintes étant prévues pour résister à l’<a href="https://www.nrc.gov/reading-rm/doc-collections/cfr/part050/part050-0150.html">impact d’un avion de ligne</a>, des débris volants – même s’ils sont propulsés par des vents soufflant de 200 km/heure – ne représentent pas vraiment une menace.</p>
<p>En cas de cyclones, la <a href="https://nuclear.duke-energy.com/2017/09/28/how-nuclear-plants-weather-storms">préparation des infrastructures</a> passe par une inspection des centrales électriques, une protection des installations, un test des pompes de secours et des groupes électrogènes, le stockage de produits de première nécessité si les employés de l’usine devaient rester sur place.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1041375727709577216"}"></div></p>
<h2>2. Pourquoi arrête-t-on certains réacteurs ?</h2>
<p>La première fois qu’une centrale nucléaire a été sérieusement touchée par un cyclone, ce fut en 1992 quand l’œil de l’<a href="https://www.nhc.noaa.gov/1992andrew.html">ouragan Andrew</a> passa juste au-dessus de la centrale nucléaire de <a href="https://www.fpl.com/clean-energy/nuclear/turkey-point-plant.html">Turkey Point</a> en Floride.</p>
<p>Située à plus de 15 kilomètres au sud de Miami, la centrale <a href="https://www.nrc.gov/reading-rm/doc-collections/gen-comm/info-notices/1993/in93053.html">a dû faire face</a> à des vents soufflant à 90 km/heure, et même plus de 100 km/heure.</p>
<p>Si les réacteurs en eux-mêmes n’ont pas été touchés, les dégâts pour le site ont été évalués à 90 millions de dollars. Le courant a manqué cinq jours durant, obligeant la centrale à dépendre de groupes électrogènes pour faire fonctionner les équipements de base et garder les cœurs des réacteurs à l’abri de la surchauffe.</p>
<p><a href="https://www.nrc.gov/reading-rm/doc-collections/gen-comm/info-notices/1993/in93053.html">Un rapport</a> de la Commission de réglementation nucléaire des États-Unis note ainsi que la centrale a initié sa mise hors service 12 heures avant l’arrivée de la tempête, c’est-à-dire plus tôt que ce qui était recommandé à l’époque.</p>
<p>Si les responsables de la centrale avaient suivi les recommandations officielles à la lettre, les équipements n’auraient peut-être pas été prêts à affronter correctement la tempête. De nos jours, les procédures d’arrêt et les rapports d’évaluation sont lancés au moins 12 heures avant l’arrivée de l’ouragan, comme le préconise le CNRC.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"900649958659022848"}"></div></p>
<h2>3. Pourquoi attendre avant de relancer les réacteurs ?</h2>
<p>Quel que soit le moment, la quantité d’électricité disponible sur le réseau électrique doit correspondre à ce que les consommateurs utilisent, plus ce qui se perd dans l’acheminement de l’électricité vers l’utilisateur final. Quand l’électricité ne peut être ni consommée, ni acheminée, il faut en suspendre la production.</p>
<p>Même quand le nécessaire est fait pour protéger le réseau, comme <a href="https://theconversation.com/should-the-us-put-power-lines-underground-83771">d’enterrer les lignes haute tension</a> pour éviter qu’elles ne soient endommagées par des chutes d’arbres ou des débris volants, cela les rend toutefois plus vulnérables aux marées de tempête et aux inondations. De fait, lorsqu’un grand nombre de lignes et de postes électriques sont endommagés, les réacteurs mis hors de service ne pourront fonctionner à nouveau sans ces infrastructures.</p>
<p>Avant que l’<a href="https://www.eia.gov/todayinenergy/detail.php?id=32992">ouragan Irma</a> ne frappe le Sud de la Floride, en septembre 2017, les responsables de la centrale de <a href="https://www.reuters.com/article/us-storm-irma-fpl-nuclear/fpl-shut-one-reactor-at-florida-turkey-point-ahead-of-irma-idUSKCN1BL0MD">Turkey Point</a>, qui avaient décidé de mettre ses réacteurs hors de service 24 heures à l’avance, décidèrent d’en laisser un en activité suite au changement de trajectoire de la tempête.</p>
<h2>4. Les enseignements de Fukushima</h2>
<p>Le souvenir de la catastrophe de la centrale de Fukushima Daiichi au Japon, en 2011, est encore présent dans toutes les mémoires. Parmi les 100 000 personnes évacuées, peu sont retournées dans la région meurtrie par ce désastre, même si les autorités nippones affirment que la situation est sous contrôle, au moins dans certaines zones.</p>
<p>La catastrophe a été provoquée après qu’un tsunami, résultant du tremblement de terre <a href="https://www.geolsoc.org.uk/Education-and-Careers/Plate-Tectonic-Stories/Outer-Isles-Pseudotachylytes/Tohoku-Earthquake">Tohoku</a>, ait mis hors service les groupes électrogènes de secours utilisés pour refroidir les réacteurs nucléaires, entraînant ainsi une série de fusions suivies d’explosions et de fuites radioactives.</p>
<p>Fukushima a changé la manière dont les tempêtes violentes sont appréhendées, y compris <a href="https://www.nrc.gov/reactors/operating/ops-experience/japan-dashboard.html">aux États-Unis</a> où la Commission de réglementation nucléaire a <a href="https://www.nrc.gov/reactors/operating/ops-experience/japan-dashboard/priorities.html">renforcé les normes de sécurité</a> à tous les niveaux et effectué des demandes spécifiques <a href="https://www.nrc.gov/reactors/operating/ops-experience/japan-dashboard/japan-plants.html">pour certaines centrales</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"973869891584446464"}"></div></p>
<h2>5. La situation sur la côte est des États-Unis</h2>
<p>Aux États-Unis, l’électricité vient pour un cinquième de l’énergie nucléaire ; mais la côte est où la tempête Florence s’est abattue en dépend davantage.</p>
<p>57 % du réseau électrique de <a href="https://www.eia.gov/state/index.php?sid=SC">Caroline du Sud</a> dépend ainsi du nucléaire tandis que la <a href="https://www.eia.gov/state/?sid=NC">Caroline du Nord</a> et la <a href="https://www.eia.gov/state/index.php?sid=VA">Virginie</a> sont approvisionnés pour un tiers de leur électricité par cette énergie.</p>
<p>Duke Energy, qui détient presque <a href="https://www.reuters.com/article/storm-florence-nuclear/us-nuclear-power-plants-prepare-for-hurricane-florence-idUSL2N1VX1FW">toutes les centrales nucléaires</a> de Caroline, avait prévu de mettre hors service certains de ses réacteurs <a href="https://www.businessinsider.com/hurricane-florence-north-carolina-nuclear-power-plants-preparations-2018-9">12 heures avant l’arrivée de Florence</a>.</p>
<p>L’entreprise a également indiqué que les <a href="https://apnews.com/7e9cac25a28d4781a184c913f6ec5c9a/The-Latest:-Duke-Energy-says-millions-could-lose-power">trois quarts</a> de ses 4 millions de clients devront faire face à des coupures de courant pendant plusieurs semaines.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/103303/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Theodore Kury is the Director of Energy Studies at the University of Florida’s Public Utility Research Center, which is sponsored in part by the Florida electric and gas utilities and the Florida Public Service Commission, none of which has editorial control of any of the content the Center produces.</span></em></p>Le passage de l’ouragan Andrew, en 1992, et les enseignements tirés de la tragédie de Fukushima ont changé la manière dont les centrales nucléaires font face aux phénomènes cycloniques.Theodore J. Kury, Director of Energy Studies, University of FloridaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.