tag:theconversation.com,2011:/uk/topics/discours-37627/articlesdiscours – The Conversation2024-03-12T16:07:37Ztag:theconversation.com,2011:article/2252072024-03-12T16:07:37Z2024-03-12T16:07:37ZÀ partir de quand peut-on considérer qu’un État est « en guerre » contre un autre ?<p>Le 26 février, <a href="https://www.bfmtv.com/politique/elysee/guerre-en-ukraine-les-propos-complets-d-emmanuel-macron-sur-l-envoi-de-troupes-au-sol_AV-202402270832.html">Emmanuel Macron</a> a entrouvert la porte à un déploiement possible de troupes de l’OTAN au sol en Ukraine, « de manière officielle, assumée et endossée », jugeant que « rien ne [devait] être exclu pour poursuivre l’objectif qui est le nôtre : la Russie ne peut ni ne doit gagner cette guerre ».</p>
<p>La sortie du président de la République a suscité une levée de boucliers, tant du côté des <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2024/02/27/les-allies-divises-sur-l-option-d-une-intervention-au-sol-en-ukraine_6218802_3210.html">principaux alliés de la France</a>, que des <a href="https://www.youtube.com/watch?v=cf-NE7VnP_E">partis d’opposition en interne</a>. Alors que les Occidentaux ont jusqu’à présent fait preuve d’une grande prudence vis-à-vis de la Russie, puissance dotée de l’arme nucléaire, la perspective du déploiement de troupes au sol est perçue comme une <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2024/feb/29/emmanuel-macron-troops-ukraine-russia-france">escalade dangereuse</a>, à même de donner un nouveau statut aux partenaires de l’Ukraine : celui de <a href="https://www.lefigaro.fr/international/envoi-de-troupes-occidentales-en-ukraine-l-hypothese-d-emmanuel-macron-deja-ecartee-par-de-nombreux-allies-20240227">cobelligérant</a>.</p>
<p>La polémique n’est pas neuve : depuis février 2022, chaque fois que les Occidentaux franchissent un pas supplémentaire dans leur réponse à l’invasion russe (en imposant de nouvelles sanctions ou en livrant de nouveaux types d’armes), quelques commentateurs se demandent si cela ne revient pas, cette fois-ci, à franchir le <a href="https://www.marianne.net/monde/europe/cobelligerance-les-occidentaux-sont-ils-en-train-de-sengager-dans-le-conflit-en-ukraine">pas symbolique</a> qui ferait basculer la France en guerre – en guerre contre la Russie. De fait, à partir de quand peut-on considérer qu’un État est « en guerre » contre un autre ? Où se situe concrètement la <a href="https://theconversation.com/comment-les-philosophes-de-lantiquite-pensaient-la-guerre-178494">frontière</a> entre la guerre et la paix ?</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/limpact-de-la-guerre-en-ukraine-sur-la-cooperation-militaire-franco-allemande-223671">L’impact de la guerre en Ukraine sur la coopération militaire franco-allemande</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<h2>Les ambiguïtés du discours politique</h2>
<p>La France est-elle en guerre, ou est-elle sur le point d’entrer en guerre, en Ukraine ? À cette question pour le moins sensible, les responsables gouvernementaux français apportent des réponses étonnamment variables. Après avoir martelé, les <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/284216-emmanuel-macron-02032022-ukraine-consequences-economiques">2 mars</a>, <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/284517-emmanuel-macron-11032022-ukraine">11 mars</a> et <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/285102-emmanuel-macron-09052022-union-europeenne">9 mai 2022</a>, que « nous ne sommes pas en guerre », Emmanuel Macron déclare finalement, dans un discours sur la crise énergétique, le 5 septembre 2022, que <a href="https://rmc.bfmtv.com/actualites/international/crise-energetique-nous-sommes-en-guerre-c-est-un-etat-de-fait-lance-emmanuel-macron_AV-202209050550.html">« nous sommes en guerre, c’est un état de fait »</a>, puis appelle, le 19 janvier 2024 à accélérer le passage à une <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/ukraine-emmanuel-macron-exhorte-l-industrie-de-defense-a-passer-en-mode-economie-de-guerre-988335.html">« économie de guerre »</a>.</p>
<p>Le 1<sup>er</sup> mars 2022, alors que <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/284239-florence-parly-jean-baptiste-lemoyne-olivier-dussopt-01032022-ukraine">Florence Parly, la ministre des Armées de l’époque, écartait</a> devant les sénateurs l’envoi de troupes combattantes car cette option « ferait de nous des cobelligérants », son collègue de l’Économie, <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/03/01/nous-allons-provoquer-l-effondrement-de-l-economie-russe-affirme-bruno-le-maire_6115679_823448.html">Bruno Le Maire, affirmait sur France Info</a> que la France et ses alliés s’apprêtaient à « livrer une guerre économique et financière totale à la Russie » (avant de faire marche arrière quelques heures plus tard, admettant que l’emploi du terme <em>guerre</em> était « inapproprié »).</p>
<p>Si elles peuvent être source de confusion, ces citations ont aussi le mérite de révéler deux caractéristiques des usages (et non-usages) politiques du terme de <em>guerre</em>.</p>
<p>Ce terme n’est pas réservé au champ de la conflictualité armée, mais se voit appliqué à de nombreux autres domaines – économique et énergétique ici, mais aussi diplomatique, informationnel, sanitaire, etc. – Emmanuel Macron n’avait-il pas déclaré, en 2020, la <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/03/16/nous-sommes-en-guerre-retrouvez-le-discours-de-macron-pour-lutter-contre-le-coronavirus_6033314_823448.html">« guerre » au Covid</a> ? Ces emplois du terme de <em>guerre</em>, nous le verrons, s’écartent de l’emploi scientifique de celui-ci et constituent une forme d’abus de langage.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/deux-ans-de-guerre-en-ukraine-comment-lue-sest-mobilisee-224028">Deux ans de guerre en Ukraine : comment l’UE s’est mobilisée</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Par ailleurs, il est évident que le choix politique de qualifier ou de ne pas qualifier un événement de « guerre » ne dépend pas en premier lieu de la nature réelle de cet événement, mais plutôt de l’intérêt politique perçu à mobiliser ou à ne pas mobiliser une rhétorique guerrière.</p>
<p>C’est ainsi que, sous le mandat Sarkozy, le gouvernement se refusait à parler de « guerre » pour qualifier la présence militaire française en Afghanistan (<a href="https://www.liberation.fr/france-archive/2008/08/27/deux-ministres-sur-la-defense_78758/">y compris après la mort de 10 soldats en opération à Uzbeen en 2008</a>), alors que le président déclarait la « guerre » aux <a href="https://www.rfi.fr/fr/france/20100730-nicolas-sarkozy-veut-faire-guerre-insecurite">« trafiquants et aux voyous »</a>, dans le cadre de son combat contre l’insécurité.</p>
<p>Ces usages et non-usages, à géométrie variable, du terme de <em>guerre</em> trahissent des stratégies discursives de la part des acteurs qu’il est intéressant d’étudier et de décrypter. Ils démontrent par ailleurs la distance qu’il peut y avoir entre l’emploi « politique » du terme et son emploi universitaire.</p>
<h2>La définition de la guerre en science politique</h2>
<p>Qu’est-ce que la guerre ? La théorie politique met en avant trois critères de définition de la guerre : son caractère collectif, son caractère violent et son caractère interactionnel.</p>
<p>Premièrement, la guerre est un phénomène collectif. Cela signifie qu’elle oppose non pas des individus, mais des groupes organisés les uns contre les autres. Ainsi que l’écrivait <a href="https://editions.flammarion.com/du-contrat-social/9782081275232">Jean-Jacques Rousseau</a> :</p>
<blockquote>
<p>« La guerre n’est donc point une relation d’homme à homme, mais une relation d’État à État, dans laquelle les particuliers ne sont ennemis qu’accidentellement, non point comme hommes ni même comme citoyens, mais comme soldats. »</p>
</blockquote>
<p>La nature (étatique ou non) de ces groupes organisés n’est pas un critère de définition de la guerre. On peut parler de guerre même si l’un ou les deux acteurs aux prises ne sont pas des États au sens moderne du terme – tel était par exemple le cas de la guerre d’Afghanistan, lors de laquelle les forces françaises faisaient face à un mouvement insurrectionnel, les talibans.</p>
<p>Cette distinction est néanmoins utile pour établir des typologies, permettant par exemple de distinguer la guerre inter-étatique (entre États) de la guerre civile (à l’intérieur d’un État).</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/EYTnMHcta4Q?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Les philosophes français face à la guerre : politique, morale, philosophie – Claudine Tiercelin, 2014, Collège de France.</span></figcaption>
</figure>
<p>Deuxièmement, la guerre se caractérise par l’emploi d’un instrument spécifique : la force armée. La guerre se distingue de l’absence de guerre (c’est-à-dire de la paix) non pas par l’existence d’un différend ou de tensions particulièrement vives, mais par le choix, commun aux deux acteurs, de tenter de régler ce différend au moyen de la violence. En cela, comme l’écrivait le théoricien <a href="https://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-De_la_guerre-2000-1-1-0-1.html">Carl von Clausewitz</a>, la guerre « est un conflit de grands intérêts réglé par le sang, et c’est seulement en cela qu’elle diffère des autres conflits ».</p>
<p>La définition de la paix à laquelle l’on arrive alors est une définition négative : la paix se définit par la simple absence de violence, indépendamment de l’existence ou non d’un sentiment d’amitié ou d’hostilité entre les groupes aux prises.</p>
<p>Troisièmement, la guerre est un phénomène interactionnel. Clausewitz la définissait d’ailleurs, dès la première page de son maître-ouvrage, <a href="https://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-De_la_guerre-2000-1-1-0-1.html"><em>De la guerre</em></a>, comme « un duel à une plus vaste échelle ».</p>
<p>Cela signifie que la guerre n’est pas l’application unilatérale de la violence contre une cible passive, mais implique que les deux adversaires aient chacun fait le choix d’utiliser la violence contre l’autre. La guerre se caractérise ainsi par la « réciprocité d’action volontaire », pour reprendre la formule du sociologue <a href="https://www.payot-rivages.fr/payot/livre/trait%C3%A9-de-pol%C3%A9mologie-sociologie-des-guerres-9782228883627">Gaston Bouthoul</a>. Par exemple, l’on considère que l’occupation militaire de l’Autriche par l’Allemagne nazie en 1938 ne constitue pas une guerre car l’armée autrichienne n’a pas cherché à y résister ; à l’inverse, l’invasion de Pologne en 1939 peut quant à elle être qualifiée de guerre du fait de la résistance (même brève) des forces polonaises.</p>
<p>En synthèse, on peut dire que la guerre se définit par la réciprocité du recours à la force entre groupes organisés.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/arthur-pourquoi-les-hommes-aiment-ils-la-guerre-et-sentretuent-ils-131593">Arthur : « Pourquoi les hommes aiment-ils la guerre et s’entretuent-ils ? »</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<h2>La France est-elle en guerre en Ukraine ?</h2>
<p>À l’aune de cette définition, comment qualifier aujourd’hui l’action de la France dans le contexte de la guerre en Ukraine ? Il convient tout d’abord de noter que l’on ne peut pas parler de « guerre » au sujet des sanctions adoptées contre la Russie : celles-ci relèvent en effet d’un répertoire d’actions (économique, diplomatique, etc.) qui est matériellement et symboliquement distinct de l’emploi de la violence physique.</p>
<p>Prendre des mesures de représailles contre un État ne suffit pas pour créer une situation de guerre tant que ces mesures n’impliquent pas le recours à la force. À ce titre, parler de « guerre économique » constitue un abus de langage : ce qui fait la spécificité de la guerre, nous l’avons dit, est <a href="https://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-De_la_guerre-2000-1-1-0-1.html">« le caractère particulier des moyens qu’elle met en œuvre »</a>, à savoir, la violence armée.</p>
<p>Qu’en est-il de l’aide militaire apportée par la France à l’Ukraine ? Là encore, on ne peut pas qualifier cette action de « guerre ». En effet, transférer des matériels militaires à un autre État n’équivaut pas au fait d’employer soi-même ces matériels militaires contre un acteur tiers. Si la France aide l’Ukraine à combattre contre la Russie, la France ne recourt pas elle-même à la force armée contre la Russie (pas plus que la Russie ne recourt à la force contre la France).</p>
<p>Le critère de la réciprocité de l’emploi de la violence n’est donc pas rempli. Pour pouvoir parler de guerre, il convient qu’il y ait une participation directe aux hostilités, au travers d’un emploi, en propre, de la violence.</p>
<p>L’expression « guerre par procuration » est donc là aussi à ne pas prendre au pied de la lettre : en l’absence d’une implication directe dans les combats eux-mêmes, il ne s’agit pas, à proprement parler, d’une guerre.</p>
<p>Qu’en est-il, enfin, de la potentielle présence de troupes au sol en Ukraine ? La réponse à cette question dépend de la mission qui leur serait confiée : si ces troupes ne participent pas elles-mêmes aux hostilités, mais agissent à des fins de collecte de renseignements, de maintien en conditions opérationnelles des équipements militaires, de formation des soldats ukrainiens, etc., on ne peut pas parler de guerre ou de cobelligérance. Ces actions de soutien ne constituent pas une forme d’usage de la force et ne feraient pas basculer la France d’une situation de paix à une situation de guerre avec la Russie.</p>
<p>En revanche, s’il s’agissait de troupes combattantes, participant directement aux opérations de combat, alors le seuil de la cobelligérance serait franchi. De même, si les soldats sur place contribuaient à opérer certains équipements militaires (de type missiles longue portée), c’est-à-dire, s’ils ne se contentaient pas d’aider à l’entretien des ces équipements mais participaient directement de leur emploi contre les forces russes, l’on pourrait considérer qu’il s’agit d’une forme de recours à la force, et donc, de cobelligérance.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225207/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Adrien Schu est membre de l'Association pour les études sur la guerre et la stratégie (AEGES). </span></em></p>Où se situe concrètement la frontière entre la guerre et la paix dans une situation de conflit ?Adrien Schu, Maitre de conférences en sciences politiques, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2171392023-11-09T16:41:26Z2023-11-09T16:41:26ZPeut-on avoir un accent en politique sans être moqué ?<p>Le 20 octobre 2023, <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/deputes/PA795184">Tematai Le Gayic</a>, député Nupes de Polynésie française, prend la parole dans le cadre de la motion de censure déposée après un 49.3 entérinant l’adoption du projet de loi de finances 2024. Rapidement, dans les médias comme sur les réseaux sociaux, la juxtaposition de sa variante de prononciation (son « accent ») et des rires hilares des membres du gouvernement ont fait penser à de la <a href="https://www.cairn.info/revue-langage-et-societe-2021-HS1-page-155.htm">glottophobie</a> – une discrimination sur l’accent.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1715479332649377841"}"></div></p>
<p>Les faits permettent-ils d’affirmer qu’il y a ici un acte manifeste de discrimination sur l’accent ? Plus généralement, peut-on avoir un accent en politique et être crédible ?</p>
<h2>Une histoire des accents en politique</h2>
<p>Avoir un « accent » – ou plutôt ne pas avoir l’accent « parisien » « standard » – en politique est un prétexte récurrent qui amène discussions et moqueries. Et, les exemples sont nombreux. On soulignera, en particulier, que c’est toute la sphère politique qui est touchée. Jean-Michel Apathie dans <a href="http://www.michel-lafon.fr/livre/2422-J_AI_UN_ACCENT_ET_ALORS.html">son livre</a> et dans des <a href="https://www.youtube.com/watch?v=5KrLT5w47_M">nombreuses interviews</a> explique en quoi l’« accent du sud » a été un problème dans sa légitimité de journaliste politique. L’accent de Jean Castex, alors premier ministre, a aussi fait <a href="https://www.tf1info.fr/politique/video-jean-castex-permier-ministre-la-politique-a-t-elle-un-probleme-avec-les-accents-2158441.html">l’objet d’une analyse</a>.</p>
<p>À l’inverse, certains politiques sont eux-mêmes amenés à dénigrer l’accent des journalistes, comme a pu l’imiter <a href="https://www.youtube.com/watch?v=fpoaodwmkJc">Jean-Luc Mélenchon face à Véronique Gaurel</a>, une journaliste de France 3 originaire de Toulouse :</p>
<blockquote>
<p>« Vous dites n’importe quoi. Est-ce que quelqu’un peut me poser une question en français et à peu près compréhensible ? Parce que votre niveau me dépasse ».</p>
</blockquote>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>L’accent (ou son locuteur) peut être assigné comme « régional » ou « étranger ». Lors des élections présidentielles de 2012, Eva Joly a fait les frais de ce climat en commençant par la <a href="https://www.lepoint.fr/editos-du-point/patrick-besson/eva-joly-presidente-de-la-republique-01-12-2011-1402786_71.php">chronique de Patrick Besson</a> intitulée « Zalut la Vranze ! » Elle laissera des traces indélébiles sur sa campagne malgré son clip humoristique et autodérisoire.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/idk0jZhQTxY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Eva Joly (EELV) en campagne en 2012 « La France résonne de tous les accents du monde ».</span></figcaption>
</figure>
<p>Elle sera régulièrement amenée à répondre de son accent comme handicap, par exemple face à Laurent Ruquier dans « On n’est pas couché » <a href="https://doi-org.bases-doc.univ-lorraine.fr/10.4000/glottopol.3906">qui a fait l’objet d’une étude en sociophonétique</a>. Sa ligne de défense sera toujours de rappeler sa légitimité de part sa double nationalité et son métier de magistrate. De plus, son cas montre de quelle manière ces représentations évoluent. En 2010, son accent appelait au <a href="https://www.lesechos.fr/2010/10/eva-joly-femme-d-affaires-443328">« charme de sa voix douce à l’accent voilé »</a> dans <em>Les Echos</em>. Puis, <a href="https://www.leparisien.fr/archives/l-accent-d-eva-joly-18-11-2011-1726108.php">Boula de Mareüil, spécialiste des accents</a>, souligne deux autres représentations : une origine « scandinave » pour son engagement écologiste et une origine « allemande » pour sa supposée froideur.</p>
<h2>Un éventail de variantes de prononciation</h2>
<p>Il s’agit de reconnaitre que tout locuteur peut disposer d’un éventail de variantes de prononciation qu’il mobilise en fonction de ses interlocuteurs, des situations – une <a href="https://theconversation.com/et-si-on-eliminait-les-accents-de-nos-facons-de-penser-199849">pluriphonie</a> ; les individus n’ont donc pas un « accent » mais plusieurs.</p>
<p>Marie-Arlette Carlotti, ministre et députée, est un cas d’école en sciences du langage sur cette question. En 2013, elle avait été « épinglée » pour avoir produit deux « accents » différents, passant d’un « accent parisien » pour une interview sur LCI dans ses fonctions de ministre à un « accent du sud » sur Canal+, pour vanter les mérites de Marseille, où elle briguait un mandat. Médéric Gasquet-Cyrus, professeur en sciences du langage à l’Université d’Aix-Marseille, avait pu revenir dans <a href="https://www.slate.fr/story/109511/discrimination-accent">Slate sur ce phénomène</a> considéré comme normal. Plus ponctuellement, Emmanuel Macron en déplacement à Marseille fait entendre un « accent marseillais » lorsqu’il s’adresse au « ministre de l’intérieur » dont on ne peut évacuer l’hypothèse d’une forme de <a href="https://psycnet.apa.org/record/2006-21534-016">convergence communicative</a>- phénomène qui nous fait parfois <a href="https://www.bbc.com/afrique/monde-63534136">produire en miroir l’accent</a> de nos interlocuteurs.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1673258403861262338"}"></div></p>
<h2>Le contexte au service de l’analyse en linguistique appliquée</h2>
<p>Dans le cas du député de Polynésie française (Nupes), les raisons des ricanements traduisent aussi le contexte politique.</p>
<p>Tematai Le Gayic est reconnu pour être le plus jeune élu de l’Assemblée nationale, membre de l’opposition. Son intervention le 20 octobre 2023 est <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/deputes/PA795184/seance-publique">sa 29ᵉ intervention en séance publique</a>. <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/seance/session-ordinaire-de-2023-2024/deuxieme-seance-du-vendredi-20-octobre-2023#3260900">La séance est ouverte à 21h30</a>. Les débuts sont houleux car la première ministre est en retard. Tematai Le Gayic prend la parole en 8<sup>e</sup> sur la liste des responsables de groupe qui se succèdent. Une colère plus ou moins froide gronde dans l’hémicycle – type de colère constitutif de ces échanges politiques comme a pu l’analyser, dans sa thèse, <a href="https://www.theses.fr/2019USPCA013/document">Charlotte Kouklia</a>.</p>
<p>Dans cette ambiance, les rires réguliers des membres du gouvernement sont soulignés comme une forme de mépris par les différents intervenants tout au long de la séance : M. Bouloux « cela vous fait sourire » ou encore E. Taché de la Pagerie « Mais, ça fait rire la Première ministre ! » ou « Visiblement, ce qui se passe à l’Assemblée est très drôle ! (L’orateur s’agace de rires récurrents sur les bancs du Gouvernement.) ». Tematai Le Gayic intervient, en premier lieu, pour rendre hommage au dernier combattant du bataillon pacifique disparu la veille. L’ambiance semble respectueuse comme le transcrit le compte-rendu de séance :</p>
<blockquote>
<p>« (Applaudissements sur les bancs des groupes RE, LFI-Nupes, LR, Dem, SOC, HOR, Écolo-Nupes, GDR-Nupes, LIOT et quelques bancs du groupe RN.) »</p>
</blockquote>
<p>Revenant au sujet du 49.3, le député – <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/qui-est-tematai-le-gayic-independantiste-polynesien-et-plus-jeune-depute-de-france-1296220.html">dont les talents d’orateur sont reconnus</a>- propose un style en rupture à ces prédécesseurs : traits d’humour, élocution respirée, renvoi à ces collègues de l’hémicycle, non-utilisation de ses notes au bout de quelques minutes. Si l’enregistrement de la séance ne permet pas de voir les membres du gouvernement sur toute l’intervention, les rires sont visibles au moment où il renvoie la responsabilité de l’échec de la motion aux groupes qui ont peur d’une dissolution.</p>
<blockquote>
<p>« … ceux qui peuvent faire basculer la situation ne veulent pas retourner aux urnes, car ils ont peur de ne pas être réélus, d’être confrontés au peuple – c’est le vrai problème. »</p>
</blockquote>
<p>On entend à la fin les remerciements amusés de Yaël Braun-Pivet, Présidente de l’Assemblée nationale. Ainsi, peu de faits disponibles (retranscription, captation) permettent d’étayer directement l’hypothèse d’une glottophobie manifeste. En effet, les membres du gouvernement donnent à voir des rire liés, <a href="https://www.huffingtonpost.fr/politique/article/le-depute-polynesien-tematai-le-gayic-face-a-des-rires-de-ministres-a-l-assemblee-la-macronie-se-defend-de-toute-moquerie_224754.html">selon eux</a>, au fait que le député souligne la responsabilité des autres groupes parlementaires.</p>
<h2>Du cas particulier à une transition indispensable dans le discours politique</h2>
<p>Cependant, il ne s’agit pas de penser cet épisode comme un cas particulier et unique mais au sein d’un système de situations, de commentaires ou de « remarques insidieuses » comme Elatiana Razafimandimbimanana et Fabrice Wacalie l’étudient dans le cadre des <a href="https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2019-1-page-156.htm">micro-agressions linguistiques</a>. Ces chercheurs rappellent que :</p>
<blockquote>
<p>« En apparence ordinaires, voire bien intentionnées, ces petites réflexions, une fois intériorisées, finissent par provoquer des inhibitions linguistiques et nourrissent en parallèle le sentiment de ne plus être un locuteur légitime. »</p>
</blockquote>
<p>Sur le cas de Jean Castex, les <a href="https://journals-openedition-org.bases-doc.univ-lorraine.fr/glottopol/3972">chercheurs Philippe Chassé et Alizée Pillod</a> soulignent que <a href="https://theconversation.com/et-si-on-eliminait-les-accents-de-nos-facons-de-penser-199849">son accent a largement été mentionné</a> (202 articles parus entre le 3 et le 31 juillet 2020) et qu’il est rarement présenté de manière neutre (surtout négative). Par ailleurs, les médias utilisent souvent cette dimension « atypique » pour créer un récit qui n’appartient plus à l’individu lui-même (accent = proche des enjeux « en région » voire « ruraux »).</p>
<p>Pour Tematai Le Gayic, son âge (<a href="https://www.ouest-france.fr/elections/legislatives/portrait-qui-est-tematai-le-gayic-21-ans-elu-plus-jeune-depute-de-l-histoire-en-polynesie-0a5b338a-f058-11ec-a1f9-96fad4cda185">largement repris dans les médias</a>) tout autant que son accent ont très certainement participé à subir une verticalité discursive. Les rires ont notamment masqué le contenu de son propos portant sur un exemple polynésien de la gestion de l’instabilité politique mais aussi des conséquences d’un 49.3 (essais nucléaires) dans la conscience polynésienne.</p>
<p>Vijay Ramjattan rappelle que les discriminations sur l’accent convoquent d’autres discriminations raciales ancrées <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/annual-review-of-applied-linguistics/article/accenting-racism-in-labour-migration/53463BF1612840A58FDD6A1354BBF093">dans la colonialité et le capitalisme</a> – des formes de domination.</p>
<h2>Une diffusion des clichés au cœur du monocentrisme français</h2>
<p>Dans son discours à l’occasion de l’inauguration de la cité internationale de la langue française, le président Emmanuel Macron, loin de déconstruire ces rapports, reprend ces récits, enfonce les clichés :</p>
<blockquote>
<p>« À travers les voyelles ouvertes des Parisiens, les infections chantantes des outre-mer, les A du Nord qui s’arrondissent en O, les R rocailleux de l’est, les E muets du Sud qui se font sonores et solaires. »</p>
</blockquote>
<p>Si les politiques continuent à rendre visible une hiérarchisation des variantes de prononciation et de stéréotypes folklorisants, des chercheurs reconnaissent de leur côté qu’il existe un <a href="http://glottopol.univ-rouen.fr/numero_31.html">« un prestige latent, mais aussi un prestige manifeste des variétés régionales »</a> comme celles étudiées dans les cas du Québec, des Antilles et du sud de la France.</p>
<p>Peut-être est-il temps de reconnaitre la diversité en dehors d’une monophonie et d’un monocentrisme comme le précise <a href="https://theconversation.com/et-si-on-eliminait-les-accents-de-nos-facons-de-penser-199849">l’historien Philippe Martel</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Ce musée installé dans un château exprime à sa façon l’idée que c’est le lien avec le pouvoir, et non avec un peuple, qui est privilégié ».</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/217139/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Grégory Miras ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Peut-on avoir un accent en politique et être crédible ?Grégory Miras, Professeur des Universités en didactique des langues, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1962632023-01-09T20:23:51Z2023-01-09T20:23:51ZRéveil écologique des grandes écoles : ce que nous ont appris les discours de jeunes diplômés<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/502650/original/file-20221226-76170-e8nqtf.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=17%2C6%2C1443%2C716&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Polytechnique : Voies/voix d’X face à l’urgence écologique et sociale</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.youtube.com/watch?v=0DkVf39KxSM">Capture d'écran/Youtube</a></span></figcaption></figure><p>Pointant des formations « biaisées », lançant des appels à « déserter », exprimant des sentiments d’« éco-anxiété » et des critiques du « greenwashing », différentes prises de parole lors de cérémonies de remise de diplômes dans les grandes écoles ont marqué les esprits en 2022. Le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=SUOVOC2Kd50">discours des huit « déserteurs » d’AgroParisTech</a> avait ouvert le bal le 30 avril 2022.</p>
<p>Plusieurs allocutions ont suivi, dont celles d’<a href="https://www.wedemain.fr/ralentir/anne-fleur-goll-nous-sommes-des-garde-fous-du-greenwashing/">Anne-Fleur Goll</a> et de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=tZSO3yIc4SQ">Camille Fournier</a> à HEC en juin 2022, d’un collectif à <a href="https://www.youtube.com/watch?v=lmgIpum4QOc">l’ENSAT</a> et de plusieurs promotions de Polytechnique le même mois, ou encore d’un collectif à Mines Paris et d’<a href="https://www.youtube.com/watch?v=Ky8APhMcyR0">Albane Crespel</a> à l’ESSEC.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/crise-ecologique-ces-eleves-ingenieurs-qui-veulent-transformer-leur-metier-184339">Crise écologique : ces élèves ingénieurs qui veulent transformer leur métier</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Derrière des formats similaires, ces discours se situent-ils vraiment tous dans la même lignée ou font-ils émerger des positionnements différents ? Les replacer dans une chronologie permet d’en faire ressortir les logiques et de cerner ce qui a fait école et ce qui divise.</p>
<h2>Des plaidoyers personnalisés</h2>
<p>Les discours sont tous très personnels et font apparaître explicitement les émotions et états d’esprit des orateurs, que ceux-ci soient positifs (enthousiasme, passion, fierté, détermination) ou négatifs (peur, éco-anxiété, malaise, tristesse). Plusieurs mots reviennent souvent, comme les « doutes » et l’« anxiété » des étudiants, tout comme leurs « engagements » et « responsabilités ».</p>
<p>Les discours pointent tous une entité macroscopique – le « système », le « monde » – et estiment qu’il faut la « changer » et la « transformer ». Les problèmes identifiés sont globalement les mêmes : changement climatique, perte de la biodiversité, inégalités sociales, pollution. Pris dans leur ensemble, ces discours affichent le même style : ce sont des plaidoyers personnalisés, émotionnels, critiques et réflexifs sur l’état du monde qui proposent certaines pistes pour le transformer.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Il faut saisir ces discours dans leur historicité, car deux d’entre eux ont fait date et contribué à impulser une dynamique. Tout d’abord, il y a celui de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=3LvTgiWSAAE">Clément Choisne à Centrale Nantes</a>, en novembre 2018, qui critique l’obsolescence programmée et la surconsommation, tout en appelant à plus de sobriété et d’éthique. Ce discours a inspiré de nombreux élèves en instituant un nouveau genre de prise de parole.</p>
<p>Ensuite, les déserteurs d’AgroParisTech ont largement contribué à populariser ce type de prise de parole, tout en instaurant une certaine grammaire : les mots « déserter » et « bifurquer » sont dorénavant des points de passage quasiment obligés de ce type de prise de parole.</p>
<h2>Des propositions différentes</h2>
<p>On peut différencier trois degrés de critique. Il y a des discours qui font des critiques fortes (ceux prononcés à Centrale Nantes, AgroParisTech, l’ENSAT, <a href="https://www.dailymotion.com/video/x8c3cs9">Polytechnique</a> et à l’ESSEC). L’accusation y est radicale et sans réserve : l’industrie, le capitalisme, l’école et la formation des élèves sont directement et conjointement critiqués. Les déserteurs d’AgroParisTech, par exemple, critiquent à la fois leur formation, l’agro-industrie, le capitalisme, les start-up et des termes comme transition, en parlant de « ravage » et de « jobs destructeurs ».</p>
<p>D’autres discours sont plus nuancés dans la critique, comme ceux prononcés à HEC, dans lesquels le « système » est pointé du doigt, alors que l’industrie et la formation ne sont que peu critiquées. Enfin, le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=dyQc8XXLgho&t=613s">discours de Mines Paris</a> est relativement positif. Malgré certaines remarques critiques (« le solutionnisme technique ne suffira pas »), il est largement axé sur l’engagement.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/BY7zclxtOLU?wmode=transparent&start=8" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Discours d’Anne-Fleur Goll (HEC Graduation, 2022).</span></figcaption>
</figure>
<p>Les solutions proposées sont, elles aussi, différentes. D’un côté, il y a des discours qui estiment qu’il faut sortir du système : qu’il faut s’en « écarter » (Centrale Nantes), « bifurquer » (AgroParisTech, ENSAT), « boycotter » (ENSAT), « miner les lobbys et entreprises, stopper l’agro-industrie » (ESSEC). De l’autre, il y a ceux (à HEC et aux Mines) qui se placent dans une optique moins disruptive, et appellent plutôt à changer le système de l’« intérieur », tout en utilisant un vocabulaire axé sur la responsabilité.</p>
<p>Quelque part entre ces deux positions, les discours prononcés à Polytechnique estiment que « toutes et tous » peuvent contribuer aux évolutions, « en changeant le système de l’intérieur ou en désertant » et ne souhaitent « pas prôner un chemin plutôt qu’un autre ».</p>
<p>Le positionnement par rapport à la formation diffère aussi. Ainsi, les élèves de Mines Paris remercient leur école pour avoir pu « bénéficier d’une formation de grande qualité », alors que les déserteurs d’AgroParisTech dénoncent « une formation qui pousse globalement à participer aux ravages sociaux et écologiques en cours ». Le discours à l’ENSAT, plus modéré, fait un plaidoyer pour plus d’interdisciplinarité et pour l’intégration de savoirs pratiques.</p>
<h2>Un terme central : bifurquer</h2>
<p>Parmi les mots fréquemment utilisés, il y en a un qui sort du lot : « bifurquer ». Il est, tout d’abord, utilisé dans le discours à AgroParisTech, dans lequel bifurquer est un choix professionnel et personnel : « à vous de trouver vos manières de bifurquer » conclut le discours.</p>
<p>Dans le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=tZSO3yIc4SQ">discours de Camille Fournier</a> (HEC), le terme est utilisé pour s’adresser à un public plus large : pas seulement les jeunes diplômés, mais aussi les personnes qui travaillent dans des entreprises. Le terme a ici une connotation plus positive, et moins radicale, en étant juxtaposé au mot ensemble : « Let’s branch-out together ! » Ce faisant, Fournier a déradicalisé et désingularisé le terme.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-bifurquer-191438">« L’envers des mots » : Bifurquer</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Dans le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Ky8APhMcyR0&t=90s">discours à l’ESSEC</a>, bifurquer est utilisé dans un sens très similaire à celui des déserteurs. Cependant, l’accent est mis sur l’indignation, avec une référence à Stéphane Hessel, auteur de <a href="https://indigene-editions.fr/indignez-vous-stephane-hessel/"><em>Indignez-Vous !</em></a>.</p>
<p>C’est dans le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=lmgIpum4QOc">discours à l’ENSAT</a> que le terme bifurquer est le plus amplement discuté. Une triple définition est donnée : faire différemment (prendre une autre voie, changer de monde, quitter des projets), critiquer (questionner, interroger) et créer du lien. Le discours de l’ENSAT pluralise donc la signification du mot bifurquer, en le faisant désigner à la fois le fait de changer, de critiquer et de créer du commun.</p>
<p>Si le terme « déserter » est utilisé de façon plus constante et singulière à travers les discours, le terme « bifurquer » a une biographie plus complexe. Il a été publicisé et politisé par les déserteurs d’AgroParisTech, puis maintes fois référencé, redéfini, réinterprété et critiqué.</p>
<h2>Entre désertion et engagement</h2>
<p>Dans beaucoup de médias, les discussions se sont focalisées sur la portée critique et la radicalité des discours. Toutefois, ces derniers ne peuvent se résumer à la critique. Les étudiants font preuve d’une <a href="https://journals.openedition.org/sdt/37417">double stratégie d’attachement et de détachement</a> : ils pointent du doigt les problèmes écologiques et prennent leurs distances avec le « système » actuel, tout en affirmant ce à quoi ils tiennent : leurs choix professionnels, leurs valeurs, leurs façons de voir le monde.</p>
<p>À côté des critiques du monde existant, il faut donc aussi retenir tous ces éléments positifs, engagés, ouverts, qui décrivent un monde à faire advenir. C’est ce double jeu entre désertion et engagement, entre critique et espoir, entre le niveau personnel et le niveau institutionnel qui explique, en partie, la force rhétorique des énonciations.</p>
<p>Malgré le fait qu’on observe une certaine remise en question des sciences, on ne décèle pas de posture formellement anti-scientifique dans les discours. Les discours, même les plus critiques, proposent plutôt un décentrement des sciences. La formule « la technologie à elle seule ne nous sauvera pas » est illustrative : il ne s’agit pas de faire sans la science, mais de ne pas la laisser œuvrer « seule ».</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/dyQc8XXLgho?wmode=transparent&start=613" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Cérémonie de remise de diplômes 2022 aux Mines de Paris.</span></figcaption>
</figure>
<p>On peut parler ici d’écologisation de la science, dans deux sens du terme. Premièrement, les discours appellent à ce que les problématiques de l’écologie et du changement climatique soient amenées à occuper une place plus centrale dans les cursus. Deuxièmement, l’écologie – <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/030631289019003001">dans le sens de Star et de Griesemer</a> - des sciences est importante : il faut considérer les problèmes de façon anti-réductionniste, en replaçant les sciences dans leur écosystème plus large et en mettant le projecteur sur les relations entre les sciences, la société et le politique. L’écologisation des sciences est à la fois une question de contenu pédagogique et une question de posture épistémique.</p>
<p>Le détournement du slogan de Polytechnique « Pour la patrie, les sciences et la gloire » en « Pour l’humanité, le vivant et l’avenir » exemplifie ce changement de posture. La science et la nation ne sont plus centrales, mais cèdent la place à la préoccupation pour le – et le care du – monde vivant.</p>
<p>Peut-on peut parler de <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-revolte-marine-miller/9782021465631">« réveil écologique »</a> des ingénieurs et des étudiants ? Les discours analysés ici doivent en effet être replacés dans un contexte plus large, avec le lancement d’associations comme Ingénieur·e·s Engagé·e·s (en 2017) et Les Désert’heureuses (en 2022), la publication de tribunes collectives, des manifestes, ou livres grand public sur le sujet.</p>
<p>On comprend alors mieux les controverses et débats suscités par les discours, car ils touchent à la substance même de ce qu’est un ingénieur. D’un côté, une vision de l’ingénieur comme une figure moderniste, qui contrôle, qui conçoit des solutions et qui évacue toute forme de sentiment. Rappelons l’analyse d’<a href="http://editions.ehess.fr/nos-auteurs/bibliographie/andre-grelon/">André Grelon</a> des ingénieurs comme « unis par une même foi en l’objectivité technicienne et dans l’amour du bel ouvrage et du progrès scientifique ». De l’autre, une vision de l’ingénieur comme une figure écologiste, qui est à l’écoute et qui peut douter, qui prend soin et qui explicite ses sentiments et ses attachements.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/196263/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Morgan Meyer ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si l’appel à « bifurquer » lancé par des anciens d’AgroParisTech a marqué les esprits, il s’inscrit dans une lignée de discours de jeunes diplômés appelant au décentrement des sciences.Morgan Meyer, Directeur de recherche CNRS, sociologue, Mines Paris - PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1950462022-12-04T17:49:32Z2022-12-04T17:49:32ZDe l’usage des mots « guerre sainte » et « satanisme » dans la guerre en Ukraine<p>« Guerre sainte » : voici une notion qu’on entend souvent ces derniers temps dans l’espace politique russe pour justifier l’agression de la Russie en Ukraine. S’y ajoutent régulièrement les termes de <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/guerre-en-ukraine-la-desatanisation-de-l-ennemi-nouvelle-lubie-mystique-du-kremlin-aux-allures-de-guerre-sainte_5445121.html">« satanisme »</a> et d’<a href="https://www.washingtonexaminer.com/policy/foreign/putin-fighter-antichrist-desatanization">« Antéchrist »</a>.</p>
<p>Tous les acteurs sociaux et politiques russes n’en ont pas les mêmes représentations, et celles-ci varient en fonction des publics auxquels ils s’adressent. Mais les mots utilisés restent les mêmes. Comment expliquer ce recours à un vocabulaire religieux dans le cadre de ce qui reste, officiellement, une « opération militaire spéciale » ?</p>
<h2>Poutine, Kadyrov et le « satanisme » de l’Occident</h2>
<p>Au cours des premiers mois de la guerre, Vladimir Poutine a exprimé son intention de <a href="https://www.la-croix.com/Debats/On-mal-Europe-comprendre-linsistance-Poutine-propos-denazification-lUkraine-2022-03-15-1201205092">dénazifier l’Ukraine</a>. Le 30 septembre, <a href="http://en.kremlin.ru/events/president/news/69465">lors de la cérémonie d’annexion des terres de l’est de l’Ukraine</a>, il a dénoncé le satanisme de l’Occident, symbolisé, selon lui par « la négation totale de l’individu, la subversion de la foi et des valeurs traditionnelles, la suppression de la liberté ».</p>
<p>Ce terme de satanisme circule depuis longtemps <a href="https://theconversation.com/how-qanon-uses-satanic-rhetoric-to-set-up-a-narrative-of-good-vs-evil-146281">dans les milieux conservateurs du monde entier</a>. Déjà en 2013, Vladimir Poutine condamnait devant le Club Valdaï les « pays euro-atlantiques » pour qui <a href="https://regard-est.com/quand-letat-veille-sur-la-moralite-la-russie-sous-la-croix-et-la-banniere">« la foi en Dieu est égale à la foi en Satan »</a>. Mais l’utilisation de cette rhétorique pourrait bien s’expliquer aujourd’hui par l’influence de l’idéologue d’extrême droite <a href="https://theconversation.com/du-national-bolchevisme-a-leurasisme-qui-est-vraiment-alexandre-douguine-189515">Alexandre Douguine</a> sur le président de la Fédération de Russie. En effet, d’après des observateurs bien informés, si son poids dans les premiers mois de la guerre a été largement exagéré, il serait <a href="https://meduza.io/en/feature/2022/11/03/hawkish-times-need-hawkish-people">plus écouté depuis le décès de sa fille Daria Douguina</a>, victime d’un attentat où il était probablement <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/aug/21/alexander-dugin-who-putin-ally-apparent-car-bombing-target">lui-même visé</a>. Le 15 septembre, l’idéologue <a href="https://tsargrad.tv/articles/nachinaetsja-glavnaja-statja-aleksandra-dugina_625556">expliquait dans un média ultraconservateur</a> qu’« un satanisme à découvert et un racisme pur et simple prospèrent en Ukraine, et l’Occident ne fait que les soutenir ».</p>
<p>[<em>Plus de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Cette invocation du satanisme de l’Occident et d’une nécessaire « désatanisation » de l’Ukraine est pratiquement devenue, au cours des mois d’octobre et novembre, la justification officielle de l’« opération spéciale ». Elle a été utilisée plusieurs fois par Ramzan Kadyrov, à la tête de la république tchétchène, <a href="https://t.me/s/RKadyrov_95?q=%D1%81%D0%B0%D1%82%D0%B0%D0%BD%D0%B8%D0%B7%D0%BC">sur sa chaîne Telegram</a> (il l’avait d’ailleurs déjà employée auparavant, et notamment le 18 mai 2022).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1590631650408349697"}"></div></p>
<p>Le 25 octobre, il déclarait que la « démocratie sataniste », c’est « lorsqu’on protège les droits des athées et insulte les croyants » ; il rappelait pour illustrer ses propos la publication des caricatures du Prophète dans <em>Charlie Hebdo</em>, contre lesquelles une manifestation de plusieurs centaines de milliers de personnes avait été organisée le <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2015/01/19/des-milliers-de-personnes-manifestent-en-tchetchenie-contre-les-caricatures-de-charlie-hebdo_4558837_3214.html">19 janvier 2015 à Grozny</a>.</p>
<p>Comme Vladimir Poutine, il <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/guerre-en-ukraine-la-desatanisation-de-l-ennemi-nouvelle-lubie-mystique-du-kremlin-aux-allures-de-guerre-sainte_5445121.html">condamnait l’homosexualité</a> et affirmait de façon particulièrement grossière que « plus les thèmes « en dessous de la ceinture » sont libérés, plus ils (l’Occident) sont contents ».</p>
<p>Le thème d’une <a href="https://www.kyivpost.com/russias-war/chechen-strongman-kadyrov-calls-for-jihad-but-heavy-ukraine-casualties-a-problem.html">« guerre sainte »</a> est également très présent dans ses interventions, tout comme celui du patriotisme. Son post du 25 octobre commence d’ailleurs par ces mots : « J’aime ma Patrie. Mon pays. Le peuple. Les traditions ».</p>
<h2>La dénonciation des « sectes »</h2>
<p>Le satanisme a été lié à un autre thème par le secrétaire adjoint du Conseil de sécurité, <a href="https://bitterwinter.org/russian-official-calls-for-desatanization-ukraine/">Alexeï Pavlov</a> : il a comparé l’Ukraine à une « hypersecte totalitaire », affirmant notamment que ce sont des satanistes, des païens et des membres de « sectes » qui ont organisé la révolution de Maïdan en 2014.</p>
<p>Cette référence aux sectes, vues comme un danger majeur pour la Russie, date au moins du début des années 2000 ; leurs membres étaient d’ailleurs considérés comme des agents de la CIA à la période soviétique.</p>
<p>Dès son premier mandat, Vladimir Poutine a souligné l’importance de la <a href="https://religionanddiplomacy.org/2022/10/10/russias-use-of-spiritual-security-an-interview-with-kristina-stoeckl/">« sécurité spirituelle »</a>, comprise comme la défense des religions traditionnelles et la lutte contre l’extrémisme religieux – notion aux contours flous et arbitraires. Nikolaï Patrouchev, l’actuel secrétaire du Conseil de sécurité, était alors directeur du FSB, héritier du KGB : il avait passé une alliance avec l’Église orthodoxe pour lutter contre les « sectes totalitaires ». Cette rhétorique d’Alexeï Pavlov apparaît donc comme la réutilisation de procédés plus anciens pour désigner l’ennemi de la Russie, un ennemi se définissant toujours par le fait qu’il combattrait une tradition russe, mal définie.</p>
<h2>Le rôle spécifique du patriarche Kirill</h2>
<p>Que dire de la <a href="https://www.latimes.com/world-nation/story/2022-03-29/russian-orthodox-patriarch-offers-a-spiritual-defense-of-the-war-in-ukraine">rhétorique du patriarche Kirill</a>, à la tête du patriarcat de Moscou et de toutes les Russies depuis 2009 ? Il maintient un <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-2022-5-page-17.htm">soutien sans faille à Vladimir Poutine</a>, par souci de conserver son pouvoir sur une institution traversée par des courants ultranationalistes et conspirationnistes.</p>
<p>Tout comme lors des précédents conflits dans lesquels le pouvoir russe s’est engagé, <a href="https://atlantico.fr/article/pepite/russie-le-patriarche-kirill-vient-de-prononcer-son-discours-le-plus-menacant-et-presque-personne-en-occident-ne-semble-s-en-preoccuper-menaces-ideologie">il présente la Russie comme une citadelle assiégée</a> : la guerre en Ukraine serait, selon lui, de nature défensive. Il suit aussi son propre agenda : lutter contre le monde unipolaire, la globalisation et la culture libérale sécularisée, contre l’invasion de valeurs qui seraient opposées à la culture de la Russie et plus généralement de cet espace qu’il appelle la Sainte Russie et qui dépasse les frontières politiques de l’État russe. Ces thèmes remontent <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2015-5-page-74.htm">au moins au début des années 2000</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/gn4rMriq6EA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">L’Église orthodoxe russe, le patriarche Kirill et Poutine (France Culture, 14 août 2022).</span></figcaption>
</figure>
<p>En outre, le patriarcat de Moscou est en <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-2019-12-page-79.html">concurrence avec le patriarcat de Constantinople</a>. Kirill a tenté de garder dans son giron les nombreuses paroisses de son Église orthodoxe ukrainienne, alors qu’une autre Église, l’Église orthodoxe d’Ukraine (à laquelle l’autocéphalie, c’est-à-dire l’indépendance ecclésiastique, a été <a href="https://www.sciencespo.fr/ceri/fr/oir/l-autocephalie-de-l-eglise-orthodoxe-ukrainienne-et-ses-consequences-politiques">accordée par Constantinople en janvier 2019</a>) ne cesse d’attirer des chrétiens orthodoxes soucieux de se détacher de Moscou. Mais la compromission de Kirill avec le pouvoir russe a poussé le synode de l’Église ukrainienne à <a href="https://orthodoxie.com/resolutions-de-lassemblee-clerico-laique-de-leglise-orthodoxe-ukrainienne-du-27-mai-2022/">s’en détacher le 27 mai dernier</a>.</p>
<p>Dès le début du conflit, Kirill a présenté l’opération spéciale comme un <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2022/09/28/les-croises-de-kirill/">combat métaphysique entre le bien et le mal</a>. Ses propos ont également repris des motifs apocalyptiques véhiculés par certains courants de l’Église russe, notamment ceux liés à l’armée et aux forces de maintien de l’ordre, les <em>siloviki</em>.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Le 25 octobre, lors du 24<sup>e</sup> Conseil mondial du peuple russe, Kirill a <a href="https://www.pravda.com.ua/eng/news/2022/10/25/7373484/">appelé</a> à « conserver la tradition pour empêcher la fin du monde ». Il a repris cette idée, développée depuis de nombreuses années dans les milieux nationalistes, d’un peuple russe qui serait le <a href="https://www.cairn.info/revue-nouvelle-revue-theologique-2021-1-page-46.htm"><em>katechon</em></a>, cette force qui retient la venue de l’Antéchrist et dont Saint Paul parle dans la <a href="https://www.aelf.org/bible/2Th/1"><em>Seconde Épître aux Thessaloniciens</em></a>. Un mois plus tôt, le 25 septembre, il avait affirmé que les soldats russes qui mourront dans la guerre en Ukraine seraient <a href="https://www.reformes.ch/politique/2022/09/les-russes-tues-au-combat-ont-leurs-peches-pardonnes-russie-eglises-orthodoxe">« lavés de tous leurs péchés »</a>.</p>
<p>Cette idée du sacrifice au nom de la patrie renvoie à la <a href="https://www.jstor.org/stable/j.ctvb6v5kr">rhétorique soviétique</a> qui valorise la mort héroïque pour le collectif. Elle remonte à plus d’un siècle, on la retrouve dans les <a href="https://www.cairn.info/revue-recherches-de-science-religieuse-2017-4-page-523.htm">propos d’autres Églises chrétiennes</a> au moment de la Première Guerre mondiale.</p>
<p>Le 17 octobre dernier, devant une délégation du Conseil œcuménique des Églises (CoE), délégation dont faisait partie son propre neveu Mikhaïl Goundiaev, Kirill a <a href="https://www.cath.ch/newsf/le-patriarche-cyrille-ne-veut-pas-jeter-de-lhuile-sur-le-feu/">déclaré</a> qu’il ne pensait pas qu’« une Église ou un chrétien ou une chrétienne pouvaient soutenir les guerres et les meurtres » et que les Églises « sont appelées à œuvrer en faveur de la paix et à défendre et protéger la vie ». Et d’ajouter : « La guerre ne peut être sainte ». Mais lorsque l’un doit se défendre et défendre sa vie ou donner sa vie pour la vie des autres, les choses apparaissent différemment, <a href="https://www.oikoumene.org/fr/news/his-holiness-patriarch-kirill-wcc-acting-general-secretary-meet-in-moscow-agreeing-that-war-cannot-be-holy">a fait observer le patriarche</a> ».</p>
<p>La position de Kirill reste ambiguë, les discours destinés à l’Occident diffèrent de ceux pour la Russie. Le compte rendu sur le site du patriarcat de la visite du CoE est d’ailleurs moins précis que celui diffusé par le COE lui-même.</p>
<h2>La loyauté envers le régime avant tout</h2>
<p>Dans tous ces discours officiels se répètent encore et toujours les mêmes mots sur la défense de la tradition russe et sur l’ennemi occidental, dont la qualification évolue avec la radicalisation du contexte. Cette fabrique de la tradition contre l’Occident, l’Église orthodoxe russe y a largement contribué au cours des années 2000-2010, intervenant dans des domaines aussi variés que les débats autour de la justice des mineurs, des violences domestiques, des relations sexuelles dites « non traditionnelles » ou encore l’art contemporain. Ce discours a servi les intérêts d’un pouvoir fragilisé par les oppositions et créé une illusion de consensus. Il continue à jouer ce rôle.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/497229/original/file-20221124-24-durhbw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/497229/original/file-20221124-24-durhbw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/497229/original/file-20221124-24-durhbw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=923&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/497229/original/file-20221124-24-durhbw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=923&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/497229/original/file-20221124-24-durhbw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=923&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/497229/original/file-20221124-24-durhbw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1159&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/497229/original/file-20221124-24-durhbw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1159&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/497229/original/file-20221124-24-durhbw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1159&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Kathy Rousselet vient de publier « La Sainte Russie contre l’Occident » aux éditions Salvator. Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Éditions Salvator</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Mais qu’on ne s’y trompe pas : tous ces discours s’adressent à une population dont 70 % affirment appartenir à l’Église orthodoxe russe, mais seulement <a href="https://www.levada.ru/2022/05/16/religioznye-predstavleniya">53 % se disent très ou plutôt religieux</a>. Le patriarche ne figurait pas parmi les personnes qui ont de l’autorité dans un <a href="https://irp.news/avtoritet-patriarha-kirilla-upal-s-1-do-nulja-za-pjat-let/">sondage de fin 2021</a>. Peu importe. Comme le rappelle <a href="https://library.oapen.org/bitstream/handle/20.500.12657/37497/_Fake_Anthropological_Keywords_Full_Book-2-NEW.pdf">l’anthropologue Alexeï Yurchak</a>,</p>
<p>tout comme à la période soviétique, il est plus important de répéter des formules toutes faites, attestant de la loyauté à l’égard du régime, que de veiller à la véracité de leur contenu.</p>
<p>Dans un tel modèle, ce qui compte, c’est la dimension performative du discours, sa capacité à être efficace pour l’action politique. <a href="https://haubooks.org/fake/">« Les faits »</a>, même les plus absurdes, sont au service du patriotisme et de l’antagonisme à construire contre l’Occident. Cette rhétorique sera efficace jusqu’au moment où la population attendra du pouvoir qu’il lui dise la vérité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/195046/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Kathy Rousselet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les responsables politiques et spirituels russes puisent volontiers dans le registre religieux pour justifier la guerre en Ukraine.Kathy Rousselet, Directrice de recherche au Centre de recherches internationales (CERI) , Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1937522022-11-16T14:40:40Z2022-11-16T14:40:40ZIslam en France, en Angleterre et en Allemagne : des histoires différentes par-delà les frontières<p>L’analyse de discours publics en Allemagne, en France et en Grande-Bretagne montre que les récits sur l’islam et les musulmans constituent de véritables champs de bataille spécifiques à chaque contexte, comme je le décris dans mes travaux de <a href="https://www.theses.fr/s263315">thèse</a>.</p>
<p>En Allemagne, les discours sur l’islam s’articulent autour de la notion de culture. D’un côté, la majorité de l’élite politique défend une identité allemande fondée non plus sur une culture traditionnelle mais sur une adhésion constitutionnelle (<em>Verfassungspatriotismus</em>). De l’autre, une minorité politico-médiatique défend le retour d’une vision monoculturelle de l’identité allemande (<em>Leitkultur</em>).</p>
<p>Dans cette lutte narrative, l’extrême droite incarnée entre autres par l’AfD (<em>Alternative für Deutschland</em>), assimilée à l’héritage traumatique de l’Allemagne nazie, fait office <a href="https://www.faz.net/aktuell/politik/inland/merkel-ruft-zu-kampf-gegen-rechtsextremismus-auf-16248858.html">d’ennemi numéro 1</a>, bien plus que l’islam, même radical. Les discours sécuritaires sur l’islam, s’ils sont virulents, restent donc circonscrits à l’<a href="https://www.afd.de/wp-content/uploads/sites/111/2017/07/2017-07-20_afd-btw_faltblatt_islam-nicht-zu-deutschland.pdf">extrême droite</a> et à quelques discours médiatiques, comme ceux d’<a href="https://www.emma.de/artikel/islam-und-islamismus-eine-brisante-umfrage-338749">Alice Schwarzer</a> ou <a href="https://www.focus.de/politik/experten/gastbeitrag-von-birgit-kelle-es-gibt-keine-islamophobie-aber-sicher-einen-terror-im-namen-des-islam_id_12601630.html">Birgit Kelle</a> par exemple.</p>
<p>En Grande-Bretagne, les discours sur l’islam s’articulent autour de deux conceptions du libéralisme plutôt que de la pratique religieuse. D’un côté, un libéralisme idéologique, conçu comme le mode de vie britannique à préserver tantôt face à la menace terroriste, tantôt face à celle de l’Union européenne, sous domination allemande et permettant une immigration incontrôlée. Ce libéralisme idéologique s’est incarné, entre autres, par l’affirmation d’un <a href="https://webarchive.nationalarchives.gov.uk/ukgwa/20130102224134/http:/www.number10.gov.uk/news/pms-speech-at-munich-security-conference/">libéralisme « musclé »</a> par l’ancien premier ministre David Cameron contre un multiculturalisme jugé neutre et passif.</p>
<p>De l’autre, un libéralisme compris comme un mode de gestion des différences (<em>multiculturalism</em>), hérité de la <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/13698230.2017.1398443">construction impériale britannique</a>, afin de faire face aux menaces populistes et nationalistes. Dans cette lutte, c’est l’Europe continentale qui, bien plus que l’islam, constitue l’objet d’identification et de contre-identification des élites <a href="http://www.voteleavetakecontrol.org/boris_johnson_the_liberal_cosmopolitan_case_to_vote_leave.html">politiques</a> et <a href="https://www.youtube.com/watch?v=3CNeDtZmpjU">médiatiques</a> britanniques, avec le Brexit comme paroxysme.</p>
<h2>Et en France ?</h2>
<p>En France, les récits sur l’islam se construisent par rapport à la religion, opposant deux conceptions de la laïcité. D’un côté, les partisans d’une <a href="https://journals.openedition.org/rdr/435">laïcité axiologique</a>, ou laïcité-valeur, conçoivent la laïcité comme la valeur refuge contre une « menace islamique », réelle ou perçue. De l’autre, les défenseurs de la <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/la-constitution/comment-la-constitution-protege-t-elle-la-laicite">laïcité constitutionnelle</a> mobilisent la laïcité comme un principe de régulation du fait religieux pour inclure les Français musulmans dans la République.</p>
<p>Alors qu’elle ne repose sur aucun texte de loi, la laïcité axiologique est parvenue à devenir la <a href="https://theconversation.com/la-cite-lexception-nest-pas-la-ou-les-francais-la-voient-128338">représentation majoritaire de la laïcité française</a>, et ce depuis la première <a href="https://www.cairn.info/revue-les-etudes-sociales-2021-2-page-239.htm">affaire du voile en 1989</a>. Paradoxalement, la laïcité constitutionnelle, qui repose pourtant sur la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État et sur le préambule de la constitution de 1946, peine à se faire entendre dans le débat public.</p>
<p>Les discours sur l’islam révèlent donc une lutte entre <a href="https://thenewpress.com/books/two-faces-of-liberalism">deux acceptations du libéralisme politique</a>. Les partisans de la <em>Leitkultur</em>, du <em>muscular liberalism</em> et de la laïcité axiologique conçoivent le libéralisme politique comme un ensemble de « valeurs communes », auxquelles les nouveaux arrivants doivent s’assimiler.</p>
<p>Au contraire, les partisans du <em>Verfassungspatriotismus</em>, du <em>multiculturalism</em> ou de la laïcité constitutionnelle, comprennent ce même libéralisme comme les <a href="https://philpapers.org/rec/RAWPL">« règles du jeu communes »</a> pour des sociétés <em>de facto</em> multiculturelles.</p>
<p>Ces champs de bataille narratifs européens donnent à voir ce qui est acceptable ou coûteux politiquement dans le débat public national.</p>
<h2>Des sensibilités propres à chaque contexte</h2>
<p>La désignation de la culture (musulmane) comme menace est plus acceptable en Allemagne et en Grande-Bretagne qu’en France, où les acteurs politiques s’aventurent rarement à cibler explicitement une culture. Au contraire, dénoncer la religion (musulmane) comme menace est plus acceptable dans le contexte français, où la religion est considérée comme une opinion, alors qu’elle comporte un coût politique élevé en Grande-Bretagne et en Allemagne, où la religion est considérée comme partie intégrante de l’identité de chacun.</p>
<p>Par exemple, l’usage du terme <em>islamophobie</em> n’est pas consensuel. Que ce soit le terme ou le phénomène, l’islamophobie n’est pas reconnue en France. D’un côté, l’islam, en tant que religion, n’est pas protégée par les textes. De l’autre, le phénomène de phobie est contesté, l’opposition à <a href="https://www.kreisgg.de/fileadmin/Buero_Landrat/Integration/Antirassismus_und_Integrationsmanagement/Fachstelle_gegen_Rassismus/Publikationen/Islamfeindlichkeit_Begriffe_.pdf">l’islam étant jugée rationnelle dans un contexte d’intégrisme accru</a>.</p>
<p>En Allemagne, le phénomène est bien reconnu, mais <a href="https://www.kreisgg.de/fileadmin/Buero_Landrat/Integration/Antirassismus_und_Integrationsmanagement/Fachstelle_gegen_Rassismus/Publikationen/Islamfeindlichkeit_Begriffe_.pdf">l’usage du terme est encore débattu</a> dans les discours officiels. Si les termes <em>islamophobie</em> et sa version germanique <em>Islamfeindligkeit</em> sont utilisés dans le débat public et scientifique, c’est le terme <a href="https://cik.leeds.ac.uk/wp-content/uploads/sites/36/2017/07/2017.07.26-WS1-Germany-Final.pdf"><em>Muslimfeindligkeit</em></a> (hostilité à l’égard des musulmans) qui s’est imposé dans les discours officiels depuis la <a href="https://www.deutsche-islam-konferenz.de/DE/Startseite/startseite_node.html">Conférence allemande sur l’islam</a> de 2011-2012.</p>
<p>En Grande-Bretagne, le phénomène est reconnu et le terme mobilisé officiellement depuis la publication du <a href="https://assets.website-files.com/61488f992b58e687f1108c7c/617bfd6cf1456219c2c4bc5c_islamophobia.pdf">rapport sur l’islamophobie</a> par la fondation Runnymede Trust en 1997. Et, depuis 2017, un <a href="https://appgbritishmuslims.org/">groupe parlementaire multipartis</a> travaille à l’adoption d’une <a href="https://www.research.manchester.ac.uk/portal/en/impact/all-party-parliamentary-group-on-british-muslims(e8c74de4-dec2-4ef7-b5b6-bcae59ccacbf).html">définition légale de l’islamophobie</a>.</p>
<p>Ces variations narratives et conceptuelles d’un contexte européen à l’autre révèlent des traumatismes historiques spécifiques à chaque pays.</p>
<h2>Le poids de l’histoire nationale dans les discours contemporains</h2>
<p>En Grande-Bretagne, l’Europe continentale polarise plus que l’islam pour deux raisons historiques. D’une part, l’Europe continentale, tantôt <a href="https://warwick.ac.uk/fac/cross_fac/iatl/reinvention/archive/volume5issue2/mayblinsmith/">catholique, tantôt absolutiste, tantôt impérialiste</a>, a toujours été perçue comme la menace principale pour les élites britanniques. D’autre part, l’islam fait partie de l’histoire britannique depuis la colonisation de l’Inde par le biais de ses comptoirs en 1600, et tous les sujets musulmans de l’Empire sont devenus citoyens britanniques à part entière par la <a href="https://www.legislation.gov.uk/ukpga/Geo6/11-12/56/introduction/enacted">loi de nationalité de 1948</a>. Désigner l’islam comme menace a donc peu de valeur, d’un point de vue électoral du moins, même à l’extrême droite de l’échiquier politique. En témoigne la défaite du parti UKIP aux élections parlementaires européennes de 2019 après que Nigel Farage, eurosceptique, a été remplacé par Gerard Batten, aux propos islamophobes, à la tête du parti en 2018, <a href="https://www.theguardian.com/politics/2019/jan/07/ukip-to-hold-leadership-election-later-this-year-gerard-batten">déclenchant le départ de certains de ses membres fondateurs</a>.</p>
<p>L’ambivalence des discours publics allemands à l’égard de l’islam est liée à l’héritage traumatique du nazisme et à la division de l’Allemagne pendant la Guerre froide. Ce double legs a façonné l’émergence d’un État unifié, démocratique et libéral autour du <a href="https://academic.oup.com/icon/article/6/1/67/669061">patriotisme constitutionnel</a>. Néanmoins, la politique d’accueil massif des réfugiés lancée par l’ex-chancelière allemande (<a href="https://www.bundesregierung.de/breg-de/aktuelles/pressekonferenzen/sommerpressekonferenz-von-bundeskanzlerin-merkel-848300">« <em>Wir Schaffen Das</em> »</a>) en 2015, a accentué la résurgence d’un courant culturaliste, autoritaire et nationaliste défendant une <a href="https://www.zvab.com/9783442755929/Europa-Identit%8At-Krise-multikulturellen-Gesellschaft-3442755921/plp"><em>Leitkultur</em></a> allemande, qui menace ce consensus.</p>
<p>En France, la victoire narrative de la <a href="https://www.cairn.info/revue-humanisme-2017-1-page-17.htm">laïcité axiologique</a> sur la laïcité constitutionnelle exprime un double legs. D’une part, la <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/08898480.2018.1553410">tradition laïque</a>, soit par anticléricalisme, soit par attachement à une laïcité de tradition catholique, exprime une réticence à la visibilité de l’islam dans l’espace public. De l’autre, la colonisation de l’Afrique du Nord, et avec elle le traumatisme de la décolonisation de l’Algérie, fait de <a href="https://www.researchgate.net/publication/45110512_L%27islam_comme_contre-identification_francaise_Trois_moments">l’Autre musulman</a> la figure qui structure encore aujourd’hui en grande partie l’identité française.</p>
<p>L’identité française continue donc de se construire en opposition à l’islam, tandis que l’identité britannique continue de se construire en opposition à l’Europe continentale, et l’identité allemande de se reconstruire en opposition à l’Allemagne nazie. Si l’avenir de l’Union européenne repose, en partie, sur une plus grande convergence d’intérêt et de vision, reconnaître le poids des histoires nationales dans les discours contemporains est un préalable indispensable à la construction d’une <a href="https://livre.fnac.com/a2572516/Benedict-Anderson-Imagined-communities">communauté imaginée</a> européenne.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/193752/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jeanne Prades travaille chez Technopolis France comme consultante sénior en évaluation des politiques publiques.</span></em></p>Les discours publics en Allemagne, en France et en Grande-Bretagne sur l’islam et les musulmans montrent aussi les enjeux nationaux propres à chaque pays.Jeanne Prades, Docteure en Science politique - Chercheure associée au Laboratoire interdisciplinaire de Polytechnique (LinX), École polytechniqueLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1855482022-06-27T16:05:31Z2022-06-27T16:05:31ZGenre et climat : décryptage de la rhétorique des acteurs du développement<p>Le fait que le changement climatique accentue les inégalités de genre fait désormais consensus, mais les manières d’en parler diffèrent selon les acteurs du monde de l’aide au développement.</p>
<p>Lors du Sommet de la Terre de Rio (1992) et de la 4<sup>e</sup> Conférence mondiale sur les femmes (1995), des engagements ont été pris liant les questions de genre et de changement climatique. Au cours des décennies suivantes, ces <a href="https://institut-du-genre.fr/fr/ressources/revues-en-etudes-de-genre/article/cahiers-genre-et-developpement">questions</a> ont fait l’objet de <a href="https://www.vie-publique.fr/en-bref/281114-rapport-du-giec-sur-le-climat-un-constat-alarmant">productions académiques importantes</a>. En 2015, l’<a href="https://sdgs.un.org/fr/2030agenda">Agenda 2030</a> de l’ONU présente la réduction des inégalités de genre et la lutte contre le changement climatique comme deux des <a href="https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/objectifs-de-developpement-durable/">17 objectifs de développement durable</a> (ODD 5 et ODD 13). Enfin, en novembre 2021, lors de la conférence des Nations unies sur les changements climatiques (COP26), les États ont <a href="https://unfccc.int/fr/news/l-elan-se-renforce-a-la-cop-26-pour-une-action-en-faveur-de-l-egalite-des-sexes">réaffirmé l’importance de ces aspects</a> avec toutefois <a href="https://vert.eco/articles/a-la-cop26-les-liens-entre-genre-et-climat-sont-les-laisses-pour-compte-des-negociations">peu d’annonces concrètes.</a></p>
<p>En soulignant le caractère incontournable des enjeux liés au climat et à l’égalité femmes-hommes, la plupart des acteurs du développement ont traduit dans leurs discours une volonté partagée affirmant l’urgence et la légitimité d’une nouvelle perspective pour le développement, associant égalité de genre et durabilité environnementale.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/genre-et-changement-climatique-des-photos-qui-parlent-81131">Genre et changement climatique : des photos qui parlent</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Comment ces deux problématiques s’articulent-elles dans les récits et les narratifs de ces acteurs ?</p>
<h2>Huit types de discours</h2>
<p>Une <a href="https://www.afd.fr/en/ressources/how-do-international-organizations-address-articulation-between-gender-and-climate">étude de l’OFCE réalisée avec le soutien de l’AFD</a> a permis de conduire une analyse de 800 productions discursives (déclarations, stratégies, feuilles de route…) articulant les questions de genre et de climat et de mieux comprendre les différentes visions et les objectifs de transformation plus ou moins profonds à l’œuvre dans ces deux champs.</p>
<p>Huit narratifs principaux (des plus partagés aux émergents) ont été identifiés à partir des documents d’organisations suivantes : des banques multilatérales, régionales ou bilatérales de développement (19), des agences des Nations unies et autres institutions supranationales (14), des organisations de la société civile (10) et du monde académique (11).</p>
<p>Alors que les narratifs 1 à 6 peuvent être présentés comme dominants et figurent à des degrés divers selon leur poids et leurs priorités dans la plupart des organisations sélectionnées, les narratifs 7 et 8, dits émergents, se concentrent sur un nombre plus restreint d’organisations.</p>
<h2>1. Le prisme des vulnérabilités comme grille d’analyse et d’intervention des actions climatiques d’urgence</h2>
<p>En matière de lutte contre les conséquences directes et indirectes (humanitaires) du changement climatique, l’intégration du genre dans les actions d’urgence est conçue comme une réponse aux vulnérabilités telles que la pauvreté, le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=pgX06v60QDo">manque de capacités/capabilités d’agir</a>, l’analphabétisme ou un plus grand risque de violence sexiste et d’exploitation sexuelle qui viennent amplifier l’exposition aux catastrophes climatiques.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/y1Xj-9PMUbg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Changement climatique : les femmes, premières victimes (Euronews, 9 novembre 2021).</span></figcaption>
</figure>
<p>Cette approche se classe en première position pour quatre des cinq catégories d’acteurs : agences nationales de développement, ONG transnationales, organisations internationales de type nations unies et communautés académiques.</p>
<h2>2. L’approche de l’économie intelligente (« smart economics ») comme opportunité de genrer l’agenda climatique</h2>
<p>Les femmes (et les filles) sont de <a href="https://blogs.lse.ac.uk/gender/2020/07/23/gender-equality-as-smart-economics-questioning-the-assumptions-behind-the-claim/">plus en plus considérées</a> comme des agents économiques potentiels de la transition verte, pour progresser vers des économies et des sociétés neutres en carbone, résilientes au changement climatique et socialement et écologiquement durables.</p>
<p>Le narratif met ici l’accent sur l’accès au crédit, à l’éducation et à la formation, aux compétences numériques « vertes » et plus largement à l’autonomisation économique des femmes dans les domaines de la finance, du renforcement des capacités et de l’innovation comme des facteurs clés de l’agenda climatique.</p>
<h2>3. Les outils d’intégration du genre (« gender mainstreaming ») dans l’agenda du changement climatique</h2>
<p>L’intégration du genre n’est pas seulement une méthode et un outil d’analyse, mais aussi le moteur même de la dimension sexospécifique du changement climatique. Les outils d’intégration qui prennent en compte les rôles différents des femmes et des hommes, leurs besoins et leurs intérêts stratégiques respectifs et les structures inégalitaires de pouvoir jouent un rôle important dans la conception et la réalisation de politiques de changement climatique sensibles à l’égalité entre les femmes et les hommes.</p>
<h2>4. L’autonomisation des femmes et des filles dans une perspective d’adaptation au climat</h2>
<p>Pour dépasser la division sexuelle traditionnelle du travail reproductif et productif et ses conséquences sur des rôles sociaux inégalitaires, l’autonomisation des femmes est présentée comme essentielle pour renforcer l’adaptation et la résilience climatiques.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/XlTowpn-J24?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Ces femmes qui luttent contre le changement climatique, Oxfam International, 27 mars 2015.</span></figcaption>
</figure>
<p><a href="https://www.carefrance.org/ressources/themas/1/770,Adaptation_genre_et_autonomisation_d.pdf">Le narratif correspondant</a> se focalise sur la propriété foncière, l’éducation et la prise de décision.</p>
<h2>5. L’intégration du genre pour une action climatique transformatrice</h2>
<p>Afin de tendre vers une plus grande justice climatique et accompagner une <a href="https://theconversation.com/afrique-du-sud-une-transition-juste-est-elle-possible-dans-une-societe-profondement-inegalitaire-177397">transition juste</a>, l’approche de genre est considérée comme un levier de la transformation des relations de pouvoir inégalitaires entre les femmes et les hommes. Justice de genre et justice climatique <a href="https://www.jstor.org/stable/27809203?seq=5">sont très imbriquées</a> dans une sorte de réciprocité entre les enjeux d’égalité femmes-hommes et les réponses aux défis du changement climatique.</p>
<p>C’est le récit d’un changement radical et profond qui est ici mobilisé essentiellement par les approches féministes et de genre pour viser une transformation structurelle plutôt que cosmétique.</p>
<h2>6. La dimension des inégalités et des discriminations</h2>
<p>Ce narratif met explicitement l’accent sur les facteurs cumulatifs de risque ou d’exposition aux inégalités au cœur de l’articulation genre et climat.</p>
<p>Le genre n’y est pas appréhendé sous l’angle de la vulnérabilité mais <a href="https://www.youtube.com/watch?v=_MxRRTbnxJs">sous l’angle des inégalités et des discriminations croisées ou cumulatives</a> telles que l’âge, le statut social, la situation de handicap ou encore l’ethnicité et vise donc à soutenir explicitement le développement de politiques plus inclusives dans la lutte contre le changement climatique, en tenant compte des groupes les plus marginalisés, y compris les populations autochtones, les travailleurs domestiques ou les personnes LGBT.</p>
<h2>7. La dimension écoféministe : les femmes, gardiennes de la Terre-mère</h2>
<p>Enraciné dans <a href="https://information.tv5monde.com/terriennes/et-francoise-d-eaubonne-l-amazone-verte-crea-l-ecofeminisme-398983">différents courants écoféministes</a> liant les femmes à la préservation de la nature, ce récit s’appuie sur des métaphores pour associer la terre aux « traits féminins ».</p>
<p>Dans ce type de récit en émergence, la contribution des femmes à la lutte contre le changement climatique consiste principalement dans la préservation des écosystèmes et des communautés locales, le maintien de moyens de subsistance durables et respectueux de l’environnement ainsi que dans leur perception présentée comme différente des risques induits par le changement climatique. On retrouve ce récit par exemple à l’<a href="https://www.usaid.gov/">USAID</a>, à <a href="https://www.christianaid.org.uk/">Christian Aid</a> ou au <a href="http://www.globalenvironmentfund.com/">Fonds Global pour l’Environnement</a> (GEF). </p>
<h2>8. Décoloniser le genre et l’action climatique</h2>
<p>Ce récit <a href="https://www.youtube.com/watch?v=uKKz2yJ29VI">ancré dans les études dites post-coloniales/décoloniales</a> entend montrer que les voix des groupes autochtones, indigènes et autres groupes marginalisés et plus largement des populations et des femmes des Sud doivent être entendues et doivent participer à la construction d’une modernité écologique, en favorisant la diffusion des réflexions et la circulation des connaissances issues de ces géographies dans leur lutte contre le changement climatique.</p>
<p>Ce narratif encore marginal se retrouve par exemple à la <a href="https://www.iadb.org/fr">Banque Interaméricaine de Développement</a> ou à la <a href="https://www.packard.org/">Fondation David et Lucile Packard</a>.</p>
<h2>Des paroles aux actes</h2>
<p>Les narratifs articulant les enjeux genre et climat révèlent que, au-delà des principaux récits les plus fréquemment exprimés à des degrés divers par les organisations, il existe des cadres interprétatifs complémentaires ou concurrents, définis sur la base de leur résonnance avec des projets de transformation plus profonde tant de l’action climatique que des rapports sociaux de sexe dans le cadre des politiques d’aide au développement.</p>
<p>Toutefois, si les parties prenantes au développement dans leur diversité ont depuis presque deux décennies eu la volonté de produire un ensemble de récits, qu’en est-il de leurs pratiques et de leurs interventions effectives ? Quelles en sont les limites ? Tout l’intérêt de l’étude est bien d’avoir posé les bases d’un référentiel permettant de mesurer le niveau de réalisation des engagements affichés.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/185548/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Serge Rabier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Tous les acteurs du développement cherchent à lier réflexion sur la lutte contre le changement climatique et prise en compte de la question du genre. Leurs discours, toutefois, sont très variés.Serge Rabier, Chargé de recherches Populations genre, Agence française de développement (AFD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1750112022-04-08T16:12:34Z2022-04-08T16:12:34ZLaïcité, neutralité, république : les mots flous de la politique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/456843/original/file-20220407-18-13105f.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C3%2C2048%2C1355&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Triomphe de la République, place de la Nation à Paris. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/o_0/33013477490/">Guilhem Velut/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span></figcaption></figure><p>Le discours politique est le lieu par excellence des mots flous. Parce qu’il s’appuie souvent sur l’affect, parce qu’il cherche à convaincre ou à séduire, parce qu’il doit être à la fois consensuel et partisan, il use de formulations vagues tels que « peuple », « nation », « liberté », des mots anciens et banals mais au sens instable que les linguistes ont pour vocation de décortiquer.</p>
<p>Prenons la dénomination « les Français », dont l’usage dans le discours politique de l’Hexagone est d’une fréquence inégalée : s’agit-il de toutes les personnes possédant la citoyenneté ou uniquement celles et ceux dont les ancêtres étaient aussi français ? Quelle notion de la nation est mobilisée dans une dénomination aussi simple ? Quelles sont les représentations que ce nom déclenche ?</p>
<p>Les discours de campagne présidentielle sont une bonne occasion de constater que le référent désigné par ce gentilé varie au gré de l’énonciateur, de la situation de communication et de l’agenda politique. Récemment, une séquence télévisée a donné lieu à des débats sur « c’est quoi être Français », suite à une <a href="https://twitter.com/avecvalerie/status/1470009437620518917">intervention</a> de la candidate Valérie Pécresse :</p>
<blockquote>
<p>“Si être Français c’est ne plus avoir de sapin de Noël, c’est ne plus manger de foie gras, c’est ne plus avoir la chance de voter Miss France et ne plus avoir le Tour de France et bien moi […] à un moment donné, la France c’est la France et la France c’est le foie gras”.</p>
</blockquote>
<p>Étudier les expressions floues du discours politique implique de se pencher sur la nature de ces noms au sens imprécis, mais aussi sur les réalités auxquelles ils renvoient et les débats qu’ils suscitent.</p>
<h2>Le potentiel polémique des concepts sociopolitiques</h2>
<p>La sociologue Laurence Kaufmann appelle <a href="https://www.researchgate.net/publication/269523696_Les_voies_de_la_deference_Sur_la_nature_des_concepts_sociopolitiques">« concepts sociopolitiques »</a> ces entités qui, dépourvues de référent physique, ont besoin du langage pour devenir complètement intelligibles, tels que « dieu », « l’opinion publique » ou « la nation ». Ces concepts constituent des fictions mais sont perçus comme tout à fait objectifs par les locuteurs, malgré le fait que leur définition est extrêmement variable et ne repose sur aucune perception concrète.</p>
<p>On comprend l’énorme enjeu communicationnel qu’il y a à <a href="https://www.jstor.org/stable/41680902?refreqid=excelsior%3Ac1c6e4a240b8ec3bf99a4634dc6c6669">installer de nouveaux concepts, redéfinir ou discuter des concepts existants, dans le but de faire prévaloir sa vision du monde</a>.</p>
<p>Des mots comme <a href="https://www.cairn.info/revue-regards-croises-sur-l-economie-2017-1-page-103.htm">« laïcité »</a>, universalisme ou <a href="https://www.lefigaro.fr/langue-francaise/actu-des-mots/2018/10/04/37002-20181004ARTFIG00022-republique-de-quoi-parle-t-on.php">« république »</a>, fortement mobilisés dans le discours politique français, sont des concepts sociopolitiques dont le sens est largement tributaire des débats publics. S’ils sont revendiqués comme des valeurs cardinales de la société française par l’ensemble de sa classe politique, ce consensus apparent se fissure dès qu’il s’agit de préciser la réalité sociale désignée par ces termes très polysémiques.</p>
<p>Souvent débattus, ils semblent disposer d’autant de référents que d’idéologies. C’est sûrement la raison pour laquelle ils apparaissent souvent dans des phrases définitionnelles :</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/454924/original/file-20220329-15-g9eor6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/454924/original/file-20220329-15-g9eor6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=96&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/454924/original/file-20220329-15-g9eor6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=96&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/454924/original/file-20220329-15-g9eor6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=96&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/454924/original/file-20220329-15-g9eor6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=121&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/454924/original/file-20220329-15-g9eor6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=121&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/454924/original/file-20220329-15-g9eor6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=121&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">capture d’écran/autrices.</span>
</figcaption>
</figure>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/454926/original/file-20220329-19-4d1vm5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/454926/original/file-20220329-19-4d1vm5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=87&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/454926/original/file-20220329-19-4d1vm5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=87&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/454926/original/file-20220329-19-4d1vm5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=87&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/454926/original/file-20220329-19-4d1vm5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=109&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/454926/original/file-20220329-19-4d1vm5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=109&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/454926/original/file-20220329-19-4d1vm5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=109&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">capture d’écran/autrices.</span>
</figcaption>
</figure>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/454928/original/file-20220329-24-ye7me6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/454928/original/file-20220329-24-ye7me6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=149&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/454928/original/file-20220329-24-ye7me6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=149&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/454928/original/file-20220329-24-ye7me6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=149&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/454928/original/file-20220329-24-ye7me6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=187&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/454928/original/file-20220329-24-ye7me6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=187&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/454928/original/file-20220329-24-ye7me6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=187&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">capture d’écran/autrices.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>La plasticité sémantique des termes conduit à des définitions très différentes, parfois énoncées de manière explicite, parfois se déduisant du contexte. On voit par exemple que la définition de Zemmour s’inscrit tantôt dans une vision anti-religieuse lorsqu’il s’agit de parler d’islam, tantôt dans la protection du religieux ou du moins de sa visibilité lorsqu’on parle de chrétienneté, alors que pour Mélenchon la laïcité <a href="https://twitter.com/JLMelenchon/status/1483914123771625479">« n’a jamais été un athéisme d’état »</a>.</p>
<p>Pour Macron la laïcité est un combat explicite contre le séparatisme et le radicalisme religieux <a href="https://twitter.com/EmmanuelMacron/status/1471249241993629698">« (c’est cela la laïcité »</a>), alors que Pécresse l’inscrit dans des enjeux sécuritaires :</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1402710316497125381"}"></div></p>
<p>Il en va de même pour le terme « république » : dans le discours de Valérie Pécresse, la république représente la loi et l’ordre alors que dans le discours de Mélenchon la république repose sur l’entraide.</p>
<p>L’instabilité sémantique de ces concepts les rend perméables aux interprétations issues des idéologies politiques qui en usent, à tel point que leur définition devient un véritable enjeu électoral. Leur potentiel polémique découle ainsi à la fois de leur position structurante dans le récit national et de leur indétermination sémantique. Les mots sont ainsi le lieu même de confrontation des <a href="https://www.agirparlaculture.be/alice-krieg-planque-lutter-au-sujet-du-langage-fait-partie-du-combat-ideologique/">acteurs sociaux</a>.</p>
<h2>Et en Belgique ? Polémique autour de « la neutralité »</h2>
<p>Du côté belge, le concept de « neutralité » rencontre ces mêmes enjeux, avec un sens qui se révèle particulièrement sensible aux <a href="https://absp.be/Blog/partis-politiques-belgique/">clivages politiques</a>. En effet, cette notion peut être mise au service de causes opposées, pour favoriser la visibilité du religieux dans la fonction publique ou pour la limiter.</p>
<p>Les deux exemples ci-dessous sont tirés d’un moment de débat important sur le port des signes convictionnels <a href="https://www.rtbf.be/article/voile-neutralite-laicite-pourquoi-est-il-impossible-d-en-debattre-10774850">dans la fonction publique belge</a>. Le premier renvoie à une prise de position des écologistes favorables au port des signes convictionnels et le second à celle du parti centriste DéFI, défavorable à ce port dans la fonction publique :</p>
<ol>
<li><p>La volonté (<em>du parti écologiste</em>) est de promouvoir une <a href="https://www.dhnet.be/regions/bruxelles/bruxelles-mobilite/la-stib-va-autoriser-le-port-du-voile-dans-son-entreprise-dans-certaines-conditions-60b606247b50a61dfe6d84b0">neutralité plus ouverte</a> […] À terme, l’objectif est de permettre le port de certains signes convictionnels.</p></li>
<li><p>Nous (<em>DéFI</em>) ne voulons pas “<a href="https://twitter.com/francoisdesmet/status/1397085533835300864">interdire le voile</a>” […] Nous voulons une neutralité concernant TOUS les signes dans DEUX endroits seulement – les services publics et l’enseignement.</p></li>
</ol>
<p>Pour que le terme puisse justifier à la fois le port de signes religieux dans la fonction publique et son interdiction, les hommes et femmes politiques se voient contraints de négocier le sens du mot « neutralité » avec l’ajout d’adjectifs.</p>
<p>On observe ainsi l’usage d’expressions telles que « neutralité inclusive » (défendue par une partie de la gauche, principalement les écologistes) et « neutralité exclusive » (défendue par le centre-droit, principalement le mouvement réformateur et DéFI).</p>
<p>Ces expressions peuvent se résumer comme suit : pour la gauche, la neutralité renvoie à l’impartialité de l’État qui ne doit ni favoriser le port de signes convictionnels ni l’absence de ces signes. Il serait alors possible de porter une croix ou un foulard au travail, y compris dans le service public. C’est dans ce sens que la neutralité est dite inclusive.</p>
<p>Pour le centre-droit, la neutralité renvoie à l’impartialité des individus qui représentent l’État dans l’exercice de leurs fonctions. Il s’agit donc de n’afficher aucun signe d’appartenance philosophique ou religieuse pour ces individus. Concrètement, cela veut dire qu’un agent de l’état doit être « neutre », y compris dans son apparence. C’est la neutralité dite exclusive.</p>
<p>Par ailleurs, les partisans de cette dernière s’opposent à l’usage de ces expressions, car la survie du concept de neutralité dépendrait de son indivisibilité (elle ne peut donc être ni inclusive ni exclusive). On voit ainsi naître dans les discours politiques des expressions comme « neutralité totale » ou « neutralité tout court », qui renvoient directement les partisans d’une neutralité inclusive à une posture non neutre.</p>
<h2>La nomination et la néologie, des actes puissants</h2>
<p>On peut se demander dans quelle mesure ces usages affectent notre perception de l’actualité et de la politique. La nomination et la néologie ne suffisent pas à faire exister la chose, mais elles <a href="https://www.persee.fr/doc/lgge_0458-726x_1984_num_19_76_1497">sont des actes puissants</a> car ils constituent une tentative de faire exister une réalité pour l’autre. Nommer revient à dire « cette chose existe pour moi et elle s’appelle ainsi ».</p>
<p>On le voit, le langage n’est pas un système de termes au sens figé, mais un répertoire mouvant de mots au sens variable qui peuvent servir des causes multiples et dont la plasticité sémantique leur permet de s’adapter à une multitude de contextes.</p>
<p>Le discours politique tout particulièrement, <a href="https://theconversation.com/le-discours-demmanuel-macron-construction-dun-storytelling-71847">très dépendant des récits</a>, fait un usage démesuré des concepts abstraits, qui s’invitent dans les débats car ils résonnent dans les oreilles des citoyens.</p>
<p>Leur usage très consensuel cache le fait que leur sens est loin d’être figé, le discours politique jouant sur cette plasticité sémantique pour tenter d’imposer dans le débat soit leurs propres mots, soit leur propre sens aux mots existants. Au fond, ce que les discours politiques révèlent est que le débat sur les mots est un débat sur un modèle de société.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/175011/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laura Calabrese a reçu des financements de ULB, FNRS. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Laurye Joncret a reçu des financements de l'Université Libre de Bruxelles dans le cadre d'une recherche doctorale </span></em></p>Étudier les expressions floues du discours politique implique de se pencher sur leur nature particulièrement instable, mais aussi sur ce à quoi elles renvoient et les débats qu’elles suscitent.Laura Calabrese, Professeure d’analyse de discours et communication, Université Libre de Bruxelles (ULB)Laurye Joncret, Doctorante en sciences de l'information et de la communication, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1775672022-03-02T11:33:04Z2022-03-02T11:33:04ZÀ quoi reconnait-on un discours totalitaire ou fasciste ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/449162/original/file-20220301-15-19hhlp8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=59%2C17%2C2786%2C1791&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Charlie Chaplin dans la scène du discours d'Hynkel, 'Le Dictateur',(1940).</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Dictateur#/media/Fichier:Dictator_charlie2.jpg">Wikimedia</a></span></figcaption></figure><p>Le jeudi 24 février, lorsque Poutine <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/genocide-denazification-comment-vladimir-poutine-reecrit-l-histoire-pour-justifier-la-guerre-en-ukraine_4979184.html">déclare</a> à l’aube vouloir « protéger les personnes victimes de génocide de la part de Kiev » et « arriver à une dénazification de l’Ukraine », il réitère un leitmotiv bien connu et récurrent depuis 2014. Paradoxalement ici, dénoncer le « nazisme » revient à en utiliser la rhétorique binaire – les « néonazis ukrainiens » représentant le Mal absolu, une vermine à éliminer. Mais cette guerre n’est pas qu’une guerre de mots, elle est aussi une guerre d’images, que les Ukrainiens comptent bien gagner. Le compte officiel de l’État ukrainien reprenait ainsi cette caricature, comme réponse à la déclaration russe.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1496716168920547331"}"></div></p>
<p>En lien avec ce contexte, est-il possible d’établir une liste des items caractéristiques de la pensée et des discours totalitaires ? Quels sont les traits pertinents et distinctifs du fascisme ? De nombreux penseurs ont tenté de répondre à cette question. Le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Lingua_Tertii_Imperii">linguiste Victor Klemperer</a> a ainsi étudié de près la langue du troisième Reich, l’écrivain George Orwell a proposé la notion fertile de <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/avoir-raison-avec-george-orwell/la-novlangue-instrument-de-destruction-intellectuelle">« novlangue »</a>, enfin le sémiologue Umberto Eco, dans son ouvrage <em>Reconnaître le fascisme</em> partage sa biographie et une liste de traits caractéristiques.</p>
<p>Ces éléments nous permettent d’élaborer plusieurs points. D’une part, il ressort que la pensée totalitaire se définit par principe comme l’exclusion de la diversité des pensées. D’après le <a href="https://www.cnrtl.fr/definition/totalitaire">CNRTL</a>, l’adjectif « totalitaire » s’applique au domaine politique comme ce qui fonctionne sur :</p>
<blockquote>
<p>« le mode du parti unique interdisant toute opposition organisée ou personnelle, accaparant tous les pouvoirs, confisquant toutes les activités de la société et soumettant toutes les activités individuelles à l’autorité de l’État ».</p>
</blockquote>
<p>Plus subtilement, la philosophie sous-jacente est celle « qui rend ou tente de rendre compte de la totalité des éléments d’un phénomène, qui englobe ou tente d’englober la totalité des éléments d’un ensemble. » Il y a bel et bien concordance sémantique entre la représentation politique que nous avons du totalitarisme et la racine du mot qui renvoie à une pensée « totale/</p>
<p>totalisante », excluant par principe la diversité des pensées.</p>
<h2>Le rôle de la personnalité</h2>
<p>Dans sa <a href="https://www.youtube.com/watch?v=I9YvILTA5Y8&t=1s">dernière conférence</a>, le neuropsychiatre Boris Cyrulnik propose une lecture de la résistance à la doxa totalitaire.</p>
<p>Selon lui, la pensée paresseuse et le « psittacisme » (récitation et répétition du perroquet) sont délicieux et sécurisants, ils apportent des bénéfices affectifs. À l’inverse le travail d’élaboration de la pensée critique a des effets moins euphorisants et ne réveille pas notre sentiment d’appartenance.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/hneKMcYp7n8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Extrait du « discours » du film Le Dictateur, de Charlie Chaplin, 1940.</span></figcaption>
</figure>
<p>C’est pour cela qu’il existe une véritable déclinaison sémiologique dont les systèmes totalitaires sont friands : gestuelle spécifique de reconnaissance (gestes de salutation, notamment), codes vestimentaires spécifiques (uniformes et/ou symboles), langage formaté (distorsions syntaxiques et sémantiques qui viennent contaminer la langue parlée) : ainsi, des figures de style et des métaphores vont être utilisées dans une fréquence plus élevée, notamment afin de séparer le monde en deux pôles, à savoir « nous » contre « les autres », notion largement travaillée par <a href="https://doi.org/10.1177/1470357213516720">l’analyste de discours Ruth Wodak</a>. C’est aussi pour cela que les discours d’extrême droite peuvent paraître aussi sécurisants et rassurants.</p>
<h2>Quel est le lien entre fascisme et totalitarisme ?</h2>
<p>Umberto Eco <a href="https://www.lesnouveauxdissidents.org/single-post/2017/07/24/umberto-eco-14-signaux-pour-reconna%C3%AEtre-le-fascisme">nous le rappelle</a>, le mot « fascisme » est une synecdoque – figure de style qui consiste à donner à un mot ou une expression un sens plus large ou plus restreint que sa propre signification – mais également un syncrétisme : il est moins une idéologie monolithique que le collage d’idées politiques et philosophiques parfois contradictoires. Le terme fascisme est donc « fuzzy » (terme anglais utilisé tel quel par le sémiologue), c’est-à-dire sans contour net ni précis.</p>
<p>En fait, le langage totalitaire se structure petit à petit, dans ce que l’on appelle une période préfasciste (et que nous traversons en ce moment par ailleurs, comme le souligne l’historienne Ludivine Bantigny), et qui met en lien exercice du pouvoir politique et dispositions langagières afin de mettre en œuvre des stratégies de persuasion et de séduction des destinataires des discours, ce qui fait notamment écho aux <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/02773945.2021.1972134">travaux de Bradford Vivian</a>.</p>
<p>Mais pour que cet ensemble fonctionne, il faut également une incarnation du discours par la figure du leader charismatique.</p>
<h2>Le culte d’un leader charismatique</h2>
<p>Benito Mussolini se faisait ainsi appeler « l’Homme de la Providence », en plus du Duce qui peut se traduire par « guide ». Le surnom d’Hitler était à peu près équivalent : « Mein Führer » peut se traduire par « mon guide ». Staline fut quant à lui « l’Homme de fer » et le « Petit Père du Peuple ». Plus récemment, Bolsonaro devient ainsi « O Mito », à comprendre « le Mythe », et Erdogan reste « el reïs » (le chef).</p>
<p>Derrière ces surnoms se cache la volonté de devenir l’interprète du « vrai peuple », d’une pensée que l’on rêverait commune, mais qui ne peut, par définition, qu’être diverse.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/PoAGeAQ3i5Q?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Reconnaître le fascisme, Umberto Eco.</span></figcaption>
</figure>
<p>Le peuple, en tant qu’entité nationale, est une fiction ; c’est notamment ce que rappellent les travaux <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-creation-des-identites-nationales-anne-marie-thiesse/9782020342476">d’Anne-Marie Thiesse</a>. Le leader totalitariste, qu’il soit d’extrême droite ou d’extrême gauche, se positionne comme celui étant le seul capable de connaitre ce qui trouble la classe « prolétaire » ou « populaire », c’est-à-dire celle qui aurait du accéder au même confort matériel et social que celui de la petite bourgeoisie, mais dont le mouvement d’ascension a été contraint et ralenti, voire stoppé par le contexte, créant ainsi une véritable frustration.</p>
<p>Ce même leader est capable de désigner le Mal de la société, pour y apporter la réponse ultime. Il a LA réponse puisque c’est LE héros. Et souvent, cette réponse se matérialise sous la forme d’un « intrus » qu’il convient d’éradiquer le plus efficacement possible, sous peine de voir s’éloigner « un Âge d’or » pourtant accessible.</p>
<p>Ces intrus sont souvent représentés comme opposants au traditionalisme. Dans un monde totalitaire, il ne peut y avoir d’avancées du savoir : la vérité a déjà été énoncée une fois pour toutes. Bien sûr, les stratégies d’infantilisation des masses ne peuvent être remises en cause dans cet environnement où le décideur est tout-puissant. D’ailleurs, le refus de la démocratie parlementaire peut également se lire sous ce prisme.</p>
<h2>La peur de la différence</h2>
<p>La journaliste turque <a href="https://www.liberation.fr/debats/2019/05/09/ece-temelkuran-turcs-europeens-americains-nous-devons-organiser-une-reponse-face-au-populisme-de-dro_1725960/">Ece Temelkuran</a> nous rappelle l’un des items les plus caractéristiques de la pensée totalitaire : la mort provoque une indifférence. Elle relève ainsi une parole mainte fois entendue à propos des opposants à Erdogan : « qu’il repose en paix, il n’avait qu’à pas s’opposer à Erdogan ».</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ZSBQLWgaKdY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Ludivigne Bantigny, La France « face à la menace fasciste » ?</span></figcaption>
</figure>
<p>En ce sens, on voit encore à quel point le langage illustre, décrit ou renforce la structure sociale totalitaire en montrant un état de fait. Ici, c’est à travers un style proverbial qu’une certaine distance est prise, qui permet à la fois de montrer l’omniprésence de la mort et l’impuissance face au régime – et aussi que la mort, d’une certaine manière, semble apporter la seule libération possible, ce qui est rhétoriquement extrêmement tragique.</p>
<p>La mort d’autrui est ainsi justifiée et approuvée, d’autant qu’elle ne remet pas en cause le système dans lequel elle s’énonce. Le rapport à l’altérité se détermine autour de la notion d’appartenance au groupe, en excluant tous ceux qui n’en ont pas le profil ; un tropisme bien connu des travaux sur l’identité, notamment ceux, particulièrement brillants de <a href="https://www.jstor.org/stable/3108478">Rogers Brubaker et Frederick Cooper</a>.</p>
<p>Le fascisme a pour terreau le fantasme d’un groupe unique, incarné dans le discours, uni par des croyances mais aussi des caractéristiques physiques supposées identiques : de sexe, de genre, de comportements. En un mot : d’identité, qu’elle soit naturelle ou culturelle, ou bien évidemment nationale – puisque c’est là l’un des fantasmes majeurs du fascisme.</p>
<p>Les femmes sont ainsi relayées à une imagerie d’obéissance, de soumission et d’assignation à un rôle social traditionnel déterminé. De ce point de vue là, la fille de Trump ou d’Erdogan coche les mêmes cases de soumission idéale au patriarcat. L’identité religieuse est également un point de rassemblement (et de séparation). Pour Erdogan, il y a ainsi les « vrais musulmans », comme pour d’autres les « vrais chrétiens ». Peu importe les époques, se sont les mêmes schèmes sous-jacents qui se déclinent en fonction des cultures et des géographies. L’humiliation, la dépréciation et la stigmatisation se trouvent au centre de ce processus de désignation de l’altérité – avec pour conséquence ultime la violence.</p>
<h2>Les distorsions linguistiques pour en finir avec la pensée critique</h2>
<p>Dans un monde totalitaire, toute pensée critique devient intolérable. Elle est vécue comme une trahison, voire comme une agression contre laquelle il est urgent de se défendre et de riposter. Le phénomène est complexe car il touche au fondement même de l’éthos de vérité. Le fascisme s’engouffre ainsi dans la faille du relativisme à tout crin est un des items majeurs : puisque tout se vaut, rien ne se vaut.</p>
<p>Comme nous le rappelle Ece Temelkuran, la mutation qu’a subie la perception humaine et qui rend possible la fragmentation de la réalité s’est tellement bien passée que la question de la moralité est devenue dénuée de sens, voire d’intérêt. Les faits et la vérité sont devenus ennuyeux. Et comme nous le rappelle à juste titre Etienne Klein :</p>
<blockquote>
<p>« la nuance […] c’est un peu emmerdant et les gens qui parlent sans nuance donnent l’impression d’avoir raison ».</p>
</blockquote>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/J-haYVS6dc4?wmode=transparent&start=48" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Importance de la nuance selon Etienne Klein.</span></figcaption>
</figure>
<p>Par ailleurs, les distorsions sémantiques et les réductions syntaxiques appauvrissent la langue afin de limiter un raisonnement trop complexe et/ou critique. L’usage banalisé des euphémismes (« dommages collatéraux », « poulets d’élevage », etc.) et des <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/la_politique_de_l_oxymore-9782707182050">oxymores</a> (« carbone vert », « écologie de production ») neutralisent notre pensée critique.</p>
<p>Comme le relève la sémiologue et notre co-autrice Elodie Mielczareck dans son <a href="https://start.lesechos.fr/societe/culture-tendances/elodie-mielczareck-semiologue-le-bullshit-est-symptomatique-dun-changement-de-societe-1358666">ouvrage</a> <em>Anti Bullshit</em> :</p>
<blockquote>
<p>« Ces stratégies visent à lisser le discours, notamment pour favoriser le consensus et l’adhésion […] Les mots en eux-mêmes peuvent contaminer toute une langue.</p>
</blockquote>
<p>De fait, alertait Victor Klemperer, « Les mots peuvent être comme de minuscules doses d’arsenic : on avale sans y prendre garde, ils semblent ne faire aucun effet, et voilà qu’après quelque temps l’effet toxique se fait sentir ».</p>
<p>Il y a une telle obsession du consensus et une telle crainte du dissensus, que ce dissensus a fini par être littéralement privatisé, notamment par certaines chaînes d’information en continu.</p>
<h2>La toile de la pensée totalitaire</h2>
<p>Les exemples choisis renvoient volontairement à des régimes autoritaires passés (le nazisme, par exemple), ou actuels (en Turquie, notamment). Évidemment, la pensée totalitaire ne se réduit ni géographiquement à quelques continents éloignés du notre, ni temporellement à une époque éloignée de la notre.</p>
<p>Ces derniers mois ont montré comment les démocraties pouvaient, elles aussi, rapidement tomber dans la toile de la pensée totalitaire. L’impression de préfascisme décrite par <a href="https://www.contretemps.eu/menace-fasciste-bantigny-palheta-extrait/">Ludivine Bantigny et Ugo Palheta</a>, par exemple, s’est largement illustrée dans les discours de <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/07393148.2017.1301321?journalCode=cnps20">Donald Trump</a>, de <a href="http://kairostext.in/index.php/kairostext/article/view/97">Jair Bolsonaro</a> ou bien encore de <a href="https://muse.jhu.edu/article/652804">Vladimir Poutine</a>, qui peuvent rapidement passer du langage aux actes, comme l’actualité nous le montre de manière tragique, concernant l’Ukraine. De ce point de vue là, la citation de <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Deux_r%C3%A9gimes_de_fous-2027-1-1-0-1.html">Gilles Deleuze</a> sur le néo-fascisme nous semble pertinente :</p>
<blockquote>
<p>« Le vieux fascisme aussi actuel et puissant qu’il soit dans beaucoup de pays, n’est pas le nouveau problème actuel. On nous prépare d’autres fascismes. Tout un néo-fascisme s’installe par rapport auquel l’ancien fascisme fait figure de folklore […] »</p>
</blockquote>
<hr>
<p><em>Elodie Laye Mielczareck, sémiologue a co-rédigé cet article</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/177567/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Élodie Mielczareck conseille également les dirigeants d'entreprise et accompagne certaines agences de communication et relations publiques internationales, notamment sur la question de la raison d'être.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Albin Wagener ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La pensée totalitaire se définit par principe comme l’exclusion de la diversité des pensées.Albin Wagener, Chercheur associé l'INALCO (PLIDAM) et au laboratoire PREFICS,, Université Rennes 2Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1749592022-01-25T14:31:15Z2022-01-25T14:31:15ZCritiques non bienvenues : analyse de la rhétorique guerrière de la CAQ durant la pandémie<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/442278/original/file-20220124-13-gv47jq.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C4929%2C3245&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le premier ministre du Québec, François Legault, répond aux questions des journalistes, le 11 janvier 2022. Depuis le début de la pandémie, François Legault, tout comme d'autres leaders occidentaux, utilisent une rhétorique guerrière dans sa lutte contre la Covid-19, muselant du coup les critiques.</span> <span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Paul Chiasson </span></span></figcaption></figure><p>L’instauration, le 31 décembre, <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1850889/pandemie-coronavirus-confinement-distanciation-couvre-feu">d’un second couvre-feu en un an au Québec</a> (seul endroit en Amérique du Nord à l’avoir imposé) a suscité de nombreuses critiques. <a href="https://www.ledevoir.com/opinion/idees/598163/coronavirus-le-couvre-feu-comme-mesure-spectacle">Plusieurs ont dénoncé</a> le caractère « symbolique », arbitraire et sans fondement scientifique du couvre-feu.</p>
<p>Le gouvernement caquiste a prétendu le contraire, s’entêtant à le faire passer pour efficace dans son effort de réduction de propagation des cas de Covid. Seul le mécontentement profond de la population et la <a href="https://www.journaldequebec.com/2022/01/19/sondage-leger-le-chef-legault-perd-des-plumes">baisse de la CAQ dans les sondages</a> l’ont fait changer d’idée.</p>
<p>En tant que doctorant au département de communication sociale et publique de l’UQAM je m’intéresse aux mécanismes d’adhésion à des principes, valeurs ou discours et aux effets qu’ils produisent comme énoncés.</p>
<p>Je voudrais expliquer comment cette mesure s’inscrit plus largement dans une rhétorique guerrière utilisée fréquemment par la CAQ, et notamment par le ministre de la Santé, Christian Dubé, dans <a href="https://www.journaldequebec.com/2021/12/23/dube-on-est-en-guerre-contre-omicron-et-il-na-aucun-etat-dame">son message Facebook du 23 décembre 2021</a>. Cette rhétorique à laquelle nous nous articulons collectivement, détermine les termes d’une langue dont il est difficile de sortir et envers laquelle il est donc difficile de formuler toute critique.</p>
<h2>Métaphores guerrières</h2>
<p>Depuis les débuts de la pandémie, au printemps 2020, les <a href="https://www.ledevoir.com/culture/582658/covidiomes-en-guerre-contre-la-covid">leaders occidentaux</a> (Emmanuel Macron, Donald Trump ou François Legault) <a href="https://www.lapresse.ca/debats/opinions/2020-04-24/nous-sommes-en-guerre-parlons-en-termes-de-combattants">utilisent des termes guerriers pour qualifier la lutte à la pandémie</a>. Récemment, en parlant de l’arrivée d’Omicron, Christian Dubé a déclaré : <a href="https://www.journaldequebec.com/2021/12/23/dube-on-est-en-guerre-contre-omicron-et-il-na-aucun-etat-dame">« Malgré tous nos efforts individuels et collectifs, un nouveau variant, un nouvel ennemi, plus contagieux, plus redoutable, vient encore changer les règles du jeu. On est en guerre contre Omicron et il n’a aucun état d’âme »</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Luc Boileau, Francois Legault et Christian Dubé lors d’une conférence de presse" src="https://images.theconversation.com/files/442281/original/file-20220124-13-12j0m1d.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/442281/original/file-20220124-13-12j0m1d.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=414&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/442281/original/file-20220124-13-12j0m1d.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=414&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/442281/original/file-20220124-13-12j0m1d.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=414&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/442281/original/file-20220124-13-12j0m1d.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=520&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/442281/original/file-20220124-13-12j0m1d.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=520&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/442281/original/file-20220124-13-12j0m1d.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=520&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le trio de choc en conférence de presse, le 13 janvier 2022, à Montréal : le directeur par intérim de la Santé publique, Luc Boileau, le premier ministre François Legault et le ministre de la Santé, Christian Dubé.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Ryan Remiorz</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Plaquer sur le virus un usage métaphorique de la guerre empêche toute tentative de comprendre et de penser cette crise sanitaire. Toute situation de guerre est par définition le résultat de situations où la violence et les affrontements sont stratégiquement organisés dans le but d’anéantir un ennemi sur notre territoire. Quoi qu’en dise le ministre de la Santé, ce n’est pas la réalité que nous expérimentons et tant mieux ! Prendre pour ennemi un variant par ailleurs <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3996320">moins « virulent » que les précédents</a>, qui n’aurait aucun « scrupule » à nous contaminer, c’est laissé un peu rapidement, et par aveu d’impuissance, le virus dicter nos actions. En maître absolu, il change encore les règles du jeu, alors il faut s’adapter à lui.</p>
<p>Cette stratégie rhétorique permet également de puissamment légitimer, comme en temps de guerre, le recours à des mesures draconiennes (tel le couvre-feu) <a href="https://www.24heures.ca/2021/12/30/le-couvre-feu-pas-facile-pour-la-sante-mentale---surtout-si-on-doute-de-son-efficacite">dont on mesure à peine les conséquences pourtant très réelles sur la santé mentale</a>, et <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1851460/restrictions-sanitaires-couvre-feu-covid-pandemie-quebec">l’impact direct sur certaines populations vulnérables</a> (les personnes en situation de détresse conjugale, d’itinérance ou aux prises avec des problèmes de santé mentale) mais aussi, en général, sur nos libertés de mouvement.</p>
<p>L’utilisation de ces métaphores militaires (« couvre-feu », « bataille », « front ou premières lignes », « soldats », « ennemi ») finit par se retrouver dans le langage courant. Il m’est arrivé moi-même d’utiliser le terme de « couvre-feu » et immédiatement, de m’interroger sur ce qu’il cache, ce qu’il permet de faire faire aux individus, de quelle façon il neutralise toute critique en dissimulant dans le sous-texte un « c’est comme ça, on n’a pas le choix ».</p>
<p>Ces mots instillent en nous une incapacité à penser la crise sanitaire au-delà de l’agitation politique et médiatique quotidienne saturée de ces mots.</p>
<h2>De la critique des armes aux armes de la critique</h2>
<p>Cette rhétorique qui nous assigne physiquement et linguistiquement à résidence anesthésie toute critique, surtout quand elle produit des formules autoperformatives de type « tenir bon » ou « ça va bien aller ».</p>
<p>Ces incantations ne suffisent plus. Il nous faut radicalement questionner l’utilisation de cette rhétorique qui paralyse, sans avoir peur de s’exposer aux critiques. En d’autres termes, et pour rester dans un registre qui plaira à notre ministre de la Santé, il faut utiliser <a href="https://www.agirparlaculture.be/les-armes-de-la-critique-plutot-que-la-critique-des-armes/">« les armes de la critique plutôt que de faire la critique des armes »</a>.</p>
<p>Le gouvernement a, à plusieurs reprises, fait la critique de ces armes qu’il a perçues comme une atteinte à sa légitimité en tant que « dépositaire de l’autorité » dans sa capacité à autoriser la parole et l’expertise de certains au profit d’autres. La CAQ a également muselé l’opposition en <a href="https://www.lesoleil.com/2021/11/10/liberal-complotiste-jolin-barrette-presente-des-excuses-a-un-elu-f27b6960bac49175ef4d81095aeae6d3">qualifiant de « complotiste »</a>, un député de l’opposition qui osait critiquer le maintien de l’état d’urgence. Cette attaque crée une coupure argumentative qui met fin à tout argument critique puisqu’« on ne débat pas avec des complotistes ».</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Le ministre Simon Jolin-Barrette debout en chambre" src="https://images.theconversation.com/files/442282/original/file-20220124-25-12oqbbe.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/442282/original/file-20220124-25-12oqbbe.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=477&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/442282/original/file-20220124-25-12oqbbe.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=477&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/442282/original/file-20220124-25-12oqbbe.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=477&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/442282/original/file-20220124-25-12oqbbe.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=600&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/442282/original/file-20220124-25-12oqbbe.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=600&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/442282/original/file-20220124-25-12oqbbe.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=600&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Interrogé en chambre par un député de l’opposition sur le maintien de l’État d’urgence au Québec, le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, l’a traité de « complotiste ».</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Jacques Boissinot</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Les vraies batailles perdues</h2>
<p>Les seules « batailles » qu’est en train de perdre le gouvernement à l’heure actuelle, c’est celles qu’il a refusé de livrer en <a href="http://m.assnat.qc.ca/fr/actualites-salle-presse/conferences-points-presse/ConferencePointPresse-79025.html">ne protégeant pas adéquatement le personnel soignant lors de la première vague</a>, et même la dernière, <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1849689/federation-sante-services-sociaux-masques-n95-omicron">dans le dossier des masques N95</a>. Il faut aussi parler de la <a href="https://www.lapresse.ca/debats/opinions/2021-01-21/ventilation-dans-les-ecoles/ouvrir-les-fenetres-des-classes-a-ses-limites.php">ventilation dans les écoles</a> ou de la 3<sup>e</sup> dose <a href="https://www.journaldemontreal.com/2022/01/13/le-quebec-en-retard-dans-la-course-pour-la-3edose">retardée</a>.</p>
<p>Les critiques qu’adressent experts et professionnels (du réseau de la santé ou d’autres secteurs) sont plus que légitimes et justifiées. Cette rhétorique guerrière empêche toute réflexion pourtant fondamentale pour comprendre comment le Québec a géré la crise de la Covid-19.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174959/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thomas Maxwell ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Il nous faut radicalement questionner l’utilisation de cette rhétorique guerrière et paralysante depuis le début de la pandémie, sans avoir peur de s’exposer aux critiques.Thomas Maxwell, Doctorant , Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1723222021-12-06T22:33:17Z2021-12-06T22:33:17ZÉric Zemmour à travers ses discours : « le fils de personne » ?<p>Alors que le polémiste Éric Zemmour vient de se déclarer candidat, ses prises de position, le ton même de sa vidéo de candidature, conduisent à des analyses du champ politique intuitivement séduisantes : se place-t-il en héritier de Jean-Marie Le Pen ? Ce faisant, son objectif est-il de capter les voix de Marine Le Pen et du Rassemblement national en proposant un discours proche ?</p>
<p>Ou bien encore tente-t-il de réunir certains électeurs de François Fillon, qui ne se reconnaissent pas dans les cinq actuels candidats Les Républicains, dont le dernier débat de la primaire a eu lieu mardi 30 novembre ?</p>
<p>On retrouve ces hypothèses dans différents articles : à propos de François Fillon, on peut <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/politique/entre-lr-et-eric-zemmour-la-droite-conservatrice-a-la-croisee-des-chemins_2160929.html">lire</a> que « l’électorat filloniste glisse lentement vers Éric Zemmour », qui aurait été « abandonné par la droite traditionnelle, faute de représentation parmi les candidats au congrès LR ».</p>
<p>L’article précise en effet qu’il serait l’héritier autoproclamé du RPR, et qu’il joue de cette « filiation supposée ». Pour autant, l’électorat traditionnel de droite peut <a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/article/2021/11/29/le-probleme-c-est-qu-il-est-meilleur-debatteur-que-candidat-le-scepticisme-de-l-electorat-de-droite-face-a-eric-zemmour_6103978_6059010.html">rester sceptique</a>, peut-être au regard de certains marqueurs d’une droite plus radicale, avec un discours « sans peur des “minorités” de toutes sortes, sans crainte des mots qui fâchent la gauche ou le monde intellectuel ».</p>
<p>Ainsi, à propos de Marine Le Pen, un article explique que <a href="https://www.lci.fr/politique/pour-contrer-eric-zemmour-marine-le-pen-accelere-sur-l-immigration-2197405.html">« pour contrer Éric Zemmour, Marine Le Pen accélère sur l’immigration »</a>.</p>
<p>Les témoignages des électeurs sont illustratifs des évolutions de son discours, mais aussi des stratégies qu’elle met en place pour reconquérir certains électeurs. Un <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-choix-franceinfo/ces-electeurs-seduits-par-le-discours-d-eric-zemmour-il-ne-fait-pas-dans-la-demi-mesure_4813899.html">article</a> donne l’exemple de Thierry :</p>
<blockquote>
<p>« Lui, c’est Sarkozy 2012, Le Pen 2017, mais la candidate Rassemblement national (RN) n’aura pas sa voix en avril prochain. “Le discours de Zemmour est plus clair, il identifie plus clairement le problème migratoire, juge Thierry. Il n’est pas dans la demi-mesure”. »</p>
</blockquote>
<p>C’est bien le discours de Zemmour qui est jugé plus clair, et probablement plus « fort » (« pas dans la demi-mesure »).</p>
<h2>Ce que pensent les anciens militants</h2>
<p>Le point de vue des anciens militants oriente vers les mêmes conclusions <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-choix-franceinfo/ces-electeurs-seduits-par-le-discours-d-eric-zemmour-il-ne-fait-pas-dans-la-demi-mesure_4813899.html">à propos de Jean-Marie Le Pen</a> quant aux conférences d’Éric Zemmour :</p>
<blockquote>
<p>« D’ancien militants sont présents. Luc, par exemple, petite soixantaine, blouson de cuir, nostalgique du FN “canal historique”. “Je ne me retrouve pas dans le RN par rapport au FN que j’ai connu il y a plusieurs années, souligne Luc. Je ne suis pas un soutien inconditionnel d’Éric Zemmour mais je me retrouve dans certaines idées proches de Jean-Marie Le Pen”. »</p>
</blockquote>
<p>Les analyses du récent documentaire <a href="https://www.telerama.fr/ecrans/sur-france-2-zemmour-veni-vidi-vichy-une-enquete-fouillee-sur-un-complotiste-de-lhistoire-7003414.php"><em>Veni Vidi Vichy</em></a> vont dans le même sens :</p>
<blockquote>
<p>« Quand on entend Jean-Marie Le Pen, on voit la vraie filiation. Zemmour est davantage son héritier que ne l’est Marine Le Pen. La réécriture de Vichy, les outrances verbales… Il y a beaucoup de similitudes. La grande différence, c’est que Jean-Marie Le Pen ne bénéficiait pas à l’époque de la tribune médiatique dont jouit Éric Zemmour, parfois sans contradiction. »</p>
</blockquote>
<h2>Des hypothèses à l’épreuve des discours</h2>
<p>Pour tester ces hypothèses, j’ai collecté des discours « de meetings » de ces personnalités (cinq pour chacun) et utilisé les discours prononcés par Éric Zemmour lors de quatre « conférences/meetings » également (son intervention lors de la Convention des droites en 2019, et trois beaucoup plus récents, à Lille, Nantes et Rouen).</p>
<p>À l’aide d’un <a href="http://www.iramuteq.org">logiciel d’exploration de corpus</a>, on peut représenter la proximité et la distance entre les différents textes, sur la base de leur vocabulaire :</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/434457/original/file-20211129-25-f011a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/434457/original/file-20211129-25-f011a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/434457/original/file-20211129-25-f011a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/434457/original/file-20211129-25-f011a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/434457/original/file-20211129-25-f011a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/434457/original/file-20211129-25-f011a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/434457/original/file-20211129-25-f011a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">comparatif des discours.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>On compare donc JLMP1 (discours 1 de Jean-Marie Le Pen) à JMLP2, etc. à EZ1 (Eric Zemmour 1) à EZ2 etc. et de même pour MLP (Marine Le Pen) et FF (François Fillon).</p>
<p>Sur ce graphique, assez peu lisible au premier abord, on voit que sur la base de leur vocabulaire, les discours de JMLP sont groupés (ils entretiennent donc une bonne proximité), ceux d’EZ de même, et les choses sont un peu moins claires pour MLP et FF, avec malgré tout une certaine différence reconnue. Il est donc intéressant de constater que relativement aux hypothèses initiales, les discours d’Éric Zemmour le distinguent des autres candidats dont il serait proche.</p>
<p>Cela signifie que le calcul des spécificités lexicales de chacun des 19 discours regroupe les 4 discours d’Éric Zemmour en fonction de leur proximité, montrant donc à l’inverse qu’ils sont éloignés des 15 autres (avec de plus ou moins grandes distances).</p>
<p>Pour comprendre ces distances entre les textes, et aller plus en détail, regardons de plus près les <a href="http://textometrie.ens-lyon.fr/spip.php?article69">contrastes intertextuels</a> c’est-à-dire la mesure statistique fiable du sur-emploi ou du sous-emploi d’un mot dans un texte, pour préciser le repérage des mots caractéristiques d’un texte.</p>
<h2>Une scientificité « sans filtre »</h2>
<p>En mettant sur un graphique les termes qui sont liés aux populations, à l’immigration, et aux termes qui y sont associés dans les discours contemporains, nous observons principalement deux phénomènes :</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/434458/original/file-20211129-27-1m5dhgt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/434458/original/file-20211129-27-1m5dhgt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=353&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/434458/original/file-20211129-27-1m5dhgt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=353&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/434458/original/file-20211129-27-1m5dhgt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=353&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/434458/original/file-20211129-27-1m5dhgt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=443&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/434458/original/file-20211129-27-1m5dhgt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=443&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/434458/original/file-20211129-27-1m5dhgt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=443&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">termes liés aux populations.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Eric Zemmour abuse des termes « démographique », « colonisation », et « génération » notamment. En faisant cela, il scientifise son discours, en utilisant des termes qui renvoient à la démographie, à l’histoire.</p>
<p>En effet, selon le <a href="http://atilf.atilf.fr/"><em>Trésor de la langue française informatisé</em></a>, démographique signifie « propre à une population déterminée, envisagée essentiellement sous son aspect quantitatif » ; la colonisation est l’« occupation, exploitation, mise en tutelle d’un territoire sous-développé et sous-peuplé par les ressortissants d’une métropole » ; et une génération l’« ensemble de ceux qui vivent à une même époque et qui ont sensiblement le même âge ». Il utilise donc des termes qui importent avec eux une caution (quantitative ou historique) et qui leur donneraient du crédit : ces mots sont en quelques sortes plus « performatifs » que ceux de ses concurrents, car ils ont un apparat scientifique qui peut les rendre plus efficaces en termes de réception.</p>
<p>En plus de cette scientificité apparente, il sur-utilise aussi les termes <em>blanc</em>, <em>islam</em> et <em>islamique</em>, et va ainsi de manière plus « directe » aux référents qu’il désigne : alors que Marine Le Pen s’en tient aux dérivés <em>islamiste</em> ou <em>islamisme</em>, que Jean-Marie Le Pen utilisait davantage <em>immigré</em> et <em>clandestin</em>, et que François Fillon utilisant <em>musulman</em>, Éric Zemmour stigmatise directement l’Islam (et pas seulement les usages idéologiques de l’Islam) et pose la couleur de peau, ce qui est complètement nouveau. Une rare proximité est l’usage de <em>islamique</em> qu’il partage avec François Fillon, ce dernier l’utilisant essentiellement pour parle du « totalitarisme islamique ».</p>
<h2>Le lexique « politique » sous-employé au profit d’un récit historico-romanesque autojustifié</h2>
<p>Comme autre point de comparaison, on peut chercher à comparer le lexique politique plus traditionnel utilisé par ces quatre personnalités :</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/434459/original/file-20211129-21-1iz91j5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/434459/original/file-20211129-21-1iz91j5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/434459/original/file-20211129-21-1iz91j5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/434459/original/file-20211129-21-1iz91j5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/434459/original/file-20211129-21-1iz91j5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/434459/original/file-20211129-21-1iz91j5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/434459/original/file-20211129-21-1iz91j5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">lexique traditionnel.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>On remarque qu’Éric Zemmour ne parle pas des sujets de fond, sauf avec le recours à « industriel », alors que François Fillon s’attachait aux questions économiques (entreprise, travail, chômage, etc.), Jean-Marie Le Pen au chômage et aux taxes, et Marine Le Pen aux impôts et à la monnaie. Ceci s’explique probablement par la forme de ses discours qui propose une version historico-romanesque de l’État :</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/434460/original/file-20211129-21-17e20uo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/434460/original/file-20211129-21-17e20uo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=414&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/434460/original/file-20211129-21-17e20uo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=414&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/434460/original/file-20211129-21-17e20uo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=414&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/434460/original/file-20211129-21-17e20uo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=520&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/434460/original/file-20211129-21-17e20uo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=520&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/434460/original/file-20211129-21-17e20uo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=520&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">tableau sur les sujets de fond.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Il sur-utilise en effet le terme <em>état</em>, qui le distingue des autres personnalités, mais il utilise aussi <em>destin</em> et <em>guerre</em> : se dessine ainsi une représentation romanesque voire fatasmée des choses, inscrites dans un contexte belliqueux. Cette représentation de l’histoire, <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-jeudi-11-novembre-2021">dont on sait qu’elle se joue des vérités historiques</a>, s’apparente donc à une forme de storytelling, qui permet de disposer des « rôles » dans une temporalité dont le polémiste serait le « héros ». L’efficacité possible de ce storytelling est accentuée par l’usage de certains adverbes, et le sous-usage des modalisations :</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/434462/original/file-20211129-25-171em49.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/434462/original/file-20211129-25-171em49.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/434462/original/file-20211129-25-171em49.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/434462/original/file-20211129-25-171em49.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/434462/original/file-20211129-25-171em49.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/434462/original/file-20211129-25-171em49.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/434462/original/file-20211129-25-171em49.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">tableau avec représentation des adverbes.</span>
</figcaption>
</figure>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/434463/original/file-20211129-25-4ar4a9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/434463/original/file-20211129-25-4ar4a9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=453&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/434463/original/file-20211129-25-4ar4a9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=453&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/434463/original/file-20211129-25-4ar4a9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=453&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/434463/original/file-20211129-25-4ar4a9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=569&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/434463/original/file-20211129-25-4ar4a9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=569&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/434463/original/file-20211129-25-4ar4a9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=569&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">tableau représentant l’usage des modalisations.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>En utilisant <em>évidemment</em> (d’une manière évidente pour l’esprit), <em>exactement</em> (d’une manière exacte) et <em>systématiquement</em> (d’une manière systématique), il se distingue des trois autres personnalités également par la manière dont il prend en charge son discours : l’évidence, l’exactitude et le caractère permanent de ce dont il parle lui confèrent un discours qui ne connaît pas le doute et la nuance, et qui n’est d’ailleurs que très peu modalisé : en sous-utilisant <em>pouvoir</em> et <em>vouloir</em> notamment, il ne « fait (pas) apparaître l’attitude du sujet parlant vis-à-vis de la vérité de ce qu’il énonce », c’est-à-dire avec <a href="https://www.cnrtl.fr/definition/modalisation">l’idée d’une certaine contingence</a>. En cela, il se rapproche de Jean-Marie Le Pen, mais s’éloigne fortement de Marine Le Pen et de François Fillon.</p>
<p>Ainsi, malgré les différentes tentatives de rapprochement qui peuvent être faites, les discours de pré-candidature d’Éric Zemmour lui donnent une personnalité discursive bien spécifique : discours à la fois empreint de scientificité et développant un storytelling, ses propos sont plus « directs » et davantage assurés. Il y a donc une « force » langagière qui accompagne les propositions, ce qui peut peut-être expliquer l’imposition de certaines thématiques ou idées dans le débat public : en plus des considéraions de dispositifs et d’ancrage médiatique, le récit d’Éric Zemmour est présenté comme direct et assuré, lui assurant potentiellement une transmission facile dans les différents canaux de communication.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/172322/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Longhi a reçu des financements de l'ANR, de l'IUF, du DIM STCN. Il est membre de Draine, « Haine et rupture sociale : discours et performativité », un groupe pluridisciplinaire de chercheuses et chercheurs qui travaillent autour des discours de haine et des discours radicaux ainsi que les genres respectifs qui leur sont liés.</span></em></p>Le sur-emploi ou le sous-emploi d’un mot dans un texte ou discours permet de comprendre les intentions et idées véhiculées par les candidats.Julien Longhi, Professeur des universités en sciences du langage, AGORA/IDHN, CY Cergy Paris UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1678242021-09-22T22:23:42Z2021-09-22T22:23:42ZEric Zemmour ou comment introduire un discours clivant dans le débat public<p>Le mercredi 8 septembre, la Cour d’appel de Paris a relaxé Éric Zemmour, <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/09/08/eric-zemmour-relaxe-en-appel-pour-des-propos-anti-islam-et-anti-immigration-tenus-en-2019_6093912_3224.html">qui avait été condamné</a>, en première instance, pour des propos « anti-islam et anti-immigration » datant de 2019, à une peine de 10 000 euros d’amende.</p>
<p>Lors de la condamnation, la présidente de la 17<sup>e</sup> chambre correctionnelle avait jugé :</p>
<blockquote>
<p>« Les opinions, même choquantes, doivent pouvoir s’exprimer, néanmoins les faits reprochés vont plus loin et outrepassent les limites de la liberté d’expression puisqu’il s’agit de propos injurieux envers une communauté et sa religion. »</p>
</blockquote>
<p>À l’inverse, la cour d’appel a indiqué :</p>
<blockquote>
<p>« Aucun des propos poursuivis ne vise l’ensemble des Africains, des immigrés ou des musulmans mais uniquement des fractions de ces groupes […] Il n’est nullement justifié de propos visant un groupe de personnes dans son ensemble en raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. »</p>
</blockquote>
<p>Dans ces extraits de décisions juridiques sont convoquées des notions telles que la liberté d’expression, l’injure, ou plus généralement le discours de haine, ce qui renvoie à une <a href="http://journals.openedition.org/revdh/4302">approche juridictionnelle des discours de haine</a> qui :</p>
<blockquote>
<p>« témoigne du travail méticuleux de conciliation effectué par les juridictions françaises entre la protection de la liberté d’expression, celle des droits d’autrui, et la préservation de l’ordre public ».</p>
</blockquote>
<p>Si Éric Zemmour a été pour sa part condamné à deux reprises, en <a href="https://www.lepoint.fr/societe/toutes-les-fois-ou-eric-zemmour-a-ete-condamne-et-relaxe-13-09-2021-2442920_23.php">2011 et 2019 puis relaxé</a>, on voit que le travail juridique est complexe, soumis à discussion, et peut donner lieu à des interprétations divergentes.</p>
<p>La récente relaxe pourrait laisser croire que ces discours ont leur place dans le débat public. Ils deviennent par ce biais « entendables » par le grand public, si ce n’est « acceptables » par les soutiens de l’éditorialiste.</p>
<p>Il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’un discours qualifié initialement d’injurieux envers une communauté. Or, comme Dominique Lagorgette l’a bien montré, <a href="https://journals.openedition.org/aad/1312">« l’injure blesse »</a>, et elle relève « du domaine des attaques contre la <em>persona</em> » : aussi, les processus par lesquels ces types de discours se sont imposés dans le débat doivent être examinés, puisque ces attaques blessent ceux qui en sont l’objet, générèrent des oppositions dans la société, et créent des clivages.</p>
<p>Pour être précis, il faut prendre en compte aussi bien les propos, leur contexte, et leurs interprétations possibles.</p>
<h2>Ce qui est retenu du discours d’Éric Zemmour</h2>
<p>Les propos du polémiste sont rapportés dans divers médias, tel qu’<a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/09/08/eric-zemmour-relaxe-en-appel-pour-des-propos-anti-islam-et-anti-immigration-tenus-en-2019_6093912_3224.html">ici</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Lors d’une “convention de la droite” organisée par des proches de l’ex-députée du Front national (devenu Rassemblement national) Marion Maréchal le 28 septembre 2019, Éric Zemmour avait prononcé un discours fustigeant des immigrés “colonisateurs” et une “islamisation de la rue”. L’éditorialiste y avait également décrit le voile et la djellaba comme “les uniformes d’une armée d’occupation”. »</p>
</blockquote>
<p>Ou <a href="https://www.lci.fr/justice-faits-divers/justice-propos-contre-l-islam-et-l-immigration-eric-zemmour-relaxe-en-appel-2195753.html">là</a> :</p>
<blockquote>
<p>« La justice donne raison à Éric Zemmour. Poursuivi depuis 2019 pour des propos virulents contre l’Islam et l’immigration, le polémiste a été relaxé par la Cour d’appel de Paris ce mercredi 8 septembre. »</p>
</blockquote>
<p>Comme le note <a href="http://journals.openedition.org/revdh/4302">Nathalie Droin</a> dans son article au titre éclairant, « L’appréhension des discours de haine par les juridictions françaises : entre travail d’orfèvre et numéro d’équilibriste » :</p>
<blockquote>
<p>« La loi sur la presse du 29 juillet 1881 qui, depuis 1972, permet la répression des injure, diffamation et provocation à la discrimination, à la haine et à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. »</p>
</blockquote>
<p>Elle note d’ailleurs un certain paradoxe, puisque le juge doit à la fois se livrer à « une lecture stricte et objective des infractions pour apprécier, avec une certaine neutralité, le caractère préjudiciable du propos » et prendre en compte « son contexte de prononciation ou diffusion afin d’adopter la solution la plus juste et la plus adaptée au regard des intérêts en jeu ».</p>
<p>Pour voir la manière dont les juges ont pris en compte ces deux dimensions, nous pouvons revenir plus précisément aux propos en question. Ils sont prononcés à la fin de cette séquence :</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1309606782738857985"}"></div></p>
<p>Précisément, dans cet extrait, ce qui est en jeu, c’est la mise en relation de « les femmes voilées et les hommes en djellaba » avec « les uniformes d’une armée d’occupation ». Le terme « armée » ouvre sur la thématique de la guerre, et « occupation » celle de l’envahisseur. On comprend alors la complexité de la décision de justice : faut-il considérer ces propos vis-à-vis des « femmes voilées » et des « hommes en djellaba » comme injurieux, ou les entendre comme ciblant seulement une partie de la communauté visée ? S’il n’est pas question ici de produire une analyse supplémentaire de cette séquence, il est utile d’ouvrir sa prise en compte par d’autres champs.</p>
<h2>« Les linguistes au tribunal »</h2>
<p>Dans un numéro de la revue <a href="https://www.cairn.info/revue-langage-et-societe-2010-2.htm"><em>Langage et société</em> publié en 2010</a> intitulé « Linguistique légale et demande sociale : les linguistes au tribunal », Dominique Lagorgette constatait que « la pénalisation des actes de langage est sans cesse croissante » mais regrettait « qu’en France, contrairement aux pays anglo-saxons, les linguistes ne soient que très rarement encore sollicités pour livrer une analyse des faits de langue incriminé ». Elle rappelait notamment que la <a href="https://www.cairn.info/revue-langage-et-societe-2010-2-page-15.htm"><em>Forensic Linguistics</em></a> « a plus de quarante ans d’existence derrière elle dans de nombreux pays » mais qu’elle reste en France et dans les pays relevant traditionnellement du droit romain « totalement ignorée, et des personnels de la magistrature, et des linguistes eux-mêmes ».</p>
<p>Depuis cette date, ce type de travaux a connu un certain essor, dans le domaine académique, notamment autour du groupe de recherche <a href="https://drainesite.wordpress.com">Draine</a> en ce qui concerne le discours de haine, avec une importante bibliographie et sujets d’application.</p>
<p>Ainsi, à propos du paradoxe entre interprétation littérale et contextualisation des propos, il est intéressant de considérer la phrase d’Éric Zemmour à propos de Renaud Camus : « j’aime la formule de Renaud Camus entre vivre ensemble il faut choisir » qui suit juste les propos soumis à discussion.</p>
<p>On trouve cette « formule » sur le compte Twitter de Renaud Camus avec la mention #OccupantDégage et une référence aux attentats islamistes :</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"949930041206558720"}"></div></p>
<p>Il n’est pas aisé d’interpréter l’intérêt de cette formule par le polémiste, mais en cherchant des informations sur Renaud Camus on peut <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Renaud_Camus">lire sur Wikipédia</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Il écrit de nombreux textes au sujet de ce qu’il nomme le “grand remplacement” des peuples européens par l’immigration, ce qui le rend influent au sein de la droite identitaire. En 2015, il rejoint le parti Souveraineté, identité et libertés. Il est candidat aux élections européennes de 2014 puis de 2019, désavouant toutefois la liste qu’il mène peu avant ce dernier scrutin. »</p>
</blockquote>
<p>Il est accusé d’antisémitisme en 2000 dans le <a href="https://journals.openedition.org/contextes/4975">cadre de l’« affaire Camus »</a> et en 2014, il est condamné pour provocation à la haine et à la violence contre les musulmans. Pour l’analyste du discours, <a href="https://www.persee.fr/doc/prati_0338-2389_2006_num_129_1_2094">ce « co-texte » fait « contexte »</a>. Ainsi, en ajoutant l’adhésion à une formule proposée par un écrivain déjà condamné pour des faits proches de ceux dont il est accusé, la citation a aussi une fonction de connivence auprès d’auditeurs/lecteurs familiers de ces thèses, et porte une forme d’autorité (soutien du propos).</p>
<p>Mais la dimension haineuse du propos est dissimulée, partiellement déléguée de manière allusive à Renaud Camus, et prise en charge par une mémoire du discours qui s’adjoint à l’interprétation littérale. Cela rejoint donc ce que développent les <a href="http://journals.openedition.org/semen/12275">chercheuses Fabienne Baider et Maria Constantinou</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Les discours de haine peuvent être aussi masqués et s’accompagner ou non de violence verbale, c’est ce qui est appelé le discours de haine dissimulée. »</p>
</blockquote>
<p>Et d’ajouter : « leur performativité n’en reste pas moindre » : cela signifie que ces discours ont des conséquences, car ils irriguent le champ politique, ils ont une dimension clivante qui oppose des populations, et créent un climat de guerre, puisqu’ils mettent en scène une armée de colonisation.</p>
<h2>Dissimuler la haine ?</h2>
<p>Dans ce contexte, comme le rappellent ces deux spécialistes, le discours de haine dissimulée pourrait se définir « comme toute manifestation discursive ou sémiotique pouvant de manière implicite ou masquée inciter à la haine, à la violence et/ou à l’exclusion de l’autre ».</p>
<p>Et on comprend bien que cette dissimulation pose problème pour les juristes, puisqu’elle met notamment en œuvre des procédés d’implicite. Comme le relève la chercheuse Camille Bouzereau qualifiant ce phénomène de <a href="http://journals.openedition.org/semen/12448">« néologisme lepénien »</a>, la dimension linguistique (le choix des mots, leur construction, l’organisation de la syntaxe, etc.) doit pouvoir être prise en compte. Dans le cadre du Front/Rassemblement national, elle ajoute notamment :</p>
<blockquote>
<p>« Jean-Marie Le Pen a été condamné à 18 reprises pour le contenu de ses propos (apologie de crimes de guerre, provocation à la haine raciale, diffamation) et Marine Le Pen une fois pour diffamation en 2008, faisant suite à des propos soutenus en 2010 sur la comparaison entre l’occupation nazie et les prières de rue des musulmans, elle a été jugée pour incitation à la haine mais se trouve relaxée en 2015 par le tribunal correctionnel de Lyon. »</p>
</blockquote>
<p>Nous voyons une énumération de condamnations pour faits de langue (apologie de crimes de guerre, diffamation, incitation à la haine), ce qui nous permet d’élargir plus largement cette question des discours de haine au-delà du cas d’Éric Zemmour.</p>
<h2>L’acceptabilité des discours</h2>
<p>Mais ce qui est en jeu, comme esquissé au fil de cet article, c’est la question de l’acceptabilité de ces discours. En effet, alors que les discours de Jean-Marie Le Pen semblaient éminemment transgressifs et avaient un rôle polémique, ceux d’Éric Zemmour semblent bien plus « entendables », du point de vue de la justice (relaxe) et aussi du point de vue de l’opinion publique. Certes les chiffres annoncés n’ont rien de scientifique, mais le martèlement d’une majorité qui « penserait comme » semble faire son chemin :</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1436999053477302276"}"></div></p>
<p>On peut donc en conclure que si ces propos peuvent être rendus « entendables », c’est qu’ils ont plusieurs propriétés : dimension linguistique de la haine dissimulée (implicite notamment) ; intégration dans un discours idéologique déjà martelé depuis des années et qui a imprégné le champ politique ; voix présente sur la scène médiatique.</p>
<p>Avec la possible entrée en campagne d’Éric Zemmour, ces différents paramètres vont être bouleversés, et il sera intéressant d’observer les manières dont ses discours vont continuer à être reçus et interprétés.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167824/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Longhi a reçu des financements de l'ANR, de l'IUF, du DIM STCN. Il est membre de Draine, « Haine et rupture sociale : discours et performativité », un groupe pluridisciplinaire de chercheuses et chercheurs qui travaillent autour des discours de haine et des discours radicaux ainsi que les genres respectifs qui leur sont liés.</span></em></p>Eric Zemmour a souvent été accusé de propager des discours intolérants : il est important de comprendre quels sont les processus par lesquels ils se sont imposés dans le débat.Julien Longhi, Professeur des universités en sciences du langage, AGORA/IDHN, CY Cergy Paris UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1564052021-03-04T19:10:36Z2021-03-04T19:10:36Z« In extenso » : Politique : quand les mots s’emparent de nos émotions<p><em><strong>« In extenso »</strong>, des podcasts en séries pour faire le tour d’un sujet.</em></p>
<hr>
<p>Erreurs ou exploits de communications, discours savants, usage du mensonge ou du silence, vagues médiatiques, mobilisation de l’opinion, émotions et réseaux sociaux : comment la politique joue-t-elle de nos affects ?</p>
<p>Bienvenue sur « En scène ! Dans les coulisses de la politique » le podcast qui décrypte quelques-uns des outils de la communication politique.</p>
<p>Dans le premier épisode de notre série, nous nous sommes attachés à décrypter quels étaient les multiples visages d'Emmanuel Macron.</p>
<p>Dans cet épisode, nous allons tenter de comprendre l'enjeu de certains mots, phrases, expressions ou silences qui ont trouvé leur place dans la bouche de nos représentants.</p>
<p>Certaines sont même devenues cultes à en croire leurs détracteurs.</p>
<p>Julien Longhi, vous êtes linguiste, professeur des universités en sciences du langage à CY Cergy Paris université et vous avez publié pour The Conversation de nombreux articles sur l'usage des mots dans le circuit politique et des processus d'argumentations à l'œuvre.</p>
<iframe src="https://embed.acast.com/601af61a46afa254edd2b909/603f785b8d3a5f4d4148fa1c?cover=true&ga=false" frameborder="0" allow="autoplay" width="100%" height="110"></iframe>
<p><a href="https://open.spotify.com/episode/0lup5p6EOl1mEtEoJd7nTc"><img src="https://images.theconversation.com/files/321535/original/file-20200319-22606-1l4copl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=183&fit=crop&dpr=1" width="268" height="70"></a> <a href="https://soundcloud.com/theconversationfrance/en-scene-dans-les-coulisses-1"><img src="https://images.theconversation.com/files/359064/original/file-20200921-24-prmcs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=218&fit=crop&dpr=2" alt="Listen on SoundCloud" width="268" height="70"></a> <a href="https://podcasts.apple.com/au/podcast/en-sc%C3%A8ne-dans-les-coulisses-de-la-politique-2-6/id1552192784?i=1000511418176"><img src="https://images.theconversation.com/files/321534/original/file-20200319-22606-q84y3k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=182&fit=crop&dpr=1" alt="Listen on Apple Podcasts" width="268" height="68"></a></p>
<hr>
<p><em>Références musicales et extraits sonores/vidéos</em> :</p>
<ul>
<li><a href="https://www.youtube.com/watch?v=Z5wJjqkcfJI">Jimmysquare, Like Apollo</a></li>
<li><a href="https://www.youtube.com/watch?v=FNeBVbUo4Ns">La colère d'Olivier Véran à l'Assemblée nationale</a>, 4 novembre 2020</li>
<li><a href="https://www.youtube.com/watch?v=-jULisPCscA">Débat entre Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy</a>, 7 mars 2008</li>
<li><a href="https://www.youtube.com/watch?v=T7b67QCjibc">Emission spéciale sur le chiffrage</a>, La France Insoumise, mars 2017 </li>
<li><a href="https://www.youtube.com/watch?v=K7UtPN7Lk0E&">Déplacement de Jacques Chirac à Garges-Les-Gonesses</a>, 2002</li>
<li><a href="https://www.youtube.com/watch?v=7BtLTkhGzjg&feature=emb_logo">Jean Marie Le Pen en 1998 interviewé par Patrick Poivre d'Arvor met en cause l'Euro-mondialisme</a> </li>
</ul>
<p><em>Références bibliographiques citées</em></p>
<ul>
<li><a href="https://theconversation.com/quand-le-en-meme-temps-demmanuel-macron-pose-question-aux-linguistes-150869">Quand le « en même temps » d'Emmanuel Macron pose question aux linguistes</a></li>
<li><a href="https://theconversation.com/ce-que-les-adresses-demmanuel-macron-revelent-de-sa-gestion-de-crise-149471">Ce que les adresses d’Emmanuel Macron révèlent de sa gestion de crise</a> </li>
<li><a href="https://theconversation.com/jean-luc-melenchon-sur-youtube-the-medium-is-the-message-mais-pas-toujours-74053">Jean-Luc Mélenchon sur YouTube : « The medium is the message », mais pas toujours</a></li>
<li><a href="https://theconversation.com/le-fn-en-144-engagements-et-140-signes-73097">Le FN en 144 engagements, et 140 signes</a></li>
<li><a href="https://www.fayard.fr/1001-nuits/la-nouvelle-judeophobie-9782842056506"><em>La Nouvelle judéophobie</em></a>, Pierre-André Taguieff, 2002.</li>
<li><a href="https://journals.openedition.org/praxematique/368">De la dénomination à la nomination</a>, Paul Siblot, 2001. </li>
</ul>
<hr>
<p><em>Conception Clea Chakraverty. Production, Romain Pollet</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/156405/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Julien Longhi décrypte certains processus d'argumentation clefs et usages de termes qui rythment la vie politique.Clea Chakraverty, Cheffe de rubrique Politique + Société, The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1553342021-02-22T17:42:19Z2021-02-22T17:42:19ZPari politique versus risques épidémiologiques : le quitte ou double d’Emmanuel Macron<p>Saisi, comme tous les dirigeants de la planète, par une pandémie non anticipée parce que nos sociétés avaient perdu toute culture épidémique depuis un siècle, le président Macron a d’abord calé son action sur les recommandations médicales.</p>
<p>Depuis la fin du confinement strict, et des dégâts économiques et sociaux qu’il a engendrés, il s’est éloigné du corps médical pour regagner en autonomie politique, en le justifiant par plusieurs arguments : volonté de promouvoir un discours optimiste, réaffirmation d’un pouvoir d’arbitrage, remettre les scientifiques à leur place.</p>
<p>Ce choix d’une politique dite de « contrôle de l’épidémie » (contre une stratégie d’éradication) est lourd d’incertitudes sur l’aptitude à vraiment maîtriser la dynamique épidémique et comporte un risque politique évident. En effet, son refus de prendre des mesures coercitives fortes pour casser la dynamique épidémique pourrait être jugé rétroactivement obstiné et ouvrir la voie à un procès en responsabilité sur la dégradation de l’épidémie, sur la saturation des hôpitaux, voire sur une hausse choquante du nombre de morts.</p>
<p>La polémique commence d’ailleurs à monter chez les enseignants et les scientifiques qui appellent à une <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/02/15/viser-l-objectif-zero-covid-constitue-un-moyen-clair-de-traverser-la-pandemie-en-minimisant-les-degats_6070045_3232.html">gestion plus sévère de l’épidémie</a> en mobilisant des contre-arguments.</p>
<h2>L’optimisme politique contre l’alarmisme scientifique</h2>
<p>Les scientifiques fondent leurs préconisations sur des modélisations alors même que découvrant ce nouveau virus, leurs prévisions n’ont pas toujours été pertinentes. Ils avouent d’ailleurs en ce moment <a href="https://www.nouvelobs.com/coronavirus-de-wuhan/20210212.OBS40140/les-scientifiques-dans-l-incomprehension-face-a-l-amelioration-de-la-situation-epidemique.html">ne pas pouvoir s’expliquer la baisse des cas</a> en France.</p>
<p>De cette incertitude, le président de la République veut faire une force, en prenant ce qu’il nomme le « pari » de s’opposer aux discours scientifiques majoritaires, en <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/02/10/covid-19-l-executif-insuffle-une-dose-d-optimisme_6069428_823448.html">jouant la carte de l’optimisme</a> contre les pessimistes excessifs, du soutien à l’économie contre les jusqu’au-boutistes de la protection sanitaire qui négligeraient les effets induits de leurs décisions trop radicales, et aux résultats jugés pas assez prouvés.</p>
<p>Le Président Macron tient donc à tout prix à sortir d’une posture défensive (confinement serré et réparation des dégâts occasionnés, par l’argent public) pour mettre en scène le gouvernement dans une posture offensive, faisant de la <a href="https://www.20minutes.fr/societe/2945683-20210105-vaccination-emmanuel-macron-devoile-elus-pistes-accelerer-strategie-france">stratégie vaccinale accélérée</a> l’alpha et l’oméga de la lutte contre l’épidémie, et en défendant que d’ici à l’immunité par le vaccin, il faut tenir sans confinement strict.</p>
<p>Plaider ainsi l’optimisme satisfait sans doute davantage une population exténuée que promettre du sang et des larmes.</p>
<h2>Le Président doit conserver son pouvoir d’arbitrage</h2>
<p>L’essence de la fonction politique c’est d’arbitrer entre des intérêts contraires. Le Président tient donc à réaffirmer ce qui fonde son autorité : le <a href="https://www.elysee.fr/la-presidence/le-president-dans-la-constitution">pouvoir d’arbitrage</a>. Celui que lui donne d’ailleurs la Constitution dans son article 5.</p>
<p>Le Président Macron se met donc en scène arbitrant entre les intérêts économiques. Un conseiller élyséen s’inquiète d’éventuelles « conséquences économiques et sociales dramatiques pour un résultat peut-être équivalent à un couvre-feu » nous dit <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/01/25/covid-19-l-hypothese-d-un-nouveau-confinement-fait-debat-au-sein-de-l-executif_6067467_823448.html"><em>Le Monde</em></a>. Il débat aussi bien de la <a href="https://www.bfmtv.com/politique/sante-mentale-des-francais-emmanuel-macron-demande-au-gouvernement-de-preparer-une-strategie_AN-202011240406.html">santé psychique des Français</a> que de la réussite scolaire des élèves et donc la non-fermeture des écoles, « fierté française » selon le ministre de l’Éducation, et la sécurité sanitaire.</p>
<p>Cette dernière est donc ramenée au rang de variable à arbitrer, pas plus prioritaire qu’une autre, car tout doit tenir en équilibre.</p>
<h2>Remettre les scientifiques à leur juste place</h2>
<p>De plus en plus souvent invités dans les <a href="https://www.lejdd.fr/Medias/covid-19-quels-sont-les-medecins-les-plus-cites-a-la-tele-et-a-la-radio-depuis-un-an-4025030">médias</a>, les membres du Conseil scientifique créé par l’exécutif pour le guider dans son action, auraient fini par outrepasser leurs prérogatives en confondant, aux yeux de l’Élysée aide à la décision et injonction à agir. C’est ce que laisse entendre le Président en <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/journal-de-22h/journal-de-22h-du-jeudi-10-septembre-2020">opposant la légitimité démocratique des élus au Conseil scientifique</a>. Et pour faire bonne mesure, le Conseil scientifique ne rend plus d’avis depuis le 13 janvier.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1360576888171859976"}"></div></p>
<p>En lieu et place, il alimente l’exécutif en « notes internes » comme l’<a href="https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/covid-19-ou-sont-passes-les-avis-du-conseil-scientifique_4299073.html">indique France Info</a>, ce qui est le moyen technique trouvé par l’exécutif pour contourner l’obligation légale prévue à <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000042522982/#:%7E:text=En%20cas%20de%20d%C3%A9claration%20de,du%20Pr%C3%A9sident%20de%20la%20R%C3%A9publique.">l’article L. 3131-19</a> du code de la santé publique s’appliquant en état d’urgence sanitaire, qui oblige à rendre publics « sans délai » les « avis » de ce conseil. Ses points de vue cessent ainsi de pouvoir être utilisés pour souligner d’éventuelles incohérences sanitaires avec les choix politiques.</p>
<h2>Gains politiques escomptés</h2>
<p>Le Président Macron espère ainsi gagner le soutien de tous ceux qui sont préoccupés d’abord par les intérêts économiques. Car les arbitrages rendus montrent que c’est bien le maintien de l’activité économique qui l’emporte dans la nouvelle hiérarchie des contraintes à tenter d’harmoniser.</p>
<p>Opportunément, cette priorité est défendue dans la frange de la population plutôt classée à droite (Medef, commerçants, artisans, petits patrons, retraités conservateurs). Électorat sur lequel le Président sortant compte beaucoup pour sa réélection.</p>
<p>De plus, dès lors qu’il affiche son refus de céder à tout appel au confinement, même à l’échelon local ou d’un département, comme la Moselle ou Dunkerque, il escompte que son ralliement, ultime, à la mesure la plus déstabilisante de l’ordre ordinaire de nos vies, fera du confinement une décision incontestable, acceptable.</p>
<p>Les lignes de force de la posture adoptée, avec désormais une certaine constance, par le Président Macron peuvent se retourner en points de faiblesse si son pari se transforme en catastrophe sanitaire dans les mois à venir. Car le président s’ancre dans l’ici et maintenant quand le monde scientifique s’alarme d’un futur certes incertain mais aux dégâts potentiels très lourds.</p>
<h2>La contre-argumentation scientifique</h2>
<p>La confrontation des points de vue qui est en train de se cristalliser peut s’interpréter comme un choc des temporalités. Les déclarations prospectives du monde scientifique sont trop convergentes et bruyantes pour que le pouvoir en place puisse avoir recours plus tard au classique discours autoprotecteur du « on ne pouvait pas savoir ».</p>
<p>C’est bien en cela que les choix gouvernementaux sont un immense pari politique. Car à la fin du match, l’un des deux « camps » aura eu tort et si c’est le pouvoir politique, il devra assumer de <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2021/01/27/covid-19-plus-les-mesures-de-lutte-contre-l-epidemie-sont-prises-tot-plus-elles-sont-efficaces_6067831_4355770.html">n’avoir pas agi à temps et efficacement pour sauver des vies</a>.</p>
<p>Un argument moral circule chez les médecins pour contester les choix gouvernementaux. Si le nombre de contaminations stagne depuis plus d’un mois sur un « plateau haut », cela induit de s’habituer à plus de 400 morts par jour et à des milliers de personnes en réanimation, avec les séquelles durables qui en découle. Il suffit de se remémorer le discours du Premier ministre Édouard Philippe début 2019, qui se <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/securite-routiere/limitation-de-la-vitesse-a-80-km-h/direct-edouard-philippe-gilets-jaunes-morts-tues-route-80-km-h-gouvernement-automobilistes-securite-routiere-limitation_3164681.html">réjouissait bruyamment d’avoir « sauvé 116 vies »</a> en six mois depuis le passage aux 80km/heure sur les routes départementales, pour constater que l’exécutif a adopté un nouveau seuil de tolérance à la mortalité collective que certains jugent choquant.</p>
<p>De plus, la défense de l’intérêt économique supérieur de la nation conduit l’exécutif à prêter le flanc à une nouvelle accusation de dissimulation. <a href="https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/coronavirus-les-trois-quarts-des-francais-pensent-que-le-gouvernement-leur-a-menti-sur-les-masques-selon-un-sondage_3907317.html">Plus des trois quarts des Français</a> pensaient au printemps 2020 que le discours officiel anti-masque des débuts était un mensonge pour cacher une situation de pénurie.</p>
<p>Or, au fil de la publication des études scientifiques sur la contamination dans les écoles, grandit le soupçon que le discours sur les élèves qui ne se contaminent pas entre eux, cachent mal le fait que la fermeture des écoles empêche les parents d’aller travailler. Le monde enseignant s’indigne de plus en plus des mesures annoncées qui sont mal appliquées, des refus officiels de tester les enfants comme s’il s’agissait <a href="https://www.liberation.fr/france/2020/10/26/covid-a-l-ecole-l-omerta-et-le-deni_1803450/">d’interdire les thermomètres à l’école pour pouvoir déclarer qu’aucune fièvre n’est signalée</a>. Et la <a href="http://www.cafepedagogique.net/LEXPRESSO/Pages/2021/02/12022021Article637487417571258240.aspx">dernière volte-face du ministère</a> (trois protocoles sanitaires dans les écoles différentes en 15 jours) sur les conditions de fermeture automatique des classes, qui écarte le variant britannique d’un risque de contagiosité plus élevée en classe, ne fait qu’accroître la colère.</p>
<p></p>
<h2>La crainte d’une stratégie de simple « contrôle de l’épidémie »</h2>
<p>Le refus, « quoi qu’il en coûte », de confiner, est un refus de casser la dynamique épidémique, <a href="https://www.aefinfo.fr/depeche/644576-la-france-et-l-europe-devraient-adopter-une-strategie-zero-covid-antoine-flahault-epidemiologiste">stratégie dite « zéro covid »</a>, comme l’ont fait avec autorité des régimes aussi différents que la Chine communiste ou les très démocratiques Nouvelle-Zélande et Australie, qui n’hésitent pas à confiner brutalement et durement un territoire donné à l’émergence de quelques cas seulement, mais pour un temps bref.</p>
<p>Dès lors que l’objectif avoué est que les urgences hospitalières ne soient pas obligées de trier entre les malades au point d’abandonner certains patients à leur funeste sort, les dégâts sanitaires seraient potentiellement considérables.</p>
<p>Laisser courir un niveau élevé de contamination favorise le maintien d’une <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2021/01/15/avec-667-400-deces-enregistres-la-france-a-connu-9-d-excedent-de-mortalite-en-2020_6066415_4355770.html">surmortalité</a>.</p>
<p>Laisser les urgences se remplir peu à peu, c’est infliger à un personnel hospitalier exsangue après un an d’épidémie, de long mois encore de pénibilité et de <a href="https://blogs.bmj.com/bmj/2021/01/29/up-the-line-to-death-covid-19-has-revealed-a-mortal-betrayal-of-the-worlds-healthcare-workers/">risque pour leur santé</a>. Laisser les lits des urgences mais aussi de tous les autres services se remplir de milliers de patients covid, c’est mettre les hôpitaux dans la <a href="https://www.lejdd.fr/Societe/Sante/info-jdd-covid-19-les-hopitaux-passent-en-organisation-de-crise-4025058">situation de crise</a> de n’avoir pas d’autres choix que de reporter des opérations chirurgicales, de dégrader l’accueil des patients avec d’autres pathologies, au risque d’induire une surmortalité évitable.</p>
<p>De même, s’affirme la problématique des effets durables de ce coronavirus sur les organismes des patients atteints (y compris sous des formes bénignes au départ). Sous le terme de <a href="https://www.sciencesetavenir.fr/sante/covid-19-un-pas-vers-la-reconnaissance-du-covid-long-chez-les-enfants_151725">covid-long</a>, se profilent de longs mois et peut-être <a href="https://professorsharonpeacock.co.uk/long-covid-the-nightmare-that-wont-end-a-first-hand-perspective/">longues années de malades chroniques</a>, essoufflés, épuisés, affaiblis immunitairement qu’il faudra prendre en charge.</p>
<p>En Grande-Bretagne, le covid long <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-billet-vert/covid-long-les-enfants-et-adolescents-aussi-sont-touches_4280151.html">touche aussi des enfants et des adolescents</a>. Leurs parents désemparés se mobilisent et rompent ainsi avec un discours officiel faisant des enfants les épargnés des formes sévères de la maladie, alors qu’ils sont <a href="https://www.webmd.com/lung/news/20210209/covid-cases-among-children-hit-3-million-up-10-percent">touchés en nombre conséquent</a>.</p>
<p>Au jour du bilan global de tous ces prolongements pathologiques, l’exécutif pourra en être tenu comptable.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1361908397424140293"}"></div></p>
<h2>La circulation active du virus au risque de la propagation de variants</h2>
<p>C’est une loi épidémiologique implacable que plus un virus circule, plus s’accroît la probabilité que le virus rencontre des personnes au profil physiologique immunodéprimé, chez qui la <a href="https://www.latimes.com/science/story/2021-01-30/long-term-covid-19-patients-are-incubating-dangerous-new-coronavirus-strains">machine à recombinaison virale se met donc en branle</a>, provoquant l’émergence de « variants » aux capacités d’échappement immunitaire plus grandes. Voilà pourquoi certains médecins commencent à évoquer la nécessité de vacciner des personnes immunodéprimées en priorité. Surtout que le système immunitaire joue sans doute un <a href="https://www.cam.ac.uk/research/news/likelihood-of-severe-and-long-covid-may-be-established-very-early-on-following-infection">rôle important dans la chute vers des formes sévères</a> de la maladie.</p>
<p>Ces variants compétitifs sont bien plus contagieux (et <a href="https://assets.publishing.service.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/961042/S1095_NERVTAG_update_note_on_B.1.1.7_severity_20210211.pdf">peut-être plus néfastes</a>) et donc ils vont peu à peu supplanter dans la circulation virale le coronavirus souche originelle.</p>
<p>L’énorme risque serait donc que se mette en action une nouvelle épidémie, sous la première épidémie. La diminution relative du nombre de cas du moment, dont l’exécutif se réjouit, ne serait qu’une embellie provisoire, le calme qui procède la tempête d’une reprise épidémique plus virulente. C’est ce que craignent par exemple des <a href="https://www.sciencemag.org/news/2021/02/danish-scientists-see-tough-times-ahead-they-watch-more-contagious-covid-19-virus-surge">scientifiques danois</a>. Le point de rencontre entre une circulation descendante de l’ancien virus et une circulation ascendante du nouveau, serait le point de déclenchement d’une nouvelle épidémie.</p>
<p>Cette crainte des épidémiologistes émerge en France car le variant du Kent circule déjà vivement dans plusieurs régions françaises. Première semaine de février, le laboratoire biologique <a href="https://biogroup.fr/actualites/donnees-epidemiologiques-variants-covid19/">Biogroup l’identifie</a> dans les Yvelines dans 54 % de ses tests PCR positifs passés ensuite au criblage, dans 46 % dans le Val-de-Marne et les Alpes de haute Provence, et plus de 30 % dans le Var, les Alpes-Maritimes ou la Loire-Atlantique. Et le biologiste François Blanquart attribue à ce variant une <a href="https://www.lpsm.paris/smile/documents/Analyse%20de%20la%20transmissibilit%C3%A9%20du%20variant.pdf">transmissibilité supérieure de 41 %</a>.</p>
<p>Dans les scénarios les plus noirs, ces variants peuvent provoquer une nouvelle « vague » plus dévastatrice ; ils peuvent contribuer à recontaminer des gens qu’on croyait immunisés (comme cela s’est <a href="https://www.lemonde.fr/blog/realitesbiomedicales/2021/01/">vu dans la ville de Manaus</a>) ; ils peuvent <a href="https://www.biorxiv.org/content/10.1101/2021.02.12.430472v1">échapper en partie aux défenses immunitaires vaccinales</a>, obligeant alors à <a href="https://www.sciencemag.org/news/2021/01/new-coronavirus-variants-could-cause-more-reinfections-require-updated-vaccines">revoir le processus de vaccination</a> de la population.</p>
<h2>Un pari politique très risqué</h2>
<p>Que l’un de ces scénarios s’actualise dans notre pays alors des voix accuseront le refus du Président Macron d’avoir confiner à temps, d’être coupable d’avoir aggravé la situation, d’avoir mis en danger des vies humaines faute d’avoir su trancher dans le sens médical le plus protecteur.</p>
<p>Avec rappels aisés, par les journalistes et l’opposition parlementaire, des discours prospectifs du corps médical, interdisant la parade du « personne ne pouvait prévoir ».</p>
<p>Et le retour de bâton serait d’autant plus fort que tout ceci s’inscrirait dans un contexte où une solide défiance est déjà bien ancrée, comme en témoigne ce <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/covid-19-la-gestion-de-la-crise-par-emmanuel-macron-ne-convainc-toujours-pas-les-francais-20210204">sondage Odoxa Le Figaro</a> du 4 février :</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/384985/original/file-20210218-15-14vsuc1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/384985/original/file-20210218-15-14vsuc1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=363&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/384985/original/file-20210218-15-14vsuc1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=363&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/384985/original/file-20210218-15-14vsuc1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=363&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/384985/original/file-20210218-15-14vsuc1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=456&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/384985/original/file-20210218-15-14vsuc1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=456&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/384985/original/file-20210218-15-14vsuc1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=456&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Sondage Odoxa Le Figaro, infographie refaite par l’auteur.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Olivier Véran <a href="https://www.bfmtv.com/politique/gouvernement/olivier-veran-en-ne-decidant-pas-un-confinement-generalise-nous-avons-gagne-plusieurs-semaines_VN-202102110382.html">affirmait</a> le 11 février :</p>
<blockquote>
<p>« En ne décidant pas un confinement généralisé […] nous avons gagné plusieurs semaines. »</p>
</blockquote>
<p>La suite de l’épidémie dira si ce fut vraiment un gain de temps.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/155334/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Arnaud Mercier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>De l'incertitude ambiante, le président de la République veut faire une force, en jouant la carte de l’optimisme.Arnaud Mercier, Professeur en Information-Communication à l’Institut Français de presse (Université Paris 2 Panthéon-Assas), Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1519552021-02-16T19:26:20Z2021-02-16T19:26:20ZLa République laïque de Jean‑Luc Mélenchon : un débat qui fracture la gauche et bien plus encore<p>Le président du groupe parlementaire La France insoumise mène actuellement une fronde, sur les bancs de l’Assemblée nationale, contre le projet de loi « séparatisme », finalement rebaptisé « <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b3649_projet-loi">projet de loi</a> confortant le respect des principes de la République ».</p>
<p>Dans son <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Ydx7c_iMOQg">discours du 1ᵉʳ février</a>, Jean‑Luc Mélenchon juge « inutile » et « dangereuse » une loi qui selon lui demanderait aux associations musulmanes de prêter des « serments d’allégeance » à la République.</p>
<blockquote>
<p>« Non, les chemins de la raison ne s’ouvrent pas à la faux. Non, la porte de l’universel ne s’ouvre pas à coups de pied. Non, l’amour de la République, comme tout amour, ne vaut rien sous la menace. »</p>
</blockquote>
<p>Jean‑Luc Mélenchon réaffirme ainsi une conception de la laïcité qui ne doit pas être un « athéisme d’État », imposé par la contrainte, mais une séparation stricte où l’État, « indifférent » à la religion, garantit à chacun une liberté absolue de conscience.</p>
<p>La laïcité a selon lui apporté une contribution historique essentielle à la sortie des guerres de religion en France et son enjeu principal est aujourd’hui encore de garantir « l’unité du pays ».</p>
<p>Or, le député considère que ce projet de loi ouvre au contraire « la porte à un déferlement » contre les musulmans.</p>
<p>Le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/religion/religion-laicite/video-separatismes-eric-dupond-moretti-tres-a-l-aise-avec-un-grand-texte-de-liberte-scandalise-par-jean-luc-melenchon_4284797.html">a réagi en dénonçant un propos</a> « inadmissible » qui, en laissant entendre que le gouvernement « stigmatise » les musulmans, risque de « renforcer l’attraction » exercée sur eux par l’islamisme, ce qui fait « incontestablement » le jeu du « séparatisme ».</p>
<p>Comment cette critique d’une complicité avec l’islamisme s’est-elle imposée et banalisée à l’encontre de Jean‑Luc Mélenchon, alors même que, pendant la plus grande partie de sa vie politique, celui-ci était identifié comme un laïcard républicain virulent et intransigeant ?</p>
<p>Sa rupture avec le journal satirique <em>Charlie Hebdo</em>, parce que ce dernier a été la victime et le symbole du fanatisme abject des djihadistes, est un facteur de poids qui a favorisé ce retournement de sens.</p>
<h2>Charlie Hebdo : Je t’aime… moi non plus</h2>
<p>Le 16 janvier 2015, Jean‑Luc Mélenchon prononce une <a href="https://youtu.be/YhoTiJO55Ew?list=PLnAm9o_Xn_3DIOQdk_pb96lMZL4dWXsBt">oraison funèbre</a> à la mémoire d’un « camarade » qu’il désigne comme un « héros » de la laïcité :</p>
<blockquote>
<p>« Charb, tu as été assassiné par nos plus anciens, nos plus cruels, nos plus constants, nos plus bornés ennemis, les fanatiques religieux ».</p>
</blockquote>
<p>Devant les proches du dessinateur, le tribun adjoint à son propos une promesse : « Charb, ils n’auront jamais le dernier mot ».</p>
<p>Cinq ans plus tard, Charlie Hebdo n’a pas de <a href="https://charliehebdo.fr/2020/11/politique/et-melenchon-inventa-la-machine-a-perdre/">mots assez durs</a> pour accuser le dirigeant insoumis d’avoir <a href="https://www.youtube.com/watch?v=BGNVKHaZAzc">renoncé</a> à ses « positions intransigeantes » sur la laïcité :</p>
<blockquote>
<p>« On est passé de la République à l’indigénisme ».</p>
</blockquote>
<p>En cause : la marche contre l’islamophobie du 10 novembre 2019 jugée « nauséabonde » et la participation du député des Bouches-du-Rhône qualifiée de <a href="https://charliehebdo.fr/2020/08/actualite/message-a-m-melenchon/">« compromission odieuse »</a> avec l’islamisme du fait de la présence de représentants d’associations accusés d’être proches des Frères musulmans.</p>
<p>Le leader insoumis a-t-il vraiment <a href="https://www.marianne.net/agora/les-signatures-de-marianne/marche-contre-islamophobie-melenchon-trahit-charb">« trahi »</a> Charlie et ses propres convictions républicaines ?</p>
<p>Comment comprendre cette polémique autour du candidat à la présidentielle 2022 ?</p>
<h2>Deux gauches irréconciliables sur la laïcité</h2>
<p>Suite à l’attentat de Conflans-Sainte-Honorine et à l’assassinat de Samuel Paty en octobre 2020, à la faveur d’un climat de recherche de coupables politiques, voire de <a href="https://www.acrimed.org/Islamo-gauchistes-une-chasse-aux-sorcieres">« chasse aux sorcières »</a> selon certains, d’autres acteurs se sont engouffrés dans cette fenêtre d’opportunité pour alimenter la même thèse.</p>
<p>Le ministre de l’Éducation nationale Jean‑Michel Blanquer <a href="https://www.lejdd.fr/Politique/hommage-a-samuel-paty-lutte-contre-lislamisme-blanquer-precise-au-jdd-ses-mesures-pour-la-rentree-scolaire-4000971%5D">affirme</a> alors que « Jean‑Luc Mélenchon est un jour républicain et le lendemain islamo-gauchiste ! » et qu’il restera « dans l’Histoire […] pour cette trahison ».</p>
<p>La maire de Paris Anne Hidalgo fait alors de ces <a href="https://www.dailymotion.com/video/x7xmgrf">« ambiguïtés »</a> avec le cadre républicain son principal argument pour rejeter la candidature de Jean‑Luc Mélenchon en 2022.</p>
<p>La virulence et la gravité de ces accusations ne doivent pas faire oublier que le dirigeant insoumis est loin d’être le seul à avoir soutenu la marche contre l’islamophobie du 10 novembre 2019.</p>
<p>L’appel <a href="https://www.liberation.fr/debats/2019/11/01/le-10-novembre-a-paris-nous-dirons-stop-a-l-islamophobie_1760768">a été signé</a> par une très vaste palette d’organisations et de figures de la gauche politique, syndicale, associative et médiatique.</p>
<p>Le Parti socialiste (PS) est en fait le seul parti de gauche notable qui n’ait ni appelé ni participé à cette manifestation. C’est dire que les attaques à l’encontre de Jean‑Luc Mélenchon participent en fait surtout d’une <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/12/07/islamisme-separatisme-l-offensive-payante-des-laicards_6062429_3224.html">« offensive payante des “laïcards” »</a>, comme l’écrit le journal <em>Le Monde</em>, et du creusement d’un fossé de plus en plus abyssal entre deux gauches irréconciliables : l’une est accusée d’avoir transformé le combat laïc en cheval de Troie de la haine des musulmans et elle désigne l’autre comme la complice de réactionnaires religieux voire du terrorisme djihadiste lui-même.</p>
<h2>Laïcité et défense des musulmans : une étroite ligne de crête</h2>
<p>Jean‑Luc Mélenchon, dont l’ambition politique affichée <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2008/11/07/jean-luc-melenchon-quitte-le-ps_1115955_823448.html">depuis qu’il a quitté le PS en 2008</a> est de refonder politiquement la gauche et le peuple, dit vouloir éviter le piège de cette opposition stérile.</p>
<p>Il affirme vouloir ouvrir la voie d’une ligne de crête entre les deux « camps » de cette « guerre des gauches ».</p>
<p>Une démarche que ne renierait pas le député européen <a href="https://www.liberation.fr/france/2020/10/23/la-gauche-face-a-l-islam-trente-ans-de-divisions_18033601">Raphaël Glucksmann</a> quand celui-ci déclare que la gauche doit cesser d’être « borgne » :</p>
<blockquote>
<p>« Elle doit être radicalement anti-intégriste et antiraciste. La gauche doit voir le problème avec ses deux yeux. »</p>
</blockquote>
<p>Cette double préoccupation est déjà présente en 2004 chez Jean‑Luc Mélenchon. Au nom de la lutte contre le « communautarisme », le sénateur finit par trancher pour l’interdiction du voile à l’école (et 10 ans plus tard, il considère encore qu’il s’agit d’un <a href="https://www.ktotv.com/video/00092690/jean-luc-melenchon">« signe de soumission »</a> des femmes).</p>
<p>Pourtant, celui qui est alors identifié comme un « laïcard » virulent rencontre déjà des difficultés à se positionner dans un débat dès 2004 <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/causes-republicaines-jean-luc-melenchon/9782020631518">dans l'ouvrage <em>Causes républicaines</em> paru au Seuil</a> « piégé » par les « instrumentalisations racistes » de la laïcité. Dès 2004, il écrit :</p>
<blockquote>
<p>« Pour être franc, je n’aimais pas l’idée d’une loi contre le port du voile à l’école […], je sentais autour du débat la présence répugnante des arabophobes, cohorte sournoise de la haine. »</p>
</blockquote>
<p>De même, lors de la <a href="https://www.leparisien.fr/hauts-de-seine-92/clichy-92110/prieres-de-rue-a-clichy-15-ans-de-polemique-locale-devenue-affaire-nationale-23-11-2017-7410858.php">polémique</a> autour des « prières de rue musulmanes » en 2010, expression fortement médiatisée <a href="https://www.liberation.fr/societe/2010/12/22/prieres-de-rue-les-fideles-dans-l-impasse_702363/">à l’époque</a>, le dirigeant du Parti de gauche (PG) s’en prend à la présidente du FN qui compare le phénomène à l’occupation nazie mais il affirme :</p>
<blockquote>
<p>« Pour autant, condamner les délires de Le Pen ce n’est pas s’accommoder des prières dans la rue. »</p>
</blockquote>
<p>Le combat antiraciste ne doit pas introduire, par un effet de compensation et de « façon insidieuse », l’idée que « l’intransigeance laïque » conduirait « au racisme ou à “l’islamophobie” ».</p>
<h2>La défense d’une « laïcité étendue »</h2>
<p>On peut observer une constance dans le parcours politique de Jean‑Luc Mélenchon : il ne considère pas « que le problème essentiel de la France ce soit <a href="http://www.jean-luc-melenchon.fr/2015/03/04/avant-lorage">l’antisémitisme et l’islamisme »</a>, auxquels on consacre des « émissions non-stop » dans <a href="http://www.jean-luc-melenchon.fr/2015/02/17/censurer-le-chantage/">« un gavage sans fin »</a>.</p>
<p>En 2004, la principale menace n’émane pas selon lui du voile islamique mais des régionalistes corses et bretons qui revendiquent un droit « communautariste » dérogatoire.</p>
<p>Le sénateur prône alors une « laïcité étendue » contre ces « nouveaux fronts » prioritaires. Il se dit même excédé « de voir la seule vindicte antireligieuse tenir lieu de discours de référence laïque. »</p>
<p>Il affirme aussi que l’Église catholique, du fait de l’histoire, du concordat, et de son influence politique, représente une <a href="http://www.jean-luc-melenchon.fr/2010/12/14/madame-le-pen-est-le-diable-de-confort-du-systeme/">menace bien plus sérieuse</a> pour la laïcité que le culte musulman.</p>
<p>En 2020, il n’existe <a href="https://www.youtube.com/watch?v=0Ve_Sh3BtQE">selon lui</a> en France aucun « parti de masse qui serait le djihadisme terroriste ou bien même l’islamisme politique ».</p>
<p>Il juge ces phénomènes très minoritaires, privés de représentation électorale et donc loin de représenter une menace sérieuse pour la laïcité.</p>
<p>Ces prises de position tendent à rejoindre Olivier Roy quand le politiste souligne qu’il n’y a jamais eu en France un <a href="https://www.sciencespo.fr/evenements/?event=chaire-louis-massignon-la-foi-contre-lidentite-le-religieux-dans-les-guerres-culturelles">degré de consensus aussi élevé qu’aujourd’hui</a> sur la laïcité, puisqu’elle est défendue d’un bout à l’autre du champ partisan.</p>
<h2>Antiracisme, islamophobie : le pouvoir des mots</h2>
<p>Les propos de Jean‑Luc Mélenchon témoignent en fait d’une cohérence de long cours quand il affirme :</p>
<blockquote>
<p>« La laïcité, ce n’est pas la haine d’une religion. L’État laïc, ce n’est pas un athéisme d’État. »</p>
</blockquote>
<p>Mais ce qui a évolué en revanche est son rapport à un ensemble de mots et concepts antiracistes.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/3qHqPceAbrs?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">L’État laïc, ce n’est pas un athéisme d’État.</span></figcaption>
</figure>
<p>En mars 2015, le PG ne participe pas à un meeting à Saint-Denis (co-organisé entre autres par le NPA, le PCF, EELV, mais aussi par le PIR, le CCIF et l’UOIF) contre « l’islamophobie », car comme <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/politique/ce-meeting-contre-l-islamophobie-qui-divise-la-gauche_1658750.html">l’explique</a> le communicant et coordinateur du PG Eric Coquerel : Avec ce terme, il « est difficile en effet de faire la part entre la libre critique de la religion et le racisme ».</p>
<p>Jean‑Luc Mélenchon confirme ce point de vue huit mois plus tard.</p>
<p></p><blockquote><p>Je conteste le terme d'islamophobie. On a le droit de ne pas aimer l'islam comme on a le droit de ne pas aimer le catholicisme. <a href="https://twitter.com/hashtag/SLT?src=hash&ref_src=twsrc%5Etfw">#SLT</a></p>— Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) <a href="https://twitter.com/JLMelenchon/status/668138652552331264?ref_src=twsrc%5Etfw">November 21, 2015</a></blockquote> <p></p>
<p>En novembre 2020, le député insoumis préfère toujours parler de « haine des musulmans » plutôt que d’islamophobie mais cette préférence lexicale ne justifie plus, à elle seule, une absence de soutien aux militants qui combattent le racisme en employant le terme « islamophobie » :</p>
<blockquote>
<p>« La vie n’est pas une partie de Scrabble » et « ceux qui font des pinailles sur les mots offrent des diversions, c’est tout, et rien d’autre. »</p>
</blockquote>
<p>La défense des victimes du racisme est désormais jugée prioritaire sur le choix des concepts qui servent à désigner ce combat. Le terme d’ailleurs ne serait finalement « pas si inadapté que ça » pour décrire</p>
<blockquote>
<p>« la phobie […] des gens qui deviennent fous quand ils voient des musulmans ou qu’ils voient une mosquée ».</p>
</blockquote>
<p>Jean‑Luc Mélenchon <a href="https://www.youtube.com/watch?v=3qHqPceAbrs">affirme</a> avoir évolué en constatant que les musulmans ne considéraient pas le terme islamophobie comme une tentative d’interdire la critique de l’islam mais comme un moyen de les stigmatiser.</p>
<h2>Une prise de conscience d’un décalage avec les musulmans</h2>
<p>C’est donc la prise de conscience de son décalage vis-à-vis d’« opprimés » que le « tribun du peuple » se devrait de représenter, qui justifie ce revirement chez Jean‑Luc Mélenchon.</p>
<p>À l’encontre d’une vision nominaliste qui voudrait que la vérité d’un mot soit inscrite objectivement en lui, c’est ici une conception privilégiant ses usages sociaux qui l’emporte : le terme « islamophobie » serait essentiellement devenu un objet de conflit entre ceux qui stigmatisent les musulmans et ceux qui leur résistent.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/TUDBEWk8lTM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Une conférence du philosophe Henri Peña-Ruiz proche de Jean‑Luc Melenchon en 2019.</span></figcaption>
</figure>
<p>Cette conception est dénoncée comme relativiste et <a href="https://www.marianne.net/agora/humeurs/l-universalisme-seule-boussole-de-l-antiracisme-le-philosophe-henri-pena-ruiz">contestée</a> par Henri Peña-Ruiz, le philosophe qui faisait anciennement autorité au sein du PG sur la question de la laïcité (et qui se retrouve aujourd’hui désavoué par le leader insoumis) :</p>
<blockquote>
<p>« S’incliner devant une expression partisane et fausse sous prétexte qu’elle est répandue c’est renoncer à une clarification idéologique nécessaire ».</p>
</blockquote>
<p>Pour le philosophe, admettre le concept d’islamophobie, c’est accepter un glissement du combat antiraciste sur un terrain religieux qui lui est étranger et qui le défigure.</p>
<p>Il est certain que, malgré la participation de nombreuses organisations progressistes à la marche du 10 novembre 2019, le dirigeant insoumis n’est pas parvenu à imposer dans le débat public <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Ydx7c_iMOQg">sa propre définition de l’événement</a> : une « manifestation de fraternité du peuple français qui s’est achevée par une Marseillaise vibrante ».</p>
<p>L’attaque de la mosquée de Bayonne est restée absente des débats et le thème de la trahison « islamo-gauchiste », jusque-là cantonné à <a href="https://www.huffingtonpost.fr/2012/05/30/faux-tracts-de-melenchon-arabe-double-plainte-fn-fg_n_1554942.html">l’extrême droite</a>, a fait une percée inédite au sein de la majorité, de ses alliés et de nombreux acteurs médiatiques légitimes.</p>
<p>Le politiste Samuel Hayat <a href="https://www.nouvelobs.com/idees/20201027.OBS35262/l-islamo-gauchisme-comment-ne-nait-pas-une-ideologie.html">compare</a> ce phénomène à la rhétorique du « judéo-bolchévisme » qui a consisté au début du XX<sup>e</sup> siècle à « utiliser le climat antisémite très répandu » pour attaquer la gauche.</p>
<h2>Le multiculturalisme est un fait</h2>
<p>Dans l’idéal mélenchonien, la laïcité à la française ne doit pas s’opposer au multiculturalisme.</p>
<p>La laïcité n’y est pas considérée comme l’élément d’un modèle <em>culturel</em> assimilationniste mais comme un principe d’unité <em>politique</em> de la communauté souveraine, reposant sur l’égalité absolue de tous les citoyens devant une loi indivisible.</p>
<p>La République laïque doit assurer une protection des individus en situation minoritaire. Dès 2000, <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/144842-tribune-de-m-jean-luc-melenchon-ministre-delegue-lenseignement-prof">le sénateur écrit</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Le droit à une identité culturelle personnelle a un préalable : la laïcité absolue de l’État. »</p>
</blockquote>
<p>Dans cette perspective, la République laïque est le bien de ceux qui n’en ont aucun autre, qui sont exclus de la propriété matérielle comme de l’appartenance ethnique au « clan » ou à la « race » majoritaire.</p>
<p>Cette dimension est fondamentale pour ce pied-noir né à Tanger qui se considère comme un immigré maghrébin déraciné et privé de tout terroir. Ce raisonnement est explicité par Raquel Garrido :</p>
<blockquote>
<p>« Quand tu es immigré, il n’y a rien de plus solide que l’histoire républicaine des Français pour faire corps avec le reste de [la population]. »</p>
</blockquote>
<p>(Entretien avec l’auteur du présent article, 12 août 2020)</p>
<p>En 2011, <a href="http://www.jean-luc-melenchon.fr/2011/02/20/hallucinations/">Mélenchon affirme</a> à l’encontre du président Nicolas Sarkozy : </p>
<blockquote>
<p>« De toute façon le multiculturalisme est un fait. […] Ce qui n’est pas un fait c’est que cela fonde des droits politiques. »</p>
</blockquote>
<p>Voici comment le propos <a href="https://www.youtube.com/watch ?v=OH2wsQQKDlA">est reformulé</a> en 2020 dans une critique destinée cette fois-ci à Emmanuel Macron :</p>
<blockquote>
<p>« Le communautarisme, ce n’est pas la pratique d’une communauté […]. Nombre de Français participent à des communautés de toutes sortes et pas seulement religieuses […]. Le communautarisme c’est précisément quand une communauté décide que les règles qu’elle veut s’appliquer à elle-même s’appliquent contre les lois et en dépit de ce qu’en pensent les membres de cette communauté. […] Le communautarisme est notre adversaire en toutes circonstances. »</p>
</blockquote>
<p>On retrouve dans cette citation l’idée qu’il faut protéger les individus contre des communautés qui voudraient de force les embrigader juridiquement comme leurs « membres ».</p>
<h2>Du particulier à l’universel : la « créolisation »</h2>
<p>En septembre 2020, Jean‑Luc Mélenchon emprunte le concept de « créolisation » au philosophe martiniquais <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Blanche/Traite-du-Tout-Monde">Édouard Glissant</a>.</p>
<p>Il cherche ainsi à décrire un fait sociologique objectif résultant du « métissage » des arts et des langages, un choc permanent des cultures dans une société qui ne peut jamais connaître d’état stationnaire.</p>
<p>Ce qui est <a href="https://www.nouvelobs.com/debat/20200925.OBS33823/tribune-jean-luc-melenchon-la-creolisation-n-est-pas-un-projet-ou-un-programme-c-est-un-fait.html">nouveau</a> chez le dirigeant insoumis, outre l’emploi du mot, est que cette « créolisation » sert à désigner « le chaînon manquant entre l’universalisme dont [il se] réclame et la réalité vécue qui le dément ».</p>
<p>Ce n’est donc pas l’assimilation à une norme dominante donnée <em>a priori</em> mais le mouvement historique de créolisation entre différents groupes humains qui constitue le processus réel de progression vers « l’homme universel qui peut-être bien n’existera jamais, mais qui est un point d’horizon vers lequel il est possible de se diriger, de cœur et d’esprit »</p>
<p>L’universalisme abstrait dont le député insoumis est depuis longtemps le défenseur ne doit plus occulter la réalité des différences ni invisibiliser le tort subi par les dominés qui en sont exclus.</p>
<p>Mais si Jean‑Luc Mélenchon a conscience que l’existence d’inégalités et de discriminations contredit constamment l’universalisme, cela ne doit jamais conduire à abandonner ce dernier au motif qu’il serait un mythe.</p>
<p>En 2012, il <a href="http://www.jean-luc-melenchon.fr/2015/09/29/le-populisme-conversations-politiques-entre-laclaud-mouffe-et-melenchon/">affirme</a> déjà que la devise républicaine est « un mensonge, car il n’y a pas de liberté, ni d’égalité ni de fraternité dans cette société. »</p>
<p>Pour autant, elle ne doit pas être abandonnée, au contraire, elle est le symbole qui doit être constamment brandi pour chercher à en rapprocher le plus possible la réalité.</p>
<p>Au Karl Marx de <em>La Question juive</em> qui rejette les droits de l’Homme comme une mystification bourgeoise dissimulant l’exploitation, Jean‑Luc Mélenchon semble alors préférer le philosophe <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-essais/Aux-bords-du-politique">Jacques Rancière</a> qui souligne l’efficacité et la performativité de la « phrase égalitaire » : affirmer et croire en une égalité qui n’existe pas encore est le seul moyen de la faire progresser dans la réalité.</p>
<hr>
<p><em>L'auteur réalise sa thèse sous la direction de Frédéric Sawicki.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/151955/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Valentin Soubise ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment Jean‑Luc Mélenchon se positionne-t-il sur la laïcité ? Et pourquoi certains le jugent-ils polémique ?Valentin Soubise, Doctorant en science politique, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1545812021-02-08T20:14:16Z2021-02-08T20:14:16ZCulture en Amérique : des désastres à l’espoir<p>Le secteur culturel américain sort exsangue de deux désastres : la politique de Donald Trump et la pandémie. L’élection de Joe Biden suscite un grand espoir, mais la route est encore longue pour sortir de cette crise sans précédent.</p>
<p>Donald Trump, sa famille, son entourage et son administration ont représenté et revendiqué une forme aiguë d’anti-intellectualisme, ce mal typiquement américain identifié comme « un ressentiment envers la vie de l’esprit et ceux qui en sont considérés comme ses représentants, et une disposition à minimiser constamment la valeur de cette activité » par le grand historien Richard Hofstadter.</p>
<p><a href="https://ia802903.us.archive.org/6/items/richard-hofstadter-anti-intellectualism-in-american-life-vintage-1966/Richard%20Hofstadter%20-%20Anti-Intellectualism%20in%20American%20Life-Vintage%20%281966%29.pdf">Dans un livre fondateur</a>, couronné par le Prix Pulizer en 1964, Hofstadter trouve en partie les racines de ce mal dans le protestantisme évangélique américain qui privilégie l’esprit et l’émotion à la rigueur intellectuelle.</p>
<h2>La fin du cauchemar de l’anti-intellectualisme</h2>
<p>Par calcul politique et inclinaison personnelle, le <a href="https://www.shondaland.com/act/a34761670/the-rise-of-anti-intellectualism/">président sortant</a> a revendiqué haut et fort son désintérêt total voire son hostilité pour la chose culturelle, dont les tenants et acteurs sont systématiquement jugés beaucoup trop à gauche par la droite républicaine. Trump avait même fait de l’arrêt de tout financement fédéral de la culture une <a href="https://www.nytimes.com/2020/10/30/arts/biden-arts-culture.html">promesse de campagne</a>.</p>
<p>Ce rejet est nourri par une intolérance réciproque : il est devenu <a href="https://thehill.com/opinion/technology/487640-hooray-for-hollywood-unless-youre-a-conservative">professionnellement suicidaire</a> pour tout membre de la sphère culturelle et médiatique de se présenter comme soutien de l’ancien président. L’acteur Antonio Sabato, Jr. a déclaré récemment que ce soutien avait effectivement détruit sa carrière : « J’ai été mis sur la liste noire. Tous mes représentants m’ont quitté, des agents aux managers. J’ai littéralement dû déménager, trouver un nouvel emploi pour survivre et m’occuper de mes enfants. C’est terrible. C’est époustouflant. C’est une honte. C’est difficile, car si vous êtes dans cet environnement à Hollywood et que vous avez quelque chose à dire qu’ils n’aiment pas, ils vont vous le faire savoir. » Le placard politique est maintenant une nécessité pour beaucoup dans une industrie qui est parmi les plus à gauche du pays.</p>
<p>Affirmer que la communauté artistique américaine est soulagée par le départ de Trump est un euphémisme. « Notre long cauchemar national s’achève » <a href="https://www.theartnewspaper.com/news/art-world-rejoices-in-biden-s-win-of-us-presidency">déclare l’artiste peintre Deborah Kass</a>. « L’élection a été un triomphe pour notre pays et pour la démocratie », ajoute Robert Lynch, président du groupe de pression American for the Arts. De fait, la mobilisation des communautés artistiques pour élire Joseph Biden Jr. et Kamala Harris a été sans précèdent. Durant sa campagne, ils ont ainsi reçu le soutien d’une multitude de <a href="https://www.theguardian.com/culture/2020/nov/13/joe-biden-arts-culture-us-president">célébrités</a> : Bruce Springsteen, Brad Pitt, Taylor Swift, John Legend, George Clooney, Lady Gaga, Tom Hanks, Billie Eillish, Jennifer Hudson, Dwayne Johnson et bien d’autres encore.</p>
<p>Que signifie, pour le secteur, « en ce moment périlleux, d’avoir quelqu’un dans le Bureau ovale qui considère la culture comme essentielle […] <a href="https://www.bostonglobe.com/2021/02/04/arts/what-president-biden-can-do-save-arts/">La réponse est courte :potentiellement tout</a>. ». Dans la tradition démocrate, de Kennedy à Obama, les attentes de célébration de la puissance symbolique de l’art sont à leur comble en ce début du mandat de Biden.</p>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/CHJ5-5VFZqI/ ?utm_source=ig_web_copy_link","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<h2>Un secteur culturel dévasté par la pandémie</h2>
<p>Mais <a href="https://www.theartnewspaper.com/news/art-world-rejoices-in-biden-s-win-of-us-presidency">« la réalité modère le soulagement »</a> comme le déclare l’artiste William Powhida. « La tâche qui attend cette administration est immense : pandémie, racisme et changement climatique dans un pays profondément divisé. »</p>
<p>Le secteur culturel a été <a href="https://www.nytimes.com/2021/01/13/arts/design/arts-stimulus-biden.html">dévasté</a> par la situation sanitaire. Dès les premiers mois de la pandémie, le taux de chômage parmi les artistes a dépassé 60 %. Les créateurs sont confrontés à des taux de chômage bien supérieurs à la moyenne nationale – plus de 52 % des acteurs et 55 % des danseurs étaient sans travail au troisième trimestre de l’année, à un moment où le taux de chômage national était de 8,5 %.</p>
<p>En Californie, les domaines des arts et du divertissement ont même généré un pourcentage plus élevé de demandes de chômage que le secteur de l’hôtellerie. Plusieurs centaines de salles de musique indépendantes ont déjà fait faillite ; nombre de galeries d’art et de compagnies de danse ont elles aussi définitivement fermé leurs portes. Et la crise n’affecte pas que les artistes. Les industries culturelles américaines emploient 5,1 millions de personnes, et 95 % d’entre elles ont déclaré une perte significative de revenu. Un désastre pour un secteur économique qui représente plus de 4,5 % du produit intérieur brut du pays, selon le <a href="https://www.bea.gov/data/special-topics/arts-and-culture">Bureau of Economic Analysis des États-Unis</a>.</p>
<p>Dans cette phase d’intense crise économique, le secteur craint de passer encore pour la cinquième roue du carrosse. Les organisations telles qu’American for the Arts se mobilisent pour que les arts soient inclus dans le plan de relance de près de deux trillions de dollars que la nouvelle administration entend bientôt présenter au Congrès américain (Chambre des Représentants et Sénat). Mais la majorité démocrate y sera très courte, et l’opposition républicaine probablement féroce.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/l8v6DcsDsfA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Présidentielle américaine : « La pandémie a doublé le chômage aux États-Unis ».</span></figcaption>
</figure>
<p>On reparle de la <a href="https://www.washingtonpost.com/entertainment/biden-fauci-secretary-of-arts-cabinet-post/2020/12/01/a04f3bf8-2da3-11eb-bae0-50bb17126614_story.html">création d’un ministère de la culture</a>, sans vraiment trop y croire ou même le souhaiter : « Dans les pays en déclin démocratique – catégorie dans laquelle, après le siège du Capitole, je lutte pour ne pas inclure les États-Unis – les ministères de la Culture sont récemment devenus des instruments de <a href="https://www.theguardian.com/culture/2020/nov/13/joe-biden-arts-culture-us-president">colère politique</a> » constate Jason Farago, critique artistique du <em>New York Times</em>. « En Pologne, régie par le parti de droite Droit et justice, le ministre de la Culture a licencié ou refusé de renommer de nombreux directeurs de musée ; l’année dernière, il a nommé un compagnon de voyage d’extrême droite à la tête du principal centre d’art contemporain de Varsovie. Le gouvernement hongrois a utilisé ses règles de financement pour contrôler ce qui apparaît sur les scènes de théâtre ; au Brésil, le dernier ministre de la Culture a repris la rhétorique de Joseph Goebbels. Un ministère de la Culture, sous une future présidence américaine, pourrait être aussi antagoniste à la culture que l’Agence de protection de l’environnement de l’administration sortante l’a été pour la protection de l’environnement ».</p>
<h2>L’espoir Biden</h2>
<p>Tout au long de sa campagne, le nouveau président a vanté le New Deal de Franklin D. Roosevelt comme modèle de renouveau américain. Pour que l’administration fasse preuve de cette sorte de résolution rooseveltienne – et, avec le contrôle du Sénat, elle peut se le permettre – elle va devoir soutenir financièrement des millions d’Américains et parmi eux des artistes, des musiciens et des acteurs. « Bon sang, ils doivent manger comme les autres », déclara Harry Hopkins, Ministre du Commerce du gouvernement Roosevelt, quand un fonctionnaire lui demanda si les artistes méritaient un soutien fédéral.</p>
<p>La pression s’accentue sur l’administration Biden pour qu’elle agisse rapidement afin de soulager le secteur artistique en difficulté, notamment en rouvrant les lieux culturels fermés, en assurant la santé de la National Endowment for the Arts et par diverses mesures de soutien. <a href="https://www.bostonglobe.com/2021/02/04/arts/what-president-biden-can-do-save-arts/">« Nous avons besoin d’aide maintenant »</a>, demande par exemple le dramaturge Jeremy O. Harris (auteur de <em>Slave Play</em>) avec un programme national sur le modèle du projet de théâtre fédéral de l’époque du New Deal.</p>
<p>Joe Biden n’a pas une réputation d’esthète, mais il a toujours compris l’intérêt économique, social et politique du secteur artistique. Bien qu’il n’ait jamais fait de la culture un élément important de ses propositions de loi au sénat, il a souvent voté en faveur du soutien et du financement du secteur. Vice-président pendant la crise économique de 2008, il a fait débloquer une enveloppe de 50 millions de dollars pour soutenir le secteur artistique, contre l’avis du Sénat. <a href="https://www.nytimes.com/2020/08/18/us/elections/the-zoom-where-it-happens-biden-speaks-with-lin-manuel-miranda-about-the-latino-vote.html">Dans un récent entretien</a>, <a href="https://twitter.com/FR_Conversation/status/1327111379212525568">Biden</a> a déclaré : « les arts sont le futur de ce que nous sommes. Ils sont le reflet de notre âme ». Bien qu’il soit trop tôt pour définir précisément quelle sera la relation de cette nouvelle administration avec le secteur culturel, elle ne peut être que meilleure que celle entretenue par <a href="https://news.harvard.edu/gazette/story/2020/12/the-arts-may-heal-under-biden-harris-administration-say-experts/">l’administration sortante</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1351995663475728386"}"></div></p>
<p>Amanda Gorman, la jeune <a href="https://edition.cnn.com/2021/01/20/politics/amanda-gorman-inaugural-poem-transcript/index.html">poétesse</a> afro-américaine qui fut la révélation des cérémonies d’investiture de la nouvelle administration, est peut-être le plus beau symbole de cette fin des hostilités entre pouvoir et culture. À peine 22 ans et déjà lauréate du concours national du jeune auteur de poésie en 2017, elle est devenue la plus jeune poète à écrire et à réciter une de ses œuvres lors d’une investiture présidentielle, suivant les traces plus expérimentées de Maya Angelou et Robert Frost. Et ses mots de renouer avec l’éternel optimisme américain :</p>
<blockquote>
<p>« D’une manière ou d’une autre,<br>
nous avons résisté et vu<br>
une nation qui n’est pas brisée,<br>
mais simplement inachevée.<br>
Nous les successeurs d’un pays et d’un temps<br>
où une frêle fille noire,<br>
descendante d’esclaves<br>
et élevée par une mère célibataire,<br>
peut rêver de <a href="https://www.cnn.com/2021/01/20/politics/amanda-gorman-inaugural-poem-transcript/index.html">devenir présidente</a>. »</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/154581/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le monde de la culture américaine est fortement touché par la Covid-19. Si Donald Trump n’a pas apporté de solutions, Joe Biden apparaît comme une source d’espoir pour la sphère culturelle.Anne Gombault, Professeur de management stratégique, directrice des programmes du MSc Arts & Creative Industries Management à Paris et de la partie française de l'Institut Franco-Chinois de Management des Arts et du Design à Shanghai, Kedge Business SchoolPhilippe Ravanas, Professeur Agrégé et Titulaire Emérite de la Chaire de Gestion des Arts du Columbia College de Chicago. Professeur Invité de l'Académie Centrale d'Art Dramatique de Pékin, d'HEC Montréal et de Kedge Business School., Columbia College ChicagoLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1539882021-01-28T18:08:31Z2021-01-28T18:08:31ZLe message suprémaciste blanc en France : un nouveau discours et de nouveaux outils de diffusion<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/381058/original/file-20210128-13-1kgiopk.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C10%2C2380%2C1236&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Différents épisodes de la chaîne Youtube de Julien Rochedy, ancien président du Front National de la jeunesse.</span> <span class="attribution"><span class="source">Author</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Gérald Darmanin a pour la première fois <a href="https://twitter.com/GDarmanin/status/1353989650596188164?s=20">réagi</a> à la dernière <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/01/26/gerald-darmanin-met-a-l-etude-la-dissolution-de-generation-identitaire_6067638_3224.html">« opération antimigrants »</a> de Génération identitaire. Ce mouvement politique qui se propose de résister contre <a href="https://generationidentitaire.org/le-mouvement">« la racaille », « le raz de marée de l’immigration massive » et « l’uniformisation des peuples »</a> n’est pas une exception politique en France.</p>
<p>Depuis la médiatisation l’été dernier des discours critiques à l’égard du racisme systémique et de la colonisation, sont en même temps apparus des mouvements radicaux d’opposition, qui refusent le débat démocratique sur ces questions.</p>
<p>À la manière des <a href="https://theconversation.com/mrs-america-portrait-dune-antifeministe-redoutable-et-controversee-137297">antiféministes</a>, les mouvements <a href="https://journals.openedition.org/labyrinthe/1251">post-coloniaux</a> ont leurs anti-post-colonialistes, leur anti-anti-racistes. Si les formules sont maladroites pour désigner ces groupes qui promeuvent publiquement des opinions racistes, c’est qu’il est bien difficile pour les sciences sociales de les identifier et de les analyser.</p>
<p>Beaucoup de journalistes, et parfois même des universitaires, utilisent le terme <a href="https://larevuedesmedias.ina.fr/fachosphere-lextreme-droite-envahit-le-net">fachosphère</a>, pour désigner de manière vague les personnes qui défendent des idées d’extrême droite. Le terme viendrait de Daniel Schneidermann qui se revendique en être l’auteur dans un <a href="https://editions.flammarion.com/la-fachosphere/9782081354906">entretien</a> mené par Dominique Albertini et David Doucet.</p>
<h2>Que veut dire « fachosphère » ?</h2>
<p>Le terme fachosphère est en soi l’objet d’une controverse. Pour ses utilisateurs, il est une façon de <a href="https://editions.flammarion.com/la-fachosphere/9782081354906">dénoncer l’extrême droite</a> dans ce qu’elle a plus diversifié. Pour les intéressés, il s’agit d’une insulte, et ces derniers préfèrent identifier leur activité comme une opération de réinforamation face à une « vague de médias gauchos », d’où l’expression « réinfosphère ».</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ExEX48nkNYU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Politique : La « Fachosphère » a-t-elle gagné la bataille du Net ?</span></figcaption>
</figure>
<p>Dans la fachosphère, on retrouve des groupuscules néonazis bien sûr, mais aussi des masculinistes, des antiféministes en tout genre, des catholiques intégristes, des impérialistes, des royalistes, des personnes désirant la fin de la république, d’autres voulant une république plus autoritaire. Le seul point commun de tous ces groupes est finalement qu’ils sont <a href="https://lahorde.samizdat.net/cartographie-de-lextreme-droite-francaise-mise-a-jour-hiver-2019-2020">perçus comme un tout</a> par les acteurs de gauche en général.</p>
<p>Le terme fachosphère est donc davantage utilisé dans un cadre militant, surtout pour discréditer le discours de l’adversaire. Il est donc impératif de trouver un autre outil conceptuel, plus précis afin de nommer et de mener à bien l’analyse d’un phénomène aux dynamiques complexes : celui de la diffusion sur Internet d’un rejet radical des débats autour des questions postcoloniales.</p>
<h2>Parler de suprémacisme plutôt que de fachosphère</h2>
<p>Dans un travail qui sera publié en juillet, je propose d’utiliser le terme suprémacisme. Si en Europe et particulièrement en France, il est peu utilisé, il semble être le plus à même de définir l’esprit « antipostcolonial » d’une partie de la fachosphère.</p>
<p>En effet, ses acteurs ne font pas seulement une critique des théories postcoloniales (ce qui serait légitime dans un cadre démocratique), mais ils rejettent les questions posées par ces théories ainsi que toute possibilité de débat en affirmant une position de supériorité « naturelle ou morale » de la culture majoritaire occidentale blanche.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/hWuF5NW_ito?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Qui sont les suprémacistes blancs ?</span></figcaption>
</figure>
<p>Le suprémacisme est un concept fortement connoté en France qui évoque immédiatement les grands prêtres à capuches blanches du Ku Klux Klan. Pourtant, le terme désigne avant tout un type de discours bien particulier. Deux éléments composent <a href="https://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2006-1-page-97.htm">ce discours</a> : une croyance en l’existence biologique de races chez les humains, et une hiérarchisation de celles-ci qui conduit à placer la « race blanche » au-dessus de toutes les autres.</p>
<p><a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-cours-de-lhistoire/les-interminables-combats-pour-legalite-aux-etats-unis-24-le-supremacisme-blanc-le-mal-persistant-de">Le suprémacisme</a> n’est donc pas seulement un discours raciste. Il s’agit de penser que la couleur de peau permet de comprendre le comportement des individus, car elle le détermine. De là, le discours suprémaciste va induire une hiérarchie entre des humains ou cultures plus civilisés que d’autres, plus <a href="https://www.intelligence-humaine.com/europeens/">intelligents que d’autres</a>.</p>
<h2>Les nouveaux discours suprémacistes</h2>
<p>Certaines organisations de surveillance du suprémacisme états-unien font état d’une évolution de cette approche classique.</p>
<p>Par exemple, la <a href="https://www.adl.org/">Anti-Defamation League</a> (ADL) révèle l’existence d’un suprémacisme qui serait davantage dans la posture <a href="https://www.researchgate.net/publication/270024931_Introduction_Interculturalism_Ethnocentrism_and_Dialogue">victimaire</a> :</p>
<blockquote>
<p>« L’idéologie de la suprématie blanche aux États-Unis est aujourd’hui dominée par la croyance que la race blanche est condamnée à l’extinction par une marée montante de non-blancs […] à moins que des contre-mesures ne soient prises immédiatement. »</p>
</blockquote>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1352711733454934016"}"></div></p>
<p>Cette posture victimaire est également très présente dans l’espace Internet français. Le discours suprémaciste ne s’exprime plus aujourd’hui comme il s’exprimait au XIX<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>La supériorité de la prétendue race blanche est évoquée indirectement par un discours qui cherche à convaincre de l’existence d’une guerre des « races » ou des « civilisations » dont l’objectif serait l’extermination des blancs.</p>
<h2>Un exemple de suprémacisme français</h2>
<p>Le suprémacisme blanc connaît une sophistication qui peut s’observer depuis quelques années, notamment par la diffusion de ses thèses sur les chaînes vidéo.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/u61iVvV0dCY?wmode=transparent&start=306" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Ainsi, un des YouTubers suivis lors de mon enquête, <a href="https://www.ouest-france.fr/politique/front-national-lex-president-des-jeunes-julien-rochedy-demissionne-3492037">Julien Rochedy</a>, ancien président de la section jeune du FN, utilise une posture académique pour justifier une thèse suprémaciste.</p>
<p>Il s’appuie sur les travaux de <a href="https://www.lhistoire.fr/classique/%C2%AB%C2%A0le-chrysanth%C3%A8me-et-le-sabre%C2%A0%C2%BB-de-ruth-benedict">Ruth Benedict</a> afin de montrer en quoi les occidentaux blancs ont une supériorité morale par rapport aux « autres civilisations » qui seraient « primitives ». Pour lui, la culpabilité est une qualité morale dont les occidentaux ont hérité et qui est aujourd’hui manipulée par « certaines personnes issues d’autres cultures » afin de faire du profit sur le dos des blancs.</p>
<p>Julien Rochedy concède que si cette stratégie est efficace, elle ne peut pas durer, car la situation va finir par « exploser au visage de ceux qui l’utilisent » avant de terminer en rappelant que « quand l’homme occidental s’énerve, en général c’est très sérieux », avec pour illustration une explosion nucléaire.</p>
<p>Dans cette vidéo, Julien Rochedy ne tient pas un propos fasciste, même si dans une autre vidéo publiée par la suite, le 9 septembre 2020 il en <a href="https://www.youtube.com/watch?v=RR_uOnr8qWQ">revendique l’étiquette</a>. Il développe une pensée suprémaciste élaborée et argumentée. Il construit son propos sous couvert de scientisme afin d’être audible sur un média qui touche un large public. On est loin des processions à comité réduit du Ku Klux Klan.</p>
<p>Julien Rochedy parle à des dizaines de milliers de personnes qui peuvent arriver rapidement sur ses vidéos en faisant des recherches basées sur des mots clefs très simples comme « antiracisme » ou « Black Lives Matter ».</p>
<h2>L’état de la sphère suprémaciste française sur YouTube</h2>
<p>Le terme suprémaciste blanc est donc plus adéquat pour qualifier sa position. Dans le cadre de mes recherches, j’ai été amené à suivre et repérer les chaînes YouTube qui développent des propos suprémacistes.</p>
<p>J’ai jusqu’à présent pu analyser seulement sept chaînes YouTube. Cependant, un premier repérage révèle qu’au moins une quarantaine de chaînes composeraient la sphère suprémaciste française. Concernant les sept chaînes analysées, elles cumulent déjà presque deux millions d’abonnées et leurs vidéos les plus visionnées dépassent les 300 000 vues pour aller jusque’à plusieurs dizaines de millions.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/380747/original/file-20210126-13-6kv9r6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/380747/original/file-20210126-13-6kv9r6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/380747/original/file-20210126-13-6kv9r6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=252&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/380747/original/file-20210126-13-6kv9r6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=252&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/380747/original/file-20210126-13-6kv9r6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=252&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/380747/original/file-20210126-13-6kv9r6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=317&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/380747/original/file-20210126-13-6kv9r6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=317&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/380747/original/file-20210126-13-6kv9r6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=317&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Nombre d’abonnés des chaînes YouTube politisées les plus populaires en France.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Tristan Boursier</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ces chiffres sont impressionnants comparés à des chaînes YouTube de médias institutionnels, tels que TF1 qui possède 251 000 abonnés et dont les vidéos ne dépassent que rarement le million de vues. Cependant, cette visibilité des suprémacistes doit être relativisée et comparée à des chaînes identifiées à gauche sur YouTube.</p>
<p>Par exemple, l’émission <a href="https://www.youtube.com/watch?v=JLKEVKyWiR4">« Ouvrez les Guillemets »</a> présentée par Usul sur la chaîne de Médiapart dépasse régulièrement les 200 000 vues les jours qui suivent sa mise en ligne.</p>
<h2>Le YouTube des « bonhommes »</h2>
<p>Qui sont ces suprémacistes ? La quasi-totalité des vidéos repérées met en scène des hommes, d’apparence jeune (moins de 30 ans). Beaucoup d’entre eux cultivent une certaine idée de la masculinité hégémonique en donnant des conseils de drague à leurs abonnés ou des formations de musculation pour lutter contre la <a href="https://journals.openedition.org/lectures/31663">« crise de la masculinité »</a>. Pour eux, les idées et le corps sont liés. Il faut donc être fort physiquement pour être supérieur intellectuellement. Le physique de leurs adversaires est d’ailleurs souvent attaqué et dépeint comme « fragile » ou « efféminé ».</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/vKcNj33gTh4?wmode=transparent&start=163" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Vidéo de Valek publiée le 21 septembre 2020 où le youtubeur explique comment les hommes perdent leur masculinité à cause de féministes.</span></figcaption>
</figure>
<p>Ces YouTubers ne font donc pas que défendre une théorie de la suprématie blanche, ils prétendent l’incarner en cultivant et exposant leurs corps et leur force physique.</p>
<h2>Le défi des suprémacistes : devenir mainstream</h2>
<p>Pour l’instant, il est encore facile d’identifier la composante suprémaciste de ces discours. Leur radicalité a permis à leurs auteurs de se faire des communautés de niche qui ont progressé rapidement, n’ayant pas d’autres alternatives sur la plate-forme de vidéos.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/cwqqeEKl6NM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Facebook se lance à l’attaque des « suprémacistes blancs ».</span></figcaption>
</figure>
<p>Cependant, cette radicalité comporte ses propres limites. Tout d’abord, la plupart d’entre eux ont été victimes de suppression de la monétisation de leurs vidéos, si ce n’est de leurs vidéos ou de leur chaîne.</p>
<p>Certains sont donc revenus en ouvrant une ou plusieurs chaînes, en perdant au passage une partie de leurs abonnés. Une autre limite tient au discours suprémaciste en lui-même. Ces YouTubers n’ont pas intérêt à être perçus comme tels. Le mot suprémaciste effraie.</p>
<p>Ils tendent donc à dissimuler la dimension raciste de leur opinion politique en présentant leurs réflexions comme « du bon sens », en utilisant des catégories larges comme « occident », « autres cultures » et « racaille » pour éviter d’utiliser le mot race, et ainsi s’inscrivent dans un suprémacisme sans race qui fait écho au concept bien établi de <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/rel/2013-n763-rel0461/68515ac.pdf">racisme sans race</a> ou de <a href="https://www.persee.fr/doc/ierii_1764-8319_1972_mon_2_1">racisme culturel</a>.</p>
<p>Ces concepts permettent de rendre compte de la catégorisation arbitraire des humains en fonction de critères qui ne sont normalement pas innés mais qui sont présentés comme tels. Par exemple, on va réduire l’identité d’une personne à sa religion et déduire de cette religion une série de comportements présentés comme innés.</p>
<p>Qualifier ces YouTubers de suprémacistes au lieu de « fachosphère » permet donc de révéler plus précisément la nature raciste de leurs discours, qui ne vise pas seulement à offenser, mais à construire un propos politique d’organisation du vivre ensemble qui considère une partie de l’humanité comme inférieure.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/153988/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Tristan Boursier a reçu des financements du Fonds de recherche du Québec société et culture dans le cadre de sa thèse.</span></em></p>Se positionnant contre les « anti-racistes » et les « postcoloniaux » de nombreux internautes issus de l’extrême droite française font passer leur message par vidéo, notamment sur YouTube.Tristan Boursier, Doctorant en Science politique, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1540962021-01-27T18:35:51Z2021-01-27T18:35:51ZL’onction de la Nation américaine par son président catholique<p>Selon Valérie Biden Owens, sœur, meilleure amie, et ex-consultante politique de Joe Biden, son frère va « restaurer l’âme de l’Amérique ». Elle a déclaré dans une interview récente <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/2021/01/13/president-role-joe-biden/?arc404=true">rapportée par Matt Viser, du <em>Washington Post</em></a> :</p>
<blockquote>
<p>« En Amérique, nous avons souvent la bonne personne au bon moment. Nous avons eu Lincoln pendant la guerre civile, FDR après la grande dépression. Mon frère est le bon [président] pour les défis auxquels nous faisons face aujourd’hui. Il sait comment redresser la [Nation]. Toute sa vie n’est que redressement et guérison, et c’est ce dont notre pays a besoin. »</p>
</blockquote>
<p>Cette remarque relève une vérité sur le rôle non écrit mais essentiel du président des États-Unis : sa personne incarne la Nation américaine et sa parole sert à la maintenir ou à la rétablir dans sa destinée. Comme le montre Robert Bellah dans son <a href="https://www.persee.fr/doc/assr_0335-5985_1973_num_35_1_2751">article devenu classique et très commenté sur la religion civile des États-Unis</a>, le président exprime au sens littéral l’identité nationale. En l’occurrence, Joe Biden, avec ses discours de victoire puis d’investiture, a immédiatement endossé son rôle de grand prêtre national, mais en y ajoutant sa touche personnelle, une touche surprenante eu égard à la fabrique plutôt protestante de la narration américaine, à savoir sa spiritualité catholique.</p>
<h2>Religion civile américaine, narration biblique et parole présidentielle</h2>
<p>Le tempérament chrétien et biblique de la narration nationale américaine est en effet facilement repérable, tout comme l’évolution de ses schèmes.</p>
<p>Très nombreuses aux États-Unis, les recherches sur ce sujet ont aussi été conduites en France, notamment par <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/dieu-benisse-l-amerique-la-religion-de-la-maison-blanche-sebastien-fath/9782020629737">Sébastien Fath</a> et Denis Lacorne, qui en a fait une synthèse magistrale dans <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-essais/De-la-religion-en-Amerique"><em>De la religion en Amérique</em> (2007)</a>. Camille Froidevaux-Metterie, dans <a href="https://www.cairn.info/politique-et-religion-aux-%C3%89tats-Unis--9782707153975.htm">Politique et Religion aux États-Unis</a> (2009) rappelle aussi que la religion civile américaine s’appuie sur les idéaux types du <a href="https://journals.openedition.org/erea/75">républicanisme britannique</a>. Antérieurement, l’historienne Elise Marienstras a publié deux livres très éclairants, <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1004100r.texteImage"><em>Les Mythes fondateurs de la Nation américaine</em> (1976)</a> et <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Bibliotheque-des-Histoires/Nous-le-peuple"><em>Nous le Peuple : les origines du nationalisme américain</em> (1988)</a>. Des auteurs plus contemporains, comme le politiste <a href="https://journals.openedition.org/lectures/885">Mark Bennett McNaught</a> ou le juriste <a href="https://journals.openedition.org/rdr/364">Maxence Guillemin</a> ont continué d’en tracer les linéaments et d’en analyser l’influence sur l’interprétation de la Constitution.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/yQ3mqaIQiBU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>En effet, toute la sacralité de l’appareil institutionnel fédéral, son calendrier électoral, ses usages non écrits mais immuables, dont celui de l’investiture présidentielle, s’adossent à la révérence envers la Constitution et les droits énoncés. Mais la mythologie des textes « saints » excède leur sens littéral. Pour la repérer, il faut relire la Déclaration d’indépendance et… les discours présidentiels. Le président des États-Unis, dans cet entrelacs symbolique puissant, n’est pas tant le <em>Chief Executive</em> d’une Union organisée par pragmatisme et nécessité depuis 1787. Il est le vicaire de la religion civile américaine, elle-même construite autour de sa légende nationale. Le serment d’investiture puis le discours personnel du président sont <a href="https://www.franceculture.fr/histoire/linvestiture-des-presidents-americains-un-rite-democratique-devenu-evenement-populaire">centraux</a>. Ils placent ce dernier au cœur de la fabrique narrative. Il est le porte-voix et l’incarnation de la Nation.</p>
<p>Avec lui, la légende nationale prend corps et se raconte. George Washington, général en chef de l’Armée des patriotes, premier des présidents à tous les égards, a aisément représenté la figure de Moïse libérateur, divinement choisi pour conduire le Peuple élu hors de la tyrannie (britannique). C’est lui qui a prononcé le premier discours d’investiture et laissé un <a href="https://www.presidency.ucsb.edu/documents/farewell-address">discours d’adieu</a> resté dans les annales.</p>
<p>Alors que la guerre civile est en train de briser le pays, Abraham Lincoln, qui a fait de la préservation sacrée de l’Union sa priorité absolue lors de <a href="https://mjp.univ-perp.fr/textes/lincoln1.htm">son investiture</a> (mars 1861), transforme le conflit fratricide en <a href="https://hal-amu.archives-ouvertes.fr/hal-02196466/document">sacrifice salvateur pour la renaissance de la Nation</a>, dans son <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/les-oubliettes-du-temps/les-oubliettes-du-temps-19-novembre-2012">discours de Gettysburg</a> (novembre 1863). Il s’exprime aux abords d’un champ de bataille où ont péri 51 000 soldats, entre le 1<sup>er</sup> et le 3 juillet 1863. Lors de son <a href="http://levieuxcordelier.fr/abraham-lincoln-discours/">deuxième discours d’investiture</a> (mars 1865), il présente la guerre comme une conséquence du péché de l’esclavage. Il implore ses concitoyens de pratiquer la charité réciproque et la réconciliation. </p>
<p>Mark Noll a écrit que ce discours-là était « l’un de ces rares textes à moitié sacrés par lesquels les Américains conçoivent leur place dans le monde ». Lincoln a « fini » d’expier les péchés cumulés du fratricide américain par son propre sacrifice, double figure du bouc émissaire et de l’agneau pascal. Il meurt assassiné quelques jours après la fin de la guerre. Et cette mort « christique » l’a transformé en deuxième gardien tutélaire de la Nation.</p>
<h2>« J’ai mis toute mon âme dans cet acte » : la spiritualité de Joe Biden au secours de la narration nationale</h2>
<p>Il y aurait encore beaucoup à dire sur les adresses des différents présidents en temps de guerres et de crises.</p>
<p>Depuis les années 1960, hormis le <a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2009/01/21/le-discours-d-investiture-de-barack-obama_1144600_3222.html">premier discours d’Obama</a>, que Robert Bellah a commenté comme absolument conforme à sa fonction symbolique – aucune adresse n’a été aussi puissante que <a href="https://www.whitehouse.gov/briefing-room/speeches-remarks/2021/01/20/inaugural-address-by-president-joseph-r-biden-jr/">celle du 20 janvier 2021</a>. Après quatre ans de déshérence symbolique, menée par un président jouant au grand magicien de l’île enchantée, le portrait dessiné par Biden d’une Amérique blessée et malade, au sens physique et intérieur, le transforme en thérapeute.</p>
<p>Le rappel du caractère précieux mais fragile de la démocratie américaine a été recouvert ensuite des sûres bénédictions octroyées à la Nation indivisible : une Nation résiliente, forte, celle d’un peuple de bonnes personnes, qui sait se réparer et se reconstruire. Ce faisant, la coloration théologique que Joe Biden a projetée dans ce discours n’a pas puisé dans l’imaginaire de la faute expiée ou de la brebis égarée que le pasteur vigilant ramène au bercail. Le nouveau chef de l’État a plutôt utilisé la catholique expression de la souffrance et de l’affliction, éprouvées et surmontées dans la guérison, expression qu’il puise de <a href="https://www.letemps.ch/monde/tragique-destin-famille-joe-biden">sa propre expérience de la douleur</a>.</p>
<p>Il a aussi invoqué la force de la famille. Paraphrasant le psaume 30 : « Au soir arrivent les pleurs et au matin l’allégresse », quand il évoque la joie du petit matin, le nouveau président, habité par le deuil mais aussi le vivant souvenir des siens disparus, a en fait administré à ses concitoyens une onction de guérison, ce sacrement catholique qui offre aux malades de corps et d’âme soulagement intérieur et rémission. Il a également appelé ses administrés à prier pour les morts de la pandémie, arrachés à leur famille humaine et membres de la grande famille des Américains. Il a rappelé le lien entre unité et vérité, désunion et mensonge, puis invoqué encore l’unité recouvrée, comme une guérison certaine. La Nation a enduré l’épreuve de sa désunion et elle va surmonter maladie et blessures, parce que la guérison-résurrection ne manque jamais d’advenir.</p>
<h2>Un président thaumaturge ?</h2>
<p>Avec Biden commence le schème de la rémission comme nouvelle variable de la narration nationale, après celle de la libération du Peuple ou celle du sacrifice salvateur. Penser le corps blessé de l’Amérique-nation et son âme tourmentée, avoir foi en la grâce de sa guérison-rédemption, est un schéma de rétablissement assurément très catholique. Celle d’un homme qui se promène un chapelet dans sa poche, jure sur une <a href="https://www.lavoixdunord.fr/art/region/l-extraordinaire-posterite-de-la-bible-de-douai-400-ans-jna16b0n632169">Bible de Douai</a> dans sa famille depuis 127 ans, et qui met une <a href="https://www.la-croix.com/Religion/%C3%89tats-Unis-Joe-Biden-orne-Bureau-ovale-symboles-religieux-2021-01-22-1201136434">photo encadrée du pape François</a> dans le Bureau ovale, en face du buste de Martin Luther King.</p>
<p>Que la nouvelle Israël, la Terre bénie et le Peuple saint d’Amérique, la <em>City upon a Hill</em>, puisse s’énoncer comme une famille solidaire et être rassurée par la parole d’un président thaumaturge, voilà un virage pour le moins inattendu dans les ressources symboliques de la foi civile et patriotique des États-Unis.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/154096/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La foi catholique de Joe Biden a profondément imprégné son discours d’investiture.Blandine Chelini-Pont, Professeur des Universités en histoire contemporaine, Aix-Marseille Université (AMU)Alexis Artaud de La Ferrière, Senior Lecturer in Sociology, University of PortsmouthLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1539972021-01-26T20:38:15Z2021-01-26T20:38:15ZLe discours d’investiture de Joe Biden : un retour à la normale ?<p>Au-delà des circonstances extraordinaires dans lesquelles s’est déroulée l’inauguration de Joe Biden, en l’absence de son prédécesseur et de la foule (remplacée symboliquement par 200 000 drapeaux), et en présence de 26 000 membres de la Garde nationale dans une capitale qui semblait assiégée, le <a href="https://www.whitehouse.gov/briefing-room/speeches-remarks/2021/01/20/inaugural-address-by-president-joseph-r-biden-jr/">discours d’investiture</a> du 46<sup>e</sup> président des États-Unis constitue-t-il un « retour à la normale », comme le <a href="https://www.washingtonpost.com/opinions/2021/01/20/bidens-inauguration-offered-what-america-needs-return-normalcy/">suggère l’intellectuel Max Boot</a> ? Bien sûr, tout dépend de ce que l’on entend par « normalité ».</p>
<p>Le discours d’investiture qui suit le serment a une fonction cruciale dans le rituel de transition du pouvoir. Comme l’ont montré les <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/P/bo5759249.html">chercheuses américaines Karlyn Kohrs Campbell et Kathleen Hall Jamieson</a>, la fonction d’un « bon discours inaugural » est double : premièrement, unifier le peuple après les divisions politiques de la campagne ; et, deuxièmement, rappeler aux citoyens leur identité en tant que peuple, à savoir ce qui les unit et leur communauté de destin – en d’autres termes, expliquer pourquoi la nation demeure une nécessité.</p>
<h2>L’unité dans la religion civile</h2>
<p>Le discours de Joe Biden peut être qualifié de « normal » par son thème principal, qui était clairement l’unité. À cet égard, il contrastait fortement avec le discours prononcé quatre ans plus tôt par Donald Trump sur le « carnage américain » qui opposait l’<em>establishment</em> au « peuple » et ne mentionnait l’État qu’en termes négatifs.</p>
<p>Alors que Trump n’avait fait aucune mention de la citoyenneté ou de la responsabilité collective, le discours de Joe Biden est particulièrement remarquable par <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/2021/01/20/unique-words-biden-inauguration-speech/?arc404=true">son importante utilisation de termes liés à la collectivité</a>, à la <a href="https://www.newstatesman.com/world/2021/01/joe-biden-s-inauguration-speech-was-angriest-ever-according-sentiment-analysis">gouvernance et à la responsabilité citoyenne</a>. On trouve par exemple dans son discours la plus grande récurrence du pronom sujet « nous » depuis l’investiture de Calvin Coolidge en 1925.</p>
<p>Afin d’unir le peuple, Joe Biden a également tenté de re-sacraliser les principes de la religion civile américaine. Par exemple, le Capitole, parfois appelé « le temple de la démocratie américaine », a été désigné comme « terre sacrée ». Ainsi, le nouveau président a rappelé à son auditoire que « la foule d’émeutiers pensait pouvoir utiliser la violence pour faire taire la volonté du peuple, pour arrêter le travail de notre démocratie et pour nous chasser de ce lieu sacré ». Il a également récité les premiers mots de la Constitution, « Nous, le peuple, en vue de former une union plus parfaite », notant la « résilience » de ce document fondateur qu’il a liée à « la force de notre nation ».</p>
<p>Plus encore que les autres présidents, Joe Biden a invoqué l’esprit d’Abraham Lincoln, citant les mots de son illustre prédécesseur qui déclarait que « toute son âme » se trouvait dans la Proclamation d’émancipation des esclaves, et promettant que lui aussi mettait aujourd’hui « toute son âme » dans le rassemblement et l’union de l’Amérique. Bien entendu, invoquer une telle figure symbolique liée à la victoire contre l’esclavage dans la guerre de Sécession, qui s’apparente à un saint national, est particulièrement pertinent alors que la nation est en proie à ce que Biden appelle une « guerre incivile », face à un risque de « désunion ».</p>
<h2>Le prêtre en chef : La foi plus que l’espérance</h2>
<p>Pour tenter de rassembler le peuple, Joe Biden a endossé le rôle traditionnel des présidents américains en cas de crise : celui de Prêtre-en-chef national, mais dans une plus large mesure encore que ses prédécesseurs. Comme l’a montré une <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/2021/01/20/unique-words-biden-inauguration-speech/?arc404=true">analyse du <em>Washington Post</em></a>, son discours inaugural contenait plus de mots liés à la religion que tout autre discours inaugural depuis Dwight Eisenhower en 1957.</p>
<p>Il a conduit la nation dans un moment de prière silencieuse en l’honneur des victimes de la pandémie, a invoqué Saint Augustin et a cité les Écritures. Son discours ne portait pas tant sur la religion que sur la foi, une foi qui, avec la raison, montrera la « voie de l’unité », et une foi qui « soutient » dans les moments difficiles, comme l’illustre sa citation du psaume 30 :5 « le soir arrivent les pleurs et le matin l’allégresse ».</p>
<p>Il offre une vision très différente de celle de Donald Trump qui, en <a href="https://www.politico.com/story/2017/01/full-text-donald-trump-inauguration-speech-transcript-233907">2017</a>, parlait d’un Dieu qui protège l’Amérique pour la rendre toute-puissante (« totalement invincible »). Tout comme il l’a fait avec succès pendant la campagne, Joe Biden exprime ses convictions religieuses non pas en termes politiques, mais en termes émotionnels et personnels, y compris à travers son propre chagrin, afin d’établir un lien d’empathie avec le peuple américain.</p>
<h2>L’histoire de l’Amérique</h2>
<p>Un moyen important d’unifier le peuple est de lui raconter à nouveau l’histoire de la nation. Le mot « récit » (<em>story</em>) est mentionné neuf fois. C’est l’une des métaphores les plus efficaces : il rappelle le passé (« l’appel de l’histoire »), tout en se concentrant sur l’action du présent pour façonner l’avenir des « enfants de nos enfants » :</p>
<blockquote>
<p>« Le récit ne dépend pas de l’un d’entre nous, ni de certains d’entre nous, mais de nous tous. […] Et lorsque ce sera le cas, nous écrirons le prochain chapitre du récit américain. […] C’est un récit qui pourrait ressembler à une chanson qui signifie beaucoup pour moi, le récit qui nous inspire. […] Ajoutons notre propre travail et nos prières au récit de notre nation qui se déroule. […] Et ensemble, nous allons écrire un récit américain d’espoir, et non de peur. […] Un récit américain de décence et de dignité, d’amour et de guérison, de grandeur et de bonté. […] Que ce récit soit celui qui nous guide, celui qui nous inspire. Le récit qui raconte les siècles à venir où nous avons répondu à l’appel de l’histoire. »</p>
</blockquote>
<p>L’histoire de l’Amérique est essentiellement un récit d’héroïsme : comment la nation a surmonté des épreuves dans le passé, telles que « la guerre civile, la Grande Dépression, la guerre mondiale, le 11 Septembre, par la lutte, le sacrifice et les revers » et comment « nos meilleurs anges », une expression bien connue de Lincoln utilisée dans son premier discours d’investiture, ont toujours fini par l’emporter. L’évocation des épreuves passées assure aux Américains que leur nation a un avenir. Mais pour être héroïque, le présent doit aussi être exceptionnel :</p>
<blockquote>
<p>« Peu de périodes de l’histoire de notre nation ont été plus difficiles ou plus éprouvantes que celle dans laquelle nous nous trouvons actuellement. »</p>
</blockquote>
<p>Contrairement à ses prédécesseurs, Joe Biden se concentre presque exclusivement sur les périls intérieurs. Et contrairement à Donald Trump, il ne présente pas ces périls comme étant un groupe de personnes (les politiciens) mais comme des idéologies telles que l’« extrémisme » et le « suprémacisme blanc », des actions telles que « l’anarchie, la violence », des émotions telles que « la colère, le ressentiment, la haine » et des fléaux tels que « la maladie, le chômage, le désespoir, l’inégalité croissante, le racisme systémique » ou la « pandémie » – autant de maux susceptibles de conduire à « la désunion et à la guerre incivile ».</p>
<p>En fait, dans son discours d'investiture, la politique étrangère occupe une place <a href="https://www.newstatesman.com/world/2021/01/joe-biden-s-inauguration-speech-was-angriest-ever-according-sentiment-analysis">nettement moins importante</a> que dans ceux de ses deux derniers prédécesseurs. S’en prenant indirectement à Donald Trump, et de façon remarquable, il a également fait le lien entre l’attaque contre la démocratie et l’attaque contre la vérité, dénonçant les « mensonges proférés pour le pouvoir et le profit » et appelant tous les citoyens américains à la bataille « pour défendre la vérité et vaincre les mensonges ».</p>
<p>Mais c'est aussi un récit optimiste. Joe Biden souligne l'espoir du changement en rappelant le combat politique et historique des minorités, évoquant Martin Luther King, ainsi que celui des femmes, faisant le lien entre leurs luttes passées et l'élection de Kamala Harris, première femme au poste de vice-président.</p>
<h2>La nécessité d’une action héroïque</h2>
<p>Le récit mythique de l’Amérique présentée par Biden est celui d’une lutte héroïque « perpétuelle » entre le bien (« lumière et unité ») et le mal (« ténèbres et division »), entre l’idéalisme (« ce que nous devons être ») et la « dure réalité », parfois « laide, qui a longtemps déchiré le pays ».</p>
<p>Les États-Unis se trouvent à nouveau dans une « période d’épreuve », un « moment historique de crise et de défi », qui offre au pays une chance d’en « ressortir plus fort ».</p>
<p>Immédiatement après les mentions de menaces intérieures, le président propose une série d’actions à travers l’anaphore « Nous pouvons » (répété sept fois). Mais l’héroïsme américain ne se définit pas seulement par la force et la puissance, <a href="https://theconversation.com/trump-et-le-fantasme-du-heros-143106">comme le faisait son prédécesseur</a>, mais aussi par la vertu, afin que l’Amérique puisse être « une fois de plus le phare du monde » :</p>
<p>« Nous ne dirigerons pas seulement par l’exemple de notre puissance », dit ainsi Joe Biden, « mais par la force de notre exemple ».</p>
<p>À travers cette histoire héroïque, les Américains peuvent ainsi révéler leur caractère (« actifs, audacieux et optimistes ») et redéfinir leurs valeurs (« dignité, respect et honneur »).</p>
<h2>Plus Biden-esque que « normal »</h2>
<p>Comme le <a href="https://www.theatlantic.com/ideas/archive/2021/01/why-bidens-inaugural-address-succeeded/617779/">conclut James Fallows</a>, ancien écrivain de discours présidentiels, le discours inaugural de Joe Biden est peut-être remarquable non pas tant par son éloquence que par son authenticité, son « optimisme conditionnel » et son plan d’action pour l’avenir.</p>
<p>Son langage clair et direct, ses expressions familières comme « I get it » ou « folks » et sa foi pleine d'empathie bien connue rendent sa proximité avec le peuple plus plausible que pour tout autre politicien blanc de sa génération. Sa collaboration avec un écrivain de discours jeune et d'origine indienne, <a href="https://www.cnbctv18.com/india/who-is-vinay-reddy-first-indian-american-in-charge-of-presidential-speechwriting-8055531.htm">Vinay Reddy</a>, achève le contraste symbolique avec Donald Trump dont le discours d'investiture avait été écrit par un homme, Stephen Miller connu pour ses <a href="https://www.splcenter.org/hatewatch/2019/11/12/stephen-millers-affinity-white-nationalism-revealed-leaked-emails">liens idéologiques avec le nationalisme blanc</a>. C'est peut-être de ce changement de ton et de vision qu'une bonne partie du peuple américain avait besoin en cette période de grands bouleversements et d’incertitude.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/153997/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jérôme Viala-Gaudefroy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’analyse textuelle du discours d’investiture de Joe Biden révèle les principaux axes de sa communication à venir, qui sera marquée par une nette rupture avec celle de son prédécesseur.Jérôme Viala-Gaudefroy, Assistant lecturer, CY Cergy Paris UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1500322021-01-19T18:27:31Z2021-01-19T18:27:31ZHistoire : comment les penseurs occidentaux ont-ils compris l’islam ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/379462/original/file-20210119-21-boydwz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=9%2C2%2C568%2C470&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Première version imprimée du Coran, XIIe siècle. Traduction en latin de Robert de Chester.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.wdl.org/fr/item/9922/">Library of Congress</a></span></figcaption></figure><p>Le savoir occidental sur l’islam a été érigé <a href="https://www.persee.fr/doc/thlou_0080-2654_1997_num_28_4_2917_t1_0547_0000_2">dès le haut Moyen-âge</a>. Dans un premier temps, il est destiné aux croisés, aux rares voyageurs, aux pèlerins en Terre sainte et aux missionnaires.</p>
<p>Au début de la Reconquista, Pierre le Vénérable, neuvième abbé de Cluny, commande à Robert de Ketton la première somme manuscrite latine du Coran, de commentaires et de textes de réfutation, qui sera achevée en 1143 par une équipe internationale de collaborateurs. On trouve des discours souvent issus des autorités religieuses occupant de hautes fonctions cléricales comme Thomas d’Aquin ou le cardinal Nicolas de Cues. Mais un savoir parallèle a pu se développer, destiné aux laïcs et aux soldats, qui véhiculaient des contenus non officiels.</p>
<p>La relation des mœurs islamiques est une autre source du savoir : celle-ci est surtout le <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5824148w.texteImage">fait de missionnaires qui font converger leurs observations avec le savoir officiel</a>.</p>
<p>La vision occidentale de l’islam a évolué au fil du temps. L’islam est <a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&id=b7VuNbXVE80C&q=mahomet#v=snippet&q=mahomet&f=false">parfois associé à une religion sensuelle et violente</a>. Il fait également l’objet d’une instrumentalisation de la part des <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k548005.texteImage">apologistes du christianisme</a> qui l’utilisent à des fins politiques et religieuses. Le savoir occidental sur l’islam s’est façonné au gré de l’histoire, des relations sociales et politiques, des guerres et de la religion chrétienne.</p>
<p>Revenir sur l’histoire et les relations entre l’Occident et l’islam peut nous permettre de comprendre leurs rapports parfois controversés et complexes et l’état actuel de la vision occidentale sur l’islam.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/_MxcYYxe1Ss?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<h2>Le rapprochement franco-ottoman ou l’essor de l’islamologie</h2>
<p><a href="https://ehne.fr/fr/programmes-du-lycee/premi%C3%A8re-sp%C3%A9cialit%C3%A9-histoire/th%C3%A8me-2-analyser-les-ressorts-et-les-dynamiques-des-puissances-internationales/jalons/l%E2%80%99empire-ottoman-de-l%E2%80%99essor-au-d%C3%A9clin">L’Empire ottoman</a> se constitue vers la fin du XIII<sup>e</sup> siècle et le Turc se substitue au Sarrasin. Cet Empire met fin en 1453 à l’Empire byzantin fragilisé par la <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/la-fabrique-de-l-histoire/prise-de-constantinople-24-1453-la-chute-de-constantinople">prise de Constantinople</a>, établit sa souveraineté sur les contrées musulmanes du monde méditerranéen et adopte l’islam. L’expansion ottomane connaît une seconde phase, sous le long règne de <a href="https://www.geo.fr/histoire/soliman-le-magnifique-le-plus-flamboyant-des-sultans-ottomans-194446">Soliman Iᵉʳ</a> (1520-1566).</p>
<p>Au péril turc vient s’ajouter celui des pirates des États de l’Afrique du Nord dits « barbaresques ». Les fameuses <a href="https://www.persee.fr/doc/rhmc_0048-8003_1955_num_2_2_2607">capitulations</a> de 1535-1536, accords commerciaux et militaires signés, après le désastre de la <a href="https://www.cairn.info/revue-historique-2014-3-page-567.htm">bataille de Pavie</a> (1525) entre François I<sup>er</sup> et Soliman I<sup>er</sup>, assurent un rapprochement entre la France chrétienne et l’Empire musulman dans un contexte de rivalité avec la puissance des Habsbourg, incarnée par <a href="https://www.cairn.info/les-relations-internationales-dans-leurope-moderne--9782200269036-page-46.htm">Charles Quint</a>. Jean de la Forest est ainsi le premier des ambassadeurs français à être envoyé à Constantinople.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/H0Wpi8Y-TsQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Audio) François Iᵉʳ & Soliman (1515-1536) Royaume de France.</span></figcaption>
</figure>
<p>Cette union entraîne une augmentation du nombre d’aventuriers et de marchands, mais aussi de savants et de diplomates se rendant en Orient, dans le sillage de l’ambassade du baron Gabriel de Luels (1546 1553). Si certains jugent cette <a href="https://journals.openedition.org/assr/21571">alliance</a> « impie », d’autres considèrent qu’elle est une avancée géopolitique précieuse pour le royaume.</p>
<p>Dans ce contexte, paraissent des textes tous azimuts : récits de voyages, textes savants, textes de propagande diplomatique ainsi que des traductions partielles du Coran en langue française : dans ces écrits, les Européens voient les musulmans s’humaniser, ils pratiquent une charité inégalée dans le monde, croient dans le vrai Dieu, appliquent les commandements du Décalogue et sont tolérants. Les auteurs de ces textes prétendent être fidèles à la réalité observée : ainsi agissent Jean de Thévenot ou Joseph Pitton de Tournefort.</p>
<h2>Combattre l’islam, christianiser les musulmans</h2>
<p>Dans ce renouveau, <a href="https://data.bnf.fr/fr/12078540/guillaume_postel/">Guillaume Postel</a> (1510-1581) occupe une place importante, en raison de son implication personnelle et de celle de son entourage. Pour combattre l’islam sur le plan de la controverse, arabisant et turquisant, il estime qu’il faut l’étudier en s’appuyant sur les études philologiques arabes et non pas sur les légendes médiévales.</p>
<p>Les grands traducteurs humanistes interviennent aussi dans ce renouveau, c’est le cas de <a href="https://www.persee.fr/doc/rhren_0181-6799_1990_num_30_1_1722">Guy Le Fèvre de La Boderie</a> (1541-1598) et du cryptographe Blaise de Vigenère (1523-1596), érudits et traducteurs prolifiques. Fidèles à la <a href="https://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2002-4-page-3.htm">thèse kabbaliste</a> de l’imminence de la paix universelle perpétuelle, ces auteurs estiment que Dieu ayant « fait que les sept dixièmes du monde, les habitants soient déjà à demi-convertis, et quasi chrétiens », il ne manquait plus qu’à convaincre les musulmans, représentant la communauté confessionnelle la plus grande, de la divinité du Christ qu’ils nient, pour en faire de parfaits chrétiens et s’assurer ainsi une paix pérenne.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/376782/original/file-20201229-49525-2pnatl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="La première traduction du Coran en français par André Du Ryer" src="https://images.theconversation.com/files/376782/original/file-20201229-49525-2pnatl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/376782/original/file-20201229-49525-2pnatl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=822&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/376782/original/file-20201229-49525-2pnatl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=822&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/376782/original/file-20201229-49525-2pnatl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=822&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/376782/original/file-20201229-49525-2pnatl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1033&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/376782/original/file-20201229-49525-2pnatl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1033&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/376782/original/file-20201229-49525-2pnatl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1033&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">La première traduction du Coran en français par André Du Ryer.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikimedia</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>André Du Ryer, consul sous Louis XIII, proche de Gabriel de Luels, publie en 1647 la <a href="https://journals.openedition.org/assr/21429">première version</a> de l’intégralité du Coran en langue française, dans un contexte où l’étude des langues de l’islam s’intensifie. Outre l’existence assez ancienne de chaires d’arabe dans plusieurs villes européennes, Thomas Van Erpe (1584-1624) qui avait appris l’arabe sous l’autorité de Joseph Scaliger, ancien disciple de Postel, fonde la fameuse <a href="https://www.cairn.info/revue-dix-septieme-siecle-2015-3-page-495.htm">école orientaliste</a> de Leyde dans les débuts du XVII<sup>e</sup> siècle.</p>
<h2>L’islam dans les apologies du christianisme</h2>
<p>À la fin du XVI<sup>e</sup> siècle, les <a href="https://books.openedition.org/pur/114858?lang=fr">apologistes</a> du christianisme s’attaquent à l’impiété. Les auteurs protestants discutent des arguments islamiques qu’utilisent certains libertins érudits européens pour critiquer la validité du christianisme.</p>
<p>Les apologistes du catholicisme sont également de la partie : de Pierre Charron à Bossuet en passant par Pascal ou Malebranche, les <a href="https://www.cairn.info/le-catholicisme-entre-luther-et-voltaire--9782130583851-page-205.htm">jansénistes</a> comme les <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2013/03/14/qui-sont-les-jesuites_1847826_3214.html">jésuites</a> ou les <a href="https://www.cairn.info/saint-benoit--9782262034320-page-149.htm">bénédictins</a>, tous consacrent des développements à l’islam. Quand il s’agit de faire l’apologie du christianisme, on constate un consensus : l’islam est une religion humaine, et Muhammad, un imposteur ; le christianisme, seul, est une religion divine.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="Isaac Lemaitre de Sacy" src="https://images.theconversation.com/files/376784/original/file-20201229-15-15p0yjs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/376784/original/file-20201229-15-15p0yjs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=859&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/376784/original/file-20201229-15-15p0yjs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=859&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/376784/original/file-20201229-15-15p0yjs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=859&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/376784/original/file-20201229-15-15p0yjs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1079&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/376784/original/file-20201229-15-15p0yjs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1079&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/376784/original/file-20201229-15-15p0yjs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1079&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Isaac Lemaitre de Sacy.</span>
<span class="attribution"><span class="source">BNF</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Tous les Traités sur la vérité de la religion chrétienne traitent de l’islam, dont on remarque la présence jusque dans la traduction du texte de la Genèse, publié en 1682 par Isaac Lemaitre de Sacy. De manière générale, les apologistes refusent les apports de l’islamologie récente et s’en tiennent en la matière aux grandes lignes traditionnelles, réductrices et sans appel, préférant laisser ignorer les hérésies plutôt que d’exposer « les esprits faibles à la tentation » à les connaitre.</p>
<h2>Les oppositions confessionnelles</h2>
<p>Mais un autre phénomène participe avec plus d’acuité des progrès de l’islamologie, ce sont les controverses internes au christianisme.</p>
<p>C’est dans le contexte zurichois de la Réforme que paraissent les premières impressions latines de l’histoire de la version clunisienne du Coran. Une version, préfacée par Martin Luther, composée par le Zurichois Théodore Buchmann, connu sous le nom de <a href="https://www.persee.fr/doc/rhren_0181-6799_1986_num_22_1_1509">Bibliander</a>, est publiée à Bâle en 1543, après d’intenses péripéties politico-judiciaires, par le savant Jean Oporin (1507-1568). Certains catholiques reprochent par exemple aux protestants d’avoir imprimé une version du Coran qui a permis de mieux connaître l’islam. De leur côté, les protestants se défendent également d’être traités comme des musulmans avec force arguments.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/kb9vgwr-zxI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Altérités religieuses en questions : chrétienté(s) et islam(s).</span></figcaption>
</figure>
<p>Dans ces controverses animées, l’islamologie progresse. Ici, les auteurs recourent souvent à des connaissances plus actuelles pour mieux confondre leurs adversaires confessionnels. Les réformés combattent aussi les libéraux de leur rang. Ils s’en prennent ainsi aux <a href="https://www.persee.fr/doc/rhmc_0048-8003_1968_num_15_4_3013">sociniens</a> et aux ariens, dont les dogmes, comme chez les musulmans, rejettent la divinité du Christ. Pour ce faire, ils utilisent souvent les sources islamiques de première main.</p>
<h2>L’islam inspire</h2>
<p>La fin de l’âge classique correspond à un âge d’or de l’information sur l’islam.</p>
<p>Les sources arabo-turques sont de plus en plus privilégiées, les productions des historiens et des diplomates tendent à se substituer à celles des missionnaires qui ont perdu leur monopole. Si les débats évoqués plus haut se poursuivent, ils prennent une autre forme.</p>
<p>Le bombardement d’Alger par la France, le <a href="https://www.lefigaro.fr/culture/2019/02/16/03004-20190216ARTFIG00003-vienne-le-12-septembre-1683-les-turcs-boutes-hors-de-la-ville.php">siège</a> des Turcs à Vienne en 1683, la <a href="https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1961_num_16_6_421703">révocation</a> de l’Édit de Nantes en 1684 sont des évènements qui voient un accroissement d’éditions et de rééditions de productions sur l’islam, dans cette période que <a href="https://www.persee.fr/doc/rhef_0300-9505_1937_num_23_101_2841_t1_0536_0000_3">Paul Hazard</a> a appelée « la crise de la conscience européenne ». Dans un contexte de rationalisation des savoirs, de développement de méthodes modernes de la critique philologique, le rapport à l’islam apparaît dépassionné même s’il garde de temps à autre une dimension polémique au gré des contextes politiques et sociaux. Les philosophes, les polémistes, les théologiens et autres polygraphes se saisissent du domaine.</p>
<p>Les musulmans sont mieux connus, Muhammad est considéré comme un grand législateur, les croyances discutées de manière apaisée, souvent dans une démarche comparatiste. C’est un humanisme horizontal qui cesse de voir, dans l’altérité islamique, l’envers du chrétien. <a href="https://www.museeprotestant.org/notice/pierre-bayle-1647-1706/">Pierre Bayle</a>, protestant, discute des arguments accumulés depuis un millénaire par l’apologétique chrétienne contre l’islam qu’il détruit un à un dans son article majeur consacré à Mahomet (<em>Dictionnaire historique et critique</em>, 1696).</p>
<p>L’heure n’est plus à des « sermons détachés de vraie croisade » et aux fables auxquelles plus personne ne croit, mais au savoir « brut », à un retour aux sources premières, à une diffusion des textes, que cela plaise ou non. La « vérité évangélique » devient un critère de l’approche en science contre les dérives controversistes. <a href="https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_2008_num_88_4_1360">Richard Simon</a>, critique biblique de renom, arabisant, participe à ce renouveau. Les journaux savants se font l’écho des nouveautés dans le domaine : rien ne leur échappe, tout est relayé, tout est lu dans un contexte où le livre constitue le seul média.</p>
<p>Les grandes figures des <a href="https://www.cairn.info/revue-multitudes-2015-2-page-61.htm">Lumières</a> bénéficient de cet héritage : la figure du théiste de Voltaire doit par exemple beaucoup à sa lecture du Coran. Montesquieu, Helvétius, Rousseau apportent leur contribution. Boulainvilliers offre une biographie sur Muhammad qui lui vaudra d’être traité de cryptomusulman, le Britannique Georges Sale donne une traduction du Coran d’une qualité remarquable. L’islam entre dans le concert des religions du monde et sort du domaine strictement religieux qui l’enfermait dans des stéréotypes longtemps ressassés, pour devenir un véritable objet de savoir, inspirant réflexion philosophique, morale, religieuse, politique et culturelle.</p>
<h2>L’islam de nouveau rejeté</h2>
<p>Évidemment tous ne choisissent pas les mêmes orientations ; l’Encyclopédie entend par exemple faire perdurer la dimension polémiste médiévale, tandis que les idéologues, « alliés doctrinaires » de certains jésuites de la fin du siècle, prépareront tout un fonds destiné à préparer la colonisation des pays musulmans. De grandes voix s’y opposeront en vain.</p>
<p>Ce sera <a href="https://www.cairn.info/histoire-de-la-guerre-entre-etats-unis-et-tripoli--9782356760104-page-165.htm?contenu=resume">l’expédition de Tripoli</a> par les États-Unis d’Amérique, la conquête française de <a href="https://www.cairn.info/la-campagne-d-egypte--9782410015270-page-39.htm">l’Égypte</a>, plus tard celle de <a href="https://www.cairn.info/geopolitique-de-la-nation-france--9782130749752-page-139.htm">l’Algérie</a>. Le temps de l’ouverture, de la tolérance, de l’humanisme est déjà loin.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/CIW7v4JBXPA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Quel est le bilan de la campagne d’Égypte ?</span></figcaption>
</figure>
<p>D’aucuns comme Joseph de Maistre ou Louis de Bonald analyseront ce virage comme un retour aux croisades dont ils se féliciteront, jetant l’anathème sur tous ceux qui auront rêvé une humanité plus fraternelle, digne combat des Lumières, déplorant que nos philosophes aient pu vanter « leurs mœurs, leur administration, leur politique, même quelques-uns leur religion ». Maistre soulignera l’incompatibilité insigne, l’impossible coexistence des chrétiens et des musulmans : « La guerre entre nous est naturelle, et la paix forcée. Dès que le chrétien et le musulman viennent à se toucher, l’un des deux doit servir ou périr ».</p>
<p>C’est donc là tout un pan de notre histoire intellectuelle qui débouchera sur une sociologie et une théorie laïque du phénomène religieux. Dans la longue succession historique, après avoir été renfermé dans des bornes strictement religieuses, l’islam est devenu un objet de savoir à part entière. Des auteurs fameux, méconnus ou obscurs, auront, chacun à leur manière, largement contribué à alimenter cette connaissance. La fin du XVIII<sup>e</sup> siècle inaugurera un véritable choc des représentations : à partir de ce moment-là, le rejet prendra une forme radicale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/150032/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Moulay-Badreddine Jaouik ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pour comprendre la vision occidentale sur l’islam, un retour sur notre histoire commune s’impose.Moulay-Badreddine Jaouik, Professeur de philosophie. Chargé d’enseignement universitaire, Université de Rouen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1524602021-01-12T19:44:24Z2021-01-12T19:44:24ZCe que la Covid-19 a fait aux sciences sociales<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/377583/original/file-20210107-17-d8x8yo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=16%2C24%2C5447%2C3612&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Prise de parole des SHS lors de la première vague de la Covid-19 dans les médias français : les chercheurs ont appréhendé et offert des outils de réflexions et d'observation de la crise sanitaire et ses conséquences.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/fr-fr/photo/actualites-information-informations-journal-6053/">Pexels/kaboompics.com</a></span></figcaption></figure><p>Il est aujourd’hui évident que l’on peut parler de premier et deuxième pic de contamination à la Covid-19, l’un au printemps et l’autre à l’automne 2020. Lors du premier, on a eu le sentiment que, dans les décisions politiques et le discours médiatique actuels, la <a href="https://www.reiso.org/actualites/fil-de-l-actu/6035-livre-collectif-covid-19-le-regard-des-sciences-sociales">parole</a> des médecins, des épidémiologues et autres virologues, prédominent.</p>
<p>Or, la Covid-19 et les mesures qui ont été mises et sont encore ou de nouveau en place pour contenir les infections ont des répercussions sociales, économiques, psychologiques dans la confiance en les institutions, en l’État, et même en les <a href="https://theconversation.com/covid-19-ce-que-revele-le-classement-des-experts-medicaux-les-plus-mediatises-149373">expert·e·s</a> amené·e·s à prendre la parole.</p>
<p>Les sciences humaines et sociales (SHS) ne sont pas en reste, et il est intéressant d’observer cette prise de parole face à la Covid-19.</p>
<p>Grâce à une <a href="http://msh-paris-saclay.fr/shs-face-au-covid-19/">analyse quantitative et qualitative</a> de la prise de parole des SHS lors de la première vague de la Covid-19 dans les médias français, nous proposons de faire un bilan sur la façon dont les chercheurs ont appréhendé et offert des outils de réflexions et d’observation de la crise sanitaire et ses conséquences.</p>
<h2>Cinq médias, plus de 1 100 articles analysés</h2>
<p>Les SHS sont prises ici par distinction avec les sciences dures et sciences de la vie. Elles interrogent la société, ses fondements et son organisation, ses représentations, ses modes de fonctionnements, et aussi les liens entre ses membres. On peut donc supposer que ce sont ces SHS qui, face à la crise sanitaire, proposent des outils théoriques pour réfléchir et appréhender la crise sanitaire.</p>
<p>Nous avons effectué une veille systématique sur cinq médias, trois journaux nationaux (<a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/10/le-professeur-raoult-les-maniaques-et-le-parachute_6036266_3232.html"><em>Le Monde</em></a>, <a href="https://www.lefigaro.fr/"><em>Le Figaro</em></a> et <a href="https://www.liberation.fr/"><em>Libération</em></a> et deux médias en ligne dédiés à la recherche (<a href="https://aoc.media/"><em>AOC</em></a> et <a href="https://theconversation.com/fr">The Conversation</a>) et collecté <a href="http://msh-paris-saclay.fr/articles_covid/">plus de 1 100 articles</a> depuis mars 2020 que nous avons analysés quantitativement (environ 800) et qualitativement (près de 1100, les critères de sélection étant différents pour les deux méthodes d’analyse) pour évaluer la place et les thématiques abordées par les chercheur·e·s en SHS face à la Covid-19.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1344835453690773505"}"></div></p>
<p>La quantité d’articles écrits par des chercheur·e·s en SHS entre mars et juillet 2020 n’est pas négligeable : avec plus de 800 articles, soit 200 articles par mois, avec un pic de production en avril – comme les taux d’infection, les publications des chercheur·e·s semblent être en réaction surtout aux mesures de confinement et de distance sociale.</p>
<p>On constate des divergences d’un média à l’autre : ainsi <em>Le Monde</em> propose en tout 350 articles, alors que <em>Le Figaro</em> n’en offre que 50, ce qui fait une moyenne de 87,5 articles par mois en moyenne pour <em>Le Monde</em> contre 9 sur <em>Le Figaro</em>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1344218237551181824"}"></div></p>
<p>Par ailleurs, on note que les chercheur·e·s en sociologie, économie, philosophie, histoire et sciences politiques sont ceux qui s’expriment le plus. Les problèmes abordés concernent sans grande surprise les questions de la gestion sanitaire de la crise. La place de la science et l’histoire des sciences et des épidémies sont abordées comme outil de compréhension de la crise ; une prise de parole pour éclairer et conceptualiser cette situation nouvelle de connaissances théoriques et empiriques semble être une des intentions premières.</p>
<h2>Qui est compétent pour parler de la pandémie ?</h2>
<p>Ce qui saute aux yeux, c’est le fait que les chercheur·e·s se penchent bien souvent hors de leurs fenêtres disciplinaires pour donner un avis certes éclairé mais non fondé en termes de champ de recherche.</p>
<p>Par exemple, un juriste s’exprime sur <em>Le Figaro</em> pour parler d’éducation, un sociologue pour parler de psychologie ou des historien·ne·s pour parler de politique de gestion de crise sur <em>Le Monde</em>. La question de l’expertise mérite ainsi d’être soulevée.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1342747730075144194"}"></div></p>
<p>Qui est compétent pour parler de la pandémie et de ses conséquences sociétales ? Quelles figures d’autorité s’expriment et à quel degré de confiance ont-elles droit ? Ceci peut-être mis en lien avec ce qu’Étienne Klein appelle <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Tracts/Le-gout-du-vrai">l’ipsédixitisme</a> : le fait d’accorder la vérité à telle personne de par son autorité acceptée de tou.te.s.</p>
<p>Or, face à un phénomène scientifique inédit telle que la Covid-19, les journalistes ne sont pas forcément équipé·e·s scientifiquement parlant pour <a href="https://www.icfj.org/news/global-survey-journalism-and-pandemic-now-available-four-languages">expliquer les phénomènes</a>, par ailleurs nouveaux donc peu connus des chercheur·e·s mêmes.</p>
<p>Or, comme le constatait la linguiste Sophie Moirand au sujet de l’affaire de la « Vache folle », il est facile de tomber dans l’émotion et la persuasion plutôt que <a href="http://documents.irevues.inist.fr/bitstream/handle/2042/15040/HERMES_1997_21_33.pdf;sequence=1">l’argumentation scientifique</a>.</p>
<h2>Une parole militante</h2>
<p>La parole des SHS pendant la crise sanitaire est militante. Elle cherche à rendre visible ce qui était avant <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/10/le-professeur-raoult-les-maniaques-et-le-parachute_6036266_3232.html">invisible</a>. Notre étude révèle que les émotions employées par les chercheur·e·s en SHS sont le plus souvent une émotion neutre, comme le veut la tradition scientifique.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1345073666908938241"}"></div></p>
<p>Toutefois, les articles publiés sur <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/monde/covid-19-qui-osera-demander-des-comptes-au-regime-chinois-20200401"><em>Le Figaro</em></a> et <a href="https://www.liberation.fr/debats/2020/04/04/chronique-d-un-desastre-annonce-l-enfermement-criminel-des-refugies-en-grece_1783973"><em>Libération</em></a>, deux journaux très marqués politiquement, emploient par exemple l’indignation, couplée avec une intention de « dénoncer » telle ou telle situation.</p>
<p>La crise sanitaire questionne alors à la fois la médiation scientifique dans son ensemble et le positionnement des scientifiques en particulier. Comment allier la justesse de la science et l’urgence de faire entendre certains cris d’alerte ?</p>
<h2>Désigner la Covid-19, un défi</h2>
<p>Les difficultés interviennent jusque dans la dénomination de la Covid-19. Dans les titres des articles étudiés, « Covid-19 » voisine avec « coronavirus », voire avec « corona » ou SARS-CoV-2. Plus encore, <em>Le Monde</em> oscille dans la définition de la Covid-19 entre épidémie et pandémie.</p>
<p>Le terme d’épidémie est employé lorsque les articles se réfèrent au <a href="https://www.lemonde.fr/smart-cities/article/2020/04/03/coronavirus-a-paris-les-epidemies-ont-toujours-ete-utilisees-pour-stigmatiser-les-populations-modestes_6035494_4811534.html">contexte français</a>, alors que le terme de pandémie est utilisé lorsque <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/03/17/mireille-delmas-marty-profitons-de-la-pandemie-pour-faire-la-paix-avec-la-terre_6033344_3232.html">l’aspect international</a> du phénomène est souligné. En somme, désigner la Covid-19 est un défi.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1240275638243786752"}"></div></p>
<p>Par ailleurs, les SHS évitent la référence biomédicale et focalisent leur regard sur les phénomènes sociaux, économiques, politiques, géographiques, psychologiques, éducatifs… que nous traversons.</p>
<p>Se faisant, les SHS interrogent le terme de « crise » même. Cette crise sanitaire était-elle imprévisible ?</p>
<p>La situation d’incertitude dans laquelle elle plonge la France par exemple, était-elle inévitable ? Le débat a ainsi fait rage entre les économistes quant à savoir si la Covid-19 est un <a href="https://www.liberation.fr/france/2020/03/21/covid-19-le-cygne-noir-et-les-aveugles_1782601">cygne noir</a> ou un <a href="https://medium.com/incerto/corporate-socialism-the-government-is-bailing-out-investors-managers-not-you-3b31a67bff4a">cygne blanc</a>.</p>
<p>Le cygne noir se caractérise par trois choses : il n’a pas été anticipé, il a des conséquences majeures et rétrospectivement, on peut expliquer pourquoi il est apparu. Autrement dit, du point de vue des responsables politiques, la Covid-19 a bien été un cygne noir. Le cygne blanc est lui un événement qui n’aurait pas dû surprendre. Et c’est ainsi toute la dimension éthique qui s’ouvre au débat : est-il légitime que la pandémie soit un cygne noir pour les gouvernements ?</p>
<h2>Questionner les descriptions</h2>
<p>Les SHS questionnent également la description de la crise : si elle a des effets sur toutes les dimensions des sociétés humaines, et dans toutes ces dites sociétés, faut-il lui attribuer un nom nouveau ?</p>
<p>L’expression de <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/20/philippe-descola-nous-sommes-devenus-des-virus-pour-la-planete_6040207_3232.html">« fait mondial total »</a> a été très présente dans les articles analysés. Elle a peu fait l’objet de questionnement.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1263048295217336320"}"></div></p>
<p>Or, à présent que l’on dresse un bilan, peut-être faut-il s’interroger sur le monde dont nous parlons. Si la Covid-19 est un événement à l’échelle du monde, le monde est-il notre planète ? Est-ce l’ensemble des sociétés humaines ? Lorsque nous disons que tout est touché par la Covid-19, qu’est-ce que ce tout ? Peut-on encore penser la Covid-19 uniquement du point de vue des humains ? Et si la Covid-19 nous invite à <a href="https://www.terrestres.org/2020/04/30/guerre-et-paix-avec-le-coronavirus/">repenser les liens</a> entre humains et non humains, comment le faire ?</p>
<p>Lors d’un premier temps de la pandémie en France, les SHS ont cherché à éclairer la complexité des facettes de l’événement dans les médias. Les chercheur·e·s ont eu à cœur de décrire la diversité des effets et de leurs impacts sur les populations. Les articles ont également pris la mesure de l’ampleur sociétale et historique de la Covid-19. Se faisant, ils se sont confrontés à de multiples défis que les sciences (SHS, sciences dures et sciences de la vie) ont à charge d’explorer dans le temps et en ouvrant de nouveaux champs de recherche.</p>
<hr>
<p><em>Cet article fait suite à un colloque organisé par la MSH Saclay les 12 et 13 octobre 2020 auquel a pris part The Conversation France.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/152460/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Elsa Bansard travaille pour la MSH Paris Saclay qui a organisé le colloque auquel il est fait référence dans le texte.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Anne-Coralie Bonnaire travaille pour la MSH Paris-Saclay qui a organisé le colloque auquel il est fait référence dans le texte.</span></em></p>Une analyse de la prise de parole des chercheur·e·s en sciences sociales dans les médias français permet de dresser un bilan sur l’apport de ces disciplines pour appréhender la crise sanitaire.Elsa Bansard, Docteure en philosophie, Ingénieure de recherche CNRS,, Maison des Sciences de l'Homme (MSH) – Université Paris-SaclayAnne-Coralie Bonnaire, Docteure en information et communication de l’Université de Leipzig, Ingénieure de recherche CNRS, Maison des Sciences de l'Homme (MSH) – Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1529502021-01-10T19:11:32Z2021-01-10T19:11:32ZDonald Trump banni des grands réseaux sociaux : et maintenant ?<p>Alors que 2021 démarrait à peine, les médias du monde entier ont assisté, sidérés, au <a href="https://www.nouvelobs.com/l-amerique-selon-trump/20210106.OBS38481/fortes-tensions-autour-du-capitole-des-supporters-de-trump-ont-fait-irruption-dans-le-batiment.htmlons-autour-du-capitole-des-supporters-de-trump-ont-fait-irruption-dans-le-batiment.html">saccage du Congrès</a> américain par des partisans d’un Donald Trump arc-bouté sur son refus du résultat de l’élection présidentielle qui venait de donner la victoire à Joe Biden.</p>
<p>Dès le 3 novembre, Donald Trump évoque une fraude généralisée et concertée qui aurait été mise en œuvre afin de faire élire Biden et de spolier le peuple américain de son véritable vote. Bien que ces allégations n’aient pas résisté à leur examen par le pouvoir judiciaire et aux enquêtes diligentées dans plusieurs États, le président sortant s’obstine et <a href="https://www.reuters.com/article/us-usa-election-protests/trump-summoned-supporters-to-wild-protest-and-told-them-to-fight-they-did-idUSKBN29B24S">appelle ses partisans</a> à s’élever contre la certification du résultat de l’élection présidentielle prévue le 6 janvier.</p>
<p>Suite à la mise à sac du Capitole, les réactions ne se sont pas fait attendre : des membres de l’administration Trump ont <a href="https://www.lefigaro.fr/international/demissions-en-chaine-dans-l-entourage-de-trump-apres-l-assaut-du-capitole-20210108">démissionné de leurs fonctions</a> et certains de soutiens se sont désolidarisés de lui. </p>
<p>Et à peine 24 heures après le saccage, alors même que Donald Trump venait de condamner les violences survenues au Capitole et de s’engager à assurer une transition sereine du pouvoir, plusieurs réseaux sociaux ont <a href="https://www.socialmediatoday.com/news/president-trump-banned-from-various-social-networks-after-us-capitol-riots/593007/,http://french.xinhuanet.com/2021-01/08/c_139651391.htm">annoncé le bannissement de ses comptes</a>.</p>
<h2>Un ban unanime des réseaux</h2>
<p>Il n’aura fallu que 24 heures pour que les entreprises américaines gestionnaires de médias sociaux interdisent l’accès à leurs plates-formes au président Trump.</p>
<p>La raison invoquée était que les propos qu’il avait proférés en ligne avaient incité la foule à recourir à la violence dont le monde a été témoin. Afin de prévenir de nouvelles violences, et estimant que certains tweets du président avaient participé au déclenchement des événements, Twitter a annoncé un <a href="https://www.blog.twitter.com/en_us/topics/company/2020/suspension.html">ban à durée indéterminée</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/P3MhOcoOLTs?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Facebook, pourtant souvent non aligné avec Twitter en ce qui concerne les politiques de restriction et de contrôle de la parole des personnalités politiques, a <a href="https://www.theverge.com/2021/1/7/22218725/facebook-trump-ban-extended-capitol-riot-insurrection-block">suivi la même ligne</a>, expliquant que, au vu de l’importance des risques induits par la diffusion des propos de Donald Trump, ses comptes Facebook et Instagram étaient suspendus pour une durée indéterminée et, <em>a minima</em>, <a href="https://www.twitter.com/fbnewsroom/status/1347211647245578241">pour les deux prochaines semaines</a>.</p>
<p>Outre ces mastodontes, YouTube mais aussi Twitch et Snaptchat, qui regroupent <a href="https://www.businessofapps.com/data/twitch-statistics/">d’autres profils d’abonnés</a>, ont eux aussi annoncé des restrictions. YouTube a supprimé plusieurs vidéos publiées par Donald Trump et averti les utilisateurs que toute chaîne qui publierait de fausses allégations sur les élections américaines trois fois en 90 jours serait <a href="https://www.arstechnica.com/tech-policy/2020/12/youtube-bans-videos-claiming-trump-won/">définitivement exclue de la plate-forme</a>. Pour sa part, Twiitch a bloqué le compte du président <a href="https://www.theverge.com/2021/1/7/22219144/twitch-trump-ban-indefinitely-capitol-attack">jusqu’à la fin de son mandat</a> et Snapchat <a href="https://techcrunch.com/2021/01/06/snapchat-locks-president-donald-trumps-account/">a fait de même</a> à partir du mercredi fatidique, ajoutant que la société suivrait de près la situation avant de réévaluer sa décision.</p>
<h2>Les restrictions après la catastrophe</h2>
<p>Si les restrictions apportées aux comptes de Donald Trump ont été assez rapides, certains regrettent néanmoins un manque de réactivité ou, plutôt, d’anticipation et de prévention.</p>
<p>Un ancien investisseur de Twitter, John Sacca, a violemment apostrophé les dirigeants de Twitter et de Facebook, les accusant d’avoir du sang sur les mains pour avoir trop attendu avant de prendre des mesures à l’encontre du président américain.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1346921144859783169"}"></div></p>
<p>Si les mots employés sont durs, ils n’en reflètent pas moins la pensée de plusieurs analystes qui craignaient que la récurrence des messages paroxystiques diffusés par Trump pendant ces quatre dernières années ne finisse par susciter de telles flambées de violence.</p>
<p>Car on peut bien ici parler de répétitions. En effet, les tweets de Donald Trump ont plus d’une fois défrayé la chronique, qu’il s’agisse de <a href="https://www.theguardian.com/us-news/2017/nov/29/trumps-anti-muslim-retweets-prompt-backlash-in-washington-the-president-is-racist">retweets de propos anti-musulmans</a>, de <a href="https://www.bbc.com/news/technology-54440662">fake news</a> sur <a href="https://www.nytimes.com/interactive/2017/business/media/trump-fake-news.html">divers sujets</a>, ou même d’<a href="https://www.nytimes.com/2020/06/28/us/politics/trump-white-power-video-racism.html,https://www.vox.com/identities/2020/5/29/21274754/racist-history-trump-when-the-looting-starts-the-shooting-starts">incitation à la haine</a>.</p>
<p>Dans la même ligne, de nombreuses voix ont alerté sur l’incapacité des grandes plates-formes à <a href="https://www.thehill.com/opinion/technology/524999-qanon-proves-internet-companies-arent-up-to-the-task-of-defending">freiner la prolifération de mouvements complotistes, parmi lesquels QAnon</a>, susceptibles de servir de caisse de résonance à certaines personnalités politiques. Ce groupe, devenu trop célèbre, a des racines dans 4chan, plus particulièrement la partie ayant migré vers 8chan, devenu 8kun.</p>
<p>Pour mémoire, 4chan est un imageboard, c’est-à-dire une plate-forme sur laquelle une image est quasi systématiquement associée à un commentaire. 4chan est un imageboard connu pour l’anonymat qui y règne et pour ses règles de modération pour le moins laxistes. C’est pourquoi de nombreux mouvements y sont nés, si on parle des <a href="https://www.linternaute.com/hightech/internet/1014062-anonymous-leurs-actions-les-plus-marquantes/1014065-qui-sont-ils">Anonymous</a>, mais ceux-ci sont loin d’être les seuls et d’autres sont particulièrement radicaux. Avec le temps, 4chan a donné naissance à d’autre « chan », dont 8chan – « eight chan » à la prononciation proche de « <em>hate chan »</em> traduisible par « canal de la haine » –, créé en 2013 par Fredrick Brennan. Connu pour être particulièrement antisémite et anti-féministe, 8chan a été impliqué dans la <a href="https://www.liberation.fr/planete/2019/03/15/autour-de-l-attentat-de-christchurch-un-dispositif-numerique-renvoyant-a-l-extreme-droite_1715280">diffusion des images du massacre anti-musulman de Christchurch (Nouvelle-Zélande) en 2019</a>.</p>
<p>Quant à QAnon, ce mouvement affirme qu’une cabale secrète contrôle le gouvernement et organise un trafic pédophile au niveau mondial, trafic et cabale que seul le président Trump tenterait d’arrêter. L’effet d’entraînement et les liens entre QAnon et la rhétorique trumpienne ressortent clairement de l’analyse des nombreuses discussions qui, sur cette plate-forme et d’autres qui lui sont sont liées, ont cherché à planifier l’invasion du Capitole depuis plusieurs semaines, ainsi que du nombre de T-shirts et chapeaux aux couleurs de QAnon <a href="https://www.qz.com/1954265/the-attack-on-the-us-capitol-shows-the-real-danger-of-qanon/">arborés par des manifestants</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1347215549231726592"}"></div></p>
<p>Les théories de ce groupe, qui n’est pas un cas isolé, ont fait florès sur Facebook comme sur YouTube. Lorsque, en octobre dernier, la compagnie de Mark Zuckerberg a décidé de <a href="https://www.theguardian.com/technology/2020/oct/06/qanon-facebook-ban-conspiracy-theory-groups">bannir les pages liées à ce mouvement</a>, celles-ci représentaient quelque 3 millions d’abonnés et de membres. À cette même période, Facebook et YouTube ont procédé à une mise à jour de leur politique afin de cibler davantage de vidéos de théories du complot promouvant la violence dans le monde réel. Néanmoins, il n’y a pas eu d’interdiction systémique des contenus de QAnon, notamment au nom de la liberté d’expression.</p>
<p>S’agissant des interdictions et de la liberté d’expression, il est intéressant de constater que si les <a href="https://www.newsweek.com/trump-says-american-patriots-wont-disrespected-first-tweet-after-concession-1560040">deux tweets de Trump</a> à l’origine de son bannissement des plates-formes ne sont <a href="https://news.sky.com/story/us-election-donald-trumps-45-most-controversial-tweets-12098204">pas plus violents que d’autres précédemment mis en ligne</a>, ils sont ceux dont les effets ont été le plus dramatiques au vu des conséquences du saccage du Capitole.</p>
<p>Ainsi, un virage s’est opéré avec les derniers évènements : si auparavant le discours de Trump était suspecté de pouvoir susciter la violence, il est cette fois apparu qu’il y avait effectivement contribué.</p>
<p>Par ailleurs, les explications de Twitter soutiennent que c’est l’interprétation que les supporters de Trump ont fait de ses derniers propos qui ont conduit au saccage du Capitole. Ainsi, la connotation positive de la formule « American patriots », utilisée par le président pour désigner ses électeurs au lendemain de l’attaque du Capitole, aurait été comprise comme un encouragement à l’action menée ; et l’affirmation que ces « American patriots » ne doivent pas être « traités injustement » aurait laissé supposer que, malgré ses déclarations, Trump n’envisage pas de faciliter la transition. Cela présuppose que ceux à qui ces posts sont destinés tendent à y voir des messages codés.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1347705927139545089"}"></div></p>
<p>Si les incitations à la haine ne peuvent évidemment pas être permises, leur traitement préventif intégrant l’interprétation pouvant être faite par l’auditoire permettant leur interdiction se heurte à un écueil : ramené à un contexte moins troublé, le risque existe que des auteurs puissent être bannis non pas pour leurs propos eux-mêmes, mais pour l’interprétation que des tiers pourraient en faire. </p>
<p>Dans un régime autoritaire, une telle approche ouvrirait la porte à de nombreuses dérives. Néanmoins, la journée de mercredi a permis à des figures comme Jim Steyer, soutien très actif de la campagne Stop Hate for Profit qui a notamment appelé les annonceurs à boycotter Facebook pour des propos haineux et a déjà <a href="https://theguardian.com/technology/2020/jun/30/third-of-advertisers-may-boycott-facebook-in-hate-speech-revolt">coûté des millions à la firme de Mark Zuckerberg</a>, de déclarer que les plates-formes doivent être tenues pour responsables de leur complicité dans la destruction des démocraties, appelant le Congrès à adopter une législation efficace pour lutter contre les discours de haine sur les réseaux sociaux.</p>
<p>Conscientes de l’émergence de cette tendance déjà sous-jacente et soucieuses de pérenniser leurs activités qui ont besoin de l’adhésion de l’opinion publique, les plates-formes, confrontées au désastre survenu dans le monde réel le 6 janvier, auraient alors voulu prendre les devants.</p>
<h2>La possibilité de l’émergence de nouveaux canaux</h2>
<p>Au lendemain du gel de ses comptes, Donald Trump a indiqué qu’il pourrait <a href="https://i.pcmag.com/imagery/articles/01vIOeICHmlNVlIcTLSxyCZ-2.fit_lim.size_1536x.png">créer son propre réseau social</a>. Si les esprits taquins noteront que Trump a voulu faire cette annonce sur Twitter qui a bloqué très rapidement la publication, il reste une réalité : la migration des contenus que l’on souhaite bloquer. En effet, ceux qui voudront diffuser des contenus radicaux de manière proactive le feront toujours. Aussi, même s’il est nécessaire que les plates-formes dont l’audience est forte ou très forte opèrent une filtration sévère des messages en ligne, il est illusoire de croire que ce filtrage suffira pour éradiquer ces courants. </p>
<p>De même que 4chan a produit 8chan, d’autres canaux seront utilisés, gangrenés ou créés. Déjà, DLive, un site de diffusion en direct de jeux, a été utilisé par des radicaux de droite pour <a href="https://wired.com/story/dlive-livestreaming-site-extremist-haven/">relayer le saccage du Capitole à des milliers de personnes</a>. Dans le cas de Dlive, beaucoup de nationalistes blancs et de partisans de l’extrême droite s’y sont retrouvés après avoir été ciblés par des interdictions sur YouTube, Twitch et Facebook. Cette migration a d’ailleurs largement contribué à la croissance de la plate-forme. Ce cas, loin d’être isolé, doit être gardé à l’esprit.</p>
<p>Les plates-formes sont conscientes de ces migrations et tentent de limiter la contagion avec les réseaux regroupant les internautes plus radicaux, particulièrement quand l’incitation à la haine et à la violence y est monnaie courante. Ce fut notamment le cas avec <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/etats-unis/donald-trump/google-apple-et-amazon-coupent-les-ponts-avec-parler-reseau-social-prise-des-partisans-de-trump-7112932">Parler</a>, un réseau social où, parmi de nombreux internautes prônant la haine et la violence, se sont retrouvés des partisans de Donald Trump venus ici (ainsi que sur <a href="https://www.ladn.eu/media-mutants/reseaux-sociaux/mewe-parler-rumble-reseaux-sociaux-extreme-droite/">MeWe</a>) après avoir été touchés par les restrictions visant, sur les grands réseaux sociaux, les théories promouvant la théorie de la fraude électorale lors de la présidentielle américaine. À la suite de cette restriction, <a href="https://www.ladepeche.fr/2020/11/18/lapplication-parler-va-t-elle-concurrencer-twitter-et-facebook-9207932.php">Parler est devenue l’application la plus téléchargée</a>, et sa base d’utilisateurs a doublé pour atteindre plus de <a href="https://onezero.medium.com/parler-users-are-gathering-on-facebook-to-complain-about-parler-36f799bb75ef">10 millions de membres</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1348179837710700544"}"></div></p>
<p>Enfin, le cas des publications Donald Trump mais aussi de son bannissement et le séisme causé par le saccage du Capitole posent de nombreuses problématiques qui dépassent le seul cadre juridique et couvrent aussi bien la communication des gouvernants sur ce type de plate-forme que les lignes rouges qui doivent être tracées. </p>
<p>De fait, il est nécessaire de préserver la liberté d’expression contre les conséquences qui pourraient résulter de l’interprétation d’un propos tout en assurant la protection des structures démocratiques comme des internautes qui, par fragilité ou « naïveté », pourraient basculer, par porosité plus que par véritable adhésion idéologique, vers des courants délétères et violents. </p>
<p>Si l’actualité braque aujourd’hui les projecteurs sur les États-Unis, cette même problématique concerne bien d’autres pays démocratiques qui, bien que devant traiter avec les acteurs non étatiques que sont les grandes plates-formes, tentent de concilier la protection de leurs principes fondamentaux et de leurs valeurs avec la préservation des droits des individus.</p>
<p>Or, l’augmentation constante de la consommation de données accentue la prégnance de ce sujet, aujourd’hui devenu majeur. Cette progression a été particulièrement marquée en 2020, les confinements successifs ayant participé à accroître la fréquentation des réseaux sociaux. On le voit, le débat est bien loin d’être clos et les enjeux vont s’amplifier.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/152950/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christine Dugoin-Clément ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le bannissement de Donald Trump des principaux réseaux sociaux pose de nombreuses questions, à commencer par celle de la responsabilité qu’ont les plates-formes dans les contenus qu’elles hébergent.Christine Dugoin-Clément, Analyste en géopolitique, membre associé au Laboratoire de Recherche IAE Paris - Sorbonne Business School, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, chaire « normes et risques », IAE Paris – Sorbonne Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1468032020-12-01T17:59:52Z2020-12-01T17:59:52ZPourquoi certains mots blessent les uns et pas les autres… C’est une question de mémoire discursive<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/372300/original/file-20201201-19-19hr308.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=20%2C34%2C4632%2C3118&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La communication entre les humains serait très difficile, voire impossible sans la mémoire discursive. Nos souvenirs nous permettent à la fois de nous comprendre ou de vivre d’irréconciliables différends.</span> <span class="attribution"><span class="source">shutterstock</span></span></figcaption></figure><p><a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1743975/racisme-controverse-universite-ottawa-emilie-dubreuil">La controverse survenue à l’Université d’Ottawa</a>, en octobre, entourant le mot en n nous a rappelé qu’il existe des pans de notre Histoire, comme l’esclavage, la Shoah ou la répression des Premières Nations qui, bien qu’ils méritent qu’on en parle pour mieux les comprendre, doivent être abordés avec respect et empathie.</p>
<p>Seuls ceux qui les ont vécues peuvent ressentir à leur juste valeur la douleur et l’humiliation liées à certains mots comme le mot en n… Il existe des précautions méthodologiques pour aborder ces questions, mais il faut reconnaître que certains mots traînent toujours avec eux un lourd fardeau. Leur seule évocation peut ramener des souvenirs douloureux, enfouis profondément dans ce qu’on appelle la mémoire discursive.</p>
<p>En tant que spécialiste et chercheur en linguistique et analyse du discours, je m’intéresse à la communication entre les individus de différentes cultures, car les malentendus qu’elle provoque reposent souvent sur des réflexes et des repères inconscients, ce qui les rend d’autant plus pernicieux.</p>
<h2>Le rôle de la mémoire discursive</h2>
<p>La communication entre les humains serait très difficile, voire impossible sans la mémoire discursive. Nos souvenirs nous permettent à la fois de nous comprendre ou de vivre d’irréconciliables différends.</p>
<p>« Chaque mot méchant prononcé rejoint des phrases, puis des paragraphes, des pages et des manifestes et finit par tuer le monde » <a href="https://cdn-4ncwrlkdq3uc0b1u7x.netdna-ssl.com/wp-content/uploads/2017/01/gregory-charles-facebook.png?x22205">a dit dans un tweet</a> Gregory Charles, citant son père, après l’attentat à la grande mosquée de Québec, en 2017. Cette idée exprimée ici de façon concrète est définie par les spécialistes en analyse du discours par le concept <a href="https://journals.openedition.org/linx/1158">d’interdiscours</a></p>
<p>Ainsi, les mots ne sont pas qu’un assemblage de lettres et ne sont pas isolés de leur contexte. De plus, chaque contexte d’emploi d’un terme génère une perception particulière chez la personne qui le reçoit. D’où une multiplication des références.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-se-creent-les-souvenirs-une-etude-donne-un-nouvel-eclairage-sur-cette-fonction-fascinante-du-cerveau-125765">Comment se créent les souvenirs ? Une étude donne un nouvel éclairage sur cette fonction fascinante du cerveau...</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Dans les cours de langues ou d’argumentation que je donne, où presque tous les sujets sont abordés, il m’arrive de constater chez certains étudiants de la gêne, de l’irritation ou de voir des fronts se plisser à l’évocation d’un mot qui par ailleurs laisse d’autres étudiants insensibles. Cela m’a poussé à fouiller la <a href="https://dallamalefofana.blogspot.com/2017/09/la-communication-une-question-de.html">question</a>.</p>
<p>En linguistique, les mots ont une forme (signifiant) et un sens (signifié) plus unanimes, mais ils réfèrent à des réalités (référents) bien personnelles.</p>
<p>Le rapport entre le signifiant et le signifié est en réalité <a href="https://www.tandfonline.com/doi/pdf/10.1080/00437956.1967.11435496">arbitraire</a>, mais il est stable. Par contre, le référent est plus instable. Chaque auditeur perçoit un terme selon l’expérience qu’il en a. Prenons le mot « amour ». Ceux qui ont toujours été heureux en amour, le mot aura une connotation positive. Mais pour ceux qui ont vécu des déceptions amoureuses, il aura une connotation négative.</p>
<p>Pour mieux comprendre, on peut aussi penser à un match de hockey. Quand un individu non initié aux mœurs de la société nord-américaine regarde un match de hockey entre les Canadiens de Montréal et les Bruins de Boston, il voit des gens habillés chaudement qui glissent avec agilité sur la glace et se disputent une rondelle grâce à des tiges au bout recourbé. Voilà pour le signifiant. Ce regard en surface peut être assimilé à la compréhension d’un texte dont on ignore le contexte culturel et le référentiel.</p>
<p>Mais le Québécois amateur de hockey, qui a déjà vu jouer les Canadiens et les Bruins, qui connaît l’issue de chaque jeu, les statistiques des joueurs et la conséquence de tel geste en situation d’infériorité numérique, celui-là vit dans l’anticipation. Un spectateur averti regarde le match, mais revoit aussi en même temps tous les matchs déjà vus. Ce regard en plusieurs « couches » peut être assimilé au discours.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/369381/original/file-20201113-15-1ac7yqi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/369381/original/file-20201113-15-1ac7yqi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=377&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/369381/original/file-20201113-15-1ac7yqi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=377&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/369381/original/file-20201113-15-1ac7yqi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=377&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/369381/original/file-20201113-15-1ac7yqi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=474&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/369381/original/file-20201113-15-1ac7yqi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=474&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/369381/original/file-20201113-15-1ac7yqi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=474&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Pauline Marois, cheffe du Parti Québécois, observe Pierre Karl Péladeau lors d’une conférence de presse à Saint-Jérôme, au Québec, le 9 mars 2014. M. Péladeau, qui annonçait alors sa candidature dans cette circonscription avait créé une controverse en scandant qu’il voulait « faire du Québec un pays », le poing levé.</span>
<span class="attribution"><span class="source">LA PRESSE CANADIENNE/Graham Hughes</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En 2014, quand Pierre Karl Péladeau a levé le poing et scandé qu’il voulait [« faire du Québec un pays »], il a provoqué un tollé. Alors qu’un spectateur non averti pourrait s’étonner du remous provoqué par cette déclaration, d’autres y ont vu un écho au <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Vive_le_Qu%C3%A9bec_libre_!">« Vive le Québec libre »</a> du général Charles de Gaulle, lancé du balcon de l’hôtel de ville de Montréal en 1967.</p>
<p>Mais ces mots et le geste qui l’accompagnait rappelaient aussi « Vive la France libre » citation prononcée par De Gaulle en 1940, réveillant la flamme patriotique des Français. Ce fut d’ailleurs le slogan de la libération de la France lors de la Seconde Guerre mondiale. Les mots prononcés par Pierre Karl Péladeau sont le texte, alors que le contexte — et les implications — de ces mots sont l’interdiscours.</p>
<h2>Tirer profit de l’implicite</h2>
<p>Le recours à l’implicite, au présupposé ou au sous-entendu peut avoir un avantage notamment juridique. Bien souvent, en communication publique, certains propos portés contre un adversaire politique, par exemple, peuvent faire l’objet de poursuites pour diffamation.</p>
<p>Par contre, faire une simple allusion à un acte qui n’est plus actuel permet de faire comprendre un point de vue sans l’affirmer. La personne visée est responsable d’avoir lié elle-même les pièces du puzzle, et d’en avoir déduit une idée que son interlocuteur n’a pas formellement exprimée.</p>
<p>Il est possible aussi de tirer profit du capital symbolique de certains événements. Pensons au célèbre <a href="https://www.nouvelobs.com/societe/20060712.OBS4922/j-accuse-par-emile-zola.html">« J’accuse », d’Émile Zola</a>, qui est le titre d’une lettre ouverte publiée le 13 janvier 1898 dans un quotidien parisien, accusant le président français de l’époque d’antisémitisme. L’expression a été utilisée par la suite dans des textes politiques, des pièces de théâtre, chansons, affiches et œuvres d’art. « J’accuse » n’est pas qu’un titre coiffant un texte d’Émile Zola, il porte une charge polémique qui a fait trembler une république entière !</p>
<h2>Prendre conscience du mécanisme</h2>
<p>La <a href="https://journals.openedition.org/aad/1200">mémoire discursive</a> a donc des avantages. Toutefois, le fait que l’auditoire n’ait pas toujours les références culturelles ou historiques pour comprendre l’allusion faite par un locuteur peut poser problème.</p>
<p>Ne pas être conscient de ce mécanisme discursif peut causer bien des malentendus. Le comprendre aide certainement à mieux communiquer. Mais un locuteur de mauvaise foi peut en profiter. Dans un tel cas de figure, au-delà des mots et de leur portée, il reste l’intention de celui qui parle. Et cette intention comme dans le cas de l’usage du mot en n, est bien bien difficile à apprécier.</p>
<p>Quoi qu’il en soit, certains mots portent leur fardeau, peu importe comment on les enveloppe. Se mettre à la place de son auditoire est la clef d’une bonne communication. Comprendre d’abord et accepter que chaque personne puisse percevoir un mot différemment peut aider à établir un dialogue.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/146803/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dalla Malé Fofana ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Certains mots traînent avec eux un lourd fardeau. Leur seule évocation peut ramener des souvenirs douloureux.Dalla Malé Fofana, Chargé de cours , Linguistique, Sciences du langage et Communication, Bishop's UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1508692020-11-25T20:43:19Z2020-11-25T20:43:19ZQuand le « en même temps » d’Emmanuel Macron pose question aux linguistes<p>Ce mardi 24 novembre, le président Emmanuel Macron a prononcé sa sixième <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/11/24/adresse-aux-francais-24-novembre">« adresse aux Français »</a>, qui générait une fois encore beaucoup d’attentes.</p>
<p>Dans ce deuxième discours en lien avec le deuxième confinement, l’effet d’attente était fort, et les spéculations allaient bon train sur la dénomination même des annonces : <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/avant-discours-macron-castex-leger-assouplissement-confinement_fr_5fbc0af6c5b66bb88c608609">« léger assouplissement »</a>, <a href="https://www.lci.fr/politique/video-assouplissement-du-confinement-ce-que-les-francais-attendent-du-discours-de-macron-2170913.html">« assouplissement »</a>, <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/deconfinement-reouverture-des-commerces-ce-week-end-retour-du-couvre-feu-le-15-decembre-exception-pour-noel-ce-qu-a-annonce-macron-20201124">« déconfinement »</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1331311502540693507"}"></div></p>
<p>Dans un <a href="https://theconversation.com/ce-que-les-adresses-demmanuel-macron-revelent-de-sa-gestion-de-crise-149471">récent article</a>, j’avais montré que le positionnement actuel du président était complètement différent de celui qu’il avait eu lors du premier confinement : moins empathique et plus distancié, le président n’assumait pas <strong>linguistiquement</strong> les nouvelles consignes, par le recours à des chiffres, des comparaisons, là où il s’impliquait (inter)subjectivement dans les discours du premier confinement, avec des tendances en « vous/les soignants », « je/nous » et « le retour/l’avenir ».</p>
<p>Avant ce deuxième discours du « confinement 2 », je prévoyais deux hypothèses possibles, en fonction de la trajectoire des discours précédents :</p>
<ul>
<li><p>Une poursuite de cette mise à distance des mesures, en continuant sur la stratégie de quantification et comparaison ;</p></li>
<li><p>Un retour à un ton plus « paternaliste », dans l’esprit des discours du premier confinement.</p></li>
</ul>
<h2>Tenir la première stratégie « et en même temps » la seconde ?</h2>
<p>Si on observe les spécificités de ce discours (c’est-à-dire ce qui est « sur-utilisé »), on observe en tête deux termes particulièrement intéressants relativement aux hypothèses précédentes :</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/371273/original/file-20201125-21-et7sjj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/371273/original/file-20201125-21-et7sjj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=139&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/371273/original/file-20201125-21-et7sjj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=139&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/371273/original/file-20201125-21-et7sjj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=139&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/371273/original/file-20201125-21-et7sjj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=175&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/371273/original/file-20201125-21-et7sjj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=175&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/371273/original/file-20201125-21-et7sjj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=175&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Mots sur-employés dans le discours du 24/11.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>En effet, nous avons le « nous » et le « nombre », qui montrent que le discours concilie une implication du président et des citoyens, et en même temps une quantification abondante et précise. Le président a donc recours à la <a href="http://stella.atilf.fr/Dendien/scripts/tlfiv5/advanced.exe?8;s=568237665">désignation</a> d’une collectivité plus large dans laquelle s’inclut le locuteur, notamment province, quartier, pays, patrie ; nous = je + ils collectif, en utilisant ce pronom « nous » par exemple ainsi :</p>
<blockquote>
<p>« Et dans cette période, <strong>nous ne devons pas</strong> nous laisser nous emporter. Tenons-nous ensemble autour de nos valeurs, autour de notre histoire, dans cet attachement à notre démocratie, à notre humanisme qui demeurent, aujourd’hui comme hier, nos plus sûrs atouts. Alors, <strong>nous pourrons</strong> inventer un nouvel avenir français. »</p>
</blockquote>
<p>Ainsi, si statistiquement le président semble adopter une stratégie d’inclusion en assumant les annonces, les choses sont beaucoup plus complexes.</p>
<h2>Déjouer le comptage de mots pour orienter les commentaires ?</h2>
<p>À ce « nous » s’ajoutent en effet les verbes <em>devoir</em> et <em>pouvoir</em>, qui sont très riches du point de vue linguistique puisqu’ils ont <a href="https://www.cairn.info/revue-langue-francaise-2012-1-page-31.htm">selon le linguiste Carl Vetters</a> un « noyau sémantique sous-déterminé – respectivement la possibilité et la nécessité abstraites (Kronning 1996) – leur permettant de prendre un grand nombre d’effets de sens discursifs ».</p>
<p>Dans le cas du discours d’Emmanuel Macron, la combinaison des « nous » avec « devoir » au présent et « pouvoir » au futur, présente la situation comme contrainte, suspendue à une attente collective, sur laquelle le président n’a pas de prise.</p>
<p>On se trouve réellement dans un « et en même temps » linguistique, puisqu’à ce « nous » d’implication s’attache une nécessité ou une possibilité, donc quelque chose qui semble s’imposer de l’extérieur. Cela est d’autant plus visible et prégnant dans les exemples suivants, avec un effet d’anaphore de « il nous faudra » :</p>
<blockquote>
<p>« <strong>Il nous faudra</strong> rebâtir notre économie plus forte afin de produire et redonner plein espoir à nos salariés, nos entrepreneurs, garder notre indépendance financière. »</p>
<p>« <strong>Il nous faudra</strong> rebâtir une indépendance agricole, sanitaire, industrielle et technologique française et plus d’autonomie stratégique pour notre Europe. Cela passera par un plan massif pour notre santé, notre recherche, nos aînés, entre autres. »</p>
<p>« <strong>Il nous faudra</strong> nous rappeler aussi que notre pays, aujourd’hui, tient tout entier sur des femmes et des hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal. « Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ». Ces mots, les Français les ont écrits il y a plus de 200 ans. Nous devons aujourd’hui reprendre le flambeau et donner toute sa force à ce principe. »</p>
<p>« <strong>Il nous faudra</strong> bâtir une stratégie où nous retrouverons le temps long, la possibilité de planifier, la sobriété carbone, la prévention, la résilience qui seules peuvent permettre de faire face aux crises à venir. »</p>
</blockquote>
<p>Avec cette tournure, le président combine le « nous » qui l’implique avec les citoyens, avec une tournure impersonnelle par laquelle <a href="https://journals.openedition.org/ml/353">« le locuteur laisse s’imposer le propos en tant que tel »</a>.</p>
<h2>Avalanche de chiffres et délégation de la responsabilité</h2>
<p>Aussi, à ce « nous » apparent cède une certaine forme de délégation de la responsabilité (linguistique au moins), qui se combine à l’objectivation qui est bien présente avec le mot « nombre », ainsi qu’avec la catégorie des chiffres qui est très caractéristique de ce discours du 24 novembre (sur-représentée par rapport aux autres discours, même par rapport au discours du 28 octobre) :</p>
<blockquote>
<p>« Le nombre de cas positifs journaliers à la Covid-19 a fortement reculé. Il a été supérieur à 60 000, il s’est établi la semaine dernière à 20 000 cas par jour en moyenne. »</p>
<p>« Après avoir atteint 33 500 patients hospitalisés le 16 novembre, soit plus que lors de la première vague, nous avons aussi commencé une lente décrue. Le nombre de personnes en réanimation du fait de la Covid-19 est passé de 4 900 le 16 novembre à 4 300 aujourd’hui. De ces données, il ressort que le pic de la seconde vague de l’épidémie est passé. »</p>
</blockquote>
<p>Cette adresse du 24 novembre est pour le linguiste un cas d’école, puisqu’elle combine l’usage d’expressions qui recouvrent a priori des objectifs distincts : inclure et assumer, mettre à distance et déléguer la responsabilité.</p>
<p>Ce tweet est emblématique des exemples que j’ai présentés précédemment :</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1331322239300546563"}"></div></p>
<p>Par cette stratégie, le président donne un sentiment d’implication (les spectateurs pourront ressentir la récurrence du « nous ») mais délègue la responsabilité des mesures grâce aux verbes <em>pouvoir</em>, <em>vouloir</em> et surtout <em>falloir</em>, qui, tels qu’ils sont employés, laissent les propos s’imposer au locuteur, et non l’inverse.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/150869/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Longhi a reçu des financements de l'Institut universitaire de France, de l'ANR, de CY Cergy Paris université.</span></em></p>L’adresse de Macron aux Français du 24 novembre combine l’usage d’expressions qui recouvrent a priori des objectifs distincts : inclure et assumer, mettre à distance et déléguer la responsabilité.Julien Longhi, Professeur des universités en sciences du langage, CY Cergy Paris UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1503382020-11-24T21:49:42Z2020-11-24T21:49:42ZL’humiliation comme méthode diplomatique : le lourd héritage que Donald Trump laisse à Joe Biden<p>Comment dresser le bilan de la politique étrangère de Donald Trump et faire l’état des lieux de la scène internationale qu’il lègue à Joe Biden ? Si les défis principaux sont d’ordre politique, économique et militaire, le nouveau président ne pourra pas ignorer les chamboulements symboliques et émotionnels provoqués par son prédécesseur.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/7gbRcx_uZZA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p><a href="https://www.youtube.com/watch?v=lFR_hTwURJY">L’humiliation est une variable de la vie internationale</a> qui s’impose comme étant de plus en plus d’actualité et de moins en moins négligeable ; et dans cette catégorie, les relations internationales ont trouvé un champion.</p>
<h2>La stratégie de l’humiliation de Trump : des politiques aux tweets</h2>
<p>Contre-pied systématique de l’action menée par Barack Obama, isolationnisme, enchaînement de coups de tête imprévisibles… le fil conducteur de l’action extérieure de Donald Trump n’aura pas été clair. Néanmoins, une chose est sûre : il a excellé dans la pratique de l’humiliation.</p>
<p>Dès son arrivée à la Maison Blanche il a décrété un <a href="https://www.whitehouse.gov/presidential-actions/executive-order-protecting-nation-foreign-terrorist-entry-united-states-2/">« Muslim Ban »</a> interdisant l’entrée sur le territoire américain des citoyens de sept pays majoritairement musulmans : une décision excluante et discriminante. Puis, en mai 2018, il a annoncé le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ZvFN5DzCEcI">retrait des États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien</a>. Il humilie alors le premier ministre iranien, Hassan Rohani, et son ministre des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, qui apparaissent auprès de leur population comme s’étant fait berner lorsqu’ils ont signé cet accord en 2015 avec Barack Obama. La population iranienne, elle, sera à nouveau soumise à de sévères sanctions, qui par essence rabaissent : dans l’idée même de punition, il y a une <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2015-1-page-69.htm">forme de hiérarchisation</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ZvFN5DzCEcI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>L’addition ne s’arrête pas là pour l’Iran : en janvier 2020, Donald Trump ordonne <a href="https://theconversation.com/ces-raisons-pour-lesquelles-trump-a-ordonne-lelimination-du-general-soleimani-130406">l’assassinat, en Irak, du général Ghassem Soleimani</a>, le responsable des opérations extérieures du régime. C’est une violente humiliation pour Téhéran, et un coup porté à ses ambitions régionales.</p>
<p>En outre, la frappe a violé l’intégrité territoriale de l’Irak, et illustre donc aussi un certain mépris pour la souveraineté de Bagdad. Par ailleurs, en 2018, le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=NXql93M8Zw4">déménagement de l’ambassade américaine à Jérusalem</a>, ainsi reconnue par Washington comme la capitale d’Israël, est une décision qui, symboliquement, porte sévèrement <a href="https://www.lepoint.fr/monde/jerusalem-la-mort-oui-l-humiliation-jamais-07-12-2017-2177896_24.php">atteinte à la dignité et l’identité palestiniennes</a>. Une humiliation qui pourrait s’avérer dangereuse : rappelons que la deuxième Intifada, en 2000, avait été <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Intifada-al-Aqsa-de-son-declenchement-en-2000-a-l-annee-2002.html">déclenchée</a> par la visite d’Ariel Sharon sur l’Esplanade des mosquées, un symbole perçu comme l’humiliation de trop. De plus en janvier 2020, <a href="https://theconversation.com/conflit-israelo-palestinien-le-cavalier-seul-de-donald-trump-131092">Donald Trump annonce le « plan du siècle »</a>, qui propose un archipel palestinien relié par des tunnels et qui, ne serait-ce que dans la manière dont il a été négocié (sans les Palestiniens), <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/01/29/les-palestiniens-se-sentent-humilies-par-le-plan-des-etats-unis_6027624_3210.html">apparaît excluant et humiliant</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Egm4zvX8gxs?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Que cela relève d’une stratégie réfléchie ou d’une manifestation de sa personnalité, une chose est sûre : Donald Trump a régulièrement brandi l’humiliation face à ses adversaires. Ce qui est plus étonnant, c’est qu’il en a fait de même avec certains de ses alliés, notamment au Moyen-Orient et en Europe. En octobre 2019, il <a href="https://www.liberation.fr/planete/2019/10/07/syrie-les-kurdes-abandonnes-par-l-ami-americain_1756124">a abandonné ses alliés stratégiques kurdes</a> en Syrie. Une décision aux conséquences humanitaires désastreuses mais qui a aussi symboliquement contribué à rabaisser et nier le peuple kurde tout en méprisant l’effort essentiel des forces kurdes dans la lutte contre Daech. </p>
<p>En 2017, il a <a href="https://www.dailymotion.com/video/x5f2xs2">refusé de serrer la main</a> d’Angela Merkel lors de sa première entrevue avec elle. En 2018, alors qu’il était reçu par Theresa May, il a déclaré que Boris Johnson (rival de la première ministre au sein du parti conservateur) <a href="https://www.20minutes.fr/monde/2306983-20180713-brexit-accueilli-grande-pompe-donald-trump-humilie-theresa-may-presse">« ferait un excellent premier ministre »</a>. Il s’en est également pris à Emmanuel Macron et à la France en twittant, entre autres, à propos des Français : « Ils avaient commencé à apprendre l’allemand à Paris avant que les États-Unis n’arrivent. […] ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1062311785787744256"}"></div></p>
<h2>Le départ de Trump suffira-t-il à effacer les conséquences de son comportement ?</h2>
<p>On aurait tort de ne voir dans toutes ces humiliations infligées par le président américain à d’autres acteurs internationaux que des épisodes anecdotiques qui seront vite oubliés une fois qu’il aura quitté la Maison Blanche.</p>
<p>Historiquement, l’humiliation a souvent eu des effets majeurs. Pour bon nombre de spécialistes, l’humiliation imposée aux Allemands par le traité de Versailles (1919) a été pour beaucoup dans la montée, au cours des années suivantes, du parti nazi et donc, in fine, <a href="https://www.geo.fr/histoire/pourquoi-le-traite-de-versailles-a-conduit-a-la-deuxieme-guerre-mondiale-194464">dans le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale</a>. Quelques décennies plus tard, les humiliations imposées dans les années 1990 ont vraisemblablement orienté les relations entre la Russie et le monde occidental. Lors du démantèlement de l’URSS, l’OTAN s’est non seulement maintenue malgré la dissolution du pacte de Varsovie, mais a aussi profité de la faiblesse de la Russie pour s’étendre à la plupart des anciens pays du bloc de l’Est : une humiliation qui <a href="http://www.senat.fr/rap/r15-021/r15-0215.html">alimente</a> aujourd’hui un fort nationalisme et la volonté de Poutine d’opérer un retour stratégique.</p>
<p>Il serait donc naïf de croire que les humiliations imposées par Donald Trump ont pu être sans conséquence. <a href="https://www.lepoint.fr/monde/face-a-trump-la-riposte-millimetree-de-l-iran-08-01-2020-2356745_24.php">La riposte iranienne</a> à l’assassinat de Ghassem Soleimani (une frappe sur des bases américaines en Irak) est une conséquence immédiate ; elle n’a pas fait de victimes et avait pour fonction principale de sauver l’honneur. Reste à savoir si ces conséquences persisteront dans le temps.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1323190182275854336"}"></div></p>
<p>Le président entrant prévoit de mettre fin au « Muslim Ban », de restaurer les alliances abîmées et de réintégrer l’accord sur le nucléaire iranien. Mais suffit-il de cesser d’humilier pour que l’humiliation cesse ? Les souvenirs des humiliations passées sont tenaces. On le constate régulièrement en étudiant l’action de <a href="https://theconversation.com/que-veut-la-turquie-en-mediterranee-orientale-147694">Recep Tayyip Erdogan</a>, qui semble être guidé par la volonté́ d’effacer l’humiliation subie lors du <a href="https://theconversation.com/que-veut-la-turquie-en-mediterranee-orientale-147694">démantèlement de l’Empire ottoman</a>, qui date pourtant de 1918.</p>
<p>Joe Biden prévoit de réinvestir le multilatéralisme. Cependant, le rejet, en août 2020, de la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/08/15/l-onu-rejette-la-resolution-americaine-visant-a-prolonger-l-embargo-sur-les-armes-en-iran_6049006_3210.html">résolution américaine au Conseil de Sécurité</a> qui proposait de prolonger l’embargo sur l’Iran ne serait-il pas un début de revers de la médaille des humiliations qu’a multipliées Donald Trump ? Le président sortant a-t-il mis les États-Unis sur le banc de touche du jeu multilatéral ? A priori, les Européens sont aux vestiaires et ce sont les Russes, les Chinois et les Turcs qui semblent profiter de cette situation.</p>
<h2>Les défis de Joe Biden</h2>
<p>Le souvenir ou le traumatisme des humiliations auront un impact sur le long terme. Par exemple, certains dirigeants palestiniens, qui ont vu leur dignité piétinée, <a href="https://www.lapaixmaintenant.org/ce-que-les-palestiniens-pensent-de-la-solution-a-deux-etats-entretien-avec-le-dr-khalil-shikaki-directeur-psr/">remettent désormais en cause</a> le principe d’une « solution à deux États », pourtant presque incontesté depuis les Accords d’Oslo (1993). Or, Joe Biden n’a probablement pas les outils pour guérir l’humiliation des Palestiniens. Un retour en arrière sur la décision de transférer l’ambassade américaine à Jérusalem serait <a href="https://www.rtbf.be/info/monde/detail_israel-joe-biden-affirme-qu-il-maintiendra-l-ambassade-des-etats-unis-a-jerusalem-s-il-est-elu?id=10492496">trop coûteux d’un point de vue politique intérieure</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/9Qh5EQyt0ms?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Joe Biden souhaite reprendre les négociations avec l’Iran : mais les responsables de Téhéran accepteront-ils de s’asseoir à la table des négociations avec l’humiliant ? Hassan Rohani a <a href="http://www.president.ir/en/118081">demandé des compensations</a> pour les dommages causés par Trump. Si les Américains rejettent cette demande, le président iranien ne pourra pas négocier avec eux sans que cela apparaisse comme une soumission supplémentaire qu’il ne peut pas se permettre. Or Biden, de son côté, ne pourra pas aisément concéder quoi que ce soit aux Iraniens. Une impasse à laquelle le président démocrate devra faire face ; en attendant, <a href="https://thediplomat.com/2020/10/irans-new-doctrine-pivot-to-the-east/">Téhéran se rapproche de Moscou et de Pékin</a>.</p>
<p>Le Guide suprême iranien, l’ayatollah Khamenei a déclaré que l’élection américaine n’aurait « pas d’effet » sur la politique de Téhéran à l’égard des États-Unis. Peu importe le locataire de la Maison Blanche, le mal est fait, et la République islamique n’oublie pas. De plus, la politique intérieure en Iran est en train d’évoluer en la défaveur de Washington. Si l’on en juge par la terrible <a href="https://www.lepoint.fr/monde/en-iran-une-crise-de-confiance-entre-regime-et-population-24-02-2020-2364172_24.php">défaite des modérés aux élections législatives</a> de 2020, Rohani, humilié et affaibli aux yeux de sa population qui subit le poids des sanctions, sera très probablement remplacé par un conservateur à l’issue de la présidentielle de juin 2021.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1323544708405207040"}"></div></p>
<p>Enfin, Joe Biden aura d’autant plus de mal à balayer les humiliations commises par son prédécesseur qu’elles sont instrumentalisées politiquement. L’Ayatollah Khamenei n’a de cesse de répéter qu’il avait prévenu qu’il ne fallait pas faire confiance au « Grand Satan » américain et que <a href="https://english.khamenei.ir/news/5671/When-the-bones-of-US-President-turn-to-dust-Islamic-Republic">« le gouvernement islamique redonnera sa dignité au peuple »</a>. Les humiliations imposées par Trump ont renforcé l’anti-américanisme et donné de la légitimité au régime des mollahs. En Palestine, elles ont offert un argument politique au Hamas qui joue sur la rhétorique de la résistance. D’ailleurs, l’annonce du « plan du siècle » a donné suite à un rapprochement du Hamas et du Fatah, divisés depuis 2006.</p>
<p>Joe Biden débarque donc sur une scène internationale complexe et bouleversée. Au vu des déchirements de son propre pays, il ne pourra pas en faire sa priorité. Mais il ne pourra pas non plus ignorer les conséquences au potentiel explosif des humiliations dispensées par Donald Trump. Reste à espérer qu’aucune étincelle n’embrase la situation.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/150338/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie Durrieu ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Quatre ans durant, Donald Trump a érigé l’humiliation en mode de communication privilégié sur la scène internationale. Ses offenses ont laissé des traces que son successeur aura bien du mal à effacer.Marie Durrieu, Doctorante en science politique et relations internationales (CMH EA 4232-UCA), Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1494712020-11-15T17:04:24Z2020-11-15T17:04:24ZCe que les adresses d’Emmanuel Macron révèlent de sa gestion de crise<p>Au printemps dernier, la France a vécu une situation inédite, avec l’instauration d’un premier confinement, qui s’est prolongé, de la mi-mars, jusqu’à la mi-juin. </p>
<p>Les « adresses » effectuées par Emmanuel Macron aux Français, dans le cadre de la crise de la Covid-19, sont devenues récurrentes et annonciatrices de mesures gouvernementales. </p>
<p>Alors que les Français se confinent pour la deuxième fois, l’analyse des <a href="https://www.elysee.fr/toutes-les-actualites?categories%5B%5D=discours">discours</a> du président semble pouvoir nous éclairer sur la gestion de la pandémie et la stratégie gouvernementale toujours plus critiquées.</p>
<h2>Le discours du second confinement, une stratégie d’évitement</h2>
<p>Une analyse des spécificités des différents discours relatifs à la situation du printemps, grâce à un <a href="http://iramuteq.org">logiciel de statistiques textuelles</a> a permis de mettre en valeur ce qui était caractéristique de chacun de ces discours. Je résume cela sur le graphique suivant :</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/367781/original/file-20201105-15-1xolxq3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/367781/original/file-20201105-15-1xolxq3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/367781/original/file-20201105-15-1xolxq3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/367781/original/file-20201105-15-1xolxq3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/367781/original/file-20201105-15-1xolxq3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/367781/original/file-20201105-15-1xolxq3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/367781/original/file-20201105-15-1xolxq3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Caractéristiques des discours du printemps, en noir, les différents discours.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ainsi on observe que les discours du 12 et du 16 mars avaient de fortes proximités, le président parle surtout des Français et des soignants, « vous » et « eux », et justifie les « mesures nécessaires » pour « soigner ». En outre, on relève 7 fois l’expression « nous sommes en guerre » dans le discours du 16 mars, ce qui construit la représentation d’une situation inédite, la représentation d’un ennemi qu’il faut combattre, qui justifie des mesures exceptionnelles.</p>
<p>Le 13 avril, le discours devait justifier la prolongation du confinement, et le « on » se substituait au « vous » et « eux » pour faire passer l’effort collectif, la persévérance face aux difficultés.</p>
<p>Le 14 juin, le discours s’élaborait autour du « nous/notre », et contrastait avec les mois précédents à la fois par le « retour », et le « nouveau », impliquant un changement de situation radical : les mots « travail », « économie », « social », étaient caractéristiques de cette adresse aux Français, qui était donc tournée vers le retour à une situation antérieure (celle d’avant le confinement). Ces trois moments semblaient avoir une unité et un sens, mais la dégradation de la situation sanitaire a perturbé cette évolution progressive dans les discours, en introduisant un retour à une situation qui avait pourtant été résorbée.</p>
<p>Si on ajoute donc à cet ensemble le discours du 28 octobre, on s’aperçoit que le discours annonçant le deuxième confinement est très différent, et s’écarte statistiquement des 4 autres :</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/367782/original/file-20201105-19-1yb27mi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/367782/original/file-20201105-19-1yb27mi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/367782/original/file-20201105-19-1yb27mi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/367782/original/file-20201105-19-1yb27mi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/367782/original/file-20201105-19-1yb27mi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/367782/original/file-20201105-19-1yb27mi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/367782/original/file-20201105-19-1yb27mi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">proximités/éloignements des discours.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>En effet si ce discours se retrouve « isolé » sur le graphique (selon ses caractéristiques linguistiques), c’est à cause de variables qui sont liées à la dimension grammaticale du discours :</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/367783/original/file-20201105-23-1bqej7p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/367783/original/file-20201105-23-1bqej7p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=210&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/367783/original/file-20201105-23-1bqej7p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=210&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/367783/original/file-20201105-23-1bqej7p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=210&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/367783/original/file-20201105-23-1bqej7p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=264&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/367783/original/file-20201105-23-1bqej7p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=264&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/367783/original/file-20201105-23-1bqej7p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=264&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">spécificités des discours.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dans la dernière colonne, on lit les catégories qui sont spécifiques de ce discours du 28 octobre (sur-représentées par rapport à l’ensemble), à savoir : des chiffres ; des noms supplémentaires (personne, an – notamment) ; des adverbe supplémentaire (plus, ne, pas, aussi – notamment) ; des articles indéfinis (un, une, des) ; des adjectifs interrogatifs (quels/quelle/quelles) ; et des pronoms possessifs (nôtre, nôtres).</p>
<p>Ce qui donne des exemples emblématiques comme :</p>
<hr>
<blockquote>
<p>L’âge est le facteur prépondérant. 85 % des malades décédés ont plus de 70 ans. Notre deuxième objectif c’est de protéger les plus jeunes. Je l’ai déjà dit, si le virus tue les plus âgés, il tue aussi, même si c’est plus rare, les plus jeunes.</p>
</blockquote>
<p>ou</p>
<blockquote>
<p>Ce nouveau confinement ne réussira que par la mobilisation de tous et chacun à son rôle à jouer. Aux personnes à risque, aux plus vulnérables, aux personnes âgées de plus de 70 ans, je demande une vigilance accrue.</p>
</blockquote>
<p>ou encore</p>
<blockquote>
<p>si ce système peut être efficace avec quelques milliers de cas par jour, nous avons aujourd’hui entre 40 000 et 50 000 contaminations quotidiennes dépistées, sans doute en réalité le double. Ce système n’est plus efficace, et d’ailleurs aucun pays européen ne le retient plus aujourd’hui.</p>
</blockquote>
<p>On remarque dans ce nouveau discours quelques caractéristiques argumentatives intéressantes : usage de la comparaison et de la quantification, usage de tournures impersonnelles pour désigner (personnes, génération), usage de la négation pour contraster avec ce qui a été fait et ne fonctionne pas.</p>
<p>La stratégie discursive est donc de déshumaniser le plus possible les propos et d’adopter une démarche comparative qui minimise l’importance de la décision politique (qui s’imposerait de manière factuelle uniquement). Ce discours s’inscrit donc en contraste avec les précédents, par sa forme comme par son contenu, probablement car il fait implicitement l’aveu d’un échec, et d’un changement de cap, défini comme imprévu, qu’il faut justifier. En effet, le président avait indiqué que <a href="https://www.20minutes.fr/sante/2896155-20201030-oui-macron-bien-dit-prets-cas-deuxieme-vague">« Nous serons prêts en cas de seconde vague »</a> et le reconfinement semble signifier que cette préparation n’était pas suffisante.</p>
<p>Ceci s’inscrit néanmoins dans une stratégie plus permanente du « quoi qu’il en coûte », qui ne dit pas forcément ce qu’elle est.</p>
<h2>Ce qu’il en coûte</h2>
<p>L’expression « quoi qu’il en coûte » est utilisée dans les différents discours du président, notamment 3 fois dans l’<a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/03/12/adresse-aux-francais">adresse aux Français du 12 mars</a>, et revient le <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/10/28/adresse-aux-francais-28-octobre">28 octobre</a> : « Comme au printemps, le « quoiqu’il en coûte », cette réponse économique parmi les plus protectrices du monde se poursuivra » ; elle est reprise dans la communication numérique :</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1321555684597682177"}"></div></p>
<p>A un premier niveau, on interprète cela d’un point de vue économique, en fonction des conséquences pour les entreprises ou les travailleurs, dans le sens suivant :</p>
<blockquote>
<p>« Entraîner telle ou telle dépense. Coûter de l’argent, coûter les yeux de la tête (fam.) ». (<a href="http://atilf.atilf.fr">Trésor de la Langue Française informatisé
</a></p>
</blockquote>
<p>Si les conséquences du confinement vont « coûter » de l’argent, elles vont aussi être plus généralement désagréables : en effet le verbe coûter peut également signifier :</p>
<blockquote>
<p>« Nécessiter la réalisation d’une chose difficile et/ou désagréable. ».</p>
</blockquote>
<p>On peut ainsi lire ce « quoi qu’il en coûte » comme « quelles que soient les conséquences désagréables/difficiles ».</p>
<p>On comprend mieux alors pourquoi le discours du 28 octobre prend ses distances avec les autres discours : il cherche à éviter la responsabilité du « coût », en mettant à distance les décisions, les référents, les appréciations, pour se situer dans un univers de chiffres, de comparaison, et de référents « flous ».</p>
<p>Pourtant, si le coût de l’épidémie était estimé début septembre à <a href="https://www.ouest-france.fr/economie/impots-fiscalite/vrai-ou-faux-ce-que-le-covid-coutera-au-contribuable-futur-6957707">194 milliards d’euros</a> « le remboursement incombera aux générations futures ».</p>
<p>Aussi, le « quoi qu’il en coûte » est certes un argument politique (<em>nous ferons tout ce qu’il faudra</em>) mais aussi, en filigrane, une prédiction pessimiste de la pénibilité qui va peser sur les citoyens. La tournure impersonnelle s’inscrit bien dans cette stratégie de dissimulation de la pénibilité, puisqu’aucun actant (qui agirait ou qui subirait l’action) n’est identifié.</p>
<h2>Une argumentation réussie ?</h2>
<p>On pourrait conclure à une réussite de cette argumentation, car une enquête publiée par l’<a href="https://www.ifop.com/publication/les-reactions-des-francais-a-lallocution-demmanuel-macron-du-28-octobre/">IFOP</a> révèle ainsi à propos de ce discours :</p>
<blockquote>
<p>« ce discours s’est voulu plus pédagogue et permet à l’exécutif d’enregistrer une adhésion majoritaire des Français aux nouvelles mesures restrictives. Ainsi, la généralisation du télétravail est plébiscitée à 92 %, tout comme les cours à distance dans les universités (83 %), et l’interdiction des rassemblements dans les lieux privés (77 %). A la différence du premier confinement, les visites dans les Ehpad restent autorisées, ce qui convainc 71 % des Français. La mesure proposée dans cette étude remportant le moins d’adhésion est la fermeture des bars et restaurants, mais son taux d’adhésion reste majoritaire (53 %). »</p>
</blockquote>
<p>On peut bien sûr imaginer que le discours s’est fondé sur une crainte de la <a href="https://www.rtl.fr/actu/politique/les-infos-de-6h-reconfinement-le-gouvernement-redoute-la-reaction-des-francais-7800912572">réaction des Français</a>, et qu’il a anticipé en cherchant à obtenir le « consentement des gouvernés », avec une certaine « liberté sous domination » :</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/zlk2daSQ81g?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Si on perçoit ici le recours aux « relations publiques » (qui sont, selon cette vidéo, une manière de désigner la propagande de manière positive), il est notable que la stratégie a résolument changé par rapport au printemps : l’argumentation est moins empathique, il y a une plus grande mise à distance des propos, une prise en charge plus neutre, qui espère sans doute justifier cette liberté sous contrainte qui permettrait l’amélioration de la crise sanitaire.</p>
<p>Cette stratégie de neutralisation et d’objectivation du propos donne le sentiment d’une nécessité inéluctable, qui n’est pas « assumée » linguistiquement mais imposée par les chiffres, les écarts, et les oppositions.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/149471/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Longhi a reçu des financements de l'Institut universitaire de France, de l'ANR, de CY Cergy Paris université. </span></em></p>L’analyse des discours du président peut aider à comprendre la gestion de la crise de la Covid-19.Julien Longhi, Professeur des universités en sciences du langage, CY Cergy Paris UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.