tag:theconversation.com,2011:/uk/topics/fascisme-41110/articlesfascisme – The Conversation2024-03-13T15:56:20Ztag:theconversation.com,2011:article/2249892024-03-13T15:56:20Z2024-03-13T15:56:20ZComprendre le complexe rapport de l’Espagne à la figure de Franco<p><em>Francisco Franco aura exercé le pouvoir en Espagne pendant 39 ans, de 1936 à sa mort en 1975. Lors de la guerre civile (1936-1939), il bénéficia de l’appui décisif de l’Allemagne hitlérienne et de l’Italie mussolinienne, qu’il soutint durant la Seconde Guerre mondiale sans pour autant y engager ouvertement son pays. Les trente années d’après-guerre furent celles d’une dictature personnelle d’idéologie nationale-catholique, ne laissant aucune place à l’opposition. Les victimes de son règne, et spécialement des exactions de ses troupes durant la guerre civile et au cours des années suivantes, se comptent en dizaines de milliers.</em></p>
<p><em>Pourtant, le personnage ne suscite pas aujourd’hui un rejet unanime dans son pays, où l’on assiste dernièrement à la percée du parti d’extrême droite Vox qui, sans se dire franquiste, porte sur son action un regard complaisant. Sophie Baby, maîtresse de conférences HDR en histoire contemporaine à l’Université de Bourgogne et membre honoraire de l’Institut universitaire de France publie aujourd’hui aux Éditions La Découverte <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/juger_franco_-9782348079061">« Juger Franco ? Impunité, réconciliation, mémoire »</a>, un ouvrage appelé à faire date qui revient sur les défis posés par la violence du franquisme, sur sa difficile appréhension par l’Espagne d’après-1975, rapidement devenue démocratique, sur ses traces encore visibles, et aussi sur la dimension internationale des problématiques mémorielles liées aux quatre décennies de pouvoir du Caudillo.</em></p>
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<p>Le général Francisco Franco, décédé le 20 novembre 1975 après avoir présidé pendant près de quarante ans au destin de l’Espagne, n’a pas été jugé et ne le sera jamais. Sa dépouille a longtemps trôné face à l’autel, sous les dalles de la basilique de Valle de los Caídos, façonnée à la gloire de la « Croisade » par la main-d’œuvre esclave du régime, à quelques kilomètres de la capitale. Recouverte de couronnes et de fleurs fraîches, sa tombe attirait les nostalgiques, qui honoraient sa mémoire du salut fasciste et d’une messe célébrée pompeusement chaque 20-N par les fidèles gardiens du lieu. Jusqu’à ce qu’en octobre 2019, le gouvernement socialiste de Pedro Sánchez organise le transfert de son cercueil vers le caveau familial, selon un cérémonial qui reflétait à la fois le changement de régime mémoriel amorcé au tournant du siècle et la prégnance de conservatismes qui ne cessent d’interpeller l’observateur étranger. La mémoire de celui qui avait affirmé être prêt à tuer la moitié du pays au nom de sa salvation n’est pas bannie par-delà les Pyrénées, une fondation éponyme subventionnée jusqu’à il y a peu par l’État porte son héritage, valorisé par nombre d’Espagnols rétifs à remuer les cendres du passé et à porter un jugement définitif, moral et politique, sur le régime franquiste.</p>
<p>Comment peut-on refuser encore de condamner la mémoire du dictateur parvenu au pouvoir à l’aide des avions d’Hitler et des troupes de Mussolini, après trois ans d’une guerre civile provoquée par le soulèvement du 18 juillet 1936, dans cette Espagne devenue depuis les années 1980 une démocratie consolidée, pleinement intégrée à l’Union européenne ? C’est ce paradoxe, toujours irrésolu et à vif, qui est à l’origine de ce livre, mû par le désir de comprendre l’ébullition mémorielle conflictuelle aujourd’hui à l’œuvre en Espagne et plus encore, de déchiffrer cette énigme, pour ce pays si proche, d’une impunité persistante du franquisme.</p>
<h2>Juger Franco ? Le paradoxe espagnol</h2>
<p>L’ouvrage explore les impulsions et les résistances à l’insertion de l’Espagne dans l’âge global de la mémoire qui s’est emparé du monde occidental à la fin du XX<sup>e</sup> siècle, face aux traces irréductibles des violences de masse qui l’ont endeuillé.</p>
<p>La société espagnole aborda le XXI<sup>e</sup> siècle par un retour sur la « dernière catastrophe » (Henry Rousso) de son histoire, la guerre civile de 1936-1939. Un mouvement civique dit de « récupération de la mémoire historique », né en l’an 2000, engagea l’Espagne dans cette ère de la mémoire. Jusque-là dominait le grand récit de la réconciliation, cristallisé pendant la transition à la démocratie (1975-1982) et qui s’était imposé dans les années 1980 comme le mythe fondateur de la démocratie espagnole. La rupture avec le passé, interprété comme un long cycle de violences fratricides et éternellement vengeresses, était incarnée par la loi d’amnistie de 1977, qui avait prononcé l’absolution mutuelle des crimes de nature politique commis jusqu’alors, qu’ils aient été perpétrés par les opposants au régime ou par ses agents. Les légitimités d’antan étaient ainsi absorbées au profit d’une nouvelle légitimité partagée, démocratique et déracinée. Franco n’avait pas été jugé et les crimes du régime ne pourraient jamais l’être.</p>
<p>L’irruption de la « mémoire historique » a fait basculer ce régime d’historicité tourné vers un futur sans passé dans un présentisme qui révélait les failles de l’utopie modernisatrice transitionnelle. Le passé était bien vivant, incarné par les ossements retrouvés dans les fosses communes, dont les exhumations témoignaient du nombre stupéfiant et d’une présence disruptive, dispersée sur tout le territoire. Les pouvoirs publics se sont emparés, à reculons, de ces nouvelles aspirations : deux lois mémorielles ont été adoptées, par des gouvernements de gauche, en 2007 puis en 2022. Les crimes du franquisme pourraient-ils être poursuivis, en tant que crimes contre l’humanité, imprescriptibles et non amnistiables ? Rien de moins sûr, au regard de l’indignation soulevée à cette éventualité dans les rangs de la droite espagnole, aiguillonnés par l’essor d’une extrême droite néopopuliste et farouchement réactionnaire.</p>
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<p>Ce changement global de régime mémoriel, d’un paradigme réconciliateur fondé sur l’oubli des crimes du passé à un autre, arqué sur le devoir de mémoire et la lutte contre l’impunité, est au cœur de ce livre. Celui-ci fait le choix décisif, qui en constitue l’originalité, de s’écarter de l’intensité d’un présent autarcique et écrasant par un double décentrement du regard, plongeant d’une part dans la longue durée et embrassant, d’autre part, un ailleurs mondialisé.</p>
<h2>Sortir de la violence : le temps long d’un espace euro-américain de la mémoire</h2>
<p>L’Espagne est loin d’avoir été une terre isolée, étrangère aux dynamiques fondatrices du monde de l’après-guerre, étanche aux mutations globales qui affectaient la relation de l’Occident à son passé tragique. Le pays s’est approprié tout en les adaptant des pratiques, des catégories, des normes venues d’ailleurs au fil des opportunités politiques. Il en a aussi été acteur et créateur, un temps modèle de réconciliation et même champion de la lutte contre l’impunité, à l’heure de l’arrestation du général Pinochet en 1998 sur ordre d’un juge espagnol, avant d’être taxé de contre-modèle mémoriel. L’analyse réinsère ainsi le cas espagnol dans une histoire globale des droits de l’homme, de la criminalisation des violences de masse, de la mémoire et de la victimisation contemporaine, de la justice pénale internationale, qu’il vient enrichir de ses paradoxes et de sa projection transnationale.</p>
<p>L’histoire de l’Espagne constitue un laboratoire d’expériences privilégié parce que s’y entrelacent conflits et sorties de conflits, saisis dans l’épaisseur de leurs temporalités, sur une longue durée, faite de jeux et rejeux sans cesse réactivés. Il faut remonter dans le temps même de la guerre pour happer les fondements, les élans et les mutations, les déboires et les résidus des dynamiques de criminalisation et d’absolution du franquisme. En proposer une histoire non linéaire, qui complexifie la polarité binaire apparente entre un modèle amnistiant et un modèle punitif de sortie de violence, implique de revenir à ces origines pour en suivre le fil.</p>
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<p>Au lent processus de sortie de guerre civile se superposa la guerre mondiale, qui éclata quelques mois après la reddition républicaine. Les exilés qui avaient fui en masse les représailles, en France surtout, furent emportés dans la tourmente du conflit mondial, s’y mêlant comme travailleurs forcés du nazisme, combattants de la Libération, résistants, déportés, et furent impliqués de fait dans les logiques judiciaires et réparatrices de l’après-guerre. La dénonciation du franquisme se déploya ainsi dans un espace nécessairement transnational et, plus précisément, euro-américain. L’Espagne apparaît même, en ce second XX<sup>e</sup> siècle, comme un maillon central d’une Euro-Amérique pluriséculaire, réactivée par les conséquences de la guerre d’Espagne.</p>
<p>Aux dynamiques de cette double sortie de guerre, qui retentirent jusqu’à la fin du siècle, s’ajoutèrent à la mort de Franco les dynamiques de sortie d’une dictature longue de près de quarante années, draguant leur lot de crimes et de victimes. L’après-franquisme fut à son tour la proie d’un nouveau cycle de violences, le terrorisme basque se prolongeant jusqu’à l’orée du siècle suivant, générant des strates supplémentaires de dispositifs de sortie de violence. Loin de faire face à la « dernière catastrophe » uniquement, l’Espagne a été confrontée à un enchevêtrement de sorties de violence, aux échos en miroir et aux résonances résurgentes tout au long du siècle, à l’origine de logiques victimaires exponentielles et concurrentes.</p>
<h2>Ancrer l’enquête transnationale</h2>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/581301/original/file-20240312-30-htczlm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/581301/original/file-20240312-30-htczlm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/581301/original/file-20240312-30-htczlm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=889&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/581301/original/file-20240312-30-htczlm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=889&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/581301/original/file-20240312-30-htczlm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=889&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/581301/original/file-20240312-30-htczlm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1117&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/581301/original/file-20240312-30-htczlm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1117&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/581301/original/file-20240312-30-htczlm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1117&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Cet extrait est tiré de « Juger Franco ? Impunité, réconciliation, mémoire », de Sophie Baby, qui vient de paraître aux éditions La Découverte.</span>
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<p>L’espace transnational euro-américain dans lequel se projettent les acteurs pour dessiner l’après-franquisme est à la fois un tremplin pour légitimer des aspirations, contourner les obstacles rencontrés dans la péninsule, contraindre les pouvoirs publics nationaux, et un réservoir de ressources, d’idées, de dispositifs, de réseaux mobilisables pour donner corps, rendre intelligible ou renouveler une cause balbutiante qui contribue à son tour à redessiner les tendances globales. Les pages qui suivent pointent de manière impressionniste la focale sur un prisonnier, une veuve de déporté, une militante des droits humains, un médecin légiste, une association, une commission d’enquête, un tribunal. Des fils sont tirés dans la longue durée, comme autour de Guernica, ville emblématique qui a connu une projection internationale précoce de la gestion de son passé, où s’entremêlent les temporalités dans un environnement hautement conflictuel, révélant, par-delà sa singularité totémique, des dynamiques partagées.</p>
<p>L’enquête ressuscite les récits alternatifs, les entreprises souterraines et reléguées aux marges, les projets imaginés mais non aboutis, les initiatives esquissées puis abandonnées. Sans ces autres chemins ébauchés, le renversement de régime mémoriel observé au début du XXI<sup>e</sup> siècle aurait-il été possible ? Le souffle puissant de la réconciliation avait-il éteint toute soif de justice ? La voix impérieuse de « l’oublieuse mémoire liée à la refondation prosaïque du politique » avait-elle fait disparaître « la voix de l’inoublieuse mémoire » (Paul Ricœur) ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224989/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sophie Baby ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Franco, mort en 1975, n’a jamais été jugé, mais des lois mémorielles ont été promulguées pour entretenir la mémoire de ses victimes.Sophie Baby, Maîtresse de conférences HDR en histoire contemporaine, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2147712023-11-02T13:43:07Z2023-11-02T13:43:07ZLe régime de Vladimir Poutine est autoritaire et détestable, mais on ne peut le qualifier de fasciste<p>La <a href="https://ici.radio-canada.ca/guerre-ukraine">guerre en Ukraine</a> a entraîné un recours accru au concept de fascisme pour qualifier le régime russe actuel. Mais est-ce le bon terme ?</p>
<p>Comme spécialiste de la Russie postsoviétique et, par ailleurs, en tant que professeur enseignant la politique comparée sur le fascisme, les dictatures et les idéologies autoritaires, un tel qualificatif suscite mon étonnement. </p>
<p>À moins de redéfinir le concept pour l’adapter à la Russie poutinienne, il ne me semble guère judicieux de si mal nommer les choses. Car de l’étiquette attribuée à la Russie dépend l’attitude à entretenir à son égard. On ne se comporte pas envers un régime fasciste de la même manière qu’à l’endroit d’une dictature militaire ou conservatrice. Les perspectives d’évolution ne sont d’ailleurs pas les mêmes. </p>
<p>L’armée russe a certes envahi l’Ukraine pour des raisons, à mon avis, à la fois <a href="https://lautjournal.info/20220422/ukraine-expliquer-nest-pas-justifier">explicables et injustifiables</a>. Il est compréhensible que les images diffusées quotidiennement sur la guerre en Ukraine avec les massacres, les destructions, les millions de réfugiés et autres malheurs génèrent de fortes émotions nourrissant la détestation du régime Poutine.</p>
<p><a href="https://www.rfi.fr/fr/podcasts/les-dessous-de-l-infox-la-chronique/20230224-le-discours-de-poutine-sur-la-d%C3%A9nazification-de-l-ukraine-%C3%A0-l-%C3%A9preuve-des-faits">Le président russe lui-même justifie ses actions auprès de sa population en présentant l’Ukraine comme un pays à « dénazifier »</a>, rappelant à cette fin les massacres dont s’est rendu responsable l’armée ukrainienne <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_du_Donbass">au Donbass depuis 2014</a>, la <a href="https://www.lesoleil.com/2022/03/05/qui-sont-ces-neonazis-dans-larmee-ukrainienne-bd2d1489a62bb6ce1cd210f0abe72bc5/">présence de néonazis dans certains bataillons</a>, les lois répressives à l’égard des russophones, etc. L’analyse politique avisée invite cependant à se méfier de la propagande et de l’usage de concepts inappropriés.</p>
<h2>Pas d’« Homme nouveau » dans la Russie de Poutine</h2>
<p>Le fascisme, en tant qu’idéologie et régime, se veut « révolutionnaire », au sens où il cherche à mobiliser les masses, par l’entremise d’un parti unique mu par une idéologie totalitaire antilibérale, antimarxiste et anticonservatrice. Cette mobilisation opère dans une atmosphère de violence généralisée et officiellement valorisée, en vue d’une transformation totale de la société au bout de laquelle émerge un « Homme nouveau ». Chez des spécialistes tels <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Walter_Laqueur">l’historien juif allemand Walter Laqueur</a> ou <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Roger_Griffin">l’historien et politologue britannique Roger Griffin</a>, il s’agit là d’un minimum pour définir le fascisme.</p>
<p>À maints égards, le régime Poutine s’en trouve fort éloigné. Non seulement n’est-il pas question d’« Homme nouveau », mais le président et ses sbires évoquent fréquemment le « déclin de l’Occident », lui reprochant d’avoir <a href="http://en.kremlin.ru/events/president/news/69695">rompu avec les valeurs traditionnelles</a> en désignant notamment la montée du « wokisme ». Ce discours leur vaut d’ailleurs la sympathie de dirigeants étrangers, <a href="https://www.lapresse.ca/international/europe/2022-04-02/la-guerre-profite-a-viktor-orban.php">dont le Hongrois Viktor Orban</a>. </p>
<p><a href="https://www.lapresse.ca/international/europe/2023-10-05/la-mission-de-la-russie-est-de-batir-un-nouveau-monde-assure-vladmir-poutine.php">« Le nouveau monde »</a> récemment évoqué par Poutine fait référence non pas à un « Homme nouveau » mais à l’émergence d’un système international pluraliste et sans hégémonie, dans lequel la Russie trouverait la place qu’il estime lui revenir.</p>
<h2>Un régime conservateur et réactionnaire</h2>
<p>Loin de constituer une idéologie vouée à la transformation de la société russe, le discours du Kremlin se veut au contraire conservateur. On l’a vu avec le <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2015-5-page-74.htm">rôle important accordé à l’Église orthodoxe</a>, dont les positions se distinguent par leur caractère particulièrement réactionnaire. On peut également mentionner une certaine réhabilitation du passé tsariste. </p>
<p>Les dictatures conservatrices ne cherchent surtout pas à mobiliser les masses, qu’on préfère passives. Assiste-t-on à des parades fréquentes à l’échelle de toute la Russie, à une enrégimentation de la société, tout cela dans le but de former une communauté nationale conquérante se préparant à la guerre ? Les régimes nazi et fasciste ne dissimulaient aucunement leurs intentions à ce sujet et la société était préparée à l’aide d’une intense propagande. </p>
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<img alt="Une affiche dans une rue montre un soldat portant un masque noir et un casque kaki, avec des passants en arrière-plan" src="https://images.theconversation.com/files/556925/original/file-20231031-19-gmypqs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/556925/original/file-20231031-19-gmypqs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/556925/original/file-20231031-19-gmypqs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/556925/original/file-20231031-19-gmypqs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/556925/original/file-20231031-19-gmypqs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/556925/original/file-20231031-19-gmypqs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/556925/original/file-20231031-19-gmypqs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La vie continue comme si de rien n’était à Moscou, malgré la guerre en Ukraine et les affiches invitant à rejoindre les rangs de l’armée.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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<p>Même l’art et l’architecture étaient mis au service du régime et de ses projets de domination. En Russie, la propagande sert au contraire à nier toute intention de conquête en invoquant tantôt la lutte contre le « nazisme » ukrainien, tantôt la résistance à l’expansion de l’OTAN. Il est d’ailleurs strictement interdit d’utiliser le mot « guerre » auquel on substitue l’expression « opération militaire spéciale ». </p>
<p>Dans les régimes fascistes, le parti, armé et violent, joue un rôle central et indispensable comme instrument de mobilisation, de formation des cadres et de diffusion de l’idéologie. Dans les dictatures conservatrices, dont faisaient partie autrefois l’Espagne de Franco, le Portugal de Salazar, la Hongrie de Horthy et quelques autres, le parti du pouvoir joue un rôle secondaire, comme c’est le cas pour Iedinaïa Rossia (Russie unie). Il n’existe d’ailleurs pas d’idéologie unique et officielle en Russie. Le régime reconnaît l’existence d’autres partis politiques et d’autres courants de pensée, représentés par des députés au parlement, tels le Parti communiste et des partis libéraux.</p>
<h2>Les traits autoritaires du régime politique russe</h2>
<p>Le régime comporte évidemment diverses caractéristiques propres à l’autoritarisme, accentuées depuis par la guerre et les difficultés qu’elle entraîne. L’essentiel du pouvoir se trouve entre les mains de la branche exécutive, à commencer par le président, occupé à maintenir l’équilibre entre les intérêts les plus puissants du pays : forces de répression, « oligarques », bureaucratie et autres. En cela, le régime épouse certains traits du <a href="https://www.cahiersdusocialisme.org/la-russie-de-vladimir-poutine-un-regime-bonapartiste/">bonapartisme</a>. </p>
<p>Les élections se déroulent en l’absence d’une répartition équitable des ressources. La censure s’est renforcée, surtout pour tout ce qui concerne la guerre. Des <a href="https://www.sudouest.fr/international/russie/assassines-emprisonnes-exiles-quel-est-le-sort-reserve-aux-opposants-de-poutine-14825840.php">opposants actifs ont été emprisonnés</a>. Avec l’enseignement du patriotisme, la propagande du régime <a href="https://www.watson.ch/fr/international/russie/194156830-la-propagande-du-kremlin-s-infiltre-dans-les-ecoles-russes">cherche à s’insinuer dès l’école primaire</a>. Mais tout cela demeure bien loin d’une tentative de révolution anthropologique. </p>
<p>Certes, il existe en Russie des personnalités et des groupuscules adhérant à une quelconque forme d’idéologie fasciste. Mais ils se trouvent confinés à la marginalité, surtout depuis 2008-2010, le système judiciaire appliquant avec succès la loi interdisant l’incitation à la haine interethnique et les symboles nazis, notamment.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/poutine-mene-aussi-une-autre-guerre-celle-contre-lhistoire-179506">Poutine mène aussi une autre guerre : celle contre l’Histoire</a>
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<h2>Un régime qui se sent menacé</h2>
<p>La plus grande crainte des dirigeants russes actuels provient de l’impopularité des résultats de la transition postsoviétique. </p>
<p>Diverses enquêtes d’opinion témoignent du <a href="https://www.ledevoir.com/opinion/idees/659133/politique-internationale-la-fragilite-de-la-russie-de-vladimir-poutine">rejet majoritaire de la propriété privée au profit de la propriété d’État, de la nette préférence pour la planification plutôt que pour le marché, de la nostalgie pour la période Brejnev</a>, du dégoût pour la corruption, etc. C’est pour cela que l’ordre établi se sent menacé par les « révolutions de couleur » qui ont affecté l’Ukraine, la Géorgie, le Kirghizstan, et les mouvements de contestation plus récents au Belarus et au Kazakhstan. </p>
<p>La crainte que de tels soubresauts influencent la population russe constitue un sujet de préoccupation majeur qui pousse les autorités à se mêler de la vie politique de leurs voisins, tout comme les États-Unis ont contribué à mettre en place des dictatures dans plusieurs pays d’Amérique latine afin d’y contrer la montée révolutionnaire ou même les gouvernements jugés trop nationalistes.</p>
<p>La Russie se distingue par la faiblesse de l’ordre social consécutif à l’effondrement du régime soviétique, ce qui confère à l’État un caractère plus répressif que dans une société comme la nôtre où les classes possédantes ne se sentent guère menacées sur le plan idéologique. </p>
<p>Sa politique étrangère reflète à la fois cette insécurité politique face aux mouvements de contestation (comme c’était d’ailleurs le cas à l’époque soviétique) et son insécurité militaire devant l’expansion de l’OTAN. La Russie est limitée par une économie de type périphérique, dont la croissance est en grande partie axée sur l’exportation de matières premières et donc dans un état de subordination par rapport aux économies des pays développés. Les autorités russes ne disposent guère des moyens de se lancer dans une politique de conquête à grande échelle même si telle était leur volonté. </p>
<p>Ainsi, l’étiquette de fasciste ou les parallèles avec l’Allemagne hitlérienne relèvent davantage de considérations idéologiques que d’une volonté de réellement bien cerner la situation réelle. Elle ne saurait nous éclairer sur le fonctionnement du système politique de la Russie postsoviétique, ou sur la guerre que mène Vladimir Poutine en Ukraine.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214771/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Roche ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le régime de Vladimir Poutine est autoritaire, conservateur et réactionnaire. Mais il ne peut être qualifié de fascisme, une idéologie qui se veut révolutionnaire et totalitaire.Michel Roche, Professeur de science politique, Université du Québec à Chicoutimi (UQAC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1915572022-10-06T13:15:22Z2022-10-06T13:15:22ZItalie : la victoire de Giorgia Meloni s’explique par la stabilité du vote conservateur<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/487800/original/file-20221003-467-48eps4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C8%2C5991%2C4284&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Far-Right party Brothers of Italy's leader Giorgia Meloni shows a placard reading in Italian "Thank you Italy" at her party's electoral headquarters in Rome, early Monday, Sept. 26, 2022. Italians voted in a national election that might yield the nation's first government led by the far right since the end of World War II. </span> <span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Gregorio Borgia)</span></span></figcaption></figure><p>Comment expliquer la victoire de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Giorgia_Meloni">Giorgia Meloni</a> ?</p>
<p>L’arrivée à la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Pr%C3%A9sident_du_Conseil_des_ministres_d%27Italie">Présidence du Conseil</a> de la chef d’un parti, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fr%C3%A8res_d%27Italie_(parti_politique)">Fratelli d’Italia</a> (FdI) dont les origines remontent au fascisme représente-t-elle une rupture profonde dans l’histoire de l’Italie républicaine ?</p>
<p>La coalition de centre droit à laquelle appartiennent Giorgia Meloni et son parti dominera en effet clairement la Chambre des députés et le Sénat, avec presque 60 % des sièges (mais pas les deux tiers qui lui auraient permis de modifier la constitution sans recourir au référendum). <a href="https://it.wikipedia.org/wiki/Elezioni_politiche_in_Italia_del_2022">Son parti a engrangé nettement plus d’appuis (26 %) que ses partenaires principaux réunis, la Ligue de Matteo Salvini (8,8 %) et Forza Italia de Silvio Berlusconi (8,1 %)</a>.</p>
<p>S’il y a bien une filiation historique entre FdI, créé en 2012, et le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Mouvement_social_italien_%E2%80%93_Droite_nationale">Mouvement social italien (MSI)</a>, né en 1946 sur les ruines du fascisme, les dirigeants successifs de cette mouvance ont préféré se décrire comme relevant de la droite nationale ou encore du nationalisme conservateur. Si Giorgia Meloni ne s’est pas gênée pour envoyer des signaux aux membres des groupes d’extrême droite les plus radicaux, le programme de FdI et celui de la coalition de centre droit reprennent essentiellement des thèmes conservateurs et nationalistes présents depuis plusieurs élections.</p>
<p>Je travaille depuis plus de vingt ans sur l’histoire politique italienne, le fascisme et les idéologies autoritaires. J’ai notamment publié <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/ps/2004-v23-n2-3-ps879/010894ar/"><em>L’extrême droite en Europe. France, Autriche, Italie</em></a> et <a href="https://www.erudit.org/en/journals/scientia/1900-v1-n1-scientia0458/1014344ar.pdf"><em>A Total Science, Statistics in Liberal and Fascist Italy</em></a>). J’hésite cependant à tirer des conclusions trop rapides sur un possible retour au fascisme. Je souhaiterais plutôt attirer l’attention sur ce qui change et ce qui ne change pas dans la politique italienne avec l’élection du 25 septembre, et me limiter pour le moment à quatre constats que m’inspirent les dernières élections.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/487810/original/file-20221003-26-71tkyk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/487810/original/file-20221003-26-71tkyk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/487810/original/file-20221003-26-71tkyk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/487810/original/file-20221003-26-71tkyk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/487810/original/file-20221003-26-71tkyk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/487810/original/file-20221003-26-71tkyk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/487810/original/file-20221003-26-71tkyk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une soirée avant la victoire : de gauche à droite, Matteo Salvini, de la Ligue, Silvio Berlusconi, de Forza Italia, Giorgia Meloni, des Fratelli d’Italia, et Maurizio Lupi, de Noi Con l’Italia, participent au rassemblement de clôture de la coalition de centre droit à Rome, le 22 septembre 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Gregorio Borgia)</span></span>
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</figure>
<h2>1. La participation électorale continue de baisser</h2>
<p>L’élection de dimanche a établi un record de faible participation. <a href="http://www.archivioelettorale.it/joomla/index.php?option=com_content&view=article&id=15253:elezioni-politiche-italia-tasso-di-partecipazione-dal-1948-camera-deputati&catid=327:news&Itemid=115">Bien que lentement déclinant depuis les années 1980, le taux de participation s’est maintenu au-dessus de 80 % jusqu’en 2008. Après la chute est raide : 75 % en 2013, 73 % en 2018, et finalement 64 % en 2022</a>.</p>
<p>C’est un phénomène difficile à expliquer. On peut dire que chaque vote compte, puisque 67 % des sièges sont attribués à la proportionnelle. On peut dire aussi qu’avec plus de 30 partis, le choix ne manque pas. L’âge minimum pour voter pour les sénateurs, jusqu’alors de 25 ans, a été abaissé à 18 ans. Quoi qu’il en soit, de 2008 à 2022, on compte quelque 6 millions de votes valides en moins (dont un million à cause de la contraction du corps électoral, l’Italie étant un pays vieillissant).</p>
<p>Rien de cela ne suggère donc un sentiment d’urgence chez les Italiens, une mobilisation enthousiaste pour, ou contre un retour au fascisme.</p>
<h2>2. Une majorité conservatrice stable</h2>
<p>Huit élections ont été tenues en Italie depuis 1994. De ce nombre, cinq se sont soldées par une nette domination du centre droit, avec une avance de 12 % en moyenne sur le centre gauche. Ces derniers ont devancé le centre droit trois fois, mais avec des avances de 1 % en moyenne.</p>
<p>Évidemment, de nombreux facteurs entrent ici en jeu, qui ne sont pas sans effets : ainsi, on a connu durant cette période trois systèmes électoraux, les coalitions se sont faites et défaites, et on a assisté, en marge des deux grandes coalitions, à la montée du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Mouvement_5_%C3%A9toiles">Mouvement 5 étoiles</a>, un parti politique contestataire ne se voulant ni de gauche ni de droite et faisant l’apologie de la démocratie directe.</p>
<p>Mais ce qui ne fait pas de doute, c’est l’existence d’un bloc électoral conservateur consistant et stable. D’ailleurs, d’une élection à l’autre, les programmes successifs de la coalition se ressemblent passablement.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Giorgia Meloni en train de marcher dans une rue, entourée d’hommes et de femmes" src="https://images.theconversation.com/files/487809/original/file-20221003-22-q53ez.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/487809/original/file-20221003-22-q53ez.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/487809/original/file-20221003-22-q53ez.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/487809/original/file-20221003-22-q53ez.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/487809/original/file-20221003-22-q53ez.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/487809/original/file-20221003-22-q53ez.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/487809/original/file-20221003-22-q53ez.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Déjà au travail : la leader des Fratelli d’Italia, Giorgia Meloni en route pour rencontrer la Société des agriculteurs italiens, à Milan, le 1ᵉʳ octobre 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Luca Bruno)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>3. Du mouvement à droite</h2>
<p>Depuis 1994, la coalition de centre droit s’est organisée autour de trois pôles : le parti de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Silvio_Berlusconi">Sylvio Berlusconi</a>, la Ligue de <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Matteo_Salvini">Matteo Salvini</a>, et le parti issu du néofascisme, maintenant dirigé par Giorgia Meloni.</p>
<p>Malgré des tensions et des ruptures, Berlusconi a nettement et longtemps dominé la coalition, jusqu’à ce qu’il soit poussé vers la sortie sous la pression des scandales sexuels et des dirigeants européens durant la crise de l’euro. En 2018, Forza Italia a perdu de nombreux votes au profit de Matteo Salvini, qui émergeait alors comme le nouveau leader de la coalition (beaucoup d’autres se sont aussi tournés vers le M5S).</p>
<p>Un gouvernement s’appuyant sur le M5S, avec le peu connu Giuseppe Conte comme Président du Conseil et Salvini comme vice-président et ministre de l’Intérieur, a alors vu le jour. En 2019, la Ligue étant à son zénith dans les intentions de vote, Salvini a tenté de faire tomber le gouvernement afin de déclencher des élections dont il espérait sortir grand gagnant.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/oupOzud3A-k?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Matteo Salvini a tenté de faire tomber le gouvernement. Mais cela a terni son image.</span></figcaption>
</figure>
<p>Conte a déjoué la manœuvre en s’associant au Parti démocrate, constituant du coup une majorité alternative. Un succès moindre que prévu de la Ligue aux élections régionales (en raison cette fois d’une véritable mobilisation contre ses politiques migratoires très dures) a terni encore plus l’étoile de Salvini.</p>
<p>Giorgia Meloni et son parti, qui ne se sont pas joint au gouvernement Conte ni au gouvernement « technique » de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Mario_Draghi">Mario Draghi</a>, étaient mieux placés pour capter ce vote conservateur qu’un Berlusconi vieillissant ou un Salvini erratique.</p>
<p><a href="https://italytv.space/giorgia-meloni-candidates-former-berlusconi-with-brothers-of-italy-from-tremonti-to-pecoraro-who-enters-the-party/">Le ralliement public à Meloni de Giulio Tremonti, ministre des Finances sous Berlusconi, l’illustre de façon significative</a>. Plusieurs personnalités associées dans le passé à d’autres formations politiques modérées ou encore issues de la société civile ont également signifié leur appui à FdI, qui s’est révélé capable d’aller bien au-delà de sa base traditionnelle.</p>
<h2>4. L’incapacité de s’allier à gauche</h2>
<p>Le centre droit a aussi bénéficié de l’incapacité de ses adversaires à s’unir contre lui. La coalition de centre gauche, constituée du Parti démocrate (PD) de l’ancien Président du Conseil Enrico Letta et de trois partis plus petits, n’a pas réussi à présenter de liste commune avec la coalition centriste menée, entre autres, par Matteo Renzi, lui-même ancien dirigeant du PD et ancien Président du Conseil.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/487811/original/file-20221003-26-8sca6g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/487811/original/file-20221003-26-8sca6g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/487811/original/file-20221003-26-8sca6g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/487811/original/file-20221003-26-8sca6g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/487811/original/file-20221003-26-8sca6g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/487811/original/file-20221003-26-8sca6g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/487811/original/file-20221003-26-8sca6g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Matteo Renzi s’exprime au Sénat, à Rome, le 14 juillet 2022, avant de voter un projet de loi portant sur diverses mesures économiques.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Gregorio Borgia)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ce qui les séparait était apparemment plus important que ce qui aurait pu les réunir : une volonté de bloquer Meloni et le centre droit. C’était évidemment l’échec programmé, car le système électoral favorise les coalitions. Le centre gauche se retrouve aujourd’hui dans la position où se retrouvait le centre droit, en 1996, lorsque la Ligue a quitté la coalition de Berlusconi, ce qui a entraîné sa défaite.</p>
<h2>À la recherche de stabilité</h2>
<p>Un gouvernement Meloni peut-il durer ? Éclatera-t-il à la faveur de divergences entre ses composantes ?</p>
<p>Depuis 1994, <a href="https://www.governo.it/it/i-governi-dal-1943-ad-oggi/191">il y a eu quatre gouvernements de centre droit, tous présidés par Berlusconi</a>. Ils ont duré en moyenne 27,5 mois contre 15 mois pour un gouvernement de centre gauche (il y en a eu huit, sous six leaders différents). La cohésion semble plus souvent au rendez-vous à droite qu’à gauche.</p>
<p>Si l’on excepte l’étrange interlude du gouvernement Conte auquel appartenait la Ligue, le centre droit n’a pas été au pouvoir depuis 2011 : on peut imaginer que les partenaires mettront de l’eau dans leur vin pour y demeurer et qu’une majorité conservatrice cherchera avant tout la stabilité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/191557/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Guy Prévost a reçu des financements du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH), mais pour d'autres sujets.</span></em></p>Le programme du parti de Giorgia Meloni et celui de la coalition de centre droit reprend essentiellement des thèmes conservateurs et nationalistes présents depuis plusieurs élections.Jean-Guy Prévost, Professeur de science politique, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1909582022-09-23T13:12:44Z2022-09-23T13:12:44ZÉlections en Italie : l’extrême droite au pouvoir, une première depuis Mussolini<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/485638/original/file-20220920-21-3vs1mz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=37%2C0%2C4141%2C2758&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Malgré ses racines fascistes, le parti Fratelli d’Italia (Frères d’Italie) de Giorgia Meloni, ici entourée de Silvio Berlusconi et Matteo Salvini, a vu sa popularité augmenter rapidement à l’approche des élections législatives du 25 septembre.</span> <span class="attribution"><span class="source"> (AP Photo/Andrew Medichini)</span></span></figcaption></figure><p>Appelés aux urnes le 25 septembre prochain, les Italiens éliront <a href="https://www.letemps.ch/monde/linstabilite-systeme-politique-italien-expliquee-trois-minutes">leur 70ᵉ gouvernement en 76 ans</a> depuis la fondation de la république en 1946.</p>
<p>Les <a href="https://www.ladepeche.fr/2022/09/15/italie-une-alliance-entre-la-droite-et-lextreme-droite-va-t-elle-remporter-les-elections-legislatives-10545299.php">récents sondages</a> permettent de prévoir une victoire significative de la coalition de droite sous l’impulsion du parti de Giorgia Meloni, Fratelli d’Italia (Frères d’Italie). Elle deviendrait alors la première Italienne à diriger le gouvernement, mais nul ne sait jusqu’où elle ira à droite ni comment elle maintiendra sa coalition et résistera aux pressions européennes et internationales.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/484354/original/file-20220913-3930-sof8u4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Un homme aux cheveux grisonnants et portant un costume sourit et fait signe de la main" src="https://images.theconversation.com/files/484354/original/file-20220913-3930-sof8u4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/484354/original/file-20220913-3930-sof8u4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/484354/original/file-20220913-3930-sof8u4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/484354/original/file-20220913-3930-sof8u4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/484354/original/file-20220913-3930-sof8u4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/484354/original/file-20220913-3930-sof8u4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/484354/original/file-20220913-3930-sof8u4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Le premier ministre italien Mario Draghi après son adresse au Parlement à Rome en juillet 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Andrew Medichini, File)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le paysage politique italien est notoirement fragmenté et instable. Chaque gouvernement survit difficilement plus d’une année. Les manœuvres et combines politiques constantes font et défont les coalitions gouvernementales — la dernière en date étant le gouvernement d’unité nationale de Mario Draghi, l’ancien président de la Banque centrale européenne, <a href="https://theconversation.com/italian-government-collapse-the-political-chess-moves-behind-mario-draghis-resignation-187648">qui a démissionné en juillet 2022</a>.</p>
<h2>Un parlement sans majorité</h2>
<p>Cette élection est la première depuis 2018. Il y a quatre ans, deux partis contestataires, le Mouvement 5 étoiles et la Ligue, avaient remporté la <a href="https://fr.euronews.com/2018/03/05/legislatives-en-italie-resultats-detailles-et-consequences">pluralité dans un parlement sans majorité</a>. Ils ont réussi à gouverner presque trois ans à travers Giuseppe Conte, un technocrate jugé neutre.</p>
<p>En janvier 2021, le président Sergio Mattarella a désigné un nouveau premier ministre, Mario Draghi, avec le soutien de tous les grands partis — à l’exception des Frères d’Italie. Il s’agissait alors de redresser le gouvernement aux prises avec la pandémie et <a href="https://financialpost.com/pmn/business-pmn/draghis-plan-to-cut-italian-red-tape-clears-hurdle-for-eu-aid">d’assurer le soutien financier de l’Union européenne</a>.</p>
<p>Giorgia Meloni est en bonne voie de remporter la mise, forte d’intentions de vote qui sont <a href="https://www.reuters.com/world/europe/italys-right-heads-clear-election-victory-final-polls-indicate-2022-09-09/">passées de 4 % en 2018 à 25 %</a>. Chatouillant désormais les 50 %, la coalition de droite, qui regroupe la Ligue de Matteo Salvini et Forza Italia de Silvio Berlusconi, peut espérer de solides majorités en Chambre et au Sénat.</p>
<p>La coalition de centre gauche, dominée par Parti démocrate, qui obtient moins de 30 % de soutien, risque d’être reléguée dans l’opposition pendant des années pour avoir refusé de s’associer au Mouvement 5 étoiles.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Une femme blonde parle dans un microphone et pointe vers le haut. Un panneau indiquant Meloni est visible derrière elle" src="https://images.theconversation.com/files/484358/original/file-20220913-4044-xlylo8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/484358/original/file-20220913-4044-xlylo8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/484358/original/file-20220913-4044-xlylo8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/484358/original/file-20220913-4044-xlylo8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/484358/original/file-20220913-4044-xlylo8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/484358/original/file-20220913-4044-xlylo8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/484358/original/file-20220913-4044-xlylo8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Giorgia Meloni lors d’un rallye politique à Ancône en août 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Domenico Stinellis)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Vers une victoire de la droite ?</h2>
<p>Giorgia Meloni, 45 ans, n’avait que 15 ans en 1992 lorsqu’elle s’est jointe au Mouvement social italien (MSI), parti néofasciste héritier de Mussolini.</p>
<p>En 2008, à 31 ans, elle est devenue la <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/italie-5-choses-a-savoir-sur-giorgia-meloni-la-candidate-dextreme-droite-qui-pourrait-arriver-au-pouvoir-1782899">plus jeune ministre d’Italie</a>, gérant le portefeuille de la jeunesse et des sports dans le gouvernement de Berlusconi. En 2012, elle a fondé Fratelli d’Italia en reprenant la rhétorique et les positions populistes du MSI et de l’Alliance nationale, l’ancien partenaire de droite de Berlusconi.</p>
<p>Gonflée à bloc grâce aux récents sondages, Giorgia Meloni entame la dernière ligne droite de sa campagne en se disant « prête à gouverner ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1557275053779189760"}"></div></p>
<p>En Italie, le poste de premier ministre revient habituellement au parti coalisé ayant obtenu le plus de voix. Or, le parti de Giorgia Meloni dépasse désormais les deux autres dans les intentions de vote.</p>
<p>Devant les inquiétudes suscitées par certaines de ses positions radicales et sa rhétorique anti-Union européenne, elle affirme qu’elle gouvernera pour tous les Italiens. <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20220914-giorgia-meloni-c-est-la-nouveaut%C3%A9-la-leader-de-fratelli-d-italia-aux-portes-du-pouvoir">Si elle ne renie plus l’Union européenne et l’OTAN</a>, elle affirme qu’elle les tiendra à l’œil.</p>
<h2>Populisme sauce Meloni</h2>
<p>À l’instar des autres leaders populistes européens, Giorgia Meloni tire parti de la hausse du coût de la vie, du recul démographique, de la fatigue pandémique, des migrations et de l’incertitude économique. Elle promet de redonner le pouvoir au peuple plutôt qu’aux élites, de sécuriser les frontières et de relancer l’économie en réduisant les impôts et les réglementations.</p>
<p>Elle veut renégocier avec l’Union européenne l’énorme plan de relance Covid-19, modifier la constitution pour faire élire le président italien au suffrage universel et freiner l’immigration musulmane, notamment en érigeant un blocus naval face à la Libye.</p>
<p><a href="https://www.bbc.com/news/world-europe-62726468">Son programme</a>, qui s’appuie sur les prétendues valeurs culturelles de la famille italienne « traditionnelle », annonce un recul sur les droits LGBTQ+. Elle a ciblé la populaire série de dessins animés pour enfants, <a href="https://news.dayfr.com/international/1023191.html">Peppa Pig</a>, dont elle veut censurer les épisodes présentant des couples homosexuels.</p>
<p>Ces politiques et son rapprochement vers Marine Le Pen (France) et Viktor Orban (Hongrie) signalent une dérive à droite qui inquiète de nombreux observateurs.</p>
<p>Il reste à savoir si ses deux puissants partenaires à droite, Matteo Salvini et Silvio Berlusconi, la soutiendront longtemps en tant que première ministre. Car même s’ils partagent ses vues économiques libertaires et des perspectives culturelles traditionnelles, leurs différences sont importantes.</p>
<p>La Ligue, sous la direction de Salvini, <a href="https://www.cairn.info/revue-tumultes-2019-2-page-175.htm">s’efforce depuis des années d’élargir son attrait</a> en dehors de son bastion lombard. L’ancienne Ligue du nord essaie de faire oublier son « séparatisme » avec une nouvelle posture anti-immigrants, nouveaux boucs émissaires des malheurs de l’Italie.</p>
<p>Mais il semble que Giorgia Meloni a pu marauder avec succès parmi la clientèle du Mouvement 5 étoiles et de la Ligue séduite par <a href="https://www.sudouest.fr/international/italie-retour-de-flamme-pour-giorgia-meloni-et-l-embleme-de-son-parti-suspecte-de-reference-a-mussolini-12174440.php">son populisme et sa résolution</a>.</p>
<h2>Berlusconi, faiseur de rois</h2>
<p>C’est là qu’intervient Berlusconi, qui a complètement refait son image politique. L’ancien premier ministre, <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2011/11/12/l-italie-adopte-l-austerite-berlusconi-va-bientot-demissionner_1603030_3214.html">forcé de démissionner en 2011</a> puis trouvé <a href="https://l-express.ca/berlusconi-coupable-de-prostitution-de-mineure/">coupable dans des affaires de fraude fiscale et de prostitution</a>, avait été condamné à des travaux communautaires et banni du Parlement, mais un juge a <a href="https://www.tf1info.fr/international/silvio-berlusconi-bientot-de-retour-en-politique-un-tribunal-italien-leve-son-interdiction-d-exercer-un-mandat-public-2087122.html">levé cet interdit en 2018</a>.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/484441/original/file-20220913-3841-jl9ts0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="A balding man in a dark suit smiles and waves" src="https://images.theconversation.com/files/484441/original/file-20220913-3841-jl9ts0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/484441/original/file-20220913-3841-jl9ts0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/484441/original/file-20220913-3841-jl9ts0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/484441/original/file-20220913-3841-jl9ts0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/484441/original/file-20220913-3841-jl9ts0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/484441/original/file-20220913-3841-jl9ts0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/484441/original/file-20220913-3841-jl9ts0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">L’ancien premier ministre italien Silvio Berlusconi salue les journalistes en février 2021 alors qu’il arrive à la Chambre des députés, à Rome, pour rencontrer Mario Draghi.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Alessandra Tarantino)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>C’est ce Berlusconi-là qui sera sans doute le faiseur de rois — ou de reine — de la coalition. Ayant adopté des positions des positions nettement plus centristes et « responsables » que ses partenaires, notamment sur l’Europe, l’ancien chef d’État pèsera certainement sur les futures orientations de politiques et de gouvernance. Un résultat serré pourrait lui donner le luxe de donner ou de retirer son soutien.</p>
<p>Un gouvernement de Giorgia Meloni pourrait donc se voir fortement modéré quant à ses promesses les plus dures.</p>
<p>D’autres influences modératrices, peut-être plus importantes, viendront certainement de l’Union européenne et de l’OTAN, dont l’Italie est un membre important.</p>
<p>Le gouvernement, très endetté, <a href="https://www.zonebourse.com/actualite-bourse/Le-plan-de-financement-de-l-Italie-par-l-UE-peut-etre-modifie-Meloni--41693923/">dépend largement des fonds de relance et des marchés financiers européens</a>. Toute mesure fiscale radicale ou toute violation flagrante des droits de la personne sur le front de l’immigration sera certainement contrée par la pression internationale et européenne.</p>
<p>L’avenir nous dira dans quelle mesure l’Italie dérivera à droite au cours de l’année à venir, mais il ne fait aucun doute que les autres partis d’extrême droite en France, aux Pays-Bas et en Allemagne en prendront note.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/190958/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julian Campisi reçoit des fonds du CRSH et de l'Université de Toronto.</span></em></p>Une victoire probable des Frères d’Italie, parti d’extrême droite, pourrait entraîner le pays dans une voie inexplorée.Julian Campisi, Assistant Professor of Political Science, University of TorontoLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1775672022-03-02T11:33:04Z2022-03-02T11:33:04ZÀ quoi reconnait-on un discours totalitaire ou fasciste ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/449162/original/file-20220301-15-19hhlp8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=59%2C17%2C2786%2C1791&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Charlie Chaplin dans la scène du discours d'Hynkel, 'Le Dictateur',(1940).</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Dictateur#/media/Fichier:Dictator_charlie2.jpg">Wikimedia</a></span></figcaption></figure><p>Le jeudi 24 février, lorsque Poutine <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/genocide-denazification-comment-vladimir-poutine-reecrit-l-histoire-pour-justifier-la-guerre-en-ukraine_4979184.html">déclare</a> à l’aube vouloir « protéger les personnes victimes de génocide de la part de Kiev » et « arriver à une dénazification de l’Ukraine », il réitère un leitmotiv bien connu et récurrent depuis 2014. Paradoxalement ici, dénoncer le « nazisme » revient à en utiliser la rhétorique binaire – les « néonazis ukrainiens » représentant le Mal absolu, une vermine à éliminer. Mais cette guerre n’est pas qu’une guerre de mots, elle est aussi une guerre d’images, que les Ukrainiens comptent bien gagner. Le compte officiel de l’État ukrainien reprenait ainsi cette caricature, comme réponse à la déclaration russe.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1496716168920547331"}"></div></p>
<p>En lien avec ce contexte, est-il possible d’établir une liste des items caractéristiques de la pensée et des discours totalitaires ? Quels sont les traits pertinents et distinctifs du fascisme ? De nombreux penseurs ont tenté de répondre à cette question. Le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Lingua_Tertii_Imperii">linguiste Victor Klemperer</a> a ainsi étudié de près la langue du troisième Reich, l’écrivain George Orwell a proposé la notion fertile de <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/avoir-raison-avec-george-orwell/la-novlangue-instrument-de-destruction-intellectuelle">« novlangue »</a>, enfin le sémiologue Umberto Eco, dans son ouvrage <em>Reconnaître le fascisme</em> partage sa biographie et une liste de traits caractéristiques.</p>
<p>Ces éléments nous permettent d’élaborer plusieurs points. D’une part, il ressort que la pensée totalitaire se définit par principe comme l’exclusion de la diversité des pensées. D’après le <a href="https://www.cnrtl.fr/definition/totalitaire">CNRTL</a>, l’adjectif « totalitaire » s’applique au domaine politique comme ce qui fonctionne sur :</p>
<blockquote>
<p>« le mode du parti unique interdisant toute opposition organisée ou personnelle, accaparant tous les pouvoirs, confisquant toutes les activités de la société et soumettant toutes les activités individuelles à l’autorité de l’État ».</p>
</blockquote>
<p>Plus subtilement, la philosophie sous-jacente est celle « qui rend ou tente de rendre compte de la totalité des éléments d’un phénomène, qui englobe ou tente d’englober la totalité des éléments d’un ensemble. » Il y a bel et bien concordance sémantique entre la représentation politique que nous avons du totalitarisme et la racine du mot qui renvoie à une pensée « totale/</p>
<p>totalisante », excluant par principe la diversité des pensées.</p>
<h2>Le rôle de la personnalité</h2>
<p>Dans sa <a href="https://www.youtube.com/watch?v=I9YvILTA5Y8&t=1s">dernière conférence</a>, le neuropsychiatre Boris Cyrulnik propose une lecture de la résistance à la doxa totalitaire.</p>
<p>Selon lui, la pensée paresseuse et le « psittacisme » (récitation et répétition du perroquet) sont délicieux et sécurisants, ils apportent des bénéfices affectifs. À l’inverse le travail d’élaboration de la pensée critique a des effets moins euphorisants et ne réveille pas notre sentiment d’appartenance.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/hneKMcYp7n8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Extrait du « discours » du film Le Dictateur, de Charlie Chaplin, 1940.</span></figcaption>
</figure>
<p>C’est pour cela qu’il existe une véritable déclinaison sémiologique dont les systèmes totalitaires sont friands : gestuelle spécifique de reconnaissance (gestes de salutation, notamment), codes vestimentaires spécifiques (uniformes et/ou symboles), langage formaté (distorsions syntaxiques et sémantiques qui viennent contaminer la langue parlée) : ainsi, des figures de style et des métaphores vont être utilisées dans une fréquence plus élevée, notamment afin de séparer le monde en deux pôles, à savoir « nous » contre « les autres », notion largement travaillée par <a href="https://doi.org/10.1177/1470357213516720">l’analyste de discours Ruth Wodak</a>. C’est aussi pour cela que les discours d’extrême droite peuvent paraître aussi sécurisants et rassurants.</p>
<h2>Quel est le lien entre fascisme et totalitarisme ?</h2>
<p>Umberto Eco <a href="https://www.lesnouveauxdissidents.org/single-post/2017/07/24/umberto-eco-14-signaux-pour-reconna%C3%AEtre-le-fascisme">nous le rappelle</a>, le mot « fascisme » est une synecdoque – figure de style qui consiste à donner à un mot ou une expression un sens plus large ou plus restreint que sa propre signification – mais également un syncrétisme : il est moins une idéologie monolithique que le collage d’idées politiques et philosophiques parfois contradictoires. Le terme fascisme est donc « fuzzy » (terme anglais utilisé tel quel par le sémiologue), c’est-à-dire sans contour net ni précis.</p>
<p>En fait, le langage totalitaire se structure petit à petit, dans ce que l’on appelle une période préfasciste (et que nous traversons en ce moment par ailleurs, comme le souligne l’historienne Ludivine Bantigny), et qui met en lien exercice du pouvoir politique et dispositions langagières afin de mettre en œuvre des stratégies de persuasion et de séduction des destinataires des discours, ce qui fait notamment écho aux <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/02773945.2021.1972134">travaux de Bradford Vivian</a>.</p>
<p>Mais pour que cet ensemble fonctionne, il faut également une incarnation du discours par la figure du leader charismatique.</p>
<h2>Le culte d’un leader charismatique</h2>
<p>Benito Mussolini se faisait ainsi appeler « l’Homme de la Providence », en plus du Duce qui peut se traduire par « guide ». Le surnom d’Hitler était à peu près équivalent : « Mein Führer » peut se traduire par « mon guide ». Staline fut quant à lui « l’Homme de fer » et le « Petit Père du Peuple ». Plus récemment, Bolsonaro devient ainsi « O Mito », à comprendre « le Mythe », et Erdogan reste « el reïs » (le chef).</p>
<p>Derrière ces surnoms se cache la volonté de devenir l’interprète du « vrai peuple », d’une pensée que l’on rêverait commune, mais qui ne peut, par définition, qu’être diverse.</p>
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<figcaption><span class="caption">Reconnaître le fascisme, Umberto Eco.</span></figcaption>
</figure>
<p>Le peuple, en tant qu’entité nationale, est une fiction ; c’est notamment ce que rappellent les travaux <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-creation-des-identites-nationales-anne-marie-thiesse/9782020342476">d’Anne-Marie Thiesse</a>. Le leader totalitariste, qu’il soit d’extrême droite ou d’extrême gauche, se positionne comme celui étant le seul capable de connaitre ce qui trouble la classe « prolétaire » ou « populaire », c’est-à-dire celle qui aurait du accéder au même confort matériel et social que celui de la petite bourgeoisie, mais dont le mouvement d’ascension a été contraint et ralenti, voire stoppé par le contexte, créant ainsi une véritable frustration.</p>
<p>Ce même leader est capable de désigner le Mal de la société, pour y apporter la réponse ultime. Il a LA réponse puisque c’est LE héros. Et souvent, cette réponse se matérialise sous la forme d’un « intrus » qu’il convient d’éradiquer le plus efficacement possible, sous peine de voir s’éloigner « un Âge d’or » pourtant accessible.</p>
<p>Ces intrus sont souvent représentés comme opposants au traditionalisme. Dans un monde totalitaire, il ne peut y avoir d’avancées du savoir : la vérité a déjà été énoncée une fois pour toutes. Bien sûr, les stratégies d’infantilisation des masses ne peuvent être remises en cause dans cet environnement où le décideur est tout-puissant. D’ailleurs, le refus de la démocratie parlementaire peut également se lire sous ce prisme.</p>
<h2>La peur de la différence</h2>
<p>La journaliste turque <a href="https://www.liberation.fr/debats/2019/05/09/ece-temelkuran-turcs-europeens-americains-nous-devons-organiser-une-reponse-face-au-populisme-de-dro_1725960/">Ece Temelkuran</a> nous rappelle l’un des items les plus caractéristiques de la pensée totalitaire : la mort provoque une indifférence. Elle relève ainsi une parole mainte fois entendue à propos des opposants à Erdogan : « qu’il repose en paix, il n’avait qu’à pas s’opposer à Erdogan ».</p>
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<figcaption><span class="caption">Ludivigne Bantigny, La France « face à la menace fasciste » ?</span></figcaption>
</figure>
<p>En ce sens, on voit encore à quel point le langage illustre, décrit ou renforce la structure sociale totalitaire en montrant un état de fait. Ici, c’est à travers un style proverbial qu’une certaine distance est prise, qui permet à la fois de montrer l’omniprésence de la mort et l’impuissance face au régime – et aussi que la mort, d’une certaine manière, semble apporter la seule libération possible, ce qui est rhétoriquement extrêmement tragique.</p>
<p>La mort d’autrui est ainsi justifiée et approuvée, d’autant qu’elle ne remet pas en cause le système dans lequel elle s’énonce. Le rapport à l’altérité se détermine autour de la notion d’appartenance au groupe, en excluant tous ceux qui n’en ont pas le profil ; un tropisme bien connu des travaux sur l’identité, notamment ceux, particulièrement brillants de <a href="https://www.jstor.org/stable/3108478">Rogers Brubaker et Frederick Cooper</a>.</p>
<p>Le fascisme a pour terreau le fantasme d’un groupe unique, incarné dans le discours, uni par des croyances mais aussi des caractéristiques physiques supposées identiques : de sexe, de genre, de comportements. En un mot : d’identité, qu’elle soit naturelle ou culturelle, ou bien évidemment nationale – puisque c’est là l’un des fantasmes majeurs du fascisme.</p>
<p>Les femmes sont ainsi relayées à une imagerie d’obéissance, de soumission et d’assignation à un rôle social traditionnel déterminé. De ce point de vue là, la fille de Trump ou d’Erdogan coche les mêmes cases de soumission idéale au patriarcat. L’identité religieuse est également un point de rassemblement (et de séparation). Pour Erdogan, il y a ainsi les « vrais musulmans », comme pour d’autres les « vrais chrétiens ». Peu importe les époques, se sont les mêmes schèmes sous-jacents qui se déclinent en fonction des cultures et des géographies. L’humiliation, la dépréciation et la stigmatisation se trouvent au centre de ce processus de désignation de l’altérité – avec pour conséquence ultime la violence.</p>
<h2>Les distorsions linguistiques pour en finir avec la pensée critique</h2>
<p>Dans un monde totalitaire, toute pensée critique devient intolérable. Elle est vécue comme une trahison, voire comme une agression contre laquelle il est urgent de se défendre et de riposter. Le phénomène est complexe car il touche au fondement même de l’éthos de vérité. Le fascisme s’engouffre ainsi dans la faille du relativisme à tout crin est un des items majeurs : puisque tout se vaut, rien ne se vaut.</p>
<p>Comme nous le rappelle Ece Temelkuran, la mutation qu’a subie la perception humaine et qui rend possible la fragmentation de la réalité s’est tellement bien passée que la question de la moralité est devenue dénuée de sens, voire d’intérêt. Les faits et la vérité sont devenus ennuyeux. Et comme nous le rappelle à juste titre Etienne Klein :</p>
<blockquote>
<p>« la nuance […] c’est un peu emmerdant et les gens qui parlent sans nuance donnent l’impression d’avoir raison ».</p>
</blockquote>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/J-haYVS6dc4?wmode=transparent&start=48" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Importance de la nuance selon Etienne Klein.</span></figcaption>
</figure>
<p>Par ailleurs, les distorsions sémantiques et les réductions syntaxiques appauvrissent la langue afin de limiter un raisonnement trop complexe et/ou critique. L’usage banalisé des euphémismes (« dommages collatéraux », « poulets d’élevage », etc.) et des <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/la_politique_de_l_oxymore-9782707182050">oxymores</a> (« carbone vert », « écologie de production ») neutralisent notre pensée critique.</p>
<p>Comme le relève la sémiologue et notre co-autrice Elodie Mielczareck dans son <a href="https://start.lesechos.fr/societe/culture-tendances/elodie-mielczareck-semiologue-le-bullshit-est-symptomatique-dun-changement-de-societe-1358666">ouvrage</a> <em>Anti Bullshit</em> :</p>
<blockquote>
<p>« Ces stratégies visent à lisser le discours, notamment pour favoriser le consensus et l’adhésion […] Les mots en eux-mêmes peuvent contaminer toute une langue.</p>
</blockquote>
<p>De fait, alertait Victor Klemperer, « Les mots peuvent être comme de minuscules doses d’arsenic : on avale sans y prendre garde, ils semblent ne faire aucun effet, et voilà qu’après quelque temps l’effet toxique se fait sentir ».</p>
<p>Il y a une telle obsession du consensus et une telle crainte du dissensus, que ce dissensus a fini par être littéralement privatisé, notamment par certaines chaînes d’information en continu.</p>
<h2>La toile de la pensée totalitaire</h2>
<p>Les exemples choisis renvoient volontairement à des régimes autoritaires passés (le nazisme, par exemple), ou actuels (en Turquie, notamment). Évidemment, la pensée totalitaire ne se réduit ni géographiquement à quelques continents éloignés du notre, ni temporellement à une époque éloignée de la notre.</p>
<p>Ces derniers mois ont montré comment les démocraties pouvaient, elles aussi, rapidement tomber dans la toile de la pensée totalitaire. L’impression de préfascisme décrite par <a href="https://www.contretemps.eu/menace-fasciste-bantigny-palheta-extrait/">Ludivine Bantigny et Ugo Palheta</a>, par exemple, s’est largement illustrée dans les discours de <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/07393148.2017.1301321?journalCode=cnps20">Donald Trump</a>, de <a href="http://kairostext.in/index.php/kairostext/article/view/97">Jair Bolsonaro</a> ou bien encore de <a href="https://muse.jhu.edu/article/652804">Vladimir Poutine</a>, qui peuvent rapidement passer du langage aux actes, comme l’actualité nous le montre de manière tragique, concernant l’Ukraine. De ce point de vue là, la citation de <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Deux_r%C3%A9gimes_de_fous-2027-1-1-0-1.html">Gilles Deleuze</a> sur le néo-fascisme nous semble pertinente :</p>
<blockquote>
<p>« Le vieux fascisme aussi actuel et puissant qu’il soit dans beaucoup de pays, n’est pas le nouveau problème actuel. On nous prépare d’autres fascismes. Tout un néo-fascisme s’installe par rapport auquel l’ancien fascisme fait figure de folklore […] »</p>
</blockquote>
<hr>
<p><em>Elodie Laye Mielczareck, sémiologue a co-rédigé cet article</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/177567/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Élodie Mielczareck conseille également les dirigeants d'entreprise et accompagne certaines agences de communication et relations publiques internationales, notamment sur la question de la raison d'être.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Albin Wagener ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La pensée totalitaire se définit par principe comme l’exclusion de la diversité des pensées.Albin Wagener, Chercheur associé l'INALCO (PLIDAM) et au laboratoire PREFICS,, Université Rennes 2Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1696642021-10-26T18:27:05Z2021-10-26T18:27:05ZConnaissez-vous le vrai James Bond ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/428543/original/file-20211026-27-1g8npbq.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C14%2C1992%2C1318&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dans le dernier JamesBond, le héros s'est retiré en Jamaïque. </span> <span class="attribution"><span class="source">Allociné</span></span></figcaption></figure><p>James Bond parcourt notre planète depuis bientôt 70 ans. Depuis la publication du premier roman de Ian Fleming <em>Casino Royale</em> (1953) jusqu’à <em>Mourir peut attendre</em> sorti aujourd’hui en version 3D, l’agent secret le plus reconnaissable du monde fait à chaque sortie l’objet de débats auprès des fans, de querelles d’interprétations et conflits de définitions chez les bondologues. Agent provocateur, il défraie la chronique depuis 1958, à commencer par le célèbre article de Paul Johnson dans le <em>New Statesman</em> : « Sex, snobbery and sadism », qui accuse Fleming de dépraver la jeunesse et de participer à la décadence de l’Empire.</p>
<p>Par la même occasion, il propulse James Bond sur une orbite populaire exponentielle, faisant de lui bien plus qu’une icône majeure de la culture populaire, mais un nouveau phénomène de la culture de masse. En 1965, au moment où <em>Thunderball</em> (<em>Opération Tonnerre</em>) attire les foules du monde entier, Oreste Del Buono et Umberto Eco publient <a href="http://www.librinlinea.it/titolo/il-caso-bond-eco-umberto-dedalus-del-bu/SBL0280327">« Il Caso Bond »</a> chez Bompiani, dans lequel ils étudient ce phénomène du point de vue sociologique, politique, sexologique, psychanalytique, technologique, et littéraire.</p>
<p>L’article de Eco fera date : l’auteur y accuse Ian Fleming de collage et de bricolage littéraire, associant romans victoriens et science-fiction. Le jeune docteur Eco remporte ainsi une bataille de critique contre Mister Fleming, signant même l’arrêt de mort du James Bond littéraire en Italie et en France, en traitant la structure binaire du récit de fascisante. Les romans de Fleming demeureront des best-sellers dans les pays anglophones et sont encore à ce jour des « classiques » de la littérature britannique, consacrés par des versions prestigieuses du type Pléiade.</p>
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<p>Mais si le James Bond littéraire est définitivement sorti du radar de l’intelligentsia française, son avatar cinématographique s’est constitué en objet d’étude privilégié des Cultural Studies. Avec la sortie de <a href="https://www.worldcat.org/title/bond-and-beyond-the-political-career-of-a-popular-hero/oclc/831965713?referer=null&ht=edition"><em>Bond and beyond : The political career of a popular hero</em></a> de Bennett et Woollacott en 1987, James Bond est devenu un cas d’école pour étudier l’évolution des représentations identitaires, ethniques, de race, de classe, de genre, etc. Il est cependant un domaine de l’univers bondien qui est resté curieusement inexploré alors qu’il constitue le sujet même de la saga, à savoir le monde de l’espionnage lui-même. Point aveugle ou œil du cyclone ?</p>
<h2>Un auteur lié au monde de l’espionnage</h2>
<p>À l’instar du Président Kennedy, le premier directeur de la CIA, Allan Dulles (1953 à 1961) était également un grand fan de Fleming et il a écrit un article « The spy boss who loves James Bond » dans lequel il rend hommage à son ami Fleming et à ses romans qui constituent selon lui une source d’inspiration inestimable pour la CIA. JF Kennedy citait également <em>From Russia with Love</em> dans sa liste de livres de chevet et Fleming envoyait chaque nouveau roman dédicacé aux frères Kennedy.</p>
<p>Parallèlement, Fleming savait également que parmi ses lecteurs les plus perspicaces figuraient les agents du KGB, à qui il adressait des messages, comme dans <em>From Russia With Love</em> où chacun des membres du bureau y est décrit en détail d’après les renseignements d’un indique de Fleming. Fleming utilise ainsi ses romans pour tester ses sources et informations, semer la pagaille au sein du KGB, communiquer des messages et des inventions, des scénarios et une vision du monde, faire circuler des fake news, que les lecteurs et fans vont s’empresser de vérifier et « fact checker » en engageant une correspondance avec Fleming, pour signaler l’adresse erronée du KGB ou le choix inadapté du Berreta 418 pour 007. Le Major Boothroyd, auteur de l’un de ces courriers, est ainsi entré dans les romans et dans la légende sous le nom de Q. Ainsi, Ian Fleming n’est pas seulement le directeur des correspondants étrangers au <em>Sunday Times</em>, il est à la tête d’une agence internationale de renseignements ad hoc, qui communique par le truchement de ces romans.</p>
<p>Désigné par le terme d’« intelligence » par les Anglo-saxons, le domaine de l’espionnage et du renseignement méritent d’être exploré à travers James Bond, dès lors qu’Ian Fleming a lui-même utilisé ses romans et les films (EON Production se prononce Ian Production, comme son prénom) comme couverture pour ses activités dans le domaine du renseignement, de la communication et de l’« intelligence », dont l’exploration nous conduit à interroger les liens qui unissent Ian Fleming et James Bond, <a href="https://ornithology.com/bond-james-bond/">cet ornithologue</a> à qui Fleming a « chipé » le nom, sous prétexte qu’il le trouvait à la fois banal et viril.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/431099/original/file-20211109-23-edvbq7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/431099/original/file-20211109-23-edvbq7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/431099/original/file-20211109-23-edvbq7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/431099/original/file-20211109-23-edvbq7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/431099/original/file-20211109-23-edvbq7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/431099/original/file-20211109-23-edvbq7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/431099/original/file-20211109-23-edvbq7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">James Bond (à gauche) et Ian Fleming (à droite) à Goldeneye, en Jamaïque.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Mary Bond.</span></span>
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<p>La photo ci-dessus, prise à Goldeneye à la Jamaïque par Mary Bond, nous montre James Bond à gauche et Ian Fleming à droite, tout sourire, en 1964. Mary Bond, l’épouse de James Bond et romancière, laisse entendre dans la biographie de son mari, <em>To James Bond With Love</em>, qu’il y avait une sacrée connivence entre ces deux larrons, et que s’ils ne s’étaient officiellement jamais rencontrés en dehors de ce photo shoot, ils partageaient bien des choses, à commencer par leur éducation britannique, leur sens de l’humour et leur amour pour la Jamaïque et les oiseaux. Ou plus exactement les « birds », terme recouvrant simultanément les oiseaux, les femmes… et les missiles en anglais. L’occasion d’innombrables blagues chez les ornithologues, allusions et messages pour les lecteurs de Fleming ?</p>
<h2>Entre Bond et Fleming, une vraie complicité</h2>
<p>Né aux États-Unis en 1900, James Bond fréquente la prestigieuse école privée de Harrow durant la Première Guerre mondiale, recevant l’accent et la formation qui distingue l’élite britannique au moment où le nationalisme britannique est à son apogée. Trop jeune néanmoins pour s’engager sur le front, Bond se distingue néanmoins à Harrow comme l’un des « most illustrious old boys ». Bond poursuit ses études supérieures à Cambridge, à Trinity College, l’alma mater des célèbres espions dits de Cambridge où il fréquente le <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/University_Pitt_Club">cercle très fermé des membres du Pitt Club</a>, dont <a href="https://historyofspies.com/the-cambridge-spy-ring/">Guy Burgess et Anthony Blunt, deux des cinq de Cambrige</a> font partie. Si James Bond n’a jamais figuré sur aucune liste d’espions de Cambrige, suite à la défection de Burgess et Maclean à Moscou en 1952, il s’est retrouvé sur la liste rouge des <em>old boys</em> de Cambridge suspectés par la CIA.</p>
<p>C’est là précisément qu’Ian Fleming s’envole pour sa résidence de Jamaïque, Goldeneye – qui porte le nom d’un oiseau et le nom de code d’une opération dirigée par Ian Fleming durant la Seconde Guerre mondiale. En trois semaines, il rédige son premier roman <em>Casino Royale</em> dont le protagoniste est un agent secret nommé Bond, James Bond. « Pourquoi, James Bond ? » se redemande Fleming dans une interview. « James Bond m’est apparu dans ma bibliothèque, sur la couverture de <em>Birds of the West Indies</em>, qui est « ma bible » à la Jamaïque.</p>
<p>Dix ans et 12 romans et 9 nouvelles plus tard, James Bond est devenu l’agent secret le plus connu de la planète. Depuis, l’ornithologue James Bond n’a plus jamais été inquiété par la CIA, seulement harcelé en pleine nuit par des fans de 007. Qui oserait à présent soupçonner James Bond d’espionnage sans passer pour un fanatique qui ne saurait plus discerner entre fiction et réalité ? Le dernier à se livrer à cet exercice périlleux fut Jim Wright dans son ouvrage <em>The real James Bond : A true story of identity theft, avian intrigue, and Ian Fleming</em> publié <a href="https://www.the-tls.co.uk/articles/real-james-bond-jim-wright-book-review/">chez Schiffer en 2020</a>. Dans cette biographie extrêmement bien documentée et illustrée sur le véritable James Bond, Wright ose néanmoins poser la question de savoir si James Bond était un espion américain. Wright conclut que non. Mais la question n’est-elle pas plutôt de savoir si James Bond serait au service secret de Sa Majesté ?</p>
<p>En ouvrant <em>Birds of the West Indies</em> publié en Grande-Bretagne par Riverside Press Cambridge, l’unique ouvrage que James Bond ait écrit avec plus d’une centaine d’expéditions dans les Caraïbes à son actif mais sans aucun spécimen d’oiseau nouveau découvert, on est en droit de se demander à quoi il occupait son temps muni d’une paire de jumelles (007) et d’un permis de tuer… des oiseaux ?</p>
<p>Sachant que « bird » dans le jargon militaire anglais signifie missile, que James Bond connaissait chaque plage, crique et baie de cochons, ne serait-il pas envisageable de lire le <em>Field guide to the West Indies</em> plein de cartes et de descriptions topographiques comme un guide ou une source de renseignements militaires, selon les intentions. Ce guide, publié à Cambridge a été écrit à l’intention d’un lectorat britannique et américain avec cette dédicace : « To my many friends in the West Indies, in appreciation of their hospitality and assistance ». « Friends » étant un mot clé qui nous rappelle le célèbre l’article d’E.M. Foster publié en 1939, auquel les espions de Cambridge ont également souvent fait référence, et dans lequel on peut lire : « If I had to choose between betraying my country and betraying my friend, I hope I should have the guts to betray my country. » (Si je devais choisir entre trahir mon pays et trahir un ami, j’ose espérer que j’aurais le courage de trahir mon pays.)</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/428544/original/file-20211026-21-1whujt0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/428544/original/file-20211026-21-1whujt0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=537&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/428544/original/file-20211026-21-1whujt0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=537&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/428544/original/file-20211026-21-1whujt0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=537&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/428544/original/file-20211026-21-1whujt0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=674&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/428544/original/file-20211026-21-1whujt0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=674&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/428544/original/file-20211026-21-1whujt0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=674&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">James Bond, l’ornithologue, à l’académie des sciences naturelles de Philadelphie, en 1974.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/James_Bond_(ornithologue)">Wikimedia</a></span>
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<p>Dans cette perspective, la patrie de James Bond ne serait peut-être pas les États-Unis ni même le Royaume-Uni, mais une patrie d’amis ayant trouvé leur refuge à la Jamaïque. Ian Fleming y a vécu son rêve, entouré d’une bande d’amis nommés Noël Coward, Cecil Beaton, William Plomer, Truman Capote… tous gays, comme les espions de Cambridge, à une époque où l’homosexualité est encore un crime en Grande-Bretagne.</p>
<p>James Bond faisait-il partie de ce cercle restreint d’amis intimes ? Était-il l’un des leurs ? Les biographies de Mary Bond et la photo de Fleming et Bond, ainsi que la dédicace qu’Ian Fleming laisse à James Bond dans son livre <em>You Only Live Twice</em> : « To the real James Bond from the thief of his identity, Ian Fleming, Feb 5. 1964 (A great day !) » laissent entendre que oui. Dans le roman de Fleming <em>Dr. No</em> et le film avec Pierce Brosnan, <em>Die Another Day</em>, James Bond se présente en tant qu’ornithologue. Dans le dernier opus <em>No Time to Die</em>, Bond/Craig prend sa retraite à Goldeneye, l’ancien repère de Fleming. La boucle est bouclée.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/169664/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Ornithologue spécialiste de l’avifaune des Caraïbes, le véritable James Bond est devenu un ami de Fleming, qui lui avait volé son nom… Mais Bond n’était-il vraiment qu’un spécialiste des oiseaux ?Luc Shankland, Professeur d'anglais, Université Sorbonne Nouvelle, Paris 3 Nathalie Mazin-Chapignac, Professeure d'anglais, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1697032021-10-12T17:52:36Z2021-10-12T17:52:36ZCrimes du franquisme : qu’en est-il des plus de 4 000 fosses communes d’Espagne ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/425778/original/file-20211011-17-1fct03q.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=47%2C0%2C1549%2C1065&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Exhumation de la tombe de Guadalajara. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://memoriahistorica.org.es/imagenes-exhumaciones/">Association pour la Récupération de la Mémoire Historique (ARMH)</a></span></figcaption></figure><p><em>Les films de Pedro Almodóvar ont toujours eu des connotations sociales et politiques, mais jamais aussi explicitement que dans son nouvel opus, « Madres parallelas » (sortie prévue en France le 1<sup>er</sup> décembre 2021). Sa protagoniste, Janis, interprétée par Pénélope Cruz, est l’arrière-petite-fille de victimes de la guerre civile et se bat pour l’ouverture des tombes afin de découvrir si ses proches font partie des anonymes enterrés dans des fosses communes. À l’occasion de cette première, nous nous penchons sur la situation des fosses communes en Espagne, qui a déjà attiré l’attention d’organisations internationales telles que le <a href="https://www.ohchr.org/fr/HRBodies/CED/Pages/CEDIndex.aspx">Comité des Nations unies sur les disparitions forcées</a>.</em></p>
<hr>
<p>En Espagne, il n’existe pas de chiffre officiel des personnes disparues pendant la dictature de Franco (1939-1975) et la <a href="https://encyclopedia.ushmm.org/content/es/article/spanish-civil-war">guerre civile espagnole</a> (1936-39), car aucune enquête publique digne de ce nom n’a encore été menée sur les violations flagrantes des droits de l’homme commises à cette époque sombre de l’histoire.</p>
<p>L’absence d’un registre unique et actualisé des fosses communes et des victimes entrave l’adoption d’un plan national d’exhumation et de récupération par les proches des restes des personnes disparues. Pendant ce temps, les descendants souffrent d’une angoisse constante, d’une sorte de deuil « gelé », ne pouvant pas enterrer décemment leurs proches disparus.</p>
<h2>Plus de 4 000 fosses communes et environ 100 000 personnes disparues</h2>
<p>Selon les données extraites de la <a href="https://www.mpr.gob.es/memoriademocratica/mapa-de-fosas/Paginas/buscadorfosas.aspx">carte des fosses communes</a> créée par le ministère de la Justice en 2011, qui relève désormais du ministère de la Présidence, des relations avec le parlement et de la mémoire démocratique, 4 265 fosses communes sont enregistrées et un total de 57 911 victimes ont été comptabilisées. On estime qu’environ 100 000 personnes ont disparu.</p>
<p>Sur le nombre total de tombes enregistrées, 326 ont été complètement exhumées, 899 n’ont fait l’objet d’aucune intervention, 496 ont été transférées dans la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Valle_de_los_Ca%C3%ADdos">« vallée de ceux qui sont tombés »</a> et pour 2263 d’entre elles, leur état n’est pas précisé.</p>
<p>Selon ces données, seulement 8,4 % des tombes enregistrées par l’État ont été entièrement exhumées. Sur le nombre total de victimes enregistrées par l’État, se distinguent 12 988 en Aragon, 12 112 dans la communauté de Madrid, 8 012 en Catalogne, 6 627 en Andalousie et 5 430 dans les Asturies.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/424956/original/file-20211006-20-1sv37n4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/424956/original/file-20211006-20-1sv37n4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/424956/original/file-20211006-20-1sv37n4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=316&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/424956/original/file-20211006-20-1sv37n4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=316&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/424956/original/file-20211006-20-1sv37n4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=316&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/424956/original/file-20211006-20-1sv37n4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=397&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/424956/original/file-20211006-20-1sv37n4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=397&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/424956/original/file-20211006-20-1sv37n4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=397&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Carte des tombes établie par le ministère de la Présidence, des Relations avec le Parlement et de la Mémoire démocratique.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.mpr.gob.es/memoriademocratica/mapa-de-fosas/Paginas/buscadormapafosas.aspx">Gouvernement espagnol</a></span>
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<p>Cependant, ces données officielles sont loin des chiffres réels. Le <a href="https://aeaof.com/media/document/Memoria%20Democr%C3%A1tica.%20Fosas%20y%20exhumaciones.%20Las%20exhumaciones%20de%20la%20Guerra%20Civil%20y%20la%20dictadura%20franquista%202000-2019.pdf">rapport de l’État</a> sur l’état des exhumations des fosses communes de la guerre civile et de la dictature de Franco (2019) détaille que 785 tombes ont été exhumées entre 2000 et 2019 et que 9 698 corps ont été retrouvés. En <a href="https://www.juntadeandalucia.es/organismos/culturaypatrimoniohistorico/areas/memoria-democratica/mapa-fosas-andalucia.html">Andalousie</a>, le gouvernement régional a recensé 708 tombes et le nombre de victimes est estimé à 45 556.</p>
<p>En <a href="http://justicia.gencat.cat/ca/ambits/memoria/Fosses/Mapa-de-fosses/">Catalogne</a>, entre 1999 et 2018, 41 actions ont été menées dans des fosses communes et les restes de 345 personnes ont été retrouvés. La carte régionale catalane recense 525 tombes, dont 251 sont confirmées et 274 probables, avec 12 154 victimes enregistrées. De même, en Catalogne, 66 643 victimes de procès sommaires ont été identifiées et leur préjudice a été réparés grâce à la <a href="http://justicia.gencat.cat/ca/serveis/document-reparacio-juridica/">loi 11/2017, du 4 juillet</a> sur la réparation juridique des victimes du franquisme, qui permet de déclarer nuls les jugements émis par les cours martiales qui ont eu lieu entre 1938 et 1978 : elles sont considérées comme contraires à la loi et ont violé le droit à un procès équitable.</p>
<h2>Un parcours d’obstacles continu pour les proches des victimes</h2>
<p>La majorité des personnes victimes de répression en territoire républicain ont été localisées, exhumées, identifiées et enterrées sur leurs lieux d’origine après la guerre civile en vertu de <a href="http://www.boe.es/datos/pdfs/BOE/1939/137/A02688-02689.pdf">dispositions légales</a> dictées en 1939.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/424957/original/file-20211006-25-lnzf68.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/424957/original/file-20211006-25-lnzf68.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/424957/original/file-20211006-25-lnzf68.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=860&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/424957/original/file-20211006-25-lnzf68.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=860&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/424957/original/file-20211006-25-lnzf68.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=860&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/424957/original/file-20211006-25-lnzf68.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1081&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/424957/original/file-20211006-25-lnzf68.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1081&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/424957/original/file-20211006-25-lnzf68.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1081&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Exhumation des Treize de Priaranza del Bierzo (2000).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/memoriahistorica/12745708574/in/album-72157641455369013/">Association pour la Récupération de la Mémoire Historique (ARMH)</a></span>
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</figure>
<p>Pendant les années de transition vers la démocratie, quelques <a href="https://www.eldiario.es/sociedad/victimas-franquismo-abrian-tierra-manos-historia-exhumaciones-fosas-transicion_1_6201776.html">exhumations sans rigueur scientifique</a> ont été réalisées, paralysées par le coup d’État du 23 février 1981. Les victimes de la répression franquiste n’ont commencé à être exhumées que bien plus tard, avec un tournant décisif au moment de l’ouverture de la tombe de <a href="https://memoriahistorica.org.es/los-trece-de-priaranza/">Priaranza del Bierzo</a> en 2000. À la suite de cette action, l’Association pour la récupération de la mémoire historique (<a href="https://memoriahistorica.org.es/">ARMH</a>) a été créée, ce qui donnera lieu au début d’un processus associatif autour de la Mémoire.</p>
<p>Depuis lors, la récupération des restes des personnes disparues est restée principalement l’affaire des proches des victimes, qui ont dû recourir à des subventions de l’État (suspendues entre 2011 et 2021) pour réaliser les travaux d’exhumation avec la participation volontaire d’anthropologues et d’experts. En outre, le rythme des exhumations de fosses communes au niveau régional dépend du parti politique au pouvoir, ce qui crée des inégalités pour les victimes selon la région.</p>
<p>Ainsi, des communautés comme l’Andalousie, l’Aragon, la Catalogne, Valence, l’Estrémadure, le Pays basque, les Baléares et la Navarre ont promu des politiques de mémoire, tandis que d’autres, comme les Asturies, ont choisi de ne pas ouvrir les tombes, mais de marquer les lieux de mémoire et l’existence des tombes. En revanche, en Cantabrie, à Madrid et à Murcie, le nombre d’exhumations est très faible en raison de l’absence de politiques de mémoire actives.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/424962/original/file-20211006-20-1rjlh0z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/424962/original/file-20211006-20-1rjlh0z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/424962/original/file-20211006-20-1rjlh0z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/424962/original/file-20211006-20-1rjlh0z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/424962/original/file-20211006-20-1rjlh0z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/424962/original/file-20211006-20-1rjlh0z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/424962/original/file-20211006-20-1rjlh0z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/424962/original/file-20211006-20-1rjlh0z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Fosse de la Canalona (Asturias).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://memoriahistorica.org.es/imagenes-exhumaciones/">Association pour la Récupération de la Mémoire Historique (ARMH)</a></span>
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</figure>
<h2>Le droit de savoir ce qu’il est advenu des personnes disparues ou où elles se trouvent</h2>
<p>Le droit à la vérité a été identifié par les Nations unies comme l’un des piliers de la <a href="https://ap.ohchr.org/documents/dpage_s.aspx?si=E/cn.4/2005/102/Add.1">lutte contre l’impunité</a>, avec le droit à la justice et le droit à la réparation et aux garanties de non-répétition.</p>
<p>Le droit de connaître la vérité est généralement invoqué dans un contexte de violations flagrantes des droits de l’homme et comporte une double dimension, individuelle et collective. Les victimes et leurs familles ont un droit imprescriptible de connaître la vérité sur les circonstances dans lesquelles les violations ont été commises et, en cas de décès ou de disparition, sur le sort de la victime. En outre, le droit à la vérité est collectif par nature et, par conséquent, la société dans son ensemble a le droit de connaître les atrocités passées afin de prévenir et de garantir qu’elles ne se reproduiront pas à l’avenir.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/424965/original/file-20211006-13-1fhdz04.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/424965/original/file-20211006-13-1fhdz04.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/424965/original/file-20211006-13-1fhdz04.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/424965/original/file-20211006-13-1fhdz04.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/424965/original/file-20211006-13-1fhdz04.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/424965/original/file-20211006-13-1fhdz04.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/424965/original/file-20211006-13-1fhdz04.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/424965/original/file-20211006-13-1fhdz04.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Des proches assistent à l’exhumation de la tombe de Chillón (Ciudad Real).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://memoriahistorica.org.es/imagenes-exhumaciones/">Association pour la Récupération de la Mémoire Historique (ARMH)</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le phénomène des disparitions forcées, en raison de sa gravité et de sa pratique généralisée dans de nombreux pays, a été qualifié de crime contre l’humanité : cela a des implications juridiques très importantes, à savoir l’imprescriptibilité du crime et l’inadmissibilité des lois d’amnistie.</p>
<p>En Espagne, la <a href="https://www.boe.es/buscar/act.php?id=BOE-A-1977-24937">loi d’amnistie de 1977</a> a empêché toute enquête sur les graves violations des droits humains commises dans le passé, notamment l’ouverture de fosses communes. À cet égard, on ne peut oublier que le Tribunal suprême espagnol lui-même, en ce qui concerne les disparitions forcées commises pendant la guerre civile et le franquisme, a reconnu dans la décision <a href="https://vlex.es/vid/prevaricacion-crimenes-franquismo-injusticia-356948146">STS 101/2012</a>, le 27 février, que :</p>
<blockquote>
<p>« Les faits […] sont selon les règles actuellement en vigueur, des crimes contre l’humanité dans la mesure où les personnes décédées et disparues ont été l’objet d’une action systématique visant à les éliminer en tant qu’ennemis politiques. »</p>
</blockquote>
<h2>L’exhumation des fosses communes : une forme de réparation et de dignité pour les victimes</h2>
<p>Les exhumations de personnes disparues ou exécutées extrajudiciairement retrouvées dans des fosses communes ont pour but non seulement d’établir la vérité sur les événements survenus, mais aussi de restaurer la dignité des victimes et de leurs familles et de favoriser l’accès à la justice.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/424969/original/file-20211006-25-1hzygz7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/424969/original/file-20211006-25-1hzygz7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/424969/original/file-20211006-25-1hzygz7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/424969/original/file-20211006-25-1hzygz7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/424969/original/file-20211006-25-1hzygz7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/424969/original/file-20211006-25-1hzygz7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/424969/original/file-20211006-25-1hzygz7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/424969/original/file-20211006-25-1hzygz7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Exhumation de la fosse commune dans le cimetière de Guadalajara.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://memoriahistorica.org.es/imagenes-exhumaciones/">Association pour la récupération de la mémoire historique (ARMH)</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>D’une part, les exhumations ont une dimension humanitaire qui implique l’identification et la restitution des restes des personnes disparues et exécutées à leurs proches afin qu’ils puissent « clore » le deuil gelé et être enterrés selon leurs croyances. Outre la dimension humanitaire, les exhumations peuvent également être pertinentes dans le cadre d’une procédure judiciaire, dans la mesure où les restes exhumés peuvent constituer des preuves et permettent en même temps d’établir les faits et les circonstances qui ont conduit à la disparition forcée ou à l’exécution extrajudiciaire.</p>
<p>En janvier 2016, à la demande de la juge argentine Maria Servini de Cubría et par le biais d’une exhortation internationale, une <a href="https://www.eldiario.es/clm/Guadalajara-solo-fosa-Timoteo-Mendieta_0_477702574.html">fosse commune a été ouverte dans le cimetière de Guadalajara</a> où ont été enterrés les restes de 22 personnes fusillées entre novembre 1939 et février 1940.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/424972/original/file-20211006-27-1giiaww.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/424972/original/file-20211006-27-1giiaww.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/424972/original/file-20211006-27-1giiaww.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/424972/original/file-20211006-27-1giiaww.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/424972/original/file-20211006-27-1giiaww.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/424972/original/file-20211006-27-1giiaww.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/424972/original/file-20211006-27-1giiaww.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/424972/original/file-20211006-27-1giiaww.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Ascensión Mendieta, lors de l’ouverture du charnier à Guadalajara.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://memoriahistorica.org.es/imagenes-exhumaciones/">Asociación para la recuperación de la memoria histórica (ARMH)</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ascensión Mendieta, 90 ans, recherchait la dépouille mortelle de son père Timoteo Mendieta, secrétaire général du syndicat UGT de Sacedón en 1936 et fusillé en 1939 par les autorités franquistes. Ana Messutti, l’une des avocates chargées du procès argentin sur les crimes de la répression franquiste, <a href="http://www.eldiario.es/clm/Apenas-Timoteo-Mendieta-olvido-franquista_0_517948935.html">souligne</a> qu’il est essentiel que :</p>
<blockquote>
<p>« Ascensión Mendieta retrouve les restes de son père mais aussi obtient une résolution judiciaire qui lui dira que son père a été assassiné. »</p>
</blockquote>
<h2>Au-delà d’une question humanitaire, l’exhumation des tombes est une question de justice</h2>
<p>Le droit à la vérité dure tant que le sort ou le lieu où se trouve la personne disparue n’est pas clarifié et que l’absence d’une enquête rapide et efficace viole le droit à la vérité et l’accès à la justice. Le droit à la vérité permet également de restaurer la dignité des victimes et constitue une mesure de réparation. Son déni cause souffrance et angoisse aux proches des personnes disparues et constitue un traitement inhumain selon les cours internationales des droits de l’homme.</p>
<figure class="align-right zoomable">
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<figcaption>
<span class="caption">Exhumation Grado, El Rellán (Asturias).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://memoriahistorica.org.es/">Asociación para la recuperación de la memoria histórica (ARMH)</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En Espagne, il est essentiel d’établir une politique d’État pour la recherche des personnes disparues qui ne dépende pas des partis politiques ou des idéologies et qui réponde à la juste attente des familles de retrouver les restes de leurs proches et de connaître la vérité sur ce qui s’est passé. L’exhumation des tombes n’est pas seulement une question humanitaire, mais aussi une question de justice, qui devrait être faite d’office, sans attendre que les victimes engagent une procédure.</p>
<p>Le 27 septembre 2021, le <a href="https://www.europapress.es/nacional/noticia-onu-arremete-contra-ley-amnistia-1977-pide-perseguir-penalmente-autores-desapariciones-franquismo-20210930150251.html">Comité des Nations unies sur les disparitions forcées</a> a insisté une fois de plus sur la nécessité pour l’Espagne de supprimer les obstacles qui entravent les enquêtes sur les cas de disparitions forcées et la recherche des personnes disparues, comme la loi d’amnistie de 1977, ainsi que sur la nécessité d’accélérer la création d’une banque d’ADN centralisée pour permettre l’identification des victimes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/169703/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Elisenda Calvet Martínez no recibe salario, ni ejerce labores de consultoría, ni posee acciones, ni recibe financiación de ninguna compañía u organización que pueda obtener beneficio de este artículo, y ha declarado carecer de vínculos relevantes más allá del cargo académico citado.</span></em></p>L’exhumation des tombes n’est pas seulement une question humanitaire, mais aussi une question de justice.Elisenda Calvet Martínez, Profesora de Derecho Internacional Público, Universitat de BarcelonaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1539882021-01-28T18:08:31Z2021-01-28T18:08:31ZLe message suprémaciste blanc en France : un nouveau discours et de nouveaux outils de diffusion<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/381058/original/file-20210128-13-1kgiopk.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C10%2C2380%2C1236&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Différents épisodes de la chaîne Youtube de Julien Rochedy, ancien président du Front National de la jeunesse.</span> <span class="attribution"><span class="source">Author</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Gérald Darmanin a pour la première fois <a href="https://twitter.com/GDarmanin/status/1353989650596188164?s=20">réagi</a> à la dernière <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/01/26/gerald-darmanin-met-a-l-etude-la-dissolution-de-generation-identitaire_6067638_3224.html">« opération antimigrants »</a> de Génération identitaire. Ce mouvement politique qui se propose de résister contre <a href="https://generationidentitaire.org/le-mouvement">« la racaille », « le raz de marée de l’immigration massive » et « l’uniformisation des peuples »</a> n’est pas une exception politique en France.</p>
<p>Depuis la médiatisation l’été dernier des discours critiques à l’égard du racisme systémique et de la colonisation, sont en même temps apparus des mouvements radicaux d’opposition, qui refusent le débat démocratique sur ces questions.</p>
<p>À la manière des <a href="https://theconversation.com/mrs-america-portrait-dune-antifeministe-redoutable-et-controversee-137297">antiféministes</a>, les mouvements <a href="https://journals.openedition.org/labyrinthe/1251">post-coloniaux</a> ont leurs anti-post-colonialistes, leur anti-anti-racistes. Si les formules sont maladroites pour désigner ces groupes qui promeuvent publiquement des opinions racistes, c’est qu’il est bien difficile pour les sciences sociales de les identifier et de les analyser.</p>
<p>Beaucoup de journalistes, et parfois même des universitaires, utilisent le terme <a href="https://larevuedesmedias.ina.fr/fachosphere-lextreme-droite-envahit-le-net">fachosphère</a>, pour désigner de manière vague les personnes qui défendent des idées d’extrême droite. Le terme viendrait de Daniel Schneidermann qui se revendique en être l’auteur dans un <a href="https://editions.flammarion.com/la-fachosphere/9782081354906">entretien</a> mené par Dominique Albertini et David Doucet.</p>
<h2>Que veut dire « fachosphère » ?</h2>
<p>Le terme fachosphère est en soi l’objet d’une controverse. Pour ses utilisateurs, il est une façon de <a href="https://editions.flammarion.com/la-fachosphere/9782081354906">dénoncer l’extrême droite</a> dans ce qu’elle a plus diversifié. Pour les intéressés, il s’agit d’une insulte, et ces derniers préfèrent identifier leur activité comme une opération de réinforamation face à une « vague de médias gauchos », d’où l’expression « réinfosphère ».</p>
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<figcaption><span class="caption">Politique : La « Fachosphère » a-t-elle gagné la bataille du Net ?</span></figcaption>
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<p>Dans la fachosphère, on retrouve des groupuscules néonazis bien sûr, mais aussi des masculinistes, des antiféministes en tout genre, des catholiques intégristes, des impérialistes, des royalistes, des personnes désirant la fin de la république, d’autres voulant une république plus autoritaire. Le seul point commun de tous ces groupes est finalement qu’ils sont <a href="https://lahorde.samizdat.net/cartographie-de-lextreme-droite-francaise-mise-a-jour-hiver-2019-2020">perçus comme un tout</a> par les acteurs de gauche en général.</p>
<p>Le terme fachosphère est donc davantage utilisé dans un cadre militant, surtout pour discréditer le discours de l’adversaire. Il est donc impératif de trouver un autre outil conceptuel, plus précis afin de nommer et de mener à bien l’analyse d’un phénomène aux dynamiques complexes : celui de la diffusion sur Internet d’un rejet radical des débats autour des questions postcoloniales.</p>
<h2>Parler de suprémacisme plutôt que de fachosphère</h2>
<p>Dans un travail qui sera publié en juillet, je propose d’utiliser le terme suprémacisme. Si en Europe et particulièrement en France, il est peu utilisé, il semble être le plus à même de définir l’esprit « antipostcolonial » d’une partie de la fachosphère.</p>
<p>En effet, ses acteurs ne font pas seulement une critique des théories postcoloniales (ce qui serait légitime dans un cadre démocratique), mais ils rejettent les questions posées par ces théories ainsi que toute possibilité de débat en affirmant une position de supériorité « naturelle ou morale » de la culture majoritaire occidentale blanche.</p>
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<figcaption><span class="caption">Qui sont les suprémacistes blancs ?</span></figcaption>
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<p>Le suprémacisme est un concept fortement connoté en France qui évoque immédiatement les grands prêtres à capuches blanches du Ku Klux Klan. Pourtant, le terme désigne avant tout un type de discours bien particulier. Deux éléments composent <a href="https://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2006-1-page-97.htm">ce discours</a> : une croyance en l’existence biologique de races chez les humains, et une hiérarchisation de celles-ci qui conduit à placer la « race blanche » au-dessus de toutes les autres.</p>
<p><a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-cours-de-lhistoire/les-interminables-combats-pour-legalite-aux-etats-unis-24-le-supremacisme-blanc-le-mal-persistant-de">Le suprémacisme</a> n’est donc pas seulement un discours raciste. Il s’agit de penser que la couleur de peau permet de comprendre le comportement des individus, car elle le détermine. De là, le discours suprémaciste va induire une hiérarchie entre des humains ou cultures plus civilisés que d’autres, plus <a href="https://www.intelligence-humaine.com/europeens/">intelligents que d’autres</a>.</p>
<h2>Les nouveaux discours suprémacistes</h2>
<p>Certaines organisations de surveillance du suprémacisme états-unien font état d’une évolution de cette approche classique.</p>
<p>Par exemple, la <a href="https://www.adl.org/">Anti-Defamation League</a> (ADL) révèle l’existence d’un suprémacisme qui serait davantage dans la posture <a href="https://www.researchgate.net/publication/270024931_Introduction_Interculturalism_Ethnocentrism_and_Dialogue">victimaire</a> :</p>
<blockquote>
<p>« L’idéologie de la suprématie blanche aux États-Unis est aujourd’hui dominée par la croyance que la race blanche est condamnée à l’extinction par une marée montante de non-blancs […] à moins que des contre-mesures ne soient prises immédiatement. »</p>
</blockquote>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1352711733454934016"}"></div></p>
<p>Cette posture victimaire est également très présente dans l’espace Internet français. Le discours suprémaciste ne s’exprime plus aujourd’hui comme il s’exprimait au XIX<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>La supériorité de la prétendue race blanche est évoquée indirectement par un discours qui cherche à convaincre de l’existence d’une guerre des « races » ou des « civilisations » dont l’objectif serait l’extermination des blancs.</p>
<h2>Un exemple de suprémacisme français</h2>
<p>Le suprémacisme blanc connaît une sophistication qui peut s’observer depuis quelques années, notamment par la diffusion de ses thèses sur les chaînes vidéo.</p>
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<p>Ainsi, un des YouTubers suivis lors de mon enquête, <a href="https://www.ouest-france.fr/politique/front-national-lex-president-des-jeunes-julien-rochedy-demissionne-3492037">Julien Rochedy</a>, ancien président de la section jeune du FN, utilise une posture académique pour justifier une thèse suprémaciste.</p>
<p>Il s’appuie sur les travaux de <a href="https://www.lhistoire.fr/classique/%C2%AB%C2%A0le-chrysanth%C3%A8me-et-le-sabre%C2%A0%C2%BB-de-ruth-benedict">Ruth Benedict</a> afin de montrer en quoi les occidentaux blancs ont une supériorité morale par rapport aux « autres civilisations » qui seraient « primitives ». Pour lui, la culpabilité est une qualité morale dont les occidentaux ont hérité et qui est aujourd’hui manipulée par « certaines personnes issues d’autres cultures » afin de faire du profit sur le dos des blancs.</p>
<p>Julien Rochedy concède que si cette stratégie est efficace, elle ne peut pas durer, car la situation va finir par « exploser au visage de ceux qui l’utilisent » avant de terminer en rappelant que « quand l’homme occidental s’énerve, en général c’est très sérieux », avec pour illustration une explosion nucléaire.</p>
<p>Dans cette vidéo, Julien Rochedy ne tient pas un propos fasciste, même si dans une autre vidéo publiée par la suite, le 9 septembre 2020 il en <a href="https://www.youtube.com/watch?v=RR_uOnr8qWQ">revendique l’étiquette</a>. Il développe une pensée suprémaciste élaborée et argumentée. Il construit son propos sous couvert de scientisme afin d’être audible sur un média qui touche un large public. On est loin des processions à comité réduit du Ku Klux Klan.</p>
<p>Julien Rochedy parle à des dizaines de milliers de personnes qui peuvent arriver rapidement sur ses vidéos en faisant des recherches basées sur des mots clefs très simples comme « antiracisme » ou « Black Lives Matter ».</p>
<h2>L’état de la sphère suprémaciste française sur YouTube</h2>
<p>Le terme suprémaciste blanc est donc plus adéquat pour qualifier sa position. Dans le cadre de mes recherches, j’ai été amené à suivre et repérer les chaînes YouTube qui développent des propos suprémacistes.</p>
<p>J’ai jusqu’à présent pu analyser seulement sept chaînes YouTube. Cependant, un premier repérage révèle qu’au moins une quarantaine de chaînes composeraient la sphère suprémaciste française. Concernant les sept chaînes analysées, elles cumulent déjà presque deux millions d’abonnées et leurs vidéos les plus visionnées dépassent les 300 000 vues pour aller jusque’à plusieurs dizaines de millions.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/380747/original/file-20210126-13-6kv9r6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/380747/original/file-20210126-13-6kv9r6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/380747/original/file-20210126-13-6kv9r6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=252&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/380747/original/file-20210126-13-6kv9r6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=252&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/380747/original/file-20210126-13-6kv9r6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=252&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/380747/original/file-20210126-13-6kv9r6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=317&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/380747/original/file-20210126-13-6kv9r6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=317&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/380747/original/file-20210126-13-6kv9r6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=317&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Nombre d’abonnés des chaînes YouTube politisées les plus populaires en France.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Tristan Boursier</span></span>
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<p>Ces chiffres sont impressionnants comparés à des chaînes YouTube de médias institutionnels, tels que TF1 qui possède 251 000 abonnés et dont les vidéos ne dépassent que rarement le million de vues. Cependant, cette visibilité des suprémacistes doit être relativisée et comparée à des chaînes identifiées à gauche sur YouTube.</p>
<p>Par exemple, l’émission <a href="https://www.youtube.com/watch?v=JLKEVKyWiR4">« Ouvrez les Guillemets »</a> présentée par Usul sur la chaîne de Médiapart dépasse régulièrement les 200 000 vues les jours qui suivent sa mise en ligne.</p>
<h2>Le YouTube des « bonhommes »</h2>
<p>Qui sont ces suprémacistes ? La quasi-totalité des vidéos repérées met en scène des hommes, d’apparence jeune (moins de 30 ans). Beaucoup d’entre eux cultivent une certaine idée de la masculinité hégémonique en donnant des conseils de drague à leurs abonnés ou des formations de musculation pour lutter contre la <a href="https://journals.openedition.org/lectures/31663">« crise de la masculinité »</a>. Pour eux, les idées et le corps sont liés. Il faut donc être fort physiquement pour être supérieur intellectuellement. Le physique de leurs adversaires est d’ailleurs souvent attaqué et dépeint comme « fragile » ou « efféminé ».</p>
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<figcaption><span class="caption">Vidéo de Valek publiée le 21 septembre 2020 où le youtubeur explique comment les hommes perdent leur masculinité à cause de féministes.</span></figcaption>
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<p>Ces YouTubers ne font donc pas que défendre une théorie de la suprématie blanche, ils prétendent l’incarner en cultivant et exposant leurs corps et leur force physique.</p>
<h2>Le défi des suprémacistes : devenir mainstream</h2>
<p>Pour l’instant, il est encore facile d’identifier la composante suprémaciste de ces discours. Leur radicalité a permis à leurs auteurs de se faire des communautés de niche qui ont progressé rapidement, n’ayant pas d’autres alternatives sur la plate-forme de vidéos.</p>
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<figcaption><span class="caption">Facebook se lance à l’attaque des « suprémacistes blancs ».</span></figcaption>
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<p>Cependant, cette radicalité comporte ses propres limites. Tout d’abord, la plupart d’entre eux ont été victimes de suppression de la monétisation de leurs vidéos, si ce n’est de leurs vidéos ou de leur chaîne.</p>
<p>Certains sont donc revenus en ouvrant une ou plusieurs chaînes, en perdant au passage une partie de leurs abonnés. Une autre limite tient au discours suprémaciste en lui-même. Ces YouTubers n’ont pas intérêt à être perçus comme tels. Le mot suprémaciste effraie.</p>
<p>Ils tendent donc à dissimuler la dimension raciste de leur opinion politique en présentant leurs réflexions comme « du bon sens », en utilisant des catégories larges comme « occident », « autres cultures » et « racaille » pour éviter d’utiliser le mot race, et ainsi s’inscrivent dans un suprémacisme sans race qui fait écho au concept bien établi de <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/rel/2013-n763-rel0461/68515ac.pdf">racisme sans race</a> ou de <a href="https://www.persee.fr/doc/ierii_1764-8319_1972_mon_2_1">racisme culturel</a>.</p>
<p>Ces concepts permettent de rendre compte de la catégorisation arbitraire des humains en fonction de critères qui ne sont normalement pas innés mais qui sont présentés comme tels. Par exemple, on va réduire l’identité d’une personne à sa religion et déduire de cette religion une série de comportements présentés comme innés.</p>
<p>Qualifier ces YouTubers de suprémacistes au lieu de « fachosphère » permet donc de révéler plus précisément la nature raciste de leurs discours, qui ne vise pas seulement à offenser, mais à construire un propos politique d’organisation du vivre ensemble qui considère une partie de l’humanité comme inférieure.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/153988/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Tristan Boursier a reçu des financements du Fonds de recherche du Québec société et culture dans le cadre de sa thèse.</span></em></p>Se positionnant contre les « anti-racistes » et les « postcoloniaux » de nombreux internautes issus de l’extrême droite française font passer leur message par vidéo, notamment sur YouTube.Tristan Boursier, Doctorant en Science politique, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1284802019-12-18T18:18:39Z2019-12-18T18:18:39ZBrésil : fascisme moléculaire et nécropolitique<p>Parler de fascisme pour définir la situation politique et sociale du Brésil de Jair Bolsonaro peut sembler exagéré : les institutions politiques de l’État continuent de fonctionner, les masses ne défilent pas devant un leader charismatique, et l’on ne constate point d’emprisonnement des opposants politiques. Cette vision du fascisme, qui fait référence à des mouvements politiques parvenus au pouvoir dans un certain nombre de pays européens au siècle passé, est néanmoins datée.</p>
<p>Aujourd’hui, le fascisme circule d’une autre façon et travaille les sociétés à la fois sur les marges et en profondeur. Certes, ce type de fascisme se développe particulièrement sous le gouvernement Bolsonaro ; mais il tire ses racines des rapports sociaux qui structurent la société brésilienne.</p>
<p>La notion de « fascisme moléculaire » a été mise en avant pour la première fois par le philosophe français Félix Guattari lors d’une conférence en Italie en 1973, et détaillée par la suite dans un recueil d’essais intitulé <a href="http://www.lesprairiesordinaires.com/la-reacutevolution-moleacuteculaire.html">Révolution moléculaire</a>. Pour Guattari, « à côté du fascisme des camps de concentration » se développent de « nouvelles formes de fascisme moléculaire » qui naissent « dans le familialisme, dans l’école, dans le racisme, dans les ghettos de toute nature ». Ce fascisme vise à « capter le désir pour le mettre au service de l’économie du profit ». Le fascisme moléculaire agit donc sur les désirs individuels et collectifs afin de maintenir les rapports de domination. Cette grille de lecture est particulièrement utile concernant le Brésil.</p>
<h2>Bolsonaro : la nécropolitique brésilienne à visage découvert</h2>
<p>Penser que le gouvernement Bolsonaro menace la démocratie brésilienne et représente une rupture repose sur l’idée que le Brésil était (avant) une démocratie. Or cela n’a jamais été le cas, du moins si l’on considère que la démocratie implique que les citoyens sont égaux devant la loi et jouissent de certains droits fondamentaux.</p>
<p>La moitié de la population (active) brésilienne (c’est-à-dire 104 millions d’individus) <a href="https://agenciadenoticias.ibge.gov.br/agencia-noticias/2012-agencia-de-noticias/noticias/25702-renda-do-trabalho-do-1-mais-rico-e-34-vezes-maior-que-da-metade-mais-pobre">gagne moins de 100 euros</a> par mois (413 reais). Selon une <a href="https://www.habitat.org/where-we-build/brazil">étude</a> récente, 50 millions de Brésilien·ne·s vivent dans des conditions impropres, 26 millions n’ont pas accès à l’eau potable, et 83 millions survivent en absence de traitement d’eaux usées.</p>
<p>Chaque année, depuis plus de dix ans, entre 50 et 60 000 personnes sont <a href="https://journals.openedition.org/bresils/3071">assassinées</a> et plus de 85 000 individus « disparaissent » (une moyenne de plus de 200 par jour). À titre de comparaison, en 2018, il y eut plus d’<a href="https://www.revueconflits.com/bresil-jair-bolsonaro-delinquance-homicides/">homicides</a> au Brésil que pendant la guerre civile en Syrie. La violence se trouve au cœur de la société brésilienne et, selon les dernières <a href="http://www.ipea.gov.br/atlasviolencia/">informations</a> obtenues, elle ne va pas se résorber.</p>
<p>Ces crimes perpétrés contre la population brésilienne sont commis par les forces de l’ordre (<a href="https://www.lemonde.fr/m-actu/article/2015/09/28/le-bresil-ebranle-par-les-violences-de-sa-police_4775555_4497186.html">police</a> et armée) ; par des <a href="http://www.lusotopie.sciencespobordeaux.fr/lemos2003.pdf">groupes d’extermination</a> composés de policiers, de militaires et de membres de milieux criminels ; par des <a href="https://journals.openedition.org/lhomme/29049">factions criminelles</a> impliquées dans le trafic de drogue ; et surtout par des <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01508804/document">« milices »</a> formées d’ex-policiers, d’ex-militaires et de fonctionnaires en poste et liées à certaines personnalités politiques (dont, apparemment, la famille <a href="https://www.liberation.fr/debats/2019/06/27/bresil-la-lune-de-fiel-de-bolsonaro_1736591">Bolsonaro</a>), qui sous couvert de lutter contre le trafic de drogue, extorquent et terrorisent les habitants des favelas. Le Brésil est un ainsi un cas exemplaire de ce que la philosophe française <a href="https://editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Se_d__fendre-9782355221101.html">Elsa Dorlin</a> identifie comme un non-monopole étatique de la violence (légitime) ciblant certaines populations.</p>
<p>En effet, dans prés de 90 % de cas, les victimes sont des individus jeunes, noirs, métis ou indigènes, pauvres et habitants de favelas. La justice brésilienne ne se penche guère sur cette question centrale, ce qui lui a valu d’être sévèrement condamnée par la <a href="https://www.lexpress.fr/actualites/1/monde/le-bresil-epingle-pour-l-impunite-de-violences-policieres_1908445.html">Cour Inter-Américaine des Droits de l’Homme</a></p>
<p>Les quatorze années au pouvoir du Parti des Travailleurs (Lula de 2003 à 2011, Dilma Rousseff de 2011 à 2016) ont permis une maigre redistribution des biens sociaux, mais n’ont en aucun cas renversé cette <a href="https://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2006-1-page-29.htm">« nécropolitique »</a>, pour reprendre l’expression d’Achille Mbembe. Selon cet auteur, la gestion des populations ne passerait plus (seulement) par l’aménagement de leurs conditions d’existence (éducation, santé, emploi) mais aussi par leur « exposition permanente à la mort » : massacres, déportation, tortures, camps de réfugiés, déliquescence radicale de tous les acquis sociaux.</p>
<p>Vu l’ampleur de la nécropolitique brésilienne, qui a produit 553 000 morts en 11 ans (2007-2018), d’aucuns avancent qu’il s’agit d’un <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/10714839.2017.1298243">génocide</a> perpétuel, dont la source est le racisme. Les rapports sociaux au Brésil sont, en effet, structurés autour de son passé colonial, esclavagiste et dictatorial. Le pays n’a aboli l’esclavage qu’en 1888 et a connu la dictature militaire la plus longue d’Amérique latine (1964-1985).</p>
<p>Le racisme <em>à brasileira</em>, comme le montre la philosophe brésilienne <a href="https://www.anacaona.fr/boutique/le-feminisme-noir-chroniques-du-bresil-djamila-ribeiro/">Djamila Ribeiro</a>, se glisse sous l’apparente cordialité des rapports sociaux et continue de stigmatiser et de tuer les corps non blancs. Ce racisme structurel (qui guide l’action de l’État brésilien) est donc aussi moléculaire car il immunise l’élite blanche contre la souffrance des populations noires et indigènes. Bolsonaro n’a pas inauguré une nouvelle ère. Il a seulement révélé au grand jour et intensifié ce qui structure le Brésil : exploitation, inégalités, racisme et violence.</p>
<h2>Le désir de haine</h2>
<p>Cette constante exposition à la mort (aussi bien physique que sociale) de l’immense majorité de la population brésilienne fait en sorte que les individus qui la composent limitent leur existence à la survie. Étant donné la violence qui les guette en permanence, ils sont devenus des proies, et la simple survie est au Brésil une forme de résistance (politique) par excellence. Pour reprendre une nouvelle fois une <a href="https://www.cairn.info/politiques-de-l-inimitie--9782348040825.htm">expression</a> d’Achille Mbembe, le Brésil est une « société d’inimitié » où la survie du plus grand nombre contraste avec l’aisance d’une infime minorité blanche qui jouit de tous les privilèges sociaux. Or, cette extrême injustice (que les individus des deux groupes ressentent) est sublimée et canalisée par un sentiment de haine à l’égard, en particulier, des gouvernements de gauche précédents. Ces derniers auraient pillé le pays (affaires de corruption) et mené le pays à sa perte (crise économique depuis 2015).</p>
<p>Le fascisme moléculaire au Brésil se nourrit de cette haine et de cette frustration, que le gouvernement actuel récupère afin d’attaquer tout ce qui aurait pu développer un possible « vivre ensemble » brésilien. Les biens publics sont <a href="https://fr.express.live/bresil-20-milliards-de-dollars-privatisations/">privatisés</a> à une allure sans précédent (aéroports, banques et entreprises publiques, lieux touristiques) et le peu de droits sociaux des Brésilien·ne·s sont <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/10/23/jair-bolsonaro-fait-passer-sa-reforme-des-retraites_6016580_3234.html">encore plus émiettés</a> (retraites, droit du travail). Les très maigres avancés de l’État-providence brésilien sont détruites, comme s’il fallait effacer au plus vite la possibilité même d’une existence plus digne et solidaire.</p>
<p>Comme le souligne le philosophe américain Jason Stanley dans son ouvrage (inédit en français) <a href="https://www.penguinrandomhouse.ca/books/586030/how-fascism-works-by-jason-stanley/9780525511830"><em>How Fascism Works</em></a>, le ressentiment se trouve au cœur des mouvements fascistes (passés et contemporains), qui estiment devoir reprendre ce qui leur est dû. Au Brésil, les conflits sociaux et racistes au sein de la population sont sublimés par une haine partagée à l’égard d’un ennemi commun : le politicien et le fonctionnaire corrompus qui, au lieu de servir le pays, profitent grassement de leur position. Aujourd’hui, cette haine se matérialise par une volonté de purger l’administration publique, de réduire la présence de l’État et de précariser encore plus l’éducation et la santé. Il s’agit d’une haine qui est née d’un sentiment de frustration et qui dès aujourd’hui condamne – avec peut-être son consentement – la grande majorité de la population brésilienne.</p>
<h2>Le désir de faux</h2>
<p>Si la vie humaine n’a aucune valeur au Brésil, il est plus facile de comprendre l’« inertie » de tous les gouvernements successifs, dont l’actuel, en matière de protection de la faune et de la flore de la forêt amazonienne, mais aussi leur indifférence à l’égard de l’état des infrastructures publiques et privées – une indifférence qui a causé, en particulier, plusieurs ruptures de barrages (Bento Rodrigues en 2015, Brumadinho en 2019). Il ne s’agit pas ici de défaillances ou de manque de ressources. Le Brésil fait partie des dix premières économies mondiales et possède les moyens économiques de protéger aussi bien sa population que sa biosphère.</p>
<p>Le gouvernement nie les véritables causes de cette grave réalité (le mépris de la vie sous toutes ses formes) et de la névrose sociale qui la soutient. Cela est parfaitement illustré dans le cas des incendies de la forêt amazonienne : l’exécutif <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/11/29/incendies-en-amazonie-des-pompiers-volontaires-injustement-mis-en-cause-par-les-autorites_6020975_3210.html">affirme</a> que les responsables sont… les pompiers volontaires luttant contre ces feux.</p>
<p>Le fascisme moléculaire repose ainsi sur un désir de faux, permettant d’établir une nouvelle écriture du présent et de trouver normale une nécropolitique du quotidien. Paulo Freire, l’un des plus grands penseurs brésiliens, a très bien <a href="https://www.persee.fr/doc/rfp_05567807_1975_num_30_1_2073_t1_0062_0000_2">souligné</a> comment les couches sociales supérieures brésiliennes sont « nécrophiles » et empêchent le reste de la population d’accéder à une éducation de base, la maintenant délibérément dans un état d’ignorance et de manipulation.</p>
<p>Afin d’illustrer ce propos, citons quatre contre-vérités répandues au Brésil et exacerbées par le gouvernement actuel : </p>
<ul>
<li><p>il y a une épidémie de drogue au Brésil et elle touche les plus pauvres ;</p></li>
<li><p>afin de lutter contre la criminalité, les policiers doivent avoir un permis de tuer ; </p></li>
<li><p>les droits de l’homme ne servent qu’à garantir l’impunité des délinquants ; </p></li>
<li><p>les Indiens occupent illégalement des terres de la forêt amazonienne et sont manipulés par des ONG internationales.</p></li>
</ul>
<p>La première proposition a été contredite par une étude du plus prestigieux centre de recherche brésilien dans le domaine de la santé. Dans la mesure où elle contredit la position du gouvernement actuel, ce dernier a essayé de la <a href="https://www.sciencemag.org/news/2019/06/brazilian-government-accused-suppressing-data-would-call-its-war-drugs-question">censurer</a>. La seconde proposition ne sert qu’à justifier la nécropolitique brésilienne : la baisse de la criminalité ne dépend pas de l’extension des conditions de légitime défense des forces de l’ordre ; au contraire, la violence policière <a href="https://journals.openedition.org/conflits/1883">contribue</a> à la hausse de la criminalité. La troisième proposition considère que le système pénal brésilien est trop laxiste ; or le Brésil possède la troisième population carcérale avec <a href="https://g1.globo.com/politica/noticia/2019/07/17/cnj-registra-pelo-menos-812-mil-presos-no-pais-415percent-nao-tem-condenacao.ghtml">812 000 détenu·e·s</a>. Enfin, la quatrième proposition vise à nier les droits autochtones des peuples indigènes qui sont reconnus constitutionnellement (art. 231 de la Constitution brésilienne). Elle se fonde sur des théories de la conspiration, selon lesquelles des puissances étrangères veulent bloquer le développement économique du Brésil. Ces dernières mettraient en avant la protection de la forêt amazonienne et de ses habitants afin d’empêcher l’exploitation de ressources naturelles prometteuses…</p>
<p>Le fascisme moléculaire au Brésil se nourrit de ce désir de faux (bien antérieur aux fake news) et sert à masquer, tout en les justifiant, les véritables causes de la nécropolitique brésilienne. Il circule aussi, comme nous l’avons vu, par le truchement d’un désir de haine, aggravant les rapports racistes et d’inimitié qui constituent le cœur des rapports sociaux au Brésil. Mais tout n’est pas perdu : face à lui, une partie de la société civile se <a href="https://www.pressegauche.org/Bresil-La-plus-grande-mobilisation-des-travailleuses-du-milieu-rural-en">mobilise</a> et, tout en essayant de survivre au quotidien, met en œuvre des stratégies de <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/03066151003595168">résistance</a>. Paraphrasant Michel Foucault (à la fin de <em>Surveiller et Punir</em>), dans cette population brésilienne dont sont niées l’humanité et l’existence, « il faut entendre le grondement de la bataille ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/128480/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Antonio Pele ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le gouvernement Bolsonaro n’est pas un pouvoir autoritaire traditionnel ; il relève davantage d’un « fascisme moléculaire » qui manipule les désirs de la population.Antonio Pele, Associate professor, Law School of the Pontifical Catholic University of Rio de Janeiro, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/981802018-06-14T19:43:20Z2018-06-14T19:43:20ZLe Rassemblement national : quelle identité scolaire républicaine ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/222815/original/file-20180612-112614-1gcmc4g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C0%2C1189%2C747&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Marine Le Pen, le 1ᵉ juin 2018, à Bron (près de Lyon).</span> <span class="attribution"><span class="source">Jean-Philippe Ksiazek/AFP</span></span></figcaption></figure><p>Quelle sera l’identité scolaire républicaine du <a href="http://www.leparisien.fr/politique/rassemblement-national-un-nouveau-nom-pour-le-fn-et-apres-01-06-2018-7748511.php">Rassemblement national de Marine Le Pen</a> ? C’est très précisément la question qui se pose à ce parti, nouvellement nommé le 1<sup>er</sup> juin 2018, à Lyon. Car depuis sa fondation, en 1972, le Front national a été d’une radicalité extrême dans ses critiques envers l’école de la République.</p>
<h2>« Décadence » et « faillite scolaire »</h2>
<p>Il a fustigé sa « décadence généralisée » : son « laxisme », son « immoralité », ses violences, sa baisse de niveau… Dans les livres de <a href="https://images-na.ssl-images-amazon.com/images/I/81yjjVlb9GL.jpg">Jean‑Marie Le Pen</a>, on pouvait ainsi lire que les enfants n’apprenaient plus rien en classe, que l’autorité des professeurs était bafouée, que les élèves ne savaient plus discerner le bien du mal, que l’école était le lieu de la barbarie et de la pornographie.</p>
<p>Les magazines du Front national, <em>La lettre de Jean‑Marie Le Pen</em> et <em>Français d’abord !</em> revenaient régulièrement sur ces déliquescences. Dans les années 2000, <em>Français d’abord !</em> ouvrait ainsi un dossier où l’on voyait, sur fond d’images lugubres, un jeune adolescent moribond sur le parvis d’un établissement scolaire se faire une intraveineuse d’héroïne. « Où va la France ? », s’interrogeait gravement le magazine.</p>
<p>Une fois élue présidente du Front national, le 16 janvier 2011, Marine Le Pen reprendra tambour battant cette rhétorique tout en préférant au mot « décadence » du père ceux, plus édulcorés, de déclin ou de faillite.</p>
<p>Marion Maréchal-Le Pen montera davantage encore en agressivité dans cette stigmatisation. En 2013, <a href="https://www.zinfos974.com/photo/art/default/10345179-16923602.jpg?v=1475822601">à l’Assemblée nationale</a>, elle expliquait que la droite et la gauche répétaient à l’envi les mots de République, de laïcité et de Démocratie alors que leur école n’était devenue qu’une « usine à chômeurs ».</p>
<h2>Leçons de morale scolaire républicaine</h2>
<p>Ces sentences étaient régulièrement assorties de sévères leçons de morale scolaire républicaine. Face à ce qu’il considérait comme une montée inexorable de la délinquance, de la drogue et du racket, Bruno Gollnisch déplorait que l’État ne fasse plus respecter « l’ordre républicain » à l’école.</p>
<p>D’autres caciques de ce parti se disaient outrés que « l’égalité républicaine » ne soit plus respectée au regard d’une politique de Z.E.P. qui donnait plus aux quartiers « envahis par l’immigration ». Le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=-1MQ_i8kWGc">collectif Racine</a> qui se réunissait, en 2013 à Paris, sous l’égide du Rassemblement Bleu Marine, militait pour le « redressement » de l’école de la République.</p>
<p>De façon plus large, le FN a pris pour habitude de s’approprier la démocratie et la République et de les regarder de haut. Dans son livre <em>Pour la France</em> paru en 1986, Jean‑Marie Le Pen s’offusquait que la démocratie soit « confisquée » en ne donnant pas au peuple la souveraineté que lui permet l’article 3 de sa Constitution. <a href="https://www.youtube.com/watch?v=S-p8_smvLhw">Au Congrès du Front national à Lille, le 11 mars 2018</a>, Marine Le Pen affirmait encore : « Nous sommes les défenseurs – et même objectivement les derniers – de la République française. »</p>
<h2>Panthéon, hommages, vivier antirépublicain</h2>
<p>Ces sentences et moralisations émanaient pourtant d’une identité profondément antirépublicaine.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/222817/original/file-20180612-112627-10gt6pe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/222817/original/file-20180612-112627-10gt6pe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=918&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/222817/original/file-20180612-112627-10gt6pe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=918&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/222817/original/file-20180612-112627-10gt6pe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=918&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/222817/original/file-20180612-112627-10gt6pe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1154&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/222817/original/file-20180612-112627-10gt6pe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1154&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/222817/original/file-20180612-112627-10gt6pe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1154&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Portrait de Charles Maurras, en 1925.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/f/fa/Charles_Maurras_-_photo_Fr%C3%A9d%C3%A9ric_Boissonnas.jpg/392px-Charles_Maurras_-_photo_Fr%C3%A9d%C3%A9ric_Boissonnas.jpg">Frédéric Boissonnas/Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le panthéon du Front national était, jusqu’à présent, tout sauf républicain. Dans les arcanes de ses publications internes, ce parti politique célébrait <a href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/2/2b/Jmaistre.jpg/220px-Jmaistre.jpg">Joseph de Maistre</a>, <a href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/5/5b/Louis_de_Bonald.jpg">Louis de Bonald</a>, <a href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/b/b9/Rivarol_Antoine1.jpg/220px-Rivarol_Antoine1.jpg">Rivarol</a> comme d’historiques maîtres à penser. Charles Maurras a été une figure incontournable dans cette littérature, même si Marine Pen a pris ses distances avec cette référence nationaliste. Le Dr <a href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/9/9e/Alexis_Carrel_02.jpg/220px-Alexis_Carrel_02.jpg">Alexis Carrel</a> était honoré comme une référence scientifique exemplaire et <a href="http://www.programme.tv/media/cache/relative_max_355x272/upload/epgs/2014/03/gustave-thibon-il-etait-une-foi_70886812_2.jpg">Gustave Thibon</a> célébré comme un philosophe profond.</p>
<p>Pourtant, ces idéologues et théoriciens ont farouchement lutté contre la Révolution française, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la démocratie, l’égalité. Dans un de ses écrits Charles Maurras avait cette formule : « La démocratie, c’est le mal, la démocratie, c’est la mort ».</p>
<p>Les hommages que rendait le Front national à ses grands disparus ne sont pas davantage républicains. Jean‑Marie Le Pen est longtemps allé tous les ans sur la tombe du nationaliste <a href="https://s1.lemde.fr/image/2012/02/20/534x0/1645637_6_38c0_couverture-de-l-ouvrage-de-nicolas-lebourg-et_b0bcfa3dc84ddd8c16820596f9a12c28.jpg">François Duprat</a>, mort dans un attentat en 1978. Ses discours de commémoration ne disaient pas que cet activiste qui avait milité dans les partis d’extrême droite et qui fut membre du bureau politique du FN à ses débuts était un idéologue dont la trilogie fascisme-négationnistes-racisme était la pierre angulaire.</p>
<p>De même, les chaleureux éloges adressés par Jean‑Marie Le Pen à la mort de Maurice Bardèche faisaient l’impasse sur la vision fasciste que cet intellectuel avait du monde. « Je suis un écrivain fasciste », écrivait-il <a href="https://www.images-booknode.com/book_cover/385/qu-est-ce-que-le-fascisme---384652-264-432.jpg">dans un de ses livres.</a></p>
<p>Dans le chaudron de cette identité antirépublicaine, il y avait aussi le vivier des relations humaines. Au fil des générations se sont entrecroisés dans ce parti politique des <a href="https://i.ytimg.com/vi/mxBGef4Me8I/maxresdefault.jpg">monarchistes</a>, des <a href="https://francenationaliste.files.wordpress.com/2015/11/marc3a9chal-pc3a9tain-la-france.jpg?w=470&h=400&crop=1">pétainistes</a>, des <a href="http://ekladata.com/0bCD-kUO8q5BJ8yMeBJUAyol0IA@550x366.jpg">collaborationnistes</a>, des <a href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/e/e3/D%C3%A9fil%C3%A9_Jeanne_d%27Arc_Action_fran%C3%A7aise.jpg/1200px-D%C3%A9fil%C3%A9_Jeanne_d%27Arc_Action_fran%C3%A7aise.jpg">maurrassiens</a>, des <a href="http://tpe-arts.e-monsite.com/medias/images/sans-titre-2.jpg">antisémites</a>, des <a href="https://blog-histoire.fr/wp-content/uploads/2015/08/negation-300x219.jpg">négationnistes</a>, des <a href="https://www.breizh-info.com/wp-content/uploads/2018/04/de_quoi_fascisme_est_nom_le_moal.jpg">fascistes</a>, des <a href="https://img.over-blog-kiwi.com/1/21/37/01/20170409/ob_21f0af_gud2.jpg">gudars</a>, des <a href="https://i.ytimg.com/vi/wAACINL8R28/hqdefault.jpg">identitaires</a>.</p>
<p>Tous bafouaient d’une façon ou d’une autre la République, son histoire, ses valeurs, ses institutions, ses lois. Sur la thématique de l’école, on trouvait dans le magazine <em>Français d’abord !</em> des années 2000 des appels pressants pour que Rivarol, Joseph de Maistre, Louis de Bonald et Charles Maurras fassent partie des programmes scolaires. Des programmes dont les auteurs de ces articles apologétiques se désolaient amèrement qu’ils en soient exclus.</p>
<p>Avec le Rassemblement national, faut-il désormais parler à l’imparfait de cette identité antirépublicaine du Front national ?</p>
<h2>Les valeurs scolaires républicaines du Rassemblement national ?</h2>
<p>Qu’en sera-t-il dans ce nouveau parti de ses rapports avec la <a href="https://images-eu.ssl-images-amazon.com/images/I/51WV29W742L._SR600%2C315_PIWhiteStrip%2CBottomLeft%2C0%2C35_PIStarRatingFIVE%2CBottomLeft%2C360%2C-6_SR600%2C315_SCLZZZZZZZ_.jpg">République en général et de l’école de la République en particulier ?</a> Sera-t-il toujours sur le registre de l’imprécation et de la moralisation ? Verra-t-il encore en cette école l’incarnation de la décadence, du délitement, du désastre ? Quelles grandes figures historiques républicaines le Rassemblement national mettra-t-il en avant pour l’honorer ? De quelles valeurs scolaires républicaines se réclamera-t-il ? De quelles politiques scolaires historiques et contemporaines sera-t-il fier et lesquelles reprendra-t-il à son compte ? Quelles seront ses sources philosophiques, scientifiques, pédagogiques pour penser cette école ? Et finalement, de quelle <a href="https://encrypted-tbn0.gstatic.com/images?q=tbn:ANd9GcSz2R9pCmdX2wQ0Kv5V0GvpT_O2Wu2r2k03ssPAKkRQ5cFOYI20">essence républicaine le programme scolaire</a> à venir du Rassemblement national sera-t-il fait ?</p>
<p>Telles sont les questions qui se posent au Rassemblement national pour que ce parti ne soit pas la réplique simplement renommée des imprécations qu’adressaient le FN à l’école de la République. Et il n’est pas sûr que le « frein psychologique » pour rejoindre sa formation, dont parlait Marine Le Pen dans son discours du 1<sup>er</sup> juin, soit moins dû à l’appellation de Front national qu’à l’identité largement antirépublicaine dont ce parti a été jusqu’à présent l’expression.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/98180/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Michel Barreau ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Depuis sa fondation, le Front national a été d’une radicalité extrême dans ses critiques envers l’école de la République. Faut-il désormais parler à l’imparfait avec le Rassemblement national ?Jean-Michel Barreau, Professeur en Sciences de l'éducation, spécialiste des normes et valeurs scolaires., Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/971042018-05-24T20:13:34Z2018-05-24T20:13:34ZFrancs-maçons dehors ! Quand le nouveau gouvernement italien se débarrasse des loges<p>La coalition du Mouvement 5 étoiles, populiste, et de la Ligue, anciennement Ligue du Nord et d’extrême droite, <a href="https://theconversation.com/litalie-nouveau-laboratoire-de-l-orbanisation-de-leurope-96566">gouvernant aujourd’hui l’Italie</a>, a décidé dans son programme <a href="http://www.lastampa.it/2018/05/18/contratto-governo-lncqr8WoDImtooTgz8zbQN/pagina.html">publié le vendredi 18 mai 2018</a>, d’interdire aux francs-maçons de faire partie du gouvernement.</p>
<p>Cette interdiction renvoie, pour les francs-maçons italiens, au souvenir des lois antimaçonniques du régime fasciste, <a href="http://storia.camera.it/cronologia/leg-regno-XXVI/elenco">promulguées le 13 février 1923</a>, qui visait à l’époque à les exclure du gouvernement et de la vie civile de toute activité politique.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/220108/original/file-20180523-51091-925la7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/220108/original/file-20180523-51091-925la7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/220108/original/file-20180523-51091-925la7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=334&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/220108/original/file-20180523-51091-925la7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=334&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/220108/original/file-20180523-51091-925la7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=334&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/220108/original/file-20180523-51091-925la7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=420&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/220108/original/file-20180523-51091-925la7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=420&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/220108/original/file-20180523-51091-925la7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=420&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Extrait du « programme » en italien.</span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Unification italienne</h2>
<p>Les relations ambiguës entre les droites, voire les extrêmes droites, et les francs-maçons remontent aux années précédant à la création de l’Italie en tant qu’État-nation en 1871.</p>
<p>À cette époque, pour une très large part, les francs-maçons italiens étaient « garibaldiens » du nom du général Giuseppe Garibaldi, considéré comme le père de l’unification italienne et lui-même <a href="http://ccfr.bnf.fr/portailccfr/jsp/public/index.jsp?record=bmr%3AUNIMARC%3A8784804&failure=%2Fjsp%2Fpublic%2Ffailure.jsp&action=public_direct_view&success=%2Fjsp%2Fpublic%2Findex.jsp&profile=public">franc-maçon</a>. En effet, ils soutinrent à la fois la création de l’Italie en tant qu’État-nation et l’annexion des États de l’Église, qui occupaient une large part de l’Italie centrale (ils comprennent les actuelles <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89volution_territoriale_de_l%27Italie">Emilie-Romagne, Marche, Ombrie et Latium</a>.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/220195/original/file-20180523-51127-1yqago4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/220195/original/file-20180523-51127-1yqago4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=927&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/220195/original/file-20180523-51127-1yqago4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=927&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/220195/original/file-20180523-51127-1yqago4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=927&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/220195/original/file-20180523-51127-1yqago4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1165&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/220195/original/file-20180523-51127-1yqago4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1165&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/220195/original/file-20180523-51127-1yqago4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1165&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Carte postale représentant Giuseppe Garibaldi, (1808-1882), à Naples, 1861.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Giuseppe_Garibaldi_1861.jpg">Library of Congress</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les francs-maçons italiens étaient aussi pour beaucoup, <a href="https://www.herodote.net/Franc_maconnerie-synthese-1790.php">comme en France, des anticléricaux</a>. Mais, ils n’étaient pas forcément positionnés à gauche sur l’échiquier politique. L’origine de cet élitisme est lié à sa sociologie initiale et une histoire qui remonte au moins au XVIII<sup>e</sup> siècle.</p>
<h2>Des loges proches du pouvoir</h2>
<p>À cette époque, dans le royaume de Naples, les loges étaient principalement des loges militaires, composés de mercenaires à la solde de la monarchie. Par la suite, comme dans le reste de l’Europe d’ailleurs, la sociologie des loges était plutôt élitiste, <a href="https://www.persee.fr/doc/camed_0395-9317_2000_num_61_1_1303">composée d’aristocrates et de hauts prélats</a>.</p>
<p>La volonté d’unifier la péninsule italienne au XIX<sup>e</sup> siècle, le <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/risorgimento/">Risorgimento</a>, se diffusa dans les loges qui devinrent assez rapidement nationalistes (dans le sens d’un <a href="https://www.laprocure.com/peuples-nations-europe-xixe-siecle-rene-girault/9782010196744.html">nationalisme d’existence</a>). La franc-maçonnerie devint alors un acteur de la vie politique italienne. Son âge d’or se situe ainsi au tournant des XIX<sup>e</sup> et XX<sup>e</sup> siècles : en 1900, tous les membres du conseil communal de Rome <a href="https://www.persee.fr/doc/camed_0395-9317_2000_num_61_1_1303">sont francs-maçons</a>. Ils dominent aussi largement les chambres parlementaires. À la même époque, il y avait dans toute la péninsule, environ 500 loges et 20 000 maçons.</p>
<p>Ces loges italiennes, peu organisées, étaient aussi assez marquées par les pratiques irrégulières, illégitimes, c’est-à-dire ne respectant pas les pratiques de la franc-maçonnerie anglaise et de ce fait n’ayant pas obtenu une patente de la Grande Loge Unie d’Angleterre, à l’origine de la franc-maçonnerie.</p>
<p>Elles étaient aussi marquées par l’ésotérisme, ayant par exemple recours aux rites dits de Memphis-Misraïm, nés de spéculations ésotériques et maçonniques aux XVIII<sup>e</sup> et XIX<sup>e</sup> siècles. <a href="https://www.hiram.be/blog/2014/11/22/decouverte-des-rites-memphis-misraim-un-rite-atypique/">Garibaldi en était l’un des initiés.</a></p>
<h2>Indulgence pour les fascistes</h2>
<p>Dans l’immédiat après-guerre, l’instituteur socialiste Benito Mussolini fonde en 1919 les <em>Fasci Italiani di combattimento</em>, Faisceaux italiens de combat, plus connu sous le nom de fascisme. Certains francs-maçons voient d’un œil indulgent l’arrivée de ce mouvement violent d’extrême droite au discours irrédentiste. Cette indulgence résiste à l’interdiction des Loges en 1923, peu après sa marche sur Rome de 1922 et sa prise effective du pouvoir.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/220274/original/file-20180524-51102-1q4l3kh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/220274/original/file-20180524-51102-1q4l3kh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/220274/original/file-20180524-51102-1q4l3kh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=505&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/220274/original/file-20180524-51102-1q4l3kh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=505&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/220274/original/file-20180524-51102-1q4l3kh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=505&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/220274/original/file-20180524-51102-1q4l3kh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=635&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/220274/original/file-20180524-51102-1q4l3kh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=635&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/220274/original/file-20180524-51102-1q4l3kh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=635&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Les chemises noires marchent sur Rome le 31 octobre 1922, ici devant le palais du Quirinal, alors résidence royale.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://it.wikipedia.org/wiki/File:Sfilata_fascista_(Quirinale).jpg">Archeologo/Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cette interdiction n’est pas propre au fascisme : l’URSS naissante l’avait également promulguée et il était interdit aux militants communistes d’être francs-maçons. Une phase plus radicale est franchie le 25 septembre 1925, lorsque des francs-maçons furent l’objet d’une littérale chasse à l’homme dans les rues de Florence. Certains furent tués, les autres internés à Lipari et les loges détruites. Le Grand Maître Torrigiani décida alors la dissolution des loges de l’obédience « Palazzo Giustiniani », marquée à gauche, avant d’être lui-même interné. Les francs-maçons les plus à droite restèrent favorables au régime fasciste jusqu’aux Accords du Latran de 1929, signés entre le Saint-Siège et le régime fasciste confirmant le catholicisme comme seule religion de l’État italien.</p>
<p>Malgré ce contexte tendu, certains francs-maçons célèbres, comme <a href="https://tempspresents.com/2013/11/20/stephane-francois-julius-evola-racisme-judaisme/">Arthuro Reghini ou Guido de Giorgio</a> restèrent favorable au fascisme. À partir de ce moment, la franc-maçonnerie italienne se met en sommeil. Elle ne réapparaîtra qu’après la Seconde Guerre mondiale, exsangue.</p>
<h2>Années de plomb et loges autoritaires</h2>
<p>C’est ainsi que naît en 1944 la Loge P2, de son vrai nom « Propaganda massonnica 2 » pour initier et surtout accueillir, sur le modèle de l’ancienne loge « Propaganda massonica » (fondée en 1877), des personnalités politiques et des élites – économiques ou culturelles. l’objectif était de reconstruire une franc-maçonnerie exsangue. Jusqu’à la fin des années 1960, elle remplit son rôle, vivotant. À compter de la fin des années 1960, le patronat, dominant dans la loge, voit arriver de nouveaux membres issus de l’armée et des services de renseignement. Tous sont foncièrement <a href="http://www.fontitaliarepubblicana.it/documents/121-000-relazione-anselmi.html">anticommunistes</a>.</p>
<p>Nous sommes alors dans l’Italie des années de plomb et du terrorisme, tant d’extrême gauche que d’extrême droite. Or des membres de la loge, qui comprenaient 962 personnes, tendaient vers l’extrême droite, favorables à la mise en place d’un régime autoritaire.</p>
<p>La liste rendue publique comptait par ailleurs nombre de personnalités italiennes. On pense ainsi à Roberto Calvi président du Banco ambrosianno (retrouvé pendu sous un pont londonien en 1982), Michele Sindona (le banquier de Cosa Nostra, empoisonné en prison en 1986), des directeurs de journaux dont celui de <em>Il Corriere della sera</em>, les chefs d’État Majors de la marine, de l’air, des officiers des carabiniers, le directeur du SISMI (le service de renseignement militaire), des officiers de renseignement, des présentateurs TV et évidement des industriels comme <a href="http://www.repubblica.it/politica/2015/12/16/news/p2_i_nomi_piu_importanti_della_lista_gelli-129591682/">Silvio Berlusconi</a> (numéro d’adhésion 625).</p>
<p>Les portes de la loge s’ouvrirent alors aux néofascistes et aux mafieux. Dans les années 1970, les francs-maçons de la loge P2 réfléchirent à une réforme de la société, en particulier à une purge de celle-ci des militants et des intellectuels d’extrême gauche. Ce projet est connu sous le nom de « schéma R ».</p>
<h2>Un scandale sur plus de 20 ans</h2>
<p>En 1981, les velléités autoritaires et totalitaires de la loge sont découvertes, le complot mis à jour. Cela a déclenché a un énorme scandale dans la péninsule lorsque les 962 noms des membres furent rendus public.</p>
<p>La découverte du plan de subversion de la démocratie conduit par la loge et par son Vénérable Maître, <a href="https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2015/12/16/licio-gelli-le-grand-maitre-des-secrets-italiens-est-mort-a-96-ans_4833292_3382.html">Licio Gelli</a>, a fait l’objet de plusieurs procès et d’une enquête parlementaire présidée par la sénatrice démocrate-chrétienne Tina Anselmi.</p>
<p>Ce projet de subversion violente a nourri les fantasmes complotistes les plus divers, non seulement à l’égard des francs-maçons en Italie, mais aussi en ce qui concerne les stratégies américaines, fantasmées ou réelles, de contre-subversion anti-communiste <a href="https://tempspresents.com/2016/04/05/stay-behind-europeens-tenembaum-origoni/">dans le cadre du <em>Stay Behind</em></a>, c’est-à-dire à la création illégale attribuée, parfois à tort, à l’OTAN dès le début de la Guerre froide, de groupes paramilitaires visant à combattre par l’arrière une occupation de l’Europe occidentale par les forces du Pacte de Varsovie. En Italie, il s’agissait du réseau Gladio.</p>
<p>Ainsi, on prête à la loge P2 une implication dans l’ensemble des actes de violence terroristes en Italie, de l’<a href="http://guillaumeorigoni.blog.lemonde.fr/2012/02/27/1-3milan-12-decembre-1969-lattentat-de-piazza-fontana-premier-acte-de-la-strategie-de-la-tension/">attentat de Piazza Fontana en 1969</a> jusqu’à celui de la <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/affaires-sensibles/affaires-sensibles-01-mars-2018">gare de Bologne en 1980</a>, sans compter sa possible implication dans les multiples planifications de coups d’État jusqu’en 1970, dont celui du Commandant Borghese à la tête des <a href="https://journals.openedition.org/cdlm/5535">commandos mussoliniens de la decima Mas</a>. Le Commandant Junio Valerio Borghese est un militant fasciste référent dans l’Italie des années de plomb. Il meurt en Espagne en 1974 dans des circonstances qui restent aujourd’hui toujours incertaines.</p>
<p>Si l’implication de la loge dans le réseau Gladio n’est pas prouvée, son caractère <a href="http://www.fontitaliarepubblicana.it/documents/360-09-legdoc-xxiii-n-2-2bis-1-relatore-teodorio-ocr.html">ultra-atlantiste</a> l’est : il s’agissait, selon les membres de la commission d’enquête parlementaire sur la P2, de défendre les valeurs de l’Occident de la subversion marxiste.</p>
<p>La loge fut dissoute, son Vénérable fut exclu de la maçonnerie, mais cela a sali la réputation de la franc-maçonnerie italienne durant de longues années, en plus du scandale politique et l’histoire a défrayé la chronique judiciaire jusqu’à la fin des années 1990-2000.</p>
<h2>Crise de confiance</h2>
<p>L’histoire de la loge P2 est devenue une blessure profonde dans l’histoire maçonnique et politique de la première République italienne.</p>
<p>Plus de trente après la découverte du scandale : les loges inspirent encore de la défiance parmi la population et les partis populistes et n’ont pas retrouvé leur faste passé.</p>
<p>Il y a peu, la <a href="http://www.fontitaliarepubblicana.it/documents/360-09-legdoc-xxiii-n-2-2bis-1-relatore-teodorio-ocr.html">P2 était encore évoquée</a> par la commission d’enquête parlementaire sur la séquestration et la mort d’Aldo Moro, homme d’État, Président de la Démocratie chrétienne et artisan du rapprochement avec le Parti communiste italien, alors deuxième force politique de la péninsule.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/_7o2tTGliXE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">L’affaire Aldo Moro, archives INA.</span></figcaption>
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<p>Il fut assassiné par les Brigades rouges le 9 mai 1978 après 55 jours de captivité qui ébranlèrent la stabilité institutionnelle italienne.</p>
<p>L’antimaçonnisme virulent que l’on observe ainsi aujourd’hui est en partie conséquence de cette histoire, et ce, en dépit du fait que la loge P2 était proche des mouvements fascisants.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/97104/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stéphane François est membre de l'ORAP de la Fondation Jean Jaurès</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Guillaume Origoni est membre de l'ORAP de la Fondation Jean Jaures.</span></em></p>L’interdiction pour les francs-maçons de participer au gouvernement renvoie l’Italie à ses heures les plus sombres.Stéphane François, Politiste, historien des idées, chercheur associé, École pratique des hautes études (EPHE)Guillaume Origoni, Doctorant en histoire, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/941922018-04-09T04:16:24Z2018-04-09T04:16:24ZFachos 2.0 ou comment les idées d’extrême droite se répandent jusque chez vous<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/213917/original/file-20180409-114121-9x6kdj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C12%2C2044%2C1315&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Novopresse, TV Libertés, Fdesouche, les mouvements d'extrême-droite comme Génération Identitaire comptent sur leurs nombreux relais médiatiques pour occuper l'espace public.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/pierre-selim/8321783276/in/photolist-dFnjf1-c4HHrj-gf8icb-UF7tXd-88JgbC-9vqwNP-aWkRQv-j7jAJi-AfHPSo-8556Zz-6ceF1z-c4HHnu-bP4RDX-bP4RCt-5Mi2Ku-bVUm5R-mUUaCV-dwSqUb-9MNBYX">Pierre-Selim/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Comment un élu et militant de La France Insoumise - par ailleurs conseiller régional Auvergne-Rhône-Alpes - a-t-il pu appeler à voter Rassemblement National aux prochaines élections européennes ? C'est pourtant sans ciller qu'Andrea Kotarac assume ses idées, qu'il <a href="http://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/europeennes-andrea-kotarac-quitte-la-france-insoumise-pour-soutenir-le-rn-20190514">a quitté</a> le parti de Jean-Luc Mélenchon pour soutenir -sans y adhérer- celui de Marine Le Pen «seul barrage» à Emmanuel Macron. </p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1128387944778276864"}"></div></p>
<p>L’extrême droite, sa violence - <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/education/parcoursup/blocage-des-universites-heurts-violents-a-tolbiac_2695748.html">physique, comme lors manifestations sociales en 2018 à l'université de Tolbiac à Paris</a> et ses propos décomplexés ont-ils <a href="https://theconversation.com/comment-lextreme-droite-radicale-se-recompose-en-france-94072">(re)conquis la France</a>? </p>
<p>Ces modes opératoires sont loin d’être nouveaux. Cependant, les actions de dissémination, diffusion des interventions violentes ont désormais des canaux médiatiques propres et diffus, comme pour l’attaque de Tolbiac, <a href="https://www.youtube.com/channel/UCsGs7XjHyYuaBUoNnTF6k7Q">immédiatement relayée par le média LDC-News (Ligne de Conduite) présent sur les lieux</a> et qui se qualifie d’« agence de presse indépendante ».</p>
<h2>Des canaux médiatiques propres</h2>
<p>Cette présence sur Internet de sites d’« information », de réseaux sociaux dédiés à la diffusion de l’idéologie de l’extrême droite radicale – et de ses actions – est un phénomène qui remonte au début des années 2000 mais qui a été peu étudié, en dehors de l’excellent ouvrage <a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre/la-fachosphere-comment-lextreme-droite-remporte-la-bataille-du-net"><em>Fachosphère ou comment l’extrême droite remporta la bataille du net</em></a> des journalistes Dominique Albertini et David Doucet paru il y a deux ans chez Flammarion.</p>
<p>Cette forme de militantisme est nécessaire pour de petites formations qui ne comprennent que quelques centaines de militants : le web permet une démultiplication du militantisme. La faiblesse numérique est ainsi remplacée par un sur-activisme virtuel qui permet également à tout ceux qui <a href="https://tempspresents.com/2017/11/21/linternet-des-droites-extremes/">refusent le jeu électoral</a> de s’insérer dans un <a href="http://www.liberation.fr/debats/2016/08/02/il-faut-sauver-antonio-gramsci-de-ses-ennemis_1469922">véritable combat culturel</a> initié à l’extrême droite par la Nouvelle Droite <a href="https://tempspresents.com/2009/08/31/jean-yves-camus-la-nouvelle-droite-francaise-et-son-rapport-avec-mai-68/">dans les années 1970</a>.</p>
<p>L’évolution, les recompositions pourrions-nous même dire, <a href="https://tempspresents.com/2016/04/15/les-droites-extremes-en-europe-quelles-realites/">des droites radicales européennes</a> nous poussent aujourd’hui à réfléchir à une nouvelle approche de ces milieux qui usent de différentes stratégies pour diffuser leurs idées dans des contextes sociologiquement éloignés des leurs, comme la théorie du <a href="http://www.lemonde.fr/politique/article/2014/01/23/le-grand-boniment_4353499_823448.html">« grand remplacement »</a>, c’est-à-dire l’idée d’une substitution ethnique des populations européennes (comprendre les populations « blanches ») par des populations extra-européennes.</p>
<h2>Banalisation des thèmes utilisés et confusionnisme</h2>
<p>Ainsi certains thèmes d’extrême droite (remigration, racisme antimusulman, l’immigration vue comme une colonisation, etc.) sont désormais banalisés dans le cadre d’une « guerre culturelle ».</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/213704/original/file-20180408-5597-1ac3icx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/213704/original/file-20180408-5597-1ac3icx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=262&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/213704/original/file-20180408-5597-1ac3icx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=262&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/213704/original/file-20180408-5597-1ac3icx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=262&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/213704/original/file-20180408-5597-1ac3icx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=330&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/213704/original/file-20180408-5597-1ac3icx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=330&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/213704/original/file-20180408-5597-1ac3icx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=330&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Capture d’écran du blog Identitaires d’Auvergne.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://lesidentitairesdauvergne.unblog.fr/2009/06/02/pour-une-ecologie-identitaire-en-finir-avec-lecologie-bisounours/">Lesidentitairesdauvergne</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cette dernière est menée à travers des outils porteurs : le combat culturel, l’usage des rumeurs et de la théorie du complot, la réinformation et l’usage stratégique du confusionnisme. Ces deux dernières catégories relèvent de ce que l’on appelait par le passé de la « propagande », mêlant savamment mélange de faux et de vrai et surtout de thèmes d’extrême droite édulcorée fusionnant avec des références apolitiques ou de gauche/extrême gauche, comme Antonio Gramsci ou comme Pier Paolo Pasolini. Ce confusionnisme est particulièrement flagrant en <a href="https://jean-jaures.org/nos-productions/l-ecologie-un-enjeu-de-l-extreme-droite">ce qui concerne l’écologie</a>.</p>
<p>Il s’agit donc également d’analyser cet usage par l’extrême droite de la « bataille des idées », abandonnée semble-t-il par une <a href="https://theconversation.com/la-gauche-se-meurt-dans-elseneur-61400">gauche à bout de souffle</a> et surtout à bout d’idées mobilisatrices.</p>
<h2>De la désinformation…</h2>
<p>Une <a href="https://www.cairn.info/revue-questions-de-communication-2013-1-p-275.htm">étude approfondie</a> montre que ces usages relèvent de la désinformation. Celle-ci peut être <a href="http://publictionnaire.huma-num.fr/notice/desinformation/">définie</a> comme une technique de manipulation de l’opinion publique par la diffusion d’informations fausses, véridiques mais tronquées, ou véridiques avec l’ajout de compléments faux.</p>
<p>L’objectif est de donner une image erronée de la réalité, à des fins politiques ou militaires, à une opinion publique d’un camp adverse. Il s’agit donc d’une transformation de l’information initiale par une dénaturation de celle-ci.</p>
<p>On peut distinguer six éléments caractérisant la désinformation : la déformation de la connaissance, l’intention de tromper (qui distingue le mensonge de l’erreur involontaire), les motifs de ce mensonge, l’objet de ce mensonge, ses destinataires, ses procédés. En ce sens, la désinformation est également une technique qui vise à substituer l’idéologie à l’information.</p>
<p>La désinformation a été fréquemment utilisée durant la Guerre froide, dans le cadre de la <a href="http://journals.openedition.org/conflits/3128?lang=en">guerre « antisubversive »</a>, théorisée et mise en pratique par les milieux anticommunistes, nationalistes, ou se battant contre l’indépendance des pays colonisés de l’après–Seconde Guerre mondiale, afin de donner une image, soit négative, soit positive, d’une idéologie, d’un régime ou d’un État.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/213703/original/file-20180408-5584-3qkfma.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/213703/original/file-20180408-5584-3qkfma.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/213703/original/file-20180408-5584-3qkfma.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=873&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/213703/original/file-20180408-5584-3qkfma.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=873&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/213703/original/file-20180408-5584-3qkfma.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=873&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/213703/original/file-20180408-5584-3qkfma.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1097&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/213703/original/file-20180408-5584-3qkfma.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1097&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/213703/original/file-20180408-5584-3qkfma.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1097&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Affiche américaine anti-communiste datant de 1947.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/2/21/Is_this_tomorrow.jpg/512px-Is_this_tomorrow.jpg">Catechetical Guild/Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>On pense ainsi aux images négatives de l’URSS et du communisme diffusées en Europe de l’ouest et aux États-Unis.</p>
<h2>… à la « ré-information »</h2>
<p>De nos jours, la pratique de désinformation provient principalement d’« agences de presse » issues de groupes extrémistes de droite, cherchant à se présenter comme neutres, tel Novopress du Bloc identitaire qui se décrit comme « arme de réinformation ».</p>
<p>L’objectif actuel fait par l’extrême droite est de diffuser des informations réelles, mais tronquées ou manipulées, dans un sens favorable aux idéaux de ces groupuscules, voire de les faire passer comme provenant d’une source amie ou neutre, afin : </p>
<ul>
<li><p>d’imposer un point de vue ;</p></li>
<li><p>d’influencer une opinion ; </p></li>
<li><p>d’affaiblir un ennemi.</p></li>
</ul>
<p>Ces sites de désinformation se présentent également par un jeu de permutation comme des sites alternatifs, de « ré-information », la désinformation étant selon eux le fait des médias « officiels ».</p>
<p>Ainsi, Jean‑Yves Le Gallou, énarque et membre fondateur du <a href="https://bit.ly/2E53Lfw">Club de l’Horloge</a>, est l’un <a href="http://www.liberation.fr/france/2015/03/09/la-fachosphere-se-paie-la-tournee-des-bobards_1217512">des théoriciens</a> de la « réinformation ».</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/213705/original/file-20180408-5587-1ue073o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/213705/original/file-20180408-5587-1ue073o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/213705/original/file-20180408-5587-1ue073o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/213705/original/file-20180408-5587-1ue073o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/213705/original/file-20180408-5587-1ue073o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/213705/original/file-20180408-5587-1ue073o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/213705/original/file-20180408-5587-1ue073o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Jean‑Yves Le Gallou durant une conférence à Toulouse, 2016, sur l’immigration.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Jean-Yves_Le_Gallou_2016.jpg">Renaud Camus/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Issu de la Nouvelle Droite, il fut le théoricien de la « préférence nationale » au milieu des années 1980 <a href="https://tempspresents.com/2014/06/19/renovation-front-national-marinisme-stephane-francois">pour le Front national</a>. Délaissant le combat politique, il se réoriente vers le combat culturel et la « réinformation ». En 2003, il crée la Fondation Polémia, active sur Internet, dans le but de combattre le « politiquement correct » des médias « traditionnels ».</p>
<p>Tous les ans, la fondation décerne des « Bobards d’or », destiné à mettre en avant les supposés mensonges des médias dominants (sur l’extrême droite, l’immigration, etc.. En 2012, il lance, avec Claude Chollet, l’<a href="https://www.ojim.fr/">Observatoire des journalistes et de l’information médiatique</a> (OJIM), qui surveille les journalistes des grands médias et rédige des fiches biographiques les concernant.</p>
<p>Enfin, en 2014, pour diffuser les thèses de l’extrême droite, en particulier identitaires, il crée TV Libertés, une chaîne de télévision sur Internet. Il est aussi le cofondateur, en 2014 toujours, de l’Institut Illiade, qui promeut la pensée de l’<a href="https://tempspresents.com/2013/05/23/dominique-venner-renouvellement-racisme-stephane-francois-nicolas-lebourg/">historien d’extrême droite Dominique Venner</a> sur la continuité ethnique de la population européenne depuis la Préhistoire.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/212650/original/file-20180329-189804-6ud734.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/212650/original/file-20180329-189804-6ud734.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/212650/original/file-20180329-189804-6ud734.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=26&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/212650/original/file-20180329-189804-6ud734.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=26&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/212650/original/file-20180329-189804-6ud734.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=26&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/212650/original/file-20180329-189804-6ud734.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=33&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/212650/original/file-20180329-189804-6ud734.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=33&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/212650/original/file-20180329-189804-6ud734.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=33&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Capture d’écran depuis le site Novopresse qui se targue de « refaire l’information face à l’idéologie unique »..</span>
<span class="attribution"><span class="source">Novopress.info</span></span>
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<h2>« Gramscisme numérique »</h2>
<p>La principale stratégie de communication des groupes ou sites que j’ai étudiés peut être définie par ce que j’appelle une forme de « gramscisme numérique ».</p>
<p>Celle-ci, comme son nom l’indique, s’inspire des thèses du théoricien politique italien <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Antonio_Gramsci">Antonio Gramsci</a>, appliquées à l’univers numérique. Il s’agit d’édulcorer et de banaliser les thèses de l’extrême droite sur Internet afin de les rendre acceptables auprès de l’opinion publique.</p>
<p>Elle a aussi pour objectif de faire connaître ces partis, groupes ou sites auprès de cette opinion, ainsi que de lui donner une façade de légitimité, d’échanger une image négative contre une « bonne image » de marque, respectable.</p>
<p>Via un activisme tous azimuts sur la Toile, les militants imposent une hégémonie culturelle, c’est-à-dire rendent leurs thèses acceptables auprès de la majorité. Cette tentative d’hégémonie est en passe d’être réussie, et d’imposer à l’opinion publique ses thématiques et ses prises de position.</p>
<h2>Intéractivité et convivialité</h2>
<p>Ainsi le Bloc identitaire (devenu Les Identitaires en juillet 2016), fondé en 2002, au moment où Internet prend son essor et se démocratise en France mise tout sur le cybermilitantisme.</p>
<p>Cet intérêt pour les nouvelles technologies, et façons de communiquer est lié à la personnalité de leur leader, <a href="https://tempspresents.com/2009/03/03/reflexions-sur-le-mouvement-identitaire-12/">Fabrice Robert</a>. Celui-ci travaille dans le milieu de la communication informatique (il est notamment le fondateur de l’agence de presse Novopress) et sera pour beaucoup dans l’adoption de cette stratégie numérique.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/213709/original/file-20180408-5584-8qdbop.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=14%2C0%2C1982%2C829&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/213709/original/file-20180408-5584-8qdbop.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=249&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/213709/original/file-20180408-5584-8qdbop.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=249&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/213709/original/file-20180408-5584-8qdbop.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=249&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/213709/original/file-20180408-5584-8qdbop.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=313&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/213709/original/file-20180408-5584-8qdbop.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=313&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/213709/original/file-20180408-5584-8qdbop.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=313&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Capture d’écran du Twitter dédié au mouvement Les Identitaires, tête de file de l’extrême droite sur Internet.</span>
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<p>L’originalité de cette stratégie repose sur l’utilisation d’outils et d’interfaces mettant à contribution les internautes en terme de propositions de contenus, de partage de connaissances et d’actions : au-delà de la réactivité que permet l’utilisation d’Internet pour un tel mouvement et de l’interactivité propre à ce média, c’est dans l’intercréativité de chacun (militants, sympathisants, visiteurs) que Les Identitaires tirent leur épingle du jeu en multipliant les espaces d’information, de mobilisation, de débat, et de conversation, qui s’agrègent entre eux, comme l’a montré l’excellent numéro 35 de <a href="https://www.cairn.info/revue-reseaux-2017-2.htm">la revue Réseaux</a>.</p>
<p>Enfin, ces espaces numériques ont un statut parfois ambigu : mi-politique, mi-page personnelle, ni espace privé, ni espace public. Cette ambiguité contribue à confondre les lecteurs. Comme le montre ainsi un <a href="http://www.lemonde.fr/pixels/article/2017/04/02/petit-guide-pour-comprendre-le-langage-des-trolls-d-extreme-droite_5104597_4408996.html">article du Monde</a> consacré aux trolls d’extrême droite sur Internet, il est d’autant plus important de savoir reconnaître et distinguer les différentes plateformes liées de près ou de loin à l’extrême droite et à ses idéologues.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/94192/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stéphane François est membre de l'ORAP de la Fondation Jean Jaurès</span></em></p>En 2018, les idéologues de l’extrême droite utilisent avec succès Internet en entretenant une confusion des genres et des idées, favorisée par la méfiance à l’égard des médias « traditionnels ».Stéphane François, Politiste, historien des idées, chercheur associé, École pratique des hautes études (EPHE)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/924082018-02-26T21:07:31Z2018-02-26T21:07:31ZLégislatives en Italie : un enjeu de taille pour l’Union européenne<p>Les élections législatives italiennes du dimanche 4 mars 2018 auront une formidable portée européenne. Elles s’inscrivent en effet dans une série électorale particulière lancée par le Brexit du 23 juin 2016.</p>
<h2>Stop ou encore ?</h2>
<p>Depuis le référendum sur l’appartenance du Royaume uni à l’Union européenne, la plupart des élections générales en Europe se sont polarisées sur la question européenne : stop ou encore ?</p>
<p>Il y eut successivement la présidentielle autrichienne, les législatives hollandaises, la présidentielle française, les législatives allemandes, autrichiennes et tchèques. En décembre 2016, le troisième tour de la présidentielle autrichienne fut comme un référendum sur l’appartenance de l’Autriche à l’UE, le non étant incarné par le candidat du parti d’extrême droite, Norbert Hofer, et le oui par Alexander van Bellen, un écologiste finalement élu avec 54 % des voix.</p>
<p>En mars dernier, le Nexit aux Pays-Bas avait le <a href="https://theconversation.com/aux-pays-bas-geert-wilders-a-deja-gagne-la-bataille-des-idees-74762">visage de Geert Wilders</a>, leader du PVV, le parti pour la liberté, un parti avant tout xénophobe et islamophobe. À force qu’il soit donné en tête dans les sondages, les électeurs néerlandais participèrent à plus de 80 % pour donner une large majorité de suffrages à des partis attachés à la construction européenne et faire passer le PVV sous la barre des 20 %.</p>
<p>En mai, le Frexit prit en France le visage de Marine Le Pen. Au second tour, face à Emmanuel Macron, candidat qui faisait de l’approfondissement de l’Union européenne la clé de voûte de son programme, la candidate du Front national, tout en mobilisant 10 millions et demi de suffrages – un record – ne dépassa pas un tiers des suffrages exprimés.</p>
<p>En septembre, en <a href="https://theconversation.com/allemagne-un-seisme-electoral-de-moyenne-amplitude-84631">Allemagne aussi</a>, l’euroscepticisme voire le souverainisme fit une percée significative mais limitée : avec 13 % des voix, le parti de droite extrême AfD a envoyé 94 députés au Bundestag, tout en restant isolé dans sa remise en cause de l’euro.</p>
<p>Lors des élections législatives autrichiennes d’octobre dernier, le parti de la liberté d’Autriche, ce FPÖ d’extrême droite de Norbert Hofer dirigé par Hans-Christian Strache, n’est arrivé cette fois qu’en troisième position, avec 25 % des voix. Toutefois, le leader du parti conservateur ÖVP arrivé en tête, Sebastian Kurz, a offert à son adversaire jusqu’alors favorable à une quasi sortie de l’Autriche de l’UE de gouverner ensemble dans le cadre d’une coalition pro-UE mais xénophobe et anti-migrants.</p>
<p>La <a href="https://theconversation.com/pologne-hongrie-les-valeurs-de-lunion-europeenne-font-sa-force-77923">droite extrême eurocritique, illibérale et xénophobe</a> est aussi au pouvoir en Hongrie depuis 2010, avec Viktor Orban, et en Pologne depuis 2015 avec le Parti droit et justice. Ce pourrait être aussi le cas en République tchèque, où Andrez Babis, le premier ministre issu des législatives de décembre, est porté par un parti populiste ambigu sur l’UE, ANO.</p>
<h2>Matteo Renzi, l’exception italienne</h2>
<p>Depuis cinq ans, l’Italie détonnait dans ce paysage, avec sa majorité de centre gauche pro-européenne dont la figure de proue, Matteo Renzi, avait même obtenu un raz de marée aux élections européennes de 2014. Aujourd’hui, les sondages donnent battu son mouvement, le Parti démocrate.</p>
<p>Les Italiens donneront-ils la majorité de leurs suffrages aux trois partis anti-européens que sont, d’une part, le <a href="https://theconversation.com/rome-a-cinq-etoiles-un-probleme-urbain-61241">Mouvement 5 étoiles (fondé par Beppe Grillo)</a>, ce parti populiste inclassable et, d’autre part, les deux partis d’extrême droite, La Ligue et Frateli d’Italia, l’un et l’autre proche de notre Front national et alliés au Forza Italia du vieux Berlusconi ?</p>
<p>Ce 4 mars 2018, si, contrairement à la France et aux Pays-Bas, mais comme la Pologne, l’Autriche et la Hongrie, les Italiens donnaient une majorité de leurs suffrages à des partis eurosceptiques voire souverainistes, ce serait une victoire de poids pour les partis qui rêvent de détourner l’Union européenne de son cours humaniste et de la faire bifurquer vers la xénophobie d’État, le nationalisme européen et la corrosion de l’État de droit.</p>
<h2>Le sentiment d’avoir été « lâché » par l’UE</h2>
<p>En effet, l’Italie n’est pas seulement un des six membres fondateurs de la construction européenne dans les années 1950. Elle en a aussi été l’un des plus ardents promoteurs jusque dans les années 2000. Durant ces six décennies, la société politique comme la société civile italiennes ont considéré la construction européenne comme une politique publique particulièrement efficace comme levier de réformes et de solutions aux difficultés spécifiques de leur pays.</p>
<p>Depuis la double crise ouverte à la fin de la décennie 2000, de l’euro et des dettes souveraines d’une part, et des flux migratoires d’autre part, un nombre croissant d’Italiens tendent à considérer l’Union européenne davantage comme un problème que comme une solution. Dans cette double crise, alors que l’Italie est l’un des États membres les plus exposés, ces électeurs ont le sentiment d’avoir été « lâchés » par les autres États membres. Ce ressenti n’est pas dénué de légitimité.</p>
<p>Ce retournement de l’opinion publique vis-à-vis de la construction européenne a été comme suspendu par le moment Renzi. L’actuel patron du Parti démocrate, ancien président du Conseil de 2014 à 2016, était parvenu à susciter brièvement une forte adhésion sur un programme couplant réformes structurelles domestiques et inflexion des politiques communautaires de l’UE.</p>
<p>Hélas, les autres États membres ni la Commission n’ont eu l’intelligence de permettre à Renzi d’incarner un retour de l’Italie en Europe, tandis que lui-même se prenait les pieds dans le tapis d’une réforme constitutionnelle et électorale rejetée par des Italiens devenus méfiants et par des partis soucieux de leurs rentes.</p>
<h2>Le succès annoncé des partis antisystème</h2>
<p>Aujourd’hui, c’est donc classiquement qu’une majorité d’Italiens s’apprêtent à voter pour l’alternance. Mais l’alternance en Italie prend maintenant le visage du rejet de la construction européenne. Le dépit et l’amertume diffus exprimés par les Italiens à son endroit pourrait bien favoriser la victoire, non pas tant de la droite, que celle des trois partis antisystème, xénophobes et eurosceptiques cités plus haut : le Mouvement 5 étoiles (M5S), ce parti populiste inclassable, et les deux partis d’extrême droite, La Ligue de Matteo Salvini et <em>Frateli d’Italia</em>.</p>
<p>Une alliance entre les trois n’est pas à l’ordre du jour. Ce qui se profile, c’est plutôt une coalition dite de centre-droit entre les deux partis d’extrême droite et <em>Forza Italia</em> de Berlusconi. Les scores respectifs de chacun des trois détermineront le ton de leur programme de gouvernement sur la construction européenne comme sur une potentielle xénophobie d’État. Ira-t-on vers un programme de coalition à l’autrichienne, ou pas ?</p>
<p>La question est d’autant plus indécise que la réponse dépendra du score du Mouvement 5 étoiles. Ce « parti » est celui qui est donné en tête. Mais il ferait moins à lui seul que l’alliance dite de centre-droit. Alors que son intransigeant fondateur s’est retiré, son jeune et nouveau leader, Luigi di Maio, n’exclut plus de former une coalition. Mais alors, avec qui, et pourquoi faire ?</p>
<h2>Vers un « souverainisme mou »</h2>
<p>Si Luigi di Maio et le M5S ne font plus d’un référendum sur la sortie de l’euro un pilier de leur programme de gouvernement, ils restent fidèles à leur méfiance envers la construction européenne. Elle fait partie de leur suspicion générale envers les élites et toute forme de pouvoir institutionnel, une méfiance qui contribue en Italie à attirer vers ce mouvement des électeurs venus d’horizons et de cultures politiques très variés, et qui se reconnaissent dans le « ni de droite ni de gauche ».</p>
<p>Si en France, avec En Marche, le « et de droite et de gauche » fédère des électeurs et des militants d’horizons variés et favorables à l’Europe, en Italie, le « ni de droite ni de gauche » du M5S est défavorable à la construction européenne.</p>
<p>Ainsi, alors qu’il est fort délicat de prévoir quelle coalition gouvernementale procédera des élections législatives italiennes du 4 mars, il paraît probable que celle-ci, quelle qu’elle soit, sera eurosceptique ou, à tout le moins, très eurocritique. Qu’elle mettra en œuvre, si ce n’est un « souverainisme dur », au minimum un « souverainisme mou » (selon la distinction commode proposée <a href="https://global.oup.com/academic/product/opposing-europe-the-comparative-party-politics-of-euroscepticism-9780199258352?cc=fr&lang=en&">par Paul Taggart et Aleks Szczerbiak</a>.</p>
<p>Ce passage annoncé de l’Italie de la moitié de terrain européiste à la moitié de terrain souverainiste serait une bifurcation lourde de sens et de conséquences, non seulement pour l’Italie contemporaine, mais pour les Européens dans leur ensemble.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/92408/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvain Kahn ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Ce dimanche, une majorité d’Italiens s’apprêtent à voter pour l’alternance, qui prend désormais le visage du rejet de la construction européenne.Sylvain Kahn, Professeur agrégé, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/865202017-10-30T23:02:06Z2017-10-30T23:02:06ZVraies questions catalanes, fausse réponse espagnole<p>La crise catalane est l’expression d’un malaise espagnol profond que le vieux système de partis hérité de la transition démocratique ne sait pas gérer. Cette expression qui prit, il y a dix ans, la forme de l’indépendantisme est propre à une région qui, depuis un siècle, a cultivé des pratiques politiques singulières, si souvent inconnues des autres Espagnols.</p>
<p>Là, la question nationale est centrale, structurée depuis les années 1920 par une tension entre autonomisme et indépendantisme. Là, la société civile, forte et organisée, impose le calendrier politique que les forces politiques tentent maladroitement de suivre. Par delà cette singularité, les questions de fond que pose le catalanisme concernent tous les Espagnols et nombreux sont ceux qui, d’un bout à l’autre de la péninsule, ont le courage de le reconnaître.</p>
<h2>La question sociale</h2>
<p>Comme tous les Espagnols, les Catalans ont mesuré, une fois encore, l’incapacité de l’État à les protéger. On mesure mal, en France, l’impact extraordinairement fort de la longue crise économique essuyée par le pays pendant sept ans. L’État social espagnol, traditionnellement faible, n’a protégé ni des saisies, ni du chômage, ni de l’inégalité croissante devant la santé. Dans ces conditions, les Espagnols ont pu compter, comme à l’accoutumée, sur les solidarités communautaires qui structurent puissamment la société civile : solidarité familiales d’abord, professionnelles et villageoises ensuite, régionales enfin.</p>
<p>À ce prix, le « communautarisme » qu’il est de bon ton de dénoncer à Paris est une question de survie : comment résister autrement à un taux de chômage de 23 % au plus fort de la crise ? Alors, pour beaucoup de Catalans, l’idée qu’un État en propre puisse accomplir <a href="https://theconversation.com/catalogne-le-dilemme-des-trois-ivresses-cumulees-86023">ce que l’État espagnol était incapable d’assumer</a> a resurgi.</p>
<h2>La question démocratique</h2>
<p>Face à l’épuisement des partis traditionnels pris entre corruption massive et clientélisme, la société espagnole a choisi le renouveau. <a href="https://theconversation.com/en-espagne-un-pacte-territorial-a-reinventer-52594">De nouveaux partis ont surgi à Madrid</a> (Podemos puis Podem dans sa version catalane), et à Barcelone (Ciutadans, puis Ciudadanos dans sa version madrilène). Le 15M, le mouvement des indignés de 2011, a bien failli renverser un système politique usé mais figé depuis 2012. Aujourd’hui, le Parti populaire aidé par un PSOE (socialiste) devenu un parti succursaliste andalou défend haut et fort les valeurs de la légalité du cadre constitutionnel de 1978. Mais ils sont tous deux incapables de canaliser la volonté de renouveau démocratique qui s’exprime en Espagne, comme partout ailleurs en Europe.</p>
<p>En Catalogne, le mot <em>indépendance</em> a cristallisé ces espoirs, ces colères et ces doutes, au risque d’amalgames contradictoires. Le « droit à décider » a galvanisé les foules – des millions de protestataires dans les rues pendant sept ans – sans que l’on sache très bien ce que l’expression signifiait, sinon une volonté farouche de rénover la vie démocratique en secouant le joug d’un système obsolète de partis.</p>
<h2>La question territoriale</h2>
<p>Le catalanisme lutte, de manière constante, pour une vision de l’Espagne, celle d’un État plurinational. L’indépendantisme n’y change rien : il n’est jamais que le produit d’une frustration à faire entendre une autre manière de concevoir l’organisation territoriale de la péninsule. Il n’est d’ailleurs pas contradictoire avec une vision confédérale de l’Espagne.</p>
<p>Le catalanisme sait frapper fort lorsqu’il perçoit les faiblesses de l’État central, innombrables aujourd’hui comme déjà en 1868, en 1898, en 1919, en 1931 ou en 1978. Son projet pour l’Espagne a gagné des batailles, mais jamais la guerre. Il plonge ses racines dans une expérience bien plus ancienne que celle que le centralisme a imposé à l’Espagne à partir du XVIII<sup>e</sup> siècle : celui de la « Monarchie composite » des Habsbourg qui apprit à ses dépens que l’Espagne n’est jamais aussi unie que dans le respect de la singularité de ses composantes. Comment, d’ailleurs, faire tenir quatre siècles un empire « où le soleil ne se couche jamais », pour reprendre les mots de Charles Quint ? La vision de l’Espagne que porte le catalanisme, et l’indépendantisme avec, n’est pas illégitime, et bon nombre d’Espagnols, ceux des « périphéries » que le <a href="http://www.laviedesidees.fr/Catalanisme-histoire-d-un-concept.html">grand penseur Jaume Balmes identifiait au « cœur de l’Espagne »</a>, la partagent également.</p>
<h2>La question républicaine</h2>
<p>Liée à la question précédente, et véritable tabou de la vie politique espagnole depuis 1969, date à laquelle la monarchie actuelle fut instaurée par Franco, la république fait encore écho, pour de nombreux Espagnols, aux deux expériences démocratiques de 1873 et de 1931 – les deux seules que l’Espagne ait connues jusqu’en 1978.</p>
<p>Se présentant à une génération traumatisée par la dictature comme un régime de rédemption (rédemption des crimes soi-disant partagés de la Guerre civile, rédemption du franquisme), le régime de la transition tourna résolument le dos à ces épisodes dont les Espagnols pouvaient pourtant être fiers. <a href="http://mjp.univ-perp.fr/constit/es1978.htm">La Constitution de 1978</a> a ainsi été vécue comme une synthèse historique indépassable que seuls les partisans aigris de la république et du franquisme auraient voulu abattre, au risque présumé de la guerre civile.</p>
<h2>La question historique</h2>
<p>Mais voilà : le <em>storytelling</em> transitionnel s’est fracassé en 2000 lorsque les Espagnols découvrirent, abasourdis, que la répression franquiste avait exécuté 160 000 personnes qui gisent encore aujourd’hui dans <a href="https://temoigner.revues.org/476">près de 10 000 fosses communes</a>, dont moins de 300 ont été ouvertes. Cette découverte, qui institua définitivement des victimes et des bourreaux, renouvela la fierté d’avoir été de ceux qui avaient défendu la démocratie contre le fascisme.</p>
<p>En Catalogne où la Généralité, abattue en 1939, maintenue coûte que coûte en exil, réapparut en 1980, la continuité démocratique a du sens. Nul n’imaginerait à Barcelone qu’on maintint un monument ou un nom de rue franquistes – <a href="https://theconversation.com/litalie-aux-prises-avec-ses-vieux-demons-fascistes-81078">y a-t-il des monuments au Duce à Rome ?</a> – quand on en trouve tant à Madrid… Alors, pour de jeunes générations d’Espagnols qui ne supportent plus les contradictions que leurs parents ont assumées tant bien que mal, la « république » ne rime plus avec « guerre civile » mais avec « tradition démocratique ».</p>
<p>En Catalogne, seule région où le républicanisme a pris une forme partisane organisée et stable, on conteste de front un régime devenu honni et l’on rêve de confédéralisme hispanique, voire ibérique (puisque le Portugal est une république). Un rêve que formulait déjà <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Francisco_Pi_i_Margall">Francesc Pi y Margall</a>. Élève de Proudhon, ce théoricien du fédéralisme écrivit en 1876 <em>Les nationalités</em>.</p>
<h2>L’urgence d’un vrai projet politique alternatif</h2>
<p>On pourra suspendre la Généralité ; on pourra envoyer des forces de l’ordre pour rétablir la « normalité constitutionnelle » ; on pourra <a href="http://lemonde.fr/europe/article/2017/10/28/rajoy-assume-la-presidence-de-la-catalogne-et-convoque-des-elections-le-21-decembre_5207264_3214.html">organiser des élections</a> qui ne feront que confirmer le vent de la fronde. Mais il faudra bien, un jour, proposer un vrai projet politique alternatif aux Espagnols qui méritent bien autre chose et bien mieux qu’un discours pétri de légalité et de peur. Aux questions posées par les catalanistes – et par tant d’autres Espagnols ! –, l’Espagne devra bien répondre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/86520/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stéphane Michonneau ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Par‑delà sa singularité catalane, les questions de fond que pose le catalanisme concernent tous les Espagnols d’un bout à l’autre de la péninsule.Stéphane Michonneau, Professeur en histoire contemporaine, Université de Lille - initiative d'excellenceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/865002017-10-29T23:17:32Z2017-10-29T23:17:32ZPodcast : Pourquoi créer un « musée du fascisme » fait débat en Italie<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/192216/original/file-20171027-13378-3o6s7y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dans la petit ville de Predappio, des objets souvenirs dont du vin, sont vendus ornés du visage du « Duce ». </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/scaccia/40242488/">Stefano/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le 27 octobre 1922, les troupes de Benito Mussolini <a href="http://fresques.ina.fr/jalons/fiche-media/InaEdu02039/la-marche-sur-rome-27-octobre-1922-et-l-accession-au-pouvoir-de-mussolini.html">marchaient sur Rome</a>. Presqu'un siècle plus tard, une certaine nostalgie pour <em>Il Duce</em> persiste en Italie. Ainsi, le week-end du 27 octobre 2017, plusieurs milliers de personnes se sont réunies dans sa ville natale, à Predappio pour <a href="http://www.telegraph.co.uk/news/2017/10/27/fascist-memorabilia-sellers-mussolinis-town-fear-ruin-new-ban/">«rendre hommage»</a> à l'ancien dictateur fasciste. Cette petite municipalité d'Emilie-Romagne est devenue, malgré elle, à plusieurs dates clefs, un lieu de rassemblement pour les adeptes du tourisme «néo-fasciste», chacun repartant avec ses souvenirs et autres représentations du <em>Duce</em>. Pour endiguer le phénomène, la mairie, positionnée à gauche, a porté un projet de musée du fascisme, qui a été accepté en 2016 par le gouvernement de Renzi. Mais le concept est controversé. Sabina Loriga, historienne, directrice de recherche à l'EHESS et en charge de la <a href="https://www.politika.io/fr/passes-futurs">revue <em>Passés futurs</em></a>, rappelle <a href="https://theconversation.com/litalie-aux-prises-avec-ses-vieux-demons-fascistes-81078">quels sont les enjeux du débat</a>.</p>
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<p><em><strong>Montage</strong>: Antoine Faure, <strong>Interview</strong>: Clea Chakraverty.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/86500/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sabina Loriga ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L'Italie doit continuer d'interroger son histoire et celle du fascisme tandis qu'une proposition de musée dans la ville natale de Mussolini, Predappio, divise les historiens.Sabina Loriga, Directrice d'études- historienne , TEPSISLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/810782017-07-27T20:25:59Z2017-07-27T20:25:59ZL’Italie aux prises avec ses vieux démons fascistes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/179620/original/file-20170725-26586-7h6ubt.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Cimetière de San Cassiano, à Predappio, où reposent les restes de
Benito Mussolini.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Predappio,_cimitero_di_san_cassiano,_cripta,_tomba_di_benito_mussolini_01.JPG">Sailko/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span></figcaption></figure><p><em>Ce texte est publié en collaboration avec <a href="http://gehm.ehess.fr/index.php?3579">la revue Passés Futurs</a>, à retrouver sur la plateforme <a href="https://www.politika.io/">Politika</a> du Labex Tepsis.</em></p>
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<p>Le dimanche 9 juillet 2017, le <a href="http://www.repubblica.it/cronaca/2017/07/09/news/la_spiaggia_fascista_di_chioggia_qui_a_casa_mia_vige_il_regime_-170332052/?ref=search">journal la Repubblica racontait</a> comment, en Italie, l’apologie du fascisme était devenue une réalité quotidienne et banale.</p>
<p>Le quotidien a ainsi révélé que, à Chioggia, sur l’une des plages prisées de la lagune vénitienne, l’établissement balnéaire de Punta Canna accueillait les touristes dans une ambiance néo-fascisante où des affiches à la gloire de l’ancien dictateur italien Benito Mussolini, côtoient des posters reproduisant le salut nazi et autres symboles fort à propos, telle cette image d’un enfant accompagnée de cette phrase : « Grand père Benito, je te prie de retourner en vie afin d’avoir une Italie honnête et propre. »</p>
<p>Toutes les demi-heures, un haut-parleur diffuse des messages du gérant des lieux, le sexagénaire Gianni Scarpa, un nostalgique assumé du fascisme :</p>
<blockquote>
<p>« Les gens mal élevés me dégoûtent, les gens sales me dégoûtent, la démocratie me dégoûte. Je suis favorable au régime * [fasciste]* mais, ne pouvant pas l’appliquer hors de chez moi, je l’applique chez moi. »</p>
</blockquote>
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<figcaption><span class="caption">La Repubblica, July 92017.</span></figcaption>
</figure>
<p>Suite à la publication de l’article, le préfet de Venise a ordonné « le retrait immédiat de toute référence au fascisme ». <a href="http://www.lastampa.it/2017/07/09/italia/cronache/a-chioggia-c-la-spiaggia-fascista-dopo-le-proteste-arriva-la-digos-bWyzQQxhFHvlZkZ54wLxXK/pagina.html">Une association de résistants</a> a, par ailleurs, demandé l’annulation de la licence d’exploitation du gérant, qui a été mis en accusation pour apologie du fascisme.</p>
<p><a href="http://www.veneziaradiotv.it/blog/punta-canna-bagnanti">Or, comme l’a rapporté la presse</a>, la clientèle – qui ne se revendique pas forcément proche des idées fascistes – ne s’était pas offusquée jusqu’ici. La plupart des clients ont invoqué les valeurs de tolérance et de l’humour : chacun a son « credo », le gérant est un personnage sympathique, aimant faire des boutades. Cet état d’esprit est aussi celui du <a href="http://ricerca.repubblica.it/repubblica/archivio/repubblica/2017/07/11/il-duce-balneare-a-beppe-ho-10-mila-voti-per-te02.html?ref=search">maire adjoint de Chioggia</a> qui ne comprend pas le tapage fait autour de cette affaire.</p>
<h2>Un musée du fascisme ?</h2>
<p>Le débat a rapidement pris une tournure nationale. Ainsi, le député du Parti démocratique Emanuele Fiano <a href="http://www.ilpost.it/2017/07/10/m5s-legge-apologia-fascismo">a présenté une nouvelle loi prévoyant de punir</a> « quiconque fait la propagande des images ou de contenus propre au parti fasciste ou au parti nazi allemand ». Son initiative, qui complète deux textes déjà en vigueur – la <a href="http://www.uonna.it/legge-scelba.htm">loi Scelba (1952</a> et la <a href="http://presidenza.governo.it/USRI/confessioni/norme/dl_122_1993.pdf">loi Mancino</a> (1993)-, a suscité une vive opposition du parti d’extrême-droite Lega Nord et du mouvement populiste de gauche 5 Stelle (5 étoiles), qui ont qualifié le <a href="http://www.ilfattoquotidiano.it/2017/07/10/antifascismo-il-m5s-la-legge-del-pd-e-liberticida-renzi-no-quello-era-il-fascismo-fdi-restano-comunisti/3719685">projet de loi de « liberticide »</a>.</p>
<p>La controverse de Chioggia montre à quel point l’Italie a du mal <a href="http://www.courrierinternational.com/article/italie-faut-il-renforcer-la-loi-contre-la-propagande-fasciste">à régler ses comptes avec son passé fasciste</a>. Elle rappelle notamment le <a href="https://www.politika.io/fr/notice/debat-musee-du-fascisme-a-predappio">débat qui fait rage entre historiens et le public</a> autour du projet d’un musée du fascisme.</p>
<p>Ce musée <a href="https://qz.com/993672/a-controversial-museum-is-forcing-italy-to-talk-about-its-fascist-past">serait partiellement financé par l’État</a>, comme l’avait annoncé Matteo Renzi en 2016, et pourrait ouvrir en 2019. Le projet est porté par Giorgio Frassinetti, affilié au Parti démocratique et maire de Preddappio en Emilie-Romagne (nord de l’Italie).</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/179622/original/file-20170725-10560-1gd6j68.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/179622/original/file-20170725-10560-1gd6j68.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/179622/original/file-20170725-10560-1gd6j68.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/179622/original/file-20170725-10560-1gd6j68.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/179622/original/file-20170725-10560-1gd6j68.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/179622/original/file-20170725-10560-1gd6j68.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/179622/original/file-20170725-10560-1gd6j68.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Vins vendus à Predappio, ornés du visage du ‘Duce’.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/scaccia/40242488/">Stefano/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Or, sa commune et ses 6 500 habitants sont sous les feux des medias depuis la fin de la Seconde guerre mondiale : il s’agit en effet de la ville natale de Mussolini, né le 29 juillet 1883, et où reposent ses restes depuis 1957. Depuis les nostalgiques du fascisme affluent chaque année sur place pour rendre hommage au « Duce ».</p>
<h2>Un cadavre bien embarrassant</h2>
<p>Le 28 avril 1945, Mussolini et sa maîtresse Claretta Petacci sont exécutés après avoir été arrêtés dans la localité de Giulino di Mezzegra sur le lac de Côme, par un groupe de partisans, alors qu’ils tentaient de fuir.</p>
<p>Les corps sont ensuite exposés sur l’esplanade Loreto à Milan, où, l’année précédente, quinze partisans avaient été fusillés en représailles à un attentat contre les Allemands.</p>
<p>Le cadavre du Duce est alors inhumé dans une fosse commune du cimetière de Musocco, près de Milan. Dans la nuit du 22 avril 1946, il est volé par des nostalgiques fascistes et enterré dans le sous-sol d’un couvent, suscitant des rumeurs contradictoires quant au parcours de la dépouille, qui suscita de nombreuses théories. <a href="http://www.einaudi.it/libri/libro/sergio-luzzatto/il-corpo-del-duce/978880620988">L’histoire révèle</a> cependant que les autorités de la République italienne décidèrent finalement de remettre les restes du corps dans le plus grand secret aux mains des capucins du couvent de Cerro Maggiore, qui les conservèrent dans une armoire pendant onze ans.</p>
<p>Le 31 août 1957, les autorités italiennes autorisèrent finalement l’ensevelissement de la dépouille dans le cimetière de San Cassiano, à Predappio où se trouve la crypte familiale des Mussolini. La plaque tombale indique :</p>
<blockquote>
<p>« Je serais très naïf si je demandais à être laissé en paix après la mort. Autour des tombes des chefs de ces changements majeurs que l’on appelle révolutions, il ne peut y avoir de paix ; mais tout ce qui a été fait ne peut pas être effacé. Pendant que mon esprit, maintenant libéré de la matière, vivra – après la petite vie terrestre – la vie éternelle et universelle de Dieu. Je n’ai qu’un seul souhait, celui d’être enterré à côté de mes parents, dans le cimetière de San Cassiano. »
Benito Mussolini</p>
</blockquote>
<p>Le message n’est pas resté lettre morte. Depuis 1957, environ 50 000 personnes se rendent chaque année à Predappio afin d’y célébrer le fondateur du fascisme, surtout lors d’anniversaires tels que sa naissance (29 juillet 1883), sa mort (28 avril 1945) ou encore la <a href="http://fresques.ina.fr/jalons/fiche-media/InaEdu02039/la-marche-sur-rome-27-octobre-1922-et-l-accession-au-pouvoir-de-mussolini.html">Marche sur Rome</a> (28 octobre 1922).</p>
<p>Ce « pèlerinage » a suscité la commercialisation d’un véritable attirail d’objets, souvenirs et symboles du fascisme : matraques, bouteilles d’huile de ricin, faisceaux, aigles, croix celtiques, mais aussi tee-shirts sérigraphiés « I love Duce », tasses et verres, briquets, porte-clés, calendriers,bouteilles de vins à la mémoire de Mussolini (« Nero di Predappio, Eia Eja Alala », « Vino del camerata », « L’Italia agli Italiani », etc.)</p>
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<figcaption><span class="caption">La Duce Vita is a 2012 documentary by Cyril Bérard et Samuel Picas about the Predappio ‘pilgrimage’.</span></figcaption>
</figure>
<h2>Contenir les idées fascistes</h2>
<p>La mairie, administrée par la gauche depuis 1945, peine à faire face à ces « touristes », dont la présence contribue à dynamiser l’économie locale.
En 1984, afin d’éradiquer la vente à la sauvette, elle a décidé d’autoriser la création de trois boutiques de souvenirs.</p>
<p>C’est dans la même démarche que Giorgio Frassineti a proposé de bâtir un musée au sein de l’ancien siège du Parti national fasciste (<em>casa del fascio)</em>, à l’abandon depuis une vingtaine d’années, un bâtiment de 2 400 m², surplombé par une tour de 40 mètres.</p>
<p>En s’inspirant de l’exemple du Centre de documentation sur le nazisme ouvert en 2015 à Munich, l’édile vise à transformer le tourisme de propagande en <a href="https://news.artnet.com/exhibitions/fascism-museum-mussolini-hometown-predappio-429647">un tourisme de connaissance</a> : « La culture et la recherche historique semblent en effet l’unique solution pour ne pas laisser Predappio s’enfermer dans une image de lieu symbole du fascisme. »</p>
<p><a href="https://www.politika.io/fr/notice/a-permanent-exhibition-on-fascism-at-predappio-a-strange-discussion-among-historians">L’historien Marcello Flores</a> et les promoteurs du musée (Marie-Anne Matard-Bonucci, Maurizio Ridolfi) soulignent qu’il s’agit d’une initiative scientifique qui doit permettre de changer le visage de Predappio en empêchant son identification systématique avec Mussolini.</p>
<p>Ils rappellent, par ailleurs, que des expériences semblables menées à l’étranger ont été perçues de manière positive et ont permis à l’opinion de se réapproprier un passé parfois douloureux. C’est le cas de l’ancien siège de la Gestapo et des SS à Berlin transformé en <a href="http://www.dw.com/en/topography-of-terror-opens-on-site-of-former-gestapo-headquarters/a-5545090">centre de documentation</a> et inauguré par le président fédéral Horst Köhler à l’occasion des 65 ans de la fin de la guerre.</p>
<h2>Forcer les Italiens à réfléchir au passé</h2>
<p>En revanche, les historiens Giulia Albanese, Patrizia Dogliani, Carlo Ginzburg et Simon Levis Sullam émettent de sérieuses réserves. Ils font valoir la dimension symbolique de Predappio : le musée sera entouré de boutiques vendant des gadgets estampillés « fascisme », et deviendra inévitablement une occasion de célébration du fascisme. <a href="https://www.politika.io/fr/notice/the-memory-of-fascism-beyond-predappio">Ils soulignent ainsi</a> qu’aucun musée n’a été construità Braunau am Inn, la ville natale de Hitler, ni à El Ferrol, lieu de naissance de Franco.</p>
<p>De plus, d’un point de vue historique, l’endroit pourrait encourager l’identification entre fascisme et Mussolini, en omettant de façon assez opportune les responsabilités collectives du « Ventennio » (<a href="http://www.laterza.it/index.php?option=com_laterza&Itemid=97&task=schedalibro&isbn=9788842075448">1925-1945, les décennies fascistes de l’Italie</a>).</p>
<p>Pour cette raison, ces mêmes historiens proposent que le musée du fascisme soit situé à Milan ou à Rome, deux villes ayant joué un rôle central dans la politique fasciste.</p>
<p>Cependant, au-delà de leurs divergences, l’ensemble de ces historiens partagent une même conviction : les Italiens doivent se confronter à leur histoire fasciste. Car au lieu de réfléchir sur leurs crimes, ils ont préféré produire un récit passif et victimaire dans lequel ils auraient souffert de la dictature fasciste et, lors de son déclin, auraient montré très vite leurs véritables sentiments antifascistes et participé à la lutte de libération nationale…</p>
<p>Cette vision a permis d’éluder des questions fondamentales de l’histoire nationale, tels que l’existence d’un consensus populaire autour du fascisme, les responsabilités locales dans la persécution anti-juive, les crimes coloniaux, le soutien de l’opinion publique à l’entrée en guerre…</p>
<p>Non, décidément, le <em>Bel paese</em> n’a pas soldé ses comptes avec le fascisme et le débat autour de ce musée n’en est que plus salutaire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/81078/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sabina Loriga ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Faut-il ouvrir un musée sur Mussolini pour mieux canaliser la nostalgie de certains Italiens, tout en aidant l'opinion à regarder en face son passé ? Les historiens sont divisés.Sabina Loriga, Directrice d'études- historienne , TEPSISLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.