tag:theconversation.com,2011:/uk/topics/francois-fillon-33480/articlesFrançois Fillon – The Conversation2022-04-20T18:15:41Ztag:theconversation.com,2011:article/1816332022-04-20T18:15:41Z2022-04-20T18:15:41ZEntre le Rassemblement national et la Russie, une longue lune de miel<p>À quelques jours du second tour des élections présidentielles françaises, Marine Le Pen a explicité son programme de politique étrangère : limiter le soutien militaire à l’Ukraine et ne pas voter de nouvelles sanctions contre la Russie, quitter le commandement intégré de l’OTAN, et dès que la paix est possible entre Moscou et Kiev, relancer un « rapprochement stratégique entre l’OTAN et la Russie ».</p>
<p>Avec la guerre en Ukraine, Marine Le Pen a dû adoucir son discours prorusse afin de rester en ligne avec l’opinion publique, mais elle n’en continue pas moins à proposer une politique étrangère qui détonne avec une large part du paysage politique français – et européen.</p>
<h2>Une relation avec la Russie établie du temps de Jean-Marie Le Pen</h2>
<p>Cette fidélité à la Russie s’explique par de multiples raisons.</p>
<p>Les liens du Front national (FN)–Rassemblement national (RN) avec la Russie sont anciens : dès les années 1960, Jean-Marie Le Pen avait reçu le peintre nationaliste et antisémite soviétique Ilya Glazounov, venu à Paris au sein d’une délégation soviétique dans l’espoir (déçu) de faire le portrait du général de Gaulle et qui avait au final peint celui de Le Pen – un signe avant-coureur de l’instrumentalisation de l’héritage gaulliste par le FN afin de parler à la Russie.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"884416636228382720"}"></div></p>
<p>Ces liens anciens s’expliquent par le fait qu’une partie de la droite catholique, monarchiste et collaborationniste française n’a cessé de cultiver l’image d’Épinal de la Russie éternelle, tsariste et orthodoxe. En outre, des liens personnels entre émigration russe et extrême droite française se sont tissés au fil des années : <a href="https://www.academiedeversailles.com/_218867">Jean-François Chiappe</a>, l’un des membres du comité central du FN, écrivant des billets pour <em>Rivarol</em> et venant d’une famille proche de l’association monarchiste des Camelots du Roi, a par exemple épousé <a href="https://www.whoswho.fr/decede/biographie-marina-grey_2920">Maria Denikina</a> (plus connue sous son nom de plume Marina Grey), la fille du général <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2005/10/06/la-depouille-mortelle-du-general-tsariste-anton-denikine-a-ete-inhumee-en-grande-pompe-a-moscou_696343_3214.html">Anton Denikine</a>, l’un des héros « blancs » (antibolcheviques) de la guerre civile russe.</p>
<p>La mouvance du FN dite solidariste, dirigée par <a href="https://www.lechorepublicain.fr/dreux-28100/actualites/le-rassemblement-national-ravive-la-flamme-de-jean-pierre-stirbois-a-dreux_13052237/">Jean-Pierre Stirbois</a>, était quant à elle en partie inspirée par le solidarisme russe, un mouvement corporatiste à la Mussolini luttant contre l’Union soviétique et le communisme.</p>
<p>Ces liens se sont poursuivis dans les années 1980 quand une figure de l’émigration culturelle russe comme l’écrivain <a href="https://www.lepoint.fr/livres/limonov-l-homme-qui-ne-voulait-pas-mourir-dans-son-lit-25-03-2020-2368764_37.php">Eduard Limonov</a>, futur chantre du national-bolchévisme, fréquentait les milieux contre-culturels d’extrême droite et présenta Vladimir Jirinovski, l’excentrique politicien impérialiste russe, à Jean-Marie Le Pen.</p>
<p>Les deux hommes avaient tenté de lancer une sorte d’« Internationale des patriotes » mais leurs caractères ombrageux et des divergences de vues avaient fait capoter le projet. Le jeune <a href="https://www.journaldemontreal.com/2022/03/10/le-philosophe-aleksandr-dugin-influence-t-il-vraiment-poutine">idéologue Alexandre Dougine</a>, alors inconnu mais déjà bien connecté, avait interviewé Jean-Marie Le Pen pour le principal journal national-conservateur russe <em>Den’</em>. L’ancien diplomate et chef du KGB Vladimir Krioutchkov, l’un des leaders du <a href="https://www.humanite.fr/culture-et-savoirs/il-etait-une-fois/19-ao%C3%BBt-1991-le-coup-detat-contre-gorbatchev-un-putsch-qui-en">putsch conservateur d’août 1991</a> qui tenta de renverser Mikhail Gorbatchev, aurait lui aussi été l’un des instigateurs de ces contacts avec l’extrême droite française.</p>
<p>Jean-Marie Le Pen (ainsi que son numéro deux de l’époque, <a href="https://rassemblementnational.fr/author/bruno-gollnisch/">Bruno Gollnisch</a>) s’est ensuite rendu à plusieurs reprises en Russie, au moins en 1996, puis en 2003, tandis que des figures de la droite nationaliste russe telle que Sergueï Babourine ont <a href="https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-idees-land/20120103.RUE6821/pourquoi-le-front-national-est-fascine-par-la-russie.html">participé à des conventions du FN</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/vMBcpA1xI9A?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Jean Marie Le Pen rend visite à Vladimir Jirinovski (AP Archive).</span></figcaption>
</figure>
<h2>L’officialisation de la relation russe avec Marine Le Pen</h2>
<p>Une fois Marine Le Pen à la tête du FN en 2011, les relations de la famille Le Pen avec la Russie, jusque-là principalement du domaine du privé, s’officialisent et deviennent la ligne directrice du parti sur les questions de politique étrangère.</p>
<p>De nombreux proches de la nouvelle présidente (<a href="https://www.intelligenceonline.fr/renseignement-d-etat/2021/10/08/l-ex-fn-emmanuel-leroy-revient-au-coeur-des-initiatives-de-rapprochement-franco-russe,109696567-art">Emmanuel Leroy</a>, <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/jeunesse-au-gud-accusations-d-antisemitisme-combines-financieres-frederic-chatillon-un-fidele-toujours-dans-l-ombre-de-marine-le-pen_2109402.html">Frédéric Chatillon</a>, <a href="https://www.streetpress.com/sujet/1478533707-schaffhauser-agent-russe-de-marine-le-pen">Jean-Luc Schaffhauser</a>, ou encore son ex-conseiller international, <a href="https://www.ouest-france.fr/europe/russie/vladimir-poutine/la-fille-du-porte-parole-de-poutine-stagiaire-de-l-eurodepute-francais-aymeric-chauprade-6237778">Aymeric Chauprade</a>) ont des liens étroits, à différents niveaux, avec la Russie.</p>
<p>L’attirance entre le FN/RN et la Russie est mutuelle et fondée sur des valeurs partagées. Le mot clé de ce mariage idéologique est celui de souveraineté, décliné sous différentes formes :</p>
<ul>
<li><p>politique et géopolitique : l’État-nation doit être au-dessus des législations internationales et des organisations supranationales,</p></li>
<li><p>économique : le protectionnisme économique est légitime pour s’opposer à une globalisation déstructurante et dominée par les corporations internationales,</p></li>
<li><p>culturelle : la nation comme entité ethnoculturelle homogène dans laquelle les minorités ou migrants sont acceptés s’ils acceptent de s’assimiler et intègrent l’idée d’être des citoyens de seconde zone.</p></li>
</ul>
<p>Mais ce mariage idéologique entre le FN/RN et la Russie dispose également de facettes plus opportunistes. Dès son arrivée à la tête du FN, Marine Le Pen est en quête de reconnaissance internationale afin de consolider sa stature de potentielle cheffe d’État et travaille ardemment à se faire recevoir par Vladimir Poutine, <a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2017/article/2017/03/24/marine-le-pen-recue-par-vladimir-poutine-a-moscou_5100247_4854003.html">ce qui sera fait en mars 2017</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/e2zjOLF8C3c?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Marine Le Pen : « On ne peut pas traiter par le mépris Vladimir Poutine » – INA Politique.</span></figcaption>
</figure>
<p>Son <a href="https://www.ihemi.fr/formations/ressources-pedagogiques/kit-de-sensibilisation/les-intrusions-consenties-lentrisme">entrisme</a> en Russie s’est effectué en grande partie grâce à l’oligarque orthodoxe et monarchiste <a href="https://www.rtbf.be/article/konstantin-malofeev-l-oligarque-de-dieu-proche-de-vladimir-poutine-et-de-la-famille-le-pen-10971433">Konstantin Malofeev</a>, introduit auprès de Jean-Marie et Marine Le Pen par Ilya Glazounov, et <a href="https://www.ft.com/content/27125702-71ec-11e5-ad6d-f4ed76f0900a">dont la chaîne Internet Tsargrad TV</a> fait régulièrement la part belle à Marine.</p>
<h2>Les intérêts réciproques d’une alliance Russie–Rassemblement national</h2>
<p>Le FN est également à la recherche de soutiens financiers, et là encore, c’est la Russie qui offrira à Marine un <a href="https://www.france24.com/fr/20170502-neuf-millions-euros-prix-fn-soutenir-diplomatie-poutine-ukraine-mediapart-schaffhauser-russ">prêt d’un montant de 9 millions d’euros</a>, nécessaire pour sa campagne en vue des présidentielles de 2017 (Jean-Marie Le Pen <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/russie/une-association-presidee-par-jean-marie-le-pen-a-recu-2-millions-d-euros-d-une-societe-detenue-par-un-ancien-du-kgb_757881.html">obtient quant à lui 2 millions d’euros</a> pour son microparti), en échange d’un soutien appuyé à l’annexion de la Crimée par Moscou comme l’ont révélé les <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/dossier/largent-russe-du-front-national">enquêtes de Mediapart</a>.</p>
<p>Du côté russe, on cherche des alliés influents, capables d’accéder à des postes de décision et de servir de chambre de résonance à la vision du monde avancée par le Kremlin. Moscou a longtemps considéré la France comme un pays clé à cause de son positionnement géopolitique en partie autonome des États-Unis, son statut de puissance nucléaire, son siège au Conseil de Sécurité de l’ONU, ses entreprises du CAC40 très implantées en Russie et donc aptes à faire du lobbying en faveur de Moscou, et une forte présence culturelle russe due à l’histoire de l’émigration russe.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/RrLTUNCNAwY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Marine Le Pen : sa passion russe qu’elle veut faire oublier (Mediapart).</span></figcaption>
</figure>
<p>Mais la présidence de François Hollande n’est pas favorable à la Russie, et le Kremlin s’engage alors clairement aux côtés de Marine Le Pen. Moscou n’est pas nécessairement un amant fidèle : lorsque la candidature de <a href="https://www.capital.fr/economie-politique/francois-fillon-accuse-dentretenir-des-liens-trop-etroits-avec-la-russie-de-vladimir-poutine-1429355">François Fillon</a> se précise, la perspective d’un candidat de droite classique, capable de rallier les milieux conservateurs catholiques et des cercles économiques influents, fait basculer les médias russes en faveur de François Fillon contre Le Pen, <a href="https://www.letemps.ch/monde/entre-pen-fillon-kremlin-balance">avant de revirer en direction du FN</a> une fois François Fillon mis en échec.</p>
<p>Dans le champ médiatique et politique russe, Marine Le Pen est présentée comme une patriote de l’Europe authentique, digne héritière du gaullisme et de l’idée d’une Europe des nations, non inféodée aux intérêts américains et transatlantiques et fondamentalement tournée vers une identité européenne continentale et conservatrice. Marine a fait l’objet de plusieurs livres en russe écrits par des publicistes et est <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/politique/presidentielle-marine-le-pen-cauchemar-de-la-presse-occidentale-et-espoir-des-medias-russes_2171628.html">régulièrement célébrée à la télévision russe</a> comme l’une des figures majeures du monde politique européen.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1509984253190287362"}"></div></p>
<p>Une victoire de Marine Le Pen aux élections de dimanche serait bien évidemment une bonne nouvelle pour Moscou, dont les soutiens européens se sont réduits comme peau de chagrin avec la guerre, se limitant principalement à la Hongrie et la Serbie. Une voix sympathique aux intérêts russes au cœur de l’Europe occidentale serait donc inespérée.</p>
<p>Mais même en cas d’échec, le succès de la politique de normalisation du RN, ainsi que la présence de multiples voix prorusses dans l’ensemble du champ politique du souverainisme de droite (mais également, avec plus de nuances, de gauche) – de Philippe de Villiers à Marion Maréchal et Éric Zemmour – garantissent à Moscou que ses points de vue continueront à être reflétés dans les débats français.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181633/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marlene Laruelle ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La Russie cherche des alliés influents et une victoire de Marine Le Pen serait une bonne nouvelle pour Moscou. Retour sur l’histoire des liens tissés depuis longtemps entre les deux parties.Marlene Laruelle, Research Professor and Director at the Institute for European, Russian and Eurasian Studies (IERES), George Washington UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1813182022-04-14T18:23:49Z2022-04-14T18:23:49ZLes Républicains : un quinquennat pour moins que rien<p>Il est peu dire que le score de Valérie Pécresse (4,78 %) a déçu Les Républicains et fait relativiser la défaite de 2017 lors de laquelle François Fillon pouvait encore se targuer de représenter un cinquième de l’électorat. Certes, comme il y a cinq ans, le parti pourra se dire <a href="https://valeriepecresse.fr/2022/04/08/ne-vous-laissez-pas-voler-cette-election-imposez-le-seul-vote-de-droite-dernier-meeting-de-valerie-pecresse-a-lyon/">victime des circonstances et des évènements</a>, et ne s’est déjà pas privé pendant la campagne de déplorer une sorte <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/valerie-pecresse/presidentielle-2022-jean-francois-cope-fustige-l-acharnement-contre-valerie-pecresse-seule-candidate-de-gouvernement_4964325.html">d’acharnement du pouvoir en place</a> contre ce qui aurait pu être la seule force de gouvernement susceptible de le mettre en échec. Il n’en reste pas moins que le parti traditionnel de la droite française est aujourd’hui réduit à l’état de résidu électoral, même pas en capacité d’assurer le remboursement de sa campagne. Il est donc nécessaire de comprendre à la fois la nature de cet évidement électoral, ses causes et ses conséquences.</p>
<h2>Où sont passés les électeurs de droite ?</h2>
<p>Dans l’ensemble, les <a href="https://www.ipsos.com/fr-fr/presidentielle-2022/1er-tour-abstentionnistes-sociologie-electorat">facteurs explicatifs du vote Pécresse</a> sont sensiblement les mêmes que pour celui du vote Fillon : un électorat assez nettement âgé, catholique et aisé – même si la candidate a peiné à convaincre la frange de la population possédant la situation la plus confortable (diplômée, épargnant beaucoup et satisfaite de sa vie). Pour autant, le vote de droite apparaît dérisoire dans la plupart des segments électoraux, ce qui est notamment dû à un désalignement de l’électorat de droite avec son parti de prédilection. En d’autres termes des pans entiers de l’électorat définis par leurs caractéristiques sociodémographiques qui avaient l’habitude de voter pour un parti ne le font plus : seuls 37 % des sympathisants LR/UDI ayant exprimé une voix en 2022 ont voté Pécresse, ce qui n’a également été le cas que de 21 % des électeurs Fillon.</p>
<p>De nombreux bastions de la droite <a href="https://www.leparisien.fr/elections/presidentielle/presidentielle-pecresse-en-tete-dans-une-trentaine-de-communes-cartographie-dun-naufrage-11-04-2022-HFANLCZMJZFSRGOGPJBEDLQNBQ.php">semblent ainsi avoir disparu</a>, dans le Grand Ouest, en Alsace, dans le Rhône ou encore en Paca, n’étant aujourd’hui restreints qu’à l’ouest de l’Île-de-France, la Champagne-Ardenne, le Doubs, la Savoie et le sud du Massif central.</p>
<p>Il est possible de distinguer quatre types d’électeurs ayant fait défaut à la droite. Le plus important concerne ceux qui se sont tournés vers Emmanuel Macron, assez typiques de l’ancien électorat de droite en termes de génération et d’appartenance sociale, avec 41 % chez les 70 ans et plus, respectivement 35 % et 30 % chez les catholiques pratiquants réguliers et occasionnels, 35 % chez les cadres, 33 % chez les bac+3 et plus, 35 % dans les foyers gagnant plus de 3 000 euros mensuels, 53 % dans les milieux aisés et favorisés – un électorat dirons-nous particulièrement « épanoui », qui a commencé sa transition <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2019/05/28/europeennes-2019-macron-a-reussi-son-opa-sur-l-electorat-de-droite_5468518_823448.html">dès les élections européennes de 2019</a>, voire même dès les législatives de 2017. Vient ensuite l’abstention qui a concerné 22 % des anciens électeurs Fillon, taux élevé pour une population habituellement très attachée au vote.</p>
<p>Le troisième concerne les nouveaux électeurs de Marine Le Pen, qui assoit encore davantage son hégémonie sur l’électorat populaire de droite, en attirant plus de 20 % des électeurs se reconnaissant dans Les Républicains et l’UDI. Enfin, il faut compter sur les désistements en faveur d’Eric Zemmour, qui réalise entre autres de bons scores dans des quartiers très huppés comme le nord du <a href="https://www.leparisien.fr/paris-75/presidentielle-a-paris-dans-le-xvie-voter-le-pen-nest-pas-chic-alors-on-y-vote-maintenant-zemmour-11-04-2022-ZA562IQKXRHVPFHASYFS7RNJI4.php">XVIᵉ arrondissement de Paris</a> ou dans l’hypercentre de Lyon, au sein peut-être de la frange la plus inquiète et conservatrice de la bourgeoisie française.</p>
<h2>Comment la droite en est-elle arrivée là ?</h2>
<p>Au-delà des circonstances effectivement particulières de la campagne présidentielle de 2022, à l’instar du <a href="https://poliverse.fr/pjaj/04_guerra/">« ralliement au drapeau »</a> en faveur d’Emmanuel Macron provoqué par la guerre en Ukraine et de <a href="https://www.ladepeche.fr/2022/04/06/presidentielle-valerie-pecresse-regrette-davoir-essaye-de-parler-comme-un-homme-au-meeting-du-zenith-10218001.php">piètres performances scéniques et oratoires</a> de Valérie Pécresse qui ont pu faire douter les anciennes générations averses au risque, la campagne de cette dernière a largement été handicapée par ses problèmes de fond. Valérie Pécresse a peiné à proposer une synthèse mobilisatrice de son programme politique, multipliant par exemple les slogans génériques, dont le dernier, <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/valerie-pecresse-je-suis-la-seule-qui-aura-le-courage-de-faire-les-reformes-20220404">« Le courage de faire »</a>, insiste bien plus sur une méthode de gouvernement que sur un projet de société.</p>
<p>Or, Emmanuel Macron a pu pendant son mandat incarner à la fois la solidité de la fonction présidentielle et une offre politique fondée sur un certain nombre d’orientations économiques ou régaliennes aptes à satisfaire les électeurs de droite. Misant sur le fait que la plupart des électeurs n’étaient pas très préoccupés par la question de la pureté idéologique, il a su efficacement <a href="https://www.bfmtv.com/politique/elections/presidentielle/une-pale-copie-pourquoi-valerie-pecresse-accuse-emmanuel-macron-de-siphonner-son-programme_AN-202203170294.html">braconner les mesures phares</a> du programme de Valérie Pécresse sur la retraite, le RSA ou encore la restriction de l’octroi de visas, tandis qu’un groupe minoritaire radicalisé lui préférait Eric Zemmour ou Marine Le Pen.</p>
<p>La raison de cet échec réside aussi dans une campagne tardive, précédée de longs mois de débats internes à la droite destinés à ne séduire que les adhérents du parti, durant lesquels la droite radicale a semblé faire la pluie et le beau temps, et qui ont durablement accroché à l’image de la candidate désignée. Si la droite radicale en <a href="https://theconversation.com/congres-lr-la-droite-debordee-par-sa-droite-173523">est arrivée à un tel niveau d’influence</a> au sein des Républicains, c’est parce qu’elle est parvenue à imposer l’idée qu’elle défendait une ligne conforme aux attentes et préoccupations des militants et sympathisants de droite en général, et parce que Valérie Pécresse ne disposait pas d’une doctrine préexistante susceptible de résister au chantage idéologique de son concurrent le plus polémique, Eric Ciotti. La faute est enfin à chercher des instances partisanes qui, effrayées par la perspective d’une scission, ont cherché à maintenir à tout prix un <a href="https://theconversation.com/la-droite-se-dechirera-t-elle-pour-ses-idees-166844">compromis idéologique malléable</a>, quitte à ne proposer en guise de programme officiel qu’un ensemble de mesures techniques par ailleurs largement ignoré par les candidats à l’investiture.</p>
<h2>Les Républicains ont-ils encore un avenir ?</h2>
<p>Difficile dans les conditions actuelles d’imaginer un avenir uni pour le parti de Valérie Pécresse. Si le bureau politique des Républicains est parvenu à adopter assez largement une <a href="https://republicains.fr/actualites/2022/04/12/christian-jacob-notre-ligne-est-claire-aucune-voix-ne-doit-aller-a-marine-le-pen/">motion commune</a> appelant à ne donner aucune voix à Marine Le Pen tout en renvoyant dos-à-dos la mollesse macroniste et l’irresponsabilité lepéniste, les positions personnelles des cadres divergent.</p>
<p><a href="https://twitter.com/dom_albertini/status/1513807650089226244/photo/1">On peut distinguer</a> ceux qui ont exprimé une préférence personnelle pour le président sortant comme Valérie Pécresse, ceux qui souhaitent accepter franchement la main tendue de ce dernier pour construire une grande confédération de gouvernement comme Nicolas Sarkozy, ceux qui refusent de choisir explicitement entre les deux concurrents du second tour comme Laurent Wauquiez, et ceux qui affirment leur refus du bulletin Macron comme Eric Ciotti.</p>
<p>La majorité semble néanmoins décidée à ne pas jouer les supplétifs du pouvoir macroniste, partant du principe qu’il est de sa responsabilité de construire une alternative politique crédible à Emmanuel Macron pour éviter aux forces « de gouvernement » d’être un jour renversées par « les extrêmes », dans le respect de son héritage gaulliste. Une ambition que le parti est pourtant loin d’avoir atteinte durant les cinq dernières années, dans des conditions pourtant bien plus favorables que celles du quinquennat à venir. Si le sursaut n’est pas impossible, il apparaît plus que jamais improbable.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181318/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emilien Houard-Vial a reçu des financements de la Fondation nationale des sciences politiques.</span></em></p>Difficile dans les conditions actuelles d’imaginer un avenir uni pour le parti de Valérie Pécresse.Emilien Houard-Vial, Doctorant en science politique, Centre d'études européennes (Sciences Po), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1723222021-12-06T22:33:17Z2021-12-06T22:33:17ZÉric Zemmour à travers ses discours : « le fils de personne » ?<p>Alors que le polémiste Éric Zemmour vient de se déclarer candidat, ses prises de position, le ton même de sa vidéo de candidature, conduisent à des analyses du champ politique intuitivement séduisantes : se place-t-il en héritier de Jean-Marie Le Pen ? Ce faisant, son objectif est-il de capter les voix de Marine Le Pen et du Rassemblement national en proposant un discours proche ?</p>
<p>Ou bien encore tente-t-il de réunir certains électeurs de François Fillon, qui ne se reconnaissent pas dans les cinq actuels candidats Les Républicains, dont le dernier débat de la primaire a eu lieu mardi 30 novembre ?</p>
<p>On retrouve ces hypothèses dans différents articles : à propos de François Fillon, on peut <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/politique/entre-lr-et-eric-zemmour-la-droite-conservatrice-a-la-croisee-des-chemins_2160929.html">lire</a> que « l’électorat filloniste glisse lentement vers Éric Zemmour », qui aurait été « abandonné par la droite traditionnelle, faute de représentation parmi les candidats au congrès LR ».</p>
<p>L’article précise en effet qu’il serait l’héritier autoproclamé du RPR, et qu’il joue de cette « filiation supposée ». Pour autant, l’électorat traditionnel de droite peut <a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/article/2021/11/29/le-probleme-c-est-qu-il-est-meilleur-debatteur-que-candidat-le-scepticisme-de-l-electorat-de-droite-face-a-eric-zemmour_6103978_6059010.html">rester sceptique</a>, peut-être au regard de certains marqueurs d’une droite plus radicale, avec un discours « sans peur des “minorités” de toutes sortes, sans crainte des mots qui fâchent la gauche ou le monde intellectuel ».</p>
<p>Ainsi, à propos de Marine Le Pen, un article explique que <a href="https://www.lci.fr/politique/pour-contrer-eric-zemmour-marine-le-pen-accelere-sur-l-immigration-2197405.html">« pour contrer Éric Zemmour, Marine Le Pen accélère sur l’immigration »</a>.</p>
<p>Les témoignages des électeurs sont illustratifs des évolutions de son discours, mais aussi des stratégies qu’elle met en place pour reconquérir certains électeurs. Un <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-choix-franceinfo/ces-electeurs-seduits-par-le-discours-d-eric-zemmour-il-ne-fait-pas-dans-la-demi-mesure_4813899.html">article</a> donne l’exemple de Thierry :</p>
<blockquote>
<p>« Lui, c’est Sarkozy 2012, Le Pen 2017, mais la candidate Rassemblement national (RN) n’aura pas sa voix en avril prochain. “Le discours de Zemmour est plus clair, il identifie plus clairement le problème migratoire, juge Thierry. Il n’est pas dans la demi-mesure”. »</p>
</blockquote>
<p>C’est bien le discours de Zemmour qui est jugé plus clair, et probablement plus « fort » (« pas dans la demi-mesure »).</p>
<h2>Ce que pensent les anciens militants</h2>
<p>Le point de vue des anciens militants oriente vers les mêmes conclusions <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-choix-franceinfo/ces-electeurs-seduits-par-le-discours-d-eric-zemmour-il-ne-fait-pas-dans-la-demi-mesure_4813899.html">à propos de Jean-Marie Le Pen</a> quant aux conférences d’Éric Zemmour :</p>
<blockquote>
<p>« D’ancien militants sont présents. Luc, par exemple, petite soixantaine, blouson de cuir, nostalgique du FN “canal historique”. “Je ne me retrouve pas dans le RN par rapport au FN que j’ai connu il y a plusieurs années, souligne Luc. Je ne suis pas un soutien inconditionnel d’Éric Zemmour mais je me retrouve dans certaines idées proches de Jean-Marie Le Pen”. »</p>
</blockquote>
<p>Les analyses du récent documentaire <a href="https://www.telerama.fr/ecrans/sur-france-2-zemmour-veni-vidi-vichy-une-enquete-fouillee-sur-un-complotiste-de-lhistoire-7003414.php"><em>Veni Vidi Vichy</em></a> vont dans le même sens :</p>
<blockquote>
<p>« Quand on entend Jean-Marie Le Pen, on voit la vraie filiation. Zemmour est davantage son héritier que ne l’est Marine Le Pen. La réécriture de Vichy, les outrances verbales… Il y a beaucoup de similitudes. La grande différence, c’est que Jean-Marie Le Pen ne bénéficiait pas à l’époque de la tribune médiatique dont jouit Éric Zemmour, parfois sans contradiction. »</p>
</blockquote>
<h2>Des hypothèses à l’épreuve des discours</h2>
<p>Pour tester ces hypothèses, j’ai collecté des discours « de meetings » de ces personnalités (cinq pour chacun) et utilisé les discours prononcés par Éric Zemmour lors de quatre « conférences/meetings » également (son intervention lors de la Convention des droites en 2019, et trois beaucoup plus récents, à Lille, Nantes et Rouen).</p>
<p>À l’aide d’un <a href="http://www.iramuteq.org">logiciel d’exploration de corpus</a>, on peut représenter la proximité et la distance entre les différents textes, sur la base de leur vocabulaire :</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/434457/original/file-20211129-25-f011a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/434457/original/file-20211129-25-f011a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/434457/original/file-20211129-25-f011a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/434457/original/file-20211129-25-f011a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/434457/original/file-20211129-25-f011a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/434457/original/file-20211129-25-f011a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/434457/original/file-20211129-25-f011a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">comparatif des discours.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>On compare donc JLMP1 (discours 1 de Jean-Marie Le Pen) à JMLP2, etc. à EZ1 (Eric Zemmour 1) à EZ2 etc. et de même pour MLP (Marine Le Pen) et FF (François Fillon).</p>
<p>Sur ce graphique, assez peu lisible au premier abord, on voit que sur la base de leur vocabulaire, les discours de JMLP sont groupés (ils entretiennent donc une bonne proximité), ceux d’EZ de même, et les choses sont un peu moins claires pour MLP et FF, avec malgré tout une certaine différence reconnue. Il est donc intéressant de constater que relativement aux hypothèses initiales, les discours d’Éric Zemmour le distinguent des autres candidats dont il serait proche.</p>
<p>Cela signifie que le calcul des spécificités lexicales de chacun des 19 discours regroupe les 4 discours d’Éric Zemmour en fonction de leur proximité, montrant donc à l’inverse qu’ils sont éloignés des 15 autres (avec de plus ou moins grandes distances).</p>
<p>Pour comprendre ces distances entre les textes, et aller plus en détail, regardons de plus près les <a href="http://textometrie.ens-lyon.fr/spip.php?article69">contrastes intertextuels</a> c’est-à-dire la mesure statistique fiable du sur-emploi ou du sous-emploi d’un mot dans un texte, pour préciser le repérage des mots caractéristiques d’un texte.</p>
<h2>Une scientificité « sans filtre »</h2>
<p>En mettant sur un graphique les termes qui sont liés aux populations, à l’immigration, et aux termes qui y sont associés dans les discours contemporains, nous observons principalement deux phénomènes :</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/434458/original/file-20211129-27-1m5dhgt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/434458/original/file-20211129-27-1m5dhgt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=353&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/434458/original/file-20211129-27-1m5dhgt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=353&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/434458/original/file-20211129-27-1m5dhgt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=353&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/434458/original/file-20211129-27-1m5dhgt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=443&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/434458/original/file-20211129-27-1m5dhgt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=443&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/434458/original/file-20211129-27-1m5dhgt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=443&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">termes liés aux populations.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Eric Zemmour abuse des termes « démographique », « colonisation », et « génération » notamment. En faisant cela, il scientifise son discours, en utilisant des termes qui renvoient à la démographie, à l’histoire.</p>
<p>En effet, selon le <a href="http://atilf.atilf.fr/"><em>Trésor de la langue française informatisé</em></a>, démographique signifie « propre à une population déterminée, envisagée essentiellement sous son aspect quantitatif » ; la colonisation est l’« occupation, exploitation, mise en tutelle d’un territoire sous-développé et sous-peuplé par les ressortissants d’une métropole » ; et une génération l’« ensemble de ceux qui vivent à une même époque et qui ont sensiblement le même âge ». Il utilise donc des termes qui importent avec eux une caution (quantitative ou historique) et qui leur donneraient du crédit : ces mots sont en quelques sortes plus « performatifs » que ceux de ses concurrents, car ils ont un apparat scientifique qui peut les rendre plus efficaces en termes de réception.</p>
<p>En plus de cette scientificité apparente, il sur-utilise aussi les termes <em>blanc</em>, <em>islam</em> et <em>islamique</em>, et va ainsi de manière plus « directe » aux référents qu’il désigne : alors que Marine Le Pen s’en tient aux dérivés <em>islamiste</em> ou <em>islamisme</em>, que Jean-Marie Le Pen utilisait davantage <em>immigré</em> et <em>clandestin</em>, et que François Fillon utilisant <em>musulman</em>, Éric Zemmour stigmatise directement l’Islam (et pas seulement les usages idéologiques de l’Islam) et pose la couleur de peau, ce qui est complètement nouveau. Une rare proximité est l’usage de <em>islamique</em> qu’il partage avec François Fillon, ce dernier l’utilisant essentiellement pour parle du « totalitarisme islamique ».</p>
<h2>Le lexique « politique » sous-employé au profit d’un récit historico-romanesque autojustifié</h2>
<p>Comme autre point de comparaison, on peut chercher à comparer le lexique politique plus traditionnel utilisé par ces quatre personnalités :</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/434459/original/file-20211129-21-1iz91j5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/434459/original/file-20211129-21-1iz91j5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/434459/original/file-20211129-21-1iz91j5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/434459/original/file-20211129-21-1iz91j5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/434459/original/file-20211129-21-1iz91j5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/434459/original/file-20211129-21-1iz91j5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/434459/original/file-20211129-21-1iz91j5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">lexique traditionnel.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>On remarque qu’Éric Zemmour ne parle pas des sujets de fond, sauf avec le recours à « industriel », alors que François Fillon s’attachait aux questions économiques (entreprise, travail, chômage, etc.), Jean-Marie Le Pen au chômage et aux taxes, et Marine Le Pen aux impôts et à la monnaie. Ceci s’explique probablement par la forme de ses discours qui propose une version historico-romanesque de l’État :</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/434460/original/file-20211129-21-17e20uo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/434460/original/file-20211129-21-17e20uo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=414&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/434460/original/file-20211129-21-17e20uo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=414&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/434460/original/file-20211129-21-17e20uo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=414&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/434460/original/file-20211129-21-17e20uo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=520&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/434460/original/file-20211129-21-17e20uo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=520&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/434460/original/file-20211129-21-17e20uo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=520&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">tableau sur les sujets de fond.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Il sur-utilise en effet le terme <em>état</em>, qui le distingue des autres personnalités, mais il utilise aussi <em>destin</em> et <em>guerre</em> : se dessine ainsi une représentation romanesque voire fatasmée des choses, inscrites dans un contexte belliqueux. Cette représentation de l’histoire, <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-jeudi-11-novembre-2021">dont on sait qu’elle se joue des vérités historiques</a>, s’apparente donc à une forme de storytelling, qui permet de disposer des « rôles » dans une temporalité dont le polémiste serait le « héros ». L’efficacité possible de ce storytelling est accentuée par l’usage de certains adverbes, et le sous-usage des modalisations :</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/434462/original/file-20211129-25-171em49.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/434462/original/file-20211129-25-171em49.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/434462/original/file-20211129-25-171em49.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/434462/original/file-20211129-25-171em49.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/434462/original/file-20211129-25-171em49.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/434462/original/file-20211129-25-171em49.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/434462/original/file-20211129-25-171em49.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">tableau avec représentation des adverbes.</span>
</figcaption>
</figure>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/434463/original/file-20211129-25-4ar4a9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/434463/original/file-20211129-25-4ar4a9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=453&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/434463/original/file-20211129-25-4ar4a9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=453&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/434463/original/file-20211129-25-4ar4a9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=453&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/434463/original/file-20211129-25-4ar4a9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=569&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/434463/original/file-20211129-25-4ar4a9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=569&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/434463/original/file-20211129-25-4ar4a9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=569&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">tableau représentant l’usage des modalisations.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>En utilisant <em>évidemment</em> (d’une manière évidente pour l’esprit), <em>exactement</em> (d’une manière exacte) et <em>systématiquement</em> (d’une manière systématique), il se distingue des trois autres personnalités également par la manière dont il prend en charge son discours : l’évidence, l’exactitude et le caractère permanent de ce dont il parle lui confèrent un discours qui ne connaît pas le doute et la nuance, et qui n’est d’ailleurs que très peu modalisé : en sous-utilisant <em>pouvoir</em> et <em>vouloir</em> notamment, il ne « fait (pas) apparaître l’attitude du sujet parlant vis-à-vis de la vérité de ce qu’il énonce », c’est-à-dire avec <a href="https://www.cnrtl.fr/definition/modalisation">l’idée d’une certaine contingence</a>. En cela, il se rapproche de Jean-Marie Le Pen, mais s’éloigne fortement de Marine Le Pen et de François Fillon.</p>
<p>Ainsi, malgré les différentes tentatives de rapprochement qui peuvent être faites, les discours de pré-candidature d’Éric Zemmour lui donnent une personnalité discursive bien spécifique : discours à la fois empreint de scientificité et développant un storytelling, ses propos sont plus « directs » et davantage assurés. Il y a donc une « force » langagière qui accompagne les propositions, ce qui peut peut-être expliquer l’imposition de certaines thématiques ou idées dans le débat public : en plus des considéraions de dispositifs et d’ancrage médiatique, le récit d’Éric Zemmour est présenté comme direct et assuré, lui assurant potentiellement une transmission facile dans les différents canaux de communication.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/172322/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Longhi a reçu des financements de l'ANR, de l'IUF, du DIM STCN. Il est membre de Draine, « Haine et rupture sociale : discours et performativité », un groupe pluridisciplinaire de chercheuses et chercheurs qui travaillent autour des discours de haine et des discours radicaux ainsi que les genres respectifs qui leur sont liés.</span></em></p>Le sur-emploi ou le sous-emploi d’un mot dans un texte ou discours permet de comprendre les intentions et idées véhiculées par les candidats.Julien Longhi, Professeur des universités en sciences du langage, AGORA/IDHN, CY Cergy Paris UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1708462021-11-03T19:22:15Z2021-11-03T19:22:15ZPourquoi Éric Zemmour embarrasse-t-il autant la droite ?<p>Sur le papier, la droite partisane ne devrait pas avoir beaucoup de mal à prendre clairement position contre Éric Zemmour. Déjà condamné pour <a href="https://www.liberation.fr/checknews/combien-de-fois-eric-zemmour-a-t-il-deja-ete-condamne-20210908_2WQAJQ5Y5RGDZBN2LOKNJYJRIM/">provocation à la discrimination raciale</a>, ce dernier est en effet coutumier des déclarations qualifiées de racistes, <a href="https://actualitte.com/article/11282/television/eric-zemmour-definitivement-condamne-pour-propos-islamophobes">islamophobes</a>, <a href="https://www.lesinrocks.com/actu/zemmour-sur-cnews-premiere-emission-premiere-polemique-185058-16-10-2019/">homophobes</a>, <a href="https://www.lci.fr/politique/presidentielle-2022-comment-eric-zemmour-parle-t-il-des-femmes-dans-son-dernier-livre-2198430.html">sexistes</a> et <a href="https://www.franceculture.fr/histoire/trois-contre-verites-deric-zemmour-sur-petain-et-vichy-rassemblement-national">révisionnistes</a>, adepte et propagandiste de thèses réactionnaires sur la dévirilisation de la société ou <a href="https://www.franceculture.fr/histoire/trois-contre-verites-deric-zemmour-sur-petain-et-vichy-rassemblement-national">le « grand-remplacement »</a> d’un peuple français/européen/chrétien par un peuple « islamique » culturellement antagoniste.</p>
<p><a href="https://tempspresents.com/2021/02/17/ou-va-eric-zemmour/">L’historien Nicolas Lebourg</a> a de son côté décrit le zemmourisme comme « un nationalisme obsédé par la décadence et qui, de là, applique un point de vue darwiniste », le plaçant indubitablement au sein de la sphère hétéroclite de l’extrême droite.</p>
<p>Si pendant longtemps, son statut de journaliste et d’essayiste pouvait justifier de ne pas se positionner clairement par rapport à lui, sa précampagne présidentielle inavouée et sa présence systématique dans les sondages électoraux, couplées à une <a href="https://www.acrimed.org/Zemmour-un-artefact-mediatique-a-la-Une">exposition médiatique de grande ampleur</a>, ont changé la donne.</p>
<p>Et si les louvoiements sont compréhensibles du côté du Rassemblement national (RN) dont la présidente avait <a href="https://www.bfmtv.com/politique/europeennes-zemmour-explique-pourquoi-il-a-refuse-de-figurer-sur-la-liste-du-rn_AN-201905130092.html">proposé au polémiste une troisième place</a> sur sa liste des dernières élections européennes, ils le sont moins pour une droite se disant elle-même « républicaine », née du <a href="https://republicains.fr/wp-content/uploads/2019/11/2019-10-02-lR-charte-principes-fondamentaux.pdf">« rassemblement des familles gaulliste, démocrate-chrétienne, libérale, radicale et sociale »</a>, et qui peine pour le moment <a href="https://www.lopinion.fr/edition/politique/zemmour-enflamme-debats-chez-republicains-258107">à s’accorder sur la stratégie</a> à adopter à son égard. Si certains cadres sont en effet favorables à la dénonciation franche des valeurs portées par le polémiste, d’autres préfèreraient se montrer compréhensifs vis-à-vis des évolutions de la société française à même d’expliquer son succès, quand un troisième camp souhaiterait l’ignorer autant que possible pour éviter de se faire voler l’attention médiatique.</p>
<p>Par la voix de son président, Les Républicains (LR) n’ont certes pas manqué d’affirmer un net désaccord théorique avec Éric Zemmour, <a href="https://www.parismatch.com/Actu/Politique/Jacob-estime-que-Zemmour-n-a-pas-les-memes-valeurs-que-LR-mais-est-utile-au-debat-1759424">ne « partageant pas ses valeurs »</a> et refusant sa participation au congrès du parti de décembre prochain. Celui-ci jugeait pourtant dans la foulée le journaliste « utile au débat », expliquant par ailleurs qu’il n’était <a href="https://www.bfmtv.com/politique/les-republicains/christian-jacob-non-eric-zemmour-n-est-pas-raciste-ni-d-extreme-droite_VN-202109260093.html">« pas raciste »</a> (notamment sur le plan personnel) et pas d’extrême droite.</p>
<p>En somme, c’est davantage sa posture « décliniste », clivante et catastrophiste que son idéologie propre qui le maintiendrait en marge de la droite. La question est donc de savoir ce qui peut expliquer de telles ambiguïtés et la difficulté de cette famille politique à expliciter les limites de sa tolérance idéologique.</p>
<h2>Zemmour et la droite, un compagnonnage lourd de conséquences ?</h2>
<p>Il serait assez facile d’expliquer cet embarras par <a href="https://www.lopinion.fr/edition/politique/republicains-face-cas-zemmour-253638">les liens personnels</a> qui unissent Éric Zemmour à un certain nombre de barons de la droite, à l’instar de Laurent Wauquiez, qui <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/politique/presidentielle-eric-zemmour-reve-de-laurent-wauquiez_2160484.html">l’accueillait en janvier 2019</a> au siège des Républicains où il venait présenter son nouveau livre par un « Vous êtes ici chez vous ! ».</p>
<p>Le polémiste affirmait lui-même face à Christian Jacob avoir été <a href="https://www.dailymotion.com/video/x84jez4">adhérent du RPR</a>, tandis que sa proche conseillère Sarah Knafo <a href="https://www.lci.fr/politique/elle-attaque-aussi-paris-match-qui-est-sarah-knafo-conseillere-d-eric-zemmour-2197036.html">a fait partie de l’UMP</a>. De même, il n’est pas difficile de trouver des articles de la presse locale sur des adhérents LR, <a href="https://www.larep.fr/orleans-45000/actualites/un-comite-de-soutien-a-eric-zemmour-est-ne-dans-le-loiret_14033907/">jeunes</a> ou <a href="https://www.aisnenouvelle.fr/id233450/article/2021-09-22/xavier-jesu-adherent-lr-et-colleur-daffiches-pour-zemmour">moins jeunes</a>, soutenant sa candidature.</p>
<p>Plusieurs centaines d’adhérents et de curieux étaient d’ailleurs venus l’écouter au QG du parti, du jamais vu pour un évènement du genre ces dernières années – <a href="https://www.bfmtv.com/politique/le-livre-d-eric-zemmour-vendu-a-164-983-exemplaires-en-trois-semaines_AN-202110080243.html">ses succès d’édition</a> tendant à confirmer l’existant d’une audience importante et donc difficile à ignorer du côté de la droite radicale.</p>
<p>Enfin, Éric Zemmour a aussi tissé de nombreux liens de sympathie avec le milieu intellectuel et militant dans lequel s’inscrivent Les Républicains, le président de l’UNI (syndicat étudiant de droite) Olivier Vial étant par exemple parmi d’autres à l’initiative d’une <a href="https://www.liberation.fr/france/2010/05/17/zemmour-la-position-du-reactionnaire_626496/">pétition victorieuse contre son licenciement</a> du <em>Figaro</em> suite aux propos qui lui ont valu d’être condamné par la justice en 2011. Le lendemain de sa condamnation, l’essayiste s’était d’ailleurs <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2011/03/02/eric-zemmour-ovationne-par-des-elus-ump_1487546_823448.html">exprimé devant un groupe d’élus UMP</a> l’ayant chaudement applaudi.</p>
<p>Pour autant, très peu d’élus, même de second plan, sont a priori susceptibles de s’embarquer dans l’aventure Zemmour, et il demeure douteux qu’un parti aussi avide de reconquête électorale en son nom propre puisse accepter de compromettre ses chances pour conserver la cordialité des petits-déjeuners privés. L’explication est-elle donc à chercher du côté du succès (pré)électoral du journaliste ?</p>
<h2>Une frange un peu plus populaire de la droite</h2>
<p>Les enquêtes sondagières menées à ce sujet montrent en effet qu’environ <a href="https://www.jean-jaures.org/wp-content/uploads/2021/10/Rapport-Zemmour.pdf">25 % de l’électorat potentiel</a> d’Éric Zemmour était composé début octobre de personnes ayant voté pour François Fillon en 2017. Le polémiste semblant attirer à lui des électeurs de droite qui se seraient autrement en partie tournés vers Marine Le Pen. Son orientation économiquement libérale et surtout identitaire sur les questions d’immigration et de multiculturalisme attirerait une <a href="https://www.leddv.fr/actualite/sociologie-du-zemmourisme-radioscopie-dun-nouvel-electorat-national-populiste-20211020">frange un peu plus populaire</a>, un peu moins diplômée et plus familière des <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2007-3-page-429.htm">difficultés économiques</a> de l’électorat de la droite, déjà largement tentée par l’extrême droite et que la droite essaye désespérément de reconquérir depuis cinq ans.</p>
<p>Un défi de taille donc, alors que Xavier Bertrand, candidat pour l’instant le mieux placé chez LR, peine à récupérer plus de la moitié des électeurs Fillon, les déçus de la droite se répartissant à parts égales entre le centre et l’extrême droite.</p>
<p>Est-ce pourtant une raison suffisante pour les cadres LR de retenir leurs coups, en vertu de la théorie selon laquelle il ne faut jamais trop frontalement attaquer les candidats soutenus par les électeurs que l’on convoite ? Les anciens électeurs fillonistes d’Éric Zemmour sont-ils principalement séduits par ses thèses souvent plus à droite encore que celles de Marine Le Pen, et avec lesquels la droite ne peut décemment prétendre rivaliser ? On sait pourtant que les discours radicaux des Républicains sur l’immigration, la sécurité ou la laïcité, n’ont pas sensiblement amélioré leurs chances de victoire durant ces <a href="https://www.liberation.fr/politique/elections/le-constat-de-defiance-20211028_4BM22MLJ2JGK7FBHHGMOUO6VIQ/">cinq dernières années</a>. Et si on considère que ces électeurs pourraient aussi, voire même principalement, exprimer à travers leur intention de vote radicale une forme de sanction par rapport à leur famille politique originelle jusqu’à présent incapable de représenter une alternative politique crédible à Emmanuel Macron, alors la question n’est peut-être pas tant ce que le parti peut gagner, mais ce qu’il peut perdre à s’opposer plus frontalement à l’offre idéologique zemmourienne.</p>
<h2>Les Républicains au défi de la cohérence</h2>
<p>En l’occurrence, il s’agit de se demander si Les Républicains possèdent encore aujourd’hui la capacité rhétorique de dénoncer les discours d’extrême droite pour ce qu’ils sont réellement. Bien évidemment, il ne s’agit pas de dire que les dirigeants du parti en seraient physiquement incapables – sporadiquement et à titre individuel, certains ont même pu réactiver le discours du <a href="https://www.youtube.com/watch?v=5hQNYAOFvL8">« poison de l’extrémisme »</a> cher au Jacques Chirac des dernières années. Mais le problème réside dans le crédit implicite ou explicite donné à la parole d’Éric Zemmour ces dernières années.</p>
<p>Des exemples de gages publics de sympathie, ou a minima d’intérêt pour le personnage ont déjà été évoqués plus haut, en se rappelant qu’il peut être clairement assimilé à l’extrême droite réactionnaire depuis au moins une dizaine d’années. Néanmoins, au contraire d’autres intellectuels ou politiciens, il a réalisé la plupart de sa carrière dans des institutions médiatiques mainstream qui lui ont permis de <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/politique/presidentielle-lr-perdu-face-a-la-tentative-d-opa-de-zemmour-sur-la-droite_2159326.html">conserver l’étiquetage politique honorable de la droite conservatrice</a> quand bien même ses idées ont fini par s’affirmer comme autres.</p>
<p>En tant que parti peu porté sur le travail idéologique et cherchant à capter le maximum de voix possible, l’UMP devenue Les Républicains a entretenu pendant longtemps une proximité ambiguë avec le polémiste, cherchant à bénéficier de son prestige intellectuel patiemment entretenu après d’un public de niche, et de la sympathie qu’il suscitait chez les électeurs nationalistes, tout en le valorisant officiellement en tant que contributeur au débat public qu’on peut écouter sans partager les positions.</p>
<p>En d’autres termes, Les Républicains, parmi bien d’autres acteurs politiques et médiatiques, ont contribué à légitimer et à renforcer Éric Zemmour, de manière vraisemblablement involontaire, en tout cas pas pour ce qui concerne ses ambitions électorales. Même s’il est difficile de le mesurer, il est assez certain que ce dernier jouit d’une grande popularité chez les sympathisants de droite, qui n’ont pendant longtemps pas vu d’incohérence à soutenir à la fois les élus LR et l’écrivain Zemmour, puisque le second était reconnu par les premiers.</p>
<h2>Le piège de la droitisation</h2>
<p>Et si ceux-ci ont rarement assumé de faire leurs les analyses d’Éric Zemmour – plus facilement celles d’<a href="https://www.dailymotion.com/video/x1a72v5">Alain Finkielkraut</a>, philosophe et essayiste critique de la modernité, ou de Mathieu Bock-Côté, sociologue et éditorialiste québecois contempteur du multiculturalisme et du <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Dq8I8XVU20c">« politiquement correct »</a> – ils sont lancés plus généralement depuis au moins une quinzaine d’années dans une course à la radicalité politique devenue une <a href="https://www.jstor.org/stable/42843723?seq=1#metadata_info_tab_contents">forme de norme idéologique</a> à droite.</p>
<p>La thématique de la lutte contre le politiquement correct et pour une droite « décomplexée » et « vraiment de droite » est devenue particulièrement <a href="https://www.20minutes.fr/politique/1018409-20121008-jean-francois-cope-droite-decomplexee">populaire</a> avec la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy de 2007, puis sa défaite de 2012, endossée notamment par Jean-François Copé puis Laurent Wauquiez comme présidents du parti. J’évoque ce point dans une communication encore non publiée, « La droite contre-attaque. Le discours contre-hégémonique au sein de l’UMP et des Républicains (2002-2020) », présentée aux Journées internes du CEE à Sciences Po, Paris en juin 2020.</p>
<p>La question de la « droitisation », véritable serpent de mer médiatique, décrit ainsi avant tout un ensemble de choix discursifs rompant avec l’idée de nuance, assimilée à la mollesse, à la naïveté et à la compromission, avec des termes comme « ensauvagement » ou des slogans comme « Pour que la France reste la France » se rapprochant de facto du vocabulaire de l’extrême droite.</p>
<h2>La peur d’adhérer aux thèses de l’autre camp</h2>
<p>Cette stigmatisation d’une posture modérée présentée comme responsable des difficultés électorales de la droite rend malaisée la dénonciation de l’extrémisme précisément parce que la radicalité – notion proche s’il en est – a été érigée comme norme de bon comportement électoral à laquelle ont progressivement adhéré les sympathisants LR. Ceux-là même qu’Éric Zemmour et d’autres estiment avoir été trahis dans leurs convictions traditionnellement radicales par les élites partisanes libérales.</p>
<p>Traiter Éric Zemmour ou même Marine Le Pen comme des ennemis des principes républicains – rhétorique qu’il serait assez commode de mobiliser pour la droite afin de contenir leurs prétentions électorales – c’est donc moins risquer de contrarier les électeurs des autres que les siens, c’est-à-dire des électeurs de droite fidèles ou déçus qui n’ont pendant longtemps pas eu l’impression d’adhérer à des thèses condamnables, puisque rarement condamnés par leur camp.</p>
<p>C’est également devoir employer des anathèmes comme ceux du racisme ou de l’islamophobie qu’on a souvent décrit comme des outils de la gauche ou d’un progressisme destructeur de la civilisation, donc du camp adverse. En somme, la droitisation pourrait bien être un processus irréversible à moyen terme, et donc un piège que la droite s’est tendue à elle-même, condamnée à clarifier sa position quitte à se priver de ses éléments les plus radicaux, ou à rester dans le flou quitte à s’aliéner ses éléments les plus modérés, faute d’avoir su poser des limites plus tôt.</p>
<hr>
<p><em>L'auteur effectue sa thèse sous la direction de Florence Haegel.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/170846/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emilien Houard-Vial a reçu des financements de la Fondation Nationale des sciences politiques dans le cadre d'un contrat doctoral.</span></em></p>La droite française, se disant elle-même « républicaine », a bien du mal à adopter une stratégie satisfaisante vis-à-vis du polémiste et présumé candidat Éric Zemmour.Emilien Houard-Vial, Doctorant en science politique, Centre d'études européennes (Sciences Po), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1557922021-02-24T19:16:35Z2021-02-24T19:16:35ZL’union des droites est-elle possible ?<p>Dans un ouvrage publié en 1982, René Rémond avait démontré la <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/po/1983-n4-po2530/041009ar.pdf">pluralité des droites</a>, distinguant trois droites : légitimiste, orléaniste et bonapartiste.</p>
<p>Cette grille de lecture, marquée par une approche généalogiste, s’est inscrite dans le temps long, puisque les droites aujourd’hui sont toujours traversées par trois composantes : conservatrice, libérale, autoritaire. Cependant, le cas du positionnement idéologique du Rassemblement national dans le « système rémondien » demeure <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/01/23/pascal-perrineau-le-rn-flotte-entre-ses-statuts-d-heritier-de-l-extreme-droite-et-de-parti-populiste_6067339_823448.html">complexe</a>.</p>
<p>Si le parti de Marine Le Pen s’inscrit dans une tradition autoritaire de la droite nationale, les solutions qu’il propose en matière économique semblent parfois iconoclastes.</p>
<p>De ce fait, le tournant de la <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/le-front-national-valerie-igounet/9782021078268">« dédiabolisation »</a> a permis au FN, puis au RN, de séduire les classes populaires – qui votaient jusque-là à <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/cette-france-de-gauche-qui-vote-fn-pascal-perrineau/9782021362596">gauche</a> – notamment dans des régions où les électeurs se sentaient délaissés par la mondialisation, comme le Grand Est ou les Hauts-de-France par exemple, et d’attirer vers lui des classes moyennes déçues par l’UMP, des partisans de la loi et l’ordre.</p>
<p>Ainsi, la thématique de l’union des droites se heurte à la stratégie du « ni de droite, ni de gauche » de Marine Le Pen, qui est convaincue – à tort selon nous – qu’elle accédera à l’Élysée sans passer d’alliance avec les autres droites, ce qui soulève pour les Républicains la question de la direction dans laquelle doit se faire la dynamique unioniste.</p>
<h2>Des sensibilités fragmentées dans un champ de ruines politique</h2>
<p>Les trois droites rémondiennes sont depuis les années 1990 – le référendum sur le <a href="http://www.afsp.msh-paris.fr/activite/2012/je310512/010612pozzi.pdf">traité de Maastricht en 1992</a> pouvant être considéré comme une sorte d’accélérateur de particules du processus de dislocation du parti néogaulliste – traversées par de multiples clivages qui participent à sa désunion et qui complexifient la situation : européistes/souverainistes ; girondins/jacobins ; libéraux/étatistes…</p>
<p>En d’autres termes, les forces centrifuges sont plus fortes que les forces centripètes.</p>
<p>Dans ces conditions, réaliser l’union des droites relève de la quadrature du cercle, plutôt que d’un long fleuve tranquille.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/386120/original/file-20210224-21-1qpnk3g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=10%2C18%2C1007%2C798&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/386120/original/file-20210224-21-1qpnk3g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=486&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/386120/original/file-20210224-21-1qpnk3g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=486&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/386120/original/file-20210224-21-1qpnk3g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=486&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/386120/original/file-20210224-21-1qpnk3g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=610&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/386120/original/file-20210224-21-1qpnk3g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=610&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/386120/original/file-20210224-21-1qpnk3g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=610&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Valérie Pecresse, présidente de la Région Île-de-France, avec Hervé Morien (Les Centrsistes) et l’écrivain Denis Tillinac, à Brives, lors d’un rassemblement pour le mouvement Libres ! le 31 août 2019.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Diarmid Courreges/AFP</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pour que les droites puissent espérer remporter l’élection présidentielle de 2022, il faudrait réunir trois conditions : un programme, un leader, un contexte favorable.</p>
<p>Pour l’instant, ces trois conditions ne sont pas réunies et aucune d’entre elles, même prise isolément, n’est remplie.</p>
<h2>Un logiciel idéologique ancien</h2>
<p>Depuis le <a href="https://www.lefigaro.fr/lefigaromagazine/2006/09/01/01006-20060901ARTWWW90247-sarkozy_je_revendique_la_rupture.php">programme de rupture</a> proposé par Nicolas Sarkozy en 2007, la droite parlementaire semble avoir oublié de mettre à jour son logiciel idéologique.</p>
<p>Ce qui aurait dû être fait après la défaite du chef de l’État, à savoir dresser un bilan lucide du quinquennat 2007-2012, une sorte d’état des lieux des réussites et des échecs, n’a pas été entrepris, sans doute pour ne pas déclencher une guerre de tranchées entre quelques héritiers plus ou moins pressés. Ainsi, la refondation a laissé rapidement la place à la décomposition, avec la guerre interne pour la présidence de l’UMP à l’automne 2012 entre Jean‑François Copé et François Fillon, puis le départ d’un certain nombre de personnalités après l’accession de Laurent Wauquiez à la tête des Républicains en décembre 2017.</p>
<p>En outre, si les prétendants se bousculent pour reprendre le flambeau, au premier rang desquels figurent Xavier Bertrand, Valérie Pécresse et Bruno Retailleau, nul ne semble dans le contexte actuel apparaître comme un leader charismatique, alors que l’électorat de droite <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/les-hommes-providentiels-jean-garrigues/9782020974578">a toujours eu besoin d’incarnation</a> – Jacques Chirac en 1995 et dans un style plus clivant Nicolas Sarkozy en 2007 – et de trouver son homme providentiel.</p>
<h2>Candidats « hors les murs » ?</h2>
<p>Par ailleurs, dans l’histoire des droites, la candidature à la présidentielle passe par la prise en main d’un parti politique ou tout au moins par le fait que celle-ci soit reconnue comme émanant d’un appareil partisan clairement identifié.</p>
<p>En décembre 1976, Jacques Chirac avait fondé le RPR sur les décombres de l’UDR, une organisation qui a été <a href="https://books.openedition.org/pur/111587?lang=fr">l’instrument</a> de sa candidature à l’Élysée (1981, 1988, 1995), avant que son programme originel ne soit édulcoré dans l’UMP de 2002, au prix de l’union avec le centrisme.</p>
<p>Depuis la campagne d’Emmanuel Macron en 2017, dont la candidature s’appuyait sur une nébuleuse de marcheurs plutôt que sur une vieille maison, comme celle de la rue de Solférino, l’idée a fait son chemin à droite, d’une candidature hors les murs.</p>
<p>Xavier Bertrand a quitté les Républicains (LR) en décembre 2017 et fondé récemment <a href="https://www.lamanufacture.co/">La Manufacture</a>, qualifié sur son site de « laboratoire d’idées du monde réel » (sic.).</p>
<p>Valérie Pécresse a relancé son mouvement Libres ! à l’été 2019 après avoir quitté LR et Bruno Retailleau a repris les rênes de Force républicaine, le club de réflexion politique qui avait été créé par François Fillon, et lancé son application pour <a href="https://rmc.bfmtv.com/emission/2022-bruno-retailleau-lance-une-application-en-vue-de-l-election-presidentielle-2030195.html">smartphone 2022</a>, même s’il demeure membre des Républicains à la différence de ses deux concurrents.</p>
<p>Si tout ceci relève d’une démarche qui est somme toute assez macronienne, pour ce qui a trait aux techniques utilisées pour parvenir à leurs fins, les différences d’approche du scrutin de 2022 entre les prétendants sont nombreuses.</p>
<p>Pour le sénateur vendéen et président du groupe LR au Sénat, il convient de passer par une primaire – car il est persuadé qu’il pourra prendre le parti de l’intérieur comme l’a fait son mentor François Fillon à l’automne 2016 – alors que Valérie Pécresse et Xavier Bertrand considèrent que les élections régionales des 13 et 20 juin 2021, au cours desquelles ils remettront leur mandat en jeu, seront leur véritable primaire.</p>
<p>L’échec de Valérie Pécresse en Île-de-France ou de Xavier Bertrand dans les Hauts-de-France, ce qui d’après les récentes enquêtes d’opinion semble peu probable, signifierait pour eux la fin de la course vers la présidentielle. En revanche, en cas de victoire, ils bénéficieraient du sacre démocratique et d’une dynamique favorable.</p>
<h2>Une union impossible sans programme</h2>
<p>Reste à élaborer un programme, même si l’expérience macronienne de 2017 a démontré que les électeurs étaient de moins en moins attachés au substrat idéologique de celui-ci. De plus, la question du programme est étroitement liée à la personnalité et à l’itinéraire des prétendants.</p>
<p>Les différences sont nombreuses entre la droite sociale que prétend incarner Xavier Bertrand, la droite morale que revendique Bruno Retailleau et la droite techno-chiraquienne de Valérie Pécresse. Nous retrouvons là différentes sensibilités héritées du néogaullisme.</p>
<p>Lors de la primaire de la droite et du centre de 2016, les trois principaux concurrents incarnaient également des sensibilités marquées : le légitimiste François Fillon, l’orléaniste Alain Juppé et le bonapartiste Nicolas Sarkozy, même si dans les faits, les frontières étaient plus complexes et perméables qu’à première vue.</p>
<h2>Rassembler son camp</h2>
<p>D’ailleurs, la question des idées est peut-être plus secondaire à droite qu’à gauche, car cette famille politique est par tradition attachée à la capacité d’entraînement d’un leader plutôt qu’au pouvoir d’attraction d’un corpus idéologique.</p>
<p>Une fois le candidat désigné, il conviendra de « rassembler son camp d’abord, puis de rassembler les Français ensuite » (François Mitterrand). Toutefois, la dynamique de l’union avec des centristes qui sont atomisés en plusieurs groupes parlementaires à l’Assemblée nationale (Agir ensemble, UDI et Indépendants, Libertés et territoires) est un défi de taille, alors que le groupe des députés du Mouvement démocrate (MoDem) s’est rallié à Emmanuel Macron.</p>
<p>Pour le futur candidat de l’union des droites – si tant est que l’union autour d’un candidat soit possible – il faudra impérativement répondre à une question pressante, celle qui relève de la clarification idéologique de sa ligne politique. L’union doit-elle se faire en se tournant vers le centre de l’échiquier politique, afin de permettre le retour d’un certain nombre d’électeurs du centre-droit qui ont rejoint le macronisme, ou poursuivre un processus de droitisation vers les eaux du RN ?</p>
<h2>Malédiction des divisions</h2>
<p>Pour répondre à cette question, ce qui permettrait peut-être de mettre un terme à l’écartèlement des Républicains entre macronisme et lepénisme, il faudrait d’abord trancher le nœud gordien des différents clivages que nous évoquions précédemment.</p>
<p>Enfin, le principal défi du candidat de droite sera d’accéder au second tour, ce qui semble pour l’instant compromis, à moins que le contexte devienne plus favorable.</p>
<p>Faute d’une ligne claire, d’un leader reconnu comme tel, disposant d’une capacité intrinsèque de rassemblement, sans pour autant renier ses convictions, la droite devra se contenter d’être la spectatrice d’une nouvelle <a href="https://www.librairiedalloz.fr/livre/9782221202951-deflagration-dans-le-secret-d-une-election-impossible-patrick-stefanini-carole-barjon/">déflagration</a> et perpétuer la <a href="https://www.leslibraires.fr/livre/15966143-la-malediction-de-la-droite-60-ans-de-rendez---tabard-guillaume-perrin">malédiction de ses divisions</a>.</p>
<p>À moins que son salut ne vienne de l’extérieur, en adoubant une personnalité charismatique et assez consensuelle capable de rassembler les Français dans un climat de défiance envers le pouvoir politique que la crise sanitaire et ses conséquences sociales n’ont fait qu’amplifier.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/155792/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jérôme Pozzi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pour réaliser l’union des droites, il faudrait réunir trois conditions : un programme, un leader, un contexte favorable. Or, pour l’instant, aucune de ces trois conditions n’est remplie.Jérôme Pozzi, Maître de conférences en histoire politique, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1323922020-02-24T17:09:11Z2020-02-24T17:09:11ZPetit guide de survie à l’usage de l’homme politique mis en cause<p>« Je ne reconnais aucune de ces infamies pour lesquelles on me poursuit » : c'est en ces termes que s'est <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/12/01/nicolas-sarkozy-au-proces-des-ecoutes-je-ne-reconnais-aucune-de-ces-infamies-pour-lesquelles-on-me-poursuit_6061717_3224.html">exprimé</a> Nicolas Sarkozy, ancien Président de la République, lors du procès dit «des écoutes», démarré lundi 30 novembre. </p>
<p>Dans ce procès, comme le rapporte le journal <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2020/11/26/corruption-dans-l-affaire-des-ecoutes-pourquoi-nicolas-sarkozy-est-il-juge_6061212_4355770.html"><em>Le Monde</em></a>, «Nicolas Sarkozy est suspecté d’avoir tenté d’obtenir d’un magistrat à la Cour de cassation, Gilbert Azibert, des informations confidentielles le concernant, voire de peser sur une procédure engagée dans l’affaire Bettencourt». </p>
<p>Or, comme l’ont montré <a href="https://www.parislibrairies.fr/livre/9782200621261-sociologie-des-elites-delinquantes-de-la-criminalite-en-col-blanc-a-la-corruption-politique-2e-edition-pierre-lascoumes-carla-nagels/">Carla Nagels et Pierre Lascoumes</a>, cette affaire, comme d'autres avant elle, illustre bien la façon dont les élites économiques et politiques, lorsqu’elles enfreignent les règles, cherchent à tenir à distance le stigmate dégradant de « délinquant ».</p>
<h2>Tenir à distance le stigmate de la délinquance</h2>
<p>En effet, une constante de la déviance des élites est que, précisément, elles ne se perçoivent pas comme délinquantes, même quand elles font l’objet d’une répression pénale ou d’une peine de prison. Ainsi, <a href="https://www.lepoint.fr/societe/revelations-du-monde-sur-sarkozy-herzog-scandalise-07-03-2014-1798759_23.php">Nicolas Sarkozy</a> de se scandaliser, en sortant de garde à vue en 2014 :</p>
<blockquote>
<p>« Vous rendez-vous compte ! ? J’ai été traité comme un délinquant ! »</p>
</blockquote>
<p>Du fait de leur proximité avec les lieux de pouvoir et les ressources symboliques et culturelles dont elles disposent, les élites sont en mesure de développer un ensemble de « techniques de neutralisation » de la fraude, soit des mécanismes de rationalisation efficaces et complexes qui permettent de justifier la transgression, de la minimiser ou de l’excuser. L’objectif de ces mécanismes est de maintenir à distance « le stigmate de la délinquance ».</p>
<h2>Une activité transgressive « habituelle »</h2>
<p>D’après <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1745-9125.1985.tb00365.x">Michael Benson</a>, professeur de droit à l’Université de Cincinnati, maîtriser la perception relative aux faits délictueux et tenir à distance la dégradation symbolique repose sur quatre mécanismes.</p>
<p>Dans un premier temps, la défense devra dépeindre l’activité transgressive comme normale, routinière, habituelle, de façon à lui ôter sa dimension blâmable et transgressive. Il faudrait par exemple laisser entendre que la pratique était habituelle « dans ce milieu ».</p>
<p>Ensuite les mis en cause seront présentés par leurs soutiens comme des personnes hautement respectables, et ce de façon indiscutable, sans ambiguïté. </p>
<p>Le <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/02/18/affaire-fillon-les-dessous-d-une-pme-familiale_6029908_823448.html">procès</a> de François Fillon et de son épouse, poursuivis en février 2020 pour « détournement de fonds publics » et « abus de bien sociaux », a illustré un phénomène similaire. </p>
<p>Le conseil de François Fillon pouvait ainsi mobiliser la « grandeur relative » de l’ancien premier ministre arguant que les faits dont il a pu se rendre coupable seraient relativement peu importants au regard du service rendu à la France dans le cadre de son exercice ministériel.</p>
<h2>Une présomption de moralité pour les élites</h2>
<p>Pour Pierre Lascoumès, les élites bénéficient en effet d’une « présomption de moralité », soit une « barrière mentale », une incapacité à « imaginer » que l’élite, élue ou nommée, puisse se commettre dans des actes délictueux, là où elle était précisément chargée de produire et faire respecter la norme.</p>
<p>Les élites seraient aussi nécessaires au bon fonctionnement de la société, qui ne pourrait s’organiser autrement que par cette hiérarchie sociale, qui permet encore l’idéal républicain de méritocratie sur lequel s’appuie largement Fillon et le courant de la droite dans lequel il s’inscrit. D’autre part, d’après Lascoumès, les élites se présentent comme <a href="https://link.springer.com/article/10.1023/A:1013399001934">« supérieures »</a> aux autres, elles échappent aux finalités ordinaires, qu’elles surplombent.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/69QyiNFy5Hs?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">François Fillon, alors premier ministre, se rend dans une maison de retraite où il affiche une certaine méconnaissance des réalités, mars 2017.</span></figcaption>
</figure>
<h2>Plaider « l’erreur de jugement »</h2>
<p>Lorsque les élites ne parviennent pas à nier leur implication dans une infraction, la situation est alors présentée comme une aberration ou un accident de parcours dépourvu de toute intentionnalité fautive : « C’est une erreur de jugement que je regrette profondément ».</p>
<p>D’après Lascoumes, les élites se caractérisent par leur rapport aux normes, qu’elles produisent et aménagent, ce qui permet de faire en sorte que les activités dans lesquelles elles s’insèrent ne soient pas vues ou lues par la loi comme des crimes mais comme des « erreurs ».</p>
<p>Ici sera alors plaidé un égarement passager, qui ne caractérise en rien l’individu mis en cause. Celui-ci ne peut être qualifié de « délinquant » alors qu’il a simplement commis une « erreur » singulière.</p>
<p>Fillon lui-même pourrait mobiliser cet argument en se positionnant en surplomb de la situation judiciaire, par la formule désormais convenue selon laquelle il « assume toute la responsabilité » des faits qui lui sont reprochés, se donnant là encore la possibilité de se tenir à distance de la situation dans laquelle il est placé en la qualifiant comme s’il en était détaché.</p>
<h2>Un rapport particulier des élites à la norme</h2>
<p>Une fois construit ce tableau, Fillon et ses conseils pourront alors reprendre la main sur le débat, invitant à interroger « qui » avait intérêt à ces révélations spectaculaires. <a href="https://www.rtl.fr/actu/politique/affaire-penelope-fillon-la-replique-cinglante-du-canard-enchaine-aux-theories-complotistes-7787044917">Il a ainsi été dit</a> que les révélations du <em>Canard Enchainé</em> ont coûté au favori des Républicains son siège lors de la campagne présidentielle de 2017.</p>
<p>Il est tout à fait intéressant de noter là encore le rapport particulier de l’élite à la norme : tantôt elle la fabrique, tantôt celle-ci serait instrumentalisée à son encontre. C’est là encore le cas de Carlos Ghosn, dont la « fuite » est présentée comme une <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2018/12/21/qui-sont-les-protagonistes-de-la-spectaculaire-affaire-ghosn_5400852_3234.html">« évasion »</a> qui se justifie au regard de son statut social, au-dessus des lois.</p>
<p>Finalement, dans ce registre, la gravité des faits est transformée en gravité de l’accusation : l’accusation dont l’homme est victime serait la preuve même de sa grandeur, si bien qu’accuser l’ancien premier ministre des Français ce serait presque en vouloir à la démocratie même.</p>
<p>En parallèle, le travail de la défense consistera à saper la crédibilité, voire la moralité de ceux qui les accusent, en montrant qu’ils sont partiaux ou règlent des comptes, qu’ils agissent par ressentiment ou égoïsme et non pour la défense de valeurs universelles.</p>
<h2>Le coupable-innocent : les rituels de restauration</h2>
<p>Si les juges ne sont pas sensibles à ces arguments, il faudra alors que la défense articule une seconde phase, <a href="https://journals.openedition.org/champpenal/8388">décrite par Lascoumes</a> comme celle des « rituels de restauration » :</p>
<blockquote>
<p>« Quand une personne « respectable » est mise en cause et menacée par des rituels de dégradation, plusieurs dynamiques visent à contrecarrer efficacement le processus d’étiquetage. Les dynamiques de disqualification et de restauration s’entremêlent. »</p>
</blockquote>
<p>Ces rituels peuvent être techniques, pour traquer la faille de procédure. Les élites sont ainsi en mesure de maîtriser le calendrier, dont la longueur peut tourner à leur avantage dans le cadre du rituel de restauration : il s’agit de brouiller les pistes, de lancer des <a href="https://www.telerama.fr/monde/comprendre-les-procedures-baillons-le-stade-ultime-de-l-intimidation-judiciaire,158229.php">procédures-baillons</a> contre la partie adverse ou d’évoquer des <a href="https://www.nouvelobs.com/justice/20130121.OBS6018/la-qpc-eteignoir-pour-les-affaires-sensibles.html">questions prioritaires de constitutionnalité</a> qui repoussent les procès dans le temps. Les conseils peuvent ainsi « jouer la montre », puis dans le même temps décrier une justice « trop tardive », rendue « trop longtemps après les faits » ou encore tout à la fois un « acharnement judiciaire » à l’encontre de leur client. En parallèle, des voix opportunes peuvent s’élever pour décrire combien le mis en cause, lui-même, attend ce procès, qui « fera toute la lumière sur l’injuste situation dont il est victime ». Lascoumes souligne à cet égard l’importance du « réseau » pour les élites et le rôle de soutien de moralité que celui-ci peut jouer.</p>
<p>Ces rituels produisent finalement un « coupable-innocent » : « un déviant coupable, mais épargné par le stigmate ».</p>
<p>Dans le cas du procès Fillon, il pourrait être soulevé l’idée que celui-ci a « déjà payé » son dû, par la destitution symbolique qui a succédé à la révélation des faits.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/132392/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mahaut Fanchini a reçu des financements de Université Paris-Dauphine, Université Paris-est Créteil. </span></em></p>« Traité comme un délinquant ! » : décryptage de la façon dont les élites tiennent à distance le stigmate de la délinquance.Mahaut Fanchini, Maîtresse de conférences en sciences de gestion, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1242052019-10-01T18:19:46Z2019-10-01T18:19:46ZSe moquer des puissants renforcerait-il leur pouvoir ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/294762/original/file-20190930-194829-8rmzgt.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C2%2C1429%2C804&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">_Les Guignols de l'info_ ont particulièrement enrichi le ‘capital sympathie’ de Jacques Chirac.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.youtube.com/watch?v=OY_JklxKXMo">Youtube/CNews</a></span></figcaption></figure><p>Le décès de Jacques Chirac le 27 septembre 2019 a rappelé à quel point l’ancien président français avait été populaire dans les médias, notamment dans certaines émissions satiriques comme <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Guignols_de_l%27info"><em>Les Guignols de l’info</em></a> (diffusée en France sur Canal+ du 31 août 1988 au 22 juin 2018). À tel point que le chroniqueur Yann Barthès (TF1) s’est récemment demandé si l’émission n’avait pas permis d’augmenter considérablement le <a href="https://www.tf1.fr/tmc/quotidien-avec-yann-barthes/videos/jacques-chirac-et-si-les-guignols-lui-avaient-permis-de-devenir-president-39443258.html">capital sympathie</a> de l’homme politique auprès de l’électorat français.</p>
<p>Ce mythe du président propulsé par des humoristes est tenace. Il a été répété à de multiples reprises dans les discours d’hommage comme dans l’interview du candidat à la maire de Paris, Cédric Villani, qui fait de Jacques Chirac dans les Guignols son principal souvenir de l’<a href="https://www.youtube.com/watch?v=KKC4_aOzZLg">homme qu’il était</a>. Il faut pourtant rappeler qu’il n’y a pas l’ombre d’une relation causale pour expliquer le lien entre la popularité de l’ancien président et l’émission des Guignols. Cela en dit long sur le pouvoir que les médias attribuent aux humoristes.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/pVNIGS0VYd8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Chirac, une star des Guignols ?</span></figcaption>
</figure>
<h2>Les cibles des humoristes</h2>
<p>Les humoristes complices des politiques ? Cette question m’a interpellé dans le cadre de mes <a href="http://philoscsoc.ulb.be/fr/users/ggrignard">recherches doctorales</a> dont je livre ici mes premiers résultats. Le contexte que j’ai étudié est celui des élections présidentielles françaises de 2017. J’ai plus précisément observé <em>de qui</em> les humoristes de radio et de télévision se moquent.</p>
<p>En observant leurs cibles, j’ai émis un certain nombre d’hypothèses qui remettent en question le caractère subversif du travail des humoristes.</p>
<p>Mon corpus comprend les sketchs radio de Charline Vanhoenacker, Alex Vizorek, <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/si-tu-ecoutes-j-annule-tout"><em>Si tu écoutes, j’annule tout</em></a> mais aussi les chroniques de Guillaume Meurice, Daniel Morin, Frédéric Sigrist, Frédéric Fromet, Pierre-Emmanuel Barré, Nicole Ferroni, Laurent Gerra et Nicolas Canteloup, de septembre 2016 à juin 2017, soit un total de 1 323 billets d’humour.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/YsHOabdrdX4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« Tous ces soutiens à Emmanuel Macron : on se croirait à la SPA ! » Le Billet de Charline, Mar 9, 2017 (21 455 vues).</span></figcaption>
</figure>
<p>Quand on observe les cibles des humoristes (le nombre de cibles différentes) et leurs occurrences (leur nombre d’apparitions) sur la période étudiée, on constate que les humoristes se moquent en grande partie des hommes et des représentants des deux grands partis des dernières décennies : le Parti socialiste (PS) et Les Républicains (LR).</p>
<p>En moyenne, les femmes prises pour cibles représentent 19,81 % de mon échantillon. Au niveau de la représentation politique, en moyenne 63,27 % des cibles politiques étaient issues du PS ou LR. Toutes les autres formations politiques doivent se contenter de proportion bien moindre. Ainsi, les deux tiers de l’espace politique comique sont consacrés à des moqueries envers deux partis historiquement aux commandes de la France ces dernières années.</p>
<p>Pour s’en rendre compte, je propose un classement lissé des candidats à la présidentielle ciblés par les humoristes. J’ai compté les occurrences des candidats à l’élection présidentielle chez chaque humoriste et les ai agencé pour que chaque humoriste ait la même représentativité. Autrement un humoriste qui est à l’antenne au quotidien compterait bien plus qu’un autre qui n’a qu’une chronique par semaine.</p>
<p>Dans ce tableau, tous les humoristes de mon échantillon ont été recensés comme s’ils avaient tous faits 100 billets d’humour. On obtient alors la distribution suivante :</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/294776/original/file-20190930-194852-34x5ph.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/294776/original/file-20190930-194852-34x5ph.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/294776/original/file-20190930-194852-34x5ph.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=413&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/294776/original/file-20190930-194852-34x5ph.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=413&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/294776/original/file-20190930-194852-34x5ph.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=413&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/294776/original/file-20190930-194852-34x5ph.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=519&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/294776/original/file-20190930-194852-34x5ph.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=519&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/294776/original/file-20190930-194852-34x5ph.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=519&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Tableau 1. Cibles politiques des humoristes.</span>
<span class="attribution"><span class="source">G. Grignard</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ce tableau montre une nette différence entre les grands et les petits candidats. Il témoigne aussi d’un problème à la gauche de l’échiquier politique : les occurrences cumulées de Benoît Hamon et Jean‑Luc Mélenchon n’atteignent même pas celles de Manuel Valls, pourtant éliminé de la course aux présidentielles.</p>
<p>De plus, Jean‑Luc Mélenchon et François Fillon ont obtenu un score comparable au premier tour de l’élection présidentielle alors qu’ils sont à des distances astronomiques dans ce classement. Le nombre d’occurrences très faible de Jean‑Luc Mélenchon soulève plusieurs questions. Pourquoi les humoristes se moquent-ils si peu de personnalités de gauche radicale ? Est-ce parce qu’ils en sont proches ? Ou bien plutôt parce qu’il n’y a pas d’éléments aussi drôles à en retirer ? En tout cas Jean‑Luc Mélenchon, tout comme Benoît Hamon ont été beaucoup moins pris pour cibles par rapport à leurs concurrents « de droite ».</p>
<h2>Le calendrier importe</h2>
<p>Au-delà de la distribution, la période à laquelle les humoristes se moquent de certaines personnalités politiques surprend aussi. Mes analyses montrent que les humoristes ne parviennent pas à se distancier de l’agenda médiatique. Ils l’accompagnent.</p>
<p>Cela signifie que le calendrier électoral de l’élection et des différentes primaires a eu un impact important sur le choix des cibles des humoristes. Les Républicains ont été omniprésents de septembre à mi-novembre, moment où avait lieu leur primaire.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/MUxSUT5OQrk?wmode=transparent&start=146" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Sketch de Nicolas Canteloup face à Alain Juppé proche des primaires républicaines.</span></figcaption>
</figure>
<p>Les socialistes ont eu plus de visibilité en décembre et en janvier. Ensuite, toute l’actualité politique a concerné <a href="https://theconversation.com/la-mythologie-et-fillon-victimiser-pour-deifier-75334">François Fillon et les affaires</a> auxquelles il a été mêlé, ce qui explique son très grand nombre d’occurrences dans le classement présenté ci-dessus.</p>
<p>Le graphique suivant analyse l’évolution des occurrences dans le temps des principaux candidats à l’élection présidentielle</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/294778/original/file-20190930-194852-1152t1r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/294778/original/file-20190930-194852-1152t1r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=392&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/294778/original/file-20190930-194852-1152t1r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=392&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/294778/original/file-20190930-194852-1152t1r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=392&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/294778/original/file-20190930-194852-1152t1r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=492&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/294778/original/file-20190930-194852-1152t1r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=492&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/294778/original/file-20190930-194852-1152t1r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=492&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Graphique 2.</span>
<span class="attribution"><span class="source">G. Grignard</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La plus impressionnante de ces trajectoires est sans aucun doute la courbe de François Fillon. Elle démontre à la fois l’« effet primaire » (octobre et novembre) et les conséquences de ses « affaires » en février et mars, période à laquelle il n’y a pas un humoriste en France qui ne parle pas de lui.</p>
<p>On remarquera la courbe très constante d’Emmanuel Macron qui croît régulièrement jusqu’à devenir la plus forte à partir du moment où il est élu et que la menace de Marine Le Pen est écartée.</p>
<p>On voit également le très faible score des candidats de gauche avec Benoît Hamon dont personne ne parle avec le mois de mars et Jean‑Luc Mélenchon qui est constamment resté invisible.</p>
<p>Enfin, dernière observation plutôt cocasse : Jean Lassalle est le seul « petit » candidat à avoir vraiment transpercé le plafond de verre. En avril, les humoristes ont tellement parlé de lui qu’il a même égalé le score d’occurrences de Marine Le Pen. Il se situe alors nettement au-dessus de Benoît Hamon ou Jean‑Luc Mélenchon.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/1bevk2nlAvE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Laurent Gerra le 23 avril 2017.</span></figcaption>
</figure>
<h2>Le mythe de l’humour subversif</h2>
<p>La description des cibles des humoristes et leur répartition dans le calendrier laissent entrevoir des constats qui mettent à mal la thèse d’un humour subversif qui a vocation à casser les codes sociaux et politiques.</p>
<p>Sous cet angle, les humoristes apparaissent plutôt comme prévisibles, reproduisant le rapport de force en place au lieu de le contester.</p>
<p>Les humoristes, hommes ou femmes, chroniqueurs sur radios publiques ou privées, ont tous comme point commun de concentrer leur satire sur des cibles politiques qui appartiennent au Parti socialiste ou aux Républicains dans la période étudiée. Soit les deux plus grands partis au pouvoir lors des dernières décennies.</p>
<p>Cette promesse d’un versant subversif de l’humour n’est cependant en rien une trahison de leur part. Ils n’ont jamais prétendu vouloir changer le monde et tous les entretiens que j’ai effectués auprès d’eux soulignent que l’importance première pour un comique c’est d’être drôle bien avant être rebelle, désobéissant ou révolutionnaire.</p>
<p>C’est plutôt un certain univers intellectuel qui nous fait rêver de cette figure du comique qui dérange le pouvoir.</p>
<p>Elle s’est fortement cristallisée en France suite aux attentats contre Charlie Hebdo et a <a href="http://www.champ-vallon.com/pierre-serna-dir-la-politique-du-rire/">inspiré beaucoup d’auteurs</a> pour écrire une grande histoire politique du comique français.</p>
<p>Il faut pourtant aller au-delà du mythe. Si l’humoriste peut produire un discours caustique et piquant face au pouvoir, quand il s’exprime dans un média il n’en reste pas moins un acteur du système qui commente l’actualité que d’autres font pour lui.</p>
<p>Sa subversion ne peut outrepasser sa situation d’employé par un média, et de figure sanctionnée par le public actif sur les réseaux sociaux. L’humoriste doit plaire à son employeur et à son public qui remplit ses salles de spectacle. C’est probablement ce qui lui retire toute réelle force d’opposition face à un système qui, sous couvert d’amusement, se joue de lui.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/124205/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Guillaume Grignard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les humoristes sont-ils les complices involontaires des politiques ? Premiers résultats d’une étude inédite.Guillaume Grignard, Chercheur FNRS en sciences politiques, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1086962018-12-12T16:28:46Z2018-12-12T16:28:46ZMouvement lycéen : retour sur quelques mobilisations historiques<p>Les mouvements lycéens, lorsqu’ils ont quelque ampleur, ne sauraient se réduire à de la « manipulation » ou de la « contagion » comme certains le croient (ou veulent le faire accroire). Pour avoir quelque chance d’en sortir par le haut, le mieux est de tenter de les comprendre dans leur physionomie propre, leur « tempo » et leur « géographie » évolutive. Les comparer à d’autres mouvements d’importance historique peut aider à en saisir la singularité.</p>
<p>Les mobilisations de lycéens ont été <a href="http://www.germe-inform.fr/?p=456">nombreuses et variées</a> depuis au moins un siècle et demi. On pourrait en faire un inventaire à la Prévert. On se limitera à trois d’entre elles, parmi les plus significatives, en éliminant deux épisodes pourtant dans toutes les mémoires, mais où l’impulsion est d’abord venue des étudiants : Mai 68 et les luttes contre la réforme dite « Devaquet » de 1986.</p>
<h2>1882-1883 : un mouvement déjà national</h2>
<p>On commencera par l’un des mouvements lycéens les plus significatifs : celui qui a eu lieu durant la période « ferryste », il y a presque un siècle et demi. Il n’est pas inutile de le mettre en valeur face à ceux qui pensent que les mouvements lycéens et la possibilité même d’organisations lycéennes seraient l’effet d’un laxisme post soixante-huitard.</p>
<p>Suite des <a href="https://journals.openedition.org/histoire-education/842">révoltes des lycées de Toulouse et Montpellier</a> d’avril 1882, un premier congrès de lycéens du sud de la France se tient à Albi. Des représentants de ces deux établissements, et d’autres venant d’une dizaine de villes, dont Avignon, Bordeaux, Carcassonne, Lyon, Mâcon ou encore Nantes, y élaborent un « Manifeste ».</p>
<p>Ils y demandent une révision du régime disciplinaire, la mise en place – pour les classes supérieures – d’une commission d’élèves qui puisse émettre des vœux sur le fonctionnement du lycée, et l’amnistie pour les élèves qui ont pris part aux révoltes de Toulouse et Montpellier.</p>
<p>Un second congrès, qui se tient à Bordeaux en août 1883 après la grande révolte parisienne de Louis-le-Grand, accueille des délégués en provenance des lycées et collèges de toute la France, d’Albi à Nancy en passant par Angoulême, Dax, La Rochelle, Libourne, Lons-le-Saunier, Nice, Rochefort, ou Versailles.</p>
<p>Les résolutions votées ressemblent beaucoup à celles du congrès d’Albi avec quelques exigences supplémentaires : supprimer le provisorat et le remplacer par un conseil d’administration devant lequel comparaîtraient les élèves ; créer un jury pour contrôler les examens et rendre impossible toute partialité. Ces deux congrès (et ces révoltes) de lycéens n’auront pas d’effets immédiats, mais ne seront pas pour rien dans la grande réforme disciplinaire engagée à la fin des années 1880.</p>
<h2>1990 : la « périphérie » en pointe</h2>
<p>Le mouvement de lycéens du dernier trimestre 1990 amorce un changement important dans le sens des revendications, mais aussi dans la nature géographique et sociale des lycées particulièrement mobilisés. Il est vrai qu’il se situe dans un contexte paradoxal, celui d’une crise de croissance des lycées à la suite de la décision du ministre de l’Éducation nationale Jean‑Pierre Chévènement – prise en 1985 – d’aller vars 80 % d’une classe d’âge au « niveau bac » à l’horizon 2000.</p>
<p>Ce dernier trimestre 1990 est marqué par des manifestations de lycéens de banlieue contre « l’insécurité » de leurs établissements scolaires à la mi-octobre, puis par l’ampleur extraordinaire du mouvement lycéen de l’automne 1990 – parti de la « périphérie ».</p>
<p>Les mouvements étudiants ou lycéens s’étaient jusque-là développés à partir des centres-ville et des établissements les plus huppés comme la Sorbonne, l’ENS d’Ulm, ou les grands lycées parisiens – avec, le plus souvent, des mots d’ordre, dans les années post-soixante-huitardes, contre les différentes figures de la « répression ».</p>
<p>C’est dire si cette inversion (la « périphérie » à l’initiative), sur un thème inédit – la sécurité et l’ordre dans les établissements scolaires – fait sensation, en particulier dans le monde des médias. La thématique des violences à l’école développée dans la sphère politico-médiatique en restera d’ailleurs très marquée, dans une équivalence : « violence scolaire égale établissements de la périphérie ».</p>
<p>Le 24 octobre, près d’une dizaine de milliers de lycéens, la plupart venant de lycées de la banlieue parisienne auxquels s’étaient joints des lycéens en provenance de quelques lycées de province ou de Paris, manifestent à Paris en réclamant « sécurité » et « propreté » dans leurs établissements, et plus de personnels et de moyens matériels. <em>Le Monde</em> ne s’y trompe pas, titrant <em>Montreuil, Bondy et Saint-Denis : trois hauts lieux de la grogne lycéenne</em>, le 25 octobre 1990, puis <em>L’agitation lycéenne s’étend à la province</em>, le 26 octobre, tout en soulignant : <em>Paris traîne les pieds</em>.</p>
<p>Face à un mouvement qui prend de l’ampleur, le ministre de l’Éducation, Lionel Jospin, qui avait initialement promis « cent postes de surveillants supplémentaires » dans les lycées « sensibles », est amené à annoncer « un plan d’urgence » le 12 novembre. À la mi-novembre plus de 100 000 manifestants se réunissent à Paris et environ 200 000 dans les grandes villes de province. La promesse du ministre de l’Éducation nationale était de l’ordre de 4 milliards et demi de francs en rallonge budgétaire pour son « plan d’urgence ». Avec l’appui du président de la République François Mitterrand (quelque peu en délicatesse avec le premier ministre Michel Rocard et Lionel Jospin), le mouvement lycéen de 1990 obtiendra finalement plus du double.</p>
<h2>2005 : le bac met le feu aux poudres</h2>
<p>Au début de l’année 2005, la réforme du baccalauréat est inscrite dans le rapport annexé de la future loi d’orientation de l’éducation (dite loi « Fillon »). Sa préparation est confiée à un « groupe de travail comprenant des représentants des personnels, des parents d’élèves et des lycéens ». Le ministre de l’Éducation nationale François Fillon fixe le cadre lors de l’installation du groupe de travail le 17 janvier :</p>
<ul>
<li><p>réorganisation de l’examen autour de six épreuves terminales (au lieu d’une douzaine)</p></li>
<li><p>évaluation sous d’autres formes des autres matières (contrôle continu ou en cours de formation).</p></li>
</ul>
<p>Les organisations lycéennes, l’UNL et la FIDL, s’interrogent sur la pérennité de leur présence, et affirment qu’il ne saurait être question de participer à la mise en place d’un « bac par établissement » dont la valeur serait différente selon qu’il soit passé dans un lycée de centre-ville ou un lycée de banlieue</p>
<p>Des manifestations de lycéens regroupent plusieurs milliers, puis des dizaines de milliers de lycéens. Ils sont estimés à 100 000 dans la rue le 10 février 2005, lors d’une journée nationale à l’appel de la FIDL et de l’UNL, contre le projet de loi Fillon, et notamment contre l’introduction de contrôles continus au baccalauréat. « Non au bac à deux vitesses » ; « Fillon, serre les fesses, on arrive à toute vitesse » ; « Fillon, t’es foutu, la jeunesse est dans la rue ».</p>
<p>Le 14 février 2005, François Fillon annonce le dépôt d’un amendement gouvernemental <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/expliquez-nous/expliquez-nous-l-histoire-mouvementee-des-reformes-du-baccalaureat_2443190.html">retirant toute mention du bac</a> dans le projet de loi. Quant aux discussions du groupe de travail, il est prévu qu’elles « repartiront à zéro », à une date non fixée : « le cahier des charges des négociations qui vont s’ouvrir sera le plus souple possible ».</p>
<p>Deux semaines plus tard, lors d’une interview au journal <em>VSD</em>, le ministre de l’Éducation nationale François Fillon déclare : « Dès le soir de la première manifestation, j’ai dit qu’on ne réformerait pas le bac si on ne trouvait pas le moyen d’apaiser les craintes […]. Il faut attendre que les esprits s’apaisent ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/108696/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claude Lelièvre ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les mobilisations lycéennes ont été nombreuses et variées depuis au moins un siècle et demi. Retour sur trois d’entre elles, de 1882 à 2005, pour remettre en perspective le mouvement de 2018.Claude Lelièvre, Enseignant-chercheur en histoire de l'éducation, professeur honoraire à Paris-Descartes, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1079012018-11-29T15:22:04Z2018-11-29T15:22:04Z« Gilets jaunes » et journalistes : aux sources du rejet<p>Des journalistes insultés, menacés, cibles de jets de pierre, sur les Champs Élysées, à Toulouse, dans la Drôme, etc. Tweets où fleurissent les « merdiasses » et autres « journalopes ». Vidéos de « gilets jaunes » où s’affichent la conviction que les médias sont aux ordres du gouvernement. Il serait possible de prolonger cette litanie des manifestations du violent divorce entre les acteurs du mouvement des « gilets jaunes » et les journalistes qui en rendent compte.</p>
<p>D’aucuns y voient un phénomène d’une ampleur inédite. Peut-on souscrire à ce constat et quelle analyse peut-on faire d’une situation qui semble s’installer alors même que mouvement social dans toute sa complexité est loin de s’éteindre ?</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/9_m9BWYNYtE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>S’agissant d’un <a href="https://theconversation.com/les-gilets-jaunes-quand-la-france-se-cabre-107581">mouvement social composite</a> et à l’écoute des témoignages, interviews, reportages, l’hypothèse qui paraît s’imposer est celle d’une coagulation d’expériences sociales et politiques qui courent sur plusieurs décennies, et au cours desquelles s’exprime avec force une contestation du travail des médias, jusqu’à prendre des formes de rejets physiques, de coups, de bris de matériels.</p>
<h2>Divorce entre médias et revendication sociale</h2>
<p>La première de ces expériences est celle de mouvements revendicatifs et de mobilisations sociales dans lesquelles s’exprime avec virulence la contestation des analyses qui dominaient dans la plupart des grands médias.</p>
<p>1995 est un moment particulièrement fort de ce clivage entre les commentaires bienveillants des éditorialistes à l’égard de la « réforme Juppé », alors que le pays va se trouver paralysé plusieurs semaines. Des intellectuels, <a href="https://www.acrimed.org/Pierre-Bourdieu-et-le-champ-mediatique-reperes-bibliographiques">à commencer par Pierre Bourdieu</a>, viennent apporter une caution et surtout un cadre interprétatif à ce divorce entre média et revendication sociale.</p>
<p>Dans les années qui suivront, des crispations comparables se retrouveront. Les journalistes couvrant les mobilisations étudiantes ou syndicales de la décennie 2000 font alors le constat qu’ils n’ont plus accès aux AG et doivent suivre les cortèges des manifestations, à l’abri des forces de l’ordre, au moins pour les télévisions.</p>
<p>C’est ainsi qu’en 2008 les <a href="http://entretiens-info.observatoiredesmedias.com/">« Entretiens de l’information »</a> proposaient une rencontre entre acteurs des mouvements et journalistes intitulée : « Quand les journalistes ne sont plus les bienvenus. » Et les échanges furent alors plutôt rugueux.</p>
<h2>Le sentiment d’être stigmatisé et caricaturé</h2>
<p>La seconde expérience est celle de crises sociales, violentes, à commencer par celles qui vont se développer dans les banlieues en 2005 et 2006.</p>
<p>Hors de tout encadrement ou représentation politique ou syndicale, ce sont les acteurs de terrain ou les populations dont ils sont issus qui vont dénoncer là, avec virulence, le sentiment d’être stigmatisés, caricaturés dans le traitement qui est fait des événements. Sans compter que les journalistes se voient reprocher de ne s’intéresser à ces territoires que <a href="https://theconversation.com/pour-en-finir-avec-la-banlieue-une-fois-lan-50155">lorsque la violence les embrase</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/fogjf7PnHuY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>L’extériorité sociale des journalistes est dénoncée, assimilés aux milieux privilégiés, complices des pouvoirs (« Les Entretiens de l’information 2005-2006, École supérieure de journalisme de Lille »).</p>
<p>L’un des paradoxes n’est-il pas alors que le seul média à s’être immergé est alors suisse, <em>L’Hebdo</em>, qui fonde alors le <a href="https://www.bondyblog.fr/">Bondyblog</a>. Média de terrain, qui reste un symbole de cette réconciliation difficile entre cette France de la diversité et les médias qualifiés désormais de « mainstream ».</p>
<h2>Haro sur la pensée unique</h2>
<p>La troisième expérience est politique et située à gauche. Son moment de cristallisation aura été celui du référendum sur la Constitution européenne de 2005. Celle-ci répète, dans des termes assez comparables, la rupture avec les <a href="https://www.nouvelobs.com/medias/20061205.OBS1535/l-editorial-de-serge-july.html">éditorialistes qui soutiennent la Constitution</a>. La contestation de cette analyse par plusieurs courants et personnalités de la gauche, débouche finalement sur le cinglant démenti de l’opinion qui optera pour le non.</p>
<p>Désormais des médias (à l’image du <em>Monde Diplomatique</em>), groupements (à l’image d’Acrimed et un temps de L’Observatoire français des Médias) sont autant de lieux de réflexion et de discussion, où sont dénoncés « pensée unique », « connivence » (notamment des journalistes politiques) avec les élites, sans parler de la concentration des médias (90 %) entre quelques mains.</p>
<h2>Internet et les « réalités alternatives »</h2>
<p>La quatrième expérience est également politique, plus ancienne, située à l’extrême opposé de l’échiquier politique, avec le Front national d’abord de Jean‑Marie Le Pen, voire des courants plus radicalisés.</p>
<p>Ici la critique, voire l’affrontement avec les journalistes sont installés depuis des générations, participant d’un phénomène qui se retrouve dans de nombreux pays d’Europe ou d’Amérique du Nord. Ces courants investiront très tôt l’Internet, contournant le paysage traditionnel des médias pour s’adresser directement aux pratiquants de ces nouveaux supports, surtout après l’arrivée des mouvements sociaux.</p>
<p>C’est dans cette mouvance que vont prendre corps des approches complotistes, en même temps que se fait jour un vocabulaire violent, insultant à l’égard des journalistes. La maîtrise de l’Internet se couple parfois avec <a href="http://www.leparisien.fr/economie/gilets-jaunes-intox-et-fausses-images-sur-les-reseaux-sociaux-18-11-2018-7945989.php">« une réalité alternative »</a> qui ne recule pas devant des manipulations de documents, d’images, de vidéos, sorties de leurs contextes, ou de la réalité des événements qu’elles prétendent relater.</p>
<h2>Quand les politiques s’y mettent</h2>
<p>Sans qu’il soit possible d’être ici exhaustif, une dernière expérience politique serait celle qui voit des personnalités politiques de premier plan, des responsables de partis, des candidats à des élections présidentielles adopter à leur tour une expression extrêmement virulente à l’égard de journalistes.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/hWc8X_j_BIE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Que l’on se souvienne de déclarations de François Fillon mis en cause pour des emplois fictifs de ses proches. Le candidat Macron aime faire la leçon aux journalistes. Un pic est sans doute atteint lorsque Jean‑Luc Mélenchon en appelle à <a href="https://www.huffingtonpost.fr/2018/10/20/melenchon-appelle-ses-partisans-a-pourrir-les-journalistes-de-franceinfo-qui-salarment_a_23566734/">« pourrir la vie »</a> aux journalistes des médias qui viennent de publier une enquête à propos de ses comptes de campagne.</p>
<p>Les politiques ont levé un tabou. Ils savent qu’ils surfent sur un fond de défiance à l’égard des médias, qui est plus large encore que ces différentes expériences évoquées plus haut.</p>
<h2>Le surplomb traditionnel n’est plus de mise</h2>
<p>Depuis 1987, le <a href="https://fr.kantar.com/m%C3%A9dias/digital/2018/barometre-2018-de-la-confiance-des-francais-dans-les-media/">« Baromètre de la confiance des Français dans leurs médias »</a> créé par la revue <em>MédiasPouvoirs</em> et la Sofres, publié chaque année, par <em>La Croix</em>, rappelle sensiblement les mêmes réalités : une personne sur deux ne croit pas que les choses se sont passées comme le disent les médias ; deux personnes sur trois ne pensent que les journalistes peuvent faire face aux pressions de l’argent ou des politiques ; la hiérarchie des sujets traités dans l’année fait l’objet de contestation.</p>
<p>Il faut dire que les publics, la société, auxquels les journalistes s’adressent ne sont plus les mêmes. La compétence et les sachants se sont largement diffusés et l’expertise des journalistes est régulièrement prise en défaut. Le surplomb traditionnel n’est plus de mise, de la part d’experts de nombreux domaines qui disposent de moyens d’expression, de discussion – des blogs aux réseaux sociaux.</p>
<p>Cette expertise peut être scientifique, intellectuelle, technique, mais également nourrie par l’expérience, s’emparant des mêmes outils <a href="https://theconversation.com/gilets-jaunes-le-bleu-macron-rentre-dans-la-zone-rouge-107153">à l’image de la maîtrise des outils numériques par les « gilets jaunes »</a>.</p>
<h2>Mais pourquoi une telle exaspération ?</h2>
<p>Lorsque les <a href="https://theconversation.com/la-fin-du-syndicalisme-vivant-106759">syndicats</a>, les partis politiques, les religions, les familles élargies, les organisations territoriales (communautés de voisinages), voire les entreprises et collectifs professionnels intègrent et accompagnent de moins en moins les individus dans leur quotidien, les médias deviennent toujours plus des ressources.</p>
<p>Qu’il s’agisse de santé, d’éducation des enfants, d’orientations ou choix professionnels, etc., les médias sont devenus toujours plus des ressources, voire les seules ressources à la disposition de chacun. Les sujets sont de plus en plus complexes et les rubricages, les magazines, les sites d’information ont accompagné cet élargissement du champ de l’information.</p>
<p>Aussi les questions de fiabilité, de traitement des personnes ordinaires, de hiérarchie de l’information deviennent cruciales. Dans <a href="https://journals.openedition.org/questionsdecommunication/901"><em>Les journalistes et leur public – le grand malentendu</em></a>, était soulignée cette émotion, cette sensibilité exacerbée à l’égard des erreurs, des contre-sens, du manque de rigueur. « Lorsque les médias se trompent, ils nous trompent et nous mettent en danger », pourrait-on dire.</p>
<p>Cette exaspération, cette colère est omniprésente aujourd’hui dans nombre d’expression de « gilets jaunes ». D’autant plus, qu’il s’agit d’un mouvement, d’une mobilisation sans cadre d’organisation, de référence et là encore les médias se trouvent placés dans une position paradoxale, à commencer par les chaînes d’information en continu. Ils sont l’espace nécessaire de représentation, de démonstration de la force et de la dynamique du mouvement et ils sont l’objet de l’exaspération de ne pas voir le mouvement traduit dans les termes mêmes des acteurs.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/H5qHXmnfVFQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<h2>Imaginer des ponts entre journalistes et acteurs sociaux</h2>
<p>Le problème se pose sans doute au plus mauvais moment pour les rédactions, celui de la tension maximum entre les contraintes liées aux fragilités des modèles économiques (avec des baisses d’effectifs), alors qu’il faut travailler sur toujours plus de supports, une amplitude horaire maximum, et cette montée des attentes, cette complexification du décryptage de la réalité du corps social.</p>
<p>Plus que jamais se pose la question d’imaginer des ponts entre journalistes et acteurs sociaux, d’expliquer le travail et les contraintes de ceux qui rendent compte des événements, de multiplier les « making of », d’éduquer aux médias, d’investir ces problématiques dans la durée, sans laisser retomber l’effort comme ce fut si souvent le cas au lendemain des mouvements et crises sociales par le passé.</p>
<hr>
<p><em>L’auteur a récemment publié <a href="https://www.uppreditions.fr/livre/978-2371682467_redactions-en-invention/">« Rédactions en invention »</a> éditions Uppr.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/107901/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Marie Charon préside les Entretiens de l'information, et est l'ancien rédacteur en chef de Mediaspouvoirs. </span></em></p>Les médias sont dans une position paradoxale : espace nécessaire de représentation, de démonstration de la force, ils suscitent l’exaspération des acteurs de la contestation.Jean-Marie Charon, Researcher, sociologist, École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/973362018-06-14T19:43:48Z2018-06-14T19:43:48ZLa simplification du bac aura-t-elle lieu ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/222767/original/file-20180612-112599-1stiipe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C8%2C875%2C630&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">A partir de 2021, les candidats au bac devraient valider une partie de l'examen au fil de l'année de terminale, en "contrôle continu". </span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock.com/lightpoet</span></span></figcaption></figure><p>Le bac, une machine trop lourde à gérer ? C’est en tout cas l’un des constats qui portent la <a href="http://www.education.gouv.fr/cid126438/baccalaureat-2021-tremplin-pour-reussite.html">réforme des épreuves annoncée pour 2021</a>. Si l’examen a atteint une ampleur inédite aujourd’hui – avec ses « 2 900 sujets à préparer » et ses « 4 millions de copies à corriger » à chaque session, comme le pointe le ministère de l’Éducation nationale dans son dossier de présentation de la réforme – ce n’est pas la première fois au cours de <a href="http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2008/bb2008_Lelievre.aspx">ses deux siècles et quelques années d’existence</a> que le baccalauréat se voit reprocher sa complexité.</p>
<p>Des années 1920 à la fin de la IV<sup>e</sup> République, le <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/les-nouvelles-de-leco/les-nouvelles-de-leco-du-mercredi-30-mai-2018">baccalauréat</a> reposait en effet sur une série d’épreuves écrites et orales, organisées en première puis en terminale, et se déclinait en deux sessions : l’une en juin, l’autre en septembre (durant laquelle les élèves qui avaient échoué devaient tout repasser). <a href="https://www.senat.fr/rap/r07-370/r07-3709.html#toc58">Une architecture très lourde que la période « gaullienne » va s’employer à alléger</a>, depuis la suppression en 1959 de l’oral, sauf pour les langues vivantes, jusqu’à la fin du bac en deux temps en 1969 – ne subsiste plus alors en première qu’une épreuve de français « par anticipation ».</p>
<p>La question du rattrapage est, elle, sujette à plus d’hésitations. Remplacée en 1960 par un oral prévu sur le champ pour les élèves qui ont au moins 7/20 de moyenne générale, la session de septembre est rétablie en 1965 et à nouveau supprimée au profit d’un oral pour les élèves qui ont obtenu entre 8 et 12. On finit par trancher pour une seule session de rattrapage… Une configuration qui a prévalu jusqu’à aujourd’hui !</p>
<h2>Un contrôle continu longtemps invoqué</h2>
<p>Si l’oral – modalité d’évaluation mise en avant par la prochaine version du bac, avec l’<a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/02/23/le-grand-oral-du-bac-et-la-justice-sociale_5261264_3232.html">instauration d’un « grand oral »</a> – a toujours gardé une place dans l’architecture de l’examen, le <a href="https://www.la-croix.com/Famille/Education/Bac-question-controle-continu-sest-toujours-posee-2018-02-14-1200913660">contrôle continu</a> n’avait jamais réussi à s’y inviter jusqu’ici. À l’exception peut-être du remplacement fugitif en 1962 et 1963 des épreuves de première par « un examen probatoire », interne à chaque lycée. La Société des agrégés avait fait alors courir la rumeur que les examinateurs « maison » avaient eu tendance à faire preuve d’une bienveillance coupable pour leurs élèves (ce qui est d’ailleurs infirmé si l’on prend connaissance des statistiques des taux de reçus, qui diminuent en fait un petit peu).</p>
<p>Pourtant, nombre de projets allant dans le sens d’une évaluation en cours de formation ont été portés par le passé, sans jamais aboutir. On peut en citer quelques-uns pour mémoire, comme l’amendement déposé par Michel Debré au sein du Conseil de la République en 1950 :</p>
<blockquote>
<p>« Afin de consacrer la fin des études du second degré, un certificat (dit de fin d’études secondaires) serait instauré, avec une première et une deuxième parties, selon les principes en usage pour le baccalauréat actuel. Il serait délivré dans chaque établissement public d’enseignement du second degré, par un jury particulier à l’établissement, mais présidé par un représentant du recteur. Ce certificat serait accordé ou refusé au vu des notes obtenues en cours d’année, sous réserve de certaines épreuves, pour les élèves dont les notes seraient insuffisantes. »</p>
</blockquote>
<p>Huit ans après la <a href="http://www.liberation.fr/france/2018/02/17/de-chevenement-a-blanquer-trente-ans-de-reforme-du-bac-a-la-une-de-libe_1629986">tentative de Lionel Jospin</a> dans la « loi d’orientation » de 1989, c’est au tour du ministre <a href="https://www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2011-2-page-123.htm">Claude Allègre</a> d’annoncer une réforme du baccalauréat prévoyant l’introduction du contrôle continu dans un certain nombre de disciplines, parallèlement au maintien d’épreuves terminales. Mais ce projet est finalement victime du retrait des réformes exigé par ses adversaires, qui obtiennent sa démission en 2000.</p>
<p>En 2005, lorsque le ministre de l’Éducation nationale François Fillon propose de ramener d’une douzaine à six les épreuves terminales du diplôme, les autres matières étant validées au fil de l’année scolaire, il est en butte à de vives mises en cause de la part du SNES. Le principal syndicat des professeurs y voit un risque de rupture de l’égalité « avec des baccalauréats dont la valeur dépendrait des lycées fréquentés ». Suite aux manifestations puis aux grèves de lycéens qui prennent de l’ampleur, <a href="https://www.nouvelobs.com/societe/social/20050214.OBS8761/fillon-retire-la-reforme-du-bac-de-son-projet-de-loi.html">François Fillon doit renoncer</a>.</p>
<h2>Une simplification « ultra-compliquée »</h2>
<p>Avec cette introduction du <a href="https://www.lexpress.fr/education/bac/pourquoi-le-controle-continu-fait-debat_1984123.html">contrôle continu</a>, la prochaine réforme du baccalauréat franchit donc un cap qui n’avait jamais été atteint jusque-là. Mais la simplification régulièrement invoquée ces dernières années est-elle au rendez-vous ? Si l’organisation du bac s’était nettement clarifiée durant les années 1950, c’est loin d’être ce qui se prépare avec le format prévu. <a href="https://www.letudiant.fr/lycee/presidentielle-emmanuel-macron-je-propose-un-bac-a-quatre-matieres-en-controle-terminal-les-autres-en-controle-continu.html">Telle était pourtant la promesse du candidat à l’élection présidentielle Emmanuel Macron</a> : « Je souhaite simplifier le baccalauréat. Quatre matières seront passées en contrôle terminal, les autres seront validées en contrôle continu », assurait-il dans <em>L’Etudiant</em> le 30 mars 2017.</p>
<p>La notion de contrôle continu était alors bien entendue comme l’ensemble des évaluations ordinaires faites au fil des années de première et terminale, regroupées dans les bulletins et les dossiers scolaires des lycéens, le candidat ajoutant :</p>
<blockquote>
<p>« Nous faisons confiance au contrôle continu et au jugement des professeurs pour l’entrée dans les formations sélectives (écoles préparatoires aux grandes écoles, sections de techniciens supérieurs, IUT, écoles post-bacs). Pourquoi en seraient-ils incapables pour le baccalauréat ? »</p>
</blockquote>
<p>Mais <a href="http://www.liberation.fr/france/2018/02/14/nouveau-bac-ca-passe-mais-gaffe-a-la-casse_1629793">ce qui a été annoncé par le ministre de l’Éducation nationale Jean‑Michel Blanquer</a> est très différent. Le bac se composerait de cinq épreuves finales, comptant pour 60 % des points : le français en fin de classe de première, puis, en terminale, deux épreuves de spécialité au printemps, suivies d’un « grand oral » et de la philosophie en juin. S’y ajouteraient 10 % basés sur les notes « ordinaires », celles consignées justement dans les dossiers de candidatures aux formations post-bacs, soit du « vrai » contrôle continu. Les 30 % de points restants constituent une sorte de « faux » contrôle continu, puisqu’ils reposeraient sur des « partiels » organisés en janvier et en avril en classe de première, puis en décembre en terminale.</p>
<p>La « simplification » demandée et proclamée par le chef de l’État Emmanuel Macron se solde par un étalement et une prolifération des moments possibles de « bachotage », une soi-disant simplification ultra-compliquée ! Sans compter, après une valse-hésitation, le maintien de « l’oral de rattrapage ».</p>
<p>Le prix de l’humour noir peut être accordé à la réaction du principal syndicat de chefs d’établissement, le SNDPEN, qui « accueille favorablement la nouvelle organisation du baccalauréat […], mais sera très attentif pour que la mise en œuvre des “partiels” ne désorganise pas chroniquement les lycées. »</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/97336/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claude Lelièvre ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Alors que les candidats au bac 2018 entament ce lundi 18 juin le marathon des épreuves écrites, retour sur un leitmotiv des projets de réformes du bac depuis cinquante ans.Claude Lelièvre, Enseignant-chercheur en histoire de l'éducation, professeur honoraire à Paris-Descartes, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/935932018-03-21T00:30:49Z2018-03-21T00:30:49ZRéforme constitutionnelle : le macronisme, horizontal en campagne et vertical au pouvoir<p>La réforme constitutionnelle proposée par le gouvernement a pour objet de rationaliser, une fois de plus, le fonctionnement de la V<sup>e</sup> République en se focalisant uniquement sur le Parlement. C’est donc bien la démocratie représentative dans sa fonction législative et délibérative qui est jugée malade.</p>
<p>On en connaît les principaux ressorts : réduction du nombre de parlementaires, interdiction de cumuler plus de trois mandats dans le temps, simplification de la procédure législative pouvant aller jusqu’à restreindre le droit d’amendement en fonction de la taille des groupes politique, introduction d’une <a href="https://theconversation.com/la-proportionnelle-derniere-etape-de-la-strategie-demmanuel-macron-79286">dose – pour l’instant indéterminée – de proportionnelle</a> afin d’équilibrer la représentation des diverses sensibilités politiques, notamment celle du FN, dont la candidate (Marine Le Pen) a obtenu plus de 10 millions de voix au second tour de l’élection présidentielle et qui se retrouve avec 7 députés seulement.</p>
<p>Au-delà du flou des propositions dont le contour exact n’est toujours pas déterminé et fait l’objet de négociations musclées avec le président du Sénat, cette réforme s’inscrit dans un renforcement sans précédent de la fonction présidentielle. Le seul contrepoids à cette évolution est de supposer que la réduction du nombre de parlementaires et l’augmentation de leurs moyens techniques devraient permettre un meilleur contrôle des politiques publiques – ce qui reste à prouver. Comme il reste à prouver que le contrôle <em>a posteriori</em> peut remplacer la fonction délibérative <em>a priori</em>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/JogfLbPBEWI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>On assiste donc à un véritable retournement du macronisme. Ce dernier, dans une posture presque gaullienne, s’était construit en 2016 contre les oligarchies partisanes sur la base de réseaux militants pratiquant avec fierté la participation high-tech. Il s’agissait d’inventer une nouvelle façon de faire de la politique, une méthode réticulaire regroupant tous les « Marcheurs » de bonne volonté suffisamment diplômés pour utiliser les réseaux sociaux et s’engageant dans des délibérations permettant de faire remonter les demandes du terrain.</p>
<p>Deux ans plus tard, ce même macronisme produit une série de réformes peu ou pas négociées avec les partenaires sociaux, <a href="https://theconversation.com/reforme-la-sncf-des-tensions-grandissantes-entre-puissance-publique-et-democratie-sociale-92817">notamment celle de la SNCF</a>, et une réforme constitutionnelle devant réduire la part de parlementarisme au sein de la V<sup>e</sup> République.</p>
<p>Pour comprendre ce qui se joue dans la vie politique française, on peut faire l’hypothèse qu’un nouveau clivage est né, opposant les tenants du pouvoir vertical aux partisans du pouvoir horizontal.</p>
<h2>Les deux représentations du pouvoir</h2>
<p>L’aspiration à la délibération et à la participation citoyenne a sans doute été l’un des marqueurs de l’élection présidentielle de 2017. Elle s’est exprimée, bien que de manière malheureuse et caricaturale, dans l’organisation des primaires à gauche comme à droite, mais aussi dans les programmes de la plupart des candidats, à la notable exception de celui de François Fillon.</p>
<p>Il est indéniable qu’une transformation du paysage politique français s’est opérée depuis quelques années, sous l’influence notamment d’expériences participatives locales ou de tentatives de relancer la démocratie directe en créant de nouveaux lieux de rencontres où la parole politique puisse se construire et se libérer, comme l’a illustré l’aventure de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/nuit-debout-26696">Nuit debout</a>.</p>
<p>La <a href="http://www.cevipof.com/fr/le-barometre-de-la-confiance-politique-du-cevipof/">vague 9 du Baromètre de la confiance politique du Cevipof</a>, dont le terrain a été réalisé en décembre 2017, nous apprend que la confiance dans les institutions politiques, loin de s’améliorer avec l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, s’est au contraire tassée de manière spectaculaire : la confiance dans la plupart des catégories d’élus, y compris les élus locaux, a perdu environ une dizaine de points par rapport aux résultats engrangés une année avant, alors que François Hollande faisait l’objet de toutes les réprobations.</p>
<iframe src="https://e.infogram.com/4e57f59e-63d9-462d-a719-6845b74608b9?src=embed" title="Niveau de confiance" width="100%" height="690" scrolling="no" frameborder="0" style="border:none;" allowfullscreen="allowfullscreen"></iframe>
<p>Comme le macronisme s’est (aussi) présenté en tant que mouvement réformateur ne voulant plus s’embarrasser de tergiversations ou de débats, on s’est interrogé sur ce qui faisait aux yeux des enquêtés un « bon » responsable politique au début de l’année 2018. S’agit-il de quelqu’un qui sait s’entourer d’experts compétents, prendre ses décisions sans tenir compte des critiques (indicateurs de pouvoir vertical) ou bien de quelqu’un qui prend l’avis du plus grand nombre avant de décider et qui sait passer des compromis pour éviter les conflits (indicateurs de pouvoir horizontal) ?</p>
<h2>Le macronisme : libéralisme culturel, tolérance sociétale et pratique verticale du pouvoir</h2>
<p>Ces caractéristiques ont été présentées sous la forme de deux questions permettant aux enquêtés de dire ce qu’ils plaçaient en première et seconde position. Le regroupement des réponses, en tenant compte de la priorité donnée à chaque item, montre que les enquêtés se répartissent en <a href="http://www.cevipof.com/rtefiles/File/noterech-08/Confiance2018_ROUBAN.pdf">deux groupes égaux</a> puisque 50 % choisissent le pouvoir vertical, 47 % le pouvoir horizontal et 3 % ne savent pas.</p>
<iframe src="https://e.infogram.com/2a4aa764-18c3-4496-b539-79bac4ceacb1?src=embed" title="Modèle de pouvoir d'un homme politique que préfèrent les enquêtés" width="100%" height="532" scrolling="no" frameborder="0" style="border:none;" allowfullscreen="allowfullscreen"></iframe>
<p>L’analyse montre, tout d’abord, que les partisans du pouvoir vertical se rencontrent surtout chez les électeurs d’Emmanuel Macron (64 %) et de François Fillon (68 %) au premier tour de l’élection présidentielle. En revanche, ceux de Benoît Hamon sont bien plus partagés (54 %), alors que ceux de Jean‑Luc Mélenchon le rejettent (38 %), comme ceux de Marine Le Pen (34 %). Dans l’esprit de ses électeurs, et non pas de ses militants, le macronisme n’est donc pas assimilé à un pouvoir participatif horizontal mais bien à une volonté d’appliquer de manière assez unilatérale le programme de réformes.</p>
<p>Le second résultat contre-intuitif de l’enquête est de montrer que si les catégories supérieures et diplômées se caractérisent par un haut niveau de libéralisme culturel et de tolérance sociétale, elles se distinguent également par leur défense du pouvoir vertical. Comme quoi le libéralisme culturel ne préjuge pas du type de pouvoir ou de démocratie que les enquêtés défendent.</p>
<p>C’est ainsi que 38 % de ceux ayant un niveau CAP-BEP défendent la vision verticale contre 47 % de ceux ayant le niveau du bac et 58 % ayant au moins une licence. Le niveau de libéralisme culturel (tel qu’on peut le mesurer sur la base de questions portant sur le rétablissement de la peine de mort, le nombre jugé excessif ou non d’immigrés et la suppression de la loi autorisant le mariage homosexuel) et la représentation du « bon élu » sont donc relativement déconnectés.</p>
<p>On est ici au cœur de l’ambivalence du managérialisme qui renforce le pouvoir hiérarchique en le couvrant d’un masque de libre communication et de culture soixante-huitarde. Cela montre aussi que les électeurs (et non pas les militants) des mouvements « populistes » qui sont, en l’espèce, défenseurs du pouvoir horizontal, ne sont pas nécessairement à la recherche d’un modèle autoritaire, et ne sont pas nécessairement caractérisés par une « personnalité autoritaire ». L’autoritarisme a peut-être pris d’autres chemins aujourd’hui.</p>
<h2>Pouvoir vertical et libéralisme économique sont associés</h2>
<p>En revanche, la défense du pouvoir vertical s’intensifie avec le degré de libéralisme économique. On a créé un indice sur la base de trois questions (il faut réduire le nombre de fonctionnaires, faire confiance aux entreprises pour sortir de la crise économique, ne pas prendre aux riches pour donner aux pauvres afin d’assurer la justice sociale) et allant donc de 0 à 3 en fonction du nombre de réponses positives. On voit alors que les enquêtés au niveau 0 du libéralisme économique choisissent le pouvoir vertical à concurrence de 32 % contre 42 % de ceux qui se situent au niveau 1 puis 54 % de ceux qui sont au niveau 2 et 67 % de ceux de niveau 3. La proportion de ceux qui préfèrent le pouvoir horizontal varie de manière inverse.</p>
<p>On peut mesurer ici le fait que la dimension « managériale » du macronisme ne signifie nullement une perspective de pouvoir horizontal ou participatif, comme pourraient le laisser croire les métaphores entrepreneuriales utilisées lors de la campagne. De fait, 22 % des électeurs d’Emmanuel Macron se situent au niveau 3 de l’indice de libéralisme économique contre il est vrai 62 % de ceux de François Fillon mais 15 % de ceux de Marine Le Pen, 4 % de ceux de Jean‑Luc Mélenchon et 3 % de ceux de Benoît Hamon.</p>
<p>Cette association entre les représentations de la démocratie et le niveau de libéralisme économique renvoie à l’appartenance sociale des enquêtés. Les deux représentations de la démocratie se retrouvent dans la distribution en grandes classes sociales, construites sur la base des occupations professionnelles selon la grille de lecture retenue pour les travaux précédents.</p>
<h2>Le sens de la révision constitutionnelle</h2>
<p>Le clivage entre pouvoir vertical et pouvoir horizontal détermine le niveau de la confiance placée dans les institutions. Les enquêtés préférant le pouvoir horizontal ont moins confiance dans les institutions politiques, nationales ou locales, que ceux qui préfèrent le pouvoir vertical.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/211023/original/file-20180319-31617-x71697.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/211023/original/file-20180319-31617-x71697.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/211023/original/file-20180319-31617-x71697.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/211023/original/file-20180319-31617-x71697.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/211023/original/file-20180319-31617-x71697.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/211023/original/file-20180319-31617-x71697.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/211023/original/file-20180319-31617-x71697.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Tous derrière et lui devant : le Président Macron, lors des cérémonies du 14 juillet 2017.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>De la même façon, la critique des élus est plus forte chez les partisans du pouvoir horizontal : 74 % d’entre eux contre 52 % des tenants du pouvoir vertical estiment que la plupart des responsables politiques ne se soucient que des riches et des puissants et 63 % des premiers contre 37 % des seconds pensent que c’est le peuple et non les responsables politiques qui devrait prendre les décisions les plus importantes.</p>
<p>La révision constitutionnelle actuelle s’appuie donc sur la dénonciation assez générale des élus (ils sont trop nombreux, plutôt corrompus et ne travaillent pas beaucoup) développée chez les partisans du pouvoir horizontal pour renforcer le pouvoir vertical associé au macronisme.</p>
<p>Au-delà de son élitisme, confirmé par le profil des nouveaux députés de la République en Marche, le macronisme se présente comme un moment politique où se joue une confrontation non seulement entre deux visions de la démocratie mais aussi entre deux anthropologies du pouvoir. La réforme constitutionnelle en cours doit venir séparer encore un peu plus le personnel politique national et le personnel politique local.</p>
<h2>Une attente de proximité</h2>
<p>L’agrandissement mécanique des circonscriptions lié à la réduction du nombre d’élus va rendre plus difficile le contact avec les électeurs. Or c’est bien la proximité physique et sociale des électeurs et des élus qui reste au sein de la relation de confiance politique, qui est elle-même <a href="http://www.ladocumentationfrancaise.fr/ouvrages/9782111455146-la-democratie-representative-est-elle-en-crise">au cœur de la démocratie représentative</a>. Et c’est bien cette attente de proximité qui nourrit la vision d’un pouvoir horizontal participatif.</p>
<p>La révision constitutionnelle, telle qu’elle est actuellement proposée, entend dissocier le national du local et rendre le national encore plus lointain et abstrait en laissant le local se confronter aux difficultés quotidiennes. Comment peut-on penser que cette réforme puisse améliorer la confiance politique dans les institutions ?</p>
<p>De plus, l’<a href="https://theconversation.com/la-proportionnelle-derniere-etape-de-la-strategie-demmanuel-macron-79286">instauration d’une dose de proportionnelle</a> va contribuer à relancer les manœuvres au sein des partis politiques, comme on le voit déjà lors des élections régionales. La plupart des réformes nées d’une ingénierie institutionnelle hasardeuse comme le quinquennat ou les primaires n’ont fait qu’aggraver les problèmes.</p>
<p>La révision constitutionnelle actuelle, tout comme les conflits sociaux qui secouent le secteur public, partagent des structures communes dans le sens où l’on voit s’affronter dans chaque cas une revendication de terrain – soucieuse de la réalité vécue par les élus et les agents – à une norme juridique ou financière devant décliner un modèle de pouvoir désincarné et impalpable.</p>
<p>À travers l’opposition entre pouvoir vertical et pouvoir horizontal se joue donc une opposition entre deux modes d’interaction politique, l’un virtuel et numérique, l’autre physique et humain.</p>
<hr>
<p><em>Les datavisualisations de cet article ont été réalisées par Diane Frances</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/93593/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Luc Rouban ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>On assiste à un véritable retournement du macronisme : construit en 2016 contre les oligarchies partisanes sur la base de réseaux militants, il produit une série de réformes peu ou pas négociées.Luc Rouban, Directeur de recherche CNRS, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/866532017-11-05T22:06:46Z2017-11-05T22:06:46ZGauche et droite : le grand déménagement<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/193281/original/file-20171104-1032-a1qzoe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=16%2C49%2C392%2C294&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Affiches de campagne lors des législatives de juin 2017.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Affiches_de_campagne_l%C3%A9gislatives_fran%C3%A7aises_de_2017_14e_circo_Paris.jpg">Celette/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p><em>Cet article est publié dans le cadre du forum <a href="http://acteursdeleconomie.latribune.fr/evenements/2017-09-19/forum-une-epoque-formidable-edition-2017-750428.html">« Une époque formidable »</a> qui se tient à Lyon le 14 novembre 2017 et dont The Conversation France est partenaire. L’auteur interviendra lors de ce forum.</em></p>
<hr>
<p>Certes, en ce début de XXI<sup>e</sup> siècle, le continent des cultures politiques des Français n’a pas changé de fond en comble. On y retrouve de <a href="https://theconversation.com/valeurs-de-droite-et-valeurs-de-gauche-de-la-revolution-francaise-aux-elections-de-2017-75655">grandes constantes</a> qui ont caractérisé l’opposition entre droite et gauche tout au long du XX<sup>e</sup> siècle : un tempérament de gauche – articulé autour d’un triple impératif d’égalité, d’universalité et de rectification – s’oppose à un tempérament de droite, davantage attiré par le libéralisme économique, l’ethnocentrisme et l’ordre.</p>
<p>La culture catholique et la culture de droite sont toujours en <a href="https://theconversation.com/un-catholicisme-otage-de-la-campagne-presidentielle-77222">assez profonde osmose</a> ; la culture du secteur public et la culture de gauche gardent d’évidentes affinités électives. Les clivages de classe n’ont pas disparu, même s’ils se sont beaucoup déplacés vers une opposition public-privé structurant plus ou moins deux visions du monde et vers un antagonisme entre ceux qui se retrouvent dans une « société ouverte » et ceux qui appellent de leurs vœux une « société du recentrement national ».</p>
<p>L’impact simultané du système électoral, des coalitions partisanes et des acteurs politiques, ainsi que l’offre électorale réduite au second tour des élections, ont figé pendant longtemps les demandes des électeurs et l’évolution du vote. Au cours des trois dernières décennies, les élections – sauf la parenthèse de 2002 – ont témoigné de la robustesse de la bipolarité biséculaire entre la gauche et la droite. Et pourtant, dès le milieu des années 1980, une majorité de Français avait commencé à contester la pertinence du clivage entre la gauche et la droite pour rendre compte des grands enjeux de la vie politique d’aujourd’hui.</p>
<h2>Un clivage gauche-droite de plus en plus contesté</h2>
<p>Cette contestation n’a cessé de grandir et, quand on interroge les Français en 2017, cet antagonisme entre gauche et droite semble avoir perdu une grande part de sa pertinence : en janvier 2017, 75 % des personnes interrogées dans le baromètre de confiance du Cevipof considèrent qu’« aujourd’hui les notions de gauche et de droite ne veulent plus dire grand-chose » ; <a href="http://www.cevipof.com/fr/le-barometre-de-la-confiance-politique-du-cevipof/resultats-1/vague8/">25 % seulement pensent le contraire</a>.</p>
<p>En 2011, ils étaient 63 % à penser que ces notions n’étaient plus valides. Le rejet ne cesse de grandir et touche toutes les générations, toutes les catégories sociales et toutes les familles politiques. 86 % des sympathisants d’En Marche, 80 % de ceux du Front national, 66 % de ceux des Républicains, 64 % de ceux du Parti socialiste et 54 % de ceux du Front de gauche partageaient, en janvier 2017, ce diagnostic.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/193282/original/file-20171104-1055-19gq3u4.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/193282/original/file-20171104-1055-19gq3u4.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/193282/original/file-20171104-1055-19gq3u4.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/193282/original/file-20171104-1055-19gq3u4.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/193282/original/file-20171104-1055-19gq3u4.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/193282/original/file-20171104-1055-19gq3u4.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/193282/original/file-20171104-1055-19gq3u4.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Candidat de la droite, François Fillon (ici en 2015) a été exclu du second tour de la présidentielle de 2017.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:D%C3%A9dicace_F_Fillon_06297.JPG">G. Garitan/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’exclusion des deux candidats représentant les principaux partis de droite et de gauche (LR et PS) du second tour de la présidentielle de 2017 a été le débouché de ce malaise dans le clivage gauche-droite. Que s’est-il passé pour qu’aujourd’hui trois quarts des Français de tous horizons s’interrogent sur la pertinence du clivage gauche-droite ?</p>
<h2>Déplacement des substrats sociaux et idéologiques</h2>
<p>Deux mouvements principaux ont déplacé les lignes et recomposé les cultures politiques. Tout d’abord, un profond mouvement d’individuation affecte la société française et la pérennité de ses choix politiques. S’interrogeant, dès 1990, sur la « désertion civique », <a href="http://excerpts.numilog.com/books/9782070718856.pdf">Marcel Gauchet</a> constatait que nous basculions « vers un individualisme de déliaison et de désengagement, où l’exigence d’authenticité devient antagoniste de l’inscription dans un collectif. » Ce mouvement de déliaison est sensible à deux niveaux.</p>
<p>Au plan idéologique, le vieux clivage gauche-droite qui structure depuis deux siècles nos choix et nos orientations politiques, connaît une crise profonde. Même si une majorité de Français continuent à se positionner sur un axe gauche-droite (24 % à droite, 18 % à gauche, 13 % à l’extrême droite, 9 % à l’extrême gauche), 19 % déclarent une proximité avec le centre et 17 % refusent de choisir quelque position que ce soit (<a href="http://www.cevipof.com/fr/le-barometre-de-la-confiance-politique-du-cevipof/resultats-1/vague8/">baromètre de confiance politique du Cevipof, vague 8</a>). Pour ceux qui continuent à se situer sur un axe gauche-droite, ce comportement porte de moins en moins à conséquence et les appartenances ont beaucoup perdu en intensité et en cohérence.</p>
<p>Au plan social, une forte bipolarité sous-tendait dans les décennies d’après-guerre la vieille opposition gauche-droite. Aujourd’hui, la <a href="https://theconversation.com/egalite-des-chances-pour-qui-81052">« question sociale »</a>, qui clivait entre gauche et droite, s’est étiolée. La question fondamentale de ce que devrait être une « société juste » oppose autant, sinon plus, les composantes de la gauche entre elles et celles de la droite entre elles qu’elle ne dresse la gauche contre la droite.</p>
<p>Ce déplacement des substrats sociaux et idéologiques de la représentation politique ont provoqué un profond malaise démocratique.</p>
<h2>L’émergence d’un nouveau clivage</h2>
<p>Un véritable clivage culturel taraude les univers de gauche et de droite et oppose sur des enjeux différents – que ce soient l’Europe, la xénophobie ou encore l’appréciation de la mondialisation – les citoyens à haut niveau d’études plus européens, tolérants et ouverts à la globalisation, aux citoyens moins éduqués, <a href="https://theconversation.com/la-percee-du-front-national-dans-la-fonction-publique-52955">inquiets face à l’ouverture des sociétés</a> et souvent plus séduits par le rejet de « l’autre » et de l’Europe.</p>
<p>Tous ces enjeux suscitent des réactions diversifiées à la fois au sein des électorats de la gauche et de ceux de la droite. Droite « souverainiste » et droite européenne s’opposent avec vigueur, gauche du repli hexagonal et gauche de l’ouverture se confrontent. Dans l’enquête <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-sociologie-1-2006-4-page-725.htm">Sofres de mars 2002 sur « les références idéologiques des Français »</a>, on s’aperçoit que les électorats les plus hostiles à la mondialisation au plan économique sont les électorats d’extrême gauche (68 %), du RPF (64 %), du PC (61 %) et du FN (54 %).</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/193283/original/file-20171104-1046-1tkuum0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/193283/original/file-20171104-1046-1tkuum0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/193283/original/file-20171104-1046-1tkuum0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/193283/original/file-20171104-1046-1tkuum0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/193283/original/file-20171104-1046-1tkuum0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/193283/original/file-20171104-1046-1tkuum0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/193283/original/file-20171104-1046-1tkuum0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Marine Le Pen (ici en 2012), la tentation du repli sur soi.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/blandinelc/7421301940">Blandine Le Cain/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le vieil antagonisme entre gauche et droite a ainsi volé en éclats et laisse place à un nouveau clivage. Se met peu à peu en place un nouveau clivage politique, social et culturel entre les partisans d’une « société ouverte » et ceux d’une « société du recentrement national » dans une France post-industrielle marquée par la fragmentation sociale, la désaffiliation vis-à-vis des groupes d’appartenance traditionnels (classes, familles idéologiques, cultures locales), l’individualisation des risques, la mobilité et un mouvement de diversification ethnique et culturelle.</p>
<h2>Le vieux monde se meurt</h2>
<p>Aujourd’hui, le tableau politique français est un véritable palimpseste où se mêlent anciens et nouveaux clivages. Le trouble vient du fait que le nouveau clivage, qui oppose deux conceptions du vivre-ensemble et de la société, deux visions de l’avenir de la France, <a href="https://theconversation.com/macron-le-pen-deux-france-dans-le-monde-76628">deux types d’attitudes par rapport à l’autre et à l’extérieur</a>, a eu longtemps du mal à trouver un débouché dans un système politique où les règles du jeu et les échos des grands affrontements bipolaires gauche-droite d’antan étaient encore forts.</p>
<p>Tout a changé en 2016-2017 : les grands appareils de <a href="https://theconversation.com/la-gauche-se-meurt-dans-elseneur-61400">la gauche</a> et de la droite sont entrés en crise quasi-terminale ; la gauche s’est déchirée en familles irréconciliables ; la droite a implosé au travers de l’affaire Fillon ; Emmanuel Macron et son offre politique « et de gauche et de droite » ont récupéré les morceaux épars de cette fragmentation.</p>
<p>Un vieux monde se meurt, un nouveau hésite à naître.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/86653/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pascal Perrineau ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le tableau politique français est un véritable palimpseste où se mêlent anciens et nouveaux clivages.Pascal Perrineau, Professeur de sciences politiques, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/856562017-10-15T15:47:14Z2017-10-15T15:47:14ZEmmanuel Macron, la parenthèse (des)enchantée ?<blockquote>
<p>« On doit éviter les parenthèses trop longues de façon qu’elles ne rendent pas la phrase louche et qu’elles n’empêchent pas d’apercevoir la suite des corrélatifs. » (Littré, art. « Parenthèse »)</p>
</blockquote>
<p>Mais quel bordel Emmanuel Macron nous a foutu ! En défiant impunément toutes les prévisions, en piétinant obstinément le vieux clivage gauche-droite, en obtenant contre toute attente une chambre introuvable, en appliquant au prix d’accommodements minima le programme annoncé dès son élection, celui dont nous avions, <a href="https://theconversation.com/le-ministre-et-son-double-ou-letrange-marche-de-monsieur-macron-57953">ici même</a>, souligné il y a dix-huit mois l’étrangeté de la démarche, taille une brèche profonde dans le consensus politique dominant. Une brèche en forme de parenthèse aux effets ravageurs sur une scène politique totalement disloquée.</p>
<p>Dans une France majoritairement gagnée à la droite par lassitude de la gauche, les partis dominants des deux camps payent des décennies d’impéritie et d’imprévoyance. Les cigales ont trop longtemps chanté pour être prises au sérieux aujourd’hui : plus qu’une défaite électorale, présidentielle et législatives 2017 constituent un brutal désaveu démocratique pour des acteurs politiques dont la légitimité s’est effondrée, la crédibilité envolée au vent des voix perdues et des promesses non tenues.</p>
<p>2017 a marqué la rupture d’un cycle qu’on prétendait intangible, celui de l’alternance droite-gauche. Nous voici aux antipodes de 1995 et surtout de 1981. L’espoir ne change pas de camp, il déserte le front. D’une certaine manière, Macron a volé sa victoire à la droite et épargné une défaite à la gauche.</p>
<h2>La désagrégation des blocs</h2>
<p>Parce qu’elles ont toutes deux perdu la confiance des Français, une droite rétrécie au lessivage électoral, une <a href="https://theconversation.com/la-gauche-se-meurt-dans-elseneur-61400">gauche amollie</a> par cinq années de hollandisme et déchirée par ses contradictions internes, cherchent vainement à rassembler leurs petits dispersés dans les décombres de leurs familles éclatées.</p>
<p>Le signe implacable de leur déroute, c’est leur incapacité à formuler un discours d’opposition rassembleur. On oscille entre l’incantation et l’imprécation, dont les extrêmes – Insoumis et Frontistes – semblent s’être fait une spécialité parfaitement complémentaire. Le résultat est saisissant : voilà les uns qui admirent ce qu’ils dénonçaient il y a peu, d’autres qui vouent aux gémonies leur politique d’hier.</p>
<p>Dans un monde surréel, où les mots cessent de correspondre aux choses, émerge dans tout l’échiquier politique la revendication d’un nouveau droit : le droit à se contredire. Ne voit-on pas, par exemple, <a href="http://lelab.europe1.fr/estrosi-denonce-lhypocrisie-des-elus-de-droite-qui-defendent-desormais-les-emplois-aides-que-fillon-voulait-supprimer-3429209">François Baroin</a>, naguère promis à devenir premier ministre d’un Fillon victorieux, dénoncer la réduction des emplois aidés dont le programme de son leader prônait la suppression ? Des socialistes, anciens de l’équipe dirigeante, mêler leur voix à celle des Frondeurs et tirer à boulets rouges sur des ordonnances qui ne sont que l’aboutissement de la loi Travail si laborieusement adoptée sous leur impulsion ?</p>
<p>Faute de repères et de perspectives, on se raccroche à des symboles, on isole les mesures fiscales des mesures sociales, on feint de croire que tout le programme présidentiel devrait être engagé en même temps et avoir abouti en trois mois. On se réchauffe le cœur en brocardant l’image répétée en boucle d’un « Président des riches ». La presse aussi s’abandonne aux délices du parachronisme pour tenter de mettre Emmanuel Macron dans une case. Ainsi <em>Libération</em>, qui en fait « le fils caché de Sarkozy ». Jusqu’aux économistes qui y perdent leur latin en remettant au goût du jour une <a href="http://lemonde.fr/economie/video/2017/10/13/favoriser-les-riches-pour-aider-les-pauvres-la-theorie-du-ruissellement-decryptee_5200215_3234.html">surprenante théorie du ruissellement</a> jamais invoquée pour mieux en contester l’efficacité !</p>
<p>Dans une manière de cacophonie, gauche et droite prétendent fièrement affirmer <a href="https://theconversation.com/valeurs-de-droite-et-valeurs-de-gauche-de-la-revolution-francaise-aux-elections-de-2017-75655">leurs valeurs</a>. On cherche vainement une tentative d’inscrire celles-ci dans un contre-projet ou dans des contre-propositions. Personne n’est dupe de ce jeu byzantin où il s’agit moins de s’opposer que de gagner du temps pour préparer la revanche lors des prochaines échéances. Il en résulte une formidable inertie, laissant un espace de mouvement considérable à l’équipe dirigeante : les ordonnances sont signées tandis que la <a href="https://theconversation.com/la-lutte-contre-le-terrorisme-une-gouvernance-par-lincertitude-84713">loi sécurité, texte le plus menaçant pour les libertés depuis la guerre d'Algérie</a>, est adoptée dans une quasi-indifférence ! Seule l’extrême gauche, de Vieux-Port en Bastille, de blog en vidéo, se livre à une parabase continuée. Sans d’ailleurs parvenir à coaguler autour d’elle le mécontentement populaire.</p>
<h2>Ils n’en mouraient pas tous…</h2>
<p>Dans la foulée du désarroi idéologique et de la course des ambitions, des explosions en chaîne se déclarent ou se préparent bruyamment. Ils n’en meurent pas tous, mais tous en sont frappés.</p>
<p>Bien sûr, le plus touché est le Parti socialiste, <a href="http://www.huffingtonpost.fr/2017/09/19/le-parti-socialiste-annonce-la-mise-en-vente-de-son-siege-rue-de-solferino_a_23215172/">contraint d'abandonner jusqu'aux symboles de son passé</a> devant l’hémorragie financière et la fuite des militants : Valls devenu pérégrin solitaire dans l’orbite du macronisme ; <a href="http://www.regards.fr/web/article/m1717-hamon-se-met-en-mouvement">Hamon, porte drapeau officiel à la présidentielle</a>, réfugié dans un nouveau mouvement enregistré sous le matricule M 1717 ; Le Drian chef de file des ralliés au Président, Vallaud refondant une « Nouvelle gauche »…</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Uyxj587sQ6w?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Passons vite sur le mouvement écologiste disloqué totalement et tiraillé entre l’insoumission politique et l’écologie réaliste. Et sur les Radicaux, qui tentent d’étirer leurs contours en réunissant leurs misères électorales sous une seule bannière. Mais que dire d’une droite pliée en quatre, où les « constructifs » sont devenus constructivistes d’une nouvelle alliance en forme d’opposition inversée, où certaines éminences se déclarent « Libres », où d’autres, rangées sous la bannière d’un jeune loup des Cévennes tentent de faire sens commun avec la droite de la droite, pendant que d’autres encore ont des yeux de Chimène pour le centre ?</p>
<p>Les extrêmes n’échappent pas aux contrecoups des répliques : le FN, cassé en trois, règle ses comptes en forme de fuite (Philippot et ses « Patriotes ») ou de repli stratégique (Marion Maréchal–Le Pen). De l’autre côté de l’échiquier, le <a href="https://theconversation.com/communistes-versus-insoumis-les-racines-du-conflit-84646">PCF tente de résister aux dents des Insoumis</a> en cherchant des alliances salvatrices.</p>
<p>Rien d’étonnant, dès lors, à voir la <a href="https://theconversation.com/une-france-pliee-en-quatre-mais-qui-ne-fait-pas-rire-76585">France se mettre majoritairement en expectative</a>, qu’elle soit bienveillante ou méfiante. L’attente y est devenue le purgatoire obligé de la confiance. Emmanuel Macron l’a bien compris, qui avance sous le vent en louvoyant artistiquement, lâchant la voile à droite, tout en préparant un coup de barre à gauche. <a href="https://theconversation.com/emmanuel-macron-est-il-un-president-anormal-85376">Plus qu'à Jupiter</a>, c’est à Éole qu’il fait penser : il a ouvert grande la bourse des vents entravant tout retour au port des navires de ses opposants. « En même temps », sa propre flotte franchit le gros du cap des tempêtes sans trop subir le dommage des vagues scélérates.</p>
<h2>Le but, c’est le chemin</h2>
<p>Emmanuel Macron avance. Vite. Et il a raison, car le temps lui est compté. Confronté à une dette de plus de 2 200 milliards, à une Europe en panne, à un chômage obstinément élevé, à une croissance molle, toutes choses entraînant une profonde discordance entre notre modèle économique et notre modèle social, il devait rompre avec les vieilles recettes partisanes, et faire bipolarisation buissonnière. C’est Goethe qui disait déjà : « Le but, c’est le chemin. »</p>
<p>Au risque de l’impopularité, le nouveau Président tente de briser le cercle de trente ans d’immobilisme. La stratégie qu’il a adoptée relève de la parenthèse : on sait, en grammaire, que cette formule désigne une phrase formant un sens distinct séparé du sens de la période où elle est insérée.</p>
<p>Cette déconnexion s’est avérée nécessaire pour donner à Emmanuel Macron la spectaculaire liberté de mouvement dont il fait usage dans son travail de désoperculateur. Mais elle comporte une rançon et une limite.</p>
<ul>
<li><p>Une rançon : celle de l’obligation de gagner son pari de relancer l’économie et de rétablir, sinon la prospérité au moins la promesse d’un nouvel équilibre social.</p></li>
<li><p>Une limite : celle du temps. <a href="https://theconversation.com/paysage-apres-la-bataille-presidentielle-la-gauche-et-la-droite-meme-pas-mortes-84191">Ni la droite ni la gauche n'ont disparu</a>, ni ne disparaîtront : elles sont la traduction de ce dualisme fondamental de la démocratie qui repose sur le débat structurant égalité-liberté. Le clivage exigera vite de nouveau son droit de cité. Et si les règles du jeu institutionnel n’ont pas évolué, la bipolarisation stérilisante reprendra le dessus, comme l’espèrent et le guettent déjà les acteurs des partis traditionnels.</p></li>
</ul>
<p>Une réforme profonde des institutions et des règles électorales, permettant souplesse et fluidité, est donc une action essentielle à ajouter à l’agenda du Président, s’il veut pouvoir inscrire dans la durée le nouvel ordre que la parenthèse lui aura permis de fonder. Et cela sans trop tarder. Car « d’une façon ou d’une autre, cette parenthèse sera fermée dans deux ans », écrivait Montherlant à la fin des <em>Lépreuses</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/85656/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Emmanuel Macron a ouvert une brèche en forme de parenthèse aux effets ravageurs sur une scène politique totalement disloquée.Claude Patriat, Professeur émérite de Science politique, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/776662017-05-14T10:52:30Z2017-05-14T10:52:30ZDeux populismes valent mieux qu’un !<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/169197/original/file-20170514-3668-6ummr7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Affichage sauvage, le 23 avril 2017.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/thierryleclercq/34074977261/in/photolist-SaNzgC-TV6azX-Tmv3UG">Thierry Teclercq/Flickr</a></span></figcaption></figure><p>De l’étranger nous parviennent d’innombrables expressions d’un profond soulagement : après le Brexit, le succès de Donald Trump et le référendum turc remporté par Recep Tayyip Erdogan la France a mis fin, et de belle manière, à toute une <a href="https://theconversation.com/trump-poutine-erdogan-et-demain-le-pen-comment-expliquer-le-succes-des-cesars-du-xxi-siecle-71421">série d’inquiétantes évolutions politiques</a>. En refusant à Marine Le Pen d’accéder au pouvoir, et même d’obtenir un résultat satisfaisant aux yeux de son propre parti, qui entre en crise, notre pays est vu comme le champion de la démocratie, de la morale et de l’ouverture au monde et à l’Europe. Il incarne de fortes espérances.</p>
<p>Les commentaires sont oublieux d’autres épisodes, eux aussi significatifs, où l’extrême droite n’est pas parvenue à ses fins : en Autriche, bien des observateurs donnaient <a href="https://theconversation.com/les-visages-successifs-de-lextreme-droite-en-autriche-59557">Norbert Hofer</a>, son candidat, gagnant lors de l’élection présidentielle de l’hiver dernier finalement remportée par le candidat vert, Alexander Van der Bellen ; et aux Pays-Bas, Geert Wilders n’a pas obtenu les résultats qu’il escomptait aux récentes élections législatives. Les mêmes commentaires passent vite sur le score de Marine Le Pen, 34 % – ce qui est considérable –, sans parler <a href="https://theconversation.com/votes-blancs-le-bucher-des-voix-perdues-77413">des votes nuls et blancs et de l’abstention</a> qui ne lui sont pas plus défavorables qu’à Emmanuel Macron.</p>
<p>Mais cet enthousiasme à l’étranger pose une vraie question : pourquoi la France, contrairement à d’autres pays, a-t-elle pu résister à la vague mondiale de droitisation et aux tendances dominantes à la fermeture des sociétés sur elles-mêmes ?</p>
<h2>Deux radicalités inconciliables</h2>
<p>Le succès d’Emmanuel Macron a pour implication l’affaiblissement – provisoire ? personne ne peut le dire –, sinon la désintégration – personne ne peut l’exclure – des partis classiques de gouvernement : le Parti socialiste et « les Républicains », sans parler d’EELV. Il s’est construit face à trois principaux opposants. L’échec de François Fillon, écarté du second tour, a réinstallé au grand jour les <a href="https://theconversation.com/apres-lechec-de-la-droite-les-scenarios-de-la-recomposition-76674">dissensions internes à son propre parti</a>. Les deux autres opposants principaux incarnaient – l’une, Marine Le Pen – une radicalité nationaliste et souverainiste, raciste et xénophobe malgré divers efforts de « dédiabolisation » presque annihilés lors de son débat de l’entre-deux-tours avec Emmanuel Macron ; – l’autre, Jean‑Luc Mélenchon – une radicalité non moins souverainiste, mais ni raciste ni xénophobe, et colorée d’accents communisants ou gauchistes.</p>
<p>Disons-le d’une phrase, avant d’être plus précis : ce qui a évité à la France la droitisation extrême et la fermeture sur elle-même, c’est précisément cette dualité, c’est l’éclatement en deux morceaux de <a href="https://theconversation.com/et-le-vainqueur-est-le-populisme-76568">ce qui ailleurs ne fait qu’un</a>, et qui est couramment qualifié de « populisme » – un mot-valise qui appelle discussion, on pourrait parler aussi de radicalité ou d’extrémisme. L’élection d’Emmanuel Macron tient à de nombreux facteurs, certes, et l’hypothèse qui va être développée ici n’explique pas tout – mais elle mérite examen : s’il l’a emporté, n’est-ce pas parce qu’il avait en face de lui deux versions inconciliables du souverainisme populiste, là où le Royaume-Uni du Brexit et les États-Unis de Trump n’en ont eu qu’une ?</p>
<h2>Mélenchon et l’héritage communiste</h2>
<p>La première version, à droite, apparente la France à plusieurs pays, et pas seulement aux États-Unis et au Royaume-Uni, où s’observe depuis les années 80 la poussée de mouvements nationalistes, chacun avec ses spécificités, ses singularités. Le FN, né en 1972 du regroupement de quelques groupuscules extrémistes, s’est affirmé dix ans plus tard comme une véritable force politique qu’il n’a ensuite jamais cessé d’être, en faisant des immigrés sa principale cible. Anti-européen, anti-euro, fédérant bien des peurs et des inquiétudes sociales et culturelles sous la bannière du rejet des migrants, de la hantise de l’islam et du désir de sécurité, le projet du FN – comme d’ailleurs sa base électorale – le situent dans la même famille politique que les forces politiques ayant produit le Brexit ou Donald Trump.</p>
<p>Jean‑Luc Mélenchon a su fédérer lui aussi une certaine colère sociale, convaincre un électorat souvent jeune, avec des qualités d’orateur et une capacité à utiliser les nouvelles technologies de la communication qui en ont fait un candidat singulièrement moderne. Il a su siphonner bien des voix socialistes, avec l’aide de l’Élysée dont l’objectif était de « débrancher progressivement » le candidat du PS, Benoît Hamon. Mais pour comprendre son succès, il faut aussi faire intervenir d’autres caractéristiques : Mélenchon a su capitaliser une bonne partie de l’héritage, visible comme souterrain, des cultures de l’engagement et des idéologies communistes, gauchistes et même anarchistes qui ont joué un rôle si important dans l’histoire de la France.</p>
<p>La France a été un grand pays communiste. Le PCF, aujourd’hui réduit à très peu, mobilisait au sortir de la Seconde Guerre mondiale environ le quart de l’électorat. Quand le communisme a entamé son déclin, il s’est décomposé, ouvrant la voie au gauchisme dès la fin des années 60 avec ses diverses familles trotskistes, maoïstes, et autres. Et même si cela est très secondaire ici, n’oublions pas que la France a été aussi le pays de l’anarchisme et de ses penseurs, y compris en lien avec la question sociale, comme au temps du syndicalisme naissant, dominé alors par l’anarcho-syndicalisme.</p>
<h2>Des jeunes à quête de sens politique</h2>
<p>Plus ou moins dilué dans les mémoires et les consciences, ou dans des souvenirs familiaux, plus que porté par des engagements partisans, ce qui subsiste de cette histoire et des sensibilités qui l’ont animées a pu contribuer au score de Jean‑Luc Mélenchon au premier tour de la présidentielle. Une petite partie de ses quelque 20 % d’électeurs étaient jusque-là communistes ; beaucoup plus socialistes.</p>
<p>Mais l’essentiel est ailleurs, dans l’écho des discours de Jean‑Luc Mélenchon auprès de jeunes réceptifs à l’idée d’engagements s’inscrivant dans une continuité, même vague, avec ce que furent les mobilisations d’autres générations, et désireux eux aussi de donner un sens politique à leur existence.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/O6Q48L6JMtA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Le vote Mélenchon n’est que bien peu le fruit d’une action collective organisée trouvant ainsi un nouveau débouché, encore qu’il a été le fait d’une base communiste ayant choisi de le soutenir alors que le sommet de l’appareil n’y tenait pas. Mais surtout, il renouvelle et éveille une culture militante française qui est activée non seulement dans les propositions de politique publique de Jean‑Luc Mélenchon, mais aussi dans ses références internationales – son hommage vibrant lors de la mort de Fidel Castro est de ce point de vue éclairant.</p>
<h2>La France réceptive à un discours post-communiste</h2>
<p>Si la France n’était pas réceptive à un discours finalement post-communiste, c’est-à-dire empreint du legs du communisme et de ses variantes gauchistes ; si elle n’avait pas gardé un petit côté anarchiste, qui se retrouve y compris dans le nom du mouvement de Mélenchon, « La France insoumise » ; si elle n’avait pas ce passé où prospéraient des idéologies que l’on pouvait croire obsolètes, mais que réactive sa rhétorique, même de façon subconsciente, il n’y aurait pas eu ce populisme de gauche exceptionnel sinon peut-être en Amérique latine et en Europe du Sud.</p>
<p>Dans le passé, ni le Royaume-Uni, ni les États-Unis n’ont eu un puissant et durable mouvement communiste –, ce qui leur a aussi évité le gauchisme qu’ont connu notamment la France et l’Italie. Au Royaume-Uni, c’est au sein du <em>Labour</em> que se fait la radicalisation avec Jeremy Corbyn, sur le mode du durcissement fondamentaliste et non du populisme, et avec pour principal impact d’affaiblir la gauche britannique.</p>
<p>Aux États-Unis, le communisme a été pourchassé, et pratiquement éradiqué au début de la Guerre froide, et n’a pas laissé de fortes traces dans les consciences – de temps en temps, un ouvrage ou un article rappelle néanmoins qu’il y a eu des communistes dans ce pays, fortement réprimés ; <a href="https://theconversation.com/clinton-sanders-et-la-metamorphose-du-parti-democrate-54491">Bernie Sanders</a> a surtout représenté au sein du Parti démocrate une aile gauche ouverte à des idées socialistes finalement assez proches de celles <em>d’Occupy Wall Street</em>. Dans ces deux pays, il n’y avait guère d’espace pour un important populisme de gauche.</p>
<p>En France, du fait d’une histoire politique qui a peut-être commencé avec la Révolution, des cultures sinon des idéologies contestataires et protestataires de gauche trouvent leur place. Si on additionne les scores de Marine Le Pen et de Jean‑Luc Mélenchon <a href="https://theconversation.com/une-france-pliee-en-quatre-mais-qui-ne-fait-pas-rire-76585">au premier tour de l’élection présidentielle</a> du 23 avril dernier, on obtient environ 40 %, bien plus que n’importe quel autre candidat. Mais les deux radicalités sont pratiquement inconciliables, relevant de familles de pensée et d’action qui se sont toujours affrontées.</p>
<p>La France en a fini avec le communisme sous François Mitterrand, et le gauchisme a cessé de prospérer. Mais en renouant avec certains éléments de l’un et de l’autre, en se dotant d’une double radicalité, à gauche et à droite elle a évité le sort du Royaume-Uni et des États-Unis.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/77666/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Michel Wieviorka est président de la Maison des sciences de l'Homme.</span></em></p>Macron l’a emporté parce qu’il avait face à lui deux versions inconciliables du souverainisme populiste, là où le Royaume-Uni du Brexit et les États-Unis de Trump n’en ont eu qu’une.Michel Wieviorka, Sociologue, Président de la FMSH, Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/774472017-05-12T10:00:31Z2017-05-12T10:00:31ZNouvelle intox ou vieille propagande ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/168715/original/file-20170510-28084-13y0ev6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Fake-news, intox ou bonne vieille propagande avec de nouveaux moyens ?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/faux-fausses-nouvelles-m%C3%A9dias-1909821/">Pixabay</a></span></figcaption></figure><p>La campagne présidentielle a donné lieu à une recrudescence de ce que les internautes appellent des <em>fake news</em>. Si nombre d’observateurs ont souligné, à raison, le rôle croissant de Facebook et de Twitter dans les campagnes électorales, ils ont peut-être surestimé le caractère inédit des informations fausses ou tronquées. Bien évidemment, la nouveauté réside dans le support technique, c'est-à-dire l’effet multiplicateur d’Internet et des réseaux sociaux. Quant au phénomène proprement dit de la production et de la diffusion de fausses nouvelles, d’informations mensongères visant à discréditer des leaders politiques, il est pour ainsi dire aussi vieux que la démocratie athénienne.</p>
<p>Pour ne s’en tenir qu’aux campagnes électorales sous la Vème République, on croit pouvoir affirmer qu’il s’agit là d’un phénomène consubstantiel à l’élection. Souvenons-nous de l’affaire Markovic qui, dès 1968, avait éclaboussé le futur Président Georges Pompidou ou encore de la campagne de diffamation visant Jacques Chaban-Delmas au premier tour des élections présidentielles de 1974 : il <a href="http://bit.ly/2q2tUb0">ne paie pas ses impôts</a>, il est juif, il a fait tuer sa seconde épouse dans un accident de voiture, etc. Les rumeurs sur la prétendue vie sexuelle du nouveau président s’inscrivent donc dans une longue tradition.</p>
<p>Dans ces conditions, faut-il considérer ces nouvelles <em>fake news</em> comme une version relookée de la <a href="http://bit.ly/2qYxgtm">bonne vieille propagande d’antan</a> ? Poser la question en ces termes revient à présupposer que la propagande n’existe pas ou n’existe plus dans les régimes démocratiques. Or, on se trompe si l’on réduit la propagande à la production et à la diffusion de fausses nouvelles.</p>
<h2>Royal en 2007, Fillon en 2017</h2>
<p>Au sens strict, la propagande relève d’une manipulation de l’information faisant que tel individu ou tel groupe opère une action X qu’il n’aurait pas effectuée, ou aurait effectuée différemment, sans cette manipulation. Autrement dit, un émetteur peut manipuler une « cible », un public, avec de l’information « exacte ». </p>
<p>Lorsque durant la campagne présidentielle de 2007 on diffuse des propos tenus par Ségolène Royal, filmée à son insu, où elle évoque la nécessité pour les enseignants d’augmenter sensiblement leur temps de présence effective dans les établissements, il ne s’agit pas d’un montage ou d’un faux, mais il s’agit bel et bien d’une « vérité » hors-contexte destinée à priver la candidate socialiste d’une partie de son électorat « naturel ». Même chose lorsque l’on exhume en 2007 des propos filmés de Pierre Bourdieu où il qualifie « la femme de Hollande comment elle s’appelle déjà, elle n’est pas de gauche, elle est de droite. Elle a choisi la gauche pour faire carrière » </p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/u591vLYRums?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Entretien dans lequel, à 3'16" Pierre Bourdieu décrit Ségolène Royal.</span></figcaption>
</figure>
<p>Ces propos ont bien été tenus, face à une caméra, par le sociologue de référence des intellectuels de gauche. Ils sont exacts mais <strong>les diffuser en 2007</strong>, en particulier auprès des universitaires et des professions intellectuelles, relève d’une opération de propagande. </p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ulGv_2I2ewM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">L'interview de Penélope Fillon “mère au foyer”</span></figcaption>
</figure>
<p>Lorsque l’on poste sur les réseaux sociaux, au printemps 2017, la vidéo de l’interview de Pénélope Fillon accordée à une journaliste anglaise en 2007, où elle apparaît plus en épouse désœuvrée qu’en assistante parlementaire débordée, on peut difficilement se prévaloir du seul désir d’informer. C’est d’ailleurs parce que ce document était <strong>authentique</strong> qu’il a pu servir efficacement la propagande anti-Fillon. C’est tout aussi logiquement parce que l’opération de contre-propagande des pro-Fillon reposait sur un mensonge -l'auteur de l’interview se serait déclarée « choquée » par l’utilisation hors-contexte de son film- qu’elle a fait long feu.</p>
<h2>Comprendre la propagande moderne</h2>
<p>C’était sans doute difficile à admettre de la part des supporters de chacun des deux protagonistes du second tour mais poster l’intervention d’Emmanuel Macron où il tient tête aux salariés de Whirpool ou celle de Marine Le Pen accueillie sur le site de l’usine avec des selfies, relevait de la propagande tout autant que la diffusion de fausses nouvelles. De ce point de vue est exemplaire l’exploitation par les fillonnistes et la <em>fachosphère</em> d’une version parodique du Figaro accréditant l’idée –mensongère en l’occurrence- selon laquelle M. Macron se sentait sale après avoir serré la main d’un pauvre. </p>
<p>Mais pour autant, réduire la propagande au pur bobard, au Village Potemkine, au mensonge grossier du style « Bagdad Bob », du nom de l’ancien ministre de l’information Irakien Mohamed Saïd al-Sahhaf, déclarant en 2003 que les soldats américains allaient être brulés jusqu’au dernier comme des chiens dans leurs chars, c’est s’interdire de comprendre la nature exacte de la propagande moderne. </p>
<p>C’est le plus souvent avec des informations exactes que l’on fait de la bonne propagande. Étant entendu que d’un point de vue éthique, même si la fin est juste, il n’existe pas de « bonne » propagande car il s’agit toujours d’une manipulation et donc d’une atteinte à notre libre arbitre D’un point de vue « technique », une propagande est bonne lorsqu’elle est efficace et elle est mauvaise lorsqu’elle échoue à convaincre et à manipuler. </p>
<p>En réalité du reste, <strong>la propagande ne crée rien ex-nihilo</strong> mais renforce des stéréotypes, des préjugés, des rumeurs et des attitudes déjà préexistantes. En ce sens les <em>fake news</em> n’inventent rien. D’ailleurs en matière de propagande électorale, les enquêtes ont eu tendance à conclure qu’elle renforçait l’opinion des plus convaincus qui cherchaient précisément à s’exposer à cette présentation orientée de l’information. </p>
<h2>La propagande se renouvelle</h2>
<p>C’est un peu ce que l’on retrouve aujourd’hui dans la bulle Facebook. Mes amis pensent comme moi puisque ce sont mes amis. Les médias pensent comme moi puisque mon fil est aussi celui de mes amis qui lisent ce que je lis et qui pensent comme moi, sinon ce ne serait pas mes amis ! </p>
<p>Déjà dans <a href="http://bit.ly/2qQT5hX">« Propagandes » (1962)</a> Jacques Ellul avait bien vu que la propagande ne se limitait pas aux seules dictatures et que les régimes démocratiques ne se contentaient pas d’une information purement objective. La frontière entre la sacro-sainte information et la maléfique propagande est beaucoup moins étanche qu’on ne le croit généralement. D’abord, toutes les deux partagent les mêmes supports techniques (radio, TV, internet) et les mêmes objectifs. Ensuite la première est la condition d’existence même de la seconde. </p>
<p>On ne peut faire de propagande si, au préalable, des faits n’ont pas été portés à la connaissance du public. Et là encore ce n’est pas le manque d’informations qui explique la propagande, au contraire, c’est le trop plein. Dans le même sens, ce sont les marginaux qui sont les plus imperméables à la propagande. Les SDF aujourd’hui ou les travailleurs agricoles analphabètes sous le IIIème Reich alors que les intellectuels, généralement surinformés, s’exposent volontiers à tous les mass media et donc à la propagande.</p>
<p>En outre, et c’est sans doute là une réalité difficile à admettre, l’opinion a besoin d’être propagandée car dans un monde toujours plus complexe et anxiogène, la propagande ordonne, simplifie et rassure en nous désignant le camp du bien et celui du mal. Nous sommes tous complices et les intellectuels ont seulement l’illusion d’échapper à ce mécanisme de cécité volontaire. Face à un choix nous avons besoin de nous convaincre nous mêmes que nous prenons la bonne décision : voter blanc ou nul, voter Macron ou Le Pen, et c’est là que les <em>fake news</em> et la propagande entrent en jeu.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/77447/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Patrick Chastenet est membre de l'Association Internationale Jacques Ellul et de l'International Jacques Ellul Society</span></em></p>Comment à l’ère numérique les techniques de la propagande se renouvellent, l’intox et la désinformation mutent… en utilisant toujours les mêmes moteurs.Patrick Chastenet, Professeur de science politique, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/774942017-05-10T21:01:19Z2017-05-10T21:01:19ZLa présidentielle 2017, accélérateur de transition<p>L’élection d’Emmanuel Macron face à Marine Le Pen, après la percée de Jean‑Luc Mélenchon pour la gauche radicale et l’élimination au premier tour des candidats des deux forces politiques (Benoît Hamon pour le PS, François Fillon pour la droite LR-UDI) qui ont monopolisé le pouvoir national depuis 1981, sinon depuis 1958, marque un bouleversement sans précédent du paysage politique français.</p>
<p>Pour la première fois sous la V<sup>e</sup> République, un candidat gagne l’élection présidentielle sans avoir été soutenu au premier tour par le PS ou la droite conservatrice-libérale. Pour la première fois également, la droite conservatrice-libérale est devancée par le Front national. Et pour la première fois depuis 1981, le PS n’est plus dominant à gauche.</p>
<h2>Une droitisation de la droite, pas de la France</h2>
<p>Pour analyser plus avant ces résultats, il faut d’abord s’intéresser au cas de la droite. Contrairement à l’affirmation souvent répétée par les leaders de LR (Les Républicains), depuis la constitution d’un centre autonome en 2007, la droite (même avec le FN) n’est pas majoritaire en France sans une fraction importante du centre (voir tableau ci-dessous). Il y a <a href="https://theconversation.com/la-droitisation-des-valeurs-de-la-droite-francaise-69379">droitisation de la droite</a>, pas de la France.</p>
<p>Si la droite, FN compris, était nettement majoritaire lors des élections intermédiaires de 2014 (municipales et européennes) et 2015 (départementales et régionales), elle le devait – pour l’essentiel – au phénomène fréquent de démobilisation de l’électorat gouvernemental, particulièrement fort à cause de l’impopularité record du Président. Mais son incapacité à stopper la progression du FN aurait dû être une plus forte source d’inquiétude. Les dynamiques électorales de Macron et Mélenchon ont remobilisé la grande majorité des anciens électeurs déçus de Hollande, ramenant la droite à son niveau de 2012.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/168802/original/file-20170510-21588-wmbeql.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/168802/original/file-20170510-21588-wmbeql.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/168802/original/file-20170510-21588-wmbeql.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=436&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/168802/original/file-20170510-21588-wmbeql.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=436&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/168802/original/file-20170510-21588-wmbeql.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=436&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/168802/original/file-20170510-21588-wmbeql.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=547&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/168802/original/file-20170510-21588-wmbeql.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=547&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/168802/original/file-20170510-21588-wmbeql.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=547&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Résultats des présidentielles depuis 1981.</span>
<span class="attribution"><span class="source">DR</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dans ce cadre, il est particulièrement grave pour la droite LR-UDI qu’elle n’ait réussi à attirer pratiquement aucun électeur de Hollande de 2012 alors que celui-ci a été le Président le plus impopulaire de la V<sup>e</sup> République. Cet échec cinglant s’explique principalement par le caractère extrémiste au niveau économique, social et sociétal du <a href="https://theconversation.com/apres-la-primaire-de-la-droite-la-grande-bataille-ideologique-se-prepare-69444">programme de François Fillon</a>, auquel s’est ajoutée l’affaire Penelope. Durant la primaire, <a href="https://theconversation.com/alain-juppe-victime-de-la-peur-du-chirac-bis-69181">Alain Juppé a été attaqué par Nicolas Sarkozy et François Fillon</a> précisément sur sa volonté d’alliance avec François Bayrou, ainsi que sur son choix ne pas fermer la porte aux électeurs déçus de François Hollande.</p>
<p>La droite LR-UDI a ainsi été réduite à son noyau électoral de personnes âgées, de milieux favorisés (58,5 % dans le XVI<sup>e</sup> arrondissement de Paris) ou culturellement très conservateurs. Sa grande faiblesse dans les milieux populaires a permis au FN de la devancer et de se qualifier pour le second tour.</p>
<h2>Le succès de la stratégie centriste de Macron</h2>
<p>Cette droitisation de la droite LR-UDI ainsi que l’<a href="https://theconversation.com/francois-hollande-la-non-candidature-de-lelysee-69801">impopularité de François Hollande</a> ont ouvert la voie à la stratégie centriste libérale d’Emmanuel Macron. Celui-ci a mobilisé les électeurs satisfaits de l’évolution générale de la société et de l’économie, <a href="https://theconversation.com/une-presidentielle-sous-le-signe-de-la-polarisation-des-clivages-politiques-75509">culturellement et économiquement libéraux</a> (les libéraux-libertaires) déçus par les résultats économiques et la faiblesse du <em>leadership</em> de François Hollande et inquiets face à la droitisation accentuée de la droite LR-UDI et la montée du FN.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/macron-bayrou-lunion-des-marques-fait-la-force-73670">Son accord avec François Bayrou</a> lui a permis de monopoliser cette position centriste libérale et pro-européenne. De plus, Emmanuel Macron a pleinement repris à son compte la double aspiration d’une fraction importante de l’électorat à écarter une classe politique (PS et LR-UDI) perçue comme corrompue et inefficace (avec une suite d’échecs au pouvoir face au chômage), et en même temps à dépasser l’opposition gauche-droite pour rassembler les « bonnes volontés ».</p>
<p>Il a réussi cette synthèse en étant ferme dans son refus de négocier avec les appareils des partis en place, tout en tenant un <a href="https://theconversation.com/emmanuel-macron-heraut-de-la-mondialisation-heureuse-64268">discours de rassemblement désidéologisé et optimiste</a>. Le candidat d’En Marche ! a ainsi rassemblé au premier tour un électorat à forte proportion de cadres moyens et supérieurs culturellement libéraux (34,8 % à Paris), associant trois grands types de profils : de nombreux électeurs de centre gauche ayant voté Hollande en 2012, satisfaits des orientations générales (sinon des résultats) de la politique gouvernementale et trouvant Hamon trop à gauche ; la plupart des soutiens de Bayrou en 2012 ; la fraction la plus modérée de l’électorat LR-UDI, <a href="https://theconversation.com/emmanuel-macron-plus-proche-de-juppe-que-de-hollande-dans-les-urnes-virtuelles-60402">déçue de la défaite d’Alain Juppé</a>.</p>
<h2>Le PS, une suite de défaites de plus en plus lourdes</h2>
<p>À gauche, le discrédit de la politique gouvernementale a eu un quadruple effet :</p>
<ul>
<li><p>la défaite de Manuel Valls à la primaire face à Benoît Hamon ;</p></li>
<li><p>l’effondrement de ce dernier au premier tour de la présidentielle (6,4 %) ;</p></li>
<li><p>le plus faible résultat de la gauche à une élection présidentielle (27,7 %) ;</p></li>
<li><p>la percée finale de Jean‑Luc Mélenchon, candidat de « la France insoumise » et porteur d’un programme écosocialiste, perçu comme le plus cohérent à gauche dans son opposition aux politiques menées depuis 2012.</p></li>
</ul>
<p>Mélenchon obtient un résultat inédit pour une force à la gauche du PS depuis 1981 et s’impose nettement dans beaucoup de fiefs de gauche, en particulier dans les banlieues populaires des grandes agglomérations, tout en rassemblant un électorat jeune et diplômé de classes moyennes.</p>
<p>Cet effondrement du PS s’inscrit dans une suite de défaites de plus en plus lourdes des socialistes français à la fin de chacun de leurs exercices du pouvoir depuis 1981 (1981-1986, 1988-1993, 1997-2002, 2012-2017). Si, aux législatives de 1986, le PS avait bien limité les dégâts (31,6 %), ce n’était déjà plus le cas en 1993 (18,9 %), législatives où la gauche française avait enregistré la plus grande défaite de son histoire, puis en 2002 (16,2 %) où Lionel Jospin a été éliminé dès le premier tour de la présidentielle. 2017 est une sorte d’apothéose : le PS n’est même plus dominant à gauche.</p>
<p>Mais cet effondrement socialiste fait également écho à une suite de désastres électoraux récents de partis socialistes ou sociaux-démocrates en Europe : Grèce (6,3 %), Islande (5,7 %), Irlande (6,6 %), Pays-Bas (5,7 %), Autriche (11,3 %). De la même façon, le résultat de la France insoumise s’inscrit dans un mouvement récent de <a href="https://theconversation.com/au-dela-de-lespagne-la-crise-bouscule-les-systemes-partisans-deurope-du-sud-52602">percées électorales de forces contestataires de gauche radicale ou « démocrates-radicales »</a> : Syriza en Grèce, Podemos en Espagne, le Mouvement cinq étoiles en Italie, le Parti Pirate en Islande, la gauche radicale et le Sinn Féin en Irlande, Bernie Sanders aux États-Unis, <a href="https://theconversation.com/le-parti-socialiste-entre-la-tentation-de-corbyn-et-la-victoire-a-la-pyrrhus-71696">Jeremy Corbyn</a> chez les travaillistes en Grande-Bretagne.</p>
<p>L’ampleur de sa défaite au second tour montre que le FN reste incapable de constituer une alternative crédible. Cependant, le résultat de Marine Le Pen (33,9 %), très supérieur à celui obtenu par son père au second tour de 2002 (17,8 %), indique que Le FN est maintenant une force incontournable à droite.</p>
<h2>Radicalisation et formation d’un centre libéral-mondialisateur</h2>
<p>Les bouleversements électoraux de cette présidentielle doivent aussi être mis en rapport avec une transformation plus générale des systèmes partisans occidentaux.</p>
<p>Cette transformation des systèmes partisans occidentaux (analysées et développées dans notre livre à paraître : <em>Crise mondiale et systèmes partisans</em>) peut-être représentée sous la forme d’un basculement progressif d’un système partisan théorique vers un autre (figures 1 et 2) sous l’effet de l’émergence de deux nouveaux clivages partisans (au sens de <a href="http://www.editions-universite-bruxelles.be/fiche/view/2430">Lipset et Rokkan</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/168803/original/file-20170510-21610-1ea1d8l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/168803/original/file-20170510-21610-1ea1d8l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/168803/original/file-20170510-21610-1ea1d8l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=527&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/168803/original/file-20170510-21610-1ea1d8l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=527&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/168803/original/file-20170510-21610-1ea1d8l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=527&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/168803/original/file-20170510-21610-1ea1d8l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=662&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/168803/original/file-20170510-21610-1ea1d8l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=662&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/168803/original/file-20170510-21610-1ea1d8l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=662&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Système partisans « types ».</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le premier clivage identité/cosmopolitisme, qui se développe depuis 30 ans, est lié aux questions d’immigration, d’insécurité et à la construction européenne : il oppose les électeurs les plus hostiles à l’immigration et à l’Union européenne aux autres.</p>
<p>Le second clivage, altermondialisme/néolibéralisme, qui émerge depuis la crise de 2008, est lié aux questions d’inégalités sociales, d’environnement et de productivisme, et oppose ceux qui réclament une politique de réduction des inégalités sociales et l’abandon du productivisme – revendications articulées autour d’une plus forte démocratisation –, à ceux qui veulent continuer les politiques néolibérales.</p>
<p>La figure 1 décrit le système partisan « type » en place jusqu’en 2008-2015, où des forces sociales-démocrates et conservatrices-libérales formaient le club des partis de gouvernement et, en alternance ou en coalitions, menaient des politiques économiques néolibérales et culturellement libérales. Une droite radicale se développait sur le côté identitaire du premier clivage alors qu’à gauche subsistait une gauche radicale et que se développaient des écologistes qui restaient minoritaires.</p>
<p>La crise de 2008 a eu pour conséquence, dans les pays où elle a frappé le plus durement, de mettre en crise ce « consensus centriste », en favorisant l’émergence de forces de contestation démocrates-écosocialistes faisant pression sur la social-démocratie, et en accentuant la pression de la droite radicale sur la droite conservatrice-libérale. Cette radicalisation générale à gauche et à droite provoque en réaction la formation d’un centre libéral-mondialisateur autour de forces voulant continuer les politiques précédemment menées, aboutissant au modèle théorique de la figure 2.</p>
<p>La France insoumise et les socialistes de Hamon correspondent au nouveau pôle partisan démocrate-écosocialiste en formation, le FN, DLF (Debout la France) et une grande partie de LR au pôle conservateur-identitaire, et la percée de Macron au pôle libéral-mondialisateur. Les anciennes forces de gouvernement, PS et LR-UDI, sont directement impactées, car elles sont sur les lignes de faille du bouleversement correspondant à la transition entre les deux systèmes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/77494/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Martin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les anciennes forces de gouvernement, PS et LR-UDI, sont directement impactées car elles sont sur les lignes de faille du bouleversement correspondant à la transition entre deux systèmes partisans.Pierre Martin, Politologue au CNRS (PACTE), Sciences Po GrenobleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/773532017-05-08T16:07:33Z2017-05-08T16:07:33ZAprès la présidentielle de toutes les surprises, des législatives très ouvertes<p>Jamais une élection présidentielle n’avait, <a href="http://www.ladocumentationfrancaise.fr/informations/espace-presse/communiques-de-presse/cp000231-les-elections-presidentielles-sous-la-ve-republique">sous la Vᵉ République</a>, connu autant de rebondissements et jamais la campagne n’avait été aussi longue.</p>
<p>En 2016, le désaveu du Président sortant était très fort dans l’opinion. Les socialistes étaient très divisés entre frondeurs et soutiens du premier ministre, Manuel Valls. Les premiers ont réussi à imposer au Président de passer par l’épreuve des primaires ouvertes s’il voulait se représenter. Emmanuel Macron, ministre de l’Économie, a lancé le mouvement En Marche ! en avril, avec la volonté de rompre avec l’alternance au pouvoir des grands partis de gouvernement, et en espérant porter une dynamique nouvelle autour d’un programme centriste et d’un renouvellement de la classe politique. En août, il rompait complètement avec les socialistes en quittant le gouvernement.</p>
<p>L’opération était alors jugée peu crédible par presque tous les observateurs avisés qui se rappelaient de l’échec de <a href="http://tempsreel.nouvelobs.com/politique/election-presidentielle-2012/20120207.OBS0809/8-fevrier-1988-raymond-barre-candidat-a-la-presidentielle.html">Raymond Barre en 1988</a>, manquant d’une force politique pour porter sa candidature. Beaucoup se rappelaient aussi de l’échec de François Bayrou en 2007, rompant l’alliance traditionnelle des centristes avec la droite. Il avait alors attiré à la fois des déçus de la droite, inquiets du profil de Nicolas Sarkozy, et des électeurs de gauche, peu convaincus par la candidate socialiste. Bayrou avait réussi un très beau score au premier tour (18,6 %), mais n’avait pas été qualifié pour le tour décisif.</p>
<h2>Un désaveu aux primaires des principaux ténors de la droite et de la gauche</h2>
<p>Aux élections régionales de 2015, le Front national se hissait au rang de premier parti en France avec au premier tour près de 28 % des suffrages exprimés, ce qui indiquait que sa candidate avait de très fortes chances d’être présente au second tour de la présidentielle et d’y faire un score très important.</p>
<p>Dans cette conjoncture, Alain Juppé semblait très bien placé pour être le candidat de la droite et emporter l’élection présidentielle, tant le <a href="http://www.lexpress.fr/actualite/alain-juppe-deja-president_1792826.html">désir d’alternance</a> semblait fort dans le pays. En novembre 2016, la primaire de la droite et du centre, pour la première fois ouverte à l’ensemble des sympathisants, allait connaître un grand succès de participation, mais aussi révélé le désir très fort de changement, puisque Nicolas Sarkozy était éliminé au premier tour et Alain Juppé au second. La large victoire de François Fillon à la primaire pouvait alors faire penser qu’il gagnerait facilement l’élection présidentielle, certains sondages lui accordant alors autour de <a href="http://www.francesoir.fr/politique-france/presidentielle-2017-francois-fillon-deja-president-dans-les-sondages">30 % des intentions de vote</a>.</p>
<p>Nouveau rebondissement en décembre, <a href="https://theconversation.com/francois-hollande-la-non-candidature-de-lelysee-69801">François Hollande</a> renonçait à solliciter un second mandat et Manuel Valls abandonnait son poste de premier ministre pour se lancer dans l’élection et y défendre le bilan du quinquennat. Les primaires socialistes de janvier ne mobilisaient que très moyennement mais manifestaient aussi un désir de renouvellement, en éliminant Manuel Valls et en qualifiant Benoît Hamon, représentant de la gauche du parti.</p>
<h2>Un premier tour éclaté aboutissant à l’élimination des partis de gouvernement</h2>
<p>Au même moment, François Fillon, qui semblait avoir du mal à légitimer son programme sur la très forte réduction du nombre de fonctionnaires et la baisse des remboursements des dépenses de santé, est rattrapé par les affaires. Mis en examen, il maintient pourtant sa candidature, Les Républicains n’arrivant pas à s’entendre sur celui qui pourrait le remplacer. Il s’érode dans les sondages mais garde un socle de partisans, <a href="http://blog.francetvinfo.fr/scenes-politiques/2017/02/11/francois-fillon-peut-il-encore-simposer-dans-la-presidentielle.html">entre 18 et 20 % des intentions de vote</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/D8Fs3cDgJiY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>De son côté, Benoît Hamon ne parvient pas à convaincre l’électorat socialiste, moins à gauche que les votants de la primaire. Les socialistes manifestent <a href="http://www.lepoint.fr/presidentielle/soutien-de-manuel-valls-a-macron-la-gauche-se-dechire-29-03-2017-2115577_3121.php">leur division</a>, beaucoup de responsables du parti n’acceptant pas de soutenir quelqu’un qui avait critiqué fortement la politique suivie au cours du quinquennat. Le candidat s’effrite régulièrement : alors qu’il était crédité de 15 à 18 % d’intentions de vote présidentiel au soir de sa qualification, il tombe à 8 % le 23 avril. Selon Ipsos, les électeurs de François Hollande au premier tour de 2012 se seraient prononcés le 23 avril 2017 à 47 % pour Emmanuel Macron, 24 % pour Jean‑Luc Mélenchon et seulement 15 % pour <a href="https://theconversation.com/les-audaces-contrariees-de-benoit-hamon-76297">Benoît Hamon</a>. La décrépitude socialiste est presque semblable à celle que les socialistes avaient connue en 1969, Gaston Deferre obtenant seulement 5 % des exprimés au premier tour.</p>
<p>Candidat de la gauche radicale, sous l’étiquette de « La France insoumise », Jean‑Luc Mélenchon réussit une belle campagne, profitant beaucoup des divisions socialistes. Ayant doublé en février Benoît Hamon dans les sondages, il incarne de plus en plus le vote utile à gauche visant à qualifier un candidat de ce camp pour le second tour.</p>
<p>Emmanuel Macron profite des déboires de la droite et de la gauche. Beaucoup d’électeurs habituels des deux grands partis de gouvernement ont beaucoup hésité mais ont finalement souvent voté pour favoriser la qualification d’un candidat plutôt que pour exprimer leur soutien aux idées d’un candidat.</p>
<p>Au soir du premier tour, Emmanuel Macron arrive en tête avec 24 %, suivi par Marine Le Pen à 21,3 %, qualifiée mais avec un score inférieur à ce qu’elle pouvait espérer un an plus tôt. François Fillon est à 20 % et Jean‑Luc Mélenchon à 19,6 %. C’est un panorama tout à fait inattendu qui sort donc des urnes, les <a href="https://theconversation.com/apres-lechec-de-la-droite-les-scenarios-de-la-recomposition-76674">deux partis traditionnellement en tête</a> se retrouvant éliminés du second tour.</p>
<h2>Un second tour en partie d’adhésion, en partie de rejet</h2>
<p>Un peu comme en 2002, l’enjeu du second tour change donc de nature. Dans une situation de grande division politique et de flou sur les recompositions politiques à venir, il ne s’agit plus de savoir si on souhaite un Président et une majorité de gauche ou de droite, mais de manifester un soutien ou un rejet de l’extrême droite.</p>
<p>Comme on pouvait s’y attendre, Emmanuel Macron est largement élu, avec 66,1 % des voix, faisant même mieux que ce que lui prédisaient les derniers sondages. D’après Ipsos à la veille du second tour, les reports de voix lui auraient été assez favorables, puisqu’il aurait attiré 71 % de l’électorat Hamon, 52 % de l’électorat Mélenchon, 48 % de l’électorat Fillon et 27 % des suffrages Dupont-Aignan. Ce vote semble avoir été chez un peu plus d’un électeur sur deux un vote d’adhésion, alors que les autres ont voté pour éliminer Marine Le Pen, sans être convaincus par le candidat et le programme d’Emmanuel Macron.</p>
<p>Avec 33,9 % des suffrages, Marine Le Pen fait beaucoup mieux que son père 17 ans plus tôt. D’après le même sondage, elle aurait récupéré 30 % du vote Dupont-Aignan, 20 % du vote Fillon, 7 % du vote Mélenchon et 2 % du vote Hamon. Ce qui montre qu’elle a réussi – au moins en partie – son entreprise de dédiabolisation et que le Front républicain anti-FN s’est affaibli. Alors que son père ne retrouvait même pas au second tour l’ensemble des voix de l’extrême droite au premier, elle gagne 12,6 points dans l’entre-deux tours. Elle a donc une certaine capacité de rassemblement, même si son parti continue à être rejeté par beaucoup.</p>
<p>Il faut, enfin, insister sur l’importance de l’abstention – 25,4 % des inscrits – et des votes blancs et nuls – 11,5 % –, soit au total plus d'un tiers des électeurs, légèrement plus qu’en 1969. Dans un second tour opposant le gaulliste Georges Pompidou et le centriste Alain Poher, 35,6 % n’avaient pas voulu choisir entre « blanc bonnet et bonnet blanc », selon l’expression du communiste Jacques Duclos.</p>
<p>En 2017, les différences sont évidemment beaucoup plus fortes entre les deux finalistes, mais un nombre très important d’électeurs n’ont pas choisi entre ce qu’ils considèrent comme deux perspectives aussi peu satisfaisantes l’une que l’autre. Ce rejet de l’offre électorale aurait concerné – toujours selon le sondage Ipsos – 43 % des électeurs Dupont-Aignan, 41 % de ceux de Jean‑Luc Mélenchon, 32 % chez François Fillon, 27 % chez Benoît Hamon. Les électeurs se reportent semble-t-il un peu moins facilement qu’autrefois, ne voulant pas donner leur confiance à quelqu’un qu’ils apprécient peu.</p>
<h2>Des législatives très ouvertes</h2>
<p>Dans leur discours de la soirée électorale, le nouvel élu et la perdante ont tous deux cherché à mobiliser pour les élections législatives, le premier en demandant aux électeurs de lui donner une majorité présidentielle et la seconde en se présentant comme l’incarnation de l’opposition. En fait, le paysage de la campagne législative sera loin d’être aussi réducteur.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/tTWAktWiocA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Les premiers sondages réalisés dimanche soir sur les intentions de vote au premier tour législatif – qui évidemment ne préjugent pas du résultat, d’autant qu’on ne connaît pas encore les candidatures dans chaque circonscription – indiquent que les votes devraient davantage ressembler aux résultats du premier tour présidentiel qu’à ceux du second. Selon Harris interactive, En Marche ! et le Modem sont crédités de 26 % des voix, le Front national de 22 %, Les Républicains et l’UDI également de 22 %, La France insoumise de 13 %, le Parti socialiste et le PRG de 8 %.</p>
<p>Ce sondage indique aussi qu’un peu plus de la moitié des interviewés souhaitent une majorité parlementaire allant du centre gauche au centre droit plutôt qu’une majorité de droite ou de gauche. Mais selon le sondage Ipsos, 61 % ne veulent pas d’une majorité absolue pour le nouveau Président. Kanta Sofres indique des tendances semblables. Les électeurs semblent donc assez hésitants entre un vote de confirmation de l’élection présidentielle et un vote manifestant davantage une attitude critique, selon les orientations politiques de chacun.</p>
<p>Lorsque les sondages prendront en compte l’offre électorale et mesureront des intentions en fonction du nom des candidats dans chaque circonscription, l’effet de leur notabilité est susceptible de faire bouger le panorama de départ, ce qui défavorisera En Marche ! si le nouveau parti présente, comme il l’a dit, une moitié de candidats complètement nouveaux dans la vie politique et peu connus, même si le profil de cadres ayant exercé des responsabilités professionnelles dans le public et le privé <a href="https://en-marche.fr/le-mouvement/legislatives">semble privilégié</a>.</p>
<h2>Un troisième et quatrième tours décisifs</h2>
<p>Évidemment, le résultat du premier tour sera aussi dépendant du jugement porté sur le premier mois d’activité du gouvernement nommé à la mi-mai et sur le degré de recomposition du système partisan. Du côté des socialistes, il y aura probablement trois tendances : celle du basculement complet vers En Marche ! en abandonnant la « vieille maison », celle qui voudra être à la fois PS et majorité présidentielle, celle qui voudra rester fidèle à la filiation socialiste. Cet éclatement à gauche semble devoir être beaucoup plus fort qu’à droite où le basculement vers la majorité présidentielle devrait être nettement plus limité.</p>
<p>Il y aura certainement peu d’élus au soir du premier tour, le résultat final du second dépendra beaucoup de l’existence ou non d’accords de désistement entre tendances, puisque notre système électoral donne un avantage considérable au second tour aux alliances, qu’elles soient ou non formalisées. De ces accords dépendront le nombre de compétitions avec trois, voire rarement quatre candidats pouvant se maintenir au second tour, selon la participation électorale au premier, puisqu’il faut avoir obtenu plus de 12,5 % des inscrits – soit souvent 20 % des exprimés – pour pouvoir se maintenir.</p>
<p>Le résultat final de la séquence électorale à quatre tours qui ponctue notre vie politique depuis 2002 reste donc très ouvert entre plusieurs hypothèses :</p>
<ul>
<li><p>une majorité présidentielle pour appliquer – en principe – le programme du président ;</p></li>
<li><p>une majorité de coalition allant du centre gauche au centre droit ;</p></li>
<li><p>une majorité de droite et du centre, débouchant sur une cohabitation ;</p></li>
<li><p>une majorité de gauche mais cette dernière hypothèse semble aujourd’hui improbable.</p></li>
</ul>
<p>Ces législatives vont donc être très différentes de ce qu’on a connu depuis 2002. Elles ne seront pas seulement la confirmation de l’élection présidentielle, l’enjeu sera beaucoup plus fort puisque la teneur de la majorité de gouvernement reste très incertaine. L’importance de ce choix pourrait faire baisser l’abstention qui avait atteint un record en 2012 avec 42,8 % au premier tour et 44,6 % au second.</p>
<p>Ces législatives vont constituer une étape marquante dans un début de recomposition du système partisan. En ce sens, elles pourraient être plus décisives encore que l’élection présidentielle elle-même.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/77353/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Bréchon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les législatives vont constituer une étape marquante dans un début de recomposition du système partisan. En ce sens, elles pourraient être plus décisives que l’élection présidentielle elle-même.Pierre Bréchon, Professeur émérite de science politique, Sciences Po Grenoble, Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/773252017-05-08T06:02:07Z2017-05-08T06:02:07ZPrésident Macron, une nette victoire mais une dernière marche reste à franchir<p>L’élection à la présidence de la République d’Emmanuel Macron est un incroyable succès pour un candidat au parcours aussi atypique : création <em>ex nihilo</em> d’un mouvement qui ne se veut pas un parti politique un an avant l’élection ; inexpérience électorale du candidat qui n’a jamais concouru au moindre scrutin ; fragilité redoublée par son « jeune » âge alors qu’on s’emploie à dire depuis les débuts de la V<sup>e</sup> République que la Présidence nécessite de passer la cinquantaine en ayant cumulé mandats et expériences ; volonté de dépasser les clivages habituels et les forces politiques instituées se faisant ainsi de solides ennemis de tous côtés.</p>
<p>Malgré ces sérieux obstacles, il a réussi, en arrivant à tourner en atouts ses handicaps. Mais cette élection reste le résultat d’une conjoncture électorale plus que singulière, avec pour adversaire une candidate d’extrême droite qui fait toujours peur à une majorité de Français et qui s’est autodissoute lors de sa calamiteuse et choquante prestation télévisée de ce qu’on peine à appeler un « débat » de second tour tant elle a <a href="https://www.marianne.net/debattons/entretiens/marine-le-pen-profanatrice-des-regles-du-debat-democratique">profané les règles du débat démocratique</a>. Si le « vote républicain » a joué en faveur d’Emmanuel Macron, le soutien du vote populaire reste très modéré. Cela augure une difficile bataille législative pour obtenir la majorité qu’il désire pour conduire ses réformes.</p>
<p>Revenons donc sur les facteurs explicatifs du succès d’Emmanuel Macron, avant de regarder l’état des rapports de forces électoraux et en tirer quelques conclusions sur son « mois utile » entre la date de son intronisation et le scrutin législatif.</p>
<h2>Les cinq marches du succès</h2>
<p><strong>1.</strong> Bien sûr, Emmanuel Macron n’a aucune expérience électorale et donc d’administration d’un territoire. Bien sûr, il n’avait pas le soutien d’un des grands partis de gouvernement. Cela apparaissait comme un défaut rédhibitoire, c’était en réalité un <a href="https://theconversation.com/macron-candidat-de-la-protestation-si-si-71018">atout</a>. Car cela accrédita sa posture de rebelle contre une certaine façon de concevoir le monde politique, avec son lot d’excès de professionnalisation, de cumul des mandats, de petits arrangements entre époux ou en famille, de longévité excessive… Il a su incarner la réponse à l’un des reproches chroniques des Français contre la « classe politique » en proposant une « moralisation de la vie politique », dit-il.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/-w1ptogUc2Q?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p><strong>2.</strong> Il a su aussi incarner une position de défense des institutions européennes et de volonté de voir la France écrire son destin au sein de l’Europe, avec des euros en poche. À cet égard, sa déambulation nocturne dans la cour du Louvre au son de l’Hymne à la joie (hymne européen) fut son plus beau coup de communication symbolique de la soirée électorale.</p>
<p><strong>3.</strong> Au jeu des postures, il a su capter la volonté d’une partie des Français d’entendre un discours d’optimisme, de foi dans l’avenir, de confiance dans l’aptitude du tissu social et économique de la France à s’en sortir, à prospérer. Ce que ses adversaires raillent comme les bénéficiaires de la <a href="https://theconversation.com/emmanuel-macron-heraut-de-la-mondialisation-heureuse-64268">« mondialisation heureuse »</a>. Mais au-delà de la dimension d’un vote de classe – puisque, oui, la France de Macron est diplômée, faite de cadres supérieurs et professions intermédiaires, de retraités plutôt aisés, d’électeurs aux revenus plus élevés que la moyenne, pendant que l’électorat dominant de Le Pen en est le miroir inversé –, ce vote traduit aussi la séduction qu’exerce un <a href="http://theconversation.com/quest-ce-que-le-liberalisme-egalitaire-comprendre-la-philosophie-de-macron-76808">discours</a> qui appelle chacun à réussir son épanouissement, en promettant de lever les entraves et lourdeurs qui gênent l’esprit d’initiative individuel.</p>
<p><strong>4.</strong> Comme dans toute élection, il faut une part de chance liée aux erreurs des adversaires. Celle-ci n’a pas manqué à Emmanuel Macron. La principale est la démonétisation, par affaire politico-judiciaire interposée, de son rival à droite. Mais, notons que l’élimination de deux de ses rivaux (PS et LR) est le <a href="https://theconversation.com/lamere-lessive-de-la-mere-denis-la-presidentielle-a-lepreuve-du-prelavage-des-primaires-75437">fruit du piège des primaires</a>. Or un des actes fondateurs d’Emmanuel Macron tient justement à son refus d’y participer. La « primaire victime » du scrutin présidentiel c’est cette théorie selon laquelle, le vainqueur de la primaire sort forcément grandi de l’épreuve, posé sur une rampe de lancement pour faciliter sa campagne devant tous les Français. C’est exactement le contraire qui s’est passé. Puisque la situation était qu’aucun leadership ne s’imposait avec évidence, les divers candidats ont joué sur des positionnements assez différents. Et à LR comme au PS, le gagnant fut celui qui prit l’investiture par son aile radicale, à la droite ou à la gauche.</p>
<p>Ce qui permettait de complaire à son électorat le plus mobilisé et démonstratif est devenu chez Fillon et Hamon un boulet plus ou moins facile à porter. François Fillon a coupé ainsi une partie du lien avec l’électorat populaire de droite tissé par Nicolas Sarkozy. Benoît Hamon a créé ainsi les conditions d’une porosité entre l’électorat PS et le mouvement des insoumis, tout en jetant l’électorat social-démocrate habituel du PS dans les bras d’Emmanuel Macron. Ses deux rivaux immédiats à sa droite et à sa gauche ont ouvert un boulevard politique à Emmanuel Macron que son talent a transformé en autoroute.</p>
<p>De plus, Marine Le Pen a fait peur à l’électorat conservateur âgé de droite, susceptible de la rejoindre au second tour, avec sa mesure phare de <a href="https://theconversation.com/abandonner-leuro-quand-les-fetards-auront-dessaoule-74207">sortie de l’euro</a>. Elle a créé ainsi son propre plafond de verre par la peur économique engendrée. Et ses explications fumeuses durant l’entre-deux tours pour expliquer que, finalement, on sortirait de l’euro, mais peut-être pas complètement, ont fini le travail. Et elle a ajouté un dernier clou à son cercueil par sa prestation violente lors du pugilat télévisé du second tour et l’étalage de son incompétence crasse sur de nombreux sujets.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/oA8YFmzShU8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p><strong>5.</strong> Enfin, pour le meilleur ou pour le pire diront certains, ce succès est le fruit d’une formidable machinerie marketing. La création du mouvement En Marche ! a permis de mobiliser des bénévoles pour faire du porte à porte pour recueillir l’avis de milliers de Français. Données qui ont ensuite été compilées, triées, hiérarchisées, <a href="http://tempsreel.nouvelobs.com/rue89/rue89-politique/20161116.RUE3756/comment-emmanuel-macron-a-fait-son-diagnostic.html">algorithmisées</a> pour aider à définir les argumentaires de campagne, à trouver les mots percutants, à cibler des sous-catégories d’électeurs. Un travail de pros qui a dont connu la consécration par cette victoire.</p>
<h2>La périlleuse marche législative</h2>
<p>Cette victoire vient rassurer tous ceux qui voient avec soulagement le jeu de domino s’arrêter là. Après le Brexit et après Trump, la France ne sera pas une nouvelle prise de choix pour les populistes et les nationalistes xénophobes. Mais ce n’est pas parce que la victoire est belle, qu’elle doit aveugler. Heureusement pour eux, l’équipe Macron et lui-même ont évité de sombrer dans le triomphalisme hier soir. Mieux même, la première allocution télévisée du président élu était empreinte de gravité au point de frôler le sinistre.</p>
<p>Ils ont bien compris qu’une bonne partie de la France n’a pas voté, qu’une autre a voté <a href="https://theconversation.com/les-votes-blancs-et-nuls-feront-cette-election-77183">blanc ou nul</a>, qu’une autre s’est ralliée au panache de monsieur Macron pour mieux choisir son adversaire des cinq années à venir, en éliminant la pire ennemie. Mais cela traduit bien que l’obstacle législatif à franchir est conséquent, ce que montrent plusieurs indicateurs.</p>
<p>Le sondage Ipsos du jour du scrutin indique que 43 % des électeurs Macron ont d’abord voté pour lui, pour barrer Mme Le Pen, 33 % pour le renouvellement politique qu’il incarne et 16 % pour son programme. Ce qui ne signifie pas que seulement 16 % approuvent son programme, puisque la question posée dans ce sondage est celle de la hiérarchisation des motivations de vote.</p>
<p>Dans un contexte où l’abstention (signe d’un refus volontaire des deux candidatures) a cru fortement entre les deux tours et atteint un haut niveau pour un second tour avec – en sus – un taux record de vote blanc et nul sous la V<sup>e</sup> République, il convient de ne pas raisonner en pourcentage des suffrages exprimés officiels, mais de regarder le pourcentage des inscrits.</p>
<p>En comparant les quatre derniers Présidents, on s’aperçoit vite dans notre graphique que le socle électoral d’Emmanuel Macron est fragile. Après le score historiquement bas de Jacques Chirac en 2002, Nicolas Sarkozy avait réussi à redresser le score de premier tour de l’élu final. Mais depuis la pente est à nouveau à l’affaiblissement du score. Emmanuel Macron n’étant qu’à 18,2 % des inscrits. Et pour le second tour, Emmanuel Macron fait jeu égal avec Nicolas Sarkozy en 2007, alors qu’il bénéficie d’un « front républicain », certes partiel mais existant quand même ! Et chacun peut voir qu’on est très loin du soutien de 2002 à Jacques Chirac.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/168286/original/file-20170508-14381-8xvttm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/168286/original/file-20170508-14381-8xvttm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=481&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/168286/original/file-20170508-14381-8xvttm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=481&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/168286/original/file-20170508-14381-8xvttm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=481&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/168286/original/file-20170508-14381-8xvttm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=605&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/168286/original/file-20170508-14381-8xvttm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=605&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/168286/original/file-20170508-14381-8xvttm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=605&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Résultats présidentiels 2002-2017.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ce résultat global fragile, se concrétise au niveau des départements, sous forme de situations triangulaires, où votes Macron, votes Le Pen et le « parti » des blancs et nuls, se divisent plus ou moins en trois tiers, rapportés aux inscrits. C’est le cas dans l’Yonne, l’Oise, le Pas de Calais, les Ardennes par exemple.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/168285/original/file-20170508-14374-1ag0zie.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/168285/original/file-20170508-14374-1ag0zie.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=196&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/168285/original/file-20170508-14374-1ag0zie.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=196&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/168285/original/file-20170508-14374-1ag0zie.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=196&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/168285/original/file-20170508-14374-1ag0zie.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=247&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/168285/original/file-20170508-14374-1ag0zie.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=247&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/168285/original/file-20170508-14374-1ag0zie.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=247&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Tableau de résultats départementaux.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ajoutons, enfin, que si la présidentielle se joue sur une circonscription unique, les législatives sont la somme de 577 configurations singulières, qui dépendent des cultures politiques locales, des personnalités en lice, surtout de celles qui ont un fief électoral ou pas. Le pari des candidatures très renouvelées pour nombre d’investitures En Marche ! est un pari audacieux, car il n’y aura pas des centaines de mini-Macron dans chaque circonscription et l’inexpérience électorale n’est pas encore devenue le <em>nec plus ultra</em> pour se faire élire en toutes circonstances, surtout pour une campagne si courte.</p>
<p>Et si, au nom d’une méthode Coué classique (et de bonne guerre) les dirigeants d’En Marche ! disent que les Français seront cohérents et donneront une majorité à celui qu’ils ont fait Président, il ne faut rester lucide. Ce mécanisme, habituel et plutôt vérifié, peut cette fois-ci se gripper.</p>
<p>Une forte abstention peut rendre plus difficile à atteindre le seuil de qualification des 12,5 % des inscrits pour figurer au second tour. Dans les zones où Emmanuel Macron a eu du mal à atteindre les 20 % des suffrages exprimés au premier tour, avec une bonne participation nationale, la tâche pour ses candidats aux législatives sera ardue. Les triangulaires qui vont sans doute fleurir un peu partout produisent des configurations très très incertaines pour le second tour, rendant les projections fort compliquées.</p>
<p>On l’aura compris : la marche vers la majorité législative sera difficile et escarpée. D’autant que vont s’ajouter les tractations avec les sortants venant d’autres forces politiques qu’il va falloir rendre lisibles et crédibles. Enfin, il y a bien peu de chances que les électeurs des partis éliminés du premier tour, surtout à droite, se désintéressent des législatives, par dépit. On peut s’attendre plutôt à ce qu’ils soient motivés par un esprit de revanche, considérant que leur champion a été éliminé par acharnement médiatico-judiciaire.</p>
<h2>Démarches symboliques</h2>
<p>Mais Emmanuel Macron peut s’ingénier à s’éclairer le chemin. On peut penser que les dirigeants d’En Marche ! comptent sur le mécanisme de l’engagement bien mis au jour par les psychologues <a href="https://www.contrepoints.org/2013/10/12/142279-petit-traite-manipulation-lusage-honnetes-gens">Beauvois et Joule</a>. Ils espèrent sans doute que certains électeurs du second tour ayant soutenu Macron par défaut se sentiront néanmoins engagés par ce choix et subiront intérieurement un conflit entre retour à leurs allégeances habituelles et volonté de montrer une forme de cohérence entre les deux scrutins. Mais pour que ce ressort psychologique joue à plein, il faudra donner des gages, donner des signes encourageants. Et là les premières décisions à prendre seront lourdes de sens.</p>
<p>Il n’est pas exagéré d’écrire que, dans ce contexte, de fortes divisions (au moins en <a href="https://theconversation.com/une-france-pliee-en-quatre-mais-qui-ne-fait-pas-rire-76585">quatre</a>) du pays, où le scrutin législatif est incertain, le quinquennat d’Emmanuel Macron va se jouer dans ce tout premier mois. Entre les gestes et discours du nouveau Président, la désignation du premier ministre, la composition du gouvernement, et l’annonce des premières mesures gouvernementales ne nécessitant aucun vote du Parlement, tout ce qui va être décidé aura des allures d’actes symboliques pouvant créer ou briser une dynamique électorale.</p>
<p>La démarche symbolique du premier mois sera vitale pour le Président Macron afin de franchir l’ultime marche, celle de la majorité parlementaire. Sinon trois scénarios défavorables se dessinent pour lui : la cohabitation, les coalitions plus ou moins bancales ou pires : la majorité introuvable.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/77325/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Arnaud Mercier est président de l'association The Conversation France. </span></em></p>Pour une analyse à chaud du scrutin, trois aspects sont à aborder : les clés de ce succès, les fragilités qu’il recèle, l’importance décisive du mois à venir dans les actes et les discours.Arnaud Mercier, Professeur en Information-Communication à l’Institut Français de presse, Université Paris-Panthéon-AssasLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/766762017-04-27T20:27:45Z2017-04-27T20:27:45Z« Mieux que les sondages », ou les menues escroqueries intellectuelles de Filteris<p>Dans le climat de dénigrement systématique des sondages durant cette campagne présidentielle française, un acteur nouveau est apparu : les agences d’étude des messages publiés par les internautes sur leurs comptes de réseaux sociaux. Même si cette activité existe depuis une petite dizaine d’années, la visibilité que certains médias et candidats leur ont donnée est inédite.</p>
<p>Ces agences qui scrutent ce qui dit sur ces réseaux ou qui incitent les gens à venir s’exprimer sur leurs plateformes ambitionnent toutes de transformer ces messages en des métriques sociales, des données chiffrées qui objectiveraient le rapport de force entre les candidats, en terme de poids relatif de la conversation en ligne concernant chaque candidat.</p>
<p>Et le désespoir pathétique des militants les plus durs de la droite filloniste les a conduits à s’accrocher, telle une bouée de secours en pleine tempête, à ces statistiques nouvelles livrées par des sociétés qui ont ainsi connu leur heure de gloire dans la presse engagée à soutenir François Fillon, au premier rang desquels l’appli YouGOV ou Filteris, société canadienne animée par des Français.</p>
<p>On a ainsi vu gonfler sous nos yeux ébahis un microécosystème, articulant dans des liens réciproques de promotion croisée l’équipe de campagne de François Fillon, les sites d’information les plus à droite et quelques sociétés en mal de reconnaissance et de publicité. Microécosystème qui avait finalement tout d’une petite arnaque intellectuelle entre amis.</p>
<h2>Dévoiement de la mesure numérique des conversations sociales</h2>
<p>Démontons donc cette tentative de manipulation de l’opinion qui prit pour cible les sondages d’intention de vote en s’appuyant sur des pseudo concurrents pour essayer de donner vie à une réalité inverse de celle que les sondages donnaient à voir. Celle-là même que le scrutin a confirmée, puisque les <a href="https://theconversation.com/drafts/76617/edit">sondages ne sont pas trompés</a>, donnant le quinté des candidats dans l’ordre exact et avec des chiffres compris dans les marges d’erreur.</p>
<p>Cette mesure de la conversation sociale est très utile, très instructive. Elle fut utilisée dans bien des élections passées en France. Nous avons nous-mêmes conduit en 2014 une étude pour établir un <a href="https://fr.slideshare.net/arnomercier/baromtre-des-municipales-sur-Twitter-france-info-semiocast-obsweb">baromètre de la tweet-campagne</a> des municipales sous l’égide de France Info et sous la houlette de la société d’étude Semiocast.</p>
<p>Pourtant en 2017, les thuriféraires de ces mesures en période électorale en ont dévoyé totalement le sens en se positionnant comme des concurrents directs des sondages d’intention de vote, au lieu de rester prudemment dans une position de complémentarité. Le journal <em>Valeurs actuelles</em> en a fait un baromètre quotidien concurrent des sondages, publiant chaque jour le nouveau graphique publié par Filteris. Le site <em>Atlantico</em> s’est engouffré dans la même voie qu’il croyait être une brèche, donnant une forte visibilité à des métriques qui ne peuvent pas dire ou prédire ce pour quoi elles ne sont pas conçues, à savoir : exprimer un vote !</p>
<blockquote>
<p>« Depuis plusieurs semaines, toutes les analyses big data donnent invariablement François Fillon vainqueur de cette présidentielle, qu’il s’agisse de Filteris, ElectionScope, YouGov et Multivote, ou plus simplement des sondages appelant les internautes à faire un choix… Même si elles ont déja démontré leur pertinence (élection de Trump, Brexit, primaires de la droite et du centre), ces analyses attirent systématiquement les critiques des sondeurs et celles des partisans d’Emmanuel Macron. »<br>
Atlantico (1<sup>er</sup> avril 2017).</p>
</blockquote>
<p>Sous le titre « Un sondeur annonce que Fillon sera au second tour », qui introduit un coupable brouillage des repères, puisqu’il ne s’agit pas du tout d’un institut de sondage au sens classique, <em>Valeurs actuelles</em> publia le 17 avril, un article commençant ainsi :</p>
<blockquote>
<p>« Interrogé sur France Info, mercredi 12 avril, le cofondateur de l’application GOV, qui sonde gratuitement des milliers de Français, annonce que « François Fillon sera au second tour ». Il ajoute : « N’en déplaise aux principaux instituts qui les font, les sondages traditionnels ont montré leurs limites. Réalisées presque quotidiennement auprès d’un nombre de personnes réduit, ces études particulièrement prisées en période électorale ont déjà prouvé qu’on ne pouvait pas s’y fier, comme l’a montré l’élection de Donald Trump aux États- Unis. »</p>
</blockquote>
<p>Que des journaux qui ne cachent pas leur posture militante de droite s’adonnent à des articles visant à dénigrer les sondages, à instiller le doute sur ce qui se dit de défavorable au sujet du candidat qu’ils soutiennent, c’est n’est pas très honnête intellectuellement mais après tout attendu. Que, cruellement démenti par les faits, cela ne les amène pas à faire amende honorable et à s’excuser auprès de leurs lecteurs d’avoir accrédité de telles fables est en revanche bien triste.</p>
<p>Mais il est plus intéressant de s’occuper des soubassements factuels et intellectuels des sociétés elles-mêmes, en prenant pour cas d’école les postures des responsables de Filteris.</p>
<h2>Filteris, une pseudo martingale instrumentalisée par le bunker Fillon</h2>
<p>Leurs porte-parole véhiculent depuis des mois un argumentaire à géométrie variable servant à la fois à s’autopromouvoir comme des visionnaires quand cela les arrange et à réfuter les critiques quand ils sont pris en faute de prévision. Puisque des semaines durant, il a été question d’opposer ces « vraies » métriques aux « mauvais » sondages, rappelons graphiquement la cruelle réalité.</p>
<p>À titre d’exemple, voici le sondage IFOP du 21 avril 2017 :</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/166523/original/file-20170424-12650-93gfw4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/166523/original/file-20170424-12650-93gfw4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=504&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/166523/original/file-20170424-12650-93gfw4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=504&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/166523/original/file-20170424-12650-93gfw4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=504&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/166523/original/file-20170424-12650-93gfw4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=633&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/166523/original/file-20170424-12650-93gfw4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=633&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/166523/original/file-20170424-12650-93gfw4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=633&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">DR</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Et voici les résultats officiels du ministère de l’Intérieur :</p>
<ul>
<li><p>Emmanuel Macron : 24,01</p></li>
<li><p>Marine Le Pen : 21,3</p></li>
<li><p>François Fillon : 20,01</p></li>
<li><p>Jean‑Luc Mélenchon : 19,58</p></li>
</ul>
<p>On constatera que Macron était surévalué de 0,5 point, Le Pen surévaluée de 1,3 point, Fillon sous-estimé de 0,5 point et Mélenchon sous-estimé de 1 point. Tout est donc parfaitement compris entre les marges d’erreur et est, en vérité, précis, puisque c’était le quarté gagnant. Que donnaient aussi d’autres instituts d’ailleurs. Comparons maintenant avec l’ultime métrique de Filteris, le 21 avril :</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/166890/original/file-20170426-2828-1v5quyo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/166890/original/file-20170426-2828-1v5quyo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=358&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/166890/original/file-20170426-2828-1v5quyo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=358&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/166890/original/file-20170426-2828-1v5quyo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=358&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/166890/original/file-20170426-2828-1v5quyo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=450&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/166890/original/file-20170426-2828-1v5quyo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=450&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/166890/original/file-20170426-2828-1v5quyo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=450&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Filteris 21 avril 2017.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Avec les indications de Filteris, pas un seul des candidats n’est à sa vraie place. Je n’irai pas jusqu’à calculer les points d’écart entre cette métrique et celle du scrutin, puisque cela ne mesure pas la même chose ! Ce serait aussi ridicule que d’essayer de faire une comparaison entre des taux de chômage et un taux de satisfaction des services de Pôle emploi calculé à partir de la conversation sociale sur Twitter et Facebook. Enivrés par ce qu’ils croient être la performance prédictive du vote, de leur outil, les responsables de Filteris se sont livrés à ces comparaisons aussi douteuses qu’absurdes sur leur site.</p>
<p>Commençons par leur griserie des sommets :</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/166892/original/file-20170426-2822-bf99pq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/166892/original/file-20170426-2822-bf99pq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=147&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/166892/original/file-20170426-2822-bf99pq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=147&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/166892/original/file-20170426-2822-bf99pq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=147&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/166892/original/file-20170426-2822-bf99pq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=184&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/166892/original/file-20170426-2822-bf99pq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=184&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/166892/original/file-20170426-2822-bf99pq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=184&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">buzzpol.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ce discours leur faire croire qu’ils rivalisent de plain-pied avec les sondages. D’ailleurs, ils s’intègrent sans vergogne dans un classement comparatif en dressant une égalité de valeur entre des chiffres qui n’ont jamais mesuré la même chose :</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/166893/original/file-20170426-2857-vudrwm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/166893/original/file-20170426-2857-vudrwm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=720&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/166893/original/file-20170426-2857-vudrwm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=720&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/166893/original/file-20170426-2857-vudrwm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=720&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/166893/original/file-20170426-2857-vudrwm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=905&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/166893/original/file-20170426-2857-vudrwm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=905&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/166893/original/file-20170426-2857-vudrwm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=905&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Buzzpol correlation image scrutin.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>En étudiant d’un peu plus près leur discours autopromotionnel, on démasque assez vite la supercherie.</p>
<p>Dans une interview avec un très complaisant André Bercoff (collaborateur régulier de <em>Valeurs actuelles</em>), sur le plateau de Sud Radio, une des responsables de Filteris, Véronique Queffelec affirme que grâce à leurs collectes de millions de données et à l’identification de la sentimentalité des messages émis, les responsables de Filteris peuvent établir un classement. Et elle déroule :</p>
<blockquote>
<p>« Attention, on a aussi un pourcentage possible d’erreur, mais en général on est quand même assez près du résultat. Déjà en 2007, alors que cette technologie en était à ses balbutiements, le premier tour des élections présidentielles françaises, nous avons trouvé Bayrou à 18,6, il a fait 18,57 et les sondeurs à la même époque le donnaient à 10 ! (…) Sur la primaire de droite, nous avons dès le 12 octobre dit que F. Fillon serait au deuxième tour, le 13 octobre un institut de sondage le plaçait en quatrième position. (…) De même, nous ne sommes pas trompés pour l’élection de Trump, (…) un mois avant nous avions annoncé la probabilité de l’élection de Trump, de sa victoire ! »</p>
</blockquote>
<p>Les hauts faits d’armes s’accumuleraient donc : Filteris donne souvent des métriques de conversation sociale dont le chiffre est très proche du résultat du vote ; Filteris prévoit les résultats un mois à l’avance ; Filteris donne des chiffres justes à des moments où les sondages, eux, sont totalement largués.</p>
<h2>Filteris et ses pathétiques justifications en cas d’erreur</h2>
<p>Mais, alors, comment expliquer des erreurs de prévision cruelle comme par exemple, cas d’école, la primaire de gauche où l’outsider Benoît Hamon a été complètement raté par Filteris ?</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/166894/original/file-20170426-2841-x7wcao.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/166894/original/file-20170426-2841-x7wcao.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=411&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/166894/original/file-20170426-2841-x7wcao.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=411&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/166894/original/file-20170426-2841-x7wcao.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=411&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/166894/original/file-20170426-2841-x7wcao.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=517&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/166894/original/file-20170426-2841-x7wcao.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=517&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/166894/original/file-20170426-2841-x7wcao.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=517&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Filteris primaires de gauche.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>La réponse est simple, elle est apportée dans un message posté sur le Facebook de la société le 19 février. Au commentaire perfide d’un internaute qui leur écrit : « Tiens, les petits génies de Filteris au gros melon se plantent aussi », la société répond :</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/166895/original/file-20170426-2848-1xxj2ue.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/166895/original/file-20170426-2848-1xxj2ue.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=70&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/166895/original/file-20170426-2848-1xxj2ue.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=70&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/166895/original/file-20170426-2848-1xxj2ue.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=70&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/166895/original/file-20170426-2848-1xxj2ue.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=89&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/166895/original/file-20170426-2848-1xxj2ue.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=89&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/166895/original/file-20170426-2848-1xxj2ue.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=89&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">reponse Facebook filteris.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ainsi quand leur fumeuse martingale correspond plus ou moins au résultat final un mois avant, ils en tirent gloire en en faisant un argument décisif de supériorité face aux sondages et quand leur résultat est démenti, ils se justifient en disant que des « variations importantes » peuvent intervenir « et ce très rapidement ». Bref, ils sont très bons car eux sont des visionnaires et voient des choses un mois avant tout le monde, et quand ils sont mauvais, c’est qu’il faut tenir compte du temps qui change le cours des choses jusqu’au dernier moment.</p>
<p>Filteris, ivre de ses soi-disant prodiges passés, a entretenu la flamme de ceux qui leur octroyaient en échange une publicité aussi imméritée qu’inespérée, en instrumentalisant un outil de métrique sociale fumeux et complètement dévoyé de ce à quoi il pourrait utilement servir, pour essayer de faire croire à une victoire électorale qui leur échappait. Durant cette fin de campagne chacun a grisé l’autre. Mais les masques sont tombés en même temps que les résultats : le « vote caché » et Filteris sont nus et François Fillon est resté scotché à la troisième place que lui octroyaient tous les sondages. Les vrais !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/76676/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Arnaud Mercier est le président de l'association The Conversation France. </span></em></p>Afin de sauver le candidat Fillon, les sondages d’intention de vote ont été dénigrés et de pseudo métriques ont été artificiellement valorisées pour faire advenir une réalité que le scrutin a démentie.Arnaud Mercier, Professeur en Information-Communication à l’Institut Français de presse, Université Paris-Panthéon-AssasLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/766172017-04-26T21:57:39Z2017-04-26T21:57:39ZPour une critique de la critique des sondages<p>Il est de bon ton de se défier des sondages et d’entonner à grands coups de trompe que ceux qui sont aux manettes de cette technologie de mesure de l’opinion « se trompent », « n’ont pas vu venir Trump », « n’ont rien vu pour le Brexit », « ont raté Fillon durant la primaire » et donc allaient forcément, fatalement se tromper pour la présidentielle 2017. Et bien les faits ont donné raison aux principaux instituts de sondage français.</p>
<p>Les photographies successives qu’ils ont livrées des intentions de vote des Français se sont avérées conformes au résultat final de ce premier tour du scrutin. On constatera que la médiatisation de la critique des sondages s’aligne parfaitement sur les lois habituelles des médias : on ne parle pas des trains qui arrivent à l’heure. Autant des tonnes de salive et d’encre sont déversées pour souligner les insuffisances des sondages quand elles surviennent ou pour dénoncer les manipulations dont les instituts seraient complices, autant quand surgit la froide réalité de l’aptitude des sondeurs à capter correctement l’humeur électorale des Français, il semble peu nécessaire de le souligner.</p>
<p>C’est donc ce que nous souhaitons faire ici, en revenant sur les logiques politiques qui expliquent le (mauvais) procès fait aux sondages et retournant la critique. La nécessité de conserver une posture critique n’est pas forcément là où on nous la désigne : les sondages. Elle est aussi (souvent ?) à exercer contre le discours critique des sondages.</p>
<p>Le procès fait aux sondages, comme nous allons le voir, est un mélange détonnant d’arguments fondés, de fantasmes, de mauvaise foi crasse et d’ignorance de la réalité du travail des sondeurs.</p>
<h2>Critiques fondées des sondages</h2>
<p>Du côté des arguments fondés, on trouve des remarques pertinentes sur la montée de l’indécision et de la volatilité électorales qui fragilise le calcul des intentions de vote, ou sur la complexification de la structuration sociale qui fragilise l’échantillonnage par quotas. Par exemple, et de plus en plus, être « ouvrier » ne signifie pas avoir un statut ou une position commune tant il existe plusieurs façons de se vivre ouvrier. La vraie difficulté de l’exercice des sondeurs relève de la prise en compte pertinente des mutations sociologiques et politologiques de la société pour conserver tout son sens à la notion de quotas représentatifs de la population française.</p>
<p>Mais là où l’ignorance du travail des sondeurs apparaît, c’est quand certains émetteurs de ces critiques laissent entendre que les sondeurs sont des imbéciles heureux qui ne seraient pas les premiers conscients des imperfections de leur outil et qu’ils ne seraient pas eux-mêmes en alerte pour essayer d’en corriger les travers. L’application d’un sommaire raisonnement mercantile ou marketing suffirait à comprendre qu’aucun institut de sondage sérieux n’a intérêt à voir son image durablement accolée à un terrible trou d’air dans l’art de deviner les intentions de vote des Français.</p>
<p>Si Emmanuel Macron n’avait pas été qualifié pour le second tour, cela aurait été un accident industriel pour une profession qui établissait unanimement, depuis plusieurs semaines, qu’il était bien installé dans le duo de tête.</p>
<h2>Attaques excessives des sondages</h2>
<p>Du côté des critiques contre les sondages – qui sont alors des attaques –, on trouve beaucoup de fantasmes et de mensonges. Il est faux de répéter sans cesse que les instituts américains n’ont pas vu la victoire de Trump en plaçant Hillary Clinton en tête des sondages nationaux, alors qu’elle a bel et bien gagné le <a href="https://theconversation.com/aux-etats-unis-limpossible-reforme-du-college-electoral-70240">vote populaire à l’échelle du pays</a>. En revanche, c’est vrai, ils ont échoué à percevoir l’ampleur de l’inversion du rapport de force entre démocrates et républicains dans certains États pouvant basculer (les fameux <em>swing states</em>).</p>
<p>Pour la primaire de la droite, certes les instituts français n’ont pas su capter parfaitement la montée de Fillon, qui fut telle qu’il finira en tête. Mais ils avaient tous repéré, à des degrés divers, <a href="https://theconversation.com/alain-juppe-victime-de-la-peur-du-chirac-bis-69181">sa dynamique ascendante</a>. Et il faut leur rendre grâce que l’exercice n’était pas aisé pour trois raisons :</p>
<ul>
<li><p>c’était la toute première primaire à droite, difficile donc pour les instituts de s’appuyer sur des acquis antérieurs solides ;</p></li>
<li><p>dans une telle primaire, la fongibilité des électorats est forte, et un électeur peut se décider jusque dans l’isoloir, voire y changer d’avis, sans avoir l’impression de se renier ou de trahir son camp. La volatilité électorale dans un tel contexte est donc maximale ;</p></li>
<li><p>de nombreux électeurs de gauche sont venus perturber le jeu puisque pour la modique somme de 2 euros on leur offrait la tête de Nicolas Sarkozy sur un plateau. On peut dire la même chose (quoiqu’à un moindre degré) de la primaire de gauche, où Benoît Hamon est sorti vainqueur avec l’appui d’électeurs très à gauche venus éliminer un Manuel Valls honni plus qu’offrir à Benoît Hamon un tremplin pour le premier tour de la présidentielle.</p></li>
</ul>
<h2>Rejet des sondages qui ne nous arrangent pas</h2>
<p>Évoquons maintenant le biais intellectuel et psychologique qui vient perturber gravement une critique sereine des instituts de sondage : la volonté de ne pas croire les sondages qui ne vont pas dans votre sens. La critique des sondages est, à cet égard, un reflet exacerbé d’un climat plus général de défiance vis-à-vis des faits et des positions de savoir, ce que certains nomment la <a href="https://theconversation.com/post-verite-la-raison-du-plus-fou-70712">« post-vérité »</a>.</p>
<p>Des sondages durablement défavorables ou subitement devenus moins favorables deviennent vite la preuve d’une compromission entre des instituts, des médias, des gouvernants, des forces politiques dominantes, des riches actionnaires tapis derrière, <a href="http://www.francetvinfo.fr/replay-radio/histoires-d-info/histoires-d-info-le-cabinet-noir-cote-obscur-de-l-elysee_2091067.html">des cabinets noirs</a> (il suffit de cocher les cases qui siéent le mieux à sa vision du monde). Dès lors, la technologie sondagière est vouée aux gémonies, elle est aussi trompeuse qu’elle ne se trompe ! Après, chacun trouvera des ressources argumentatives plus ou moins douteuses pour se convaincre que les sondages déraillent.</p>
<p>L’état-major Fillon et ses soutiens dans la presse écrite ou en ligne, ont ainsi inventé la théorie du « vote caché » pour Fillon, que – par essence – les sondages ne pourraient pas voir : véritable grenade dégoupillée que les zélateurs de cette théorie fumeuse s’apprêtaient avec gourmandise voir exploser au visage des sondeurs et des médias qui avaient eu la faiblesse de croire aux sondages.</p>
<p>Puisque les résultats du premier tour sont totalement compris dans les marges d’erreur statistiques des sondages parus, puisque les sondages ont désigné correctement le quinté de tête, dans des proportions respectives exactes, les zélés dénonciateurs et calomniateurs des sondeurs ont dû ravaler leur fiel. Incapables d’entonner l’air de l’« on vous l’avait bien dit ! », il leur faut trouver autre chose pour masquer que c’est bien l’image très dégradée du candidat qui est la plus explicative de son échec.</p>
<p>À la vérité, la posture critique vis-à-vis des sondages dans le champ politique, sous couvert de lucidité face aux risques de manipulations et d’influence qu’ils contiendraient – par essence ou dans l’exploitation que certains en font – cache bien souvent (et plutôt mal) une posture hypocrite. Le sondage d’intention de vote est un outil de mesure de l’opinion sans valeur et sans foi quand les résultats vous sont défavorables et, par transmutation, deviennent des indicateurs instructifs, dignes de considération, dès lors qu’ils vous sont favorables.</p>
<p>Remarquons, pour conclure, qu’aucun des candidats qui a éructé contre les sondages durant cette campagne n’ait eu l’élégance ou l’honnêteté de saluer au soir des résultats, le sérieux du travail des sondeurs et de reconnaître que leurs critiques furent aussi infondées qu’excessives.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/76617/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Arnaud Mercier est président de l'association The Conversation. </span></em></p>Le procès fait aux sondages est un mélange détonnant d’arguments fondés, de fantasmes, de mauvaise foi crasse et d’ignorance de la réalité du travail des sondeurs.Arnaud Mercier, Professeur en Information-Communication à l’Institut Français de presse, Université Paris-Panthéon-AssasLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/766742017-04-25T19:26:14Z2017-04-25T19:26:14ZAprès l’échec de la droite, les scénarios de la recomposition<p>Si la situation de la gauche française apparaît extrêmement préoccupante après le premier tour de la présidentielle, celle de la droite de gouvernement n’est guère plus brillante. Les élections régionales de 2015 avaient mis en évidence le fort poids d’un tripartisme partisan avec le Front national qui confirmait sa capacité à rivaliser avec les deux grands partis de gouvernement, même s’il ne remportait aucune région. <a href="https://www.cairn.info/revue-commentaire-2016-1-page-89.htm">Au second tour</a>, Les Républicains avaient fortement dominé, recueillant près de 41 % des suffrages exprimés et gagnant sept régions métropolitaines sur treize.</p>
<p>Dix-huit mois plus tard, les socialistes et les républicains se trouvent exclus du second tour de l’élection présidentielle. Comment la droite de gouvernement a-t-elle pu en arriver là ? Comment a-t-elle fait pour perdre une élection jugée imbattable, le désaveu du quinquennat socialiste dans l’opinion laissant augurer une alternance « naturelle » ?</p>
<p>La droite et le centre avaient mis en place des primaires citoyennes qui, à l’automne 2016, s’étaient révélées un grand succès puisque les débats télévisés entre candidats étaient très suivis et que la mobilisation était fort importante : 4,3 millions d’électeurs au premier tour, 4,4 au second. Le résultat en fut très surprenant puisque Nicolas Sarkozy, président du parti, se trouvait éliminé dès le premier tour et qu’au second François Fillon, <a href="http://www.lemonde.fr/politique/article/2016/10/25/primaire-a-droite-alain-juppe-consolidesa-position-de-favoridans-l-enquete-electorale-du-cevipof-realisee-par-ipsos-sopra-steria-en-collaboration-avec-le-monde-nicolas-sarko_5019865_823448.html">sous-estimé par les sondages</a>, l’emportait largement sur Alain Juppé, longtemps considéré comme le meilleur candidat de la droite pour affronter Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle. C’est alors la droite des Républicains qui l’emporte sur les tendances plus centristes, avec un programme très libéral en économie, réduisant fortement les fonctions publiques et souvent perçu comme antisocial.</p>
<h2>Une droite battue, mais pas anéantie</h2>
<p>Après Alain Juppé, c’est donc François Fillon qui semble promis à être le prochain président de la République. Mais cet état de grâce est de courte durée. Il commence à régresser dans les sondages dès le mois de décembre. Il éprouve de la difficulté à rassembler l’ensemble de son camp, même s’il revoit en partie son programme pour tenir compte des tendances plus centristes.</p>
<p>Mais ce sont évidemment les affaires autour des contrats de travail de sa famille – qui émergent le 25 janvier dans le <em>Canard enchaîne</em> – qui précipitent son érosion. De 25 % des intentions de vote le 10 janvier il tombe à 22 % le 1<sup>er</sup> février, puis à 18 % le 6 du même mois. Fillon ne parvient plus à défendre son programme, devant en permanence justifier la probité dont il se réclamait. Il oscille ensuite dans les intentions de vote, remontant légèrement vers la fin de la campagne. Pendant plusieurs semaines, la question de son maintien dans la compétition est posée, le <a href="http://www.lexpress.fr/actualite/politique/elections/presidentielle-la-chute-de-francois-fillon-dans-les-sondages-en-deux-graphiques_1878117.html">candidat semble s’acharner à rester</a>, tandis que Les Républicains n’arrivent pas à s’entendre sur un plan B pour lui substituer un leader susceptible de mieux mobiliser la droite.</p>
<p>François Fillon termine sur le score honorable de 20 % des suffrages exprimés – ce qui au vu des affaires et du soutien limité de certains élus dans ce contexte, montre que Les Républicains gardent des soutiens importants dans l’opinion. Ils ne sont pas du tout dans la même position que les socialistes réduits à 6,4 % des suffrages, au terme d’un quinquennat qui a mécontenté une bonne partie de leur électorat. Dès le premier tour, ces derniers étaient divisés entre le candidat officiel du parti, Benoît Hamon, et celui qui, bien qu’ayant rompu avec le Président, François Hollande, avait été responsable de sa politique économique.</p>
<h2>Un électorat âgé, catholique et socialement favorisé</h2>
<p>Malgré ce score honorable, François Fillon est éliminé de la compétition. Son électorat est extrêmement clivé <a href="http://www.ipsos.fr/sites/default/files/doc_associe/ipsos-sopra-steria_sociologie-des-electorats_23-avril-2017-21h.pdf">selon les générations</a> : il recueille moins de 10 % chez les 18-34 ans, guère plus chez les 35-59 ans, mais 27 % des 60-69 ans et 45 % des 70 ans et plus !</p>
<p>L’électorat filloniste est aussi économiquement et socialement favorisé puisqu’on n’y trouve que 8 % d’employés et 5 % d’ouvriers. Corrélat de l’âge, François Fillon est fortement soutenu par les catholiques pratiquants, malgré les affaires : 51 % d’entre eux votent pour lui. Cette sociologie semble devoir faire réfléchir les leaders de la droite : si celle-ci ne trouve pas les moyens d’attirer davantage à l’avenir les jeunes générations et les catégories populaires, elle aura du mal à renouer avec la victoire. Rappelons-nous que Jacques Chirac avait gagné l’élection de 1995 sur le diagnostic de « la fracture sociale ».</p>
<p>Par rapport au premier tour de la présidentielle de 2012 dans laquelle Nicolas Sarkozy avait réuni 27,2 % de suffrages, François Fillon perd donc plus de 7 points. Il ne conserve que 59 % des suffrages du Président sortant. Il perd 17 % des sarkozystes attirés par Emmanuel Macron et 14 % séduits par Marine Le Pen.</p>
<h2>Divisions internes, maintien d’un parti fort et possible cohabitation</h2>
<p>L’avenir de la droite est donc aussi très dépendant de possibles recompositions en cours sur la scène politique. La division interne des Républicains est forte comme le bureau politique <a href="http://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2017/article/2017/04/24/presidentielle-le-bureau-politique-des-republicains-appele-a-choisir-une-consigne-de-vote_5116675_4854003.html">au lendemain de l’élection</a> l’a bien montré. Après l’échec du 23 avril, certains seront-ils tentés de structurer un pôle de centre droit, plus ou moins allié d’Emmanuel Macron ? Et que feront les plus proches d’une droite sécuritaire et anti-immigration ? Certains responsables rejoindront-ils les combats du Front national ?</p>
<p>Mais le scénario de la persistance des Républicains comme pôle fort de la droite et du centre est également tout à fait possible. Un parti a toujours beaucoup à perdre dans les recompositions. Il faut donc en général une longue période d’affaiblissements, de désaccords importants, d’écœurements réciproques entre responsables avant qu’un parti n’éclate. Il faudra suivre l’émergence d’un nouveau leader à la tête du parti – sera-ce un profil de conciliateur ou quelqu’un de plus clivant ? –, puis examiner quelles thématiques Les Républicains inscrivent de manière prioritaire dans leur programme pour espérer emporter une majorité parlementaire et reconquérir les « forces vives » de la société française.</p>
<p>Il est bien sûr beaucoup trop tôt pour pronostiquer les résultats des élections législatives. Mais Les républicains et l’UDI disposent de personnalités bien implantées dans leurs circonscriptions, qui peuvent avoir une bonne image et ne sont pas compromises dans les affaires en cours. Ces personnalités peuvent être souvent en état de battre une gauche divisée, avec un Parti socialiste en voie d’éclatement. Et les candidats du mouvement En Marche !, issus de la « société civile » pourraient avoir du mal à s’imposer dans un scrutin où les hommes politiques professionnels, bien que mal considérés, pourraient souvent apparaître plus crédibles que des néophytes sympathiques mais sans expérience politique.</p>
<p>L’un des scénarios possibles est donc l’émergence d’une majorité de droite qui exercerait le pouvoir dans une cohabitation inattendue ! Mais un autre scénario est évidemment possible : celui de l’absence de majorité à l’issue des législatives, obligeant le futur Président à former une coalition ou à trouver une majorité parlementaire pour chaque projet de loi.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/76674/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Bréchon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment la droite de gouvernement a-t-elle pu en arriver là perdre une élection jugée « imperdable », le désaveu du quinquennat socialiste dans l’opinion laissant augurer une alternance « naturelle » ?Pierre Bréchon, Professeur émérite de science politique, Sciences Po Grenoble, Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/766392017-04-24T21:14:30Z2017-04-24T21:14:30ZPrésidentielle : d’un tour à l’autre, les risques du trompe-l’œil<blockquote>
<p>« Il y a peut-être une naïveté à l’origine de toute entreprise. »<br>Bernard Grasset</p>
</blockquote>
<p>Si être surpris, c’est rencontrer l’inattendu, effectivement le vote du 23 avril ne constitue pas une vraie surprise. Encore moins pour ceux qui, comme Les Républicains ou la France insoumise, en attendaient une autre, laquelle n’est jamais venue.</p>
<p>Voici des semaines que les sondages anticipaient le face à face complètement atypique, pour ne pas dire incongru, entre la candidate du FN et celui d’En Marche. Certes, dans la dernière ligne droite, une incertitude a plané sur le nom des deux éligibles, puisqu’ils étaient finalement quatre à pouvoir y prétendre, qui se tenaient dans un espace étroit de 19 à 24 %, trop faible amplitude au regard de la marge d’erreur. Compte tenu également de l’indécision affirmée de plus d’un quart des électeurs.</p>
<p>Avec une précision millimétrée, le scrutin a néanmoins confirmé collectivement l’hypothèse précocement avancée. Belle journée pour les sondeurs, si souvent décriés ces derniers temps, et dont les erreurs entretenaient bien des espérances ou illusions.</p>
<h2>Stupéfiante élection</h2>
<p>Mais le mot qui convient le mieux pour qui observe les choses avec un peu de recul est <em>stupéfaction</em>. Il l’a fait ! Au cœur d’une France déchirée par le doute, l’angoisse du lendemain, la peur de l’autre entretenue activement, désignant un bouc émissaire commode dans une Europe caricaturée, cherchant une main ferme pour assurer sa protection, qui place-t-on en tête du ballottage ? Le plus européen des candidats, le plus jeune jamais trouvé dans les finalistes de ce type d’élection, le moins impliqué dans l’appareil d’État, le plus inexpérimenté dans les luttes partisanes ! Comment ne pas être stupéfait de ce chemin étonnant parcouru par un jeune homme méconnu du grand public il y a peu, considéré au mieux comme une bulle médiatique, au pire comme une créature du CAC 40, sans bagage électif et donc sans onction démocratique ?</p>
<p>Il fallait une bonne dose de naïveté pour y croire, une charge considérable de volonté d’agir pour poursuivre. Et surtout une intuition claire des attentes profondes des Français. « L’action, disait Bernard Grasset, consiste à découvrir sous la question que l’on vous pose, la question qui se pose. » D’avoir su saisir le désir de rupture et de renouvellement noyé sous la colère et l’indignation amère, Emmanuel Macron a tiré plein profit. À marche forcée. Ce qui valait bien un petit détour pour un verre dans une brasserie avec quelques amis avant de reprendre le combat.</p>
<p>Si l’on veut ignorer un moment les thèses du complot médiatique associé à celui des grandes entreprises, comprendre la portée du vote du 23 avril suppose de mesurer les termes du débat. On dira, bien sûr, qu’Emmanuel Macron a eu de la chance et a su en profiter. Certes, ses adversaires ont commis des erreurs, parfois fatales. Encore y auront-ils été conduits par le système même que le fondateur d’En Marche ! dénonçait.</p>
<p>Au premier rang, il y a eu le piège des primaires que se sont tendus eux-mêmes les deux principaux partis de gouvernement. Il leur fallait trancher de la crise du leadership, et rassembler autour d’eux : dans les deux cas, l’heure fut à la rupture en forme de renouvellement. Hamon et Fillon remplissaient la première des conditions et constituaient des leaders. Mais, très vite, ils ont échoué sur la deuxième, se montrant incapables de rassembler leur camp tant sur leur gauche que sur leur droite.</p>
<p>Il y eut aussi, venant aggraver les choses à droite, l’empilement des affaires. Mais, là encore, il s’agissait de l’héritage des pratiques courantes dans le milieu : Fillon est sans aucun doute sincère quand il reconnaît ses erreurs, en disant qu’il n’avait pas compris que ces comportements n’étaient plus acceptés des Français. Mais, dans le contexte, l’aveu est mortifère.</p>
<h2>La France coupée en quatre</h2>
<p>Ces phénomènes et épiphénomènes n’ont fait toutefois qu’accélérer la désagrégation des deux camps. L’heure est au rejet des partis de gouvernement, disqualifiés aux yeux d’une majorité d’électeurs pour leur exercice alterné du pouvoir. C’est ailleurs que dans les lambeaux flottants des vieux partis que l’on va chercher désormais les planches de salut. Le succès foudroyant d’Emmanuel Macron trouve sa source dans cette décomposition des blocs qu’il avait provoquée, outre la grâce de sa jeunesse. De même l’impressionnante percée d’un Mélenchon puise sa force dans le désespoir d’une certaine gauche.</p>
<p>Au soir du 23 avril, le tableau est saisissant : la France apparaît coupée en quatre, sans que ces différents morceaux puissent former la base d’une quadripolarisation, tant les lignes de fractures se mêlent et s’entrecroisent, rendant difficile les réunifications pérennes. En refusant de se positionner en termes de droite et de gauche, Emmanuel Macron a disloqué le vieux monde des partis et ouvert la voie à une recomposition. Elle reste à faire. Mais la vraie nature de la V<sup>e</sup> République, qui est parlementaire malgré ses abus présidentialistes, pourra l’y aider. Avec, en perspective, un nécessaire retour au scrutin proportionnel.</p>
<p>Pour l’heure, il y a préalablement l’étape du deuxième tour à franchir. Et elle n’est peut-être pas aussi aisée que l’on semble l’anticiper. Non que la distance entre les deux candidats soit trop restreinte (24,01-21,3) : elle est à peine plus courte que celle qui séparait un Chirac en dessous de 20 % d’un Le Pen près des 17 %. Dans les deux cas, moins d’un million de voix les sépare. Mais on objectera que 2017 n’est pas 2002. Et il est vrai que de l’eau a coulé sous les ponts politiques.</p>
<p>D’abord, l’implantation du FN s’est considérablement amplifiée et consolidée, affaiblissant le réflexe républicain. Au fil des différents scrutins, du fait de la crise des partis traditionnels, la porosité des électorats s’est insidieusement affirmée. Et le scrutin présidentiel montre à quel point on se trouve dans un système de vases communicants : un regard rapide sur la carte du FN, qui recouvre la France de l’Est face à celle de l’Ouest, permet de le saisir : dans le Nord, dans les Bouches-du-Rhône, les scores élevés de la France Insoumise coexistent avec d’importantes baisses relatives du FN.</p>
<h2>Lignes de fuite</h2>
<p>Voilà qui nous amène à l’élément le plus complexe. Le monde politique est fracturé sur trois lignes. La première est celle qui fera le fond de la campagne du deuxième tour : elle oppose les partisans de l’ouverture européenne et mondiale aux défenseurs de l’État Nation et du souverainisme. La seconde est celle qui oppose la gauche à la droite. La troisième suit le clivage des partis traditionnels opposés à des formations politiques d’un nouveau genre.</p>
<p>Le problème est que ces fractures ne coïncident pas mais traversent les deux camps, provoquant des chiasmes ou des symétries paradoxales. De là naissent les interrogations qui pèsent sur le deuxième tour. Car au désarroi bien compréhensible qui peut saisir nombre d’électeurs au moment de désigner le futur Président, viennent se superposer des stratégies partisanes conçues pour faire du gagnant de demain le perdant d’après-demain.</p>
<p>Le scrutin du 23 avril a ouvert une porte historique vers une nouvelle distribution de la représentation politique, sur la base de nouveaux clivages en voie de cristallisation. Reste à éviter qu’elle ne se referme brutalement sous le souffle de la peur de l’inconnu.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/76639/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claude Patriat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le scrutin a ouvert une porte historique vers une nouvelle distribution de la représentation politique. À condition qu’elle ne se referme pas brutalement sous le souffle de la peur de l’inconnu.Claude Patriat, Professeur émérite de Science politique, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/765852017-04-24T05:16:43Z2017-04-24T05:16:43ZUne France pliée en quatre mais qui ne fait pas rire<p>23 ; 22 ; 20 ; 19 : ces quatre chiffres ainsi alignés dessinent un portrait bien divisé de la France. Dans une phase de décomposition politique déjà bien entamée, le jeu partisan et électoral vient de subir un électrochoc sans comparaison. Les deux partis de gouvernement qui alternent au pouvoir sont éliminés du second tour, et ne représentent à eux deux (PS et LR) que 26 des suffrages exprimés.</p>
<p>Trois des quatre forces politiques qui se détachent dans cette compétition inédite n’ont jamais été au pouvoir, et pour le candidat en tête, son mouvement politique n’existait pas il y a seulement un an ! Ce scrutin est donc non seulement un accélérateur de décomposition mais aussi un ferment de recomposition. Cette recomposition dessine un spectre politique qui se joue à quatre forces quasi équilibrées.</p>
<p>Cet éparpillement nouveau, façon puzzle, ne laisse rien augurer de bon quant à la gouvernabilité future du pays, car chacun comprend immédiatement que l’émergence d’une majorité parlementaire est tout sauf une certitude. Dans une configuration où les rapports de force sont si proches, la majorité présidentielle du futur élu, le 7 mai prochain, ne trouvera pas forcément un nombre suffisant de circonscriptions où ses candidats sortiront en tête ou bien placés.</p>
<h2>Quatre clivages structurants</h2>
<p>Mais au-delà de ces projections électorales sur juin prochain, le résultat du premier tour de la présidentielle montre une fracturation de l’électorat, et donc des Français, autour de plusieurs enjeux qui sont progressivement devenus des clivages politiques et axiologiques structurants. Les travaux conduits notamment par les chercheurs de Sciences Po Paris ont permis de dégager dans le temps des indicateurs d’attitude et de valeurs qui permettent de comprendre la manière dont les Français ont recomposé leur identité politique, avec pour corollaire l’émergence de nouveaux mouvements politiques et le renouvellement de l’offre électorale.</p>
<p>On a beaucoup dit lors de ce scrutin que les affaires ont masqué le débat de fond. Qu’il nous soit permis de dire ici, de répéter, que nous ne faisons pas nôtre cette <em>doxa</em>. Bien sûr que les affaires judiciaires de deux candidats ont beaucoup occupé l’espace médiatique. Pour autant les électeurs ont bien perçu derrière cela les enjeux et les clivages sur lesquels ils souhaitaient s’aligner.</p>
<p>Résumons, schématiquement, les positions des quatre principaux candidats en fonctions des quatre lignes de clivage :</p>
<ul>
<li><p>Le libéralisme économique oppose les tenants du respect des lois du marché (avec ou sans intervention étatique régulatrice) à ceux préconisant un fort interventionnisme égalitariste de l’État ;</p></li>
<li><p>Le libéralisme culturel oppose ceux qui sont du côté de la défense de l’émancipation individuelle de chacun dans le respect des différences et d’une grande tolérance sur les mœurs à ceux qui se retrouvent plutôt dans des postures autoritaires d’ordre et de respects de règles et valeurs définies collectivement et s’imposant plutôt aux individus ;</p></li>
<li><p>L’euroscepticisme, qui peut aller jusqu’à l’europhobie, accueille tous ceux qui tiennent un discours souverainiste qui met l’Union européenne sur le reculoir au point d’envisager de la quitter.</p></li>
<li><p>Enfin, le clivage de l’ethnocentrisme oppose ceux qui mettent en exergue l’identité nationale, ses racines historiques – associée à des réflexes d’exclusion de tous ceux qui n’appartiennent pas ou pas bien à la nation –, le tout dans une dénonciation des méfaits de la mondialisation culturelle, à ceux qui acceptent une réalité plus bigarrée dans un univers mondialisé et une société ouverte.</p></li>
</ul>
<p>Les combinatoires de ces quatre critères reconfigurent l’offre électorale contemporaine en France. Et l’on peut schématiser les positions axiologiques des quatre candidats à travers le tableau suivant, où on essaye d’indiquer par un + que tel candidat incarne bien tel clivage et par un – qu’il en est très éloigné au contraire. Bien sûr, des cases sont parfois difficiles à remplir car certains candidats sont plus ambigus sur certains clivages ou sont tenus de composer avec un double électorat, comme c’est le cas du FN avec un Front national du Nord et de l’Est, ouvrier et populaire, aspirant à une meilleure protection et un Front national du Sud avec d’autres caractéristiques sociologiques différentes et un attachement à certaines valeurs conservatrices du christianisme.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/166413/original/file-20170424-24654-15ugzoi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/166413/original/file-20170424-24654-15ugzoi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=466&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/166413/original/file-20170424-24654-15ugzoi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=466&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/166413/original/file-20170424-24654-15ugzoi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=466&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/166413/original/file-20170424-24654-15ugzoi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=586&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/166413/original/file-20170424-24654-15ugzoi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=586&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/166413/original/file-20170424-24654-15ugzoi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=586&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Tableau des clivages.</span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Positions des quatres principaux candidats sur ces clivages</h2>
<p>Si on reprend l’ordre du scrutin, Emmanuel Macron se situe clairement du côté de la défense d’un certain libéralisme économique. Ce qui ne l’empêche pas de considérer que l’État doit pouvoir interférer dans la vie économique et venir en aide aux plus fragiles, aux victimes de la compétition économique internationale. Il est aussi du côté du libéralisme culturel, du point de vue des mœurs, et il s’est montré en défenseur du droit des femmes que certains adversaires semblaient vouloir remettre en cause (avortement) ou du mariage gay. De plus, l’émancipation individuelle de chacun est un de ses leitmotivs, y compris par la libération des carcans qui freinent l’esprit entrepreneurial de chacun.</p>
<p>Il n’est pas un eurosceptique. Au contraire, sa défense de l’ancrage de la France dans l’Union européenne est devenue un des marqueurs de sa campagne. Il est un des rares candidats à mettre à disposition des sympathisants dans ses meetings des drapeaux européens à agiter. Alors même que Marine Le Pen a demandé à TF1 d’enlever la bannière bleue aux douze étoiles présente sur un plateau, avant d’y pénétrer. Emmanuel Macron n’est pas davantage un adepte d’une société fermée, sa rivale du second tour et Jean‑Luc Mélenchon en faisant même un suppôt du mondialisme.</p>
<p><strong>Marine Le Pen</strong> est très identifiée à un rejet de l’Union européenne telle qu’elle est conçue et fonctionne, puisqu’elle va jusqu’à préconiser une sortie de l’Europe et de l’euro. Position qui lui garantit un socle électoral solide mais lui construit, en miroir, un plafond de verre infranchissable, tant cette posture du grand large déplaît à une bonne partie de l’électorat de droite et âgé. La défense de l’ethnocentrisme constitue le fond de commerce du Front national depuis le début. Et la candidate a même fait retour sur ces fondamentaux dans ses derniers meetings pour ressouder un électorat qui s’effilochait dans les sondages. Les travaux de Nonna Mayer indiquent sans ambivalence que des positions hostiles aux immigrés et à l’islam sont le premier critère de soutien au FN chez nombre d’électeurs, qui considèrent que l’identité et la culture française sont en danger notamment du fait de l’islam.</p>
<p>Sur le plan du libéralisme culturel ou économique, la position du FN est ambivalente, car ses électorats et ses terres de conquête ne portent pas le même regard sur ces enjeux. Les ouvriers et employés du FN sont plutôt favorables à une forte protection sociale, alors que les agriculteurs, petits commerçants et artisans ou retraités qui votent FN seraient plutôt contre la croissance excessive de l’État, les syndicats, les réglementations, le « fiscalisme » pour reprendre l’expression habituelle de son père. Et pour les mœurs, deux conceptions traversent le parti, entre ceux qui s’enracinent dans les prescriptions du catholicisme et ceux qui sont déchristianisés et se disent laïques. Mais globalement les aspirations à plus d’ordre, à des valeurs d’autorité placent la candidate du FN du côté d’un refus du libéralisme culturel.</p>
<p><strong>François Fillon</strong> s’est posé comme le plus ardent défenseur d’un libéralisme économique chimiquement pur, avec l’annonce de mesures radicales pour « libérer l’économie » qui ont construit un plafond de verre obérant sa capacité à gagner le vote populaire de droite que Nicolas Sarkozy avait su capter en 2007. L’affichage de ses convictions personnelles chrétiennes et le soutien du mouvement Sens commun (issu des mobilisations de rue contre le mariage homosexuel) ont clairement déporté le candidat des Républicains vers un conservatisme culturel, marqueur ancien de la droite en France. Cette force dextrogyre a certes permis à un François Fillon dans la tourmente, au bord de l’éviction, de se maintenir coûte que coûte, mais le coût justement a été d’enfoncer un coin sur la ligne de rattachement avec une partie de la droite culturellement libérale.</p>
<p>Concernant le clivage européen, François Fillon qui fut naguère, aux côtés de Philippe Séguin, un zélé défenseur d’une position souverainiste affirmée a adopté une position entre-deux. Il fustigeait ses adversaires qui présentaient la sortie de l’Union ou de l’euro comme une solution crédible et bienfaisante mais, dans le même temps, il a adopté une position très critique sur certaines des contraintes liées à l’Union. On peut dire la même chose du clivage ethnocentrique. Il a repris progressivement à son compte le fond électoral de Nicolas Sarkozy sur l’identité nationale, la citoyenneté française, la lutte contre les intégrismes, surtout musulman, le tout dans une posture de défenseur de l’ordre et de la sécurité.</p>
<p>Enfin, <strong>Jean‑Luc Mélenchon</strong> dessine lui aussi une combinatoire spécifique de ces quatre clivages. Venant historiquement, comme Emmanuel Macron, du PS, il ne partage néanmoins avec lui que deux cases sur quatre. Il est du côté du libéralisme culturel et il rejette l’ethnocentrisme national identitaire et même valorise l’idéal multiculturel.</p>
<p>En revanche, il est un adversaire résolu du libéralisme économique, un interventionniste étatiste assumé, afin de faire bénéficier les moins bien lotis de meilleures conditions de vie, grâce aux taxes et impôts. Et, bien sûr, ses positions sur l’Europe le classent sans ambages du côté des eurosceptiques, voire des europhobes puisque le « plan B » de sa politique de « sortie des traités européens » prévoit une possible rupture avec nos partenaires.</p>
<h2>Clivages conciliables ?</h2>
<p>Quand on visualise ainsi cette quadripartition politique nouvelle de notre pays, on comprend mieux les propos entendus çà et là, à gauche comme à droite, par des militants, des élus ou des citoyens : « J’hésite entre un tel et un tel », « en fait, il y a du bien là-dessus, mais par contre je peux pas tolérer ça chez ce candidat », etc. Et c’est ainsi que Jean‑Luc Mélenchon et Benoît Hamon s’arrogent le droit de dénier à Emmanuel Macron le fait d’être de gauche, même si une bonne partie de son électorat vient du vote socialiste Hollande de 2012. Et ce, parce que leur positionnement par rapport au libéralisme économique (celui de Macron fut-il tempéré) est un marqueur de l’identité de gauche qu’ils ont construite pour leur conquête électorale.</p>
<p>Pour autant Benoît Hamon n’a pas trop de mal à appeler vite à voter pour Emmanuel Macron car si on l’ajoutait à notre tableau on verrait qu’il partage trois cases communes avec lui, alors que Jean‑Luc Mélenchon que deux. À ce jeu des cases comparées, François Fillon ne partage qu’une case pleinement, et deux autres seulement à moitié. Quant à Marine Le Pen, elle s’oppose à son rival du second tour dans trois cases et demie sur quatre. Elle se distingue aussi de Jean‑Luc Mélenchon sur 2 cases et demie.</p>
<p>Du coup, la question qui va se poser avec acuité dans les années politiques à venir, en commençant bien sûr par la campagne législative et les alliances de gouvernement qui en découleront, est celle des aptitudes des uns et des autres à reconnaître dans les rivaux de possibles partenaires, en voyant davantage ce qui est partagé que ce qui sépare.</p>
<p>Quels camps auront l’intention d’accepter de collaborer avec une force aux convictions opposées sur certaines de ces cases ? La France est-elle condamnée à une forme prononcée de paralysie parce que chaque force restera campée sur la pureté de ses positions sur chaque ligne de clivage ? Emmanuel Macron a adopté une posture de conciliateur entre les clivages. Mais ces clivages ne sont-ils pas vécus par beaucoup comme non négociables, dessinant alors une France difficilement réconciliable ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/76585/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Arnaud Mercier est président de l'association The Conversation France. </span></em></p>Notre système politique sort du premier tour éreinté et profondément divisé. Les positions combinées de chacun face à quatre clivages expliquent le vote mais ne favoriseront pas la gouvernance du pays.Arnaud Mercier, Professeur en Information-Communication à l’Institut Français de presse, Université Paris-Panthéon-AssasLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/765682017-04-24T05:16:32Z2017-04-24T05:16:32ZEt le vainqueur est… le populisme<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/166435/original/file-20170424-25594-yjylj1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les candidats se réclamant d'une façon ou d'une autre du populisme totalisent près de 50 % des voix.</span> <span class="attribution"><span class="source">Joël Saget et Bertrand Guay / AFP</span></span></figcaption></figure><p>Le premier tour de l’élection présidentielle de 2017 a mis au jour la transformation de l’espace politique français. Cette transformation apparaît clairement dans le faible score cumulé par les candidats des deux principaux partis politiques qui ont dominé la scène électorale depuis 1981. Au total, François Fillon pour LR et Benoît Hamon pour le PS ne totalisent que 26 % des suffrages exprimés alors que 74 % de ces suffrages sont portés par des candidats qui n’ont ni joué le jeu des primaires ni dominé la vie parlementaire avec leurs députés depuis des décennies.</p>
<p>Mais la vague de fond de cette élection présidentielle est bien l’installation du populisme dans la vie politique française puisque les candidats s’en inspirant, d’une manière ou d’une autre, réunissent globalement la moitié de l’électorat.</p>
<p>Le populisme repose sur l’argument suivant : le peuple (notion qui a fait son grand retour dans le discours politique sans qu’on cherche à l’expliciter) sait ce qui est bon pour lui. En conséquence, il n’a pas besoin de représentants politiques, la fracture oligarchique entre lui et les élites est insupportable, la construction européenne est condamnable.</p>
<p>De la même façon, l’étude intellectuelle ou scientifique de la société ne sert à rien : les sondages sont imprécis et constituent des manipulations auxquelles se prêtent les médias, affirmation maintes fois répétée et démentie au soir du 23 avril. La campagne électorale a bien illustré tous ces thèmes. La grande victoire de l’élection présidentielle de 2017 est bien celle de l’argument populiste, qu’il soit porté par le souverainisme, par l’affirmation identitaire ou par quelques demi-savants.</p>
<h2>L’ancrage du populisme dans le paysage politique français</h2>
<p>Si on accumule les scores des candidats populistes du premier tour – soit la totalité moins François Fillon, Benoît Hamon et Emmanuel Macron – on s’aperçoit qu’ils totalisent au soir du 23 avril 2017 environ 50 % des suffrages exprimés. Ce résultat est corroboré par l’enquête électorale française du Cevipof qui montre à quel point les notions populistes se sont ancrées dans les représentations collectives (<a href="https://www.enef.fr">vague 13 réalisée entre le 16 et le 20 avril 2017</a>.</p>
<p>On dispose en effet de cinq questions permettant de mesurer le degré de populisme des enquêtés et qui constitue bien une échelle d’attitude (alpha de Cronbach = 0,685) :</p>
<ul>
<li><p>les députés à l’Assemblée nationale devraient suivre la volonté du peuple ;</p></li>
<li><p>les décisions politiques les plus importantes devraient être prises par le peuple et non par les hommes politiques ;</p></li>
<li><p>les différences politiques entre les citoyens ordinaires et les élites sont plus importantes que les différences entre citoyens ;</p></li>
<li><p>je préférerais être représenté par un citoyen ordinaire plutôt que par un politicien professionnel ;</p></li>
<li><p>les hommes politiques parlent trop et n’agissent pas assez.</p></li>
</ul>
<p>Chacun de ces items obtient des proportions variables de réponses positives (notes de 4 et 5 sur une échelle allant de 0 à 5). L’immense majorité est d’accord avec l’affirmation selon laquelle les députés doivent suivre la volonté du peuple ou que les hommes politiques parlent plus qu’ils n’agissent (80 % et 84 % de réponses positives).</p>
<p>En revanche, si 71 % des enquêtes sont d’accord avec le fait que les différences politiques entre les citoyens ordinaires et les élites sont plus importantes que les différences entre citoyens, ils ne sont plus que 57 % à soutenir l’idée que les décisions les plus importantes devraient être prises par le peuple plutôt que par les hommes politiques et 51 % « seulement » à préférer être représentés par un citoyen ordinaire plutôt que par un politicien professionnel.</p>
<p>Quels que soient les débats que ces questions peuvent poser, notamment dans l’utilisation de notions assez floues comme le « citoyen ordinaire », il reste que la critique de la représentation politique et de la professionnalisation des élus est forte.</p>
<p>Si l’on crée sur cette base un indice de populisme comptant le nombre de réponses positives et allant donc de 0 à 5, on voit que le niveau moyen d’adhésion à ces thèses est très haut puisque 69 % des enquêtés se situent au moins au niveau 4 de l’indice. On peut ensuite « dichotomiser » cet indice, ce qui permet de simplifier les calculs en distinguant les 55 % ayant un niveau élevé de populisme des 45 % ayant un niveau de populisme faible ou modéré.</p>
<p>Tableau 1 – Indice de populisme (%)</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/166379/original/file-20170423-25594-1xbde0f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/166379/original/file-20170423-25594-1xbde0f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/166379/original/file-20170423-25594-1xbde0f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/166379/original/file-20170423-25594-1xbde0f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/166379/original/file-20170423-25594-1xbde0f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/166379/original/file-20170423-25594-1xbde0f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/166379/original/file-20170423-25594-1xbde0f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Chaque niveau représente le nombre de fois où les enquêtés se situent sur les notes 4 ou 5 d’une échelle allant de 0 à 5 (indiquant leur niveau d’adhésion) qui leur a été présentée pour chaque question (effectif total = 8122).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Enquête électorale française, Cevipof, vague 13.</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Le populisme touche même les plus diplômés</h2>
<p>Le niveau moyen de populisme fort ne varie ni en fonction de la situation économique (actif, chômeur, retraité ou inactif) ni de l’appartenance au secteur indépendant, au salariat privé ou public ni en raison de la tranche d’âge. Il dépend, en revanche, du niveau de diplôme puisque l’on passe très régulièrement de 63 % de « populistes forts » chez les enquêtés de niveau BEPC ou CAP à 40 % de ceux qui sont diplômés d’une grande école.</p>
<p>Cette corrélation se retrouve évidemment dans le jeu des catégories socioprofessionnelles. Si 44 % des membres des professions libérales ou des entrepreneurs ou 45 % des cadres sont fortement populistes, cette proportion passe à 58 % chez les employés du privé comme du public et à 64 % des ouvriers qualifiés du privé.</p>
<p>Au total, cette proportion est de 59 % dans les catégories modestes, de 54 % dans les catégories moyennes et de 44 % dans les catégories supérieures, ce qui montre que le malaise démocratique dépasse de loin le seul horizon des milieux populaires. La différence joue ici sur le niveau de rejet de la politique professionnelle. Néanmoins on trouve encore 38 % des membres des professions libérales et des patrons (contre 56 % des ouvriers) qui préféraient être représentés par des citoyens ordinaires plutôt que par des élus professionnels.</p>
<h2>Les notables de la politique contre les populistes</h2>
<p>Comme le montre le tableau 2, le degré de populisme varie sensiblement selon les électorats et reste associé au niveau de soutien à la construction européenne de leur candidat.</p>
<p>Le niveau de populisme de l’électorat de Jean‑Luc Mélenchon est similaire à celui que l’on trouve dans l’électorat de Marine Le Pen. Seuls les électorats des candidats d’En Marche !, de LR et du PS, eux-mêmes assez représentatifs des élites notabiliaires françaises, souscrivent relativement moins à la remise en cause des élus et de la démocratie représentative.</p>
<p>Quant aux « petits candidats », leur électorat est encore plus populiste, qu’il soit de droite ou de gauche. C’est peut-être en ce sens qu’il faut comprendre le sens de l’argument selon lequel le clivage droite-gauche est dépassé alors même que ces électorats ne partagent nullement les mêmes valeurs économiques ou sociétales.</p>
<p>L’opposition entre les populistes et les « élitistes », qui prend tout son sens dans la confrontation de Marine Le Pen et d’Emmanuel Macron au second tour de l’élection présidentielle, réactive la confrontation historique entre les tenants de la démocratie directe et les partisans d’une démocratie libérale laissant une assez grande marge de manœuvre aux représentants dans l’exercice de leur mandat.</p>
<p>Elle génère aussi des perceptions assez différentes de la vie politique, les populistes inscrivant plus souvent leur choix politique sur le registre de la colère. C’est ainsi que 62 % des électeurs fortement populistes contre 41 % de ceux qui le sont moins disent éprouver de la colère face à la situation actuelle de la France.</p>
<p>Tableau 2 – Le niveau de populisme par électorat (%)</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/166380/original/file-20170423-24654-kpq9mf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/166380/original/file-20170423-24654-kpq9mf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=275&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/166380/original/file-20170423-24654-kpq9mf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=275&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/166380/original/file-20170423-24654-kpq9mf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=275&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/166380/original/file-20170423-24654-kpq9mf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=346&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/166380/original/file-20170423-24654-kpq9mf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=346&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/166380/original/file-20170423-24654-kpq9mf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=346&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les résultats pour N. Artaud, F. Asselineau et J. Lassalle doivent être pris avec précaution car les effectifs des sous-échantillons sont faibles. L’électorat de J. Cheminade n’apparaît pas pour les mêmes raisons.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Enquête électorale française, Cevipof, vague 13.</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ces premières explorations rapides montrent que la demande de renouveau politique passe aujourd’hui par une remise en cause générale de la démocratie représentative moderne née des révolutions américaine et française qui implique des mandats non impératifs, des élus compétents formés au métier politique mais aussi une séparation franche entre ce qui relève de l’espace public et ce qui relève de la sphère privée. Les résultats du premier tour de la présidentielle de 2017 signifient que la question va peser lourdement sur le prochain quinquennat.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/76568/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Luc Rouban ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La vague de fond de cette élection présidentielle est l’installation du populisme dans la vie politique : les candidats s’en inspirant réunissent globalement la moitié de l’électorat.Luc Rouban, Directeur de recherche CNRS, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/763752017-04-21T13:50:42Z2017-04-21T13:50:42ZL’OTAN dans la ligne de mire des candidats à la présidentielle<p>Le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN, en 2009, avait réactivé le débat traditionnel français entre la tradition « gaullo-mitterandienne », attachée à la sortie de l’organisation depuis 1966 au nom de « l’indépendance nationale », et les atlantistes, convaincus que la France n’avait rien à gagner à s’isoler dans le camp occidental.</p>
<h2>Benoît Hamon dans les pas de François Hollande</h2>
<p>En 2012, le candidat François Hollande avait fait mine de s’interroger sur la pertinence de ce retour. Mais, après avoir confié à Hubert Védrine une <a href="https://otan.delegfrance.org/Le-rapport-Vedrine">commode mission d’évaluation</a>, il a choisi de confirmer la décision prise par son prédécesseur. Après 2014 et l’annexion de la Crimée par Moscou, il a engagé la France aux côtés des États d’Europe orientale, inquiets de la nouvelle posture russe.</p>
<p>De manière amusante pour un candidat qui n’a eu de cesse de critiquer l’actuel quinquennat, Benoît Hamon s’inscrit pleinement dans les pas du président Hollande. Il est le seul à ne pas critiquer l’Organisation atlantique et l’un des rares à vouloir demeurer dans le commandement intégré.</p>
<p><a href="http://www.lemonde.fr/programmes/securite/la-place-de-la-france-dans-l-otan">Sur onze candidats</a>, six ont en effet comme projet de plus ou moins retirer la France de ce qui est aujourd’hui la plus grande alliance militaire existante. Jean‑Luc Mélenchon, Jacques Cheminade et François Asselineau veulent sortir de l’OTAN, au nom de l’anti-impérialisme et de la lutte contre « l’argent-roi » (Cheminade). Indice probable de sa politique de « dédiabolisation », Marine Le Pen se borne à vouloir quitter le seul commandement intégré. Elle rejoint, sur ce créneau gaulliste, Nicolas Dupont-Aignant et Jean Lassalle.</p>
<h2>La circonspection d’Emmanuel Macron</h2>
<p>Même Emmanuel Macron, dont la candidature affiche pourtant une volonté de plus grand engagement international de la France, se montre circonspect. Il refuse que la France appuie de nouveaux élargissements de l’Alliance, sauf dans les Balkans et, le cas échant, pour la Finlande et la Suède – ce qui est bien le moins pour un candidat partisan du « modèle scandinave ».</p>
<p>Emmanuel Macron conditionne la participation de Paris à des interventions de l’OTAN en dehors de sa zone géographique (c’est-à-dire hors d’Europe) aux « seuls cas où les intérêts de la France sont directement concernés ». Pris à la lettre, cela pourrait introduire un léger doute sur l’application par notre pays de l’article 5 de solidarité entre Alliés.</p>
<p>Les positions de Nathalie Arthaud et de Philippe Poutou, s’agissant de l’OTAN, ne sont pas connues. Mais, ces deux candidats évoluant à l’extrême gauche du spectre politique français, il y a tout lieu de croire que, si elles étaient formulées, leurs propositions n’appelleraient pas la France à renforcer son ancrage dans une organisation fondée à Washington en 1949 et en <a href="http://www.atlantico.fr/decryptage/comment-donald-trump-et-questions-genantes-ont-reveille-otan-2990660.html">pleine évolution</a>.</p>
<h2>L’ambivalence de François Fillon</h2>
<p>Reste François Fillon, lui aussi assez discret sur le sujet atlantique. Cette discrétion s’explique par une certaine ambivalence. Gaulliste historique, il a axé sa campagne sur un rapprochement avec la Russie qui est loin d’être partagé par tous les États alliés. En même temps, premier ministre de Nicolas Sarkozy en 2009 et partisan d’une forme de réalisme, il ne peut brûler aujourd’hui ce qu’il a hier, sinon adoré, du moins soutenu.</p>
<p>Que restera-t-il de ces propos de campagne une fois l’élection terminée ? Si MM. Macron ou Fillon arrivent à l’Elysée, le <em>statu quo</em> est probable. En cas de victoire d’un Jean‑Luc Mélenchon où d’une Marine Le Pen, la sortie de l’OTAN ou de son commandement intégré n’est pas à exclure car il s’agirait d’une mesure très symbolique, budgétairement peu coûteuse et dont les conséquences négatives n’apparaîtraient qu’à terme ou à l’occasion d’une crise internationale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/76375/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Guillaume Lagane ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>S’il est difficile de savoir quel candidat sera sélectionné pour le second tour de la présidentielle, il est probable que les deux élus ne soient pas de chauds partisans de l’Alliance atlantique.Guillaume Lagane, Maître de conférences, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.