tag:theconversation.com,2011:/uk/topics/idees-21530/articlesidées – The Conversation2024-03-11T16:11:39Ztag:theconversation.com,2011:article/2243912024-03-11T16:11:39Z2024-03-11T16:11:39ZComment une idée politique s’impose-t-elle dans le débat public ?<p>Le Rassemblement national a récemment revendiqué sa <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/immigration/projet-de-loi-immigration-la-victoire-ideologique-du-rassemblement-national-est-de-plus-en-plus-forte-chaque-jour-se-targue-jordan-bardella_6253689.html">« victoire idéologique »</a> à propos du vote de la loi sur l’immigration. De fait, alors que les <a href="https://www.academia.edu/11495225/Vers_lextr%C3%AAme_avec_Luc_Boltanski_2014_">idées d’extrême droite</a> étaient autrefois marquées d’une forte illégitimité intellectuelle et politique, restant cantonnées dans des <a href="https://www.cairn.info/revue-agone-2014-2.htm?contenu=sommaire">espaces sociaux assez restreints</a>, certaines de ses conceptions comme la <a href="https://sciencespo.hal.science/hal-03398326">« préférence nationale »</a>, et de ses formules, comme le <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2019-2-page-111.htm">« grand remplacement »</a>, tendent à occuper une <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/01/21/fait-divers-immigration-les-idees-d-extreme-droite-se-diffusent-dans-les-medias-et-l-opinion_6212070_823448.html">place grandissante</a> <a href="https://www.editionstextuel.com/livre/la_grande_confusion">dans les médias et le débat politique</a>.</p>
<p>La réussite de telles idées, qui semblent (du moins à celles et ceux qui ne les partagent pas) <a href="https://www.mediapart.fr/journal/culture-et-idees/221123/ceux-qui-ont-banalise-l-idee-folle-du-grand-remplacement">« folles »</a> et dangereuses conduit à questionner les <a href="https://www.atlande.eu/clefs-concours/1061-les-idees-politiques-comme-faits-sociaux-terrains-methodes-denquete-analyses-9782350309330.html">mécanismes sociaux</a> par lesquels des idées s’imposent politiquement au-delà de leur contenu propre et de l’éventuelle force intrinsèque de leurs arguments.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-les-medias-peuvent-influencer-la-signification-dune-information-201408">Comment les médias peuvent influencer la signification d’une information ?</a>
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<h2>Gagner la bataille des idées</h2>
<p>Dans la vulgate marxiste, les idées sont d’abord vues comme le reflet des positions économiques et sociales. Pour les philosophes <a href="https://www.marxists.org/francais/marx/works/1845/00/kmfe18450000c.htm">Karl Marx et Friedrich Engels</a>, « les pensées de la classe dominante sont aussi, à toutes les époques, les pensées dominantes ; autrement dit, la classe qui est la puissance matérielle dominante de la société est en même temps la puissance spirituelle dominante ». En imposant sa domination économique, la classe bourgeoise impose donc également, selon Marx et Engels, ses idées, idées qui dissimulent la réalité des rapports sociaux (les inégalités et l’exploitation) en justifiant l’ordre existant.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/578919/original/file-20240229-18-cklp59.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="////" src="https://images.theconversation.com/files/578919/original/file-20240229-18-cklp59.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/578919/original/file-20240229-18-cklp59.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=850&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/578919/original/file-20240229-18-cklp59.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=850&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/578919/original/file-20240229-18-cklp59.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=850&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/578919/original/file-20240229-18-cklp59.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1068&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/578919/original/file-20240229-18-cklp59.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1068&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/578919/original/file-20240229-18-cklp59.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1068&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le philosophe italien Antonio Gramsci (1891-1937), fondateur de la notion d’hégémonie culturelle.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikicommons</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Renouvelant l’approche marxiste, certains auteurs ont souligné l’autonomie relative des idées en considérant qu’elles n’étaient pas déterminées aussi mécaniquement par l’infrastructure économique et qu’elles pouvaient être inversement porteuses d’une transformation sociale. Pour le militant et théoricien communiste <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/l_oeuvre_vie_d_antonio_gramsci-9782348044809">Antonio Gramsci</a>, puisque la suprématie économique de la classe bourgeoise repose sur tout un « appareil d’hégémonie » (école, administration, médias…) qui diffuse sa conception du monde, ses croyances et les fait accepter, la classe dominée doit construire, grâce à ses propres intellectuels « organiques » (c’est-à-dire « organiquement » liés à leur classe sociale), une contre-hégémonie, afin d’enclencher une dynamique révolutionnaire. Pour Gramsci, la bataille des idées est une dimension essentielle de la bataille politique.</p>
<p>Initialement formulée dans un horizon marxiste, cette théorie de « l’hégémonie culturelle » a été réappropriée dans des <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/en-quete-de-politique/en-quete-de-politique-du-samedi-14-octobre-2023-8145689">perspectives politiques très opposées</a>. C’est le cas dès les années 1960 en Italie avec le groupe postfasciste <em>Ordine nuovo</em>.</p>
<p>En France, suite à la victoire de François Mitterrand en 1981, l’essayiste d’extrême droite Alain de Benoist et le <a href="https://www.persee.fr/doc/raipr_0033-9075_2010_num_174_1_4229">GRECE</a> (Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne), laboratoire d’idées de la <a href="https://www.persee.fr/doc/xxs_0294-1759_1993_num_40_1_3005">« Nouvelle Droite »</a> dont il est le cofondateur en 1969, se font les défenseurs d’un « gramscisme de droite ». En 2007, c’est <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/166441-interview-de-m-nicolas-sarkozy-ministre-de-linterieur-et-de-lamenage">Nicolas Sarkozy</a> qui s’en revendique : « J’ai fait mienne l’analyse de Gramsci : le pouvoir se gagne par les idées » déclare-t-il alors. Cette antienne a depuis été reprise par <a href="https://aoc.media/analyse/2022/04/03/a-droite-gramsci-et-ses-avatars/">Eric Zemmour</a> notamment.</p>
<h2>Stratégies rhétoriques</h2>
<p>Dans cette lutte idéologique, les stratégies de présentation des idées sont cruciales. On peut par exemple s’appuyer sur une logique de scandalisation en empruntant une rhétorique outrancière ou un style « populiste ». <a href="https://www.youtube.com/watch?v=p7w3PJzsA2w">« Je suis le bruit et la fureur, le tumulte et le fracas »</a> affirmait ainsi Jean-Luc Mélenchon en 2010 afin de réintroduire dans le débat une certaine forme de conflictualité politique.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/p7w3PJzsA2w?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Jean-Luc Mélenchon déclare lors d’un meeting en 2010 : « Je suis la bruit et la fureur, le tumulte et le fracas ».</span></figcaption>
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<p>La stratégie inverse, qui consiste à viser une certaine normalisation, peut aussi être employée. De longue date, le <a href="https://www.cairn.info/les-faux-semblants-du-front-national--9782724618105-page-25.htm">Front national</a>, renommé Rassemblement national, a cherché la respectabilité en dissimulant une partie de son idéologie afin de la rendre davantage acceptable et de <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/marine-le-pen-prise-aux-mots-cecile-alduy/9782021172102">mieux la diffuser</a>.</p>
<p>Le recours à l’autorité de la science ou de l’expertise constitue aussi un procédé classique de ces entreprises de légitimation. Depuis le XIX<sup>e</sup> siècle, du <a href="https://www.pulaval.com/livres/le-marxisme-dans-les-grands-recits-essai-d-analyse-du-discours">marxisme</a> au <a href="https://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2017-3-page-71.htm?contenu=resume">néolibéralisme</a>, beaucoup d’idéologies politiques se sont présentées comme des sciences.</p>
<p>Mais au-delà de son apparente rationalité ou cohérence, l’efficacité persuasive d’une idée politique réside dans son aptitude à <a href="https://www.decitre.fr/livre-pod/peur-espoir-compassion-indignation-9782247117680.html">mobiliser des affects</a> (joie, colère, peur, indignation, compassion…) et à déployer des récits spécifiques. On se souvient ainsi comment le candidat écologiste à la présidentielle de 1974 René Dumont avait cherché à alerter sur l’épuisement des ressources naturelles en <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/i09167743/rene-dumont-je-bois-devant-vous-un-verre-d-eau-precieuse">buvant un verre d’eau à la télévision</a>. Dans un autre genre, le clip de campagne d’Eric Zemmour mettait en scène <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/entre-les-lignes/eric-zemmour-les-ressorts-emotionnels-de-sa-video-de-candidature-analyses_4846243.html">l’imaginaire du « grand remplacement »</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Candidat à l’élection présidentielle de 1974, René Dumont, écologiste, tente de sensibiliser les téléspectateurs au gaspillage. INA.</span></figcaption>
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<h2>Circulations intellectuelles</h2>
<p>La fortune d’une idée ne tient pas qu’aux stratégies de communication et à l’habilité rhétorique de ses promoteurs. Pour s’imposer, elle suppose d’être relayée par une multitude de médiateurs, de « passeurs » et de vecteurs comme des <a href="https://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2009-1-page-8.htm">intellectuels</a>, des journalistes, des éditeurs, des <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2019-2-page-7.htm?contenu=article">partis politiques</a>, des <a href="https://www.cairn.info/revue-societes-contemporaines-2011-1-page-5.htm">militants</a> ou des groupes de réflexion.</p>
<p>Le succès des idées d’extrême droite doit sans doute beaucoup à la constitution de ce qui a été désignée comme une <a href="https://www.cairn.info/revue-quaderni-2015-2-page-101.htm?contenu=resume">nébuleuse « néo-réactionnaire »</a> regroupant des essayistes, romanciers, journalistes – tels que Pascal Bruckner, Alain Finkielkraut, Michel Houellebecq, Eric Zemmour ou Mathieu Bock-Côté – qui partagent un certain nombre de topiques : une conception essentialisante de l’identité nationale, le rejet de l’immigration, la dénonciation de la « bien-pensance », etc.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/578920/original/file-20240229-28-f8qt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="L’économiste austro-hongrois Friedrich Hayek (1899-1992), considéré comme l’un des pères du néolibéralisme" src="https://images.theconversation.com/files/578920/original/file-20240229-28-f8qt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/578920/original/file-20240229-28-f8qt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=750&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/578920/original/file-20240229-28-f8qt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=750&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/578920/original/file-20240229-28-f8qt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=750&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/578920/original/file-20240229-28-f8qt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=942&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/578920/original/file-20240229-28-f8qt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=942&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/578920/original/file-20240229-28-f8qt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=942&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">L’économiste austro-hongrois Friedrich Hayek (1899-1992), considéré comme l’un des pères du néolibéralisme.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikicommons</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>De même, les travaux académiques consacrés aux idées néolibérales ont souligné l’importance jouée par la <a href="https://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2002-5-page-9.htm">société du Mont-Pèlerin</a>, ce groupe de réflexion fondé en 1947 sous l’égide de l’économiste Friedrich Hayek (dans la localité suisse du Mont-Pèlerin), qui, via l’organisation de conférences, la traduction d’ouvrages et leurs relais dans les élites du monde occidental ont contribué à diffuser leurs idées économiques dans les instances internationales telles que le <a href="https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1998_num_121_1_3241">FMI ou la Banque Mondiale</a> jusque dans les <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/business_model-9782348042706">« business schools » et les universités</a>.</p>
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<p>La carrière d’une idée politique est ainsi tributaire non seulement des ressources matérielles ou financières des acteurs qui travaillent à sa circulation mais aussi et surtout de leurs ressources symboliques. Les sociologues français Pierre Bourdieu et Luc Boltanski ont bien analysé comment <a href="https://www.leslibraires.fr/livre/839981-la-production-de-l-ideologie-dominante-pierre-bourdieu-luc-boltanski-demopoliis">l’idéologie dominante</a> se façonne et circule à travers des lieux prétendument « neutres ». Il s’agit, dans les années 1970 en France, d’institutions comme le Commissariat général au Plan, de grandes écoles comme Sciences Po ou l’ENA ou encore de revues comme <em>Esprit</em>, qui permettent à des membres des élites caractérisés par le cumul des fonctions (par exemple, inspecteur des finances, directeur de cabinet et enseignant à Sciences Po), de se rencontrer.</p>
<h2>Des supports médiatiques aux appropriations ordinaires</h2>
<p>Cependant, une idée ne s’impose véritablement que si elle est reçue et surtout <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2015-1-page-7.htm?contenu=resume">appropriée</a> par de larges publics au-delà même des champs intellectuel et politique. À cet égard, si les effets des médias sont loin d’être directs et unilatéraux, ils n’en demeurent pas moins essentiels.</p>
<p>Le rôle des réseaux socionumériques apparaît aujourd’hui évident dans la diffusion de certains discours tels que le <a href="https://www.cairn.info/revue-mots-2022-3.htm">complotisme</a> ou des thèmes chers à l’extrême droite. Ils contribuent à faire émerger de nouvelles figures d’<a href="https://www.cairn.info/revue-quaderni-2023-2-page-39.htm?contenu=article">« influenceurs »</a> politiques. On le constate du coté des identitaires : ils ont su aussi mettre à profit ces moyens de communication, pour diffuser la notion de <a href="https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2022-2-page-47.htm">« remigration »</a> qu’ils ont largement popularisée sur X (ex-Twitter), au point qu’il n’est peut-être pas excessif de parler d’un <a href="https://journals.openedition.org/questionsdecommunication/8455">« gramscisme numérique »</a>.</p>
<p>Plus généralement, au sein même des médias grand public, on a souvent souligné le développement depuis une dizaine d’années d’un <a href="https://www.afsp.info/pdf.php?id=7505">espace médiatique de droite radicale</a> contribuant <a href="https://www.fayard.fr/livre/comment-sommes-nous-devenus-reacs-9782213716473/">à discuter et donc légitimer des idées d’extrême droite qui étaient jusque-là considérées comme taboues</a>.</p>
<p>Au-delà des journaux télévisés et des émissions politiques, les <a href="https://www.cairn.info/la-politique-sur-un-plateau--9782130594383.htm?contenu=sommaire"><em>talk-shows</em></a> se sont imposés comme des lieux de « débat » politique, qui peuvent contribuer à la banalisation de certains messages : <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/touche-pas-a-mon-peuple-claire-secail/9782021544732">Touche pas à Mon Poste !</a> est ainsi accusé de faire le jeu du Rassemblement national et de Reconquête à travers la surreprésentation des invités d’extrême droite et de leurs thèmes (insécurité, immigration…).</p>
<p>Les idées politiques peuvent également se loger dans une grande variété de productions médiatiques, artistiques ou culturelles, y compris celles qui sont considérées comme mineures : un genre musical tel que le rap peut se faire aussi bien le support d’idées <a href="https://www.cairn.info/revue-sociologie-de-l-art-2015-1-page-153.htm">postcoloniales</a> – avec des groupes comme Ministère des Affaires populaires, La Rumeur… – que <a href="https://journals.openedition.org/clo/4385">racistes</a> comme on le voit avec l’émergence d’un « rap identitaire » porté par des figures telles que Millésime K, Kroc Blanc, Amalek…</p>
<p>Elles ne se diffusent donc pas que par des canaux ni même des porte-paroles labellisés comme politiques. La réussite définitive d’une idée politique peut d’ailleurs se mesurer à sa capacité à se masquer comme telle en s’imposant sur le mode de l’<a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-le_discours_ideologique_ou_la_force_de_l_evidence_thierry_guilbert-9782296049307-25348.html">évidence</a> et à devenir, pour reprendre les mots des politistes <a href="https://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2017-3-page-5.htm">Mathieu Hauchecorne et Frédérique Matonti</a>, « si profondément incorporée qu’elle n’a le plus souvent pas besoin d’être mise en mots et peut dans bien des cas s’exprimer ou agir à l’insu des personnes qui l’utilisent. »</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224391/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cédric Passard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans les luttes idéologiques, les stratégies de présentation des idées sont cruciales.Cédric Passard, Maître de conférences en science politique, Sciences Po LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2200182023-12-20T19:57:51Z2023-12-20T19:57:51ZLa gauche peut-elle encore exister dans le débat sur l’immigration ?<p>Alors que la Macronie a <a href="https://lcp.fr/actualites/projet-de-loi-immigration-les-principales-mesures-issues-de-la-cmp-248673">multiplié les concessions sur sa droite</a> pour finalement obtenir le vote de son projet de loi sur l’immigration, la gauche n’est pas parvenue à faire entendre sa voix. </p>
<p>Pourtant, le 4 décembre dernier, le parti Génération·s conviait socialistes, communistes, insoumis et écologistes à une « <a href="https://x.com/GenerationsMvt/status/1729889002344661392?s=20">Soirée de la fraternité</a> ». Elle visait à fédérer contre le projet de loi <a href="https://theconversation.com/dossier-limmigration-en-france-quels-enjeux-218289">« immigration »</a> et l’emprise des idées d’extrême droite sur le débat public. </p>
<p>Trois jours plus tard, la gauche, sans Jean-Luc Mélenchon et ses proches, tenait un nouveau meeting à Saint-Ouen pour apparaître dans un <a href="https://theconversation.com/pourquoi-le-lien-entre-immigration-et-delinquance-est-une-illusion-205603">débat saturé des voix de la droite et de l’extrême droite</a>. </p>
<p>À travers la capacité de la gauche à opposer sa vision sur l’immigration, se joue, plus largement, son aptitude à produire de nouvelles idées et à les diffuser dans la société.</p>
<h2>Le rapport à l’altérité</h2>
<p>Si le projet de loi <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/12/11/loi-immigration-rejetee-a-l-assemblee-les-differentes-options-dont-dispose-le-gouvernement_6205231_823448.html">« immigration »</a> a suscité tant de discussions passionnées, c’est qu’il <a href="https://theconversation.com/comment-la-double-peine-du-projet-de-loi-immigration-renforce-la-confusion-des-pouvoirs-219578">convoque de nombreux enjeux</a> au-delà de la seule question des entrées et sorties de personnes étrangères. Derrière le masque de l’immigration, se discutent le rapport de la société à l’altérité et le statut à reconnaître à la diversité culturelle.</p>
<p>Ce thème a resurgi cet été avec les révoltes populaires suite <a href="https://www.liberation.fr/societe/police-justice/mort-de-nahel-la-version-policiere-encore-mise-a-mal-par-un-rapport-de-ligpn-et-de-nouvelles-auditions-20231220_LUXTBYT57RAUXAYASD74ZBNWOM/">au décès par tir policier de Nahel à Nanterre</a>, puis avec l’attentat terroriste d’Arras. Comme lors des <a href="https://www.cairn.info/quand-les-banlieues-brulent--9782707152176.htm">« émeutes » de 2005</a>, à chacune de ces séquences, c’est moins l’immigration qui est en question que le rapport identité-égalité et les conditions sociales d’une société apaisée.</p>
<p>En brandissant le risque d’un « grand-remplacement », la <a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/article/2022/02/14/valerie-pecresse-se-defend-de-son-utilisation-du-terme-complotiste-du-grand-remplacement-au-cours-de-son-meeting-a-paris_6113617_6059010.html">droite et l’extrême droite</a> ont engagé une offensive liant l’immigration, la diversité culturelle et le destin collectif de la France. Accusée de naïveté ou de laxisme, la gauche ne parvient pas à opposer un contre-discours, ni à adopter une position clairement identifiable.</p>
<h2>Gauche et immigration : distance et défiance</h2>
<p>Pour comprendre les raisons de ces difficultés, il importe de revenir sur l’histoire récente de la relation entre la gauche et l’immigration. Dans les années 1970, <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782070411955-la-france-et-ses-etrangers-l-aventure-d-une-politique-de-l-immigration-de-1938-a-nos-jours-patrick-weil/">l’immigration devient un « objet social »</a>, en raison de la présence des immigrés dans l’industrie française et de la grande précarité dans laquelle ils vivent, dans les foyers ou dans les cités de transit. Alors que le gouvernement prend une série de mesures restrictives en <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2008-2-page-69.htm">matière d’immigration</a>, les <a href="https://www.cairn.info/revue-plein-droit-2002-2-page-3.htm">mouvements sociaux « immigrés » se structurent</a>, souvent avec le soutien d’organisations syndicales ou associatives de gauche.</p>
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<p>Dans le même temps, les partis de gauche expriment déjà des visions différentes. Le Parti communiste soutient l’arrêt de l’immigration, et, tout en affirmant la solidarité de classe entre travailleurs, <a href="https://www.cairn.info/revue-geneses-2001-4-page-150.htm">déplore la concentration d’immigrés dans les communes qu’il gère</a>. Si une partie des socialistes partage cette attitude, le PS cherche également à mobiliser les mouvements de solidarité et les militants, notamment de classes moyennes, engagés dans l’anticolonialisme, le tiers-mondisme et les différentes luttes de l’immigration. Avec la <a href="https://fresques.ina.fr/mitterrand/fiche-media/Mitter00140/declaration-de-francois-mitterrand-sur-la-rupture-de-l-union-de-la-gauche.html">rupture de l’Union de la gauche en 1977</a>, les tensions entre les deux partis de gauche sur l’immigration s’accroissent. À la veille de l’élection de 1981, les socialistes accusent les communistes de diviser la classe ouvrière et de faire le jeu de la droite. Dans une déclaration du 11 février 1981, le Bureau exécutif du PS affirme ainsi au sujet de la <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1981/01/03/la-mise-a-sac-du-foyer-des-immigres-de-vitry-sur-seine-et-ses-prolongements-l-association-gestionnaire-estime-a-300-000-francs-au-moins-les-degats-causes-au-batiment-mis-a-sac-dans_3041436_1819218.html">destruction d’un foyer de travailleurs immigrés</a> par la municipalité communiste de Vitry-sur-Seine :</p>
<blockquote>
<p>« La situation est grave et il n’est pas acceptable de se tromper d’adversaire en s’attaquant, comme le fait la direction du Parti communiste, aux conséquences de la politique du pouvoir et non aux causes ».</p>
</blockquote>
<h2>Une position héritée des années 1980</h2>
<p>La question de l’immigration en politique connaît ensuite un véritable tournant durant les années 1980. Aux élections municipales de 1983, puis aux élections européennes de 1984, le Front National constate ses premiers succès. Très majoritairement, la gauche prend conscience des effets électoraux de ce thème et craint ses répercussions auprès des classes populaires, particulièrement dans les territoires les plus durement touchés par la crise économique (comme en région parisienne ou dans le Nord). </p>
<p>Au plan national, si la gauche tente de faire porter à la droite les stigmates de l’extrême droite, elle déplore également rapidement l’exploitation politique de ce thème par ses adversaires.</p>
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<p>Certes, le gouvernement socialiste engage momentanément une politique culturelle valorisant la <a href="https://www.cairn.info/dire-la-france--9782724619454.htm">France plurielle</a> et soutient SOS-Racisme. Cependant, la gauche adopte rapidement une stratégie de neutralisation à deux volets. D’une part, il s’agit d’éviter que les questions culturelles liées aux immigrés ou à leurs descendants, jugées favorables à la droite, ne constituent un enjeu d’opposition politique entre la droite et la gauche. </p>
<p>D’autre part, il s’agit de reformuler ce thème à partir de la question sociale, en insistant sur le logement, l’éducation, l’emploi et la redistribution. Ces deux dimensions aboutissent, à la fin des années 1980, au paradigme de l’intégration, conciliant <a href="https://www.meirieu.com/DICTIONNAIRE/differences.htm">« indifférence aux différences »</a> et primauté de l’action sociale. Depuis lors, la position de la gauche n’a guère changé, continuant de considérer que l’immigration est avant tout un thème qui profite à la droite et répliquant sa crainte de le voir se constituer en enjeu politique de premier plan.</p>
<h2>Un thème source de fractures</h2>
<p>Au-delà de son analyse électorale, la difficulté de la gauche à produire des réflexions collectives en matière d’immigration s’explique par l’existence de profondes divisions. Les enjeux que contient ce thème ne recoupent qu’imparfaitement le clivage de classe qui oppose traditionnellement la droite et la gauche. À l’inverse, ils traversent ces familles politiques en leur sein.</p>
<p>La gauche voit s’opposer plusieurs visions. D’un côté, les partisans de la cause des immigrés insistent sur la défense des droits humains, l’antiracisme puis la lutte contre les discriminations et l’islamophobie. Dès les années 1980, certains y voient même de nouvelles bases pour réunir la gauche au moment où le « tournant de la rigueur » rend les questions économiques plus clivantes.</p>
<p>D’un autre côté, se réclamant du « réalisme » face à la naïveté des « droits-de-l’hommiste », une autre partie de la gauche craint que cet engagement ne favorise la droite. Elle défend une grande fermeté en matière migratoire et un renvoi des identités particulières à la sphère privée.</p>
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<p>Présente dès les années 1980, cette opposition est maximisée <a href="https://www.jean-jaures.org/publication/la-gauche-qui-vient-place-a-la-republique/">à la fin des années 2000 et durant les années 2010</a>. La crise financière de 2008 constitue un premier tournant. Elle scinde l’aile libérale de la gauche : d’un côté, les partisans d’une refondation de l’identité sociale-démocrate autour de la « diversité » et de la lutte contre les discriminations ; de l’autre, les adeptes d’une position « national-libérale » articulant « politique de marché et valorisation identitaire de la nation ». </p>
<p>Les attentats terroristes de 2015 marquent un second tournant. La ligne « national-libérale » gagne en importance et tente de recomposer l’opposition politique entre un bloc central et « des extrêmes » autour de la « question républicaine ».</p>
<h2>L’enjeu organisationnel de la bataille d’idées</h2>
<p>Le débat autour de la loi « immigration » donne à voir l’ampleur du chantier de refondation à gauche. Pour faire entendre sa voix, elle doit s’emparer d’un thème qu’elle a durablement contourné et parvenir à définir une position collective clairement identifiable. Elle ne peut le faire sans ouvrir en son sein un débat qu’elle a très largement considéré comme favorable à la droite et défavorable à sa propre audience auprès des classes populaires.</p>
<p>Certes, <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2017-1-page-22.htm">l’évidement idéologique observé au PS</a> questionne plus largement la capacité de la gauche à produire de nouvelles idées et à adapter son projet aux évolutions de la vie politique. Comme elle ne fait pas partie de ses emblèmes, l’immigration permet d’observer de manière particulièrement évidente les capacités d’innovations idéelles de la gauche.</p>
<p>Cependant, un regard vers le monde syndical, associatif ou académique permet de constater que la gauche n’est pas en manque de perspectives en la matière. La philosophie politique a, par exemple, esquissé d’importantes pistes pour penser ensemble <a href="https://www.mediapart.fr/journal/culture-et-idees/110623/avec-nancy-fraser-penser-la-justice-et-la-diversite-des-luttes">redistribution et reconnaissance</a>.</p>
<p>Au-delà des idées, les difficultés de la gauche à exister dans le débat sur l’immigration posent plus directement une question organisationnelle. Tout d’abord, l’analyse qu’elle fait de la « pensée populaire » sur l’immigration est d’autant plus susceptible d’être parasitée par les sondages et leur exploitation médiatique que les <a href="https://www.cairn.info/revue-germinal-2021-2.htm">classes populaires sont globalement les grandes absentes des partis de gauche</a>.</p>
<p>De plus, c’est sa capacité à diffuser ses idées dans la société et à relayer les demandes populaires qui est clairement mise en cause. Or, cela dépend de ses relations avec les mondes intellectuels, syndicaux et associatifs, de son aptitude à mobiliser durablement les militants, de ses pratiques d’éducation populaire et donc, <em>in fine</em>, de sa capacité à représenter une offre politique clairement identifiée. Dès lors, si la récurrente question des idées est effectivement centrale, elle ne peut trouver d’issue qu’articulée à celle des pratiques et de l’ancrage social de la gauche.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220018/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre-Nicolas Baudot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le débat autour de la loi « immigration » donne à voir l’ampleur du chantier de refondation à gauche face à un véritable défi idéologique et organisationnel.Pierre-Nicolas Baudot, Docteur en science politique. Université Paris-Panthéon-Assas, ATER à l'Université Clermont-Auvergne, spécialisé en histoire sociale des idées partisanes, Université Paris-Panthéon-AssasLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2078992023-08-15T13:18:55Z2023-08-15T13:18:55ZComment le cerveau génère-t-il des idées créatives ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/540876/original/file-20230802-29-xpbnoy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C2%2C991%2C663&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Lorsque nous comprenons mieux l'origine des idées créatives et les processus utilisés par le cerveau pour les produire, nous sommes mieux à même de mettre en place des stratégies pour favoriser notre potentiel créatif.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Vous êtes-vous déjà réveillé un matin avec une solution miraculeuse à l’un de vos problèmes, ou même avec une idée créative de recette aux bananes ? Les idées créatives ont des origines variées, mais environ une <a href="https://doi.org/10.1016/j.paid.2021.111068">personne sur deux</a> croit qu’elles sont le fruit d’une inspiration soudaine.</p>
<p>Ce mythe laisse croire que les idées créatives naissent d’elles-mêmes, sans qu’il soit possible de les contrôler ; comme si le cerveau travaillait de manière inconsciente. </p>
<p>Qu’en est-il vraiment ? </p>
<p>En fait, la créativité serait le reflet d’une collaboration entre le travail conscient et inconscient du cerveau. </p>
<p>Chercheur et chercheuse en psychologie, nous tenterons de résumer plusieurs années de recherche en psychologie cognitive et en neurosciences pour décrypter comment le cerveau produit des idées créatives. </p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/541784/original/file-20230808-23-kg6woe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Woman showing her head and handling a light bulb" src="https://images.theconversation.com/files/541784/original/file-20230808-23-kg6woe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/541784/original/file-20230808-23-kg6woe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/541784/original/file-20230808-23-kg6woe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/541784/original/file-20230808-23-kg6woe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/541784/original/file-20230808-23-kg6woe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/541784/original/file-20230808-23-kg6woe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/541784/original/file-20230808-23-kg6woe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">L’approche cognitive appliquée à l’étude de la créativité se concentre sur les composantes de la pensée impliquées dans la production d’idées originales.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Pexels)</span></span>
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<h2>Avant tout, qu’est-ce qu’une idée créative ?</h2>
<p>Une idée créative doit être à la fois <a href="https://doi.org/10.1080/10400419.2012.650092">originale et utile</a>. La farine peut être utilisée comme savon à plancher – une idée originale, mais très peu utile. En revanche, la farine peut également être transformée en balle antistress : il suffit de la mélanger à de l’eau, puis de l’envelopper dans un ballon. C’est une idée originale, et plutôt utile si vous n’avez pas de balle antistress à la maison. Y aviez-vous pensé ? </p>
<p>La créativité d’une idée s’évalue à la lumière de sa qualité, mais également selon le processus utilisé pour la produire et les connaissances de la personne qui la crée. Autrement dit, la <a href="https://doi.org/10.1017/9781316979839.024">même idée peut être créative pour une personne et banale pour une autre</a>. Les idées créatives auxquelles vous pensez tous les jours ne resteront sûrement pas dans les annales de l’histoire. Il ne faut pas s’attendre à ce que votre nouvelle recette de pain aux bananes soit exposée aux côtés des idées révolutionnaires de Léonard de Vinci. </p>
<p>Pourtant, il s’avère que les processus à l’origine de ces idées ne sont pas si différents, puisqu’ils sont soumis à des règles similaires. </p>
<p>Voyons certaines de ces règles.</p>
<h2>Le cerveau produit rarement des idées créatives en premier</h2>
<p>Les idées sont en compétition les unes avec les autres, et les idées peu originales sont souvent les premières produites. Si l’on vous demande de trouver des façons originales d’utiliser de la farine et du lait, votre cerveau produira spontanément une idée de recette en premier. Les idées originales sont souvent produites par la suite. </p>
<p>Pourquoi est-ce ainsi ?</p>
<p>Tout d’abord, le cerveau travaille de manière inconsciente. Il organise les connaissances de façon à activer les souvenirs et les connaissances qui sont fortement liés les uns aux autres. Par conséquent, le cerveau a rapidement accès à des idées peu originales, puisqu’elles sont facilement disponibles. </p>
<p>Si vous ouvrez votre garde-robe, les vêtements les plus proches seront probablement ceux que vous portez le plus souvent. Vous devrez aller plus loin dans votre armoire pour diverger de vos vêtements habituels. Par analogie, vos vêtements sont à votre garde-robe ce que vos souvenirs et vos connaissances sont à votre mémoire.</p>
<p>Or, contrairement au choix d’un vêtement, l’activation des connaissances se ferait en partie en dehors du contrôle de la personne, de <a href="https://doi.org/10.1037/a0027059">manière automatique et relativement inconsciente</a>. Cette activation met du temps – il faut donc persévérer pour trouver des idées créatives ! </p>
<p>Le cerveau travaille également de manière consciente. Il faut parfois faire un effort mental et utiliser des stratégies divergentes pour trouver des idées créatives. Par exemple, si l’on vous demande d’imaginer plusieurs recettes à base de crème, vous penserez peut-être, au bout d’un moment, à transformer la crème en beurre plutôt que de l’utiliser dans son état naturel. C’est une nouvelle stratégie ! </p>
<p>L’effort mental permet également d’éliminer les idées peu originales et répétitives qui viennent naturellement à l’esprit. C’est ce que l’on appelle la gestion des interférences. En fait, quelques <a href="https://doi.org/10.1037/xge0000958">études de neuro-imagerie</a> ont montré que l’effort mental dans la créativité est associé aux parties du cerveau responsables des fonctions qui permettent de planifier, d’organiser et de réguler les comportements et les pensées.</p>
<h2>Le cerveau a besoin de faire des pauses</h2>
<p>La créativité implique un travail du cerveau à la fois conscient et inconscient. Les pauses facilitent les deux, soit en permettant au cerveau de récupérer, soit en laissant l’activation des souvenirs et des connaissances se dérouler naturellement. </p>
<p>Plusieurs études ont montré que la <a href="https://doi.org/10.3389/fpsyg.2016.01076">distraction peut favoriser le processus créatif</a>. Lorsque nous cessons de penser consciemment à un problème et que nous nous distrayons, le cerveau continue à tisser des liens entre les idées et n’est pas affecté par vos pensées conscientes. Une fois revenu au problème, l’accès à des idées plus éloignées est facilité ! </p>
<p>Par exemple, si vous souhaitez élaborer de nouvelles idées de recettes à partir de vos restes, ces idées seront peut-être plus créatives au terme d’une pause de quelques minutes après avoir dressé la liste des ingrédients.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/540858/original/file-20230802-17862-6s34ao.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="jeunes professionnels en réunion" src="https://images.theconversation.com/files/540858/original/file-20230802-17862-6s34ao.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/540858/original/file-20230802-17862-6s34ao.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/540858/original/file-20230802-17862-6s34ao.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/540858/original/file-20230802-17862-6s34ao.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/540858/original/file-20230802-17862-6s34ao.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/540858/original/file-20230802-17862-6s34ao.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/540858/original/file-20230802-17862-6s34ao.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Environ huit personnes sur dix pensent que le remue-méninges est utile à la créativité.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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<h2>Le cerveau se fixe sur les exemples</h2>
<p>Les exemples sont risqués, puisque votre attention risque de s’y fixer ! <a href="https://doi.org/10.1016/j.paid.2021.111068">Environ huit personnes sur dix</a> pensent que le remue-méninges est utile à la créativité. Au contraire, éviter la fixation sur les idées des autres, surtout si elles ne sont pas très originales, <a href="https://doi.org/10.1037/aca0000613">exige du cerveau un travail conscient et contrôlé important</a>. Il est préférable de commencer à réfléchir par soi-même, puis de combiner ses idées avec celles des autres ensuite !</p>
<p>Si vous désirez créer une recette et que, par un malheureux hasard, vous découvrez la recette de pain aux bananes de votre grand-mère, vous aurez peut-être du mal à en imaginer une qui s’en éloigne.</p>
<p>Le cerveau créatif fonctionne selon des règles, et lorsque nous connaissons ces règles, nous pouvons les utiliser à notre avantage. Cependant, il faut aussi reconnaître que la créativité consiste souvent à enfreindre les règles ! </p>
<p>Il n’y a pas 100 façons de faire du pain aux bananes… vraiment ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207899/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les travaux de Pier-Luc de Chantal sont financés par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Claudelle Houde Labrecque ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La créativité est souvent considérée comme un phénomène spontané et inconscient. Cette perspective contraste avec les recherches contemporaines en psychologie cognitive et en neurosciences.Pier-Luc de Chantal, Professeur en psychologie, Université du Québec à Montréal (UQAM)Claudelle Houde Labrecque, Étudiante au doctorat en psychologie (PhD), Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1942682022-11-15T16:52:42Z2022-11-15T16:52:42ZLe pouvoir des mots : « écoterrorisme » ou « résistance écologiste » ?<p>Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, a qualifié les récentes manifestations anti-bassines à Sainte-Soline en France <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/deux-sevres-la-mobilisation-se-poursuit-contre-les-bassines-a-sainte-soline-20221030">« d’écoterrorisme »</a>, terme repris, voire assumé par <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/metiers/agriculture/manifestation-anti-bassines-le-mot-ecoterrorisme-ne-me-gene-pas-assure-le-ministre-de-l-agriculture_5461276.html">d’autres figures du gouvernement depuis</a>. Néanmoins, l’expression interroge : les dégradations de biens et les confrontations entre les activistes et les forces de l’ordre relèvent-elles bien d’« écoterrorisme » ?</p>
<p>Plutôt que proposer une réponse juridique à cette question, cet article vise à questionner le sens politique de la dénomination « écoterrorisme ». Les lecteurs et lectrices sont invité·e·s à faire un pas de côté et réfléchir à l’importance des mots employés en contexte, dont le pouvoir est amplifié selon la position sociale du locuteur. Il ne s’agit pas de nier la terreur à laquelle mène le terrorisme ni de se positionner sur la nature violente de l’évènement, mais d’interroger sa lecture politique à travers le procédé de dénomination. Comme le souligne le sociologue <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/langage-et-pouvoir-symbolique-pierre-bourdieu/9782757842034">Pierre Bourdieu</a>, le langage est porteur d’un pouvoir symbolique.</p>
<h2>Le choix du « mot-symptôme » : l’acte politique de dénomination</h2>
<p>Le choix du terme « écoterrorisme » pour nommer l’action portée par les militant·e·s écologistes n’est pas anodin. Il est un <a href="https://journals.openedition.org/mots/22403">« mot symptôme »</a> d’après la terminologie de Patrick Charaudeau, c’est-à-dire « un mot qui est chargé sémantiquement par le contexte discursif dans lequel il est employé et par la situation dans laquelle il surgit ».</p>
<p>Les mots sont des contenants d’idées, de symboles, et d’images qui modèlent et déterminent la forme de ce que nous pensons. Nommer un phénomène n’est pas neutre, chaque mot renvoyant à une interprétation de la réalité, à un imaginaire particulier, à un point de vue <em>situé</em>. Autrement dit, le répertoire sémantique choisi pour désigner le phénomène en question est déjà chargé de sens, parce que bien souvent, il lui préexiste. Ainsi, les mots participent à la construction du sens apposé sur le phénomène. En tant que contenants, ils proposent une lecture spécifique de l’évènement. En France, le « terrorisme », au-delà d’une catégorie juridique, renvoie à un imaginaire bien spécifique (figure de l’<a href="https://www.researchgate.net/publication/339752790_Radicalisation_de_l%27adversaire_a_l%27ennemi">ennemi intérieur</a> qui commet des attentats). Son champ sémantique est ici élargi et mis en rapport avec l’activisme écologiste, façonnant en conséquence les représentations sociales.</p>
<p>Comme l’indique <a href="https://www.fayard.fr/sciences-humaines/ce-que-parler-veut-dire-9782213012162">Pierre Bourdieu</a>, le statut de l’énonciateur joue également un rôle déterminant : le terme « écoterrorisme » est employé par une figure d’autorité étatique, le ministre de l’Intérieur, dont le rôle est notamment l’encadrement de la violence physique légitime (forces de police entre autres). La dénomination opérée légitime l’action répressive menée à l’encontre des manifestant·e·s, en même temps qu’elle décrédibilise et invisibilise le discours écologiste.</p>
<h2>Terrorisme ou résistance : frontière symbolique</h2>
<p>Qu’en serait-il si l’action menée par les écologistes à Sainte-Soline avait été qualifiée de « résistance écologiste » ?</p>
<p>Le sociologue et philosophe <a href="https://journals.openedition.org/lectures/14656">Gérard Rabinovitch</a> rappelle que les notions de « résistance » et de « terrorisme », en principe antagonistes et dont la frontière ne devrait pas être floue, appartiennent pourtant, aujourd’hui, à la même catégorie sémantique politique. Sans glisser dans un relativisme qui consisterait à envisager les deux notions de façon absolument symétrique, on peut noter que les « résistant.es » comme les « terroristes » déploient une violence politique, et que l’étiquetage dont ils font l’objet est <em>radicalement</em> différent selon que leurs revendications et les moyens déployés sont considérés comme justes (moraux) ou injustes (immoraux) à un moment <em>t</em>.</p>
<p>Comme l’ont souligné <a href="https://journals.openedition.org/lectures/3784">Annie Collovald et Brigitte Gaiti</a>, le sens attribué à des actions et la narration dont elles font l’objet ne sont pas figés dans le temps. Ainsi, certaines actions collectives violentes peuvent être a posteriori célébrées, légitimées, voire romantisées (Révolution française, mai 68), quand d’autres sont requalifiées et délégitimées (relecture de la collaboration sous le régime de Vichy, colonialisme).</p>
<p>En parallèle, si on cherche à saisir le sens que les acteurs donnent à l’étiquette qui leur est apposée, on assiste à un flagrant contraste. Par exemple, ce qui est dénommé « terrorisme indépendantiste » correspond aussi à ce qui est vécu et revendiqué comme une juste <em>résistance</em> contre une autorité étatique jugée illégitime. On peut penser, dans les années 1960, au Front de Libération du Québec qui a déployé une violence politique au nom de la <a href="https://popups.uliege.be/1374-3864/index.php?id=1196">liberté territoriale</a>, politique et économique du Québec, contre l’hégémonie canadienne britannique. À l’époque, Charles de Gaulle avait d’ailleurs soutenu la cause indépendantiste en <a href="https://www.charles-de-gaulle.org/wp-content/uploads/2017/03/Discours-de-Montreal.pdf">proclamant</a> « Vive le Québec libre ! »</p>
<p>Dans une approche <a href="https://www.cairn.info/la-construction-sociale-de-la-realite--9782200621902.htm">constructiviste</a>, on suggère alors qu’un acte politique n’est pas éthique en soi, mais est désigné comme tel au sein d’un contexte sociohistorique, c’est-à-dire selon un ensemble d’indicateurs géographiquement et historiquement situés. La diversité des qualificatifs en fonction des points de vue témoigne de leur caractère politique : terroriste ici et aujourd’hui, résistant là-bas et demain, militant ou combattant ; l’imaginaire convoqué dans le discours est différent selon là où on se place.</p>
<h2>Le langage et les représentations</h2>
<p>On a vu que dans le discours, ce que représente la radicalité, le terrorisme ou la violence politique est <em>relatif</em>, dépendant des normes en vigueur dans une société donnée à une époque précise. Ainsi, comme le précisent <a href="https://www.cairn.info/violences-politiques--9782200616878.htm">Xavier Crettiez et Nathalie Duclos</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Il semble indispensable de penser la violence dans son contexte et de parvenir à la resituer dans ses espaces géographiques comme sociaux et politiques. La violence est toujours relationnelle et ne prendra sens qu’à travers le rapport de force qu’elle institue ou qu’elle traduit. » (p. 20)</p>
</blockquote>
<p>Pour analyser la construction sémantique d’un problème public, il importe de replacer les termes dans leur contexte. Ici, on peut parler d’une <a href="https://theconversation.com/debat-qui-a-peur-des-etudes-feministes-et-antiracistes-a-luniversite-190940">panique morale</a> autour de ce qui est nommé <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/09/02/un-ensauvagement-de-la-societe-les-etudes-montrent-elles-une-relative-stabilite-de-la-delinquance-depuis-quinze-ans_6050650_3224.html">« l’ensauvagement de la société »</a> selon l’expression employée en 2020 par Gérald Darmanin, justifiant la mise en place de politiques sécuritaires.</p>
<p>Cette rhétorique légitime à tout prix la prévention des risques et la gestion policière des problèmes sociaux en s’appuyant sur l’élaboration de figures dangereuses menant, <em>in fine</em>, à la stigmatisation de certaines franges de la population.</p>
<p>En <a href="https://www.cairn.info/outsiders--9782864249184.htm">sociologie de la déviance</a>, on considère que l’entreprise de labellisation (tracer la frontière entre l’activiste <em>modéré·e</em> et l’activiste <em>radical·e</em>) est un enjeu de pouvoir, en ce qu’elle détermine la frontière entre les idéologies et pratiques politiques légitimes, et celles qui ne le sont pas.</p>
<p>Dans le discours politique, on observe également une tendance à l’homogénéisation des individus présents aux manifestations anti-bassines à Sainte-Soline, tous désignés comme ultraviolents, ainsi qu’une apparente absence de réflexion autour de leurs revendications. En effet, les discours politiques et médiatiques n’ont pas, ou très peu, évoqué l’incidence écologique des bassins de rétention sabotés par les militant·e·s (monopolisation de l’eau par l’agro-industrie, conséquences sur la biodiversité, évaporation de l’eau stagnante). Le message porté par les catégorisé·e·s « déviant·e·s » est rendu hors de propos.</p>
<p>S’interroger sur le pouvoir des mots donne également l’occasion de poser la question de la légitimité éventuelle de la cause défendue, toujours considérée comme étant juste aux yeux de ceux et celles qui la commettent, et injuste ou insuffisamment juste par ses détracteurs.</p>
<hr>
<p><em>Lucile Dartois effectue son doctorat en cotutelle en psychologie sous la direction de Martine Batt et Romain Lebreuilly à l’Université de Lorraine (laboratoire Interpsy, axe GRC), et en sociologie sous la direction de Pr Marcelo Otero à l’Université du Québec à Montréal.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/194268/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lucile Dartois est conseillère en recherche au Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence à Montréal.</span></em></p>Le choix du terme « écoterrorisme » pour nommer l’action portée par les militant·e·s écologistes n’est pas anodin et questionne notre rapport à l’action politique et sa nomination.Lucile Dartois, Doctorante en cotutelle à l'Université de Lorraine (en psychologie, laboratoire Interpsy, axe GRC) et à l'Université du Québec à Montréal (département de sociologie), Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1807532022-05-26T18:57:18Z2022-05-26T18:57:18ZLes défis de l’authentification pour protéger la créativité à la source<p>L’innovation, la créativité et son expression sont les leviers fondamentaux de la réussite scientifique, industrielle, culturelle et économique d’un pays. Il devient essentiel de donner confiance aux inventeurs, en se donnant la capacité de protéger la créativité à la source. Certifier l’authenticité d’une idée nouvelle, ou de celui qui a eu l’idée nouvelle, est indispensable pour rendre plus juste notre bouillonnante époque d’inventeurs.</p>
<p>Le défi technique est de proposer une solution de dépôt simplifié des idées ayant la capacité juridique de protéger des innovateurs en herbe ou consacrés et pouvant rapidement se déployer à l’échelle d’une nation qui respecte les nécessités de secret : seul le déposant peut la voir ; de transparence : elle est partiellement dévoilée pour que se révèlent les bonnes idées lors d’une confrontation à d’autres idées. Un défi économique et sociétal serait qu’une gestion de la multiplication d’actes de créativité individuelle soit à la source de l’émergence d’idées à l’échelle locale qui soient à la hauteur des défis notamment dus aux dérèglements du climat et aux atteintes à la biodiversité.</p>
<h2>La créativité est mal protégée</h2>
<p>Dans le monde académique, la reconnaissance de la prise de risque et de la créativité dans l’évaluation des chercheurs mérite de s’appuyer sur des formats pratiques d’enregistrements reconnus qui dépassent le cadre actuel trop limité et parfois inadapté – comme le dépôt de brevet – pour mesurer l’impact d’un travail de recherche.</p>
<p>La protection des travaux de recherche des <a href="https://www.lemonde.fr/campus/article/2022/01/25/les-plus-gros-mangent-les-petits-c-est-comme-ca-quand-des-encadrants-s-approprient-le-travail-des-jeunes-chercheurs_6110816_4401467.html">étudiants et des doctorants</a> dans les laboratoires est par ailleurs régulièrement posée, avec malheureusement des cas de dérives dans l’exploitation de leurs travaux en les excluant par exemple dans la signature de publications scientifiques. Il existe pourtant des dispositifs de protection dans les écoles doctorales et les laboratoires, comme le « cahier de laboratoire » consignant chronologiquement les travaux réalisés, mais ce type de dispositif n’est pas facilement adaptable à toutes les disciplines scientifiques.</p>
<p>Dans la société du numérique, des objets interconnectés et des usages nouveaux (jeux vidéo…), on détecte de manière croissante des étudiants talentueux – voire des lycéens – en <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/04/30/la-coree-du-sud-en-ciblant-la-jeunesse-bouleverse-la-pop-culture-mondiale-depuis-vingt-ans_6124238_3232.html">dehors des circuits habituels</a> du laboratoire de recherche. Les universités et écoles jouent un rôle en les accompagnant dans les divers aspects techniques, scientifiques, pédagogiques (cf. les concours de l’innovation), mais pourraient aussi jouer un rôle dans la protection des concepts développés.</p>
<p>La question du maintien de la richesse créative se pose aussi pour les start-up qui par essence portent les valeurs d’innovation et de créativité, mais avec de faibles taux de survie ; ceci pose la question d’une protection personnelle de la propriété intellectuelle des inventeurs ; et la question de la valorisation de ce qui est malheureusement laissé dans des cartons après une ou deux années de travail sur un projet !</p>
<p>Alors comment dans un contexte aussi stratégique pouvons-nous accompagner, valoriser, et garantir une authentification de la créativité ? Comment développer un écosystème protégeant tous les apporteurs de nouvelles idées ?</p>
<h2>Comment démocratiser la protection de la créativité ?</h2>
<p>Il existe bien évidemment des mécanismes pour conserver des traces de l’innovation comme le dépôt de brevet ou l’enveloppe Soleau, mais ils sont trop chers, trop complexes, peu connus et surtout ils interviennent trop tard et de façon non systématique dans la chaîne de valeur. Il s’agit donc de créer tout un écosystème dédié à la défense de la créativité, mais surtout à sa collecte, son inventaire et sa valorisation.</p>
<p>Pour répondre à ces défis, nous proposons la mise en place d’une plate-forme à la fois simple d’utilisation, accessible à tous, visible, reconnue, en charge de la défense des idées enregistrées, mais également responsable de leur valorisation.</p>
<ul>
<li><p>Le défi sociétal est de produire un écosystème de protection et de valorisation de l’innovation déployé partout en France.</p></li>
<li><p>Le défi économique est d’établir une confiance entre les porteurs du projet et les différents acteurs.</p></li>
<li><p>Le défi technique est de réaliser un système informatique efficace, sûr et distribué physiquement sur le territoire.</p></li>
</ul>
<p>L’idée simple est ici de faire diffuser sur Internet des idées protégées, car elles sont authentifiées par les notaires qui sont les spécialistes de l’authentification de toutes sortes d’actes. Ce service public serait idéalement gratuit pour favoriser la diffusion des idées que les porteurs souhaiteraient rendre publiques et pour assurer le dépôt des idées que les porteurs souhaiteraient conserver pour l’instant secrètes afin de choisir le moment de leur diffusion. Il permettrait également à des éditorialistes de faire vivre le contenu de la plate-forme en organisant des indexations dynamiques des idées qui proviendraient des débats d’idées qu’elles suscitent.</p>
<p>Les débats d’idées sont les moyens consacrés pour faire progresser la connaissance de tous et faire évoluer les idées elles-mêmes. C’est pourquoi il faut donner aux créateurs la capacité de protéger leur idée quand elles sont débattues, c’est-à-dire avant même la gestion des droits d’auteurs ou le dépôt de brevets d’une invention auquel elle participerait. Ainsi la protection doit se faire « à la source », elle doit être immédiate et facile d’accès.</p>
<p>Pour cela il est nécessaire d’avoir la capacité de fournir la caution technologique la plus propice à sécuriser les utilisateurs finaux de sorte que chaque bribe de leurs innovations déposée dans la plate-forme soit inaliénablement adossée à leur identité tout en permettant une mise en vitrine de leurs avancées. Cela est aujourd’hui possible avec une approche informatique chaîne de blocs ou « blockchain ». L’idée est d’attribuer aux notaires cette charge d’authentifier et de protéger les idées des porteurs et de sécuriser leurs relations, tout en favorisant la mise en valeur de ces idées. Leur rôle d’authentificateur stimulera le processus et garantira la certification des transactions. Les notaires disposent déjà d’une infrastructure informatique distribuée mutualisée et sécurisée pour la rédaction et l’archivage des actes. Les notaires reçoivent des actes dont certains sont unilatéraux (testaments authentiques). Par la réception du dépôt, le notaire aide à lutter contre la fraude ou le vol d’identité, et donne au déposant et aux tiers l’assurance du dépôt et de sa date ; la blockchain elle, sécurise le fichier, sa pérennité et sa consultation.</p>
<h2>Vers une boucle d’authentification de la créativité</h2>
<p>C’est dans ce contexte qu’un prototype de boucle d’authentification de la créativité a été réalisé, pour le conseil régional des notaires de Lyon, en s’appuyant sur l’outil <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Hyperledger">Hyperledger</a></p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/465346/original/file-20220525-24-brhf9q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/465346/original/file-20220525-24-brhf9q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=334&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/465346/original/file-20220525-24-brhf9q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=334&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/465346/original/file-20220525-24-brhf9q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=334&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/465346/original/file-20220525-24-brhf9q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=419&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/465346/original/file-20220525-24-brhf9q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=419&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/465346/original/file-20220525-24-brhf9q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=419&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Chaîne d’authentification de la créativité.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La procédure d’authentification des idées est organisée autour de plusieurs acteurs :</p>
<ul>
<li><p>Les porteurs de projets qui vont bénéficier du service de dépôt de protection d’idée afin de valoriser leurs travaux ;</p></li>
<li><p>Les contributeurs qui sont les personnes et institutions aux contacts des porteurs de projets (comme les universités, les écoles d’ingénieurs, les incubateurs, etc.) qui vont proposer aux porteurs de projet le dépôt de leurs idées et travaux ;</p></li>
<li><p>Les validateurs qui sont les notaires qui vont engager leur légitimité pour inscrire dans la blockchain les idées des porteurs de projets ;</p></li>
<li><p>Les éditorialistes qui ont pour vocation de faire connaitre les idées via une stratégie de communication. Ces éditeurs pourraient être des agences privées ou publiques voulant susciter de nouveaux projets, ou encore des tiers lieux faisant la promotion de la créativité présente dans leur territoire.</p></li>
<li><p>Les industriels qui pourront avoir un accès premium au catalogue des idées afin de solliciter des mises en relation directe avec les porteurs de projet.</p></li>
</ul>
<h2>Un nouvel écosystème vertueux et pragmatique</h2>
<p>Par essence, la technologie blockchain avec ses principes cryptographiques et de distribution des données et transactions se prête idéalement au sujet de l’horodatage, de la traçabilité et de l’immutabilité. Sur un sujet aussi critique que la protection de l’innovation, elle apporte une caution technologique majeure pour protéger les intérêts des porteurs de projets et éviter tout conflit d’intérêts. Néanmoins elle ne reste qu’un facilitateur, et pour qu’une adoption s’opère il est primordial que cette mission soit portée par des acteurs qui y trouvent un intérêt aussi bien sociétal qu’économique. L’idée fondatrice est donc de proposer une plate-forme blockchain qui réponde simplement aux besoins immédiats des différents acteurs de l’innovation.</p>
<p>1) Pour les porteurs du projet dans l’incapacité technique de protéger une innovation, la plate-forme apporte une procédure digitale de protection de l’innovation simple et facilement accessible.</p>
<p>2) Pour ceux qui ignorent les moyens de protection à leur disposition ou qui manquent d’intérêt pour la protection de leurs idées, ils rencontreront une équipe éditorialiste qui avec le réseau notarial est en charge de produire un catalogue simplifié des innovations qui servira à établir une relation entre les porteurs de projets et avec de potentiels partenaires industriels.</p>
<p>3) Avec un taux de survie inférieur à 20 %, toute l’innovation d’une jeune structure, perdue dès lors que cette dernière disparaît, serait mise en lumière comme étant des innovations protégées dans un catalogue simplifié à disposition des industriels partenaires Industriel.</p>
<p>4) Face à la difficulté d’une structure à innover et son besoin constant d’acquérir des talents ou des nouvelles idées il y aurait un accès direct à un catalogue simplifié et anonyme de l’innovation avec la possibilité d’être mis en relation directe avec les porteurs de projet.</p>
<p>5) Les notaires sont face à une méconnaissance générale de l’intérêt sociétal de leur profession. Comme ils seront là une caution morale et juridique d’un dispositif, qui s’adresse à un large public plus jeune, les notaires pourraient faire valoir une mission de protection de l’innovation et de la créativité, simplement et au plus grand nombre.</p>
<p>On peut donc imaginer à partir de ces concepts et de la réalisation d’un prototype facilement réalisable aujourd’hui en s’appuyant sur la technique blockchain, un dépôt simplifié et dématérialisé pour encourager la créativité à la source des innovateurs. Un déploiement dans un cadre public avec la profession notariale permettrait ainsi de mettre en place rapidement à l’échelle nationale de nouveaux usages responsables valorisant la créativité.</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été co-écrit avec Denis Pierre Simon, notaire (président honoraire du conseil régional des notaires de Lyon) et Nicolas Herzog (expert en développement blockchain).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/180753/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La créativité n’est pas toujours bien protégée, comment remédier à ce problème ?Michel Robert, Professeur de microélectronique, Université de MontpellierJean Sallantin, directeur de recherche émérite au CNRS, Université de MontpellierLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1786692022-03-13T17:40:03Z2022-03-13T17:40:03ZEmmanuel Macron, l’héritier caché de Nicolas Sarkozy ?<p>Il a publié son message sur les réseaux sociaux: l’ancien chef de l’Etat Nicolas Sarkozy <a href="https://www.liberation.fr/politique/elections/sarkozy-soutient-macron-lr-pris-a-revers-20220412_ERQI7F2LX5F6VEXYP5EXIC3ZIE/">a annoncé mardi 12 avril qu’il soutiendrait son successeur</a> face à Marine Le Pen le 24 avril. </p>
<p>À l’heure où Emmanuel Macron entame sa campagne d'entre-deux tours pour sa réélection, commentateurs, opposants et partisans tentent de dresser son bilan. La question est notamment de savoir s’il est parvenu à rompre avec le système politique traditionnel, ou s’il en est en quelque sorte l’héritier, y compris celui de personnalités qu’on ne soupçonnerait pas au premier abord.</p>
<p>En juillet 2020 paraissait <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/nicolas-sarkozy/ce-que-contient-le-temps-des-tempetes-le-nouveau-livre-de-nicolas-sarkozy-qui-revient-sur-les-debuts-de-son-quinquennat_4054669.html"><em>Le Temps des tempêtes</em></a>, ouvrage autobiographique de Nicolas Sarkozy revenant en détail sur les 18 premiers mois de sa présidence, dans lequel l’ancien président de la République sacrifie volontiers à l’inclination méliorative de l’exercice réglé des mémoires politiques. </p>
<p>Le livre cherche essentiellement à réhabiliter son quinquennat : rares ont été les erreurs commises, celles qui l’ont été furent bénignes et attribuables à ses excès de passion et d’humanité, ses proches collaborateurs et ses alliés furent dignes et compétents, ses adversaires politiques hypocrites, irresponsables et autocentrés, et la parole et l’action présidentielles n’ont été que désintéressées et bienveillantes. Rien de très inattendu, en somme. Si l’ouvrage a retenu notre attention, ce n’est pas tant pour le récit qu’il livre – que nous nous abstiendrons de juger sur le fond – que pour les multiples similitudes qui nous sont apparues à sa lecture avec l’actuel quinquennat d’Emmanuel Macron.</p>
<p>Même s’il serait impropre de dire que le sarkozysme a préparé le macronisme, certaines de ses caractéristiques ont préfiguré à la fois le discours d’Emmanuel Macron et sa manière de gouverner. La question demeure d’autant plus pertinente que certains ralliés de la droite <a href="https://www.liberation.fr/politique/elections/emmanuel-macron-le-meilleur-candidat-de-la-droite-20220213_2OCGOKBZY5ELJLTKENWUTT4OHI/">ont fait valoir la proximité qu’ils voyaient</a> entre les deux présidents, et que Nicolas Sarkozy continue à <a href="https://www.liberation.fr/politique/elections/qui-sarkozy-soutiendra-t-il-a-la-presidentielle-la-question-qui-hante-la-campagne-de-pecresse-20220129_SDZKSBXNJVHSDGCGNFIC7XNWYM/">entretenir le suspense</a> sur son éventuel soutien au président sortant, justifiant à notre sens une sorte de lecture croisée des deux quinquennats. Une manière en quelque sorte de questionner la « rupture » qu’aura représenté 2017 dans la vie politique française.</p>
<h2>Des présidents disruptifs</h2>
<p>La qualité supposée que Nicolas Sarkozy a le plus cherché à mettre en avant dans son livre est sa propension à rompre avec les codes convenus de l’exercice de la fonction présidentielle, voire même sa tentative de redéfinir ce qu’est un homme politique tout court – son côté <a href="https://www.lopinion.fr/elections/presidentielle/emmanuel-macron-le-retour-du-disruptif">« disruptif »</a>, pour reprendre le vocable macronien. Cela se traduit d’abord par une série de « petites phrases » polémiques ayant émaillé les deux quinquennats.</p>
<p>Chez Nicolas Sarkozy, elles ont pris la forme soit de « coups de sang » au contact de citoyens mécontents – les fameux <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ndiCzGwzxaA">« eh ben casse-toi alors, pauv’ con ! »</a> au Salon de l’Agriculture en 2008 et <a href="https://www.dailymotion.com/video/xbl7aj">« C’est toi qui a dit ça ? Ben, descends un peu le dire ! »</a> lors d’une rencontre avec les pêcheurs du Guilvinec en 2007 – soit de propos jugés outranciers ou discriminatoires sur de grands sujets politiques – comme l’expression « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire » prononcée lors d’un <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2007/11/09/le-discours-de-dakar_976786_3212.html">discours à Dakar</a> en 2007.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ndiCzGwzxaA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« Casse toi pauvre con ! » INA.</span></figcaption>
</figure>
<p>Chez Emmanuel Macron, elles se sont traduites soit par des propos jugés désobligeants envers tout ou partie de la population – à l’instar de <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/politique/2017/07/03/31001-20170703ARTFIG00167-les-gens-qui-reussissent-et-les-gens-qui-ne-sont-rien-ce-que-revele-la-petite-phrase-de-macron.php">« ceux qui ne sont rien »</a>, de <a href="https://www.huffingtonpost.fr/2019/02/01/macron-ironise-sur-jojo-avec-un-gilet-jaune-qui-a-le-meme-statut-quun-ministre_a_23658249/">« Jojo le Gilet jaune »</a>, des <a href="https://www.lemonde.fr/emmanuel-macron/article/2018/08/29/emmanuel-macron-compare-les-francais-a-des-gaulois-refractaires-au-changement_5347766_5008430.html">« Gaulois réfractaires »</a>, ou plus récemment de son envie <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/01/14/emmerder-les-non-vaccines-le-revers-de-la-medaille-des-propos-d-emmanuel-macron_6109488_823448.html">« d’emmerder »</a> les non-vaccinés – soit par des propos critiquant la déresponsabilisation des individus dans la gestion de leur avenir – avec par exemple le <a href="https://www.lesinrocks.com/actu/pognon-de-dingue-gens-qui-ne-sont-rien-feignants-ces-petites-phrases-demmanuel-macron-qui-ne-passent-pas-chez-les-gilets-jaunes-185012-10-12-2018/">« pognon de dingue dans les minimas sociaux »</a>, <a href="https://www.lepoint.fr/politique/emmanuel-macron-le-meilleur-moyen-de-se-payer-un-costard-c-est-de-travailler-27-05-2016-2042634_20.php">« le meilleur moyen de se payer un costard c’est de travailler »</a> ou « <a href="https://www.leparisien.fr/politique/macron-a-un-jeune-chomeur-je-traverse-la-rue-et-je-vous-trouve-un-emploi-15-09-2018-7889829.php">je traverse la rue, je vous en trouve [du travail]</a> ».</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/FHMy6DhOXrI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« Je traverse la rue et je vous en trouve du travail », Emmanuel Macron, 2018, Euronews.</span></figcaption>
</figure>
<p>Si les deux ont pu occasionnellement plaider une maladresse dans la forme, ils ont également défendu une forme de vérité transparaissant dans leurs propos plus ou moins spontanés, façon de signifier que la sincérité de leur pensée allait de pair avec un « parler vrai » certes déplaisant pour les uns, mais résonnant avec les intimes convictions des autres. Par ailleurs, bien qu’issus du « système » qu’aiment à dénoncer les partis populistes – soit par une trajectoire politique ascendante et prestigieuse, soit par un parcours scolaire et professionnel élitiste – Nicolas Sarkozy comme Emmanuel Macron ont aimé à se présenter comme « à part ».</p>
<p>Le premier a ainsi estimé avoir dû affronter la fureur des élites (notamment de gauche) car « [son] élection était déjà en soi une provocation, [puisqu’il] ne répondait à aucun des critères habituels » (p. 98), notamment celui d’être énarque. De son côté, Emmanuel Macron n’a jamais occupé de poste électif avant 2017 et a choisi de faire reposer sa candidature sur un nouveau <a href="https://www.lepoint.fr/histoire/quand-l-histoire-se-met-en-marche-31-07-2017-2147106_1615.php">« mouvement »</a>, <a href="https://www.cairn.info/l-entreprise-macron--9782706142635-page-189.htm">managérialisé</a> et ouvert aux profanes de la politique comme aux nouvelles technologies.</p>
<h2>Par-delà la gauche et la droite</h2>
<p>Fait aujourd’hui masqué par la radicalisation de la fin de son quinquennat, il faut rappeler que Nicolas Sarkozy avait, 10 ans avant Emmanuel Macron, tenté le premier de brouiller la frontière entre la gauche et la droite. Bien entendu, rien à voir avec le « et de droite, et de gauche » de l’actuel président : tout indique dans le parcours de l’auteur du <em>Temps des tempêtes</em> un solide ancrage à droite et une <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2007/05/09/les-contacts-a-gauche-sans-ralliements-de-nicolas-sarkozy_907777_3224.html">dénonciation permanente de la gauche</a>.</p>
<p>Il faut néanmoins se rappeler qu’il avait fait venir dans le gouvernement Fillon des personnalités issues du monde socialiste, comme Bernard Kouchner, <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/politique/lr/eric-besson_1628533.html">Eric Besson</a> ou encore Jean‑Pierre Jouyet, qui deviendra secrétaire général de l’Élysée sous François Hollande.</p>
<p>En réalité, sous la plume de Nicolas Sarkozy, l’opposition entre la gauche et la droite relève moins de l’affrontement entre deux visions du monde, deux ensembles de valeurs antagonistes, que de la distinction entre l’immobilisme et la volonté d’adaptation.</p>
<p>Plus que porteuses d’un projet de société néfaste, les organisations de gauche seraient en réalité animées des plus profondes envies de conserver la société en l’état, notamment les acquis sociaux ou le pouvoir des syndicats. L’ancien président parle ainsi de « l’archaïsme de nos relations sociales » (p. 179) à propos de l’opposition à la loi sur le service minimum dans les transports en commun, considère le communisme comme une idéologie incompréhensible au XXI<sup>e</sup> siècle (p. 65), que les « intégristes verts » sont un prolongement du marxisme (p. 40) et que la haine des socialistes pour les riches (à l’époque) est un reste malheureux et minoritaire de la Révolution française (p. 179).</p>
<p>Cette analyse est partagée par certains à droite, notamment par Édouard Philippe, qui a accepté en 2017 le poste de Premier ministre d’Emmanuel Macron. Dans son ouvrage <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/linvite-des-matins-dete-1ere-partie/edouard-philippe-les-livres-qui-mont-construit"><em>Des hommes qui lisent</em></a>, paru quelques mois après son entrée en fonction, ce dernier reprend à son compte le travail du <a href="https://www.persee.fr/doc/polit_0032-342x_1946_num_11_6_6261_t1_0583_0000_2">politiste François Goguel</a>, pour qui les forces politiques de la Troisième République étaient structurées entre celles « de l’ordre » et celles « du mouvement ».</p>
<p>Au fond, le macronisme, inauguré fin 2016 par l’ouvrage <a href="https://en-marche.fr/emmanuel-macron/revolution"><em>Révolution</em></a>, incarnerait l’essence de la France <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-billet-politique/le-billet-politique-du-mercredi-13-novembre-2019">souhaitant aller de l’avant</a> (« En marche »), s’opposant à la fois aux passéistes de droite (nostalgiques de la France d’hier) et de gauche (<a href="https://www.lerevenu.com/breves/recours-au-493-macron-denonce-un-conservatisme-de-gauche-qui-ne-veut-pas-la-reforme">campés sur les conquêtes sociales du XXᵉ siècle</a>). Face aux grands bouleversements de ce monde, il faudrait s’adapter et innover en étant toujours plus flexibles – c’est notamment l’essence de la <a href="https://twitter.com/EmmanuelMacron/status/1499650738934489088">déclaration de candidature du président Macron</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1499650738934489088"}"></div></p>
<p>Le changement voire la rupture est une rhétorique certes essentielle pour un candidat d’opposition, mais également quand, comme Nicolas Sarkozy et Emmanuel Macron, on s’inscrit dans une forme de continuité avec le précédent président, notamment en ayant été son ministre.</p>
<p>En ce sens, il s’agit de donner l’impression de rompre avec le sectarisme affiché du vieux <a href="https://theconversation.com/la-gauche-et-la-droite-font-elle-encore-sens-en-france-178181">clivage gauche/droite</a> pour devenir le candidat du « bon sens » (quelle que soit la boussole qui guide ce bon sens) face aux grands défis contemporains, en suivant le principe selon lequel une bonne idée est une bonne idée, qu’elle vienne de la droite ou de la gauche, et en refusant toute tentative de réduction à un camp ou à un autre, c’est-à-dire toute tentative d’objectivation de son discours par rapport à des critères de jugement présentés comme dépassés.</p>
<h2>Hyperprésident contre monarque républicain</h2>
<p>Dans son autobiographie, Nicolas Sarkozy revient de nombreuses fois sur ses méthodes de gouvernement, et notamment sur les accusations « d’hyperprésidence » dont il a fait l’objet. Initialement, ce concept médiatique soulignait avant tout sa propension à s’occuper personnellement de toutes les affaires pouvant intéresser même de très loin l’exécutif, des <a href="https://www.leparisien.fr/faits-divers/sarkozy-veut-que-le-meurtrier-presume-du-red-d-reste-enferme-apres-sa-peine-30-11-2007-3291393253.php">faits divers</a> aux <a href="https://www.liberation.fr/debats/2007/07/24/sarkozy-et-les-infirmieres-bulgares_1814835/">otages étrangers</a>, quitte à paraître empiéter sur les prérogatives des membres de son gouvernement ou de l’administration. Selon l’ancien président, ce « volontarisme » forcené se justifie par le rôle même de président de la République qui, directement élu par le pe, doit user de tout le pouvoir qu’il détient pour résoudre les problèmes que rencontre la société.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/moi-president-e-regle-n-2-hyper-president-e-tout-le-temps-167410">« Moi, président·e » : Règle n°2, hyper-président·e tout le temps</a>
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<p>Le concept d’hyperprésident n’est en réalité pas tellement éloigné de celui de <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/19417-le-president-un-monarque-republicain">« monarque républicain »</a> forgée par le juriste et politiste Maurice Duverger, et dont Emmanuel Macron a <a href="https://www.publicsenat.fr/emission/un-monde-en-docs/macron-an-1-un-monarque-jupiterien-83610">souvent été affublé</a>. Le monarque républicain, <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/politique/vie-republique-la-fascination-pour-le-monarque-republicain-est-bien-ancree-en-france_1610168.html">réalisant pleinement la fonction de président de la République</a> telle que prévue par l’esprit gaullien de la Constitution, est ainsi au sommet d’une chaîne de décision parfaitement verticale : in fine, tout est décidé et légitimé par sa seule personne. L’Élysée est mis en scène comme lieu d’exercice du pouvoir suprême et d’élaboration des décisions politiques.</p>
<p>Une telle organisation du pouvoir souffre généralement assez peu la contradiction, qu’elle vienne des médias ou de la société civile. Sarkozy comme Macron ont ainsi rarement hésité, bien qu’ils aient tous deux bénéficié <a href="https://www.cairn.info/l-entreprise-macron--9782706142635-page-53.htm">d’une couverture médiatique généreuse</a> avant leur accession au poste de président, à critiquer les médias, coupables d’incompétence ou de frivolité, voire d’a priori négatifs à leur encontre.</p>
<p>Il a souvent été dit que le second <a href="https://www.leparisien.fr/politique/emmanuel-macron-le-president-qui-n-aimait-pas-les-journalistes-24-04-2019-8059116.php">n’aimait pas les journalistes</a>, mais le premier ne les épargne pas non plus dans ses mémoires (notamment ceux de gauche, « ces parangons de vertu [qui] ne se rendaient même pas compte du sectarisme dont ils faisaient preuve », p. 300), ni d’ailleurs les experts de plateaux (à propos du Covid par exemple, p. 510) :</p>
<blockquote>
<p>« le cortège de prétendus spécialistes qui n’ont rien d’autre à faire que d’encombrer les écrans et les micros de leurs nombreux commentaires en général péremptoires, et souvent démentis a posteriori par les faits »</p>
</blockquote>
<p>Les organisations intermédiaires n’ont souvent pas non plus les faveurs de l’un ou de l’autre. Ainsi des syndicats enseignants pour Nicolas Sarkozy :</p>
<blockquote>
<p>« [Ce] qui est assez préoccupant est l’évolution, à [ses] yeux assez détestable, de l’expression collective du corps enseignant par l’intermédiaire de ses représentants syndicaux. L’intérêt corporatiste a pris le pas sur tout et tous. Et quand il n’est pas corporatiste, il est politique » (p. 194).</p>
</blockquote>
<p>La relation qu’a entretenue plus récemment le ministre de l’Éducation nationale Jean‑Michel Blanquer avec les syndicats enseignants est du même acabit, ces derniers se plaignant depuis cinq ans <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/societe/autoritaire-meprisant-pourquoi-la-methode-blanquer-exaspere-une-partie-des-enseignants_2166403.html">d’un manque de considération et de concertation</a>, les réformes étant imposées par le haut plutôt que discutées avec les acteurs de terrain – impression encore aggravée par une <a href="https://www.tf1info.fr/politique/video-jean-michel-blanquer-ibiza-protocole-sanitaire-interview-la-goutte-d-eau-qui-fait-deborder-le-vase-selon-syndicats-enseignants-2207521.html">gestion de la crise sanitaire jugée « désinvolte »</a>.</p>
<p>Certes, ni les gouvernements de Nicolas Sarkozy ni ceux d’Emmanuel Macron n’ont refusé le dialogue social ou n’ont pu totalement s’abstraire de la pression exercée par les organisations et mouvements de la société civile sur les pouvoirs publics. Mais à chaque fois s’est imposée l’idée que le dialogue était une forme de faveur offerte, dans la mesure où le pouvoir exécutif, fondé en légitimité démocratique aussi bien qu’en raison, ne saurait connaître – pour caricaturer – de <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/candidats/nouveau-monde-en-meme-temps-moralisation-emmanuel-macron-a-t-il-preside-comme-il-l-avait-promis_4951488.html">contrainte à son action ambitieuse</a>.</p>
<h2>Les différences entre l’ancien monde et le nouveau</h2>
<p>Malgré les nombreux points communs que l’on peut trouver entre les deux présidents, il ne serait pas pertinent de voir dans le quinquennat d’Emmanuel Macron un prolongement, et encore moins une répétition de celui de Nicolas Sarkozy. <em>Le Temps des tempêtes</em> semble ainsi encore solidement ancré dans « l’ancien monde » auquel l’actuel président souhaitait mettre fin, <a href="https://www.liberation.fr/politique/face-au-vieux-monde-une-recomposition-qui-attend-confirmation-20210619_XXC723XRRNBYBP7ZK4SONXLAOY/">sans tout à fait encore y parvenir</a>.</p>
<p>L’action de l’ancien président était toujours contrainte par la nécessité de gérer l’ensemble des acteurs formant la coalition qui l’a porté au pouvoir, et notamment les diverses sensibilités idéologiques et personnelles des membres de son parti, là où Emmanuel Macron s’est exonéré de ce problème en créant sa propre organisation. Son prédécesseur justifie par ailleurs en permanence son action politique par la nécessité de faire respecter ses promesses de campagne et de rendre compte de ses résultats aux Français, donnant ainsi de la substance à l’idée de représentation démocratique, là où le <a href="https://www.cairn.info/l-entreprise-macron%20--%209782706142635-page-39.htm ?contenu=article">programme d’Emmanuel Macron</a> fut plus succinct et d’inspiration technocratique.</p>
<p>Enfin, Nicolas Sarkozy évoluait encore dans un système politique relativement structuré, où les alliances et les oppositions <a href="https://theconversation.com/trianguler-ou-lart-de-sapproprier-les-idees-des-autres-en-politique-161326">demeuraient plutôt claires</a>. Au contraire, on pourrait arguer qu’Emmanuel Macron n’a pas réellement d’adversaires : il a en face de lui soit des formations accrochées à des configurations politiques archaïques et condamnées à disparaître (les partis de gouvernement traditionnels), soit des formations s’étant trouvé une place dans la vie politique actuelle, mais demeurant censément hors du spectre des acteurs pouvant prétendre à gouverner (les mouvements populistes). Privé de réelle alternative, il a alors repoussé hors de la vie politique institutionnelle les tempêtes que tout président de la République est amené à affronter.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178669/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emilien Houard-Vial a reçu des financements de la Fondation Nationale des Sciences Politiques. </span></em></p>Le sarkozysme a-t-il préfiguré à la fois le discours d’Emmanuel Macron et sa manière de gouverner ?Emilien Houard-Vial, Doctorant en science politique, Centre d'études européennes (Sciences Po), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1768142022-02-17T20:49:56Z2022-02-17T20:49:56ZVers un universalisme postcolonial ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/446235/original/file-20220214-13-1mq2id4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C115%2C5940%2C3832&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Bol à thé, style Mingei, grès avec réparations à l'or (Kintsugi, musée Guimet, France). L'art du Kintsugi, est celui de mettre en valeur les imperfections pour réinventer l'objet et le magnifier: l'universalisme peut s'en inspirer. Legs Henri Rivière, 1952.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/dalbera/51197908308">Jean-Pierre Dalbéra/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Dans les disputes contemporaines autour des mots qui fâchent, la querelle de l’universalisme occupe une place décisive. En effet, chacun revendique, à travers tribunes et officines, séminaires et <a href="https://academia.hypotheses.org/33603">colloques</a>, le bon usage du terme, et renvoie l’adversaire à ses présupposés. Peut-on se vouloir fidèle à l’exigence universaliste en négligeant qu’elle a servi à justifier l’infériorisation de l’Autre dans l’expansion coloniale ? Doit-on pour autant réduire ce concept à ses applications politiques voire à ses mésusages ?</p>
<p>Pour les uns, que l’on retrouve aussi bien à droite qu’à gauche, les minorités stigmatisées se nourrissent de passions identitaires, à tel point que leur antiracisme, <a href="https://www.lemonde.fr/livres/article/2021/11/19/l-antiracisme-devenu-fou-de-pierre-andre-taguieff-la-chronique-essais-de-roger-pol-droit_6102671_3260.html">« devenu fou »</a> (selon le titre du dernier ouvrage de Pierre-André Taguieff), tournerait le dos à l’universalisme.</p>
<p>Cette vision rejette la <a href="https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2016-1-page-33.htm">notion de racisme systémique</a> (compris comme ensemble de processus non individuels produisant des différenciations raciales dans la distribution des biens sociaux) et s’alarme des importations de théories et du vocabulaire venus des États-Unis, notamment la « Théorie critique de la race ». <a href="https://www.cairn.info/revue-philosophique-2017-3-page-359.htm">Ce courant</a> s’intéresse à la parole des subordonnés, et, ce faisant, dénonce l’idée que le droit parlerait le langage de l’objectivité) et l’intersectionnalité (forgé en 1989 par la juriste étatsunienne <a href="https://bibliobs.nouvelobs.com/idees/20190109.OBS8245/kimberle-crenshaw-la-juriste-qui-a-invente-l-intersectionnalite.html">Kimberlé Crenshaw</a>, le concept désigne un outil et une méthode qui permet de saisir les rapports sociaux comme co-produits et imbriqués).</p>
<h2>Des associations militantes</h2>
<p>On retrouve le rejet de ces concepts dans les positions défendues par des associations (comme <a href="https://decolonialisme.fr/">l’Observatoire du décolonialisme</a> ou le <a href="https://www.printempsrepublicain.fr/">Printemps républicain</a>). Certains des animateurs de cette mouvance n’hésitent pas à établir une corrélation entre le <a href="https://www.lemonde.fr/podcasts/article/2021/11/04/c-est-quoi-exactement-le-wokisme_6100875_5463015.html">« wokisme »</a> (terme qui désigne péjorativement ceux qui sont engagés dans les luttes antiracistes, féministes, LGBT, etc.) et la haine de la civilisation occidentale voire, parfois, la <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/10/31/une-centaine-d-universitaires-alertent-sur-l-islamisme-ce-qui-nous-menace-c-est-la-persistance-du-deni_6057989_3232.html">complaisance</a> vis-à-vis du <a href="https://www.liberation.fr/debats/2020/11/04/islamisme-ou-est-le-deni-des-universitaires_1804439">terrorisme islamiste</a>.</p>
<p>Leurs opposants affirment au contraire que le véritable universalisme <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/11/15/alain-policar-nous-defendons-un-universalisme-pluriel-concu-comme-coexistence-de-tous-les-particuliers_6102087_3232.html">doit être pluriel</a>, ainsi que l’entendait <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/la-chronique-de-jean-birnbaum/plus-est-negre-est-universel-cesaire-une-pensee-contemporaine-de-la-difference">Aimé Césaire</a>, et non de surplomb (selon l’expression de <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-de-philosophie-2015-4-page-399.htm">Michaël Walzer</a>). Ils s’inspirent des travaux des auteurs postcoloniaux tels qu’Edward Saïd, Édouard Glissant, Frantz Fanon ou décoloniaux comme Enrique Dussel, Aníbal Quijano, Walter Mignolo, qu’il convient de distinguer.</p>
<p>Une part de la distinction tient au fait que les premiers considèrent que la <a href="https://calenda.org/748291">modernité</a> commence au XVIII<sup>e</sup> siècle alors que les seconds la datent de la colonisation de l’Amérique. Tous se demandent si le sang des populations colonisées n’a pas marqué d’une tache indélébile le cœur même de l’universalisme puisque c’est en son nom qu’ont été justifiés le colonialisme et sa « mission civilisatrice », pour reprendre les termes du discours de Jules Ferry <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/histoire/grands-discours-parlementaires/jules-ferry-28-juillet-1885">du 28 juillet 1885</a>. Contrairement au reproche d’<a href="https://www.franceinter.fr/emissions/l-edito-politique/l-edito-politique-14-octobre-2020">essentialisme</a> qui leur est adressé, la plupart des auteurs décoloniaux ne font pas de la race une catégorie substantielle, mais ils insistent sur la <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2010-1-page-193.htm">racisation comme construction sociale</a> (ce qui, notons-le, leur est tout autant reproché).</p>
<p>Dans cet affrontement, qui structure de plus en plus nos débats politiques et culturels, on doit saluer l’ouvrage de Mame-Fatou Niang et Julien Suaudeau, sobrement intitulé <a href="https://anamosa.fr/livre/universalisme/"><em>Universalisme</em></a> (Anamosa). Tout en instruisant le procès d’un universalisme corrompu, les auteurs cherchent à penser, avec rigueur et clarté, les conditions à remplir pour que celui-ci devienne enfin un horizon d’émancipation. L’un des principaux mérites de leur livre est de ne pas renoncer à défendre une République, antiraciste et universaliste, nonobstant la posture incantatoire de ceux qui en usurpent l’identité.</p>
<h2>Misère de l’« universalisme » colonial</h2>
<p>Leur réflexion pourrait revendiquer les mots de Georges Clemenceau lorsqu’il proclamait qu’il fallait <a href="https://www.cairn.info/de-l-algerie-francaise-a-l-algerie-algerienne--9789961966259-page-257.htm">refuser</a> « de revêtir la violence du nom hypocrite de civilisation ». Il ajoutait dans sa « Réponse à Jules Ferry », Chambre des députés, 30 juillet 1885, reproduit dans <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2001/11/A/8164">Le Monde diplomatique</a>, novembre 2001, p. 28 :</p>
<blockquote>
<p>« La conquête que vous préconisez, c’est l’abus pur et simple de la force que donne la civilisation scientifique sur les civilisations rudimentaires pour s’approprier l’homme, le torturer, en extraire toute la force qui est en lui au profit du prétendu civilisateur. Ce n’est pas le droit, c’en est la négation ».</p>
</blockquote>
<p>Si, aujourd’hui, les mots et les justifications peuvent être différents, il est difficile de nier la rémanence dans nos débats contemporains de ce faux universalisme, indifférent à l’assujettissement de l’autre.</p>
<p>Il semble donc nécessaire de parler de réparation. Mame-Fatou Niang et J. Suaudeau évoquent à ce sujet le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Kintsugi">Kintsugi</a>, cette technique japonaise qui vise à réparer une céramique en prenant en compte son histoire, de façon non à en dissimuler les imperfections mais à les mettre en avant.</p>
<p>Ils invoquent en outre la figure de la mosaïque : l’universalisme devient alors une structure fluide, apte à se réinventer, dès lors très éloignée de la conception surplombante inhérente à l’entreprise coloniale. C’est dans ce cadre que les auteurs se penchent sur la « généalogie d’une illusion eurocentrée » (p. 15), objectif dont la nécessité tient notamment à une particulière occultation française de la sauvagerie coloniale.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/6xcqEdGjGBM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« Exterminez toutes ces brutes », le documentaire choc de Raoul Peck, Arte.</span></figcaption>
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<p>Cette occultation n’est-elle pas la preuve de la pertinence du concept de colonialité, tant on ne peut douter que persiste, après les indépendances, un système racial/colonial ? La colonialité peut être définie comme l’ordre blanc, un ordre social global articulé autour de la « race ».</p>
<p>La domination exercée sur les populations non blanches est donc structurelle. L’historienne <a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-un-monde-en-negre-et-blanc-149646">Aurélia Michel écrit</a>, avec bonheur, « domi-nation » pour évoquer le premier moment de ce qu’elle nomme « le règne du blanc », soit entre 1790 et 1830. Ce règne reçoit le renfort du racisme biologique, lequel fonde « scientifiquement » la rupture fondamentale en humanité produite par l’esclavage. C’est dire que celui-ci est central dans la construction de la modernité européenne puisque, une fois aboli, la « race » en perpétue la logique.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-travail-pour-autrui-survivance-de-lesclavagisme-dans-nos-economies-150317">Le « travail pour autrui », survivance de l’esclavagisme dans nos économies</a>
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<h2>Un universalisme à la mesure du monde</h2>
<p>Pourquoi, se demandent les auteurs, la fin des « mensonges dérivés de l’universalisme impérial » (p. 31) est-elle si longue à se dessiner ? On peut avancer deux raisons : une réticence philosophique et un phénomène sociologique.</p>
<p>La première s’exprime dans la tendance, plus ou moins consciente, à hiérarchiser les types de racisme, alors que racisme colonial et racisme génocidaire sont en réalité extrêmement proches (bien entendu, proximité ne signifie pas similitude). Dans un discours prononcé le 21 juin 1933 au Trocadéro, Gaston Monnerville (1897-1991), petit-fils d’esclave, souligne la continuité entre, d’une part, le racisme colonial allemand et la guerre d’extermination au début du vingtième siècle (dès 1904) dans le Sud-Ouest africain (l’actuelle Namibie) menée contre les Héréros et les Namas et, d’autre part, le racisme nazi contre les juifs (même si, bien entendu, à cette date, il n’en mesure pas l’horreur).</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/rp5y6Ig3Ebk?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Gaston Monnerville, avocat des droits humains.</span></figcaption>
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<p>Très clairement, pour Monnerville, les atrocités de 1904-1905 préfigurent « l’actuel martyre des juifs allemands », et les massacres africains sont analysés comme <a href="https://revue.alarmer.org/gaston-monnerville-le-drame-juif-allocution-du-21-juin-1933-au-trocadero/">« des promesses aujourd’hui tenues »</a>.</p>
<p>Car ce qui caractérise fondamentalement la pensée raciale, lorsqu’elle est confrontée à la non-évidence de traits phénotypiques, est la hantise du mélange. Devant l’invisibilité des distinctions, <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/pour-une-histoire-politique-de-la-race-jean-frederic-schaub/9782021237016">elle cherche à en révéler d’autres</a> que « l’œil n’identifie pas ».</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/446240/original/file-20220214-25-jvjzf4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/446240/original/file-20220214-25-jvjzf4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/446240/original/file-20220214-25-jvjzf4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=671&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/446240/original/file-20220214-25-jvjzf4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=671&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/446240/original/file-20220214-25-jvjzf4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=671&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/446240/original/file-20220214-25-jvjzf4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=843&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/446240/original/file-20220214-25-jvjzf4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=843&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/446240/original/file-20220214-25-jvjzf4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=843&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"><em>Expulsion des juifs d’Espagne</em>, Emilio Sala y Francés, 1889. Torquemada offre aux rois catholiques l’édit d’expulsion des juifs d’Espagne contre leur signature.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Expulsion_des_Juifs_d%27Espagne#/media/Fichier:Expulsi%C3%B3n_de_los_jud%C3%ADos.jpg">Emilio Sala Frances/Wikimedia</a></span>
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</figure>
<p>On a ainsi recours à la généalogie en espérant trouver dans le sang la vérité de la personne (comme le montre l’exemple des juifs dans l’Espagne médiévale).</p>
<h2>Déconstruire le roman national</h2>
<p>Quant au phénomène sociologique, il est compris par Mame-Fatou Niang et Julien Suaudeau comme :</p>
<blockquote>
<p>« le réflexe d’autodéfense d’une caste intellectuelle et politique qui refuse d’abandonner ses privilèges et sa mainmise sur la production du discours républicain : liberté, égalité, fraternité, c’est ce que nous avons décidé » (p. 36).</p>
</blockquote>
<p>Dès lors, il est essentiel de déconstruire le roman national, c’est-à-dire de questionner « la mythologie républicaine d’une France post-raciale, colorblind » (p. 57). Il nous faut interroger notre bonne conscience, notre innocence pseudo-universaliste, laquelle constitue, pour les auteurs, « l’ultime avatar du privilège blanc, ce droit naturel à l’indifférence qui est le legs de la domination » (p. 58).</p>
<p>C’est seulement dans de telles conditions que peut être sauvegardé l’universalisme.</p>
<p>Pour y parvenir, il convient d’entendre la leçon d’Aimé Césaire. Dans son <em>Discours sur le colonialisme</em> (1950), <a href="https://www.larevuedesressources.org/IMG/pdf/CESAIRE.pdf">il écrivait</a> :</p>
<blockquote>
<p>« De ceci que jamais l’Occident, dans le temps même où il se gargarise le plus du mot, n’a été plus éloigné de pouvoir assumer les exigences d’un humanisme vrai, de pouvoir vivre l’humanisme vrai – l’humanisme à la mesure du monde. »</p>
</blockquote>
<p>Et c’est dans cette voie que les auteurs s’engagent résolument en esquissant, une nouvelle phénoménologie de l’universalisme qui tiendrait en trois recommandations : s’éveiller à la conscience historique, relativiser les points de vue – ce qui les conduit à défendre, <a href="https://journals.openedition.org/essais/1897">sous le patronage de Montaigne</a>, une « éthique du dérangement »- et renoncer à avoir le dernier mot, c’est-à-dire cultiver l’art du dialogue (mais non se perdre dans le relativisme, selon lequel tout se vaut).</p>
<p>Et, peut-on ajouter, qu’un monde commun, c’est-à-dire un monde animé par le souci de réunir ce qui est séparé, devienne possible.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/176814/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alain Policar ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’universalisme peut être pluriel et s’appuyer sur ses imperfections pour se réinventer.Alain Policar, Chercheur associé en science politique (Cevipof), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1755402022-01-31T19:08:15Z2022-01-31T19:08:15ZD’où vient l’obsession identitaire de la politique française ?<p>En ce début de campagne présidentielle française, le débat politique s’est surtout focalisé sur les thématiques identitaires, aux dépens d’autres sujets qui, tels la crise sanitaire ou l’urgence climatique, semblaient pourtant davantage correspondre au contexte de l’élection. Cette obsession identitaire est l’aboutissement d’un processus séculaire, au cours duquel le concept d’identité s’est progressivement imposé d’abord au sein de l’extrême droite intellectuelle, puis plus largement dans l’ensemble du champ politique.</p>
<p>La problématique de l’identité nationale n’a pas toujours été l’apanage de l’extrême droite. Tout au long du XIX<sup>e</sup> siècle, l’idée de Nation a été portée par les forces révolutionnaires et démocratiques. En France, elle a accompagné la construction de la République, autour d’une idéologie intégratrice et universaliste. Comme l’a souligné l’historien Raoul Girardet <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1966/09/28/le-nationalisme-francais-de-1871-a-1914_2682060_1819218.html">dans une étude pionnière</a>, c’est au moment de la crise boulangiste et plus encore de <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/nationalisme-antisemitisme-et-fascisme-en-france-michel-winock/9782757843079">l’affaire Dreyfus</a>, au tournant des XIX<sup>e</sup> et XX<sup>e</sup> siècles, que le nationalisme français se transforme et bascule à droite, voire à l’extrême droite. La Nation française est alors perçue comme une réalité menacée aussi bien par des forces extérieures (l’Allemagne) que par les ennemis de l’intérieur : les Juifs, les étrangers, les francs-maçons.</p>
<h2>Un thème émergeant progressivement à l’extrême droite</h2>
<p>L’œuvre d’une nouvelle génération d’intellectuels, marquée notamment par <a href="https://www.decitre.fr/livrs/maurice-barres-et-le-nationalisme-francais-9782870271643.html">Maurice Barrès</a> et <a href="https://www.lelivreenfete.fr/livre/9782200243470-charles-maurras-olivier-dard/">Charles Maurras</a> constitue le socle idéologique de forces politiques d’extrême droite qui, tout au long du XX<sup>e</sup> siècle, défendent la France contre les ennemis qui l’assaillent et contestent le parlementarisme républicain et le modèle de la démocratie libérale.</p>
<p>Les ligues nationalistes qui, le 6 février 1934, manifestent à proximité de la Chambre des députés pour protester contre une République inefficace et corrompue. Les ligues entendent rendre « la France aux Français ». La Révolution nationale, lancée en 1940 par le régime du maréchal Pétain, entend restaurer, à l’ombre de l’Allemagne nazie, une identité française intemporelle et en grande partie fantasmée, marquée notamment par le catholicisme et la ruralité. Les compromissions de la collaboration jettent durablement l’opprobre non seulement sur le régime de Vichy, mais aussi sur l’extrême droite et les thématiques nationalistes et identitaires dont elles se réclament. La sensibilité nationaliste est alors récupérée <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-d-histoire-des-idees-politiques-2020-1-page-231.htm">par le gaullisme</a>, qui en développe une version compatible avec les valeurs de la République et confiante dans la grandeur de la France.</p>
<p>C’est lorsque décline le gaullisme historique, à la fin des années 1960 que l’extrême droite identitaire réapparaît, dans le champ intellectuel d’abord. Elle s’appuie sur le sentiment d’un déclin de la France, marqué notamment par la perte de son empire colonial et le risque d’une dilution dans une Europe de l’Ouest dominée par les États-Unis. Elle exploite également l’angoisse suscitée par la mondialisation des flux économiques et migratoires. Structurée autour d’<a href="https://www.persee.fr/doc/xxs_0294-1759_1993_num_40_1_3005">organisations intellectuelles</a> (comme le GRECE, créé en 1969) et de groupuscules politiques (Ordre Nouveau, également créé en 1969), cette extrême droite entend défendre l’identité française, en rappelant l’enracinement des individus dans une communauté nationale elle-même inscrite dans une civilisation européenne millénaire, menacée notamment par l’immigration arabo-musulmane.</p>
<p>C’est sur ce socle idéologique que s’appuie le Front national, créé en 1972 par Jean‑Marie Le Pen qui, significativement, <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/le-front-national-valerie-igounet/9782021078268">remet à l’honneur</a> l’épithète « national ».</p>
<h2>Le Front national en caisse de résonance</h2>
<p>Pendant les dix premières années de son existence, le Front national (FN),ne parvient d’abord pas à sortir de la situation marginale dans laquelle semble cantonnée l’extrême droite française depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. C’est à l’occasion des élections européennes de 1984 qu’il s’impose sur la scène politique, en recueillant près de 11 % des voix.</p>
<p>Cette progression soudaine s’inscrit dans un contexte de crise politique et sociale, marquée notamment par l’avènement du chômage de masse, la désindustrialisation, le fossé grandissant entre les catégories populaires et les élites politiques. Le FN parvient à capter les inquiétudes provoquées par cette crise en faisant de l’immigration le point de cristallisation des difficultés françaises. L’immigration est responsable à la fois de l’insécurité, symbolisée notamment par les violences qui embrasent les banlieues à partir de « l’été chaud » de 1981, et du chômage : en 1978 déjà, le FN lançait une <a href="https://blog.francetvinfo.fr/derriere-le-front/2015/10/26/les-francais-dabord.html">grande campagne d’affiche autour du slogan</a> « 1 million de chômeurs, c’est 1 million d’immigrés de trop », slogan qu’il actualise en 1982 en portant le chiffre à 3 millions de chômeurs et d’immigrés…</p>
<p>Les discours du FN exploitent alors de façon quasi obsessionnelle le péril de l’immigration, en recourant volontiers à des provocations. Jean‑Marie Le Pen <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/213953-jean-marie-le-pen-09011984-front-national-racisme-immigration">prophétise</a> ainsi, en janvier 1984 :</p>
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<p>« Demain, les immigrés s’installeront chez vous, mangeront votre soupe et coucheront avec votre femme, votre fille ou votre fils ».</p>
</blockquote>
<p>Le succès de ces diatribes hostiles à l’immigration conduit le FN à développer de façon cohérente une thématique à la fois identitaire et populiste, nourrie notamment par les <a href="https://www.cairn.info/revue-agone-2014-2-page-73.htm">travaux du Club de l’Horloge</a>. Ce think tank qui, depuis les années 1970, relaie les réflexions de la Nouvelle Droite au sein de la droite modérée fournit d’ailleurs au FN une nouvelle génération de dirigeants, notamment Bruno Mégret, numéro 2 du parti à partir de 1988. Mégret lance en 1989 la revue <em>Identité</em> et <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1991/11/19/au-cours-d-un-colloque-a-marseille-le-front-national-presente-cinquante-mesures-pour-regler-le-probleme-de-l-immigration_4039151_1819218.html">présente en 1991</a> « cinquante mesures pour régler le problème de l’immigration » et met en exergue la notion de « préférence nationale » qu’il entend d’ailleurs appliquer dans la ville de Vitrolles dont sa femme est élue maire en 1997.</p>
<p>Son exclusion du FN, en 1998, relègue au second plan ces thématiques identitaires, au profit de la rhétorique plus tribunitienne de Le Pen. De nouveaux groupes d’extrême occupent alors l’espace politique ainsi libéré, tel le Bloc identitaire, créé en 2002.</p>
<h2>Une extension vers l’ensemble du champ politique</h2>
<p>Jusqu’au début du XXI<sup>e</sup> siècle, le thème de l’identité nationale reste malgré tout marginal dans le champ politique français et se cantonne à l’extrême droite.</p>
<p>Au cours de l’élection présidentielle de 2002, les débats se focalisent d’abord sur la souveraineté nationale, défendue par Jean‑Pierre Chevènement à la tête de son « pôle républicain » qui regroupe les <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/societe/qu-est-ce-que-le-souverainisme-20220107">souverainistes</a> de gauche et de droite en vue de défendre l’indépendance et les valeurs de la République française, puis celui de l’insécurité, dont s’emparent ceux qui se combattront au second tour (Jacques Chirac et Jean‑Marie Le Pen).</p>
<p>Cinq ans plus tard, Nicolas Sarkozy fait de la création d’un ministère de l’immigration et de l’identité nationale une proposition emblématique – et particulièrement clivante – de sa campagne, autour de laquelle vont devoir se positionner ses concurrents, y compris la socialiste Ségolène Royal. L’immigration s’inscrit dans une thématique plus large, la question identitaire, qui permet à Sarkozy d’attirer plus du tiers des électeurs habituels du Front national et de <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/documents/guerre-des-droites_9782738119827.php">remporter l’élection</a>.</p>
<h2>Une banalisation de la question identitaire</h2>
<p>Cette banalisation de la question identitaire s’explique par de multiples facteurs. La montée du terrorisme islamiste, marquée par des vagues successives en France (en 1985-1986 d’abord, puis au milieu des années 1990 et enfin à partir de 2012), a déplacé les termes du débat politique sur l’immigration. Ce qui est en jeu, ce n’est plus le chômage des « Français de souche » ou leur sécurité au quotidien, c’est bien l’intégrité d’une identité française, façonnée par le christianisme et menacée à la fois par le terrorisme islamiste et par un communautarisme d’origine religieuse qui s’exprime publiquement, depuis <a href="https://www.jean-jaures.org/publication/les-foulards-de-la-discorde-retours-sur-laffaire-de-creil-1989/">« l’affaire du foulard »</a> porté à l’école par des jeunes lycéennes à Creil en 1989.</p>
<p>La lutte contre cette double menace, terroriste et communautariste, permet à la thématique identitaire de dépasser le cadre de l’extrême droite et de nourrir de nouvelles thématiques : la laïcité, devenue le point central d’un modèle républicain qui intègre l’ensemble des particularismes dans une communauté nationale une et indivisible ; et l’affirmation de la fierté d’être Français, que Nicolas Sarkozy exprime en promouvant une <a href="https://agone.org/livres/commentnicolassarkozyecritlhistoiredefrance">conception de l’histoire</a> qui réconcilie les Français avec le « roman national », loin de tout sentiment de repentance, notamment par rapport au passé colonial de la France.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/portrait-s-de-france-s-insecurite-de-quoi-parle-t-on-172998">Portrait(s) de France(s) : Insécurité, de quoi parle-t-on ?</a>
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<p>Les attentats de 2015 n’ont fait que <a href="https://lejournal.cnrs.fr/articles/comment-la-societe-reagit-elle-face-aux-attentats">renforcer</a> cette polarisation sur les thématiques identitaires, même s’ils n’entraînent pas forcément une radicalisation de l’opinion publique. Le Front national dépasse 27 % des voix <a href="https://www.lesechos.fr/2015/12/regionales-le-fn-continue-delargir-son-socle-electoral-284058">aux élections régionales</a> de décembre 2015. Le président de la République François Hollande propose alors la déchéance de nationalité pour les personnes condamnées pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la nation. Certains refusent toutefois de céder à cette surenchère.</p>
<p>Lors des primaires de la droite et du centre, en 2016, <a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2017/article/2016/09/14/l-identite-heureuse-histoire-d-une-formule-devenue-une-marque-de-fabrique_4997377_4854003.html">Alain Juppé</a> fait campagne sur « l’identité heureuse ».</p>
<p>Quant à Emmanuel Macron, il est élu en 2017 contre Marine Le Pen, sur un projet délibérément européen et tournant le dos au nationalisme.</p>
<h2>L’influence de la mouvance identitaire</h2>
<p>Même si elle marque un coup d’arrêt à la progression électorale du Front national, la victoire d’Emmanuel Macron ne met pas fin à l’activité d’une mouvance identitaire, très présente sur les réseaux sociaux. Esquissée dès le milieu de l’année 2021 et annoncée officiellement fin novembre, la candidature présidentielle de l’essayiste Eric Zemmour récupère les principales propositions du Front national des années 1990 devenu Rassemblement national en 2018, (arrêt de l’immigration et du regroupement familial, préférence nationale, abrogation du droit du sol), en en faisant les éléments clefs d’un combat pour la civilisation. Le nom qu’il donne à son mouvement, Reconquête, fait d’ailleurs explicitement référence à la <a href="https://www.liberation.fr/politique/elections/la-reconquete-de-zemmour-lextreme-reference-espagnole-20211206_OTSNYC4MJZANBHBGTHC2ASBNBA"><em>Reconquista</em></a> de l’Espagne arabo-andalouse par les catholiques, à la fin du Moyen-âge. L’historien Laurent Joly a d’ailleurs démontré qu’Eric Zemmour <a href="https://www.grasset.fr/livres/la-falsification-de-lhistoire-9782246830818">falsifie</a> l’histoire de la France au service d’un nationalisme ethnique et identitaire qui renoue avec la Révolution nationale du maréchal Pétain.</p>
<p>Le succès médiatique de la candidature d’Eric Zemmour montre l’influence d’une culture politique qui mêle défense de l’identité nationale, crainte de l’étranger et plus particulièrement du musulman, hantise du déclin voire de la dilution de la nation française et de la civilisation européenne. On retrouve ces thèmes dans le discours du Rassemblement national et, de façon plus atténuée et moins homogène chez Les Républicains ou même dans la mouvance macroniste, comme en témoignent notamment les propos de plusieurs ministres (Gérald Darmanin, Jean‑Michel Blanquer, Frédérique Vidal) contre « l’islamo-gauchisme ». Cette évolution est l’un des symptômes de la <a href="https://www.fondapol.org/etude/la-conversion-des-europeens-aux-valeurs-de-droite/">droitisation</a> du champ politique et de l’opinion publique française depuis le début du XXI<sup>e</sup> siècle.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/175540/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mathias Bernard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La problématique de l’identité nationale n’a pas toujours été l’apanage de l’extrême droite mais un long processus qui a accompagné la construction de la République.Mathias Bernard, Historien, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1685952022-01-23T17:28:15Z2022-01-23T17:28:15ZEt si nous avions des débats constructifs ?<p>L’extraordinaire synchronisation de nos expériences due à la pandémie favorise une prise de conscience globale de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/penser-lapres-85546">l’urgence de nous réinventer</a> et nous offre l’opportunité de transformer nos modes d’organisation. Cela suppose, en amont comme en aval des décisions politiques, de partager et d’échanger, et donc d’offrir les conditions nécessaires à des conversations citoyennes constructives. « L’autorité, c’est celle qui grandit l’autre », <a href="https://www.lepoint.fr/societe/michel-serres-la-seule-autorite-possible-est-fondee-sur-la-competence-21-09-2012-1509004_23.php">selon Michel Serres</a>. Un débat qui fait autorité, c’est donc un débat qui fait grandir.</p>
<p>Or, ce qui nous est donné à voir, à trois mois de la présidentielle française, c’est la pauvreté persistante du débat politique. La fascination renouvelée pour les idées excluantes, pessimistes, nostalgiques ne se dément pas. Des tentatives racoleuses de diversion par rapport aux grands défis de notre époque se multiplient. <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/01/14/ces-ideologues-neoreactionnaires-qui-refusent-l-avenement-du-nouveau-monde_6109413_3232.html">Comme s’il était possible de conjurer</a> les demandes sociales et les grands bouleversements anthropologiques et écologiques amplifiés par la pandémie.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/penser-lapres-le-respect-vertu-cardinale-du-monde-post-crise-138860">Penser l’après : Le respect, vertu cardinale du monde post-crise ?</a>
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<p>Aux tentations autoritaires qui s’efforcent de réduire le rôle des corps intermédiaires et des contre-pouvoirs et de disqualifier les savoirs critiques et la science, s’ajoute, en démocratie, la défense crispée des postes de pouvoir. Chaque jour prend corps le risque d’une disparition progressive des possibilités du débat démocratique, au profit d’une banalisation de la polémique, de l’injure, du mensonge.</p>
<p>Puisque la démocratie est une « forme de vie », <a href="https://www.cairn.info/revue-multitudes-2018-2-page-157.htm">comme le dit la philosophe Sandra Laugier</a>, puisque la confiscation de la parole est mortifère, il est essentiel de se battre pour préserver des lieux de dialogue et défendre les formats favorisant l’écoute réciproque et l’expression de récits fondés sur des registres divers de compétences. Entendre ce qu’individus et groupes ont à proposer comme agenda commun suppose de bâtir une société apprenante où chacun participe à co-construire connaissances et reconnaissances.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1480867159484125187"}"></div></p>
<p>Ces dernières décennies, sous l’impulsion de mouvements associatifs et de la recherche scientifique, la démocratie s’est étendue, gagnant les lieux de socialisation que sont la famille ou encore l’école. Les sphères du privé et de l’intime sont devenues politiques. La diversité des expériences, des points de vue, des savoirs et savoir-faire est une richesse dont la délibération politique aurait tort de se passer. Tout le monde, à tout âge, mérite d’être vu comme un véritable sujet politique. Comme la démocratie, la citoyenneté, du local au global, gagne à se renouveler.</p>
<h2>Promouvoir une citoyenneté fractale</h2>
<p>Les fractales ont été inventées par le mathématicien franco-américain <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Beno%C3%AEt_Mandelbrot">Benoît Mandelbrot</a>. Elles décrivent des formes géométriques identiques, quelle que soit l’échelle à laquelle on les observe. À quoi pourrait ressembler une démocratie fractale ? À une démocratie qui présente le même mode de fonctionnement à toutes les échelles. Elle l’est déjà en partie. Par son histoire : elle s’est d’abord développée dans des périmètres restreints avant, petit à petit, de s’étendre, en appliquant à des échelles toujours plus importantes ses principes fondateurs, et en s’ouvrant à un nombre toujours croissant de personnes.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-la-democratie-feministe-reinventer-le-pouvoir-148380">Bonnes feuilles : « La démocratie féministe, réinventer le pouvoir »</a>
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<p>Cette évolution a eu partie liée avec celle des modes de communication. Plus on a pu diffuser des informations (et des lois) vite et loin, plus il a été possible d’étendre le champ démocratique. Mais la possibilité de débattre directement restait, elle, tributaire de la taille des forums, de la possibilité physique d’organiser des débats contradictoires. On a débattu dans des agoras, des universités, des tribunaux, des salons, des académies, des conseils, des clubs…</p>
<p>Internet a fait voler en éclat ces limites en offrant, pour la première fois de l’histoire, la possibilité d’organiser des débats à grande échelle, y compris à l’international.</p>
<p>En instaurant une « citoyenneté européenne », notre continent a effectué un pas important. Il octroie à tous les citoyens européens des droits formulés dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1470400619366305800"}"></div></p>
<p>En revanche, vous pouvez, par conviction, vous déclarer « citoyen du monde », mais aucun droit ne sera attaché à cet état. Et aucune organisation mondiale n’est désignée par un suffrage direct. Les Nations unies, par exemple, ne comportent aucune « chambre des citoyens ». Du FMI à l’OMC en passant par les COP, les grands enjeux économiques, environnementaux et climatiques ne sont pas traités de manière démocratique. Il est grand temps d’enrichir ce système d’autres modalités d’expression et de prise de décision, à toutes les échelles.</p>
<h2>Ouvrir les consultations</h2>
<p>Première piste : la constitution d’assemblées ad hoc, sur des sujets spécifiques. La France l’a fait avec la convention citoyenne pour le climat. 150 personnes ont été tirées au sort, représentatives de la société française, et ont travaillé pendant plusieurs mois afin de soumettre des propositions au gouvernement, qui en a repris certaines dans le projet de loi « portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets ».</p>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/02/10/climat-les-propositions-de-la-convention-citoyenne-ont-elles-ete-reprises-par-le-gouvernement_6069467_3244.html">Selon un décompte réalisé par <em>Le Monde</em></a>, 78, soit 53 %, ont été « partiellement reprises » et 18 ont fait l’objet d’une reprise intégrale. <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/03/11/climat-une-assemblee-citoyenne-mondiale-va-poursuivre-le-travail-de-la-convention-francaise_6072716_3232.html">Comme le souligne</a> la politiste Hélène Landemore, spécialiste de la démocratie délibérative :</p>
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<p>« Les 150 citoyens ont rendu des propositions ambitieuses et permis aussi de médiatiser les enjeux climatiques : 70 % des Français disent aujourd’hui connaître ces propositions. »</p>
</blockquote>
<p>Il serait intéressant d’observer l’élan porté par une telle initiative en vue d’un mouvement plus global : une future assemblée citoyenne mondiale sur le climat, par exemple.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lintelligence-collective-au-coeur-des-enjeux-politiques-et-sociaux-169203">L’intelligence collective au cœur des enjeux politiques et sociaux</a>
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<p>Deuxième piste, les technologies civiques (<a href="https://theconversation.com/technology-can-boost-active-citizenship-if-its-chosen-well-61816">« civic tech »</a>). Il s’agit de plates-formes numériques qui permettent de collecter des données à toutes les échelles, y compris très grandes, d’organiser la confrontation des idées, l’évaluation des propositions et, in fine, d’aider à la décision.</p>
<p>Transparentes (open source), des plates-formes comme <a href="http://allourideas.org/">All Our Ideas</a> ou <a href="https://pol.is/home">pol.is</a> sont très faciles à utiliser et le sont déjà par des millions de personnes. La première héberge des dizaines de milliers de consultations et a suscité, par exemple, plus de 42 millions de votes autour de questions soumises par les Nations unies (sur le développement durable), l’OCDE (sur l’éducation), la ville de Calgary (pour son budget participatif), ou encore celle de New York, qui s’en est inspirée pour faire émerger plusieurs projets en matière d’environnement.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/dans-notre-monde-numerique-comment-reinventer-le-debat-democratique-161864">Dans notre monde numérique, comment réinventer le débat démocratique ?</a>
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<p>La seconde a notamment été popularisée par Audrey Tang, « hackeuse citoyenne » de Taïwan, ex-leader du « mouvement des tournesols » en 2014, aujourd’hui ministre. Elle a déployé toute une série d’outils de consultation et surtout de délibération qui font aujourd’hui partie intégrante de la vie démocratique du pays. Ainsi, explique-t-elle, <a href="https://www.ted.com/talks/audrey_tang_how_digital_innovation_can_fight_pandemics_and_strengthen_democracy">« les gens sont libres d’exprimer leurs idées, de voter pour ou contre les idées des autres »</a>. Mais on découvre qu’ils « s’accordent sur la plupart des choses, avec la plupart de leurs voisins sur la plupart des questions. Et c’est ce que nous appelons le mandat social ou le mandat démocratique ».</p>
<h2>Le temps du « gouvernement humble »</h2>
<p>Une troisième piste relève non de la technique mais de la méthodologie ou de l’état d’esprit, c’est ce que les Finlandais appellent le « gouvernement humble ». Il postule que la résolution des problèmes complexes commence par interroger les enjeux structurels et culturels de la prise de décision politique afin de renoncer à la décision verticale pour un « modèle en réseau ».</p>
<p>La mise en œuvre de cette humilité suppose quatre conditions.</p>
<ul>
<li><p>La première consiste à rechercher un consensus, fût-il minimal, sur les objectifs poursuivis et les valeurs communes qui le sous-tendent.</p></li>
<li><p>Deuxième condition : donner de l’autonomie aux différentes entités appelées à mettre en pratique la réforme.</p></li>
<li><p>Troisième condition : des boucles de rétroaction au sein desquelles circule tout ce que les parties prenantes apprennent en appliquant la réforme.</p></li>
<li><p>Quatrième et dernière condition : la possibilité de réviser la réforme en permanence, dès lors qu’une situation ou une connaissance nouvelle remettent en cause ce qui a été décidé.</p></li>
</ul>
<p>Si la technologie ne constitue pas la solution au problème de la confiscation de la parole démocratique, elle est un outil qui, bien utilisé, contribue à le résoudre. Et s’il demeure logique et raisonnable de donner aux élus le temps de mettre en œuvre leur programme sur plusieurs années, de nombreux sujets peuvent et doivent être soumis à discussion et à des formes de vote à un rythme bien plus soutenu.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/441328/original/file-20220118-17-1vcnf9u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/441328/original/file-20220118-17-1vcnf9u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=932&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/441328/original/file-20220118-17-1vcnf9u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=932&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/441328/original/file-20220118-17-1vcnf9u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=932&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/441328/original/file-20220118-17-1vcnf9u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1171&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/441328/original/file-20220118-17-1vcnf9u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1171&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/441328/original/file-20220118-17-1vcnf9u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1171&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">Editions Calmann-Lévy</span></span>
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</figure>
<p>Les nouvelles Lumières doivent donc actualiser leur formidable héritage dans un contexte égalitaire et au regard de deux notions ignorées au XVIII<sup>e</sup> siècle : l’accélération (et la finitude de la planète) et la simultanéité des expériences humaines (la mondialisation). Et nous aider à passer d’une logique de l’avoir à une logique de l’être.</p>
<p>Les propositions ne manquent pas. Faire le lien entre la myriade d’initiatives ou de volontés individuelles qui existent et les entités capables d’agir à une large échelle nous invite à multiplier les espaces intermédiaires (middle grounds), des massive open online debates (MOOD), où les idées se transforment en actions, <a href="https://news.cri-paris.org/news/et-si-nous-une-plateforme-collaborative/">où des personnes d’horizons variés co-construisent des futurs possibles</a>.</p>
<p>À l’occasion de la journée internationale de l’éducation de l’Unesco, le festival <a href="https://festival.learning-planet.org/fr/">« Et si apprendre était une fête ? »</a> en fournit une autre occasion. L’abstention, grandissante, n’est pas (seulement) un signe de dé-participation citoyenne. <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/une-semaine-en-france/une-semaine-en-france-du-vendredi-14-janvier-2022">De multiples autres manières de s’engager dans la vie collective se déploient, dans toutes les générations</a>. Celles et ceux qui aspirent aux responsabilités politiques ne doivent plus les ignorer.</p>
<hr>
<p><em>Le dernier livre de François Taddéi, <a href="https://calmann-levy.fr/livre/apprendre-au-xxie-si%C3%A8cle-9782702163429">« Et si nous ? Comment relever ensemble les défis du XXIᵉ siècle »</a> est paru aux éditions Calmann-Lévy, en janvier 2022. Chez le même éditeur, Marie-Cécile Naves est l’autrice de <a href="https://calmann-levy.fr/livre/la-democratie-feministe-9782702180020">« La Démocratie féministe. Réinventer le pouvoir »</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/168595/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Le LPI dirigé par François Taddei a reçu des financements de la Fondation Bettencourt Schueller. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Marie-Cécile Naves est directrice de recherche à l'IRIS.</span></em></p>À l’occasion de la 4ᵉ Journée internationale de l’éducation, autour du thème « Changer de cap », retour sur un des défis du XXIᵉ siècle : réinventer la citoyenneté et le débat public.François Taddei, Chercheur Inserm, directeur, Learning Planet Institute (LPI)Marie-Cécile Naves, Docteure en science politique, chercheuse associée au CRI Paris, Learning Planet Institute (LPI)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1701272021-12-22T20:25:01Z2021-12-22T20:25:01ZLa « démocratie liquide » : sur les traces d’une métaphore à succès<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/438682/original/file-20211221-23-10cifvu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C12%2C1435%2C942&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Vue du bureau d'Alexis de Tocqueville, dans son château de Basse-Normandie. </span> <span class="attribution"><span class="source">Château de Tocqueville.</span></span></figcaption></figure><p>L’idée de « société liquide » a favorisé le succès extra-académique du sociologue anglo-polonais Zygmunt Bauman (1925-2017). En 2000, <em>Liquid Modernity</em> inaugure une série d’essais en langue anglaise dont les titres déclinent la <a href="https://doi.org/10.4000/socio.2706">métaphore de la fluidité</a>. Comme aucun aspect de l’existence des individus contemporains n’échappe à l’effacement des formes de la vie sociale, Bauman qualifie de « liquide » un nouveau rapport au temps, à l’amour, au travail et à la vie elle-même, au risque d’abuser d’un simple trope. Ce risque semble s’être retourné contre l’auteur, puisque ses dernières publications ont reçu l’étiquette de <a href="https://doi.org/10.4000/socio.2704">« sociologie liquide »</a>, et qu’en 2017, un article pourtant favorable s’intitule : <a href="https://doi.org/10.4000/socio.2708">« Bauman liquide »</a>, comme si l’image éponyme était devenue cannibale.</p>
<p>Il est tentant d’éclairer cette construction de notoriété par la puissance spécifique des <a href="https://rupress.org/jgp/article/153/5/e202012803/211879/Is-Bauman-s-liquid-modernity-influencing-the-way">métaphores liquides</a> qui, <a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre-l-eau-et-les-reves-essai-sur-l-imagination-de-la-matiere-de-gaston-bachelard.html-0">d’après Gaston Bachelard</a>, exercent une fascination sur notre esprit. Dans <a href="http://www.jose-corti.fr/titres/eau-et-reves.html"><em>L’Eau et les rêves</em></a> (1942) le philosophe a recensé les nombreuses images littéraires et poétiques qui traduisent la prégnance de cet élément protéiforme dans l’imagination créatrice.</p>
<p>Plus globalement, Bachelard a voulu élaborer une <a href="https://www.scienceshumaines.com/la-formation-de-l-esprit-scientifique-contribution-a-une-psychanalyse-de-la-connaissance-objective_fr_13419.html">« psychanalyse » de la connaissance scientifique</a> afin de mettre aussi en évidence le rôle de l’imagination dans la genèse et le développement de la rationalité à l’assaut de la nature. Mais il n’a pas abordé le domaine sociopolitique, alors que celui-ci présente aussi des métaphores fondamentales, comme celle du corps par exemple, <a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre-dictionnaire-historique-et-critique-du-racisme-de-pierre-andre-taguieff">qui a donné naissance au modèle de l’organicisme</a> soutenant la thèse de l’unité du « corps politique ». Une « psychanalyse » sondant les images dans la pensée et le discours politiques paraîtrait donc aussi légitime et pertinente qu’à propos des sciences de la nature, tout en prenant en compte ce qu’affirme Laurence Guéllec dans son étude sur <em>Tocqueville et les langages de la démocratie</em> (2004) : </p>
<blockquote>
<p>« La métaphore reste toujours alors au service commandé de l’argumentation. »</p>
</blockquote>
<h2>« La démocratie coule à pleins bords »</h2>
<p>Nous voudrions contribuer à une telle approche à travers un exemple qui témoigne de l’ancienneté du filon métaphorique auquel Bauman a eu recours : « La démocratie coule à pleins bords » représente en effet une sentence politique qui a constitué un véritable fil rouge de la pensée politique au début du XIX<sup>e</sup> siècle et même au-delà. Elle a circulé chez plusieurs grands auteurs et écrivains politiques sans qu’on sache vraiment à qui l’attribuer avec certitude. <a href="https://www.histoire-en-citations.fr/citations/royer-collard-la-democratie-coule-a-pleins-bords-dans-la-france">Sur un site grand public</a>, c’est à Pierre-Paul Royer-Collard (1763-1845), un penseur dit « doctrinaire », qu’elle est associée. Cependant, lorsqu’on consulte une source historique (<a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5813522f.texteImage"><em>Vie publique de Royer-Collard de Léon Vingtain</em></a>), le propos est attribué en 1821 à <a href="https://data.bnf.fr/fr/10012188/hercule_de_serre/">Hercule de Serre</a>, qui fut ministre de la justice pendant la Restauration. L’enquête commence donc mal.</p>
<p>Claude Nicolet commente cette sentence dans <em>L’Idée républicaine en France</em>, un essai d’histoire critique important paru en 1982, montrant que son apparition coïncide avec le moment où la démocratie prend un sens social prépondérant d’égalité des conditions. La source reste toujours incertaine cependant, puisque, selon Nicolet, on prête le propos <a href="https://data.bnf.fr/fr/10012188/hercule_de_serre/">« à M. de Serre ou à Chateaubriand »</a>. Des attestations significatives se trouvent chez Victor Hugo dans la Préface de <em>Cromwell</em> (1827) ainsi que dans un article « L’oligarchie et la souveraineté du peuple » de Charles Renouvier paru dans <em>La Feuille du peuple</em> le 10 janvier 1851. Nous pourrions aussi citer Jules Barni dans son <em>Manuel républicain</em> (1872) et Edgar Quinet qui y fait écho dans <em>La République</em> (1872).</p>
<p>Les métaphores liquides, fluviales en particulier, abondent sous la plume d’Alexis de Tocqueville (1805-1859) comme l’a montré Laurence Guéllec dans son étude citée plus haut, sachant que Tocqueville est considéré comme l’un des plus grands penseurs de la démocratie moderne, avec son <em>De la démocratie en Amérique</em> (1835-1840). Or Paul Janet soutient que la sentence que nous étudions a constitué le point de départ de la réflexion de l’écrivain sur la démocratie dans « Tocqueville et la Sciences Politique au XIX<sup>e</sup> siècle », article paru dans la <em>Revue des deux mondes</em> en 1861.</p>
<p>Charles Péguy adopte un registre ironique quand il écrit : « Le réel coule à pleins bords » dans <em>Notre Jeunesse</em> (1910) où il revient sur l’affaire Dreyfus et sur ce que l’on ne veut pas voir. Et pour finir, nous pourrions citer Alphonse Allais (1854-1905) qui fait un usage parodique du propos dans <em>Les Confessions d’un enfant du cycle</em> :</p>
<blockquote>
<p>« Dans les bourgades les plus reculées, on rencontre de nombreux vélocipédistes dont certains appartiennent parfois à d’humbles conditions, car, ainsi que la démocratie, la bicyclette coule à pleins bords. »</p>
</blockquote>
<p>Si notre sentence s’enracine fortement dans le XIX<sup>e</sup> siècle, sans pouvoir toutefois en déterminer l’origine, nous pourrions citer Émile Durkheim (1858-1917) qui suggère une perspective de longue durée sur l’origine de la démocratie dans ses <em>Leçons de sociologie</em> : </p>
<blockquote>
<p>« Ce n’est donc pas depuis 40 ou 50 ans que la démocratie coule à pleins bords ; la montée en est continue depuis le commencement de l’histoire. »</p>
</blockquote>
<h2>L’idée d’une liberté naturelle</h2>
<p>Notre psychanalyse se muerait alors en archéologie de la liquidité politique en prospectant chez des auteurs considérés comme des classiques. Ainsi Hobbes dont le célèbre <em>Léviathan</em> (1651) utilise la métaphore de l’eau comme un argument décisif. En effet, le chapitre XXI « De la liberté des sujets » s’appuie sur l’exemple de l’eau et du fleuve qui coulent « librement », pour exposer l’idée d’une « liberté naturelle » définie par l’absence d’entrave à un mouvement spontané. Le moment de la démonstration est donc crucial : </p>
<blockquote>
<p>« La liberté et la nécessité sont compatibles. Elles le sont dans le cas de l’eau, qui n’éprouve pas seulement la liberté, mais aussi la nécessité, de couler avec la pente le long du lit du fleuve […] »</p>
</blockquote>
<p>Il s’agit plus bien plus qu’un simple exemple puisque Hobbes extrapole cet argument aux actions volontaires des hommes. Sans pouvoir entrer dans l’interprétation plus précise de ce passage, notons que cette connexion a la portée d’un changement de modèle en se référant à la connaissance au sens scientifique du terme pour penser le politique.</p>
<h2>La pensée « fluidiste » de Saint-Simon</h2>
<p>Notre citation aux allures d’apophtegme s’avère ainsi aussi riche que fascinante par la métaphore du fluide associée à une notion abstraite, la démocratie, qui se trouve au centre de la réflexion d’une époque qui a élaboré la plupart des grandes idéologies auxquelles nous nous référons toujours, sous le nom de libéralisme, socialisme ou communisme.</p>
<p>Aussi est-ce au XIX<sup>e</sup> que nous situerons l’hypothèse la plus plausible au sujet de l’auteur de notre sentence. En effet, Saint-Simon (1760-1825) a introduit le paradigme de la fluidité afin de penser les phénomènes sociopolitiques dans la toute dernière partie de sa vie où il se met à écrire. Il a théorisé l’opposition de la pensée « solidiste » ou « brutiste » et de la pensée » fluidiste ».</p>
<p>La société nouvelle qu’il appelle de ses vœux, à vrai dire : une nouvelle civilisation, plus heureuse et prospère reposera sur la circulation des richesses que forment l’argent et le savoir. Or Saint-Simon a suivi lors de sa formation initiale des cours d’hydraulique donnés par l’abbé Bossut qui enseignait « les lois de l’écoulement des fluides » à l’école du génie de Mézières. Il apparaît comme le penseur d’une société nouvelle fondée sur les progrès scientifiques en vue d’une plus grande justice sociale et d’une plus grande stabilité politique.</p>
<p>Saint-Simon a eu une influence considérable sur les grands penseurs de la société qui se réclament de son influence : Comte, Marx ou Durkheim. Il représente donc un bon candidat pour être celui qui a forgé les termes de notre sentence. Quant à l’interprétation à lui donner, nous dirions qu’elle saisit bien la logique d’expansion des droits</p>
<p>individuels qui est toujours à l’œuvre à travers le <a href="https://www.cairn.info/revue-le-philosophoire-2011-2-page-23.htm">modèle de la démocratie « extrême »</a> selon Dominique Schnapper.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/170127/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Isabelle de Mecquenem ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Depuis le XIXᵉ siècle, la philosophie politique use de métaphores liquides.Isabelle de Mecquenem, Professeur de philosophie, Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1732782021-12-08T20:54:46Z2021-12-08T20:54:46ZPour doper votre créativité, faites des microsiestes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/436371/original/file-20211208-25-3ihqnp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C15%2C5168%2C3864&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Pour résoudre des problèmes, pensez à somnoler. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/5Q07sS54D0Q">Kvalifik/Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>À la frontière entre éveil et sommeil, il existe une zone grise où notre conscience fluctue, notre réactivité à l’environnement diminue et la réalité commence progressivement à se déformer, <a href="https://doi.org/10.1053/smrv.2001.0145">laissant place à des images s’approchant des rêves</a>. Brève et évanescente, cette phase d’endormissement reste mystérieuse. </p>
<p>Pourtant, cette période de transition entre deux « mondes » passionne depuis longtemps artistes, scientifiques et inventeurs, qui disent y avoir trouvé l’inspiration de leurs découvertes. C’est par exemple le cas du chimiste <a href="http://sommeil.univ-lyon1.fr/articles/savenir/genie/serpent.php">August Kékulé</a> qui raconte comment le rêve d’un serpent se mordant la queue lui aurait révélé la structure en anneau de la molécule de benzène. <a href="https://www.maxisciences.com/biographie/thomas-edison-inventions-ampoule-biographie-tout-ce-qu-il-faut-savoir-sur-le-celebre-inventeur_art40087.html">Thomas Edison</a>, l’homme aux mille brevets, ou encore le surréaliste <a href="https://www.beauxarts.com/encyclo/salvador-dali-en-3-minutes/">Salvador Dali</a> étaient tellement convaincus que l’endormissement était propice à la créativité qu’ils avaient développé une méthode pour capturer ces moments de fulgurance. </p>
<p>Leur secret était simple : ils se contentaient de faire des siestes en tenant un objet à la main. L’objet tombait bruyamment au sol lorsque leurs muscles se relâchaient, les réveillant à temps pour noter les illuminations qu’ils avaient eues en somnolant. </p>
<p>Capturer des idées créatrices à l’endormissement est-il l’apanage des génies ou est-ce accessible à tous ?</p>
<h2>Somnoler pour mieux résoudre des problèmes</h2>
<p>Pour savoir si une muse se cache aux portes du sommeil, notre idée était de comparer la capacité de volontaires à résoudre un problème après avoir somnolé versus après être resté éveillés. Notre hypothèse était que les personnes ayant somnolé seraient plus nombreuses à avoir un « Eurêka ! » que les autres. Mais comment au juste mesure-t-on objectivement la survenue d’une illumination créative en laboratoire ? Nous avons choisi d’utiliser une tâche déjà connue dans la littérature scientifique appelée <a href="https://www.nature.com/articles/nature02223/"><em>number reduction task</em></a> (NRT). Dans cette tâche, les participants doivent résoudre le plus rapidement possible plusieurs centaines de mini-problèmes arithmétiques en utilisant deux règles prédéfinies.</p>
<p>Trouver la solution est simple – il suffit de procéder par étapes –, mais le processus est long et fastidieux. La beauté de la NRT est que les problèmes sont structurés de telle manière qu’une astuce cachée permet de brûler la majorité des étapes et d’ainsi trouver la solution à n’importe quel nouveau problème beaucoup plus vite et sans effort. Évidemment, les participants ne connaissent pas l’existence de cette astuce cachée. Mais quand par hasard ils la découvrent, on observe alors une diminution brutale et drastique dans le temps de résolution des problèmes et on peut alors savoir exactement quand l’Eurêka est survenu.</p>
<p>Dans le cadre de cette expérience, 103 volontaires sont venus au service des pathologies du sommeil de la Pitié-Salpêtrière à Paris. Ils ont d’abord été confrontés à 60 mini-problèmes. Une petite partie d’entre eux (16 %) ont découvert l’astuce cachée à ce stade et ont été exclus du reste des analyses. Ensuite, les participants étaient invités à réaliser une pause de 20 minutes, au cours de laquelle ils étaient confortablement installés dans un fauteuil, les yeux fermés et dans le noir complet. De telles conditions sont propices à l’endormissement.</p>
<p>Cependant, nous ne voulions pas simplement que les personnes s’endorment, nous voulions qu’elles restent dans cette phase de transition entre l’éveil et le sommeil pour pouvoir spécifiquement identifier le rôle de cette période sur la créativité. Or, la phase d’endormissement est fugace et la bascule vers le sommeil plus consolidé est imprévisible, ce qui fait qu’il est quasiment impossible d’anticiper à quel moment réveiller les participants.</p>
<p>Pour résoudre cette difficulté, nous avons pris exemple sur Edison et Dali : pendant la pause, les participants tenaient une bouteille en plastique dans la main, afin que la chute de l’objet les réveille avant qu’ils ne s’endorment trop profondément. Enfin, après cette pause, les volontaires travaillaient sur 330 nouveaux problèmes, ce qui leur prenait un peu plus d’une heure.</p>
<p>Pendant toute la durée de l’expérience, les volontaires étaient équipés de capteurs, posés sur la tête, le menton et autour des yeux pour mesurer leur activité cérébrale, oculaire et musculaire.</p>
<p>À partir des signaux électriques mesurés par ces capteurs, nous pouvions connaître l’état de vigilance des participants pendant la pause et ainsi les répartir en trois groupes, à savoir : ceux qui étaient restés éveillés 100 % du temps, ceux qui avaient somnolé (présence uniquement de la première phase de sommeil appelée N1, qui correspond grossièrement à l’endormissement) et ceux qui avaient dormi plus profondément et atteint la deuxième phase de sommeil (N2).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/436370/original/file-20211208-21-127mx45.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/436370/original/file-20211208-21-127mx45.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/436370/original/file-20211208-21-127mx45.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=255&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/436370/original/file-20211208-21-127mx45.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=255&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/436370/original/file-20211208-21-127mx45.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=255&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/436370/original/file-20211208-21-127mx45.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=320&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/436370/original/file-20211208-21-127mx45.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=320&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/436370/original/file-20211208-21-127mx45.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=320&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Tracé de sommeil d’un participant ayant somnolé (N1) ; il se réveille après avoir lâché la bouteille. L’activité cérébrale est en noir, les mouvements oculaires en bleu et le tonus musculaire en vert.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<p>Alors Edison et Dali avaient-ils raison et rester aux portes du sommeil fournit-il un accès direct à notre esprit créatif ? Nous avons trouvé que 83 % des participants qui avaient somnolé (groupe N1) découvraient la règle cachée contre seulement 31 % des volontaires restés éveillés pendant la pause. Cette multiplication par trois des Eurêka ! est d’autant plus extraordinaire que seule une minute de N1 en moyenne différenciait les deux groupes (tous restaient éveillés le reste du temps). En revanche, ce gain de créativité disparaissait chez les volontaires qui avaient atteint le N2 (seulement 14 % ont trouvé l’astuce). Il semblerait donc qu’il existe une zone propice à la créativité pendant la phase d’endormissement : pour y accéder, il faut s’endormir facilement, mais pas trop profondément.</p>
<h2>Dali et Edison avaient raison !</h2>
<p>La méthode d’Edison permettait-elle de capturer cet instant fugace ? L’analyse des enregistrements cérébraux montre un ralentissement de l’activité cérébrale (un marqueur de l’endormissement) juste avant les lâchers de bouteille. Parce que le bruit émis par la bouteille lors de sa chute réveillait les participants dans 100 % des cas, elle empêchait les participants de passer en N2 (qui, rappelons-le, annulait l’effet créativité), confirmant en partie la méthode d’Edison. Cependant, nous avons également observé que les participants lâchaient parfois la bouteille avant même la survenue du N1, des lâchers anticipés qui indiquent que cette technique est sensible à des signes précoces de somnolence et pourrait donc parfois empêcher d’atteindre la zone créative. En résumé donc, faire une sieste créative un objet à la main est efficace pour rester dans la zone créative à condition d’avoir réussi à y rentrer.</p>
<p>Si vous voulez essayer cette méthode à la maison, vous devez trouver un objet léger (sinon, attention aux crampes), glissant et d’un diamètre suffisamment grand pour empêcher un rattrapage intempestif (une cuillère à café ne fera pas l’affaire). Évidemment, l’objet doit faire du bruit en tombant pour vous réveiller avant que vous ne vous endormiez complètement. Une fois votre objet trouvé, il ne vous reste plus qu’à faire une sieste avec !</p>
<p>En vous réveillant de votre sieste créative, il vous faudra probablement patienter avant que votre muse vous souffle la solution à votre problème. En effet, contrairement aux anecdotes relatant un Eurêka dès le réveil, nos participants découvraient l’astuce cachée plus tardivement, après avoir été confrontés à 94 nouveaux problèmes en moyenne. Les mécanismes par lesquels l’endormissement a permis de provoquer un Eurêka dans le contexte de notre expérience restent donc mystérieux. Une chose est sûre, vous aurez maintenant une excuse toute trouvée pour somnoler en réunion !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/173278/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Delphine Oudiette a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche (ANR).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Célia Lacaux a reçu des financements de l'école doctorale ED3C et de la SFRMS. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Thomas Andrillon est chercheur à l'Institut du Cerveau de Paris (Paris, France) et est associé au Centre for Consciousness and Contemplative Studies de l'University Monash (Melbourne, Australie). Il a reçu des financements du Human Frontier Science Program (HFSP, France) et du National Health and Medical Research Council (NHMRC, Australie).</span></em></p>Thomas Edison et Salvador Dali étaient convaincus que l’endormissement était propice à la créativité. Une étude en neurosciences vient de prouver cet effet.Delphine Oudiette, Chercheure en neurosciences cognitives, InsermCélia Lacaux, Chercheuse en neurosciences cognitives, Sorbonne UniversitéThomas Andrillon, Chercheur en neurosciences à l'Institut du Cerveau - Paris Brain Institute, InsermLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1718512021-11-28T23:06:35Z2021-11-28T23:06:35ZÉcoféminisme : effet de mode, changement de paradigme ?<p>À mi-chemin entre l’écologie et le féminisme, le courant écoféministe identifie deux formes de domination interconnectées : le capitalisme et le patriarcat.</p>
<p>Le capitalisme exerce une forme de domination sur la nature – en exploitant les ressources naturelles. Le patriarcat exerce une forme de domination sur les femmes. L’écoféminisme affirme que ces dominations n’en sont qu’une : la nature comme les femmes sont dominées par le patriarcat et le capitalisme, deux concepts interreliés – la domination des hommes s’étant exercée par la domination du capital sur les sociétés humaines.</p>
<p>Les dominées du « capitalisme patriarcal » sont donc la nature elle-même et, parmi les humains, des dominé·e·s de classe (le prolétariat) et de sexe (féminin).</p>
<p>Dans son ouvrage fondateur <em>Le Féminisme ou la mort</em>, <a href="https://theconversation.com/connaissez-vous-francoise-deaubonne-la-pionniere-de-lecofeminisme-167647">Françoise d’Eaubonne</a>, pionnière de la réflexion écoféminisme, évacue la capacité du socialisme à faire mieux que le capitalisme en matière d’écologie. Elle stipule que la fin du patriarcat constitue la clé et la seule solution pour un avènement de l’écologie.</p>
<h2>Dans les États-Unis des années 1980</h2>
<p>Le mouvement écoféministe s’est organisé dans les années 1980 aux États-Unis, en Angleterre et en Inde. Aux États-Unis, <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/pech.12077">2 000 femmes ont ainsi encerclé le Pentagone</a> après l’élection de Ronald Reagan en 1980, dans un contexte de guerre froide, pour dénoncer à la fois la guerre, la pauvreté, les risques du nucléaire sur l’environnement et l’oppression des femmes.</p>
<p>Dans la même décennie, en Inde, des <a href="https://www.jstor.org/stable/41856473">femmes s’opposent à la construction de barrages gigantesques</a> qui risqueraient de déséquilibrer de manière dramatique et irréversible les écosystèmes, engendrant l’exode de millions de paysans pauvres.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/oikFywukM2s?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Retour sur le mouvement indien Narmada Bachao Andolan contre de grands projets de barrage sur la rivière Narmada. (CRUX, 2018).</span></figcaption>
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<p>Même si celles-ci ne se réclament pas de l’écoféminisme, leurs actions y ont été rattachées car elles portaient à la fois un combat pour la protection des espaces naturels, un combat social pour les femmes et un combat contre le capitalisme. C’est aussi le cas du <a href="https://www.fao.org/3/r0465f/r0465f03.htm">mouvement Chipko</a> dont les actions, comme celle d’enlacer des arbres pour lutter contre la déforestation, sont principalement non-violentes. <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Vandana_Shiva">Vandana Shiva</a> sera la figure émergente de cet écoféminisme en Inde.</p>
<h2>Une nouvelle lecture des rapports de domination</h2>
<p>En reliant nature et femme par le point commun de la domination, l’écoféminisme ouvre alors une nouvelle lecture des rapports de domination, en cassant ses silos habituels – domination de classe, domination de la culture sur la nature, domination de sexe.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/434190/original/file-20211126-15-15m21tf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/434190/original/file-20211126-15-15m21tf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/434190/original/file-20211126-15-15m21tf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/434190/original/file-20211126-15-15m21tf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/434190/original/file-20211126-15-15m21tf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/434190/original/file-20211126-15-15m21tf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1132&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/434190/original/file-20211126-15-15m21tf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1132&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/434190/original/file-20211126-15-15m21tf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1132&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Vandana Shiva.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Vandana_Shiva#/media/Fichier:Dr._Vandana_Shiva_DS.jpg">Augustus Binu/Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
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<p>Alors qu’il peut être perçu comme essentialiste, ses théoriciennes – comme <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-ecofeminisme_maria_mies_vandana_shiva-9782738471772-7821.html">Maria Mies et Vandana Shiva</a> – l’inscrivent pour beaucoup dans la continuité du féminisme matérialiste.</p>
<p>L’essentialisme consiste à expliquer les rôles, les comportements et les choix des hommes et des femmes dans la société par des <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1745691613484767">caractéristiques biologiques, innées</a>. Les hommes et les femmes seraient de nature différente et donc les femmes seraient naturellement plus douces, plus tournées vers le soin aux autres, vers le foyer et la nature. Les hommes quant à eux seraient plus tournés vers l’extérieur du foyer, donc la vie sociale, ils seraient naturellement plus compétiteurs ou bagarreurs, plus intéressés par la technique et les sciences.</p>
<p>Le féminisme matérialiste s’oppose à cette vision, démontrant que les différences entre femmes et hommes sont construites socialement. Le célèbre « On ne naît pas femme, on le devient » de Simone de Beauvoir (<em>Le Deuxième Sexe</em>, 1949) en pose les prémices.</p>
<p>Comme l’explique <a href="https://www.jstor.org/stable/27766057">Elizabeth Carlassare</a>, chercheuse et écrivaine, il est toutefois difficile de donner une définition unique de l’écoféminisme tant <a href="https://www.colibris-laboutique.org/accueil/434-reclaim-recueil-de-textes-ecofeministes-9782366242133.html">les contributions sont variées</a>.</p>
<p>Elles se relient, finalement, davantage dans ce qu’elles condamnent (les dominations) et ce qu’elles font (des actions concrètes pour plus de paix) que dans la façon dont elles se pensent qui fait l’objet de débats.</p>
<h2>L’apport de l’écoféminisme</h2>
<p>L’écoféminisme promeut des valeurs comme la <a href="https://plato.stanford.edu/entries/feminism-environmental/">paix, la solidarité, le respect (de soi, des autres, de la nature)</a>, la <a href="https://www.1854.photography/2021/11/sidonie-hadoux-a-magical-moment-of-sorority/">sororité</a> (la solidarité entre femmes) ou l’adelphité (sororité entre toutes et tous, femmes et hommes) qui étendent la fraternité à tout le monde.</p>
<p>Il porte un message de reconnexion à la nature, de sa protection mais aussi de protection des intérêts collectifs des êtres humains et surtout de celles et ceux qui sont dominés. En cela, <a href="https://journals.openedition.org/lectures/23717?lang=es">il regroupe différents combats</a> dans une approche systémique qui interrelie les organisations (politiques, économiques, sociales, naturelles) et les équilibres et déséquilibres qui en découlent.</p>
<p>Ses messages couvrent tous les champs de notre société : travail, santé, science, technologie, social, économie, migrations, sécurité, éducation, agriculture ou justice.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1462174317245083648"}"></div></p>
<h2>L’écoféminisme peut-il peser en France et dans le monde ?</h2>
<p>Pour la primaire écologiste de 2021, Sandrine Rousseau a imposé dans le débat public l’écoféminisme et une vision radicale de l’engagement écologique et féministe qui bruisse depuis plusieurs années.</p>
<p>Les militantes Greta Thunberg ou <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Camille_%C3%89tienne">Camille Étienne</a> affirment par exemple leur radicalité dans leurs engagements écologiques en arguant de la nécessité de cette radicalité au vu de la situation actuelle.</p>
<p>Mais comment se traduit le mouvement écoféministe aujourd’hui ? Un écueil serait de voir dans toute femme qui agit pour l’environnement une écoféministe. <a href="https://theconversation.com/les-femmes-plus-soucieuses-de-lenvironnement-oui-parce-quelles-ont-appris-a-letre-131314">Les femmes témoignent certes de valeurs et d’attitudes plus pro-environnementales</a> mais leurs transcriptions dans l’action ne sont pas nécessairement écoféministes.</p>
<p>Ainsi, les femmes s’engagent davantage que les hommes dans des comportements liés à l’environnement au sein du foyer (achats écologiques, diminution et tri des déchets, etc.) ; mais cette traduction dans les tâches ménagères des préoccupations environnementales ne porte pour autant pas le combat écoféministe.</p>
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<figcaption><span class="caption">Sandrine Rousseau sur France Inter : « Le logiciel féministe et le logiciel écologiste ont quelque chose en commun ». (France Inter, 2021).</span></figcaption>
</figure>
<p>L’analyse de l’activité associative est un autre indicateur de l’engagement. Elle tend à montrer que les femmes, en général, agissent davantage pour des aspects sociaux et environnementaux. Ainsi, <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/1908144">si la part des hommes dans le milieu associatif est plus élevée que la part des femmes</a> (44 % vs 40 %), la tendance s’inverse lorsqu’il s’agit d’association à caractère social (5 % vs 7 %) et s’équilibre pour la protection de l’environnement (2 % vs 2 %).</p>
<h2>Des combats au quotidien</h2>
<p>Si l’écoféminisme n’est pas visible en soi au sein des associations ou organisations formelles, il existe au quotidien. Ainsi, des femmes en zone rurale (agricultrices bio, écoconstructrices, accoucheuses, cueilleuses de plantes médicinales, éleveuses de brebis…) vivent un <a href="https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2019-2-page-29.htm">féminisme de la subsistance</a> que la sociologue Geneviève Pruvost relie à l’écoféminisme.</p>
<p>Miriam Simos – <a href="https://usbeketrica.com/fr/article/starhawk-sorciere-ecofeministe">alias Starhawk</a> – autrice et activiste écoféministe, décrit quant à elle les actions d’aide mises en œuvre sur le terrain <a href="https://www.colibris-laboutique.org/accueil/434-reclaim-recueil-de-textes-ecofeministes-9782366242133.html">après l’ouragan Katrina aux États-Unis</a> en les positionnant dans le champ de l’écoféminisme. Enfin, l’écoféminisme n’est pas forcément un combat porté par des femmes. </p>
<p>Pour émerger durablement, l’écoféminisme devra certainement se structurer – créer un mouvement clair et indépendant, comme les écologistes l’ont fait en leurs temps, pour diffuser ses idées.</p>
<p>Toutefois, l’écoféminisme remettant en cause la structure même de nos sociétés, il pourrait perdre de son essence à s’insérer dans ladite structure. La poursuite de sa voie dans la continuité des mouvements initiaux des années 1980 et dans le féminisme de la subsistance – basée sur l’action directe incarnée par les corps qui agissent, qui empêchent, qui bloquent, qui s’installent – pourrait être son chemin.</p>
<p>Un joli pied-de-nez au patriarcat qui, tel que présenté par Françoise d’Eaubonne, réduit les femmes à leurs « corps-objet ». Mais est-ce suffisant pour instaurer un vrai changement de paradigme ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171851/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Magali Trelohan ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En reliant nature et femme par le point commun de la domination, l’écoféminisme ouvre une nouvelle lecture des rapports de pouvoir.Magali Trelohan, Enseignante-chercheuse, marketing social, Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1718662021-11-28T23:06:16Z2021-11-28T23:06:16ZVit-on vraiment le retour des années 1930 ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/433465/original/file-20211123-25-171gkuc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C4%2C923%2C610&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Militants du francisme en 1934. 'Marcel Bucard entraîne [ses partisans] au salut à la Romaine'. Marthe Hanau, Écoutez-moi..., n° 41, 22 décembre 1934.
"</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.vikidia.org/wiki/Ligues_d%27extr%C3%AAme-droite#/media/File:Francisme.jpg">Marthe Hanau/Vikidia</a></span></figcaption></figure><p>« Je mesure la droitisation des esprits, ce danger qui progresse depuis des années : on ne peut pas s’empêcher de penser à l’avant-guerre ». Annie Ernaux, dans cet <a href="https://www.nouvelobs.com/bibliobs/20211118.OBS51133/amour-politique-cinema-etre-une-femme-rencontre-avec-annie-ernaux-dans-sa-maison-de-cergy.html">entretien accordé au <em>Nouvel Obs</em></a>, croit reconnaître les années 1930, pour le pire, dans le visage incertain du monde qui se reconfigure 30 ans après l’espoir d’une <a href="https://www.franceculture.fr/histoire/lhistoire-de-la-fin-de-lhistoire">« fin de l’histoire »</a> marquée par le triomphe de la démocratie libérale sur le bloc soviétique.</p>
<p>Les publicistes sont saisis par l’effroi de l’éternel retour. En 2014, l’universitaire Philippe Corcuff publie <a href="https://www.editionstextuel.com/livre/les-annees-30-reviennent-et-la-gauche-est-dans-le-brouillard"><em>Les années 30 reviennent et la gauche est dans le brouillard</em></a>. En 2017, Farid Abdelouahab et Pascal Blanchard <a href="https://livre.fnac.com/a10176110/Pascal-Blanchard-Les-Annees-30-Et-si-l-histoire-recommencait">s’inquiètent</a> : <em>Les Années 30. Et si l’histoire recommençait</em> ? La quatrième de couverture assume la réduction du raisonnement analogique à la répétition : « Notre présent apparaît comme un fascinant écho de ces années 30 ».</p>
<h2>La hantise de la répétition</h2>
<p>Le philosophe Michaël Foessel relit le passé à partir des préoccupations présentes, avec son <a href="https://www.puf.com/content/R%C3%A9cidive_1938"><em>Récidive. 1938</em></a>, qui interroge plus subtilement la permanence des périls qui ont existé dans les années 1930 ; il se plonge dans la presse de 1938, pris « d’un doute sur la réalité du bégaiement de l’histoire ».</p>
<p>D’autres titres versent dans le prophétisme, pour ne pas dire le simonisme (monnayer des prophéties) comme l’écrit François Langlet, dans <a href="https://www.albin-michel.fr/tout-va-basculer-9782226441942"><em>Tout va basculer</em></a>. La pandémie virale aiguise cette crainte qui prospère depuis le milieu des années 2010. <a href="https://www.commentaire.fr/numeros/automne-2020-171">Un diplomate essayiste</a> voit se lever « l’ombre portée des années 1930 » qui « doit inspirer stupeur et humilité » en levant le regard sur l’avenir. Les hommes politiques ne sont pas immunisés contre cette hantise. L’analogie vient à Manuel Valls en 2014. Le ministre de l’Intérieur trouve à notre temps un « point commun avec les années 1930 » :</p>
<blockquote>
<p>« L’anti-républicanisme et la détestation violente dans les mots comme dans les actes » des valeurs et principes républicains (<em>Le Journal du Dimanche</em>, 2 février 2014).</p>
</blockquote>
<p>Emmanuel Macron, élu à la présidence de la République sur le refus du clivage bi-partisan, donne en novembre 2018 un <a href="https://www.ouest-france.fr/politique/emmanuel-macron/info-ouest-france-emmanuel-macron-le-moment-que-nous-vivons-ressemble-l-entre-deux-guerres-6045961">entretien à <em>Ouest-France</em></a> titré : « Le moment que nous vivons ressemble à l’entre-deux-guerres ».</p>
<p>Le ressort analogique conduit à comparer les difficultés de notre temps à celles des années 1930. La crise financière de 2008 rappelle celle de 1929, avec son lot de malheurs sociaux. L’affirmation de la Chine rappelle le passage de relais de l’entre-deux-guerre au profit des États-Unis.</p>
<h2>Le retour des « égoïsmes nationaux »</h2>
<p>La pandémie mondiale et les réponses apportées, frontières closes, ruées rivales des États sur les moyens de lutte contre la propagation du virus, rappellent le retour des <a href="https://www.babelio.com/livres/Margairaz-LEtat-les-finances-et-leconomie-Histoire-dune-/377471">« égoïsmes nationaux »</a> des années 30, lorsque les gouvernements choisissaient la hausse des tarifs douaniers et les dévaluations compétitives.</p>
<p>La floraison de régimes illibéraux et populistes, enfin, fait craindre le retour des régimes totalitaires qui cernaient la France des années 1930.</p>
<p>L’anticipation d’une catastrophe possible explique probablement notre fascination pour cette décennie qui se termine par la disparition de la démocratie, abîmée dans la défaite, <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/les-orphelins-de-la-republique-olivier-wieviorka/9782021283747">liquidée le 10 juillet 1940 avec la IIIᵉ République</a>.</p>
<h2>Non, nous n’allons pas revivre les années 30, nous les avons déjà vécues</h2>
<p>En dehors de toute réflexion théorique sur la validité de la comparaison entre périodes, l’historien doit rappeler ce truisme que nous n’allons pas revivre les années 30. C’est bien pire : « nous » les avons vécues, nous sommes façonnés par elle et, par-là, nous les vivons encore.</p>
<p>Reste à savoir comment ! Il n’est pas fatal de se laisser happer par cette angoisse mémorielle. Si la hantise de répéter l’expérience passée, et le mécanisme de reproduction compulsif a été identifié dès le début du XX<sup>e</sup> siècle par Sigmund Freud chez ses patients, il a fallu attendre l’aube du XXI<sup>e</sup> siècle pour que le <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-memoire-l-histoire-l-oubli-paul-ric-ur/9782020563321">philosophe Paul Ricœur suggère</a> d’appliquer aux sociétés ce travail d’interprétation des évènements traumatiques, travail de deuil auquel Freud invitait ses patients pour échapper à la répétition pathologique après une perte qui n’a pas été regardée en face.</p>
<p>Les historiens professionnels eux-mêmes, qui ont construit d’artificielles « périodes », ne s’arrachent jamais complètement à l’illusion d’un temps cyclique. Le péril n’est pas « qu’adviennent » à nouveau les années 1930, comme si notre condition historique était passive, mais que nous soyons à ce point traumatisés par le point d’aboutissement de la décennie 1930 que nous ne puissions pas nous <a href="https://www.lepoint.fr/editos-du-point/sebastien-le-fol/pierre-laval-un-cauchemar-francais-17-10-2018-2263513_1913.php">réconcilier avec notre passé</a>, pour qu’il ne pèse plus sur notre devenir comme une fatalité.</p>
<h2>D’autres années 1930</h2>
<p>Peut-on modestement appeler à une meilleure connaissance de ce passé, dans toute l’amplitude de ses potentialités, sans se polariser sur la catastrophe de 1940, pour se réconcilier avec lui – et ne pas subir ses effets ? Lorsqu’en janvier 2021 Marine Le Pen <a href="https://www.lepoint.fr/politique/crise-sanitaire-le-pen-denonce-une-politique-du-chien-creve-au-fil-de-l-eau-25-01-2021-2411055_20.php">fustige</a> « la politique du chien crevé au fil de l’eau » du gouvernement Castex, la presse y voit la reprise d’une attaque de François Fillon ciblant François Hollande huit ans plus tôt.</p>
<p>Elle répète en réalité la pique d’André Tardieu, disciple de Georges Clemenceau, qui visait en 1921 la politique étrangère du président du conseil Aristide Briand formulée en 1921, suspect de détricoter le traité de Versailles.</p>
<p>L’insulte revient sous la plume des journalistes d’extrême droite à l’aube des années 1930, lorsque Tardieu, devenu président du conseil à son tour, maintient Briand au Quai d’Orsay et se rallie à sa politique de conciliation avec l’Allemagne de Weimar. L’Action française fustige inlassablement Tardieu qui contribue au démantèlement du traité de Versailles. Au point que l’emploi de l’expression « chien crevé au fil de l’eau » se généralise dans les journaux de toutes tendances. En 1935, <em>L’Humanité</em> l’applique à Pierre Laval (<em>L’Humanité</em>, « Où nous conduit M. Laval ? Scandale diplomatique ! », le 8 novembre 1935, p. 3] dont la politique étrangère indécise hésite entre la volonté de séparer l’Italie de l’Allemagne nazie et l’exigence juridique de condamner le régime fasciste, agresseur de l’Ethiopie.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/NVPFN9tx9lE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le 30 juin 1936, devant la Société des Nations à Genève, le négus Haïlé Sélassié plaide la cause de son pays, l’Éthiopie, envahi par l’armée de Mussolini.</span></figcaption>
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<p>Cet exemple permet de rappeler les permanences – la réserve rhétorique de Marine Le Pen vient de l’extrême droite des années 1930 – et les discontinuités : Tardieu, inquiet de l’impuissance du parlementarisme, pressé par une partie de son camp de rompre avec la politique de conciliation avec l’Allemagne de Weimar, s’y est rallié – avant de prendre ses distances avec le régime parlementaire.</p>
<h2>Notre présent se fabrique le passé de son choix</h2>
<p>Les années 30 pèsent sur notre temps, mais ne sommes-nous pas aussi les enfants d’autres décennies ? Cette évidence masque un phénomène subtil : selon les époques, tel moment de notre généalogie s’impose au souvenir collectif.</p>
<p>Notre présent se fabrique le passé de son choix. Pour nous représenter les conséquences des années 1930, une <a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre/face-au-passe-essais-sur-la-memoire-contemporaine">mémoire traumatisée</a> par la honte de la défaite et de la Collaboration nous ramène compulsivement à la défaite et la Collaboration.</p>
<p>Un défaut de connaissance ne nous permet pas de situer ces années comme un chaînon dans une généalogie plus longue. Cela permettrait d’amoindrir leur exceptionnalité en dépit du caractère visible des crises qui s’y jouent. Les émeutes du 6 février 1934 et la haine du parlementarisme ; l’abandon des Républicains espagnols, les <a href="https://www.lefigaro.fr/histoire/archives/2018/09/28/26010-20180928ARTFIG00315-accords-de-munich-1938-la-tchecoslovaquie-sacrifiee-sur-l-autel-d-une-paix-illusoire.php">accords de Munich</a> qui cèdent les Sudètes aux nazis ; les élans du Front populaire dissous dans les pleins pouvoirs ; la chute de la III<sup>e</sup> République : ceci est advenu.</p>
<p>Ces traumatismes font-ils perdre confiance dans notre avenir ? Pourtant aucun de ces évènements n’est né en 1930. La question de la compatibilité entre démocratie et représentation court toute <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-histoire/Le-Peuple-introuvable">l’histoire de la modernité politique</a>, avant et après le 6 février 1934.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/433112/original/file-20211122-15-r8j0s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/433112/original/file-20211122-15-r8j0s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/433112/original/file-20211122-15-r8j0s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/433112/original/file-20211122-15-r8j0s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/433112/original/file-20211122-15-r8j0s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/433112/original/file-20211122-15-r8j0s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/433112/original/file-20211122-15-r8j0s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Cavaliers de la garde républicaine mobile contre émeutiers sur la place de la Concorde le 7 février.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Crise_du_6_f%C3%A9vrier_1934#/media/Fichier:Place_de_la_Concorde_7_f%C3%A9vrier_1934.jpg%20**">L’Ouest-Éclair, journal républicain du matin, n° 13609, 9 février 1934</a></span>
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</figure>
<p>La non-intervention en Espagne <a href="https://www.cairn.info/revue-histoire-economie-et-societe-2014-2-page-3.htm">s’inscrit dans l’histoire longue</a> d’une expression formulée pour la première fois en 1830 lorsque la France libérale récusait le droit des Puissances conservatrices à réprimer l’émancipation du peuple belge, dominé par le roi de Hollande (la notion devient ambiguë lorsque l’intervention russe en Pologne redevient un outil de répression des révolutions libérales nationales).</p>
<p>L’antisémitisme ? L’affaire Dreyfus a eu lieu avant <a href="https://www.cairn.info/les-grands-proces--9782130558309-page-287.htm">l’affaire Stavisky</a>, cet escroc ayant profité de la complaisance d’élus, de patrons de presse et de magistrats, dont la mort dans des conditions troubles réactive la haine des Juifs récemment immigrés.</p>
<p>La peur de la démocratie sociale des années 1930 ? Elle hérite des journées de juin 1848 ou de la Commune, etc. Pourtant, on compte moins de casquettes d’ouvriers le 6 juin 1934 que de chapeaux bourgeois…</p>
<h2>Dépasser le stade obsessionnel</h2>
<p>Si l’on veut comprendre la richesse des années 1930, on peut partir du souvenir actuel que nous en conservons, à savoir un traumatisme pour l’unité (sommes-nous démocrates ?) et l’identité (qu’est-ce qu’être Français, à l’heure des grands brassages des hommes, des choses, des pratiques et des idées ?), pourvu qu’on n’en reste pas au stade obsessionnel, qui empêche de déployer tout ce qui fut et aurait pu être, et qui résonne dans un temps plus long.</p>
<p>L’analogie de Corcuff, par exemple, qui s’inquiète du retour des années 30, identifie parmi les « nouvelles équipes » qui cherchaient une tierce voie entre libéralisme et communisme, les individus qui ont rallié l’antiparlementarisme fascisant. Ces généalogies pessimistes limitent les années 30 aux trajectoires les plus décevantes des « non conformistes » insatisfaites de matérialisme technophile. Or, les racines de notre prise de conscience écologique, par exemple, procèdent également des <a href="https://theconversation.com/redecouvrir-la-pensee-de-jacques-ellul-pionnier-de-la-decroissance-80624">Jacques Ellul</a>, <a href="https://theconversation.com/bernard-charbonneau-ce-pionnier-meconnu-de-lecologie-francaise-130094">Bernard Charbonneau</a> ou Denis de Rougemont, qui s’inscrivaient dans cette 3<sup>e</sup> voie, porteuse d’autres devenirs que la révolution nationale de Vichy.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171866/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Renaud Meltz a reçu des financements d'organisations publiques.</span></em></p>Si l’on veut comprendre la richesse des années 1930, il nous faut confronter la mémoire que nous en avons tout en dépassant le stade obsessionnel.Renaud Meltz, Historien, Université de Haute-Alsace (UHA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1716822021-11-28T23:06:01Z2021-11-28T23:06:01ZLa liberté académique aux prises avec de nouvelles menaces<p><a href="https://faribaroland.hypotheses.org/10641">Colloques</a>, séminaires, publications (<a href="https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2021-1-page-185.htm">Duclos et Fjeld</a>, <a href="https://www.editions-ulb.be/fr/book/?GCOI=74530100620490">Frangville et alii</a>) : depuis quelques années, et avec une accélération notoire ces derniers mois, le thème de la liberté académique est de plus en plus exploré comme objet scientifique. La liberté académique suscite d’autant plus l’intérêt des chercheurs qu’elle est aujourd’hui, en de nombreux endroits du monde, fragilisée.</p>
<p>La création en 2021 par l’Open Society University Network (un partenariat entre la Central European University et le Bard College à New York) d’un <a href="https://opensocietyuniversitynetwork.org/research/projects/global-observatory/">Observatoire mondial des libertés académiques</a> atteste d’une inquiétante réalité. C’est en effet au moment où des libertés sont fragilisées qu’advient le besoin d’en analyser les fondements, d’en explorer les définitions, de les ériger en objets de recherche, mais aussi de mettre en œuvre un système de veille pour les protéger.</p>
<p>S’il est évident que les régimes autoritaires sont par définition des ennemis des libertés académiques, ce qui arrive aujourd’hui dans des pays démocratiques témoigne de pratiques qui transcendent les frontières entre régime autoritaire et régime démocratique, frontières qui elles-mêmes tendent à se brouiller.</p>
<h2>La liberté académique menacée dans les pays autoritaires…</h2>
<p>S’appuyant sur une régulation par les pairs (la « communauté des compétents ») et une indépendance structurelle par rapport aux pouvoirs, la liberté de recherche, d’enseignement et d’opinion favorise la critique autant qu’elle en est l’expression et l’émanation. Elle est la condition d’une pensée féconde qui progresse par le débat, la confrontation d’idées, de paradigmes, d’axiomes, d’expériences.</p>
<p>Cette liberté dérange en contextes autoritaires, où tout un répertoire d’actions s’offre aux gouvernements pour museler les académiques : outre l’emprisonnement pur et simple, dont sont victimes des collègues – on pense notamment à <a href="http://www.sciencespo.fr/a-propos-fariba-adelkhah-roland-marchal-ce-que-on-sait">Fariba Adelkhah</a>, prisonnière scientifique en Iran ; à <a href="https://www.scholarsatrisk.org/2021/11/ahmadreza-djalali-honored-with-2021-courage-to-think-award/">Ahmadreza Djalali</a>, condamné à mort en Iran ; à <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/10/24/le-prix-sakharov-decerne-a-ilham-tohti-dissident-ou%C3%AFgour-emprisonne_6016757_3210.html">Ilham Tohti</a>, dont on est sans nouvelles depuis sa condamnation à perpétuité en Chine, et à des dizaines d’autres académiques ouïghours disparus ou emprisonnés sans procès ; à <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Russie-proces-sans-fin-Iouri-Dmitriev-historien-goulags-2021-06-23-1201162703">Iouri Dmitriev</a>, condamné à treize ans de détention en Russie –, les régimes autoritaires mettent en œuvre poursuites judiciaires et criminalisation, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/11/06/turquie-can-candan-l-enseignant-banni-de-l-universite-du-bosphore_6101200_3210.html">licenciements abusifs</a>, harcèlement, surveillance et intimidation.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1359630006993977348"}"></div></p>
<p>L’historien turc Candan Badem parlait en 2017 <a href="https://www.universityworldnews.com/post.php?story=20170209130103311">d’académicide</a> pour qualifier la vague de répression qui s’abattait dans son pays sur les <a href="https://theconversation.com/nous-avons-un-devoir-de-solidarite-a-legard-des-universitaires-et-etudiants-turcs-pour-la-paix-88512">« universitaires pour la paix »</a>, criminalisés pour avoir signé une <a href="https://barisicinakademisyenler.net/English">pétition</a> pour la paix dans les régions kurdes. La notion de « crime contre l’histoire », forgée par l’historien Antoon de Baets, a été reprise en 2021 par la <a href="https://www.fidh.org/IMG/pdf/rapport_russie_pad_fr_web.pdf">FIDH</a> et l’historien <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/06/10/comment-vladimir-poutine-baillonne-les-historiens-pour-mieux-reecrire-l-histoire-de-la-russie_6083548_3210.html">Grigori Vaïpan</a>) pour qualifier les atteintes portées à l’histoire et aux historiens en Russie. Ce crime contre l’histoire en Russie s’amplifie avec les <a href="https://www.opendemocracy.net/en/odr/keeping-memory-alive-the-vital-work-of-russias-memorial-organisation-is-under-threat/">attaques récentes contre l’ONG Memorial</a> menacée de dissolution.</p>
<p>En effet, loin d’être l’apanage des institutions académiques officielles, la liberté académique et de recherche, d’une grande rigueur, se déploie parfois de façon plus inventive et courageuse dans des structures de la société civile. En Biélorussie, le sort de <a href="https://www.cercec.fr/actualite/appel-a-la-liberation-de-tatiana-kouzina-et-a-la-fin-des-repressions-contre-le-monde-academique-au-belarus/">Tatiana Kuzina</a>, comme celui d’Artiom Boyarski, jeune chimiste talentueux emprisonné pour avoir refusé publiquement une bourse du nom du président Loukachenko, ne sont que deux exemples parmi des dizaines et des dizaines de chercheurs menacés, dont une grande partie a déjà pris le chemin de l’exil depuis l’intensification des répressions après les élections d’août 2020 et la mobilisation qui s’en est suivie.</p>
<p>La liste ci-dessus n’est bien sûr pas exhaustive, les cas étant nombreux dans bien des pays – on pense, par exemple, à celui de <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/04/30/la-condamnation-de-l-islamologue-said-djabelkhir-marque-la-derive-rigoriste-de-la-justice-algerienne_6078637_3212.html">Saïd Djabelkhir</a> en Algérie.</p>
<h2>… mais aussi dans les démocraties</h2>
<p>Les régressions que l’on observe au sein même de l’Union européenne – le cas du <a href="https://www.courrierinternational.com/revue-de-presse/luniversite-deurope-centrale-budapest-poussee-lexil">déménagement forcé</a> de la Central European University de Budapest vers Vienne, sous la pression du gouvernement de Viktor Orban, en est un exemple criant – montrent que les <a href="https://www.routledge.com/When-Democracies-Collapse-Assessing-Transitions-to-Non-Democratic-Regimes/Tomini/p/book/9780367888572">dérives anti-démocratiques</a> se déclinent dans le champ académique, après que d’autres libertés – liberté de la presse, autonomie de la société civile – ont été atteintes.</p>
<p>Les pays considérés comme démocratiques ne sont pas épargnés non plus par les tentatives des autorités politiques de peser sur les recherches académiques. Récemment, en France, les ministres de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur ont affirmé que le monde académique serait <a href="https://www.liberation.fr/debats/2020/10/23/en-finir-avec-l-islamo-gauchisme_1803361/">« ravagé par l’islamo-gauchisme »</a> et irrespectueux des « valeurs de la République » – des attaques qui ont provoqué un <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/02/20/islamo-gauchisme-nous-universitaires-et-chercheurs-demandons-avec-force-la-demission-de-frederique-vidal_6070663_3232.html">concert de protestations au sein de la communauté des chercheurs</a>. En France toujours, de nombreux <a href="https://www.lhistoire.fr/portrait/rapha%C3%ABlle-branche-la-guerre-est-finie">historiens se sont mobilisés</a> en 2020 contre les modalités d’application d’une instruction interministérielle restreignant l’accès à des fonds d’archives sur l’histoire coloniale, en contradiction avec une loi de 2008.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1355564397314387972"}"></div></p>
<p>Au Danemark, en juin 2021, plus de 260 universitaires spécialistes des questions migratoires et de genre rapportaient quant à eux dans un communiqué public les <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/06/08/la-liberte-academique-en-danger-selon-les-chercheurs-danois_6083281_3210.html">intimidations croissantes</a> subies pour leurs recherches qualifiées de « gauchisme identitaire » et de « pseudo-science » par des députés les accusant de « déguiser la politique en science ».</p>
<p>D’autres offensives peuvent être menées de façon plus sournoise, à la faveur de politiques néolibérales assumées et de mise en concurrence des universités et donc du champ du savoir et de la pensée. La conjonction de logiques <a href="https://www.lecho.be/economie-politique/international/general/ahmet-insel-economiste-et-politologue-le-national-capitalisme-autoritaire-est-un-vrai-danger/10298930.html">libérales sur le plan économique et autoritaires sur le plan politique</a> conduit à la multiplication de politiques souvent largement assumées par les États eux-mêmes : accréditations sélectives, retrait de financements à des universités ou à certains programmes – les objets plus récents et fragiles comme les études de genre ou études sur les migrations se trouvant souvent en première ligne.</p>
<p>Ce brouillage entre régimes politiques, conjugué à la marchandisation du savoir, trouve également à s’incarner dans la façon dont des acteurs issus de régimes autoritaires viennent s’installer au sein du monde démocratique : c’est le cas notamment de la <a href="https://www.rtbf.be/info/regions/detail_l-ulb-cesse-sa-collaboration-avec-l-institut-confucius-cela-generait-trop-peu-de-retombees-et-d-activites-academiques?id=10390704">Chine</a> avec l’implantation d’<a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/07/08/les-instituts-confucius-en-france-de-si-discrets-relais-chinois_6087437_3210.html">Instituts Confucius</a> au cœur même des universités, qui conduisent, dans certains cas, à des logiques d’autocensure ; ou de l’afflux d’étudiants fortunés en provenance de pays autoritaires, qui par leurs frais d’inscriptions très élevés renflouent les caisses d’universités désargentées, <a href="https://about.uq.edu.au/chancellor/speeches-and-articles/australian-universities-and-china">comme en Australie</a>.</p>
<p>Ces logiques de dépendance financière obèrent l’essence et la condition même de la recherche académique : son indépendance. Plus généralement, la marchandisation de l’enseignement supérieur, conséquence de son sous-financement public, menace l’intégrité scientifique de chercheurs et d’universités de plus en plus poussées à se tourner vers des fonds privés.</p>
<h2>La mobilisation de la communauté universitaire</h2>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/432839/original/file-20211119-13-1i94o2q.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/432839/original/file-20211119-13-1i94o2q.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/432839/original/file-20211119-13-1i94o2q.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=904&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/432839/original/file-20211119-13-1i94o2q.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=904&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/432839/original/file-20211119-13-1i94o2q.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=904&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/432839/original/file-20211119-13-1i94o2q.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1136&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/432839/original/file-20211119-13-1i94o2q.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1136&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/432839/original/file-20211119-13-1i94o2q.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1136&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Les auteurs de cet article viennent de publier un ouvrage collectif sur les menaces qui planent sur la liberté académique dans le monde, aux éditions de l’Université libre de Bruxelles.</span>
<span class="attribution"><span class="source">ULB</span></span>
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</figure>
<p>Il y a donc là une combinaison d’attaques protéiformes, à l’aune des changements politiques, technologiques, économiques et financiers qui modifient en profondeur les modalités du travail. La mise en place de programmes de solidarité à destination de chercheurs en danger (<a href="https://www.campusfrance.org/fr/pause-programme-aide-accueil-urgence-scientifiques-exil">PAUSE</a>, bourses <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/diplomatie-scientifique-et-universitaire/veille-scientifique-et-technologique/allemagne/article/la-philipp-schwartz-initiative">Philipp Schwartz</a> en Allemagne, <a href="https://www.ulb.be/fr/actions-solidaires/fonds-de-solidarite-a-destination-de-chercheuses-et-chercheurs-en-danger">bourses de solidarité à l’Université libre de Bruxelles</a>), l’existence d’organisations visant à documenter les attaques exercées sur des chercheurs <a href="https://www.scholarsatrisk.org/">Scholars at Risk</a>, <a href="https://www.scholarrescuefund.org/">International Rescue Fund</a>, <a href="https://www.cara.ngo/who-we-are/partners-and-supporters/cara-scholars-at-risk-uk-universities-network/">CARA</a> et la création de ce tout nouvel observatoire mondial des libertés académiques évoqué plus haut montrent que la communauté académique a pris conscience du danger. Puissent du fond de sa prison résonner les mots de l’historien Iouri Dmitriev : « Les libertés académiques, jamais, ne deviendront une notion abstraite. »</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171682/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Vanessa Frangville a reçu des financements du FNRS</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Pierre-Etienne Vandamme a reçu des financements du FNRS. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Aude Merlin et Jihane Sfeir ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>La liberté de recherche et d’enseignement des universitaires est, sans surprise, gravement menacée dans les pays autoritaires. Mais qu’en est-il dans les pays démocratiques ?Vanessa Frangville, Professeur d’études chinoises, Université Libre de Bruxelles (ULB)Aude Merlin, Chargée de cours en science politique à l'Université libre de Bruxelles, spécialiste de la Russie et du Caucase, membre du Cevipol, Université Libre de Bruxelles (ULB)Jihane Sfeir, Historienne, Université Libre de Bruxelles (ULB)Pierre-Etienne Vandamme, Chercheur en théorie politique, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1701592021-11-03T19:22:34Z2021-11-03T19:22:34ZLe paradoxe de Simpson illustré par des données de vaccination contre le Covid-19<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/429323/original/file-20211029-17-ixzmi8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=70%2C60%2C6639%2C4406&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Quand on compare les statistiques concernant deux groupes différents (par exemple deux catégories de la population : vaccinés/non vaccinés), il faut faire attention à savoir si leurs caractéristiques ne sont pas trop éloignées, pour ne pas interpréter les résultats de manière erronée.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/wQLAGv4_OYs">Lucas Benjamin, Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>L’utilisation de statistiques peut être la source de résultats complètement contre-intuitifs, bien que démontrés rigoureusement. C’est ce que l’on appelle des <em>paradoxes</em> : un paradoxe n’est pas un résultat faux ou incompatible avec un autre résultat mais un résultat incompatible avec notre intuition.</p>
<h2>Le paradoxe de Simpson</h2>
<p>L’un des paradoxes de statistique les plus troublants est le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Paradoxe_de_Simpson">paradoxe de Simpson</a>, qui stipule qu’il est possible qu’un même phénomène ait lieu à l’intérieur de différents groupes, mais que ce phénomène s’inverse lorsque les groupes sont rassemblés. Il est à l’origine de nombreuses erreurs d’interprétations, même pour des mathématiciens aguerris.</p>
<p>En voici un exemple marquant, que nous avons trouvé <a href="https://www.gov.uk/government/publications/investigation-of-novel-sars-cov-2-variant-variant-of-concern-20201201">dans les données d’hospitalisation et de vaccination en Angleterre</a>.</p>
<p>Dans ces rapports, qui donnent les statuts de vaccinations des personnes hospitalisées du variant Delta du Covid entre juin et septembre 2021 (les données, les références complètes et les calculs sont donnés dans cet <a href="https://www.lpsm.paris/pageperso/bergerq/ParadoxeSimpson.pdf">annexe</a>), on observe que :</p>
<ol>
<li><p>parmi les moins de 50 ans, le taux de mortalité est environ 1,8 fois <em>plus</em> élevé chez les non-vaccinés que chez les vaccinés (ou partiellement vaccinés) ;</p></li>
<li><p>parmi les plus de 50 ans, le taux de mortalité est environ 6,3 fois <em>plus</em> élevé chez les non-vaccinés que chez les vaccinés (ou partiellement vaccinés) ;</p></li>
<li><p>par contre, dans la population prise dans son ensemble, le taux de mortalité est environ 1,3 fois <em>moins</em> élevé chez les non-vaccinés que chez les vaccinés (ou partiellement vaccinés).</p></li>
</ol>
<p>Deux observations s’imposent. Premièrement, la dernière affirmation semble contredire les deux précédentes : comment expliquer que le vaccin abaisse le taux de mortalité à la fois parmi les plus de 50 ans et parmi les moins de 50 ans, mais l’augmente si l’on considère la population dans son ensemble ?</p>
<p>Deuxièmement (et de manière plus inquiétante), si l’on se base sur les moins de 50 ans et les plus de 50 ans séparément (c’est-à-dire si on regarde les points 1 et 2) ou si l’on considère la population prise dans son ensemble (c’est-à-dire si on regarde le point 3, sans différencier les plus ou moins de 50 ans), on aboutit à des conclusions complètement opposées quant à l’efficacité du vaccin. Plus précisément, si on regarde les points 1 et 2, le vaccin semble efficace pour réduire la mortalité, à la fois chez les moins de 50 ans et chez les plus de 50 ans. Tandis que si l’on considère la population dans son ensemble (c’est-à-dire le point 3), il paraît tout à fait légitime de conclure que le vaccin n’est pas du tout efficace, voire dangereux.</p>
<h2>Explication du paradoxe</h2>
<p>Les chiffres précis que l’on a donnés plus haut sont présentés en <a href="https://www.lpsm.paris/pageperso/bergerq/ParadoxeSimpson.pdf">annexe</a>, mais donnons ici une explication générale de la façon dont ce paradoxe peut se produire.</p>
<p>L’idée principale est que la proportion de personnes vaccinées est très différente chez les plus de 50 ans (<a href="https://www.england.nhs.uk/statistics/statistical-work-areas/covid-19-vaccinations/covid-19-vaccinations-archive/">environ 95 % sur la période juin-septembre</a> d’après la NHS) et chez les moins de 50 ans (<a href="https://www.england.nhs.uk/statistics/statistical-work-areas/covid-19-vaccinations/covid-19-vaccinations-archive/">environ 50 % sur la période juin-septembre</a>).</p>
<p>En effet, parmi les personnes non vaccinées, une grande proportion a moins de 50 ans et possède un taux de mortalité faible (en <a href="https://www.gov.uk/government/publications/covid-19-reported-sars-cov-2-deaths-in-england/covid-19-confirmed-deaths-in-england-to-31-august-2021-report">raison de leur âge</a>). En revanche, parmi les personnes vaccinées une grande proportion a plus de 50 ans et possède un taux de mortalité plus élevé (même en étant vacciné). Cela explique que, dans la population totale, le taux de mortalité des non-vaccinés puisse être inférieur au taux de mortalité des vaccinés.</p>
<p>Voici une représentation visuelle où le paradoxe apparaît de manière claire, avec des données caricaturales pour rendre le phénomène plus apparent :</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/427760/original/file-20211021-23-2wngwp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/427760/original/file-20211021-23-2wngwp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=252&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/427760/original/file-20211021-23-2wngwp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=252&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/427760/original/file-20211021-23-2wngwp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=252&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/427760/original/file-20211021-23-2wngwp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=317&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/427760/original/file-20211021-23-2wngwp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=317&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/427760/original/file-20211021-23-2wngwp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=317&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Illustration du paradoxe de Simpson avec des données caricaturales : chaque personne est représentée par un carré, la couleur du carré correspondant à une classe d’âge, la teinte foncée ou claire au statut de vaccination ; une petite croix représente un décès. On peut comparer facilement les taux de mortalité dans chaque classe d’âge et par statut de vaccination.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Quentin Berger et Francesco Caravenna</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Si l’on considère les personnes de moins de 50 ans ou de plus de 50 ans comme deux groupes séparés, il est clair que les taux de mortalité sont moins élevés dans la population vaccinée :</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/429318/original/file-20211029-27-3wa2s0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/429318/original/file-20211029-27-3wa2s0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=221&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/429318/original/file-20211029-27-3wa2s0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=221&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/429318/original/file-20211029-27-3wa2s0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=221&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/429318/original/file-20211029-27-3wa2s0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=278&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/429318/original/file-20211029-27-3wa2s0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=278&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/429318/original/file-20211029-27-3wa2s0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=278&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Pour le groupe des moins de 50 ans (bleu), le taux de mortalité est plus élevé chez les non-vaccinés (2,2 %) que chez lez vaccinés (0 %). Pour le groupe des plus de 50 ans (rouge), le taux de mortalité est plus élevé chez les non-vaccinés (40 %) que chez les vaccinés (13,3 %).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Quentin Berger et Francesco Caravenna</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Toutefois, si l’on considère la population dans son ensemble, le taux de mortalité devient plus élevé parmi les vaccinés que parmi les non-vaccinés, comme on le voit sur la figure suivante :</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/429316/original/file-20211029-15-1j1pqma.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/429316/original/file-20211029-15-1j1pqma.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=221&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/429316/original/file-20211029-15-1j1pqma.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=221&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/429316/original/file-20211029-15-1j1pqma.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=221&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/429316/original/file-20211029-15-1j1pqma.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=278&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/429316/original/file-20211029-15-1j1pqma.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=278&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/429316/original/file-20211029-15-1j1pqma.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=278&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Pour la population dans son ensemble, le taux de mortalité est plus élevé parmi les vaccinés (bleu foncé et rouge foncé, 12 %) que parmi les non-vaccinés (bleu clair et rouge clair, 6 %).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Quentin Berger et Francesco Caravenna</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>On voit que cela est dû au fait que parmi les personnes vaccinées, la plupart sont âgées de plus de 50 ans.</p>
<h2>Quelles conclusions en tirer ?</h2>
<p>Que conclure alors de ce paradoxe et de son explication ? Tout d’abord, qu’il faut prendre des précautions lorsque l’on manipule des statistiques et notamment lorsque l’on considère des groupes aux caractéristiques très différentes. En quelques mots, le paradoxe de Simpson tient dans le fait que le taux de vaccination est très variable d’une classe d’âge à l’autre : il est donc important de comparer l’efficacité du vaccin à l’intérieur de chaque classe d’âge, qui possède des caractéristiques plus homogènes.</p>
<p>Rassembler les différentes classes d’âge introduit ce que l’on appelle un « biais de sélection » : la population vaccinée est biaisée du côté de la population fragile (plus âgée) tandis que la population non vaccinée est biaisée du côté de la population moins fragile (plus jeune). Par conséquent, comparer le taux de mortalité chez les vaccinés et chez les non-vaccinés revient de facto à comparer une population plutôt âgée et une population plutôt jeune. L’affirmation que le taux de mortalité dans la population est plus élevé chez les vaccinés est donc foncièrement faussée par la grande variabilité du taux de vaccination pour les différentes tranches d’âge.</p>
<h2>De la difficulté d’interpréter les statistiques</h2>
<p>De façon plus générale, la problématique du biais de sélection est bien connue en statistique et fait partie des erreurs d’interprétation les plus courantes.</p>
<p>Un exemple classique est celui du statisticien Abraham Wald qui, durant la Seconde Guerre mondiale, après avoir observé tous les avions revenus du combat, recommanda de blinder les endroits où ceux-ci avaient été le <em>moins</em> touchés par des impacts de balles… Le raisonnement était que ces endroits constituaient les points les plus critiques pour le fonctionnement des avions et que ceux qui y étaient touchés avaient moins de chance de revenir du combat. Il s’agissait d’une manière de corriger ce qui est connu comme le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Biais_des_survivants">« biais des survivants »</a>, qui consiste à faire des statistiques en ne conservant que les données de ceux qui survivent.</p>
<p>Les biais de sélection, qu’ils soient conscients ou non, font d’ailleurs souvent partie intégrante du procédé de récolte de données statistiques, ce qu’on voit bien dans l’exemple précédent. Il est important de savoir quels biais sont présents, pour corriger leur effet. Ainsi, le fait de comparer les taux de mortalité parmi les non-vaccinés et parmi les vaccinés comporte des biais d’âge, comme expliqué plus haut : une façon de corriger ce biais est de considérer les taux de mortalité pour les non-vaccinés et pour les vaccinés pour des tranches d’âge restreintes, à l’intérieur desquelles le taux de vaccination est stable.</p>
<p>Pour conclure, les paradoxes sont là pour nous rappeler, de manière particulièrement saisissante, les écueils à éviter. Grâce à leur côté surprenant, ils nous marquent et nous aident à aiguiser notre intuition, ou au moins à s’en méfier. Ils nous rappellent que personne n’est infaillible et qu’il n’est pas toujours facile ni immédiat de démêler certains problèmes, même simples : ils nous poussent à entraîner et approfondir notre réflexion, avec humilité.</p>
<hr>
<p><em>Pour les amateurs de paradoxes, en voici quelques-uns parmi les plus classiques dans le domaine des probabilités : le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Paradoxe_des_anniversaires">paradoxe des anniversaires</a>, le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Paradoxe_de_Bertrand">paradoxe de Bertrand</a>, le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Probl%C3%A8me_de_Monty_Hall">problème de Monty Hall</a>, le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Paradoxe_des_prisonniers">paradoxe des prisonniers</a>, le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Paradoxe_des_deux_enfants">paradoxe des enfants</a>…</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/170159/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les paradoxes défient notre intuition, mais possèdent des explications logiques. Ici, le paradoxe de Simpson éclaircit ce qui peut paraître étrange dans les données de vaccination Covid.Quentin Berger, Maître de conférence, Sorbonne UniversitéFrancesco Caravenna, Full Professor of Mathematics (Probability and Statistics), University of Milano-BicoccaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1544932021-02-03T20:24:14Z2021-02-03T20:24:14ZCommuniquer sur le nombre de décès de la Covid-19 est-il pertinent ?<p>Faire en sorte que les chiffres qui circulent soient de bonne tenue : tel semble être devenu l’alpha et l’oméga des arbitrages rendus par les décideurs du monde entier en ces temps de pandémie. </p>
<p>Mais l’information disponible aujourd’hui doit-elle nécessairement éclipser, dans la prise de décision, des informations plus pertinentes à rechercher demain ?</p>
<p>Plus qu’un débat sociétal sur la <a href="https://www.decitre.fr/livres/france-anti-jeune-9782353410316.html">justice générationnelle</a> ou sur notre <a href="https://theconversation.com/fin-de-vie-ce-que-la-suisse-et-le-canada-nous-apprennent-sur-laide-a-mourir-97808">relation à la mort</a>, il est ici question d’une dérive bien connue des contrôleurs de gestion dans le secteur public.</p>
<p>Le nombre de décès lié à la Covid ne doit pas être un tabou, faut-il pour autant l’ériger en totem ? Communiquer précisément et quotidiennement sur ce chiffre, comme le fait Santé publique France dans son <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/dossiers/coronavirus-covid-19/coronavirus-chiffres-cles-et-evolution-de-la-covid-19-en-france-et-dans-le-monde">tableau de bord</a> répond certes à des exigences d’information et de transparence. Mais en mettant en avant cette morbide comptabilité, nos gouvernants ne se contraignent-ils pas à prendre de mauvaises décisions ?</p>
<p>Les contrôleurs de gestion connaissent bien la loi de Goodhart, du nom de l’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Goodhart">économiste britannique</a>. On peut la résumer ainsi : lorsque la mesure devient la cible, elle cesse d’être une bonne mesure.</p>
<p>Bien sûr, apprécier la qualité de la réponse gouvernementale à la pandémie sur la base de l’évolution des décès qui y sont immédiatement imputables a du sens : la donnée est disponible grâce à des circuits de remontée d’informations éprouvés, elle est <em>a priori</em> objective et peu contestable. Mais ce choix présente deux écueils majeurs.</p>
<h2>Ne pas privilégier les seuls indicateurs immédiatement disponibles</h2>
<p>Le premier écueil, c’est de privilégier l’information disponible aux dépens de l’information pertinente.</p>
<p>Prenons un exemple. Le succès d’une politique publique de formation professionnelle s’apprécie-t-il au nombre d’heures de cours dispensés (l’<em>output</em> de la politique publique, pour reprendre la terminologie anglo-saxonne, ce qui est produit à court terme) ou bien au nombre de personnes formées ayant trouvé un travail dans les trois mois qui suivent la formation (son <em>outcome</em>, les résultats obtenus à moyen-long terme) ?</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1354312571571101696"}"></div></p>
<p>La seconde information est certes plus longue et difficile à obtenir (nécessité d’un suivi dans le temps des personnes formées), et elle est surtout en (plus ou moins) grande partie déconnectée de la qualité du travail fourni par la seule institution.</p>
<p>Il n’en reste pas moins qu’elle doit, <em>a minima</em>, être intégrée dans l’appréciation de ce qui a été fait. Pour paraphraser <a href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=25802.html">Maitre Yoda, incontestablement expert du temps long</a>, la donnée disponible est certes plus facile, plus rapide, plus séduisante, mais au final elle nous éloigne parfois de la lumière.</p>
<p>Ainsi, pour le sujet qui est le nôtre, il faut naturellement prendre en compte les décès attribués au jour le jour à la pandémie, mais pas seulement.</p>
<p>À moyen terme, il convient de prendre en compte les périodes de <a href="https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/034000581.pdf">sous-mortalité dite compensatrice</a> (<em>harvesting effect</em> en anglais, pour une image plus agricole), qu’elles soient concomitantes ou postérieures : elles nous invitent à réexaminer les chiffres bruts des décès liés au virus, qui dans certains cas n’aura fait que précipiter de quelques jours ou semaines des décès médicalement inéluctables.</p>
<p>À long terme, il faut aussi prendre en compte les pertes d’espérance de vie liées, en partie, aux mesures prises pour lutter à court terme contre ladite pandémie : des outils existent pour cela, comme les <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/5012724">bilans démographiques de l’Insee</a>. L’espérance de vie à la naissance l’an dernier a ainsi diminué de 0,5 an pour les hommes et de 0,4 an pour les femmes. Et cette chute trouve son origine dans la crise sanitaire bien sûr mais aussi dans la crise économique résultant des confinements successifs.</p>
<p>Ne nous méprenons pas : il est évident que nos gouvernants intègrent dans leur processus de décision ces informations pertinentes dans le temps long mais parfois indisponibles ou partiellement disponibles dans le temps court. Mais communiquent-ils suffisamment sur ces données ?</p>
<h2>Ne pas privilégier un seul indicateur</h2>
<p>Car le second écueil lié à l’identification d’une cible quasi exclusive, c’est d’aboutir à des décisions que les acteurs eux-mêmes savent parfois, au fond d’eux-mêmes, peu opportunes.</p>
<p>Lorsqu’on se pense, à tort ou à raison, être jugé sur une donnée, alors elle peut devenir l’unique moteur de votre action. C’est pourquoi l’utilisation du chiffre comme base de l’évaluation dans les organisations publiques doit toujours être instaurée d’une main tremblante.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/382007/original/file-20210202-21-5f4b1z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/382007/original/file-20210202-21-5f4b1z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/382007/original/file-20210202-21-5f4b1z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/382007/original/file-20210202-21-5f4b1z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/382007/original/file-20210202-21-5f4b1z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/382007/original/file-20210202-21-5f4b1z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=376&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/382007/original/file-20210202-21-5f4b1z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=376&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/382007/original/file-20210202-21-5f4b1z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=376&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Données concernant la pandémie de Covid-19 en France du 1/2/2021.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gouvernement.fr/info-coronavirus/carte-et-donnees">Santé publique France</a></span>
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<p>L’ouvrage collectif <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/statactivisme-9782355220548"><em>Statactivisme</em></a> publié en 2014 nous alertait déjà sur les dérives constatées en la matière. Décréter que vous appréciez le travail d’un policier sur le nombre d’infractions qu’il aura constatées et vous verrez rapidement se multiplier les situations multi-infractionnelles (un acte, plusieurs infractions).</p>
<p>Ériger la réduction des délais de traitement d’une tâche administrative en priorité absolue et vous verrez d’une part d’autres missions moins surveillées s’effondrer dans le silence et d’autre part ces délais s’améliorer sans que parfois les services ne soient dans la réalité plus réactifs. Car au final aucune mesure ne peut parfaitement et totalement incarner l’action d’une personne, et encore moins d’une institution. Vouloir le faire reste le meilleur moyen d’améliorer la mesure… et de dégrader l’action.</p>
<p>La critique est facile mais l’art est difficile, nous le savons tous. Nous pouvons néanmoins nous accorder sur un point : que plusieurs données éclairent la décision est une bonne chose, qu’une seule donnée dicte la décision n’en est pas une.</p>
<h2>L’inversion de la courbe (saison 2)</h2>
<p>Après avoir vu son prédécesseur lutter pendant des années contre une seule promesse chiffrée (<a href="https://www.lesechos.fr/2016/08/linversion-forcee-1112280">l’inversion de la courbe du chômage</a>) dont la quête mobilisa parfois actions court-termistes et, selon certains de ses contempteurs, <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2013/09/05/en-modifiant-ses-questionnaires-l-insee-fait-virtuellement-baisser-le-chomage_3471383_823448.html">artifices statistiques</a>, il est étonnant de voir le Président de la République s’astreindre à un tel exercice.</p>
<p>De façon informelle certes, car il n’est nulle part dit que le seul objectif est de limiter le nombre de décès. Remarquons cependant que la communication est bien moindre sur les autres indicateurs qui alimentent pourtant la prise de décision.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1356578425834790912"}"></div></p>
<p>Est-il pertinent d’appliquer le <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/12/29/quoi-qu-il-en-coute-une-doctrine-de-crise-au-sommet-de-l-etat_6064715_823448.html">« quoi qu’il en coûte »</a> à la seule maîtrise du nombre de décès ? La bonne tenue de cet indicateur n’est pas gage de qualité de l’action gouvernementale.</p>
<p><a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/vacciner-sdf-covid-exemples-du-vatican-et-du-danemark_fr_600983e8c5b697df1a0c9bf1">D’autres pays</a> ont fait le choix de protéger par le vaccin des publics moins susceptibles de décéder à court terme, s’exposant ainsi à une « mauvaise note » en la matière. Sont-ils nécessairement dans le faux ?</p>
<p>Finalement, ce n’est pas chez son prédécesseur mais chez un autre ancien président de la République que l’actuel locataire de l’Élysée aurait pu chercher l’inspiration en ces temps troubles. Jacques Chirac, en bon japonophile, lui aurait certainement glissé ce proverbe zen : celui qui atteint sa cible rate tout le reste.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/154493/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thomas Eisinger est membre du Bureau de l'AFIGESE</span></em></p>Compter les décès de la Covid s’apparente à une figure imposée pour nos gouvernants. Mais, en mettant en avant cette morbide comptabilité, ne se contraignent-ils pas à prendre de mauvaises décisions ?Thomas Eisinger, Professeur associé en droit, gestion financière et management des collectivités, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1525892021-01-05T19:11:53Z2021-01-05T19:11:53ZLes bars et les cafés alimentent aussi notre créativité<p>Tandis que la pandémie contraint des milliers de petits commerces à fermer temporairement ou à <a href="https://www.washingtonpost.com/business/on-small-business/small-businesses-are-dying-by-the-thousands--and-no-one-is-tracking-the-carnage/2020/08/11/660f9f52-dbda-11ea-b4f1-25b762cdbbf4_story.html">mettre la clé sous la porte</a>, les conséquences de la disparition du bistrot du coin vont au-delà de la simple perte économique.</p>
<p>Elles impliquent aussi une perte collective de créativité.</p>
<p>Des chercheurs ont montré comment la pensée créative pouvait être cultivée grâce à des habitudes simples : <a href="https://www.huffpost.com/entry/exercise-creativity-physical-activity_n_4394310">faire de l’exercice</a> physique, <a href="https://www.theatlantic.com/science/archive/2018/05/sleep-creativity-theory/560399/">dormir suffisamment</a>, <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1871187111000447">lire</a>, etc. Mais les échanges non planifiés avec des amis proches, des connaissances ou de parfaits inconnus sont aussi un <a href="https://www.gensler.com/research-insight/blog/fostering-casual-collisions-and-creativity-in-a-virtual">catalyseur de créativité</a>. La fermeture des cafés (et des bibliothèques, salles de sport et musées) nous prive de ces occasions.</p>
<p>Bien sûr, toutes les rencontres fortuites ne génèrent pas des idées géniales. Pourtant, quand nous passons d’un lieu à un autre, chacune de nos interactions sociales plante une petite graine qui, en germant, peut devenir une nouvelle source d’inspiration.</p>
<p>Quand nous sommes privés des rencontres et des moments d’observation qui titillent notre curiosité, de nouvelles idées, petites ou grandes, restent dans les limbes.</p>
<h2>Ce n’est pas la caféine qui fait la différence, mais les gens</h2>
<p>On a souvent l’impression que les idées et les œuvres d’artistes, d’écrivain·e·s et de scientifiques reconnu·e·s sont le fruit de leur seul esprit. Or c’est faux. Même les idées des poète·sse·s, des mathématicien·ne·s et des théologien·ne·s les moins sociables sont issues de débats plus vastes avec leurs pairs ou constituent des réactions au monde extérieur.</p>
<p>Comme l’écrit l’auteur Steven Johnson dans <a href="https://www.penguinrandomhouse.com/books/299687/where-good-ideas-come-from-by-steven-johnson/"><em>Where Good Ideas Come From</em></a> (<em>D’où viennent les bonnes idées</em>), la « meilleure façon d’avoir une bonne idée, ce n’est pas de rester assis tout·e seul·e dans sa tour d’ivoire en essayant d’avoir des pensées grandioses » mais d’« aller se balader », de « garder l’esprit ouvert aux heureux effets du hasard » et de « fréquenter les cafés et autres débits de boisson où l’on peut rencontrer du monde ».</p>
<p>Tout comme les auteur.trice·s d’aujourd’hui utilisent parfois les cafés comme un second bureau, c’est dans les salons de thé et les cafés de Londres au XVIIIe siècle qu’est né le <a href="https://www.archdaily.com/353496/can-architecture-make-us-more-creative">Siècle des Lumières</a>. Les gens sentaient déjà instinctivement qu’ils étaient « plus productifs et <a href="https://www.creativitypost.com/business/the_real_reason_coffee_shops_boost_productivity#sthash.YrQZsnpi.dpuf">plus créatifs</a> quand ils travaillaient dans les cafés », assure David Burkus, auteur de <em>The Myths of Creativity</em> (<em>Les Mythes de la créativité</em>). Comme les études le montrent, ce n’est pas la caféine qui fait la différence ; ce sont les gens. Le simple fait d’être entouré·e de personnes qui travaillent <a href="https://www.newscientist.com/article/2090717-do-you-get-your-best-work-done-in-coffee-shops-heres-why/#:%7E:text=The%20idea%20that%20working%20in,improves%20performance%20on%20creative%20tasks">peut nous encourager à en faire de même</a>.</p>
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<img alt="A painting of a cafe with tables and people closely packed together." src="https://images.theconversation.com/files/375161/original/file-20201215-16-dvh0yu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/375161/original/file-20201215-16-dvh0yu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=430&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/375161/original/file-20201215-16-dvh0yu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=430&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/375161/original/file-20201215-16-dvh0yu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=430&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/375161/original/file-20201215-16-dvh0yu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=540&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/375161/original/file-20201215-16-dvh0yu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=540&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/375161/original/file-20201215-16-dvh0yu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=540&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Bondés, chaotiques et riches d’inspiration.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/cafe-1940-found-in-the-collection-of-collezione-giuseppe-news-photo/919871468">Heritage Images via Getty Images</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En d’autres termes, la créativité est sociale.</p>
<p>Elle est aussi contextuelle. L’environnement bâti joue un rôle méconnu mais crucial. Au Royaume-Uni, par exemple, des chercheurs en architecture ont découvert que <a href="https://doi.org/10.1016/j.buildenv.2015.02.013">l’ergonomie de la salle de classe</a> avait un impact sur le rythme d’apprentissage des élèves. Certaines caractéristiques de la pièce, comme le mobilier ou l’éclairage, jouent un rôle aussi important que les enseignants. Dans les cafés, la créativité est elle aussi affectée par la décoration et l’ameublement.</p>
<h2>Concevoir un environnement propice à la créativité</h2>
<p>Les bâtiments <a href="https://9foundations.forhealth.org/">influent</a> sur un grand nombre de facultés humaines. La température et l’humidité, par exemple, affectent notre capacité à nous concentrer. La lumière du jour a un effet positif sur la productivité, la gestion du stress et le système immunitaire. Quant à la qualité de l’air, déterminée par les systèmes de climatisation et la composition chimique du mobilier et des matériaux d’intérieur comme la moquette, affectent à la fois notre santé respiratoire et notre santé mentale. On a même établi un <a href="https://www.npr.org/templates/story/story.php?storyId=6247700">lien</a> entre l’architecture et le bonheur.</p>
<p>De la même façon, un café bien pensé stimule la créativité – et les rencontres imprévues peuvent être source d’innovation.</p>
<p>Deux établissements récents, le <a href="https://www.archdaily.com/948251/kilogram-coffee-shop-pranala-associates?ad_source=search&ad_medium=search_result_projects">Kilogram Coffee Shop</a> en Indonésie et le <a href="https://www.designboom.com/architecture/davidson-rafailidis-cat-cafe-buffalo-ny-zig-zag-brick-wall-12-11-2020/">Buckminster’s Cat Café</a> à Buffalo, dans l’État de New York, aux États-Unis, ont été conçus avec ce type d’interactions à l’esprit.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Ceiling-to-floor windows and compact tables are features of the cafe." src="https://images.theconversation.com/files/375239/original/file-20201215-15-1a3h7ny.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/375239/original/file-20201215-15-1a3h7ny.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/375239/original/file-20201215-15-1a3h7ny.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/375239/original/file-20201215-15-1a3h7ny.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/375239/original/file-20201215-15-1a3h7ny.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/375239/original/file-20201215-15-1a3h7ny.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/375239/original/file-20201215-15-1a3h7ny.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le Buckminster’s Cat Cafe à Buffalo, dans l’État de New York, aux États-Unis.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Florian Holzherr</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<p>Leur disposition horizontale et ouverte encourage les gens à se regrouper, augmentant ainsi les chances de faire de nouvelles rencontres. Le mobilier léger aux formes géométriques permet aux clients de disposer les sièges selon leurs préférences et s’adapte aux groupes de tailles variables, par exemple quand un ami arrive à l’improviste. L’un et l’autre disposent de vues sur l’extérieur, ce qui <a href="https://theconversation.com/if-youre-not-getting-enough-nature-during-the-lockdown-try-bringing-it-indoors-with-these-simple-hacks-138176">contribue à une sensation de calme</a> et offre des occasions propices à la rêverie. Le bruit ambiant est modéré, ce qui induit une <a href="https://doi.org/10.1086/665048">disfluence cognitive</a>, c’est-à-dire un état de profonde réflexion.</p>
<h2>Retrouver l’âme des cafés</h2>
<p>Beaucoup de cafés se limitent actuellement à la vente à emporter pour pouvoir rester ouverts. Tous ont dû faire face à la tâche difficile d’appliquer les gestes barrières tout en préservant l’atmosphère de leur établissement, dans les périodes de déconfinement. Certains éléments, comme l’éclairage, peuvent facilement être conservés tels quels tout en respectant la distanciation sociale et les autres mesures de sécurité. D’autres, comme les sièges faciles à déplacer pour encourager la collaboration, posent davantage de problèmes.</p>
<p>Bien que ces ajustements permettent aux établissements de rester ouverts et d’assurer la sécurité des clients, ils vident aussi ces lieux de leur âme.</p>
<p>Selon le philosophe <a href="https://midnightmediamusings.wordpress.com/2014/06/29/the-practice-of-everyday-life-by-michel-de-certeau-a-summary/">Michel de Certeau</a>, les espaces que nous occupons servent de toile de fond sur laquelle se dessine l’« ensemble de possibilités » et d’« improvisations » de la vie quotidienne.</p>
<p>Quand les échanges sociaux sont strictement numériques, ces possibilités deviennent limitées. Les conversations sont prévues à l’avance, et les apartés qui précèdent ou suivent une réunion ou un événement quelconque ne sont plus possibles. Lors des réunions en visioconférence, les participants s’adressent à tout le monde ou à personne.</p>
<p>Les propriétaires de cafés, leurs employés et leurs clients attendent avec impatience la fin de la pandémie. Car, même si les gens s’arrêtent au café du coin sous prétexte de prendre leur dose de caféine, ce qui les attire vraiment dans ce lieu, c’est sa convivialité et son animation.</p>
<hr>
<p><em>Traduit de l’anglais par Iris Le Guinio pour <a href="http://www.fastforword.fr">Fast ForWord</a></em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/152589/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Quand nous sommes privés des rencontres et des moments d’observation qui titillent notre curiosité, de nouvelles idées, petites ou grandes, restent dans les limbes.Korydon Smith, Professor of Architecture and Co-Founder of Global Health Equity, University at BuffaloKelly Hayes McAlonie, Adjunct Instructor of Architecture, University at BuffaloRebecca Rotundo, Associate Director of Instructional Design, University at BuffaloLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1522712021-01-04T15:19:36Z2021-01-04T15:19:36ZNe pas pouvoir traîner dans les cafés et les bars nuit à la créativité<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/377004/original/file-20210104-15-1v5bb91.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En facilitant les rencontres aléatoires et les échanges à bâtons rompus, les cafés nourrissent la créativité.</span> <span class="attribution"><span class="source">Laurent Perren/Unsplash</span></span></figcaption></figure><p>La pandémie a certes provoqué la fermeture temporaire ou <a href="https://www.ledevoir.com/economie/591707/coronavirus-une-vague-de-faillites-guette-les-entreprises">définitive</a> de milliers de petites entreprises, mais la disparition du café du coin n’engendre pas que des pertes de salaire.</p>
<p>Elle entraîne aussi une perte collective de créativité.</p>
<p>Des chercheurs ont démontré que de simples habitudes comme faire de <a href="https://www.huffpost.com/entry/exercise-creativity-physical-activity_n_4394310">l’exercice</a>, <a href="https://www.theatlantic.com/science/archive/2018/05/sleep-creativity-theory/560399/">bien dormir</a> et <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1871187111000447">lire</a> peuvent alimenter la créativité. Mais il existe un autre <a href="https://www.gensler.com/research-insight/blog/fostering-casual-collisions-and-creativity-in-a-virtual">catalyseur</a> qui consiste en des interactions non planifiées avec des amis, des connaissances et de parfaits étrangers. Avec la fermeture des cafés — sans parler des bars, des bibliothèques, des salles de sport et des musées —, ces possibilités ont disparu.</p>
<p>Bien sûr, toutes les rencontres fortuites n’engendrent pas des idées brillantes. Cependant, à mesure qu’on se déplace d’un endroit à un autre, chaque brève rencontre plante une petite graine qui peut se transformer en une idée nouvelle ou de l’inspiration.</p>
<p>En passant à côté de rencontres imprévues et d’observations qui piquent notre curiosité et font naître des déclics, des idées, petites ou grandes, ne verront jamais le jour.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/377009/original/file-20210104-17-62ppwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/377009/original/file-20210104-17-62ppwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/377009/original/file-20210104-17-62ppwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/377009/original/file-20210104-17-62ppwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/377009/original/file-20210104-17-62ppwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/377009/original/file-20210104-17-62ppwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/377009/original/file-20210104-17-62ppwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Un bar sportif à Montréal.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Ce n’est pas la caféine, mais les gens</h2>
<p>On croit que l’inspiration des artistes, écrivains et scientifiques célèbres naît de leur esprit singulier. Ce n’est pas aussi simple. Les idées des poètes, mathématiciens ou théologiens, même les plus solitaires, font partie d’échanges avec leurs pairs, ou sont des réactions et des réponses au monde.</p>
<p>Steven Johnson a écrit dans son livre <a href="https://www.penguinrandomhouse.com/books/299687/where-good-ideas-come-from-by-steven-johnson/"><em>Where Good Ideas Come From</em></a> (D’où viennent les bonnes idées) : « pour avoir de bonnes idées, il ne s’agit pas de s’enfermer dans un isolement glorieux et d’essayer d’avoir de grandes pensées ». Il recommande plutôt de « faire une balade », « de saisir la sérendipité » et de « fréquenter les cafés et autres réseaux fluides ».</p>
<p>Tout comme les cafés d’aujourd’hui servent de deuxième bureau à de nombreux écrivains, les salons de thé et les cafés londoniens du 18e siècle ont inspiré le <a href="https://www.archdaily.com/353496/can-architecture-make-us-more-creative">siècle des Lumières</a>. À l’époque, comme maintenant, les gens savaient intuitivement qu’ils étaient « plus productifs ou <a href="https://www.creativitypost.com/business/the_real_reason_coffee_shops_boost_productivity#sthash.YrQZsnpi.dpuf">plus créatifs</a> lorsqu’ils travaillaient dans des cafés », selon David Burkus, auteur de <em>The Myths of Creativity</em> Les mythes de la créativité). Comme les études le démontrent, ce n’est pas l’effet de la caféine, mais de la présence d’autres personnes. Le simple fait d’être entouré de gens qui travaillent peut <a href="http://www.slate.fr/story/118851/pourquoi-vous-travaillez-mieux-cafe">nous motiver à en faire autant</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/375161/original/file-20201215-16-dvh0yu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/375161/original/file-20201215-16-dvh0yu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=430&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/375161/original/file-20201215-16-dvh0yu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=430&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/375161/original/file-20201215-16-dvh0yu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=430&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/375161/original/file-20201215-16-dvh0yu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=540&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/375161/original/file-20201215-16-dvh0yu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=540&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/375161/original/file-20201215-16-dvh0yu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=540&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Surpeuplé, chaotique — et débordant d’inspiration.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/cafe-1940-found-in-the-collection-of-collezione-giuseppe-news-photo/919871468">Heritage Images via Getty Images</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En d’autres termes, la créativité est sociale.</p>
<p>Elle est aussi contextuelle. L’environnement bâti joue un rôle invisible mais crucial. Des chercheurs en architecture du Royaume-Uni ont découvert que la <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0360132315000700?via%3Dihub">conception des salles de classe influence la vitesse d’apprentissage</a> des élèves. Ils ont constaté que des éléments des classes, comme le mobilier et l’éclairage, ont autant d’effet sur l’apprentissage que les enseignants. Le même type d’éléments peut nourrir la créativité dans les cafés.</p>
<h2>Construire en tenant compte de la créativité</h2>
<p><a href="https://9foundations.forhealth.org/">Les bâtiments influencent de nombreuses fonctions humaines</a>. La température et l’humidité, par exemple, agissent sur notre capacité de concentration. La lumière du jour a un effet positif sur la productivité, la gestion du stress et les fonctions immunitaires. De plus, la qualité de l’air, déterminée par les systèmes CVC ainsi que par la composition chimique des meubles et des matériaux intérieurs comme les tapis, affecte à la fois la santé respiratoire et mentale. On a même établi un <a href="https://www.npr.org/templates/story/story.php?storyId=6247700">lien entre la conception architecturale et le bonheur</a>.</p>
<p>De même, un café bien pensé peut stimuler la créativité — et des rencontres imprévues peuvent engendrer des idées novatrices.</p>
<p>Deux cafés construits récemment, le <a href="https://www.archdaily.com/948251/kilogram-coffee-shop-pranala-associates?ad_source=search&ad_medium=search_result_projects">Kilogram Coffee Shop</a> en Indonésie et le <a href="https://www.designboom.com/architecture/davidson-rafailidis-cat-cafe-buffalo-ny-zig-zag-brick-wall-12-11-2020/">Buckminster’s Cat Cafe</a> à Buffalo, dans l’État de New York, ont été conçus pour permettre les interactions.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/375239/original/file-20201215-15-1a3h7ny.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/375239/original/file-20201215-15-1a3h7ny.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/375239/original/file-20201215-15-1a3h7ny.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/375239/original/file-20201215-15-1a3h7ny.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/375239/original/file-20201215-15-1a3h7ny.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/375239/original/file-20201215-15-1a3h7ny.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/375239/original/file-20201215-15-1a3h7ny.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le Buckminster’s Cat Cafe à Buffalo, dans l’État de New York.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Florian Holzherr</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Ils ont tous deux une disposition ouverte et horizontale qui favorise l’encombrement et les rencontres fortuites. Le mobilier léger aux formes géométriques offre la possibilité de réorganiser les sièges, par exemple lorsqu’un ami arrive à l’improviste, et d’accueillir des groupes plus ou moins grands. On peut voir l’extérieur, <a href="https://theconversation.com/if-youre-not-getting-enough-nature-during-the-lockdown-try-bringing-it-indoors-with-these-simple-hacks-138176">ce qui invite au calme</a> et à la rêverie. Et le bruit ambiant est modéré — ni trop fort ni trop faible —, ce qui induit la <a href="https://academic.oup.com/jcr/article-abstract/39/4/784/1798283?redirectedFrom=fulltext">disfluence cognitive</a>, un état de pensée profonde et réflective.</p>
<h2>Rendre son âme aux cafés</h2>
<p>Le philosophe <a href="https://www.dygest.co/michel-de-certeau/l%E2%80%99invention-du-quotidien">Michel de Certeau</a> avance que les espaces que nous occupons sont une toile de fond sur laquelle se produisent « un ensemble de possibilités » et « une improvisation » du quotidien ».</p>
<p>Lorsque la vie sociale bascule complètement dans le monde numérique, ces possibilités deviennent limitées. Les conversations sont organisées à l’avance, tandis que les discussions parallèles qui ont lieu avant ou après une réunion ou un événement ne sont plus possibles. Dans les visioconférences, les participants parlent à toute la salle ou à personne.</p>
<p>Pour les propriétaires de cafés, les employés et les clients, l’ère post-pandémique n’arrivera jamais assez vite. Si les clients s’arrêtent prétendument au café du coin pour une dose de caféine, le véritable attrait de l’endroit réside dans son esprit dynamique et animé.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/152271/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>En passant à côté de rencontres imprévues et d’observations qui piquent notre curiosité et font naître des déclics, des idées, petites ou grandes, ne verront jamais le jour.Korydon Smith, Professor of Architecture and Co-Founder of Global Health Equity, University at BuffaloKelly Hayes McAlonie, Adjunct Instructor of Architecture, University at BuffaloRebecca Rotundo, Associate Director of Instructional Design, University at BuffaloLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1418452020-07-06T20:20:36Z2020-07-06T20:20:36ZCes grandes questions que nous posent les enfants (et comment y répondre)<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/345110/original/file-20200701-159811-1d8fgam.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C4%2C997%2C661&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les enfants du monde entier ont l'esprit très ouvert sur les mystères qui entourent la vie humaine.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/little-girl-looks-into-distance-thinking-291330890">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>« Pourquoi on meurt ? » « Est-ce que c’est toujours grave de se tromper ? » « Peut-on être triste et heureux à la fois ? » Les enfants posent souvent des questions de ce genre auxquelles il est difficile, voire impossible, d’apporter une réponse évidente. Lorsque les enfants soulèvent ces interrogations embarrassantes, les adultes ont tendance à recourir à des explications qui ferment la discussion, au moins temporairement.</p>
<p>Il est naturel d’essayer de réconforter un enfant qui se sent désorienté face au monde. Mais des explications toutes faites ne correspondent pas forcément à ce dont les enfants ont besoin ni à ce qu’ils recherchent. Souvent, ils ont seulement envie de partager leurs pensées et leurs préoccupations.</p>
<h2>Être à l’écoute</h2>
<p>En tant que <a href="https://phil.washington.edu/people/jana-mohr-lone">philosophe</a> et éducatrice, j’écoute depuis vingt-cinq ans des enfants et discute avec eux des grandes <a href="https://www.philosophyforchildren.org/">questions philosophiques</a> qui les tracassent. J’encourage tous les jeunes à <a href="https://rowman.com/isbn/9781442217348/the-philosophical-child">réfléchir par eux-mêmes</a> aux problèmes qui les concernent car c’est important pour eux d’apprendre à analyser et à comprendre leurs propres expériences.</p>
<p>Pour la plupart, les tout-petits posent leurs premières <a href="https://rowman.com/isbn/9781442234789/philosophy-in-education-questioning-and-dialogue-in-schools">grandes questions</a> dès qu’ils commencent à parler, et continuent d’y penser tout au long de l’enfance.</p>
<p>Débordant de <a href="https://theconversation.com/us/topics/curious-kids-us-74795">curiosité</a> pour des choses que la plupart des adultes considèrent comme allant de soi, les enfants du monde entier ont l’esprit très ouvert sur les <a href="https://www.hmhbooks.com/shop/books/The-Spiritual-Life-of-Children/9780395599235">mystères</a> qui entourent la vie humaine. Les <a href="https://us.corwin.com/en-us/nam/beautiful-questions-in-the-classroom/book263079">travaux de recherches</a> montrent cependant qu’en grandissant, ils posent de moins en moins de questions.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/345117/original/file-20200701-159803-261vya.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/345117/original/file-20200701-159803-261vya.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/345117/original/file-20200701-159803-261vya.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/345117/original/file-20200701-159803-261vya.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/345117/original/file-20200701-159803-261vya.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/345117/original/file-20200701-159803-261vya.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/345117/original/file-20200701-159803-261vya.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Souvent, les questions comptent plus pour les enfants que les réponses qu’on y apporte.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/little-barefoot-girl-boy-sit-on-1616533843">Shutterstock</a></span>
</figcaption>
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<p>Les enfants me disent souvent que, lorsqu’ils sont éveillés la nuit, ils se demandent si Dieu existe, pourquoi le monde a ces couleurs-là et pas d’autres, ce que c’est que le temps et si les <a href="https://rowman.com/isbn/9781442217348/the-philosophical-child">rêves</a> sont réels. Ce ne sont pas des questions auxquelles on trouvera une réponse en faisant une recherche sur Google ou en envoyant une requête à Siri ou Alexa. Ce sont des interrogations qui traversent les époques et que chacun peut rencontrer à différentes étapes de sa vie.</p>
<p>Parfois, les questions sont même plus importantes que les réponses.</p>
<h2>S’interroger à haute voix</h2>
<p>La pandémie a conduit plus d’enfants à s’interroger sur des sujets comme la solitude, l’isolement, l’ennui, la maladie et la mort. Quand les écoles primaires de Seattle où j’interviens ont fermé, j’ai poursuivi ces ateliers de philosophie en ligne avec de petits groupes.</p>
<p>Lors d’une récente conversation avec six enfants de neuf ans, nous nous sommes concentrés sur les difficultés de la vie pendant la pandémie. Nous avons discuté de la façon dont le fait d’être privé de certaines choses nous aidait à les apprécier autrement.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-le-confinement-a-t-il-bouscule-lemploi-du-temps-des-enfants-141153">Comment le confinement a-t-il bousculé l’emploi du temps des enfants ?</a>
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<p>« J’aime la solitude, mais la situation est différente quand on nous oblige à rester seuls. J’ai réalisé combien mes amis comptaient pour moi », m’a dit une petite fille que nous appellerons Hannah.</p>
<p>Puis, « Max » nous a dit qu’il n’aurait jamais pensé aimer l’école, mais que le fait d’être resté à la maison le printemps dernier l’a aidé à mieux comprendre ce que l’école représente pour lui. Nous nous sommes demandé si nous attachons toujours plus d’importance aux choses quand nous en sommes privés.</p>
<h2>Pas de réponses définitives</h2>
<p>Si les enfants ont besoin de l’aide et des conseils des adultes, les parents ne doivent pas forcément adopter une position d’expert qui a réponse à tout. Explorer ces grandes questions main dans la main peut créer des échanges beaucoup plus riches.</p>
<p>Comme elles n’ont pas en général de <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/meta.12018">réponses</a> établies ou définitives, les discussions sont l’occasion pour les parents et les enfants de partager un moment de réflexion.</p>
<p>Soyez à l’écoute de ces questions stimulantes, reconnaissez combien il est difficile d’y répondre et gardez l’esprit ouvert tout au long de la conversation.</p>
<h2>Des philosophes en herbe</h2>
<p>D’une certaine manière, les enfants sont les débutants philosophes idéaux.</p>
<p>La plupart d’entre eux n’ont pas d’idée préconçue sur la manière dont le monde fonctionne et sont ouverts à un <a href="http://alisongopnik.com/ThePhilosophicalBaby.htm">champ d’hypothèses</a> beaucoup plus large. Lors des discussions, ils peuvent souvent suggérer des manières originales et créatives d’aborder les grandes questions.</p>
<p>Parler avec les enfants de ce qu’ils pensent sans se sentir obligés de leur apporter des réponses va au contraire les aider à explorer leurs propres préoccupations et idées. Particulièrement aujourd’hui, alors que le confinement a rapproché les familles, ces conversations peuvent aider les parents et les enfants à communiquer de manière plus authentique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/141845/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jana Mohr Lone est la présidente fondatrice et membre du comité exécutif de PLATO (Philosophy Learning and Teaching Organization), une organisation à but non lucratif qui sensibilise les enfants à la philosophie.</span></em></p>La pandémie a conduit plus d’enfants à s’interroger sur des sujets comme la solitude, l’isolement, l’ennui, la maladie et la mort. Quelques pistes pour dialoguer en famille.Jana Mohr Lone, Director of the Center for Philosophy for Children; Affiliate Associate Professor of Philosophy, University of WashingtonLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1383102020-05-12T19:18:44Z2020-05-12T19:18:44ZLe gaullisme social : le rendez-vous manqué de la droite française ?<p>Sortir la France de la crise grâce à une « droite sociale », forte, unie : l’expression a été récemment remise sur le devant de la scène par plusieurs députés de droite. <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2020/04/17/damien-abad-le-nouveau-visage-de-l-ancien-monde_6036934_4500055.html">Damien Abad</a> (groupe Les Républicains, LR) par exemple, prône ce courant, s’inscrivant ainsi dans le sillage d’autres figures de la droite française, comme Laurent Wauquiez qui avait fondé dès 2010 un « club de réflexion » <a href="https://www.droitesociale.fr/">éponyme</a>. D’autres évoquent, depuis plusieurs années au sein de l’UMP puis des Républicains, le « gaullisme social ». À quoi fait-on référence ici et que recouvrent ces expressions ?</p>
<h2>La droite, famille politique plurielle</h2>
<p>Les historiens qui se sont attachés à étudier l’histoire des droites ont montré à quel point cette famille politique était plurielle et diverse, notamment René Rémond qui, dans <a href="https://editions.flammarion.com/Catalogue/etranges-etrangers-aubier/les-droites-en-france"><em>Les droites en France</em></a> (Paris, Aubier, 1982), distinguait trois droites : légitimiste, orléaniste et bonapartiste.</p>
<p>Largement utilisée depuis, la typologie rémondienne a pourtant fait l’objet de discussions, d’une part au sujet de la pérennité de ces trois droites du XIX<sup>e</sup> siècle à nos jours dans le champ politique français, puisque cette grille d’interprétation est de type généalogique, d’autre part au sujet de l’obsolescence du clivage structurant droites/gauches au profit d’une opposition entre nationalistes et mondialistes <a href="https://www.cairn.info/histoire-des-droites-en-france--9782262070748.htm">plus actuelle</a>.</p>
<p>De même que l’hétérogénité des droites n’est donc plus à prouver, la famille gaulliste qui avait pour ambition initiale de transcender le clivage droite/gauche ne doit pas être considérée comme un <a href="http://www.pur-editions.fr/detail.php?idOuv=2728">bloc monolithique</a>.</p>
<h2>Un projet gaullien de réforme de la société</h2>
<p>Dans l’histoire du gaullisme, la recherche d’une troisième voie entre capitalisme et communisme, notamment dans le contexte de la Guerre froide, fait partie du corpus idéologique, à des degrés divers, des différents mouvements gaullistes qui se sont succédé.</p>
<p>Marqué par son éducation catholique, le général de Gaulle croit en une certaine idée de l’Homme, qui pourrait se résumer par cet aphorisme (extrait d’une conférence de presse le <a href="https://fresques.ina.fr/de-gaulle/fiche-media/Gaulle00030/conference-de-presse-du-25-mars-1959.html">25 mars 1959, Palais de l’Élysée)</a>) :</p>
<blockquote>
<p>« La seule querelle qui vaille est celle de l’Homme. C’est l’Homme qu’il s’agit de sauver, de faire vivre et de développer. »</p>
</blockquote>
<p>En dehors des politiques de grandeur, d’indépendance et de puissance de la France, qui peuvent être considérées comme les <a href="https://www.librairie-sciencespo.fr/livre/9782262019655-histoire-du-gaullisme-serge-berstein/">masses de granit</a> de la pensée gaullienne, l’homme du 18 juin prend soin, dans un certain nombre de discours, d’évoquer les grandes lignes d’une pensée sociale.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Hsckr4OMdGQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Conférence de presse du général d, à l’entre-deux tours des élections présidentielles, 15 décembre 1965, INA.</span></figcaption>
</figure>
<p>Au fil du temps, celle-ci prend la forme de l’« association capital-travail » à l’époque du Rassemblement du peuple français (RPF) et du gaullisme d’opposition à la IV<sup>e</sup> République, puis de l’« Association », enfin de la « Participation » dans les années 1960.</p>
<p>Dans <a href="https://fresques.ina.fr/de-gaulle/fiche-media/Gaulle00319/plaidoyer-pour-l-association-dans-les-entreprises.html">son discours de Saint-Étienne</a> (4 janvier 1948), de Gaulle évoque la nécessité d’une participation directe des travailleurs aux résultats financiers de l’entreprise et à sa gestion, condition nécessaire selon lui pour qu’ils s’intéressent à son bon fonctionnement :</p>
<blockquote>
<p>« Assez de ce système absurde où, pour un salaire calculé au minimum, on fournit un effort minimum, ce qui produit collectivement le résultat minimum. Assez de cette opposition entre les divers groupes de producteurs qui empoisonne et paralyse l’activité française ».</p>
</blockquote>
<p>Si cette pensée sociale est accueillie par une fin de non-recevoir de la part du patronat comme des syndicats et des forces de gauche, elle aboutit, dans une version édulcorée, à l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000886854&categorieLien=id">ordonnance du 7 janvier 1959</a> sur l’intéressement des travailleurs aux profits de l’entreprise.</p>
<p>Quelques années plus tard, le 17 août 1967, le chef de l’État promulgue une ordonnance relative à la <a href="https://www.cairn.info/revue-esprit-2018-3-page-75.html">participation des salariés</a> aux fruits de l’expansion des entreprises, destinée initialement aux entreprises de plus de 100 salariés, un seuil qui est ramené à 50 en 1990.</p>
<h2>Héritages, héritiers et postérité</h2>
<p>L’idée de Participation est portée comme un étendard par ceux que l’on appelle les <a href="https://www.cairn.info/histoire-des-gauches-en-france--9782707147370-page-190.htm">« gaullistes de gauche »</a> dans les années 1950, à l’instar de Louis Vallon et René Capitant.</p>
<p>Par la suite, on parle plutôt de « gaullistes sociaux », notamment après le passage de <a href="https://www.puf.com/content/Jacques_Chaban-Delmas_en_politique">Jacques Chaban-Delmas</a> à Matignon (1969-1972). D’ailleurs, le discours que celui-ci prononce devant les députés le 16 septembre 1969, dans lequel il dénonce une « société bloquée » dont il souhaite le remplacement par une « nouvelle société […] prospère, jeune, généreuse et libérée », s’inscrit en droite ligne de cette idée de transformation des rapports sociaux.</p>
<p>Même si les événements de mai 1968 ont mis en lumière des critiques envers la société de consommation, <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782262021689-georges-pompidou-1911-1974-eric-roussel/">Georges Pompidou, plus libéral</a> en matière économique que son Premier ministre, mais aussi plus conservateur sur les questions de société, n’est pas convaincu par cette « nouvelle société », dont les contours esquissés par Chaban sont quelque peu nébuleux et qu’il considère comme « des fantasmes d’adolescents ou de romantiques » (Propos tenus par G. Pompidou le 7 octobre 1969, rapportés dans Alain Peyrefitte, <a href="https://www.fayard.fr/documents-temoignages/le-mal-francais-9782213628691"><em>Le mal français</em></a>.</p>
<h2>Vers une droite plus libérale et moins sociale</h2>
<p>L’arrivée de Valéry Giscard d’Estaing à l’Élysée, le partisan d’une « société libérale avancée », puis la création du Rassemblement pour la République (RPR) en 1976 par Jacques Chirac marquent un tournant.</p>
<p>Certes, le discours social à destination des classes populaires est toujours présent <a href="https://www.belin-editeur.com/jacques-chirac-et-le-gaullisme">dans la dialectique du parti chiraquien</a> mais il cède rapidement le pas dans les années 1980 face au <a href="https://agone.org/elements/leneoliberalismealafrancaise/">tournant néo-libéral</a> qui touche la droite française, du Front national au RPR.</p>
<p>Rares sont ceux, à l’instar du député-maire de Brive <a href="http://chsp.sciences-po.fr/fond-archive/charbonnel-jean">Jean Charbonnel</a>, décédé en <a href="https://www.liberation.fr/france/2014/02/20/l-ancien-ministre-gaulliste-jean-charbonnel-disparait_981788">2014</a>, ancien ministre sous les présidences de Gaulle et Pompidou, à revendiquer la sensibilité sociale du gaullisme.</p>
<p>Une sensibilité également partagée par des gaullistes comme Léo Hamon, Philippe Dechartre, Jean Mattéoli… Ceux-ci se retrouvent sur les questions européennes autour de <a href="http://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/histoire/grands-discours-parlementaires/philippe-seguin-5-mai-1992">Philippe Séguin</a> en 1992 <a href="https://www.histoire-politique.fr/documents/24/autresArticles/pdf/HP24_Varia_Jerome_Pozzi_DEF.pdf">dans sa dénonciation du traité de Maastricht</a> et dans la critique d’une Europe fédérale.</p>
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<figcaption><span class="caption">Discours de Philippe Séguin, en 1992, contre le traité de Maastricht.</span></figcaption>
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<h2>La dissolution du gaullisme</h2>
<p>Bien que sensibles au thème de la « fracture sociale » mis en avant par Jacques Chirac lors de la campagne pour l’élection présidentielle de 1995, les gaullistes sociaux restent sur leur faim et se rallient pour une bonne part d’entre eux à la candidature de Jean‑Pierre Chevènement à la présidentielle de 2002.</p>
<p>La création de l’UMP dissout de facto le gaullisme dans un rassemblement hétérogène des droites, ce qui tend encore plus <a href="https://www.cairn.infoles-droites-en-fusion--9782724612738.htm">à faire disparaître</a> l’identité et le message des gaullistes sociaux.</p>
<p>Depuis 2002, au gré des circonstances et des ambitions électorales des uns et des autres, l’idée d’une droite sociale ressurgit de temps à autre, avec comme arrière-pensée plus ou moins assumée, de récupérer les voix d’un électorat populaire passé avec armes et bagages au Front national, même si celles-ci sont temporairement revenues dans le giron de la droite parlementaire en 2007, à l’occasion de l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République.</p>
<p>En 2010, Laurent Wauquiez tente de reprendre le flambeau des gaullistes sociaux en créant le courant « La Droite sociale », mais l’itinéraire de l’intéressé, tout comme ses positions droitières sur les questions sociétales, limitent la portée de cette aventure.</p>
<p>Tout compte fait, les idées des gaullistes sociaux semblent aujourd’hui orphelines, ce qui est en partie lié au renouvellement générationnel du personnel politique, même si Gérard Larcher, président du Sénat, <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences-humaines/sciences-politiques/gaullisme_9782738128119.php">tente de raviver la flamme</a> en essayant d’allier la force de l’État et la justice sociale.</p>
<h2>La rencontre ratée des progressistes de droite et réformistes de gauche</h2>
<p>La crise sanitaire actuelle, liée à la pandémie de Covid-19, met en évidence les limites de la mondialisation et remet au premier plan du champ politique les thématiques du gaullisme social qui semblaient, il y a encore quelques mois, être l’apanage d’hommes du passé, voire dépassés : un État fort sur les principes régaliens, une souveraineté nationale recouvrée, la mise en œuvre d’une politique industrielle afin de préserver un minimum d’indépendance nationale, une politique de justice sociale qui soutienne ceux qui sont en première ligne alors que les « premiers de cordée » ont visiblement dévissé de la paroi.</p>
<p>Si le gaullisme social n’a pas été la voie empruntée par la droite française, ceci s’explique en partie par le tiraillement perpétuel entre un pôle conservateur et un pôle libéral, ainsi que par le fait que les forces de gauche se sont toujours montrées sceptiques envers cette sensibilité qui était de surcroît victime de nombreuses rivalités internes.</p>
<p>Enfin, le fait que le parti socialiste se soit lentement tourné vers la sociale-démocratie <a href="https://www.cairn.info/le-long-remords-du-pouvoir--9782213020778.htm">au cours des années 1980</a> en laissant de côté ses idéaux révolutionnaires a fermé la porte au centre de l’échiquier politique à une recomposition qui aurait pu être favorable au gaullisme social en étant le point de rencontre entre progressistes de droite et réformistes de gauche.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/138310/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jérôme Pozzi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Certains évoquent la droite sociale comme remède à la crise : cette expression issue de l’héritage gaulliste et remise au goût du jour.Jérôme Pozzi, Maître de conférences en histoire politique, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1367272020-04-27T17:48:18Z2020-04-27T17:48:18ZLa collapsologie à l’épreuve de la réalité<p><em>Cet article est le premier d’une série de deux articles consacrés à la notion d’effondrement en tant que transition à travers l’analyse de la chute de l’Union soviétique.</em></p>
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<p>Depuis quelques années s’est imposé en France un courant d’idées : la collapsologie. Ce néologisme a été inventé par Pablo Servigne et Raphaël Stevens en 2015 dans leur best-seller <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/comment-tout-peut-s-effondrer-pablo-servigne/9782021223316"><em>Comment tout peut s’effondrer : petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes</em></a>. Les tenants de ce mouvement prévoient un effondrement catastrophique de notre civilisation. Certains auteurs comme Yves Cochet vont même jusqu’à envisager une <a href="https://www.youtube.com/watch?v=3NCrj_fa2hU">apocalypse démographique</a>. Cette thématique n’est pas nouvelle. Elle a été initiée par <a href="https://journals.openedition.org/belgeo/11766">Jared Diamond</a> dans son célèbre ouvrage <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-essais/Effondrement"><em>Effondrement : comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie</em></a>. Ce chercheur fait lui-même fait partie d’un courant d’idées que l’on peut faire remonter au célèbre <a href="https://clubofrome.org/publication/the-limits-to-growth/">rapport du Club de Rome de 1972</a> commandé au professeur <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Dennis_Meadows">Denis Meadows</a>. Que ce soit dans les ouvrages de J. Diamond ou ceux plus récents de P. Servigne et R. Stevens, chaque fois ces auteurs décrivent un phénomène brutal en termes démographiques voire apocalyptique comme c’est le cas pour Yves Cochet. Dans tous les cas, l’effondrement est dû à une cause externe, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=CwXudpMdbuo">généralement écologique</a> qui peut-être le réchauffement climatique ou une inévitable pénurie de ressources à venir.</p>
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<figcaption><span class="caption">La collapsologie selon Yves Cochet, ancien ministre de l’Environnement.</span></figcaption>
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<h2>Effondrement ou transition douloureuse ?</h2>
<p>Le fait qu’un système social puisse s’effondrer de lui-même pour des causes qui lui sont intrinsèques est rarement envisagé. C’est d’autant plus étonnant qu’il s’agit là d’un élément essentiel de la téléologie marxiste pour laquelle le capitalisme ne peut que s’écrouler de lui-même, <a href="https://www.cairn.info/revue-actuel-marx-2006-2-page-71.htm">victime de ses propres contradictions</a>. Si de nombreux concepts marxistes tels les notions de plus-value, de capitalisme ou de lutte des classes ont infusé dans notre société sans que personne n’y trouve à redire, celui-ci a été oublié. Évidemment, un tel oubli n’est pas l’apanage de l’organisation capitaliste : tout système social est pétri de contradictions qu’il tente de surmonter avec plus ou moins de succès. La <a href="https://books.google.fr/books/about/The_Last_Years_of_the_Soviet_Empire.html?id=_MuQAAAAIAAJ">disparition de l’Union soviétique</a> en est la preuve.</p>
<p>Plus que d’effondrements, l’Histoire est pleine de transformations douloureuses. <a href="https://books.google.fr/books/about/The_Fall_of_Rome.html?id=q7HPHB7fTZkC&redir_esc=y">La chute de l’Empire romain d’Occident</a> fut une catastrophe pour la ville de Rome. Pour la Gaule, elle ne fut qu’une <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_d%C3%A9mographique_de_la_France">transition difficile en termes démographiques</a>, du même ordre que les invasions normandes, mais plus douce que le XIV<sup>e</sup> siècle avec sa terrible peste noire. Ces transformations sont souvent chaotiques. La plus récente, <a href="https://www.persee.fr/doc/receo_0338-0599_1997_num_28_4_2885">liée à la réapparition de la Russie</a> comme nation, en atteste.</p>
<p>La vision « collapsologique » n’est pas sans rappeler l’anxiété qui prévalait dans la société soviétique dès la fin des années 1970. Ainsi, les fictions catastrophistes se firent de plus en plus courantes dans la <a href="http://www.piranha.fr/livre/%C3%89toiles_rouges">science-fiction russe</a>, un domaine relativement préservé de la censure. Il semblerait qu’il soit plus facile d’envisager la fin du monde tout court que la fin des structures sociales que nous vivons tous les jours.</p>
<p>Dans son documentaire <a href="https://www.youtube.com/watch?v=InbLmw_x6jQ">« HyperNormalisation »</a>, <a href="https://www.economist.com/open-future/2018/12/06/the-antidote-to-civilisational-collapse">Adam Curtis</a> montre que les Soviétiques comprenaient parfaitement dans quel état de délabrement étaient les institutions de leur pays. Ils savaient également que <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ca6rDzGWhjE">leurs dirigeants ne contrôlaient plus réellement</a> la situation, ce qui ne faisait que renforcer leur inquiétude. Bien que conscients des nombreux dysfonctionnements de leur système qui ne faisaient que s’aggraver, ils étaient alors tellement intégrés à celui-ci qu’ils étaient <a href="https://books.google.fr/books?id=RjwrDwAAQBAJ&pg=PA10&lpg=PA10&dq=A+Normal+Totalitarian+Society&source=bl&ots=3UHI8LeLqn&sig=ACfU3U1qV3wqTRT79XpbxhWsydedOx0HGw&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwjtkIfYge7oAhUEJBoKHc8uDQg4ChDoATAHegQICxAr#v=onepage&q=A%20Normal">incapables d’envisager une alternative</a>. Une conjoncture qui n’est pas sans rappeler ce que beaucoup ressentent depuis le déclenchement de la pandémie du Covid-19.</p>
<p>À la disparition de l’Union soviétique, les Russes ne furent pas surpris. Selon <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Alexei_Yurchak">Alexei Yurchak</a>, ce qui leur paraissait impensable auparavant <a href="https://muse.jhu.edu/book/30657">était devenu parfaitement logique</a>. Mais comme le <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/pour-un-catastrophisme-eclaire-quand-l-impossible-est-certain-jean-pierre-dupuy/9782020538978">montre Jean‑Claude Dupuy</a>, cela n’est-il pas le cas de toutes les catastrophes ? Avant chacune d’entre elles, leur éventualité semble hautement improbable, alors qu’après elles relèvent de l’évidence.</p>
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<figcaption><span class="caption">Hypernormalisation » : une interrogation sur notre monde actuel d’Adam Curtis.</span></figcaption>
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<h2>Pertinence de l’exemple soviétique</h2>
<p>À ce jour, la chute de l’URSS représente l’exemple de transition chaotique qui peut le plus nous apprendre sur l’évolution de notre propre modèle sociétal. La société soviétique, système social complexe, est bien, comme le capitalisme, un <a href="https://muse.jhu.edu/book/30657">pur produit de notre modernité</a>. Les Russes ont effectué une transition douloureuse sur une période longue de 30 ans qui va bien au-delà des quelques années précédant et suivant la chute de l’URSS. C’est ainsi que dès 1970, le dissident <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1970/05/04/andrei-amalrik-l-union-sovietique-survivra-t-elle-en-1984_2667852_1819218.html">Amalrik</a> prévoyait la <a href="https://www.babelio.com/livres/Amalrik-LUnion-sovietique-survivra-t-elle-en-1984-/859022">disparition</a> de l’Union. Six ans plus tard, <a href="https://www.babelio.com/livres/Todd-La-chute-finale-Essai-sur-la-decomposition-de-la-/110926">Emmanuel Todd renchérissait</a> par une longue analyse socio-économique qui envisageait aussi l’effondrement du système soviétique, sans parler évidemment de l’ouvrage <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2008/08/12/l-empire-eclate-par-daniel-vernet_1082819_3232.html">d’Hélène Carrère d’Encausse</a>.</p>
<p>Hélas, comme le signalent <a href="https://newsociety.com/books/r/reinventing-collapse">Dmitry Orlov</a> et Alexei Yurchak, la richesse de cet exemple a souvent été minimisée voire dénigrée, pour des raisons idéologiques, dans un <a href="https://muse.jhu.edu/book/30657">schéma d’oppositions binaires</a> : censuré/non censuré, officiel/non officiel, etc. L’Union soviétique, régime totalitaire, devait inévitablement s’effondrer, preuve de l’échec du communisme et du triomphe de la démocratie, seul système pérenne.</p>
<p>C’est oublier un peu vite la complexité et la richesse de cette société largement dépolitisée où la tricherie était devenue une manière de vivre généralisée. La contestation y était inexistante ; pourtant, les ouvriers soviétiques manifestaient une <a href="https://books.google.fr/books?id=RjwrDwAAQBAJ&pg=PA10&lpg=PA10&dq=A+Normal+Totalitarian+Society&source=bl&ots=3UHI8LeLqn&sig=ACfU3U1qV3wqTRT79XpbxhWsydedOx0HGw&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwjtkIfYge7oAhUEJBoKHc8uDQg4ChDoATAHegQICxAr#v=onepage&q=A%20Normal">opposition sourde à leur encadrement</a>. Cela en vertu <a href="https://muse.jhu.edu/book/30657">d’idéaux communistes qui étaient amplement partagés</a>, bien qu’ils n’étaient plus que des éléments d’une mythologie commune.</p>
<p>Le système soviétique a prouvé son efficacité en réussissant à transformer en moins de dix ans, dans les années 1930, un pays agricole en l’une des <a href="https://books.google.fr/books/about/The_Soviet_Economy_and_the_Red_Army_1930.html?id=dcAgT_2uiYgC&redir_esc=y">premières puissances industrielles mondiales</a>. Cependant, cela ne fut possible qu’<a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-histoire/Terres-de-sang">au prix de plusieurs millions de morts</a>. Comme tout système issu de la modernité, <a href="https://muse.jhu.edu/book/30657">il visait l’émancipation de l’individu</a> par l’affirmation de son sens critique et l’acquisition d’un savoir. Évidemment, cela ne pouvait se réaliser que sous le contrôle du parti qui seul pouvait lui permettre de réprimer son individualisme et développer une éthique collective. C’est d’ailleurs en voulant redévelopper cet esprit critique que Gorbatchev contribua à accélérer la fin de l’Union soviétique.</p>
<h2>Dépasser l’approche spectaculaire</h2>
<p>C’est donc un exemple des plus intéressants, à tel point que l’ingénieur américain d’origine russe Dmitry Orlov a bâti toute sa carrière d’essayiste sur l’observation du chaos lié à la chute de l’Union soviétique. <a href="https://books.google.fr/books/about/The_Five_Stages_of_Collapse.html ?id=wdN0AQAAQBAJ&redir_esc=y">Dans une logique « collapsologique »</a>, il a construit un <a href="https://www.resilience.org/stories/2006-12-04/closing-collapse-gap-ussr-was-better-prepared-collapse-us/">modèle d’effondrement en cinq stades</a> : financier, commercial, politique, social et culturel.</p>
<p>Connaître ce qui s’est passé juste avant et après la chute de l’URSS ne nous est pas forcément très utile. Savoir que de brillants cadres russes avaient perdu leurs avantages et leurs économies, <a href="https://newsociety.com/books/r/reinventing-collapse">que les gens fouillaient dans les poubelles</a> pour se nourrir, que la <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/L-esprit-de-la-cite/Un-pouvoir-invisible">mafia était omniprésente</a> et que des chercheurs reconnus vendaient des fleurs sur les marchés pour survivre participe d’une logique catastrophiste et ne nous éclaire pas réellement sur cette transition qui reste souterraine la plupart du temps et ne se dévoile qu’une fois devenue irréversible. À partir de ce moment-là, elle prend rapidement une tournure chaotique.</p>
<p>La <a href="https://guerre-froide.hypotheses.org/1404">chute de l’Union soviétique</a> s’est déclenchée en seulement trois années dès 1989, alors qu’elle était en gestation depuis la fin des années 1960, soit depuis plus de vingt ans. C’est dans ce long moment qui précède que la transition se met réellement en place. Car au-delà d’un changement de régime s’y joue un changement de paradigme social, ce qui n’est pas une mince affaire. Toutes les valeurs, croyances, certitudes sur lesquelles les individus ont construit leur vie disparaissent, remplacées par d’autres. Pour mieux comprendre l’ampleur de la transition qui fut demandée aux Soviétiques, nous pouvons faire référence à nos propres concepts : pouvons-nous imaginer un monde qui ne serait plus organisé selon la loi de l’offre et la demande, ou selon des flux financiers ? Et que dire d’une société où l’individualisme aurait disparu ?</p>
<h2>Les jeux sont faits</h2>
<p>L’exemple soviétique nous montre que lorsque le changement reste souterrain, il peut encore être guidé, voire ralenti, mais dès qu’il se dévoile au grand jour, il s’est établi. Paradoxalement, la force de cette transition est d’abord alimentée par une fausse assurance de stabilité et de permanence. C’est lorsque toute contestation a disparu, que la société dans son ensemble semble adhérer aux mêmes croyances, rituels et conceptions, que ce changement peut se mettre en place en profitant de ce consensus global. Loin d’être contraint par des raisons économiques comme <a href="https://fr.rbth.com/histoire/82108-chute-urss-facteurs">certains tendent à le penser</a>, ce mouvement est d’abord déclenché par des facteurs sociaux et culturels.</p>
<p>Mais surtout, l’histoire de la chute de l’Union soviétique nous révèle ce long moment pendant lequel les <a href="https://journals.openedition.org/monderusse/6100">citoyens, désabusés, ne croyaient plus</a> en leurs dirigeants, ni en la « réalité » proposée par les médias, les experts, les scientifiques et les auteurs de l’appareil d’État, mais <a href="https://muse.jhu.edu/book/30657">continuaient néanmoins à participer activement au système</a>. Au-delà de la peur du régime, ils se sentaient pris au piège : ils étaient incapables d’imaginer une autre société.</p>
<p>La question peut néanmoins se poser de savoir si la pandémie actuelle ne serait pas l’équivalent de ce que fut Tchernobyl : un événement qui révèle l’état d’affaiblissement du système et qui, de par son impact psychologique et matériel, rend la transition irréversible. Après tout, n’est-ce pas Gorbatchev qui a désigné cet événement comme le <a href="https://www.lefigaro.fr/debats/2006/04/26/01005-20060426ARTFIG90161-tchernobyl_le_debut_de_la_fin_de_l_union_sovietique.php">début de la fin de l’Union soviétique</a> ?</p>
<hr>
<p><em>N.B. : l’article suivant sera consacré à l’histoire de la longue transition de l’Union soviétique à la Russie de Poutine.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/136727/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Eric Martel-Porchier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comme le montre l’exemple de l’URSS, et contrairement à la vulgate collapsologique, les sociétés peuvent parfaitement s’effondrer pour des raisons internes et non externes.Eric Martel-Porchier, Docteur en Sciences de Gestion/Chercheur associé au LIRSA, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1291112020-01-27T17:09:55Z2020-01-27T17:09:55ZLes think tanks : une déception française ?<p>Ils émettent leurs souhaits par voie de presse en commentant les <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/retraite/reforme-des-retraites/retraites-un-think-tank-d-orientation-liberale-attend-des-voeux-d-emmanuel-macron-un-message-ferme-notamment-vis-a-vis-des-regimes-speciaux_3765767.html">actions de l’exécutif</a>, expriment leurs opinions sur les politiques publiques, et emploient parfois des <a href="https://www.challenges.fr/education/parallaxe-le-puissant-employeur-de-delevoye_691000">hauts fonctionnaires</a> : les think tanks semblent désormais incontournables dans la vie politique française.</p>
<p>Et pourtant, s’ils ont été objets de toutes les <a href="http://www.theses.fr/s89966">curiosités</a> du début des années 2000 au milieu des années 2010, ils connaissent depuis un essoufflement pour le moins certain. L’attrait de la nouveauté ayant petit à petit laissé la place à la routine des publications et des événements, les think tanks politiques continuent en France à nourrir l’actualité mais l’exemple d’une transformation sociale, sociétale, économique ou politique qu’ils aient directement impulsée semble bien lointain à trouver.</p>
<p>Est-ce à dire qu’ils sont en train de passer de mode dans le débat public ou qu’ils n’ont, plus profondément et malgré les apparences médiatiques, jamais réellement su peser dans ce débat ? Nés d’une inspiration nord-américaine, les think tanks se sont greffés sur une <a href="http://www.theses.fr/s89966">réalité académique, politique et administrative française radicalement différente</a>.</p>
<h2>Quels modèles d’expertise ?</h2>
<p>Certes, la <a href="https://www.persee.fr/doc/espos_0755-7809_1984_num_2_3_991_t1_0219_0000_1">forte fascination de l’Amérique</a> des années 1960 – années où le <a href="https://www.theses.fr/2011PA020040">phénomène des clubs politiques</a>, ancêtres des think tanks, a été particulièrement important dans l’hexagone – a marqué le paysage des groupes français de réflexion, dont les think tanks constituent la dernière forme d’organisation. Les références états-uniennes sont d’ailleurs encore aujourd’hui constantes. Mais les think tanks en France ne sont que de lointains cousins de leurs parents américains, qu’il s’agisse de leur structuration, de leur ampleur ou de leur influence.</p>
<p>Cela est grande partie du au fait que les modèles d’expertise ne se sont pas construits sur le même schéma des deux côtés de l’Atlantique. Aux États-Unis, la demande d’une expertise extérieure naît de la conjonction d’un <a href="https://www.researchgate.net/publication/261948302_Think_Tanks_and_Production_of_Policy-knowledge_in_America">État fédéral faible</a>, du caractère limité des structures dédiées en son sein à la production d’un savoir technocratique et du rôle mineur joué par les partis politiques dans le développement d’une expertise politique.</p>
<p>À l’inverse, <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-d-administration-publique-2002-2-page-295.htm">l’expertise d’État</a> acquiert en France une place centrale à partir de 1945. Un espace politico-administratif d’exercice de la compétence savante s’institutionnalise dès le début de la IV<sup>e</sup> République, notamment dans le domaine de la politique économique et financière. Le commissariat général au plan, créé par un décret du <a href="https://www.strategie.gouv.fr/actualites/decret-3-janvier-1946">3 janvier 1946</a>, n’est sans doute pour beaucoup qu’un lointain souvenir ; il n’en reste pas moins que l’expertise d’État reste un canal majeur de l’importation et de la diffusion d’idées.</p>
<h2>Des acteurs de référence sur certaines questions</h2>
<p>Du début des années 2000 à celui de 2020, il est possible de tirer un premier bilan des activités des principaux think tanks politiques français. Si aucun d’entre eux ne s’est montré à même de proposer une approche fondamentalement nouvelle d’un pan de l’action publique, plusieurs sont parvenus à devenir des acteurs de référence sur certaines questions.</p>
<p>On doit ainsi mettre au crédit de <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2012/06/30/olivier-ferrand-le-president-du-think-tank-terra-nova-est-mort_1727447_823448.html">Terra Nova</a>, créé en 2008 par Olivier Ferrand (décédé en 2012), l’importation, après une mission d’étude aux États-Unis sur <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/2009/08/26/01002-20090826ARTFIG00387-que-signifient-des-primaires-ouvertes-.php">l’organisation de primaires ouvertes</a>, de ce modèle en France et son adoption par le Parti socialiste en 2011, puis par un grand nombre de partis en 2016.</p>
<p>Il faut également indiquer que l’Institut Montaigne, qui a vu le jour en 2000 pendant les années de la cohabitation entre le Président de la République Jacques Chirac et le premier ministre Lionel Jospin, a fait de sa capacité d’estimation financière – et notamment de <a href="https://www.francetvinfo.fr/sante/politique-de-sante/presidentielle-2017-l-institut-montaigne-decortique-les-mesures-de-sante-des-candidats_2117435.html">chiffrage des propositions des candidats à l’élection présidentielle</a> et de bilan économique de mandatures – un axe fort de son positionnement dans le débat économique.</p>
<p>On peut enfin souligner que la Fondation Jean‑Jaurès a su quant à elle, notamment à partir de 2012, développer une stratégie d’influence autour de partenariats avec des think tanks à l’international.</p>
<p><a href="https://books.google.fr/books?id=fZVxDwAAQBAJ&pg=PT69&lpg=PT69&dq=Instituto+Lula+du+premier+%C2%AB+Forum+du+progr%C3%A8s+social+%C2%BB">On peut citer</a> à titre d’illustrations l’organisation en décembre 2012 avec le think tank brésilien Instituto Lula du premier « Forum du progrès social », et le projet « Progressistes pour le climat » développé en collaboration avec la Fondation européenne d’études progressistes en vue de la COP 21.</p>
<p>Dans ce cadre des rencontres ont notamment été organisées en Afrique du Sud avec le Mapungubwe Institute for Strategic Reflection, aux États-Unis avec le Center for American Progress ou au Canada avec le Canadian Centre for Policy Alternatives…</p>
<p>Mais, au-delà de ces marques de fabrique et du traitement récurrent de marronniers du débat public soumis par le biais de <a href="https://www.la-croix.com/Actualite/France/Un-think-tank-propose-que-les-enseignants-aient-une-formation-pratique-2015-09-10-1354559">rapports plus ou moins convenus sur la santé, l’éducation ou la fiscalité</a>, trop souvent marqués du sceau d’une pensée mainstream, un double constat s’impose.</p>
<h2>Des exercices de style</h2>
<p>Les think tanks ont certes permis à l’occasion à des organisations partisanes de tester des propositions programmatiques ou d’en renforcer l’écho, mais pour autant, sans porter ni produire d’idées et de pensées radicalement nouvelles. On peut citer, pour ne prendre qu’un exemple, les <a href="https://www.liberation.fr/france/2017/06/07/education-le-liberal-institut-montaigne-maitre-a-penser-de-macron_1575198">rapports de l’Institut Montaigne sur les sujets éducatifs</a>, aux préconisations souvent semblables à celles des <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/auteurs/jean-michel-blanquer/">ouvrages publiés par Jean‑Michel Blanquer</a> avant qu’il soit nommé en 2017 ministre de l’Éducation nationale et qu’il s’attache alors à leur mise en œuvre.</p>
<p>Par ailleurs, la grande force des think tanks français est aussi leur première faiblesse : dans leur constante recherche d’adaptation de leurs formats aux exigences des décideurs publics susceptibles de reprendre leurs recommandations et à celles des journalistes qui assurent leur couverture médiatique, les productions de ces groupes de réflexion sont aussi – et parfois surtout – devenues des exercices de styles.</p>
<p>Dès sa création, Terra Nova a ainsi annoncé qu’il publierait non seulement des essais de fond mais aussi des « policy briefs » (sur le modèle de « notes de cabinet »). Et tous les think tanks politiques hexagonaux proposent, à la publication de chaque essai ou rapport, des synthèses aux allures de communiqués de presse.</p>
<h2>Une certaine légitimité universitaire</h2>
<p>Bien évidemment, les think tanks ont bénéficié du fait que les partis politiques, tournés vers les échéances électorales, ont depuis plusieurs dizaines d’années maintenant perdus en France leur centralité dans l’élaboration des programmes, rendant propice le développement de lieux de pensée extérieurs et de nouveaux producteurs ou assembleurs d’expertise.</p>
<p>On ne peut d’ailleurs que se féliciter qu’ils parviennent à associer, au sein de groupes de travail spécifiquement constitués en vue de la production d’une note ou d’un rapport ou de leurs pôles d’expertise, acteurs académiques et acteurs de la vie politique, administrative, associative, et du monde économique.</p>
<p>Il faut ainsi reconnaître à ces organisations le fait d’avoir contribué à un <a href="http://www.theses.fr/s89966">mouvement positif d’effacement des frontières</a> entre les mondes académique, politique et administratif, économique et journalistique et une capacité à établir des interconnexions nouvelles, souples et informelles, contribuant à fluidifier la circulation des modèles et des idées.</p>
<h2>Déceptions</h2>
<p>Au final, si les think tanks politiques ont su se positionner comme des acteurs qui comptent dans la vie publique, politique, économique et <a href="http://www.thinktankinitiative.org/fr/blog/think-tanks-et-universit%C3%A9s-le-tout-est-sup%C3%A9rieur-%C3%A0-la-somme-des-parties">intellectuelle française</a>, porter un regard lucide sur leur production n’est pas sans susciter aujourd’hui de la déception.</p>
<p>Leur production régulière continue de bénéficier d’une importante couverture médiatique et elle est le plus souvent formellement de qualité. <a href="https://journals.openedition.org/quaderni/511">Des universitaires de premier plan comme de grands noms de la politique</a> et du monde économique se sont d’ailleurs engagés, notamment à la fin des années 2000, aux côtés de certains think tanks politiques.</p>
<p>Le positionnement des think tanks politiques leur procure une certaine liberté en dehors des partis, en dépit parfois de positions partisanes, et il est donc légitime d’en attendre des idées détonantes.</p>
<p>Le décalage n’en est que plus grand quand se retrouvent recyclées, tout juste modernisées par un vernis marketing nouveau, des propositions corsetées aux airs de déjà vu.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/129111/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Agathe Cagé est associée-cofondatrice, et présidente, de l'agence de conseil en stratégie Compass Label. </span></em></p>L’attrait de la nouveauté ayant petit à petit laissé la place à la routine, les think tanks peinent à transformer leur production en réelle impulsion politique.Agathe Cagé, Docteure en Sciences politiques associée au (CESSP) du CNRS, de l'EHESS, et de , Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1248012019-10-07T21:24:29Z2019-10-07T21:24:29ZDébat : Il faut repenser le racisme à l’échelle locale<p>Le racisme et l’antisémitisme, mais aussi le multiculturalisme ou le populisme font partie de ces grandes questions contemporaines dont l’analyse n’échappe pas à une tendance puissante, partout dans le monde, à souligner le caractère global.</p>
<p>Même si la circulation des idées pouvait être supranationale, la réalité concrète de ces phénomènes, comme d’autres (sociaux, culturels, religieux ou politiques) a longtemps été traitée dans le cadre principal de l’État-nation et de son complément, les relations internationales – le <a href="https://www.carn.info/revue-raisons-politiques-2014-2-page-9.htm">« nationalisme méthodologique »</a> que critiquait le sociologue allemand Ulrich Beck.</p>
<p>En dehors de considérations générales, philosophiques par exemple, les chercheurs les envisageaient pour l’essentiel pays par pays, quitte parfois à proposer des comparaisons. Mais dans le contexte historique de la fin de l’Empire soviétique et du triomphe du néo-libéralisme, d’autres démarches ont renouvelé leur approche. Ce fut la montée en puissance de la « pensée globale », – et autres formulations apparentées, comme celle de <a href="http://blogs.histoireglobale.com/le-nouveau-visage-du-cosmopolitisme-entretien-avec-ulrich-beck_926">« cosmopolitisme méthodologique »</a> proposée par le même Ulrich Beck et notamment l’émergence de l’histoire globale.</p>
<h2>« Penser global »</h2>
<p>Tout devient « global » désormais. Par exemple il est question maintenant de « global race » sans toujours assez de précisions, en particulier sur l’usage du mot <a href="https://global-race.site.ined.fr/fr/qui-sommes-nous/projet/">race si débattu en France</a>. La recherche en sciences sociales développe couramment l’idée d’enjeux mondiaux et de logiques planétaires dont la compréhension devrait guider des analyses plus localisées, ici et là, dans tel ou tel pays notamment.</p>
<p>Ce fut un progrès, à partir des années 90, que de commencer à « penser global », un mouvement des idées auquel la France s’est ouverte plus tardivement qu’ailleurs en dehors de quelques chercheurs, comme l’historien <a href="http://blogs.histoireglobale.com/category/histoire-connectee">Serge Gruzinski</a>, et de quelques espaces de recherche, comme le CADIS (Centre d’analyse et d’interventions sociologiques) ou la FMSH, que la figure tutélaire de Fernand Braudel avait dès les années 60 engagée sur cette voie, parlant <a href="https://www.alternatives-economiques.fr/braudel-wallerstein-systeme-deconomie-monde/00016988">d’économie-monde</a> et discutant quelques années plus tard avec Immanuel Wallerstein de l’idée de « système-monde »</p>
<p>Mais aujourd’hui, partout dans le monde, nous voyons se renforcer les appels à la fermeture des nations sur elles-mêmes, et à leur homogénéité, à la construction de murs et au renforcement des frontières, à des politiques résolument nationales, et il faut bien s’interroger : ne devons-nous pas redonner vitalité et pertinence à ce cadre de l’État-Nation et des relations internationales dans nos analyses des grands problèmes contemporains ? Cela ne nous éviterait-il pas des approximations et même des erreurs ?</p>
<h2>Le racisme diffère d’un contexte à l’autre</h2>
<p>Ainsi, le racisme, en France, n’est pas le même que celui des États-Unis d’Amérique. Et il n’est pas fondateur. La société française, contrairement à la société américaine, n’est véritablement post-esclavagiste qu’à sa périphérie, aux Antilles ou à la Réunion.</p>
<p>Son histoire accompagne d’abord l’expansion nationale dès les Grandes Découvertes et surtout, la colonisation portée par la Troisième République – rien de comparable aux États-Unis. Mais c’est aussi une idéologie qui se diffuse à l’échelle mondiale et à la construction de laquelle, comme l’historien israélien <a href="https://www.lexpress.fr/culture/zeev-sternhell-l-antifasciste_2061776.html">Zeev Sternhell</a> l’a montré, notre pays a largement contribué.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/DDK3AVfV-F8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Zeev Sternhell, « Le fascisme est-il français ? ».</span></figcaption>
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<p>L’immigration postcoloniale en provenance d’Afrique reçoit également un traitement qui se distingue de celui qui lui est fait aux États-Unis, où les descendants d’esclaves se sentent différents des immigrés venus plus récemment du continent africain. En France, autre spécificité, le racisme contemporain est à la fois l’héritier de l’ère coloniale, et des transformations d’une société où l’immigration de travail, notamment maghrébine, est devenue de peuplement, un processus alimentant bien des haines et des tensions autour des « banlieues » ou avec les théories racistes du « grand remplacement ».</p>
<h2>Repenser les phénomènes à l’échelle locale</h2>
<p>Ces spécificités, à peine évoquées ici, sont une invitation à ne pas trop vite proposer des catégories qui seraient exclusivement ou trop simplement globales, générales, et qui en fait sont empruntées à l’expérience américaine, et même plaquées sans distance, y compris dans l’usage de la langue anglaise, comme si elles apportaient le paradigme mondial de la compréhension du racisme, et du combat antiraciste.</p>
<p><a href="https://www.franceculture.fr/sociologie/race-islamophobie-intersectionnalite-ces-mots-qui-restent-tabous-en-france">À la mode dans certains milieux de la recherche</a>, la thématique de l’<a href="https://www.liberation.fr/debats/2015/07/02/intersectionnalite-nom-concept-visant-a-reveler-la-pluralite-des-discriminations-de-classe-de-sexe-e_1341702">intersectionnalité</a>, par exemple, qui repose au départ aux États-Unis sur une lecture du fonctionnement de la justice face aux discriminations de « race » et de « genre » n’est pas nécessairement adaptable telle quelle à l’expérience de la France, où elle pourrait contribuer à façonner l’image artificielle des combats politiques à conduire. Le débat est vif sur ce point.</p>
<p>Il en est de même avec l’antisémitisme. En France, celui-ci n’est jamais très éloigné d’un antisionisme qui en est alors la figure quelque peu masquée, à moins que ce soit l’inverse : la haine des Juifs et celle de l’État hébreu coïncident vite.</p>
<p>Mais il n’en va pas ainsi aux États-Unis, où par exemple les Églises évangéliques, si influentes, <a href="https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2018/09/04/l-indefectible-soutien-des-evangeliques-a-israel_5350005_3218.html">peuvent à la fois soutenir l’État d’Israël</a> et déployer un <a href="https://www.lemonde.fr/blog/filiu/2018/05/20/les-amis-antisemites-de-trump-a-jerusalem/">antisémitisme explicite</a>, et où des pans entiers du monde juif sont très critiques vis-à-vis de la politique du gouvernement israélien. De même, l’antisémitisme qui prospère aujourd’hui en Europe de l’Est n’empêche pas les États polonais ou hongrois de rechercher l’entente avec Israël, et ce, en <a href="https://www.lepoint.fr/monde/furieuse-d-accusations-d-antisemitisme-la-pologne-se-retire-d-un-sommet-en-israel-18-02-2019-2294229_24.php">dépit de tensions diplomatiques</a>.</p>
<h2>Le multiculturalisme oublieux du monde non-occidental</h2>
<p>Dans certains cas, l’importation sous couvert de pensée globale de catégories nord-américaines, dites parfois anglo-saxonnes, saute aux yeux dès que l’on s’éloigne de la littérature en langue anglaise.</p>
<p>Ainsi, le <a href="https://www.cairn.info/philosophies-du-multiculturalisme--9782724619157.htm">débat sur le multiculturalisme</a> qui s’est développé à partir des années 70 depuis l’Amérique du Nord est-il presque toujours oublieux de larges parties du monde, Amérique latine, Afrique, Asie (à part l’Inde), il suffit de lire les travaux sud-américains en espagnol pour le constater.</p>
<p>De même, la grande majorité des descriptions et analyses du populisme ignorent de nombreux pays qui mériteraient examen.</p>
<p>Ce serait cependant aussi une erreur que de revenir en arrière, comme s’il s’agissait d’abandonner toute perspective globale, car les mêmes phénomènes, les mêmes enjeux dont nous pouvons signaler les spécificités nationales présentent aussi bien des aspects mondiaux, dessinant des évolutions d’ensemble qui méritent d’être examinées à l’échelle de la planète.</p>
<p>Nous devons en fait circuler entre les registres, et envisager les grandes questions contemporaines en conjuguant les perspectives. La comparaison entre pays ne suffit pas, ce qui importe est la capacité de distinguer et d’articuler des registres allant du plus général, et mondial, au plus singulier, national, voire local. Penser global, c’est en fait accepter l’idée de niveaux et déployer l’analyse pour chacun d’entre eux, et en envisageant la façon dont ils s’emboîtent et se complètent, ou non.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/124801/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Wieviorka ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Ne devons-nous pas redonner vitalité et pertinence au cadre l’État-Nation et des relations internationales dans nos analyses des grands problèmes contemporains ?Michel Wieviorka, Sociologue, Président de la FMSH, Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1115432019-02-14T00:31:50Z2019-02-14T00:31:50ZLes cinq grands risques qui pèsent sur les start-ups dans leur relation avec les grands groupes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/258192/original/file-20190211-174867-1e3kxvv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C1%2C977%2C679&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La relation entre une jeune entreprise et une organisation de grande taille peut être détournée de ses objectifs de différentes manières. </span> <span class="attribution"><span class="source">ASDF_MEDIA / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Les start-ups et les grands groupes entretiennent des relations protéiformes. Au-delà de la <a href="https://business.lesechos.fr/entrepreneurs/communaute/0600189052342-une-plateforme-pour-faciliter-la-mise-en-relation-entre-start-up-et-grands-groupes-325148.php">relation commerciale BtoB</a> au sein de laquelle les start-ups sont souvent amenées à vendre leurs produits ou leurs services à des grands comptes, elles peuvent aussi établir des partenariats. De nombreuses modalités de rapprochement existent, dont l’objectif affiché est souvent de collaborer dans une perspective d’innovation. Or, on constate parfois que les relations mises en place se détournent de cet objectif et conduisent à l’échec partiel ou total du projet commun. Ces détournements peuvent intervenir à cinq niveaux : initiatives d’idéation, investissements et incubateurs corporate, open innovation et enfin au moment du rachat.</p>
<h2>Le détournement des initiatives d’idéation</h2>
<p>De prime abord, nous pourrions penser que cette externalisation du processus d’idéation (pour faire émerger de nouvelles idées), via des <a href="https://www.edf.fr/groupe-edf/espaces-dedies/start-up/prix-edf-pulse/actualite-des-prix/un-premier-challenge-d-innovation-participative-pour-edf">challenges d’innovation</a> par exemple, a pour but de nourrir la réflexion sur les nouvelles solutions à développer. Lorsque des start-ups (existantes ou en formation) sont présentes, la promesse peut également être perçue comme un moyen de créer un premier contact avec de jeunes entreprises innovantes pour collaborer à l’avenir.</p>
<p>Mais ces initiatives peuvent être détournées de cet objectif. Elles peuvent être analysées d’un point de vue RH comme une manière efficace de recruter les prochains talents de l’entreprise alors que le recrutement d’employés compétents sur le digital reste un exercice délicat. Travailler sur une courte période, autour d’idées nouvelles et en rupture devient alors un moyen de se forger un avis plus informé sur le potentiel des candidats à recruter.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/258190/original/file-20190211-174864-6532bz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/258190/original/file-20190211-174864-6532bz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/258190/original/file-20190211-174864-6532bz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/258190/original/file-20190211-174864-6532bz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/258190/original/file-20190211-174864-6532bz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=512&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/258190/original/file-20190211-174864-6532bz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=512&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/258190/original/file-20190211-174864-6532bz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=512&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les challenges d’innovation peuvent être un moyen d’attirer des talents dans l’entreprise.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Leonel Calara/Shutterstock</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>D’une perspective a priori business, ces concours peuvent donc être dévoyés et détournés de leur objectif initial pour contribuer à la construction d’une stratégie RH plus efficace ou encore d’une stratégie de communication pour donner une image plus innovante.</p>
<h2>Le détournement d’investissements <em>corporate</em></h2>
<p><a href="https://theconversation.com/qui-sont-ces-grands-groupes-francais-qui-financent-les-entreprises-innovantes-110371">La plupart des entreprises de grande taille</a> s’autorisent à investir dans des start-ups en mobilisant leur structure d’investissement interne (<a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0883902614001062?via%3Dihub"><em>corporate venture</em></a>). La motivation évidente d’un tel rapprochement semble être un retour financier à court ou moyen terme.</p>
<p>Pourtant, il est des cas où les grands groupes investissent dans des start-ups à des fins d’apprentissage. L’entreprise investit pour améliorer ses connaissances de certaines technologies ou de certains usages en construction (blockchain, intelligence artificielle, réalité virtuelle, etc.). Le pari change alors de nature. Il n’est plus question de miser sur une start-up pour son potentiel de croissance mais plutôt de s’en saisir pour développer son niveau de compréhension des ruptures technologiques à venir.</p>
<p>Ce détournement peut inverser la relation habituellement attendue entre le grand groupe et la start-up. Indépendamment des sommes investies, le grand groupe n’exerce plus son rôle de facilitateur ou d’accélérateur pour les affaires de la start-up. Cette dernière se voit plutôt attribuer, formellement ou de manière tacite, une responsabilité pour développer le niveau de connaissance du grand groupe, tâche chronophage, encombrante et qui peut détourner la start-up de ses préoccupations de croissance.</p>
<h2>Le détournement des incubateurs <em>corporate</em></h2>
<p>Au cours de la dernière décennie, beaucoup de grands groupes se sont dotés d’incubateurs sur fonds propres dont les modalités et les conditions d’accueil varient sensiblement selon les entreprises.</p>
<p>Les start-ups sélectionnées par ces incubateurs pensent souvent y trouver un moyen de se rapprocher de leurs futurs clients ou de leurs potentiels investisseurs. Pourtant, elles remplissent quelques fois un rôle dont elles n’ont pas conscience. Elles peuvent devenir les poissons-pilotes d’une organisation qui n’arrive plus à explorer par elle-même de nouveaux terrains d’affaires sur son secteur d’activité.</p>
<p>Steeve Blank est une figure emblématique de l’entrepreneuriat aux États-Unis. Il a proposé une <a href="https://hbr.org/2013/05/why-the-lean-start-up-changes-everything">définition claire sur les start-ups</a> (Blank, 2013) qui sont pour lui des « organisations temporaires conçues pour chercher un modèle d’affaires extensible et reproductible ». Cette définition souligne que le rôle des start-ups consiste à explorer pendant que celui des grands groupes est sans doute d’exploiter les modèles d’affaires après qu’ils aient été découverts.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/258193/original/file-20190211-174894-xkv5m9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/258193/original/file-20190211-174894-xkv5m9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/258193/original/file-20190211-174894-xkv5m9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/258193/original/file-20190211-174894-xkv5m9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/258193/original/file-20190211-174894-xkv5m9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/258193/original/file-20190211-174894-xkv5m9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/258193/original/file-20190211-174894-xkv5m9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Pour Steve Blank, les start-ups sont des « organisations temporaires conçues pour chercher un modèle d’affaires extensible et reproductible ».</span>
<span class="attribution"><span class="source">Monkey Business/Shutterstock</span></span>
</figcaption>
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<p>Certaines entreprises, de manière parfaitement rationnelle, peuvent alors se résigner à laisser la fonction d’exploration aux start-ups, en attendant de les racheter lorsqu’elles auront fait la preuve d’un modèle économique viable.</p>
<p>L’équilibre initialement attendu dans la relation entre les start-ups incubées et le grand groupe peut néanmoins être questionné car ce dernier tire un bénéfice de cette collaboration dans tous les cas. La start-up prend en effet l’entièreté du risque de l’exploration. Pour les start-ups qui auront exploré sans succès des chemins d’innovation sans issue, le bénéfice de l’incubation reviendra au grand groupe. Grâce à l’échec de la start-up, le grand groupe aura validé l’impossibilité de certains chemins d’innovation. Et pour les start-ups à succès, elles auront en revanche permis au grand groupe de tester à bas coût de nouveaux chemins d’innovation.</p>
<h2>Le détournement des initiatives d’<em>open innovation</em></h2>
<p>La transformation numérique des entreprises oblige les grands groupes à conduire de nombreux changements au sein de leurs organisations. Opérer ces transformations de manière isolée et autonome peut s’avérer être un exercice délicat.</p>
<p>Travailler à la co-construction d’une nouvelle proposition de valeur avec une start-up présente un intérêt immédiat, en lien direct avec l’objectif premier de la collaboration : trouver une solution innovante. Pour autant, il convient de ne pas négliger les externalités positives de ces alliances ouvertes. Pour les grands groupes, l’<a href="https://www.nmit.edu.my/wp-content/uploads/2017/10/Open-Innovation-the-New-Imperative-for-Creating-and-Profiting-from-Technology.pdf"><em>open innovation</em></a> permet d’exposer leurs employés à de nouvelles méthodes, portées par une entité extérieure qui fait alors office de <em>benchmark</em> et expose les collaborateurs de l’entreprise à un nouvel environnement.</p>
<p>Ces bénéfices indirects induits par les initiatives d’open innovation peuvent s’avérer tellement importants pour le grand groupe qu’ils peuvent parfois dépasser l’intention initiale du partenariat. Les initiatives d’open innovation perdent alors leur fonction primaire fondée sur le développement d’une innovation mais servent à la conduite du changement des chantiers opérés en interne par les grands groupes.</p>
<p>Ce détournement peut être pénalisant pour les start-ups car leur participation est instrumentalisée pour atteindre des objectifs propres aux grands groupes, bien loin des promesses initialement affichées pour les convaincre de collaborer au départ du projet.</p>
<h2>Le détournement de certains rachats de start-ups</h2>
<p>Certaines industries se sont ouvertes à des grands fonds de pension étrangers, dont l’une des caractéristiques est d’être entrés massivement au capital de certaines PME françaises. Par construction, ces fonds de pension n’ont pas vocation à rester éternellement dans ces PME. Pour rendre leurs investissements liquides, ces opérateurs financiers doivent faire grandir rapidement la valeur financière de la société dans laquelle ils ont investi de manière à s’en séparer au meilleur prix au terme de leur investissement.</p>
<p>Or, le rachat d’une start-up numérique peut être une manière de faire progresser rapidement les actifs numériques d’une PME, ce qui a pour effet immédiat de faire croître significativement la valorisation de cette même PME. Cette mécanique financière crée des situations où certaines entreprises peuvent avoir intérêt à racheter des start-ups dans le but d’augmenter leur valeur financière à très court terme et ainsi remplir les objectifs de revente des fonds de pension entrés à leur capital.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/258197/original/file-20190211-174883-1q8l36y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/258197/original/file-20190211-174883-1q8l36y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/258197/original/file-20190211-174883-1q8l36y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/258197/original/file-20190211-174883-1q8l36y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/258197/original/file-20190211-174883-1q8l36y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/258197/original/file-20190211-174883-1q8l36y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/258197/original/file-20190211-174883-1q8l36y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le rachat d’une start-up peut être motivé avant tout par des impératifs financiers court-termiste.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Cozy Home/Shutterstock</span></span>
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<p>Ce détournement est gênant en ce qu’il n’aligne pas les intérêts de la start-up et de la PME. Son rachat remplit ici une fonction court-termiste, fondée sur une logique financière alors même que le développement d’une start-up doit s’envisager à plus long terme, avec des perspectives de croissance de sa base utilisateurs sans considération excessive pour la valorisation financière de ses actions.</p>
<h2>Aux start-ups d’être vigilantes</h2>
<p>Finalement, cette liste de détournements de la relation entre start-ups et grands groupes n’est pas complète. D’autres exemples existent comme les investissements de grands groupes dans des start-ups dans le but de renforcer leur ancrage local sur des zones géographiques données, ou la prise de parts dans une start-up pour empêcher ou freiner une concurrence à venir…</p>
<p>Il faut donc éviter d’avoir une lecture au premier degré du rapprochement des start-ups et des grands groupes en étant conscient de certains détournements, parfois avoués et affichés comme tels, parfois cachés et subtiles. Aux start-ups aussi d’être vigilantes pour ne pas considérer un rapprochement avec un grand groupe comme un signe de réussite ou la garantie d’un intérêt réel pour leurs produits ou leurs services.</p>
<p>Il n’est cependant pas certain que les détournements soient systématiquement intentionnels ou anticipés. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il nous est difficile de porter un jugement de valeur dessus. S’ils ne sont pas intentionnels, aux parties prenantes de mettre en place des solutions pour les anticiper ou les prévenir. Si ces détournements participent d’une stratégie volontaire de l’une ou l’autre partie, alors ils peuvent être perçus comme des risques inévitables faisant partie des règles du jeu dans une collaboration en environnement incertain.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/111543/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Que ce soit au moment de faire émerger des idées ou du rachat de la jeune pousse, les grandes entreprises peuvent être tentées d’adopter un certain nombre de comportements préjudiciables.Flavien Bazenet, Enseignant-Chercheur en entrepreneuriat numérique, titulaire de la Chaire "Inventivités digitales", Institut Mines-Télécom Business School Marc Revol, Etudiant en thèse sur les relations startups / grands groupes, École polytechniqueThomas Houy, Enseignant-chercheur en sciences de gestion et innovation, Télécom Paris – Institut Mines-TélécomValérie Fernandez, Professeur, Télécom Paris – Institut Mines-TélécomLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1113842019-02-11T20:54:49Z2019-02-11T20:54:49ZCes « idées résistantes » à l’origine de la crise financière de 2008<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/257955/original/file-20190208-174883-tpgzb3.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C2%2C903%2C556&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">« L'idée résistante », au cœur du film _Inception_, de Christopher Nolan. </span> <span class="attribution"><span class="source">Youtube</span></span></figcaption></figure><p><em>Cette contribution est la suite de deux articles, publiés dans ces colonnes, intitulés <a href="https://theconversation.com/en-2008-la-finance-piegee-par-lillusion-de-la-disparition-du-risque-107237">« En 2008, la finance piégée par l’illusion de la disparition du risque »</a> et <a href="https://theconversation.com/pourquoi-la-cupidite-ne-suffit-pas-a-expliquer-la-crise-de-2008-104704">« Pourquoi la cupidité ne suffit pas à expliquer la crise de 2008 »</a> qui s’intéressaient aux modèles mentaux des acteurs de la finance.</em></p>
<hr>
<p>Le film de Christopher Nolan, <em>Inception</em> (2008), présente de manière très claire la notion d’« idée résistante ». Un homme d’affaires japonais, Saito (Ken Watanabe) veut se rendre maître du marché mondial de l’énergie. Pour cela, il décide d’éliminer son concurrent en confiant à un spécialiste de l’entrée dans le subconscient des gens, Dominic Cobb (Leonardo DiCaprio), la mission d’aller implanter dans l’esprit de son concurrent une nouvelle idée qui devra résister à toutes les tentatives de ses administrateurs et actionnaires de l’en dissuader : le démantèlement volontaire de son empire industriel !</p>
<p>Au début du film, Cobb dit à Saito : </p>
<blockquote>
<p>« Qu’y a-t-il de plus résistant comme parasite ? […] Une idée. Une idée résistante […]. Une fois que l’idée s’est installée dans l’esprit, elle est presque impossible à éradiquer. Une idée arrivée à maturité, à intelligibilité, s’enracine là-dedans [il montre son cerveau], quelque part. »</p>
</blockquote>
<p>Une idée résistante enfouie dans les tréfonds de notre esprit jouera ensuite un rôle central dans notre vie : elle exercera une influence profonde sur nos manières de voir le monde, d’agir, de penser, de décider dans la pratique, formant un véritable modèle mental protégé des démentis de l’expérience et la rendant ainsi immunisée contre le doute.</p>
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<figcaption><span class="caption">Bande annonce du film <em>Inception</em>, de Christopher Nolan.</span></figcaption>
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<p>Le philosophe autrichien <a href="https://www.cairn.info/ludwig-wittgenstein-et-la-philosophie--9782130516750-page-127.htm?contenu=resume">Ludwig Wittgenstein</a> (1889-1951) appelle ces idées résistantes des « paysages mentaux ». Le philosophe américain <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/ralph-waldo-emerson/">Ralph Waldo Emerson</a> (1803-1882) les qualifie de « maîtres de nos vies » : quelque chose qui exerce une emprise cachée sur nous, et qui s’insinue en nous à un niveau infra-rationnel.</p>
<h2>Plus vrai que la réalité</h2>
<p>Dans nos deux précédents articles, nous avons complété les diagnostics de la crise financière de 2008 en introduisant la notion de modèle mental partagé, et en proposant le « principe de continuité » comme modèle mental partagé par les acteurs de la finance, banquiers comme universitaires. Nous disons aujourd’hui que le principe de continuité a été une « idée résistante » car cette idée a été protégée pendant 50 ans de tous les démentis de l’expérience (tests de mise à l’épreuve) et de tous les événements qui venaient faire apparaître des difficultés de son utilisation (accidents financiers à répétition). Les idées résistantes reposent sur des histoires qu’on se raconte, et deviennent ainsi plus « vraies » que la réalité : le principe de continuité est devenu au fil des années plus « vrai » que la réalité financière. Cette histoire imaginaire (la continuité) a conduit pour finir à la débâcle de 2008.</p>
<p>Pourtant, on pourrait croire que la recherche en finance suit les règles usuelles de la recherche dans les sciences. Ces règles ont été formalisées depuis longtemps : on vérifie une hypothèse au moyen d’une mise à l’épreuve de ses conséquences vérifiables. Dans le cas du principe de continuité, il faut repérer ses implications vérifiables. Elles sont partout dans la finance. Par exemple, avec les <a href="http://www.comparabourse.fr/lexique/marche-derive.php">marchés dérivés</a>, la disparition théorique du risque repose sur la possibilité de compenser une position perdante sur l’actif physique par une position gagnante sur l’actif dérivé : la somme des deux positions conduit à un risque théoriquement nul. Cette technique magique ne fonctionne bien que si le marché évolue graduellement, sans à-coups, sans (justement) discontinuités, afin de pouvoir ajuster graduellement sa position. Comme il est clair que le risque n’a pas été annulé par la finance (au contraire, il a parfois été augmenté !), on voit assez intuitivement que l’hypothèse de continuité a été maintes fois prise en défaut au cours des nombreux accidents financiers qui rythment la sphère financière depuis 1987.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/257959/original/file-20190208-174857-105tt74.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/257959/original/file-20190208-174857-105tt74.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=389&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/257959/original/file-20190208-174857-105tt74.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=389&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/257959/original/file-20190208-174857-105tt74.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=389&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/257959/original/file-20190208-174857-105tt74.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=489&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/257959/original/file-20190208-174857-105tt74.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=489&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/257959/original/file-20190208-174857-105tt74.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=489&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’hypothèse de continuité a été maintes fois invalidée depuis 1987.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Nokwan007/Shutterstock</span></span>
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<p>Mais, plus précisément, depuis l’origine des tests statistiques en économétrie financière (dès les années 1930), aucune des implications vérifiables du principe de continuité n’a pu être validée par les données financières. La discontinuité apparaît partout, sur tous les marchés, dans toutes les périodes, pour tous les actifs financiers négociés.</p>
<h2>Les démentis de l’expérience ignorés</h2>
<p>Or, alors qu’en médecine la confrontation des données fournies par le syndrome clinique avec celles qui sont fournies par le système biologique permet de serrer au plus près le diagnostic, il n’en a pas été de même pour la finance : la communauté financière (banquiers comme enseignants-chercheurs) a ignoré la discontinuité et a maintenu le principe de continuité plus de 50 ans malgré l’étendue de ses invalidations. Cette représentation mentale a été mystérieusement protégée des démentis de l’expérience. La question qui vient alors à l’esprit est : comment cela a-t-il été possible ? Comment expliquer une telle durée de vie pour une représentation mentale dont rien, ni dans la pratique, ni dans les mises à l’épreuve scientifiques, ne pouvait justifier le maintien.</p>
<p>Pour apporter une réponse à cette question, on peut aller chercher du côté de la philosophie des sciences, discipline qui a proposé des modèles de dynamiques de la connaissance scientifique. Chaque dynamique est une manière particulière de décrire les rapports entretenus entre la connaissance d’un phénomène (ici la représentation du risque) et ce phénomène (ici les incertitudes économiques ou financières à l’origine du risque). Ainsi par exemple, on peut considérer que le principe de continuité est un « paradigme » au sens de <a href="https://philosciences.com/philosophie-et-societe/113-paradigme-scientifique-thomas-kuhn">Thomas Kuhn</a>, ou bien un « noyau dur » au sens d’<a href="http://theses.univ-lyon2.fr/documents/getpart.php?id=lyon2.2002.eparvier_p&part=57217">Imre Lakatos</a>, ou encore une « convention » au sens de <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/willard-van-quine/">Willard Van Orman Quine</a>. On explique alors la permanence du principe de continuité comme la conséquence de la dimension sociale normative d’un paradigme (Kuhn), de l’intouchabilité intellectuelle du noyau dur théorique d’un programme de recherche (Lakatos), ou encore comme le résultat de la sous-détermination des théories par les « faits » due à la présence de conventions (Quine).</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/241606/original/file-20181022-105773-14lu09r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/241606/original/file-20181022-105773-14lu09r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/241606/original/file-20181022-105773-14lu09r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=848&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/241606/original/file-20181022-105773-14lu09r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=848&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/241606/original/file-20181022-105773-14lu09r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=848&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/241606/original/file-20181022-105773-14lu09r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1066&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/241606/original/file-20181022-105773-14lu09r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1066&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/241606/original/file-20181022-105773-14lu09r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1066&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"></span>
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<p>Pour aller plus loin dans la compréhension dont le principe de continuité a pu circuler dans les groupes sociaux d’acteurs financiers, il faut se tourner vers la sociologie et les travaux d’études sociales de la finance. Ces travaux essentiels font apparaître très concrètement comment la finance se fabrique. L’ouvrage collectif <em>The making of finance</em> (2018) dirigé par <a href="https://theconversation.com/mobiliser-les-sciences-sociales-pour-repenser-la-finance-103473">Isabelle Chambost, Marc Lenglet et Yamina Tadjeddine</a> est un bon exemple de panorama des différentes manières de rendre concrètes les théorisations de la finance.</p>
<h2>Le principe de continuité jusque dans les normes</h2>
<p>Un autre problème apparaît aujourd’hui avec la réglementation internationale et les normes financières appelées « prudentielles », car elles sont censées réduire les risques systémiques et <a href="https://theconversation.com/conversation-avec-jezabel-couppey-soubeyran-regulation-financiere-le-temps-de-la-pause-72837">éviter de nouvelles catastrophes</a> financières. Or, ces normes sont contaminées par le principe de continuité : par exemple, pour le calcul des besoins en fonds propres des banques et compagnies d’assurance, le régulateur utilise une « loi en racine carrée du temps » (c’est son nom car cette règle indique qu’il faut calculer le besoin de fonds propres à N jours en multipliant le besoin à un 1 jour par la racine carrée de la durée, soit racine de N). Seul le principe de continuité permet un usage sans risque de cette loi.</p>
<p>Le principe de continuité a ainsi pénétré l’esprit des normes, ce qui renforce la résistance du principe de continuité aux changements nécessaires et rend ces normes dangereuses pour la société. Si le régulateur durcit dans des normes et réglementations le principe de continuité, il rend l’idée encore plus résistante et accroît la dangerosité de la finance pour la société. Le principe de continuité s’oppose à la finance durable.</p>
<p>« Une idée, c’est comme un virus, des plus résistants, des plus contagieux. La moindre graine d’idée peut germer. Et en germant, elle peut te caractériser, ou te détruire » (<em>Inception</em>, 1h54). Immunisé contre le doute et les démentis de l’expérience, par le rôle qu’il a joué dans les raisonnements théoriques comme pratiques des acteurs de la finance, le principe de continuité a détruit le système financier et a rendu la finance néoclassique dévorante pour la société. Il est temps que la recherche en finance, pour bâtir une finance durable post-crise, abandonne le principe de continuité. La finance verte sera donc discontinue <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/01/29/l-industrie-financiere-doit-s-engager-a-prevenir-la-menace-d-une-prochaine-grande-crise-ecologique-et-sociale_5416100_3234.html">ou ne sera pas</a> !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/111384/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian Walter ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les modèles qui ont conduit à la débâcle ne résistaient pas à la mise à l’épreuve scientifique. Ils ont pourtant été maintenus. Comment l’expliquer ?Christian Walter, Titulaire de la chaire « Éthique et Finance » du Collège d’études mondiales de la FMSH, Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.