tag:theconversation.com,2011:/uk/topics/iran-21279/articlesIran – The Conversation2024-02-25T16:26:27Ztag:theconversation.com,2011:article/2240132024-02-25T16:26:27Z2024-02-25T16:26:27ZL’engagement du Hezbollah auprès du Hamas et ses conséquences pour le Liban<p>Dès le lendemain de l’attaque du Hamas contre Israël du 7 octobre dernier, le Liban a été entraîné dans le conflit sur sa frontière Sud contrôlée par le Hezbollah, qui a <a href="https://www.la-croix.com/Liban-Hezbollah-tire-positions-israeliennes-frontiere-2023-10-08-1301285987">tiré des roquettes sur le territoire de l’État hébreu</a> en solidarité avec le mouvement palestinien. Israël a <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/israel-contre-le-hamas-la-crainte-grandissante-d-une-intervention-du-hezbollah-au-liban-980065.html">répliqué par des bombardements soutenus</a> visant les positions du Hezbollah au Liban. Depuis, les <a href="https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/israel-et-le-hezbollah-sur-le-pied-de-guerre-au-liban-2043581">combats n’ont cessé de s’intensifier</a>, au point qu’une escalade vers une guerre totale qui embraserait l’ensemble de la région apparaît comme un scénario crédible aux yeux de nombreux observateurs et d’une partie significative de la population libanaise.</p>
<p><a href="https://www.lorientlejour.com/article/1368403/discours-de-nasrallah-les-4-points-cles-sur-gaza-et-le-liban-sud.html">Dans un discours diffusé le 16 février</a> le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a défié Israël en annonçant qu’il ne renoncera pas au combat et en martelant :</p>
<blockquote>
<p>« L’ennemi paiera le prix du sang de nos femmes et de nos enfants qui ont été tués dans le Sud. Le prix du sang sera le sang ; pas des avant-postes, des équipements de surveillance ou des véhicules militaires. »</p>
</blockquote>
<p>Cette déclaration implique que la milice chiite ne ciblera plus uniquement des positions militaires, mais également des civils. La veille, une <a href="https://www.france24.com/en/live-news/20240215-lebanon-family-invited-to-dinner-finds-death-in-israel-strike">frappe de drone</a> contre des responsables du Hezbollah à Nabatiyeh avait fauché une famille au premier étage de l’immeuble visé.</p>
<p>Du côté israélien, le ministre de la Défense Yoav Gallant avait averti le <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1357024/un-ministre-israelien-avertit-le-hezbollah-que-beyrouth-pourrait-subir-le-meme-sort-que-gaza.html">11 novembre</a> : « Le Hezbollah entraîne le Liban dans une guerre qui pourrait avoir lieu. […] Ce que nous pouvons faire à Gaza, nous pouvons aussi le faire à Beyrouth ». L’armée israélienne a déployé des troupes supplémentaires sur sa frontière Nord, <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1353198/israel-evacue-des-habitants-le-long-de-la-frontiere-avec-le-liban-armee.html">évacuant les civils résidant dans les localités frontalières</a>. S’achemine-t-on inéluctablement vers une nouvelle guerre ouverte entre Israël et le Hezbollah ?</p>
<h2>État des lieux au Liban depuis octobre 2023</h2>
<p>Depuis le 8 octobre, plus de 90 villages ont été visés par des tirs israéliens, et plus de <a href="https://dtm.iom.int/reports/mobility-snapshot-round-20-18-01-2024?close=true">83 000 habitants du Sud Liban</a> ont quitté leur foyer pour des endroits plus sûrs.</p>
<p><a href="https://www.europe1.fr/international/violences-a-la-frontiere-avec-israel-plus-de-76000-deplaces-au-liban-selon-lonu-4223459">Selon l’Organisation internationale pour les migrations</a>, la majorité des déplacés sont accueillis par des parents tandis que d’autres louent ou sont installés dans des centres et dans des écoles réquisitionnées pour les héberger. L’organisation de l’aide pour les déplacés est ainsi gérée en grande partie par la solidarité familiale et des institutions humanitaires civiles et partisanes ; le rôle du gouvernement libanais reste limité et, souvent, les plans d’urgence sont inadéquats.</p>
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<p>Le bilan humain s’alourdit de jour en jour. Il s’élève actuellement à plus de 200 morts, dont la plupart sont des combattants du Hezbollah. Parmi les victimes civiles, on compte notamment des <a href="https://www.amnesty.org/en/latest/news/2023/12/lebanon-deadly-israeli-attack-on-journalists-must-be-investigated-as-a-war-crime/">journalistes délibérément visés par les frappes israéliennes</a>, une stratégie adoptée dans cette guerre par Israël dont les frappes à Gaza <a href="https://rsf.org/fr/gaza-4-mois-de-guerre-le-journalisme-palestinien-d%C3%A9cim%C3%A9-en-toute-impunit%C3%A9">ont tué plus de 84 journalistes</a> depuis le début des hostilités.</p>
<p>On ne saurait trop insister sur le fardeau financier qui pèse sur l’État libanais et, surtout, sur les personnes déplacées, dont une grande partie sont des agriculteurs et des travailleurs journaliers. Ainsi, de nombreux villageois n’ont pu récolter et vendre leurs produits (notamment les olives), et <a href="https://www.hrw.org/news/2023/10/12/israel-white-phosphorus-used-gaza-lebanon">l’utilisation par Israël de bombes au phosphore blanc</a> dans les champs du Sud-Liban a durablement endommagé la terre.</p>
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<p>Outre l’impact économique et environnemental, la plupart des écoles ont dû fermer leurs portes dans la région et plus de 5 000 enfants ont été déscolarisés. Il ne faut pas perdre de vue que le <a href="https://www.worldbank.org/en/country/lebanon/overview">Liban souffre depuis 2020 d’une grave crise économique</a> qui se manifeste par un <a href="https://fr.euronews.com/2023/03/14/au-liban-un-dollar-vaut-desormais-100-000-livres-un-record-historique">effondrement de sa monnaie</a> et un des ratios dette/PIB les plus élevés au monde (283,2 %). Le déclenchement d’un conflit avec Israël anéantirait pour de bon les espérances des Libanais de sortir de l’impasse et réduirait en cendres le peu d’infrastructures qui restent encore en état de fonctionnement.</p>
<h2>Israël et le Hezbollah, les meilleurs ennemis</h2>
<p>Ce n’est pas la première fois que le Liban est confronté à de tels scénarios. Depuis la <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/index/sujet/guerrecivilelibanaise">guerre civile (1975-1989)</a>, jusqu’à la période qui a suivi <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2000/05/25/l-armee-israelienne-a-acheve-son-evacuation-du-liban-sud_3714606_1819218.html">l’évacuation de l’occupation israélienne du Sud-Liban (2000)</a> et la <a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2007-1-page-14.htm">guerre de juillet 2006</a>, les forces israéliennes ont plusieurs fois attaqué le Liban et conservent une forte présence militaire le long de la frontière.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1759231806077894659"}"></div></p>
<p>Israël et le Hezbollah sont les meilleurs ennemis : les attaques israéliennes répétées <a href="https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-03153621v1/document">consacrent le rôle du Hezbollah</a> comme gardien de la résistance, adversaire résolu d’Israël et défenseur de la souveraineté libanaise et de la libération de la Palestine, alors qu’une paix avec Israël contraindrait le mouvement à se désarmer et, in fine, à disparaître. Pour l’État israélien, l’existence de la milice et le danger qu’elle représente justifient sa politique de sécurité et de guerre continue.</p>
<p>Il reste que si le conflit actuel <a href="https://www.theguardian.com/world/2023/oct/18/gaza-hospital-al-ahli-al-arabi-blast-explosion-protests-demonstrations-middle-east">a redoré le blason du Hezbollah auprès de la majorité des Arabes</a> qui applaudissent son effort de guerre auprès du Hamas contre Israël, au Liban le soutien reste mitigé. Pour beaucoup, les affrontements en cours représentent une menace sérieuse pour l’avenir du pays.</p>
<h2>Divisions politiques</h2>
<p>L’opinion publique et la classe politique libanaises sont divisées entre, d’une part, ceux qui adhèrent au projet politique du Hezbollah et de ses alliés de <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1366597/hamas-hezbollah-houthis-que-veut-laxe-de-la-resistance-.html">« l’axe de la résistance »</a> soutenus par l’Iran – qui comprend le Hamas, les <a href="https://theconversation.com/les-etats-unis-vers-un-conflit-a-grande-echelle-avec-les-houthis-du-yemen-et-les-organisations-politico-militaires-irakiennes-221671">milices chiites en Irak et les Houthis yéménites</a> – et, d’autre part, ceux qui le rejettent et réclament son désarmement, l’accusant d’être un contre-pouvoir bloquant la vie politique et la reprise économique.</p>
<p>Dans les premiers jours du conflit, l’engagement du Hezbollah sur le front Sud a réussi à transcender, un temps, les clivages sectaires, notamment entre sunnites, druzes et chiites par solidarité avec Gaza ; mais avec l’enlisement et l’installation de la guerre dans la durée, les alliances se fissurent.</p>
<p>Pour la communauté chrétienne, <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1366146/apres-gemayel-rai-les-pro-hezbollah-sur-la-defensive-face-a-leurs-detracteurs-chretiens.html">hostile à cette guerre</a>, le Hezbollah prend une fois de plus les Libanais en otage et met en danger la souveraineté du pays. Par ailleurs, la promesse faite par le secrétaire général Hassan Nasrallah d’engager de manière limitée son organisation dans la <a href="https://www.washingtonpost.com/world/2023/11/03/nasrallah-hezbollah-lebanon-israel-speech/">création « d’un front de soutien et de solidarité »</a> au début du conflit, ne tient plus. Le bilan élevé des combattants morts lors des opérations et les cadres (Hamas et Hezbollah) assassinés par drone, le déplacement des populations du Sud fuyant les combats et l’installation dans le conflit rendent le risque d’embrasement plus plausible que jamais. Mais ce danger n’est pas perçu de la même manière par tous au Liban, où plusieurs réalités coexistent.</p>
<h2>Réalités parallèles</h2>
<p>Malgré la crise et la guerre qui menace au Sud, la vie à Beyrouth et dans ses environs est quasi normale. Les restaurants et les bars ne désemplissent pas, les stations de ski sont toujours fréquentées, les centres commerciaux et les cinémas aussi.</p>
<p>Quand on se promène du côté de Gemmayzé, Mar Mikhael, Verdun ou Rabieh, on ressent l’insouciance d’une partie de la population qui vit dans le déni de la guerre et dans une réalité parallèle. Ces Libanais qui ne souhaitent pas quitter leur pays pour des endroits plus sûrs et dont les revenus sont perçus pour une grande partie en devises étrangères ne parlent ni de conflit ni de crise, termes vulgaires et obscènes qui enlaidissent leur projection d’une vie idéale à la libanaise.</p>
<p>Ils vivent dans une bulle qui préserve du présent, est détachée du passé douloureux et ne se projette pas dans un avenir incertain. Une bulle flottant hors temps et hors sol, qui protège de l’autre réalité, plus dure : celle de la <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1289153/80-de-pauvres-au-liban-comment-cette-donnee-est-elle-calculee-.html">majorité des Libanais qui vivent sous le seuil de pauvreté</a>, qui ne peuvent se chauffer en hiver, se soigner ou payer la scolarité de leurs enfants. Différente aussi de celle des habitants du Sud Liban, obligés de fuir leur foyer. Les réalités libanaises cohabitent mais ne se croisent pas ; elles sont le reflet d’un pays déchiré par des années de guerre, avec une société fragmentée et un État en faillite, incapable d’empêcher que la guerre à Gaza ne s’invite à Beyrouth.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224013/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jihane Sfeir est chercheur à OMAM et REPI de l'ULB</span></em></p>Il y a déjà eu des centaines de morts, depuis octobre 2023, dans les affrontements opposant Israël au Hezbollah. Le Liban, déjà aux abois, sera-t-il entraîné dans une guerre dévastatrice ?Jihane Sfeir, Historienne, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2216712024-01-29T15:48:28Z2024-01-29T15:48:28ZLes États-Unis vers un conflit à grande échelle avec les Houthis du Yémen et les organisations politico-militaires irakiennes ?<p>Au Proche-Orient, la guerre de Gaza est en train d’acquérir une dynamique propre, ravivant le spectre de nouveaux conflits régionaux. Appuyé par les États-Unis, qui ont <a href="https://www.lepoint.fr/monde/les-etats-unis-livrent-des-munitions-a-israel-et-renforcent-leur-presence-militaire-08-10-2023-2538500_24.php">envoyé leur plus imposant navire de guerre dans la zone</a>, Israël mène, depuis l’assaut meurtier du Hamas le 7 octobre dernier, une guerre à grande échelle qui, <a href="https://theconversation.com/quelle-strategie-israelienne-pour-gaza-216050">aux yeux de nombreux observateurs</a>, ne viserait pas uniquement à éradiquer le groupe islamiste mais également à expulser les Palestiniens de Gaza en prenant pour cible les infrastructures et les populations civiles. La Cour internationale de Justice vient d’ailleurs d’<a href="https://apnews.com/article/israel-palestinians-south-africa-genocide-hate-speech-97a9e4a84a3a6bebeddfb80f8a030724">accepter d’instruire la plainte pour génocide déposée par l’Afrique du Sud</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/israel-devant-la-cour-internationale-de-justice-celle-ci-est-elle-devenue-un-substitut-a-un-conseil-de-securite-dysfonctionnel-220727">Israël devant la Cour internationale de justice : celle-ci est-elle devenue un substitut à un Conseil de sécurité dysfonctionnel ?</a>
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<p>Dans ce contexte, des acteurs non étatiques armés alliés à l’Iran ont lancé, dans une stratégie concertée, des représailles asymétriques contre Israël depuis la Syrie, le Liban, l’Irak et le Yémen. Ces acteurs mènent également des opérations offensives contre les forces américaines, perçues comme partie prenante de la guerre israélienne contre Gaza.</p>
<p>Une perception erronée des réalités locales conduit à réduire ces acteurs non étatiques au rôle de « proxies » : on a tendance à ne les voir que comme un réservoir de forces projetables que l’Iran actionne quand il le souhaite pour mener des actions offensives. Or, bien que ces acteurs convergent stratégiquement avec Téhéran sur le plan régional et font partie intégrante d’un axe de la dissuasion active face à Israël, ils disposent également d’une autonomie certaine et agissent conformément à leur propre agenda. Il en va ainsi aussi bien des <a href="https://www.cairn.info/revue-strategique-2013-2-page-93.htm">organisations politico-militaires chiites</a> actives en Irak que des <a href="https://theconversation.com/qui-sont-les-houthis-cette-milice-yemenite-visee-par-les-frappes-americaines-et-britanniques-221149">Houthis au Yémen</a>.</p>
<h2>Escalade avec les organisations politico-militaires chiites en Irak</h2>
<p>En Irak, où les États-Unis conservent une présence de 2 500 soldats – en vertu d’un accord avec le gouvernement de Bagdad, pour conseiller et former les forces de sécurité irakiennes dans le cadre de la lutte anti-Daech –, une <a href="https://english.aawsat.com/arab-world/4786701-syria-extends-humanitarian-aid-delivery-bab-al-hawa-crossing">centaine d’opérations offensives ciblant l’armée américaine ont été dénombrées depuis le 17 octobre</a>.</p>
<p>En réponse, les États-Unis ont mené, le 4 janvier dernier, une attaque de drone qui a tué Mushtaq Jawad Kazim al-Jawari, également connu sous le nom d’Abu Taqwa, le chef du puissant groupe <a href="https://www.counterextremism.com/threat/harakat-hezbollah-al-nujaba-hhn">Harakat al-Nujaba</a>.</p>
<p>Aux côtés de plusieurs autres organisations – notamment la brigade Badr, Asaib Ahl al-Haq et Kataib Hezbollah, ce groupe relève du <a href="https://www.courrierinternational.com/article/finances-en-irak-une-force-paramilitaire-pro-iran-pese-sur-le-budget-de-l-etat">Hached al-Chaabi</a> – les « Forces de mobilisation populaire » irakiennes, ou FMP – une coalition de forces paramilitaires soutenue par l’Iran, poids lourd structurel en Irak.</p>
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<p>Sur la scène irakienne, les FMP apparaissent aujourd’hui comme un acteur politique puissant dont la légitimité a été renforcée par les <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2023/10/BAKAWAN/66186">succès obtenus sur le terrain face à Daech</a> et qui s’est vu accorder un statut officiel de branche auxiliaire des forces de sécurité irakiennes.</p>
<p>L’assassinat en janvier 2020 de leur chef adjoint <a href="https://www.liberation.fr/planete/2020/01/03/abou-mehdi-al-mouhandis-l-autre-victime-du-raid-contre-soleimani_1771652/">Mahdi el-Mohandes</a>, lors de la frappe américaine qui a tué le haut responsable iranien Qassem Soleimani, commandant de la Force Al-Qods du corps des Gardiens de la révolution islamique et architecte du développement du potentiel militaire de l’axe de la dissuasion active mis en place par Téhéran, n’a pas empêché les FMP de continuer de jouer un rôle clé en Irak.</p>
<p>Ni l’affaiblissement de leur leadership, ni les tensions avec leur rival chiite, le leader religieux et nationaliste Moqtada al-Sadr, qui ont dégénéré en <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20220830-irak-moqtada-al-sadr-hadi-al-ameri-qui-sont-les-principaux-acteurs-de-la-crise-politique">affrontements</a> aux <a href="https://orientxxi.info/magazine/iraq-the-al-sadr-dynasty-is-losing-ground,3979">ressorts multiples et locaux</a> en août 2022, n’ont fragilisé durablement la coalition. Au contraire : la nomination en octobre de la même année au poste de premier ministre de Mohammed Shia al-Soudani (proche de Nouri al-Maliki, premier ministre de 2006 à 2014) a donné aux FMP un nouvel élan. Comme le <a href="https://www.brookings.edu/articles/shiite-rivalries-could-break-iraqs-deceptive-calm-in-2023/">souligne</a> le chercheur de la Brookings Institution Ranj Alaaldin, « l’organisation s’est davantage ancrée dans l’État irakien, élargissant ses capacités économiques, diversifiant ses sources de revenus et étendant son réseau de mécènes ».</p>
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<p>C’est ainsi que la frappe américaine qui a tué le leader de Harakat-al-Nujaba a été <a href="https://www.airandspaceforces.com/us-kills-militia-leader-iraq/">qualifiée</a> d’« agression flagrante » et de « violation de la souveraineté et de la sécurité de l’Irak » par le porte-parole des forces de sécurité irakiennes, le général Yehia Rasool. Le ministère irakien des Affaires étrangères a employé des termes similaires.</p>
<p>La dangereuse escalade en cours (une base américaine en Irak a été <a href="https://fr.euronews.com/2024/01/21/irak-frappes-contre-une-base-militaire-abritant-des-troupes-americaines">bombardée le 21 janvier</a> par des groupes chiites irakiens) a obligé le gouvernement de Soudani – qui entretient des relations étroites avec l’Iran tout en étant un interlocuteur acceptable pour les États-Unis – <a href="https://www.afrique-asie.fr/le-premier-ministre-irakien-declare-que-bagdad-se-dirige-vers-la-fin-de-la-presence-militaire-americaine-dans-le-pays/">à affirmer sa volonté de mettre fin à la présence américaine en Irak</a>. Désormais, la question du retrait américain <a href="https://www.dhnet.be/dernieres-depeches/2024/01/26/bagdad-et-washington-vont-discuter-de-lavenir-de-la-coalition-antijihadistes-YKURWB46YRFORM2ES5DGP4RB5E/">est en discussion entre les États-Unis et les autorités de Bagdad</a>.</p>
<p>Force est de constater que les dynamiques belligènes initialement liées au contexte de la guerre de Gaza débordent de ce cadre et s’inscrivent désormais dans le cadre d’une confrontation directe entre les Américains et une partie des acteurs locaux.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1750903489822130179"}"></div></p>
<h2>Washington face à la détermination des Houthis</h2>
<p>Au Yémen également, il devient de plus en plus difficile pour les États-Unis d’éviter un engrenage irréversible après les <a href="https://www.lefigaro.fr/international/frappes-aeriennes-contre-les-houthis-au-yemen-tout-comprendre-a-la-riposte-des-etats-unis-et-du-royaume-uni-20240112">frappes de représailles du 2 janvier qui ont pris pour cible les positions des Houthis</a>.</p>
<p>Ces derniers, qui affirment agir en solidarité avec les Palestiniens de Gaza depuis le début de la guerre, ont <a href="https://www.newarab.com/news/us-uk-air-strikes-hit-yemen-fallout-gaza-war-grows">lancé de nombreuses attaques contre les navires considérés comme liés à Israël en mer Rouge</a>. À la suite des représailles de Washington, les Houthis ont averti que cette « agression américaine » « ne resterait pas sans réponse ».</p>
<p>Bien qu’il bénéficie du soutien opérationnel de l’Iran, le <a href="https://orientxxi.info/magazine/la-revanche-inattendue-du-confessionnalisme-au-yemen,0677">groupe est très enraciné localement</a> et s’est imposé à la faveur de ses succès militaires comme une force politique majeure contrôlant la capitale Sanaa et de larges parties du territoire dans le nord et l’ouest du pays à l’issue de sept ans de conflit avec Riyad.</p>
<p>Si le renversement du gouvernement yéménite en 2014 a constitué un facteur déterminant dans la décision saoudienne de lancer sa campagne aérienne le 26 mars 2015, des années d’enlisement dans la guerre du Yémen ont conduit Riyad à réviser sa position et à négocier avec le groupe. Après plusieurs mois de discussions, les deux acteurs <a href="https://www.wsj.com/world/middle-east/israel-hamas-war-jeopardizes-prospects-for-yemen-peace-e89553b9">ont adopté une feuille de route pour la résolution du conflit</a>.</p>
<p>Dans le contexte de l’escalade entre Israël et les Houthis, l’Arabie saoudite est soucieuse de maintenir la trêve intra-yéménite et une perspective de sortie d’un conflit qu’elle n’a pas gagné. C’est la raison pour laquelle Riyad a <a href="https://www.zonebourse.com/actualite-bourse/L-Arabie-saoudite-appelle-a-la-retenue-apres-les-frappes-au-Yemen-45727743/">exprimé son inquiétude et appelé à la retenue après les frappes aériennes</a> menées conjointement par les États-Unis et le Royaume-Uni.</p>
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<p>Face à la posture des Houthis, les États-Unis ont, à l’heure actuelle, des <a href="https://www.wsj.com/world/middle-east/u-s-led-coalition-warns-houthis-to-stop-ship-attacks-cfd490df">leviers d’action très limités</a>. Comme l’explique <a href="https://www.rand.org/pubs/commentary/2023/12/a-precarious-moment-for-yemens-truce.html">Alexandra Stark, chercheuse associée à la Rand Corporation</a>, « les dix dernières années de combats ont montré qu’il est peu probable que la coercition ou la force militaire suffisent à dissuader les Houthis. Au contraire, des représailles militaires importantes de la part des États-Unis risqueraient de provoquer une nouvelle escalade et d’ouvrir un nouveau front majeur dans la région, alors que les États-Unis et leurs partenaires régionaux ont, en matière de sécurité, investi beaucoup de temps et de ressources pour se dégager de la guerre au Yémen ».</p>
<p>Ces conclusions sont partagées par <a href="https://tcf.org/content/commentary/blood-in-the-water-how-the-gaza-war-spilled-into-the-red-sea:">Aron Lund</a>, analyste à l’Agence suédoise de recherche pour la défense, qui rappelle que les attaques directes contre des cibles houthies au Yémen risquent d’entraîner les États-Unis dans un conflit qu’ils ne peuvent pas gagner par leur puissance militaire :</p>
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<p>« Alors que des milliers de Palestiniens sont morts et que Gaza est en ruines, souffrant d’une famine généralisée, les revendications des Houthis trouvent un écho puissant non seulement au Yémen, mais aussi dans tout le Moyen-Orient et au-delà. L’administration Biden a provoqué un tollé mondial en soutenant son allié à l’extrême, en défendant les tactiques israéliennes brutales et en expédiant des armes pour aider Israël à poursuivre la guerre […]. Tant que le carnage à Gaza n’aura pas pris fin, toute résolution sérieuse de la crise en mer Rouge semble improbable. »</p>
</blockquote>
<h2>L’Amérique peut-elle s’engager sur tous les fronts ?</h2>
<p>Il est vrai que les interventions militaires de ces dernières années ont démontré l’impuissance des armées occidentales face à des adversaires ayant recours à des techniques de guerre asymétrique. Par ailleurs, l’enlisement dans une nouvelle guerre sans fin aurait un coût élevé pour Washington. Si dès son entrée en fonctions, l’administration Biden a <a href="https://theconversation.com/quelle-politique-pour-ladministration-biden-au-moyen-orient-150681">donné des garanties à Israël sur la permanence du soutien américain</a>, elle affichait également une volonté d’apaiser les tensions avec l’Iran pour se focaliser sur sa principale priorité stratégique, à savoir la compétition de puissance avec la Chine. Les cartes ont été rebattues avec la guerre en Ukraine. Washington a apporté dans un premier temps un appui financier massif à Kiev avant, dernièrement, de <a href="https://theconversation.com/why-the-us-and-its-partners-cannot-afford-to-go-soft-on-support-for-ukraine-now-217538">remettre cet engagement en cause</a>.</p>
<p>Du fait de leur engagement militaire inconditionnel aux côtés d’Israël, les États-Unis se retrouvent aujourd’hui confrontés au risque imminent d’une réactivation des conflits directs avec des acteurs locaux en Irak et au Yémen dans un contexte où ils peinent à la fois à se départir du bourbier ukrainien et à contenir les ambitions de puissance de la Chine.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221671/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lina Kennouche ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Ces deux groupes liés à l’Iran s’en sont pris à Israël depuis le début des bombardements sur Gaza, suscitant des représailles américaines. Mais ces frappes ne suffiront pas à les faire renoncer.Lina Kennouche, Docteur en géopolitique, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2211492024-01-15T16:43:35Z2024-01-15T16:43:35ZQui sont les Houthis, cette milice yéménite visée par les frappes américaines et britanniques ?<p>Les Houthis, également connus sous le nom d’Ansar Allah (ou « partisans de Dieu »), sont un groupe militaire qui exerce actuellement un contrôle de facto sur la majeure partie du nord du Yémen. Formée dans les années 1990, la milice porte le nom de son fondateur, Hussein Badreddin al-Houthi, et suit la branche zaïdite de l’islam chiite, qui représente <a href="https://orientxxi.info/magazine/la-revanche-inattendue-du-confessionnalisme-au-yemen,0677">20 à 30 % de la population du Yémen</a>.</p>
<p>Les dirigeants du groupe sont issus de la tribu Houthi, qui fait partie de la confédération Bakil, la <a href="https://www.france24.com/fr/20110607-yemen-pays-tiraille-entre-tribalisme-democratie-ali-abdallah-saleh-manifestation-revolte-tribus-hached-bakil">plus grande des trois grandes confédérations tribales</a> du Yémen avec les Hashid et les Madhaj. Alors que les États-Unis et le Royaume-Uni ont effectué une série de <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20240112-les-%C3%A9tats-unis-et-le-royaume-uni-ont-men%C3%A9-avec-succ%C3%A8s-des-frappes-contre-les-houthis-au-y%C3%A9men">frappes militaires</a> contre le groupe yéménite, après une série d’attaques menées par la milice contre des navires de la mer Rouge, voici quatre choses qu’il faut savoir au sujet des Houthis.</p>
<h2>1. Pourquoi les Houthis se sont-ils formés ?</h2>
<p>Pour comprendre la montée en puissance des Houthis, il convient tout d’abord de retracer l’histoire mouvementée du Yémen. Depuis sa création en 1990, le Yémen a peiné à édifier un État unifié et efficace, et a été en proie à la faiblesse de ses institutions et de son nationalisme, à l’insurrection et au sécessionnisme.</p>
<p>La région qui comprend aujourd’hui le Yémen a été divisée en <a href="https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_1990_num_36_1_2960">deux territoires, le nord et le sud</a> du XIX<sup>e</sup> siècle à 1990. Après l’effondrement de l’empire ottoman, le <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Republique-Arabe-du-Yemen-Yemen-du-Nord-1970-1990.html">Yémen du Nord est devenu indépendant en 1918</a> tandis que le sud du Yémen est resté sous contrôle britannique jusqu’en 1967 avant de gagner son indépendance cette année-là sous le nom de République démocratique populaire du Yémen <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/index/pays/yemendusud">(Yémen du Sud)</a>, au régime marxiste et soutenu par l’URSS. Les deux Yémens ont ensuite été unifiés en 1990.</p>
<p>Les identités tribales restent fortes, en particulier dans le nord, et de nombreux groupes différents ont détenu le pouvoir dans l’histoire de la région. Les chiites zaydites se sont battus pendant des milliers d’années pour le contrôle du territoire que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de Yémen, avec un <a href="https://orientxxi.info/magazine/la-revanche-inattendue-du-confessionnalisme-au-yemen,0677">certain succès</a>. Aujourd’hui, sous l’égide des Houthis, ils contrôlent certaines parties du nord du Yémen.</p>
<p>Si nous avançons rapidement jusqu’à l’ère moderne, le Yémen a été confronté à des conflits constants et à la faillite de l’État. Le nord du pays était dirigé depuis 1978 par le dictateur Ali Abdullah Saleh, qui a ensuite pris la tête du <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMBiographie?codeAnalyse=140">Yémen nouvellement unifié</a> en 1990. Les proches de Saleh contrôlaient alors des pans entiers de l’armée et de l’économie – et la <a href="https://www.lapresse.ca/international/moyen-orient/201502/25/01-4847373-yemen-lex-president-saleh-aurait-amasse-plus-de-30-milliards-par-la-corruption.php">corruption était un fléau extrêmement répandu</a>.</p>
<p>Des tensions sont apparues parce que la grande majorité des ressources du Yémen alimentaient Sanaa, la capitale du Yémen du Nord, et en particulier le clan Sanhan de Saleh, membre de la fédération Hashid. Bien que le gouvernement central ait réussi à maintenir l’unité du pays (Saleh a notamment déclaré que gouverner le Yémen revenait à « <a href="https://www.letemps.ch/monde/moyenorient/ali-abdallah-saleh-devore-serpents">danser sur la tête de serpents</a> ») après la tentative de sécession du sud en 1994, de nombreux groupes ont exprimé des griefs à l’encontre du gouvernement dirigé par Saleh.</p>
<p>Les Houthis ont été parmi les principaux contestataires du gouvernement central du Yémen. En plus de subir des décennies de marginalisation politique, de négligence, d’exclusion économique et parfois de terreur de la part du gouvernement central, les Houthis étaient préoccupés par l’influence saoudienne croissante dans le pays – et en particulier par le pouvoir grandissant du <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Rebellion-chiite-au-Yemen.html">salafisme et du wahhabisme</a> (considérés comme des doctrines religieuses saoudiennes importées).</p>
<p>Mais le point de basculement pour le mouvement houthi a probablement été l’invasion américaine de l’Irak en 2003. Influencés par le succès des combattants du Hezbollah basés au Liban qui ont affronté avec succès les forces occidentales en Irak, les Houthis se sont inspirés et ont obtenu le soutien du groupe basé au Liban, ainsi que de l’Iran – bien que leurs responsables <a href="https://fr.timesofisrael.com/yemen-le-chef-des-rebelles-houthis-vante-liran-et-le-hezbollah/">nient ces liens</a>.</p>
<h2>2. Comment les Houthis ont-ils pris le pouvoir ?</h2>
<p>Pour faire face à la montée en puissance des Houthis, Saleh a lancé une campagne militaire en 2003, avec l’aide de l’Arabie saoudite. Bien que les forces de Saleh aient réussi à tuer le chef des Houthis, Hussein al-Houthi, en 2004, les Houthis ont souvent infligé des revers à Saleh et à l’armée saoudienne, malgré les milliards de dollars <a href="https://www.brookings.edu/articles/who-are-the-houthis-and-why-are-we-at-war-with-them/">dépensés par cette dernière</a>.</p>
<p>En effet, les Houthis se sont révélés être un adversaire redoutable pour les Saoudiens, osant pénétrer en Arabie saoudite en 2009 et forçant le royaume à déployer son armée pour faire face à la <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/yemen/qui-sont-les-houthis-qui-attaquent-les-navires-israeliens-1187027c-9284-11ee-8602-1e868188f4e2">menace croissante</a>.</p>
<p>Depuis que la révolution yéménite a éclaté en 2011, les Houthis se sont battus pour chasser Saleh du pouvoir, avant de <a href="https://www.lemonde.fr/yemen/article/2017/08/25/au-yemen-l-alliance-entre-saleh-et-les-rebelles-houthistes-se-fissure_5176463_1667193.html">s’allier avec lui en 2015</a>. Lorsque cette alliance s’est effondrée, ce sont les Houthis qui ont pris le dessus, le groupe rebelle <a href="https://www.lemonde.fr/yemen/article/2017/12/04/yemen-l-ex-president-saleh-est-mort-tue-par-des-rebelles-houthistes_5224391_1667193.html">finissant par assassiner Saleh</a> en décembre 2017.</p>
<p>Les Houthis ont également été une force majeure dans la guerre civile yéménite en cours (qui a commencé en 2014), qui a causé environ <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/11/24/en-sept-ans-la-guerre-du-yemen-aura-cause-la-mort-de-377-000-personnes-d-ici-la-fin-de-l-annee-2021_6103373_3210.html">377 000 morts</a>, dont de nombreux civils. Bien que le gouvernement du sud soit reconnu par la communauté internationale, les Houthis se sont emparés d’une grande partie du nord du Yémen depuis qu’ils ont pris d’assaut Sanaa en 2014. Ils contrôlent aussi le port clé de Hudeidah, qui génère jusqu’à 1 milliard de dollars de revenus pour le <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1281828/la-prise-de-hodeida-par-les-houthis-redefinit-les-lignes-de-front.html">gouvernement houthi</a>.</p>
<h2>3. Quelle est leur influence régionale ?</h2>
<p>Aujourd’hui, les Houthis comptent <a href="https://www.theguardian.com/world/2024/jan/12/yemen-houthi-rebels-who-are-they-what-attacking-us-uk-airstrikes-red-sea-crisis">environ 20 000 combattants</a>. Depuis la mort d’al-Houthi, le mouvement est principalement dirigé par son frère, Abdul-Malik al-Houthi, qui a déclaré qu’il n’hésiterait pas à attaquer les <a href="https://fr.timesofisrael.com/le-chef-des-houthis-pro-iran-du-yemen-menace-de-riposter-en-cas-de-frappe-americaine/">États-Unis et leurs alliés</a>.</p>
<p>Depuis le début de la guerre à Gaza en octobre, les Houthis ont tenté de tirer parti du conflit à travers une démonstration de puissance visant à rehausser leur statut international.</p>
<p>Se proclamant solidaires du peuple palestinien, les Houthis ont lancé une série d’attaques contre des navires commerciaux en mer Rouge, dont le Yémen est riverain. L’attaque la plus effrontée a eu lieu le 19 novembre 2023, lorsque des combattants ont utilisé un hélicoptère pour enlever l’équipage d’un transporteur de voitures lié à un <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/israel-palestine/guerre-entre-le-hamas-et-israel-pourquoi-les-rebelles-houthis-du-yemen-attaquent-des-navires-israeliens-en-mer-rouge_6222711.html">homme d’affaires israélien</a>.</p>
<h2>4. Contrôlent-ils l’accès à la mer Rouge ?</h2>
<p>Bien que la plupart des attaques des Houthis sur la mer Rouge n’aient pas été couronnées de succès, elles ont forcé des milliers de navires à contourner cette route et à se diriger vers l’Afrique du Sud, ce qui a entraîné des <a href="https://www.lepoint.fr/monde/attaques-en-mer-rouge-les-geants-du-transport-maritime-evitent-la-traversee-jusqu-a-nouvel-ordre-16-12-2023-2547347_24.php">coûts et des délais considérables</a> pour le transport maritime.</p>
<p>En représailles aux dizaines d’attaques menées en mer Rouge, les États-Unis et le Royaume-Uni ont répondu par leur plus grande attaque contre les <a href="https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2016/10/13/yemen-les-etats-unis-ont-bombarde-trois-sites-sous-controle-des-houthis_5012747_3218.html">Houthis depuis 2016</a>, quand les États-Unis avaient frappé trois sites de missiles des Houthis après que les Houthis aient tiré sur des navires de guerre américains et des navires commerciaux. Cela avait mis un terme temporaire aux attaques des Houthis. Mais aujourd’hui, alors que les Houthis sont convaincus d’avoir remporté la victoire contre les Saoudiens et l’Occident au Yémen, les rebelles semblent plus désireux que jamais de <a href="https://fr.timesofisrael.com/le-chef-des-houthis-pro-iran-du-yemen-menace-de-riposter-en-cas-de-frappe-americaine/">s’attaquer de front aux États-Unis</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221149/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Natasha Lindstaedt ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En réponse à de nombreuses attaques commises en mer Rouge ces dernières semaines, les États-Unis et le Royaume-Uni ont décidé de bombarder des sites stratégiques houthis le 11 janvier 2024.Natasha Lindstaedt, Professor, Department of Government, University of EssexLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2175772023-11-19T16:35:43Z2023-11-19T16:35:43ZLe duo Israël/États-Unis face à la cohésion croissante des pays arabes et musulmans<p>L’assaut mené par le Hamas le 7 octobre et l’opération déclenchée en représailles par Israël a causé des dommages majeurs aux intérêts israéliens et américains au Moyen-Orient.</p>
<p>L’image de force, voire d’invulnérabilité de l’armée israélienne a volé en éclats, et le <a href="https://theconversation.com/rapprochement-arabie-saoudite-israel-le-difficile-pari-de-washington-213139">rapprochement du pays avec l’Arabie saoudite</a>, qui s’était accéléré ces derniers mois, semble désormais relever de l’histoire ancienne ; les États-Unis, pour leur part, se retrouvent dans une position très délicate, leur volonté de se désengager du Proche-Orient entrant en contradiction directe avec leur soutien militaire à Israël – un soutien qui, là aussi, implique une nette montée des tensions avec les pays de la région.</p>
<h2>L’image d’Israël durablement affaiblie</h2>
<p>Premièrement, l’attaque du 7 octobre achève de briser la réputation d’invincibilité de l’armée israélienne, réputation qui s’était déjà érodée à la suite de la <a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2007-1-page-14.htm">guerre du Liban</a> de 2006. La publication du <a href="https://blog.mondediplo.net/2008-01-30-Israel-le-rapport-Winograd">rapport Winograd</a> en 2008 avait mis en lumière les vulnérabilités psychologiques d’une armée dotée d’un outil militaire puissant et technologiquement avancé mais qui, dans ses affrontements avec le Hezbollah durant la guerre de 2006 puis en <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/palestine/gaza/israel-reconnait-le-conflit-de-2014-a-gaza-comme-une-guerre-une-premiere_786587.html">2014 avec le Hamas à Gaza</a> a perdu la maîtrise du combat d’infanterie et du combat urbain.</p>
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<p>L’attaque du 7 octobre, quand les commandos du Hamas n’ont eu aucune difficulté à franchir la barrière de sécurité « en 29 points » après avoir neutralisé les <a href="https://www.lemonde.fr/en/international/article/2023/10/10/hamas-attack-exposes-israel-s-military-fiasco_6160795_4.html">« unités d’observation longue distance »</a>, a illustré de façon spectaculaire les limites de la stratégie de bunkerisation de l’armée israélienne et la fragilité intrinsèque d’un modèle analysé par l’anthropologue américain Jeff Halper dans son livre <a href="https://www.jstor.org/stable/j.ctt183pct7"><em>War Against the People : Israel, the Palestinians and Global Pacification</em></a> (Pluto Press, 2015). L’auteur y explique que :</p>
<blockquote>
<p>« L’occupation représente une ressource pour Israël dans deux sens : économiquement, elle fournit un terrain d’essai pour le développement d’armes, de systèmes de sécurité, de modèles de contrôle de la population et de tactiques sans lesquels Israël serait incapable d’être compétitif sur les marchés internationaux de l’armement et de la sécurité ; mais, et ce n’est pas moins important, le fait d’être une puissance militaire majeure au service d’autres services militaires et de sécurité dans le monde entier confère à Israël un statut international parmi les hégémons mondiaux qu’il n’aurait pas eu autrement. »</p>
</blockquote>
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<p>Or si, jusqu’à présent, de nombreuses entreprises voulaient <a href="https://orientxxi.info/magazine/les-entreprises-veulent-avoir-le-mossad-chez-elles,4708">« avoir le Mossad chez elles »</a> du fait des capacités de cybersécurité d’Israël, l’épisode du 7 octobre montre les limites de la « politique de sécurité » d’Israël et de ses systèmes de surveillance sophistiqués. Cette attaque a remis en cause l’idée de « sûreté » d’un État qui se présente comme un pôle de ralliement des diasporas juives, et pourrait à plus long terme, nuire au secteur technologique israélien, <a href="https://fr.euronews.com/next/2023/10/10/conflit-israel-hamas-le-secteur-technologique-de-letat-hebreu-sur-le-pied-de-guerre">« déjà confronté à un ralentissement en 2023 »</a>.</p>
<h2>Le mécontentement des alliés de Washington</h2>
<p>Par ailleurs, le 7 octobre illustre également l’échec cuisant de l’approche américaine consistant à promouvoir la désescalade et l’intégration régionale à travers les accords de normalisation tout en ignorant la question palestinienne dans un Moyen-Orient rétrogradé en visibilité. Dans cette région, Washington, dont les préoccupations stratégiques se cristallisent ces dernières années sur la Chine et la Russie, a opté pour la gestion quotidienne de la vie des populations à travers une diplomatie du chéquier.</p>
<p>En Cisjordanie, l’Autorité palestinienne, maintenue sous perfusion, reçoit une assistance financière de la part de Washington pour aider la population à survivre dans un contexte d’<a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/03/04/cisjordanie-occupee-six-pays-europeens-dont-la-france-disent-leur-opposition-a-la-progression-de-la-colonisation-par-israel_6164132_3210.html">intensification de la colonisation</a> qui sape tout espoir d’une solution politique au conflit. <a href="https://arabcenterdc.org/resource/international-aid-to-the-palestinians-between-politicization-and-development/">Selon l’OCDE</a> :</p>
<blockquote>
<p>« L’aide aux Palestiniens s’est élevée à plus de 40 milliards de dollars entre 1994 et 2020. La majeure partie de cette aide (35,4 %) a servi à soutenir le budget de l’Autorité palestinienne, tandis que le reste a été alloué à divers services et secteurs économiques dans les territoires palestiniens. La majeure partie de l’aide – près de 72 % – provient de dix donateurs : l’Union européenne (18,9), les États-Unis (14,2), l’Arabie saoudite (9,9), l’Allemagne (5,8), les Émirats arabes unis (5,2), la Norvège (4,8), le Royaume-Uni (4,3), la Banque mondiale (3,2), le Japon (2,9) et la France (2,7). »</p>
</blockquote>
<p>Dans le même temps, l’assistance à Israël demeure une constante de la politique américaine. Comme le notait en juillet 2020 une <a href="https://quincyinst.org/wp-content/uploads/2020/07/Ending-America%E2%80%99s-Misguided-Policy-of-Domination_FINAL_COMPRESSED.pdf">étude du think tank américain Quincy Institute</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Le soutien militaire inconditionnel des États-Unis à Israël a facilité la poursuite de l’occupation du territoire palestinien (qui pourrait culminer avec l’annexion de la Cisjordanie) et réduit les incitations à rechercher une solution pacifique au conflit […]. La politique américaine au Moyen-Orient est souvent justifiée par la nécessité de protéger le statu quo pour préserver la stabilité, mais les politiques actuelles compromettent clairement la stabilité régionale et la sécurité des États-Unis. »</p>
</blockquote>
<p>De son côté, le Hamas recevait depuis plusieurs années une <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2018/11/10/01003-20181110ARTFIG00033-le-qatar-fait-tomber-une-pluie-de-dollars-sur-gaza.php">aide financière du Qatar pour gérer la bande de Gaza</a>, avec l’aval des États-Unis et d’Israël. Ces dernières années, la question de la résolution du conflit était l’objet d’un désintérêt croissant de la part des États-Unis, mais reculait également dans les préoccupations régionales des pays arabes, qui se sont engagés dans la voie de la <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20230405-accords-d-abraham-les-leaders-palestiniens-ne-r%C3%A9alisent-pas-que-la-r%C3%A9gion-est-en-train-de-changer">normalisation avec Israël</a>.</p>
<p>Or l’assaut du 7 octobre vient rappeler qu’aucune stabilisation du Moyen-Orient n’est possible sans solution au conflit. Le prince héritier d’Arabie saoudite Mohamad Ben Salmane, engagé dans des <a href="https://theconversation.com/rapprochement-arabie-saoudite-israel-le-difficile-pari-de-washington-213139">pourparlers avec les États-Unis depuis plusieurs mois</a> et qui déclarait explicitement en septembre dernier <a href="https://www.dw.com/en/has-hamas-reset-the-israeli-arab-agenda/a-67042746">« chaque jour, nous nous rapprochons »</a> de la conclusion d’un accord avec Israël, a publiquement affirmé son soutien aux Palestiniens et rappelé sa position en faveur de la solution des deux États. Une nouvelle fois, les alliés régionaux s’écartent politiquement de Washington (divergence de vues qui s’était déjà exprimée dans le contexte de la guerre en Ukraine et le refus de sanctionner la Russie).</p>
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<p>En dépit des pressions américaines, l’Égypte a rejeté le plan du ministère du Renseignement israélien visant à transférer les 2,3 millions d’habitants de la bande de Gaza dans la péninsule égyptienne du Sinaï, redoutant <a href="https://apnews.com/article/israel-gaza-population-transfer-hamas-egypt-palestinians-refugees-5f99378c0af6aca183a90c631fa4da5a">« qu’un afflux massif de réfugiés de Gaza hypothèque la cause nationaliste palestinienne »</a>.</p>
<p>Le roi Abdallah de Jordanie <a href="https://www.euronews.com/2023/10/21/cairo-peace-summit-demands-ceasefire-and-increased-aid-for-gaza">a ouvertement critiqué la communauté internationale</a> pour son inaction, et son épouse a dénoncé, dans une interview donnée à CNN, le <a href="https://www.huffingtonpost.co.uk/entry/queen-rania-jordan-israel-hamas-palestinians_uk_65390ea9e4b0783c4b9f5266">deux poids deux mesures des puissances occidentales</a>.</p>
<p>Le soutien inconditionnel des puissances occidentales à Israël – qui, <a href="https://www.bbc.com/news/world-europe-67356581">malgré quelques déclarations</a>, ne s’embarrasse guère de considérations humanitaires – pèse aujourd’hui de plus en plus dans les représentations des pays du Sud global, consternés par la situation à Gaza qualifiée par le secrétaire général de l’ONU de <a href="https://www.francebleu.fr/infos/international/guerre-israel-hamas-violents-combats-a-gaza-coupee-en-deux-selon-l-armee-israelienne-2949481">« cimetière pour les enfants »</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/proche-orient-le-retour-de-la-cause-palestinienne-216213">Proche-Orient : le retour de la « cause palestinienne »</a>
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<p>Cette inadéquation entre la posture des puissances occidentales et celle du reste du monde pourrait entraîner des conséquences durables dans les relations avec les pays du Sud. Elle risque également de nourrir, au sein des sociétés arabes, un puissant ressentiment qui pourrait se révéler un important levier de mobilisation pour les acteurs non étatiques armés, à la fois relais de <a href="https://theconversation.com/comment-liran-mobilise-son-axe-de-la-resistance-face-a-israel-216306">l’influence iranienne dans la région</a> et dotés de leur propre agenda sécuritaire et politique. L’autre danger pour les États-Unis serait de voir les acteurs régionaux transcender leurs anciennes rivalités, notamment leurs alliés qui ont longtemps perçu l’Iran comme une puissance déstabilisatrice, pour converger sur le règlement de la question palestinienne, perçue de nouveau comme la condition indispensable d’une stabilisation régionale.</p>
<p>Enfin, alors que les États-Unis ont cherché depuis plusieurs années à réduire leur empreinte militaire au Moyen-Orient pour se focaliser sur leurs priorités stratégiques en Asie-Pacifique, la crainte d’un nouvel enlisement de Washington dans la région est aujourd’hui réelle.</p>
<h2>Un nouvel enlisement dans la région</h2>
<p>Les Américains ont <a href="https://www.reuters.com/world/us-aircraft-carriers-what-they-bring-middle-east-2023-10-15/">envoyé en Méditerranée orientale le porte-avions <em>Gerald R. Ford</em></a> – une surréaction inédite. En 1973, après l’attaque-surprise d’Israël par l’Égypte et la Syrie, les États-Unis avaient établi un pont aérien pour venir en aide à leur allié organique engagé sur deux fronts, mais ils n’ont jamais envoyé de porte-avions.</p>
<p>Cette fois, la donne a changé. Le 15 octobre, le porte-parole du Conseil de sécurité nationale américain, John Kirby, a <a href="https://www.reuters.com/world/us-aircraft-carriers-what-they-bring-middle-east-2023-10-15/">publiquement affirmé</a> que « les États-Unis sont prêts à agir si un acteur hostile à Israël envisage d’essayer d’intensifier ou d’élargir cette guerre ». Même si l’effet recherché par cette déclaration est dissuasif, la mobilisation de puissants moyens militaires est révélatrice à la fois de l’absence de stratégie américaine au Moyen-Orient, mais également du risque pour Washington de s’embourber dans une région qui ne figurait plus au premier ordre des préoccupations stratégiques.</p>
<p>Comme l’a rappelé le 3 novembre dernier <a href="https://richardhaass.substack.com/p/pause-november-3-2023">l’ancien président du Council on Foreign Relations, Richard Haas</a> : </p>
<blockquote>
<p>« Pour les États-Unis, tout cela augmente les risques et les coûts de cette crise inattendue et non désirée. La présence militaire américaine dans la région a été renforcée pour faire face aux menaces potentielles de l’Iran contre les forces américaines en Syrie et en Irak, et elle a déjà abattu des missiles tirés par les rebelles houthis soutenus par l’Iran au Yémen. La dernière chose dont les États-Unis ont besoin est une crise prolongée au Moyen-Orient, étant donné l’impératif stratégique d’aider l’Ukraine contre la Russie et de renforcer leur capacité de dissuasion et, le cas échéant, de défense contre la Chine qui s’attaque à Taïwan. »</p>
</blockquote>
<h2>La fin de l’ère américaine</h2>
<p>La guerre israélienne contre Gaza pourrait engendrer une recomposition régionale aux conséquences importantes pour Tel-Aviv et Washington.</p>
<p>L’approche américaine a atteint ses limites. La déconnexion actuelle entre la posture des puissances occidentales et celles pays du sud global qui réprouvent le soutien inconditionnel à Israël dans l’offensive en cours, de même que le refus réitéré des alliés régionaux des États-Unis de se rallier à leurs vues témoignent d’un contexte géopolitique profondément transformé. Sur ce point, l’article <a href="https://www.foreignaffairs.com/articles/middle-east/2006-11-01/new-middle-east">« The new Middle East »</a> du même Richard Haas publié en 2006, apparaît aujourd’hui comme étant prophétique :</p>
<blockquote>
<p>« Un peu plus de deux siècles après l’arrivée de Napoléon en Égypte, qui a annoncé l’avènement du Moyen-Orient moderne, et quelque 80 ans après la disparition de l’Empire ottoman, 50 ans après la fin du colonialisme et moins de 20 ans après la fin de la guerre froide, l’ère américaine au Moyen-Orient, la quatrième de l’histoire moderne de la région, a pris fin. »</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/217577/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lina Kennouche ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La guerre de Gaza semble rassembler la plupart des États musulmans dans un front hostile à Israël et à son allié américain.Lina Kennouche, Docteur en géopolitique, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2167752023-11-03T14:21:54Z2023-11-03T14:21:54ZLa crise au Proche-Orient, une aubaine pour la Russie ?<p>Depuis le début des combats entre le Hamas et Israël, la Fédération de Russie joue à fond de sa position très particulière au Moyen-Orient. Ses liens structurels avec tous les acteurs de la crise actuelle lui permettent de mener des actions et de tenir des discours qu’aucun autre pays européen n’est prêt à assumer.</p>
<p>Le 26 octobre, le représentant spécial de la présidence russe pour le Proche-Orient, Mikhaïl Bogdanov, <a href="https://fr.timesofisrael.com/moscou-accueille-une-delegation-du-hamas-et-un-vice-ministre-iranien-israel-fulmine/">a reçu des dirigeants du Hamas à Moscou</a>. Dans le même temps, la relation entre Israël et la Russie reste forte, entretenue notamment à travers la <a href="https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2015-2-page-363.htm">nombreuse et influente communauté immigrée en Israël en provenance de l’ex-URSS</a>.</p>
<p>Pour Moscou, la série d’événements qui a démarré le 7 octobre dernier constitue une diversion qui confine à l’aubaine. La guerre en Ukraine est passée au second plan de l’attention médiatique et diplomatique, et le <a href="https://www.france24.com/fr/%C3%A9missions/vu-de-russie/20231020-vladimir-poutine-appelle-%C3%A0-la-paix-au-proche-orient-son-arm%C3%A9e-rase-avdiivka-en-ukraine">Kremlin se présente comme un faiseur de paix entre Israël et le Hamas</a>. La <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/themes/guerre/la-guerre-de-soukkot/">« guerre de Soukkot »</a> peut-elle permettre à la Russie de se relancer sur la scène internationale tout en marquant des points dans son bras de fer géopolitique avec les États-Unis, qu’elle désigne comme les <a href="https://www.ladepeche.fr/2023/10/30/guerre-israel-hamas-vladimir-poutine-affirme-que-les-etats-unis-sont-responsables-du-chaos-mortel-au-moyen-orient-11552053.php">grands responsables du chaos actuel au Proche-Orient</a> ?</p>
<h2>Exploiter une aubaine stratégique</h2>
<p>Pour la stratégie russe en Europe, cette crise constitue une occasion inespérée. Elle intervient en effet à un moment où la Fédération a besoin d’une pause dans la mobilisation internationale contre son opération militaire en Ukraine. Le relatif <a href="https://www.lefigaro.fr/international/attaque-du-hamas-contre-israel-comment-moscou-utilise-le-conflit-pour-detourner-l-attention-de-l-ukraine-20231009">passage au second plan du conflit russo-ukrainien</a> lui profite directement et massivement. Ne serait-ce que parce que <a href="https://www.axios.com/2023/10/19/us-israel-artillery-shells-ukraine-weapons-gaza">Washington a envoyé à Israël des armes initialement destinées à l’Ukraine</a>…</p>
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<p>En cet automne 2023, les efforts de reconquête ukrainiens <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/guerre-en-ukraine-le-podcast/l-armee-ukrainienne-en-difficulte-4624488">peinent à produire des effets stratégiques</a>. Les territoires repris depuis début juin par les armées de Kiev sont conséquents, mais restent sans commune mesure avec les 20 % du territoire national occupés et <a href="https://theconversation.com/annexions-russes-de-territoires-ukrainiens-un-air-de-deja-vu-192288">annexés illégalement par la Russie</a>. Pour Moscou, la crise au Moyen-Orient permet de tourner encore plus rapidement la page de la contre-offensive ukrainienne afin d’achever de la <a href="https://fr.euronews.com/2023/10/15/ukraine-larmee-russe-progresse-y-compris-autour-davdiivka-selon-poutine">faire passer pour un non-événement</a>.</p>
<p>De plus, la crise au Proche-Orient absorbe l’attention et les activités des chancelleries mondiales au moment où se manifestent certains fléchissements dans le soutien à l’Ukraine, en <a href="https://theconversation.com/comprendre-les-tensions-polono-ukrainiennes-215109">Pologne</a> du fait du conflit lié à l’importation en Europe des céréales ukrainiennes, <a href="https://www.iris-france.org/178787-guerre-en-ukraine-le-soutien-americain-incertain-a-lapproche-des-elections/">aux États-Unis</a> dans un contexte de crise institutionnelle au Congrès ou encore en Europe centrale comme en <a href="https://fr.euronews.com/2023/10/25/slovaquie-robert-fico-forme-un-gouvernement-avec-les-pro-russes">Slovaquie</a>, où la victoire de Robert Fico affaiblit l’unité de l’UE dans son bras de fer avec la Russie.</p>
<p>Au-delà des dirigeants, ce sont aussi les médias et les opinions publiques à travers le monde qui, actuellement, s’intéressent un moins moins au théâtre ukrainien et des féroces combats qui se déroulent dans le Donbass, pour se focaliser sur le conflit au Proche-Orient, ce qui offre à la Russie une forme de répit.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/556900/original/file-20231031-21-rx8uh3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/556900/original/file-20231031-21-rx8uh3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/556900/original/file-20231031-21-rx8uh3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/556900/original/file-20231031-21-rx8uh3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/556900/original/file-20231031-21-rx8uh3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/556900/original/file-20231031-21-rx8uh3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/556900/original/file-20231031-21-rx8uh3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">À New York, le 18 octobre 2023, des manifestants pro-palestiniens font face à des manifestants pro-israéliens. Le conflit proche-oriental occupe aujourd’hui les esprits davantage que celui en cours en Ukraine.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Syndi Pilar/Shutterstock</span></span>
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<p>La façon dont la Russie va exploiter cette période de relatif répit médiatique et diplomatique ne se manifestera pas immédiatement. Les repositionnements de troupes au sol, les campagnes diplomatiques bilatérales, la mobilisation des amis du Kremlin dans les organisations multilatérales, l’élaboration d’un nouveau narratif sur la guerre en Ukraine, etc. : tout cela est en préparation à Moscou. Mais les effets ne se verront que vers la fin de l’année, notamment à l’occasion de la traditionnelle conférence de presse du président Poutine.</p>
<p>Assurément, la Russie se repositionnera non plus comme un acteur régional en Europe oriental mais comme un acteur global, au Moyen-Orient notamment. C’est ainsi qu’elle a déposé un texte de résolution à l’ONU visant à obtenir un cessez-le-feu à Gaza ; le <a href="https://news.un.org/fr/story/2023/10/1139707">rejet de ce texte</a>, du fait des votes « contre » des États-Unis, du Royaume-Uni, de la France et du Japon, lui a permis de renforcer, aux yeux des pays dits du Sud et, spécialement, des États musulmans, sa posture de leader du camp anti-occidental, soucieux de protéger la population civile gazaouie, tout en <a href="https://eng.belta.by/politics/view/lavro-on-differences-in-russian-us-draft-resolutions-on-israel-palestine-conflict-162944-2023/">dénonçant l’alignement des Occidentaux sur Israël</a> et en allant jusqu’à se présenter comme un <a href="https://www.reuters.com/world/middle-east/russia-says-israels-gaza-bombardment-is-against-international-law-2023-10-28/">pays défendant le droit international</a>.</p>
<h2>Mobiliser ses alliés dans la région</h2>
<p>Pour les Realpolitiker russes, cette crise présente aussi l’occasion de mobiliser leurs réseaux d’alliances dans les mondes arabe, turc, persan et plus largement musulman. Dès avant l’accession au pouvoir de Vladimir Poutine, la <a href="https://www.cairn.info/revue-relations-internationales-2017-3-page-109.htm?ref=doi">Fédération de Russie a constamment renforcé ses relais dans la région</a>.</p>
<p><a href="https://www.ifri.org/fr/espace-media/lifri-medias/loffensive-de-charme-de-poutine-vis-vis-moyen-orient">Dans le monde arabe</a>, à partir de 2015, elle a réactivé l’ancienne alliance avec la famille Al-Assad pour littéralement sauver le régime en Syrie par une intervention militaire cruciale. Elle a en outre resserré ses liens traditionnels avec l’Égypte dans les domaines de l’armement, de l’agro-alimentaire et de l’énergie. Elle a cultivé son <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/06/15/a-moscou-la-russie-et-l-algerie-renouvellent-leur-partenariat-strategique_6177821_3212.html">allié algérien</a> et a repris pied en Libye avec son <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/10/07/en-libye-la-relation-securitaire-entre-khalifa-haftar-et-moscou-s-intensifie_6192985_3212.html">soutien au maréchal Haftar</a>. Elle s’est même engagée dans une <a href="https://www.defnat.com/e-RDN/vue-tribune.php?ctribune=1414">coopération avec le royaume saoudien</a> dans le cadre de l’OPEP+.</p>
<p>Par-delà le monde arabe, elle a <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/10/11/guerre-en-ukraine-que-sont-les-drones-iraniens-utilises-par-la-russie_6145369_3210.html">trouvé dans l’Iran un fournisseur de drones pour la guerre en Ukraine</a> ainsi qu’un soutien dans les enceintes internationales. Et les <a href="https://theconversation.com/la-turquie-une-puissance-mediatrice-entre-la-russie-et-lukraine-203782">rapprochements entre les présidents russe et turc</a> sont réels même s’ils ne doivent pas susciter l’illusion d’une alliance solide.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/F2Acm-2sjpw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>La crise actuelle lui permet de raviver ces alliances structurelles autour d’une question ancienne et passée au second plan dans le monde musulman après les <a href="https://www.lepoint.fr/monde/israel-qu-est-ce-que-les-accords-d-abraham-10-10-2023-2538807_24.php">accords d’Abraham</a> : la cause palestinienne. La spécificité de la position de la Russie dans la région à la faveur de ce conflit doit être soulignée : elle est capable de mobiliser ses alliés par-delà les lignes de clivage internes à la région. Et la crise actuelle, qui réactive <a href="https://theconversation.com/proche-orient-le-retour-de-la-cause-palestinienne-216213">l’hostilité à Israël dans les opinions arabes, persanes et musulmanes au sens large</a>, souligne la centralité d’un acteur dont les Occidentaux ont pourtant voulu faire un paria.</p>
<p>Là encore, les effets de cette position ne se manifesteront pas tous immédiatement : c’est à moyen terme que la Russie tentera de tirer bénéfice de sa position actuelle pour contester encore davantage le poids des États-Unis dans la région. Toutefois, il est certain que l’aubaine immédiate peut être complétée par des gains stratégiques dans la zone : la Russie peut utiliser la crise pour souligner sa centralité, pour rappeler à ses alliés qu’elle parle à tous et peut donc prétendre au rôle de médiateur.</p>
<p>À condition toutefois de préserver sa relation avec Israël.</p>
<h2>Préserver ses relais en Israël</h2>
<p>Si la Russie prétend à une position œcuménique au Moyen-Orient, elle est actuellement handicapée, en Israël, par plusieurs facteurs. <a href="https://www.lemonde.fr/international/video/2023/10/30/au-daghestan-un-aeroport-pris-d-assaut-par-une-foule-hostile-a-israel_6197355_3210.html">Les mouvements de foule au Daghestan</a>, république autonome de la Fédération de Russie à majorité musulmane, contre les passagers d’un vol en provenance de Tel-Aviv, ont été perçus avec beaucoup d’inquiétude dans l’État hébreu.</p>
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<p>Après avoir revendiqué le rôle de pionnier dans la lutte contre l’islamisme sunnite violent, comment la Russie pourrait-elle prétendre au rôle de médiateur alors qu’elle accueille désormais fréquemment des dirigeants du Hamas ?</p>
<p>Plusieurs leaders en Israël redoutent le renforcement de <a href="https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/israel-sinquiete-dun-axe-russie-iran-hamas-2025584">l’axe Moscou-Téhéran-Hamas</a> dans le contexte de l’opération israélienne à Gaza. La symbiose entre la République islamique d’Iran et la Fédération de Russie préoccupe tout particulièrement Israël : elle peut jouer en faveur d’une modération du Hezbollah, mais elle peut aussi contribuer à la régionalisation des hostilités.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-liran-mobilise-son-axe-de-la-resistance-face-a-israel-216306">Comment l’Iran mobilise son « Axe de la Résistance » face à Israël</a>
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<p>Dans la crise, la Russie a beaucoup à perdre avec Israël. Ses relais d’influence y sont multiples : plus d’un million d’habitants (sur 9 millions) sont issus de l’ex-URSS. Ils constituent la première communauté immigrée en Israël et disposent de figures publiques influentes dans les domaines politiques, économiques, financiers, médiatiques ou technologiques. La Russie est-elle condamnée par sa position actuelle à dilapider son capital en Israël ? Nombreux sont les observateurs à estimer que les <a href="https://www.agenzianova.com/en/news/russia-israel-kommersant-bilateral-relations-are-in-deep-crisis/">relations bilatérales Moscou-Tel-Aviv sont à un plus bas historique</a>.</p>
<p>En somme, la position russe au Moyen-Orient se trouve à un croisement. Soit elle se contente se traiter la crise actuelle comme une diversion : elle profitera alors du répit médiatique et de la baisse de pression diplomatique pour renforcer encore ses positions en Ukraine ; soit elle endosse le rôle de ciment des acteurs anti-Israël au Moyen-Orient : elle rompra encore davantage avec des Occidentaux mobilisés en faveur de la sécurité d’Israël ; soit, enfin, elle choisit la voie étroite de médiateur potentiel : il lui faudra alors, pour être acceptée comme telle par les Israéliens, remédier aux nombreuses tensions de la relation bilatérale Moscou-Tel-Aviv.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216775/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cyrille Bret ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’attention mondiale s'est reportée de l’Ukraine à Gaza. La Russie en bénéficie largement, d'autant qu'elle cherche à apparaître comme un faiseur de paix au Proche-Orient.Cyrille Bret, Géopoliticien, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2163062023-10-30T19:08:14Z2023-10-30T19:08:14ZComment l’Iran mobilise son « Axe de la Résistance » face à Israël<p>L’attaque dévastatrice du Hamas le 7 octobre a changé la donne au Moyen-Orient. Le dossier israélo-palestinien, relégué au second plan depuis au moins une dizaine d’années, est brutalement revenu au cœur de la géopolitique régionale.</p>
<p>Alors que la guerre en cours entre le Hamas et Israël <a href="https://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/risks-wider-war-iran-and-its-proxies">enhardit les mandataires de l’Iran dans la région</a>, tous les acteurs impliqués (étatiques ou non étatiques) manœuvrent dans un jeu de pouvoir très complexe qui peut conduire à une guerre régionale à part entière ; mais un tel scénario peut être évité par une fin négociée.</p>
<h2>Vers une « unité des fronts »</h2>
<p>Nous sommes entrés en territoire inconnu, car les <a href="https://theconversation.com/quelle-strategie-israelienne-pour-gaza-216050">objectifs politiques et militaires israéliens n’ont pas été définis de façon claire</a>, ce qui rend cette guerre de vengeance différente de toutes les opérations israéliennes précédentes contre le Hamas, que ce soit en termes de durée, d’objectifs ou de nombre de victimes des deux côtés.</p>
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<p>La rhétorique des responsables israéliens, dont certains ont nié l’existence de civils innocents à Gaza, <a href="https://news.yahoo.com/israeli-president-says-no-innocent-154330724.html">comme l’a fait le président de l’État hébreu</a>, a oscillé entre une position maximaliste et minimaliste, allant de l’appel à une occupation totale de Gaza <a href="https://www.lapresse.ca/international/2023-10-15/israel-et-le-hamas-en-guerre/l-occupation-de-gaza-par-israel-serait-une-grave-erreur-selon-biden.php">malgré les avertissements du président américain</a> à la création d’une zone tampon et à la « simple » destruction de l’infrastructure du Hamas.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1716804959881343181"}"></div></p>
<p>Le 7 octobre, au moment où le Hamas déclenchait son opération sans précédent, Mohammed Deif, le commandant militaire de sa branche armée a <a href="https://fr.timesofisrael.com/liveblog_entry/le-commandant-du-hamas-a-gaza-exhorte-les-arabes-israeliens-et-les-etats-voisins-a-prendre-les-armes/">appelé</a> tous les Arabes et musulmans et, spécialement, l’Iran et les États et organisations qu’il domine, à se lancer dans une guerre totale contre Israël. Il a cité, dans cet ordre, le Hezbollah libanais, l’Iran, le Yémen, les milices chiites irakiennes et la Syrie. Il a proclamé ce jour comme « celui où votre résistance contre Israël converge avec la nôtre », dans ce que l’on appelle <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1334129/le-hezbollah-consacre-lunite-des-fronts-.html">« l’unité des fronts »</a>, qui est une stratégie de dissuasion initiée par le Hezbollah.</p>
<p>Cette stratégie de dissuasion consiste à coordonner, politiquement et militairement, les réponses de toutes les milices mandataires de l’Iran dans la région et à se rassembler pour se soutenir mutuellement si l’une d’entre elles est attaquée. La multiplicité des fronts dominés par les milices par procuration de l’Iran peut dissuader les adversaires de Téhéran de passer à l’action… ou au contraire accélérer la descente de la région dans un chaos total.</p>
<h2>Tensions majeures à la frontière libanaise</h2>
<p>Après le 7 octobre, la situation sécuritaire s’est rapidement détériorée à la frontière libanaise d’Israël, du fait d’escarmouches de plus en plus intenses entre Tsahal et le Hezbollah.</p>
<p>De plus, deux nouveaux éléments intéressants sont apparus sur le front libanais. Pour la première fois depuis la fin de la guerre civile, nous avons assisté à la réémergence « temporaire » des forces Al-Fajr, la branche militaire de la Jamaa Islamiya. Cette milice libanaise islamiste sunnite, qui a été dissoute en 1990, a annoncé qu’elle participait aux hostilités au-delà des frontières libanaises israéliennes « en défense de la souveraineté libanaise, de la mosquée Al Aqsa et en solidarité avec Gaza et la Palestine ». Le 29 octobre, elle a <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1355189/israel-intensifie-son-offensive-contre-gaza-internet-en-cours-de-retablissement-dans-lenclave-j-23-de-la-guerre-israel-hamas.html">lancé des missiles depuis le Liban vers Kiryat Shmona, dans le nord d’Israël</a>. Cette milice combat de façon quasi-indépendante du Hezbollah (même s’il existe une coordination militaire entre les deux organisations).</p>
<p>En outre, le <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1354234/le-hezbollah-entraine-le-liban-dans-la-guerre-armee-israelienne.html">Hamas et le Jihad islamique palestinien au Liban</a> ont publié des communiqués assumant l’entière responsabilité de plusieurs attaques contre Israël. Ils ont lancé ces attaques depuis les territoires libanais, rappelant les années où le sud du Liban était dominé par les activités militaires de l’OLP palestinienne (à partir de 1969), au point d’être surnommé <a href="https://www.naharnet.com/stories/en/300905">« Fatah Land »</a>.</p>
<p>Leur participation aux hostilités est encore limitée, mais elle est importante en termes symbolique. Il est clair que le Hezbollah coordonne les activités de toutes les milices opérant à la frontière libanaise pour envoyer un message clair : la zone est ouverte à toutes les factions islamistes et non islamistes, invitées à se joindre, même symboliquement, à la lutte contre Israël dans le but d’exprimer leur solidarité avec Gaza. En d’autres termes, le Hezbollah déclare que ce combat n’est pas sectaire, mais qu’il unit les musulmans et concerne tous les Arabes et les musulmans.</p>
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<p>Ce message d’unité musulmane contre Israël intervient après des années de sectarisation du Moyen-Orient. Le Hezbollah n’a mené que des attaques limitées contre Israël depuis la fin de la guerre israélo-libanaise de 2006, et est <a href="https://www.frstrategie.org/programmes/observatoire-du-monde-arabo-musulman-et-du-sahel/consequences-lintervention-militaire-hezbollah-syrie-sur-population-libanaise-chiite-rapports-avec-israel-2017">intervenu militairement en Syrie pour appuyer le régime de Damas</a>, combattant alors dans le camp opposé au Hamas, lequel s’était porté au soutien du camp anti-Assad.</p>
<p>Cette prise de position avait valu au Hezbollah de devenir très impopulaire aux yeux des populations sunnites de la région. En se joignant à la lutte contre Israël, le Hezbollah se réaffirme aux yeux de l’ensemble des Arabes de la région non pas en tant qu’acteur sectaire, mais plutôt en tant que groupe révolutionnaire islamique qui vise à mettre fin à l’arrogance israélienne.</p>
<p>Ce recadrage correspond à l’image qu’il se faisait de lui-même. Le Hezbollah se considère en effet comme un modèle pour le Hamas et d’autres forces islamiques qui luttent contre Israël. Malgré leurs divergences sur la guerre en Syrie, ils ont restauré leurs relations en août 2007 et les hauts commandants du Hamas, comme <a href="https://youtu.be/pgjiAF98s_s?si=VakJEkLE1cxkRhwc">Ismaël Haniyeh</a> (le chef du bureau politique du Hamas) et <a href="https://youtu.be/Hje4sfEmv0M?si=5gzcb-0hlOfjJy3z">Yahia Sinwar</a> (chef du bureau politique du Hamas à Gaza), ont publiquement remercié l’Iran pour son aide précieuse en matière de financement, de logistique et d’approvisionnement en armes.</p>
<h2>Le rôle des Houthis du Yémen</h2>
<p>L’attaque du Hamas est survenue à un moment au Moyen-Orient où les États-Unis ont tenté d’étendre les <a href="https://www.lepoint.fr/monde/israel-qu-est-ce-que-les-accords-d-abraham-10-10-2023-2538807_24.php">accords de paix d’Abraham</a> (qui ont permis ces dernières années, un rapprochement entre Israël et plusieurs États arabes, sous la férule de Washington) à <a href="https://theconversation.com/rapprochement-arabie-saoudite-israel-le-difficile-pari-de-washington-213139">l’Arabie saoudite</a>.</p>
<p>Ces accords, qui visent à établir les bases d’une nouvelle architecture de sécurité au Moyen-Orient afin d’assurer une meilleure sécurité régionale aux alliés des États-Unis, <a href="https://www.iris-france.org/179388-hamas-israel-quelles-consequences-diplomatiques-et-securitaires-au-moyen-orient/">sont désormais menacés</a>, et la normalisation entre Israël et Riyad <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/10/09/attaque-du-hamas-le-rapprochement-entre-israel-et-l-arabie-saoudite-a-l-epreuve-de-la-guerre_6193318_3210.html">semble à présent une perspective fort improbable</a>.</p>
<p>L’échec annoncé de ce réchauffement est d’autant plus dommageable pour Washington que les Chinois ont, il y a quelques mois, enregistré un succès diplomatique majeur en <a href="https://theconversation.com/iran-arabie-saoudite-un-compromis-diplomatique-sous-legide-de-pekin-201828">négociant une détente entre l’Arabie saoudite et l’Iran</a>, après de longues années de soutien de Téhéran aux milices yéménites houthies qui combattaient l’Arabie saoudite au Yémen. Dans le cadre de ce rapprochement entre Riyad et Téhéran, des <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20230920-guerre-au-y%C3%A9men-apr%C3%A8s-des-entretiens-positifs-les-rebelles-houthis-ont-quitt%C3%A9-riyad">pourparlers se sont tenus entre les houthis et les Saoudiens</a> pour soutenir le processus de paix au Yémen.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1715667908280406330"}"></div></p>
<p>Les <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-2018-2-page-17.htm">Houthis</a> sont une autre partie de l’axe iranien dans la région. Leur ascension en tant qu’acteur politique et militaire yéménite les a enhardis. Ils ont déclaré qu’ils étaient <a href="https://www.aa.com.tr/en/middle-east/yemen-rebels-threaten-to-join-hamas-attack-on-israel-if-us-intervenes-in-conflict/3014839">prêts à se joindre au Hamas dans une guerre totale contre Israël</a> pour défendre Gaza et la mosquée Al-Aqsa. En guise de démonstration de force, ils ont lancé le 19 octobre trois missiles de croisière et des drones qui ont été <a href="https://www.opex360.com/2023/10/20/le-navire-americain-uss-carney-a-intercepte-des-missiles-et-des-drones-lances-depuis-le-yemen/">interceptés par un destroyer américain en mer Rouge</a>. Selon les États-Unis, ces missiles se dirigeaient « potentiellement vers Israël ». L’attaque est en soi symbolique, mais elle envoie un message politique fort qui réaffirme la primauté stratégique des liens des Houthis avec <a href="https://www.iris-france.org/wp-content/uploads/2022/10/Asia-Focus-185.pdf">« l’Axe de la résistance »</a> soutenu par l’Iran et signale la volonté de la milice de s’engager militairement dans des guerres ou des tensions régionalisées ou internationalisées.</p>
<p>Cela a été clairement défini dans le <a href="https://youtu.be/3o81HN19Uic?si=f88VMotBX40E8izo">discours de leur chef</a>. Les Houthis disposent d’un formidable <a href="https://www.mei.edu/publications/houthis-red-sea-missile-and-drone-attack-drivers-and-implications">arsenal de missiles à longue portée</a> qui seraient capables de frapper Israël. Tous ont été soit saisis à l’État yéménite en 2014, soit acheminés par l’Iran.</p>
<p>Les attaques de missiles lancées par les Houthis ont coïncidé avec d’autres <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1354940/les-forces-americaines-attaquees-16-fois-en-syrie-et-en-irak-depuis-le-debut-du-mois.html">attaques menées par des milices chiites soutenues par l’Iran</a>, visant des bases américaines et des garnisons accueillant des soldats américains en Irak et en Syrie. L’Iran a stratégiquement externalisé le risque de confrontation directe avec les États-Unis et Israël via son <a href="https://www.defense.gouv.fr/dems/syntheses-documentaires-supprimer/axe-resistance-lexpansionnisme-regional-iranien">Axe de la Résistance</a> : quand de telles attaques ont lieu, sa responsabilité n’est pas directement engagée. Ce positionnement accroît son influence dans les négociations directes et indirectes ainsi que son influence régionale.</p>
<h2>Une guerre totale est-elle possible ?</h2>
<p>Pour conclure, tous les acteurs semblent marcher sur une corde suspendue au-dessus du cratère d’un volcan. Ils attendent tous d’en savoir plus sur les objectifs politiques et militaires de la guerre israélienne à Gaza et de pouvoir évaluer les capacités de résistance du Hamas à l’attaque dont il fait l’objet.</p>
<p>Si l’armée israélienne enregistre des pertes importantes, la position stratégique de l’axe soutenu par l’Iran s’améliorera, sans frais pour Téhéran mais à un coût terrible pour la population de Gaza et à Hamas.</p>
<p>Mais que se passerait-il si Israël menaçait l’existence même du Hamas après une invasion terrestre ? Les intenses escarmouches aux frontières libanaises d’Israël se transformeraient-elles alors en une guerre à part entière ? L’Iran se joindrait-il aux hostilités ? Et si Israël se sentait renforcé par le soutien inconditionnel de l’Occident à son droit à se défendre et considérait cette solidarité comme un blanc-seing pour frapper l’Iran, dont l’ambition nucléaire effraie les responsables de l’État hébreu ? Dans un tel cas de figure, et face à la riposte de Téhéran, les États-Unis utiliseront-ils leurs destroyers dans la région de la Méditerranée orientale pour attaquer l’Iran et défendre Israël ?</p>
<p>À ce stade, impossible d’apporter de réponse tranchée à toutes ces questions. Nous pouvons seulement constater que la région semble se diriger vers une nouvelle phase où la sectarisation des politiques étrangères des acteurs régionaux sera reléguée au second plan, la détente entre l’Iran et l’Arabie saoudite se consolidera, la question palestinienne s’imposera pour longtemps au premier plan, et les milices mandataires iraniennes s’affirmeront de plus en plus.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216306/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hussein Abou Saleh ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’Iran rechigne à entrer directement en guerre contre Israël, mais mobilise volontiers les Houthis du Yémen et les milices chiites d’Irak, ainsi que le Hezbollah libanais.Hussein Abou Saleh, Docteur associé au Centre d'études et de recherches internationales (CERI), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2158462023-10-25T16:01:45Z2023-10-25T16:01:45ZOù en est la lutte de la population iranienne un an après la mort de Mahsa Amini ?<p>Le 16 septembre 2022, à Téhéran, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/09/17/en-iran-la-mort-d-une-jeune-femme-arretee-par-la-police-des-m-urs-suscite-des-protestations_6142073_3210.html">Mahsa Jina Amini décède sous les coups de la police des mœurs</a> (<em>gasht-e-ershâd</em>) après avoir été arrêtée pour port incorrect du voile (<em>bad hedjâbi</em>). Elle devient l’étendard d’une vague de <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/iran/manifestations/4.html">protestations inédites en République islamique d’Iran</a>.</p>
<p>Ces protestations évoluent rapidement en un véritable processus révolutionnaire à travers lequel, dans plusieurs villes du pays, des femmes s’opposent au <a href="https://theconversation.com/le-controle-du-corps-des-femmes-un-enjeu-fondamental-pour-la-republique-islamique-diran-192157">port obligatoire du voile</a>. Elles sont <a href="https://theconversation.com/iran-quand-la-revolte-des-femmes-accueille-dautres-luttes-192156">rejointes par une grande partie de la population, y compris de nombreux hommes</a>. Les contestataires se battant pour leurs droits, dénoncent le régime et réclament sa fin.</p>
<p>La réponse des autorités, <a href="https://www.lepoint.fr/monde/iran-le-bilan-de-la-repression-monte-a-537-morts-depuis-septembre-04-04-2023-2514924_24.php">sanglante</a> et sans états d’âme, ne se fait pas attendre. Depuis, les arrestations, les morts et les assassinats ne se comptent plus : <a href="https://www.tf1info.fr/international/iran-un-an-apres-la-mort-de-mahsa-amini-les-chiffres-pour-comprendre-la-mobilisation-2269779.html">selon différentes sources</a>, on dénombre plus de 500 morts, dont de nombreux mineurs, et plus de 20 000 arrestations, sans compter les disparus, les « suicidés », les exécutions sous d’autres prétextes, les morts non déclarées et les personnes décédées dans les représailles visant les <a href="https://www.osar.ch/publications/news-et-recits/iran-les-minorites-ethniques-et-religieuses-sont-sous-pression">minorités ethniques et religieuses</a> s’étant jointes au mouvement général.</p>
<p>Aujourd’hui, quand le prix Nobel de la paix a été décerné à la <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/prix-nobel/le-prix-nobel-de-la-paix-est-attribue-a-la-militante-iranienne-narges-mohammadi-pour-sa-lutte-contre-l-oppression-des-femmes_6105279.html">militante emprisonnée Nargues Mohammadi</a> pour « sa lutte contre l’oppression des femmes en Iran et son combat pour promouvoir les droits humains et la liberté pour tous », et quand la France célèbre la <a href="https://www.liberation.fr/international/moyen-orient/la-chercheuse-fariba-adelkhah-de-retour-en-france-apres-quatre-annees-de-retention-en-iran-20231018_U4W2LMGZ5VBHPM6A4QTKI6YJFE/">libération de la chercheuse Fariba Adelkhah</a> après des années d’emprisonnement à Téhéran pour avoir notamment travaillé sur les femmes de ce pays où en sont la lutte des Iraniennes – et des Iraniens – et le mouvement connu sous le nom de son principal <a href="https://www.lemonde.fr/un-si-proche-orient/article/2022/10/09/femme-vie-liberte-un-slogan-qui-vient-de-loin_6145039_6116995.html">slogan « Femme, Vie, Liberté »</a> ?</p>
<h2>De la révolte des femmes à une lutte multiforme de tous les Iraniens</h2>
<p>Les Iraniennes ont été les premières à s’insurger, enlevant leur voile, le <a href="https://www.bbc.com/afrique/monde-62981497">brûlant</a> ou <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/10/18/iran-se-couper-des-meches-de-cheveux-un-geste-symbolique-qui-mobilise-les-rebelles-au-pouvoir-islamiste_6146232_3232.html">se coupant des mèches de cheveux</a>.</p>
<p>Très vite, les militantes prennent conscience que si elles sortent tête nue et contestent, elles peuvent être arrêtées, emprisonnées, torturées, <a href="https://www.bfmtv.com/international/moyen-orient/iran/iran-comment-les-forces-de-securite-utilisent-le-viol-pour-reprimer-les-protestations_AV-202211230375.html">violées</a> et, depuis peu, perdre tous leurs droits, dont ceux de travailler ou de voyager, dans la mesure où leur passeport est confisqué, leur inscription à l’université peut être suspendue ou annulée, et elles risquent de ne plus avoir accès à des services bancaires. Pourtant, rien ne les arrête.</p>
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<p>Aujourd’hui, la lutte et la résistance sont celles des Iraniens dans leur ensemble : femmes et hommes de tous bords et de toutes origines. Des femmes voilées participent aux manifestations. <a href="https://www.lefigaro.fr/international/iran-des-hommes-portent-le-voile-pour-soutenir-les-femmes-contre-la-politique-stricte-du-regime-20230314">Des jeunes hommes portent le voile</a> en signe de soutien et de solidarité avec leurs sœurs. Des <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20221207-manifestations-en-iran-cette-r%C3%A9volution-a-commenc%C3%A9-dans-les-universit%C3%A9s">grèves</a> sont organisées dans tous les secteurs, en particulier dans l’industrie pétrolière et gazière ou dans la métallurgie. Dans les régions où vivent des minorités ethniques, entre autres celles du <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/01/31/en-iran-les-kurdes-premieres-victimes-de-la-repression_6159913_3210.html">Kurdistan</a> et du <a href="https://www.rts.ch/info/monde/13465898-le-sistanbaloutchistan-province-martyre-de-la-repression-iranienne.html">Baloutchistan</a>, ignorées et abandonnées depuis longtemps par le régime, la colère ne faiblit pas.</p>
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<p>Dans ce cadre, les motivations des contestataires ne sont pas identiques : discriminations ethniques et religieuses, <a href="https://www.letemps.ch/monde/je-mets-en-vente-mon-rein-en-iran-une-crise-economique-qui-risque-d-embraser-le-pays">situation économique désastreuse</a>, inflation <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/07/24/en-iran-de-plus-en-plus-de-menages-ne-peuvent-plus-payer-leur-loyer-en-raison-de-l-inflation-galopante_6183242_3210.html">atteignant les 50 %</a>, salaires insuffisants, <a href="https://www.courrierinternational.com/dessin/dessin-du-jour-en-plein-hiver-l-iran-frappe-par-une-severe-penurie-de-gaz">pénuries de toutes sortes</a> – dont le gaz et le pétrole, dans un pays qui dispose des quatrièmes réserves mondiales de pétrole et des deuxièmes réserves de gaz, un comble… Toutes les catégories sociales se retrouvent dans un même élan contre le régime.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1635359924686561284"}"></div></p>
<h2>De la contestation ouverte à la désobéissance civile</h2>
<p>Après plus d’un an de luttes, face à la répression et probablement en raison de l’épuisement des participants, les manifestations et la résistance ont pris de nouvelles formes. Les grandes processions, en dehors du Baloutchistan et à l’exception de sursauts ponctuels partout dans le pays, ont diminué et l’opposition est devenue plus discrète et, surtout, s’est transformée en désobéissance civile.</p>
<p>En ce qui concerne les femmes, le rôle de certaines figures publiques et surtout des réseaux sociaux, qui relaient les événements dans un contexte de répression et de censure, est devenu central.</p>
<p>Des prisonnières libérées refusent de porter le voile à leur libération. C’est le cas, par exemple, de la journaliste <a href="https://www.20minutes.fr/monde/4049383-20230818-iran-journaliste-publie-nouvelle-photo-voile-sortie-prison">Nazila Maroufian</a> ou de l’actrice <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20221110-iran-au-nom-des-femmes-la-star-de-cin%C3%A9ma-taraneh-alidoosti-%C3%B4te-son-voile">Taraneh Alidousti</a>.</p>
<p>Des femmes scientifiques s’affirment également, comme Zainab Kazempour qui quitte une conférence en jetant son voile à terre, ce qui lui vaut d’être <a href="https://www.bfmtv.com/replay-emissions/le-choix-d-angele/en-iran-une-ingenieure-condamnee-a-74-coups-de-fouet-pour-avoir-jete-son-voile_VN-202309080128.html">condamnée à 74 coups de fouet</a>. Des jeunes filles chantent, dansent et se filment, toujours sans voile.</p>
<p>Des actrices prennent la parole sans voile et publient leurs photos sur les réseaux sociaux. Des sportives invitées à des compétitions à l’étranger se passent du <em>hedjâb</em>. <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/10/19/iran-elnaz-rekabi-la-grimpeuse-disparue-depuis-sa-participation-sans-voile-a-une-competition-reapparait-a-teheran_6146470_3210.html">Elnaz Rekabi</a>, championne d’escalade, grimpe lors de la finale des championnats d’Asie sans voile. La championne d’échecs <a href="https://www.liberation.fr/international/moyen-orient/apres-avoir-joue-sans-voile-la-championne-dechecs-iranienne-sara-khademalsharieh-sest-exilee-en-espagne-20230122_JOPXKFYTE5FONBQPZZU2OUYA5M/">Sara Khademalsharieh</a> apparaît tête nue lors d’un tournoi international. Exilée en Espagne peu après, elle met ses pas dans ceux de <a href="https://www.ouest-france.fr/gaming/jeux-de-societe/a-30-ans-mitra-hejazipour-est-sacree-championne-de-france-dechecs-38f0b714-4580-11ee-a014-fc15152f6424">Mitra Hejazipour</a>, qui avait quitté le pays en 2019 dans des circonstances similaires et vient d’être sacrée championne de France.</p>
<p>Un an après le début des contestations, un grand nombre de femmes continuent à braver le régime et à transgresser l’interdiction de sortir tête nue. Certaines, par prudence, préfèrent se promener en groupe car les altercations et les maltraitances sont plus compliquées que face à une femme seule.</p>
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<p>Les femmes incarcérées multiplient les messages vers l’extérieur. Récemment, <em>Le Monde</em> a publié les <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/09/08/cinq-iraniennes-ecrivent-depuis-leur-prison-nous-sommes-coupables-du-desir-de-vivre_6188463_3232.html">textes écrits et transmis clandestinement</a> par des militantes iraniennes des droits humains dont celui de Nargues Mohammadi (prix Nobel de la paix 2023, voir plus bas).</p>
<p>Enfin, des chanteurs populaires relaient le mécontentement général. <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20230827-iran-le-chanteur-mehdi-yarrahi-poursuivi-pour-avoir-contest%C3%A9-le-voile-obligatoire">Mehdi Yarrahi</a> a soutenu sur Instagram le mouvement « Femme, vie, liberté ». Son morceau « Soroode Zan » (« Hymne de la femme »), était devenu un hymne pour les manifestants, notamment dans les universités, tout comme l’avait été celui de <a href="https://csdhi.org/actualites/repression/39618-le-chanteur-iranien-shervin-hajipour-risque-la-prison-mais-remporte-un-grammy-pour-son-hymne-de-protestation/">Shervin Hajipour</a> « Baraye » (« Pour »). Finalement, la chanson « Enlève ton foulard » de Yarrahi a <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20230827-iran-le-chanteur-mehdi-yarrahi-poursuivi-pour-avoir-contest%C3%A9-le-voile-obligatoire">mené à son arrestation</a>.</p>
<h2>Une répression multiforme</h2>
<p>En parallèle, la répression n’a pas faibli, au contraire. Les tribunaux se sont mis à condamner celles qui transgressent les lois à des peines de type « rééducation morale », à travers des <a href="https://www.lejdd.fr/international/en-iran-les-femmes-refusant-le-voile-sont-condamnees-pour-trouble-mental-et-envoyees-en-psychiatrie-137590">internements psychiatriques</a>, des obligations d’assister à des séances de conseil pour « comportement antisocial » ou des <a href="https://www.smh.com.au/world/middle-east/iranian-women-forced-to-wash-corpses-for-refusing-to-wear-veil-20230809-p5dvar.html">lavages de cadavres à la morgue</a>. Les médias renchérissent en les qualifiant de dépravées sexuelles et de porteuses de « maladies sociales ».</p>
<p>Depuis septembre 2023, la répression s’est dotée d’un nouvel outil juridique : la loi <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/les-histoires-du-monde/histoires-du-monde-du-jeudi-14-septembre-2023-6669871">« <em>hedjâb</em> et chasteté »</a>, qui assimile le fait de se dévoiler à une menace pour la sécurité nationale. Des sanctions financières pour « promotion de la nudité » ou « moquerie du hedjâb » dans les médias et sur les réseaux sociaux sont prévues, ainsi que des privations importantes de droits, voire des peines d’emprisonnement du quatrième degré, soit entre cinq à dix ans.</p>
<p>Cette loi va plus loin encore en condamnant également, entre autres, à des amendes et à des interdictions de quitter le pays les propriétaires d’entreprises dont les employées ne portent pas de voile. Il va sans dire que les athlètes et les artistes et toutes les autres personnalités publiques sont visés par des interdictions de participer à des activités professionnelles et, souvent, à des amendes voire à des <a href="https://women.ncr-iran.org/fr/2022/12/22/flagellationflagellation/">flagellations</a>. Au-delà, les retombées des transgressions touchent toute la société. Ainsi, à Machhad, un grand parc aquatique, a été fermé <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/09/04/en-iran-un-parc-aquatique-ferme-pour-avoir-permis-a-des-femmes-d-entrer-sans-voile_6187777_3210.html">pour avoir laissé entrer des femmes dévoilées</a>.</p>
<p>Dans la répression généralisée, le <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/iran-des-cameras-intelligentes-pour-sanctionner-les-femmes-non-voilees-20230408">recours à l’intelligence artificielle</a> est devenu un nouvel instrument aux mains du régime. Des millions de femmes sont ainsi photographiées, puis identifiées, menacées voire arrêtées.</p>
<p>Enfin, les plus jeunes, dans les écoles et les lycées de filles – tous les établissements éducatifs sont non mixtes –, ont été nombreuses à être touchées par des <a href="https://information.tv5monde.com/terriennes/vague-dintoxications-dans-les-ecoles-en-iran-qui-veut-nuire-leducation-des-filles">attaques chimiques</a> visant à <a href="https://www.ei-ie.org/fr/item/27836:iran-les-attaques-chimiques-a-repetition-menees-contre-les-ecoles-mettent-en-evidence-la-violence-fondee-sur-le-genre-et-les-obstacles-a-leducation-des-filles">semer la terreur</a> et, probablement, à les dissuader de rejoindre le mouvement de contestation, même si le régime évoque vaguement « certains individus voulant fermer les écoles de filles ».</p>
<h2>L’octroi du prix Nobel de la paix à Nargues Mohammadi</h2>
<p>Le 15 septembre 2023, vingt ans après <a href="https://www.lejdd.fr/International/Shirin-Ebadi-une-vie-de-combat-813184-3150128">Shirin Ebadi</a>, Nargues Mohammadi <a href="https://information.tv5monde.com/terriennes/la-militante-iranienne-narges-mohammadi-fiere-de-ses-codetenues-2667765">s’est vu décerner le prix Nobel de la paix</a> pour sa lutte contre l’oppression des femmes – et pas seulement des femmes – en Iran. La lauréate se trouve derrière les barreaux, où <a href="https://actualitte.com/article/112922/international/en-iran-pres-de-11-ans-de-prison-pour-l-autrice-narges-mohammadi">elle purge une peine d’onze ans de prison</a>. Il y a peu de chances qu’au-delà de la signification symbolique, cette récompense puisse avoir des répercussions sur sa situation ou sur celle des Iraniennes en général. Téhéran a aussitôt réagi en qualifiant ce choix de <a href="https://edition.cnn.com/2023/10/06/world/nobel-peace-prize-winner-2023-intl/index.html">« politique et partial »</a> et d’acte interventionniste impliquant certains gouvernements européens. Il en est de même du <a href="https://www.letemps.ch/societe/egalite/le-prix-sakharov-recompense-mahsa-amini-et-le-mouvement-des-femmes-en-iran">prix Sakharov accordé le 19 octobre à Mahsa Amini et au mouvement « Femme vie liberté »</a>.</p>
<p>Un an après la révolte des Iraniennes et des Iraniens, aucune amélioration n’est visible. Au contraire, le gouvernement fait fi des critiques internationales et consolide ses liens à l’international, notamment <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/09/05/la-russie-livre-des-avions-a-l-armee-de-l-air-iranienne_6187893_3210.html">avec la Russie</a>, mais aussi <a href="https://theconversation.com/iran-arabie-saoudite-un-compromis-diplomatique-sous-legide-de-pekin-201828">avec l’Arabie saoudite</a>.</p>
<p>Enfin, dernièrement, les massacres perpétrés en Israël par le Hamas et dans la préparation desquels l’Iran est <a href="https://www.lopinion.fr/international/comment-liran-a-aide-le-hamas-a-attaquer-israel">largement soupçonné d’avoir été impliqué</a>, tout comme les bombardements de Gaza qui se sont ensuivis ont fait passer la situation intérieure en Iran, le prix Nobel de la paix et la question des femmes au second plan de l’attention de la communauté internationale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215846/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Firouzeh Nahavandi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>De très nombreuses Iraniennes, et de très nombreux Iraniens, continuent de défier le régime, malgré une répression impitoyable.Firouzeh Nahavandi, Professeure émérite, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2160382023-10-20T12:35:42Z2023-10-20T12:35:42ZTout comme Daesh, le Hamas diffuse les images de ses atrocités afin de maximiser leur impact psychologique<p>Le Hamas a chorégraphié très soigneusement <a href="https://ici.radio-canada.ca/recit-numerique/7097/guerre-israel-palestine-gaza-hamas-semaine1">son attaque contre des objectifs militaires et civils dans le sud d’Israël, le 7 octobre</a>. Même si leurs actions terroristes dans le passé ont parfois été très <a href="https://www.jpost.com/israel-news/on-this-day-suicide-bombing-kills-15-at-sbarro-pizzeria-676228">« spectaculaires »</a>, il y a cette fois un changement important dans la stratégie de propagande de l’organisation. </p>
<p>En effet, les membres de l’organisation ont soigneusement préparé l’opération, comme le montrent les <a href="https://www.pbs.org/newshour/world/hamas-posted-video-of-mock-attack-on-social-media-weeks-before-border-breach">vidéos enregistrées</a>, mais ils ont surtout pris soin de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Yt7TexDOTas">documenter visuellement</a> leurs actions terroristes et de les diffuser sur les réseaux sociaux.</p>
<p>Comment expliquer ce changement dans leur stratégie de propagande ? </p>
<p>Je propose deux hypothèses : premièrement, le Hamas souhaitait maximiser l’impact de son attaque, tant par le nombre de victimes mortelles que par la prise d’otages ; deuxièmement, l’organisation palestinienne cherchait à obtenir un niveau élevé d’exposition publique de ses atrocités afin de nuire psychologiquement aux Israéliens et de gagner les faveurs d’une certaine opinion publique palestinienne, arabe et musulmane. </p>
<p>En ce sens, le Hamas se rapproche du modus operandi de communication de l’<a href="https://www.lexpress.fr/monde/proche-moyen-orient/les-djihadistes-de-l-etat-islamique-ei-menace-au-moyen-orient_1562607.html">État islamique (EI)</a> — Daesh. Il a bien compris le pouvoir des images brutales comme arme dans leur guerre contre Israël.</p>
<p>J’ai étudié depuis un certain temps la question de la propagande des organisations islamistes. J’ai consacré un chapitre sur le sujet dans mon livre sur la <a href="https://www.routledge.com/Strategic-Communication-and-Deformative-Transparency-Persuasion-in-Politics/Nahon-Serfaty/p/book/9780367606794">« transparence grotesque »</a>, donc le dévoilement proactif (<em>proactive disclosure</em>, dans le langage stratégique) des images sanguinaires et dégradantes du corps humain, dans la communication publique. J’ai aussi étudié les stratégies de <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/15245004221136223?icid=int.sj-abstract.citing-articles.25">recrutement</a> des organisations terroristes et analysé l’influence de la révolution iranienne dans la propagande terroriste islamiste, tant chiite que sunnite. </p>
<h2>L’impact « visuel » de la révolution iranienne</h2>
<p>En mettant fortement l’accent sur les images (décapitations, massacres, etc.), lors de sa campagne de terreur dans les années 2010, l’État islamique-Daesh défiait en quelque sorte l’un des principes les plus sacrés de l’islam sunnite, qui condamne les représentations visuelles du corps humain. À l’opposé, les talibans afghans appliquent rigoureusement cette prescription coranique, interdisant la diffusion d’images, le cinéma et la télévision. </p>
<p>Mais un changement s’est produit dans le monde islamique avec la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9volution_iranienne">révolution iranienne</a>, en 1979, sous la direction des ayatollahs chiites. Cet événement a eu une influence significative sur d’autres groupes islamistes, même au sein d’organisations d’inspiration wahhabite-sunnite telles que EI-Daesh et Al-Qaida. </p>
<p>En effet, le chiisme est plus « libéral » sur l’utilisation d’images visuelles comme outil pour propager la foi et glorifier le comportement héroïque des martyrs. Les ayatollahs iraniens ont également revendiqué le martyre des kamikazes combattant les ennemis de l’Islam, soit des « ennemis proches » musulmans (lors de la guerre Iran-Irak entre 1980 et 1988), soit des « ennemis lointains » non musulmans (comme dans le cas de l’organisation chiite <a href="https://www.cfr.org/backgrounder/what-hezbollah">Hezbollah</a> responsable de l'attentat au camion piégé contre la caserne des Marines américains à Beyrouth en 1983).</p>
<h2>Influences croisées</h2>
<p>L’organisation sunnite palestinienne <a href="https://catalog.swanlibraries.net/Record/a1153458?searchId=28670680&recordIndex=8&page=1&referred=resultIndex">Hamas</a>, étroitement liée aux Frères musulmans égyptiens, collabore avec le Hezbollah chiite et reçoit du financement de l’Iran, démontrant la pollinisation croisée idéologique et stratégique entre les deux principales branches de l’Islam en matière de terrorisme et de propagande.</p>
<p>La révolution iranienne de 1979 a marqué un tournant dans la re-politisation de l’Islam. Dans ses chroniques sur l’Iran, le philosophe français Michel Foucault observe avec enthousiasme la « politique spirituelle » qui anime le mouvement dirigé par l’ayatollah Khomeini. Pour Foucault, la révolution islamique représentait une rupture avec les valeurs occidentales et les prescriptions libérales/marxistes de modernisation, à travers la mobilisation de toute une société dotée d’une « volonté politique » et d’idéaux utopiques. Même si la « folie » de Foucault sur la révolution iranienne a été <a href="https://rauli.cbs.dk/index.php/foucault-studies/article/download/3989/4391">largement critiquée</a>, son analyse offre un aperçu pertinent de l’impact du mouvement social d’inspiration chiite dans le monde islamique et au-delà.</p>
<p><a href="https://www.leddv.fr/analyse/michel-foucault-patient-zero-de-lislamo-gauchisme-20211112">Foucault écrit</a> : </p>
<blockquote>
<p>Sa singularité qui a constitué jusqu’ici sa force risque bien de faire par la suite sa puissance d’expansion. C’est bien, en effet, comme mouvement ‘islamique’ qu’il peut incendier toute la région, renverser les régimes les plus instables et inquiéter les plus solides. L’Islam — qui n’est pas simplement une religion, mais un mode de vie, une appartenance à une histoire et à une civilisation — risque de constituer une gigantesque poudrière, à l’échelle de centaines de millions d’hommes. Depuis hier, tout État musulman peut être révolutionné de l’intérieur, à partir de ses traditions séculaires. </p>
</blockquote>
<p>La révolution iranienne a également influencé la légitimation stratégique de la violence comme moyen d’atteindre des objectifs politiques et religieux. </p>
<h2>Martyrs et guerre sainte</h2>
<p>Enracinée dans la glorification chiite du martyre — historiquement liée à l’assassinat de l’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Al-Hussein_ibn_Ali">Imam Hussein</a>, petit-fils du Prophète, en l’an 680 par des opposants musulmans dans la ville de Karbala — la justification de la violence contre soi-même afin de détruire des ennemis infidèles a été largement adoptée par des organisations extrémistes d’<a href="https://www.cairn-int.info/article-E_RAI_009_0081--islamist-strategies-and-the-legitimizing.htm">inspiration sunnite</a>. </p>
<p><a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve/129">Le jihad (la guerre sainte) mené contre l’Union soviétique par les moudjahidines (combattants)</a> de différents pays arabes et musulmans en Afghanistan a également prouvé la valeur stratégique de la violence contre une puissance occupante. Idéologiquement et opérationnellement, l’exemple afghan est devenu le modèle pour des milliers de militants qui sont retournés en héros victorieux dans leurs pays ou régions d’origine (Algérie, Cachemire, Bosnie, Irak, Pakistan, Tchétchénie).</p>
<p>Un autre effet de la révolution iranienne et de la guerre antisoviétique en Afghanistan a été la prise de conscience de l’importance de ce que le chercheur iranien <a href="https://academic.oup.com/joc/article-abstract/29/3/107/4371739?redirectedFrom=fulltext">Hamid Mowlana</a> appelle un « système de communication total », combinant les réseaux de communication traditionnels, tels que les mosquées ou les écoles religieuses (madrasas), avec les moyens de communication modernes. </p>
<p>Les moudjahidines combattant les Soviétiques ont exploité leurs prouesses militaires avec l’aide des réseaux de diffusion américains et européens et, paradoxalement, de l’appareil de propagande du gouvernement américain présidé par le républicain Ronald Reagan.</p>
<p>À l’ère d’un sectarisme virtuel non territorialisé, le Hamas, inspiré par les actions de l’EI-Daesh et sous l’influence de la glorification chiite des images des martyrs et de la « violence sainte », s’est lancé sur deux fronts dans cette étape de la guerre contre l’État juif : un front violent contre Israël par le terrorisme et les lancements de roquettes ; l’autre par la propagande et la guerre psychologique pour démoraliser ceux qu’ils appellent « l’ennemi » et gagner l’admiration de leurs <a href="https://www.youtube.com/watch?v=_foZMY8xfD8">supporteurs</a>, y compris ceux et celles du monde universitaire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216038/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Isaac Nahon-Serfaty ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En diffusant les images brutales de son opération du 7 octobre, le Hamas se rapproche du modus operandi de communication de l’État islamique. Il a bien compris leur pouvoir comme arme de guerre.Isaac Nahon-Serfaty, Associate Professor, L’Université d’Ottawa/University of OttawaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2160222023-10-19T20:37:10Z2023-10-19T20:37:10ZLe Hamas et le Hezbollah pourraient-ils s’allier face à Israël ?<p>Alors qu’Israël se prépare à mener une <a href="https://theconversation.com/gaza-has-been-blockaded-for-16-years-heres-what-a-complete-siege-and-invasion-could-mean-for-vital-supplies-215359">opération militaire massive</a> contre le Hamas à Gaza, le risque de voir ce conflit s’étendre à l’ensemble du Proche-Orient se profile à l’horizon. La menace immédiate la plus grave pour Israël provient du Hezbollah, groupe armé et parti politique basé au Liban, frontalier d’Israël au nord.</p>
<p>Le <a href="https://theconversation.com/hamas-what-you-need-to-know-about-the-group-that-attacked-israel-215288">Hamas</a> et le <a href="https://theconversation.com/why-hezbollah-matters-so-much-in-a-turbulent-middle-east-88111">Hezbollah</a> sont tous deux soutenus par l’Iran et considèrent l’affaiblissement d’Israël comme leur principale raison d’être. Toutefois, ces deux groupes ne sont pas identiques. Leurs différences auront probablement un impact direct sur leurs actions – et sur celles d’Israël – dans les jours et les semaines à venir.</p>
<p>Contrairement au Hamas, le Hezbollah n’est jusqu’ici jamais entré en guerre uniquement au nom de la seule cause palestinienne. Cela <a href="https://www.theguardian.com/world/2023/oct/16/it-will-be-worse-than-hamas-order-to-evacuate-strikes-fear-into-north-israel">pourrait changer</a>. Le groupe libanais n’est pas encore totalement entré dans le conflit actuel, mais il a déjà <a href="https://video.lefigaro.fr/figaro/video/des-explosions-retentissent-apres-un-echange-de-tirs-entre-israel-et-le-hezbollah-libanais/">échangé des tirs</a> avec les forces israéliennes. Entre-temps, l’Iran a déclaré qu’une extension de la guerre apparaissait <a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2023-10-16/iran-says-expansion-israel-hamas-war-becoming-inevitable">« inévitable »</a>.</p>
<h2>Qu’est-ce que le Hezbollah ?</h2>
<p>Le <a href="https://www.pbs.org/frontlineworld/stories/lebanon/thestory.html">« parti de Dieu »</a> se présente comme un mouvement de résistance chiite. Son <a href="https://www.cfr.org/backgrounder/what-hezbollah">idéologie</a> est axée sur l’expulsion des puissances occidentales du Moyen-Orient et sur le <a href="https://www.reuters.com/article/us-lebanon-hezbollah-idUSTRE5AT3VK20091130">rejet</a> du droit d’Israël à l’existence.</p>
<p>Le groupe a été créé en 1982, en pleine guerre civile libanaise (1975-1990), après qu’Israël a envahi le Liban en représailles à des attaques perpétrées par des factions palestiniennes basées dans ce pays. Il a rapidement été soutenu par l’Iran et son Corps des Gardiens de la révolution, qui lui ont fourni des fonds et des armes, ainsi que des formations militaires pour ses membres, dans le but d’étendre l’influence iranienne au sein des États arabes.</p>
<p>La force militaire du Hezbollah a continué à se développer après la fin de la guerre civile libanaise en 1990, malgré le désarmement de la plupart des autres factions. Le groupe s’est focalisé sur la <a href="https://www.middleeastmonitor.com/20220527-its-worth-remembering-that-it-was-hezbollah-that-liberated-south-lebanon-from-israels-occupation-through-armed-struggle/">« libération »</a> du Liban d’Israël, et s’est engagé dans des années de guérilla contre les forces israéliennes occupant le Sud-Liban, jusqu’au retrait d’Israël en 2000. Le Hezbollah a alors largement concentré ses opérations sur la récupération par le Liban de la zone frontalière contestée des <a href="https://kroc.nd.edu/assets/227136/israel_hezbollah.pdf">fermes de Chebaa</a>.</p>
<p>En 2006, le Hezbollah a livré une guerre de cinq semaines à Israël – une guerre visant à <a href="https://www.aljazeera.com/news/2006/7/12/hezbollah-captures-israeli-soldiers">régler des comptes avec l’État hébreu</a> plus qu’à libérer la Palestine. Ce conflit a causé la mort <a href="https://www.reuters.com/world/middle-east/what-is-hezbollah-lebanese-group-backing-hamas-its-war-with-israel-2023-10-16/">d’au moins 158 Israéliens et plus de 1 200 Libanais</a>, pour la plupart des civils.</p>
<p>À partir de 2011, pendant la guerre civile syrienne, le pouvoir du Hezbollah s’est encore accru, ses forces venant à l’aide du président syrien Bachar Al-Assad, allié à l’Iran, dans sa confrontation avec des rebelles majoritairement sunnites. En 2021, le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a déclaré que le groupe comptait <a href="https://apnews.com/article/middle-east-lebanon-beirut-civil-wars-hassan-nasrallah-a3c10d99cca2ef1c3d58dae135297025">100 000 combattants</a> (bien que <a href="https://www.timesofisrael.com/for-a-change-hezbollahs-boast-of-100000-fighters-is-not-aimed-at-israel/">d’autres estimations</a> évaluent ses effectifs dans une fourchette allant de 25 000 à 50 000 hommes). Il dispose d’un arsenal militaire sophistiqué ; il est notamment équipé de roquettes de précision et de drones.</p>
<p>Le groupe existe également en tant que parti politique au Liban et y exerce une <a href="https://www.chathamhouse.org/2021/06/how-hezbollah-holds-sway-over-lebanese-state">influence significative</a>, si bien qu’on le qualifie souvent d’<a href="https://link.springer.com/content/pdf/10.1057/9780230623293_6.pdf">« État dans l’État »</a>. Huit de ses membres ont été élus pour la première fois au Parlement libanais en 1992 ; son poids a constamment progressé, et en 2018, une coalition dirigée par le Hezbollah a formé un gouvernement.</p>
<p>Le Hezbollah a conservé ses 13 sièges (sur 128 au total) au Parlement lors des élections de 2022, mais la coalition qu’il dirigeait a perdu sa majorité et le pays n’a actuellement pas de <a href="https://www.politico.eu/article/lebanese-hold-their-breath-as-fears-grow-hezbollah-will-pull-them-into-war/">gouvernement pleinement opérationnel</a>. D’autres partis libanais accusent le Hezbollah de <a href="https://www.reuters.com/world/middle-east/what-is-lebanons-hezbollah-2023-10-08/">paralyser et saper l’État</a>, et de contribuer à l’instabilité persistante du Liban.</p>
<h2>Qu’est-ce que le Hamas ?</h2>
<p>« Hamas », qui se traduit littéralement par « zèle », est un <a href="https://www.jstor.org/stable/4017719">acronyme arabe</a> signifiant « mouvement de résistance islamique ». Le mouvement a été fondé en 1987, à Gaza, en tant qu’émanation des Frères musulmans, un important groupe sunnite historiquement basé en Égypte.</p>
<p>Apparu au cours de ce que l’on appelle la première intifada ou soulèvement des Palestiniens contre l’occupation israélienne, le <a href="https://www.wiley.com/en-ae/Hamas:+The+Islamic+Resistance+Movement-p-9780745642963">Hamas</a> a rapidement adopté le principe de la résistance armée et a appelé à l’anéantissement d’Israël.</p>
<p>La situation politique palestinienne a évolué de manière significative après les <a href="https://justvision.org/glossary/oslo-accords">accords d’Oslo de 1993</a>, négociés entre le gouvernement israélien et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) dans le but d’établir un accord de paix global.</p>
<p>Opposée au processus de paix, la branche armée du Hamas, les Brigades al-Qassam, s’est imposée comme la principale force de résistance armée) contre Israël. Elle a lancé une série d’attentats suicides à la bombe qui se sont poursuivis pendant les premières années de la deuxième Intifada (2000-2005), avant de passer aux <a href="https://www.reuters.com/world/middle-east/how-hamas-secretly-built-mini-army-fight-israel-2023-10-13/">roquettes</a>, dont l’emploi récurrent est devenu sa tactique principale.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/kQ0bYjs6HOU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>De même que le Hezbollah, le Hamas est un parti politique. Il a remporté les élections législatives en 2006 et, en 2007, il a pris le contrôle de la bande de Gaza <a href="https://www.aljazeera.com/news/2011/5/4/timeline-hamas-fatah-conflict">à l’issue d’affrontements sanglants</a> avec le parti rival, le Fatah, qui a fait plus de 100 morts. Depuis lors, le Hamas contrôle la bande de Gaza et ne tolère aucune opposition politique. Il n’a jamais organisé d’élections, et ses adversaires politiques et détracteurs sont fréquemment arrêtés, des <a href="https://www.hrw.org/report/2018/10/23/two-authorities-one-way-zero-dissent/arbitrary-arrest-and-torture-under">rapports d’ONG de défense des droits humains</a> faisant état de tortures.</p>
<p>Au cours de cette période, la branche armée du Hamas est devenue de plus en plus sophistiquée. Son arsenal comprend désormais des milliers de roquettes, y compris des <a href="https://theconversation.com/the-unprecedented-attack-against-israel-by-hamas-included-precise-armed-drones-and-thousands-of-rockets-215241">missiles à longue portée et des drones</a>.</p>
<h2>En quoi le Hamas et le Hezbollah se distinguent-ils ?</h2>
<p>Le Hamas reçoit de plus en plus de fonds, d’armes et d’entraînement en provenance de Téhéran ; pour autant, <a href="https://www.ft.com/content/a06e7ea0-a7f8-4058-85b7-30549dd71443">il ne se trouve pas dans la même situation de dépendance vis-à-vis de l’Iran</a> que le Hezbollah qui, pour sa part, est <a href="https://www.brookings.edu/articles/hezbollah-revolutionary-irans-most-successful-export/">presque exclusivement soutenu par ce pays</a> et qui reçoit ses directives de la République islamique.</p>
<p>De plus, en tant qu’organisation sunnite, le Hamas ne partage pas le lien religieux chiite avec l’Iran qui caractérise le Hezbollah et la plupart des autres mandataires de Téhéran. Si le Hamas bénéficie sans aucun doute du patronage de l’Iran, il tend à opérer de manière plus indépendante que le Hezbollah.</p>
<p>En effet, le Hamas <a href="https://www.france24.com/en/middle-east/20231014-qatar-iran-turkey-and-beyond-the-galaxy-of-hamas-supporters">a été soutenu</a> dans le passé par la Turquie et par le Qatar, entre autres, et opère avec une relative autonomie. Le groupe a également longtemps été en désaccord avec l’Iran, les deux parties <a href="https://www.haaretz.com/israel-news/2023-10-16/ty-article/.premium/hezbollah-isnt-hamas-so-israel-fights-them-differently/0000018b-34e4-d450-a3af-7dfcca110000">défendant des positions opposées en Syrie</a>.</p>
<p>À l’heure actuelle, le conflit est essentiellement une guerre entre Israël et le Hamas. Le Hezbollah reste toutefois une menace pour Israël. S’il est activé par l’Iran, son implication totale changerait rapidement le cours du conflit et ouvrirait probablement la voie au déclenchement d’une guerre régionale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216022/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julie M Norman ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une implication totale du Hezbollah dans le conflit en cours entre Israël et le Hamas ouvrirait probablement la voie à une guerre régionale.Julie M Norman, Associate Professor in Politics & International Relations & Co-Director of the Centre on US Politics, UCLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2157552023-10-18T17:04:19Z2023-10-18T17:04:19ZL’UE et le conflit israélo-palestinien : une politique introuvable pour une paix introuvable ?<p>Au lendemain des attaques barbares du Hamas contre Israël, le Commissaire européen chargé de l’élargissement et de la politique de voisinage, le Hongrois Oliver Varhelyi, annonçait la <a href="https://fr.euronews.com/my-europe/2023/10/10/le-cavalier-seul-du-commissaire-europeen-a-lelargissement-et-la-volte-face-de-linstitution">suspension de l’aide aux Palestiniens</a>. Il n’a pas tardé à être <a href="https://www.sudouest.fr/josep-borrell-s-oppose-au-blocage-de-l-aide-europeenne-a-l-autorite-palestinienne-15148369.php">démenti</a> par le Haut Représentant de l’Union pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité Josep Borrell et par plusieurs pays et députés européens. C’est finalement une <a href="https://fr.euronews.com/my-europe/2023/10/09/la-commission-europeenne-suspend-son-aide-au-developpement-aux-palestiniens">« révision »</a> de l’aide européenne aux Palestiniens qui a été décidée. En outre, l’UE vient d’annoncer une augmentation de l’aide humanitaire à Gaza et la <a href="https://www.lefigaro.fr/international/gaza-l-ue-va-ouvrir-un-couloir-aerien-humanitaire-vers-la-bande-de-gaza-via-l-egypte-20231016">mise en place d’un pont aérien pour l’acheminer via l’Égypte</a>.</p>
<p>Cette séquence illustre combien, sur le dossier israélo-palestinien, l’unité des 27 demeure difficile, malgré l’alignement des <a href="https://www.touteleurope.eu/l-ue-dans-le-monde/israel-hamas-les-europeens-condamnent-unanimement-les-attaques-terroristes-et-constatent-leur-impuissance/">réactions de condamnation</a> des attentats commis par le Hamas et d’affirmation du droit d’Israël à se défendre. Ursula von der Leyen a d’ailleurs été peu après <a href="https://www.courrierinternational.com/article/diplomatie-au-sein-de-l-ue-le-soutien-inconditionnel-d-ursula-von-der-leyen-a-israel-ne-passe-plus">critiquée</a> pour avoir effectué une visite de soutien à Israël sans manifester sa préoccupation sur le sort des Palestiniens de Gaza.</p>
<p>Si par le passé, la <a href="https://www.puf.com/content/La_Politique_%C3%A9trang%C3%A8re_europ%C3%A9enne">Communauté économique européenne</a> (remplacée par l’UE en 1993) avait su en la matière élaborer des positions communes consensuelles, il semble que cela soit plus difficile désormais. Dès lors, on peine à voir comment l’UE pourrait peser sur l’issue du conflit.</p>
<h2>Un système bipolaire</h2>
<p>La <a href="https://www.liberation.fr/planete/2013/07/23/en-1980-deja-la-declaration-de-venise_920288/">déclaration de Venise</a> de 1980, sur le sujet spécifique de la Palestine, a été un terrain d’essai de la <a href="https://ehne.fr/fr/encyclopedie/th%C3%A9matiques/humanisme-europ%C3%A9en/pratiques-diplomatiques/la-coop%C3%A9ration-politique-europ%C3%A9enne-1970-1993">« Coopération politique européenne »</a> lancée en 1970.</p>
<p>La « CPE » visait à doter la Communauté européenne d’une voix politique dans le concert des nations. Dans un contexte marqué par les deux chocs pétroliers et par les nouvelles tensions qu’avait engendrées la révolution islamique en Iran, mais aussi par les espoirs nés dans la foulée de la <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve/124">signature en septembre 1978 des accords de Camp David entre Israël et l’Égypte</a>, les Neuf de l’époque affirmaient leur soutien au droit des Palestiniens à l’autodétermination.</p>
<p>Deux ans plus tard, François Mitterrand, tout en affichant son attachement à l’État d’Israël, évoquait devant la Knesset, le Parlement israélien, la perspective d’un État palestinien – une position française qui est ensuite devenue la position européenne.</p>
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<p>Malgré ces prises de parole fortes, les Européens n’ont guère pesé dans le processus de paix au Proche-Orient. La <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2016-9-page-43.htm">crise de Suez de 1956</a> avait déjà marqué l’éviction stratégique de la France et du Royaume-Uni de la région, même si la France gaullienne et post-gaullienne a par la suite continué de jouer un rôle important dans les affaires du Liban et ailleurs dans la zone à travers sa <a href="https://www.cairn.info/la-politique-etrangere-du-general-de-gaulle--9782130389200-page-177.htm">« politique arabe »</a> (qui se manifestait notamment par des ventes d’armes).</p>
<p>Au temps de la guerre froide, le système bipolaire s’était diffusé au Proche-Orient : les États-Unis se tenaient aux côtés d’Israël tandis que l’URSS soutenait la cause arabe et palestinienne. Les résolutions du Conseil de sécurité, dont la célèbre <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/histoires-d-info/la-resolution-242-des-nations-unies_1771195.html">résolution 242 de 1967</a>, qui demandait le retrait d’Israël des territoires occupés, marquaient néanmoins un consensus des puissances sur la nécessité de revenir au partage de la Palestine prévu en 1948-1949. En 1980, le même Conseil de sécurité, par sa <a href="https://digitallibrary.un.org/record/25618?ln=fr">résolution 478</a>, refusait de reconnaître l’annexion de Jérusalem par Israël.</p>
<p>C’est sous l’égide des deux Grands – et avant tout des États-Unis, l’Union soviétique étant alors moribonde – qu’a été réellement lancé le processus de paix, à la <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Conference-de-Madrid.html">Conférence de Madrid en 1991</a>. Les Européens se sont fait une place dans ce processus complexe et hésitant avec la nomination d’un représentant spécial à partir de 1996 (l’Espagnol Miguel Moratinos a été le premier titulaire du poste, actuellement détenu par le Néerlandais <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2021/04/29/new-eu-special-representative-for-the-middle-east-peace-process-appointed/">Sven Kotmans</a>) et la mise en place en 2002 du <a href="https://www.un.org/unispal/fr/un-system/un-system-partners/the-quartet">« quartet »</a> (États-Unis, Russie, UE, ONU) pour jouer un rôle de médiateur dans le conflit.</p>
<h2>L’Europe en soutien</h2>
<p>Les Européens sont venus en soutien des accords de paix, finançant l’Autorité palestinienne et lançant une <a href="https://www.eubam-rafah.eu/">mission d’assistance au poste-frontière de Rafah</a>, entre l’Égypte et la bande de Gaza évacuée par Israël en 2005. Il n’en reste pas moins que, face à un conflit qui n’a cessé de se durcir (première arrivée au pouvoir de Benyamin Nétanyahou en 1996, deuxième intifada entre 2000 et 2006, guerre entre Israël et le Hezbollah en 2006, renforcement de la colonisation juive en territoires occupés, enchaînements d’attentats et de représailles), ils ont peiné à se faire entendre collectivement.</p>
<p>Ce n’est pas que les pays européens soient condamnés à l’impuissance : ils ont su mener une action unie et résolue sur le dossier nucléaire iranien à partir de 2003, combinant sanctions et diplomatie. Des éléments de consensus entre pays européens existent sur l’aide civile aux Palestiniens, le soutien au processus de paix, l’opposition à la politique de force et du fait accompli, y compris la colonisation des territoires occupés. Les Européens ne sont pas toujours restés passifs vis-à-vis d’Israël. Le Conseil d’association, prévu par <a href="https://neighbourhood-enlargement.ec.europa.eu/system/files/2022-03/25032022-factograph_israel_fr.pdf">l’accord d’association de 1995</a> qui organise la coopération entre l’Union et Israël, ne s’est pas réuni entre 2012 et 2022, les Israéliens réagissant aux objections formulées par l’Union à propos des colonies en Cisjordanie. L’accord de libre-échange ne s’applique pas aux produits israéliens issus des colonies.</p>
<p>Les États membres ne se sont cependant jamais accordés sur de quelconques sanctions. Tout juste ont-ils décidé en 2019 l’étiquetage (et non l’interdiction) des produits israéliens issus des territoires occupés, après qu’Israël <a href="https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2018/07/19/israel-etat-nation-juif-les-dessous-d-une-loi-controversee_5333745_3218.html">s’est proclamé par une loi fondamentale « l’État-nation du peuple juif »</a>, ce qui discrimine les citoyens non juifs, notamment la minorité arabe. Les relations commerciales et technologiques avec l’État hébreu restent étroites. Israël est notamment associé aux programmes de recherche de l’Union.</p>
<h2>Des divergences trop importantes ?</h2>
<p>Malgré les quelques points d’accord, les États membres (et l’ancien État membre qu’est le Royaume-Uni) ont des visions très (trop ?) différentes de la question israélo-palestinienne pour pouvoir se montrer plus efficaces.</p>
<p>Historiquement, le <a href="https://www.herodote.net/2_novembre_1917-evenement-19171102.php">Royaume-Uni</a> et la <a href="https://monbalagan.com/36-chronologie-israel/139-1917-4-juin-lettre-de-jules-cambon-a-sokolov.html">France</a> ont encouragé dès 1917 la renaissance d’un foyer national juif sur la terre ancestrale d’Israël. Si Londres est par la suite globalement resté très proche des positions israéliennes, cela n’a pas été le cas de Paris, qui a veillé à ménager ses relations avec le monde arabe et à défendre les droits des Palestiniens. L’Allemagne et l’Autriche, de leur côté, portent comme des stigmates l’élimination des communautés juives par les nazis et sont plus enclines à s’aligner sur les positions d’Israël. C’est aussi le cas des Pays-Bas, l’un des berceaux du libéralisme occidental, et d’un certain nombre de pays d’Europe centrale et orientale. L’Espagne, pour sa part, a eu souvent une position proche de la France, position qui a pu être relayée par des personnalités espagnoles ayant été placées à des postes clés de la diplomatie européenne – Javier Solana et Miguel Moratinos dans le passé, Josep Borrell aujourd’hui.</p>
<p>En réalité, aucun des pays européens n’est assez puissant pour s’imposer seul comme un acteur de poids ; mais ensemble, ils sont trop divisés. Leur voix ne peut qu’être faible, surtout quand il s’agit d’aller contre les positions de Washington.</p>
<p>Si l’UE a l’habitude d’adopter une position commune sur les textes de l’Assemblée générale des Nations unies (dans plus de 90 % des cas), les clivages réapparaissent dès que les questions deviennent sensibles. C’est ainsi que les votes des États membres se sont divisés sur la réaction de l’ONU à l’offensive israélienne à Gaza en 2008-2009, sur l’admission de la Palestine à l’Unesco en 2011, puis sur l’octroi d’un statut d’observateur à la Palestine à l’ONU en 2012. Dans ce dernier cas, 14 pays (dont la France) ont voté pour, la République tchèque s’est prononcée contre, 12 pays se sont abstenus, dont l’Allemagne et le Royaume-Uni. Certains pays européens, comme la <a href="https://www.lefigaro.fr/international/israel-vers-un-transfert-de-l-ambassade-de-hongrie-a-jerusalem-20230307">Hongrie</a> et la <a href="https://www.euractiv.fr/section/international/news/le-premier-ministre-tcheque-envisage-de-demenager-lambassade-de-tel-aviv-a-jerusalem/">Tchéquie</a>, sont aujourd’hui tentés de transférer leur ambassade de Tel-Aviv à Jérusalem, comme l’administration Trump l’a fait en 2018.</p>
<p>Par ailleurs, un axe droitier (« illibéral ») n’a cessé de se renforcer en Israël comme en Occident, combinant poussée identitaire et nationaliste, rhétorique de la « guerre contre le terrorisme islamiste » et logique du tout-sécuritaire, au détriment d’une analyse politique du conflit. À cette aune, il n’est pas surprenant de voir Viktor Orban, Georgia Meloni ou Marine Le Pen s’aligner totalement sur la politique sécuritaire du gouvernement Nétanyahou.</p>
<h2>L’UE peut-elle faire plus ?</h2>
<p>L’Europe pourrait-elle s’engager davantage ? La légitimité des institutions européennes pour porter une diplomatie forte au-dessus des États membres est fragile. Si l’on introduisait le vote majoritaire en politique étrangère, alors que celle-ci <a href="https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/unanimite-majorite-qualifiee-minorite-de-blocage-comment-les-decisions-sont-elles-prises-en-europ/">se définit actuellement à l’unanimité</a>, cela faciliterait peut-être les positions de compromis ; mais seraient-elles acceptées par tous et pourraient-elles soutenir des actions autonomes et fortes qui ne seraient pas forcément alignées sur les États-Unis ?</p>
<p>À ce stade, une action coordonnée de la France, de l’Allemagne et du Royaume-Uni, comme dans le dossier iranien, ne paraît pas non plus en vue. Le dossier israélo-palestinien montre hélas les limites de la puissance européenne.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215755/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Maxime Lefebvre ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’UE apparaît aujourd’hui trop divisée pour jouer un rôle d’importance dans une éventuelle résolution du conflit.Maxime Lefebvre, Affiliate professor, ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2155272023-10-12T17:30:49Z2023-10-12T17:30:49ZComment les services de renseignement israéliens ont-ils pu rater les préparatifs du Hamas ? Un spécialiste de la lutte anti-terroriste explique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/553398/original/file-20231011-21-3o0xk2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des soldats israéliens passent devant un véhicule médical militaire le 10 octobre 2023 à Kfar Aza, un kibboutz où des militants du Hamas ont massacré de nombreux civils.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/soldiers-move-past-a-medical-idf-vehicle-at-kibbutz-kfar-news-photo/1728299509?adppopup=true">(Alexi J. Rosenfeld/Getty Images) </a></span></figcaption></figure><p>De l’avis général, Israël dispose de moyens très perfectionnés en matière de renseignement, qu’il s’agisse de collecter des informations sur les menaces à l’intérieur du pays ou à l’extérieur de celui-ci. Ainsi, à mesure que l’on découvre <a href="https://www.lorientlejour.com/minisite/926-guerre-hamas-israel-notre-dossier-special">l’ampleur de l’attaque surprise</a> <a href="https://apnews.com/article/israel-palestinians-gaza-hamas-rockets-airstrikes-tel-aviv-11fb98655c256d54ecb5329284fc37d2">sans précédent du Hamas</a> contre 20 villes israéliennes et plusieurs bases militaires le 7 octobre 2023, une question persiste : <a href="https://www.foreignaffairs.com/middle-east/israels-intelligence-disaster">comment se fait-il qu’Israël</a> n’ait pas recueilli à l’avance des informations sur ce qui se préparait ?</p>
<p>Le 10 octobre 2023 le <a href="https://www.nytimes.com/2023/10/10/world/middleeast/israel-gaza-security-failure.html"><em>New York Times</em> a rapporté</a> que les services de renseignement israéliens <a href="https://www.lapresse.ca/international/etats-unis/2023-10-11/l-egypte-aurait-alerte-israel-trois-jours-avant-l-assaut-du-hamas.php">ont détecté des activités suspectes</a> sur les réseaux de militants du Hamas avant l’attaque. Mais l’avertissement n’a pas eu d’effet ou n’a pas été compris dans son intégralité, comme cela s’est produit aux États-Unis <a href="https://oig.justice.gov/sites/default/files/archive/special/s0606/chapter6.htm">avant les attaques terroristes du 11 septembre 2001</a>.</p>
<p>L’analyse du renseignement équivaut à assembler chaque jour un casse-tête de mille pièces à partir de données isolées afin d’essayer de formuler des jugements qui permettront aux décideurs politiques de faire quelque chose avec ces informations » dit <a href="https://fordschool.umich.edu/faculty/javed-ali">Javed Ali</a>, spécialiste du renseignement et de la lutte contre le terrorisme qui a travaillé des années au sein des services de renseignement américains.</p>
<p>Nous nous sommes entretenus avec lui pour tenter de mieux comprendre le fonctionnement des services de renseignement israéliens et les éventuelles failles du système qui ont permis l’incursion du Hamas.</p>
<h2>1. Quelles questions vous sont venues à l’esprit après les attentats ?</h2>
<p>Cela a nécessité une planification délibérée et minutieuse, et le Hamas a dû déployer beaucoup d’efforts pour dissimuler le complot aux services de renseignement israéliens. On a <a href="https://www.reuters.com/article/us-israel-palestiniens-securite-idFRKBN31804U">réussi à garder les préparatifs secrets</a>.</p>
<p>En raison des éléments complexes de l’attaque, j’ai pensé que l’Iran avait fort probablement <a href="https://www.nytimes.com/2023/10/11/us/politics/iran-israel-gaza-hamas-us-intelligence.html">contribué à soutenir l’opération</a> — bien que certains responsables américains aient déclaré que <a href="https://www.cbsnews.com/news/iran-israel-iranian-officials-surprised-by-hamas-attack-israel/#textThe20US20has20intelligence20indicatingthe20deadly20Oct20720assault">leurs services de renseignements ne disposaient pas de preuves</a> de ce fait jusqu’ici.</p>
<p>Le Hamas est <a href="https://www.reuters.com/graphics/ISRAEL-PALESTINIANS/MAPS/movajdladpa/">aux portes d’Israël</a>. On pourrait croire qu’Israël comprend mieux ce qui se passe à Gaza et en Cisjordanie qu’à près de 2 000 km de là, en Iran. Comment Israël a-t-il pu passer à côté d’un complot aussi élaboré si près de ses frontières ? Des responsables israéliens ont déclaré qu’ils pensaient que les récentes opérations antiterroristes israéliennes <a href="https://www.nytimes.com/2023/10/10/world/middleeast/israel-gaza-security-failure.html">avaient découragé le Hamas</a> et que celui-ci n’avait pas la capacité de lancer une attaque de la portée et de l’ampleur de celle qui s’est produite.</p>
<h2>2. Comment fonctionnent les services de renseignement israéliens ?</h2>
<p>Israël possède un des services de renseignement les plus performants et sophistiqués de la planète. Sa structure et son fonctionnement sont largement similaires à ceux des États-Unis, en ce qui concerne les rôles et les responsabilités.</p>
<p>En Israël, le Shin Bet constitue le service de sécurité intérieure, l’équivalent du FBI, qui surveille les menaces à l’intérieur du pays. Pour ce qui est de la sécurité extérieure, <a href="https://spyscape.com/article/inside-mossad">Israël compte sur le Mossad</a>, l’équivalent de la CIA. Le pays possède également une agence de renseignement militaire semblable à l’Agence du renseignement de la défense américaine (DIA), et d’autres petites organisations au sein du renseignement militaire qui se concentrent sur différents aspects de la sécurité.</p>
<p>Comme la plupart des pays occidentaux, Israël a recours à une combinaison de différentes sources de renseignements. Cela inclut des personnes chargées de fournir aux agences les informations sensibles auxquelles elles ont directement accès, ou renseignement d’origine humaine, communément appelé espionnage. Il y a aussi le renseignement d’origine électromagnétique, qui consiste en différentes formes de communications électroniques telles qu’appels téléphoniques, courriels ou messages textes, ainsi que les renseignements par imagerie avec, par exemple, des photos satellites de camps d’entraînement ou d’équipements.</p>
<p>Un quatrième type de renseignement est constitué des informations de source ouverte, c’est-à-dire celles à qui tout le monde peut avoir accès, comme les forums de discussion sur Internet. Il y a quelques années, vers la fin de mes activités dans le domaine du renseignement, j’ai constaté que les informations accessibles au public étaient beaucoup plus nombreuses que les autres types de renseignements.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/553315/original/file-20231011-17-kjoqg2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Un homme en costume se tient devant un podium et à côté d’un grand écran sur lequel sont affichées des photos de personnes" src="https://images.theconversation.com/files/553315/original/file-20231011-17-kjoqg2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/553315/original/file-20231011-17-kjoqg2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/553315/original/file-20231011-17-kjoqg2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/553315/original/file-20231011-17-kjoqg2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/553315/original/file-20231011-17-kjoqg2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/553315/original/file-20231011-17-kjoqg2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/553315/original/file-20231011-17-kjoqg2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Dans le cadre d’un sommet sur la lutte contre le terrorisme tenu en septembre 2023, David Barnea, directeur du Mossad israélien, présente une vidéo montrant des agents des services de renseignement iraniens.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/israels-mossad-director-david-barnea-speaks-on-the-backdrop-news-photo/1656972994?adppopup=true">(Gil Cohen-Magen/AFP)</a></span>
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<h2>3. En quoi le système de renseignement israélien diffère-t-il du système américain ?</h2>
<p>Contrairement aux États-Unis, Israël ne dispose pas d’un coordinateur national du renseignement, c’est-à-dire d’une personne qui connaît et supervise toutes les composantes du renseignement.</p>
<p>Le système américain comprend un poste de directeur du renseignement national qui dirige le <a href="https://www.dni.gov/index.php/who-we-are/history">Bureau du directeur du renseignement national</a> (ODNI), créé en 2004. Les deux découlent des recommandations de la <a href="https://www.dhs.gov/implementing-911-commission-recommendations">Commission sur les attaques du 11 septembre</a>, qui a constaté que le système américain du renseignement était trop fragmenté entre différentes agences et bureaux.</p>
<p>Ainsi, quand on se trouve devant des problèmes complexes qu’aucune agence ne peut résoudre seule, ou en cas de différences sur le plan de l’analyse, on a recours à ce bureau indépendant formé d’experts pour résoudre ces questions.</p>
<p>J’ai travaillé plusieurs années au sein du Bureau du directeur du renseignement national. Dans un de mes postes, je relevais directement du directeur du renseignement national.</p>
<p>En Israël, il n’existe pas d’équivalent de ce bureau central et de cette fonction. Israël pourrait se demander si la création d’un poste de coordinateur du renseignement ne contribuerait pas à éviter des attaques du type de celles qui viennent de se produire.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/553320/original/file-20231011-15-o1rjo6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Plusieurs corps recouverts d’un drap blanc sont visibles sur le sol" src="https://images.theconversation.com/files/553320/original/file-20231011-15-o1rjo6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/553320/original/file-20231011-15-o1rjo6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/553320/original/file-20231011-15-o1rjo6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/553320/original/file-20231011-15-o1rjo6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/553320/original/file-20231011-15-o1rjo6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/553320/original/file-20231011-15-o1rjo6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/553320/original/file-20231011-15-o1rjo6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Des Israéliens gisent sur le sol après une attaque du Hamas à Sdérot, en Israël, le 7 octobre 2023.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/october-2023-israel-sderot-bodies-of-dead-israelis-lie-on-news-photo/1711934608?adppopup=true">(Ilia Yefimovich/picture alliance via Getty Images)</a></span>
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<h2>4. Quel est le rôle des États-Unis dans la surveillance des menaces qui pèsent sur Israël, si tant est qu’ils en aient un ?</h2>
<p>Les États-Unis et Israël entretiennent des relations très étroites en matière de renseignement. Leur partenariat est bilatéral, c’est-à-dire qu’il ne concerne qu’eux et ne fait pas partie d’un <a href="https://www.dni.gov/index.php/ncsc-how-we-work/217-about/organization/icig-pages/2660-icig-fiorc">groupe comprenant d’autres pays</a>.</p>
<p>Les États-Unis ont également un partenariat plus large en matière de renseignement, connu sous le nom de <a href="https://theconversation.com/nato-isnt-the-only-alliance-that-countries-are-eager-to-join-a-brief-history-of-the-five-eyes-209763">« Groupe des cinq »</a>, ou Five Eyes, avec la Grande-Bretagne, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Cependant, la règle dans ces relations bilatérales solides est que lorsqu’une partie possède des renseignements sur des menaces concernant l’autre, elle doit automatiquement transmettre ses informations.</p>
<p>Les États-Unis sont peut-être en train de réorienter leurs priorités en matière de renseignement vers d’autres régions du monde, comme l’Ukraine, la Russie et la Chine. En conséquence, ils n’ont peut-être pas obtenu de renseignements pertinents sur ce complot du Hamas et n’ont rien pu transmettre à Israël pour l’avertir.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215527/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Javed Ali ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les capacités de renseignement d’Israël sont considérées parmi les meilleures au monde, mais contrairement aux États-Unis, il n’existe pas d’organisation centrale coordonnant tous les renseignements.Javed Ali, Associate Professor of Practice in Counterterrorism, Domestic Terrorrism, Cybersecurity and National Security Law and Policy, University of MichiganLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2152972023-10-10T21:16:19Z2023-10-10T21:16:19ZComment le Hamas a récupéré le désespoir palestinien<p>Depuis samedi matin, le Hamas, conduit une attaque inhumaine et de grande ampleur contre l’État hébreu. L’organisation islamique, qui est considérée comme <a href="https://www.rtbf.be/article/guerre-au-proche-orient-hamas-et-hezbollah-deux-organisations-classees-terroristes-en-europe-11268480">terroriste</a> par l’Union européenne, a tiré des milliers de roquettes sur les villes israéliennes depuis la bande de Gaza, où elle officie. Et de manière totalement inédite, des combattants du Hamas se sont infiltrés dans les territoires israéliens pour s’en prendre violemment et massivement <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/10/09/pres-de-gaza-la-rave-party-a-vire-au-cauchemar_6193286_3210.html">à des civils</a>. À ce stade, on <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/israel-gaza-1100-morts-en-48-heures-l-armee-israelienne-a-frappe-cette-nuit-500-cibles-du-hamas-4173346">dénombre</a> plus de 800 morts côté israélien et 2 600 blessés, et, côté palestinien, au moins 687 morts depuis samedi et 2 900 blessés.</p>
<p>Le monde est stupéfait par les évènements. Pourtant, pour beaucoup d’observateurs, comme Elie Barnavi, ancien ambassadeur d’Israël en France, les évènements sont <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/08/elie-barnavi-l-attaque-du-hamas-resulte-de-la-conjonction-d-une-organisation-islamiste-fanatique-et-d-une-politique-israelienne-imbecile_6193197_3232.html">« surprenants mais étaient prévisibles »</a>. L’ampleur de l’attaque est inédite, la faille de l’armée et des services secrets israéliens est étonnante et la violence est terrifiante et inacceptable. Mais en effet, la conjoncture actuelle laissait présager une escalade de violence.</p>
<p>Sur le terrain, dont je reviens à peine, on ressent clairement au sein de la population palestinienne un désespoir croissant et multifactoriel, et une violence latente. Plus personne ne parle de « paix », mais plutôt de « fin de l’occupation »… et les jeunes parlent de « résistance, par tous les moyens ».</p>
<p>C’est dans ce contexte que le Hamas a conduit son attaque. Et l’organisation a récupéré ce désespoir pour se légitimer et obtenir le soutien d’une partie de l’opinion palestinienne.</p>
<h2>Gaza, une « prison à ciel ouvert » qui favorise la radicalisation</h2>
<p>À Gaza, d’où opère le Hamas, 2,3 millions de Palestiniens s’entassent sur 365 km faisant de la bande de Gaza l’un des territoires les plus densément peuplés au monde. <a href="https://news.un.org/fr/story/2022/09/1127031">Plus de deux tiers</a> de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et, selon l’ONG israélienne B’Tselem, le <a href="https://plateforme-palestine.org/Gaza-les-chiffres-cles-2023">taux de chômage est de 75 %</a> chez les moins de 29 ans.</p>
<p>Depuis 2007, ce territoire est aussi soumis à un <a href="https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2018/05/29/a-gaza-des-bateaux-palestiniens-contre-la-nouvelle-barriere-maritime-voulue-par-israel_5306341_3218.html">blocus israélien</a> à la fois maritime, aérien et terrestre, qui prive presque entièrement ce territoire de contacts avec le monde extérieur.</p>
<p>Les Gazaouis sont régulièrement coupés d’eau et d’électricité et dépendent essentiellement des <a href="https://www.middleeasteye.net/fr/opinionfr/palestine-israel-aide-internationale-normalise-siege-gaza">aides internationales</a>. Les entrées et les sorties de Gaza dépendent des autorisations données par les forces israéliennes et sont extrêmement rares, ce qui lui vaut le surnom de « prison à ciel ouvert ».</p>
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<figcaption><span class="caption">Gaza : Une « prison à ciel ouvert » depuis 15 ans Human Rights Watch, YouTube.</span></figcaption>
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<p>Dans ces conditions, la population gazaouite, et notamment la jeunesse, coupée du monde, se radicalise. La plupart pensent n’avoir plus rien à perdre et ne croient plus aux solutions politiques et à la paix. Progressivement l’idée qu’il faut résister à l’occupation de l’État hébreu par la violence, prônée par les groupes islamistes, se répand. Ce qui fait le jeu du Hamas et du Jihad islamique qui regroupent de plus en plus de combattants.</p>
<h2>La Cisjordanie, un territoire démembré</h2>
<p>En Cisjordanie, l’attaque du Hamas n’a pas été condamnée, voire la population palestinienne a exprimé son soutien par des manifestations.</p>
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<figcaption><span class="caption">Un territoire fragmenté, Le Monde, 2018.</span></figcaption>
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<p>Le reste du monde s’étonne qu’on puisse soutenir une telle cruauté qui est sans équivoque inacceptable. Mais, il faut aussi s’intéresser aux causes de ce soutien. En Cisjordanie aussi, la population et la jeunesse sont désabusées voir désespérées.</p>
<p>Le territoire palestinien est complètement démembré. La colonisation est largement soutenue et accompagnée par le gouvernement israélien. Plus de 280 colonies et 710 000 colons ont été dénombrés par l’ONU. Des habitations palestiniennes sont régulièrement <a href="https://www.amnesty.org/fr/location/middle-east-and-north-africa/israel-and-occupied-palestinian-territories/report-israel-and-occupied-palestinian-territories/">détruites</a>.</p>
<p>Depuis 2002, plus de 700 km de mur sont construits entre les territoires palestiniens et Israël. Ce mur sécuritaire devait suivre la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ligne_verte_(Isra%C3%ABl)">ligne verte de 315km</a>, prévue par le plan de partage de l’ONU de 1947, finalement, il n’en finit pas de faire des tours et des détours en empiétant progressivement sur des bouts de territoires palestiniens et en isolant certaines villes palestiniennes.</p>
<p>Un député palestinien me dit « c’est le mur des Lamentations arabe », d’autres parlent du « mur de la honte ». Même Jérusalem-Est est de plus en plus occupée, jusque sur l’esplanade des Mosquées qui abrite la Mosquée Al-Aqsa, troisième lieu saint de l’Islam. Notons que l’attaque du Hamas est dénommée « déluge Al-Aqsa », un symbole au cœur du conflit qui montre que le groupe islamiste s’appuie sur les frustrations et les rancœurs de la population…</p>
<h2>Un désespoir quotidien</h2>
<p>La liberté de mouvement des habitants de Cisjordanie est extrêmement limitée : elle dépend des autorisations et des laissez-passer obtenus auprès des autorités israéliennes. Quotidiennement, les Palestiniens doivent traverser, laborieusement, des <a href="https://books.openedition.org/pup/8020?lang=fr">checkpoints</a>.</p>
<p>Certains enfants m’expliquent qu’ils traversent le checkpoint entre Abu Dis et Jérusalem pour aller à l’école ; ils y vont seuls parce que leurs parents n’ont pas les autorisations et y passent une heure au moins tous les jours. Certains étudiants, eux, m’expliquent qu’auparavant, pour rejoindre leur université, ils pouvaient y aller à pied, maintenant, il y a le mur et un checkpoint. L’ONU estime qu’il y a environ <a href="https://www.un.org/unispal/fr/faits-et-chiffres/">593 checkpoints</a>, visant, pour la plupart, à protéger les colons israéliens.</p>
<p>La situation économique en Cisjordanie est aussi déplorable. Les <a href="https://unctad.org/fr/news/les-restrictions-economiques-en-cisjordanie-ont-coute-50-milliards-de-dollars-entre-2000-et">restrictions israéliennes</a> bloquent le développement. Le <a href="https://news.un.org/fr/story/2022/09/1127031">taux de pauvreté</a> s’élève à 36 % et le taux de chômage à 26 %.</p>
<p>L’armée israélienne, surtout depuis l’arrivée du dernier gouvernement de Nétanyahou, démultiplie les <a href="https://fr.euronews.com/2023/07/03/important-raid-israelien-sur-jenine-8-palestiniens-tues-une-cinquantaine-de-blesses">interventions</a> et les raids de prévention. Avant l’attaque du Hamas, depuis le début de l’année, 200 Palestiniens avaient été tués. <a href="https://news.un.org/fr/story/2023/05/1134792">L’ONU dénombre</a> 4 900 prisonniers politiques palestiniens et relève les conditions déplorables des prisons israéliennes et les mauvais traitements infligés.</p>
<h2>Impasse politique, violence latente</h2>
<p>À tout ceci s’ajoute l’impasse politique. Il n’y a pas eu d’élections depuis 2006 en Palestine. L’Autorité palestinienne, reconnue comme représentant légitime du peuple palestinien, est devenue une coquille vide qui n’a plus aucun pouvoir effectif. Le pouvoir est concentré dans les mains de Mahmoud Abbas, 87 ans, qui a perdu le soutien de sa population. La <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/monde/la-corruption-de-leurs-dirigeants-est-un-fleau-pour-les-palestiniens-20190515">corruption</a> paralyse toutes les institutions palestiniennes.</p>
<p>Suite aux échecs, à répétitions, des négociations entre l’Autorité palestinienne et Israël, certains considèrent même que Mahmoud Abbas est <a href="https://www.iris-france.org/168899-palestine-biden-hypocrite-abbas-complice/">« complice »</a> de l’occupation israélienne.</p>
<p>La population n’attend plus rien de la politique et encore moins des négociations. Depuis le début de l’année, on avait une résurgence d’attaques « individuelles » issues du désespoir quotidien. Comme ce chauffeur palestinien qui, fin août, <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1347957/attaque-a-un-checkpoint-en-cisjordanie-occupee-trois-blesses.html">a foncé dans un groupe de soldats israéliens</a> alors qu’il s’apprêtait à franchir un check-point.</p>
<p>C’est ce même désespoir qui pousse aujourd’hui une partie de la population palestinienne à soutenir les attaques du Hamas pourtant cruellement inhumaines. Comme l’indique Elie Barnavi, on pourrait même craindre, en suivant, le déclenchement d’une <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/08/elie-barnavi-l-attaque-du-hamas-resulte-de-la-conjonction-d-une-organisation-islamiste-fanatique-et-d-une-politique-israelienne-imbecile_6193197_3232.html">nouvelle intifada</a>…</p>
<h2>Une opération politique du Hamas</h2>
<p>En réalité, le Hamas n’a fait que profiter de ce contexte favorable à la violence. Le Hamas, qui prône la résistance armée et refuse de reconnaître l’existence d’Israël, a instrumentalisé la frustration et le désespoir des Palestiniens pour se positionner en « véritable défenseur de la cause palestinienne ».</p>
<p>En 2006, le Hamas était sorti vainqueur des élections législatives palestiniennes. Malgré le déroulement démocratique de ces élections, le résultat n’avait pas été reconnu par la communauté internationale qui refusait qu’une organisation terroriste prenne le pouvoir. Le Hamas s’est donc replié dans la bande Gaza sur laquelle il a pris le contrôle. Depuis Gaza, il a continué de se radicaliser, de délégitimer l’Autorité palestinienne et il a attendu le momentum pour mettre son discours et sa stratégie en œuvre. Aux yeux de l’organisation, ce momentum est arrivé. Les cadres ont sans doute estimé que le contexte était favorable pour une attaque de grande ampleur qui leur permettrait de gagner en popularité.</p>
<p>D’une part, la <a href="https://theconversation.com/avec-sa-reforme-judiciaire-benyamin-netanyahou-consolide-son-heritage-politique-210667">déstabilisation interne en Israël</a> a offert une brèche dont le Hamas pouvait profiter. Israël n’a jamais été aussi divisé que depuis l’arrivée de la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/12/29/netanyahou-revient-a-la-tete-du-gouvernement-le-plus-a-droite-de-l-histoire-d-israel_6155974_3210.html">coalition d’ultra-orthodoxes</a> et de nationaux-religieux formée par Nétanyahou. Des manifestations de grande ampleur contre la réforme de la justice ont secoué le pays depuis plusieurs mois. De manière totalement inédite, les réservistes israéliens, indispensables à la défense israélienne, s’étaient mis en <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/03/07/en-israel-revolte-inedite-des-reservistes-de-l-armee_6164478_3210.html">grève</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">« Israël : la rupture Nétanyahou ? » (Le dessous des cartes, la leçon de géopolitique (Arte).</span></figcaption>
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<p>Par ailleurs, la conjoncture internationale est incontestablement en train de changer et le Hamas a probablement vu ce contexte mouvant comme une opportunité à saisir. L’équilibre des puissances évolue, de nouveaux équilibres se créent et la région se reconfigure. En témoignent l’accord entre Téhéran et Riyad, et les <a href="https://www.arte.tv/fr/videos/117072-000-A/les-accords-d-abraham-qu-est-ce-que-c-est/">accords d’Abraham</a> qui ont normalisé les relations d’Israël avec certains pays arabes. <a href="https://theconversation.com/deux-si%C3%A8cles-de-grand-jeu-geopolitique-pour-les-grandes-puissances-210223">Les plaques tectoniques bougent</a> : le statu quo au <a href="https://theconversation.com/le-haut-karabakh-livre-a-lui-meme-214195">Haut-Karabakh</a> est rompu, les <a href="https://theconversation.com/afrique-des-transitions-democratiques-aux-transitions-militaires-197467">coups d’État s’enchaînent en Afrique</a>. Le Hamas a estimé le moment opportun pour imposer un bouleversement de situation.</p>
<p>Ainsi, 50 ans après la guerre du Kippour, 30 ans après le processus des accords d’Oslo, les événements tragiques de ces derniers jours sont à resituer dans la complexité tragique de ce conflit qui oppose deux peuples depuis 1948. Le Hamas se sert du désespoir et de la colère palestinienne pour conduire des actes d’une violence inouïe qui vont délégitimer une cause légitime.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215297/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie Durrieu ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L'attaque du Hamas s'appuie sur un contexte double: le désespoir palestinien et une conjoncture géopolitique opportune.Marie Durrieu, Doctorante associée à l'Institut de Recherche Stratégique de l'École Militaire en science politique et relations internationales (CMH EA 4232-UCA), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2152812023-10-09T20:32:44Z2023-10-09T20:32:44ZDerrière l’attaque du Hamas, le spectre de la guerre de Kippour<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/552771/original/file-20231009-23-tp22e9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=26%2C10%2C1752%2C1221&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Camions militaires égyptiens franchissant le canal de Suez sur un ponton le 7 octobre 1973, pendant la guerre du Kippour.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_du_Kippour#/media/Fichier:Bridge_Crossing.jpg">Wikipedia</a></span></figcaption></figure><p>Exactement 50 ans et un jour après avoir été complètement pris au dépourvu par une <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/affaires-sensibles/affaires-sensibles-du-mercredi-04-octobre-2023-6798788">attaque militaire coordonnée par ses voisins égyptien et syrien</a>, Israël a de nouveau été pris par surprise. Les parallèles sont saisissants et ne relèvent pas seulement de la coïncidence.</p>
<p>Dès l’aube du 7 octobre 2023, les militants du Hamas <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20231007-en-images-diaporama-hamas-offensive-israel-gaza-cisjordanie">ont envahi le sud d’Israël</a> par la terre, par la mer et par les airs, et ont tiré des milliers de roquettes à l’intérieur du pays. En quelques heures, des <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/israel/conflit-israel-gaza-le-bilan-s-alourdit-a-1-000-morts_6109548.html">centaines d’Israéliens ont été tués</a>, des otages ont été capturés et la <a href="https://apnews.com/live/israel-hamas-war-live-updates">guerre a été déclarée</a>. Des représailles israéliennes féroces ont d’ailleurs déjà coûté la vie à des centaines de Palestiniens à Gaza.</p>
<p>Le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou n’a pas attendu 24 heures après les premières attaques pour déclarer que son pays <a href="https://www.20minutes.fr/monde/4056710-20231008-attaque-hamas-israel-netanyahu-previent-bataille-longue">était en guerre</a>, alors que le décompte des morts israéliens continuait d’augmenter. Tout comme il y a 50 ans.</p>
<p>Et ce ne sont pas là les seuls éléments de comparaison.</p>
<h2>Des attaques-surprises lors de jours saints</h2>
<p>Ces deux guerres ont commencé par des attaques-surprises lors de jours saints juifs. En 1973, c’était le Yom Kippour, jour d’expiation pour les Juifs. Ce 7 octobre 2023, des milliers d’Israéliens célébraient <a href="https://theconversation.com/what-are-the-jewish-high-holy-days-a-look-at-rosh-hashanah-yom-kippur-and-a-month-of-celebrating-renewal-and-moral-responsibility-166079">Sim’hat Torah</a>, dédiée à la célébration de la lecture de la Torah.</p>
<p>Le Hamas, le <a href="https://www.bbc.com/news/world-middle-east-67039975">groupe armé palestinien qui contrôle</a> la bande de Gaza, territoire densément peuplée qui jouxte Israël, espère apparemment envoyer le même message que l’Égypte et la Syrie en octobre 1973 : ils n’accepteront pas le statu quo et la puissance militaire d’Israël ne garantira pas la sécurité des Israéliens.</p>
<p>La guerre de 1973 s’est avérée être un <a href="https://history.state.gov/milestones/1969-1976/arab-israeli-war-1973">moment décisif</a> non seulement dans le conflit israélo-arabe, mais aussi pour la politique d’Israël.</p>
<p>En sera-t-il de même pour cette guerre ?</p>
<h2>Un échec colossal des services de renseignements</h2>
<p>Il est certain que le déclenchement soudain de la guerre a de nouveau laissé les <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-jt/france-2/13-heures/attaque-du-hamas-contre-israel-la-population-en-etat-de-choc_6109281.html">Israéliens profondément sous le choc</a>, tout comme il y a 50 ans. Cette guerre, comme celle de 1973, est déjà présentée comme un <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-jt/france-2/13-heures/attaque-du-hamas-contre-israel-la-population-en-etat-de-choc_6109281.html">échec colossal des services de renseignement</a>.</p>
<p>Bien que les services de renseignements militaires israéliens aient <a href="https://www.timesofisrael.com/military-intelligence-warned-pm-4-times-overhaul-rift-harming-deterrence-report/">prévenu le gouvernement</a> que les ennemis du pays croyaient Israël vulnérable, ils ne s’attendaient pas à ce que le Hamas attaque à ce moment-là.</p>
<p>Les services pensaient plutôt que, dans le contexte présent, le Hamas souhaitait avant tout gouverner la bande de Gaza et non déclencher une guerre avec Israël.</p>
<p>Une hypothèse soutenue par l’idée que le Hamas aurait tout à craindre d’importantes représailles de la part d’Israël, qui provoqueraient indéniablement de nombreux dommages à Gaza. Le territoire, qui abrite 2 millions de Palestiniens, <a href="https://www.trtworld.com/middle-east/poverty-soars-in-the-palestinian-gaza-strip-51475">dont beaucoup vivent dans la pauvreté</a>, ne s’est toujours pas remis de la <a href="https://www.hrw.org/fr/news/2021/08/23/gaza-enquete-sur-les-frappes-aeriennes-israeliennes-contre-des-tours-dhabitation-en">dernière grande série de combats, en mai 2021</a>.</p>
<p>Les services de renseignement et de nombreux analystes pensaient également que le Hamas préférait exporter la violence palestinienne vers la Cisjordanie occupée par Israël, afin de <a href="https://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/surging-violence-hamas-attempts-reshape-west-banks-political-landscape">contribuer à saper</a> le peu de pouvoir d’une Autorité palestinienne déjà faible et <a href="https://www.haaretz.com/opinion/2023-06-29/ty-article-opinion/.premium/why-is-the-palestinian-authority-weak-israeli-occupation/00000189-08a0-dae1-afa9-08bd83b50000">impopulaire</a>, dirigée par le Fatah, rival politique du Hamas.</p>
<p>Ces postulats se sont révélés terriblement erronés, tout comme l’étaient les évaluations des renseignements <a href="https://www.brookings.edu/articles/enigma-the-anatomy-of-israels-intelligence-failure-almost-45-years-ago/">avant le déclenchement de la guerre de 1973</a>. À l’époque, comme aujourd’hui, les adversaires d’Israël n’ont pas été dissuadés par sa supériorité militaire.</p>
<h2>Échec militaire</h2>
<p>Les services de renseignement israéliens ont non seulement mal évalué la volonté de leurs adversaires d’entrer en guerre, mais ils n’ont pas non plus réussi – en 1973 comme aujourd’hui – à identifier les éléments qui signalaient les préparatifs d’une offensive.</p>
<p>Cette fois-ci, l’échec est encore plus flagrant, compte tenu des capacités de collecte de renseignements d’Israël. Le Hamas a dû <a href="https://www.bbc.com/news/world-middle-east-67041679">planifier soigneusement cette attaque</a> pendant de nombreux mois. Il s’agit sans aucun doute du pire échec d’Israël en matière de renseignement depuis la guerre de 1973.</p>
<p>Échec des renseignements, mais aussi échec des militaires, les Forces de défense israéliennes étant <a href="https://www.haaretz.com/israel-news/2023-10-08/ty-article/.premium/six-significant-failures-that-lead-to-one-point-collapse-vs-hamas/0000018b-0f15-dfff-a7eb-afdd0bb80000">massivement déployées en Cisjordanie</a> et manifestement pas préparées à une attaque de cette ampleur du côté de Gaza.</p>
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<img alt="Un membre des forces de sécurité passe devant un poste de police israélien à Sderot le 8 octobre." src="https://images.theconversation.com/files/552644/original/file-20231008-17-y8wk2x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/552644/original/file-20231008-17-y8wk2x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/552644/original/file-20231008-17-y8wk2x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/552644/original/file-20231008-17-y8wk2x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/552644/original/file-20231008-17-y8wk2x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/552644/original/file-20231008-17-y8wk2x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/552644/original/file-20231008-17-y8wk2x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un membre des forces de sécurité passe devant un poste de police israélien à Sderot le 8 octobre.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/member-of-the-security-forces-walks-past-an-israeli-police-news-photo/1712638347?adppopup=true">Ronaldo Schemidt/AFP</a></span>
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<p>Les hauts gradés de l’armée avaient certes <a href="https://www.timesofisrael.com/military-intelligence-warned-pm-4-times-overhaul-rift-harming-deterrence-report/">averti Nétanyahou à plusieurs reprises</a> que la réactivité des forces armées avait été diminuée par la <a href="https://www.wsj.com/articles/israeli-reservists-start-missing-duty-threatening-military-unity-and-readiness-76df3ade">vague de</a> réservistes israéliens <a href="https://www.reuters.com/world/middle-east/hundreds-israeli-reservists-vow-refuse-service-if-judicial-overhaul-passes-2023-07-19/">refusant de servir</a> en signe de protestation contre la tentative de réforme judiciaire du gouvernement. Mais les militaires restaient convaincus que leurs fortifications défensives – en particulier la coûteuse <a href="https://www.realcleardefense.com/articles/2021/04/10/a_closer_look_at_israels_new_high-tech_barrier_772195.html">barrière de haute technologie construite autour de la bande de Gaza</a> – empêcheraient les militants du Hamas de pénétrer en Israël, comme cela avait été le cas lors d’un raid en mai 2021.</p>
<p>Mais tout comme la <a href="https://www.globalsecurity.org/military/world/israel/bar-lev-line.htm">ligne de défense Bar-Lev</a> le long du canal de Suez n’a pas réussi à empêcher les soldats égyptiens de traverser le canal en 1973, la barrière de Gaza n’a pas arrêté les militants du Hamas. Elle a été <a href="https://apnews.com/article/israel-palestinians-gaza-hamas-rockets-airstrikes-tel-aviv-11fb98655c256d54ecb5329284fc37d2">simplement contournée</a> et <a href="https://www.nbcnews.com/video/watch-bulldozer-tears-down-section-of-israel-gaza-border-fence-194649157630">détruite au bulldozer</a>.</p>
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<h2>La quête d’un responsable</h2>
<p>Après cette guerre, des enquêtes seront sans aucun doute menées afin de déterminer un responsable, après la guerre de 1973. Une commission d’enquête sera probablement créée en Israël, similaire à la commission Agranat de 1973 qui a publié un <a href="https://archives.mod.gov.il/sites/English/docs/agranat/Pages/AgranatReport.aspx">rapport</a> cinglant, pointant du doigt la responsabilité de l’armée et des services de renseignement israéliens.</p>
<p>Mais concernant cette guerre qui débute, ce ne sont peut-être pas l’armée et le renseignement d’Israël qui sont les plus à blâmer. Si l’on pointe la responsabilité politique, Benyamin Nétanyahou serait potentiellement dans le viseur, lui qui dirige le pays depuis 2009, à l’exception d’une année entre 2021 et 2022.</p>
<p>De fait, la guerre de 1973 était également le fruit d’échecs politiques. Israël, alors gouverné par la première ministre Golda Meir et influencé par son ministre de la Défense Moshe Dayan, avait refusé, dans les années qui ont précédé la guerre, les <a href="https://www.latimes.com/opinion/op-ed/la-oe-kipnis-golda-meier-kissinger-20131010-story.html">ouvertures diplomatiques</a> du président égyptien Anouar El Sadate. Le gouvernement israélien était alors déterminé à conserver certaines parties de la péninsule du Sinaï – qu’Israël avait <a href="https://history.state.gov/milestones/1961-1968/arab-israeli-war-1967">capturée lors de la guerre de 1967</a> – même au prix de la paix avec l’Égypte.</p>
<p>De la même manière, Nétanyahou a ignoré les <a href="https://www.ynetnews.com/magazine/article/bjjtjc3vn">efforts récents de l’Égypte</a> visant à négocier une trêve à long terme entre Israël, le Hamas, et le Djihad islamique. L’actuel <a href="https://www.pbs.org/newshour/world/israel-swears-in-netanyahu-as-prime-minister-most-right-wing-government-in-countrys-history">gouvernement d’extrême droite</a> a préféré conserver la Cisjordanie occupée plutôt que de rechercher la possibilité d’une paix avec les Palestiniens.</p>
<p>En outre, le gouvernement Nétanyahou a été largement préoccupé par sa tentative, fort impopulaire, de <a href="https://apnews.com/article/israel-judicial-overhaul-netanyahu-d4ebdff08f42b225f7a2a933f7d793f5">réduire le pouvoir et l’indépendance de la Cour suprême d’Israël</a>. Une démarche apparemment destinée à éliminer un obstacle potentiel à l’annexion formelle de la Cisjordanie. Mais l’agitation intérieure et les profondes divisions provoquées par ce projet de réforme permettent d’expliquer en partie pourquoi le Hamas a décidé d’attaquer au moment où il l’a fait.</p>
<p>De manière plus générale, l’attaque montre clairement que la stratégie de Nétanyahou visant à contenir et à dissuader le Hamas a échoué de manière catastrophique. Un échec aux conséquences dramatiques pour les Israéliens, en particulier ceux qui vivent dans le sud du pays, et plus encore pour les civils palestiniens de Gaza.</p>
<p>Le blocus continu de Gaza <a href="https://www.nytimes.com/2023/10/07/world/middleeast/gaza-blockade-israel.html">depuis 16 ans</a> a certes paralysé son économie et emprisonné de fait ses 2 millions d’habitants, mais n’a pas mis le Hamas à genoux.</p>
<p>Au contraire, le contrôle du Hamas sur Gaza n’a fait que se renforcer, et des civils innocents des deux côtés de la frontière ont payé le prix fort pour cet échec.</p>
<p>À la suite de la guerre de 1973, la première ministre Golda Meir a été contrainte de <a href="https://www.nytimes.com/1974/04/11/archives/golda-meir-quits-and-brings-down-cabinet-in-israel-new-election.html">démissionner</a>. Quelques années plus tard, le parti travailliste, qui avait été au pouvoir, sous diverses formes, depuis la fondation du pays en 1948, fut battu par le parti de droite Likoud de Menachem Begin lors des <a href="https://en.idi.org.il/israeli-elections-and-parties/elections/1977/">élections générales de 1977</a>. Ce fut un tournant dans la politique intérieure israélienne, qui s’explique en grande partie par la perte de confiance envers le parti travailliste (jusqu’alors dominant) suite à la guerre de 1973.</p>
<h2>L’histoire se répétera-t-elle encore ?</h2>
<p>L’histoire se répétera-t-elle encore ? Cette guerre sonnera-t-elle enfin le glas de la longue domination de Nétanyahou et du Likoud sur la politique israélienne ? La plupart des Israéliens se sont déjà <a href="https://www.reuters.com/world/middle-east/israels-netanyahu-down-polls-over-judicial-reform-2023-07-26/">retournés contre le premier ministre</a>, rebutés par l’ensemble des scandales de corruption qui l’entourent, par ses tentatives de réduire le pouvoir du système judiciaire et par le virage à droite opéré par sa coalition.</p>
<p>L’attaque-surprise du Hamas a mis à mal l’image de Nétanyahou, qui se présente volontiers comme le <a href="https://www.haaretz.com/opinion/2022-08-12/ty-article-opinion/.premium/no-longer-mr-security-netanyahu-reinvents-himself-as-a-social-populist/00000182-8ebd-d9bc-affb-efbfae870000">« Monsieur Sécurité »</a> d’Israël.</p>
<p>Cette guerre sera probablement encore plus traumatisante pour les Israéliens car en 1973, les militaires avaient subi toute la force de l’assaut surprise. Cette fois-ci, ce sont des civils qui ont été capturés et tués sur le territoire national. Un point crucial qui marque une différence capitale avec la guerre de 1973.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215281/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dov Waxman ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les manquements internes israéliens qui ont précédé la guerre de Kippour, il y a 50 ans, avaient coûté leur poste au premier ministre israélien de l’époque. L’histoire pourrait-elle se répéter ?Dov Waxman, Rosalinde and Arthur Gilbert Foundation Professor of Israel Studies, University of California, Los AngelesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2138822023-09-28T19:12:42Z2023-09-28T19:12:42ZQuand les Iraniennes résistent à la surveillance par la « sousveillance »<p>Un an environ après la <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/iran/manifestations/iran-un-an-apres-la-mort-de-mahsa-amini_6066060.html">mort de Mahsa Amini</a>, la révolte iranienne ne fléchit pas. Cette jeune femme de 22 ans est devenue le symbole de la lutte contre la <a href="https://theconversation.com/le-controle-du-corps-des-femmes-un-enjeu-fondamental-pour-la-republique-islamique-diran-192157">politique islamique iranienne sur le port du voile</a>. Son décès amène un <a href="https://theconversation.com/ce-nest-pas-la-premiere-fois-que-les-iraniennes-descendent-dans-la-rue-cette-fois-ci-sera-t-elle-la-bonne-192480">vent de révolte</a> à l’encontre du régime iranien. Celle-ci se concentre autour de la lutte contre la <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2011-2-page-277.htm">loi adoptée en 1983 qui imposait aux femmes le port du hijab</a>, quatre ans après la révolution islamique de 1979.</p>
<p>Si un souffle de rébellion s’était déjà emparé de la jeunesse iranienne <a href="https://journals.openedition.org/eps/5170">ces deux dernières décennies</a>, ce tragique événement a renforcé les manifestations. En effet, il n’est plus rare, ces deux dernières décennies, de voir quelques mèches de cheveux dépasser des voiles ou même certaines femmes tête nue.</p>
<p>Cette défiance aux airs de désobéissance civile répand une vague de liberté et d’émancipation chez les Iraniens qui décident de ne plus répondre aux diktats sur le voile.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-regime-iranien-est-un-apartheid-des-genres-il-faut-le-denoncer-comme-tel-191465">Le régime iranien est un apartheid des genres. Il faut le dénoncer comme tel</a>
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<p>Cette dernière année, notamment depuis la mort de Mahsa Amini, les manifestations ont été plus fortes et la <a href="https://www.amnesty.fr/discriminations/actualites/iran-femmes-repression-port-obligatoire-du-voile">répression mise en œuvre par le pouvoir des mollahs</a> est également allée croissant. Le régime iranien emploie à présent des <a href="https://www.courrierinternational.com/article/technologie-controler-le-port-du-voile-via-la-reconnaissance-faciale-un-projet-fait-polemique-en-iran">outils technologiques de surveillance de masse</a> qui jusque-là n’avaient jamais été <a href="https://www.bfmtv.com/tech/l-iran-utiliserait-la-reconnaissance-faciale-pour-identifier-les-femmes-qui-ne-portent-pas-le-hijab_AN-202301130024.html">utilisés pour imposer une loi vestimentaire aux femmes sur la base d’une politique religieuse</a>. À ce titre, la chercheuse Mahsa Alimardani souligne que le régime a passé des années à construire un <a href="https://www.wired.com/story/iran-says-face-recognition-will-id-women-breaking-hijab-laws/">appareil de surveillance numérique</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Un an après, où en est la révolution ? (Public Sénat).</span></figcaption>
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<p><a href="https://www.cnil.fr/sites/cnil/files/atoms/files/reconnaissance_faciale.pdf">La reconnaissance faciale permet d’identifier un individu</a>, c’est-à-dire de retrouver son identité parmi un groupe de personnes ou au sein d’une base de données. Cette technologie peut être utilisée en temps réel <a href="https://theconversation.com/la-reconnaissance-faciale-du-deverrouillage-de-telephone-a-la-surveillance-de-masse-184484">dans l’espace public</a> par le biais de caméras de surveillance par exemple.</p>
<p>Mais elle peut également être exploitée dans le cadre d’une surveillance a posteriori, grâce à des images enregistrées issues des caméras de surveillance ou encore des réseaux sociaux.</p>
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<p>Cet outil de surveillance visuelle peut alors être utilisé pour identifier les <a href="https://www.bfmtv.com/tech/l-iran-utiliserait-la-reconnaissance-faciale-pour-identifier-les-femmes-qui-ne-portent-pas-le-hijab_AN-202301130024.html">personnes qu’un régime considère comme dissidentes</a> si elles portent des signes visuellement reconnaissables par des machines, de façon automatisée. Cette utilisation de la technologie pour répondre à une politique vestimentaire amène un changement d’échelle dans la répression des contrevenantes. Alors que la police iranienne ne peut être omniprésente, la technologie permet au régime iranien d’avoir un œil ubiquitaire grâce à l’utilisation d’un <a href="https://ipvm.com/reports/tiandy-iran-business">logiciel de reconnaissance faciale issu de la société chinoise Tiandy</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/proposition-de-loi-sur-la-reconnaissance-faciale-un-pas-de-plus-vers-la-surveillance-generalisee-207677">Proposition de loi sur la reconnaissance faciale : un pas de plus vers la surveillance généralisée ?</a>
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<h2>Le voile : sous « l’œil de Dieu »</h2>
<p>En janvier 2023, le journal américain <em>Wired</em> révélait que quelques jours après avoir manifesté de nombreuses femmes <a href="https://www.wired.com/story/iran-says-face-recognition-will-id-women-breaking-hijab-laws/">avaient été arrêtées chez elles</a>.</p>
<p>Un haut fonctionnaire déclarait d’ailleurs que des algorithmes pouvaient identifier les femmes enfreignant les <a href="https://www.wired.com/story/iran-says-face-recognition-will-id-women-breaking-hijab-laws/">codes vestimentaires</a>. L’utilisation d’algorithme à des fins d’identification des individus par le biais de leur visage est techniquement possible en Iran, puisque le régime dispose depuis 2015 d’une <a href="https://www.wired.com/story/iran-says-face-recognition-will-id-women-breaking-hijab-laws/">gigantesque base de données nationale d’identité</a>. Cette base regroupe non seulement les identités (état civil, adresse, etc.), mais également des données biométriques comme les images numérisées des visages des citoyens utilisées pour les cartes d’identité.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-sportives-iraniennes-miroir-dun-pays-en-crise-132222">Les sportives iraniennes, miroir d’un pays en crise</a>
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<p>Couplée à un logiciel de reconnaissance faciale, cette base de données permet d’identifier toute personne qui ne respecterait pas loi, par exemple toutes les femmes contrevenant à la loi sur le hijab. Cet outil de surveillance visuelle devient, à l’instar d’un autre cas cité <a href="https://ojs.library.queensu.ca/index.php/surveillance-and-society/article/view/12858">dans un travail de recherche,</a> « l’œil de Dieu ».</p>
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<figcaption><span class="caption">En Iran, la police des mœurs de retour de la rue, HuffPost, juillet 2023.</span></figcaption>
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<p><a href="https://www.wired.com/story/iran-says-face-recognition-will-id-women-breaking-hijab-laws/">Des exemples récents</a> attestent de cette mise en œuvre de la surveillance. Typiquement, les femmes qui ne portent pas de voile dans leur voiture reçoivent des <a href="https://www.voanews.com/a/iran-issues-warning-on-mandatory-headscarf-in-cars-/6901848.html">SMS d’avertissement</a>. Développé en 2020, <a href="https://www.voanews.com/a/iran-issues-warning-on-mandatory-headscarf-in-cars-/6901848.html">ce programme, Nazer (« surveillance » en persan), lutte contre le retrait du hijab dans les voitures</a>. Il a récemment été <a href="https://www.voanews.com/a/iran-issues-warning-on-mandatory-headscarf-in-cars-/6901848.html">renforcé et déployé dans tout le pays, d’après un officier supérieur de la police</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-reconnaissance-faciale-du-deverrouillage-de-telephone-a-la-surveillance-de-masse-184484">La reconnaissance faciale, du déverrouillage de téléphone à la surveillance de masse</a>
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<h2>S’exposer sans voile sur les réseaux sociaux : un acte de « sousveillance »</h2>
<p>Mais, alors que le régime épie les femmes pour surveiller si elles portent le voile ou non, parallèlement, ces dernières cherchent à donner davantage de visibilité à leur lutte contre cette politique, et plus généralement contre le régime. Le voile se retrouve alors au cœur d’une guerre de la visibilité : son port est scruté d’un côté, tandis que son absence est brandie comme un signe d’émancipation sur les réseaux sociaux de l’autre.</p>
<p>Face à cette utilisation de la surveillance pour punir, les manifestants usent d’outils de <a href="http://archiverlepresent.org/terminologie/sousveillancesurveillance">sousveillance</a>, comme l’explique le chercheur Steve Mann afin de donner de la visibilité à leurs actions et aux exactions qu’ils subissent.</p>
<p><em>Le hashtag #Kartemelichallenge visait à montrer sur Instragram la schizophrénie dans laquelle vivent de nombreux Iraniens et Iraniennes.</em></p>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/explore/tags/kartmelichallenge/ ?hl=fr","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<p>Construite par opposition à la surveillance, la <a href="https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2016-3-page-68.htm">sousveillance viendrait du « bas »</a>. Elle cherche à constituer un contrepoids au pouvoir étatique avec la possibilité de filmer et <a href="https://ojs.library.queensu.ca/index.php/surveillance-and-society/article/view/14088/9355">rendre visibles les actions s’opposant à la surveillance</a>. En ce sens, les photos de femmes s’affichant sans voile sur les réseaux sociaux ou les manifestations relayées sur la Toile s’apparentent à de véritables actions de « sousveillance ».</p>
<p>Par ces actes de désobéissance, les femmes tentent à s’opposer à la surveillance de l’État et à médiatiser leur combat. Le régime iranien a, d’ailleurs, vite compris la puissance de la visibilité des actions des manifestants, et <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2022/09/22/face-aux-manifestations-l-iran-bloque-massivement-messageries-et-reseaux-sociaux_6142722_4408996.html">cherche à restreindre l’accès à Internet</a>. De fait, les <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/droits-des-femmes/manifestations-en-iran-les-reseaux-sociaux-ont-donne-beaucoup-de-pouvoir-a-ces-jeunes-contestataires-observe-une-specialiste_5399155.html">réseaux sociaux ont donné du pouvoir à la jeunesse contestataire iranienne</a> ainsi que l’observe Azadeh Kian, professeure de sociologie politique.</p>
<p>Cette <a href="https://ojs.library.queensu.ca/index.php/surveillance-and-society/article/view/14088">« ère hypermédiatisée et hypervisuelle »</a> permise par les réseaux sociaux transforme le citoyen en journaliste et témoin documentant ses propres actions et celles de ses concitoyens.</p>
<p>Si l’accès aux technologies les plus puissantes et les plus onéreuses (comme la reconnaissance faciale) reste le privilège des dominants, l’agrégation d’une multitude de voix permise par les réseaux sociaux tente de pallier l’asymétrie de la visibilité. De plus, les coûts réduits des smartphones offrent à qui veut la possibilité de filmer et publier en direct sur la Toile des actions de lutte. La technologie devient ainsi autant un outil d’émancipation que de répression. L’Iran est donc au cœur d’un double déploiement technologique, où s’opposent surveillance et sousveillance.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213882/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Elia Verdon est membre de l'Observatoire de la surveillance en démocratie. </span></em></p>En Iran, le voile est au cœur d’une guerre de la visibilité : son port est scruté d’un côté, tandis que son absence est brandie sur les réseaux sociaux comme un signe d’émancipation .Elia Verdon, Doctorante en droit public et en informatique, CERCCLE (EA 7436) et LaBRI (UMR 5800), Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2131392023-09-26T19:09:27Z2023-09-26T19:09:27ZRapprochement Arabie saoudite–Israël : le difficile pari de Washington<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/550100/original/file-20230925-25-djycm6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C20%2C6802%2C3645&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le projet américain vise notamment à contrer l’expansion de la Chine et à répondre au récent réchauffement saoudo-iranien.
</span> <span class="attribution"><span class="source">OnePixelStudio/Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>L’administration américaine tente depuis plusieurs semaines de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/09/18/israel-arabie-saoudite-le-tortueux-chemin-de-la-normalisation_6189882_3210.html">convaincre l’Arabie saoudite et Israël d’établir des relations diplomatiques</a>. </p>
<p>Washington avait pourtant, dernièrement, concentré ses efforts avant tout sur la compétition stratégique face à la Chine en Indo-Pacifique et la confrontation avec la Russie en Ukraine, au point de négliger quelque peu le Moyen-Orient. Or à présent, cette région occupe de nouveau l’agenda diplomatique.</p>
<p>Deux considérations géopolitiques président à la volonté américaine de parvenir à un deal entre Riyad et Tel-Aviv : cette configuration permettrait, d’une part, de neutraliser les effets de <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/l-iran-confirme-discuter-indirectement-avec-les-etats-unis-via-oman-20230612">l’accord temporaire en cours de négociation entre les États-Unis et l’Iran</a> ; et, de l’autre, de freiner l’essor de la coopération entre l’Arabie saoudite et la Chine.</p>
<p>Toutefois, ce projet rencontre plusieurs obstacles majeurs.</p>
<h2>La crainte d’un accord provisoire qui renforcerait l’influence de l’Iran</h2>
<p>Face à <a href="https://theconversation.com/pourquoi-ladministration-biden-peine-autant-a-rendre-vie-a-laccord-sur-le-nucleaire-iranien-183995">l’impasse dans laquelle se trouvent les discussions visant à ressusciter le JCPOA</a> (l’accord sur le nucléaire iranien, dont les États-Unis se sont retirés sous Donald Trump, en 2018), l’objectif américain est d’<a href="https://www.nytimes.com/2023/08/10/us/politics/iran-us-prisoner-swap.html">atteindre avec l’Iran un accord temporaire</a> qui porterait sur le gel provisoire des activités d’enrichissement d’uranium en contrepartie du déblocage des fonds iraniens à l’étranger. Cet accord s’est déjà matérialisé par la <a href="https://www.france24.com/fr/info-en-continu/20230920-cinq-ex-prisonniers-am%C3%A9ricains-en-iran-de-retour-aux-etats-unis-les-europ%C3%A9ens-fermes-contre-t%C3%A9h%C3%A9ran">libération de cinq prisonniers américains qui ont regagné les États-Unis le 19 septembre dernier</a>. Un échange qui fait suite au déblocage et au transfert de <a href="https://www.20minutes.fr/monde/etats-unis/4053531-20230918-iran-contre-deblocage-six-milliards-dollars-echange-prisonniers-entre-teheran-washington">6 milliards de dollars de fonds iraniens détenus en Corée du Sud</a></p>
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<p>Un tel compromis attise les craintes à la fois d’Israël et de l’Arabie saoudite. Tous deux redoutent que l’Iran puisse profiter de ces ressources financières pour renforcer ses activités perçues comme déstabilisatrices. Bien qu’un <a href="https://theconversation.com/iran-arabie-saoudite-un-compromis-diplomatique-sous-legide-de-pekin-201828">accord de normalisation entre Riyad et Téhéran</a> soit intervenu en mars dernier grâce à la médiation chinoise, l’Iran reste perçu comme une puissance antagoniste.</p>
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<p>Ainsi, <a href="https://www.fpri.org/article/2023/08/containing-irans-nuclear-program-while-normalizing-ties-between-israel-and-saudi-arabia/">comme le note le politologue Léon Hadar</a> « le fait de joindre à l’accord avec l’Iran un effort de normalisation des liens entre l’Arabie saoudite et Israël, s’il est couronné de succès, peut renforcer l’impression, à Riyad et à Tel-Aviv ainsi qu’à Téhéran, que l’Amérique est déterminée à contenir l’Iran et à protéger ses intérêts dans la région et ceux de ses alliés ».</p>
<h2>La stratégie du déni d’accès…</h2>
<p>Une autre considération géopolitique motive également la décision de l’administration américaine d’œuvrer pour une normalisation entre Tel-Aviv et Riyad, près de trois ans après que Joe Biden ait exprimé durant sa campagne sa <a href="https://theconversation.com/biden-once-wanted-to-make-saudi-arabia-a-pariah-so-why-is-he-playing-nice-with-the-kingdoms-repressive-rulers-now-186784">volonté de faire de l’Arabie saoudite un État « paria »</a> : l’endiguement de l’influence chinoise, qui ne cesse de se renforcer. En effet, la rivalité stratégique avec Pékin et le durcissement de la confrontation incarne aujourd’hui une tendance lourde appelée à perdurer.</p>
<p>Comme le rappelle un <a href="https://www.foreignaffairs.com/united-states/china-delusions-detente-rivals">récent article de <em>Foreign Affairs</em></a>“, entre Pékin et Washington, les intérêts vitaux « s’opposent et sont fermement ancrés dans leurs systèmes politiques, leurs géographies et leurs expériences nationales respectifs […] Le fait est qu’il est peu probable que la rivalité entre les États-Unis et la Chine s’apaise sans un changement significatif de l’équilibre des forces ». Ce constat rejoint celui d’Elridge Colby, ancien secrétaire adjoint à la défense et sinologue influent. Dans son livre <a href="https://yalebooks.yale.edu/book/9780300268027/the-strategy-of-denial/"><em>The Strategy of Denial : American Defense in an Age of Great Power Conflict</em></a> (Yale University Press, 2021), il rappelle, en effet, les principes directeurs et les priorités qui devraient guider la politique de défense des États-Unis et notamment l’intérêt pour Washington de développer une stratégie de déni d’accès visant à empêcher la Chine d’occuper une position hégémonique en Indo-Pacifique en lui déniant l’accès à des territoires clés comme Taïwan, les Philippines et le Vietnam.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1703736569130094970"}"></div></p>
<p>Cette stratégie est aujourd’hui étendue au Moyen-Orient où Pékin apparaît comme un acteur majeur, ayant posé de solides bases d’influence, notamment dans les pays du Golfe.</p>
<h2>… appliquée au Moyen-Orient</h2>
<p>L’Arabie saoudite et la Chine ont conclu fin 2022 un protocole d’accord qui confie à Huawei, le géant chinois des communications et de l’IA, perçu par Washington comme le fer de lance de l’influence de Pékin, le <a href="https://redanalysis.org/fr/2023/01/31/china-saudi-arabia-arab-ai-rise/">développement d’un centre de données cloud computing</a>. Riyad, devenu le <a href="https://www.capital.fr/economie-politique/les-10-pays-plus-gros-importateurs-darmes-dans-le-monde-186904">premier importateur de matériel militaire dans le monde</a>, a, par ailleurs, <a href="https://www.scmp.com/news/china/military/article/3221715/china-said-be-negotiating-arms-deals-saudi-arabia-and-egypt">engagé des négociations avec la Chine en matière de livraison d’armements</a>. De surcroît, les Saoudiens ont fait savoir qu’ils envisageaient d’<a href="https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2023/03/03/vers-une-guerre-des-monnaies-24-fevrier-au-03-mars-2023">accepter le Reminbi dans leurs transactions pétrolières avec la Chine</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/chine-arabie-saoudite-a-lassaut-de-lor-noir-167205">Chine–Arabie saoudite : à l’assaut de l’or noir</a>
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<p>Ces récents développements montrent que Washington peut désormais difficilement faire l’impasse sur le poids acquis par la Chine auprès de ses alliés traditionnels au Moyen-Orient. Ainsi, dans un contexte où les effets de la compétition stratégique se font de plus en plus ressentir, il importe pour les États-Unis de conserver leurs alliés dans leur orbite. <a href="https://www.aei.org/op-eds/us-push-for-a-saudi-israel-deal-is-all-about-china/">Comme le note avec pertinence le spécialiste américain des relations internationales Hal Brands</a>, l’initiative du président Joe Biden vise donc prioritairement la Chine : </p>
<blockquote>
<p>« L’administration tente de négocier de meilleures relations entre Israël et l’Arabie saoudite, essentiellement pour contenir l’influence de Pékin dans une région vitale. Cette initiative montre combien les États-Unis sont prêts à payer pour empêcher les Saoudiens de tomber dans l’orbite de la Chine. »</p>
</blockquote>
<h2>Des exigences inédites</h2>
<p>Occupant une position plus avantageuse que durant la longue période caractérisée par une relation exclusive avec Washington grâce à sa stratégie du <em>hedging</em> (c’est-à-dire la volonté de multiplier les partenaires commerciaux, militaires et diplomatiques afin de ne pas trop dépendre de l’un d’entre eux en particulier), Riyad entend à présent en tirer les meilleurs avantages possible.</p>
<p>Les contreparties exigées par l’Arabie saoudite pour un établissement de relations diplomatiques avec Israël sont conséquentes. <a href="https://www.nytimes.com/2023/07/27/opinion/israel-saudi-arabia-biden.html">Comme le révèle Thomas Friedman dans le <em>New York Times</em></a>, Riyad n’escompte pas moins qu’un « traité de sécurité mutuelle de type OTAN qui enjoindrait aux États-Unis de se porter à la défense de l’Arabie saoudite si elle était attaquée ; un programme nucléaire civil ; et la possibilité d’acheter des armes américaines plus avancées, comme le système de défense anti-missiles balistiques Terminal High Altitude Area Defense ».</p>
<p>En échange de ces nouvelles garanties de sécurité, les États-Unis veulent imposer un frein à la coopération de Riyad avec Pékin, notamment sur le plan technologique, et obtenir l’assurance que Mohammed Ben Salmane, le prince héritier et véritable leader du pays aujourd’hui n’accueillera pas de bases chinoises sur son territoire. Cependant, la perspective qu’un tel accord puisse voir le jour demeure extrêmement incertaine, en raison de plusieurs points potentiels de blocage.</p>
<h2>… mais inacceptables</h2>
<p>Israël a officiellement fait savoir qu’il n’<a href="https://www.i24news.tv/fr/actu/israel/diplomatie-defense/1692592596-israel-dement-etre-pret-a-accepter-un-programme-nucleaire-saoudien">« accepterait pas de programme nucléaire de la part de ses pays voisins, que ce soit à des fins civiles ou militaires »</a>. De même, les États-Unis semblent peu enclins à fournir à l’Arabie saoudite des armes sophistiquées susceptibles de remettre en cause la supériorité militaire qualitative d’Israël, qui se trouve au fondement de leur politique moyen-orientale.</p>
<p>Par ailleurs, si l’Arabie saoudite, soucieuse de donner des gages à son opinion publique, cherche à obtenir le soutien des Palestiniens, elle risque toutefois de buter sur l’intransigeance de la partie israélienne, hostile à tout compromis qui accorderait à l’Autorité palestinienne un contrôle plus étendu sur certaines zones de la Cisjordanie occupée et qui indiquerait un calendrier pour une reprise des négociations, <a href="https://www.axios.com/2023/08/30/saudi-israel-megadeal-palestinians-biden-list">conformément au vœu de l’AP</a>.</p>
<p>Il semble peu réaliste que Washington parvienne à lever les réticences de Benyamin Nétanyahou, soutenu par les partis d’extrême droite membres de sa coalition, même au prix de garanties de sécurité renforcées. Ces dernières excluraient sans doute la livraison des <a href="https://raids.fr/2023/05/31/les-bombes-anti-bunker-americaines-peuvent-elles-detruire-les-abris-iraniens/">bombes dites bunker-buster</a> réclamées depuis plusieurs années par Israël. En effet, en <a href="https://www.aljazeera.com/news/2020/10/29/us-senators-to-introduce-bill-on-sale-of-bunker-bombs-to-israel">dépit des pressions du Congrès américain</a>, les administrations américaines successives ont jusque-là refusé de fournir ces bombes par crainte de se retrouver entrainées dans un conflit militaire avec l’Iran.</p>
<p>Enfin, comme le rappelle Hal Brands, le <a href="https://www.aei.org/op-eds/us-push-for-a-saudi-israel-deal-is-all-about-china/">Pentagone est frileux à l’idée de prendre de nouveaux engagements au Moyen-Orient</a> dans un contexte où l’armée américaine se trouve engagée sur le front ukrainien et se prépare à une possible guerre dans le Pacifique.</p>
<p>En définitive, bien que l’administration américaine cherche à obtenir un accord avant les prochaines échéances électorales pour tenter à la fois d’unifier une partie de ses alliés face à la menace commune que représente l’Iran et endiguer la montée en puissance de la Chine au Moyen-Orient, la réalisation de ce projet reste aujourd’hui encore un simple vœu pieux au regard des obstacles qui minent les négociations.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213139/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lina Kennouche ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les États-Unis cherchent à obtenir une normalisation entre leurs deux grands alliés au Moyen-Orient. Un projet qui rencontre de nombreux obstacles, probablement insurmontables.Lina Kennouche, Docteur en géopolitique, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2141952023-09-22T19:00:31Z2023-09-22T19:00:31ZLe Haut-Karabakh livré à lui-même<p>Un <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20230920-haut-karabakh-s%C3%A9paratistes-arm%C3%A9niens-d%C3%A9posent-les-armes-offensive-azerba%C3%AFdjan">cessez-le-feu</a> a été instauré au Haut-Karabakh après l’offensive éclair de l’Azerbaïdjan, le 20 septembre, qui a fait <a href="https://www.lefigaro.fr/international/attaque-du-haut-karabakh-29-morts-dans-les-frappes-l-azerbaidjan-exige-que-les-armeniens-deposent-les-armes-20230920">au moins 200 morts</a> et conduit à la capitulation des sécessionnistes. Deux jours plus tard, le Conseil de sécurité de l’ONU, réuni à la demande de la France, a été le <a href="https://press.un.org/fr/2023/cs15418.doc.htm">théâtre d’échanges musclés entre les représentants de Bakou et ceux de l’Arménie</a>, laquelle protège historiquement cette région incorporée à l’Azerbaïdjan à l’époque soviétique mais peuplée quasi uniquement d’Arméniens. </p>
<p>Le Haut-Karabakh avait proclamé son indépendance vis-à-vis de Bakou en 1991, au moment de l’effondrement de l’URSS. S’en était suivie une guerre de trois ans, finalement remportée par les forces arméniennes du Haut-Karabakh, largement soutenues par l’Arménie. Ceux-ci avaient par la suite établi dans cette zone la république d’Artsakh, un <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2013-1-page-30.htm">État de facto doté d’un fonctionnement étatique complet</a>, avec des structures officielles, des élections et une armée, mais qui n’a été reconnu par aucun État représenté à l’ONU. Bakou n’avait jamais accepté cette défaite, et le Karabakh est devenu <a href="https://theconversation.com/trente-ans-apres-leffondrement-de-lurss-ces-etats-fantomes-qui-hantent-lespace-post-sovietique-174140">l’un des nombreux conflits gelés de l’espace post-soviétique</a>. L’Azerbaïdjan a relancé les hostilités à grande échelle en 2020, avec succès, <a href="https://theconversation.com/haut-karabagh-cessez-le-feu-sur-une-ligne-de-faille-geopolitique-149958">récupérant une partie considérable de la région contestée</a>. Sa victoire du 20 septembre signifie-t-elle la fin de ce conflit ? </p>
<p>L’historienne Taline Ter Minassian, spécialiste de la région, répond ici aux principales questions que l’on se pose sur la situation actuelle au Haut-Karabakh et sur les perspectives d’avenir de ses habitants.</p>
<h2>À quoi la vie ressemble-t-elle aujourd’hui à Stepanakert, la principale ville du Haut-Karabakh et capitale de la république autoproclamée en 1991 ?</h2>
<p>Les gens <a href="https://www.liberation.fr/international/europe/haut-karabakh-apres-les-bombes-la-peur-du-nettoyage-ethnique-20230920_5Z7ZXKLGWRGQZCVBV3USLDIF4M/">ont très peur</a>. Bon nombre d’entre eux sont terrés dans des caves. Un cessez-le-feu a été promulgué, mais les soldats azerbaïdjanais sont à proximité de la ville – ils n’en étaient de toute façon pas très loin, puisque même avant l’attaque du 20 septembre, ils tenaient déjà la ville voisine de Chouchi, distante d’à peine dix kilomètres, et dont ils ont <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/11/08/l-azerbaidjan-annonce-avoir-repris-chouchi-deuxieme-ville-du-haut-karabakh_6058982_3210.html">pris le contrôle lors de la guerre de 2020</a>.</p>
<p>Une partie de la population a été <a href="https://www.armenews.com/spip.php?page=article&id_article=107865">rassemblée à l’aéroport de Stepanakert</a> – un aéroport où aucun avion civil n’a atterri depuis trente ans, et qui est désormais une sorte de camp retranché aux mains des militaires russes, présents dans le cadre de la mission de maintien de la paix établie à l’issue, précisément, de la guerre de 2020.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/p8J7wyAGoVc?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<h2>Quelle était la situation au Haut-Karabakh à la veille de l’attaque que vient de lancer l’Azerbaïdjan ?</h2>
<p>Le 10 novembre 2020, un cessez-le-feu signé sous les auspices de Vladimir Poutine avait mis un terme à ce qu’on a appelé la « guerre de 44 jours », qui était en réalité la seconde guerre du Karabakh. La première ayant été gagnée par le camp arménien au début des années 1990. La seconde, à l’automne 2020 donc, a été remportée de façon incontestable par l’Azerbaïdjan, qui a alors repris le périmètre autour de l’enclave, jusqu’alors contrôlé par les Arméniens, ainsi qu’environ les deux tiers de l’enclave elle-même.</p>
<p>Le <a href="https://fr.azvision.az/news/100149/d%C3%A9claration-du-pr%C3%A9sident-de-la-r%C3%A9publique-dazerba%C3%AFdjan,du-premier-ministre-de-la-r%C3%A9publique-darm%C3%A9nie-et-du-pr%C3%A9sident-de-la-f%C3%A9d%C3%A9ration-de-russie.html">cessez-le-feu</a> prévoyait que des communications devaient être assurées entre, d’une part, l’Arménie et le Karabakh, via la route du corridor de Latchine, et d’autre part entre l’Azerbaïdjan et le <a href="https://www.lepoint.fr/monde/l-azerbaidjan-convoiterait-l-extreme-sud-de-l-armenie-02-11-2020-2399058_24.php">Nakhitchevan</a>, qui est une exclave de l’Azerbaïdjan située à l’ouest du territoire arménien et frontalière de la Turquie – c’est-à-dire que l’Azerbaïdjan et la Turquie bénéficieraient dans cette hypothèse, dès lors, d’une sorte de raccordement terrestre direct.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/549826/original/file-20230922-29-rqcd5l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/549826/original/file-20230922-29-rqcd5l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/549826/original/file-20230922-29-rqcd5l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/549826/original/file-20230922-29-rqcd5l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/549826/original/file-20230922-29-rqcd5l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/549826/original/file-20230922-29-rqcd5l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/549826/original/file-20230922-29-rqcd5l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/549826/original/file-20230922-29-rqcd5l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Carte de la région.</span>
<span class="attribution"><a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
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</figure>
<p>Un certain nombre d’Arméniens – on évoque le chiffre de 120 000, mais il est difficile à vérifier – étaient restés dans les zones du Karabakh encore contrôlées par les autorités de la République d’Artsakh, ainsi que dans certains territoires adjacents repris par les Azerbaïdjanais. Je me suis rendue à Stepanakert au tout début de l’application de l’accord de cessez-le-feu de 2020. La situation semblait à peu près stabilisée, notamment du fait de la présence des forces russes de maintien de la paix stationnées le long de ce fameux corridor de Latchine.</p>
<p>Mais cette situation ne pouvait pas satisfaire longtemps l’Azerbaïdjan qui, l’hiver dernier, a mis en place un <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2023/02/azerbaijan-blockade-of-lachin-corridor-putting-thousands-of-lives-in-peril-must-be-immediately-lifted/">véritable blocus</a>, en interrompant toute circulation à l’intérieur du corridor de Latchine. Le Karabakh était donc coupé de l’Arménie, c’est-à-dire de son seul lien avec l’extérieur, depuis neuf mois. Quelques jours avant l’attaque du 20 septembre, l’Azerbaïdjan avait rouvert une route reliant son propre territoire au Karabakh, officiellement pour y acheminer de l’aide humanitaire mais en réalité, sans doute, aussi et avant tout pour acheminer ses soldats et ses équipements militaires. </p>
<p>Le 20 septembre, en violation totale du cessez-le-feu signé en 2020, l’Azerbaïdjan a déclenché une violente attaque contre Stepanakert et ses alentours. Il y a eu de nombreux morts, y compris d’ailleurs plusieurs soldats russes, dont l’un des hauts responsables des forces de maintien de la paix. <a href="https://www.rtl.be/actu/monde/europe/soldats-russes-tues-au-karabakh-aliev-sest-excuse-aupres-de-poutine/2023-09-21/article/590381">Le président Ilham Aliev s’est fendu d’une courte lettre adressée à Poutine</a> regrettant leur décès. En moins de 24 heures, les autorités de la république du Haut-Karabakh ont été contraintes d’accepter un désarmement total. </p>
<h2>Pourquoi l’Azerbaïdjan a-t-il décidé d’attaquer maintenant ?</h2>
<p>C’est une banalité de le dire, mais pour la Russie, officiellement garante du cessez-le-feu, la priorité est aujourd’hui évidemment ailleurs. Dans le cadre de sa guerre en Ukraine, Moscou a besoin de la Turquie, qui est le parrain international de l’Azerbaïdjan. Signe qui ne trompe pas : la veille de l’attaque azerbaïdjanaise, Erdogan a <a href="https://caliber.az/en/post/191251">dit dans une interview que la Crimée ne retournerait jamais à l’Ukraine</a>. Il n’avait jamais tenu de tels propos auparavant. On peut interpréter cela comme une sorte de monnaie d’échange contre la passivité du Kremlin dans l’affaire du Karabakh. Une chose est certaine : Aliev ne serait pas passé à l’action sans le feu vert d’Erdogan. Riche du produit de la vente de son pétrole, surarmé, notamment grâce à ses <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Israel-et-l-Azerbaidjan-une-romance-diplomatique-sous-le-sceau-de-la.html">achats d’armes auprès d’Israël, dont il s’est dernièrement rapproché</a>, l’Azerbaïdjan était évidemment très supérieur militairement aux forces du Karabakh.</p>
<h2>Comment expliquer ce rapprochement ?</h2>
<p>C’est un jeu diplomatique très complexe. Pour Israël, qui redoute beaucoup l’Iran, il est important d’avoir de bonnes relations avec l’Azerbaïdjan, lequel a des <a href="https://www.lenouveleconomiste.fr/lintegrite-territoriale-au-coeur-des-tensions-entre-iran-et-azerbaidjan-95580/">relations tendues avec ce pay</a>s, notamment parce que les Iraniens craignent <a href="https://www.cairn.info/ethnicite-et-nationalisme-en-iran--9782811105556-page-75.htm">l’irrédentisme de leur région septentrionale</a>, qui s’appelle Azerbaïdjan iranien, et aussi parce que l’Iran est très hostile à l’OTAN, dont la Turquie, le grand allié de Bakou, est membre.</p>
<p>Les grandes manœuvres ne cessent jamais, chacun défend ses intérêts : il y a deux jours, le ministre russe de la Défense <a href="https://fr.mil.ru/fr/news_page/person/more.htm?id=12479428@egNews">Sergueï Choïgou s’est rendu à Téhéran</a> et les deux pays ont affiché leur entente… Quant aux simples habitants arméniens du Karabakh, ils ne comprennent pas grand-chose à ce Grand Jeu dont ils sont les victimes, puisque les voilà désormais confrontés au risque d’être expulsés de leurs terres.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/deux-siecles-de-grand-jeu-geopolitique-pour-les-grandes-puissances-210223">Deux siècles de Grand Jeu géopolitique pour les grandes puissances</a>
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<h2>Y a-t-il un risque de nettoyage ethnique orchestré par Bakou au Karabakh ?</h2>
<p>Les autorités azerbaïdjanaises ont beau s’en défendre et <a href="https://www.youtube.com/watch?v=7j2wO83M8jg&">affirmer que les habitants du Karabakh ont vocation à être des citoyens de l’Azerbaïdjan comme les autres</a>, en réalité une campagne visant à les terrifier et à les pousser au départ est en cours depuis longtemps – c’était notamment le but du blocus du corridor de Latchine, qui a affamé le Karabakh.</p>
<p>À présent que l’Azerbaïdjan a mis la main sur toute l’enclave, il est difficile d’imaginer que les Arméniens puissent continuer d’y vivre très longtemps sans garanties de sécurité. Un exode massif semble probable – ce qui serait une sorte de redite des pages les plus terribles de l’histoire des Arméniens, comme celles de 1915 ou de 1921.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/armenie-une-lecon-dhistoire-dune-actualite-brulante-173225">Arménie : une leçon d’histoire d’une actualité brûlante</a>
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<p>Plus près de nous, les Arméniens n’ont pas oublié le <a href="https://www.courrier.am/fr/actualite/pogroms-de-soumgait-un-crime-sans-chatiment">massacre de Soumgaït</a> commis par les Azerbaïdjanais en 1988. </p>
<h2>Comment peut-on qualifier le régime azerbaïdjanais actuel ?</h2>
<p>Il s’agit assurément d’un régime autoritaire, qui n’a absolument rien d’une démocratie. Il est dirigé par une dynastie en place depuis l’époque soviétique, puisque le précédent président du pays, <a href="https://www.cairn.info/revue-le-courrier-des-pays-de-l-est-2008-3-page-44.html">Heïdar Aliev</a> (1993-2003), père du président actuel Ilham Aliev qui lui a succédé après son décès, était un éminent officier du KGB et membre du Politburo de l’URSS, avant de devenir le président de la République socialiste soviétique (RSS) d’Azerbaïdjan.</p>
<p>Le régime écrase toute voix discordante et n’entend guère laisser la moindre autonomie au Karabakh, alors même que cette région n’y a été intégrée qu’au temps de l’URSS et qu’elle bénéficiait alors du statut de région autonome au sein de la RSS d’Azerbaïdjan.</p>
<p>Au-delà, les Azerbaïdjanais ne cessent de s’affirmer « les frères des Turcs » et emploient, à propos de leur lien avec la Turquie, la formule <a href="https://www.dauphine-strategie-defense.com/publications/2021/1/14/turquie-et-azerbadjan-une-seule-nation-deux-tats-15">« Une nation, deux États »</a>. Les Arméniens n’ont aucune place dans cette vision.</p>
<p>Aujourd’hui, Bakou et Ankara – qui nient officiellement le génocide arménien de 1915 – sont en position de force et il ne faut attendre de leur part aucune délicatesse à l’égard des Arméniens. Ceux-ci seraient bien naïfs de prendre pour argent comptant les propos des responsables de Bakou – d’autant que ceux-ci viennent de trahir leur parole en violant sans états d’âme le cessez-le-feu de 2020.</p>
<h2>L’Arménie, cette fois, n’est pas intervenue pour soutenir le Karabakh…</h2>
<p>Certes, mais elle n’en avait pas les moyens, depuis la guerre perdue il y a trois ans, où elle avait perdu des milliers de soldats. Il y a aujourd’hui en Arménie un <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20230922-haut-karabakh-en-arm%C3%A9nie-nikol-pachinian-est-coinc%C3%A9-et-sans-solution">grand mouvement hostile au premier ministre Nikol Pachinian</a>, accusé d’avoir tenté sans succès de jouer sur tous les tableaux et d’avoir cherché à donner trop de gages à la fois à la Russie, à l’Azerbaïdjan et aux Occidentaux ; mais il y a aussi la compréhension que, quelles qu’en soient les raisons, l’armée arménienne n’avait pas, cette fois-ci, la capacité de voler seule au secours du Karabakh.</p>
<p>En résumé, on semble assister à nouveau à un épisode similaire à celui d’il y a cent ans, quand l’Arménie avait été prise en étau entre la Turquie de Mustafa Kemal et l’URSS. Sauf qu’il n’y a plus d’URSS pour l’absorber, et la Russie ne va certainement pas tenter de le faire, ne serait-ce que parce qu’elle n’a pas de continuité territoriale avec l’Arménie. </p>
<h2>Au-delà du Karabakh, l’Arménie est-elle en danger ?</h2>
<p>Il faudra suivre cette histoire de jonction de l’Azerbaïdjan et de la Turquie à travers le sud de l’Arménie. Si cela se matérialise, c’est une catastrophe de plus pour l’Arménie, qui risquerait d’être réduite territorialement. Mais c’est un scénario que l’Iran voudra absolument empêcher, car Téhéran tient beaucoup à conserver une frontière commune avec l’Arménie et un tel corridor reviendrait à l’en priver. Une déflagration généralisée ne serait alors pas à exclure.</p>
<h2>Les Occidentaux ont été plus discrets sur ce dossier, même si la France a convoqué en urgence le Conseil de sécurité de l’ONU…</h2>
<p>Les Européens sont loin, les Américains encore plus. Ce qui importe ici, c’est le jeu des puissances régionales. Et si l’Iran est hostile à l’Azerbaïdjan, en revanche Ankara le soutient pleinement et la Russie ne veut se fâcher ni avec l’Azerbaïdjan, ni avec la Turquie.</p>
<p>Moscou a toujours donné la préférence à Bakou par rapport à Erevan, notamment pour les richesses en hydrocarbures de l’Azerbaïdjan – c’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles le Karabakh avait finalement été attribué par les bolcheviks à l’Azerbaïdjan plutôt qu’à l’Arménie. Bref, une fois de plus, les Arméniens se retrouvent seuls face à leur inextricable situation géopolitique. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214195/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Taline Ter Minassian ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les forces armées du Haut-Karabakh ont déposé les armes après une attaque fulgurante de l’Azerbaïdjan. Et maintenant ?Taline Ter Minassian, Historienne, professeure des universités. Directrice de l'Observatoire des États post-soviétiques (équipe CREE), Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2096332023-08-16T18:38:39Z2023-08-16T18:38:39ZLa Chine, un médiateur au centre de l’échiquier géopolitique mondial ?<p>En mars dernier, après sept ans de rupture, l’Iran et l’Arabie saoudite ont rétabli leurs relations, à l’issue d’une <a href="https://theconversation.com/iran-arabie-saoudite-un-compromis-diplomatique-sous-legide-de-pekin-201828">médiation chinoise</a>. Pékin ne souhaite pas s’en tenir à ce succès, et poursuit son activisme diplomatique dans de nombreux autres dossiers. Au début de l’année, la RPC avait proposé <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20230228-le-document-en-12-points-de-p%C3%A9kin-pour-un-r%C3%A8glement-politique-de-la-crise-ukrainienne">« une position sur le règlement politique de la crise ukrainienne »</a> et fait savoir qu’elle espérait y « jouer un rôle constructif dans la promotion des pourparlers ». Aujourd’hui, elle aspire à jouer un rôle de médiateur dans le conflit israélo-palestinien.</p>
<p>La RPC se présente plus que jamais comme une puissance soucieuse de restaurer la paix et maintenir la stabilité. Selon l’historien <a href="https://www.thenation.com/article/world/china-ukraine-russia-peace-talks/">Alfred Mc Coy</a>, cette approche – qui séduit de plus en plus les pays du Sud – révélerait la transformation profonde des rapports de force internationaux :</p>
<blockquote>
<p>« Depuis plus de 200 ans, les conférences de paix ne se contentent pas de résoudre des conflits ; elles signalent régulièrement l’arrivée au centre de la scène d’une nouvelle puissance mondiale […]. De l’entente irano-saoudienne à la visite de Macron à Pékin, nous sommes peut-être en train d’observer les premiers signes de l’évolution de la politique internationale. »</p>
</blockquote>
<p>En cherchant à relancer les pourparlers entre Israéliens et Palestiniens, la Chine entend occuper un vide et signaler la fin d’une ère occidentale dans laquelle les États-Unis jouaient un rôle majeur.</p>
<h2>« Courtiers en tromperie » et « honnête courtier »</h2>
<p>Si la Chine peut se positionner en tant que médiateur entre Israéliens et Palestiniens, c’est avant tout parce que ce rôle n’est plus vraiment assumé par les États-Unis. <a href="https://www.ipinst.org/2013/04/khalidi-questions-u-s-honest-broker-role-in-mideast">La plupart des analystes</a> conviennent que Washington n’a pas été un « courtier honnête ». L’historien <a href="https://www.jadaliyya.com/Details/28309">Rashid Khalidi</a>, directeur du département du Moyen-Orient à l’université Columbia, <a href="http://www.beacon.org/Brokers-of-Deceit-P1029.aspx">estime</a> que Washington n’avait jamais véritablement recherché une résolution pacifique au conflit. Selon lui, les Américains, qui n’ont cessé de donner des gages au pouvoir israélien et orienté les discussions à l’avantage de Tel-Aviv, ont hypothéqué toute perspective de règlement.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Ce point de vue est partagé par le chercheur américain <a href="https://blogs.lse.ac.uk/mec/2018/09/04/book-review-seth-anziskas-preventing-palestine-a-political-history-from-camp-david-to-oslo/">Seth Anziska</a> qui examine l’échec du processus de paix en retraçant, selon ses termes, « la généalogie d’un non-événement ». L’asymétrie profonde entre la partie israélienne et palestinienne, explique-t-il, a été entretenue par les administrations américaines successives. Il rappelle que Washington a apporté un soutien inconditionnel à son allié, allant jusqu’à considérer que la poursuite de la colonisation dans les territoires occupés ne constitue pas un obstacle à la conclusion d’un accord de paix.</p>
<p>Si les accords d’Oslo I et II (en 1993 et 1995) ont créé un temps l’illusion qu’ils aboutiraient à la création d’un État palestinien – jamais mentionné dans les textes –, celle-ci a fini par se dissiper. <a href="https://journals.openedition.org/remmm/9501">Les travaux universitaires les plus sérieux</a> ont démontré que le processus de paix n’était qu’un mirage. Bien qu’il ait permis la création d’un appareil d’État palestinien intégré au dispositif d’occupation, il n’a jamais eu vocation à donner naissance à un État palestinien.</p>
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<p>L’enlisement du processus de paix dans les années 1990, l’échec tonitruant du sommet de Camp David et la relance de l’Intifada en septembre 2000 ont éloigné toute perspective de solution au conflit. Durant cette période, l’implication américaine résolue aux côtés d’Israël <a href="https://www.e-ir.info/2021/12/13/israels-qualitative-military-edge-u-s-arms-transfer-policy/">a permis de maintenir la supériorité militaire qualitative</a> de Tel-Aviv, qui lui garantit une <a href="https://www.e-ir.info/2021/12/13/israels-qualitative-military-edge-u-s-arms-transfer-policy/">suprématie régionale</a>. L’engagement de Washington se matérialise par une aide financière substantielle et la fourniture d’armements qui traduisent la pérennité d’un lien organique avec son allié israélien.</p>
<p>Les tentatives de relance des pourparlers se sont systématiquement soldées par un échec en raison de l’intransigeance de la partie israélienne, qui n’a jamais consenti au moindre compromis (<a href="https://www.lepoint.fr/monde/israel-refuse-toute-limitation-a-la-colonisation-a-jerusalem-est-16-11-2014-1881557_24.php#11">refus de mettre un terme à la colonisation</a> et de <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/2014/04/03/97001-20140403FILWWW00288-israel-annule-une-liberation-de-prisonniers.php">libérer les prisonniers palestiniens</a>, <a href="https://fr.timesofisrael.com/netanyahu-a-rejete-un-plan-de-paix-regionale-en-2016-media/">rejet de la solution à deux États</a>). En dépit de cette impasse structurelle, la Chine – qui cherche à remettre en cause la prééminence mondiale des États-Unis – espère ressusciter un processus au point mort depuis 2014.</p>
<h2>La Palestine favorable à une médiation chinoise</h2>
<p>Sur ce dossier, Pékin dispose de deux atouts majeurs. D’une part, une relance de <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2002-4-page-59.htm">l’initiative arabe de paix de 2002</a> serait <a href="https://www.arabnews.com/node/2285796">vue d’un bon œil par les pays arabes</a> engagés dans la voie de la normalisation avec Israël.</p>
<p>De l’autre, la proposition chinoise de médiation rencontre un écho positif auprès des Palestiniens. <a href="https://www.arabnews.com/node/2303361/middle-east">80 % d’entre eux</a> seraient favorables à une médiation chinoise qui faciliterait les pourparlers entre les deux parties (60 % des répondants estiment que les États-Unis ne constituent pas un médiateur crédible).</p>
<p>En juin dernier, le président de l’Autorité palestinienne, reçu à Pékin, a également <a href="https://www.haaretz.com/israel-news/2023-06-18/ty-article/.premium/giving-up-on-the-u-s-palestinian-president-abbas-turns-to-china/00000188-cc4f-d01e-a3fe-deefe4e90000">appelé la Chine à faire pression sur Israël</a> pour favoriser une solution au conflit israélo-palestinien. La RPC n’a toutefois pas de leviers pour amener les Israéliens à la table des négociations.</p>
<h2>Pour Tel-Aviv, pas d’équidistance entre Pékin et Washington</h2>
<p>Pékin a développé des relations militaires et commerciales étroites avec Tel-Aviv au cours des dernières décennies. En 2017, un <a href="http://french.xinhuanet.com/2017-03/22/c_136148156.htm">partenariat global novateur</a> a été conclu pour intensifier la coopération dans tous les domaines, notamment technologique (<a href="https://www.newsweek.com/2022/08/19/china-targets-israeli-technology-quest-global-dominance-us-frets-1727108.html">sur 507 accords commerciaux bilatéraux conclus entre 2002 et 2022, 492 concernent le secteur technologique</a>). Troisième partenaire commercial d’Israël après l’UE et les États-Unis, Pékin investit dans la construction et la modernisation des infrastructures israéliennes.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1618923002309251074"}"></div></p>
<p>Pour autant, Israël reste soucieux de sécuriser les intérêts américains. En 2021, la <a href="https://www.courrierinternational.com/article/les-etats-unis-inquiets-de-linfluence-croissante-de-la-chine-en-israel-sirius">Chine a implanté dans le port de Haïfa un terminal automatisé de containers</a> au grand dam de Washington – qui redoutait l’installation d’une technologie de surveillance chinoise susceptible d’espionner la Sixième Flotte américaine. En dépit des investissements colossaux chinois, c’est finalement <a href="https://www.businesstoday.in/latest/corporate/story/adani-paid-entire-12-bn-to-acquire-haifa-port-says-israels-envoy-to-india-371112-2023-02-22">l’Inde qui a pris le contrôle du plus grand port d’Israël</a>.</p>
<p>Par ailleurs, en 2022, les agences de sécurité israéliennes ont également <a href="https://mosaicmagazine.com/essay/israel-zionism/2022/09/no-israel-isnt-falling-into-chinas-orbit/">intensifié la lutte contre l’espionnage des entreprises chinoises</a> qui tentent d’obtenir l’accès aux technologies militaires israéliennes.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-puissance-scientifique-et-technologique-chinoise-de-limitation-au-leadership-mondial-209768">La puissance scientifique et technologique chinoise : de l’imitation au leadership mondial</a>
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<p>Enfin, le secteur technologique israélien <a href="https://www.middleeasteye.net/fr/opinion-fr/comment-la-technologie-despionnage-israelienne-penetre-au-plus-profond-de-nos-vies">s’est développé en utilisant les territoires occupés comme laboratoire d’essai</a> des nouveaux systèmes d’armes et outils de surveillance et de contrôle des populations. Le <a href="https://theconversation.com/derriere-pegasus-le-mode-demploi-dun-logiciel-espion-164742">logiciel espion Pegasus</a> exporté dans le monde en est un exemple édifiant.</p>
<p>Force est donc de constater que Pékin a peu de chance de modifier la ligne politique d’Israël. En avril dernier, le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou a, en outre, laissé entendre que pour Tel-Aviv, les <a href="https://www.cnbc.com/2023/04/19/benjamin-netanyahu-israel-cautions-saudi-about-iran-after-china-deal.html">États-Unis restent perçus comme le seul médiateur valable</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Nous respectons la Chine, nous traitons beaucoup avec elle. Mais nous savons aussi que nous avons une alliance indispensable avec notre grand ami, les États-Unis. »</p>
</blockquote>
<h2>Une implication avant tout stratégique</h2>
<p>Même si les efforts diplomatiques de la Chine ne sont pas couronnés de succès, Pékin a tout de même intérêt à promouvoir la <em>Pax Sinica</em> (paix chinoise). Dans une stratégie de remise en cause de l’ordre international américain, la coopération avec les pays du Moyen-Orient revêt un intérêt crucial. Nombre d’entre eux se sont émancipés de la tutelle de Washington pour défendre leurs intérêts souverains. <a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2022-10-26/xi-s-vow-of-world-dominance-by-2049-sends-chill-through-markets">Xi Jinping souhaite ériger la Chine au rang de première puissance mondiale en 2049</a> : cela impose de prendre la main sur des dossiers et des espaces jusque-là réservés aux États-Unis.</p>
<p>Comme le note le géopolitologue <a href="https://thediplomat.com/2022/07/the-impact-and-implications-of-chinas-growing-influence-in-the-middle-east/">Nadeem Ahmed Moonakal</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Pékin croit en l’idée de la paix par le développement en renforçant les “perceptions partagées de la sécurité”. Cela diffère de la “perception traditionnelle de la sécurité” menée par l’Occident, qui se concentre sur la recherche de la sécurité par la défaite de l’ennemi et le maintien d’alliances militaires exclusives. »</p>
</blockquote>
<p>À cet égard, Pékin a resserré les liens avec les pays de la région par des initiatives diplomatiques (sommets Chine-États arabes ou Chine-Conseil de coopération des États arabes du Golfe en 2022) et des <a href="https://gjia.georgetown.edu/2023/06/02/chinas-increasing-role-in-the-middle-east-implications-for-regional-and-international-dynamics/">partenariats stratégiques et protocoles d’accord pour ses activités économiques</a>. Ils se concrétisent surtout par des projets d’investissement estampillés « <a href="https://theconversation.com/la-nouvelle-route-de-la-soie-une-strategie-dinfluence-mondiale-de-la-chine-75084">Nouvelles routes de la soie</a> » (<em>Belt and Road Initiative</em>), qui sont les principaux leviers de la politique étrangère chinoise.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-tentation-chinoise-du-liban-149677">La tentation chinoise du Liban</a>
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<p><a href="https://carnegieendowment.org/2023/06/27/china-s-rising-influence-in-middle-east-pub-90053">En approfondissant ses liens avec les pays du Moyen-Orient</a>, la Chine cherche à mettre en échec la <a href="https://cejiss.org/images/issue_articles/2019-volume-13-issue-3/08-teixera.pdf">stratégie américaine d’endiguement</a>. Par son action, elle remodèle le paysage régional. Cette nouvelle configuration devrait à terme remettre en question la prédominance des États-Unis. Ceux-ci ont de plus en plus de difficultés à s’appuyer sur les puissances régionales pour perpétuer l’ordre international américain. </p>
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209633/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lina Kennouche ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Après sa médiation réussie entre l’Iran et l’Arabie saoudite, la Chine souhaite s’impliquer dans le conflit israélo-palestinien. Quelle est la portée de cette dynamique diplomatique ?Lina Kennouche, Docteur en géopolitique, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2078562023-07-05T17:31:48Z2023-07-05T17:31:48ZCe que la réconciliation irano-saoudienne change pour le Moyen-Orient<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/534643/original/file-20230628-21766-54yzr9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C20%2C4590%2C3030&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le ministre saoudien des Affaires étrangères, Faisal bin Farhan, serre la main de son homologue iranien, Hossein Amir-Abdollahian à Téhéran, le 17&nbsp;juin 2023.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Atta Kenare/AFP</span></span></figcaption></figure><p>Le 6 juin, Téhéran rouvrait son ambassade à Riyad, concrétisant un <a href="https://www.rts.ch/info/monde/14078246-reouverture-de-lambassade-iranienne-en-arabie-saoudite.html">accord annoncé le 10 mars dernier sous la houlette de la Chine</a>. </p>
<p>Sous les flashs des photographes réunis à Pékin, Téhéran et Riyad avaient alors signé une promesse d’échange d’ambassadeurs qui devait mettre fin à <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2016/01/03/l-arabie-saoudite-rompt-ses-relations-diplomatiques-avec-l-iran_4841095_3210.html">sept ans de rupture diplomatique</a> et à plusieurs décennies de tensions. </p>
<p>S’il est incontestable que ce développement suggère une montée en puissance de la Chine au Moyen-Orient, il annonce aussi – et surtout – la mise en place de nouvelles dynamiques propres à la région.</p>
<h2>Quarante-cinq ans d’une rivalité multidimensionnelle</h2>
<p><a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/1979-la-revolution-islamique-iranienne">Avec la révolution iranienne de 1979</a>, l’Iran devenait un rival politique dangereux pour Riyad. Sans être très proches, les deux pays partageaient pourtant jusque-là une relation cordiale, d’autant que tous deux étaient des alliés des États-Unis au Moyen-Orient en pleine guerre froide.</p>
<p>Monarchie ultraconservatrice, structurellement alliée à l’idéologie sunnite <a href="https://www.cairn.info/l-enigme-saoudienne--9782707137432-page-57.htm">wahhabite</a>, répressive de sa <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2011-3-page-493.htm">minorité chiite</a> (10 % de la population) et étroitement arrimée à Washington, l’Arabie saoudite s’est sentie directement menacée par le nouveau régime de Téhéran, qui promettait d’exporter sa révolution (progressiste dans le paysage régional de l’époque), mobilisant un chiisme radical et considérant les États-Unis comme <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1153316/comment-les-etats-unis-sont-devenus-le-grand-satan-.html">« le grand Satan »</a>.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Depuis, tant les événements que les choix effectués par les establishments politiques des deux pays les ont amenés à se retrouver <a href="https://iranprimer.usip.org/blog/2016/jan/06/timeline-iran-saudi-relations">dans des camps opposés</a> (et souvent à la tête de ces camps) lors de toutes les crises survenues dans la région. </p>
<p>Cette rivalité s’est radicalisée suite aux « Printemps arabes », Téhéran et Riyad ayant presque systématiquement soutenu, directement et ouvertement, des forces politiques opposées réverbérant leur rivalité dans les différents pays concernés, <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2016-2-page-15.htm">à commencer par la Syrie</a>, où l’Iran s’est fermement rangé derrière Bachar Al-Assad tandis que les Saoudiens ont financé diverses organisations opposées au régime syrien.</p>
<p>Tout s’emballe en janvier 2015 avec l’accession au pouvoir en Arabie saoudite du roi Salmane et la promotion rapide de son fils et successeur désigné Mohammed Ben Salmane (souvent appelé MBS). En mars de cette même année, Riyad intervient au Yémen en soutien au pouvoir en place, accusant l’Iran d’appuyer les rebelles Houthis et ce, malgré <a href="https://www.levif.be/international/liran-soutient-il-vraiment-les-rebelles-houthis-au-yemen/">l’absence de véritables preuves à ce stade du conflit</a>.</p>
<p>En janvier 2016, Riyad exécute Nimr al-Nimr, important cheikh chiite, provoquant la colère de l’Iran et le <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2016/01/03/l-arabie-saoudite-rompt-ses-relations-diplomatiques-avec-l-iran_4841095_3210.html">pillage de l’ambassade saoudienne à Téhéran et du consulat saoudien à Mashad</a>. En réaction, la <a href="https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2016/01/04/teheran-accuse-riyad-de-vouloir-aggraver-les-tensions-dans-la-region_4841198_3218.html">plupart des pays du Golfe rappellent leurs ambassadeurs</a> de Téhéran.</p>
<p>Depuis, les seules relations qu’ont eues les deux pays ont été leurs affrontements indirects dans les différents pays de la région : militairement en Syrie et au Yémen, politiquement en <a href="https://www.mei.edu/publications/awkward-triangle-iraq-iran-and-saudi-arabia">Irak</a>, au <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2022-3-page-177.htm">Liban</a> et à travers la <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2017-3-page-73.htm">crise du Qatar de 2017</a>.</p>
<p>Même si l’Arabie saoudite n’y est pas partie, la signature en septembre 2020, sous la houlette de Donald Trump, des accords d’Abraham, qui ont permis un <a href="https://www.rts.ch/info/monde/11606909-signature-a-washington-des-accords-dabraham-entre-israel-bahrein-et-les-emirats-arabes-unis.html">rapprochement entre d’une part, Israël et de l’autre, Bahreïn et les Émirats arabes unis</a>, proches alliés des Saoudiens, ont un peu plus tendu les relations, l’Iran affirmant alors qu’il était le seul pays à vraiment se préoccuper de la cause palestinienne, désormais trahie par les monarchies du Golfe. Il en va de même des rebondissements liés au programme nucléaire iranien, qui a toujours été pour l’Arabie saoudite une grande source d’inquiétude.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/un-retour-au-deal-nucleaire-iranien-est-il-encore-possible-162272">Un retour au deal nucléaire iranien est-il encore possible ?</a>
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<p>Sur ces différentes scènes, aucune partie n’a complètement perdu ou clairement gagné ; c’est ce qui permet à chacune d’entre elles de s’engager aujourd’hui sans perdre la face dans une dynamique moins confrontationnelle et, sans doute, moins coûteuse politiquement et financièrement.</p>
<h2>Les aiguillons de cette percée inattendue</h2>
<p>On ne saurait trop insister sur la conjonction des intérêts de la Chine, de l’Iran et de l’Arabie saoudite avec ceux d’acteurs secondaires dans la région.</p>
<p>Pékin est désireux de stabiliser cette <a href="https://theconversation.com/chine-arabie-saoudite-a-lassaut-de-lor-noir-167205">région stratégique pour son approvisionnement énergétique</a> et de <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-monde-est-a-nous/relations-diplomatiques-entre-l-iran-et-l-arabie-saoudite-la-chine-s-impose-comme-acteur-diplomatique-dans-le-golfe_5682047.html">continuer à s’affirmer dans ce pré carré traditionnel des États-Unis</a>. La Chine était déjà depuis des années un des rares acteurs à réussir l’exercice périlleux de maintenir des relations cordiales à la fois avec l’Iran et l’Arabie saoudite, et c’est bien à elle qu’ils accordent le mérite symbolique d’avoir parrainé leur réconciliation. Le message est limpide : les États-Unis ne sont plus les seuls « brokers » dans la région ni même les seuls pourvoyeurs de sécurité.</p>
<p>L’Iran a longtemps justifié sa rivalité avec Riyad par la <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2016-2-page-101.htm">soumission du régime saoudien à Washington</a>. Or, à travers cet accord récent, Téhéran parvient à la fois à réduire l’influence américaine dans la région et à accélérer la <a href="https://theconversation.com/joe-biden-a-riyad-les-lecons-dun-echec-187645">distanciation entre Washington et Riyad</a>, respectant dès lors parfaitement le « narratif » national. Le rapprochement sert par ailleurs plusieurs des intérêts de l’Iran. Tout d’abord, il permet d’ouvrir une large brèche dans l’isolement dans lequel le pays est tenu par les États-Unis et, dans une moindre mesure, les Européens. </p>
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<p>En outre, l’augmentation de ses échanges avec la Chine et la promesse d’investissements saoudiens permettraient un rebond dont l’économie nationale a bien besoin. Par ailleurs, l’apaisement des tensions avec l’Arabie saoudite et les autres pays du Golfe et la nouvelle proximité avec la Chine sont autant de pas susceptibles d’améliorer la sécurité d’un Iran qui serait plus difficile à cibler par Israël ou les États-Unis dans le cadre des bras de fer autour du nucléaire ou des dossiers régionaux. </p>
<p>Enfin, l’entente entre les deux puissances régionales comporte aussi la promesse d’une non-ingérence réciproque dans les affaires intérieures, ce qui, pour Téhéran, signifie la fin du rôle joué par l’Arabie saoudite, via les différents médias qu’elle finance, dans l’incitation médiatique à son encontre.</p>
<p>Pour l’Arabie saoudite, le rapprochement entrepris avec l’Iran porte la promesse d’une sortie plus favorable du bourbier yéménite, <a href="https://www.rtbf.be/article/il-y-a-6-ans-les-saoudiens-lancaient-la-tempete-decisive-au-yemen-un-echec-retentissant-10728932">coûteux à tous points de vue</a>, afin de se recentrer sur les réformes du pays et ses perspectives d’avenir, dont la transition économique au travers notamment de la <a href="https://www.vision2030.gov.sa/">« Vision 2030 » promue par MBS</a>. </p>
<p>En outre, cette démarche nouvelle permet au royaume, dont les relations avec les États-Unis ont été <a href="https://www.levif.be/international/arabie-saoudite-et-etats-unis-au-bord-de-la-rupture/">assez houleuses sous les deux dernières administrations démocrates</a>, de diversifier ses alliances et les garants de sa sécurité. D’ailleurs, la désescalade avec l’Iran porte en elle la perspective d’une atténuation des risques sécuritaires. Cette tendance est renforcée par l’accession de Riyad à <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/l-arabie-saoudite-devient-un-etat-partenaire-de-l-organisation-de-cooperation-de-shanghai-20230329">l’Organisation de coopération de Shanghai au titre de partenaire de dialogue</a>, alors que l’Iran est déjà engagé dans le <a href="https://www.reuters.com/article/ouzbekistan-ocs-iran-idFRKBN2QG0P8">processus d’accession complète à cet organisme</a>.</p>
<h2>Vers de nouvelles perspectives</h2>
<p>S’il est évidemment trop tôt pour tirer des conclusions définitives et prédire une paix durable entre Riyad et Téhéran, ces différentes annonces viennent briser une logique d’inimitié et de conflictualité qui semblait jusqu’ici dangereusement s’auto-entretenir. Trois tendances intéressantes, et quasiment sans précédent dans l’histoire récente de la région, méritent d’être soulignées. </p>
<p>La première est la volonté de l’Arabie saoudite et de l’Iran de dépasser leur inimitié, souvent représentée comme insurmontable car fondamentalement identitaire, et de coopérer pragmatiquement dans le but de servir leurs intérêts et de réduire les tensions régionales. </p>
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<p>Dérivée de la première, la deuxième tendance correspond à une agentivité plus constructive mais aussi moins dépendante des impulsions extérieures, la Chine ayant été plus un adjuvant que la force motrice du rapprochement. Même si ce sont des diplomates chinois qui ont posé avec leurs homologues iraniens et saoudiens devant les photographes immortalisant l’accord, ce sont bien l’Irak et Oman qui ont <a href="https://www.fmprc.gov.cn/eng/wjdt_665385/2649_665393/202303/t20230311_11039241.html">facilité les négociations entre les deux poids lourds de la région</a>. Ceci ouvre la voie à une gouvernance régionale conduite par les acteurs locaux et allégée du poids des intérêts extérieurs, même si le chemin reste long vu la présence américaine encore massive et l’intérêt chinois grandissant. </p>
<p>Enfin, le contexte même du rapprochement suggère que le temps des absolus pourrait s’étioler : ce développement se fait bien que l’Arabie saoudite soit, aujourd’hui, plus proche d’Israël qu’à aucun autre moment de l’histoire. </p>
<p>Bien évidemment, les passifs restent nombreux, tout comme les crises qui pourraient mettre en péril la tendance amorcée en mars dernier. Les occasions manquées par le passé, comme le <a href="https://www.theguardian.com/world/1999/may/17/iran">rapprochement avorté entre les deux pays à la fin des années 1990</a>, incitent à la prudence. En outre, une telle dynamique d’adversité ne s’effacera pas du jour au lendemain. Mais le rétablissement des relations diplomatiques a au moins le mérite d’offrir une alternative et une porte de sortie vers une logique non plus de surenchère mais bien de concertation dans les affaires de la région.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207856/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jérémy Dieudonné a reçu des financements de MITACS. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Elena Aoun ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La reprise des relations diplomatiques entre l’Iran et l’Arabie saoudite, en froid depuis sept ans, annonce la mise en place de nouvelles dynamiques dans la région.Jérémy Dieudonné, Doctorant en Relations internationales, Université catholique de Louvain (UCLouvain)Elena Aoun, Professeure en Relations internationales, Université catholique de Louvain (UCLouvain)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2020852023-05-08T18:06:51Z2023-05-08T18:06:51ZImmigration : comment favoriser un impératif équilibre des sexes dans les flux<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/524120/original/file-20230503-22-9pqht1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=62%2C19%2C1111%2C731&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Entre 2010 et 2019, 47 % des personnes migrantes dans le monde étaient des femmes. (Ici, des immigrantes éthiopiennes célèbrent la fête de Sigd au mont Sion à Jérusalem, en Israël).
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/government_press_office/6388383481">Government Press Office/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Et si le report à l’automne de l’examen du <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/immigration/projet-de-loi-immigration-division-saucissonnage-report-retour-en-cinq-actes-sur-les-revirements-du-gouvernement_5791073.html">projet de loi immigration</a> était l’occasion d’en retravailler les incomplétudes à partir de ce qu’enseignent les chercheurs ? L’égalité entre hommes et femmes semble compter parmi les grands absents du <a href="https://www.vie-publique.fr/loi/287993-projet-de-loi-immigration-integration-asile-2023">texte</a> présenté au mois de février en conseil des ministres et contre lequel des <a href="https://www.bfmtv.com/paris/replay-emissions/paris-week-end/paris-une-manifestation-contre-gerald-darmanin-et-le-projet-de-loi-sur-l-immigration-s-est-tenue-ce-samedi_VN-202304300124.html">manifestations</a> se sont tenues.</p>
<p>Il s’agissait, selon le gouvernement, de favoriser une immigration <em>choisie</em>, visant à régulariser des travailleurs sans papiers et à attirer des talents dans des secteurs en tension comme le bâtiment, la restauration, ou encore la santé, éléments qui font aujourd'hui débat. Silence néanmoins quant aux moyens qui pourront être mis en place pour garantir que la France accueillera, dans les années à venir, autant d’hommes que de femmes.</p>
<p>Or, il ne s’agit pas là que d’une question purement statistique. Des recherches suggèrent notamment que l’accueil disproportionné d’hommes serait lié à une <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/ajps.12595">moins bonne intégration</a> de ces immigrés et à une tolérance moindre de la population d’accueil à leur égard. Les institutions internationales présentent, elles, les femmes comme des agents favorisant, dans les pays d’origine comme de destination, des <a href="https://interactive.unwomen.org/multimedia/explainer/migration/en/index.html">évolutions sur les plans social et économique</a>.</p>
<p>Entre 2010 et 2019, <a href="https://www.oecd-ilibrary.org/social-issues-migration-health/data/oecd-international-migration-statistics/international-migration-database_data-00342-en">47 %</a> des personnes migrantes étaient des femmes d’après les mesures de l’OCDE. De grandes disparités existent toutefois entre les pays. Dans certains pays d’origine, par exemple en Afrique subsaharienne, les hommes émigrent bien plus que les femmes. Pour le Brésil, Madagascar ou les Philippines, c’est l’inverse. Ces femmes partent souvent faire des ménages et garder des enfants dans les pays riches.</p>
<p><iframe id="qUx27" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/qUx27/6/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Nos <a href="https://leamarchal.fr/wp-content/uploads/2023/05/ile-wp-2023-67.pdf">travaux</a> ont tenté d’identifier les politiques publiques qui pourraient aider à rétablir un équilibre. Ils mettent notamment l’accent sur l’importance des droits économiques et politiques des femmes dans les pays d’origine, suggérant pour les pays d’accueil des problématiques auxquelles répondre.</p>
<h2>Les discriminations, un facteur ambivalent</h2>
<p>L’effet des droits des femmes dans les pays d’origine sur la décision d’émigrer reste encore faiblement documenté. Des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0304387817300895">travaux existants</a> montrent qu’elles souhaitent davantage émigrer lorsqu’elles estiment qu’elles ne sont pas traitées avec respect. D’autres, au contraire expliquent, dans le cas allemand, que c’est l’<a href="https://sciendo.com/de/article/10.2478/izajodm-2021-0013">absence de droits économiques</a> pour les femmes dans les pays d’origine qui explique les déséquilibres entre les sexes.</p>
<p>Pour une meilleure compréhension du rôle des discriminations subies par les femmes dans les pays d’origine sur les phénomènes migratoires, notre analyse, elle, couvre 158 pays d’origine et 37 pays de destination sur plus d’un demi-siècle, de 1961 à 2019. Les pays de destination sont principalement des pays développés à haut revenu.</p>
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<p>Deux types de discriminations ont été prises en compte : celles qui s’exercent dans la sphère économique, et celles qui concernent la vie politique. L’indicateur synthétisant les premières tient, par exemple, compte du droit de travailler ou de l’égalité de rémunération entre hommes et femmes. Il est issu du <a href="https://kellogg.nd.edu/research/major-research-initiatives/varieties-democracy-project">« Varieties of Democracy project »</a>. Dans le second cas, nous nous appuyons sur le <a href="https://wbl.worldbank.org/en/wbl">« World Bank’s Women, Business and the Law report »</a> qui intègre le droit de vote, les libertés civiles telles que le droit de se déplacer seule dans l’espace public ou encore l’égalité d’accès aux services publics.</p>
<p>D’après nos calculs économétriques, l’effet des discriminations envers les femmes sur les phénomènes migratoires dépend du niveau de richesse du pays d’origine. L’amélioration de la condition féminine dans les pays d’origine réduit en fait l’écart entre les flux migratoires des hommes et des femmes seulement pour les pays d’origine les plus pauvres. L’écart se creuse au contraire pour les pays d’origine plus riches. Nos calculs permettent ainsi de retrouver et de généraliser les résultats d’une littérature en apparence contradictoire.</p>
<h2>Un enjeu de société</h2>
<p>Dans les pays les plus pauvres, améliorer les droits des femmes semble, par exemple, leur permettre de payer le coût de leur migration, qui est sinon rédhibitoire. Quand l’Iran, par exemple, accorde le droit de vote aux femmes en 1963, l’écart migratoire entre homme et femme diminue ensuite durant une quinzaine d’années.</p>
<p>Certes, <em>de jure</em>, les droits économiques sont restés les mêmes, mais les femmes ont rejoint la population active en grand nombre. En 1979, cependant, avec la révolution islamique qui détériore fortement les conditions de vie des Iraniennes, la tendance s’inverse et l’écart se creuse à nouveau.</p>
<p><iframe id="4Wptm" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/4Wptm/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Dans les pays plus riches, les contraintes financières s’avèrent moins fortes : les femmes migrent alors encore moins que les hommes lorsqu’elles subissent moins de discriminations. L’Estonie, par exemple, a amélioré les droits économiques des femmes de façon spectaculaire au cours des années 2000.</p>
<p>En vue de son intégration à l’Union européenne, le pays lançait notamment en 2002 deux <a href="https://www.ohchr.org/fr/press-releases/2009/10/default-title-38">projets de législation</a> pour promouvoir une forme d’égalité concernant les salaires, l’accès à l’emploi et l’accès aux prestations sociales. En 2021, il est le <a href="https://www.neonmag.fr/lestonie-devient-le-premier-pays-avec-deux-femmes-a-sa-tete-ou-en-est-le-reste-de-leurope-569072.html">premier pays au monde</a> à avoir à la fois une présidente et une première ministre. Au cours de cette période, l’écart migratoire entre hommes et femmes a augmenté avant de se stabiliser.</p>
<p><iframe id="9OhoT" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/9OhoT/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Rétablir un équilibre entre hommes et femmes dans les flux migratoires s’avère donc un enjeu de société. Dans les pays d’origine, notamment les plus pauvres, il s’agira de réduire les discriminations subies par les femmes et de promouvoir leurs droits. Les pays d’accueil, comme la France, ont cependant aussi moyen d’agir.</p>
<p>D’une part, l’<a href="https://www.oecd.org/fr/cad/financementpourledeveloppementdurable/themes-financement-developpement/aidealappuidelegalitehommes-femmesetlautonomisationdesfemmes.htm">aide publique au développement</a> axée sur l’égalité entre les sexes peut permettre de réduire les discriminations. D’autre part, il semble pertinent de mettre en place des politiques d’immigration n’occultant pas l’importance de l’équilibre entre les genres au sein de la population. Quand ces politiques d’immigration s’avèrent avant tout un volet de la politique économique visant à réduire la pénurie de main-d’œuvre dans des secteurs à dominante masculine tels que le bâtiment, le regroupement familial pourrait, par exemple, être un outil de rééquilibrage clé. Les premiers travaux entrepris par le Sénat autour du projet de loi semblaient, au contraire, plutôt envisager d’en <a href="https://www.senat.fr/amendements/commissions/2022-2023/304/Amdt_COM-200.html">durcir les conditions</a>.</p>
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<p><em>Margherita Lazzeri, étudiante au sein du master recherche Development economics de l’Université Paris 1–Panthéon Sorbonne, a participé à la rédaction de cet article</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/202085/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Léa Marchal est chercheuse associée à l'Institut Convergences Migrations et au Kiel Centre for Globalization. Sa recherche sur le genre en économie des migrations a bénéficié du soutien financier du Fonds pour l'égalité des chances de l'Université de Hambourg et du GIS Institut du Genre. </span></em></p>Une future loi devrait tenir compte d’une répartition égale entre les sexes dans les populations immigrées. C’est en effet un facteur d’intégration clé sur lequel une étude récente s’est penchée.Léa Marchal, Maître de conférences en économie à l'Université de Paris 1, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2018282023-03-16T22:05:26Z2023-03-16T22:05:26ZIran–Arabie saoudite : un compromis diplomatique sous l’égide de Pékin<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/515456/original/file-20230315-14-53wxil.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C3840%2C2155&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La réconciliation irano-saoudienne a été annoncée depuis Pékin, offrant à la Chine un succès diplomatique incontestable.</span> <span class="attribution"><span class="source">motioncenter/Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Le 10 mars, Riyad et Téhéran ont annoncé, à Pékin, le <a href="https://www.arabnews.com/node/2266801">rétablissement de leurs relations diplomatiques après sept ans de rupture</a>, s’engageant, au terme de plusieurs jours de négociations, à « rouvrir les ambassades et représentations [diplomatiques] dans un délai maximum de deux mois ». Cette période de transition est nécessaire pour <a href="https://rasanah-iiis.org/english/monitoring-and-translation/reports/the-saudi-iran-agreement-and-the-resumption-of-diplomatic-ties/">transformer un accord sécuritaire en véritable restauration des relations diplomatiques</a>.</p>
<p>Si cette réouverture des discussions entre les deux pays va dans le sens de la <a href="https://www.courrierinternational.com/article/apaisement-six-ans-apres-l-iran-et-les-emirats-normalisent-leurs-relations-diplomatiques">désescalade avec l’Iran</a> engagée depuis plusieurs années par l’Arabie saoudite et ses alliés, elle constitue aussi une victoire symbolique pour la Chine et illustre le recul de l’influence américaine dans la région.</p>
<h2>Quand Xi Jinping s’inspire de… Richard Nixon</h2>
<p>Cet accord tripartite n’est pas sans rappeler la doctrine des deux piliers <a href="https://www.taylorfrancis.com/chapters/edit/10.4324/9780429489044-18/united-states-persian-gulf-gary-sick">(<em>twin pillars policy</em>)</a> de l’administration Nixon (1968-1974) qui voulait assurer la stabilité de la zone du Golfe pendant la guerre froide par une double alliance avec Téhéran et Riyad. Dans sa version chinoise, l’accord reprend cet objectif de garantir la sécurité régionale par une entente avec les deux puissances régionales, même si relations de la Chine sont aujourd’hui plus fortes sur le plan économique <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/mepo.12589">avec les États de la péninsule arabique</a> qu’avec un Iran confronté à une <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-2023-1-page-19.htm">grave crise interne</a>. À l’époque de Nixon, à l’inverse, l’Iran du Shah était prioritaire dans la stratégie américaine.</p>
<p>L’étincelle a été <a href="https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2016/01/04/l-arabie-saoudite-rompt-ses-liens-diplomatiques-avec-l-iran_4841120_3218.html">l’attaque contre les installations diplomatiques saoudiennes à Téhéran en 2016</a>. C’est à ce moment-là que la rupture a eu lieu, dans un contexte par ailleurs marqué par une dégradation des relations de l’administration Obama avec les États arabes de la péninsule arabique, Washington cherchant alors à mettre en place une politique d’équilibre entre les deux rives.</p>
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<p>Le rétablissement des relations avec Riyad faisait partie des objectifs du président Raïssi, qui avait annoncé lors de <a href="https://theconversation.com/les-enjeux-politiques-internes-en-iran-apres-lelection-debrahim-ra-ssi-163136">son accession à la présidence en 2021</a> sa volonté d’améliorer les relations avec les pays voisins. Côté saoudien, il y avait depuis au moins deux ans une volonté de trouver une solution à la guerre du Yémen et de se focaliser sur les questions économiques en établissant une politique étrangère de « zéro problème avec les voisins ».</p>
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<p>L’accord pourrait favoriser une baisse des tensions dans le golfe Persique et conduira l’Arabie saoudite à se rapprocher encore davantage de <a href="https://trends.levif.be/a-la-une/international/comment-la-chine-est-devenue-le-premier-partenaire-commercial-de-larabie-saoudite/">son plus grand partenaire commercial, la Chine</a>, sans provoquer une crise avec son principal partenaire en matière de sécurité, les États-Unis. En effet, les responsables de l’administration Biden <a href="https://www.voanews.com/a/white-house-welcomes-chinese-brokered-saudi-iran-deal/6999700.html">perçoivent favorablement le rétablissement des relations entre Riyad et Téhéran</a>. La détente est jugée positive par les autorités américaines, même si certaines voix critiques s’élèvent aux États-Unis pour <a href="https://www.politico.com/news/2023/03/13/china-middle-east-deal-00086888">dénoncer la marginalisation de Washington dans la région</a>. La propagande de la République islamique, de son côté, <a href="https://twitter.com/CarmiOmer/status/1634888445092069376">insiste également sur cette dimension régionale</a> et affirme que ce développement entérine le retrait américain du Moyen-Orient.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-multiples-consequences-du-retrait-americain-du-moyen-orient-171132">Les multiples conséquences du retrait américain du Moyen-Orient</a>
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<p>Ce processus de rapprochement entre les deux pays date de plusieurs années. Depuis <a href="https://www.courrierinternational.com/article/decryptage-le-conflit-entre-liran-et-larabie-saoudite-explique-en-4-points">2019 et le pic de la crise</a>, une lente désescalade s’est engagée, des discussions se déroulant <a href="https://www.muscatdaily.com/2023/03/11/iran-saudi-thank-oman-for-facilitating-talks/">depuis deux ans</a> en Irak et dans le sultanat d’Oman. </p>
<p>Il faut rappeler que les <a href="https://www.france24.com/fr/20200613-arabie-saoudite-attaques-2019-onu-drone-missilles-origine-iranienne">frappes de drones et de missiles</a> par des forces pro-iraniennes contre des sites pétroliers saoudiens en 2019 avaient temporairement <a href="https://www.reuters.com/article/us-saudi-aramco-attacks-iran-exclusive-idUSKBN1YN299">suspendu 5 % de l’approvisionnement énergétique mondial</a>. Ces attaques n’avaient alors suscité <a href="https://www.wsj.com/articles/saudi-crown-prince-test-drives-nonaligned-foreign-policy-450ddefb">aucune réponse militaire de la part des États-Unis</a>. Cette absence de réponse américaine pose alors la question de la garantie de sécurité américaine du point de vue saoudien.</p>
<h2>La victoire symbolique de la Chine</h2>
<p>On a vu que plusieurs partenaires de l’Arabie saoudite, comme les <a href="https://www.voanews.com/a/iran-resumes-diplomatic-relations-with-uae-and-kuwait-talks-continue-with-saudi-arabia/6713647.html">Émirats arabes unis, mais aussi le Koweït</a> avaient déjà complètement rétabli leurs relations diplomatiques avec la République islamique en 2022. Pour les Saoudiens, il y a dans cette reprise des relations à la fois une volonté de créer un contexte favorable à une <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20230315-le-rapprochement-entre-l-arabie-saoudite-et-l-iran-une-premi%C3%A8re-%C3%A9tape-pour-la-paix-au-y%C3%A9men">désescalade au Yémen</a> mais aussi une volonté d’autonomisation et de diversification. Il s’agit de ne plus dépendre des fluctuations de la politique américaine entre les stratégies parfois divergentes des Administrations démocrates et républicaines.</p>
<p>Mais au-delà de ces fluctuations, on observe, ces dernières années, une constante : l’Amérique se retire progressivement du Moyen-Orient. Riyad, de ce point de vue, a été tout autant déçu de l’administration Trump, qui a conduit à une impasse, notamment en raison de l’absence de changement de la politique nucléaire ou régionale iranienne malgré la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-enjeux-internationaux/pression-maximale-sur-teheran-quel-est-le-calcul-de-trump-6853240">politique de « pressions maximales » de Washington</a>, que de l’administration Biden, qui a poursuivi l’objectif du désengagement tout en émettant des critiques contre les partenaires régionaux des États-Unis – du moins jusqu’au déclenchement de la guerre d’Ukraine en février 2022.</p>
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<p>Enfin, la dimension économique entre évidemment en compte. Pour garantir leur prospérité, les États de la rive arabe du Golfe se doivent de s’assurer un <a href="https://www.arabnews.com/node/2267596/saudi-arabia">certain degré de stabilité avec leur grand voisin iranien</a>.</p>
<p>La République populaire de Chine a offert une plate-forme, un cadre, qui a permis cette percée. Cette capacité à apparaître comme un médiateur crédible s’explique par les excellentes relations qu’elle entretient depuis longtemps avec les pays arabes du Golfe tout en maintenant un dialogue soutenu avec l’Iran en <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/03068374.2022.2029060">dépit des pressions américaines</a>.</p>
<p>La RPC étant un régime autoritaire où aucune réelle alternance au pouvoir n’existe, il est, bien entendu, nettement plus aisé pour elle que pour les États-Unis de mettre en œuvre une politique constante. Elle apparaît aujourd’hui comme le principal bénéficiaire de cette séquence diplomatique, qui met encore davantage en évidence le recul américain dans la région, qui avait commencé pendant la période Obama.</p>
<p>La réouverture promise des ambassades se traduira par la restauration d’un canal diplomatique direct. Il y a toujours eu des discussions pendant ces sept années, mais elles passaient par des intermédiaires. Désormais, les deux pays pourront discuter sans passer par les canaux omanais, irakiens ou <a href="https://www.letemps.ch/monde/moyenorient/fin-mandat-puissance-protectrice-suisse-apres-laccord-teheranriyad">suisses</a>. Par ailleurs, il existait aussi des discussions indirectes, au niveau de l’OPEP par exemple. Les questions pétrolières ont toujours été un dossier particulier, Riyad et Téhéran maintenant en toutes circonstances une <a href="https://www.thenationalnews.com/business/2021/07/02/saudi-arabias-energy-minister-praises-iranian-oil-ministers-contribution-to-opec/">certaine coopération</a> en la matière.</p>
<h2>Vers une recomposition régionale ?</h2>
<p>Sur le plan régional, le rapprochement peut se traduire par une désescalade au Yémen, mais aussi au <a href="https://www.areion24.news/2019/04/25/liban-une-longue-lutte-dinfluence-entre-riyad-et-teheran/">Liban</a> et en <a href="https://edition.cnn.com/2023/03/13/middleeast/saudi-iran-regional-impact-mime-intl/index.html">Irak</a>. L’Iran, qui a déjà annoncé la <a href="https://en.mehrnews.com/news/198463/Maldives-to-resume-diplomatic-ties-with-Iran">reprise de ses relations diplomatiques avec les Maldives</a> immédiatement après sa réconciliation avec l’Arabie saoudite, pourrait dans un avenir proche se rapprocher de plusieurs autres États qui ont rompu leurs relations diplomatiques ces dernières années avec la République islamique, comme le <a href="https://mipa.institute/en/6813">Maroc</a>, avec lequel les relations diplomatiques ont été rompues en 2018, le <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/l-iran-veut-retablir-ses-relations-diplomatiques-avec-bahrein-20230313">Bahreïn</a> (relations rompues en 2016), la <a href="https://www.tasnimnews.com/en/news/2022/12/21/2824699/iran-open-to-promotion-of-ties-with-jordan">Jordanie</a> et <a href="https://www.thenationalnews.com/mena/egypt/2023/03/13/iran-wants-to-repair-relations-with-egypt-after-saudi-deal-foreign-ministry-says/">l’Égypte</a> (relations réduites au niveau du chargé d’affaires).</p>
<p>Enfin, pour <a href="https://www.middleeasteye.net/opinion/iran-saudi-arabia-reconciliation-israel-arab-alliance-ending-is">Israël</a>, il s’agira de maintenir des relations officielles et informelles avec les États arabes du Golfe tout en s’efforçant de provoquer un réengagement américain afin de promouvoir un système de sécurité régional orienté vers l’endiguement voire le refoulement de l’influence iranienne.</p>
<p>Il reste que la coopération irano-saoudienne ne pourra être effective que si la République islamique change de politique régionale et abandonne ses ambitions révolutionnaires dans la zone. En effet, l’ambiguïté du compromis diplomatique se fonde sur l’interprétation de la question de la « non-interférence de l’Iran dans les affaires internes de l’Arabie saoudite » : cette formule évoque-t-elle le seul exemple du Yémen ou bien concerne-t-elle également l’Irak, la Syrie ou le Liban, où l’Iran entretient des <a href="https://www.iiss.org/publications/strategic-dossiers/iran-dossier">réseaux d’influence s’appuyant sur des auxiliaires (proxies)</a>. Si Téhéran renonce à exercer son influence dans ces pays, ce serait un retour à la <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2014-1-page-113.htm">politique mise en œuvre par l’ayatollah Rafsandjani dans les années 1990</a>, quand la priorité était donnée aux relations de bon voisinage et non aux ambitions idéologiques du régime iranien. Une paix froide pourrait alors voir le jour en remplacement de la rivalité systémique à l’œuvre durant les sept dernières années.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201828/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Clément Therme ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Sept ans durant, Riyad et Téhéran se sont regardés en chiens de faïence. Le rétablissement de leurs relations diplomatiques, officialisé à Pékin, aura de nombreux effets dans la région.Clément Therme, Chargé de cours, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1967362023-01-05T19:23:31Z2023-01-05T19:23:31ZPourquoi l’Iran se méfie-t-il autant des puissances étrangères ?<p>Le 27 décembre 2022, dans un <a href="https://www.thehindu.com/news/international/irans-raisi-vows-no-mercy-for-hostile-protest-movement/article66310564.ece">discours prononcé en hommage aux victimes de la guerre Iran-Irak (1980-1988)</a>, le président iranien Ebrahim Raïssi accuse les États-Unis et les pays de l’UE d’attiser la contestation qui déstabilise le pays depuis le décès de <a href="https://www.nytimes.com/2022/09/16/world/middleeast/iran-death-woman-protests.html">Mahsa (Jina) Amini</a>, une Kurde iranienne de 22 ans, survenu le 16 septembre dernier, après sa violente interpellation par la police des mœurs pour « port de vêtements inappropriés ».</p>
<p>Le drame, devenu le symbole de la brutalité du régime islamique, a provoqué une vague de réactions dans le monde entier. La diffusion de la contestation dans le pays, son inscription dans la durée et son prolongement par une <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20221207-manifestations-en-iran-cette-r%C3%A9volution-a-commenc%C3%A9-dans-les-universit%C3%A9s">grève générale</a> ont fragilisé la légitimité d’un pouvoir contraint d’user d’une <a href="https://www.nytimes.com/2022/12/12/world/middleeast/iran-protests-execution.html">violence croissante pour contenir le mouvement</a>.</p>
<p>Dès le mois d’octobre, le Guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, a fait porter la responsabilité de la situation sur « <a href="https://thearabweekly.com/khamenei-sees-us-israeli-plot-behind-iran-protests-over-aminis-death">l’Amérique, le régime sioniste et leurs agents</a> ». Cette tendance à associer les maux de l’Iran aux étrangers répond à une histoire marquée par l’ingérence des puissances dans le pays depuis le <a href="https://www.johnmurraypress.co.uk/titles/peter-hopkirk/the-great-game/9780719564475/">Grand jeu</a> qui opposa au XIX<sup>e</sup> siècle les impérialismes britannique et russe en Asie centrale et qui a fondé une méfiance devenue proverbiale envers les pays étrangers. Une méfiance que les autorités iraniennes, impériales comme islamiques, ne manquent jamais de mettre en avant – pour se déresponsabiliser en temps de crise, ou pour justifier une posture d’inflexibilité à l’endroit des pays tiers.</p>
<h2>L’Iran se voit comme l’éternelle victime des grands jeux de puissance…</h2>
<p>Aux marges des empires antiques, en position d’étape sur la route de la soie, aux portes des Indes britanniques, barrant l’accès aux mers chaudes convoitées par la Russie des tsars, plus tard poste avancé de l’édifice d’endiguement de l’URSS pendant la guerre froide, l’un des principaux producteurs d’hydrocarbures, contrôlant le détroit d’Ormuz par lequel transitent 30 % du pétrole échangé dans le monde : sa situation stratégique fait depuis longtemps de l’Iran un objet majeur de l’attention des grandes puissances, qui ne cessent d’en convoiter les atouts.</p>
<p>L’histoire du pays est ainsi celle d’une succession d’ingérences d’acteurs étrangers déterminés à promouvoir leurs intérêts sans tenir compte des conséquences sur l’économie et la société locales. L’implication de la Couronne britannique dans la région date du XIX<sup>e</sup> siècle. Le Royaume-Uni lutte alors contre les incursions russes dans la ceinture de territoires qui protègent le sous-continent indien. Les Britanniques promettent au shah Fath Ali, en guerre contre les Russes, une assistance militaire limitée en échange de clauses imposant la possibilité d’une ingérence dans les affaires intérieures de l’Iran si elle est jugée nécessaire.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/501504/original/file-20221216-17-1804ac.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/501504/original/file-20221216-17-1804ac.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/501504/original/file-20221216-17-1804ac.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/501504/original/file-20221216-17-1804ac.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/501504/original/file-20221216-17-1804ac.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/501504/original/file-20221216-17-1804ac.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/501504/original/file-20221216-17-1804ac.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le lion britannique (à l’ours russe) : Regarde ! Toi tu peux jouer avec sa tête et moi je peux jouer avec sa queue, et nous pouvons tous les deux caresser le creux de son dos. Le chat persan : Je ne me rappelle pas avoir été consulté sur la question.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Edward Linley Sambourne, « Un chat inoffensif et indispensable », _Punch_, 2 octobre 1907</span></span>
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</figure>
<p>Le Grand jeu enracine dans la population « une attitude de méfiance et d’hostilité à toute entreprise étrangère », selon Arthur Hardinge, diplomate britannique à Téhéran. La fragilité financière de l’Iran le conduit à octroyer des concessions économiques. En 1872, le <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/00263206.2018.1485658">transfert</a> au magnat britannique Julius de Reuter (fondateur de l’agence Reuters) du contrôle de l’ensemble des routes, télégraphes, usines, sites d’extraction et travaux publics suscite une vive réaction dans les rangs du clergé. Les mollahs dénoncent l’origine juive du bénéficiaire et décrivent les infrastructures comme une œuvre de Satan. Le tollé que soulève le projet conduit le shah à <a href="https://saednews.com/en/post/reuter-concession-cancelled-tensions-and-setbacks">se raviser</a>.</p>
<p>Vingt ans plus tard, <a href="https://www.routledge.com/Religion-and-Rebellion-in-Iran-The-Iranian-Tobacco-Protest-of-1891-1982/Keddie/p/book/9781138984974">l’octroi d’une nouvelle concession sur la production, la vente et l’exportation du tabac</a> suscite une opposition massive dynamisée par les mollahs, indirectement affectés par la réforme et arc-boutés sur la défense les intérêts nationaux contre les ingérences étrangères.</p>
<p>Cette politique de reddition de souveraineté trouve son aboutissement avec la signature de la <a href="https://mjp.univ-perp.fr/traites/1907petersbourg.htm">Convention anglo-russe de 1907</a>, qui divise le pays en zones d’influence : le Nord pour les Russes, le Sud-Est pour les Britanniques et une zone neutre. Les <a href="https://www.iranicaonline.org/articles/conspiracy-theories">théories conspirationnistes</a> sur les « mains de l’étranger » en Iran commencent alors à prendre leur essor. Les Britanniques sont dépeints comme rusés et sournois, dotés de pouvoirs extraordinaires que le persan exprime à partir du terme renvoyant aux « Anglais » (<em>sīāsat·e Engelīs</em>). Le mot résonne, dans la culture populaire, avec toutes sortes de supercheries politiques, réputées toucher même le « simple Russe » et le « naïf Yankee ».</p>
<p>Le mythe de la « main anglaise » est réactualisé par <a href="https://www.cairn.info/le-moyen-orient-pendant-la-seconde-guerre-mondiale--9782262050825-page-369.htm">l’occupation du territoire iranien en 1941</a>. Le terme <a href="https://www.e-ir.info/2010/10/24/%E2%80%98ingilis%E2%80%99-%E2%80%98cherchil%E2%80%99-and-conspiracy-theories-galore-the-iranian-perception-of-the-british/"><em>Cherchil</em></a>, translitéré de l’anglais, renvoie alors à une personne aux pouvoirs de rouerie et d’intrigue. Cette prévention culturelle face au Royaume-Uni éclate dans le roman d’Iraj Pezeshkzad, <a href="https://www.actes-sud.fr/node/27761"><em>Mon oncle Napoléon</em></a>, dont le protagoniste incarne la conviction répandue selon laquelle les Britanniques étaient les instigateurs secrets de tous les événements survenus dans le pays au XX<sup>e</sup> siècle.</p>
<h2>… redoute le pouvoir de nuisance de ses partenaires…</h2>
<p>La méfiance séculaire envers le Royaume-Uni et la Russie conduit l’Iran à rechercher au-delà de l’Europe un « meilleur Occident » pour fonder un partenariat plus équilibré.</p>
<p>À son avènement en 1941, le shah Mohammad Reza Pahlavi voit l’alliance avec Washington comme à même de protéger l’Iran contre les velléités d’ingérence de Londres et de Moscou. Le dénouement de la guerre et les recompositions du monde qui s’ensuivent donnent raison à son choix. En 1945, profitant d’une révolte dans le nord du pays, Joseph Staline incite à la <a href="https://doi.org/10.2307/2148118">sécession la province d’Azerbaïdjan</a>, qui est occupée par ses troupes, afin de placer sous contrôle soviétique les ressources pétrolières locales. Le retrait de l’Armée rouge permet finalement à l’Iran de conserver son intégrité territoriale, sous protection américaine. La crise aboutit à la signature entre Téhéran et Washington d’un accord sur l’établissement d’une <a href="https://www.jstor.org/stable/4310319">mission militaire en Iran</a>.</p>
<p>La convergence des intérêts américains et britanniques pendant la guerre froide conduit cependant à l’élargissement aux Américains de la méfiance éprouvée pour les Britanniques et les Russes. En 1951, le premier ministre Mohammad Mossadegh décide de <a href="https://www.jstor.org/stable/j.ctt1ht4w9w.8">nationaliser le pétrole iranien</a>, essentiellement exploité jusque-là par des compagnies britanniques. Un émissaire est dépêché par la Maison Blanche pour désamorcer la querelle. L’instrumentalisation de la crainte de la contagion communiste en Iran permet cependant à Londres de mobiliser Washington contre la nationalisation. L’alliance de Mossadegh avec le parti Tudeh, qui se réclame de Moscou, convainc les États-Unis de contribuer à son <a href="https://www.jstor.org/stable/j.ctt1ht4w9w.9">éviction</a>. Les services de renseignement américain et britannique instrumentalisent un mouvement de protestation contre le premier ministre qui l’accule à la démission, permettant au shah de renforcer son pouvoir.</p>
<p>Le <a href="http://www.jstor.org/stable/163655">« coup d’État » de 1953</a> imprégnera durablement la psyché iranienne. Il permet aux États-Unis d’enraciner leur présence dans le pays, déplorée par les élites religieuses iraniennes, par ailleurs victimes de la politique de modernisation à marche forcée lancée par le shah sous l’influence de Washington. La méfiance des nationalistes iraniens envers les Américains rejoint la défiance éprouvée par les cercles religieux et la société civile envers un régime à l’autoritarisme croissant. En 1964, l’octroi d’une immunité diplomatique aux soldats américains présents en Iran pour des forfaits qu’ils y auraient commis provoque la controverse. L’ayatollah Rouhollah Khomeini, héraut de l’opposition au shah, <a href="https://www.utpjournals.press/doi/pdf/10.3138/uram.9.2.117">proclame</a> :</p>
<blockquote>
<p>« L’Amérique est pire que les Britanniques ; les Britanniques sont pires que les Américains ; l’Union soviétique est pire que les deux autres. Chacun est pire que l’autre ; ils sont tous méprisables. »</p>
</blockquote>
<p>Les attaques contre le « Grand Satan » américain se prolongent contre le « petit Satan » israélien, proche allié du shah et par ailleurs soutenu par les États-Unis dans le conflit au Proche-Orient.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/501505/original/file-20221216-13-1ke6wg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/501505/original/file-20221216-13-1ke6wg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1043&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/501505/original/file-20221216-13-1ke6wg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1043&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/501505/original/file-20221216-13-1ke6wg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1043&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/501505/original/file-20221216-13-1ke6wg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1310&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/501505/original/file-20221216-13-1ke6wg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1310&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/501505/original/file-20221216-13-1ke6wg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1310&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Caricature dénonçant le shah et ses soutiens à l’étranger, représentés par les drapeaux du Royaume-Uni et des États-Unis, qui surmontent deux étoiles de David évoquant Israël.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Martin Williams, « Argo and other excitements around Iran’s Islamic revolution : a personal view, _Asian Affairs_, 2014, vol. 45, n°1, p. 9-23 »</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’obsession iranienne pour les ingérences étrangères éclate, jusque dans la contradiction, lors de la révolution de la fin des années 1970. Alors que les manifestants hostiles au pouvoir impérial, attisés par Khomeini, scandent des slogans promettant « Mort à l’Amérique », le shah s’inquiète auprès de Londres et de Washington de ce qu’il perçoit comme un changement d’allégeance, tant il est convaincu qu’ils apportent en coulisse leur soutien à ses opposants. Il rappelle à l’envi à ses confidents et conseillers un proverbe iranien selon lequel la mention « made in England » apparaîtrait au verso de la barbe postiche des mollahs.</p>
<h2>… et est persuadé de la duplicité des postures diplomatiques</h2>
<p><a href="https://www.theses.fr/s148178">L’épreuve de la révolution</a> confronte les partenaires du shah aux incohérences de leur politique. Encouragés par les prises de position liminaires de Jimmy Carter en faveur des droits de l’homme, les Iraniens déplorent le renoncement du président américain à les défendre une fois élu, au nom de la préservation du partenariat stratégique avec Téhéran.</p>
<p>L’illisibilité de la position américaine face au changement de régime a vite raison des espoirs d’accommodement avec la République islamique, établie en 1979. La <a href="https://www.nytimes.com/2006/05/14/books/review/14traub.html">prise d’otages du personnel de l’ambassade américaine de Téhéran</a> (1979-1981) pose les germes d’une inimitié dont les deux pays ne sont pas toujours émancipés. La reconstitution de documents détruits par les Américains au début de l’assaut convainc les Iraniens qu’ils ont démantelé un « nid d’espions ».</p>
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<p>La « <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ui3F0zHKtUU">prise en otage de l’Amérique</a> », narrée au quotidien par les médias, crée aux États-Unis un traumatisme durable envers les « <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/G/bo5812092.html">mollahs déments</a> ». Elle installe également les logiques d’une fracture croissante entre, d’une part, l’Iran et, d’autre part, les États-Unis et leurs alliés.</p>
<p>En 1980, l’Irak envahit l’Iran, déclenchant une <a href="https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2013/12/12/pierre-razoux-la-guerre-iran-irak-a-faconne-la-geopolitique-actuelle-du-golfe_4333434_3218.html">guerre de huit ans</a>. L’absence de condamnation de l’agression irakienne démontre aux yeux des Iraniens la partialité des institutions internationales. L’évolution de Washington puis de Londres vers une « préférence irakienne » convainc Téhéran de la duplicité des non-belligérants, qui revendiquent pourtant une position de neutralité. La détérioration de la situation dans le golfe Persique due au conflit ajoute à la <a href="https://yalebooks.yale.edu/book/9780300044126/eagle-and-lion/">« tragédie des relations entre les États-Unis et l’Iran »</a> : en 1988, un avion de la compagnie Iran Air est abattu par un missile tiré par le croiseur américain USS Vincennes, provoquant la mort de ses 274 passagers et 16 membres d’équipage.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1216525401314549760"}"></div></p>
<p>Dans ce contexte, la controverse suscitée par le <a href="https://www.europarl.europa.eu/cmsdata/122460/full-text-of-the-iran-nuclear-deal.pdf">compromis de Vienne</a>, signé en 2015 pour encadrer la nucléarisation de l’Iran, n’est que le dernier avatar d’une méfiance héritée.</p>
<p>La dénonciation du texte en 2018 par Donald Trump conduit à un regain de tensions entre Washington et Téhéran. Le retrait des Américains, vu comme infondé, encourage les Iraniens à reprendre leurs activités d’enrichissement et engage une <a href="https://lhetairie.fr/2019/06/24/des-cendres-en-heritage-quand-lobsession-iranienne-des-faucons-du-president-renoue-avec-laventurisme-americain-au-moyen-orient/">escalade diplomatique et militaire</a>. Sous la pression de sanctions extraterritoriales américaines, les autres parties se révèlent réticentes à honorer leur signature.</p>
<p>Rompus à la duplicité de la parole diplomatique de leurs partenaires, les Iraniens réclament, depuis, des garanties sur le respect d’un nouvel accord en cas de changement de gouvernement dans les pays signataires. Le blocage de la situation accroît dans le même temps le désarroi envers l’Occident des simples citoyens iraniens acculés par les conséquences des sanctions, un désarroi qui rejoint leur désaffection à l’endroit d’un régime dont ils paient l’intransigeance.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-ladministration-biden-peine-autant-a-rendre-vie-a-laccord-sur-le-nucleaire-iranien-183995">Pourquoi l’administration Biden peine autant à rendre vie à l’accord sur le nucléaire iranien</a>
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<h2>Vers un rapprochement avec la Russie, contre les Occidentaux</h2>
<p>Malgré le rejet croissant suscité en Iran par le régime islamique, son effondrement ne garantirait pas un retour sans conditions du pays dans le giron de la communauté internationale. Pour un pouvoir et un peuple habitués aux ingérences des puissants depuis le Grand jeu, la défiance reste de mise, même si elle a bien changé de camp depuis la guerre froide.</p>
<p>Un <a href="https://cissm.umd.edu/sites/default/files/2021-10/Final-Iranian%20Public%20Opinion%20Sept%202021.pdf">récent sondage</a> réalisé sous l’égide du Centre pour les études de sécurité internationale de l’université du Maryland montre que la méfiance envers les Américains reste forte pour 85 % des personnes interrogées. Le chiffre n’a d’ailleurs pas évolué depuis l’arrivée au pouvoir de Joe Biden et la <a href="https://www.ifri.org/fr/publications/notes-de-lifri/potomac-papers/washington-teheran-fin-2022-reconciliation-impossible">tentative de rouvrir le dialogue afin de ressusciter le compromis nucléaire</a>.</p>
<p>Les Russes bénéficient en revanche d’une opinion favorable chez près de 60 % des enquêtés. De même que le <a href="https://brill.com/view/journals/jaer/26/1/article-p7_7.xml?language=en">« vilain Américain »</a> a remplacé au milieu du XX<sup>e</sup> siècle les turpitudes de la « <a href="https://www.bitebackpublishing.com/books/the-english-job">main anglaise</a> » en Iran, le « voisin du Nord » semble aujourd’hui être rentré dans les grâces des ressortissants et du régime iraniens. Le <a href="https://theconversation.com/le-rapprochement-irano-russe-dans-le-contexte-de-la-guerre-dukraine-189646">rapprochement à l’œuvre entre Moscou et Téhéran</a> se traduit ainsi en Ukraine par une coopération contre les États-Unis et leurs alliés. Il suggère un <a href="https://theconversation.com/iran-conteste-par-la-jeunesse-le-regime-se-tourne-plus-que-jamais-vers-la-chine-et-la-russie-195068">alignement à venir de l’Iran</a> sur le front de la défiance opposé par les régimes illibéraux à des démocraties jugées faillies. Seul un <a href="https://foreignpolicy.com/2022/10/18/a-chance-to-be-on-right-side-of-history-in-iran/">engagement résolu de Washington et de Londres aux côtés des révolutionnaires de 2022</a> serait à même de conjurer le démon de leurs ingérences passées. Mais aucun d’entre eux n’est aujourd’hui disposé à prendre un tel risque politique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/196736/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvain Gaillaud ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Du Grand jeu du XIXᵉ siècle aux ingérences américaines tout au long du XXᵉ et jusqu’au retrait de Donad Trump de l’accord sur le nucléaire en 2015, l’Iran s’est souvent senti dupé par les Occidentaux.Sylvain Gaillaud, Docteur en histoire contemporaine, Université Rennes 2Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1963722022-12-29T17:42:31Z2022-12-29T17:42:31ZLes Kurdes, victimes indirectes de la guerre en Ukraine<p>La guerre en Ukraine a des répercussions géostratégiques importantes sur le Moyen-Orient et, notamment, sur le dossier kurde.</p>
<p>Cette guerre concentre toute l’attention de la Russie et une grande partie de celle des États-Unis, et rend donc ces deux acteurs moins enclins à s’opposer fermement aux opérations conduites par la Turquie contre le PKK (parti marxiste-léniniste pankurde). En outre, le contexte actuel contribue à créer une convergence objective entre Ankara et Téhéran sur la question kurde.</p>
<h2>Quand Ankara et Téhéran s’en prennent simultanément aux groupes kurdes</h2>
<p>La recherche d’un dialogue entre les puissances occidentales et Téhéran <a href="https://english.alarabiya.net/News/middle-east/2022/10/31/Military-option-is-on-the-table-if-needed-to-prevent-Iranian-nuclear-weapon-Malley">n’est plus à l’ordre du jour</a>.</p>
<p>Les Occidentaux fustigent l’Iran pour son <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20220910-nucl%C3%A9aire-france-allemagne-et-royaume-uni-doutent-s%C3%A9rieusement-des-intentions-de-l-iran">inflexibilité sur le dossier nucléaire</a> et son engagement aux côtés de la Russie en Ukraine, qui s’est matérialisé par la <a href="https://www.lefigaro.fr/international/l-iran-reconnait-avoir-livre-des-drones-a-la-russie-avant-sa-guerre-contre-l-ukraine-20221105">livraison de drones à Moscou</a>.</p>
<p>De son côté, Téhéran dénonce l’ingérence des puissances occidentales <a href="https://www.plenglish.com/news/2022/09/21/iran-denounces-western-interference-in-its-internal-affairs/">dans ses affaires intérieures</a> (puisque ces puissances critiquent avec véhémence la répression du mouvement de contestation qui traverse le pays depuis le meurtre de la jeune Kurde Mahsa Amini) et le rôle déstabilisateur des États-Unis qui <a href="https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/gaillaud_washington_teheran_reconciliation_impossible_2022.pdf">affichent leur soutien à l’opposition iranienne</a> – à savoir les monarchistes, les <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Moyen-Orient/Iran-sont-moudjahidines-peuple-2018-07-03-1200952241">Moujahidines du peuple</a> (comme composante politique identifiée) et aussi les manifestants actuels à l’intérieur du pays.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-la-guerre-en-ukraine-bloque-un-accord-sur-le-nucleaire-iranien-192061">Comment la guerre en Ukraine bloque un accord sur le nucléaire iranien</a>
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<p>Pendant ce temps, la Turquie met à profit le contexte de la guerre en Ukraine, qui lui a permis de <a href="https://www.frstrategie.org/publications/notes/turquie-arbitre-guerre-ukraine-2022">renforcer son influence diplomatique</a>, pour mener une offensive militaire en Syrie contre les forces kurdes affiliées au PKK. La branche syrienne du PKK, le Parti de l’union démocratique (PYD), domine les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Forces_d%C3%A9mocratiques_syriennes">Forces démocratiques syriennes</a>, structure militaire hétéroclite composée de plusieurs dizaines de milliers de combattants.</p>
<p>Depuis le 20 novembre, Ankara <a href="https://www.dw.com/en/kurds-in-the-middle-east-why-are-they-under-fire/a-63850573">conduit une suite d’opérations militaires</a> qui ont pris la forme d’une série de raids aériens et de tirs d’artillerie contre les positions en Syrie et en Irak du PKK, tenu pour responsable de <a href="https://www.lexpress.fr/monde/proche-moyen-orient/attentat-a-istanbul-le-spectre-du-terrorisme-de-retour-en-turquie_2183539.html">l’attentat à la bombe qui a fait six morts à Istanbul le 13 novembre</a>. La Turquie prépare ses forces terrestres à un <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1318947/erdogan-envisage-une-operation-terrestre-en-syrie.html">engagement majeur dans le nord de la Syrie</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/cWuABTFDQtE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">La Turquie riposte à l’attentat d’Istanbul en frappant les régions kurdes de Syrie et d’Irak, France 24, 20 novembre 2022.</span></figcaption>
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<p>Téhéran, de son côté, a <a href="http://www.strato-analyse.org/fr/spip.php?article142">frappé les positions militarisées</a> dans le Mont Qandil (non nord-ouest de l’Irak) de plusieurs organisations kurdes – le Parti démocratique du Kurdistan d’Iran (PDKI), le Parti pour une Vie Libre au Kurdistan (PJAK, branche iranienne du PKK) et Komala (Organisation autonomiste kurde (de tendance maoïste). Ces groupes sont <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/11/21/l-iran-mene-de-nouvelles-frappes-au-kurdistan-d-irak_6150818_3210.html">accusés par Téhéran d’attiser les manifestations contre le régime</a> consécutives à la mort de Mahsa Amini.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/iran-quand-la-revolte-des-femmes-accueille-dautres-luttes-192156">Iran : quand la révolte des femmes accueille d’autres luttes</a>
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<p>Ces nouveaux développements démontrent que si, historiquement, la question kurde renvoie à une diversité de réalités et d’intérêts, le sentiment identitaire qui déborde les frontières et la trajectoire de certains mouvements indépendantistes, ainsi que <a href="https://www.institutkurde.org/info/opinion-wesre-americass-most-loyal-ally-in-syria-donst-forget-us-1232552220">leur alliance devenue inextricable avec les États-Unis</a>, fédèrent les deux principaux acteurs régionaux dans leur volonté de neutraliser la « menace intérieure kurde ».</p>
<h2>La passivité américaine</h2>
<p>Voilà près de 40 ans que des épisodes d’affrontements rythment l’histoire conflictuelle entre le PKK, créé en 1978 par Abdullah Öcalan (et inscrit depuis 1997 sur la <a href="https://www.state.gov/foreign-terrorist-organizations">liste américaine des organisations terroristes</a>), et les autorités turques. Le conflit armé, qui débute en <a href="https://rojinfo.com/le-15-ao%C3%BBt-1984-debut-dune-nouvelle-ere-dans-lhistoire-kurde/">1984</a> et atteint son paroxysme <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/cartes/conflitkurde">dans les années 1990</a>, est passé par plusieurs phases. Après une période d’accalmie à la fin de l’année 2012, faisant suite à des <a href="https://www.liberation.fr/planete/2013/01/10/kurdes-et-turcs-en-negociations-ouvertes_873047/">négociations entre les autorités turques et le PKK</a>, le conflit s’intensifie de nouveau à partir de 2015.</p>
<p>À la faveur de la guerre en Syrie et des évolutions sur le terrain, le PYD a connu une montée en puissance qui a accru les appréhensions d’Ankara. Pour la Turquie, cette force incarne une menace pesant sur son intégrité territoriale et son unité nationale puisque le projet du PKK (dont le PYD, nous l’avons dit, est la branche syrienne) est de créer un État kurde en séparant le Kurdistan de Turquie du reste du pays.</p>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/blog/filiu/2017/06/25/le-vrai-visage-des-liberateurs-de-rakka/">Fer de lance de la lutte contre le groupe État islamique</a>, le PYD est soutenu par les États-Unis, même si ceux-ci cherchent dans le même temps à ménager leur allié stratégique turc. Pour ne pas heurter la Turquie et appuyer de manière directe le PYD, Washington a favorisé la création des <a href="https://rojinfo.com/les-fds-representent-toutes-les-composantes-du-nord-de-la-syrie/">Forces démocratiques syriennes</a> (FDS), une coalition hétéroclite qui reste perçue par Ankara comme une structure-écran dominée par le PKK, et qui contrôle le Nord-Est de la Syrie. Cette alliance fluctuante au gré des contextes et de la redéfinition des priorités américaines est d’abord conçue dans l’intérêt des États-Unis.</p>
<p>Les FDS se sont, en effet, retrouvées dans un rapport de dépendance élevé à l’égard de Washington. Plusieurs épisodes du conflit en Syrie ont illustré la faiblesse de la garantie de sécurité américaine, à l’exemple des batailles de <a href="https://www.lorientlejour.com/article/990063/les-ambiguites-du-triangle-usa-turquie-kurdes-au-coeur-de-loffensive-contre-manbij.html">Manbij en 2016</a> et d’<a href="https://www.nytimes.com/2018/01/23/opinion/turkey-syria-kurds.html">Afrin en 2018</a> où les Kurdes ont été les otages des calculs américains, et traités davantage comme des partenaires circonstanciels que comme des alliés stratégiques.</p>
<p>L’opération militaire lancée par le président turc le 20 novembre pour <a href="https://www.atlanticcouncil.org/blogs/turkeysource/the-risks-and-rewards-of-erdogans-next-military-operation/">neutraliser la menace kurde dans les zones syriennes situées le long des frontières méridionales de la Turquie</a> en refoulant les YPG (bras armé du PYD) à près de trente kilomètres de la frontière turque a ravivé les inquiétudes des forces kurdes, qui craignent que la Turquie ne bénéficie une nouvelle fois de la mansuétude de Washington.</p>
<p>Le commandant général des FDS, Mazloum Kobane Abdi, a en effet demandé aux États-Unis d’adopter une <a href="https://www.voanews.com/a/us-backed-kurdish-commander-us-needs-stronger-position-on-turkish-threat-/6855246.html">position plus ferme « face aux menaces turques »</a>. Il a également appelé la Russie – qui avait joué un rôle de médiateur lors de la précédente offensive turque en 2019 et obtenu un accord en vertu duquel l’armée syrienne et des forces russes se sont déployées le long de la frontière – <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20221129-syrie-les-kurdes-exhortent-moscou-%C3%A0-emp%C3%AAcher-une-offensive-terrestre-turque">à faire pression sur la Turquie</a>.</p>
<p>Cette opération militaire de la Turquie pour sécuriser ses zones frontalières est toutefois perçue par les observateurs occidentaux comme s’inscrivant dans un agenda électoral : il s’agit de renforcer la position de l’AKP dans la perspective des prochaines échéances électorales, après sa défaite en 2019 aux élections locales <a href="https://www.aljazeera.com/news/2019/4/2/erdogans-ak-party-loses-major-turkey-cities-in-local-elections">à Izmir, Istanbul et Ankara</a> sur fond de profonde <a href="https://www.courrierinternational.com/article/crise-en-turquie-l-inflation-sur-un-an-atteint-83-un-pic-inedit-depuis-1998">crise économique</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1602006253802242051"}"></div></p>
<p>Mais pour Bayram Balci, directeur de l’Institut français d’Études anatoliennes (IEFA), joint par téléphone, cette offensive militaire ne relève pas uniquement de l’instrumentalisation politique et obéit à un réel souci sécuritaire : « Les considérations de politique intérieure sont très importantes, les autorités turques veulent montrer que les responsables de l’attentat d’Istanbul ne sont pas restés impunis, et probablement également obtenir de meilleures chances de remporter les élections. Mais malgré cela, il y a une réalité dont nombre d’analystes ne veulent pas tenir compte : cette opération revêt un intérêt sécuritaire réel face à la menace que représente pour la Turquie la présence des milices kurdes à sa frontière. »</p>
<p>Bayram Balci estime que si jusque là ni les Russes, ni les Américains ne veulent d’une incursion militaire terrestre de la Turquie en Syrie, ils tolèrent toutefois les bombardements aériens et les tirs d’artillerie dans la mesure où ils « n’ont pas les moyens d’entrer en conflit avec Ankara et ont besoin d’elle dans le conflit en Ukraine ».</p>
<p>Pour Igor Delanoë, directeur adjoint de l’Observatoire franco-russe à Moscou, contacté également par téléphone, les Russes sont hostiles non pas aux Kurdes en tant que tels mais à leur alliance militaire avec les États-Unis, qui <a href="https://www.justsecurity.org/81313/still-at-war-the-united-states-in-syria/">continuent de garder sous leur contrôle la rive orientale de l’Euphrate</a> : « Moscou a régulièrement critiqué cette présence américaine et appelé les Kurdes à rompre cette alliance. Rien n’indique à ce stade que les FDS vont troquer leur allégeance aux Américains contre un retour dans le giron de Damas. Les Russes ont manifestement poussé pour que les Kurdes évacuent la bande de 30 km attenante à la frontière avec la Turquie dans les zones sous leur contrôle, mais cela n’a rien donné. Maintenant, il est vrai que l’entêtement des Kurdes à privilégier leur alliance avec Washington irrite les Russes. Mais cela ne va pas au-delà. »</p>
<h2>Une nouvelle donne appelée à durer ?</h2>
<p>Du côté de Washington, bien que le <a href="https://apnews.com/article/islamic-state-group-nato-syria-bucharest-turkey-bb1980f532b5a44cbc693897c853d9f1">durcissement de ton à l’égard la Turquie</a> pour tenter de dissuader Recep Tayyip Erdogan de lancer la phase terrestre de l’offensive augure d’un raidissement de la position américaine, les moyens de pression restent limités en raison de l’importance du rôle de la Turquie dans le conflit en Ukraine.</p>
<p>Sur ce dossier, Ankara tient une position ambivalente. D’une part, elle a contribué à l’effort de guerre de ses alliés de l’OTAN. D’autre part, elle <a href="https://www.euronews.com/2022/11/04/hungary-and-turkey-are-the-last-two-roadblocks-to-nato-membership-for-finland-and-sweden">continue de bloquer la tentative de l’OTAN d’accélérer l’adhésion de la Suède et de la Finlande</a> à l’Alliance en dépit des sollicitations américaines. Ankara est l’un des deux seuls pays membres de l’OTAN, avec la Hongrie, à ne pas avoir donné son aval à l’adhésion des pays nordiques. Washington dispose donc de peu de leviers de pression contre la Turquie dans ce contexte.</p>
<p>Quant à l’Iran, s’il n’a pas d’antagonisme majeur avec les FDS en Syrie, et ne semble pas résolument hostile au PKK en Irak, il est aujourd’hui, nous l’avons dit, engagé dans une confrontation militaire avec le PDKI, le PJAK et Komala, considérés parmi les forces motrices du soulèvement actuel contre le régime (soulèvement au moins partiellement imputé à Washington).</p>
<p>Une nouvelle donne s’esquisse donc : la convergence de la Turquie et de l’Iran qui voient désormais les acteurs kurdes comme des auxiliaires d’une stratégie américaine de déstabilisation. Les grandes puissances ayant à fort à faire ailleurs, les Kurdes risquent de ne pouvoir compter que sur leurs propres ressources pour faire face à cette double offensive…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/196372/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lina Kennouche ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pendant que l’attention russe et américaine est largement fixée sur l’Ukraine, Ankara et Téhéran s’attaquent aux forces kurdes, en Syrie et à la frontière Irak-Iran.Lina Kennouche, Docteur en géopolitique, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1963712022-12-15T18:18:52Z2022-12-15T18:18:52ZLe football iranien, la Coupe du monde et la révolte<p>Rarement une équipe nationale aura participé à une Coupe du Monde dans un contexte aussi pesant que l’Iran cette année.</p>
<p>Le football est très populaire en Iran, où il a supplanté la lutte, qui fut longtemps le sport national. Son organisation est <a href="https://www.academia.edu/20492477/football_en_Iran_un_re_ve_lateur_des_tensions_au_sein_de_la_socie_te_">fortement tributaire de l’idéologie politique dominante</a>. On a encore pu le constater au cours de ces dernières semaines : la participation de l’équipe nationale à la Coupe du Monde organisée au Qatar s’est déroulée dans un contexte marqué par le soulèvement en cours dans le pays, et le comportement des joueurs était scruté par les observateurs du monde entier.</p>
<p>Si certains d’entre eux ont cherché à exprimer leur soutien à leurs compatriotes révoltés contre le régime, ils ont rapidement été contraints de mettre leurs critiques en sourdine. Retour sur la place du football dans la République islamique, et sur les enseignements d’une compétition qui, pour les Iraniens, n’aura pas été comme les autres.</p>
<h2>Une passion nationale surveillée de près par le régime</h2>
<p>Pendant les années qui suivirent la révolution islamique de 1979, ponctuées par la longue guerre contre l’Irak (1980-1988), la crispation et le rejet de l’ordre international dominèrent la scène politique et sportive.</p>
<p>À partir des années 1995, une ouverture se profile. L’équipe nationale d’Iran se qualifie pour la Coupe du monde en 1998 (ce qui ne lui était plus arrivé depuis 1978), puis pour celles de 2006, 2014, 2018 et 2022. Malgré cette reprise des compétitions internationales, le pouvoir islamique continue d’exercer son influence sur le football : les stades, où se déroulent des compétitions d’hommes, sont <a href="https://www.letemps.ch/sport/iran-femmes-restent-aux-portes-stades">interdits aux femmes</a> (cette interdiction a duré 43 ans et <a href="https://edition.cnn.com/2022/08/26/football/iran-women-domestic-football-attendance-intl-spt/index.html">ce n’est qu’en août 2022 qu’elle a été suspendue</a>) ; la pratique féminine du football fait l’objet de controverses et ce n’est qu’en 2005 qu’est créée une équipe nationale féminine dont les membres ne peuvent cependant <a href="https://www.20minutes.fr/sport/966823-20120705-fifa-autorise-port-voile-feminin-pendant-matchs">jouer qu’entièrement couvertes</a>, y compris dans la chaleur de l’été.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-controle-du-corps-des-femmes-un-enjeu-fondamental-pour-la-republique-islamique-diran-192157">Le contrôle du corps des femmes, un enjeu fondamental pour la République islamique d’Iran</a>
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<p>Autres signes de cette inféodation au pouvoir politique : les stades où peuvent s’exprimer des revendications autonomistes (par exemple à Tabriz, dans la province d’Azerbaïdjan) sont étroitement surveillés ; et après la performance décevante de l’équipe nationale de football au Mondial de 2006 en Allemagne, le président de la fédération est démis de ses fonctions par le gouvernement. Cette mesure, symbolisant l’inféodation du sport au pouvoir politique, suscita les protestations de la FIFA qui <a href="https://www.tehrantimes.com/news/132164/FIFA-suspends-Iran-Football-Federation">suspendit temporairement la fédération iranienne de football en novembre 2006</a>, jusqu’à ce qu’une solution conforme aux statuts de la fédération internationale fût trouvée (ce qui <a href="https://www.hindustantimes.com/india/blatter-defends-iran-s-reinstatement-in-football/story-yqGKmGBC4Ls3wdldPaoE7J_amp.html">fut le cas en décembre 2006</a>).</p>
<p>Par ailleurs, des joueurs recrutés par des clubs étrangers et ayant accepté de disputer un match contre une équipe israélienne ont été <a href="https://www.lefigaro.fr/le-scan-sport/2017/08/10/27001-20170810ARTFIG00159-l-iran-radie-deux-joueurs-qui-ont-joue-contre-des-israeliens.php">sanctionnés par le gouvernement</a> ; d’autres ont été rappelés à l’ordre en raison de leur tenue : vêtements trop près du corps, <a href="https://www.eurosport.fr/football/coupedumonde/2006/karimi-sort-de-l-ombre_sto902981/story.shtml">coiffure en queue de cheval</a>…</p>
<p>Le football est donc un sujet éminemment politique, y compris pour les joueurs, <em>a fortiori</em> s’ils évoluent ou ont évolué à l’étranger et connu un autre régime politique. Ainsi, en juin 2009, pendant le match qualificatif contre la Corée du Sud, plusieurs joueurs, dont Ali Karimi – « le Maradona de l’Asie », qui avait joué au Bayern Munich – <a href="https://www.rtl.be/sport/football/football-etranger/plusieurs-joueurs-portent-un-bracelet-vert-lors-d-un-match-de-l-iran-481550.aspx">portèrent un bracelet vert</a> en signe de protestation contre la réélection contestée de Mahmoud Ahmadinejâd et de soutien au <a href="https://www.cairn.info/revue-savoir-agir-2010-2-page-117.htm">« mouvement vert »</a> – une grande vague de contestation déclenchée après le scrutin. À leur retour en Iran, ces joueurs furent exclus à vie de leurs clubs par les autorités iraniennes mais réintégrés après une intervention de la FIFA. Ces exclusions-réintégrations <a href="https://www.sofoot.com/quand-l-iran-est-passe-chez-sosha-215025.html">rythment la vie footballistique en Iran</a>, et la participation de l’équipe nationale à la Coupe du Monde au Qatar, en pleine révolte contre le régime de Téhéran, a évidemment été un événement particulièrement chargé de sens de ce point de vue.</p>
<h2>L’équipe nationale à la Coupe du Monde : soutien initial à la révolte, puis silence</h2>
<p>La politisation du sport est intensément plus vive et plus visible depuis que l’Iran est en proie aux manifestations déclenchées en réaction au tabassage à mort dans un commissariat de Téhéran, le 16 septembre 2022, de Mâhsâ Amini, qui avait été interpellée par la police des mœurs pour port incorrect du voile.</p>
<p>Le 27 septembre, à l’occasion d’un match amical contre le Sénégal en Autriche, les joueurs de l’équipe iranienne, dissimulant leur maillot sous une parka noire, refusèrent de chanter l’hymne national de la République islamique, <em>Sorud·e melli-ye jomhuri-ye eslâmi-ye Irân</em>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1575006658475921409"}"></div></p>
<p>Sardâr Âzmoun, la vedette qui joue au Bayer Leverkusen, fut probablement le promoteur de cette initiative. Peu avant, il avait écrit sur son compte Instagram :</p>
<blockquote>
<p>« La [punition] ultime est d’être expulsé de l’équipe nationale, ce qui est un petit prix à payer pour même une seule mèche de cheveux d’une femme iranienne. Ça ne sera jamais effacé de notre conscience. Je n’ai pas peur d’être évincé. Honte à vous d’avoir si facilement tué le peuple et vive les femmes d’Iran. Si ces assassins sont des musulmans, que Dieu fasse de moi un infidèle. »</p>
</blockquote>
<p>Cette prise de position courageuse n’entraîna pas l’exclusion d’Âzmoun, à la suite des interventions de la FIFA et de <a href="https://www.lefigaro.fr/sports/football/coupe-du-monde/coupe-du-monde-les-joueurs-iraniens-ont-le-droit-de-s-exprimer-affirme-queiroz-20221115">Carlos Queiroz</a>, le sélectionneur de l’équipe. Toujours est-il que, contraints ou non, les joueurs <a href="https://fr.irna.ir/news/84943122/Le-pr%C3%A9sident-Ra%C3%AFssi-a-re%C3%A7u-les-membres-de-l-%C3%A9quipe-d-Iran-avant">serrèrent la main</a> du président conservateur, adepte de la répression, Ebrâhim Raïssi, avant leur départ pour le Qatar, tandis que le Guide suprême, Ali Khâmene’i, déclarait que l’équipe « ne devait pas manquer de respect » à l’Iran.</p>
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<p>Le 21 novembre, cependant, alors que la répression ne cessait de croître, l’équipe ne chanta pas l’hymne national avant le match contre l’Angleterre (2-6) et plusieurs joueurs manifestèrent leur solidarité avec les insurgés. La veille, en <a href="https://www.bbc.com/sport/football/63696125">conférence de presse</a>, le défenseur Ehsân Hâjsafi exprima ses condoléances aux familles des personnes tuées et dit espérer « que les conditions changeront selon les attentes des gens ».</p>
<p>L’équipe se fit plus discrète lors des matchs suivants : en ouverture d’Iran-Pays de Galles (2-0), et d’Iran-États-Unis (0-1), elle chanta l’hymne national et les joueurs ne s’exprimèrent plus sur les réseaux sociaux à propos du mouvement de révolte. Craignaient-ils des représailles à leur retour, contre eux et contre leur famille ? Sans doute. <a href="https://www.lemonde.fr/sport/article/2022/11/30/coupe-du-monde-2022-dans-un-climat-suffocant-les-etats-unis-eliminent-l-iran_6152253_3242.html"><em>Le Monde</em> rapporte</a> que le dernier match fut beaucoup plus contrôlé, par des agents iraniens en particulier, que les précédents. Devant le stade, des <a href="https://rmcsport.bfmtv.com/football/coupe-du-monde/iran-etats-unis-echauffourees-entre-supporters-iraniens-a-l-issue-du-match_AV-202211300046.html">échauffourées</a> éclatèrent entre partisans et opposants au régime. Des opposants furent frappés à la sortie du stade et un journaliste danois a été pris à partie par des supporters pro-régime alors qu’il les filmait attaquant des partisans du mouvement de contestation ; les forces de sécurité qataries <a href="https://www.independent.co.uk/tv/news/world-cup-qatar-police-denmark-iran-b2237116.html">l’ont brièvement arrêté</a> – le Qatar entretient de bonnes relations avec l’Iran – et lui ont demandé d’effacer la séquence.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/p8C0tNkfMR8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Des heurts entre supporters iraniens en marge de la Coupe du monde (France 24, 30 novembre 2022).</span></figcaption>
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<p>Les défaites de l’Iran suscitèrent des <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20221130-manifestations-de-joie-en-iran-apr%C3%A8s-l-%C3%A9limination-de-la-s%C3%A9lection-nationale-du-mondial">manifestations de joie</a> dans plusieurs villes du pays. L’équipe nationale n’était-elle pas le symbole de la République islamique ? Mais il n’est pas sûr que dans un pays aussi patriote que l’Iran la défaite ait engendré une satisfaction unanime.</p>
<h2>Les leçons du Mondial</h2>
<p>L’attitude de l’équipe iranienne et les réactions qu’elle a suscitées illustrent le dilemme auquel est confrontée aujourd’hui la majorité de la population : se taire, exécuter les ordres… ou se rebeller au risque d’être sanctionné, emprisonné, <a href="https://www.france24.com/fr/vid%C3%A9o/20221212-r%C3%A9pression-en-iran-deuxi%C3%A8me-ex%C3%A9cution-li%C3%A9e-aux-manifestations">tué</a>. Certains assument, avec un courage exemplaire, leur révolte contre ce régime inique et répressif. Le gouvernement a ainsi c<a href="https://teknomers.com/fr/la-maison-de-lex-star-du-bayern-confisquee/">onfisqué la maison</a> que possédait à Téhéran Ali Karimi, désormais installé à Dubai, et qui soutient, comme par le passé, les manifestations et protestations contre l’État islamique.</p>
<p>Quant à Ali Daei, la grande gloire footballistique nationale, longtemps meilleur buteur, à l’échelle internationale, de l’histoire du football, il a décidé de <a href="https://www.sofoot.com/ali-daei-ne-se-rendra-pas-au-qatar-en-soutien-aux-manifestations-en-iran-521521.html">ne pas se rendre au Qatar</a> pour protester, à Téhéran même, contre la « répression meurtrière » des autorités iraniennes. Menacé à plusieurs reprises, <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1320475/mise-sous-scelles-de-la-bijouterie-et-du-restaurant-dun-footballeur-contestataire.html">Daei a vu sa bijouterie et son restaurant placés sous scellés</a>, « à la suite de sa coopération avec des groupes contre-révolutionnaires » selon l’agence officielle Isna. </p>
<p>Et n’oublions pas, tout en risquant d’être incomplet, Voriâ Ghafouri, qui est kurde comme Mâhsâ Amini et est l’ancien capitaine d’Esteghlâl, un des deux clubs phares de Téhéran, qu’il fut contraint de quitter en raison de ses prises de position ; il dut rejoindre Fulâd, un club du Khouzistan, où <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20221125-iran-arrestation-du-c%C3%A9l%C3%A8bre-footballeur-voria-ghafouri-critique-du-pouvoir">il a été arrêté</a>, le 24 novembre, « pour s’être livré à de la propagande contre l’État ». Décidément, le pouvoir islamique n’en a pas fini avec la mise au pas de ses footballeurs…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/196371/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian Bromberger ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Rarement une équipe nationale aura participé à une Coupe du Monde dans un contexte aussi lourd que l’Iran cette année.Christian Bromberger, Anthropologue, professeur émérite, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1964322022-12-14T18:42:18Z2022-12-14T18:42:18ZPourquoi parle-t-on de « diplomatie des otages » ?<p>Téhéran, novembre 1979 : une cinquantaine de diplomates américains sont détenus 444 jours durant, dans des conditions pénibles ; leur libération fait alors l’objet d’un « monnayage » via la restitution par les États-Unis de 3 milliards de dollars d’avoirs iraniens gelés dans les banques américaines et la promesse de ne pas poursuivre l’Iran devant la Cour internationale de justice.</p>
<p>Quatre décennies plus tard, <a href="https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/sept-francais-sont-detenus-en-iran-affirme-catherine-colonna-1878316">sept ressortissants français ou franco-iraniens sont détenus en Iran</a> (pour des accusations d’activités illicites dont on peut douter du bien-fondé) ; ces derniers mois, les médias se sont également fait l’écho de la situation dramatique du Belge Olivier Vandecasteele dans ce même pays, lequel vient d’être <a href="https://www.lalibre.be/belgique/judiciaire/2022/12/14/terrible-nouvelle-pour-la-famille-dolivier-vandecasteele-le-belge-est-condamne-a-28-ans-de-prison-en-iran-V6SKCPLTNFF3DOKNBMRMAHWX4U/">condamné à une peine de prison de 28 ans</a> par un tribunal iranien, à l’issue de ce qui est qualifié de « simulacre de procès » par la famille de l’intéressé.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1603015400026947584"}"></div></p>
<p>Pour rappel, le Parlement belge avait approuvé le 20 juillet dernier un <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20220721-transfert-de-prisonniers-entre-la-belgique-et-l-iran-les-d%C3%A9put%C3%A9s-belges-ratifient-un-trait%C3%A9">projet de loi</a> qui contenait cinq traités internationaux de transfèrement, dont un avec l’Iran. Ces traités permettent de transférer entre les deux pays des personnes condamnées afin d’y purger leur peine. La Cour constitutionnelle belge <a href="https://www.lesoir.be/481937/article/2022-12-08/transfert-de-prisonniers-la-cour-constitutionnelle-suspend-le-traite-de">vient de suspendre l’application du traité</a> entre la Belgique et l’Iran au motif qu’il n’offre pas de bases légales suffisantes. </p>
<p>La Cour estime que l’État belge « sait ou doit savoir » que si le diplomate <a href="https://www.lalibre.be/belgique/judiciaire/2022/07/14/qui-est-assadollah-assadi-presente-par-teheran-comme-un-diplomate-de-valeur-mais-condamne-en-belgique-pour-terrorisme-OVSCYRMGYNAN3NYHEUZFTPWWYU/">Assadollah Assadi</a>, condamné en Belgique en 2021 à 20 ans de prison pour une tentative d’attentat terroriste contre un rassemblement d’opposants iraniens près de Paris, retournait en Iran, il n’aurait pas à exécuter sa peine. À noter que le diplomate iranien a toujours réfuté les accusations à son encontre. Beaucoup font le lien entre la condamnation du diplomate iranien et l’arrestation le 24 février, puis la condamnation du ressortissant belge.</p>
<p>Ces cas – qui ne sont pas uniques, loin de là, dans le monde actuel, comme nous le verrons – sont autant d’exemples de « diplomatie des otages » : un État déploie son système de justice pénale pour détenir un étranger et utilise ensuite le prisonnier comme levier dans la poursuite d’objectifs de politique étrangère.</p>
<h2>Dès l’Antiquité</h2>
<p>Contrairement à ce que l’on pourrait croire, c’est une pratique ancienne. Les ambassadeurs pouvaient, dès l’Antiquité, servir d’otage si un différend éclatait entre deux royaumes ou deux maisons princières. En fait, jusqu’au XVIII<sup>e</sup> siècle, l’otage devient le garant du respect d’un accord de paix, mais aussi l’objet d’un marchandage financier pour mettre fin à une guerre.</p>
<p>Les royaumes et empires ont pratiqué ce genre de détention arbitraire à une époque où la <a href="https://www.cairn.info/otages-une-histoire--9782070466757.htm">notion d’immunité diplomatique était toute relative</a>. On n’utilisait alors pas encore la dénomination d’« État voyou » pour fustiger ceux qui jetaient ainsi les diplomates dans leurs geôles.</p>
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<p>Aujourd’hui, cette pratique est évidemment décriée, et on a cru qu’elle était l’apanage d’États comme l’Iran ou la Corée du Nord.</p>
<p>Mais la détention de la basketteuse américaine Brittney Griner à Moscou cette année a été qualifiée de « diplomatie des otages » par la Maison Blanche – qualification rejetée par le Kremlin, qui a <a href="https://theconversation.com/brittney-griners-case-was-difficult-for-us-negotiators-for-one-key-reason-she-was-guilty-196262">accusé la sportive d’avoir dissimulé une substance interdite dans ses bagages</a>. La ficelle était assez grosse et il est vite apparu que Brittney Griner allait servir de monnaie d’échange.</p>
<h2>Des détenus ou des otages ?</h2>
<p>Juridiquement, les victimes de la diplomatie des otages sont des détenus. Fonctionnellement, ce sont des otages.</p>
<p>Cette dualité inhérente rend la diplomatie des otages particulièrement frappante – et difficile à contrer – en raison de la manière dont elle brouille les catégories établies de détention, les normes de comportement des États et l’État de droit.</p>
<p>La diplomatie des otages partage plusieurs caractéristiques essentielles avec la prise d’otages. Dans celle-ci, les victimes et les cibles sont des personnes distinctes, ce qui permet d’exercer une influence : la victime est l’otage, tandis que la cible est le destinataire des demandes (l’État d’origine de la victime), qui a le pouvoir de faire des concessions ou non.</p>
<p>L’auteur de l’attaque (<a href="https://www.leparisien.fr/faits-divers/le-recit-glacant-des-otages-francais-de-Daech-18-02-2018-7566741.php">Daech</a> récemment ou, naguère, le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_otages_du_Hezbollah_au_Liban">Hezbollah</a>) utilise le captif comme levier pour améliorer sa position de négociation, obtenir des concessions et attirer l’attention du public. Ces demandes ne sont toutefois pas toujours rendues publiques ou explicites.</p>
<p>Mais plusieurs facteurs importants différencient la diplomatie des otages des autres formes de prise d’otages.</p>
<p>Dans la plupart des cas, l’auteur de la prise d’otages est un acteur non étatique, tel qu’un terroriste ou un criminel. Dans la diplomatie des otages, l’auteur – comme la cible – est un État. La distinction rhétorique entre « otages » et « détenus » va au-delà de la sémantique.</p>
<p>Il existe des implications juridiques et pratiques qui, en théorie, séparent ces catégories. Plus précisément, les moyens dont dispose le gouvernement pour récupérer une personne détenue par des acteurs étatiques ou non étatiques diffèrent considérablement. Le fait que les acteurs étatiques aient une « adresse de retour » facilite la récupération à certains égards, mais la rend plus difficile à d’autres.</p>
<p>La législation américaine actuelle, par exemple, <a href="https://www.20min.ch/fr/story/familles-d-otages-interdites-de-payer-une-rancon-828555642994">interdit explicitement le paiement de rançons</a> aux acteurs qui ont été désignés comme des organisations terroristes étrangères par le Département d’État, mais il n’est pas interdit de payer des rançons (ou de faire tout autre type de concession) aux acteurs étatiques. Les États peuvent également recourir à des mesures juridiques, notamment l’extradition, pour ramener les détenus chez eux.</p>
<h2>Une pratique répandue dans certains États autoritaires</h2>
<p>Les États qui recourent le plus souvent à la diplomatie des otages sont les États autoritaires qui ont à la fois la capacité et l’intention d’utiliser leur système judiciaire comme levier de politique étrangère. Cette pratique est ainsi devenue fréquente en Iran, au <a href="https://www.pbs.org/newshour/world/venezuela-releases-7-jailed-americans-in-exchange-for-2-prisoners-in-u-s-custody">Venezuela</a> en <a href="https://www.lapresse.ca/international/asie-et-oceanie/2019-04-25/etudiant-americain-torture-la-coree-du-nord-a-demande-2-millions">Corée du Nord</a>, et d’aucuns considèrent qu’elle est aussi pratiquée par la <a href="https://www.ledevoir.com/opinion/editoriaux/624879/chine-pour-en-finir-avec-la-diplomatie-d-otages-de-la-chine">Chine</a> (ce que ce pays réfute, évidemment) et par la Russie.</p>
<p>Alors que l’Iran et la Corée du Nord n’ont pas hésité à cibler des citoyens américains, la Chine s’est concentrée sur trois puissances moyennes étroitement alignées avec les États-Unis : l’<a href="https://www.theguardian.com/australia-news/2020/sep/06/tit-for-tat-chinas-detention-of-australian-cheng-lei-is-ringing-alarm-bells">Australie</a>, le <a href="https://www.theguardian.com/world/2021/sep/25/canadian-pm-trudeau-says-detained-citizens-michael-kovrig-and-michael-spavor-have-left-china">Canada</a> et le <a href="https://safeguarddefenders.com/en/blog/collateral-damage-foreign-victims-chinas-hostage-diplomacy">Japon</a>.</p>
<p>On a donc affaire à des États autoritaires, soutenus par leur système judiciaire, qui incarcèrent des ressortissants étrangers pour extorquer une compensation, humaine ou financière. Les États-Unis et nombre de pays européens sont depuis longtemps victimes de cette forme de chantage. Ainsi, en 2016, les autorités iraniennes ont arrêté la journaliste de nationalité britannique Nazanin Zaghari-Ratcliffe pour espionnage. Elle a été <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2022/04/01/detenue-pendant-six-ans-en-iran-nazanin-zaghari-ratcliffe-a-paye-une-dette-qui-n-etait-pas-la-sienne_6120038_4500055.html">libérée au bout de six années de détention</a>, et seulement lorsque le Royaume-Uni eut payé à l’Iran une dette liée à la non-livraison de 1 750 chars d’assaut Chieftain commandés à l’époque du Shah de 400 millions de livres sterling.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1504187043370483716"}"></div></p>
<p>En tant que tactique, la diplomatie des otages est particulièrement néfaste car elle utilise le prétexte d’une procédure légale et met dans une situation vulnérable les pays attachés <a href="https://theconversation.com/meng-contre-les-deux-michael-des-lecons-pour-le-canada-et-le-monde-168798">à l’ordre international fondé sur des règles</a>. Ces mêmes pays sont vulnérables parce qu’ils croient que le respect de l’État de droit est une norme universelle. Or la diplomatie des otages est là pour prouver le contraire.</p>
<h2>L’affaire Meng Wanzhou, un modèle du genre</h2>
<p>En 2018, la directrice financière de <a href="https://theconversation.com/huawei-en-ordre-de-bataille-face-aux-sanctions-americaines-144590">Huawei</a>, Meng Wanzhou, est arrêtée au Canada à la demande des autorités américaines, qui réclamaient son extradition. La justice américaine l’accusait d’avoir masqué les relations commerciales de Huawei avec l’Iran (via des sociétés écrans).</p>
<p>Les autorités chinoises dénoncèrent de leur côté une « détention arbitraire » ainsi qu’une politique visant à affaiblir le géant chinois des télécommunications. Quelques jours après cette arrestation, deux ressortissants canadiens ont été interpellés par les autorités chinoises, soupçonnés de « menace contre la sécurité nationale ». Ces arrestations étaient alors apparues comme des mesures de rétorsion adoptées par Pékin contre Ottawa.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/meng-contre-les-deux-michael-des-lecons-pour-le-canada-et-le-monde-168798">Meng contre les deux Michael : des leçons pour le Canada et le monde</a>
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<p>Cette affaire dura près de trois ans. Les autorités chinoises ont nié toute « diplomatie des otages », mais quelques heures après le retour de Meng Wanzhou en Chine (suite à un accord entre la justice américaine et Huawei et à l’abandon de la demande d’extradition américaine), les deux Canadiens étaient autorisés à quitter le territoire chinois.</p>
<p>Les enlèvements commis par des acteurs non étatiques ont occupé le devant de la scène pendant la « guerre mondiale contre le terrorisme ». Maintenant que la concurrence stratégique remplace le terrorisme comme principal défi auquel sont confrontés les États-Unis et leurs alliés, la diplomatie des otages deviendra probablement une menace plus répandue pour la sécurité des pays occidentaux. Les puissances moyennes alliées des États-Unis sont particulièrement susceptibles d’être la cible de mesures diplomatiques coercitives.</p>
<p>L’affaire des deux Canadiens montre bien comment les États preneurs d’otages ciblent les États démocratiques en instillant la peur. Pékin misait sur le fait qu’Ottawa se donnerait beaucoup de mal pour protéger la vie de deux de ses citoyens.</p>
<h2>Négocier ou non ? Et si oui, comment ?</h2>
<p>En fin de compte, on pourrait affirmer que seules les sanctions – et non les concessions – mettront fin à l’utilisation de la diplomatie des otages comme outil hostile de politique étrangère. Si les gouvernements cibles veulent ramener leurs citoyens chez eux, les concessions faites pour chaque prisonnier risquent de perpétuer le cycle des demandes.</p>
<p>Pour dissuader la Chine et les autres États d’utiliser cet outil pernicieux, les options sont limitées. Mais sanctionner ne risque-t-il pas d’être vain, voire contre-productif ?</p>
<p>Il est donc préférable de négocier, mais selon quels termes ?</p>
<p>Les États qui font usage de la diplomatie des otages poursuivront dans cette voie tant qu’ils en perçoivent le bénéfice. Ils arrachent ainsi tantôt une compensation financière (accord américain de libérer des fonds iraniens gelés aux États-Unis) tantôt humaine (en contrepartie de la libération de Brittney Griner, Moscou a obtenu la libération par les États-Unis du trafiquant d’armes Viktor Bout, immédiatement renvoyé en Russie).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1601235687755452421"}"></div></p>
<p>Néanmoins, les coûts de ce type de comportement dépassent généralement les avantages.</p>
<p>Dans la plupart des cas, mettre des personnes innocentes en détention, les détenir sans procès, les condamner sur la base d’accusations sans fondement et finalement les libérer après de longues périodes de captivité ne fait qu’accroître la mauvaise réputation des États qui s’y adonnent. Mais ces États s’en soucient-ils ?</p>
<p>Il faut, toutefois, se réjouir de l’initiative canadienne d’une <a href="https://www.canada.ca/fr/affaires-mondiales/nouvelles/2021/02/presentation-de-la-declaration-contre-la-detention-arbitraire-dans-les-relations-detat-a-etat.html">Déclaration contre la détention arbitraire</a> dans les relations d’État à État, adoptée en 2021 et signée par 70 États, dont on peut espérer qu’elle permette la création d’un cercle vertueux et fera reculer les détentions arbitraires et cette diplomatie des otages qui est si contraire à l’État de droit.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/196432/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Raoul Delcorde ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’humanitaire belge Olivier Vandecasteele vient d’être condamné à 28 ans de prison en Iran. Nouvelle illustration de la diplomatie des otages – une pratique cynique qui ne date pas d’hier…Raoul Delcorde, Ambassadeur honoraire de Belgique, Professeur invité, Université catholique de Louvain (UCLouvain)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1950682022-12-02T16:09:17Z2022-12-02T16:09:17ZIran : contesté par la jeunesse, le régime se tourne plus que jamais vers la Chine et la Russie<p>Les observateurs retiennent leur souffle. Le mouvement social qui secoue l’Iran depuis le 16 septembre 2022 est d’une telle ampleur que les spécialistes sont comme pétrifiés. Tout le monde attend. Tout le monde reconnaît que quelque chose d’inédit est en train de se dérouler en Iran, à huis clos, et que le <a href="https://www.amnesty.be/infos/actualites/article/repressions-iran-courage-manifestantes-manifestants">courage dont font preuve les manifestants</a> est sans précédent.</p>
<p>Qui sont ces manifestants, quel est leur rapport à l’État théocratique iranien, et quel impact leur soulèvement peut-il avoir sur la politique étrangère d’un régime aux abois ?</p>
<h2>Une rupture générationnelle</h2>
<p>La génération qui s’insurge, née au tournant de l’an 2000, est assoiffée de liberté. Elle l’est tellement qu’elle semble disposée à assumer les conséquences d’une insurrection contre le régime de Téhéran : une répression violente qui se solde par <a href="https://iranhr.net/en/articles/5608/">448 morts et quelque 15 000 arrestations</a> au moment où ces lignes sont écrites.</p>
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<p>À la différence de ses aînées (plus craintives à l’égard des conséquences d’une insurrection contre le régime, et dont les soulèvements, à l’instar du <a href="https://www.cairn.info/revue-savoir-agir-2010-2-page-117.htm">Mouvement vert de 2009</a>, s’inscrivaient encore à l’intérieur du cadre politique de la République islamique), cette jeune génération est prête à payer le prix fort au nom de ses idéaux. L’impact des <a href="https://www.middleeasteye.net/fr/opinion/les-jeunes-iraniens-et-les-reseaux-sociaux-entre-repression-et-enfermement-virtuel">réseaux sociaux</a> sur sa capacité à être connectée avec le monde, et ainsi à percevoir la « déconnexion » de son quotidien, parsemé d’interdits, par rapport aux libertés dont jouissent ses pairs ailleurs sur la planète, est sans doute l’une des principales explications de cette rupture générationnelle.</p>
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<figcaption><span class="caption">Iran : la jeunesse contre les mollahs – 28 Minutes – Arte, 21 septembre 2022.</span></figcaption>
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<p>Les répercussions dans la durée du mouvement actuel sont encore difficiles à anticiper. Il est cependant vraisemblable que la situation sociopolitique de l’Iran va évoluer. L’ampleur du soulèvement est telle que, même s’il devait être totalement écrasé dans le sang (au prix de plusieurs milliers de victimes, tel un « Tienanmen iranien »), les modalités de la coexistence entre le régime et la population seront sensiblement impactées. Une tendance semble se dessiner : la multiplication des actes de désobéissance civile.</p>
<p>À la différence des générations précédentes, les jeunes osent demander des comptes à leurs représentants ; et – à l’instar de la stratégie géopolitique adoptée par leur régime à l’échelle régionale – ils agissent de manière asymétrique, en diversifiant leurs modes d’expression et leurs revendications.</p>
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<a href="https://theconversation.com/iran-quand-la-revolte-des-femmes-accueille-dautres-luttes-192156">Iran : quand la révolte des femmes accueille d’autres luttes</a>
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<p>L’héritage idéologique khomeyniste est lointain pour ces jeunes adultes qui font à présent leur entrée dans la vie active, qui n’ont connu ni la guerre contre l’Irak (1980-1988), ni la mobilisation des familles, ni les bombardements des villes, ni la répression féroce qui s’est abattue sur les dissidents politiques à la fin des années 1980, et encore moins la révolution de 1979.</p>
<h2>La désaffection à l’égard de la religion</h2>
<p>Une deuxième tendance vient renforcer cette bascule générationnelle. Comme l’avait anticipé l’islamologue français <a href="https://www.jstor.org/stable/4329317">Olivier Roy</a> dans les années 1990, l’instauration d’un régime théocratique à Téhéran a, paradoxalement, contribué à l’accélération du processus de sécularisation de la société iranienne. En effet, en faisant de la religion le <a href="https://www.cairn.info/revue-les-temps-modernes-2015-2-page-110.html">socle du pouvoir politique</a>, le régime idéologique décrété par l’ayatollah Khomeyni a provoqué un phénomène par lequel tout rejet du pouvoir devient, automatiquement, également un rejet de la religion.</p>
<p>Le régime a assis son contrôle sur la société en imposant à sa population une forme de « spiritualité politique » qui n’est pas sans rappeler l’usage que Michel Foucault avait fait de cette même notion, dans ses <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-philosophiques1-2012-3-page-51.htm">« articles iraniens » de 1978</a>. L’adhésion forcée à ce mode de gouvernance explique, en partie, la <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-moyen-orient/iran-la-jeunesse-dans-la-rue-le-regime-dans-l-impasse_2181334.html">désaffection croissante des jeunes</a> vis-à-vis de la théocratie khomeyniste.</p>
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<p>Ces variables (transition générationnelle et sécularisation de la société) apparaissent d’autant plus significatives que les jeunes qui s’insurgent aujourd’hui seront la population active des quatre ou cinq prochaines décennies. À moins que le régime ne parvienne à mettre rapidement en place un système de contrôle et d’oppression sociale à même de réduire à néant le risque de déstabilisation interne, il sera immanquablement amené à évoluer sous le poids des demandes émanant de la société.</p>
<h2>L’« asianisation » de la politique étrangère de l’Iran</h2>
<p>Cette évolution de la relation société-pouvoir en Iran ne peut être pleinement appréhendée dans sa juste mesure sans tenir compte du contexte géopolitique au sein duquel elle se produit. La capacité du mouvement social à se reproduire et à prendre de l’ampleur entre en résonance avec les grandes reconfigurations qui ont lieu aux échelles régionale, continentale et globale et qui, en retour, impactent la politique du régime iranien et conditionnent sa réponse au soulèvement populaire.</p>
<p>Or, en matière de politique étrangère, la tendance de l’Iran est, depuis quelques années, à <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/03068374.2022.2029037?scroll=top&needAccess=true">« l’asianisation »</a>.</p>
<p>Au Moyen-Orient, la situation géopolitique se fige autour de la constitution de deux pôles opposés : l’un constitué par l’Iran et ses alliés régionaux, principalement chiites, l’autre prenant la forme d’un axe anti-iranien impulsé par les États-Unis, Israël et l’Arabie saoudite. Cela étant, au-delà d’établir une présence milicienne en <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/10/25/en-irak-les-milices-chiites-pro-iran-tentent-de-surmonter-leur-revers-electoral_6099805_3210.html">Irak</a> et <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/07/25/au-liban-le-hezbollah-maintient-sa-predominance-dans-la-crise_6047269_3210.html">au Liban</a>, et de se garantir une alliance avec le régime de Bachar Al-Assad en <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/L-alliance-Iran-Syrie.html">Syrie</a> et la rébellion houthie <a href="https://foreignpolicy.com/2022/01/24/yemen-houthi-uae-israel-iran-abraham-accords/">au Yémen</a>, cette stratégie n’a pas permis à la République islamique d’en tirer les gains économiques espérés. Tous ces pays sont faillis ou en ruine, et il est peu probable que cette géopolitique des « blocs » évolue significativement dans le moyen terme.</p>
<p>À l’échelle régionale, l’asianisation de la politique étrangère de l’Iran apparait donc comme une résultante autant des incohérences d’une stratégie d’influence reposant uniquement sur la mobilisation de groupes armés para-étatiques que de la muraille anti-iranienne érigée par ses adversaires géopolitiques. Dans ce contexte, le régime n’a d’autre choix que de se tourner « vers l’Est » pour relancer son économie et espérer calmer la grogne sociale.</p>
<p>Et cela, d’autant plus que la <a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2018/05/08/donald-trump-annonce-le-retrait-des-etats-unis-de-l-accord-sur-le-nucleaire-iranien_5296297_3222.html">rupture de l’accord sur le nucléaire iranien</a> (<em>Joint Comprehensive Plan of Action</em>, JCPOA) par Donald Trump en mai 2018 a définitivement convaincu le régime que tout effort de normalisation avec l’Occident serait vain. On mesure mal, en Europe, la portée psychologique et symbolique de cet acte, vécu à la fois comme une trahison et une humiliation, qui a fait <a href="https://www.lalibre.be/international/moyen-orient/2021/08/03/le-president-des-illusions-perdues-ID7IASUH5VCJXFIEQAEVJVQZZA/">perdre toute crédibilité au courant réformiste iranien</a> (qui avait porté le projet d’ouverture depuis plus d’une décennie) et a conforté le camp ultra-conservateur, dans son hostilité à l’Occident.</p>
<p>Les positions étant à peu près <a href="https://theconversation.com/pourquoi-ladministration-biden-peine-autant-a-rendre-vie-a-laccord-sur-le-nucleaire-iranien-183995">figées</a> aux échelles régionale et internationale, le pivot géopolitique iranien se joue désormais à l’échelle continentale. Le régime a répondu à la « trahison » du JCPOA en annonçant en mars 2021 l’établissement d’un <a href="https://www.nytimes.com/2021/03/27/world/middleeast/china-iran-deal.html">partenariat stratégique global s’étalant sur une durée de 25 ans</a> avec la Chine de Xi Jinping, et en renforçant la relation déjà solide avec la Russie de Vladimir Poutine.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/chine-iran-une-convergence-durable-160842">Chine-Iran : une convergence durable ?</a>
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<p>L’utilisation par l’armée russe de <a href="https://newlinesmag.com/argument/what-irans-drones-in-ukraine-mean-for-the-future-of-war/">drones de fabrication iranienne</a> en Ukraine prouve que le niveau de coopération stratégique entre les deux pays est <a href="https://theconversation.com/le-rapprochement-irano-russe-dans-le-contexte-de-la-guerre-dukraine-189646">à un stade avancé</a>, et que les pouvoirs en place à Téhéran et à Moscou avancent dans la même direction face à l’Occident, sous le regard d’une Chine qui se limite pour l’heure à discréditer l’ordre international sans trop le molester.</p>
<p>Ce nouvel élan eurasiatique donne également lieu à une multiplication des initiatives diplomatiques de l’Iran auprès d’autres partenaires importants à l’échelle continentale, tels que la Turquie, l’Inde, le Pakistan ou encore les républiques post-soviétiques d’Asie centrale et du Caucase. L’intégration de l’Iran dans les grands projets infrastructurels chinois (<em>Belt and Road Initiative</em>, <a href="https://www.oboreurope.com/en/iran-china-agreement/">BRI</a>) et russo-indien (<em>International North-South Transport Corridor</em>, <a href="https://economictimes.indiatimes.com/news/india/amid-curbs-india-russia-trade-via-instc-booms/articleshow/93603407.cms">INSTC</a>) manifeste la volonté des dirigeants iraniens d’arrimer le développement du pays aux réseaux de connectivité intercontinentale qui prennent progressivement forme en dehors de tout contrôle occidental.</p>
<p>En cela, ce processus « d’asianisation » trouve son point d’orgue dans <a href="https://fr.irna.ir/news/84954605/L-Assembl%C3%A9e-islamique-a-approuv%C3%A9-l-adh%C3%A9sion-de-l-Iran-%C3%A0-l-Organisation">l’adhésion de l’Iran à l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS)</a>.</p>
<p>L’acceptation en septembre 2021 (un mois après l’investiture du président conservateur <a href="https://theconversation.com/les-enjeux-politiques-internes-en-iran-apres-lelection-debrahim-ra-ssi-163136">Ebrahim Raïssi</a>) de la candidature de l’Iran (déposée quinze ans plus tôt) prouve qu’un exécutif en phase avec la vision du Guide suprême est un gage de stabilité aux yeux des pays membres de l’OCS, et tout particulièrement de la Chine, qui supervise l’ensemble du processus de constitution de cet ordre international <a href="https://www.wiley.com/en-us/Post+Western+World%3A+How+Emerging+Powers+Are+Remaking+Global+Order-p-9781509504572">« post-occidental »</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/498523/original/file-20221201-24-cmw962.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/498523/original/file-20221201-24-cmw962.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=408&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/498523/original/file-20221201-24-cmw962.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=408&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/498523/original/file-20221201-24-cmw962.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=408&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/498523/original/file-20221201-24-cmw962.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=512&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/498523/original/file-20221201-24-cmw962.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=512&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/498523/original/file-20221201-24-cmw962.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=512&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Ebrahim Raïssi et Vladimir Poutine lors du dernier sommet de l’OCS à Samarkand, en Ouzzbékistan, le 15 septembre 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Alexandr Demyanchuk/AFP</span></span>
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<p>Éprouvé par quatre décennies d’isolement mais toujours en place, le régime de Téhéran, autrefois « paria » pour l’Ouest comme pour l’Est, se révèle, au vu des circonstances géopolitiques actuelles, un partenaire respectable et digne de considération pour une bonne partie du continent eurasiatique.</p>
<h2>Vers un contrôle social à la chinoise ?</h2>
<p>Mais qu’en est-il de l’interaction entre cette réorientation géopolitique et le mouvement de contestation ? Pour l’heure, les deux trajectoires évoluent séparément.</p>
<p>Le soulèvement populaire émerge d’une transition générationnelle et séculière, dans un mouvement s’élançant <a href="https://www.iranintl.com/en/202210091825">du bas vers le haut</a>. À l’inverse, la politique du « regard vers l’Est » n’est une priorité que pour le régime, qui a tout intérêt à renforcer ses liens avec la Chine et la Russie, autant pour des considérations géopolitiques qu’en raison des perspectives qu’est susceptible d’offrir une collaboration renforcée avec ces pays dans le domaine des nouvelles technologies (intelligence artificielle, reconnaissance faciale, algorithmes prédictifs, etc.) face au risque de déstabilisation interne.</p>
<p>Un air de contrôle social « à la chinoise » <a href="https://www.iranintl.com/en/202202123131">plane sur l’Iran</a>. Il n’en demeure pas moins qu’un système de contrôle social, aussi performant soit-il, ne peut être efficace qu’à condition de susciter la crainte de la population. Or, en Iran, le mur de la peur semble s’effriter peu à peu.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/195068/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Théo Nencini ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le soulèvement de la jeunesse iranienne incite le pouvoir à s’appuyer sur des puissances non occidentales qui ne lui reprocheront certainement pas de se livrer à une répression féroce.Théo Nencini, Chercheur doctorant, spécialiste de l'Iran travaillant sur la recomposition des équilibres interétatiques au Moyen-Orient et en Asie centrale, Institut catholique de Paris (ICP)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.