tag:theconversation.com,2011:/uk/topics/journalisme-20596/articlesjournalisme – The Conversation2024-03-12T14:06:48Ztag:theconversation.com,2011:article/2247162024-03-12T14:06:48Z2024-03-12T14:06:48ZVoici comment les données d’audience façonnent le journalisme canadien<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/580776/original/file-20240308-18-9gbysh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C4091%2C2733&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La façon dont les journalistes considèrent leur audience dans les salles de rédaction a beaucoup évolué. Ce changement est largement dû aux données d'audience.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Les grands groupes médiatiques <a href="https://www.lapresse.ca/affaires/entreprises/2024-02-08/bce-elimine-4800-emplois-vend-des-stations-de-radio-et-ecorche-ottawa.php">suppriment des emplois, réduisent leur programmation</a>, et des <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2010982/medias-metro-cession-actifs-annonce">publications mettent fin à leurs activités</a>. Face aux défis de <a href="https://www.cem.ulaval.ca/publications/dnr-2023-canada-fr/">l’évitement des nouvelles et de la baisse de confiance</a> à l’égard du journalisme, c’est devenu une question de survie pour les journalistes que de trouver des moyens d’attirer, d’intéresser et de fidéliser leur public.</p>
<p>La manière dont ils considèrent leur public dans les salles de rédaction a beaucoup évolué. Ce changement est dû en grande partie aux <a href="https://j-source.ca/heres-how-metrics-and-analytics-are-changing-newsroom-practice/">données d’audience</a>, de plus en plus abondantes.</p>
<p>En effet, les journalistes reçoivent presque constamment des rétroactions sur le contenu qu’ils créent. Qu’ils travaillent en ligne, à la télévision, à la radio ou dans la presse traditionnelle, ils fournissent des informations à de multiples plates-formes. Ils sont donc exposés chaque jour à des données quantitatives (mesures du comportement de l’audience sur les sites web et les médias sociaux) et qualitatives (commentaires sur les médias sociaux).</p>
<p>Comme nous l’a dit un journaliste de télévision :</p>
<blockquote>
<p>On sait exactement jusqu’où quelqu’un fait défiler une page, combien de secondes il passe sur une page, quel appareil il utilise. Nous en savons tellement sur notre public, tout comme Google en sait sur le sien.</p>
</blockquote>
<p>Mais quel est l’impact de toutes ces données sur la façon dont les journalistes perçoivent leur public et le contenu qu’ils publient ? C’est ce nous explorons dans un <a href="https://doi.org/10.1080/17512786.2024.2310712">article récemment publié</a> sur le journalisme orienté vers l’auditoire.</p>
<h2>Le journalisme orienté vers l’auditoire</h2>
<p>Il implique trois rôles spécifiques :</p>
<ul>
<li><p>un rôle d’infodivertissement — utilisation de stratégies narratives et d’un style s’alignant sur des médias plus axés sur le divertissement ; </p></li>
<li><p>un rôle civique — contenus visant l’éducation des citoyens à leurs droits ou la défense de leurs revendications ; </p></li>
<li><p>un rôle de service — promotion de produits ou aide à la résolution de problèmes de la vie quotidienne.</p></li>
</ul>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/577152/original/file-20240221-20-97keji.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="site web du Toronto Star" src="https://images.theconversation.com/files/577152/original/file-20240221-20-97keji.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/577152/original/file-20240221-20-97keji.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/577152/original/file-20240221-20-97keji.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/577152/original/file-20240221-20-97keji.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/577152/original/file-20240221-20-97keji.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/577152/original/file-20240221-20-97keji.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/577152/original/file-20240221-20-97keji.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Trouver des moyens d’attirer, d’intéresser et de fidéliser un public est devenu une question de survie pour les professionnels de l’information.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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</figure>
<p>Nous avons <a href="https://j-source.ca/a-global-study-on-pandemic-era-news-explores-the-gap-between-journalists-ideals-and-realities/">analysé plus de 3 700 articles</a> publiés en 2020, réalisé une enquête par questionnaire à 133 journalistes en 2020 et 2021, et interviewé 13 journalistes au cours de la même période. Les médias à l’étude sont TVA, CBC/Radio-Canada, <em>La Presse</em>, le <em>Toronto Star</em>, <em>Globe and Mail</em>, <em>National Post</em>, CTV, Global News et <em>HuffPost Canada</em>. Ayant nous-mêmes travaillé dans des salles de rédaction, nous avons pu contextualiser nos résultats en fonction de nos propres expériences.</p>
<p>Nous avons constaté que les données d’audience ont un impact important sur les pratiques des médias d’information canadiens. Au sein du défunt <a href="https://theconversation.com/bottom-up-audience-driven-and-shut-down-how-huffpost-canada-left-itsan-media-175805"><em>HuffPost Canada</em></a>, par exemple, l’audience était segmentée en types ou profils de lecteurs sur la base des données d’audience. Comme l’a expliqué un rédacteur en chef, « nous faisons X, Y et Z pour ce type d’article et pour ce type de personne ». En fait, la manière de rédiger un article était adaptée au profil de son destinataire.</p>
<p>Les journalistes sont également conscients de l’importance des données d’audience d’un point de vue commercial. Comme l’a fait remarquer l’un d’eux :</p>
<blockquote>
<p>Il s’agit d’algorithmes que je ne comprends pas tout à fait, mais qui aident nos experts à déterminer comment personnaliser l’expérience de l’utilisateur lorsqu’il se rend sur le site web. Il vous montre donc des choses qui vous intéressent, de la même manière que Facebook et Twitter, ce qui maintient l’intérêt des gens pour votre site web, ce qui signifie plus d’abonnés, ce qui signifie que je peux conserver mon emploi rémunéré.</p>
</blockquote>
<p>Les réponses à notre enquête confirment l’importance des données d’audience dans la sélection, le développement et la promotion des sujets, ainsi que dans la mesure de leur valeur. <a href="https://doi.org/10.1177/1464884913504259">D’autres études</a> ont montré que les journalistes peuvent minimiser <a href="https://doi.org/10.1177/1464884915595474">l’importance des données</a> dans leurs décisions éditoriales, de sorte que l’impact pourrait être encore plus important que ce que nous avons mesuré.</p>
<h2>Infodivertissement et sensationnalisme</h2>
<p>On déplore souvent que l’omniprésence des données dans les salles de rédaction favorise le clickbait ou les articles à sensation qui stimulent le trafic au détriment de reportages sur des enjeux plus importants — et <a href="https://doi.org/10.1080/21670811.2018.1504626">c’est parfois le cas</a>. </p>
<p>Le sensationnalisme fait partie de notre catégorie d’infodivertissement. Cependant, notre analyse de contenu a révélé qu’une grande partie de ce qui est qualifié d’infodivertissement dans le journalisme canadien implique des qualificatifs descriptifs et la présence de détails pertinents et personnels sur le sujet traité. Si cela est fait de manière appropriée, cela peut donner plus de nuances et de contexte à un article.</p>
<p>En outre, au Canada, l’infodivertissement est souvent associé à la partie « éducative » du rôle civique. Par exemple, un rédacteur en chef nous a expliqué qu’il cherchait à trouver l’aspect « plus amusant » (infotainment) d’un article qui peut constituer un « point d’entrée » pour informer le public sur des sujets tels que les règles parlementaires.</p>
<p>En outre, les rôles civiques et de service sont souvent combinés : par exemple, des informations pertinentes à la vie quotidienne peuvent aussi influencer la compréhension des processus politiques ou éclairer le public sur les droits des citoyens.</p>
<p>Près de 80 % des articles que nous avons sélectionnés comportaient au moins un rôle orienté vers le public, et près de 40 % en comportaient plus d’un. Cela prouve bien que les publics sont au centre des préoccupations dans les salles de rédaction. </p>
<p>Nos conversations ont également révélé que même si les rédactions ne sont pas toujours en mesure <a href="https://slate.com/technology/2021/03/imagined-audiences-journalism-analytics-intuition.html">d’interpréter avec précision</a> les attentes du public, elles consacrent beaucoup de temps et de ressources à essayer de le faire.</p>
<h2>L’importance des médias sociaux</h2>
<p>La plupart des journalistes avec lesquels nous nous sommes entretenus utilisent les médias sociaux, parce qu’ils les considèrent comme un outil important pour atteindre le public, trouver des sources et promouvoir leur travail. Plus de 78 % des journalistes interrogés reconnaissent qu’il s’agit d’un outil important pour entrer en contact avec le public.</p>
<p>Cependant, les journalistes ont également noté les inconvénients des médias sociaux, notamment en ce qui concerne la polarisation politique. Un journaliste de la presse écrite a déclaré : </p>
<blockquote>
<p>S’ils permettent de trouver un public, ce dont nous avons absolument besoin, ils ont aussi créé un forum où l’on peut attaquer les journalistes et la presse libre.</p>
</blockquote>
<p>Cet environnement hostile a poussé une autre journaliste à faire attention à son choix de mots afin de toucher un public plus large :</p>
<blockquote>
<p>Je fais délibérément des efforts pour essayer d’atteindre les gens qui essaient de m’ignorer. En fait, c’est le public cible que vous visez lorsque vous écrivez. Vous évitez donc d’utiliser inutilement des termes qui sont tournés en dérision, non pas parce que nous ne méritons pas d’utiliser ces termes… mais parce que ce que vous essayez de faire, c’est d’atteindre ces personnes.</p>
</blockquote>
<p>Même si les gens ne font pas confiance à l’information ou à un certain média, la recherche montre qu’ils peuvent reconnaître et apprécier le <a href="https://doi.org/10.4324/9781003257998">journalisme de qualité</a>. </p>
<p>Les journalistes canadiens doivent trouver des moyens de comprendre et d’atteindre un public qui ne veut pas toujours les écouter. Ils s’efforcent de le faire. Il reste à voir si cela fonctionne et quel impact durable auront leurs efforts sur les normes journalistiques.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224716/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicole Blanchett a reçu des financements de Mitacs, du Centre d'études sur les médias, du Journalism Research Centre de la Toronto Metropolitan University, de la Creative School de la Toronto Metropolitan University, de la Toronto Metropolitan University et du CRSH.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Les travaux de Colette Brin sont financés en partie par le ministère de la Culture et des Communications du gouvernement du Québec et le Fonds de recherche du Québec - Société et culture. L'édition canadienne du Digital News Report est financée par Patrimoine canadien par l'intermédiaire de Médias d'info Canada. La professeure Brin est directrice du Centre d'études sur les médias, entité de recherche indépendante à but non lucratif hébergée à l'Université Laval en partenariat avec l'Université de Montréal et l'Université du Québec à Montréal. Elle est également présidente du Conseil consultatif indépendant sur l'admissibilité aux mesures fiscales pour le journalisme, en collaboration avec l'Agence du revenu du Canada. </span></em></p>Une nouvelle étude sur le journalisme canadien examine l’impact des données d’audience sur l’information dans les médias et la perception qu’ont les journalistes de leur public.Nicole Blanchett, Associate Professor, Journalism, Toronto Metropolitan UniversityColette Brin, Professor and Director, Centre d'études sur les médias, Université LavalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2239372024-03-05T16:01:37Z2024-03-05T16:01:37ZL’avenir des médias et de l’influence repose-t-il sur les newsletters ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/579848/original/file-20240305-24-y5flwb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=81%2C90%2C5925%2C3917&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les newsletters, une stratégie payante pour les médias?</span> </figcaption></figure><p>Faites-vous partie des abonnés aux newsletters proposées par <a href="https://secure.lemonde.fr/newsletters"><em>Le Monde</em></a>, <a href="https://www.lesechos.fr/newsletters"><em>Les Echos</em></a>, ou <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/">The Conversation</a> ? Ces envois réguliers par mail – quotidiens, hebdomadaires ou mensuels – ne se limitent pas à une simple transmission périodique d’informations, mais correspondent à une stratégie de diffusion de l’information, dans un contexte où il est de plus en plus difficile de capter et de retenir l’attention.</p>
<p>Sur les réseaux sociaux, les préférences des utilisateurs sont en constante évolution. Sursollicités, ils expriment une <a href="https://www.meta-media.fr/2022/06/17/reuters-digital-news-report-la-news-fatigue-sinstalle.html">forme de lassitude</a>. Au fil du temps, <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-030-42412-1_15">l’attention</a> du public se fait de plus en plus rare et précieuse, en raison de la concurrence permanente des réseaux sociaux, qui contribuent à brouiller la frontière entre les journalistes et les influenceurs. Les algorithmes orchestrent les préférences et régulent l’accès aux articles produits par les médias et aux autres contenus. Dès lors, malgré un grand nombre d’abonnés à sa page Facebook ou de followers sur Instagram, aucun média ne peut s’assurer de la visibilité et de la lecture effective de ses articles, même lorsque les lecteurs ont manifesté de l’intérêt en « likant » la page.</p>
<h2>Le retour en force des newsletters</h2>
<p>Dans ce contexte, les nouvelles entreprises médiatiques exclusivement numériques (les pure players) ont <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/19312431211037681">compris l’intérêt des newsletters</a>, qui font un <a href="https://www.statista.com/statistics/812060/email-marketing-revenue-worldwide">retour</a> en force avec quelques améliorations par rapport à leurs versions précédentes des années 2000.</p>
<p><a href="https://reutersinstitute.politics.ox.ac.uk/people/nic-newman">Selon Nic Newman</a>, auteur du rapport de 2024 de Reuters et de l’Université d’Oxford sur l’avenir et la consommation des médias, <a href="https://www.statista.com/forecasts/1143723/smartphone-users-in-the-world">l’essor croissant de l’usage des appareils mobiles</a> joue un rôle déterminant dans le regain de popularité des newsletters par e-mail. Au sein de cette enquête, 77 % des auteurs interrogés déclarent leur intention de renforcer leurs efforts dans le développement de liens directs avec les consommateurs à travers des sites web, des applications, des newsletters et des podcasts.</p>
<p>Selon une <a href="https://www.statista.com/statistics/1376934/email-marketing-campaign-objectives/">enquête menée en 2023</a> auprès de spécialistes du marketing, l’envoi de newsletters est l’un des principaux usages des campagnes par e-mail, juste après la sensibilisation aux produits et les promotions.</p>
<p>Considérées comme un outil puissant par les médias qui les utilisent, les plates-formes qui permettent d’envoyer des newsletters comme Mailjet, Sarbacane, Brevo et Mailchimp offrent un moyen direct et efficace de communication avec les abonnés, permettant une large diffusion d’informations, fidélisation de l’audience et création d’une communauté. L’e-mail garantit une relation continue et permet d’afficher un bouton « répondre » ; il offre des opportunités qui contribuent à <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/19312431211037681">réduire la distance entre l’auteur et le lecteur</a>.</p>
<p>La personnalisation, la fréquence d’envoi et la valeur ajoutée du contenu sont des éléments clés pour le succès d’une newsletter. Écrivains, journalistes et créateurs de contenu l’ont bien compris et utilisent beaucoup Substack, une application américaine.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>En France, il existe un équivalent : Kessel Media, une start-up créée en juin 2022 pour aider les créateurs de contenu à se développer et à générer des revenus. Sur cette application, les contributeurs restent propriétaires de leur newsletter et de leur liste d’abonnés, rejoignant une communauté d’auteurs prêts à échanger des conseils et à s’entraider.</p>
<p>Ces newsletters indépendantes sont rédigées par des individus qui se concentrent sur des niches spécifiques dont ils ont une expertise approfondie. Citons parmi les plus populaires Hugo Clément (« actualité écolo et culturelle »), Louise Aubery (influenceuse qui prône l’acceptation de soi) ou encore Rose Lamy (sexisme ordinaire dans les médias). Ils proposent des idées, des analyses et des commentaires ciblés qui arrivent directement dans la boîte de réception des abonnés, selon une fréquence régulière, généralement hebdomadaire ou mensuelle, et proposent différentes formules d’abonnement (payant, gratuit, ou mixte).</p>
<h2>Personnaliser son offre</h2>
<p>Les études montrent que les organisations médiatiques grand public, en <a href="https://www.digitalnewsreport.org/survey/2020/the-resurgence-and-importance-of-email-newsletters/">France et ailleurs,</a> ont réaffecté une part de leurs ressources vers la création de newsletters dans le but d’élargir leur base d’abonnés, de fidéliser leur audience actuelle et <a href="https://www.niemanlab.org/2016/11/there-are-at-least-eight-promising-business-models-for-email-newsletters/">d’incorporer davantage de personnalisation dans leurs offres numériques</a>.</p>
<p>Les médias ont compris l’importance de rester directement connectés à leurs lecteurs, à l’instar du <em>New York Times</em>. Côté lecteurs, il peut être difficile de trouver des informations fiables et des analyses pertinentes parmi la multitude d’informations disponibles. C’est pourquoi, pour favoriser ses abonnés, le journal américain a migré en 2021 des newsletters gratuites vers des contenus exclusivement réservés aux abonnés.</p>
<p>Toutefois, la newsletter <a href="https://www.nytimes.com/series/us-morning-briefing">« The Morning »</a>, très appréciée, reste gratuite, probablement pour continuer d’attirer de potentiels abonnés. Emboîtant le pas au <em>New York Times</em>, des auteurs de renom se tournent depuis 2021 vers des plates-formes de newsletter et les médias s’orientent vers un contenu plus axé sur le destinataire. En recevant des newsletters, les lecteurs n’ont plus besoin de consulter régulièrement un site web pour découvrir de nouveaux articles : les actualités leur parviennent directement dans leur boîte de réception. Les interactions entre auteurs et lecteurs dans le cadre des newsletters établissent alors des <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/youtubeurs-podcasteurs-nos-relations-parasociales-avec-ces-amis-qui-nous-ignorent-5081620">relations parasociales</a>, créant une connexion directe et personnelle qui influe sur la nature et le contenu des newsletters.</p>
<p>D’après l’enquête menée par Reuters et l’Université d’Oxford, qui couvre 56 pays et territoires, dans un scénario optimiste, les producteurs de newsletters envisagent une ère où leur dépendance envers les géants de la technologie serait moindre, et où ils établiraient de plus en plus de relations plus directes avec leurs abonnés fidèles. La chute significative du trafic de référence en provenance de Facebook et de X (anciennement Twitter) réduit progressivement les flux d’audience vers les sites d’actualités établis et accroît la pression sur leur rentabilité.</p>
<p>Néanmoins, ces stratégies risquent de marginaliser les médias et les influenceurs en compliquant <a href="https://theconversation.com/medias-les-jeunes-ont-envie-dune-information-qui-leur-ressemble-218264">l’accès à des utilisateurs plus jeunes</a> et moins éduqués, nombre d’entre eux étant déjà familiarisés avec les actualités générées de manière algorithmique et ayant des liens plus faibles avec les médias traditionnels.</p>
<p>Il est donc indispensable d’adopter une stratégie de diffusion de l’information inclusive et diversifiée, tout en maintenant une veille active sur les réseaux sociaux <a href="https://fr.statista.com/statistiques/570930/reseaux-sociaux-mondiaux-classes-par-nombre-d-utilisateurs/">où les jeunes sont plus présents</a> (Instagram ; Snapchat et TikTok).</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223937/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ali Ahmadi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment anticiper l’avenir des médias, quand les technologies s’emballent et que l’IA s’en mêle ? Les newsletters offrent une piste.Ali Ahmadi, Enseignant-chercheur, spécialiste des plateformes numériques, Université de ToursLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2243422024-02-27T16:13:33Z2024-02-27T16:13:33ZL’interview de Poutine par Tucker Carlson et sa réception par l’extrême droite occidentale<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/578015/original/file-20240226-28-fli2ug.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=19%2C0%2C1857%2C1156&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L’interview accordée par le président russe à l’éditorialiste superstar de la galaxie trumpiste, le 8&nbsp;février au Kremlin, a donné lieu à de très longs développements de Vladimir Poutine sur l’histoire de la Russie et de l’Ukraine, au grand désarroi de son interlocuteur.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://www.kremlin.ru/events/president/news/73411/photos/74852">Kremlin.ru</a></span></figcaption></figure><p><a href="https://www.marianne.net/monde/ameriques/pro-trump-ex-fox-news-qui-est-tucker-carlson-lamericain-qui-a-interviewe-poutine">Tucker Carlson</a>, l’ancien présentateur star de la chaîne conservatrice Fox, est une figure bien connue au sein de l’univers « MAGA » (<em>Make America Great Again</em>, l’éternel slogan de campagne de Donald Trump). Avec son ton « politiquement incorrect », il est depuis des années l’un des grands représentants du trumpisme et, au-delà, de la rhétorique provocatrice de l’extrême droite occidentale – un style qualifié par Ruth Wodak et al. de <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0957926520977217">« normalisation éhontée de l’impolitesse »</a>.</p>
<p>Sur les questions de politique étrangère, Carlson a <a href="https://eu.usatoday.com/story/news/world/2023/05/01/tucker-carlson-fox-news-russia/11757930002/">largement épousé la présentation russe de la guerre russo-ukrainienne</a>, se montrant très critique à l’égard de Kiev et tout à fait favorable à Moscou, si bien qu’il est <a href="https://www.motherjones.com/politics/2022/03/exclusive-kremlin-putin-russia-ukraine-war-memo-tucker-carlson-fox/">considéré depuis longtemps par le Kremlin</a> comme un moyen privilégié de toucher l’opinion publique américaine.</p>
<p>Mais le coup de maître de Carlson a été, de toute évidence, <a href="https://tuckercarlson.com/the-vladimir-putin-interview/">son interview de deux heures avec Vladimir Poutine</a>, à Moscou, le 8 février dernier. Au vu du déroulement de l’entretien, il semble que les questions n’avaient pas été discutées à l’avance et que les deux parties avaient des attentes divergentes sur les propos qui y seraient tenus : Carlson espérait que Poutine approuverait la vision trumpiste du monde et ses griefs contre le libéralisme, tandis que Poutine, pour sa part, espérait convaincre le grand public américain que les États-Unis et la Russie finiront par se réconcilier d’une manière ou d’une autre et trouver une issue à la guerre qui soit favorable à Moscou.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/kVJByqRQVag?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<h2>« L’interview la plus suivie de toute l’histoire »</h2>
<p>Les médias occidentaux ont réagi à cette interview controversée de deux manières opposées. Certains ont décidé de ne pas l’évoquer du tout, une décision contestable dans la mesure où l’entrevue entre le journaliste américain et le président russe a suscité un très large écho : avec plus de 200 millions de vues, X (anciennement Twitter) a notamment affirmé que cet événement aurait été le <a href="https://eu.statesman.com/story/news/2024/02/09/tucker-carlson-putin-interview-video-twitter-most-watched-video-russia-ukraine-war/72536955007/">plus suivi sur sa plate-forme depuis la création de celle-ci</a>.</p>
<p>Sachant qu’une « vue » est comptabilisée à partir de deux secondes de connexion, ce chiffre de 200 millions est gonflé et correspond non pas au nombre de visionnages de la vidéo mais au nombre de clics sur des posts la contenant. YouTube considère qu’une vidéo a été vue à partir du moment où la connexion a duré au moins 30 secondes : la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=fOCWBhuDdDo">vidéo</a> y affiche 18 millions de vues au moment où ces lignes sont écrites. Ce chiffre est probablement plus proche de la vérité. Cela en fait malgré tout un succès médiatique colossal.</p>
<p>D’autres médias ont parlé de l’interview, qualifiant comme d’habitude Carlson d’<a href="https://www.politico.eu/article/tucker-carlson-joins-long-line-useful-idiot-journalists-helping-tyrants/">idiot utile de Poutine</a> et affirmant que leur discussion démontrait une fois de plus que la coalition MAGA était <a href="https://www.washingtonpost.com/world/2024/02/07/tucker-carlson-putin-russia-ukraine/">à la solde du Kremlin</a>.</p>
<p>Ces deux postures – ne pas parler de l’interview, ou la dénoncer – passent toutes deux à côté de l’essentiel : une figure clé de la galaxie MAGA et le chef de l’État russe ont tenté de dialoguer, et cette tentative a donné lieu à un résultat pour le moins mitigé.</p>
<p>L’entreprise a été un relatif succès, car elle a permis à Poutine de s’adresser au grand public américain et de tenter de saper le soutien de celui-ci à la politique pro-ukrainienne conduite par l’administration Biden, dans un contexte où les dirigeants russes sont privés d’accès aux grands médias occidentaux. Le président russe s’est donc vu offrir la possibilité d’exposer longuement sa vision géopolitique du monde – quoi qu’on pense de celle-ci. En outre, les <a href="https://theconversation.com/how-you-can-tell-propaganda-from-journalism-lets-look-at-tucker-carlsons-visit-to-russia-223829">vidéos ultérieures tournées par Carlson en Russie</a> et publiées sur ses réseaux sociaux ont montré qu’à Moscou la vie continuait comme si de rien n’était, ce qui n’est que rarement mis en avant par les grands médias occidentaux.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1760616703287853139"}"></div></p>
<p>Mais l’entretien a également mis en évidence les limites du partenariat supposé entre les conservateurs américains et la Russie. Contrairement aux attentes des observateurs, Poutine n’a pas profité de l’occasion pour mener une offensive de charme auprès de l’électorat républicain et de l’opinion conservatrice mondiale. Il ne s’est pas non plus étendu sur « l’Occident libéral décadent » et ses « valeurs perverties ». Interrogé sur Dieu, il n’a pas parlé de spiritualité et de valeurs traditionnelles, alors que la religion est au cœur de tout discours conservateur américain.</p>
<p>Il a préféré faire à son hôte un <a href="https://www.independent.co.uk/news/world/europe/putin-history-tucker-carlson-russia-b2499837.html">long exposé sur l’histoire commune de la Russie et de l’Ukraine</a>, ce à quoi Carlson ne semblait manifestement pas préparé. Comme l’a <a href="https://landmarksmag.substack.com/p/a-symposium-on-tucker-carlsons-controversial">joliment formulé</a> Paul Greiner, Carlson « aurait été ravi d’entendre un “discours d’ascenseur” sur l’histoire russe qui aurait duré trente secondes, puis une longue liste de griefs » à l’encontre de l’OTAN. Il a eu droit aux deux, mais le passage sur l’Occident a été plutôt court, celui sur l’histoire très long.</p>
<p>Cela nous donne un aperçu de l’écart de perception entre, d’une part, les conservateurs américains, pour qui l’exaltation des « racines historiques » n’implique pas une connaissance approfondie de l’histoire mondiale, et d’autre part l’establishment politique russe, qui voit l’histoire <a href="https://www.lexpress.fr/monde/europe/l-histoire-de-l-ukraine-selon-poutine-contredit-tous-les-faits-etablis_2170236.html">comme un élément essentiel de légitimation de sa politique actuelle</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-reactions-ukrainiennes-a-la-reecriture-de-lhistoire-par-vladimir-poutine-168136">Les réactions ukrainiennes à la réécriture de l’histoire par Vladimir Poutine</a>
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<p>À plusieurs reprises, Poutine s’est montré irrité par les questions de Carlson relatives à l’expansion de l’OTAN et à la légitimité du récit de « dénazification » de l’Ukraine propagé par la Russie. Les deux hommes se sont également opposés sur leur vision de la Chine : le présentateur américain a répété le discours républicain habituel selon lequel la Chine est le nouvel ennemi global aussi bien des États-Unis que de la Russie, tandis que le chef de l’État russe a non seulement défendu une vision positive du partenariat entre Moscou et Pékin, mais a aussi <a href="https://tass.com/politics/1744037">replacé la montée en puissance de la Chine et le déclin de l’Occident dans un contexte mondial plus large</a>. Là encore, les deux visions du monde sont loin d’être convergentes.</p>
<h2>Les réactions de l’extrême droite européenne</h2>
<p>Les difficultés de l’extrême droite occidentale et de l’establishment russe à trouver un langage commun se sont également manifestées dans les réactions à l’interview. Même l’extrême droite allemande, la plus ouvertement pro-russe, ne s’est pas spécialement attardée sur le contenu de l’entretien. Certains responsables de l’AfD en ont fait l’éloge ; ainsi, Steffen Kotré a souligné l’offre de Poutine de reprendre l’approvisionnement en gaz de l’Allemagne – mais ce fut le seul communiqué de presse sur le sujet publié sur le site officiel de l’AfD au Bundestag. Björn Höcke, chef officieux de la mouvance la plus radicale de l’AfD, a également salué la vidéo, la qualifiant de <a href="https://t.me/BjoernHoeckeAfD/2016">« tour de force journalistique »</a>.</p>
<p>Dans le reste de l’Europe, l’événement a été largement passé sous silence, soit parce que les dirigeants d’extrême droite ne souhaitent pas être perçus comme chantant les louages de Poutine, soit parce qu’ils ne partagent pas les orientations géopolitiques de la Russie. Nigel Farage, l’ex-chef du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni, connu pour avoir à titre personnel noué des liens étroits avec l’extrême droite américaine, a par exemple <a href="https://www.gbnews.com/politics/us/putin-manipulating-debate-usa-ukraine-tucker-carlson">commenté</a> l’interview, mais s’est montré largement critique, la qualifiant de tentative de « propagande » pour atteindre le public américain. Il a également déclaré que Carlson aurait dû se montrer plus incisif et <a href="https://www.nationalreview.com/corner/what-tucker-carlson-didnt-ask-putin/">interroger Poutine sur Alexeï Navalny</a> (qui était encore en vie au moment de l’entretien).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1758523710707810726"}"></div></p>
<p>En France, où <a href="https://theconversation.com/entre-le-rassemblement-national-et-la-russie-une-longue-lune-de-miel-181633">l’extrême droite penche nettement du côté de Moscou</a>, la stratégie a consisté à atténuer les appréciations positives pour éviter de prêter le flanc à des critiques publiques. Ainsi, ni les comptes officiels sur les réseaux sociaux du Rassemblement national, ni ceux de Reconquête n’ont publié quoi que ce soit sur l’interview. Seules quelques voix l’ont commentée individuellement, comme <a href="https://twitter.com/ChagnonPatricia/status/1756307189755470134">Patricia Chagnon-Clevers</a>, députée RN au Parlement européen, ou <a href="https://twitter.com/NicolasDumasLR/status/1755950436413059170">Nicolas Dumas</a>, élu régional de Reconquête.</p>
<p>En Espagne, la couverture de l’interview a été faible. Plusieurs articles <a href="https://www.publico.es/internacional/putin-despacha-periodista-ultra-amigo-abascal-paz-depende-washington.html">ont souligné que Carlson est un « ami » du leader de Vox, Santiago Abascal</a>, l’a récemment interviewé et a assisté à un meeting à ses côtés en novembre dernier, mais ils se sont davantage intéressés à Carlson qu’à Poutine. L’extrême droite italienne n’a pas non plus beaucoup évoqué l’interview elle-même, puisque Georgia Meloni est de toute façon très atlantiste et pro-ukrainienne.</p>
<p>Cela contraste avec la visibilité médiatique, du côté russe, de la visite de Carlson à Moscou, qui a été largement suivie et commentée par les médias nationaux. À cette occasion, l’idéologue ultra-radical Alexandre Douguine a notamment publié un billet exalté consacré au « <a href="https://www.arktosjournal.com/p/tucker-carlson-and-maga-communism">communisme MAGA</a> », réunissant Trump et Marx, et a déclaré que les patriotes américains et les forces de gauche pouvaient œuvrer ensemble pour saper l’hégémonie libérale des États-Unis dans le monde.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1757015299268727146"}"></div></p>
<h2>Les réactions des conservateurs et de l’extrême droite aux États-Unis</h2>
<p>Même aux États-Unis, la réaction de la droite à l’interview a été très faible. Certains commentateurs conservateurs « mainstream », comme Ben Shapiro, Richard Hannia et Matt Walsh, se sont montrés favorables à Carlson, mais ont estimé que l’interview n’était pas efficace. Hannia a jugé que l’interview montrait que Poutine, dans son obsession de l’histoire, était <a href="https://twitter.com/RichardHanania/status/1755750991964913902">« déconnecté »</a> et Shapiro est allé encore plus loin, <a href="https://twitter.com/benshapiro/status/1755950137803722820">qualifiant</a> la longue diatribe de Poutine sur l’histoire russe de mauvaise justification pour ce qui était en fin de compte « une invasion barbare d’un pays souverain ».</p>
<p>D’autres ont semblé acquiescer aux commentaires de Poutine. Charlie Kirk, fondateur de « Turning Point USA », a choisi de publier des extraits de l’entretien sans commentaire, concluant seulement que Carlson avait livré avec cette interview une « masterclass ». Candice Owens, personnalité médiatique de droite radicale et contributrice régulière du Daily Wire, a soutenu l’affirmation de Poutine selon laquelle les États-Unis (y compris le président) étaient contrôlés par les services de renseignement américains et a <a href="https://youtu.be/5BdtMv-vyn0?si=OgpjyFAYDhoNXHR2">loué</a> la version de l’histoire russe donnée par Poutine.</p>
<p>Les personnalités de la droite la plus radicale se sont montrées nettement plus réceptives à l’interview. L’activiste politique d’extrême droite Jack Posobiec a <a href="https://twitter.com/HumanEvents/status/1756054087425040484">déclaré</a> que, bien qu’il ne soit pas d’accord avec une grande partie des propos de Poutine, il était intéressant de noter que celui-ci était prêt à faire la paix malgré les griefs historiques qu’il a rappelés. Il a également <a href="https://twitter.com/HumanEvents/status/1756046152519020611">considéré</a> que Poutine était impressionnant dans sa capacité à parler longuement de l’histoire de la Russie, tandis les États-Unis sont, selon lui, dirigés par un président qui est « pratiquement un légume ». Jackson Hinkle, apologiste de la Russie et commentateur d’extrême droite bien connu, a livré une <a href="https://twitter.com/ElijahSchaffer/status/1755795057284927808">analyse chaotique</a> de l’interview dans sa conversation avec le podcasteur Elijah Schaffer. Les deux hommes ont soutenu Poutine et ont déploré que Zelensky soit traité avec trop de complaisance par les journalistes occidentaux.</p>
<p>Cette opinion est partagée par d’autres commentateurs d’extrême droite, comme Tim Pool, qui s’est <a href="https://twitter.com/Timcast/status/1755595593982886043">plaint</a> que les médias avaient fait un moins bon travail en interviewant Zelensky, ou <a href="https://rumble.com/v4c905i-putin-x-tucker-interview.html">Nick Fuentes</a>, qui a exprimé à plusieurs reprises son admiration à l’égard de Poutine, même s’il a estimé que sa leçon d’histoire ne trouverait pas d’écho auprès du public américain et que l’ensemble de l’entretien n’avait « pas été révolutionnaire » puisqu’il n’avait apporté aucune nouvelle information ou révélation.</p>
<p>Quant aux élus républicains, ils sont pour la plupart restés critiques à l’égard de Poutine et ont <a href="https://www.politico.com/news/2022/02/01/gop-tucker-carlson-ukraine-00004370">rejeté</a> les efforts de Carlson visant à saper le soutien américain à l’Ukraine. Toutefois, cette position n’est pas partagée par tous. Quand Carlson a annoncé que l’entretien aurait lieu, l’élue de Géorgie Marjorie Taylor Greene a <a href="https://www.businessinsider.com/taylor-greene-defends-prospect-tucker-carlson-interviewing-putin-in-moscow-2024-2">défendu</a> cette initiative. Matt Gaetz (élu de Floride) a également salué l’interview et, après sa diffusion, <a href="https://twitter.com/mattgaetz/status/1755991276476924208">a fait remarquer</a> à quel point il trouvait impressionnante la capacité de Poutine à parler longuement d’histoire, alors que Joe Biden semble avoir des problèmes de mémoire. Le sénateur de l’Ohio JD Vance a <a href="https://twitter.com/JDVance1/status/1756031269517902297">critiqué</a> le fait que Carlson n’ait pas interpellé Poutine sur l’emprisonnement des journalistes, mais a <a href="https://twitter.com/JDVance1/status/1756091114732269846">souligné</a> l’importance de la longue diatribe de Poutine sur l’histoire.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1758200227217932653"}"></div></p>
<p>Aussi divisée que soit la droite américaine dans son interprétation de l’interview, une chose est certaine : celle-ci n’a pas été au cœur de ses préoccupations. L’entretien a été éclipsé par deux autres événements qui ont eu lieu le 8 février. D’abord, <a href="https://www.politico.com/news/2024/02/08/trump-supreme-court-oral-arguments-transcript-00140499">l’audition par la Cour suprême</a> des arguments des parties dans l’affaire en cours <a href="https://www.oyez.org/cases/2023/23-719">Trump v. Anderson</a> sur la question de savoir si Donald Trump peut être empêché de se présenter à la prochaine présidentielle en raison de son implication dans l’insurrection du 6 janvier 2021. Les juges de la Cour suprême se sont montrés uniformément sceptiques à l’égard de l’argument selon lequel les États peuvent choisir de disqualifier des candidats en vertu du 14<sup>e</sup> amendement, un point de vue qui a été largement salué par la droite.</p>
<p>Le deuxième événement qui a éclipsé l’interview de Poutine est la conférence de presse surprise du président Joe Biden sur le <a href="https://www.npr.org/2024/02/08/1229805332/special-counsel-report-biden-classified-documents">rapport</a> du ministère de la Justice concernant sa gestion de documents classifiés. Prenant la parole à peu près au moment où l’interview de Tucker Carlson était diffusée, Joe Biden s’est montré à cette occasion vif d’esprit, mais a commis une <a href="https://www.theguardian.com/us-news/video/2024/feb/09/israeli-offensive-on-gaza-over-the-top-says-biden-video">gaffe malencontreuse</a> : parlant du refus égyptien d’ouvrir le point de passage de Rafah entre l’Égypte et la bande de Gaza, il a déclaré que ce refus était dû au « président du Mexique, Sissi ». La droite américaine n’a évidemment pas manqué l’occasion de se moquer du président Biden et de marteler qu’il était inapte à exercer ses fonctions.</p>
<h2>Les droites dures occidentales et la Russie : accords et dissonances</h2>
<p>Il existe une véritable affinité idéologique <a href="https://www.cairn.info/revue-cites-2023-1-page-113.htm">entre l’extrême droite occidentale et la Russie</a> : une ontologie conservatrice commune de l’humanité qui croit à des identités collectives héritées du passé, dont les individus ne devraient pas chercher à se libérer ; une dénonciation de la démocratie et du libéralisme, ainsi que de la mondialisation, aussi bien économique que normative et culturelle ; une vision de l’État-nation comme entité suprême sur la scène internationale ; et une certaine admiration mutuelle et des emprunts ou idéologiques réciproques.</p>
<p>Cependant, cet ensemble de valeurs partagées ne suffit pas à donner lieu à une coopération politique et stratégique explicite. Le fait que Poutine ait décidé de se concentrer sur l’histoire nationale comme argument central pour justifier sa guerre en Ukraine, c’est-à-dire d’insister sur ce qui rend la Russie unique et non sur ce qu’elle partage avec l’Occident conservateur, est révélateur. Le fait que Carlson soit arrivé sans préparation et apparemment sans connaître la vision russe de la guerre, et qu’il ait tenté d’introduire dans la discussion les paradigmes habituels de la culture américaine en matière de politique étrangère sans se rendre compte qu’ils n’ont pas de sens pour les Russes, est également parlant.</p>
<p>Si le Kremlin croit sincèrement en l’existence d’un « bon » Occident, conservateur, prêt à se réconcilier avec lui au nom d’intérêts nationaux bien compris, cela ne fait pas pour autant de Trump un partenaire naturel et facile pour la Russie. Cela ne signifie évidemment pas que le trumpisme et la Russie ne peuvent pas prendre ensemble des décisions qui auraient un impact sur l’ordre mondial – mais il serait erroné de croire que ces deux parties sont capables de conduire une attaque coordonnée contre la démocratie libérale sur la base d’arguments idéologiques parfaitement ciselés.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224342/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La réaction des extrêmes droites européennes et américaine à l’entretien Carlson-Poutine a mis en lumière les divergences existant entre cette mouvance et le Kremlin plus que leurs points d’accord.Marlene Laruelle, Research Professor of International Affairs and Political Science, George Washington UniversityJohn Chrobak, Research Program Coordinator for the Illiberalism Studies Program, George Washington UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2216272024-01-28T16:07:53Z2024-01-28T16:07:53ZL’inquiétante progression d’Israël dans le classement des pays par nombre de journalistes emprisonnés<p>Israël est désormais l’un des pays du monde qui comptent le plus grand nombre de journalistes emprisonnés, selon une <a href="https://cpj.org/fr/reports/2024/01/recensement-carceral-2023-le-nombre-de-journalistes-emprisonnes-frole-un-niveau-record-forte-hausse-des-emprisonnements-en-israel/">étude</a> récemment publiée par le Comité pour la protection des journalistes (CPJ), basé à New York.</p>
<p>Chaque année, cette organisation publie un rapport faisant état du nombre de journalistes se trouvant derrière les barreaux. Au 1<sup>er</sup> décembre 2023, ce nombre s’élevait à 320, soit le deuxième le plus élevé depuis que ce classement a été créé en 1992. D’un certain point de vue, la dynamique est encourageante : le record en la matière – 367 – avait été <a href="https://cpj.org/data/?status=Imprisoned&start_year=1992&end_year=2022&group_by=year">enregistré en 2022</a>.</p>
<p>Il n’en demeure pas moins que le fait qu’autant de représentants du secteur des médias soient en prison est profondément préoccupant. Leur emprisonnement porte atteinte à la liberté de la presse et, souvent, aux droits humains.</p>
<h2>La guère enviable première place de la Chine</h2>
<p>Avec ses 44 journalistes emprisonnés, la République populaire de Chine occupe la première position. Elle est suivie par le <a href="https://rsf.org/fr/un-de-r%C3%A9pression-contre-le-journalisme-en-birmanie-en-chiffres">Myanmar</a> (43), la <a href="https://rsf.org/fr/b%C3%A9larus-rsf-d%C3%A9voile-les-portraits-des-27-professionnels-des-m%C3%A9dias-emprisonn%C3%A9s">Biélorussie</a> (28), la <a href="https://www.arte.tv/fr/videos/116944-000-A/journalistes-russes-en-danger-meme-en-exil/">Russie</a> (22) et le <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/vietnam-un-journaliste-independant-condamne-a-six-ans-de-prison-20230412">Vietnam</a> (19). Israël et <a href="https://rsf.org/fr/79-journalistes-arr%C3%AAt%C3%A9s-depuis-la-mort-de-mahsa-amini-une-r%C3%A9pression-terrifiante.">l’Iran</a> occupent conjointement le sixième rang (17 chacun).</p>
<p>Si la baisse par rapport à 2022 est indéniablement un phénomène positif, les statistiques révèlent quelques tendances inquiétantes.</p>
<p>Le CPJ ne se contente pas d’effectuer un simple décompte ; il examine également les accusations dont les journalistes font l’objet. En 2023, dans près des deux tiers des cas, les journalistes sont emprisonnés pour des faits que l’on peut globalement qualifier d’« atteinte aux intérêts de l’État » – une notion qui recouvre des inculpations pour espionnage, terrorisme, diffusion de fausses nouvelles, et ainsi de suite.</p>
<p>En d’autres termes, dans les pays concernés, les autorités considèrent le journalisme comme une sorte de menace existentielle qui doit être combattue à l’aide des lois protégeant la sécurité nationale.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Tpubh9Eb3G0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Dans certains cas, cela peut être justifié : il est en effet impossible d’examiner de façon indépendante chaque affaire. Mais ce qui ressort des observations du CPJ, c’est que, de plus en plus, les gouvernements perçoivent le domaine de l’information comme un champ de bataille. Dès lors, les journalistes se retrouvent dans une position précaire : ils sont vus, à leur corps défendant, comme des combattants engagés dans des affrontements souvent brutaux.</p>
<p>La première place de la Chine n’est guère surprenante. La RPC se classe en tête, ou juste en dessous, depuis plusieurs années. La censure rend extrêmement difficile une évaluation précise du nombre de personnes emprisonnées, mais on sait que, après la <a href="https://theconversation.com/hongkong-vitrine-de-la-democratie-a-la-chinoise-au-corps-defendant-de-ses-habitants-174297">répression des activistes pro-démocratie en 2021</a>, des journalistes de Hongkong se sont retrouvés enfermés pour la première fois. Près de la moitié des détenus chinois sont des Ouïghours du Xinjiang, région où Pékin a été accusé par le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme de <a href="https://www.ohchr.org/sites/default/files/documents/countries/2022-08-31/22-08-31-final-assesment.pdf">violations des droits humains</a> dans le cadre de la répression permanente conduite à l’encontre des minorités ethniques de la région, majoritairement musulmanes.</p>
<p>Les autres membres du « top cinq » sont également des habitués des places de tête de ce sinistre classement ; mais, juste en dessous de ce quintette, deux changements majeurs ont surpris les observateurs.</p>
<p>L’Iran avait <a href="https://cpj.org/reports/2022/12/number-of-jailed-journalists-spikes-to-new-global-record">pris la première place en 2022</a>, avec 62 journalistes emprisonnés. Ce chiffre est passé en 2203 à 17, ce qui a valu au pays de reculer à la sixième place. Un rang où il est rejoint par Israël, où un seul journaliste emprisonné avait été recensé en 2022.</p>
<p>C’est une bonne nouvelle pour les journalistes iraniens, mais une très mauvaise pour Israël, qui ne cesse de répéter qu’il est l’unique démocratie du Moyen-Orient et le seul pays de la région qui <a href="https://www.jpost.com/opinion/article-709045#google_vignette">respecte la liberté des médias</a>. En outre, Israël pointe régulièrement du doigt le régime iranien pour ses attaques répétées à l’encontre de tous ses détracteurs.</p>
<p>Les journalistes emprisonnés par Israël sont tous originaires de Cisjordanie occupée, tous palestiniens, et tous ont été arrêtés après les effroyables attaques lancées par le Hamas depuis Gaza le 7 octobre. Mais très peu de choses sont connues sur les raisons de leur mise en détention. Leurs proches ont déclaré au CPJ que la plupart d’entre eux étaient placés sous ce qu’Israël qualifie de « détention administrative ».</p>
<h2>Israël : dix-sept arrestations en moins de deux mois</h2>
<p>L’euphémisme « détention administrative » signifie en réalité que les journalistes ont été incarcérés <a href="https://www.btselem.org/topic/administrative_detention">pour une durée indéterminée, sans procès ni inculpation</a>.</p>
<p>Il est possible qu’ils aient, d’une manière ou d’une autre, planifié des attaques (Israël utilise l’outil de la détention administrative pour arrêter les personnes qu’il accuse de préparer la commission d’un futur délit), mais les preuves justifiant ces mises en détention ne sont pas divulguées, et les raisons de ces arrestations n’ont pas été rendues publiques.</p>
<p>La place qu’occupe Israël dans la liste du CPJ met en évidence une situation paradoxale et complexe. La liberté des médias fait partie intégrante d’une démocratie libre. Des médias dynamiques, incisifs et parfois hargneux sont un moyen éprouvé de maintenir le débat public en vie et le système politique en bonne santé.</p>
<p>C’est souvent problématique, notamment pour les autorités, mais il ne peut y avoir de système démocratique fort si les journalistes ne remplissent pas librement et vigoureusement leur rôle. De fait, l’ampleur de la répression exercée par un gouvernement à l’encontre des médias est un bon moyen de savoir si une démocratie est en train de s’effondrer.</p>
<p>Pour autant, on ne saurait établir une équivalence entre Israël et l’Iran. Israël reste une démocratie et les médias israéliens <a href="https://www.timesofisrael.com/public-trust-in-government-scrapes-bottom-amid-criticism-for-inadequate-war-response/">critiquent souvent leur gouvernement avec véhémence</a>, d’une manière qui serait impensable à Téhéran.</p>
<p>Mais si Israël veut rétablir la confiance dans son engagement envers les normes démocratiques, il devra au moins faire preuve de transparence sur les raisons de l’arrestation de 17 journalistes en moins de deux mois, et sur les preuves retenues contre eux. Et s’il n’y a aucune preuve qu’ils représentent une véritable menace pour la sécurité d’Israël, ils doivent être libérés immédiatement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221627/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Peter Greste est professeur de journalisme à l'université Macquarie et directeur exécutif de l'Alliance pour la liberté des journalistes. Il a également signé une lettre ouverte appelant à une couverture équilibrée du conflit entre Gaza et Israël et, en 2006, il a couvert la bande de Gaza pour la BBC.</span></em></p>La Chine trône en tête de ce classement, devançant plusieurs autres régimes autoritaires ; mais Israël occupe désormais la sixième place, aux côtés de l’Iran.Peter Greste, Professor of Journalism and Communications, Macquarie UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2213672024-01-21T14:41:55Z2024-01-21T14:41:55Z« Emmanuel Macron préfère se passer des journalistes dès qu’il le peut »<p><em>La conférence de presse d’Emmanuel Macron, mardi 16 janvier 2024, a fait l’objet de nombreuses remarques, à la fois sur la forme – deux heures et quart face à son auditoire – mais aussi le fond. Au-delà des axes politiques et des choix ministériels défendus, l’historien des médias Alexis Lévrier (CRIMEL-Université de Reims/GRIPIC-Sorbonne Université) qui a notamment publié l’ouvrage <a href="https://www.lespetitsmatins.fr/collections/essais/medias-politique-et-communication/252-jupiter-et-mercure-le-pouvoir-presidentiel-face-a-la-presse.html">« Jupiter et Mercure. Le pouvoir présidentiel face à la presse »</a> (2021) revient sur ce que ce moment dit du rapport très ambivalent que le chef de l’état entretient avec les médias, et ce que cela révèle aussi de la V<sup>e</sup> République.</em></p>
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<p><strong>La conférence de presse du 16 janvier 2024 marque-t-elle une étape nouvelle dans l’histoire des rapports entre <a href="https://www.lespetitsmatins.fr/collections/essais/medias-politique-et-communication/252-jupiter-et-mercure-le-pouvoir-presidentiel-face-a-la-presse.html">Emmanuel Macron et la presse</a> ?</strong></p>
<p>Il faut d’abord rappeler que le chef de l’État n’aime pas particulièrement cet exercice : il a donné très peu de grandes conférences de presse depuis son élection, alors même qu’il s’agissait d’un rituel prisé par les présidents de la République depuis le général de Gaulle. De la même manière, Emmanuel Macron a eu tendance à plusieurs reprises à se passer des vœux à la presse, autre tradition qui suppose la rencontre entre le président et les journalistes. L’an dernier, il a par exemple remplacé au dernier moment ce cérémonial par un échange en « off » avec une <a href="https://larevuedesmedias.ina.fr/v%C5%93ux-president-macron-presse-rituel-off-annulation-2023">dizaine d’éditorialistes choisis</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-resilience-du-journalisme-face-au-pouvoir-jupiterien-160264">La résilience du journalisme face au pouvoir « jupitérien »</a>
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<p>Il a malgré tout donné quelques conférences de presse au cours de son premier mandat, par exemple en <a href="https://www.youtube.com/watch?v=h36VYBX5lD4">2021 au moment de la présidence française de l’Union européenne</a>, ou en <a href="https://www.youtube.com/watch?v=s_0VbuU6XNg">mars 2022 pour lancer sa campagne pour l’élection présidentielle</a>. Auparavant, en avril 2019, un événement très similaire à celui qui vient de se tenir avait eu lieu pour clore la séquence du Grand débat national : le président s’était exprimé pendant deux heures trente devant un parterre de plusieurs centaines de journalistes, qui avaient eu la possibilité de lui poser des questions après un discours liminaire prononcé sur un <a href="https://www.dailymotion.com/video/x76lrxn">ton très solennel</a>.</p>
<p>Cette fois, le président semble avoir opté pour un format un peu plus souple et moins daté : son discours était plus court (une demi-heure contre une heure) et ses réponses plus brèves, ce qui a permis à plus d’une vingtaine de journalistes de l’interroger. La spécificité de cette intervention (et son importance pour l’Élysée) apparaît aussi dans le « teasing » qui l’a précédé : en annonçant un « rendez-vous avec la nation » dès la fin 2023, Emmanuel Macron a su créer une attente auprès de la population, encore renforcée par des <a href="https://twitter.com/EmmanuelMacron">rappels au cours des derniers jours</a> et par le choix d’un horaire en « prime time » destiné à toucher un public le plus large possible.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/hymBfhTlob8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Conférence d’Emmanuel Macron, mardi 16 janvier 2024, France 24.</span></figcaption>
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<p>Malgré les quelques efforts dont témoigne cette dernière conférence de presse, il est évident que le chef de l’État est peu à l’aise dans l’exercice et privilégie d’autres moyens de s’adresser aux Français.</p>
<p>D’une manière générale, c’est un président qui préfère se passer des journalistes dès qu’il le peut. Il l’avait du reste théorisé en amont de sa première élection, comme en témoignent les propos retranscrits par Philippe Besson, qui l’a accompagné durant sa campagne de 2017. Dans son essai <a href="https://www.lepoint.fr/livres/un-personnage-de-roman-nomme-macron-07-09-2017-2155117_37.php"><em>Un personnage de roman</em></a>, le romancier rapporte ainsi les jugements sévères tenus par Emmanuel Macron sur cette profession : le futur Président aurait même déclaré que beaucoup de journalistes « sont à la déontologie ce que mère Teresa était aux stups ».</p>
<p>Il en aurait tiré l’idée que cette corporation doit être contournée autant que possible pour s’adresser aux Français : « Il faut tenir les journalistes à distance […], trouver une présence directe, désintermédiée au peuple » (<em>Un Personnage de roman</em>, Julliard, 2017, p. 105).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/570088/original/file-20240118-25-r0m0vm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/570088/original/file-20240118-25-r0m0vm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=983&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/570088/original/file-20240118-25-r0m0vm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=983&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/570088/original/file-20240118-25-r0m0vm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=983&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/570088/original/file-20240118-25-r0m0vm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1235&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/570088/original/file-20240118-25-r0m0vm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1235&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/570088/original/file-20240118-25-r0m0vm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1235&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"><em>Un personnage de roman</em>, Philippe Besson, 2017 (collection 10-18).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.fnac.com/a11269087/Philippe-Besson-Un-personnage-de-roman">Fnac</a></span>
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<p>Ce rêve d’une « désintermédiation » est illusoire, puisqu’un responsable politique a de toute façon besoin d’utiliser des médias pour communiquer. Mais Emmanuel Macron a tendance à le faire sans journalistes, par le biais d’allocutions solennelles face caméra (au moment de la crise sanitaire notamment) ou en recourant aux réseaux sociaux.</p>
<p>Cette méfiance à l’égard de la presse constitue évidemment une rupture spectaculaire avec le modèle incarné par François Hollande : <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/non-classe/francois-hollande-le-president-qui-voulait-etre-normal-60381">« le président normal »</a> ouvrait constamment les portes de l’Élysée aux journalistes et n’a cessé de communiquer avec eux pendant son mandat.</p>
<p>À l’inverse, Emmanuel Macron a revendiqué dans deux entretiens programmatiques – <a href="https://le1hebdo.fr/journal/macron-un-philosophe-en-politique/64/article/j-ai-rencontr-paul-ricoeur-qui-m-a-rduqu-sur-le-plan-philosophique-1067.html">dans <em>Le 1</em> en 2015</a> puis dans <a href="https://www.challenges.fr/election-presidentielle-2017/interview-exclusive-d-emmanuel-macron-je-ne-crois-pas-au-president-normal_432886"><em>Challenges</em> en 2016</a>- sa volonté de renouer avec une verticalité dans l’exercice du pouvoir. Plus encore que l’exemple gaullien, souvent cité, il a suivi les leçons du communicant de François Mitterrand, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Pilhan">Jacques Pilhan</a>, qui a théorisé la notion de président « jupitérien » : il a voulu une parole arythmique, maîtrisée, en choisissant ses propres moments et ses propres formats pour intervenir dans l’espace médiatique. Cette rareté a pour vertu de créer une attente : ce 16 janvier 2024, 8 chaînes de télévision ont par exemple diffusé en direct la conférence de presse du président.</p>
<p><strong>Comment expliquer cette méfiance à l’égard des journalistes ?</strong></p>
<p>Là aussi c’est assez particulier à Emmanuel Macron. Bien sûr il s’agit pour lui de revenir à une forme d’âge d’or de la V<sup>e</sup> République, qu’incarneraient les présidences de Gaulle et Mitterrand. Mais même ces deux prestigieux prédécesseurs ont su créer des liens de proximité et parfois d’amitié avec des journalistes. Certains de leurs successeurs sont allés beaucoup plus loin, à l’image de François Hollande donc, mais aussi de Nicolas Sarkozy, qui a cultivé des relations souvent passionnelles avec la presse.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/moi-president-e-regle-n-1-la-jouer-people-167197">« Moi, président·e » : Règle n°1, la jouer people</a>
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<p>Il me semble que l’attitude assez singulière d’Emmanuel Macron à l’égard de la presse s’explique d’abord par son parcours. Contrairement à ses prédécesseurs, il n’a jamais été élu. Or, quand vous êtes élu à l’échelle territoriale ou locale, vous devez construire une forme de compagnonnage avec la presse. Parfois cela créé des relations de connivence, ce qui pose question bien sûr. Mais au moins ce lien, cette médiation existe. Emmanuel Macron a voulu pour sa part créer une « saine distance » avec la presse, selon une formule utilisée <a href="https://video-streaming.orange.fr/actu-politique/macron-plaide-pour-une-saine-distance-entre-pouvoir-et-medias-CNT000000UVWwg.html">lors de ses premiers vœux à la presse, en 2018</a>. Le problème est que cette distance s’est souvent accompagnée d’une incompréhension, et parfois d’une forme de brutalité.</p>
<p><strong>La « saine distance » voulue par Emmanuel Macron suffit-elle à expliquer pourquoi la presse française est à ce point dépendante des interventions du président pour construire l’agenda médiatique ?</strong></p>
<p>Cette dépendance de la presse française ne date pas de l’élection d’Emmanuel Macron, bien au contraire. Elle s’explique d’abord par le fonctionnement de la V<sup>e</sup> République, qui attribue un pouvoir écrasant au président de la République. Le chef de l’État a la possibilité de fixer le rythme de ses interventions, et les grands médias se trouvent donc en situation de subordination à cette parole.</p>
<p>La situation actuelle puise même son origine dans une histoire plus ancienne encore : il existe une faiblesse culturelle de la presse française à l’égard de l’État depuis l’Ancien Régime, période durant laquelle les journaux ont été assujettis au pouvoir dans des proportions considérables. Il n’est pas anodin que les <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/les-journalistes-en-france-1880-1950-christian-delporte/9782020235099">grandes conquêtes du journalisme</a> (de la loi de 1881 à la création de la carte de presse) aient eu lieu sous la III<sup>e</sup> République, seul régime parlementaire durable que la France ait connu. À chaque fois que la France a renoué avec un pouvoir centralisé, personnalisé et incarné, cela s’est accompagné <a href="https://www.lespetitsmatins.fr/collections/essais/medias-politique-et-communication/252-jupiter-et-mercure-le-pouvoir-presidentiel-face-a-la-presse.html">d’une tentation de limiter la liberté de la presse</a>.</p>
<p>Avec la V<sup>e</sup> République nous sommes ainsi revenus à un système très hiérarchisé, dans lequel le pouvoir maintient une relation pyramidale avec les journalistes : au sommet les éditorialistes politiques, souvent reçus et choyés par l’Élysée, et tout en bas les journalistes de terrain, dont le travail d’enquête est pourtant indispensable à la démocratie. Avec ces éditorialistes qui vivent dans l’entre-soi avec le pouvoir, c’est l’héritage de notre culture de Cour qui persiste.</p>
<p>Dans un premier temps, Emmanuel Macron avait voulu rompre avec ces « relations poisseuses », selon une confidence <a href="https://www.albin-michel.fr/le-tueur-et-le-poete-9782226398055">rapportée par Maurice Szafran et Nicolas Domenach</a>, qui incarnent précisément cette forme de journalisme politique. Mais il aura fini par rejoindre cette tradition française si favorable au pouvoir. </p>
<p>La méfiance à l’égard du journalisme d’investigation était par exemple flagrante le 16 janvier. Alors que <em>Libération</em> et <em>Mediapart</em> ont fait paraître des enquêtes défavorables à Amélie Oudéa-Castéra au cours des jours précédents, ils ont été oubliés par les attachés de presse de l’Élysée qui ont distribué la parole tout au long de la soirée. Ainsi, alors que la question de l’école a occupé une très large partie de la conférence de presse, jamais <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/160124/affaire-oudea-castera-mediapart-publie-le-rapport-sur-stanislas-cache-par-les-ministres">l’enquête sur l’école Stanislas</a> publiée par Mediapart le jour même n’a été mentionnée.</p>
<p>La presse française a cependant une responsabilité dans cette situation, et là encore la conférence de presse du 16 janvier l’a montré de manière parfois gênante. Dans le monde anglo-saxon, il est en effet courant, lorsqu’un responsable politique esquive une question, que la même question lui soit posée par les journalistes désignés ensuite. Or, le 16 janvier, personne n’a vraiment relancé Emmanuel Macron quand le président a choisi de botter en touche, et aucun journaliste n’a choisi de reprendre à son compte les questions que ne pouvait pas poser Mediapart.</p>
<p>Certains journalistes ont bien sûr manifesté à titre individuel leur exaspération d’être ainsi privés de parole, à l’image de Paul Larrouturou.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1747368669628293343"}"></div></p>
<p>Mais on aurait pu imaginer une forme de résistance collective, et elle n’a pas eu lieu. Le plus inquiétant dans la conférence de presse du 16 janvier était sans doute cette incapacité de la presse française à se penser elle-même comme un contrepouvoir face au chef de l’État.</p>
<p>**Quel bilan tirer des relations entre Emmanuel Macron et les journalistes sept ans après son arrivée au pouvoir ? Peut-on déjà considérer que sa présidence aura été marquée par un recul de la liberté de la presse ?</p>
<p>Le constat est forcément nuancé puisque ce jeune chef de l’État venu de la gauche, et qui se réclame du <a href="https://theconversation.com/lechec-du-en-meme-temps-macroniste-une-repetition-dun-phenomene-du-xix-si%C3%A8cle-204627">« progressisme »</a>, a fait l’éloge à plusieurs reprises de la fonction démocratique du journalisme. Dans ses vœux à la presse, en janvier 2022, il avait par exemple célébré le travail des journalistes et cité la formule célèbre de Zola : <a href="https://www.youtube.com/watch?v=0EHb0xb8Hrs">« Je suis pour et avec la presse »</a>. Il s’agissait alors de s’opposer à Éric Zemmour, qui venait de mettre en cause le rôle joué dans l’Affaire Dreyfus par l’auteur de « J’accuse ».</p>
<p>Ce président du « en même temps » semble parfaitement conscient des contradictions françaises en la matière. S’il a souvent souligné l’attachement des Français à l’héritage de l’Ancien Régime, il a aussi présenté la France comme un « pays de monarchistes régicides » dans un entretien au Spiegel, en <a href="https://www.spiegel.de/international/europe/interview-with-french-president-emmanuel-macron-a-1172745.html">octobre 2017</a>. Il sait que l’une de ces Révolutions, en <a href="https://www.retronews.fr/histoire-de-la-presse-medias/long-format/2018/03/22/la-suspension-de-la-liberte-de-la-presse-en-1830">juillet 1830</a>, a justement eu pour origine la volonté de défendre la liberté de la presse. On peut donc considérer qu’il a voulu tenir compte de cette double aspiration dans l’exercice du pouvoir.</p>
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<figcaption><span class="caption">Retronews, archives BNF.</span></figcaption>
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<p>Mais cet équilibre apparaît aujourd’hui de plus en plus précaire, et l’on peut s’interroger sur le legs que laissera le macronisme après dix années d’exercice très vertical du pouvoir. Il semble presque banal aujourd’hui que les journalistes soient pris pour cibles par les forces de l’ordre lors des manifestations, et le projet de loi sécurité globale prévoyait même dans sa version originelle de rendre presque <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/05/20/le-conseil-constitutionnel-censure-l-ex-article-24-de-la-proposition-de-loi-securite-globale_6080897_3224.html">impossible de publier des images de policiers</a>. On peut constater par ailleurs que les convocations à la DGSI ont été particulièrement nombreuses depuis 2017 : il est devenu courant d’essayer d’identifier les sources des journalistes d’investigation, au mépris des lois qui protègent leur travail. L’exemple d’Ariane Lavrilleux, qui a subi 39 heures de garde à vue en septembre 2023, apparaît de ce point de vue comme <a href="https://www.liberation.fr/idees-et-debats/ariane-lavrilleux-en-garde-a-vue-une-attaque-sans-precedent-contre-la-protection-du-secret-des-sources-alertent-des-societes-de-journalistes-20230921_5UWBOPZ4DNG3XFQ4PCQDFYFUL4/">particulièrement inquiétant</a>.</p>
<p>La conférence de presse du 16 janvier a montré malgré tout qu’Emmanuel Macron se considère toujours comme le défenseur des libertés face aux risques que représenterait l’arrivée au pouvoir du Rassemblement national. Tourné désormais vers les élections européennes, il a voulu mettre en scène l’affrontement de deux projets de civilisation qui se dessinerait à l’échelle du continent. Mais le paradoxe de cette défense des valeurs démocratiques est qu’elle survient au moment même où la France est à la manœuvre, au niveau européen, pour limiter la liberté de la presse.</p>
<p>Notre pays figure en effet parmi les pays qui militent activement pour autoriser la <a href="https://disclose.ngo/fr/article/espionnage-des-journalistes-la-france-fait-bloc-aux-cotes-de-six-etats-europeens">surveillance des journalistes par des logiciels espions</a>. Le « en même temps » finit ici par se perdre et par aboutir à une évidente contradiction : Emmanuel Macron se veut le héraut du camp du progrès à l’échelle européenne mais, en matière de journalisme, il défend des pratiques autoritaires qui sont d’habitude l’apanage des démocraties illibérales.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221367/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexis Lévrier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La conférence de presse d’Emmanuel Macron, mardi 16 janvier 2024, montre l’ambivalence du rapport qu’entretient le chef de l’état avec les médias.Alexis Lévrier, Historien de la presse, maître de conférences Université Reims Champagne Ardenne, chercheur associé au GRIPIC, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2194142024-01-02T16:28:22Z2024-01-02T16:28:22ZVirginia Woolf ou l’histoire oubliée d’une émancipation par le journalisme<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/566390/original/file-20231218-25-rn4t2f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C16%2C1142%2C569&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Virginia Woolf dans son cottage de Monk's House.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Virginia_Woolf_at_Monk%27s_house.jpg">Wikipédia</a></span></figcaption></figure><p>Si on connaît la Virginia Woolf romancière, essayiste et éditrice, son parcours de journaliste reste méconnu. Elle fut pourtant une digne représentante de la profession, dès 1904, à en croire la profusion de ses excellentes collaborations littéraires dans les journaux de l’époque et la modernité de ses articles les plus politiques, engagés en faveur du féminisme et du pacifisme.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/566931/original/file-20231220-17-rrvdey.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/566931/original/file-20231220-17-rrvdey.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/566931/original/file-20231220-17-rrvdey.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=916&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/566931/original/file-20231220-17-rrvdey.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=916&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/566931/original/file-20231220-17-rrvdey.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=916&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/566931/original/file-20231220-17-rrvdey.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1151&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/566931/original/file-20231220-17-rrvdey.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1151&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/566931/original/file-20231220-17-rrvdey.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1151&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">L’édition Gallimard du « Hye Park Gate News ».</span>
<span class="attribution"><span class="source">Gallimard</span></span>
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<p>À l’âge de 9 ans, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Virginia_Woolf">Virginia Woolf</a> écrit ses premiers articles pour le journal qu’elle a créé en 1891 avec sa sœur aînée, Vanessa. Le titre de l’en-tête du journal est <em>Hyde Park Gate News</em>, inspiré du nom de la rue où elles vivent, située dans le quartier chic de Kensington. Elles y écrivent de brèves chroniques manuscrites de la vie quotidienne, des devinettes, des histoires de famille et d’amis mais aussi des feuilletons, des fausses correspondances. Dans le premier numéro, elles présentent des caricatures de leurs frères et des anecdotes personnelles, parfois chargées de connotations satiriques. Cette aventure journalistique dure quatre ans. La famille Stephen a un autre journal rival : <em>The Talland Gazette</em>, édité par leur frère Adrian.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/566912/original/file-20231220-23-1dr487.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/566912/original/file-20231220-23-1dr487.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/566912/original/file-20231220-23-1dr487.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=805&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/566912/original/file-20231220-23-1dr487.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=805&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/566912/original/file-20231220-23-1dr487.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=805&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/566912/original/file-20231220-23-1dr487.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1011&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/566912/original/file-20231220-23-1dr487.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1011&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/566912/original/file-20231220-23-1dr487.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1011&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Virginia Woolf et sa sœur Vanessa jouant au cricket, en 1894.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikimedia</span></span>
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<p>La presse fait partie de l’univers familial. Son père, Sir <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Leslie_Stephen">Leslie Stephen</a>, est journaliste et écrivain. La petite Virginia, suivant les traces de la tradition paternelle, manifeste dès son enfance un penchant précoce pour l’écriture et l’inventivité. Elle se construit autour d’un amour inconditionnel à la lecture et à l’écriture. En 1904, elle note dans son journal : « Je ne peux pas m’empêcher d’écrire ». Cette année-là, le journalisme devient son premier métier.</p>
<h2>Transformer toute expérience en mots</h2>
<p><a href="https://data.bnf.fr/fr/11929398/virginia_woolf/">Virginia Woolf</a> possède l’art de transformer toute expérience en mots. Autodidacte, elle n’est jamais allée à l’école ni à l’université. Lectrice vorace, c’est dans la fabuleuse bibliothèque familiale qu’elle découvre les classiques et la grande littérature. Elle fait ses premiers pas dans l’écriture professionnelle grâce au journalisme. Woolf débute dans le métier en 1904, bien avant de devenir écrivaine et publier son premier roman <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Travers%C3%A9e_des_apparences"><em>La Traversée des apparences</em></a> (1915), à l’âge de 33 ans.</p>
<p>Avec un grand talent, Virginia Woolf rédige d’innombrables critiques littéraires et essais journalistiques tout au long de sa vie. Elle publie de nombreux articles dans divers médias – tant en Angleterre qu’aux États-Unis – principalement dans le <em>Guardian</em>, le <em>Times Literary Supplement</em>, <em>Nation & Athenaeum</em>, <em>Criterion</em>, <em>Academy and Literature</em>, <em>Atlantic Monthly</em>, la <em>Saturday Review of Literature</em>, le <em>New York Evening Post</em>, le <em>New Republic</em> et dans la presse populaire féminine avec <em>Good Housekeeping</em> et <em>Vogue</em>, entre autres.</p>
<h2>L’indépendance chevillée au corps</h2>
<p>Le journalisme littéraire reste sa principale source de revenus, un espace où elle forge sa plume, expérimente et élargit sa pensée. Dans son célèbre essai <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Une_chambre_%C3%A0_soi"><em>Une chambre à soi</em></a> (1929), elle affirme qu’« une femme doit avoir de l’argent et une chambre à soi si elle souhaite pouvoir écrire des histoires ». Et le métier de journaliste lui permet d’acquérir cette indépendance financière qu’elle a toujours désirée et défendue pour être une femme libre.</p>
<p>Dans une conférence qu’elle donne sur les « Professions pour les femmes » à la National Society for Women’s, le 21 janvier 1931 à Londres, l’écrivaine justifie à partir de sa propre expérience de journaliste l’importance de l’émancipation féminine :</p>
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<p>« Revenons à mon histoire – elle est simple. Il suffit d’imaginer une jeune fille assise un crayon à la main. Elle n’a qu’à faire glisser ce crayon de gauche à droite – de dix heures du matin à une heure. Puis il lui vient l’idée de faire quelque chose qui est, après tout, simple et peu coûteux – glisser quelques-unes de ces pages dans une enveloppe, y coller en haute à droite un timbre d’un penny, et jeter l’enveloppe dans la boîte aux lettres au coin de la rue. C’est ainsi que je devins journaliste ; et mes efforts furent récompensés le premier du mois suivant – quel jour heureux ce fut pour moi – par une lettre du directeur d’une revue contenant un chèque d’une livre, et une dizaine de shillings. »</p>
</blockquote>
<p>Ce texte montre à quel point Virginia Woolf assume son travail de journaliste, une profession oubliée dans la plupart des biographies qui lui sont dédiées. Si le journalisme lui permet de gagner sa vie, et contribue à façonner son style d’écriture, elle s’y consacre pleinement avant de se lancer dans la fiction. Un métier qu’elle exerce alors même qu’elle est déjà romancière reconnue, lui donnant la même importance que son œuvre narrative. La preuve : la romancière a publié une sélection de ses essais journalistiques en 1925 sous le titre « The Common Reader » (<a href="https://www.arche-editeur.com/livre/le-commun-des-lecteurs-404">« Le Commun des lecteurs »</a>, ce qui lui a valu une grande reconnaissance en tant que critique littéraire. La grande majorité de ses articles <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Andrew_McNeillie">ont été rassemblés en plusieurs volumes par Andrew McNellie</a>.</p>
<p>Seule l’universitaire Leila Brosnan, dans <a href="https://edinburghuniversitypress.com/book-reading-virginia-woolf-s-essays-and-journalism.html"><em>Reading Virginia Woolf Essais and Journalism</em></a> semble s’être penchée sérieusement sur la carrière journalistique de Woolf. Les études littéraires académiques ne la présentent généralement que comme une essayiste – toujours sous l’étiquette des « Essais de Virginia Woolf » – et à peine comme journaliste, peut-être parce que le journalisme est considéré comme un genre mineur. Il faut pourtant garder à l’esprit l’importance de la dimension journalistique de ses articles, qui sont marqués par l’actualité et destinés aux lecteurs de la presse écrite.</p>
<h2>Un premier article sur les sœurs Brontë</h2>
<p>À l’âge de 22 ans, Virginia Woolf publie son premier article dans le <a href="https://www.theguardian.com/gnm-archive"><em>Guardian</em></a>. Un âge auquel beaucoup des jeunes journalistes d’aujourd’hui sont encore stagiaires. Son amie Violet Dickinson l’a présentée à la rédactrice en chef du supplément féminin du journal – la seule porte d’entrée pour une femme aspirant au journalisme à l’époque – et Virginia lui propose d’y collaborer. Elle publie d’abord une critique d’une œuvre du romancier américain W.D. Howells, puis l’article, intitulé <a href="https://www.ecoledeslettres.fr/un-texte-inedit-de-virginia-woolf-au-pays-des-soeurs-bronte/">« Pèlerinage à Haworth »</a>, paraît le 21 décembre, non signé en décembre 1904. Virginia y raconte sa visite au presbytère de Haworth, <a href="https://www.bronte.org.uk/">où vivaient les sœurs Brontë</a>. C’est ainsi que commence sa carrière de journaliste.</p>
<p>Ses premières critiques dans le <em>Guardian</em> sont anonymes. Plus tard, elle contribue à d’autres publications prestigieuses telles que le <a href="https://www.the-tls.co.uk/"><em>Times Literary Supplement</em></a>- et le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/The_Nation_and_Athenaeum">magazine <em>Nation & Athenaeum</em></a>, dont les pages littéraires sont sous la responsabilité de son mari, <a href="https://www.lemonde.fr/livres/article/2023/03/26/les-passions-de-leonard-woolf_6167035_3260.html">Leonardo Woolf</a>, avec qui elle fonde la maison d’édition Hogarth Press.</p>
<p>Il est regrettable que l’activité journalistique de Virginia Woolf ait été reléguée au second plan, notamment parce que le journalisme a joué un rôle important dans sa carrière littéraire et a contribué à façonner son style d’écriture. La romancière s’est principalement impliquée dans la critique littéraire mais a également écrit des articles plus politiques liés à l’actualité, dans lesquels elle défend la cause féministe, le pacifisme ou son soutien à la République pendant la guerre civile espagnole, où son neveu a perdu la vie en tant que membre des Brigades internationales. Fervente pacifiste, elle aborde dans son essai sociopolitique <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2002/11/08/trois-guinees-de-virginia-woolf_4244607_1819218.html"><em>Trois guinées</em></a> la question de <a href="https://www.rtbf.be/article/virginia-woolf-ecrire-dans-la-guerre-un-podcast-avec-valerie-bauchau-et-pascale-seys-11027483">« Comment éviter la guerre ? »</a>, dans lequel elle dénonce le fascisme, le bellicisme et la discrimination féminine dans la société patriarcale anglaise.</p>
<h2>L’art de l’essai journalistique</h2>
<p>Sa production journalistique, qui représente un corpus de plus de 500 articles, témoigne des passions et de l’engagement de Virginia Woolf. Deux types de textes se distinguent : d’une part, ceux qui sont attachés à l’actualité littéraire avec des critiques de livres. D’autre part, il y a des articles de fond, qui répondent au genre de l’essai journalistique, où l’écrivaine donne libre cours à sa réflexion sur la littérature et la création. L’essai journalistique lui permet d’établir un dialogue direct avec les lecteurs – où abondent les clins d’œil, parfois une certaine ironie –, mais aussi une confrontation entre tradition littéraire et culture. Elle révèle aussi parfois ses propres confessions, pénétrant même dans le territoire de la fiction en toute liberté. Dans un article intitulé « La décadence de l’essai » publié dans la revue <em>Academy and Literature</em> le 25 février 1905, Virginia Woolf pose les bases de sa conception et de son renouvellement de ce genre journalistique qu’elle qualifie d’« essai personnel » :</p>
<blockquote>
<p>« La plus marquante de ces innovations littéraires est l’invention de l’essai personnel. On ne saurait nier qu’il remonte en fait à Montaigne, mais nous pouvons aisément le ranger parmi les modernes. […] La forme particulière de l’essai sous-entend une substance particulière : cette forme nous permet de dire ce que nulle autre forme ne nous permet de dire avec autant de précision. »</p>
</blockquote>
<p>Pour l’écrivaine, l’essai journalistique, en tant que genre d’opinion, de commentaire, est « avant tout l’expression d’une opinion personnelle ».</p>
<p>On notera également dans sa production journalistique les biographies des grandes figures de la littérature, de ses auteurs fétiches tels que Dostoïevski, Montaigne ou Tolstoï, pour ne citer que quelques exemples, sans oublier Jane Austen, Kipling, Whitman ou Henry James… Dans un article publié dans le <em>Times Litterary Supplement</em> le 31 janvier 1924, elle rend hommage à Montaigne :</p>
<blockquote>
<p>« Cette manière de parler de soi-même, au gré de son inspiration, en donnant les méandres, le poids, la couleur et la mesure de son âme dans toute sa confession, sa bigarrure, son imperfection – cet art revient à un homme, un seul : Montaigne. […] Dire la vérité sur soi-même, se découvrir dans toute sa familiarité, n’est guère chose aisée. »</p>
</blockquote>
<h2>Un père autoritaire</h2>
<p>Justement, sur « L’art de la biographie », elle publie un article portant le même titre dans la revue <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/The_Atlantic"><em>Atlantic Monthly</em></a> en avril 1939. Virginia hérite ce goût particulier pour la biographie que son père, Sir Leslie Stephen, rédacteur en chef du <a href="https://onlinebooks.library.upenn.edu/webbin/metabook?id=dnb"><em>Dictionary of National Biography</em></a>, cultivait si bien. Un père illustré et raffiné, qui, devenu veuf, devient autoritaire avec ses filles. Plus tard, Virginia avoue dans son journal intime, le 28 novembre 1928, à l’âge de 46 ans, comment sa mort l’a libérée pour écrire :</p>
<blockquote>
<p>« Anniversaire de père. Il aurait eu 96 ans, oui 96 ans aujourd’hui, 96 ans comme d’autres personnes que l’on a connues. Mais Dieu merci, il ne les a pas eus. Sa vie aurait absorbé toute la mienne. Que serait-il arrivé ? Je n’aurais rien écrit, pas un seul livre. Inconcevable. »</p>
</blockquote>
<p>Dans ses articles de critique littéraire, Virginia Woolf s’enthousiasme pour les classiques et l’influence qu’ils ont exercée sur elle, en particulier la littérature française et russe. Par ailleurs, on y trouve plus d’auteurs disparus qu’actuels. Virginia Woolf a du mal à juger ses contemporains, un éternel dilemme pour les écrivains qui sont aussi critiques littéraires. Certains auteurs comme <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/E._M._Forster">E. M. Forster</a> font l’éloge de son style personnel, libre et inimitable. Dans une conférence donnée après la mort de Virginia, Forster loue ses qualités de critique littéraire, sa finesse d’analyse et sa pertinence. Cependant, il lui reproche sa difficulté à analyser ses contemporains. C’est le cas avec James Joyce, qu’elle qualifie après la publication d’<a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/cinq-conseils-pour-parvenir-a-lire-ulysse-de-james-joyce-1068184"><em>Ulysse</em></a> de « catastrophe mémorable ».</p>
<p>Les journaux intimes de Virginia Woolf font souvent référence à ses contributions journalistiques au <em>Times</em>. Parfois, elle se plaint qu’on lui envoie des livres qu’elle n’a pas envie de critiquer, d’autres fois, c’est elle qui propose un auteur qui suscite un grand intérêt pour elle. L’écrivaine avoue son malaise face à la pression des lecteurs et craint d’être mal comprise dans ses prises de positions, comme elle l’avoue dans son journal intime le 15 avril 1920 :</p>
<blockquote>
<p>« Prétentieux, disent-ils ; et une femme qui écrit bien, et qui écrit aussi pour le <em>Times</em>, il n’y a plus rien à dire. »</p>
</blockquote>
<p>Son incessant travail journalistique l’accable parfois, car Virginia Woolf s’y consacre avec beaucoup d’énergie, comme elle le reconnaît dans une autre note de son journal, le 11 avril 1931 :</p>
<blockquote>
<p>« Je suis très fatiguée de corriger mes propres écrits – ces huit articles – même si j’ai appris à écrire vite, ce qui signifie renoncer à la pudeur. Je veux dire que le style est libre ; mais corriger est un travail répugnant, ce qui me donne la nausée. Et la condensation et la coupe. Et ils me demandent des articles et encore des articles. Il faudrait que j’écrive des articles pour toujours. »</p>
</blockquote>
<p>Virginia Woolf élabore une théorie littéraire inspirée de sa propre pratique d’écriture et de ses préférences en tant que lectrice, comme elle l’évoque dans l’article « Comment écrire un livre », publié dans le <em>Times Literary Supplement</em> :</p>
<blockquote>
<p>« Arracher une émotion, s’enivrer d’elle, se fatiguer et la jeter, c’est aussi courant en littérature que dans la vie. Mais si l’on distille ce plaisir chez Flaubert, le plus austère de tous les écrivains, il n’y a pas de limite aux effets enivrants de Meredith, Dickens et Dostoïevski, de Scott et Charlotte Brontë. »</p>
</blockquote>
<p>Dans d’autres articles, l’écrivaine aborde non seulement ses lectures, mais aussi la notion de bibliothèque, les frontières de la fiction… Le tout dans un langage très soigné, fluide et direct. Son style avant-gardiste l’amène même à pratiquer la liberté stylistique en jouant avec les conventions typographiques et la ponctuation. Les qualités journalistiques de Virginia Woolf mettent en évidence la grande clarté et l’agilité de la pensée dans sa réflexion littéraire, marquée par l’omniprésence du « je ».</p>
<h2>Féminisme et engagement politique</h2>
<p>Parmi ses articles d’actualité se détachent des écrits d’ordre plus politique et engagé, comme « Mémoires d’une coopérative de travailleuses », publié dans la <a href="https://yalereview.org/"><em>Yale Review</em></a> en septembre 1930. Sur un ton affirmé d’éditorialiste, Virginia Woolf fait un plaidoyer à la faveur de l’amélioration des conditions de vie des ouvrières. Avec de forts témoignages et une interpellation des responsables :</p>
<blockquote>
<p>« Je suis une femme de mineur. Il vient juste de rentrer couvert de suie. Il doit tout d’abord se laver. Puis il doit prendre son dîner. Mais nous n’avons pas qu’un baquet à lessive. Mon fourneau est encombré de casseroles. Impossible de faire ce que j’ai à faire. Toute ma vaisselle est à nouveau couverte de poussière… Pourquoi, mon Dieu, ne puis-je pas avoir de l’eau chaude et l’électricité comme les femmes de la classe moyenne… ‘ Alors me je dresse et réclame ‘le confort domestique et une réforme de l’habitat’. Je me dresse en la personne de Mrs. Giles de Durham ; en la personne de Mrs. Philippe de Bacup ; en la personne de Mrs. Edwards de Wolverton ».</p>
</blockquote>
<p>Elle décrit la volonté d’émancipation des ouvrières et réclame le droit de vote des femmes :</p>
<blockquote>
<p>« Dans ce vaste public, parmi toutes ces femmes qui travaillaient, ces femmes qui avaient des enfants, ces femmes qui frottaient et cuisinaient et marchandaient sur tout et savaient au sou près ce qu’elles pouvaient dépenser, pas une n’avait le droit de vote. »</p>
</blockquote>
<p>Dans d’autres passages, elle revendique le droit au divorce, le droit à l’éducation, l’amélioration du salaire des femmes et appelle à une réduction de la journée de travail. Cet article s’appuie sur de nombreux faits dans sa dénonciation des conditions d’exploitation des travailleuses :</p>
<blockquote>
<p>« La plupart de ces femmes avaient commencé à travailler à sept ou huit ans, nettoyant les escaliers le dimanche pour un penny, ou portant leur repas aux hommes de la fonderie pour deux pence. Elles étaient entrées à l’usine à l’âge de quatorze ans. Elles travaillaient de sept heures du matin à huit ou neuf heures du soir et gagnaient entre treize et quinze shillings la semaine. »</p>
</blockquote>
<p>Engagée dans son temps, icône incontournable du féminisme – dans son combat pour libérer les femmes de la tyrannie du système patriarcal – Virginia Woolf utilise le journalisme pour exprimer ses positions sur les événements politiques et historiques de l’époque. Un terrain où elle déverse nombre des réflexions développées plus tard dans ses célèbres essais : <em>Une chambre à soi</em> (1929) et <em>Trois Guinées</em> (1938).</p>
<p>Sur fond de Seconde Guerre mondiale, tandis que Londres subit des bombardements incessants, la journaliste-écrivaine publie en 1940 l’article « Considérations sur la paix en temps de guerre » dans le magazine new-yorkais <a href="https://newrepublic.com/"><em>New Republic</em></a>, le 21 octobre 1940, un plaidoyer pacifiste contre la barbarie qui nous interpelle encore face aux conflits armés d’aujourd’hui :</p>
<blockquote>
<p>« Les Allemands ont survolé la maison ces deux dernières nuits. Et ils sont de retour. C’est une étrange expérience que d’être couchée dans le noir à écouter se rapprocher un frelon et de dire que sa piqûre peut à tout moment vous coûter la vie. C’est un son qui fait obstacle à toute méditation détachée et cohérente que nous pourrions avoir sur la paix. Et c’est pourtant – plus encore que les prières et motets – un son qui devrait nous encourager à penser à la paix. »</p>
</blockquote>
<p>La lecture de ces articles de Virginia Woolf est d’une grande pertinence dans un monde encore et toujours ébranlé par le désastre de la guerre, mais aussi par la nécessité de poursuivre le combat féministe pour la pleine égalité. Son travail continue de résonner dans notre conscience contemporaine.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219414/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>María Santos-Sainz ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Écrivaine engagée, icône du féminisme, Woolf fut aussi une journaliste engagée qui exprima ses prises de position sur la cause des femmes et le pacifisme.María Santos-Sainz, Maître de conférences (HDR), Institut de Journalisme Bordeaux Aquitaine, Université Bordeaux MontaigneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2182642023-11-28T17:13:08Z2023-11-28T17:13:08ZMédias : les jeunes ont envie d’une information qui leur ressemble<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/561102/original/file-20231122-17-6jk9h8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C38%2C5168%2C3406&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les jeunes ont un rapport à l'information différent de celui de leurs aînés, mais subissent peut-être davantage la fatigue émotionnelle.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/fr-fr/photo/livre-de-lecture-de-personne-2118463/">Pexels/Hasan Zahra</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Beaucoup d’idées simples (quand elles ne sont pas tout bonnement fausses) circulent sur le rapport des adolescents et jeunes adultes à l’information. Ils manqueraient d’appétence pour l’information, seraient frivoles dans leurs centres d’intérêt, délaisseraient la télévision, seraient plus prompts à être bernés par les fake news…</p>
<p>Ces idées reçues trahissent une incompréhension des adultes vis-à-vis d’une jeunesse qui n’adoptent pas tous leurs réflexes et usages lorsqu’il s’agit de s’informer. Et un <a href="https://www.meta-media.fr/2021/03/13/consommation-media-le-fossee-se-creuse-entre-les-generations.html">fossé générationnel s’est en effet creusé</a> en la matière qui engendre des incompréhensions et des jugements de valeur hâtifs.</p>
<hr>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p><em>Cet article est publié dans le cadre de l’enquête exclusive <a href="https://cdn.theconversation.com/static_files/files/2951/Jeune%28s%29_en_France_-_THE_CONVERSATION.pdf">« Jeune(s) en France »</a> réalisée en octobre 2023 pour The Conversation France par le cabinet George(s). Une étude auprès d’un échantillon représentatif de plus de 1000 personnes qui permet de mieux cerner les engagements des 18-25 ans, les causes qu’ils défendent et leur vision de l’avenir.</em></p>
<p><strong>À lire aussi :</strong></p>
<ul>
<li><p><a href="https://theconversation.com/18-25-ans-des-jeunes-etonnamment-optimistes-et-resilients-217935">18-25 ans : des jeunes étonnamment optimistes et résilients</a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/comment-les-jeunes-sengagent-218165">Comment les jeunes s’engagent</a></p></li>
</ul>
<hr>
<p>Heureusement, de nombreuses données d’enquête permettent de dresser un portrait très différent des jeunes face à l’information, y compris l’enquête exclusive « Jeune(s) en France ». Il apparaît notamment que les jeunes restent intéressés par les actualités, mais pas forcément les mêmes que leurs parents et grands-parents, pas avec la même priorité thématique, pas sur les mêmes supports.</p>
<h2>Des pratiques d’information qui explorent davantage de nouveaux supports</h2>
<p>Dans l’imaginaire social des pratiques d’information jugées les plus sérieuses et légitimes, on trouve une série d’usages établis : être abonné à un journal ou un magazine de presse écrite (régional ou national) ; regarder un journal télévisé (souvent en famille) ; écouter une tranche matinale d’information sur une des grandes radios périphériques ; manifester un intérêt prononcé pour les informations citoyennes par excellence que sont l’actualité politique, économique et sociale ou internationale ; affirmer une fidélité à un média qui devient son média quotidien et à quelques figures journalistiques phares et donc leur faire confiance durablement.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Les études sur la consommation d’informations dressent un panorama des pratiques de la jeunesse française contemporaine assez divergentes. Tout d’abord le rendez-vous matinal avec les tranches infos des radios est en voie d’affaiblissement notable chez les jeunes. Selon le <a href="https://www.kantarpublic.com/fr/barometres/barometre-de-la-confiance-des-francais-dans-les-media/barometre-2023-de-la-confiance-des-francais-dans-les-media">baromètre annuel de la confiance dans les médias</a> Kantar/<em>La Croix</em>, fin 2022, 26 % des 18-24 ans écoutent la radio pour s’informer contre 42 % des 35 ans et plus.</p>
<p>Les jeunes perdent le réflexe de la radio d’actualité au réveil, soit qu’ils écoutent des radios plutôt musicales, soit qu’ils se jettent avec gourmandise sur leur smartphone pour accéder à leurs comptes de réseaux socionumériques. Soit qu’ils ouvrent la télévision du côté d’une chaîne d’information continue.</p>
<p>Leurs pratiques d’information sont beaucoup plus digitales que celle de leurs aînés, ils sont même souvent pionniers dans le développement de nouveaux supports pour s’informer, que ce soit historiquement Facebook, ou l’application Discover au sein de Snapchat, et plus récemment TikTok ou Twitch par exemple. 54 % s’informent chaque jour via les réseaux socionumériques fin 2022, contre 17 % des plus de 65 ans. Les médias ne s’y trompent pas qui multiplient les productions sur ces supports en espérant capter l’attention des plus jeunes pour les fidéliser un jour, <a href="https://cahiersdujournalisme.org/V2N6/CaJ-2.6-R051.pdf">comme avec Snapchat</a>.</p>
<p>Les jeunes goûtent aussi avec joie aux podcasts pour trouver des informations qu’ils ne trouvent pas forcément ailleurs ou aiment les formats vidéo courts comme peuvent leur offrir des chaînes en ligne comme Brut ou Loopsider.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/3Z6HnUJ3hcw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">La chaine Hugo Décrypte est devenue une référence incontournable de l’information, ici son interview d’Emmanuel Macron en septembre 2023.</span></figcaption>
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<p>Ils apprécient également le style de traitement de l’information plus décontracté que dans les médias traditionnels, avec un code vestimentaire et un parler qui leur ressemble (chaîne You Tube Hugo décrypte), un ton mêlant désir d’informer et de distraire (l’émission télévisée <em>Quotidien de Barthès</em> : fin 2022, 29 % des 18-24 ans regardent ce type d’émission tous les jours contre 14 % seulement des plus de 65 ans), animations graphiques et stories de Snapchat…</p>
<p>Déjà dans <a href="https://www.editions-msh.fr/livre/info/">notre étude début 2016</a> auprès de 1 820 étudiants, 74 % de ceux qui déclaraient s’informer via Facebook reconnaissaient que les informations reçues étaient un mixte entre infos sérieuses et divertissement. Autant de formats que la plupart de leurs aînés ne fréquentent pas, voire ignorent jusqu’à leur existence.</p>
<h2>Des pratiques d’information différentes entre les générations</h2>
<p>Cela ne signifie néanmoins pas que les jeunes se détournent totalement de la télévision pour s’informer. Elle reste bien présente dans leur patchwork informationnel. D’après le baromètre Kantar/<em>La Croix</em>, 42 % des 18-24 ans déclaraient regarder un journal télévisé tous les jours (contre 73 % chez les plus de 65 ans, il est vrai).</p>
<p>Ils ont recours aux chaînes d’information continue surtout si un événement fort survient. À cette occasion d’ailleurs, les réflexes de visionnage en famille resurgissent, la télévision restant fédératrice d’audience en temps de crise. On l’a bien vu durant la pandémie. En mars 2020, <a href="https://www.ladn.eu/media-mutants/tv-et-nouvelles-images/jt-grand-gagnant-confinement-pas-netflix/">selon Médiamétrie</a>, 57 % des 15-24 ans ont regardé la télé contre 36 % un an avant. Dans la catégorie des 15-34 ans, les JT de TF1 et France ont cumulé 1,3 million de téléspectateurs en plus chaque soir.</p>
<p>En revanche, les jeunes regardent plus volontiers l’information produite par les chaînes de télévision sur un autre support que l’écran télé. Leur smartphone, ou leur ordinateur pourra chez certains offrir un accès prioritaire à ces programmes, et sans attacher une importance aussi grande qu’avant à la ritualité des horaires fixes, comme la fameuse et désormais dépassée <a href="https://theconversation.com/le-journal-televise-francais-un-rituel-populaire-au-service-du-public-207162">« grande messe du 20h »</a>.</p>
<h2>Un faible engagement partisan qui induit une autre hiérarchie de l’information</h2>
<p>C’est aussi sur les priorités thématiques que les jeunes se distinguent en partie de leurs aînés. Relevons d’abord que dans l’enquête exclusive The Conversation, la note d’intérêt des 18-24 ans pour les rubriques jugées les plus prestigieuses ne sont jamais en dessous de 5 sur 10 : politique nationale 5,54 ; économie 5,46 ; politique internationale 5,38.</p>
<p>Et dans ces notes transparaissent un écart sociologique, bien connu dans l’ensemble de la population entre les moins diplômés (note moyenne d’intérêt pour l’actualité en dessous de 5/10) et les plus diplômés (note supérieure à 6/10). Mais ce résultat sur la politique est tout à fait en phase avec une difficulté de la jeunesse à se passionner pour l’action politique et partisane traditionnelle.</p>
<p>L’enquête pour The Conversation montre ainsi que l’engagement partisan est jugé peu désirable au contraire de l’engagement pour des causes précises (environnement, égalité hommes/femmes, luttes contre les discriminations…).</p>
<p>Engagement pour des causes qui explique que les jeunes vont chercher une information politique ailleurs que dans les médias traditionnels qui abordent encore massivement la politique par le truchement des luttes partisanes, des groupes parlementaires, etc. En lieu et place, les jeunes trouvent dans des médias plus de niche mais plus engagés, une offre informationnelle adaptée à leur engagement par les causes. On songe au bon écho reçu chez les jeunes femmes aux <a href="https://www.telerama.fr/radio/les-meilleurs-podcasts-feministes-pour-faire-exploser-le-patriarcat-5516-7011938.php">podcasts féministes</a> ou dénonçant des discriminations de genre ou de sexe, par exemple.</p>
<p>D’autres rubriques d’information bénéficient donc de meilleures notes dans l’enquête précitée. Arrive en tête la culture (ce qui tord définitivement le cou au cliché d’une jeunesse mal informée, car abêtie) avec la note de 7, puis les sujets science et environnement (6,63) ou les sujets dits de société (dans lesquels leurs combats sont souvent traités) avec 5,9. L’enjeu environnemental correspondant à ces deux dernières catégories. Pas de totale dépolitisation de l’information dans la jeunesse donc, mais une politique autrement, ce qui induit une information politique ailleurs, sur d’autres canaux, avec d’autres tiers de confiance (blogueurs par exemple plutôt que chroniqueurs politiques à l’ancienne).</p>
<h2>Le désir pour une autre information</h2>
<p>Et sur la culture, il faut aussi noter que ce n’est pas la même culture que leurs aînés. C’est aussi un facteur expliquant le désir de trouver sur d’autres médias une information qui leur parle, qui correspond à leurs goûts. Car les médias traditionnels ont tendance à privilégier les pratiques et acteurs culturels les plus établis et conformes aux canons d’une culture traditionnelle (variété française et rock, considérés comme par les jeunes comme des « musiques de vieux », expositions de peinture, littérature consacrée depuis les grands classiques jusqu’aux prix littéraires de l’année, films d’auteur, festivals d’art lyrique et de musique classique).</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/QGYkf30fTiQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Des sites comme Konbini reflètent des codes informationnels et des intérêts plus proches des 18-24 ans.</span></figcaption>
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<p>Ce qui revient pour ces médias <em>mainstream</em> à exclure peu ou prou, le rap, le raï, la R’n’B Mix, les jeux vidéo, les films d’horreur, les mangas, certains programmes de téléréalité…</p>
<p>Mais après tout, leurs parents ou grands-parents n’ont-ils pas fait de même, en écoutant les radios libres musicales, ou en achetant une presse jeunesse de leur temps, comme <a href="https://www.cairn.info/revue-le-telemaque-2010-2-page-87.htm?contenu=article"><em>Salut les copains</em></a>, rock et folk ou plus tard <a href="https://www.slate.fr/story/111689/presse-ados-excitait"><em>Podium</em></a> ?</p>
<h2>Des jeunes plus touchés par la fatigue informationnelle</h2>
<p>La baromètre annuel de la confiance dans les médias nous aide à y voir plus clair sur toutes ces différences générationnelles. Dans l’enquête publiée en janvier 2023, 68 % des 18-24 ans déclarent suivre l’actualité avec un grand intérêt, certes contre 80 % pour les 35 ans et plus, mais on est loin de l’apathie informationnelle.</p>
<p>Et sur la confiance dans les divers supports médiatiques pour exposer une information fiable, difficile de trouver des divergences significatives entre les générations. Les jeunes conservent la même confiance toute relative dans les médias que leurs aînés. Toutefois, la confiance dans les médias Internet est nettement plus forte que celle des plus âgées, témoignant du fait qu’ils les pratiquent et qu’ils ont su trouver des médias de confiance dans cet univers où le meilleur côtoie il est vrai le pire. 48 % des 18-24 ans pensent que les faits se sont passés plutôt comme les médias en ligne en parlent, contre 29 % seulement des plus de 35 ans qui pensent ça.</p>
<p>Et dans le <a href="https://www.la-croix.com/economie/Barometre-medias-rapports-linfo-differents-selon-ages-2023-11-22-1201291825">nouveau baromètre annuel</a> Kantar/<em>La Croix</em> de novembre 2023, 24 % des 18‐34 ans disent s’informer via des influenceurs (comme Hugo décrypte), contre seulement 6 % des plus de 35 ans. Le tiers de confiance est donc moins une figure de journaliste connu et reconnu. Les jeunes font davantage confiance que leurs aînés à des figures qui leur ressemblent et qui leur offrent une relation vécue comme plus horizontale et égalitaire, dans la façon de leur parler, dans le choix des sujets, dans les valeurs véhiculées.</p>
<p>Un point de vigilance sur le rapport des jeunes à l’information concerne le sentiment de fatigue informationnelle. Nous sommes tous confrontés à un défi anthropologique majeur : notre capacité à être tenus informés de tout ce qui se passe de terrible de par le monde est quasi illimitée mais notre capacité à agir n’a pas progressé, ce qui nous confronte fatalement à un sentiment d’impuissance très frustrant voire décourageant :</p>
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<p>« A quoi bon continuer à s’informer sur la misère du monde, si cela me déprime et génère un profond sentiment d’impuissance ? »</p>
</blockquote>
<p>On ajoutera la multiplication des sollicitations permanentes à s’informer (alertes <em>push</em> sur nos téléphones, messages partagés sur nos réseaux socionumériques, chaînes d’information continue…) qui peuvent provoquer une saturation. Le sentiment se développe donc que l’information est anxiogène, démoralisante.</p>
<p>Si toutes les tranches d’âge sont touchées, les études montrent que les jeunes la ressentent plus que d’autres. En 2022, 15 % des Français <a href="https://www.jean-jaures.org/publication/les-francais-et-la-fatigue-informationnelle-mutations-et-tensions-dans-notre-rapport-a-linformation/">se déclarent épuisés ou stressés</a> par les informations reçues « régulièrement » et 35 % « de temps en temps ». Dans l’évaluation de l’état d’esprit des jeunes face à l’information, dans l’étude pour The Conversation, on constate que jusqu’à 41 % peuvent se déclarer « inquiets », 34 % fatigués et 25 % angoissés. Sentiments négatifs plus prégnants chez les jeunes femmes, qui sont plus inquiètes (48 % vs 33 % des hommes) plus fatiguées (39,5 % vs 26 %), plus angoissées (31,8 % vs 18 %).</p>
<p>Et dans le baromètre Kantar/<em>La Croix</em> de janvier 2023, le sentiment de « lassitude » face à l’information est le plus fort chez les 18-24 ans (58 %) contre 47 % chez les 65 ans et plus. Et deux raisons majeures explique cette lassitude chez eux : « je me sens angoissé ou impuissant face aux informations » (33 %) et « les médias ne parlent pas des sujets importants pour moi » (30 %). Et ici l’effet générationnel est massif puisque seulement 16 % des 35 ans et plus pensent cela. Il faut dire que sur les causes qui les mobilisent (racisme, lutte contre les discriminations, environnement…) les médias leur donnent à voir de nombreux exemples déprimants (bavures policières, violences, dégâts climatiques).</p>
<p>On voit que la relative défiance des jeunes vis-à-vis des médias traditionnels d’information n’est pas un retrait total, dédaigneux et irresponsable, mais bien le symptôme d’une difficulté de ces médias à s’adresser aux jeunes, à capter leur intérêt en offrant des contenus renouvelés, qu’ils vont donc chercher ailleurs.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218264/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Arnaud Mercier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une récente étude confirme que les jeunes n’adoptent pas les mêmes réflexes et usages d’information que leurs aînés, ce qui génère une incompréhension des adultes allant jusqu'aux clichés injustes.Arnaud Mercier, Professeur en Information-Communication à l’Institut Français de presse (Université Paris-Panthéon-Assas), Université Paris-Panthéon-AssasLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2177362023-11-16T17:26:50Z2023-11-16T17:26:50ZL’intelligence artificielle va-t-elle tuer ou sauver les médias ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/559353/original/file-20231114-29-4bhhx0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C8000%2C3911&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les journalistes seront-ils tentés de donner la parole aux intelligences artificielles</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Recherche d’informations, production de contenu, traduction, détection de propos haineux… l’<a href="https://theconversation.com/topics/intelligence-artificielle-ia-22176">intelligence artificielle</a> (IA) générative promet d’importants gains de productivité dans l’univers des <a href="https://theconversation.com/topics/medias-20595">médias</a>.</p>
<p>Les médias nous accompagnent au quotidien et sont un support à la démocratie : ils ont la liberté de montrer différents points de vue et idées, de dénoncer la corruption et les discriminations, mais également de montrer la cohésion sociale et culturelle.</p>
<p>Alors que le public se tourne vers les médias pour s’informer, se cultiver et se divertir, les médias n’échappent pas aux soucis économiques et à la rentabilité d’une industrie mesurée en termes d’audimat et de vente. Dans ce contexte, l’IA générative amène de nouveaux outils puissants et sera de plus en plus utilisée.</p>
<p>Mais il faut crucialement rappeler que les IA génératives n’ont pas d’idées, et qu’elles reprennent des propos qui peuvent être agencés de façon aussi intéressante qu’absurde (on parle alors d’« hallucinations » des systèmes d’IA). Ces IA génératives ne savent pas ce qui est possible ou impossible, vrai ou faux, moral ou immoral.</p>
<p>Ainsi, le métier de journaliste doit rester central pour enquêter et raisonner sur les situations complexes de société et de géopolitique. Alors, comment les médias peuvent-ils exploiter les outils d’IA tout en évitant leurs écueils ?</p>
<p>Le Comité national pilote d’éthique du numérique (CNPEN) a rendu en juillet un <a href="https://www.ccne-ethique.fr/publications/avis-7-du-cnpen-systemes-dintelligence-artificielle-generative-enjeux-dethique">avis général</a> sur les enjeux d'éthique des IA génératives, que j'ai co-coordonné, au ministre chargé de la Transition numérique. Il précise notamment les risques de ces systèmes.</p>
<h2>Des outils puissants au service des journalistes</h2>
<p>Les médias peuvent utiliser l’IA pour améliorer la qualité de l’information, lutter contre les fausses nouvelles, identifier le harcèlement et les incitations à la haine, mais aussi parce qu’elle peut permettre de faire avancer la connaissance et mieux comprendre des réalités complexes, comme le développement durable ou encore les flux migratoires.</p>
<p>Les IA génératives sont des outils fabuleux qui peuvent faire émerger des résultats que nous ne pourrions pas obtenir sans elles car elles calculent à des niveaux de représentation qui ne sont pas les nôtres, sur une quantité gigantesque de données et avec une rapidité qu’un cerveau ne sait pas traiter. Si on sait se doter de garde-fous, ce sont des systèmes qui vont nous faire gagner du temps de recherche d’information, de lecture et de production et qui vont nous permettre de lutter contre les stéréotypes et d’optimiser des processus.</p>
<p>Ces outils n’arrivent pas maintenant par hasard. Alors que nous sommes effectivement noyés sous un flot d’informations diffusées en continu par les chaînes classiques ou contenus accessibles sur Internet, des outils comme <a href="https://chatgpt-info.fr/">ChatGPT</a> nous permettent de consulter et de produire des synthèses, programmes, poèmes, etc., à partir d’un ensemble d’informations gigantesques inaccessibles à un cerveau humain en temps humain. Ils peuvent donc être extrêmement utiles pour de nombreuses tâches mais aussi contribuer à un flux d’informations non sourcées. Il faut donc les apprivoiser et en comprendre le fonctionnement et les risques.</p>
<h2>L’apprentissage des IA génératives</h2>
<p>Les performances des IA génératives tiennent à la capacité d’apprentissage auto-supervisée (c'est-à-dire sans être guidée par une main humaine, ce qui est un concept différent de l'adaptation en temps réel) de leurs modèles internes, appelés <a href="https://www.journaldunet.com/intelligence-artificielle/1522625-modeles-de-fondation-que-signifie-la-prochaine-ere-de-l-intelligence-artificielle/">« modèles de fondation »</a>, qui sont entraînés à partir d’énormes corpus de données constitués de milliards d’images, de textes ou de sons très souvent dans les cultures dominantes sur Internet, par exemple GPT3.5 de ChatGPT est nourri majoritairement de données en anglais. Les deux autres types d’apprentissage ont également été utilisés : avant sa mise à disposition fin 2022, ChatGPT a été optimisé grâce à un <a href="https://theconversation.com/intelligence-artificielle-les-defis-de-lapprentissage-profond-111522">apprentissage supervisé</a> puis grâce à un <a href="https://theconversation.com/pourquoi-marcher-est-il-si-difficile-pour-un-robot-201996">apprentissage par renforcement</a> par des humains de façon à affiner les résultats et à éliminer les propos non souhaitables.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1640033915657232384"}"></div></p>
<p>Cette optimisation par des humains a d’ailleurs été très critiquée. Comment sont-ils formés ? Qui sont ces <a href="https://slate.com/technology/2023/05/openai-chatgpt-training-kenya-traumatic.html">« hommes du clic » sous-payés</a> ? Ces propos « non souhaitables », en outre, ne sont pas décidés par un comité d’éthique ou le législateur, mais par l’entreprise seule.</p>
<h2>Un apprentissage qui oublie les sources</h2>
<p>Durant l’apprentissage des modèles de fondation sur des textes, le système apprend ce que l’on appelle des <a href="https://theconversation.com/comment-fonctionne-chatgpt-decrypter-son-nom-pour-comprendre-les-modeles-de-langage-206788">« vecteurs de plongements lexicaux »</a> (de taille 512 dans GPT 3.5). C’est le système « transformers ». Le principe d’entraînement du modèle de fondation est fondé par l’hypothèse distributionnelle proposée par le linguiste américain John Ruppert Fith en 1957 : on ne peut connaître le sens d’un mot que par ses fréquentations (« You shall know a word by the company it keeps »). </p>
<p>Ces entités (« <em>token</em> » en anglais) font en moyenne quatre caractères dans GPT3.5. Elles peuvent n'être constituées que d'un seul et d'un blanc. Elles peuvent donc être des parties de mots ou des mots avec l’avantage de pouvoir combiner agilement ces entités pour recréer des mots et des phrases sans aucune connaissance linguistique (hormis celle implicite à l’enchaînement des mots), le désavantage étant évidemment d’être moins interprétable. Chaque entité est codée par un vecteur qui contient des informations sur tous les contextes où cette entité a été vue grâce à des mécanismes d’attention. Ainsi deux entités ayant le même voisinage seront considérées comme proches par le système d’IA.</p>
<p>Le système d’IA générative sur des textes apprend ainsi un modèle de production avec des mécanismes qui n’ont rien à voir avec la production humaine située avec un corps, pour autant <a href="https://theconversation.com/de-cambridge-analytica-a-chatgpt-comprendre-comment-lia-donne-un-sens-aux-mots-205534">elle est capable de l’imiter à partir des textes de l’apprentissage</a>. Ce fonctionnement a pour conséquence directe de perdre les sources d’où sont extraits les voisinages repérés, ce qui pose un problème de fond pour la vérification du contenu produit. Aucune vérification de la véracité des propos n’est produite facilement. Il faut retrouver les sources et quand on demande au système de le faire, il peut les inventer !</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-fonctionne-chatgpt-decrypter-son-nom-pour-comprendre-les-modeles-de-langage-206788">Comment fonctionne ChatGPT ? Décrypter son nom pour comprendre les modèles de langage</a>
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<p>Lorsque vous proposez une invite à ChatGPT, il va prédire l’entité suivante, puis la suivante et ainsi de suite. Un paramètre clé est celui de la « température » qui exprime le degré d’aléatoire dans le choix des entités. À une température élevée, le modèle est plus « créatif » car il peut générer des sorties plus diversifiées, tandis qu’à une température basse, le modèle tend à choisir les sorties les plus probables, ce qui rend le texte généré plus prévisible. Trois options de température sont proposées dans l’outil conversationnel Bing (GPT4) de Microsoft (plus précis, plus équilibré, plus créatif). Souvent, les hyperparamètres des systèmes ne sont pas dévoilés pour des raisons de cybersécurité ou de confidentialité comme c’est le cas dans ChatGPT… mais la température permet d’avoir des réponses différentes à la même question.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/beau-parleur-comme-une-ia-196084">Beau parleur comme une IA</a>
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<h2>« Hallucinations » et autres risques</h2>
<p>Il est ainsi facile d’imaginer certains des risques de l’IA générative pour les médias. D’autres apparaîtront certainement au fur et à mesure de leurs utilisations.</p>
<p>Il paraît urgent de trouver comment les minimiser en attendant la promulgation pour l’Union européenne d’un <a href="https://www.europarl.europa.eu/news/fr/headlines/society/20230601STO93804/loi-sur-l-ia-de-l-ue-premiere-reglementation-de-l-intelligence-artificielle"><em>IA Act</em></a> en se dotant de <a href="https://iapp.org/news/a/ai-act-sets-rules-for-foundational-general-purpose-ai-models/">guides de bonnes pratiques</a>. L’<a href="https://www.ccne-ethique.fr/publications/avis-7-du-cnpen-systemes-dintelligence-artificielle-generative-enjeux-dethique">avis</a> du CNPEN sur les IA génératives et les enjeux d’éthique comprend, lui, 10 préconisations pour la recherche et 12 pour la gouvernance. Voici quelques-uns des risques identifiés pour les médias :</p>
<ul>
<li><p>Faire trop confiance aux dires de la machine sans recouper avec d’autres sources. Le croisement de plusieurs sources de données et la nécessité d’enquêter deviennent fondamentaux pour toutes les professions : journalistes, scientifiques, professeurs et autres. Il semble d’ailleurs fondamental d’enseigner la façon d’utiliser ces systèmes à l’école et à l’université et de <a href="https://theconversation.com/chatgpt-nous-rendra-t-il-moins-credules-197306">cultiver l’art de débattre pour élaborer ses idées</a>.</p></li>
<li><p>Comprendre que ChatGPT est construit avec des données majoritairement en anglais et que son influence culturelle peut-être importante.</p></li>
<li><p>Utiliser massivement ChatGPT de façon paresseuse dans les médias, en produisant énormément de nouvelles données artificielles non vérifiées sur Internet qui pourraient servir à entraîner de nouvelles IA. Ce serait dramatique qu’il n’y ait plus aucune garantie de vérité sur ces données reconstituées par la machine. Deux avocats américains se sont par exemple fait piéger en faisant référence au cours d’une procédure, sur les conseils de l’algorithme, à des <a href="https://www.reuters.com/legal/new-york-lawyers-sanctioned-using-fake-chatgpt-cases-legal-brief-2023-06-22/">jurisprudences qui n’existaient pas</a>.</p></li>
<li><p>Remplacer certaines tâches dans de nombreux métiers autour des médias par des systèmes d’IA. Certains métiers vont disparaître, d’autres vont apparaître. Il faut créer des interfaces avec des <a href="https://theconversation.com/peut-on-faire-confiance-aux-ia-148867">mesures de confiance</a> pour aider la coopération entre les humains et les systèmes d’IA.</p></li>
<li><p>Utiliser les systèmes d’IA et les démystifier devient une nécessité absolue tout en faisant attention de ne pas désapprendre et de pouvoir s’en passer.</p></li>
<li><p>Il est nécessaire de comprendre que ChatGPT fait de nombreuses erreurs, par exemple il n’a pas de notion d’histoire ni de compréhension de l’espace. Le diable est dans les détails mais également dans le choix des données utilisées pour créer le modèle. La loi sur l’IA réclame plus de transparence sur ces systèmes d’IA pour vérifier leur robustesse, leur non-manipulation et leur <a href="https://theconversation.com/apprentissage-profond-et-consommation-energetique-la-partie-immergee-de-lia-ceberg-172341">consommation énergétique</a>.</p></li>
<li><p>Il faut vérifier que les données produites n’empiètent pas sur le <a href="https://theconversation.com/copyright-droit-dauteur-quel-statut-juridique-pour-lia-dans-la-creation-audiovisuelle-215370">droit d’auteur</a> et que les données utilisées par le système sont correctement utilisées. Si des données « synthétiques » remplacent demain nos connaissances dans l’entraînement des futurs modèles de fondation, il sera de plus en plus difficile de démêler le vrai du faux.</p></li>
<li><p>Donner accès à des systèmes d’IA (par exemple <a href="https://openai.com/dall-e-2">Dall-E</a> ou <a href="https://www.stable-diffusion-france.fr/">Stable Diffusion</a>) qui peuvent être utilisés pour créer de l’hypertrucage (<a href="https://theconversation.com/peut-on-detecter-automatiquement-les-deepfakes-212573"><em>deepfake</em></a> en anglais) pour produire des images. Le phénomène rappelle l’importance de vérifier non seulement la fiabilité des sources des articles, mais aussi des images et vidéos. Il est question de mettre des filigranes (ou <em>watermarks</em>) dans les textes, images ou vidéos produites pour savoir si elles ont été faites par des IA ou de labelliser les données « bio » (ou produites par des humains).</p></li>
</ul>
<h2>Laboratoire de l’IA sur les émergences et limites des IA génératives</h2>
<p>L’arrivée de ChatGPT a été un tsunami pour tout le monde. Il a bluffé experts comme non-experts par ses capacités de production de texte, de traduction et même de programmation informatique.</p>
<p>L’explication scientifique précise du phénomène d’« étincelle d’émergences » dans les modèles de fondation est un sujet de recherche actuel et dépend des données et des hyperparamètres des modèles. Il est important de développer massivement la recherche pluridisciplinaire sur les émergences et limites des IA génératives et sur les mesures à déployer pour les contrôler.</p>
<p>Enfin, if faut <a href="https://www.fondation-blaise-pascal.org/nos-actions/les-projets-de-la-fondation/capsules-ethique-du-numerique-pour-les-enfants/">éduquer à l’école sur les risques et l’éthique tout autant que sur la programmation</a>, et également former et démystifier les systèmes d’IA pour utiliser et innover de façon responsable en ayant conscience des conséquences éthiques, économiques, sociétales et du coût environnemental.</p>
<p>La France pourrait jouer un rôle majeur au sein de l’Europe avec l’ambition d’être un laboratoire de l’IA pour les médias en étudiant les enjeux éthiques et économiques au service du bien commun et des démocraties.</p>
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<p><em>Cette contribution à The Conversation France prolonge une intervention de l’auteur aux <a href="https://www.journeeseconomie.org">Jéco 2023</a> qui se sont tenues à Lyon du 14 au 16 novembre 2023.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217736/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurence Devillers est présidente de la Fondation Blaise Pascal de médiation en mathématiques et en informatique. Elle a également une chaire en IA au CNRS HUMAAINE : Human-Machine Affective Interaction & Ethics. Elle est membre du CNPEN : Comité National Pilote d'Ethique du Numérique. </span></em></p>Même si les nouveaux outils d’intelligence artificielle sont puissants, ils ne savent pas identifier leurs sources d’information et inventent même parfois les propos qu’ils livrent.Laurence Devillers, Professeur en Intelligence Artificielle, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2171992023-11-14T18:56:07Z2023-11-14T18:56:07ZComment appréhender les images des violences terroristes contre les otages ?<p><em>Attention, les descriptions de faits violents rapportés dans cet article peuvent heurter un public sensible.</em></p>
<hr>
<p>Visuellement, Shani Louk est apparue aux yeux de tous le 7 octobre dernier. Cette jeune Israélo-Allemande, tatoueuse de profession, a été kidnappée alors qu’elle participait au festival Tribe of Nova. On l’a vue dénudée et sur le ventre, à l’arrière d’un pickup, dans une courte vidéo de propagande prise par le Hamas.</p>
<p>Sur cette vidéo, sa tête est ensanglantée et elle apparaît inconsciente. Plusieurs miliciens du Hamas la présentent en trophée, tandis qu’un autre, placé à côté du véhicule, lui crache dessus. Le film montre ensuite le véhicule démarrer et disparaître au loin. Shani Louk a été rapidement identifiée par sa mère grâce à ses tatouages et à ses dreadlocks. Trois semaines après son enlèvement, <a href="https://www.bbc.com/news/world-middle-east-67260093">elle a été déclarée morte</a>.</p>
<p>Le destin tragique et révoltant de Shani Louk doit nous inciter à réfléchir à la visibilité de la violence terroriste, à l’usage qui en est fait et à l’impact que ces images ont sur nous. En prenant évidemment toutes les précautions possibles.</p>
<p>Le raid meurtrier du Hamas sur Israël le 7 octobre 2023 a apporté son lot d’images atroces, même si, apparemment, les plus insoutenables n’ont pas toujours été diffusées, et qu’Israël dispose d’un <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/france-culture-va-plus-loin-l-invite-e-des-matins/videos-de-l-attaque-du-hamas-une-nouvelle-dimension-de-la-cruaute-4379606">montage vidéo de 43 minutes</a> d’images très difficiles à regarder, qui ont été montrées à des chercheurs, des journalistes et des parlementaires.</p>
<p>L’embarras des médias et leur autocensure sont importants dès qu’il s’agit de montrer la violence, dès que la dignité des victimes est en jeu, dès que les images relèvent de la propagande, dès qu’elles sont trop perturbantes, mais aussi dès qu’elles provoqueraient des émotions trop fortes.</p>
<p>La déontologie journalistique (voir par exemple la <a href="https://www.afp.com/sites/default/files/charte_deontologique_afp-mars2023.pdf">page 19 de cette charte de l’AFP</a>) comme les spécialistes des images fixent des règles à ce sujet, partant du postulat que la violence peut être l’ennemie de l’information, et qu’on comprend mieux un phénomène lorsque sa représentation est « apaisée ».</p>
<p>Le philosophe <a href="https://journals.openedition.org/etudesphotographiques/321">Yves Michaud</a> pense ainsi que les images des blessés de l’attentat du RER Saint-Michel en 1995 ne dénoncent ni la violence ni le terrorisme, mais on pourrait poser tout au contraire que, le temps passant, elles acquièrent désormais une valeur d’archives historiques, annonçant l’ère du terrorisme djihadiste en France.</p>
<p>Nombre d’images tombent dans l’oubli et demeurent invisibles. Mais la <a href="https://laviedesidees.fr/Faut-il-montrer-les-images-de-violence">visibilité de la violence</a> est une question qui ne fait que se répéter et s’amplifier à l’ère de la profusion d’images et de leurs canaux de diffusion.</p>
<p>On peut dès lors s’interroger, comme le suggérait l’essayiste, romancière et militante américaine <a href="https://bourgoisediteur.fr/catalogue/devant-la-douleur-des-autres/">Susan Sontag</a> dans son essai « Devant la douleur des autres », sur le fait d’accepter de se laisser hanter par les images de violence et d’apprendre à les regarder.</p>
<h2>Nudité et violence</h2>
<p>L’effroi provoqué par les images de la capture de Shani Louk tient notamment à la vulnérabilité de la jeune fille exposée. Elle se retrouve au milieu des visages ivres de haine des membres du Hamas qui inspirent la terreur et occupent tout l’espace d’une image qui proclame leur gloire.</p>
<p>L’empathie qu’une image peut provoquer peut ainsi passer par la présence dérangeante de la nudité comme préalable récurrent à la violence ou à la mort.</p>
<p>On pense aux femmes dénudées lors des pogroms de Lviv en Ukraine en 1941, où furent tués des milliers de Juifs. On dispose de plusieurs photos de ces femmes, qui ne sont bizarrement pas devenues iconiques, peut-être parce que, comme le note l’historienne anglaise <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/distributed/P/bo12346074.html">Griselda Pollock</a> à propos des massacres de Juifs dans les pays baltes à la même époque, pour un regard masculin, la nudité détourne de la perspective de la mort.</p>
<p>Pour autant, comme l’a montré <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Images_malgr%C3%A9_tout-2050-1-1-0-1.html">Georges Didi-Huberman</a>, ce sont bien trois photos de corps nus, vivants puis morts, de femmes déshabillées avant l’entrée dans les chambres à gaz d’Auschwitz, prises par les membres d’un Sonderkommando – des unités de travail dans les centres d’extermination nazis, composées de prisonniers, juifs dans leur très grande majorité, forcés à participer au processus de la « solution finale » – qui donne un « imaginable » à la pensée du « dehors » et à ce dont personne n’entrevoyait la possibilité.</p>
<p>Plus près de nous, en 1972, la <a href="https://www.francetvinfo.fr/culture/arts-expos/photographie/kim-phuc-la-petite-fille-au-napalm-photographiee-au-vietnam-il-y-a-47-ans-se-raconte-dans-sauvee-de-l-enfer_3647071.html">« napalm girl »</a> de Nick Ut, petite fille au dos brûlé et hurlant de douleur, fuyant son village bombardé, a failli ne jamais paraître dans les journaux du monde entier, parce qu’Associated Press était gêné par sa nudité. Encore aujourd’hui, les algorithmes des réseaux sociaux traquent et éliminent cette image, alors même qu’elle est célèbre et que sa puissance iconographique provient du contraste entre la fragilité de Kim Phuc – c’est son nom – et le champ de bataille où elle est piégée, son statut d’enfant innocent et la violence des adultes dont elle est victime.</p>
<p>Le destin visuel de Shani Louk fait immanquablement penser à l’image méconnue mais saisissante de la jeune patriote russe Zoïa Kosmodemianskaïa, tuée par les nazis en 1941 dans le village de Petrishchevo, pendue puis dépoitraillée, le sein coupé, mais le visage intact. Analysant la photographie de son corps, <a href="https://www.rougeprofond.com/produit/representer-lhorreur/">Frédéric Astruc</a> montre qu’elle est un point d’équilibre improbable entre beauté et horreur, et qu’elle redonne toute son humanité à Zoïa face à ses meurtriers barbares.</p>
<p>Faire disparaître le corps de Shani Louk, dont le visage est d’ailleurs dérobé, c’est aussi prendre le risque d’interdire toute identification et reconduire l’effacement de sa présence au monde voulu par ses bourreaux.</p>
<h2>Une image saturée d’oppositions</h2>
<p>La mise en scène par le Hamas de cet enlèvement est un précipité de ce qui caractérise le terrorisme contemporain. En effet, les actions terroristes sont marquées par une <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-des-sciences-sociales-2002-4-page-525.htm">déconnexion</a> entre les victimes réellement touchées et les cibles politiques ultimement visées.</p>
<p>Dans la « logique » de cette violence aveugle, tuer des gens au Bataclan ferait avancer la cause de l’établissement d’un califat dans la zone syro-irakienne, et mitrailler des danseurs dans le désert permettrait de lutter contre Israël.</p>
<p>Mais la réception de ces actions par les populations relève de la pure terreur, sans idée qu’une transaction politique entre les terroristes et l’État soit possible, car l’atteinte à des civils qui ne sont pas directement concernés est insupportable. Pour le Hamas, Shani Louk est une prise de guerre, mais son dénuement dit justement le contraire : elle est dès l’origine étrangère au conflit, ni son métier ni l’activité festive qu’elle menait avant d’être prise en otage ne l’en rapproche, et sa capture n’est pas un objectif militaire.</p>
<p>Comme souvent, les images de propagande sont réversibles : là où le Hamas entend mettre en scène un coup de force, les publics occidentaux voient une action armée qui vise essentiellement des civils désarmés, et rappelle plutôt la brutalité des gangs et des cartels mexicains. Voire une activité criminelle dépolitisée, où les assassinats de bébés et d’enfants, les viols de femmes, les kidnappings de vieilles dames, les tirs systématiques sur toute personne rencontrée, jusque dans l’espace domestique, ne peuvent être rapportés à une quelconque logique militaire.</p>
<p>C’est au contraire la dissymétrie entre tueurs et victimes que dévoile la vidéo de Shani Louk, dans des couples d’oppositions difficiles à appréhender émotionnellement.</p>
<p>Comme au Bataclan encore, opposition entre une rave party insouciante et l’irruption d’une violence qui l’achève dans le sang. Opposition entre l’espace de la fête et celui de la guerre, symbolisé ici par les mitraillettes et les jeeps. Opposition entre les photographies de Shani Louk avant son enlèvement, qui ont circulé sur Internet, la montrant en tenue bohème, clubbeuse, jeune fille « de son époque » posant sur Instagram pour ses <a href="https://www.businessinsider.com/shani-louk-friends-family-describe-german-israel-who-was-killed-2023-11">13 000 followers</a>, et ses derniers instants insupportables.</p>
<p>Opposition de posture et de sons entre des miliciens gesticulant et hurlant, levant leurs armes, et une jeune femme inconsciente. Opposition des religions entre combattants fanatisés et victimes, le Hamas traquant des « Juifs », avant de traquer des « Israéliens », ce qui a conduit à l’utilisation du mot « pogrom » pour qualifier l’attaque du 7 octobre. Toutes ces oppositions reconduisent en fait le découplage initial entre des univers qui « n’auraient pas dû » se rencontrer et que le terrorisme fait se rencontrer, celui de la violence et celui des civils.</p>
<p>Accepter d’être hanté par les images de souffrance et de violence, c’est se laisser envahir par des émotions dites négatives, par la sidération et le choc, alors même que les journalistes hésitent à les montrer, que la loi française interdit pénalement de publier des images portant atteinte à la dignité des victimes, et que les <a href="https://www.lemonde.fr/international/video/2023/10/23/guerres-massacres-attentats-les-conseils-d-un-psychiatre-pour-se-proteger-face-aux-images-violentes_6196124_3210.html">psychologues déconseillent de les regarder</a> au risque sinon de la sidération permanente, de <a href="https://www.slate.fr/tech-internet/operation-net-propre/travailleurs-horreur-quotidien-philipines-moderateurs-contenu-choquant-images-videos-reseaux-sociaux">l’anxiété</a>, du dégoût, voire de l’insensibilisation.</p>
<p>On sait que les images de propagande, d’exécutions (par Daech, par exemple), ici d’enlèvements, sont utilisées à des fins d’enrôlement de nouvelles recrues, de galvanisation, de construction de toute une imagerie de la violence et du martyre, afin de renforcer la radicalisation des terroristes.</p>
<p>Mais a contrario, les images choquantes peuvent aussi jouer un rôle de dénonciation et fédérer celles et ceux qui combattent ces violences. Pour ne citer qu’un exemple, les photos nazies ont été utilisées par la résistance polonaise, par les Soviétiques, par les journaux alliés, pour dénoncer le nazisme.</p>
<p>Cet iconoclasme contemporain tient à la confusion que pointait déjà <a href="https://lafabrique.fr/le-spectateur-emancipe/">Jacques Rancière</a> entre « l’intolérable dans l’image », celui de la réalité, et « l’intolérable de l’image ». Se confronter aux images c’est aussi accéder à d’autres émotions, la compassion notamment, provoquer des comportements, une révolte voire un engagement, face à la violence contre les civils, accéder à des informations, déconstruire une propagande, documenter une situation, ou encore identifier des assassins pour une éventuelle action en justice.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217199/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Taïeb ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le destin tragique et révoltant de Shani Louk, tuée par le Hamas, fait réfléchir à la visibilité de la violence et à la façon d’être traversé par les images.Emmanuel Taïeb, Professeur de Science politique - Rédacteur en chef de Quaderni, Sciences Po LyonLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2161302023-10-25T14:59:50Z2023-10-25T14:59:50ZLa confiance envers les médias au Québec varie beaucoup selon le parti politique auquel on s’identifie<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/555621/original/file-20231024-23-uocdqx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C7326%2C4880&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une enquête inédite associe l'adhésion à un parti politique et la confiance - ou non - dans les médias. Les citoyens aux extrémités de l'échiquier politique sont les plus méfiants.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Dans plusieurs sociétés démocratiques, la multiplication de sondages <a href="https://reutersinstitute.politics.ox.ac.uk/digital-news-report/2023">ne cesse de confirmer une chute de la confiance des citoyens envers les médias</a> et les journalistes. Le Québec ne fait pas exception.</p>
<p>La plupart des sondages se limitent à des questions très générales sur la confiance, une notion somme toute imprécise. Mais une vaste enquête réalisée en avril 2023 par moi-même et la collègue Marie-Ève Carignan, de l’Université de Sherbrooke, a recouru à une variable majeure à prendre en considération, soit l’affiliation partisane. <a href="https://www.uottawa.ca/notre-universite/toutes-nouvelles/credibilite-medias-est-baisse-au-quebec-revele-vaste-enquete">Voici le rapport complet issu de cette recherche</a>. </p>
<p>Nous avons utilisé des indicateurs reconnus, par le biais de 40 questions et propositions précises. Elle a été réalisée avec le panel en ligne Léger Opinion (LEO), auprès d’un échantillon représentatif de 1 598 Québécois et Québécoises.</p>
<p>Il est inédit au Québec, à ma connaissance, de considérer l’affiliation partisane comme facteur pertinent de l’évaluation des médias, chose pourtant coutumière aux <a href="https://news.gallup.com/poll/403166/americans-trust-media-remains-near-record-low.aspx">États-Unis</a>. Au Québec, on estime que le <a href="https://www.lapresse.ca/affaires/chroniques/2022-09-17/cadres-financiers/comment-la-gauche-et-la-droite-jouent-avec-nos-finances.php">cadre financier des formations politiques, lors d’élections générales</a>, permet de les situer sur l’axe idéologique gauche droite. C’est ainsi qu’on retrouve respectivement Québec Solidaire (QS), le Parti Québécois (PQ), le Parti Libéral du Québec (PLQ), la Coalition Avenir Québec (CAQ) et le Parti conservateur du Québec (PCQ).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-confiance-des-canadiens-envers-les-medias-a-son-plus-bas-184998">La confiance des Canadiens envers les médias à son plus bas</a>
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<h2>Plus de méfiance aux extrêmes de l’échiquier politique</h2>
<p>La confiance est une évaluation globale qu’on élabore sur la base de perceptions et d’expériences vécues directement ou rapportées par des tiers. Elle n’a pas la même signification pour chacun et chacune. C’est une notion polysémique. De là l’importance de se pencher sur certaines de ses composantes.</p>
<p>Quand il est question de médias d’information, la confiance comme la méfiance se manifestent surtout quant à la perception de l’indépendance et de la neutralité des journalistes. Cela est nettement plus visible chez les répondants qui affichent une préférence pour le PCQ. Par exemple, quand il est question de l’influence des préférences politiques des journalistes dans leur travail d’information, près de la moitié des gens s’identifiant au PCQ estiment que cela arrive souvent.</p>
<p>Ce sont également eux qui estiment davantage que les journalistes ne résistent ni aux pressions de l’argent ni aux pressions des partis politiques et du pouvoir politique comme le montrent les deux graphiques suivants.</p>
<p>C’est aussi à droite du spectre idéologique que se manifeste la méfiance envers les aides publiques accordées aux médias d’information. Ils sont suivis de loin par les gens s’identifiant à QS, probablement pour des raisons différentes qu’il faudrait explorer éventuellement.</p>
<p>Les personnes sondées ne se font pas trop d’illusions quant à l’influence des annonceurs sur le travail journalistique, mais dans ce cas-ci, les gens s’identifiant à QS ne sont pas très loin de ceux du PCQ.</p>
<p>Faut-il s’étonner de constater que les perceptions varient considérablement en fonction du positionnement idéologique quand vient le temps de se prononcer sur l’orientation idéologique des médias ?</p>
<p>La méfiance s’observe aussi dans la préférence déclarée envers les médias traditionnels ou les médias sociaux. On peut anticiper que plus on se méfie des premiers, plus on aura tendance à s’informer auprès des seconds. Cela se vérifie dans le graphique suivant :</p>
<p>Finalement, quand on leur demande de se prononcer sur une échelle d’intensité (où 1 signifie désaccord total et 5 signifie accord total avec la proposition soumise), les moyennes des répondants et répondantes à droite du spectre idéologique se démarquent nettement. Les deux graphiques suivants l’illustrent à leur tour.</p>
<h2>Deux sources de méfiance : l’ignorance et la connaissance des médias</h2>
<p>À la lumière de ces résultats, je crois qu’au lieu de se contenter de questions aussi générales qu’imprécises pour mesurer le niveau de confiance/méfiance envers les médias et les journalistes, il est préférable de recourir à des indicateurs reconnus d’une part, et chercher d’autre part des variables qui permettent d’y voir plus clair.</p>
<p>Pour mieux comprendre ce qui motive la méfiance envers les médias, l’affiliation partisane, avec ce qu’elle charrie de convictions idéologiques et normatives, est des plus pertinentes.</p>
<p>Par ailleurs, on présume trop souvent que la méfiance repose sur un manque de littératie des médias, et que combler cette méconnaissance <a href="https://www.ledevoir.com/lire/798246/coup-d-essai-redorer-blason-medias">serait « LA » solution</a>. Or, s’il existe bien une méfiance basée sur l’ignorance ou des a priori idéologiques, il y a aussi une méfiance « éclairée ». </p>
<p>En effet, il est permis de croire que bon nombre de gens très familiers avec les journalistes (personnalités publiques, relationnistes, chercheurs, journalistes, <a href="https://ecosociete.org/livres/la-collision-des-recits">essayistes</a>, etc.) sont loin de leur accorder une grande confiance. Bien souvent, ces acteurs expriment leurs doutes quant à la véracité ou l’indépendance des journalistes et des médias. Ils le font dans des <a href="https://www.quebec-amerique.com/index.php?id_product=10528&controller=product&search_query=intox&results=1">essais</a>, des entrevues, des biographies ou mémoires, des <a href="https://www.lapresse.ca/debats/opinions/2021-11-16/confiance-envers-les-medias/ca-ne-va-pas-dans-le-bon-sens-groupe.php">interventions publiques</a> et, bien entendu, sur les médias sociaux.</p>
<p>Le sondage a aussi révélé que 41 % des répondants et répondantes estiment qu’il y a trop de chroniques, alors que 34 % croient que les journalistes sont réceptifs à la critique, et 41 % qu’ils essaient de cacher leurs erreurs. Ces facteurs ne favorisent ni la confiance ni la crédibilité, qui est une autre notion critique quand il est question d’information.</p>
<h2>L’intensité des convictions idéologiques, une variable déterminante</h2>
<p>Pour l’instant, on doit conclure que la méfiance envers les médias et leurs journalistes est nettement plus accentuée à droite du spectre idéologique qu’à gauche. C’est à droite qu’on fait le moins confiance à bon nombre d’acteurs et d’institutions (experts, scientifiques, justice, système démocratique, gouvernements, institutions internationales et médias locaux).</p>
<p>Les répondants du centre gauche (PQ) comme du centre droit (PLQ et CAQ), leur font davantage confiance, mais dans tous les cas, elle est fragile.</p>
<p>Il y aurait lieu d’explorer comment la confiance envers les médias et leurs journalistes varie, non seulement en fonction de l’affiliation partisane, mais aussi selon divers enjeux qui font réagir l’opinion publique. En demandant, par exemple, à quel média on fait confiance lorsqu’il est question d’immigration, d’environnement, de santé, de politique ou d’économie, on pourrait mieux observer les fluctuations au sein de groupes de répondants s’identifiant à un parti politique ou un autre.</p>
<p>Par ailleurs, une méthode qualitative (par enquête ou entrevues) permettrait de mieux comprendre les multiples raisons que mobilisent nos répondants. Cela pourrait expliquer les écarts qui existent surtout chez ceux s’identifiant au Parti conservateur, mais aussi, dans une moindre mesure chez ceux de Québec Solidaire : sentiment d’hostilité des médias envers eux ou leurs convictions, méfiance des élites, cynisme, mauvaises expériences avec des journalistes, méconnaissance des médias, facteurs culturels ou socio-économiques, etc.</p>
<p>Quand il est question de faire confiance aux médias et à leurs journalistes, ou de s’en méfier, on ne peut pas écarter l’hypothèse que l’intensité des convictions idéologiques, morales et politiques soit une variable déterminante.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216130/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marc-François Bernier (Ph. D.) est membre de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ). L'analyse soumise n'est liée à aucun financement. Le sondage a été réalisé avec ma collègue Marie-Ève Carignan (Université de Sherbrooke) dans le cadre de nos activités universitaires. Le Ministère de la Culture et des Communications du Québec a versé une subvention de recherche uniquement pour couvrir les frais de la firme Léger Marketing.</span></em></p>Pour mieux comprendre ce qui motive la méfiance envers les médias, il faut regarder du côté de l’affiliation partisane des citoyens, et de la manière dont les convictions idéologiques l’influencent.Marc-François Bernier (Ph. D.), Professeur titulaire au Département de communication de l'Université d'Ottawa, spécialisé en éthique, déontologie et sociologie du journalisme, L’Université d’Ottawa/University of OttawaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2129282023-09-12T21:50:15Z2023-09-12T21:50:15ZLes correspondants de guerre russes et la propagande du Kremlin<p><a href="https://theconversation.com/disparition-de-prigojine-quelles-consequences-pour-les-ultra-nationalistes-russes-212404">La mort d’Evguéni Prigogine</a>, le patron de Wagner, dans le crash aérien survenu le 23 août, n’est pas sans conséquence pour le microcosme des <a href="https://thefix.media/2023/1/31/how-russian-pro-kremlin-military-correspondents-cover-the-invasion-of-ukraine"><em>voenkory</em></a> – littéralement « correspondants de guerre » russes – et, donc, pour l’ensemble de la propagande déployée par Moscou à propos de la guerre en Ukraine.</p>
<p>Le terme <em>voenkory</em>, <a href="https://www.bbc.com/news/world-europe-65179954">désormais entré dans le langage courant</a>, désigne des blogueurs au pedigree varié – journalistes diplômés ou non, anciens de l’armée, autodidactes, aventuriers divers… –, spécialisés dans le domaine militaire, qui écrivent au quotidien pour des médias officiels ou sur les réseaux sociaux (spécialement sur Telegram) à propos de la guerre en Ukraine, souvent depuis le théâtre des opérations. Certains d’entre eux sont très suivis et exercent une influence réelle. Ils ont en partage un nationalisme véhément et un soutien sans faille à l’invasion de l’Ukraine, qu’ils jugent souvent trop lente et mal organisée.</p>
<h2>Des positions parfois trop belliqueuses pour le Kremlin</h2>
<p><a href="https://www.7sur7.be/monde/prigojine-sen-prend-violemment-a-lelite-russe-envoyez-vos-pu-de-fils-a-la-guerre%7Ea44698c0/">Dans le sillage du fameux « cuisinier de Poutine »</a>, un grand nombre des <em>voenkory</em> n’ont pas hésité, depuis le début de l’attaque russe en février 2022, à critiquer l’armée, le système et les élites corrompues, et à réclamer le limogeage du ministre de la Défense Sergueï Choïgou et du chef d’état-major <a href="https://theconversation.com/nomination-du-general-guerassimov-a-la-tete-des-operations-en-ukraine-un-tournant-dans-la-guerre-197827">Valéri Guerassimov</a>.</p>
<p>La mort brutale du correspondant « indépendant » <a href="https://www.france24.com/fr/%C3%A9missions/vu-de-russie/20230407-qui-%C3%A9tait-vladlen-tatarsky-le-blogueur-russe-pro-guerre-tu%C3%A9-dans-un-attentat-%C3%A0-saint-p%C3%A9tersbourg">Vladlen Tatarsky</a> (de son vrai nom Maxime Fomine) dans un attentat le 2 avril et <a href="https://meduza.io/en/feature/2023/07/22/i-pulled-the-trigger-on-the-war">l’arrestation du virulent Igor Guirkine (Strelkov)</a> le 21 juillet avaient déjà suscité certains remous au sein du petit monde digital des <em>voenkory</em>, mais le crash du 23 août aura eu un impact nettement plus considérable.</p>
<p>Si ces propagandistes ultra-nationalistes ont pu sembler, un temps, incarner une élite militaro-impérialiste montante et susceptible de déstabiliser le pouvoir, il y a peu de doute que le sort réservé à Prigojine deux mois après sa <a href="https://theconversation.com/cinq-questions-apres-la-marche-pour-la-justice-de-wagner-208593">« marche sur Moscou »</a> a refroidi – peut-être seulement provisoirement – leur <a href="https://www.spectator.co.uk/article/putins-real-threat-comes-from-russias-turbo-patriots/">« turbo-patriotisme »</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1653242485475356677"}"></div></p>
<p>Après le flottement observé parmi les correspondants « officiels » durant la rébellion menée par Prigogine le 24 juin, leur distanciation vis-à-vis du « traître », y compris chez ceux à qui il avait accordé de longues interviews, et enfin, le silence à l’annonce de sa mort sont révélateurs. Si les « indépendants » peuvent encore se permettre des critiques ou des railleries visant les forces armées russes, leur relative liberté à l’égard de la ligne officielle est aujourd’hui en sursis.</p>
<h2>Telegram, un terrain d’expression privilégié</h2>
<p>Pour comprendre l’émergence des correspondants de guerre et leur rôle dans la communication russe, il convient de dresser un tableau du champ informationnel digital en Russie.</p>
<p>Dès les premiers jours suivant le début de l’invasion de l’Ukraine, les points de situation télévisés énoncés par le porte-parole de l’armée russe se sont rapidement révélés être d’un autre âge (soviétique) et insuffisants pour une population connectée à 88 % et s’informant en ligne à plus de 68 % (chiffres en constante augmentation comme dans de nombreux autres pays). Le contrôle étatique sur l’information digitale, repris en main par le pouvoir au début des années 2010, <a href="https://www.rfi.fr/fr/emission/20140705-russie-retour-affaire-bolotnaia">à la suite des manifestations de la place Bolotnaïa à Moscou</a>, s’est accompagné d’une volonté de faire du « Runet » (l’Internet russe), non sans difficultés techniques, un espace « nettoyé » des influences étrangères – et, principalement, américaines.</p>
<p>La guerre en Ukraine n’a fait que renforcer cette stratégie, avec l’interdiction de nombreuses plates-formes digitales, comme Instagram ou Meta et la valorisation de leurs versions russes telles que le réseau social VK ou encore le lancement de RuTube, une version russe de YouTube avec un projet de <a href="https://academic.oup.com/ia/article/99/5/2015/7239803?nbd=31019539789&nbd_source=campaigner">communication de propagande</a> qui s’est rapidement révélé inefficace. Aujourd’hui, parmi les réseaux sociaux les plus utilisés par les Russes, WhatsApp et Telegram figurent respectivement à la première et à la deuxième place.</p>
<p>Les <em>voenkory</em> se sont « naturellement » imposés sur Telegram, où ils diffusent une propagande patriotique bien plus efficace que celle, laborieuse, mise en œuvre par l’État lui-même. Sous l’apparence d’une information « brute », venue directement depuis le terrain, souvent « indépendante », propre aux comptes personnels sur les réseaux sociaux, comme il en existe en France, les <em>voenkory</em> sont devenus une source d’information fondamentale à propos de ce qui se passe sur le front – tout en ne se départissant jamais d’un ultra-patriotisme conforme aux orientations générales du Kremlin. </p>
<p>Le réseau social Telegram, crée en 2013 par le Russe Pavel Dourov, <a href="https://www.lexpress.fr/monde/europe/pavel-dourov-fondateur-du-facebook-russe-a-quitte-la-russie_1510562.html">qui a quitté le pays en 2014</a>, a déjà fait l’objet d’un <a href="https://www.lepoint.fr/high-tech-internet/la-russie-bloque-des-millions-d-adresses-ip-liees-a-telegram-17-04-2018-2211427_47.php">blocage par l’organe russe de contrôle, Roskomnadzor en 2018</a>, blocage qui avait été levé en 2020. Aujourd’hui, la messagerie « étrangère » et ses contenus, <a href="https://www.themoscowHmes.com/2023/01/23/telegram-surpasses-whatsapp-trafficvolume-in-russia-a80012">dont le trafic en volume a dépassé en Russie celui de WhatsApp</a>, sont au centre de toutes les attentions du pouvoir. La traque aux propos décrédibilisant les forces armées, <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/russie-plus-de-3300-affaires-pour-discreditation-de-l-armee-selon-une-ong-20220722">encadrée par de nouvelles lois et sévèrement punie</a>, est lancée.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-le-kremlin-assoit-toujours-davantage-son-controle-de-linternet-russe-212070">Comment le Kremlin assoit toujours davantage son contrôle de l’Internet russe</a>
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<h2>Décorés par Poutine</h2>
<p><a href="https://www.newyorker.com/magazine/2008/09/22/echo-in-the-dark">La mise au pas des médias russes</a>, particulièrement durant les guerres menées par la Russie post-soviétique (Tchétchénie, Géorgie) n’étant pas si loin, le phénomène « voenkor » n’est pas passé inaperçu à Moscou. Les correspondants militaires sont apparus comme étant particulièrement utiles au moment où le pays procède à une mobilisation largement impopulaire. La première rencontre de Vladimir Poutine avec certains d’entre eux se serait déroulée lors du Forum économique de Saint-Pétersbourg au moins de juin 2022, l’intermédiaire n’étant autre que <a href="https://www.lexpress.fr/monde/europe/margarita-simonian-et-tigran-keosayan-un-couple-infernal-au-coeur-de-la-propagande-russe_2180586.html">Margarita Simonian</a>.</p>
<p>La directrice de <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/11/17/russia-today-rt-un-media-d-influence-au-service-de-l-etat-russe-la-tele-qui-venait-du-froid_6102344_3232.html">RT</a> depuis ses débuts, elle-même ancienne reporter de guerre en Tchétchénie, avait alors présenté « ses amis, ses collègues, ses patriotes » au chef de l’État. C’est également Simonian qui, au mois d’octobre 2022, coupera court aux rumeurs d’affaires judiciaires qui auraient été ouvertes contre certains <em>voenkory</em> qui seraient allés trop loin dans leurs critiques de l’armée et du commandement.</p>
<p>Loin d’être inquiétés par l’appareil judiciaire, certains correspondants se sont même vu remettre de prestigieuses distinctions, et les plus connus d’entre eux, tels Evguéni Poddoubny, Alexandre Sladkov, Semion Pegov (WarGonzo), Mikhaïl Zvintchouk (Rybar) et Alexandre Kots, ont été <a href="https://www.gazeta.ru/tech/news/2022/12/22/19333711.shtml">intégrés au groupe parlementaire de coordination pour « l’opération spéciale »</a>, créé par ordonnance présidentielle à la fin de l’année 2022.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/546709/original/file-20230906-34535-s2mobg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/546709/original/file-20230906-34535-s2mobg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=403&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/546709/original/file-20230906-34535-s2mobg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=403&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/546709/original/file-20230906-34535-s2mobg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=403&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/546709/original/file-20230906-34535-s2mobg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=506&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/546709/original/file-20230906-34535-s2mobg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=506&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/546709/original/file-20230906-34535-s2mobg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=506&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Vladimir Poutine décore Semion Pegov de l’Ordre du Courage au Kremlin, 20 décembre 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">www.kremlin.ru</span></span>
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<p>Le processus d’« élitisation », si souvent employé par le pouvoir russe ou soviétique, consiste à s’assurer la loyauté d’un groupe à travers un système de récompenses, la distribution de pouvoir ou de richesses. Mais la mort de Prigojine, la <a href="https://www.marianne.net/monde/europe/invasion-de-lukraine-ces-generaux-russes-un-peu-trop-bavards-qui-disparaissent">mise au pas des voix discordantes au sein de l’armée</a> et l’arrestation de Guirkine sont autant de messages qui ont rappelé aux <em>voenkory</em> que le patriotisme affiché ne suffit pas à protéger les élites : seule la loyauté absolue au régime et à son président garantit leur liberté et leur survie.</p>
<p>Si certains correspondants sont récompensés, <a href="https://telepot.ru/channels/voenkory?page=1">parmi les quelque 150 comptes russes</a> sur Telegram consacrés exclusivement à la guerre en Ukraine, la raison incombe notamment à leur notoriété dans l’espace digital, leur profession ou leur ancienneté : plus d’un million d’abonnés pour – WarGonzo, Rybar et OperaHonZ, quelques centaines de milliers pour ColonelCassad, quelques centaines seulement pour les moins connus.</p>
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<p>Certains reporters de guerre sous contrat avec la rédaction d’un média d’État se sont souvent rendus par le passé sur d’autres fronts (Donbass avant 2022, Syrie ou Afghanistan) et ont été formés au reportage de guerre par l’Union des journalistes de Moscou (organisme agissant, entre autres, sous la tutelle du FSB et des ministères de la Défense et des Affaires étrangères). Semion Pegov, Irina Kouksenkova ou Iouri Podoliak y ont été formés avant d’être récompensés pour leur couverture de la guerre en 2022.</p>
<p>Mais tous ne sont pas issus de la sphère journalistique. Certains indépendants sont d’anciens membres des forces de sécurité devenus blogueurs militaires, tels Igor Guirkine (Strelkov), vétéran des guerres de Yougoslavie et de Tchétchénie. Parfois même, des <a href="https://www.bbc.com/news/world-europe-65675102">adolescents sont recrutés dans les territoires occupés</a> pour s’exercer au « vrai journalisme russe des nouvelles régions » et sont plus tard récompensés de l’Ordre du Courage au Kremlin.</p>
<h2>Un phénomène durable</h2>
<p>Le phénomène <em>voenkory</em> semble avoir gagné une certaine popularité auprès des internautes russes, mais aussi ukrainiens ou occidentaux, lesquels suivent les messages, scrutent les réactions, démasquent la désinformation, analysent les renseignements et considèrent globalement ces blogueurs comme des sources dignes d’intérêt pour ce qui est communément appelé l’OSINT (Open Source Intelligence).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/invasion-russe-de-lukraine-lheure-de-gloire-de-losint-187388">Invasion russe de l’Ukraine : l’heure de gloire de l’OSINT</a>
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<p>Toutefois, s’il est difficile de mesurer l’impact supposé de ces comptes Telegram auprès de la population russe, au-delà du nombre d’abonnés, il conviendrait de ne pas surestimer le phénomène.</p>
<p>Selon les données relatives aux usages des internautes russes dont nous disposons, 39 % de la population adulte suit les actualités sur les réseaux sociaux, alors que plus de 68 %, nous l’avons dit, suit l’actualité sur Internet en général. La répression extrêmement sévère portant sur les propos anti-guerre, dans la rue mais aussi dans les mémoires des téléphones portables, qui s’est aujourd’hui étendue aux critiques visant les forces armées ou le gouvernement et à la diffusion de « fausses » informations, incite de nombreux Russes à chercher à ne laisser aucune trace sur la toile. Il est, dès lors, peu étonnant que parmi les dix premières applications téléchargées sur les portables russes figurent <a href="https://www.meilleure-innovation.com/guerre-ukraine-achat-vpn-russe/">plusieurs logiciels VPN</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/un-manuel-de-survie-numerique-pour-sinformer-et-eviter-la-censure-en-russie-181889">Un manuel de survie numérique pour s’informer et éviter la censure en Russie</a>
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<p>Il est donc quasiment <a href="https://datareportal.com/reports/digital-2023-russian-federation">impossible d’évaluer la popularité des <em>voenkory</em></a> en Russie sur la simple base du nombre de lecteurs ou d’abonnés. Ils n’en restent pas moins un <a href="https://digitalmediaknowledge.com/medias/russie-ukraine-quand-la-guerre-devient-virtuelle/">vecteur utile pour la propagande de guerre du Kremlin</a>, en ciblant particulièrement les jeunes générations, ce que l’État n’avait pas réussi à faire, et les Russes de l’étranger, dans la volonté de contrer la presse russe exilée. </p>
<p>Enfin, le succès des <em>voenkory</em> russes dans l’information et la communication de guerre est similaire au succès des chaînes Telegram personnelles de militaires ou de journalistes occidentaux, si l’on en croit les résultats d’une recherche effectuée par l’auteure pour l’Institut méditerranéen des Sciences de l’information et de la Communication (IMSIC) auprès d’étudiants francophones interrogés durant huit mois. L’information « brute », en donnant aux récepteurs l’illusion d’être dans le feu de l’action, en dit plus que le 20h. Même si leur liberté de parole a dernièrement été nettement restreinte par le pouvoir, les <em>voenkory</em> ont donc encore de beaux jours devant eux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/212928/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Carole Grimaud est fondatrice du think tank CREER (Center for Russia and Eastern Europe Research) à Genève, membre du Collège académique de l'Observatoire Géostratégique de Genève </span></em></p>Quelque 150 chaînes Telegram, très suivies en Russie, racontent au quotidien la guerre en Ukraine, avec un point de vue très nationaliste… parfois trop pour le Kremlin lui-même.Carole Grimaud, Chercheure Sciences de l'Information IMSIC, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2094812023-08-23T20:20:25Z2023-08-23T20:20:25ZLe vox pop, une pratique plus complexe qu'on le croit<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/540523/original/file-20230801-15-5f1zo2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C2%2C997%2C661&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le vox pop est une pratique complexe et digne d'intérêt : l'assemblage de quelques interventions individuelles suffit pour faire allusion au public dans les médias. </span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Omniprésents dans les médias, les vox pop font souvent l’objet de rires, de critiques ou d’indifférence dans le discours populaire. Cette pratique complexe en mal d’amour et de reconnaissance se targue pourtant de « nous » représenter à divers degrés en tant que public dans les médias. </p>
<p>Et s’il était temps de lui accorder davantage d’intérêt et de soin ?</p>
<p>Le vox pop ou micro-trottoir est <a href="https://vitrinelinguistique.oqlf.gouv.qc.ca/fiche-gdt/fiche/8365690/vox-pop?utm_campaign=Redirection%20des%20anciens%20outils&utm_content=id_fiche%3D8365690&utm_source=GDT">généralement défini</a> comme un sondage d’opinion informel réalisé auprès de membres du public pour être diffusé dans les médias, principalement dans un contexte journalistique. </p>
<p>Ce format, qui est tenu pour acquis collectivement, fait parfois l’objet de critiques ou de parodies. </p>
<p>Ces dernières années, le populaire <em>Bye bye</em> de fin d’année québécois s’est par exemple moqué des <a href="https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/le-15-18/segments/entrevue/149516/bye-bye-a-w-bienveillance-internautes-parodie-controverse-michel-olivier-girard">publicités de hamburgers de A&W</a> sous forme de micro-trottoir (2019) et des capsules de l’humoriste Guy Nantel (2018). </p>
<p>Les <a href="https://www.youtube.com/watch?v=13b1CNHjZcc">vox pop produits par Nantel</a> à partir de mauvaises réponses de ses interlocuteurs à des questions de connaissances générales ont d’ailleurs soulevé une rare <a href="https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/medium-large/segments/entrevue/25163/guyn-nantel-voxpop-375e-anniversaire-montreal">réflexion publique</a> sur cette pratique, certains qualifiant sa démarche de <a href="https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/499872/le-mepris">méprisante</a>. </p>
<p>C’est afin de creuser les dessous fascinants de cette pratique plus complexe qu’il n’y paraît que j’ai consacré une thèse doctorale en communication au vox pop.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/86doxhkVB6c?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">L’humoriste Guy Nantel a inclus des extraits de ses discussions de consentement à la participation dans un vox pop publié sur YouTube en septembre 2021.</span></figcaption>
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<h2>D’où viennent les vox pop ?</h2>
<p>Selon les dictionnaires, le vox pop tire son nom de l’expression latine <em>vox populi, vox Dei</em>, dont les <a href="https://www.press.jhu.edu/books/title/7794/vox-populi">premières traces</a> remontent au VIII<sup>e</sup> siècle. Cette formule, traduite par « la voix du peuple est la voix de Dieu », pourrait suggérer que cette prise de parole a une autonomie ou un pouvoir intrinsèque.</p>
<p>Les <a href="https://editions-metailie.com/livre/vox-populivox-dei/">études sur son usage</a> suggèrent que cette « voix » a plutôt été forgée sur mesure au fil des siècles afin de refléter les intérêts dominants du clergé, puis de la royauté. Il faudra attendre les grandes révolutions sociales du XVIII<sup>e</sup> siècle, ainsi que la montée subséquente des concepts de « classe ouvrière » et « d’opinion publique » avant que ces prises de parole issues de la population soient valorisées.</p>
<p>Le développement des médias a joué un rôle important dans l’émergence du vox pop, en particulier <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/016344379401600403">l’introduction vers 1860</a> d’une technique journalistique inédite : l’interview. En effet, il était jusque-là peu commun pour les journalistes de citer directement leurs sources. Cette technique a aussi favorisé la création d’enquêtes plus approfondies à travers la <a href="https://corpus.ulaval.ca/entities/publication/cd1b746f-d4ad-4dde-a893-4021999d441a">mise en série d’interviews</a> d’abord avec des personnalités connues, puis des personnes « anonymes ». </p>
<p>Rappelant les vox pop actuels, on rassemblait dorénavant plusieurs interventions sur un thème d’actualité, par exemple la controverse suscitée par le <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k529229p/f2.item.zoom">port du pantalon chez les femmes à bicyclette</a> dans un article du Gaulois de 1895 !</p>
<p>Le vox pop a également été influencé par la <a href="https://www.hup.harvard.edu/catalog.php?isbn=9780674027428">montée du marketing et des sondages d’opinion</a> au XX<sup>e</sup> siècle qui tentaient de définir ce qu’on considérait désormais comme le public de masse. On entend en effet communément que le vox pop s’adresse à des gens supposément « ordinaires » et qu’il représente l’opinion de « monsieur et madame Tout-le-Monde ».</p>
<h2>Quelques exemples précurseurs dans les médias</h2>
<p>Même si les conditions médiatiques et sociales d’existence des vox pop étaient présentes près d’un siècle plus tôt en Europe et en Amérique du Nord, mes recherches m’ont principalement permis de retracer des exemples concrets de vox pop à partir de 1930. Réalisé à Paris en 1932, le reportage photographique <a href="https://collections.museeniepce.com/fr/app/collection/7/author/9437/view?idFilterThematic=0">« Mesdames, voulez-vous voter ? »</a> accompagne chaque cliché de courts témoignages de passantes dont certaines semblent peu convaincues de la nécessité de permettre le vote aux femmes. </p>
<p>De 1932 à 1948, c’est au tour de l’émission radiophonique américaine <a href="https://archives.lib.umd.edu/repositories/2/resources/606">Vox Pop</a> de profiter des récentes avancées technologiques pour sortir ses microphones filaires du studio vers la rue et sonder le public sur toutes sortes de sujets. Au fil des années, les créateurs de l’émission travailleront consciemment à <a href="https://www.routledge.com/Radio-Reader-Essays-in-the-Cultural-History-of-Radio/Hilmes-Loviglio/p/book/9780415928212?gclid=CjwKCAjwq4imBhBQEiwA9Nx1Bh3Ircd1VhNThKmIbzu2tYV_9SfmHXGzEcaRJkuDgFjmOsfK-5KaTxoCx0EQAvD_BwE">représenter le public américain de façon exemplaire</a> et idéalisée à la radio, y compris lorsqu’il sera appelé à se mobiliser pendant la Deuxième Guerre mondiale. </p>
<h2>Un tour de force de représentation</h2>
<p>D’hier à aujourd’hui, l’une des particularités du vox pop est de faire appel à un échantillon limité de personnes triées sur le volet et d’amplifier leurs propos pour les amener à représenter plus largement le « grand public ». </p>
<p>Le linguiste américain <a href="https://www.cambridge.org/core/books/matters-of-opinion/D9DB315616B798ADCEC44621DEFDAB04">Greg Myers</a> écrira, dans son ouvrage <em>Matters of Opinion</em>, que pour le vox pop, </p>
<blockquote>
<p>La règle semble être qu’une seule personne ne peut pas parler au nom du « public », mais que n’importe quelle combinaison de trois personnes peut le faire. (traduction libre)</p>
</blockquote>
<p>Contrairement aux sondages d’opinion réalisés par des firmes professionnelles, la représentation qui est évoquée ici n’a rien de statistique. Cette citation résume cependant bien le pouvoir sous-estimé du vox pop et de ses créateurs et créatrices à générer des images plus ou moins déformées de certaines portions du public à destination d’auditoires médiatiques variés.</p>
<h2>Une pratique complexe et ses enjeux</h2>
<p>De ses origines à sa documentation, le vox pop est souvent associé à la pratique du journalisme. Ce format flexible qui permet de prendre le pouls de la population rapidement est fréquemment inséré dans les reportages. </p>
<p>Son utilisation est cependant plus problématique qu’il n’y paraît. </p>
<p>Les quelques études réalisées sur le vox pop journalistique nous apprennent qu’il est <a href="https://doi.org/10.1515/commun-2017-0040">malaimé des journalistes</a>, le plus souvent <a href="https://doi.org/10.1080/1461670X.2016.1187576">conçu de façon biaisée</a> et utilisé pour <a href="https://doi.org/10.1177/0267323118793779">soutenir le narratif du reportage</a> plutôt que l’expression autonome des opinions du public.</p>
<p>Le vox pop peut également être utilisé pour faire la promotion d’un produit ou de sa propre image de marque. Cet usage est particulièrement présent sur les réseaux sociaux. </p>
<p>Avec <a href="https://www.tiktok.com/tag/microtrottoir">7 milliards de vues associées au mot-clic #microtrottoir</a> à ce jour, les vox pop sont par omniprésents sur le réseau social TikTok du <a href="https://www.tiktok.com/@netflixfr/video/7099814861667896581?q=%40daetienne%20%23Netflix&t=1690489693841">jeu-questionnaire commandité</a> jusqu’à la <a href="https://www.tiktok.com/@jeremydruaux/video/7075397062832999686?is_copy_url=1">drague auprès de jeunes femmes</a> parfois en état d’ébriété.</p>
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<img alt="Popularité du mot-clic #microtrottoir sur TikTok" src="https://images.theconversation.com/files/539858/original/file-20230727-17-hyvw1u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/539858/original/file-20230727-17-hyvw1u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=303&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/539858/original/file-20230727-17-hyvw1u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=303&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/539858/original/file-20230727-17-hyvw1u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=303&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/539858/original/file-20230727-17-hyvw1u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=380&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/539858/original/file-20230727-17-hyvw1u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=380&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/539858/original/file-20230727-17-hyvw1u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=380&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">On dénombrait 7 milliards de visionnements associés au mot-clic #microtrottoir sur le réseau social TikTok en juillet 2023.</span>
<span class="attribution"><span class="source">TikTok</span></span>
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<p>La complexité du vox pop est manifeste lorsqu’on le considère comme <a href="https://voxpop.media/">pratique à part entière</a> portée par des créateurs et créatrices médiatiques d’horizons variés, allant de journalistes régis par un code de déontologie à des influenceurs sociaux peu encadrés. </p>
<p>Parmi les enjeux rencontrés sur le terrain, on dénote, sans pouvoir tous les nommer, le consentement de participation parfois absent, la déformation potentielle des propos, l’impossibilité de faire retirer des contenus problématiques ou encore leur risque de devenir viral. Sans suggérer que la participation à un vox pop se doit nécessairement d’être rémunérée, certains questionnements peuvent également être soulevés lorsque des contenus produits à partir de contributions d’inconnus sont monétisés.</p>
<p>La collaboration à des vox pop peut être une source de fierté, mais aussi potentiellement dommageable. Leur écho est aussi social puisque leur accumulation influence positivement ou négativement notre perception collective. À l’image de la maxime <em>vox populi, vox Dei</em>, les créateurs et créatrices médiatiques ont en effet un pouvoir énorme sur les propos et gestes qu’ils décident de mettre en scène, de récolter et de faire circuler dans l’espace médiatique.</p>
<h2>Pour des vox pop responsables</h2>
<p>À mon sens, il importe de valoriser une <a href="https://voxpop.media/hero">approche où la responsabilité collective des vox pop serait davantage partagée</a>. </p>
<p>Les créateurs et créatrices médiatiques sont d’abord invités à concevoir et réaliser leurs vox pop dans le respect des contributeurs à toutes les étapes et à faire preuve de plus de transparence sur leur démarche. </p>
<p>Les participants et participantes ont également un rôle clé à jouer : contribuer de façon assumée et mesurée aux vox pop ou exprimer leur refus si la démarche présentée ne leur convient pas. </p>
<p>Finalement, il incombe aux membres de l’auditoire de soulever des interrogations devant les contenus potentiellement problématiques et de donner de l’amour à ceux qu’ils jugent réalisés avec respect, quel que soit leur propos… </p>
<p>Oui, de l’amour, le vox pop en a bien besoin et il s’enrichit en sa présence !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209481/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cynthia Noury a reçu des financements des Fonds de recherche du Québec - Société et Culture, du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada et du Réseau international de recherche-création Hexagram.</span></em></p>Les vox pop sont omniprésents dans les médias. Ils sont cependant méconnus et souvent malaimés du public et médias.Cynthia Noury, Docteure en communication, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2106062023-07-31T16:19:48Z2023-07-31T16:19:48ZLa crise du Journal du dimanche et ce qu’elle dit de l’avenir de la presse française<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/540176/original/file-20230731-160144-7q9ssu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C2048%2C1355&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'équipe du Journal du dimanche s'oppose à l'arrivée comme directeur de la rédaction de Geoffroy Lejeune, connu pour porter une idéologie d'extrême-droite.</span> <span class="attribution"><span class="source">JDD</span></span></figcaption></figure><p>Après plus de cinq semaines de mobilisation contre Arnaud Lagardère (et à travers lui contre Vincent Bolloré), la rédaction du <em>Journal du dimanche</em> (<em>JDD</em>) continue avec acharnement <a href="https://www.liberation.fr/economie/medias/comment-geoffroy-lejeune-pourrait-il-faire-un-journal-du-dimanche-sans-journalistes-20230728_L6E2YIR35NBS3FCRSLGAOBGAZQ/">à défendre son indépendance</a>. L’équipe s’oppose en effet de manière presque unanime au recrutement comme directeur de la rédaction de Geoffroy Lejeune, connu pour porter une idéologie d’extrême droite. Mais cela n’empêche pas le groupe Lagardère de se montrer inflexible et d’ignorer toutes les demandes de la rédaction : l’arrivée de l’ancien journaliste de <em>Valeurs actuelles</em> a été confirmée et fixée au 1ʳᵉ août dans un <a href="https://www.lagardere.com/communique-presse/la-direction-de-lagardere-news-prend-acte-avec-regrets-de-labsence-daccord-avec-la-societe-des-journalistes-du-journal-du-dimanche-sdj-et-les-organisations-syndicales/">communiqué publié le 24 juillet</a>. Quelle que soit l’issue de cette grève, on aurait tort de penser qu’il s’agit d’un conflit isolé et sans implication pour le reste des médias : dans ce combat si dissymétrique se joue sans doute une partie de l’avenir de la presse française.</p>
<p>Cette mobilisation est en effet exceptionnelle non seulement par sa longévité mais parce qu’elle vise à défendre l’indépendance du journalisme et finalement son existence même. Certes, il y a bien sûr eu d’autres mouvements sociaux importants et durables dans l’histoire récente des médias français. On peut rappeler par exemple la longue grève qui a touché <em>Le Parisien libéré</em> en 1975 et qui s’est prolongée <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-fabrique-de-l-histoire/28-mois-de-greve-quand-les-salaries-du-parisien-libere-tentaient-de-survivre-dans-le-conflit-4676893">pendant 28 mois</a>. Mais cette crise était très différente de celle que connaît aujourd’hui le <em>JDD</em> puisqu’elle opposait le propriétaire du quotidien au Syndicat du Livre sur des questions touchant à la modernisation de la fabrication du journal.</p>
<h2>Le souvenir de la grève de l’ORTF en 1968</h2>
<p>Si la presse écrite a connu d’autres conflits liés à la volonté de défendre l’autonomie d’une rédaction, <a href="https://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2023/06/01/les-journalistes-du-quotidien-les-echos-en-greve-pour-obtenir-un-renforcement-des-garanties-d-independance_6175786_3236.html">à l’image des <em>Échos</em> encore récemment</a>, ils n’ont jamais atteint une telle durée dans l’histoire récente. L’exemple le plus proche de la mobilisation de la rédaction du <em>JDD</em> est peut-être la longue grève des techniciens et des journalistes de l’ORTF en 1968.</p>
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<figcaption><span class="caption">Récit de Mai 1968, et de la grève à l’ORTF, télévision et Radio France, Marcel Trillat, qui était journaliste de télévision à « 5 colonnes à la une » jusqu’en 1968, raconte le mai 68 de ceux de la télévision, le mai 68 à l’ORTF. Interviewé par Jeanne Menjoulet (Centre d’Histoire sociale des mondes contemporains, CHS).</span></figcaption>
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<p>Ce mouvement social, qui a duré presque deux mois, avait déjà pour but de défendre la liberté de l’information. La différence était bien sûr que les journalistes se battaient contre la mainmise de l’État et non contre les choix d’un industriel devenu propriétaire d’un média.</p>
<p>Le conflit en cours au <em>JDD</em> a aussi pour caractéristique de s’inscrire dans le prolongement de deux autres grèves qui ont déjà mis en évidence la brutalité des méthodes de Vincent Bolloré. Après Itélé en 2016 et Europe 1 en 2021, c’est en effet la <a href="https://www.la-croix.com/Economie/Greve-JDD-Canal-iTele-Europe-1-precedents-mouvements-contre-choix-Bollore-2023-06-26-1201273084">troisième rédaction qui se révolte contre cet industriel</a>.</p>
<p>La répétition de ces crises témoigne de la singularité du modèle Bolloré. Cet empire a d’abord pour particularité son extension très importante et le choix de Vivendi de se recentrer sur des activités en lien avec les médias, la publicité ou l’édition. Il est unique également, au moins à l’échelle française, par la radicalité de l’idéologie promue par Vincent Bolloré et par le rapport de force très agressif qu’il institue de manière systématique avec les rédactions.</p>
<h2>Une bataille déjà perdue ?</h2>
<p>Il est par ailleurs probable, comme en témoignent justement les exemples d’Itélé et d’Europe 1, que la bataille des journalistes du <em>JDD</em> se soldera par une défaite. Les deux grèves précédentes ont en effet connu la même conclusion : les normes éthiques censées encadrer le travail journalistique ont été foulées au pied, et les protections dont bénéficient en principe les rédactions ont été contournées, ou perverties. Les journalistes ont été sommés de se soumettre (et donc d’accepter cette réorientation idéologique) ou de se démettre (et donc de quitter le journal en échange d’une indemnité financière).</p>
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<figcaption><span class="caption">Itélé est entré dans sa troisième semaine de grève contre Bolloré et l’arrivée de Jean-Marc Morandini (AFP).</span></figcaption>
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<p>L’attitude inflexible d’Arnaud Lagardère laisse penser qu’il en ira de même pour le <em>JDD</em>. Alors même que la grève a été chaque jour reconduite à plus de 95 % pendant plus d’un mois, la SDJ n’a même pas obtenu l’ajout dans la charte de déontologie d’un paragraphe demandant l’interdiction dans le journal de « propos racistes, sexistes et homophobes ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1684209146625753089"}"></div></p>
<p>À travers le choix de Geoffroy Lejeune, c’est donc bien une profonde réorientation de la ligne éditoriale qui va être imposée à l’ensemble des journalistes qui accepteront de rester.</p>
<h2>Des soutiens contrastés</h2>
<p>Depuis le début de cette crise, les réactions ont été assez unanimes dans le monde journalistique, en dehors bien sûr des médias détenus par Vincent Bolloré, car la profession voit bien qu’elle est tout entière concernée.</p>
<p>Le soutien du monde politique a cependant été beaucoup plus <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/06/29/soutien-au-jdd-la-droite-defend-geoffroy-lejeune-jean-luc-melenchon-detonne-a-gauche_6179719_823448.html">contrasté</a>. S’il est majoritaire à gauche, il n’est pas pour autant unanime : Jean-Luc Mélenchon a jugé par exemple, dans une note de blog publiée le 15 juillet 2023, que le <em>JDD</em> penchait déjà à l’extrême droite et que les journalistes de l’hebdomadaire sont depuis longtemps habitués à <a href="https://melenchon.fr/2023/07/15/retour-a-la-raison-sur-les-revoltes-urbaines/">« lécher les pieds du patron »</a>.</p>
<p>De nombreux élus des Républicains se sont eux associés au discours de Reconquête et du Rassemblement national sur la prétendue domination idéologique exercée par la gauche sur les médias. Eric Ciotti s’est ainsi opposé avec virulence à la tribune de soutien à la rédaction du <em>JDD</em> parue dans <em>Le Monde</em>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1673625627201613825"}"></div></p>
<p>Quant à François-Xavier Bellamy, il a ostensiblement défendu la nomination de Geoffroy Lejeune, alors même que ce dernier a été évincé de <em>Valeurs actuelles</em> en raison d’une ligne éditoriale <a href="https://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2023/06/03/geoffroy-lejeune-mis-a-pied-de-valeurs-actuelles-sur-fond-de-bataille-editoriale_6176070_3236.html">jugée trop marquée à l’extrême droite par l’actionnaire lui-même</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1673943478533758977"}"></div></p>
<p>Le plus inquiétant sans doute est que le lectorat semble lui aussi divisé ou simplement indifférent. Ce désintérêt relatif s’explique peut-être par la banalisation du discours de l’extrême droite <a href="https://theconversation.com/ce-nest-pas-eric-zemmour-le-probleme-mais-la-legitimite-que-lui-conferent-les-medias-125271">dans l’espace médiatique</a>, mais elle doit aussi être reliée à l’évolution des ventes du <em>Journal du dimanche</em>. Ces dernières ont en effet fortement baissé au cours des quinze dernières années. D’après les chiffres de l’APCM (Alliance pour les chiffres de la presse et des médias), la diffusion de l’hebdomadaire a même été divisée par deux en un peu plus d’une décennie, passant d’environ 260 000 exemplaires en 2010 <a href="https://www.acpm.fr/Support/le-journal-du-dimanche">à 131 700 exemplaires en 2022</a>. Si cette crise soulève évidemment des questions d’ordre éthique, elle traduit donc aussi l’épuisement d’un modèle économique.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-les-francais-choisissent-ils-leurs-medias-204941">Comment les Français choisissent-ils leurs médias ?</a>
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<h2>Des dispositifs obsolètes</h2>
<p>La situation actuelle montre par ailleurs l’insuffisance des dispositifs dont dispose notre pays en matière de régulation des médias. L’Arcom a <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/07/26/c8-a-nouveau-sanctionnee-par-l-arcom-pour-l-emission-presentee-par-cyril-hanouna-a-hauteur-de-500-000-euros-d-amende_6183517_3234.html">encore récemment</a> infligé des sanctions aux chaînes de Vincent Bolloré, et elle pourra se prononcer sur le renouvellement de la fréquence de C8 et CNews en 2025, mais elle n’a pas évidemment vocation à intervenir dans le fonctionnement de la presse écrite.</p>
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<p>La loi qui régit la <a href="https://www.csa.fr/Proteger/Garantie-des-droits-et-libertes/Le-dispositif-anti-concentration">concentration des médias</a> date par ailleurs de 1986 et, même si elle a été aménagée depuis, elle est totalement inadaptée au paysage médiatique qui est le nôtre aujourd’hui. En témoigne par exemple la règle dite des « deux sur trois », qui interdit sous certaines conditions de posséder à la fois un quotidien, une radio et une chaîne de télévision : Vincent Bolloré possède un <a href="https://lesjours.fr/obsessions/l-empire/">empire d’une extraordinaire diversité</a> mais il n’a encore racheté aucun quotidien, et n’est donc pas concerné par ce dispositif.</p>
<p>Comme pour mieux nous renvoyer à l’obsolescence de nos règles nationales, les seules limites au rachat de Lagardère par Vincent Bolloré sont venues de l’Europe : la Commission européenne a validé cette OPA, mais elle a lancé une enquête sur une éventuelle prise de contrôle anticipée qui pourrait valoir au groupe Bolloré une amende de presque un <a href="https://www.lefigaro.fr/medias/vivendi-lagardere-bruxelles-enquete-sur-une-eventuelle-prise-de-controle-anticipee-20230725">milliard d’euros</a>.</p>
<p>Elle a aussi obligé Vivendi à vendre <em>Gala</em> pour <a href="https://www.liberation.fr/economie/medias/vivendi-va-vendre-gala-au-groupe-le-figaro-20230704_PLGSJ2ROLND3JINFJTNC43PKDY/?redirected=1&redirected=1">acquérir <em>Paris Match</em></a> afin d’éviter une situation de monopole sur les magazines « people », puisque ce groupe possède également l’hebdomadaire <em>Voici</em>.</p>
<h2>Adapter les mécanismes de régulation</h2>
<p>La menace représentée par le modèle Bolloré oblige donc de toute évidence à adapter nos mécanismes de régulation. La bonne nouvelle est qu’un consensus semble se dégager sur le sujet au sein d’une partie au moins du monde politique : une proposition de loi transpartisane, réunissant des élus des partis de gauche et de la majorité présidentielle, pourrait être examinée en fin d’année, avec la volonté de <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/07/19/jdd-des-deputes-deposent-une-proposition-de-loi-transpartisane-pour-l-independance-des-redactions_6182595_3234.html">renforcer les pouvoirs des collectifs de journalistes face aux actionnaires</a>.</p>
<p>On peut par ailleurs espérer que les États généraux du droit à l’information, <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/07/13/emmanuel-macron-annonce-le-lancement-en-septembre-des-etats-generaux-de-l-information_6181805_3234.html">qui vont être lancés en septembre</a>, donneront lieu à des initiatives pour renforcer l’indépendance éditoriale des rédactions. Mais dans tous les cas, il sera malheureusement trop tard pour les journalistes du <em>JDD</em>.</p>
<h2>Une rédaction face à la tentation réactionnaire</h2>
<p>Cette crise pose aussi la question de l’orientation idéologique qu’un nouvel actionnaire peut donner à un journal ayant une histoire et une identité fortes. Ces dernières années – et ce n’est un secret pour personne – la ligne du <em>JDD</em> était dans l’ensemble plutôt favorable à Emmanuel Macron, ce qui n’excluait pas un réel pluralisme interne. De manière plus générale, cet hebdomadaire a toujours cultivé une image de modération qui le situe aux antipodes d’un journal d’opinion tel que <em>Valeurs actuelles</em>.</p>
<p>L’arrivée de Geoffroy Lejeune ne témoigne donc pas seulement de la volonté d’infléchir cette ligne. Elle traduit le choix assumé de l’inverser, en faisant d’un journal traditionnellement proche du pouvoir politique un outil de contestation de ce même pouvoir.</p>
<p>Geoffroy Lejeune incarne en effet mieux qu’aucun autre la tentation réactionnaire à laquelle une partie des médias français ont cédé depuis une dizaine d’années. Ami de jeunesse de Marion Maréchal, il a été un soutien de la première heure d’Eric Zemmour, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=gDqnIgykf7Y">dont il a imaginé l’élection dès 2015 dans un roman intitulé <em>Une élection ordinaire</em></a>.</p>
<p>Son ascension rapide dans le monde journalistique au cours de la dernière décennie avait déjà pour origine la nouvelle impulsion donnée à la ligne éditoriale d’un titre historique de la presse française. Il a bénéficié en effet de l’élan qu’a amené Yves de Kerdrel dès son arrivée à la tête de <em>Valeurs actuelles</em> en 2012 : ce dernier a choisi de faire évoluer un hebdomadaire jusque là assez conservateur vers une idéologie beaucoup plus radicale. Devenu à son tour directeur de la rédaction en 2016, Geoffroy Lejeune a prolongé et accentué ce glissement.</p>
<p>À partir des années 2010, <em>Valeurs actuelles</em> a ainsi multiplié les unes provocatrices sur l’« invasion » musulmane, sur l’« ensauvagement » des banlieues ou sur les « barbares » venus de l’étranger. Autour de Geoffroy Lejeune, une très jeune rédaction s’est constituée et a su investir les plateaux de télévision, à commencer par ceux de CNews. Or, on sait déjà qu’à l’image de Charlotte d’Ornellas, plusieurs de ces journalistes sont destinés à rejoindre Geoffroy Lejeune <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/07/26/jdd-comment-geoffroy-lejeune-pourrait-il-sortir-un-journal-dans-l-etat-actuel-du-chantier_6183531_3234.html">au sein de la nouvelle rédaction du <em>JDD</em></a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Charlotte d’Ornellas et Geoffroy Lejeune invités par l’ISSEP, institution fondée par Marion Maréchal, 2020.</span></figcaption>
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<h2>Le lourd héritage du journalisme d’extrême droite</h2>
<p>Les défenseurs de son bilan à la tête de <em>Valeurs actuelles</em> rappellent, à juste titre, la légitimité du journalisme d’opinion. Mais dans le cas de <em>Valeurs actuelles</em>, du moins depuis le virage éditorial opéré ces dernières années, il ne s’agit pas de n’importe quelle opinion : obsédés par la désignation d’un ennemi de l’intérieur qui menacerait la cohésion de la nation, Geoffroy Lejeune et son équipe ont mis à l’honneur un imaginaire raciste et xénophobe qui leur a valu plusieurs condamnations judiciaires, en <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2015/12/09/valeurs-actuelles-condamne-en-appel-pour-provocation-a-la-haine_4828041_3224.html">2015</a> <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/11/17/valeurs-actuelles-condamne-en-appel-pour-injure-publique-a-caractere-raciste-envers-daniele-obono_6150329_3224.html">et en 2022</a> notamment. Cet imaginaire ne vient pas de nulle part et il a même déjà connu son heure de gloire dans la presse française : entre la Belle Époque et la Seconde Guerre mondiale, toute une tradition journalistique s’est appuyée sur le recours à des caricatures et à des unes provocatrices pour stigmatiser des minorités prétendument inassimilables.</p>
<p>Bien sûr, la rédaction de <em>Valeurs actuelles</em> ne revendique jamais ouvertement cet héritage encombrant. Mais le candidat qu’elle a soutenu avec ardeur lors de la dernière élection présidentielle apparaît comme un trait d’union assumé entre ces deux périodes de l’histoire de France en général et de l’histoire de la presse en particulier. Éric Zemmour n’a eu de cesse en effet de manifester son admiration pour Charles Maurras et plus encore pour <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/histoire/jacques-bainville-un-cassandre-si-actuel-20210421">Jacques Bainville</a>, qui a été jusqu’à sa mort l’une des figures les plus en vue de L’Action française.</p>
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<span class="caption">L’Action française du 14 février 1936, annonçant les funérailles de Bainville.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k766243n.texteImage#">Gallica/BNF</a></span>
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<p>Dans <em>Face à l’info</em>, émission qui lui aura servi de rampe de lancement vers la présidentielle, il s’est en outre ouvertement interrogé à plusieurs reprises sur l’innocence de Dreyfus et sur le rôle joué par Zola dans cette affaire. « C’est trouble cette histoire aussi » a-t-il notamment déclaré le 29 septembre 2020, dans une émission où il a également estimé que le « J’accuse » de Zola et la victoire des dreyfusards ont contribué à la désorganisation de l’armée en 1914. Il est revenu sur le sujet quelques jours plus tard, en affirmant dans l’émission du 15 octobre 2020 : « En plus l’étude graphologique est assez, comment dire, parlante… on ne saura jamais. » En distillant un tel soupçon devant des centaines de milliers de téléspectateurs, Eric Zemmour a renoué avec les mensonges et avec les obsessions de la presse antidreyfusarde.</p>
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<span class="caption">La Libre Parole illustrée, 15 décembre 1894.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Archive</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<span class="caption">Psst… ! 23 juillet 1898.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<figure class="align-left zoomable">
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<span class="caption">La Libre Parole, 10 septembre 1899.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/540023/original/file-20230729-23-gakkkg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/540023/original/file-20230729-23-gakkkg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/540023/original/file-20230729-23-gakkkg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=772&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/540023/original/file-20230729-23-gakkkg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=772&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/540023/original/file-20230729-23-gakkkg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=772&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/540023/original/file-20230729-23-gakkkg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=970&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/540023/original/file-20230729-23-gakkkg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=970&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/540023/original/file-20230729-23-gakkkg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=970&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Planche n°4 de la série Le Musée des Horreurs (1899/1900), par Victor Lenepveu.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Victor Lenepveu</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Depuis la Libération, l’extrême droite médiatique n’avait évidemment pas disparu mais elle était tenue à l’écart de la presse « mainstream ». Elle occupe à nouveau le devant de la scène, et le combat idéologique que mène Vincent Bolloré lui permet de jouer les premiers rôles à la télévision comme dans la presse écrite. Cela explique sans doute la résistance désespérée de la rédaction du <em>Journal du dimanche</em> aujourd’hui : instruite par l’exemple d’Itélé et d’Europe 1, elle sait très bien ce que signifie l’arrivée des signatures venues de <em>Valeurs actuelles</em>.</p>
<h2>Les quotidiens nationaux ou la possibilité d’une mue</h2>
<p>Le basculement prévisible du <em>JDD</em> vers cette forme de journalisme identitaire ne peut donc qu’inquiéter. D’une manière plus générale, les grands journaux fondés à la Libération ont aujourd’hui perdu une part de leur rayonnement et de leur influence. Leur domination avait déjà été largement battue en brèche par la <a href="https://www.cairn.info/revue-hypotheses-2004-1-page-171.htm">montée en puissance de la télévision à partir des années 1960</a>, et elle tend à s’estomper encore davantage depuis les débuts de la révolution numérique.</p>
<p>La presse magazine est de loin le secteur le plus touché par cette désaffection. Le cas du <em>JDD</em> est en effet loin d’être isolé : faute d’avoir suffisamment anticipé le passage au digital, les hebdomadaires connaissent une crise profonde de leur modèle économique, ce qui affecte leurs ventes comme leur capacité à influencer l’opinion publique. Cette fragilité a favorisé l’arrivée de nouveaux acteurs, à commencer bien sûr par Vincent Bolloré. Avant de prendre possession du <em>Journal du dimanche</em> et de <em>Paris Match</em>, ce dernier a notamment profité du désengagement de Bertelsmann pour acquérir la vingtaine d’hebdomadaires de <a href="https://www.vivendi.com/communique/vivendi-finalise-lacquisition-de-prisma-media-numero-un-de-la-presse-magazine-en-france/">Prisma Media</a>.</p>
<p>Vincent Bolloré n’est cependant pas le seul dans ce cas, puisque le groupe Reworld Media s’est fait une spécialité de racheter des magazines en difficulté en les vidant de leur substance : à défaut d’infléchir la ligne éditoriale de ces titres, le nouvel actionnaire les transforme de manière systématique en journaux « low-cost » en ayant recours <a href="https://www.la-croix.com/Economie/Medias/Pres-200-journalistes-Mondadori-renoncent-travailler-Reworld-Media-2019-10-01-1201051279">à des agences extérieures et en multipliant les publicités déguisées</a>. Pour Reworld Media et Vivendi, les journaux sont ainsi avant tout des marques médiatiques, que l’on peut détourner de leur fonction originelle après avoir provoqué le départ de la majeure partie des journalistes.</p>
<p>Il ne faut pas pour autant désespérer de la presse papier car la situation des quotidiens nationaux est heureusement plus encourageante. <em>Le Monde</em>, <em>Le Figaro</em> et dans une moindre mesure <em>Libération</em> ont en effet réussi à négocier la transition numérique : à la fin de l’année 2021, <a href="https://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2021/12/21/pour-ses-77-ans-le-monde-s-offre-un-record-de-500-000-abonnes_6106916_3236.html"><em>Le Monde</em> a même dépassé pour la première fois le cap des 500000 abonnés, en battant un record de diffusion datant de 1979</a>.</p>
<p>Si l’on peut regretter qu’aucun de ces titres ne soit indépendant d’un point de vue économique, à l’inverse d’un “pureplayer” comme Mediapart, la situation de ces rédactions n’a rien de commun avec les conditions de travail auxquelles les journalistes sont soumis dans les médias détenus par Vincent Bolloré.</p>
<p>La presse écrite dans son ensemble vit donc une situation difficile, et sa faiblesse fait d’elle la proie de prédateurs qui peuvent retourner contre elle son histoire, son éthique et ses valeurs. Il est probable que l’empire de Vincent Bolloré continuera à s’étendre, et que d’autres médias verront leur ligne éditoriale brutalement remise en cause par l’arrivée de figures comme Geoffroy Lejeune. Mais le pire, dans la crise que traverse aujourd’hui le <em>Journal du dimanche</em>, serait de mettre tous les titres de presse sur le même plan.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210606/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexis Lévrier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La mobilisation au Journal du dimanche est exceptionnelle non seulement par sa longévité mais parce qu’elle vise à défendre l’indépendance du journalisme et finalement son existence même.Alexis Lévrier, Historien de la presse, maître de conférences, chercheur associé au GRIPIC, Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2042382023-06-08T16:08:26Z2023-06-08T16:08:26ZL'IA profite d'une couverture partiale des médias<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/523618/original/file-20230501-18-8b9nej.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=14%2C0%2C1902%2C1066&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Peu de voix critiques à l’égard de l’IA se font entendre dans la couverture des médias traditionnels sur le sujet.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Les médias d’information jouent un rôle déterminant dans la perception qu’a le public de l’intelligence artificielle. Depuis 2017, année où Ottawa a rendu publique sa <a href="https://ised-isde.canada.ca/site/strategie-ia/fr">Stratégie pancanadienne en matière d’intelligence artificielle</a>, <a href="https://yvesgingras.uqam.ca/wp-content/uploads/sites/150/Note_2020-07_IA.pdf">l’IA est présentée et promue comme une ressource clé</a> pour l’économie canadienne.</p>
<p>Ayant engagé plus d’un <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=4089932">milliard de dollars en financement public</a>, le gouvernement fédéral décrit l’IA comme un outil <a href="https://ised-isde.canada.ca/site/strategie-ia/fr">dont il faut impérativement tirer parti</a>. Certains organismes financés par l’État comme <a href="https://www.scaleai.ca/fr/">Scale AI</a> et <a href="https://forumia.quebec/">Forum IA Québec</a> existent pour faire la promotion de l’adoption de l’IA dans tous les secteurs de l’économie.</p>
<p>Au cours des deux dernières années, notre équipe de recherche <a href="https://www.shapingai.org/#media">Shaping AI</a> a étudié la couverture médiatique canadienne de l’IA. Nous avons analysé les articles de journaux publiés sur le sujet entre 2012 et 2021 et mené des entrevues avec des journalistes canadiens affectés à la couverture de l’IA durant cette période.</p>
<p><a href="https://espace.inrs.ca/id/eprint/13149/1/report_ShapingAI_verJ.pdf">Selon notre étude</a>, les articles de médias généralistes sur l’IA reflètent étroitement les intérêts des affaires et du gouvernement. La couverture de l’IA fait l’éloge de ses futurs avantages économiques et politiques. Elle aborde très peu les dynamiques de pouvoir qui sous-tendent ces intérêts.</p>
<h2>Les mêmes sources</h2>
<p>Notre étude révèle que les journalistes technos ont tendance à interviewer sans cesse les mêmes experts favorables à l’IA, en particulier des informaticiens. « Qui est la meilleure personne pour parler d’IA, si ce n’est celui qui la conçoit ? », nous expliquait un pigiste. Or, lorsque les journalistes font appel à un nombre restreint de sources, leurs reportages sont plus susceptibles d’omettre certaines informations importantes ou d’être partiaux.</p>
<p>Les informaticiens et les entrepreneurs oeuvrant dans le secteur technologique Yoshua Bengio, Geoffrey Hinton, Jean-François Gagné et Joëlle Pineau sont sollicités outre mesure par les médias traditionnels. Le nom de Yoshua Bengio – pionnier de l’apprentissage profond et fondateur de l’<a href="https://mila.quebec/personne/bengio-yoshua/">Institut d’intelligence artificielle Mila</a> – <a href="https://1drv.ms/f/s!Agwflj4HlSHJ9GV2_kegBc8ijuIw?e=Oxrlbt">apparaît près de 500 fois</a> dans 344 articles journalistiques différents.</p>
<p>Seule une poignée de politiciens et de leaders du secteur des technologies, comme Elon Musk ou Mark Zuckerberg, sont mentionnés plus souvent que ces experts dans les reportages canadiens sur l’IA.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Deux hommes, l’un portant un veston et l’autre une tenue décontractée, sont assis et discutent.Des drapeaux canadiens apparaissent en arrière-plan" src="https://images.theconversation.com/files/521370/original/file-20230417-1000-lgpo0a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521370/original/file-20230417-1000-lgpo0a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521370/original/file-20230417-1000-lgpo0a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521370/original/file-20230417-1000-lgpo0a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521370/original/file-20230417-1000-lgpo0a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521370/original/file-20230417-1000-lgpo0a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521370/original/file-20230417-1000-lgpo0a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le premier ministre Justin Trudeau rencontre Jean-François Gagné, cofondateur et à l’époque chef de la direction de la société Element AI, en marge du Fortune Global Forum, à Toronto, en octobre 2018.</span>
<span class="attribution"><span class="source">LA PRESSE CANADIENNE/Chris Young</span></span>
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</figure>
<p>Peu de voix critiques à l’égard de l’IA se font entendre dans la couverture des médias traditionnels sur le sujet. Les opinions critiques les plus fréquemment citées sont celles du regretté physicien Stephen Hawking, à qui on attribue 71 mentions. Les spécialistes des sciences sociales brillent par leur absence.</p>
<p>Yoshua Bengio, Geoffrey Hinton et Joëlle Pineau sont des autorités dans leur domaine d’expertise, mais à l’instar d’autres scientifiques, ils ne sont pas neutres ni exempts de parti pris. En entrevue, ils <a href="https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/tout-un-matin/segments/entrevue/438367/moratoire-intelligence-artificielle-arrivee-nucleaire">font la promotion du développement</a> et du <a href="https://ici.radio-canada.ca/info/videos/media-8258004/entrevue-avec-yoshua-bengio?isAutoPlay=true">déploiement de l’IA</a>. Comme ils ont consacré leur vie professionnelle au développement du champ de l’IA, ils ont intérêt à favoriser son adoption.</p>
<h2>Chercheurs et entrepreneurs en IA</h2>
<p>Plusieurs scientifiques spécialisés en IA sont non seulement des chercheurs, <a href="https://doi.org/10.1080/0953732032000046024">mais aussi des entrepreneurs</a>. Ces deux rôles sont distincts : un chercheur produit des savoirs, tandis qu’un entrepreneur se sert de la recherche et du développement pour attirer les investissements et vendre ses innovations.</p>
<p>Les <a href="https://doi.org/10.1016/S0048-7333(99)00055-4">frontières entre l’État, l’industrie des technologies et le milieu universitaire sont de plus en plus poreuses</a>. Au Canada, au cours de la dernière décennie, les agences gouvernementales, les entreprises publiques et privées, les chercheurs et les industriels ont contribué à la mise en place d’un écosystème lucratif en IA. Les chercheurs du domaine sont étroitement intégrés à ce <a href="https://yvesgingras.uqam.ca/wp-content/uploads/sites/150/Note_2020-07_IA.pdf">réseau tricoté serré</a>, partageant leur temps entre des laboratoires financés par l’État et des <a href="https://www.cs.mcgill.ca/%7Ejpineau/">géants de la technologie comme Meta</a>.</p>
<p>Les chercheurs en IA occupent des postes de pouvoir clés au sein des <a href="https://forumia.quebec/a-propos">organismes qui font la promotion de l’adoption de l’IA</a> <a href="https://ivado.ca/gouvernance/">dans toutes les industries</a>. De plus, un grand nombre d’entre eux occupent ou ont occupé des postes décisionnels à l’<a href="https://cifar.ca/fr/ia/">Institut canadien de recherches avancées (CIFAR)</a>, un organisme qui achemine des fonds publics vers des chaires de recherche en IA un peu partout au Canada.</p>
<p>Lorsque les informaticiens s’expriment dans les médias, ils le font non seulement à titre d’experts en IA, mais aussi en tant que <a href="https://shs.hal.science/halshs-00081741">porte-paroles de ce réseau</a>. Ils confèrent une crédibilité et une légitimité aux reportages sur l’IA en raison de leur expertise reconnue. Mais ils sont également en position de promouvoir leurs propres attentes relativement à l’avenir de l’IA, sans avoir à être imputable quant à la réalisation de ces visions d’avenir.</p>
<h2>Promotion de l’IA responsable</h2>
<p>Les experts cités dans les médias traditionnels abordent rarement les détails techniques de la recherche en IA. Les techniques d’apprentissage automatique – communément regroupées sous le terme parapluie IA – sont jugées trop complexes pour le grand public. « Il y a très peu d’espace consacré à l’approfondissement des aspects techniques », nous a dit un journaliste.</p>
<p>Les chercheurs en IA profitent plutôt de l’attention médiatique pour façonner les attentes et la compréhension du public en matière d’IA. La couverture récemment accordée à une <a href="https://futureoflife.org/open-letter/pause-giant-ai-experiments/">lettre ouverte réclamant un moratoire de six mois sur le développement de l’IA</a> en est un bon exemple. Les reportages ont surtout relayé des clichés alarmistes sur ce que l’IA pourrait devenir, citant de « <a href="https://www.nytimes.com/2023/03/29/technology/ai-artificial-intelligence-musk-risks.html">graves risques pour la société »</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Un homme d’âge moyen à la chevelure frisée fixe la caméra, le menton appuyé dans la main. À côté de lui se trouve un écran où l’on voit une tête humaine baignée dans une lumière bleue éclatante ; les mots « l’IA et l’apprentissage profond » apparaissent dans la partie supérieure de l’écran" src="https://images.theconversation.com/files/521102/original/file-20230414-16-dbxzys.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521102/original/file-20230414-16-dbxzys.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521102/original/file-20230414-16-dbxzys.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521102/original/file-20230414-16-dbxzys.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521102/original/file-20230414-16-dbxzys.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=473&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521102/original/file-20230414-16-dbxzys.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=473&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521102/original/file-20230414-16-dbxzys.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=473&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le professeur d’informatique Yoshua Bengio devant son domicile de Montréal, en 2016.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Graham Hughes</span></span>
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</figure>
<p><a href="https://yoshuabengio.org/2023/04/05/slowing-down-development-of-ai-systems-passing-the-turing-test/">Yoshua Bengio</a>, qui a signé la lettre, avertit que l’IA a le potentiel de <a href="https://www.theglobeandmail.com/business/article-ai-pause-elon-musk/">déstabiliser la démocratie</a> et <a href="https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/tout-un-matin/segments/entrevue/438367/moratoire-intelligence-artificielle-arrivee-nucleaire">l’ordre mondial</a>.</p>
<p>Ces interventions ont façonné le discours sur l’IA de deux façons. Premièrement, elles ont associé les débats sur l’IA à des <a href="https://theconversation.com/lets-base-ai-debates-on-reality-not-extreme-fears-about-the-future-203030">visions alarmistes d’un futur lointain</a>. La couverture de la lettre ouverte réclamant un moratoire de six mois sur le développement de l’IA <a href="https://www.dair-institute.org/blog/letter-statement-March2023">a passé sous silence les dangers réels et bien documentés</a> liés à l’IA, comme ceux relatifs à <a href="https://academic.oup.com/book/5264">l’exploitation de la main-d’œuvre</a>, au <a href="https://proceedings.mlr.press/v81/buolamwini18a.html">racisme</a>, au <a href="https://youtu.be/E-O3LaSEcVw">sexisme</a>, à la désinformation et à la <a href="https://www.publicaffairsbooks.com/titles/shoshana-zuboff/the-age-of-surveillance-capitalism/9781610395694/">concentration du pouvoir entre les mains des géants de la technologie</a>.</p>
<p>Deuxièmement, la lettre présente la recherche en IA selon une <a href="https://www.britannica.com/topic/Manichaeism">dichotomie manichéenne</a> : la vision négative que « personne […] ne peut comprendre, maîtriser, prédire ou contrôler de façon fiable » et une vision positive – la soi-disant IA responsable. La lettre ouverte visait autant à façonner notre vision de l’avenir de l’IA qu’à <a href="https://www.latimes.com/business/technology/story/2023-03-31/column-afraid-of-ai-the-start-up-selling-it-want-you-to-be">vanter l’IA responsable</a>.</p>
<p>Mais si l’on en croit les normes de l’industrie de l’IA, ce qui a été jusqu’ici qualifié d’« IA responsable » consiste en des <a href="https://doi.org/10.1007/s43681-022-00209-w">principes vagues, volontaristes et non contraignants qui sont impossibles à mettre en œuvre dans le milieu des entreprises</a>. L’IA éthique n’est souvent qu’un <a href="https://time.com/6247678/openai-chatgpt-kenya-workers/">stratagème de marketing</a> à des fins de profit qui n’a pas grand-chose à offrir pour éliminer les systèmes d’exploitation, d’oppression et de violence déjà associés à l’IA.</p>
<h2>Recommandations de l’étude</h2>
<p>Notre étude comporte cinq recommandations visant à encourager un journalisme d’enquête critique en sciences et technologie ainsi que la mise en lumière des controverses de l’IA.</p>
<ol>
<li><p><strong>Promouvoir et investir dans le journalisme techno.</strong> Nous invitons les salles de rédaction et les journalistes à se méfier des cadrages économiques naïfs de l’IA et à enquêter plutôt sur les externalités qui sont généralement laissées de côté dans les reportages économiques : les exclusions sociales, les inégalités et les injustices créées par l’IA.</p></li>
<li><p><strong>Éviter de traiter l’IA comme une prophétie.</strong> Les projections futures de l’IA doivent être distinguées des réalisations actuelles.</p></li>
<li><p><strong>Suivre l’argent.</strong> Les médias canadiens ont peu couvert les proportions inhabituelles du financement gouvernemental gargantuesque qui a été consacré à la recherche sur l’IA. Nous conseillons aux journalistes d’examiner minutieusement les réseaux de personnes et d’organismes qui travaillent à la mise en place et au maintien de l’écosystème de l’IA au Canada.</p></li>
<li><p><strong>Diversifier les sources.</strong> Les experts en IA et leurs établissements de recherche occupent une place démesurée dans la couverture médiatique de l’IA au Canada, tandis que les opinions critiques y font cruellement défaut.</p></li>
<li><p><strong>Encourager la collaboration entre les journalistes, les salles de nouvelles et les équipes responsables des données.</strong> La prise en compte de différents types d’expertises aide à mettre en lumière les considérations sociales et techniques en matière d’IA. L’omission de l’une ou l’autre de ces expertises risque de rendre la couverture de l’IA déterministe, inexacte, naïve ou exagérément simpliste.</p></li>
</ol>
<p>L’adoption d’une attitude critique face à l’IA ne veut pas dire que l’on soit contre son développement et son déploiement. Cette posture a plutôt pour effet d’inciter les médias d’information et leur lectorat à s’interroger sur les dynamiques culturelles, politiques et sociales qui rendent l’IA possible, et à examiner les incidences globales de la technologie sur la société, et vice versa.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204238/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Guillaume Dandurand est financé par le Conseil de recherche en sciences humaines.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Fenwick McKelvey reçoit des fonds du Conseil de recherches en sciences humaines et du Fonds de recherche du Québec - Société et Culture (FRQSC).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Jonathan Roberge reçoit des fonds du Conseil de recherches en sciences humaines et des Fonds de recherche du Québec - Société et Culture (FRQSC).</span></em></p>La couverture médiatique de l’intelligence artificielle reflète davantage l’engouement du milieu des entreprises et du gouvernement que les opinions critiques.Guillaume Dandurand, Postdoctoral Fellow, Shaping AI, Institut national de la recherche scientifique (INRS)Fenwick McKelvey, Associate Professor in Information and Communication Technology Policy, Concordia UniversityJonathan Roberge, Professor, Institut national de la recherche scientifique (INRS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2058752023-05-28T15:33:16Z2023-05-28T15:33:16ZReporter de guerre : un métier nécessaire mais à haut risque<p>Un journaliste de l'agence de presse Reuters a été tué dans le sud du Liban le vendredi 7 octobre et six autres ont été blessés, après que les forces israéliennes ont bombardé cette zone suite à une « tentative d'infiltration ».</p>
<p>Le 9 mai 2023, un journaliste coordinateur vidéo de l’AFP en Ukraine avait été tué lors d’une frappe de roquettes russe à proximité de Bakhmout. Présent en Ukraine depuis quinze mois, il se rendait très régulièrement sur le front, en dépit des <a href="https://making-of.afp.com/sur-le-front-ukrainien-les-defis-dinformer">difficultés d’informer dans des conditions de guerre</a>.</p>
<p><a href="https://rsf.org/fr">Reporters sans frontières</a> dresse chaque année une <a href="https://rsf.org/fr/1-668-journalistes-tu%C3%A9s-en-20-ans-soit-80-par-en-moyenne-2003-2022">liste de ces journalistes tués</a> au service du public : le chiffre, en moyenne 80, dépasse parfois la centaine. Le <a href="https://www.prixbayeux.org/">prix Bayeux des reporters de guerre</a> décerne chaque année des distinctions aux correspondants de guerre, et les stèles du <a href="https://www.prixbayeux.org/presentation-fr/">mémorial</a> entretiennent la mémoire de plus de 2 000 journalistes tués dans l’exercice de leur métier.</p>
<p>Dans ce contexte dramatique, revenons brièvement sur l’histoire du journalisme de guerre et sur l’évolution récente de ce métier pas comme les autres.</p>
<h2>Les reporters de guerre</h2>
<p>En temps de paix, le journaliste peut aisément se situer : reporter ou enquêteur, il décrit les événements, fait passer de l’émotion, raconte la vie des autres à ses lecteurs ; éditorialiste ou chroniqueur, il prend position pour éclairer le public ou tenter de l’endoctriner. Mais en <a href="https://www.cairn.info/journalisme-international--9782807315747-page-205.htm">temps de guerre</a>, de quel côté est-il : du côté des guerriers ou du côté des victimes ? Dans quel camp se situe-t-il ? Est-il possible d’être entre les lignes et de maintenir l’équilibre entre les belligérants, entre l’arrière et le front, entre les politiques et les militaires ?</p>
<p>Le <a href="https://www.bnf.fr/fr/le-reportage-de-guerre-bibliographie">reportage de guerre</a> est apparu dans la deuxième moitié du XIX<sup>e</sup> siècle, lors de la guerre de Sécession aux États-Unis, de la guerre de 1870, mais il prend une place considérable au XX<sup>e</sup> siècle avec la guerre russo-japonaise, la guerre d’Espagne, les deux guerres mondiales, puis les guerres de décolonisation.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/527280/original/file-20230519-7659-ris0qb.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/527280/original/file-20230519-7659-ris0qb.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=563&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/527280/original/file-20230519-7659-ris0qb.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=563&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/527280/original/file-20230519-7659-ris0qb.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=563&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/527280/original/file-20230519-7659-ris0qb.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=708&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/527280/original/file-20230519-7659-ris0qb.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=708&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/527280/original/file-20230519-7659-ris0qb.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=708&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Alan Wood, correspondant de guerre du quotidien britannique <em>Daily Express</em>, rédige une dépêche pendant les combats à Arnhem, aux Pays-Bas, en 1944.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/War_correspondent#/media/File:War_correspondent_typing_his_despatch.jpg">Wikimedia</a></span>
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<p>En temps de guerre, le journaliste risque souvent d’être considéré comme un espion ou comme un traître ; il peut alors être pris en otage, torturé ou tué. Durant la guerre russo-japonaise en 1904-1905, Ludovic Naudeau, envoyé spécial du <em>Journal</em>, est du côté des Russes ; il est arrêté par les Japonais pour espionnage. En 1917-1918, il couvre la révolution russe pour <em>Le Temps</em> ; il est arrêté en juillet 1918 à cause de la teneur antibolchévique de ses articles. Il est libéré à la fin de l’année en échange de la publication dans <em>Le Temps</em> d’un <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k243622g/f3.item">entretien avec Lénine</a>.</p>
<p>De nombreux journalistes sont morts pour avoir tenté de faire leur travail d’information, tels <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1955/08/23/andre-leveuf_1940775_1819218.html">André Leveuf</a>, tué au Maroc le 20 août 1955 ou <a href="https://www.parismatch.com/Actu/International/Mort-reporter-de-guerre-Jean-Pierre-Pedrazzini-Budapest-Jean-Roy-Suez-1956-Photos-1768357">Jean-Pierre Pedrazzini et Jean Roy</a>, reporters pour <em>Paris Match</em>, tués à l’automne 1956, l’un à Suez, l’autre à Budapest.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1457734426620792848"}"></div></p>
<p>Durant la guerre d’Espagne, la presse française envoie près de deux cents reporters et photographes pour couvrir cette guerre civile annonciatrice de la Seconde Guerre mondiale : dans les premières semaines, les envoyés spéciaux circulent entre les deux camps ; mais bientôt, devant les menaces, les journaux d’information sont contraints d’envoyer deux équipes séparées pour couvrir les deux camps. Plusieurs correspondants meurent en Espagne, dans les combats ou par accident, et certains sont <a href="https://www.lexpress.fr/economie/espagne-des-restes-possibles-d-une-journaliste-francaise-fusillee-pendant-la-guerre-civile_2067583.html">fusillés</a>.</p>
<p>C’est à cette époque que la quête de l’image, fixe puis animée, prend une importance capitale pour apporter des preuves visuelles et conforter les reportages écrits. Il faut alors être au plus près : <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/fictions-perspectives-contemporaines-08-09/cycle-des-femmes-photographes-l-ombre-d-une-photographe-gerda-taro-de-francois-maspero-2-4-5141255">Gerda Taro</a> meurt en Espagne ; <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-marche-de-l-histoire/robert-capa-4441850">Robert Capa</a>, qui a débarqué avec l’armée américaine le 6 juin 1944 en Normandie et a été tué au Tonkin en 1954, disait : « Si la photo n’est pas bonne, c’est que vous n’êtes pas assez près. »</p>
<h2>L’information, un enjeu dans la guerre</h2>
<p>La Première Guerre mondiale inaugure la « guerre totale », aussi bien militaire qu’économique ou idéologique. Afin de mieux contrôler l’information, les armées enrôlent des journalistes qui partagent la vie des soldats ; ce sont les <a href="https://www.jstor.org/stable/10.7249/mg200rc">« embedded »</a>, selon la formule américaine. Mais, bien souvent, ils regimbent : ainsi, en 1918, Albert Londres quitte le groupe des reporters encadrés, les <a href="https://www.gregoiredetours.fr/XXe-si%C3%A8cle/grande-guerre/bernard-cahier-marcel-prevost-albert-londres-et-al-sous-le-brassard-vert-douze-journalistes-dans-la-grande-guerre-tome-1/">« brassards verts »</a>. C’est là un moyen d’éviter la censure militaire directe, que les journaux n’aiment guère. Photographes, cinéastes et journalistes officiels suivent ainsi les armées durant les deux guerres mondiales et les guerres coloniales.</p>
<p>La rupture intervient avec la guerre du Vietnam, lors de laquelle plus d’une centaine de journalistes sont tués, parce que l’armée américaine laisse plus de libertés aux très nombreux photographes et vidéastes (plus de 600 en 1968). Des reportages et des photographies, telle <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-culture-change-le-monde/la-petite-fille-au-napalm-de-nick-ut-une-photo-peut-elle-arreter-une-guerre-9572904">« la petite fille au napalm »</a> de Nick Ut (qui lui vaut le prix Pulitzer 1973), contribuent à discréditer la guerre auprès de l’opinion publique américaine. L’armée américaine reprendra le contrôle, notamment pendant la guerre du Golfe (1991), la dernière avant l’irruption d’Internet.</p>
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<p>Les reporters de guerre, bien qu’ils soient souvent instrumentalisés au service des diverses propagandes, sont « les yeux et les oreilles » des militaires, des populations civiles concernées par la guerre, mais aussi de l’opinion publique mondiale.</p>
<p>Albert Londres disait : « Nous allons voir pour vous. » Il s’agit de documenter, non de témoigner comme le font les civils ou les soldats engagés dans un conflit. Il s’agit aussi de raconter le vécu des civils et des soldats, pas simplement de filmer des explosions ou des ruines.</p>
<p>Se pose alors la question de ce qu’il faut montrer, ou pas, et pourquoi : dans l’invasion russe qui ravage l’Ukraine, les autorités ukrainiennes <a href="https://www.liberation.fr/checknews/est-il-vrai-que-les-autorites-ukrainiennes-interdisent-aux-journalistes-la-diffusion-dimages-de-la-guerre-20220330_62QUQA2Q4RBBTE2ISOYEWK7KXU/">imposent aux reporters</a> de ne pas montrer d’éléments susceptibles de permettre l’identification des lieux de tournage, car les Russes les regardent pour déterminer leurs cibles.</p>
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<p>Montrer des morts est aussi un dilemme très ancien : <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k65227764"><em>Le</em> <em>Miroir</em>, le 8 octobre 1916</a>, affiche les corps enchevêtrés d’un soldat français et d’un soldat allemand. Dès 1862, Alexander Gardner publie des <a href="https://photoshistoriques.info/la-guerre-de-secession-en-photos-partie-2-1861-1865/">photos de la guerre de Sécession</a>. Les reporters contemporains ont souvent plus de pudeur avec les victimes : il n’est pas nécessaire d’exhiber le sang pour raconter une histoire qui intéresse le public, parce qu’il faut éviter le phénomène de lassitude qui gagne à mesure que se prolonge la guerre. C’est pourquoi les reporters, hommes et femmes, de <a href="http://cahiersdujournalisme.org/V2N5/CaJ-2.5-D021.html">plus en plus nombreuses sur les fronts</a>, varient les angles et les modes de récits.</p>
<h2>De la différence avec « tous reporters »</h2>
<p>Depuis 2005, les smartphones et les réseaux sociaux ont permis l’émergence de simples citoyens qui se présentent parfois comme reporters.</p>
<p><a href="https://www.liberation.fr/evenement/2005/08/20/quand-m-tout-le-monde-s-improvise-reporter_529787/">« Tous journalistes »</a>, mais aussi tous <a href="https://multimedia-ext.bnf.fr/pdf/10-Exposition%20Presse%20BnF_Tous%20journalistes.pdf">photographes</a> et tous vidéastes est un slogan qui a fait son apparition avec les nouvelles technologies de communication et de diffusion, en partie pour discréditer les médias traditionnels, qui seraient trop éloignés des réalités vécues.</p>
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<p>Pourtant, le slogan est trompeur : les journalistes, même les pigistes, sont insérés dans une rédaction, ce qui leur permet d’être épaulés, matériellement et intellectuellement : ils bénéficient de moyens de protection (casques, gilets pare-balles, etc.) et de relecteurs et vérificateurs qui corrigent, approfondissent et valident les reportages ; ils s’appuient également sur des <a href="https://cdjm.org/les-chartes/">règles déontologiques</a> reconnues par la profession qui encadrent les pratiques. Les plus importantes, dans un contexte de guerre, étant la fiabilité et le croisement des sources, la vérification et la contextualisation des informations, et enfin, la détection des liens d’intérêts et des manipulations éventuelles.</p>
<p><a href="http://journalismeetdeontologie.unblog.fr/2022/04/11/quelques-reflexions-sur-la-couverture-de-la-guerre/">Pierre Ganz</a>, un des spécialistes français de la déontologie journalistique, affirme :</p>
<blockquote>
<p>« Les documents qui circulent en très grand nombre sur les réseaux sociaux ne peuvent être repris par les médias sans recoupement et authentification par des méthodes journalistiques. L’analyse de ces renseignements [dits <a href="https://theconversation.com/invasion-russe-de-lukraine-lheure-de-gloire-de-losint-187388">OSINT</a>, pour open source intelligence en anglais] demande des équipes composées d’informaticiens et de journalistes, ou par des sites spécialisés comme <a href="https://fr.bellingcat.com/">Bellingcat</a>. » </p>
</blockquote>
<p>Le reporter de guerre n’est pas sur le front pour témoigner sans recul, mais pour documenter, afin que les opinions publiques aient une image claire, aussi proche que possible de la réalité et de la vérité du terrain, ainsi que du contexte de la guerre. C’est pourquoi le régime de Vladimir Poutine (comme <a href="https://theconversation.com/en-tunisie-des-medias-museles-par-un-pouvoir-toujours-plus-autoritaire-205501">d’autres régimes autoritaires</a>) mène de longue date une <a href="https://www.liberation.fr/international/europe/guerre-en-ukraine-le-tour-de-vis-radical-de-poutine-contre-les-medias-et-internet-20220305_PFVAFIZMHFBYFMGWS3Y6WBMSHQ/">guerre sans merci aux journalistes professionnels et aux médias indépendants</a>, ce qui lui permet de <a href="https://larevuedesmedias.ina.fr/circulation-propagande-russie-kremlin-ukraine-complotisme-telegram-twitter-desinformation">diffuser massivement ses « fake news »</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/205875/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Patrick Eveno ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le journaliste tué au sud du Liban vient s’ajouter à la longue liste des journalistes ayant trouvé la mort sur un théâtre de guerre.Patrick Eveno, Professeur émérite en histoire des médias, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2049412023-05-22T16:37:25Z2023-05-22T16:37:25ZComment les Français choisissent-ils leurs médias ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/524489/original/file-20230504-1253-birx6g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=193%2C27%2C3821%2C3021&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les Français déclarent consulter des médias en lesquels ils ont confiance et dont ils partagent l’orientation politique, mais ces deux facteurs n’influencent que très peu leur comportement informationnel effectif. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.TRUC.FR">Rich Tervet / Unsplash </a></span></figcaption></figure><p>Selon Reporters sans frontières, nous sommes entrés dans une <a href="https://rsf.org/fr/classement-mondial-de-la-libert%C3%A9-de-la-presse-2022-la-nouvelle-%C3%A8re-de-la-polarisation?year=2022&data_type=general">ère de polarisation des médias</a>, susceptible d’entraîner des fractures au sein des pays. La France n’échapperait pas à cette tendance, avec l’apparition de nouveaux médias d’opinion. Il est vrai que, sur Internet notamment, l’offre médiatique est aujourd’hui pléthorique. Chacun peut dès lors trouver le <a href="https://theconversation.com/vos-dons-soutiennent-notre-independance-195057">média</a> qui correspond à ses préférences politiques.</p>
<p>Mais, au-delà de ce constat, que sait-on vraiment des critères qui influencent le choix des canaux par lesquels nous nous informons ? Dans une étude pour la <a href="https://www.fondationdescartes.org/">Fondation Descartes</a> publiée dans <a href="https://doi.org/10.1080/15205436.2023.2186246"><em>Mass Communication & Society</em></a>, nous avons obtenu des réponses plutôt nuancées en ce qui concerne l’usage effectif des médias en France et l’influence de la proximité politique.</p>
<h2>Une question d’orientation politique à relativiser</h2>
<p>L’<a href="https://theconversation.com/comment-les-medias-peuvent-influencer-la-signification-dune-information-201408">orientation politique des médias</a> semble bien être un facteur qui compte dans ce choix. En effet, nous aurions tendance à préférer nous exposer à des informations qui vont dans le sens de nos <a href="https://theconversation.com/sources-dinformation-et-orientation-politique-ce-que-nous-apprend-twitter-181636">opinions politiques</a> – un phénomène que les chercheurs nomment « exposition sélective ». Aux États-Unis par exemple, la très républicaine chaîne <a href="https://www.pewresearch.org/journalism/2014/10/21/political-polarization-media-habits/">Fox News est plébiscitée par les électeurs conservateurs</a>, tandis que les progressistes affirment l’éviter et disent lui préférer CNN, située sur une ligne plus démocrate.</p>
<p>Cette exposition préférentielle à des médias du même bord politique s’expliquerait en partie par le fait que nous leur ferions <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/23808985.2020.1755338">davantage confiance</a>. Des études montrent en effet que les individus estiment que les médias qui vont dans le sens de leurs opinions sont <a href="https://www.journals.uchicago.edu/doi/full/10.1017/S002238161100123X">moins biaisés</a>, et donc potentiellement plus dignes de confiance, que ceux qui proposent un point de vue opposé au leur.</p>
<p>Le risque d’une telle exposition sélective serait de nous enfermer dans une <a href="https://www.pnas.org/doi/full/10.1073/pnas.2023301118">« chambre d’écho »</a> médiatique, au sein de laquelle nos opinions se trouveraient systématiquement validées et renforcées. Cette situation pourrait à son tour conduire à une <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/j.1460-2466.2010.01497.x">polarisation croissante de la société</a>.</p>
<p>L’hypothèse de l’exposition sélective sur Internet est pourtant <a href="https://journals.sagepub.com/doi/pdf/10.1177/2056305117729314">remise en question par un certain nombre de chercheurs</a>. En effet, les données empiriques qui laissent penser à l’existence du phénomène proviennent essentiellement de questionnaires et de sondages adressés à la population. Or, on sait que de telles données déclaratives ne reflètent pas toujours fidèlement le <a href="https://www.fondationdescartes.org/wp-content/uploads/2021/03/Etude_Information_Internet_FondationDescartes_2021.pdf">comportement informationnel effectif des individus</a>, particulièrement sur Internet.</p>
<p>De plus, les études sur la question sont souvent réalisées aux États-Unis, pays bipartisan dont l’environnement politico-médiatique est <a href="https://www.fondationdescartes.org/wp-content/uploads/2020/11/Paysage_politocome%CC%81diatique_2020.pdf">beaucoup plus polarisé qu’en France</a>, notamment. Il est donc risqué d’extrapoler directement les résultats d’études étasuniennes à d’autres contextes nationaux.</p>
<h2>Le cas français</h2>
<p>Lors de notre étude, nous avons dès lors testé l’hypothèse de l’exposition sélective en France, en comparant données déclaratives et comportementales.</p>
<p>Pour le faire, nous avons enregistré durant 30 jours le comportement sur Internet de 1 536 Français issus d’un panel représentatif de la population. Nous avons en particulier mesuré leur <em>exposition effective</em> à 15 médias parmi les plus consultés dans le pays.</p>
<p>À la fin de cette période, nous avons interrogé ces mêmes participants sur :</p>
<ul>
<li><p>leur exposition en ligne à chacun des 15 médias en question au cours des 30 jours précédents (<em>exposition déclarée</em>) ;</p></li>
<li><p>leur degré de confiance en chacun de ces médias ;</p></li>
<li><p>leur orientation politique sur un continuum progressif-conservateur, établie au moyen de plusieurs questions sur des sujets de société.</p></li>
</ul>
<p>Il ressort de nos analyses que l’<em>exposition déclarée</em> par les participants aux médias est influencée par le fait d’être plus ou moins progressiste ou conservateur. Par exemple, les participants progressistes ont plus de probabilités que les participants conservateurs de déclarer avoir consulté le site web du <em>Monde</em> au cours des 30 jours précédents (Figure 1).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/524734/original/file-20230506-52143-roe7tt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/524734/original/file-20230506-52143-roe7tt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/524734/original/file-20230506-52143-roe7tt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=442&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/524734/original/file-20230506-52143-roe7tt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=442&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/524734/original/file-20230506-52143-roe7tt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=442&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/524734/original/file-20230506-52143-roe7tt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=556&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/524734/original/file-20230506-52143-roe7tt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=556&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/524734/original/file-20230506-52143-roe7tt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=556&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"><strong>Figure 1</strong>. Effet de l’orientation progressiste-conservateur sur l’<em>exposition déclarée</em> aux médias sur Internet. <strong>Lecture :</strong> Plus un média (point noir) est à gauche de la ligne verticale rouge, plus il est probable que les participants progressistes aient déclaré l’avoir consulté, et inversement. Les barres horizontales mauves représentent la marge d’erreur de chaque résultat (IC 95 %).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Brest & Cordonier (2023), Mass Communication & Society</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cependant, cet effet de l’orientation politique des participants sur la consultation des médias diminue nettement dès lors que l’on s’intéresse à leur <em>exposition effective</em> à ces mêmes médias durant les 30 jours de l’étude (Figure 2) !</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/524735/original/file-20230506-21-oqqdrb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/524735/original/file-20230506-21-oqqdrb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/524735/original/file-20230506-21-oqqdrb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=445&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/524735/original/file-20230506-21-oqqdrb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=445&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/524735/original/file-20230506-21-oqqdrb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=445&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/524735/original/file-20230506-21-oqqdrb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=560&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/524735/original/file-20230506-21-oqqdrb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=560&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/524735/original/file-20230506-21-oqqdrb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=560&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"><strong>Figure 2</strong>. Effet de l’orientation progressiste-conservateur sur l’<em>exposition effective</em> aux médias sur Internet. <strong>Lecture :</strong> Plus un média (point noir) est à gauche de la ligne verticale rouge, plus il est probable que les participants progressistes l’aient effectivement consulté, et inversement. Les barres horizontales mauves représentent la marge d’erreur de chaque résultat (IC 95 %).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Brest & Cordonier (2023), Mass Communication & Society</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>De même, l’<em>exposition déclarée</em> aux médias est influencée par la confiance que les participants disent avoir en eux. En effet, les participants ont plus de probabilités de déclarer avoir consulté un média s’ils disent avoir confiance en lui (Figure 3).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/524163/original/file-20230503-379-pchuk0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/524163/original/file-20230503-379-pchuk0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/524163/original/file-20230503-379-pchuk0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=409&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/524163/original/file-20230503-379-pchuk0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=409&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/524163/original/file-20230503-379-pchuk0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=409&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/524163/original/file-20230503-379-pchuk0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=514&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/524163/original/file-20230503-379-pchuk0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=514&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/524163/original/file-20230503-379-pchuk0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=514&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"><strong>Figure 3</strong>. Probabilité de <em>déclarer</em> s’être exposé sur Internet à un média donné en fonction de la confiance en ce média (encodage binaire de la confiance : Non/Oui). Les barres verticales représentent la marge d’erreur de chaque résultat (IC 95 %). Note : l’échelle de l’axe y varie pour chaque média. <strong>Lecture :</strong> Les participants qui disent faire confiance à BFMTV ont 50 % de chances de déclarer avoir consulté le site web de ce média au moins une fois au cours des 30 jours précédents. Cette probabilité est de 12,5 % chez ceux qui disent ne pas faire confiance à BFMTV.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Brest & Cordonier (2023), Mass Communication & Society</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Mais là encore, cet effet de la confiance sur la consultation des médias devient très faible si l’on s’intéresse à l’<em>exposition effective</em> des participants aux médias en question (Figure 4).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/524164/original/file-20230503-18-wp19no.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/524164/original/file-20230503-18-wp19no.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/524164/original/file-20230503-18-wp19no.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=374&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/524164/original/file-20230503-18-wp19no.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=374&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/524164/original/file-20230503-18-wp19no.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=374&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/524164/original/file-20230503-18-wp19no.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/524164/original/file-20230503-18-wp19no.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/524164/original/file-20230503-18-wp19no.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"><strong>Figure 4</strong>. Probabilité d’avoir été <em>effectivement</em> exposé sur Internet à un média donné en fonction de la confiance en ce média (encodage binaire de la confiance : Non/Oui). Les barres verticales représentent la marge d’erreur de chaque résultat (IC 95 %). Note : l’échelle de l’axe y varie pour chaque média. <strong>Lecture :</strong> Les participants qui disent faire confiance à BFMTV ont 15 % de chances d’avoir effectivement consulté le site web de ce média au moins une fois au cours des 30 jours précédents. Cette probabilité est de 11,5 % chez ceux qui disent ne pas faire confiance à BFMTV.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Brest & Cordonier (2023), Mass Communication & Society</span></span>
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<p>En résumé, les Français <em>déclarent</em> consulter des médias en lesquels ils ont confiance et dont ils partagent l’orientation politique, mais ces deux facteurs n’influencent que très peu leur comportement informationnel <em>effectif</em> sur Internet. Autrement dit, le phénomène d’exposition sélective en ligne est exagéré si on ne l’appréhende qu’au moyen de données déclaratives.</p>
<p>Soulignons tout de même que les données déclaratives ne sont pas totalement erronées. Il existe bien une corrélation entre le fait de déclarer consulter un média et le fait de le consulter effectivement (Figure 5). Cependant, la consultation déclarée est largement surestimée par rapport à la consultation effective.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/524165/original/file-20230503-16-4d5f7v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/524165/original/file-20230503-16-4d5f7v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/524165/original/file-20230503-16-4d5f7v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=753&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/524165/original/file-20230503-16-4d5f7v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=753&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/524165/original/file-20230503-16-4d5f7v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=753&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/524165/original/file-20230503-16-4d5f7v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=946&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/524165/original/file-20230503-16-4d5f7v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=946&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/524165/original/file-20230503-16-4d5f7v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=946&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"><strong>Figure 5</strong>. Probabilité que les participants aient <em>effectivement</em> été exposés au moins une fois à un média donné durant les 30 jours de l’étude selon qu’ils <em>déclarent</em> s’y être exposés sur Internet : (1) « Jamais », (2) « Au moins une fois par mois », (3) « Au moins une fois par semaine », (4) « Plus ou moins tous les jours ». Les barres verticales représentent la marge d’erreur de chaque résultat (IC 95 %). Note : l’échelle de l’axe y varie pour chaque média. <strong>Lecture :</strong> Les participants qui déclarent avoir consulté plus ou moins tous les jours le site web de BFMTV au cours des 30 jours précédents ont 38 % de chances de l’avoir effectivement consulté au moins une fois durant cette période. Cette probabilité est de 8 % chez ceux qui disent ne l’avoir jamais consulté au cours des 30 jours précédents.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Brest & Cordonier (2023), Mass Communication & Society</span></span>
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</figure>
<h2>Pourquoi un tel écart en déclaration et usage ?</h2>
<p>Pourquoi confiance et proximité politique n’influencent-elles pas davantage le choix des médias que consultent les Français sur Internet ? Une première explication pourrait être que nous ne lisons pas les nouvelles dans le seul objectif d’acquérir des informations que nous jugeons importantes et vraies. <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1542-734X.2012.00812.x">Nous le faisons également pour nous distraire et nous divertir</a> – faits divers et autres informations anecdotiques trouvent leur place dans la plupart des médias. Dans ce contexte de divertissement, qu’un média nous paraisse plus ou moins fiable ou politiquement proche sont des questions assez secondaires.</p>
<p>Une seconde explication, compatible avec la précédente, relève de la manière dont nous utilisons Internet pour nous informer. Comme nous l’avons montré dans une <a href="https://www.fondationdescartes.org/wp-content/uploads/2021/03/Etude_Information_Internet_FondationDescartes_2021.pdf">étude antérieure</a>, les individus qui s’informent sur Internet <em>papillonnent</em> souvent d’une source à l’autre, ne passant que très peu de temps sur un même site (moins de deux minutes en moyenne). Nombre d’internautes se laissent ainsi guider par leur curiosité, parfois au hasard de la rencontre d’un article sur les réseaux sociaux, plutôt qu’ils ne s’informent en consultant de façon systématique un média donné. Or, c’est probablement plus le sujet de l’article que la fiabilité perçue du média ou sa proximité politique qui importe dans ce comportement de papillonnage.</p>
<p>Au final, les critères qui guident les individus dans le choix de leurs médias sur Internet demeurent largement mystérieux. En revanche, ce dont on peut être raisonnablement sûr, c’est que les internautes français ne s’enferment pas massivement dans des chambres d’écho médiatiques. Cela n’exclut pas pour autant le risque d’une polarisation croissante de notre société, notamment sous l’effet de <a href="https://lejournal.cnrs.fr/articles/climatosceptiques-sur-twitter-enquete-sur-les-mercenaires-de-lintox">campagnes de désinformation</a> créant de violents clivages sur les réseaux sociaux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204941/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Cordonier dirige la recherche de la Fondation Descartes (<a href="http://www.fondationdescartes.org">www.fondationdescartes.org</a>). L'étude présentée dans cet article a été financée par la Fondation Descartes.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Aurélien Brest a travaillé pour la Fondation Descartes lors de la réalisation de cette étude. </span></em></p>Les internautes déclarent consulter des médias en lesquels ils ont confiance et dont ils partagent l’orientation politique. Une étude montre que ces deux facteurs influencent peu leur choix effectif.Laurent Cordonier, Sociologue - Docteur en sciences sociales, Université Paris CitéAurélien Brest, Doctorant en sciences cognitives, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2021652023-04-27T18:00:52Z2023-04-27T18:00:52ZPourquoi les faits divers passionnent-ils ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/516906/original/file-20230322-24-wkcxg4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">1 000 homicides ont eu lieu en France en 2022. Beaucoup sont source de fascination.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/fr/photos/Uy9z0oFecD8">Faruk Tokluoglu / Unsplash</a></span></figcaption></figure><p>Meurtre d'une <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/fillette-retrouvee-morte-dans-les-vosges-ce-que-l-on-sait-apres-la-decouverte-du-corps-d-une-enfant-de-5-ans-dans-un-appartement-de-rambervillers_5792351.html">fillette dans les Vosges</a>, <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/paris-ile-de-france/paris/femme-decoupee-au-parc-des-buttes-chaumont-le-corps-de-la-victime-identifie-2714650.html">corps de femme découpé</a> dans un parc parisien, <a href="https://www.liberation.fr/economie/medias/affaire-palmade-dans-les-medias-loverdose-20230304_IPSI2UZVGZE6LKMHDK3W53TL7A">affaire Pierre Palmade</a> … Ce type d'informations suscite émoi, compassion ou réprobation, mais engendre surtout un <a href="https://www.liberation.fr/economie/medias/affaire-palmade-dans-les-medias-loverdose-20230304_IPSI2UZVGZE6LKMHDK3W53TL7A/">flux médiatique de grande ampleur</a>. Certains parlent d’overdose, de médias qui courent après l’audience ou de voyeurisme, mais c’est oublier le grand intérêt du public pour les faits divers.</p>
<p>Or, ces derniers sont extrêmement nombreux : selon les <a href="https://www.interieur.gouv.fr/Interstats/Actualites/Insecurite-et-delinquance-en-2022-une-premiere-photographie-Interstats-Analyse-N-54">statistiques du ministère de l’Intérieur</a>, l’année 2022 a connu près de 1 000 homicides, plus de 3 000 morts par accident de la route, près de 200 000 violences intrafamiliales, près de 100 000 violences sexuelles, sans compter les vols (plus d’un million), les dégradations (plus de 500 000), les mises en cause pour trafic de stupéfiants (près de 300 000) ou les escroqueries (près de 500 000). La plupart de ces <a href="https://theconversation.com/de-faits-divers-a-fait-de-societe-comment-le-viol-est-peu-a-peu-devenu-un-sujet-politique-145744">faits divers</a> sont rarement rapportés, ou alors dans de courts articles de la presse locale. Mais certains « émergent » plus que d’autres et, répercutés par de nombreux médias, ils prennent une dimension sociale qui fascine le public. Pourquoi un tel engouement ?</p>
<p>Ces faits divers ont une fonction socioculturelle qui permet aux humains de « faire société ». Ils correspondent en cela aux <a href="https://theconversation.com/pourquoi-lantiquite-fascine-t-elle-les-jeunes-daujourdhui-93093">mythes grecs</a>, eux-mêmes emplis de meurtres, <a href="https://theconversation.com/inceste-au-dela-du-bruit-mediatique-entendre-la-tragique-banalite-du-phenomene-152841">incestes</a> et <a href="https://theconversation.com/faire-le-recit-dun-viol-la-domination-sexuelle-se-joue-aussi-dans-les-mots-127353">viols</a>, ou aux contes de Perrault et de Grimm, plus dans le symbolique. Le fait divers résume l’enjeu de la vie en société, il est le reflet des dérives possibles de l’être humain en communauté. Un fait divers donne à voir un animal social perturbé par ses pulsions, tiraillé entre ses passions et sa raison. Et comme nous le sommes tous, il ne peut que nous passionner.</p>
<h2>Comment les faits divers ont envahi la société</h2>
<p>À partir du milieu du XIX<sup>e</sup> siècle, la presse industrielle à grand tirage, l’alphabétisation croissante et la sécularisation des sociétés européennes créent un « marché » du fait divers journalistique qui prend la place des mythes et contes d’antan. <a href="https://www-cairn-info.ezpaarse.univ-paris1.fr/revue-le-temps-des-medias-2010-1-page-47.htm">L’affaire Troppmann</a>, un tueur en série de Pantin, feuilletonnée en septembre et octobre 1869 par <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k590517q"><em>Le Petit journal</em></a> est emblématique de l’irruption du fait divers qui passionne les foules et permet d’augmenter les tirages.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/93ZTC_04gt4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Ce « marché » est amplifié aux XX<sup>e</sup> et XXI<sup>e</sup> siècle par la multiplication des canaux d’information (radio, télévision, Internet, réseaux sociaux). Le fait divers est devenu un genre journalistique à part entière, décliné sur tous les supports d’information. Ainsi, l’émission <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/affaires-sensibles">Affaires sensibles par Fabrice Drouelle</a> est présente sur France Inter depuis 2014 et sur France 2 depuis 2021, tandis que <a href="https://www.europe1.fr/emissions/hondelatte-raconte">Hondelatte raconte</a>, animée par Christophe Hondelatte, est diffusée quotidiennement sur Europe 1 depuis 2016. La chercheuse <a href="http://limprevu.fr/droit-de-suite/fait-divers-entre-empathie-mediatique-et-opportunisme-polique/">Claire Sécail</a> a montré comment la télévision s’est emparée massivement des faits divers depuis une vingtaine d’années. Livres, documentaires et films viennent compléter le panorama.</p>
<h2>Déviance, fantasmes, émotions</h2>
<p>Si les faits divers passionnent le public, c’est parce qu’ils reflètent la réalité de toutes les déviances que nous avons un jour envisagées, fantasmées ou rêvées (généralement sans les accomplir) : meurtres, vols, viols, etc. Ils envahissent l’actualité médiatique lorsqu’ils revêtent un caractère d’exception, soit parce qu’ils suscitent une forte émotion (les violences faites aux enfants et les féminicides), soit parce qu’ils concernent des célébrités (stars, politiques, hommes d’affaires, etc.), soit encore parce qu’ils demeurent non-élucidés.</p>
<p>Ces dernières affaires sont l’objet d’innombrables rebondissements. Elles rejaillissent régulièrement dans l’actualité où chacun prend parti : en 1984, après l’assassinat du petit <a href="https://making-of.afp.com/eric-darcourt-lezat">Grégory Villemin</a>, journalistes, policiers et gendarmes, juges ou écrivains, mais aussi le public, se déchirent pour trouver un coupable.</p>
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<p>En 2011, les supposés crimes de Xavier Dupont de Ligonnès, qui reste à ce jour introuvable, émeuvent parce ce nobliau catholique issu des milieux conservateurs de Versailles aurait exécuté froidement épouse, <a href="https://theconversation.com/quand-les-tueurs-denfants-ninteressaient-personne-193875">enfants</a> et chiens avant de disparaître. La transgression sociétale est absolue.</p>
<p>Dans le registre de l’émotion, la pédocriminalité tient le haut de l’affiche, notamment depuis les crimes de <a href="https://www.lemonde.fr/culture/article/2022/06/08/innommable-l-affaire-dutroux-sur-arte-le-fait-divers-tragique-qui-a-ebranle-la-belgique_6129436_3246.html">Marc Dutroux</a> (1996), d’<a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2013/10/20/emile-louis-rattrape-20-ans-apres_3499809_3224.html">Émile Louis</a> (2000), du fiasco judiciaire d’<a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2015/05/18/outreau-le-proces-sans-fin_4635002_3224.html">Outreau</a> (2001-2005), de <a href="https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2020/12/10/affaire-fourniret-autopsie-d-un-fiasco-judiciaire_6062833_1653578.html">Michel Fourniret</a> (2003) ou de <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/02/18/nordahl-lelandais-condamne-a-la-perpetuite-pour-l-enlevement-et-le-meurtre-de-maelys-de-araujo_6114290_3224.html">Nordahl Lelandais</a>, condamné en 2022 pour le meurtre de Maëlys (8 ans) en 2017. L’horreur et la perversité de ces crimes nous entraînent parfois vers un voyeurisme malsain et nous confrontent à nos propres fantasmes.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/_zlztTha8Mw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le film « La Nuit du 12 » emmène le spectateur dans une enquête sur un féminicide. Gros succès de 2022, il a fait plus de 530 000 entrées et a remporté 6 césars.</span></figcaption>
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<p>Le <a href="https://theconversation.com/feminicide-a-lorigine-dun-mot-pour-mieux-prevenir-les-drames-162024">féminicide</a>, dont la fréquence a été révélée depuis quelques années par les actions des collectifs <a href="https://theconversation.com/mobiliser-dans-un-contexte-post-metoo-la-strategie-du-collectif-noustoutes-193771">#Noustoutes</a> et des <a href="https://theconversation.com/collages-feministes-lutter-contre-la-violence-ca-sorganise-199207">colleuses</a>, engendre aussi de fortes émotions. En 2011, le meurtre d’<a href="https://www.nouvelobs.com/justice/20130614.OBS3443/meurtre-d-agnes-un-si-jeune-psychopathe-devant-les-assises.html">Agnès Marin</a> (13 ans) dont le corps est retrouvé brûlé dans la forêt proche du Collège Cévenol, est l’œuvre d’un de ses condisciples plus âgé. Fin 2017 et début 2018, Jonathann, le mari d’<a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/11/21/la-reclusion-criminelle-a-perpetuite-requise-au-proces-de-jonathann-daval_6060635_3224.html">Alexia Daval</a> qu’il a assassinée, joue durant plusieurs semaines la comédie du veuf éploré ; il émeut les foules, mais la gendarmerie comme les journalistes chevronnés ne sont pas dupes : ils savent que dans 95 % des cas les féminicides sont commis par des proches. Finalement, il avoue et est condamné en 2020.</p>
<p>Les tueurs en série, tels <a href="https://www.retronews.fr/edito/landru-un-assassin-tres-mediatique">Henri-Désiré Landru</a> (1919-1922) ou <a href="https://www.retronews.fr/justice/echo-de-presse/2021/08/04/le-proces-du-docteur-petiot-faux-resistant-et-vrai-tueur">Marcel Petiot</a> (1946), auxquels il faut ajouter quelques pédocriminels cités plus haut, font moins trembler les foules lorsqu’ils sont attirés par l’appât du gain. En revanche, <a href="https://www.liberation.fr/cinema/2015/01/06/guy-georges-la-chasse-au-monstre_1174825/">Guy Georges</a>, « le tueur de l’Est parisien » a semé la panique entre 1994 et 1998, notamment auprès des jeunes femmes qui étaient ses proies favorites.</p>
<h2>Les célébrités portent les faits divers</h2>
<p>Les célébrités ajoutent une dimension sociale au récit de leurs mésaventures, parce qu’elles rappellent que, riches ou misérables, les humains subissent un sort commun. Cette dimension sociale est parfois accentuée par un sentiment de revanche ou de lutte de classes. Les affaires concernant les stars, telles que Pierre Palmade (2023), <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/affaires-sensibles/11-ao%C3%BBt-1988-la-disparition-de-pauline-lafont-6514101">Pauline Lafont</a> (1988), <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-culture-change-le-monde/la-mort-de-lady-diana-et-la-fin-de-l-age-d-or-des-paparazzis-5507073">Lady Diana</a> (1997) déchaînent alors un emballement médiatique, qui tourne souvent à des interventions intempestives, voire mensongères.</p>
<p>Les mêmes ressorts se retrouvent dans les affaires concernant les politiques ou les grandes fortunes. <a href="https://www.liberation.fr/france/2018/05/15/avec-cahuzac-la-justice-pas-tres-ferme_1650316/">Jérôme Cahuzac</a> (2012-2013), <a href="https://www.liberation.fr/politique/francois-fillon-condamne-a-un-an-de-prison-ferme-lors-du-proces-en-appel-des-emplois-fictifs-de-son-epouse-penelope-20220509_CJRESUCQGRHRXNQZDSYKAXELDY/">François Fillon</a> (2017), <a href="https://www.liberation.fr/france/2017/09/21/liliane-bettencourt-heritiere-de-l-oreal-est-morte_1597967/">Liliane Bettencourt</a> (2008-2010), <a href="https://www.liberation.fr/societe/police-justice/la-mort-de-bernard-tapie-met-fin-aux-procedures-penales-qui-le-visaient-20211003_XJM6XT7OIJH5LKVTXQVO3J6PCI/">Bernard Tapie</a> aux multiples affaires de 1995 à son décès en 2021, suscitent parfois la colère du public et parfois la compassion. Mais quand ils sont pris à tort dans des « affaires » qui ne les concernent en rien, comme Georges Pompidou en 1968, compromis bien malgré lui dans le meurtre de Markovitch, ou <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/affaires-sensibles/l-affaire-alegre-baudis-quand-la-calomnie-devient-verite-9190259">Dominique Baudis</a> accusé à tort en 2003 par Patrice Alègre et des prostituées, ils ont de grandes difficultés à restaurer leur image publique.</p>
<p>Ce rapide tour d’horizon consacré aux affaires françaises, mais que l’on pourrait élargir à tous les pays ayant une sphère médiatique développée, nous fait comprendre que la fascination pour les faits divers n’est pas « sale » ou « voyeuriste », comme on le prétend parfois. A travers le récit de faits divers, on retrouve le titre de l’œuvre du philosophe Friedrich Nietzsche, « Humain, trop humain » : les êtres humains sont pétris de contradictions et de fantasmes. Ils doivent, pour faire société commune, mettre des limites à leurs pulsions et à leur « hubris ». C’est ce que nous racontent les faits divers, comme le faisaient les mythes grecs, qui nous passionnent toujours.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/202165/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Patrick Eveno ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pourquoi un tel engouement pour les faits divers ? S’agit-il vraiment d’une passion triste ou voyeuriste ?Patrick Eveno, Professeur émérite en histoire des médias, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2014082023-04-18T15:37:51Z2023-04-18T15:37:51ZComment les médias peuvent influencer la signification d’une information ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/517022/original/file-20230322-14-exf7p5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C5000%2C3323&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les médias de masse relaient l'information entre les journalistes et les citoyens, ils renvoient à la société une représentation d'elle-même.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Quand le média en ligne The Conversation publie un article <a href="https://theconversation.com/le-moment-est-venu-de-creer-un-revenu-dexistence-en-democratisant-la-monnaie-136872">sur le revenu d’existence par création monétaire</a>, il met en relation des chercheurs d’une université de province et des lecteurs de toute la francophonie. The Conversation établit une communication entre deux êtres qui ne sont pas dans le même espace. C’est ce que l’on appelle une médiation. Mais la médiation n’est pas neutre, elle est toujours active. Quand on fait appel à un médiateur pour régler un problème entre voisins, on espère que celui-ci va déployer une activité diplomatique suffisante pour permettre le rétablissement de bonnes relations.</p>
<p>Dans nos sociétés démocratiques, il existe une médiation singulière, celle des médias de masse : presse, radio, télévision. <a href="https://theconversation.com/les-ecosystemes-de-medias-approche-economique-et-institutionnelle-86667">Ces médias de masse</a> relaient l’information entre les journalistes et les citoyens, ils renvoient à la société une représentation d’elle-même.</p>
<p>Cette représentation n’est pas objective, elle est construite selon des règles qui ont été étudiées par les sciences de l’information et de la communication. Parmi toutes les notions explicatives, en voici trois.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pour-sinformer-les-jeunes-ont-ils-delaisse-les-medias-traditionnels-202457">Pour s’informer, les jeunes ont-ils délaissé les médias traditionnels ?</a>
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<h2>« le message c’est le médium »</h2>
<p>La première notion est celle de médium. Marshall McLuhan, philosophe canadien, a écrit un livre intitulé <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/pour-comprendre-les-medias-marshall-mcluhan/9782757850145">« Pour comprendre les médias »</a> paru dans les années 1960. Dans ce livre, il affirme que « le message c’est le médium ». Cette affirmation signifie que le sens profond n’est pas à rechercher dans les mots, les images ou les sons transmis par les médias de masse, mais dans leur nature technique. Pour lui, les moyens de communication déterminent la société et la font évoluer. Nous étions, toujours selon ce penseur, dans les débuts de l’humanité, dans une civilisation dominée par la communication orale. Nous sommes, dit-il, grâce à l’imprimerie, rentrés, à la Renaissance, dans une civilisation de l’écrit qui au XX<sup>e</sup> siècle à laissé la place à une nouvelle civilisation, celle de l’audiovisuelle.</p>
<p>Cette idée que les médias déterminent le monde est au cœur de ce que certains nomment aujourd’hui la <a href="https://www.quebec-amerique.com/collections/adulte/litterature/hors-collection/la-revolution-internet-en-question-746">révolution Internet</a>. Or, cette idée est fausse. Elle ne repose sur aucune enquête de terrain. Elle ne rend pas compte de la complexité des relations entre la technique, l’économie, le politique et les croyances. Elle nie la réalité historique de la coexistence des différents médiums (la télévision n’a pas tué le livre et n’a pas été tuée par Internet). Elle confond le monde et l’Occident. Elle oublie le rôle des conflits dans l’histoire humaine, etc.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/radios-internationales-des-outils-de-mobilisation-du-grand-public-en-pleine-transformation-200325">Radios internationales : des outils de mobilisation du grand public en pleine transformation</a>
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<p>Pourtant, cette théorie a eu le mérite de pousser à s’interroger sur un fait que l’on négligeait jusqu’alors : le médium n’est pas neutre. Le médium ne transmet pas le sens, il participe, de manière souvent invisible, à la compréhension de la signification. Envoyé un « Je t’aime » ou un « je te quitte » par SMS, le dire en vidéo ou l’exprimer en face à face ne sera pas compris avec la même sensibilité, n’aura pas la même force, ne provoquera pas le même effet.</p>
<p>Le médium n’est pas un support qui inscrit, sans la changer, la signification dans sa matérialité (du papier, un écran, du son), ce n’est pas davantage un moyen de communication qui fabrique, à lui tout seul, du sens, c’est une médiation matérielle qui transforme la signification.</p>
<p>Pour bien comprendre un message médiatique, il faut donc comprendre la nature de cette médiation singulière. Or, la plupart du temps, nous n’avons pas conscience de l’importance du médium dans la signification.</p>
<h2>L’importance du cadrage</h2>
<p>La seconde notion importante pour comprendre une communication médiatique est celle de cadrage. Dans le domaine des médias de masse, parler de « cadrage », c’est s’intéresser à la façon dont les médias représentent un sujet précis, en attirant l’attention sur tels points qu’ils jugent pertinents au détriment de tels autres que le destinataire pourrait pourtant juger tout aussi pertinents. Les médias ne se contentent pas d’attirer l’attention sur telle question plutôt que telle autre, ils proposent une définition particulière d’un problème qui est déjà une interprétation, une orientation de la réponse. Parler de l’accueil des migrants comme un problème politique, comme une nécessité morale ou comme un danger terroriste, c’est déjà orienter la compréhension de l’actualité.</p>
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<p>Dans ces opérations de cadrage, le titre et les illustrations sont des éléments clefs qui vont orienter la compréhension du message, même si celui-ci est plus nuancé, plus rationnel que le titre ou l’illustration choisie. Ce cadrage obéit à des logiques professionnelles (le spectaculaire plutôt que l’ordinaire), des logiques éditoriales – la suppression de l’impôt sur la fortune ne sera pas cadrée de la même façon dans <a href="https://www.humanite.fr/social-eco/ocde/l-europe-enterine-un-impot-plancher-sur-les-societes-775213"><em>L’Humanité</em></a> que dans <a href="https://www.lefigaro.fr/impots/declaration-de-revenus-2023-ces-7-erreurs-courantes-a-ne-pas-commettre-20230324"><em>Le Figaro</em></a>, puisque leur lectorat est idéologiquement opposé –, des logiques économiques (ne pas trop déplaire à un annonceur qui est sur la sellette), etc.</p>
<p>Ce cadrage obéit aussi à des logiques culturelles comme l’a montré Tourya Guaaybess, chercheure en communication internationnalement reconnue, dans un livre sur le <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-cadrages_journalistiques_des_revolutions_arabes_dans_le_monde_tourya_guaaybess-9782343072739-48314.html">cadrage médiatique des révolutions arabes</a>. En Ukraine, par exemple, ces révolutions étaient lues par certains médias conservateurs comme des épisodes violents de foules en colère et menaçantes pour l’ordre public, alors que d’autres médias, plus progressistes, y voyaient, à l’image de la révolution orange, un peuple en train de se libérer de la tyrannie.</p>
<p>Loin de ces deux manières de cadrer la réalité révolutionnaire, les médias français insistaient plutôt sur le rôle des nouvelles technologies et faisaient référence au « printemps des peuples de 1848 ».</p>
<p>Dans ces conditions, comprendre pleinement un message médiatique demande de connaître le média qui a construit ce message afin de pouvoir décrypter le cadrage qu’il a mis en œuvre. Cela demande aussi de s’exposer à des médias non nationaux pour déconstruire le cadrage culturel de ce message. Autant de conditions qui ne sont que rarement remplies.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/y-aura-t-il-encore-des-medias-dans-50-ans-66302">Y aura-t-il encore des médias dans 50 ans ?</a>
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<h2>Le rôle de l’énonciateur</h2>
<p>La troisième et dernière notion qui permet d’expliquer la difficulté de comprendre une communication médiatique est celle d’énonciateur. Les sciences du langage distinguent ce qui relève de la langue (code structuré par un ensemble de règles obligatoires comme l’accord du sujet et du verbe, par exemple) et l’énonciation qui est le style expressif utilisé par un locuteur.</p>
<p>L’énonciation met en œuvre au moins trois instances, un énonciateur (celui qui s’exprime, ici, le journaliste), un destinataire (l’auditeur, le lecteur, le téléspectateur), un énoncé (le message médiatique). Or, pour comprendre correctement un énoncé, il est souvent nécessaire d’identifier l’énonciateur. Par exemple, la phrase entendue à la radio « Les Belges n’ont pas d’humour » ne sera pas comprise de la même façon si elle est énoncée par l’animatrice belge de l’émission humoristique « Par Jupiter » sur France Inter que par un sondeur invité à commenter le rapport à l’humour de plusieurs habitants de l’Europe.</p>
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<figcaption><span class="caption">Dans l’émission <em>Par Jupiter</em>, France Inter.</span></figcaption>
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<p>Or, le problème est qu’identifier un énonciateur dans les médias de masse n’est pas chose aisée. En effet, ce n’est pas forcément celui qui parle qui est le véritable énonciateur. Par exemple, le présentateur du journal de TF1 peut lire un texte sur le prompteur qui est une dépêche d’agence, une information rédigée par le rédacteur en chef ou une citation d’un homme politique. Dans ce dernier cas, est-ce vraiment l’homme politique qui a tenu ce propos ? Un adversaire qui déforme sciemment son propos, un conseil en communication de l’homme politique ?</p>
<p>Ce qui est compliqué lorsqu’on s’efforce de comprendre un message d’un média bien déterminé devient, de nos jours, encore plus complexe puisque les nouvelles sont agrégées automatiquement, déformées et reformées par des centaines de personnes sur les réseaux sociaux, si bien que l’on ne sait plus qui est l’énonciateur du message. On ne peut plus alors le comprendre dans son intégralité, le soumettre au jugement critique de son libre arbitre. Quand l’énonciateur s’efface, la compréhension recule et la désinformation avance.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201408/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Éric Dacheux ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les informations ne sont pas que des données rapportées, mais mises en formes en fonction de certaines règles. Lesquelles ?Éric Dacheux, Professeur en information et communication, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1984712023-03-30T19:29:48Z2023-03-30T19:29:48ZLes « late shows » et la politique : le cas de « Saturday Night Live » et de Gerald Ford<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/512946/original/file-20230301-424-z5y2o8.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C4%2C1088%2C621&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le comédien Chevy Chase parodiant le président Gerald Ford. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://img.nbc.com/sites/nbcunbc/files/images/2015/3/28/140207_2721410_Ford_on_the_Phone_anvver_3.jpg">NBC</a></span></figcaption></figure><p>La tradition américaine du <em>late show</em> a fait ses premiers pas en France début 2023 avec <em>Le Late</em> d’Alain Chabat sur TF1, dans une version potache et dépolitisée. Cependant, dans leurs versions américaines, ces émissions télévisées ont un pouvoir important, et peuvent influencer durablement l’opinion publique. Nul exemple n’est plus parlant, à ce titre, que celui de l’émission culte aux États-Unis, <a href="https://www.nbc.com/saturday-night-live"><em>Saturday Night Live</em></a> (SNL).</p>
<p>L’émission satirique, une véritable institution américaine diffusée sur la chaîne NBC le samedi soir, joue depuis 1975 un <a href="https://www.vulture.com/2017/06/snl-how-each-era-has-ridiculed-american-presidents.html">rôle déterminant dans le paysage politique</a> de la nation. Si elle présente chaque semaine des parodies et des segments musicaux, ce sont <a href="https://books.google.fr/books?hl=es&lr=&id=leWtAAAAQBAJ">ses satires des personnalités politiques</a> qui ont fait son succès.</p>
<p>Son rythme hebdomadaire lui permet d’influencer très rapidement la <a href="https://www.nbcnews.com/pop-culture/tv/how-saturday-night-live-has-shaped-american-politics-n656716">perception du public sur l’actualité</a>, si bien que <a href="https://theweek.com/feature/briefing/1019449/a-history-of-presidential-parodies-on-saturday-night-live">ses caricatures des présidents des États-Unis</a>, en viennent parfois à <a href="https://cmsw.mit.edu/mit3/papers/cutbirth.pdf">être mieux connues du public</a> que l’héritage des présidents eux-mêmes. C’est le cas tout particulièrement du président <a href="https://www.britannica.com/biography/Gerald-Ford">Gerald Ford</a>, qui succède à <a href="https://www.britannica.com/biography/Richard-Nixon">Nixon</a>e n 1974 après le <a href="https://www.geo.fr/histoire/pourquoi-laffaire-du-watergate-a-t-elle-provoque-la-chute-du-president-nixon-213058">scandale du Watergate</a>.</p>
<h2>L’image d’un homme maladroit</h2>
<p>Malgré les <a href="https://books.google.fr/books?hl=es&lr=&id=yVgIDgAAQBAJ">contributions importantes de Ford à l’histoire américaine</a>, tout particulièrement <a href="https://books.google.fr/books?hl=es&lr=&id=qpfzsnHAzZAC">sa capacité à rallier la nation après l’opprobre suscité par Nixon</a>, il ne reste de lui dans l’imaginaire collectif que le souvenir d’un doux idiot, perpétuellement <a href="https://www.nytimes.com/2006/12/29/washington/29chevy.html">maladroit et sujet aux bourdes</a> les plus cocasses. <a href="https://www.britannica.com/biography/Lyndon-B-Johnson">Lyndon Johnson</a> disait d’ailleurs de Ford qu’il <a href="https://www.nytimes.com/1973/10/13/archives/presidents-choice-gerald-rudolph-ford-defeated-isolationist-met-in.html">« était incapable de mâcher et de marcher en même temps »</a>. D’où lui vient cette réputation ? En grande partie de SNL.</p>
<p>À l’heure où <a href="https://books.google.fr/books?hl=es&lr=&id=OVmE9I1XHnYC">parodie et réalité semblent se mêler plus que jamais</a> (<a href="https://www.britannica.com/biography/Volodymyr-Zelensky">Volodymyr Zelensky</a> est devenu président de l’Ukraine après <a href="https://www.lepoint.fr/monde/ukraine-zelensky-l-acteur-devenu-chef-de-guerre-17-12-2022-2502075_24.php#11">avoir joué ce rôle à la télévision</a>) il est important de comprendre les mécanismes par lesquels une émission satirique peut impacter l’histoire. La caricature du Président Ford sur SNL est plus qu’une simple exagération comique qui va occulter <a href="https://snl.fandom.com/wiki/Gerald_Ford">l’importance politique et historique de Gerald Ford</a>.Elle est une fiction marquée par le contexte politique et journalistique particulier des années 70.</p>
<h2>De Richard Reeves a Chevy Chase : Naissance d’une caricature</h2>
<p>SNL apparaît sur les écrans dans les années 70, à un moment où le journalisme politique prend un virage cynique. Comme le souligne <a href="https://www.jstor.org/stable/23249744?searchText=there+were+two+gerald+fords&searchUri=%2Faction%2FdoBasicSearch%3FQuery%3Dthere%2Bwere%2Btwo%2Bgerald%2Bfords&ab_segments=0%2Fbasic_search_gsv2%2Fcontrol&refreqid=fastly-default%3A9855f50e36606fe9298cf08f4781f21e">James L. Baughman</a>, le rôle du journaliste est en train de changer à cette période : finies les couvertures médiatiques glorifiantes et patriotes, il faut désormais contrer les équipes de communication professionnelles qui entourent les personnalités politiques. Alors que la <a href="https://www.cvce.eu/education/unit-content/-/unit/55c09dcc-a9f2-45e9-b240-eaef64452cae">guerre froide</a> fait rage, seul un ton acerbe, ironique, emprunt de scepticisme envers la machine politique est gage d’intégrité.</p>
<p>C’est le parti pris du journaliste <a href="https://www.nytimes.com/2020/03/25/books/richard-reeves-dead.html">Richard Reeves</a> qui publie en 1975 une <a href="https://www.jstor.org/stable/23249744">biographie de Ford</a> extrêmement critique. Selon lui, le Président est trop gentil, un benêt à qui on aurait confié la vice-présidence justement car il n’offense personne. Pourtant, cette image de <a href="https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/Tout-le-Monde/186820">Monsieur Tout-Le-Monde</a> avait initialement suscité l’approbation du public. Après l’ignominie du Watergate, les médias n’avaient eu de cesse de montrer le président <a href="https://www.jstor.org/stable/23249744?searchText=there+were+two+gerald+fords&searchUri=%2Faction%2FdoBasicSearch%3FQuery%3Dthere%2Bwere%2Btwo%2Bgerald%2Bfords&ab_segments=0%2Fbasic_search_gsv2%2Fcontrol&refreqid=fastly-default%3A9855f50e36606fe9298cf08f4781f21e">affairé à des tâches ordinaires</a>. À l’inverse de Nixon, il préparait son propre petit-déjeuner, ne faisait pas chambre à part avec sa femme… La nouvelle biographie va sérieusement ternir cette image de Ford.</p>
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<p>Nouvellement arrivé sur les airs, SNL veut s’attirer un <a href="https://www.britannica.com/topic/Saturday-Night-Live">audimat plus jeune</a>. La posture cynique de Reeves va se retrouver dans les sketchs des <a href="https://books.google.fr/books?hl=es&lr=&id=-VXFAAAAQBAJ">premiers humoristes de l’émission et en faire son succès</a>. En 1975, le Président Ford a le malheur de trébucher en sortant de l’avion présidentiel <em>Air Force One</em>. </p>
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<p>L’épisode <a href="https://www.youtube.com/watch?v=_bvxZgCryUE">sera parodié</a> à de nombreuses reprises par l’humoriste Chevy Chase sur la toute nouvelle émission SNL.</p>
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<p>La première apparition du faux président Ford sur SNL est semée de maladresses : il éparpille ses feuilles, se cogne la tête sur le podium, se sert un verre d’eau vide et finit par tomber avec fracas sur plusieurs chaises.</p>
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<p><a href="https://medium.com/satire-the-state/falling-down-gerald-ford-chevy-chase-and-the-power-of-a-pratfall-199043f288f5">Cette pantomime</a> a tant de succès que Chase la <a href="https://snl.fandom.com/wiki/Gerald_Ford">reprend à plusieurs reprises</a>, sans maquillage <a href="https://www.cheatsheet.com/entertainment/saturday-night-live-chevy-chase-nailed-gerald-ford-impression-by-not-trying.html/">ni accoutrement particulier</a>, et de façon de plus en plus exagérée, bombardant les spectateurs avec des balles de golf, dérapant sur les pistes de ski et se prenant des microphones sur la figure.</p>
<p>Ainsi naît la fiction d’un <a href="https://www.latimes.com/archives/la-xpm-2006-dec-28-na-chase28-story.html">président empoté</a>, alors même que Ford, un <a href="https://geraldrfordfoundation.org/gerald-r-ford-biography/">joueur et entraîneur de football américain à Yale</a>, est probablement le président le plus athlétique de l’histoire des États-Unis.</p>
<h2>Mais qui est véritablement Gerald Ford ?</h2>
<p><a href="https://www.legion.org/distinguishedservicemedal/1980/president-gerald-r-ford">Vétéran de la Seconde Guerre mondiale</a>, Ford avait été le représentant républicain du <a href="https://history.house.gov/Historical-Highlights/1901-1950/Representative-and-President-Gerald-R--Ford-of-Michigan/">cinquième district du Michigan</a> au Congrès des États-Unis entre 1949 et 1973. Son score, à chacune des 12 élections, dépassait <a href="https://www.ourcampaigns.com/">toujours les 60 %</a>.</p>
<p>Dans la Chambre basse, il avait été membre de la <a href="https://www.britannica.com/topic/Warren-Commission">Commission Warren</a>, le célèbre comité en charge de l’investigation de l’assassinat de Kennedy. Très respecté au sein de son parti, il est élu <a href="https://www.fordlibrarymuseum.gov/grf/fordbiop.asp">président de la minorité républicaine en 1964</a>. Toutefois, il ne sanctionne jamais <a href="https://www.nytimes.com/2006/12/27/washington/27webford.html">ceux qui dévient de la ligne politique du parti</a>. « C’est contre-productif » disait Ford, qui préférait garder son capital sympathie pour de plus gros enjeux.</p>
<p>Son <a href="http://hnn.us/articles/6501.html">caractère conciliateur</a> décida Nixon à le nommer vice-président en décembre 1973. En plein Watergate, <a href="https://www.britannica.com/biography/Spiro-Agnew">Spiro Agnew</a>, le vice-président précédant, démissionne à cause d’une <a href="https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/aujourd-hui-l-histoire/segments/entrevue/111460/spiro-agnew-vice-president-americain-etats-unis-richard-nixon-watergate">affaire de corruption</a>. Il faut lui trouver un successeur moins polémique : Ford.</p>
<p>Contre toute attente, le 8 août 1974, <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-vif-de-l-histoire/le-depart-de-nixon-de-la-maison-blanche-5090143">Nixon démissionne</a>. Le lendemain, sans être passé par les urnes, Gerald Ford devient président. Son discours d’investiture tente de marquer une <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1057/9780230613034_10">rupture avec son prédécesseur</a> : « Notre long cauchemar national est terminé », déclare-t-il.</p>
<p>Lorsqu’il décide, contre l’avis général, de pardonner officiellement Nixon un mois plus tard, son geste sera perçu comme une <a href="https://education.nationalgeographic.org/resource/pardoning-nixon/">trahison, ou pire encore, comme un renvoi d’ascenseur</a>.</p>
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<p>Pourtant, cette décision historique fut fondamentale dans la <a href="https://www.jstor.org/stable/27551198?searchText=&searchUri=&ab_segments=&searchKey=&refreqid=fastly-default%3A550d3e9b89ab857f5bba064a845daf64&seq=1">continuité de la démocratie des États-Unis</a>. Affaibli par une suite tragique d’événements, de l’assassinat de Kennedy jusqu’à l’affaire Watergate, en passant par la <a href="https://www.lhistoire.fr/lenfer-du-vietnam">guerre du Vietnam</a>, le <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1057/9781403948175_3">système constitutionnel n’est pas assez solide en 1974</a> pour résister à la mise en examen d’un Président. La foi des citoyens en leurs institutions aurait été perdue à jamais. Et Ford, fin connaisseur des rouages politiques, en <a href="https://eu.usatoday.com/story/life/books/2013/06/28/31-days-casts-post-watergate-gerald-ford-in-a-new-light/2467769/">était bien conscient</a>. Il fallait en finir avec la <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/1976/10/FLORENNE/33950">présidence impériale</a> et retourner à l’équilibre des pouvoirs que le Congrès exigeait depuis <a href="https://www.britannica.com/topic/War-Powers-Act">l’Acte des Pouvoirs de Guerre de 1973</a> <a href="https://www.britannica.com/topic/War-Powers-Act"></a>. Le Sénateur <a href="https://www.britannica.com/biography/Ted-Kennedy-American-senator">Edward M. Kennedy</a>, qui s’était fermement opposé à ce pardon, <a href="https://www.nytimes.com/2001/05/22/us/ford-wins-kennedy-award-for-courage-of-nixon-pardon.html">reconnut le courage de Ford</a> en 2001. « Le temps clarifie les événements », dit-il.</p>
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<p>Face <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve/520">au choc pétrolier</a>, Ford propose un programme pour <a href="https://www.youtube.com/watch?v=cbSbN1LTYvU&t=77s">réduire la dépendance énergétique</a> des États-Unis. En dépit des critiques du Congrès, il signe les <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/securite-desarmement-et-non-proliferation/actualites-et-evenements-lies-a-la-securite-au-desarmement-et-a-la-non/2020/article/45-ans-des-accords-d-helsinki-01-08-20">accords d’Helsinki</a>, une nouvelle preuve de sa vision à long terme. À l’époque, le président est accusé d’abandonner l’Europe de l’Est, alors qu’en réalité, ces accords créent un espace pour l’aperture démocratique. C’est aussi lui qui <a href="https://www.lepoint.fr/editos-du-point/michel-colomes/le-jour-ou-saigon-est-tombee-30-04-2015-1925287_55.php#11">met fin à la guerre du Vietnam</a> et qui est le premier à proposer une <a href="https://www.politico.com/story/2018/09/16/ford-amnesty-vietnam-deserters-815747">loi d’amnistie pour les déserteurs</a>, amorçant un lent processus de réconciliation nationale.</p>
<h2>Pourquoi la caricature de SNL perdure-t-elle ?</h2>
<p>Malgré de <a href="https://www.press.umich.edu/23373/press_and_the_ford_presidency">nombreuses tentatives</a>, l’équipe de communication de Ford <a href="https://www.jstor.org/stable/23249744">ne réussira jamais</a> à lui redonner <a href="https://engagedscholarship.csuohio.edu/cgi/viewcontent.cgi">l’image positive dont il avait bénéficié aux premiers jours de son mandat</a> ; ni à contrecarrer la <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/psq.12326">parodie immortalisée par SNL</a>.</p>
<p>Si la <a href="https://abcnews.go.com/Entertainment/photos/snls-best-political-impersonators-5928429/image-5928155">caricature de Chevy Chase</a> a autant marqué – et marque toujours – les esprits, c’est, selon <a href="https://www.jstor.org/stable/26376810?searchText=au%3A%22SHANON+FITZPATRICK%22&searchUri=%2Faction%2FdoBasicSearch%3Fsi%3D1%26Query%3Dau%3A%2522SHANON%2BFITZPATRICK%2522&ab_segments=0%2Fbasic_phrase_search%2Fcontrol&refreqid=fastly-default%3A2c1270a70aa2607caf9bf5672a752cfb">l’historienne Shanon Fitzpatrick</a>, parce qu’elle a une résonance toute particulière dans l’Amérique post-Nixonienne.</p>
<p>Après les scandales du Watergate et des <a href="https://www.archives.gov/research/pentagon-papers">Pentagon Papers</a>, après les multiples audiences du comité chargé par le Sénat d’enquêter sur les abus des services secrets américains, la confiance du public en son gouvernement est au plus bas. <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/epdf/10.1002/9781118907634.ch10">À ce climat turbulent s’ajoute la crise de légitimité</a> qu’incarne Ford lui-même, seul dirigeant américain à n’avoir jamais été élu. L’image d’un président, <a href="https://thefreeagent.fr/divers/election-americaine-gerald-ford-un-wolverine-a-la-maison-blanche/">ex-star du football américain</a>, qui n’arrive pas à se tenir debout… c’est là toute une métaphore qui vient raconter non pas la chute d’un homme mais la fin d’une innocence. C’est l’Amérique elle-même qui perd pied.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/198471/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Il ne reste de Ford que le souvenir d’un doux idiot, perpétuellement maladroit et sujet aux bourdes. En cause, sa caricature dans le SNL.Tamara Espiñeira-Guirao, Lecturer (Sciences Po Rennes) Associated Researcher (Espaces and Societies, UMR CNRS 6590), Sciences Po RennesLucille Hagège, Professeur de culture et civilisation anglophone, Sciences Po RennesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2024572023-03-29T18:20:44Z2023-03-29T18:20:44ZPour s’informer, les jeunes ont-ils délaissé les médias traditionnels ?<p>Il est courant de lire que les jeunes ne se préoccupent plus de l’actualité, qu’ils délaissent les médias traditionnels pour se focaliser sur les contenus diffusés par les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/reseaux-sociaux-20567">réseaux sociaux numériques</a>. Dans ces déclarations, souvent sous forme de déploration, plusieurs approches sont confondues. Ne pas lire de presse papier et ne pas écouter la radio ne signifie pas délaisser l’actualité.</p>
<p>Seulement, il est vrai que la presse quotidienne et magazine est confrontée à un problème de renouvellement des générations qui laisse à penser qu’une véritable gageure est à relever dans les décennies à venir pour relayer <a href="https://educationauxecrans.fr/fileadmin/user_upload/Observatoire_EAE_2021.pdf">son lectorat vieillissant</a>. Un nouveau rapport avec la presse s’instaure, passant par le numérique et davantage basé sur l’information.</p>
<h2>Un accès à l’information par les réseaux sociaux</h2>
<p>À rebours des idées reçues, les résultats des <a href="https://www.mediametrie.fr/en/les-jeunes-toujours-plus-accros-leur-smartphone">enquêtes quantitatives et qualitatives</a> confirment depuis plusieurs années l’intérêt des jeunes pour l’actualité, et cette tendance s’est renforcée depuis la pandémie. Quand ils recherchent une information, un quart à un tiers des 18-25 ans a le réflexe de se tourner vers les sites numériques des journaux de presse nationale, qu’ils considèrent comme des sources fiables.</p>
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<figcaption><span class="caption">Les jeunes et leur façon de s’informer (France 3 Bourgogne, 2018).</span></figcaption>
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<p>Mais alors que les <a href="https://theconversation.com/generation-un-concept-a-utiliser-avec-moderation-161040">générations</a> précédentes développaient des préférences pour tel ou tel titre, ils consultent les uns ou les autres relativement indifféremment. Quand on les interroge, lycéens comme étudiants peinent à situer les lignes éditoriales des quotidiens ou leur sensibilité sur l’échiquier politique. Ce qui les intéresse, c’est l’information journalistique, plus que de savoir si elle émane du <em>Monde</em>, de <em>Libération</em> ou du <em>Figaro</em>. Ils ne consultent pas un quotidien pour son positionnement mais pour la garantie de qualité qu’il représente. Ainsi, les grands journaux fonctionnent de manière globale comme des « marques » de référence.</p>
<p>Avant 18 ans, ce sont plutôt les journaux télévisés et les <a href="https://www.clemi.fr/fr/formation-declic/3-comprendre-linfluence-des-formats-sur-linfo.html">chaînes d’information en continu</a> qui sont regardés et continuent d’être jugés comme des sources fiables. En revanche, la grille horaire des programmes, avec la « grand-messe » du 20 heures n’a plus vraiment de sens pour eux, à moins que les traditions familiales ne perpétuent les dîners en famille devant le JT.</p>
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<p>Pour les adolescents, comme pour les jeunes majeurs, la plus grande scission avec les générations précédentes réside dans les usages numériques de l’information. À une écrasante majorité, ce sont les réseaux sociaux numériques qui leur servent de portes d’entrée vers l’actualité, en particulier <a href="https://theconversation.com/twitter-snapchat-tiktok-brut-une-nouvelle-facon-de-sinformer-pour-les-jeunes-171226">YouTube, Instagram et Twitter, mais aussi Spotify et TikTok</a> dans une moindre mesure.</p>
<p>Les formes brèves qui sont en usage sur ces réseaux font écho au rapport que les jeunes eux-mêmes entretiennent avec l’écrit, à travers textos et <a href="https://theconversation.com/podcast-objets-cultes-les-emojis-201256">émojis</a>. La mise en image des messages y est appréciée, tout comme la possibilité d’envoyer à ses contacts les informations, éventuellement avec ses propres commentaires, ce qui permet d’adopter une posture plus active face à l’information.</p>
<h2>Flux d’actualité et risques d’infobésité</h2>
<p>Alors que les seniors demeurent très attachés à la presse papier, les jeunes la jugent souvent difficile à lire, parfois absconse et onéreuse. Surtout, aller en kiosque suppose une démarche volontaire dont ils ne voient pas forcément l’utilité puisqu’ils ont pris l’habitude d’obtenir des nouvelles directement sur leur smartphone, sans aucune sollicitation de leur part, si ce n’est d’avoir activé des notifications sur leur téléphone une fois pour toutes.</p>
<p>Tous les matins, ils sont ainsi alertés des principales actualités : « Quand je regarde mon smartphone, j’ai tout de suite accès à l’essentiel des informations importantes et cela me renvoie vers les grands journaux » nous explique Charlotte, 16 ans, dans une enquête en cours auprès de lycéens et d’étudiants de la région Grand Est. Si le sujet l’intéresse, elle n’a donc plus qu’à cliquer.</p>
<p>Cette manière de s’informer a rendu particulièrement floues les logiques éditoriales. L’intérêt est suscité par la nouvelle, peu importe aux yeux du jeune internaute vers quel journal ou le <em>pure player</em> d’information <a href="https://reutersinstitute.politics.ox.ac.uk/sites/default/files/2022-06/Digital_News-Report_2022.pdf">l’algorithme du smartphone</a> le renvoie.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/epidemie-dinfox-des-gestes-barrieres-numeriques-a-adopter-aussi-135219">Épidémie d’infox : des « gestes barrières » numériques à adopter aussi</a>
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<p>Au final, le risque serait plutôt celui d’une « infobésité » que d’une anémie informationnelle. Être informé en continu par les réseaux sociaux peut provoquer une anxiété face aux désordres du monde. Nous pourrions parler de « stress informationnel », provoqué par le fait d’être informé en continu. Cela ne laisse aucune respiration et peut même devenir culpabilisant pour celle et celui qui désireraient s’en soustraire. Ainsi, le temps de la lecture que représentait la lecture d’un journal papier a volé en éclats. S’y est substituée une logique du clic et du rebond bien plus chronophage, et sans hiérarchisation éditoriale.</p>
<p>Lorsqu’il s’agit des réseaux sociaux, cela peut aussi laisser la part belle aux <a href="https://theconversation.com/fr/topics/fake-news-38582">« fake news »</a> et à la désinformation puisque la reprise et la viralité des informations échangées sont facilitées, quels que soient leur valeur et leur degré de fiabilité.</p>
<h2>Le rôle de l’éducation à l’information</h2>
<p>Faudrait-il en conclure que les adultes n’ont plus de place dans le rapport que les jeunes entretiennent avec l’actualité ? Lorsque des journaux et des magazines sont achetés par les parents et laissés à disposition dans la maison, les enfants ont tendance à les feuilleter. Maxence (20 ans), jeune étudiant, lit le journal local acheté par sa mère, tout comme Amel (19 ans) : « Papa laisse sur la table du salon <em>l’Est éclair</em>, ce qui me donne envie de le lire le week-end ». Chloé (19 ans), quant à elle, déjeune avec son grand-père tous les midis et en profite pour lire le journal régional.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/leducation-aux-medias-une-necessite-110051">L’éducation aux médias, une nécessité ?</a>
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<p>L’avis des adultes, et en particulier des professeurs, compte. En témoigne Pauline (17 ans) : « J’ai choisi de recevoir les nouvelles du <em>Figaro</em> sur mon téléphone car c’est un enseignant qui nous l’a conseillé ». Les séances d’<a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-education_aux_medias_en_europe_histoire_enjeux_et_perspectives_laurence_corroy-9782140297847-75068.html">éducation aux médias et à l’information</a> en classe portent leurs fruits et <a href="https://www.culture.gouv.fr/Presse/Communiques-de-presse/Les-jeunes-et-l-information-une-etude-du-ministere-de-la-Culture-vient-eclairer-les-comportements-des-jeunes-en-matiere-d-acces-a-l-information">sensibilisent les jeunes à la lecture de la presse</a> et à l’actualité. <a href="https://hal.science/hal-03899342/">Les pays européens</a> prennent progressivement conscience de son importance, certains ayant par exemple soutenu le <a href="https://medeanet.eu/">programme européen MEDEAnet</a> promouvant l’apprentissage aux médias numériques et audiovisuels.</p>
<p>De la même manière, <a href="https://theconversation.com/la-presse-au-lycee-histoire-dune-education-pratique-a-lactualite-179425">produire des journaux lycéens et étudiants</a> suscite le goût pour la presse et l’information journalistique, et permet de mieux comprendre les exigences déontologiques de la profession. Ainsi, Lucie (20 ans) se rappelle des séances en EMI au collège qui lui ont fait découvrir les métiers liés au journalisme.</p>
<p>Il revient enfin aux journalistes et aux médias traditionnels de penser davantage aux jeunes, en leur donnant la parole, en traitant de sujets dont ils se sentent proches : l’écologie, les questions de genre, la parité… La participation des journalistes à la <a href="https://www.clemi.fr/fr/semaine-presse-medias.html">semaine de la presse à l’école</a> est aussi un moyen de mieux faire connaître la presse et la diversité de l’offre médiatique, son importance pour vivifier la démocratie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/202457/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurence Corroy a reçu des financements d'organisations publiques.</span></em></p>Si les jeunes s’éloignent de la presse papier, ils ne se désintéressent pas de l’actualité et vivent dans un flux continu d’information numérique. Explications.Laurence Corroy, Professeure des universités, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2000142023-03-02T20:03:09Z2023-03-02T20:03:09ZFamille royale, showbiz et paparazzi : les tabloïds, une histoire 100 % british<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/513200/original/file-20230302-20-konvfl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C398%2C4031%2C2619&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La presse à sensation fait toujours recette en Grande-Bretagne.</span> </figcaption></figure><p>Le documentaire <a href="https://www.netflix.com/fr/title/81439256"><em>Harry & Meghan</em></a> – sorti en décembre 2022 sur Netflix – et dans lequel le couple détaille les raisons de son conflit avec le reste de la famille royale, met en cause les médias britanniques et en particulier les tabloïds, taxés de harcèlement, et jugés en grande partie responsables du <a href="https://www.nytimes.com/2020/01/15/world/europe/harry-meghan-megxit-brexit.html">« Megxit »</a>. Mais à quand remonte l’apparition de ces journaux à sensation, quel est leur mode de fonctionnement, et pourquoi rencontrent-ils un tel succès outre-Manche ?</p>
<p>Les débuts de la presse britannique furent chaotiques, mais grâce aux progrès techniques, économiques et sociétaux, elle allait devenir une industrie puissante et influente, à tel point qu’on la surnomme le <a href="https://www.greelane.com/fr/sciences-humaines/probl%C3%A8mes/what-is-the-fourth-estate-3368058/">« quatrième pouvoir »</a>, allusion à sa place de contrepouvoir face à l’exécutif, au législatif et au judiciaire.</p>
<h2>Un peu d’histoire…</h2>
<p>Les premiers journaux paraissent en Écosse, en Angleterre et en Irlande avant la fin du XVII<sup>e</sup> siècle : le <a href="https://www.nls.uk/collections/rare-books/collections/newspapers/mercurius-caledonius/"><em>Mercurius Caledonius</em></a> à Édimbourg en 1660, puis la <a href="http://www.1-jour.fr/7-nov-1665-premiere-publication-du-london-gazette/"><em>London Gazette</em></a> en 1665, et en 1685, la <em>News Letter</em> à Dublin. En 1691, grâce aux progrès technologiques, l’Angleterre met en place un système postal national, ce qui facilite la publication quotidienne de certains titres.</p>
<p>Cependant, pour contrer le développement de la presse, le parlement britannique vote la loi <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Stamp_Act_1712">Stamp Act</a> en 1721. Cette taxation sur les journaux et autres publications, qui est une forme de censure imposée par l’état, est finalement abrogée en 1855.</p>
<p>Les innovations technologiques de l’imprimerie permettent alors la croissance rapide de la presse britannique, qui devient une industrie à part entière à la fin du dix-neuvième siècle et s’installe dans la vie quotidienne des Britanniques. En 1896, la <a href="http://www.1-jour.fr/4-mai-1896-sortie-du-journal-britannique-daily-mail/">première édition du <em>Daily Mail</em></a> paraît à Londres : c’est le premier journal du type « tabloïd, » un format qui allait littéralement bouleverser la place des journaux auprès des lecteurs ainsi que les attentes de ceux-ci.</p>
<p>On aurait pu croire que la <a href="https://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2014/01/23/la-presse-ecrite-britannique-cherche-son-nouveau-modele-economique_4352821_3236.html">révolution numérique</a> sonnerait le glas de la presse britannique classique ; mais malgré la baisse considérable des tirages, les journaux britanniques arrivent à tirer leur épingle du jeu.</p>
<p>Cependant, le <a href="https://www.bing.com/ck/a?!&&p=aba44513ea1735a8JmltdHM9MTY3NTkwMDgwMCZpZ3VpZD0yMTYxNDI2My04MjVhLTZiZDItMTU1OC01MGQwODM1YzZhYTgmaW5zaWQ9NTQ0MQ&ptn=3&hsh=3&fclid=21614263-825a-6bd2-1558-50d0835c6aa8&u=a1L3ZpZGVvcy9zZWFyY2g_cT10cmFpbGVyK25ldGZsaXgraGFycnkrbWVnaGFuJnZpZXc9ZGV0YWlsJm1pZD1COUMxQUVCODA2NTYxNTU4ODQ0Q0I5QzFBRUI4MDY1NjE1NTg4NDRDJkZPUk09VklSRQ&ntb=1">départ des Sussex du Royaume-Uni</a> pour s’installer en Californie, en 2020, a mis en lumière de nombreuses pratiques peu éthiques de la part de certains journalistes.</p>
<h2>Les tabloïds en tête des ventes</h2>
<p>Pour mieux comprendre la presse britannique et ses lecteurs, il est important de connaître comment elle s’organise. La presse britannique peut être divisée en <a href="https://www.10differences.org/broadsheet-vs-tabloid/?utm_content=cmp-true">deux catégories distinctes</a> : d’une part les « broadsheets » (littéralement les feuillets larges), et d’autre part les tabloïds, de taille plus petite, avec beaucoup de photos, et donc plus faciles à manier et à lire.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-fausses-nouvelles-une-histoire-vieille-de-2-500-ans-101715">Les fausses nouvelles : une histoire vieille de 2 500 ans</a>
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<p>Si les « broadsheets » proposent généralement des articles de qualité et une analyse approfondie de l’actualité (comme dans <em>The Guardian</em>, par exemple), c’est tout autre chose pour les tabloïds, avec un journalisme axé sur le sensationnalisme et la médiocrité, et qui suscite de très vives critiques de la part des « victimes » de la classe politique, la famille royale et d’autres personnalités du showbiz. Avec son surnom de <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2011/jul/30/tabloids-british-phone-hacking">« the gutter presse »</a> (la presse du caniveau) les tabloïds défraient régulièrement la chronique, et ce depuis de très longtemps…</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/the-crown-saison-4-un-soap-opera-cruel-envers-linstitution-monarchique-151264">« The Crown », saison 4 : un soap opera cruel envers l’institution monarchique</a>
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<p>Au niveau des tirages, parmi les <a href="https://www.newspapersland.com/united-kingdom/">titres nationaux</a> ce sont les tabloïds qui arrivent largement en tête des ventes. <a href="https://wikimonde.com/article/The_Sun"><em>The Sun</em></a>, journal fondé en 1964, reste le titre le plus vendu du pays, frôlant les quelques 1,2 million d’exemplaires quotidiennement. C’est le sensationnalisme qui fait vendre, avec une intrusion à outrance dans la vie privée de bon nombre de personnalités de la société britannique, dont la cible préférée des <a href="https://www.pointdevue.fr/royal/royaume-uni/diana-et-les-paparazzis-entre-amour-et-haine">paparazzis</a>, la famille royale. Les pratiques peu éthiques, et certains diraient franchement sordides, de ces derniers ont provoqué un tollé suite à la disparition de la <a href="https://www.francetvinfo.fr/culture/cinema/documentaires/the-princess-le-documentaire-inedit-sur-la-vie-tragique-de-lady-diana-25-ans-apres-sa-mort_5314465.html">Princesse de Galles, Diana</a>, dans un accident de voiture sous le pont de l’Alma à Paris le 31 août 1997. Les circonstances de l’accident ont déclenché une prise de conscience collective chez les Britanniques, comprenant les conséquences potentielles de la course au scoop.</p>
<h2>Un droit de regard sur la famille royale</h2>
<p>Dix ans après la disparition tragique de la <a href="https://edition.cnn.com/2020/08/31/world/princess-diana-death-the-windsors-series/index.html">« people’s princess »</a>, Tony Blair, premier ministre à l’époque, <a href="https://youtu.be/0wcADoF4Jos">lançait un pavé dans la mare</a> en dénonçant une tendance préoccupante au « sensationnalisme » de la part des médias britanniques. <a href="https://www.courrierinternational.com/breve/2007/06/13/pourquoi-tony-blair-deteste-the-independent">Il déplorait que</a></p>
<blockquote>
<p>« les médias chassent de plus en plus en meute, comme des bêtes féroces qui mettent en pièces les gens et leur réputation ».</p>
</blockquote>
<p>Malgré de nombreuses plaintes déposées auprès des tribunaux britanniques (on peut citer les actions juridiques entamées récemment par le Duc et la Duchesse de Sussex contre les propos racistes publiés <a href="https://www.nytimes.com/2022/12/08/world/europe/harry-meghan-netflix-media.html">dans les tabloïds</a>, ces derniers continuent à mener la vie dure des personnalités sans réfléchir à l’impact psychologique des articles pondus pour… booster les ventes.</p>
<p>Il est légitime à se demander pourquoi les Britanniques ont un appétit aussi féroce pour les tabloïds et le sensationnalisme à outrance, un phénomène qu’on ne trouve pas ailleurs, en tous cas pas à cette échelle. Pourquoi <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/17499755221092810">certains éditorialistes</a> s’acharnent à dévoiler la vie privée, par exemple, de la famille royale et de certains membres de celle-ci ? La <a href="https://www.societyofeditors.org/">Society of Editors</a>, organisme qui regroupe 400 membres de médias britanniques, a réfuté catégoriquement toute accusation de racisme de la part de Prince Harry et sa femme. Ces derniers affirment que la presse britannique est, en grande partie, responsable de leur départ « precipité ».</p>
<p>Selon la Society of Editors, les Britanniques ont un droit de regard sur la vie des « riches », y compris la famille royale. La question épineuse du coût de la monarchie et de l’existence même de l’institution est une constante source de débat d’outre-Manche. Si le contribuable britannique finance une partie de cette institution, est-il en droit de connaître la vie privée de certains de ses membres ? Pour la Society of Editors, la réponse est claire : oui. La monarchie, financée par l’argent public, doit rendre des comptes. Quant aux Sussex et à leur <a href="https://www.bbc.com/news/entertainment-arts-56326807">refus de respecter certaines conventions</a> de la famille Windsor (la célèbre maxime « ne jamais se plaindre, ne jamais s’expliquer »), avec notamment la diffusion sur Netflix de la série <em>Harry & Meghan</em>, il a peut-être renforcé cette frénésie de sensationnalisme.</p>
<p>On pourrait se demander si la mise en place de la <a href="https://www.ipso.co.uk/what-we-do/">Independent Press Standards Organisation</a>( IPSO) en 2014, qui a fait suite au scandale du <a href="https://youtu.be/52VQ3gSzqCE">piratage téléphonique par News International</a> (dont le propriétaire est Rupert Murdoch) a changé la donne. Mais à en croire les vives critiques à l’encontre de cet organisme, censé gérer les plaintes logées contre la presse, il semblerait qu’il reste encore un long chemin à faire.</p>
<p>Le Prince Harry, dans sa biographie, parue en janvier 2023, <a href="https://youtu.be/nRtzE658oSA"><em>Le Suppléant</em></a>,résume en quelques mots son ressenti concernant l’évolution de la presse à sensation :</p>
<blockquote>
<p>« Tout le monde à l’époque [du décès de sa mère, NDLR] s’accordait à dire que la presse était une meute de monstres ; même ceux qui lisaient acceptaient leur part de responsabilité. Nous devions tous nous comporter mieux que ça, disaient la plupart des gens. Aujourd’hui, tant d’années plus tard, tout était oublié. L’histoire se répétait jour après jour… »</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/200014/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gwyn Jones ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pourquoi les Britanniques ont-ils un appétit aussi féroce pour les tabloïds ?Gwyn Jones, Etudes de civilisations britanniques, Université Bretagne SudLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1970602023-01-23T18:47:02Z2023-01-23T18:47:02ZInsécurité : comment les médias ont fait de Grenoble le « Chicago français »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/502897/original/file-20230103-20-g82vdx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C34%2C7778%2C5146&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Grenoble, le nouveau Chicago ?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/fr/photos/91-JY1b0Ank"> Florian Olivo/Unsplash</a></span></figcaption></figure><p>« Carrefour braqué en pleine journée », « homme violemment frappé », « règlements de compte entre gangs », quand Grenoble fait les unes des journaux nationaux, c’est systématiquement pour des faits de violence et d’<a href="https://theconversation.com/mediatisation-de-la-delinquance-20-ans-de-derives-verbales-174426">insécurité</a>. La ville iséroise de 160 000 habitants n’a pourtant pas toujours été perçue de cette manière. Quand et comment est née cette image ? Au travers de <a href="https://m.grand-a.aurg.org/metropoles-emergences/images-cliches">nos travaux</a>, en analysant la manière dont les journaux nationaux parlent d’une ville au fil des ans, nous avons cherché la source de ces représentations.</p>
<p>En 2020, la ville de Grenoble a été à l’honneur dans les médias pour des <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/isere/grenoble/grenoble-videos-tournees-au-quartier-mistral-provenaient-clip-rap-1867990.html">vidéos</a> montrant des individus lourdement armés au quartier Mistral. Ce qui n’était finalement qu’un tournage de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Lua1IGXsL9g">clip de rap</a> mettant en rapport la ville de <a href="https://theconversation.com/chicago-police-shooting-data-may-reveal-new-ways-to-reduce-deaths-and-racial-disparity-54625">Chicago</a> (souvent perçue comme une capitale du crime) et Grenoble a mobilisé la presse, divers politiciens et même le <a href="https://www.ledauphine.com/politique/2020/08/28/videos-au-quartier-mistral-a-grenoble-darmanin-ecrit-a-piolle">ministre de l’Intérieur</a>. Ce micro-évènement a eu un retentissement particulièrement important mais il n’était pas le premier.</p>
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<p>Déjà, le discours du ministère de l’Intérieur Bernard Cazeneuve du <a href="https://www.interieur.gouv.fr/Archives/Archives-ministres-de-l-Interieur/Archives-Bernard-Cazeneuve-avril-2014-decembre-2016/Interventions-du-ministre/18.01.2016-Discours-du-ministre-sur-la-politique-de-securite-en-Isere">18 janvier 2016</a> qui cite des « chiffres […] atypiques par rapport à la situation nationale », désignant Grenoble comme première ville des vols à la tire, des crimes ou des vols avec violence, avait été abondamment relayé dans la presse régionale.</p>
<p>Par la suite, un reportage de France 2 intitulé <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/drogue/grenoble-le-chicago-francais_2911103.html">Grenoble : le Chicago français</a> révèle que cette perception n’est pas seulement locale, mais bien nationale. Ce stigma national est confirmé par la reprise de ce reportage et des chiffres donnés par de nombreux médias dont Europe 1 et NRJ 12 avec une émission spéciale de <a href="https://actu.orange.fr/societe/videos/ce-soir-a-20h55-jean-marc-morandini-se-rendra-a-grenoble-pour-un-numero-de-crimes-sur-nrj12-video-CNT000001a6DYh.html">Jean Marc Morandini</a>. Même la page <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Grenoble">Wikipedia de Grenoble</a> comporte une sous-catégorie « sécurité et criminalité ».</p>
<h2>9 500 articles de presse analysés</h2>
<p>Nous ne cherchons pas ici à remettre en cause la véracité des faits de délinquance rapportés, mais à questionner leur traitement médiatique et la manière dont l’image de la ville de Grenoble a évolué – surtout depuis 10 ans. Nous basons nos analyses sur 9 500 articles de presse issus de la presse généraliste et économique, aussi bien française (<em>Le Monde, Figaro, Libération, Les Échos, les Acteurs de l’économie</em>) qu’anglophone (<em>The Times, New York Times, Daily Telegraph</em> et <em>Washington Post, Wall Street Journal, Financial Times</em>). Comme dans <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1350508416665473">nos précédentes recherches</a>, nous avons analysé ce corpus à l’aide du logiciel libre <em>Iramuteq</em>. </p>
<p>Il nous a permis de faire émerger les thématiques principales contenues dans ces articles évoquant la métropole de Grenoble. <a href="https://aau.archi.fr/contrat-de-recherche/popsu-metropoles-grenoble-sans-son-environnement-ou-le-pari-dune-metropole-resiliente/">Cette analyse</a> a été menée sur la période 1945–2020 puis par mandat politique. Ce qui émerge est que le stigma de l’insécurité est nouveau et lié au discours de Grenoble de Nicolas Sarkozy en 2010. Avant cela, la métropole était définie sous le prisme de l’innovation, la montagne, la culture et des affaires politiques.</p>
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<img alt="Grenoble dans la presse généraliste 1945–2020 (_Libération_, _Figaro_, _Le Monde_)" src="https://images.theconversation.com/files/502654/original/file-20221226-43578-m2256y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/502654/original/file-20221226-43578-m2256y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=353&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/502654/original/file-20221226-43578-m2256y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=353&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/502654/original/file-20221226-43578-m2256y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=353&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/502654/original/file-20221226-43578-m2256y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=444&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/502654/original/file-20221226-43578-m2256y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=444&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/502654/original/file-20221226-43578-m2256y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=444&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Grenoble dans la presse généraliste 1945–2020-Presse analysée : <em>Libération</em>, <em>Figaro</em>, <em>Le Monde</em>. Se lit : la classe de mots (Covid, grève, retraite…) apparait dans 7,3 % des articles parlant de Grenoble.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Bally, Daudigeos</span></span>
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</figure>
<h2>Grenoble était associée à l’innovation, la montagne et la culture</h2>
<p>L’analyse de la totalité de la période montre que Grenoble est définie dans les médias par la recherche scientifique, la montagne et la violence urbaine : cette dernière étant particulièrement prégnante. L’analyse par période montre que la métropole grenobloise se démarque par la recherche scientifique : les institutions de recherche locaux (Lip, Synchrotron, ESRF, CEA…), les universités et Écoles du supérieur sont particulièrement visibles médiatiquement. Cette image glisse progressivement depuis 1945 de la recherche industrielle vers la recherche universitaire. </p>
<p>L’ensemble des activités de recherche a un rayonnement national, mais aussi international. L’image de Grenoble « métropole de montagne » est aussi prégnante, particulièrement dans les médias anglophones. Celle-ci est portée par les stations de ski et le sport d’hiver, qui ont notamment bénéficié d’une grande visibilité lors des jeux olympiques de 1968 et de 1992. En France, cette image s’est fortement estompée depuis la fin des années 1990.</p>
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<img alt="Grenoble dans la presse généraliste 2014–2020 (_Libération_, _Figaro_, _Le Monde_)" src="https://images.theconversation.com/files/502655/original/file-20221226-55400-sebi0i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/502655/original/file-20221226-55400-sebi0i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/502655/original/file-20221226-55400-sebi0i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/502655/original/file-20221226-55400-sebi0i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/502655/original/file-20221226-55400-sebi0i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=493&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/502655/original/file-20221226-55400-sebi0i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=493&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/502655/original/file-20221226-55400-sebi0i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=493&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Grenoble dans la presse généraliste 2014–2020 – Presse analysée : <em>Libération</em>, <em>Figaro</em>, <em>Le Monde</em>. Se lit : la classe de mots (pari, université, umr…) apparait dans 5,7 % des articles parlant de Grenoble.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Bally, Daudigeos</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Le tournant de 2010</h2>
<p>L’analyse de la période 2014-2020 (dernier mandat politique complet) donne à voir une lecture très proche des autres périodes, avec une spécificité : la domination d’une classe de mots associée à l’insécurité et qui désigne directement certains quartiers de la ville (Villeneuve ou Mistral, par exemple). En nous focalisant sur les articles liés à cette classe « insécurité » sur une période plus large (2000-2020), nous observons une évolution : la discussion se détache des faits divers et des généralités sur l’insécurité pour cibler précisément la violence urbaine et certains quartiers. </p>
<p>Une année émerge en particulier : 2010 avec une recrudescence d’article associant insécurité et Grenoble avec le <a href="https://www.dailymotion.com/video/xf0ih7">discours prononcé le 30 juillet à Grenoble par Nicolas Sarkozy</a>, alors président de la République.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Ce graphique représente le chi2 d’association des modalités de la variable « date » à chacune des classes de mots. Le chi2 exprimant la force du lien entre les mots et la classe. Les pics signifient une variabilité forte d’une année sur l’autre (donc une" src="https://images.theconversation.com/files/502656/original/file-20221226-47070-7i3i9c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/502656/original/file-20221226-47070-7i3i9c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=285&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/502656/original/file-20221226-47070-7i3i9c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=285&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/502656/original/file-20221226-47070-7i3i9c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=285&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/502656/original/file-20221226-47070-7i3i9c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=359&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/502656/original/file-20221226-47070-7i3i9c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=359&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/502656/original/file-20221226-47070-7i3i9c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=359&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Évolution des classes de mots définissant Grenoble – Ce graphique représente le chi2 d’association des modalités de la variable « date » à chacune des classes de mots. Le chi2 exprimant la force du lien entre les mots et la classe. Les pics signifient une variabilité forte d’une année sur l’autre (donc une recrudescence ou une absence d’articles mentionnant la classe de mots). Sur ce graphique, on perçoit donc une forte variabilité en 2010 (et dans une moindre mesure 2012, 2016, 2018 et 2019) pour la classe insécurité, signifiant un très grand nombre d’articles associant des mots de cette classe et Grenoble.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Données : Bally, Daudigeos</span></span>
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</figure>
<p>Nous avons analysé un effet stigmatisant de ce discours : celui-ci a changé la manière dont la sphère médiatique parle de Grenoble et perçoit la ville. L’essentiel de ces articles sont publiés dans des médias orientés politiquement à droite, mais cette tendance se retrouve dans l’ensemble des médias français analysés et se renforce lors du dernier mandat politique. À noter que nous ne trouvons pas trace de ces phénomènes dans la presse anglophone. Sur la même période, celle-ci se concentre plutôt sur la montagne (tourisme et sport d’hiver), la recherche et l’enseignement supérieur (Business School en particulier).</p>
<p>Nos recherches nous conduisent à qualifier ce phénomène comme un <a href="https://146.179.12.204/bitstream/10044/1/15611/2/Organization%20Science_20_1_2009.pdf">« stigma organisationnel »</a> c’est-à-dire une étiquette perçue collectivement, qui est associée à une organisation (ici la métropole) à propos d’un défaut fondamental, profondément ancré (mais socialement construit) qui la <a href="https://www.worldcat.org/fr/title/stigma-notes-on-the-management-of-spoiled-identity/oclc/223060">discrédite</a>. Cette <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01970557/document">évaluation sociale négative</a> touche Grenoble au point de devenir un stéréotype qui définit la ville, ici une caricature de l’insécurité qui ternit et influence l’identité de la ville.</p>
<p>Le stigma n’est pas lié aux <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0893318915596204">caractéristiques inhérentes de la ville</a> mais à une série d’évènements créant un <a href="https://journals.aom.org/doi/abs/10.5465/AMR.2008.27752775">stigma épisodique</a>. Les nombreuses visites de politiques et les manières d’évoquer Grenoble dans leurs discours (<a href="https://www.europe1.fr/societe/insecurite-grenoble-le-chicago-francais-cest-exagere-mais-la-situation-est-grave-3766673">Chicago français</a>, vagues de violence…), voire l’intégration de ces discours <a href="https://actu.fr/auvergne-rhone-alpes/grenoble_38185/que-veut-dire-chicagre-le-surnom-utilise-par-des-habitants-pour-evoquer-grenoble_54177243.html">par les habitants</a> témoignent de ce processus. Nous verrons prochainement si le fait que Grenoble ait été Capitale Verte Européenne en 2022 a un impact sur ces représentations. Comme tout processus de stigmatisation, il s’agit d’une évaluation sociale dynamique : rien n’est figé dans le marbre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/197060/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cette recherche partenariale est développée et soutenue par la chaire Territoire en transition de Grenoble Ecole de Management qui prend appui sur la Fondation de France
Cette recherche partenariale est soutenue par le programme de recherche POPSU Métropole (2018-2021).
</span></em></p>Le territoire grenoblois a progressivement été stigmatisé sur l'insécurité, comme le montrent les résultats d'une étude de 9 500 articles dans les médias.Frédéric Bally, Post-doctorant, Grenoble École de Management (GEM)Thibault Daudigeos, Professeur Associé au département Homme, Organisations et Société, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1950572022-11-29T16:14:32Z2022-11-29T16:14:32ZVos dons soutiennent notre indépendance<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/497067/original/file-20221123-18-3il8dy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=808%2C0%2C3780%2C3518&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">The Conversation - Vos dons soutiennent notre indépendance.</span> </figcaption></figure><p>A The Conversation, nous savons qu'un journalisme indépendant, basé sur la collaboration entre journalistes et enseignants-chercheurs, ne serait pas possible sans vos dons.</p>
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<p>Notre média est en grande partie financé par la générosité de ses membres et donateurs. Il consacre l'essentiel de son budget de fonctionnement (69,5% en 2020) à la rémunération de son personnel (18 personnes au 31 décembre 2020), avec des journalistes qui œuvrent au quotidien pour mieux vous informer.</p>
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<img alt="Origine des ressources The Conversation - Chiffres 2020" src="https://images.theconversation.com/files/498077/original/file-20221129-12869-to8e0s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/498077/original/file-20221129-12869-to8e0s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/498077/original/file-20221129-12869-to8e0s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/498077/original/file-20221129-12869-to8e0s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/498077/original/file-20221129-12869-to8e0s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/498077/original/file-20221129-12869-to8e0s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/498077/original/file-20221129-12869-to8e0s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Origine des ressources The Conversation - Chiffres 2020.</span>
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<p class="fine-print"><em><span>Fabrice Rousselot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Un journalisme indépendant basé sur la collaboration entre journalistes et enseignants-chercheurs, sans but lucratif, ne serait pas possible sans vos dons.Fabrice Rousselot, Directeur de la rédaction, The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1939612022-11-09T23:43:40Z2022-11-09T23:43:40ZL’irrésistible essor des podcasts d’information<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/494068/original/file-20221108-15-7f8rf6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=119%2C39%2C8742%2C5859&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/s/photos/podcast-studio">Unsplash/Daniel Robert Dinu</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Nous menons depuis un an une recherche pour le programme Obcast (Observatoire du podcast) financé par la DGMIC (direction générale des médias et des industries culturelles) depuis août 2021, au sein du <a href="https://carism.u-paris2.fr/fr/le-carism-laureat-dun-financement-du-ministere-de-la-culture">laboratoire Carism</a> (université Paris Panthéon-Assas). Il s’agit d’établir une cartographie des podcasts natifs d’information, une sociologie de leurs producteurs, une étude de leurs modèles économiques et une sémiologie de ces contenus. Pour cela nous avons élaboré une vaste bibliographie, une banque documentaire, construit une large base de données portant sur plus de 1 200 titres de podcast. L’heure est venue de partager les premiers résultats de ce programme mobilisant une dizaine de chercheuses et chercheurs.</p>
<h2>Podcasts journalistiques un nouveau Far West ?</h2>
<p>Tout comme l’internet représentait à la fin des années 2000 un Far West incertain, que les médias cherchaient à conquérir en l’arpentant à coup d’expérimentations, nous sommes convaincus que le podcast représente un nouveau mode d’expression journalistique, avec à ce stade, son lot d’innovations et d’expériences avortées, de promesses fécondes et d’illusions, de stratégies délibérées de médias et de bidouillages à initiative personnelle. Autant d’incertitudes qui justifient de mettre ce support journalistique sous observation, durant plusieurs années, pour voir s’il arrive à se frayer un chemin dans l’offre d’information médiatique, de dynamiser la production journalistique, en trouvant son, ou plus probablement ses modèles d’équilibre économique.</p>
<h2>Une base de données de plus de 70 000 épisodes avec 215 producteurs</h2>
<p>Ce projet a construit une base de données portant sur les <a href="https://www.rtbf.be/article/un-podcast-natif-c-est-quoi-9883167">podcasts natifs</a> d’information donc produits par des médias et des sociétés de production spécialisées, avec un regard journalistique. Les podcasts de replay d’émissions et de fiction ont été exclus de la collecte, ainsi que les podcasts amateurs et de marques.</p>
<p>Notre base est constituée à ce jour de 1 214 podcasts natifs, soit 70 049 épisodes ayant été publiés entre novembre 2002 et juillet 2022 et repérés sur les plates-formes d’écoute ou directement sur les sites des médias. Ces podcasts sont produits par 195 médias, studios de production dédiés ou plates-formes (94 podcasts). L’étude présentée ici ne s’appuie que sur une base de 1 119 titres de podcasts et 191 producteurs.</p>
<p>Les acteurs impliqués dans la création de podcasts natifs ont produit en moyenne 6,2 titres de podcast (avec un ou plusieurs épisodes). Soulignons aussi que 168 titres de presse magazine (72 % des titres recensés par l’ACPM) et 22 titres de presse quotidienne régionale (PQR) n’ont produit aucun podcast (43 %).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/494073/original/file-20221108-18-e5ih7r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/494073/original/file-20221108-18-e5ih7r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=431&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/494073/original/file-20221108-18-e5ih7r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=431&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/494073/original/file-20221108-18-e5ih7r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=431&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/494073/original/file-20221108-18-e5ih7r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=542&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/494073/original/file-20221108-18-e5ih7r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=542&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/494073/original/file-20221108-18-e5ih7r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=542&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Nombre de podcasts produits par catégorie de producteur.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>On distingue par ailleurs deux variables relatives à la quantité produite. D’une part, des producteurs faisant feu de tout bois, ayant initié de nombreux titres de podcasts et d’autre part, des producteurs plutôt extensifs, déployant de nombreux épisodes à l’intérieur d’un seul et même titre. Ainsi, <em>Slate</em> a lancé un nombre important de titres de podcasts et occupe la deuxième place du classement général (la première sur la seule catégorie pure players). Il quitte en revanche ce classement lorsque l’on regarde le nombre d’épisodes produits.</p>
<p>En termes de nombre d’épisodes, la PQR et la PQN rivalisent avec les labels et les studios spécialisés dans la production de podcasts.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/494074/original/file-20221108-4292-aw5xj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/494074/original/file-20221108-4292-aw5xj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=258&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/494074/original/file-20221108-4292-aw5xj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=258&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/494074/original/file-20221108-4292-aw5xj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=258&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/494074/original/file-20221108-4292-aw5xj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=324&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/494074/original/file-20221108-4292-aw5xj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=324&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/494074/original/file-20221108-4292-aw5xj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=324&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les 10 plus gros producteurs en nombre de titres de podcast.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/494075/original/file-20221108-22-x6q2sj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/494075/original/file-20221108-22-x6q2sj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=258&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/494075/original/file-20221108-22-x6q2sj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=258&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/494075/original/file-20221108-22-x6q2sj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=258&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/494075/original/file-20221108-22-x6q2sj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=324&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/494075/original/file-20221108-22-x6q2sj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=324&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/494075/original/file-20221108-22-x6q2sj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=324&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les 10 plus gros producteurs en nombre d’épisodes.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Du côté de la presse quotidienne nationale, le plus gros producteur est <em>L’Équipe</em>, à la fois en termes d’initiatives (17 titres de podcast lancés) et de quantité d’épisodes (1904). <em>Le Monde</em> est le deuxième producteur avec 15 titres pour 296 épisodes, quand <em>Les Échos</em> et <em>Le Figaro</em> produisent tous deux 6 titres pour respectivement 1223 et 1179 épisodes.</p>
<p>En presse magazine, les principaux initiateurs de podcasts natifs sont <em>Le Point</em> (13 titres de podcast), <em>Elle</em> (11), <em>Les Inrockuptibles</em> (10) et <em>Ça m’intéresse</em> (10). Les plus gros producteurs sont en revanche, <em>Ça m’intéresse</em> (1261 épisodes produits), <em>Capital</em> (1 208), <em>L’Express</em> (426) et <em>GEO</em> (417). En presse quotidienne régionale, enfin, <em>L’Indépendant</em> (45 titres, 1678 épisodes), <em>Ouest France</em> (32 titres, 1751 épisodes) et <em>Le Dauphiné Libéré</em> (16 titres, 2876 épisodes) prennent la tête du classement.</p>
<h2>Une quantité de titres homogène sur les différentes plates-formes d’écoute</h2>
<p>Les plates-formes sont aujourd’hui le principal mode d’accès aux podcasts <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/09502386.2021.1895246">selon Jeremy Morris</a>.</p>
<p>Celles-ci peuvent être généralistes et offrir plusieurs types de contenus, quand d’autres sont spécifiquement dédiées au podcast, comme Castbox. La présence des 1 120 titres sur les différentes plates-formes témoigne d’une certaine homogénéité de la diffusion : chacune des plates-formes indexées offre environ 80 % des titres recensés : 81 % pour Deezer, 84 % pour Castbox et Spotify, 87 % pour Apple podcast et… 90 % pour Google podcast ; 68 % des titres de podcasts sont présents sur les 5 plates-formes.</p>
<h2>2017-2018, ou l’explosion mal maîtrisée du podcast d’information en France</h2>
<p>Depuis le mois de septembre 2017, de nouveaux podcasts ont été créés chaque mois, pour un nombre de 20 titres par mois en moyenne entre septembre 2017 et juillet 2022. C’est en effet à partir de 2017 que l’offre de podcasts d’information se déploie, et ce de manière exponentielle les années suivantes (107 lancements en 2018, 225 en 2019, 297 en 2020, 392 en 2021). Les six premiers mois de 2022 ont vu naître 128 titres de podcasts, ce qui laisse présager d’un maintien de cette tendance, à défaut d’une accélération de la croissance.</p>
<p>Le tournant 2017-2018 concerne l’ensemble des acteurs du secteur. De façon plus ou moins attendue, les producteurs précoces sont d’abord Arte Radio, avec les premiers podcasts produits en 2002, suivie de la PQN avec <em>Libération</em> et le podcast « Silence on joue ! » (2007) et le 56kast (2013). Les studios dédiés à la production de podcasts se créent et lancent leurs premières productions à partir de 2016 seulement.</p>
<p>Néanmoins, la durée de vie chaotique des podcasts témoigne d’un engouement pour la production de podcasts pas toujours bien maîtrisée. En effet, 52,5 % des titres annoncés comme réguliers ont été interrompus. 486 titres de podcasts (55 %) ne durent pas plus d’un an, et 194 (22 %) pas plus de 2 mois. Enfin, 206 titres (18 %) font montre d’une périodicité irrégulière, en dépit de l’annonce d’un format « mensuel », par exemple. Ces podcasts de périodicité irrégulière sont principalement produits par la presse magazine et la presse quotidienne régionale (plus de la moitié des podcasts irréguliers à elles deux), là où les studios ne sont concernés qu’à hauteur de 8 %.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/494076/original/file-20221108-25-h6c5da.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/494076/original/file-20221108-25-h6c5da.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=383&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/494076/original/file-20221108-25-h6c5da.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=383&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/494076/original/file-20221108-25-h6c5da.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=383&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/494076/original/file-20221108-25-h6c5da.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=481&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/494076/original/file-20221108-25-h6c5da.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=481&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/494076/original/file-20221108-25-h6c5da.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=481&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Part des types de producteurs dans les titres de périodicité irrégulière.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Cela illustre des stratégies expérimentales de lancement dans le format podcast, au gré des initiatives individuelles. En effet, les premières analyses d’une enquête en cours auprès de journalistes et services marketing des médias traditionnels semblent démontrer que les podcasts sont plus souvent créés sous l’impulsion de journalistes que d’une stratégie élaborée par la direction (logique bottom-up). Ces initiatives peuvent aboutir avec plus ou moins de temps et de moyens à la création d’un service et/ou d’un poste dédié au podcast au sein de la rédaction. Il semble, d’après nos premières observations, que la presse quotidienne régionale, en particulier, ait de grandes difficultés à stabiliser ses productions, faute de moyens conséquents et de formation adaptée.</p>
<h2>Une place privilégiée pour quelques rubriques-phares, notamment la culture</h2>
<p>Le classement des titres podcasts selon leur rubrique donne largement la culture en tête avec 279 occurrences. Viennent ensuite la politique (108) et le sport (106). Au milieu du classement des rubriques se trouvent les faits divers (71), l’économie (73), l’actualité générale (70), l’histoire (58), les « tranches de vie » (soit les témoignages d’anonymes, 56 occurrences), et la santé (50). Arrivent enfin, avec de plus faibles occurrences les sciences (38), l’écologie (34), les podcasts sur le journalisme (32) et enfin la religion (14) et les rubriques « inclassables » (13).</p>
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<p>Dans cette offre podcast extrêmement diversifiée, la dominante culturelle, pourtant souvent peu présente dans les médias généralistes, est sans doute le résultat à souligner en priorité.</p>
<p>Le paysage des podcasts natifs d’information révèle ainsi une grande disparité en termes de durée de vie comme de rubriques, mais une forte concentration en termes de formats.</p>
<h2>Les formats classiques du journalisme à l’honneur</h2>
<p>Sur l’ensemble des 1 119 podcasts d’information de notre corpus, 66 % correspondent à trois formats principaux : en premier lieu le documentaire/reportage (1 312 occurrences), suivi par l’interview/entretien (274) et arrive en troisième position la chronique (157). Suivent le récit, (102), les émissions (107), le portrait (79), le débat et la captation (respectivement 46 et 17 occurrences). Ces différents formats peuvent être regroupés selon deux catégories : d’une part les formats conversationnels, correspondant au modèle radiophonique du direct et requérant un minimum de compétences techniques ; de l’autre, les formats requérant un plus ample travail d’écriture, le recours à des sources variées et des intervenants pluriels.</p>
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<span class="caption">Répartition des formats (en %).</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Ces premiers résultats quant aux formats les plus fréquemment adoptés dans les podcasts natifs d’informations méritent toutefois d’être affinés selon deux critères : celui de la famille médiatique concernée d’une part et celui de leur périodicité d’autre part.</p>
<p>En effet, si l’on observe de manière plus fine les formats adoptés, on constate que la répartition se fait d’une manière étonnamment homogène en fonction du média producteur concerné. En effet, l’hypothèse d’une inventivité dans les podcasts natifs qui viendraient bouleverser les schémas journalistiques préétablis est contredite par les données préliminaires de la cartographie de notre Observatoire du podcast.</p>
<p>Les formats privilégiés par les podcasts produits par des médias de presse écrite restent le documentaire, l’interview et la chronique qui concentrent à eux trois 66 % des occurrences (respectivement 28 % ; 24,5 % et 13,5 %).</p>
<h2>Périodicité : des différences marquées entre médias traditionnels et studios</h2>
<p>Deuxième élément à prendre en compte : la périodicité. On a distingué dans le codage cinq périodicités : quotidienne, hebdomadaire, mensuelle, irrégulière, et les séries ou unitaire (nombre d’épisodes clos). Il en ressort que la périodicité la plus fréquemment adoptée est la série ou l’unitaire (38 %), suivie de l’hebdomadaire (20,2 %), et les fréquences irrégulières(13 %).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/494078/original/file-20221108-22-mbheeh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/494078/original/file-20221108-22-mbheeh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/494078/original/file-20221108-22-mbheeh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/494078/original/file-20221108-22-mbheeh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/494078/original/file-20221108-22-mbheeh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/494078/original/file-20221108-22-mbheeh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/494078/original/file-20221108-22-mbheeh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Répartition des périodicités de parution (en %).</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
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<p>Les podcasts quotidiens (ou plurihebdomadaires) ne représentent ainsi que 11 % de l’ensemble du corpus, mais selon une répartition très nette en fonction du média concerné : sur les 128 titres de podcasts quotidiens ou plurihebdomadaires, 71 % sont produits par des médias traditionnels, en particulier la presse papier (PQN, PQR, presse gratuite d’information et presse magazine) qui produit 50 % de l’ensemble des podcasts quotidiens.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/494079/original/file-20221108-20-vbdhgc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/494079/original/file-20221108-20-vbdhgc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=374&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/494079/original/file-20221108-20-vbdhgc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=374&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/494079/original/file-20221108-20-vbdhgc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=374&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/494079/original/file-20221108-20-vbdhgc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=470&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/494079/original/file-20221108-20-vbdhgc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=470&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/494079/original/file-20221108-20-vbdhgc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=470&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Répartition des podcasts quotidiens par types de producteur.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>L’idéal du récit et de la biographie</h2>
<p>Dans les résumés de chaque podcast de notre base, on observe massivement la présence du champ lexical de la narration et de la biographie : « vie » (573 occurrences), « raconte/raconter » (202), « histoires » (152), « récit » (54), ou encore « témoin/témoignage » (58). Si les podcasts s’appuient sur des genres journalistiques stabilisés, c’est dans l’angle adopté, l’énonciation et la mise en récit de l’actualité que la nouveauté se joue.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/193961/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Arnaud Mercier a reçu des financements de la DGMIC au sein du Ministère de la Culture pour financer cette recherche</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Flore Di Sciullo a reçu des financements de la Direction Générale des Médias et des Industries Culturelles du Ministère de la Culture et de la Communication (DGMIC).
</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Marie-Eva Lesaunier a reçu des financements de la Direction Générale des Médias et des Industries Culturelles du Ministère de la Culture et de la Communication (DGMIC).</span></em></p>La croissance des podcasts natifs d’information dans les médias français représente un nouveau défi et l’espoir de nouvelles audiences. Qu’en est-il exactement ?Arnaud Mercier, Professeur en Information-Communication à l’Institut Français de presse (Université Paris-Panthéon-Assas), Université Paris-Panthéon-AssasFlore Di Sciullo, Postdoctorante, Université Paris-Panthéon-AssasMarie-Eva Lesaunier, Post-doctorante, Université Paris-Panthéon-AssasLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1938752022-11-07T19:54:25Z2022-11-07T19:54:25ZQuand les tueurs d’enfants n’intéressaient personne<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/493387/original/file-20221103-22-q3q9jy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=41%2C929%2C2718%2C2228&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le crime de Soleilland, dessin de Carlègle, _L’Assiette au Beurre_, 23 mars 1907.</span> <span class="attribution"><span class="source">Frédéric Chauvaud</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Le procès de Monique Olivier <a href="https://www.liberation.fr/societe/police-justice/monique-olivier-la-gardienne-des-derniers-secrets-devant-les-assises-20231127_IHYJFLQPBNE4PH3Y5RCEOGOIFQ/">s'ouvre le 28 novembre 2023 à Nanterre</a> afin de savoir dans quelle mesure elle a pris part aux viols et meurtres commis par son ex-époux, Michel Fourniret. Si cette actualité constitue un événement important aujourd'hui pour la société française, les meurtres d'enfants donnant souvent lieu à une forte instrumentalisation politique et à une préoccupation sociétale majeure, cela n'a pas toujours été le cas.</p>
<p>Pendant longtemps, la mort d’enfants ou d’adolescents n’a guère suscité l’intérêt des chroniqueurs judiciaires et, par rebond, de l’opinion publique. Dans le <a href="https://ledroitcriminel.fr/la_legislation_criminelle/anciens_textes/code_penal_1810/code_penal_1810_3.htm">Code pénal de 1810</a> l’infanticide est défini comme « le meurtre d’un enfant nouveau-né » et le législateur napoléonien est resté silencieux sur les homicides des enfants plus âgés.</p>
<p>De temps à autre, des enfants tués par leurs parents font irruption, en à peine quelques lignes, dans les colonnes des périodiques. Le lectorat découvre, effaré, d’abominables maltraitances, mais vite oubliées.</p>
<h2>La lente construction de l’enfant comme personne à part</h2>
<p>Abandonné, éborgné, éventré, brûlé, voire violé, l’enfant, en dehors de quelques affaires, reste sans protection face à la puissance paternelle jusqu’à la loi du 24 juillet 1889 qui invente la <a href="https://criminocorpus.org/fr/reperes/legislation/textes-juridiques-lois-decre/textes-relatifs-aux-p/de-la-monarchie-de-juillet-a-1/loi-du-24-juillet-1889/">« déchéance paternelle »</a> qui ne fit pas l’unanimité car des voix diverses y virent l’intrusion inacceptable de l’État dans les familles, bousculant les frontières du cercle privée et de la sphère publique.</p>
<p>Mais le sort des enfants brutalisés par un père, une mère, un oncle, un tuteur n’est plus indifférent. Une vaste enquête (dont les archives sont conservées aux Archives nationales, AN BB-18-1871) conduite dans les différents ressorts des cours d’appel en prend la mesure. En 1898, une nouvelle loi sur la répression des violences, voies de fait, actes de cruauté et attentats commis envers les enfants est adoptée et sanctionne pour la première fois les auteurs de coups, blessures et autres sévices contre des « enfants au-dessous de l’âge de quinze ans ».</p>
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<p>Malgré ses limites, la <a href="https://journals.openedition.org/rhei/141">loi du 19 avril 1898</a> témoigne à sa manière d’un changement de sensibilité. L’enfant est une personne à part entière. Auparavant, le crime le plus horrible qui pouvait être commis était le <a href="https://journals.openedition.org/chs/78">parricide</a>, placé au sommet de la hiérarchie pénale. Pour bien marquer qu’il s’agissait d’un crime exceptionnel, le législateur avait pris des <a href="https://www.decitre.fr/livres/la-mort-du-vieux-9782847341010.html">dispositions particulières</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Exécution d’Henri Désiré Landru, « tueur en série », en 1921. Huile sur toile. Anonyme" src="https://images.theconversation.com/files/493461/original/file-20221104-11-4a8nx4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/493461/original/file-20221104-11-4a8nx4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=498&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/493461/original/file-20221104-11-4a8nx4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=498&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/493461/original/file-20221104-11-4a8nx4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=498&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/493461/original/file-20221104-11-4a8nx4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=626&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/493461/original/file-20221104-11-4a8nx4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=626&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/493461/original/file-20221104-11-4a8nx4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=626&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Exécution d’Henri Désiré Landru, « tueur en série », en 1921. Huile sur toile. Anonyme.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://picryl.com/media/execution-de-landru-huile-sur-toile-anonyme-mucem-6b76ce">Mucem/Wikimedia</a></span>
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</figure>
<p>Ayant commis un acte sans excuse pour lequel « aucune circonstance atténuante ne saurait être retenue », l’auteur du crime était recouvert d’un voile noir, et, nu-pieds, était conduit sur le lieu de l’exécution. Un huissier lisait l’arrêt de condamnation, avant que le bourreau lui glisse la tête dans la lunette de la guillotine. Jusqu’en 1832, on lui tranchait le poignet droit. Pour les tueurs d’enfants, aucune mise en scène similaire n’était prévue.</p>
<h2>L’archéologie des tueurs d’enfants</h2>
<p>À la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, les sentiments à l’égard de l’enfance martyrisée ne sont donc pas restés identiques mais en dehors des parents maltraitants, de nouvelles figures émergent : celles des tueurs d’enfants, sans liens de parenté avec les victimes.</p>
<p>Quelques cas abominables avaient défrayé la chronique en 1825. <em>La Gazette des tribunaux</em>, périodique judiciaire, avait relaté des <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/les-anormaux-michel-foucault/9782020307987">crimes incroyables</a> commis contre de petites victimes : l’une portait autour du cou les marques de la strangulation, une autre avait eu le cœur arraché, une troisième avait été décapitée et sa tête jetée par la fenêtre. Les contemporains s’étaient interrogés sur la sanité d’esprits des auteurs. Étaient-ils fous ?</p>
<p>En vertu de <a href="https://www.senat.fr/rap/r09-434/r09-4340.html">l’article 64 du code pénal</a> s’ils étaient reconnus irresponsables, ils ne pouvaient pas être jugés et donc encore moins condamnés. Un procureur trancha la question en affirmant qu’il n’y a pas d’inconvénient à guillotiner l’auteur d’un crime monstrueux, même s’il est atteint de « monomanie criminelle ».</p>
<p>Ces crimes toutefois, en dehors de quelques spécialistes et aliénistes, ne restent pas dans les mémoires, mais à partir des années 1880 deux affaires, médiatisées, ébranlent la société tout entière. Elles suscitent interrogations et examens de conscience ; elles provoquent des réflexions à la fois sur le mal et la méchanceté, sur la cruauté et sur les ressorts du passage à l’acte.</p>
<h2>1880 : Ménesclou le dépeceur d’enfant</h2>
<p>Louis Ménesclou, en 1880, à peine âgé de 20 ans, attire dans sa chambre d’un immeuble parisien, sa petite voisine qu’il viole, tue et découpe. Il fait du saccage du corps un mode opératoire qui surprend les contemporains. <a href="https://books.openedition.org/pur/127776?lang=fr">Il incarne le monstre contemporain</a>, tapi dans les anfractuosités et la pénombre des villes, il suscite d’autant plus la stupéfaction puis l’horreur car il vivait dans le même immeuble que la fillette de quatre ans et demi qu’il a étouffé, sans doute après lui avoir « fait subir les derniers outrages ». Dans la presse, il est dépeint comme un « être répugnant ». </p>
<p>Issu d’une famille « d’honnêtes ouvriers », il bat sa mère, vole son père, il est renvoyé de l’école, puis quitte la marine où, engagé, il n’y reste que trois ans et revient chez ses parents. « Oisif », il est « complètement à leur charge ». Un jour Louise disparaît, elle n’est pas venue dîner, la concierge ne l’a pas vue quitter l’immeuble de la rue de Grenelle. Sa mère interroge tous les locataires mais personne ne l’a aperçu. Le lendemain matin, une odeur épouvantable alerte le voisinage. Après avoir forcé la porte, le commissaire et des habitants de l’immeuble découvrent dans le poêle de Ménesclou une tête humaine en train de se consumer.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/493489/original/file-20221104-15-d44nix.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="La scène de crime (dossier de procédure, coll. F. Chauvaud)" src="https://images.theconversation.com/files/493489/original/file-20221104-15-d44nix.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/493489/original/file-20221104-15-d44nix.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=687&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/493489/original/file-20221104-15-d44nix.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=687&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/493489/original/file-20221104-15-d44nix.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=687&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/493489/original/file-20221104-15-d44nix.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=864&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/493489/original/file-20221104-15-d44nix.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=864&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/493489/original/file-20221104-15-d44nix.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=864&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">« La scène de crime » (dossier de procédure, coll. F. Chauvaud).</span>
<span class="attribution"><span class="source">F. Chauvaud</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dans ses poches, les deux avant-bras de la fillette. Le médecin légiste compte et étiquette 43 pièces anatomiques. Pour ébranler l’opinion publique, il faut qu’un crime se transforme en fait divers et devienne une <a href="https://lawcat.berkeley.edu/record/416603">« belle affaire »</a>.</p>
<p><a href="http://www.histoiredesmedias.com/La-Chronique-judiciaire-Mille-ans.html">Albert Bataille</a>, le plus célèbre des chroniqueurs judiciaires de cette époque, suit le procès et donne un portrait physique que le lectorat découvre en frissonnant :</p>
<blockquote>
<p>« Figurez-vous une sorte d’avorton vouté et ridé, au teint terreux, aux yeux de fouine. »</p>
</blockquote>
<p>Les médecins experts qui l’ont examiné reconnaissent quelques « défectuosités mentales », mais sans plus. Il est donc responsable de ses actes. Il avoue le crime mais nie le viol qui est pourtant retenu par le jury. Si le procès évoque l’enfant disparu et la douleur d’une mère, les débats insistent surtout sur la monstruosité de l’auteur du crime, mais l’émotion collective, malgré la médiatisation, une fois Ménesclou exécuté en septembre 1880, place de la Roquette, <a href="https://complaintes.criminocorpus.org/complainte/grande-complainte-sur-le-sieur-menesclou-1er-et-la/">est éphémère</a>. En quelques années le crime est oublié.</p>
<h2>1907 : le viol-meurtre d’une enfant</h2>
<p>En 1907, un fait autre fait divers devient une affaire. Son retentissement est énorme en France et à l’étranger. Même le <em>Times</em> lui consacre plusieurs articles. À Paris, <a href="https://bibliographienumeriquedhistoiredudroit-ifg.univ-lorraine.fr/s/droit/item/67056">Albert Louis Jules Soleilland</a> est accusé d’avoir défloré violemment une fillette et, afin qu’elle ne puisse pas le dénoncer, de lui avoir donné la mort par strangulation et par un poinçon plongé dans la poitrine.</p>
<p>S’il n’a pas dépecé le corps, la presse relate qu’il l’a empaqueté dans une grosse toile et déposé dans un lieu destiné aux marchandises de boucherie. Son crime ressemble à celui de Ménesclou et <a href="https://editions.flammarion.com/les-experts-du-crime/9782700723236">bouleverse l’opinion publique</a>. Ernest Dupré médecin-chef de l’infirmerie spéciale de la préfecture de police de Paris, signe le rapport d’expertise médico-légale.</p>
<p>Solleilland, écrit-il, n’est pas un aliéné, un sadique ou un fou érotique. Si l’on peut observer des lenteurs intellectuelles et des troubles du caractère, il possède « la plénitude de ses facultés ». Il peut assumer l’entière responsabilité de son crime. Les journaux se mobilisent, la justice est sommée de réagir dans l’instant et d’infliger un châtiment exemplaire. La classe politique s’émeut et des manifestants défilent sur les boulevards parisiens, dénonçant l’insécurité et réclamant la mort immédiate pour Soleilland, alors que l’année précédente les 25 condamnés à la peine capitale avaient tous été graciés et que la commission du budget avait voté la suppression des crédits alloués au bourreau. </p>
<p>La suppression de la peine de mort semblait pourtant acquise et les abolitionnistes se réjouissaient de voir aboutir le combat mené par Victor Hugo. Mais il leur faut déchanter, l’affaire Soleilland suscite une <a href="https://www.decitre.fr/livres/le-crime-de-soleilland-1907-9782847340693.html">surenchère de la presse</a>, en particulier des quatre grands dont le tirage avoisine le million de lectrices et lecteurs. En 1908 les débats parlementaires n’aboutissent pas à la suppression de la peine de mort.</p>
<p>Si l’affaire peut témoigner d’une sensibilité neuve à l’égard des enfants, quelques voix dénoncent la médiatisation d’un fait divers sordide, son instrumentalisation politique, les arguments à l’emporte-pièce et le voyeurisme d’une partie de la presse.</p>
<p>Ainsi, en l’espace d’un demi-siècle à peine, ce type de fait divers hors norme est devenu fait politique et fait de société. Si le meurtre d’une enfant apparaît monstrueux, il échappe bien souvent à l’analyse, car il demeure une subversion de l’ordre social et symbolique par l’horreur et donne la possibilité d’en jouer sur le théâtre émotionnel des sociétés contemporaines.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/193875/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédéric Chauvaud ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Abandonné, éborgné, éventré, brûlé, voire violé, l’enfant, reste sans protection ou intérêt jusqu’à la loi du 24 juillet 1889. En moins d’un siècle, la perception du grand public a changé.Frédéric Chauvaud, Professeur d'Histoire contemporaine, Université de PoitiersLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.