tag:theconversation.com,2011:/uk/topics/justice-climatique-22344/articlesjustice climatique – The Conversation2023-11-27T17:18:09Ztag:theconversation.com,2011:article/2181872023-11-27T17:18:09Z2023-11-27T17:18:09ZFaut-il commencer à s’acclimater au réchauffement ou redoubler d’efforts pour le limiter ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/560461/original/file-20231120-23-iysstk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=12%2C17%2C1147%2C779&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La climatisation permet de s’adapter aux canicules et diminue la mortalité mais elle contribue au réchauffement de l’atmosphère.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/30478819@N08/27883983818">Marco Verch Professional Photographer/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Jacques le Fataliste apercevant de sa fenêtre qu’il faisait un temps détestable se recouche pour dormir tant qu’il lui plaît. Le héros de Denis Diderot, météorologue à ses heures, aurait sans doute choisi de s’adapter au dérèglement du climat plutôt que de le combattre.</p>
<p>L’adaptation au réchauffement de la planète et son cortège d’événements extrêmes est souvent perçue comme un renoncement, sinon une lâcheté. Il est vrai, comme nous le verrons, que plus d’efforts d’adaptation impliquent moins d’efforts nécessaires pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.</p>
<p>Il convient néanmoins d’<a href="https://www.unep.org/resources/adaptation-gap-report-2023">accélérer les politiques d’adaptation</a>, comme le défend l’Organisation des Nations unies (ONU) et de pourvoir à leur financement international comme il en sera vivement débattu lors de la toute proche conférence de Dubaï.</p>
<p>Tâchons donc de voir clair dans cette tension entre les politiques d’acclimatation et les politiques de réduction des émissions, entre l’adaptation et l’atténuation dans le vocable des experts. Et ce pour mieux éclairer les débats à venir à la COP28.</p>
<h2>Différences et similitudes</h2>
<p>À première vue tout sépare ces deux formes de lutte contre le changement climatique. L’atténuation vise à le freiner, tandis que l’adaptation vise à s’y acclimater. D’un côté agir sur les causes, de l’autre agir sur les effets. Les pas de temps aussi sont différents : l’atténuation porte ses fruits à long terme, les générations futures en seront les principales bénéficiaires, tandis que l’adaptation profite aux populations d’aujourd’hui en sauvant des vies et épargnant des infrastructures dès maintenant.</p>
<p>Enfin, les mesures de réduction des émissions de CO<sub>2</sub> et gaz équivalents bénéficient à l’ensemble de la planète, alors que les mesures d’adaptation bénéficient à la population de territoires ciblés et circonscrits. D’un côté un bien public mondial – personne ne peut être exclu de son bienfait, pas même ceux qui n’auraient rien fait pour l’obtenir –, d’un autre un bien privé local.</p>
<p>Ces oppositions tranchées appellent toutefois des nuances. L’adaptation et l’atténuation visent le même but ultime : réduire les pertes humaines, matérielles et naturelles, la première atteignant son but directement, la seconde indirectement. De plus, les échelles de temps ne sont pas sans recouvrement. Le déplacement d’une ville pour fuir la montée inexorable des eaux est à l’échelle d’une vie d’homme, sinon plus.</p>
<p>Par ailleurs, les actions d’adaptation ne relèvent pas toutes de l’ordre privé : l’équipement en air conditionné relève d’une décision individuelle et ne bénéficie qu’à son acheteur mais la construction d’une digue contre le risque de submersion passe par une décision collective. Elle profite aussi à ceux qui n’auraient pas contribué à son financement à l’instar de nouveaux résidents.</p>
<p>En outre, à trop les séparer on risque de perdre de vue que l’atténuation et l’adaptation s’influencent l’une l’autre. Elles peuvent d’abord interagir de façon complémentaire. La lutte contre les feux de forêt et la plantation d’arbres en ville contribuent positivement à l’atténuation : l’une en préservant des puits de carbone, l’autre en en créant de nouveaux. Ces mesures font d’une pierre deux coups.</p>
<p>Elles peuvent aussi agir l’une contre l’autre. Par exemple, la climatisation permet de s’adapter aux canicules et <a href="https://www.journals.uchicago.edu/doi/abs/10.1086/684582">diminue la mortalité</a> mais elle contribue au réchauffement de l’atmosphère, local en rejetant de la chaleur à l’extérieur et global quand l’électricité consommée est d’origine carbonée.</p>
<p>Les deux orientations peuvent enfin et surtout se substituer partiellement l’une à l’autre et faire ainsi que, plus les efforts d’atténuation sont grands, moins ceux d’adaptation peuvent l’être et, inversement, plus les efforts d’adaptation sont grands, moins ceux d’atténuation peuvent l’être. Il y a à cela une raison théorique et une raison pratique.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Soit un planificateur mondial en charge du bien-être des habitants de la planète. Il va mener une analyse coût-bénéfice des deux options interdépendantes. Il va notamment considérer qu’une dépense d’adaptation en réduisant les dommages du réchauffement climatique diminue le bénéfice d’abaisser le niveau des émissions, ce qui aboutit à un moindre effort d’atténuation nécessaire, et par conséquent à plus d’émissions. Techniquement, il va égaliser les coûts et bénéfices marginaux des deux stratégies dont il dispose pour minimiser la facture totale des dépenses pour le climat.</p>
<p><a href="https://www.scirp.org/(S(lz5mqp453edsnp55rrgjct55))/reference/referencespapers.aspx ?referenceid=1042205">Le premier modèle</a> de cet équilibre partiel date de 2000. Il ne tient pas compte d’une entrave possible au financement des dépenses requises. Le planificateur de la théorie agit à sa guise ; il n’est pas soumis à une contrainte budgétaire et d’endettement. Or celle-ci peut se traduire par un plafonnement des dépenses ou de l’augmentation des dépenses affectées au budget climat. Plus de ressources consacrées à l’adaptation entraînent alors moins de ressources disponibles pour l’atténuation – et donc plus d’émissions – et vice versa.</p>
<p>Cette contrainte budgétaire est particulièrement forte pour les pays à faible revenus. La Banque mondiale qui s’est penchée sur l’équilibre des dépenses <a href="https://elibrary.worldbank.org/doi/abs/10.1596/1813-9450-4299">entre atténuation et adaptation dans les pays en développement</a> l’a notamment retenu dans son modèle.</p>
<h2>Indispensable adaptation</h2>
<p>Malgré son effet régressif sur l’atténuation, l’adaptation reste indispensable. Les événements extrêmes se multiplient et il faut se préparer à une élévation de la température moyenne mondiale en 2100 plus proche de 3 °C que de 1,5 °C par rapport au niveau préindustriel. Et donc à des dommages beaucoup, beaucoup, plus sévères. L’adaptation constitue un <a href="https://theconversation.com/hausse-des-temperatures-les-sueurs-froides-du-decompte-de-la-mortalite-211926">moyen essentiel pour les réduire</a>, en particulier pour sauver des vies humaines aujourd’hui et demain.</p>
<p>L’augmentation observée s’établit déjà aujourd’hui à 1,2 °C. Il est vrai que, sur le papier, il reste possible de la contenir à moins de 2 °C : Selon les travaux d’une équipe internationale de chercheurs les promesses nationales d’atténuation et de dates d’atteinte zéro-carbone net devraient <a href="https://www.science.org/doi/10.1126/science.adg6248">aboutir sur le siècle à 1,7 °C</a>. Mais faut-il encore qu’elles soient respectées ! En tenant compte de leur faible crédibilité, la même équipe montre que l’élévation de température devrait au moins <a href="https://www.science.org/doi/10.1126/science.adg6248">augmenter de moitié</a>.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/hausse-des-temperatures-les-sueurs-froides-du-decompte-de-la-mortalite-211926">Hausse des températures : les sueurs froides du décompte de la mortalité</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Leurs résultats se fondent par ailleurs sur une conversion entre la quantité de CO<sub>2</sub> atmosphérique et l’élévation de température relativement conservatrice. Plus précisément 3 °C de plus pour un doublement du gaz carbonique dans l’atmosphère. Mais il s’agit là d’une valeur médiane.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/560694/original/file-20231121-25-24uxn6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Vue de la ville de Jaipur sous le soleil, en Inde" src="https://images.theconversation.com/files/560694/original/file-20231121-25-24uxn6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/560694/original/file-20231121-25-24uxn6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/560694/original/file-20231121-25-24uxn6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/560694/original/file-20231121-25-24uxn6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/560694/original/file-20231121-25-24uxn6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/560694/original/file-20231121-25-24uxn6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/560694/original/file-20231121-25-24uxn6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Selon un travail de recherche portant sur la crédibilité des engagements des États, l’élévation de la température pourrait s’établir au moins à 2,4 °C d’ici la fin du siècle (Ici, vue de la ville de Jaipur, en Inde).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/photoseeput/33117601685/">Christian Haugen/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Comme le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) le mentionne, s’il y a bien <a href="https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg1/downloads/report/IPCC_AR6_WGI_TS.pdf">deux chances sur trois</a> pour que l’élévation de la température consécutive au doublement soit comprise entre 2 °C et 4 °C, il y aussi une <a href="https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg1/downloads/report/IPCC_AR6_WGI_TS.pdf">chance sur dix</a> qu’elle puisse dépasser 5 °C. Selon un article paru ce mois-ci, il faudrait d’ailleurs compter sur une élévation médiane de 4,8 °C et non plus de 3 °C pour un doublement.</p>
<p>En termes de dommages, cela change tout. Appréhendés en perte de PIB et d’après plus d’une centaine d’économistes interrogés, les <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10584-020-02771-w">dommages tripleraient</a> en passant de 2 °C à 3 °C et décupleraient en passant de 2 °C à 5 °C. Les travaux de modélisation économie-climat aboutissent à des variations moins spectaculaires mais les dommages calculés croissent toujours plus vite que la température.</p>
<p>Appréhendés en <a href="https://theconversation.com/hausse-des-temperatures-les-sueurs-froides-du-decompte-de-la-mortalite-211926">termes de mortalité humaine</a>, le gouffre est également impressionnant. Pour une élévation de température de près de 3 °C à en 2100 la surmortalité associée à la chaleur est estimée à 40 décès pour 100 000 habitants mais <a href="https://academic.oup.com/qje/article/137/4/2037/6571943">elle quintuple avec une l’élévation de température de 5 °C</a>.</p>
<p>Il faut donc à la fois faire face à un réchauffement d’ampleur et le combattre.</p>
<h2>Moins de coopération = plus d’adaptation</h2>
<p>Mais faut-il mettre plus d’argent dans l’adaptation et moins dans l’atténuation, ou vice versa ? Quatre facteurs jouent sur la position du curseur.</p>
<p>En premier lieu, il est toujours préférable de mener conjointement atténuation et adaptation. Marcher sur une seule jambe <a href="https://www.weadapt.org/sites/weadapt.org/files/legacy-new/knowledge-base/files/1124/50ed5925da70can-analysis-of-adaptation-as-a-response-to-climate-change.pdf">entraînerait une perte de richesse</a>. Il y a en effet de part et d’autre des actions dont le ratio bénéfice-coût est extrêmement favorable et donc à mener dans tous les cas de figure.</p>
<p>Pensons par exemple aux mesures de protection des infrastructures et des populations grâce aux systèmes de prévision et d’alertes qui permettent d’annoncer à l’avance une tempête ou une canicule prochaines. Pensons également aux mesures d’efficacité énergétique qu’il s’agisse de remplacer des ampoules incandescentes par des ampoules LED ou bien de remplacer les foyers de cuisson traditionnels au bois par des fourneaux améliorés. Répétons que cela revient à dire que les efforts d’atténuation doivent toujours s’accompagner d’au moins un peu d’effort d’adaptation et ce alors même qu’il en résultera un niveau d’émissions de gaz à effet de serre plus élevé qu’en cas d’une politique unique d’atténuation.</p>
<p>En second lieu, le curseur se place selon le taux d’actualisation choisi par les gouvernements. Comme les bénéfices de l’atténuation en termes de dommages évités se font sentir à plus long terme que ceux de l’adaptation, un taux d’actualisation élevé favorise cette dernière. Inversement, un taux faible déplace l’équilibre relatif vers un peu plus d’atténuation.</p>
<p>À titre d’exemple, un trio d’économistes italiens a calculé qu’avec un taux de 0,1 %, marquant donc une préoccupation très élevée pour les générations futures, la stratégie optimale implique une réduction des dommages de 72 % en 2100, dont les <a href="https://www.weadapt.org/sites/weadapt.org/files/legacy-new/knowledge-base/files/1124/50ed5925da70can-analysis-of-adaptation-as-a-response-to-climate-change.pdf">deux tiers accomplis par l’atténuation</a>. Avec un taux plus favorable aux générations présentes de 3 %, la réduction des dommages passe à 59 % dont un sixième seulement accomplis cette fois par l’atténuation.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Mains d’enfant tenant un globe terrestre" src="https://images.theconversation.com/files/560695/original/file-20231121-4580-fh4wbs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/560695/original/file-20231121-4580-fh4wbs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/560695/original/file-20231121-4580-fh4wbs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/560695/original/file-20231121-4580-fh4wbs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/560695/original/file-20231121-4580-fh4wbs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/560695/original/file-20231121-4580-fh4wbs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/560695/original/file-20231121-4580-fh4wbs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Selon des économistes italiens, les deux tiers de la réduction des dommages d’ici 2100 devraient être liés aux politiques d’atténuation du réchauffement climatique.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://pxhere.com/fr/photo/904856">Pxhere</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En troisième lieu, le mix dépend de l’ampleur des dommages. L’adaptation réduit les dommages présents et futurs tandis que l’atténuation ne réduit que les seconds. Du coup, plus les dommages précoces sont grands, plus le bon mix se déporte vers l’adaptation. Cette tendance doit toutefois être tempérée en tenant compte de la <a href="https://www.jstor.org/stable/pdf/climchanecon.1.2.71.pdf">survenue possible de dommages gigantesques</a>, potentiellement irréversibles et auxquels il est difficile de s’adapter. Plus la probabilité de catastrophes de grande ampleur s’élève plus la balance doit pencher en faveur de l’atténuation. Répétons cette différence triviale entre l’atténuation et l’adaptation : l’une réduit les émissions, l’autre non.</p>
<p>Ajoutons enfin que le mix, en particulier au niveau national, dépend du niveau de coopération entre les États pour lutter contre le réchauffement climatique. Face aux coûts de l’atténuation et sans coopération les gouvernements ne tiendraient compte que de ses bénéfices pour leurs propres citoyens. Or à l’exception des grandes nations peuplées comme la Chine (17,6 % de la population mondiale), voire dans une moindre mesure les États-Unis, ils sont très minces.</p>
<p>Avec un centième des habitants de la planète, la France ne perçoit qu’un centième des fruits de ses actions d’atténuation. Par contraste, comme nous l’avons déjà mentionné les bénéfices de l’adaptation sont locaux. L’absence de coopération pousse ainsi sur le plan national vers plus d’adaptation et moins d’atténuation.</p>
<h2>Des aides largement insuffisantes</h2>
<p>La <a href="https://theconversation.com/fr/topics/justice-climatique-22344">justice climatique</a> offre un argument d’un autre ordre en faveur des efforts et des politiques d’adaptation. Les populations les plus exposées aux risques du réchauffement climatique sont généralement aussi les plus démunies en termes économiques et de possibilités d’adaptation. Cela est vrai au sein d’un même pays et entre les pays de différents niveaux de richesses.</p>
<p>Seule cette dernière dimension nous intéresse ici car les populations des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/pays-en-developpement-130323">pays en développement</a>, en particulier des pays pauvres, en plus d’être les <a href="https://www.nature.com/articles/s41893-023-01132-6">plus exposées et démunies</a> sont aussi celles qui ont le moins contribué à emplir l’atmosphère de gaz à effet de serre et, contrairement aux pays développés, à tirer parti de l’énergie carbonée pour leur croissance. Cette situation justifie un flux d’aides financières consacrées à l’adaptation, des pays riches vers les autres.</p>
<p>Au cours des dernières années, ces aides se sont élevées à un peu plus de 20 milliards de dollars par an. Il est nécessaire de comparer ce montant aux aides internationales en faveur de l’atténuation ainsi qu’aux besoins. L’ONU s’est livrée à cet éclairant exercice dans son <a href="https://www.unep.org/resources/adaptation-gap-report-2023">rapport 2023 sur le déficit d’adaptation</a> au changement climatique. Entre 2017 et 2021, le financement spécifique pour l’adaptation représente en moyenne un peu moins de deux tiers du financement spécifique accordé à l’atténuation.</p>
<p>Dit autrement, les pays développés financent plus la réduction des émissions dans les pays en développement qu’ils ne les aident à s’adapter au changement climatique. Ils privilégient leur intérêt. En outre, les flux pour l’atténuation ont récemment augmenté alors qu’ils ont diminué pour l’adaptation.</p>
<p><iframe id="mmApW" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/mmApW/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Cette répartition et son évolution posent question. En effet, les retombées du financement sont moins favorables pour le pays aidé dans le cas de l’atténuation ; celle-ci bénéficie d’abord et avant tout au reste du monde. Elles peuvent même être défavorables puisqu’elles vont accroître la dette du pays aidé : près des deux tiers des fonds sont en effet attribués sous forme de prêts.</p>
<p>Cet endettement supplémentaire est particulièrement problématique pour les pays à bas revenus. Pour ces derniers – et contrairement aux autres pays en développement –, le financement international pour l’adaptation dépasse bien celui pour l’atténuation (une moyenne annuelle de 6 milliards de dollars d’aides pour l’adaptation contre 2,3 pour l’atténuation). Mais au vu de leur économie, de leurs très faibles émissions passées et présentes ainsi que du dénuement et de la vulnérabilité de leur population, ne serait-il pas plus juste d’y financer exclusivement des projets et mesures d’adaptation ?</p>
<p>Par ailleurs, les quelque 20 milliards de dollars annuels sont extrêmement éloignés des aides qui seraient théoriquement nécessaires. Selon le rapport de l’ONU, il en faudrait 10 à 20 fois plus ! Les travaux de modélisation économique des impacts sectoriels et des coûts d’adaptation repris de la littérature, puis retravaillés et agrégés par les auteurs du rapport, aboutissent à un besoin de financement de 215 milliards de dollars par an. À elle seule, l’adaptation aux inondations marines et fluviales en représente la moitié.</p>
<h2>Ne pas céder à la fatalité</h2>
<p>Une autre méthode utilisée par les auteurs, basée cette fois sur une approche comptable et financière par regroupement des projets et mesures d’adaptation, aboutit à 387 milliards de dollars par an. À elle seule, la région de l’Asie de l’Est et du Pacifique compte pour un peu moins de la moitié.</p>
<p>L’accord de Paris date de presqu’une décennie. Déjà. Fameux pour son engagement de maintenir l’élévation de température à « bien moins de 2 °C », il est aussi presque incognito celui qui reconnaît que l’adaptation est un défi mondial et établi un Objectif global d’adaptation (Global Goal on Adaptation). Sans lui donner toutefois, contrairement à l’objectif d’atténuation, une traduction chiffrée.</p>
<p>Depuis, <a href="https://www.c2es.org/wp-content/uploads/2023/07/Options-for-a-Politically-Salient-Headline-for-the-Global-Goal-on-Adaptation-Techincal-Paper.pdf">plusieurs dizaines de formulations ont été proposées</a>. « Augmenter les actions d’adaptation pour réduire les impacts de 30 % à l’horizon 2030 », par exemple. Ou encore pour le même horizon « Le financement international du climat pour l’adaptation doit <a href="https://unfccc.int/sites/default/files/resource/GGA%20WS%207_summary%20report.pdf">atteindre un équilibre en matière d’atténuation</a>, et augmenter, en ligne avec les engagements pris et le nouvel objectif collectif quantifié de financement climatique ».</p>
<p>Le Sultan Ahmed Al-Jaber, qui préside la COP 28 qui se tiendra bientôt à Dubaï, prône la recherche d’un équilibre entre la réduction des émissions et l’adaptation au réchauffement. Il a exprimé un soutien sans faille aux initiatives et <a href="https://www.cop28.com/en/news/2023/10/COP28-President-calls-for-improved-adaptation-finance-for-vulnerable-nations">actions en faveur de l’adaptation</a>. Parviendra-t-il à obtenir des pays développés à multiplier leur aide financière aux pays en développement ? Et ce malgré une fracture politique grandissante entre les pays occidentaux et ceux dits du Sud global.</p>
<p>Pourquoi pas ? Attendons la fin de la vingt-huitième Conférence des Parties. Il ne faut pas céder à la fatalité, ni en matière d’adaptation ni en matière d’atténuation.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218187/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François Lévêque ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les politiques d’atténuation et d’adaptation visent un même objectif : réduire les pertes humaines et matérielles du changement climatique. Mais elles apparaissent également en opposition.François Lévêque, Professeur d’économie, Mines ParisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2149662023-10-05T08:21:41Z2023-10-05T08:21:41ZL’animisme juridique : quand un fleuve ou la nature toute entière livre procès<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/552036/original/file-20231004-26-deen3k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=130%2C32%2C5324%2C3582&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Vue aérienne d'une cascade dans la vallée du Vilcabamba en Équateur, où une rivière a gagné un procès historique en 2011. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/ecuador-waterfall-aerial-view-mountain-waterall-2150891681">Curioso.Photography/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Le 30 mars 2011, quelque chose de tout à fait <a href="https://ejatlas.org/conflict/first-successful-case-of-rights-of-nature-ruling-vilcabamba-river-ecuador/?translate=fr">inédit</a> est advenu devant la Cour de justice provinciale de Loja, à 430 km de Quito, la capitale de l’Équateur. La rivière Vilcabamba, plaignante d’un <a href="https://mariomelo.files.wordpress.com/2011/04/proteccion-derechosnatura-loja-11.pdf">procès</a>, a pu faire reconnaître par la justice que ses propres droits étaient menacés par le projet de développement d’une route. Ce dernier mettait en péril le débit du cours d’eau et a donc été stoppé.</p>
<p>J’ai eu la chance de pouvoir assister à ce procès et d’étudier ce que l’on appelle l’animisme juridique dans deux pays pionniers en la matière : l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/equateur-51982">Équateur</a> et la Bolivie.</p>
<hr>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"></span>
</figcaption>
</figure>
<p><em>Pour suivre au plus près les questions environnementales, retrouvez chaque jeudi notre newsletter thématique « Ici la Terre ». <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-environnement-150/">Abonnez-vous dès aujourd’hui</a>.</em></p>
<hr>
<p>Aujourd’hui, de l’<a href="https://notreaffaireatous.org/amendement-du-parlement-ougandais-du-national-environment-act-2019/">Ouganda</a> à la <a href="https://www.earthlaws.org.au/aelc/rights-of-nature/new-zealand/">Nouvelle-Zélande</a>, divers pays suivent cette voie en ouvrant leurs systèmes pénaux à ces démarches juridiques qui permettent à une entité naturelle, à un écosystème, ou à la nature tout entière de devenir une personne juridique, et, à ce titre, d’avoir des droits. Autant d’innovations qui suscitent l’espoir de certains militants écologistes mais rappellent également combien le droit peut être plastique et créatif au gré des époques : depuis <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/truie-condamnee-a-mort-dauphins-exorcises-les-etranges-proces-d-animaux-au-moyen-age-8722242">ces procès du Moyen-Âge</a> où l’on pouvait trouver des animaux à la barre de la défense, en passant par l’Inde où un avocat a porté plainte <a href="https://www.bbc.com/news/world-asia-india-35489971">contre un dieu</a> jusqu’à notre époque contemporaine où personne ne trouve anormal qu’une entreprise puisse être considérée comme une personne juridique.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/499989/original/file-20221209-29206-wsoxgj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/499989/original/file-20221209-29206-wsoxgj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=431&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/499989/original/file-20221209-29206-wsoxgj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=431&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/499989/original/file-20221209-29206-wsoxgj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=431&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/499989/original/file-20221209-29206-wsoxgj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=542&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/499989/original/file-20221209-29206-wsoxgj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=542&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/499989/original/file-20221209-29206-wsoxgj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=542&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Illustration représentant une truie et ses porcelets jugés pour le meurtre d’un enfant. Le procès aurait eu lieu en 1457.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Proc%C3%A8s_d%27animaux#/media/Fichier:Trial_of_a_sow_and_pigs_at_Lavegny.png">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>La rencontre de deux visions du monde</h2>
<p>Se plonger dans la genèse et l’évolution des expériences équatorienne et bolivienne permet également de voir à l’œuvre les différentes formes que peut prendre l’animisme juridique, ses possibilités comme ses limites. C’est ce que je vous propose de faire.</p>
<p>Si l'Amérique du Sud a pu être une terre novatrice en termes d’animisme juridique, l’expression n’est pourtant pas née outre-Atlantique. Elle apparaît pour la première fois sous la plume de la chercheuse en droit française <a href="https://journals.openedition.org/insituarss/1338">Marie-Angèle Hermitte</a>. D’emblée, l’expression signe, en deux mots seulement, la rencontre de deux mondes, de deux traditions philosophiques avec d’un côté une vision du monde animiste, que la pensée occidentale a souvent édifié comme son exact opposé et, de l’autre, un système dont les contours ont structuré la modernité européenne.</p>
<p>En Équateur, comme en Bolivie lorsqu’on s’attarde sur les contextes d’émergence de l’animisme juridique, on peut retrouver, en toile de fond, les influences ou les frictions qui émergent de la rencontre de ces deux visions du monde, avec, tout à la fois des influences de juristes de l'environnement nord-américains et une utilisation de la figure divine de la Terre Mère présente dans la cosmogonie des Andes. </p>
<h2>L’Assemblée constituante : moment de redéfinition du vivant</h2>
<p>Autre point commun entre ces deux pays, un contexte bien particulier : celui de l’assemblée constituante. En 2006 pour la Bolivie, en 2007 pour l’Équateur, ces pays vivent un moment unique aux allures de page blanche : en se dotant d’une assemblée chargée de rédiger une nouvelle constitution, c’est toute l’identité de leur nation qui est en train d’être redéfinie. </p>
<p>Dans les deux pays, ces moments ont été soutenus, voire attendus par les communautés autochtones, et ont vu émerger la figure de la Pacha Mama, entité de la Terre Mère dans les mythes andins dont le nom évoque, lui aussi, la rencontre de deux mondes puisqu’il se construit autour du terme <em>pacha</em>, qui signifie <em>monde</em> en quechua et en aymara, et <em>mama</em>, <em>mère</em> en espagnol.
Dans ce contexte, des aspirations à doter la nature d’une existence juridique propre émergent rapidement.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="La Terre Mère, ou Pachamama est une figure mythique présente dans toute l'Amérique Latine. Ici une représentation de la Pachamama dans la cosmologie andine selon Juan de Santa Cruz Pachacuti Yamqui Salcamayhua (1613), d'après une image dans le Temple du S" src="https://images.theconversation.com/files/552055/original/file-20231004-24-8ro2p2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/552055/original/file-20231004-24-8ro2p2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=657&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/552055/original/file-20231004-24-8ro2p2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=657&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/552055/original/file-20231004-24-8ro2p2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=657&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/552055/original/file-20231004-24-8ro2p2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=826&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/552055/original/file-20231004-24-8ro2p2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=826&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/552055/original/file-20231004-24-8ro2p2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=826&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La Terre Mère, ou Pachamama est une figure mythique présente dans toute l'Amérique Latine. Ici une représentation de la Pachamama dans la cosmologie andine selon Juan de Santa Cruz Pachacuti Yamqui Salcamayhua (1613), d'après une image dans le Temple du Soleil (Qurikancha) à Cusco.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Pachamama#/media/Fichier:Santa_Cruz_Pachacuti_Yamqui_Pachamama.jpg">Domaine public</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En Équateur, l’animisme juridique est surtout porté au sein de la Constituante par une élite intellectuelle proche des nouvelles théories du droit, influencée par les réflexions du juriste américain Christopher Stone, qui proposait dès <a href="https://global.oup.com/academic/product/should-trees-have-standing-9780199736072">1972</a> de doter les arbres de droits. Pour asseoir ces idées dans le contexte de l’Assemblée constituante, on a alors recours à une relecture des savoirs indigènes du pays, où 80 % des habitants sont issus du métissage entre Européens et autochtones, mais où la <a href="https://www.pewresearch.org/religion/2014/11/13/religion-in-latin-america/">quasi-totalité</a> de la population se revendique comme chrétienne. L’article 71 de la Constitution nait ainsi de ces diverses influences et stipule:</p>
<blockquote>
<p>« La Nature ou Pacha Mama, où se reproduit et réalise la vie, a le droit à ce que soient intégralement respectés son existence, le maintien et la régénération de ses cycles vitaux, sa structure, ses fonctions et ses processus évolutifs. Toute personne, communauté, peuple ou nationalité pourra exiger à l’autorité publique, l’accomplissement des droits de la nature. »</p>
</blockquote>
<p>L’article qui suit évoque lui le droit à la restauration d’un écosystème, tandis que le 73 convoque le nécessaire principe de précaution pour les activités pouvant conduire à l’extinction d’espèces, la destruction d’écosystèmes ou à l’altération permanente de cycles naturels.</p>
<h2>La figure de la Pachamama</h2>
<p>En Bolivie, où la figure de la Pachamama n’est pas qu’une simple entité folklorique du passé, on a pu voir les constituants débattre longuement de ses attributs, avec d’une part, des habitants des Hauts Plateaux qui honorent cette divinité au quotidien, et, de l’autre, des acteurs issus des Bas Plateaux et du Sud du pays ayant une notion somme toute assez vague de la Pachamama.</p>
<p>Le champ d’action de la Pachamama fut également âprement discuté : si la Terre Mère est omniprésente, doit-on inclure tout le vivant en son sein ? Quelles sont ses limites ? J’ai pu ainsi assister à un débat qui tâchait de savoir si, en donnant une existence juridique à la Pachamama, il serait désormais possible de faire un procès si un moustique piquait un humain, et de voir si cela était souhaitable.</p>
<p>Ces réflexions aboutissent à une conceptualisation de la Pachamama comme une entité ouverte et collective, une Terre Mère traversant tous les plans de l’existence et donc à protéger à ce titre, afin d’éviter les réflexions sans fin visant à circonscrire ce qui pourrait ou non être inclus dans la Pachamama. Perçue comme la mère de toutes les choses, on la retrouve ainsi dans toutes les entités du monde. Dans la nouvelle Constitution du 22 janvier 2010 dix articles au total mentionnent ainsi la Terre Mère en ces termes :</p>
<blockquote>
<p>« La Terre Mère est un système vivant dynamique comprenant une communauté indivisible de tous les systèmes de vie et êtres vivants, interreliés, interdépendants et complémentaires, qui partagent un destin commun. La Terre Mère est considérée sacrée selon les peuples indigènes. » (article 3)</p>
</blockquote>
<p>Les articles 5 et 6 posent eux le cadre juridique de la Terre Mère considérée comme un « sujet collectif d’intérêt public » et assurent qu’à ce titre, tous les Boliviens et Boliviennes peuvent exercer les droits de la Terre-Mère, tout en devant cependant respecter à la fois les droits individuels et collectifs.</p>
<p>L’article 7, enfin, énumère lui les sept droits de la Terre Mère : droit à la vie, à la diversité biologique, à l’eau, à l’air pur, à l’équilibre, à la restauration, droit à ne pas être pollué.</p>
<hr>
<p><em>L’article que vous parcourez vous est proposé en partenariat avec <a href="https://shows.acast.com/64c3b1758e16bd0011b77c44/episodes/64f885b7b20f810011c5577f?">« Sur la Terre »</a>, un podcast de l’AFP audio. Une création pour explorer des initiatives en faveur de la transition écologique, partout sur la planète. <a href="https://smartlink.ausha.co/sur-la-terre">Abonnez-vous !</a></em></p>
<iframe name="Ausha Podcast Player" frameborder="0" loading="lazy" id="ausha-6ilQ" height="220" style="border: none; width:100%; height:220px" src="https://embed.acast.com/64c3b1758e16bd0011b77c44/651da0350934650010507f7b" width="100%"></iframe>
<hr>
<h2>Les incarnations et limites de ces nouveaux droits de la nature</h2>
<p>Ce nouveau rapport au vivant ainsi posé par les Constitutions, quelles ont été les suites et applications concrètes de ces nouveaux outils juridiques ? Encore une fois, la Bolivie et l’Équateur ont pris des chemins assez différents.</p>
<p>La volonté des constituants équatoriens de fournir des outils juridiques concrets a rapidement donné lieu à des actions juridiques, avec en premier lieu ce fameux procès du fleuve Vilcabamba, dans la région de Loja. Si cette action juridique avait été initiée par des militants écologistes fins connaisseurs des nouvelles possibilités du droit dès 2011, nous avons vu, depuis, des <a href="https://www.derechosdelanaturaleza.org.ec/casos-ecuador/">acteurs plus divers de la société équatorienne engager des procédures</a>.</p>
<p>Les outils proposés par la nouvelle Constitution ont notamment permis de dépasser une limite très rapidement atteinte par les combats écologiques de par le monde : celle de la difficulté qu’il y a à isoler une responsabilité lorsqu’il est question d’environnement, d’imputer une responsabilité à un projet, une organisation, une personne, parfois installée en dehors des frontières d’un pays où l’on subit ses dommages. C’est notamment en mobilisant la notion de principe de précaution et de <a href="https://www.erudit.org/en/journals/mlj/2014-v60-n1-mlj01619/1027721ar/">juridiction universelle</a> que la justice équatorienne a pu ne pas rester enfermée dans ces questionnements. </p>
<p>Ainsi en novembre 2010, des citoyens équatoriens, mais également indiens, colombiens et nigérians ont porté plainte devant la Cour Constitutionnelle de l’Équateur pour exiger que l’entreprise British Petroleum, responsable d’une marée noire colossale dans le golfe du Mexique, rende publiques les informations liées au désastre écologique et à son impact, et l’obliger à prendre les mesures nécessaires pour réparer les dommages générés. Les citoyens en question n’ont pas été directement victimes de la marée noire et n’ont ainsi pas porté plainte pour protéger leurs droits, mais ceux de l’océan. Si la plainte a été instruite cependant, les juges décidèrent finalement de botter en touche en mettant en avant un autre cadre constitutionnel qui imposait une notion et un périmètre de territorialités aux affaires. </p>
<p>En Bolivie, le travail de l’Assemblée constituante n’allait pas véritablement dans le sens d’une mise en place d’outils permettant de saisir facilement la justice pour défendre les droits de la nature. Néanmoins, la rédaction de cette nouvelle Constitution centrée autour de la figure de la Pachamama n’a pas été sans effet. </p>
<p>D’abord une certaine désillusion a pu être constatée face au décalage entre les idéaux ambitieux construits autour des droits de la Terre Mère et un retour à la normale, avec la poursuite des projets d’exploitation des ressources naturelles. Le gouvernement s’est ainsi retrouvé dans une position difficile en proclamant d’une part la Terre Mère sacrée, et en héritant, d’autre part, de la gestion courante de tous les secteurs économiques extractivistes, voire en les développant. </p>
<p>Cette divergence a nourri une certaine colère et la figure de la Pachamama a ainsi été un des pivots de certaines luttes comme, par exemple, celle du mouvement s’opposant à la construction d’une route menant à la région de Tipnis, réserve naturelle de l’Amazonie bolivienne. Des organisations paysannes, autochtones et comités civiques ont, dans ce cadre, notamment opposé aux arguments « développementistes » du gouvernement bolivien les droits de la Terre Mère, garantis par Constitution bolivienne. </p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Manifestants contre le projet de route de TIPNIS arrivant à La Paz, en octobre 2011" src="https://images.theconversation.com/files/552048/original/file-20231004-17-83ds1u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/552048/original/file-20231004-17-83ds1u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/552048/original/file-20231004-17-83ds1u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/552048/original/file-20231004-17-83ds1u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/552048/original/file-20231004-17-83ds1u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/552048/original/file-20231004-17-83ds1u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/552048/original/file-20231004-17-83ds1u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Manifestants contre le projet de route de TIPNIS arrivant à La Paz, en octobre 2011.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/mywayaround/6262323419/">Szymon Kochański/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Disposant d’un fort <a href="https://www.sciencespo.fr/opalc/node/712/index.html">soutien de la population</a> notamment à l’occasion de deux marches vers la capitale, ce mouvement remporte d’abord une <a href="https://www.courrierinternational.com/breve/2011/09/27/evo-morales-recule-sur-le-projet-de-route-du-tipnis">première victoire</a>, avec la promulgation d’une loi établissant l’intangibilité du parc national et l’abandon du projet d’autoroute en octobre 2011, avant, finalement un <a href="https://www.courrierinternational.com/article/bolivie-le-projet-controverse-dune-route-au-milieu-de-lamazonie-refait-surface">rétropédalage en 2017</a>. Au fil de ce dossier, le président <a href="https://theconversation.com/fr/topics/evo-morales-78519">Evo Morales</a> a en tout cas perdu en bonne partie le soutien des populations autochtones.</p>
<h2>Des rétropédalages possibles en tout sens</h2>
<p>Que retenir de ces innovations juridiques ? Si elles ont pu permettre des actions juridiques et politiques, le droit ne peut pas tout, et demeure avant tout, au gré des situations politiques, modulable dans le sens des combats environnementaux tout comme dans celui d’injonctions extractivistes.</p>
<p>Les retours en arrière peuvent être légion dans un sens comme dans l’autre. Récemment des actualités juridiques australiennes ont pu montrer cela. En 2019, le peuple autochtones des Aṉangu a décidé, malgré la manne financière conséquente que cela représentait, d’interdire la <a href="https://ici.radio-canada.ca/espaces-autochtones/2002324/autochtones-lieux-touristiques-land-back">visite du Mont Uluru</a>, un site sacré dont le tourisme de masse aggravait l’érosion et la pollution des nappes phréatiques.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Panorama du Mont Uluru" src="https://images.theconversation.com/files/552057/original/file-20231004-15-6nov55.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/552057/original/file-20231004-15-6nov55.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/552057/original/file-20231004-15-6nov55.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/552057/original/file-20231004-15-6nov55.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/552057/original/file-20231004-15-6nov55.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=522&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/552057/original/file-20231004-15-6nov55.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=522&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/552057/original/file-20231004-15-6nov55.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=522&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le Mont Uluru, une montagne resacralisée et désormais interdite aux touristes.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/fr/photos/1GFUOji-yck">Photoholgic/Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ces dernières années, Équateur et Bolivie sont eux restés fidèles à leur réputation de laboratoire d’innovation juridique, avec, par exemple, des réflexions menées sur une possible ouverture du droit aux objets au sein de l’Autorité de la Terre Mère bolivienne dirigée alors par Benecio Quispe. </p>
<p>Confrontée au problème global de la gestion des déchets, l’Autorité de la Terre Mère avait entamé des discussions avec des chefs de communauté autochtone, des leaders syndicaux sur <a href="https://arbre-bleu-editions.com/heritage-et-anthropocene.html">les droits juridiques dont pourraient bénéficier les objets et biens produits</a>, comme le droit à une espérance de vie maximale, un droit au soin, à la réparation, à ne pas être abandonné… Si cette piste n’avait finalement été retenue, elle montrait, une fois encore, combien les outils juridiques peuvent nous permettre de redéfinir notre lien à nos écosystèmes et à la modernité.</p>
<hr>
<p><em>Cet article s’inscrit dans le cadre d’un projet associant The Conversation France et l’AFP audio. Il a bénéficié de l’appui financier du Centre européen de journalisme, dans le cadre du programme « Solutions Journalism Accelerator » soutenu par la Fondation Bill et Melinda Gates. L’AFP et The Conversation France ont conservé leur indépendance éditoriale à chaque étape du projet.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214966/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Diego Landivar ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment des pays ont-il fait pour ériger la nature ou les écosystèmes au rang de personne juridique ? Ces innovations permettent-elles vraiment de protéger l'environnement ?Diego Landivar, Enseignant Chercheur en Economie, Directeur d'Origens Media Lab, ESC Clermont Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2144202023-09-27T16:04:43Z2023-09-27T16:04:43ZJustice climatique : comment de jeunes Portugais mobilisent les droits de l’homme devant la Cour européenne<p>Il y a un peu plus de trois ans, un groupe de jeunes Portugais a déposé une requête devant la <a href="https://hudoc.echr.coe.int/fre#%20">Cour européenne des Droits de l’Homme</a> (CEDH) mettant en cause 33 États signataires de l’<a href="https://www.un.org/fr/climatechange/paris-agreement">Accord de Paris</a> et leur incapacité à lutter de manière adéquate contre le dérèglement climatique. C’est à Strasbourg, ce 27 septembre, qu’a débuté cette tentative juridique inédite et ambitieuse visant à contraindre ces pays à prendre des mesures en faveur du climat.</p>
<p>C’est la troisième fois que la Cour européenne des droits de l’homme est ainsi saisie d’une affaire de justice climatique. Mais cette requête sera particulièrement suivie en raison du nombre de gouvernements visés et de l’âge des requérants, qui vont de 11 à 24 ans. Parmi les accusés figurent les 27 États membres de l’UE ainsi que le Royaume-Uni, la Suisse, la Norvège, la Russie, la Turquie et l’Ukraine.</p>
<h2>Les bases de la requête</h2>
<p>Ces jeunes portugais ont exprimé leur vive inquiétude face aux efforts insuffisants déployés par les gouvernements pour limiter le réchauffement de la planète à 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels. Si le reste du monde faisait de même, la température mondiale <a href="https://climateactiontracker.org/countries/eu/">augmenterait de 2 à 3 °C</a>, selon Climate Tracker.</p>
<p>Les requérants déplorent également que leur mode de vie et leur santé soient menacés par les effets de la crise climatique, notamment à cause des vagues de chaleur et des incendies de forêt qui frappent chaque année le Portugal et qui les ont incités à lancer un financement participatif pour supporter leur action en justice en octobre 2017.</p>
<h2>Les droits de l’homme à la rescousse de la justice climatique</h2>
<p>Alors qu’on note, tout autour du globe, l’<a href="https://theconversation.com/changement-climatique-quand-la-societe-civile-multiplie-les-actions-en-justice-74191">accroissement des procès de justice climatique</a>, cette dernière affaire ambitionne, <a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-justice-climatique-proces-et-actions-149750">comme d’autres avant elle</a> d’établir un lien clair entre les violations des droits de l’homme et le dérèglement climatique. Le premier procès à avoir ouvert cette voie en 2015 était celui de la <a href="https://theconversation.com/la-montee-en-puissance-dune-justice-climatique-mondiale-105867">Fondation Urgenda</a> aux Pays-Bas, dont l’action en justice a contraint le gouvernement à réduire les émissions de 25 % par rapport aux niveaux de 1990 au nom du respect des droits humains des plaignants.</p>
<p>Ce groupe de jeunes Portugais assure lui que le dérèglement climatique a déjà eu des répercussions sur leur santé et qu’ils risquent de souffrir des problèmes de santé plus importants à l’avenir. Ils affirment également éprouver de l'anxiété après les incendies de forêt qui ont tué plus de 120 personnes au Portugal en 2017.</p>
<p>Selon eux, les gouvernements n’ont, à ce titre, pas respecté les obligations qui leur incombent en vertu de l’<a href="https://www.echr.coe.int/documents/d/echr/convention_FRA">article 2</a> de la Convention européenne des droits de l’homme assurant que « le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. »</p>
<p>Ces jeunes portugais affirment également que les gouvernements n’ont pas respecté l’article 8 qui stipule : </p>
<blockquote>
<p>« Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.</p>
<p>Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »</p>
</blockquote>
<p>En l’absence d’un article spécifique sur la protection de l’environnement, ces articles 2 et 8 sont devenus des outils essentiels pour protéger les personnes contre diverses formes de pollution et d’autres nuisances.</p>
<p>L’article 8 a ainsi souvent été utilisé dans d’autres affaires environnementales pour étendre la portée de la protection requise aux maisons et habitats des victimes, ainsi qu’à leurs environs. </p>
<p>Depuis l’<a href="https://hudoc.echr.coe.int/FRE#%7B%22itemid%22:%5B%22001-62468%22%5D%7D">affaire Lopez Ostra</a> de 1994, où une mère espagnole portait plainte après avoir été contrainte de quitter son logement sur recommandation du pédiatre de son enfant en raison de la pollution causée par une station d’épuration, la Cour européenne des droits de l’homme interprète le droit au respect de la vie privée et familiale et le logement comme un droit humain de vivre dans un environnement de qualité, condition de survie, de dignité mais aussi de « paisibilité ». À travers l’article 8, la Cour reconnaît donc que le droit à la vie privée et familiale implique l’absence de nuisances environnementales dépassant un niveau acceptable.</p>
<p>Mais parier sur l’article 8 n’est pas toujours chose aisée, car la Cour européenne exige toujours qu’il existe un lien suffisamment direct entre la victime et le préjudice subi. Lorsque le risque pour la santé est discuté, la cour insiste sur la nécessité pour la « victime » confrontée à un « risque » d’avoir une « probabilité suffisante » de survenance de ce risque, et ce n’est que dans des circonstances très exceptionnelles que le risque d’une violation future peut conférer à un demandeur individuel le statut de « victime ».</p>
<p>Les jeunes affirment enfin que les gouvernements, en ne prenant pas de mesures suffisamment ambitieuses pour lutter contre le dérèglement climatique, ont violé l’article 14, qui garantit, lui, le droit de ne pas subir de discrimination dans la « jouissance des droits et libertés énoncés dans la présente convention », arguant que le réchauffement climatique touche plus particulièrement leur génération.</p>
<h2>Quelle efficacité possible ?</h2>
<p>Les avocats représentant les jeunes vont sans nul doute tâcher d’éviter que ne se répètent certains des échecs de l’affaire Urgenda. Bien qu’il s’agisse d’une affaire historique, ce procès tenu devant la Cour suprême des Pays-Bas avait statué que l’État néerlandais devrait effectuer le « minimum absolu » de sa part équitable de réduction des émissions.</p>
<p>Pour éviter que cela ne se reproduise, les jeunes portugais vont miser sur une série de principes issus des droits de l’homme, dont celui de l’effectivité. Selon ce postulat, les États ne peuvent rester passifs face à une violation des droits des individus. Pour la Cour, ce principe offrait à l’origine la garantie que les États mettent en œuvre les obligations positives de protection requises par la convention.</p>
<p>Si cette interprétation devait prévaloir dans cette affaire, la décision de la Cour obligerait chacun des 32 États à démontrer qu’ils ont fait tout ce qui était en son pouvoir pour ne pas violer les droits de l’homme des requérants.</p>
<p>La Cour pourrait également choisir d’interpréter l’« effectivité » comme l’« efficacité » des mesures mises en place par les gouvernements pour protéger leurs citoyens. Cela pourrait signifier que la Cour vérifie non seulement que les États disposent d’une législation capable de protéger les droits des individus, mais aussi que les lois en question sont à la hauteur des enjeux de la crise climatique. Cette interprétation pourrait donner une issue favorable aux requérants, en obligeant les États à défendre les mesures spécifiques qu’ils ont prises pour lutter contre le changement climatique. Une telle décision pourrait alors servir de modèle et exercer une influence sur les décisions nationales ou sur les organismes nationaux de défense des droits de l’homme (les institutions nationales des droits de l’homme).</p>
<p>Mais la Cour pourrait aussi se contenter d’un contrôle d’effectivité, qui consisterait à vérifier que les États disposent des outils législatifs pour faire face au changement climatique, sans entrer dans le détail de chaque loi nationale. Une telle approche laisserait aux États leur propre « marge » d’appréciation afin qu’ils contrôlent eux-mêmes leurs systèmes juridiques.</p>
<p>Les avocats pourraient également plaider en faveur d’une interprétation de la convention fondée sur le principe de précaution.</p>
<p>Ce principe ordonne aux parties de prendre des mesures pour éviter qu’une disposition ne soit violée, même dans un contexte d’incertitude. Dans l’affaire actuelle, les autorités politiques ainsi que les administrations devraient alors identifier, évaluer et prendre en considération certains risques climatiques cités par les jeunes plaignants.</p>
<h2>Le défi climatique de la Cour européenne</h2>
<p>Cette affaire constituera sans aucun doute ce que les juristes appellent un « hard case » (affaire difficile en anglais), dans lesquelles les juges doivent trouver un équilibre entre l’équité et le droit. Elle jouera un rôle important dans d’autres requêtes futures concernant le climat.</p>
<p>La Cour européenne prend en moyenne deux ans pour rendre une décision, mais ce délai peut varier en fonction de la complexité de l’affaire. L’arrêt devant être rendu par la Grande Chambre, il ne sera pas possible de faire appel.</p>
<p>La question de l’impact de cet arrêt sur la justice climatique du continent reste également ouverte. La Cour n’aura, par exemple, pas le pouvoir d’annuler ou de modifier les décisions prises par les tribunaux nationaux. Toutefois, elle pourrait renforcer la détermination des États en matière de lutte contre le changement climatique et de protection des droits de l’homme. La France, par exemple, a déjà été contrainte de modifier ses lois sur les écoutes téléphoniques et les conditions de garde à vue à la suite d’arrêts de la CEDH.</p>
<p>Enfin, le verdict de la Cour européenne des droits de l’homme montrera s’il lui revient de demander aux États de rendre des comptes sur leur obligation de se protéger contre une menace mondiale. Au fil du siècle, la cour devra inévitablement évoluer et donner une interprétation plus « verte » de la convention. Il en va de sa capacité à protéger les droits fondamentaux dans un monde au bord de l’épuisement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214420/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marta Torre-Schaub ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans cette affaire historique, de jeunes citoyens de l’UE cherchent à s’inspirer d’une série de principes issus des droits de l’homme, tels que celui de l’effectivité, pour inciter les gouvernements à prendre des mesures efficaces en matière de climat.Marta Torre-Schaub, Directrice de recherche CNRS, juriste, spécialiste du changement climatique et du droit de l’environnement et la santé, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2121262023-08-23T20:27:48Z2023-08-23T20:27:48ZPremière historique : en Équateur, un vote stoppe l’exploitation d’un gisement pétrolier<p>Le pétrole restera sous terre. Suite au référendum du dimanche 20 août, les quelque 13 millions d’Équatoriens en ont décidé ainsi : le pays se passera de la manne financière que représente l’exploitation du Bloc 43, situé en grande partie dans le <a href="https://en.unesco.org/biosphere/lac/yasuni">parc naturel de Yasuni</a> et responsable de 12 % de la production nationale d’or noir du pays.</p>
<p>Si le manque à gagner a été l’argument majoritaire du gouvernement sortant, les défenseurs de l’environnement ont relativisé les chiffres brandis par les responsables politiques. Quand l’entreprise nationale Petroecuador évaluait à 14,5 milliards d’euros les pertes que l’arrêt de ce projet représenterait sur vingt ans, les partisans de l’arrêt de l’exploitation ont, eux, rappelé que ces chiffres ne prenaient pas en compte le caractère très fluctuant des prix du pétrole, les coûts de production, et surtout les dommages causés aux écosystèmes.</p>
<p>Via les urnes, c’est bien la protection de ces derniers et la lutte contre le dérèglement climatique qui semblent avoir triomphé. Or en termes d’environnement, le parc du Yasuni a de quoi impressionner. Considérée comme une réserve de biosphère par l’Unesco, cette partie de la forêt amazonienne située à 250 km à l’est de Quito, la capitale, est également la terre de deux des dernières populations amérindiennes en autarcie volontaire, les Tagaeri et les Taromenane. Le Parc de Yasuni, enfin, abrite en moyenne, sur une parcelle d’un hectare seulement, plus d’espèces de végétaux que toute l’Amérique du Nord.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Végétation dense et luxuriante de la forêt tropicale du parc Yasuni" src="https://images.theconversation.com/files/544232/original/file-20230823-7859-lqld1n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/544232/original/file-20230823-7859-lqld1n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/544232/original/file-20230823-7859-lqld1n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/544232/original/file-20230823-7859-lqld1n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/544232/original/file-20230823-7859-lqld1n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=509&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/544232/original/file-20230823-7859-lqld1n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=509&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/544232/original/file-20230823-7859-lqld1n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=509&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Exemple de diversité de la végétation du parc Yasini.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/94052068@N06/8592937825/in/album-72157633100583430/">Karsten Thomsen/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Depuis 2007, ces terres luxuriantes de l’Équateur sont également protégées par la Constitution, qui reconnaît aux peuples autochtones « la propriété collective de la terre, en tant que forme ancestrale d’organisation territoriale ». De la terre, mais pas de son sous-sol riche en pétrole, propriété de l’État, ce qui a été remis en cause par ce référendum historique.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1693491469896622583"}"></div></p>
<p>La victoire du oui remet sur le devant de la scène une vieille question complexe : comment sortir des énergies fossiles, et en particulier du <a href="https://theconversation.com/fr/topics/petrole-21362">pétrole</a> ? Le problème, c’est que du pétrole il y en a encore beaucoup : les <a href="https://www.polytechnique-insights.com/tribunes/energie/les-immenses-reserves-de-petrole-face-a-lenjeu-de-reduction-de-la-consommation/">réserves estimées</a> sont équivalentes à la quantité totale consommée depuis le début de l’ère de l’or noir, c’est-à-dire la fin du XIX<sup>e</sup> siècle. En juin 2023, la demande journalière mondiale de pétrole a atteint 103 millions de barils, le chiffre le plus élevé de l'histoire.</p>
<p>Des tentatives visant à laisser le pétrole sous terre ont néanmoins émergé ces dernières décennies avec des mouvements de résistance, déjà anciens, à l’exploitation pétrolière, en particulier dans les pays tropicaux, les territoires indigènes et les aires protégées. Avant le vote de cet été, il y eut en Amazonie équatorienne, dès le milieu de la décennie 2000, un projet inédit – dit initiative Yasuni-ITT – d’arrêt de l’exploitation d’un gisement pétrolier, et donc de préservation de l’environnement et de défense des peuples autochtones. C’est ce projet que <a href="https://shs.hal.science/halshs-00969314">nous analysions alors</a>, en mettant en exergue l’hypocrisie constante des pays riches.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<h2>Années 2000 : l’initiative Yasuni-ITT</h2>
<p>Le mouvement écologiste équatorien Acción Ecológica est à l’origine, en 2006, de l’initiative Yasuni-ITT. Son originalité consistait à laisser sous terre environ 20 % des réserves pétrolières du pays. En échange du maintien d’une partie de son stock de carbone en terre et pour assurer un développement plus écologique, l’Équateur demandait à la communauté internationale – au nom du principe de coresponsabilité dans les problèmes environnementaux globaux – une compensation à hauteur de 50 % des revenus qu’il aurait pu tirer de l’exploitation de ce pétrole.</p>
<p>Tous les grands acteurs internationaux se sont défilés. Un fonds fiduciaire avait bien été créé sous les auspices du PNUD (Programme des Nations unies pour le développement), mais il est demeuré une coquille vide. Le projet, présenté à l’OPEP en décembre 2012, dont l’Équateur était alors membre, n’avait pas été retenu. Des États et des régions, essentiellement d’Europe, mais aussi des firmes multinationales, s’étaient vaguement engagés à contribuer au financement de ce fonds.
Mais au printemps 2013, le compte n’y était donc pas. Très loin de ce qui était attendu sur plus d’une décennie par l’Équateur, seul un petit 1 % des sommes nécessaires avait alors été réuni. En butte à de multiples oppositions, non seulement externes mais aussi internes, le projet Yasuni-ITT fut abandonné le 15 août 2013.</p>
<h2>Dix années de batailles internes</h2>
<p>Les batailles juridiques, et les droits consacrés à la nature dans les amendements de la Constitution du pays, n’ont pas non plus réussi à empêcher l’exploitation des champs ITT, dont le permis a finalement été accordé en mai 2014. Mais les années de militantisme des organisations indigènes et écologistes ont fini par obtenir, en mai 2023, la tenue d’un référendum exigé par la Cour constitutionnelle de l’Équateur.</p>
<p>Le projet est ainsi devenu un symbole de la protection des peuples autochtones et de la préservation de la biodiversité. Leonardo DiCaprio a salué le référendum tenu le 20 août 2023 et la victoire du « oui » comme « un exemple de démocratisation de la politique climatique ». Mais bien d’autres champs pétroliers sont toujours en activité dans le parc Yasuni. Et les projets foisonnent, notamment sur le continent africain.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1691604013190382026"}"></div></p>
<h2>L’hypocrisie des pays riches</h2>
<p>La République démocratique du Congo (RDC) a par exemple des projets de mise aux enchères de permis de forages pétroliers. Tosi Mpanu Mpanu, ambassadeur climat de la RDC, ne n'a d'ailleurs pas cherché à dissimuler l’ambition financière cachée derrière cette idée : <a href="https://www.nytimes.com/2022/07/24/world/africa/congo-oil-gas-auction.html">« Notre priorité n’est pas de sauver la planète »</a> mais de faire rentrer des revenus.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1551311522781171713"}"></div></p>
<p>Exemple notoire de « faites ce que je dis, pas ce que je fais », le secrétaire d’État américain <a href="https://www.nytimes.com/2022/08/10/world/africa/blinken-congo-rainforests.html">Anthony Blinken</a>, et <a href="https://www.theguardian.com/environment/2022/nov/01/democratic-republic-of-congo-attacks-west-double-standards-over-oil-and-gas-exploration-aoe">John Kerry</a>, envoyé présidentiel spécial pour le climat, ont publiquement pressé le gouvernement congolais de surseoir à ses projets. Dans le même temps, pourtant, l’administration américaine ne transigeait, elle, aucunement sur sa dépendance à la manne pétrolière en <a href="https://www.npr.org/2021/07/13/1015581092/biden-promised-to-end-new-drilling-on-federal-land-but-approvals-are-up">mettant en vente des centaines de nouveaux permis d’exploration</a> depuis l’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche.</p>
<p>Kenneth Rogoff, professeur d’économie à Harvard, ne fait, à cette égard, preuve d’aucune langue de bois sur <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/climat-les-pays-du-nord-doivent-cesser-leur-hypocrisie-vis-a-vis-du-sud-1961565">l’hypocrisie du Nord à cet égard</a> : « Depuis trop longtemps, les pays riches ont donné des leçons aux économies en développement sur le changement climatique sans se les appliquer à eux-mêmes. »</p>
<h2>Le « Sud global » se rebiffe</h2>
<p>Au sein du <a href="https://theconversation.com/the-global-south-is-on-the-rise-but-what-exactly-is-the-global-south-207959">« Sud global »</a> – un assemblage hétéroclite de pays pour beaucoup non alignés – cette réalité de doubles standards commence à énerver de plus en plus. Tous, emmenés par la Chine, l’Inde, le Brésil, la Russie et l’Afrique du Sud, fustigent les pays riches, qui pratiquent toujours la politique du <a href="https://www.theweek.in/wire-updates/national/2022/11/16/del32-cop27-basic.html">deux poids deux mesures</a> : d’un côté, ils augmentent leur production et leur consommation de pétrole, et, de l’autre, ils pressent les pays émergents et en développement d’en sortir.</p>
<p>Le vote à 59 % des Équatoriens pour l’arrêt de l’exploitation d’un gisement pétrolier dans la réserve emblématique de Yasuni est à cet égard, se félicitent les défenseurs de l'Amazonie, « une victoire historique » contre les stratégies extractivistes des compagnies pétrolières et l’addiction au pétrole des pays du Nord. Mais c'est également une preuve que le Sud peut, sans l’aide ni l’aval des pays du Nord, tracer d’ambitieuses politiques protectrices de l’environnement.</p>
<p>Ce dimanche 20 août, les citoyens de Quito ont également voté à 68 % contre le développement de la mine d’or de <a href="https://fr.unesco.org/biosphere-reserves/ecuador/choco-andino-pichincha">Chocó Andino</a>, réserve de biosphère située 20 kilomètres au nord de la capitale équatorienne.</p>
<p>Concernant l’exploitation pétrolière de Yasuni, le compte à rebours a lui déjà commencé : Petroecuador, la firme pétrolière nationale dispose d’un an pour fermer ses puits, démanteler les infrastructures et restaurer la forêt.</p>
<p>Et pour compenser le manque à gagner de cette perte de revenu issu de l’or noir, un groupe d’économistes favorables à l’arrêt de l’exploitation pétrolière ont proposé <a href="https://news.mongabay.com/2023/08/can-upcoming-referendum-in-ecuador-stop-oil-drilling-in-yasuni-national-park/">diverses pistes</a>, comme lutter contre l’évasion fiscale ou bien imposer davantage les grandes fortunes.</p>
<hr>
<p><em>Nathalie Rousset, docteure en économie, ancienne chargée de programme au Plan Bleu, aujourd’hui consultante, a contribué à la rédaction de ce texte.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/212126/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Damian ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>59 % des votants se sont exprimés en faveur de la fin de l'exploitation du gisement pétrolier du parc national Yasuni, terre de biodiversité et de communautés autochtones.Michel Damian, Professeur honoraire, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2117042023-08-21T15:45:23Z2023-08-21T15:45:23ZJustice climatique : pourquoi la victoire des enfants du Montana crée un précédent important<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/543422/original/file-20230818-21-3rxdd6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=27%2C18%2C5979%2C3989&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dans de nombreux endroits du monde, les citoyens se mobilisent pour lutter contre le dérèglement climatique.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>En juin dernier s’ouvrait le procès de seize jeunes habitants du Montana contre leur État au sujet du dérèglement climatique. Le <a href="https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20230814-proc%C3%A8s-climatique-dans-le-montana-une-victoire-historique-pour-de-jeunes-am%C3%A9ricains">verdict</a>, rendu ce 14 août 2023, leur a donné raison, et pourrait ainsi faire jurisprudence.</p>
<p>L’affaire a débuté par une plainte de seize adolescents en 2020 et est désormais connue sous le nom de <a href="https://climatecasechart.com/case/11091/">« Held versus l’État du Montana »</a>, du nom de Rikki Held, une adolescente de 22 ans ayant grandi dans un ranch confronté aux fléaux des feux de forêt, des températures extrêmes et des sécheresses répétées.</p>
<p>Celle-ci faisait valoir que les politiques énergétiques de son État violaient le droit constitutionnel des jeunes plaignants à « un environnement propre et sain ». Un droit surnommé « amendement vert » et inscrit dans la <a href="https://leg.mt.gov/bills/mca/title_0000/chapters_index.html">Constitution du Montana</a> depuis les années 1970. Les jeunes plaignants affirmaient plus précisément que les lois de l’État encourageant l’extraction de combustibles fossiles et interdisant la prise en compte de ses effets sur le climat lors de l’<a href="https://deq.mt.gov/public/mepa">examen environnemental</a> pour l’attribution de permis donnés à des entreprises d’énergies fossiles, violaient ce droit constitutionnel à un environnement propre et sein.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1691204899940233217"}"></div></p>
<p>La décision de la juge Kathy Seeley en <a href="https://westernlaw.org/wp-content/uploads/2023/08/2023.08.14-Held-v.-Montana-victory-order.pdf">faveur des jeunes</a> crée un puissant précédent concernant le rôle de ces <a href="https://www.ncelenviro.org/issue/green-amendment/">« amendements verts »</a> dans les actions en justice concernant le dérèglement climatique.</p>
<p>Ce procès, qui s’est déroulé devant le tribunal de district du Montana, a été le premier aux États-Unis à s’appuyer sur le droit constitutionnel d’un État à un environnement propre et sain pour contester les politiques de l’État qui alimentent le dérèglement climatique. Au vu du succès rencontré, ce ne sera pas le dernier.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<h2>Qu’est-ce qu’un amendement vert ?</h2>
<p>La Constitution américaine ne possède pas d’amendement vert, mais plusieurs constitutions de ses états en possèdent un.</p>
<p>La Pennsylvanie, le Montana, Hawaï, le Massachusetts et l’Illinois ont par exemple tous modifié leur constitution sous l’influence des mouvements écologistes des années 1970 afin de reconnaître le droit des citoyens à un environnement propre et sain. Car ces amendements sont des dispositions constitutionnelles, ils fonctionnent comme des limites à ce que le gouvernement peut ou ne peut pas faire.</p>
<p>Mais les premières affaires visant à tester ces nouveaux droits constitutionnels en <a href="https://casetext.com/case/payne-v-kassab">Pennsylvanie</a> et dans l’<a href="https://law.justia.com/cases/illinois/supreme-court/1984/56315-7.html">Illinois</a> n’ont guère eu de succès. Dans les années 1990, la Cour suprême de l’Illinois avait ainsi <a href="https://law.justia.com/cases/illinois/supreme-court/1995/76775-7.html">annihilé</a> l’amendement vert de cet état, en assurant que le droit à l’environnement ne constituait pas une base sur laquelle un citoyen pouvait intenter une action en justice.</p>
<p>En 1999, cependant, alors que les amendements verts étaient pratiquement oubliés, une affaire dans le Montana a <a href="https://casetext.com/case/meic-v-dep-of-env-quality">discrètement rappelé</a> le droit constitutionnel de ses habitants à un environnement propre et sain.</p>
<p>L’affaire d’alors avait été portée devant les tribunaux par des groupes locaux de défense de l’environnement qui s’inquiétaient de la qualité de l’eau d’un projet de mine d’or. À l’époque, les lois du Montana permettaient à l’État de délivrer des permis pour des projets qui déverseraient des polluants dans les eaux du Montana sans procéder à un quelconque examen environnemental. La Cour suprême du Montana avait alors estimé qu’une telle loi violait le droit fondamental des habitants à un environnement propre et sain et qu’elle était inconstitutionnelle.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Paysage de foret du Montana" src="https://images.theconversation.com/files/543428/original/file-20230818-21-9ha979.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/543428/original/file-20230818-21-9ha979.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/543428/original/file-20230818-21-9ha979.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/543428/original/file-20230818-21-9ha979.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/543428/original/file-20230818-21-9ha979.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/543428/original/file-20230818-21-9ha979.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/543428/original/file-20230818-21-9ha979.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les forêts du Montana sont confrontées à de nouvelles menaces en raison de l'augmentation des températures. Le pin à écorce blanche, une espèce fondamentale, est de plus en plus menacé par des maladies et des insectes qui, auparavant, ne pouvaient pas prospérer dans l'habitat de haute montagne.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/custer-gallatin-national-forest-beartooth-mountains-2276900613">Shutterstock</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le <a href="https://casetext.com/case/robinson-twp-v-pa-pub-util-commn">second succès</a> d’un amendement vert s’est produit quatorze ans plus tard en Pennsylvanie. Au début des années 2010, cet état avait adopté une loi qui donnait à l’industrie pétrolière et gazière le droit de commencer la <a href="https://www.epa.gov/uog/process-unconventional-natural-gas-production">fracturation hydraulique</a>, ou <a href="https://theconversation.com/fr/topics/fracking-184"><em>fracking</em></a>, n’importe où dans l’État. Cette loi empêchait les autorités locales de prendre des décisions en matière d’aménagement du territoire afin de restreindre ou de limiter la fracturation sur leur territoire. La Cour suprême de Pennsylvanie <a href="https://casetext.com/case/robinson-twp-v-pa-pub-util-commn">a ainsi invalidé</a> cette loi au motif qu’elle violait le droit constitutionnel des Pennsylvaniens à un environnement propre et sain.</p>
<p>Cette décision avait alors déclenché une explosion d’intérêt pour les amendements verts.</p>
<p>À Hawaï, des groupes d’intérêt public ont dans la foulée commencé à contester l’approbation par l’État de la production d’électricité à forte intensité de carbone au motif qu’elle violait le droit des Hawaïens à un environnement propre et sain. Hawaï s’appuie désormais sur son amendement vert pour <a href="https://law.justia.com/cases/hawaii/supreme-court/2023/scot-22-0000418.html">rejeter les nouvelles sources d’électricité à forte intensité de carbone</a></p>
<p>En 2022, <a href="https://nygreen.pace.edu/">New York</a> est devenu le premier État depuis les années 1970 à adopter un amendement vert. Actuellement, l’<a href="https://apps.azleg.gov/BillStatus/BillOverview/79167">Arizona</a>, le <a href="https://www.cga.ct.gov/asp/cgabillstatus/cgabillstatus.asp?selBillType=Bill&bill_num=HJ37&which_year=2023">Connecticut</a>, l’<a href="https://www.legis.iowa.gov/legislation/BillBook?ba=HJR10&ga=90">Iowa</a>, le <a href="https://apps.legislature.ky.gov/record/23rs/hb140.html">Kentucky</a>, le <a href="https://legislature.maine.gov/LawMakerWeb/summary.asp?ID=280086900">Maine</a>, le <a href="https://www.leg.state.nv.us/App/NELIS/REL/82nd2023/Bill/9946/Overview">Nevada</a>, le <a href="https://www.njleg.state.nj.us/bill-search/2022/SCR15">New Jersey</a>, le <a href="http://www.nmlegis.gov/Legislation/Legislation?chamber=H&legType=JR&legNo=4&year=23">Nouveau-Mexique</a>, le <a href="https://wapp.capitol.tn.gov/apps/BillInfo/Default.aspx?BillNumber=HJR0050&ga=113">Tennessee</a>, le <a href="https://capitol.texas.gov/BillLookup/History.aspx?LegSess=88R&Bill=HJR119">Texas</a>, le <a href="https://legislature.vermont.gov/bill/status/2020/PR.9">Vermont</a>, <a href="https://app.leg.wa.gov/billsummary?BillNumber=4205&Year=2021&Initiative=false">Washington</a> et la <a href="http://www.wvlegislature.gov/bill_status/resolution_history.cfm?year=2023&sessiontype=rs&input4=9&billtype=jr&houseorig=h&btype=res">Virginie-Occidentale</a> envisagent d’adopter des amendements verts.</p>
<h2>Succès au Montana</h2>
<p>Ce qui rend le récent procès du Montana d’une ambition sans précédent par rapport aux précédentes tentatives ou victoires qui l’ont précédé, c’est que ce recours en justice ciblait directement l’État et sa responsabilité dans le problème global du dérèglement climatique, dont les effets sont perceptibles au Montana comme ailleurs.</p>
<p>Bien que les avocats de l’État aient affirmé que le Montana n’avait qu’une faible responsabilité et aucun impact significatif sur le changement climatique mondial, l’avocat des plaignants a fait valoir que le Montana avait mené une politique énergétique désastreuse. La juge a elle déterminé que le Montana était responsable du rejet de 166 millions de tonnes de CO<sub>2</sub> dans l’atmosphère chaque année, soit l’équivalent de pays comme l’Argentine (47 millions d’habitants), les Pays-Bas (18 millions d’habitants) ou le Pakistan (248 millions d’habitants). À titre de comparaison, le Montana ne compte qu’un million d’habitants.</p>
<p>Sur la base des nombreuses preuves scientifiques présentées lors du procès en juin, la juge Seeley a donc conclu que les jeunes du Montana subissaient effectivement les effets du changement climatique qui se produit dans le Montana et que ces effets pouvaient être attribués à la loi de l’État que les plaignants ont contestée.</p>
<p>La juge Seeley a également estimé que le fait de déclarer inconstitutionnelle la loi de l’État interdisant la prise en compte des incidences sur le climat lors de l’évaluation environnementale permettrait d’atténuer davantage les préjudices subis par les jeunes. C’est sur cette base qu’elle a déclaré la loi de l’État inconstitutionnelle.</p>
<p>Ce résultat constitue un précédent inédit en matière de litiges climatiques et démontre une nouvelle façon d’invoquer les amendements verts pour obtenir des changements environnementaux. Il suggère que dans d’autres États dotés d’amendements verts, les lois nationales ne peuvent pas interdire la prise en compte des émissions de gaz à effet de serre et de leur impact sur le climat dans le cadre de l’évaluation environnementale.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Pancarte avertissant sur le danger des feux de forets, avec derrière une montagne et de la fumée" src="https://images.theconversation.com/files/543430/original/file-20230818-27-6dhqe6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/543430/original/file-20230818-27-6dhqe6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/543430/original/file-20230818-27-6dhqe6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/543430/original/file-20230818-27-6dhqe6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/543430/original/file-20230818-27-6dhqe6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/543430/original/file-20230818-27-6dhqe6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/543430/original/file-20230818-27-6dhqe6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La fumée des incendies de forêt est devenue un élément indésirable de la vie estivale et automnale dans certaines régions du Montana.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/troy-montana-july-17-2021-extreme-2009686334">Dan Van Pelt</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Mais dans l’affaire présente Held versus l’État du Montana, la juge Seeley avait clairement indiqué, bien avant le procès, <a href="https://climatecasechart.com/case/11091/">qu’elle n’avait pas le pouvoir d’ordonner</a> à l’État d’élaborer un plan correctif pour lutter contre le changement climatique.</p>
<p>En outre, la législature du Montana <a href="https://www.desmog.com/2023/04/03/montana-repeals-state-energy-policy-as-climate-trial-nears/">a abrogé</a> les politiques de l’État en faveur de l’extraction des combustibles fossiles deux mois seulement avant le début du procès, et un juge ne peut généralement pas se prononcer sur la constitutionnalité d’une loi abrogée. Par conséquent, la question de savoir si les politiques de l’État en faveur de l’extraction des combustibles fossiles violaient le droit constitutionnel des citoyens à un environnement propre et sain est une question qui se posera un autre jour et dans une autre affaire.</p>
<p>Une porte-parole du procureur général du Montana a également déclaré que <a href="https://apnews.com/article/climate-change-youth-montana-trial-c7fdc1d8759f55f60346b31c73397db0">l’État prévoyait de faire appel</a> de la décision de la juge Seeley.</p>
<h2><strong>Impact sur les litiges fédéraux relatifs au climat</strong></h2>
<p>Personne ne sait encore comment ce jugement historique du Montana influera un autre procès médiatique de jeunes, qui demandent eux des comptes concernant l’inaction climatique américaine à l’échélon national. Ce procès intenté en 2015 par 21 jeunes et le climatologue James Hansen vise directement les… tats-Unis et plusieurs responsables du pouvoir exécutif, en assurant que le gouvernement a violé leur droit à la vie garanti notamment par le cinquième et neuvième amendement et la common law, ainsi que son devoir souverain de protection ses citoyens en encourageant et en autorisant la combustion de combustibles fossiles.</p>
<p>Car la Constitution américaine ne possède pas d’« amendement vert » dans la Constitution américaine, ce procès, baptisé <a href="https://climatecasechart.com/case/juliana-v-united-states/">l’affaire Juliana (nom de famille d’une plaignante) versus États-Unis</a>, s’appuie notamment sur le neuvième et cinquième amendement de la Constitution des États-Unis, ainsi que sur la doctrine de la <a href="https://ir.law.fsu.edu/articles/719/">confiance publique de la common law</a>. Le neuvième et cinquième amendement n’ont toutefois jamais été interprétés comme un droit environnemental assimilable à un amendement vert. Toutefois, la doctrine de la confiance publique <a href="https://casetext.com/case/foundation-v-commonwealth-6?q=161%20A.3d%20911&sort=relevance&p=1&type=case">a été prise en compte dans la jurisprudence de certains États en matière d’amendements verts</a></p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1636475287583051781"}"></div></p>
<p>Dans les États qui disposent d’amendements verts, les défenseurs du climat s’appuieront certainement sur l’affaire des jeunes du Montana lorsqu’ils contesteront les lois des États qui empirent le dérèglement climatique.</p>
<p>Ces dernières années, nous avons assisté à une érosion de nos lois environnementales par le biais de la <a href="https://www.nytimes.com/interactive/2020/climate/trump-environment-rollbacks-list.html">politique</a> et des <a href="https://www.supremecourt.gov/opinions/21pdf/20-1530_n758.pdf">tribunaux</a>. Cela a alimenté de <a href="https://news.climate.columbia.edu/2021/04/22/rights-of-nature-lawsuits/">nouvelles revendications juridiques de droits environnementaux aux États-Unis</a>, au <a href="https://theconversation.com/court-decision-in-youth-climate-lawsuit-against-ontario-government-ignites-hope-206275">Canada</a> et dans d’autres pays.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/211704/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Amber Polk ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L'affaire repose sur le droit constitutionnel du Montana à « un environnement propre et sain ». Un droit similaire existe dans d'autres États ; d'autres procès pourraient donc suivre.Amber Polk, Assistant Professor of Law, Florida International UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2070352023-06-11T16:19:15Z2023-06-11T16:19:15ZAffaire Grande-Synthe : doit-on s’inquiéter pour l’avenir de la justice climatique en France ?<p><a href="https://theconversation.com/plainte-de-grande-synthe-pour-inaction-climatique-pourquoi-la-decision-du-conseil-detat-fera-date-150654"> La saga judiciaire</a> autour de l’<a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-justice-climatique-proces-et-actions-149750">affaire climatique</a> de Grande-Synthe se poursuit. </p>
<p>Pour rappel, après avoir déposé un recours gracieux en novembre 2018 – resté sans réponse – auprès du gouvernement pour demander à la France d’intensifier sa lutte contre le changement climatique, Damien Carême, le maire de Grande-Synthe, commune des Hauts-de-France particulièrement exposée aux risques de submersion marine et d’inondation, avait <a href="https://theconversation.com/plainte-de-grande-synthe-pour-inaction-climatique-pourquoi-la-decision-du-conseil-detat-fera-date-150654">décidé en 2019 de saisir le Conseil d’État</a>. Une initiative soutenue par la ville de Paris et les quatre ONG parties prenantes de <a href="https://climate.law.columbia.edu/events/grande-synthe-decisions-conversation-judges-french-council-state">l’Affaire du siècle</a>. </p>
<p>Cette plainte auprès de la haute juridiction visait « l’inaction climatique » des dirigeants français. Les décisions Grande-Synthe I et II, rendues respectivement en <a href="https://theconversation.com/plainte-de-grande-synthe-pour-inaction-climatique-pourquoi-la-decision-du-conseil-detat-fera-date-150654">novembre 2020</a> et <a href="https://www.lagazettedescommunes.com/867401/affaire-grande-synthe-le-conseil-detat-pose-un-ultimatum-au-30-juin-2024/">juillet 2021</a>, avaient suscité l’enthousiasme.</p>
<h2>Une nouvelle décision</h2>
<p>Ce <a href="https://www.conseil-etat.fr/actualites/emissions-de-gaz-a-effet-de-serre-le-gouvernement-doit-prendre-de-nouvelles-mesures-et-transmettre-un-premier-bilan-des-cette-fin-d-annee">10 mai 2023</a>, une troisième décision est tombée. La haute juridiction enjoint à nouveau le gouvernement à prendre toutes mesures supplémentaires utiles pour assurer la cohérence du rythme de diminution des émissions de gaz à effet de serre avec la trajectoire de réduction de ces émissions retenue par le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000041814459">décret du 21 avril 2020</a>. Et ce en vue d’atteindre les objectifs de diminution fixés par le code de l’énergie et par le <a href="https://aida.ineris.fr/reglementation/reglement-ue-2018842-parlement-europeen-conseil-300518-relatif-reductions-annuelles#:%7E:text=r%C3%A9ductions%20an%E2%80%A6-,R%C3%A8glement%20(UE)%202018%2F842%20du%20Parlement%20Europ%C3%A9en%20et%20du,accord%20de%20Paris%20et%20modifiant">règlement (UE) du 30 mai 2018</a> avant le 30 juin 2024.</p>
<p>Le gouvernement doit également produire, à échéance du 31 décembre 2023 puis au plus tard le 30 juin 2024, tous les éléments justifiant de l’adoption de ces mesures et permettant l’évaluation de leurs incidences sur ces objectifs de baisse des émissions de gaz à effet de serre. </p>
<p>Cette décision constate l’inexécution de la précédente, <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/07/01/climat-le-conseil-d-etat-donne-neuf-mois-au-gouvernement-pour-inflechir-sa-politique_6086499_3244.html">rendue le 1ᵉʳ juillet 2021</a>. </p>
<p>Dénuée d’astreinte, cette nouvelle injonction du 10 mai dernier peut décevoir, puisque le gouvernement ne sera pas retoqué pour son retard.</p>
<h2>Décision insuffisante</h2>
<p>Si l’on place cette décision dans un double contexte, international et national, l’effet relatif que ce contentieux a pour l’instant sur les politiques climatiques du gouvernement peut surprendre. </p>
<p>Sur le plan international, la multiplication du nombre des contentieux climatiques et la synthèse du 6<sup>e</sup> rapport du GIEC qui souligne le rôle important de ces actions en justice sur la gouvernance mondiale du climat, invitent à considérer <a href="https://theconversation.com/la-montee-en-puissance-dune-justice-climatique-mondiale-105867">ce type de procès</a> comme des accélérateurs des politiques publiques climatiques. Si l’on percevait en France le phénomène comme une révolution judiciaire, la dernière décision de Grande-Synthe jette un froid sur ces perspectives.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>La question climatique constitue une urgence planétaire tout en soulevant de clivages et tensions au sein de la société et du gouvernement lui-même. Le Conseil d’État avait donc ici une nouvelle occasion de se démarquer et de se montrer le gardien de l’activité ou inactivité de l’administration en matière de politiques climatiques. C’est ce qu’il avait fait lors de décisions Grande-Synthe I et II. </p>
<h2>Des juges peu pressés</h2>
<p>Cette fois-ci, il a au contraire préféré se montrer bienveillant avec le gouvernement et ne pas lui imposer de sanction. </p>
<p>Alors même que le Conseil d’État a souligné à plusieurs reprises que son office consistait à examiner l’obligation du gouvernement d’honorer une injonction, cette tâche semble incomplète. La décision du 10 mai 2023 met en effet en évidence que le gouvernement n’a pas fait ce qui lui avait été ordonné, justifiant ce manquement par des <a href="https://www.conseil-etat.fr/actualites/emissions-de-gaz-a-effet-de-serre-le-gouvernement-doit-prendre-de-nouvelles-mesures-et-transmettre-un-premier-bilan-des-cette-fin-d-annee">raisons fondées sur des hypothèses incertaines</a>. </p>
<p>Mais la décision n’explique pas pourquoi le Conseil d’État préfère s’autolimiter. Si les juges paraissent avoir intégré que l’affaire de Grande-Synthe concerne l’avenir et la capacité de la France à respecter son calendrier de réduction des émissions, ils ne semblent pas pour autant pressés de vouloir accélérer la cadence du gouvernement. </p>
<p>Au vu de ce contexte, trois éléments nous paraissent particulièrement intéressants. </p>
<h2>Un constat d’inexécution</h2>
<p>En premier lieu, le Conseil d’État dresse le constat d’une inexécution de la décision Grande Synthe-II du 1<sup>er</sup> juillet 2021 qui visait l’objectif de réduction d’émissions de 2030. Le gouvernement devait justifier que les mesures prises, ainsi que les mesures qui peuvent encore être raisonnablement adoptées pour produire des effets dans un délai assez court, rendraient possible une courbe des émissions de GES compatible avec l’atteinte des objectifs fixés à l’échéance 2030.</p>
<p>Au terme de l’analyse, le Conseil estime que si des éléments crédibles et étayés permettent de regarder la trajectoire d’atteinte de ces objectifs comme respectée, il pourrait clore le contentieux. Au vu de ces éléments, le Conseil considère « qu’il existe des risques majeurs persistants de ne pas atteindre les objectifs fixés pour 2030 ». </p>
<p>Si « les objectifs de réduction des émissions fixés pour les années 2020, 2021 et 2022… ont été ou pourraient être atteints » (<em>Rapport annuel du HCC 2021, p.p.140-150</em>), ces résultats doivent être replacés dans le contexte de l’assouplissement des buts assignés au deuxième budget carbone ainsi que de la baisse très significative des émissions constatées en 2020. </p>
<p>Il conclue ainsi « qu’il y a lieu, en l’état, de compléter l’injonction… en édictant… les mesures complémentaires nécessaires pour en assurer l’exécution totale, sans qu’il soit besoin par ailleurs de prononcer une astreinte ».</p>
<h2>Pas d’astreinte à ce stade…</h2>
<p>Deuxième point de la décision, malgré le constat d’inexécution et alors même qu’une nouvelle injonction de faire sera ordonnée pour la deuxième fois par la haute juridiction, les juges se refusent cependant à exiger une astreinte. Deux raisons l’expliquent.</p>
<p>L’une tient au contentieux lui-même et au concept du juge de l’exécution que le Conseil d’État incarne. Sa démarche doit en effet tenir compte du comportement de l’administration, en recherchant la meilleure façon de parvenir à l’entière exécution. Pour eux, une astreinte est un constat d’échec de l’effectivité des décisions juridictionnelles, nullement un palliatif à leur nécessaire exécution. Les juges se tiendront à une nouvelle injonction sans aller jusqu’à ordonner d’astreinte. </p>
<p>L’autre explication s’ancre dans la nature même des normes climatiques devant être appliquées et respectées. La décision expose que « … ces éléments doivent être regardés comme manifestant la volonté du gouvernement d’atteindre les objectifs de réduction des émissions fixés en l’état à l’échéance 2030 et d’exécuter, ce faisant, la décision du 1<sup>er</sup> juillet 2021… ». </p>
<p>Contrairement aux contentieux <a href="https://www.conseil-etat.fr/actualites/pollution-de-l-air-le-conseil-d-etat-condamne-l-etat-a-payer-10-millions-d-euros">sur la pollution de l’air</a>, les juges préféreront faire confiance au gouvernement et observer dans les actions de ce dernier une « volonté » de parvenir aux objectifs, plutôt qu’y voir de la procrastination ou un défaut de (bon) pilotage de politiques climatiques.</p>
<h2>Une justice climatique qui patine ?</h2>
<p>Enfin, la décision du dernier mai interroge : compte tenu de l’absence d’astreinte, le gouvernement se sent-il vraiment sous pression, comme semblaient le présager les <a href="https://theconversation.com/les-proces-climatiques-gagnent-la-france-quatre-initiatives-a-suivre-de-pres-109543">premiers contentieux climatiques</a> ? Car cet épisode s’ancre dans une série de contentieux climatiques qui donnaient jusqu’ici le sentiment que la justice climatique pourrait réellement contribuer à accélérer le rythme de diminution d’émissions de GES.</p>
<p>Les premières décisions de Grande-Synthe laissaient en effet l’espoir en actant l’acceptation par la haute juridiction de la <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/07/01/climat-le-conseil-d-etat-donne-neuf-mois-au-gouvernement-pour-inflechir-sa-politique_6086499_3244.html">requête de la commune de Grande-Synthe et des parties requérantes</a>. Elles avaient aussi fait reconnaître la force normative des documents attenants à la programmation climatique (la stratégie nationale bas carbone).</p>
<p>L’affaire du siècle I et II, quant à elles, avaient obtenu la reconnaissance d’un préjudice climatique du fait d’une altération de l’atmosphère <a href="https://theconversation.com/decryptage-juridique-de-l-affaire-du-si%C3%A8cle-155053">à cause des émissions de GES</a>. Le tribunal administratif de Paris avait retenu la responsabilité de l’État pour préjudice écologique pur, causé par l’inaction de l’État dans sa lutte contre le changement climatique <a href="https://www.lemonde.fr/climat/article/2021/10/14/l-affaire-du-si%C3%A8cle-la-justice-demande-au-gouvernement-de-reparer-le-prejudice-ecologique-dont-il-est-responsable_6098357_1652612.html">pour la période 2015-2018</a>, lequel était ainsi considéré responsable d’un mauvais pilotage des politiques climatiques. </p>
<p>Plutôt que de continuer à tracer ce sillon encourageant, la décision Grande-Synthe III revient d’une certaine façon en arrière, du moins semble mettre un coup de frein aux ambitions de la justice climatique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207035/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marta Torre-Schaub ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La récente décision du Conseil d’État sur l’affaire climatique de Grande-Synthe est une déception pour ceux qui misent sur la justice climatique pour accélérer la baisse des émissions.Marta Torre-Schaub, Directrice de recherche CNRS, juriste, spécialiste du changement climatique et du droit de l’environnement et la santé, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2031352023-06-05T15:47:12Z2023-06-05T15:47:12ZJustice climatique : ce nouveau front ouvert par les petits États insulaires à l’ONU<p>Le mercredi 29 mars 2023, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté par consensus une résolution par laquelle elle <a href="https://press.un.org/fr/2023/ag12497.doc.htm">sollicite l’avis de la Cour internationale de Justice (CIJ)</a> sur les obligations étatiques en matière de changement climatique. La soumission du texte, portée par le Vanuatu, marque une étape décisive d’un point de vue juridique et politique.</p>
<p>Juridiquement d’abord, la <a href="https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/LTD/N23/063/83/PDF/N2306383.pdf">résolution</a> pose deux questions très générales à la CIJ, principal organe judiciaire des Nations unies.</p>
<p>À moins qu’elle ne mette en œuvre son pouvoir discrétionnaire pour ne pas répondre, ce qui est peu probable, la Cour sera amenée à se prononcer sur les obligations des États en matière de lutte contre le changement climatique « pour les États et les générations futures », mais aussi sur les conséquences juridiques en découlant pour ceux qui auraient violé ces obligations.</p>
<p>Autrement dit, est soulevée la délicate question de la responsabilité des émetteurs de gaz à effet de serre vis-à-vis des dommages causés aux autres États, en particulier aux petits États insulaires en développement, ainsi qu’aux peuples et individus touchés par leurs effets.</p>
<p>Politiquement, l’adhésion collective autour du texte est un signal fort, qui a certes ses limites. Elle est en même temps emblématique de la nouvelle visibilité de l’espace océanien, et d’un glissement narratif : <a href="https://media.un.org/fr/asset/k1g/k1g96fgbeu">ceux qui vivent l’« enfer climatique »</a> deviennent les acteurs qui poussent vers le changement.</p>
<h2>L’incroyable campagne des étudiants du Pacifique</h2>
<p>L’approbation de l’Assemblée générale est d’abord une victoire de la société civile ; hasard du calendrier, s’ouvraient d’ailleurs le même jour devant la CEDH les audiences d’une autre affaire, celle des « retraitées suisses » <a href="https://www.france24.com/fr/plan%C3%A8te/20230329-climat-la-cedh-examine-des-requ%C3%AAtes-contre-la-france-et-la-suisse-une-premi%C3%A8re">du groupe <em>Aînées pour la protection du climat</em></a>.</p>
<p>Tout a commencé il y a quatre ans dans une salle de cours de l’Université du Pacifique, sur le campus de Port-Vila, capitale du Vanuatu. Quelques étudiants, aidés de leurs encadrants, reprennent alors le projet avorté de Palau et des îles Marshall, qui avaient tenté en 2011 de porter le dossier <a href="https://news.un.org/en/story/2011/09/388202">devant la haute juridiction internationale</a>.</p>
<p>Une décennie après, le contexte est plus favorable et, surtout, la campagne de l’<a href="https://www.pisfcc.org/">Association des étudiants des îles du Pacifique luttant contre le changement climatique</a> est menée de façon particulièrement active. La détermination des intéressés n’est pas un exercice de style, dans une partie du monde où les effets du changement climatique sont déjà ressentis de longue date.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/LxRnj5dIEN0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">L’ONU adopte une résolution marquant un pas de plus pour la justice climatique. Source : France 24, le 29 mars 2023.</span></figcaption>
</figure>
<h2>Une pétition reprise par le Vanuatu</h2>
<p>Le Vanuatu, petit État insulaire mélanésien, est particulièrement exposé aux désastres, comme l’a tragiquement rappelé l’actualité cette année (l’état d’urgence a dû être déclaré à la suite du passage en deux jours des <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/nouvellecaledonie/deja-en-etat-d-urgence-le-vanuatu-fait-le-bilan-apres-le-passage-du-cyclone-kevin-1371858.html">cyclones Judy et Kevin</a> en mars 2023).</p>
<p>Le gouvernement du Vanuatu reprend alors la pétition de ces jeunes au niveau interétatique. Lors de leur 51<sup>e</sup> rencontre organisée à Suva (Fiji), en juillet 2022, les membres du Forum des îles du Pacifique (FIP) appuient officiellement la <a href="https://www.forumsec.org/2022/07/17/report-communique-of-the-51st-pacific-islands-forum-leaders-meeting/">demande auprès de l’ONU</a>, et finissent par rallier la majorité des États de la planète.</p>
<p>C’est la première fois qu’une résolution sollicitant un avis de la CIJ est adoptée par consensus, et, à l’heure de la crise du multilatéralisme, cette cohésion n’est pas anodine. Sa portée doit toutefois être précisée.</p>
<h2>Clarifier les obligations des États</h2>
<p>L’<a href="https://www.un.org/fr/about-us/un-charter/chapter-14">article 96 de la Charte des Nations unies</a> prévoit que l’Assemblée générale ou le Conseil de sécurité « peut demander à la Cour internationale de justice un avis consultatif sur toute question juridique ».</p>
<p>Ces avis, rendus dans le cadre de la compétence consultative de la Cour, n’ont pas de force juridique obligatoire, mais ne sont pas pour autant dénués d’effet. Ils bénéficient d’une très haute autorité morale et participent au développement du droit en donnant des éléments essentiels d’interprétation.</p>
<p>En l’occurrence, la Cour pourrait se prononcer dans les deux années qui viennent, et ainsi permettre d’expliciter les obligations des États en matière de changement climatique, notamment leur obligation de coopération.</p>
<p>Le but en outre est d’influencer les positions des parties lors des négociations dans le cadre du régime du climat, contribuer à doper les ambitions et fournir des arguments juridiques aux États les plus vulnérables. Un tel avis est également susceptible de clarifier l’articulation entre le droit du climat et d’autres pans du droit international, en particulier celui de la protection des droits humains, ou encore celui du droit de la mer.</p>
<p>Le texte de la résolution fait en effet référence, non pas seulement à la Convention-cadre de l’ONU sur le climat et à l’Accord de Paris, mais aussi à une variété d’instruments, comme les Pactes de 1966 – portant respectivement sur les <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/histoire/peinedemort/pacte-international-droits-civils-et-politiques.asp">droits civils et politiques</a> et sur les <a href="https://treaties.un.org/pages/ViewDetails.aspx?src=IND&mtdsg_no=IV-3&chapter=4&clang=_fr">droits économiques, sociaux et culturels</a> –, ou la <a href="https://treaties.un.org/pages/ViewDetailsIII.aspx?src=TREATY&mtdsg_no=XXI-6&chapter=21&Temp=mtdsg3&clang=_fr">Convention de Montego Bay</a>.</p>
<h2>Risque de résistances</h2>
<p>En outre, plus l’opinion des juges sera précise et étayée, plus elle sera à même d’avoir une effectivité au niveau national, en étant reprise par des juges internes, notamment lorsqu’ils sont saisis par la société civile sur les questions climatiques.</p>
<p>Un avis de la CIJ ne pourra pas tout et les initiateurs du projet en sont eux-mêmes parfaitement conscients, comme en témoigne l’allocution du Premier ministre du Vanuatu <a href="https://news.un.org/en/story/2023/03/1135142">Alatoi Ishmael Kalsakau</a>.</p>
<p>En premier lieu, consensus ne veut pas dire unanimité des points de vue. Ce fut une bonne surprise de constater que les États-Unis, dont on craignait, tout comme pour la Chine, qu’ils sollicitent un vote formel, ne s’y soient pas opposés.</p>
<p>Le représentant américain, <a href="https://media.un.org/fr/asset/k1g/k1g96fgbeu">dans la prise de parole ayant suivi l’adoption du texte</a>, a néanmoins fait remonter les « très sérieuses préoccupations » de son gouvernement, arguant qu’un processus judiciaire pourrait compliquer les efforts collectifs, au détriment des voies diplomatiques.</p>
<h2>Le risque de réponses trop « molles »</h2>
<p>En second lieu, la tâche des juges ne va pas être simple. Les 26 avis rendus par la CIJ, le dernier en date étant relatif à <a href="https://www.lepoint.fr/monde/la-cij-rend-son-avis-sur-l-archipel-des-chagos-25-02-2019-2296045_24.php">l’archipel des Chagos</a>, ont connu un succès variable, du fait des contextes politiques entourant ces affaires, mais aussi parce que les réponses apportées… dépendent des questions posées.</p>
<p>En l’occurrence, celles qui sont soumises par la résolution sont particulièrement larges. D’abord formulées par les conseils juridiques, elles passent ensuite le filtre des modifications discutées par les membres onusiens soutenant le texte, et sont ainsi le résultat de compromis.</p>
<p>Elles laissent de ce fait une marge d’action aux juges de La Haye, qui pourront y donner plus ou moins de substance. Or, des réponses trop « molles » vis-à-vis des obligations étatiques en matière de climat, pourraient avoir des effets délétères, et donc contraires à l’objectif poursuivi.</p>
<p>Le dernier risque est celui du télescopage des procédures, deux autres juridictions internationales ayant été récemment sollicitées.</p>
<h2>Télescopage des procédures ?</h2>
<p>En décembre 2022, le Tribunal international du droit de la mer (TIDM) a été saisi d’une <a href="https://www.itlos.org/fileadmin/itlos/documents/cases/31/Cover_Letter_TR.pdf">demande d’avis</a> par la Commission des petits États insulaires sur le changement climatique et le droit international – créée précisément par Tuvalu et Antigua-et-Barbuda pour pouvoir solliciter le Tribunal –, sur les obligations étatiques de protection du milieu marin, en lien avec le changement climatique, au regard de la Convention du droit de la mer.</p>
<p>En janvier 2023, la Colombie et le Chili ont <a href="https://www.corteidh.or.cr/docs/opiniones/soc_1_2023_es.pdf">sollicité un avis</a> de la Cour interaméricaine des droits de l’Homme sur les obligations étatiques en matière de lutte contre l’urgence climatique, au regard du droit international des droits humains. Ces interventions pourraient utilement se compléter, mais elles pourraient aussi, dans une certaine mesure, et au vu des calendriers, diverger sur certains points.</p>
<p>En poussant l’ONU à faire un pas important pour la justice climatique, les voix du Pacifique et celles qui les ont rejointes ont choisi de croire que la <a href="https://www.lawfareblog.com/climate-change-advisory-opinion-requests-risk-and-reward">balance bénéfices-risques leur était favorable</a>. Quoiqu’on ne puisse qu’en avoir des attentes raisonnables, la perspective de la CIJ sur le défi du siècle pourrait bien constituer une contribution non négligeable.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203135/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Géraldine Giraudeau ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En saisissant fin mars 2023 la Cour internationale de Justice, les petits États insulaires du Pacifique intensifient leur lutte contre le réchauffement. Que peut-on attendre de cette initiative ?Géraldine Giraudeau, Professeure de droit public, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2022202023-03-23T11:40:31Z2023-03-23T11:40:31ZProcès climatiques : attaquer les multinationales en justice, est-ce vraiment utile ?<p>Février 2023 aura été le mois de deux défaites judiciaires en matière climatique. </p>
<p>La première concerne le constructeur automobile allemand VW : par un jugement du 14 février, dans la droite ligne de deux autres jugements rendus en faveur de Mercedes et BMW, le tribunal régional de Braunschweig a rejeté l’action <a href="https://www.jonesday.com/en/insights/2023/02/german-court-dismisses-climaterelated-lawsuit">engagée par l’association Greenpeace</a> ; cette dernière sollicitait du juge l’interdiction de vente des véhicules thermiques à partir de 2030 et la réduction de ses émissions de gaz à effet de serre de 65 % (par rapport à 2018).</p>
<p>Pour l’autre, il s’agit de <a href="https://blog.leclubdesjuristes.com/le-projet-petrolier-en-ouganda-et-tanzanie-des-filiales-de-totalenergies-partie-remise-pour-le-premier-jugement-sur-le-devoir-de-vigilance-par-mathilde-hautereau-boutonnet/">l’entreprise énergétique française TotalÉnergies</a>. Par deux jugements du 28 février 2023, le tribunal judiciaire de Paris a déclaré irrecevables les demandes formées par six associations de protection de l’environnement et de défense des droits de l’homme (Les Amis de la Terre, Survie et quatre ONG ougandaises). L’objet de cette saisie concernait le mégaprojet de développement pétrolier Eacop et Tilenga, mené par les filiales de TotalEnergies en Ouganda et en Tanzanie, avec la construction d’un oléoduc de 1500 km et de 400 puits situés en partie sur un parc national et émetteur de 30 millions de tonnes de gaz à effet de serre par an. </p>
<p>Loin d’être anodines, ces décisions posent la question suivante : les <a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-justice-climatique-proces-et-actions-149750">procès</a> contre les multinationales engagés pour lutter contre le réchauffement climatique sont-ils vraiment utiles ? Permettent-ils de <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-science-cqfd/total-c-est-de-la-bombe-climatique-2295876">faire avancer la cause climatique</a> ?</p>
<h2>L’émergence des procès climatiques</h2>
<p>La multiplication et densification des <a href="https://theconversation.com/la-montee-en-puissance-dune-justice-climatique-mondiale-105867">« procès climatiques »</a> à travers le monde <a href="https://wedocs.unep.org/bitstream/handle/20.500.11822/34818/GCLR.pdf">atteste de leur succès</a>. </p>
<p>Nés aux États-Unis il y a une quinzaine d’années, ces initiatives qui se comptent par milliers et concernent surtout les États, visent aujourd’hui de plus en plus les multinationales qui, de par leur activité et celles de leurs filiales, <a href="https://theconversation.com/podcast-defis-climatiques-la-justice-un-outil-de-plus-en-plus-efficace-193344">sont fortement émettrices de gaz à effet de serre</a>. </p>
<p>Leur finalité est claire : obtenir du juge des condamnations leur imposant de réduire leurs émissions. </p>
<p>De ce fait, si les <em>carbon majors</em>, telles les entreprises productrices de charbon (American Electric Power, RWE…) et de pétrole (ExxonMobil, BP, Shell, TotalÉnergies…), sont majoritairement visées, c’est maintenant au tour des grands groupes de distribution alimentaire (le groupe Casino en France), des constructeurs automobiles (Wolkswagen, BMW, Mercedes) et des banques (BNP Paribas) d’être mis sur le banc des accusés aux côtés des administrateurs d’entreprises (comme ceux de Shell au Royaume-Uni). </p>
<p>Mais les chiffres sont là : sur une cinquantaine de litiges dans le monde, seul un a emporté la conviction des juges (en première instance) ! Il s’agit de l’affaire Shell qui, à la suite de l’action en justice engagée par l’association de protection de l’environnement Milieudefensie, a été condamnée par le tribunal de La Haye, le 26 mai 2021, à renforcer ses mesures de réduction d’émissions de gaz à effet de serre à hauteur de 45 % avant la fin de 2030 (par rapport à 2019).</p>
<h2>Un pari risqué et rarement gagnant</h2>
<p>Certes, pour les ONG, l’espoir n’est pas perdu. Un certain nombre d’affaires attendent encore d’être jugées ou rejugées et de nouvelles actions se profilent, chaque jour apportant son lot de critiques relatives à la politique climatique des multinationales et, avec elles, une diversification des fondements juridiques à mobiliser. </p>
<p>Toutefois, les arguments développés par les défendeurs et les juges à l’occasion des procès ne rendent pas les choses faciles : pointant du doigt, selon le droit applicable au litige, l’absence d’intérêt à agir des associations, l’incompétence du juge, les limites de ses pouvoirs, ou encore la légalité du comportement du défendeur, les solutions montrent que le procès – institution ayant pour fonction de trancher le litige et, à son terme, de rétablir le droit méconnu –, n’est pas nécessairement la voie leur permettant de remporter la victoire.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-ecocide-200604">« L’envers des mots » : Écocide</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Pire encore, outre qu’en cas de victoire rien ne dit que la condamnation sera suivie d’effectivité (voire d’efficacité si elle demeure isolée et ne concerne qu’un émetteur parmi d’autres), le temps du procès est long et la condamnation pourrait s’avérer trop tardive au regard de l’urgence que suscite l’enjeu climatique. </p>
<p>Enfin, l’on ne peut ignorer leurs possibles effets contre-productifs, dont on voit déjà les traces, telle la délocalisation des sociétés mères dans des États supposés plus protecteurs des multinationales (à l’instar du groupe Shell, dorénavant domicilié à Londres) et l’intervention du législateur en leur faveur (comme le montre la proposition de directive de l’Union européenne sur le devoir de vigilance des sociétés mères excluant les banques de son champ d’application).</p>
<h2>Une justice qui sait se montrer audacieuse</h2>
<p>La tentation est alors grande de conclure à l’inutilité des procès climatiques. Et de prendre acte du jugement du tribunal judiciaire de Paris du 28 février 2023 dans l’affaire TotalÉnergies qui, pour reprocher aux ONG de ne pas l’avoir correctement mis en demeure de répondre à ses obligations légales, les invite à privilégier la voie du dialogue et de la résolution amiable. </p>
<p>Ce serait pourtant faire fi de deux éléments déterminants : la capacité pour le juge à rendre des décisions novatrices et le retentissement de ces actions en justice sur le terrain médiatique. </p>
<p>Par le passé, l’audace du juge judiciaire aura montré sa capacité à rendre des décisions novatrices susceptibles de répondre à des enjeux environnementaux majeurs. </p>
<p>Au XIX<sup>e</sup> siècle, cette capacité aura mis en lumière la nécessité de lutter contre les nuisances industrielles, en créant la théorie du trouble anormal de voisinage. Et celle de mieux réparer les atteintes à l’environnement en reconnaissant, au début du XXI<sup>e</sup> siècle, le préjudice écologique (comme dans l’affaire de l’Erika). </p>
<p>Elle pourrait donc, comme le juge administratif l’a fait récemment dans l’« Affaire du siècle » <a href="https://journals.openedition.org/revdh/11141">à l’encontre de l’État français</a>, faire peser sur les grosses entreprises un devoir de lutter contre le réchauffement climatique et les sanctionner en cas de méconnaissance. </p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/affaire-du-siecle-les-promesses-climatiques-risquent-dengager-ceux-qui-les-font-154800">« Affaire du siècle » : les promesses climatiques risquent d’engager ceux qui les font</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<h2>Une bataille sur le terrain médiatique</h2>
<p>Il y a aussi la médiatisation dont ces procès sont l’objet. Faisant entrer l’enjeu du changement climatique dans le monde du droit et de la justice, les procès climatiques trouvent un important écho auprès des médias, et donc du grand public. </p>
<p>Suivant de près la procédure, les médias se font le relais des expertises scientifiques et des argumentations juridiques développées par les ONG, détaillant les chiffres en jeu et les conséquences environnementales. </p>
<p>Usant du lexique militant servi par les ONG, (« bombe climatique », « financeur du chaos climatique », « procès historique », « responsabilité énorme »), ils fournissent l’opportunité aux ONG de montrer du doigt les « responsables », sans même attendre le jugement et parfois même par le biais de la <a href="https://www.novethic.fr/actualite/environnement/climat/isr-rse/litiges-climatiques-apres-la-condamnation-de-shell-aux-pays-bas-une-trentaine-de-multinationales-dans-le-viseur-150503.html">médiatisation de la simple menace de procès</a> !</p>
<h2>Lutte de longue haleine</h2>
<p>Certes moins visible et directe que le verdict judiciaire, l’utilité de la médiatisation ne pourra s’apprécier qu’avec le temps. Mais les raisons d’espérer sont là : jour après jour, en profondeur, rallier le public à la cause, faire pression sur les entreprises et les politiques pour qu’elles renforcent leurs mesures de lutte contre le réchauffement climatique (ou au moins qu’elles ne baissent pas la garde). </p>
<p>Et, à condition pour les ONG de réajuster leur communication (face au risque de défaite, critiquer le droit existant et plaider pour une meilleure prise en compte du défi climatique par le système judiciaire), convaincre le juge du rôle qu’il peut jouer dans le changement de modèle sociétal et le législateur de la nécessité de proposer à cette fin de nouveaux outils judiciaires.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/202220/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mathilde Hautereau-Boutonnet a reçu régulièrement des financements du CNRS (directrice du groupe de recherche international Justice and Environment) et Mission de Recherche Droit et Justice.</span></em></p>Si de récents exemples semblent décourager de telles initiatives, elles sont loin d’être inutiles, ne serait-ce que sur le plan de la mobilisation médiatique.Mathilde Hautereau-Boutonnet, Professeur de droit, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2006042023-03-19T16:15:19Z2023-03-19T16:15:19Z« L’envers des mots » : Écocide<p>Depuis 1810, le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGITEXT000006070719">Code pénal</a> dispose de l’interdiction de certains comportements qui peuvent porter atteinte à trois matérialités : les personnes (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006070719/LEGISCTA000006117614/">Livre II</a>), les biens (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006070719/LEGISCTA000006117598/">Livre III</a>) et l’État (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006070719/LEGISCTA000006117602/">Livre IV</a>). Ainsi, quiconque enfreint un interdit posé par la loi s’expose à des sanctions… L’objectif est triple :</p>
<ul>
<li><p>anticiper les comportements que l’on souhaite éradiquer de la société en brandissant le glaive de la justice (vertu préventive de la peine) ;</p></li>
<li><p>sanctionner ceux qui franchissent le Rubicon malgré la menace (vertu réparatrice de la peine) ;</p></li>
<li><p>éduquer les délinquants aux fins d’éviter la récidive (vertu pédagogique de la peine).</p></li>
</ul>
<p>Ainsi le droit pénal a la lourde tâche de fixer des limites à nos actions : ce que la société accepte, tolère et rejette. Et c’est donc naturellement, au cœur d’un <a href="https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/271086-terre-climat-quest-ce-que-lanthropocene-ere-geologique">anthropocène</a> théorisé et assumé, que la question des atteintes portées à l’environnement a été, petit à petit, intégrée à la matière pénale depuis le début des années 1970.</p>
<p>En cette nouvelle <a href="https://theconversation.com/anthropocene-lhumanite-merite-t-elle-une-epoque-a-son-nom-123030">ère géologique</a> caractérisée « par l’avènement des hommes comme principale force de changement sur Terre, surpassant les forces géophysiques », dire les atteintes causées à l’environnement que la société accepte, tolère et rejette. Avec tout ce que cela emporte de subjectivité et de plasticité dans le temps : ce que l’on acceptait hier peut être encore toléré aujourd’hui, avant d’être probablement rejeté demain.</p>
<p>Cette pénalisation fragmentaire et évolutive des atteintes à l’environnement a conduit à une forme d’inefficacité. On punit peu et on punit mal. Ainsi, face à des destructions d’écosystèmes entiers par les activités humaines, la nécessité de définir une incrimination spécifique ayant pour objet de prévenir les <a href="https://www.agroparistech.fr/actualites/parution-justice-pour-planete-5-combats-citoyens-qui-ont-change-loi">atteintes majeures à l’environnement</a>, et de punir sévèrement les auteurs de ces atteintes, s’est imposée auprès de nombreux juristes, écologues, sociologues et philosophes. Il s’agit de dire par la création d’une nouvelle infraction qu’il y a des comportements anti-écologiques que la société entend proscrire du vivre ensemble.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Ainsi, depuis la seconde moitié du XX<sup>e</sup> siècle, un véritable combat pour la reconnaissance et la <a href="https://hal.science/hal-03894376/document">sanction de l’écocide</a> a été portée par les activistes écologistes. Mot-valise constitué du préfixe « éco- » (du grec « oikos », « maison, habitat ») et du suffixe « -cide » (du latin « caedere », « tuer »), l’écocide – par analogie avec homicide (le fait de tuer un homme) – est donc le fait de « tuer notre habitat », c’est-à-dire de détruire les écosystèmes qui constituent notre matrice existentielle. En y ajoutant l’intentionnalité, <a href="https://theconversation.com/quelle-protection-juridique-pour-les-forets-122732">l’écocide</a> il peut être considéré comme l’« assassinat de notre environnement » dans la mesure où le caractère volontaire et prémédité de nos actes est de moins en moins à mesure que les scientifiques nous alertent.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/podcast-defis-climatiques-la-justice-un-outil-de-plus-en-plus-efficace-193344">Podcast « Défis climatiques » : La justice, un outil de plus en plus efficace ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Ainsi, début 2021, la <a href="https://www.conventioncitoyennepourleclimat.fr/">Convention citoyenne pour le climat</a> a proposé dans son rapport final la <a href="https://propositions.conventioncitoyennepourleclimat.fr/le-rapport-final/">création d’un crime d’écocide</a> (proposition SN 7.1.1). Intégré au Livre V du code pénal (« Autres crimes et délits »), un Titre III disposerait « Des infractions en matière d’environnement » incluant – notamment – un nouvel article établissant l’écocide comme</p>
<blockquote>
<p>« toute action ayant causé un dommage écologique grave consistant en un dépassement manifeste et non négligeable d’au moins une des limites planétaires et dont l’auteur savait ou aurait dû savoir qu’il existait une haute probabilité de ce dépassement ».</p>
</blockquote>
<p>Cette infraction serait punie de vingt ans de réclusion criminelle et d’une amende de 10 millions d’euros dont le montant pourrait être porté à 20 % du dernier chiffre d’affaires connu à la date de la commission des faits et en fonction des avantages tirés.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/peut-on-eviter-de-detruire-la-nature-199144">Peut-on éviter de détruire la nature ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Finalement, la <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/loi-climat-resilience">loi climat-résilience</a> du 22 août 2021 a retenu une définition beaucoup plus restrictive et technique : intégré au Code de l’environnement, l’écocide constitue le fait, « en violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement » (art. L. 231-1 C. env.) et « lorsqu’il est commis de manière intentionnelle » (art. L. 231-3 C. env.), « d’émettre dans l’air, de jeter, de déverser ou de laisser s’écouler dans les eaux superficielles ou souterraines ou dans les eaux de la mer dans la limite des eaux territoriales, directement ou indirectement, une ou plusieurs substances dont l’action ou les réactions entraînent des effets nuisibles graves et durables sur la santé, la flore, la faune […] » ; la peine étant de dix ans d’emprisonnement et l’amende pouvant être portée à 4,5 millions d’euros jusqu’au décuple de l’avantage tiré de la commission de l’infraction.</p>
<p>Une formulation très imparfaite mais une formulation qui permet tout de même une première reconnaissance juridique de l’écocide… En attendant une définition plus simple, plus large, plus pédagogique et plus efficace au sein d’un nouveau livre du code pénal dédié spécifiquement à la protection de notre environnement si fragile et si menacé ?</p>
<hr>
<p><em>Cet article s’intègre dans la série <strong><a href="https://theconversation.com/fr/topics/lenvers-des-mots-127848">« L’envers des mots »</a></strong>, consacrée à la façon dont notre vocabulaire s’étoffe, s’adapte à mesure que des questions de société émergent et que de nouveaux défis s’imposent aux sciences et technologies. Des termes qu’on croyait déjà bien connaître s’enrichissent de significations inédites, des mots récemment créés entrent dans le dictionnaire. D’où viennent-ils ? En quoi nous permettent-ils de bien saisir les nuances d’un monde qui se transforme ?</em></p>
<p><em>De <a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-validisme-191134">« validisme »</a> à <a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-silencier-197959">« silencier »</a>, de <a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-bifurquer-191438">« bifurquer »</a> à <a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-degenrer-191115">« dégenrer »</a>, nos chercheurs s’arrêtent sur ces néologismes pour nous aider à mieux les comprendre, et donc mieux participer au débat public.</em></p>
<p><em>À découvrir aussi dans cette série :</em></p>
<ul>
<li><p><a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-quantique-196536"><em>« L’envers des mots » : Quantique</em></a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-flow-195489"><em>« L’envers des mots » : Flow</em></a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-neuromorphique-195152"><em>« L’envers des mots » : Neuromorphique</em></a></p></li>
</ul><img src="https://counter.theconversation.com/content/200604/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Louis de Redon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si la Convention citoyenne pour le climat a proposé la création d’un crime d’écocide, la loi climat-résilience du 22 août 2021 en a retenu une définition beaucoup plus restrictive et technique.Louis de Redon, Maître de conférences HDR en droit de l’environnement, AgroParisTech – Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1978122023-03-15T19:57:56Z2023-03-15T19:57:56ZPertes, préjudices et Perlimpinpin : comment mettre en œuvre la justice climatique ?<p>« Pour qui, combien, quand et pourquoi, contre qui, comment, contre quoi ». C’est par ce vers que débute la chanson Perlimpinpin, écrite par Barbara et récemment réinterprétée par Natalie Dessay lors de l’hommage national aux victimes des attentats du 13 novembre 2015. Elle pourrait également être la synthèse des questionnements issus de <a href="https://news.un.org/fr/story/2022/11/1130027">l’accord conclu lors de la COP 27</a>, tenue en Égypte.</p>
<p>Celui-ci prévoit en effet « d’établir de nouvelles modalités financières pour aider les pays en développement particulièrement vulnérables au changement climatique à répondre aux pertes et dommages », dont la création d’un « nouveau fonds ». L’ambition affichée constitue une avancée majeure, mais les paramètres financiers de ce fonds restent entièrement à négocier. La COP27 a d’ailleurs établi un Comité pour en définir les modalités.</p>
<h2>Quelle responsabilité ?</h2>
<p>En premier se pose la question de la liste des contributeurs devant alimenter cet instrument financier et des principes de partage du fardeau. Un début de réponse peut faire consensus : il serait juste que les pertes et préjudices soient financés en priorité par les États (même si pas seulement), en proportion de leurs émissions cumulées de gaz à effet de serre.</p>
<p>Sur cette base, les questions éthiques commencent : quelle date de départ choisir pour ce cumul ? Faut-il retenir les émissions historiques de carbone, qui sont le fondement scientifique du réchauffement, ou « débuter » aux premières conventions internationales ? Comment tenir compte de la démographie, du territoire et de sa capacité à séquestrer du carbone, des ressources en matières premières ? Faut-il raisonner en émissions produites ou consommées sur le territoire ? Selon quel ratio faut-il attribuer la responsabilité issue de la combustion des fossiles entre producteurs et consommateurs ? Cette liste non limitative de questions entrouvre la complexité de la construction d’une règle juste de partage du fardeau.</p>
<p>Mais quelle que soit celle choisie, elle bousculera sans doute les catégories de découpages géographiques utilisées à ce jour.</p>
<h2>Des découpages géographiques bousculés</h2>
<p>À titre d’illustration, les graphiques ci-dessous reprennent un exemple de calcul de « dette climatique ». On a considéré que toutes les émissions au-delà de 2tCO2 par personne par an suscitaient une « dette », vis-à-vis des « espaces » subissant des pertes et préjudices dus au changement climatique. Ces émissions cumulées depuis 1990, année de référence pour la fixation des objectifs pays par la CCNUCC, sont représentées sous forme de dette totale par pays, et de dette par tête en divisant par la population 2021, pour une sélection de pays.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/510980/original/file-20230219-18-9rzule.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/510980/original/file-20230219-18-9rzule.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/510980/original/file-20230219-18-9rzule.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=183&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/510980/original/file-20230219-18-9rzule.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=183&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/510980/original/file-20230219-18-9rzule.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=183&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/510980/original/file-20230219-18-9rzule.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=230&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/510980/original/file-20230219-18-9rzule.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=230&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/510980/original/file-20230219-18-9rzule.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=230&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Dettes climatiques totales (gauche) et par tête (droite) pour une sélection de pays.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Global Carbon Atlas</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>On constate ici que la dette climatique totale, telle que calculée, ne fait pas apparaître prioritairement de coupure entre pays développés et pays en développement mais désigne plutôt la contribution des grandes puissances géopolitiques : États-Unis, Chine, Russie, Allemagne, Arabie saoudite, etc.</p>
<p>Et donc que la question du financement des pertes et préjudices se présentera probablement comme la recherche d’un accord de compromis entre puissances.</p>
<h2>Une division nord-sud dépassée</h2>
<p>Le graphique de droite montre que la division nord-sud n’est plus pertinente pour les questions climatiques, même lorsque les indicateurs sont calculés par tête. L’Arabie saoudite, la Russie, mais aussi le Kazakhstan et l’Afrique du Sud ont une dette en émissions cumulées par tête supérieure à celle de la France, qui est quasi à égalité, sur ce plan, avec l’Iran et la Malaisie. Sans doute cela pourrait inciter à rechercher pour l’instrument pertes et préjudices des principes hybrides mêlant niveau d’émissions cumulées et capacité de financement.</p>
<hr>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"></span>
</figcaption>
</figure>
<p><em>Pour suivre au plus près les questions environnementales, retrouvez chaque jeudi notre newsletter thématique « Ici la Terre ». Au programme, un mini-dossier, une sélection de nos articles les plus récents, des extraits d’ouvrages et des contenus en provenance de notre réseau international. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-environnement-150/">Abonnez-vous dès aujourd’hui</a>.</em></p>
<hr>
<p>La prochaine étape, alors que l’objectif commun est d’aller vers la neutralité, serait de ne plus s’intéresser aux seules émissions brutes, mais aux nettes, considérant l’absorption naturelle des territoires nationaux, la préservation ou non des forêts et des sols, voire dans le futur l’absorption naturelle ou artificielle de carbone, pour prendre en compte et inciter à ces flux d’émissions négatives.</p>
<h2>Indemnisation des dommages liés au changement climatique</h2>
<p>En second lieu, la question de qui, quoi et combien dédommager n’est pas plus simple. Il peut y avoir trois logiques tout à fait différentes pour évaluer les transferts financiers au titre des pertes et dommages que subiraient un pays, un espace ou un groupe de population.</p>
<p>Le premier est celui d’une indemnisation de type assurantielle, qui serait mesurée selon les dommages subis du fait d’événements ayant pour cause le changement climatique d’origine anthropique. Si un tel mécanisme est dans beaucoup d’esprits, des difficultés considérables apparaissent dans l’identification de ces événements et du montant légitime des indemnisations.</p>
<p><a href="https://nap.nationalacademies.org/catalog/21852/attribution-of-extreme-weather-events-in-the-context-of-climate-change">L’attribution d’événements météorologiques</a> et de leurs effets à la cause du changement anthropique est une discipline en plein développement mais par nature probabiliste et avec des degrés de confiance assez différents selon les événements en question.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/510978/original/file-20230219-1487-sfx1dn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/510978/original/file-20230219-1487-sfx1dn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/510978/original/file-20230219-1487-sfx1dn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/510978/original/file-20230219-1487-sfx1dn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/510978/original/file-20230219-1487-sfx1dn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/510978/original/file-20230219-1487-sfx1dn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/510978/original/file-20230219-1487-sfx1dn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/510978/original/file-20230219-1487-sfx1dn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">La science de l’attribution est par nature probabiliste, avec des degrés de confiance différents selon les événements.</span>
<span class="attribution"><span class="source">National Academies 2016</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Même si cette science progresse, la compréhension des liens entre hénomènes météorologiques et changement climatique, et plus encore leur attribution aux causes anthropiques, reste d’une très haute complexité. Le GIEC le constatait par exemple sur les cyclones <a href="https://www.ipcc.ch/languages-2/francais/publications/">dans son dernier rapport</a> : « il reste des incertitudes significatives sur l’impact du changement climatique sur le nombre et l’intensité des cyclones tropicaux » (page 588).</p>
<p>Le montant de l’indemnisation est aussi un défi méthodologique : même si on établit les causes anthropiques externes d’un événement climatique, l’expérience assurantielle nous apprend que le montant des dommages dépend fortement de causes locales, telles que l’intensité des mesures de prévention.</p>
<h2>Assurance climatique pour les pays peu émetteurs</h2>
<p>Deuxième principe, une compensation, plus ou moins forfaitaire, liée à des événements météorologiques dans les pays ayant une dette climatique négative, quels qu’ils soient à la condition qu’ils entraînent des dommages importants, à la manière d’une assurance climatique mondiale.</p>
<p>Une telle compensation au bénéfice des pays peu émetteurs face à des phénomènes climatiques extrêmes, dont on sait qu’ils deviennent plus fréquents, pallie en partie les difficultés de l’option précédente, surtout si elle s’accompagne d’éléments forfaitaires permettant d’éviter une évaluation des coûts réels non évitables.</p>
<p>Elle s’éloigne toutefois significativement de la notion de pertes et préjudices dus au changement climatique anthropique.</p>
<h2>Redistribuer vers les pays vulnérables</h2>
<p>Enfin, le dernier principe serait un dédommagement redistributif, non lié à un événement particulier mais fondé sur une vulnérabilité globale au changement climatique. Cette logique permettrait d’investir dans la compensation mais aussi dans l’adaptation, ce qui peut être plus rationnel que d’attendre des dommages avant de les indemniser.</p>
<p>Cette redistribution des pays responsables vers les pays vulnérables pourrait être opératoire à condition de disposer d’une mesure reconnue de la vulnérabilité au changement climatique. La diversité et la complexité des effets de ce dernier rendent cela compliqué : il existe aujourd’hui de nombreux indicateurs de vulnérabilité aboutissant à des cartographies assez distinctes.</p>
<p>La recherche d’un tel indicateur qui ferait consensus entre pays créditeurs et débiteurs de dette carbone pourrait être un champ de recherche et de diplomatie extrêmement utile.</p>
<p>Il ne s’agit pas ici, bien entendu, de trancher entre ces différentes pistes, mais bien de montrer la pluralité des principes sur lesquels peut se construire un instrument financier pour les pertes et dommages.</p>
<h2>Des règles décentes pour un monde raisonnable</h2>
<p>Ces développements ne servent qu’à illustrer la complexité du problème des pertes et préjudices et la pluralité des pistes pour les aborder. Il n’est par ailleurs qu’un des défis soulevés par le changement climatique, qui lui-même n’est qu’un aspect, fondamental certes, de la question de la soutenabilité <a href="https://theconversation.com/cop15-comment-financer-un-accord-ambitieux-pour-proteger-la-biodiversite-195753">comme la COP15 sur la biodiversité nous l’a rappelé</a>. Il y a non pas une, mais des justices environnementales, parmi lesquelles la justice climatique se distingue par l’importance des causes globales sur les dommages locaux.</p>
<p>Dans <em>L’idée de justice</em> (2010), Armatya Sen illustre la pluralité des principes de justice à travers l’exemple d’une flûte que se disputent 3 enfants. Anne la réclame au nom de l’utilitarisme, elle est la seule à en maîtriser l’usage. Bob qui n’a pas de jouets la revendique au nom d’un principe égalitariste. Enfin, Carla, qui l’a fabriquée, se considère comme sa propriétaire au nom du libertarisme.</p>
<p>À travers cet exemple très simple de revendications conflictuelles et pourtant légitimes, Sen critique la recherche de systèmes objectifs d’impartialité. Il défend des comportements décents pour s’entendre autour de principes pluriels et viser non pas une situation parfaitement juste, mais plus juste.</p>
<p>C’est dans cet esprit de règles pluralistes et décentes négociées entre acteurs raisonnables, dans une gouvernance partagée avec les pays vulnérables marquant une rupture avec le principe de payeur-décideur, que l’on peut espérer voir la construction de cette nouvelle frontière de la coopération internationale que sera l’instrument de compensation pour les pertes et dommages.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/197812/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>L’accord conclu fin 2022 à la COP27 prévoit un fonds pour répondre aux pertes et dommages liées au changement climatique. Mais les modalités financières restent inconnues.Thomas Melonio, Directeur exécutif « Innovation, stratégie et recherche », Agence française de développement (AFD)Jean-David Naudet, Conseiller au directeur exécutif Innovations, recherche et savoirs, Agence française de développement (AFD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1935112022-11-06T16:30:53Z2022-11-06T16:30:53ZClimat : l’épineuse question de la responsabilité historique des pays industrialisés<p>Cela ne vous aura pas échappé : la 27<sup>e</sup> Conférence des parties à la Convention climat des Nations unies s’ouvre ce lundi 7 novembre 2022 à <a href="https://cop27.eg/">Charm el-Cheikh, en Égypte</a>. Les discussions, qui s’annoncent âpres, se poursuivront jusqu’au 18 novembre prochain. Ce sera en effet la première <a href="https://theconversation.com/fr/topics/cop-47443">COP</a> où la question des compensations financières pour les dommages subis par les pays en développement figurera en haut de l’ordre du jour.</p>
<p>Cette rencontre au sommet, qui réunit près de 200 pays, promet d’être chahutée par la défiance grandissante du Sud envers le Nord, et par les revendications récurrentes du groupe « pays en développement + Chine », rien moins que <a href="https://donnees.banquemondiale.org/indicator/SP.POP.TOTL">6,5 milliards d’habitants sur les 8 de la planète</a> !</p>
<h2>La saga des 100 milliards</h2>
<p>Pour comprendre les tensions et débats autour de cette question centrale (qui est responsable du réchauffement, qui devrait payer ?), il faut faire un retour en arrière.</p>
<p>Décembre 2009 : alors que les négociations à la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Conf%C3%A9rence_de_Copenhague_de_2009_sur_les_changements_climatiques">COP15 de Copenhague</a> entrent dans leur dernière ligne droite, le président états-unien Barak Obama propose une enveloppe de <a href="https://unfccc.int/files/meetings/cop_15/application/pdf/cop15_cph_auv.pdf">100 milliards de dollars par an</a>, à mobiliser à partir de 2020 pour le financement des politiques d’atténuation et d’adaptation dans les pays en développement.</p>
<p>Il s’agissait ici moins d’une « solidarité Nord-Sud » que d’une tentative d’arracher un <em>deal</em> : des transferts financiers en provenance des pays industrialisés contre des engagements de réduction des émissions des grands émergents. Tous se refuseront, <a href="https://www.theguardian.com/environment/2009/dec/22/copenhagen-climate-change-mark-lynas">Chine en tête</a>, à promettre quoi que ce soit.</p>
<p>Treize ans plus tard, selon l’OCDE, les 100 milliards seraient en passe d’être réunis. Mais l’annonce est accueillie avec scepticisme et méfiance par les pays en développement. Cette enveloppe est en effet <a href="https://www.oecd.org/fr/environnement/financement-climatique-fourni-et-mobilise-par-les-pays-developpes-en-2016-2020-6cbb535f-fr.htm">constituée très majoritairement de prêts</a> – qu’il faudra donc rembourser – plutôt que de dons.</p>
<p>Peu transparents quant à leur caractère « nouveau et additionnel » par rapport à l’aide au développement traditionnelle, ces financements échappent presque à tout contrôle des pays du Sud quant à leur affectation.</p>
<p>Le bol d’air qu’avait constitué la promesse des 100 milliards s’est aujourd’hui mué en une profonde frustration.</p>
<h2>Le serpent de mer des « pertes et dommages »</h2>
<p><a href="https://interactive.carbonbrief.org/q-a-should-developed-nations-pay-for-loss-and-damage-from-climate-change/?utm_campaign=Carbon%20Brief%20Weekly%20Briefing&utm_content=20220930&utm_medium=email&utm_source=Revue%20Weekly">Dès 1991</a>, lors des premières négociations pour la Convention climat des Nations unies, l’Alliance des petits États insulaires (AOSIS), tous vulnérables à la montée des eaux, proposait déjà un « mécanisme international de compensation financière pour les pertes et dommages associés aux effets négatifs du changement climatique ».</p>
<p>De fait, un <a href="https://unfccc.int/topics/adaptation-and-resilience/workstreams/loss-and-damage/warsaw-international-mechanism">mécanisme international pour pertes et préjudices</a> sera créé en 2013 à la COP19 de Varsovie. Mais, deux ans plus tard, l’Accord de Paris précisait qu’il s’agissait d’un outil de coopération et non de réparation, et qu’il <a href="https://unfccc.int/resource/docs/2015/cop21/eng/10a01.pdf">« ne peut donner lieu ni servir de fondement à aucune responsabilité ni indemnisation »</a>.</p>
<p>Un « dialogue sur les pertes et dommages pour les pays les plus vulnérables » aura finalement été engagé à la COP26 de Glasgow (2021) (dit <a href="https://unfccc.int/sites/default/files/resource/cma3_auv_2_cover%20decision.pdf">« Pacte climatique de Glasgow »</a>).</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Ces dernières années, les pays du Sud auront mis la pression pour qu’un mécanisme financier de compensation des préjudices puisse être officiellement lancé à la COP27. Mais les États-Unis et l’Europe n’en ont jamais voulu et ils ne soutiendront pas la création d’un nouveau fonds.</p>
<p>À Charm el-Cheikh, pour cette COP27, ils se limiteront donc à proposer – c’est la position officielle de l’UE – de <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2022/10/24/council-sets-out-eu-position-for-un-climate-summit-in-sharm-el-sheikh-cop27/">renforcer les institutions existantes</a>.</p>
<p>Ces tensions intenses trouvent leurs racines dans la représentation des « responsabilités historiques », concept qui structure les négociations depuis le début des années 1990.</p>
<h2>Les responsabilités historiques, cette dimension structurante des négociations climat</h2>
<p>Le principe des « responsabilités communes mais différenciées », inscrit dans la Convention climat de 1992, a gravé dans le marbre la division du monde en deux blocs ainsi que le concept de responsabilité historique des seuls pays industrialisés.</p>
<p>Il a jusqu’ici exonéré les pays du Sud, Chine comprise, de toute obligation de réduction des émissions ; puis fait entrer la thématique du financement de l’adaptation ; et enfin, celle des compensations financières pour les dommages subis par les pays du Sud.</p>
<p>C’est, depuis 30 ans, un élément central des négociations climat, exprimant la demande d’une solidarité internationale face aux menaces du réchauffement. Au moins dans les discours, car les difficultés ont été constantes. Ce principe des responsabilités historiques s’est en effet transformé au fil du temps en revendications de plus en plus pressantes, toutes formulées en termes de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/justice-climatique-22344">« justice climatique »</a>.</p>
<p>Les États-Unis ont toujours été un <a href="https://openyls.law.yale.edu/bitstream/handle/20.500.13051/6301/28_18YaleJIntlL451_1993_.pdf">opposant tenace</a> à ce principe. Ils ne s’y sont jamais ralliés et ce sera couché sur le papier dès la conférence de Rio (1992). Ce principe ne peut donc être interprété comme une reconnaissance d’obligations internationales de leur part ; encore moins comme <a href="https://digitallibrary.un.org/record/168679?ln=fr">« une diminution des responsabilités des pays en développement »</a>.</p>
<p>Cette position demeure la ligne rouge de la diplomatie climatique de Washington.</p>
<h2>Des responsabilités historiques toutes relatives</h2>
<p><a href="https://www.cairn.info/revue-le-debat-2016-2-page-23.htm">L’économiste Olivier Godard</a> a bien souligné que la responsabilité historique des pays industrialisés, qui sous-tend les revendications de compensation pour les pertes et dommages, n’est <a href="https://theconversation.com/justice-climatique-en-finir-avec-les-idees-recues-sur-la-responsabilite-du-nord-52163">pas aussi simple à établir</a> qu’il n’y paraît, que ce soit en termes de fondements juridiques et moraux, ou même de statistiques.</p>
<p>Mais pour ses défenseurs, représentants des pays émergents ou des pays moins avancés, les choses sont claires. Dès 1991, le <a href="https://www.southcentre.int/about-the-south-centre/">South Centre</a>, un laboratoire d’idées des pays du Sud, indique que les pays industrialisés auraient historiquement préempté l’espace environnemental. Et le simple constat des émissions cumulées relatives suffirait à démontrer cette responsabilité. Il serait alors fondé d’imputer aux États et à leurs populations actuelles les agissements des générations passées. Il leur appartiendrait alors d’assumer des obligations de réparation des dommages produits par les comportements de leurs aïeux.</p>
<p>Qu’en est-il dans les chiffres ? Pour y voir plus clair il faut étudier l’évolution relative des émissions de gaz à effet de serre, annuelles et cumulées, des pays industrialisés (dit groupe Annexe 1 dans la Convention climat) et celle des pays en développement, grands émergents et Chine comprise (groupe Non-Annexe 1).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/493539/original/file-20221104-23-570l42.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/493539/original/file-20221104-23-570l42.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/493539/original/file-20221104-23-570l42.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=488&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/493539/original/file-20221104-23-570l42.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=488&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/493539/original/file-20221104-23-570l42.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=488&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/493539/original/file-20221104-23-570l42.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=613&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/493539/original/file-20221104-23-570l42.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=613&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/493539/original/file-20221104-23-570l42.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=613&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">Auteurs, données PRIMAP, PIK (Institut du climat de Postdam)</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’examen des émissions annuelles fait apparaître une rupture dans les pays Annexe 1 à partir de 1980 (le second choc pétrolier), avec depuis une décroissance lente. En revanche, pour les pays Non-Annexe 1, elles n’ont cessé d’augmenter, et de manière exponentielle. Résultat : si, en 1980, les émissions des pays industrialisés représentaient deux fois celles du groupe « pays en développement + Chine », cette proportion est aujourd’hui inversée.</p>
<p>Pour les émissions cumulées (celles qui pourraient mesurer la responsabilité historique) jusqu’à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, avant le plein déploiement de la révolution industrielle au Nord, ce sont les émissions des pays du Sud qui dominent.</p>
<p>Le paysage change ensuite du tout au tout, et cela jusqu’en 1980, date à laquelle la part des pays du Nord atteint son maximum (70 %). Depuis, elle n’a cessé de décroître du fait de la forte croissance économique des pays émergents. Aujourd’hui, elle est encore supérieure à 50 %, mais il ne faudra pas dix ans pour que les émissions cumulées des pays en développement et émergents ne dépassent celles des pays industrialisés. Les responsabilités historiques seront alors partagées de manière égale.</p>
<h2>Une responsabilité morale ?</h2>
<p>D’autre part, avant 1990 les conditions élémentaires pour fonder un argument de responsabilité n’étaient pas réunies. Les générations antérieures n’avaient pas la <a href="https://www.cairn.info/revue-le-debat-2016-2-page-23.htm"><em>connaissance préalable</em></a> du fait que les émissions de gaz à effet de serre altéreraient le climat, impossible donc de le leur reprocher et, <em>a fortiori</em>, d’en rendre responsables les générations ultérieures. Et, il va de soi que les générations actuelles n’ont aucune <a href="https://www.cairn.info/revue-le-debat-2016-2-page-23.htm"><em>capacité d’action</em></a>, aucun moyen d’infléchir les choix énergétiques et de développement des générations passées.</p>
<p>Par ailleurs, c’est à partir des années 1990, que l’accélération de la croissance économique des pays émergents, fondée sur une augmentation massive de leurs consommations d’énergies fossiles, se traduit par une augmentation également massive de leurs émissions. En résultat chaque année depuis vingt ans, leurs émissions dépassent toujours plus celles des pays Annexe 1.</p>
<p>Pour autant, en termes de responsabilité individuelle instantanée, les émissions par tête sont encore beaucoup plus élevées au Nord qu’au Sud, en raison notamment de l’intensité de leur consommation d’énergie. Avec une exception de taille cependant, puisque les émissions par tête de la Chine dépassent maintenant celles de l’Union européenne.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/493540/original/file-20221104-10296-z21gmn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Graphe montrant les émissions de GES par habitant" src="https://images.theconversation.com/files/493540/original/file-20221104-10296-z21gmn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/493540/original/file-20221104-10296-z21gmn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=269&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/493540/original/file-20221104-10296-z21gmn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=269&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/493540/original/file-20221104-10296-z21gmn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=269&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/493540/original/file-20221104-10296-z21gmn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=339&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/493540/original/file-20221104-10296-z21gmn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=339&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/493540/original/file-20221104-10296-z21gmn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=339&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">SDES, ministère de la transition écologique (Chiffres-clé du climat 2022)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>On le voit, il sera impossible de trancher la question de la responsabilité historique. Elle restera indécidable, passionnelle et au plus haut point politique. Aucun chiffre, ni aucune théorie de la justice ne pourra jamais fonder un consensus, et cette question constituera de manière durable un <a href="https://www.cairn.info/revue-sigila-2014-1-page-13.htm">« skandalon »</a>, une pierre d’achoppement, susceptible de faire trébucher la négociation.</p>
<h2>Un conflit insoluble</h2>
<p>Les exigences des pays du Sud ne pourront être pleinement satisfaites à Charm el-Cheikh.</p>
<p>Sur les « pertes et dommages », une étude d’envergure publiée en 2018 les estimait à rien moins que <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-319-72026-5_14">290-580 milliards de dollars par an d’ici 2030</a>. Avec une intensification du réchauffement, le coût des impacts pourrait excéder <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-319-72026-5_14">1 000 milliards de dollars chaque année d’ici 2050</a>.</p>
<p>Quelle que soit la fiabilité de ces évaluations, il est irréaliste d’imaginer que les États-Unis et l’Union européenne, se lient à une responsabilité qui les contraindrait à débourser des centaines de milliards de dollars chaque année.</p>
<p>Personne n’a cependant intérêt à ce que la COP27 se solde par un fiasco. Un compromis, insatisfaisant, et au premier chef pour les pays en développement, devra être trouvé. La diplomatie est aussi l’art de masquer les conflits qui ne trouveront jamais de solution.</p>
<hr>
<p><em>Nathalie Rousset – docteure en économie, ancienne chargée de programme au Plan Bleu, aujourd’hui consultante – a contribué au traitement des données et à la rédaction de ce texte.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/193511/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le bol d’air qu’avait constitué la promesse des 100 milliards de dollars annuels au titre de la solidarité Nord-Sud est aujourd’hui source de frustration pour les pays en développement.Michel Damian, Professeur honoraire, Université Grenoble Alpes (UGA)Patrick Criqui, Directeur de recherche émérite au CNRS, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1933442022-10-27T17:40:09Z2022-10-27T17:40:09ZPodcast « Défis climatiques » : La justice, un outil de plus en plus efficace ?<iframe src="https://embed.acast.com/601af61a46afa254edd2b909/635a751f1b1c6a0012a6958c" frameborder="0" width="100%" height="190px"></iframe>
<p><iframe id="tc-infographic-569" class="tc-infographic" height="100" src="https://cdn.theconversation.com/infographics/569/0f88b06bf9c1e083bfc1a58400b33805aa379105/site/index.html" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-ecouter-les-podcasts-de-the-conversation-157070">Comment écouter les podcasts de The Conversation ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Sécheresse et canicules inédites, montée des eaux, biodiversité en chute libre… Partout dans le monde, les effets de la crise climatique se font sentir, de plus en plus intensément. Face à ce constat, documenté par les scientifiques dans les fameux rapports du GIEC, certains vivent dans la crainte qu’un point de non-retour soit atteint.</p>
<p>Et si, au-delà des chiffres et des situations effrayantes, on s’intéressait aux initiatives qui portent leurs fruits ? C’est l’objet de « Défis climatiques : ces initiatives qui font bouger les lignes » une série de podcasts réalisée en partenariat avec l’Institut des hautes études pour la science et la technologie. Objectif : appréhender les mobilisations et les actions qui permettent de faire face à la crise climatique et qui donnent de l’espoir.</p>
<p>Dans ce deuxième épisode, on s'aventure sur le terrain de la justice et du droit. Depuis quelques années, la justice climatique prend de l'ampleur. En France et ailleurs dans le monde, des citoyens saisissent des tribunaux pour dénoncer « l'inaction climatique » et tenter d'agir en faveur de l'environnement. Quelle est la portée de ces nouvelles formes de mobilisation ?</p>
<p>Pour nous éclairer sur ces questions, nous recevons la juriste et chercheuse Judith Rochfeld, professeur de droit privé à l'université Paris 1-Panthéon-Sorbonne. Judith Rochfeld a codirrigé
le <a href="https://www.puf.com/content/Dictionnaire_des_biens_communs">Dictionnaire des biens communs</a> et a publié en 2020 un essai intitulé <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences/environnement-developpement-durable/justice-pour-le-climat-_9782738148612.php">Justice
pour le climat, les nouvelles formes de mobilisations citoyennes</a>.</p>
<hr>
<p><strong>À écouter aussi</strong><br>
Épisode #1 : <a href="https://theconversation.com/podcast-defis-climatiques-a-quelle-echelle-agir-192868">A quelle échelle agir ?</a> </p>
<hr>
<p><em>Crédits, conception et animation, Françoise Mamouyet & Jennifer Gallé. Réalisation, Romain Pollet. Chargé de production, Rayane Meguenni. Musique, « Night », Kosmorider, 2022</em>.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/299040/original/file-20191028-113991-5w3olq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/299040/original/file-20191028-113991-5w3olq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=348&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/299040/original/file-20191028-113991-5w3olq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=348&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/299040/original/file-20191028-113991-5w3olq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=348&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/299040/original/file-20191028-113991-5w3olq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/299040/original/file-20191028-113991-5w3olq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/299040/original/file-20191028-113991-5w3olq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
</figcaption>
</figure>
<p><em>Ce podcast prolonge une intervention tenue dans le cadre du cycle de formation 2021-2022 de l’Institut des hautes études pour la science et la technologie (<a href="https://www.ihest.fr/">IHEST</a>), intitulé « Mobiliser les ressources pour les transitions : transformations, ruptures, métamorphoses »</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/193344/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Depuis quelques années, des citoyens et des associations mobilisent le droit et portent les combats environnementaux devant les tribunaux. Pour quels résultats ?Judith Rochfeld, Professeure de droit privé à l'Ecole de droit de la Sorbonne - Université Paris 1, Panthéon-Sorbonne, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1816432022-05-17T18:45:48Z2022-05-17T18:45:48ZLes contentieux climatiques face à la justice : un intérêt grandissant pour le GIEC<p>Comment les contentieux climatiques <a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-justice-climatique-proces-et-actions-149750">renforcent-ils l’atténuation du changement climatique</a> ? Le dernier volet du <a href="https://theconversation.com/le-giec-une-boussole-scientifique-pour-le-climat-93624">6ᵉ rapport du GIEC</a>, publié le 4 avril 2022, souligne l’importance des contentieux dans la reconfiguration de la gouvernance climatique mondiale.</p>
<p>Les contentieux climatiques sont des litiges ayant la question du changement climatique comme objet central de la requête présentée devant la justice. Ce type de contentieux s’est multiplié partout dans le monde depuis 2015, après une <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2015/06/25/la-justice-condamne-les-pays-bas-a-agir-contre-le-rechauffement-climatique_4661561_3244.html">décision emblématique rendue par le Tribunal de première instance de La Haye (décision Urgenda)</a>. Dans cette affaire, l’ONG Urgenda avait obtenu gain de cause auprès des juges pour que l’État néerlandais accélère ses politiques de réduction de CO<sub>2</sub>.</p>
<p>Le dernier rapport du GIEC constate le développement de ce type de recours en justice et la place qu’ils occupent désormais dans la lutte contre le changement climatique. Cette reconnaissance par le panel international des scientifiques est novatrice, puisque c’est la première fois qu’il s’intéresse aux dynamiques sociales et juridiques sous-jacentes à ces contentieux.</p>
<p>Le rapport adresse une attention particulière aux <a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-justice-climatique-proces-et-actions-149750">différentes mobilisations judiciaires menées par la société civile contre les États et les acteurs privés</a> visant à l’atténuation du changement climatique. Il met en avant les différentes actions du droit qui permettent de faire le lien entre les politiques climatiques nationales et internationales.</p>
<h2>Un rapport innovant et audacieux</h2>
<p>La contribution du groupe III au 6<sup>e</sup> rapport du GIEC étudie la littérature sur les aspects scientifiques, technologiques, environnementaux, économiques et sociaux de l’atténuation du changement climatique.</p>
<p>D’une longueur de 2 913 pages, le rapport se fonde sur les publications scientifiques parues entre 2018 et 2021. Il a été rédigé par quatre-vingt-cinq auteurs appartenant à une grande diversité de pays du monde.</p>
<p>Le niveau de confiance de chacun des propos soutenus est exprimé à l’aide de cinq qualificatifs, allant de très faible à très élevé. S’agissant de la manière dont les contentieux climatiques favorisent la gouvernance du climat, le niveau de confiance exprimé apparaît relativement haut, allant selon les passages de moyen à très haut.</p>
<p>Le texte fait état de quatre grands faits majeurs. Le premier constat fait référence au paysage international évolutif dans lequel s’inscrit l’action d’atténuation du changement climatique. Le deuxième est marqué par l’observation d’une grande pluralité d’acteurs. Le troisième explique les liens entre l’atténuation, l’adaptation et le développement. Enfin, le dernier décrit les aspects sociaux.</p>
<p>La montée des contentieux climatiques apparaît comme thème transversal et commun à ces axes.</p>
<h2>Une mise en valeur des fonctions des contentieux climatiques</h2>
<p>Le rapport aborde la question des contentieux en les décrivant comme un mode de « faire pression » par la société civile sur les États et les entreprises. Les contentieux climatiques sont ainsi analysés par rapport à deux questions : les politiques climatiques et l’amélioration de la gouvernance climatique par les acteurs.</p>
<p>Le rapport se montre audacieux : en réalité, peu de contentieux ont abouti à des résultats tangibles. Ainsi, de près de 1500 requêtes climatiques ayant été présentées en justice dans le monde depuis le début des années 2000, moins d’une centaine a donné lieu à des décisions en faveur des demandeurs.</p>
<p>Cela étant, le rapport du GIEC montre bien qu’il s’agit surtout <a href="http://www.gip-recherche-justice.fr/wp-content/uploads/2020/01/17.05-RF-contentieux-climatiques.pdf">d’une dynamique progressive</a> ayant un potentiel certain. Il ne s’agit donc pas tant des résultats obtenus, mais de la faculté de ces contentieux à faire pression sur les décideurs.</p>
<p>Le rapport s’exprime également sur l’effet « structurant » des contentieux sur la gouvernance du climat. Les contentieux sont ainsi présentés sous l’angle de la coopération entre acteurs, exposant une analyse du phénomène dans son versant stratégique.</p>
<p>Ces points décrivent bien les différentes possibilités offertes par les contentieux climatiques.</p>
<h2>Comment les contentieux climatiques impulsent les politiques publiques</h2>
<p>Le <a href="https://report.ipcc.ch/ar6wg3/pdf/IPCC_AR6_WGIII_SummaryForPolicymakers.pdf">résumé pour les décideurs du groupe III du 6ᵉ rapport du GIEC</a> est catégorique :</p>
<blockquote>
<p>« La gouvernance climatique agit à travers des lois, stratégies et institutions, fondées dans de situations nationales différentes, renforce l’atténuation au changement climatique en mettant à disposition de cadres engageant divers acteurs… La gouvernance climatique est plus efficace quand elle intègre différentes politiques croisées, dans de domaines différents. »</p>
</blockquote>
<p>Cela a été le cas dans différentes requêtes climatiques.</p>
<p>Ainsi, celle interposée en Norvège par Greenpeace en 2017 avait pour principale finalité de faire modifier les politiques climatiques et énergétiques de ce pays <a href="https://www.reuters.com/business/environment/the-people-vs-arctic-oil-climate-activists-target-norway-human-rights-court-2021-06-15/">afin d’éviter que les forages pétroliers ne continuent</a>. Si elle n’a pas donné lieu à une décision en faveur des demandeurs, elle a permis qu’un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme puisse être déposé récemment. L’affaire est désormais en attente de réponse.</p>
<p>À son tour, l’objectif de l’affaire climatique de l’aéroport de Heathrow à Londres était de <a href="https://www.climatechangenews.com/2020/10/08/uk-supreme-court-hears-climate-case-heathrow-airport-expansion/">faire interdire le projet d’élargissement de l’aéroport</a>. L’ONG demanderesse mettait en avant le fait que ce projet était clairement <a href="https://unfccc.int/fr/processus-et-reunions/l-accord-de-paris/l-accord-de-paris">contraire aux objectifs marqués par l’Accord de Paris</a>. De ce fait, le Plan national d’atténuation du changement climatique devait être mis en conformité avec l’Accord. Là encore, la décision en appel n’a pas été favorable aux demandeurs, mais le raisonnement des juges en première instance soulignait bien la nécessité de prendre en compte l’Accord de Paris pour tout projet pouvant avoir un effet négatif sur le climat.</p>
<p>En France, <a href="https://theconversation.com/plainte-de-grande-synthe-pour-inaction-climatique-pourquoi-la-decision-du-conseil-detat-fera-date-150654">l’affaire de Grande-Synthe jugée par le Conseil d’État en 2019 et 2021</a> avait pour objectif de reprocher à l’administration <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/strategie-nationale-bas-carbone-snbc">l’inadéquation de ses politiques climatiques</a> avec les objectifs des politiques climatiques de réduction des émissions de gaz à effet de serre de l’Union européenne et l’objectif de neutralité carbone, ainsi que l’objectif de l’Accord de Paris. Le Conseil d’État a estimé à deux reprises que les objectifs de réduction de CO<sub>2</sub> constituaient de véritables « obligations juridiques » pour la France.</p>
<p>Cette affaire s’inscrit clairement dans le volet du dernier rapport du GIEC, comme exemple des effets vertueux des contentieux climatiques sur le réajustement des politiques nationales climatiques.</p>
<h2>Une gouvernance climatique restructurée</h2>
<p>Le rapport insiste également sur la manière dont les litiges climatiques peuvent <a href="https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg3/">restructurer la gouvernance climatique</a>.</p>
<p>Un exemple de ce point est la déjà citée <a href="https://theconversation.com/larret-urgenda-un-espoir-face-a-linertie-des-politiques-climatiques-105869">affaire Urgenda aux Pays-Bas</a>, ayant donné lieu à trois décisions en 2015, 2018 et 2019. Ces trois arrêts reconnaissent que l’État <a href="https://theconversation.com/aux-pays-bas-les-retombees-vertueuses-de-la-justice-climatique-99397">a un « devoir de diligence » envers ses citoyens</a>, le rendant ainsi responsable de la direction des politiques climatiques.</p>
<p>En France, l’Affaire du siècle, jugée par deux fois en 2021, reconnaît également une responsabilité partielle de l’État en matière climatique, en <a href="https://theconversation.com/decryptage-juridique-de-l-affaire-du-si%C3%A8cle-155053">attestant d’un préjudice écologique crée à l’atmosphère</a>.</p>
<p>Encore aux Pays-Bas, une décision <a href="https://www.lemonde.fr/energies/article/2021/05/26/le-peuple-contre-shell-la-justice-neerlandaise-impose-a-shell-de-reduire-davantage-ses-emissions-de-co2_6081569_1653054.html">a été rendue en mai 2021 contre la société Shell</a> pour rappeler à l’entreprise son « devoir de vigilance climatique ».</p>
<p>Cela peut être aussi observé dans une requête déposée devant la Cour de Justice de l’Union européenne, dans laquelle une coalition d’ONG se sont unies pour <a href="https://peoplesclimate.org/">porter une action en justice climatique</a>. Cette demande n’a pas réussi et semble avoir été classée, mais il n’en demeure pas moins qu’elle pourra permettre à d’autres actions en justice de faire progressivement leur chemin devant les juges européens.</p>
<p>D’autres requêtes déposées <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/la-cedh-se-penche-pour-la-premiere-fois-sur-le-rechauffement-climatique-20201130">auprès de la Cour européenne des droits de l’homme</a> témoignent également de ce constat.</p>
<p>Si toutes les décisions rendues par les juges ne contiennent pas de sanctions contre les administrations ou les entreprises pour leur retard pris dans la mise en œuvre des politiques climatiques ambitieuses, ce type de démarche judiciaire a bel et bien ouvert une voie dans la lutte contre le changement climatique.</p>
<p>Constatées par les auteurs du rapport, ces requêtes et décisions recomposent le paysage de la gouvernance climatique. Il était important qu’un panel d’experts internationaux s’empare du sujet et rende compte que ce phénomène montant a une action positive sur les efforts d’atténuation du changement climatique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181643/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marta Torre-Schaub ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La lutte contre le changement climatique emprunte de plus en plus la voie judiciaire. Un changement que le GIEC a bien pris en compte dans son dernier rapport.Marta Torre-Schaub, Directrice de recherche CNRS, juriste, spécialiste du changement climatique et du droit de l’environnement et la santé, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1723342021-11-23T20:09:54Z2021-11-23T20:09:54ZAprès Glasgow, pourquoi nous aurons encore besoin des COP<p>Depuis la conférence de Copenhague en 2009, toutes les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/cop-47443">COP</a> sur le climat ou presque ont été présentées comme celles « de la dernière chance ».</p>
<p>De COP en COP, ce message perd forcément en crédibilité. De fait, toutes les COP n’ont pas la même importance. De ce point de vue, la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/cop26-104786">COP26</a> n’était peut-être pas celle de la dernière chance, mais c’était une COP avec un enjeu fort.</p>
<p>Cet enjeu était même double : le rehaussement de l’ambition des politiques climatiques et la finalisation des règles d’application de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/accord-de-paris-23135">l’Accord de Paris</a> – cet ensemble de règles est nommé <em>rule book</em>.</p>
<h2>Sur la piste des 2,7 °C</h2>
<p>S’agissant de l’ambition, les États étaient appelés à réviser ou actualiser, au 1<sup>er</sup> juillet 2021, leurs contributions nationales, lesquelles formalisent leurs engagements en termes de réduction d’émissions de gaz à effet de serre.</p>
<p>Plusieurs études ont montré cet automne que ces engagements étaient insuffisants. En particulier, l’<a href="https://unfccc.int/process-and-meetings/the-paris-agreement/nationally-determined-contributions-ndcs/nationally-determined-contributions-ndcs/ndc-synthesis-report">analyse du secrétariat de l’Accord de Paris</a> a montré qu’ils conduisaient à 2,7 °C d’augmentation moyenne des températures d’ici la fin du siècle.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1457614030000967683"}"></div></p>
<p>C’est mieux que les 3 ou 3,5° qu’annonçaient les contributions initiales des États en 2015, mais c’est bien loin des objectifs posés dans l’Accord de Paris !</p>
<p>Or, notre budget carbone diminue chaque année et, sans infléchissement notable et rapide de nos courbes d’émission, limiter les températures nettement en dessous de 2 °C voire à 1,5 °C va devenir tout bonnement impossible. La décennie en cours est donc effectivement une décennie cruciale.</p>
<p>Quant au <em>rule book</em>, il avait pour l’essentiel été adopté lors de la COP24 à Katowice en 2018. Mais certains détails (calendrier des contributions nationales, encadrement des marchés du carbone, finalisation des mécanismes de suivi de la mise œuvre…), trop conflictuels, n’avaient pu l’être. Ils avaient été renvoyés à la COP25 à Madrid, qui les avait à son tour renvoyés à la COP26.</p>
<p>Il était donc temps à Glasgow de s’y atteler, pour que l’Accord de Paris soit enfin pleinement applicable, dans tous ses mécanismes et dispositions.</p>
<h2>Pour la première fois sur la table, la fin des énergies fossiles</h2>
<p>Les engagements des États demeurent insuffisants et leur application est plus qu’incertaine. Pourtant, la COP a marqué de réels progrès. On a assisté durant les deux semaines de la COP26 à Glasgow à la constitution de nombreuses coalitions et alliances.</p>
<p>Citons par exemple une <a href="https://ukcop26.org/global-coal-to-clean-power-transition-statement/">Déclaration mondiale sur la transition du charbon à l’énergie propre</a>, un <a href="https://ukcop26.org/glasgow-leaders-declaration-on-forests-and-land-use/">Forest Deal</a> sur la lutte contre la déforestation, une <a href="https://www.gouvernement.fr/la-france-cesse-les-financements-publics-a-l-etranger-de-projets-d-energies-fossiles">Coalition pour la fin du financement des énergies fossiles à l’étranger</a> incluant gaz et pétrole sans dispositif de capture, un <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/statement_21_5766">Pacte global pour le méthane</a>, une <a href="https://beyondoilandgasalliance.com/">Beyond Oil and Gas Alliance</a>. Sans compter une ambitieuse déclaration conjointe « surprise » de la Chine et des États-Unis sur le renforcement de l’action climatique dans les années à venir.</p>
<p>Ces engagements politiques, pris en marge des négociations officielles, ont pu agacer parce que formant des attelages hétéroclites, ne regroupant pas forcément les principaux acteurs concernés, dénués de tout contrôle ou obligation de rendre des comptes et non articulés avec les engagements des États dans le cadre de l’Accord de Paris. « Blah blah blah » a considéré Greta Thunberg.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1459612735294029834"}"></div></p>
<p>Pourtant, à y regarder de plus près, ces alliances ont insufflé de l’ambition.</p>
<p>D’une part, des États absents à l’origine les rejoignent et les alliances s’élargissent. D’autre part, la <a href="https://unfccc.int/sites/default/files/resource/cop26_auv_2f_cover_decision.pdf">principale décision de la COP</a> (1/CMA.3, pour première décision de la troisième réunion des Parties à l’Accord de Paris) se réfère – c’est une première – à la diminution du charbon et à l’élimination des subventions aux fossiles (« the phasedown of unabated coal power and phase-out of inefficient fossil fuel subsidies »), de même qu’à l’importance de réduire les émissions de méthane.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1460312221913952266"}"></div></p>
<p>Certes, les formules ont été affaiblies par rapport aux propositions initiales de la présidence. Il est regrettable que l’<em>abandon</em> ait fait place à la <em>réduction progressive</em> de la production d’électricité à partir de charbon et qu’on ne s’attaque qu’aux subventions <em>inefficaces</em> ( !) aux combustibles fossiles.</p>
<p>Mais les choix énergétiques des États, jusqu’ici non négociables, font maintenant partie des discussions internationales. Il aura fallu attendre 26 COP pour cela ! Ces sujets vont rester à l’agenda des prochaines COP et on peut espérer qu’elles aillent plus loin.</p>
<h2>Mettre fin aux dissonances cognitives</h2>
<p>La décision de Glasgow est très claire sur l’importance de limiter l’augmentation à 1,5 °C (un objectif qui n’était qu’aspirationnel dans l’Accord de Paris) et la nécessité d’adopter des mesures rapides, profondes et durables.</p>
<p>Elle précise sans ambiguïté qu’il faut réduire les émissions mondiales de dioxyde de carbone de 45 % d’ici à 2030 par rapport au niveau de 2010, en les ramenant à zéro vers le milieu du siècle, ainsi qu’en réduisant fortement les autres gaz à effet de serre. Or, c’est une <a href="https://unfccc.int/process-and-meetings/the-paris-agreement/nationally-determined-contributions-ndcs/nationally-determined-contributions-ndcs/ndc-synthesis-report">hausse de 16 %</a> qui est attendue…</p>
<p>Reconnaissant l’urgence, la décision lance un appel à une nouvelle révision des contributions nationales dès l’année prochaine. C’est positif, mais il ne faudra aussi que le relèvement de l’ambition se traduise effectivement par des mesures concrètes sur le terrain.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1463090677319966723"}"></div></p>
<p>Car, si les États sont prudents, c’est qu’il leur faut ensuite concrétiser leurs engagements internationaux. Or, beaucoup d’entre eux, y compris parmi ceux du G20, qui représentent 80 % des émissions mondiales, savent qu’ils ne sont pas sur la bonne trajectoire pour atteindre les objectifs qu’ils se sont fixés, comme l’indique un <a href="https://www.unep.org/resources/emissions-gap-report-2021">rapport du Programme des Nations unies sur l’environnement</a> (PNUE).</p>
<p>Les engagements – de maintenant plus de 80 États – à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 (ou 2060 pour la Chine et 2070 pour l’Inde) sont encourageants… Mais ils ne se traduisent pas concrètement comme ils le devraient par des réductions d’émission à la fois fortes et rapides à court terme.</p>
<h2>Un <em>rule book</em> entièrement finalisé</h2>
<p>La COP est enfin parvenue à finaliser le <em>rule book</em> de l’Accord de Paris, en prenant des décisions assez équilibrées notamment sur des calendriers communs pour les contributions nationales, le cadre de transparence ou les marchés du carbone.</p>
<p>Un groupe d’experts de haut niveau va aussi être mis en place pour examiner les engagements des acteurs non étatiques. De ce point de vue, plus rien ne s’oppose à la pleine mise en œuvre de l’Accord de Paris.</p>
<p>En revanche, les pays du Nord ont déçu les pays du Sud sur la question des financements et des pertes et préjudices causés par les changements climatiques.</p>
<p>Il avait été décidé à Paris qu’un nouvel objectif plancher pour les financements climatiques, au-delà de celui fixé en 2009 de 100 milliards de dollars annuels en 2020 (objectif qui devrait être atteint plutôt en 2022 ou 2023) devrait être fixé avant 2025. Les négociations sont lancées et elles promettent d’être difficiles.</p>
<p>La décision adoptée à Paris prévoyait aussi que :</p>
<blockquote>
<p>« La fourniture de ressources financières accrues devrait viser à parvenir à un équilibre entre l’adaptation et l’atténuation. »</p>
</blockquote>
<p>En pratique, l’essentiel des financements est allé jusqu’ici à l’atténuation, alors que les coûts de l’adaptation vont croissant. <a href="https://www.afdb.org/fileadmin/uploads/afdb/Documents/Project-and-Operations/Cost%20of%20Adaptation%20in%20Africa.pdf">Les pays africains y consacreraient déjà 10 % de leur PIB</a>. Ici, les pays du Sud ont obtenu que la décision de Glasgow appelle à un doublement des financements pour l’adaptation avant 2025.</p>
<p>Mais ce sera encore bien loin des besoins. À côté du relèvement de l’ambition, ces sujets épineux seront au cœur de la prochaine COP, fin 2022, en Égypte, et probablement encore des suivantes.</p>
<h2>Faire évoluer les COP, pas les supprimer</h2>
<p>Le processus est chaotique, les avancées sont lentes et le tableau qu’offrent les négociateurs est chaque année plus en décalage avec l’état des connaissances scientifiques et les attentes des opinions publiques et notamment des mouvements de jeunes.</p>
<p>Pourtant, même si on pourrait réfléchir à une évolution de leur format et de leur périodicité, nous avons encore besoin de ces conférences : pour conserver la question au plus niveau sur l’agenda international, pour continuer à pousser les États à relever l’ambition de leurs politiques et mesures, mais aussi pour suivre et mesurer les efforts accomplis et ainsi s’assurer qu’il ne s’agit pas de… bla-bla-bla.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/172334/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sandrine Maljean-Dubois ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les avancées et les limites de la récente COP26 soulignent la nécessité de faire évoluer les conférences internationales sur le climat. Pas de les supprimer.Sandrine Maljean-Dubois, Directrice de recherche CNRS, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1717962021-11-13T22:06:58Z2021-11-13T22:06:58ZQue retenir de la COP26 ?<p>À Glasgow, la COP26 a fermé ses portes. La conférence a connu une affluence record. </p>
<p>Mais le succès d’une COP ne se mesure ni au nombre de ses participants, ni à celui des déclarations produites. Il se juge à sa capacité d’accélérer l’action climatique sur le terrain. </p>
<p>En la matière, que peut-on retenir de cette 26<sup>e</sup> édition ?</p>
<h2>Un accroissement timoré des objectifs de réduction d’émissions</h2>
<p>Le rendez-vous de Glasgow constituait un <a href="https://christiandeperthuis.fr/c-comme-cop-de-glasgow/">point d’étape</a> important dans le calendrier de l’accord de Paris signé en 2015 lors de la COP21. Tous les pays participant à l’accord devaient en effet actualiser leurs « contributions nationales », autrement dit leurs objectifs de réduction d’émission de gaz à effet de serre à l’horizon 2030.</p>
<p>Le bilan apparaît mitigé. Le verre n’est pas totalement vide : dans leur majorité, les pays ont bien actualisé leurs contributions, certains comme la Chine à quelques jours de la conférence, ou même, à l’instar de l’Inde, pendant la conférence.</p>
<p>D’après le <a href="https://unfccc.int/news/cop26-update-to-the-ndc-synthesis-report">décompte des Nations unies</a>, ces contributions marquent un progrès relativement au jeu déposé lors de la signature de l’accord de Paris. Elles permettraient d’économiser en 2030 de l’ordre de 4,8 Gt d’émission (-8 %) par rapport aux contributions de 2015.</p>
<p>Ce gain reste toutefois très insuffisant pour nous mettre sur une trajectoire de réchauffement conforme aux objectifs de l’accord de Paris – moins de 2 °C, et si possible 1,5 °C.</p>
<p>Si toutes les contributions étaient réalisées, les émissions mondiales dépasseraient en 2030 d’un peu plus de 10 % leur niveau de 2010 alors qu’il faudrait les réduire de 45 % pour être sur une trajectoire limitant le réchauffement global à 1,5 °C.</p>
<h2>Difficile convergence sur le financement, avancée sur les mécanismes de marché</h2>
<p>Réévaluer les objectifs, c’est bien. Mettre en place les outils permettant de les atteindre c’est mieux. La COP26 a dû ainsi se saisir de deux dossiers épineux en la matière : les financements internationaux, auxquels se sont engagés les pays développés à hauteur de 100 milliards de dollars par an ; les mécanismes de marché prévus à l’article 6 de l’accord de Paris (soit un système d’échange de droits d’émissions de gaz à effet de serre entre des pays gros émetteurs et d’autres moins émetteurs).</p>
<p>D’après le <a href="https://www.oecd-ilibrary.org/docserver/03590fb7-en.pdf">dernier bilan</a> réalisé par l’OCDE, il manque vingt milliards de dollars sur les 100 promis par les pays développés au titre de la « justice climatique ». Le déficit est notablement important pour le financement des projets d’adaptation.</p>
<p>Ce point de discorde entre pays développés et pays moins avancés a été la principale cause de la prolongation de plus de 24 heures de la conférence. Le communiqué final indique que les engagements complémentaires pris durant la conférence ne permettent pas de totalement combler ce déficit. Pour Patricia Espinosa, à la tête de l’équipe des Nations unies en charge des négociations, les 100 milliards de dollars pourraient cependant être levés <a href="https://news.un.org/en/story/2021/11/1104812">dès 2022 si tout se passe bien</a>.</p>
<p>Lors des précédentes COP, les pays n’avaient pas réussi à s’accorder sur les règles permettant de mettre en place le dispositif d’échange de quotas ou de crédits d’émission facilitant l’atteinte des objectifs de réduction d’émission. Les principaux points de blocage (risques de double comptage, intégrité du mécanisme) ont pu être levés.</p>
<p>L’avancée est importante, car l’émergence d’un prix du carbone permettrait d’accélérer les réductions d’émissions de gaz à effet de serre. Reste à la concrétiser sur le terrain, ce qui prendra un certain temps, les règles étant passablement compliquées.</p>
<h2>Deux avancées qui comptent : méthane et sortie des énergies fossiles</h2>
<p>Réduire les émissions de méthane est l’une des actions ayant un impact le plus rapide sur le réchauffement. Le méthane a une durée de séjour relativement courte dans l’atmosphère (12 ans en moyenne). Chaque tonne rejetée a un pouvoir de réchauffement bien plus élevé que le CO<sub>2</sub>. L’Agence des Nations unies pour l’Environnement (UNEP) estime qu’une action de réduction précoce permettrait de <a href="https://wedocs.unep.org/bitstream/handle/20.500.11822/36997/EGR21_CH6.pdf">réduire de 0,3 °C</a> le réchauffement global d’ici 2050.</p>
<p>L’appel a été entendu. L’initiative jointe États-Unis/Union européenne réunit plus de cent pays qui se sont engagés à réduire d’au moins 30 % leurs émissions de méthane d’ici 2030. Certains gros émetteurs manquent à l’appel, comme le montre le graphique ci-dessous. L’initiative portera pleinement ses fruits si ces pays la rejoignent. Ils y sont incités par le communiqué final de la COP qui, pour la première fois, mentionne l’enjeu de la réduction des émissions de méthane.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/431777/original/file-20211113-59211-befwpx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/431777/original/file-20211113-59211-befwpx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/431777/original/file-20211113-59211-befwpx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/431777/original/file-20211113-59211-befwpx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/431777/original/file-20211113-59211-befwpx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/431777/original/file-20211113-59211-befwpx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/431777/original/file-20211113-59211-befwpx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/431777/original/file-20211113-59211-befwpx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">C. de Perthuis (à partir des données PBL 2020)</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Autre innovation du communiqué : on y évoque – timidement et pour le seul charbon utilisé dans les centrales électriques – la sortie des énergies fossiles. C’est une petite révolution culturelle dans le monde des négociateurs du climat. Il avait été impossible d’introduire une telle référence dans le texte de l’accord de Paris.</p>
<p>Plus important que quelques lignes du communiqué, la sortie des énergies fossiles s’est inscrite au cœur des débats. On en parle enfin sans faux-semblants, ce qui met sur la sellette les grands producteurs et exportateurs de ce type d’énergie.</p>
<p>Cela crédibilise les déclarations en provenance du monde financier, notamment celle commune aux États et aux agences de développement qui proscriront dès 2022 les financements publics de projets de développement des énergies fossiles.</p>
<p>Autre innovation porteuse : le Costa Rica et le Danemark ont <a href="https://beyondoilandgasalliance.com/news-events/">lancé une initiative</a> destinée à arrêter la délivrance de nouveaux permis d’exploration de pétrole et de gaz.</p>
<h2>La grande oubliée de la conférence : l’agriculture</h2>
<p>Si les questions énergétiques sont mieux traitées par la COP, ce n’est pas le cas des enjeux agricoles. <a href="https://theconversation.com/linquietante-flambee-des-prix-des-matieres-agricoles-170493">L’envolée des prix des matières agricoles de base</a> rappelle pourtant la vulnérabilité de l’agriculture face au réchauffement climatique.</p>
<p>Il y a urgence à accroître la résilience des systèmes agricoles en développant l’agroécologie qui favorise par ailleurs la baisse des émissions de méthane et de protoxyde d’azote. Cette problématique, cruciale pour la sécurité alimentaire, reste aujourd’hui malheureusement périphérique.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1459500024065368074"}"></div></p>
<p>Tant que l’enjeu agricole ne sera pas pleinement intégré, les déclarations tonitruantes sur la fin de la déforestation tropicale resteront peu crédibles : on n’arrêtera pas la déforestation par des déclarations d’intention, mais en agissant sur les causes du processus.</p>
<p>L’extension des usages agricoles en constitue le premier facteur. Pour l’interrompre, il faut trouver des alternatives économiquement viables et socialement justes pour les agriculteurs présents sur les fronts de déforestation.</p>
<h2>La bonne surprise de la quinzaine : le dialogue Chine/États-Unis</h2>
<p>Ce fut une réelle surprise. Tous les signaux étaient au rouge. Les négociateurs évoquaient avec nostalgie l’époque révolue de la conférence de Paris où l’axe sino-américain avait été un puissant facilitateur.</p>
<p>À Glasgow, les négociateurs en chef des deux pays se sont invités à la tribune. Ils s’y sont succédé pour présenter, le 10 novembre 2021, un <a href="https://www.state.gov/u-s-china-joint-glasgow-declaration-on-enhancing-climate-action-in-the-2020s/">communiqué commun</a> promettant notamment une accélération de l’action dès 2022 en ce qui concerne les réductions de méthane et le retrait des énergies fossiles.</p>
<p>Si ces réductions se concrétisent, l’impact direct est loin d’être négligeable. Les deux pays comptent encore pour 40 % des émissions mondiales. La reprise du dialogue pourrait aussi avoir un effet d’entraînement sur le reste du monde. C’est important, car le « Reste du monde » a pris, depuis le début de la décennie 2010, le relais de la Chine comme premier contributeur à l’accroissement des émissions globales, ainsi que le montre le graphique ci-dessous.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/431778/original/file-20211113-17238-m3nrik.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/431778/original/file-20211113-17238-m3nrik.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/431778/original/file-20211113-17238-m3nrik.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/431778/original/file-20211113-17238-m3nrik.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/431778/original/file-20211113-17238-m3nrik.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/431778/original/file-20211113-17238-m3nrik.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=564&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/431778/original/file-20211113-17238-m3nrik.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=564&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/431778/original/file-20211113-17238-m3nrik.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=564&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">C. de Perthuis (à partir de Olivier J.G.J. et Peters J.A.H.W. 2020, Trends in global CO₂ and total greenhouse gas emission : 2019 report, Report 4068. PBL Netherlands Environmental Assessment Agency, The Hague)</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Rendez-vous à Charm el-Cheikh</h2>
<p>Dans la chorégraphie propre aux sommets climatiques, l’impression est donnée qu’une brochette de chefs d’État, se rencontrant le temps de faire une belle photographie, aurait le pouvoir de décider du scénario climatique dans lequel le monde va s’engager.</p>
<p>La réalité est assez différente : les COP apportent un cadre et donnent des impulsions, mais c’est bien entre les COP que se décide l’action climatique.</p>
<p>Cette action est de plus en plus portée par deux moteurs.</p>
<p>Sous l’angle économique, la triple baisse des coûts des énergies renouvelables, du stockage de l’électricité et de la gestion intelligente des réseaux, élargit la gamme des alternatives aux énergies fossiles.</p>
<p>Au plan sociétal, la mobilisation de la génération montante, présente à Glasgow pour dénoncer le « bla-bla » des vétérans de la COP, continuera à exercer une pression croissante après la clôture de la conférence.</p>
<p>Ce double moteur économique et sociétal va pousser à l’accélération de l’action climatique d’ici la COP27, programmée fin 2022 en Égypte. Pour apprécier si les impulsions données à Glasgow se sont concrétisées, rendez-vous à Charm el-Cheikh…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171796/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian de Perthuis ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Évaluation des efforts climatiques des pays, sortie des énergies fossiles, décision sur le méthane, retour du dialogue Chine-US, poids de la société civile… La COP26 résumée en ses points essentiels.Christian de Perthuis, Professeur d’économie, fondateur de la chaire « Économie du climat », Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1577232021-04-12T20:34:13Z2021-04-12T20:34:13ZRetour sur l’« Affaire du siècle » : quand la justice climatique bouscule la division droit public-droit privé<p>Le 3 février dernier, la <a href="http://paris.tribunal-administratif.fr/Actualites-du-Tribunal/Communiques-de-presse/L-affaire-du-siecle">décision du tribunal administratif de Paris</a>, qui a reconnu l’existence d’un préjudice écologique lié au changement climatique dans le cadre de <a href="https://theconversation.com/decryptage-juridique-de-l-affaire-du-siecle-155053">l’Affaire du siècle</a>, a fait grand bruit en France.</p>
<p>À la suite du rejet par l’État français de demandes d’indemnisation, l’association Oxfam France, l’association Notre affaire à tous, la Fondation pour la nature et l’Homme et l’ONG Greenpeace France ont agi en justice afin de voir engagée la responsabilité de l’État pour les « carences fautives » de sa politique en matière de réduction de gaz à effet de serre (GES).</p>
<p>Le tribunal a fait droit à une partie de cette demande en jugeant l’État responsable, mais sans accorder une réparation pécuniaire, préférant exiger un supplément d’information pour déterminer les mesures propres à dédommager en nature le préjudice écologique.</p>
<p>Moins médiatisée, la décision rendue le 19 novembre 2020 par le Conseil d’État dans <a href="https://theconversation.com/plainte-de-grande-synthe-pour-inaction-climatique-pourquoi-la-decision-du-conseil-detat-fera-date-150654">l’affaire nommée « Grande-Synthe »</a> n’en était pas moins historique.</p>
<p>Première décision « climatique » du Conseil d’État, l’affaire avait été portée devant les tribunaux par la commune de Grande-Synthe et son maire. L’action en justice visait à contraindre le gouvernement à soumettre au Parlement toutes dispositions législatives propres à rendre obligatoire la priorité climatique, d’une part, et à prendre des mesures supplémentaires pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, d’autre part.</p>
<p>La première de ces deux demandes fut rejetée au motif que la question des rapports entre les pouvoirs exécutif et législatif échappe à la compétence du juge.</p>
<p>La seconde a été en revanche retenue : les hauts magistrats ont observé qu’en 2020, le gouvernement avait revu à la baisse l’objectif de diminution des émissions de GES pour la période 2019-2023, et ainsi opéré un décalage de la trajectoire pour atteindre l’objectif prévu pour 2030 par l’Accord de Paris (2015). Estimant manquer d’éléments pour déterminer si les mesures prises par l’État sont suffisantes pour s’y conformer, le Conseil d’État lui demande de démontrer que l’objectif demeure réaliste.</p>
<p>La justice climatique, qui s’étend sur le globe, prend progressivement de l’ampleur en France. Et ce mouvement, à n’en pas douter, fait bouger les lignes de notre droit national. Y compris de la sacro-sainte séparation entre le droit public, au service de l’intérêt général, et le droit privé, qui régit les relations entre personnes privées.</p>
<p>Dans les deux affaires, le rôle de l’État français dans la lutte contre le changement climatique est mis en cause.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/WTLIYbsnEP8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Victoire historique pour le climat : l’État condamné, l’inaction climatique est illégale ! (L’Affaire du siècle, 3 février 2021).</span></figcaption>
</figure>
<h2>Engagements internationaux opposables</h2>
<p>Celle jugée par le Conseil d’État est importante sur le terrain de la <a href="https://blog.leclubdesjuristes.com/un-tsunami-juridique-la-premiere-decision-climatique-rendue-par-le-conseil-detat-francais/">limite du pouvoir des juges</a> pour imposer l’action climatique au gouvernement. Il est en effet rappelé que le juge est compétent pour trancher sur la bonne application des lois promulguées, mais qu’il ne lui appartient pas de définir une politique climatique, c’est-à-dire de prendre la place des pouvoirs exécutif et législatif.</p>
<p>La décision rendue innove par ailleurs en fondant les obligations climatiques de la France sur ses engagements internationaux, notamment l’Accord de Paris de 2015. Les Français peuvent opposer à l’État des obligations climatiques issues d’engagements pris à l’égard d’autres États. Ici, la division publique et privée de notre droit n’est pas en cause : le juge reste sur le seul terrain du droit public.</p>
<h2>L’État responsable d’un « préjudice écologique »</h2>
<p>Dans « L’affaire du siècle » en revanche, le tribunal administratif de Paris juge l’État français responsable du préjudice écologique causé par sa carence à respecter les objectifs qu’il s’est lui-même fixés en matière de réduction d’émission de gaz à effet de serre.</p>
<p>Or, la notion de préjudice écologique et sa réparation relèvent de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006070721/LEGISCTA000033019029?init=true&nomCode=mNqhdw%3D%3D&page=1&query=pr%C3%A9judice+%C3%A9cologique&searchField=ALL&tab_selection=code&anchor=LEGIARTI000033019109">l’article 1246 du code civil</a>, donc du droit privé.</p>
<p>S’agissant du manquement de l’État, la décision répertorie dans un premier temps les engagements internationaux et nationaux de la France pour parler d’obligation générale de lutte contre le changement climatique. Elle observe ensuite que l’État n’a pas respecté le premier budget carbone, établi pour la période 2015-2018 <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/eli/loi/2015/8/17/DEVX1413992L/jo/texte;https://www.legifrance.gouv.fr/eli/decret/2015/11/18/DEVR1519707D/jo/texte">par une loi et un décret de 2015</a></p>
<p>Ce manquement est suffisant à mettre en cause sa responsabilité, quand bien même il serait démontré que les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre aux horizons 2030 et 2050 demeureraient atteignables. Quant au préjudice écologique, le tribunal rappelle que le principe énoncé par le code civil est celui de la réparation en nature.</p>
<p>C’est la première fois que le dérèglement climatique est reconnu <a href="https://theconversation.com/affaire-du-siecle-les-promesses-climatiques-risquent-dengager-ceux-qui-les-font-154800">comme un préjudice écologique</a> et qu’une juridiction de l’ordre administratif applique cette notion issue du droit privé.</p>
<h2>La frontière droit public–droit privé brouillée ?</h2>
<p>La séparation entre le <a href="http://pointdroit.com/difference-droit-prive-public/">droit public et le droit privé</a> est encore considérée comme la première division du droit français. Elle est donc à la base de notre système juridique et repose sur la nature des relations que le droit entend régir. Et cette nature dépend du type de personnes en relation.</p>
<p>Le droit public prend ainsi en compte la spécificité des liens au sein de l’administration et celles entre celle-ci et les administrés. Il regroupe notamment le droit constitutionnel, le droit administratif et le droit international public. Les juridictions administratives mettant traditionnellement en œuvre le droit public, la responsabilité de l’État est nécessairement administrative.</p>
<p>Le droit privé quant à lui considère la particularité de la relation entre les personnes : soit des individus, donc des personnes physiques, soit des personnes morales de droit privé (associations, sociétés, etc.). Il régit des relations interindividuelles et est composé, entre autres, du droit civil, du droit commercial, du droit du travail. Il est appliqué par les juridictions judiciaires.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/1rR9x1M6VVY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Les branches du droit (droit privé–droit public) (Juristudes, 22 décembre 2018).</span></figcaption>
</figure>
<p>Cette construction est toujours solide, mais le droit environnemental l’interroge. D’abord par le législateur qui a inséré dans le code civil la réparation du préjudice écologique, tournant ainsi le droit privé vers l’intérêt général. Ensuite par le juge qui applique cette notion dans une affaire relevant du droit public.</p>
<p>Le législateur modifie le paradigme préexistant d’un droit privé arbitrant entre les intérêts privés des individus et d’un droit public organisant l’intérêt général — bien que ce dernier ne soit pas absent du droit privé. Car l’enjeu climatique s’impose au collectif malgré l’absence d’une relation interindividuelle : en effet, le préjudice écologique n’est ici pas subi par une autre personne ou un groupe de personnes, mais bien par le climat.</p>
<p>Et le tribunal administratif de Paris accompagne ce mouvement en rendant poreuse la frontière entre la compétence des juridictions administratives et celle des juridictions judiciaires. Dans « L’affaire du siècle », il applique ainsi une règle de droit privé — la réparation du préjudice écologique — à une administration, l’État français.</p>
<p>Ce dernier est jugé administrativement responsable sur la base d’un texte conçu pour engager la responsabilité civile de l’auteur du manquement. Précisément car la réparation du préjudice écologique obéit à des considérations d’intérêt général dépassant toute relation interindividuelle.</p>
<h2>Une évolution importante</h2>
<p>Dans la lutte contre le dérèglement climatique, le rôle du droit est loin d’être anecdotique. Et le cloisonnement étanche entre droit privé et droit public qui primait jusqu’ici constituait un obstacle à l’efficacité juridique de cette lutte.</p>
<p>Mais au vu de l’ampleur du défi, il est logique d’en investir toutes les composantes de la société, y compris par la force du droit. L’ensemble des relations sociales doit donc être tourné vers l’intérêt général climatique. La décision du tribunal administratif de Paris nous montre que, dans ce contexte, la quête d’intérêt général poursuivie par le droit public peut s’appuyer sur le droit privé pour permettre la responsabilisation de l’État.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1083645552917663745"}"></div></p>
<p>Quant au droit privé, les évolutions législatives récentes en matière d’environnement invitent à repenser son sens. Sans doute ne peut-il plus être envisagé uniquement dans sa fonction d’arbitrage des intérêts privés divergents. Le droit privé des affaires a déjà pris cette direction en imposant de nouvelles obligations climatiques aux entreprises à l’égard de leurs parties prenantes.</p>
<p>La remise en cause d’un paradigme n’est pas anodine, elle bouscule nos repères historiques et philosophiques. Mais la lutte contre le changement climatique incite aussi les juristes à dépasser certaines frontières du droit.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/157723/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Michel Do Carmo Silva ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La récente décision du tribunal administratif de Paris dans l’affaire du siècle questionne cette division fondamentale du droit.Jean-Michel Do Carmo Silva, Professeur de droit, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1548002021-02-07T17:24:27Z2021-02-07T17:24:27Z« Affaire du siècle » : les promesses climatiques risquent d’engager ceux qui les font<p>La décision de justice rendue <a href="http://paris.tribunal-administratif.fr/content/download/179360/1759761/version/1/file/1904967190496819049721904976.pdf">ce jeudi 14 octobre 2021 par le tribunal administratif de Paris</a> a d’ores et déjà marqué les esprits.</p>
<p>Répondant à une requête initiale déposée par plusieurs ONG <a href="https://laffairedusiecle.net/qui-sommes-nous/">dans le cadre de « l’Affaire du siècle »</a>, cette décision de justice donne au gouvernement français jusqu’au 31 décembre 2022 pour « réparer le préjudice écologique » causé par le non-respect de ses engagements dans la lutte contre le dérèglement climatique via la réduction des émissions de gaz à effet de serre. </p>
<p>Si, dans sa décision, le tribunal ne spécifie pas les mesures à prendre, celle-ci témoigne néanmoins d’une nouvelle étape franchie dans la judiciarisation de la lutte climatique. </p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1448580588852715520"}"></div></p>
<p>Avec une lecture plus politique, cette décision nous parle aussi de la portée qu’il convient d’accorder aujourd’hui à un nouveau type de gouvernance : la gouvernance des engagements.</p>
<h2>S’engager, une forme de communication</h2>
<p>Les <a href="https://www.labase-lextenso.fr/revue-des-contrats/RDCO2009-1-004">juristes sont familiers des « engagements »</a> et n’ont de cesse de s’interroger sur leur qualification et portée juridiques. En droit, on les trouve en général dans des actes juridiques individuels souscrits par des personnes dans l’intention de créer des obligations au bénéfice d’une autre personne. L’étudiant de première année aura en tête l’exemple type du testament.</p>
<p>Aujourd’hui, les engagements dépassent toutefois ce cadre interpersonnel. Ils se nichent dans des normes générales, celles qui ont vocation à réguler l’ensemble des citoyens de manière impersonnelle, notamment ces règles adoptées par l’État, dites « programmatoires ». Alors que le droit est considéré sur la forme comme un ensemble de règles générales et abstraites, les normes contenant des engagements se montrent au contraire plus concrètes, remplies <a href="https://www.librairiedalloz.fr/livre/9782247089048-les-objectifs-dans-le-droit-bertrand-faure/-">d’objectifs à atteindre, souvent chiffrés et datés</a>.</p>
<p>Pour ceux qui y ont recours, ce droit d’engagements présente un double intérêt. Dans le champ politique, il rassure les citoyens. En s’engageant à remplir certains objectifs, l’État atteste de sa volonté d’agir, d’aller de l’avant, de prendre des décisions, de se montrer efficace. Sur le plan juridique – et parce que « les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent », pour reprendre les mots du président Jacques Chirac – l’engagement peut laisser penser à l’État qu’il n’est pas véritablement contraint par les objectifs énoncés. Aucun créancier précis n’étant identifié, comment pourrait-il être débiteur d’une quelconque obligation ?</p>
<p>L’engagement peut ainsi être ainsi perçu comme une nouvelle forme de « communication » par le droit.</p>
<h2>Des objectifs non atteints</h2>
<p>Avec l’Affaire du siècle cependant, au-delà de la condamnation de l’État pour le préjudice qu’il cause au climat, on assiste bien au procès de ce type de gouvernance.</p>
<p>Évoquant ici les « engagements », là les « objectifs », le juge n’hésite pas à mettre l’État face à ses responsabilités. Ses mots ont un sens. Relisons-les : l’État « a choisi de souscrire des engagements », il « s’est engagé à atteindre […] des objectifs », il se les ait « lui-même fixés », il « a reconnu sa capacité à agir », etc.</p>
<p>Certes, ce n’est qu’au regard des engagements pris en matière de réduction d’émissions de gaz à effet de serre que l’État se trouve condamné. Toutefois, s’agissant aussi bien de l’amélioration de l’efficacité énergétique que de l’augmentation de la part des énergies renouvelables dans la consommation finale brute d’énergie, le juge est clair : l’instruction atteste du fait que les objectifs que l’État s’est fixés n’ont pas été atteints.</p>
<figure>
<iframe src="https://player.vimeo.com/video/486795534" width="500" height="281" frameborder="0" webkitallowfullscreen="" mozallowfullscreen="" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Présentation vidéo de la stratégie nationale bas carbone (MAP/Vimeo, 2020).</span></figcaption>
</figure>
<h2>Les gouvernements et les entreprises</h2>
<p>Certains penseront sans doute qu’il n’y a pas péril en la demeure. La copie était mauvaise, mais c’est sans conséquence…</p>
<p>Justement pas. Une décision de justice ne se comprend pas uniquement au regard de la condamnation de la personne qu’elle vise. Elle se comprend aussi au regard de ce que dit le juge pour y parvenir. Et avec cette « Affaire du siècle », la chose est entendue : dans le domaine énergétique, l’État a failli. À l’État de réagir et à la société civile, aux citoyens, aux opposants politiques de prendre acte de cette vérité judiciaire, d’en faire ou non un argument du débat ou combat politique.</p>
<p>Surtout, en admettant la possibilité de regarder de plus près ces engagements, le juge pourrait bien avoir ouvert la boîte de Pandore. Car en matière environnementale, <a href="https://www.vigo-avocats.com/wp-content/uploads/article/s4/id366/8de766874ef3724963079f0ae81876d8.pdf">l’entreprise raffole tout comme l’État des engagements</a>.</p>
<p>On les rencontre à la lecture de certains documents qu’elle adopte et n’hésite pas à mettre en ligne, tels les chartes éthiques ou les codes de bonne conduite. Fruit de l’adhésion à des instruments de normalisation ou des référentiels internationaux, ils relèvent de ce nouveau monde normatif que l’entreprise s’est elle-même fabriqué, un monde de normes sur mesure : celui de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/responsabilite-societale-des-entreprises-rse-21111">responsabilité sociale des entreprises</a>, la RSE.</p>
<p>Ici, une entreprise s’engage à réduire les émissions de gaz à effet de serre issus de son activité ; là, une autre entend mettre sur le marché des obligations vertes tournées vers le développement des énergies renouvelables ; là encore, une banque promet de ne plus investir dans les énergies fossiles. À l’avenir désormais, il se pourrait que, comme l’État, les entreprises aient elles aussi à rendre des comptes devant les juges et que, piochant dans la boîte à outils du droit, les plaideurs trouvent les clés de leur condamnation.</p>
<h2>Toutes les potentialités de l’engagement</h2>
<p>Là encore, la parade ne semble pas très compliquée à trouver : il suffira d’adopter de <a href="https://mafr.fr/fr/article/les-fausses-promesses-des-entreprises-rse-et-droit/">« fausses promesses »</a>. Mais l’État et les entreprises ont-ils encore le choix de ne pas s’engager ?</p>
<p>L’Affaire du siècle est à ce titre éloquente : c’est en tant que signataire de <a href="https://unfccc.int/fr/processus-et-reunions/l-accord-de-paris/l-accord-de-paris">l’Accord de Paris sur le climat</a> et membre de l’Union européenne que l’État français, pour respecter les obligations qui lui sont imposées, doit à son tour s’engager de manière précise, avec des objectifs particuliers et datés – appelés <a href="https://theconversation.com/contributions-nationales-50286">« contributions déterminées au niveau national »</a>. Dans ce cadre, la France vise la <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/18222_SNBC_10-points_A4_oct2020.pdf">« neutralité carbone » pour 2050</a>, impliquant une division par 6 des émissions de gaz à effet de serre (par rapport à 1990).</p>
<p>C’est de son côté en tant que destinataire de lois, lui imposant de communiquer les engagements qu’elle adopte en matière environnementale et climatique – le fameux reporting qui ne cesse de se sophistiquer depuis la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000223114/">loi NRE du 15 mai 2001</a> –, mais aussi de mettre en œuvre un plan de vigilance comportant les mesures prises pour éviter les atteintes à l’environnement – loi sur le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000034290626/">devoir de vigilance du 27 mars 2017</a> – que l’entreprise se trouve obligée de s’engager.</p>
<p>Coincés dans les mailles du filet d’un ordre juridique qui les contraint à agir, ces deux acteurs se retrouvent aujourd’hui comme « pris au piège » de l’engagement.</p>
<p>Au-delà de ses aspects techniques, le jugement du tribunal administratif de Paris invite à prendre cette nouvelle gouvernance au sérieux. Loin de le dénigrer, ce sont bien toutes les potentialités de l’engagement qu’il met à l’honneur.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/154800/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mathilde Hautereau-Boutonnet a reçu des financements du CNRS et de la mission de recherche « Droit et justice ».</span></em></p>En condamnant l’État français pour son manquement en matière de lutte contre le changement climatique, le tribunal administratif de Paris interroge la gouvernance des engagements.Mathilde Hautereau-Boutonnet, Professeur de droit, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1506542020-11-23T20:30:16Z2020-11-23T20:30:16ZPlainte de Grande-Synthe pour inaction climatique : pourquoi la décision du Conseil d’État fera date<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/370792/original/file-20201123-15-wrgql8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Damien Carême, le maire de Grande-Synthe, à l’origine de la plainte déposée en 2019 auprès du Conseil d’État. </span> <span class="attribution"><span class="source">PHILIPPE HUGUEN / AFP</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Souvenez-vous : après avoir <a href="https://www.facebook.com/brutofficiel/videos/2157966174531144">déposé un recours gracieux</a> – resté sans réponse – en novembre 2018 auprès du gouvernement pour demander à la France d’intensifier sa lutte contre le changement climatique, Damien Carême, le maire de Grande-Synthe, une commune des Hauts-de-France particulièrement exposée aux risques de submersion marine et d’inondation, avait décidé de saisir le Conseil d’État. Sa plainte auprès de la haute juridiction <a href="https://www.lemonde.fr/climat/article/2019/01/23/le-maire-de-grande-synthe-attaque-l-etat-devant-le-conseil-d-etat-pour-inaction-climatique_5413378_1652612.html">visait « l’inaction climatique » des dirigeants français</a>.</p>
<p>Ce jeudi 19 novembre 2020, le Conseil lui a répondu, <a href="https://www.conseil-etat.fr/actualites/actualites/emissions-de-gaz-a-effet-de-serre-le-gouvernement-doit-justifier-sous-3-mois-que-la-trajectoire-de-reduction-a-horizon-2030-pourra-etre-respectee">avec une décision historique</a>, première en France. Selon cette décision, le gouvernement dispose de 3 mois pour justifier que la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre à laquelle il s’est engagé à l’horizon 2030 pourra être respectée, le Conseil d’État rappelant que :</p>
<blockquote>
<p>« […] si la France s’est engagée à réduire ses émissions de 40 % d’ici à 2030, elle a, au cours des dernières années, régulièrement dépassé les plafonds d’émissions qu’elle s’était fixés et que le décret du 21 avril 2020 a reporté l’essentiel des efforts de réduction après 2020. »</p>
</blockquote>
<p>Il s’agit du premier <a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-justice-climatique-proces-et-actions-149750">contentieux climatique</a> emblématique contre l’État français. Cette décision suppose une <a href="https://theconversation.com/la-montee-en-puissance-dune-justice-climatique-mondiale-105867">avancée extraordinaire dans la lutte contre le changement climatique</a>, permettant de clarifier un certain nombre de points tenant aux engagements de la France et à leurs <a href="https://theconversation.com/les-proces-climatiques-gagnent-la-france-quatre-initiatives-a-suivre-de-pres-109543">conséquences pour l’État</a>.</p>
<h2>Trois avancées majeures</h2>
<p>Saisi donc en février 2019 par la commune de Grande-Synthe et son maire Damien Carême – initiative rejointe par les villes de Paris et de Grenoble, puis par quatre ONG (Oxfam France, Greenpeace France, Notre affaire à tous, la Fondation Nicolas Hulot, également réunies au sein du groupe « l’Affaire du siècle ») –, le Conseil d’État devait répondre sur un recours <a href="https://www.lemonde.fr/climat/article/2019/01/23/le-maire-de-grande-synthe-attaque-l-etat-devant-le-conseil-d-etat-pour-inaction-climatique_5413378_1652612.html">pour excès de pouvoir</a>, élaboré par l’avocate et ancienne ministre de l’Environnement Corinne Lepage.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/pF-3PsDNC_U?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Grande-Synthe : le maire écologiste Damien Carême attaque l’État pour « inaction climatique ». (France 3 Hauts-de-France/Youtube, 2018).</span></figcaption>
</figure>
<p>Les demandes contenues dans les requêtes tendaient, d’abord, à ce que soient prises toutes mesures utiles permettant d’infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national – de manière à respecter a minima les engagements consentis par la France au niveau international et national.</p>
<p>Il était également demandé à ce que soient mises en œuvre des mesures immédiates d’adaptation au changement climatique en France. Enfin, la requête tendait à ce que soient prises toutes dispositions d’initiatives législatives et réglementaires afin de « rendre obligatoire la priorité climatique » et interdire toute mesure susceptible d’augmenter les émissions de gaz à effet de serre.</p>
<p>La décision du Conseil d’État, si elle a rejeté deux des demandes – celle concernant la « priorité climatique », pour manque de précisions sur le concept lui-même, puis la requête de Damien Carême à titre personnel – demeure néanmoins très positive et intéressante. Le gouvernement va devoir fournir dans les trois mois les informations <a href="https://www.conseil-etat.fr/actualites/actualites/emissions-de-gaz-a-effet-de-serre-le-gouvernement-doit-justifier-sous-3-mois-que-la-trajectoire-de-reduction-a-horizon-2030-pourra-etre-respectee">permettant de montrer et de justifier</a> que le pays est bel est bien dans l’orbite des objectifs de réduction de gaz à effet de serre auxquels il s’est engagé.</p>
<p>Cet engagement doit être d’ailleurs compris dans un triple sens : d’abord celui de la portée des engagements découlant des textes de droit international (la <a href="https://unfccc.int/fr/processus-et-reunions/la-convention/qu-est-ce-que-la-ccnucc-la-convention-cadre-des-nations-unies-sur-les-changements-climatiques">Convention-cadre des Nations unies pour le changement climatique</a> et <a href="https://unfccc.int/files/essential_background/convention/application/pdf/french_paris_agreement.pdf">l’Accord de Paris</a>) ; ensuite, de ceux dérivés du droit européen, puis des obligations prenant source dans le droit national, au titre notamment de la <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/loi-energie-climat">loi énergie climat de 2019</a> et du décret fixant la <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/strategie-nationale-bas-carbone-snbc">stratégie bas carbone</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/de65R9Zye8Y?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">La présidente du Haut Conseil pour le Climat tire la sonnette d’alarme. (Public Sénat/Youtube, février 2020)</span></figcaption>
</figure>
<p>Dans la décision du Conseil d’État, trois points constituant des avancées majeures pour la lutte contre le changement climatique méritent d’être soulignés.</p>
<p>D’abord, c’est la première fois que le Conseil se prononce sur la place et le rôle de l’Accord de Paris dans le droit climatique français. Ensuite, la haute juridiction, qui n’avait pas encore eu à trancher sur la question du retard pris par la France dans l’accomplissement de ses objectifs de réduction, le fera ici également de manière liminaire. Enfin, c’est sur le manque de cohérence entre les résultats et les moyens pris que le Conseil d’État se prononce en faisant écho aux <a href="https://www.hautconseilclimat.fr/publications/rapport-2019/">propos du Haut Conseil pour le climat recueillis dans son rapport de 2019</a>.</p>
<h2>La place de l’Accord de Paris dans le droit français</h2>
<p>Suivant une jurisprudence déjà bien établie, le Conseil d’État rappelle que l’Accord n’a pas d’effet direct, mais il souligne qu’il faut néanmoins en tenir compte afin de mieux orienter et guider le droit climatique national. La haute juridiction a ainsi affirmé (point 12 de sa décision) que son contenu doit être « pris en considération dans l’interprétation des dispositions de droit national […] ».</p>
<p>Cette affirmation est cruciale : non seulement elle rappelle l’importance d’aligner le droit national sur les objectifs de l’Accord de Paris, mais elle reconnaît implicitement la nécessité d’avoir un cadre national de référence qui soit cohérent avec ses objectifs ainsi que ceux fixés dans les engagements européens. Le Conseil d’État va ainsi rappeler les engagements pris par la France, pour affirmer ensuite, aux points 9 et 10 de sa décision, que :</p>
<blockquote>
<p>« […] les stipulations de la CCNUCC et de l’Accord de Paris […] doivent néanmoins être prises en considération dans l’interprétation des dispositions de droit national, notamment celles se référant aux objectifs qu’elles fixent, qui ont précisément pour objet de les mettre en œuvre ».</p>
</blockquote>
<p>Le Conseil d’État confirme bien ici que le gouvernement a une obligation de suivre, dans ses actes législatifs, réglementaires et administratifs, les objectifs fixés par l’Accord et auxquels la France s’est engagée. Dans ce cadre, le Conseil rappelle (point 13 de sa décision) que « l’article 2 du décret du 18 novembre 2015 a fixé pour la période 2015–2018 […] une valeur limite de 442 Mt de CO<sub>2</sub>eq par an ». Une limite dépassée par la France… dès 2016.</p>
<p>Il rappelle également (point 11) le rôle primordial de la stratégie nationale bas carbone en tant que texte permettant de fixer et décliner ces objectifs. De même, le Conseil souligne le rôle essentiel qui « revient à la fois à l’État et aux collectivités territoriales ».</p>
<p>Cette décision, pionnière dans son genre en France, s’inscrit dans une dynamique contentieuse déjà enclenchée en <a href="https://theconversation.com/la-montee-en-puissance-dune-justice-climatique-mondiale-105867">Europe et dans le monde</a>, soulignée récemment aux Pays-Bas par la décision Urgenda en cassation (décembre 2019) et aussi par nos voisins britanniques concernant une décision sur l’aéroport de Heathrow en février 2020 ; également par une décision de la Cour Suprême d’Irlande d’août 2020.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1057582761203167233"}"></div></p>
<h2>L’obligation naissante de « justification »</h2>
<p>Par cette décision, le Conseil d’État demande à l’État de lui fournir davantage d’informations dans les trois mois (point 16 de la décision).</p>
<p>Quelle est la portée de ces propos ? On peut sans doute en déduire le fait que le Conseil souhaite indiquer à l’État qu’il doit désormais s’expliquer sur ces objectifs. Le juge est ainsi placé dans son rôle de contrôle de l’action publique. On y voit également l’ébauche d’une obligation naissante de « justification » climatique des actes administratifs et des mesures législatives et réglementaires.</p>
<p>Il serait néanmoins utile de s’interroger sur la nature de cette demande de justification : s’agit-il d’une obligation de résultat ou plutôt d’une obligation de moyens ? Autrement dit, faut-il voir dans le fait que le gouvernement devra rendre de comptes dans les trois mois – en apportant des éléments confirmant que la trajectoire de réduction sera tenue dans les délais –, une obligation de moyens, allant bien plus loin qu’une simple obligation de résultats ?</p>
<p>Si désormais l’État doit justifier de l’effectivité des objectifs et des mesures contenues dans les différents documents de planification climatique et énergétique, tout porte à croire que l’on se dirige vers ce type d’obligation, ce qui ouvrira la voie à de futurs contentieux climatiques, en permettant de clarifier l’épineuse question du niveau de contrainte des textes et réglementations en matière climatique en France.</p>
<p>Ce point doit être complété par un second aspect de la décision, qui affirme le retard pris par la France dans l’accomplissement de ces objectifs climatiques. C’est ainsi la question de « l’urgence » à traiter la question climatique qui revient en force.</p>
<h2>Des contours bien plus précis pour l’« urgence climatique »</h2>
<p>Le Conseil dénonce en effet le retard pris par la France ou du moins le « décalage » existant entre les mesures prises et les objectifs fixés en expliquant, au point 11 de sa décision, que :</p>
<blockquote>
<p>« les modifications apportées par le décret du 21 avril 2020 par rapport à ce qui avait été envisagé en 2015, revoient à la baisse l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet au terme de la période 2019-2023, correspondant au 2<sup>e</sup> budget carbone, et prévoient ce faisant un décalage de la trajectoire de réduction des émissions qui conduit à reporter l’essentiel de l’effort après 2020, selon une trajectoire qui n’a jamais été atteinte jusqu’ici ».</p>
</blockquote>
<p>La haute juridiction ébauche de la sorte un contenu précis et effectif à donner à « l’urgence climatique », affirmée par la loi énergie-climat du 8 novembre 2019 mais jamais véritablement définie. Le Conseil explique dans ce sens (dans le point 14) que la trajectoire de réduction fixée pour 2030 semble difficile à atteindre compte tenu des objectifs fixés par la stratégie nationale bas carbone précitée. Ce manque de cohérence avait déjà été pointé par le Haut Conseil pour le climat dans son <a href="https://theconversation.com/climat-le-haut-conseil-livre-un-premier-rapport-tres-critique-sur-laction-francaise-119707">premier rapport</a> de juin 2019.</p>
<p>De ce constat découle la nécessité pour l’État de fournir des éléments d’information permettant de vérifier ce point.</p>
<h2>Une voie prometteuse pour la justice climatique</h2>
<p>Cette décision historique ouvre une voie prometteuse pour l’avenir du contentieux climatique en France et ailleurs. Les conséquences de cet arrêt peuvent être lourdes pour le gouvernement car, faute de justifier d’ici trois mois qu’il a bien respecté les objectifs fixés, il risque d’être enjoint de le faire, voire même, de devoir prendre toutes les mesures législatives et réglementaires pour y parvenir. </p>
<p>L’issue de ce procès peut aussi, et surtout, entraîner des conséquences très positives pour l’avenir de la lutte contre le changement climatique en France. Dans son communiqué de presse, le Conseil indique que « si les justifications apportées par le gouvernement ne sont pas suffisantes, le Conseil pourra alors faire <a href="https://www.conseil-etat.fr/actualites/actualites/emissions-de-gaz-a-effet-de-serre-le-gouvernement-doit-justifier-sous-3-mois-que-la-trajectoire-de-reduction-a-horizon-2030-pourra-etre-respectee">droit à la requête de la commune de Grande-Synthe</a> et annuler le refus de prendre des mesures supplémentaires permettant de respecter la trajectoire prévue pour atteindre l’objectif de -40 % à horizon 2030 ». Ce qui pourrait obliger, dans une certaine mesure, le gouvernement à replanifier et réorienter ses politiques climatiques.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-justice-climatique-proces-et-actions-149750">Bonnes feuilles : « Justice climatique, procès et actions »</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Rendez-vous donc dans trois mois. Et il faudra également suivre de près les éventuelles retombées de cette décision sur celle qui doit être bientôt rendue par le tribunal administratif de Paris <a href="https://theconversation.com/affaire-du-siecle-et-autres-proces-climat-que-peut-vraiment-le-juge-114669">dans le cadre de « l’Affaire du siècle »</a>. </p>
<p>Par une voie de dialogue prometteuse entre les juges, l’État et la société civile, la <a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-justice-climatique-proces-et-actions-149750">justice climatique</a> progresse en France.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/150654/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marta Torre-Schaub ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Cette décision, pionnière dans son genre en France, s'inscrit dans une dynamique contentieuse déjà enclenchée en Europe et dans le monde.Marta Torre-Schaub, Directrice de recherche CNRS, juriste, spécialiste du changement climatique et du droit de l’environnement et la santé, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1497502020-11-11T17:32:36Z2020-11-11T17:32:36ZBonnes feuilles : « Justice climatique, procès et actions »<p><em>Nous publions un extrait de l’ouvrage de la juriste Marta Torre-Schaub, <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/ecologie-environnement-sciences-de-la-terre/justice-climatique/">« Justice climatique, procès et actions »</a>, paru le 5 novembre 2020 aux éditions CNRS. Dans ce passage, l’autrice tente de définir le cadre qui a vu émerger ces dernières années un peu partout dans le monde des « procès climatiques », qu’ils visent des États ou des entreprises. Retrouvez également sur notre site l’<a href="https://theconversation.com/profiles/marta-torre-schaub-335625/articles">ensemble des articles de Marta Torre-Schaub</a> consacrés à ces initiatives.</em></p>
<hr>
<p>Les recours climatiques visent à une mise en œuvre effective de la justice climatique au moyen d’une mobilisation du droit et des droits. D’autres types de mobilisations citoyennes ont vu le jour au début des années 2000 autour des Conférences des Parties dans le cadre des négociations climatiques au sein des Nations unies, réunissant les pays signataires de la Convention cadre sur les changements climatiques (CCUCN) de 1992 et le Protocole de Kyoto (1997). Elles prenaient tantôt la forme de side events, à l’écart des négociations « officielles », tantôt celle de mouvements locaux de protestation contre certains projets précis jugés « climaticides », notamment en Amérique latine.</p>
<p>La mobilisation de la société civile autour des ONG locales ou internationales, prenant pour principal mode d’action le droit et l’utilisant pour attaquer en justice des États et/ou des entreprises est plus récente et, si elle apparaît dans certains pays anglo-saxons au début des années 2000, elle connaît un plus grand développement et se généralise à partir de 2015, autour de l’affaire Urgenda aux Pays-Bas. Aujourd’hui, cette mobilisation du droit est pleinement assumée par les ONG militantes, et utilisée comme stratégie à la fois contentieuse et politique.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1057574313287712768"}"></div></p>
<p>Que l’on ne s’y trompe pas, la justice climatique au moyen des actions judiciaires est un acte juridique, mais il n’en est pas moins politique. Pour les ONG militantes, ces actions sont un moyen d’occuper un terrain politique de plus en plus concurrentiel. Le but de ces mobilisations du droit autour de la justice climatique est triple. D’une part, faire entendre de nouvelles voix face à la menace climatique. D’autre part, mettre les États et les entreprises face à leurs responsabilités suite aux inactions ou à l’insuffisance des mesures d’atténuation et d’adaptation, car, comme l’a confirmé l’Accord de Paris, aucun texte international en matière climatique n’impose des obligations juridiques et contraignantes aux États. Enfin, lutter contre le changement climatique de manière innovante et originale.</p>
<p>Les villes aussi se mobilisent autour du climat, en dénonçant des politiques publiques parfois trop centralisées, et peu adaptées aux enjeux locaux. Puis, plus récemment, ce sont des adolescents de différents pays qui ont organisé des « marches pour le climat », des « grèves scolaires » et autres contestations ou actes de désobéissance civile. En novembre 2019, Greta Thunberg s’est rendue à la COP25 du climat à Madrid, après un voyage largement médiatisé, afin de témoigner du manque d’action de la communauté internationale et des États face au changement climatique. Deux mois plus tôt, au cours du Sommet pour le Climat des Nations unies qui s’est tenu à New York, elle s’était présentée, accompagnée d’un groupe formé de quinze camarades, devant le Comité de défense des droits des enfants pour déposer une plainte contre six pays, dont la France. L’objet de cette plainte était de dénoncer le fait que les effets du changement climatique entraînaient une violation des droits des enfants. La France ayant signé le Protocole de protection des droits des enfants, pourrait notamment faire l’objet d’une enquête du Comité, dans le cas où ce dernier estimerait qu’une violation grave et systématique de ces droits a été commise.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/MrHwu9MjkUE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Greta Thunberg à la COP25. (Euronews, 2019).</span></figcaption>
</figure>
<p>Au Royaume-Uni, mais également en France depuis peu, l’urgence climatique, si elle n’a pas de contenu juridique certain, est reconnue et admise par les différents parlements et assemblées. En septembre 2019, le juge du tribunal correctionnel de Lyon rendait même une décision assez controversée en prononçant la relâche des militants écologiques qui avaient décroché des portraits du président de la République dans plusieurs mairies : un « état de nécessité », conséquence du changement climatique et de l’inaction de l’État, « justifierait » ces actes et permettrait ainsi de ne pas considérer ces actions comme un délit, alors qu’elles avaient pourtant au préalable été qualifiées ainsi par le Procureur de la République. Si cette décision largement critiquée n’a pas été suivie par d’autres magistrats, elle montre bien que l’état d’urgence climatique peut parfois primer sur le respect des symboles de la République.</p>
<p>Mais dans ce contexte, quel droit est mobilisé pour la justice climatique et quels droits servent d’inspiration à ces actions ?</p>
<h2>Une mobilisation du droit et des « droits »</h2>
<p>Aller au prétoire pour résoudre un problème planétaire mal résolu par le droit international, voilà qui est novateur.</p>
<p>Il conviendrait avant toutes choses de se mettre d’accord sur ce que nous entendons par procès climatique. Il n’en existe pas à ce jour de définition standard ni prédéterminée. Nous ne saurions pour l’heure que nous contenter d’indices sur ce type de contentieux. Il existe cependant des études récentes dédiées à ces actions en justice qui proposent des définitions assez rapprochées. Alors qu’il s’agit pour la plupart de ces contentieux d’obtenir un effet de médiatisation de certains enjeux – profitant d’événements comme les COP –, certains éléments communs à ces procès nous permettent néanmoins de les caractériser comme des « groupes » processuels ou du moins thématiques. Prenant ainsi toutes précautions épistémologiques, « le Climate Change Litigation » se définit, selon les auteurs Markell et Ruhl, comme « tout litige administratif ou judiciaire fédéral, étatique, tribal ou local dans lequel les dépôts de pièces ou les décisions du tribunal soulèvent directement et expressément une question de fait ou de droit concernant la substance ou la politique des causes et des impacts du changement climatique ».</p>
<p>La définition étant assez large, elle permet autant de couvrir des litiges considérés comme « emblématiques » ou « symboliques » que des actions ayant pour objectif de faire annuler des projets concrets et précis (un projet d’ouvrage d’aéroport, une activité d’exploitation de ressources extractives ou minières, par exemple) considérés comme nocifs pour le climat. On doit également y inclure des actions relevant de la dimension pénale, comme celles des « décrocheurs » des portraits du président Emmanuel Macron en France.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/LpuZ0bgtuiU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Les « décrocheurs de portrait » manifestent pour le climat à Paris. (Euronews, 2019).</span></figcaption>
</figure>
<p>Un rapport du PNUE a proposé un recensement de ce type de contentieux. Selon cette étude, mise à jour en mai 2017, des actions climatiques ont été déposées dans 24 pays dont 654 affaires aux États-Unis et plus de 230 dans les autres pays du monde. Plus récemment, le Sabin Center de l’Université de Columbia à New York a recensé environ 950 recours climatiques.</p>
<p>Il est également utile d’établir une typologie des actions, qui permet d’avoir une meilleure visibilité de la nature des recours en justice. Pour ce faire, nous pouvons nous fonder sur les différents types de droits invoqués par les plaignants – droits substantiels, droits procéduraux, droit national, droit international, droit civil, droit administratif, commercial ou pénal. On peut même motiver sa demande sur les droits fondamentaux, ou à l’appui des droits de l’homme, ou encore invoquer le droit de propriété, ou le droit de la responsabilité patrimoniale administrative, ou encore de manière plus précise le droit du climat, le droit de la biodiversité ou le droit de l’environnement dans son ensemble, etc.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/149750/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marta Torre-Schaub ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Des centaines d’actions en justice sont actuellement en cours pour réclamer des États et des entreprises une meilleure prise en compte des dérèglements climatiques et des actions efficaces.Marta Torre-Schaub, Directrice de recherche CNRS, juriste, spécialiste du changement climatique et du droit de l’environnement et la santé, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1376382020-05-06T18:45:54Z2020-05-06T18:45:54ZPost-Covid : les outils du droit contre la régression environnementale<p>Dans le contexte du changement climatique, les pandémies s’annoncent plus fréquentes, plus létales et plus rapides, comme <a href="https://theconversation.com/comment-les-changements-environnementaux-font-emerger-de-nouvelles-maladies-130967">l’ont montré de nombreuses études</a>.</p>
<p>En pleine crise sanitaire, légiférer dans l’urgence semble indispensable, mais le droit d’après devra prendre son temps. Nous laisser embarquer dans une société commandée par les « états d’urgence », sans questionnement et réflexion, est dangereux. La prévision, l’anticipation et la résilience devraient au contraire habiter l’esprit de notre droit contemporain.</p>
<p>La crise économique qui va succéder à la crise sanitaire fait craindre que l’on sacrifie à l’urgence économique l’urgence environnementale. En la matière, le droit est en pleine évolution, et un des outils juridiques dont il dispose justement est celui du principe de non-régression.</p>
<h2>Un principe reconnu dans plusieurs pays</h2>
<p>Les principes juridiques de progressivité (utilisé notamment pour les avancées des droits fondamentaux) et de non-régression (plus récent et circonscrit à la question environnementale) obligent à appliquer la règle de la norme la plus favorable pour l’intérêt public. Nous nous intéressons ici plus précisément à leur application environnementale.</p>
<p>Sur le plan international, le principe de progressivité est notamment appliqué aux droits de l’homme <a href="https://hudoc.echr.coe.int/FRE#%7B%22itemid%22">devant différentes cours régionales</a>.</p>
<p>Il apparaît également dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966. Celui-ci oblige les États-parties à informer des progrès accomplis en la matière. La Cour européenne des droits de l’Homme confirme cette tendance à la progressivité d’un droit à l’environnement sain dans un <a href="https://hudoc.echr.coe.int/fre#%7B%22itemid%22:">arrêt Tatar contre Roumanie du 27 janvier 2009</a>.</p>
<p>Dans certains pays européens, le principe du « standstill » (ou effet cliquet) est présent depuis longtemps et a des <a href="http://www.asbl-csce.be/journal/Ensemble%2092_dossier8">applications pratiques assez larges</a>. En Belgique par exemple, le Conseil d’État jugeait en 2005 que la suppression des évaluations d’impact environnemental lors de l’élaboration d’un plan d’aménagement constituait une <a href="https://www.persee.fr/doc/rjenv_0397-0299_2005_hos_30_1_4356">violation de ce principe</a>, qui limite les possibilités de recul sur les droits fondamentaux.</p>
<p>En Amérique latine, le Pérou a reconnu en 2005 le droit constitutionnel à un environnement sain et a posé le principe de responsabilité du législateur dans l’amélioration permanente de la protection de l’environnement. Au Costa Rica, la Cour suprême de justice a de son côté sanctionné la violation du principe de progressivité des droits humains dans le domaine de l’environnement. Quant à la Colombie, sa justice a prononcé plusieurs décisions sur la non-régression des droits socio-économiques, culturels et environnementaux.</p>
<p>Au niveau mondial, plusieurs États ont par ailleurs exprimé dès 2012 leur volonté de ne plus reculer en matière de protection de l’environnement, lors de la conférence des Nations unies sur le développement durable Rio+20.</p>
<h2>Un principe encore très limité en France</h2>
<p>En France, ce principe de progressivité en matière environnementale n’est gravé dans le marbre sous le nom de principe de non-régression qu’en 2016, dans la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000033016237&categorieLien=id">loi pour la reconquête de la biodiversité du 8 août 2016</a>. Sa consécration constitutionnelle apparaît désormais capitale pour <a href="https://lapenseeecologique.com/principe-de-non-regression-et-constitution/">qu’il ait une réelle portée</a>. Dans le cas inverse, une bonne raison justifiera toujours d’abaisser le niveau de protection de l’environnement.</p>
<p>La loi en question introduit dans le code de l’environnement quatre nouveaux principes, parmi lesquels la non-régression. Cette dernière est définie comme un principe « selon lequel la protection de l’environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l’environnement, ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment ».</p>
<p>S’il est salué comme une avancée majeure pour l’évolution du droit de l’environnement, sa relative nouveauté et certaines limites interrogent encore en France sa normativité, sa portée et ses évolutions.</p>
<p>L’obligation de progressivité environnementale n’est pas absolue ni illimitée. Elle reste conditionnée à la marge d’appréciation dont dispose l’État dans la sélection des mécanismes et à l’ensemble de la liste des droits fondamentaux avec lesquels elle doit coexister dans un juste équilibre.</p>
<p>En France, le juge administratif peine encore à l’appliquer, le juge judiciaire ne semble pas l’avoir encore fait et le juge constitutionnel ne le reconnaît que de manière limitée.</p>
<h2>L’interprétation du Conseil constitutionnel</h2>
<p>Malgré tout, d’importants progrès ont été faits. Le Conseil constitutionnel avait déjà affirmé la conformité « partielle » du principe de non-régression en droit de l’environnement avec la Constitution <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2016/2016737DC.htm">dès 2016</a> lorsqu’il fut appelé à se prononcer sur la compatibilité de la loi biodiversité avec la Constitution.</p>
<p>Depuis, il a précisé les contours tout en restreignant sa portée : le principe doit s’étendre à tout l’environnement mais pas aux situations individuelles. Les préfets ont de plus la possibilité de déroger à certaines normes environnementales, sans que ce nouveau pouvoir ait été jugé incompatible <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=93E4E52F24D50EAAB3380F71C8D45F7C.tplgfr27s_1?cidTexte=JORFTEXT000036340460&dateTexte=&oldAction=rechJO&categorieLien=id&idJO=JORFCONT000036339087">avec le principe de non-régression</a>. De quoi inquiéter <a href="https://www.actu-environnement.com/ae/news/pouvoir-derogation-prefets-normes-environnement-decision-Conseil-Eta-experimentation-principe-non-regression-33634.php4">sur son avenir</a>.</p>
<p>Si le Conseil reconnaît sa portée normative, seul un juge saisi d’un litige pourra ensuite préciser son application. Il n’est par ailleurs « imposé » qu’aux pouvoirs publics et ne pourra en aucun cas constituer une faute civile ou pénale susceptible d’engager la responsabilité d’une personne privée.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1169198295509557248"}"></div></p>
<h2>Où en est-on actuellement ?</h2>
<p>Le 30 janvier 2020, le Conseil Constitutionnel s’est prononcé en faveur de la protection de l’environnement, à propos de la production et l’exportation des pesticides, <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2020/2019823QPC">faisant ainsi le lien avec la santé humaine</a>.</p>
<p>Il y estime que cette préservation représente un « intérêt général de la nation » et fait partie du « patrimoine commun de l’humanité ». Elle doit donc primer face à la liberté de commerce et circulation des produits. Décision remarquable, qui suscite toutefois trois interrogations.</p>
<p>En premier lieu, le principe de non-régression est-il applicable aux droits de « tiers » ? Autrement dit, doit-il s’appliquer à « chaque fois » que l’on demande à l’administration une autorisation pour une construction ou une exploitation de ressources susceptible d’avoir une incidence sur l’environnement ? À l’heure où l’on doit penser l’après-crise du Covid-19 et la relance des activités, il s’agit d’une question plus que légitime.</p>
<p>En second lieu, s’agit-il d’un principe de portée générale – applicable systématiquement à chaque fois qu’il y aura menace ou risque d’atteinte à l’environnement – ou ne peut-il s’appliquer, de manière plus restreinte, que lorsque « le droit subjectif – individuel ou collectif – à l’environnement sain » de chacun est menacé ? Cet aspect est crucial pour l’avenir de l’écologie mais également pour le droit à la santé, tous les deux étroitement liés.</p>
<p>Troisième question, en matière législative, l’effet cliquet du principe de non-régression n’est pas absolu. Il est encadré par un principe supérieur de libre abrogation des lois afin de respecter les exigences constitutionnelles et reste donc subordonné à une mise en balance des intérêts constitutionnels à promouvoir et ceux, environnementaux, à conserver.</p>
<p>Par ailleurs, et si l’on reprend sa terminologie consacrée dès 2016, restée depuis inchangée, le <a href="http://www.conseil-constitutionnel.fr/">principe de non-régression</a> ne devra pas, selon le Conseil constitutionnel, empêcher que le droit s’adapte à l’évolution des circonstances et à des intérêts généraux autres que celui de la protection de l’environnement. Le principe semble donc voué à avoir une certaine souplesse et à servir d’orientation plus que d’obligation pour les politiques publiques.</p>
<h2>Non-régression et précaution</h2>
<p>Comment entendre cette interprétation au moment charnière où nous nous trouvons ?</p>
<p>Retenons en premier lieu que l’amélioration constante de la protection de l’environnement suivant le principe de non-régression ne fait « pas obstacle à ce que le législateur modifie ou abroge des mesures adoptées provisoirement en application de l’article 5 de la Charte de l’environnement pour mettre en œuvre le principe de précaution ».</p>
<p>La question qui se pose est dès lors celle de savoir si une politique publique prise au nom du principe de non-régression environnementale, peut aussi être abrogée si elle est contraire au principe de précaution. Quel est l’équilibre à trouver entre le principe de non-régression environnementale et le principe de précaution, valable à la fois pour l’environnement mais aussi pour la santé ?</p>
<p>On le voit bien, la consécration de sa valeur normative demeure subordonnée à un arbitrage laissé au juge entre divers intérêts constitutionnels à promouvoir et intérêts environnementaux à préserver. Ce qui est très insuffisant pour qu’il soit efficace.</p>
<h2>Évaluations environnementales et non-régression</h2>
<p>À ce jour, l’interprétation du principe de non-régression <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do?idTexte=CETATEXT000039198210">demeure donc pour le moins « souple »</a>.</p>
<p>Le 9 octobre 2019, le Conseil d’État a jugé qu’une disposition du décret du 3 avril 2018, relatif à l’adaptation en Guyane des règles en matière d’évaluation environnementale, avait violé le principe de non-régression. En effet, elle exonérait des projets de déboisement de toute étude d’impact, lorsqu’ils concernaient des zones non agricoles de moins de 5 hectares.</p>
<p>Mais la décision expose aussi qu’une autre disposition en cause du décret, exemptant d’évaluation des projets de déboisement sur des zones classées agricoles de moins de 20 hectares, ne méconnaissait pas le principe de non-régression. Ces catégories de projet pouvaient pourtant avant ce décret faire l’objet d’une telle évaluation environnementale, décidée au cas par cas.</p>
<h2>Vers une consécration internationale ?</h2>
<p>Le principe de non-régression de la protection environnementale, pilier de notre droit de l’environnement et véritable outil de prévention demeure encore trop limité et peu retenu par le juge français.</p>
<p>Les requérants doivent en outre systématiquement prouver et justifier la baisse du niveau de protection, ce qui n’améliore pas forcément l’accès à la justice en la matière. Un espoir apparaît toutefois, puisque deux projets internationaux (le <a href="https://globalpactenvironment.org/">Pacte global pour l’environnement</a> et le Pacte pour la protection des droits de l’homme et de l’environnement) mettent au centre le <a href="https://cidce.org/wp-content/uploads/2017/01/Projet-de-Pacte-international-relatif-au-droit-des-e%CC%82tres-humains-a%CC%80-l%E2%80%99environnement_16.II_.2017_FR.pdf">principe de non-régression</a>.</p>
<p>Ce dernier pourrait alors devenir une base générale de la protection de l’environnement au niveau international. La France, jusqu’ici en avance par rapport à d’autres pays, risque alors de perdre du terrain sur la portée de ce principe. À moins que les juges ne donnent une nouvelle impulsion à son application.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/137638/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marta Torre-Schaub ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La crise économique provoquée par la crise sanitaire fait craindre des régressions dans la lutte contre le changement climatique. Un principe juridique existe : la non-régression environnementale.Marta Torre-Schaub, Directrice de recherche CNRS, juriste, spécialiste du changement climatique et du droit de l’environnement et la santé, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1331892020-04-16T17:22:29Z2020-04-16T17:22:29ZComment rendre l’Europe des 47 crédible face à l’urgence environnementale ?<p>Frappée de plein fouet par le Covid-19, l’Europe commence à regarder vers l’après, et beaucoup craignent que les enjeux environnementaux soient éclipsés par la crise. Les appels à saisir cette opportunité pour s’engager dans un tournant écologique majeur <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/14/en-europe-il-nous-faudra-developper-un-modele-de-prosperite-nouveau_6036495_3232.html">se multiplient</a>.</p>
<p>Ce type d’avancées se joue aussi sur le plan juridique et en matière d’environnement, l’Europe des 47, dont le pendant institutionnel est le conseil de l’Europe (créé en 1949), a historiquement joué un rôle de leader. Elle a adopté plusieurs conventions phares sur la <a href="https://www.coe.int/fr/web/conventions/full-list/-/conventions/treaty/104">protection de la faune et flore sauvages</a> et des paysages européens, ou encore sur la responsabilité civile et pénale en cas d’atteinte à l’environnement. Ces textes ne comportent toutefois aucun mécanisme contraignant de suivi, aucune possibilité pour les citoyens de s’en saisir en justice. Certains même sont restés lettre morte, faute de ratification.</p>
<p>L’autre approche, plus prometteuse pendant des années, a été celle de la protection individuelle des droits fondamentaux. D’où le projet réactivé pendant la <a href="https://www.coe.int/fr/web/human-rights-rule-of-law/human-rights-and-the-environment">Conférence du 27 février 2020</a> d’adopter un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme sur le « droit à un environnement sain ». Est-ce vraiment suffisant ou faut-il suivre une autre voie ?</p>
<h2>La Cour de Strasbourg réfractaire aux principes environnementaux</h2>
<p>La Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg – qui émane du Conseil de l’Europe – a pu à la suite de plaintes individuelles, sanctionner indirectement des États pour non-respect du droit à la vie (article 2) dans les cas les plus sérieux, ou du droit à la vie privée (article 8) en cas d’« atteintes graves » ayant un impact négatif sur le bien-être ou la santé des citoyens. Mais le mécanisme a clairement montré ses limites, dont les principales méritent d’être rappelées.</p>
<p>En premier lieu, la Cour de Strasbourg a toujours répété que la convention n’admettait pas de droit à un environnement sain, faisant du système régional européen des droits fondamentaux le seul mécanisme régional à ne pas le reconnaître. Outre cette protection seulement admise « par ricochet », les obstacles sont de taille : aucune <em>actio popularis</em> n’est admise, même par des associations de protection de l’environnement.</p>
<p>Si bien que la condition consistant à prouver son état de « victime » subsiste. De plus, la convention ne protège pas les générations futures, et la Cour de Strasbourg n’applique pas les principes propres à l’environnement, tels que le principe si essentiel de précaution.</p>
<h2>L’intérêt économique privilégié</h2>
<p>Ce n’est ainsi pas un hasard si la Cour suprême néerlandaise, dans sa célèbre <a href="https://uitspraken.rechtspraak.nl/inziendocument?id=ECLI:NL:HR:2019:2007">décision Urgenda du 20 décembre 2019</a> portée par une ONG agissant par <em>actio popularis</em> et condamnant l’État à réduire drastiquement les GES sur le fondement notamment de la convention européenne et de la <a href="https://unfccc.int/resource/docs/convkp/convfr.pdf">convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques de 1992</a>, n’a pas jugé bon de renvoyer l’affaire à la Cour de Strasbourg. Celle-ci n’aurait pas fait, contrairement au juge néerlandais, une interprétation si progressiste de ses propres articles et encore moins appliqué le principe de précaution ou mentionné les générations futures.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1057570034829135872"}"></div></p>
<p>La convention européenne, mise en place en réaction aux atrocités commises pendant la Seconde Guerre mondiale, ne prévoit des plaintes que contre les États, or les atteintes à l’environnement sont liées massivement aux activités des entreprises qui doivent répondre aussi de leurs actes. De plus, la Cour de Strasbourg doit contrebalancer l’intérêt individuel à la santé ou au bien-être environnemental avec l’intérêt économique collectif de l’État, lequel prime presque systématiquement.</p>
<p>Le procès devant la Cour européenne prend aussi du temps, un argument pour lequel la Cour suprême dans l’affaire Urgenda a préféré trancher le litige elle-même.</p>
<h2>Des décisions très timides</h2>
<p>S’il fallait se convaincre de la timidité de la Cour de Strasbourg dans de telles affaires, il suffirait encore de se référer à son arrêt <a href="https://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%22docname%22:%5B%22%22AFFAIRE%20CORDELLA%20ET%20AUTRES%20c.%20ITALIE%22%22%5D,%22documentcollectionid2%22:%5B%22GRANDCHAMBER%22,%22CHAMBER%22%5D,%22itemid%22:%5B%22001-189421%22%5D%7D">Cordella et autres c. Italie du 24 janvier 2019</a>.</p>
<p>La Cour n’a pas beaucoup de mérite pour parvenir à la conclusion de violation de l’article 8 : la Cour constitutionnelle italienne avait rendu une décision d’inconstitutionnalité des activités de l’usine sidérurgique polluante, la Cour de cassation italienne avait condamné au pénal ses dirigeants et il existait de très nombreuses études épidémiologiques établissant clairement un lien de causalité entre le rejet des émissions polluantes et les problèmes médicaux des résidents habitant à proximité.</p>
<p>De surcroît, la Cour de justice de Luxembourg avait précédemment condamné l’Italie pour manquement. Et pourtant, la Cour de Strasbourg va refuser d’engager la procédure pilote (lui permettant de recommander à l’État des mesures structurelles en réparation), arguant de la « complexité technique » de l’affaire et n’octroie aucun dédommagement moral aux requérants.</p>
<p>Enfin, comme clairement énoncé dans l’<a href="https://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%22docname%22:%5B%22%22AFFAIRE%20KYRTATOS%20c.%20GRECE%22%22%5D,%22documentcollectionid2%22:%5B%22GRANDCHAMBER%22,%22CHAMBER%22%5D,%22itemid%22:%5B%22001-65657%22%5D%7D">arrêt Kyrtatos c. Grèce du 22 mai 2003</a>, la Convention ne garantit pas l’environnement en tant que tel.</p>
<p>On comprend donc pourquoi réactiver le projet (entériné à trois reprises par le Comité des ministres) d’un protocole additionnel, dans le cadre limité de la convention européenne, n’apporterait pas grand-chose. Tout au plus, il aurait pour intérêt d’admettre un droit autonome à un environnement sain. Alors, quel nouvel outil pourrait être initié par les 47 ?</p>
<h2>Vers une convention sur les droits humains écologiques</h2>
<p>Il existe de nombreux projets, notamment au niveau onusien, qui pourraient servir de source d’inspiration. Certains États européens ont déjà adopté des outils au niveau national.</p>
<p>Le « saut qualitatif » demandé n’est donc pas un saut dans l’inconnu. À 47 États, un accord devrait <em>a priori</em> être plus facile qu’à l’échelle de tous les États de la planète. D’autant qu’ils ont déjà mis en place le système régional de protection des droits civils et politiques le plus élaboré au monde avec une Cour et un mécanisme de suivi, et que des conventions de protection de la nature y ont également été adoptées.</p>
<p>Face à l’urgence environnementale, les ministres européens doivent avoir le courage politique de faire du Conseil de l’Europe non seulement le modèle le plus élaboré de la protection des droits de l’homme du 20 °C siècle, mais aussi une plate-forme de référence des droits humains écologiques du 21 °C siècle.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1083645552917663745"}"></div></p>
<p>Comme proposé dans notre <a href="https://rm.coe.int/rapport-e-lambert-fr/16809c8281">rapport introductif à la Conférence du 27 février</a>, en qualité d’expert pour le CDDH du Conseil de l’Europe en vue de la préparation de cette Conférence, il semble nécessaire de rédiger un nouvel instrument sur les droits humains écologiques, s’imprégnant du <a href="https://globalpactenvironment.org/uploads/FR.pdf">projet de Pacte mondial pour l’environnement</a>, du <a href="https://cidce.org/wp-content/uploads/2017/01/Projet-de-Pacte-international-relatif-au-droit-des-e%CC%82tres-humains-a%CC%80-l%E2%80%99environnement_16.II_.2017_FR.pdf">projet de troisième Pacte international relatif au droit des êtres humains à l’environnement</a> tout comme de la <a href="http://droitshumanite.fr/declaration/">Déclaration universelle des droits de l’humanité de 2015</a>. Il s’agirait de reconnaître un droit à un environnement sain et écologiquement viable selon une approche éco-centrée et trans-générationnelle, opposable en justice par les victimes et des associations agissant au nom de la nature.</p>
<p>D’autres droits et devoirs devraient être admis tels le droit à l’éducation environnementale, le devoir de protéger les écosystèmes et les défenseurs environnementaux, l’encouragement à une production scientifique indépendante des lobbies industriels, un accès facilité à la justice nationale et un modèle de procès environnemental prenant en compte les spécificités de la matière : référé, principes de précaution et de prévention, exigence de réparation par la restauration prioritaire de la nature, etc.</p>
<p>Un mécanisme de plaintes contre les États et acteurs non étatiques devrait être admis devant un organe européen (de préférence judiciaire ou quasi-judiciaire, à défaut un Haut Commissaire) avec une procédure de suivi.</p>
<p>Ce sursaut peut paraître ambitieux, mais n’est ni plus ni moins que ce que requiert aujourd’hui notre responsabilité éthique de protéger l’environnement qui nous entoure, avant qu’il ne soit vraiment trop tard.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/133189/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Elisabeth LAMBERT a rédigé le rapport sur demande du Comité Directeur pour les droits de l'homme du Conseil de l'Europe en préparation à la Conférence 'Protection environnementale et droits de l'homme' du 27 février 2020 sous les auspices de la présidence géorgienne. </span></em></p>Au-delà de l’Union européenne, l’Europe au sens large doit faire émerger un nouvel outil juridique, dédié aux droits humains écologiques, car la Cour de Strasbourg n’est pas en mesure d’y répondre.Elisabeth Lambert, Directrice de recherche au CNRS en droit (laboratoire SAGE), Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1313482020-02-11T19:37:50Z2020-02-11T19:37:50Z« Réfugiés climatiques » : une décision historique du Comité des droits de l’homme de l’ONU ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/314033/original/file-20200206-43074-hqqjp4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=22%2C15%2C5035%2C3352&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un groupe de personnes traverse un lagon dans l'île de Tarawa, Kiribati.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/group-people-crosses-lagoon-tarawa-kiribati-669501271">Nava Fedaeff/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Ioane Teitiota, un citoyen de Kiribati qui demandait l’asile à la Nouvelle-Zélande depuis des années, aurait bien pu devenir le premier réfugié climatique du monde. Le 24 janvier dernier, le <a href="https://www.ohchr.org/fr/hrbodies/ccpr/pages/ccprindex.aspx">Comité des droits de l’homme de l’ONU</a> (« le Comité ») a <a href="https://www.unhcr.org/fr/news/briefing/2020/1/5e2b0deaa/decision-comite-droits-lhomme-nations-unies-changement-climatique-signal.html">soutenu</a> le refus opposé à sa demande par la Cour suprême de Nouvelle-Zélande, observant que la situation de M. Teitiota ne représentait pas un danger imminent ni une atteinte réelle à ses droits fondamentaux ; mais le Comité a également estimé que les personnes fuyant les effets du changement climatique et des catastrophes naturelles ne devraient pas être renvoyées dans leur pays d’origine (le principe de « non-refoulement ») si leurs droits humains fondamentaux s’en trouvaient menacés.</p>
<p>Avant de revenir sur cette décision <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2020/01/un-landmark-case-for-people-displaced-by-climate-change/">qualifiée d’historique</a> et sur ses conséquences potentielles, rappelons brièvement les faits, la fonction du Comité ainsi que la définition d’un réfugié et les obligations étatiques de non-refoulement dans le contexte du droit international.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/314030/original/file-20200206-43079-fm3acw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/314030/original/file-20200206-43079-fm3acw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/314030/original/file-20200206-43079-fm3acw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/314030/original/file-20200206-43079-fm3acw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/314030/original/file-20200206-43079-fm3acw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/314030/original/file-20200206-43079-fm3acw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/314030/original/file-20200206-43079-fm3acw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">L’île de Tarawa, dans l’archipel de Kiribati.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/tarawa-kiribati-pacific-1231235311">Kyung Muk Lim/Shutterstock</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Le changement climatique aux Kiribati</h2>
<p>M.Teitiota, de l’archipel des Kiribati, s’est expatrié en Nouvelle-Zélande d’où il demandait l’asile depuis 2007, arguant que le changement climatique et la montée des eaux rendaient la situation sur l’atoll de Tarawa de l’archipel intenable et dangereuse.</p>
<p>L’archipel des îles Kiribati compte parmi les plus exposés à la montée des eaux. Il est menacé de disparition dès 2050 <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/01/28/l-onu-ouvre-une-breche-pour-la-reconnaissance-des-refugies-climatiques_6027531_3244.html">selon une estimation du GIEC</a> (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). Pour M. Teitiota, l’archipel pourrait même devenir inhabitable dans les dix à quinze prochaines années puisque les conséquences de la montée des eaux incluent entre autres la salinisation, ce qui entraîne la raréfaction de l’eau potable, la pollution, la destruction des récoltes, des inondations fréquentes et une diminution du terrain habitable créant des conflits souvent violents entre communautés.</p>
<p>En 2015, au terme d’un long processus juridique, les tribunaux de Nouvelle-Zélande ont finalement tous rejeté la demande d’asile de M. Teitiota et l’ont ainsi contraint à retourner aux Kiribati avec sa famille. Il s’est alors tourné vers le Comité des droits de l’homme pour demander un arbitrage, alléguant que la Nouvelle-Zélande avait enfreint l’articles 6 (droit à la vie) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (« le Pacte »).</p>
<h2>Le Comité des droits de l’homme de l’ONU : observateur du Pacte</h2>
<p>Le <a href="https://www.ohchr.org/fr/hrbodies/ccpr/pages/ccprindex.aspx">Comité des droits de l’homme</a> des Nations unies est un organe composé de 18 experts indépendants qui surveillent la mise en œuvre du <a href="https://treaties.un.org/doc/Publication/UNTS/Volume%20999/volume-999-I-14668-French.pdf">Pacte international relatif aux droits civils et politiques</a> par les États parties.</p>
<p>De manière générale, le Comité examine les rapports que sont tenus de présenter les 172 États parties sur la mise en œuvre des droits consacrés par le Pacte. Il fait ensuite part de ses préoccupations et de ses recommandations à l’État partie sous la forme d’observations finales.</p>
<p>Le <a href="https://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/OPCCPR1.aspx">premier Protocole facultatif du Pacte</a>, ratifié quant à lui par 116 États – dont la Nouvelle Zélande –, permet également au Comité d’examiner des <a href="https://www.ohchr.org/EN/HRBodies/TBPetitions/Pages/HRTBPetitions.aspx">plaintes individuelles</a> de particuliers tels que M. Teitiota qui s’estiment victimes d’une violation d’un ou de plusieurs droits reconnus par le Pacte, une fois tous les recours juridiques épuisés au niveau domestique.</p>
<p>Les observations données par le Comité dans ses rapports étatiques ou dans le cadre des procédures de plaintes individuelles ne sont pas juridiquement contraignantes en soi, bien qu’elles imposent une obligation pour les États parties de s’y conformer de bonne foi.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/314808/original/file-20200211-146678-yj4zlu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/314808/original/file-20200211-146678-yj4zlu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=333&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/314808/original/file-20200211-146678-yj4zlu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=333&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/314808/original/file-20200211-146678-yj4zlu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=333&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/314808/original/file-20200211-146678-yj4zlu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=418&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/314808/original/file-20200211-146678-yj4zlu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=418&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/314808/original/file-20200211-146678-yj4zlu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=418&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Nombre total de procédures de communications individuelles acceptées par le Comité des droits de l’homme, par pays (jusqu’en juin 2019).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Nations unies</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Ce que sont et ne sont pas les réfugiés</h2>
<p>L’impact des facteurs environnementaux et des catastrophes résultant du changement climatique <a href="https://reliefweb.int/report/world/la-d-cision-du-comit-des-droits-de-l-homme-des-nations-unies-sur-le-changement">sont reconnus</a> comme pouvant avoir « des effets complexes sur les pays, les communautés, le bien-être des individus et leur capacité à jouir et à exercer leurs droits ».</p>
<p>Cependant, ni le droit international ni la décision du Comité ne parlent de « réfugié climatique », et la raison est simple. Les personnes déplacées pour des raisons climatiques ne semblent pas pouvoir être reconnues comme réfugiées selon les termes de la <a href="https://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/StatusOfRefugees.aspx">Convention de 1951 relative au statut des réfugiés</a> (dite Convention de Genève) puisqu’un réfugié est une personne qui</p>
<blockquote>
<p>« craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ».</p>
</blockquote>
<p>La Convention de Genève et <a href="https://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/ProtocolStatusOfRefugees.aspx">son protocole</a> sont les instruments principaux de droit international définissant à la fois ce qu’est un réfugié, quels sont ses droits et enfin quelles sont les obligations des États signataires à son égard.</p>
<p>Bien que les cinq critères énoncés dans la définition ci-dessus semblent exhaustifs, d’autres <a href="https://www.refworld.org/docid/3ae68cca10.html">instruments régionaux</a> ainsi que la pratique de certains États ont permis d’élargir cette définition afin de l’adapter aux conflits modernes. En somme, de nos jours, sont généralement considérés comme réfugiés les personnes fuyant des conflits armés. Concernant ceux fuyant les effets du changement climatique, cela semble pour l’instant plus délicat.</p>
<p>Un des principes essentiels de la Convention de Genève est celui voulant que les réfugiés ne soient pas expulsés ni renvoyés vers une situation où leur vie et leur liberté seraient menacées : c’est le principe de <a href="https://www.unhcr.org/fr/news/stories/2016/7/55e45d87c/point-vue-hcr-refugie-migrant-mot-juste.html">non-refoulement</a>. Celui-ci est donc ancré dans le droit international d’asile mais également dans le droit humanitaire et le droit coutumier. Il est en particulier inscrit dans l’article 6 du Pacte, et ainsi protège non seulement les réfugiés mais tous ceux pouvant démontrer que leur expulsion ou renvoi dans leur pays d’origine constituerait une <a href="http://docstore.ohchr.org/SelfServices/FilesHandler.ashx?enc=6QkG1d%2fPPRiCAqhKb7yhsrdB0H1l5979OVGGB%2bWPAXhNI9e0rX3cJImWwe%2fGBLmV8vPSoRQdWkmKfdj8zlc8%2bqGX5iSqHtVuksml%2bE6Z%2bdpCA8xSG5aNum3VDSP0HF0C">menace réelle et personnelle</a> pour leur vie et leur liberté. Cependant, la barre reste très haute.</p>
<h2>Ce que pourrait être un réfugié climatique</h2>
<p>Le Comité a ainsi estimé que la situation personnelle de M. Teitiota et de sa famille était insuffisante pour renverser la décision de la Cour suprême néo-zélandaise, et que celle-ci n’avait donc pas porté atteinte au principe de non-refoulement en renvoyant la famille Teitiota aux îles Kiribati en 2015.</p>
<p>Interrogé par les auteurs pour cet article, professeur Gentian Zyberi directeur du <a href="https://www.jus.uio.no/smr/english/about/">Centre norvégien des droits de l’homme</a> et membre du Comité des droits de l’homme a ainsi expliqué :</p>
<blockquote>
<p>« Il est très difficile de constituer une opinion contraire à la décision des tribunaux de Nouvelle-Zélande. Au vu des faits et de la loi, le jugement n’est ni erroné, ni arbitraire, ni ne viole les droits fondamentaux de M. Teitiota. »</p>
</blockquote>
<p>Cependant, lorsque les risques d’inhabitabilité deviennent imminents, le Comité a observé qu’il pourrait être illégal pour les gouvernements de renvoyer des personnes dans des pays où les effets du changement climatique les exposent à des phénomènes mettant leur vie en danger (article 6 du Pacte) ou dans lesquels elles courent un risque réel de subir des traitements cruels, inhumains ou dégradants (article 7).</p>
<p>Bien que la catégorie de « réfugié climatique » n’existe pas encore aux yeux du droit international et qu’en conséquence, il n’existe pas de « seuil minimum » d’éligibilité, les personnes fuyant les effets néfastes du changement climatique et l’impact des catastrophes, que celles-ci soient soudaines ou lentes à se manifester, pourraient avoir des raisons valables de demander le statut de réfugié en vertu de la Convention de Genève ou d’autres instruments régionaux relatifs aux réfugiés. Pour le Comité, il est nécessaire que les évidences scientifiques soient examinées au cas par cas afin d’en tirer les conclusions légales qui s’imposeront.</p>
<p>Les tribunaux néo-zélandais avaient eux-mêmes au préalable estimé que les dégradations environnementales pourraient être interprétées comme répondant aux critères de définition d’un réfugié selon la Convention de Genève.</p>
<p>Ainsi, en pratique, l’importance des efforts nationaux et internationaux visant à contrer le changement climatique est un élément clé de la décision du Comité. Comme l’explique toujours le professeur Zyberi :</p>
<blockquote>
<p>« Le Comité reconnaît au vu des évidences présentées que Tarawa pourrait bel et bien devenir inhabitable d’ici dix à quinze ans parce que les conditions se détériorent. Deux choses peuvent arriver dans cet intervalle. D’abord, il est possible que les autorités nationales ou internationales trouvent quelque solution en mettant en place des mesures qui retarderaient ou enrayeraient le processus de montée des eaux et ses conséquences. Ou alors, il est possible que la situation se détériore complètement et alors une personne qui s’exilerait dans une autre juridiction pour demander l’asile ne pourrait pas être retournée aux Kiribati selon la règle du non-refoulement. Tous les habitants des Kiribati seraient alors potentiellement dans cette situation. »</p>
</blockquote>
<p>D’où l’importance de trouver des solutions structurelles – en particulier pour les petits États du Pacifique, par le biais de la coopération régionale et internationale entre les États, ou par celui d’une résolution de l’Assemblée générale de l’ONU. En outre, il s’agit non seulement de contrer les effets du changement climatique par le développement de politiques environnementales, mais également de penser la relocalisation des futurs déplacés.</p>
<h2>L’Australie, prochain pays à faire face à ses responsabilités climatiques devant le Comité ?</h2>
<p>Si le Comité reconnaît que les politiques environnementales des Kiribati témoignent que les autorités nationales cherchent à remédier aux causes et effets du changement climatique, en 2019 il a reçu une <a href="https://www.lecourrieraustralien.com/australie-des-communautes-aborigenes-attaquent-le-gouvernement-pour-inaction-contre-le-rechauffement-climatique/">communication</a> des communautés aborigènes du Détroit de Torrès (îles australiennes situées entre l’Australie et la Nouvelle-Guinée) et de leurs avocats affirmant que le réchauffement climatique menace leur survie et que l’inaction des autorités australiennes constitue à ce titre une violation de leurs droits humains. Plus précisément, ils estiment que leur droit à la vie, à une vie de famille et à la culture garantis par le Pacte sont directement menacées par les <a href="https://www.novethic.fr/actualite/environnement/climat/isr-rse/l-australie-choisit-le-charbon-contre-le-climat-146242.html">politiques pro-charbon du gouvernement australien</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/314036/original/file-20200206-43084-qfyn9x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/314036/original/file-20200206-43084-qfyn9x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/314036/original/file-20200206-43084-qfyn9x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/314036/original/file-20200206-43084-qfyn9x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/314036/original/file-20200206-43084-qfyn9x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/314036/original/file-20200206-43084-qfyn9x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/314036/original/file-20200206-43084-qfyn9x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La centrale à charbon de Loy Yang, État de Victoria, Australie.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/loy-yang-brown-coal-power-station-1154037241">Robyn Charnley/Shutterstock</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Bien que cette plainte soit présentement au stade d’admissibilité devant le Comité, elle a été qualifiée de <a href="https://www.commondreams.org/news/2019/05/13/indigenous-australians-file-landmark-human-rights-claim-un-over-governments-inaction">« potentiellement révolutionnaire »</a> par le professeur John Knox, premier rapporteur spécial de l’ONU sur les droits de l’homme et l’environnement. En effet, en vertu du Pacte et <a href="http://docstore.ohchr.org/SelfServices/FilesHandler.ashx?enc=6QkG1d%2fPPRiCAqhKb7yhsrdB0H1l5979OVGGB%2bWPAXhNI9e0rX3cJImWwe%2fGBLmV8vPSoRQdWkmKfdj8zlc8%2bqGX5iSqHtVuksml%2bE6Z%2bdpCA8xSG5aNum3VDSP0HF0C">selon une observation du Comité</a>, la responsabilité étatique de protection des populations dépend, entre autres, « des mesures prises par les États parties pour préserver l’environnement et le protéger contre les dommages, la pollution et les changements climatiques résultant de l’activité des acteurs publics et privés ».</p>
<p>Même si le Comité prend en compte la plainte des habitants du Détroit de Torrès, sa décision ne pourra pas être légalement contraignante. Mais elle participerait à faire pression sur le gouvernement australien, de la même manière que le cas de M. Teitiota rappelle à la communauté internationale que le temps d’agir, et d’agir ensemble… c’était déjà hier.</p>
<hr>
<p><em>Cet article est republié dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/131348/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Camille Malafosse reçoit des financements de l'UNSW. Elle est affiliée au Centre Kaldor de droit international pour les réfugiés</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Domenico Zipoli reçoit des financements de l'Université d'Oslo. Il est affilié au Centre Norvégien des Droits Humains.</span></em></p>Une décision récente rendue par le Comité des droits de l’homme de l’ONU pourrait, dans un futur proche, conduire à la reconnaissance de la notion de « réfugié climatique ».Camille Malafosse, Doctorante, Centre Kaldor de droit international pour les réfugiés, UNSW SydneyDomenico Zipoli, Doctorant au Centre norvégien pour les droits de l'homme, University of OsloLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1166162019-05-15T22:16:19Z2019-05-15T22:16:19ZInégalités face au changement climatique : la balle est dans le camp des plus riches<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/274576/original/file-20190515-60560-15a9sj0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C186%2C2768%2C1657&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le tourisme, activité élitiste par excellence, représente aujourd’hui près de 8 % des émissions mondiales de CO₂.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/Iqs4tpxXyng">Blake barlow/Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Depuis le début du cycle des négociations climatiques internationales, la question des inégalités face aux changements climatiques et face aux efforts à fournir vis-à-vis de ces changements s’est posée de manière constante. La notion de justice climatique est issue de la volonté des pays émergents et en développement de faire admettre aux pays développés leur part plus grande de responsabilité et ainsi leur nécessaire contribution supérieure aux efforts dans la transition bas carbone.</p>
<p>Elle débouche sur le principe juridique de « responsabilité partagée mais différenciée », admis notamment au sein des instances onusiennes responsables de la négociation climatique. La COP24 a ainsi récemment encore essayé de transformer les promesses de l’<a href="https://www.vie-publique.fr/focus/decrypter-actualite/qu-est-ce-que-accord-paris.html">Accord de Paris</a> en engagements concrets et mesurables, notamment sur la question de la comptabilité des transferts financiers entre pays du Nord et pays du Sud, les fameux <a href="https://unfccc.int/sites/default/files/resource/l20f_0.pdf">« 100 milliards de dollars »</a> annuels à atteindre d’ici à 2020, afin d’aider les pays du Sud dans leurs actions d’atténuation des émissions et d’adaptation aux effets du changement climatique.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/podcast-des-pistes-pour-reduire-les-inegalites-111572">Podcast : Des pistes pour réduire les inégalités</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<h2>Inégaux côté émissions de CO<sub>2</sub></h2>
<p>La complexité du lien entre inégalités et changement climatique tient également à la définition du périmètre d’analyse des interactions entre inégalités et climat. On peut parler, de manière très simplifiée, d’inégalités d’émissions d’un côté et d’inégalités d’impacts d’un autre côté.</p>
<p>Les inégalités d’émissions peuvent être mesurées à plusieurs niveaux.</p>
<p>Au niveau des pays, la Chine est récemment devenue le pays responsable de la part la plus importante des émissions de CO<sub>2</sub> au niveau global, représentant à elle seule 26 % des émissions. L’Afrique reste le continent associé aux plus faibles émissions, même s’il existe une forte hétérogénéité au sein du continent, l’Afrique du Sud étant de loin le plus grand émetteur.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/274320/original/file-20190514-60545-zkbrxi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/274320/original/file-20190514-60545-zkbrxi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=423&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/274320/original/file-20190514-60545-zkbrxi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=423&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/274320/original/file-20190514-60545-zkbrxi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=423&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/274320/original/file-20190514-60545-zkbrxi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=531&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/274320/original/file-20190514-60545-zkbrxi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=531&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/274320/original/file-20190514-60545-zkbrxi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=531&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Part respective des émissions de CO₂ annuelles des différents pays (2016).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Our World in Data</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Au niveau des individus, l’organisation non gouvernementale <a href="https://www-cdn.oxfam.org/s3fs-public/file_attachments/mb-extreme-carbon-inequality-021215-fr.pdf">Oxfam</a> avait estimé en 2015 que les 10 % les plus riches sont responsables d’environ la moitié des émissions de CO<sub>2</sub> liées à la consommation. Si l’on regarde les individus à l’échelle globale, les écarts s’avèrent encore plus saisissants car, toujours d’après l’<a href="https://policy-practice.oxfam.org.uk/publications/extreme-carbon-inequality-why-the-paris-climate-deal-must-put-the-poorest-lowes-582545">étude Oxfam</a>, les émissions-consommations liées au style de vie des plus riches Américains sont 10 fois plus importantes que celles des plus riches Chinois.</p>
<p>Aux États-Unis entre 1997 et 2012, l’accroissement de la part des revenus détenue par les 10 % les plus riches se serait traduite par une <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0921800916308345">augmentation du niveau des émissions</a>. Les inégalités de consommation représentent aussi un moteur de comportements de consommation intensifs en carbone. On sait en effet que le désir d’imiter un comportement social jugé supérieur constitue l’un <a href="https://en.wikiquote.org/wiki/The_Theory_of_the_Leisure_Class">des déterminants principaux</a> des motifs de consommation, un phénomène de mimétisme qui accélère la dynamique d’émissions intensives quand la référence est celle du dernier percentile, c’est-à-dire des 1 % les plus riches.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/274337/original/file-20190514-60554-1thdzvg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/274337/original/file-20190514-60554-1thdzvg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=418&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/274337/original/file-20190514-60554-1thdzvg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=418&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/274337/original/file-20190514-60554-1thdzvg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=418&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/274337/original/file-20190514-60554-1thdzvg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=525&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/274337/original/file-20190514-60554-1thdzvg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=525&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/274337/original/file-20190514-60554-1thdzvg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=525&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Classement des pays selon les émissions de CO₂ par individu.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Oxfam</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le tourisme, activité élitiste par excellence, représente aujourd’hui <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0921800916308345">près de 8 %</a> des émissions de CO<sub>2</sub> mondiales, et l’accroissement du secteur dépasse largement tout effort éventuel pour en réduire les impacts. Dès lors, c’est bien une inégalité marquée par le pouvoir économique, culturel et politique des plus riches qui semble créer les conditions d’une trajectoire trop intense en carbone.</p>
<p>D’autres canaux sont encore à l’œuvre. Ainsi, les inégalités affaiblissent la cohésion sociale et diminuent la propension des individus à agir ensemble et à se sentir socialement responsables, un élément pourtant clé dans la volonté de mettre en place des politiques environnementales, comme on le voit à l’heure actuelle avec les mobilisations climatiques en Europe.</p>
<p>Sur le plan technologique, les économistes <a href="https://econpapers.repec.org/article/eeeecolec/v_3a70_3ay_3a2011_3ai_3a11_3ap_3a2201-2213.htm">Francesco Vona et Fabrizio Patriarca</a> montrent que des niveaux élevés d’inégalités empêchent le développement et la diffusion des nouvelles technologies environnementales, car moins d’individus y ont accès. Les économistes Lucas Chancel et Thomas Piketty ont quant à eux <a href="http://www.ledevoir.com/documents/pdf/chancelpiketty2015.pdf">proposé une mesure des inégalités d’émissions</a> « à la consommation » entre déciles de revenus au sein d’un pays, en passant d’évaluations nationales des flux d’émission à des évaluations individuelles. Ils estiment ainsi, à juste titre, que dans une économie mondialisée, il est plus pertinent de prendre en compte les émissions consommées (au travers des produits achetés ou des services utilisés) plutôt que les émissions produites.</p>
<p>Ce faisant, la carte des inégalités de consommation d’émissions qui apparaît met en évidence de très fortes inégalités entre pays du nord et pays du sud mais aussi entre le plus haut <a href="https://www.inegalites.fr/La-mesure-des-inegalites-qu-est-ce-qu-un-decile-A-quoi-ca-sert">décile</a> et les autres à l’échelle mondiale.</p>
<h2>Inégaux face aux impacts climatiques</h2>
<p>Les inégalités d’impacts, quant à elles, restent fortement liées à la structure des inégalités de richesse existantes. Les inégalités des individus et des sociétés face aux impacts du changement climatique existent non seulement entre pays développés et pays en développement – le fait est connu depuis longtemps –, mais également au sein de chacun des pays.</p>
<p>Ainsi, les effets du changement climatique étant davantage ressentis par les populations défavorisées, il devient alors un vecteur de <a href="https://science.sciencemag.org/node/696077.full">renforcement des inégalités existantes</a> aux États-Unis.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/274381/original/file-20190514-60541-1xoev0v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/274381/original/file-20190514-60541-1xoev0v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/274381/original/file-20190514-60541-1xoev0v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=437&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/274381/original/file-20190514-60541-1xoev0v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=437&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/274381/original/file-20190514-60541-1xoev0v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=437&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/274381/original/file-20190514-60541-1xoev0v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=549&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/274381/original/file-20190514-60541-1xoev0v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=549&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/274381/original/file-20190514-60541-1xoev0v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=549&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">L’effet d’une journée additionnelle au-dessus de 33 °C est fortement négatif sur le revenu des ménages vietnamiens.</span>
<span class="attribution"><span class="source">De Laubier et coll. (2019)</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/274382/original/file-20190514-60549-1hckuv0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/274382/original/file-20190514-60549-1hckuv0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/274382/original/file-20190514-60549-1hckuv0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=437&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/274382/original/file-20190514-60549-1hckuv0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=437&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/274382/original/file-20190514-60549-1hckuv0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=437&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/274382/original/file-20190514-60549-1hckuv0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=550&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/274382/original/file-20190514-60549-1hckuv0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=550&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/274382/original/file-20190514-60549-1hckuv0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=550&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Une journée additionnelle au-dessus de 33 °C joue aussi sur l’écart entre quartiles de revenus au Vietnam.</span>
<span class="attribution"><span class="source">De Laubier et coll. (2019)</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Un phénomène similaire et bien plus accentué encore peut s’observer dans un pays émergent comme le Vietnam, qui a la double caractéristique d’avoir une forte portion de la population active occupée par des activités agricoles et de présenter une vulnérabilité particulière aux effets du changement climatique. Nous l’avons mis en évidence dans le cadre plus large du projet AFD <a href="https://vn.ambafrance.org/800-jeunes-reunis-pour-le-lancement-de-gemmes-Vietnam">GEMMES Viet Nam</a> portant sur une analyse systématiques des « impacts socio-économiques du changement climatique et des stratégies d’adaptation au Vietnam ».</p>
<p>Ainsi, l’effet d’une journée additionnelle au-dessus de 33 °C apparaît fortement négatif, que ce soit sur l’<a href="https://www.afd.fr/sites/afd/files/2019-03-02-55-35/Impacts%20of%20Climate%20Events%20in%20Vietnamese%20Agriculture.pdf">efficience technique de la riziculture</a> ou sur le <a href="https://www.afd.fr/en/impacts-extreme-climate-events-technical-efficiency-vietnamese-agriculture">revenu des ménages vietnamiens</a> et l’écart entre quartiles de revenus (la population est divisée en quatre tranches suivant le montant des revenus), toutes activités confondues. On parlera ici d’inégalités face aux impacts climatiques.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/274445/original/file-20190514-60554-1nwds0k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/274445/original/file-20190514-60554-1nwds0k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/274445/original/file-20190514-60554-1nwds0k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/274445/original/file-20190514-60554-1nwds0k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/274445/original/file-20190514-60554-1nwds0k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/274445/original/file-20190514-60554-1nwds0k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/274445/original/file-20190514-60554-1nwds0k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Au Vietnam, la culture du riz est particulièrement sensible aux variations de température, impactant les revenus des cultivateurs.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/rice-planting-37212694">Beboy/Shutterstock</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le changement climatique non seulement accroît l’exposition des plus vulnérables aux aléas, mais de plus accroît leur susceptibilité aux dommages et baisse leur capacités d’adaptation et de récupération après des chocs.</p>
<p>Tous ces enseignements semblent indiquer qu’une certaine sobriété des comportements de consommation des classes les plus aisées doit ainsi être articulée à un principe plus général de réduction des inégalités pour rendre possible l’atteinte des objectifs de l’Accord de Paris. Sans cette réduction du niveau général des inégalités et notamment de l’intensité émissive des plus hauts percentiles de revenus, tenter d’atteindre les objectifs de Paris se traduirait par un délitement du lien social.</p>
<p>En d’autres termes, l’essentiel de l’effort de réduction d’émissions incombe bien aux pays développés les plus riches, et aux classes les plus aisées de certains pays émergents et en développement. Cet effort de réduction passe par une sobriété fortement accrue de leurs comportements de consommation. La réduction des inégalités et le renforcement du lien social constituent le chemin le plus sûr vers les objectifs de la COP21, et notamment son objectif le plus ambitieux de tendre vers un réchauffement global limité à 1,5 °C.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/116616/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Face au changement climatique, les plus pauvres subissent les excès d’émissions de CO₂ liées au train de vie des plus riches : il est temps d’agir, au nom des justices climatique et sociale.Anda David, Chargée de recherche, Agence française de développement (AFD)Étienne Espagne, Économiste, Agence française de développement (AFD)Nicolas Longuet Marx, Économiste, Agence française de développement (AFD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1146692019-04-09T20:21:25Z2019-04-09T20:21:25Z« Affaire du siècle » et autres procès climat : que peut vraiment le juge ?<p>Lorsque <a href="https://laffairedusiecle.net/">quatre ONG</a> ont annoncé en décembre dernier vouloir déposer un recours en justice contre l’État, dont elles pointaient l’inaction climatique, le ministre de l’Environnement François de Rugy a répondu que les tribunaux n’étaient <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/02/15/affaire-du-siecle-l-etat-repond-aux-ong-qui-l-attaquent-pour-inaction-climatique_5423705_3244.html">pas le lieu</a> pour résoudre ces questions.</p>
<p>« L’Affaire du siècle » n’est pourtant pas la première action à faire entrer l’enjeu environnemental au prétoire. Aux Pays-Bas, aux Philippines, en <a href="https://theconversation.com/justice-climatique-en-colombie-une-decision-historique-contre-la-deforestation-95004">Colombie</a>, le tribunal est devenu en quelques années le nouveau lieu de <a href="http://theconversation.com/changement-climatique-la-societe-civile-multiplie-les-actions-en-justice-74191">résolution de la crise climatique</a>. Face à l’insuffisance des actions politiques et aux lacunes législatives, les juges nationaux sont de plus en plus <a href="http://www.rfi.fr/emission/20181130-climat-changement-climatique-proces-plaintes-etats-collectivites-jurisprudence">sollicités par la société civile</a> pour trancher la question climatique.</p>
<p>Cette « judiciarisation » du climat suscite passions, oppositions et attentes. Chargée d’espoir pour ceux qui appellent de leurs vœux une « révolution climatique », elle éveille chez d’autres la crainte d’un « gouvernement des juges » qui menacerait la séparation des pouvoirs.</p>
<h2>Séparation des pouvoirs</h2>
<p>Ce principe, qui a traversé toutes les révolutions depuis le XVII<sup>e</sup> siècle, porte effectivement un enjeu considérable. Théorisée par Montesquieu dans <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/de-l-esprit-des-lois/"><em>L’Esprit des lois</em></a>, la séparation des pouvoirs vise à garantir un équilibre entre le judiciaire, le législatif et l’exécutif : « Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que par la disposition des choses le pouvoir arrête le pouvoir », écrit le philosophe en 1748. « Il y a, dans chaque État, trois sortes de pouvoir » : la puissance législative, la puissance exécutrice et la puissance judiciaire. Pour assurer la liberté, il faut que chaque puissance soit séparée l’une de l’autre et puisse ainsi s’équilibrer et se contrebalancer.</p>
<p>Face à la multiplication des recours climatiques de la part de la société civile, par l’intrusion de la judiciaire dans les autres sphères, cette séparation des pouvoirs est-elle aujourd’hui menacée ?</p>
<p>S’agit-il d’une « révolution judiciaire », qui signera un nouveau tournant dans le pouvoir normatif du juge – jusqu’ici limité à l’interprétation du texte de la loi ?</p>
<h2>S’assurer de l’application du droit</h2>
<p>En réalité, les instruments législatifs existent en France pour protéger l’environnement, malgré leurs insuffisances : études d’impact, obligation de compensation, droits à l’information et à la participation des citoyens en matière environnementale… Tous ces outils ne demandent qu’à être adéquatement appliqués.</p>
<p>Le rôle du juge n’est donc pas d’en créer de nouveau, mais d’abord de contrôler et de vérifier que ce droit est bien appliqué. Sans outrepasser ses fonctions, le juge exerce donc un rôle d’équilibre afin de protéger les citoyens contre d’éventuels « abus » des pouvoirs exécutif et législatif. Les recours climatiques n’entendent donc pas forcément pousser le juge à outrepasser ses fonctions en créant des normes : ils l’invitent tout simplement à faire appliquer le droit existant.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1083645552917663745"}"></div></p>
<p>Ce que le juge ne choisit pas toujours de faire. Le 1<sup>er</sup> février dernier, par exemple, le Tribunal de Cergy a rejeté un recours déposé par Greenpeace et d’autres ONG, pour faire annuler l’<a href="https://www.novethic.fr/actualite/energie/energies-fossiles/isr-rse/forage-petrolier-de-total-en-guyane-la-justice-rejette-le-recours-des-associations-environnementales-146874.html">autorisation d’un permis de forage</a> en Guyane accordée à Total par le préfet du département d’outre-mer.</p>
<p>Cette décision, qui a beaucoup déçu, aurait pu faire la différence. L’autorisation de ce forage entrait clairement en contradiction avec les engagements climatiques de la France. Le juge avait ici l’occasion de faire appliquer le droit de l’environnement : il ne lui était pas demandé d’empiéter sur les autres pouvoirs ni de créer de nouvelles dispositions.</p>
<h2>« L’Affaire du siècle », un appel à la créativité du juge</h2>
<p>Certains cas s’avèrent toutefois plus délicats sur le plan juridique. Leurs chances de réussite dépendront de la marge de manœuvre dont dispose le juge, et de la créativité dont il choisira ou non de faire preuve. C’est le cas de « l’Affaire du siècle ».</p>
<p>Cette affaire s’appuie sur l’idée que la France aurait un devoir général d’agir en matière climatique, fondé sur les articles 1 et 2 de la <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2011/2011116QPC.htm">Charte de l’environnement</a> ; ces derniers disposent respectivement que : « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » et que « Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement ». Elle met ainsi en avant la « carence fautive » de l’État français en matière climatique ; ce dernier aurait commis une faute en ne respectant pas ses engagements et objectifs en matière climatique.</p>
<p>Sur ce point, le juge administratif, limité dans sa fonction à l’interprétation du droit existant, devra fonder sa décision sur un principe – une obligation générale climatique – qui n’existe pas encore en tant que tel dans notre droit, mais qui peut se dégager de l’article 1<sup>er</sup> de la Charte de l’environnement (sur le droit de chacun à jouir d’un environnement sain).</p>
<p>En la matière, le juge français a déjà fait preuve d’une certaine marge de manœuvre « créative » ayant pu « faire jurisprudence » en énonçant un principe général <a href="https://actu.dalloz-etudiant.fr/fileadmin/actualites/pdfs/MARS_2014/Erika_CA_Paris_30_mars_2010.pdf">devenu plus tard une règle</a>. Cette initiative concerne l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000026430035&fastPos=1">affaire Erika</a>, impliquant un navire pétrolier de Total ayant fait naufrage le 12 décembre 1999 au large de la Bretagne et en dégageant le « préjudice écologique pur », jusqu’alors inexistant dans notre droit.</p>
<h2>Prouver le lien de causalité</h2>
<p>Pour « l’Affaire du siècle », la plus grande difficulté pour le juge français résidera dans la preuve de l’existence d’un lien de causalité entre l’inaction de l’État français et le changement climatique global.</p>
<p>Cette question n’est toutefois pas totalement nouvelle, car il avait été rendu possible de condamner l’État français pour « carence fautive » dans l’<a href="http://nantes.cour-administrative-appel.fr/content/download/34147/294081/version/1/file/12NT02416.pdf">affaire des algues vertes</a> en Bretagne. Et, en juillet 2017, le Conseil d’État avait enjoint le gouvernement à mieux adapter le droit français à la directive européenne sur la <a href="http://www.conseil-etat.fr/Decisions-Avis-Publications/Decisions/Selection-des-decisions-faisant-l-objet-d-une-communication-particuliere/CE-12-juillet-2017-Association-Les-Amis-de-la-Terre-France">pollution de l’air</a>. </p>
<p>Mais ces décisions s’appuyaient sur des obligations de l’État précises : dans le premier cas, l’inaction de l’État a été clairement étayée comme cause « aggravante » de la prolifération des algues toxiques ; dans le deuxième, il existait une claire obligation pour l’État français d’honorer les obligations très précises de non-dépassement de seuil de pollution de l’air. Pour le changement climatique, cette obligation est moins évidente car elle n’a pas encore été consacrée dans un texte à forte portée normative, mais plutôt dans des textes à « texture ouverte » et de nature programmatique.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1057582761203167233"}"></div></p>
<h2>Décisions symboliques</h2>
<p>Dans l’hypothèse où les juges accepteraient la carence de l’État dans « l’Affaire du siècle », l’administration serait contrainte de combler les lacunes ou défaillances reprochées. Mais il s’agira tout au plus d’une obligation de résultat.
Il semble peu probable que le juge se prononce sur une obligation de moyens. </p>
<p>Une obligation de résultat enjoint à attendre un objectif précis, mais sans en dicter la manière précise d’y parvenir (qui reste à l’entière discrétion de l’État) ; une obligation de moyens va un cran plus loin, obligeant à adopter des moyens précis, obligatoires et engageant le cas échéant la responsabilité dans le cas où ces moyens déterminés ne seraient pas pris. La décision sera donc plus symbolique que véritablement réparatrice.</p>
<p>Pour les ONG, ce serait toutefois une victoire : elles auraient réussi à porter l’affaire devant un juge, à faire condamner l’État et à porter un sujet de société au-delà du cercle des militants et sympathisants. Cela légitimerait la saisie du juge afin qu’il rappelle aux autres pouvoirs leur rôle de protection de la société tout entière contre un péril qui menace nos systèmes de vie actuels et met en danger nos vies, celle des générations futures et l’avenir de la planète tout entière.</p>
<p>En attendant, d’autres actions se préparent pour faire interdire des initiatives jugées « climaticides ». Près de 24 projets considérés néfastes pour le climat ont été recensés en France par l’association <a href="https://www.agirpourlenvironnement.org/">Agir pour l’environnement</a> et par le CESE lors du lancement d’un débat ouvert sur les activités contraires au changement climatique.</p>
<p>Préparons-nous donc à voir dans les mois et les années à venir une multiplication d’actions en justice climatique. Espérons qu’elles permettront aux juges de jouer leur rôle de gardiens et garants des droits des citoyens, afin d’inciter l’État et les entreprises à mieux agir pour le climat.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/114669/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marta Torre-Schaub ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La judiciarisation du climat suscite l’espoir mais aussi la crainte d’une atteinte à la séparation des pouvoirs. En réalité, l’enjeu de ces recours est surtout de faire appliquer le droit existant.Marta Torre-Schaub, Directrice de recherche CNRS, juriste, spécialiste du changement climatique et du droit de l’environnement et la santé, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1095432019-01-10T18:55:57Z2019-01-10T18:55:57ZLes procès climatiques gagnent la France : quatre initiatives à suivre de près<p>Depuis la <a href="https://theconversation.com/larret-urgenda-un-espoir-face-a-linertie-des-politiques-climatiques-105869">« décision Urgenda »</a> de 2015 aux Pays-Bas – récemment confirmée en appel et qui a vu le gouvernement néerlandais condamné pour inaction climatique – on observe une <a href="https://theconversation.com/la-montee-en-puissance-dune-justice-climatique-mondiale-105867">multiplication de ce type de procès</a> dans le monde.</p>
<p>Un peu partout, des citoyens, des associations, mais aussi des <a href="https://www.liberation.fr/direct/element/le-maire-de-grande-synthe-damien-careme-attaque-letat-pour-inaction-contre-le-changement-climatique_90276/">villes</a> optent pour la voie juridique dans le but de faire pression sur leurs gouvernements mais aussi les grands groupes, au nom de la justice climatique et du respect de l’environnement.</p>
<p>Ce mouvement a pris ces derniers mois de l’ampleur en France, avec quatre initiatives à suivre de près. Elles visent l’État et la firme Total.</p>
<h2>1. « L’affaire du siècle » : quatre ONG contre l’État français</h2>
<p>Aujourd’hui au stade d’une <a href="https://cdn.greenpeace.fr/site/uploads/2018/12/2018-12-17-Demande-pr%C3%A9alable.pdf">demande préalable</a> envoyée au gouvernement le 17 décembre dernier, cette action lancée par quatre ONG – Greenpeace, la Fondation pour la nature et l’homme, Oxfam et Notre affaire à tous – a reçu un écho sans précédent fin 2018.</p>
<p>Portée par une pétition ayant recueilli à ce jour, via le site Internet dédié <a href="https://laffairedusiecle.net/">laffairedusiecle.net</a>, deux millions de signatures <a href="https://t.co/FoCj3wRiU0">(un record historique)</a>, cette initiative vise à établir la « carence fautive » de l’État français en matière de lutte contre le changement climatique. Les quatre ONG estiment qu’il appartient à ce dernier de lutter activement et effectivement pour contenir l’ampleur de ce changement.</p>
<p>Sans soulever ici la question de la nature juridique de la pétition en ligne ni celle du contrôle légal de la procédure de recueil des signatures éléctroniques, rappelons, en nous focalisant uniquement sur le fond de la pétition, qu’un recours en carence fautive est une procédure qui cherche à sanctionner l’inertie de l’administration publique alors qu’elle est tenue d’agir. En l’absence de réponse satisfaisante dans un délai de deux mois, les requérants déposeront un recours de plein contentieux devant le tribunal administratif de Paris. Ce dépôt de plainte est annoncé pour le printemps 2019. Suivront alors plusieurs mois de procédure.</p>
<p>Si le jugement rendu ne donne pas satisfaction aux ONG, elles pourront faire appel devant la cour administrative d’appel, et éventuellement se pourvoir en cassation devant le Conseil d’État.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1075120950855782401"}"></div></p>
<p>Cette démarche est ambitieuse à double titre : tout d’abord parce qu’elle postule l’existence d’un « principe général » en droit français qui permettrait de fonder une « obligation générale » du pays en matière climatique (d’où la carence reprochée). Ensuite, parce qu’elle affirme qu’il existe un lien de causalité « indéniable » entre les carences de l’État et l’ampleur des changements climatiques.</p>
<p>Si la demande devient un recours effectif devant une juridiction administrative d’ici quelques mois, les ONG devront effectivement prouver l’existence de « l’obligation générale climatique » de la France. Et cela n’a rien d’une mince affaire !</p>
<p>Elles devront ensuite prouver le lien de causalité que leur demande considère « indéniable » et qui constitue souvent le point de rupture dans ce type d’action en justice climatique. En effet, comment montrer le lien de cause à effet entre un dommage précis et le changement climatique global ? Mais aussi : comment prouver la causalité entre des actions ou inactions de l’État et l’aggravation du phénomène climatique ?</p>
<p>Il faudra dans cette affaire avoir recours à des expertises précises, ciblant la France, et ne pas uniquement s’appuyer sur des expertises internationales comme celles que peuvent fournir les experts du GIEC.</p>
<p>Si ces expertises centrées sur la France existent déjà en nombre – qui établissent la fonte de nos glaciers, la perte de biodiversité ou l’augmentation des phénomènes météorologiques extrêmes –, il restera à régler l’épineuse question de son admissibilité comme preuve devant un tribunal contentieux. Si les expertises s’accordent en effet à montrer qu’une série de dérèglements climatiques ont lieu en France depuis plusieurs années, comment prouver qu’ils sont à l’origine de dommages précis détaillés dans la demande ? On pense plus particulièrement ici au lien entre changement climatique et santé. Comment les relier à l’inaction de la France et à une carence ?</p>
<p>Si la demande devient un contentieux climatique contre l’État, les juges français devront faire preuve d’une certaine flexibilité dans leur interprétation de la causalité. La question en suspens est donc la suivante : le juge est-il prêt à introduire cette innovation dans le droit français ?</p>
<h2>2. Le maire de Grande-Synthe engage un recours gracieux</h2>
<p>Autre affaire, concernant une ville cette fois-ci.</p>
<p>En novembre 2018, Damien Carême, <a href="https://www.liberation.fr/direct/element/le-maire-de-grande-synthe-damien-careme-attaque-letat-pour-inaction-contre-le-changement-climatique_90276/">maire écologiste de Grande-Synthe</a> (Hauts de France) a déposé un recours gracieux auprès de l’État pour « inaction en matière de lutte contre le changement climatique ».</p>
<p>Construite sur un polder le long de la Manche, cette commune de 23 000 habitants est exposée à la montée des eaux, l’une des conséquences du changement climatique, et à des risques de submersion.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/3GkvailgT_4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Recours contre l’État pour « inaction climatique » : le maire Damien Carême explique pourquoi. (Ville de Grande-Synthe Officiel/YouTube, novembre 2018).</span></figcaption>
</figure>
<p>L’avocate du maire, Corinne Lepage, ancienne ministre de l’environnement, a souligné le <a href="http://www.leparisien.fr/societe/pour-la-premiere-fois-un-maire-attaque-l-etat-pour-inaction-climatique-20-11-2018-7947651.php">but de cette démarche</a> engagée auprès du ministre de la Transition écologique, du Premier ministre et du Président de la République :</p>
<blockquote>
<p>« Pour que la France mette enfin en place les politiques nécessaires pour respecter les engagements que nous avons pris, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. »</p>
</blockquote>
<p>À partir de la réception du recours gracieux, le gouvernement dispose d’un délai de deux mois pour accéder à la demande du plaignant. « Si dans les deux mois, on n’a pas de réponse ou si l’État nous répond “non”, on ira devant le juge », a affirmé Corinne Lepage.</p>
<p>Rappelons ici qu’un recours gracieux constitue un élément essentiel du contrôle de l’action administrative ; il permet en effet à une autorité administrative ayant pris une décision de pouvoir la réformer, l’abroger, la modifier ou la maintenir.</p>
<p>Dans cette affaire, l’administration dispose d’un peu moins de deux mois désormais avant l’intervention d’un juge administratif, pour remédier aux éventuelles illégalités dont pourrait être entachée sa décision initiale concernant la protection et l’adaptation de la ville de Grande-Synthe au changement climatique.</p>
<h2>3. Quatre ONG menacent Total d’un procès</h2>
<p>La troisième affaire concerne Total. Les activités de la firme internationale, leader des énergies fossiles et présente sur les cinq continents dans plus de 130 pays, ont été régulièrement épinglées pour leurs effets néfastes sur l’environnement et le climat.</p>
<p>En octobre dernier, peu de temps après la publication du <a href="https://theconversation.com/cop24-le-nouveau-contexte-scientifique-des-negociations-climat-107815">dernier rapport du GIEC</a> sur le réchauffement climatique, une <a href="https://www.asso-sherpa.org/wp-content/uploads/2018/10/221018-Courrier-Patrick-Pouyanne%CC%81.pdf">lettre d’avertissement</a> a ainsi été adressée à l’entreprise par quatre ONG – Notre Affaire à Tous, Les Eco Maires, Sherpa et ZEA – et 13 communes françaises. Ce collectif lui demande d’actualiser son plan de vigilance en accord avec la nouvelle loi française de 2017 sur le devoir de vigilance.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Bdhd5x-5nMc?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le maire de Grenoble, Éric Piolle : « Total doit respecter la COP21 ». (Éric Piolle/YouTube, octobre 2018).</span></figcaption>
</figure>
<p>Ce devoir, décrit à l’article <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/eli/loi/2017/3/27/2017-399/jo/texte">L. 225-102-4.-I du code des sociétés</a> stipule que :</p>
<blockquote>
<p>« Toute société qui emploie, à la clôture de deux exercices consécutifs, au moins cinq mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français, établit et met en œuvre de manière effective un plan de vigilance. Le plan comporte les mesures de vigilance raisonnable propres à identifier les risques et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement, résultant des activités de la société et de celles des sociétés qu’elle contrôle directement ou indirectement, ainsi que des activités des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie. »</p>
</blockquote>
<p>Au nom de ce devoir, Total devra établir un plan de vigilance incluant une cartographie des risques climatiques et décrire les mesures qu’il compte mettre en œuvre dans la lutte contre le changement climatique. L’interpellation demande au pétrolier « de se conformer à l’obligation de limiter le réchauffement à 1,5°C afin de prévenir un emballement du système climatique ».</p>
<p>Si Total ne corrige pas sa trajectoire dans un délai de trois mois, à partir de cette mise en demeure, un juge pourra être saisi par les ONG pour qu’il déclare une injonction de faire. Notons cependant que le devoir de vigilance concerne en tout état de cause une obligation de moyens, pas de résultats. Un juge pourra donc enjoindre Total de modifier et adapter son plan de vigilance, mais il n’y aura pas de sanction à la clé.</p>
<h2>4. Une action en justice contre l’État pour stopper Total en Guyane</h2>
<p>Début décembre 2018, sept associations – Amis de la Terre France, Greenpeace France, Guyane Nature Environnement, Nature Rights, Sea Shepherd France, Stop Pétrole Offshore Guyane, Surfrider Europe et ZEA – ont déposé un recours au tribunal administratif de Cergy contre l’État français concernant le permis « Guyane maritime » accordé au pétrolier pour réaliser des forages exploratoires. Le Brésil avait rejeté quelques semaines auparavant un projet similaire du pétrolier dans cette zone, au large de l’embouchure du fleuve Amazone.</p>
<p>S’il a été beaucoup moins médiatisé que l’initiative « L’affaire du siècle » évoquée plus haut, ce recours déposé est le plus tangible. Les associations soulignent que l’accord dont bénéficie Total entre en contradiction avec les engagements climatiques de la France : pour contenir la hausse des températures, il faut réduire considérablement le recours aux énergies fossiles, pétrole en tête. Il s’agit également d’une menace sérieuse pour l’environnement, ces forages étant prévus à quelques kilomètres du récif de l’Amazone, un écosystème unique par sa biodiversité.</p>
<p>Si les juges décident d’annuler les autorisations de forage, l’État français devra prendre position face au géant de l’énergie fossile.</p>
<p>Cette demande en justice, repose sur des prescriptions légales très concrètes, fondées sur le droit positif de l’environnement – le code de l’environnement – et sur la violation des principes de démocratie environnementale inscrits dans le droit français.</p>
<p>Il s’agit, concrètement, du déni du droit à la participation du public, du fait de l’absence de saisine de la Commission nationale du débat public (CNDP) ; de l’absence d’expertise du dossier par les commissaires-enquêteurs chargés d’émettre un avis argumenté sur l’étude d’impact environnemental de Total ; de lacunes de la modélisation en cas de marée noire et de risques pour les pays et territoires voisins.</p>
<p>Il reviendra ainsi aux juges de décider, en s’appuyant sur le code de l’environnement, si l’État a violé le droit en accordant ces autorisations de forage à Total. La décision du tribunal de Cergy devrait tomber en début de semaine prochaine. Dans le cas où elle se prononcerait pour l’annulation de l’autorisation de ces forages, elle ouvrirait une voie de contentieux climatiques « juridiquement constructifs » et effectifs.</p>
<p>Une telle décision adresserait un signal positif à la société tout entière et à la communauté internationale. Les autres demandes, qui pour l’heure sont seulement des menaces de procès, pourront sans doute trouver une inspiration dans les résultats de cette action devant le tribunal de Cergy. Ce sont parfois les petits pas qui permettent de gagner la course de manière plus sûre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/109543/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marta Torre-Schaub ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’ONU a recensé en 2017 dans le monde environ 900 procès climatiques. La France participe désormais à ce mouvement. Décryptage de quatre « affaires ».Marta Torre-Schaub, Directrice de recherche CNRS, juriste, spécialiste du changement climatique et du droit de l’environnement et la santé, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.