tag:theconversation.com,2011:/uk/topics/liberte-33615/articlesliberté – The Conversation2024-03-27T16:46:38Ztag:theconversation.com,2011:article/2255942024-03-27T16:46:38Z2024-03-27T16:46:38ZDevoir de réserve des agents de l’État : que dirait Emmanuel Kant ?<p>Vendredi 15 mars, une professeure de français, un professeur de sciences économiques et sociales, un professeur de physique-chimie et un professeur de mathématiques du lycée Blaise Cendrars à Sevran (Seine-Saint-Denis) étaient reçus par leur hiérarchie dans le cadre d’entretiens individuels, manifestement liés à leur participation à une vidéo publiée sur <a href="https://www.tiktok.com/@lyceeblaisecendrars/video/7343300780071406880">TikTok</a> dans laquelle élèves et enseignants dénonçaient la vétusté de leur établissement ainsi que les problèmes de remplacement des personnels absents.</p>
<p>À ce jour aucun détail n’a été communiqué par l’Académie de Créteil, mais les syndicats et collègues venus en soutien devant l’établissement s’inquiètent des conséquences de cette convocation : une enseignante serait sortie en pleurs de son entretien, selon <a href="https://www.francebleu.fr/infos/education/delabrement-du-lycee-blaise-cendras-a-sevran-quatre-professeurs-convoques-par-la-direction-apres-une-video-virale-3200144">France bleu Paris</a>. Quelle faute ces enseignants ont-ils commise ? Il semblerait qu’ils aient, aux yeux de leur hiérarchie, manqué à leur « devoir de réserve ».</p>
<p>La convocation de ces quatre enseignants est l’occasion de relancer le débat sur la liberté d’expression et d’opinion des fonctionnaires, et sur la légitimité de dissuader les personnels de s’en saisir. Est-il juste et souhaitable que les fonctionnaires ne puissent pas dénoncer des dysfonctionnements et des iniquités institutionnels ni pendant ni en dehors de leur temps de travail ?</p>
<p>Selon le philosophe emblématique de la morale et des Lumières, Emmanuel Kant, la réponse est claire : si le citoyen doit se garder d’exprimer son point de vue pendant l’exercice de sa mission, il est nécessaire et juste qu’il puisse exprimer ses jugements à ses concitoyens en dehors de son temps de travail.</p>
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<figcaption><span class="caption">Des élèves du 93 dénoncent la vétusté de leur lycée, les profs convoqués (Le HuffPost).</span></figcaption>
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<h2>Un devoir qui s’applique pendant et en dehors du temps de travail</h2>
<p>S’il est inscrit dans les <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F530">textes officiels</a> que le devoir de réserve ne s’oppose pas à la liberté d’expression et à la liberté d’opinion, il n’en constitue pas moins une limitation de cette liberté (avec laquelle il entre en contradiction), qui « s’impose à tout agent public », selon le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000007836435/">Conseil d’État</a>.</p>
<p>Formulé pour la première fois en 1935, le devoir de réserve se définit comme « l’obligation faite à tout agent public de faire preuve de réserve et de retenue dans l’expression écrite et orale de ses opinions personnelles. » C’est une obligation <a href="https://www.dalloz.fr/documentation/Document?id=DZ/OASIS/000673">d’origine jurisprudentielle</a>, ce qui signifie qu’elle n’est pas inscrite dans la loi, mais se rapporte à une décision juridictionnelle constituant une source de droit.</p>
<p>La « réserve » et la « retenue » restent à l’appréciation de la hiérarchie de l’agent puis du juge administratif selon la fonction (par exemple, les militaires sont soumis à des obligations supplémentaires) et le contexte (comme l’aspect public des propos ou la place de l’agent dans la hiérarchie : plus il est haut placé, plus l’obligation de réserve est sévère). C’est cette appréciation qui limite la libre communication des pensées et des opinions, prévue par <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/le-bloc-de-constitutionnalite/declaration-des-droits-de-l-homme-et-du-citoyen-de-1789">l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen</a> et reprise dans la <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/dudh_cle8bfd42-1.pdf">Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948</a>.</p>
<p>Cette restriction de la liberté d’expression s’applique « pendant », mais aussi « en dehors » du temps de travail : c’est la raison pour laquelle <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/05/10/la-suspension-de-deux-professeurs-de-philosophie-relance-le-debat-sur-le-devoir-de-reserve-des-fonctionnaires_6172707_3224.html">deux autres enseignants ont été suspendus en mai 2023</a> pour non-respect du devoir de réserve pour leurs propos sur Twitter, l’un pour avoir formulé des <a href="https://www.rtl.fr/actu/debats-societe/deux-professeurs-suspendus-pour-leurs-prises-de-position-sur-les-reseaux-sociaux-7900262296">« critiques contre la politique africaine de la France »</a>, et l’autre pour avoir affirmé que le pass vaccinal était une <a href="https://twitter.com/rene_chiche/status/1476265271488876544">mesure discriminatoire</a>. Et c’est là que le bât blesse : est-il juste et souhaitable de restreindre la liberté d’expression des agents de la fonction publique en tant que citoyens ?</p>
<h2>« L’usage public de la raison doit être libre »</h2>
<p>Dans son opus <a href="https://editions.flammarion.com/quest-ce-que-les-lumieres/9782081490673"><em>Qu’est-ce que les lumières ?</em></a>, le philosophe Emmanuel Kant distingue l’usage public de la raison de son usage privé. Pour bien saisir la distinction opérée par Kant, il faut mettre de côté notre définition habituelle du public et du privé.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/582620/original/file-20240318-22-yn9etn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Portrait du philosophe Emmanuel Kant (1724-1804)" src="https://images.theconversation.com/files/582620/original/file-20240318-22-yn9etn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/582620/original/file-20240318-22-yn9etn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=783&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/582620/original/file-20240318-22-yn9etn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=783&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/582620/original/file-20240318-22-yn9etn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=783&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/582620/original/file-20240318-22-yn9etn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=984&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/582620/original/file-20240318-22-yn9etn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=984&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/582620/original/file-20240318-22-yn9etn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=984&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Portrait du philosophe Emmanuel Kant (1724-1804).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikicommons</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Dans ce texte, le terme « privé » ne renvoie pas à la sphère familiale, mais au contexte professionnel. L’usage privé de la raison renvoie à l’usage que le citoyen peut faire de sa raison dans le cadre des fonctions qui lui sont confiées. Il est alors docile et passif, il doit respecter les instructions et les méthodes formalisées par sa hiérarchie.</p>
<p>L’usage public de la raison, à l’inverse, est l’usage de sa raison « en tant que savant devant le public entier qu’est le monde des lecteurs » (un monde de « lecteurs » que l’on peut étendre aux médias contemporains et aux réseaux sociaux).</p>
<p>Cette distinction usage privé/usage public garantit selon Kant l’équilibre social (car chacun s’adonne à sa tâche) et l’autonomie du citoyen (qui peut prétendre à la liberté en pensant par lui-même).</p>
<p>« Ne raisonnez pas ! » : c’est l’injonction qui limite la liberté dans tout le corps social, selon Kant. Une injonction qui n’est légitime que dans certains cas, selon lui. En effet, pour maintenir une forme d’« unanimité artificielle », « un certain mécanisme est nécessaire, qui impose à quelques-uns de ses membres un comportement purement passif » : la contestation ou l’opposition permanente mettrait en péril ce fragile équilibre que constitue une société.</p>
<p>Afin de préserver le corps social, il ne faut pas raisonner, « il faut au contraire obéir » : se contenter de faire un « usage privé » de sa raison. Pour Kant, cette injonction se justifie donc (dans une certaine limite) dans le contexte professionnel.</p>
<p>Cependant, est-il juste de prolonger cette prescription à toute la vie du citoyen ? Si le prêtre n’est pas libre comme prêtre (membre d’une Église soumise à une hiérarchie et une doctrine officielle), il doit, selon Kant, jouir d’une liberté illimitée comme « savant » (comme citoyen rationnel) d’exposer ses jugements à l’examen du monde.</p>
<p>Le droit de mettre en doute une constitution religieuse, des lois, le fonctionnement d’une institution est l’unique voie pour que le peuple sorte de l’« état de minorité » (cet état est selon Kant, l’incapacité à se servir de son propre entendement sans la direction d’un autre). L’usage public de la raison doit donc toujours être libre. En effet, pour que les institutions évoluent conformément à l’intérêt général, le regard critique de ceux qui les représentent et les éprouvent au quotidien n’est-il pas nécessaire ? <em>Sapere Aude</em> (« ose te servir de ton propre entendement », formule empruntée à Horace), nous ordonne Kant. Oui, mais quand,et jusqu’où ?</p>
<h2>Plus de liberté, plus de limites</h2>
<p>En 2018, une enseignante dijonnaise avait été rappelée à l’ordre par le rectorat de l’académie de Dijon pour avoir publié sur le site <a href="https://dijoncter.info/?le-grand-chef-blanc-a-parle-739">dijoncter.fr</a> une tribune ironique sur le président Emmanuel Macron. Sa hiérarchie lui avait rappelé son devoir de réserve en <a href="https://www.ouest-france.fr/education/dijon-une-professeure-convoquee-par-son-rectorat-apres-avoir-critique-emmanuel-macron-6144426">ces termes</a> : « un fonctionnaire ne doit pas critiquer sa hiérarchie et l’État employeur ». Cette convocation s’avéra d’autant plus inquiétante que l’enseignante était très impliquée dans la lutte contre la réforme du Bac et Parcours Sup ainsi que dans la défense d’élèves en situation irrégulière.</p>
<p>Selon Emmanuel Kant, une telle négation de la liberté d’expression est préjudiciable à l’émancipation du peuple (parce qu’elle empêche l’esprit critique d’œuvrer à la diffusion des « Lumières »), mais aussi à l’équilibre social.</p>
<p>Paradoxalement, accorder aux citoyens un « degré supérieur de liberté civile » est selon Kant le meilleur moyen de leur imposer des « limites infranchissables » : les hommes libres s’arrachent en effet d’eux-mêmes à la « grossiereté ». La pensée libre permet à l’homme de se comporter avec humanité. Aussi le peuple comme les gouvernants ont tout intérêt à promouvoir la pensée libre et sa libre expression, en traitant l’homme « qui est dès lors plus qu’une machine » conformément à sa dignité absolue, et ce qu’il soit ou non agent public. À cet égard, nous sommes encore loin des Lumières défendues par Kant.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225594/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Juliette Speranza ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
</span></em></p>La convocation récente d’enseignants est l’occasion de relancer le débat sur la liberté d’expression et d’opinion des fonctionnaires, et sur la légitimité de dissuader les personnels de s’en saisir.Juliette Speranza, Doctorante, chargée de cours en Philosophie, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1948692022-11-23T20:10:48Z2022-11-23T20:10:48ZDéjouer les pièges de l’éducation positive avec la philosophie de Hegel<p>L’éducation positive est une belle idée. C’est pourquoi de nombreux parents ont cru trouver en elle les fondements d’une pratique éducative libératrice pour leurs enfants. Cependant, elle expose à des pièges qui, si l’on n’y prend garde, risquent d’interdire tout vrai travail éducatif. La « grande Ombre » de Hegel, telle que Alain l’évoque dans ses <a href="http://classiques.uqac.ca/classiques/Alain/propos_sur_education/propos_sur_education.html"><em>Propos sur l’éducation</em></a>, peut à ce sujet nous « parler » très fort. Écoutons-la.</p>
<p>L’espoir des parents qui adoptent le modèle d’une éducation positive est de travailler à l’émergence d’enfants libres, un peu à l’image des <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/libres_enfants_de_summerhill-9782707142160"><em>Libres enfants de Summerhill</em></a>, qui eurent leur heure de gloire dans les années soixante. Il est clair qu’il est difficile de s’élever contre les idées directrices de l’éducation positive, dont les maîtres mots sont écoute, respect et accompagnement : promouvoir une éducation fondée sur l’empathie ; développer une coopération entre les parents et les enfants, les adultes et les jeunes ; accompagner l’enfant en étant à l’écoute de ses besoins ; faire apprendre en s’appuyant sur les forces individuelles et la motivation personnelle. Qui pourrait y trouver à redire ?</p>
<p>Mais l’éducation positive se heurte très vite au problème des limites éducatives. Car il ne faut pas se méprendre sur la liberté. Ce qui est souvent décrit comme une « violence éducative », en tant que contrainte, refus de certains comportements, et inversement imposition de manières d’être et de faire conformes à des normes, ou à une morale, est-il, par principe, et toujours, attentatoire à la liberté de celui-ci ?</p>
<h2>Le piège de la liberté du vide</h2>
<p>Hegel nous rappelle que la liberté ne se réduit pas au refus de tout contenu extérieur, jugé alors comme étant simplement « une restriction » inadmissible. Cette « liberté négative » n’est qu’une <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Tel/Principes-de-la-philosophie-du-droit">« liberté du vide »</a>, qui n’existe que dans la destruction de ce qui s’oppose à elle. Il ne faut pas laisser les enfants, en croyant les respecter, être emportés par une « furie de destruction », refusant « tout ordre social existant », et visant « l’anéantissement de toute organisation voulant se faire jour ».</p>
<p>Certes, d’un côté, « Les enfants sont en soi des êtres libres, et leur vie est <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Tel/Principes-de-la-philosophie-du-droit">l’existence immédiate de cette liberté</a> seulement ». Les enfants n’appartiennent à personne, ni aux parents, ni aux éducateurs. Mais, d’un autre côté, ils ont besoin d’une éducation pour les « élever de la nature immédiate où ils se trouvent primitivement à l’indépendance et à la personnalité libre ». Ce qui apparaît immédiatement comme négativité – l’intervention éducative restrictive et canalisante – a une irremplaçable dimension positive. Cette positivité est appelée et ressentie par les enfants eux-mêmes.</p>
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<figcaption><span class="caption">Éducation positive : théorie, pratique, controverses (Débat organisé par Sciences Humaines, 2022).</span></figcaption>
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<p>« La nécessité d’être élevés existe chez les enfants comme le sentiment qui leur est propre de ne pas être satisfaits de ce qu’ils sont. ». Toute pédagogie qui « traite l’élément puéril comme quelque chose de valable en soi (et) le présente aux enfants comme tel… rabaisse pour eux ce qui est sérieux, et elle-même, à une forme puérile peu considérée par les enfants. En les présentant comme achevés dans l’état d’inachèvement où ils se sentent », elle ne peut que déboucher sur « la vanité… des enfants pleins du sentiment de leur distinction propre ».</p>
<p>L’achèvement de la personne devenue libre en soi et pour soi exigera le dépassement de ce que l’on est au « moment » de l’enfance, quand on exerce ce qui risque de n’être qu’une liberté du vide.</p>
<h2>Le piège de méconnaître l’exigence de dépassement</h2>
<p>Cette exigence a été bien mise en évidence par Hegel, avec le concept d’« aufheben », qui fait comprendre la nécessité et la positivité de l’affrontement fécond du négatif. La négativité que représente pour un être la rencontre avec l’altérité (l’autre – le parent, le maître – restreint mon champ de « libre » développement, et m’impose ses propres façons d’être et de faire), a pour effet de conduire l’éduqué en dehors et au-delà de lui-même, pour devenir pleinement lui-même, ce qu’il n’était pas (encore) dans son état d’inachèvement.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/apprendre-a-grandir-un-combat-a-mener-avec-susan-neiman-167066">Apprendre à « grandir », un combat à mener avec Susan Neiman</a>
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<p>Ainsi, ce qui est vécu comme répression est au service du dépassement nécessaire pour qu’advienne l’individu libre en tant que conscience éduquée. L’affrontement du négatif est fécond parce qu’il permet un <a href="http://www.sudoc.abes.fr/cbs/xslt/DB=2.1//SRCH?IKT=12&TRM=065406656">dépassement enrichissant</a>, par rapport à la particularité immédiate de ce qui est dépassé :</p>
<blockquote>
<p>« Supprimer à un double sens : celui de conserver, de maintenir (aufheben signifie en allemand relever, soulever et supprimer), et celui de faire cesser, de mettre un terme. Conserver, maintenir implique en outre une signification négative, à savoir qu’on enlève à quelque chose, pour le conserver, son immédiateté… C’est ainsi que ce qui est supprimé est en même temps ce qui est conservé, mais a seulement perdu son immédiateté, sans être pour cela anéanti. »</p>
</blockquote>
<p>La volonté et la liberté immédiates de l’enfant ne sont conservées, et n’atteignent leur plénitude, que si elles sont supprimées par dépassement, grâce à l’affrontement avec un adulte dont la consistance positive (la fermeté sur des principes rationnels) peut être perçue dans un premier temps comme une condamnable négativité. Mais c’est qu’il n’y a pas d’éducation « <a href="https://ulysse.univ-lorraine.fr/discovery/fulldisplay/alma991005246179705596/33UDL_INST:UDL">quand y manquent le sérieux, la douleur</a>, la patience et le travail du négatif ».</p>
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<p>Telle est « la puissance prodigieuse du négatif ». Ce qui est vu comme négation n’est en fait que la « médiation », qui permet le « devenir-autre » par lequel on échappe à l’immédiateté, pour accéder à la plénitude et à la vérité de ce que l’on était simplement en puissance dans son « commencement vide ». Le développement est négatif par rapport au commencement, en ce qu’il y a d’unilatéral en celui-ci : par là il est réfutation. Mais il est aussi réalisation effective, et épanouissement. Selon une métaphore proposée par Hegel, la vérité du gland est dans le futur chêne :</p>
<blockquote>
<p>« Quand nous désirons voir un chêne, dans la robustesse de son tronc, l’expansion de ses branches et les masses de son feuillage, nous ne sommes pas satisfaits si l’on nous montre à sa place un gland ».</p>
</blockquote>
<p>Le chêne réfute le gland, comme d’une façon générale la fleur réfute le bouton. « Le bouton disparaît dans l’éclatement de la floraison, et on pourrait dire que le bouton est réfuté par la fleur. A l’apparition du fruit, également, la fleur est dénoncée comme un faux être-là de la plante, et le fruit s’introduit à la place de la fleur comme sa vérité ». Céder aux caprices de l’enfant, en l’idolâtrant dans toutes ses fantaisies et lubies, revient à le condamner à n’être à jamais qu’un être inachevé.</p>
<h2>Le piège de l’éducation sans contrainte</h2>
<p>Pour aider l’enfant à atteindre sa vérité de personne éduquée et aussi pleinement libre que cela soit possible, il faut donc savoir lui imposer, à bon escient, des contraintes éducatives. Tout travail éducatif a nécessairement un aspect contraignant. Mais que peut-on légitimement imposer, et comment être sûr de ne pas simplement opposer un caprice d’adulte au caprice de l’enfant ?</p>
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<img alt="Portrait de Hegel" src="https://images.theconversation.com/files/496468/original/file-20221121-26-5assup.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496468/original/file-20221121-26-5assup.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=781&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496468/original/file-20221121-26-5assup.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=781&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496468/original/file-20221121-26-5assup.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=781&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496468/original/file-20221121-26-5assup.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=982&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496468/original/file-20221121-26-5assup.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=982&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496468/original/file-20221121-26-5assup.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=982&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Portrait de Hegel.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/b/bf/1831_Schlesinger_Philosoph_Georg_Friedrich_Wilhelm_Hegel_anagoria.JPG">Jakob Schlesinger/Wikimedia</a></span>
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<p>Hegel nous aide à comprendre que la nécessaire contrainte porte sur deux dimensions. On ne peut pas ne pas imposer des contenus, et un cadre. Le contenu est, d’une façon générale, défini par ce qui constitue la culture à un moment déterminé. Car « la culture est la libération, et le travail de libération supérieure ». Certes, et cela ne peut plus nous surprendre, la <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Tel/Principes-de-la-philosophie-du-droit#">libération implique un travail pénible</a>. « Cette libération est, dans le sujet, le travail pénible contre la subjectivité de la conduite, contre les besoins immédiats et aussi contre la vanité subjective de l’impression sensible et contre l’arbitraire de la préférence ». Mais cette pénibilité n’est que le prix à payer pour goûter à « la valeur infinie de la culture comme moment immanent de l’infini ».</p>
<p>Cette imposition de contenus va de pair avec l’imposition d’un cadre, qui prend d’abord le visage de la discipline. La discipline est l’ensemble des règles sans lesquelles il n’y a pas de vie en commun possible, au sein d’une famille, d’une classe, ou d’une population. Comment pourrait-on reprocher à son adolescent de rentrer trop tard si l’on n’a pas au préalable fixé (avec lui !) une heure limite de rentrée ? Dans ses écrits pédagogiques, Hegel distingue la « discipline proprement dite » et la « culture des mœurs », l’une et l’autre appartenant d’abord à la famille, et constituant « une tâche et un devoir des parents ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/guides-sur-la-parentalite-une-infinie-course-au-bien-etre-142441">Guides sur la parentalité : une infinie course au bien-être ?</a>
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<p>Le but de la discipline est de « dompter la grossièreté, de fixer la quête de distractions et de remplir les enfants du sentiment de respect et d’obéissance » à l’égard des parents comme des maîtres, explique Hegel dans ses <a href="https://www.vrin.fr/livre/9782711600823/textes-pedagogiques"><em>Textes pédagogiques</em></a> :</p>
<blockquote>
<p>« Pour la fréquentation de nos écoles, on exige un comportement calme, l’accoutumance à une attention durable, un sentiment de respect et d’obéissance envers les maîtres, une attitude correcte, modeste, à l’égard de ceux-ci comme à l’égard des condisciples. »</p>
</blockquote>
<p>Toutefois, si elle a pour but d’offrir aux individus l’affrontement fécond du négatif, « la discipline proprement dite ne peut pas être un but des institutions scolaires ». Elle n’est qu’un moyen. « L’obéissance… est nécessaire pour que le but des études soit atteint ». Mais il ne saurait être question d’« exiger une obéissance à vide pour l’obéissance même ». Il ne faudrait pas chercher « à obtenir, par la dureté, ce qui réclame simplement le sentiment de l’amour, du respect, et du sérieux de la Chose ».</p>
<p>Mais l’amour ne peut pas tout, car, en définitive, « Il est plus facile d’aimer les enfants que de les élever », et il s’agit bien de les élever ! Si le souci d’éduquer positivement ses enfants et ses élèves est une noble intention, il ne doit pas faire oublier que l’indispensable amour ne suffit pas, que les contraintes appartiennent au domaine des moyens nécessaires, qu’il s’agit de contribuer au dépassement des limitations et de l’immédiateté premières, et que la liberté ne se réduit jamais à la liberté du vide.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/194869/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Charles Hadji ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’éducation positive est une belle idée mais elle expose à des pièges qui, si l’on n’y prend garde, risquent d’interdire tout vrai travail éducatif. Relire Hegel peut nous aider à les déjouer.Charles Hadji, Professeur honoraire (Sciences de l’éducation), Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1876372022-08-02T20:10:09Z2022-08-02T20:10:09ZComment la loi « séparatisme » a changé la vie des associations religieuses<p>Le 22 juillet dernier, le Conseil constitutionnel a rendu sa décision : la loi « séparatisme » n’est pas jugée contraire à la liberté des associations religieuses.</p>
<p>Réputée intouchable, la fameuse loi de Séparation des Églises et de l’État du 9 décembre 1905 a pourtant été modifiée une vingtaine de fois. Mais aucune des modifications n’a été aussi importante que celles opérées par la loi n° 2021-1109 confortant les principes de la République du 24 août 2021, dite loi « séparatisme ».</p>
<p>Cette dernière est en effet marqueur d’une évolution significative de la liberté religieuse en France. Tandis que la liberté religieuse des individus ne cesse d’être confortée en tout domaine, allant parfois jusqu’à remettre en cause les principes ou les pratiques les mieux arrêtés (lecture souple de l’interdiction faite aux personnes publiques de financer des activités religieuses, existence de menus de substitution dans les cantines des établissements scolaires ou pénitentiaires, etc.), l’exercice collectif de la liberté religieuse ne cesse quant à lui d’être davantage encadré et contenu.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/en-graphiques-quelle-identite-religieuse-pour-la-france-170174">En graphiques : Quelle identité religieuse pour la France ?</a>
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<p>Si la liberté des individus est mieux protégée, celle des communautés et associations religieuses est bien davantage surveillée et limitée. La frontière est évidemment délicate à tracer, étant entendu que la plupart des libertés n’ont de sens que si elles sont exercées collectivement, mais c’est bien le mouvement général qui se dessine ces dernières années.</p>
<h2>Tradition individualiste</h2>
<p>Certes, depuis la Révolution de 1789, la tradition française est individualiste : elle accorde des droits aux individus, mais les refuse obstinément à tout corps intermédiaire. Le député Sanislas de Clermont-Tonnerre disait ainsi, dans un discours à l’Assemblée du 23 décembre 1789 : « il faut tout refuser aux Juifs comme nation et tout accorder aux Juifs comme individu ». Depuis lors, une grande latitude est accordée aux individus en matière religieuse, mais les droits reconnus aux communautés religieuses sont strictement tolérés.</p>
<p>[<em>Près de 70 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5">Abonnez-vous aujourd’hui</a>.</em>]</p>
<p>Mais en surplus de cette logique initiale, ce sont aujourd’hui des contraintes nouvelles qui s’amoncellent sur les associations religieuses, placées sous une surveillance sans cesse grandissante des pouvoirs publics. Le terrorisme, la radicalisation et le séparatisme islamistes, dont les pouvoirs publics s’inquiètent logiquement, sont à l’origine de ce mouvement de resserrement des contraintes pesant sur les Églises et communautés religieuses. Et comme le droit ne saurait cibler précisément une religion plutôt qu’une autre sans méconnaître les principes de laïcité et d’égalité proclamés par l’article 1<sup>er</sup> de la Constitution, les réglementations en vigueur s’appliquent évidemment à tous les cultes.</p>
<p>Or, dans sa <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2022/20221004QPC.htm">décision du 22 juillet 2022</a>, le Conseil constitutionnel a été appelé à se prononcer sur deux dispositifs de contrôle institués par cette loi « séparatisme ».</p>
<h2>Le contrôle préfectoral</h2>
<p>La reconnaissance de la qualité cultuelle d’une association est un enjeu important, car elle permet à l’association de bénéficier de certains avantages, notamment fiscaux et financiers.</p>
<p>Or, jusqu’en 2021, les « associations cultuelles » n’avaient pas de démarche particulière à effectuer pour obtenir cette qualité et bénéficier de ces avantages. Les membres de l’association pouvaient donner eux-mêmes cette qualification à leur association. Ce n’était que dans un second temps qu’intervenait un contrôle administratif.</p>
<p>Mais depuis la loi « séparatisme », les associations souhaitant bénéficier de la qualité d’association cultuelle doivent déclarer cette qualité au préfet, représentant de l’État. Et le préfet peut à présent, dans les deux mois suivant la déclaration, s’opposer à ce que l’association bénéficie des avantages découlant de cette qualité s’il constate que l’association ne remplit pas les conditions prévues par la loi de 1905 ou pour un motif d’ordre public.</p>
<p>De plus, l’association doit dorénavant renouveler sa déclaration d’existence au préfet tous les cinq ans. Dit autrement, les avantages que la qualité d’« association cultuelle » confère à une association ne sont valables que pour une durée de cinq années renouvelable.</p>
<p>Ces nouvelles procédures étaient contestées par les associations requérantes, qui n’ont pas obtenu gain de cause. La première question était de savoir si cette intervention du préfet ne conduisait pas l’administration à « reconnaître » l’existence d’un culte, reconnaissance qui serait contraire au principe de laïcité (article 2 de la loi de 1905).</p>
<p>Le juge constitutionnel considère en premier lieu que cette procédure n’impose qu’une obligation de déclaration aux associations religieuses : elle n’entraîne donc aucunement la reconnaissance publique d’un culte (§12). Il observe aussi que la décision du préfet est accompagnée de garantie : l’association qui serait privée de la qualité d’« association cultuelle » a le droit d’être entendue (§13). Dès lors, les dispositions législatives contestées ne méconnaissent pas le principe de laïcité (§14).</p>
<p>En deuxième lieu, jugeant que cette procédure déclarative n’a « pas pour objet d’encadrer les conditions dans lesquelles elles les [associations] se constituent et exercent leur activité », le Conseil admet qu’elle ne porte pas atteinte à la liberté d’association. Sur ce point, on ne peut que déplorer la faible motivation de la décision, la conclusion abrupte méritant certainement d’être étayée pour expliquer en quoi ces procédures inédites laissent intacte la liberté d’association.</p>
<p>En revanche, le juge constitutionnel interdit que le retrait de la qualité d’« association cultuelle » par le préfet conduise « à la restitution d’avantages dont l’association a bénéficié avant la perte de sa qualité cultuelle ». Le retrait de la qualité d’« association cultuelle » ne saurait ainsi avoir d’effet rétroactif. Sans limiter le contrôle de l’État, le Conseil entend octroyer quelques garanties aux associations.</p>
<h2>Alignement des contraintes</h2>
<p>Outre les « associations cultuelles » (loi de 1905), d’autres formes d’associations (associations loi de 1901) peuvent assumer des missions religieuses. Or la loi « séparatisme » de 2021 a voulu harmoniser leur régime juridique avec celui des cultuelles, de façon à inciter les musulmans, qui ont souvent eu recours à cette forme associative, à transformer leurs associations actuelles en cultuelles.</p>
<p>Jusqu’en 2021, leur régime juridique était régi par la loi (libérale) du 1<sup>er</sup> juillet 1901. Aucun texte législatif spécifique n’avait complété cette loi pour réglementer d’une façon spécifique les associations à vocation religieuse. Leur création et leur organisation étaient donc très libres.</p>
<p>La loi de 2021 met un terme à ce régime relativement libéral. Elle entend au contraire rapprocher assez largement leur régime juridique de celui des « associations cultuelles », afin de renforcer le contrôle qu’exercent sur elles les autorités administratives. La loi de 2021 les soumet à un certain nombre des dispositions de la loi de 1905 : elles doivent déclarer leurs ressources provenant de l’étranger, elles doivent dresser une liste des lieux dans lesquels s’organise l’exercice public du culte, etc.</p>
<p>Saisi de ces dispositions législatives, le Conseil constitutionnel les a jugées conformes à la Constitution. Il considère qu’elles sont justifiées par la nécessité d’assurer la « transparence de l’activité et du financement des associations assurant l’exercice public d’un culte », ce qui permet d’assurer l’ordre public. Là encore, l’objectif poursuivi par le législateur (accroître la surveillance des associations religieuses et de leurs lieux de culte) est admis par le juge.</p>
<p>Ce dernier précise néanmoins que, si la loi est conforme à la Constitution, le gouvernement devra veiller, lorsqu’il publiera les décrets d’application de la loi, à ce que la mise en œuvre de ces dispositions respecte « les principes constitutionnels de la liberté d’association et du libre exercice des cultes ». Il y a lieu de s’étonner d’une telle précision. Outre qu’elle énonce une lapalissade, cette précision induit bien que les dispositions en cause peuvent potentiellement donner lieu à des applications contraires à la Constitution ; mais en ce cas, on peut s’étonner que le Conseil constitutionnel n’ait pas entendu sanctionner le législateur pour le manque de garantie apportée ou qu’il n’ait pas précisé lui-même (comme il le fait souvent) l’interprétation qu’il fallait donner de ces dispositions législatives pour qu’elles soient appliquées de manière constitutionnelle.</p>
<h2>Un curieux paradoxe</h2>
<p>Le Conseil constitutionnel n’a pas volé au secours de la liberté des associations religieuses dans sa décision du 22 juillet. La loi « séparatisme » est constitutionnelle. Mais son opportunité peut néanmoins être interrogée. Non pas tellement parce qu’elle renforce le contrôle de l’État, mais parce qu’elle soulève un curieux paradoxe.</p>
<p>En effet, cette loi renforce les <a href="https://www.conseil-etat.fr/avis-consultatifs/derniers-avis-rendus/au-gouvernement/avis-sur-un-projet-de-loi-confortant-le-respect-par-tous-des-principes-de-la-republique">contrôles sur les groupements religieux</a> qui ont adopté une forme associative et qui ont donc respecté le droit en vigueur pour s’organiser ; à l’inverse, les groupements de fait, « qui tendent à échapper aux cadres institutionnels destinés à les organiser en s’en tenant à l’écart ou en les contournant », pour rependre les mots du Conseil d’État, sont par principe exemptés de ces contraintes.</p>
<p>Le paradoxe est donc que le renforcement de ces contraintes n’encourage pas la constitution d’associations religieuses, mais incite au contraire ces groupements de fait, qui présentent pourtant le plus de danger pour l’ordre public, à demeurer en marge de la loi pour échapper à ces contraintes multiples. Est-ce vraiment propre à lutter contre le séparatisme ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/187637/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Henri Bouillon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si la liberté des individus est mieux protégée, celle des communautés et associations religieuses est bien davantage surveillée et limitée.Henri Bouillon, Maître de conférences en droit public, chercheur associé au Centre de recherches juridiques de l’Université de Franche-Comté (CRJFC), Université de Franche-Comté – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1830802022-06-10T14:09:41Z2022-06-10T14:09:41ZDans la tête d’un chauffeur Uber : seul face à lui-même<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/467535/original/file-20220607-20-e7cc58.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C0%2C995%2C667&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le modèle Uber entrave toute possibilité de collectif, annihile tout pouvoir d'agir des chauffeurs et génère chez eux d'importants phénomènes de dissonance cognitive.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>À compter de la mi-juin, la plate-forme Uber étendra ses services à tout le territoire québécois. À l’échelle mondiale, la multinationale est implantée dans près de <a href="https://s23.q4cdn.com/407969754/files/doc_downloads/2021/07/Uber-2021-ESG-Report.pdf">10 000 villes et 71 pays, et compte plus de 3,5 millions de travailleurs</a>.</p>
<p>Ce modèle, basé sur le travail à la demande et la distribution algorithmique des tâches, transforme fondamentalement les manières de penser, de faire et d’organiser le travail, individuellement et collectivement.</p>
<p>L’étendue du service Uber à l’ensemble de la province offre l’occasion de se pencher sur la réalité du travail de ces milliers de chauffeurs et livreurs du Québec. À quoi ressemble leur travail au quotidien ? Comment créent-ils des liens sociaux ? Afin de tenter de répondre à ces questions, j’ai effectué de l’observation sur des groupes Facebook de chauffeurs et interrogé une cinquantaine de travailleurs Uber du Québec.</p>
<p>Doctorante en communication à l’UQAM et étudiante chercheure à l’INRS, ma thèse se penche sur leur profil et leurs motivations, le rapport qu’ils entretiennent au collectif et à la mobilisation et plus globalement les enjeux psychosociaux du travail médié par les algorithmes.</p>
<h2>Un travail atomisé ponctué d’interactions éphémères ou robotisées</h2>
<p>Bien que les travailleurs Uber soient amenés à croiser de nombreuses personnes au quotidien (clients, restaurateurs, passagers), leur activité est essentiellement solitaire sur le plan professionnel. D’une part, leur travail se déroule sans jamais rencontrer un humain de chez Uber ; leur inscription sur la plate-forme s’effectue en ligne, et leurs tâches quotidiennes leur sont distribuées par un algorithme via l’application.</p>
<p>Si un problème les pousse à contacter le service technique de la compagnie, les personnes avec qui ils échangent sont situées dans des <a href="https://www.degruyter.com/document/doi/10.1525/9780520970632/html">centres d’appels délocalisés à l’extérieur du pays</a>. Qui plus est, les réponses qu’ils obtiennent sont le plus souvent formatées par des scripts, prolongeant ainsi le rapport robotisé au travail.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/467558/original/file-20220607-18-79q23t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="homme qui porte un masque au volant d’une voiture avec une insigne Uber" src="https://images.theconversation.com/files/467558/original/file-20220607-18-79q23t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/467558/original/file-20220607-18-79q23t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/467558/original/file-20220607-18-79q23t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/467558/original/file-20220607-18-79q23t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/467558/original/file-20220607-18-79q23t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/467558/original/file-20220607-18-79q23t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/467558/original/file-20220607-18-79q23t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">L’organisation du travail limite les possibilités de socialisation et pousse les chauffeurs à se définir exclusivement par rapport à eux-mêmes, entravant le collectif de travail.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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</figure>
<p>Concernant les quelques moments où les travailleurs peuvent se croiser, dans les restaurants en attendant les commandes ou dans la zone d’attente de l’aéroport, les interactions se résument à des formules de politesse ou à des échanges brefs à propos du nombre de commandes obtenues dans la journée, comme l’exprime Katia, livreuse Uber Eats à Montréal :</p>
<blockquote>
<p>Quand je croise un autre livreur, je lui dis « Salut ! Ah Uber, ça roule ce soir ! » ou « Ça roule pas », puis c’est tout. Après, je m’en vais et j’ai peu de chances de le revoir. Si je le recroise, je lui dis bonjour, mais je connais même pas son nom.</p>
</blockquote>
<h2>Un climat teinté de compétition</h2>
<p>Certes, les groupes Facebook de chauffeurs Uber constituent un lieu d’échange pour partager des informations et ventiler à propos de situations frustrantes. Cependant, ces espaces jouent un rôle très limité dans la construction d’un collectif, se révélant inadéquats pour des conversations élaborées sur le travail.</p>
<p>L’architecture des groupes favorise les interactions sur un temps court, les publications s’évanouissant rapidement dans le fil de discussion. Des échanges constructifs demanderaient des conversations sur un temps long, dans un climat d’écoute et de confiance. Or, la compétition ressentie par les chauffeurs conjuguée au mode d’interaction bref et anonyme des réseaux socionumériques contribue plutôt à un climat hostile, comme le dit Diane, livreuse Uber Eats à Laval :</p>
<blockquote>
<p>Je pense que les commentaires négatifs sont faits pour décourager les autres parce que c’est pas un groupe où on s’encourage, c’est un groupe où on essaie de décourager les autres parce que c’est la compétition. Moi si je veux gagner ma vie, faut que je pogne plus de courses que toi.</p>
</blockquote>
<h2>Le collectif perçu comme une menace à leur activité et leur identité</h2>
<p>Étonnamment, cette absence de collectif n’est globalement pas perçue comme un manque par la plupart des travailleurs interrogés dans le cadre de ma thèse. Malgré des conditions de travail difficiles sur lesquelles ils n’ont pas de contrôle, les travailleurs n’ont pas tendance à se tourner vers le rassemblement et la mobilisation dans le but d’établir un rapport de force avec Uber.</p>
<p>À l’inverse, le collectif est plutôt perçu comme une menace pour la plupart d’entre eux. Le climat compétitif ressenti par les chauffeurs les pousse à développer tout un répertoire de tactiques et de bricolages individuels pour se démarquer des autres, comme en témoigne Bertrand, chauffeur Uber à Québec.</p>
<blockquote>
<p>On va tous sur le groupe Facebook pour la même chose, trouver des semblables et voir s’ils peuvent nous donner des trucs et des astuces pour mieux comprendre comment ça marche, avoir des informations. Mais on comprend vite que non, on est tous dans le même bain, on est tous là pour travailler pour notre poche.</p>
</blockquote>
<p>Parmi les tactiques utilisées pour optimiser leurs revenus, certains chauffeurs vont par exemple appeler le client pour connaître sa destination avant d’aller le chercher. S’ils jugent que la course est trop peu rentable au regard de la distance à parcourir jusqu’au client, ils annuleront la course. D’autres encore utilisent deux téléphones pour conserver un accès à la carte indiquant où se situent les zones de majoration pendant qu’ils réalisent une course.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/467536/original/file-20220607-13238-andol3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="application uber sur un téléphone samsung montrant plusieurs voitures disponibles" src="https://images.theconversation.com/files/467536/original/file-20220607-13238-andol3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/467536/original/file-20220607-13238-andol3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/467536/original/file-20220607-13238-andol3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/467536/original/file-20220607-13238-andol3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/467536/original/file-20220607-13238-andol3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/467536/original/file-20220607-13238-andol3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/467536/original/file-20220607-13238-andol3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Au Québec, les utilisateurs d’Uber sont aujourd’hui nombreux à apprécier la facilité d’utilisation de l’application et le côté pratique du service.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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<h2>Aucun sentiment d’appartenance</h2>
<p>Dans ce contexte, un collectif de travail qui proposerait d’harmoniser les pratiques et de remplacer les tactiques individuelles par des stratégies collectives, s’apparente pour bien des travailleurs à une perte de leur avantage concurrentiel.</p>
<p>Maintenant que les luttes des chauffeurs Uber contre les taxis, la Ville de Montréal et le gouvernement se sont épuisées avec <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1740570/taxi-loi-17-reforme-industrie-atrq">l’adoption de la loi 17 en 2020</a>, il n’existe plus pour eux d’ennemi commun.</p>
<p>Pour se définir, ils doivent maintenant se construire une identité à partir de leur propre groupe d’appartenance. Or, lorsqu’ils se comparent à leurs collègues, ils ont tendance à le faire par la négative. Ils cherchent à se détacher de la figure du chauffeur précaire et miséreux qui travaille 60 heures par semaine, ou encore de celle du chauffeur victime qui ne sait pas utiliser l’application intelligemment. Ainsi, les travailleurs Uber partagent une pratique commune, sans toutefois faire partie d’une communauté caractérisée par un sentiment d’appartenance.</p>
<h2>Une atomisation lourde de conséquences</h2>
<p>L’organisation du travail du modèle Uber, en atomisant les travailleurs, les amène à se définir exclusivement par rapport à eux-mêmes, engendrant plusieurs conséquences.</p>
<p>Chacun doit apprendre seul comment fonctionne l’activité et se débrouiller avec ses propres défis, en bricolant ses propres tactiques, sachant que tous les chauffeurs n’ont pas les mêmes ressources. Par ailleurs, sans possibilité de rassemblement et de dialogue, les travailleurs sont privés de l’occasion de développer une réflexivité critique collective sur leurs conditions de travail. L’absence d’échanges, d’écoute et de présence à l’autre entrave toute relation significative et toute solidarité ; l’activité est réduite à son seul rapport à l’objet technique.</p>
<p>De fait, sans pouvoir d’agir collectif face à une organisation du travail rigide et intransformable, les dysfonctionnements et les problèmes de santé des travailleurs sont toujours traités <a href="https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00464801v2/document">comme des réalités singulières plutôt que relevant de l’organisation du travail</a>, comme le dit Kader, chauffeur Uber à Montréal :</p>
<blockquote>
<p>Je ne me suis jamais vidé le cœur sur le groupe Facebook. Quand je fais un simple commentaire, je me sens attaqué par d’autres. Souvent, des chauffeurs qui parlent honnêtement se font attaquer verbalement. Il y a des souffrances parmi les chauffeurs, on pourrait en discuter. Mais le climat sérieux que ça demanderait, ça n’existe pas dans le groupe.</p>
</blockquote>
<p>Les profils de chauffeurs Uber québécois sont très variés. Par exemple, l’impossibilité de négocier les faibles revenus n’a pas les mêmes conséquences pour un ingénieur en Tesla qui exerce l’activité 3 heures par semaine dans le but de se changer les idées, ou pour un immigrant qui travaille 60 heures par semaine pour faire vivre sa famille.</p>
<h2>Faibles revenus et manque de transparence</h2>
<p>Si l’activité Uber constitue un complément de revenu pour certains individus, le modèle exploite aussi la précarité existante d’une partie de la population ; chez ceux qui exercent l’activité comme seule source de revenus, il s’agit le plus souvent d’un choix faute de mieux.</p>
<p>Bien que la majorité des chauffeurs interrogés, tous profils confondus, n’aspirent pas à devenir salariés et se montrent frileux à l’idée de se syndiquer, nombreux sont ceux qui déplorent les faibles revenus et le manque de transparence de la plate-forme relativement au fonctionnement de l’algorithme et du système de rémunération.</p>
<p>Devant cette situation, ils voient dans le gouvernement la seule partie prenante qui soit réellement en mesure d’instaurer un rapport de force avec Uber afin de forcer la plate-forme à offrir de meilleures conditions de travail à ses chauffeurs.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/183080/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lucie Enel a reçu des financements du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada, du Fonds de recherche du Québec - Société et culture, du Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie, de la Fondation J.A. DeSève. </span></em></p>Les chauffeurs Uber doivent gérer seuls le paradoxe entre la rhétorique d’Uber (flexibilité, liberté, autonomie) et leurs conditions de travail parfois difficiles.Lucie Enel, Doctorante en communication, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1804262022-04-18T15:49:28Z2022-04-18T15:49:28ZPourquoi les jeunes femmes n’entreprennent-elles pas autant que les jeunes hommes ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/455488/original/file-20220331-18-zkz8hn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1905%2C1276&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Plus que l’argent ou le prestige social, c’est une recherche de liberté et d’indépendance qui motive des entrepreneures encore étudiantes.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/photos/femme-bureau-son-post-remarques-5678995/">magnetme / Pixabay</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>En 2021, environ <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/6041208">41 % des entreprises créées</a> en France l’ont été par des femmes et seules <a href="https://home.kpmg/fr/fr/home/media/press-releases/2015/06/portrait-s-femmes-dirigeantes-en-france.html">14 % d’entre elles sont cheffes d’entreprise</a>. La tendance va croissante, mais la progression reste assez lente.</p>
<p>Pourtant, aujourd’hui, les jeunes, femmes comme hommes, ont la possibilité de se former à l’entrepreneuriat pendant leurs études. La proportion d’entreprises étudiantes créées par des entrepreneures atteint 39 % aujourd’hui selon <a href="https://www.pepite-france.fr/">Pépite France</a>. Bien décidées à réussir, elles interpellent les communautés éducatives de l’enseignement supérieur sur la nécessité de mieux les accompagner.</p>
<p>Pour observer et analyser l’entrepreneuriat féminin, l’Observatoire des représentations de l’entrepreneuriat liées au genre (<a href="https://www.linkedin.com/feed/update/urn:li:activity:6774696345333751808/https:/www.linkedin.com/feed/update/urn:li:activity:6774696345333751808/">Orelig</a>) a été lancé le 8 mars 2020 par la <a href="https://www.fnege.org/">Fondation nationale pour l’enseignement de la gestion des entreprises</a> et Pépite France. Il s’agit de répondre à deux objectifs principaux : mieux comprendre les motivations et les freins des jeunes femmes pour créer ou reprendre leur organisation et favoriser le déploiement d’actions susceptible de développer cet entrepreneuriat.</p>
<p>L’Observatoire rassemble une équipe de 8 chercheurs, issus de divers horizons (universités publique et catholique, écoles de commerce). Il constitue la première initiative nationale française. La thématique du genre n’est en effet pas systématiquement traitée en sciences de gestion en France.</p>
<h2>Retard français</h2>
<p>On recense dans le monde plus d’une <a href="https://www.scimagojr.com/journalrank.php?category=3318">cinquantaine de journaux</a> de fort bonne réputation sur le genre en contexte économique. Ils sont alimentés par des collectifs solides, à l’instar du <a href="https://www.womensbusinesscouncil.co.uk/">Women Business Council</a> créé au Royaume-Uni en 2013 et qui publie chaque année un rapport sur les entreprises dirigées et possédées par des femmes.</p>
<p>Les classements académiques français n’en font, eux, apparaître que deux, dont la doyenne des revues <a href="http://www.feministeconomics.net/"><em>Feminist Economics</em></a> qui bénéficie d’une appréciation peu favorable pour ses approches alternatives aux théories économiques orthodoxes. Orelig se propose donc de porter un regard genré sur l’entrepreneuriat des jeunes femmes en France. Ces enquêtes et analyses seront réalisées annuellement, à partir d’une thématique ou d’un éclairage particulier, d’intérêt général et exprimé par les répondantes.</p>
<p>Une première étude a été réalisée au premier trimestre 2021 au sein de 29 Pôles étudiants pour l’innovation, le transfert et l’entrepreneuriat (les « Pépites », lancées par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation en 2014 (il en existe 33 au niveau national), auprès de sa population d’étudiantes-entrepreneures. L’analyse a été réalisée en croisant des données de nature quantitative et qualitative.</p>
<p>Sur les 245 réponses valides, la Génération Z (les jeunes femmes ayant moins de 26 ans) est principalement représentée (78,8 %). Trois quarts de ces étudiantes entrepreneures ont déjà eu une expérience professionnelle à travers des stages en entreprise ou une expérience associative conséquente.</p>
<h2>Indépendance et liberté</h2>
<p>93,1 % des étudiantes interrogées affirment s’être inscrites au sein du Pépite afin de créer leur entreprise, leur association ou leur organisation. L’engagement dans un projet entrepreneurial n’est cependant pas l’unique raison invoquée pour toutes les répondantes. Pour 27,8 % d’entre elles, le dispositif d’aide à la création d’entreprise a un but de développement professionnel. Il leur permet d’acquérir des compétences qui leur seront utiles, même si elles n’entreprennent pas.</p>
<p>Pour plus de 80 % des répondantes, l’entrepreneuriat permet un accomplissement personnel et professionnel. Cette quête prend forme à travers trois dimensions majeures : s’accomplir en étant « auteure » de sa vie, au-delà du simple fait de l’agir ; s’accomplir en créant une entreprise qui répond à un besoin pour autrui ; s’accomplir en apportant des innovations ou une contribution, susceptibles de changer la société.</p>
<p>L’une d’entre elles exprime cette recherche d’accomplissement de la manière suivante :</p>
<blockquote>
<p>« Ce qui me motive c’est de pouvoir faire quelque chose qui m’épanouit, me rend fière et me permet d’être pleinement indépendante. »</p>
</blockquote>
<p>Ce n’est pas là un moyen pour contourner les difficultés rencontrées sur le marché du travail. Elles ne visent pas non plus la richesse ou une forme d’élitisme. Seules 20 % des étudiantes relient l’entrepreneuriat au prestige social et, pour 30 % d’entre elles, cela permet de se créer son propre travail et gagner de l’argent. En réalité, ces étudiantes-entrepreneures conçoivent l’entrepreneuriat comme le moyen d’accéder à une indépendance et à un réel espace de liberté. C’est à la fois un moyen et une fin, puisqu’elles n’envisagent pas de retour vers le salariat.</p>
<p>Plus de la moitié des répondantes associent l’entrepreneuriat au fait de travailler sans supérieur hiérarchique et la grande majorité d’entre elles le relient à la possibilité d’organiser son emploi du temps. C’est bien leur vision du travail, à la fois un engagement en termes de valeur mais également un accomplissement de soi par la création et grâce à leur créativité. Une entrepreneuse énumère les facettes de sa vision entrepreneuriale :</p>
<blockquote>
<p>« Créer mon entreprise : répondre à un besoin, enchanter, choisir mon métier, mettre mes compétences au service de l’écologie, être indépendante, heureuse de me lever le matin, choisir mes horaires, choisir mes partenaires, travailler en accord avec ma vision, mon éthique et mes envies. »</p>
</blockquote>
<h2>Dans un « monde de requins »</h2>
<p>Reste que, lorsqu’elles évoquent le parcours entrepreneurial, les jeunes entrepreneures rendent compte des difficultés qui les attendent avec une lucidité nouvelle. Elles énumèrent les problèmes de légitimité, de levée de fonds, de crédibilité propre à leur genre. Pour 57,1 % des répondantes, la plupart des interlocuteurs institutionnels (financeurs, banques, fournisseurs, partenaires) sont méfiants lorsqu’une femme présente un projet de création d’entreprise. L’une d’entre elles explique :</p>
<blockquote>
<p>« J’aimerais un jour que la société puisse considérer de manière consciente et inconsciente le fait qu’une femme est aussi crédible qu’un homme… Malheureusement, nous sommes encore loin de cette situation. »</p>
</blockquote>
<p>La conscience forte de ces obstacles ne les arrête cependant pas. Elles sont bien décidées à entreprendre. Une étudiante entrepreneure avance :</p>
<blockquote>
<p>« Il faut croire en ce que l’on fait et se lancer ! Ne pas se soucier des autres, la vie est un monde de requins, elle ne nous fera pas de cadeau ; alors, c’est à nous de basculer les choses et d’œuvrer pour notre avenir. »</p>
</blockquote>
<p>Pour s’assurer de la réussite de leur projet, elles se forment, cherchent des mentors, des conseils et, à l’instar de leurs aînées, souhaitent se rassurer dans leur capacité à entreprendre. Une enquêtée synthétise ainsi sa perception de la situation :</p>
<blockquote>
<p>« Homme ou femme, même si certaines portes sont parfois plus fermées, il suffit de s’entourer de bonnes personnes bienveillantes et tout ira bien ; chaque personne apprendra les compétences nécessaires au moment venu ou pourra s’appuyer sur une équipe. »</p>
</blockquote>
<p>En se fondant sur ces premiers résultats, Orelig propose des axes de réflexion mais aussi d’actions pour favoriser l’entrepreneuriat des jeunes femmes en France. Il s’agit d’analyser les effets de genre ou de génération sur la perception de l’entrepreneuriat et également de mieux comprendre le rôle des “Pépites” dans l’accompagnement et la définition de la perception de l’entrepreneuriat par les étudiants-entrepreneurs.</p>
<p>La pérennité de l’Observatoire et le dialogue qu’il aura avec d’autres recherches en France constituent deux éléments de préoccupations de ses membres. D’autres initiatives ont vu le jour durant ces 20 dernières années et force est de constater que l’inscription dans la durée n’est pas aisée, tant les défis posés par leur maintien sont nombreux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/180426/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Répondre à cette question est l’objectif d’un nouveau collectif de chercheur, intitulé Orelig, qui livre ses premiers résultats.Julie Tixier, Maîtresse de Conférences en sciences de gestion, Université Gustave EiffelKatia Richomme-Huet, Docteur, HDR en Sciences de Gestion Professeur en management et entrepreneuriat, Kedge Business SchoolMathieu Dunes, Maître de Conférences en Sciences de Gestion, Université de Picardie Jules Verne (UPJV)Najoua Boufaden, Professeure associée en entrepreneuriat et innovation, ISG International Business SchoolNathalie Lameta, Maitre de Conférences, IAE CorsePaola Duperray, Maître de conférences en sciences de gestion, Université catholique de l’Ouest Renaud Redien-Collot, Enseignant-chercheur en stratégie, ISC Paris Business SchoolTyphaine Lebègue, Maître de Conférence, IAE - Université de Tours, Laboratoire Vallorem (EA 6296)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1801582022-03-28T18:32:13Z2022-03-28T18:32:13ZVérité, liberté, démocratie : écoutons Spinoza plutôt que Poutine !<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/454724/original/file-20220328-17346-1nwhygs.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C3%2C833%2C699&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Allégorie de la Force et de la Vérité, Antonio Balestra</span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://www.artnet.fr/artistes/antonio-balestra/all%C3%A9gorie-de-la-force-et-de-la-v%C3%A9rit%C3%A9-KY-FpvbK5fJcQYlSZMg_Wg2">artnet</a></span></figcaption></figure><p><a href="https://theconversation.com/comment-donald-trump-et-vladimir-poutine-devoient-le-concept-de-verite-177886">Un article récemment publié par The Conversation France</a> montre comment la propagande russe se déploie sous le masque d’une critique post-moderne, qui redéfinit systématiquement des notions comme « vérité », « liberté » ou « démocratie »… </p>
<p>Le mieux à faire pour résister, de sa petite place, et avec les seules armes de l’esprit, n’est-il pas alors de mettre en évidence l’inanité d’un tel travail de déstabilisation conceptuelle, dont l’objectif est de nous plonger dans la confusion, à la lumière de ce que la pensée philosophique a pu proposer, à cet égard, de plus ferme, et de plus clair ? </p>
<p>Nous nous bornerons ici à évoquer ce que nous a appris Spinoza.</p>
<h2>De la vérité</h2>
<p>Commençons par l’examen du concept de vérité. Car, si ce concept est mystificateur, il sera impossible de dire en vérité ce qu’est la liberté, comme de prétendre définir la « vraie » démocratie. On ne pourra que subir le discours de celui qui parle le plus fort. Si, et quand, c’est « à chacun son discours », celui qui détient l’arme nucléaire et en menace les autres tient sans contestation possible le discours le plus « vrai » !</p>
<p>Mais peut-on tenir pour seule vérité le principe « à chacun sa vérité », qui plonge dans un relativisme destructeur de toute consistance conceptuelle, et rend impossible une distinction claire entre le vrai et le faux ? Pour Spinoza, plutôt que de vérité, il est préférable de parler « d’idées vraies ». Car l’idée, « concept que l’esprit forme parce qu’il est un être pensant » (<em>Ethique</em>, II, déf. 3), peut être ou bien fausse, c.-à-d., « inadéquate ou confuse », ou bien « vraie », c.-à-d., adéquate et claire.</p>
<p>« La fausseté consiste en une privation de connaissance » (E. II, P. 35). La vérité, dans la connaissance adéquate de la « chose », que permet cette idée : « Avoir une idée vraie, c’est connaître une chose parfaitement, ou le mieux possible ». La vérité est alors norme de soi-même et du faux, car « qui a une idée vraie sait en même temps qu’il a une idée vraie, et ne peut douter de la vérité de la chose ». (P. 43)</p>
<p>L’idée, et l’essentiel est là, n’est pas autre chose que « l’acte même de comprendre ». « Tout ce à quoi nous nous efforçons par raison est de comprendre » (IV, P. 26). « La vertu absolue de l’esprit, c’est donc comprendre » (P. 28). La « puissance de l’esprit » s’exprime dans l’acte de « s’efforcer de comprendre » (E, V, P. 10). L’idée vraie est le résultat de l’effort fait pour comprendre. Est mauvais tout ce qui peut empêcher de comprendre.</p>
<p>Ainsi il n’y a pas de vérité en dehors de celui qui pense. La vérité n’est pas une réalité extérieure aux individus, que l’on pourrait trouver dans un texte, plus ou moins sacré. Elle réside dans l’acte même de comprendre, à quoi s’efforce tout sujet raisonnable. Elle se donne à celui qui fait l’effort de comprendre. Il faut parler de connaissance vraie, plutôt que de vérité.</p>
<p>On peut alors gager que Poutine sait très bien qu’il s’est rendu coupable d’une invasion, qu’il fait la guerre, et qu’il massacre des innocents. S’il ne le sait pas, c’est qu’il refuse de faire cet indispensable effort de comprendre au bout duquel, seul, il y a production d’une idée vraie. Tout être humain faisant cet effort comprendra avec la plus parfaite clarté qu’aussi sûr qu’un chat est un chat, une guerre est une guerre, et Poutine un assassin.</p>
<h2>De la liberté</h2>
<p>On pourrait s’en tenir à une définition donnée dès les premières lignes de l’<em>Ethique</em> :</p>
<blockquote>
<p>« On dit qu’une chose est libre si elle existe par la seule nécessité de sa nature et est déterminée par soi seule à agir ; on dit qu’elle est contrainte si elle est déterminée par une autre chose à exister et à agir. »</p>
</blockquote>
<p>La cause est d’emblée entendue. C’est à l’évidence pour sauvegarder leur liberté que luttent les Ukrainiens, dont le légitime combat ne peut qu’être approuvé et soutenu par tout être raisonnable.</p>
<p>Mais il n’est peut-être pas inutile d’ajouter que l’« homme libre » est celui « qui vit sous le seul commandement de la raison », et qui désire directement « ce qui est bon » de ce point de vue : « agir, vivre, conserver son être d’après le principe qu’il faut chercher ce qui est utile à chacun » (E. IV, P. 67). Spinoza ajoute trois considérations.</p>
<p>Premièrement, « Un désir qui naît de la raison nous mène directement au bien… aussi tendons-nous directement au bien sous la conduite de la raison, et c’est seulement dans cette mesure que nous fuyons le mal » (IV, P. 63). Il n’est donc pas difficile de distinguer le bien du mal !</p>
<p>Par ailleurs, « L’homme libre ne pense jamais à la mort ; sa sagesse n’est pas une méditation de la mort, mais de la vie » (E. IV, P. 67). Ce qui donne une idée du degré de servitude auquel sont parvenus ceux qui se sont crus autorisés à détruire la liberté des autres, et qui se sont donné la mort pour seul horizon… En ce sens, ils sont au moins autant à plaindre, qu’à condamner !</p>
<hr>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pour-mieux-saisir-la-post-verite-relire-hannah-arendt-71518">Pour mieux saisir la post-vérité, relire Hannah Arendt</a>
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<hr>
<p>Enfin, « celui qui nait libre, et qui le reste, n’a que des idées adéquates ». La liberté est en quelque sorte une condition de l’accès à la vérité (par l’exercice de « l’acte même de comprendre »).</p>
<p>On pourrait alors ajouter que le sommet de la liberté est « la liberté de l’esprit, ou béatitude » (E. V, Préface), « puisqu’il n’y a d’autre puissance de l’esprit que celle de penser et de former des idées adéquates » (E, V, P. 4). Cela soulève la question de la démocratie.</p>
<h2>De la démocratie</h2>
<p>L’État poutinien serait-il un nouveau modèle de régime démocratique ? Mais qu’est-ce qu’un État démocratique ? On peut retenir trois enseignements des analyses que le <em>Traité Théologico-Politique</em> propose sur le « fondement » et la « « fin de la Démocratie ». Tout d’abord, la Démocratie se définit comme « l’union des hommes en un tout qui a un droit souverain collectif sur tout ce qui est en son pouvoir ». Son fondement est un « pacte tacite ou exprès », permettant de « réfréner l’Appétit, en tant qu’il pousse à causer du dommage à autrui, de ne faire à personne ce qu’ils ne voudraient pas qui leur fût fait, et enfin de maintenir le droit d’autrui comme le sien propre ». Par ce pacte :</p>
<blockquote>
<p>« L’individu transfère à la société toute la puissance qui lui appartient, de façon qu’elle soit seule à avoir sur toute choses un droit souverain de Nature, c’est-à-dire une souveraineté de commandement à laquelle chacun sera tenu d’obéir. »</p>
</blockquote>
<p>Dans un État démocratique, une obéissance absolue au souverain est exigée : « nous sommes tenus d’exécuter absolument tout ce qu’enjoint le souverain » (chapitre XVI). Mais alors, ne pourrait-on parler d’une dictature du souverain, qui serait par essence liberticide ?</p>
<p>Non, car il faut bien voir que (chapitre XX) « La fin de l’État est en réalité la liberté ». Le pacte social a pour fin de permettre de vivre « dans la concorde et dans la paix » :</p>
<blockquote>
<p>« Sa fin dernière n’est pas la domination ; ce n’est pas pour tenir l’homme par la crainte et faire qu’il appartienne à un autre que l’État est institué ; au contraire c’est pour libérer l’individu de la crainte, pour qu’il vive autant que possible en sécurité, c’est-à-dire conserve, aussi bien qu’il se pourra, sans dommage pour autrui, son droit naturel d’exister et d’agir. »</p>
</blockquote>
<p>Si bien que ce qui est exigé par l’État démocratique est que l’individu renonce à son droit d’agir selon le seul décret de sa pensée, et nullement à son droit de penser librement :</p>
<blockquote>
<p>« C’est donc seulement au droit d’agir par son propre décret qu’il a renoncé, non au droit de raisonner et de juger. »</p>
</blockquote>
<p>Et encore :</p>
<blockquote>
<p>« Tous conviennent d’agir par un commun décret, mais non de juger et de raisonner en commun. »</p>
</blockquote>
<p>Dans un État libre, enfin, « il est loisible à chacun de penser ce qu’il veut et de dire ce qu’il pense ». La majesté souveraine ne peut s’exercer ni sur le vrai et le faux, ni sur les convictions religieuses.</p>
<p>L’État poutinien préserve-t-il la liberté de penser ? La question pourrait prêter à sourire, si la réponse n’était pas aussi tragique, en termes d’arrestations, d’emprisonnements, d’empoisonnements, et de meurtres !</p>
<p>Ainsi Spinoza nous a-t-il appris que l’Homme est capable de produire des idées vraies, la « vérité » étant « norme de soi-même et du faux » (E, II, P. 43) ; qu’est libre celui qui vit sous le seul commandement de la raison ; et que l’État démocratique a pour caractère premier de sauvegarder la liberté de penser. Ce qui permet, d’une part, de dévoiler le caractère fallacieux de la « pensée » poutinienne, dans sa prétention à déconstruire les concepts « occidentaux » de vérité, de liberté, et de démocratie. Et, d’autre part, de condamner avec la plus grande sévérité une effroyable et insensée entreprise d’invasion destructrice du pays voisin, entreprise aussi liberticide que cruelle. Pour le dire en un mot : inhumaine.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/180158/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Charles Hadji ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La vérité réside dans l’acte même de comprendre, à quoi s’efforce tout sujet raisonnable.Charles Hadji, Professeur honoraire (Sciences de l’éducation), Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1747582022-01-25T19:44:35Z2022-01-25T19:44:35ZDe l’importance de la bienveillance en situation de télétravail subi<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/440336/original/file-20220111-17-12lkz9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=43%2C0%2C1813%2C1279&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La solitude liée au travail à distance peut engendrer des risques pour la santé du salarié, face auxquels le dirigeant ne doit pas rester passif.
</span> <span class="attribution"><span class="source">allser / Pixabay</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>L’émergence du variant Omicron a poussé le premier ministre Jean Castex, lors de sa dernière <a href="https://www.gouvernement.fr/covid-19-revoir-la-conference-de-presse-du-premier-ministre-jean-castex">conférence de presse</a>, à recommander, une fois encore, un recours maximal au télétravail jusqu’au 2 février prochain. Depuis le début de la pandémie, le lien qui unit d’ordinaire sur le lieu de travail le dirigeant et le salarié se trouve ainsi bouleversé, suscitant naturellement l’intérêt des chercheurs en gestion.</p>
<p>Cela concerne au moins <a href="http://www.annales.org/gc/2021/resumes/juin/04-gc-resum-FR-AN-juin-2021.html">trois dimensions</a> : l’autonomie, le contrôle et la confiance. Il devient en effet possible de travailler en tout endroit, d’organiser son temps différemment et la confiance devient primordiale alors que la possibilité de contrôle est limitée à un contrôle technologique.</p>
<p>Il est aussi notable, comme le suggérait déjà durant le premier confinement une <a href="https://ugictcgt.fr/le-monde-du-travail-en-confinement-une-enquete-inedite/">enquête de la CGT</a>, que ces perturbations de l’organisation habituelle du travail peuvent induire des <a href="https://www.inrs.fr/risques/psychosociaux/ce-qu-il-faut-retenir.html">risques psychosociaux</a>. L’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) entend par là des risques inhérents à des situations de travail où sont présents, combinés ou non, « du stress, des violences internes commises au sein de l’entreprise par des salariés : harcèlement moral ou sexuel, conflits exacerbés entre des personnes ou entre des équipes ».</p>
<p>Or, le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000035640828/%22%22">Code du travail</a> pose qu’il est de la responsabilité de l’employeur d’évaluer ces risques et de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité de ses salariés. Aussi notre étude quantitative, réalisée à la sortie du premier confinement, a-t-elle tenté d’identifier comment un manager pouvait apprivoiser ces risques et les limiter dans une relation inédite de télétravail.</p>
<h2>Une vertu relationnelle</h2>
<p>Notre enquête (à paraître) a, dans un premier temps, mis en avant des difficultés nouvelles, liées à un travail à son domicile subi par nos 167 enquêtés : difficulté à se déconnecter pour 44 % d’entre eux, surcharge de travail pour 40 %, perte de lien social ou encore stress pour plus de 30 %… Avec les risques psychosociaux qui leur sont liés et qui se traduisent par exemple par une sollicitation de la médecine du travail.</p>
<p>Considérant tant les résultats de notre questionnaire qu’une vaste revue de littérature, nous avons regroupé ces éléments autour d’une même notion. Il s’agit de celle de bienveillance.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/440335/original/file-20220111-17-2mklix.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/440335/original/file-20220111-17-2mklix.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/440335/original/file-20220111-17-2mklix.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=905&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/440335/original/file-20220111-17-2mklix.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=905&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/440335/original/file-20220111-17-2mklix.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=905&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/440335/original/file-20220111-17-2mklix.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1138&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/440335/original/file-20220111-17-2mklix.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1138&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/440335/original/file-20220111-17-2mklix.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1138&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Frederick Taylor a donné son nom au taylorisme mais a aussi proposé une réflexion sur le confort des salariés.</span>
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<p>Contrairement au concept de risques psychosociaux, il n’y a cependant pas de consensus autour de la définition de ce terme. <a href="http://strategy.sjsu.edu/www.stable/pdf/Taylor,%20F.%20W.%20(1911). %20New %20York, %20Harper %20& ; %20Brothers.pdf">Frederick Taylor</a> avait été, au début du XXe siècle, un des premiers ingénieurs à promouvoir une division scientifique du travail mais aussi l’ergonomie. Il affirmait déjà qu’une « coopération proche, intime, personnelle entre le management et les hommes est l’essence de la gestion scientifique moderne ou gestion des tâches ». S’il n’emploie pas le mot, on est là proche de la racine latine de la bienveillance, « vouloir le bien des autres ».</p>
<p>Au-delà d’être une vertu personnelle, la bienveillance est une <a href="https://www.researchgate.net/publication/331022991_Formal_and_Informal_Benevolence_in_a_Profit-Oriented_Context">vertu relationnelle</a>. Elle émerge des relations entre les individus et renforce les liens entre eux à travers les échanges mutuels réciproques. D’où l’importance qu’elle devrait revêtir pour les sciences des organisations. Cela est d’autant plus vrai en situation de crise, dans lesquelles les chercheurs ont pointé la nécessité de mettre en œuvre des <a href="https://www.cairn.info/revue-management-et-avenir-2010-6-page-263.htm">modes de management différents</a>, plus humanistes.</p>
<h2>Des injonctions contradictoires</h2>
<p>Même s’il n’existe pas de définition canonique de la bienveillance, nos travaux montrent cependant la pertinence de ce terme pour synthétiser de nombreux éléments issus d’une relation managériale imposée par les circonstances exceptionnelles que nous avons connues. Nos statistiques montrent d’ailleurs qu’il y a là un équilibre à trouver pour les supérieurs hiérarchiques.</p>
<p>La moitié de nos enquêtés estimait être accompagnée avec bienveillance par leurs dirigeants ; différentes variables ont un effet significatif sur l’émission de pareil jugement. Ressentir de la pression, tout comme avoir l’impression de n’avoir plus de lien avec sa direction, recevoir des sollicitations tardives de la part de sa hiérarchie, tout comme être laissé trop libre, influe négativement sur la bienveillance perçue. Au contraire par exemple de l’usage de nouveaux modes de communication pour organiser des cafés virtuels, des jeux, moments de team building ou autres sessions de formation en e-learning et de coaching.</p>
<p>Ces résultats ne semblent pas anodins au vu des tendances de long terme qui se dégagent. À quelques jours de l’explosion de la pandémie, <a href="https://revuefiduciaire.grouperf.com/plussurlenet/complements/ANI_encadrement_du_28022020.pdf">l’Accord national interprofessionnel du 28 février 2020</a>, portant diverses orientations pour les cadres, abordait déjà les enjeux nouveaux liés au management à distance. Il appelait à un renouveau qui prendrait en compte une « multiplicité des organisations de travail », mobiliserait de « nouveaux outils numériques », mais qui intégrerait « les bénéfices que représentent les liens humains avec le collectif de travail, tant en termes de performance que d’épanouissement personnel et professionnel ».</p>
<p>Quelques mois plus tard, une enquête de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail, réalisée entre février et avril 2021, indique que <a href="https://www.anact.fr/teletravail-de-crise-les-resultats-de-notre-consultation-2021">96 % des répondants</a> souhaitent poursuivre le télétravail. Le management à distance est donc amené à se pérenniser. D’où la nécessité d’études comme la nôtre établissant un retour sur les pratiques récentes pour capitaliser sur les acquis managériaux en situation de télétravail, même contraint.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174758/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Une enquête suggère tant l’importance de cette notion pour appréhender des risques pour la santé des salariés que des pistes à l’attention des dirigeants pour les en prémunir.Virginie Hachard, Doyenne associée de la Faculté, Enseignant-chercheur en entrepreneuriat, Laboratoire Metis, EM NormandieCaroline Diard, Professeur associé en management des ressources humaines, ESC AmiensDimitri Laroutis, Enseignant-chercheur en marketing, ESC AmiensLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1741262021-12-26T10:20:25Z2021-12-26T10:20:25ZDébat : Serait-il éthique de prioriser en réanimation les malades Covid-19 vaccinés ?<p>En cette <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/dossiers/coronavirus-covid-19/coronavirus-chiffres-cles-et-evolution-de-la-covid-19-en-france-et-dans-le-monde">phase de recrudescence de la pandémie</a> et de diffusion du variant Omicron, la pénurie évoquée des capacités d’accueil dans les unités de soins critiques pourrait contraindre à intégrer aux critères médicaux de priorisation ou de triage en réanimation une composante qui heurterait l’éthique médicale : hiérarchiser entre la personne qui a fait le choix de la vaccination et celle qui la refuse ou n’a pas compris sa justification.</p>
<p>De manière inédite, la vaccination s’impose dans les controverses publiques et dans le débat politique comme un marqueur de l’adhésion ou non <a href="https://www.un.org/fr/universal-declaration-human-rights/#:%7E:text=Nul%20ne%20sera%20l%E2%80%99objet,honneur%20et%20%C3%A0%20sa%20r%C3%A9putation.">« aux justes exigences de la morale, de l’ordre public et du bien-être général dans une société démocratique »</a>. De « l’incitation vaccinale » (conditionnant toutefois la préservation d’une vie sociale sans entrave à l’obtention, sous certaines conditions, d’un passe sanitaire « dans l’intérêt de la santé publique et aux seules fins de lutter contre la propagation de l’épidémie de Covid-19 ») à « l’obligation vaccinale », l’exécutif a préféré <a href="https://ansm.sante.fr/dossiers-thematiques/covid-19-vaccins/covid-19-dispositif-de-surveillance-renforcee-des-vaccins">la prudence de la pharmacovigilance</a> et la progressivité d’une responsabilisation individuelle. En fait, pouvait-il en être autrement ?</p>
<p>L’évolution annoncée du passe sanitaire en passe vaccinal est indicative d’un niveau de menace sanitaire qui impose une intensification des mesures contraignantes visant à inciter aux modifications obligatoires des comportements individuels et des pratiques sociales. Se demander si les conditions de priorisation en réanimation intégrant comme critère complémentaire, dans la conjoncture actuelle, la vaccination, ne détermineraient pas une prise de conscience dont certains s’exonèrent mérite pour le moins d’être discuté. Au même titre que nous devrions être assurés que la conséquence de positions individualistes n’accentue pas les dilemmes d’arbitrage en réanimation, dans un contexte limitatif qui contraindrait à des choix ne relevant plus exclusivement de critères médicaux.</p>
<h2>Connaissances scientifiques et facultés d’ajustement</h2>
<p>Les mesures sanitaires doivent s’adapter non seulement à l’acquisition de connaissances scientifiques transitoires qui s’établissent et s’éprouvent nécessairement dans l’immédiat, sans recul encore suffisant (rappelons que la mise sur le marché d’un premier vaccin a été autorisée par l’Agence européenne du médicament il y a un an, <a href="https://www.lagazettedescommunes.com/714707/covid-19-premieres-vaccinations-dans-les-ehpad-avant-le-31-decembre/">le 21 décembre 2020</a>). Mais elles doivent aussi s’adapter à l’évolution imprévisible des mutations du SARS-CoV-2, lesquelles ont eu pour conséquence la propagation de plusieurs variants depuis le début de la pandémie.</p>
<p>Dernier en date, le variant Omicron est l’objet de toutes les attentions et suscite des inquiétudes au point d’inciter le président du Conseil scientifique Covid-19, Jean‑François Delfraissy, à nous alerter, le 23 décembre, du risque d’une <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/12/23/omicron-l-absenteisme-pourrait-desorganiser-la-france-alerte-le-conseil-scientifique_6107138_3244.html">« possible désorganisation de la société à partir de début janvier »</a>. À la suite d’une étude multicentrique, l’Institut Pasteur indiquait <a href="https://www.pasteur.fr/fr/espace-presse/documents-presse/covid-19-omicron-resistant-plupart-anticorps-monoclonaux-neutralise-3e-dose">le 20 décembre</a> que « les chercheurs concluent que les nombreuses mutations présentes dans la protéine Spike du variant Omicron lui permettent d’échapper en grande partie à la réponse du système immunitaire. Les études en cours ont pour objectif de comprendre pourquoi ce variant est plus transmissible d’un individu à l’autre et d’analyser l’efficacité de la 3<sup>e</sup> dose sur le long terme. »</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/de-delta-a-omicron-pourquoi-un-variant-chasse-lautre-173532">De Delta à Omicron : pourquoi un variant chasse l’autre ?</a>
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<p>Les facultés d’ajustement et d’acceptation personnels constituent également un variant sociétal qui a une incidence déterminante sur les équilibres politiques à préserver dans la gouvernance d’une crise qui se prolonge, avec ses rebondissements et probablement d’autres contraintes. </p>
<h2>Dilemmes dans l’exercice de la responsabilité décisionnelle</h2>
<p>La transposition des données scientifiques dans les textes législatifs ou réglementaires, parfois précipitée par l’urgence, est un autre indicateur d’une spécificité de cette crise qui déjoue les cadres établis. En témoigne l’annonce de l’examen <a href="https://www.publicsenat.fr/article/politique/passe-vaccinal-un-projet-de-loi-prevu-pour-la-rentree-191661">en Conseil des ministres extraordinaire lundi 27 décembre</a> du projet de loi instaurant un passe sanitaire à la place du passe vaccinal, peu de temps après le vote de la loi n° 2021-1465 du 10 novembre 2021 portant diverses dispositions de vigilance sanitaire, <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000044315202">qui en prolongeait l’usage jusqu’au 31 juillet 2022</a>.</p>
<p>Il apparaît de ces premières considérations que le conflit dans l’exercice des responsabilités, selon des points de vue divergents et évolutifs, est équivalent à celui du conflit des expertises scientifiques et de toute autre nature, provoquant des conflits de valeurs et des dilemmes au plan de la responsabilité décisionnelle. De telle sorte qu’il nous faut concilier la vigilance éthique avec une capacité d’application des règles et des bonnes pratiques tenant compte du principe de réalité et de la visée du moindre mal.</p>
<p>Alors que dans son <a href="https://philosophie.cegeptr.qc.ca/wp-content/documents/Discours-de-la-m%C3%A9thode.pdf#page=14"><em>Discours de la méthode</em></a> René Descartes énonce le postulat de « ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle », l’éthique de la responsabilité engagée en société peut-elle s’en satisfaire ? </p>
<p>Dans les circonstances actuelles d’absence d’alternative probante aux stratégies vaccinales pour diminuer les risques individuels et collectifs de contamination, il ne me semble pas infondé de conforter la recevabilité d’un savoir aujourd’hui certes encore provisoire, par la position morale affirmée dans la <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/les-constitutions-dans-l-histoire/constitution-du-5-fructidor-an-iii">Déclaration des droits et des devoirs de l’homme et du citoyen du 22 août 1795</a> : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits ».</p>
<p>Le principe de liberté vaccinale n’est en soi respectable que si cette dernière s’avère conciliable avec l’attention bienveillante accordée à autrui, et dès lors que sont honorées les exigences de justice et de réciprocité. En pratique, est-ce le cas ?</p>
<h2>Liberté personnelle et souci du bien commun</h2>
<p>Avant d’évoquer les dilemmes déontologiques d’une discrimination dans l’accès en réanimation, qui pourrait être argumentée par des jugements moraux portant sur le refus de la solidarité vaccinale et l’exigence d’équité dans l’accès aux traitements dans un contexte contraint, quelques autres considérations s’imposent. </p>
<p>Revendiquer une autonomie quoiqu’il en coûte, mais avec la certitude d’être malgré tout assuré du droit inconditionnel d’accéder, en cas de besoin, à des soins critiques, est-ce assumer une responsabilité et en assumer la logique ? À ce jour, aucun des propagandistes de la liberté de non-vaccination n’a postulé de la reconnaissance de directives anticipées à l’éventualité de ne pas être réanimé consécutive à leur choix. Aucun d’entre eux ne s’est exprimé sur les modalités d’une priorisation en réanimation qui, du fait de leur décision, s’avérerait préjudiciable à une personne vaccinée.</p>
<p>Outre le fait qu’une hospitalisation en réanimation est l’expérience d’une dépendance radicale, à laquelle certains ne survivent pas ou souvent avec des séquelles à vie, entraver les missions imparties aux professionnels de santé par des traitements lourds, pourtant évitables, relève de l’inconséquence. C’est faire assumer à autrui une liberté personnelle qui compromet la leur, ainsi que la capacité d’agir pour le bien commun. </p>
<p>Dans un <a href="https://www.interurgences.fr/2021/12/les-urgences-saturent-lhopital-craque/">communiqué du 4 décembre</a>, le Collectif Inter Urgences analyse l’état d’un sinistre consécutif à une saturation de services hospitaliers ; nombre de soignants ne le supportent plus au point parfois de renoncer à leur métier tant ces dysfonctionnements s’opposent aux valeurs dont ils estiment être les garants : « Les soignants qui portent encore à bout de bras la notion de service public sont épuisés. Ils se voient de nouveau privés de leurs droits par “nécessité de continuité des soins”. Mais c’est factuel, les départs et les arrêts maladie des professionnels sont les conséquences du non-respect de la qualité des soins et des conditions de vie au travail. » </p>
<p>J’ose considérer qu’il est irrespectueux à l’égard des professionnels - et des personnes particulièrement vulnérables aux risques de contamination (je pense notamment aux personnes immunodéprimées en chimiothérapie) - d’affaiblir, ne serait-ce qu’en soutenant publiquement des positions discutables, la cohésion d’une riposte qui maximise dans l’instant présent l’efficacité d’une prévention vaccinale dont nombre de pays n’ont pas le bénéfice.</p>
<p>Qu’en est-il dans de telles conditions de la fragilisation du système hospitalier, des droits d’autres malades atteints de comorbidités, ainsi soumis, en dépit de leurs besoins et malgré un schéma vaccinal complet, aux effets collatéraux d’une hospitalisation impossible ou d’une déprogrammation de leurs traitements sans autre justification qu’une priorisation des malades de la Covid-19 ? </p>
<h2>Garantir la pérennité du système de santé</h2>
<p>Le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGITEXT000006072665/">Code de la santé publique</a> rappelle que « les droits reconnus aux usagers s’accompagnent des responsabilités de nature à garantir la pérennité du système de santé et des principes sur lesquels il repose ». Ce devoir de responsabilité s’exerce dans l’affirmation d’un souci de réciprocité peu conciliable, à l’épreuve des faits, avec la revendication d’un libre choix qui invoque le principe de précaution et la liberté d’exprimer une hostilité à des mesures comme la vaccination, pour se soustraire à toute obligation ou concession d’intérêt général. </p>
<p>Nos capacités à contenir la dynamique pandémique, même imparfaitement et dans l’incertitude, sollicitent un attachement indéfectible à l’esprit public, ainsi que la faculté et le courage d’en saisir les enjeux et les impératifs lorsque les circonstances l’exigent. L’opposition à la stratégie vaccinale est-elle moralement soutenable, si elle compromet les conditions d’accueil dans les services de soins critiques selon des critères pertinents et justes, contraignant les équipes à des dilemmes décisionnels susceptibles d’affecter leurs principes déontologiques ?</p>
<p><a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2021-12/2021-12-17%20-%20Appariements%20sivic-sidep-vacsi%20Drees%20C.pdf">Un document du 17 décembre</a> émanant de la Drees (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) produit des données étayées par une étude très documentée. Celles-ci attestent de l’appariement désormais incontestable entre non-vaccination et surexposition au risque d’une hospitalisation en réanimation, mais également de mortalité. </p>
<p>Selon ces travaux, les personnes non-vaccinées sont « nettement surreprésentées, par rapport à leur part dans la population générale, parmi les testées positives par PCR au Covid-19 », et cette surreprésentation « est encore plus importante parmi les personnes hospitalisées et également parmi celles décédées. En effet, alors qu’elles représentent 9 % de la population âgée de 20 ans et plus, elles représentent 25 % des personnes testées positives par RT-PCR et déclarant des symptômes, 41 % des personnes admises en hospitalisation conventionnelle, 52 % des entrées en soins critiques et 38 % des décès durant les 4 dernières semaines ».</p>
<h2>Un cadre d’action et l’exigence de repères éthiques</h2>
<p>Dans une tribune publiée dans <em>Le Monde</em> du 21 décembre, un collectif de médecins détaille en des termes d’une grande acuité <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/12/21/la-solution-de-ne-pas-admettre-en-reanimation-les-personnes-ayant-fait-le-choix-de-ne-pas-se-vacciner-n-est-pas-envisageable_6106859_3232.html">les dilemmes décisionnels d’un arbitrage en réanimation selon des critères vaccinaux</a>. On peut notamment y lire qu’« une pathologie impliquant autant les sentiments des médecins est inhabituelle et déconcertante. Insidieusement se pose une question du côté des professionnels de santé : est-ce que le statut vaccinal doit être pris en compte dans la priorisation ? ». Ou encore que « surmonter ce sentiment premier face à des comportements qui questionnent les médecins est un impératif éthique. Mais, dans ce contexte inédit, devant des choix tragiques, où le problème de la priorisation se pose, les médecins réanimateurs se trouvent à devoir prendre des décisions impossibles, alors que le questionnement déborde le seul cadre médical. »</p>
<p>On le constate, les dilemmes décisionnels ne relèvent plus aujourd’hui de considérations théoriques : les personnels médicaux y sont d’ores et déjà confrontés, même s’ils sont réticents à les assumer dans l’entre-soi d’une procédure collégiale et font appel à l’énoncé d’un cadre d’action respectueux à la fois de leurs valeurs et de l’exigence de repères éthiques appropriés. </p>
<p>Dès lors que la saturation progressive des services de soins critiques est imputée à l’hospitalisation majoritaire de malades non-vaccinés, voire détenteurs parfois de faux passes sanitaires, les critères de priorisation suscitent une attention et des considérations qui ne procèdent plus seulement de l’expertise médicale. Les arbitrages prennent une signification politique.</p>
<p>Qu’une personne qui se serait conformée aux prescriptions vaccinales, puisse être victime de ce qui sera considéré comme une forme d’injustice dans l’accès à un lit de réanimation du fait de la saturation des capacités par un afflux de malades non-vaccinés peut susciter des controverses. De même, si s’instituait une sélection des personnes accédant à un traitement selon des critères de respect ou non des préconisations de prévention, de tels prérequis seraient-ils compatibles avec le souci d’équité, pour ne pas dire avec les droits fondamentaux de la personne ? </p>
<p>Selon quels principes intangibles ériger des critères décisionnels pertinents, éthiquement soutenables, alors que tant de facteurs, notamment d’ordre socioculturel, infèrent dans l’exposition différenciée aux risques en ce qui concerne notre santé ? La participation à la solidarité vaccinale ne pourrait-elle pas toutefois constituer un critère d’arbitrage recevable entre deux malades présentant des indications équivalentes à la réanimation ?</p>
<h2>Les recommandations de la Société française d’anesthésie réanimation</h2>
<p>La priorisation en réanimation relève d’expertises professionnelles permettant de viser une justesse décisionnelle en conscience, en tenant compte de circonstances rétives à toute approche systématique. L’intelligibilité d’une situation spécifique permet d’étayer un processus d’arbitrage mené dans la concertation, avec pour souci l’intérêt direct de la personne malade. Une fois ces principes posés, comment argumenter un dilemme inédit qui accentue la complexité de l’instruction de choix limitatifs ?</p>
<p>La Société française d’anesthésie réanimation (SFAR) <a href="https://sfar.org/priorisation-des-traitements-de-reanimation-pour-les-patients-en-etat-critique-en-situation-depidemie-de-covid-19-avec-capacites-limitees/">a publié le 15 avril 2020 des recommandations</a> que nous pourrions solliciter comme première référence dans l’examen des conditions d’arbitrage d’un accès à la réanimation qui pourraient s’avérer dérogatoires aux principes en vigueur, si le contexte de pression pandémique devait l’imposer. </p>
<blockquote>
<p>« Prioriser l’initiation des traitements de réanimation et leur poursuite est indispensable pour sauver le plus de vies possible, en allouant ces ressources limitées, parmi les malades en état critique, en priorité à ceux qui ont la plus forte probabilité d’en bénéficier. Cette priorisation est pleinement éthique si elle s’appuie sur des éléments objectifs et partagés préalablement par tous, pour éviter tout arbitraire et garantir l’équité. Il faut allouer équitablement les traitements, maximiser le bénéfice en vies, tenir compte du bénéfice indirect à prioriser soignants exposés et assimilés, accepter en dernière ligne de prioriser le plus lourdement pénalisé, et prioriser tous les patients selon des modalités analogues. »</p>
</blockquote>
<p>Nous retenons de l’analyse de cette position qu’une hiérarchisation des choix pourrait « tenir compte du bénéfice indirect à prioriser soignants exposés et assimilés, accepter en dernière ligne de prioriser le plus lourdement pénalisé ». Le principe de réciprocité à l’égard des soignants n’est pas discutable. Dès lors, quelle acception attribuer à la priorisation du « plus lourdement pénalisé » ? Elle pourrait concerner une personne qui malgré sa vaccination a développé une forme grave de l’infection, ou qui du fait de sa situation de vulnérabilité n’a pas été en mesure de bénéficier de l’accès à la vaccination. </p>
<p>Il est précisé dans ces recommandations que « cette approche, envisagée seulement lorsque les facteurs pronostiques strictement médicaux ne suffisent plus à décider, conduirait par exemple, entre deux patients de gravité et facteurs pronostiques comparables, à donner la priorité au plus jeune, qui a potentiellement plus d’années de vie à perdre ». À équivalence de pronostic et d’âge, quels facteurs autres que subjectifs et donc arbitraires mobiliser afin qu’une décision qui pourrait s’avérer vitale soit incontestable ?</p>
<p>Dès lors que « la priorisation est pleinement éthique si elle s’appuie sur des éléments objectifs et partagés préalablement par tous, pour éviter tout arbitraire et garantir l’équité », encore convient-il de déterminer selon quelles conditions en débattre car, ainsi que l’affirme le collectif de médecins précédemment cités, « le questionnement déborde le seul cadre médical ».</p>
<p>Dans une position <a href="https://sfar.org/soigner-sans-discriminer/">rendue publique le 22 décembre</a>, la SFAR se demande si la vaccination pourrait « être mobilisée comme un critère médical de priorisation ? » Elle rappelle qu’« à gravité égale, la seule raison qui justifierait de retenir la vaccination comme critère médical de priorisation serait que celle-ci donne plus de chance de survie (en terme de quantité de vie et de qualité de vie). À ce jour, il n’existe pas de preuve scientifique solide pour l’affirmer. Au-delà des critères médicaux, une priorisation qui se baserait sur un critère de mérite (les vaccinés seraient plus méritants que les non vaccinés) sort du champ médical et serait discriminatoire ».</p>
<p>Il semblerait alors pertinent et urgent que les instances ordinales, le Comité consultatif national d’éthique, la Haute autorité de santé, l’Académie nationale de médecine et les sociétés savantes de réanimation produisent une réflexion attendue par les professionnels qui permette d’éclairer les instances collégiales. Les pouvoirs publics pourraient, à juste titre, estimer indispensable d’en formaliser les recommandations dans un texte réglementaire.</p>
<h2>Une question morale émerge</h2>
<p>Ces différentes considérations incitent à une interrogation d’ordre moral : pourrait-on imputer une responsabilité à la personne qui, en toute conscience et dans l’affirmation de sa liberté individuelle, a rejeté l’offre vaccinale, niant a priori tout risque pour sa vie et pour celle d’autrui, au point de lui refuser l’accès à la réanimation ? </p>
<p>Dans le contexte d’incertitude qui perdure depuis février 2020, en dépit de l’expérience probante acquise depuis le lancement de la stratégie vaccinale, mais mise en cause par des prises de positions contradictoires (y compris de la part de médecins), il semble délicat de discriminer parmi les opposants aux vaccins entre ceux qui le font par des convictions de toute nature, et ceux qui sont influencés par un discours qu’ils ne sont pas en mesure d’analyser et de pondérer par une approche critique.</p>
<p>Dans son texte du 22 décembre, la SFAR soutient une position déterminée à cet égard, précisant que « chacun est libre d’accepter ou de refuser un traitement. C’est le cas pour la vaccination. Et quand bien même celle-ci deviendrait obligatoire, cela ne justifierait pas non plus <em>de facto</em> de ne pas prendre en charge ceux qui ne respecteraient pas la loi. De nombreuses conduites à risque pèsent sur le système de santé. Pour autant, elles ne sauraient justifier une limitation de l’accès aux soins ».</p>
<p>Notons que ces derniers jours, certains « repentis » survivant à une réanimation qu’ils pensaient ne jamais avoir à subir ont exprimé un sentiment de détresse, voire de culpabilité, et le besoin de témoigner afin de faire la preuve tardive d’une exemplarité dont ils espèrent qu’elle bénéficiera à d’autres.</p>
<h2>Quel cadre posent les textes actuels ?</h2>
<p>Pour conclure sur l’opportunité qu’il y aurait, ou non, à intégrer explicitement le critère vaccinal aux arbitrages en réanimation, évoquons brièvement quelques repères réglementaires.</p>
<p>L’examen d’une décision sensible dans ses aspects politique, éthique et déontologique devrait évaluer ses différents impacts, y compris en référence aux textes qui encadrent les pratiques dans le champ de la santé : leur portée pourrait perdre en pertinence.</p>
<p>Il convient ainsi de rappeler que le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006685741">Code de la santé publique</a> détermine <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000037950426">des principes d’action</a> qui seraient remis en cause si les critères décisionnels en intégraient d’autres, qui s’avéreraient alors contradictoires :</p>
<blockquote>
<p>« Le droit fondamental à la protection de la santé doit être mis en œuvre par tous moyens disponibles au bénéfice de toute personne »</p>
<p>« Aucune personne ne peut faire l’objet de discriminations dans l’accès à la prévention ou aux soins »</p>
</blockquote>
<p>Il en est de même s’agissant des principes de non-discrimination et de la non-stigmatisation que rappelle la <a href="https://fr.unesco.org/themes/%C3%A9thique-sciences-technologies/bioethique-droits-humains">Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme</a> : </p>
<blockquote>
<p>« Aucun individu ou groupe ne devrait être soumis, en violation de la dignité humaine, des droits de l’homme et des libertés fondamentales, à une discrimination ou à une stigmatisation pour quelque motif que ce soit. »</p>
</blockquote>
<p>D’un point de vue strictement déontologique, <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006072665/LEGISCTA000006190547/">deux articles</a> du <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000025843565">Code de déontologie médicale</a> peuvent même s’avérer contradictoires dans leur application :</p>
<p>« Tout médecin qui se trouve en présence d’un malade ou d’un blessé en péril ou, informé qu’un malade ou un blessé est en péril, doit lui porter assistance ou s’assurer qu’il reçoit les soins nécessaires » ;</p>
<p>et </p>
<p>« Dans les limites fixées par la loi et compte tenu des données acquises de la science, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu’il estime les plus appropriées en la circonstance »</p>
<p>C’est dire les enjeux et la complexité des réflexions que susciterait la priorisation en réanimation des personnes vaccinées, au détriment de celles qui volontairement ne le seraient pas.</p>
<p>Enfin, <a href="https://www.ccne-ethique.fr/fr/actualites/la-contribution-du-ccne-la-lutte-contre-covid-19-enjeux-ethiques-face-une-pandemie">dans sa réflexion</a>, le Comité consultatif national d’éthique considère que « le contexte, quel qu’il soit, ne peut modifier les principes éthiques, même si une situation inédite comme celle provoquée par la lutte contre l’épidémie peut contraindre seulement à les hiérarchiser provisoirement, mais de manière argumentée en toute transparence ».</p>
<h2>Les valeurs dont nous devons être collectivement les garants</h2>
<p>J’estime que le contexte pandémique dont on ne maîtrise en rien l’évolutivité, pourrait nous contraindre à la difficile responsabilité de hiérarchiser nos principes éthiques, à titre provisoire et en ayant le souci d’exercer un contrôle sur les modalités d’un arbitrage en situation caractérisée comme exceptionnelle. L’expérience sociétale acquise depuis près de deux ans, ainsi que celle restituée par les professionnels de santé alors que nous sommes confrontés à une phase inquiétante de menaces encore imprécises, nous enjoignent au devoir d’une concertation argumentée portant sur les critères d’acceptabilité des décisions qui concernent les valeurs dont nous devons être collectivement les garants.</p>
<p>Il nous faudra peut-être aborder dignement, dans la rigueur et la transparence d’arbitrages pertinents et justes, la nécessité de choix de priorisation en réanimation intégrant des critères non exclusivement d’ordre médical. N’est-il pas préférable d’anticiper cette éventualité, plutôt que de concéder à une forme d’indifférence ou de tolérance à des pratiques qui devraient elles aussi mobiliser notre attention ? Je constate ainsi que les déprogrammations contraintes des interventions et des traitements se décident aujourd’hui sans que soit précisé dans quelles conditions sont établis les critères d’arbitrage des choix sans pour autant susciter des controverses publiques. D’un point de vue strictement médical, l’intérêt direct de la personne qui subit les conséquences parfois vitales d’une déprogrammation est estimé d’une moindre importance que la prise en charge des malades de la Covid-19. Nous y consentons comme si, déjà, nous étions habitués à certains renoncements.</p>
<p>Au nom de quels principes et en référence à quels critères de priorisation estime-t-on qu’une décision est acceptable on non dans le contexte d’une pandémie ? Nous ne saurions nous exonérer d’une responsabilité sociétale à intervenir dans des domaines qui ne relèvent pas seulement de l’expertise ou de la déontologie médicales.</p>
<p>L’exigence politique et éthique d’une réflexion partagée me semble donc d’une plus grande urgence encore face aux multiples défis susceptibles d’affecter notre cohésion nationale et notre mobilisation contre le SARS-CoV-2 au moment de leur plus grand besoin.</p>
<hr>
<p><strong><em>À lire aussi :</em></strong> </p>
<p><em>- E. Hirsch, _Une démocratie confinée. L’éthique quoi qu’il en coûte</em> ; <em>Une démocratie endeuillée. Pandémie, premier devoir d’inventaire, 2021.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174126/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Hirsch ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Certains refusent la vaccination anti-Covid-19 au nom de la liberté personnelle. Les conséquences de ce choix justifient-elles de leur refuser l’accès aux soins de réanimation s’ils tombent malades ?Emmanuel Hirsch, Professeur d'éthique médicale, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1713772021-12-07T21:24:48Z2021-12-07T21:24:48ZRadios libres : retour sur le « big bang » de la démocratisation médiatique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/436159/original/file-20211207-23-1q7m44m.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C0%2C753%2C563&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Michel Fiszbin (alias Robert Lehaineux) dans « Carbone 14, le film » de Jean-François Gallotte et Joëlle Malberg, 1983.</span> <span class="attribution"><span class="source">Carbone 14</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Alors que nous approchons de <a href="https://www.franceinter.fr/histoire/la-radio-fete-ses-100-ans-1921-2021-retour-a-l-epoque-de-radio-tour-eiffel">l’anniversaire officiel du lancement du média radio en France il y a 100 ans</a>, revenons sur le « big bang » qui a eu lieu il y a 40 ans avec la libéralisation de l’audiovisuel, autrement dit les débuts de la démocratisation médiatique légale.</p>
<p>Le 9 novembre 1981, il y a donc quarante ans, la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000880028">loi n° 81-994</a> « portant dérogation au monopole d’État de la radiodiffusion », défendue devant les deux assemblées par le nouveau ministre de la Communication Georges Fillioud, donnait le signal de départ officiel à une démocratisation des ondes déjà largement anticipée par les <a href="https://www.arts-et-metiers.net/musee/la-bataille-des-radios-libres">radios « libres »</a> – ces stations à la fois pionnières, <a href="https://larevuedesmedias.ina.fr/quand-la-radio-se-revolte">illégales</a> et <a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-les-radios-libres-une-bataille-oubliee-163512">réprimées</a>, qui avaient courageusement émis, sans la moindre autorisation des pouvoirs publics, entre 1977 et 1981 : <a href="https://www.youtube.com/watch?v=7EWLwQmKMpU">Radio Verte</a>, <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/07/12/la-redecouverte-miraculeuse-des-bandes-son-de-la-radio-pirate-de-francois-mitterrand_5488425_3232.html">Radio Riposte</a>, <a href="https://lms.hypotheses.org/455">Radio Lorraine cœur d’acier</a>, <a href="https://fr.slideshare.net/SebastienPoulain/radio-ici-et-maintenant-pionnire-en-exprimentations">Radio Ici et Maintenant</a>…</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/_G7aq9pJ5tc?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">“Libre Antenne. L'histoire des Radios Libres et de la libération des ondes en France”, un film d'Antoine Lefébure et Marc-Alexandre Millanvoye, réalisé par Matthias Sanderson, Canal+, le 23 août 2001.</span></figcaption>
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<p>Désormais, des associations à but non lucratif étaient autorisées à émettre à l’échelle locale – donc nécessairement en <a href="https://www.canal-u.tv/video/cths/fete_de_la_science_2021_thierry_lefebvre_qu_entend_on_par_bande_fm.64047">modulation de fréquence</a> –, à la condition expresse d’en faire la demande, même a posteriori, auprès d’une « commission consultative des radios locales privées ».</p>
<p>À charge pour cette dernière de séparer le bon grain de l’ivraie parmi la pléthore des stations (662 projets déposés au 16 février 1982 : <a href="https://www.librest.com/livres/radio-amiens-94-mhz--un-modele-pour-l-histoire-des-radios-libres--_0-6411892_9782918148265.html">Radio Amiens</a>, <a href="https://www.nordavril.com/auteur/patrick-fillioud/">Radio Gilda</a>…) nées de manière plus ou moins spontanée après l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République, tout en veillant à « assurer l’expression libre et pluraliste des idées et des courants d’opinion ».</p>
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<img alt="Manifestation du 3 septembre 1983" src="https://images.theconversation.com/files/430903/original/file-20211108-19-4fgq4v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/430903/original/file-20211108-19-4fgq4v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=390&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/430903/original/file-20211108-19-4fgq4v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=390&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/430903/original/file-20211108-19-4fgq4v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=390&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/430903/original/file-20211108-19-4fgq4v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=490&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/430903/original/file-20211108-19-4fgq4v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=490&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/430903/original/file-20211108-19-4fgq4v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=490&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Manifestation du 3 septembre 1983 contre les saisies de radio.</span>
<span class="attribution"><span class="source">social-photostore.fr</span></span>
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<p>Beaucoup de ces radios ne passeront pas le cap du milieu des années 1980 (Fréquence libre, <a href="http://arkenciel.blog/">Ark en ciel FM</a>, Génération 2000) et seront même saisies (<a href="https://vimeo.com/36401432">Carbone 14</a>, Radio Mouvance, Radio VoKa…), tandis que d’autres gagneront leur rapport de force (NRJ, La Voix du Lézard – future Skyrock –, RFM…).</p>
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<img alt="Affiche Radio Mouvance" src="https://images.theconversation.com/files/430745/original/file-20211108-10412-1ezlfb7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/430745/original/file-20211108-10412-1ezlfb7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=880&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/430745/original/file-20211108-10412-1ezlfb7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=880&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/430745/original/file-20211108-10412-1ezlfb7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=880&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/430745/original/file-20211108-10412-1ezlfb7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1106&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/430745/original/file-20211108-10412-1ezlfb7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1106&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/430745/original/file-20211108-10412-1ezlfb7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1106&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Affiche de Radio Mouvance à l’occasion de sa 6ᵉ et dernière saisie le 24 avril 1986.</span>
<span class="attribution"><span class="source">artsandculture.google.com</span></span>
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<p>Malgré ses défauts et une certaine naïveté de conception, cette loi princeps fut à l’origine d’un véritable « big bang » des médias (la télévision fut également indirectement affectée avec la création de Canal+ le 4 novembre 1984, puis la création de La Cinq et de M6 en 1986, la privatisation de TF1 en 1987, l’arrivée de la TNT en 2005…), dont nous savourons (ou déplorons) les effets à notre époque d’<a href="https://www.cairn.info/revue-l-expansion-management-review-2014-1-page-110.htm">infobésité généralisée</a>. Sous son impulsion, les <a href="https://www.youtube.com/watch?v=gsV8kJKsXn4">« radios locales »</a>, auxquelles nous venons de consacrer un ouvrage collectif, s’imposèrent progressivement comme la nouvelle norme, remisant les ondes longues/moyennes et la modulation d’amplitude, jadis dominantes, au rayon des antiquités technologiques.</p>
<h2>Une évolution au long cours</h2>
<p>Certes, en quarante années, les choses ont beaucoup évolué. Dès le 29 juillet 1982, une deuxième loi ([n° 82-652]), tout aussi importante que la première, gomma le mot « dérogation » du vocabulaire bureaucratique. On parla désormais d’« autorisation », preuve, si besoin était, que le monopole honni était bel et bien mort. Un organisme régulateur fut créé, dont le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et la future Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom, résultant de la fusion en cours du CSA et de l’Hadopi) sont aujourd’hui les héritiers. La publicité fut officiellement admise en 1984, afin de mettre un terme aux pratiques clandestines quelque peu déshonorantes des radios musicales qui, à partir de la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000512205/">loi n° 86-1067</a> du 30 septembre 1986 « relative à la liberté de communication », se constituèrent, de manière enfin légale, en puissants réseaux.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/-d9YjVD5Rc8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« La liberté de déplaire », Fréquence Libre, 1984, Coll. T. Lefebvre.</span></figcaption>
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<p>Puis, à l’occasion de son <a href="https://www.csa.fr/Informer/Espace-presse/Communiques-de-presse/L-application-du-communique-34-du-CSA">communiqué n° 34</a> du 29 août 1989, le CSA posait l’existence, aux côtés du service public (Radio France), de cinq catégories de radios qui structurent toujours le paysage hertzien français : associatives non commerciales (catégorie A), commerciales indépendantes (catégorie B), franchisées ou affiliées à un réseau mais devant effectuer une part de programme local (catégorie C), réémetteurs passifs d’un programme thématique, le plus souvent musical (catégorie D), réémetteurs passifs d’une ancienne radio généraliste dite « périphérique », par exemple RTL ou Europe 1 (catégorie E).</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/IUFkOyFu6yU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Les radios libres et la publicité en 1984, 23 mai 1984, Antenne 2, Archive INA.</span></figcaption>
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<p>De nos jours, on dénombre quelque 130 radios commerciales indépendantes (il n’y avait qu’une poignée de « périphériques » à la fin des années 1970) et pas moins de 569 radios associatives en métropole (aucune à l’époque du monopole d’État à l’exception sporadique de <a href="https://www.etudiant.gouv.fr/fr/1969-2019-radio-campus-lille-50-ans-448">Radio Campus Lille</a> à partir de 1969 !). Ces dernières en particulier, qui font la richesse et la spécificité du paysage médiatique français, ont su s’ancrer dans les territoires grâce, entre autres, au <a href="https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Audiovisuel/Fonds-de-soutien-a-l-expression-radiophonique-locale-FSER">Fonds de soutien à l’expression radiophonique locale</a> (FSER), dispositif remarquable créé en 1982 afin de leur permettre d’assurer des missions de communication sociale de proximité. La variété des contenus musicaux, éducatifs, culturels ou militants proposés sur la « bande FM », ne peut que surprendre l’auditeur qui prend réellement la peine de l’explorer et de l’écouter vraiment. Et le déploiement en cours de la « radio numérique terrestre » (RNT), qui n’est qu’une évolution technologique parmi tant d’autres, ne devrait pas changer la donne, bien au contraire.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/jFQ7-ZjmOQU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« Pourquoi la Radio Numérique Terrestre (RNT) ne décolle pas en France ? », « De Quoi J’me Mail », 01netTV-RMC, 2018.</span></figcaption>
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<h2>Un avenir incertain</h2>
<p>Certes, la montée en puissance du web depuis le début du XXI<sup>e</sup> siècle semble désormais mettre en difficulté ce formidable outil, si patiemment élaboré au fil des décennies. L’écoute de la radio atteignait son acmé en <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/medias/radios-43-6-millions-d-auditeurs-en-novembre-decembre-un-record-historique_1313871.html">novembre-décembre 2014</a> avec 43,6 millions d’auditeurs en audience cumulée. Depuis, elle ne cesse de décliner (38,2 millions en <a href="https://www.mediametrie.fr/sites/default/files/2021-09/2021%2009%2016%20CP%20Grilles%20Radio%20d%27%C3%A9t%C3%A9%202021_0.pdf">juillet-août 2021</a>) avec aggravation lors de la pandémie.</p>
<p>Ce n’est pourtant pas faute de s’être adaptée : les stations ont eu tôt fait de se numériser (<a href="https://fr.slideshare.net/SebastienPoulain/les-postradiomorphoses-enjeux-et-limites-de-l-appropriation-des-nouvelles-technologies-radiophoniques">postradiomorphoses</a>), elles ont conquis de haute lutte leur place sur nos smartphones, elles ont su faire leur miel des réseaux sociaux, les webradios associées ou complémentaires ont proliféré (NRJ en disposaient par exemple de 829 en <a href="https://www.lalettre.pro/Les-radios-les-plus-puissantes-sur-le-Net_a25775.html">mars 2021</a> !), le streaming, les podcasts « original » (la start-up Luminary aux États-Unis a levé <a href="https://lexpansion.lexpress.fr/actualites/1/actualite-economique/luminary-la-plateforme-de-podcasts-a-100-millions-de-dollars-se-lance_2074526.html">100 millions de dollars</a>) et « <em>replay</em> » connaissent un réel engouement (<a href="https://www.blogdumoderateur.com/podcast-strategie-radio-france/">80 millions de téléchargements mensuels</a> pour la seule Radio France) ; et le déploiement en cours (freiné longtemps par les réseaux dominants) de la RNT voit l’émergence de nouveaux acteurs locaux appelés, peut-être, à fédérer de futures communautés d’auditeurs.</p>
<p>Toujours est-il que la mondialisation s’avère toujours plus prégnante, politiquement, économiquement et bien sûr médiatiquement. Les médias locaux sont-ils amenés à disparaître sous les coups de boutoir répétés des Gafam ? Quelques « J’aime » sur Facebook permettent en effet à ce mastodonte de connaître les goûts d’un internaute, plus finement sans doute que ne le feraient ses propres relations et collègues <a href="https://www.pnas.org/content/110/15/5802">selon une étude publiée en 2013</a>. L’ultra mondial (en pratique, l’oligopole qui s’est substitué aux monopoles étatiques d’antan) peut désormais se connecter directement avec l’ultra local, et tout particulièrement avec les individus. Au premier semestre 2021, Google, YouTube, Facebook, Amazon & Twitch accaparaient 70 % du marché publicitaire digital en France, selon une <a href="https://www.sri-france.org/wp-content/uploads/2021/07/EPub_S1-2021_VFF.pdf">étude menée par l’Observatoire de l’e-pub du Syndicat des régies Internet</a> (SRI). Cela laisse à l’évidence fort peu d’opportunités aux médias traditionnels, en particulier aux radios locales, et même aux <em>pure-players</em> qui tentent leur chance ici et là.</p>
<p>Les nouvelles générations – qui ont leur premier téléphone à 9 ans et 9 mois en moyenne <a href="https://www.open-asso.org/actualite/2020/02/parentalite-face-au-numerique-enquete-open-unaf-mediametrie/">selon Médiamétrie</a> - sont attirées, de manière semble-t-il irrésistible, par les sirènes du cyberespace : YouTube et le défilé fuligineux des réseaux sociaux focalisent toute leur attention. C’est leur liberté et nous ne la contestons pas. Mais cela risque de poser, à plus ou moins long terme et sauf renversement improbable de tendance, le problème du renouvellement des auditoires.</p>
<p>Le problème n’est d’ailleurs pas propre au média radiophonique : la télévision traditionnelle, la presse, l’édition, le cinéma en salle, etc., vivent avec la même épée de Damoclès. D’où des phénomènes de concentration médiatique au sein de quelques groupes pour obtenir davantage de moyens – à l’image de la possible fusion entre TF1 et M6 – tandis que l’<a href="https://theconversation.com/debat-laudiovisuel-public-est-il-vraiment-public-156794">audiovisuel public</a> doit paradoxalement faire des économies (<a href="http://www.senat.fr/rap/a20-143-41/a20-143-410.html">190 M€ en moins sur la période 2018-2022</a>).</p>
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<img alt="webradio d’éducation aux médias et à l’information" src="https://images.theconversation.com/files/430646/original/file-20211107-23-1sf1w8m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/430646/original/file-20211107-23-1sf1w8m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=253&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/430646/original/file-20211107-23-1sf1w8m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=253&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/430646/original/file-20211107-23-1sf1w8m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=253&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/430646/original/file-20211107-23-1sf1w8m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=318&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/430646/original/file-20211107-23-1sf1w8m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=318&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/430646/original/file-20211107-23-1sf1w8m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=318&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Image de radio PiLi (Par ici Les idées), webradio de l’Office Central de la Coopération à l’Ecole (OCCE).</span>
<span class="attribution"><span class="source">occe.coop</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Mais à la différence de ces derniers, la radio dispose d’un atout considérable : ce fameux maillage territorial qui fait que, non loin de chez soi, il y a très probablement un studio, une équipe constituée de permanents et de bénévoles, bref un lieu idéal d’apprentissage (<a href="https://www.clemi.fr/">l’éducation aux médias et à l’information</a>) qui est de plus en plus nécessaire), trop souvent ignoré par les jeunes gens concernés, du fait de l’absence de fléchage, aussi bien dans le cadre scolaire que dans celui, pourtant bien moins contraint, des activités parascolaires.</p>
<p>Le « big bang » de novembre 1981 doit donc se poursuivre et surtout se réinventer.</p>
<hr>
<p><em>Thierry Lefebvre et Sebastien Poulain viennent de publier <a href="https://lesradioslibres.wordpress.com/2021/09/13/communique-de-presse-les-radios-locales-histoires-territoires-et-reseaux-sous-la-direction-de-thierry-lefebvre-et-sebastien-poulain/"><em>Les radios locales : histoires, territoires et réseaux</em></a> (Ina/L’Harmattan, 2021). Thierry Lefebvre a également publié récemment <a href="http://www.editions-glyphe.com/livre/6270/"><em>L’Aventurier des radios libres : Jean Ducarroir (1950-2003)</em></a> (Glyphe, 2021)</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171377/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thierry Lefebvre a été membre du Comité territorial de l'audiovisuel d'Île-de-France (rattaché au CSA) de 2005 à 2017.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Sebastien Poulain ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Retour sur un événement majeur de l’histoire de la démocratisation des médias : la loi du 9 novembre 1981 et ses conséquences.Sebastien Poulain, Docteur en science de l'information et la communication, laboratoire Mica, Université Bordeaux Montaigne, enseignant dans plusieurs universités, spécialiste de médias, ESS, contre culture, Université Bordeaux MontaigneThierry Lefebvre, Maître de conférences en sciences de l’information et de la communication, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1700532021-11-10T12:34:06Z2021-11-10T12:34:06ZQuelles orientations numériques en France : un enjeu démocratique et citoyen<p>La numérisation est désormais un fait social quasiment total, même si beaucoup d’inégalités d’accès aux réseaux persistent : elle symbolise en tout cas des potentialités considérables d’un point de vue sociétal, politique et économique.</p>
<p>Sur ce plan, la France est un acteur important à l’échelle européenne. Le déploiement de la 5G sur son territoire devrait dans les prochaines années permettre des progrès importants. Par exemple, dans le domaine industriel, des systèmes de <a href="https://www.journaldunet.fr/web-tech/dictionnaire-de-l-iot/1489507-maintenance-predictive-definition-et-interet-dans-l-industrie/">maintenance prédictive</a> visent à suivre le comportement d’un équipement dans le temps et à anticiper les pannes avant qu’elles ne se produisent. En télémédecine, des applications font déjà l’objet d’expérimentations prometteuses, dans le cadre par exemple de la <a href="https://www.aphp.fr/connaitre-lap-hp/recherche-innovation/nos-chaires-de-recherche/la-chaire-innovation-bloc-operatoire">chaire de recherche et d’innovation sur le bloc opératoire augmenté</a>.</p>
<h2>Le numérique change nos vies privées et publiques</h2>
<p>Les pratiques sociales sont elles-mêmes en métamorphose majeure : l’accès aux réseaux offre des capacités de décentrement dans la construction de soi, intervenant ainsi sur les imaginaires institués, et les expériences de socialité en ligne ont en ce sens une dimension existentielle à part entière. Les individus sont susceptibles d’être ouverts à des sources d’influence culturelles, intellectuelles, affectives ou idéologiques beaucoup plus variées qu’autrefois.</p>
<p>La variété des supports technologiques permet de créer des sensibilités plus ouvertes à des expressions culturelles hétérogènes, ainsi qu’à des causes transnationales.</p>
<p>Les pratiques politiques, par le biais des mobilisations sociales en ligne, évoluent en faveur de davantage de transparence dans l’organisation de la vie commune. Tour à tour émetteurs, récepteurs et relais d’information, les citoyens sont désormais en mesure de s’attaquer à la <a href="https://journals.openedition.org/quaderni/410">traditionnelle culture du secret du pouvoir étatique</a>. De <a href="https://wikileaks.org/">Wikileaks</a> aux <a href="https://www.icij.org/investigations/panama-papers/">Panama Papers</a>, l’ère numérique permet l’ouverture de brèches de contournement des ordres institués assez inédites.</p>
<h2>Une culture de l’horizontalité</h2>
<p>Une culture de l’horizontalité s’est imposée depuis que nous vivons en réseau et que nous sommes devenus hyperconnectés.</p>
<p>Lors du <a href="https://risques-tracage.fr/">lancement</a> de l’application StopCovid au printemps 2020, les <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/politique/stopcovid-il-est-contre-productif-de-proposer-une-solution-techniciste-a-un-probleme-qui-ne-l-est-pas-20200427">multiples alertes</a> formulées par de nombreux chercheurs et scientifiques – de toutes disciplines – ont contribué à créer d’importants débats dans la sphère publique, en sensibilisant les citoyens et les politiques aux problèmes que posaient initialement cette application en termes de vie privée et de traçabilité.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/stopcovid-une-application-prometteuse-mais-qui-questionne-137092">StopCovid : une application prometteuse mais qui questionne</a>
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<p>L’application fut ainsi revue dans sa conception et a intégré davantage de garanties juridiques. Un tel exemple souligne à quel point le contrôle démocratique des nouvelles technologies devient une demande sociétale de plus en plus forte. Elle s’intensifiera sûrement à l’avenir.</p>
<h2>Contrôle des technologies numériques : enjeu démocratique, demande sociétale</h2>
<p>Afin d’éviter des visions trop enchantées de l’innovation (à tout prix et qui serait nécessairement synonyme de « mieux »), une éducation plus transversale et appliquée à la complexité technologique apparaît comme un enjeu décisif sur le plan démocratique.</p>
<p>Cet enjeu s’exprime déjà par des dynamiques visant à proposer d’autres modèles économiques que ceux des GAFAM. Des initiatives comme celles de <a href="https://declic-lelivre.com/">« <em>Déclic</em> »</a> vont aujourd’hui dans cette direction, en vue de refaire d’Internet un bien commun, une source d’émancipation et de contribution (par la valorisation des logiciels libres ou du design éthique).</p>
<p>L’ambition d’allier responsabilité éthique et innovation technologique est désormais <a href="https://maisouvaleweb.fr/du-design-thinking-au-design-ethique-redonner-du-sens-a-linnovation/">clairement identifiée</a> comme socialement importante.</p>
<p>Par rapport à de telles exigences, des politiques publiques du numérique ne devraient-elles pas être conçues en assumant beaucoup plus ouvertement un certain pluralisme dans notre rapport à l’innovation ? C’est-à-dire en faisant intervenir divers réseaux d’acteurs au moment où les technologies se développent, fidèlement aux valeurs démocratiques qui ont historiquement orienté la construction de nos sociétés ?</p>
<h2>Libérer les pratiques créatives et les imaginaires sociaux</h2>
<p>Afin de répondre à de telles exigences éthiques, un défi sera de permettre à des formations transdisciplinaires de se déployer : afin que les technologies ne soient pas considérées que sous l’angle d’une pure rationalité qui répondrait essentiellement à des critères d’efficacité, et qu’elles puissent davantage s’adresser à la part émotionnelle des individus en proposant par exemple de <a href="https://usbeketrica.com/fr/article/quand-la-realite-virtuelle-nous-transforme-en-arbre-pour-nous-faire-aimer-la-nature">se mettre dans la peau de créatures animales ou organiques</a>, à l’instar de ce que certains artistes expérimentent aujourd’hui.</p>
<p>C’est, plus globalement, l’exercice du jugement critique (qui renvoie à une faculté de discernement) dans le contexte des sociétés technologiques qui devrait se voir développé.</p>
<p>Par exemple, si nous sommes accoutumés au fait de semer nos données par le biais des réseaux sociaux ou de nos activités en ligne, au fait donc d’être engagés dans une forme d’exposition numérique quasi permanente, les possibles effets générés par des applications intégrant des données de santé ne sont pas du même ordre.</p>
<p>Le recueil d’information de santé – et la production de critères de bonne santé – implique le risque d’instituer des politiques de discrimination de certaines populations, que l’on empêcherait d’aller et venir, d’accéder à tel ou tel lieu, ouvrant la voie à une <a href="https://www.revuepolitique.fr/les-risques-dun-biopouvoir-disciplinaire/">gestion biopolitique des populations</a> – une gouvernance qui reposerait avant tout sur le contrôle de la santé des corps au détriment de la qualité de la vie sociale elle-même.</p>
<p>Un autre risque serait sans doute de favoriser une accoutumance au fait d’être tracé sur des critères de santé – critères qui pourraient être toujours redéfinis de manière arbitraire.</p>
<h2>Décider ensemble des évolutions technologiques de notre société</h2>
<p>Si l’accentuation des réseaux numériques tend à créer des phénomènes majeurs dans l’évolution de nos existences individuelles et collectives, l’idéal qu’ils portent ne doit pas nous empêcher de les interroger en fonction du sens que nous souhaitons conférer à nos coexistences.</p>
<p>Sur ce plan, d’un point de vue éducatif, la France est en retard <a href="https://www.weforum.org/agenda/2019/05/how-finland-is-fighting-fake-news-in-the-classroom/">par rapport aux pays d’Europe du Nord</a>, étant donné les frontières disciplinaires qui persistent encore massivement entre sciences de l’ingénieur et sciences humaines et sociales, compte tenu également de la difficulté qu’il y a à engager autour des technologies des perspectives éducatives qui soient capables d’intégrer des dimensions à la fois artistiques, scientifiques, techniques et philosophiques. Des initiatives naissent depuis ces dernières années, par exemple au sein du Master <a href="https://entreformesetsignes.fr/actualites/post-diplome-id-dim-2021-2022">« Inventivités digitales – Designers, Ingénieurs, Managers »</a>.</p>
<p>La marge de progression est loin d’être négligeable, car les environnements numériques appellent le développement de nouvelles <a href="https://esprit.presse.fr/article/andrew-feenberg/capacites-d-agir-a-l-ere-numerique-42511">capacités d’agir</a> des citoyens eux-mêmes, qui sont encore trop massivement tenus à l’écart de décisions touchant au développement du numérique dans leurs vies.</p>
<p>Le déploiement de la 5G est à cet égard en France un bon exemple d’un déploiement technologique qui s’affirme de manière très unilatérale, en s’imposant comme une technologie totale, se répercutant dans une multitude de sphères (industrie, transport, commerce, loisir, santé, etc.), ne donnant lieu à aucune concertation ni débat, à l’opposé ce qui est par exemple en vigueur au Danemark où les <a href="http://base.d-p-h.info/fr/fiches/dph/fiche-dph-7749.html">dynamiques de concertation citoyenne à propos de certaines grandes orientations technologiques</a> sont historiquement plus ancrées. Au niveau local, les communes danoises <a href="http://www.senat.fr/lc/lc287/lc28712.html">mettent en place des procédures de démocratie participative</a> visant la consultation régulière et l’implication constante des citoyens dans certaines prises de décision.</p>
<h2>Maturité critique sur les impacts sociétaux du numérique</h2>
<p>Dans un tel horizon, le déploiement d’universités populaires du numérique serait sans nul doute une manière de faciliter des appropriations plus éclairées et contributives des innovations technologiques, à l’image de <a href="https://www.reseau-canope.fr/academie-de-versailles/atelier-canope-91-evry/actualites.html">ce qui existe déjà sur certains territoires en France</a>.</p>
<p>Le déploiement de tels projets au sein des nombreuses écoles d’ingénieurs que nous avons sur le territoire national serait une manière de créer des synergies fructueuses entre les visions du progrès portées par la culture des élèves-ingénieurs et les visions du futur désirées par les citoyens. C’est au travers de telles interactions que nos sociétés technologiques seront les plus à même de gagner en maturité critique, qui sera essentielle au niveau européen pour faire face à certains modèles d’innovation hégémoniques, qui s’incarnent notamment aujourd’hui par <a href="https://www.challenges.fr/monde/un-rapport-americain-denonce-l-autoritarisme-numerique-de-la-chine_720217">l’autoritarisme numérique</a>, tel qu’il s’affirme par exemple en Chine.</p>
<p>Sur le plan intellectuel, la France dispose d’atouts pour faire entendre la voix d’une culture numérique éthiquement soutenable, par exemple avec les travaux menés à l’<a href="https://www.iri.centrepompidou.fr/">Institut de Recherche et d’Innovation</a> ou plus amplement avec le courant des études digitales. Mais, pour les faire valoir, elle doit réaffirmer, dans les processus d’innovation eux-mêmes, les valeurs auxquelles elle est démocratiquement attachée.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/170053/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre-Antoine Chardel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les technologies numériques ont un impact grandissant sur nos vies ; mais la prise de décision sur leur déploiement oscille entre culture de l’horizontalité et décisions technocratiques.Pierre-Antoine Chardel, Professeur de sciences sociales et d'éthique, membre de l'Observatoire de l'éthique publique, Institut Mines-Télécom Business School Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1670622021-08-31T18:50:40Z2021-08-31T18:50:40ZJoséphine Baker ou les chemins complexes de l’exemplarité<p>Si les historiens et les passionnés sont depuis longtemps familiers de la figure de Joséphine Baker, nombreux sont ceux qui ne connaissent de cette artiste que quelques bribes superficielles de sa vie, loin de la complexité du personnage. Bananes autour des hanches, pitreries, niaiseries ont longtemps fait écran sur un destin exceptionnel, celui d’une femme hors normes, Noire et sans frontières, légère et engagée, toujours sensible, solidaire.</p>
<p>Mais l’heure de reconnaissance a sonné : la modernité de son parcours la fera entrer au Panthéon le 30 novembre 2021. Qui aurait pu l’imaginer lorsque, dans la France des Trente Glorieuses, celle du yéyé et de mai 1968, sa voix était éteinte, sa notoriété quasiment disparue. Vedette déchue, elle vivotait jusqu’à ce qu’une compatriote, la princesse Grâce de Monaco et avec elle la principauté – où elle est enterrée – ne lui vienne en aide, ce qui lui offrira la possibilité, en 1975, d’un dernier et inoubliable tour de piste à Bobino quelques jours avant sa mort.</p>
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<p>Certes, on salue l’artiste disparue qui a émerveillé le Paris de l’entre-deux-guerres mais personne ne peut alors imaginer que Joséphine Baker puisse entrer au Panthéon moins de cinq décennies plus tard. On le sait, les figures du passé ne parlent pas toutes à notre temps présent de la même manière : voyez <a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2012/article/2012/05/15/jules-ferry-le-colonisateur-suscite-la-controverse_1701252_1471069.html">Jules Ferry</a> ou <a href="https://www.lalibre.be/sports/omnisports/2014/02/07/la-face-sombre-de-pierre-de-coubertin-BZOTYI2ODRGZVEDWGAYDJ4L3CE/">Pierre de Coubertin</a> tant honorés hier, sujets à controverse aujourd’hui. Pour d’autres, l’inverse se produit.</p>
<h2>Une artiste qui sait parler à la France du début du XXIᵉ siècle</h2>
<p>L’entrée de Joséphine Baker au Panthéon n’est pas une surprise, cela fait plusieurs années que son nom circule, comme ce fut le cas fin 2013 lorsque Laurent Kupferman et Régis Debray avaient lancé la proposition <a href="https://www.franceinter.fr/osez-josephine-la-petition-qui-plaide-pour-l-entree-de-josephine-baker-au-pantheon">sous la forme d’une pétition judicieusement intitulée « Osez Joséphine »</a>.</p>
<p>Il s’agit donc d’un aboutissement logique dans un contexte où l’artiste « coche des cases » qui correspondent à des valeurs de mieux en mieux partagées aujourd’hui : talent, liberté, résistance, antiracisme, courage, féminisme, solidarité. Avec comme valeur suprême la diversité quelle incarne à travers la chanson « J’ai deux amours » créée pour elle par Géo Koger et Henri Varna sur une musique de Vincent Scotto en 1930 et qu’elle chantera jusqu’à la fin de sa vie.</p>
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<p>C’est pourquoi Joséphine Baker, <a href="https://usbeketrica.com/fr/article/l-intersectionnalite-ne-segmente-pas-les-luttes-elle-les-articule">« intersectionnelle »</a> avant l’heure, parle au plus grand nombre : ni intellectuelle, ni idéologue, elle réagissait avec son cœur en toute liberté dans un pays qui a été sa terre d’accueil et de consécration. Cette Américaine noire représente ainsi une forme de synthèse des minorités visibles que la France a pu mettre en valeur voire aduler – surtout dans le domaine du spectacle ou du sport, au risque parfois de l’essentialisation, mais aussi, paradoxalement, ignorer voire discriminer.</p>
<p>Aux côtés des « grands hommes » et de <a href="https://www.mondedesgrandesecoles.fr/qui-sont-les-femmes-du-pantheon/">quelques femmes pionnières</a>, elle apporte au Panthéon toute la vigueur de sa personnalité, toute son originalité et on ne peut qu’applaudir cette initiative.</p>
<h2>Richesses d’une vie chaotique</h2>
<p>Le parcours de cette jeune américaine née en 1906 à Saint-Louis, à la jeunesse plutôt triste, n’a pas été simple. Sa carrière, faite de hauts et de bas nous enseigne bien des choses sur le XX<sup>e</sup> siècle qui s’éloigne. Star éblouissante à la fin des années 20 et au début des années 30, sa carrière est fulgurante, avec la <em>Revue nègre</em> au Théâtre des Champs-Élysées à partir de 1925, elle éblouit le Tout-Paris et la France par son talent et sa liberté.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/418642/original/file-20210831-15-rk6qhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/418642/original/file-20210831-15-rk6qhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/418642/original/file-20210831-15-rk6qhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/418642/original/file-20210831-15-rk6qhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/418642/original/file-20210831-15-rk6qhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/418642/original/file-20210831-15-rk6qhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/418642/original/file-20210831-15-rk6qhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Joséphine Baker dansant le charleston aux Folies-Bergère, à Paris – Revue Nègre Dance (1926).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Revue_n%C3%A8gre#/media/Fichier:Baker_Charleston.jpg">Wikimedia</a></span>
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<p>Le public est comme magnétisé par cette vedette excentrique. Puis sa carrière patine un peu avant la guerre même si elle reste très populaire dans l’Hexagone.</p>
<p>Sa nationalité française, elle l’obtient en 1937 en se mariant avec l’homme d’affaires Jean Lion. Puis, engagée de multiples manières avec courage et conviction durant le second conflit mondial à Paris, en province et au Maghreb, sa vie connaît une tournure différente au gré des événements. En 1939-40, elle chante pour les soldats au front pendant la « Drôle de guerre », entretient le moral des Parisiens à travers des concerts avant l’Occupation, distribue de la nourriture et des effets personnels aux indigents avant de devenir agent de renseignement et pilote d’avion.</p>
<p>Devenue sous-lieutenant, elle participe au débarquement à Marseille en octobre 1944. Médaillée de la résistance française avec rosette en 1946, elle sera faite chevalier de la Légion d’honneur et recevra la Croix de guerre en 1961.</p>
<p>Après guerre, dans l’impossibilité d’avoir des enfants, elle décide d’en adopter douze, de toutes origines, comme une mise en exergue de son idéal de fraternité universelle. Ce sera <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/l-esprit-des-lieux/l-esprit-des-lieux-du-mardi-24-aout-2021">sa « tribu arc-en-ciel », avec laquelle elle a vécu assez retirée en Dordogne dans une vaste propriété, le château des Milandes</a>. Mal connue dans son pays d’origine dans lequel elle se rend pourtant, Joséphine Baker ne retrouvera pas le succès qui avait été le sien.</p>
<h2>« L’étoile Noire »</h2>
<p>La notoriété de Joséphine Baker, c’est d’abord à travers son corps qu’elle la conquiert : le 9 octobre 1925, dans <em>Le Journal</em>, quotidien très conservateur, l’influent critique Georges Le Cardonnel s’enflamme en découvrant la <em>Revue nègre</em> :</p>
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<p>« sous l’excitation qui ne cesse de s’accélérer d’un jazz où la caisse domine et dont les discordances sont merveilleusement disciplinées, les ancêtres des forêts originelles semblent se réveiller en ces « noirs » au point de les posséder. Aussi leur frénésie les conduit, peu à peu, à une manière de bamboula. »</p>
</blockquote>
<p>Et de considérer que le clou du spectacle est incontestablement la figure de mademoiselle Baker :</p>
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<p>« C’est nu, candide, joyeux et renseigné. C’est précisément cette candeur joyeuse que ne sauront jamais monter nos contemporains […] C’est un spectacle extraordinaire qui transporte sur un autre continent. »</p>
</blockquote>
<p>Ce prisme « exotique » prévaudra aussi au cours de l’Exposition universelle de 1931. L’artiste qui a vigoureusement combattu le racisme reprenait à ses débuts, sans en être dupe, une vision stéréotypée et colonialiste du corps noir, elle qui n’avait alors pas mis les pieds sur le continent africain. Pour les commentateurs, la nudité du corps noir – supposément « sauvage » était d’ailleurs toujours plus subversive que celle du corps blanc.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/auto-essentialisation-quand-josephine-baker-retournait-le-racisme-contre-elle-meme-148280">Auto-essentialisation : quand Joséphine Baker retournait le racisme contre elle-même</a>
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<p>Dans cette première revue, Joséphine Baker s’illustre au milieu de 25 artistes parmi lesquels se trouve le danseur Louis Douglas. Vêtue d’un simple pagne de fausses bananes, elle surgit dans un tableau intitulé « La danse sauvage », agitant son corps sur un rythme d’une musique totalement inconnue en Europe que l’on nommera bientôt charleston. Et le succès est au rendez-vous : Joséphine Baker attire les regards grâce à son corps dénudé mais aussi grâce à son extraordinaire énergie et son sens de l’humour. Voilà bien un élément décisif de l’entrée au Panthéon de l’artiste : la manière dont Joséphine Baker a su s’extirper de ce corps auquel elle était assignée et des clichés qui y étaient attachés, pour vivre d’autres vies.</p>
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<h2>Indocile et antiraciste</h2>
<p>Forte de sa soudaine célébrité, Joséphine Baker devient une vedette et se comporte immédiatement comme telle. Elle ne respecte pas ses contrats et n’en fait qu’à sa tête. À tel point qu’elle se retrouve régulièrement devant les tribunaux pour répondre à diverses assignations. En 1926, l’homme de lettres et écrivain François Ribadeau-Dumas offre l’un des premiers reportages qui nous font entrer dans l’intimité de Joséphine dans les pages littéraires et artistiques du quotidien volontiers humoristique <em>La Lanterne</em>. Le journaliste est allé à sa rencontre dans son petit hôtel du parc Monceau. À midi elle dormait encore, mais, une fois réveillée, en robe de chambre, vive et endiablée, elle parle en anglais et joue avec ses petits chiens, son chat, ses canaris et perruches.</p>
<p>À 20 ans, il a été question qu’elle écrive ses mémoires, sans suite. Indocile, Joséphine Baker le sera dans sa vie privée et parfois dans ses comportements, toujours capable de laisser libre cours à ses envies, ses impulsions, sans jamais réellement calculer, au risque de surprendre. Capricieuse comme une star, elle joue bien son rôle pourtant contrebalancé par la participation à de très nombreuses actions caritatives. Celle que l’on surnomme simplement « Joséphine » s’est toujours montrée sensible et généreuse face à toutes les formes de misère.</p>
<p>Cette meneuse de revue, danseuse, chanteuse et comédienne, loin de clichés, nous enseigne un engagement antiraciste multiforme, tel qu’il faudrait le promouvoir aujourd’hui, dénué de toute « concurrence victimaire ». Sensibilisée par son mari Jean Lion confronté à l’antisémitisme, l’artiste s’engage notamment aux côtés de la LICA (Ligue Internationale Contre le Racisme) en 1938, se montrant très sensible au sort des Juifs pendant toute la période de l’Occupation. Plus tard, elle participera aux meetings du MRAP (Mouvement contre le Racisme et l’Antisémitisme et pour la Paix) en relation avec l’Unesco afin de sensibiliser à la lutte contre le racisme à l’échelle internationale.</p>
<p>Au temps des décolonisations, si l’artiste s’engage assez peu dans la lutte pour les Indépendances malgré un soutien affirmé, elle milite contre l’apartheid en Afrique du Sud et s’investit dans les mobilisations contre le racisme visant les Noirs aux États-Unis. La voilà aux côtés de Martin Luther King le 28 août 1963 devant le Lincoln Mémorial de Washington lorsque celui-ci prononce son discours historique « I have a dream ». En habit militaire, arborant fièrement ses impressionnantes décorations militaires, elle est l’une des rares femmes à prendre la parole au micro devant la foule immense. Dans cette période, elle apprécie aussi le Cuba de Fidel Castro où elle se rend pendant deux mois fin 1965, prenant le parti des non-alignés dans une période de tensions au cœur de la Guerre froide.</p>
<p>Tout sauf anecdotique, l’entrée de <a href="https://www.arte.tv/fr/videos/075185-000-A/josephine-baker-premiere-icone-noire/">Joséphine Baker</a> au Panthéon est une bonne nouvelle : enfin ! Regarder en face la complexité des regards sur les femmes noires par notre République est une manière d’avancer. Et Joséphine Baker, personnalité inspirante, nous aide à aller de l’avant. Cette France qui l’a tant aimé et qui la retrouve aujourd’hui a encore beaucoup à apprendre de son humanité faite de conviction, de courages et de fragilités, nous avons beaucoup à réfléchir sur son parcours aux accents universalistes certes, mais avec son pays d’adoption chevillé au corps et au cœur.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167062/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yvan Gastaut ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Retour sur le destin exceptionnel de Joséphine Baker, qui fera son entrée au Panthéon le 30 novembre 2021.Yvan Gastaut, Maître de conférences à l'UFR STAPS de l'université de Nice, Chercheur associé à TELEMME, Université Côte d’AzurLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1621012021-06-29T20:44:29Z2021-06-29T20:44:29ZSort-on vraiment de l’état d’urgence sanitaire ?<p>L’état d’urgence sanitaire a pris fin le 1<sup>er</sup> juin 2021. Cependant, la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000043567200/?isSuggest=true">loi du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire</a>, en vigueur depuis le 2 juin, permet au Premier ministre de prendre des mesures pour limiter, voire interdire les déplacements. Un constat s’impose alors : malgré la fin de l’état d’urgence sanitaire, des mesures d’exception restreignant les droits et libertés subsistent.</p>
<p>Dès lors, vit-on toujours en état d’urgence sanitaire ? Et comment dans ce cas le définir ?</p>
<p><a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/273947-quest-ce-que-letat-durgence-sanitaire">L’état d’urgence sanitaire</a> est une « mesure exceptionnelle pouvant être décidée en conseil des ministres en cas de catastrophe sanitaire, notamment d’épidémie, mettant en péril la santé de la population ».</p>
<p>Le 23 mars 2020, la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000041746313/">loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19</a>, créant l’état d’urgence sanitaire, donne au Premier ministre des prérogatives importantes. En effet, celui-ci peut prendre des mesures d’interdiction de déplacement hors du domicile. Ce sont les <a href="https://oppee.u-bordeaux.fr/contributions/analyses/lexique/confinement">mesures de confinement ou de couvre-feu</a>.</p>
<p>Ces dernières visent à restreindre la liberté d’aller et venir, la liberté d’entreprendre, la liberté de réunion dans un objectif de lutte contre la propagation du virus. Le Premier ministre peut aussi prendre des <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/273947-quest-ce-que-letat-durgence-sanitaire">« mesures de réquisition de tous biens et services nécessaires pour mettre fin à la catastrophe sanitaire »</a>. Ces mesures portant atteintes à différents droits et libertés doivent être <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/article_jo/JORFARTI000041746319">« strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu »</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1397980874063368193"}"></div></p>
<p>L’état d’urgence sanitaire a été déclaré une première fois le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000041746313/">23 mars 2020</a> pour s’appliquer <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000042101318/">jusqu’au 10 juillet 2020</a>. Au regard de l’évolution des indices épidémiques, il a de nouveau été déclaré le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000042424377">17 octobre 2020</a> pour s’appliquer <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043567200">jusqu’au 1ᵉʳ juin 2021</a>. Ainsi, de nombreuses prorogations, renouvelant l’état d’urgence sanitaire au delà de la limite fixée d’un mois, sont intervenues.</p>
<h2>Que prévoit la loi de gestion de la sortie de crise sanitaire ?</h2>
<p>Aujourd’hui, l’état d’urgence ne s’applique plus. Le 2 juin 2021 est entrée en vigueur la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043567200">loi de gestion de la sortie de crise sanitaire</a>. Elle instaure un régime transitoire pour permettre une sortie de la crise sanitaire « par paliers » : l’idée étant de permettre une progressivité décroissante dans la fin des mesures d’exception.</p>
<p>Cette loi maintient la possibilité d’un <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/article_jo/JORFARTI000043567202">couvre-feu jusqu’au 30 juin</a>. Une autre mesure phare de cette loi est l’instauration d’un <a href="https://www.gouvernement.fr/pass-sanitaire-toutes-les-reponses-a-vos-questions">passe sanitaire</a>. À partir du 9 juin 2021, il sera utilisé pour accéder à des rassemblements ou des événements quand le respect des gestes barrières ne peut pas être assuré. Il consiste en la présentation d’une <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/actualites/A14896">preuve de non-contamination</a> par le coronavirus (attestation de vaccination, test RT-PCR négatif). La loi fournit donc une assise juridique au <a href="https://theconversation.com/certificat-vert-tousanticovid-passeport-sanitaire-la-technologie-peut-elle-nous-aider-a-sortir-de-la-crise-sanitaire-159834">passe sanitaire</a>, cela s’inscrivant dans l’initiative d’un <a href="https://www.vie-publique.fr/en-bref/279133-covid-19-un-certificat-numerique-europeen-au-1er-juillet-2021">passe sanitaire européen</a>. En effet, le 14 juin 2021, l’Union européenne a adopté le <a href="https://www.vie-publique.fr/en-bref/279133-covid-19-un-certificat-sanitaire-europeen-au-1er-juillet-2021">certificat Covid numérique</a>. Il entre en application dans tous les États membres au 1<sup>er</sup> juillet 2021 pour une durée de 12 mois.</p>
<p>En cas de circulation active du virus dans certaines parties du territoire, il peut être nécessaire de reconfiner localement. Dans <a href="https://www.vie-publique.fr/loi/279666-loi-gestion-de-la-sortie-de-crise-sanitaire-etat-durgence-sanitaire">ces cas-là</a>, « il revient au gouvernement de déclarer à nouveau l’état d’urgence sanitaire et au Parlement d’autoriser sa prolongation au-delà d’un mois ».</p>
<p>Le <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2021/2021819DC.htm">Conseil constitutionnel</a> a validé ce régime transitoire ainsi que le passe sanitaire. Cependant, il <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/actualites/communique/decision-n-2021-819-dc-du-31-mai-2021-communique-de-presse">s’est opposé</a> à ce que certaines données récupérées dans le cadre de la lutte contre l’épidémie (coordonnées de contact téléphonique ou électronique) soient intégrées au système national des données de santé.</p>
<h2>La crainte d’un état d’urgence permanent</h2>
<p>Bien que la dénomination de la loi laisse penser que nous ne sommes plus en état d’urgence, les dispositifs prévus s’apparentent à un <a href="https://www.publicsenat.fr/article/parlementaire/covid-19-l-etat-d-urgence-permanent-188017">état d’urgence « light »</a>. En effet, le Premier ministre dispose de prérogatives importantes, très similaires aux mesures pouvant être prises en période d’application de l’état d’urgence sanitaire. Une des grandes différences est l’impossibilité, au regard de ce régime transitoire, de déclarer un confinement généralisé de la population, tel qu’il a pu être fait en <a href="https://www.vie-publique.fr/en-bref/273932-coronavirus-les-mesures-de-confinement">mars 2020</a>. Une telle mesure est possible seulement en période d’application de l’état d’urgence sanitaire.</p>
<p>Bien que, formellement, l’état d’urgence sanitaire ne soit plus appliqué, dans les faits, la loi du 31 mai 2021 sur la gestion de sortie de crise sanitaire s’apparente à un état d’urgence sanitaire ; la dénomination paraît alors <a href="https://www.dalloz-actualite.fr/flash/l-etat-d-urgence-sanitaire-encore-prolonge#.YMD1gC0it-U">légèrement trompeuse</a>.</p>
<p>La <a href="https://www.franceculture.fr/politique/letat-durgence-sanitaire-dun-regime-dexception-a-un-regime-permanent">crainte d’un état d’urgence permanent</a> avait pu être soulevée notamment au regard des nombreuses <a href="http://www.tendancedroit.fr/edito-letat-durgence-permanent/">déclarations et prorogations</a> de l’état d’urgence sanitaire depuis un an et demi. La <a href="https://www.ldh-france.org/letat-durgence-sanitaire-permanent/">Ligue des droits de l’Homme</a> a pu écrire à cette occasion que « recourir à l’état d’urgence dessert voire met en péril la démocratie et altère l’État de droit ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1399700253482356741"}"></div></p>
<p>Il existe aussi une inquiétude vive quant à la <a href="https://www.lepoint.fr/societe/attentats-crise-sanitaire-vit-on-en-etat-d-urgence-permanent-19-02-2021-2414673_23.php">pérennisation de mesures d’exception dans le droit commun</a> au moment de la sortie d’état d’urgence.</p>
<p>Cela a déjà été constaté s’agissant de la sortie de l’état d’urgence sécuritaire en <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000035932811/">2017</a>. Suite aux attentats terroristes de Paris, l’état d’urgence sécuritaire est <a href="https://www.lepoint.fr/societe/fin-de-l-etat-d-urgence-le-pass-sanitaire-finalement-valide-par-l-assemblee-12-05-2021-2426085_23.php">déclaré</a> sur tout le territoire :</p>
<blockquote>
<p>« Mais la levée du dispositif n’a pas pour autant sonné la fin des mesures… Le 31 octobre 2017, la loi dite de <em>lutte contre le terrorisme</em> est venue prendre le relais de l’état d’urgence. Le texte a ainsi permis à plusieurs des outils prévus par ce régime d’être inscrits dans le droit commun ».</p>
</blockquote>
<p>De façon similaire, la loi de gestion de sortie de crise sanitaire inquiète en ce qu’elle permet d’introduire dans le droit commun, bien que temporairement, des mesures d’exception. Le risque est grand : celui d’une accoutumance à l’existence de ces mesures fortement restrictives pour les droits et libertés.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/162101/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Kassandra Goni ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Alors que l’état d’urgence sanitaire s’est achevé le 1ᵉʳ juin dernier, tout semble progressivement revenir à la normale. Mais est-ce vraiment le cas ?Kassandra Goni, Doctorante en droit public, thèse portant sur la protection de la liberté individuelle sous la direction du Pr. HOURQUEBIE, CERCCLE (EA 7436), Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1628752021-06-17T16:57:54Z2021-06-17T16:57:54ZLes communautés en ligne accélèrent l’essor du voyage en solitaire chez les femmes<p>Le « backpacking » est une forme de voyage minimaliste, flexible et indépendant, en général au plus proche des populations locales, avec un objectif de rencontres et de découvertes authentiques. Le terme fait référence au sac porté sur le dos qui symbolise ces voyageurs. Cette pratique peut se faire en groupe mais aussi en solitaire.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/406700/original/file-20210616-3629-73g4o5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/406700/original/file-20210616-3629-73g4o5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/406700/original/file-20210616-3629-73g4o5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=669&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/406700/original/file-20210616-3629-73g4o5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=669&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/406700/original/file-20210616-3629-73g4o5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=669&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/406700/original/file-20210616-3629-73g4o5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=841&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/406700/original/file-20210616-3629-73g4o5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=841&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/406700/original/file-20210616-3629-73g4o5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=841&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.tourdumondiste.com/statistiques-tour-du-monde">Tourdumondiste.com</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En 2018, L’Organisation mondiale du tourisme définissait ce voyage solo comme une <a href="https://www.e-unwto.org/doi/pdf/10.18111/9789284421251">tendance montante</a>. Si la pandémie a frappé, il y a fort à parier que cette pratique reprendra lorsque la situation le permettra. Selon le site tourdumondiste.com, parmi les backpackers, 37 % font le choix de voyager seul·e·s et, parmi ces personnes voyageant seules, plus d’un tiers sont des femmes. D’après une étude de l’Ifop pour l’opérateur Tourlane, leur nombre a <a href="https://www.tourlane.fr/voyage-solo/">pratiquement doublé entre 2014 et 2017</a>.</p>
<p>Cet essor récent du backpacking féminin, tendance historiquement plutôt masculine et popularisée entre autres au XX<sup>e</sup> siècle par des ouvrages comme <em>Sur la route</em> de l’écrivain américain Jack Kerouac, nous a intrigués. Dans le cadre de nos <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03240672/">recherches</a>, nous avons souhaité ainsi savoir ce qui pouvait pousser de plus en plus de femmes à voyager seules.</p>
<h2>Des voyageuses très connectées</h2>
<p>Nous avons tout d’abord constaté que les backpackers étaient généralement actifs sur les réseaux sociaux. Nous avons ainsi observé la création de groupes dédiés sur Facebook ou dans des forums avec la présence de communautés de plus en plus larges.</p>
<p>Nous pouvons, par exemple, citer sur Facebook les groupes <a href="https://www.facebook.com/groups/Voyageraufeminin/">« Voyager au féminin en sac à dos »</a> (88 000 membres), <a href="https://www.facebook.com/groups/wearebackpackeuses/">« We are backpackeuses ! »</a> (139 000 membres) ou <a href="https://www.facebook.com/groups/womenwhotraveltheworld/">« Women who travel »</a> (150 000 membres). En ce qui concerne notre analyse, elle porte sur 2 268 messages échangés entre le 15 septembre 2018 et le 27 octobre 2019 sur le forum de discussion <a href="https://voyageforum.com/forum/voyager-au-feminin">« Voyager au féminin »</a>.</p>
<p>Nous avons d’abord identifié deux axes majeurs de discussion : le premier axe a trait à la recherche d’aide pour la construction du voyage lui-même dans l’espace et dans le temps, ainsi qu’à la maîtrise des aspects budgétaires. Il s’agit ici plus de conseils pratiques sur le déroulement du voyage et le parcours agencé, ainsi que de recherches d’informations liées au coût financier face à telle ou telle option (d’hébergement ou de déplacement principalement).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/406702/original/file-20210616-3862-1ogk5if.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/406702/original/file-20210616-3862-1ogk5if.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/406702/original/file-20210616-3862-1ogk5if.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=257&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/406702/original/file-20210616-3862-1ogk5if.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=257&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/406702/original/file-20210616-3862-1ogk5if.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=257&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/406702/original/file-20210616-3862-1ogk5if.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=322&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/406702/original/file-20210616-3862-1ogk5if.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=322&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/406702/original/file-20210616-3862-1ogk5if.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=322&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Page d’accueil du site Voyageforum.com.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://voyageforum.com">Capture d’écran</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le deuxième axe concerne les messages qui portent sur la quête de liberté et d’autonomie, à l’image du post ci-dessous :</p>
<blockquote>
<p>« Je pars solo pour le fun. Faire exactement ce qu’on a envie de faire, au moment où on en a envie, comme on en a envie. Rien à négocier avec personne. Et selon les destinations, on ne reste pas seule à longueur de journée. On rencontre, on papote, mais aucune contrainte. »</p>
</blockquote>
<p>Cette quête de liberté implique toutefois la question de la sécurité au cours du voyage, qui fait l’objet de nombreuses inquiétudes pour la majorité des futures voyageuses.</p>
<blockquote>
<p>« On m’a parlé d’insécurité pour une femme d’entreprendre un voyage comme celui-ci dans des pays où les drogues peuvent être mises dans notre sac et donc de se retrouver si facilement en prison sans espoir de pouvoir en sortir avant de longues années et la ruine de ses proches… on m’a dit que dans ces pays le viol est chose courante, le meurtre également… »</p>
</blockquote>
<p>L’analyse de ces derniers résultats nous a donc permis de confirmer le grand bénéfice à cette pratique identifiée par la littérature académique : <em>l’empowerment</em>, c’est-à-dire l’augmentation de leur pouvoir, leur autonomie et leur capacité à agir. Le backpacking apparaît en effet comme un processus au cours duquel les femmes peuvent prendre le contrôle de leurs vies, acquérir des connaissances, utiliser et développer des compétences, augmenter leur confiance en soi et <a href="https://doi.org/10.1080/14775085.2016.1176594">acquérir plus d’indépendance</a>.</p>
<h2>« Même pas peur ! »</h2>
<p>Plus précisément, nous relevons des éléments se référant à deux formes d’<em>empowerment</em> : <a href="https://www.onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/1468-2370.00087">l’intellectuel et expérientiel</a>. Ainsi, avant le voyage et pendant le voyage, avec l’aide de la communauté en ligne, les voyageuses acquièrent de nombreuses connaissances, qui leur donnent les ressources nécessaires pour réaliser leur voyage (empowerment intellectuel). En témoigne le message suivant :</p>
<blockquote>
<p>« Oui, cela me prend du courage d’aller en Inde du Nord seule alors je préfère avoir toutes les informations pour être prudente. Les commentaires que je lis ici m’encouragent. J’ai vraiment envie de rencontrer l’Inde du Nord et d’être transformée par son chaos et sa beauté :) »</p>
</blockquote>
<p>Ensuite, au cours du voyage lui-même, les expériences réalisées leur permettent également de « s’empowerer » : elles adoptent alors de nouveaux comportements adaptés et exercent une forme de contrôle sur les situations, tout en trouvant des solutions face aux difficultés rencontrées. Elles puisent donc dans leurs propres ressources pour avancer. Une backpackeuse raconte par exemple :</p>
<blockquote>
<p>« J’avais quand même une trouille bleue, hein, genre j’ai cru faire une crise d’appendicite 2 jours avant le départ juste pour ne pas y aller. Je pensais que j’allais rester enfermée dans ma chambre, que je n’oserais pas sortir de peur de me perdre… et finalement, sur place, bah, même pas peur ! Et pourtant, je me suis perdue plein de fois et j’ai toujours retrouve mon chemin, j’ai vécu un tas d’aventures inoubliables que je n’aurais pas pu vivre si j’avais été accompagnée. Parce qu’on m’aurait empêchée de faire les bêtises que j’ai faites, comme ramasser une mante en pensant que c’était un phasme, grimper une colline pour voir le soleil se coucher et me retrouver coincée en haut dans le noir, les randonnées seule dans des forêts où vivent des ours (ou des serial killers, qui sait ?), etc. Dans les guest houses/auberges de jeunesse (ça aussi, c’était une première, en couple j’allais à l’hôtel), j’ai rencontré des gens de tous les coins du monde, tous super sympas. Et après, forte de cette expérience, j’ai fait des villes/pays que je n’avais pas encore visités. »</p>
</blockquote>
<p>Enfin, nous avons mis au jour une troisième forme d’empowerment : l’empowerment identitaire. Cette forme est basée sur une quête et un enrichissement de soi, qui perdura après le voyage. Cette nouvelle forme d’empowerment s’exprime particulièrement au sein des communautés en ligne à travers la narration des voyages et leurs bénéfices, créant un principe de reconnaissance par les pairs de cette nouvelle identité. Cette démarche singulière permet également aux plus expérimentées d’être une source d’inspiration pour les aspirantes au voyage, qui leur en sont reconnaissantes :</p>
<blockquote>
<p>« Je te remercie XX pour cette suggestion de recherche qui me mène vers d’autres offres de circuits. Tu sembles être une globe-trotteuse aguerrie ! »</p>
</blockquote>
<p>En conclusion, le voyage en solo apparaît comme une démarche d’empowerment pour tous, hommes et femmes, mais présentant quelques spécificités pour le genre féminin, car cela implique de s’affranchir des normes de genre, d’anticiper et de gérer des risques particuliers à la condition féminine. Pour cela, les communautés en ligne apparaissent comme un soutien, où la sororité s’exerce à plein pour que chacune gagne en empowerment lors des différentes étapes du voyage (avant, pendant et après).</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/162875/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les réseaux affinitaires sur le « backpacking » favorisent l’« empowerment » des voyageuses qui sont de plus en plus nombreuses à se lancer seules sur les routes.Magali Trelohan, Enseignante-chercheuse, Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA)Joëlle Lagier, Professeur émérite en marketing, ExceliaNathalie Montargot, Contributrice de la revue académique Questions de Management et Professeur Associée, ExceliaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1616952021-05-31T19:10:37Z2021-05-31T19:10:37ZAu travail, jouer oui, « gamifier » non !<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/403141/original/file-20210527-23-1wm4wqm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1280%2C852&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En suivant certains principes, introduire le jeu au travail devient plus qu’un coup de poker pour motiver une équipe…
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Gamification_techniques_3.jpg">Wikimedia Commons</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Quoi de mieux que le jeu pour faire du lieu de travail un endroit où trouver son bien-être personnel ? La vie organisationnelle ne semble en effet plus se cantonner uniquement à la question du travail. La génération Y, qui désigne les personnes nées entre le début des années 1980 et la fin des années 1990, montre en particulier sa volonté d’équilibrer le travail avec la liberté et le lien social.</p>
<p>Une nouvelle tendance a ainsi fait son apparition dans les organisations modernes : la « gamification », de l’anglais « game », le jeu, terme parfois traduit en français par « ludification ». L’objectif ? Utiliser les principes du jeu pour rendre le travail plus agréable et, par la même, améliorer l’implication des employés.</p>
<p>Des auteurs indiquent que cette méthode a des <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/0170840616663242?casa_token=fFp5dHY77j8AAAAA%3A8KHPy6mXFLAGzEfXfbg3Ypb0vNVfsTBCMKkNxTlYSq-m-GlDYebfvG-fpQyO6G-_A64JYCKZ_QIG&https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/0170840616663242?casa_token=fFp5dHY77j8AAAAA%3A8KHPy6mXFLAGzEfXfbg3Ypb0vNVfsTBCMKkNxTlYSq-m-GlDYebfvG-fpQyO6G-_A64JYCKZ_QIG&">effets bénéfiques sur la motivation</a>, l’humeur, l’apprentissage et l’innovation des employés. D’autres, au contraire, mettent en avant des effets néfastes : la gamification peut engendrer de la <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2277103">résistance de la part des employés</a>, notamment lorsqu’elle est imposée par certaines directions afin d’améliorer la productivité des employés. Après tout, l’obligation de jouer s’apparente moins à une partie de plaisir qu’à une manipulation et une exploitation managériale. Le jeu est alors ressenti comme <a href="http://citeseerx.ist.psu.edu/viewdoc/download?doi=10.1.1.1029.4514&rep=rep1&type=pdf">inauthentique et faux</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1354368766856073216"}"></div></p>
<p>Jeu et gamification se distinguent dans la mesure où le premier suppose la liberté et l’inutilité. Le jeu, tel que décrit par les anthropologues et les philosophes, constitue une activité volontaire et libre, pratiquée par pur plaisir et non à des fins instrumentales. Rendre obligatoire ou imposer le jeu, comme dans la gamification, avec l’intention d’améliorer la productivité du travail, le prive ainsi de son essence principale, l’altère et suscite souvent le cynisme des employés.</p>
<p>S’ils y ont recours, les managers doivent donc cultiver de façon ingénieuse un environnement au sein duquel le jeu peut émerger organiquement. Dans le cadre nos propres recherches, nous avons constaté que le jeu, quand il est libre et volontaire, a des effets positifs sur un élément essentiel : la <a href="https://journals.aom.org/doi/abs/10.5465/ambpp.2016.11579abstract">créativité du groupe</a>.</p>
<h2>Le brocoli et le chocolat</h2>
<p>Nos quatre recommandations pour construire cet environnement se fondent sur des travaux de recherche et un entretien réalisé avec Rajnish Kumar, co-fondateur et directeur des nouvelles technologies d’<a href="https://www.ixigo.com/about/more-info/">Ixigo</a>. Dans cette entreprise indienne spécialisée dans le commerce électronique de voyage, « jouer » fait partie du quotidien de l’organisation.</p>
<p>Comme nous l’écrivions précédemment, il s’agit tout d’abord d’<strong>éviter de corrompre l’essence du jeu</strong> pour qu’il s’engage de manière libre et volontaire. Google constitue un <a href="https://www.nytimes.com/2013/03/16/business/at-google-a-place-to-work-and-play.html">exemple typique</a> de ce principe. Les bureaux du géant américain ressemblent à un terrain de jeu pour adultes, où celui-ci est encouragé, mais pas obligatoire.</p>
<p>Comme l’explique par ailleurs Rajnish Kumar :</p>
<blockquote>
<p>« La clé, c’est la liberté : personne n’est obligé de jouer et il n’y a pas de temps dédié au jeu. Les collaborateurs savent, à partir du moment où ils nous rejoignent, que nous aimons nous amuser et qu’il est normal que n’importe qui, ici, s’amuse et joue ».</p>
</blockquote>
<p>Deuxième élément qui ressort, la <strong>liberté et l’autonomie dans la conception du travail</strong>. Le sentiment de liberté est un besoin humain important. Une surveillance excessive des employés ainsi que des règles et des processus rigides étouffent le sentiment d’autonomie et l’épanouissement personnel des employés. Introduire le jeu en l’absence d’autonomie dans la manière dont le travail s’avèrera donc probablement infructueux.</p>
<p>En effet, les organisations qui donnent aux employés la liberté de choisir, au moins une partie de leur travail et la façon dont ils le conduisent, font état d’un sentiment de bien-être plus élevé et d’une créativité renforcée chez leurs employés.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/403176/original/file-20210527-18-bp3ef0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/403176/original/file-20210527-18-bp3ef0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/403176/original/file-20210527-18-bp3ef0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/403176/original/file-20210527-18-bp3ef0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/403176/original/file-20210527-18-bp3ef0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/403176/original/file-20210527-18-bp3ef0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/403176/original/file-20210527-18-bp3ef0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/403176/original/file-20210527-18-bp3ef0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Dans l’entreprise indienne Ixigo, les collaborateurs sont libres de jouer quand bon leur semble.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ixigo (D.R.).</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>C’est le constat que dresse Rajnish Kumar chez Ixigo :</p>
<blockquote>
<p>« Nous pensons que les règles et les processus étouffent la créativité. Nos programmeurs choisissent une partie substantielle de leur travail en fonction de leur intérêt actuel ».</p>
</blockquote>
<p>Autres exemples, <a href="https://cdn.cloudflare.steamstatic.com/apps/valve/Valve_NewEmployeeHandbook.pdf">Valve</a>, une entreprise de création de jeux vidéo, donne aux employés la liberté de choisir le projet sur lequel ils souhaitent travailler. Chez Google, les employés consacrent 20 % de leur temps pour mener à bien un projet qui leur plaît.</p>
<p>En d’autres termes, introduire le « jeu » au travail sans prêter attention à la conception du travail en amont équivaudrait à <a href="https://www.cc.gatech.edu/fac/Amy.Bruckman/papers/bruckman-gdc99.pdf">« brocoli enrobé de chocolat »</a>, pour reprendre l’expression du chercheur américain Amy Bruckman. Dans ce cas, le jeu ne viendrait que comme une enveloppe peinant à faire oublier le cœur des véritables problématiques. Les employés percevraient alors le jeu comme « des paroles en l’air » et sa pratique ne leur profiterait pas.</p>
<h2>Significatif et sérieux</h2>
<p>Un autre principe de management qui nous semble important est de <strong>rendre le travail significatif pour les employés</strong>. Jouer au travail n’a de sens que lorsque les salariés considèrent que leur activité possède une certaine importance et sert à des fins essentielles. Ceux-ci sont alors davantage susceptibles de se mettre au travail et d’éprouver un plus grand sentiment de bien-être.</p>
<p>Une enquête menée auprès de plus de 2 000 professionnels issus de 26 secteurs économiques aux États-Unis a ainsi montré que <a href="https://www.hbrfrance.fr/chroniques-experts/2019/02/24564-neuf-personnes-sur-dix-sont-pretes-a-gagner-moins-en-echange-dun-travail-plus-gratifiant">9 personnes sur 10</a> étaient prêtes à gagner moins d’argent en échange d’un travail plus gratifiant. Avant d’inclure le jeu au travail, les managers doivent donc s’assurer que les employés perçoivent leur travail comme ayant du sens. Lorsque le travail paraît intrinsèquement important et que les travailleurs s’engagent pour eux-mêmes et pas seulement pour gagner de l’argent, alors le travail lui-même peut être vécu comme un jeu.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/403142/original/file-20210527-20-13r9i3q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/403142/original/file-20210527-20-13r9i3q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/403142/original/file-20210527-20-13r9i3q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/403142/original/file-20210527-20-13r9i3q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/403142/original/file-20210527-20-13r9i3q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/403142/original/file-20210527-20-13r9i3q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/403142/original/file-20210527-20-13r9i3q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/403142/original/file-20210527-20-13r9i3q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">À condition de bien communiquer, jouer n’empêche pas de prendre son travail au sérieux.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Gamification_techniques_8.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Il s’agit enfin de <strong>communiquer pour faire comprendre aux employés que jouer au travail est acceptable et même valorisé</strong>. La clé est alors d’établir un <a href="http://courses.bloodedbythought.org/play/images/7/7e/Bateson%2C_Gregory_A_Theory_of_Play_and_Fantasy.pdf">« cadre de jeu »</a>, dans lequel le travail est considéré comme quelque chose de ludique. Par conséquent, on ne compromet pas le sérieux du travail qui peut même produire le même « effet captivant » que le jeu.</p>
<p>Nos recherches invitent donc à prendre en considération non seulement la façon dont les gens peuvent jouer d’une manière qui profite au travail, mais également dont ils peuvent travailler d’une manière qui favorise le jeu.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/161695/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Introduire le jeu au travail peut apporter des bénéfices à l’organisation et aux salariés, à condition de ne pas corrompre son essence même : être une activité libre et volontaire.Jinia Mukerjee, Professeur assistant, département de gestion du développement durable, Montpellier Business SchoolLyndon Garrett, Assistant Professor, Management and Organization Department, Boston CollegeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1611042021-05-18T17:32:13Z2021-05-18T17:32:13ZRéouverture des terrasses : doit-on craindre les excès ?<p>L’agitation autour de la réouverture des terrasses de cafés, ou les atermoiements suscités par le coup d’arrêt porté aux rassemblements festifs en tout genre, rappelle l’importance de ces lieux de fêtes et de rencontre. Ceux-ci font également l’objet de spéculations, et même de peurs qui, d’une manière ou d’une autre, pèsent sur les restrictions qui les traversent actuellement.</p>
<p>L’une de ces peurs sociales est celle liée à l’alcoolisation de la jeunesse, et des jeunes femmes en particulier. Mais contrairement aux idées reçues, les travaux sociologiques depuis une vingtaine d’années montrent à la fois la grande responsabilité de ces jeunes consommateurs, y compris dans les épisodes d’ivresse importante, mais aussi les convergences contrastées entre alcoolisation des hommes et des femmes.</p>
<h2>Dangereuse jeunesse ?</h2>
<p>Dès lors qu’il est question de fête et d’alcool, sont fréquemment pointés du doigt deux publics : les « jeunes » de manière générale et les femmes en particulier. Le <em>bingedrinking</em> (ou alcoolisation massive et rapide), au cœur de l’actualité festive <a href="https://www.editions-eres.com/nos-auteurs/109021/le-pajolec-sebastien*">depuis le tournant des années 2000</a> est ainsi fréquemment présenté comme leur nouveau – voire unique – modèle de consommation.</p>
<p>Cette association entre alcoolisation problématique et jeunesse remonte plus loin encore, aux années 1980, et succède dans les représentations médiatiques à <a href="https://www.editions-eres.com/nos-auteurs/109021/le-pajolec-sebastien">l’alcoolisme ouvrier</a>. Nouvelle classe dangereuse, la jeunesse contemporaine est désignée comme incontrôlable et immature.</p>
<p>Pourtant, et alors que ces consommations d’alcool sont fréquemment présentées sous l’angle de la prise de risque délibérée et inconsciente, plusieurs recherches attestent au contraire de dispositifs de contrôle collectif et d’autocontrôle, qui ne sont toutefois pas <a href="http://presses.parisnanterre.fr/?p=4985">sans faille</a>. De nombreuses jeunes femmes ne s’autorisent par exemple ces alcoolisations massives que dans des groupes qu’elles estiment sûrs, ou en évitant certains lieux. Dans les collectifs de jeunes fêtardes, les femmes les plus enivrées font d’ailleurs l’objet d’une attention particulière, quand elles ne sont pas prises en charge et veillées par le groupe.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/401328/original/file-20210518-23-5jg92i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/401328/original/file-20210518-23-5jg92i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/401328/original/file-20210518-23-5jg92i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/401328/original/file-20210518-23-5jg92i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/401328/original/file-20210518-23-5jg92i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/401328/original/file-20210518-23-5jg92i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/401328/original/file-20210518-23-5jg92i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Jeunes filles lors d’un festival de musique : le groupe protège très souvent les individus enivrés.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://pxhere.com/fr/photo/1555441">Pxhere</a></span>
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<p>Ces consommations sont présentées par le monde adulte comme une réponse aux supposées monotonies sociales et à la perte d’idéaux ou de repères. Ce mythe de la jeunesse à la dérive prend ainsi fréquemment la forme de faits divers dramatiques. Et dans ce cadre, les mentions fréquentes des sexualités à risques ne sont pas anodines : l’alcoolisation comme la sexualité renvoient à d’importantes <a href="https://www.cairn.info/revue-agora-debats-jeunesses-2012-1-page-121.htm">angoisses du monde adulte</a> vis-à-vis de sa jeunesse.</p>
<h2>Sous de nouveaux habits, des peurs anciennes</h2>
<p>Les jeunes femmes sont l’objet d’une attention toute particulière. Au Royaume-Uni, la figure de la <em>ladette</em> (féminisation du terme argotique <em>lad</em> – gars) s’est ainsi imposée ces dernières années, s’accompagnant le plus souvent de l’image de la <em>drunkeness in a dress</em> (littéralement : « alcoolisation en robe »). Dans cette représentation, les <a href="https://academic.oup.com/shm/article/22/3/597/1729275?searchresult=1">consommations des femmes se rapprocheraient de celles de hommes</a> pour devenir problématiques.</p>
<p>Cette représentation n’est pas sans écho de notre côté de la Manche et ce qu’il faut bien appeler une panique morale ne fait que réactiver, sous de nouveaux habits, des peurs anciennes.</p>
<p>Dans les médias populaires, la représentation problématique de la « fille moderne » pendant l’entre-deux-guerres en Angleterre n’est pas sans rappeler la <em>ladette</em> contemporaine : une consommatrice excessive d’alcool ayant une <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1111/j.1467-954X.2007.00704.x">attitude tapageuse</a>.</p>
<p>En France, dès les années 1960, l’augmentation de la consommation d’alcool chez les femmes était déjà un <a href="https://www.cairn.info/femmes-et-hommes-dans-le-champ-de-la-sante--9782859526498-page-51.htm">sujet d’inquiétude</a> et prenait sens dans le contexte des craintes plus larges liées aux transformations de la place des femmes dans la société. Et là encore, cette augmentation était considérée sous ses auspices moralisatrices, soulignant leur possible déchéance ou leur perte de respectabilité. Consommatrice d’alcool, comme l’homme, la femme n’était supposément plus à même d’assurer les tâches qui lui étaient traditionnellement attachées au sein du foyer.</p>
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<figcaption><span class="caption">INA, 1987, les femmes « alcooliques ».</span></figcaption>
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<h2>La consommation globale d’alcool baisse en France</h2>
<p>La mise en parallèle de ces représentations sociales avec les réalités sociologiques de ces consommations est riche d’enseignements. Si la plupart des observateurs s’accordent à reconnaître une relative homogénéisation des pratiques de consommation d’alcool en Europe, et en particulier chez les jeunes, et une convergence entre les hommes et les femmes, ces tendances doivent toutefois être considérées avec précaution.</p>
<p>Ainsi, la <a href="https://www.bfmtv.com/economie/consommation/le-spectaculaire-declin-de-la-consommation-d-alcool-des-francais_AN-202002280076.html">consommation globale baisse en France</a>, y compris chez les jeunes, au point d’avoir été divisée par deux entre 1960 et 2018. Comme le rappelle une <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/4319377#titre-bloc-13">étude de l’Insee</a>, depuis 1960, la consommation de boissons alcoolisées par habitant a fortement diminué, en particulier celle de vins courants et de cidres.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/401324/original/file-20210518-17-w4jz2k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/401324/original/file-20210518-17-w4jz2k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/401324/original/file-20210518-17-w4jz2k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/401324/original/file-20210518-17-w4jz2k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/401324/original/file-20210518-17-w4jz2k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/401324/original/file-20210518-17-w4jz2k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/401324/original/file-20210518-17-w4jz2k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’alcool comme la vie nocturne symbolise aussi la liberté et la distance avec le monde adulte.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/photos/la-bi%C3%A8re-cheers-coucher-de-soleil-839865/">Pixabay</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span>
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<p>Et nos pratiques de consommation se sont largement modifiées. À l’échelle européenne, l’observation de ces tendances est d’ailleurs révélatrice. Les pays relevant du pourtour méditerranéen comme la France ou l’Italie, historiquement caractérisés par une consommation intégrée à la vie quotidienne, modérée mais fréquente (et que <a href="https://www.routledge.com/Youth-Drinking-Cultures-European-Experiences/Jarvinen-Room/p/book/9781138273504">certains chercheurs</a> appellent « wet drinking culture ») font ainsi face à une diminution globale de leurs consommations, qui sont de moins en moins quotidiennes. Les pays du nord de l’Europe (<em>dry drinking culture</em>), où l’alcool est plus épisodique mais consommé en de larges quantités, voient à l’inverse leurs consommations globales augmenter.</p>
<h2>Un espace de liberté</h2>
<p>Chez les plus jeunes générations, ces convergences relatives sont davantage marquées, et se présentent sous la forme d’un <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0264550504048220">hédonisme calculé</a> où le flirt avec les limites, corporelles notamment, rend compte de tensions entre discipline et divertissement. En dépit des apparences, les ivresses importantes ne sont ainsi et le plus souvent pas effectuées n’importe où, ni avec n’importe qui par ces jeunes consommateurs. L’ébriété n’est ainsi pas sans règle.</p>
<p>Le développement dans les centres-villes d’une économie de la nuit encourage d’ailleurs cet imaginaire marqué par la prise de risque et le refus des responsabilités : par opposition au monde du travail ou des études, aux structures censément contraignantes, les conduites nocturnes offriraient un espace de liberté et d’évasion, voire un exutoire.</p>
<p>Il n’est ainsi pas étonnant que la réouverture prochaine des terrasses – mais aussi le prolongement du couvre-feu et donc la possibilité de s’approcher d’une vie nocturne – fassent l’objet d’une telle attente. Ils représentent cet imaginaire de liberté largement malmenée ces derniers mois.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/161104/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yannick Le Henaff a reçu des financements de Institut de Recherche en Santé Publique; Institut National du Cancer; Fondation Maladies Rares; Fondation pour la Recherche en Alcoologie. </span></em></p>La réouverture des bars et terrasses réactive la vie sociale mais aussi la crainte d’une forte alcoolisation de la jeunesse : or la recherche montre que celle-ci est plus responsable que l’on croit.Yannick Le Henaff, Maitre de conférence en sociologie, Université de Rouen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1561532021-03-07T19:29:01Z2021-03-07T19:29:01ZStatut des femmes au Maroc : la complexité d’une évolution en marche<p>Au moment où l’actualité au Maroc est marquée par la campagne <a href="https://twitter.com/MoroccanOutlaws/status/1361279847062978563">#STOP490</a>, lancée en février 2021 par le <a href="https://www.cairn.info/revue-l-homme-et-la-societe-2019-1-page-9.htm">collectif</a> « Hors la Loi », fondé en 2019 pour demander notamment la dépénalisation des relations sexuelles hors mariage, et que demeure ouverte depuis plus de deux ans la <a href="https://secure.avaaz.org/community_petitions/fr/Appel_Pour_labrogation_de_lheritage_par_tasib_au_Maroc/?zbBVCbb">demande</a> de changement de la loi relative à l’héritage des femmes au Maroc, se pose plus que jamais la question du modèle de société attendu par une partie de plus en plus audible de la société marocaine.</p>
<p>À cette question vient s’ajouter celle, sous-jacente, de l’articulation entre islam et modernité au Maroc – un pays où, de par la Constitution, l’islam est religion d’État.</p>
<h2>Une réforme en faveur des droits des femmes et de l’enfant</h2>
<p>Les indicateurs montrent des avancées encourageantes en matière de statut des femmes au Maroc depuis les années 2000, y compris concernant leurs droits au sein de la famille, avec en premier lieu la réforme du <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-de-droit-international-prive-2014-2-page-247.htm">Code de la famille</a> de février 2004, qui avait répondu à une attente nationale forte, en écho avec le mouvement international considérant la lutte contre les inégalités hommes-femmes comme facteur de développement et de cohésion sociale, à l’aune notamment du <a href="https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/gender-equality/">5ᵉ objectif</a> des Objectifs de développement durable 2015-2030 de l’ONU, relatif à l’égalité entre les sexes.</p>
<p>Cette réforme avait consacré l’égalité entre les époux dans la direction du foyer, à travers leur coresponsabilité au sein de la famille – et, par là même, la disparition du concept de l’homme chef de famille.</p>
<p>De plus, elle avait instauré le droit de la femme à demander le divorce, une prérogative auparavant uniquement réservée aux hommes par le biais de la répudiation ; la possibilité du divorce pour mésentente ; la fixation de l’âge du mariage à 18 ans pour filles et garçons ; l’abolition de la tutelle sur la femme majeure, lui permettant de se marier sans l’accord d’un tuteur.</p>
<h2>Un processus prometteur en marche</h2>
<p>Cette réforme avait également touché l’intérêt de l’enfant, en permettant pour la première fois en matière d’héritage aux petits-enfants du côté de la fille d’hériter de leur grand-père, au même titre que les petits-enfants du côté du fils. Autoriser les petits-enfants de la fille d’hériter de leur grand-parent maternel avait constitué une innovation de la loi marocaine, y compris par rapport à la loi islamique.</p>
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<figcaption><span class="caption">Maroc : les droits des femmes encore à conquérir.</span></figcaption>
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<p>Le code de 2004 avait également établi pour la première fois le droit de l’enfant illégitime à la reconnaissance de sa paternité dans le cas où il serait né d’une relation hors mariage en raison de force majeure, élargissant le champ des preuves légales à présenter au juge, alors qu’auparavant, la règle était la non-reconnaissance systématique de l’enfant né hors mariage.</p>
<p>Cette réforme avait été perçue comme une libération de la femme marocaine du statut de « subordonnée », et de « mineure à vie », qu’elle avait auparavant, et avait eu le mérite de montrer que les mentalités au Maroc n’étaient pas restées figées dans le passé, offrant l’espoir de nouvelles réformes à venir. Elle avait eu le mérite, aussi, d’avoir eu un rôle d’accélérateur du changement, démystifiant l’idée longtemps dominante selon laquelle il était très difficile, voire, inconcevable, de réformer le code marocain de la famille, perçu comme un corpus « sacré » en raison du fait qu’il puise sa source principale du rite malékite sunnite musulman.</p>
<h2>Inadéquations entre mutation sociale et lois en vigueur</h2>
<p>Si la mise en place des réformes et les progrès réalisés pour combattre les discriminations basées sur le genre sont en marche, des déséquilibres perdurent, et des chantiers restent ouverts pour consolider et généraliser la matérialisation de l’égalité hommes-femmes au Maroc ainsi que la protection des droits des femmes, plus en conformité avec l’article 19 de la <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-droit-constitutionnel-2012-3-page-511.htm">Constitution de 2011</a> qui consacre le principe d’égalité sur le plan des droits pour tous les Marocains.</p>
<p>Pour exemple, en matière d’héritage, si les règles demeurent presque les mêmes quatorze siècles après l’avènement de l’islam, il est difficile de nier que l’état d’esprit de solidarité qui les justifiait au temps du prophète, consistant notamment en la prise en charge des femmes par les hommes de leur famille, règle sociale incontournable durant des siècles, a évolué vers plus d’individualisme dans la société marocaine contemporaine.</p>
<p>En effet, cette dernière, en quelques décennies, est passée d’une structure traditionnelle de nature patriarcale et tribale à la famille nucléaire de plus en plus urbanisée, dans laquelle la femme s’autonomise par le travail et contribue financièrement à la marche du foyer. Dans son « Rapport sur la Parité », publié en octobre 2015, le <a href="https://morocco.unwomen.org/fr/actualites-evenements/actualites/2015/10/rapportcndh">Conseil national des droits de l’homme (CNDH)</a> avait estimé que « la législation successorale inégalitaire participe à augmenter la vulnérabilité des femmes à la pauvreté ».</p>
<h2>Lois matrimoniales en lien avec le religieux</h2>
<p>Autre exemple d’inégalités en droits, le mariage entre une femme marocaine musulmane et un non-musulman non converti à l’islam n’est pas permis en droit marocain. <a href="https://www.lepoint.fr/societe/pour-se-marier-a-une-marocaine-un-francais-devait-attester-de-sa-conversion-a-l-islam-07-01-2012-1416384_23.php">Une règle</a> qui ne s’applique pas à l’homme marocain, qui peut épouser une femme des trois religions du livre sans obligation de conversion à l’islam. Si la femme marocaine musulmane épouse – hors du Maroc – un non-musulman non converti à l’islam, les enfants nés de cette union sont considérés comme des enfants non légitimes au regard de la loi marocaine, qui ne reconnaît pas cette union.</p>
<p>Cette situation est considérée par nombre de Marocaines et de Marocains comme étant non conforme à la Constitution de 2011, dont l’article 19 consacre l’égalité en droits entre tous les citoyens indistinctement de leur genre. Se trouve ainsi posée la question d’offrir un statut juridique plus juste aux femmes marocaines qui épousent des non-musulmans et aux enfants nés de ces unions, et par extension, la question d’une éventuelle reconnaissance des mariages civils contractés à l’étranger entre une femme marocaine musulmane et un non-musulman non converti à l’islam, afin de trouver une issue équitable à une situation juridiquement et socialement inconfortable.</p>
<h2>Le mariage des mineures</h2>
<p>Par ailleurs, le contexte social et éducatif, ainsi que l’application imparfaite de certaines dispositions du Code de la famille, restent un frein à la concrétisation de l’égalité entre les sexes au Maroc.</p>
<p>Ainsi, l’application du Code de la famille se heurte encore aujourd’hui à des difficultés sur le terrain, notamment en zone rurale en ce qui concerne le <a href="https://theconversation.com/le-mariage-des-mineurs-en-afrique-du-nord-il-reste-encore-beaucoup-a-faire-125910">mariage des mineures</a>. En dépit de la fixation de l’âge de la majorité matrimoniale à 18 ans pour les deux sexes lors de la réforme du Code de la famille de 2004, 9 % des mariages contractés au Maroc pour l’année 2018 étaient des mariages de mineurs. 90 % concernaient des filles, alors même que le Code de la famille ne prévoit de dérogation par voie judiciaire avant 18 ans qu’à titre exceptionnel, et en tenant compte en priorité de l’intérêt de la mineure, à la lumière d’une enquête sociale, encore rarement appliquée.</p>
<p>Les statistiques montrent aussi que l’avis favorable des juges sur les demandes de dérogation est autour de 90 %, et il est à supposer que le consentement de la mineure pour se marier ne va pas de soi. Une campagne nationale sur le mariage des mineures avait été lancée en mars 2019 par le CNDH, dans le but de mobiliser toutes les parties prenantes autour de ce phénomène inquiétant. Les associations demandent aujourd’hui une révision du Code de la famille en supprimant toute possibilité de mariage des mineurs, et des partis politiques se sont également emparés de la question en soumettant récemment un projet de loi visant à l’interdire.</p>
<h2>Inégalité d’accès au marché de l’emploi et paradoxes</h2>
<p>Sur le terrain, d’autres sources d’inégalités sont liées au fait que les femmes sont faiblement intégrées au marché de l’emploi formel, puisque seulement 22 % des <a href="https://www.cairn.info/femmes-economie-et-developpement--9782749212982-page-85.htm">femmes travaillent</a>. Elles sont davantage exposées au chômage, structurellement plus élevé que le chômage masculin : 14 % contre 7 % pour les hommes selon le Haut Commissariat au Plan.</p>
<p>De plus, 18,4 % des ménages au Maroc sont dirigés par des femmes, dont 22 % vivant seules, et dont une majorité sont sans qualification. De plus, sept femmes chefs de ménage sur dix sont veuves ou divorcées, 65,6 % parmi elles sont illettrées et la majorité (75 %) est inactive.</p>
<p>Paradoxalement, à côté de ces réalités difficiles, l’Unesco relève dans son dernier rapport sur la science publié le 11 février 2021 que le Maroc, à l’instar d’autres pays arabes, compte un pourcentage important de femmes diplômées en ingénierie (42,2 %), alors qu’il est très faible dans le monde, y compris dans les pays de l’OCDE, avec des taux qui n’atteignent pas les 28 % (20 % aux USA, 26 % en France, 14 % au Japon).</p>
<p>On peut dire que, malgré des réalisations prometteuses au niveau de l’émancipation des femmes par le travail – y compris informel – et par les droits nouveaux dont elles bénéficient, de nombreuses inégalités persistent entre les hommes et les femmes au Maroc.</p>
<h2>L’égalité à l’épreuve des résistances culturelles</h2>
<p>Pour ajouter à cette complexité, chacun peut constater que, pas seulement au Maroc mais partout, les mentalités ont la peau dure, en cela qu’elles mettent plus de temps à évoluer que les lois.</p>
<p>En effet, les Marocaines doivent faire face aux inégalités en matière d’héritage ; à l’existence de diverses formes de violences faites aux femmes en dépit d’une loi dédiée (loi 103.13 de février 2018). En ce qui concerne le marché de l’emploi, la représentation des femmes dans les instances politiques et dans les instances décisionnelles dans les entreprises reste encore faible et l’intégration des femmes dans le marché du travail formel est lente. Les disparités salariales ; l’éducation des filles dans le monde rural ; la déscolarisation et les chiffres encore élevés des mariages des filles mineures rendent plus difficile l’émancipation des femmes au Maroc.</p>
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<figcaption><span class="caption">Libertés sexuelles au Maroc : l’appel de 490 personnalités.</span></figcaption>
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<p>S’ajoutent à cela la situation des mères célibataires, et la persistance des assignations des femmes dans des rôles socialement pré-établis et de certaines attitudes misogynes visant à contrôler la femme dans son corps, sa parole ou dans ses mouvements. Les perceptions méfiantes qui perdurent concernant l’idée de la « libération de la femme » dans l’imaginaire collectif à dominance patriarcale font que, comme le souligne l’historienne Michelle Perrot, « les chemins qui mènent vers l’égalité sont interminables ».</p>
<p>Les femmes, comme la jeunesse marocaine, souhaitent incarner leur rôle au sein de la société et s’inscrire dans le développement du pays. La poursuite des réformes juridiques protectrices des droits des femmes et des libertés individuelles est très attendue, comme le montrent les campagnes actuellement portées par la société civile.</p>
<h2>Interprétation des textes religieux et évolution des lois</h2>
<p>Les débats en cours à ce propos touchent inévitablement à l’articulation entre les idées de liberté et d’égalité, et l’islam, religion d’État au Maroc.</p>
<p>Si les uns les voient parfaitement en cohérence, à la condition d’une lecture égalitariste et contextualisée des textes sacrés de l’islam qu’ils considèrent comme favorable au statut de la femme et des libertés en général ; d’autres défendent l’idée de lois régissant la vie privée, indépendantes de toute source religieuse.</p>
<p>D’autres encore avancent l’argument de l’immuabilité du Coran pour défendre une exégèse (« ijtihad ») très orthodoxe, et justifier ainsi leur résistance au changement des lois dès lors qu’elles touchent aux libertés individuelles et à l’égalité des sexes. Il est intéressant de relever que « ijtihad » en arabe, provient du verbe « ijtahada » qui signifie « s’efforcer ». L’interprétation serait un acte qui découle d’un effort, elle ne vient pas de soi, ne coule pas de source. S’efforcer à interpréter donc. Surtout lorsque la question du modèle de société en est l’enjeu.</p>
<hr>
<p><em>L’autrice est intervenante au colloque <a href="https://www.collegedesbernardins.fr/recherche/femmes-et-religions-en-mediterranee">Femmes et religions en Méditerranée</a> du Collège des Bernardins.</em></p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/214295/original/file-20180411-540-1kr15nd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/214295/original/file-20180411-540-1kr15nd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=318&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/214295/original/file-20180411-540-1kr15nd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=318&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/214295/original/file-20180411-540-1kr15nd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=318&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/214295/original/file-20180411-540-1kr15nd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=399&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/214295/original/file-20180411-540-1kr15nd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=399&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/214295/original/file-20180411-540-1kr15nd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=399&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em><a href="https://www.collegedesbernardins.fr/">Le Collège des Bernardins</a> est un lieu de formation et de recherche interdisciplinaire. Acteurs de la société civile et religieuse entrent en dialogue autour des grands défis contemporains, qui touchent l’homme et son avenir</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/156153/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hakima Fassi Fihri ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le Maroc connaît des mutations sociales, notamment en matière de droits des femmes. Les lois en vigueur restent toutefois souvent inégalitaires, poussant les Marocaines à poursuivre leurs combats.Hakima Fassi Fihri, Coordinatrice opérationnelle du projet européen 4EU+ / Chercheure en droit de la famille et féminisme dans le monde arabo-musulman, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1525932021-01-07T20:12:08Z2021-01-07T20:12:08ZDébat : La pandémie a-t-elle eu raison de l’esprit des Lumières ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/377585/original/file-20210107-19-szno1g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C97%2C1170%2C677&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Anicet-Charles-Gabriel Lemonnier,
Une lecture de la tragédie de Voltaire "L'orphelin de la Chine" dans le salon de Madame Geoffrin, 1812.</span> </figcaption></figure><p>« On se rendra compte que les conséquences économiques, sociales, psychologiques de [la Covid] seront équivalentes à celles d’une guerre » déclarait le président de la République le 16 décembre 2020 en écho à <a href="https://www.lepoint.fr/video/interview-exclusive-emmanuel-macron-et-le-choix-des-mots-16-12-2020-2406195_738.php">son discours du 16 mars lorsqu’éclatait l’épidémie</a>.</p>
<p>À première vue, rien n’a changé, ou presque. L’économie est devenue la caricature d’elle-même : les inégalités ont explosé, les GAFAM, soit seulement cinq entreprises, représentent 7 300 milliards de dollars soit autant que <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/11/06/toute-fragilisation-des-gafam-menacerait-les-deficits-les-retraites-le-dollar_6058744_3234.html">l’ensemble des entreprises cotées de la zone euro</a>, la bourse américaine après avoir plongé est remontée en flèche et a dépassé son niveau d’avant Covid. Dans le même temps, des millions de travailleurs indiens dans une situation de pauvreté extrême ont rejoint leur état natal dans une migration dantesque, en avril et en mai, <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/revue-de-presse-internationale/la-revue-de-presse-internationale-emission-du-mardi-05-mai-2020">au début de la pandémie</a>.</p>
<p>Demain, le vaccin devrait nous sortir de cette crise sanitaire. Les conséquences se résumeront-elles à quelques changements d’habitudes, davantage de télétravail et moins de déplacements professionnels, ou est-ce vraiment un choc systémique du même ordre qu’une guerre comme l’indique le président de la République ?</p>
<p>Jean‑Luc Marion, <a href="https://www.franceculture.fr/personne-jean-luc-marion.html">philosophe et phénoménologue</a> déclarait au micro de Guillaume Erner aux matins de France culture, le 25 décembre 2020, qu’il ne s’agissait pas d’abord d’une crise sanitaire, mais politique. Il soulignait que la maladie n’est pas la peste noire : les populations ne sont pas décimées à un tiers, ce n’est pas le choléra comme au XIX<sup>e</sup> siècle à Marseille. Ce qui est inquiétant, ce sont les effets induits. Et l’une des conséquences les plus incroyables de la pandémie : toutes les libertés individuelles auxquelles nous avons renoncé – certes pour la bonne cause. On a collectivement <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/linvitee-des-matins/croyances-de-linvention-de-dieu-a-la-modernite">lâché ces libertés individuelles sans protester</a> !</p>
<p>D’un point de vue phénoménologique, mais aussi juridique, ce qui s’est passé est, en effet, tout simplement stupéfiant ! Dans le monde, y compris le « monde libre », on a enfermé en un tournemain la moitié de l’humanité. Lorsque l’on se souvient, pour ne parler que de la France, des manifestations impressionnantes auxquelles ont donné lieu des discussions de lois plus ou moins techniques, du CPE à la loi El Khomri, pour ne citer que deux exemples (on pourrait en citer des dizaines), enfermer sans aucune protestation toute la population française semble relever de la science-fiction. Et tout ceci, au départ en tout cas, à périmètre juridique constant.</p>
<p>Lorsque le 16 mars 2020, la liberté d’aller et venir est supprimée du jour au lendemain c’est sur la base de deux articles de loi, donc sans besoin d’aucune loi supplémentaire : l’article 1 du code civil qui a simplement trait à la date d’entrée en vigueur des lois en général et l’article <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000041868007/">L3131-1 du code de la santé publique</a> qui dispose qu’en cas de menace d’épidémie, le ministre chargé de la santé peut prescrire dans l’intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée aux risques courus.</p>
<p>Par la suite, le Conseil Constitutionnel validera à quelques détails près l’État d’urgence adopté postérieurement dans une décision du 11 mai 2020 (<a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2020/2020800DC.htm">n° 2020-800 DC</a>).</p>
<h2>Libertés en danger</h2>
<p>La pandémie révèle ce que nous ne voulons pas voir, la fin des Lumières, des libertés et le triomphe de l’ordre et de la société de surveillance.</p>
<p>En ce sens, cette épidémie peut effectivement avoir les mêmes conséquences que celles d’une guerre, car le monde d’après n’est plus celui d’avant. Les libertés que nous croyions inscrites dans le marbre peuvent s’envoler en une nuit avec la légèreté d’un songe. Même si elles reviennent demain, cette impression d’extraordinaire contingence demeurera.</p>
<p>La liberté est le socle sur lequel repose tout l’édifice juridique occidental. C’est ce que dit d’ailleurs Graham Allison, dans son ouvrage <em>Destined for War</em>, traduit en français par <em>Le piège de Thucydide</em>, qui met en exergue le fait que la valeur essentielle des États-Unis est la <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/evenement/special-usa-tout-comprendre/vers-la-guerre_9782738147028.php">liberté et celle de la Chine, l’ordre</a>.</p>
<p>Léonard de Vinci, lorsqu’il dessine l’<em>Homme de Vitruve</em> vers 1490, ne se contente pas de célébrer le corps humain. En installant son homme « parfait » au centre du cercle, il marque le début de la Renaissance et du mouvement qui aboutira quelques siècles plus tard aux Lumières puis aux droits humains.</p>
<p>L’apport essentiel des Lumières a consisté à installer l’Homme plutôt que Dieu au centre de l’univers. Elles célèbrent la liberté et l’avènement de l’Individu. Cet humanisme est un prolongement du christianisme. La loi devient l’expression d’un contrat social théorisé par Jean‑Jacques Rousseau, contrat entre des individus – et non plus des groupes – et l’État.</p>
<p>Cette philosophie est directement à l’origine de deux des textes juridiques les plus fondamentaux du monde occidental : le <a href="https://fr.wikisource.org/wiki/D%C3%A9claration_unanime_des_treize_%C3%89tats_unis_d%E2%80%99Am%C3%A9rique">préambule de la Déclaration d’indépendance des États-Unis de 1776</a> et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.</p>
<p>Thomas Jefferson s’inspire directement des philosophes <a href="https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Alfred_F._Jones&action=edit&redlink=1">Alfred F. Jones</a>, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/John_Locke">John Locke</a> et <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Henry_Home">Henry Home</a> lorsqu’il rédige le texte juridique le plus sacré des États-Unis.</p>
<p>La déclaration française doit beaucoup à son précurseur américain sous l’influence du groupe informel des « Américains », constitué des nobles envoyés en Amérique, comme officiers, par le roi Louis XVI pour soutenir la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_d%27ind%C3%A9pendance_des_%C3%89tats-Unis">guerre d’indépendance américaine</a> et notamment du marquis de La Fayette <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9claration_des_droits_de_l%27homme_et_du_citoyen_de_1789">Déclaration des droits de l’homme et du citoyen</a>.</p>
<p>Ces deux déclarations diffèrent néanmoins. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen reconnaît quatre droits fondamentaux : la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression, le Préambule de la déclaration d’Indépendance mentionne, quant à lui, le droit à la vie et le droit au bonheur. Un seul droit est commun aux deux textes : la liberté.</p>
<p>C’est la pierre angulaire de l’ensemble du système. L’homme est au centre de l’Univers, il est libre. Il s’agit d’une liberté individuelle et non collective fondée sur la notion augustinienne de libre arbitre. Cette liberté est transférée à l’État avec parcimonie et dans le seul but de la faire respecter, notamment au regard du droit de propriété comme le développe John Locke dans son <em>Traité de gouvernement civil</em> (1690).</p>
<h2>Influence de la pensée confucéenne</h2>
<p>En cela, le système occidental diffère du système chinois.</p>
<p><a href="http://www.semazon.com/wp-content/uploads/2018/03/Cahier-Francois-Jullien.pdf">La thèse de François Jullien</a> fait de la Chine l’autre absolu de notre monde occidental construit notamment à partir de l’héritage grec. « Sa thèse que je ne discute pas, mais que je prends comme hypothèse de travail, est que le chinois est l’autre absolu du grec – que la connaissance de l’intérieur du chinois équivaut à une déconstruction par le dehors, par l’extérieur, du penser et du parler grec ».</p>
<p>L’individu en tant qu’être libre permet, dans une démarche ontologique, d’illustrer cet antagonisme.</p>
<p>Comme le rappelle Yuzhi Ouyang dans sa thèse <a href="http://www.barbier-rd.nom.fr/culture.chinoise.culture.occidentale.pdf">« La culture traditionnelle chinoise et la culture occidentale contemporaine »</a> : ce n’est pas que l’individu n’existe pas en Chine, mais « la Chine […] méprise l’individu, l’individualisme est une donnée fondamentale dans la culture occidentale, une composante tellement cardinale dans le système de valeurs occidentales que parfois les occidentaux en oublient l’importance […] Chez les Grecs jusqu’aux stoïciens, la vie avait en effet pour but le perfectionnement de l’individu. Mais le salut, le but de la foi chrétienne, est lui aussi l’individu. Je peux dire que, dans la culture occidentale, dès son origine, c’est l’individu qui prime. Par contre, dans la culture chinoise, dès son origine, c’est au contraire le collectif qui est valorisé. »</p>
<p>La <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/les-chemins-de-la-philosophie/confucius-34-quest-ce-que-le-ren">notion de ren</a> (que l’on peut traduire comme « sens de l’humain ») permet de mieux approcher cette idée.</p>
<p>Comme <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/histoire-de-la-pensee-chinoise-anne-cheng/9782757844441">l’indique Anne Cheng</a>, Professeur au Collège de France, « le Ren est la grande idée neuve de Confucius, la cristallisation de son pari sur l’homme, c’est l’homme qui ne devient humain que dans sa relation à autrui ». C’est donc l’inverse de l’individualisme des Lumières. Le mot lui-même « est composé du radical “Homme” et du signe deux ».</p>
<p>Au XIX<sup>e</sup> et au XX<sup>e</sup> siècle, la pensée chinoise sera influencée par l’Occident. Anne Cheng évoque la relation de la pensée chinoise à l’individualisme. Selon l’autrice, la conception libérale occidentale consiste à faire de l’individu un être qui se définit de <em>manière externe</em> par rapport aux autres et à la société. La tradition éthique confucéenne définit l’individu de <em>manière interne</em> non par rapport à l’autre, mais par une morale de l’accomplissement de soi. Sous l’influence occidentale, cette notion va opérer un glissement. Ainsi, <a href="1884-1919">Liu Shipei</a> reprend l’idée de morale, mais au lieu de l’inscrire dans une démarche « interne » d’accomplissement de soi (la recherche du juste par opposition à l’intérêt), la fait glisser vers une autonomie externe (le sens de l’intérêt général par opposition à celui de l’intérêt particulier). L’individu est toujours moral (Confucius), mais le sens de la morale a évolué sous l’influence de la pensée occidentale.</p>
<p>On peut penser, au regard de ce que nous évoquons dans cet article, qu’un mouvement de balancier est en cours et qu’aujourd’hui c’est au tour du monde occidental d’être imprégné par la pensée confucéenne.</p>
<p>La facilité avec laquelle les libertés ont été suspendues au nom de l’intérêt général, en effet, révèle une tendance profonde qui pourrait mener aux valeurs du monde confucéen. Le recul des libertés relève d’un mouvement de fond. La peur de la mort est un moteur puissant. Mais d’autres causes font reculer la place centrale de l’être humain dans l’Univers : la liberté cède devant l’invention du capitalisme de surveillance des GAFAM <a href="https://www.zulma.fr/livre-lage-du-capitalisme-de-surveillance-572196.html">dénoncé avec brio par Shoshana Zuboff</a>.</p>
<p>Les conséquences de la Covid-19 s’annoncent aussi importantes que celles d’une guerre. Il semblerait que les Lumières n’aient pas besoin d’un conflit et qu’elles soient tout simplement, dans un consensus aussi général qu’indifférent, en train de s’éteindre d’elles-mêmes. Cette épidémie nous révèle que l’édifice juridique, moral et philosophique de l’Occident est en pleine transformation.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/152593/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Jacques Neuer ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Cette épidémie nous révèle que l’édifice juridique, moral et philosophique de l’Occident est en pleine transformation.Jean-Jacques Neuer, Docteur en droit - Habilité à Diriger les Recherches. Avocat - Solicitor - Arbitre ICC, Université Sorbonne Paris NordLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1520302020-12-16T19:17:20Z2020-12-16T19:17:20ZComment le fichage policier est-il contrôlé ?<p><a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2020/12/07/le-gouvernement-elargit-trois-fichiers-de-renseignement_6062511_4408996.html">Quelques médias</a> s’en sont fait récemment l’écho : le gouvernement a très récemment étendu les possibilités de collecte d’informations ayant trait aux opinions politiques et mêmes religieuses dans le cadre de certains fichiers de police. Cette modification résulte de plusieurs <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000042607323">décrets du 2 décembre</a> dernier et concerne trois fichiers déjà contestés et relatifs aux troubles à <a href="https://www.laurent-mucchielli.org/index.php?post/2011/04/03/Trois-nouveaux-fichiers-pour-%8Etendre-cette-fois-ci-la-m%8Emoire-gendarmique">la sécurité publique</a> : PASP, GIPASP et EASP.</p>
<p>La critique contre <a href="https://journals.openedition.org/champpenal/10843?lang=fr">les fichiers de police</a> n’est pas nouvelle, et revient régulièrement sur le devant de l’actualité. Que ce soit suite à la mise en place du <a href="https://www.lagazettedescommunes.com/674441/non-respect-du-confinement-pourquoi-le-delit-est-il-conteste/">confinement</a>, suite à des événements ayant mobilisé <a href="https://www.leparisien.fr/societe/migrants-un-decret-va-creer-un-fichier-des-mineurs-isoles-31-01-2019-8000997.php">l’opinion publique</a>, ou dans le cadre de <a href="https://www.lesechos.fr/politique-societe/societe/cinq-questions-sur-le-fsprt-le-fichier-sur-la-radicalisation-en-france-1243291">la lutte antiterroriste</a>, le fichage policier semble prendre de plus en plus de place dans la boite à outils des gouvernements.</p>
<h2>Un régime de fichiers de police original</h2>
<p>Pourtant, le fichage est en France relativement encadré. Si les fichiers de police échappent au <a href="https://www.cnil.fr/fr/reglement-europeen-protection-donnees">Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD)</a>, ils ne sont pas hors de contrôle. Au niveau européen, c’est la <a href="https://www.cnil.fr/fr/directive-police-justice-de-quoi-parle-t">directive police – justice</a> qui en fixe les contours généraux. </p>
<p>À l’échelle nationale, les fichiers de police entrent dans le cadre législatif de tout traitement de données à caractère personnel : la <a href="https://www.cnil.fr/fr/la-loi-informatique-et-libertes">loi Informatique et Libertés</a> du 6 janvier 1978, régulièrement modifiée et amendée.</p>
<p>Pour autant, le régime des fichiers de police est original en plusieurs points. </p>
<p>Si les droits accordés aux <a href="https://www.cnil.fr/fr/le-droit-dacces-aux-fichiers-de-police-de-gendarmerie-et-de-renseignement">individus fichés</a> sont nécessairement moindres que ceux qui bénéficient aux utilisateurs de services commerciaux (ne serait-ce que quant à l’éventualité d’un droit de retrait par exemple), c’est surtout quant à leur processus d’édiction (établissement d'un acte de loi) et de contrôle que l’étude précise devient intéressante.</p>
<h2>Naissance et évolution des fichiers de police</h2>
<p>Tout d’abord, comment naissent ou évoluent les fichiers de police ? Les articles 31 et 32 de la loi Informatique et Libertés imposent un processus clair : les fichiers de police sont « autorisés par arrêté du ou des ministres compétents », ou, lorsque le fichier porte sur des données particulièrement sensibles, par « décret en Conseil d’État », c’est-à-dire par le Premier ministre, après avis du Conseil d’État. </p>
<p>Juridiquement, les arrêtés ou les décrets sont des textes réglementaires : ils sont pris par le pouvoir exécutif, sans consultation, ni débat, ni vote du Parlement.</p>
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<figcaption><span class="caption">Être fiché S, ça veut dire quoi ?</span></figcaption>
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<p>Bien que cette compétence soit régulièrement contestée (ici compris par un <a href="http://www.assemblee-nationale.fr/13/rap-info/i4113.asp">rapport parlementaire</a>), au nom de l’impact que peuvent avoir ces fichiers sur les libertés fondamentales et de la nécessité d’un <a href="https://theconversation.com/fichiers-sanitaires-un-destin-trace-vers-la-surveillance-generalisee-141894">débat démocratique</a> sur ces questions, la très grande majorité des fichiers de police est ainsi issue de textes réglementaires. La récente extension n’échappe pas à la règle puisqu’il s’agit de trois décrets.</p>
<h2>Peu de contraintes</h2>
<p>Pour autant, le gouvernement n’est pas seul à la barre. Les mêmes articles 31 et 32 précisent ainsi que, dans tous les cas, les projets d’institution ou de modification des fichiers de police doivent être soumis, pour avis, à la Commission Nationale Informatique et Libertés (CNIL). L’avis rendu doit également être publié.</p>
<p>Ce contrôle, en apparence rassurant puisque la CNIL est une autorité administrative parfaitement indépendante et garante des libertés, n’en est pourtant pas un. L’avis rendu n’a en effet aucune portée contraignante pour le gouvernement : comme elle le <a href="https://www.cnil.fr/fr/publication-des-decrets-relatifs-aux-fichiers-pasp-gipasp-et-easp-la-cnil-precise-sa-mission">souligne</a> elle-même, « cet avis ne constitue pas une « autorisation » ou un « refus » de la CNIL ».</p>
<p>Cette absence de contrainte résulte d’une <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000441676?r=d0uDwmyoje">modification législative de 2004</a>, puisque avant cette date, l’autorité disposait d’un véritable droit de veto, dont elle est désormais privée.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1336046145320181762"}"></div></p>
<p>L’exemple de l’extension récente des trois fichiers de police est sur ce point éclairant. Dans <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000042608200">son avis</a>, si la CNIL validait certains points rendus nécessaires, elle mettait en garde le gouvernement sur de nombreux autres, notamment sur le périmètre très étendu de certaines données ou sur leur caractère automatisé.</p>
<p>Les décrets finalement publiés n’ont tenu aucun compte de ces critiques. Plus encore, des ajouts ont été faits après la consultation de la CNIL, notamment sur les données relatives aux opinions politiques, comme le souligne l'autorité dans un récent <a href="https://www.cnil.fr/fr/publication-des-decrets-relatifs-aux-fichiers-pasp-gipasp-et-easp-la-cnil-precise-sa-mission">communiqué de presse.</a></p>
<p>Il faut rappeler d’ailleurs que le projet transmis à la CNIL est souvent incomplet, ou très différent de celui finalement publié. Le délai est également très court : la CNIL ne dispose que de huit semaines, pour étudier parfois des centaines de pages lors de la mise en place d’un nouveau fichier.</p>
<h2>La CNIL contrôle mais pour quels résultats ?</h2>
<p>La CNIL n’est pas la seule à intervenir lors du processus d’édiction ou de modification des fichiers. <a href="https://www.conseil-etat.fr/le-conseil-d-etat/missions">Le Conseil d’État</a>, organe napoléonien de conseil et de contrôle du gouvernement, doit également donner son avis avant la publication des décrets qui portent sur des données particulièrement sensibles : ce sont les « décrets en Conseil d’État » mentionnés plus haut. Les avis rendus sont tenus secrets, sauf volonté explicite du gouvernement, et l’avis ne contraint pas non plus le gouvernement.</p>
<p>Le gouvernement n’a donc les mains liées par aucun acteur, et peut librement prendre tout arrêté ou tout décret en matière de fichiers de police. Quid alors du contrôle, a posteriori, de ces textes ? Là encore, ce sont les mêmes acteurs que l’on retrouve : la CNIL et le Conseil d’État.</p>
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<figcaption><span class="caption">La CNIL, 40 ans et toujours dans l’air du temps !</span></figcaption>
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<p>La CNIL, en tant qu’autorité indépendante, a en effet aussi en charge le contrôle et le suivi des <a href="https://www.cnil.fr/fr/comment-se-passe-un-controle-de-la-cnil">fichiers en activité</a>, dont les fichiers de police. Ce pouvoir permet à la CNIL de se déplacer dans les lieux de stockage et de consultation des données, et d’accéder au fichier pour faire une vérification précise et rigoureuse.</p>
<p>Néanmoins, ces contrôles nécessitent des moyens humains importants, alors que la CNIL est l’une des autorités de régulation des données les moins dotées de <a href="https://www.courrierinternational.com/article/vie-privee-union-europeenne-une-si-delicate-protection-des-donnees">l’Union Européenne</a>. La CNIL ne dispose en outre d’aucun pouvoir de sanction face à l’État, comme elle en a pourtant <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-eco/cookies-la-cnil-inflige-des-amendes-de-100-et-35-millions-d-euros-a-google-et-amazon-20201210">en matière commerciale</a> : elle peut seulement ici adresser un avertissement, là encore non contraignant, à l’autorité publique, en cas de <a href="https://www.liberation.fr/societe/2013/06/13/les-fichiers-de-police-toujours-truffes-d-erreurs_910680">défaillances</a>, qui sont pourtant régulières. Les rapports issus de ces visites ne sont en outre pas rendus publics.</p>
<p>Certains décrets à l’origine de fichiers de police excluent même tout contrôle de la CNIL, ce que l’article 19 paragraphe IV de <a href="https://www.cnil.fr/fr/la-loi-informatique-et-libertes#article19">la loi de 1978</a> permet, mais ce n’est pas le cas pour les fichiers concernés par les modifications du 2 décembre dernier.</p>
<h2>Le rôle du Conseil d'Etat</h2>
<p>Le Conseil d’État, en tant cette fois qu’organe de contrôle des actes administratifs, apparaît alors comme le seul véritable vecteur d’un contrôle contraignant. En effet peut être attaqué directement devant lui <a href="https://www.conseil-etat.fr/demarches-services/les-fiches-pratiques-de-la-justice-administrative/introduire-une-requete-devant-le-conseil-d-etat">tout acte</a> réglementaire de portée nationale. Les arrêtés ou décrets instituant ou modifiant des fichiers de police peuvent donc faire l’objet d’un recours par ce biais.</p>
<p>C’est alors la « section du contentieux » du Conseil d’État qui se prononce, qui est <a href="https://www.conseil-etat.fr/le-conseil-d-etat/organisation">statutairement étanche</a> de la « section de l’intérieur » qui joue le rôle de conseil du gouvernement. Dit autrement, ce ne sont pas les mêmes conseillers que ceux qui avaient rendu l’avis. Le Conseil d’État a ici le rôle d’une juridiction de contrôle des actes réglementaires, à la fois de leur légalité (conformité à la loi), de leur constitutionnalité (conformité à la constitution, dans une certaine mesure) et de leur conventionnalité (conformité aux textes internationaux, comme la <a href="https://www.echr.coe.int/documents/convention_fra.pdf">Convention Européenne des Droits de l’Homme</a>).</p>
<p>Les modifications des fichiers PASP, GIPASP et EASP issus des décrets du 2 décembre pourront donc être portées devant le Conseil d’État. Un recours est d’ailleurs en préparation par plusieurs associations, dont la <a href="https://www.laquadrature.net/2020/12/08/decrets-pasp-fichage-massif-des-militants-politiques/">Quadrature du Net</a>. Néanmoins, les procédures judiciaires sont longues, et les résultats en matière de fichage <a href="https://www.dalloz-actualite.fr/flash/conseil-d-etat-valide-en-l-encadrant-decret-creant-fichier-des-mineurs-isoles">souvent décevants</a>. Par ailleurs, en attendant ce recours et son résultat, les fichiers ainsi modifiés sont d’ores et déjà en activité, puisque les textes réglementaires sont d’application immédiate.</p>
<h2>Le Conseil constitutionnel impuissant</h2>
<p>D’aucuns pourraient ici penser à une intervention du Conseil constitutionnel, dont <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2020/2020801DC.htm">les censures</a> sont souvent médiatiques (comme par exemple lors de la récente loi Avia sur les contenus haineux sur Internet). Il n’en est pas question ici. En effet, le Conseil constitutionnel ne contrôle que <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/19551-quel-est-le-role-du-conseil-constitutionnel">la constitutionnalité</a> des lois, et non des règlements.</p>
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<figcaption><span class="caption">Haine sur Internet : la loi Avia censurée par le Conseil constitutionnel.</span></figcaption>
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<p>Il est d’ailleurs intéressant de noter ici que <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000042611567/2020-12-05">le fichier PASP</a> prévoit une durée de conservation des données de « dix ans après l'intervention du dernier événement » alors même que ce type de limitation potentiellement infinie avait été <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2011/2011625DC.htm">déclaré inconstitutionnel</a>(§72) par le Conseil constitutionnel lors du contrôle d’un des rares textes législatifs en matière de fichiers de police. Mais ici, pas de Conseil constitutionnel donc.</p>
<p>Avec une CNIL relativement impuissante, un Conseil d’État souvent peu protecteur et des textes réglementaires qui semblent prévoir une collecte de données toujours plus importante, les fichiers de police ont un bel avenir devant eux, sans, pour le moment, de débat démocratique ni de limites véritables. L'application des décrets du 2 décembre 2020 devra donc être particulièrement surveillée. </p>
<hr>
<p><em>L'auteur de l'article effectue sa thèse sous la direction de Virginie Peltier.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/152030/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yoann Nabat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les récentes critiques contre les fichiers de polices ravivent le débat concernant les libertés et la protection des données individuelles. De la CNIL au Conseil d'Etat qui contrôle le fichage ?Yoann Nabat, Doctorant en droit privé et sciences criminelles, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1519902020-12-15T19:50:10Z2020-12-15T19:50:10ZPour la Singularity University, la Covid-19 justifie un recours accéléré aux technologies… aux dépens des libertés ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/374829/original/file-20201214-18-16d9br0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=296%2C0%2C699%2C471&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L’organisme co-fondé en 2009&nbsp;par le directeur de l’intelligence artificielle chez Google explique qu’un plus grand recours à l’IA aurait permis de limiter les effets de la pandémie.</span> <span class="attribution"><span class="source">PopTika / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Les différentes réactions face à l’épidémie de coronavirus interrogent profondément notre rapport à la liberté. À côté des limitations explicites de nos libertés par les mesures promulguées par le gouvernement – port du masque obligatoire, fermeture des commerces, couvre-feu, confinement –, une autre forme de contrôle a vu le jour, indirecte et plus insidieuse, liée à la diffusion d’une utopie technologique au sein de la société, visible pour le moment notamment via les applications de traçage de la pandémie.</p>
<p>Des organisations jouent un rôle clé dans la légitimation de ces nouvelles solutions technologiques. Leur recette : promouvoir des technologies telles que l’intelligence artificielle, les biotechnologies, les nanotechnologies, comme des outils de lutte efficace contre la crise actuelle d’une part, mais surtout contre toutes les crises à venir.</p>
<p>J’ai pu observer l’une de ces organisations, la Singularity University, lors d’un voyage d’étude dans la Silicon Valley. Cette organisation hybride, à la fois think tank, incubateur et organisme de formation, a été créée en 2009 par le futuriste Ray Kurzweil, directeur de l’intelligence artificielle chez Google et Peter Diamandis, dirigeant et fondateur de la fondation X Prize.</p>
<h2>« Le vieux monde se meurt »</h2>
<p>Mi-2020, les experts de la Singularity University du monde entier se sont <a href="https://su.org/summits/covid-19-virtual-summit/">rassemblés virtuellement</a> alors que la pandémie a remis en question le format habituel de leur <em>summit</em> en Californie. L’ensemble de l’événement a été repensé autour des défis, des solutions et de l’influence future de cette pandémie sur nos sociétés. Ils expliquent notamment la défaillance des gouvernements actuels pour gérer cette catastrophe mondiale par l’exploitation largement insuffisante des nouvelles technologies. L’un d’eux résume assez bien leur pensée avec cette citation de l’écrivain italien communiste Antonio Gramsci : « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres ».</p>
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<figcaption><span class="caption">Présentation de la Singularity University (en anglais).</span></figcaption>
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<p>À leurs yeux, le vieux monde se meurt et cette crise en serait le symbole ultime. Pour Jamie Metzl, futuriste et expert en géopolitique, associé du fonds d’investissement Cranemere LLC, les normes, les institutions et les valeurs anciennes étaient déjà mortes bien avant la crise :</p>
<blockquote>
<p>« On voit une convergence de ces technologies, et les outils que nous apportons à ce combat sont meilleurs que tout ce que nos ancêtres auraient pu imaginer. En fait ces outils, nos ancêtres les auraient attribués aux dieux, et c’est à propos de ça qu’est la révolution biotech. Nous avons aujourd’hui la capacité de lire, écrire et hacker le code de la vie ».</p>
</blockquote>
<p>C’est pourquoi, pour eux, les nouvelles technologies représenteraient le remède idéal pour faire face à la situation actuelle. La surveillance participative permise par les applications aurait d’après certains experts permis par exemple « de donner aux individus les moyens de demeurer en sécurité et en bonne santé dans leur communauté ».</p>
<p>L’idée de la surveillance participative revient en fait à créer un panoptique sans tour de contrôle : chacun rentre ses informations de santé sur une application reliée au cloud afin que le gouvernement prenne les décisions adaptées en temps réel. C’est ce que des pays comme la Corée du Sud ou Taïwan ont déjà choisi d’institutionnaliser tandis que d’autres comme la France se refusent encore à le faire.</p>
<p>Mais le nouveau monde tarde à apparaître. D’après les membres de la Singularity University, une meilleure utilisation des technologies aurait pu permettre d’endiguer la crise bien plus facilement.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1277066709904568321"}"></div></p>
<p>Pour Bradley Twyham, spécialiste de l’intelligence artificielle qui travaille sur la réforme du système de santé australien, « l’intelligence artificielle n’a pas été exploitée là où c’était le plus important pendant la pandémie ». En effet, d’après lui, elle aurait dû être utilisée afin d’améliorer les décisions politiques, pour réaliser des prédictions basées sur des solutions en intelligence artificielle telles que BlueDot, pour assister les soignants ou même pour trouver de potentiels traitements plus rapidement.</p>
<p>Pour les experts, la crise sanitaire représenterait ce clair-obscur et les monstres seraient en fait nos gouvernements. Ils dénoncent aussi bien des dérives autoritaires que des institutions telles que l’Union européenne, perçues comme bien trop faibles pour faire face à la conjoncture actuelle.</p>
<p>Mais l’on peut se demander si les monstres qui surgissent dans ce clair-obscur ne sont pas ceux-là mêmes qui les dénoncent. À leurs yeux, la question de l’utilisation des nouvelles technologies semblerait en effet dépasser la situation présente. Ils sont unanimes sur la portée limitée de la pandémie en comparaison des crises à venir.</p>
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<figcaption><span class="caption">Aurélien Acquier : L’innovation technologique à l’heure de l’anthropocène (Xerfi canal, septembre 2020).</span></figcaption>
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<p>Bien que Jamie Metzl mette en évidence les prochains défis à venir tels que « le changement climatique, les océans, la réflexion sur le futur de l’intelligence artificielle et sur les robots tueurs », la réponse qu’il propose passe par le développement de technologies adaptées qui nous permettront de lutter efficacement contre ces nouveaux maux.</p>
<p>Il s’agit donc bien de présenter les nouvelles technologies comme le prince charmant qui va nous délivrer de tous nos maux. La Singularity University a même repris les 17 objectifs de développement durable de l’ONU sous son drapeau. Allier mission et rentabilité, intégrer le bonheur de l’humanité dans le capitalisme : telle est l’ambition affichée de ces nouvelles organisations.</p>
<h2>Opportunisme politique</h2>
<p>Avec la crise de la Covid-19 le discours a changé de nature. La pandémie actuelle représente une occasion unique de présenter les nouvelles technologies comme clé de sauvetage de l’humanité qui fait face à un futur menacé. Ce que ces experts présentent comme une simple avancée technologique est en fait leur vision idéale de la société future, en d’autres termes, un programme politique.</p>
<p>À leurs yeux, la menace actuelle révèlerait le rôle central de la technologie pour que l’humanité soit à même de faire face aux épreuves futures. Ces dernières seraient plus fortes, plus larges et plus puissantes encore. Dès lors, l’épidémie mondiale représenterait une opportunité de changement dans la « bonne direction ».</p>
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<p><a href="https://open.spotify.com/episode/2IM1h9DDvBhNWvxs5XHOqx?si=kZIKmbv8T3u-k1DD9lHeWA"><img src="https://images.theconversation.com/files/237984/original/file-20180925-149976-1ks72uy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=268&fit=clip" width="268" height="82"></a></p>
<p><a href="https://podcasts.apple.com/au/podcast/podcast-la-tentation-de-la-servitude-volontaire/id1516230224?i=1000486711033"><img src="https://images.theconversation.com/files/233721/original/file-20180827-75984-1gfuvlr.png" alt="Listen on Apple Podcasts" width="268" height="68"></a></p>
<p>La référence au bien commun, telle un masque séduisant, reste en effet omniprésente au sein des différents discours. Pour le docteur Tiffany Vora, spécialiste en biologie moléculaire, la question est « comment tirer profit de l’énergie de cette crise pour faire de ce monde un endroit meilleur ? ».</p>
<p>Et Christina Gerakiteys, directrice de la branche australienne de la Singularity University de répondre :</p>
<blockquote>
<p>« On prend le meilleur de la technologie que nous connaissons, et le meilleur de l’humanité, et nous atteindrons des objectifs ambitieux (« moonshots ») qui nous permettront de progresser et de sortir de cette situation ».</p>
</blockquote>
<p>Ces membres de la Singularity University capables de « prédire le futur » et de prodiguer des outils susceptibles de « solutionner cette pandémie » n’avaient pourtant pas vu se profiler cette crise. Toutefois, ils nous font sentir que tout est possible grâce aux nouvelles technologies et peuvent apparaître comme une lueur d’espoir dans une situation mondiale des plus désastreuse.</p>
<p>Certains experts proposent même de donner à la Singularity University un statut d’organisation internationale qui, à l’image de l’ONU ou de l’OMS, pourrait jouer un rôle clé dans la gouvernance mondiale. Peut-être que le véritable monstre ce ne sont pas tant nos institutions que cette croyance dans le pouvoir salvateur des nouvelles technologies.</p>
<p>La question qu’il convient alors de se poser aujourd’hui est bien la tension entre liberté et nouvelles technologies. Si dans leur création, des technologies telles que l’ordinateur étaient appréhendées comme un vecteur d’émancipation individuelle, cette aspiration à la liberté semble s’éloigner toujours davantage, et ce d’autant plus avec la crise sanitaire. Surveillance participative, localisation des citoyens, prédiction des maladies : les crises à venir pourraient sacrifier la liberté sur l’autel des technologies au nom de la santé de la population.</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été rédigé sous la supervision d’Aurélien Acquier, professeur à ESCP Business School</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/151990/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yaëlle Amsallem a reçu des financements de ESCP Business School. </span></em></p>Les membres de cette organisation de la Silicon Valley, réunis en sommet mi-2020, voient dans le développement d’outils comme l’IA le remède à la crise actuelle comme des prochaines.Yaëlle Amsallem, Doctorante en sciences de gestion, ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1507032020-12-07T19:09:36Z2020-12-07T19:09:36ZPhilosophie : vous avez dit « liberticide » ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/372866/original/file-20201203-23-8ojpqp.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=12%2C3%2C2034%2C1202&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Nature morte à la bougie, Peter Claesz, 1627.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.mauritshuis.nl/en/explore/the-collection/artworks/still-life-with-lighted-candle-947/#">Site du Mauritshuis.</a></span></figcaption></figure><p>L’actualité nous somme de réfléchir à la liberté. La mort horrible de Samuel Paty a mis en lumière l’importance de la liberté d’expression. Dans le même temps, certaines dispositions de lois en préparation (loi « confortant les principes républicains », loi « pour une sécurité globale ») sont jugées, par beaucoup, liberticides. Mais de quoi parle-t-on quand on parle de liberté ? Et qu’est-ce qui peut vraiment être tenu pour liberticide ? Tentons d’y voir clair, avec l’aide de Spinoza.</p>
<p>On peut définir la liberté comme la possibilité d’exister sans subir de contraintes illégitimes. Il y aurait donc des contraintes justifiées, et d’autres non. Mais lesquelles, et au nom de quoi ? Pour le savoir, examinons quatre libertés pouvant être considérées comme fondamentales. Serait-il possible de définir une liberté/socle, qui serait le fondement de toutes les autres, et dont toute atteinte serait sans discussion liberticide ?</p>
<h2>La liberté d’agir</h2>
<p>C’est à coup sûr une liberté fondamentale pour l’être humain. Car, d’une part, il vaut mieux agir que subir. C’est l’accroissement de la puissance d’agir qui permet de passer à une plus grande perfection (<em>Ethique</em>, IV, préface). Tandis que, d’autre part, une grande capacité d’action par le corps est un gage d’éternité pour l’esprit : « Qui a un corps capable de faire beaucoup de choses, a un esprit dont la partie la plus grande est éternelle » (<em>Ethique</em>, V, p. 39).</p>
<p>Cependant, du fait que nous sommes en contact avec les autres dans une « cité », la liberté d’action doit être nécessairement encadrée, et limitée, dans, et par, un pacte social. Pour permettre à chacun d’agir librement sans être victime des effets néfastes pouvant être produits par l’action « libre » des autres ; et pour empêcher que son action produise de tels effets sur les autres ! Par exemple, la liberté de circuler des uns ne doit pas rendre impossible l’exercice de cette liberté chez les autres. D’où les feux rouges, et les sens interdits. D’où les mesures contraignantes pour limiter la circulation du coronavirus.</p>
<p>On ne pourrait vivre en paix si chacun ne renonçait pas « à son droit d’agir selon le seul décret de sa pensée » (<em>Traité Théologico-Politique</em>, chapitre XX). C’est pourquoi, loin d’être liberticides, les contraintes imposées par l’État, après examen et adoption par la représentation nationale, sont une condition de la liberté d’agir. La possibilité d’agir « librement » dépend de l’existence de règles restrictives dont seul le respect permet à tous de pouvoir agir.</p>
<h2>La liberté d’expression</h2>
<p>Cette liberté peut-elle être tenue, dans un État libre, pour la plus haute des libertés ? La question peut, après la mort tragique de Samuel Paty, paraître déplacée, voire indécente. Il faut cependant, l’examiner sereinement. Car, tout d’abord, la liberté d’expression n’est qu’une conséquence de la liberté d’opiner. Celle-ci, pour Spinoza, se fonde sur la séparation entre foi et philosophie. La foi exige piété et obéissance. La philosophie ne se préoccupe que de recherche de la vérité. « La Foi donc reconnaît à chacun une souveraine liberté de philosopher ; de telle sorte qu’il peut sans crime penser ce qu’il veut de toutes choses » (TTP, fin du chapitre XIV).</p>
<p>C’est pourquoi « dans un État libre il est loisible à chacun de penser ce qu’il veut et de dire ce qu’il pense » (TTP, chapitre XX). Le droit de trancher du vrai et du faux, et de professer telle ou telle opinion, est « un droit dont personne, le voulût-il, ne peut se dessaisir ». La « majesté souveraine » ne peut s’exercer ni sur le vrai et le faux, ni sur les convictions religieuses. L’État ne tranche que des actions acceptables, la foi des articles d’un dogme.</p>
<p>Chacun a-t-il alors vraiment « la liberté de dire et d’enseigner ce qu’il pense » ? Dans le principe, oui, puisque « chacun est maître de ses propres pensées », et « qu’il est impossible d’enlever aux hommes la liberté de dire ce qu’ils pensent ». Cela n’empêche pas cependant que certaines opinions puissent être jugées « séditieuses ». Par exemple, pour Spinoza, celles qui contestent « le pacte par lequel l’individu a renoncé à son droit d’agir selon son propre jugement ». La loi n’hésite pas à condamner, dans cet esprit, des opinions « délictueuses » : contraires à la vérité historique (ex : réalité de la Shoah), ou discriminant de façon injurieuse des groupes (racisme), ou des individus. Si donc elle est plus grande que la liberté d’agir, la liberté d’expression doit néanmoins être régulée par la loi. Ces régulations ne sont nullement liberticides.</p>
<h2>La liberté de penser</h2>
<p>L’opinion n’est que le plus bas degré de la connaissance. Et penser véritablement est bien autre chose que simplement penser ce que l’on veut. Car la pensée est sous-tendue par le désir de rechercher la vérité. Penser, c’est mettre en doute ses opinions, dans un souci de vérité. C’est s’interroger sur la vérité de ce que l’on tient pour vrai.</p>
<p>Spinoza l’exprime en affirmant la primauté du « comprendre » : « Tout ce à quoi nous nous efforçons par raison, c’est de comprendre » (<em>Ethique</em>, IV, p. 26). « Il est donc utile avant tout dans la vie de mener l’intelligence (intellectum) ou raison (ratio) jusqu’à la perfection, autant qu’on le peut ; en cela seul consiste le bonheur suprême de l’homme, ou béatitude » (<em>Ethique</em>, IV, Appendice).</p>
<p>C’est pourquoi la liberté de penser ne peut souffrir aucune limitation. Toute restriction serait, sans aucune discussion possible, liberticide : « Un sentiment est mauvais (ou nuisible) dans la seule mesure où il empêche l’esprit de penser » (V, p. 9). Il est absolument interdit d’interdire de penser !</p>
<h2>La liberté d’être vivant (d’exister)</h2>
<p>Cependant cette liberté inaliénable en présuppose une autre, encore plus fondamentale, car il n’y a d’exercice de la pensée possible que pour un être humain vivant. Il appartient à chacun d’exercer ce pouvoir que lui offre sa vie mortelle. Spinoza le fait saisir en situant le « comprendre » dans l’axe du « conatus », « l’effort par lequel chaque chose persévère dans son être » (III, p. 7). « L’effort pour se conserver », qui est « l’essence même d’un être », est pour lui « la première et unique origine de la vertu » (IV, p. 22)</p>
<p>Cette liberté de vivre est la plus haute des libertés, qui fonde toutes les autres. C’est la liberté d’« être ». Celui qui pense est un être vivant, et libre dans et par cette existence même. Mais cette liberté est fragile : « La force par laquelle l’homme persévère dans l’existence est limitée, et elle est infiniment surpassée par la puissance des causes extérieures » (IV, p. 3), comme le Covid vient de le démontrer !</p>
<p>En définitive, « le bonheur consiste pour l’homme à pouvoir conserver son être » (IV, p. 18, scholie). La liberté de vivre est une liberté/socle, berceau de la liberté de pensée. La première doit être sauvegardée à tout prix, y compris par des mesures restreignant la liberté d’agir, et qui ne sont liberticides qu’à courte vue. Car elles sont justifiées par leur capacité à préserver le plus de vies possible. La seconde, une fois la vie préservée, ne peut souffrir d’aucune restriction. La liberté d’expression, qui n’est qu’une conséquence de la liberté de penser, est susceptible d’être régulée par la loi, du fait que l’opinion dont elle autorise l’expression peut s’égarer loin du vrai et du bien. La liberté d’agir n’est réelle que si son exercice est encadré par la loi. La loi sauvegarde cette liberté, en prohibant toute action nuisible aux autres. Car la vie de chacun est un trésor, à préserver absolument.</p>
<p>Alors, plutôt que de crier à tout propos au « liberticide », mieux vaudrait s’attacher à la priorité absolue : permettre aux hommes de vivre, et en paix. Comme le dit Brassens :</p>
<blockquote>
<p>« Mais, de grâce, morbleu ! Laissez vivre les autres ! La vie est à peu près leur seul luxe ici-bas. »</p>
</blockquote>
<p>Nous pouvons conclure, avec Spinoza : </p>
<blockquote>
<p>« L’homme libre ne pense jamais à la mort ; sa sagesse n’est pas une méditation de la mort, mais de la vie. » (IV, p. 67)</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/150703/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Charles Hadji ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Serait-il possible de définir une liberté/socle, qui serait le fondement de toutes les autres, et dont toute atteinte serait sans discussion liberticide ?Charles Hadji, Professeur honoraire (Sciences de l’éducation), Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1487882020-10-28T22:04:26Z2020-10-28T22:04:26ZPhilosophie : pourquoi respecter le nouveau confinement est gage de notre liberté<p>Il est des situations où il est urgent de désobéir : la philosophe Hannah Arendt l’a suffisamment montré à propos de ce qu’elle a appelé <a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre/le-pervertissement-totalitaire-la-banalite-du-mal-selon-hannah-arendt">« la banalité du mal »</a> au sujet du procès du nazi Adolf Eichmann. Eichmann s’est défendu dans son procès à Jérusalem en 1961 d’avoir fait le mal, en soulignant qu’il n’avait fait qu’obéir aux ordres. Il faut parfois désobéir aux ordres, quand la « monstruosité » consiste à obtempérer.</p>
<p>Il est des situations où il est en revanche urgent d’obéir. Il est très français de désobéir pour désobéir, ou de râler contre l’État « par principe ».</p>
<p>Le gouvernement français a instauré un nouveau confinement avec la fermeture des commerces « non-essentiels ». Ceci, et on le comprend bien, au grand dam des professions les plus vulnérables comme le monde de la restauration, devant la crise économique et sociale qui amplifie la crise sanitaire mondiale de la Covid-19. Nous nous trouvons incontestablement au beau milieu d’une deuxième vague de la pandémie.</p>
<p>Continuer, exténués par le confinement du printemps dernier, à vivre comme si de rien n’était contribuerait à répandre et aggraver l’épidémie. On peut bien contester le choix des moyens pris par le gouvernement. Il n’empêche que c’est à lui qu’il revient de gérer autant que faire se peut la situation. Ce n’est pas tel ou tel citoyen qui est amené à prendre les décisions nécessaires à l’évitement d’un nouveau confinement et en tout cas à l’aggravation renouvelée de la pandémie. C’est là le devoir et le droit du gouvernement qui a été librement élu – bien qu’avec le degré d’abstention que l’on sait.</p>
<h2>Révoltés par principe</h2>
<p>Les contestations contre les décisions gouvernementales témoignent à la fois d’un sain désir de vivre librement, et de sauvegarder ce que l’on pourra sauvegarder des activités économiques et sociales aussi vitales que sont en France les activités des bars et restaurants, et en même temps d’un désir de liberté très français, cabré contre toute forme de considération du bien commun comme tel. Il y a quelque chose de révolté « par principe » dans la posture qui consiste à revendiquer le droit de circuler librement, de penser librement, de se comporter librement, ou encore de ne librement pas mettre de masque. C’est à la fois la noblesse et la limite de l’anarchisme à la française, adossé au sentiment de ce qui fait la valeur de chaque individu, et de la souveraineté de ses décisions.</p>
<p>C’est à la fois plein de bon sens, et ça en manque totalement. Voilà une posture remplie de la valeur de la lutte contre toute oppression, évidemment en particulier politique. Mais en même temps, ce bon sens et ce sens moral se retourne contre lui-même, s’il ne prête attention au fait que se comporter « librement » en situation objectivement grave sur le plan sanitaire, peut avoir comme conséquence la contamination générale de populations à risque dont celles et ceux-là mêmes qui revendiquent leur « liberté ». La revendication de liberté individuelle est dans certaines circonstances inséparable d’une négligence absurde du sens des responsabilités.</p>
<h2>Au nom du bien commun</h2>
<p>Encore une fois, les moyens choisis par le gouvernement pour lutter contre cette deuxième vague de la pandémie ne sont peut-être pas les meilleurs ou les plus judicieux. Je n’en sais pour ma part rien, et en tout cas pas assez pour juger ceux qui tentent de gouverner pour moi en tant que citoyen. On peut imaginer et revendiquer de mettre en place de véritables moyens démocratiques de décision, des processus par lesquels les citoyens pourraient s’exprimer et faire des propositions sur ce qu’il faut mettre en œuvre dans telle ou telle circonstance, pour tel ou tel objectif. C’est là une question de long terme, essentielle s’il faut réfléchir aux conditions d’un fonctionnement réellement démocratique de notre République. Mais entre-temps, et en situation d’urgence, s’il y a bien au sujet d’une crise comme la crise sanitaire quelque chose à faire, c’est d’abord d’obtempérer, de manière à ce que la pandémie ne l’emporte pas.</p>
<p>Il faut parfois mettre provisoirement de côté la liberté individuelle au profit du bien commun. Cela n’aliène pas la liberté, cela la construit, la conforte, et la solidifie. Il est quelque chose que nous apercevons de moins en moins dans le contexte contemporain d’un individualisme forcené – qui dépasse largement les frontières de la France. Nous sommes, au niveau mondial, sans nous en apercevoir, en train de perdre le sens de toute vie collective comme telle. Cela est pour le moins problématique non seulement pour le caractère collectif de l’existence qui est un caractère proprement humain, mais pour la liberté même. La liberté n’est pas seulement l’indépendance. Elle ne consiste pas à faire ce qui nous chante en totale « séparation » d’avec les autres. La véritable liberté, loin d’être l’indifférence, est celle de construire une vie sensée pour soi-même et les autres, au beau milieu des autres, voire pour eux. Ne serait-ce que si ces « autres » sont nos enfants. La liberté passe tout aussi fondamentalement par le lien que par la souveraineté de décisions prises seule ou seul. Nous sommes en train de l’oublier, et c’est ce qui se manifeste parfois lorsque l’on revendique de ne pas obéir à des décisions certes d’ordre martial, mais qui ont pour but de sauvegarder la possibilité qu’il y ait un « monde » pour nous toutes et nous tous.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/148788/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Bibard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Il est des situations où il est urgent d’obéir.Laurent Bibard, Professeur en management, titulaire de la chaire Edgar Morin de la complexité, ESSEC Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1479002020-10-12T18:37:14Z2020-10-12T18:37:14ZLa libération de Sophie Pétronin : quatre clarifications sur une polémique<p>L’humanitaire franco-suisse Sophie Pétronin, enlevée le 24 décembre 2016 dans le nord du Mali, a passé quatre années en détention aux mains du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), alliance de cellules djihadistes affiliée à Al-Qaïda. <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/10/09/sophie-petronin-est-a-bord-de-l-avion-en-route-pour-la-france_6055395_3210.html">Elle a été libérée</a> le 8 octobre dernier avec trois autres captifs, dont l’ancien ministre malien Soumaïla Cissé capturé six mois plus tôt, en échange de près de 200 détenus de la prison de Bamako.</p>
<p>Alors que ses conditions précises restent à éclaircir, l’arrangement soulève des questions légitimes quant à ses justifications et ses conséquences. Il est d’autant plus essentiel de le situer dans son contexte afin de nuancer certaines idées reçues.</p>
<h2>Un échange qui s’inscrit dans le contexte politique interne au Mali</h2>
<p>Si la France peut se réjouir de la liberté retrouvée d’une de ses citoyennes, l’échange qui a conduit à sa libération est principalement une affaire malienne et aurait été mené quoi qu’il en soit. La junte au pouvoir depuis le 18 août 2020 – date de la <a href="https://www.jeuneafrique.com/1030979/politique/coup-detat-au-mali-ibrahim-boubacar-keita-demissionne-sous-la-pression/">démission forcée</a> d’Ibrahim Boubacar Keita – réalise en effet un coup politique en obtenant le retour d’une figure éminente de la vie publique du pays là où l’ancien président, qui avait entamé des discussions, a échoué.</p>
<p>Cette opération est un succès pour les autorités de transition à plusieurs titres. Il s’agit à la fois d’un gain de crédibilité par rapport au pouvoir précédent, d’une contribution à l’unité nationale comme l’illustrent les scènes de liesse chez les partisans de <a href="https://mondafrique.com/mali-une-course-contre-la-montre-pour-liberer-soumaila-cisse/">Soumaïla Cissé</a>, d’une manière de poursuivre les discussions avec les groupes rebelles et d’une opportunité de monnayer la libération de Sophie Pétronin vis-à-vis de l’État français.</p>
<h2>200 « djihadistes » viennent d’être libérés ?</h2>
<p>Un point de tension majeur ternit pourtant ce bilan. Il a trait à la contrepartie octroyée, à savoir la libération de près de 200 individus présentés comme des « djihadistes » prêts à « reprendre les armes immédiatement » selon la formule de <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/mali/liberation-de-sophie-petronin-100-jihadistes-remis-dans-la-nature-un-prix-tres-cher-estime-un-specialiste-de-la-securite-au-sahel_4134753.html">Peer De Jong</a>, ancien aide de camp des présidents François Mitterrand et Jacques Chirac. L’identité des personnes libérées nécessite d’être clarifiée, dans la mesure où les conséquences de l’échange dépendent bien évidemment de leur dangerosité.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1314599232129695745"}"></div></p>
<p>Il est vrai que plusieurs terroristes reconnus ont été évoqués, sans confirmation officielle, à l’image de Mimi Ould Baba, un Malien impliqué dans les attentats de Grand-Bassam en Côte d’Ivoire et Ouagadougou au Burkina Faso, ainsi que des Mauritaniens Fawaz Ould Ahmed et Abou Dardar.</p>
<p>Néanmoins, de <em>France24</em> au journal <em>Le Monde</em> en passant par plusieurs médias étrangers, les informations disponibles semblent indiquer que la majorité des détenus relâchés <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/mali/guerre-au-mali/liberation-de-sophie-petronin-une-operation-controlee-par-les-djihadistes_4134849.html">ne sont pas des combattants djihadistes</a> mais des individus initialement arrêtés pour des activités de soutien logistique (reventes, renseignements ponctuels) ou parce qu’ils évoluaient dans la même zone géographique que les groupes armés.</p>
<p>Pourquoi dès lors libérer un si grand nombre de prisonniers qui ne sont pas des soldats ? La junte comme le GSIM y trouvent leur intérêt. Pour la première, l’importance de la concession vise à prouver sa détermination à libérer Soumaïla Cissé et à séduire ses soutiens de l’Union pour la république et la démocratie (URD). Pour le second, ce chiffre est non seulement un atout en termes de publicité mais représente également autant d’individus qui rejoignent leurs familles dans les terres et permettent à l’organisation de consolider son aura locale.</p>
<h2>Un type de transaction loin d’être inédit</h2>
<p>Les échanges, aussi polémiques soient-ils, sont de surcroît une forme relativement classique d’interaction entre belligérants et s’inscrivent dans la logique globale d’un conflit. Dans le cas présent, cet accord est un pas de plus dans la négociation que les autorités maliennes souhaitent mener avec les groupes insurrectionnels liés à Al-Qaïda. Les raisons relèvent à la fois de la politique intérieure et de la lutte contre Daesh, ennemi principal du moment et adversaire de circonstance d’Al-Qaïda dans la région.</p>
<p>De manière plus générale, on constate en effet que ces types d’échanges ne sont pas inédits, y compris pour un pays comme Israël, peu enclin à prendre la sécurité à la légère. À plusieurs reprises, l’État hébreu a accepté de libérer des centaines de prisonniers pour assurer le rapatriement de citoyens ou même de dépouilles. Dernier exemple en date, l’accord de 2011 qui a conduit à la libération de 1027 prisonniers palestiniens contre le retour du soldat <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-moyen-orient/gilad-shalit-des-prisonniers-palestiniens-liberes-d-autres-pas_1041863.html">Gilad Shalit</a> retenu par le Hamas à Gaza.</p>
<h2>Et la France ?</h2>
<p>Si la France n’était à l’évidence pas à la manœuvre dans ces négociations, quel bilan pouvons-nous tirer depuis l’Hexagone ? Il faut tout d’abord souligner l’opportunité saisie par les autorités françaises qui ont profité d’un accord sur le point d’être conclu afin d’obtenir une contrepartie, en bonne intelligence avec le pouvoir malien.</p>
<p>Les leçons de la négociation de <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2013/10/30/otages-d-arlit-les-dessous-d-une-libera_3505240_3212.html">libération des otages d’Arlit</a>, dont le paiement des rançons aurait suscité l’ire de son allié malien, semblent avoir été retenues. Cette transaction permet ensuite à la France de garder la face, celle d’un « pays qui ne cède pas » – le Mali a procédé à l’échange et aucune rançon n’est évoquée officiellement – mais qui <a href="https://www.youtube.com/watch?v=0TPxyGODM7c">« n’abandonne pas ses enfants »</a>.</p>
<p>Sur le terrain enfin, même si la situation peine à se stabiliser, l’armée française remporte des succès tactiques comme en témoigne l’élimination d’<a href="https://www.reuters.com/video/watch/idOVCH8MP2J">Abdelmalek Droukdel</a>, ancien chef d’AQMI, le 3 juin 2020. Le rapport de force global devrait <em>a priori</em> perdurer en faveur des 5 000 soldats de l’opération Barkhane, même si des <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/10/09/l-afrique-theatre-d-un-nouveau-djihad_6055429_3212.html">conséquences néfastes</a> ne peuvent être exclues.</p>
<p>Deux autres leçons doivent également être tirées. D’une part, il est nécessaire de responsabiliser toujours plus nos concitoyens dans <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/conseils-aux-voyageurs/conseils-par-pays-destination/">ces zones à risque</a>. Tous doivent prendre conscience de la difficulté d’assurer leur sécurité et, le cas échéant, de parvenir à un accord de libération. La déclaration de Sophie Pétronin, affirmant vouloir revenir au plus vite dans la région de Gao, est à cet égard pour le moins malvenue.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1314487456864120833"}"></div></p>
<p>D’autre part, il faut veiller à minimiser l’implication de l’exécutif. Le rituel qui consiste à accueillir les otages à <a href="https://www.youtube.com/watch?v=nfDEwljuQvs">l’aéroport de Villacoublay</a> est une forme d’instrumentalisation qui tend à personnaliser la gestion de ces affaires autour de la figure du Président de la République. Il envoie un mauvais signal aux ravisseurs en confirmant l’importance politique de leurs prises, jusqu’au sommet de l’État.</p>
<p>Ajoutons en guise de post-scriptum que, contrairement à ce qu’on a <a href="https://www.lefigaro.fr/international/mali-sophie-petronin-derniere-otage-francaise-a-ete-liberee-1-20201008">souvent pu lire</a>, Sophie Pétronin n’était pas la « dernière otage française ». Fariba Adelkhah, chercheuse du CERI–Sciences Po est toujours <a href="http://www.sciencespo.fr/a-propos-fariba-adelkhah-roland-marchal-ce-que-on-sait">retenue contre son gré en Iran</a>, même si elle a récemment pu quitter sa prison pour être placée en résidence surveillée à son domicile…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/147900/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Etienne Dignat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les conditions de la libération de Sophie Pétronin suscitent la polémique. Quelques clarifications sont nécessaires.Etienne Dignat, Doctorant en théorie politique, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1430322020-10-11T16:44:59Z2020-10-11T16:44:59ZLe libre arbitre : entre Einstein et Heisenberg<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/360776/original/file-20200930-14-1u38kq5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=25%2C25%2C1133%2C1422&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">_L'Heureux Donateur_, de René Magritte (1966).</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/gandalfsgallery/32298729005/in/photostream/">Gandalf's Gallery / Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span></figcaption></figure><p>Sommes-nous libres ? Depuis toujours, la philosophie s’est intéressée au problème de la liberté humaine. Que peut ajouter la science à ce débat ?</p>
<h2>L’impitoyable déterminisme</h2>
<p>Le prince de la philosophie <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Emmanuel_Kant">Emmanuel Kant</a> enseignait les mathématiques et les sciences. Il fut le premier à interpréter la Voie lactée comme un amas d’étoiles, c’est-à-dire une galaxie, semblable aux autres nébuleuses visibles dans le ciel. Il s’entendait de physique, il est donc habilité à poser un problème de fond résumé ainsi :</p>
<blockquote>
<p>« Il n’y a pas de liberté, dit l’étude scientifique de la Nature et de toute réalité empirique, car les choses ne sont connaissables que pour autant qu’elles sont soumises à la nécessité de la légalité naturelle. Toute connaissance nouvelle restreint encore la liberté. » (Emmanuel Kant, dans <a href="https://www.livrenpoche.com/les-grands-philosophes-tome-iii-e23206.html">« Les grands philosophes, tome 3 », de Karl Jaspers</a>, 1963)</p>
</blockquote>
<p>La physique newtonienne est strictement déterministe. Dès que la loi est trouvée, tous les phénomènes qui en découlent s’y soumettent irrémédiablement. Ils sont donc exactement prédictibles et le hasard n’y joue aucun rôle. <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Baruch_Spinoza">Baruch Spinoza</a> nous avait déjà avertis :</p>
<blockquote>
<p>« Nous nous croyons libres, mais nous sommes libres comme la pierre qui tombe. » (Baruch Spinoza, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Lettre_%C3%A0_Schuller">Lettre à Schuller</a>, 1674)</p>
</blockquote>
<p>Une connaissance scientifique se construit à partir de l’observation de phénomènes qui amène à la conceptualisation d’une loi, ce qui permet des prédictions. Or qui dit « prédiction » dit « absence de choix », d’où la malédiction de Kant : plus nous connaissons, moins nous sommes libres. Cette inacceptable condamnation fait écho au péché originel dont parle la Genèse : si Kant a raison, le serpent a menti (c’est bien son rôle) et la connaissance ne nous change pas en dieux comme promis par le tentateur, elle nous enchaîne par ses lois.</p>
<blockquote>
<p>« [La] science apprendra à l’homme qu’il n’a jamais eu de volonté… ce qu’il accomplit, il l’accomplit non selon sa volonté mais conformément aux lois de la Nature. Il suffit de concevoir ces lois et l’homme alors ne pourra plus être tenu responsable de ses actes. Toutes les actions humaines pourront être évidemment calculées mathématiquement, comme l’on fait pour les logarithmes, jusqu’au cent millième. » (Fiodor Dostoïevski, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Carnets_du_sous-sol">Le sous-sol</a>, 1864)</p>
</blockquote>
<p>Selon le déterminisme, tous les phénomènes observés répondent à la loi de causalité qui reste la pierre angulaire de la méthode scientifique, mais pas seulement. Le principe de cause à effet cher aux physiciens était déjà revendiqué par les théologiens. Ainsi au XIII<sup>e</sup> siècle, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Thomas_d%27Aquin">saint Thomas d’Aquin</a> l’utilise pour prouver l’existence de Dieu :</p>
<blockquote>
<p>« Il est impossible que quelque chose se mette lui-même en mouvement. Donc, si une chose se meut on doit en conclure qu’elle est mue par autre chose. Si la chose qui meut se meut à son tour, il faut qu’elle-même soit mue par une autre, et celle-ci par une autre encore. Il est donc nécessaire de parvenir à un moteur premier qui ne soit lui-même mû par aucun autre, et une telle source de mouvement sera appelée Dieu. » (saint Thomas d’Aquin, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Somme_th%C3%A9ologique">La somme théologique</a>, 1266-1273)</p>
</blockquote>
<p>Notons que depuis Newton, la physique appelle force ce qui meut un objet.</p>
<p>Kant affine sa démonstration : « La liberté existe par le fait du devoir qui dit ce qui est bien ou mal et donc, ou bien la Nature n’a pas de cohésion causale irrémédiable ou la responsabilité est une illusion. » (Emmanuel Kant, dans <a href="https://www.livrenpoche.com/les-grands-philosophes-tome-iii-e23206.html">« Les grands philosophes, tome 3 », de Karl Jaspers</a>, 1963)</p>
<p>Le déterminisme absolu implique une cohésion causale irrémédiable, celle provenant des lois physiques. Dès qu’elles sont connues, une simulation informatique peut en principe prédire exactement le futur, et dans ce cadre nous sommes réduits au rôle de marionnettes sans liberté propre et donc sans responsabilité.</p>
<p>Heureusement pour nous, on sait aujourd’hui que cette malédiction ne s’applique qu’au niveau de la physique classique et qu’<a href="http://www.cmls.polytechnique.fr/perso/paul/seb4.pdf">elle n’est plus de mise dans le microcosme</a>, le monde où s’agitent les particules.</p>
<h2>La liberté quantique</h2>
<p>La physique de l’infiniment petit est beaucoup plus subtile que celle de Newton, elle n’est plus déterministe elle devient probabiliste. La théorie est seulement capable de calculer des probabilités de réalisation. Ainsi, la trajectoire d’un électron n’est pas uniquement prédite. La pierre qui tombe suit un chemin obligatoire, en revanche l’électron a un choix parmi divers chemins possibles et on ne sait prédire celui qui sera suivi par un électron pris en particulier.</p>
<p>Einstein s’opposa à cet indéterminisme. Il était convaincu qu’il existe une réalité objective que le chercheur doit décrire exactement. Il ne pouvait admettre que la réalité ne soit pas prédite de manière univoque. Ceci l’amena à prononcer <a href="https://editions.flammarion.com/Catalogue/champs-sciences/einstein">son fameux verdict</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Je refuse de croire en un Dieu qui joue aux dés avec le monde. » (Albert Einstein, Congrès de Solvay, 1927)</p>
</blockquote>
<p>Dans sa <a href="https://laboutique.edpsciences.fr/produit/1117/9782759823826">controverse avec les tenants de l’école quantique</a> et en premier lieu Heisenberg, Einstein défendit le point de vue d’une connaissance complète de la réalité ouverte à l’intelligence. L’expérience donna raison à Heisenberg qui explicite le hasard quantique et l’encadre par ses <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Principe_d%27incertitude">relations d’incertitude</a>.</p>
<p>La mécanique quantique démontre la limitation de la pensée humaine, ce qui, si on en croit Kant, nous libère du déterminisme, mais cette liberté ainsi octroyée n’est pas quelconque. Un électron unique suit une trajectoire imprédictible mais une population d’électrons passant à travers une structure se distribuera selon une figure calculable d’interférence ou de diffraction. Le déterminisme ne s’applique pas à l’électron unique, il devient collectif. La liberté quantique de l’électron individuel est contrainte pour construire un projet de concert avec l’ensemble des électrons.</p>
<blockquote>
<p>« Et quant à la contrainte, puisque contrainte il y a, heureuse contrainte qui nous libère de l’inutilité, de la puérilité et de l’esclavage ! » (Paul Claudel, <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Blanche/Positions-et-propositions">Positions et propositions</a>, 1928)</p>
</blockquote>
<p>Robert Stevenson, l’auteur de « L’île au trésor », nous donne une image bucolique de notre liberté encadrée par des contraintes. Il écrit dans « Le prince Othon » : « Rien n’imite si bien l’apparence extérieure du libre arbitre que l’inconsciente agitation, obscurément soumise aux lois des corps liquides, qui préside à la lutte entre une rivière et des obstacles. On dirait l’image de l’homme confronté au destin. »</p>
<h2>Le rôle suspect du temps</h2>
<p>Kant affirme de plus :</p>
<blockquote>
<p>« Les actes libres n’ont aucune origine temporelle mais seulement une origine intemporelle qui naît dans la raison. » (Emmanuel Kant, dans <a href="https://www.livrenpoche.com/les-grands-philosophes-tome-iii-e23206.html">« Les grands philosophes, tome 3 », de Karl Jaspers</a>, 1963)</p>
</blockquote>
<p>Ceci demande une explication. S’il y a causalité, il n’y a pas de liberté. Donc les actes libres ne s’inscrivent pas dans un enchaînement de cause à effet ; ils s’évadent de l’écoulement du temps, ils naissent fortuitement. La liberté exige le hasard, or le seul hasard fondamental que nous connaissions est celui des interactions quantiques.</p>
<p>Tout phénomène déterministe s’inscrit dans le temps puisqu’il suit la rigide loi de cause à effet. La liberté commence au-delà du déterminisme, elle apparaît « hors du temps ». Cela résonne avec l’expérience de Marcel Proust qui vit ses moments d’allégresse sous l’effet de souvenirs involontaires eux aussi intemporels qui lui révèlent sa vocation de créateur.</p>
<p>Est libre ce qui dépasse le nécessaire, disent les philosophes, alors toute quête gratuite, toute création effectuée dans les sciences autant que dans les arts est une preuve de notre liberté. Remarquons qu’une découverte scientifique n’est pas à proprement parler une création puisque E = mc<sup>2</sup> existe antérieurement à Einstein, mais la conceptualisation de la loi en est une et autant Einstein que Heisenberg donnent l’exemple d’êtres libres par excellence.</p>
<h2>Éloge du hasard</h2>
<p>Si tout est hasard, où est notre motivation ? S’il n’y a pas de hasard, où est notre liberté ?</p>
<p>Sans hasard, pas de liberté puisque tout est strictement déterminé par les lois naturelles et une <a href="https://interstices.info/la-simulation-de-monte-carlo/">simulation informatique du type Monte-Carlo</a> peut, en principe, prédire exactement notre futur personnel.</p>
<p>Sans hasard, pas d’étonnement, pas d’interrogation, pas d’imagination, pas d’intuition. La création, tant artistique que scientifique qui cherche à humaniser la Nature est une preuve de notre liberté.</p>
<blockquote>
<p>« Parler du hasard, c’est nier la possibilité de toute loi de cause à effet. Le hasard est finalement l’unique élément irrationnel que peut accepter le libre arbitre. Sans le concept du hasard, la philosophie occidentale du libre arbitre n’aurait pu prendre naissance… C’est ma conviction que ce concept du hasard, de la chance, constitue la substance même du Dieu des Européens ; ils possèdent là une divinité qui tire ses caractéristiques de ce refuge si essentiel au libre arbitre, à savoir le hasard, l’unique sorte de Dieu qui puisse inspirer la liberté de la volonté humaine. » (Yukio Mishima, <a href="http://www.folio-lesite.fr/Catalogue/Folio/Folio/Neige-de-printemps">Neige de printemps</a>, 1989).</p>
</blockquote>
<p>Au sein même du monde purement physique, le hasard quantique démontre l’existence d’une transcendance, c’est-à-dire d’une réalité dépassant notre compréhension. Avec lui, nous ne sommes plus comme la pierre qui tombe mais comme l’électron qui interfère avec lui-même. C’est ce hasard qui potentiellement nous confère la liberté en entrouvrant un pan du mystère de la condition humaine.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/143032/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François Vannucci ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La liberté humaine, entre philosophie et physique.François Vannucci, Professeur émérite, chercheur en physique des particules, spécialiste des neutrinos, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1466822020-10-06T19:01:40Z2020-10-06T19:01:40ZL’Allemagne et la France face aux applications de traçage : conversation avec Frantz Rowe<p>Nous nous intéressons ici au déploiement des applications de traçage destinées à lutter contre la pandémie de la Covid-19 et aux différentes stratégies adoptées par quelques nations, dont la France et l’Allemagne. Nous abordons cette thématique avec Frantz Rowe l’un des trois auteurs d’une <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/0960085X.2020.1803155?scroll=top&needAccess=true">récente étude</a> qui souligne que la stratégie, le pilotage et l’outillage allemands furent <em>in fine</em> plus pertinents que ceux de nombreux pays occidentaux dont la France.</p>
<p><strong>Frantz Rowe, à la suite de votre <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/0960085X.2020.1803155?scroll=top&needAccess=true">publication du 13 septembre dernier</a>, concernant les applications de traçage/contact dans le cadre de la pandémie de Covid-19, pouvez-vous nous rappeler leur fonctionnement et leur but ?</strong></p>
<p>Les applications informatiques qui servent au traçage, comme celles proposées actuellement en lien avec l’épidémie de Covid-19, permettent de repérer, tester et isoler les personnes ayant été en contact avec des personnes étant testées comme positives au virus. Elles peuvent être abordées selon <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0268401220310136?via%3Dihub">trois catégories</a>.</p>
<ul>
<li><p>Celles comme <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/soins-et-maladies/maladies/maladies-infectieuses/coronavirus/tout-savoir-sur-la-covid-19/article/contact-covid-et-si-dep-les-outils-numeriques-du-depistage-covid-19">contact-Covid</a> en France qui permettent de documenter qui a été au contact de qui, et dans ce réseau de contacts, qui a été testé, qui est positif ou non. Les cas positifs nouveaux et leurs contacts récents sont interrogés par des brigades de traçage. Ils sont appelés à s’isoler en attendant le résultat du test et pendant la durée correspondant à celle où ils sont supposés être contaminant s’ils sont positifs. Et l’on remonte ainsi les chaînes ou réseaux de contamination. Les données issues de ces entretiens sont des données confidentielles enregistrées dans ces applications.</p></li>
<li><p>Celles comme <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000041869923/2020-09-24/">SI-DEP</a>, correspondant à des plates-formes sécurisées de dépistage déployées en mai 2020 en France, enregistrent les résultats des laboratoires qui ont effectués des tests RT-PCR afin de vérifier que tous les patients positifs ont bien été pris en charge.</p></li>
<li><p>Celles comme <a href="https://www.economie.gouv.fr/stopcovid">StopCovid</a>, application sur smartphone déployée en juin 2020 en France, permettant de détecter si l’on a croisé quelqu’un qui a été infecté par le virus et qui est donc potentiellement contaminant.</p></li>
</ul>
<p>En pratique, ces applications à dimension médicales sont protégées. Seules les personnes habilitées à consulter, à lire et/ou à modifier leurs fichiers dédiés peuvent le faire. En France elles sont <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/soins-et-maladies/maladies/maladies-infectieuses/coronavirus/tout-savoir-sur-la-covid-19/article/contact-covid-et-si-dep-les-outils-numeriques-du-depistage-covid-19">soumises au secret médical</a>.</p>
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<p><strong>Pourquoi ces applications font-elles débat ?</strong></p>
<p>Les deux premiers types d’applications sont utilisés depuis une dizaine d’années par les administrations et les laboratoires afin de mieux connaître les voies de transmission des virus de personne à personne.</p>
<p>Leur légitimité n’est certes pas contestée si l’on veut en effet que l’État puisse tenter de contrôler la diffusion d’un <a href="https://www.gouvernement.fr/info-coronavirus/comprendre-la-covid-19">virus dangereux</a> pour la population. En revanche l’application sur smartphone pose de nombreux problèmes, essentiellement parce qu’elle est fondée sur le déclenchement d’une requête lié à la communication de données personnelles en situation de mobilité. Il s’agit de savoir si les autres personnes que l’on vient de croiser dans certaines conditions spatio-temporelles étaient touchées par le virus. Si la contagiosité d’une de ces personnes est avérée alors le porteur du smartphone est prévenu et il peut consentir à être appelé par une brigade pour être éventuellement testé.</p>
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<p>Ces conditions spatio-temporelles – plus d’un quart d’heure à moins d’un mètre – témoignent d’une interaction rapprochée et longue mais seraient beaucoup trop contraignantes. En termes techniques cela signifie que les spécifications renverraient plus à un mode de transmission du virus par grosses gouttelettes (postillons) que <a href="https://www.un.org/fr/coronavirus/articles/risk-confirmed-of-aerial-virus-transmission">par les aérosols qui sont probablement aujourd’hui la voie principale</a> de transmission, le toucher étant le mode de <a href="https://www.nature.com/articles/d41586-020-02058-1">transmission le moins fréquent</a>.</p>
<p>La solution StopCovid avec ses spécifications restrictives n’est donc pas une panacée. De surcroît, en France, les données servant l’application sont centralisées. Dès lors, leur piratage et leur triangulation éventuelle avec d’autres données de ces mêmes personnes faites courir un <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2020/05/05/donnees-personnelles-des-malades-du-covid-19-et-de-leurs-contacts-la-cnil-promet-d-etre-vigilante_6038772_4408996.html">risque plus grand aux fichiers correspondants</a>.</p>
<p>Enfin la population devrait porter sur soi un smartphone en situation de mobilité et activer la technologie Bluetooth de façon systématique alors que cette technologie présente des <a href="https://www.lesnumeriques.com/telephone-portable/une-nouvelle-faille-de-securite-touchant-le-bluetooth-a-ete-devoilee-n150563.html">failles de sécurité</a>. Elle n’est ni sûre quant aux données collectées ni fiable quant aux distances qu’elle couvre. En somme pour être prévenu qu’on a croisé quelqu’un qui vient de contracter le virus, on s’expose à voir ses données personnelles exploitées à des fins potentiellement malhonnêtes. Pour couronner le tout – outre la dimension énergivore – on accepte, même durant un temps limité, d’être surveillé et subrepticement on initie une <em>mauvaise habitude.</em></p>
<p><strong>Dans quelle mesure la mobilisation de la philosophie et du concept d’aliénation constitue un angle d’attaque original de cette problématique liée à l’acceptation et l’adoption des technologies ?</strong></p>
<p>Les philosophes nous aident à prendre du recul. Ils mettent en lumière des phénomènes comme la dialectique du maître et de l’esclave développée par Hegel – le maître, passif et oisif, devient peu à peu étranger au monde que transforme l’esclave par son travail puis ne peut que constater l’inversion du rapport de domination – dans son œuvre majeure – <a href="https://www.cairn.info/revue-archives-de-philosophie-2007-3-page-455.htm"><em>la Phénoménologie de l’esprit</em></a>.</p>
<p>Ceci nous permet de penser le risque que peut présenter la transformation digitale et notamment l’intelligence artificielle vis-à-vis de <a href="https://doi.org/10.1080/0960085X.2018.1471789">nos valeurs républicaines</a> notamment les libertés d’aller et de venir, le droit à l’oubli, la non-discrimination et l’égalité.</p>
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<img alt="Conversation avec Frantz Rowe à l’IAE de Nantes" src="https://images.theconversation.com/files/359758/original/file-20200924-16-kidf87.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/359758/original/file-20200924-16-kidf87.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/359758/original/file-20200924-16-kidf87.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/359758/original/file-20200924-16-kidf87.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/359758/original/file-20200924-16-kidf87.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/359758/original/file-20200924-16-kidf87.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/359758/original/file-20200924-16-kidf87.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Rowe Bidan, Nantes (septembre 2019).</span>
<span class="attribution"><span class="source">rowe_bidan</span></span>
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<p>Dans la spécialité et le corpus théorique des <em>systèmes d’information</em> un courant récent s’attaque à la face sombre des technologies (« dark side of IT ») notamment les <a href="https://doi.org/10.17705/1CAIS.03505">travaux de John D’Arcy et de ses collègues</a>. Ils montrent combien la technologie (assistant vocal, caméra de surveillance, progiciel de gestion intégré, réseau social, etc.) peut être aisément détournée de sa fonction ou de son usage premier et, parfois, devenir un outil de surveillance et de contrôle intrusif, coercitif et invasif !</p>
<p>Ces travaux soulèvent également des problématiques particulières liées par exemple à <a href="https://doi.org/10.1016/j.ijinfomgt.2020.102134">l’addiction au smartphone</a> chez les jeunes générations et de fortes différences de pratiques selon leur sexe. D’autre part ces recherches questionnent le point de vue épistémologique et la nature de la connaissance en lien avec la matérialité – dans sa dimension physique et technique – du smartphone.</p>
<p>Ainsi, comme notre collègue <a href="https://www.ryerson.ca/iitm/people/director-ojelanki-ngwenyama/">Ojelanki Ngwenyama</a>, membre de l’Académie des Sciences d’Afrique du Sud et Professeur à l’Université de Toronto, nous a aidé à le souligner, l’aliénation chez Hégel est fondamentalement reliée à une fausse conscience du réel, elle questionne notre rapport à la nature et à nous-mêmes.</p>
<p>L’épidémie de Covid-19 et les pratiques qui en découlent nous poussent donc à questionner ce concept d’aliénation, qui dans ce cadre renvoie aussi bien à la connaissance, à l’architecture et à la mise en œuvre des technologies, qu’à la confiance envers les institutions et l’exécutif.</p>
<p><strong>Pourquoi le cas de la France vis-à-vis de l’Allemagne est emblématique des échecs et réussites de ces déploiements technologiques faisant face à une même menace et à un même objectif a priori ?</strong></p>
<p>Avec notre collègue et co-auteur <a href="https://www.iae-paris.com/fr/enseignants/annuaires/jean-loup-richet">Jean‑Loup Richet</a> nous avons établi une comparaison internationale à la suite <a href="https://doi.org/10.1080/0960085X.2020.1803155">d’investigations sur 10 pays</a>. Après mise en perspective, nous montrons que l’Allemagne a su éviter certaines erreurs commises par la France en termes de communication politique, de choix de design de l’application et de mise en œuvre du dispositif.</p>
<p>L’Allemagne a fait, elle, un <a href="https://doi.org/10.1016/j.ijinfomgt.2020.102181">choix d’architecture décentralisée</a> avec grosso modo des données qui restent stockées sur le smartphone de l’utilisateur de l’application et ne s’envolent pas sur un serveur centralisé distant. De plus, outre Rhin, l’application a été développée de façon plus transparente – le code était ouvert – et avec le concours de nombreux développeurs externes qui ont travaillé collégialement.</p>
<p><strong>Comment expliquez-vous que l’Europe face à un tel sujet transfrontalier n’ait pas (encore) réussit à proposer un outil commun ?</strong></p>
<p>Chaque gouvernement a voulu montrer qu’il agissait et gardait la main en situation de crise. Ces situations sont aussi l’occasion de redorer le blason de la nation. Pour agir et vite la France a fait le <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2020/04/28/application-stopcovid-la-france-isolee-dans-son-bras-de-fer-avec-apple-et-google_6038015_4408996.html">choix de développer une solution souveraine</a>.</p>
<p>Il s’agissait aussi de montrer notre (relative !) indépendance <a href="https://theconversation.com/la-taxe-gafa-une-bien-timide-reponse-a-la-toute-puissance-de-ces-multinationales-pas-comme-les-autres-116537">face aux puissants GAFA</a> et de faire briller nos (réelles) compétences technologiques sur un sujet touchant le bien commun. L’idée centrale – et louable – est aussi d’échapper à toute monétisation des données.</p>
<p>Malheureusement, reconnaissant qu’il y avait problème tant du point de vue de la rapidité du développement que de l’efficacité en termes d’inter-operabilité internationale – c’est-à-dire faire communiquer les applications entre elles – les Britanniques <a href="https://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/le-royaume-uni-prefere-finalement-la-solution-d-apple-et-google-pour-son-application-de-tracage-20200619">ont fini par accepter la solution développée par Google et Apple</a>.</p>
<p>L’Europe, l’Allemagne en tête, a proposé une solution interopérable à laquelle se sont rangés les Anglais et d’autres nations. L’Europe <a href="https://www.frenchweb.fr/face-a-la-propagation-du-covid-19-lue-teste-linteroperabilite-entre-les-applications-de-tracage/404599">plaide ainsi pour l’interopérabilité de toutes ces applications</a> et propose un système « passerelle » face à un virus qui ignore les frontières. La logique voudrait que la France rende également sa solution interopérable.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/146682/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marc Bidan est membre et ancien président de l'association information et management (AIM)</span></em></p>Cet entretien s’intéresse aux applications de traçage destinées à lutter contre la Covid-19 et compare les différentes stratégies adoptées notamment par la France et l’Allemagne.Marc Bidan, Professeur des Universités - Management des systèmes d’information - Polytech Nantes, Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1448082020-08-21T12:51:25Z2020-08-21T12:51:25Z« Je ne veux pas travailler… » : Un regard philosophique sur le repos, l’intégrale<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/353820/original/file-20200820-22-15fegqw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=25%2C8%2C5725%2C3819&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les vacances offrent un moment privilégié pour reconsidérer notre rapport au temps.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://image.shutterstock.com/image-photo/summer-beach-vacation-concept-asia-600w-1061985551.jpg">Peera_stockfoto</a></span></figcaption></figure><figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/346294/original/file-20200708-3970-ghw64j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/346294/original/file-20200708-3970-ghw64j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/346294/original/file-20200708-3970-ghw64j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/346294/original/file-20200708-3970-ghw64j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/346294/original/file-20200708-3970-ghw64j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/346294/original/file-20200708-3970-ghw64j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/346294/original/file-20200708-3970-ghw64j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
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</figure>
<p><em>Cet été, les journalistes de The Conversation France s’accordent un instant de détente à l’ombre de la philosophie. Dans cette série en 5 épisodes d’une dizaine de minutes, plongez dans la réflexion sur la notion de repos et sa place dans nos sociétés modernes.</em></p>
<p><em>Chaque semaine, des philosophes vous offrent un éclairage rafraîchissant et vous invitent à considérer les idées de bonheur, de travail, d’ennui ou encore de liberté sous un angle nouveau.</em></p>
<p><em>Installez-vous confortablement dans votre hamac ou sur votre serviette et ouvrez grand vos oreilles</em>.</p>
<hr>
<h2><a href="https://theconversation.com/podcast-le-repos-une-invention-humaine-142455">Le repos, une invention humaine ?</a></h2>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/353810/original/file-20200820-24-ouuh8l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/353810/original/file-20200820-24-ouuh8l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=426&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/353810/original/file-20200820-24-ouuh8l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=426&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/353810/original/file-20200820-24-ouuh8l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=426&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/353810/original/file-20200820-24-ouuh8l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=535&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/353810/original/file-20200820-24-ouuh8l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=535&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/353810/original/file-20200820-24-ouuh8l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=535&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Sommes-nous trop humains pour pouvoir nous reposer pleinement ?</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/young-girl-kitten-sleeping-on-white-165834341">Alena Haurylik/Shutterstock</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dans ce premier épisode, le philosophe Laurent Bibard nous éclaire sur l’étymologie du mot « repos » et le(s) sens à donner à cette notion qui fait de l’homme un animal dénaturé.</p>
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<p><a href="https://open.spotify.com/episode/7j9mm8kM3uDKp06cFtafZ8?si=hslXHSMjTeaofSMI_jQBkw"><img src="https://images.theconversation.com/files/237984/original/file-20180925-149976-1ks72uy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=268&fit=clip" width="268" height="82"></a>
<a href="https://podcasts.apple.com/au/podcast/le-repos-une-invention-humaine/id1523077174?i=1000484060772"><img src="https://images.theconversation.com/files/233721/original/file-20180827-75984-1gfuvlr.png" alt="Listen on Apple Podcasts" width="268" height="68"></a></p>
<h2><a href="https://theconversation.com/podcast-le-travail-simple-antithese-du-repos-142768">Le travail, simple antithèse du repos ?</a></h2>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/353813/original/file-20200820-22-4vuxpi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/353813/original/file-20200820-22-4vuxpi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/353813/original/file-20200820-22-4vuxpi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/353813/original/file-20200820-22-4vuxpi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/353813/original/file-20200820-22-4vuxpi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/353813/original/file-20200820-22-4vuxpi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/353813/original/file-20200820-22-4vuxpi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Se reposer consiste aussi à ne pas être disponible pendant un moment.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/office-life-young-woman-sleeping-workplace-69637735">Sergey Mironov/Shutterstock</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>D’après le philosophe Ghislain Deslandes, si l’intensité est devenue une vertu, le repos ne doit plus s’envisager comme un moment du travail, mais bien comme un changement radical de rapport au temps.</p>
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<p><a href="https://open.spotify.com/episode/2R5EQSmAGjgCe4nsPK4Ihh?si=AYiTsRl9TIGZynBhqwLkAQ"><img src="https://images.theconversation.com/files/237984/original/file-20180925-149976-1ks72uy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=268&fit=clip" width="268" height="82"></a>
<a href="https://podcasts.apple.com/au/podcast/le-travail-simple-antith%C3%A8se-du-repos/id1523077174?i=1000485283272"><img src="https://images.theconversation.com/files/233721/original/file-20180827-75984-1gfuvlr.png" alt="Listen on Apple Podcasts" width="268" height="68"></a></p>
<h2><a href="https://theconversation.com/podcast-cultivons-lennui-142767">Cultivons l’ennui !</a></h2>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/353814/original/file-20200820-24-1e03qo4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/353814/original/file-20200820-24-1e03qo4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/353814/original/file-20200820-24-1e03qo4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/353814/original/file-20200820-24-1e03qo4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/353814/original/file-20200820-24-1e03qo4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/353814/original/file-20200820-24-1e03qo4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/353814/original/file-20200820-24-1e03qo4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Face au volume de divertissements accessibles, il est devenu très difficile de s’ennuyer vraiment c’est-à-dire de profiter des vertus de l’ennui.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://image.shutterstock.com/image-photo/nothing-interesting-watch-young-african-600w-353560073.jpg">G-Stock Studio/Shutterstock</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Chercher à convertir son existence plutôt que vouloir se divertir à tout prix, c’est le conseil du philosophe François L’Yvonnet dans cet épisode qui interroge le lien entre repos et ennui.</p>
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<p><a href="https://open.spotify.com/episode/0t9EIxJRyNpJhamrsf74vh?si=F97XD3RGT86KLxMlY_vmRA"><img src="https://images.theconversation.com/files/237984/original/file-20180925-149976-1ks72uy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=268&fit=clip" width="268" height="82"></a>
<a href="https://podcasts.apple.com/au/podcast/cultivons-lennui/id1523077174?i=1000485944329"><img src="https://images.theconversation.com/files/233721/original/file-20180827-75984-1gfuvlr.png" alt="Listen on Apple Podcasts" width="268" height="68"></a></p>
<h2><a href="https://theconversation.com/podcast-le-repos-fait-il-le-bonheur-142770">Le repos fait-il le bonheur ?</a></h2>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/353815/original/file-20200820-20-c80bk9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/353815/original/file-20200820-20-c80bk9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/353815/original/file-20200820-20-c80bk9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/353815/original/file-20200820-20-c80bk9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/353815/original/file-20200820-20-c80bk9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/353815/original/file-20200820-20-c80bk9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/353815/original/file-20200820-20-c80bk9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La tranquillité du corps et celle de l’âme sont liées au point qu’il s’avère impossible d’envisager l’une sans l’autre.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/woman-practices-yoga-meditates-lotus-position-605622212">Evgeny Atamanenko/Shutterstock</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Être au repos c’est avant tout savoir capter les circonstances du moment, la « bonne heure »… Cela suppose une présence au monde qui permet d’atteindre la tranquillité de l’âme.</p>
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<p><a href="https://open.spotify.com/episode/52JRrCqFtbQxB0pT8odwPd?si=HbDQ2CI5QjWy-2z4rg3uRQ"><img src="https://images.theconversation.com/files/237984/original/file-20180925-149976-1ks72uy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=268&fit=clip" width="268" height="82"></a>
<a href="https://podcasts.apple.com/au/podcast/le-repos-fait-il-le-bonheur/id1523077174?i=1000486712190"><img src="https://images.theconversation.com/files/233721/original/file-20180827-75984-1gfuvlr.png" alt="Listen on Apple Podcasts" width="268" height="68"></a></p>
<h2><a href="https://theconversation.com/podcast-est-on-vraiment-libre-de-se-reposer-142781">Est-on vraiment libre de se reposer ?</a></h2>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/353817/original/file-20200820-16-rg4q2f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/353817/original/file-20200820-16-rg4q2f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/353817/original/file-20200820-16-rg4q2f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/353817/original/file-20200820-16-rg4q2f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/353817/original/file-20200820-16-rg4q2f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/353817/original/file-20200820-16-rg4q2f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/353817/original/file-20200820-16-rg4q2f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Et si la paresse ou l’oisiveté était une manière d’exprimer notre volonté d’être libre ?</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://image.shutterstock.com/image-photo/beautiful-young-woman-laying-on-600w-554755387.jpg">PointImages/Shutterstock</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le repos constitue la clef de notre possibilité de faire des choix signifiants pour nous-mêmes, et donc une clef pour notre liberté.</p>
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<p><a href="https://open.spotify.com/episode/5Kn2Ibq8R0VkQIiPY5NbLU?si=-qw3T9o0QLC0UHjpWDwd8Q"><img src="https://images.theconversation.com/files/237984/original/file-20180925-149976-1ks72uy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=268&fit=clip" width="268" height="82"></a>
<a href="https://podcasts.apple.com/au/podcast/est-on-vraiment-libre-de-se-reposer/id1523077174?i=1000487418184"><img src="https://images.theconversation.com/files/233721/original/file-20180827-75984-1gfuvlr.png" alt="Listen on Apple Podcasts" width="268" height="68"></a></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/144808/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Dans cette série estivale, les voix des philosophes se mêlent au chant des cigales lors de 5 conversations sur le thème du repos.Thibault Lieurade, Chef de rubrique Economie + Entreprise, The Conversation FranceCamille Khodor, Éditrice Économie + Entreprise, The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.