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Méditerranée – The Conversation
2024-03-14T18:59:10Z
tag:theconversation.com,2011:article/225809
2024-03-14T18:59:10Z
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« Face à l'augmentation du risque de crues rapides, il faut réévaluer nos comportements »
<p><em>En quelques minutes, une trombe d’eau tombe du ciel. Les crues rapides font partie des intempéries les plus spectaculaires et les plus meurtrières également.</em></p>
<p><em>Le bilan des dernières inondations foudroyantes de ce type, liées à la dépression Monica, est ainsi passé à sept morts dans le département du Gard et de l’Ardèche</em>. </p>
<p><em>L’occasion de revenir sur le danger souvent mal conscientisé que représentent ces intempéries vouées à devenir de plus en plus fréquentes avec Isabelle Ruin,, socio-hydrologue au CNRS, spécialiste de la perception du danger et auteure d’une thèse sur le comportement des automobilistes lors de crues rapides.</em></p>
<p><strong>À chaque épisode de crues rapides, les automobilistes font partie des premières victimes, comment expliquer cela ?</strong></p>
<p>Les crues rapides surviennent du fait de précipitations intenses, souvent localisées et de courtes durées qui provoquent des ruissellements impressionnants affectant particulièrement le réseau routier. Les nombreux départements du sud de la France affectés par ces épisodes de précipitations intenses présentent en plus. de cela des paysages vallonnés maillés de nombreux petits torrents à peine visibles et dispersés dans le paysage qu’entrecoupent de nombreux itinéraires routiers. Ainsi, dans des départements comme le Gard, les Alpes Maritimes, l’Hérault, le relief et l’augmentation des surfaces urbanisées imperméables favorisent l’accélération des vitesses d’écoulement augmentant encore la capacité destructrice de l’eau.</p>
<p>Ces intersections et promiscuités entre réseau routier et réseau hydrographique sont autant de lieux sensibles où des automobilistes effectuant leurs trajets habituels peuvent se faire surprendre par une montée rapide de l’eau. Dès lors, l’exposition des populations à ce type d’événement ne se limite pas aux lieux d’habitation ou de travail, mais elle est d’autant plus forte sur les routes car les voitures et leurs passagers sont très vulnérables à ces phénomènes de ruissellements localisés. Près de 40 % des décès lors de crues rapides surviennent dans ces circonstances. Aux États-Unis, le chiffre est encore plus impressionnant notamment au Texas (jusqu’à 70 %) où les déplacements en voiture sont la règle et les passages à gué monnaie courante. </p>
<p>Lors d’épisodes pluvieux, la difficulté première est dès lors de se rendre compte de la dangerosité de circuler dans ces conditions. Mais bien souvent, en tant qu’automobiliste, nous sommes en mode « pilote automatique » et notre attention est focalisée sur l’objectif de notre déplacement. Il peut ainsi être difficile d’évaluer que les pluies et la quantité d’eau sur la route sont suffisamment sérieuses pour remettre en question nos emplois de temps peu flexibles. </p>
<p>La voiture procure en plus de cela un faux sentiment de sécurité. Peu de gens se rendent compte de la force de l’eau et du danger que cela représente, notamment dans une voiture. Le véhicule est perçu comme une seconde maison, procure un sentiment de maîtrise et de sécurité. Mais, outre le risque d’aquaplaning, dès lors qu’il y a 30 cm d’eau et que nous sommes en mouvement, la voiture est très vite soulevée par la poussée d’Archimède et devient rapidement incontrôlable. Ensuite, une fois que l’eau atteint les portières, il devient difficile de les ouvrir et bien souvent les vitres électriques cessent de fonctionner car le moteur est noyé. La voiture se transforme alors en véritable piège. </p>
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<figcaption><span class="caption">Cette vidéo de prévention rappelle qu’en cas d’inondation, 30 cm d’eau suffisent pour emporter un véhicule, et que dès cette profondeur d’eau, ouvrir une portière peut-être difficile pour nombre d’enfants et d’adultes.</span></figcaption>
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<p><strong>Dès lors, pourquoi les gens continuent-ils à prendre leur véhicule lors de telles intempéries ?</strong></p>
<p>Nous conscientisons en général plus facilement le risque sur notre lieu d’habitation ou de travail car nous nous représentons mieux notre environnement proche pratiqué tous les jours. Si l’on est propriétaire, on apprend également lors de l’acte d’achat si l’on est en zone inondable ou non. D’autant que dans ces lieux, la protection du bâtiment nous rend moins vulnérable aux phénomènes de ruissellements localisés. Par contre, le risque couru pendant nos déplacements est un impensé, or c’est pourtant là où nous sommes les plus vulnérables. </p>
<p>La dangerosité de nos trajets quotidiens lors d’épisodes pluie-inondation est de fait mal-évaluée. De façon contre-intuitive, ce sont par exemple les petits ruisseaux qui sont souvent à sec pendant l’année qui seront les plus dangereux pour les automobilistes en cas de crues rapides. Car le danger est lié à la taille du bassin versant, c’est-à-dire la surface de collecte des eaux : plus celui-ci est petit plus la durée qui sépare les pluies des inondations est faible. Ainsi, parfois quelques dizaines de minutes suffisent pour transformer un filet d’eau en un torrent en furie. Mais lorsqu’on interroge les habitants sur le cours d’eau le plus proche de chez eux, ils vont typiquement citer la grande rivière où ils voient régulièrement de l’eau et oublier le tout petit ruisseau. En période de crue, ils vont donc penser à éviter les abords des grands cours d’eau, mais pas nécessairement se dire qu’il faut changer d’itinéraire pour éviter ce petit ruisseau tout près de chez eux qui, il y a quelques heures encore, était à sec. </p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/V4CINZjlacw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Lors de fortes pluies, des petits cours d’eau asséchés peuvent soudainement voir arriver une grande vague.</span></figcaption>
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<p><strong>Outre les dangers que représentent l’habitacle de la voiture et la proximité avec un cours d’eau, la route en tant que telle présente-t-elle également des risques ?</strong> </p>
<p>Oui, sur la route, en début d’épisode pluie-inondation, il est difficile d’évaluer la hauteur d’eau. Souvent l’eau est trouble et il est compliqué d'avoir une idée de sa profondeur. En plus, la violence des ruissellements provoque souvent des dégâts sur les fondations ou le revêtement de la route pouvant créer des effondrements difficiles à déceler avec la faible visibilité liée aux circonstances météorologiques. Il pleut également, donc intuitivement on préfère rester au sec à l’intérieur de son véhicule plutôt que de sortir et de se réfugier à pied dans un lieu en hauteur. </p>
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<p><strong>Les régions récemment touchées sont de fait coutumières des crues rapides. Pourtant leurs principales victimes sont en général des habitants qui connaissent les risques et leur territoire. Cela peut sembler contre-intuitif…</strong></p>
<p>Oui, c’est effectivement frappant. Une enquête réalisée il y a une quinzaine d’années auprès des touristes avait montré que ces derniers annuleraient plus facilement leurs déplacements et activités que les habitants, en situation d’alerte. </p>
<p>Pour comprendre ce comportement des habitants du pourtour méditerranéen fréquemment exposé à ces événements, il faut avoir conscience que les crues rapides sont très difficiles à prévoir et à localiser avec certitude. Ainsi, les habitants sont alertés plusieurs fois par an par des vigilances pluie-inondation (celles servant à prévenir des crues rapides) de niveau orange (niveau 3 sur 4) qui sont émises à l’échelle d’un département. Or ces événements frappent, <em>in fine</em>, à une échelle bien plus restreinte que celle du département. Dès lors, la vigilance orange peut perdre de son caractère de dangerosité et pourra avoir tendance à être sous-estimée. Au moment de prendre la décision de vaquer à leurs activités quotidiennes ou d’éviter de s’exposer, les habitants seront facilement tentés de continuer à faire comme prévu initialement, car le pire n’est pas certain. </p>
<p>Malheureusement, c’est en vigilance orange et non rouge que la plupart des décès surviennent. En vigilance rouge, le sentiment de danger imminent est bien perçu, et les comportements sont généralement adaptés en conséquence. En vigilance orange, on est dans un entre-deux, on se dit « On ne va pas changer nos plans » surtout qu’avec nos emplois du temps peu flexibles et chargés il est souvent difficile de bousculer nos routines <a href="https://books.openedition.org/editionscnrs/10067?lang=fr">quand la perception du danger comme de sa probabilité sont loin d’être évidentes. </a></p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/nos-villes-doivent-etre-plus-permeables-comment-le-biochar-peut-etre-une-solution-durable-face-aux-inondations-220115">Nos villes doivent être plus perméables : comment le biochar peut être une solution durable face aux inondations</a>
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<p><strong>Serait-il dès lors possible de mieux prévoir la localité et le degré risque ?</strong></p>
<p>Malgré tous les progrès qui ont été fait grâce aux radars météorologiques, une part d’incertitude subsistera toujours. Il faut donc que chacun soit conscient que l’information ne pourra pas être parfaitement sûre et précise. </p>
<p>Ce qui est certain cependant, c’est qu’il va falloir s’adapter, car ces épisodes vont devenir plus fréquents et plus répandus du fait du réchauffement climatique, de l’augmentation de l’urbanisation et de l’exposition, et atteindre des régions françaises qui en ont peu l’habitude. Il va falloir apprendre à vivre avec ce risque plutôt que d’essayer de se voiler la face en se pensant à l’abri des digues et ouvrages de protection. </p>
<p>Les crues rapides font de fait partie des phénomènes météorologiques les plus mortels, car, du fait de la violence et la rapidité de leur survenue (quelques dizaines de minutes à quelques heures), elles laissent très peu de temps aux personnes exposées pour se mettre en protection. Elles touchent généralement de petites surfaces, mais le <a href="https://doc.cerema.fr/Default/doc/SYRACUSE/586223/victimologie-liee-aux-inondations-sur-l-arc-mediterraneen-etat-des-lieux-des-pratiques-et-reflexions?_lg=fr-FR#:%7E:text=Environ%20480%20d%C3%A9c%C3%A8s%20li%C3%A9s%20aux,derni%C3%A8re%20d%C3%A9cennie%20est%20particuli%C3%A8rement%20%C3%A9lev%C3%A9e.">taux de mortalité</a> par rapport au nombre de personnes exposées est ainsi beaucoup plus élevé que pour les crues de grandes rivières qui se propagent très lentement (plusieurs jours). </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-perception-des-catastrophes-naturelles-affecte-t-elle-notre-rapport-au-risque-climatique-186748">La perception des catastrophes naturelles affecte-t-elle notre rapport au risque climatique ?</a>
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<p><strong>Comment s’adapter du coup ?</strong></p>
<p>On le voit, les crues rapides continuent à surprendre les gens dans leur quotidien, La plupart du temps, ce sont des activités comme aller au travail ou aller chercher des enfants à l’école qui sont les plus difficiles à annuler. Ainsi les crues sont plus meurtières lorsqu’elles ont lieu en semaine et dans les horaires de déplacements. Il faudrait dès lors que tous les différents acteurs d’un territoire acceptent d’incorporer plus de flexibilité dans leurs organisations quotidiennes. Que les employeurs, par exemple, acceptent, en cas d’alerte, de potentiels retards ou du télétravail occasionnel. </p>
<p>Il faut aussi apprendre à changer nos réflexes. En état d’alerte, le premier réflexe consiste à vouloir rentrer chez soi et y rassembler la famille, donc aller chercher ses enfants à l’école et prendre la route au moment où c’est le plus dangereux. Souvent, les réactions sont prises sous le coup de l’émotion, car l’inquiétude et parfois le manque de contact avec ses proches font prendre les mauvaises décisions. Or le mieux serait que chacun des membres de la famille se mette en sécurité en hauteur là où il est pendant les quelques heures de l’événement. À l’école, les enfants sont pris en charge car chaque école doit disposer d’un plan particulier de mise en sécurité (PPMS). Au travail comme à la maison, chacun devrait préparer sa mise en protection et celle de sa famille ou de ses employés en <a href="https://www.georisques.gouv.fr/me-preparer-me-proteger/mon-plan-familial-de-mise-en-surete">cas de risque en mettant en place son propre plan familial de mise en sécurité</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225809/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Isabelle Ruin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Les crues rapides sont parmi les intempéries les plus meurtrières. Le changement climatique et l'urbanisation les rendent de plus en plus fréquentes, sans que l'on en conscientise toujours le danger.
Isabelle Ruin, Chercheuse, CNRS, Institut des Géosciences de l'Environnement, Université Grenoble Alpes (UGA)
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2024-03-10T16:48:28Z
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Comment le conflit Israël-Hamas redessine les routes du transport maritime
<p>Depuis le 19 novembre, date à laquelle les rebelles houthis du Yémen <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/11/20/les-houthistes-du-yemen-se-sont-empares-d-un-navire-commercial-en-mer-rouge_6201141_3210.html">se sont emparés d’un navire commercial en mer Rouge</a>, ils ont mené <a href="https://www.sudouest.fr/economie/commerces/attaques-en-mer-rouge-les-etats-unis-disent-avoir-detruit-dix-drones-des-houthis-et-trois-d-iran-18386150.php">plus de 35 attaques</a> en mer Rouge, en signe de <a href="https://theconversation.com/topics/conflit-israelo-palestinien-147107">soutien au Hamas et à la Palestine</a>. Malgré les forces militaires britanniques et américaines en patrouille dans la zone et l’ambition européenne de faire de même, les attaques perdurent et perturbent le transport maritime. Or c’est par ce moyen que sont acheminés près de 90 % des volumes du commerce mondial. <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/egypte/canal-de-suez/attaques-des-houthis-en-mer-rouge-le-canal-de-suez-fortement-penalise_6377344.html">12 % environ</a> passent par le canal de Suez, qui relie la mer Rouge à la Méditerranée.</p>
<p>Comme a pu l’illustrer la crise liée au Covid-19, toute perturbation de l’organisation du transport maritime a <a href="https://link.springer.com/article/10.1057/s41278-020-00162-7">des impacts sur les échanges commerciaux mondiaux</a>. Face à cette situation à risque, les principaux opérateurs de porte-conteneurs, qui sont une <a href="https://theconversation.com/transport-maritime-40-ans-de-course-au-gigantisme-206780">petite dizaine à contrôler plus de 80 % du marché mondial</a>, ont fait le choix de changer de route et de contourner le continent africain, avec un temps de navigation supplémentaire d’environ 10 jours pour relier l’Asie à l’Europe et inversement.</p>
<p>Les premières conséquences logistiques, manufacturières et industrielles <a href="https://www.businews.fr/%E2%80%8BAttaques-de-navires-en-mer-Rouge-l-economie-provencale-touchee-de-plein-fouet_a4703.html">se font ressentir en Europe</a>. Tesla a <a href="https://www.reuters.com/business/autos-transportation/tesla-berlin-suspend-most-production-two-weeks-over-red-sea-supply-gap-2024-01-11/">mis à l’arrêt</a> sa gigafactory européenne située en Allemagne depuis le 29 janvier à cause des retards d’approvisionnement. Volvo a suspendu sa production en Belgique durant 3 jours courant janvier. Cette crise touche également des importateurs et exportateurs de plus petites tailles qui reportent leurs commandes en Asie ou carrément annulent leurs achats en jouant sur les stocks. Pour le moment, le consommateur final n’est pas encore impacté de manière visible mais il faut s’attendre, si la situation perdure dans le temps, à des augmentations de prix et à des ruptures de stocks en rayons de produits manufacturés.</p>
<p>Le transport maritime conteneurisé fonctionne selon le système de la ligne régulière avec des routes préétablies et des escales portuaires à date fixe. Cela assure au chargeur la régularité indispensable au bon fonctionnement des chaînes logistiques, depuis le producteur jusqu’au distributeur et au consommateur. Éviter Suez désorganise cette bonne marche. Pour quelle résultante ?</p>
<h2>Les ports Africains regardent les porte-conteneurs passer…</h2>
<p>En exploitant les signaux AIS (<em>automatic identification system</em>) des porte-conteneurs, il est possible de recomposer sur une période donnée toutes les escales portuaires effectuées. Nous avons <a href="https://www.actu-transport-logistique.fr/journal-de-la-marine-marchande/port/yann-alix-ronan-kerbiriou-les-ports-africains-regardent-passer-les-porte-conteneurs-889686.php">analysé</a> les escales deux mois avant et deux mois après le 19 novembre pour tous les navires d’une capacité de transport supérieure à 12 000 EVP (équivalent de 20 pieds, l’unité de mesure standardisée des conteneurs maritimes qui correspond à la taille d’un caisson) et qui naviguent entre l’Europe et l’Asie.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1667947614321475586"}"></div></p>
<p>Ce qui apparaît en premier lieu, et qui peut sembler paradoxal, c’est que la circumnavigation africaine des flottes de porte-conteneurs n’a pas d’effets notables sur les activités portuaires de ce continent. Les principaux hubs africains, Lomé au Togo, Abidjan en Côte d’Ivoire et Pointe-Noire en République du Congo, n’ont pas enregistré d’évolution dans les offres de desserte.</p>
<p>Ce sont de plus petits ports, Walvis Bay (Namibie) et Port-Louis (Ile-Maurice) qui voient escaler de grands porte-conteneurs. Ils sont aidés en cela par leur situation géographique à environ mi-parcours entre l’Europe et l’Asie et leurs accès maritimes en eau profonde. Ces deux ports sont très peu éloignés de la route directe à la différence de ports de « fond de Golfe » comme ceux de Lomé ou Lekki au Nigéria. Port-Louis a enregistré neuf porte-conteneurs de plus de 12 000EVP de capacité en escale contre seulement deux auparavant. Le port de Walvis Bay n’avait lui enregistré aucune escale de cette catégorie de navires ; sept y sont passés depuis le début de la crise. Ces choix d’escales ne semblent néanmoins répondre qu’à un besoin opérationnel des opérateurs (des besoins de soutage, par exemple, c’est-à-dire de ravitaillement en énergie) et ne profitent pas aux marchés locaux.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/578318/original/file-20240227-24-80pzvu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/578318/original/file-20240227-24-80pzvu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/578318/original/file-20240227-24-80pzvu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/578318/original/file-20240227-24-80pzvu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/578318/original/file-20240227-24-80pzvu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/578318/original/file-20240227-24-80pzvu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/578318/original/file-20240227-24-80pzvu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/578318/original/file-20240227-24-80pzvu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Les ports africains risquent finalement surtout, et en dépit du bon sens, de subir des délais de transit supplémentaires pour tous les trafics en transbordement. Traditionnellement, des navires-mères reliant l’Asie à l’Europe opèrent des escales dans les ports du détroit de Gibraltar, Tanger-Med au Maroc et Algésiras en Espagne, où les marchandises à destination ou à l’origine du marché africain sont transbordées sur ou depuis des navires de moindre capacité pour desservir la côte ouest Africaine. Dans la situation actuelle, les navires mères et donc les marchandises passent devant les ports africains pour rejoindre directement les deux précédemment cités et poursuivre leurs routes vers l’Europe du Nord. Les temps de navigation sont donc grandement allongés et les temps de livraisons des marchandises sérieusement dégradés.</p>
<h2>Un « cul-de-sac méditerranéen »</h2>
<p>Les ports méditerranéens sont, eux, <a href="https://lemarin.ouest-france.fr/shipping/ports-de-commerce/avec-la-crise-de-la-mer-rouge-les-ports-espagnols-rient-celui-du-piree-pleure-fcf35058-d726-11ee-96ef-9660257def44">sévèrement touchés</a> par les réorganisations via le cap de Bonne-Espérance. Les données d’escales montrent une forte diminution généralisée : -33 % d’escales de gros porte-conteneurs au Pirée (Grèce), -51 % à Port-Saïd (Égypte), -72 % à Mersin (Turquie) ou encore -23 % à Marseille. Seuls les ports espagnols de Barcelone et de Valence se maintiennent à peu près car ils sont géographiquement proches du détroit de Gibraltar.</p>
<p>Les autres restent fortement tributaires du passage maritime de Suez pour les échanges avec le Moyen-Orient, le sous-continent indien et bien sûr l’Extrême-Orient. Avec déjà 8 à 10 jours supplémentaires de mer, les plus gros cargos du monde ne s’aventurent plus dans ce qui devient un « cul-de-sac méditerranéen ». La priorité pour les compagnies maritimes est de desservir les grands ports nord-européens comme Rotterdam, Anvers ou Hambourg au détriment des services directs de la Méditerranée.</p>
<p>Les ports du pourtour, particulièrement ceux situés dans la partie orientale et en mer Noire, sont donc retirés des services maritimes Asie – Europe via une réorganisation des transbordements. La compagnie chinoise Cosco Shipping va par exemple transborder les marchandises en provenance d’Asie et à destination de la méditerranée dans le port belge de Zeebrugge et <a href="https://lemarin.ouest-france.fr/shipping/conteneur/les-armateurs-se-reinventent-pour-desservir-la-mediterranee-e220d568-cb4e-11ee-be0b-364738a87aaa">mettre en place une navette</a> avec le porte-conteneurs <em>Cosco Development</em>.</p>
<h2>Et après ? Tanger-Med grand gagnant ?</h2>
<p>Le grand gagnant dans cette nouvelle projection maritime globale pourrait finalement être Tanger-Med, <a href="https://fr.le360.ma/economie/tanger-med-grimpe-au-vingt-troisieme-rang-du-classement-des-plus-grands-ports-du-monde-255778/">premier port de Méditerranée et d’Afrique</a>. Avec un nombre d’escales quasi identiques (-9 %), il semble renforcer sa position concurrentielle relative vis-à-vis de tous ses concurrents portuaires. Cela avait <a href="https://unctad.org/news/vers-une-nouvelle-hierarchisation-portuaire-ouest-mediterraneenne-dans-lere-de-la-Covid">déjà été observé lors de la crise liée au coronavirus</a> avec une concentration des escales des navires les plus grands sur les terminaux du port marocain.</p>
<p>Sa situation géostratégique est en effet exceptionnelle, aux points de rencontre des principales routes maritimes est-ouest (Amérique – Europe – Méditerranée – Asie) mais aussi nord-sud (Europe-Méditerranée-Afrique). Ce positionnement est valorisé par les plus grandes compagnies maritimes et les plus grands opérateurs de manutention internationaux avec une augmentation remarquable de <a href="https://www.tangermed.ma/wp-content/uploads/2024/01/CP-TMPA-BILAN-DE-LACTIVITE-PORTUAIRE-EN-2023.pdf">13,4 % pour atteindre 8,6 millions de conteneurs manutentionnés en 2023</a>.</p>
<p>Avec la crise de Suez, Tanger Med pourrait tirer profit d’une réorganisation durable des lignes régulières et d’une intensification de la <a href="https://www.cevalogistics.com/fr/glossaire/feedering">« feederisation »</a> (le <em>feedering</em>, c’est le transbordement de navires-mères vers de plus petits capables d’accéder à des ports plus étroits) des marchés méditerranéens via le port marocain. Cette projection est soutenue par deux facteurs. Le premier est que la demande européenne reste faible, du moins inférieure aux volumes qui rempliraient toutes les capacités maritimes déployées par les armements.</p>
<p>Le deuxième facteur est inhérent au fonctionnement de l’économie maritime. <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/entreprises/l-armateur-cma-cgm-signe-un-profit-record-pour-une-entreprise-francaise-en-2022-a-plus-de-23-milliards-d-euros_5691200.html">Les deux dernières années ont été fastes pour le secteur</a>, ce qui a encouragé les plus grandes firmes à investir massivement dans de nouvelles unités, souvent de très grande taille. Le carnet de commandes des porte-conteneurs dépassent les 7 millions d’EVP au début de l’année 2024, soit presque un quart du total actuellement en service. Pour la seule année 2024, la capacité mondiale conteneurisée va augmenter de 10 % alors que les prévisions de croissance du marché oscillent autour de 3 %. Ce surplus de capacité pourrait trouver une « aubaine de marché » avec le contournement prolongé de l’Afrique et l’évitement géostratégique de Suez. 10 jours de plus exigent en effet le déploiement de plus de navires et de plus de capacités pour garantir des services hebdomadaires entre l’Asie et l’Europe.</p>
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<p><em>Yann Alix, délégué général de la fondation SEFACIL, a également contribué à la rédaction de cet article.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224027/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ronan Kerbiriou a reçu des financements de la fondation SEFACIL.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Brigitte Daudet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Depuis l’automne, les porte-conteneurs préfèrent contourner l’Afrique qu’emprunter le canal de Suez. Qui sont les gagnants et les perdants de ce changement d’itinéraire ?
Ronan Kerbiriou, Ingénieur d'études, Université Le Havre Normandie
Brigitte Daudet, Enseignant- chercheur en management, EM Normandie
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/222453
2024-02-08T16:57:47Z
2024-02-08T16:57:47Z
Sauvetage des migrants-naufragés en Méditerranée : comment la politique de l’UE doit évoluer
<p>Des voix <a href="https://defishumanitaires.com/2023/06/27/en-panne-ou-a-sec-une-discussion-necessaire-sur-le-deficit-de-financement-de-laide-humanitaire/">s’élèvent de toutes parts</a> pour alerter sur les limites financières et politiques auxquelles se heurte désormais l’aide humanitaire internationale dans sa capacité de déploiement.</p>
<p>Les fonds gouvernementaux, qui représentent 80 % des ressources annuelles de cette aide humanitaire internationale, traduisent des choix directement liés aux priorités politiques des pays donateurs. La situation des secours à l’égard des migrants naufragés en Méditerranée illustre de façon caricaturale les logiques d’une « compassion à géométrie variable », alors que c’est dans cette mer que l’on dénombre désormais le plus de décès sur le chemin de la migration. De 2014 à janvier 2024, le nombre de morts est ainsi estimé à <a href="https://missingmigrants.iom.int/fr/region/mediterranee">presque 29 000 personnes</a>.</p>
<h2>Une obligation morale et juridique</h2>
<p>On ne peut que regretter qu’il ne soit fait aucune mention explicite de la question du sauvetage des naufragés dans la toute récente publication de la <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/strategie-humanitaire-fr_cle8c1cde.pdf">stratégie humanitaire du gouvernement français pour sa programmation 2023-2027</a>. Il n’est toutefois pas trop tard.</p>
<p>Rappelons notamment que la France affirme dans cette stratégie qu’elle « défendra l’action humanitaire comme priorité européenne » (point 4.1.b du plan), et qu’elle portera une attention particulière aux femmes et aux enfants, populations particulièrement fragiles parmi les migrants, a fortiori parmi ceux qui tentent la traversée (points 2.4 et 2.5 du plan). 14 % de l’ensemble des personnes arrivées en Italie en 2016 après avoir traversé la Méditerranée étaient des enfants non accompagnés. Entre 2014 et 2020, <a href="https://www.migrationdataportal.org/fr/themes/child-and-young-migrants">au moins 2 300 enfants sont morts ou ont disparu au cours de leur voyage migratoire</a>. Les femmes représentent 20 % des arrivées maritimes en Europe, avec une <a href="https://journals.openedition.org/lhomme/43037">moindre chance de survivre à la traversée que les hommes</a>.</p>
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<span class="caption">Nombre de décès le long des routes migratoires du 1ᵉʳ janvier 2014 au 27 janvier 2024. Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://missingmigrants.iom.int/data">Organisation internationale pour les Migrations (OIM)</a></span>
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<p>Il est un aspect des questions migratoires qui ne se prête pas à de rudes et parfois manichéennes controverses politiques : c’est le devoir de recherche et d’assistance aux naufragés. Car cette obligation relève d’un cadre juridique qui ne fait pas débat, que ce soit au regard du <a href="https://www.imo.org/fr/ourwork/legal/pages/unitednationsconventiononthelawofthesea.aspx">droit de la mer</a> ou du point de vue du <a href="https://www.unhcr.org/fr/media/convention-et-protocole-relatifs-au-statut-des-refugies">droit international humanitaire</a>.</p>
<p>Dès lors, comme <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/12/15/aucune-disposition-en-matiere-de-lutte-contre-l-immigration-illegale-ne-saurait-justifier-un-renoncement-aux-obligations-du-droit-international_6206048_3232.html">l’a réaffirmé la Commission nationale consultative des droits de l’homme</a> (CNCDH), l’inertie des gouvernements des États membres de l’UE – sous couvert de lutte anti-migration – devant les drames récurrents est intolérable aux plans moral, légal et politique.</p>
<p>Certaines agences des Nations unies se sont, elles aussi, exprimées publiquement en 2023 pour dénoncer la situation qui prévaut en Méditerranée. Dans une prise de parole commune, l’OIM, le HCR et l’UNICEF ont <a href="https://news.un.org/fr/story/2023/08/1137522">publiquement appelé les États à « prendre leurs responsabilités »</a>.</p>
<h2>L’abandon du dispositif Mare Nostrum, témoin du défaut de solidarité des pays européens</h2>
<p><a href="https://www.cairn.info/revue-multitudes-2014-1-page-20.htm">Le naufrage survenu le 3 octobre 2013 à Lampedusa</a>, qui a coûté la vie à 366 migrants, provoqua une profonde émotion en Italie. Enrico Letta, alors président du Conseil, déclencha une opération militaro-humanitaire baptisée <a href="https://www.la-croix.com/Actualite/Europe/L-Italie-lance-la-mission-Mare-Nostrum-2013-10-16-1043279">Mare Nostrum</a>, destinée à la fois à secourir les migrants naufragés et à dissuader les passeurs.</p>
<p>Ce dispositif, souvent salué pour son efficacité et son humanité, a eu une durée de vie éphémère.</p>
<p>Le coût du déploiement militaire était élevé, estimé à environ 9 millions d’euros par mois. Il fut presque entièrement supporté par l’Italie, l’UE n’ayant accordé qu’une aide minime, dont Rome demandait avec constance l’augmentation.</p>
<p>Outre son coût, cette opération fut aussi critiquée car elle aurait eu, selon ses détracteurs, l’effet inverse de celui recherché dans la mesure où elle aurait facilité le passage de clandestins. En effet, certains passeurs se contentaient d’acheminer leurs passagers dans les eaux italiennes à l’aide d’un navire mère, avant de les abandonner à bord de petites embarcations, récupérées ensuite par les navires italiens opérant dans le cadre de Mare Nostrum.</p>
<p>Pour ces raisons, de nombreuses personnalités en Italie demandèrent l’arrêt de l’opération. Ce fut notamment le cas du ministre de l’Intérieur Angelino Alfano. Il annonça finalement le 27 août 2014 que cette opération serait remplacée par « Frontex Plus », un programme de contrôle des frontières géré et financé par l’UE.</p>
<p>Mare Nostrum prit donc fin le 1<sup>er</sup> novembre 2014. En remplacement, Frontex mettra en place <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/eu-migration-policy/saving-lives-sea/">l’opération Triton</a>, bien moins ambitieuse, qui se contentera de patrouiller dans les eaux territoriales italiennes, n’ayant ni mandat ni équipement pour procéder à des opérations de recherche et sauvetage en haute mer.</p>
<p>L’abandon de Mare Nostrum traduisit ainsi une triple défaillance de l’UE : l’absence de solidarité entre les pays membres, en particulier dans leur soutien à l’Italie ; une incapacité à mesurer la détermination de personnes voulant à tout prix échapper à la violence de leur pays d’origine ; et une myopie collective sur les risques encourus par les migrants lors de traversées sauvages.</p>
<p>Ce repli est d’autant plus inacceptable que l’UE est par ailleurs <a href="https://devinit.org/resources/global-humanitarian-assistance-report-2023/">l’un des contributeurs majeurs à l’enveloppe annuelle consacrée à l’aide internationale d’urgence</a>.</p>
<h2>Le problème de la zone de recherche et de sauvetage libyenne</h2>
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<span class="caption">Le découpage de la Méditerranée en zones de recherche et de sauvetage (Search and Rescue, SAR).</span>
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<p>Une zone SAR (« Search and rescue ») est un espace maritime aux dimensions définies, où un État côtier assure des services de recherche et de sauvetage, à commencer par la coordination des opérations. Une zone SAR s’étend à la fois sur les eaux territoriales et internationales ; ce n’est pas une zone où l’État jouit d’une autorité ou de droits étendus, mais plutôt un espace de responsabilité.</p>
<p>Au sein de sa zone SAR, l’État côtier doit <a href="https://sosmediterranee.fr/sauvetage-en-mediterranee/">assurer la prise en charge et la coordination des secours en mer, et trouver un lieu sûr où débarquer les rescapés</a>. Un « lieu sûr » se définit comme une destination où les naufragés verront assurés leurs besoins vitaux fondamentaux (abri, nourriture, eau, accès aux soins…) ; où ils seront en sécurité ; et où ils pourront bénéficier d’un examen de leurs droits en vue d’une éventuelle demande d’asile.</p>
<p>La zone SAR libyenne, principal théâtre d’intervention des navires de sauvetage, a été créée en 2018. Depuis, elle concentre des dysfonctionnements et des violences passés sous silence par l’UE qui finance le dispositif mis en place dans ce pays.</p>
<p>Jusqu’à 2018, la Libye n’avait pas déclaré de zone SAR au large de ses eaux territoriales, faute d’une flotte suffisante et, surtout, d’un « centre de coordination » fiable, capable de communiquer avec la haute mer. Pour éviter un « triangle des Bermudes » des secours, l’Italie avait alors élargi de fait – sinon en droit – son champ d’activité. Le 28 juin 2018, Tripoli a soudainement <a href="https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2020-1-page-29.htm">déclaré</a> auprès de l’Organisation internationale pour les Migrations (OIM) sa zone « SAR » et son « Centre de coordination et de secours maritime » (Maritime Rescue Coordination Center, MRCC), officialisés du jour au lendemain. Les Italiens ont alors passé le relais aux Libyens.</p>
<p>Cette évolution résulte d’un vaste programme européen de soutien à la Libye datant de 2017, doté de 46 millions d’euros, qui visait tout à la fois à renforcer les frontières de l’Union, à lutter contre l’immigration illégale et à améliorer les opérations de sauvetage en mer. Ce plan prévoyait des moyens financiers de 6 millions d’euros par an, sur plusieurs années, pour aider Tripoli à créer sa propre SAR et son Centre de coordination. À ce budget étaient adjoints 1,8 million d’euros, <a href="https://www.mediapart.fr/journal/international/111018/migrants-le-hold-de-la-libye-sur-les-sauvetages-en-mer">via le Fonds pour la sécurité intérieure de l’Union</a>, sans que l’on connaisse précisément le contenu des demandes faites aux autorités libyennes pour qu’elles jouent ce rôle.</p>
<p>Malgré les <a href="https://fr.africanews.com/2023/07/11/libye-des-ong-denoncent-des-tirs-de-garde-cotes-lors-dun-sauvetage//">dénonciations récurrentes par les ONG</a> du comportement des garde-côtes libyens, l’UE <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/infographics/eu-action-migration-libya/">se félicite des résultats obtenus</a>.</p>
<p>On assiste donc en Méditerranée à la mise en place d’une stratégie de « défaussement » de l’entité qui se revendique comme la plus grande démocratie mondiale, au profit d’autorités libyennes aux comportements obscurs et violents, et – par transfert de mandat – d’ONG. Ces organisations sont pourtant régulièrement soumises par les autorités des pays riverains de la Méditerranée à des stratégies délibérées de harcèlement et d’empêchement à agir, sous le regard indifférents de l’UE.</p>
<h2>La stupéfiante stratégie européenne : ne pas aider, et entraver ceux qui aident</h2>
<p>« Primum non nocere » (tout d’abord, ne pas nuire) : cette formule – familière pour les professionnels de santé – ne semble pas inspirer la politique européenne, bien au contraire.</p>
<p>L’UE, malgré sa puissance économique et financière, se refuse à toute implication financière dans son soutien aux ONG œuvrant au large de ses côtes.</p>
<p>Elle cautionne les incessants et longs déplacements des bateaux et des rescapés pris en charge à leur bord pour leur permettre de débarquer dans des ports sûrs.</p>
<p>Ainsi, en décembre 2023, <em>l’Ocean Viking</em>, navire affrété par SOS Méditerranée, a <a href="https://sosmediterranee.fr/sauvetages/sauvetage-26-personnes/">secouru 26 personnes</a>. Pour le débarquement des rescapés, c’est le port lointain de Livourne qui a été assigné au navire. Ce port se trouvait à plus de 1 000 km (soit plusieurs jours de navigation) de la zone de secours des naufragés, alors qu’il y avait à cette période des besoins cruciaux de capacités de recherche et de sauvetage.</p>
<p>Ce scénario s’est renouvelé dès janvier 2024 : nouvelle désignation, pour le débarquement, de Livourne, à 1 100 km du point de prise en charge <a href="https://sosmediterranee.fr/sauvetages/recap-ocean-viking-71-personnes-livourne/">d’un groupe de 71 personnes</a> (dont 5 femmes et 16 mineurs non accompagnés). Il résulte de ces désignations obligatoires, dont le contournement expose les sauveteurs à des sanctions immédiates, à la fois l’incapacité du bateau à agir pendant plusieurs jours, et l’aggravation des dépenses en carburant que doit engager l’association (plus de 500 000 euros de surcoût en 2023).</p>
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<span class="caption">« Port sûr » imposé au navire de SOS Méditerranée en décembre 2023, avec 26 personnes secourues à son bord.</span>
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<h2>La question cruciale de l’immobilisation récurrente des navires de sauvetage</h2>
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<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Une photographie de la situation globale des navires de sauvetage à l’approche de l’été 2021 rend compte des paralysies répétées des moyens de secours. La quasi-totalité des navires <a href="https://www.vuesdeurope.eu/question/sur-les-10-navires-humanitaires-menant-des-operations-de-recherche-et-de-sauvetage-de-migrants-en-mediterranee-combien-etaient-immobilises-au-15-juin/">était ainsi immobilisée à la mi-juin 2021</a>. Le <em>Geo Barents</em>, affrété par l’ONG Médecins sans frontières depuis le 26 mai, était alors le seul bateau d’ONG opérationnel en Méditerranée centrale, avec l’<em>Aita Mari</em> du collectif espagnol Maydayterraneo.</p>
<p>Si certains navires furent retenus à quai pour effectuer une quarantaine ou des opérations de maintenance, la plupart ont été immobilisés par les autorités italiennes pour des raisons beaucoup plus opaques, notamment pour des « irrégularités de nature technique ».</p>
<p>Le <em>Sea-Eye 4</em> de l’ONG allemande Sea-Eye fut bloqué le 4 juin par les garde-côtes italiens pour « non-respect des règles de sécurité » après avoir effectué une quarantaine au port sicilien de Pozzallo. Il en alla de même pour l’<em>Open Arms</em> (Proactiva Open Arms), le <em>Louise Michel</em> (Banksy), le <em>Mare Jonio</em> (Mediterranea Saving Humans) ainsi que pour <em>Sea-Watch 3</em> et 4 (Sea-Watch) et l’<em>Alan Kurdi</em> (Sea-Eye), immobilisé par les autorités italiennes pendant près de six mois en Sardaigne.</p>
<p>Cette stratégie d’immobilisations et de rétentions de navires s’est renforcée à partir de début 2023.</p>
<p>La législation italienne a alors intégré les effets du <a href="https://www.vuesdeurope.eu/italie-un-nouveau-decret-entrave-les-operations-de-sauvetage-en-mer-des-ong/">décret-loi « Piantedosi »</a>, qui limite la capacité des navires de recherche et de sauvetage appartenant à des ONG à effectuer plusieurs opérations de secours consécutives. Tout écart, pour des motifs parfois aussi futiles que pernicieux, peut désormais conduire le navire et son équipage à une immobilisation forcée.</p>
<p><a href="https://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/le-gouvernement-italien-devrait-envisager-de-retirer-le-d%C3%A9cret-loi-qui-pourrait-entraver-les-op%C3%A9rations-de-recherche-et-de-sauvetage-en-mer-des-ong">L’interpellation du ministre italien</a> à l’origine du décret par la Commissaire aux droits de l’homme de Conseil de l’Europe, Dunja Mijatović, pour demander le retrait du décret, est pourtant restée sans effet.</p>
<h2>Les foucades climatiques de la Méditerranée : « les médicanes »</h2>
<p>Ainsi se déploient en toute impunité des situations de « non-assistance à personnes en danger » alors même que les tentatives de traversée se déroulent dans une mer connue pour ses brusques accès de colère. La montée en puissance de ces tempêtes est aujourd’hui connue sous le néologisme <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/qu-est-ce-que-le-medicane-ce-cyclone-de-type-mediterraneen-qui-a-ravage-la-libye_6059961.html">« médicane »</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/573092/original/file-20240202-27-xmm2so.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/573092/original/file-20240202-27-xmm2so.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/573092/original/file-20240202-27-xmm2so.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/573092/original/file-20240202-27-xmm2so.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/573092/original/file-20240202-27-xmm2so.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/573092/original/file-20240202-27-xmm2so.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/573092/original/file-20240202-27-xmm2so.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/573092/original/file-20240202-27-xmm2so.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Théodore Gudin, « Coup de vent du 7 janvier 1831 dans la rade d’Alger. »</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010055650">Musée national de la Marine, Paris</a></span>
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<p>On appelle Médicane (contraction de « Mediterranean Hurricane ») un système dépressionnaire orageux générant des vents forts en Méditerranée, et tourbillonnant autour d’un centre à cœur chaud. Ces tempêtes sont plus scientifiquement dénommées « cyclones subtropicaux Méditerranéens ». Même si leur taille et leur puissance sont nettement moins importantes que celles d’un véritable cyclone tropical (les vents y atteignent rarement les 150km/h, sauf dans les cas les plus extrêmes), elles possèdent <a href="https://www.meteo-paris.com/actualites/le-medicane-helios-provoque-d-importantes-intemperies-sur-la-sicile">certaines caractéristiques proches</a>.</p>
<p>Durant les sauvetages effectués en décembre 2023, <em>l’Ocean Viking</em> s’est non seulement vu attribuer un port de débarquement lointain, mais a aussi essuyé un refus, en chemin pour Livourne, quand il a demandé à pouvoir se mettre à l’abri dans un port protégé, alors que sévissait une tempête de force 8…</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/572835/original/file-20240201-27-zd4nwf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/572835/original/file-20240201-27-zd4nwf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/572835/original/file-20240201-27-zd4nwf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=320&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/572835/original/file-20240201-27-zd4nwf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=320&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/572835/original/file-20240201-27-zd4nwf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=320&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/572835/original/file-20240201-27-zd4nwf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=402&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/572835/original/file-20240201-27-zd4nwf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=402&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/572835/original/file-20240201-27-zd4nwf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=402&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Historique des trajectoires des médicanes recensés entre 2000 et 2020.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Navigation-Mac</span></span>
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<p>Des mesures urgentes et concrètes sont dès lors impératives pour réaffirmer la dimension humanitaire des actions développées par les navires de secours et la priorité du <em>primum non nocere</em>.</p>
<h2>Les nécessaires évolutions dans l’organisation des secours en mer</h2>
<p>Il convient de rappeler le caractère intolérable au plan moral et politique de l’inertie des gouvernements des États membres de l’UE devant les drames récurrents, et de mettre fin au cercle vicieux que provoquent les financements européens à destination de la Libye et de la Tunisie, devenue aujourd’hui le <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2024/01/09/en-2023-l-europe-a-fait-face-a-un-rebond-migratoire-venu-du-sud_6209816_3212.html">principal point de départ des tentatives de traversée</a>.</p>
<p>Une réaffirmation des éléments de droit international, européen et national concernant la mise en œuvre impérative des secours pourra se fonder sur l’explicitation des textes de références qui régissent le droit de la mer et le Droit international humanitaire.</p>
<p>Ces éléments de droits pourront utilement comprendre l’explicitation des condamnations pénales auxquelles s’exposent les personnes qui se refusent à secourir les naufragés. Les équipages des navires qui croisent des embarcations en détresse – et qui pourraient intervenir – dérogent, en ne portant pas secours aux embarcations en perdition, à l’impérative assistance à personnes en danger.</p>
<p>Il est également nécessaire d’accroître la transparence des mécanismes de soutien mis en œuvre à destination des autorités libyennes et tunisiennes par l’UE, d’enquêter sur la nature et l’utilisation des ressources (matériel, financement, formations, RH…), et de mettre en œuvre des <a href="https://www.infomigrants.net/en/post/51021/tunisia-and-libya-share-responsibility-for-hundreds-of-migrants-at-border">mécanismes de redevabilité</a> efficaces.</p>
<p>Il faut, aussi, se doter de <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/08/30/migration-inscrivons-l-obligation-d-identification-des-defunts-anonymes-dans-le-droit-europeen_6187087_3232.html">tous les moyens nécessaires pour permettre d’identifier les noyés</a> dont les corps sont retrouvés. Cette identification est impérative pour que soit ainsi réaffirmée leur inaliénable humanité, et les moyens d’informer objectivement les familles des personnes décédées.</p>
<p>Plus généralement, la Méditerranée centrale, de même que d’autres théâtres de crise humanitaire en haute mer, doit être reconnue comme <a href="https://www.urd.org/fr/thematique/espace-humanitaire/">espace humanitaire</a>.</p>
<p>Les bailleurs de fonds bilatéraux (étatiques), européens (<a href="https://civil-protection-humanitarian-aid.ec.europa.eu/index_fr">ECHO</a>), et multilatéraux (dont les Nations unies) doivent intégrer la Méditerranée centrale dans leurs plans de financement de l’aide humanitaire internationale.</p>
<p>Les opérations de recherche et de secours ne peuvent pas être criminalisées pour ce qu’elles sont, mais reconnues comme des opérations humanitaires et protégées comme telles.</p>
<p>Une coordination effective des activités de recherche et de secours en Méditerranée doit être mise en place par les pays riverains concernés, avec le soutien de l’UE. Les États européens doivent coopérer plus étroitement et plus efficacement pour améliorer le déroulement des opérations de sauvetage elles-mêmes.</p>
<p>Les modalités d’assignation d’un « lieu sûr » pour le débarquement des rescapés doivent être explicitées, systématisées et améliorées dans la perspective de faciliter les sauvetages. L’assignation délibérée – non argumentée – de ports très éloignés pour le débarquement des naufragés doit être prohibée. Cette stratégie « déshabille » en permanence les faibles moyens de secours existants, pour des naufragés, dont une proportion non négligeable est composée de mineurs. Elle renforce les risques de naufrages mortels. Elle est incompréhensible à l’heure ou l’Europe prône l’exemplarité environnementale.</p>
<p>Les mesures contraignantes et répétitives d’immobilisation des navires, pour des motifs parfois fallacieux, doivent cesser.</p>
<p>L’ensemble de ces demandes a fait l’objet, en France, d’une <a href="https://www.cncdh.fr/actualite/sauvetage-des-migrants-en-mediterranee-la-cncdh-adopte-une-declaration">déclaration en urgence de la CNCDH</a>, parue au <em>Journal officiel</em> le 23 octobre 2023.</p>
<p>Le dispositif <em>Mare Nostrum</em> continue de servir de repère. Les organisations humanitaires appellent de leurs vœux le réinvestissement solidaire et concret des <em>États européens</em> dans les sauvetages en Méditerranée. Elles ne peuvent se satisfaire de la seule délégation de responsabilité dont elles ont hérité <em>par défaut des politiques publiques de l’UE</em>, comme antidote à la violence incontrôlée en vigueur dans les pays de la rive sud de la Méditerranée.</p>
<p>La récente signature du <a href="https://www.touteleurope.eu/societe/que-contient-le-pacte-europeen-sur-la-migration-et-l-asile/">« Pacte sur les migrations et l’asile »</a> n’a rien de rassurant pour l’avenir. En retenant une définition du nouveau concept d’« instrumentalisation des migrations » qui pourra inclure les ONG si elles ont « pour objectif de déstabiliser l’Union », le pacte laisse le champ libre aux États européens pour <a href="https://www.lacimade.org/accord-sur-le-pacte-ue-migrations-et-asile-leurope-renonce-a-lhumanite-et-la-solidarite/">criminaliser les organisations civiles de secours et de sauvetage en mer</a>.</p>
<p>La composition du futur Parlement européen, que les prévisions donnent dominé par la droite, après les élections de juin 2024, pourrait avoir des conséquences sur la gestion des naufrages aux portes de l’Europe. Le rôle et la vigilance des organisations issues de la société civile restent ainsi d’une cruciale importance.</p>
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<p><em>Pierre Micheletti a récemment publié <a href="https://langagepluriel.org/publications/tu-es-younis-ibrahim-jam/">« Tu es Younis Ibrahim Jama »</a>, roman inspiré de faits réels dont l’action se déroule entre le Soudan, le Tchad et la France.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222453/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Micheletti est membre de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) et administrateur de l'ONG SOS Méditerranée.</span></em></p>
Quelque 29 000 personnes sont mortes en Méditerranée depuis 2014. Ce sont surtout des ONG qui portent secours aux naufragés, du fait de la politique restrictive de l’UE.
Pierre Micheletti, Responsable du diplôme «Santé -- Solidarité -- Précarité» à la Faculté de médecine de Grenoble, Université Grenoble Alpes (UGA)
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tag:theconversation.com,2011:article/218774
2024-01-11T10:45:48Z
2024-01-11T10:45:48Z
Les fonds marins, refuge pour les forêts de gorgones menacées par les vagues de chaleur ?
<p>Au cours des vingt dernières années, les océans du monde ont subi une augmentation notable des épisodes de températures de surface de la mer élevées, <a href="https://theconversation.com/les-oceans-surchauffent-voici-ce-que-cela-signifie-pour-lhumain-et-les-ecosystemes-du-monde-entier-209440">dits vagues de chaleur marine</a>.</p>
<p>Ces événements sont devenus plus fréquents et intenses au fil du temps, entraînant des modifications significatives <a href="https://theconversation.com/changement-climatique-et-ocean-quel-avenir-pour-les-poissons-183465">au sein des écosystèmes marins</a>. Les températures élevées de l’océan conduisent souvent à des mortalités massives <a href="https://doi.org/10.1146/annurev-marine-032122-121437">parmi les organismes marins</a>.</p>
<p>Un phénomène particulièrement prononcé pendant les mois d’été en mer Méditerranée, notamment entre juillet et août. Parmi les <a href="https://theconversation.com/la-mer-en-feu-les-effets-des-vagues-de-chaleur-marines-sur-les-forets-de-gorgones-mediterraneennes-214094">espèces très touchées par cette perturbation environnementale</a> figure la gorgone rouge, <em>Paramuricea clavata</em>.</p>
<p>Des coraux à l’importance écologique majeure en raison de <a href="http://hdl.handle.net/10261/185600">leur rôle d’espèce ingénieur</a>. Lorsque les populations de gorgones rouges atteignent des densités élevées d’individus de grande taille, elles créent des habitats semblables à des forêts sous-marines qui servent de refuge ou de territoire de chasse à de nombreuses espèces, renforçant ainsi la biodiversité locale. Leur déclin peut donc avoir des conséquences dévastatrices sur l’ensemble de l’écosystème marin.</p>
<p>Des <a href="https://ejournals.epublishing.ekt.gr/index.php/hcmr-med-mar-sc/article/view/35564">recherches récentes menées avec plusieurs collègues</a> suggèrent toutefois qu’en trouvant refuge plus profondément dans les mers, où la température augmente moins, les gorgones rouges pourraient échapper aux vagues de chaleur marine.</p>
<h2>Vagues de chaleur marine et mortalité</h2>
<p>On rapporte des épisodes de mortalités massives de gorgones rouges dès les années 1980, mais la fréquence des événements documentés <a href="https://doi.org/10.1371/journal.pone.0115655">s’intensifie à partir de 1999</a> : 2003, 2006, 2018 et 2022…</p>
<p>Comme les incendies dévastent les forêts terrestres, les vagues de chaleur marines déciment les populations peu profondes en Méditerranée, de l’Espagne à la France et à l’Italie, ainsi qu’en Croatie. Celle de l’été 2022, l’une des plus dramatiques de l’histoire de la Méditerranée occidentale, a été particulièrement meurtrière pour les gorgones rouges, à des profondeurs <a href="https://doi.org/10.1111/gcb.16931">allant jusqu’à 30 mètres</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-mer-en-feu-les-effets-des-vagues-de-chaleur-marines-sur-les-forets-de-gorgones-mediterraneennes-214094">La mer en feu : les effets des vagues de chaleur marines sur les forêts de gorgones méditerranéennes</a>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p><em>Pour suivre au plus près les questions environnementales, retrouvez chaque jeudi notre newsletter thématique « Ici la Terre ». <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-environnement-150/">Abonnez-vous dès aujourd’hui</a>.</em></p>
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<p>La gravité de ces pertes – directement liées <a href="https://doi.org/10.1146/annurev-marine-032122-121437">à la chaleur à la surface de la mer</a> – semble dépendre à la fois de la sévérité de l’augmentation de la température et de la durée pendant laquelle les températures élevées persistent. Deux paramètres qui, ensemble, rendent sa survie de plus en plus difficile.</p>
<h2>Chercher la fraîcheur plus en profondeur</h2>
<p>Malgré cette situation préoccupante, une lueur d’espoir subsiste. La gorgone rouge possède en effet une vaste gamme bathymétrique – en d’autres termes, l’intervalle de profondeur au sein de laquelle l’espèce peut survivre : si cette gamme est large, l’espèce sera présente à la fois en surface et en profondeur.</p>
<p>En l’occurrence c’est le cas, puisqu’on la trouve entre 10 et 200 mètres : quand bien même les populations en surface sont décimées, celles en profondeur restent présentes. À l’inverse, une espèce qui ne se trouverait que dans les premiers 30 mètres de profondeur serait complètement éliminée par les mortalités liées à l’augmentation de la température de l’eau.</p>
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<p>Les relevés de température indiquent en effet que jusqu’à présent, au cours des vagues de chaleur marines la température décroît à mesure que l’on descend en profondeur. Autrement dit, les forêts de gorgones peuvent encore trouver refuge dans des zones plus profondes pour se protéger des menaces qui pèsent sur elles en surface.</p>
<h2>Des données scientifiques insuffisantes</h2>
<p>Malheureusement, la plupart des <a href="https://doi.org/10.3389/fmars.2019.00707">données scientifiques</a> sur les mortalités de gorgones rouges concernent principalement les populations peu profondes, situées à des profondeurs entre 15 et 25 mètres, avec quelques rares cas allant au-delà de 30 mètres.</p>
<p>Récemment, des programmes de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/sciences-participatives-28466">sciences citoyennes</a> – souvent menés par des plongeurs récréatifs en scaphandre autonome -– ont joué un rôle essentiel dans la détection précoce de ces événements de mortalité en fournissant des données précieuses. Mais leurs observations sont généralement limitées aux faibles profondeurs.</p>
<p>Grâce aux avancées significatives dans les technologies de plongée sous-marine, les scientifiques sont désormais capables de mener des recherches à des profondeurs inédites. L’adoption des recycleurs à circuit fermé (CCR), qui recyclent l’air expiré, permet des plongées plus longues, et l’utilisation de mélanges de gaz respiratoires, appelés TRIMIX, rendent des plongées possibles à des profondeurs encore plus grandes.</p>
<p>Grâce à ces progrès, notre groupe de chercheurs français (CNRS, Ifremer, Sorbonne et Septentrion Environnement) et espagnols (CSIC) a pu surveiller la santé des populations de gorgones rouges à des profondeurs allant jusqu’à 90 mètres dans la mer Méditerranée.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/une-plongee-dans-les-forets-animales-formees-par-les-gorgones-en-mediterranee-176399">Une plongée dans les « forêts animales » formées par les gorgones en Méditerranée</a>
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<h2>Mortalité en baisse à plus de 40 mètres</h2>
<p>L’analyse des données recueillies auprès de 14 populations de gorgones rouges profondes situées entre 40 et 90 mètres de profondeur, combinée aux données de 29 populations moins profondes provenant d’une initiative de science citoyenne (base de données T-MedNet), a révélé une réduction significative de la mortalité en <a href="https://doi.org/10.12681/mms.35564">dessous du seuil de 40 mètres</a>.</p>
<p>Cette découverte suggère que la zone située en dessous de 40 mètres, également connue sous le nom de zone mésophotique – ou <a href="https://theconversation.com/plongee-au-coeur-des-coraux-crepusculaires-191466">zone crépusculaire</a> en raison de la réduction marquée de la <a href="https://doi.org/10.1007/978-3-319-17001-5_4-1">pénétration de la lumière</a> – peut fonctionner comme un refuge pour la gorgone rouge méditerranéenne, protégeant ses populations des effets néfastes des vagues de chaleur marine.</p>
<p>Ces conclusions confirment l’hypothèse des « refuges de récifs profonds », selon laquelle les populations marines résidant à des profondeurs plus importantes sont moins sensibles aux impacts du changement climatique, en particulier en ce qui concerne l’augmentation des températures de surface de la mer.</p>
<h2>Refuge temporaire</h2>
<p>Notre connaissance des populations situées en dessous de 40 mètres reste cependant limitée, ce qui restreint notre capacité à prédire comment les vagues de chaleur marine les affecteront.</p>
<p>La préservation des populations en profondeur ne perdurera peut-être pas lorsque des vagues de chaleur marine plus fréquentes et plus graves affecteront la température à des profondeurs jusqu’alors non exposées. À ce moment, les populations des zones plus profondes pourraient en outre présenter une tolérance à la chaleur moindre <a href="https://doi.org/10.1016/j.jembe.2007.12.006">que leurs homologues plus superficielles</a> et donc être plus vulnérables.</p>
<p>Par conséquent, ce refuge en profondeur ne protège pas définitivement les gorgones contre les effets du changement climatique. Leur subsistance dépendra surtout de l’étendue de la connectivité entre ces populations (c’est-à-dire, leur capacité à se mêler l’une à l’autre) et de leur réaction aux températures de l’eau en augmentation, paramètres encore mal connus.</p>
<h2>Mieux comprendre pour mieux protéger</h2>
<p>Il est donc capital d’améliorer notre connaissance de la zone mésophotique, de la connectivité entre populations profondes et peu profondes et de la façon dont chaque population s’adapte aux conditions environnementales changeantes, afin de déterminer jusqu’à quand ces refuges perdureront.</p>
<p>Voyons ce refuge temporaire comme un don des profondeurs marines, qui nous offre un délai supplémentaire pendant lequel les populations profondes sont à l’abri des effets du réchauffement climatique. Et profitons au mieux de cette période de répit pour comprendre le fonctionnement de ces forêts sous-marines, des mécanismes de résilience, et éventuellement concevoir des interventions de restauration.</p>
<p>Tout cela ne sera cependant d’aucune utilité si nous ne nous engageons pas à inverser le processus de changement climatique en adoptant des politiques visant à réduire les émissions de CO<sub>2</sub>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218774/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lorenzo Bramanti a reçu des financements de Fondation BNP PARIBAS (DEEPLIFE) et COST Action CA20102 Marine Animal Forests of the World (MAF-WORLD). Cette étude est le résultat d'une collaboration scientifique entre le CNRS, Sorbonne Universitè, Ifremer, Septentrion Environnement et CSIC avec le soutien de la Fondation 1Ocean et de l'UNESCO dans le cadre du projet Arche de Noé de profondeurs.</span></em></p>
En Méditerranée, les vagues de chaleur déciment ces forêts sous-marines essentielles aux écosystèmes. Les gorgones semblent mieux résister dans les profondeurs, mais ce refuge pourrait n'être que temporaire.
Lorenzo Bramanti, Chargé de Recherches CNRS à l'Observatoire Océanologique de Banyuls, au Laboratoire d'écogéochimie des environnements benthiques, Sorbonne Université
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tag:theconversation.com,2011:article/219376
2023-12-21T17:37:30Z
2023-12-21T17:37:30Z
À quand une vraie politique d’asile pour le Maroc ?
<p>Alors que le Haut-Commissariat aux Réfugiés (HCR) des Nations unies a annoncé en septembre dernier que <a href="https://reliefweb.int/report/morocco/unhcr-maroc-fact-sheet-septembre-2023">plus de 10 200 réfugiés se trouvaient actuellement au Maroc</a>, Rabat n’a toujours pas adopté la politique d’asile annoncée il y a dix ans.</p>
<p>En septembre 2013, le roi a lancé le chantier d’un droit d’asile qui devait passer par l’élaboration d’une loi et l’appropriation d’une procédure de reconnaissance des réfugiés jusqu’ici laissée au HCR. Cette initiative a été <a href="https://journals.openedition.org/revdh/17310">suivie d’avancées significatives et de projets de loi</a>, avant de s’essouffler, tandis que le nombre de réfugiés dans le pays ne cessait de croître.</p>
<h2>L’absence d’asile dans les pays « arabes »</h2>
<p>Le Maroc est un pays africain et arabe. En matière d’asile, il entre davantage dans la deuxième catégorie. Tandis que la plupart des pays africains du sud du Sahara sont dotés de lois sur les réfugiés et ont élaboré leurs propres procédures, le Maroc demeure à ce jour, comme l’ensemble des pays de la région dite « MENA » (Middle East and North Africa), dépourvu de cadre ou de politique d’asile.</p>
<p>En dépit d’un décret adopté en 1957 « fixant les modalités d’application de la Convention relative au statut des réfugiés signée à Genève le 28 juillet 1951 » et créant le Bureau des réfugiés et apatrides, le Maroc ne s’est jamais doté d’une législation et d’une procédure d’asile proprement dites.</p>
<p>Depuis une soixantaine d’années, le HCR se charge de la <a href="https://www.unhcr.org/fr-fr/nos-activites/proteger-les-droits-humains/protection/determination-du-statut-de-refugie">détermination du statut de réfugié</a> et de l’accès aux droits, en collaboration avec des associations locales, mais <a href="https://www.unhcr.org/fr-fr/actualites/points-de-presse/le-hcr-va-signer-un-accord-de-siege-avec-le-gouvernement-marocain">l’accord de siège avec le Maroc</a>, officialisant ce rôle, n’a été conclu qu’en 2007.</p>
<h2>La mise à l’agenda politique de l’asile</h2>
<p>La question de l’asile s’invite au Maroc au début des années 2000, sous l’effet conjugué d’une <a href="https://www.cairn.info/le-maghreb-a-l-epreuve-des-migrations--9782811101640.htm">augmentation de la présence étrangère</a>, y compris en besoin de protection, et d’une <a href="https://journals.openedition.org/anneemaghreb/398?lang=en">politique du HCR et de l’Union européenne</a> visant l’adoption de politiques d’asile dans l’ensemble du Maghreb. L’Europe cherche alors à « externaliser » le contrôle des frontières et à obtenir la contribution des pays maghrébins au maintien des réfugiés et demandeurs d’asile en amont de la Méditerranée.</p>
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<p>Le nombre de réfugiés connaît une forte progression en 2005-2006. De manière générale, la présence étrangère augmente au cours de ces années, sous l’effet notamment des <a href="https://algeria-watch.org/?p=5174">difficultés accrues</a> pour se rendre légalement en Europe. On décompte environ 1 800 demandes d’asile entre début 2005 et mi-2006.</p>
<p>Ce n’est qu’en 2013 que le processus d’élaboration d’un droit d’asile est lancé. L’initiative du roi pour une « Nouvelle politique d’immigration et d’asile » (NPIA) suit les <a href="https://www.cndh.org.ma/fr/rapports-thematiques/conclusions-et-recommandations-du-rapport-etrangers-et-droits-de-lhomme-au">recommandations du Conseil national des droits de l’homme</a> (CNDH). Elle s’inscrit dans une concordance d’intérêts « post- <a href="https://sciencespo.hal.science/hal-01024402">mouvement du 20 février 2011 »</a>. Ce mouvement, qui s’inscrivait dans la vague de contestations et révolutions qualifiée de « printemps arabe », a été suivi de l’adoption d’une <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-droit-constitutionnel-2012-3-page-511.htm">nouvelle Constitution</a>, d’élections et de plusieurs projets de réformes. Parmi ceux-ci, le projet de « NPIA » nourrit une réaffirmation de la politique africaine du Maroc, répond aux demandes de la société civile ainsi qu’aux attentes de l’UE et des instances internationales, et est aussi un <a href="https://www.jeuneafrique.com/168616/politique/maroc-mohammed-vi-appuie-le-cndh-dans-la-d-fense-des-droits-des-migrants/">pied de nez au gouvernement Benkirane</a> de l’époque, qui défendait le bilan de sa politique.</p>
<h2>L’enthousiasme des premiers pas</h2>
<p>Les <a href="https://marocainsdumonde.gov.ma/wp-content/uploads/2019/01/Politique-Nationale-dimmigration-et-dAsile-_-Rapport-2018.pdf">Orientations royales du 6 novembre 2013</a> visent à « élaborer une nouvelle politique globale relative aux questions de l’immigration et de l’asile, suivant une approche humanitaire conforme aux engagements internationaux du Maroc et respectueuse des droits des immigrés ». Le ministère chargé des Marocains résidant à l’étranger est réorganisé et élargi aux « Affaires de la migration » pour inclure l’immigration. Il est confié à Anis Birou, qui demeure à ce poste jusqu’au 5 avril 2017 et porte les projets de réforme avec conviction. </p>
<p>La conjugaison de dynamiques personnelles et collectives aboutit à un tournant remarquable sur le plan formel et celui des pratiques. Une amélioration des droits des étrangers est <a href="https://www.libe.ma/Droit-des-etrangers-au-Maroc-Un-vide-juridique-qui-ne-dit-pas-son-nom_a114037.html">clairement observée</a>. La NPIA est d’abord constituée d’un chantier législatif, avec l’ambition d’adopter une loi contre la traite des personnes, une loi sur l’immigration et une loi sur l’asile. Un avant-projet de loi sur l’asile est proposé dès le 13 mars 2014. Finalement, seule la loi contre la traite des êtres humains est <a href="https://aujourdhui.ma/actualite/les-deputes-adoptent-la-loi-sur-la-traite-des-etres-humains">adoptée, en 2016</a>.</p>
<p>En septembre 2013, le Bureau des réfugiés et apatrides (BRA) est rouvert et une commission en charge de la régularisation des réfugiés reconnus par le HCR est créée. Le HCR continue à effectuer la détermination du statut de réfugiés, qui doit ensuite être confirmée par le BRA. Le BRA doit donc auditionner les réfugiés reconnus comme tels par le HCR et, lorsque leur statut est confirmé, délivre la carte de réfugié, qui permet d’accéder à la carte de séjour et aux droits afférents. Il est prévu qu’une fois la loi sur l’asile adoptée, l’ensemble de ces responsabilités seront transférées aux autorités marocaines. Lors des premières phases de régularisation, en 2013 et 2014, toutes les personnes auditionnées par le BRA sont régularisées. Ce sont principalement des Ivoiriens, des Congolais et des Irakiens. Le 24 décembre 2013, les premières cartes de réfugié et de séjour sont délivrées.</p>
<p>En 2014 est aussi menée une campagne de régularisation administrative des étrangers en situation irrégulière. Une <a href="https://marocainsdumonde.gov.ma/operations-de-regularisation/">suite favorable est donnée à 83,53 % des 27 649 demandes déposées</a>. Certains demandeurs d’asile, notamment syriens, en bénéficient du fait des réticences du BRA à leur reconnaître le statut de réfugié. La même année, la <a href="https://marocainsdumonde.gov.ma/wp-content/uploads/2018/02/Strate%CC%81gie-Nationale-dimmigration-et-dAsile-ilovepdf-compressed.pdf">Stratégie nationale d’immigration et d’asile (SNIA)</a> est lancée, qui vise l’accès aux droits, notamment à la santé, à l’éducation et au logement, pour les personnes régularisées, y compris les réfugiés. Une seconde campagne de régularisation des étrangers se déroule de 2016 à 2017.</p>
<h2>L’essoufflement</h2>
<p>Le 9 décembre 2015, le projet de loi sur l’asile est programmé pour passer en conseil de gouvernement. Il en est retiré le jour même. On se situe alors en pleine « crise migratoire » en Europe. Rabat, à l’instar de son voisin algérien et de l’UE, impose un visa d’entrée aux Syriens – comme aux ressortissants de la plupart des pays sources de réfugiés (Libye, Yémen, Soudan, Érythrée, Éthiopie, Cameroun, Centrafrique…), ce qui est un moyen d’empêcher leurs arrivées régulières.</p>
<p>Dans son <a href="https://www.maroc.ma/fr/discours-royaux/discours-integral-de-sm-le-roi-loccasion-du-62e-anniversaire-de-la-revolution-du">discours du 20 août 2015</a>, le roi avait en quelque sorte distingué asile et hospitalité :</p>
<blockquote>
<p>« Le Maroc restera comme toujours une terre d’accueil pour ses hôtes qui s’y rendent dans la légalité. Le Maroc ne sera jamais une terre d’asile. »</p>
</blockquote>
<p>Un second projet de loi est néanmoins <a href="https://lematin.ma/journal/2019/on-oublie-qu-loi-lasile-aidera-maroc-controler-lentree-sejour-territoire/317974.html">soumis au conseil de gouvernement en septembre 2018</a>. Avec l’organisation les 10-11 décembre de cette même année du sommet de Marrakech de l’ONU qui aboutit à la signature du <a href="https://www.ohchr.org/fr/migration/global-compact-safe-orderly-and-regular-migration-gcm">« Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières »</a>, dit Pacte de Marrakech, dans un contexte où le Maroc se voit de nouveau <a href="https://www.gadem-asso.org/couts-et-blessures/">critiqué pour le non-respect</a> des droits des migrants, plusieurs voix pronostiquent l’adoption prochaine du projet de loi sur l’asile, qui viendrait rappeler, comme en 2014, que le Maroc peut être un modèle dans la région. L’année 2017 avait d’ailleurs été marquée par le retour du royaume dans l’Union africaine (UA), laquelle l’avait nommé <a href="https://aujourdhui.ma/societe/le-maroc-leader-de-lunion-africaine-sur-la-question-de-la-migration">« leader sur la question des migrations »</a>. </p>
<p>Cependant, le Pacte de Marrakech n’est pas accompagné de l’adoption de la loi sur l’asile. <a href="https://marocainsdumonde.gov.ma/ewhatisi/2021/10/Rapport-2020-5-10-VF.pdf">Une version actualisée, présentée en 2019</a> au conseil de gouvernement, se perd dans les couloirs ministériels où un projet serait de nouveau discuté de manière discrète depuis 2022. En parallèle, le BRA, qui avait suspendu ses travaux à plusieurs reprises – en mars 2015 pour six mois, entre mars 2017 et décembre 2018, de nouveau en 2020 avec la crise sanitaire – les a repris en 2022, mais à un rythme très faible. En conséquence, moins de la moitié des réfugiés auraient des documents de résidence valide.</p>
<p>Ces dysfonctionnements s’inscrivent dans un essoufflement de la SNIA et des reculs en matière de respect des droits des étrangers, visibles dès 2017. Le ministère des Marocains résidant à l’étranger perd d’ailleurs de nouveau toute référence à l’immigration et redevient délégué (auprès du ministre des Affaires étrangères). Fin 2018, malgré les régularisations, seuls environ 1 000 étrangers bénéficiaient de la SNIA du fait des problèmes d’obtention ou de renouvellement des titres de séjour des régularisés et des fermetures du BRA. Les relations entre le HCR et le gouvernement marocain sont par ailleurs compliquées, parfois tendues, depuis lors.</p>
<h2>La situation actuelle de l’asile</h2>
<p>Après une augmentation du nombre de réfugiés à partir de 2015, du fait des guerres en Syrie et au Yémen, une progression est encore observée en 2018. Au 1<sup>er</sup> octobre, le HCR dénombre 5 353 réfugiés et 1 985 demandeurs d’asile, principalement de Syrie mais aussi du Yémen, du Cameroun, de Côte d’Ivoire et de Guinée. Du fait des suspensions d’activité du BRA, beaucoup de réfugiés n’ont plus accès à l’emploi et décident de quitter le pays pour se rendre en Europe – le taux de départ est évalué par le HCR à environ 30 % des personnes sous son mandat. Des personnes dotées d’un document HCR se font arrêter lors de tentatives de passage vers l’Europe, ce qui réactive, chez les policiers, la suspicion de fraude aux documents : tandis que les refoulements de personnes disposant d’une attestation du HCR – devant donc être protégées du refoulement – avaient cessé ces dernières années, ils <a href="https://gallery.mailchimp.com/66ce6606f50d8fd7c68729b94/files/3690d5cc-2b47-404c-a43d-ca0beeb7e383/20181011_GADEM_Note_Expulsion_gratuite_VF.pdf">reprennent</a>. </p>
<p>En septembre 2020, le HCR dénombre 7 561 réfugiés reconnus de son côté, dont la majorité est syrienne. Le nombre de personnes en recherche de protection poursuit ensuite sa progression. Au 30 juin 2022, 19 278 personnes sont recensées, partagées de manière quasiment égale entre réfugiés et demandeurs d’asile. Elles proviennent principalement de Syrie (5 251), de Guinée, de Côte d’Ivoire, du Yémen, du Cameroun, de Centrafrique mais aussi désormais du Soudan.</p>
<p>L’augmentation de la présence des Soudanais est flagrante dès 2021, liée sans doute à la situation dramatique en Libye où se rendaient la plupart d’entre eux, et d’où certains partaient pour l’Europe. Les Sud-Soudanais font partie des nationalités bénéficiant d’une <a href="https://emergency.unhcr.org/fr/protection/cadre-juridique/la-reconnaissance-prima-facie-du-statut-de-r%C3%A9fugi%C3%A9">reconnaissance « prima facie »</a> de leur statut de réfugié par le HCR (s’ils bénéficient de papiers d’identité, ce qui est rarement le cas), aux côtés des Syriens, des Yéménites, des Centrafricains et des Palestiniens, pour faciliter leur accès à la protection dès l’enregistrement. Les autres nationalités suivent la procédure normale. En juin 2022, la Côte d’Ivoire est retirée de la liste des pays à risque ; la part de ses ressortissants au Maric diminue donc depuis, les Ivoiriens sachant qu’ils sont moins susceptibles qu’auparavant d’obtenir le statut de réfugié. </p>
<p>Aujourd’hui, le Maroc continue à jouer la <a href="https://www.maroc.ma/fr/actualites/sommet-de-lua-les-efforts-de-sa-majeste-le-roi-en-matiere-de-la-migration-mis-en-exergue">carte migratoire dans le cadre de sa diplomatie africaine</a> en promouvant un « Agenda africain sur la migration », mais plus personne ne porte la politique d’asile et d’immigration sur le plan national. Il semble que le projet royal de 2013 ait répondu à une coïncidence d’intérêts et d’ambitions à une période donnée, ce qui expliquerait l’essoufflement constaté dès 2018.</p>
<p>Sur le plan interne, une approche plus pragmatique pourrait être adoptée concernant les moyens de la politique d’asile. Le HCR offre beaucoup aux réfugiés (aide au logement, frais médicaux, allocation éducation notamment). C’est davantage que ce que l’État marocain procure aux étrangers, en dépit de certains progrès, par exemple dans l’accès à l’éducation et à la santé. Avec l’adoption de la loi viendra le temps des décrets d’application, de la mise en œuvre, du budget, de la question des coûts et des calculs ; la peur éventuelle, aussi, que la nouvelle loi provoque un appel d’air.</p>
<p>Plus qu’un aboutissement, la loi à venir constituerait le nouveau point de départ d’un processus encore long de débats, de discussions et de tâtonnements sur la voie de la fabrique de l’asile. La question de l’asile et de la migration reste un dossier sensible, partagé entre plusieurs compétences ministérielles, ce qui fait ressortir les tensions. La variation des contenus des projets de loi et le silence autour de leur (non) adoption reflètent le caractère hautement complexe de ce sujet.</p>
<p>Pourtant, le nombre de réfugiés et demandeurs d’asile demeure relativement faible et l’adoption d’une politique d’asile nationale permettrait au Maroc de maîtriser son évolution plutôt que de la subir. Elle ajouterait aussi à la sincérité de l’action du <a href="https://newsbeezer.com/maroc/le-matin-le-31e-sommet-de-lua-adopte-la-creation-de-lobservatoire-africain-des-migrations-au-maroc/">« leader de l’UA sur la question des migrations »</a>.</p>
<p>À l’heure où des voix appellent à l’adoption d’une <a href="https://medias24.com/2023/11/25/le-gadem-appelle-a-la-reforme-de-la-loi-n02-03/">nouvelle loi sur l’immigration</a>, on peut s’interroger sur le maintien de l’engagement marocain au regard du processus lancé il y a dix ans. Le Maroc peut-il encore s’afficher en modèle au sein de l’Afrique et mobiliser la même rhétorique alors que les droits sont clairement en recul depuis ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219376/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Delphine Perrin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Dix ans après le lancement de la « Nouvelle politique d’immigration et d’asile », le Maroc va-t-il enfin adopter sa loi sur l’asile ?
Delphine Perrin, Chargée de recherche, Institut de recherche pour le développement (IRD)
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/215643
2023-11-20T17:15:11Z
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Le port de Narbonne, plaque tournante du commerce antique
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/560392/original/file-20231120-26-fzt3p1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C0%2C1988%2C1407&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Évocation des activités portuaires au niveau de l’embouchure de l’Aude.</span> <span class="attribution"><span class="source">P. Cervellin</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>À l’époque romaine, Narbonne était un port de commerce accueillant les marchandises de toute la Méditerranée mais aussi de la côte atlantique. En effet, la ville se situait au croisement des voies maritimes, terrestres et fluviales. L’axe Aude-Garonne permettait un trafic entre la Méditerranée et l’océan, à la fois pour le commerce du vin mais aussi des métaux et de nombreux autres produits. Le port est à son apogée entre le premier siècle avant et le II<sup>e</sup> siècle de notre ère : comme Arles sur l’axe rhodanien, Narbonne contrôle l’axe Aude/Garonne.</p>
<p>Le musée NarboVia expose une série de stèles antiques représentant de grands voiliers, rappelant ce passé où tout ce qui naviguait abordait au port de Narbonne comme l’écrivait le <a href="https://journals.openedition.org/viatica/?id=2039">poète Ausone</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/560397/original/file-20231120-26-vu40yn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/560397/original/file-20231120-26-vu40yn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/560397/original/file-20231120-26-vu40yn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/560397/original/file-20231120-26-vu40yn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/560397/original/file-20231120-26-vu40yn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/560397/original/file-20231120-26-vu40yn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/560397/original/file-20231120-26-vu40yn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Navire romain en cours de chargement. Bas-relief du musée de Narbonne.</span>
<span class="attribution"><span class="source">L. Damelet/CNRS-CCJ/Aix</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Grâce aux fouilles archéologiques qui révèlent des milliers d’amphores, principaux conteneurs de l’Antiquité, se dessinent les grandes routes commerciales qui convergeaient vers Narbonne. Le vin a été très apprécié durant toute l’Antiquité et, dès le II<sup>e</sup> siècle avant notre ère, de grandes quantités d’amphores produites en Italie arrivent à Narbonne pour être redistribuées. Certains vins pouvaient être de grands crus.</p>
<p>L’origine du vin va fluctuer selon les périodes : se succèdent les vins d’Italie, d’Espagne, de Gaule et d’Afrique durant cinq siècles. Narbonne pouvait fournir en blé la capitale de l’Empire et participait à la redistribution de l’huile de Bétique (province romaine qui correspondait à l’actuelle Andalousie, région productrice d’huile qui desservait notamment Rome) comme l’atteste les mentions de familles narbonnaises sur les amphores retrouvées au Monte Testaccio, une colline romaine composée par des amphores brisées à proximité du port fluvial.</p>
<h2>Narbonne, une ville connue jusqu’à Rome</h2>
<p>À Ostie, près de Rome, une <a href="https://journals.openedition.org/mefra/2042">mosaïque mentionne les Narbonnais</a> sur la place des corporations où sont rassemblés les bureaux des principaux commerçants de Méditerranée. Les amphores ne sont pas recyclables contrairement aux métaux qui de fait sont moins représentés alors qu’ils ont constitué une part majeure du commerce. En effet, Narbonne était aussi un port de redistribution de l’étain de Grande-Bretagne, du cuivre du sud de l’Espagne mais aussi du fer de l’arrière-pays. Le verre, produit alors en Égypte et au Proche-Orient, arrive sous forme brute pour être travaillé dans des ateliers locaux. Des matériaux plus lourds sont également transportés jusqu’à Narbonne pour la construction de monuments ou pour l’ornementation des riches demeures romaines.</p>
<p>Le marbre de Carrare en Italie est particulièrement prisé pour les édifices publics. Les épaves avec leur chargement confirment l’importance du trafic entre Narbonne, la péninsule hispanique, l’Italie et l’Afrique du Nord.</p>
<p>Mais cette documentation laisse de nombreuses questions en suspens : les grands bateaux représentés sur les monuments narbonnais arrivaient-ils jusqu’au cœur de ville, où se trouvaient les lieux de déchargements ? Comment s’organisait ce port ? La ville est distante de 12 km de la mer. Il ne s’agit pas d’un changement récent, les auteurs antiques précisant cette distance dans leur description.</p>
<p>L’agglomération, installée sur une petite éminence dominant une plaine marécageuse était traversée durant l’Antiquité par le fleuve Aude qui rejoignait un espace lagunaire, le Rubresus (aujourd’hui les étangs au sud de Narbonne) qui lui-même communiquait avec la mer grâce à des passages (les graus) dans le cordon littoral. Narbonne est resté un port actif jusqu’au Moyen Âge mais en <a href="https://archivesdepartementales.aude.fr/actualites/le-territoire-dans-tous-ses-etats-11-les-variations-du-lit-de-laude">1316 une crue dévastatrice dévie le cours de l’Aude</a> qui ne passe plus par la ville. Malgré les moyens pour ramener le fleuve dans son parcours initial, la cité perd son rôle commerçant.</p>
<h2>Un port à l’organisation complexe</h2>
<p>Dès la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, ces questions sont débattues et la configuration géographique a permis de proposer un fonctionnement basé sur la théorie des avant-ports : plusieurs sites autour de la lagune jouaient un rôle dans le transfert des marchandises depuis les bateaux de haute mer vers des embarcations à fond plat qui pouvaient rejoindre la ville où se concentraient des entrepôts.</p>
<p>Notre programme de recherche sur les ports antiques de Narbonne s’est attaché à restituer l’évolution de ce système mais aussi son rôle dans les échanges.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/560395/original/file-20231120-19-z7qimz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/560395/original/file-20231120-19-z7qimz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/560395/original/file-20231120-19-z7qimz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/560395/original/file-20231120-19-z7qimz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/560395/original/file-20231120-19-z7qimz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/560395/original/file-20231120-19-z7qimz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/560395/original/file-20231120-19-z7qimz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/560395/original/file-20231120-19-z7qimz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Restitutions en cours du site de Port-la-Nautique à Narbonne. Au fond à gauche, le vivier à poissons ; au premier plan le quai et les entrepôts ; sur le plateau la villa et à droite la promenade.</span>
<span class="attribution"><span class="source">P. Cervellin</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Au sud de Narbonne, plusieurs sites qui contribuent au fonctionnement de l’activité portuaire ont été explorés. À l’entrée de la lagune, proche d’un ancien grau, un établissement littoral au sud de l’île Saint-Martin à Gruissan a révélé la présence d’une tour, sans doute un phare. Il est également possible que des activités administratives se déroulaient sur les lieux et que les occupants soient chargés d’accueillir et d’accompagner les navires qui rentraient dans le système portuaire et se dirigeaient vers l’embouchure située plus au nord.</p>
<p><a href="https://www.persee.fr/doc/dha_0755-7256_2020_num_46_1_4954">Les recherches récentes</a> ont permis de préciser le tracé de cet aménagement enfoui sous les sédiments. Grâce aux photographies aériennes puis aux prospections géophysiques, une première cartographie a été établie. Ces prospections ont été suivies par des fouilles archéologiques qui ont confirmé la présence d’un canal composé de deux digues imposantes pour contraindre le fleuve large d’une cinquantaine de mètres. Leur configuration permet de « pincer » le fleuve, augmentant le courant pour chasser le sable. Ainsi, les ingénieurs romains ont anticipé ce problème d’ensablement du I<sup>er</sup> au V<sup>e</sup> s.</p>
<p>La surface des digues est aménagée afin de constituer des quais mais aussi pour être utilisée comme voie de halage. En effet, les grands voiliers ne peuvent naviguer sur le fleuve. Il faut donc transférer les marchandises sur des bateaux fluviaux à fond plat qui sont tirés depuis la berge par des hommes. Une de ces embarcations a d’ailleurs été découverte dans un contexte un peu particulier car elle a servi à reconstruire la digue endommagée. Ce bateau est évalué à une douzaine de mètres de long et fait le lien entre l’embouchure et les entrepôts situés à 6 km, en ville.</p>
<p>Une partie de son chargement n’a pas été récupérée : se côtoient des amphores de Bétique (Andalousie), d’Afrique du Nord et de Lusitanie (Portugal). À la fin de l’Antiquité, au V<sup>e</sup> siècle, les constructions sont vieillissantes et soumises à des événements météorologiques qui contribuent à les déstabiliser. Les anciens monuments narbonnais en cours de démantèlement sont alors recyclés pour réparer et surélever les digues. Des amas de blocs monumentaux, parfois en marbre, sont amoncelés. Cette volonté publique de maintenir les infrastructures portuaires témoigne de l’importance de l’activité commerciale à cette période et de la transformation de la parure urbaine. Les basiliques chrétiennes remplacent alors les anciens édifices.</p>
<p>Au nord-ouest de l’embouchure antique, le site de Port-la-Nautique a aussi retenu l’attention des chercheurs : connu de longue date comme un débarcadère grâce à un grand nombre d’amphores découvertes dans la vase mais aussi des pièces d’accastillage (éléments appartenant au bateau), il n’est occupé que sur une courte durée, entre 30 av. et 70 de n. è. Les recherches géomorphologiques ont permis d’expliquer cette fréquentation épisodique : bien qu’idéalement située en fond de lagune et distante des apports sableux de l’Aude, la <a href="https://journals.openedition.org/mediterranee/11732">construction des quais romains a provoqué une hypersédimentation</a>. Malgré l’abandon de l’espace portuaire, la villa qui domine le port continue à être occupée jusqu’au II<sup>e</sup> siècle de notre ère. Un important verger mais aussi des arbres ornementaux comme les cyprès, introduits à l’époque romaine, sont liés à cette occupation et ont modifié le paysage dont nous sommes les héritiers.</p>
<p>Ainsi, les études paléoenvironnementales ont apporté des précisions sur la configuration des paysages antiques et sur l’évolution de ce système portuaire. Le site de Port-la-Nautique a été abandonné suite à son envasement au profit d’un aménagement massif de l’embouchure qui après plusieurs siècles de fonctionnement sera également colmaté. L’histoire de l’environnement est alors aussi celle de l’adaptation humaine aux changements. Faut-il reconstruire, se déplacer, envisager un nouveau système ? Les Romains ont été confrontés à ces questions. L’archéologie permet de restituer sur le long terme les choix, leur devenir mais aussi leur impact et leur durabilité.</p>
<p>Ville cosmopolite, lieu d’échanges, Narbonne a été une plaque tournante du commerce antique. Son importance se mesure au nombre des activités qui s’y déroulaient mais aussi par son réseau au sein de l’Empire romain. Un port n’est pas qu’un lieu économique, il constitue un lieu de brassage culturel, de contacts, d’introduction de nouveautés que les approches pluridisciplinaires restituent.</p>
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<p><em>Le projet <a href="https://anr.fr/ProjetIA-11-LABX-0032">ARCHIMEDE</a> (ARCH) est soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. Elle a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’<a href="https://anr.fr/">ANR</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215643/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Le programme de recherche sur les ports antiques de Narbonne, mené par le CNRS sous la direction de Corinne Sanchez (laboratoire Archéologie des Sociétés Méditerranéennes, Montpellier), a été soutenu par la Région Occitanie, l’État (DRAC et DRASSM), les collectivités (villes de Narbonne et Gruissan) et le Labex Archimède.</span></em></p>
Découvrez le glorieux passé de la ville de Narbonne dont le port servait de plaque tournante des biens les plus précieux de l’antiquité.
Corinne Sanchez, Archéologue, Université Paul Valéry – Montpellier III
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2023-10-03T16:35:09Z
2023-10-03T16:35:09Z
La mer en feu : les effets des vagues de chaleur marines sur les forêts de gorgones méditerranéennes
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/549981/original/file-20230925-21-e96mgq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=20%2C8%2C1964%2C1320&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Lors d'une plongée, les scientifiques estiment la partie encore vivante des gorgones et les parties «brûlées» en conséquence de vagues de chaleur marines.</span> <span class="attribution"><span class="source">©Alexis Rosenfeld avec l'UNESCO</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Sur cette image, nous pouvons observer les effets dévastateurs d’une vague de chaleur marine sur une forêt méditerranéenne de gorgone rouge (<em>Paramuricea clavata</em>). Tout comme les incendies de forêt détruisent les forêts d’arbres, les vagues de chaleur marines « brûlent » les forêts de gorgones, entraînant la perte d’un habitat d’une grande valeur écologique.</p>
<p>Les gorgones sont des coraux, c’est-à-dire des animaux (et non des plantes) composés de centaines de petits polypes munis de tentacules urticants qui capturent leurs proies dans la colonne d’eau. Elles se distinguent des coraux des récifs coralliens par leurs polypes à huit tentacules (au lieu de six) et par leur squelette flexible, composé non de carbonate de calcium, mais d’une protéine appelée gorgonine.</p>
<h2>Mais si les gorgones sont des animaux, pourquoi parlons-nous de forêts ?</h2>
<p>Les gorgones se caractérisent par une morphologie arborescente et ramifiée, et lorsqu’elles se trouvent en densités suffisamment élevées, elles forment de véritables forêts, très semblables aux forêts d’arbres, à la différence qu’il s’agit d’animaux. C’est pourquoi nous avons dû inventer le terme de <a href="https://doi.org/10.1007/978-3-319-21012-4_1">« forêts animales »</a>.</p>
<p>Ce <a href="https://doi.org/10.1007/978-3-030-57054-5_12">parallélisme avec les forêts d’arbres</a> nous permet, d’une part, d’expliquer au grand public les effets dévastateurs des mortalités massives qui touchent ces organismes. En effet, lorsque nous parlons d’une forêt qui brûle, tout le monde comprend la gravité de l’événement, liée à la perte non seulement des arbres qui composent la forêt, mais aussi de toutes les espèces qui y vivent. Tout le monde sait qu’une forêt est un habitat qui abrite de nombreuses espèces animales grâce à ses conditions microclimatiques favorables.</p>
<p>En revanche, lorsque nous parlons d’une mortalité massive de gorgones due au réchauffement de la colonne d’eau, le message est moins efficace car personne ne tient compte du fait que ce ne sont pas seulement les gorgones qui meurent, mais que toute la biodiversité associée est perdue, c’est-à-dire tous les animaux qui trouvent refuge au sein des forêts de gorgones.</p>
<p>Ainsi, pour comprendre l’ampleur des dégâts causés par les vagues de chaleur marines, il faut imaginer un instant ces forêts sous-marines, un monde foisonnant de vie et de couleurs, abritant une multitude de créatures fascinantes. Tout comme une forêt terrestre offre refuge à une variété d’animaux, les gorgones servent de maison à un éventail diversifié d’espèces marines, des poissons aux crustacés en passant par les invertébrés. Ces précieuses communautés marines prospèrent au sein de ces forêts animales, chacune jouant un rôle crucial dans l’équilibre délicat de l’écosystème.</p>
<p>Du point de vue scientifique, le parallélisme avec les forêts d’arbres nous permet d’utiliser tous les outils intellectuels et pratiques développés par l’écologie forestière et de les appliquer à l’étude de l’environnement marin.</p>
<h2>Comment les vagues de chaleur marines provoquent-elles la mort des coraux ?</h2>
<p>Sur la photo, on voit que la vague de chaleur provoque des nécroses tissulaires qui affectent une partie ou la totalité de la gorgone. Les petites parties encore violettes sont les rares parties vivantes d’une gorgone, tandis qu’à côté, on peut voir les squelettes nus d’autres gorgones ayant perdu tout leur tissu vivant.</p>
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<p>Les mortalités massives de gorgones rappellent le phénomène plus connu de blanchissement des coraux, qui entraîne la [perte de vastes portions des récifs coralliens]. Ces deux phénomènes sont liés à l’augmentation de la température de l’eau… mais la similitude s’arrête là, car les mécanismes sous-jacents sont très différents : le blanchiment des coraux est lié à la <a href="https://doi.org/10.1007/978-94-007-0114-4_23">perte d’algues photosynthétiques vivant en symbiose avec les coraux</a>, qui ne peuvent pas survivre longtemps sans cette symbiose ; tandis qu’en Méditerranée, la mortalité des gorgones est due à une <a href="https://doi.org/10.1111/j.1365-2486.2007.01423.x">infection bactérienne déclenchée par une température trop élevée</a>.</p>
<p>Les <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0079661116000057">vagues de chaleur marines</a> sont des périodes relativement courtes au cours desquelles la température de la mer est extrêmement élevée. En <a href="https://doi.org/10.5194/os-19-629-2023">juillet et août 2022</a>, la température de surface de la Méditerranée occidentale a atteint des valeurs extrêmes (jusqu’à 30 °C dans la partie septentrionale) pendant 45 jours, une durée sans précédent. C’est l’effet combiné de la haute température et de la longue durée qui a provoqué l’incendie dévastateur des forêts de gorgones, avec une <a href="https://doi.org/10.1111/gcb.16931">mortalité estimée 142 % plus importante qu’en 2003</a>, la précédente vague de chaleur d’une telle envergure.</p>
<h2>Les conséquences pour les écosystèmes marins</h2>
<p>Avec la disparition des gorgones, toutes les espèces qui en dépendent sont condamnées. Les poissons perdent leurs abris, les crustacés perdent leurs cachettes, et les autres invertébrés perdent leurs refuges. La biodiversité de ces zones marines exceptionnelles s’effondre rapidement, laissant un vide où autrefois régnait une profusion de vie.</p>
<p>Les conséquences de cette perte de biodiversité sur l’écosystème marin sont incommensurables. Les interactions complexes entre les espèces sont perturbées, les <a href="https://doi.org/10.1016/j.ocecoaman.2013.07.004">chaînes alimentaires brisées</a>, et la stabilité de tout l’écosystème est mise en péril. Les <a href="https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0102782">effets se propagent bien au-delà des limites des forêts de gorgones, affectant l’ensemble de la biodiversité marine</a>.</p>
<p>Dans ce contexte, il est impératif que nous comprenions l’urgence de préserver ces écosystèmes précieux et de prendre des mesures pour atténuer les effets du changement climatique. L’avenir de nos forêts sous-marines et de la diversité marine qui les habite dépend de notre engagement collectif à préserver la santé de notre planète et de ses océans.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214094/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lorenzo Bramanti a reçu des financements de Fondation BNP PARIBAS (DEEPLIFE); Fondation Prince Albert II de Monaco (ROMERO); COST Action CA20102 Marine Animal Forests of the World (MAF-WORLD)</span></em></p>
Les gorgones forment de véritables forêts animales qui abritent tout un écosystème. Quand elles sont touchées par la chaleur, c’est l’ensemble de la communauté qui en pâtit.
Lorenzo Bramanti, Chargé de Recherches CNRS à l'Observatoire Océanologique de Banyuls, au Laboratoire d'écogéochimie des environnements benthiques, Sorbonne Université
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2023-06-25T15:00:53Z
2023-06-25T15:00:53Z
Naufrage au large de la Grèce : des morts et des questions
<p>Ils sont des dizaines, tournés vers le ciel, les bras tendus : difficile de concevoir un signe de détresse plus universel. Sur la <a href="https://apnews.com/article/migrants-shipwreck-rescue-greece-coast-guard-c160027a00d1ad2f859b97e3e8e7643d">photo</a> communiquée par garde-côtes grecs (Hellenic Coast Guards, HCG), prise le 13 juin 2023, le chalutier densément chargé se détache de l’eau bleue de la mer Ionienne, à environ 80 km au sud-ouest de Pylos.</p>
<p>Dans la nuit qui suit, alors qu’un navire des HCG se trouve à proximité, le bateau coule, emportant avec lui un grand nombre de ses occupants. Seuls 104 hommes ont survécu, et 81 corps ont été <a href="https://www.infomigrants.net/fr/post/49775/grece--trois-nouveaux-corps-repeches-le-bilan-du-naufrage-passe-a-81-victimes">récupérés</a>. Entre les premiers appels de détresse, reçus en début de journée du 13 juin, et le naufrage du navire, quatorze heures se sont écoulées. Pourquoi les 750 personnes à bord de ce navire n’ont-elles pas été secourues ? Pourquoi le navire, en route depuis 5 jours, a-t-il chaviré à ce moment-là ?</p>
<p>Plusieurs jours après ce drame, les questions s’accumulent et leurs réponses se contredisent. Dans les mailles de ces interrogations se dessinent des marqueurs d’une gestion européenne des frontières migratoires maritimes, où la sûreté humaine vient après la <a href="https://brill.com/view/journals/emil/21/4/article-p459_3.xml?language=en">sécurité des frontières</a>.</p>
<p>Pour sortir du <a href="https://doi.org/10.1111/1758-5899.12401">« spectacle singulier »</a> constitué autour de chaque naufrage – leur fréquence particulière <a href="https://news.un.org/fr/story/2023/04/1134157#:%7E:text=Le%20projet%20%C2%AB%20Migrants%20disparus%20%C2%BB%20de,en%20de%C3%A7%C3%A0%20de%20la%20r%C3%A9alit%C3%A9.">depuis le début de l’année 2023</a> nous y oblige – il est nécessaire de replacer le naufrage de Pylos dans un contexte structurel. Que dit-il de la politique mortifère de dissuasion qui se joue en mer ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lexil-ou-la-mort-pour-une-politisation-de-la-question-migratoire-166707">L’exil ou la mort ? Pour une politisation de la question migratoire</a>
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<h2>Un départ de l’est libyen pour l’Italie : contourner les pushbacks</h2>
<p>Près de 750 personnes syriennes, palestiniennes, pakistanaises, afghanes et égyptiennes ont embarqué dans ce bateau de pêche le 9 juin, <a href="https://www.infomigrants.net/fr/post/49754/greece-questions-continue-mounting-over-final-hours-before-migrant-ship-sank">à l’est des côtes libyennes</a>. Pourquoi des personnes originaires d’Asie centrale et du Moyen-Orient se trouvent-elles en Libye pour rejoindre l’Europe ?</p>
<p>Face aux <a href="https://ecre.org/wp-content/uploads/2017/04/Policy-Papers-01.pdf">restrictions de visas</a> mises en place dans l’espace Schengen depuis les années 1990, la plupart des personnes fuyant ces pays n’ont d’autre choix que de se déplacer de manière irrégulière, pour la <a href="https://www.unhcr.org/refugee-statistics/">petite part</a> qui cherche à rejoindre l’Europe. Or les contrôles sur les routes migratoires se sont particulièrement durcis. Entre la Grèce et la Turquie, le <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1068/d13031p">déploiement de surveillance</a> par les autorités grecques, turques et l’agence <a href="https://theconversation.com/frontex-une-administration-decriee-dans-la-tourmente-183468">Frontex</a> a mené les personnes traversant à passer successivement par les routes de la mer Égée, ou de la région terrestre d’Évros.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Depuis mars 2020, les pratiques de <a href="https://aegeanboatreport.com/"><em>pushbacks</em></a>, ou refoulement, par les autorités grecques se sont intensifiées : interceptés par les HCG, en mer ou à terre, des groupes de personnes migrantes sont tractés et repoussés vers les eaux turques, parfois placées dans des <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/leiden-journal-of-international-law/article/weaponizing-rescue-law-and-the-materiality-of-migration-management-in-the-aegean/068B225CF16390CCBA5FFD10FC3CEF8C">radeaux de survie</a>, sans moteurs, <a href="https://counter-investigations.org/investigation/drift-backs-in-the-aegean-sea">à la dérive</a>.</p>
<p>Ces pratiques sont sont illégales mais rendues possibles par des réglementations européennes qui font des pays d’Europe du Sud une <a href="https://nearfuturesonline.org/wp-content/uploads/2016/03/Heller_Pezzani_Ebbing_2016.pdfer_Pezzani_Ebbing_2016.pdf">« couronne intérieure de contrôle »</a>, et sont tolérées, sur le plan politique : en mars 2020, la présidente de la Commission européenne remerciait la Grèce d’être le <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/statement_20_380">« bouclier » européen</a>, sans faire référence ni aux obligations de la Grèce et de Frontex en termes de respect des droits fondamentaux à la frontière, ni aux témoignages de <a href="https://www.ohchr.org/sites/default/files/Documents/Issues/Migration/pushback/MareLiberumSubmission.pdf">cas de <em>pushbacks</em></a> qui émergeaient alors.</p>
<p>Le départ de Tobruk pour les Calabres, en Italie, permettait ainsi d’éviter l’Ouest libyen et ses gardes-côtes, eux-mêmes <a href="https://www.washingtonpost.com/world/eu-continues-training-libyan-partners-despite-migrant-abuses/2022/01/25/6cf9ac4c-7db2-11ec-8cc8-b696564ba796_story.html">financés et entraînés</a> par l’Union européenne pour intercepter les personnes fuyant leurs côtes, et la mer Égée. 750 personnes se sont donc embarquées sur une longue route, dans des <a href="https://www.theguardian.com/world/2023/jun/18/pakistanis-were-forced-below-deck-on-refugee-boat-in-greece-disaster?CMP=Share_iOSApp_Other">conditions de traversée terribles</a> imposées par les passeurs l’organisant. Après 4 jours de navigation, elles se sont trouvées dans l’endroit qu’elles voulaient éviter : la zone de recherche et de sauvetage grecque.</p>
<h2>Le traitement sécuritaire du SAR (search-and-rescue)</h2>
<p>Revenons brièvement sur la chronologie du naufrage (les horaires sont données sur le fuseau EEST) : à 10h35, <a href="https://www.ccme.org.ma/fr/marocains-du-monde/43563">Nawal Soufi</a>, travailleuse sociale et militante sicilienne d’origine marocaine, <a href="https://www.eldiario.es/desalambre/ultimas-horas-pesquero-naufragado-jonico-siento-ultima-noche-vida_1_10299007.html">reçoit des appels</a> de détresse en provenance du navire de pêche, qu’elle transmet aux autorités italiennes, maltaises et grecques. Le navire de pêche est localisé par un avion Frontex à 11h47, qui quitte rapidement la zone, faute de carburant (<a href="https://frontex.europa.eu/media-centre/news/news-release/frontex-statement-following-tragic-shipwreck-off-pylos-dJ5l9p">d’après l’agence</a>). </p>
<p>Les autorités grecques entrent en contact avec le navire qui ne demande pas d’assistance selon elles. En parallèle, d’autres appels au secours sont adressés au numéro d’urgence du collectif de soutien aux personnes migrantes <a href="https://alarmphone.org/en/2023/06/14/europes-shield/">Alarm Phone</a>. Ce n’est qu’à 15h35 (4h après l’alerte de Frontex) qu’un bateau des HCG part pour la zone, depuis la Crète. Les HCG sollicitent les bateaux commerciaux environnants pour surveiller le navire. Ceux-ci seront chargés de distribuer de l’eau et des vivres aux personnes embarquées. Les <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/06/23/naufrage-au-large-de-la-grece-les-failles-des-secours_6178832_3210.html">bateaux</a> quittent la zone, et de <a href="https://www.efsyn.gr/ellada/koinonia/393777_i-ekdohi-toy-yp-naytilias-gia-nayagio-me-toys-prosfyges-anoihta-tis-pyloy">22h40 à 1h40</a>, le patrouilleur des HCG reste à proximité du navire de pêche, sans, selon eux, intervenir.</p>
<p>Par l’absence d’urgence dans le déploiement de moyens de secours prêts à réaliser une opération de sauvetage, il semble que les HCG n’aient pas traité ce cas comme un cas de détresse, mais comme un incident relevant de la sécurité de la frontière : l’opération de sauvetage n’aurait débuté qu’au moment où le navire a chaviré, d’après le <a href="https://www.efsyn.gr/ellada/koinonia/393777_i-ekdohi-toy-yp-naytilias-gia-nayagio-me-toys-prosfyges-anoihta-tis-pyloy">communiqué de presse</a> du Ministère de la Marine marchande.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/I-1rp9RxoHo?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Naufrage du bateau de migrants : les familles affluent à la recherche de survivants en Grèce. France 24.</span></figcaption>
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<h2>Un navire en détresse</h2>
<p>Pour justifier l’absence d’action des HCG, l’ancien ministre grec <a href="https://twitter.com/nmitarakis/status/1669605669077483526">Notis Mitarachi</a> se réfère à la <a href="https://www.un.org/depts/los/convention_agreements/texts/unclos/unclos_e.pdf">Convention de l’ONU sur le droit de la mer</a>, et non aux conventions sur le sauvetage. Il argumente que « les garde-côtes ont le droit d’arrêter un navire, de l’inspecter pour vérifier qu’il n’y a pas d’activité illégale dans les eaux territoriales », et que le bateau de pêche se trouvait en haute mer, ne permettant donc pas de contrôle. Or le bateau était bel et bien dans la zone de recherche et de sauvetage (SAR) grecque, région maritime où, d’après la <a href="https://treaties.un.org/doc/publication/unts/volume%201405/volume-1405-i-23489-english.pdf">convention SAR de 1979</a>, l’État se doit de mettre en place des services pour coordonner les opérations de sauvetage.</p>
<p>Selon le ministère de la marine marchande, le bateau n’était pas en détresse le long de la journée du 13 juin : d’une part, il avançait de manière continue, et d’autre part, ses occupants ne demandaient pas assistance, souhaitant se rendre en Italie. Pourtant, au regard du droit maritime international, ces éléments ne suffisent pas à caractériser l’absence de détresse, tel qu’expliqué par la juriste <a href="https://wearesolomon.com/mag/focus-area/migration/they-are-urgently-asking-for-help-the-sos-that-was-ignored">Nora Markard</a>, ainsi que par un ancien officier des HCG, car il y avait des raisons objectives de considérer cette embarcation en détresse : le nombre de personnes à bord, l’état du navire, et les appels de détresse reçus.</p>
<p>L’agence Frontex et ses moyens se sont eux aussi tenus largement éloignés de la localisation de l’embarcation, <a href="https://frontex.europa.eu/media-centre/news/news-release/frontex-statement-following-tragic-shipwreck-off-pylos-dJ5l9p">après l’avoir repérée</a>. Elle a ainsi limité son rôle à une action de détection, laissant ensuite libre cours à l’action des forces d’intervention grecques <a href="https://academic.oup.com/bjc/advance-article-abstract/doi/10.1093/bjc/azac009/6546429?redirectedFrom=fulltext">(un mode opératoire récurrent)</a>.</p>
<p>Cette relégation du sauvetage à un second plan semble s’inscrire dans une politique installée, qui se traduit notamment dans des investissements différenciés : d’après une <a href="https://wearesolomon.com/mag/focus-area/migration/just-007-of-819m-border-budget-to-greece-earmarked-for-search-and-rescue/">enquête du média grec Solomon</a>, seuls 0,07 % du budget alloué à la Grèce pour sa gestion de la frontière par l’Union européenne est destiné au SAR (<em>search and rescue</em>, recherche et sauvetage).</p>
<h2>La culture du secret aux frontières</h2>
<p>Le déroulé du naufrage de l’embarcation fait aujourd’hui l’objet d’importants dissensus, entre d’une part, les communiqués des HCG et ministres grecs, et d’autre part, les appels de détresse, les témoignages des personnes survivantes et les enquêtes journalistiques en cours. Les dissonances entre les récits ont amené les autorités à égrener davantage d’informations et de justifications dans les jours faisant suite au naufrage.</p>
<p>Premièrement, le fait que le navire de pêche avançait d’une vitesse stable et continue le long de la journée du 13 juin est remis en question par deux analyses journalistiques : celle des <a href="https://www.news247.gr/koinonia/nayagio-stin-pylo-ta-stigmata-diapseydoyn-to-limeniko-to-alieytiko-itan-11-ores-sto-idio-simeio.10084007.html">positions du bateau</a> relayées au fur et à mesure de la journée, et celle des <a href="https://www.bbc.com/news/world-europe-65942426">données AIS</a> (<a href="https://doi.org/10.4000/netcom.1943">données émises automatiquement</a> qui transmettent notamment des informations sur la localisation du bateau) des bateaux intervenus pour porter assistance.</p>
<p>Deuxièmement, d’après les garde-côtes grecs, le bateau de pêche aurait coulé très brusquement, après un arrêt de son moteur à 1h40. Or plusieurs témoignages des survivants accusent les accusent d’avoir provoqué le naufrage, en <a href="https://www-mediapart-fr.ezproxy.normandie-univ.fr/journal/international/170623/apres-le-naufrage-des-survivants-denoncent-les-gardes-cotes-grecs-et-frontex">tentant de remorquer</a> le navire hors de la zone SAR grecque.</p>
<p>Les changements de version des officiers des HCG à ce propos mettent en question la transparence de leurs témoignages : le 15 juin, un porte-parole des HCG, Nikolaos Alexiou, niait entièrement le fait qu’il y ait eu amarrage entre le navire de pêche et le patrouilleur. Dans un article publié le lendemain, un responsable des HCG <a href="https://www.documentonews.gr/article/nayasio-stin-pylo-to-limeniko-gyrise-to-ploio-an-den-mas-eixe-travixei-etsi-de-tha-eixe-pethanei-oyte-enas-anthropos-sygklonistikes-martyries/">contredit cette version</a> : un amarrage aurait été réalisé aux alentours de 23h, soit bien avant le naufrage, et il aurait été rapidement délié par des personnes à bord. Les garde-côtes continuent à nier tout remorquage.</p>
<p>Troisièmement, la diligence des HCG dans la conduite du sauvetage des naufragés à l’eau est remise en question par des témoignages de survivants. Des hommes parlent d’une longue attente en mer avant d’être récupérés, et de garde-côtes peu équipés pour réaliser du sauvetage la nuit, et de <a href="https://www.thetimes.co.uk/article/afc261c6-0d31-11ee-aa7c-6e26d8c3ad9b?shareToken=704a366a80bbc6967f02243ddedc5284">mauvais traitements infligés</a> après leur récupération. Ces accusations sont balayées par le porte-parole des garde-côtes grecs <a href="https://www.thetimes.co.uk/article/afc261c6-0d31-11ee-aa7c-6e26d8c3ad9b?shareToken=704a366a80bbc6967f02243ddedc5284">Nikos Alexiou</a> : </p>
<blockquote>
<p>« Nous avons agi immédiatement. C’est des conneries. Les garde-côtes grecs ont sauvé des milliers de vies et été engagés dans des centaines d’opérations. Ces accusations sont des mensonges. »</p>
</blockquote>
<p>Tous ces éléments pointent vers l’importance de la réalisation d’une enquête approfondie. D’autant plus que la Grèce a récemment été condamnée par la <a href="https://hudoc.echr.coe.int/fre#%7B%22languageisocode%22:%5B%22FRE%22%5D,%22appno%22:%5B%225418/15%22%5D,%22documentcollectionid2%22:%5B%22CLIN%22%5D,%22itemid%22:%5B%22002-13739%22%5D%7D">Cour européenne des Droits humains</a> pour des faits remontant à 2014 : une embarcation de 28 personnes avait coulé alors qu’elle était remorquée par les HCG en direction des eaux turques.</p>
<h2>La rhétorique humanitaire au service de la dissuasion mortifère</h2>
<p>Dans un ballet écrit d’avance, les jours suivants le naufrage ont vu les divers acteurs impliqués de près ou de loin dans le naufrage faire part de leur deuil et de leur tristesse à l’égard des personnes disparues. Pour <a href="https://twitter.com/LeijtensFrontex/status/1669371393115316227">Hans Leitjens</a>, directeur exécutif de Frontex depuis mars 2023, « sauver des vies sera toujours [leur] priorité ». Ce principe moral est repris et revendiqué, quand bien même il est en décalage criant avec les actions entreprises, et par des acteurs qui s’opposent au sauvetage en mer. De plus en plus explicitement, la dissuasion est présentée comme une action humanitaire. Itamar Mann, à propos de dissuasion, <a href="https://www.cambridge.org/core/books/humanity-at-sea/D6E3356B4F910FCE8E3D602F33BE2E04">écrivait</a>, en 2016 :</p>
<blockquote>
<p>« C’est un terme poli pour l’idée que certains migrants doivent souffrir pour empêcher d’autres migrants de chercher des solutions. »</p>
</blockquote>
<p>Dans une sorte de retournement orwellien, laisser mourir… sauve des vies.</p>
<p>Or tandis que le nombre de morts aux frontières s’accumule, les tentatives d’entrées irrégulières dans l’Union continuent. La liste des morts de réfugiés de <a href="https://unitedagainstrefugeedeaths.eu/wp-content/uploads/2014/06/ListofDeathsActual.pdf">UNITED</a>, actualisée chaque année et publiée le 7 juin 2023, est déjà obsolète : autour de 600 noms – leur nombre et leur identité demeureront peut-être incertains – doivent déjà la rallonger.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208137/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Camille Martel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Des témoignages de survivants divergent des communiqués des autorités grecques sur le déroulé du drame.
Camille Martel, Doctorante en géographie, UMR IDEES, Université Le Havre Normandie
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tag:theconversation.com,2011:article/200027
2023-03-02T20:03:04Z
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Au Liban, la périlleuse traversée de la Méditerranée, seule issue pour des milliers de personnes désespérées
<p>Le 6 février 2023, à l’occasion de la <a href="https://www.liberation.fr/societe/journee-de-commemoration-pour-les-morts-aux-frontieres-on-veut-migrer-pour-vivre-pas-pour-mourir-20230207_6IBCSHNYMRBYRMQ5TB22G2JFPI/">Journée internationale de la commémoration des morts et des disparus en mer et aux frontières</a>, j’ai assisté à Tripoli, au Liban, à un rassemblement et à une réunion organisés par un certain nombre d’organisations de la société civile locales et internationales.</p>
<p>Celles-ci ont rappelé à cette occasion le <a href="https://www.liberation.fr/international/moyen-orient/au-moins-71-migrants-partis-du-liban-meurent-noyes-au-large-de-la-syrie-20220923_6FTKKQH22JG2RAINI3TIH4ETVY/">destin tragique qu’ont connu de nombreux migrants illégaux</a> ayant voulu rejoindre l’Europe par la mer Méditerranée au cours de ces dernières années.</p>
<p>En effet, chaque année, des centaines de Libanais, mais aussi de Syriens et de Palestiniens réfugiés au Liban, prennent la mer sur des embarcations souvent très fragiles afin d’échapper aux <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Liban-chronologie-dune-crise-bancaire-financiere-nen-finit-pas-2023-02-17-1201255646">très difficiles conditions économiques</a> que subit actuellement le pays. Ils cherchent de l’espoir, un avenir meilleur, une stabilité, mais surtout et avant tout la dignité.</p>
<p>Cet article présente une tentative d’analyse anthropologique de cette immigration particulière. Sans juger les familles qui risquent leur vie et celle de leurs enfants, il s’agit de comprendre leurs motivations dans une dimension cognitive. Les dimensions politiques, économiques et sociales, ainsi que les réseaux des passeurs méritent une autre étude.</p>
<h2>Une litanie de catastrophes</h2>
<p>Un récent rapport de l’UNICEF estime que, au Liban, <a href="https://www.unicef.org/media/112421/file/2022-HAC-Lebanon.pdf">2,3 millions de Libanais vulnérables</a>, de réfugiés palestiniens et de migrants essentiellement syriens, dont 700 000 enfants, sont confrontés à une crise humanitaire et à des privations multiples. Il ressort également de cette enquête que 30 % des jeunes Libanais (âgés de 15 à 24 ans) ont abandonné leurs études pour chercher un emploi, tandis qu’environ 41 % d’entre eux estiment que ce n’est qu’en s’installant à l’étranger qu’ils pourront trouver du travail.</p>
<p>Le nombre de Libanais cherchant à quitter le pays est en constante augmentation depuis le <a href="https://www.banquemondiale.org/fr/news/press-release/2022/01/24/lebanon-s-crisis-great-denial-in-the-deliberate-depression">début de la crise économique en 2019</a>. Selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, <a href="https://www.infomigrants.net/fr/post/45814/le-naufrage-dun-bateau-de-migrants-au-large-du-liban-fait-deux-morts-200-personnes-secourues">38 bateaux transportant plus de 1 500 passagers</a> ont quitté illégalement le pays par la mer en 2021.</p>
<p>Le 23 avril 2022, un bateau transportant environ 84 personnes <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/05/09/le-naufrage-d-un-bateau-de-migrants-suscite-la-colere-a-tripoli_6125371_3210.html">a coulé au large de Tripoli, au Liban</a>. L’armée libanaise a recueilli 45 survivants et <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/05/09/le-naufrage-d-un-bateau-de-migrants-suscite-la-colere-a-tripoli_6125371_3210.html">sept corps ont été retrouvés</a>, dont un bébé de 40 jours, tandis que les passagers restants sont toujours portés disparus à ce jour.</p>
<p>Le 21 septembre 2022, un bateau transportant environ 150 personnes a coulé près de l’île d’Arwad, au large de Tartous en Syrie au nord du Liban. Les opérations de recherche et de sauvetage ont confirmé <a href="https://www.lecourrierdelatlas.com/naufrage-au-large-de-la-syrie-au-moins-94-morts-et-plusieurs-disparus/">qu’au moins 70 personnes ont trouvé la mort dans le naufrage</a>.</p>
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<p>Le 31 décembre 2022, l’armée libanaise, en coopération avec la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL), a secouru plus de 200 migrants après qu’un bateau les transportant a coulé au large de la région de Selaata au Liban, dont la plupart seraient des Syriens. Après avoir été secourus, la plupart d’entre eux ont <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2023/01/lebanon-syrians-who-survived-boat-sinking-allegedly-deported/">été illégalement expulsés et remis aux autorités syriennes</a>.</p>
<h2>Une crise économique dévastatrice</h2>
<p>La crise économique et financière qui a débuté en octobre 2019 a été exacerbée par le double impact de <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1285850/le-liban-touche-par-une-nouvelle-vague-de-la-pandemie.html">l’épidémie de Covid-19</a> et de <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/liban/explosions-a-beyrouth/explosion-a-beyrouth-les-dessous-du-drame_4067889.html">l’explosion du port de Beyrouth en août 2020</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-port-de-beyrouth-symbole-detruit-dune-ville-en-crise-144093">Le port de Beyrouth, symbole détruit d’une ville en crise</a>
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<p>Selon le <a href="https://documents1.worldbank.org/curated/en/394741622469174252/pdf/Lebanon-Economic-Monitor-Lebanon-Sinking-to-the-Top-3.pdf">Lebanon Economic Monitor</a> du printemps 2021, la crise économique et financière du Liban se classe parmi les pires crises économiques mondiales depuis le milieu du XIX<sup>e</sup> siècle. Le PIB nominal a chuté de près de 52 milliards de dollars en 2019 à un montant estimé à 23,1 milliards de dollars en 2021. La contraction économique prolongée a entraîné une baisse marquée du revenu disponible. Le PIB par habitant a chuté de 36,5 % entre 2019 et 2021, et le Liban, pays à revenu intermédiaire supérieur depuis près de 25 ans, a été <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1304933/le-liban-passe-dans-la-categorie-revenu-moyen-inferieur-dun-classement-de-la-banque-mondiale.html">reclassé par la Banque mondiale</a> dans la catégorie des pays à revenu intermédiaire inférieur.</p>
<p>Dans ce contexte, les droits sociaux et économiques de la majorité des Libanais ne sont plus garantis, les familles à faible revenu étant les premières victimes. Une étude de Human Rights Watch met en lumière les <a href="https://al24news.com/fr/hrw-met-en-garde-contre-les-niveaux-alarmants-de-pauvrete-et-dinsecurite-alimentaire-au-liban/">niveaux alarmants de pauvreté et d’insécurité alimentaire au Liban</a> en raison de la baisse de l’activité économique, de l’instabilité politique et de l’augmentation du coût de la vie. Selon HRW, la réponse des autorités ne garantit pas le droit de chacun à un niveau de vie suffisant, y compris le droit à l’alimentation, alors que 90 % des foyers libanais vivent avec <a href="https://icibeyrouth.com/liban/165438">moins de 377 dollars par mois</a>. Le système de protection sociale du Liban est très fragmenté, laissant la plupart des travailleurs informels, les personnes âgées et les enfants sans aucune protection, et renforçant les inégalités sociales et économiques.</p>
<h2>L’émigration comme échappatoire</h2>
<p>La notion de crise, en tant qu’expérience dans des domaines recouvrant tous les registres de la vie individuelle ou sociale, réclame une analyse susceptible de dégager les caractéristiques et les dynamiques qui la spécifient. Dans son article <a href="https://cpp.numerev.com/pdf/articles/revue-14/395-crises">« Crise(s) »</a> paru dans <em>Les Cahiers de psychologie politique</em>, la spécialiste de psychologie sociale Jacqueline Barus-Michel décortique les différentes phases de la crise économique de 2008, caractérisées par un brusque retour du refoulé entraînant défaillance de symbolisation et déferlement d’un imaginaire négatif incontrôlable. Elle indique que la crise a des effets de contamination sur les unités sociales ou les systèmes affectés de proche en proche par la dérégulation. Les symptômes psychiques et sociaux de l’anomie se manifestent sur les modes dépressifs et violents.</p>
<p>Les crises sociales, politiques et économiques ne sont crises que parce que chaque fois elles affectent des personnes, des groupes, des populations dans leur vie matérielle, psychique et relationnelle. Dans le cas libanais, l’intervention des événements déclencheurs de l’explosion du port, de la crise de Covid-19 et de la crise économique a signé l’irruption d’une réalité refoulée « contredisant l’imaginaire et le mode de fonctionnement qui en découlait ». Au niveau des sujets, la crise s’est manifestée par une désorientation et une transgression qui a donné lieu à ces vagues d’émigration par la mer. Au niveau de l’unité sociale, elle a suscité le désinvestissement, un sentiment d’insécurité, des conduites au coup par coup, dans l’immédiateté, le défaut de projet, et le développement de l’esprit de fuite.</p>
<p>Les conséquences psychologiques de la crise sont partagées par les Libanais et les réfugiés syriens et palestiniens. Devant cette réalité, l’appartenance nationale s’efface. Leurs intérêts convergent dans la recherche d’une sortie digne pour une vie digne. Ces individus et familles ne trouvent plus leur place au Liban et vont à la recherche d’autres places ailleurs, optant pour une stratégie de risque dans une <a href="https://editions.flammarion.com/la-societe-du-risque/9782081218888">« société du risque »</a> (Beck, 1992) où prime le sentiment d’insécurité. Pour Ulrich Beck, le risque peut être défini comme une façon systématique de traiter les dangers et insécurités induits et introduits par la modernité elle-même.</p>
<p>Cette migration illégale comme sortie logique est choisie par ces populations, au risque de perdre la vie. Elles sont ainsi vues par leurs pairs et les détenteurs de pouvoir comme produisant leurs propres (nouveaux), risques, dangers, contingences et formes d’insécurité. Sur le plan social et politique, elles semblent réclamer une nouvelle forme de relation entre le pays (ou le lieu de résidence) et l’ailleurs. La crise a produit un processus d’individualisation croissant à la suite duquel les individus se sont réunis en <a href="https://www.editionslatableronde.fr/le-temps-des-tribus/9782710390305">nouveaux réseaux</a> revendiquant une plus grande marge de liberté et d’autonomie. Ces voyageurs illégaux aspirent à une émancipation par un passage à l’acte risqué, mais conscient. Leur conviction qu’il existe une vie meilleure ailleurs donne un sens à leur acte.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/200027/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie Kortam ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Pourquoi autant de Libanais et de réfugiés palestiniens et syriens au Liban prennent-ils la mer vers l’Europe au péril de leur vie ?
Marie Kortam, Chercheure associée à l’Institut français du Proche-Orient (IFPO – Beyrouth) et membre du Conseil arabe des sciences sociales, Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH)
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tag:theconversation.com,2011:article/199350
2023-02-08T19:59:02Z
2023-02-08T19:59:02Z
Pourquoi il y a des séismes en cascade en Turquie et en Syrie
<p>Ce lundi 6 février, à 4h17 du matin, un <a href="https://theconversation.com/fr/topics/seismes-27199">séisme</a> de magnitude 7,8 a frappé la Turquie et la Syrie. Les séismes dans cette région du monde sont courants, mais l’ampleur de celui-ci est clairement impressionnante : pour trouver un séisme aussi violent sur cette faille, il faut <a href="https://doi.org/10.1017/CBO9781139195430">remonter en 1114</a>.</p>
<p>Une dizaine de minutes après le séisme le plus puissant, une réplique de magnitude 6,7 s’est produite à proximité de l’épicentre et d’autres répliques continuent aujourd’hui de se produire dans une zone allongée sur plus de 350 kilomètres, depuis l’est de la Turquie jusqu’à la frontière syrienne. Ces « répliques », les séismes qui se produisent après un grand tremblement de terre, sont attendues et leur comportement statistique est bien connu.</p>
<p>De façon plus étonnante et surtout dramatique, un second séisme de magnitude 7,5 a eu lieu à 13h24 heure locale, plus au nord. Ce séisme n’est pas une réplique : d’après les premières données traitées en direct par les grandes agences sismologiques internationales, il se serait produit sur une faille est-ouest coupant la rupture principale.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/508950/original/file-20230208-23-8rad2o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/508950/original/file-20230208-23-8rad2o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/508950/original/file-20230208-23-8rad2o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=303&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/508950/original/file-20230208-23-8rad2o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=303&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/508950/original/file-20230208-23-8rad2o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=303&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/508950/original/file-20230208-23-8rad2o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=380&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/508950/original/file-20230208-23-8rad2o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=380&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/508950/original/file-20230208-23-8rad2o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=380&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La micro-plaque Anatolienne est poussée vers l’ouest par la remontée de la plaque Arabie vers le nord, et tractée à l'ouest. Ce mouvement vers l’ouest est accommodé par deux grandes failles tectoniques : la faille nord-anatolienne (2 cm par an de mouvement relatif entre les plaques Anatolie et Eurasie) et la faille est-anatolienne (entre 5 mm et 1 cm par an de mouvement relatif entre les plaques Arabie et Anatolie). Nous savons bien comment et pourquoi l’Anatolie bouge, mais cette connaissance est encore trop parcellaire pour prévoir les séismes.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Romain Jolivet/ENS. Fond de carte GoogleEarth</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Nous n’avons pas encore toutes les <a href="https://theconversation.com/seisme-en-mer-egee-que-savent-les-scientifiques-apres-quelques-jours-de-travail-149246">informations que fournissent les images satellites et les mesures GPS</a>, mais il est possible que le second séisme ait été causé par le premier, une hypothèse qu’il va falloir vérifier dans les jours à venir avec les données qui arrivent au compte-goutte.</p>
<p>Cette activité sismique majeure sur deux failles proches reflète que les contraintes qui sont à l’origine des tremblements de terre se réorganisent petit à petit. L’autre grande faille de la région (la faille « nord-anatolienne ») a vu se propager une séquence de séismes au long du XX<sup>e</sup> siècle, comme une série de dominos, jusqu’à la mer de Marmara et la mégalopole d’Istanbul.</p>
<p>Toute la communauté scientifique, ainsi que les autorités turques, <a href="https://doi.org/10.1038/35005054">attendent un séisme</a> proche de cette ville de 16 millions d’habitants. Nous ne savons pas quand ce séisme aura lieu ni quelle sera sa taille. Nul ne peut, en l’état actuel des connaissances, proposer une date et une magnitude pour ce séisme à venir, et le séisme de ce lundi nous rappelle malheureusement que la Turquie peut aussi être frappée durement ailleurs.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/seismes-pourquoi-on-ne-peut-pas-les-prevoir-58754">Séismes : pourquoi on ne peut pas les prévoir</a>
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<h2>Des répliques et un second séisme</h2>
<p>Le comportement des répliques suite au séisme de lundi n’est en lui-même pas du tout une surprise. En 1894, Omori observait déjà une décroissance logarithmique du nombre de répliques avec le temps (selon une loi en 1/t, t étant le temps écoulé depuis le choc principal).</p>
<p>Ces mêmes lois empiriques, dites « lois d’échelles », prévoient que la plus grosse réplique aura une magnitude d’un ordre de grandeur inférieur au choc principal : ici, la plus grosse réplique du premier séisme a été d’une magnitude de 6,7, proche des 6,8 attendus. Rappelons que cette échelle est logarithmique, et qu’un séisme de magnitude 6 libère 30 fois moins d’énergie qu’un séisme de magnitude 7.</p>
<p>Les répliques s’arrêtent lorsque les forces engendrées par le séisme principal sont accommodées, un peu comme lorsque, après avoir mis un coup de pied dans un tas de sable, les grains continuent de rouler les uns après les autres, puis se stabilisent.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/508937/original/file-20230208-16-1zh76a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/508937/original/file-20230208-16-1zh76a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/508937/original/file-20230208-16-1zh76a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=750&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/508937/original/file-20230208-16-1zh76a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=750&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/508937/original/file-20230208-16-1zh76a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=750&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/508937/original/file-20230208-16-1zh76a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=942&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/508937/original/file-20230208-16-1zh76a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=942&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/508937/original/file-20230208-16-1zh76a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=942&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Essaims de répliques des deux séismes ayant eu lieu à la frontière entre Turquie et Syrie le 6 février.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Romain Jolivet/ENS. Fond de carte Google Earth</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Mais le séisme de magnitude 7,5 de 13h24 sort complètement de ce comportement statistiquement vérifié depuis 1894 sur des milliers de séismes dans le monde : ce n’est pas une réplique mais bien un second séisme. Il faut ainsi noter qu’il s’est produit sur une faille qui semble orientée à 45° par rapport à la faille Est-Anatolienne, comme en témoigne la forme de l’essaim de répliques qui l’ont suivi.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/seisme-au-maroc-les-satellites-peuvent-aider-les-secours-a-reagir-au-plus-vite-183675">Séisme au Maroc : les satellites peuvent aider les secours à réagir au plus vite</a>
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<p>On parlera donc plutôt ici de « séisme déclenché », ou tout du moins, on tentera d’explorer des mécanismes permettant d’expliquer la coïncidence temporelle entre ces deux grands séismes.</p>
<h2>Un risque pour Istanbul</h2>
<p>Certains séismes sont effectivement liés les uns aux autres : en « accommodant » les contraintes qui s’accumulent au niveau des failles tectoniques, ils relâchent de l’énergie et réorganisent ces contraintes, ce qui peut déclencher de nouveaux séismes.</p>
<p>Sur la faille nord-anatolienne, très active et qui accommode un déplacement relatif d’environ 2 centimètres par an entre les plaques Anatolie et Eurasie, une série de séismes de magnitude supérieure à 7 a eu lieu en cascade d’est en ouest sur environ 800 kilomètres au cours du XX<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Le point notable est que toute la longueur de la faille nord-anatolienne a rompu entre 1939 et 1999. Le dernier segment n’ayant pas rompu se trouve en mer de Marmara, tout près d’Istanbul, entre les séismes de Izmit en 1999 et de Ganos en 1912.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/508948/original/file-20230208-13-485i1i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="carte de la région avec les failles, mouvement des plaques tectoniques et seismes historiques" src="https://images.theconversation.com/files/508948/original/file-20230208-13-485i1i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/508948/original/file-20230208-13-485i1i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=303&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/508948/original/file-20230208-13-485i1i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=303&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/508948/original/file-20230208-13-485i1i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=303&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/508948/original/file-20230208-13-485i1i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=380&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/508948/original/file-20230208-13-485i1i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=380&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/508948/original/file-20230208-13-485i1i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=380&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Une séquence historique de séismes s’est produite au XXᵉ siècle : initiée à l’est avec le séisme de Erzincan en 1939 (7,8), elle a continué avec des séismes en 1943, 1944, 1967 et enfin en 1999 avec les deux séismes d’Izmit (7,6) et Duzce (7,3), séparés d’à peine quelques mois.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Romain Jolivet, ENS. Fond de carte GoogleEarth</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cette succession de séismes s’explique par le transfert de la contrainte tectonique d’un segment à l’autre de la faille. Un séisme relâche localement les contraintes accumulées par le mouvement relatif des plaques, mais en même temps, augmente celles sur les segments de faille adjacents qui se rapprochent donc d’une rupture future.</p>
<p>Si ce segment est déjà bien chargé (proche de la rupture), alors un séisme peut en déclencher un autre. Sinon, il faudra attendre que le mouvement des plaques tectoniques apporte le reste de contrainte nécessaire pour déclencher un séisme. On parle ici de « déclenchement statique » car l’état de la croûte après le séisme est la cause du séisme suivant.</p>
<h2>Quand des séismes géants déclenchent d’autres séismes… à distance</h2>
<p>Il existe aussi un type de déclenchement dit « dynamique ». Dans certains cas, la variation de contrainte résultant d’un grand séisme n’est pas assez grande pour expliquer l’occurrence de certains séismes, notamment s’ils sont situés à plusieurs centaines de kilomètres de l’épicentre du choc principal.</p>
<p>Par exemple, suite aux séismes californiens de Landers en 1992 et Hector Mine en 1999, des essaims de séismes ont été observés à plusieurs centaines de kilomètres de l’épicentre. Il a été démontré que <a href="https://doi.org/10.1038/35078053">ces séismes ont eu lieu exactement lors du passage des ondes sismiques les plus fortes émises par ces deux séismes</a>.</p>
<p>Des observations similaires ont été effectuées en laboratoire pour démontrer que <a href="https://doi.org/10.1038/nature04015">lors du passage de ces ondes sismiques, le matériau qui constitue le cœur de la faille s’affaiblit</a>, provoquant un relâchement des contraintes par glissement, c’est-à-dire un séisme.</p>
<p>Ce genre de comportement vient de la physique des milieux granulaires, qui lorsqu’ils sont secoués, peuvent se comporter comme des fluides. Secouer rapidement un tas de sable va le conduire à s’aplatir sous son propre poids alors que sans ces secousses, il tient très bien tout seul.</p>
<p>Secouer rapidement une faille peut donc la conduire à glisser, produisant ainsi des séismes. Il a aussi été observé que <a href="https://doi.org/10.1029/2012JB009160">ces ondes sismiques peuvent déclencher des glissements lents à des distances colossales</a>. Les ondes sismiques émises par le séisme de Maule, un séisme de magnitude 8,9 en 2010 au Chili, ont provoqué un glissement lent le long de la subduction du Mexique, à environ 7 000 kilomètres de l’épicentre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/199350/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Romain Jolivet a reçu des financements de Conseil Européen pour la Recherche (ERC), de l'Agence Nationale de la Recherche (ANR) ainsi que du Centre National pour la Recherche Scientifique (CNRS) et de l'Institut Universitaire de France (IUF).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Laurent Jolivet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Les séismes peuvent en déclencher d’autres : des répliques, mais aussi des séismes plus distants.
Romain Jolivet, Professeur des Universités, École normale supérieure (ENS) – PSL
Laurent Jolivet, Professeur, Sorbonne Université
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/197159
2023-01-17T17:53:13Z
2023-01-17T17:53:13Z
Images de science : des dépôts fantomatiques dans les Cyclades
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/504642/original/file-20230116-20-sz1aoj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=92%2C41%2C6757%2C4528&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La température du fond de l'eau et des sédiments est plus élevée dans cette zone en raison de la circulation de fluides chauds, ce qui favorise le développement de précipités minéraux (jaunes) et de tapis bactériens (blancs).</span> <span class="attribution"><span class="source">Anders Schouw, Projet CarDHynAl</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Cette tache sous-marine à l’allure fantomatique témoigne d’échanges de fluides depuis la croûte terrestre jusqu’à la surface, à travers le plancher océanique. Nous sommes ici dans la baie de Paléochori sur l’île de Milos, en Grèce, où une activité hydrothermale peu profonde produit des précipités jaunes caractéristiques du soufre et de l’arsenic, et des tapis bactériens blanchâtres qui semblent presque luminescents.</p>
<p>La circulation d’eau chaude dans les profondeurs de la croûte, ou « hydrothermalisme », est largement répandue sur Terre. Elle est favorisée par la proximité de sources de chaleur, comme les chambres magmatiques, et les sorties hydrothermales associées sont responsables d’environ 25 % de la perte de chaleur terrestre interne. Outre ces effets thermiques, les processus hydrothermaux ont un impact direct sur la biodiversité environnante, avec le développement d’une faune et d’une flore particulières.</p>
<p>Ces sorties hydrothermales sont bien décrites pour des environnements très profonds, notamment le long des <a href="https://theconversation.com/chronique-en-mer-explorer-les-dorsales-au-large-des-acores-par-plus-de-2-000-metres-de-fond-183457">dorsales océaniques</a>.</p>
<p>Mais on trouve aussi des systèmes hydrothermaux proches des côtes, au large de l’île de Milos ou de Taïwan par exemple, à des profondeurs inférieures à 200 mètres. Alors que des <a href="https://doi.org/10.1016/B978-0-12-409548-9.09523-3">sites peu profonds ont été identifiés</a> dans le monde entier, ils sont moins étudiés et leurs géométries, leur évolution temporelle et les flux d’énergies associés sont mal connus.</p>
<p>Nous étudions ces systèmes afin de comprendre les échanges entre la terre solide et les océans et le développement d’écosystèmes dans des milieux extrêmes.</p>
<h2>L’île de Milos et la baie de Paléochori</h2>
<p>Au sud de la mer Égée et sur l’archipel des Cyclades se trouve le système hydrothermal peu profond le plus étendu au monde – et un des plus étudiés à l’heure actuelle. Dans la baie de Paléochori, au sud-est de l’île de Milos, une activité hydrothermale intense s’étend depuis la plage jusqu’à plus de 200 mètres de profondeur, soit à environ 1,5 kilomètre à la nage.</p>
<p>Cette activité se manifeste entre autres par des émissions de fluides acides de haute température, de l’ordre de 100 °C. Ces fluides contiennent des gaz (dioxyde de carbone, méthane) et <a href="https://doi.org/10.1016/j.jvolgeores.2005.03.018">se mélangent avec l’eau de mer</a> au cours de leur circulation en profondeur. Ce « voyage crustal » leur permet également de devenir salins, sulfurés, et de <a href="https://doi.org/10.1016/S0304-4203(97)00021-2">s’enrichir en arsenic et autres gaz dissous</a>.</p>
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<p>Les sorties hydrothermales sont souvent associées à des précipités jaunes ou orangés de sulfure d’arsenic, et à des précipités blancs d’origine minérale <a href="https://doi.org/10.1016/j.chemgeo.2012.06.007">composés d’un mélange de silice et de soufre</a> associés à des tapis bactériens. Ces dépôts sont visibles depuis l’espace sur des images satellites jusqu’à 30 mètres de profondeur, et permettent d’<a href="https://doi.org/10.1016/j.margeo.2020.106119">identifier des patchs, des structures linéaires et des structures polygonales</a> qui résultent en surface de cellules de convection en profondeur.</p>
<h2>Un projet multiéchelles et multidisciplinaire</h2>
<p>Des données d’imagerie de drone et de véhicule autonome sous-marin acquises par notre équipe en 2019 permettent de <a href="https://doi.org/10.1016/j.margeo.2021.106521">cartographier ces structures</a> à des <a href="https://doi.org/10.1016/j.margeo.2021.106521">résolutions proches du centimètre</a>.</p>
<p>Les mesures de température au sein de ces structures éclairent notamment des mécanismes thermiques particuliers : par exemple, les structures polygonales blanches identifiées sur les images sous-marines présentent des températures plus élevées (supérieures à 50 °C) que les sédiments adjacents (de l’ordre de 24 °C) et sont souvent associées à des zones de <a href="https://doi.org/10.1038/382619a0">« bioturbation »</a>, un remaniement des sédiments par des organismes vivants. </p>
<p>Nos résultats fournissent une vue d’ensemble de ce système hydrothermal peu profond et de l’organisation de la circulation de fluides à travers le plancher océanique. Ils apportent de premières perspectives sur les flux de chaleur du système et sur les <a href="https://doi.org/10.3389/fmicb.2022.1060168">communautés microbiennes contrôlées par cette activité hydrothermale</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/197159/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>This project was partially funded by INSU-CNRS Tellus and Syster Projects to Javier Escartin (2016) and Jean-Emmanuel Martelat (2018), and with partial support by RAMONES, funded by the European Union’s Horizon 2020 research and innovation program, under grant agreement N°101017808 (to Javier Escartin and Paraskevi Nomikou). This work was also partially funded by the Deutsche Forschungsgemeinschaft (DFG, German Research Foundation) – Project-ID 364653263 – TRR 235 to William D. Orsi. Additional support was provided by internal funds from ENS, IPGP, U. of Lyon, and U. of Bergen.</span></em></p>
Ceci n’est pas un spectre qui brille dans la nuit, mais la chaleur de la Terre qui traverse la croûte terrestre et dépose minéraux et bactéries.
Valentine Puzenat, Doctorante en Géosciences Marines, Institut de physique du globe de Paris (IPGP)
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/194112
2022-11-17T17:28:13Z
2022-11-17T17:28:13Z
Ostréiculture en Méditerranée : comment la filière a su se réinventer et quelles sont ses perspectives d'avenir
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/493954/original/file-20221107-11-owyqr3.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=39%2C4%2C3220%2C2438&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les pratiques culturales en lagune de Thau nécessitent des adaptations spécifiques pour s'adapter au changement climatique.</span> <span class="attribution"><span class="source">Franck Lagarde, Ifremer</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Les cultures marines, et l’ostréiculture en particulier, sont représentées en France par des activités traditionnelles qui s’adaptent, depuis plus d’un siècle, à l’originalité des trois façades côtières : Manche–Mer du Nord, Atlantique et Méditerranée. Cependant, aujourd’hui en Méditerranée, le recours à des connaissances nouvelles et aux innovations est nécessaire pour répondre, d’une part, à des exigences du marché toujours plus exigeantes, et d’autre part, à la pression croissante des contraintes environnementales.</p>
<p>La culture du coquillage (conchyliculture) se fait jusqu’à maintenant à ciel ouvert, en mer côtière, dans les estuaires, les bassins côtiers et les étangs salés de Méditerranée. Pour que la culture soit productive, les conchyliculteurs ont des repères en fonction des saisons, des pluies, des orages, des chaleurs ou des périodes froides. Le climat influe sur la qualité de l’eau et par conséquent sur la productivité des coquillages en élevage.</p>
<p>Le lien entre le climat, l’eau de mer et le coquillage se fait par la production planctonique alimentant les coquillages, c’est-à-dire la production du plancton dont la taille varie entre 5 et 200 micromètres (entre 5 et 200 millièmes de millimètre). Cette production planctonique peut être animale ou végétale mais, dans les deux cas, la température de l’eau influencera leur métabolisme selon leur préférence.</p>
<p>Dans les eaux côtières françaises, le plancton fourrager identifié jusqu’à maintenant pour les huîtres est connu pour préférer les eaux tempérées. Or, sur le pourtour du golfe du Lion et dans les lagunes méditerranéennes, les <a href="https://agupubs.onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1029/2019GL082933">températures de l’air et de l’eau de mer augmentent selon une tendance nette</a> et les <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/insu-03668368/">canicules s’intensifient en durée et en fréquence</a>. La remise en question est générale et l’audace devient une obligation.</p>
<h2>Les leçons de l’hécatombe des années 1970</h2>
<p>L’ostréiculture a toujours été sensible aux perturbations environnementales d’origines naturelles ou humaines. Depuis plus de cinquante ans, les crises zoosanitaires (relative à la santé des huîtres en élevage), écologiques ou sanitaires (relative à la santé des consommateurs humains) ont induit des remises en question profondes tant au niveau des pratiques culturales de la filière et de la gestion de ces ressources qu’au niveau de la gestion de l’environnement.</p>
<p>Par exemple, la perte en France de 60 000 tonnes de cheptels d’huîtres (<em>Crassostrea angulata</em>) par an entre 1970 et 1973, décimés par une maladie virale, a impacté environ 5000 établissements ostréicoles. Une <a href="https://archimer.ifremer.fr/doc/1991/publication-2760.PDF">importation massive d’huîtres du Pacifique (<em>Crassostrea gigas</em>) en provenance du Japon</a> (plus de 5 milliards de naissains) et de Colombie britannique, Canada (562 tonnes d’huîtres adultes) a été organisée entre 1971 et 1977 pour remplacer l’espèce malade.</p>
<p>Cette énorme opération a été considérée comme un miracle du point de vue de la filière ostréicole puisque le redémarrage avec cette nouvelle espèce a été immédiat et un volume produit de 80 000 tonnes dès 1976 du nord au sud de la France.</p>
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<h2>Le cas de l’ostréiculture dans la lagune de Thau</h2>
<p>En Méditerranée, le principal bassin conchylicole est la lagune de Thau. Représentant à elle seule 10 % de la production française, cette lagune est très sensible à son contexte climatique et géographique.</p>
<p>Or, au niveau environnemental, entre 1970 et 2000, l’eutrophisation induite par des excès de rejets urbains a impacté le fonctionnement de la conchyliculture locale, la rendant vulnérable aux manques d’oxygène pendant les périodes estivales… Mais l’<a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0048969720328096">eutrophisation a pu être contrôlée</a> avec pour bénéfices de limiter les anoxies estivales (baisse de l’oxygène disponible) et de diminuer les pertes économiques associées à la mortalité des coquillages.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="Huîtres en culture sur corde (Thau)" src="https://images.theconversation.com/files/493879/original/file-20221107-15-x931mm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/493879/original/file-20221107-15-x931mm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=756&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/493879/original/file-20221107-15-x931mm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=756&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/493879/original/file-20221107-15-x931mm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=756&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/493879/original/file-20221107-15-x931mm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=950&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/493879/original/file-20221107-15-x931mm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=950&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/493879/original/file-20221107-15-x931mm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=950&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Contrôle de l’eutrophisation et mise en élevage d’huîtres natives de la lagune de Thau offrent de bonnes perspectives.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Franck Lagarde/Ifremer</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La trajectoire écologique de la lagune des dernières décennies a permis la restauration environnementale de l’écosystème. A ainsi été constaté le retour des <a href="https://wwz.ifremer.fr/natura2000/content/download/27291/380872/file/Natura_NOT_0025_fiche_synthese_Herbiers_V1r0.pdf">prairies d’herbiers de zostères</a> avec ses vertus pour la biodiversité, des habitats de nurseries de poissons et invertébrés ainsi qu’une augmentation des apports en oxygène améliorant sa résistance contre les anoxies.</p>
<p>La culture de l’huître du Japon en lagune de Thau, en plein essor depuis 1980, aurait dû être sereine…</p>
<p>Cependant, en 2008, l’émergence de l’agent pathogène Ostreid-Herpes Virus-µvar dans ces zones conchylicoles, puis au niveau français et européen, a induit des fortes mortalités sur les juvéniles, puis une raréfaction et une spéculation des prix du naissain d’huître. Pour survivre, la <a href="https://wwz.ifremer.fr/cperpc/content/download/15454/231759/file/SYNTHESE">filière méditerranéenne</a> a alors remis en question la croyance prétendant que le développement larvaire et la collecte des naissains étaient impossibles en lagune.</p>
<p>Dès 2010, la démarche scientifique a permis de nuancer cette croyance en trouvant finalement des zones viables pour la collecte de naissain. Dans le même temps, les <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01928210/">connaissances sur les processus de la reproduction des huîtres dans ce contexte si particulier</a> étaient peu à peu réunies et développées.</p>
<p>Aujourd’hui, ces nouvelles données offrent une option pour aider la filière à s’adapter dans le contexte du changement climatique, atténuer ses effets et tenter de transformer les risques en opportunités. L’huître à l’origine importée du Japon <em>Crassostrea gigas</em> désormais native du bassin de Thau a révélé des <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/31959106/">qualités remarquables de survie</a> <a href="https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fmicb.2015.00686/full">face à l’Herpès-virus</a>, de bonnes performances de croissance, de rentabilité et d’adaptation aux aléas permettant d’<a href="https://www.cepralmar.org/wp-content/uploads/2022/06/2022_Natiustra_rapportfinal.pdf">envisager son élevage durable localement</a>.</p>
<h2>Quelles perspectives ?</h2>
<p>Cela étant, la prudence reste de mise.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/DTDu62qNQmw?wmode=transparent&start=57" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>L’<a href="https://hal.umontpellier.fr/hal-03700673">année 2019 et sa canicule estivale intense</a> a montré que le fonctionnement écologique du système peut « shifter » (basculer) d’un mode favorable à un mode défavorable pour le développement des larves d’huîtres et la collecte de naissain. La canicule a induit des températures moyennes élevées, ce qui a modifié les consortiums planctoniques en privilégiant des planctons de plus petites tailles (picophytoplancton) et a mis en échec le développement larvaire des huîtres au profit d’organismes plus adaptés comme des vers calcaires encroûtants.</p>
<p>Les aléas de ces dernières années en Méditerranée ont permis aux différentes communautés de se rencontrer, des producteurs jusqu’aux services de l’État, en passant par les gestionnaires environnementaux, les gestionnaires de ressources et la communauté scientifique. Aujourd’hui, une plate-forme d’échange d’information et de connaissance s’est organisée au niveau du Syndicat mixte de gestion de la lagune de Thau : le Réseau d’observation lagunaire.</p>
<p>Et un renfort existe par l’intermédiaire de l’arrivée de start-up dynamiques qui viennent contribuer à améliorer la résilience de la filière avec leurs nouveaux outils.</p>
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<img alt="Scientifiques effectuant des tâches de suivi en laboratoire" src="https://images.theconversation.com/files/493880/original/file-20221107-12015-yw6bkd.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/493880/original/file-20221107-12015-yw6bkd.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=716&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/493880/original/file-20221107-12015-yw6bkd.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=716&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/493880/original/file-20221107-12015-yw6bkd.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=716&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/493880/original/file-20221107-12015-yw6bkd.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=900&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/493880/original/file-20221107-12015-yw6bkd.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=900&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/493880/original/file-20221107-12015-yw6bkd.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=900&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les échanges entre les scientifiques et les autres intervenants du secteur permettent le transfert de connaissances en temps réel.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Franck Lagarde, Ifremer</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>La création du Centre du littoral et de la mer (CELIMER) localisé à Sète sur la station de l’Ifremer/UMR MARBEC permettra d’initier et de mettre en œuvre des partenariats sous forme de projets innovants avec l’ensemble des compétences scientifiques et techniques disponibles au sein de l’écosystème de recherche et d’innovation en recherche marine, en particulier dans le domaine de la biodiversité marine et de ses usages, principalement en Méditerranée.</p>
<p>Les idées foisonnent, le potentiel humain, qu’il soit technique ou scientifique, est présent. Et des marges de manœuvre existent au niveau des pratiques culturales pour s’adapter au changement global et en atténuer ses effets.</p>
<p>La filière conchylicole méditerranéenne a elle-même rédigé un <a href="https://agriculture.gouv.fr/contrat-de-filiere-conchylicole-etat-region-occitanie-une-avancee-pour-le-maintien-et-la">« Contrat de filière conchylicole État–région Occitanie »</a> pourvue d’une centaine d’actions ayant pour objectif commun de continuer à maintenir, préserver et transmettre les savoir-faire de la profession, développer la filière et renforcer sa résilience.</p>
<p>L’ensemble de ces dynamiques inédites sera à l’origine d’une nouvelle donne conchylicole en Méditerranée, voire dans les différentes régions de France. Ces synergies permettront de renforcer les partenariats, de créer des projets communs pour mieux comprendre le monde d’aujourd’hui, ce monde de l’inconnu au seuil de +1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels redouté par le GIEC (<a href="https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/05/ar4-wg1-spm-fr.pdf">rapport de 2018</a>).</p>
<hr>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=250&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=250&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=250&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=314&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=314&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=314&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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<p><em>Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a lieu du 7 au 17 octobre 2022 en métropole et du 10 au 27 novembre 2022 en outre-mer et à l’international), dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition a pour thème : « Le changement climatique ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site <a href="https://www.fetedelascience.fr/">Fetedelascience.fr</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/194112/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Franck Lagarde ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
La conchyliculture en Méditerranée se prépare au changement climatique. Pour cela, un savant mélange de remise en question, d’audace, de pragmatisme et de science se met en place pour 2020-2050.
Franck Lagarde, Chercheur en écologie et biologie marines, Ifremer/UMR MARBEC, Ifremer
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/191785
2022-10-12T19:10:37Z
2022-10-12T19:10:37Z
Comprendre les eaux souterraines pour mieux protéger les zones humides côtières en Méditerranée
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/487734/original/file-20221003-24-6hjhxc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=6%2C6%2C4594%2C2172&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une zone humide côtière corse, la lagune de Biguglia, alimentée par les rivières du bassin versant et par les eaux souterraines, qui peuvent stocker longtemps les polluants.</span> <span class="attribution"><span class="source">F. Huneau</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Les lagunes et autres zones humides côtières méditerranéennes fournissent depuis toujours de nombreux <a href="https://theconversation.com/les-lagunes-mediterraneennes-espaces-fragiles-et-indispensables-122605">services écosystémiques</a>. Elles sont indispensables à la vie écologique et économique locale, que ce soit pour l’alimentation (pêche, conchyliculture), comme zone tampon entre l’intérieur des terres et le littoral lors des extrêmes climatiques (crues, tempêtes, grandes marées…), comme source d’eau potable ou d’irrigation agricole, ou de plus en plus, comme territoire à haute valeur ajoutée pour la préservation de la biodiversité animale et végétale et les diverses activités culturelles, touristiques et ludiques modernes du bord de mer.</p>
<p>Toutes ces activités humaines et la santé de l’écosystème dépendent de l’équilibre écologique et chimique des eaux de la lagune. Celui-ci est affecté non seulement par la qualité de l’eau des rivières du bassin versant, mais aussi par la qualité des eaux souterraines de celui-ci sur le long terme.</p>
<h2>D’où vient l’eau des lagunes ?</h2>
<p>Ces zones sont à l’interface des eaux continentales douces et des eaux marines salées et donc composées d’eaux saumâtres. Ce sont des <a href="https://www.eaufrance.fr/vers-le-bon-etat-des-milieux-aquatiques">masses d’eau dites « de transition »</a>.</p>
<p>En Méditerranée, les zones humides côtières dépendent pour la plupart d’une contribution d’eau douce en provenance du bassin versant auxquelles elles sont associées, notamment par les <a href="https://theconversation.com/quest-ce-qui-pollue-les-cours-deau-francais-116847">rivières</a>.</p>
<p>Une autre contribution, plus discrète mais parfois bien plus importante en volume, est l’eau souterraine, apportée via les <a href="https://sigesbre.brgm.fr/Qu-est-ce-qu-un-aquifere.html">aquifères</a> – on dit que ceux-ci qui sont en « continuité hydraulique » avec les zones humides.</p>
<p>L’apport régulier en eau douce est un paramètre fondamental de l’équilibre écologique et chimique de la masse d’eau.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/487731/original/file-20221003-22-yc7of9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Schéma du cycle de l’eau incluant les flux souterrains" src="https://images.theconversation.com/files/487731/original/file-20221003-22-yc7of9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/487731/original/file-20221003-22-yc7of9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=297&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/487731/original/file-20221003-22-yc7of9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=297&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/487731/original/file-20221003-22-yc7of9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=297&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/487731/original/file-20221003-22-yc7of9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=374&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/487731/original/file-20221003-22-yc7of9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=374&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/487731/original/file-20221003-22-yc7of9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=374&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Schéma illustrant la connectivité souterraine des zones humides littorales.</span>
<span class="attribution"><span class="source">M. Erostate</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>Cet apport souterrain est d’autant plus important pour les régions à climat méditerranéen qu’il est relativement constant, alors que les écoulements superficiels dans les rivières sont eux soumis à une très forte saisonnalité voire à un tarissement total l’été comme on l’a observé cet été sur plusieurs cours d’eau.</p>
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<p>Cet apport souterrain peut se faire directement par « écoulement gravitaire » au sein du bassin versant. Il peut aussi être favorisé par les aménagements humains, comme les réseaux de canaux et les différents dispositifs de pompage et d’éclusage autour des zones humides, qui abaissent le niveau des nappes phréatiques pour éviter l’engorgement des sols et permettre les usages agricoles.</p>
<h2>La pollution des bassins versants</h2>
<p>Cependant, si l’eau souterraine apporte une contribution en volume d’eau douce indispensable au bon fonctionnement de l’hydrosystème côtier, elle peut aussi dans de nombreux cas également transporter des polluants issus de l’ensemble du bassin versant, qui peuvent représenter à terme une menace pour l’équilibre écologique de la zone humide.</p>
<p>Les cas réguliers de <a href="https://lejournal.cnrs.fr/articles/quand-les-ecosystemes-saturent">crises dystrophiques</a> observés sur certaines lagunes (comme l’étang de Thau) sont un exemple d’apports excessifs en nutriments comme l’azote ou le phosphore, d’origine agricole. Les <a href="https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.1721267115">perturbations endocriniennes observées sur certains organismes aquatiques comme les amphibiens ou les poissons</a> peuvent être reliées à la présence de <a href="https://www.techniques-ingenieur.fr/base-documentaire/mesures-analyses-th1/analyses-dans-l-environnement-methodologies-42382210/techniques-analytiques-pour-les-polluants-emergents-p4240/qu-est-ce-qu-un-polluant-emergent-exemples-p4240niv10001.html">contaminants émergents</a> dans les eaux, comme les hormones provenant les eaux usées non ou insuffisamment traitées.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/487732/original/file-20221003-16-5bx7xz.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Opératrice prélevant de l’eau près de la lagune" src="https://images.theconversation.com/files/487732/original/file-20221003-16-5bx7xz.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/487732/original/file-20221003-16-5bx7xz.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/487732/original/file-20221003-16-5bx7xz.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/487732/original/file-20221003-16-5bx7xz.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/487732/original/file-20221003-16-5bx7xz.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/487732/original/file-20221003-16-5bx7xz.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/487732/original/file-20221003-16-5bx7xz.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Prélèvement d’eau souterraine sur le site de Biguglia.</span>
<span class="attribution"><span class="source">F. Huneau</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>Depuis 2013, l’Université de Corse et le CNRS (<a href="https://gerhyco.universita.corsica/?lang=fr">UMR 6134 SPE</a>) étudient plusieurs lagunes et micro-estuaires de la côte orientale de la Corse afin de mettre en évidence et caractériser cette relation de dépendance entre les eaux souterraines et les zones humides côtières.</p>
<p>Plusieurs études ont été menées pour comprendre la participation en termes de <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0048969718324501">flux polluants</a> des eaux souterraines à la qualité chimique des « eaux de transition ». Les indicateurs que nous suivons sont les isotopes des <a href="https://theconversation.com/moins-de-nitrates-dans-leau-une-vraie-course-de-fond-165474">nitrates</a> (qui peuvent provenir soit de l’agriculture soit des eaux d’assainissement, par exemple de fuites sur les réseaux ou de fosses septiques individuelles), les composés organiques pesticides, utilisés en agriculture ou par les particuliers et enfin des <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/pesticides-pollutions-diffuses">contaminants émergents issus des eaux d’assainissement</a> comme les molécules pharmaceutiques, les édulcorants alimentaires de synthèse ou les produits de soins corporels.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/dou-vient-leau-du-robinet-comment-sa-qualite-est-elle-assuree-187493">D’où vient l’eau du robinet ? Comment sa qualité est-elle assurée ?</a>
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<h2>La pollution peut subsister des siècles dans les nappes</h2>
<p>Néanmoins, les eaux souterraines ne peuvent pas être appréhendées aussi simplement que les eaux de surface car le stockage et le transit de l’eau dans le sol et le sous-sol peuvent durer plusieurs mois, voire plusieurs années ou même plusieurs siècles selon le type d’aquifère. Il existe donc ainsi toujours un décalage entre l’infiltration de l’eau de pluie rechargeant les nappes et le retour de l’eau vers la zone humide collectrice finale située à l’exutoire du bassin versant.</p>
<p>Il est donc nécessaire d’évaluer le temps de séjour de l’eau souterraine afin d’estimer depuis quand la substance polluante est présente dans la nappe. Ceci peut être réalisé à partir de différents isotopes radioactifs, comme le tritium (isotope de l’hydrogène), présent naturellement dans l’eau et constitutif de la molécule d’eau, ou bien faisant partie de composés solubles présents dans l’eau comme le carbone-14 (isotope du carbone intégré aux ions bicarbonates de l’eau). On peut aussi utiliser des molécules organiques d’origine anthropique, comme les chlorofluorocarbones, dont on connaît le comportement dans l’atmosphère au fil du temps et que l’on peut doser dans les eaux souterraines lors du prélèvement de l’échantillon, puis comparer avec les relevés historiques de concentration dans l’atmosphère.</p>
<p>On obtient ainsi une estimation de la durée du trajet de l’eau dans la nappe et donc de la durée de l’immobilisation des polluants dans le sous-sol. Lorsque cette immobilisation est longue, plusieurs décennies par exemple, on parle de <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/pesticides-pollutions-diffuses">« legs polluant »</a> stocké dans la nappe d’eau souterraine.</p>
<h2>Nos résultats</h2>
<p>Les <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0022169419306997">investigations menées récemment en Corse</a> ont pu mettre en évidence, notamment sur le site de la lagune de Biguglia, au sud de la ville de Bastia, une forte dépendance des lagunes littorales aux eaux souterraines pour leur apport en eau douce.</p>
<p>Cependant, le fait marquant réside dans la forte inertie de l’écoulement souterrain qui peut mettre entre 50 et 70 ans avant de joindre la lagune et à son marquage anthropique notable en particulier par les nitrates, avec des teneurs quasi systématiquement très supérieures au bruit de fond naturel (qui est de 7 milligrammes par litre) et dépassant même par endroits les 50 milligrammes par litre réglementaires pour l’usage en eau potable.</p>
<p>Les eaux les plus anciennes sont celles qui présentent les teneurs en nitrates les plus fortes. Ceci est révélateur de l’histoire des activités humaines à la surface du bassin versant alimentant la lagune. L’étude des isotopes de l’azote, révélateurs de l’origine des nitrates, a montré que cette contamination provenait de la destruction des sols naturels lors de la mise en exploitation agricole de la plaine côtière de Bastia dans les années 1950-1960. Actuellement les faibles flux de nitrates générés sont essentiellement imputables aux fuites des réseaux d’assainissement, comme en témoignent les résultats des enquêtes sociohydrogéologiques de terrain.</p>
<p>Les eaux les plus récentes sont quant à elles principalement marquées par des teneurs en composés organiques émergents d’origine médicamenteuse ou alimentaire, comme le paracétamol, l’ibuprofène, la caféine, l’acésulfame (un édulcorant), des dérivés de nicotine. Tous sont liés aux fuites récentes sur les réseaux d’assainissement.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/487733/original/file-20221003-26-6hjhxc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="La lagune, la mer et la ville" src="https://images.theconversation.com/files/487733/original/file-20221003-26-6hjhxc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/487733/original/file-20221003-26-6hjhxc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=284&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/487733/original/file-20221003-26-6hjhxc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=284&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/487733/original/file-20221003-26-6hjhxc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=284&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/487733/original/file-20221003-26-6hjhxc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=357&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/487733/original/file-20221003-26-6hjhxc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=357&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/487733/original/file-20221003-26-6hjhxc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=357&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Vue générale de la lagune de Biguglia et son environnement proche.</span>
<span class="attribution"><span class="source">F. Huneau</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>D’un point de vue écohydrologique, ces informations à la fois qualitatives et temporelles permettent de fournir de nouveaux éléments d’arbitrage aux gestionnaires de l’environnement en insistant sur le fait que la dynamique qualitative des eaux souterraines n’est pas instantanément en lien avec l’hydroclimatologie actuelle mais enregistre plutôt, sur le temps long et parfois sur plusieurs décennies, la totalité des impacts des activités humaines à la surface du bassin versant. L’eau souterraine apporte donc des pollutions anciennes à la zone humide, stockées dans le sous-sol puis restituées lentement et de façon différée au milieu naturel.</p>
<p>Le corollaire est qu’il apparaît dans ce cas très délicat de mettre en place des politiques de gestion environnementale d’amélioration de la qualité des milieux qui soient rapides et efficaces compte tenu du temps nécessaire pour l’accomplissement du transit souterrain de l’eau au sein des nappes. Cet aspect n’est <a href="http://www.zones-humides.org/de-la-gestion-de-la-ressource-en-eau">pas encore pris en compte dans les politiques européennes de restauration des milieux humides</a> et pourrait fortement contraindre les délais légaux de retour au bon état qualitatif et écologique des masses d’eau lagunaires de transition.</p>
<p>La mise en place d’une gestion durable et adaptée des lagunes et zones humides méditerranéennes, déjà très impactées par de fortes évolutions socio-économiques et démographiques dans une région de plus en plus peuplée, en plus des effets déjà clairement notables du changement climatique, n’en sera probablement que plus difficile à l’avenir.</p>
<hr>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/488237/original/file-20221005-24-e96y9j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/488237/original/file-20221005-24-e96y9j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=331&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/488237/original/file-20221005-24-e96y9j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=331&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/488237/original/file-20221005-24-e96y9j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=331&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/488237/original/file-20221005-24-e96y9j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=416&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/488237/original/file-20221005-24-e96y9j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=416&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/488237/original/file-20221005-24-e96y9j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=416&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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</figure>
<p><em>Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a lieu du 7 au 17 octobre 2022 en métropole et du 10 au 27 novembre 2022 en outre-mer et à l’international), et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition aura pour thème : « Le changement climatique ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site <a href="https://www.fetedelascience.fr/">Fetedelascience.fr</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/191785/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédéric Huneau a reçu des financements de la Collectivité de Corse (projet GERHYCO). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Alexandra Mattei a reçu des financements de la Collectivité de Corse</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Eléa Crayol a reçu des financements de la Collectivité de Corse (GERHYCO). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Emilie Garel, Mélanie Erostate, Sébastien Santoni et Vanina Pasqualini ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>
La pollution des eaux souterraines des régions côtières méditerranéennes menace sur le long terme la qualité des zones humides et leur biodiversité.
Frédéric Huneau, Professeur des Universités en hydrogéologie, Université de Corse Pascal-Paoli
Alexandra Mattei, Ingénieur de recherche en hydrogéologie, Université de Corse Pascal-Paoli
Eléa Crayol, Doctorante en hydrogéologie, Université de Corse Pascal-Paoli
Emilie Garel, Maître de Conférences en Hydrogéologie, Université de Corse Pascal-Paoli
Mélanie Erostate, Docteur en hydrogéologie, Université de Corse Pascal-Paoli
Sébastien Santoni, Maître de Conférences en Géologie et Hydrogéologie, Université de Corse Pascal-Paoli
Vanina Pasqualini, Professeur des Universités en écologie marine, Université de Corse Pascal-Paoli
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/190199
2022-10-09T15:14:42Z
2022-10-09T15:14:42Z
Préserver les herbiers de Posidonie, ces précieux puits de carbone sous-marins
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/486850/original/file-20220927-24-1u9xsr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C5991%2C3997&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Herbier de Posidonies (_Posidonia oceanica_) sur le littoral de la Corse.</span> <span class="attribution"><span class="source">Gérard Pergent</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Les herbiers marins sont des écosystèmes constitués de plantes à fleurs qui se développent en mer ouverte, en estuaires ou en lagunes. Ces prairies sous-marines colonisent les littoraux de tous les continents, à l’exception de l’Antarctique, de la surface à environ 60 m de profondeur.</p>
<p>Ces habitats apportent de nombreux services écosystémiques que ce soit en termes d’approvisionnement (nourriture), de régulation (prévention de l’érosion côtière, modération des évènements extrêmes, amélioration de la qualité des eaux), de soutien (maintien de la biodiversité et des activités de pêche) ou sur le plan culturel (valeur esthétique, opportunités en termes de tourisme et de loisir).</p>
<p>Au même titre que les mangroves ou les prés-salés, les herbiers marins sont aussi reconnus pour leur rôle dans l’atténuation du changement climatique. Ces écosystèmes participent à la capture du dioxyde de carbone (CO<sub>2</sub>) lors de la photosynthèse et à sa séquestration sous forme de carbone (appelé communément carbone bleu). Contrairement à la plupart des écosystèmes terrestres où le carbone est principalement piégé dans la biomasse vivante pendant des décennies ou des siècles, les herbiers marins accumulent ce carbone dans leurs sols (sédiments) durant des siècles voire des millénaires constituant ainsi des puits de carbone significatifs.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/486857/original/file-20220927-14-42h8rm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/486857/original/file-20220927-14-42h8rm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/486857/original/file-20220927-14-42h8rm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/486857/original/file-20220927-14-42h8rm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/486857/original/file-20220927-14-42h8rm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/486857/original/file-20220927-14-42h8rm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/486857/original/file-20220927-14-42h8rm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Banc de castagnoles (<em>Chromis chromis</em>) au sein d’un herbier de Posidonies.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Gérard Pergent</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dans le contexte de changement climatique, leur potentiel exceptionnel revêt un intérêt tout particulier. Les récents efforts portant sur l’inventaire et le fonctionnement de ces puits de carbone ont permis de souligner leur rôle et ont offert l’opportunité d’améliorer la conservation et la restauration de ces habitats vulnérables.</p>
<h2>L’herbier de Posidonies : un puits de carbone majeur</h2>
<p>La Méditerranée présente un atout de taille dans la lutte contre le changement climatique : la Posidonie (<em>Posidonia oceanica</em>). Cette espèce endémique forme de vastes herbiers, entre 0 et 40 m de profondeur, identifiés comme l’un des puits de carbone naturel les plus importants. Cette spécificité méditerranéenne réside dans la <a href="https://doi.org/10.3389/fmars.2022.871799">grande distribution des herbiers de Posidonies</a> et dans leur capacité à édifier un sol (structure unique dénommée « matte »).</p>
<p>Cette matte, composée de rhizomes, de racines et de sédiment qui colmate les interstices, stocke jusqu’à 10 fois plus de carbone que les sols forestiers. Les conditions anoxiques (faibles teneurs en oxygène) et la composition de la matière organique, couplées à l’apport continu de particules sédimentaires, constituent des puits de carbone millénaires pouvant atteindre <a href="https://doi.org/10.1016/j.marenvres.2021.105415">jusqu’à 8 mètres d’épaisseur</a>. En Corse, l’analyse des carottes de matte a permis de mettre en évidence des accumulations de carbone très importantes (700 tonnes par hectare) mais aussi très variées au regard des paramètres environnementaux (profondeur, substrat, dépôts sédimentaires).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/486858/original/file-20220927-12-hey1rf.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/486858/original/file-20220927-12-hey1rf.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/486858/original/file-20220927-12-hey1rf.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/486858/original/file-20220927-12-hey1rf.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/486858/original/file-20220927-12-hey1rf.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/486858/original/file-20220927-12-hey1rf.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/486858/original/file-20220927-12-hey1rf.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Escarpement de matte de Posidonies atteignant 3 m de hauteur au large de la côte orientale de la Corse.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Gérard Pergent</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Néanmoins, ces prairies sous-marines restent particulièrement menacées par les activités anthropiques (pollution des eaux, aménagements littoraux, ancrage des bateaux de plaisance) mais aussi par les conséquences du changement climatique (évènements extrêmes, températures, élévation du niveau de la mer). Ces pressions peuvent engendrer une réduction de la capacité de stockage de ces herbiers marins les faisant ainsi passer du statut de puits à celui de sources de carbone.</p>
<h2>La surveillance des herbiers marins</h2>
<p>Face à ces pressions, le recours à des moyens de surveillance adaptés est cruciale pour évaluer l’état de ces écosystèmes. Dans ce domaine, la Corse fait figure d’exemple. L’île s’est dotée au cours des dernières décennies d’un large éventail d’outils :</p>
<ul>
<li><p>Un Réseau de Surveillance Posidonies, visant à évaluer l’état de conservation des herbiers au sein de 39 sites, répartis sur l’ensemble du littoral insulaire, en s’appuyant sur l’étude de paramètres biologiques et environnementaux ;</p></li>
<li><p>Un Réseau TCorseNet, permettant de suivre avec précision l’évolution des températures des eaux marines au niveau de 21 stations ;</p></li>
<li><p>Un Réseau Alien Corse, pour détecter le plus précocement possible l’arrivée de nouvelles espèces exotiques et proposer des mesures de gestions appropriées.</p></li>
</ul>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/486855/original/file-20220927-18-cdcg2m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/486855/original/file-20220927-18-cdcg2m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/486855/original/file-20220927-18-cdcg2m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/486855/original/file-20220927-18-cdcg2m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/486855/original/file-20220927-18-cdcg2m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/486855/original/file-20220927-18-cdcg2m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/486855/original/file-20220927-18-cdcg2m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Plongeur réalisant des relevés au sein de l’herbier dans le cadre du Réseau de Surveillance Posidonies.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Sandrine Ruitton</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Outre la mise en place de ces actions, un inventaire cartographique des habitats marins et notamment des herbiers marins de Corse est entrepris depuis les années 1990 grâce à plusieurs campagnes océanographiques, menées en collaboration avec l’Ifremer. L’étude de la distribution et de la dynamique spatiale de ces écosystèmes a donné lieu à la réalisation d’une cartographie <a href="https://doi.org/10.12681/mms.19772">continue entre 0 et 100 m de profondeur</a>.</p>
<p>Le déploiement de moyens techniques et scientifiques de plus en plus sophistiqués, tels que les drones ou les robots sous-marins, permet d’affiner ces cartographies et d’identifier les points chauds de dégradations. Ainsi les récents relevés cartographiques, <a href="https://doi.org/10.1016/j.seares.2022.102258">menés dans la baie de Sant’Amanza</a> (Réserve naturelle des Bouches de Bonifacio – Corse-du-Sud), ont permis de souligner une régression significative des herbiers marins (-72,9 ha), liée à l’ancrage de la grande plaisance, dont une perte de 7,8 ha au cours de la période 2019-2021.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ui_Z0389jD0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p><em>Vidéo réalisée par Andromède Océanologie pour l’Office de l’Environnement de la Corse (Mission GECT-PMIBB), dans le cadre du Programme de Coopération Italie France Maritime 2014-2020, projet stratégique GIREPAM (Gestion Intégrée des Réseaux Ecologiques à travers les Parcs et les Aires Marines)</em>.</p>
<h2>Les solutions</h2>
<p>Consciente des enjeux écologiques, la Préfecture maritime de Méditerranée a déployé un arsenal législatif à l’échelle du littoral méditerranéen français interdisant, en 2016, l’ancrage des navires de plus de 80 m au sein des herbiers à posidonies, puis étendu à l’ensemble des navires de plus de 24 m, en 2019. À l’échelon local, cette législation est souvent associée à la création de zones de mouillages réglementés ou à l’installation de systèmes de mouillages éco-conçus. C’est le cas de la baie de Sant’Amanza où une zone de mouillages organisés et une zone d’interdiction totale d’ancrage ont été aménagées, renforçant ainsi la conservation et la protection de ces puits de carbone.</p>
<p>Bien que ces récentes mesures permettent d’espérer une forte réduction de ces dommages, la recolonisation naturelle des zones dégradées par l’ancrage (plusieurs centaines d’hectares) nécessitera des décennies voire des siècles aux herbiers, compte tenu de leur faible taux de croissance (quelques centimètres par an). Afin d’accélérer la réhabilitation des écosystèmes, altérés par les activités anthropiques, plusieurs projets de restauration écologique ont récemment vu le jour. Parmi eux, un grand nombre sont dédiés aux herbiers de Posidonies.</p>
<p>À travers la reconstitution de ces paysages sous-marins remarquables, et des services écosystémiques associés, ces actions contribuent aussi à stabiliser les couches sédimentaires riches en carbone, afin d’éviter leur érosion et une libération des stocks millénaires. Ces expérimentations, qui font appel à des méthodes variées (principalement des transplantations de boutures), sont menées dans des conditions environnementales diverses et <a href="https://doi.org/10.3390/w13081034">donnent lieu à des résultats très contrastés</a>. En effet, malgré des moyens financiers conséquents, un <a href="https://doi.org/10.1016/j.scitotenv.2022.158320">projet de restauration écologique sur quatre se solde par un échec</a>, principalement lié à une mauvaise connaissance des sites récepteurs.</p>
<h2>Le programme RenforC</h2>
<p>Suite aux dégradations subies par l’herbier et aux récentes mesures de protections mises en place, la baie de Sant’Amanza a été sélectionnée pour accueillir un projet pilote de restauration écologique : le programme RenforC. Initié en 2021, ce projet inédit a pour objectif de comparer l’efficacité de différentes approches (transplantations), de la comparer à la recolonisation naturelle en l’absence de pression, et ce, afin de valider une stratégie de renforcement de ces puits de carbone. Quatre équipes internationales (France, Espagne et Italie – Sardaigne et Sicile), issues du secteur public et privé, ont été identifiées pour leurs compétences dans le domaine de la restauration des herbiers et pour participer au projet.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/486851/original/file-20220927-16-jqrbf7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/486851/original/file-20220927-16-jqrbf7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/486851/original/file-20220927-16-jqrbf7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/486851/original/file-20220927-16-jqrbf7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/486851/original/file-20220927-16-jqrbf7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/486851/original/file-20220927-16-jqrbf7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/486851/original/file-20220927-16-jqrbf7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Boutures de Posidonies transplantées à l’aide de systèmes modulaires en bioplastique dans la baie de Sant’Amanza (Corse-du-Sud).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Gérard Pergent</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Après la réalisation d’un état de référence des sites récepteurs, les actions de transplantation ont été engagées, au printemps 2021, en collaboration avec les différentes équipes. Un suivi annuel des boutures et de l’herbier naturel est mis en place afin de suivre la vitesse de recolonisation et la vitalité des sites sélectionnés. Au terme du projet, l’évaluation de l’efficacité des actions engagées devrait permettre de proposer une stratégie performante de renforcement de ces puits de carbone et réplicable à d’autres sites du littoral méditerranéen.</p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/488237/original/file-20221005-24-e96y9j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/488237/original/file-20221005-24-e96y9j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=331&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/488237/original/file-20221005-24-e96y9j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=331&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/488237/original/file-20221005-24-e96y9j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=331&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/488237/original/file-20221005-24-e96y9j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=416&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/488237/original/file-20221005-24-e96y9j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=416&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/488237/original/file-20221005-24-e96y9j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=416&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a lieu du 7 au 17 octobre 2022 en métropole et du 10 au 27 novembre 2022 en outre-mer et à l’international), et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition aura pour thème : « Le changement climatique ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site <a href="https://www.fetedelascience.fr/">Fetedelascience.fr</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/190199/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Briac Monnier a reçu des financements de l'Université de Corse et de la Collectivité de Corse pour la réalisation de ses travaux de thèse de Doctorat et pour mener à bien les recherches qui servent de base à cet article.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Christine Pergent-Martini a reçu indirectement des financements de l'Office de l'environnement de la Corse, l'Office Français de la Biodiversité, la Fondation Setec, pour mener à bien les recherches qui servent de base à cet article. Aucun versement n'a été fait à titre personnel ou privé mais les résultats présentés ont été financés par ces différents organismes. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Gérard Pergent a reçu des financements de l'Office de l'Environnement de la Corse, la Collectivité de Corse, l'Office Français de la Biodiversité et la Fondation setec pour mener à bien ces recherches. </span></em></p>
Les herbiers marins sont aussi reconnus pour leur rôle dans l’atténuation du changement climatique. Comment les préserver ?
Briac Monnier, Docteur en Biologie et Écologie marine, Université de Corse Pascal-Paoli
Christine Pergent-Martini, Maître de Conférences HDR en Biologie et Écologie marine, Université de Corse Pascal-Paoli
Gérard Pergent, Professeur des universités
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/190480
2022-09-22T18:46:17Z
2022-09-22T18:46:17Z
Les quatre crises qui ont façonné le « marché des dieux »
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/484031/original/file-20220912-18-xdgmqh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C278%2C1200%2C734&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Jésus-Christ instituant la Pâque, ou l’institution de l’Eucharistie (Gérard de Lairesse, 1665).
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/mazanto/50114906276">Flickr/Jean-Louis Mazières</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Nous sommes en l’an 70. Le temple de Jérusalem est à son apogée. Jésus le Messie qui voulait réformer la religion juive pour la rendre plus pure est mort depuis une quarantaine d’années. Ses successeurs, Jacques son frère, Pierre son apôtre et Paul son propagandiste le plus efficace sont également décédés tous les trois. L’aventure du groupe de ceux qui suivent le « rabbin » Jésus semble se terminer. Il représente peut-être quelques milliers de fidèles juifs au milieu d’une population en plein essor, celle des 4 à 6 millions qui habitent le pourtour de la Méditerranée, soit 6 à 8 % des 70 à 75 millions de personnes qui peuplent l’Empire romain d’est en ouest.</p>
<p>Vers la même époque, une partie des élites romaines est même tentée par cette forme de monothéisme qui leur paraît plus élaboré que la religion polythéiste traditionnelle. La religion juive était donc probablement sur le point de gagner une partie des esprits tout autour de la Méditerranée. </p>
<p>Alors, comment expliquer qu’un groupe juif ultra minoritaire devienne progressivement, entre le II<sup>e</sup> et le IV<sup>e</sup> siècle de notre ère, un groupe dominant, celui des chrétiens ? Par quel cheminement l’invention réformatrice du judaïsme est-elle devenue une innovation de rupture, une « offre spirituelle » nouvelle, le christianisme ?</p>
<p>La reconstitution anthropologique de la diffusion du monothéisme proposée ici permet de comprendre par quel processus social une invention, qu’elle soit profane ou sacrée, émerge puis se diffuse pour finir par être acceptée ou refusée dans un milieu de réception qui lui est bien souvent éloignée culturellement, que cette invention soit technologique, servicielle ou organisationnelle. Elle souligne l’importance du rôle de contrainte que jouent les crises dans les changements de société. </p>
<p>Quatre crises joueront notamment un rôle clé dans le processus de passage du polythéisme au monothéisme : la crise du cuivre dans le monde méditerranéen (XV<sup>e</sup>-XII<sup>e</sup> BCE, avant notre ère), celle de l’exil du peuple juif (VI<sup>e</sup> BCE), de la destruction du Temple de Jérusalem (70) et de la monnaie romaine (313). Elles vont à chaque fois transformer le « marché des dieux ».</p>
<h2>1. La crise du cuivre et l’émergence de Yahvé au cœur du monde polythéiste</h2>
<p>Entre le XV<sup>e</sup> siècle et le XII<sup>e</sup> siècle avant notre ère, l’est de la Méditerranée voit l’effondrement des grands royaumes d’Égypte, d’Anatolie, de Mésopotamie et de la mer Égée qui serait due, suivant l’historien Éric H. Cline, « à une période de sécheresse à la fin du XIV<sup>e</sup> siècle qui entraîna de graves crises agricoles et des famines », qui à son tour entraînèrent une période « de guerre, de désordres sociaux et de vagues migratoires, » sans oublier une épidémie de peste et surtout un effondrement brutal de l’économie du cuivre, un métal central pour la vie quotidienne et la guerre.</p>
<p>L’économie du cuivre était jusque-là contrôlée par l’empire mycénien à partir de la mer Égée. C’est le moment où les forgerons Qénites, au sud de la mer Morte, vont prendre le contrôle de l’économie du cuivre. Ils révèrent une divinité du nom de Yahvé. Les Hébreux, sous l’impulsion du roi David, vers le X<sup>e</sup> siècle avant notre ère, attribuent la puissance des Qénites à celle de leur Dieu. Ils vont donc adopter Yahvé sans abandonner pour autant le polythéisme, au moins pendant quatre ou cinq siècles. Le marché des dieux est en plein bouleversement.</p>
<h2>2. La crise de l’exil, ou l’affirmation du monothéisme juif sous influence babylonienne</h2>
<p>Après la destruction du premier Temple de Jérusalem en -586 par le roi babylonien Nabuchodonosor II et l’envoi en exil de 250 000 juifs à Babylone, la religion des Hébreux va se trouver fortement influencée par la culture babylonienne. Les premiers textes écrits de la Torah ou de l’Ancien Testament des chrétiens datent de cette période.</p>
<p>Les textes de la Genèse évoquent la création du monde par un Dieu supérieur et reprennent le récit du déluge. Ils sont largement inspirés de l’épopée de Gilgamesh et de l’<em>Enuma Elish</em> babyloniens. À la suite de cette influence monothéiste, Yahvé devient dominant en Israël. Petit à petit, la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/religion-20867">religion</a> s’organise autour des prêtres du Temple de Jérusalem qui symbolise l’unité du peuple juif dont les frontières dépassent largement celles de la Palestine, originellement le pays des Philistins.</p>
<p>Plus tard, une diaspora juive se développe sur le pourtour méditerranéen et notamment à Alexandrie et à Babylone et, par la suite, à Antioche et jusqu’à Lyon. Elle représente un réseau social « pré-digital » grâce auquel se diffusera l’invention monothéiste. « Je ferai de toi la lumière des nations pour que mon salut atteigne les extrémités de la terre », rappelait le prophète Isaïe, dès le VI<sup>e</sup> siècle BCE. Une partie des juifs étaient donc prosélytes bien avant les futurs chrétiens.</p>
<p>La culture juive va se diffuser grâce à l’unification de la méditerranée par Alexandre le Grand. La langue commune grecque, la <em>koiné</em>, l’équivalent de l’actuel <em>globish</em> (« global english »), servira à la diffusion de la culture juive, puis romaine et chrétienne. La Torah sera traduite en grec au troisième siècle BCE et prendra le nom de Septante. Elle sera l’un des outils du prosélytisme auprès des « païens » hellénisants.</p>
<p>La domination grecque des Lagides est une source de tensions et de révoltes dont la plus connue est celle des Macchabées (II<sup>e</sup> siècle BCE). Ils avaient été massacrés alors qu’ils respectaient le jour du Seigneur. Face à cette contradiction du juste puni, émerge l’idée qu’il existe une vie éternelle au-delà de la mort, et donc qu’il est possible d’enchanter les souffrances sur terre par l’espoir d’un au-delà meilleur.</p>
<p>Autour du deuxième siècle BCE, la pratique grecque des gymnases se diffuse en Israël. Les athlètes sont nus. Les Grecs se moquent du gland dénudé des juifs et leur interdisent les gymnases et les bains. Une partie de l’élite juive va donc cherche à dissimuler sa circoncision. Convertir les païens, remettre en cause la circoncision, croire en la vie éternelle sont déjà des débats qui précèdent le premier siècle de notre ère, celui de l’arrivée de Jésus.</p>
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<p>La vie publique de Jésus, qui deviendra Jésus-Christ après sa mort, a été courte. Elle a duré deux à trois ans, dans les années 30 de notre ère. Son histoire se confond avec celle du monde juif de son époque. La prédication de Jésus que l’on retrouve dans les Évangiles, écrit 40 à 70 ans après sa mort, s’inscrit dans la continuité de la Torah. Un des textes significatifs de cette continuité est le « Notre Père » des futurs chrétiens. Il est inspiré de la prière du matin et du soir, le <em>Shema Israël</em>, « Écoute, Israël » et du <em>Kaddish</em>, une louange à Dieu souvent utilisée pour les enterrements.</p>
<p>La compétition sur le marché des dieux est particulièrement forte en Israël, entre les pharisiens, les sadducéens, les zélotes et les esséniens. Jésus souhaitait redonner à la religion juive sa pureté originelle, comme beaucoup d’autres prophètes avant et après lui. Et pourtant, Jésus peut tout à fait être considéré comme « l’inventeur » du christianisme puisque sa prédication va servir de justification à l’innovation religieuse en train d’émerger entre la fin du premier siècle et le quatrième siècle de notre ère.</p>
<p>À la suite de la mort de Jésus, son frère Jacques « le juste » s’installera à Jérusalem pour diriger la communauté des juifs qui se réfère à Jésus. L’apôtre Pierre se chargera de transmettre les paroles de Jésus auprès des juifs de la diaspora et Paul de Tarse, un pharisien qui n’a pas connu Jésus, se consacrera aux « païens ». Il est la principale « personnalité mobilisatrice » de la diffusion du message de Jésus. Il est le premier à se rendre compte que le message juif est difficile à transmettre à cause de la kashrout et de la circoncision. Il propose donc de simplifier « l’offre religieuse » aux populations polythéistes, en introduisant une « innovation de rupture » par la suppression de ces deux rituels. Il rentrera en conflit avec les juifs orthodoxes. Les trois successeurs meurent avant l’an 70 et tout aurait pu s’arrêter là.</p>
<h2>3. La destruction du deuxième Temple en l’an 70 de notre ère : un enjeu de survie</h2>
<p>Or, un « cygne noir », un événement imprévu, la révolte des zélotes contre les Romains, entraîne la destruction du Temple en l’an 70. La fin de la caste des prêtres du Temple relance la question de la survie de l’unité du peuple juif et donc de celle de la stratégie à suivre pour ne pas disparaitre. La première est celle du courant rabbinique qui est en train de naître. Ce courant sera à l’origine de la mise en place progressive des 613 prescriptions tirées de la Torah et du recentrement du monothéisme sur le peuple juif.</p>
<p>La deuxième est celle des « judéo-chrétiens » qui soutiennent qu’il faut s’ouvrir au monde païen, et donc « élargir le marché des dieux », pour parler en langage moderne, pour que la religion juive se développe et ne disparaisse pas. Ils se réfèrent au « rabbi » Jésus, qui deviendra Jésus-Christ, le Messie ressuscité.</p>
<p>Leur succès auprès des païens vient de la simplification des rituels juifs avec la suppression des interdits alimentaires, de la circoncision et d’un baptême qui remplace les nombreux rituels de purification par l’eau, tout en proposant un avenir meilleur grâce à la résurrection. C’est une <a href="https://theconversation.com/fr/topics/innovation-21577">innovation</a> qui simplifie la vie quotidienne et enchante la vie après la mort.</p>
<p>Le courant judéo-chrétien se développe au sein des synagogues qui sont installées tout autour de la Méditerranée. Elles jouent le rôle de « plateformes » logistiques de diffusion du monothéisme. Les juifs prosélytes rentrent en conflit avec le courant rabbinique qui les expulse des synagogues. Ils vont créer leurs propres lieux de culte qui deviendront les églises. Ils vont de plus en plus utiliser le grec pour leurs propres textes. Ils s’éloignent de l’araméen et de ses origines hébraïques. Ils deviennent petit à petit la « Grande église », celle qui regroupe les chrétiens d’origine grecque. Cela n’empêche pas qu’il sera lui-même persécuté régulièrement par les autorités romaines qui trouvent que ce monothéisme est une véritable superstition (<em>superstitio</em>) et donc un danger pour l’empire.</p>
<h2>4. La crise monétaire de l’Empire romain, une opportunité pour les chrétiens</h2>
<p>Entre la fin du premier siècle et le début du quatrième siècle, au moment de la conversion de l’empereur Constantin, la compétition est forte entre juifs, chrétiens et polythéistes. Une quatrième crise, la crise monétaire de l’Empire romain, va servir de déclencheur inattendu à l’institutionnalisation des mouvements chrétiens.</p>
<p>En 313, l’empereur Constantin publie « l’édit de Milan » qui fait du christianisme une religion légale au même titre que le « paganisme ». En devenant chrétien, l’empereur Constantin se donne le droit de « confisquer tous les trésors de métaux précieux des temples païens, » puis de les fondre « pour fabriquer une nouvelle monnaie, le <em>Solidus</em> qui permettra de payer les soldats » comme l’écrit Bruno Dumézil. En dévalorisant la religion païenne, il obtient l’aide de l’église chrétienne qui deviendra une sorte d’administration déléguée de l’Empire romain. Il ne reste plus à Constantin qu’à unifier tous les courants religieux chrétiens pour créer un « standard », le <a href="https://eglise.catholique.fr/approfondir-sa-foi/prier/prieres/369508-credo-symbole-de-nicee/">Credo de Nicée</a>, qui favorise la diffusion de l’innovation.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/484029/original/file-20220912-12-mvs4db.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/484029/original/file-20220912-12-mvs4db.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/484029/original/file-20220912-12-mvs4db.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=913&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/484029/original/file-20220912-12-mvs4db.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=913&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/484029/original/file-20220912-12-mvs4db.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=913&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/484029/original/file-20220912-12-mvs4db.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1147&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/484029/original/file-20220912-12-mvs4db.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1147&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/484029/original/file-20220912-12-mvs4db.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1147&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">« Le marché des dieux : comment naissent les innovations religieuses. Du judaïsme au christianisme », de Dominique Desjeux.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.puf.com/content/Le_marché_des_dieux">Éditions PUF</a></span>
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</figure>
<p>Parallèlement, les chrétiens vont accepter d’intégrer une partie des pratiques païennes sous l’impulsion de deux « pères de l’Église » Jérôme et Augustin. Le premier déclare qu’il vaut mieux pratiquer « le culte des saints à la manière païenne plutôt que pas de culte. » Ils intègrent de nombreux objets d’origine païenne comme les cierges, les clochettes, l’eau bénite qui protège des maladies et favorise les récoltes.</p>
<p>Cette reconstitution <a href="https://theconversation.com/fr/topics/anthropologie-21115">anthropologique</a> rappelle que toute ressemblance entre l’intention de l’inventeur et le résultat final, l’innovation de réception, est souvent bien fortuite. Le corollaire est qu’une innovation ne peut réussir que si elle est réinterprétée par la population qui la reçoit.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/190480/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dominique Desjeux est membre du réseau :anthropik (socioanthropologues professionnels) et de l'ObSoCo (observatoire de la consommation). Il a fait de nombreuses recherches sous contrats pour des entreprises, des administrations et des ONG. Cet article n'a fait l'objet d'aucune subvention.</span></em></p>
Entre le XVᵉ siècle avant notre ère et le IVᵉ siècle avant Jésus-Christ, une succession d’événements a contribué à diffuser le christianisme comme une « innovation de rupture ».
Dominique Desjeux, Professeur émérite en anthropologie, Université Paris Cité
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/189824
2022-09-22T18:43:05Z
2022-09-22T18:43:05Z
Podcast « Quand la science se met au service de l'humanitaire » : Le Comité international de la Croix-Rouge
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<p><iframe id="tc-infographic-569" class="tc-infographic" height="100" src="https://cdn.theconversation.com/infographics/569/0f88b06bf9c1e083bfc1a58400b33805aa379105/site/index.html" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-ecouter-les-podcasts-de-the-conversation-157070">Comment écouter les podcasts de The Conversation ?</a>
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<p>Dans cette série de podcasts « La science au service de l’humanitaire » nous nous nous intéressons aux collaborations qui peuvent naître de la rencontre entre la science et des organismes humanitaires tels que la Croix-Rouge ou Handicap International.</p>
<p>Dans ce premier épisode, il est question de l’association entre l’Institut National des sciences appliquées (INSA) et le Comité international de la Croix-Rouge (CICR).</p>
<p>En effet, ces deux institutions se sont donné comme objectif de développer de nouvelles technologies pour faciliter la recherche et l’identification de personnes disparues dans des contextes de catastrophes ou de migration par exemple.</p>
<p>Pour en parler, nous recevons Charles Dossal enseignant-chercheur en mathématiques appliquées à l’INSA de Toulouse et Jose Pablo Baraybar directeur de la mission « forensics » du Comité international de la Croix-Rouge consacrée aux migrants disparus en Méditerranée.</p>
<hr>
<p><em>Crédits, conception et animation : Benoît Tonson. Réalisation : Rayane Meguenni</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/189824/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Charles Dossal ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Dans ce premier épisode, découvrez comment des scientifiques aident la Croix Rouge à développer une application pour aider à identifier les migrants disparus lors de leur périple.
Charles Dossal, Professeur de Mathématiques, INSA Toulouse
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/173104
2022-06-22T21:05:40Z
2022-06-22T21:05:40Z
Un logiciel pour redonner un visage aux migrants disparus
<p>Chaque année, des centaines de milliers de personnes partent de chez elles et quittent leur pays à la recherche d’une vie meilleure ou pour fuir des violences. Beaucoup sont blessées ou tuées durant leur trajet. Beaucoup d’autres disparaissent sans que leurs proches ne sachent si elles sont vivantes ou mortes, ni ce qui leur est arrivé.</p>
<p>Selon le projet <a href="https://missingmigrants.iom.int/fr/qui-sommes-nous">Migrants disparus</a> de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), on a ainsi perdu la trace de 45 000 migrants dans le monde depuis 2014, dont 24 000 en Méditerranée.</p>
<p>En 2020, Le Groupe INSA (Institut national des sciences appliquées) a été approchée par l’équipe forensique transrégionale du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), qui avait pour but d’améliorer le processus d’identification des migrants décédés dans la zone euro-méditerranéenne. Ici, on dénombre beaucoup de noyades – <a href="https://missingmigrants.iom.int/fr/region/mediterranee">16 000 depuis 2014</a>. À notre connaissance, cet effort dirigé par l’anthropologue Jose Pablo Baraybar du CICR est le seul qui se confronte à cette problématique de manière transverse dans la région.</p>
<p>Les équipes des INSA sont ainsi intervenues pour proposer des solutions à ce travail d’identification essentiel du CICR, qui doit faire face à un grand nombre de cas, des informations éparses ou de faible qualité sur les personnes disparues.</p>
<p>Après un projet pilote conduit par l’INSA de Lyon, qui a permis de fournir au CICR des outils de gestion des informations sur les corps récupérés, le partenariat s’est structuré. Il a intégré le <a href="https://fondation.groupe-insa.fr/le-mecenat-en-actions/les-alliances">programme Alliances de la Fondation INSA</a>.</p>
<p>Ce programme mobilise élèves et enseignants-chercheurs sur des cas concrets pour lesquels des ONG, comme Handicap International ou le CICR, ont besoin d’expertise scientifique et technique. En tout, ce sont 37 élèves qui, dans le cadre de leur cursus, ont développé sept projets alliant méthodes et outils propres aux écoles d’ingénieurs avec les connaissances de terrain du CICR.</p>
<h2>L’intelligence artificielle au service de l’humanitaire</h2>
<p>En théorie, le processus d’identification des personnes noyées pourrait facilement être initié en faisant reconnaître les défunts par leurs proches à l’aide de photographies. Ces documents ne sont toutefois pas toujours « montrables » : soit ces photos sont de mauvaise qualité, soit les corps sont tellement abîmés et les images tellement traumatisantes qu’elles empêchent toute reconnaissance formelle.</p>
<p>Cette situation nous a conduits à explorer l’idée de comparer les photos des individus décédés avec les photographies de personnes recherchées par leurs proches en utilisant des technologies de reconnaissance faciale.</p>
<p>Cette approche a notamment été explorée dans le cadre du stage de fin d’études de Zacharie Hellouin en 2020. Son projet consistait à utiliser puis évaluer l’apport des algorithmes et des modèles de reconnaissance faciale dans l’identification des dépouilles de personnes retrouvées noyées.</p>
<p>Concrètement, il s’agit d’adapter et d’utiliser des modèles de <a href="https://theconversation.com/vous-avez-dit-machine-learning-quand-lordinateur-apprend-a-apprendre-76049"><em>machine learning</em></a>, une technique d’intelligence artificielle permettant à un programme d’apprendre, en autonomie, à reconnaître des similarités et des différences sur des jeux de données. En le confrontant à des expériences répétées, comme reconnaître l’identité d’une personne, le programme s’entraîne et améliore ses résultats. Ce travail a permis de valider l’intérêt de cette technique pour la reconnaissance des disparus.</p>
<p>Pour la mettre en application, nous avons comparé des photos de personnes migrantes vivantes avec celles des personnes migrantes décédées dans l’espoir d’obtenir des correspondances positives. Pour cela, nous avons mis en place un index de similarité en nous appuyant sur un algorithme d’appariement qui permet d’obtenir des scores d’identité probable de la personne sous forme de pourcentages.</p>
<p>L’ensemble a été intégré dans une application Web destinée aux agents du CICR et à ceux légalement en charge de l’identification de dépouilles mortelles, comme les instituts médico-légaux. Cette application est en cours de développement et chacun des projets vise à l’améliorer.</p>
<p>Les résultats obtenus sont encourageants. Grâce à ce logiciel, nous avons pu élaborer un prototype complet de reconnaissance faciale appliquée aux migrants disparus. Cependant, pour pouvoir proposer des indicateurs réellement fiables de similarité entre des photos de personnes vivantes et décédées, il faudrait se procurer des milliers et des milliers de photos.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/QKUxPAivDq4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Vidéo de démonstration du logiciel de retouche des visages mis au point par le réseau Insa pour le CICR (INSA/CICR).</span></figcaption>
</figure>
<p>Ces limites étant posées, l’outil développé offre aujourd’hui aux agents du CICR la possibilité d’orienter leurs recherches en fournissant une liste de correspondances probables, rendant la recherche certes laborieuse, mais humainement possible.</p>
<h2>Un logiciel en constante amélioration</h2>
<p>Au début de ce projet, en 2020, il fallait rédiger un cahier des charges. Les étudiants INSA et leur enseignant Charles Dossal ont donc traduit en termes techniques les traitements automatiques ou non à effectuer sur ces images : extraire le visage du décor (un sac, le fond d’un bateau, une table…), centrer et aligner l’image, atténuer ou faire disparaître les plaies, enlever l’écume de la bouche et rendre au regard une lueur de vie.</p>
<p>Deux étudiants en 4<sup>e</sup> année, Adam Hamidallah et Din Triem Phan, ont ensuite programmé les algorithmes que nous avions identifiés comme les plus pertinents pour régler ces différents problèmes. Il aura fallu parfois recopier des parties de peau saine pour « panser numériquement » des plaies ou insérer des yeux issus d’un autre visage quand ceux-ci étaient trop abîmés. Les résultats sont encourageants, mais nous avons aussi pu mesurer que l’intelligence artificielle (IA) pourrait apporter des réponses plus abouties.</p>
<p>Au cours de l’été 2021, Zoé Philippon et Jeong Hwan Ko ont visualisé ces terribles images avec pour but de voir plus précisément ce que l’IA peut apporter dans cette mission.</p>
<p>L’objectif de Zoé Philippon était de tester les limites des algorithmes de reconnaissance faciale basés sur des réseaux de neurones artificiels quand on les applique à des images de visages de défunts majoritairement d’origine africaine. Ces algorithmes sont efficaces sur des images proches de celles qui ont été utilisées pour les calibrer, ici des visages de personnes vivantes, la plupart blanches et masculines, avec une faible proportion de visages féminins ou africains.</p>
<p>Elle a donc réalisé de nombreux tests, a ré-entrainé l’IA pour qu’elle soit plus efficace sur les images de disparus. Les résultats semblent indiquer que ces algorithmes gagneraient à être entraînés plus spécifiquement sur des visages de population plus représentative des disparus et que la reconnaissance se dégrade singulièrement quand la personne à reconnaître est décédée. Un accès à une plus grande quantité de données pourrait confirmer ces premiers résultats très encourageants.</p>
<h2>Maquillage numérique</h2>
<p>Jeong Hwan Ko a essayé d’améliorer les résultats de « maquillage numérique » en utilisant des réseaux de neurones artificiels préentrainés eux aussi, pour combler des trous dans des images. Ces méthodes se sont montrées redoutablement efficaces pour effacer les blessures, mais pour réparer une bouche ou des yeux, il a fallu utiliser d’autres réseaux de neurones capables d’insérer une partie d’une image dans une autre.</p>
<p>Pour le moment, le programmeur choisit l’image à insérer, mais à l’avenir, il sera sans doute plus efficace de laisser l’algorithme chercher lui-même dans une grande base de données, les yeux, la bouche ou les oreilles en bon état qui ressemblent le plus à celle du visage à identifier. Il reste du travail et, là encore, un accès plus large à des données permettrait sans nul doute d’améliorer la qualité de cette reconstruction faciale.</p>
<p>Aujourd’hui, les projets se poursuivent. Nous sommes toujours à la recherche de données pour entraîner davantage les programmes d’apprentissage automatique. Nous sommes aussi à la recherche d’entreprises mécènes disposées à partager avec nous leurs technologies, leur temps et leur soutien.</p>
<p>Soulignons enfin que ces mêmes applications, développées pour donner une réponse à la crise des migrants disparus, peuvent aussi servir dans d’autres contextes comme des catastrophes, des conflits ou toute situation qui peut entraîner la non-identification des personnes décédées.</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été co-écrit par Samuel Kenny, coordinateur de l'Alliance CICR-INSA.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/173104/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sami Yangui est membre du Laboratoire d'analyse et d'architecture des systèmes (LAAS-CNRS).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Charles Dossal ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Un projet pilote d’identification des migrants disparus, en collaboration avec le CICR, explore la possibilité de rendre leur dignité aux disparus grâce aux technologies de pointe.
Sami Yangui, Enseignant-Chercheur en Informatique, INSA Toulouse
Charles Dossal, Professeur de Mathématiques, INSA Toulouse
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/178950
2022-05-24T17:58:21Z
2022-05-24T17:58:21Z
Images de science : « Watersipora subatra », voyageuse au long cours
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/451023/original/file-20220309-25-1mfm9sg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C4495%2C3000&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le bryozoaire _Watersipora subatra_ est originaire du Japon. Ici dans la rade de Brest, où sa présence est attestée depuis 2019.</span> <span class="attribution"><span class="source">Olivier Dugornay/Ifremer</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Originaire du Japon, <em>Watersipora subatra</em> envahit progressivement les océans et mers du globe. L’introduction d’une espèce dans un nouvel écosystème peut engendrer des déséquilibres écologiques parfois irrémédiables. En milieu marin, leurs conséquences peuvent être graves du fait de la difficulté d’intervention.</p>
<p>Il existe quelques exemples spectaculaires, tels l’<a href="https://gisposidonie.osupytheas.fr/?p=399">algue verte tropicale <em>Caulerpa taxifolia</em> en Méditerranée</a> ou encore le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Crabe_royal_du_Kamtchatka">crabe royal du Kamchatka</a>. Ces crabes, originaires de la mer de Béring entre l’est de la Russie et l’Alaska, ont été introduits en mer de Barents pour y développer une pêcherie et soutenir l’emploi local. Trouvant des écosystèmes favorables, cette espèce a rapidement étendu son aire de distribution vers l’ouest et colonisé les côtes de Norvège, actuellement jusqu’aux îles Lofoten. Elle représente une menace pour les écosystèmes qu’elle colonise dont elle perturbe profondément le fonctionnement, notamment en ingérant les œufs de poissons, notamment ceux du tacaud et de la morue.</p>
<p>Fort heureusement, dans la majorité des cas, les espèces introduites sont plus discrètes, ce qui n’exclut pas de les surveiller afin de déceler toute perturbation du fonctionnement au sein des écosystèmes ou la disparition d’autres espèces.</p>
<p>Le bryozoaire <em>Watersipora subatra</em> illustre l’exemple d’une introduction discrète mais d’une capacité de colonisation de nouveaux milieux très efficace – originaire du Japon, elle s’est largement implantée sur tout le <a href="https://archimer.ifremer.fr/doc/00612/72370/">littoral breton</a> en seulement une décennie.</p>
<p>Si son arrivée en Europe peut être due à la présence de colonies dans du naissain (juvéniles) d’huître japonaise, son expansion pourrait aussi se faire via la fixation de ses larves ou de ses colonies sur les coques de navires (phénomène communément appelé « fouling »), ou encore par des algues dérivantes sur lesquelles les colonies pourraient se développer.</p>
<h2>Des « animaux mousses » variés à travers le monde</h2>
<p>Les bryozoaires, littéralement « animaux mousses », sont des animaux coloniaux, fixés pour la plupart sur un substrat, inerte ou vivant, et majoritairement marins. Chaque individu, appelé zoïde ou zoécie, vit dans une loge millimétrique au sein d’une colonie, le zoarium, qui peut être encroûtante, dressée ou arbustive et mesurer de quelques centimètres à plusieurs dizaines de centimètres. La nutrition et la respiration des bryozoaires sont assurées par un courant d’eau créé par une couronne de tentacules appelée « lophophore ». Les loges étant le plus souvent carbonatées, plusieurs espèces contribuent ainsi dans les mers chaudes à la construction des récifs coralliens. La forme, la taille et l’agencement des loges permettent de reconnaître les différentes espèces.</p>
<p>Par leurs larves ou leurs colonies présentes dans le « fouling », quelques espèces sont facilement transportées de port en port et colonisent actuellement le littoral européen.</p>
<p>Tel est le cas de <em>Watersipora subatra</em>, originaire du Japon, qui est actuellement recensée comme une espèce introduite dans l’Atlantique Nord-Est, dans l’Indopacifique (Indonésie), le Pacifique sud-ouest (Australie, Nouvelle-Zélande) et le Pacifique nord-est (Californie). La taxonomie de ce genre, qui compte 13 espèces quelquefois <a href="https://www.biotaxa.org/Zootaxa/article/view/zootaxa.3857.2.1">très proches morphologiquement</a>, a induit de nombreuses hésitations avant que l’identification définitive des Watersipora présents sur les côtes européennes ne soit fixée.</p>
<p>Le long des côtes atlantiques européennes, cette espèce a été initialement identifiée comme <em>Watersipora aterrima</em> dans le bassin d’Arcachon entre 1968 et 1973, puis comme <em>Watersipora subovoidea</em> en Bretagne en <a href="https://www.vliz.be/imisdocs/publications/334935.pdf">2005</a>, revue comme <em>Watersipora subtorquata</em> en <a href="https://www.biotaxa.org/Zootaxa/article/view/zootaxa.2093.1.3">2009</a>. Il est désormais avéré que l’espèce présente en Bretagne, autour des îles Britanniques et en mer du Nord est en fait <em>Watersipora subatra</em> et que quatre autres espèces sont présentes sur le <a href="https://www.biotaxa.org/Zootaxa/article/view/zootaxa.3857.2.1">reste des côtes européennes</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178950/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Financement de projets de recherche provenant de guichets divers (EC2CO, ANR, Agences de l'eau, Région Bretagne, FEAMP, INTERREG).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Eric Thiébaut a reçu des financements pour des projets de recherche provenant de différents financeurs ou programmes (ex. PNEC-EC2CO, ANR, Agence de l'eau Loire-Bretagne, OFB, FEAMP, Inter-Reg, Europe). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Jérôme FOURNIER et Laurent Godet ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>
L’arrivée d’une espèce invasive peut perturber l’écosystème, même quand elle reste discrète.
Nicolas Desroy, Chercheur en faune benthique, Ifremer
Eric Thiébaut, professeur en océanographie biologique, Sorbonne Université
Jérôme FOURNIER, chercheur au CNRS, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)
Laurent Godet, Chercheur au CNRS, Université de Nantes
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/175123
2022-02-13T19:58:40Z
2022-02-13T19:58:40Z
Au nord comme au sud de la Méditerranée, les quartiers populaires face à la métropolisation
<p>Dans de nombreux pays du monde, les processus de mondialisation et de métropolisation à l’œuvre depuis plusieurs décennies ont entraîné une profonde mutation des villes, plus ou moins inspirée de <a href="https://metropolitiques.eu/Villes-contestees.html">logiques néo-libérales</a>.</p>
<p><a href="https://library.oapen.org/handle/20.500.12657/46385">Nos analyses</a> portent sur des quartiers de diverses villes du bassin méditerranéen abritant des <a href="https://laviedesidees.fr/IMG/pdf/20110913_schwartz.pdf">classes populaires</a>, directement ou indirectement confrontées aux transformations urbaines (éradication des bidonvilles, requalification des centres, rénovation des grands ensembles et régularisation/restructuration des quartiers non réglementaires) et à un urbanisme de grands projets (commerciaux, immobiliers, touristiques ou à finalité patrimoniale) dont l’objectif essentiel est de valoriser le foncier.</p>
<p>Ces dynamiques provoquent des <a href="https://metropolitiques.eu/Renovation-urbaine-et-trajectoires-residentielles-quelle-justice-sociale.html">déplacements contraints</a>, qui se conjuguent aux effets de la <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/la_privatisation_des_services_urbains_en_europe-9782707155566">« privatisation » des services urbains</a>, de la réduction des budgets publics d’équipement des quartiers et des difficultés de transport. Ces effets enclenchent des processus de marginalisation qui exacerbent les inégalités sociospatiales.</p>
<p>Nos <a href="https://marges.hypotheses.org/">travaux de terrain</a>, conduits dans des quartiers représentatifs de ces mutations dans cinq villes au nord de la Méditerranée (Cagliari, Turin, Barcelone, Grenade et Marseille) et sept villes au sud (Rabat, Casablanca, Fès, Alger, Tunis, Istanbul, Ankara) ont mis en évidence la circulation de modèles de gouvernance, de régulations sociales et politiques, et de modes de mobilisation et de résistance aux transformations imposées d’en haut.</p>
<iframe width="100%" height="300px" frameborder="0" allowfullscreen="" src="https://umap.openstreetmap.fr/fr/map/carte-sans-nom_705163?scaleControl=false&miniMap=false&scrollWheelZoom=false&zoomControl=true&allowEdit=false&moreControl=false&searchControl=null&tilelayersControl=null&embedControl=null&datalayersControl=true&onLoadPanel=undefined&captionBar=false"></iframe>
<p><em>Cliquer sur les villes pour des informations sur leur superficie et leur démographie</em>.</p>
<h2>La marginalisation par la stigmatisation</h2>
<p>Dans le cadre de nos recherches, nous avons employé la formule « marges urbaines » : nous entendons par là ces <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/halshs-01609138">quartiers populaires</a>, qu’ils se trouvent dans le centre ou en périphérie, qui font l’objet de pratiques de marginalisation et de <a href="https://books.openedition.org/editionsmsh/9204?lang=fr">stigmatisation</a> mises en œuvre par les acteurs urbains dominants. La stigmatisation apparaît comme une violence symbolique particulièrement humiliante, qui affecte la dignité des personnes. Beaucoup d’entre elles finissent par l’intérioriser, certaines par la détourner et d’autres par la combattre.</p>
<p>Souvent, le langage est un premier élément de compréhension, et les expressions utilisées pour <a href="https://passansnous.org/evenements/">désigner ces quartiers</a> reflètent les processus qui, de l’extérieur mais aussi de l’intérieur, fabriquent les valeurs socioculturelles et les registres idéologiques de leurs habitants.</p>
<p>Plusieurs systèmes langagiers participent à une sémantique de la stigmatisation de la marge : les langages savants, administratifs, techniques, juridiques – en un mot, les registres normatifs –, mais tout autant les langages courants, ordinaires, dialectaux ou vernaculaires, créolisés… Lorsqu’elle émane des acteurs dominants – ou de ceux qui n’habitent pas de tels espaces –, la sémantique construit la marge comme problème, en marquant son « a-normalité » et en en écartant toute possibilité de la considérer comme une ressource. Mais, dès lors qu’elle est saisie « de l’intérieur », à partir des paroles et images de ses habitants, la marge se révèle comme un <a href="https://journals.openedition.org/cdlm/729">espace d’appartenance</a>, une ressource, voire un espace d’autonomie normative et politique.</p>
<p>Les langues « administrantes » édictent une vision normative de l’espace. S’y opposent les parlers ordinaires, qui peuvent, selon les cas, intégrer, s’approprier, modifier, contester, inverser ou délégitimer ces discours « d’en haut ». Ces tensions posent la question des liens entre <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Bibliotheque-des-Histoires/Surveiller-et-punir">savoir et pouvoir</a> et, plus explicitement, du rapport entre <a href="https://www.pur-editions.fr/product/ean/9782753559035/frontieres-en-tous-genres">domination et dénomination</a>.</p>
<h2>Des quartiers à problèmes aux quartiers à potentiels</h2>
<p>Face aux mutations provoquées par la mondialisation et plus particulièrement par les transformations urbaines, le quartier populaire apparaît comme un <a href="https://library.oapen.org/handle/20.500.12657/46385">territoire-ressource</a> qui prend corps autour des réseaux de sociabilité et de solidarité, ainsi qu’autour des constructions identitaires et mémorielles que ceux-ci génèrent.</p>
<p>Ces constructions assurent la force du quartier et en font, de ce fait, un cadre privilégié de résistance à la marginalisation et d’action politique des habitants.</p>
<p>Le quartier doit régulièrement s’opposer à des politiques publiques qui, quels qu’en soient les objectifs affichés, apparaissent le plus souvent comme des facteurs de déstructuration sociale contrariant les dynamiques d’intégration des populations. L’intégration renvoie ici à un processus, où les individus et leur famille tentent de conjuguer une certaine stabilité économique par le travail et des relations sociales au sein des réseaux de protection rapprochée procurés par le voisinage ou d’autres plus larges. L’objectif pour les ménages étant de s’écarter de la vulnérabilité et de la désaffiliation sociales. L’intégration se joue également à l’échelle du quartier, à travers les <a href="https://www.fayard.fr/sciences-humaines/les-metamorphoses-de-la-question-sociale-9782213594064">stratégies déployées par les populations</a>, pour la reconnaissance de ce territoire.</p>
<p>Les correspondances entre les trajectoires sociospatiales des ménages et les transformations de leurs territoires montrent comment les mutations de ces espaces pèsent sur l’intégration sociale et/ou la marginalisation des habitants. Par exemple, lee déménagement contraint de ménages après la rénovation de leur quartier enclenche des dépenses d’installation et de transport qui fragilisent leur budget.</p>
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<p>Pour les habitants, les changements subis se répercutent sur leurs espaces de vie et leur rapport à la ville, au point qu’ils sont souvent ressentis comme une remise en cause de leur citoyenneté.</p>
<p>Dans les contextes étudiés, la mise en œuvre (matérielle et idéelle) de l’urbanisation plus ou moins néo-libérale, les bouleversements, voire les traumatismes, qu’elle provoque auprès des citadins les moins dotés économiquement et socialement (classes populaires qui ont perdu l’espoir d’ascension sociale et classes moyennes inférieures en situation de déclassement) font qu’ils la ressentent comme l’expression d’une extrême violence, matérielle et/ou symbolique.</p>
<p>Confrontés à ces situations, les habitants des quartiers marginalisés contestent et résistent pour tantôt refuser les évolutions qu’ils estiment leur être imposées, tantôt composer avec les acteurs de ces transformations, qu’ils soient privés ou publics.</p>
<h2>Le long chemin de la reconnaissance de la citoyenneté</h2>
<p>Les habitants défient « l’ordre » de manières multiples, à travers des émeutes, des manifestations, des occupations de lieux publics – soit toutes les actions qui se « donnent à voir » parce qu’elles se déploient dans des <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/pourquoi_se_mobilise_t_on_-9782707152503">arènes publiques</a> – et expriment le mécontentement d’individus, de petits groupes, de communautés spécifiques et généralement limitées à l’échelle du quartier.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/S6QqMHNkNF0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>La <a href="https://archive-ouverte.unige.ch/unige:4324">géographie des résistances</a> met en évidence des évolutions qui se sont traduites par une diversification des modalités d’action, mais aussi, dans des cas particuliers, par des convergences susceptibles d’alimenter des révoltes de grande ampleur, voire des « révolutions ». En Algérie, par exemple, le Hirak a été alimenté en partie par des populations qui avaient déjà manifesté contre leur éviction des bidonvilles ou pour obtenir des logements décents.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/algerie-la-revolution-du-sourire-pacifique-persiste-et-signe-157615">Algérie : la « Révolution du sourire pacifique » persiste et signe</a>
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<p>Mais, d’un autre côté, nombre de contestations conduisent leurs initiateurs à des impasses : la résistance peut échouer, soit qu’elle est réprimée plus ou moins violemment, soit qu’elle se délite pour des raisons multiples (y compris des conflits internes).</p>
<p>La recherche de négociations, d’arrangements et de compromis entre les habitants des quartiers populaires et les pouvoirs politiques éclaire sur la fabrique de l’ordre politique. Dans leurs rapports avec l’action des institutions, les acteurs populaires « pénètrent le système », non pas à des fins subversives ou de renversement, mais pour y saisir des opportunités ou pour se protéger contre les risques que la précarité de leur habitat (et de leurs revenus) leur fait courir.</p>
<p>Les mobilisations collectives restructurent l’espace en modifiant les perceptions sociales, culturelles et politiques des habitants. Même lorsqu’elles n’ont pas de réponses aux revendications, elles consolident l’idée du « nous » et débouchent souvent sur des actions collectives du type nettoyage, embellissement, réparation d’une conduite d’eaux usées, etc. Les mobilisations de la période récente sont à replacer dans une filiation, un héritage ou encore une continuité mémorielle.</p>
<p>La <a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?gcoi=27246100717390">mémoire protestataire</a> est un moteur particulièrement efficace des luttes, qu’il s’agisse de la mémoire des événements qui les ont composées, des « héros » qui les ont animées ou des hauts lieux où elles se sont déployées. Mais ces luttes visibles, fortement médiatisées et bien étudiées ne doivent pas masquer les résistances qui, pour être plus ordinaires, plus discrètes, plus quotidiennes, n’en contiennent pas moins une prise de risque importante pour ceux qui osent les mettre en œuvre.</p>
<p>Ces mobilisations sont contrariées par le renforcement – à quelques exceptions près – de l’autoritarisme, l’échec des transitions politiques vers la démocratie et la répression de toute contestation politique d’un côté de la Méditerranée et par la montée des extrémismes sur l’autre rive. Ces mobilisations sont pourtant à l’origine de processus d’apprentissage et de politisation ainsi que de chemins singuliers de construction de la citoyenneté au sein des quartiers populaires méditerranéens.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/175123/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nora Semmoud ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Conclusions d’une récente étude conduite dans les quartiers défavorisés de plusieurs villes du pourtour méditerranéen.
Nora Semmoud, Professeur des universités, classe exceptionnelle Directrice de l'UMR 7324 CITERES Membre suppléante nommée de la section 24 du CNU, Université de Tours
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/176399
2022-02-10T16:05:10Z
2022-02-10T16:05:10Z
Une plongée dans les « forêts animales » formées par les gorgones en Méditerranée
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/444641/original/file-20220206-19-142hy9v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">« Forêt sous-marine » formée par la gorgone pourpre (_Paramuricea clavata_) au large de Marseille par 60 mètres de profondeur.</span> <span class="attribution"><span class="source">Romain Bricoult</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Les gorgones appartiennent au grand groupe des Cnidaires qui comprend, entre autres espèces, les <a href="https://theconversation.com/comment-le-rechauffement-risque-de-tuer-le-corail-48217">coraux</a>, les anémones de mer ou les méduses. Elles colonisent le fond des mers et des océans sur l’ensemble de la planète, des zones côtières peu profondes aux canyons sous-marins, des zones tempérées et tropicales aux zones polaires.</p>
<p>Doté d’un axe corné ou calcaire plus ou moins rigide, elles peuvent former des peuplements denses qui structurent le fond, formant de véritables « forêts animales » qui offrent des refuges à de très nombreuses espèces marines.</p>
<h2>L’un des plus beaux paysages sous-marins en Méditerranée</h2>
<p>En Méditerranée, entre la surface et 100 mètres de profondeur, 5 principales espèces de gorgones peuvent être rencontrées. L’une d’elles, la gorgone pourpre (<em>Paramuricea clavata</em>), forme des populations remarquables tant par leurs couleurs que par la taille des colonies qui peuvent dépasser un mètre de hauteur.</p>
<p>Elle constitue l’un des plus beaux paysages sous-marins de Méditerranée occidentale, prisé tant par les plongeurs amateurs que par les photographes. Les colonies présentes sont soit mâles soit femelles et toutes issues d’une larve ciliée (la planula). Leur croissance est lente (2 à 3 cm/an au maximum) et leur âge atteint plusieurs dizaines d’années.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/444385/original/file-20220203-21-148s931.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/444385/original/file-20220203-21-148s931.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/444385/original/file-20220203-21-148s931.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=373&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/444385/original/file-20220203-21-148s931.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=373&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/444385/original/file-20220203-21-148s931.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=373&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/444385/original/file-20220203-21-148s931.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=468&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/444385/original/file-20220203-21-148s931.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=468&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/444385/original/file-20220203-21-148s931.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=468&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Grande gorgone pourpre (<em>Paramuricea clavata</em>), espèce typique des fonds rocheux circalittoraux et des fonds coralligènes de Méditerranée.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Dorian Guillemain</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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</figure>
<h2>Des « forêts animales » fragilisées par les activités humaines…</h2>
<p><a href="https://www.mdpi.com/1424-2818/13/3/133">Les peuplements de gorgones pourpres, comme d’autres peuplements de gorgones, sont fragiles</a> et soumis à des pressions provoquées par les activités humaines en zone côtière. En Méditerranée, ces peuplements sont également régulièrement impactés par les conséquences du changement climatique.</p>
<p>Les ancrages des bateaux de plaisance (pêcheurs, plongeurs) et la pose des filets de pêche peuvent ainsi causer l’arrachage de ces fragiles colonies ou provoquer des blessures (nécrose) du tissu vivant recouvrant l’axe corné. Les zones mises à nue sont ensuite colonisées par un ensemble d’organismes épibiontes qui mettent en péril la survie de la colonie.</p>
<p>L’hypersédimentation liée aux aménagements côtiers, aux modifications des cours d’eau et aux autres rejets de sédiments dans le milieu marin constitue également une menace sur les peuplements de gorgones.</p>
<figure class="align-center ">
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<span class="caption">Filet de pêche pris dans un peuplement de gorgone pourpre. Lors de sa relève, il engendrera l’arrachement de colonies et des nécroses du tissu vivant recouvrant leur squelette corné.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Benoist de Vogüé</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>… et par le changement climatique</h2>
<p>Parallèlement à l’augmentation des activités humaines dans la zone côtière, le changement climatique s’est manifesté, ces dernières décennies, par l’apparition d’anomalies thermiques dans la colonne d’eau liées à des périodes d’absence de période de vent (mistral sur les côtes provençales).</p>
<p>La conséquence en est une plongée des couches « d’eau chaude » de surface (température > 22 °C) durant de longues périodes (plusieurs semaines). Ces eaux chaudes sont alors à l’origine d’épisodes de mortalité, plus ou moins importants, au sein des peuplements de gorgones habituellement exposés à des eaux plus froides (aux alentours de 13 à 15 °C).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/444382/original/file-20220203-9318-hzu2i5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/444382/original/file-20220203-9318-hzu2i5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=442&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/444382/original/file-20220203-9318-hzu2i5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=442&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/444382/original/file-20220203-9318-hzu2i5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=442&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/444382/original/file-20220203-9318-hzu2i5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=556&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/444382/original/file-20220203-9318-hzu2i5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=556&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/444382/original/file-20220203-9318-hzu2i5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=556&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Nécrose du tissu vivant ayant mis à nu le squelette corné d’une gorgone qui a été recouvert dans un deuxième temps par des organismes épibiontes. Cette nécrose a été engendrée par une anomalie thermique observée en 2014 jusqu’à 30 mètres de profondeur.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Benoist de Vogüé</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p><a href="https://www.academia.edu/10389935/Mortalit%C3%A9_massive_d_invert%C3%A9br%C3%A9s_marins_un_%C3%A9v%C3%A9nement_sans_pr%C3%A9c%C3%A9dent_en_M%C3%A9diterran%C3%A9e_nord_occidentale">En 1999, une vaste anomalie thermique</a> a ainsi affecté les peuplements de gorgones en Méditerranée occidentale, de l’Espagne à l’Italie. En dehors des gorgones, une vingtaine d’autres espèces (éponges, mollusques bivalves, bryozoaires, ascidies) a également été touchée.</p>
<p>Cette anomalie thermique s’est caractérisée par la présence durant un mois d’une colonne d’eau chaude (23 à 24 °C) jusqu’à 40 à 60 mètres de profondeur. D’autres évènements de ce type ont ensuite été observés en 2003, 2006 ou 2009, affectant les gorgones de façon plus ou moins importantes.</p>
<p>Si l’augmentation de la température est à l’origine de ces épisodes de mortalité, les mécanismes sont multiples. Ils intègrent l’intervention de processus physiologiques, de modifications du microbiote associé aux gorgones, avec parfois la survenue d’agents pathogènes, mais aussi des facteurs génétiques conférant une résistance plus ou moins grande à ces stress thermiques.</p>
<p>En tenant compte des <a href="https://theconversation.com/surpeche-et-changement-climatique-la-mediterranee-et-la-mer-noire-en-premiere-ligne-111688">grands changements climatiques en cours</a>, une modification de la distribution géographique et bathymétrique de ces espèces structurantes et patrimoniales est ainsi attendue dans les décennies à venir.</p>
<h2>À la découverte d’un peuplement profond unique</h2>
<p>Si la répartition des peuplements de gorgones est bien assez bien connue jusqu’à une cinquantaine de mètres en Méditerranée, elle l’est beaucoup moins plus profondément.</p>
<p>Un peuplement singulier a ainsi été découvert il y a quelques dizaines d’années au large de la Côte bleue (rade nord de Marseille) entre 50 et 60 mètres de profondeur. Ce peuplement occupe un vaste plateau rocheux s’étendant sur prêt de 2500 hectares.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/444381/original/file-20220203-15-12sw0x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/444381/original/file-20220203-15-12sw0x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/444381/original/file-20220203-15-12sw0x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=826&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/444381/original/file-20220203-15-12sw0x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=826&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/444381/original/file-20220203-15-12sw0x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=826&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/444381/original/file-20220203-15-12sw0x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1038&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/444381/original/file-20220203-15-12sw0x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1038&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/444381/original/file-20220203-15-12sw0x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1038&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Gorgone pourpre (<em>Paramuricea clavata</em>) géante (taille humaine) découverte sur un fond rocheux au large de la Côte bleue (nord de Marseille) par 60 mètres de profondeur.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Romain Bricoult</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Il se caractérise par une forte densité de gorgones, mais surtout par la présence de colonies géantes (entre 1,50 et 1,80 mètre de hauteur). L’âge présumé de telles colonies avoisine sans doute le siècle.</p>
<p>Ce gigantisme et cette concentration unique de colonies de <em>Paramuricea clavata</em> ont fait l’objet de deux études dont les objectifs étaient de comprendre l’origine de ces caractères particuliers (programme REFUCLIM) et d’aborder plus précisément leur répartition (programme GIGOR). Les résultats paraissent montrer qu’en dehors de leur morphologie ces gorgones sont génétiquement uniques et clairement distinctes de celles rencontrées moins profondément.</p>
<p>L’environnement qui les entoure est, quant à lui, très particulier. Les gorgones sont non seulement soumises régulièrement à de forts apports de matière organique liés à la proximité du panache du Rhône, mais les courants de fonds y sont globalement faibles. La conjonction de ces deux paramètres permet aux gorgones d’atteindre des tailles exceptionnelles.</p>
<h2>Un refuge vis-à-vis du réchauffement climatique ?</h2>
<p>Ces peuplements de <em>Paramuricea clavata</em> constituent un patrimoine remarquable, protégé pour l’instant du réchauffement des eaux méditerranéennes. Malheureusement, ils sont localement impactés par la pêche et plus particulièrement par la pêche plaisancière. En effet, le vaste plateau rocheux occupé par ces gorgones géantes est un lieu de concentration de daurades à l’automne, poissons convoités par les pêcheurs amateurs.</p>
<p>Jusqu’à 180 bateaux y ont ainsi été dénombrés en une journée (le 29 octobre 2016 suivant le comptage réalisé par le <a href="https://parcmarincotebleue.fr/">parc marin de la Côte bleue</a>) lors de la période de rassemblement des daurades. Les ancrages des bateaux et les lignes de pêche engendrent l’arrachage de nombreuses colonies géantes. La gestion de la fréquentation de cette zone, <a href="http://cotebleuemarine.n2000.fr/sites/cotebleuemarine.n2000.fr/files/documents/page/DOCOB_CBM_annexe2_fiches_socio-eco_avril2012.pdf">incluse dans une zone Natura 2000</a>, paraît donc indispensable si l’on veut allier subsistance d’un patrimoine naturel unique et pratique des activités humaines.</p>
<p>D’une façon plus générale, l’étude des peuplements profonds de gorgones constitue un axe de recherche majeur dans les années à venir, non seulement pour engager des mesures de protection adaptées, mais également pour mieux comprendre leurs connexions avec les peuplements occupant les plus faibles profondeurs.</p>
<p>Un des enjeux est notamment de savoir dans quel cas ces peuplements profonds peuvent <a href="https://www.nature.com/articles/s41598-019-41929-0">constituer des populations refuges vis-à-vis du réchauffement climatique</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/176399/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stéphane Sartoretto ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Cette espèce forme sous l’eau des peuplements denses qui offrent des refuges à de très nombreuses espèces marines.
Stéphane Sartoretto, Chercheur en écologie marine (écosystèmes benthiques méditerranéens de substrat dur), Ifremer
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/172325
2021-12-15T20:42:16Z
2021-12-15T20:42:16Z
Pêche : ce que la science nous dit de l’impact du chalutage sur les fonds marins
<p>En augmentation constante depuis les années 1960, la consommation mondiale de produits de la mer est passée de 9 kilos dans ces années à plus de 20 kilos par personne en moyenne en 2018 – soient 17 % des protéines animales consommées.</p>
<p>La moitié environ provient de <a href="https://doi.org/10.4060/ca9229en">captures de ressources sauvages marines</a>, illustrant l’importance de la pêche dans l’alimentation mondiale et européenne.</p>
<p>Comme toute activité humaine, l’extraction des ressources marines vivantes s’accompagne d’effets plus ou moins marqués sur ces ressources, mais également d’effets collatéraux sur des espèces et des habitats non ciblés. Ainsi, parmi les nombreuses activités humaines ayant des <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/17883495/">impacts prononcés sur les écosystèmes marins</a>, la pêche – et tout particulièrement le « chalutage de fond » – représente actuellement <a href="https://www.pnas.org/content/115/43/E10275">l’une des pressions la plus répandue et intense</a> sur les fonds marins des plateaux continentaux, notamment européens.</p>
<p>La prise de conscience récente de l’érosion de la biodiversité résultant de la plupart des activités humaines s’est étendue au milieu marin. Et l’acceptabilité de certaines pratiques de pêche, dont les effets s’avéreraient irréversibles, fait désormais débat.</p>
<h2>Méthodes de pêche fixes ou traînantes</h2>
<p>La pêche inclut une <a href="https://archimer.ifremer.fr/doc/00002/11355/7928.pdf">large diversité de techniques</a> en fonction des espèces ciblées ou des zones exploitées.</p>
<p>Parmi ces techniques, on distingue les « arts fixes », déployant des engins statiques – palangres, casiers, filets – et les « arts trainants », utilisant des engins tractés dans la colonne d’eau ou sur le fond – <a href="https://www.quae.com/produit/285/9782844331281/histoire-du-chalut">chaluts</a>.</p>
<p>Ces arts traînants ciblant les espèces vivant sur les fonds marins ou à proximité doivent rester en contact permanent avec le fond, comme le montre la figure ci-dessous. Ces engins de pêche sont donc munis d’un système de lest et d’écartement (panneaux, perche) et d’une partie raclant le sol (bourrelet, racasseur, chaînes, dents) soulevant ou déterrant les espèces ciblées. Ce système est complété par un filet ou une grille permettant de ramener les captures ; il est généralement remorqué par le navire via des câbles d’acier.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/436653/original/file-20211209-25-y28vms.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/436653/original/file-20211209-25-y28vms.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/436653/original/file-20211209-25-y28vms.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=645&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/436653/original/file-20211209-25-y28vms.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=645&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/436653/original/file-20211209-25-y28vms.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=645&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/436653/original/file-20211209-25-y28vms.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=811&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/436653/original/file-20211209-25-y28vms.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=811&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/436653/original/file-20211209-25-y28vms.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=811&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Schéma d’un chalut de fond à panneaux.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Extrait de G. Deschamps, et coll. (2003)</span></span>
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</figure>
<p>Les parties des engins les plus dommageables pour les fonds marins sont par exemple les racasseurs qui pénètrent de plusieurs centimètres dans les sédiments ou encore les panneaux des chaluts, parfois de plusieurs tonnes, agissant sur une surface réduite mais relativement profonde (jusqu’à plusieurs dizaines de centimètres sur certains sédiments meubles).</p>
<p>Les surfaces abrasées <a href="https://academic.oup.com/icesjms/article/73/suppl_1/i27/2573989">dépendent de la taille de l’engin</a> et de la durée de la pêche ; sur une action de pêche, elles peuvent ainsi atteindre plusieurs centaines de milliers de m<sup>2</sup>.</p>
<h2>Le chalutage, cette technique millénaire</h2>
<p>Le chalutage est une méthode de pêche ancienne : l’ancêtre du chalut peut être considéré <a href="https://www.academia.edu/952627/Fishing_in_the_Roman_World">dès l’antiquité romaine</a> où l’on traînait déjà des filets lestés sur le fond.</p>
<p>On peut dater précisément l’origine des premiers chaluts à perche à 1376, ce dont témoigne une plainte déposée auprès du roi Édouard III réclamant déjà à l’époque l’interdiction de <a href="https://islandpress.org/books/unnatural-history-sea">cette « nouvelle et destructive » méthode de pêche</a>. Suite à cette plainte, également motivée par la compétition entre les activités de pêche de l’époque, le chalutage a été banni de la zone des 3 milles (6 km environ) et repoussé plus au large.</p>
<p>Ce tout premier exemple de gestion spatialisée des activités, s’est largement répandu et perdure encore aujourd’hui dans les réglementations des pêches européennes.</p>
<h2>Depuis la fin du XIXᵉ, une empreinte toujours plus intense</h2>
<p>Le développement du chalut s’est accéléré à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle avec <a href="https://docs.ifremer.fr/ds-vpath/6.0.2-5/web-apps/apps/documenteditor/main/index_loader.html?_dc=6.0.2-5&lang=fr&customer=ONLYOFFICE&frameEditorId=iframeEditor&compact=true&parentOrigin=https://cloud.ifremer.fr">l’apparition des chalutiers à vapeur</a>.</p>
<p>Limitée initialement aux eaux peu profondes, l’empreinte de la pêche s’est ensuite <a href="https://archimer.ifremer.fr/doc/1922/publication-2394.pdf">considérablement étendue vers le large</a> au cours du XX<sup>e</sup> siècle, dépassant les frontières des plateaux continentaux.</p>
<p>En mer Méditerranée, l’histoire du chalutage intensif est plus récente, avec un développement important vers les années 1960-1970. L’impact des pêcheries s’est en outre <a href="https://doi.org/10.1093/icesjms/fsv123">accentué sur les habitats profonds</a> ces dernières décennies en réponse au déclin de nombreuses populations exploitées sur le plateau continental.</p>
<p>Actuellement, les art traînants et notamment le chalut, avec seulement 11 % de chalutiers et 3 % de dragueurs sur l’ensemble du nombre total de navires européens, revêtent une importance considérable avec près de <a href="https://ec.europa.eu/eurostat/fr/web/fisheries/data">60 % de la biomasse de captures</a> de ressources vivantes marines européennes.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/XyKwKoRkK2Q?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Les différents engins de pêche. (Wageningen Marine Research, 2018).</span></figcaption>
</figure>
<p>Sur la façade atlantique, plus de <a href="https://archimer.ifremer.fr/doc/00649/76157/">40 % des navires français</a> pratiquent les arts traînant de façon exclusive ou occasionnelle. Ces techniques de pêche ciblent une grande diversité d’espèces et d’habitats marins ; ils fournissent les principales ressources capturées en valeur ou en biomasse pour les pêcheries françaises (merlu, baudroies, sole, langoustine, coquilles Saint-Jacques).</p>
<h2>Des zones particulièrement impactées</h2>
<p>L’activité de chalutage est actuellement <a href="https://archimer.ifremer.fr/doc/00490/60202/63771.pdf">distribuée sur la quasi-totalité des plateaux continentaux</a> de France métropolitaine. Cette distribution est hétérogène avec des concentrations remarquables sur certains habitats ciblés par la pêche – comme la zone de pêche à langoustines dite de la « grande vasière » du golfe de Gascogne – où les fonds marins subissent parfois une pression de chalutage plusieurs dizaines de fois par an, comme en témoigne la figure ci-dessous.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/436652/original/file-20211209-140109-hs654l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/436652/original/file-20211209-140109-hs654l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/436652/original/file-20211209-140109-hs654l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/436652/original/file-20211209-140109-hs654l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/436652/original/file-20211209-140109-hs654l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/436652/original/file-20211209-140109-hs654l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=521&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/436652/original/file-20211209-140109-hs654l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=521&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/436652/original/file-20211209-140109-hs654l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=521&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Image sonar d’empreintes de chalut de fond dans la partie nord du golfe de Gascogne (zone de la grande vasière), réalisée en 2013 lors de la campagne Ifremer FEBBE (projet européen Benthis).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://doi.org/10.18142/239">P. Laffargue/Ifremer</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En parallèle, les connaissances sur les habitats marins et les organismes vivants qui les utilisent (appelés « communautés benthiques »), même si les premières observations sont <a href="https://www.leslibraires.fr/livre/16980561-les-profondeurs-de-la-mer-trente-ans-de-reche--le-danois-ed--payot">relativement anciennes</a>, restent limitées dans la plupart des zones, à l’exception de la <a href="https://www.semanticscholar.org/paper/LE-MACROBENTHOS-DES-FONDS-MEUBLES-DE-LA-MANCHE%3A-ET-Cabioch-Gentil/14a7753f987cb2ae5c8118a971dd48e286dc0748">Manche</a> ou la <a href="https://doi.org/10.1093/icesjms/49.2.127">mer du Nord</a> qui sont mieux suivies.</p>
<p>Ainsi, l’effort de suivi systématique de ces communautés, notamment au large, est relativement récent et s’opère donc dans un environnement déjà fortement impacté, et ce depuis une longue période.</p>
<h2>Quels sont les effets du chalutage ?</h2>
<p>Nous nous attacherons ici à ne décrire que les effets des activités de chalutage sur les habitats benthiques et pas ceux, plus classiques, sur les ressources marines exploitées.</p>
<p>Si les <a href="https://data.bnf.fr/fr/15290206/charles_benard/">conséquences du chalutage</a> sur les écosystèmes marins étaient perceptibles dès les premiers usages, la mesure et la compréhension fine des effets sont bien plus récentes. <a href="https://archimer.ifremer.fr/doc/1922/publication-2394.pdf">Lorsque le zoologiste Louis Joubin en fait mention en 1922</a>, c’est plus pour cartographier les risques pour la pêche que représentent alors les coraux profonds considérés comme une menace pour les chalutiers s’aventurant au large.</p>
<p>Dès le début du XX<sup>e</sup> siècle, le constat est pourtant celui d’une large distribution de la pression de chalutage sur les plateaux continentaux et de <a href="https://www.leslibraires.fr/livre/14857414-revue-philomathique-de-bordeaux-et-du-sud-ouest--collectif-revue-philomathique-de-bordeaux">premiers témoignages</a> montrent l’impact significatif sur les fonds marins. Ces effets sont multiples et d’intensité variable en fonction notamment des engins utilisés, de la fréquence des passages ou encore des caractéristiques des habitats et des espèces touchés.</p>
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<figcaption><span class="caption">Les impacts du chalutage varient en fonction des espèces habitant les fonds marins (Wageningen Marine Research, 2018).</span></figcaption>
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<p>Les impacts peuvent être directs par les effets physiques immédiats des engins sur les espèces : ils provoquent leur arrachement pour celles qui sont fixées, l’écrasement, l’enfouissement ou encore une exposition hors de l’eau pour les individus pris dans les filets et remontés à la surface.</p>
<p>Ces impacts directs <a href="https://www.researchgate.net/publication/250219017_Functional_changes_as_indicators_of_trawling_disturbance_on_a_benthic_community_located_in_a_fishing_ground_NW_Mediterranean_Sea">sont connus et relativement bien documentés</a> sur les <a href="https://www.researchgate.net/publication/230659963_Impacts_of_Trawling_Disturbance_on_the_Trophic_Structure_of_Benthic_Invertebrate_Communities">habitats benthiques et les organismes qu’ils abritent</a>.</p>
<p>Chaque espèce subira de façon variable les effets du chalutage. Leur fragilité, leur nature fixée ou non sur le fond, leur capacité d’enfouissement mais aussi de recolonisation (permettant leur récupération après l’impact) définissent leur vulnérabilité. Les connaissances sur la biologie des espèces, leurs modes de vie ou encore de leur rôle dans les écosystèmes sont ainsi essentielles pour évaluer l’impact du chalutage.</p>
<h2>Des habitats plus ou moins sensibles</h2>
<p>Les effets directs ne concernent pas que les organismes vivants mais aussi leurs habitats. La pression physique des engins sur le fond conduit à des remaniements et remises en suspension des sédiments. Du fait des grandes surfaces altérées et de la récurrence des passages, la morphologie des fonds peut être modifiée et mener à une diminution de leur complexité.</p>
<p>On peut distinguer des habitats moins sensibles, soumis naturellement à des <a href="https://academic.oup.com/icesjms/article/70/6/1085/638182">perturbations fortes</a> liées aux courants ou aux marées par exemple, jusqu’aux habitats les plus vulnérables, tels les habitats dits « biogéniques » (<a href="https://doi.org/10.1093/icesjms/fsv123">herbiers, coraux</a>) dont les structures formées par les organismes vivants eux-mêmes peuvent témoigner après une action de pêche de dommages durables.</p>
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<figcaption><span class="caption">Zoom sur la sensibilité des habitats des fonds marins. (Wageningen Marine Research, 2018).</span></figcaption>
</figure>
<p>Des décennies sont alors nécessaires pour une reconstitution éventuelle ; parfois, la perte est définitive. Ces changements de nature des habitats peuvent durablement affecter les organismes qui n’y trouvent plus les conditions adéquates de vie avec des répercussions à plus large échelle sur le fonctionnement des écosystèmes.</p>
<h2>Réactions en chaîne</h2>
<p>À ces impacts directs s’ajoutent donc des effets indirects et une modification durable des habitats et des espèces.</p>
<p>Ainsi, les organismes vivants montrent une interdépendance plus ou moins prononcée, notamment par des liens d’alimentation, et toute modification <a href="https://www.researchgate.net/publication/230659963_Impacts_of_Trawling_Disturbance_on_the_Trophic_Structure_of_Benthic_Invertebrate_Communities">peut affecter en chaîne ces communautés</a> d’espèces liées entre elles. Les impacts répétés peuvent amener à la perte d’organismes vivants essentiels assurant des fonctions clefs des écosystèmes marins (comme le recyclage de la matière organique facilité par certains oursins fouisseurs mais fragiles).</p>
<p>De façon moins perceptible, la chimie des fonds est elle-même bouleversée et les cycles de la matière de ces écosystèmes benthiques peuvent être modifiés de façon profonde. Une remise en suspension du sédiment superficiel pourra ainsi avoir pour conséquence <a href="https://archimer.ifremer.fr/doc/00353/46428/">d’augmenter localement la turbidité</a>, de <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/22842052/">libérer des contaminants</a> ou de la matière organique <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0278434305001433?via%3Dihub">enfouie dans les sédiments</a>, de modifier les processus biogéochimiques ayant lieu à <a href="https://aslopubs.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/lno.10354">l’interface eau-sédiment</a>, voire de favoriser la reminéralisation du carbone sédimentaire en CO<sub>2</sub> <a href="https://doi.org/10.1038/s41586-021-03371-z">participant ainsi à l’acidification des océans</a> et à l’augmentation du CO<sub>2</sub> atmosphérique responsable du réchauffement climatique…</p>
<h2>Comment évaluer ces perturbations ?</h2>
<p>La mesure plus précise de l’intensité et de l’étendue de la pression exercée par le chalutage est relativement récente ; elle bénéficie notamment de sources de données telles que la géolocalisation (VMS) obligatoire pour les navires de plus de 12 mètres. Après traitement de ces données, on peut ainsi quantifier et localiser précisément une partie significative de l’intensité de l’activité de pêche.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/436651/original/file-20211209-140109-e4wfji.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/436651/original/file-20211209-140109-e4wfji.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/436651/original/file-20211209-140109-e4wfji.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=350&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/436651/original/file-20211209-140109-e4wfji.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=350&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/436651/original/file-20211209-140109-e4wfji.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=350&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/436651/original/file-20211209-140109-e4wfji.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=440&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/436651/original/file-20211209-140109-e4wfji.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=440&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/436651/original/file-20211209-140109-e4wfji.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=440&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Distribution et intensité de la pression de pêche sur les façades atlantiques et méditerranéennes françaises. L’intensité est exprimée en fréquence de passage sur une année (2016).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://doi.org/10.12770/8bed2328-a0fa-4386-8a3e-d6d146cafe54">C. Jac, S. Vaz</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En consultant les <a href="https://doi.org/10.17895/ices.advice.8191">données 2021 de l’International Council for the Exploration of the Sea</a> (ICES), on apprend ainsi qu’entre 0 et 200 mètres de profondeur, ce sont en moyenne 66 % de la surface du Golfe de Gascogne et des côtes ibériques, 53 % des mers celtiques et 62 % de la Manche et mer du Nord qui ont fait l’objet d’une pression de chalutage pour la période 2013-2018.</p>
<p>Une meilleure connaissance des effets physiques des différents engins (étendue de la pression exercée sur les fonds par les <a href="https://academic.oup.com/icesjms/article/73/suppl_1/i27/2573989">différents éléments les constituant et profondeur de pénétration</a> dans les sédiments) permet aussi de mieux caractériser les impacts directs sur les habitats.</p>
<p>Si la pression de pêche est maintenant mieux quantifiée, la mesure des modifications des communautés benthiques et plus généralement de l’impact sur les écosystèmes est plus délicate. Après des décennies d’activité de pêche, ces communautés animales sont déjà fortement modifiées (« semi-naturelles ») sous l’effet de la pression de chalutage et parfois même adaptées à cette pression. À l’instar du milieu terrestre européen, il est désormais difficile d’identifier des zones de référence (naturelles ou pristines) sur de nombreux types d’habitats marins.</p>
<h2>Mieux observer pour mieux protéger</h2>
<p>Un effort de recherche important a été mené tout particulièrement au cours de la dernière décennie pour développer des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1470160X20305689">indicateurs de l’état et de la vulnérabilité des communautés benthiques</a> aux effets du chalutage.</p>
<p>Ces indicateurs s’appuient sur les connaissances scientifiques relatives à la nature et la distribution des habitats et à la composition en espèces associées. Les caractéristiques biologiques des espèces permettent notamment de déterminer leur sensibilité au chalutage (taille, forme, longévité, fragilité). La relation entre la pression de chalutage et les modifications engendrées sur les assemblages d’espèces renseigne ainsi sur leur réponse à la pression et <a href="https://archimer.ifremer.fr/doc/00634/74575/">permet une détermination de l’état des écosystèmes</a>.</p>
<p>La connaissance du fonctionnement des écosystèmes permet également des approches prédictives aidant à mieux caractériser de potentiels effets du chalutage <a href="https://doi.org/10.1371/journal.pone.0184486">avant que l’impact n’ait lieu</a>.</p>
<p>Les données de terrain sont indispensables pour évaluer l’état des écosystèmes benthiques. Un ensemble d’outils d’observation est traditionnellement utilisé par les scientifiques pour étudier les organismes benthiques : les chaluts eux-mêmes, des dragues ou encore des bennes qui permettent de collecter, identifier, dénombrer et peser les différents organismes présents sur ou proche du fond.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/436650/original/file-20211209-23-1h9a0xj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/436650/original/file-20211209-23-1h9a0xj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/436650/original/file-20211209-23-1h9a0xj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=335&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/436650/original/file-20211209-23-1h9a0xj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=335&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/436650/original/file-20211209-23-1h9a0xj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=335&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/436650/original/file-20211209-23-1h9a0xj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=422&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/436650/original/file-20211209-23-1h9a0xj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=422&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/436650/original/file-20211209-23-1h9a0xj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=422&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Exemples d’habitats et de communautés benthiques : sables et graviers avec Ophiures (A), vases avec crinoïdes et oursin (B), vases à langoustines (C), cailloutis à éponges (D). Ces observations ont été réalisées lors de campagnes CGFS 2019 (A et D) et IDEM-VIDEO 2018 (B et C) conduites en Manche Ouest et en Méditerranée (Golfe du Lion) respectivement.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ifremer</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>S’ajoutant aux méthodes classiques d’observation, de nouveaux outils moins impactant ont vu le jour avec notamment le <a href="https://academic.oup.com/icesjms/article-abstract/78/5/1636/6231553 ?redirectedFrom=fulltext">développement de l’utilisation de la vidéo pour le monitoring</a>.</p>
<h2>De la Manche au golfe du Lion</h2>
<p>Les premières évaluations à grande échelle sur la façade atlantique révèlent une situation contrastée avec des états généralement altérés par le chalutage (voir à ce propos les <a href="https://oap.ospar.org/en/ospar-assessments/intermediate-assessment-2017">données 2017 de Convention internationale OSPAR</a> et <a href="http://doi.org/10.17895/ices.pub.5955">celles de 2020 de l’ICES</a>).</p>
<p>La détermination de l’état des habitats doit cependant prendre en compte à la fois leur capacité naturelle à résister aux impacts de la pêche (résistance) ainsi que leur propension à s’en remettre pour revenir à leur état initial (résilience).</p>
<p>L’étude de ces processus doit conduire à la détermination de valeurs seuils au-delà desquelles la communauté est tellement dégradée, qu’elle est durablement (si ce n’est définitivement) remplacée par une communauté semi-naturelle totalement adaptée à la pression.</p>
<p>En Manche, les <a href="https://archimer.ifremer.fr/doc/00634/74575/">dernières études</a> soulignent que si les communautés benthiques montrent des états d’altérations importants (77 à 88 % des surfaces des habitats étudiés sont dégradées), elles y sont plus résistantes en raison de contraintes naturelles plus fortes. En Méditerranée, en revanche, la même étude illustre un état généralement très dégradé (89 à 96 % des surfaces des habitats sont dégradées, durablement modifiées voir perdues <a href="https://archimer.ifremer.fr/doc/00486/59727/">dans le golfe du Lion</a>), probablement dû à une faible résilience potentielle de ce milieu plus fragile car naturellement peu perturbé et plus limité en ressources.</p>
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<figcaption><span class="caption">À la découverte des fonds marins du golfe du Lion en Méditerranée. (Ifremer, 2018).</span></figcaption>
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<h2>Comment les limiter ?</h2>
<p>S’il semble difficile de se passer du chalutage de fond à court et moyen terme en raison de son efficacité revendiquée par les pêcheurs et surtout de son importance pour l’approvisionnement alimentaire, un certain nombre de mesures permettent d’en <a href="https://wwz.ifremer.fr/content/download/149444/file/Fiche_Fonds %20marins.PDF">réduire les impacts non désirés</a>.</p>
<p>La réduction de l’empreinte du chalutage de fond peut passer par l’utilisation d’engins existants moins « impactants » tels des engins de pêche fixes (lignes, filets, nasses à poissons). En parallèle, sont développés des engins alternatifs tels que des chaluts à panneaux « volants » <a href="https://archimer.ifremer.fr/doc/00353/46428/">sans contact prolongé</a> avec les fonds, ou encore des chaluts « intelligents » ne se fermant ou ne raclant le fond qu’au moment voulu.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1468593266148974599"}"></div></p>
<p>Le chalut électrique, alternative proposée par les Pays-Bas pour limiter les dommages physiques directs sur le fond (et la consommation de fioul des navires), a cependant été interdit dans les eaux européennes, notamment du fait des effets non complètement quantifiés des impulsions électriques sur les organismes et les fonds marins à moyen et long terme.</p>
<p>Par ailleurs, en plus des coûts pour les pêcheurs de la conversion vers une nouvelle technique de pêche, l’utilisation d’engins de pêche parfois globalement moins efficaces ou moins adaptés à la capture des espèces ciblées peut profondément modifier les performances économiques et la viabilité de certaines pêcheries.</p>
<h2>Soustraire des zones au chalutage</h2>
<p>Une autre voie de réduction des impacts passe par une meilleure planification spatiale définissant quelles zones sont chalutables, avec quelle intensité et quelles autres ne le doivent pas en regard de leur fragilité.</p>
<p>Les efforts de gestion des ressources vivantes marines visent encore généralement à respecter les objectifs d’exploitation durable (rendement maximum durable) des populations d’espèces ciblées. Ces modes de gestion conduisent souvent à réduire directement ou indirectement l’intensité globale des activités de pêches mais ne régulent pas l’accès aux zones exploitées.</p>
<p>Ces réductions d’intensité, durables ou temporaires, bénéficient aux fonds marins dans les zones où la résilience du milieu permet une récupération rapide de l’écosystème après un impact. En revanche, ils ne permettent pas la protection ou la restauration des habitats les plus sensibles et des espèces les plus fragiles ne tolérant que des impacts physiques très faibles, voire l’absence d’impact.</p>
<p>La gestion spatiale des activités de pêche est déjà partiellement mise en œuvre avec par exemple l’interdiction côtière (zones des 3 milles marins, soit 6 km) du chalutage de fond, hors dérogation pour certains métiers, ou encore l’interdiction plus récente de l’accès aux zones profondes (800 mètres en 2017 en Atlantique, 1000 mètres en 2005 en Méditerranée).</p>
<h2>La nécessité de faire évoluer la gestion spatiale des pêches</h2>
<p><a href="https://doi.org/10.4060/cb2429en">En Méditerranée, des aires de pêche restreintes</a> ont été proposées avec pour objectif la protection des écosystèmes marins vulnérables. En France, des zones de cantonnements bannissant les engins de pêche entrant en contact avec le fond ont également été mises en place, par exemple <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/eli/arrete/2018/4/23/AGRM1733988A/jo/texte/fr.">dans le golfe du Lion</a>. Cependant l’amplification récente de la création d’aires marines protégées ne signifie pas forcément une protection efficace des fonds marins.</p>
<p>L’accent mis par exemple récemment sur l’impact du chalut sur les habitats profonds cache malheureusement une gestion plus timide des habitats plus « ordinaires » mais néanmoins importants des zones côtières et du plateau continental. Ainsi, <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0308597X20310307">moins de 1 % des zones métropolitaines classées comme « aires marines protégées »</a> sont actuellement concernées par une protection significative.</p>
<p>En outre, la fermeture de zones à certaines techniques de pêche, jugées trop dommageables, résulte généralement en un simple déplacement de l’effort dans des zones non protégées, accroissant mécaniquement les impacts néfastes dans ces dernières. La mise en place de zones de fermetures doit donc faire l’objet d’une réflexion globale et prendre en compte, pour les éviter, les effets indirects sur les habitats non protégés.</p>
<p>Alternativement, des idées nouvelles émergent comme des <a href="https://archimer.ifremer.fr/doc/00418/52997/">crédits d’accès en fonction de la vulnérabilité des zones</a> et de <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/faf.12431">nombreuses autres initiatives de gestion</a> ont été développées pour tenter de traiter ce problème.</p>
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<figcaption><span class="caption">Différentes pistes pour réduire les effets du chalutage. (Wageningen Marine Research, 2018).</span></figcaption>
</figure>
<p>Finalement, un compromis semble nécessaire entre l’exploitation des ressources marines vivantes et la protection de l’intégrité des fonds marins. Une <a href="https://doi.org/10.17895/ices.advice.8191">étude récente des patrons d’exploitation</a> de la Manche et de la mer du Nord a ainsi révélé qu’une proportion importante des captures et des revenus provenait d’une partie relativement restreinte des zones de pêche.</p>
<p>Il serait ainsi possible de mettre au point des modes de gestion spatialisés permettant de réduire l’empreinte spatiale du chalutage de fond sur les fonds marins pour un coût relativement faible pour les pêcheries.</p>
<h2>L’illusion du retour à un état originel</h2>
<p>Le constat général est celui d’un état généralement dégradé, et ce depuis longtemps, des écosystèmes marins benthiques exploités.</p>
<p>L’accès relativement récent à des données détaillées de distribution des navires a constitué un tournant majeur dans l’évaluation des impacts générés par la pêche. De façon générale, l’accès et la diffusion des données sont des éléments clefs du suivi et de la gestion des impacts du chalutage et des autres activités humaines sur les écosystèmes marins.</p>
<p>Les perspectives d’outils d’observation scientifiques plus performants, moins destructifs et de données plus simples à acquérir renforcent encore nos capacités de suivi de l’état des écosystèmes et de leur gestion.</p>
<p>Les progrès en termes de connaissances scientifiques ont été considérables et les recherches actuelles visent à mieux comprendre le lien entre les habitats et les impacts pour protéger les habitats les plus fragiles, abritant des diversités remarquables ou des fonctions essentielles pour les écosystèmes marins.</p>
<p>Actuellement une difficulté majeure reste la définition de seuils de pressions ou d’impacts acceptables pour assurer un fonctionnement pérenne des écosystèmes. Il s’agit notamment de trouver une articulation délicate entre des objectifs parfois conflictuels de conservation de la biodiversité et d’exploitation durable des ressources marines.</p>
<p>Ainsi, la prise en compte des effets néfastes de certaines pratiques de pêche sur les habitats des fonds marins, sur l’érosion de la biodiversité et sur le fonctionnement de ces écosystèmes marins, est devenue une préoccupation importante.</p>
<p>Cependant, la protection ou restauration de ces biotopes passera nécessairement par l’interdiction de certaines pratiques dans des zones couvrant des surfaces bien plus importantes qu’elles ne le sont à l’heure actuelle. Si le retour à un état originel est illusoire sur des zones déjà fortement et depuis longtemps modifiées, nous avons un besoin impérieux de surveiller et ajuster nos pratiques pour en limiter les impacts sur le long terme et ainsi garantir des écosystèmes fonctionnels et une exploitation durable.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/172325/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sandrine Vaz a reçu des financements de Ifremer, l’Union européenne, France Filière Pêche et la région Occitanie pour financer ses recherches sur ce sujet. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Pascal Laffargue a reçu des financements de Ifremer, l’Union européenne, France Filière Pêche et des régions Bretagne et Pays de la Loire. </span></em></p>
Cette technique de pêche constitue l’une des pressions la plus répandue et intense sur les fonds marins. Mais des pistes de réduction de ses effets délétères existent.
Sandrine Vaz, chercheuse en écologie marine, Ifremer
Pascal Laffargue, Cadre de recherche en écologie marine, Ifremer
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/169388
2021-10-25T17:49:19Z
2021-10-25T17:49:19Z
Un témoignage des pratiques magiques de l'Antiquité : la tablette de malédiction de Tongres
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/425100/original/file-20211006-17-fnqw8l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=93%2C10%2C1272%2C1161&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Sur cette fine feuille de plomb, des dessins et des textes en grec et en latin ont été incisés avec une pointe de métal.</span> <span class="attribution"><span class="source">ARON bvba</span></span></figcaption></figure><p>En 2016, des fouilles de sauvetage dans la <a href="https://www.galloromeinsmuseum.be/fr/sciences/Banse-de-donn%C3%A9es-civitas-Tungrorum">ville de Tongres</a>, en Belgique, ont mis au jour un objet exceptionnel, une tablette de malédiction sur plomb, que le contexte archéologique permet de dater du dernier tiers du I<sup>er</sup> siècle apr. J.-C. Tombée sur le sol, dans un niveau de circulation, la lamelle de plomb était encore munie d’un des clous qui avaient permis de la fixer, peut-être sur l’une des constructions de bois qui se dressaient dans le secteur. La tablette, remarquablement conservée, est actuellement présentée au <a href="https://www.galloromeinsmuseum.be/fr">Musée gallo-romain de Tongres</a> et a fait l’objet d’une étude par une <a href="https://www.researchgate.net/publication/338863795_Une_tablette_de_defixion_recemment_decouverte_a_Tongres">équipe multidisciplinaire de l’Université libre de Bruxelles (ULB)</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/428272/original/file-20211025-25-3q6551.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/428272/original/file-20211025-25-3q6551.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/428272/original/file-20211025-25-3q6551.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=418&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/428272/original/file-20211025-25-3q6551.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=418&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/428272/original/file-20211025-25-3q6551.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=418&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/428272/original/file-20211025-25-3q6551.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=525&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/428272/original/file-20211025-25-3q6551.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=525&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/428272/original/file-20211025-25-3q6551.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=525&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Vue des fouilles (en rouge, l’emplacement de la tablette).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Photo : ARON bvba</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Des textes et dessins magiques</h2>
<p>Sur cette fine feuille de plomb, large de 12 à 14 cm et haute de 12 cm, des dessins et des textes en grec et en latin ont été incisés avec une pointe de métal. Au premier registre, on voit sept <a href="https://charakteres.com"><em>charaktêres</em></a>, c’est-à-dire des signes magiques, inspirés notamment de lettres de l’alphabet et pourvus de petits cercles. Ils surmontent un bandeau où se lisent des mots magiques, du type « abracadabra », que l’on appelle <a href="http://www.cenob.org/">noms barbares ou <em>voces magicae</em></a>, sous lesquels se cachent souvent des noms divins (« Iabêl tabbou chithassous Iab »). On y reconnaît Iabêl, qui associe le nom d’origine hébraïque Iaô (Yahve) et la racine sémitique Baal, « seigneur ». En dessous, d’autres formules magiques ont été notées (« kisthê sankanthara »), ainsi que des signes ésotériques. Une structure triangulaire, qui évoque une stèle, occupe le centre de l’objet ; les cinq lignes de texte contiennent des noms divins et un impératif grec : <em>dos</em>, « donne ! » L’ensemble est entouré par un demi-cercle, où on retrouve une fois encore des formes du nom divin Iaô (« Ia, Iaô, Iô »), auquel est associée, à gauche, l’épithète Sabaôth (« (dieu) des armées »). Dans le bas de la tablette, une autre main a gravé finement une inscription latine : « C(aius) Iulius Viator quem peperit Ingenua », « Gaius Julius Viator, qu’a engendré Ingenua ». Le personnage est un citoyen romain, comme le montre sa dénomination (<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Nom_romain">ses <em>tria nomina</em></a>), et il est ici la cible de l’objet, celui sur qui doit s’exercer la magie évoquée dans le texte grec et les dessins.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/428265/original/file-20211025-27-1le25oc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/428265/original/file-20211025-27-1le25oc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/428265/original/file-20211025-27-1le25oc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=518&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/428265/original/file-20211025-27-1le25oc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=518&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/428265/original/file-20211025-27-1le25oc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=518&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/428265/original/file-20211025-27-1le25oc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=651&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/428265/original/file-20211025-27-1le25oc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=651&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/428265/original/file-20211025-27-1le25oc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=651&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Fac-similé de la tablette de Tongres.</span>
<span class="attribution"><span class="source">dessin : Alain Delattre</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Une malédiction « orientale », mais une fabrication locale</h2>
<p>L’usage du plomb, un métal associé au monde des enfers, ne laisse aucun doute sur la nature négative de l’objet. La tablette s’insère dans la série déjà riche des <a href="https://eduscol.education.fr/odysseum/les-tablettes-de-malediction-et-denvoutement-les-defixiones">textes d’exécration ou défixion</a>, dont des exemplaires ont été trouvés dans presque toutes les régions de l’Empire romain. Ce qui est plus surprenant, c’est l’origine clairement orientale des formules magiques et l’usage du grec dans un territoire du nord de l’Europe.</p>
<p>L’idée d’un objet importé, fabriqué en Méditerranée orientale et amené ensuite jusqu’à Tongres, doit être écartée. <a href="https://www.persee.fr/doc/antiq_0770-2817_2011_num_80_1_3802">L’analyse isotopique du plomb</a> montre en effet que le matériau provient des gisements de l’est de la Belgique ou de l’ouest de l’Allemagne : autrement dit la tablette a été confectionnée localement, à partir d’un modèle oriental.</p>
<h2>Une langue commune magique</h2>
<p>Trois autres tablettes de malédiction sur plomb présentent des similarités frappantes avec l’objet mis au jour en Belgique. La première a été découverte dans un puits, <a href="https://www.jstor.org/stable/pdf/148244.pdf">près du sanctuaire de Poséidon sur l’Isthme de Corinthe (Grèce)</a>, la seconde dans la <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k206861z/f295.item">nécropole païenne d’Hadrumète (Sousse, en Tunisie)</a>, la troisième provient de <a href="https://www.jstor.org/stable/20189727">Carthage (Tunisie)</a>, sans plus de précision. Les trois tablettes adoptent une mise en page similaire à celle de Tongres ; les mêmes formules magiques et des séquences identiques de signes se retrouvent aux mêmes endroits ; seules de petites variations s’observent.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/428270/original/file-20211025-13-hqch7s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/428270/original/file-20211025-13-hqch7s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/428270/original/file-20211025-13-hqch7s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=500&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/428270/original/file-20211025-13-hqch7s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=500&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/428270/original/file-20211025-13-hqch7s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=500&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/428270/original/file-20211025-13-hqch7s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=628&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/428270/original/file-20211025-13-hqch7s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=628&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/428270/original/file-20211025-13-hqch7s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=628&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Tablette d’Hadrumète.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k206861z/f295.item">BnF Gallica, dessin : Héron de Villefosse</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ainsi, la tablette de Carthage présente un texte de malédiction explicite : le complément de l’impératif <em>dos</em>, « donne ! », y est précisé : il s’agit de donner la mort (<em>thanaton</em>) à la cible.</p>
<p>La présence de ces textes en des lieux si variés et éloignés les uns des autres démontre l’existence d’un modèle dont se sont inspirés les auteurs des différents objets. Ce modèle figurait probablement dans un manuel de magie qui a largement circulé dans les provinces romaines, de la Grèce à la Tunisie et jusque sur le territoire de la Belgique actuelle. De tels livres, transportés par des soldats, des marchands ou des voyageurs, ont contribué à diffuser les idées et les pratiques magiques d’un bout à l’autre de l’Empire. Des manuels de ce genre ont été <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/histoire/2017-v34-n2-histoire03229/1041540ar.pdf">découverts en nombre en Égypte</a>, où le climat a permis leur conservation.</p>
<h2>Le contexte de la malédiction de Tongres</h2>
<p>Les tablettes de défixion proviennent pour la plupart de contextes funéraires ou de lieux en rapport avec l’eau, des endroits naturellement en contact avec le monde souterrain et donc les divinités infernales. Les données archéologiques de la découverte de Tongres ne correspondent à aucun de ces contextes. Nous sommes ici plutôt en face d’un rare exemple d’une tablette de défixion dans la sphère domestique, en contact avec la victime, une pratique jusqu’ici connue surtout par des textes littéraires.</p>
<p>Tacite rapporte ainsi une anecdote à propos de la mort de Germanicus, dont les proches, jugeant suspecte la maladie dont il souffrait, avaient trouvé « sur le sol et sur les murs […] des formules d’envoûtement et d’exécration et le nom de Germanicus gravé sur des tablettes de plomb » (<a href="http://bcs.fltr.ucl.ac.be/TAC/AnnII.html"><em>Annales</em> 2, 69</a>). La défixion de Tongres aurait donc pu être fixée, de manière non visible, sur le toit ou sur un mur de la maison de Gaius Julius Viator. Ce dernier, citoyen romain au I<sup>er</sup> siècle de notre ère, appartenait probablement à l’élite de la cité des Tongres. Sa position sociale élevée a pu susciter des jalousies et provoquer la haine de l’un de ses contemporains, concurrent dans le monde des affaires ou de la politique, ou simplement rival amoureux. De nombreuses tablettes étaient destinées à blesser des adversaires dans le cadre des compétitions sportives, mais il faut probablement exclure ce motif dans le cas de Viator. La pratique de la magique maléfique était en tout cas monnaie courante à l’époque ; comme le signalait Pline l’Ancien au milieu du I<sup>er</sup> siècle : « Il n’est d’ailleurs personne qui ne redoute d’être envoûté par des prières maléfiques » (<a href="http://remacle.org/bloodwolf/erudits/plineancien/livre28.htm"><em>Histoires naturelles</em> 28, 4</a>).</p>
<hr>
<p><em>Pour en savoir plus, voir l’ouvrage de l’équipe multidisciplinaire qui a publié la tablette : Roxanne Bélanger Sarrazin, Alain Delattre, Daniel Demaiffe, Natasja De Winter, Alain Martin, Georges Raepsaet et Marie-Thérèse Raepsaet-Charlier, avec la collaboration de Cecilia Melaerts-Saerens & Frank Scheppers, <a href="https://www.peeters-leuven.be/detail.php?search_key=9782960083453&series_number_str=39&lang=fr">Iaô Sabaôth. Pratiques magiques dans la cité des Tongres : une tablette de défixion mise en contexte</a>. Une version succincte de la recherche a été publiée dans la <a href="https://www.researchgate.net/publication/338863795_Une_tablette_de_defixion_recemment_decouverte_a_Tongres">revue Latomus</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/169388/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alain Delattre est aussi directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Paris). </span></em></p>
Sur cette feuille de plomb, des dessins et des textes en grec et en latin ont été incisés avec une pointe de métal : ce sont des formules magiques destinées à nuire à un certain Gaius Julius Viator.
Alain Delattre, Professeur de papyrologie et d'épigraphie grecque, Université Libre de Bruxelles (ULB)
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/166068
2021-09-02T17:55:35Z
2021-09-02T17:55:35Z
Conservation des espaces naturels : les leçons des « territoires de vie » au Maroc et en Méditerranée
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/419051/original/file-20210902-15-ci1c07.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C13%2C1783%2C1166&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le lac d’Izourar, dans le Haut Atlas central au Maroc, printemps 2004. </span> <span class="attribution"><span class="source">Bruno Romagny</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Au même titre que l’huile d’olive ou la diète méditerranéenne, le <a href="http://www.pastoralisme.net/">pastoralisme</a> est emblématique des territoires d’arrière-pays de la Méditerranée ; ici, la rapidité du changement climatique est <a href="https://planbleu.org/soed/">supérieure aux tendances mondiales</a>.</p>
<p>Depuis 2011, des paysages culturels de l’agropastoralisme méditerranéen, comme le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=SS1YJIoMdMg">Causse Méjean</a> en France, <a href="https://whc.unesco.org/fr/list/1153/">ont été inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco</a>. Depuis des siècles, voire des millénaires, des communautés d’éleveurs méditerranéens gèrent des communs pastoraux de montagne.</p>
<h2>Les « communs », un geste politique collectif</h2>
<p>Ces <a href="https://www.foncier-developpement.fr/wp-content/uploads/CTFD-Regards-sur-le-Foncier-6-Approche-par-les-communs.pdf">formes collectives d’appropriation</a> ont occupé par le passé et encore aujourd’hui une place importante : de nombreuses communautés humaines les ont utilisées pour gérer durablement l’accès à des ressources renouvelables aussi diverses que des systèmes d’irrigation, des stocks de poissons, des forêts, des pâturages et des territoires de parcours, la flore ou la faune sauvages…</p>
<p>Pour l’économiste <a href="https://gael-giraud.fr/">Gaël Giraud</a>, ces « communs » désignent :</p>
<blockquote>
<p>« les ressources, symboliques ou matérielles, qu’une communauté choisit d’administrer en se dotant de règles qui sont elles-mêmes soumises à délibération. Ce qui définit le commun n’est donc pas la nature de la ressource, mais le geste politique d’un collectif qui soumet à un discernement communautaire continue ses propres manières de faire dans la protection et la promotion de ce à quoi il tient. »</p>
</blockquote>
<p>Ainsi, il n’existe pas de « communs » par essence et les institutions que nous construisons sont déterminantes pour leur défense.</p>
<h2>Les trois principes au cœur des communs pastoraux</h2>
<p>Les communs pastoraux peuvent s’analyser grâce au cadre théorique de la <a href="https://www.resalliance.org/">résilience des systèmes socioécologiques</a>.</p>
<p>Les communs pastoraux des montagnes méditerranéennes relèvent aussi de la catégorie des <a href="http://www.iccaconsortium.org/index.php/fr/decouvrir/">« aires et territoires du patrimoine autochtone et communautaire »</a> (APAC), aussi appelés « territoires de vie ».</p>
<p>De nombreuses organisations internationales – <a href="https://www.iucn.org/news/mediterranean/201905/can-agricultural-practices-help-preserve-biodiversity-mediterranean-cultural-landscapes">UICN</a>, <a href="http://www.cbd.int/doc/publications/cbd-ts-64-en.pdf">CDB</a>, <a href="https://www.unenvironment.org/resources/report/handbook-indigenous-and-community-conserved-areas-registry-0">UNEP</a> ou <a href="http://www.undp.org/content/undp/en/home/presscenter/articles/2014/10/16/global-fund-supports-conservation-by-indigenous-peoples-and-local-communities.html">UNDP</a> par exemple – les considèrent comme autant d’espaces clés de conservation des écosystèmes et des paysages. Ces territoires et les systèmes de gestion collective des ressources qu’ils soutiennent se caractérisent par trois principes fondamentaux, interconnectés, qui ne sont pas sans rappeler certains des « design principles » <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/la-bibliotheque-ideale-de-leco/gouverner-les-communs-elinor-ostrom">élaborés par Elinor Ostrom</a>, prix Nobel d’économie en 2009 pour ses travaux sur les « communs ».</p>
<p>Ces trois principes peuvent s’énoncer ainsi : une communauté locale entretient des liens forts et profonds avec un territoire ; cette communauté est un acteur majeur dans les processus de prise de décision en lien avec la gouvernance territoriale des ressources ; cette gouvernance contribue à une gestion responsable et durable des écosystèmes et du patrimoine matériel et immatériel de ces mêmes communautés.</p>
<h2>Déclin, résistance ou renouveau des « territoires de vie »</h2>
<p>Ces « territoires de vie » de la Méditerranée sont plus que jamais confrontés à des défis majeurs dans un contexte de mondialisation des échanges, de changement global et de fortes transformations socio-économiques, politiques, démographiques et culturelles.</p>
<p>La biodiversité terrestre de ces espaces fait désormais face à de <a href="https://planbleu.org/soed/">multiples perturbations</a>.</p>
<p>Dans les pays de la rive nord de la Méditerranée, l’urbanisation, notamment côtière, a supprimé ou fragmenté de nombreux écosystèmes. En raison du déclin de l’agriculture et des systèmes agropastoraux, la surface boisée augmente aux dépens de ces deux secteurs.</p>
<p>Les écosystèmes semi-naturels des pays des rives sud et est sont de leur côté menacés de fragmentation ou de disparition en raison de l’urbanisation, du défrichement, de la surexploitation du bois (de chauffage, d’œuvre) et du surpâturage.</p>
<p>Le tout, sous la pression du changement climatique, de la démographie, de la pollution des milieux terrestres et aquatiques, mais aussi de l’air, sans oublier les tensions géopolitiques régionales persistantes (Maroc/Algérie, Libye, Israël/Palestine, Syrie…)</p>
<p>Autant de défis plus ou moins bien appréhendés au sein des APAC, pouvant conduire à des formes de déclin, de résistance ou de renouveau des communs selon les situations. Ces divers aspects feront l’objet, ce lundi 6 septembre 2021, d’une <a href="https://www.iucncongress2020.org/fr/programme/official-programme/session-43277">session thématique</a> dans le cadre du congrès mondial de la nature qui se tient à Marseille.</p>
<h2>L’<em>agdal</em> pastoral au Maroc, un cas d’école</h2>
<p>Au Maroc, l’<em>agdal</em> constitue une pratique de gestion communautaire, reposant sur la protection de ressources spécifiques au sein d’un territoire délimité. Cette gestion sociospatiale est en général respectée par tous les acteurs des communautés locales, menacés de sanctions dans le cas contraire. L’<em>agdal</em> est donc un territoire important pour la cohésion des communautés, en particulier pastorales.</p>
<p>L’<em>agdal</em> constitue un mode gestion en bien commun emblématique de la montagne amazighe (berbère) au Maroc et dans le nord de l’Afrique. L’<em>agdal</em> s’entend le plus souvent comme un « pâturage commun soumis à des mises en défens saisonnières », qui correspond à l’<em>agdal</em> pastoral, la <a href="https://www.documentation.ird.fr/hor/fdi:010059469">forme la mieux documentée</a> et la plus importante en matière de superficie.</p>
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<figcaption><span class="caption">L’Agdal de l’Oukaimeden au Maroc. (PNUD Maroc/Youtube, 2017).</span></figcaption>
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<p>Au cours de la longue histoire des sociétés pastorales du Maghreb et du Sahara, la nécessité de protéger les pâturages à certaines périodes de l’année a probablement joué un rôle de premier plan dans la genèse de l’institution.</p>
<p>Chaque <em>agdal</em> dispose de ses propres règles d’ouverture et de fermeture. Les dates sont déterminées par deux critères principaux : tout d’abord, les conditions climatiques et l’altitude – plus l’<em>agdal</em> est haut, plus les dates d’ouverture pour le parcours sont tardives ; ensuite, la disponibilité d’autres ressources et espaces pastoraux.</p>
<p>Les villageois organisent la transhumance et la montée vers les alpages en fonction des ressources dont ils disposent aux abords des villages et dans les forêts voisines. Ils retardent l’accès aux <em>agdals</em> pour l’été. La transhumance estivale et l’accès aux <em>agdals</em> d’altitude revêtent aujourd’hui encore une importance stratégique pour les communautés agropastorales de l’Atlas.</p>
<h2>Des pratiques anciennes adaptées au contexte actuel</h2>
<p>Longtemps considéré comme une relique du passé, l’<em>agdal</em> trouve une résonance nouvelle avec le succès du développement durable et la nécessité de réinventer des formes, adaptées au contexte actuel, de gestion concertée des ressources indispensables au maintien de l’identité et à la survie des populations de ces zones dites « marginales ».</p>
<p>Les pratiques véhiculées par l’<em>agdal</em> sont proches des notions de base en écologie concernant l’importance de la gestion différentielle selon un zonage précis. Les communautés de pasteurs, en cherchant par exemple à préserver les graminées tardives, protègent toute la biodiversité contenue dans les différents faciès des écosystèmes. Les espèces de graminées peuvent ainsi être considérées comme des espèces parasols. C’est un des principes clés de la biologie de la conservation.</p>
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<span class="caption">Session de fauchage dans les pâturages montagnards marocains.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Thomas de Franchis</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Mais les pratiques d’<em>agdal</em> sont aujourd’hui confrontées à la transformation rapide des systèmes de production et d’activité, à l’ouverture de la petite paysannerie sur le marché prônée par les politiques publiques, à l’individualisation des comportements entraînant l’affaiblissement des régulations communautaires, à l’intervention publique instaurant de nouvelles formes institutionnelles de sécurisation et de gestion.</p>
<p>Des <a href="https://journals.openedition.org/tc/230">études de terrain</a> montrent néanmoins la résilience et la capacité de résistance de ces formes locales de gestion, la grande souplesse et l’adaptabilité de ces pratiques.</p>
<p>Il s’agit désormais d’inventer les <em>agdals</em> de demain, dans une perspective de « conservation participative », intégrant aux processus de prise de décision l’ensemble des acteurs concernés et reposant sur un concept local qui fait encore sens pour la population. Mais pour combien de temps encore ?</p>
<hr>
<p><em>Cristelle Duos (IRD) a contribué à l’élaboration de cet article.</em></p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/419070/original/file-20210902-21-1xopw8u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/419070/original/file-20210902-21-1xopw8u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/419070/original/file-20210902-21-1xopw8u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=847&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/419070/original/file-20210902-21-1xopw8u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=847&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/419070/original/file-20210902-21-1xopw8u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=847&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/419070/original/file-20210902-21-1xopw8u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1064&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/419070/original/file-20210902-21-1xopw8u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1064&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/419070/original/file-20210902-21-1xopw8u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1064&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p><em><strong>Rendez-vous photo</strong> : L’exposition photographique <a href="https://cpm.osupytheas.fr">« Territoires de vie aux limites »</a> propose une plongée dans ces espaces méditerranéens. <a href="https://www.iucncongress2020.org/programme/official-programme/session-43277">Visible durant le congrès mondial de la nature</a>, qui se tient à Marseille du 6 au 11 septembre 2021, l’exposition voyagera ensuite autour de la Méditerranée (France, Maroc, Espagne, Monténégro, Croatie, Turquie…)</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/166068/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bruno Romagny a reçu des financements de l’ANR (TRANSMED, 2013-2019).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Mohamed Alifriqui et Pablo Dominguez ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>
Dans les territoires d’arrière-pays méditerranéens, des communautés gèrent collectivement les ressources naturelles et les paysages.
Bruno Romagny, Directeur de recherche en économie des ressources renouvelables, Institut de recherche pour le développement (IRD)
Mohamed Alifriqui, Professor of Ecology and Plant biodiversity, Université Cadi Ayyad
Pablo Dominguez, Chargé de Recherche au CNRS en éco-anthropologie, Université Toulouse – Jean Jaurès
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/162692
2021-07-21T23:39:10Z
2021-07-21T23:39:10Z
Le Bec de l'Aigle, témoin d’un continent disparu entre Corse et Provence
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/409888/original/file-20210706-21-oodhek.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C3894%2C2568&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le Bec de l’Aigle, La Ciotat.</span> <span class="attribution"><span class="source">Nicolas Charles, BRGM</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>L’être humain aime attribuer aux nuages des formes familières, c’est aussi le cas pour les montagnes. À La Ciotat, près des célèbres calanques de Marseille, une forme évocatrice se détache de l’horizon : le Bec de l’Aigle. C’est un cap rocheux emblématique de cette partie du littoral provençal qui rappelle sans équivoque le profil d’une tête d’aigle.</p>
<p>L’éperon minéral s’élance vers la Méditerranée et exhibe une roche brune à gros galets que les géologues appellent « poudingue ». Cette roche s’est formée il y a environ 90 millions d’années. Elle témoigne d’un continent disparu, lointain cousin de la Corse et de la Sardaigne.</p>
<p>À cette période reculée, la région de La Ciotat se situe sur les bords d’un continent faisant face à la Provence et a priori solidaire de la Corse et de la Sardaigne. Ce continent s’érodait et les sables, graviers et galets transportés par les fleuves, se sont accumulés dans des deltas au pied de cette terre émergée. L’un d’eux constitue aujourd’hui le poudingue du Bec de l’Aigle. La disparition de cette « Atlantide » séparée de la Provence par une petite mer intérieure, est liée à la naissance de la mer Méditerranée qui découle de la rotation dans le sens inverse des aiguilles d’une montre de la Corse. </p>
<p>Le poudingue est ici un assemblage de galets arrondis composés de quartz, de grès, de schiste, de granite ou de calcaire, le tout cimenté naturellement. L’observateur verra que les couches sont inclinées d’une trentaine de degrés vers le nord, ce qui témoigne que l’ancien continent était plus au sud, car le dépôt des sédiments à l’époque se faisait en bordure littorale et les galets remontent rarement la pente.</p>
<p>Outre l’attrait esthétique de cette curiosité géologique, le sol siliceux et acide voit l’existence d’une végétation silicicole bien différente (châtaignier, lavande stoechas, ciste, palmier nain…) de celle des calanques calcaires toutes proches (chêne kermès, myrte, romarin, pin maritime…). La biodiversité guidée par la géodiversité en somme. Un balcon fleuri sur la mer et le temps.</p>
<hr>
<p><em>Pour aller plus loin :<br>
● Charles N., Blanc J.-J., Collina-Girard J., Monteau R., 2021. <a href="https://www.brgm.fr/fr/actualite/actualite/editions-brgm-4-nouveaux-guides-geologiques-decouvrir-avant-ete">Guide des curiosités géologiques du Parc national des Calanques</a>. BRGM Éditions-Parc national des Calanques, ISBN 978-2-7159-2737-7.<br>
● Rousset C., Fournier R., 2021. <a href="http://www.omniscience.fr/collections/Guides-geologiques-6/BOUCHES-DU-RHoNE--2e-edition--11-itineraires-de-105.html">Guide géologique des Bouches-du-Rhône – 2ᵉ édition</a>. Omniscience, ISBN 979-10-97502-47-8.<br>
● Collectif, 2020. <a href="https://www.brgm.fr/fr/actualite/communique-presse/editions-brgm-decouvrir-geodiversite-bouches-rhone">La Géologie des Bouches-du-Rhône. Roches et paysages remarquables</a>. BRGM Éditions-CD13, ISBN 978-2-7159-2718-6.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/162692/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicolas Charles a reçu des financements du BRGM.</span></em></p>
À La Ciotat, proche des calanques de Marseille, s’élève une pointe rocheuse pour le moins inhabituelle.
Nicolas Charles, Géologue, PhD, BRGM
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/162483
2021-07-19T22:06:19Z
2021-07-19T22:06:19Z
En 1926, les entraves à la migration tuaient déjà en Méditerranée
<p>Alors que la « liberté de voyage » avait été reconnue aux « indigènes » par la loi du 15 juillet 1914, les circulaires Chautemps de 1924 établirent un nouveau régime de contrôle migratoire entre les départements d’Algérie et la métropole. Les promesses d’égalité formulées à la fin de la Première Guerre mondiale s’estompant, les arguments des partisans d’un contrôle des déplacements furent entendus.</p>
<p>Les « Algériens musulmans » furent les seuls passagers ciblés par la mise en place d’autorisations de traversée, officiellement destinées aux personnes embarquant en 3<sup>e</sup> ou 4<sup>e</sup> classe. Jusqu’à la suppression (provisoire) de ces dispositions à l’été 1936, une partie des voyageurs les contournèrent en embarquant clandestinement à fond de cale, périples qui prirent parfois un tour dramatique rappelant que la létalité des contrôles migratoires doit être réinscrite dans une <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01394159/">histoire longue des prétentions à entraver les circulations humaines</a>.</p>
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<h2>Un « drame » médiatisé</h2>
<p>Il reste peu de traces de ces traversées macabres de la Méditerranée mais la presse de l’époque se fit un large écho de <a href="https://www.lecourrierdelatlas.com/notre-histoire-la-tragedie-de-sidi-ferruch-22593/">« l’horrible drame du Sidi Ferruch »</a>. Le 27 avril 1926, à la suite d’une dénonciation, onze Marocains embarqués clandestinement à Alger furent découverts asphyxiés dans les cales du bateau éponyme qui faisait escale à Marseille. Comme le décrivent des rapports de police conservés aux Archives des Bouches-du-Rhône, ils avaient été cachés « dans les ballasts du navire, sous les machines » où la température pouvait monter jusqu’à 70 degrés. Dix-neuf autres « passagers » furent retrouvés sains et saufs dans la soute à charbon, mais une inconnue demeura à propos du sort d’éventuelles autres victimes qui auraient pu être ensevelies sous les 285 tonnes de combustible entreposées dans les cales du bateau.</p>
<p>Le Sidi Ferruch repartit en effet vers Bougie (actuelle Bejaïa, sur la côte à l’est d’Alger) sans qu’une fouille complète ait pu être effectuée, tandis que les survivants, après avoir été interrogés, étaient refoulés vers Alger d’où ils avaient embarqué. Quatre matelots corses, désignés comme ayant procédé à l’embarquement, furent placés sous mandat de dépôt et des suspects (« marocains », « algériens » ou « européens ») ayant opéré depuis Alger, comme rabatteurs ou organisateurs du trafic, furent recherchés, apparemment sans succès. Hormis la désignation d’un juge d’instruction, les suites judiciaires de l’affaire ne nous sont d’ailleurs pas connues.</p>
<p>L’écho donné à la « tragédie du Sidi Ferruch » permit d’apprendre que ces cas de morts en migration n’étaient pas isolés : ainsi, le 9 avril 1926, le vapeur Anfa, un courrier parti de Casablanca, avait lui aussi été au centre d’une affaire d’embarquements clandestins nécessitant plus d’investigations que le simple refoulement des « indigènes » découverts à leur arrivée. Alors qu’une douzaine de clandestins cachés dans des canots avaient été débarqués à Tanger, ceux dissimulés à fond de cale ne furent découverts qu’en haute mer. Deux d’entre eux étaient morts par asphyxie. Le timonier dénoncé par les survivants aurait fait des aveux immédiats et se serait suicidé avec son arme personnelle.</p>
<p>Incidemment, et sans faire état d’une quelconque surprise ou volonté d’enquêter, le commissaire spécial de Marseille rapporta alors à ses supérieurs de la Sûreté générale que trois corps avaient été « immergés » avant l’arrivée dans le port de la cité phocéenne. On imagine avec quelle facilité il pouvait être possible pour les capitaines de navires, véritables « maîtres à bord », de faire disparaître des cadavres de clandestins sans que personne ne s’en inquiète.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/409342/original/file-20210701-15-s46mbx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/409342/original/file-20210701-15-s46mbx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/409342/original/file-20210701-15-s46mbx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=640&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/409342/original/file-20210701-15-s46mbx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=640&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/409342/original/file-20210701-15-s46mbx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=640&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/409342/original/file-20210701-15-s46mbx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=805&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/409342/original/file-20210701-15-s46mbx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=805&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/409342/original/file-20210701-15-s46mbx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=805&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Récépissé de demande de carte d’identité délivré par la police des ports de Marseille, mise en cause pour sa propension à régulariser ainsi, moyennant finances, la situation d’Algériens et Marocains « embarqués clandestinement ».</span>
<span class="attribution"><span class="source">Archives départementales des Bouches-du-Rhône, 4M 2361</span></span>
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<h2>Des victimes sans noms</h2>
<p>Dans ce cas, comme dans celui du Sidi Ferruch, l’identité des victimes ne fut jamais établie : l’absence de papiers suffisait à justifier cet anonymat, sans qu’aucune autre forme d’attestation soit recherchée, y compris auprès des survivants promptement refoulés vers leur port d’embarquement. Selon toute probabilité, les cadavres qui n’avaient pas été immergés faisaient l’objet d’une « inhumation administrative » (enterrement « sous X » dans une fosse commune réservée aux indigents) dans un cimetière de Marseille.</p>
<p>Il est donc impossible d’établir la moindre estimation du nombre des « morts en Méditerranée » provoqués par l’introduction d’un « délit d’embarquement clandestin » (loi du 30 mai 1923) et de restrictions à la circulation entre le Maroc (1922) – puis l’Algérie (1924) – et la métropole. Le « drame du Sidi Ferruch » ne peut cependant être considéré comme un événement isolé, même s’il fut le seul à attirer l’attention de la grande presse. Ainsi, au cours des mois suivants, des militants du secrétariat colonial de la CGTU dénoncèrent la répétition de ces événements : la brochure <em>L’indigénat, code d’esclavage</em> (1928) rappelle plusieurs cas d’Algériens sortis « agonisants » ou de Nord-africains descendus de bateau « dans un état de santé alarmant ». Surtout, elle signale que pour échapper aux contrôles, ces clandestins évitaient les grands ports et pouvaient s’entasser dans de simples voiliers : quatre morts par dénutrition, après 23 jours de voyage, furent ainsi découverts le 25 février 1927, à Port-la-Nouvelle (Aude).</p>
<p>Dix ans plus tard, <a href="https://www.google.fr/books/edition/L_Alg%C3%A9rie_sous_l_%C3%A9gide_de_la_France_co/d3rxMAAACAAJ?hl=fr">Saïd Faci</a> suggérait dans <em>L’Algérie sous l’égide de la France</em> (1936) que les morts à fond de cale étaient bien plus nombreux que les seuls cas recensés : « qu’importe que les indigènes meurent pourvu que les colons algériens aient de la main-d’œuvre à bon marché », écrivait-il, afin de dénoncer les funestes conséquences des restrictions à la libre circulation entre l’Algérie et la métropole.</p>
<p>Il est vrai qu’avant même que la relative émotion suscitée par les cadavres du Sidi Ferruch ne retombe, les réactions officielles avaient été sans surprise : Octave Depont qui faisait alors figure de principal expert en <a href="http://www.theses.fr/1990PA070030">« émigration nord-africaine »</a> fit ainsi savoir dans la presse que « l’indigène sans papiers devait être renvoyé en Algérie ». L’objectif affiché était « de tarir l’émigration clandestine qui, ces derniers temps, a pris un développement redoutable », tout en évitant « les centaines de morts » en mer qu’Octave Depont évoquait sans plus de précisions (<em>Le Petit Versaillais</em>, mai 1926). Son appel à une répression plus sévère fut entendu et les peines relatives à la loi du 30 mai 1923 qui avait défini le délit d’embarquement clandestin furent alourdies (loi du 17 décembre 1926).</p>
<h2>Contourner les contrôles migratoires</h2>
<p>Les contournements des contrôles ne semblent pas avoir diminué dans les années suivantes, même si la plupart des candidats au départ cherchaient à éviter les modes opératoires les plus périlleux, en particulier les embarquements à fond de cale. Un certain nombre de Marocains, passés par Oran sans avoir pu réunir les faux documents et autres autorisations achetées qui auraient pu leur donner l’apparence d’Algériens en règle, devaient cependant s’y résoudre. Des Algériens munis de faux papiers étaient aussi interpellés à Marseille et immédiatement refoulés, mais la plupart de ces migrants clandestins, ou <em>harragas</em>, bénéficiaient de complicités qui leur permettaient d’échapper aux contrôles à l’arrivée.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/408925/original/file-20210629-11592-rpv4jf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/408925/original/file-20210629-11592-rpv4jf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/408925/original/file-20210629-11592-rpv4jf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=734&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/408925/original/file-20210629-11592-rpv4jf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=734&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/408925/original/file-20210629-11592-rpv4jf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=734&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/408925/original/file-20210629-11592-rpv4jf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=922&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/408925/original/file-20210629-11592-rpv4jf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=922&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/408925/original/file-20210629-11592-rpv4jf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=922&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">« L’horrible drame du Sidi Ferruch », Le Petit journal illustré, 16 mai 1926.</span>
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<p>Une fois passée la flambée politico-médiatique suscitée par l’affaire du Sidi Ferruch, la question des trafics de pièces d’identité et des « embarquements clandestins » resurgit périodiquement, en fonction notamment des mobilisations en faveur d’un durcissement des contrôles. Cette <a href="https://journals.openedition.org/conflits/10363">politisation</a> rend d’autant plus délicate toute évaluation du poids et des conséquences de « l’émigration clandestine ». Les refoulements depuis Marseille étaient relativement peu nombreux (de l’ordre de quelques dizaines par mois), mais les capitaines de navire avaient tout intérêt à faire débarquer discrètement les clandestins découverts en mer plutôt qu’à les dénoncer, au risque de devoir prendre en charge leur voyage retour.</p>
<p>Les plus lucides des policiers reconnaissaient d’ailleurs que le nombre des « clandestins » et les risques qu’ils étaient prêts à encourir dépendaient avant tout de la rigueur de la législation et des contrôles en vigueur. Ces constats furent cependant peu mobilisés au service d’argumentaires en faveur de la liberté de voyage, sinon par les militants anticolonialistes qui voyaient dans ces contrôles et leurs dramatiques conséquences humaines une des déclinaisons de <a href="https://www.retronews.fr/colonies/echo-de-presse/2019/10/15/le-code-de-lindigenat">« l’odieux Code de l’indigénat »</a>.</p>
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<p><em>Cet article est également à retrouver sur le site de l’<a href="https://ehne.fr/fr">Encyclopédie d’histoire numérique de l’Europe</a> (EHNE).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/162483/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Blanchard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Il y a 95 ans, le drame migratoire du Sidi Ferruch secouait la presse. Comme aujourd’hui, des contrôles renforcés poussaient les candidats à la traversée de la Méditerranée à mettre leur vie en péril.
Emmanuel Blanchard, Maître de conférences en sciences politiques à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines et à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye, fellow de l'Institut Convergence Migrations, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay
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