tag:theconversation.com,2011:/uk/topics/migrants-20280/articlesmigrants – The Conversation2024-03-28T16:37:56Ztag:theconversation.com,2011:article/2268372024-03-28T16:37:56Z2024-03-28T16:37:56ZLe Tadjikistan, nouvelle base arrière de la menace djihadiste ? Un raccourci trompeur<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/585002/original/file-20240328-18-j06pze.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=50%2C5%2C1147%2C792&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Migrants tadjiks contrôlés à Moscou, 2023.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://asiaplustj.info/ru/news/opinion/20230531/v-rossii-otkrita-ohota-na-tadzhikskih-migrantov">The Insider Russia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>L’attentat du Crocus Hall dans les faubourgs de Moscou marque l’échec du renseignement russe (FSB) à lutter contre la menace terroriste en Russie depuis qu’il est <a href="https://cepa.org/article/putin-orders-his-spies-to-chase-phantom-enemies/">occupé à contenir toute opposition à la guerre en Ukraine</a>. N’ayant pu prévenir cette attaque, le FSB s’est empressé de trouver des coupables : une dizaine de migrants tadjiks, parmi lesquels les quatre assaillants présumés, dont les aveux ont visiblement été <a href="https://www.la-croix.com/international/attentats-de-moscou-la-russie-assume-le-recours-a-la-torture-20240325">obtenus sous la torture</a>.</p>
<p>L’identité tadjike des terroristes et la revendication de l’attaque par l’État islamique au Khorassan ont rapidement orienté les analystes et journalistes vers l’Asie centrale, une région présentée depuis plus de vingt ans comme la <a href="https://www.courrierinternational.com/article/2001/09/20/l-asie-centrale-dans-la-ligne-de-mire">poudrière du monde</a>. Pourtant, faire du Tadjikistan la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2024/03/24/attentat-de-moscou-l-asie-centrale-nouvelle-tete-de-pont-de-l-organisation-etat-islamique_6223938_3210.html">nouvelle tête de pont du djihadisme</a> est un raccourci trompeur.</p>
<h2>Le Tadjikistan, une expérience unique d’islam politique en Asie centrale</h2>
<p>En accédant à l’indépendance en 1991, le <a href="https://www.cairn.info/les-etats-postsovietiques--9782200271633-page-224.htm">Tadjikistan</a>, peuplé aujourd’hui d’environ 10 millions d’habitants s’est divisé entre deux visions diamétralement opposées de la place de l’islam dans la vie politique : face à la continuité d’une société laïque portée par les anciens communistes, l’opposition réclamait un retour aux fondements de l’islam sunnite et l’établissement d’un régime islamo-démocrate.</p>
<p>Ce conflit idéologique entraîna une véritable <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre2-2016-3-page-123.htm">guerre civile</a>, sur laquelle le pouvoir actuel s’est construit. C’est en effet l’arrivée au pouvoir en 1996 du premier régime taliban en Afghanistan, avec lequel le Tadjikistan partage plus de 1 000 kilomètres de frontière, qui a précipité la résolution du conflit dans le but d’éviter un effet domino de l’islamisme sunnite en Asie centrale.</p>
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<p><a href="https://www.liberation.fr/planete/1997/06/28/paix-au-tadjikistan-cette-fois-l-accord-parait-viable_208469/">L’accord de paix signé en juin 1997</a> après une médiation active de la Russie et de l’Iran stipulait la création d’un gouvernement d’union nationale entre les ex-communistes au pouvoir, autour de la figure de l’actuel président Emomali Rahmon, et l’opposition dominée par le Parti de la Renaissance Islamique du Tadjikistan (PRIT), qui contrôlait 30 % du territoire. Ce partage du pouvoir a permis l’avènement au Tadjikistan d’un islam politique, expérience unique à ce jour en Asie centrale.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/585007/original/file-20240328-20-b14zqd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/585007/original/file-20240328-20-b14zqd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/585007/original/file-20240328-20-b14zqd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/585007/original/file-20240328-20-b14zqd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/585007/original/file-20240328-20-b14zqd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/585007/original/file-20240328-20-b14zqd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/585007/original/file-20240328-20-b14zqd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Fête de l’Aïd à Khoudjand, Tadjikistan.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Hélène Thibault</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Mais au cours des années 2000, la <a href="https://cacianalyst.org/publications/analytical-articles/item/13279-violence-in-tajikistan-emerges-from-within-the-state.html">consolidation autoritaire du régime</a> s’est traduite par une marginalisation progressive de l’opposition islamique au fil d’élections contrôlées par le pouvoir. Le glas de cet islam politique tadjik a sonné en 2015 lorsque, fort du soutien international dans la lutte contre l’islamisme, le <a href="https://globalfreedomofexpression.columbia.edu/cases/case-islamic-renaissance-party-tajikistan/">gouvernement a classé le PRIT organisation terroriste</a> et interdit la création de partis politiques à base religieuse. Les représentants de cette mouvance se retrouvèrent en exil ou dans les geôles du pays, et les Tadjiks favorables à une revalorisation de l’islam se retrouvaient désormais orphelins.</p>
<p>Le gouvernement leur offrait seulement la perspective d’un État séculier (article 1<sup>er</sup> de la <a href="https://www.refworld.org/legal/legislation/natlegbod/1994/en/32040">Constitution de 1994</a>) avec une surveillance stricte du culte. Dans une société de culture musulmane, l’interdiction du port de la barbe ou du hidjab dans l’espace public pouvait être perçue par une partie de la population comme une <a href="https://www.state.gov/reports/2022-report-on-international-religious-freedom/tajikistan/">violation de la liberté de conscience</a> et générer un profond ressentiment à l’égard du régime.</p>
<h2>L’État islamique, un exutoire idéologique pour une minorité de Tadjiks</h2>
<p>En l’absence de perspective au sein d’un Tadjikistan de plus en plus répressif vis-à-vis des pratiques non officielles de l’islam, l’avènement en 2013 de l’État islamique en Irak et au Levant (EI) est apparu comme une alternative pour les Tadjiks en quête d’une société conforme aux préceptes de l’islam. Mais les <a href="https://www.rferl.org/a/foreign-fighters-syria-iraq-is-isis-isil-infographic/26584940.html">estimations des ralliements à l’EI</a> indiquent que les Tadjiks sont proportionnellement moins nombreux que bien des pays arabes et même européens, avec en 2015 un taux de combattants de l’EI par million d’habitants (24) situé entre celui du Danemark (27) et de la France (18).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/584998/original/file-20240328-18-sqf0j9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/584998/original/file-20240328-18-sqf0j9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/584998/original/file-20240328-18-sqf0j9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=479&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/584998/original/file-20240328-18-sqf0j9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=479&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/584998/original/file-20240328-18-sqf0j9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=479&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/584998/original/file-20240328-18-sqf0j9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=602&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/584998/original/file-20240328-18-sqf0j9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=602&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/584998/original/file-20240328-18-sqf0j9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=602&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Proportion de combattants au sein de l’État islamique par pays d’origine, 2015.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.rferl.org/a/foreign-fighters-syria-iraq-is-isis-isil-infographic/26584940.html">Radio Free Europe/Radio Liberty</a></span>
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<p>Deux facteurs vont accélérer les départs. La défection pour l’EI en mai 2015 du colonel Khalimov, chef des forces spéciales de police du Tadjikistan, et d’une partie de ses troupes fait l’effet d’une bombe pour le régime. Nommé ministre de la Guerre de l’EI, il joue un rôle central dans le <a href="https://www.orfonline.org/research/iskps-recruiting-strategies-and-vulnerabilities-in-central-asia">recrutement de volontaires en Asie centrale</a>.</p>
<p>La chute de l’EI en 2019 et son redéploiement en Afghanistan sous la forme de <a href="https://theconversation.com/quest-ce-que-letat-islamique-au-khorassan-qui-a-revendique-lattentat-de-laeroport-de-kaboul-166938">l’État islamique au Khorassan (EI-K)</a> rapprochent la mouvance islamiste de l’Asie centrale. Alors que la langue russe avait longtemps été privilégiée par l’EI pour diffuser à moindre coût sa propagande djihadiste auprès des musulmans de tout l’espace post-soviétique, désormais l’EI-K développe une stratégie de communication à destination des militants de la région, dans les deux langues les plus répandues, l’ouzbek et le tadjik. Bénéficiant d’algorithmes de traduction devenus très performants, la fondation Al-Azaim, organe de presse officiel de l’EI-K, dispose ainsi de services en plusieurs langues locales <a href="https://gnet-research.org/2023/03/03/the-islamic-movement-of-uzbekistans-enduring-influence-on-is-khurasan/">qui lui permettent de cibler le Tadjikistan, et plus généralement l’Asie centrale</a>, pour le recrutement des combattants, la collecte de fonds auprès des militants et la dénonciation des régimes « impies ».</p>
<p>Si les Tadjiks sont restés minoritaires au sein des troupes de l’EI et de l’EI-K, ils conservent un rôle important dans les instances et les opérations extérieures de l’organisation. Rien d’étonnant donc que leur ethnonyme soit associé ces derniers mois aux actions de l’EI-K : en décembre 2023, la <a href="https://www.lefigaro.fr/international/cologne-prolongation-de-la-garde-a-vue-de-deux-suspects-pour-un-projet-d-attentat-visant-la-cathedrale-20240101">tentative d’attentat</a> contre la cathédrale de Cologne ; en janvier 2024, les <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2024/01/04/iran-l-organisation-etat-islamique-revendique-l-attentat-qui-a-fait-84-morts-a-kerman_6209072_3210.html">deux attaques terroristes</a> de Kerman en Iran, et la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2024/01/29/l-etat-islamique-revendique-l-attaque-dans-une-eglise-d-istanbul_6213635_3210.html">fusillade</a> contre une église d’Istanbul. L’attentat du Crocus Hall du 22 mars se produit donc dans la continuité de ces attaques, mais il n’est pas le premier commis par cette mouvance en Russie. Le 7 mars, le FSB avait déjà déjoué une tentative d’attentat contre une synagogue de la région de Moscou, tuant 2 ressortissants kazakhs <a href="https://www.rferl.org/a/kazakhstan-confirms-two-citizens-killed-russia/32855177.html">accusés d’appartenir à l’EI-K</a>.</p>
<p>Pour autant, il serait hâtif d’en conclure que le Tadjikistan est le <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2024/03/27/attentat-de-moscou-le-tadjikistan-pays-d-asie-centrale-le-plus-permeable-aux-infiltrations-de-l-ei_6224430_3210.html">ventre mou de l’Asie centrale</a>, par où s’infiltreraient les djihadistes. Le profil des assaillants présumés du Crocus Hall montre qu’il s’agit de travailleurs migrants installés en Russie depuis un certain temps, et non pas d’individus arrivés de fraîche date dans le but de commettre un attentat.</p>
<h2>Les travailleurs migrants, une cible privilégiée de l’EI-K</h2>
<p>Selon les <a href="https://nsk.rbc.ru/nsk/24/08/2023/64e6c63a9a79471c6e4adea5">données officielles de 2023</a>, il y aurait en Russie 1,3 million de migrants tadjiks parmi plus de 5 millions de ressortissants étrangers. Il faut ajouter à cela 600 000 Tadjiks ayant obtenu la citoyenneté russe, en vertu d’un accord de double citoyenneté entre la Russie et le Tadjikistan, un cas unique dans l’espace post-soviétique. Au total donc, ce sont près de deux millions de Tadjiks qui travaillent en Russie de manière permanente ou saisonnière, soit le tiers de la population active du pays, et plus de la moitié des hommes adultes, sachant que la migration de travail des Tadjiks est essentiellement masculine.</p>
<p>Ce flux migratoire place le Tadjikistan et la Russie dans une relation d’interdépendance : pour le premier, la Russie représente un déversoir démographique indispensable pour tempérer les revendications économiques et sociales de la population, mais également une source considérable de revenus. À l’exception des années Covid, les transferts des migrants représentent le <a href="https://asiaplustj.info/en/news/tajikistan/economic/20221202/tajikistan-likely-received-record-high-amounts-of-remittances-from-russia-in-2022-says-word-bank-report">tiers du PIB du Tadjikistan</a>. Quant à la Russie, dont le déclin démographique est notoire, l’immigration fournit depuis le milieu des années 2000 une main-d’œuvre essentielle à l’économie rentière et aux services. L’invasion de l’Ukraine en 2022 et l’envoi au front de centaines de milliers d’hommes issus pour la plupart des classes les plus défavorisées ont rendu plus précieuse encore cette force de travail non qualifiée.</p>
<p>Comment comprendre dès lors que ces migrants tadjiks, arrivés en Russie pour des raisons avant tout économiques, décident soudainement de s’engager dans une entreprise terroriste ? Tout simplement parce que leur radicalisation n’est pas liée à leur pays d’origine ou à leur identité ethnique, mais plutôt à leur expérience migratoire. À l’heure où les réseaux djihadistes opèrent selon des logiques transnationales, il est plus utile d’observer les modalités de socialisation des migrants en Russie même, et non pas dans leur village d’origine, où le régime laïciste liberticide empêche toute expression de défiance à l’égard de l’islam officiel.</p>
<p>Pour les travailleurs isolés – ceux partis seuls en migration –, la mosquée est bien souvent leur unique espace de sociabilité, en dehors du lieu de travail et du logement collectif. Et c’est précisément au contact de leurs coreligionnaires de Russie, notamment les Tatars et les Tchétchènes, que ces migrants découvrent une religiosité décomplexée. Ils peuvent ainsi explorer une identité musulmane longtemps brimée dans leur pays d’origine, développer des réseaux et acquérir des ressources nécessaires à leur <a href="https://www.ifri.org/fr/publications/etudes-de-lifri/russieeurasiereports/islam-politique-societe-ouzbekistan-enquete">renaissance islamique</a>. Être musulman, c’est appartenir à un réseau de solidarité religieuse.</p>
<p>Une solidarité d’autant plus chère aux migrants qu’ils se retrouvent éloignés du noyau familial qui constitue au Tadjikistan un socle fédérateur solide, sont marginalisés au sein d’une société russe qui les considère au mieux comme des <em>gastarbeiter</em> au pire des <em>tchiorny</em> (« noirs »), vivent reclus dans des quartiers pauvres et périphériques, et sont souvent privés d’un réseau social protecteur. C’est bien en jouant sur la fibre solidaire, sur le sentiment d’identité collective et de justice sociale que les recruteurs islamistes parviennent à convertir les travailleurs migrants en <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/09596410.2022.2049110"><em>born-again</em> radicalisés</a>.</p>
<p>Ce n’est donc pas en Asie centrale mais bien en Russie qu’il faut chercher les fondements de la radicalisation des migrants tadjiks, à travers les réseaux religieux qui ont pignon sur rue, les relations de dépendance entre le pouvoir politique et la religion, et les <a href="https://obsreligion.cnrs.fr/bulletin/les-effets-paradoxaux-de-linstrumentalisation-de-lislam-en-tchetchenie/">effets paradoxaux de l’instrumentalisation de l’islam</a>.</p>
<p>En attendant, l’identité ethnique des quatre assaillants présumés du Crocus Hall a stigmatisé l’ensemble de la communauté tadjike et déclenché une <a href="https://eurasianet.org/tajik-diaspora-in-russia-living-in-terror-following-crocus-city-massacre">vague sans précédent d’actes racistes</a> à l’encontre des migrants : insultes, menaces, harcèlement accru de la part des forces de l’ordre. Au point que le ministère des Affaires étrangères du Kirghizstan <a href="https://rus.azattyk.org/a/32876343.html">a recommandé</a> de suspendre tout déplacement en Russie.</p>
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<p>À l’instar de tous les pays du monde, les dirigeants d’Asie centrale ont condamné l’attaque terroriste, le président Rahmon déclarant même à son homologue russe : <a href="https://www.themoscowtimes.com/2024/03/24/terrorists-have-no-nationality-tajik-president-tells-putin-a84602">« les terroristes n’ont pas de nationalité »</a>. Mais aucun n’a exprimé à ce jour la moindre inquiétude pour la sécurité de ses ressortissants, pas plus qu’au cours des derniers mois alors même que les <a href="https://www.rferl.org/a/russia-migrants-raids-attacks-pressure-fight-ukraine/32703657.html">raids de la police russe</a> se multipliaient pour enrôler les migrants sur le front ukrainien.</p>
<p>Outre les intimidations, chantages et autres duperies pour forcer les travailleurs migrants à s’engager « volontairement » dans l’armée, ces contrôles massifs et souvent violents visent à <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/10/27/a-moscou-la-chasse-aux-migrants-pour-garnir-les-rangs-de-l-armee_6196764_3210.html">trier sur le volet ceux qui ont disposent de la citoyenneté russe</a> pour les rappeler à leur devoir militaire.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1583748470560563200"}"></div></p>
<p>De toute évidence, la perspective de l’enrôlement forcé des migrants dans une guerre dénuée de sens a accentué depuis 2022 leurs griefs à l’égard des autorités russes et, par voie de conséquence, l’adhésion de certains d’entre eux au discours plus séduisant d’un combat pour la justice divine. Si l’attentat du Crocus Hall est lié à la guerre en Ukraine, comme l’affirme le Kremlin, ses racines ne sont à chercher en priorité ni à Kiev, ni à Douchanbé, mais avant tout en Russie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/226837/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olivier Ferrando est administrateur de l'organisation non-gouvernementale ACTED.</span></em></p>Le Tadjikistan compte deux millions de migrants travaillant actuellement en Russie. C’est parmi eux qu’ont été, semble-t-il, recrutés les auteurs du massacre de Moscou.Olivier Ferrando, Enseignant-chercheur à l'Université catholique de Lyon, spécialiste des sociétés d'Asie centrale, Université catholique de Lyon (UCLy)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2249802024-03-18T15:34:22Z2024-03-18T15:34:22ZDissuader les candidats à la migration : pourquoi les campagnes de l’UE sont un échec<p>En septembre 2023, en réponse à l’arrivée de près de <a href="https://actu.fr/societe/migrants-a-lampedusa-retour-jour-par-jour-sur-la-crise-qui-touche-l-italie-et-l-europe_60104385.html">10 000 migrants sur l’île de Lampedusa</a>, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a présenté un <a href="https://france.representation.ec.europa.eu/informations/un-plan-en-10-points-pour-lampedusa-2023-09-18_fr">catalogue de dix mesures immédiates</a>. On y trouve notamment un appel à « augmenter le nombre des campagnes de sensibilisation et de communication afin de décourager les traversées de la Méditerranée », ainsi qu’à « intensifier la coopération avec le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) ».</p>
<p>Cet épisode rappelle la place centrale des campagnes d’information et de dissuasion de l’immigration irrégulière dans les politiques européennes, ainsi que le recours aux organisations internationales pour leur mise en œuvre.</p>
<p>En 2022, le HCR lance dans plusieurs pays africains la campagne <a href="https://www.tellingtherealstory.org/en/">« Telling the Real Story »</a>, qui veut « raconter la véritable histoire », en insistant sur les terribles épreuves qui attendent les candidats à l’émigration irrégulière, comme le trafic et la traite d’êtres humains.</p>
<p>Quant à l’OIM, cela fait trois décennies qu’elle organise de <a href="http://www.reseau-terra.eu/article944.html">telles campagnes</a>, à l’instar de <a href="https://www.migrantsasmessengers.org/">« Migrants as Messengers »</a>, qui fait d’anciens migrants des « messagers » en leur donnant la parole afin qu’ils dissuadent les jeunes tentés de partir.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/dN8LI2iVEwQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« Telling the Real Story », un vidéo visant à dissuader les candidats à l’émigration.</span></figcaption>
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<p>L’argumentaire est toujours le même : les candidats à l’émigration en Afrique sont ignorants des risques et il faut donc les informer afin qu’ils prennent la bonne décision, à savoir rester chez eux ou migrer uniquement s’ils en ont le droit ; à cela s’ajoutent des messages sur les opportunités dans le pays d’origine et le devoir de contribuer au développement de l’Afrique.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/sauvetage-des-migrants-naufrages-en-mediterranee-comment-la-politique-de-lue-doit-evoluer-222453">Sauvetage des migrants-naufragés en Méditerranée : comment la politique de l’UE doit évoluer</a>
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<h2>Des centaines de campagnes</h2>
<p>D’après un <a href="https://www.bridges-migration.eu/wp-content/uploads/2022/02/EU-funded-information-campaigns-targeting-potential-migrants.pdf">rapport</a> du <a href="https://www.bridges-migration.eu/">programme européen de recherche Bridges</a>, l’UE a dépensé plus de 23 millions d’euros depuis 2015 pour organiser près de 130 campagnes.</p>
<p>Si l’Europe est à la pointe, elle n’est pas la seule. L’Australie s’est illustrée par des <a href="https://www.theguardian.com/world/2014/feb/11/government-launches-new-graphic-campaign-to-deter-asylum-seekers">messages particulièrement mordants</a>, avec des <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/asie/no-way-la-campagne-sans-concessions-de-l-australie-contre-les-migrants-clandestins_720529.html">campagnes</a> qui s’adressent aux personnes tentées par l’immigration irrégulière en leur disant « NO WAY. You will not make Australia home » (« IMPOSSIBLE. Vous ne ferez pas de l’Australie votre pays »). Cette stratégie a d’ailleurs suscité l’enthousiasme de <a href="https://www.dailymail.co.uk/news/article-7186189/Trump-praises-Aust-asylum-seeker-policy.html">Donald Trump</a>, alors Président des États-Unis.</p>
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<p>Outre l’OIM et le HCR, ces campagnes sont aussi organisées par des entreprises privées, comme <a href="https://seefar.org/">Seefar</a> qui proposent des services de <a href="https://seefar.org/services/strategic-communications/">« communication stratégique »</a>, et par des ONG, comme l’association espagnole Proactiva Open Arms, qui en plus de ses activités de sauvetage en Méditerranée organise des <a href="https://blogs.law.ox.ac.uk/research-subject-groups/centre-criminology/centreborder-criminologies/blog/2020/04/ngos-dilemma">campagnes de sensibilisation au Sénégal</a>.</p>
<p>Cependant, toutes ces initiatives et tous ces acteurs sont confrontés à un problème de taille : personne n’est en mesure de démontrer l’efficacité de ces campagnes. Et on ne sait presque rien de leur influence sur la décision de migrer.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-sauvetage-en-mer-au-defi-de-la-securisation-des-frontieres-le-cas-de-la-manche-170238">Le sauvetage en mer au défi de la sécurisation des frontières : le cas de la Manche</a>
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<h2>Une efficacité difficile à évaluer</h2>
<p>À mesure qu’augmentent les budgets qui leur sont consacrés, certaines études ont cependant commencé à se pencher sérieusement sur l’impact des campagnes.</p>
<p>En 2018, une <a href="https://publications.iom.int/system/files/pdf/evaluating_the_impact.pdf">étude de l’OIM</a> soulignait que les campagnes sont difficiles à évaluer car elles ont un double objectif : fournir de l’information, mais aussi réduire l’immigration irrégulière.</p>
<p>Il arrive que seul un des deux objectifs soit atteint : en 2023, une <a href="https://publications.iom.int/books/irregular-migration-west-africa-robust-evaluation-peer-peer-awareness-raising-activities-four">étude</a> consacrée à « Migrants as Messengers » montre que cette campagne a bien accru le niveau d’information, mais qu’elle n’a pas réduit les départs.</p>
<p>Mais alors qu’elle organise de telles campagnes depuis 30 ans, l’OIM n’a effectué que de rares et tardives études d’impact : il est en effet coûteux de mesurer sérieusement leur efficacité et il apparaît que les États européens préfèrent multiplier les campagnes plutôt que financer des évaluations.</p>
<p>Du côté de la recherche indépendante, une <a href="https://www.udi.no/globalassets/global/forskning-fou_i/rapport_11_19_web.pdf">étude de l’Institute for Social Research d’Oslo</a> en 2019 a porté sur des migrants d’Érythrée, de Somalie et d’Éthiopie, en transit au Soudan avec l’intention de continuer vers l’Europe.</p>
<p>Il s’agissait d’évaluer une campagne lancée en 2015 par la Norvège, intitulée <a href="https://www.sciencenorway.no/forskningno-immigration-policy-norway/social-media-campaign-for-asylum-seekers-draws-angry-trolls/1448896">« Stricter asylum regulations in Norway »</a>, qui avait recours à Facebook pour informer les migrants potentiels des faibles chances d’obtenir l’asile dans ce pays. Comme pour n’importe quelle publicité, l’algorithme de Facebook devait permettre d’identifier les internautes qui effectuent des recherches sur l’immigration, l’Europe ou les visas, et de leur proposer des messages de dissuasion ciblés.</p>
<p>L’étude a confirmé que les migrants sont connectés et qu’ils utilisent les réseaux sociaux pour s’informer et organiser leur migration. Mais s’ils ont parfois entendu parler des campagnes européennes, la plupart ne les ont pas vues. Invités à les visionner, ils dirent ne rien apprendre : ils sont au courant des terribles conditions de vie des migrants en Libye, par exemple, mais sans que cela ne les dissuade de partir pour échapper à l’impasse de leur situation.</p>
<h2>Des migrants expulsés d’Europe appelés à témoigner</h2>
<p>En 2023, une <a href="https://www.bridges-migration.eu/publications/why-information-campaigns-struggle-to-dissuade-migrants-from-coming-to-europe/">équipe de la Vrije Universiteit Brussel</a> a analysé l’information dont disposent les jeunes tentés par l’émigration en Gambie, et la manière dont les campagnes affectent leur décision de partir. Comme au Soudan, les informations sur les risques de l’immigration irrégulière correspondent à ce que ces jeunes savent déjà. Mais faute de perspectives au pays, ils partiront quand même, en toute connaissance de cause.</p>
<p>Une autre étude menée <a href="https://www.bridges-migration.eu/publications/a-comparative-study-on-the-role-of-narratives-in-migratory-decision-making/">auprès d’Afghans en transit en Turquie</a> a débouché sur des conclusions similaires.</p>
<p>Or, ces travaux ont aussi révélé un autre problème : les destinataires de ces campagnes ne les prennent pas au sérieux car ils les estiment biaisées par les objectifs politiques de l’Europe ; et ils préfèrent donc s’informer auprès de proches, ou même de passeurs.</p>
<p>Ce résultat a motivé de nouvelles stratégies. À l’instar de « Migrants as Messengers », les campagnes dites <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/08865655.2022.2108111">« peer to peer »</a> (« de pair-à-pair ») prévoient que des migrants expulsés d’Europe parlent de leur expérience à <a href="https://jaspertjaden.com/policy/2019_migrants-as-messengers_the-impact-of-peer-to-peer-communication-on-potential-migrants-in-senegal/">ceux qui seraient tentés de les imiter</a>. Cela s’inscrit dans une technique dite de <a href="https://repository.law.umich.edu/articles/2611/">« unbranding »</a>, un concept issu du marketing qui désigne l’omission de la marque sur un produit afin de mieux le vendre : dans le cas des campagnes, cela revient à dissimuler les institutions européennes et internationales <a href="https://migrantprotection.iom.int/en/spotlight/articles/initiative/constantly-evolving-awareness-raising-campaign-aware-migrants">qui les financent</a>.</p>
<p>Une autre stratégie consiste à ne pas cibler les migrants potentiels, mais les acteurs locaux qui influencent les perceptions des migrations, à commencer par les médias ou les artistes. L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) travaille ainsi avec des <a href="https://theconversation.com/quand-la-lutte-contre-limmigration-irreguliere-devient-une-question-de-culture-112200">musiciens populaires auprès des jeunes Africains</a>, ainsi qu’avec des journalistes.</p>
<p>De même, <a href="https://www.unesco.org/fr/articles/un-forum-dechanges-avec-des-journalistes-et-managers-de-medias-pour-une-narrative-diversifiee-et-de">l’Unesco</a> (Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture) forme des journalistes sénégalais à parler d’une manière qu’elle qualifie de « diversifiée » des migrations.</p>
<h2>Quel rôle pour les journalistes ?</h2>
<p>Dans un contexte de précarité des professionnels des médias et de la culture, le soutien des organisations internationales est bienvenu, mais pose la question de la liberté d’expression et de la liberté de la presse sur ce sujet politiquement sensible.</p>
<p>Au Maroc, le <a href="https://www.facebook.com/RMJMigrations/">Réseau des Journalistes marocains sur les migrations</a> s’est constitué pour traiter des migrations de manière indépendante ; ce qui n’empêche pas ces journalistes de participer à des activités de formation organisées par des organisations internationales, soutenues par des financements européens.</p>
<p>En Gambie, une <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/08865655.2022.2156375">étude récente</a> a mis en évidence les dilemmes des journalistes locaux qui sont invités à diffuser des messages sur les dangers de l’immigration tout en essayant de conserver leur indépendance.</p>
<p>Aux yeux de leurs défenseurs, ces campagnes se justifient car les migrants qui meurent en Méditerranée seraient victimes des informations fallacieuses des passeurs. Informer permettrait alors de sauver des vies. Mais aucune étude ne vient étayer cette hypothèse : au contraire, il apparaît que les migrants partent en connaissant les risques auxquels ils s’exposent.</p>
<p>Face à cette réalité inconfortable, il est possible que les campagnes d’information ne servent qu’à donner aux responsables européens le sentiment qu’ils agissent pour prévenir les tragédies qui découlent de leurs propres politiques. Après tout, c’est en partie <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1465116516633299">faute de possibilités de migrer</a> légalement que beaucoup de migrants tentent leur chance de façon irrégulière, avec tous les risques que cela implique.</p>
<p>La rareté des évaluations disponibles atteste que l’efficacité des campagnes n’est pas la priorité des États européens. Cet outil de politique migratoire aurait donc une valeur avant tout symbolique – comme preuve que l’Europe se préoccupe du sort des nombreuses personnes qu’elle ne veut pas accueillir sur son sol.</p>
<p>Mais cette stratégie politique n’en a pas moins des effets bien réels sur les acteurs locaux, et sur la capacité des sociétés du Sud à débattre de façon autonome des enjeux politiques majeurs que soulèvent les migrations internationales.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224980/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mélodie Beaujeu est membre de Désinfox-Migrations. Elle a reçu des financements de la fondation Porticus et de la fondation de France pour l'association Désinfox-Migrations. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Antoine Pécoud ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’argumentaire est toujours le même : les Africains sont ignorants des risques et il faut donc les informer afin qu’ils prennent la bonne décision, à savoir rester chez eux.Antoine Pécoud, Professeur de sociologie, Université Sorbonne Paris NordMélodie Beaujeu, Consultante et chercheuse, affiliée à l'Institut Convergences Migrations, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2224532024-02-08T16:57:47Z2024-02-08T16:57:47ZSauvetage des migrants-naufragés en Méditerranée : comment la politique de l’UE doit évoluer<p>Des voix <a href="https://defishumanitaires.com/2023/06/27/en-panne-ou-a-sec-une-discussion-necessaire-sur-le-deficit-de-financement-de-laide-humanitaire/">s’élèvent de toutes parts</a> pour alerter sur les limites financières et politiques auxquelles se heurte désormais l’aide humanitaire internationale dans sa capacité de déploiement.</p>
<p>Les fonds gouvernementaux, qui représentent 80 % des ressources annuelles de cette aide humanitaire internationale, traduisent des choix directement liés aux priorités politiques des pays donateurs. La situation des secours à l’égard des migrants naufragés en Méditerranée illustre de façon caricaturale les logiques d’une « compassion à géométrie variable », alors que c’est dans cette mer que l’on dénombre désormais le plus de décès sur le chemin de la migration. De 2014 à janvier 2024, le nombre de morts est ainsi estimé à <a href="https://missingmigrants.iom.int/fr/region/mediterranee">presque 29 000 personnes</a>.</p>
<h2>Une obligation morale et juridique</h2>
<p>On ne peut que regretter qu’il ne soit fait aucune mention explicite de la question du sauvetage des naufragés dans la toute récente publication de la <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/strategie-humanitaire-fr_cle8c1cde.pdf">stratégie humanitaire du gouvernement français pour sa programmation 2023-2027</a>. Il n’est toutefois pas trop tard.</p>
<p>Rappelons notamment que la France affirme dans cette stratégie qu’elle « défendra l’action humanitaire comme priorité européenne » (point 4.1.b du plan), et qu’elle portera une attention particulière aux femmes et aux enfants, populations particulièrement fragiles parmi les migrants, a fortiori parmi ceux qui tentent la traversée (points 2.4 et 2.5 du plan). 14 % de l’ensemble des personnes arrivées en Italie en 2016 après avoir traversé la Méditerranée étaient des enfants non accompagnés. Entre 2014 et 2020, <a href="https://www.migrationdataportal.org/fr/themes/child-and-young-migrants">au moins 2 300 enfants sont morts ou ont disparu au cours de leur voyage migratoire</a>. Les femmes représentent 20 % des arrivées maritimes en Europe, avec une <a href="https://journals.openedition.org/lhomme/43037">moindre chance de survivre à la traversée que les hommes</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/572486/original/file-20240131-15-g07hqb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/572486/original/file-20240131-15-g07hqb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/572486/original/file-20240131-15-g07hqb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=378&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/572486/original/file-20240131-15-g07hqb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=378&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/572486/original/file-20240131-15-g07hqb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=378&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/572486/original/file-20240131-15-g07hqb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=475&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/572486/original/file-20240131-15-g07hqb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=475&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/572486/original/file-20240131-15-g07hqb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=475&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Nombre de décès le long des routes migratoires du 1ᵉʳ janvier 2014 au 27 janvier 2024. Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://missingmigrants.iom.int/data">Organisation internationale pour les Migrations (OIM)</a></span>
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<p>Il est un aspect des questions migratoires qui ne se prête pas à de rudes et parfois manichéennes controverses politiques : c’est le devoir de recherche et d’assistance aux naufragés. Car cette obligation relève d’un cadre juridique qui ne fait pas débat, que ce soit au regard du <a href="https://www.imo.org/fr/ourwork/legal/pages/unitednationsconventiononthelawofthesea.aspx">droit de la mer</a> ou du point de vue du <a href="https://www.unhcr.org/fr/media/convention-et-protocole-relatifs-au-statut-des-refugies">droit international humanitaire</a>.</p>
<p>Dès lors, comme <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/12/15/aucune-disposition-en-matiere-de-lutte-contre-l-immigration-illegale-ne-saurait-justifier-un-renoncement-aux-obligations-du-droit-international_6206048_3232.html">l’a réaffirmé la Commission nationale consultative des droits de l’homme</a> (CNCDH), l’inertie des gouvernements des États membres de l’UE – sous couvert de lutte anti-migration – devant les drames récurrents est intolérable aux plans moral, légal et politique.</p>
<p>Certaines agences des Nations unies se sont, elles aussi, exprimées publiquement en 2023 pour dénoncer la situation qui prévaut en Méditerranée. Dans une prise de parole commune, l’OIM, le HCR et l’UNICEF ont <a href="https://news.un.org/fr/story/2023/08/1137522">publiquement appelé les États à « prendre leurs responsabilités »</a>.</p>
<h2>L’abandon du dispositif Mare Nostrum, témoin du défaut de solidarité des pays européens</h2>
<p><a href="https://www.cairn.info/revue-multitudes-2014-1-page-20.htm">Le naufrage survenu le 3 octobre 2013 à Lampedusa</a>, qui a coûté la vie à 366 migrants, provoqua une profonde émotion en Italie. Enrico Letta, alors président du Conseil, déclencha une opération militaro-humanitaire baptisée <a href="https://www.la-croix.com/Actualite/Europe/L-Italie-lance-la-mission-Mare-Nostrum-2013-10-16-1043279">Mare Nostrum</a>, destinée à la fois à secourir les migrants naufragés et à dissuader les passeurs.</p>
<p>Ce dispositif, souvent salué pour son efficacité et son humanité, a eu une durée de vie éphémère.</p>
<p>Le coût du déploiement militaire était élevé, estimé à environ 9 millions d’euros par mois. Il fut presque entièrement supporté par l’Italie, l’UE n’ayant accordé qu’une aide minime, dont Rome demandait avec constance l’augmentation.</p>
<p>Outre son coût, cette opération fut aussi critiquée car elle aurait eu, selon ses détracteurs, l’effet inverse de celui recherché dans la mesure où elle aurait facilité le passage de clandestins. En effet, certains passeurs se contentaient d’acheminer leurs passagers dans les eaux italiennes à l’aide d’un navire mère, avant de les abandonner à bord de petites embarcations, récupérées ensuite par les navires italiens opérant dans le cadre de Mare Nostrum.</p>
<p>Pour ces raisons, de nombreuses personnalités en Italie demandèrent l’arrêt de l’opération. Ce fut notamment le cas du ministre de l’Intérieur Angelino Alfano. Il annonça finalement le 27 août 2014 que cette opération serait remplacée par « Frontex Plus », un programme de contrôle des frontières géré et financé par l’UE.</p>
<p>Mare Nostrum prit donc fin le 1<sup>er</sup> novembre 2014. En remplacement, Frontex mettra en place <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/eu-migration-policy/saving-lives-sea/">l’opération Triton</a>, bien moins ambitieuse, qui se contentera de patrouiller dans les eaux territoriales italiennes, n’ayant ni mandat ni équipement pour procéder à des opérations de recherche et sauvetage en haute mer.</p>
<p>L’abandon de Mare Nostrum traduisit ainsi une triple défaillance de l’UE : l’absence de solidarité entre les pays membres, en particulier dans leur soutien à l’Italie ; une incapacité à mesurer la détermination de personnes voulant à tout prix échapper à la violence de leur pays d’origine ; et une myopie collective sur les risques encourus par les migrants lors de traversées sauvages.</p>
<p>Ce repli est d’autant plus inacceptable que l’UE est par ailleurs <a href="https://devinit.org/resources/global-humanitarian-assistance-report-2023/">l’un des contributeurs majeurs à l’enveloppe annuelle consacrée à l’aide internationale d’urgence</a>.</p>
<h2>Le problème de la zone de recherche et de sauvetage libyenne</h2>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/572487/original/file-20240131-23-jextzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/572487/original/file-20240131-23-jextzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/572487/original/file-20240131-23-jextzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=291&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/572487/original/file-20240131-23-jextzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=291&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/572487/original/file-20240131-23-jextzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=291&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/572487/original/file-20240131-23-jextzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=365&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/572487/original/file-20240131-23-jextzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=365&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/572487/original/file-20240131-23-jextzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=365&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le découpage de la Méditerranée en zones de recherche et de sauvetage (Search and Rescue, SAR).</span>
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<p>Une zone SAR (« Search and rescue ») est un espace maritime aux dimensions définies, où un État côtier assure des services de recherche et de sauvetage, à commencer par la coordination des opérations. Une zone SAR s’étend à la fois sur les eaux territoriales et internationales ; ce n’est pas une zone où l’État jouit d’une autorité ou de droits étendus, mais plutôt un espace de responsabilité.</p>
<p>Au sein de sa zone SAR, l’État côtier doit <a href="https://sosmediterranee.fr/sauvetage-en-mediterranee/">assurer la prise en charge et la coordination des secours en mer, et trouver un lieu sûr où débarquer les rescapés</a>. Un « lieu sûr » se définit comme une destination où les naufragés verront assurés leurs besoins vitaux fondamentaux (abri, nourriture, eau, accès aux soins…) ; où ils seront en sécurité ; et où ils pourront bénéficier d’un examen de leurs droits en vue d’une éventuelle demande d’asile.</p>
<p>La zone SAR libyenne, principal théâtre d’intervention des navires de sauvetage, a été créée en 2018. Depuis, elle concentre des dysfonctionnements et des violences passés sous silence par l’UE qui finance le dispositif mis en place dans ce pays.</p>
<p>Jusqu’à 2018, la Libye n’avait pas déclaré de zone SAR au large de ses eaux territoriales, faute d’une flotte suffisante et, surtout, d’un « centre de coordination » fiable, capable de communiquer avec la haute mer. Pour éviter un « triangle des Bermudes » des secours, l’Italie avait alors élargi de fait – sinon en droit – son champ d’activité. Le 28 juin 2018, Tripoli a soudainement <a href="https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2020-1-page-29.htm">déclaré</a> auprès de l’Organisation internationale pour les Migrations (OIM) sa zone « SAR » et son « Centre de coordination et de secours maritime » (Maritime Rescue Coordination Center, MRCC), officialisés du jour au lendemain. Les Italiens ont alors passé le relais aux Libyens.</p>
<p>Cette évolution résulte d’un vaste programme européen de soutien à la Libye datant de 2017, doté de 46 millions d’euros, qui visait tout à la fois à renforcer les frontières de l’Union, à lutter contre l’immigration illégale et à améliorer les opérations de sauvetage en mer. Ce plan prévoyait des moyens financiers de 6 millions d’euros par an, sur plusieurs années, pour aider Tripoli à créer sa propre SAR et son Centre de coordination. À ce budget étaient adjoints 1,8 million d’euros, <a href="https://www.mediapart.fr/journal/international/111018/migrants-le-hold-de-la-libye-sur-les-sauvetages-en-mer">via le Fonds pour la sécurité intérieure de l’Union</a>, sans que l’on connaisse précisément le contenu des demandes faites aux autorités libyennes pour qu’elles jouent ce rôle.</p>
<p>Malgré les <a href="https://fr.africanews.com/2023/07/11/libye-des-ong-denoncent-des-tirs-de-garde-cotes-lors-dun-sauvetage//">dénonciations récurrentes par les ONG</a> du comportement des garde-côtes libyens, l’UE <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/infographics/eu-action-migration-libya/">se félicite des résultats obtenus</a>.</p>
<p>On assiste donc en Méditerranée à la mise en place d’une stratégie de « défaussement » de l’entité qui se revendique comme la plus grande démocratie mondiale, au profit d’autorités libyennes aux comportements obscurs et violents, et – par transfert de mandat – d’ONG. Ces organisations sont pourtant régulièrement soumises par les autorités des pays riverains de la Méditerranée à des stratégies délibérées de harcèlement et d’empêchement à agir, sous le regard indifférents de l’UE.</p>
<h2>La stupéfiante stratégie européenne : ne pas aider, et entraver ceux qui aident</h2>
<p>« Primum non nocere » (tout d’abord, ne pas nuire) : cette formule – familière pour les professionnels de santé – ne semble pas inspirer la politique européenne, bien au contraire.</p>
<p>L’UE, malgré sa puissance économique et financière, se refuse à toute implication financière dans son soutien aux ONG œuvrant au large de ses côtes.</p>
<p>Elle cautionne les incessants et longs déplacements des bateaux et des rescapés pris en charge à leur bord pour leur permettre de débarquer dans des ports sûrs.</p>
<p>Ainsi, en décembre 2023, <em>l’Ocean Viking</em>, navire affrété par SOS Méditerranée, a <a href="https://sosmediterranee.fr/sauvetages/sauvetage-26-personnes/">secouru 26 personnes</a>. Pour le débarquement des rescapés, c’est le port lointain de Livourne qui a été assigné au navire. Ce port se trouvait à plus de 1 000 km (soit plusieurs jours de navigation) de la zone de secours des naufragés, alors qu’il y avait à cette période des besoins cruciaux de capacités de recherche et de sauvetage.</p>
<p>Ce scénario s’est renouvelé dès janvier 2024 : nouvelle désignation, pour le débarquement, de Livourne, à 1 100 km du point de prise en charge <a href="https://sosmediterranee.fr/sauvetages/recap-ocean-viking-71-personnes-livourne/">d’un groupe de 71 personnes</a> (dont 5 femmes et 16 mineurs non accompagnés). Il résulte de ces désignations obligatoires, dont le contournement expose les sauveteurs à des sanctions immédiates, à la fois l’incapacité du bateau à agir pendant plusieurs jours, et l’aggravation des dépenses en carburant que doit engager l’association (plus de 500 000 euros de surcoût en 2023).</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/572895/original/file-20240201-27-cxlsxz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/572895/original/file-20240201-27-cxlsxz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/572895/original/file-20240201-27-cxlsxz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=566&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/572895/original/file-20240201-27-cxlsxz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=566&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/572895/original/file-20240201-27-cxlsxz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=566&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/572895/original/file-20240201-27-cxlsxz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=711&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/572895/original/file-20240201-27-cxlsxz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=711&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/572895/original/file-20240201-27-cxlsxz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=711&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">« Port sûr » imposé au navire de SOS Méditerranée en décembre 2023, avec 26 personnes secourues à son bord.</span>
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<h2>La question cruciale de l’immobilisation récurrente des navires de sauvetage</h2>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/573090/original/file-20240202-27-rk6wh3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/573090/original/file-20240202-27-rk6wh3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/573090/original/file-20240202-27-rk6wh3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=369&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/573090/original/file-20240202-27-rk6wh3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=369&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/573090/original/file-20240202-27-rk6wh3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=369&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/573090/original/file-20240202-27-rk6wh3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=464&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/573090/original/file-20240202-27-rk6wh3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=464&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/573090/original/file-20240202-27-rk6wh3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=464&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Une photographie de la situation globale des navires de sauvetage à l’approche de l’été 2021 rend compte des paralysies répétées des moyens de secours. La quasi-totalité des navires <a href="https://www.vuesdeurope.eu/question/sur-les-10-navires-humanitaires-menant-des-operations-de-recherche-et-de-sauvetage-de-migrants-en-mediterranee-combien-etaient-immobilises-au-15-juin/">était ainsi immobilisée à la mi-juin 2021</a>. Le <em>Geo Barents</em>, affrété par l’ONG Médecins sans frontières depuis le 26 mai, était alors le seul bateau d’ONG opérationnel en Méditerranée centrale, avec l’<em>Aita Mari</em> du collectif espagnol Maydayterraneo.</p>
<p>Si certains navires furent retenus à quai pour effectuer une quarantaine ou des opérations de maintenance, la plupart ont été immobilisés par les autorités italiennes pour des raisons beaucoup plus opaques, notamment pour des « irrégularités de nature technique ».</p>
<p>Le <em>Sea-Eye 4</em> de l’ONG allemande Sea-Eye fut bloqué le 4 juin par les garde-côtes italiens pour « non-respect des règles de sécurité » après avoir effectué une quarantaine au port sicilien de Pozzallo. Il en alla de même pour l’<em>Open Arms</em> (Proactiva Open Arms), le <em>Louise Michel</em> (Banksy), le <em>Mare Jonio</em> (Mediterranea Saving Humans) ainsi que pour <em>Sea-Watch 3</em> et 4 (Sea-Watch) et l’<em>Alan Kurdi</em> (Sea-Eye), immobilisé par les autorités italiennes pendant près de six mois en Sardaigne.</p>
<p>Cette stratégie d’immobilisations et de rétentions de navires s’est renforcée à partir de début 2023.</p>
<p>La législation italienne a alors intégré les effets du <a href="https://www.vuesdeurope.eu/italie-un-nouveau-decret-entrave-les-operations-de-sauvetage-en-mer-des-ong/">décret-loi « Piantedosi »</a>, qui limite la capacité des navires de recherche et de sauvetage appartenant à des ONG à effectuer plusieurs opérations de secours consécutives. Tout écart, pour des motifs parfois aussi futiles que pernicieux, peut désormais conduire le navire et son équipage à une immobilisation forcée.</p>
<p><a href="https://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/le-gouvernement-italien-devrait-envisager-de-retirer-le-d%C3%A9cret-loi-qui-pourrait-entraver-les-op%C3%A9rations-de-recherche-et-de-sauvetage-en-mer-des-ong">L’interpellation du ministre italien</a> à l’origine du décret par la Commissaire aux droits de l’homme de Conseil de l’Europe, Dunja Mijatović, pour demander le retrait du décret, est pourtant restée sans effet.</p>
<h2>Les foucades climatiques de la Méditerranée : « les médicanes »</h2>
<p>Ainsi se déploient en toute impunité des situations de « non-assistance à personnes en danger » alors même que les tentatives de traversée se déroulent dans une mer connue pour ses brusques accès de colère. La montée en puissance de ces tempêtes est aujourd’hui connue sous le néologisme <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/qu-est-ce-que-le-medicane-ce-cyclone-de-type-mediterraneen-qui-a-ravage-la-libye_6059961.html">« médicane »</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/573092/original/file-20240202-27-xmm2so.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/573092/original/file-20240202-27-xmm2so.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/573092/original/file-20240202-27-xmm2so.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/573092/original/file-20240202-27-xmm2so.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/573092/original/file-20240202-27-xmm2so.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/573092/original/file-20240202-27-xmm2so.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/573092/original/file-20240202-27-xmm2so.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/573092/original/file-20240202-27-xmm2so.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Théodore Gudin, « Coup de vent du 7 janvier 1831 dans la rade d’Alger. »</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010055650">Musée national de la Marine, Paris</a></span>
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<p>On appelle Médicane (contraction de « Mediterranean Hurricane ») un système dépressionnaire orageux générant des vents forts en Méditerranée, et tourbillonnant autour d’un centre à cœur chaud. Ces tempêtes sont plus scientifiquement dénommées « cyclones subtropicaux Méditerranéens ». Même si leur taille et leur puissance sont nettement moins importantes que celles d’un véritable cyclone tropical (les vents y atteignent rarement les 150km/h, sauf dans les cas les plus extrêmes), elles possèdent <a href="https://www.meteo-paris.com/actualites/le-medicane-helios-provoque-d-importantes-intemperies-sur-la-sicile">certaines caractéristiques proches</a>.</p>
<p>Durant les sauvetages effectués en décembre 2023, <em>l’Ocean Viking</em> s’est non seulement vu attribuer un port de débarquement lointain, mais a aussi essuyé un refus, en chemin pour Livourne, quand il a demandé à pouvoir se mettre à l’abri dans un port protégé, alors que sévissait une tempête de force 8…</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/572835/original/file-20240201-27-zd4nwf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/572835/original/file-20240201-27-zd4nwf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/572835/original/file-20240201-27-zd4nwf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=320&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/572835/original/file-20240201-27-zd4nwf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=320&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/572835/original/file-20240201-27-zd4nwf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=320&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/572835/original/file-20240201-27-zd4nwf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=402&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/572835/original/file-20240201-27-zd4nwf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=402&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/572835/original/file-20240201-27-zd4nwf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=402&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Historique des trajectoires des médicanes recensés entre 2000 et 2020.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Navigation-Mac</span></span>
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<p>Des mesures urgentes et concrètes sont dès lors impératives pour réaffirmer la dimension humanitaire des actions développées par les navires de secours et la priorité du <em>primum non nocere</em>.</p>
<h2>Les nécessaires évolutions dans l’organisation des secours en mer</h2>
<p>Il convient de rappeler le caractère intolérable au plan moral et politique de l’inertie des gouvernements des États membres de l’UE devant les drames récurrents, et de mettre fin au cercle vicieux que provoquent les financements européens à destination de la Libye et de la Tunisie, devenue aujourd’hui le <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2024/01/09/en-2023-l-europe-a-fait-face-a-un-rebond-migratoire-venu-du-sud_6209816_3212.html">principal point de départ des tentatives de traversée</a>.</p>
<p>Une réaffirmation des éléments de droit international, européen et national concernant la mise en œuvre impérative des secours pourra se fonder sur l’explicitation des textes de références qui régissent le droit de la mer et le Droit international humanitaire.</p>
<p>Ces éléments de droits pourront utilement comprendre l’explicitation des condamnations pénales auxquelles s’exposent les personnes qui se refusent à secourir les naufragés. Les équipages des navires qui croisent des embarcations en détresse – et qui pourraient intervenir – dérogent, en ne portant pas secours aux embarcations en perdition, à l’impérative assistance à personnes en danger.</p>
<p>Il est également nécessaire d’accroître la transparence des mécanismes de soutien mis en œuvre à destination des autorités libyennes et tunisiennes par l’UE, d’enquêter sur la nature et l’utilisation des ressources (matériel, financement, formations, RH…), et de mettre en œuvre des <a href="https://www.infomigrants.net/en/post/51021/tunisia-and-libya-share-responsibility-for-hundreds-of-migrants-at-border">mécanismes de redevabilité</a> efficaces.</p>
<p>Il faut, aussi, se doter de <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/08/30/migration-inscrivons-l-obligation-d-identification-des-defunts-anonymes-dans-le-droit-europeen_6187087_3232.html">tous les moyens nécessaires pour permettre d’identifier les noyés</a> dont les corps sont retrouvés. Cette identification est impérative pour que soit ainsi réaffirmée leur inaliénable humanité, et les moyens d’informer objectivement les familles des personnes décédées.</p>
<p>Plus généralement, la Méditerranée centrale, de même que d’autres théâtres de crise humanitaire en haute mer, doit être reconnue comme <a href="https://www.urd.org/fr/thematique/espace-humanitaire/">espace humanitaire</a>.</p>
<p>Les bailleurs de fonds bilatéraux (étatiques), européens (<a href="https://civil-protection-humanitarian-aid.ec.europa.eu/index_fr">ECHO</a>), et multilatéraux (dont les Nations unies) doivent intégrer la Méditerranée centrale dans leurs plans de financement de l’aide humanitaire internationale.</p>
<p>Les opérations de recherche et de secours ne peuvent pas être criminalisées pour ce qu’elles sont, mais reconnues comme des opérations humanitaires et protégées comme telles.</p>
<p>Une coordination effective des activités de recherche et de secours en Méditerranée doit être mise en place par les pays riverains concernés, avec le soutien de l’UE. Les États européens doivent coopérer plus étroitement et plus efficacement pour améliorer le déroulement des opérations de sauvetage elles-mêmes.</p>
<p>Les modalités d’assignation d’un « lieu sûr » pour le débarquement des rescapés doivent être explicitées, systématisées et améliorées dans la perspective de faciliter les sauvetages. L’assignation délibérée – non argumentée – de ports très éloignés pour le débarquement des naufragés doit être prohibée. Cette stratégie « déshabille » en permanence les faibles moyens de secours existants, pour des naufragés, dont une proportion non négligeable est composée de mineurs. Elle renforce les risques de naufrages mortels. Elle est incompréhensible à l’heure ou l’Europe prône l’exemplarité environnementale.</p>
<p>Les mesures contraignantes et répétitives d’immobilisation des navires, pour des motifs parfois fallacieux, doivent cesser.</p>
<p>L’ensemble de ces demandes a fait l’objet, en France, d’une <a href="https://www.cncdh.fr/actualite/sauvetage-des-migrants-en-mediterranee-la-cncdh-adopte-une-declaration">déclaration en urgence de la CNCDH</a>, parue au <em>Journal officiel</em> le 23 octobre 2023.</p>
<p>Le dispositif <em>Mare Nostrum</em> continue de servir de repère. Les organisations humanitaires appellent de leurs vœux le réinvestissement solidaire et concret des <em>États européens</em> dans les sauvetages en Méditerranée. Elles ne peuvent se satisfaire de la seule délégation de responsabilité dont elles ont hérité <em>par défaut des politiques publiques de l’UE</em>, comme antidote à la violence incontrôlée en vigueur dans les pays de la rive sud de la Méditerranée.</p>
<p>La récente signature du <a href="https://www.touteleurope.eu/societe/que-contient-le-pacte-europeen-sur-la-migration-et-l-asile/">« Pacte sur les migrations et l’asile »</a> n’a rien de rassurant pour l’avenir. En retenant une définition du nouveau concept d’« instrumentalisation des migrations » qui pourra inclure les ONG si elles ont « pour objectif de déstabiliser l’Union », le pacte laisse le champ libre aux États européens pour <a href="https://www.lacimade.org/accord-sur-le-pacte-ue-migrations-et-asile-leurope-renonce-a-lhumanite-et-la-solidarite/">criminaliser les organisations civiles de secours et de sauvetage en mer</a>.</p>
<p>La composition du futur Parlement européen, que les prévisions donnent dominé par la droite, après les élections de juin 2024, pourrait avoir des conséquences sur la gestion des naufrages aux portes de l’Europe. Le rôle et la vigilance des organisations issues de la société civile restent ainsi d’une cruciale importance.</p>
<hr>
<p><em>Pierre Micheletti a récemment publié <a href="https://langagepluriel.org/publications/tu-es-younis-ibrahim-jam/">« Tu es Younis Ibrahim Jama »</a>, roman inspiré de faits réels dont l’action se déroule entre le Soudan, le Tchad et la France.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222453/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Micheletti est membre de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) et administrateur de l'ONG SOS Méditerranée.</span></em></p>Quelque 29 000 personnes sont mortes en Méditerranée depuis 2014. Ce sont surtout des ONG qui portent secours aux naufragés, du fait de la politique restrictive de l’UE.Pierre Micheletti, Responsable du diplôme «Santé -- Solidarité -- Précarité» à la Faculté de médecine de Grenoble, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2208732024-01-14T16:27:41Z2024-01-14T16:27:41ZEstimer l’âge d’un mineur par radiographie peut se révéler discriminatoire<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/568588/original/file-20240102-25-3ibjop.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=215%2C98%2C5775%2C3889&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Radiographie des os de la main d'un enfant</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/es/image-photo/film-xray-normal-both-hands-child-324011912">Puwadol Jaturawutthichai/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>En termes généraux, la maturité peut se définir comme le processus de croissance et de développement biologique, psychologique et émotionnel qu’une personne connaît tout au long de sa vie. Mais existe-t-il un moyen objectif de la mesurer ?</p>
<p>La réponse est oui. Parmi les procédés utilisés pour déterminer la maturité d’un individu, on trouve principalement les radiographies, qui <a href="https://bds.ict.unesp.br/index.php/cob/article/view/271">permettent d’estimer en toute sécurité</a> (<em>par exemple dans le cas des radiographies panoramiques dentaires, ndlr</em>) l’âge biologique des enfants et des adolescents. D’autres radiographies analysent <a href="https://pjms.com.pk/index.php/pjms/article/view/4295">l’aspect des différents noyaux d’ossification des os de la main</a>.</p>
<p>Grâce à cette méthode simple, les experts peuvent à la fois diagnostiquer et suivre les <a href="https://journals.lww.com/indjem/fulltext/2014/18001/hand_x_ray_in_pediatric_endocrinology__skeletal.9.aspx">troubles endocriniens et génétiques affectant la population infantile</a> et résoudre les <a href="https://cms.galenos.com.tr/Uploads/Article_41656/JCRPE-13-251-En.pdf">questions juridiques et d’asile liées à l’immigration des enfants</a>. Le fait que son utilisation soit répandue parmi les spécialistes en pédiatrie et en médecine légale est principalement due au rapport coût-bénéfice imbattable de la procédure par rapport à d’autres méthodes d’évaluation de la maturité du squelette chez les enfants.</p>
<h2>La radiographie du poignet contient beaucoup d’informations</h2>
<p>Mais que regarde-t-on exactement sur la radiographie ? Il existe deux catégories de méthodes radiologiques pour déterminer l’âge, les méthodes numériques et les méthodes qualitatives.</p>
<p>Les méthodes numériques se basent sur une radiographie du poignet et du <a href="https://www.ch-carcassonne.fr/imgfr/files/AppareilLocomoteur.pdf#page=7">carpe</a> gauche. Elles attribuent un score en fonction du degré de maturité observé en différents points d’ossification qui se développent de manière séquentielle avec l’âge.</p>
<p>Si l’on compare trois radiographies de la main, d’un enfant, d’un jeune et d’un adulte, on constate d’emblée que, dans l’enfance, les os du carpe sont loin d’avoir atteints la taille et la forme définitives qu’ils auront à l’âge adulte.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/567546/original/file-20240102-19-k49eug.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/567546/original/file-20240102-19-k49eug.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/567546/original/file-20240102-19-k49eug.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=360&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/567546/original/file-20240102-19-k49eug.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=360&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/567546/original/file-20240102-19-k49eug.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=360&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/567546/original/file-20240102-19-k49eug.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=452&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/567546/original/file-20240102-19-k49eug.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=452&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/567546/original/file-20240102-19-k49eug.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=452&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La radiographie des mains et des articulations du poignet gauche (vue de face) permet de calculer l’âge osseux.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Suttha Burawonk/Shutterstock</span></span>
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<p>Les méthodes qualitatives reposent sur la comparaison <a href="https://content.iospress.com/articles/journal-of-intelligent-and-fuzzy-systems/ifs190779">d’une radiographie du carpe</a> ou <a href="https://www.researchgate.net/publication/258768450_Reliability_of_panoramic_radiography_in_chronological_age_estimation">d’une radiographie panoramique dentaire (<em>orthopantomographie</em>)</a> et d’une image de référence disponible dans un atlas radiologique. Cet atlas est organisé en suivant, de manière chronologique, les différents stades de développement de l’os jusqu’à sa maturité.</p>
<p>Malgré leur généralisation dans la pratique professionnelle, une <a href="https://www.mdpi.com/2075-4418/13/19/3124">étude récente</a> suggère que ces méthodes pourraient introduire des biais significatifs dans l’interprétation du résultat du test. Surtout parce qu’on génère d’importantes erreurs quand on tente d’estimer l’âge d’un enfant non caucasien en utilisant comme référence une radiographie prise sur des enfants caucasiens, une pratique qui est à la <a href="https://www.cairn.info/revue-memoires-2022-1-page-12.htm">base de toutes les méthodes actuelles de détermination de l’âge osseux</a>.</p>
<p>(<em>En France, le <a href="https://www.academie-medecine.fr/le-dictionnaire/index.php?q=%C3%A2ge%20osseux">dictionnaire de l’Académie de médecine</a> indique que « l’âge osseux ne correspond pas forcément à l’âge civil du patient, ni à son âge statural. Le stade de développement osseux du sujet examiné est comparé à des références élaborées à partir de radiographies d’enfants d’âge, de sexe, d’ethnie et d’origine différents », ndlr</em>).</p>
<p>De ce qui précède, on peut déduire que, si on ne tient pas compte de l’énorme diversité ethnique des mineurs qui sont présents dans notre zone géographique, le <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s00330-018-5792-5">calcul de l’âge biologique des enfants qui appartiennent à des ethnies non caucasiennes pourrait se révéler inexact</a>. Dans le cas particulier des enfants d’origines africaines, il a été observé que les méthodes radiologiques ont tendance à <a href="https://sajr.org.za/index.php/SAJR/article/view/1348">surestimer leur âge</a>. Dans <a href="https://linkinghub.elsevier.com/retrieve/pii/S8756328223000583">toutes les études publiées à ce jour</a>, il leur est attribué un <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2665910723000075">âge supérieur à leur âge chronologique</a>.</p>
<h2>Une mauvaise appréciation de leur âge peut entraîner des problèmes pour les migrants africains</h2>
<p>Le problème est encore plus prononcé lorsque ces enfants arrivent sur le sol européen dans le cadre de la crise migratoire que connaît le continent africain depuis plusieurs décennies. </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/dossier-limmigration-en-france-quels-enjeux-218289">Dossier : l’immigration en France, quels enjeux ?</a>
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<p>Les biais d’interprétation mentionnés ci-dessus peuvent conduire les pays qui accueillent des mineurs non accompagnés, comme c’est le cas en Espagne, à limiter l’inclusion des adolescents qui n’ont pas encore atteint leur majorité dans leurs systèmes de protection de l’enfance, en les considérant comme des adultes.</p>
<p>(<em>En France, un examen radiologique ne peut constituer l’unique fondement de la détermination de l’âge d’une personne mineure. Le ministère de la justice français rappelle le <a href="https://www.justice.gouv.fr/sites/default/files/2023-06/guide_euprom_2023.pdf#page=61">cadre strict dans lequel cet examen peut être pratiqué</a>, ndlr</em>).</p>
<p>Face à cette situation, les professionnels de santé impliqués à la fois dans les soins cliniques et dans la recherche doivent être clairs sur les principes éthiques qui régissent notre pratique professionnelle. Premièrement et avant tout, nous devons avertir sur le fait qu’utiliser une procédure biaisée peut conduire à une discrimination qui découlera de l’utilisation inappropriée d’informations cliniques. C’est le cas, en particulier, lorsque ces informations peuvent affecter l’accès aux politiques sociales d’accueil en lien avec la santé, l’éducation et la protection des enfants migrants.</p>
<p>De plus, nous ne pouvons ignorer que la prise de décision basée sur des tests diagnostiques qui n’ont pas encore été validés selon des critères ethniques pourrait accélérer les refus d’admission à la frontière, contrevenant ainsi au <a href="https://euaa.europa.eu/sites/default/files/Asylum-Procedures-JA-FR.pdf">principe de non-refoulement</a> promu par l’Union européenne.</p>
<p>Le respect des droits de l’homme est la base fondamentale pour tous les professionnels qui travaillent dans le réseau d’aide aux enfants migrants. Nous devons promouvoir, par le biais de la coopération technique, l’avancement des connaissances scientifiques visant à garantir, par des mesures de protection plus solides et plus fiables, l’intérêt des enfants migrants qui arrivent à nos frontières en fuyant la faim et la misère.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220873/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les radiographies peuvent donner lieu à une discrimination raciale, en particulier, lorsqu’elles sont utilisées pour estimer l’âge de jeunes migrants qui sont encore mineurs.Sebastián Eustaquio Martín Pérez, Doctorate in Medical and Pharmaceutical Sciences, Development and Quality of Life, Area of Radiology and Physical Medicine, Department of Physical Medicine and Pharmacology, Universidad de La LagunaIsidro Miguel Martín Pérez, MD/PhD Candidate, Doctorate in Medical and Pharmaceutical Sciences, Development and Quality of Life, Universidad de La LagunaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2193762023-12-21T17:37:30Z2023-12-21T17:37:30ZÀ quand une vraie politique d’asile pour le Maroc ?<p>Alors que le Haut-Commissariat aux Réfugiés (HCR) des Nations unies a annoncé en septembre dernier que <a href="https://reliefweb.int/report/morocco/unhcr-maroc-fact-sheet-septembre-2023">plus de 10 200 réfugiés se trouvaient actuellement au Maroc</a>, Rabat n’a toujours pas adopté la politique d’asile annoncée il y a dix ans.</p>
<p>En septembre 2013, le roi a lancé le chantier d’un droit d’asile qui devait passer par l’élaboration d’une loi et l’appropriation d’une procédure de reconnaissance des réfugiés jusqu’ici laissée au HCR. Cette initiative a été <a href="https://journals.openedition.org/revdh/17310">suivie d’avancées significatives et de projets de loi</a>, avant de s’essouffler, tandis que le nombre de réfugiés dans le pays ne cessait de croître.</p>
<h2>L’absence d’asile dans les pays « arabes »</h2>
<p>Le Maroc est un pays africain et arabe. En matière d’asile, il entre davantage dans la deuxième catégorie. Tandis que la plupart des pays africains du sud du Sahara sont dotés de lois sur les réfugiés et ont élaboré leurs propres procédures, le Maroc demeure à ce jour, comme l’ensemble des pays de la région dite « MENA » (Middle East and North Africa), dépourvu de cadre ou de politique d’asile.</p>
<p>En dépit d’un décret adopté en 1957 « fixant les modalités d’application de la Convention relative au statut des réfugiés signée à Genève le 28 juillet 1951 » et créant le Bureau des réfugiés et apatrides, le Maroc ne s’est jamais doté d’une législation et d’une procédure d’asile proprement dites.</p>
<p>Depuis une soixantaine d’années, le HCR se charge de la <a href="https://www.unhcr.org/fr-fr/nos-activites/proteger-les-droits-humains/protection/determination-du-statut-de-refugie">détermination du statut de réfugié</a> et de l’accès aux droits, en collaboration avec des associations locales, mais <a href="https://www.unhcr.org/fr-fr/actualites/points-de-presse/le-hcr-va-signer-un-accord-de-siege-avec-le-gouvernement-marocain">l’accord de siège avec le Maroc</a>, officialisant ce rôle, n’a été conclu qu’en 2007.</p>
<h2>La mise à l’agenda politique de l’asile</h2>
<p>La question de l’asile s’invite au Maroc au début des années 2000, sous l’effet conjugué d’une <a href="https://www.cairn.info/le-maghreb-a-l-epreuve-des-migrations--9782811101640.htm">augmentation de la présence étrangère</a>, y compris en besoin de protection, et d’une <a href="https://journals.openedition.org/anneemaghreb/398?lang=en">politique du HCR et de l’Union européenne</a> visant l’adoption de politiques d’asile dans l’ensemble du Maghreb. L’Europe cherche alors à « externaliser » le contrôle des frontières et à obtenir la contribution des pays maghrébins au maintien des réfugiés et demandeurs d’asile en amont de la Méditerranée.</p>
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<p>Le nombre de réfugiés connaît une forte progression en 2005-2006. De manière générale, la présence étrangère augmente au cours de ces années, sous l’effet notamment des <a href="https://algeria-watch.org/?p=5174">difficultés accrues</a> pour se rendre légalement en Europe. On décompte environ 1 800 demandes d’asile entre début 2005 et mi-2006.</p>
<p>Ce n’est qu’en 2013 que le processus d’élaboration d’un droit d’asile est lancé. L’initiative du roi pour une « Nouvelle politique d’immigration et d’asile » (NPIA) suit les <a href="https://www.cndh.org.ma/fr/rapports-thematiques/conclusions-et-recommandations-du-rapport-etrangers-et-droits-de-lhomme-au">recommandations du Conseil national des droits de l’homme</a> (CNDH). Elle s’inscrit dans une concordance d’intérêts « post- <a href="https://sciencespo.hal.science/hal-01024402">mouvement du 20 février 2011 »</a>. Ce mouvement, qui s’inscrivait dans la vague de contestations et révolutions qualifiée de « printemps arabe », a été suivi de l’adoption d’une <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-droit-constitutionnel-2012-3-page-511.htm">nouvelle Constitution</a>, d’élections et de plusieurs projets de réformes. Parmi ceux-ci, le projet de « NPIA » nourrit une réaffirmation de la politique africaine du Maroc, répond aux demandes de la société civile ainsi qu’aux attentes de l’UE et des instances internationales, et est aussi un <a href="https://www.jeuneafrique.com/168616/politique/maroc-mohammed-vi-appuie-le-cndh-dans-la-d-fense-des-droits-des-migrants/">pied de nez au gouvernement Benkirane</a> de l’époque, qui défendait le bilan de sa politique.</p>
<h2>L’enthousiasme des premiers pas</h2>
<p>Les <a href="https://marocainsdumonde.gov.ma/wp-content/uploads/2019/01/Politique-Nationale-dimmigration-et-dAsile-_-Rapport-2018.pdf">Orientations royales du 6 novembre 2013</a> visent à « élaborer une nouvelle politique globale relative aux questions de l’immigration et de l’asile, suivant une approche humanitaire conforme aux engagements internationaux du Maroc et respectueuse des droits des immigrés ». Le ministère chargé des Marocains résidant à l’étranger est réorganisé et élargi aux « Affaires de la migration » pour inclure l’immigration. Il est confié à Anis Birou, qui demeure à ce poste jusqu’au 5 avril 2017 et porte les projets de réforme avec conviction. </p>
<p>La conjugaison de dynamiques personnelles et collectives aboutit à un tournant remarquable sur le plan formel et celui des pratiques. Une amélioration des droits des étrangers est <a href="https://www.libe.ma/Droit-des-etrangers-au-Maroc-Un-vide-juridique-qui-ne-dit-pas-son-nom_a114037.html">clairement observée</a>. La NPIA est d’abord constituée d’un chantier législatif, avec l’ambition d’adopter une loi contre la traite des personnes, une loi sur l’immigration et une loi sur l’asile. Un avant-projet de loi sur l’asile est proposé dès le 13 mars 2014. Finalement, seule la loi contre la traite des êtres humains est <a href="https://aujourdhui.ma/actualite/les-deputes-adoptent-la-loi-sur-la-traite-des-etres-humains">adoptée, en 2016</a>.</p>
<p>En septembre 2013, le Bureau des réfugiés et apatrides (BRA) est rouvert et une commission en charge de la régularisation des réfugiés reconnus par le HCR est créée. Le HCR continue à effectuer la détermination du statut de réfugiés, qui doit ensuite être confirmée par le BRA. Le BRA doit donc auditionner les réfugiés reconnus comme tels par le HCR et, lorsque leur statut est confirmé, délivre la carte de réfugié, qui permet d’accéder à la carte de séjour et aux droits afférents. Il est prévu qu’une fois la loi sur l’asile adoptée, l’ensemble de ces responsabilités seront transférées aux autorités marocaines. Lors des premières phases de régularisation, en 2013 et 2014, toutes les personnes auditionnées par le BRA sont régularisées. Ce sont principalement des Ivoiriens, des Congolais et des Irakiens. Le 24 décembre 2013, les premières cartes de réfugié et de séjour sont délivrées.</p>
<p>En 2014 est aussi menée une campagne de régularisation administrative des étrangers en situation irrégulière. Une <a href="https://marocainsdumonde.gov.ma/operations-de-regularisation/">suite favorable est donnée à 83,53 % des 27 649 demandes déposées</a>. Certains demandeurs d’asile, notamment syriens, en bénéficient du fait des réticences du BRA à leur reconnaître le statut de réfugié. La même année, la <a href="https://marocainsdumonde.gov.ma/wp-content/uploads/2018/02/Strate%CC%81gie-Nationale-dimmigration-et-dAsile-ilovepdf-compressed.pdf">Stratégie nationale d’immigration et d’asile (SNIA)</a> est lancée, qui vise l’accès aux droits, notamment à la santé, à l’éducation et au logement, pour les personnes régularisées, y compris les réfugiés. Une seconde campagne de régularisation des étrangers se déroule de 2016 à 2017.</p>
<h2>L’essoufflement</h2>
<p>Le 9 décembre 2015, le projet de loi sur l’asile est programmé pour passer en conseil de gouvernement. Il en est retiré le jour même. On se situe alors en pleine « crise migratoire » en Europe. Rabat, à l’instar de son voisin algérien et de l’UE, impose un visa d’entrée aux Syriens – comme aux ressortissants de la plupart des pays sources de réfugiés (Libye, Yémen, Soudan, Érythrée, Éthiopie, Cameroun, Centrafrique…), ce qui est un moyen d’empêcher leurs arrivées régulières.</p>
<p>Dans son <a href="https://www.maroc.ma/fr/discours-royaux/discours-integral-de-sm-le-roi-loccasion-du-62e-anniversaire-de-la-revolution-du">discours du 20 août 2015</a>, le roi avait en quelque sorte distingué asile et hospitalité :</p>
<blockquote>
<p>« Le Maroc restera comme toujours une terre d’accueil pour ses hôtes qui s’y rendent dans la légalité. Le Maroc ne sera jamais une terre d’asile. »</p>
</blockquote>
<p>Un second projet de loi est néanmoins <a href="https://lematin.ma/journal/2019/on-oublie-qu-loi-lasile-aidera-maroc-controler-lentree-sejour-territoire/317974.html">soumis au conseil de gouvernement en septembre 2018</a>. Avec l’organisation les 10-11 décembre de cette même année du sommet de Marrakech de l’ONU qui aboutit à la signature du <a href="https://www.ohchr.org/fr/migration/global-compact-safe-orderly-and-regular-migration-gcm">« Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières »</a>, dit Pacte de Marrakech, dans un contexte où le Maroc se voit de nouveau <a href="https://www.gadem-asso.org/couts-et-blessures/">critiqué pour le non-respect</a> des droits des migrants, plusieurs voix pronostiquent l’adoption prochaine du projet de loi sur l’asile, qui viendrait rappeler, comme en 2014, que le Maroc peut être un modèle dans la région. L’année 2017 avait d’ailleurs été marquée par le retour du royaume dans l’Union africaine (UA), laquelle l’avait nommé <a href="https://aujourdhui.ma/societe/le-maroc-leader-de-lunion-africaine-sur-la-question-de-la-migration">« leader sur la question des migrations »</a>. </p>
<p>Cependant, le Pacte de Marrakech n’est pas accompagné de l’adoption de la loi sur l’asile. <a href="https://marocainsdumonde.gov.ma/ewhatisi/2021/10/Rapport-2020-5-10-VF.pdf">Une version actualisée, présentée en 2019</a> au conseil de gouvernement, se perd dans les couloirs ministériels où un projet serait de nouveau discuté de manière discrète depuis 2022. En parallèle, le BRA, qui avait suspendu ses travaux à plusieurs reprises – en mars 2015 pour six mois, entre mars 2017 et décembre 2018, de nouveau en 2020 avec la crise sanitaire – les a repris en 2022, mais à un rythme très faible. En conséquence, moins de la moitié des réfugiés auraient des documents de résidence valide.</p>
<p>Ces dysfonctionnements s’inscrivent dans un essoufflement de la SNIA et des reculs en matière de respect des droits des étrangers, visibles dès 2017. Le ministère des Marocains résidant à l’étranger perd d’ailleurs de nouveau toute référence à l’immigration et redevient délégué (auprès du ministre des Affaires étrangères). Fin 2018, malgré les régularisations, seuls environ 1 000 étrangers bénéficiaient de la SNIA du fait des problèmes d’obtention ou de renouvellement des titres de séjour des régularisés et des fermetures du BRA. Les relations entre le HCR et le gouvernement marocain sont par ailleurs compliquées, parfois tendues, depuis lors.</p>
<h2>La situation actuelle de l’asile</h2>
<p>Après une augmentation du nombre de réfugiés à partir de 2015, du fait des guerres en Syrie et au Yémen, une progression est encore observée en 2018. Au 1<sup>er</sup> octobre, le HCR dénombre 5 353 réfugiés et 1 985 demandeurs d’asile, principalement de Syrie mais aussi du Yémen, du Cameroun, de Côte d’Ivoire et de Guinée. Du fait des suspensions d’activité du BRA, beaucoup de réfugiés n’ont plus accès à l’emploi et décident de quitter le pays pour se rendre en Europe – le taux de départ est évalué par le HCR à environ 30 % des personnes sous son mandat. Des personnes dotées d’un document HCR se font arrêter lors de tentatives de passage vers l’Europe, ce qui réactive, chez les policiers, la suspicion de fraude aux documents : tandis que les refoulements de personnes disposant d’une attestation du HCR – devant donc être protégées du refoulement – avaient cessé ces dernières années, ils <a href="https://gallery.mailchimp.com/66ce6606f50d8fd7c68729b94/files/3690d5cc-2b47-404c-a43d-ca0beeb7e383/20181011_GADEM_Note_Expulsion_gratuite_VF.pdf">reprennent</a>. </p>
<p>En septembre 2020, le HCR dénombre 7 561 réfugiés reconnus de son côté, dont la majorité est syrienne. Le nombre de personnes en recherche de protection poursuit ensuite sa progression. Au 30 juin 2022, 19 278 personnes sont recensées, partagées de manière quasiment égale entre réfugiés et demandeurs d’asile. Elles proviennent principalement de Syrie (5 251), de Guinée, de Côte d’Ivoire, du Yémen, du Cameroun, de Centrafrique mais aussi désormais du Soudan.</p>
<p>L’augmentation de la présence des Soudanais est flagrante dès 2021, liée sans doute à la situation dramatique en Libye où se rendaient la plupart d’entre eux, et d’où certains partaient pour l’Europe. Les Sud-Soudanais font partie des nationalités bénéficiant d’une <a href="https://emergency.unhcr.org/fr/protection/cadre-juridique/la-reconnaissance-prima-facie-du-statut-de-r%C3%A9fugi%C3%A9">reconnaissance « prima facie »</a> de leur statut de réfugié par le HCR (s’ils bénéficient de papiers d’identité, ce qui est rarement le cas), aux côtés des Syriens, des Yéménites, des Centrafricains et des Palestiniens, pour faciliter leur accès à la protection dès l’enregistrement. Les autres nationalités suivent la procédure normale. En juin 2022, la Côte d’Ivoire est retirée de la liste des pays à risque ; la part de ses ressortissants au Maric diminue donc depuis, les Ivoiriens sachant qu’ils sont moins susceptibles qu’auparavant d’obtenir le statut de réfugié. </p>
<p>Aujourd’hui, le Maroc continue à jouer la <a href="https://www.maroc.ma/fr/actualites/sommet-de-lua-les-efforts-de-sa-majeste-le-roi-en-matiere-de-la-migration-mis-en-exergue">carte migratoire dans le cadre de sa diplomatie africaine</a> en promouvant un « Agenda africain sur la migration », mais plus personne ne porte la politique d’asile et d’immigration sur le plan national. Il semble que le projet royal de 2013 ait répondu à une coïncidence d’intérêts et d’ambitions à une période donnée, ce qui expliquerait l’essoufflement constaté dès 2018.</p>
<p>Sur le plan interne, une approche plus pragmatique pourrait être adoptée concernant les moyens de la politique d’asile. Le HCR offre beaucoup aux réfugiés (aide au logement, frais médicaux, allocation éducation notamment). C’est davantage que ce que l’État marocain procure aux étrangers, en dépit de certains progrès, par exemple dans l’accès à l’éducation et à la santé. Avec l’adoption de la loi viendra le temps des décrets d’application, de la mise en œuvre, du budget, de la question des coûts et des calculs ; la peur éventuelle, aussi, que la nouvelle loi provoque un appel d’air.</p>
<p>Plus qu’un aboutissement, la loi à venir constituerait le nouveau point de départ d’un processus encore long de débats, de discussions et de tâtonnements sur la voie de la fabrique de l’asile. La question de l’asile et de la migration reste un dossier sensible, partagé entre plusieurs compétences ministérielles, ce qui fait ressortir les tensions. La variation des contenus des projets de loi et le silence autour de leur (non) adoption reflètent le caractère hautement complexe de ce sujet.</p>
<p>Pourtant, le nombre de réfugiés et demandeurs d’asile demeure relativement faible et l’adoption d’une politique d’asile nationale permettrait au Maroc de maîtriser son évolution plutôt que de la subir. Elle ajouterait aussi à la sincérité de l’action du <a href="https://newsbeezer.com/maroc/le-matin-le-31e-sommet-de-lua-adopte-la-creation-de-lobservatoire-africain-des-migrations-au-maroc/">« leader de l’UA sur la question des migrations »</a>.</p>
<p>À l’heure où des voix appellent à l’adoption d’une <a href="https://medias24.com/2023/11/25/le-gadem-appelle-a-la-reforme-de-la-loi-n02-03/">nouvelle loi sur l’immigration</a>, on peut s’interroger sur le maintien de l’engagement marocain au regard du processus lancé il y a dix ans. Le Maroc peut-il encore s’afficher en modèle au sein de l’Afrique et mobiliser la même rhétorique alors que les droits sont clairement en recul depuis ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219376/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Delphine Perrin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dix ans après le lancement de la « Nouvelle politique d’immigration et d’asile », le Maroc va-t-il enfin adopter sa loi sur l’asile ?Delphine Perrin, Chargée de recherche, Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2172922023-12-14T19:05:16Z2023-12-14T19:05:16ZLes foyers pour travailleurs migrants, des lieux où vieillir ?<p>Le 8 novembre 2023, le <a href="https://paris.centres-sociaux.fr/files/2023/10/commpresse-ayemzamen.pdf">collectif retraite Île-de-France</a> s’est mobilisé auprès de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) en faveur de l’accès aux droits à la retraite. En effet, le contexte de <a href="https://theconversation.com/la-numerisation-des-administrations-produit-tensions-et-exclusion-207049">dématérialisation des services publics</a> pénalise particulièrement les publics précaires, notamment les personnes immigrées âgées.</p>
<p>C’est l’occasion de revenir sur ce public resté longtemps invisible au sein de la société française, particulièrement celui vivant dans des foyers pour migrants. Cette relative invisibilité est liée au fait que les <a href="https://theconversation.com/immigration-les-francais-y-sont-ils-aussi-opposes-quon-le-dit-217580">travailleurs immigrés</a> sont arrivés en France pour travailler, en pleine force de l’âge, leur venue sur le territoire national étant envisagée comme provisoire. Leur vieillissement sur place est donc inattendu.</p>
<p>Ce constat nous a conduits à mener une enquête, faite d’observations et d’entretiens, au sein d’un foyer pour travailleurs migrants situé en Seine-Saint-Denis afin de mieux comprendre le vécu de cette population confrontée au vieillissement.</p>
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<a href="https://theconversation.com/sante-mentale-des-migrants-prevenir-et-agir-est-une-question-de-sante-publique-211757">Santé mentale des migrants : prévenir et agir est une question de santé publique</a>
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<h2>À l’origine des foyers pour travailleurs migrants</h2>
<p>Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, compte tenu de la pénurie de logements, les travailleurs migrants sont logés dans des conditions précaires et vivent dans des bidonvilles, des hôtels, des habitations insalubres. L’État va alors créer un <a href="https://www.vie-publique.fr/eclairage/20189-immigration-evolution-de-la-politique-pour-lintegration-des-immigres">fonds d’action sanitaire et sociale en 1958</a> pour soutenir les actions d’associations gestionnaires chargées de venir en aide spécifiquement envers ce public. La fin des années 1950 et la décennie 1960 fut ainsi une période de construction intense de foyers, qui atteignit son apogée au milieu des années 1970 avec <a href="https://www.cairn.info/revue-plein-droit-2006-1-page-5.htm">264 800 lits</a>.</p>
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<p>Une des structures gestionnaires les plus connues est la Société nationale de construction pour les travailleurs algériens (Sonacotral), qui deviendra en 1963 la Sonacotra après l’accès à l’indépendance de l’Algérie, puis renommée <a href="https://www.adoma.cdc-habitat.fr/adoma/L-entreprise/Qui-sommes-nous-/p-82-Notre-histoire.htm">Adoma</a> en 2006. Une autre association importante créée en 1962 est l’Association pour la Formation des travailleurs africains et malgaches (Aftam), aujourd’hui appelée <a href="https://coallia.org/lassociation/notre-histoire/">Coallia</a>. Ces changements de dénomination ne sont pas neutres. Ils visent à se distancier vis-à-vis d’une représentation des foyers relativement dépréciée.</p>
<p>La création de ces foyers devait permettre l’amélioration des conditions de vie des travailleurs, mais en réalité ils ont été construits dans des délais très rapides et n’offraient qu’un confort minimum. Ces foyers, souvent mal entretenus, avec cuisine et sanitaires collectifs, étaient principalement occupés – voire suroccupés – par des hommes seuls. Avec l’arrêt de la politique d’immigration, l’État les a rapidement considérés comme <a href="https://www.cairn.info/revue-plein-droit-2022-1-page-7.htm?contenu=article">« des espaces problématiques, hors de contrôle, voire déviants »</a>.</p>
<p>Les pouvoirs publics ont donc été amenés à accompagner la réhabilitation des foyers en créant un nouveau statut de <a href="https://www.financement-logement-social.logement.gouv.fr/residences-sociales-circulaire-no-2006-45-du-4-a1315.html">« résidence sociale »</a>, contribuant d’un point de vue architectural à réduire la vie sociale permise par les espaces collectifs. Mais, au fil du temps, le public accueilli n’est plus tout à fait le même qu’à l’origine. Il éprouve des besoins spécifiques liés notamment à son vieillissement sur place.</p>
<p>Ainsi, en 2014, une <a href="https://www.financement-logement-social.logement.gouv.fr/circulaire-plan-de-traitement-des-foyers-de-a1220.html">circulaire</a> sur les résidences sociales reconnaît qu’« en fonction de l’âge des résidents, les projets de réhabilitation et de construction devront proposer des adaptations ou transformations du bâti et des équipements qui permettent de répondre à l’objectif d’accompagnement du vieillissement et du maintien à domicile (équipements spécifiques tels que rampes d’accès, mains courantes, ascenseurs, barres d’appui, sanitaires adaptés, accès aux soins à domicile, etc.). »</p>
<h2>Un enracinement progressif dans le pays d’accueil</h2>
<p>La prise en compte progressive du vieillissement des travailleurs migrants par l’État ne nous renseigne pas sur la manière dont ces derniers vivent cette situation. Pour ce faire, nous avons mené une investigation sociologique au sein d’un foyer de Seine-Saint-Denis, dans lequel 90 % des résidents sont des hommes originaires d’Afrique subsaharienne. Toutes les personnes interrogées présentent un contexte d’arrivée en France assez similaire : elles sont venues travailler pour améliorer la qualité de vie de leur famille, notamment de celle restée au pays. Mais elles avaient toutes l’idée de revenir vivre dans leur pays d’origine au moment de leur retraite. C’est d’ailleurs pourquoi elles n’ont pas fait venir leur famille en France, ce qui aurait supposé de trouver un logement à prix abordable hors du foyer.</p>
<p>Comment expliquer que cet idéal du retour au pays ait été contrarié ? Il s’est produit ce que Claudine Attias-Donfut, directrice de recherche à la Caisse nationale d’assurance vieillesse, appelle un <a href="https://www.dunod.com/sciences-humaines-et-sociales/enracinement-enquete-sur-vieillissement-immigres-en-france">« enracinement »</a>, c’est-à-dire un attachement au pays d’accueil.</p>
<p>Quand sonne l’heure de la retraite, selon la thèse <a href="https://www.persee.fr/doc/remi_0765-0752_2001_num_17_1_1760">d’Abdelmalek Sayad</a>, sociologue spécialiste de la communauté nord-africaine en France, beaucoup d’immigrés prennent conscience de la fin de « l’illusion du provisoire » et de celle du retour au pays. Cet enracinement est lié à un processus de vieillissement qui n’est pas anodin. En effet, les conditions de travail difficiles auxquels ces travailleurs migrants ont été astreints ne sont pas sans conséquences sur leur état de santé. Beaucoup d’entre eux sont victimes d’un vieillissement physiologique précoce et nécessitent un suivi médical au moment de la retraite : « Tu vois, j’ai travaillé en France, j’ai payé mon droit de me soigner ». Or <a href="https://www.cairn.info/revue-gerontologie-et-societe1-2011-4-page-117.htm">l’accès aux soins et aux médicaments</a> est plus complexe à obtenir à l’étranger. Et malgré un état de santé dégradé, les migrants âgés se caractérisent par une <a href="https://www.cairn.info/revue-retraite-et-societe1-2005-1-page-11.htm">retraite plus tardive</a>, un plus fort taux d’activité entre 55 et 65 ans et aussi une plus longue période de précarité avant la demande de retraite, en raison de carrières plus souvent incomplètes.</p>
<h2>Un difficile accès aux droits sociaux</h2>
<p>La retraite constitue donc un horizon obscurci par des trajectoires professionnelles non linéaires qui ne facilitent pas le projet d’un retour au pays. Il existe ainsi de nombreux obstacles à surmonter avant de se faire une idée du montant de la pension de retraite : « Parce que ma retraite, j’ai mis un an pour réunir tous les dossiers. Ça m’a pris tellement de temps… » déclare l’un des résidents interrogés.</p>
<p>La difficulté à accéder à leurs droits sociaux est un constat partagé par nombre de migrants âgés, du fait de la multiplicité d’employeurs qu’ils ont connue au cours de leur carrière, de leur instabilité résidentielle et de la non-fréquentation des services sociaux.</p>
<p><a href="https://www.defenseurdesdroits.fr/rapport-dematerialisation-et-inegalites-dacces-aux-services-publics-266">Les rapports 2019 et 2022 de la Défenseure des droits</a> ont bien montré que la dématérialisation des services publics a accru les difficultés d’accès aux droits pour les publics vulnérables. Les migrants âgés sont bien sûr concernés par <a href="https://theconversation.com/la-numerisation-des-administrations-produit-tensions-et-exclusion-207049">l’illectronisme</a> et le difficile accès aux services numériques, mais ils sont également mal à l’aise dans la compréhension de la langue, les éloignant un peu plus des <a href="https://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=VSOC_164_0053">circuits administratifs</a>.</p>
<p>Une fois les droits sociaux acquis, l’enjeu est alors de ne pas les perdre. C’est notamment le cas de <a href="https://www.accesauxdroits.org/index.php/actualites/item/4900-aspa-ce-qui-change-au-1er-septembre-2023">l’Allocation de solidarité aux personnes âgées</a> (ASPA) délivrée aux personnes âgées de plus de 65 ans disposant de faibles ressources. L’allongement récent de la durée de résidence en France de 6 mois à 9 mois par an pour en bénéficier va sans doute contribuer un peu plus à « l’enracinement » en limitant les va-et-vient avec le pays d’origine.</p>
<h2>Des migrants confrontés à la perte d’autonomie</h2>
<p>Avec le vieillissement, comment les personnes immigrées vivant en foyer font-elles face à leur perte d’autonomie ? Elles recourent en fait peu aux services à domicile et <a href="https://www.cairn.info/revue-vie-sociale-2016-4-page-53.htm">aux établissements d’hébergement spécialisés</a>. Les difficultés à constituer un dossier administratif et le coût financier du reste à charge constituent deux facteurs explicatifs importants. Toute dépense amputant l’envoi d’argent à la famille restée au pays génère un <a href="https://www.cairn.info/revue-gerontologie-et-societe-2011-4-page-117.htm">sentiment de culpabilité</a>.</p>
<p>Mais au-delà, ce sont des raisons d’ordre culturel qui guident leurs comportements. Il n’est en effet pas coutumier de faire appel à une aide extérieure, d’autant plus quand celle-ci est une femme. Les individus vivant en foyer forment une communauté de vie qui, en l’absence de l’entité familiale, représente une forme de substitut. De fait, cette communauté exerce un contrôle social sur les pratiques des uns et des autres pour qu’elles restent conformes aux « bonnes mœurs » : « Bon, moi je suis musulman, alors, si je ramène une femme ici ce n’est pas bon. Après, mes frères tout ça ils vont penser autre chose tu vois. […] Même si c’est un professionnel. Ils vont penser autre chose tu vois » déclare un résident de 66 ans dont l’épouse ne vit pas en France.</p>
<p>C’est pourquoi la seule forme d’aide communément acceptée est celle de proches qui sont parfois hébergés de manière informelle dans le même logement. Cette présence de tiers, souvent plus jeunes, est un obstacle supplémentaire à une intervention professionnelle.</p>
<p>Quant à l’entrée en établissement pour personnes âgées, elle ne fait pas partie du champ des possibles. Outre les questions de coût, ce serait mettre un terme à une situation d’entre-deux qui se traduit par des allers-retours réguliers avec le pays d’origine. En réalité, le seul retour définitif au pays envisagé est celui de la fin de vie et du décès. Le rapatriement du corps apparaît comme l’ultime voyage, pour lequel il n’est pas rare que soit mise en place une assurance décès au sein de la communauté.</p>
<p>Par ailleurs, même s’il est jugé insatisfaisant, le foyer de travailleurs apparaît comme le seul lieu légitime pour vieillir en France, qui soit une forme de prolongement de leur identité, de leurs us et coutumes. Les autres formes d’habitats et structures pour personnes âgées sont considérées comme trop étrangères, tant par leur mode de fonctionnement que par le public accueilli. Cela reviendrait également pour ces anciens travailleurs à se résigner à devenir un objet de soins aux mains d’inconnues, alors que leur culture accorde aux vieux une <a href="https://www.karthala.com/accueil/2933-vieillir-dans-les-pays-du-sud-les-solidarites-familiales-a-lepreuve-du-vieillissement-9782811113216.html">place plus valorisée dans la société</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217292/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Quand sonne l’heure de la retraite beaucoup d’immigrés prennent conscience de la fin de « l’illusion du provisoire » et de celle du retour au pays.Dominique Argoud, Maître de conférences en sciences de l'éducation, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Marion Villez, Enseignant-chercheur en sociologie, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2182892023-12-10T15:52:09Z2023-12-10T15:52:09ZDossier : l’immigration en France, quels enjeux ?<p>Depuis le 6 novembre, le Parlement discute la nouvelle loi « immigration » portée par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. Si adoptée, elle pourrait constituer la <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/11/14/la-loi-immigration-dernier-element-d-une-longue-serie-de-117-textes-depuis-1945_6199984_4355770.html">trentième loi sur l’immigration</a> depuis 1980. Durant la campagne pour l’élection présidentielle de 2022, l’immigration a été le <a href="https://www.lesechos.fr/elections/presidentielle/presidentielle-quels-sujets-ont-monopolise-les-temps-de-parole-des-candidats-1399582">deuxième sujet le plus évoqué</a> par les candidats. Nous vous proposons ici une série d’articles revenant sur certains points clefs de la politique migratoire française et de leurs impacts dans la société.</p>
<p>Ainsi, lorsque l’immigration est évoquée dans le paysage médiatique, c’est souvent pour la décrier et lui apposer une image négative mais les Français y sont-ils <a href="https://theconversation.com/immigration-les-francais-y-sont-ils-aussi-opposes-quon-le-dit-217580">aussi opposés qu’on le dit</a> ? Les débats sur le projet de loi ont été particulièrement intenses sur la <a href="https://theconversation.com/laide-medicale-detat-un-droit-republicain-sur-la-sellette-216211">suppression de l’aide médicale d’État</a> aux étrangers en situation irrégulière tandis que l’égalité entre hommes et femmes dans l’immigration est la <a href="https://theconversation.com/immigration-comment-favoriser-un-imperatif-equilibre-des-sexes-dans-les-flux-202085">grande absente du texte</a>. Les <a href="https://theconversation.com/sante-maternelle-les-femmes-migrantes-sont-plus-a-risque-y-compris-dans-leur-pays-daccueil-213090">femmes enceintes sont d’ailleurs particulièrement vulnérables,</a> y compris dans leur pays d’accueil.</p>
<p>Des retombées économiques de la <a href="https://theconversation.com/limmigration-etudiante-entre-benefices-economiques-et-craintes-des-administrations-199349">migration étudiante en France</a> à <a href="https://theconversation.com/loi-immigration-pour-une-veritable-evaluation-de-notre-politique-dasile-213674">l’évaluation des bénéfices de notre politique d’asile</a>, nous vous proposons aussi un autre regard politique sur l’immigration.</p>
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<h2><a href="https://theconversation.com/immigration-les-francais-y-sont-ils-aussi-opposes-quon-le-dit-217580">Immigration : les Français y sont-ils aussi opposés qu’on le dit ?</a></h2>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/563322/original/file-20231204-23-qzg937.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/563322/original/file-20231204-23-qzg937.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/563322/original/file-20231204-23-qzg937.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/563322/original/file-20231204-23-qzg937.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/563322/original/file-20231204-23-qzg937.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/563322/original/file-20231204-23-qzg937.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/563322/original/file-20231204-23-qzg937.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Nettement moins de Français formulent des jugements négatifs à l’égard des immigrés qu’il y a 30 ans.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/fr/photos/trois-femmes-assises-pres-de-la-fleur-gYdjZzXNWlg">Priscilla du Preez/Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Contrairement à ce que laisse penser l’actualité médiatico-politique, plusieurs études montrent que les Français acceptent de plus en plus les immigrés.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/laide-medicale-detat-un-droit-republicain-sur-la-sellette-216211">L’aide médicale d’État, un droit « républicain » sur la sellette</a></h2>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/563329/original/file-20231204-19-8678xw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/563329/original/file-20231204-19-8678xw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/563329/original/file-20231204-19-8678xw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/563329/original/file-20231204-19-8678xw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/563329/original/file-20231204-19-8678xw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/563329/original/file-20231204-19-8678xw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/563329/original/file-20231204-19-8678xw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">En 2022, environ 400 000 personnes ont bénéficié de l’aide médicale d’État pour un coût représentant 0,5 % de la dépense totale de l’Assurance maladie.</span>
<span class="attribution"><span class="source">CDC/Unsplash</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Débat autour d’une transformation de l’Aide médicale d’État en Aide médicale d’urgence. Le point sur l’AME et les enjeux autour de sa suppression.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/immigration-comment-favoriser-un-imperatif-equilibre-des-sexes-dans-les-flux-202085">Immigration : comment favoriser un impératif équilibre des sexes dans les flux</a></h2>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/563324/original/file-20231204-21-pf57ir.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/563324/original/file-20231204-21-pf57ir.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=395&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/563324/original/file-20231204-21-pf57ir.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=395&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/563324/original/file-20231204-21-pf57ir.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=395&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/563324/original/file-20231204-21-pf57ir.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=496&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/563324/original/file-20231204-21-pf57ir.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=496&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/563324/original/file-20231204-21-pf57ir.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=496&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Entre 2010 et 2019, 47 % des personnes migrantes dans le monde étaient des femmes. (Ici, des immigrantes éthiopiennes célèbrent la fête de Sigd au mont Sion à Jérusalem, en Israël).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Government Press Office/Flickr</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Une future loi devrait tenir compte d’une répartition égale entre les sexes dans les populations immigrées. C’est en effet un facteur d’intégration clé sur lequel une étude récente s’est penchée.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/sante-maternelle-les-femmes-migrantes-sont-plus-a-risque-y-compris-dans-leur-pays-daccueil-213090">Santé maternelle : les femmes migrantes sont plus à risque, y compris dans leur pays d’accueil</a></h2>
<p>Pendant la grossesse, la santé des femmes migrantes est plus à risque que celle des autres femmes qui vivent dans le même pays qu’elles. Une méta-analyse récente éclaire les causes de cette situation.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/limmigration-etudiante-entre-benefices-economiques-et-craintes-des-administrations-199349">L’immigration étudiante, entre bénéfices économiques et craintes des administrations</a></h2>
<p>L’exemple canadien montre comment se prémunir d’une immigration déguisée tout en renforçant l’attractivité des universités auprès des étudiants étrangers, dont les apports ont largement été démontrés.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/loi-immigration-pour-une-veritable-evaluation-de-notre-politique-dasile-213674">Loi immigration : pour une véritable évaluation de notre politique d’asile</a></h2>
<p>Même si les données existent et que les méthodes pour les exploiter ont fait leurs preuves, les évaluations quantitatives de la politique d’asile en France restent très rares. Cela pénalise le débat.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218289/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Alors que la politique migratoire refait la une de l’actualité, nous vous proposons une série d’articles pour mieux cerner les enjeux de ces débats.Clea Chakraverty, Cheffe de rubrique Politique + Société, The Conversation FranceTimothée David, Journaliste pour la rubrique Économie + EntreprisesVictoire N’Sondé, Cheffe de rubrique santéThomas Leite, EditorLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2162112023-11-26T15:34:20Z2023-11-26T15:34:20ZL’aide médicale d’État, un droit « républicain » sur la sellette<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/561046/original/file-20231122-15-2sdw76.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C0%2C5970%2C3917&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En 2022, environ 400 000 personnes ont bénéficié de l'aide médicale d'Etat pour un coût représentant 0,5% de la dépense totale de l'Assurance maladie.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/fr/photos/uomo-che-indossa-una-camicia-bianca-vt7iAyiwpf0">CDC / Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p><a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/09/15/emmanuel-macron-annonce-un-projet-loi-sur-l-immigration-pour-debut-2023_6141806_823448.html">Promesse de campagne d’Emmanuel Macron</a>, le projet de loi immigration, qui sera examinée <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/agendas/les-agendas">au Parlement à partir de décembre</a>, ne devait initialement pas revenir sur les modalités de l’accès aux soins des personnes étrangères. Mais c’était un <a href="https://www.alternatives-economiques.fr/didier-fassin/laide-medicale-de-letat-menacee/00108254">souhait de longue date de la frange droite de l’hémicycle</a> de modifier ce point. Les sénateurs Républicains ont donc introduit un <a href="https://www.senat.fr/amendements/commissions/2022-2023/304/Amdt_COM-3.html">amendement</a> venant transformer l’Aide médicale d’État (AME) en une Aide médicale d’urgence (AMU) et qui a été <a href="https://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl22-304.html">adopté</a>.</p>
<p>De quoi s’agit-il ? L’AME relève d’un système d’<a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-des-affaires-sociales-2002-1-page-131.htm">aide médicale gratuite pour les personnes les plus précaires</a> qui existe depuis 1893 en France. Pendant un siècle, les étrangers résidant en France pouvaient bénéficier d’un accès aux soins : s’ils travaillaient, ils bénéficiaient de l’affiliation à l’assurance maladie générale ; sinon, ils pouvaient bénéficier de cette <a href="https://www.cnle.gouv.fr/de-1893-a-1999-de-l-assistance.html">Aide médicale gratuite</a>. En 1993, la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000530357">« Loi Pasqua »</a> vient imposer une condition de régularité de séjour pour bénéficier de cette aide « universelle ». Six ans plus tard, en 1999, <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000198392/">l’Aide médicale d’État est créée</a>, répondant <a href="https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2023-10/20200505-rapport-entree-sejour-premier-accueil-personnes-etrangeres_0.pdf">pour la Cour des comptes</a> à un impératif humanitaire et sanitaire :</p>
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<p>« faisant de la France un des seuls pays européens à prévoir une couverture maladie minimale gratuite pour les personnes étrangères en situation irrégulière ».</p>
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<h2>Une aide « républicaine »</h2>
<p><a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-temps-du-debat/pourquoi-l-aide-medicale-de-l-etat-ame-est-remise-en-cause-6522207">L’AME est vue comme une aide « républicaine »</a> à un moment charnière où les aides « universelles » cessent de l’être réellement. Elle vise à (re)mettre le système de santé en accord avec les valeurs fondamentales de la République, notamment héritées de la philosophie des Lumières et qui se trouvent aujourd’hui inscrits dans la devise française.</p>
<p>Financée par l’État et renouvelable annuellement, l’AME s’adresse aux <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000041474140">étrangers en situation irrégulière</a> pouvant prouver leur présence en France depuis au moins trois mois. <a href="https://www.infomie.net/spip.php?rubrique368">Les mineurs</a> peuvent en bénéficier dès leur arrivée sur le territoire français. <a href="https://www.ameli.fr/assure/droits-demarches/situations-particulieres/situation-irreguliere-ame">Une condition de ressources</a> est également posée : le plafond de revenus à ne pas dépasser pour en bénéficier est le même que celui pour l’accès à la <a href="https://theconversation.com/le-systeme-de-sante-francais-est-il-toujours-aussi-solidaire-85195">complémentaire santé solidaire</a>, soit environ 9 700€ par an pour une personne seule en 2023.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/bnsSqMb9pkM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>L’AME permet à ses bénéficiaires d’accéder à une <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F3079">prise en charge</a> à 100 % de leurs soins médicaux et hospitaliers dans la limite des tarifs de la Sécurité sociale. Elle dispense également de l’avance des frais de santé. Actuellement, les <a href="https://www.ameli.fr/assure/remboursements/cmu-aides-financieres/aide-medicale-etat-soins-urgents">soins classiques de médecine de ville ou hospitalière sont pris en charge</a>, ainsi que la majorité des traitements, y compris contraceptifs. Tous les frais de santé ne sont néanmoins pas couverts par l’AME (sont exclus les frais de traitement et d’hébergement des personnes handicapées, frais d’examen de prévention bucco-dentaire pour les enfants, indemnités journalières, etc.) ce qui conduit certaines associations à parler de <a href="https://www.medecinsdumonde.org/ame-laide-medicale-detat/">couverture santé de second rang</a>.</p>
<p>Au contraire, <a href="https://www.senat.fr/leg/tas23-019.html">l’Aide médicale d’urgence</a>, telle que conçue par les sénateurs Républicains, vise à réduire au maximum l’accès aux soins pour les personnes en situation irrégulière aux seuls :</p>
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<p>« traitement des maladies graves et soins urgents dont l’absence mettrait en jeu le pronostic vital ou pourrait conduire à une altération grave et durable de l’état de santé de la personne ou d’un enfant à naître ».</p>
</blockquote>
<h2>Des économies par la suppression de l’AME ?</h2>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2019/09/24/obession-de-la-droite-dure-l-aide-medicale-d-etat-est-devenue-un-sujet-de-debat-a-lrm_6012816_823448.html">L’opposition à l’AME est née en même temps que celle-ci</a>. Depuis, la question de sa suppression – ou a minima de sa réforme – est un véritable serpent de mer. <a href="https://seronet.info/article/sans-etat-dame-dix-ans-de-travail-de-sape-85591">Elle est discutée</a> lors de chaque nouvelle loi relative à l’immigration ou de l’adoption des lois de financement de la Sécurité sociale. <a href="https://www.securite-sociale.fr/home/dossiers/actualites/list-actualites/aide-medicale-de-letat--modifica.html">Ses conditions ont notamment été durcies en 2021</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/debat-la-grande-secu-mythe-ou-realite-177665">Débat : La « Grande Sécu », mythe ou réalité ?</a>
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<p>À l’image du <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cion_fin/l16b1244_rapport-information#_Toc256000001">rapport d’information</a> d’une députée républicaine déposé en 2021, plaidant notamment pour un recentrement de l’AME sur les soins urgents, les pourfendeurs de l’AME s’appuient sur un argument économique, prétextant régulièrement une « hausse incontrôlée des dépenses de santé ».</p>
<p>Or, le <a href="https://www.igas.gouv.fr/IMG/pdf/AME.pdf">nombre de bénéficiaires est stable depuis plusieurs années</a>, bien que l’on constate une légère hausse post-Covid – environ <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/content/download/705304/file/Sant%C3%A9.pdf">7 % de bénéficiaires en plus en 2022</a> par rapport à 2020 et son coût est estimé à environ <a href="https://www.tf1info.fr/sante/immigration-l-aide-medicale-d-etat-ame-ne-represente-t-elle-que-0-4-des-depenses-de-sante-2272555.html">0,5 % des dépenses de santé</a>. Par ailleurs, comme le montre la Cour des comptes dans <a href="https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2023-10/20200505-rapport-entree-sejour-premier-accueil-personnes-etrangeres_0.pdf">son rapport précité</a> :</p>
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<p>« L’analyse du coût économique de l’AME est difficile à établir : il faudrait en effet pouvoir mesurer les coûts d’évitement de la propagation de maladies infectieuses ainsi que le coût des soins vitaux et urgents occasionnés par la non-prise en charge précoce des malades. »</p>
</blockquote>
<p>Ainsi, rien n’indique que la transformation de l’AME en AMU permettrait une baisse des coûts.</p>
<h2>Une violation d’un droit fondamental et des risques de santé publique</h2>
<p>Comme le rappelle la professeure de droit public <a href="https://books.openedition.org/putc/337">Christel Cournil</a>, l’accès aux soins est un droit fondamental qui découle du droit à la santé, garanti par la Constitution et par de grands principes universalistes d’après-guerre (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/contenu/menu/droit-national-en-vigueur/constitution/preambule-de-la-constitution-du-27-octobre-1946">alinéa 11 du Préambule de 1946 notamment</a>), confirmés par de multiples engagements internationaux (Déclaration universelle des droits de l’homme, la Charte sociale européenne…). De plus, pour la <a href="https://www.echr.coe.int/documents/d/echr/FS_Health_FRA">Cour européenne des droits de l’homme</a>, les États doivent s’assurer du droit à la vie, ce qui passe notamment par l’octroi des soins (obligations positives de l’article 2).</p>
<p>En France, depuis 2003, l’accès aux seuls soins urgents pour toute personne est prévu par le droit commun <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006908175">(article R.1112-13 du Code de la Santé publique</a>) :</p>
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<p>« Si l’état d’un malade ou d’un blessé réclame des soins urgents, le directeur prend toutes mesures pour que ces soins urgents soient assurés. Il prononce l’admission, même en l’absence de toutes pièces d’état civil et de tout renseignement sur les conditions dans lesquelles les frais de séjour seront remboursés à l’établissement. »</p>
</blockquote>
<p>Mais l’octroi des seuls soins urgents et vitaux peut sembler insuffisant : à terme, cela risque de conduire à une dégradation générale de l’état de santé de ces personnes par manque de <a href="https://theconversation.com/en-france-nous-sommes-tres-performants-dans-le-soin-mais-beaucoup-moins-en-matiere-de-prevention-146626">médecine préventive</a>. Dans un contexte de surcharge hospitalière, de nombreux médecins alertent sur le risque que les personnes ainsi privées de soins préventifs se présentent aux urgences <a href="https://basta.media/Aide-medicale-d-%C3%89tat-AME-la-droite-veut-empecher-les-personnes-etrangeres-de-se-faire-soigner">avec des problèmes de santé finalement beaucoup plus graves</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1711640206615384443"}"></div></p>
<p>Par ailleurs, il est de la responsabilité de la police municipale de s’assurer de la salubrité publique, <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGISCTA000006164555">qui comprend la santé publique</a>. Or, avec la disparition de l’AME, les <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/071123/l-intox-du-senat-sur-l-aide-medicale-d-etat">maladies risquent de se transmettre beaucoup plus rapidement</a>, pouvant conduire à une épidémie que ces autorités sont chargées de résorber.</p>
<p><a href="https://france.attac.org/actus-et-medias/salle-de-presse/article/non-a-la-suppression-de-l-aide-medicale-d-etat">De multiples associations alertent sur les risques</a> liés à une transformation de l’AME en AMU. C’est aussi le cas de <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/11/02/l-appel-de-3-000-soignants-nous-demandons-le-maintien-de-l-aide-medicale-d-etat-pour-la-prise-en-charge-des-soins-des-personnes-etrangeres_6197818_3232.html">nombreux médecins qui ont appelé à son maintien</a> puis <a href="https://www.ouest-france.fr/sante/sans-papiers-3-500-medecins-promettent-de-desobeir-si-lame-est-supprimee-acf10d4a-80b7-11ee-a407-397218b61e71">à la désobéissance</a> si la réforme était menée à terme. Entre autres acteurs institutionnels, la <a href="https://theconversation.com/pour-la-creation-dun-defenseur-de-la-republique-86267">Défenseure des Droits</a>, Claire Hédon, se joint à ces protestations. Auditionnée par les rapporteurs de la Commission des lois de l’Assemblée nationale sur le projet de loi, <a href="https://www.defenseurdesdroits.fr/projet-de-loi-immigration-la-defenseure-des-droits-alerte-sur-les-graves-atteintes-aux-droits">elle a alerté sur les atteintes aux droits des étrangers</a>, notamment « en matière d’accès à la santé ».</p>
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<h2>Adoption du texte du gouvernement contre suppression de l’AME ?</h2>
<p>Revenant sur un dispositif participant au plein respect des droits fondamentaux des étrangers, les Républicains placent cette suppression de l’AME au centre des négociations avec le Gouvernement. Cet amendement est en effet désormais au coeur d’une stratégie politicienne, malgré les retombées négatives concrètes qu’il risque d’engendrer. <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/parlementaire/immigration-les-senateurs-lr-font-un-pas-les-centristes-sur-les-metiers-en-tension">En échange de l’adoption de mesures proposées par le Gouvernement</a>, les Républicains ont gravé dans le texte « un certain nombre de marqueurs », notamment « le durcissement des conditions d’accès aux soins gratuits pour les étrangers malades ».</p>
<p>Les parlementaires de gauche semblent disposer d’une majorité insuffisante pour parvenir à revenir sur la proposition des sénateurs. Les regards sont donc désormais tournés vers le gouvernement qui peut déposer un amendement <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/synthese/fonctionnement-assemblee-nationale/travail-legislatif/l-exercice-du-droit-d-amendement">à tout moment de la procédure législative</a>.</p>
<p>Avant de se positionner, le gouvernement va sûrement attendre les conclusions de la <a href="https://www.aefinfo.fr/depeche/700601-elisabeth-borne-lance-une-mission-sur-l-aide-medicale-d-etat-confiee-a-claude-evin-et-patrick-stefanini">mission sur l’Aide médicale d’État</a> confiée à l’ancien ministre de la Santé, Claude Evin, et Patrick Stefanini, conseiller d’État honoraire – attendues le 2 décembre 2023. <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/utile-et-pas-si-couteux-voici-les-premieres-conclusions-du-rapport-sur-l-aide-medicale-d-etat-1976206">Le pré-rapport</a> semble indiquer que l’AME n’est ni trop chère, ni trop incitative. Des conclusions corroborant celles du <a href="https://www.igas.gouv.fr/IMG/pdf/AME.pdf">précédent rapport public sur l’AME</a>, rendu en 2019 par l’Inspection générale des affaires scoiales (IGAS). Celui-ci démontrait que l’AME ne créait aucun appel d’air et qu’il serait risqué – et <em>in fine</em> coûteux – de réduire le panier de soins.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216211/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lilou Abou Mehaya ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Débat autour d’une transformation de l’Aide médicale d’État en Aide médicale d’urgence. Le point sur l’AME et les enjeux autour de sa suppression.Lilou Abou Mehaya, Doctorante en Droit Public - Droit d'asile, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2175802023-11-16T17:13:26Z2023-11-16T17:13:26ZImmigration : les Français y sont-ils aussi opposés qu’on le dit ?<p>Encore un <a href="https://www.senat.fr/travaux-parlementaires/textes-legislatifs/la-loi-en-clair/projet-de-loi-pour-controler-limmigration-ameliorer-lintegration.html">projet de loi sur l’immigration</a> en débat au Parlement, c’est le 29<sup>e</sup> depuis 1980, soit en moyenne un tous les 17 mois. Cette prolifération est parfois due à la volonté de revenir sur des mesures adoptées par un autre gouvernement, mais elle montre aussi le <a href="https://theconversation.com/loi-immigration-pour-une-veritable-evaluation-de-notre-politique-dasile-213674">niveau de crispation atteint à l’égard des immigrés</a> dans nombre de partis politiques. Tout se passe comme s’il fallait prouver aux électeurs que le pouvoir mène des politiques efficaces contre l’immigration illégale et pour la sécurité publique. <a href="http://www.pergama.fr/2023/10/13/immigration-de-travail-france-deni/">De nombreux politiciens</a> semblent persuadés que les considérations négatives envers les immigrés prédominent dans l’opinion publique.</p>
<p>Qu’en est-il exactement ? Comment ont évolué les perceptions de l’immigration depuis 40 ans ?</p>
<p>Dans l’<a href="http://www.valeurs-france.fr">enquête sur les valeurs des Européens</a> (EVS), réalisée tous les neuf ans, une question sur la préférence nationale à l’embauche est posée dans les mêmes termes depuis 1990. Alors que 61 % des Français se déclaraient favorables à une préférence nationale à l’embauche en 1990, ils ne sont plus que 42 % à y être favorables en 2018. Il s’agit d’une évolution à la baisse très importante, là où on aurait pu s’attendre à une augmentation.</p>
<p>En effet, pendant la même période, depuis les années 1990, <a href="https://theconversation.com/de-limpensable-au-possible-comment-le-rn-sest-insere-dans-la-societe-francaise-216651">l’extrême droite a progressé</a>. Mais ses succès sont loin d’être seulement dus à des discours anti-immigration. Ses demandes sur l’augmentation du pouvoir d’achat, sa critique de la classe politique, sont attrait pour des leaders autoritaires y sont aussi pour beaucoup. Même si la thématique de l’immigration est un enjeu qui marque constamment l’électorat du Rassemblement national, ce n’est pas le seul.</p>
<p>Au second tour de l’élection de 2022, <a href="https://www.cairn.info/le-vote-clive--9782706152979-page-225.htm">d’après un sondage Opinionway</a>, l’enjeu le plus déterminant pour l’électorat Le Pen était le pouvoir d’achat, l’immigration ne venant qu’en second, suivi par l’identité française et la délinquance. Et dans un <a href="https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2023/08/119689-Rapport-SR-N233.pdf">sondage IFOP d’août 2023</a>, la lutte contre l’immigration clandestine ne vient qu’en 5<sup>e</sup> position des enjeux prioritaires chez les personnes proches du Rassemblement national (<a href="https://www.ifop.com/publication/balise-dopinion-233-letat-desprit-des-francais-a-la-rentree-optimisme-et-enjeux-prioritaires/">et en 10ᵉ position pour l’ensemble des Français</a>).</p>
<h2>Des perceptions de l’immigration plus modérées qu’on ne le croit</h2>
<p>Les perceptions des immigrés en France et en Europe peuvent être analysées à travers les réponses à cinq questions de la dernière vague de <a href="https://www.atlasofeuropeanvalues.eu/maptool.html">l’enquête EVS (2018)</a>.</p>
<p><iframe id="IzdXG" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/IzdXG/4/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Les réponses montrent que les jugements sont plus mesurés qu’on pourrait le penser. L’effet de l’immigration sur le développement de la France n’est jugé mauvais que par un quart des Français. À peu près le même pourcentage le considère bon, alors que près de la moitié répondent « ni bon, ni mauvais ». L’idée que les immigrés prennent les emplois des gens du pays est aussi très minoritaire, beaucoup ayant probablement conscience que les <a href="https://theconversation.com/les-noires-sont-sales-par-contre-elles-font-de-bonnes-nounous-dans-lemploi-domestique-des-stereotypes-tenaces-150191">immigrés occupent des emplois peu demandés</a>. La préférence nationale à l’embauche quand les emplois sont rares, le stéréotype d’un <a href="https://theconversation.com/fact-check-les-refugies-sont-ils-mieux-accompagnes-que-les-sdf-128596">effet néfaste pour la Sécurité sociale</a> et la <a href="https://theconversation.com/pourquoi-le-lien-entre-immigration-et-delinquance-est-une-illusion-205603">criminalité</a> recueillent davantage de soutiens.</p>
<p>Ces cinq indicateurs très liés entre eux nous ont permis de construire un indice unique de perception des immigrés, découpé en deux parties à peu près égales : 45 % des Français partagent des jugements négatifs vis-à-vis des immigrés. C’est un tout petit plus que chez nos voisins d’Europe de l’Ouest (42 %) mais beaucoup moins qu’en Europe du Sud (51 %) et de l’Est (67 %). Les Scandinaves sont les plus ouverts (37 %).</p>
<h2>Pourquoi de telles différences selon les sociétés ?</h2>
<p>Les explications de ces fortes différences de perception des immigrés sont nombreuses. Le fait d’être très nationaliste joue beaucoup, tout particulièrement le nationalisme dit « nativiste » (qui valorise fortement le fait d’être né dans le pays ou d’y avoir des ascendants). Plus les Français et les Européens valorisent leur identité nationale, <a href="https://www.pug.fr/produit/2045/9782706151620/les-europeens-et-leurs-valeurs">plus ils tendent à avoir des orientations négatives à l’égard des immigrés</a>.</p>
<p>Jouent également fortement le niveau d’individualisation (vouloir être autonome dans tous les domaines de sa vie) et d’individualisme (être centré sur son intérêt personnel), ainsi que la position sociale et le positionnement sur l’échelle gauche droite, comme le montre les graphiques ci-dessous.</p>
<p>Le rejet des immigrés est nettement plus fort chez les personnes nationalistes, faiblement individualisées, fortement individualistes, appartenant à des catégories défavorisées et orientées à droite.</p>
<p><iframe id="Okie8" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/Okie8/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>On aurait pu penser que l’effet de la religion sur les perceptions des immigrés serait très important. Les grandes religions portent en effet un message clair d’accueil de l’étranger, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/09/23/le-pape-francois-citoyen-d-honneur-de-marseille-venu-crier-justice-pour-les-migrants-et-les-vulnerables_6190697_3210.html">comme le rappelle très souvent le pape François</a>.</p>
<p>Or quand on observe le niveau des perceptions négatives selon le degré d’intégration au catholicisme, les différences ne sont pas énormes. Les perceptions négatives vont de 54 % chez les catholiques non pratiquants à 43 % chez les pratiquants réguliers. Elles sont de 40 % chez les athées convaincus (et de 10 % chez les musulmans). Le message d’accueil porté par les religions est probablement freiné en France par le fort nationalisme des catholiques pratiquants.</p>
<p>Tous ces facteurs explicatifs n’annulent probablement pas l’effet que peuvent ou pourraient avoir les hommes politiques et les politiques publiques sur l’opinion. Or, depuis 1974, les <a href="https://www.migrationsenquestions.fr/question_reponse/1068-quelle-est-levolution-de-la-politique-migratoire-en-france-depuis-1945/">politiques migratoires se sont beaucoup durcies</a>. La France n’a pas vraiment pris sa part de l’accueil des migrants en Europe, eu égard à sa population et à sa richesse. <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/03/07/immigration-le-grand-deni-un-salutaire-rappel-a-la-realite_6164503_3232.html">Ils sont pourtant économiquement plutôt bénéfiques pour notre économie</a>.</p>
<h2>Le paradoxe : une acceptation qui progresse, un milieu politique très frileux</h2>
<p>Un très grand nombre de sondages confirment qu’en France, l’acceptation des immigrés est plus forte qu’autrefois et que la xénophobie s’est affaiblie. Ainsi, en 2021, <a href="https://harris-interactive.fr/opinion_polls/le-regard-des-francais-sur-le-droit-de-vote-des-residents-etrangers-aux-elections-locales-baro-edition-2021/">67 % approuvaient que les étrangers puissent voter aux élections locales</a>, soit 13 points de plus qu’en 2013.</p>
<p>Alors que <a href="https://fr.statista.com/statistiques/661665/francais-adhesion-trop-immigres-france/">74 % jugeaient qu’il y avait trop d’immigrés en France en 1995 et 65 % en 2005, il n’y en aurait plus qu’environ 60 % aujourd’hui</a>. <a href="https://www.kantarpublic.com/fr/barometres/barometre-d-image-du-rassemblement-national/barometre-d-image-du-rassemblement-national-2022">Et selon un sondage Kantar Public sur l’image du Rassemblement national</a>, il n’y aurait même que 47 % des Français à le penser en 2022. Pour des raisons difficiles à expliquer, cette question, très souvent posée, donne des résultats un peu différents, même à des moments proches. Les réponses à cette question sont en tout cas très clivées selon l’orientation politique des sondés, allant de près de 90 % d’approbation à l’extrême droite à environ un tiers à gauche et même dans le camp présidentiel.</p>
<p>La presse cite beaucoup les résultats peu favorables à l’acceptation des immigrés mais peu des résultats plus positifs. Ainsi, environ <a href="https://observationsociete.fr/modes-de-vie/mdv-valeurs/valeurs_immigres-2/">70 % des Français</a> estiment aujourd’hui que <a href="https://www.alternatives-economiques.fr/limmigration-une-source-denrichissement/00093576">« L’immigration est une source d’enrichissement culturel »</a>, ce qui est rarement souligné.</p>
<p>On observe donc un paradoxe entre ce que montrent les sondages – une <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/06/16/sur-les-questions-migratoires-une-opinion-de-moins-en-moins-crispee_6177918_3224.html">acceptation plus importante qu’autrefois de l’immigration</a>, des valeurs de compassion et de solidarité, qui contrebalancent en partie les craintes à l’égard des immigrés – et les discours des hommes politiques au pouvoir, allant d’un rejet absolu à des formes d’accueil extrêmement prudentes.</p>
<h2>Des politiques migratoires françaises de plus en plus répressives</h2>
<p>Le projet de loi actuellement en débat au Parlement vise <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-temps-du-debat/comment-la-loi-asile-et-immigration-changerait-elle-la-vie-des-travailleurs-sans-papiers-6745347">à durcir encore la législation des personnes en situation irrégulière</a>. Les personnes ayant fait l’objet d’une OTQF (obligation de quitter le territoire français) devraient pouvoir être expulsés plus facilement et plus rapidement. L’aspect novateur que comportait le projet : permettre des régularisations de personnes en situation irrégulière ayant un travail dans un « métier en tension » (cafés-restauration, santé, services à la personne, bâtiment…) et leur donner une carte de séjour d’un an a été quasi abandonné par le Sénat. La droite et l’extrême droite ont mené un combat très actif, craignant qu’une politique de régularisation selon des critères fixés, et non très limitatifs au cas par cas selon l’appréciation d’un préfet, <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/01/11/immigration-le-mythe-de-l-appel-d-air_6157358_3232.html">ne génère un « appel d’air » à l’égard de nouveaux migrants</a>.</p>
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<p>Pourtant le choix du pays européen par les arrivants sans visas tient avant tout à la présence antérieure de membres de leur famille, de leur réseau social ou au minimum d’une diaspora nationale déjà là pour aider à leur intégration. La connaissance de la langue joue aussi. De même que l’attractivité économique du pays. Or, à part pour les Maghrébins, la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-vendredi-03-mars-2023-4894599">France apparaît assez peu attractive</a>. Elle l’est beaucoup moins que le Royaume-Uni ou l’Allemagne. <a href="https://www.dunod.com/histoire-geographie-et-sciences-politiques/migrants-migrations-50-questions-pour-vous-faire-votre">Toutes les études</a> montrent depuis déjà longtemps qu’il n’y a pas de corrélation entre les politiques migratoires suivies par un pays et le nombre des arrivées. Les flux migratoires sont d’abord générés par les énormes problèmes existant dans les pays de départ et non par les politiques plus ou moins ouvertes des pays de réception.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217580/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Bréchon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Contrairement à ce que laisse penser l’actualité médiatico-politique, plusieurs études montrent que les Français acceptent de plus en plus les immigrés.Pierre Bréchon, Professeur émérite de science politique, Sciences Po Grenoble, Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2162932023-11-12T16:21:29Z2023-11-12T16:21:29ZÀ La Réunion, des Sri Lankais victimes des déficiences de la politique migratoire<p>Le 7 octobre, le jeune Sri-Lankais Rusgan est <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/reunion/rusgan-le-migrant-sri-lankais-expulse-par-erreur-a-ete-reconduit-par-avion-a-la-reunion-1434017.html">rentré par avion à La Réunion</a> après en avoir été <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/reunion/a-la-reunion-un-migrant-sri-lankais-renvoye-par-charter-vers-son-pays-avant-meme-son-passage-au-tribunal-1429223.html">expulsé le 18 septembre</a>, en compagnie de six autres migrants, via un vol spécialement affrété à destination de Colombo. </p>
<p>Ce cas illustre les défaillances d’une politique migratoire visant systématiquement les expulsions des migrants à La Réunion, peu en importe le <a href="https://imazpress.com/actus-reunion/migrants-sri-lankais-le-voyage-vers-leldorado-coute-cher-en-expulsion">coût</a>, et témoigne d’un flux migratoire inédit pour l’île.</p>
<p>Jusqu’en 2018, la question de l’asile dans l’outre-mer français de l’océan indien était mécaniquement associée à Mayotte. Selon le <a href="https://www.ofpra.gouv.fr/libraries/pdf.js/web/viewer.html?file=/sites/default/files/2023-07/OFPRA_RA_2022_WEB%20-%20m%C3%A0j%2007.pdf">rapport de l’OFPRA</a> de 2022, la demande d’asile dans l’océan Indien, qui représente 49 % de la demande outre-mer, est, en effet, en quasi-totalité accueillie à Mayotte. </p>
<p>Les Comoriens constituent plus de 50 % des demandeurs, suivis par les ressortissants malgaches (21 %) et, à hauteur de 25 %, ceux originaires de la région des Grands Lacs (Burundi, Rwanda, République démocratique du Congo). Les médias ont d’ailleurs progressivement fait des <a href="https://www.cairn.info/revue-plein-droit-2020-1-page-39.htm"><em>kwassa-kwassa</em></a>, ces canots utilisés par les Comoriens pour rejoindre illégalement l’archipel, une image d’Épinal de ces flux.</p>
<p>La Réunion accueille certes des flux migratoires en provenance de Madagascar, des Comores et de Maurice (<a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/fichier/6536241/re_ina_74.pdf">parmi les immigrés, 43 % sont nés à Madagascar, 20 % à Maurice et 14 % aux Comores</a>), mais la part des étrangers et des immigrés au sein de la population reste significativement moins élevée que celle de la moyenne nationale et elle est inférieure à celles de toutes les régions françaises. Par ailleurs, en 2017, la Réunion n’avait reçu que 11 demandes d’asile : d’Afrique du Sud, du Burundi, des Comores, d’Inde et du Pakistan.</p>
<h2>La Réunion, nouvelle terre d’asile pour des migrants sri-lankais</h2>
<p>C’est l’arrivée d’un radeau rassemblant <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/reunion/6-marins-sri-lankais-secourus-au-large-reunion-571373.html">six Sri-Lankais</a>, sans doute mis à l’eau par un bateau au large de la station balnéaire de Saint-Gilles, qui a fait émerger la Réunion sur la carte des destinations d’asile en 2018.</p>
<p>Spectaculaire dans sa forme mais faible en nombre, cette arrivée par la mer a provoqué l’émoi mais peu d’oppositions concernant la nécessité d’accueil. Elle a été suivie de plusieurs bateaux qui effectuaient, selon les ports de départ, une traversée d’une durée de 18 à 21 jours. Accueillant principalement des hommes célibataires âgés de 25 à 35 ans, ces embarcations provenaient dans la plupart des cas de Sri Lanka, même si certaines avaient transité par Maurice ou par Diego Garcia, atoll de l’archipel des Chagos, quand d’autres étaient parties directement d’Indonésie.</p>
<p>L’image des bateaux de pêche – dont certains en bois – souvent surchargés, a eu un impact fort dans les médias locaux et dans les représentations des habitants. Certains médias nationaux ont même qualifié ces migrants de <a href="https://www.liberation.fr/societe/a-la-reunion-moult-ecueils-pour-les-boat-people-sri-lankais-20230305_H2K6JKR3TJDMVPZ4F3WAXVXIWA/">boat people</a>.</p>
<p>Entre mars 2018 et février 2023, ce sont au total 12 bateaux qui se sont succédé. Parmi eux, le 13 avril 2019, 123 personnes ont débarqué en provenance d’Indonésie, après 21 jours en mer, dont 120 personnes de nationalité sri-lankaise et 3 Indonésiens (le capitaine et les mécaniciens). Malgré un coup d’arrêt pendant la pandémie de Covid-19, ce sont finalement 484 Sri-Lankais qui sont arrivés à La Réunion, dont 267 ont été reconduits au sein de leur pays et 27 qui ont opté pour l’aide au retour volontaire (situation au 19 octobre 2023). Parmi les 190 Sri-Lankais encore sur le territoire fin octobre 2023, une minorité a vu leur demande d’asile accordée, d’autres sont en attente de décision car la procédure est en cours, et une dernière catégorie est sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF).</p>
<p>Au sein des familles auprès desquelles nous avons enquêté à la Réunion en octobre 2023, la stratégie migratoire décrite est souvent similaire : le chef de famille part en premier à Jakarta, tente de trouver un logement en colocation avec d’autres coreligionnaires, puis y fait venir sa famille.</p>
<p>Le déplacement s’effectue en avion, car il n’y a pas besoin de visa pour les ressortissants sri-lankais se rendant en Indonésie. Une fois à Jakarta, l’objectif est pour ces familles de pouvoir se faire enregistrer au sein du UNHCR afin d’obtenir une protection internationale et, à terme, le statut de réfugié : en 2021, le <a href="https://reporting.unhcr.org/sites/default/files/Indonesia%20Statistical%20Report%20June%202021.pdf">UNHCR</a> de Jakarta avait procédé à l’enregistrement de 468 Sri-Lankais. C’est d’ailleurs en face du bureau du UNHCR que les personnes enquêtées à La Réunion racontent avoir été approchées par un homme qui leur a parlé de l’existence d’un bateau qui quitterait le port pour la Nouvelle-Zélande et/ou l’Australie. Ce n’est qu’en mer et après avoir payé une somme importante (jusqu’à 10 000 euros pour les familles) que les migrants ont compris qu’elle serait leur véritable destination.</p>
<p>Rien ne préparait l’île de La Réunion, les institutions, les avocats et les associations à ce flux migratoire inédit quant à l’origine géographique des demandeurs d’asile, aux modes d’arrivée sur l’île et au type de bateau usité.</p>
<h2>Des vagues d’émotions simultanées et contradictoires</h2>
<p>En visibilisant les phénomènes migratoires, ces arrivées ont provoqué plusieurs vagues d’émotions, dont des <a href="https://freedom.fr/46-migrants-sri-lankais-reconduits-ce-vendredi-70-autres-pourraient-debarquer-ce-samedi/">réactions xénophobes</a> parfois <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/01/17/a-la-reunion-les-migrants-sri-lankais-sujets-de-tensions-locales-et-de-trouble-entre-france-et-royaume-uni_6158229_823448.html">instrumentalisées politiquement</a> sur les réseaux sociaux. Ces faits sont souvent intensifiés par un <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/6692469">taux de pauvreté</a> élevé sur l’île et par le sentiment que l’urgence n’est pas l’accueil de ces populations, mais ils ont tout de même mis en mouvement différentes associations de solidarité.</p>
<p>La <a href="https://www.lacimade.org/regions/ocean-indien/">CIMADE</a>, la <a href="https://www.fondation-abbe-pierre.fr/actualites/ile-de-la-reunion">Fondation Abbé Pierre</a>, le <a href="https://reunion.secours-catholique.org/">Secours catholique</a>, <a href="https://www.medecinsdumonde.org/">Médecins du monde</a> et l’<a href="http://www.anafe.org/">Anafé</a> se sont mobilisées, alors que s’organisaient des associations citoyennes telles que Ansamb Oi (ou ensemble océan indien), la Fédération des associations tamoules ou Réunion Solidarité Migrants, toutes bénéficiant de dons individuels ou d’aides organisées autour des temples hindous.</p>
<p>On aurait pu croire cette solidarité mécanique, du fait d’une part importante du peuplement d’ascendance indienne de la Réunion (environ ¼ de la population de l’île). Mais cette population d’origine indienne est elle-même <a href="https://www.persee.fr/doc/homig_1142-852x_2008_num_1275_1_5122">clivée</a> entre ceux qui revendiquent l’appellation de « Malbars » et ceux qui la rejettent car la jugent connotée par <a href="https://journals.openedition.org/oceanindien/1970">l’engagisme</a> et lui substituent celle de « Tamouls ».</p>
<h2>Une réaction tardive de l’État</h2>
<p>Dépassé par ces arrivées, l’État a été confronté à l’absence de tout dispositif national d’accueil (<a href="https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Asile/Guide-du-demandeur-d-asile-en-France">DNA</a>). Ce dispositif doit accompagner les demandeurs d’asile dès leur inscription à la préfecture, en leur présentant le parcours qu’ils vont rencontrer et les différentes options qui vont s’offrir à eux, jusqu’à leur hébergement dans des structures de type Structure de Premier Accueil du Demandeur d’Asile (SPADA) ou de Centre d’Accueil pour Demandeurs d’Asile (CADA), et à l’obtention – ou non – de documents leur permettant de rester sur le territoire national. Les avocats spécialistes du droit d’asile, également peu nombreux lors des premières arrivées, se sont progressivement structurés par la création de la « permanence des étrangers » au sein du barreau du chef-lieu de l’île, Saint-Denis, pour assurer la défense des requérants.</p>
<p>Lors d’échanges en octobre 2023, plusieurs de ces avocats nous ont dit rencontrer des obstacles pour mener à bien leur travail, que ce soit dans l’accès aux zones d’attentes qui ont été créées en urgence, en étant prévenus tardivement des interpellations de Sri-Lankais, ou encore en faisant face à des juges expéditifs qui les poussent à présenter de nombreux recours ou appels. Ils n’étaient alors toujours pas payés par le fond d’aide juridictionnelle, l’organe du ministère de la Justice voué à financer ce type de procédures.</p>
<p>Une autre difficulté a été liée à l’hébergement des demandeurs d’asile sri-lankais : jusqu’à présent, comme les demandes d’asile étaient peu nombreuses à La Réunion, c’est le SAMU social, l’organisme voué à trouver des logements d’urgence pour les personnes sans-abris via le numéro téléphonique 115, qui s’en occupait.</p>
<p>Avec l’arrivée des Sri-Lankais, la prise en charge des demandeurs d’asile, obligatoire pour l’État français (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006070158/LEGISCTA000042772424/">Code de l’entrée et du séjour des étrangers du droit d’asile</a>) s’est faite dans le désordre.</p>
<p>En effet, une fois la décision de libération prise par le juge des libertés, les demandeurs d’asile ne sont plus sous la responsabilité du préfet, ce qui annule leur prise en charge dans la zone d’attente. C’est ainsi que des Sri-Lankais se sont retrouvés à la rue, sans biens personnels ni compréhension d’un environnement qu’ils ne connaissaient pas, parfois même sans chaussures.</p>
<p>Avec l’afflux du 14 décembre 2018, alors que la zone d’attente de l’aéroport était saturée et comme l’île ne disposait pas de SPADA ni de CADA, c’est finalement un gymnase et un hôtel qui ont été réquisitionnés par la préfecture.</p>
<h2>Bricolages au « 306 »</h2>
<p>Un élan citoyen et des associations se sont alors mobilisés, notamment structurées autour d’un local nommé « le 306 » en référence au numéro de la rue où il se situe. Des nuits d’hôtel ont été payées, des personnes ont été accueillies au domicile de volontaires, des cours de français et des animations ont été organisés. Ce sont aussi ces personnes de bonne volonté qui ont amené les ressortissants sri-lankais à la préfecture pour faire enregistrer leur demande d’asile, où ils recevaient une attestation déclenchant l’aide de l’État.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/557711/original/file-20231106-19-u3rtvi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/557711/original/file-20231106-19-u3rtvi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/557711/original/file-20231106-19-u3rtvi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/557711/original/file-20231106-19-u3rtvi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/557711/original/file-20231106-19-u3rtvi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/557711/original/file-20231106-19-u3rtvi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/557711/original/file-20231106-19-u3rtvi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">À l’intérieur du 306 rue Maréchal Leclerc à Saint-Denis, un véritable lieu de vie, où se retrouvent à la fois les Sri-Lankais et les bénévoles de toute l’île pour créer du lien social grâce à des échanges culturels, culinaires et linguistiques.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Egambarane et Naranma Sindraye/Ansamb Oi</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Ce bricolage mené par les associations et les avocats a permis d’accompagner les Sri-Lankais jusqu’à la création par les autorités d’un centre d’hébergement d’urgence pour demandeurs d’asile (HUDA) à la toute fin 2018. C’est donc une structure <em>ad hoc</em> qui a été mise en place, d’abord au sein d’un bâtiment collectif (un <a href="https://www.financement-logement-social.logement.gouv.fr/IMG/pdf/03_fiche_pratique_les-centres-d-hebergement-et-de-reinsertion-sociale-_chrs__mai_2021_cle2bb6b1.pdf">CHRS</a>). Géré par la Croix-Rouge, cet HUDA ne pouvait pas accueillir l’ensemble des demandeurs d’asile, notamment parce que les lits picots, installés dans l’urgence, n’étaient pas suffisants. La préfecture procéda alors à la réquisition de logements sociaux à Saint-Denis, et la Croix-Rouge à la location de deux logements dans le secteur privé à Saint-André, abandonnant progressivement l’idée d’un accueil collectif pour un ensemble de logements diffus (36 appartements).</p>
<p>Rapidement débordé et confronté à un <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/reunion/croix-rouge-une-affaire-d-agression-sexuelle-etouffee-la-direction-outre-mer-mene-un-audit-a-la-reunion-1431497.html">personnel peu habitué à l’accueil</a> des demandeurs d’asile (aucune formation au droit d’asile et des étrangers, une très faible maîtrise de l’anglais et des <a href="https://parallelesud.com/episode-5-la-justice-reconnait-la-souffrance-psychologique-des-migrants-et-libere-le-capitaine/">lacunes dans l’accompagnement des personnes</a>, complétées par un important turn-over des salariés contractuels), cet HUDA a été vite saturé, laissant certaines familles dans l’expectative, désemparées ou principalement accompagnées par les associations citoyennes.</p>
<h2>Une expérimentation des mesures d’exclusions</h2>
<p>Au-delà de la question de l’HUDA, plusieurs dysfonctionnements permettent d’identifier que l’État ne s’est pas conformé aux procédures habituelles d’accueil des demandeurs d’asile.</p>
<p>L’un d’entre eux, administratif, se passe à la première étape de la demande d’asile : le document généralement présenté par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) n’est pas celui de la procédure “normale”, mais celui proposant une “procédure accélérée” dans lequel la case “Vous avez présenté de faux documents” est pré-cochée.</p>
<p>Cela induit que la procédure menée doit s’effectuer dans un délai de 15 jours, et non de 6 mois pour une procédure normale, et qu’un seul juge examine le recours à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) si la demande d’asile est rejetée (au lieu de 3 en procédure normale). Cette procédure accélérée peut également avoir un <a href="https://www.gisti.org/spip.php?article5118">impact</a> sur les aides matérielles ou l’allocation pour demandeur d’asile (ADA).</p>
<p>Les entretiens menés auprès de l’OFPRA, qui visent à comprendre la situation des demandeurs d’asile pour mieux statuer sur l’acceptation ou le rejet de leur accueil, se sont également effectués par visioconférence – l’administration ne disposant pas de bureau sur l’île – et via des traducteurs pour certains décriés, car peu compétents ou transcrivant des points de vue subjectifs ancrés dans les hiérarchies de pouvoir qui traversent <a href="https://cairn.info/revue-herodote-2015-3-page-219.htm">l’histoire sri-lankaise</a> (notamment entre Tamouls et Cinghalais).</p>
<p>Ces diverses entraves administratives, qui se concrétisent par de nombreux accrocs dans la procédure, nécessitent la vigilance des associations et l’intervention des avocats. Ces derniers déploient beaucoup d’énergie à contester ces façons de faire et à déposer des recours. Bien que les juges leurs donnent souvent raison, les lenteurs de la justice et l’amoncellement des difficultés pour suivre les dossiers leur demande un engagement chronophage et exigeant, surtout qu’ils sont peu nombreux.</p>
<h2>Une brigade de police inédite</h2>
<p>Au-delà de ces complications administratives, une brigade de police, baptisée Groupe de Recherche pour l’exécution des mesures d’éloignement (GRE), composée de six policiers, a aussi été créé début 2023. Cette unité spécifique de la Police aux frontières consacre son action vers l’ensemble des personnes sous Obligation à quitter le territoire français (OQTF).</p>
<p>Unique en son genre, c’est la première fois qu’une telle brigade se déploie sur le territoire français, et <a href="https://parallelesud.com/oqtf-les-methodes-deloyales-du-nouveau-groupe-de-recherche-des-etrangers/">ses méthodes sont déjà beaucoup décriées</a>. En effet, les témoignages de personnes recherchées parlent par exemple de policiers qui se font passer pour des facteurs afin qu’elles sortent de leur résidence et puissent être arrêtées.</p>
<p>Mais c’est bien le fichage systématique, permettant des arrestations ciblées, qui pose question : des procès-verbaux relatant l’arrestation de personnes recherchées témoignent du fait que les policiers disposent non seulement de toutes leurs données personnelles, mais aussi de leurs photographies. Les avocats et les associations s’interrogent sur la légalité de tels documents tout comme la <a href="https://www.lacimade.org/le-groupe-de-recherche-pour-lexecution-des-mesures-deloignement-une-specificite-reunionnaise/">Cimade</a> qui souhaite aller en contentieux.</p>
<p>La GRE constitue un prolongement direct de la <a href="https://www.gisti.org/IMG/pdf/circ_2022-11-17.pdf">circulaire</a> du 17 novembre 2022 du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, intitulée « Exécution des obligations de quitter le territoire français et renforcement de nos capacités de rétention », et qui a été adressée aux préfets quelque temps après le <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/11/04/affaire-lola-ce-que-revele-l-enquete-judiciaire-sur-dahbia-benkired_6148557_3224.html">meurtre de Lola</a>, une jeune fille de 12 ans tuée par une personne sous OQTF. Pourtant, ses méthodes singulières posent la question de leur légalité.</p>
<h2>Une gestion de l’asile à la Réunion qui questionne</h2>
<p>De manière générale, l’arrivée des bateaux sri-lankais et l’inorganisation de la réponse humanitaire et politique ont permis de pointer les déficiences de l’État dans la gestion de l’asile à La Réunion.</p>
<p>Ce sont les associations qui ont pallié les faiblesses de l’État en guidant les demandeurs d’asile dans leurs procédures, en leur trouvant des solutions de logement, en aidant aux soins (notamment psychiques), etc.</p>
<p>L’État est alors entré dans un rapport de force avec les acteurs de l’asile et les migrants, envoyant des signaux forts qui s’incarnent par maints bricolages administratifs. Or, comme le mentionne le préfet de la Réunion, Jérôme Filippini, <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/reunion/migrants-sri-lankais-400-personnes-arrivees-en-5-ans-cela-ne-s-appelle-pas-une-invasion-selon-le-prefet-de-la-reunion-1357010.html">« la Réunion n’est pas une destination pour les migrations irrégulières »</a>. La nouvelle unité de police présente sur l’île interroge elle aussi : ne va-t-elle pas être répliquée dans d’autres régions françaises ?</p>
<p>En attendant, les Sri-Lankais, et tout spécifiquement les familles, dont certaines ont eu des enfants à la Réunion et ont scolarisé les aînés depuis leur arrivée en 2018, se retrouvent dans des situations d’incertitude complexes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216293/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anthony Goreau-Ponceaud a reçu des financements du département CHANGES de l'Université de Bordeaux : <a href="https://changes.u-bordeaux.fr/">https://changes.u-bordeaux.fr/</a>. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Alice CORBET a reçu des financements du département CHANGES de l'Université de Bordeaux : <a href="https://changes.u-bordeaux.fr/">https://changes.u-bordeaux.fr/</a>. </span></em></p>Depuis quelques années, l’île de la Réunion voit un afflux de migrants originaires de Sri Lanka, mais les procédures inédites mises en place à leur arrivée interrogent le cadre légal français.Anthony Goreau-Ponceaud, Géographe, enseignant-chercheur, UMR 5115 LAM, Université de BordeauxAlice Corbet, Anthropologue, LAM, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2156132023-10-13T09:28:27Z2023-10-13T09:28:27ZPologne : le ralentissement économique se traduira-t-il dans les urnes ?<p>L’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/europe-20648">Europe</a> est au centre des <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/pologne-des-elections-incertaines-cruciales-pour-leurope-tout-entiere-1986884">scrutins du 15 octobre en Pologne</a> : d’une part les élections parlementaires, d’autre part un référendum tactique, organisé le même jour par le gouvernement ultraconservateur PiS et portant sur quatre questions a priori impopulaires dont celui-ci espère le rejet ; ce qui le conforterait aux élections parlementaires. Parmi ces questions, figure celle de l’acceptation ou non du dispositif européen en faveur de l’accueil des migrants.</p>
<p>L’insertion de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/pologne-32416">Pologne</a> dans l’économie européenne constitue aujourd’hui un enjeu important pour ce pays (voir graphiques 1 et 2), qui pourrait peser sur le résultat des urnes : 83 % de ses exportations y sont destinées et 68 % de ses importations en proviennent (respectivement 28 et 24 % avec le seul partenaire allemand). Amorcée à partir de l’entrée en vigueur de l’accord d’association signé en 1992, cette insertion s’est approfondie après l’adhésion, en 2004, de la Pologne à l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/union-europeenne-ue-20281">Union européenne</a> (UE).</p>
<p><iframe id="NBrZV" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/NBrZV/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p><iframe id="KTX3L" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/KTX3L/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Le degré d’ouverture de l’économie polonaise, mesuré par la moyenne de ses exportations et de ses importations en pourcentage du PIB, se situait à 20 % au début des années 1990 ; il frôle désormais les 60 % (graphique 3), dépassant la moyenne européenne (49 %). Ses principaux excédents se concentrent sur les services de transport, les meubles, les services juridiques et de comptabilité et les pièces de véhicules <a href="https://theconversation.com/fr/topics/automobile-20801">automobiles</a>. Son insertion dans les réseaux européens est étroitement liée à sa division de travail avec l’Allemagne dans les filières des véhicules, du matériel électrique et de l’électronique.</p>
<p><iframe id="PWEgQ" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/PWEgQ/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Depuis l’intégration à l’Europe, le revenu des Polonais a significativement augmenté : le PIB par tête réel du pays en parités de pouvoir d’achat s’élevait à moins de 40 % de la moyenne européenne en 2004 ; il atteint désormais 80 % de celle-ci.</p>
<p><iframe id="uX6Du" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/uX6Du/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Mais les temps sont durs pour l’économie polonaise aussi. Les difficultés actuelles du « moteur allemand » semblent l’affecter de plein fouet. Le ralentissement économique se traduira-t-il dans les urnes ? Réponse ce dimanche.</p>
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<p><em>Pour approfondir la question de l’insertion internationale de l’économie polonaise, voir les pages interactives <a href="http://visualdata.cepii.fr/">Les Profils du CEPII</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215613/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Deniz Unal ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le pays d'Europe de l'Est, qui s'est fortement inséré dans les échanges européens depuis trente ans, subit aujourd'hui les difficultés de son partenaire allemand.Deniz Unal, Économiste, rédactrice en chef du Panorama et coordinatrice des Profils du CEPII - Recherche et expertise sur l'économie mondiale, CEPIILicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2117572023-09-10T14:52:30Z2023-09-10T14:52:30ZSanté mentale des migrants : prévenir et agir est une question de santé publique<p>Le drame d’Annecy a suscité une émotion nationale et fait ressurgir un sujet tabou : la <a href="https://www.nouvelobs.com/societe/20230615.OBS74538/apres-annecy-la-sante-mentale-des-migrants-en-question.html">santé mentale des migrants</a>. Le 8 juin 2023, un homme de nationalité syrienne, reconnu réfugié par les autorités suédoises et demandeur d’asile en France a poignardé huit personnes, dont quatre enfants. Comme lors des drames précédents de <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/08/09/l-incendiaire-presume-de-la-cathedrale-de-nantes-avoue-le-meurtre-d-un-pretre-qui-l-hebergeait_6091019_3224.html">Saint-Laurent-sur-Sèvre</a> ou de <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/08/31/agression-a-villeurbanne-un-mort-et-au-moins-six-blesses_5504983_3224.html">Villeurbanne</a>, l’actualité vient percuter le débat sur l’accueil des migrants, et devient propice à la <a href="https://www.humanite.fr/politique/attaques-au-couteau/attaque-au-couteau-annecy-l-enieme-recuperation-politique-indecente-de-la-droite-798322">récupération</a> par les détracteurs d’une politique migratoire jugée trop laxiste. Il est alors question de la possible dangerosité des migrants et de leur soi-disant manière de profiter du système de soin français, d’autant que ce dernier, notamment <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/040823/dans-la-sarthe-la-psychiatrie-publique-desertee-par-les-medecins-s-effondre">son secteur psychiatrique</a>, est exsangue.</p>
<p>Pourtant la recherche épidémiologique et clinique est unanime : les personnes migrantes et notamment primo-arrivantes, dont certaines ont vécu des violences extrêmes à l’origine de leur départ – emprisonnement, torture, viol, agression, etc. – ou lors de leur parcours migratoire, présentent un surrisque de développer des <a href="https://www.larevuedupraticien.fr/article/sante-mentale-des-migrants-des-blessures-invisibles">troubles psychiques</a>. Ces troubles sont largement aggravés par des <a href="https://www.refworld.org/pdfid/5f0455264.pdf">conditions d’accueil problématiques</a>, une <a href="https://juridique.defenseurdesdroits.fr/doc_num.php?explnum_id=21582">législation inadaptée</a> et la <a href="https://www.icmigrations.cnrs.fr/2022/02/17/defacto-031-01/">difficulté d’accès au soin</a>.</p>
<p>Seule une politique sanitaire et sociale globale peut permettre de prévenir de tels drames, certes rares, et plus largement d’assurer une véritable prise en charge en santé mentale, aujourd’hui maillon faible de la politique d’accueil des migrants, alors qu’elle en est un pilier essentiel.</p>
<h2>Déconstruire le tabou de la santé mentale des migrants</h2>
<p>S’il n’y a pas de lien de causalité directe entre la migration et la santé mentale, il est en revanche avéré que plusieurs facteurs pré-migratoires, migratoires, mais aussi post-migratoires aggravent les risques de développer des <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-030-67712-1_2">troubles psychiques</a>. Ceux-ci sont par ailleurs plus fréquents et sévères que les troubles somatiques (des troubles physiques) à l’arrivée des migrants, dont <a href="https://www.lequotidiendumedecin.fr/actus-medicales/recos-pratique/migrants-en-europe-leur-sante-se-degrade-avec-le-temps">l’état de santé a tendance à se dégrader</a> lors de la suite du séjour dans le pays d’accueil.</p>
<p>Si la majorité des migrants ne développent donc pas de troubles de santé mentale, certains d’entre eux, notamment les demandeurs d’asile victimes de violences et demandant à être protégés des persécutions subies dans leur pays d’origine, représentent des <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/les-actualites/2021/migrants-en-situation-de-vulnerabilite-et-sante.-le-dossier-de-la-sante-en-action-n-455-mars-2021">populations dites « vulnérables »</a> et susceptibles de développer des troubles.</p>
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<p>De récentes enquêtes montrent que les migrations contemporaines sont violentes : par exemple 78 % des demandeurs d’asile pris en charge par le <a href="https://www.comede.org/demandeurs-dasile/">Comité pour la santé des exilés (Comede)</a> en 2021 ont subi des violences et 27 % des tortures, tandis que 56 % des 396 patients reçus par le <a href="https://primolevi.org/app/uploads/2023/06/Centre-Primo-Levi-Rapport-Annuel-2022.pdf">Centre Primo Levi</a> (une association dédiée au soin et au soutien des personnes victimes de la torture et de la violence politique exilées en France) en 2022 disent avoir été victimes de torture.</p>
<p>Par ailleurs, les trajectoires migratoires, comme la traversée de la Lybie ou de la Méditerranée, occasionnent de nouvelles expositions à la mort, aux persécutions, aux pertes brutales, qui plongent les migrants dans un état de stress intense et ont de <a href="https://journals.openedition.org/e-migrinter/2459">fortes répercussions psychiques</a>.</p>
<p>Enfin la situation de précarité des primo-arrivants à leur arrivée, combinée à la barrière de la langue, au manque d’information, à la difficulté d’accéder aux soins, accroît leur vulnérabilité psychique. La vie à la rue ou dans les campements représente une épreuve qui peut détériorer la santé mentale. Certaines populations sont <a href="https://journals.openedition.org/popvuln/4121">particulièrement vulnérables</a>, par exemple les mineurs non accompagnés, les migrants LGBT+, ou les femmes seules, enceintes ou avec de jeunes enfants.</p>
<h2>Stress post-traumatique et dépression</h2>
<p>La recherche internationale documente les liens entre l’exposition à des évènements traumatiques et la <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=4443952#">détresse psychologique</a>, exposition qui favorise l’apparition de troubles de stress post-traumatique (TSPT) dont les <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/jts.2490050305">traumas complexes</a> lorsque les violences sont répétées.</p>
<p>Les personnes souffrant de psychotraumatisme font état de symptômes qui ont un impact considérable sur leur vie quotidienne : dissociations, troubles du sommeil majeurs, cauchemars, troubles cognitifs et de mémoire, etc. Ces troubles sont fréquemment associés à des épisodes dépressifs. Ainsi l’apparition des troubles psychiques a été mesurée par une <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32956381/">équipe internationale de recherche</a> menée par la psychologue Rebecca Blackmore à partir d’enquêtes incluant 21 842 demandeurs d’asile et réfugiés dans 15 pays. Les TSPT et la dépression concernent 31,5 % des personnes étudiées, celle des troubles anxieux 11 %. Celle des troubles psychotiques est également avérée, mais nettement moindre : 1,5 %.</p>
<p>L’évolution de ces troubles est directement corrélée à la qualité de l’accueil et à l’accès aux soins. Comment stabiliser une personne souffrant de stress post-traumatique quand elle est sans domicile ? La vie à la rue peut favoriser un vécu de persécution et redéclencher des reviviscences traumatiques.</p>
<h2>Une offre de soin sous-dimensionnée</h2>
<p>Face à cette situation complexe, aggravée par les récentes lois sur l’immigration qui limitent le droit des exilés à la santé, l’offre de soins en santé mentale pour les migrants demeure largement <a href="https://journals.openedition.org/remi/10558">sous-dimensionnée en France</a>.</p>
<p>Rares sont les services de soin, notamment de droit commun, disposant d’une consultation de psychotraumatisme spécifiquement formée à la prise en charge des populations migrantes dont la demande déborde les services de psychiatrie classique. Ce sont alors les <a href="https://journals.openedition.org/cybergeo/24796">initiatives locales</a>, notamment associatives, qui pallient les manques.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/sante-mentale-a-la-sortie-de-prison-la-grande-oubliee-200623">Santé mentale à la sortie de prison : la grande oubliée</a>
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<p>Les migrants constituent une patientèle spécifique et difficile à atteindre, pour quatre raisons principales. Tout d’abord, les personnes en migration sont mobiles, elles se déplacent sur le territoire en fonction des aléas de leur parcours administratif, et donc peuvent ne pas adhérer aux soins sectorisés.</p>
<p>Plus encore, les personnes en souffrance psychique peinent à nommer des symptômes qui les inquiètent, comme les pertes de mémoire ou les reviviscences. Les dernières études montrent que le quotidien des primo-arrivants ne favorise pas la recherche de soins, bien au contraire. Consulter parce qu’on a des cauchemars peut leur sembler secondaire lorsqu’il faut d’abord s’occuper de « la galère de l’hébergement » ou des démarches administratives dans ce qui s’avère être un <a href="https://orspere-samdarra.com/rhizome/le-parcours-du-combattant-experiences-plurielles-de-la-demande-dasile-en-france/">véritable parcours du combattant</a>.</p>
<p>Enfin, la barrière de la langue constitue un obstacle majeur aux prises en charge. Or, malgré la reconnaissance officielle des besoins d’interprétariat par la <a href="https://www.has-sante.fr/jcms/c_2746031/fr/interpretariat-linguistique-dans-le-domaine-de-la-sante">Haute Autorité de la Santé</a> depuis 2017, l’interprétariat professionnel demeure très insuffisant dans les services de santé, ce qui entrave la qualité des soins. <a href="https://aoc.media/opinion/2021/06/17/migrants-deni-des-langues-versus-hospibabelite/">Le déni des langues</a> est un des écueils majeurs de l’accueil des migrants, a fortiori lorsqu’ils sont en souffrance psychique.</p>
<h2>Renouveler radicalement l’offre de soin en santé mentale pour les migrants</h2>
<p>Un système de soin efficace doit donc prendre en charge l’ensemble des facteurs qui impactent la santé mentale. Dans la durée, cela suppose une prise en charge précoce car seule la prévention peut diminuer les troubles, les risques de décompensation et leur coût à long terme.</p>
<p>Sur le territoire, cela signifie une action coordonnée entre les acteurs du soin, sociaux et juridiques, institutionnels et associatifs, avec la présence d’interprètes médiateurs. <a href="https://www.interieur.gouv.fr/actualites/actualites-du-ministere/10-actions-pour-renforcer-prise-en-charge-demandeurs-dasile-et">Le plan vulnérabilité</a> mis en œuvre à parti de 2021 par le gouvernement propose des actions pour protéger les demandeurs d’asile et réfugiés dits « vulnérables », mais il est sous-doté, sous-dimensionné et ne garantit pas les <a href="https://www.federationsolidarite.org/actualites/publication-du-plan-vulnerabilites-relatif-aux-personnes-en-demande-dasile-et-refugiees-un-plan-attendu-qui-risque-de-ne-pas-etre-a-la-hauteur-des-besoins/">prises en charge effectives</a>.</p>
<p>Déstigmatiser la question de la santé mentale des migrants est le premier jalon pour une amélioration de leur situation. C’est donc une conscience renforcée de l’enjeu de santé publique, en partenariat avec tous les acteurs, qui peut permettre de replacer les problématiques à leur juste niveau, dans le respect du droit : par exemple l’aspect préventif de <a href="https://www.icmigrations.cnrs.fr/defacto/defacto-031/">l’aide médicale d’État</a> doit être défendu, de même que le <a href="http://www.gisti.org/spip.php?article6767">droit au séjour pour soin des étrangers malades</a>.</p>
<p>Au niveau clinique, il est avéré que la reconnaissance de la souffrance psychique et l’accompagnement sont essentiels pour limiter le risque d’apparition de troubles après un traumatisme. Ainsi, tandis que le débat se poursuit sur le risque, pourtant rare, de décompensation psychotique menant à un drame comme celui d’Annecy, d’autres demandes s’élèvent, numériquement bien plus importantes, mais médiatiquement moins spectaculaires, pour prendre en charge la souffrance psychique des migrants.</p>
<p>De la frontière du Calaisis où se multiplient les <a href="https://www.la-croix.com/France/Naufrage-Manche-mort-cinquantaine-migrants-secourus-2023-08-12-1201278616">naufrages</a> à celle du <a href="https://www.infomigrants.net/fr/post/51145/combien-de-temps-on-va-tenir--les-terrasses-de-briancon-depassees-par-lafflux-inedit-de-migrants-venant-ditalie">Briançonnais</a> où des familles de migrants traversent toujours plus nombreuses dans des conditions de stress intense, le besoin de soins en santé mentale des rescapés est immense. La capacité d’y répondre est une affaire de santé publique mais aussi de conscience éthique et politique, qui engage toute notre société.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/211757/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky a reçu des financements de L'Agence Nationale de la Recherche et du ministère de l'Education supérieure et de la Recherche. Elle est directrice de l'Institut Convergences Migrations (CNRS), membre du CSO du CN2R et membre du CA du Centre Primo Levi. </span></em></p>Les migrants qui ont vécu des violences extrêmes présentent un risque de développer des troubles psychiques : une autre politique de santé mentale pour prévenir et soigner est nécessaire.Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky, Anthropologue, psychologue clinicienne, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2096312023-09-03T14:21:20Z2023-09-03T14:21:20ZRacisme sexuel : quand les migrants gays asiatiques font face à la fétichisation<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/539925/original/file-20230728-23-434fnd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=11%2C0%2C7695%2C5142&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le racisme sexuel se manifeste particulièrement sur les applications de rencontre.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/fr/photos/SFUDMknYuuk">Jiang Xulei - 青 晨 / Unsplash</a></span></figcaption></figure><p>« L’une des particularités des discriminations et du racisme qui touchent les populations asiatiques réside dans le fait qu’ils sont rarement dénoncés, débattus publiquement ou encore sanctionnés juridiquement. » Ces quelques lignes sont extraites des <a href="https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/etudes-et-recherches/2023/03/eclairages-lexperience-du-racisme-et-des-discriminations-des-personnes">conclusions</a> de l’étude <a href="https://www.migrations-asiatiques-en-france.cnrs.fr/projet-reactasie/resume-scientifique-du-projet-reactasie">REACTAsie</a>, publiée par le Défenseur des droits en mars 2023.</p>
<p>Cette étude a mis en lumière l’expérience du racisme et des discriminations vécues par les personnes originaires d’Asie de l’Est et du Sud-Est en France. </p>
<p>Celle-ci pénètre l’école, le <a href="https://theconversation.com/ah-ces-chinois-ils-travaillent-dur-quand-le-racisme-se-veut-bienveillant-147305">travail</a>, l’espace public. Mais elle se glisse aussi dans l’intimité, jusque dans nos lits. Si, comme le souligne <a href="https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/etudes-et-recherches/2023/03/eclairages-lexperience-du-racisme-et-des-discriminations-des-personnes">l’étude</a>, « les hommes asiatiques subissent des stéréotypes liés à leur masculinité souvent déniée ou dévalorisée », les migrants gays asiatiques, eux, font l’objet d’une accumulation d’oppressions <a href="https://theconversation.com/les-mots-de-la-science-i-comme-intersectionnalite-146721">entrelacées</a> en raison de leur statut migratoire, de leur orientation sexuelle et de leur condition de minorité raciale.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1134028857416265728"}"></div></p>
<h2>Le rêve d’un « paradis gay »</h2>
<p>J’ai rencontré Jie (<em>NDLR : tous les prénoms ont été modifiés</em>) dans le cadre de ma <a href="http://dx.doi.org/10.13140/RG.2.2.14493.49129/1">recherche</a>. Celle-ci portait sur l’interrelation entre migration et sexualité chez d’(anciens) étudiants gays chinois en France. Jie s’identifie comme homosexuel, mais n’a pas encore fait son <em>coming-out</em> auprès de ses parents. Passionné par la culture étrangère, notamment occidentale, il a choisi d’étudier pendant sa licence en Chine la langue et la littérature françaises, avec le rêve d’étudier un jour en France. Y étant parvenu, Jie avait pour ambition d’obtenir un master, puis un doctorat, tout en cherchant à bénéficier d’une société <em>gay-friendly</em>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-les-touristes-lgbt-se-cachent-pour-mieux-voyager-163097">Comment les touristes LGBT+ se cachent pour mieux voyager</a>
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<p>La France, <a href="https://www.campusfrance.org/fr/ressource/chiffres-cles-2023">classée 6ᵉ</a> en matière du nombre d’étudiants internationaux accueillis en 2020, attire chaque année à peu près 30 000 étudiants chinois qui choisissent l’Hexagone pour diverses raisons : les frais d’inscription nettement moins élevés que dans les pays anglo-saxons, la qualité de l’enseignement supérieur, le riche patrimoine culturel et le diplôme occidental survalorisé sur le marché du travail chinois.</p>
<p>Pour certains, comme les Chinois LGBT+, la France est une destination d’études et d’installation particulièrement attrayante en raison de sa réputation de liberté. Comme Jie, de nombreux hommes gays en Chine perçoivent l’Occident comme un « paradis gay », où l’atmosphère est généralement plus libérale et tolérante, et où la reconnaissance juridique des minorités sexuelles est une réalité, avec le « mariage pour tous » souvent cité comme argument. Ainsi, il convient de souligner que la <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/P/bo27160091.html">quête de liberté sexuelle</a> est intrinsèquement liée à leur aspiration de <a href="https://www.theses.fr/2016ROUEL026">mobilité sociale ascendante à travers des études à l’étranger</a>.</p>
<h2>« Pas branché Asiatique » ou « J’adore les Asiat »</h2>
<p>Loin d’un environnement sociétal homophobe, les migrants gays chinois bénéficient d’une plus grande liberté sexuelle et ne ressentent plus le besoin de « cacher leur homosexualité », ce qui leur permet d’embrasser le « véritable soi-même ». Cependant, ils ne sont pas à l’abri d’autres formes de discrimination, comme le <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/une_minorite_modele_-9782348065125">racisme anti-asiatique</a>, dont sont également victimes leurs homologues hétérosexuels résidant en France. Même au sein de la communauté gay en France, les <a href="https://frictions.co/toutes-identites-confondues/la-couleur-du-desir/">Asiatiques subissent différentes formes de racisme sexuel</a> en raison de leurs traits phénotypiques ou de leur origine présumée.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/kEwuosHiwPE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Le chercheur australien Denton Callander définit le <a href="https://doi.org/10.1007/s10508-015-0487-3">racisme sexuel</a> comme « une forme spécifique de préjugé racial qui s’exprime dans le contexte du sexe ou de la romance ». Il est <a href="https://doi.org/10.1080/13691058.2012.714799">prévalent sur les plates-formes de rencontres</a> sous l’effet de la <a href="https://doi.org/10.1089/1094931041291295">désinhibition en ligne</a>. Les rencontres en ligne, étant perçues comme anonymes, virtuelles et dépersonnalisées, favorisent une expression plus libre des attitudes, perceptions et stéréotypes concernant la « race » lors de la recherche de partenaires. De plus, ces applications encouragent souvent les utilisateurs à s’identifier avec des étiquettes raciales simplifiées et permettent de rechercher et de filtrer les profils en fonction de l’origine « ethnique », par exemple, Asiatique, Noir, Latino, Blanc ou encore homme du Moyen-Orient (<a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2020/06/03/l-appli-de-rencontre-grindr-va-supprimer-son-filtre-de-recherche-par-origine-ethnique_6041640_4408996.html">bien que Grindr ait supprimé cette fonctionnalité en 2020</a>).</p>
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<p>Le racisme sexuel se manifeste non seulement par le rejet sexuel et la hiérarchisation, mais également par la fétichisation ou l’hypersexualisation des partenaires potentiels issus d’un groupe racialisé. Les gays chinois ou plus largement asiatiques rencontrent parfois des personnes qui affichent explicitement « Pas branché Asiatique ! » sur leur profil, ou qui répondent dès le premier message « Désolé, je ne m’intéresse pas aux Asiatiques. ». Jie a ainsi partagé son expérience :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai rencontré des personnes [sur des applications de rencontres] qui, bien qu’elles ne soient pas nécessairement racistes, véhiculaient certains stéréotypes qui m’ont mis mal à l’aise. Certains semblaient croire que les Chinois ou Asiatiques en général étaient physiquement plus faibles et devaient adopter un rôle passif, efféminé, soumis et docile. Malheureusement, j’ai également reçu des messages racistes […], tels que “Tu sais masser ?”, “Salut, les Asiat m’excitent.”, “Je peux te baiser ? Je paie bien !”, “Les Asiatiques sont ici pour chercher du sexe avec les Blancs, pour se faire baiser par nous !”, etc. […] Cependant, ce type de messages ne venaient pas uniquement d’un groupe racial spécifique. J’ai reçu aussi des messages racistes d’individus arabes et noirs. »</p>
</blockquote>
<p>En revanche, il existe un autre type d’hommes (souvent) blancs, surnommés <a href="https://doi.org/10.1080/14443050009387602">« rice queens »</a> (littéralement, les « reines du riz »), qui sont principalement attirés par des Asiatiques et affichent sur leur profil des déclarations telles que « J’adore les Asiatiques ! ».</p>
<p>Effectivement, certains enquêtés, comme Xin (25 ans, diplômé de master), affirment être très vigilants à ce type de personnes soupçonnées d’être fétichistes, car ils ne savent pas « s’ils [les] apprécient en tant que personnes telles qu’ils sont ou simplement en raison de [leur] origine asiatique ». Cette méfiance découle de l’expérience de se sentir réduits à un objet exotique ou à une simple fantaisie sexuelle pour les « rice queens ».</p>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/ChpTye-jpZH","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<p><em>Pour dénoncer le racisme sur les applis de rencontre, Miguel Shema, journaliste au <a href="https://www.bondyblog.fr">Bondy Blog</a>, a lancé le compte Instagram « Personnes racisées vs. Grindr »</em></p>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/CeQOv86A623","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<h2>Préférence ou racisme ?</h2>
<p>Des expériences similaires sont partagées, mais les points de vue sur ce phénomène se révèlent différents. Pour Peng, étudiant en master de 29 ans :</p>
<blockquote>
<p>« Il est très difficile de tracer une ligne de démarcation entre préférence et racisme, car il est impossible de connaître la véritable signification derrière ces mots. »</p>
</blockquote>
<p>Néanmoins, Romain, migrant qualifié de 35 ans, peut personnellement comprendre ce genre de comportements, y voyant « des préférences sexuelles individuelles et un moyen efficace de trouver des partenaires sexuels désirables », ce qui soulève aussi l’idéal libertaire du choix inhérent à l’idéologie démocratique occidentale.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/une-enquete-devoile-les-ressentis-des-personnes-victimes-de-racisme-199114">Une enquête dévoile les ressentis des personnes victimes de racisme</a>
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<p>Il semble que certains hommes gays non blancs ne considèrent pas la discrimination raciale entre partenaires sexuels comme une expression du racisme, parce qu’ils participent eux-mêmes à une forme d’attraction et de discrimination fondées sur la « race ». On entend également le terme « potato queen » (reine de la pomme de terre) pour désigner les Asiatiques qui ne sortent qu’avec des hommes blancs.</p>
<p>Les gays chinois ont également leurs propres « préférences » sur les plates-formes de rencontres. Certains ne répondent jamais aux messages des « Arabes ou Noirs résidant dans le 93 [Seine-Saint-Denis] », qu’ils perçoivent comme « pauvres, non éduqués ou réfugiés », tandis que d’autres « trouvent les Arabes charmants » en raison de leurs barbe, virilité et côté dominant. Ces « préférences » et stéréotypes sont largement influencés par les représentations médiatiques, les normes sociales et les expériences individuelles.</p>
<p>Comme le rappelle l’<a href="https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/reactasie-num_02.pdf">étude REACTAsie</a>, une multitude de facteurs inextricablement liés agissent de concert pour produire des situations d’injustice. Ainsi, l’expérience du racisme sexuel vécue par les gays chinois ne peut être pleinement appréhendée si on l’isole d’autres paramètres. Il s’agit d’une facette seulement de l’expérience migratoire. Pour mieux comprendre cette dernière, il apparaît essentiel d’adopter une perspective <a href="https://anamosa.fr/livre/pour-lintersectionnalite/">intersectionnelle</a> tenant notamment compte des relations de pouvoir inégales liées à la race, au genre, à la classe sociale et au statut de citoyenneté.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209631/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cai Chen a reçu des financements de la bourse Erasmus Mundus (2019-2021) et de la bourse MSH-ULB Seed Grant (2022-2023).</span></em></p>La France attire les migrants LGBT+ originaires de régimes oppressifs tels que la Chine. Une fois sur place, ils ne sont pas à l’abri d’autres formes de discrimination, y compris le racisme sexuel.Cai Chen, Doctorant en anthropologie sociale, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2115552023-08-22T20:47:49Z2023-08-22T20:47:49ZLe Tchad à l’épreuve d’un nouvel afflux de réfugiés soudanais<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/543016/original/file-20230816-23-o65x9h.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1014%2C768&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Cette famille récemment arrivée d’El-Geneina, capitale du Darfour occidental, est accueillie dans un camp de réfugiés à Adré, ville de l’est du Tchad. Photo prise le 24&nbsp;juin 2023.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Abdel Hakim Tahir</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Depuis le 15 avril 2023, au Soudan, de <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20230816-guerre-au-soudan-comment-au-5e-mois-la-situation-est-devenue-d%C3%A9sastreuse-et-l-aide-internationale-insuffisante">violents affrontements</a> opposent les forces de l’armée régulière, dirigées par le chef de la junte, le général Abdel-Fattah Al-Burhan, aux Forces de Soutien Rapide (FSR), anciennes milices paramilitaires arabes Janjawids (ou Janjaouids) commandées par le général Mahamat Hamdan Dagalo, alias Hemetti (parfois orthographié <a href="https://theconversation.com/conflit-au-soudan-hemedti-le-seigneur-de-guerre-qui-a-cree-une-force-paramilitaire-plus-puissante-que-letat-204057">Hemedti</a>).</p>
<p>Ces <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2012-2-page-387.htm">Janjawids</a> ont été mis sur pied dès février 2003 sous forme de mouvement contre-insurrectionnel de tribus arabes nomades lors de la <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2006-4-page-357.htm">terrible crise ethno-foncière du Darfour</a> qui les a opposées aux populations africaines de la région.</p>
<p>Les FSR ayant fait du Darfour leur base arrière, les forces de l’armée régulière ont entrepris d’y armer les communautés noires. En effet, au Darfour, les FSR terrorisent les populations noires locales ; celles-ci sont à leur tour armées par Khartoum pour affronter les FSR. Ce contexte incite de nombreux habitants du Darfour à fuir vers le Tchad voisin.</p>
<p>Or il y a vingt ans, des dizaines, voire des centaines de milliers de réfugiés avaient déjà rejoint le Tchad ; ces gens s’y trouvent encore à ce jour. L’afflux actuel de migrants propulse cette longue crise quasi oubliée dans une nouvelle catastrophe, alors que les besoins des « anciens réfugiés » restent loin d’être couverts. L’épuisement des maigres ressources locales aggrave la vulnérabilité quotidienne de la communauté hôte et accroît le risque d’embrasement de ce conflit.</p>
<h2>Le Tchad, première victime du conflit soudanais</h2>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/543076/original/file-20230816-23-1nqlbg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/543076/original/file-20230816-23-1nqlbg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/543076/original/file-20230816-23-1nqlbg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=901&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/543076/original/file-20230816-23-1nqlbg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=901&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/543076/original/file-20230816-23-1nqlbg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=901&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/543076/original/file-20230816-23-1nqlbg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1132&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/543076/original/file-20230816-23-1nqlbg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1132&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/543076/original/file-20230816-23-1nqlbg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1132&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les régions administratives du Tchad. Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikimedia</span></span>
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<p>Partageant avec le Soudan une frontière de 1 360 km, le Tchad connaît une <a href="https://reliefweb.int/report/chad/lafflux-des-refugies-soudanais-provoque-une-crise-humanitaire-au-tchad">exacerbation de la crise humanitaire</a> dans l’Est du pays, où douze camps de réfugiés sont installés depuis 2003. Les provinces de Sila, du Ouaddai et de Wadi Fira voient quotidiennement arriver des milliers de personnes. Les conséquences de cette crise sont d’ordre sécuritaire, économique, environnemental et politique.</p>
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<p>Sur le plan sécuritaire, le Tchad doit sécuriser sa longue frontière avec le Soudan. En matière économique, les échanges commerciaux se sont estompés, <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20230508-tout-vient-du-soudan-les-prix-grimpent-en-fl%C3%A8che-%C3%A0-l-est-du-tchad-%C3%A0-cause-du-conflit">entrainant une flambée des prix</a>, ce qui accélère l’extrême fragilité des communautés hôtes. L’environnement subit des pressions, à l’instar du bois de chauffe, qui reste la seule source d’énergie disponible. Et sur le plan politique, le Tchad, en <a href="https://theconversation.com/afrique-des-transitions-democratiques-aux-transitions-militaires-197467">transition politique</a>, redoute un potentiel transfert du conflit soudanais sur son territoire. Dans les principales villes de l’Est du Tchad, beaucoup de familles, déjà en grande précarité, accueillent des proches venus du Soudan.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/543017/original/file-20230816-23-7rtxgm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/543017/original/file-20230816-23-7rtxgm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/543017/original/file-20230816-23-7rtxgm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/543017/original/file-20230816-23-7rtxgm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/543017/original/file-20230816-23-7rtxgm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/543017/original/file-20230816-23-7rtxgm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/543017/original/file-20230816-23-7rtxgm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le 17 juin 2023, au lycée Issakha Haroun d’Adré, lieu d’accueil spontané de réfugiés, de jeunes membres d’une famille font de l’ombre avec un pagne pour protéger les plus âgés, majoritairement des femmes avec bébés.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Abdel Hakim Tahir</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<h2>Une crise tchado-soudanaise plus sévère que celle de 2003</h2>
<p>Par rapport à 2003, la crise actuelle a des répercussions économiques inattendues sur le Tchad. La première crise n’avait pas empêché les échanges commerciaux entre les deux pays, l’Est du Tchad dépendant beaucoup du Soudan en termes d’approvisionnement en produits de première nécessité. La livre soudanaise y est privilégiée dans les transactions commerciales.</p>
<p>En revanche, la crise de 2023 menace de rompre la chaîne d’approvisionnement à partir du Soudan. En 2003, la <a href="https://www.hrw.org/report/2006/01/19/sudan-imperatives-immediate-change/african-union-mission-sudan">mission d’interposition de l’Union africaine (AMIS)</a> avait été déployée, atténuant la crise avant l’arrivée de la <a href="https://peacekeeping.un.org/fr/mission/minuad">MINUAD</a> (opération hybride Union africaine – Nations unies au Darfour), dont le mandat s’est achevé le 31 décembre 2020, laissant ainsi le champ libre à toutes les parties guerrières. Depuis, les forces mixtes tchado-soudanaises se vouent à sécuriser la frontière commune, négligeant la protection des civils à l’intérieur du territoire soudanais. L’absence d’une autorité interne forte et d’une force d’interposition laisse présager un afflux colossal de réfugiés sur le sol tchadien.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/543029/original/file-20230816-19-doyywg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/543029/original/file-20230816-19-doyywg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/543029/original/file-20230816-19-doyywg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/543029/original/file-20230816-19-doyywg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/543029/original/file-20230816-19-doyywg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/543029/original/file-20230816-19-doyywg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/543029/original/file-20230816-19-doyywg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Distribution de produits alimentaires au quartier Massalit d’Adré par la Commission Nationale d’Accueil et de Réintégration des Réfugiés et Rapatriés) (CNARR) et l’ONG Planète Urgence, le 22 juin 2023.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Abdel Hakim Tahir</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>En six semaines de conflit, en date du 19 juin 2023, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés (HCR) avait dénombré 115 980 personnes déplacées, majoritairement des femmes et des enfants. À cette date, le nombre de réfugiés estimés par l’organisation <a href="https://www.ohchr.org/fr/statements/2023/06/sudan-high-commissioner-calls-end-sea-suffering">dépassait les 150 000</a>. La porosité de la frontière complique la tâche des différents acteurs de l’humanitaire, confrontés aux difficultés liées à la saison des pluies, qui risquent d’épuiser les moyens de subsistance des populations.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/o989DTFOeWw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Dans ce contexte, le danger de famine au sein de cette population, déjà très fortement affectée par la malnutrition infantile aiguë, nécessite une mobilisation accrue de tous les acteurs. Des milliers de Soudanais, de Tchadiens revenant du Soudan et d’autres migrants continuent de traverser la frontière. Tous les ingrédients d’une <a href="https://www.voaafrique.com/a/au-darfour-l-histoire-se-r%C3%A9p%C3%A8te-et-avec-elle-les-crimes-de-guerre-/7158173.html">nouvelle catastrophe humanitaire</a> semblent réunis.</p>
<h2>La communauté internationale en retrait du conflit</h2>
<p>Face à cette tragédie, la communauté internationale adopte une <a href="https://www.unicef.fr/article/soudan-la-communaute-internationale-na-plus-dexcuse/">attitude questionnable de spectatrice</a>, traduisant une négligence habituelle qui tranche radicalement avec le vif engouement manifesté pour la guerre en Ukraine. Les Nations unies se limitent à des condamnations et des mises en missions d’envoyés spéciaux. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/543733/original/file-20230821-27-sc92en.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/543733/original/file-20230821-27-sc92en.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/543733/original/file-20230821-27-sc92en.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/543733/original/file-20230821-27-sc92en.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/543733/original/file-20230821-27-sc92en.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/543733/original/file-20230821-27-sc92en.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/543733/original/file-20230821-27-sc92en.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des personnes vulnérables et des blessés en attente de la distribution des kits contenant des produits non alimentaires (NFI) et des rations alimentaires dans le quartier Massalit d’Adré, le 22 juin 2023.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Abdel Hakim Tahir</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>Se cantonnant dans une diplomatie passive, l’Union africaine (UA) est déclassée sur le terrain par <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20230717-guerre-au-soudan-vers-une-reprise-des-pourparlers-en-arabie-saoudite">l’Arabie saoudite</a>, mieux écoutée par les belligérants du fait de sa capacité d’accompagnement matériel et financier, ainsi que de ses liens multiples avec les belligérants d’ordre culturel, de formation militaire, etc.</p>
<p>Par ailleurs, l’UA adopte des démarches peu lisibles, à l’instar de la <a href="https://www.jeuneafrique.com/1454403/politique/une-mediation-de-paix-africaine-arrive-a-kiev/">mission de médiation</a> qu’elle a conduite le 15 juin 2023 entre la Russie et l’Ukraine alors que des Africains étaient massacrés au Soudan.</p>
<h2>L’urgente nécessité d’une aide humanitaire</h2>
<p>Le défi majeur pour mettre en place une aide humanitaire efficace est de mobiliser la communauté internationale autour de la crise. Pour rappel, le Tchad accueille déjà plus de 400 000 réfugiés soudanais ; or leurs besoins ne sont pas financés à hauteur de ce qu’ils devraient être, loin de là. Seuls 20 % des financements attendus pour le Tchad en 2022 dans le <a href="https://reliefweb.int/report/chad/tchad-plan-de-r-ponse-humanitaire-2022-mars-2022">Plan de Réponse Humanitaire</a> mis en œuvre par l’ONU avaient été mobilisés. Les principaux défis humanitaires s’articulent autour de trois points : la mobilisation, la protection et la coordination. </p>
<p>En termes de mobilisation, un engagement financier des donateurs est très attendu. Sur le plan de la protection, il convient, d’une part, de mettre à l’abri des violences les personnes ayant franchi la frontière et d’installer des abris d’urgence pour héberger les réfugiés qui se trouvent en pleine nature, vulnérables face aux intempéries ; d’autre part, de protéger les acteurs humanitaires. Enfin, il est nécessaire de mettre en place un système de coordination entre les divers acteurs présents sur le terrain (organisations humanitaires, organisations internationales, autorités centrales et régionales du Tchad, etc.) pour leur permettre d’optimiser leurs actions.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/543046/original/file-20230816-21-u3r3bh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/543046/original/file-20230816-21-u3r3bh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/543046/original/file-20230816-21-u3r3bh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/543046/original/file-20230816-21-u3r3bh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/543046/original/file-20230816-21-u3r3bh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/543046/original/file-20230816-21-u3r3bh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/543046/original/file-20230816-21-u3r3bh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un groupe d’enfants réfugiés jouant entre les abris de fortune dans le quartier Massalit d’Adré, site d’accueil spontané, le 24 juin 2023.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Abdel Hakim Tahir</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<h2>Quatre hypothèses</h2>
<p>Quatre hypothèses se dégagent aujourd’hui : 1) la poursuite de la confrontation actuelle, ce qui impliquera une accélération des diverses exactions ; 2) une victoire des forces armées soudanaises, qui se traduirait par un repli des FSR sur le Darfour, dont les forces de Burhan, avant tout préoccupées par la sécurisation de Khartoum et de ses environs, leur abandonneraient le contrôle ; 3) une situation où les FSR prendraient le dessus – les Darfouris ne pourraient alors aucunement compter sur la protection du nouveau gouvernement central ; 4) La quatrième hypothèse, moins dramatique pour ces populations, repose sur une éventuelle intervention de la communauté internationale, option qui semble pour l’heure lointaine malgré la récente <a href="https://presidence.td/cooperation-la-sga-des-nations-unies-recue-par-le-chef-de-letat/">venue au Tchad de la secrétaire adjointe de l’ONU</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/543038/original/file-20230816-22-j4h51j.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/543038/original/file-20230816-22-j4h51j.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/543038/original/file-20230816-22-j4h51j.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/543038/original/file-20230816-22-j4h51j.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/543038/original/file-20230816-22-j4h51j.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/543038/original/file-20230816-22-j4h51j.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/543038/original/file-20230816-22-j4h51j.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Jeune fille blessée au cours des combats, prise en charge à l’hôpital d’Adré et amputée de la jambe, rapportant les scènes de la violence subie, le 9 juillet 2023.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Abdel Hakim Tahir</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Les <a href="https://www.voaafrique.com/a/au-darfour-l-histoire-se-r%C3%A9p%C3%A8te-et-avec-elle-les-crimes-de-guerre-/7158173.html">crimes de masse</a> commis dans le cadre du conflit sont d’une telle ampleur que la Cour pénale internationale a pu, à juste titre, <a href="https://www.france24.com/fr/afrique/20230713-soudan-la-cour-p%C3%A9nale-internationale-ouvre-une-nouvelle-enqu%C3%AAte-pour-crimes-de-guerre">se saisir du dossier</a>. Sur le plan sécuritaire, un cessez-le-feu suivi du déploiement d’une force d’interposition avec mandat doit être imposé par l’ONU.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/543045/original/file-20230816-19-hy87ze.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/543045/original/file-20230816-19-hy87ze.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/543045/original/file-20230816-19-hy87ze.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/543045/original/file-20230816-19-hy87ze.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/543045/original/file-20230816-19-hy87ze.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/543045/original/file-20230816-19-hy87ze.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/543045/original/file-20230816-19-hy87ze.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Afflux autour des camions du Programme alimentaire Mondial (PAM) transportant des vivres à Ambilia le 24 juin 2023.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Abdel Hakim Tahir</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Sur le plan logistique, les différents mécanismes d’urgence doivent être rapidement mis en action afin de mobiliser les fonds nécessaires pour garantir l’assistance humanitaire. Sur le plan judiciaire, et à l’instar de l’actuelle initiative de la CPI, les juridictions pénales internationales doivent se saisir de la question face aux violations des conventions du droit international humanitaire (Mécanisme international appelé à exercer les fonctions résiduelles des tribunaux pénaux internationaux - <a href="https://www.irmct.org/fr/le-mecanisme-en-bref#:%7E:text=Le%20M%C3%A9canisme%20international%20appel%C3%A9%20%C3%A0,ex%E2%80%91Yougoslavie%20(TPIY).">MTPI</a>-,juridictionshybrides,mécanismesd’enquêtepré-juridictionnels).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/543044/original/file-20230816-23-hgy6z1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/543044/original/file-20230816-23-hgy6z1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/543044/original/file-20230816-23-hgy6z1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/543044/original/file-20230816-23-hgy6z1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/543044/original/file-20230816-23-hgy6z1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/543044/original/file-20230816-23-hgy6z1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/543044/original/file-20230816-23-hgy6z1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Réfugiés initialement installés à Adré, relocalisés dans un nouveau camp, à Ourang, à 30 km au sud-ouest d’Adré, et accueillis dans des hangars communautaires de transit, 10 juillet 2023.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Abdel Hakim Tahir</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Enfin, sur le plan politique, un agenda de sortie de crise doit être assorti d’une mise sous embargo préalable du Soudan en ce qui concerne la circulation des armes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/211555/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Des dizaines de milliers de Soudanais fuient la guerre civile vers le Tchad, où résident déjà des centaines de milliers de réfugiés soudanais ayant fui le Darfour au cours des 20 dernières années.Pierre Kamdem, Professeur des universités en Géographie, Université de PoitiersAbdel Hakim Tahir Arim, Doctorant en géographie à l'Unité de Recherche RURALITES, Université de PoitiersLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2086872023-08-13T13:06:40Z2023-08-13T13:06:40ZCe que certains courriers de lecteurs révèlent à propos des migrants<p>L’arrivée de Geoffroy Lejeune – ancien rédacteur en chef de Valeurs actuelles – à la tête du Journal du dimanche, <a href="https://theconversation.com/la-crise-du-journal-du-dimanche-et-ce-quelle-dit-de-lavenir-de-la-presse-francaise-210606">après une longue grève de la rédaction</a>, laisse envisager un traitement médiatique très différent de certains sujets clefs au sein de l’hebdomadaire. Parmi eux, celui des migrants, qui suscite des sentiments et des comportements très variés dans la population française, et qui est reflété très différemment dans les journaux. C’est notamment grâce aux courriers de lecteurs de différents médias que nous avons pu obtenir des indications sur les systèmes de représentation et sur les justifications que des individus se donnent au sujet de certains faits de société tels que les migrations.</p>
<p>Dans un courrier, son auteur donne à voir une certaine situation au travers de descriptions, de narrations, de l’expression de sentiments, de jugements, de dialogues, de paroles rapportées, etc. Il met en scène des intervenants, des événements et une chronologie.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/541716/original/file-20230808-17-old50p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/541716/original/file-20230808-17-old50p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/541716/original/file-20230808-17-old50p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=170&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/541716/original/file-20230808-17-old50p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=170&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/541716/original/file-20230808-17-old50p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=170&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/541716/original/file-20230808-17-old50p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=214&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/541716/original/file-20230808-17-old50p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=214&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/541716/original/file-20230808-17-old50p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=214&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Pelerin (12 juillet 2018).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Europresse</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<span class="caption">Courrier extrait de Valeurs actuelles (17 janvier 2019).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Europresse</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Pour <a href="https://hal.science/hal-04140764">notre étude</a>, nous nous sommes concentrés sur des courriers de lecteurs qui contiennent le mot « migrants » mais qui traitent d’un thème qui ne les concerne pas directement : il pourra s’agir des retraites, de la vie associative, de la souveraineté de la Pologne, de l’arrogance de l’Allemagne, etc. Ces courriers évoquent les migrants en périphérie du thème ; c’est pourquoi nous les nommons « courriers périphériques ».</p>
<h2>Une analyse de contenus des lettres de lecteurs</h2>
<p>Notre corpus d’étude est constitué de courriers de lecteurs provenant de journaux appartenant à deux courants politiques opposés sur la question de l’accueil des migrants.</p>
<p>D’une part, <em>Valeurs actuelles</em>, média classifié <a href="https://www.cairn.info/revue-quaderni-2022-3-page-99.htm">à l’extrême droite</a> connu pour ses « Unes » fréquentes sur les dangers liés aux migrants, et d’autre part des journaux chrétiens connus pour leur position éditoriale bienveillante à l’égard de l’accueil des migrants : <em>La Croix</em>, <em>La Vie</em> et <em>Le Pèlerin</em>.</p>
<p>Bien que Valeurs actuelles et les journaux chrétiens s’opposent radicalement sur leur approche de la question migratoire, on observe certaines similitudes entre les contenus des deux corpus.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Tout d’abord, quelques rares indications tendent à montrer que les courriers mobilisent principalement des personnes âgées et très majoritairement masculins. Par ailleurs, il est quasiment toujours question des migrants comme d’un groupe, et non pas d’individus ou de familles. Les migrants sont perçus comme une masse plutôt indistincte.</p>
<p>Enfin, les représentations des migrants qui émergent de la lecture de Valeurs actuelles et des journaux chrétiens présentent un trait commun : une tonalité anxiogène. En effet, dans les courriers périphériques, on parle des migrants pour évoquer la guerre, la grande pauvreté, l’égoïsme de nos sociétés, des drames meurtriers, des injustices, ou encore le terrorisme. L’image d’une foule massive d’arrivants, plutôt que des personnes ou de très petits groupes, contribue également à cette tonalité anxiogène.</p>
<h2>Une anxiété différente</h2>
<p>L’anxiété qui émane de ces deux corpus n’est cependant pas du même type. Dans <em>Valeurs actuelles</em>, cette anxiété concerne la situation de menace dans laquelle se trouveraient les populations de France ou d’Europe, face à l’arrivée de migrants.</p>
<p>On parle ainsi d’appauvrissement des populations locales, d’envahissement, de violences sexuelles à l’encontre des femmes, d’insécurité en général, d’islamisation de la société, de terrorisme. Par contre, dans les journaux chrétiens, l’anxiété est en lien avec l’égoïsme de l’Europe à l’égard des migrants, la situation vulnérable de ceux-ci, l’interdiction qui leur est faite de s’intégrer dès lors qu’ils ne sont pas en règle avec la loi, la violence dont ils sont victimes dans leur pays, ou durant leur migration ou en France, ou encore les discours stigmatisants dont ils sont victimes.</p>
<p>Cette tonalité anxiogène s’explique chez les lecteurs de <em>Valeurs actuelles</em>, car les articles rédactionnels de ce journal traitent aussi des migrants de façon anxiogène.</p>
<p>À l’inverse, dans les journaux chrétiens, certains journalistes parlent assez souvent de migrants dans des articles qui évoquent la confiance et l’espoir plutôt que l’anxiété. Par exemple, des articles parleront de belles expériences de vie associative auxquelles participent des migrants.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/538474/original/file-20230720-27-zgmt4r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/538474/original/file-20230720-27-zgmt4r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/538474/original/file-20230720-27-zgmt4r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=772&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/538474/original/file-20230720-27-zgmt4r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=772&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/538474/original/file-20230720-27-zgmt4r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=772&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/538474/original/file-20230720-27-zgmt4r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=971&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/538474/original/file-20230720-27-zgmt4r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=971&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/538474/original/file-20230720-27-zgmt4r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=971&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Captures d’écran de la base de données Europresse.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<span class="caption">Captures d’écran de la base de données Europresse.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Nous avons extrait de notre base de données 250 courriers de lecteurs contenant la forme « migrants », et dans ce corpus, nous avons extrait 47 courriers périphérique. Nous avons constitué un corpus de 23 courriers de lecteurs dans Valeurs actuelles et 24 courriers dans les journaux chrétiens.</p>
<p>Dans l’hebdomadaire <em>Valeurs actuelles</em>, les courriers qui traitent des migrants sont beaucoup plus nombreux que dans <em>Le Pèlerin</em> ou <em>La Vie</em>, et même plus nombreux que dans un quotidien (<em>La Croix</em>). Les migrants semblent donc particulièrement mobiliser la réflexion des lecteurs de ce journal.</p>
<h2>Les migrants comparés à des populations menacées… ou menaçantes</h2>
<p>Les auteurs de courriers de lecteurs des journaux chrétiens assimilent, comparent ou établissent des analogies entre les migrants et d’autres populations qui se caractérisent également par leur vulnérabilité ; des populations pourchassées, opprimées ou vivant dans une grande pauvreté. Ils sont ainsi comparés aux juifs victimes du nazisme, aux personnes massacrées en Ex-Yougoslavie ou en Afrique, aux exclues, aux personnes rejetées, aux femmes seules avec enfants à charge, aux précaires qui relèvent d’ATD-Quart Monde et du Secours Catholique, etc.</p>
<p>Une analogie est donc très souvent opérée entre les migrants et d’autres populations menacées, ce qui accrédite l’hypothèse selon laquelle ils constituent, eux-aussi, une population menacée.</p>
<p>Contrairement à celles des journaux chrétiens, les lettres de <em>Valeurs actuelles</em> assimilent ou comparent les migrants avec d’autres groupes ou d’autres populations caractérisées par leur manque de probité ou par les problèmes économiques ou sécuritaires qu’ils posent à la population française. Ils y sont donc présentés comme une population menaçante pour des populations du pays d’accueil.</p>
<p>Dans les journaux chrétiens, les migrants subissent plutôt qu’ils n’agissent. Ils subissent le rejet des dirigeants du FN, ils meurent par milliers en Méditerranée, on leur refuse le regroupement familial, ils sont l’objet des fanfaronnades d’un ministre italien, ils sont ignorés par l’Église officielle, ils subissent la guerre au Moyen-Orient. Ils subissent la famine et la privation de liberté, les bombardements ou encore la guerre.</p>
<p>Les lettres de Valeurs actuelles n’évoquent pas ce que peuvent subir les migrants, mais uniquement ce qui serait fait en leur faveur. Les migrants y seraient l’objet d’une généreuse attention de l’État (allocations, accueil, logement). Les aides aux migrants sont souvent mises en parallèle avec la paupérisation de la population du pays d’accueil.</p>
<h2>Des lettres de lecteurs que tout oppose</h2>
<p>La représentation des migrants montre que les courriers de lecteurs reprennent le plus souvent des traits stéréotypés au sujet des migrants. Ces traits diffèrent et sont le plus souvent opposés entre les représentations de Valeurs actuelles et celles des journaux chrétiens.</p>
<p>Tandis que les lettres de Valeurs actuelles conçoivent les migrants comme une menace pour les Français et les Européens (en profitant des aides sociales, en menaçant les femmes, en commettant des attentats terroristes), ceux des journaux chrétiens les perçoivent comme une population menacée (en danger de mort, d’exploitation, de prostitution, de vie insalubre).</p>
<p>Dans leurs représentations des migrants, les courriers de Valeurs actuelles et ceux des journaux chrétiens ne parlent pas des mêmes acteurs ni des mêmes actions lorsqu’ils évoquent les migrants. Les groupes français qu’ils voient interagir avec les migrants ne sont pas les mêmes.</p>
<p>Valeurs actuelles et les journaux chrétiens construisent donc des représentations des migrants opposées et incompatibles. Un extra-terrestre qui lirait ces journaux pourrait conclure que les auteurs des courriers utilisent le même terme « migrants » pour désigner deux populations radicalement différentes…</p>
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<p><em>Laurence Brunet, enseignante-chercheuse en linguistique de l’université de la Rochelle, retraitée, a co-écrit cet article. Une version académique de cet article paraîtra dans le numéro 13-14/2023 de la revue Les Cahiers Linguatek</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208687/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Goldberg ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les courriers de lecteurs de différents médias donnent des indications sur la façon dont les individus se représentent certains faits de société tels que les migrations.Michel Goldberg, Associate professor, La Rochelle UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2081372023-06-25T15:00:53Z2023-06-25T15:00:53ZNaufrage au large de la Grèce : des morts et des questions<p>Ils sont des dizaines, tournés vers le ciel, les bras tendus : difficile de concevoir un signe de détresse plus universel. Sur la <a href="https://apnews.com/article/migrants-shipwreck-rescue-greece-coast-guard-c160027a00d1ad2f859b97e3e8e7643d">photo</a> communiquée par garde-côtes grecs (Hellenic Coast Guards, HCG), prise le 13 juin 2023, le chalutier densément chargé se détache de l’eau bleue de la mer Ionienne, à environ 80 km au sud-ouest de Pylos.</p>
<p>Dans la nuit qui suit, alors qu’un navire des HCG se trouve à proximité, le bateau coule, emportant avec lui un grand nombre de ses occupants. Seuls 104 hommes ont survécu, et 81 corps ont été <a href="https://www.infomigrants.net/fr/post/49775/grece--trois-nouveaux-corps-repeches-le-bilan-du-naufrage-passe-a-81-victimes">récupérés</a>. Entre les premiers appels de détresse, reçus en début de journée du 13 juin, et le naufrage du navire, quatorze heures se sont écoulées. Pourquoi les 750 personnes à bord de ce navire n’ont-elles pas été secourues ? Pourquoi le navire, en route depuis 5 jours, a-t-il chaviré à ce moment-là ?</p>
<p>Plusieurs jours après ce drame, les questions s’accumulent et leurs réponses se contredisent. Dans les mailles de ces interrogations se dessinent des marqueurs d’une gestion européenne des frontières migratoires maritimes, où la sûreté humaine vient après la <a href="https://brill.com/view/journals/emil/21/4/article-p459_3.xml?language=en">sécurité des frontières</a>.</p>
<p>Pour sortir du <a href="https://doi.org/10.1111/1758-5899.12401">« spectacle singulier »</a> constitué autour de chaque naufrage – leur fréquence particulière <a href="https://news.un.org/fr/story/2023/04/1134157#:%7E:text=Le%20projet%20%C2%AB%20Migrants%20disparus%20%C2%BB%20de,en%20de%C3%A7%C3%A0%20de%20la%20r%C3%A9alit%C3%A9.">depuis le début de l’année 2023</a> nous y oblige – il est nécessaire de replacer le naufrage de Pylos dans un contexte structurel. Que dit-il de la politique mortifère de dissuasion qui se joue en mer ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lexil-ou-la-mort-pour-une-politisation-de-la-question-migratoire-166707">L’exil ou la mort ? Pour une politisation de la question migratoire</a>
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<h2>Un départ de l’est libyen pour l’Italie : contourner les pushbacks</h2>
<p>Près de 750 personnes syriennes, palestiniennes, pakistanaises, afghanes et égyptiennes ont embarqué dans ce bateau de pêche le 9 juin, <a href="https://www.infomigrants.net/fr/post/49754/greece-questions-continue-mounting-over-final-hours-before-migrant-ship-sank">à l’est des côtes libyennes</a>. Pourquoi des personnes originaires d’Asie centrale et du Moyen-Orient se trouvent-elles en Libye pour rejoindre l’Europe ?</p>
<p>Face aux <a href="https://ecre.org/wp-content/uploads/2017/04/Policy-Papers-01.pdf">restrictions de visas</a> mises en place dans l’espace Schengen depuis les années 1990, la plupart des personnes fuyant ces pays n’ont d’autre choix que de se déplacer de manière irrégulière, pour la <a href="https://www.unhcr.org/refugee-statistics/">petite part</a> qui cherche à rejoindre l’Europe. Or les contrôles sur les routes migratoires se sont particulièrement durcis. Entre la Grèce et la Turquie, le <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1068/d13031p">déploiement de surveillance</a> par les autorités grecques, turques et l’agence <a href="https://theconversation.com/frontex-une-administration-decriee-dans-la-tourmente-183468">Frontex</a> a mené les personnes traversant à passer successivement par les routes de la mer Égée, ou de la région terrestre d’Évros.</p>
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<p>Depuis mars 2020, les pratiques de <a href="https://aegeanboatreport.com/"><em>pushbacks</em></a>, ou refoulement, par les autorités grecques se sont intensifiées : interceptés par les HCG, en mer ou à terre, des groupes de personnes migrantes sont tractés et repoussés vers les eaux turques, parfois placées dans des <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/leiden-journal-of-international-law/article/weaponizing-rescue-law-and-the-materiality-of-migration-management-in-the-aegean/068B225CF16390CCBA5FFD10FC3CEF8C">radeaux de survie</a>, sans moteurs, <a href="https://counter-investigations.org/investigation/drift-backs-in-the-aegean-sea">à la dérive</a>.</p>
<p>Ces pratiques sont sont illégales mais rendues possibles par des réglementations européennes qui font des pays d’Europe du Sud une <a href="https://nearfuturesonline.org/wp-content/uploads/2016/03/Heller_Pezzani_Ebbing_2016.pdfer_Pezzani_Ebbing_2016.pdf">« couronne intérieure de contrôle »</a>, et sont tolérées, sur le plan politique : en mars 2020, la présidente de la Commission européenne remerciait la Grèce d’être le <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/statement_20_380">« bouclier » européen</a>, sans faire référence ni aux obligations de la Grèce et de Frontex en termes de respect des droits fondamentaux à la frontière, ni aux témoignages de <a href="https://www.ohchr.org/sites/default/files/Documents/Issues/Migration/pushback/MareLiberumSubmission.pdf">cas de <em>pushbacks</em></a> qui émergeaient alors.</p>
<p>Le départ de Tobruk pour les Calabres, en Italie, permettait ainsi d’éviter l’Ouest libyen et ses gardes-côtes, eux-mêmes <a href="https://www.washingtonpost.com/world/eu-continues-training-libyan-partners-despite-migrant-abuses/2022/01/25/6cf9ac4c-7db2-11ec-8cc8-b696564ba796_story.html">financés et entraînés</a> par l’Union européenne pour intercepter les personnes fuyant leurs côtes, et la mer Égée. 750 personnes se sont donc embarquées sur une longue route, dans des <a href="https://www.theguardian.com/world/2023/jun/18/pakistanis-were-forced-below-deck-on-refugee-boat-in-greece-disaster?CMP=Share_iOSApp_Other">conditions de traversée terribles</a> imposées par les passeurs l’organisant. Après 4 jours de navigation, elles se sont trouvées dans l’endroit qu’elles voulaient éviter : la zone de recherche et de sauvetage grecque.</p>
<h2>Le traitement sécuritaire du SAR (search-and-rescue)</h2>
<p>Revenons brièvement sur la chronologie du naufrage (les horaires sont données sur le fuseau EEST) : à 10h35, <a href="https://www.ccme.org.ma/fr/marocains-du-monde/43563">Nawal Soufi</a>, travailleuse sociale et militante sicilienne d’origine marocaine, <a href="https://www.eldiario.es/desalambre/ultimas-horas-pesquero-naufragado-jonico-siento-ultima-noche-vida_1_10299007.html">reçoit des appels</a> de détresse en provenance du navire de pêche, qu’elle transmet aux autorités italiennes, maltaises et grecques. Le navire de pêche est localisé par un avion Frontex à 11h47, qui quitte rapidement la zone, faute de carburant (<a href="https://frontex.europa.eu/media-centre/news/news-release/frontex-statement-following-tragic-shipwreck-off-pylos-dJ5l9p">d’après l’agence</a>). </p>
<p>Les autorités grecques entrent en contact avec le navire qui ne demande pas d’assistance selon elles. En parallèle, d’autres appels au secours sont adressés au numéro d’urgence du collectif de soutien aux personnes migrantes <a href="https://alarmphone.org/en/2023/06/14/europes-shield/">Alarm Phone</a>. Ce n’est qu’à 15h35 (4h après l’alerte de Frontex) qu’un bateau des HCG part pour la zone, depuis la Crète. Les HCG sollicitent les bateaux commerciaux environnants pour surveiller le navire. Ceux-ci seront chargés de distribuer de l’eau et des vivres aux personnes embarquées. Les <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/06/23/naufrage-au-large-de-la-grece-les-failles-des-secours_6178832_3210.html">bateaux</a> quittent la zone, et de <a href="https://www.efsyn.gr/ellada/koinonia/393777_i-ekdohi-toy-yp-naytilias-gia-nayagio-me-toys-prosfyges-anoihta-tis-pyloy">22h40 à 1h40</a>, le patrouilleur des HCG reste à proximité du navire de pêche, sans, selon eux, intervenir.</p>
<p>Par l’absence d’urgence dans le déploiement de moyens de secours prêts à réaliser une opération de sauvetage, il semble que les HCG n’aient pas traité ce cas comme un cas de détresse, mais comme un incident relevant de la sécurité de la frontière : l’opération de sauvetage n’aurait débuté qu’au moment où le navire a chaviré, d’après le <a href="https://www.efsyn.gr/ellada/koinonia/393777_i-ekdohi-toy-yp-naytilias-gia-nayagio-me-toys-prosfyges-anoihta-tis-pyloy">communiqué de presse</a> du Ministère de la Marine marchande.</p>
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<figcaption><span class="caption">Naufrage du bateau de migrants : les familles affluent à la recherche de survivants en Grèce. France 24.</span></figcaption>
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<h2>Un navire en détresse</h2>
<p>Pour justifier l’absence d’action des HCG, l’ancien ministre grec <a href="https://twitter.com/nmitarakis/status/1669605669077483526">Notis Mitarachi</a> se réfère à la <a href="https://www.un.org/depts/los/convention_agreements/texts/unclos/unclos_e.pdf">Convention de l’ONU sur le droit de la mer</a>, et non aux conventions sur le sauvetage. Il argumente que « les garde-côtes ont le droit d’arrêter un navire, de l’inspecter pour vérifier qu’il n’y a pas d’activité illégale dans les eaux territoriales », et que le bateau de pêche se trouvait en haute mer, ne permettant donc pas de contrôle. Or le bateau était bel et bien dans la zone de recherche et de sauvetage (SAR) grecque, région maritime où, d’après la <a href="https://treaties.un.org/doc/publication/unts/volume%201405/volume-1405-i-23489-english.pdf">convention SAR de 1979</a>, l’État se doit de mettre en place des services pour coordonner les opérations de sauvetage.</p>
<p>Selon le ministère de la marine marchande, le bateau n’était pas en détresse le long de la journée du 13 juin : d’une part, il avançait de manière continue, et d’autre part, ses occupants ne demandaient pas assistance, souhaitant se rendre en Italie. Pourtant, au regard du droit maritime international, ces éléments ne suffisent pas à caractériser l’absence de détresse, tel qu’expliqué par la juriste <a href="https://wearesolomon.com/mag/focus-area/migration/they-are-urgently-asking-for-help-the-sos-that-was-ignored">Nora Markard</a>, ainsi que par un ancien officier des HCG, car il y avait des raisons objectives de considérer cette embarcation en détresse : le nombre de personnes à bord, l’état du navire, et les appels de détresse reçus.</p>
<p>L’agence Frontex et ses moyens se sont eux aussi tenus largement éloignés de la localisation de l’embarcation, <a href="https://frontex.europa.eu/media-centre/news/news-release/frontex-statement-following-tragic-shipwreck-off-pylos-dJ5l9p">après l’avoir repérée</a>. Elle a ainsi limité son rôle à une action de détection, laissant ensuite libre cours à l’action des forces d’intervention grecques <a href="https://academic.oup.com/bjc/advance-article-abstract/doi/10.1093/bjc/azac009/6546429?redirectedFrom=fulltext">(un mode opératoire récurrent)</a>.</p>
<p>Cette relégation du sauvetage à un second plan semble s’inscrire dans une politique installée, qui se traduit notamment dans des investissements différenciés : d’après une <a href="https://wearesolomon.com/mag/focus-area/migration/just-007-of-819m-border-budget-to-greece-earmarked-for-search-and-rescue/">enquête du média grec Solomon</a>, seuls 0,07 % du budget alloué à la Grèce pour sa gestion de la frontière par l’Union européenne est destiné au SAR (<em>search and rescue</em>, recherche et sauvetage).</p>
<h2>La culture du secret aux frontières</h2>
<p>Le déroulé du naufrage de l’embarcation fait aujourd’hui l’objet d’importants dissensus, entre d’une part, les communiqués des HCG et ministres grecs, et d’autre part, les appels de détresse, les témoignages des personnes survivantes et les enquêtes journalistiques en cours. Les dissonances entre les récits ont amené les autorités à égrener davantage d’informations et de justifications dans les jours faisant suite au naufrage.</p>
<p>Premièrement, le fait que le navire de pêche avançait d’une vitesse stable et continue le long de la journée du 13 juin est remis en question par deux analyses journalistiques : celle des <a href="https://www.news247.gr/koinonia/nayagio-stin-pylo-ta-stigmata-diapseydoyn-to-limeniko-to-alieytiko-itan-11-ores-sto-idio-simeio.10084007.html">positions du bateau</a> relayées au fur et à mesure de la journée, et celle des <a href="https://www.bbc.com/news/world-europe-65942426">données AIS</a> (<a href="https://doi.org/10.4000/netcom.1943">données émises automatiquement</a> qui transmettent notamment des informations sur la localisation du bateau) des bateaux intervenus pour porter assistance.</p>
<p>Deuxièmement, d’après les garde-côtes grecs, le bateau de pêche aurait coulé très brusquement, après un arrêt de son moteur à 1h40. Or plusieurs témoignages des survivants accusent les accusent d’avoir provoqué le naufrage, en <a href="https://www-mediapart-fr.ezproxy.normandie-univ.fr/journal/international/170623/apres-le-naufrage-des-survivants-denoncent-les-gardes-cotes-grecs-et-frontex">tentant de remorquer</a> le navire hors de la zone SAR grecque.</p>
<p>Les changements de version des officiers des HCG à ce propos mettent en question la transparence de leurs témoignages : le 15 juin, un porte-parole des HCG, Nikolaos Alexiou, niait entièrement le fait qu’il y ait eu amarrage entre le navire de pêche et le patrouilleur. Dans un article publié le lendemain, un responsable des HCG <a href="https://www.documentonews.gr/article/nayasio-stin-pylo-to-limeniko-gyrise-to-ploio-an-den-mas-eixe-travixei-etsi-de-tha-eixe-pethanei-oyte-enas-anthropos-sygklonistikes-martyries/">contredit cette version</a> : un amarrage aurait été réalisé aux alentours de 23h, soit bien avant le naufrage, et il aurait été rapidement délié par des personnes à bord. Les garde-côtes continuent à nier tout remorquage.</p>
<p>Troisièmement, la diligence des HCG dans la conduite du sauvetage des naufragés à l’eau est remise en question par des témoignages de survivants. Des hommes parlent d’une longue attente en mer avant d’être récupérés, et de garde-côtes peu équipés pour réaliser du sauvetage la nuit, et de <a href="https://www.thetimes.co.uk/article/afc261c6-0d31-11ee-aa7c-6e26d8c3ad9b?shareToken=704a366a80bbc6967f02243ddedc5284">mauvais traitements infligés</a> après leur récupération. Ces accusations sont balayées par le porte-parole des garde-côtes grecs <a href="https://www.thetimes.co.uk/article/afc261c6-0d31-11ee-aa7c-6e26d8c3ad9b?shareToken=704a366a80bbc6967f02243ddedc5284">Nikos Alexiou</a> : </p>
<blockquote>
<p>« Nous avons agi immédiatement. C’est des conneries. Les garde-côtes grecs ont sauvé des milliers de vies et été engagés dans des centaines d’opérations. Ces accusations sont des mensonges. »</p>
</blockquote>
<p>Tous ces éléments pointent vers l’importance de la réalisation d’une enquête approfondie. D’autant plus que la Grèce a récemment été condamnée par la <a href="https://hudoc.echr.coe.int/fre#%7B%22languageisocode%22:%5B%22FRE%22%5D,%22appno%22:%5B%225418/15%22%5D,%22documentcollectionid2%22:%5B%22CLIN%22%5D,%22itemid%22:%5B%22002-13739%22%5D%7D">Cour européenne des Droits humains</a> pour des faits remontant à 2014 : une embarcation de 28 personnes avait coulé alors qu’elle était remorquée par les HCG en direction des eaux turques.</p>
<h2>La rhétorique humanitaire au service de la dissuasion mortifère</h2>
<p>Dans un ballet écrit d’avance, les jours suivants le naufrage ont vu les divers acteurs impliqués de près ou de loin dans le naufrage faire part de leur deuil et de leur tristesse à l’égard des personnes disparues. Pour <a href="https://twitter.com/LeijtensFrontex/status/1669371393115316227">Hans Leitjens</a>, directeur exécutif de Frontex depuis mars 2023, « sauver des vies sera toujours [leur] priorité ». Ce principe moral est repris et revendiqué, quand bien même il est en décalage criant avec les actions entreprises, et par des acteurs qui s’opposent au sauvetage en mer. De plus en plus explicitement, la dissuasion est présentée comme une action humanitaire. Itamar Mann, à propos de dissuasion, <a href="https://www.cambridge.org/core/books/humanity-at-sea/D6E3356B4F910FCE8E3D602F33BE2E04">écrivait</a>, en 2016 :</p>
<blockquote>
<p>« C’est un terme poli pour l’idée que certains migrants doivent souffrir pour empêcher d’autres migrants de chercher des solutions. »</p>
</blockquote>
<p>Dans une sorte de retournement orwellien, laisser mourir… sauve des vies.</p>
<p>Or tandis que le nombre de morts aux frontières s’accumule, les tentatives d’entrées irrégulières dans l’Union continuent. La liste des morts de réfugiés de <a href="https://unitedagainstrefugeedeaths.eu/wp-content/uploads/2014/06/ListofDeathsActual.pdf">UNITED</a>, actualisée chaque année et publiée le 7 juin 2023, est déjà obsolète : autour de 600 noms – leur nombre et leur identité demeureront peut-être incertains – doivent déjà la rallonger.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208137/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Camille Martel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Des témoignages de survivants divergent des communiqués des autorités grecques sur le déroulé du drame.Camille Martel, Doctorante en géographie, UMR IDEES, Université Le Havre NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2066932023-06-20T17:34:30Z2023-06-20T17:34:30ZNon, la langue française n’est pas une condition à l’intégration des migrants<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/531311/original/file-20230612-25-8ccy01.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C15%2C5120%2C3817&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jmenj/30413992660/">Jeanne Menjoulet/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Plusieurs projets de loi visent actuellement à durcir les possibilités d’accueil des personnes migrantes en France, en invoquant en exemple, le <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/societe/immigration-quest-ce-que-le-modele-danois-dont-se-prevaut-la-droite-francaise">supposé « modèle danois »</a>. Parmi les mesures évoquées, conditionner l’octroi d’un titre de séjour à un apprentissage préalable du français, « la langue d’intégration ». Or, de nombreuses recherches montrent les effets pervers de cette mesure.</p>
<p>L’idée que la capacité à s’exprimer en langue officielle serait une condition préalable à la stabilisation du droit au séjour, car indicateur d’intégration, est devenue courante. C’est le cas notamment en France où a été officialisée en 2012 la notion, <a href="https://www.theses.fr/2017MON30053">critiquée</a>, de <a href="https://www.theses.fr/2021REN20035">« Français Langue d’Intégration »</a> comme un élément clé conditionnant <a href="https://theses.hal.science/tel-01674499/document">l’autorisation au séjour long</a> des étrangers hors Union européenne (UE) sur le territoire.</p>
<p>Cette condition est imposée aux conjoints de Français, ce dont s’alarme le collectif <a href="http://www.amoureuxauban.net">« Les Amoureux au ban public »</a>, d’autant que la loi fait, par ailleurs, obligation aux époux de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006422766">vivre ensemble</a>.</p>
<p>L’apprentissage de la ou d’une langue officielle du pays comme <a href="https://www.theses.fr/2015AIXM3038">« preuve d’intégration »</a> pour obtenir l’autorisation de séjour ou l’accès à la citoyenneté a également <a href="https://journals.openedition.org/glottopol/1936?lang=en">été exigé</a> par d’autres pays de l’UE <a href="https://books.openedition.org/septentrion/14075?lang=fr">ces dernières décennies</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/qb606bUSK6w?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Extrait de « Noces métisses, amours contrôlées » Film documentaire réalisé par Thierry Kübler, 2018, 52’, Collection D’ici et d’ailleurs, France 3 Grand Est et Zadig productions avec la complicité du collectif Strasbourg des Amoureux au ban public.</span></figcaption>
</figure>
<h2>L’intégration linguistique preuve d’assimilation ?</h2>
<p>La notion d’intégration a été officialisée en France dans les années 1990 notamment avec la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGITEXT000006067413/2021-02-04">création du Haut Conseil à l’Intégration</a> (HCI) en 1989 puis réaffirmée par diverses lois. Dès 2003, celle « relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité » prévoit :</p>
<blockquote>
<p>Art. 8 : la délivrance d’une première carte de résident est subordonnée à l’intégration républicaine de l’étranger dans la société française, appréciée en particulier au regard de sa connaissance suffisante de la langue française et des principes qui régissent la République française.</p>
</blockquote>
<p>Elle a été complétée par les lois de 2006 et de 2007 sur le même thème.</p>
<p>« Les Mots de l’intégration » du HCI présente l’assimilation comme un aboutissement de l’intégration :</p>
<blockquote>
<p>« Aboutissement supposé ou attendu d’un processus d’intégration de l’immigré tel que celui-ci n’offre plus de caractéristiques culturelles distinctes de celles qui sont censées être communes à la majorité des membres de la société d’accueil. »</p>
</blockquote>
<p>Il s’agit d’une <a href="http://www.persee.fr/doc/homig_1142-852x_1992_num_1154_1_1826">distinction infime</a> :</p>
<blockquote>
<p>« L’adoption du mot [intégration] n’est cependant pas fortuite. Elle correspond à une tendance lourde de la société française face aux étrangers et néo-Français […] Une intégration qui ressemble comme une jumelle à l’assimilation d’avant-hier […] »</p>
</blockquote>
<p>L’assimilation a été parfois <a href="https://www.cairn.info/revue-vie-sociale-et-traitements-2013-3-page-106.htm">contestée</a> comme présentant un caractère totalitaire à partir du moment où il est attendu que les personnes renoncent « à leurs propres valeurs et à leurs coutumes ». À partir des années 2000, la montée du nationalisme français a conduit au retour de l’usage « décomplexé » de ce terme, cher au candidat à la <a href="https://theconversation.com/eric-zemmour-une-histoire-francaise-169213">présidentielle Éric Zemmour en 2022</a>, entre autres.</p>
<p>L’assimilation, notamment « au regard de sa connaissance de la langue française », est d’ailleurs restée dans la loi depuis 1945 comme condition d’obtention de la nationalité française.</p>
<h2>Langue et intégration : une association qui reflète la montée des nationalismes</h2>
<p>La notion de « Français Langue d’Intégration » conduit même, dans un texte de l’organisme officiel chargé de <a href="https://www.culture.gouv.fr/content/download/93701/file/rencontres_2005_09_integration_migrant_adultes_def.pdf%5D">la politique linguistique en France</a>, à affirmer qu’il y aurait un effet automatique de non-intégration si le français n’est pas assez « maîtrisé » :</p>
<blockquote>
<p>« Sous l’angle linguistique […] l’intégration humainement et socialement réussie passe par l’acquisition d’une compétence adéquate dans la langue du pays d’accueil. Son insuffisante maîtrise conduit, en effet, inéluctablement à l’exclusion sociale, culturelle et professionnelle. »</p>
</blockquote>
<p>Dans <a href="https://www.theses.fr/2015AIXM3038">sa thèse</a>, Michel Gout montre qu’il y a depuis les années 2000 « une quasi-unanimité du discours politique en Europe sur le rôle prioritaire de la langue dans l’intégration » :</p>
<blockquote>
<p>« Les législations relatives à la maîtrise de la langue du pays d’accueil s’appliquent à trois situations administratives distinctes : l’entrée sur le territoire, la résidence permanente et l’acquisition de la nationalité […] On constate un pic de ces législations de 2003 à 2008. L’évolution concerne au premier chef les pays d’Europe de l’Ouest : le Danemark (2003, 2006, 2010), la Belgique/communauté flamande (2003), l’Allemagne (2004, 2007, 2008), la Grèce (2004 et 2005), la Norvège (2005), l’Autriche (2005), les Pays-Bas (2006 et 2007), la France (2007 et 2008), le Liechtenstein (2008). L’année 2009 voit l’adoption de deux nouvelles législations, pour l’Italie et le Liechtenstein, qui a connu une première législation l’année précédente. »</p>
</blockquote>
<p>La Suisse les a rejoints en 2005 pour le séjour long et en 2018 pour l’acquisition de la nationalité, dans une des quatre langues officielles.</p>
<p>L’accord sur la fonction intégratrice de la langue n’est cependant pas général, <a href="https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2015-6-page-139.htm">ni dans le temps ni dans l’espace</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Avant 2002, en dehors de l’Allemagne, aucun État membre n’avait d’exigence linguistique vis-à-vis des migrants. »</p>
</blockquote>
<p>Jusqu’à 2013 en Belgique et 2018 en Italie, il n’y en avait pas. En outre, les exigences ne concernent pas toute la population étrangère : les ressortissants des pays de l’UE peuvent s’installer librement (et même voter à certaines élections locales dans certains pays, comme la France) sans conditions linguistiques, qui ne visent que certaines populations.</p>
<h2>Une fausse évidence, contredite par la recherche</h2>
<p>De nombreuses études montrent que l’apprentissage de la langue officielle du pays dit « d’accueil » n’est pas une condition à une <a href="https://www.cairn.info/revue-langage-et-societe-2015-2-page-140.htm">« intégration »</a>, laquelle passe aussi et surtout par <a href="https://journals.openedition.org/lidil/3097">d’autres voies</a>.</p>
<p>Pensons notamment à des critères comme l’emploi, le logement, les relations sociales – les <a href="https://www.theses.fr/2015REN20035">habitants</a>] n’étant pas, la plupart du temps, <a href="http://tel.archives-ouvertes.fr/docs/00/72/90/28/PDF/ThA_se.pdf">uniquement francophones</a> ce qui permet différents types d’interactions.</p>
<p>Vincenzina Di Bartolo a ainsi montré, en <a href="https://www.theses.fr/2021REN20031">comparant des familles italiennes</a> installées en Suisse romande et en Savoie française, que ce sont surtout les contextes sociolinguistiques qui ont des effets <a href="https://journals.openedition.org/insaniyat/17771">sur le rapport</a> aux langues officielle et familiale, <a href="https://revues.imist.ma/index.php/LCS/article/view/35437">phénomène attesté dans de nombreuses situations</a>.</p>
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<p>Par ailleurs, Ruba Al Ahmad, chercheuse en en sociolinguistique, a montré que l’apprentissage, même réussi, du français, ne conduit pas automatiquement à une « intégration » pour des personnes qui vont subir des discriminations, par exemple <a href="https://www.theses.fr/2021REN20035">xénophobes ou racistes</a>.</p>
<p>Enfin, l’intégration des personnes migrantes continue à se faire, là où c’est nécessaire, plutôt dans une langue dite « régionale » qu’en langue officielle nationale, <a href="https://www.theses.fr/2020ANTI0499">comme en Martinique par exemple</a>. Ce processus est attesté depuis longtemps mais ignoré par les instances étatiques françaises puisqu’il contredit l’unicité linguistique prétendue de la France, comme le montrent des exemples de migration jusque dans les années 1970 dans le contexte <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-francais_picard_immigrations_une_enquete_epilinguistique_jean_michel_eloy_jacques_landrecies_marie_carcassonne_denis_blot-9782747540575-11524.html">picard</a> ou <a href="https://www.researchgate.net/publication/341078901_Contacts_et_dynamique_des_identites_culturelles_les_migrants_italiens_en_Provence_dans_la_premiere_partie_du_XXe_si%C3%A8cle">provençal</a>.</p>
<h2>Être Français sans parler le français</h2>
<p>Enfin, au-delà des ressortissants de l’UE, qui représentent 1/3 des « immigrés » en <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/3633212">France</a>, on peut être Français ou Française par filiation et ne pas parler français, par exemple pour les personnes qui sont nées et ont grandi à l’étranger ou dans des parties de la France où le français a été, voire est encore aujourd’hui, en partie étranger : si le cas est devenu rare en « métropole » suite à la politique linguistique de l’État, il reste courant par exemple en <a href="https://www.culture.gouv.fr/Media/Thematiques/Langue-francaise-et-langues-de-France/fichiers/publications_dglflf/Langues-et-cite/Langues-et-cite-n-28-Les-langues-de-Guyane">Guyane</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/4FSPct3jhXM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">La place du créole dans la société en Guyane, outre-mer, la 1ʳᵉ, 2021.</span></figcaption>
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<p>Ces recherches précisent que les intégrations sont « à acquérir à travers la multiplication des pratiques et des <a href="https://www.cairn.info/revue-langage-et-societe-2013-2-page-27.htm">situations socio-langagières rencontrées »</a> et qu’il faut donc pouvoir vivre ces situations sans condition préalable. Des critiques sévères ont ainsi été émises sur l’apprentissage obligatoire, voire préalable, d’une langue dite d’intégration :</p>
<blockquote>
<p>« Aujourd’hui, en Europe, l’obligation institutionnelle d’"intégration linguistique" pour les migrants, avec la signature d’un contrat d’accueil et le passage obligatoire de tests qui décident de leur régularisation administrative […] constitue un frein à l’adhésion des apprenants » (<a href="https://www.theses.fr/2015AIXM3038">M. Gout</a>).</p>
</blockquote>
<p>Ou encore, comme le relève <a href="https://theconversation.com/migrants-et-langue-du-pays-daccueil-les-risques-de-transformer-un-droit-en-devoir-155151">Eric Mercier</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Parmi les effets contre-productifs relevés, la formation en langue […] obligatoire […] risque alors de compromettre d’autres projets et opportunités qui peuvent se révéler tout aussi décisifs dans l’apprentissage, comme dans l’intégration (travail ou bénévolat, recherche d’un logement plus décent, des opportunités de socialisation…). Cela amène […] à se sentir empêchés de participer à la société française. »</p>
</blockquote>
<p>Selon <a href="http://www.coe.int/t/dg4/linguistic/Source/Mig08_JC-Beacco_PresDocOr.doc">d’autres recherches</a>, l’acquisition ou l’apprentissage de la langue « n’est pas un préalable à celle-ci la vie sociale mais sa conséquence ».</p>
<h2>La langue instrumentalisée par une idéologie xénophobe</h2>
<p>L’analyse de nombreux travaux portant sur les processus sociolinguistiques effectivement suivis par les personnes dites <a href="https://journals.openedition.org/insaniyat/17798">« migrantes »</a> confirme que les politiques et dispositifs visant une « intégration linguistique » obligatoire et surtout préalable, comme condition d’autorisation d’une insertion sociale effective, ne sont pas justifiés.</p>
<p>L’acquisition des langues nécessaires à la vie sociale dans le pays d’accueil s’avère motivée et réalisée par la participation effective à cette vie sociale. Dès lors, il semble bien que ces dispositifs étatiques aient un tout autre objectif, de <a href="https://www.cairn.info/revue-ela-2022-1-page-35.htm">contrôle social</a> : dresser un obstacle pour empêcher le plus possible de personnes étrangères venant de certains pays d’avoir accès un séjour stable, dans le pays dit d’installation, voire un droit définitif de séjour en devenant ressortissant de ce pays.</p>
<p>Ceci est confirmé par le fait que les tests « d’intégration » ou « d’assimilation » au Danemark comportent des questions sur le pays auxquelles la plupart de ses citoyens seraient d’ailleurs bien incapables de <a href="https://www.slate.fr/story/121455/danemark-test-citoyennete-culture-generale-naturalisation">répondre</a> comme nous le <a href="https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2015-6-page-49.htm">relevons</a> déjà précédemment en France.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/206693/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Philippe Blanchet est membre de la Ligue des Droits de l'Homme. </span></em></p>L’idée que s’exprimer en langue officielle serait un indicateur d’intégration est devenue courante mais elle est néanmoins trompeuse.Philippe Blanchet, Chair professor, Université Rennes 2Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2049562023-05-24T17:31:21Z2023-05-24T17:31:21ZL’opération « Wuambushu », symptôme d’un État « bricolé » à Mayotte<p>Le 24 avril dernier, une vaste opération sécuritaire a été lancée dans le département de Mayotte. Présentée par le gouvernement comme une opération exceptionnelle de lutte contre l’insécurité, l’habitat insalubre et l’immigration clandestine, « Wuambushu » qui signifie « reprise » en shimaoré (une des langues vernaculaires parlées à Mayotte) mobilise plus de 1 800 agents des forces de l’ordre afin de procéder à la destruction de bidonvilles et l’expulsion des personnes en situation irrégulière, <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/3713016#titre-bloc-8">venues principalement des Comores</a>.</p>
<p>Dans ce contexte, le soutien de la population mahoraise et de <a href="https://www.mayottehebdo.com/actualite/immigration/des-soutiens-reaffirmes-pour-loperation-de-lutte-contre-la-delinquance/">ses élites politiques</a> à l’opération, qui s’est notamment exprimé lors de <a href="https://www.mayottehebdo.com/actualite/immigration/les-mahorais-et-leurs-elus-reaffirment-leur-soutien/">plusieurs rassemblements</a> ces dernières semaines, a pu être interprété en métropole comme une <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/280423/mayotte-chronique-d-une-colonisation-consentie">sorte d’anomalie historique</a> ou le symptôme de la victoire politique de l’extrême droite en outre-mer.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/mayotte-pourquoi-ce-departement-francais-est-il-revendique-par-les-comores-192758">Mayotte : pourquoi ce département français est-il revendiqué par les Comores ?</a>
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</em>
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<p>Ces lectures semblent ne pas prendre suffisamment en compte l’histoire singulière de Mayotte au sein de la République ni la complexité du rapport à l’État dans ce territoire aujourd’hui. Pour comprendre comment une telle opération a été rendue possible et pourquoi certains Mahorais la soutiennent, il faut revenir sur l’histoire de cette relation et voir comment elle a modelé des attentes très fortes envers l’État (développement économique, accès aux services de santé, scolarisation), qui se voient aujourd’hui largement déçues.</p>
<h2>Un récit mémoriel singulier</h2>
<p>Sur place, la relation entre Mayotte et la métropole fait l’objet d’un récit mémoriel qui peut surprendre de prime abord, dans la mesure où il célèbre la France pour son rôle émancipateur et protecteur, rempart contre la domination des îles comoriennes voisines.</p>
<p>Cette mémoire du rôle de la France est très diffuse à Mayotte, je l’ai rencontré dans les discours des élus ou hauts fonctionnaires du territoire avec lesquels je me suis entretenue dans le cadre de <a href="https://www.theses.fr/2022PA01D047">mes travaux de recherche</a>, mais elle n’est pas pour autant propre à l’élite locale, dans la mesure où cette mémoire circule dans la population mahoraise et est mentionnée dans les interactions quotidiennes.</p>
<p><a href="https://www.academia.edu/37318404/Larchipel_des_Comores_entre_unit%C3%A9_culturelle_et_rivalit%C3%A9_insulaire">Cette mémoire collective mahoraise</a> retient la période précoloniale comme celle « de l’archipel aux sultans batailleurs » caractérisée par des rivalités et des razzias entre sultans des quatre îles de l’archipel. Selon ce récit, la vente de l’île de Mayotte faite par le sultan de Mayotte, Adriantsouli, en 1841 aurait permis de protéger la population de l’île des vélléités des sultans des îles comoriennes. L’historien <a href="https://sup.sorbonne-universite.fr/catalogue/litteratures-francaises-comparee-et-langue/imago-mundi/idees-et-representations-coloniales-dans-locean-indien-ndeg17-coll">Ibrahim Mahmoud</a> a étudié la construction de ce récit mémoriel, largement alimenté par le pouvoir colonial français.</p>
<p>Cette mémoire politique encore très vive à Mayotte et réactivée à l’occasion de l’opération « Wuambushu » vient remettre en question la manière dont sont habituellement comprises ces situations postcoloniales.</p>
<h2>Un sentiment de déclassement</h2>
<p>Le sentiment que malgré la départementalisation en 2011, l’action publique à Mayotte est toujours en dehors des cadres ordinaires et dans une version dégradée produit un sentiment de déclassement très fort chez les Mahorais. Il pousse la population à se mobiliser fréquemment pour contester la gestion spécifique dont elle fait l’objet au sein de la République.</p>
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<p>En 2017, par exemple, à la suite de rumeurs concernant une feuille de route qui faciliterait la circulation des biens et des personnes entre les Comores et Mayotte, de grandes manifestations ont eu lieu. Considéré comme une remise en cause du statut de département de Mayotte, les élus ont rejoint la mobilisation et poussé le <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/mayotte-mise-oeuvre-feuille-route-est-differee-516669.html">gouvernement à abandonner ce projet</a>.</p>
<p>Un rapport ambivalent à l’État s’exprime dans ces mobilisations et ses cortèges habituellement peuplés de femmes, faisant écho à <a href="https://www.cairn.info/revue-le-mouvement-social-2016-2-page-57.htm">l’histoire des Chatouilleuses</a>, ces femmes qui au milieu des années 1960 se sont mobilisées pour que Mayotte reste française et ne soit pas intégrée au projet indépendantiste des Comores.</p>
<p>Cette ambivalence traduit une inquiétude historique à Mayotte qui est celle de se faire abandonner contre son gré par la France. À Mayotte, lorsque l’on parle de « l’abandon de l’État » il ne désigne pas seulement le manque d’investissement de l’État en faveur du développement du territoire, il exprime aussi une crainte plus profonde, celle d’un détachement de Mayotte de l’ensemble national.</p>
<h2>Un État bricolé</h2>
<p>Pour comprendre cette inquiétude qui ressurgit régulièrement à Mayotte, il faut rappeler les tergiversations de la métropole à l’égard de ce territoire. Prise en étau entre deux principes qui se confrontent dans le projet de Mayotte française, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et l’intangibilité des frontières issues de la colonisation, la métropole s’est trouvée quelque peu embarrassée par la détermination de Mayotte à devenir un département.</p>
<p>L’ajournement de la départementalisation par le gouvernement a pris la forme d’une succession de statuts pour Mayotte, certains bricolés « sur le tas », <em>sui generis</em> : TOM, collectivité territoriale, collectivité départementale d’outre-mer. En 65 ans, Mayotte ne connait ainsi pas moins de 5 statuts différents, qui viennent à chaque fois brouiller les cartes et redéfinir la soi-disant « spécificité » de Mayotte.</p>
<p>Dans ce contexte, obtenir le statut de département signifiait la fin de l’incertitude quant à l’avenir du territoire et la préservation de l’intérêt de sa population. La mobilisation départementaliste a fait peser des attentes très fortes sur l’État et a porté l’espoir collectif d’un développement économique et social.</p>
<p>À Mayotte, il existe une expression en <em>shimaoré</em> pour désigner l’aspect « bricolé » et dérogatoire de l’action publique sur le territoire : on parle de l’État <em>magnégné</em>. Ce terme recouvre différentes réalités, à la fois matérielles et symboliques.</p>
<p>Il désigne par exemple les nombreuses écoles construites par l’État en préfabriqués, signes d’un provisoire qui souvent dure à Mayotte, les routes bosselées, mais aussi la réglementation et le droit dérogatoire qui s’appliquent sur ce territoire.</p>
<p>En bref, il cristallise la critique d’un État « bricolé », qui ne serait pas le même qu’en métropole, malgré les revendications de longue date de <a href="https://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2013-3-page-119.htm">la population et des élus en ce sens</a>.</p>
<h2>Des inégalités qui alimentent le rejet des étrangers</h2>
<p>Ces attentes se voient aujourd’hui déçues. À Mayotte, <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/mayotte/mayotte-departement-le-plus-pauvre-de-france-selon-l-observatoire-des-inegalites-1032493.html">77 % de la population vit sous le seuil de pauvreté national</a>, alors même que le montant et les critères d’attribution des prestations sociales ne sont pas les mêmes qu’en métropole. <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/:%7E:text=Fortesin%C3%A9galit%C3%A9sderevenuentrelesm%C3%A9nagesdeMayotte,-D%C3%A9j%C3%A0particuli%C3%A8rement%C3%A9lev%C3%A9s&text=En2018,les10%25les,1,8en2018">Le niveau de vie médian</a> est par ailleurs six fois plus faible qu’en métropole et il est en baisse par rapport à 2011, date de la départementalisation.</p>
<p>L’habitat insalubre est un phénomène très étendu sur le territoire. Dans le paysage de l’île, on peut observer des quartiers entiers faits d’habitations de tôles (nommées <em>bangas</em>). Selon la dernière enquête de <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/4202864">l’Insee</a> (2019), quatre logements sur dix sont en tôle dans le département, avec d’importants problèmes d’accès à l’eau et à l’électricité. Si les étranger·e·s sont surreprésentés dans les bidonvilles (65 % d’entre eux vivent dans des maisons en tôles), il n’y a pas seulement des personnes en situation irrégulière qui vivent dans les <em>bangas</em>, mais également des personnes étrangères bénéficiant d’une autorisation de séjour, et des familles mahoraises pauvres.</p>
<p>La grille de lecture qui fait de l’immigration la clé de voûte de toutes les difficultés du territoire s’est largement imposée, alimentée par les services de l’État, occultant au passage les problèmes de sous-administration et de manque d’investissement en faveur du développement de Mayotte. La dégradation de la situation sécuritaire sur l’île ces dernières années et les <a href="https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/rap-mayotte-10.02.20-4.pdf">difficultés d’accès aux services publics</a> (scolarisation, santé, eau) ont accentué le sentiment des Mahorais d’avoir été privés des rentes d’une départementalisation tant attendue.</p>
<p>Ce sentiment de dépossession s’est traduit par une hostilité grandissante vis-à-vis des personnes issues de l’immigration, prenant parfois la forme de mobilisations violentes. En 2016, à la suite d’une crise de l’eau imputée à la surpopulation du territoire provoquée par l’immigration clandestine, des <a href="https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/rapports/2018/05/rapport-sur-les-operations-dites-de-decasage-a-mayotte-0">collectifs villageois de Mahorais</a> se sont formés pour procéder à des « décasages » qui ont pris la forme d’opérations d’identification et d’expulsion de personnes en situation irrégulière installées sur des terrains qui ne leur appartenaient pas, sans susciter de réaction de la part de l’État qui a laissé faire.</p>
<p>Si ces mobilisations illégales ne doivent bien sûr pas être légitimées, il faut rappeler le terreau dans lequel elles s’inscrivent et qui les a rendues possibles et comment elles ont pu préfigurer cette opération de « reprise » par le gouvernement, déjà mis à mal par des <a href="https://www.liberation.fr/societe/police-justice/operation-wuambushu-a-mayotte-la-justice-suspend-levacuation-dun-bidonville-trop-dangereuse-pour-les-habitants-20230425_XLETAHUGRRBS7CERMNXYSAMUSU/">difficultés administratives</a> et <a href="https://www.liberation.fr/international/afrique/operation-wuambushu-a-mayotte-les-comores-refusent-les-bateaux-de-migrants-20230424_I6OKACWYTVFMFMLISYXZWOSEGI/">diplomatiques</a> et dont l’efficacité sur le moyen et long terme pose de nombreuses questions.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204956/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Clémentine Lehuger a reçu un financement du Laboratoire de recherche TEPSIS dans le cadre de ses recherches doctorales et a également bénéficié d'un contrat doctoral de l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. </span></em></p>Pour comprendre comment une telle opération a été rendue possible et pourquoi certains Mahorais la soutiennent, il faut revenir sur l’histoire singulière de Mayotte au sein de la République.Clémentine Lehuger, Docteure en science politique, Université de Picardie Jules Verne (UPJV)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2053572023-05-15T18:04:57Z2023-05-15T18:04:57ZOpération « Wuambushu » : comme souvent à Mayotte, la question migratoire occulte la question sociale<p>L’opération « Wuambushu » lancée le 24 avril dernier par le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin, a de nouveau braqué les projecteurs sur la pression migratoire à Mayotte. Cette petite île française de l’océan Indien compte <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/3713016">près d’un habitant sur deux qui est étranger</a>, essentiellement de nationalité comorienne.</p>
<p>L’action militaro-policière ainsi engagée a pour objectif la destruction de bidonvilles, l’expulsion de 10 000 étrangers en situation irrégulière et le démantèlement de bandes criminelles, établissant en creux un lien direct entre immigration et insécurité.</p>
<p>Cette présentation des faits – l’État va mettre de l’ordre ! – occulte la part de responsabilité que ce dernier a lui-même dans la genèse de ce désordre.</p>
<h2>Le département français le plus pauvre et le plus inégalitaire</h2>
<p>Ancienne colonie de l’empire français (1841-1946), <a href="https://www.karthala.com/hommes-et-societes/3217-le-combat-pour-mayotte-francaise-1958-1976-9782811118716.html">l’île de Mayotte a accédé en 2011 au statut de département</a> qu’elle réclamait depuis plus de cinquante ans.</p>
<p>Douze ans après, l’île offre le tableau d’une société des plus fragmentées. Le développement économique exogène porté par la création d’emplois publics profite pour l’essentiel aux métropolitains « expatriés » et à une fraction diplômée de la population mahoraise.</p>
<p>En 2018, le <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/4622454#:%7E:text=En%202018%2C%20les%2010%20%25%20les%20plus%20ais%C3%A9s,nettement%20moins%20fortes%20%28rapport%20de%201%2C8%20en%202018%29.">taux d’emploi</a> était de 23 % pour les natifs de l’étranger, 38 % pour les natifs de Mayotte et 80 % pour les natifs de France métropolitaine. De fait, les inégalités entre ménages sont quatre fois plus importantes qu’en France métropolitaine et 77 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté national.</p>
<p>Rapporté au revenu médian calculé à Mayotte, le seuil de pauvreté se situe à 160 euros par mois. Les femmes et les jeunes faiblement qualifiés sont particulièrement affectés par le chômage, le sous-emploi et la pauvreté dans un <a href="https://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2014-6-page-82.htm">contexte de faible déploiement des politiques sociales</a>. Les étrangers, qui plus est sans-papiers, cumulent les processus de relégation sociale dans un contexte de forte répression de l’immigration.</p>
<h2>La fermeture des frontières dans un espace de circulations</h2>
<p>L’incorporation de Mayotte à la République française s’est accompagnée d’une production croissante de la frontière, de la clandestinité et de l’altérité à l’endroit des ressortissants comoriens.</p>
<p>La frontière politique séparant Mayotte des îles comoriennes voisines (Grande Comore, Anjouan et Mohéli) naît en 1975 à la suite du référendum pour l’autodétermination des Comores où seuls les Mahorais votent contre l’indépendance. <a href="https://theconversation.com/mayotte-pourquoi-ce-departement-francais-est-il-revendique-par-les-comores-192758">La France décide de conserver Mayotte à rebours de la position de l’ONU</a> qui reconnaît la souveraineté du jeune État comorien sur les quatre îles de l’archipel. Dans les faits, <a href="https://afriquexxi.info/Mayotte-une-societe-disloquee">cette frontière reste peu contraignante au cours des vingt années suivantes</a> ; les Comoriens continuent de circuler librement d’île en île pour des raisons principalement économiques et familiales.</p>
<p>La fermeture de la frontière franco-comorienne date véritablement de 1995 avec l’instauration du visa Balladur qui est presque impossible à obtenir en pratique. Elle se poursuit à partir de 2005 sous l’effet d’une politique migratoire répressive visant à expulser en masse les sans-papiers. Avec plus de 26 000 personnes en moyenne annuelle qui transitent au Centre de rétention administrative et quasiment autant d’expulsés, la <a href="https://www.lacimade.org/publication/rapport-2022-sur-les-centres-et-locaux-de-retention-administrative/">politique migratoire mise en œuvre à Mayotte bat tous les records à l’échelle nationale</a>.</p>
<p>Dans la même optique, l’État multiplie les dérogations pour <a href="https://www.cairn.info/revue-plein-droit-2019-1-page-41.htm">minorer le droit des étrangers</a> et le <a href="https://theconversation.com/mayotte-comment-la-france-a-fragmente-le-droit-de-la-nationalite-139373">droit de la nationalité appliqués à Mayotte</a>. L’opération « Wuambushu » est le dernier exemple en date <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/mayotte/operation-wuambushu-les-juges-contre-le-gouvernement-1389714.html">d’une politique migratoire qui s’arrange avec le droit avant que celui-ci ne lui soit rappelé</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/525632/original/file-20230511-25-gcqzsg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Une personne considérée par l’État comme immigrée clandestinement détenue dans un centre de rétention temporaire à Mamoudzou, sur l’île de Mayotte, le 26 avril 2023" src="https://images.theconversation.com/files/525632/original/file-20230511-25-gcqzsg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/525632/original/file-20230511-25-gcqzsg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/525632/original/file-20230511-25-gcqzsg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/525632/original/file-20230511-25-gcqzsg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/525632/original/file-20230511-25-gcqzsg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/525632/original/file-20230511-25-gcqzsg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/525632/original/file-20230511-25-gcqzsg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Une personne considérée par l’État comme immigrée clandestinement détenue dans un centre de rétention temporaire à Mamoudzou, sur l’île de Mayotte, le 26 avril 2023.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Patrick Meinhardt/AFP</span></span>
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<p>Malgré les efforts démultipliés pour enrayer la pression migratoire, Mayotte est aujourd’hui le nouveau territoire attractif de la région, comme l’ont été précédemment Zanzibar, Madagascar et La Réunion. Ceux que l’on nomme des « migrants clandestins » sont en réalité des <a href="https://www.cairn.info/revue-autrepart-2011-1-page-181.htm">« insulaires voyageurs »</a> qui ont toujours circulé dans l’archipel au gré des opportunités économiques et des mariages interîles.</p>
<p>Encore aujourd’hui, et malgré l’exaspération d’une partie croissante de la population mahoraise vis-à-vis de l’immigration, nombre de Comoriens présents à Mayotte trouvent à s’intégrer par le mariage (musulman) et par le travail (informel). Ici réside toute l’ambivalence de la société mahoraise qui, tour à tour, intègre <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/04/25/a-mayotte-les-comoriens-ne-sont-pas-des-etrangers_6170923_3212.html">ces étrangers si familiers</a> et les rejette dès lors qu’ils sont tenus pour être responsables de tous les maux de la société locale, et de l’insécurité en premier chef.</p>
<h2>L’insécurité civile comme symptôme d’une société fragmentée et désorganisée</h2>
<p><a href="https://www.francetvinfo.fr/france/mayotte/operation-wuambushu-a-mayotte-la-priorite-c-est-l-arrestation-des-bandes-criminelles-qui-terrorisent-les-francais-declare-gerald-darmanin_5783960.html">L’opération « Wuambushu »</a> s’est donnée comme objectif de démanteler les 40 à 60 bandes criminelles que compte le territoire d’après les dires du ministre de l’Intérieur. Il est indéniable que l’insécurité civile et la délinquance juvénile ont augmenté de manière significative ces <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/5763061#consulter">20 dernières années</a>, avec une multiplication par onze des délits constatés pour une population qui a doublé sur la même période.</p>
<p>En revanche, et contrairement au discours de certains élus locaux, la délinquance juvénile n’est pas le seul fait des enfants d’étrangers. Elle témoigne plutôt des phénomènes contemporains d’exclusions qui affectent singulièrement les nouvelles générations. Les moins de 25 ans représentent 60 % de la population et connaissent des niveaux de pauvreté, de déscolarisation et de chômage particulièrement élevés. En l’absence d’emplois, de formations professionnelles, de structures d’insertion ou d’animation socioculturelle, ces jeunes se regroupent entre pairs et investissent l’espace public. Certains ont quitté le domicile familial à la suite d’un conflit ou de l’expulsion d’un parent, d’autres pour soulager leur mère isolée et paupérisée. Les conduites déviantes trouvent leur origine dans des logiques multiples (et souvent cumulées) de survie économique, de lutte contre l’oisiveté ou de réparation d’un ordre social excessivement inégalitaire.</p>
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<p>Parmi eux, les enfants d’immigrés et de sans-papiers cumulent depuis leur plus jeune âge les processus de relégation sociale et de précarisation juridique visant les étrangers. Ainsi, les mineurs isolés à la suite de l’expulsion d’un ou de leurs deux parents portent le stigmate de leur groupe d’appartenance et d’une cellule familiale brisée. Cette politique d’inimitié les conduit à intégrer progressivement le label de surnuméraire qui leur est renvoyé et, pour certains, à nourrir leur motivation déviante. À leurs yeux, la violence juvénile n’est autre qu’une réponse à la violence d’un État qui détruit des habitats, expulse des parents et grève tout espoir de naturalisation.</p>
<p>Une autre interprétation du désordre social associé aux jeunes générations tient aux transformations brutales de la société mahoraise sous l’effet de l’assimilation et de l’occidentalisation. Les institutions religieuses et villageoises qui organisaient la socialisation juvénile (école coranique, classes d’âge, médiations coutumières, éducation partagée, etc.) sont moins efficaces tandis que les nouvelles institutions exogènes (école publique, justice, parentalité, etc.) ne le sont pas encore pleinement. La société apparaît ainsi comme faiblement intégrée, dépossédée de ses règles et de son organisation, et la déviance juvénile comme l’un de ses symptômes majeurs alors qu’elle était presque inexistante jusqu’au début des années 1990.</p>
<p>La pression migratoire et l’insécurité civile sont des préoccupations légitimes à Mayotte. Toutefois, en présentant les populations les plus vulnérables comme seules responsables de la crise actuelle, on occulte la part de responsabilité d’un État périphérique et <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/sciences-politiques-et-sociologie/une-situation-postcoloniale/">d’une gouvernance postcoloniale</a> qui accentuent les divisions sociales et régionales et provoquent des ruptures brutales sous l’effet d’une mise aux normes françaises de la société locale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/205357/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicolas Roinsard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Présenter les populations les plus vulnérables comme seules responsables de la crise actuelle, occulte la part de responsabilité de l’État français.Nicolas Roinsard, Sociologue, maître de conférence, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2039662023-05-15T18:00:52Z2023-05-15T18:00:52ZMigrations africaines : et si on relisait Jean-Christophe Rufin ?<p>En 1991, alors que l’URSS était sur le point de disparaître, l’écrivain, politologue et diplomate Jean-Christophe Rufin, entré depuis à l’Académie française, publia un ouvrage <a href="https://www.persee.fr/doc/polit_0032-342x_1992_num_57_1_4109_t1_0169_0000_2">qui fit date</a> et dont le titre, <a href="https://www.hachette.fr/livre/lempire-et-les-nouveaux-barbares-9782709623360"><em>L’Empire et les nouveaux barbares</em></a>, ferait sans doute froncer les sourcils aujourd’hui. Il n’y avait pourtant aucune raison d’y voir malice puisque son essai se voulait « une longue métaphore latine » inspirée du regard de l’historien romain <a href="https://journals.openedition.org/etudesanciennes/131">Polybe</a> sur la chute de Carthage.</p>
<p>« L’affrontement Est-Ouest est mort ; l’affrontement Nord-Sud le remplace », proclamait Rufin en 1991. Cet affrontement Nord-Sud lui apparaissait inévitable du fait des dynamiques démographiques contrastées des deux zones.</p>
<p>Le livre comportait notamment une carte en noir et blanc intitulée « L’équateur démographique ». « Il suffit de représenter sur une carte les taux d’accroissement annuels de la population : un équateur humain apparaît », constatait l’auteur. En effet, de part et d’autre d’une limite fixée en fonction du taux naturel d’accroissement de la population à plus ou moins 15 ‰ (en 1988) se révélaient deux hémisphères, distinguant ainsi un Sud et un Nord.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/524387/original/file-20230504-17-jm9y9g.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/524387/original/file-20230504-17-jm9y9g.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/524387/original/file-20230504-17-jm9y9g.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=422&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/524387/original/file-20230504-17-jm9y9g.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=422&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/524387/original/file-20230504-17-jm9y9g.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=422&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/524387/original/file-20230504-17-jm9y9g.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=530&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/524387/original/file-20230504-17-jm9y9g.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=530&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/524387/original/file-20230504-17-jm9y9g.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=530&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">L’Équateur démographique (selon Jean-Christophe Ruffin, 1991). Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Jean-Christophe Ruffin</span></span>
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<p>Nous avons entrepris de redessiner cette carte à partir des <a href="https://www.ined.fr/fr/publications/editions/population-et-societes/tous-les-pays-du-monde-2022/">données de 2022</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/521290/original/file-20230417-18-p3z5dv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Carte du monde de la croissance démographique en 2022" src="https://images.theconversation.com/files/521290/original/file-20230417-18-p3z5dv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521290/original/file-20230417-18-p3z5dv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=425&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521290/original/file-20230417-18-p3z5dv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=425&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521290/original/file-20230417-18-p3z5dv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=425&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521290/original/file-20230417-18-p3z5dv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=534&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521290/original/file-20230417-18-p3z5dv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=534&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521290/original/file-20230417-18-p3z5dv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=534&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Croissance démographique des pays du monde en 2022. Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Christian Bouquet</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Il en ressort qu’il n’y a plus véritablement d’équateur marquant la limite des 15 ‰, mais une sorte d’îlot continental (en vert) centré sur l’Afrique et affichant pour certains pays des taux d’accroissement naturel supérieurs à 30 ‰ (jusqu’à 37 ‰ au Niger).</p>
<p>Un certain nombre de pays, notamment en Amérique latine et en Asie, ont changé de catégorie et sont passés (en rouge) de l’autre côté de ce que J.-C. Rufin appelle le <a href="https://whc.unesco.org/fr/list/430/"><em>limes</em></a>, terme évoquant les frontières du monde romain à l’Antiquité. Géographiquement, il ne s’agit donc plus tout à fait d’un équateur, et le « Sud » de l’auteur est aujourd’hui circonscrit dans des limites plus étroites qu’en 1991. Pour autant, l’idée de <em>limes</em> qui lui sert de fil rouge tout au long de son ouvrage peut demeurer d’actualité.</p>
<p>L’intérêt de relire <em>L’Empire et les nouveaux barbares</em> trente ans après sa première publication vient précisément du fait que J.-C. Rufin, avec son regard croisé de géopolitologue et d’humanitaire, avait pressenti que la « menace communiste » allait être remplacée, aux yeux des pays capitalistes du Nord, par une « menace migratoire » que les pays riches chercheraient à toute force à juguler :</p>
<blockquote>
<p>« Le nouveau <em>limes</em> contemporain entre Nord et Sud marque l’avènement en douceur d’une morale de l’inégalité, d’une sorte d’<em>apartheid</em> mondial. Dans l’idée de <em>limes</em>, il y a plus ou moins implicitement l’intention de définir et de protéger la civilisation du Nord. »</p>
</blockquote>
<p>Cette frontière entre le rouge et le vert symbolise non seulement l’écart entre les taux d’accroissement naturel mais aussi, et surtout, le creusement des inégalités entre le Nord et le Sud – ce qui suscite, chez un certain nombre d’habitants du Sud, la tentation de la migration vers le Nord.</p>
<h2>Le Nord a-t-il entretenu un « malthusianisme naturel » ?</h2>
<p>L’essai de J.-C. Rufin souligne l’impact qu’a eu, deux siècles durant, <a href="https://www.cairn.info/revue-population-2007-2-page-253.htm">l’œuvre du philosophe britannique Thomas Malthus (1766-1834)</a>. Malthus craignait le déséquilibre qui pourrait s’établir si la population croissait plus vite que les ressources nécessaires à sa subistance. Une vision qui a été remise au goût du jour au XX<sup>e</sup> siècle au vu de l’accroissement rapide de la population africaine.</p>
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<p>Rufin lui-même avait à la fin des années 1980 failli être expulsé d’Éthiopie pour avoir proposé, en sa qualité de responsable d’Action contre la Faim, d’intégrer un volet « planification familiale » dans l’aide d’urgence apportée à ce pays frappé par des famines récurrentes et engagé dans une longue guerre contre l’Érythrée. Dans son texte de 1991, il pointait le risque que les pays du Nord, effrayés par la croissance démographique de ceux du Sud, décident de laisser les « fléaux malthusiens » (c’est-à-dire les maladies, les famines et les guerres) décimer ces populations sans intervenir pour leur prêter assistance.</p>
<p>Cette crainte qu’il exprimait en 1991 a été souvent remise en avant depuis, notamment au sein des pays du Sud.</p>
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<p>Ainsi, la gestion de la pandémie du sida a prêté le flanc à la critique quand, en 2001, les laboratoires pharmaceutiques du Nord ont intenté une <a href="https://www.msf.fr/actualites/pretoria-chronique-d-un-mauvais-proces">action en justice</a> pour tenter d’interdire à ceux du Sud de fabriquer des traitements à bas prix pour les pays les plus touchés, dont l’Afrique du Sud. La pression de l’opinion internationale a toutefois fini par faire céder les grands laboratoires qui ont accepté en avril 2001 de vendre aux pays du Sud en situation d’urgence sanitaire leurs traitements à prix coûtant.</p>
<p>D’autres graves épidémies ont frappé l’Afrique, notamment Ébola, qui a causé la mort d’au moins 20 000 personnes en Afrique de l’Ouest entre 2013 et 2016. Mais dans ce cas précis, le Nord <a href="https://ebolaresponse.un.org/fr/action-contre-ebola">n’a pas ménagé ses efforts</a> pour aider à juguler ce fléau.</p>
<p>De même, la pandémie du Covid (2020-2022) a donné lieu à une vaste opération de solidarité coordonnée par l’OMS pour la distribution gratuite de plus d’un milliard de doses de vaccins (<a href="https://www.who.int/fr/initiatives/act-accelerator/covax#:%7E:text=Le%20COVAX%20est%20co%2Ddirig%C3%A9,%2C%20%C3%A0%20l%E2%80%99%C3%A9chelle%20mondiale.">initiative COVAX</a>). Le continent africain a d’ailleurs été <a href="https://theconversation.com/epidemie-de-Covid-19-en-afrique-quelles-specificites-192046">relativement peu touché par le virus</a>.</p>
<p>En termes de « malthusianisme naturel », il est vrai que les guerres en Afrique ont causé des millions de morts (2 millions au Biafra, 6 millions en RD Congo, <a href="https://www.20minutes.fr/monde/2328747-20180831-afrique-1995-2015-guerres-tue-5-millions-enfants-moins-cinq-ans">plus de 5 millions d’enfants en vingt ans</a>). Par ailleurs, il est clair que les famines n’épargnent pas le Sud. Dans certaines régions – le Sahel, la Corne de l’Afrique, le sud de Madagascar –, elles sont récurrentes. Mais, là encore, la communauté internationale se mobilise assez vite, de même que lors des catastrophes naturelles (cyclones, inondations). Les interventions sont parfois rendues compliquées par les guerres, mais il est tout à fait excessif d’accuser le Nord d’avoir, dans toutes ces situations, « traîné » pour résoudre les problèmes.</p>
<p>Pour autant, ces fléaux ont pu alimenter des théories du « complot blanc » pour exterminer les populations africaines. On n’a d’ailleurs pas oublié que <a href="https://www.liberation.fr/france/2014/05/20/jean-marie-le-pen-craint-le-remplacement-des-populations-francaises-par-l-immigration_1022863/">Jean-Marie Le Pen, en 2014, avait évoqué « Monseigneur Ébola »</a> pour résoudre l’explosion démographique. La diffusion de ces théories du complot s’appuie également sur le détournement de certains propos tenus par des personnalités notables du Nord, comme <a href="https://observers.france24.com/fr/afrique/20210115-que-montre-r%C3%A9ellement-cette-vid%C3%A9o-d-un-m%C3%A9decin-pr%C3%A9tendant-que-bill-gates-veut-%C3%A9liminer-3-milliards-d-humains">Bill Gates</a>.</p>
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<h2>Des « zones tampons » face aux mouvements migratoires Sud-Nord ?</h2>
<p>L’abandon du Sud craint par J.-C. Rufin aurait pu passer, selon ses termes, par « une politique sélective consistant à n’assister que les États-tampons, ceux qui sont situés le long du <em>limes</em> et doivent assurer sa stabilité ».</p>
<p>Plusieurs décisions pourraient apparaître comme des illustrations de cette prévision. Un premier exemple est venu de <a href="https://www.cairn.info/revue-plein-droit-2017-3-page-23.htm">l’accord signé entre l’Union européenne et la Turquie en 2016</a> afin de « bloquer » les migrants désireux de demander l’asile en Europe. La Turquie apparaissait donc bien comme un État-tampon, à qui l’Europe a versé deux fois 3 milliards d’euros, accordé de larges facilités pour l’obtention de visas, et promis un examen bienveillant de sa demande d’adhésion à l’UE. Ce Pacte migratoire a été renouvelé en 2021.</p>
<p>En 2010, l’Italie avait failli conclure un accord similaire avec la Libye. Mais le pays est devenu depuis un État failli et l’UE a entrepris de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=gkvJRPtQ5dc">« repousser ses frontières au sud du Sahara »</a>.</p>
<p>C’est ainsi qu’à Agadez (Niger), ville considérée comme l’une des plaques tournantes des migrations subsahariennes, l’UE a obtenu des autorités qu’elles punissent les passeurs de façon drastique. Pour compenser le « manque à gagner » (car les populations de cette région vivaient du trafic de migrants), elle a débloqué en 2017 un <a href="https://www.iom.int/fr/news/loim-au-niger-aide-plus-de-10-000-migrants-rentrer-chez-eux-en-2017">premier programme d’aide (30 millions d’euros</a>.</p>
<p>Parallèlement, le HCR (Haut-Commissariat aux Réfugiés) et l’OFPRA (Office français de Protection des Réfugiés et Apatrides) ont délocalisé leurs antennes au Niger et dans d’autres pays sahéliens, notamment au Tchad, pour instruire les dossiers de candidats à l’asile dans ce qui pouvait effectivement apparaître comme une nouvelle « zone-tampon ».</p>
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<p>Il est également un territoire du Sud qui n’est pas géographiquement un État-tampon mais qui a été démarché par un pays du Nord pour accueillir des migrants : le Rwanda. <a href="https://theconversation.com/envoi-de-tous-les-migrants-indesirables-au-rwanda-quand-le-royaume-uni-bafoue-le-droit-dasile-197626">L’accord passé le 14 avril 2022 entre le Royaume-Uni et le Rwanda</a> (et validé par la Haute Cour de Londres le 19 décembre 2022) prévoyait que toute personne entrée illégalement dans le pays pourrait être relocalisée au Rwanda, moyennant un financement de 120 millions de livres (144 millions d’euros). Qualifié de scandaleux par de nombreuses associations de défense des droits humains, ce programme n’est pas très éloigné de ce qui avait été mis en place en Turquie, au Niger et au Tchad.</p>
<h2>L’apartheid mondial ?</h2>
<p>Sur le terrain de la croissance démographique, il a fallu attendre assez longtemps après l’ouvrage de J.-C. Rufin pour voir d’autres auteurs briser le tabou du malthusianisme. Avec des titres qui ont alimenté les controverses, Serge Michailof, dans <a href="https://www.iris-france.org/66253-africanistan-lafrique-en-crise-va-t-elle-se-retrouver-dans-nos-banlieues/"><em>Africanistan. L’Afrique en crise va-t-elle se retrouver dans nos banlieues ?</em></a> (2015) puis Stephen Smith dans <a href="https://www.grasset.fr/livres/la-ruee-vers-leurope-9782246803508"><em>La Ruée vers l’Europe. La jeune Afrique en route pour le Vieux Continent</em></a> (2018) allaient dans le même sens. Leurs textes ont soulevé les protestations de certains chercheurs qui les ont <a href="https://bibliobs.nouvelobs.com/idees/20180209.OBS1958/la-jeunesse-africaine-est-elle-un-danger-pour-l-europe.html">accusés de faire « le jeu de l’extrême droite »</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-ruee-vers-leurope-nest-pas-inscrite-dans-la-demographie-africaine-112564">« La ruée vers l’Europe » n’est pas inscrite dans la démographie africaine</a>
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<p>Pourtant ni l’un ni l’autre, pas davantage que Rufin, ne peuvent être suspectés de soutenir la <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/01/28/le-grand-remplacement-genealogie-d-un-complotisme-cameleon_6111330_3232.html">théorie du « grand remplacement »</a>. Ils sont simplement dans leur rôle de chercheurs et ils exercent leur métier avec la rigueur et les nuances que l’on attend d’eux.</p>
<p>On en revient alors à « l’apartheid mondial », dont Rufin parlait en début d’ouvrage, ce creusement abyssal des inégalités entre le Nord et le Sud qui entraîne des tentations migratoires toujours plus sensibles.</p>
<p>De part et d’autre du nouveau <em>limes</em> qui a remplacé son « équateur démographique », ces « différences » ne cessent de s’accroître depuis trente ans et justifieront peut-être une révision de la <a href="https://www.unhcr.org/fr/en-bref/qui-nous-sommes/la-convention-de-1951-relative-au-statut-des-refugies">Convention de Genève</a> qui élargirait le droit d’asile aux migrants économiques (voire climatiques). Il n’est pas sûr que les opinions publiques du Nord y soient prêtes…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203966/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian Bouquet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En 1991, Jean-Christophe Rufin annonçait que le Nord allait tout faire pour se fermer aux migrants cherchant à le rejoindre depuis les pays du Sud. Une prophétie que les faits n’ont pas démentie.Christian Bouquet, Chercheur au LAM (Sciences-Po Bordeaux), professeur émérite de géographie politique, Université Bordeaux MontaigneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2007662023-03-23T17:48:57Z2023-03-23T17:48:57ZFemmes migrantes en Afrique de l’Ouest : l’émancipation en marche ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/515122/original/file-20230314-3883-u8rn6n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=432%2C16%2C2263%2C2004&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Quand elles migrent dans un autre pays de la région, les femmes ouest-africaines trouvent souvent du travail dans le secteur de la vente de nourriture, sur les marchés ou dans les rues, comme ici à Porto-Novo, au Bénin.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/portonovo-benin-mar-9-2012-unidentified-429430555">Anton_Ivanov/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>La féminisation de la migration est l’une des grandes tendances du phénomène migratoire mondial et, notamment, africain : en 2020, les femmes représentaient <a href="https://www.migrationdataportal.org/fr/themes/sexospecificites-et-migration">48,1 % du stock mondial de migrants et 47,1 % en Afrique</a>.</p>
<p>Les mobilités féminines ouest-africaines restent pourtant faiblement étudiées, comparées aux mobilités masculines : les motivations des femmes de la région, leurs parcours, les résistances qu’elles rencontrent ou encore leurs réussites demeurent peu visibles. L’image de l’homme seul, migrant pour des raisons économiques ou politiques, continue d’être prégnante dans les représentations de la migration. Or, tendance de plus en plus affirmée, le projet migratoire féminin est marqué par un désir d’affirmation de soi, lequel se manifeste dans bien des domaines : les femmes d’Afrique de l’Ouest se montrent de plus en plus autonomes dans leurs décisions de travailler, d’étudier ou d’être cheffes de ménage.</p>
<p>Fondée sur des enquêtes conduites dans neuf pays, notre étude <a href="https://www.afd.fr/fr/carte-des-projets/etude-des-mobilites-transfrontalieres-des-femmes-en-afrique-de-louest">« Regard actuel sur les mobilités féminines transfrontalières ouest-africaines »</a> s’intéresse à ces mobilités qui présentent des caractéristiques à la fois culturelles et socio-économiques spécifiques (en particulier au regard des inégalités femmes-hommes et des situations de vulnérabilités qui en découlent) et qui démontrent que les désirs d’émancipation transcendent les séculaires pesanteurs sociales.</p>
<h2>Qui sont les migrantes ouest-africaines ?</h2>
<p>Le travail de collecte de données quantitatives mené dans le cadre de cette étude a permis d’en savoir plus sur le profil sociodémographique des femmes migrantes en Afrique de l’Ouest, globalement peu documenté.</p>
<p>Les enquêtes ont été conduites dans neuf pays (Burkina Faso, Cameroun, Côte d’Ivoire, Guinée, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal, Tchad) avec pour cible 2 809 femmes ressortissantes de ces pays installées depuis au moins trois mois dans un autre de ces 9 pays. Le but de l’étude qualitative était d’enrichir la documentation statistique des mobilités féminines dans la sous-région.</p>
<p>On observe tout d’abord qu’elles sont jeunes : plus de 60 % des migrantes sont âgées de moins de 35 ans, même s’il existe des disparités (84 % parmi les migrantes se trouvant au Burkina Faso contre 46 % en Côte d’Ivoire).</p>
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<p>La proportion de femmes migrantes n’ayant reçu aucune éducation scolaire est partout importante. Il s’agit essentiellement de migrantes originaires de zones rurales et/ou d’espaces périphériques des pays d’origine, où les écoles font largement défaut. Par ailleurs, deux femmes sur trois se sont mariées avant leur départ, ce qui illustre le poids que font peser les représentations de la société d’origine sur leur liberté de mouvement.</p>
<p>Du côté des raisons de la migration, le regroupement familial reste le principal facteur de la mobilité féminine (39 %), mais ne doit pas masquer d’autres causes : la recherche de travail (30 %), les guerres civiles et crises sécuritaires (14 %) et les études (10 %).</p>
<p>Quant aux destinations, elles se situent à plus de 70 % dans la sous-région : la Côte d’Ivoire, le Niger et le Cameroun sont les principales destinations de proximité, grâce à la dispense de visa pour les ressortissants de la Cédéao, au coût limité de l’investissement en termes de transport et de proximité culturelle en matière de religion, de langues/dialectes ou de communautés/ethnies. Les 30 % restants se répartissent essentiellement sur des pays limitrophes à la zone de l’étude : Maroc et Algérie au Nord, Bénin et Togo sur le golfe de Guinée.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/514920/original/file-20230313-447-x0v6r4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/514920/original/file-20230313-447-x0v6r4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=387&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/514920/original/file-20230313-447-x0v6r4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=387&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/514920/original/file-20230313-447-x0v6r4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=387&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/514920/original/file-20230313-447-x0v6r4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/514920/original/file-20230313-447-x0v6r4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/514920/original/file-20230313-447-x0v6r4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les deux premières destinations migratoires par pays d’enquête.</span>
<span class="attribution"><span class="source">S. Rabier</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<h2>Des mobilités déjà connues des théories des migrations</h2>
<p>Outre la recherche rationnelle et individuelle de gains économiques, les déterminants collectifs de la mobilité (crises économiques, climatiques et sécuritaires), le poids des facteurs socio-historiques (les espaces francophones issus du fait colonial), <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-pourquoi-migrer">l’importance du regroupement familial</a>, l’étude évoque aussi des formes de mobilités féminines marquantes dans l’espace ouest-africain : le phénomène des <a href="https://www.peresblancs.org/petites_bonnes.htm">« Petites bonnes » en Afrique</a> et la migration prostitutionnelle initialisée par les migrantes en provenance du Ghana, du Nigéria, et du Togo, ainsi que des entrées en prostitution comme réponse à un échec personnel ou professionnel dans le pays d’arrivée.</p>
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<p>Enfin, malgré ces situations de précarisation et de violences, ce qui ressort, c’est la capacité des migrantes à entretenir simultanément des liens familiaux, économiques et sociaux dans différents lieux par-delà les frontières nationales. Cette capacité instaure un espace social hybride qui favorise des choix et des pratiques de mobilités transnationales et de circulations commerciales, et dont les marchés sont des hauts lieux d’observation.</p>
<h2>Des mobilités à l’épreuve du terrain : entre conquêtes et résistances</h2>
<p>Si les femmes et les hommes partagent les mêmes espaces migratoires, l’étude montre que la spécificité de genre influence bien des aspects de leurs projets migratoires. Les entretiens menés dans chacun des neuf pays étudiés ont permis de mieux appréhender la réalité migratoire féminine. Ils font ressortir à la fois des thématiques individuelles – d’ordre matériel, psychologique ou affectif – et des thèmes plus collectifs relatifs aux contextes social, culturel et politique de l’immigration.</p>
<p>Trois dimensions peuvent être particulièrement soulignées :</p>
<ul>
<li>Urbanisation et visibilité des migrantes</li>
</ul>
<p>De « nouvelles » migrations féminines vers les villes sont liées aux importantes mutations et opportunités sociales, économiques et de communication qui y sont offertes. Les représentations sociales de genre y sont moins tranchées et rigides qu’en milieu rural, où les assignations et les rôles sociaux de sexe sont plus contraignants. En ville, le contrôle familial et communautaire est moins prégnant et laisse plus d’autonomie aux femmes. L’identité socioculturelle d’origine des migrantes fait peu à peu place à des comportements novateurs, marqués par de nouvelles valeurs et de nouveaux rapports de sociabilité (recours aux méthodes contraceptives modernes et pratiques vestimentaires, par exemple). Ces pratiques nouvelles sont largement favorisées en particulier par l’existence de réseaux de solidarité socio-ethniques et des <a href="https://www.capital.fr/economie-politique/tontine-1375068">tontines</a> communautaires spécifiquement féminines.</p>
<ul>
<li>Charge mentale de la migration liée aux discriminations à la mobilité</li>
</ul>
<p>Les femmes se trouvent initialement dans des environnements familiaux qui peuvent ne pas approuver le départ en migration aussi bien pour des raisons (légitimes) de sécurité que pour des suspicions d’émancipation difficilement acceptées. Dès lors, le départ s’effectue parfois dans la clandestinité, avec la complicité ou le concours d’une amie. En pareils contextes d’assignation de rôles de genre, les migrations féminines se trouvent incontestablement placées sous de très fortes contraintes psychosociales, et la migration apparaît alors comme un acte de courage personnel qui s’inscrit dans la durée, avec le regret de ne pas avoir pu combiner choix personnel et préservation des liens familiaux.</p>
<ul>
<li>Accès au marché du travail et intégration sociale : deux défis majeurs</li>
</ul>
<p>Les migrantes apportent une contribution importante aux économies des pays d’accueil. Elles restent principalement concentrées dans le secteur informel des services du « care » dévalorisés localement mais où la demande est croissante (employées de maison, aides-soignantes), dans les activités prostitutionnelles et aussi dans les industries orientées vers l’exportation, dans les filières commerciales (commerce de gros, marchés, nourriture de rue) et dans l’hôtellerie-restauration où elles sont surreprésentées par rapport aux migrants. Cependant, les parcours migratoires restent plus dangereux pour les femmes, <a href="https://information.tv5monde.com/info/sur-les-chemins-de-l-exil-90-des-femmes-sont-victimes-de-violences-sexuelles-479829">surexposées aux violences et contraintes sexuelles, aux jugements de moralité, à l’exploitation et l’insécurité sociales</a>. Dans les pays d’accueil, elles subissent souvent une xénophobie ambiante <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-d-etudes-africaines-2014-1.htm">largement nourrie de préjugés qui ont la vie dure</a>.</p>
<h2>L’autonomisation au cœur des évolutions socioculturelles</h2>
<p>L’acquisition de l’autonomie économique, l’amélioration de leurs conditions de vie ainsi que l’évolution de la perception du rôle et du statut des femmes grâce à la migration conduisent à une reconfiguration des relations familiales et sociales entre les sexes. Cela allège le poids de la tutelle masculine et engage un processus de questionnement de certains préjugés et la modification des pratiques traditionnelles, aussi bien dans les pays de départ que d’arrivée. Au-delà des motivations économiques ou éducatives, les migrations constituent un moyen de résister à des pratiques traditionnelles comme les mariages forcés ou arrangés auxquels les jeunes filles ne veulent pas se soumettre.</p>
<p>Cependant, les mobilités féminines sont encore très largement prisonnières de représentations et d’interdits liés à l’engagement des femmes hors de la sphère domestique : ainsi, la réputation de femme facile et vulgaire est très souvent appliquée aux femmes immigrées, accusées d’encourager la dépravation des valeurs (grossesses hors mariages, divorces), surtout durant les premières années du parcours migratoire, réputation qui justifie toutes les formes de discriminations et de violences. Cette stigmatisation se trouve renforcée dans le cas des migrations de retour, qui demandent aux femmes des <a href="https://www.iom.int/fr/news/afrique-centrale-et-afrique-de-louest-les-femmes-sont-de-plus-en-plus-nombreuses-rechercher-legalite-travers-la-migration">efforts de réintégration particulièrement élevés</a>.</p>
<p>L’émancipation et l’autonomisation se payent donc au prix fort pour les femmes dès lors qu’elles essaient de combiner leur choix de migration avec les valeurs et les pesanteurs sociales encore très prégnantes aussi bien dans les pays de départ que d’arrivée. Au-delà d’une connaissance à encore approfondir des migrations féminines, il serait souhaitable de réduire ces tensions par l’engagement plus fort des gouvernements dans des politiques publiques d’encouragement à la coopération migratoire et au renforcement des capacités des migrantes en matière d’accompagnement professionnel et social. C’est à ce niveau que les politiques publiques ont un rôle à jouer dans l’optique d’une autonomisation des femmes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/200766/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Une étude récente permet de mieux comprendre les motivations des femmes d’Afrique de l’Ouest ayant décidé de quitter leur pays pour s’installer ailleurs dans la région.Serge Rabier, Chargé de recherche Population et Genre, Agence française de développement (AFD)Papa Demba Fall, Directeur de recherche titulaire des universités, directeur du Réseau d’étude de Migrations internationales africaines, Université Cheikh Anta Diop de DakarLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1976262023-01-25T18:01:32Z2023-01-25T18:01:32ZEnvoi de tous les migrants indésirables au Rwanda : quand le Royaume-Uni bafoue le droit d’asile<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/505628/original/file-20230120-7984-qp49hp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C5808%2C3860&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dungeness, Kent, Royaume-Uni, le 29&nbsp;août 2022. Des migrants arrivent sur la plage de Dungeness après avoir été secourus en mer par un bateau de sauvetage. Ils pourraient désormais en théorie être envoyés au Rwanda.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/dungeness-kent-uk-29th-august-2022-2198925823">Sean Aidan Calderbank/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Le 19 décembre, le « rêve » de Suella Braverman, la ministre de l’Intérieur britannique, s’est – presque – réalisé : celle qui rêvait de <a href="https://www.independent.co.uk/news/uk/politics/suella-braverman-rwanda-dream-obsession-b2195296.html">voir décoller avant le 25 décembre un premier avion</a> pour le Rwanda emportant à son bord des migrants entrés irrégulièrement sur le sol anglais n’aura pas reçu ce « cadeau de Noël », mais à tout le moins elle aura eu la satisfaction d’entendre la <a href="https://www.judiciary.uk/wp-content/uploads/2022/12/AAA-v-SSHD-Rwanda-judgment.pdf">Haute Cour de Londres valider la faisabilité juridique</a> du dispositif.</p>
<p>Attendu bien au-delà des frontières du Royaume-Uni et du cercle des spécialistes des questions de migrations, cet arrêt témoigne des enjeux d’un mécanisme téméraire par lequel le gouvernement britannique entend montrer à ses électeurs – car tel sera probablement son principal effet – que la « maîtrise des frontières », promise lors du Brexit, est à son agenda, et qu’il reste donc quelques raisons de voter « conservateur » lors des prochaines échéances électorales.</p>
<h2>Que prévoit cet accord ?</h2>
<p>L’ambition officielle de ce « memorandum of understanding » est de limiter les arrivées sur le territoire anglais d’étrangers dépourvus du droit d’y entrer et d’y séjourner. Il s’agit de décourager les traversées de la Manche sur des embarcations de fortune, lesquelles se sont multipliées ces derniers mois pour atteindre <a href="https://fr.euronews.com/2022/11/13/royaume-uni-plus-de-40-000-migrants-ont-traverse-la-manche-en-2022">plus de 40 000 en 2022</a>.</p>
<p>Issu d’un <a href="https://www.gov.uk/government/publications/memorandum-of-understanding-mou-between-the-uk-and-rwanda/memorandum-of-understanding-between-the-government-of-the-united-kingdom-of-great-britain-and-northern-ireland-and-the-government-of-the-republic-of-r">protocole d’accord signé le 13 avril 2022</a>, le dispositif prévoit l’acheminement vers le Rwanda des demandeurs d’asile arrivés au Royaume-Uni « illégalement ou par des méthodes dangereuses ou inutiles depuis des pays sûrs » et qui ne peuvent être admis sur le territoire anglais. Après un « screening » (examen sommaire) de leur situation, ces personnes, si elles entrent dans le champ d’application de l’accord, seront envoyées au Rwanda – quelle que soit leur nationalité, et quand bien même elles n’auraient jamais eu quelque contact que ce soit avec cet État. La plupart de ceux qui ont traversé la Manche en 2022 sur des embarcations de fortune sont d’ailleurs <a href="https://www.gov.uk/government/statistics/factsheet-small-boat-crossings-since-july-2022/factsheet-small-boat-crossings-since-july-2022">originaires d’Albanie, d’Afghanistan ou d’Iran</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/6WmAQjyd1GY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Rwanda – Royaume-Uni : accord controversé sur les migrants, TV5 Monde, 11 juin 2022.</span></figcaption>
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<p>Une fois au Rwanda, cet État aura la charge de leur accueil et de l’examen de leur demande d’asile. Si celle-ci prospère, elles seront autorisées à séjourner au Rwanda, sans possibilité ou presque de retourner au Royaume-Uni. Si la demande est rejetée, le Rwanda devra accorder aux personnes ainsi déboutées un titre de séjour sur un autre fondement, ou les renvoyer vers un pays tiers qui les accepterait. Enfin, cet accord est défini par ses rédacteurs comme « non contraignant » juridiquement et insusceptible de recours.</p>
<p>Cela n’aura pas empêché la Cour européenne des droits de l’homme de demander, le <a href="https://hudoc.echr.coe.int/app/conversion/pdf/?library=ECHR&id=003-7360406-10055338&filename=Mesure%20provisoire%20accord%C3%A9e%20concernant%20le%20refoulement%20imminent%20d">14 juin 2022</a>, la suspension en urgence du premier vol prévu sur ce fondement et, le 19 décembre dernier, la Haute Cour anglaise de valider l’accord.</p>
<h2>Un dispositif juridiquement problématique</h2>
<p>Le dispositif imaginé par le Royaume-Uni participe de <a href="https://esprit.presse.fr/article/thibaut-fleury-graff/tenir-a-distance-la-politique-europeenne-d-externalisation-de-l-asile-44374">« ces apo-politiques »</a>, destinées à « tenir à distance » les migrants des territoires occidentaux.</p>
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<p><a href="https://www.la-croix.com/Monde/Asie-et-Oceanie/iles-prisons-migrants-lAustralie-pointees-doigt-2019-07-19-1201036431">L’Australie en a été précurseur</a> en confiant l’examen des demandes d’asile à Nauru ; l’UE a suivi au mitan des années 2010 en <a href="https://theconversation.com/laccord-union-europeenne-turquie-sur-les-migrants-un-troc-de-dupes-57601">facilitant le renvoi en Turquie des personnes arrivant en situation irrégulière</a> sur les côtes grecques ; le <a href="https://www.liberation.fr/international/europe/le-danemark-fait-un-pas-de-plus-vers-la-delocalisation-des-demandes-dasile-au-rwanda-20220909_6LU7QD55UBCM5LIITNYF36VNM4/">Danemark y songe</a>. Le Royaume-Uni est cependant le premier à confier à un État tiers, de manière générale, non seulement le soin d’examiner les demandes d’asile, mais encore d’accueillir sur son territoire les personnes protégées ou déboutées. Un tel dispositif soulève un certain nombre de difficultés juridiques, ainsi que l’a <a href="https://www.unhcr.org/62a317d34">notamment relevé le Haut-Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés</a> (UNHCR).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1615077160091262976"}"></div></p>
<p>L’une des principales tient à la qualification du Rwanda de « pays sûr ». En vertu de l’article 33§1 de la <a href="https://www.unhcr.org/fr/4b14f4a62">Convention de Genève de 1951</a> relative au statut de réfugié et du droit international coutumier, les États ne peuvent renvoyer les étrangers, même en situation irrégulière, vers un État où il existerait « un risque pour leur vie ou leur liberté » pour l’un des motifs prévus par la Convention (opinions politiques, race ou nationalité, religion ou appartenance à un groupe social).</p>
<p>Qui plus est, en vertu de l’article 3 de la <a href="https://www.echr.coe.int/documents/convention_fra.pdf">Convention européenne des droits de l’Homme</a>, à laquelle le Royaume-Uni n’a pas cessé d’être partie, la torture et les traitements inhumains ou dégradants sont interdits, ce qui prohibe également l’éloignement des étrangers vers des pays où existerait un risque de tels traitements. Il est également interdit de renvoyer les étrangers vers des États avec lesquels ils n’ont aucun lien.</p>
<p><em>A contrario</em>, l’éloignement est donc possible vers les États – dits « sûrs » – où un tel risque n’est pas constitué. Encore faut-il s’assurer que tel est bien le cas : cela suppose d’examiner la situation individuelle de l’étranger éloigné, de s’assurer que la qualification d’État sûr est bien fondée, et que l’étranger a un lien avec cet État. Or, en l’espèce, aucun de ces critères n’est rempli.</p>
<p>Tout étranger pourra être renvoyé au Rwanda. L’examen de la situation individuelle aura généralement lieu par téléphone, alors que l’étranger se trouve en détention. Quant au Rwanda, il est loin d’avoir un système d’asile, une justice et un gouvernement garantissant que les personnes transférées depuis le Royaume-Uni ne sont pas soumises à de tels traitements. Connu pour ses détentions arbitraires et ses exécutions extra-judiciaires, le Rwanda s’est illustré récemment encore par l’arrestation, la détention – et même <a href="https://www.hrw.org/news/2019/02/23/rwanda-year-no-justice-refugee-killings">l’exécution sommaire pour douze d’entre eux</a> ! – de réfugiés protestant contre leur accès insuffisant aux services les plus élémentaires. Le pays, par ailleurs, n’est <a href="https://theconversation.com/rwanda-lgbt-rights-are-protected-on-paper-but-discrimination-and-homophobia-persist-182949">guère actif, pour dire le moins, dans la lutte contre les discriminations</a> à l’égard des personnes LBTQ+.</p>
<h2>Pourquoi le Rwanda ?</h2>
<p>Pour quelles raisons le Royaume-Uni, peuplé de 67 millions d’habitants, cinquième puissance mondiale, bien connu pour ses textes fondateurs en matière de protection des libertés, a-t-il donc bien pu décider de confier au Rwanda, 13 millions d’habitants, 144<sup>e</sup> économie mondiale et piètre garant des droits humains, le soin de gérer à sa place les questions d’asile ? Et quel intérêt, pour ce petit pays africain, d’accepter cet « <em>asylum deal » ?</em></p>
<p>Du point de vue britannique, l’accord vise à démontrer que le gouvernement conservateur travaille à la concrétisation de l’une des promesses du Brexit : limiter les migrations, dites irrégulières, sur le territoire anglais. Il est peu probable que l’accord y parvienne réellement – le gouvernement ne s’est d’ailleurs pas risqué à chiffrer le nombre de personnes qui pourraient être concernées. <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/09/24/francois-heran-il-est-temps-que-nos-dirigeants-tiennent-sur-l-immigration-une-parole-de-raison-plutot-qu-un-discours-de-peur_6012799_3232.html">Comme souvent en la matière</a>, l’affichage politique semble plus précieux que l’efficacité pratique – ce dont il faut sans doute se réjouir en l’espèce tant l’accord est « épouvantable » <a href="https://www.theguardian.com/uk-news/2022/jun/10/prince-charles-criticises-appalling-rwanda-scheme-reports">selon les mots</a> du Roi Charles III lui-même.</p>
<p>Du point de vue rwandais, l’accord est un joli coup économique et diplomatique. Économique, d’abord, car il inclut le versement par Londres de 120 millions de livres sterling au titre de l’aide au développement, auxquels il faut ajouter 12 000 livres par étranger relocalisé. Diplomatique, ensuite, car l’accord constitue pour Kigali un instrument de pression sur le Royaume-Uni, tant dans leurs relations bilatérales – le président rwandais Paul Kagamé a d’ores et déjà <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/may/16/rwanda-president-suggests-uk-extradite-genocide-suspect-asylum-deal-paul-kagame">pris prétexte de l’accord pour demander l’extradition de l’un de ses ressortissants</a> – que dans un contexte plus général, où le soutien de Londres pourrait être précieux – que l’on songe par exemple aux <a href="https://theconversation.com/m23-quatre-elements-essentiels-a-retenir-sur-le-role-du-groupe-rebelle-dans-le-conflit-entre-le-rwanda-et-la-rdc-195243">accusations de soutien du Rwanda aux rebelles du M23</a> dans le cadre du conflit en RDC.</p>
<p>En signant la Convention de Genève, en participant au <a href="https://globalcompactrefugees.org/sites/default/files/2020-05/GCR%20Booklet%20FR.pdf">Pacte mondial pour les Réfugiés de 2018</a>, le Royaume-Uni s’est engagé à coopérer en matière d’asile de manière à favoriser la protection des réfugiés, le partage des responsabilités entre États, et la garantie des droits des personnes en besoin de protection internationale : Londres n’en a manifestement pas fini avec le renoncement à ses engagements internationaux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/197626/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thibaut Fleury Graff a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche (ANR) pour le Projet "RefWar - Protection en France des exilés de guerre" (2019-2023) associant les Universités Paris Panthéon-Assas, Paris-Saclay, de Bordeaux et le UNHCR. </span></em></p>Londres et Kigali ont signé un accord qui permettra au Royaume-Uni d'envoyer au Rwanda les migrants qu'il refuse d'accueillir. Un texte qui enfreint, entre autres, la Convention de Genève.Thibaut Fleury Graff, Professeur de droit international, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1954962023-01-04T19:57:55Z2023-01-04T19:57:55ZSoins aux personnes âgées, le travail invisible des femmes migrantes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/500022/original/file-20221209-24715-9tmah6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Photo extraite du documentaire « Auprès d’elle » sur la vie des travailleuses s'occupant de nos aînés 24h/24. Co-réalisé par Chiara Giordano.</span> </figcaption></figure><p>« Elle n’aime pas que j’appelle ça un boulot. Elle veut que je fasse partie de la famille ». Meliza partage la vie d’une personne âgée qui ne peut plus rester seule. Comme des milliers de travailleuses – souvent des femmes migrantes – elle s’occupe d’une de nos aîné·e·s <a href="https://theconversation.com/travailler-a-des-horaires-atypiques-de-plus-en-plus-frequent-chez-les-femmes-peu-qualifiees-182535">24 heures sur 24</a>. Invisibles et pourtant indispensables, ces femmes les aident, les lavent et les habillent. Elles cuisinent et nettoient. Elles les accompagnent : elles restent auprès de nos aîné·e·s, jour et nuit.</p>
<p>L’importance de ces travailleuses se révèle de plus en plus cruciale avec le <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S221256711500492X">vieillissement de la population</a> et l’explosion du besoin de prise en charge à domicile des personnes âgées. Pourtant, en Belgique comme ailleurs en Europe, non seulement les conditions de travail dans <a href="http://www.lecavalierbleu.com/livre/vers-societe-care/">ce secteur</a> sont parmi les plus précaires sur le marché de l’emploi, mais la position de ces travailleuses dans la stratification sociale est également parmi les plus basses sur l’échelle socioprofessionnelle.</p>
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<iframe src="https://player.vimeo.com/video/596498428" width="500" height="281" frameborder="0" webkitallowfullscreen="" mozallowfullscreen="" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le documentaire « Auprès d’elle » co-réalisé par Chiara Giordano offre un aperçu de la vie des travailleuses qui s’occupent de nos aînés 24h/24.</span></figcaption>
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<p>Salaires bas, horaires difficiles, manque d’opportunités d’évolution professionnelle : quelles sont les raisons de la persistance de mauvaises conditions de travail dans ce secteur ? Pourquoi les métiers du <a href="https://www.revue-etudes.com/article/l-ethique-du-care-une-nouvelle-facon-de-prendre-soin-13367"><em>care</em></a> (soin donné à autrui) ont-ils une mauvaise réputation, malgré le rôle social qu’ils remplissent ? D’où viennent les difficultés à valoriser et à professionnaliser ce travail ?</p>
<h2>Le statut inférieur du travail du <em>care</em></h2>
<p>La pénibilité du travail, qui est bien <a href="https://www.vie-publique.fr/en-bref/282286-aides-domicile-conditions-de-travail-et-risques-psychosociaux">documentée</a>, est en partie liée à la nature même de l’activité (s’occuper de l’hygiène des autres, porter des poids lourds, s’occuper de personnes parfois très malades, etc.). Mais ce qui empêche une évolution des conditions de travail est avant tout la représentation symbolique du métier. Celle-ci accorde au <a href="https://theconversation.com/nous-ne-sommes-pas-en-guerre-nous-sommes-en-care-137619">travail de <em>care</em></a> un statut inférieur dans la stratification des occupations sur le marché de l’emploi. Elle la rend <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/les_services_a_la_personne-9782707187949">différente de toute autre relation d’emploi</a>.</p>
<p>Deux facteurs au moins nourrissent cette représentation. Le premier est l’héritage de la mauvaise image sociale du travail domestique au sens plus large. Le fait de s’occuper de la saleté de l’autre est associée à des métiers dégradants, à de <a href="https://www.bloomsbury.com/uk/doing-the-dirty-work-9781856497619/">« sales boulots »</a>. De surcroît, le travail domestique convoque des images de <a href="https://theconversation.com/le-travail-pour-autrui-survivance-de-lesclavagisme-dans-nos-economies-150317">« servitude »</a> : il y a toujours une personne « qui sert » et une personne « qui est servie ». Si la relation entre travailleuse et bénéficiaire repose sur une relation interpersonnelle de pouvoir qui se traduit et se justifie traditionnellement par une distance de classe, elle s’articule aujourd’hui sur des <a href="https://ladispute.fr/catalogue/les-aides-a-domicile-un-monde-populaire/">formes plus complexes</a>. La nationalité ou le groupe ethnique <a href="https://theconversation.com/les-noires-sont-sales-par-contre-elles-font-de-bonnes-nounous-dans-lemploi-domestique-des-stereotypes-tenaces-150191">remplissent la fonction de l’altérité</a>, là où l’origine sociale ou le niveau d’éducation le permettent moins qu’avant.</p>
<h2>Un travail à domicile 24h/24… donc pas un vrai travail ?</h2>
<p>Le second facteur est lié à la dichotomie entre les sphères publique et privée et à la division genrée du travail au sein de la famille.</p>
<p>D’une part, le travail de <em>care</em> est inextricablement lié à la sphère privée. L’opposition entre « travail productif » (possédant une valeur économique) et « travail reproductif » (effectué gratuitement au sein de la famille) joue en la défaveur des métiers du <em>care</em>. Leur statut de « vrai » travail est constamment remis en cause. De surcroît, on les considère comme une activité qui ne demande pas de compétence spécifique, ni de qualification puisque « tout le monde le fait pour sa famille ».</p>
<p>D’autre part, ce travail reproductif possède encore aujourd’hui une dimension fortement genrée, puisqu’il est associé au travail traditionnellement effectué par les membres féminins de la famille. Le <em>care</em>, vu comme une activité « naturelle », ou du moins naturellement acquise par les femmes, est essentialisé comme un travail féminin, ce qui explique la <a href="https://www.routledge.com/Migration-and-Domestic-Work-A-European-Perspective-on-a-Global-Theme/Lutz/p/book/9781138257221">prédominance de femmes</a> dans le secteur. Le concept de <em>care</em> soulève précisément des critiques pour cette raison : il désigne à la fois la pratique de prendre soin d’autrui et la disposition à le faire. Le risque de créer une confusion entre les deux est réel.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/500032/original/file-20221209-33096-w2nl8t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/500032/original/file-20221209-33096-w2nl8t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/500032/original/file-20221209-33096-w2nl8t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/500032/original/file-20221209-33096-w2nl8t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/500032/original/file-20221209-33096-w2nl8t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/500032/original/file-20221209-33096-w2nl8t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/500032/original/file-20221209-33096-w2nl8t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Photo extraite du documentaire « Auprès d’elle » co-réalisé par Chiara Giordano.</span>
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<p>Si le caractère privé et la dimension genrée du <em>care</em> contribuent à la faible valorisation de ces métiers en général, le travail effectué à domicile 24h/24 ajoute des défis supplémentaires.</p>
<p>Non seulement la nature privée du travail implique le manque de contrôle sur les conditions de travail, mais même lorsque les heures de travail sont définies par contrat, le travail 24h/24 implique souvent une disponibilité permanente. Ceci entraîne une absence de séparation entre la maison et le travail, entre le temps de loisirs et le temps de travail. De surcroît, le partage d’un espace intime et le travail émotionnel qui caractérisent ce travail font que la relation entre la travailleuse et la personne âgée <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/les_services_a_la_personne-9782707187949">oscille constamment entre relation de travail et relation familiale</a>. Ceci génère une forte ambiguïté, la travailleuse n’étant plus considérée comme telle, mais plutôt comme « un membre de la famille », comme les employeurs tendent à la définir.</p>
<p>Cet ensemble de facteurs fait que les employeurs, qu’il s’agisse de familles ou d’intermédiaires, considèrent que ces métiers ne « méritent » pas des bons salaires.</p>
<h2>Des échelons dans la misère</h2>
<p>On retrouve dans cette profession les personnes les plus vulnérables du marché de l’emploi : <a href="https://www.routledge.com/Migration-and-Domestic-Work-A-European-Perspective-on-a-Global-Theme/Lutz/p/book/9781138257221">souvent des femmes migrantes et/ou d’origine étrangère</a>. Cette concentration de main-d’œuvre étrangère s’explique notamment par des facteurs de nature économique : l’augmentation de la demande de <em>care</em> dans les pays occidentaux s’est accompagnée d’une augmentation de l’offre principalement étrangère. </p>
<p>Les éléments généralement proposés pour expliquer la formation de cette offre reposent sur les caractéristiques de la main-d’œuvre, qui serait plus flexible, moins chère et plus adaptable à des horaires atypiques, par rapport à la population active locale. Néanmoins, comme <a href="https://link.springer.com/book/10.1007/978-3-031-16041-7">mes recherches</a> le montrent, d’autres éléments contribuent à l’ethnicisation du secteur. Au niveau macro, par exemple, les politiques publiques régulant les migrations, la protection sociale ou les inégalités de genre ont un impact sur la concentration dans ce secteur de travailleuses migrantes.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/nounous-africaines-a-paris-trop-presentes-pour-etre-visibles-195385">Nounous africaines à Paris : trop présentes pour être visibles ?</a>
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<p>Ainsi, la position des travailleuses domestiques et du <em>care</em> ne peut être réduite à leur situation professionnelle. Elle est définie et continuellement <a href="https://www.wiley.com/en-us/Understanding+Inequalities:+Stratification+and+Difference,+2nd+Edition-p-9781509521265">remodelée par d’autres facteurs</a>, tels que leur statut administratif et leurs permis de travail, qui sont à leur tour déterminés par le régime migratoire propre à chaque pays.</p>
<p>Mais parmi les travailleuses, toutes ne jouissent pas des mêmes conditions de travail. Au sein de cette force de travail globalement fort dévalorisée, les travailleuses migrantes sans contrat, et en particulier celles qui habitent chez la personne âgée, représentent les plus invisibles et les plus précaires. La situation d’irrégularité administrative peut s’ajouter à ces facteurs et rendre leur situation encore plus vulnérable.</p>
<p>Dans nos sociétés vieillissantes, des véritables mesures publiques sont à envisager pour que ce phénomène ne devienne pas un nouveau modèle global d’exploitation.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/195496/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cette recherche a été financée par Innoviris (Région de Bruxelles-Capitale).</span></em></p>Invisibles et pourtant indispensables, des femmes – souvent migrantes – s’occupent de nos ainés à leur domicile 24h/24.Chiara Giordano, Chercheuse postdoctorale et maître de conférence en sociologie, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1948622022-12-18T18:08:23Z2022-12-18T18:08:23ZCes villes où les migrants sont les bienvenus<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/500397/original/file-20221212-106702-q7hy77.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=293%2C38%2C3275%2C2590&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En Europe, le phénomène des villes-refuges a connu un développement important depuis les années 1990, sous l'impulsion de groupes cosmopolites tels que le Parlement international des écrivains.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/r4vi/21370416141/in/photostream/">R4vi/Flickr</a></span></figcaption></figure><p>En 1985, San Francisco se dotait d’une loi faisant de celle-ci une <a href="https://www.latimes.com/archives/la-xpm-1985-12-24-mn-20853-story.html"><em>sanctuary city</em></a> (ville sanctuaire) pour les réfugiés venant d’Amérique centrale. Appuyée par la maire de l’époque, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Dianne_Feinstein">Dianne Feinstein</a>, cette résolution fut étendue quelques années plus tard à tous les migrants. Elle imposait à la police de ne pas coopérer aux contrôles et arrestations effectuées par l’autorité fédérale de contrôle de l’immigration. Depuis ce moment historique, de nombreuses villes de part et d’autre de l’Atlantique se sont officiellement déclarées lieux d’accueil pour les migrants.</p>
<p>En Europe, le phénomène des <a href="http://www.gisti.org/spip.php?article5816">villes-refuges</a> a connu un développement important depuis les années 1990, sous l’impulsion de groupes cosmopolites tels que le Parlement international des écrivains. Celui-ci a donné naissance à ce qui est aujourd’hui l’<a href="https://icorn.org/what-icorn">International Cities of Refuge Network</a> pour la protection des écrivains et journalistes menacés dans leur propre pays.</p>
<p>Parallèlement, en raison du processus de décentralisation du pouvoir politique, les <a href="https://moving-cities.eu/fr">municipalités</a> sont devenues des acteurs de premier plan dans la gestion des migrations. Les villes ont donc commencé non seulement à se déclarer accueillantes en soutenant des politiques de protection et d’inclusion, mais surtout à structurer des réseaux avec d’autres villes partageant les mêmes idées à l’égard des questions d’asile.</p>
<h2>Les réseaux accueillants ont explosé depuis 2015</h2>
<p><a href="https://journals.openedition.org/e-migrinter/2281">Un article récent</a> souligne que lors de la crise migratoire de 2015 tels réseaux se sont développés et multipliés en suivant une dynamique descendante et une dynamique ascendante. Dans le premier modèle, des organisations internationales soutiennent la mise à l’ordre du jour des questions d’accueil au sein de réseaux de villes préexistants. Ceci est le cas, par exemple, de l’Organisation Internationale de la Migration avec sa participation au <a href="https://www.iom.int/fr/news/les-maires-du-monde-entier-se-reunissent-en-soutien-la-mobilite-humaine-la-migration-et-au-developpement">Forum mondial des Maires</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/migrants-plus-de-10-millions-de-francais-vivent-dans-une-commune-accueillante-170496">Migrants : plus de 10 millions de Français vivent dans une commune accueillante</a>
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<p>Le modèle ascendant, d’autre part, se caractérise par le regroupement spontané de différentes municipalités, mais aussi d’organisations, de collectivités territoriales et autres acteurs de la société civile. C’est l’exemple du réseau <a href="https://www.anvita.fr/fr/qui-sommes-nous/">ANVITA</a> en France, ou du projet <a href="https://cityofsanctuary.org/about/">City of Sanctuary UK</a> au Royaume-Uni, dont le principe est d’associer l’expertise et les pratiques des organisations à l’action politique formelle des municipalités.</p>
<h2>La société civile joue un rôle clé</h2>
<p>D’une manière générale, de nombreuses <a href="https://theconversation.com/contrairement-aux-idees-recues-laccueil-des-refugies-a-suscite-un-elan-citoyen-en-europe-122832">communautés de citoyens</a> sont prêtes à revendiquer l’accueil et l’ouverture à l’étranger en quête d’asile comme des éléments de leur identité historique. Dans de nombreux cas, le monde associatif est à l’origine du choix d’une ville de se déclarer accueillante. Les associations sont souvent porteuses d’initiatives, de campagnes de sensibilisation ainsi que <a href="https://www.cncd.be/portfolio-commune-hospitaliere-action-140917?lang=fr">d’appels à l’action</a> directement adressés aux autorités locales.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Hq-qYpk3O04?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le collectif CNCD-11.11.11 interpelle les municipalités belges pour les transformer en « communes hospitalières ».</span></figcaption>
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<p>Si ces idées sont généralement bien accueillies par les pouvoirs politiques, elles restent parfois limitées à une dimension symbolique, sans donner lieu à des politiques réelles de protection et d’inclusion.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/migrants-venise-ou-lexperimentation-de-la-ville-refuge-71510">Migrants : Venise ou l’expérimentation de la ville-refuge</a>
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<h2>Quelles sont les limites des villes accueillantes ?</h2>
<p>C’est précisément dans cette dichotomie entre symbolique et politique réelle, entre approche <em>soft</em> et <em>hard</em>, que l’on peut identifier un premier enjeu. Dans le débat politique contemporain, la migration et l’asile figurent parmi les questions les plus chargées d’une force <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/15562948.2017.1353189">médiatique</a> et d’une valeur démagogique. Les autorités locales peuvent alors se déclarer accueillantes pour des raisons stratégiques, pour montrer leur opposition à un gouvernement d’une autre couleur politique. Cependant, il peut arriver qu’elles s’engagent que dans une mesure limitée dans la mise en œuvre concrète d’un système d’accueil alternatif.</p>
<p>Deuxièmement, même lorsque les villes adoptent une approche <em>hard</em> et mettent en œuvre des pratiques locales d’accueil et protection plus inclusives, elles peuvent se heurter à des obstacles structurels. Cela souligne les limites d’autonomie de la gouvernance locale, mais surtout le fait que les villes seules peuvent être confrontées à une disponibilité limitée des ressources. Elles doivent souvent faire face à des problèmes préexistants qui sapent l’efficacité des politiques d’accueil. Plusieurs cas identifiés comme des modèles positifs d’intégration ont montré par exemple des problèmes de <a href="https://journals.openedition.org/belgeo/35559">ségrégation spatiale des nouveaux arrivants</a>.</p>
<h2>Il existe également des obstacles juridiques</h2>
<p>Être une ville accueillante au sens <em>hard</em> et s’engager à protéger les migrants en opposition aux directives des gouvernements nationaux, signifie agir précisément sur l’appareil juridique et policier. C’est sans aucun doute le cas dans le contexte actuel, où le phénomène migratoire est souvent traité comme un <a href="https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2020-4-page-3.htm">problème de sécurité publique</a>. Pour donner suite à son engagement en tant que ville accueillante, le conseil communal de Liège a par exemple voté une motion contre le projet du gouvernement qui visait à instaurer des <a href="https://www.lesoir.be/137048/article/2018-01-29/visites-domiciliaires-le-conseil-communal-de-liege-vote-une-motion-contre-le">visites domiciliaires</a> pour trouver et arrêter les personnes en séjour illégal.</p>
<p>En agissant de manière autonome et en défiant le gouvernement central, les représentants politiques locaux risquent souvent d’outrepasser les limites juridiques. Tous les acteurs impliqués, à la fois migrants et non-migrants, peuvent se retrouver à enfreindre des lois perçues comme contraires à leurs principes et objectifs humanitaires, et en subir les conséquences. Les non-migrants peuvent notamment être condamnés pour un paradoxal délit de solidarité. Tel est le cas de l’ancien maire de Riace, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Domenico_Lucano">Mimmo Lucano</a>, accusé d’avoir facilité l’immigration clandestine dans son <a href="https://www.bbc.com/news/in-pictures-37289713">célèbre modèle d’accueil</a>, et récemment <a href="https://www.theguardian.com/world/2021/sep/30/pro-refugee-italian-mayor-sentenced-to-13-years-for-abetting-migration">condamné à 13 ans de prison</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1532376137464152064"}"></div></p>
<p>Sans vouloir diminuer la contribution des villes accueillantes qui continuent à soutenir de nouveaux paradigmes d’inclusion, il faut toutefois se demander quels sont les risques pour les migrants impliqués dans ces modèles alternatifs et contestataires. La limite des villes accueillantes apparaît donc comme un problème de responsabilité envers des populations extrêmement vulnérables, lorsque elles doivent justifier leur droit de protection devant nos systèmes d’asile, prouver leur bon comportement, leur mérite. Les risques, évidemment, sont encore plus grands dans le cas des sans-papiers.</p>
<p>Comme le constatait un demandeur d’asile interrogé en 2018 dans un centre d’accueil en Belgique :</p>
<blockquote>
<p>« Je ne veux pas changer le système, j’ai besoin de mes papiers, j’ai besoin d’être reconnu comme un réfugié. Quiconque veut nous aider doit comprendre ça […] et il faut trouver une solution dans le système, nous ne pouvons pas risquer d’aller contre le système […]. Si je me fais arrêter aujourd’hui, quelles seront mes chances demain ? »</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/194862/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alessandro Mazzola ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les villes-refuges ont connu une explosion lors de la crise migratoire de 2015. Ces modes d’accueil locaux, alternatifs, portent souvent des projets contraires aux gouvernements nationaux.Alessandro Mazzola, Cultural and Political Sociologist, Université de LiègeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1945442022-11-14T17:07:04Z2022-11-14T17:07:04ZComment l’affaire de l’Ocean Viking révèle l’ambiguïté des « zones d’attente »<p>Vendredi 11 novembre, les 234 migrantes et migrants secourus par le navire <em>Ocean Viking</em> ont pu rejoindre la base navale de Toulon, après trois semaines d’errance en mer. Ultime épisode du drame de la migration qui se joue en Méditerranée et dont le déroulement puis le dénouement peuvent donner lieu à plusieurs clés de lecture. Au niveau de la politique et de l’intégration européennes, le <a href="https://theconversation.com/quelle-politique-migratoire-pour-litalie-de-giorgia-meloni-191023">bras de fer entre Paris et Rome</a>, rejouant le duel ayant opposé en 2018 Emmanuel Macron avec l’alors Président du Conseil des ministres italien et actuel <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/11/12/le-sauvetage-francais-de-l-ocean-viking-fracture-la-relation-entre-paris-et-rome_6149590_3224.html">Vice-Président Matteo Salvini</a>, a souligné les obstacles à l’affirmation de la solidarité européenne <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2022/06/22/migration-and-asylum-pact-council-adopts-negotiating-mandates-on-the-eurodac-and-screening-regulations/">sur la question</a>. Au niveau de la politique interne, ensuite, l’on a vu combien la situation de l’<em>Ocean Viking</em> a accusé les clivages entre « humanistes » et <a href="https://www.huffingtonpost.fr/politique/article/l-ocean-viking-accueilli-a-toulon-le-monde-politique-se-divise_210106.html">partisans de la fermeté</a>.</p>
<p>Rappelons d’ailleurs que les propos ayant valu <a href="https://theconversation.com/comment-pour-la-deuxieme-fois-de-son-histoire-lassemblee-nationale-exclut-un-depute-193986">l’exclusion</a> pour deux semaines du député du Rassemblement national Grégoire de Fournas ont précisément été tenus à l’occasion de l’allocution d’un député de la France insoumise dénonçant le sort réservé aux <a href="https://blog.leclubdesjuristes.com/exclusion-de-g-de-fournas-la-sanction-la-plus-grave-qui-puisse-etre-infligee-a-un-depute-mais-dont-le-juge-ne-devrait-pas-connaitre-par-j-p-camby/">passagers du navire humanitaire</a>.</p>
<p>Le dernier épisode en date dans l’épopée de l’<em>Ocean Viking</em> est également et entre autres justiciable d’une analyse juridique.</p>
<h2>Les limites du droit international de la mer</h2>
<p>Pendant son errance, les difficultés à trouver un lieu de débarquement ont de nouveau souligné les <a href="https://journals.openedition.org/revdh/1838">limites d’un droit de la mer</a> peinant à imposer à un État clairement défini <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/11/10/migrants-secourus-en-mediterranee-que-dit-le-droit-international_6149382_3210.html">d’ouvrir ses ports pour accueillir les rescapés</a>. La décision de laisser les passagers de l’<em>Ocean Viking</em> débarquer à Toulon est également significative. Elle signe certes leur prise en charge temporaire par la France, mais n’emporte pas, du moins dans un premier temps, leur admission sur le territoire français (au sens juridique). Ce dont le ministre de l’Intérieur ne s’est d’ailleurs fait faute de <a href="https://www.interieur.gouv.fr/actualites/actu-du-ministere/prise-en-charge-des-234-migrants-de-locean-viking-dans-zone-dattente">souligner</a>).</p>
<p>Cette situation permet alors de mettre en exergue l’une des singularités de la conception juridique du territoire, notamment en ce qui concerne la situation des étrangers. <a href="https://www.icmigrations.cnrs.fr/2022/07/22/publi-aumond-petit-robin-remi-38-2022/">Les zones d’attente</a> en sont une claire illustration.</p>
<h2>Les « zones d’attente »</h2>
<p>Les aéroports ont été les premiers espaces où sont apparues ces zones considérées comme ne relevant pas juridiquement du territoire de l’État les accueillant. Le film <em>Le Terminal</em>, dans lequel Tom Hanks campait un iranien ayant vécu plusieurs années à Roissy – où il s’est d’ailleurs éteint ce <a href="https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2022/11/12/mehran-karimi-nasseri-le-refugie-de-roissy-qui-a-inspire-le-terminal-de-steven-spielberg-est-mort-dans-l-aeroport_6149597_3382.html">samedi 12 novembre</a> –, avait en 2004 porté à la connaissance du grand public cette situation.</p>
<p>En France, les « zones internationales », initialement nimbées d’un flou quant à leur fondement juridique et au sein desquelles les autorités prétendaient par conséquent n’y être pas assujetties au respect des règles protectrices des droits humains, ont cédé la place aux « zones d’attente » à la faveur de la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000723282">loi du 6 juillet 1992</a>).</p>
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<p>À une situation d’exclusion – du moins, alléguée par les autorités – du droit, s’est alors substitué un régime d’exception : les personnes y étant maintenues n’étaient toujours pas considérées comme ayant pénétré juridiquement le territoire français.</p>
<p>N’étant plus – prétendument – placées « hors du droit » comme l’étaient les zones internationales, les zones d’attente n’en restaient pas moins « hors sol ». L’une des conséquences en est que les demandes d’asile qui y sont le cas échéant déposées relèvent alors de l’« asile à la frontière ». Elles sont par conséquent soumises à un régime, notamment procédural, beaucoup moins favorable aux demandeurs (Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006070158/LEGISCTA000042771348/">CESEDA</a>, Titre V, article L.350-1 à L.352-9).</p>
<h2>La « fiction juridique »</h2>
<p>La « fiction juridique » que constituent les zones d’attente s’étend désormais entre autres aux gares ferroviaires ouvertes au trafic international, aux ports ou à proximité du lieu de débarquement (CESEDA, article L.341-1). Ces « enclaves » au sein du territoire, autour d’une <a href="https://www.infomigrants.net/fr/post/44696/que-prevoit-la-france-pour-les-230-migrants-de-locean-viking">centaine actuellement</a>, peuvent par ailleurs inclure, y compris « à proximité de la gare, du port ou de l’aéroport ou à proximité du lieu de débarquement, un ou plusieurs lieux d’hébergement assurant aux étrangers concernés des prestations de type hôtelier » (CESEDA, article L.341-6).</p>
<p>Tel est le cas de la zone d’attente créée par le préfet du Var par le biais d’un <a href="https://www.var.gouv.fr/IMG/pdf/raa_no211_du_10_novembre_2022.pdf">arrêté</a>, à la suite de l’accueil de l’<em>Ocean Viking</em>.</p>
<blockquote>
<p>« pour la période du 11 novembre au 6 décembre 2022 inclus, une zone d’attente temporaire d’attente sur l’emprise de la base navale de Toulon et sur celle du Village Vacances CCAS EDF 1654, avenue des Arbanais 83400 Hyères (Giens) ».</p>
</blockquote>
<p>Accueillis dans ce Village Vacances dont les « prestations de type hôtelier » ne semblent aucunement correspondre à la caricature opportunément <a href="https://www.liberation.fr/checknews/on-demele-le-vrai-du-faux-sur-laccueil-et-le-logement-des-230-migrants-de-locean-viking-debarques-a-toulon-20221111_QZLHXBYU4NH53CDRZN32WWILYA/">dépeinte par certains</a>, les rescapés demeurent, juridiquement, aux frontières de la France.</p>
<h2>Aux portes du territoire français</h2>
<p>Ils ne se situent pas pour autant, de ce fait, dans une zone de non-droit : placés sous le contrôle des autorités françaises, ils doivent se voir garantir par elles le respect de leurs droits humains. Aux portes du territoire français, les migrantes et migrants secourus par l’<em>Ocean Viking</em> n’en relèvent pas moins de la <a href="https://hudoc.echr.coe.int/fre#%7B%22itemid%22:%5B%22002-2752%22%5D%7D">« juridiction » française</a> comme le rappelle la Cour européenne des droits de l’Homme. La France est ainsi tenue d’observer ses obligations, notamment au regard des conditions de leur maintien contraint au sein de la zone.</p>
<p>Une partie des rescapés recouvreront leur liberté en étant admis à entrer juridiquement sur le territoire de la France. Tel est le cas des mineurs non accompagnés, dont <a href="https://www.varmatin.com/humanitaire/les-44-mineurs-de-locean-viking-pris-en-charge-a-toulon-reviennent-de-lenfer-807109">il est annoncé</a> qu’ils seront pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance.</p>
<p>Tel est également le cas de ceux qui auront été autorisés à déposer une demande d’asile sur le territoire français et se seront vus, à cette fin, délivrer un visa de régularisation de huit jours. Parmi eux, la plupart (175) devraient être acheminés vers des États européens qui se seraient engagés à les accueillir, vraisemblablement afin que soient examinées leurs demandes de protection internationale. Expression d’une solidarité européenne a minima dont il faudra cependant voir cependant les <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/11/12/immigration-apres-les-tensions-autour-de-l-accueil-de-l-ocean-viking-quatre-pays-de-l-union-europeenne-denoncent-le-systeme-en-vigueur_6149615_3210.html">suites</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/podcast-quand-la-science-se-met-au-service-de-lhumanitaire-le-comite-international-de-la-croix-rouge-189824">Podcast « Quand la science se met au service de l'humanitaire » : Le Comité international de la Croix-Rouge</a>
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<p>Pour tous les autres enfin, ceux à qui un refus d’entrer sur le territoire français aura été notifié et qui ne seront pris en charge par aucun autre État, le ministre de l’Intérieur précise qu’ils seront contraints de quitter la zone d’attente vers une destination qui demeure cependant encore pour le <a href="https://www.infomigrants.net/fr/post/44696/que-prevoit-la-france-pour-les-230-migrants-de-locean-viking">moins incertaine</a>. Ceux-là auront alors été accueillis (très) temporairement par la France mais seront considérés comme n’ayant jamais pénétré sur le territoire français.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/194544/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Florian Aumond ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La situation des rescapés de l'Ocean Viking permet de mettre en exergue l’une des singularités de la conception du territoire en droit des étrangers: les zones d'attentes.Florian Aumond, Maître de conférences en droit public, Université de PoitiersLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.