tag:theconversation.com,2011:/uk/topics/niveau-de-vie-33131/articlesniveau de vie – The Conversation2024-03-26T16:45:20Ztag:theconversation.com,2011:article/2260642024-03-26T16:45:20Z2024-03-26T16:45:20ZTravailleurs (et) pauvres : un choix politique ?<blockquote>
<p>« Je ne connais pas plus efficace que le travail pour lutter contre la pauvreté. »</p>
</blockquote>
<p>Tel est ce que <a href="https://www.letelegramme.fr/politique/olivier-dussopt-je-ne-connais-pas-plus-efficace-que-le-travail-pour-lutter-contre-la-pauvrete-6453012.php">déclarait</a> Olivier Dussopt, alors ministre du Travail, fin octobre au <em>Télégramme</em>, commentant la loi Plein emploi finalement promulguée le 18 décembre. Le 27 mars, invité du 20 heures de TF1, Gabriel Attal, premier ministre y a adjoint un argument budgétaire en annonçant une réforme de l'assurance chômage : </p>
<blockquote>
<p>« L'objectif, ça reste d'arriver au plein emploi, c'est-à-dire de faire en sorte qu'il y ait plus de Français qui travaillent parce que ce sont des recettes supplémentaires. »</p>
</blockquote>
<p>Il a affiché également sa volonté de « desmicardiser la France ». Le discours politique a ceci de paradoxal qu’il continue de préconiser de lutter contre la <a href="https://theconversation.com/topics/pauvrete-21196">pauvreté</a> par le travail tout en déplorant dans le même temps l’existence de travailleurs pauvres.</p>
<p>Être travailleur et pauvre n’est pas une situation paradoxale. D’un point de vue statistique est considéré comme travailleur l’individu qui a travaillé contre rémunération au moins une heure. Est défini comme pauvre, l’individu dans le ménage dont les ressources annuelles sont inférieures à l’équivalent de <a href="https://inegalites.fr/A-quels-niveaux-se-situent-les-seuils-de-pauvrete-en-France">13 890 euros annuels pour une personne seule</a> (20 850 euros pour un couple sans enfant), soit 60 % du niveau de vie médian. Il n’y a donc pas de mystère : si vous travaillez, mais peu, alors vous serez travailleur pauvre, à moins que les ressources d’un éventuel conjoint soient suffisantes. Dans un monde où le minimum social est faible et où il existe de la pauvreté et des emplois à temps partiel, il y aura toujours des travailleurs pauvres.</p>
<p>La solution généralement proposée est de verser des compléments de revenus pour travailleurs pauvres ce qui permet de lutter à la fois contre la pauvreté laborieuse et de donner des incitations supplémentaires aux bénéficiaires des revenus d’assistance pour sortir de la « trappe à pauvreté ». En France, la question des incitations à la reprise d’emploi se pose au moins depuis la mise en place du revenu minimum d’insertion (RMI) en 1989 puis son remplacement par le revenu de solidarité active (RSA) en 2009. Selon un certain discours, les allocataires des minima sociaux seraient prisonniers de cette trappe à pauvreté car peu incités à fournir l’effort de trouver un emploi pour un revenu supplémentaire finalement pas si éloigné de ce qu’ils touchent déjà. L’idée du RSA était de continuer à percevoir une partie de son revenu de base en plus de son salaire pour pousser à prendre un travail.</p>
<p>Mais la trappe à pauvreté n’est sans doute pas celle que l’on croit. C’est là un des objets de mon <a href="https://www.puf.com/comment-verser-de-largent-aux-pauvres">ouvrage</a> récent, <em>Comment verser de l’argent aux pauvres ? Dépasser les dilemmes de la justice sociale</em>, publié aux Presses universitaires de France.</p>
<h2>Solutions extrêmes</h2>
<p>Commençons par une expérience de pensée. Il y a théoriquement deux manières d’éradiquer la pauvreté laborieuse. La plus simple sur le papier, et la plus coûteuse, serait de garantir à tous un niveau de vie égal au seuil de pauvreté. Cette solution éradique la pauvreté monétaire et donc la pauvreté laborieuse : s’il n’y a pas de pauvres, il n’y a pas de travailleurs pauvres !</p>
<p>Cependant, cela serait désincitatif à la reprise d’emploi.</p>
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<p>Une deuxième solution théorique serait que la société n’accepte que des emplois rémunérés au moins à hauteur du smic à temps plein, de refuser que des emplois au smic puissent être proposés à temps partiel et de combiner ceux-ci avec des prestations familiales suffisantes afin de dépasser systématiquement le seuil de pauvreté. Par exemple, avec un smic net mensuel de 1398 euros, il faudrait verser 339 euros mensuels de « prime d’activité » à un individu au smic ayant un conjoint sans revenus, afin que le couple dépasse le seuil de pauvreté. Cette solution n’éradique pas la pauvreté mais au moins les travailleurs ne sont pas pauvres. Si les pauvres ne travaillent pas, il n’y a pas de travailleurs pauvres !</p>
<p>Cependant, interdire le temps partiel au smic réduit les libertés et n’est pas la meilleure solution. Cet exemple montre toutefois qu’il ne faut probablement pas donner un poids à l’objectif de réduction des travailleurs pauvres au-delà de celui donné à l’objectif de réduction de la pauvreté. L’interdiction du travail précaire réduit la pauvreté laborieuse mais pas la pauvreté : il n’est pas cohérent de refuser cette solution et en même temps de donner un poids propre à l’objectif de réduction de la pauvreté laborieuse.</p>
<p>En appliquant des solutions moins radicales que ces deux extrêmes, la société accepte nécessairement un certain niveau de pauvreté laborieuse. Toutefois, ce qui est vrai pour l’éradiquer est également vrai s’il s’agit de la réduire : par construction moins il y a de pauvres, moins l’intensité de la pauvreté est importante, moins il y a d’emplois à temps partiel subis et moins y aura de travailleurs pauvres.</p>
<h2>Poursuivre dans la même voie ?</h2>
<p>Depuis sept ans, le chômage a baissé mais pas la pauvreté. Malgré cela, l’exécutif continue de faire de l’emploi et des incitations au travail son principal axe de lutte contre la pauvreté, y compris laborieuse.</p>
<p><iframe id="gVDxh" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/gVDxh/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Faudrait-il aller plus loin dans cette logique ? Pour montrer que « les incitations à sortir de cette situation de pauvreté laborieuse subie sont faibles », Gilbert Cette, ancien président du Groupe d’experts sur le smic et auteur du livre <a href="https://www.deboecksuperieur.com/ouvrage/9782807335004-travailleur-mais-pauvre"><em>Travailleur (mais) pauvre</em></a>, prend l’exemple suivant dans un <a href="https://www.lesechos.fr/economie-france/social/en-france-les-incitations-a-sortir-de-la-pauvrete-laborieuse-sont-faibles-2077054">entretien</a> publié dans les Echos :</p>
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<p>« Augmenter de 100 euros le revenu disponible net d’un salarié, célibataire et sans enfant, payé au smic entraîne une hausse du coût du travail de 483 euros ».</p>
</blockquote>
<p>Ce ratio a l’air excessif, conséquence du fait qu’en augmentant son salaire, un individu aura droit à moins de prestations, ce qu’il faudra compenser par une hausse de salaire plus importante. Le calcul pose néanmoins trois problèmes.</p>
<p>Premièrement, il est réalisé pour un individu au smic à temps plein. Or, une personne seule au smic à temps plein n’est pas pauvre. Le ratio est ici en partie dû au fait que la prime d’activité est maximale au smic à temps plein, une prime que le Groupe d’experts sur le smic a longtemps <a href="https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/284b121f-b187-4280-b327-05f18064c3fa/files/e74d03a9-feb8-4d37-882e-df0071013d2f">défendu</a>. Par ailleurs, c’est l’échelle du ménage qui est la plus pertinente en matière de pauvreté : cet individu peut devenir pauvre si son conjoint est inactif ou chômeur non indemnisé.</p>
<p>Deuxièmement, le calcul suppose que les individus prennent en compte de la même façon, pour prendre leurs décisions sur le marché du travail, une baisse des prestations et une hausse des salaires. Cela ne se vérifie pas empiriquement : les individus <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/1475-5890.12306">réagissent davantage à une hausse des salaires</a>.</p>
<p>Troisièmement, le calcul agrège baisse des prestations sociales perçues par le salarié et baisse des allègements de cotisations sociales employeurs au-delà du smic. Ce n’est pas la même chose dans un contexte ou travailleurs et employeurs ne peuvent pas se coordonner facilement.</p>
<p>La question mérite par ailleurs d’être posée en regardant les situations réelles dans leur contexte. François-Xavier Devetter et Julie Valentin, respectivement économistes à l’Université de Lille et à l’Université Paris 1, jettent un <a href="https://www.cairn.info/revue-l-economie-politique-2023-3-page-56.htm">autre regard</a> sur la pauvreté laborieuse, en partant de la réalité du travail effectué par les travailleurs pauvres et à bas salaires. Ils montrent que les « bas salaires » (agents d’entretien, les aides à domicile, les employés de commerce ou de la restauration) sont victimes de journées de travail fragmentées avec la pénibilité qui leur est liée. C’est là la conséquence directe de l’externalisation de certaines activités comme l’accueil, la sécurité, la restauration collective :</p>
<blockquote>
<p>« Les salaires sont sensiblement plus bas en raison d’un contrôle plus restrictif des temps travaillés, la précarité est plus forte du fait de situations de multi-emploi et de changements d’employeurs fréquents. »</p>
</blockquote>
<h2>Un autre choix collectif</h2>
<p>Le discours sur les incitations a eu pour effet une baisse du niveau relatif du minimum social en direction des actifs, le RSA, <a href="https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/dtravail/OFCEWP2024-01.pdf">par rapport, au minimum vieillesse, à l’allocation adulte handicapée, au smic et aux salaires</a> ? Élargir les écarts de revenus entre les minima sociaux et le salaire minimum accentue certes les incitations mais augmente l’intensité de la pauvreté. Cette stratégie est sans surprise inefficace contre la pauvreté laborieuse : elle augmente la marche entre le minimum social et le seuil de pauvreté.</p>
<p><iframe id="IZFta" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/IZFta/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Dans <em>Comment verser de l’argent aux pauvres ?</em>, je propose d’inverser la logique des vingt dernières années et de revenir à l’esprit du RMI. A l’époque, c’était bien le revenu qui insérait et non l’activité. La trappe à pauvreté était la pauvreté elle-même dans la mesure où elle ne permet pas les investissements nécessaires à l’employabilité : formation, santé, logement, mobilité. Dans une logique libérale très classique, verser de l’argent aux pauvres, c’est d’abord leur permettre de réaliser ces investissements. Notons d’ailleurs que ce sont dans les pays où les minima sociaux sont les plus généreux, que les taux d’emploi des peu qualifiés sont aussi les plus élevés, ce qui suggère a minima que les incitations ne sont pas le problème principal.</p>
<p><iframe id="fWzoM" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/fWzoM/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Aujourd’hui le RSA net de forfait logement est aujourd’hui égal à 534 euros pour une personne seule, soit 38 % du smic à temps plein (1 398 euros) : l’écart peut être réduit sans crainte de faire disparaître les incitations. Bien sûr, verser un revenu monétaire n’est pas suffisant et la relation entre minima sociaux et taux d’emploi ne doit pas s’interpréter de manière causale. La stratégie efficace pour réduire la pauvreté passe par un haut niveau de service public pour tous : éducation, santé, petite enfance.</p>
<p>Le paradoxe de la redistribution est que les inégalités sont les plus faibles là où l’attention ne se porte pas que sur les pauvres ou les travailleurs pauvres mais sur un service public de qualité pour tous. Ce raisonnement vaut aussi pour l’emploi : la pauvreté laborieuse serait plus faible en visant les 35 heures pour tous, d’une part en favorisant le passage du temps partiel au temps plein, mais d’autre part en arrêtant aussi d’inciter aux heures supplémentaires.</p>
<p>Tout cela suggère premièrement que la lutte contre la pauvreté est d’un certain point de vue « coûteuse » pour les plus aisés. Par construction, à revenu national inchangé, réduire la pauvreté veut dire réduire les revenus des non pauvres. Deuxièmement, lutter contre la pauvreté peut aussi être synonyme de (légères) pertes d’efficience si les gains d’efficience atteints actuellement le sont en faisant porter la charge de façon disproportionnée sur les travailleurs précaires. Mais est-ce prendre l’objectif de lutte contre la pauvreté au sérieux de vouloir l’atteindre que si cela ne fait que des gagnants ? Le problème n’est pas que l’on n’a pas encore trouvé la solution technique innovante permettant de réduire la pauvreté laborieuse. Le frein est politique : collectivement, nous préférons ne pas.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/226064/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Guillaume Allègre ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Et si, contrairement à ces dernières années, nous faisions le choix de miser sur le revenu plutôt que sur le travail pour aider à sortir de la pauvreté, esprit qui était celui du RMI ?Guillaume Allègre, Économiste au département des études de l'OFCE, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2073562023-06-14T16:39:22Z2023-06-14T16:39:22ZSéparation des parents : quel impact sur le niveau de vie de enfants ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/530959/original/file-20230608-27-6n674r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=84%2C0%2C6146%2C4147&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En résidence alternée, les enfants connaissent une baisse de niveau de vie de l’ordre de 10 % par rapport à leur niveau de vie antérieur à la rupture.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/fr/photos/IXiGMtCrQPg">Jeremiah Lawrence / Unsplash</a></span></figcaption></figure><p>Quand les parents se séparent, quelles en sont les conséquences sur les enfants, notamment sur leur niveau de vie ? Baisse-t-il ? De combien ? Sa diminution est-elle similaire quand ils vivent avec leur mère seule ou leur père seul ? S'ils sont en <a href="https://theconversation.com/divorce-comment-les-enfants-gerent-ils-la-vie-en-garde-alternee-195320">résidence alternée</a> ? S'il y a <a href="https://theconversation.com/familles-recomposees-belle-mere-une-place-toujours-inconfortable-191182">remise en couple</a> du parent gardien?</p>
<p>Pour mesurer le risque pour un enfant de tomber dans la pauvreté quand ses parents se séparent, nous avons utilisé une source de données originale élaborée par l'Insee, l'« <a href="http://www.jms-insee.fr/2018/S26_1_ACTE_DURIER_JMS2018.pdf">Échantillon démographique permanent</a> ». Celle-ci nous a permis de suivre la situation économique d'un échantillon de plus de 750 000 enfants sur plusieurs années, dont 36 000 ont connu une rupture parentale (observation jusqu'à 7 ans avant et après la séparation).</p>
<p>En France, de façon générale, un enfant sur cinq (21 % en 2019) vit <a href="https://theconversation.com/12-millions-de-francais-en-situation-de-precarite-energetique-69177">sous le seuil de pauvreté</a>, c'est-à-dire dans un ménage dont le niveau de vie est inférieur à 60 % du <a href="https://www.insee.fr/fr/outil-interactif/5367857/tableau/30_RPC/31_RNP#:%7E:text=En%202019%2C%20en%20France%20m%C3%A9tropolitaine,de%20moins%20de%2014%20ans.">niveau de vie médian</a>. Le revenu médian étant le montant de revenu qui divise une population en deux groupes égaux, la moitié ayant un revenu supérieur à ce montant et l'autre moitié ayant un revenu inférieur à ce montant.</p>
<p>Ceux dont les parents sont séparés sont plus fréquemment pauvres que les autres. Si leur entrée dans la pauvreté est parfois antérieure à la rupture conjugale, elle en est souvent la conséquence. <a href="https://www.cairn.info/revue-population-et-societes-2023-4-page-1.htm">Le taux de pauvreté des enfants l'année de la séparation</a> est bien plus élevé que celui des enfants vivant avec leurs deux parents. Et l'écart reste marqué les années suivantes.</p>
<h2>Un pic de pauvreté juste après la séparation</h2>
<p>Environ 4 % des enfants vivant avec leurs deux parents entrent en pauvreté chaque année. Ils sont <a href="https://www.cairn.info/revue-population-et-societes-2023-4-page-1.htm">cinq fois plus nombreux</a> (21 %) l'année de la séparation parentale. La grande majorité (près des trois quarts) des enfants déjà pauvres le restent l'année de la séparation. Cette permanence de la pauvreté est observable, qu'il y ait eu ou non séparation parentale.</p>
<p>Au final, le taux de pauvreté est bien plus élevé pour les enfants dont les parents viennent de se séparer que pour les enfants vivant avec leurs deux parents (29 % contre 13 %). Cinq ans après la rupture, ce taux est toujours supérieur (23 %). Le surplus de pauvreté élevé tient majoritairement à des entrées en pauvreté suite à la séparation et, dans une moindre mesure, au fait que les <a href="https://www.cairn.info/revue-population-et-societes-2023-4-page-1.htm">enfants dont les parents se séparent appartiennent plus souvent que les autres à des ménages déjà pauvres</a>.</p>
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<h2>Plus les enfants sont jeunes, plus le risque de pauvreté est important</h2>
<p>Le taux de pauvreté varie selon l'âge de l'enfant au moment de la séparation parentale. Ainsi, plus l'enfant connaît la séparation de ses parents à un âge jeune, plus le risque de pauvreté est important. Plus de 35 % des enfants de deux ans dont les parents viennent de se séparer sont pauvres, contre 22 % des enfants de 13 ans.</p>
<p>Le supplément de pauvreté des enfants au moment de la séparation parentale – de l'ordre de 17 points de pourcentage pour l'ensemble des enfants mineurs – existe quel que soit le statut marital des parents mariés, pacsés ou cohabitants (sans être mariés ni pacsés). Ce supplément est un peu plus élevé pour les enfants de parents non mariés que ceux de parents mariés, mais les enfants de couples cohabitants sont déjà plus pauvres avant la séparation. Le taux de pauvreté est bien moindre pour les enfants dont les parents étaient pacsés, en moyenne plus aisés.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/530877/original/file-20230608-25-w7zvm1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Taux de pauvreté des enfants selon le statut marital des parents avant la séparation, et supplément lié à la séparation" src="https://images.theconversation.com/files/530877/original/file-20230608-25-w7zvm1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/530877/original/file-20230608-25-w7zvm1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=636&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/530877/original/file-20230608-25-w7zvm1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=636&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/530877/original/file-20230608-25-w7zvm1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=636&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/530877/original/file-20230608-25-w7zvm1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=800&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/530877/original/file-20230608-25-w7zvm1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=800&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/530877/original/file-20230608-25-w7zvm1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=800&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Taux de pauvreté des enfants selon le statut marital des parents avant la séparation, et supplément lié à la séparation.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.cairn.info/revue-population-et-societes-2023-4-page-1.htm">Carole Bonnet et Anne Solaz, Population & Sociétés, n° 610</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les enfants dont les parents se séparent connaissent une baisse conséquente de leur niveau de vie, de l'ordre de 15 % l'année de la séparation, et 10 % l'année suivante, par rapport à l'année précédant la séparation. Puis se met en place un rattrapage progressif caractérisé par une croissance du niveau de vie.</p>
<p>Toutefois, cinq ans après la séparation, le niveau de vie moyen des enfants reste toujours inférieur de plus de 5 % à celui observé avant la séparation. La baisse de niveau de vie est donc durable.</p>
<h2>Mère seule : les enfants les plus pauvres</h2>
<p>Lorsque l'enfant réside fiscalement principalement avec la mère, la baisse de niveau de vie est importante, de l'ordre de 24 % l'année de la séparation, tandis qu'elle est moitié moindre quand l'enfant réside fiscalement avec le père.</p>
<p>En résidence alternée, les enfants connaissent une baisse de niveau de vie de l'ordre de 10 % par rapport à leur niveau de vie antérieur à la rupture (moyenne des deux niveaux de vie observés dans les deux ménages). Toutefois, comme les parents optant pour ce mode de résidence sont en moyenne plus aisés avant la séparation, leurs enfants ont un moindre risque d'entrée en pauvreté que les enfants résidant principalement chez la mère.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/530880/original/file-20230608-28-wm6pkw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Niveau de vie des enfants autour de la séparation, selon le mode de résidence principal après la séparation" src="https://images.theconversation.com/files/530880/original/file-20230608-28-wm6pkw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/530880/original/file-20230608-28-wm6pkw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=280&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/530880/original/file-20230608-28-wm6pkw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=280&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/530880/original/file-20230608-28-wm6pkw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=280&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/530880/original/file-20230608-28-wm6pkw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=352&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/530880/original/file-20230608-28-wm6pkw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=352&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/530880/original/file-20230608-28-wm6pkw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=352&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Niveau de vie des enfants autour de la séparation, selon le mode de résidence principal après la séparation.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.cairn.info/revue-population-et-societes-2023-4-page-1.htm">Carole Bonnet et Anne Solaz, Population & Sociétés, n° 610</a></span>
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<p>Le rattrapage de niveau de vie est progressif dans les années qui suivent la rupture. La <a href="https://www.cairn.info/revue-population-et-societes-2023-4-page-1.htm">remise en couple du parent gardien</a> permet d'atténuer fortement la diminution de niveau de vie des enfants, que l'enfant vive avec sa mère et son beau-père, ou avec son père et sa belle-mère.</p>
<h2>Pauvre chez un parent mais pas chez l'autre ?</h2>
<p>Parmi les enfants en résidence alternée, 6 % sont pauvres dans les deux ménages tandis que 24 % sont pauvres dans un seul des ménages, nettement plus souvent chez la mère (15 %) que chez le père (9 %) ; et 70 % des enfants ne sont pauvres dans aucun des deux ménages.</p>
<p>Qu'ils soient pauvres ou pas, les enfants multi-résidents peuvent faire l'expérience d'écarts de niveaux de vie considérables entre le logement du premier et du second parent. Ainsi, si l'année de la séparation près d'un enfant sur 5 (16 %) connaît des niveaux de vie quasi similaires chez ses deux parents (moins de 10 % d'écart), 4 enfants sur 10 vivent la moitié du temps avec un parent qui a un niveau de vie supérieur de plus de 50 % à celui de l'autre.</p>
<h2>Moins de vacances et de copains à la maison</h2>
<p>En pratique, les enfants <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s11205-018-02060-1">ont moins accès à certaines ressources après la séparation parentale qu'avant</a>. La part d'enfants dont le ménage a les moyens financiers de partir en vacances en dehors de chez soi au moins une semaine par an diminue ainsi de 10 points de pourcentage entre l'année de la séparation et celle qui suit.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/530881/original/file-20230608-19-a4sqhf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Niveau de vie des enfants autour de la séparation, selon le mode de résidence principal après la séparation" src="https://images.theconversation.com/files/530881/original/file-20230608-19-a4sqhf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/530881/original/file-20230608-19-a4sqhf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=471&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/530881/original/file-20230608-19-a4sqhf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=471&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/530881/original/file-20230608-19-a4sqhf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=471&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/530881/original/file-20230608-19-a4sqhf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=592&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/530881/original/file-20230608-19-a4sqhf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=592&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/530881/original/file-20230608-19-a4sqhf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=592&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Niveau de vie des enfants autour de la séparation, selon le mode de résidence principal après la séparation.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.cairn.info/revue-population-et-societes-2023-4-page-1.htm">Carole Bonnet et Anne Solaz, Population & Sociétés, n° 610</a></span>
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<p>Recevoir des amis à domicile est plus rare dans les quatre années suivant la séparation, sans doute en lien avec la taille réduite du logement et la rupture de certains réseaux amicaux. Les possibilités pour le ménage de faire face à une dépense imprévue, d'offrir des cadeaux, de changer les meubles usagés, ou de disposer d'une voiture sont également moindres, et cela perdure dans les années qui suivent la séparation.</p>
<p>Les conditions de vie des enfants sont donc dégradées à bien des égards après une rupture parentale. On note cependant une nette amélioration lorsqu'il y a remise en couple du parent chez lequel vit l'enfant.</p>
<hr>
<p><em>Ce texte est adapté d'un article publié par Carole Bonnet et Anne Solaz dans Population & Sociétés n° 610, 2023 <a href="https://www.cairn.info/revue-population-et-societes-2023-4-page-1.htm">«Séparation des parents : un risque accru de pauvreté pour les enfants ?»</a></em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207356/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cet article a bénéficié de l’aide de Claire Vandendriessche, Alex Sheridan et Paul Corbel. Merci à eux.
Ce travail a bénéficié d’un financement de France Stratégie (voir rapport en ligne, site de France Stratégie) et du Haut Conseil de la Famille, de l’Enfance et de l’Âge (HCFEA), ainsi que de LifeObs (France 2030 ANR-21-ESRE-0037) et du projet Big_stat (ANR-16-CE41-0007).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Carole Bonnet a bénéficié d’un financement de France Stratégie et du Haut Conseil de la Famille, de l’Enfance et de l’Âge (HCFEA), ainsi que de LifeObs et de l'ANR pour mener à bien cette recherche. </span></em></p>Le taux de pauvreté augmente chez les enfants lorsque leurs parents se séparent. Ce phénomène varie selon divers paramètres : mode de garde, âge des enfants, remise en couple, etc.Anne Solaz, Directrice de recherche, Institut National d'Études Démographiques (INED)Carole Bonnet, Directrice de recherche, Institut National d'Études Démographiques (INED)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1810322022-04-21T18:02:40Z2022-04-21T18:02:40ZQui sont les soldats russes qui combattent en Ukraine ?<p>En 2008, la Russie <a href="https://www.russiamatters.org/analysis/emulation-and-military-change-russia">a lancé</a> la grande réforme de ses forces armées. Au-delà de la modernisation des matériels et de l’armement, il s’agissait d’optimiser les effectifs et de professionnaliser les contingents.</p>
<p>Les effectifs ont été fixés à un million d’hommes. Dans les faits, les militaires professionnels, soldats comme officiers, dont le nombre total s’élève à plus de 700 000 personnes, sont toujours appuyés par quelques 260 000 conscrits. Environ 130 000 hommes de 18 à 27 ans sont appelés sous les drapeaux à chacun des deux appels annuels, la durée du service militaire obligatoire étant actuellement de douze mois.</p>
<p>Dans le contexte de la guerre lancée par le régime de Vladimir Poutine contre l’Ukraine le 24 février dernier, il est important de revenir sur la composition de l’armée russe, notamment du point de vue ethnique et social, car ces aspects échappent souvent à la considération des observateurs. Ils sont pourtant révélateurs de la structure même de la société russe d’aujourd’hui.</p>
<h2>Une institution globalement respectée</h2>
<p>Aux côtés de la présidence et des différents services de sécurité, l’armée est traditionnellement l’une des institutions sociales les plus respectées en Russie. Aujourd’hui, une majorité de Russes <a href="https://www.levada.ru/2021/10/06/doverie-obshhestvennym-institutam/">font confiance</a> à leurs forces armées, et <a href="https://www.levada.ru/2019/06/18/rossijskaya-armiya-3/">estiment</a> que celles-ci sont largement capables de protéger le pays en cas de conflit militaire. Cette opinion était partagée par 60 % des sondés en janvier 2014, soit avant le début du conflit russo-ukrainien et l’engagement militaire de la Russie en Syrie ; le ratio serait passé à 89 % aujourd’hui.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1512479212699009030"}"></div></p>
<p>En mai 2021, 61 % des Russes, selon les <a href="https://www.levada.ru/2021/06/17/o-sluzhbe-v-armii-po-prizyvu/">chiffres</a> du Centre Levada, institut de sondage indépendant, approuvaient l’affirmation selon laquelle « tout vrai homme » devrait faire son service militaire. 24 % (42 % parmi les 18-24 ans) considéraient que celui-ci constituait un « devoir qu’il faut rendre à l’État », même s’il peut contredire les projets individuels. Seulement 12 % des sondés disaient alors que le service militaire était « inutile et dangereux » et devait ainsi être « évité à tout prix ». Ces chiffres ne constituent cependant qu’une façade qui cache des réalités sociales complexes.</p>
<h2>Une armée historiquement multinationale</h2>
<p>La formule officielle, qui veut que la Russie se soit constituée comme un <a href="https://theconversation.com/la-russie-une-nation-en-suspens-174141">« État pluriethnique et multiconfessionnel »</a>, s’applique également aux affaires militaires.</p>
<p>Les régiments culturellement non russes existaient au sein des armées impériales et, tout au long du XIX<sup>e</sup> siècle, <a href="https://histrf.ru/read/articles/kazachia-viernost-sobstviennyi-iegho-impieratorskogho-vielichiestva-konvoi">faisaient partie</a> de la garde personnelle du tsar. Pendant la Première Guerre mondiale, la Division indigène de cavalerie caucasienne, dite <a href="https://www.riadagestan.com/news_en/interviews/hajji_murad_donogo_tells_about_wild_division_s_history_/">« Division sauvage »</a>, était presque entièrement composée de volontaires issus des peuples musulmans de l’Empire russe.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1458464469068263425"}"></div></p>
<p>À l’image de l’Union soviétique, l’Armée rouge fut, elle aussi, multinationale. La Seconde Guerre mondiale concerna d’ailleurs l’ensemble des populations d’URSS. Étant donné que les forces armées reposaient sur la conscription, les autorités soviétiques prenaient le « facteur ethnique » <a href="https://svpressa.ru/society/article/325760/">très au sérieux</a>, qu’il s’agisse de la répartition des conscrits selon la région de stationnement, de la limitation par division du nombre de soldats représentant des nationalités considérées comme « agressives » (les peuples caucasiens notamment), ou encore du recours à des soldats comme traducteurs militaires (comme les Tadjiks pendant l’invasion soviétique en Afghanistan).</p>
<p>Dès 1979, le régime soviétique a même sollicité deux détachements des forces spéciales connus sous le nom de <a href="https://www.warhistoryonline.com/cold-war/special-units-muslim-battalions-in-the-soviet-army.html">« bataillons musulmans » en Afghanistan</a>. Bien que ces pratiques soient à l’évidence moins appliquées dans la Russie d’aujourd’hui, la composante pluriethnique est toujours <a href="https://www.sciencespo.fr/ceri/sites/sciencespo.fr.ceri/files/etude164.pdf">caractéristique de ses forces armées</a>.</p>
<h2>Une surreprésentation des minorités dans l’armée russe</h2>
<p>La guerre actuelle en Ukraine permet d’en mesurer l’ampleur, en dépit de l’indisponibilité des données officielles complètes.</p>
<p>Une semaine après le lancement de ce que Moscou appelle une « opération militaire spéciale », les journalistes de l’antenne russe de Radio Free Europe/Radio Liberty ont par exemple <a href="https://www.idelreal.org/a/31731981.html">analysé</a> le contenu de plusieurs chaînes Telegram ayant publié des informations sur des soldats russes morts ou capturés en Ukraine. Les résultats de l’analyse ont révélé que 30 % environ des patronymes s’apparentaient à ceux que portent des personnes issues des minorités « non russes », dont une grande majorité de culture musulmane. Il y aurait donc, parmi les soldats, une surreprésentation des minorités, qui constituent près de 20 % de la population générale de la Russie.</p>
<p>Un constat similaire est dressé par le chercheur indépendant Kamil Galeev, qui a pu accéder à une liste des soldats blessés envoyés dans un hôpital de la région russe de Rostov-sur-le-Don, située à la frontière avec l’Ukraine (régions de Donetsk et de Louhansk). Or, ces données restent incomplètes et ne permettent pas d’affirmer avec certitude, comme le fait Galeev, que l’armée russe devient celle « des minorités ». Les pertes humaines de l’armée russe confirmées par les sources officielles à la date du 5 avril 2022 (1 083 personnes), <a href="https://www.bbc.com/russian/features-61003964">montrent</a> en effet que les soldats et officiels morts en Ukraine provenaient de l’ensemble des régions de Russie.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1506479259866394625"}"></div></p>
<p>D’autre part, l’envoi des militaires d’origine « non slave » pour faire la guerre en Ukraine pourrait relever d’un choix stratégique des autorités russes, compte tenu des liens familiaux existant entre de nombreux Russes ethniques et Ukrainiens. Nous savons aussi que l’État russe <a href="https://www.kavkazr.com/a/severny_kavkaz_prizyv_v_armiu/28028378.html">fixe annuellement</a> des quotas pour éviter qu’il y ait trop de conscrits issus des régions du Nord-Caucase, par crainte de voir se multiplier des troubles ethniques au sein des régiments. Le terme russe <em>zemliatchestvo</em> vient décrire ces <a href="https://mirros.hse.ru/article/view/4999">communautés d’entraide</a>, qui se forment entre les conscrits de la même région d’origine et constituent des hiérarchies informelles coexistant avec la discipline militaire.</p>
<p>Toutefois, nul ne peut ignorer la présence importante, voire la surreprésentation, des personnes d’origine ethnique ou culturelle « non russe » dans les forces armées régulières, sans parler des bataillons tchétchènes déployés en <a href="https://www.al-monitor.com/originals/2017/03/russia-syria-chechnya-ramzan-kadyrov-fighters.html">Syrie</a> (essentiellement de la <a href="https://www.ponarseurasia.org/the-russian-military-police-from-syria-to-karabakh/">police militaire</a>) puis en <a href="https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/les-tchetchenes-en-ukraine-l-arme-psychologique-de-poutine-pourrait-se-retourner-contre-lui-906390.html">Ukraine</a> (essentiellement de la Garde nationale), qui affichent un dévouement sans limite envers leur chef, Ramzan Kadyrov.</p>
<p>Plusieurs facteurs viennent expliquer cette situation, révélatrice de l’état actuel de l’armée et de la société russe tout entière.</p>
<h2>Démographie, mobilité sociale et stagnation économique</h2>
<p>Le premier facteur est démographique. Pendant la période de 2018 à 2020, l’accroissement naturel a été constaté dans <a href="https://1prime.ru/state_regulation/20210405/833386742.html">seulement 17 régions de Russie</a>, sur 85 au total (en tenant compte de la Crimée et de la ville de Sébastopol, annexées illégalement en 2014). Parmi ces 17 régions où le taux de natalité est supérieur au taux de mortalité, les territoires autonomes constitués sur une base ethnique « non russe » sont majoritaires. Cette tendance est pérenne et se confirme sur une période plus longue, notamment depuis les <a href="http://www.demoscope.ru/weekly/knigi/ns_r01/razdel1g1_4.html">années 1990</a> et <a href="http://www.demoscope.ru/weekly/2009/0367/barom03.php">2000</a>.</p>
<p>Outre les républiques musulmanes du Nord-Caucase (Daghestan, Ingouchie, Kabardino-Balkarie, Karatchaïévo-Tcherkessie, Tchétchénie), trois républiques sibériennes en font partie : la Iakoutie (Sakha), la Bouriatie et la Touva. Il n’est donc pas surprenant que ces territoires fournissent un nombre élevé de conscrits, proportionnellement à celui de leurs habitants.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1508844935562285056"}"></div></p>
<p>Un deuxième facteur permettant d’éclairer la <a href="https://www.watson.ch/fr/amp/!109486980">présence importante des minorités ethniques dans l’armée russe</a> tient au fait que le service militaire constitue un moyen privilégié de mobilité sociale pour ces jeunes hommes « non slaves », qui peuvent faire l’objet de stigmatisation dans des régions majoritairement peuplées par des Russes ethniques. Une tendance similaire s’observe dans d’autres pays, par exemple aux États-Unis où les personnes noires sont <a href="https://www.statista.com/statistics/214869/share-of-active-duty-enlisted-women-and-men-in-the-us-military/">surreprésentées</a> dans les forces armées. Par ailleurs, la possibilité de faire une carrière stable attire un certain nombre de citoyens étrangers âgés de 18 à 30 ans et maîtrisant le russe (notamment des <a href="https://www.themoscowtimes.com/2022/03/17/central-asians-in-russia-pressured-to-join-moscows-fight-in-ukraine-a76957">ressortissants des anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale</a>) : depuis 2010, ils ont l’opportunité de rejoindre les forces armées russes, en signant un contrat d’engagement de cinq ans, renouvelable en cas d’acquisition de la citoyenneté russe.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1508670527828856832"}"></div></p>
<h2>Une armée de pauvres ?</h2>
<p>S’y ajoute un troisième facteur qu’il est difficile de sous-estimer : les territoires autonomes mentionnés sont des régions périphériques et économiquement défavorisées, à l’instar de nombreuses régions « ethniquement russes ». Ces territoires se caractérisent souvent par des taux de chômage élevé et des niveaux de revenus bas, surtout en <a href="https://www.areion24.news/2019/10/09/russie-forte-pauvrete-et-grandes-inegalites/">comparaison</a> avec les grandes métropoles du pays. Ces inégalités économiques et sociales se traduisent par des attitudes divergentes à l’égard du service militaire obligatoire.</p>
<p>En effet, de nombreux jeunes issus des milieux relativement aisés ont une image plutôt négative du service militaire et de l’armée en général, en dépit des statistiques citées plus haut. Beaucoup de jeunes des grandes villes sont habitués au confort de la vie urbaine et de la société de consommation, et ne se sentent pas prêts à sacrifier leur vie pour la patrie. Ils ont ainsi recours à des manœuvres d’<a href="https://www.marianne.net/monde/europe/ukraine-comment-des-jeunes-russes-tentent-dechapper-a-la-guerre-de-poutine">évitement de la conscription</a> : poursuivre des études universitaires pour obtenir une dispense temporaire ; payer un médecin pour obtenir un faux certificat d’exemption et se faire réformer ; ou, dans le pire des cas, implorer un service civil alternatif sous forme de travaux d’intérêt général (dans un hôpital par exemple).</p>
<p>Le salaire moyen d’un militaire professionnel – 32 000 roubles (380 euros environ) selon les <a href="http://contract-army.ru/denezhnoe-dovolstvie/">chiffres</a> du ministère russe de la Défense, en dessous du salaire moyen officiel <a href="https://gogov.ru/articles/average-salary">affiché</a> à plus de 50 000 roubles (600 euros) – ne risque pas d’attirer grand monde parmi les classes moyennes éduquées, même si, en pratique, les revenus sont complétés par des garanties sociales de plus en plus importantes (logement, pension militaire, prêts à des taux d’intérêt préférentiels, accès à des infrastructures culturelles et sportives).</p>
<p>En revanche, le service militaire <a href="https://holod.media/2022/04/03/who-is-russian-soldier/">s’avère plus attractif</a> aux yeux des personnes issues des milieux moins favorisés. Si certains n’ont simplement pas les moyens financiers d’éviter la conscription, d’autres voient l’entrée dans l’armée comme une possibilité de carrière stable et rémunérée, d’autant plus que le statut social des militaires <a href="https://rg.ru/2021/03/02/rossiiane-sklonny-schitat-armiiu-shkoloj-zhizni-prestizh-voennyh-rastet.html">s’est nettement amélioré</a> depuis les années 2000. Cela est notamment dû à la <a href="https://www.devizu.news/les-depenses-militaires-russes-ne-cessent-daugmenter-depuis-lelection-de-vladimir-poutine/">hausse des dépenses</a> dans le domaine de la défense (les chiffres officiels étant <a href="https://aurelien-duchene.fr/pourquoi-les-depenses-militaires-russes-sontbien-plus-importantes-quil-ny-parait/">probablement sous-estimés</a>), à une meilleure discipline entraînant la diminution des pratiques de bizutage (<a href="https://fr.rbth.com/lifestyle/82992-russie-armee-hierarchie"><em>dedovchtchina</em></a>), ainsi qu’à la baisse de la durée du service militaire (qui est passée de 24 à 12 mois depuis 2008).</p>
<p>Outre les stéréotypes de la masculinité <a href="http://dagpravda.ru/obshestvo/prestizh-armii-ne-pustye-slova/">décrivant</a> l’armée comme une « école de vie des vrais hommes », ces changements conduisent à ce que de nombreux jeunes hommes originaires de la Russie périphérique, celle des petites villes et des campagnes, souhaitent, de leur plein gré, rejoindre les rangs des soldats. Des situations inattendues peuvent surgir, par exemple lorsque de jeunes ressortissants du Nord-Caucase sont <a href="https://caucasustimes.com/ru/chechency-platjat-za-sluzhbu-v-armii/">prêts à payer</a> (sic) pour être admis parmi les conscrits pour ensuite envisager un avenir dans l’armée de métier.</p>
<p>S’il est difficile, aujourd’hui, de mesurer les effets de ces facteurs ethniques et sociaux sur la conduite et les conséquences de la guerre en Ukraine, il faut les prendre en compte pour mieux comprendre l’état actuel de la société russe. Aussi, la présence importante des minorités n’est pas sans corrélation avec le <a href="https://jamestown.org/program/marlene-laruelle-how-islam-will-change-russia/">rôle grandissant de l’islam</a> en Russie, et la composition sociale de l’armée russe s’aligne sur la condition des classes populaires russes, <a href="https://alencontre.org/europe/russie/poutine-ne-fait-pas-que-la-guerre-a-lukraine-il-massacre-aussi-la-societe-russe.html">touchées aujourd’hui</a> par des sentiments d’impuissance et de désarroi et, demain sans doute, par une nouvelle paupérisation.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181032/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jules Sergei Fediunin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les ressortissants des régions à majorité musulmane et des régions les plus pauvres du pays (ce sont souvent les mêmes) sont surreprésentés au sein de l’armée russe qui combat en Ukraine.Jules Sergei Fediunin, Docteur en science politique de l'Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO), attaché temporaire d'enseignement et de recherche en civilisation russe, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1798602022-03-27T17:27:51Z2022-03-27T17:27:51ZRussie : l’information économique, victime collatérale de la guerre en Ukraine<p>« Toute quantification change le monde ». C’est ainsi que l’économiste Olivier Martin résume l’enjeu politique de ce qu’il appelle <a href="https://www.cairn.info/revue-reseaux-2021-4-page-282.htm">« l’empire des chiffres »</a>.</p>
<p>À mesure que s’affirme devant nous l’ambition impériale du pouvoir en Russie, la statistique et l’information économique échappent de moins en moins à l’emprise du politique dans ce pays. Ce processus a des conséquences très concrètes.</p>
<h2>URSS : le temps du secret</h2>
<p>Au temps de l’Union soviétique, les données de la planification économique étaient traitées comme des secrets militaires.</p>
<p>Les calculs et projections de l’Institut de prévision de l’économie nationale de l’académie des sciences, l’un des centres les plus écoutés par le Politburo, étaient gardés sous clé dans un coffre-fort, et seul le directeur du centre était habilité à décider de ses modalités de divulgation. Toute donnée macro-économique n’était publiée qu’après un contrôle strict des autorités politiques. Le plus souvent, ces données étaient <a href="https://www.persee.fr/doc/polit_0032-342x_1995_num_60_4_4479_t1_1059_0000_1">falsifiées</a>, pour éviter que les difficultés économiques apparaissent au grand jour.</p>
<p>Le même phénomène se reproduisait, à des degrés variables, dans les autres économies de type soviétique. L’ONU avait d’ailleurs créé un service statistique spécial dans sa Commission économique pour l’Europe, dont l’un des buts était de corriger les distorsions les plus évidentes dans les données transmises par les pays du pacte de Varsovie pour reconstituer au plus près leur trajectoire économique réelle. De son côté, la CIA faisait de même.</p>
<h2>L’ouverture des années 1990</h2>
<p>Avec la fin de l’Union soviétique, les organismes de collecte statistique ont dû s’engager dans une véritable révolution copernicienne. Le contrôle politique sur la production de chiffres, déjà affaibli par la <em>Glasnost’</em> dans les années 1986-1990, s’est évanoui. Les catégories marxistes de classification du réel disparaissaient (par exemple le « produit matériel net », remplacé par la notion de « produit intérieur brut »), et avec elles les principes méthodologiques sur lesquels elles reposaient.</p>
<p>Dans le même temps, la réalité économique elle-même se métamorphosait : de nouveaux acteurs surgissaient et avec eux, de nouveaux comportements économiques à saisir. Le tout, dans une situation de crise sans précédent des moyens humains, financiers et matériels disponibles pour la collecte. La réponse des autorités a été de faire appel à l’aide technique internationale. Des programmes d’assistance, portés par des organismes multilatéraux comme le FMI et la Banque mondiale, appuyés par des instituts nationaux comme l’Insee, ont orchestré la migration des méthodes et des pratiques de ces administrations vers les normes internationales.</p>
<p>Depuis les années 1990, la collecte de données économiques a donc progressé, en quantité et en qualité. Certes, <a href="https://eng.rosstat.gov.ru/">Rosstat</a>, l’équivalent russe de l’Insee, a encore une marge de progression dans de nombreux domaines, mais son site est incomparablement plus fourni qu’autrefois, et une grande partie de ses données et informations sont en accès ouvert, parfois en anglais. La <a href="https://www.cbr.ru/eng/">Banque centrale de Russie</a> a aussi réalisé des avancées spectaculaires dans la diffusion de l’information financière. Ces administrations sont dotées de personnels techniquement compétents et soucieux d’assurer un service public de qualité.</p>
<h2>Années 2010 : un débat économique encore possible</h2>
<p>Sur cette base, les centres de recherche, think tanks, économistes de banque et cabinets de conseils présents en Russie ont pu développer une véritable culture de l’analyse économique et du débat d’idées.</p>
<p>Durant la décennie 2010, tandis que les lumières s’éteignaient les unes après les autres dans le débat public sur le système politique russe, la question économique restait l’objet d’une véritable liberté d’expression, recouvrant le spectre classique des opinions et des recommandations, des plus étatistes aux ultra-libéraux. Alexeï Koudrine, <a href="https://ach.gov.ru/">président de la Cour des comptes</a>, n’hésitait pas à flageller le gouvernement pour ses avancées jugées trop lentes dans la lutte contre les monopoles et les entorses aux droits de propriété.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1189804105587445761"}"></div></p>
<p>De son côté, l’<a href="https://ecfor.ru/?from=logobtn">Institut de prévision pour l’économie nationale</a> vilipendait ouvertement ce même gouvernement pour sa timidité dans l’engagement des fonds souverains au service de l’investissement dans l’équipement du territoire de la Russie en infrastructures. L’<a href="https://www.iep.ru/en/">institut Gaïdar</a> organisait chaque année un <a href="https://www.gaidarforum.ru/en/">forum international</a>, retransmis en direct sur le web, où experts, politiques et universitaires de plusieurs pays se retrouvaient pour, parfois sur le ton de la polémique, débattre des options de politique économique susceptibles de sortir la Russie de la stagnation.</p>
<p>Vladimir Poutine lui-même avait suscité en 2016 l’émulation entre le <a href="https://www.csr.ru/ru/about.php">Centre de recherche stratégique</a>, dirigé jusqu’en 2018 par Alexeï Koudrine, et le <a href="https://stolypin.institute/en/">centre Stolypine</a>, dirigé par <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2018/03/15/01003-20180315ARTFIG00373-boris-titov-le-porte-voix-des-entrepreneurs-russes.php">Boris Titov</a>, co-président de l’Association nationale des petites et moyennes entreprises et représentant du président pour le monde des affaires, pour dessiner les options de développement à long terme du pays susceptibles d’être reprises par l’exécutif.</p>
<p>Avec la guerre en Ukraine, ce monde informationnel et intellectuel semble sur le point de disparaître pour laisser place à une toute autre réalité.</p>
<h2>Le retour du secret</h2>
<p>Les signes avant-coureurs du changement de « régime politique du chiffre » en Russie datent de la crise pandémique.</p>
<p>Placées sous le contrôle de <a href="https://www.rospotrebnadzor.ru/en/">_Rospotrebnadzor</a>_, littéralement Agence de supervision de la consommation, une agence de normalisation directement ressuscitée de l’Union soviétique, les informations sur la mortalité liée au Covid-19 ont été <a href="https://www.nytimes.com/2021/04/10/world/europe/covid-russia-death.html">systématiquement tronquées</a>, suivant un processus parcourant toute la chaîne de production statistique, depuis les chambres d’hôpital et les morgues jusqu’à la vice-première ministre chargée de la santé, Tatiana Golikova. Dès le mois de mai 2020, il était clair que la mortalité liée à l’épidémie était <a href="https://abcnews.go.com/International/data-suggests-russias-coroanvirus-deaths-higher-reported/story?id=70683286">sous-estimée</a> d’un facteur au moins égal à trois.</p>
<p>Avec le recul et les calculs, mais aussi grâce à la conscience professionnelle des responsables de <em>Rosstat</em>, qui ont continué à publier les données de mortalité avec régularité, il est possible aujourd’hui d’affirmer que le nombre de morts en Russie lié à l’épidémie n’est pas de 357 000 (chiffre officiel), mais de <a href="https://www.themoscowtimes.com/2021/12/30/russias-excess-death-toll-hits-930k-a75964">près de 1 million</a>, ce qui en fait le pays le plus meurtri du monde par la pandémie – en attendant une <a href="https://www.nbcnews.com/science/science-news/covid-death-toll-india-likely-far-higher-official-record-research-says-rcna11357">révision des statistiques indiennes</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1246048221459353600"}"></div></p>
<p>Le deuxième signal négatif est la révision du <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/1468018121996075">calcul de la pauvreté en Russie</a>. À partir de janvier 2021, le minimum de subsistance a été <a href="https://www.bofit.fi/en/monitoring/weekly/2021/vw202119_1/">défini de manière relative et non plus absolue</a>. Il correspond désormais à 44,2 % du revenu par tête médian de l’année précédant la période de référence de l’enquête.</p>
<p>Ce changement est important, car le passage d’un niveau absolu à un niveau relatif signe en général l’entrée du pays dans le <a href="https://blogs.worldbank.org/fr/opendata/nouvelle-classification-des-pays-en-fonction-de-leur-revenu-2020-2021">groupe des pays à niveau de revenu élevé</a>. S’il est appliqué dans les pays à faible revenu, le calcul du taux pauvreté à partir d’un niveau relatif peut conduire à une forte sous-estimation de l’ampleur réelle de la pauvreté. Compte tenu du <a href="https://www.oecdbetterlifeindex.org/fr/countries/russie-fr/">niveau de vie moyen de la population russe</a>, ce changement de méthode est prématuré et risque de minorer artificiellement la pauvreté du pays, dans l’hypothèse (probable) où le niveau de vie des plus modestes serait rogné par <a href="https://www.reuters.com/business/finance/inflation-russia-spikes-above-145-highest-since-late-2015-2022-03-23/">l’inflation créée par la guerre</a>.</p>
<h2>L’économie russe dans le brouillage de la guerre</h2>
<p>La dégradation de l’information économique risque de s’accélérer. Comme tout conflit, la guerre dans laquelle Vladimir Poutine a lancé son pays est aussi une guerre de l’information. Montrer que les sanctions n’ont pas touché les centres vitaux du pouvoir, vanter la résilience économique de l’économie russe pourrait nécessiter à brève échéance de maquiller des comptes, surtout si la guerre en Ukraine confirme son enlisement dans la durée. Dans ce contexte, la communication récente de la Banque centrale est le signal le plus évident du changement en cours.</p>
<p><a href="https://www.cbr.ru/press/event/?id=12737">L’une de ses premières décisions</a> après l’invasion a consisté à demander aux banques commerciales de ne plus alimenter leur site en données financières mais de continuer à les transmettre directement à la banque Centrale. Si la mesure venait à s’étendre aux entreprises non financières, elle ne tarderait pas à provoquer un conflit d’objectifs pour les sociétés cotées en bourse, soumises du fait de leur statut à des normes exigeantes en matière de transparence de données comptables. Gazprom et Rosneft, deux entreprises stratégiques pour le pouvoir mais partiellement détenues par des capitaux étrangers, sont dans ce cas.</p>
<p>Plus généralement, il est probable que la question de la confidentialisation des données économiques et sociales jusqu’à présent librement accessibles (concernant par exemple le niveau de chômage, le taux de pauvreté, etc.) soit désormais au menu des réunions de la direction de Rosstat avec les ministères concernés. On peut aussi craindre qu’avec le temps et l’aggravation de la situation économique en Russie, des textes ressemblant aux lois récentes sur l’information de guerre soient édictés qui pénalisent la diffusion d’informations économiques contraires à l’intérêt du pouvoir, s’abritant au besoin derrière le « secret commercial » ou plus ouvertement, derrière la « sécurité nationale ».</p>
<p>Dans tous les cas, il sera de plus en plus difficile aux économistes et observateurs indépendants, russes comme occidentaux, de se faire une idée claire de la situation économique en Russie. Incidemment, il sera aussi plus ardu pour le pouvoir de construire des solutions innovantes et efficaces aux problèmes économiques qui assailleront le pays, dans un paysage intellectuel vidé de tout débat contradictoire sur les options envisageables. En conséquence, les erreurs de politique économique deviendront plus probables. En matière économique, l’information peut vraiment changer le monde, pour le meilleur comme pour le pire.</p>
<p>–</p>
<p>Annexe :</p>
<p><strong>Banque centrale de Russie/Décision du 6 mars 2022 (traduction de l’auteur)</strong></p>
<p>_La Banque centrale de Russie a décidé de réduire temporairement la diffusion des états financiers publiés par les établissements de crédit sur leurs sites Web, ainsi que sur le site Web de la Banque centrale de Russie. Ceci pour limiter les risques des établissements de crédit liés aux sanctions imposées par les pays occidentaux.</p>
<p>_À compter de la déclaration de février 2022, les banques ne sont plus tenues de publier des états comptables et financiers (à l’échelle de l’établissement et consolidés) conformément aux normes russes, ainsi que des informations complémentaires à celles-ci.</p>
<p>_Dans le même temps, les établissements de crédit continueront de soumettre ces documents à la Banque centrale de Russie, ce qui permettra d’exercer pleinement un contrôle efficace sur leurs activités, ainsi que d’analyser le secteur.</p>
<p><em>En outre, les banques auront la possibilité de divulguer, si nécessaire, des informations à leurs contreparties dans le cadre de relations commerciales courantes</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/179860/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Vercueil ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les données économiques reflétant la réalité de la situation en Russie risquent de devenir moins accessibles et moins débattues, ce qui compliquera la tâche des observateurs extérieurs et du pouvoir.Julien Vercueil, Professeur des universités en sciences économiques, Centre de recherche Europes-Eurasie (CREE), Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1794202022-03-20T17:52:59Z2022-03-20T17:52:59ZLa guerre en Ukraine va-t-elle provoquer l’effondrement de l’économie russe ?<p>L’invasion de l’Ukraine a placé la Russie au bord de la faillite. Les taux d’intérêt <a href="https://www.theguardian.com/business/2022/feb/28/russia-central-bank-rates-rouble-sanctions-economy-ukraine">ont doublé</a>, le marché boursier <a href="https://www.tradingsat.com/actualites/marches/la-bourse-de-moscou-va-enchainer-une-troisieme-semaine-de-fermeture-1010263.html">a fermé</a>, et le rouble est <a href="https://www.msn.com/en-gb/money/other/oil-soars-to-24120-a-barrel-and-rouble-crashes-to-all-time-low/ar-AAUzIDs?ocid=uxbndlbing">tombé</a> à son plus bas niveau historique.</p>
<p>Le coût militaire de la guerre a été exacerbé par des sanctions internationales <a href="https://www.newyorker.com/news/our-columnists/how-vladimir-putin-miscalculated-the-economic-cost-of-invading-ukraine">sans précédent</a>, soutenues par une <a href="https://www.lefigaro.fr/conjoncture/quelles-sanctions-economiques-ont-ete-prises-contre-la-russie-depuis-l-invasion-de-l-ukraine-20220228">large coalition de pays</a>. Les citoyens russes, qui ont assisté à la fermeture rapide de très nombreuses enseignes étrangères comme <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/les-magasins-ikea-prient-dassaut-en-russie-avant-leur-fermeture_fr_6220e6f9e4b098a3d11f52f7">Ikea</a>, <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/mar/08/mcdonalds-bows-to-pressure-and-closes-all-its-russian-restaurants">McDonald’s</a> ou encore <a href="https://www.tvanouvelles.ca/2022/03/08/starbucks-ferme-temporairement-ses-130-cafes-en-russie">Starbucks</a>, ne sont <a href="https://www.washingtonpost.com/business/2022/03/08/ruble-dollar-exchange-barred/">pas autorisés</a> à convertir en devises étrangères l’argent qu’ils possèdent en roubles.</p>
<h2>Une récession considérable</h2>
<p><a href="https://www.theguardian.com/world/2022/mar/02/russia-economy-could-shrink-by-7-per-cent-as-result-of-ukraine-sanctions-war-recession-covid">Selon les analyses les plus optimistes</a>, l’économie russe se contractera de 7 % cette année, au lieu des 2 % de croissance prévus avant l’invasion. D’autres estiment que la baisse pourrait atteindre <a href="https://www.cnbc.com/2022/03/06/war-fallout-us-economy-to-slow-europe-risks-recession-and-russia-to-suffer-double-digit-decline.html">15 %</a>.</p>
<p>Une telle chute serait plus importante que celle provoquée par le <a href="https://research.stlouisfed.org/publications/review/2002/11/01/a-case-study-of-a-currency-crisis-the-russian-default-of-1998">krach des marchés boursiers russes en 1998</a>. Ce serait un choc majeur pour une économie qui n’a <a href="https://data.worldbank.org/indicator/NY.GDP.MKTP.KD?locations=RU">pratiquement pas connu de croissance</a> au cours de la dernière décennie et qui n’a <a href="https://wits.worldbank.org/CountryProfile/en/Country/RUSSIA/Year/LTST/Summarytext">pas réussi à se diversifier</a> suffisamment pour ne plus dépendre très largement des exportations de pétrole et de gaz. Or l’Union européenne prévoit de <a href="https://www.politico.eu/article/commission-plan-eu-russia-gas-2030/">réduire radicalement</a> sa dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie, tandis que les États-Unis et le Royaume-Uni ont lancé un processus visant à <a href="https://www.ft.com/content/2e0b1d84-e595-4c5a-be4e-928417b9c7cc">éliminer totalement</a> leurs propres importations d’hydrocarbures russes, plus limitées.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/BtRCF3006XY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Sanctions contre la Russie : quel est l’impact sur l’économie russe ? • FRANCE 24, 5 mars 2022.</span></figcaption>
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<p>Les perspectives à long terme sont sombres. Si les sanctions sont maintenues, la Russie sera coupée de <a href="https://wits.worldbank.org/countrysnapshot/en/RUSSIA">ses principaux partenaires commerciaux</a>, à l’exception de la Chine et de la Biélorussie. Les agences de notation prévoient désormais que Moscou sera bientôt dans l’incapacité de <a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2022-03-08/fitch-downgrades-russia-rating-seeing-imminent-bond-default">rembourser ses créanciers</a>, ce qui aura des répercussions colossales à long terme sur l’économie du pays. En raison de sa réputation d’emprunteur peu recommandable, il sera difficile, pour la Russie, d’attirer des investissements étrangers sans leur offrir des garanties massives, ce qui pourrait la rendre entièrement dépendante de la Chine.</p>
<h2>Le coût immense d’une éventuelle victoire russe</h2>
<p>Paradoxalement, la situation économique pourrait connaître une évolution encore plus désastreuse si Vladimir Poutine parvient à remporter la victoire en Ukraine. L’occupation du pays et <a href="https://www.wsj.com/articles/ukraine-russia-war-end-putin-sanctions-troops-11646240527">l’installation d’un gouvernement fantoche</a> impliqueraient certainement, pour la Russie, l’obligation de <a href="https://www.reuters.com/world/europe/ukrainian-minister-puts-war-damage-infrastructure-about-10-billion-2022-03-07/">reconstruire les infrastructures détruites</a>. Et sachant que, même avant la guerre, les citoyens ukrainiens se montraient de <a href="https://muse.jhu.edu/article/803378">plus en plus favorables à l’UE</a>, le maintien de la paix dans un environnement aussi hostile obligerait Poutine à consacrer à l’Ukraine des ressources colossales… qui devront alors être prélevées sur le budget russe.</p>
<p>Pour avoir une idée des conséquences qu’entraînerait un tel scénario, il est utile d’examiner un précédent relativement comparable. Depuis la fin de la seconde guerre de Tchétchénie, qui a notamment vu la <a href="https://www.theglobeandmail.com/world/article-putins-siege-of-grozny-in-2000-gives-ukraine-a-dark-foreshadowing-of/">destruction quasi totale de la capitale Grozny en 1999-2000</a>, la Russie dépense jusqu’à 3,8 milliards de dollars par an pour <a href="https://www.rferl.org/a/caucasus-report-kadyrov-chechnya-exempt-funding-cuts/28648698.html">maintenir son emprise sur cette république</a>. Toute diminution des transferts monétaires ferait courir à Moscou le risque d’une nouvelle insurrection. Et depuis son annexion en 2014, la Crimée lui coûte un <a href="https://www.bloomberg.com/opinion/articles/2019-03-16/russia-s-annexation-of-crimea-5-years-ago-has-cost-putin-dearly">montant comparable</a>.</p>
<p>La population de l’Ukraine, qui compte environ 40 millions d’habitants, est pratiquement <a href="https://datatopics.worldbank.org/world-development-indicators/">40 fois plus importante que celle de la Tchétchénie</a> et 20 fois plus importante que celle de la péninsule de Crimée. L’Ukraine est le deuxième plus grand pays d’Europe par sa superficie (après la Russie) : y maintenir une occupation durable sera extrêmement coûteux.</p>
<p>Enfin, les pertes russes sont couvertes par le secret militaire, mais les autorités ukrainiennes estiment que la destruction de ses chars, avions et autres équipements militaires au cours des deux premiers jours de la guerre a coûté à la Russie <a href="https://civitta.com/articles/civitta-easybusiness-and-cer-experts-in-ukraine-release-study-on-war-costs-for-russia-and-ways-to-support-ukraine">environ 5 milliards de dollars</a>. Depuis, la quantité de ces matériels détruits a bien entendu nettement augmenté.</p>
<h2>Le prix ultime</h2>
<p>Mais il n’y a pas que le matériel militaire qui coûte de l’argent. Cela peut sembler étrange, voire dérangeant, mais les gouvernements et les économistes attribuent une valeur monétaire à chaque vie humaine. Ce sont par exemple des calculs de ce type qui déterminent quels médicaments ou traitements médicaux le <a href="https://wchh.onlinelibrary.wiley.com/doi/pdf/10.1002/psb.1562">système britannique de couverture santé fournit</a> avec son budget limité.</p>
<p>Jusqu’à présent, selon diverses estimations, entre <a href="https://www.nytimes.com/2022/03/16/us/politics/russia-troop-deaths.html">7 000</a> et <a href="https://www.independent.co.uk/news/world/europe/ukraine-russia-invasion-deaths-latest-b2030956.html">12 000</a> soldats russes auraient déjà été tués en Ukraine depuis le début du conflit le 24 février (la Russie a annoncé le chiffre de 498 morts le 2 mars et n’a plus communiqué sur le sujet depuis). À titre de comparaison, environ <a href="https://www.tandfonline.com/doi/pdf/10.1080/026349300750057964">15 000 soldats sont morts</a> lors de l’invasion soviétique de l’Afghanistan, 8 000 lors de la première guerre de Tchétchénie et un nombre <a href="https://www.jstor.org/stable/20202971">légèrement plus important (mais incertain)</a> lors de la deuxième guerre.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1504434776480096257"}"></div></p>
<p>Une <a href="https://www.nytimes.com/2020/05/11/upshot/virus-price-human-life.html">estimation approximative</a> basée sur <a href="https://data.worldbank.org/indicator/SP.DYN.LE00.MA.IN ?locations=RU">l’espérance de vie</a> et le <a href="https://data.worldbank.org/indicator/NY.GDP.PCAP.CD ?locations=RU">PIB par habitant</a> suggère que le décès de 10 000 soldats russes correspondrait à un coût de plus de 4 milliards de dollars. À cela, il faudrait ajouter les <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC1472271">énormes conséquences sur la santé mentale</a> de leurs familles et de tous les soldats ayant pris part à la guerre.</p>
<p>Dans les jours et semaines à venir, les réponses à deux questions cruciales permettront de comprendre si le coût de la guerre est trop élevé pour Poutine.</p>
<p>D’abord, l’armée et l’industrie de la défense russes peuvent-elles <a href="https://tass.com/politics/1411153">subsister</a> sans importations technologiques telles que <a href="https://www.meta-defense.fr/en/2019/08/22/import-substitution-in-the-Russian-defense-industry-issues-and-achievements/">l’électronique et les robots industriels</a> en provenance des pays occidentaux ? Ensuite, l’impact des sanctions et des pertes humaines sera-t-il suffisant pour <a href="https://www.jstor.org/stable/20202971">faire évoluer l’opinion publique</a> au point que le pouvoir du Kremlin serait menacé ? Les autres difficultés économiques de la Russie n’auront d’impact sur la suite du conflit que si le dirigeant se soucie réellement de l’impact à long terme que la guerre aura sur ses concitoyens…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/179420/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Renaud Foucart ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’économie russe est aux abois. Chaque jour de guerre lui coûte un prix exorbitant, et les sanctions l’affectent profondément.Renaud Foucart, Senior Lecturer in Economics, Lancaster University Management School, Lancaster UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1782522022-03-04T15:38:50Z2022-03-04T15:38:50ZComment l’obsession sécuritaire de Vladimir Poutine a dégradé la qualité de vie des Russes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/450083/original/file-20220304-27-1y65n4d.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=73%2C20%2C6832%2C4862&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des manifestants crient des slogans anti-guerre à Saint-Pétersbourg, en Russie, dénonçant l'invasion de l'Ukraine par leur pays.</span> <span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Dmitri Lovetsky)</span></span></figcaption></figure><p>Les jeunes dramaturges connaissent tous le célèbre conseil de l’auteur russe Anton Tchekhov : <a href="https://www.oxfordreference.com/view/10.1093/acref/9780191843730.001.0001/q-oro-ed5-00002871">« Si, dans le premier acte, vous avez accroché un fusil au mur, alors dans le suivant, il doit être utilisé »</a>.</p>
<p>Depuis 20 ans, Vladimir Poutine – un mégalomane des plus paranoïaques qui s’est aujourd’hui complètement <a href="https://apnews.com/article/russia-ukraine-vladimir-putin-europe-arrests-moscow-cf5dda5528937de907f8916820cfab75">isolé de son peuple</a>, sans parler du reste du monde – a progressivement détourné les richesses considérables de la Russie pour bâtir un État privilégiant la sécurité à tous égards.</p>
<p>Et depuis que le <a href="https://www.e-ir.info/2012/10/15/after-beslan-changes-in-russias-counterterrorism-policy/">massacre de l’école de Beslan en 2004</a> a fourni le prétexte initial à ce détournement, le président russe n’a cessé d’accrocher des fusils aux murs, faisant fi de tout autre projet national. Ledit massacre était une attaque terroriste islamiste, principalement ingouche et tchétchène, qui a entraîné la mort de 333 personnes, dont 186 enfants.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/449019/original/file-20220228-15-1y02o09.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Deux femmes pleurent tandis que l’une d’elles tient la photo d’un enfant" src="https://images.theconversation.com/files/449019/original/file-20220228-15-1y02o09.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/449019/original/file-20220228-15-1y02o09.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=497&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/449019/original/file-20220228-15-1y02o09.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=497&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/449019/original/file-20220228-15-1y02o09.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=497&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/449019/original/file-20220228-15-1y02o09.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=624&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/449019/original/file-20220228-15-1y02o09.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=624&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/449019/original/file-20220228-15-1y02o09.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=624&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Dans cette photographie prise en 2004, une parente d’une fille de dix ans morte aux côtés de sa mère à Beslan pleure en tenant un portrait de l’enfant lors de ses funérailles.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Alexander Zemlianichenko)</span></span>
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</figure>
<p>Cette étroite canalisation des ressources du pays vers les <a href="https://www.jstor.org/stable/20788646">services de sécurité</a> s’est traduite par un déclin constant du niveau de vie des citoyens ordinaires. En effet, la plupart d’entre eux n’ont pas la chance d’être employés par divers ministères du gouvernement comme le <a href="http://www.country-data.com/cgi-bin/query/r-11541.html">MVD</a> (les Affaires internes, dont le rôle ressemble en partie à celui du FBI), les forces de sécurité (<a href="https://www.journalofdemocracy.org/articles/reading-russia-the-siloviki-in-charge/">lessiloviki, réputés pour agir dans l’ombre</a>, <a href="https://www.britannica.com/topic/Federal-Security-Service">y compris le Service fédéral de sécurité ou FSB</a>), l’armée ou la police, ou encore d’être membres des réseaux d’entreprises dirigés par des oligarques et liés à Poutine.</p>
<p>Un agent du FSB peut s’attendre à gagner l’équivalent en roubles de <a href="https://www.reuters.com/article/us-russia-fsb-salary-idINTRE67U2LS20100831">1 100 $ US par mois</a> et un <a href="https://www.erieri.com/salary/job/police-officer/russian-federation">policier</a>, environ 600 à 700 $ US par mois, en plus d’avantages tels qu’une allocation de logement, une éducation universitaire gratuite pour les membres de sa famille ainsi que des vacances gratuites ou à prix fortement réduit.</p>
<h2>Les emplois les mieux payés sont hors de portée de la majorité</h2>
<p>Par contre, un chirurgien <a href="https://therussianreader.com/2017/12/16/sixty-percent-of-russian-doctors-make-less-than-360-euros-a-month/">peut toucher entre 200 et 300 $ US par mois</a> en cumulant plusieurs emplois, tandis qu’un enseignant devra joindre les deux bouts avec une <a href="https://www.statista.com/statistics/1130875/average-monthly-salary-of-teaching-staff/">centaine de dollars ou moins</a>. Les salaires des employés de bureau se situent quant à eux quelque part entre les deux. <a href="https://tradingeconomics.com/russia/wages">En règle générale, tout poste qui en vaut la peine</a> ne peut être obtenu qu’au moyen du népotisme, du patronage ou de la corruption.</p>
<p>Dans la <a href="https://blogs.lse.ac.uk/socialpolicy/2021/01/18/russias-sexist-list-of-banned-professions-for-women-must-end/">société paternaliste</a> qui prévaut en Russie, un homme qui dispose des compétences requises peut parfois décrocher un poste de <a href="https://www.rbth.com/business/330851-female-male-jobs">mécanicien ou de travailleur de la construction</a>. Les emplois non spécialisés et peu rémunérés se trouvent notamment dans les secteurs des services alimentaires, de la sécurité privée et de la vente au détail. Les personnes qui possèdent une voiture travaillent souvent comme chauffeurs de taxi non officiels.</p>
<p>Incapables d’obtenir un emploi, certains hommes <a href="http://www.ijors.net/issue9_2_2020/pdf/__www.ijors.net_issue9_2_2020_article_2_marionneau.pdf">tentent de survivre en pariant</a> sur des événements sportifs. D’autres dépendent du soutien financier de leur femme ou de leur petite amie – s’ils en ont une –, qui travaillent dans un salon de beauté ou qui achètent et revendent clandestinement des vêtements, des cosmétiques ou des produits d’entretien domestique.</p>
<p>Mais sans relations influentes nécessaires ni volonté de participer à des activités entachées de corruption et souvent criminelles, il devient de plus en plus difficile, voire impossible, pour le Russe moyen de mener une vie un tant soit peu normale.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Un homme barbu portant un chapeau noir est allongé sous une couverture bleue tachée et sur de gros tuyaux" src="https://images.theconversation.com/files/449011/original/file-20220228-23-17dezyx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/449011/original/file-20220228-23-17dezyx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/449011/original/file-20220228-23-17dezyx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/449011/original/file-20220228-23-17dezyx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/449011/original/file-20220228-23-17dezyx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/449011/original/file-20220228-23-17dezyx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/449011/original/file-20220228-23-17dezyx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un homme âgé en situation d’itinérance se réchauffe au moyen d’un tuyau du système de chauffage municipal durant une journée glaciale à Omsk, en Russie.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Evgeniy Sofiychuk)</span></span>
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</figure>
<h2>Coût de la vie</h2>
<p>Le coût de la vie en Russie – exception faite de <a href="https://www.numbeo.com/cost-of-living/compare_cities.jsp?country1=Russia&city1=Moscow&country2=Russia&city2=Saint+Petersburg">Moscou et de Saint-Pétersbourg</a>, des villes de calibre mondial où les prix s’en ressentent – est légèrement moindre qu’en Occident, mais de peu. Et compte tenu des salaires beaucoup plus élevés dans les villes en question, la moyenne nationale de 660 $ US par mois devrait être considérablement révisée à la baisse pour la plupart des régions.</p>
<p><a href="https://apnews.com/article/russia-ukraine-business-europe-japan-9fbeb1c66c523f4018abb8ebc6580839">La chute du rouble</a> entraîne une hausse du coût de la vie, mais les salaires ne suivent pas. Les pensions suffisent à peine à payer les services publics mensuels. L’assistance sociale, y compris les primes accordées aux travailleurs de la santé épuisés par la pandémie de Covid-19, <a href="https://www.bbc.com/russian/features-56199997.amp">est mystérieusement détournée</a> en chemin et ne parvient jamais aux personnes qui en ont besoin. Les services de santé <a href="https://www.wsws.org/en/articles/2020/10/03/ruco-o03.html">subissent régulièrement des coupes</a> et les hôpitaux ferment dans le but de « maximiser l’efficacité ».</p>
<p>Poutine prétend constamment « opérer dans le <a href="https://direct.mit.edu/daed/article/146/2/64/27149/Putin-Style-Rule-of-Law-amp-the-Prospects-for">cadre de la loi</a> », mais le système juridique russe est manipulé à seule fin de soutenir et de protéger les puissants.</p>
<p>La Russie est une <a href="https://blogs.worldbank.org/education/educated-russians-curse-returns-education-russian-federation-1990s#:%7E:text=Because%20of%20a%20strong%20literary,well%20above%20the%20OECD%20averages.">nation hautement éduquée</a> et avancée, à la fois riche en <a href="https://epthinktank.eu/2015/03/16/the-russian-economy-will-russia-ever-catch-up/eprs-ida-551320-russian-natural-resources/">ressources naturelles</a> et humaines, ce qui lui assure un potentiel économique considérable. Pourtant, son leadership a choisi de ne pas investir cette richesse dans le développement du pays, mais plutôt dans celui d’un imposant appareil de sécurité qui ne sert que les intérêts du président et de ses proches.</p>
<p>L’État russe est une <a href="https://www.cam.ac.uk/kleptocracy">kleptocratie</a> au sens le plus pur du terme, et depuis des années, <a href="https://www.chathamhouse.org/2021/12/uks-kleptocracy-problem">ses kleptocrates</a> et les milliards qu’ils ont dérobés au peuple russe sont accueillis à bras ouverts par les pays de l’Ouest comme le <a href="https://ca.sports.yahoo.com/news/russian-oligarch-roman-abramovich-chelsea-premier-league-putin-225303541.html">Royaume-Uni</a> et les <a href="https://www.nbcnews.com/news/world/guess-who-came-dinner-flynn-putin-n742696">États-Unis</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Un homme aux cheveux gris et à la veste marine est assis dans un stade de sport, la main sous le menton" src="https://images.theconversation.com/files/449014/original/file-20220228-23-18zxqc9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/449014/original/file-20220228-23-18zxqc9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=442&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/449014/original/file-20220228-23-18zxqc9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=442&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/449014/original/file-20220228-23-18zxqc9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=442&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/449014/original/file-20220228-23-18zxqc9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=555&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/449014/original/file-20220228-23-18zxqc9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=555&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/449014/original/file-20220228-23-18zxqc9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=555&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Roman Abramovich, propriétaire du club de soccer de Chelsea, assiste à un match en Suède en 2021. L’oligarque russe, dont la fortune est estimée à plus de 13 milliards de dollars, a fait l’acquisition du club de soccer britannique (aujourd'hui en vente) ainsi que de résidences à Londres et à New York.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Martin Meissner)</span></span>
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</figure>
<h2>Les Russes ordinaires n’ont aucun pouvoir</h2>
<p>Les Russes ordinaires n’ont pas eu leur mot à dire dans la décision d’envahir l’Ukraine, qui constituait de longue date l’obsession personnelle d’un président que la plupart d’entre eux n’appuient pas, mais auquel ils ne sont pas libres de s’opposer.</p>
<p>Des conscrits adolescents, à qui on avait dit qu’ils allaient participer à des « exercices », <a href="https://www.rferl.org/a/ukraine-russia-pows-prisoners-identification-dead/31726619.html">ont apparemment été choqués</a> de se retrouver au front d’une guerre contre un peuple qu’ils n’avaient jamais considéré comme un ennemi.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Une femme vêtue d’une veste bleue et d’un pantalon gris est allongée sur le sol et crie tandis que la police la retient" src="https://images.theconversation.com/files/449009/original/file-20220228-3997-1gwprbd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/449009/original/file-20220228-3997-1gwprbd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/449009/original/file-20220228-3997-1gwprbd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/449009/original/file-20220228-3997-1gwprbd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/449009/original/file-20220228-3997-1gwprbd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/449009/original/file-20220228-3997-1gwprbd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/449009/original/file-20220228-3997-1gwprbd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des policiers détiennent une personne manifestant contre l’invasion russe de l’Ukraine, à Saint-Pétersbourg, en Russie.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Dmitri Lovetsky)</span></span>
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</figure>
<p>Tandis que nos dirigeants se tordent les mains et déplorent le sort des Ukrainiens, ils devraient en profiter pour <a href="https://www.theatlantic.com/ideas/archive/2022/02/lavrov-russia-diplomacy-ukraine/622075/">réfléchir à la manière dont ils ont permis</a> à Poutine et à son entourage de bâtir une machine de guerre qui s’est tout naturellement déchaînée sur la victime la plus proche et la plus commode.</p>
<p>Les fusils ne pouvaient rester accrochés aux murs indéfiniment, et les voilà qui tirent à présent sur des milliers de victimes innocentes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178252/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Richard Foltz ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’État sécuritaire militarisé de Poutine s’est développé depuis 2004 au détriment des services sociaux et du niveau de vie des Russes.Richard Foltz, Professor of Religions and Cultures, Concordia UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1299302020-01-16T22:49:07Z2020-01-16T22:49:07ZEn Iran, les sanctions internationales profitent au régime<p>Si l’on devait choisir un mot clé pour résumer la plupart des commentaires à propos de la crise entre les États-Unis et l’Iran, ce serait celui d’« irresponsabilité ». Pour certains, la décision du président Trump semble au moins compréhensible dans la mesure où elle obéirait avant tout à une rationalité cynique : celle d’accroître ses chances de se faire réélire pour un second mandat en lançant un conflit de diversion. En ce sens, l’élimination du général Soleimani peut être interprétée comme la facette militariste de sa devise électorale « Make America Great Again ». En revanche, lorsque <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/06/20/l-iran-a-abattu-un-drone-americain-au-dessus-du-golfe_5478900_3210.html">l’Iran abat un drone américain en juin 2019</a>, emprisonne des universitaires étrangers comme <a href="http://www.sciencespo.fr/a-propos-fariba-adelkhah-roland-marchal-ce-que-on-sait">Fariba Adelkhah et Roland Marchal</a>, voire <a href="https://theconversation.com/vol-ps752-une-combinaison-mortelle-dinsouciance-et-dincompetence-de-liran-129757">abat un avion ukrainien</a>, l’incompréhension prévaut et le jugement moral sur son « comportement voyou » figure comme une catégorie explicative.</p>
<h2>Les dirigeants iraniens sont-ils irrationnels ?</h2>
<p>Il est vrai qu » une première analyse superficielle tendrait à prouver l’irrationalité de la politique iranienne. Même si une intervention terrestre des États-Unis en Iran serait contre-productive, Washington est en mesure de bombarder à volonté les sites iraniens de son choix et d’infliger des dégâts humains considérables sans craindre de ripostes véritables de Téhéran contre des positions américaines. Les <a href="http://www.rfi.fr/ameriques/2min/20200108-irak-attaque-contre-base-abritant-soldats-americains">frappes iraniennes sur des bases situées en Irak</a> abritant des soldats américains le 8 janvier ne semblent pas avoir fait de victimes dans les rangs irakiens et américains. Il est probable que les décideurs iraniens aient choisi de « tirer à côté » pour revendiquer sur le front interne une victoire toute en signalant aux États-Unis une « riposte proportionnée » pour reprendre les <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/iran/mort-de-qassem-soleimani/attaque-iranienne-contre-des-bases-americaines-en-irak-on-est-dans-une-sorte-de-riposte-graduee_3775739.html">mots du ministre des Affaires étrangères iranien Mohammed Jawad Zarif</a>.</p>
<p>Ajoutons que d’un point de vue économique, l’Iran subit des sanctions tellement fortes qu’il est <a href="https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/leconomie-iranienne-subit-une-recession-severe-1160187">entré en récession en 2019</a>. Enfin, les coûts politiques de la ligne iranienne sont également dramatiques : l’Iran se trouve désormais relativement isolé et stigmatisé sur la scène internationale. En somme, la politique iranienne semble contraire à ce que l’on qualifie communément d’intérêt national.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1215994273692254222"}"></div></p>
<h2>Des sanctions qui renforcent la légitimité du pouvoir</h2>
<p>Toutefois, derrière la façade des coups joués sur la scène internationale, se cache en coulisse l’enjeu de la légitimité politique interne des décideurs politiques. Cette légitimité repose en grande partie sur la capacité des dirigeants à maintenir la fiction d’une souveraineté absolue.</p>
<p>L’idéal de la souveraineté est particulièrement puissant dans des entités qui ont été par le passé des objets plus que des sujets de la politique mondiale, comme l’Iran qui en 1953 a subi un <a href="https://www.jstor.org/stable/40209809?seq=1">coup d’État préparé par la CIA et les services britanniques contre le premier ministre Mossadegh</a>. Il est difficile pour les responsables d’un ancien État « vassal » de se plier à nouveau aux sanctions d’une puissance « extérieure ». En outre, un grand nombre des chefs exécutifs – de Vladimir Poutine à Donald Trump en passant par l’Ayatollah Khamenei – revendiquent pour eux-mêmes et pour leur pays une image « héroïque » mettant en avant leur puissance matérielle, leur vitalité et leur « mépris de la mort ». Si les sanctions frappent durement leur pays, se plier à celles-ci abîmerait de manière fatale leur capital symbolique.</p>
<p>Mais la raison pour laquelle les sanctions échouent face à l’Iran tient surtout à une variable systémique. Une différence essentielle persiste entre l’international et le national : celle de la « monopolisation » de la légitimité sur la scène interne. Alors que même dans les dictatures les décideurs doivent obtenir la reconnaissance d’une partie des gouvernés pour leur politique intérieure, ils peuvent souvent s’extraire d’un tel soutien « public » sur la scène internationale.</p>
<p>De nombreux gouvernements sévèrement critiqués voire non reconnus par les autres entités étatiques n’en conservent pas moins une bonne santé politique : les autorités du Hamas, le gouvernement israélien de Nétanyahou, la dynastie Kim de la Corée du Nord, dans une certaine mesure aussi la Russie de Poutine et les États-Unis de Trump, ou encore le gouvernement iranien. De manière générale, les responsables des régimes peu « populaires » sur la scène internationale construisent un récit d’autoreconnaissance. Celui-ci substitue à la reconnaissance des acteurs vivants la reconnaissance par des forces « extra-humaines » – la <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/ei/2013-v44-n1-ei0533/1015129ar/">mission divine ou la grande Histoire</a>.</p>
<p>Dans ce récit, l’Iran n’a plus besoin de la reconnaissance des acteurs humains mais doit uniquement rendre compte aux puissances divines. Ce récit met aussi en valeur les qualités traditionnellement associées à l’identité virile : la puissance physique et la vitalité d’une « jeune puissance », associées à la domination mentale et au mépris de la mort. En outre, les dirigeants d’un tel pays « diabolisent » les États qui les stigmatisent, de sorte que la non-reconnaissance de ces acteurs devient une sorte de preuve de « distinction ». Ce processus s’observe précisément dans le cas iranien.</p>
<h2>Des sanctions forcément inefficaces ?</h2>
<p>Tout indique donc que la stigmatisation et les sanctions n’inciteront pas les responsables d’un État à coopérer. Les décideurs d’un État exclu sont généralement capables, on l’a dit, de construire un récit d’autoreconnaissance. Une majorité d’analystes estiment que cela a été par exemple le cas pour le Japon à la fin des années 1920, l’Union soviétique lors de sa création, la Corée du Nord de l’après-guerre froide, <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/17550910903525952">l’Irak des années 1990</a> et la <a href="https://heinonline.org/HOL/LandingPage?handle=hein.journals/fora95&div=16&id=&page=">Russie de Poutine</a>.</p>
<p>En somme, le cas iranien est loin d’être spécifique. Il nous suggère que le refus de considérer les décideurs d’un État comme interlocuteurs valables sur la scène internationale peut renforcer leur légitimité sur la scène nationale et les inciter à pratiquer une politique au bord de l’abîme. De même, les sanctions économiques ne sont pas nécessairement adéquates pour apaiser de tels acteurs. Le récit héroïque et paranoïaque des décideurs d’un tel État est incompatible avec des concessions politiques sous pression économique qui risqueraient de les faire apparaître comme « lâches ». </p>
<p>Or les dirigeants occidentaux eux-mêmes ne sont pas toujours exempts de ces contraintes symboliques. Comme l’Iran, ils doivent être, eux aussi, attentifs à leur légitimité fondée, pour leur part, parfois sur des valeurs « laïques » et sur le respect des droits de l’homme. Tout se passe donc comme si les coups extérieurs des décideurs politiques étaient en réalité joués également à destination de la scène domestique afin de paraître conformes au rôle revendiqué par les personnels politiques.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/129930/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thomas Lindemann ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les sanctions qui frappent l’Iran affectent durement la population mais renforcent la légitimité d’un régime qui s’en prévaut pour se poser comme le rempart du pays face à l’agression extérieure.Thomas Lindemann, Professor of International Relations & Political Science at L'École polytechnique, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1238952019-10-13T19:07:28Z2019-10-13T19:07:28ZRéduction du train de vie l’État au Sénégal, mauvaise réponse à un véritable problème<p>Après avoir dénoncé les excès dépensiers de l’administration – <a href="https://www.pressafrik.com/De-2012-a-nos-jours-307-milliards-FCFA-depenses-dans-l-achat-de-vehicules--revele-Macky-Sall_a203520.html">307 milliards de FCFA pour l’achat de véhicules</a> –, le Président de la République du Sénégal, Macky Sall, a pris des mesures pour alléger le train de vie de l’État.</p>
<p>Aussi a-t-il pris la décision de plafonner, désormais selon un montant forfaitaire mensuel, les dépenses liées à l’usage des téléphones portables estimées à <a href="https://www.bbc.com/afrique/region-49577530">16 à 17 milliards par an</a>. Le gouvernement prévoit également de s’attaquer aux dépenses liées à l’utilisation de l’eau, au carburant, à l’électricité, au téléphone fixe et à l’Internet.</p>
<p>Comment en est-on arrivé à une telle situation ? Les mesures mises en place auront-elles l’impact qu’il faut ou sont-elles de simples effets d’annonce ?</p>
<h2>Une trésorerie assez serrée</h2>
<p>Les difficultés économiques que vit le Sénégal actuellement relèvent d’une conjonction de facteurs, qui ont fini de plonger la <a href="http://apanews.net/news/les-aveux-de-letat-sur-les-difficultes-budgetaires-resument-lactualite-senegalaise">trésorerie de l’État dans d’énormes difficultés</a>.</p>
<p>Le manque de liquidité, qui est devenu chronique, a mis en difficulté les entreprises au niveau national. La dette publique comprend, en effet, les titres publics émis en monnaie locale et détenus par des résidents ou compagnies sénégalaises dont <a href="https://www.lequotidien.sn/dette-interieure-les-btp-reclament-250-milliards-a-letat/">250 milliards de CFA dus à cinq entreprises majeures du secteur des bâtiments et des travaux publics</a> que l’État n’a pas pu honorer.</p>
<p>Cette situation pouvait pourtant être évitée.</p>
<p>En effet, à partir de 2013, la situation économique mondiale s’était apaisée du fait d’une baisse historique du coût du baril du pétrole, <a href="https://www.capital.fr/entreprises-marches/le-prix-du-petrole-est-tombe-a-30-dollars-le-baril-plus-bas-depuis-2003-1096340">qui a descendu les années suivantes au niveau de 30 dollars</a>.</p>
<p>Ce contexte a profité au régime sénégalais qui n’a pas baissé pour autant le prix à la pompe pour les citoyens sénégalais et s’est engagé dans des politiques qui ont malheureusement échoué pour la plupart.</p>
<p>L’État <a href="https://www.jeuneafrique.com/799232/economie/senegal-dakar-taille-dans-les-subventions-allouees-a-lenergie/">a par exemple retiré la subvention de plus de 50 milliards de CFA allouée</a> à la Société nationale d’électricité.</p>
<p>Avec ses profits, le gouvernement s’est engagé dans des politiques sociales comme les bourses familiales, la <a href="https://www.sec.gouv.sn/couverture-maladie-universelle-cmu">couverture maladie universelle</a>, le <a href="http://www.sn.undp.org/content/senegal/fr/home/operations/projects/poverty_reduction/programme-d-urgence-de-developpement-communautaire.html">programme d’urgence de développement communautaire</a> etc.</p>
<p>Or, ces politiques qui avaient pour objectif de soulager les populations vulnérables ont produit de très faibles résultats.</p>
<p>En effet, les statistiques produites sur la pauvreté en 2015 par l’<a href="http://www.ansd.sn/">Agence nationale de la statistique et de la démographie</a> ont montré une augmentation des ménages qui s’estiment pauvres <a href="https://fr.africacheck.org/wp-content/uploads/2019/08/PAUVRETE-ET-CONDITION-DE-VIE-DES-MENAGES-DEF-VRC-VF.pdf">à 56,6 %</a> de la population.</p>
<p>Une nette hausse par rapport à l’<a href="https://fr.africacheck.org/wp-content/uploads/2019/08/Rapport_ESPS-2011.pdf">enquête de suivi de la pauvreté réalisée en 2011</a> et publiée en 2013 qui évaluait l’incidence de la pauvreté subjective à 48,6 % et celle de la pauvreté monétaire à 46,7 % – cette pauvreté est calculée sur la base d’un revenu inférieur à un seuil, <a href="https://fr.africacheck.org/wp-content/uploads/2019/08/Rapport_ESPS-2011.pdf">basé sur un panier de produits alimentaires</a>.</p>
<p>La preuve que les politiques entreprises par le pouvoir n’ont pas amélioré le vécu quotidien des Sénégalais.</p>
<h2>La reconstitution de la dette</h2>
<p>Avec un taux d’endettement qui représentait <a href="http://www.dpee.sn/IMG/pdf/sef_mai_2012.pdf">39,7 % du PIB</a> au début de la seconde alternance, le gouvernement du Sénégal s’est engagé dans un <a href="https://fr.africacheck.org/reports/le-senegal-de-2016-est-il-plus-endette-quavant/">rythme d’endettement</a> exponentiel qui atteint aujourd’hui <a href="https://www.seneweb.com/news/Economie/la-verite-sur-les-chiffres-de-la-dette-d_n_286931.html">51,5 %</a> en dépit des <a href="https://www.jeuneafrique.com/475978/economie/senegal-le-fmi-sinquiete-de-lalourdissement-du-service-de-la-dette/">alertes des spécialistes</a> et experts.</p>
<p>Avec le <a href="http://www.clubdeparis.org/fr">club de Paris</a> et tous les soutiens internationaux, le régime se lance dans des projets qui ne sont pas prioritaires pour les concitoyens mais qui ont un caractère purement politique.</p>
<p>C’est le cas de l’<a href="https://www.pressafrik.com/Touba-inaugure-son-autoroute-ce-jeudi-le-Khalife-appelle-a-une-mobilisation-generale_a193926.html">autorité Illa Touba</a>, du <a href="https://www.agenceecofin.com/investissements-publics/1501-63215-le-president-de-la-bad-et-macky-sall-receptionnent-le-train-express-regional-de-dakar">Train express régional</a> (TER), des <a href="https://www.sec.gouv.sn/programme-national-de-bourses-de-s%C3%A9curit%C3%A9-familiale-pnbsf">bouses de sécurité familiale</a> etc.</p>
<p>Si l’on prend le seul exemple de la ville sainte de Touba, elle a plus besoin de <a href="https://www.lequotidien.sn/assainissement-lonas-veut-regler-definitivement-les-problemes-dinondation-a-touba/">structures d’assainissement</a> et de centres de santé comme l’<a href="https://www.seneweb.com/news/Societe/nouvel-hopital-de-touba-pourquoi-les-tra_n_246834.html">hôpital qui était programmé mais n’a jamais été réalisé</a>.</p>
<p>De même, les bourses familiales de <a href="https://www.banquemondiale.org/fr/news/feature/2019/06/14/the-family-allowance-a-critical-boost-to-help-break-the-chain-of-intergenerational-poverty">25 000 de FCFA par trimestre pour 300 000 familles</a> ont aidé certains foyers sur le court terme mais ne contribuent pas à baisser le niveau de pauvreté sur le long terme. Car selon, un <a href="http://www.fao.org/3/i9341fr/I9341FR.pdf">document de recherche</a> de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) la bourse familiale « n’a pas permis aux ménages boursiers de s’engager dans de nouvelles activités économiques et a eu un effet d’entraînement
très limité sur les capacités productives ou la réinsertion socio-économique des ménages pauvres ».</p>
<p>En réalité, les préoccupations des citoyens tournent autour de l’<a href="http://www.ansd.sn/index.php?option=com_content&view=article&id=370:2018-04-13-08-41-29&catid=56:depeches&Itemid=264">emploi</a> ou de la <a href="http://www.ansd.sn/ressources/ses/chapitres/17-SES-2016_Commerce-exterieur.pdf">nourriture toujours importée</a> et donc très chère.</p>
<p>L’éducation fait également face à d’<a href="http://www.ansd.sn/ressources/publications/3-SES-2016_Education-formation.pdf">énormes défis</a>. Et d’autres urgences, comme l’<a href="https://www.dakaractu.com/Penurie-d-eau-a-Dakar-vers-des-emeutes-de-la-soif%C2%A0_a154606.html">eau qui devient rare</a> au cœur de certains quartiers de la capitale ou les questions de <a href="https://www.seneplus.com/sante/le-senegal-malade-de-sa-sante">santé avec des plateaux techniques médiocres</a> restent sans réponse de la part du gouvernement.</p>
<p>C’est dans cette ambiance de doutes et de difficultés, que les <a href="https://www.jeuneafrique.com/562150/economie/le-pib-du-senegal-a-fait-un-bond-de-30-decryptage-dun-chiffre-record/">citoyens s’interrogent sur la portée du taux de croissance</a> qui a atteint les 7 %.</p>
<p>Cette <a href="https://www.seneplus.com/opinions/et-si-la-croissance-se-mangeait">croissance extravertie</a> semble se développer au seul bénéfice des multinationales et n’a que peu d’impact sur les <a href="http://www.ansd.sn/ressources/ses/chapitres/1-SES-2015_Etat-structure-population.pdf">65 % % de citoyens ruraux</a> dont les revenus sont partagés entre l’agriculture, la pêche et l’élevage.</p>
<p>À la place d’une politique de développement portée sur ces secteurs, l’État investit dans des infrastructures comme les <a href="https://wiwsport.com/2019/05/27/stade-olympique-diamniadio-la-pose-de-la-premiere-pierre-aura-lieu-au-mois-daout/">stades</a>, les péages et le <a href="https://www.jeuneafrique.com/mag/736011/economie/senegal-le-ter-dakar-diamniadio-un-projet-symbolique-dont-le-cout-fait-debat/">Train express régional à coût de milliards</a>.</p>
<p>Ces choix semblent avant tout destinés à donner une image moderne du Sénégal alors que la population fait face au quotidien à des défis bien plus pressants.</p>
<p>Résultat : aucun investissement social salutaire comme des hôpitaux ou des universités mais un niveau d’endettement de près de <a href="http://www.uemoa.int/sites/default/files/bibliotheque/annexes_rsm_juin18_v1_ces_vf_du_7juin18.pdf">49,6 %</a> en dépit de la <a href="https://fr.africacheck.org/reports/augmentation-de-30-du-pib/">modification de la base de calcul qui a augmenté le PIB de 29,4 %</a>.</p>
<p>Les <a href="https://www.lequotidien.sn/abdoulaye-daouda-diallo-ministre-des-finances-et-du-budget-des-55-pays-de-lunion-africaine-le-senegal-fait-partie-des-5-pays-a-un-risque-dendettement-faible/">7 261,76 milliards</a> de FCFA de dettes accumulées pour un pays dont les recettes sont uniquement fiscales, ont de facto entraîné un ajustement économique, qui ne dit pas son nom, imposé par la Banque Mondiale.</p>
<h2>Des choix dictés par le FMI</h2>
<p>En réalité, le Fonds Monétaire International a été à l’origine de toutes ces décisions récentes visant à réduire les dépenses de l’administration.</p>
<p>Il a notamment exigé que le gouvernement du Sénégal supprime toutes formes de subventions comme celles <a href="https://www.lequotidien.sn/orientation-des-bacheliers-letat-tourne-le-dos-au-prive/">accordées aux étudiants du privé pour contenir les dépenses publiques</a>. Mais cette mesure, qui consiste à orienter les <a href="https://www.pressafrik.com/Video-Le-ministre-de-l-Enseignement-superieur-annonce-qu-aucun-nouveau-bachelier-ne-sera-oriente-dans-le-prive-cette_a204810.html">57 000 bacheliers</a> dans les universités publiques, va déstabiliser les efforts entrepris entre public et privé ces dernières années.</p>
<p>De même, le FMI a demandé d’accroître augmenter les recettes fiscales par l’<a href="https://www.leral.net/Verite-des-prix-le-FMI-met-la-pression-sur-Macky-Sall_a248320.html">augmentation des prix de certains produits de consommation de masse</a> comme le carburant et le ciment. Mais cela s’est fait au détriment des populations appauvries.</p>
<p>Enfin, le FMI a imposé une baisse des coûts de fonctionnement des services publics à travers de mesures visant le <a href="https://www.jeuneafrique.com/823463/politique/senegal-le-gouvernement-annonce-la-fin-des-forfaits-illimites-notamment-pour-les-ministres/">téléphone</a> et le <a href="https://www.jeuneafrique.com/799232/economie/senegal-dakar-taille-dans-les-subventions-allouees-a-lenergie/">carburant</a>. Mais, pour de nombreux économistes, les vraies charges du pays proviennent <a href="https://www.seneplus.com/politique/ces-institutions-budgetivores">d’institutions budgétivores</a> inutiles et conçues uniquement pour une clientèle politique.</p>
<p>Certes, la <a href="https://www.pressafrik.com/Macky-Sall-va-dissoudre-16-agences-sur-32-existantes_a203538.html">diminution annoncée des agences</a> fait partie de ces mesures du FMI. Toutefois, il faut regretter que la question du <a href="https://www.sec.gouv.sn/institutions/le-gouvernement">nombre de ministres</a> et que le problème des <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/02/21/senegal-grosses-depenses-et-petits-arrangements-la-face-cachee-du-mandat-de-macky-sall_5426481_3212.html">caisses noires politiques</a> ne soient pas visés par ces baisses de dépenses.</p>
<p>L’absence d’une véritable politique de développement, tournée vers l’autosuffisance, et le <a href="https://afrimag.net/industrialisation-le-senegal-a-la-traine/">manque d’industrialisation</a> sont les véritables causes d’un appauvrissement des masses qui peinent à assurer le quotidien. Le manque de réinvestissement des bénéfices de la croissance réalisés par les grandes sociétés étrangères ne permet pas de créer des emplois à partir d’un développement des activités des entreprises.</p>
<p>Ce caractère extraverti du tissu économique sénégalais a l’image des économies africaines confirme l’idée d’une <a href="https://www.jeuneafrique.com/277639/economie/cherif-salif-sy-nous-sommes-dans-une-croissance-appauvrissante/">croissance appauvrissante</a>, car n’ayant pas d’impact sur le vécu des citoyens.</p>
<p>Le chômage est devenu un fléau social et national par manque de politique de développement articulé autour du secteur primaire. Le <a href="http://www.igfm.sn/electricite-et-carburant-entree-en-vigueur-de-la-hausse-a-partir-du-1er-juillet/">coût de la vie plombe</a> tous les espoirs et risque de plonger le pays dans une misère généralisée.</p>
<p>À l’entame d’un deuxième mandat, aucun programme de développement pouvant redonner un brin d’espoir n’est en vue. C’est le statu quo dans un silence d’ajustement qui risque de coûter cinq ans de difficultés. La situation du trésor public qui <a href="https://www.xibaaru.sn/un-expert-revele-que-les-caisses-de-letat-du-senegal-sont-vides/">frise la banqueroute</a>, doit être <a href="https://www.sudonline.sn/des-economistes-invitent-a-corriger-ce-qui-peut-l-etre_a_44691.html">corrigée</a>, comme ce fut le cas en Grèce ou en Argentine.</p>
<p>Cependant, pour le moment aucune mesure concrète et potentiellement efficace de réduction du train de vie de l’État n’est à l’ordre du jour. Nous sommes plutôt face à des réformettes. Dès lors, les véritables solutions risquent d’attendre encore longtemps. Les Sénégalais devront prendre encore leur mal en patience.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/123895/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Meissa Babou ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les difficultés économiques du Sénégal relèvent de plusieurs facteurs qui ont plongé la trésorerie de l’État dans d’énormes difficultés que seules des réformes structurelles peuvent redresser.Meissa Babou, Enseignant chercheur, Université Cheikh Anta Diop de DakarLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/874722017-11-20T20:49:51Z2017-11-20T20:49:51ZConversation avec Brigitte Métra : entre smart city et human city<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/194648/original/file-20171114-26423-13434vw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Smart city ou ville du vivre ensemble ?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://visualhunt.com/f2/photo/34550063860/a3083c8432/">Wyliepoon/VisualHunt</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p><em>Brigitte Métra interviendra le 30 novembre 2017 à 17h dans le cadre des <a href="http://tribunesdelapresse.org/">Tribunes de la Presse</a> à Bordeaux, autour du thème« les villes du futur. Le Futur des villes ». The Conversation est partenaire des Tribunes de la Presse 2017 du 30 novembre au 2 décembre.</em></p>
<hr>
<p><strong>Virginie Martin : Les très grandes villes ne semblent plus être aussi attractives : la ville d’aujourd’hui, saturée, trop chère pousse la population à favoriser des villes « à taille humaine ». En France, Bordeaux, Lyon ou Nantes bénéficient d’un mouvement centrifuge qui fait que la ville-capitale Paris est quelque peu délaissée. Alors quid de la ville du futur ? La fameuse <em>smart city</em> va-t-elle enrayer ou au contraire venir renforcer cette tendance ?</strong></p>
<p>Brigitte Métra : L’attractivité d’une ville est symbolisée par sa dynamique économique, son pouvoir politique et ses offres culturelles. Aujourd’hui, nous sommes au point culminant de la courbe de Gauss, un trop-plein généralisé : trop de densité, trop de pollution, trop de stress…</p>
<p>L’individu recherche un retour à la qualité de vie. L’humain reprend le pouvoir au sein de la ville. Celle-ci doit lui offrir plus qu’un travail, elle doit aussi offrir un véritable avenir. Internet permettant de travailler partout il permet un retour à des villes à taille plus humaine, des villes comme Bordeaux, Marseille ou Nantes. Les vibrations y sont plus agréables, comme plus détendues, il y a une qualité d’échange et d’écoute ; la « qualité » de la ville, sa structure, sa fluidité ont un fort impact sur les relations humaines.</p>
<p>Environ 54 % de la population mondiale vit en milieu urbain et près de 70 % y vivront en 2050. Il devient urgent de réfléchir à un mode de faire la ville avant tout au service de l’humain. Je ne suis pas certaine que la smart city telle qu’envisagée aujourd’hui y parvienne.</p>
<p>Une ville dite « smart » devrait répondre aux enjeux autour du « bien vivre ». La smart city, elle, se veut une ville avant tout ultra-connectée, toujours plus connectée, une sorte de ville-machine comme le dit <a href="https://www.amazon.fr/Smart-Cities-Civic-Hackers-Utopia/dp/0393349780">Anthony Townsend</a>.</p>
<p>Pour enrayer cette sensation de mal vivre dans les mégalopoles, ce n’est pas simplement avec des objets connectés que l’on va y arriver. La ville digitale est intéressante, mais elle ne met pas assez l’humain au centre du débat.</p>
<p><strong>V.M. : Le mot <em>smart</em> dans smart city paraît être une sorte de faux ami ! En effet, quand on parle de smart city, on ne parle en fait que de ville et de gens ultra-connectés. Est-ce cela une ville « intelligente » ? Prenons Songdo en Corée du sud, peu y vivent, mais les investisseurs-industriels y sont très heureux ! Où nous amène le monde technologique ?</strong></p>
<p>B.M. : Le concept de « smart » est séduisant, mais il ne suffit pas. La technologie ne permet pas d’être plus heureux selon moi. Il y a effectivement, un côté pratique où la domotique et l’ubérisation de la société sont utiles à nos sociétés. Le big data utilisé à des fins d’analyse prévisionnelle permet effectivement une amélioration de la vie des citoyens mais la course après le temps, bien que séduisante, n’est pas une fin en soi.</p>
<p>Dans les éco-quartiers ou dans les smart cities, de nombreux outils d’entraide et de simplification des tâches quotidiennes sont développés pourtant ce n’est pas seulement ce qui fera qu’un individu se sent bien dans la ville. Il faut poser une dimension essentielle à la ville connectée : est-ce que la ville est développée pour l’humain, est-elle au service de l’humain ou l’humain est-il au service du marketing, de la commercialisation et de la technologie ?</p>
<p>Les technologies sont une révolution mais elles peuvent aussi asservir l’individu le rendre esclave de l’intelligence artificielle, et au service de quoi et de qui ? Du « marché » ? Il faut absolument se recentrer sur l’humain qui lui, fait ville.</p>
<p><strong>V.M. : Pour vous, il faut donc penser (repenser) la ville. <a href="https://www.amazon.fr/PENSER-VILLE-Pierre-Ansay/dp/2871430659">Pierre Ansay</a> interprète la ville comme l’empire des bureaucraties privées et de l’état, il fait une critique de la ville qui serait sous le joug d’une certaine forme de capitalisme avec des contrats juteux mais dans laquelle l’humain et la démocratie seraient oubliés. La smart city ne serait-elle qu’une juxtaposition « d’appli » qui ne communiqueraient pas entre elles, une ville hyper-connectée mais qui a oublié la cité et son agora ?</strong></p>
<p>B.M. : La ville est pensée en silos sur fond de financiarisation de la ville. Dans la construction, la commande publique est de plus en plus transférée à la commande privée. Une lourde tendance qui concerne environ 80 % des logements et des immeubles tertiaires. Les immeubles de logements et de bureaux se transforment en produits financiers dont les investissements sont beaucoup plus rentables que des placements classiques. Cela positionne souvent la qualité architecturale et les besoins des individus au second plan.</p>
<p>La smart city est souvent mise en avant par des groupes industriels, des investisseurs et des promoteurs. Mais il faut que l’économie et la finance servent la ville et ses habitants, pas l’inverse. Un développement « raisonné » et équilibré est indispensable.</p>
<p>De très belles villes se sont construites comme cela. New York en est un exemple mais la population n’y reste que quelques années. Il ne faut pas que la smart city soit seulement un vernis qui permet de vendre mieux et plus cher : conciergerie partagée, sécurité renforcée, chauffage à distance, consommation d’énergie, partage des places de parking…</p>
<p>La ville sera réellement « intelligente » par exemple quand elle sera capable d’abriter tous ceux qui sont dehors, dans la rue…</p>
<p>On pense au « vivre bien » mais il faut penser au « se sentir bien ». Il faut élargir la réflexion et faire parler aussi les émotions et le besoin de cité, polis, d’agora- de ville collective autant que de ville connectée.</p>
<p><strong>V.M. : La mondialisation ayant frappé de plein fouet les villes avec la standardisation des centres commerciaux et des marques, et cela, même dans les pays les moins développés, les smart cities ne vont-elles pas pousser l’uniformisation au stade supérieur ? Pour vous, est-ce qu’il y a une smart city ou des smart cities ?</strong></p>
<p>B.M. : Construire une ville de toutes pièces, une smart city est un défi complexe, la ville de Songdo, est un bon exemple ; smart city par excellence, mais insuffisamment humaine, ses fondateurs n’arrivent pas à la « vendre ».</p>
<p>L’humain, la lumière, l’environnement, les animaux participent au fait que l’on se sent bien dans une ville. Pour l’habiter, la visiter, la vivre, la ville doit faire sens.</p>
<p>Les villes ultra-connectées uniformisent et par conséquent appauvrissent la richesse culturelle et l’identité culturelle. Si la ville doit être « smart » il faut y conserver sa diversité. La smart city est une évolution « naturelle » des techniques, mais la technologie ne doit pas effacer toutes les différences.</p>
<p><strong>V.M. : André Branzi parle de <a href="https://www.amazon.fr/No-Stop-City-Archizoom-Andrea-Branzi/dp/2910385396">« coexistence planétaire »</a> entre toutes les entités technologique, animale, humaine… Mais finalement, est-ce que la ville du futur, ne serait pas une ville sans ville ! ?</strong></p>
<p>B.M. : Il ne faut pas tout jeter en bloc mais il faut être prudent. Par exemple, le développement durable instauré dans certaines villes est nécessaire. La ville doit muter, se régénérer, on peut la comparer à un organisme vivant, qui évolue, se sépare en plusieurs cellules et se reforme différemment. Il faut réparer l’organisme qui souffre.</p>
<p>En fait, la smart city devrait être une « human city », on aurait une vraie révolution paradigmatique. Par exemple, l’intelligence de la ville serait de déplacer un arrêt de bus trop éloigné, et de le positionner en bas d’une résidence de personnes âgées. On faciliterait la vie des gens parce qu’on construirait la ville pour les gens, penser l’humain au cœur des problématiques.</p>
<p><strong>V.M. : En quoi votre architecture, Brigitte Métra, peut-elle apporter à la Human City ?</strong></p>
<p>À chacun des projets, je prends en compte la ville en tant que matériau, l’environnement dans lequel s’insère le projet, je porte un regard sur le passant, sur l’utilisateur selon le rôle du bâtiment et de chaque pièce. Mon objectif est de créer un dialogue entre ce qui existe et celui qui se promène ou qui le vit.</p>
<p>La ville a une personnalité et les façades sont comme une peau qui parle, la matière doit être vivante, les formes et les couleurs racontent une histoire, la lumière qui entre de l’extérieur vers l’intérieur doit être en osmose avec la fonction de la pièce, je mets un point d’honneur à me mettre à la place de l’humain.</p>
<p>Pour la Philharmonie de Paris, j’étais à la place du musicien, du chef d’orchestre et du public. Chaque spectateur devait voir, se sentir bien et sentir la musique. Chaque musicien doit entendre et sentir la musique, le public. Chaque individu doit se sentir en osmose. À Nantes aussi, je me suis mise à la place de l’habitant, j’ai pris en compte la nature environnante.</p>
<p>Pour le projet de Paris Pyrénées dans le XX<sup>e</sup> arrondissement, l’objectif était pour le centre-bus d’apporter à l’agent de la RATP de la lumière naturelle en sous-sol. J’ai donc imaginé une dalle qui fasse pénétrer la lumière et soit agréable pour ceux du dessus : un jardin partagé et un microcosme végétalisé. Aussi ce havre de paix intérieur répond à la façade urbaine dynamique et vivante, écho de la ville.</p>
<p><strong>V.M. : Alors plus qu’une <em>human city</em>, on peut parler d’une <em>well-being city</em> ? La ville du futur doit être une ville où le bien-être et l’épanouissement dans la ville sont au centre ?</strong></p>
<p>B.M. : Le bien-être est un terme peut-être trop galvaudé, mais on peut parler d’une <em>light city</em> qui ne s’impose pas à l’individu, elle est légère, lumineuse, fluide, respectueuse. Un espace que l’on intègre sans être opprimé.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/87472/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Virginie Martin est présidente du Think Tank Different, auteure de « Ce monde qui nous échappe » (Éd. de l’Aube, 2015)</span></em></p>Que sera la ville du futur ? Réponse d’une architecte. Une ville dite « smart » devrait répondre aux enjeux autour du « bien vivre ».Virginie Martin, Docteure sciences politiques, HDR sciences de gestion, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/791602017-06-14T20:30:18Z2017-06-14T20:30:18ZInégalités : non, les jeunes générations n’ont pas été « sacrifiées »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/172988/original/file-20170608-32301-1cv7odx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/download/success?src=O7ioWonGgJHhx7kYb9eAiw-7-88">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Les inégalités entre les générations reviennent en force dans le débat public. Les nombreux essais sur le sujet, qui rencontrent d’ailleurs un large public, mettent habituellement en avant l’avantage particulier dont aurait bénéficié la génération du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Baby_boom">baby-boom d’après-guerre</a>, parfois même aux dépens des générations suivantes.</p>
<p>Selon les auteurs de ces essais, le niveau de vie confortable des baby-boomers aurait pour conséquence la baisse du niveau de vie des générations suivantes, que certains n’hésitent plus à qualifier de « sacrifiées ». Parmi les plus virulents, on compte notamment <a href="https://mitpress.mit.edu/books/clash-generations">Laurence Kotlikoff et Scott Burns</a> qui n’hésitent pas à accuser les baby-boomers d’avoir perpétré une « maltraitance fiscale » à l’égard de leurs enfants.</p>
<p>On leur reproche pêle-mêle une conjoncture économique favorable, avec une inflation et un taux de chômage opportunément en adéquation avec leurs besoins spécifiques de leur cycle de vie, et une gestion des comptes sociaux centrée sur les seuls intérêts de leur génération. Le succès médiatique de ces thèses s’illustre, par exemple, sur le site Internet du <em>Guardian</em> qui <a href="https://www.theguardian.com/world/ng-interactive/2016/mar/07/whos-winning-find-out-how-your-income-compares-with-every-other-generation">propose une visualisation</a> en ligne de la perte relative de revenu des jeunes générations.</p>
<h2>Comparaison n’est pas raison</h2>
<p>La comparaison entre les générations est pourtant un exercice délicat car il est difficile de mettre sur le même plan des vies qui ont eu lieu à des époques différentes. Et, même lorsque l’on se restreint aux dimensions économiques, telles que mesurées par le niveau de vie, on est confronté au simple fait qu’il évolue au cours de la vie.</p>
<p>Comparer, à un moment donné, le niveau de vie de personnes d’âges différents n’est donc pas nécessairement pertinent. L’enjeu est alors de reconstituer, pour chaque génération, l’évolution de leur niveau de vie et ensuite de les comparer. La difficulté du projet est qu’il n’existe pas en France de bases de données en panels qui renseigneraient le niveau de vie des individus de plusieurs générations tout au long de leur vie.</p>
<p>Dans la pratique, on ne dispose d’informations que sur des individus différents d’une enquête à l’autre et qui décrivent les comportements de différentes générations à des moments différents de leur cycle de vie. Ces informations collectées par l’Insee dans le cadre de ses enquêtes « Budget de famille » sont néanmoins extrêmement riches.</p>
<p>Dans le cadre du <a href="https://www.insee.fr/en/statistiques/2647426?sommaire=2647465">projet des Comptes de transferts nationaux</a>, qui vise à produire une comptabilité nationale par âge, l’équipe française propose un ensemble de statistiques directement utilisables pour comparer les générations.</p>
<h2>Pour une analyse générationnelle des revenus</h2>
<p><a href="http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2212828X14000292">Dans un article récent</a>, nous avons ainsi analysé la déformation dans le temps de la distribution par âge des revenus du travail. Le graphique ci-dessous, tiré de notre article, montre que le mode de la distribution, c’est-à-dire l’âge auquel les revenus sont les plus élevés, augmente dans les différentes vagues de l’enquête « Budget de famille ». Ceci illustre l’avantage que les plus âgés des salariés ont acquis au cours du temps. Il serait cependant hasardeux de s’arrêter à une telle analyse et d’en conclure que les jeunes générations ont été « sacrifiées ».</p>
<p>Il est, tout d’abord, réducteur de s’arrêter aux seuls revenus du travail pour mesurer le niveau de vie. Il s’agit, ensuite, de dépasser les simples statistiques descriptives et de proposer une véritable analyse générationnelle des revenus.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/173237/original/file-20170610-4774-15iajy4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/173237/original/file-20170610-4774-15iajy4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=489&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/173237/original/file-20170610-4774-15iajy4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=489&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/173237/original/file-20170610-4774-15iajy4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=489&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/173237/original/file-20170610-4774-15iajy4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=615&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/173237/original/file-20170610-4774-15iajy4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=615&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/173237/original/file-20170610-4774-15iajy4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=615&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">En France, les revenus du travail moyens à l’âge de 40 ans sont passés de 30 281 euros en 1979 à 38 690 euros en 2011 (en euros constants de 2011).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Enquêtes Insee Budget de Famille 1979, 1989, 2000, 2011 et données de la statistique publique (calculs des auteurs)</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p><a href="https://www.insee.fr/en/statistiques/2647430?sommaire=2647465">Dans un article</a> rédigé cette année avec Ikpidi Badji, nous utilisons les sept vagues de l’enquête « Budget de famille » de l’Insee réalisées entre 1979 et 2011 afin de reconstituer le niveau de vie de toutes les générations nées entre 1901 et 1979.</p>
<p>Le niveau de vie des ménages est apprécié avec le revenu disponible ou la consommation privée par unité de consommation, en incluant ou non les dépenses de logement et les loyers implicites. Nous utilisons une stratégie économétrique reposant sur les modèles âge-période-cohorte afin d’isoler la part du niveau de vie qui relève de la cohorte de naissance et de la distinguer de ce qui relève de l’âge de la personne. Ces modèles comportent des biais bien connus, que nous traitons de diverses façons.</p>
<h2>Ce que disent les chiffres</h2>
<p>Nous mettons en évidence deux principaux résultats. Tout d’abord, le niveau de vie augmente fortement avec l’âge, de 25 à 64 ans. Par exemple, la consommation des 50-54 ans est supérieure de 35 % à celle des 25-29 ans. À partir de 65 ans, l’évolution dépend de l’indicateur de niveau de vie considéré.</p>
<p>Par ailleurs, le niveau de vie des générations du baby-boom est supérieur à celui des générations nées avant-guerre mais inférieur ou égal à celui des générations qui les suivent. Par exemple, la consommation de la cohorte née en 1946 est de 40 % supérieure à celle de la cohorte née en 1926 mais de 20 % inférieure à celle de la cohorte née en 1976. Le graphique ci-dessous reproduit la très forte augmentation de la consommation dont ont bénéficié les cohortes nées depuis le début du XX<sup>e</sup> siècle.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/173238/original/file-20170610-21746-1665k09.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/173238/original/file-20170610-21746-1665k09.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=392&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/173238/original/file-20170610-21746-1665k09.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=392&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/173238/original/file-20170610-21746-1665k09.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=392&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/173238/original/file-20170610-21746-1665k09.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=492&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/173238/original/file-20170610-21746-1665k09.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=492&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/173238/original/file-20170610-21746-1665k09.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=492&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le niveau de vie est apprécié par la consommation privée divisée par le nombre d’unités de consommation. L’unité de consommation est définie avec l’échelle dite de l’OCDE modifiée. Les variables sont normalisées à 1 pour la cohorte 1946. Les courbes en pointillés délimitent les intervalles de confiance à 95 %.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Insee-Enquêtes BdF 1979, 1984, 1989, 1995, 2000, 2005, 2010 (calculs des auteurs)</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ainsi, si l’on prend l’ensemble des cohortes nées entre 1901 et 1979, aucune génération n’a été désavantagée par rapport à ses aînées. La discussion de ces résultats à partir de méthodes alternatives révèle l’importance de la croissance économique dans l’élévation du niveau de vie des générations et confirme qu’aucune génération n’a eu une consommation inférieure à celle des générations qui l’ont précédé. Tous les données et programmes utilisés sont disponibles en ligne sur le site de réplication des résultats scientifiques <a href="http://www.runmycode.org">runmycode.org</a>.</p>
<p>Nos résultats s’expliquent par la forte augmentation du revenu moyen depuis la Seconde Guerre mondiale. Certes, la croissance est moins forte que pendant les Trente Glorieuses, mais elle n’en reste pas moins presque toujours positive et l’on compte sur les doigts d’une main les années où les revenus ont augmenté moins vite que la population.</p>
<p>Nos résultats sont par ailleurs cohérents avec <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/2647436?sommaire=2647454">ceux de Marine Guillerm</a> qui montre que le patrimoine des baby-boomers n’est pas supérieur à celui des générations qui les ont suivies. Ils le sont également <a href="http://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/note_danalyse_n37_-_12.01_bat.pdf">avec ceux d’une étude</a> que nous avions réalisée l’an dernier avec Pierre-Yves Cusset et Julien Navaux pour France Stratégie, où nous trouvions que les dépenses moyennes de protection sociale destinées aux jeunes étaient restées constantes depuis la fin des années 1970.</p>
<h2>Explorer les inégalités au sein des générations</h2>
<p>Notre travail peut être complété en explorant deux directions.</p>
<p>La première est prospective. Un argument souvent avancé dans les débats sur les questions générationnelles consiste à dire que le système de protection sociale, notamment dans ses composantes d’assurance vieillesse et maladie qui sont essentiellement destinées aux plus âgés, n’est pas soutenable. Il est évident qu’une baisse de ces transferts pourrait à l’avenir remettre en cause le niveau de vie estimé des générations nées depuis les années 1970. De façon similaire, la hausse de la dette publique ou l’ensemble des facteurs ayant conduit durablement à une faible croissance peuvent également compromettre leur niveau de vie.</p>
<p>Une seconde direction de recherche repose sur les inégalités au sein des générations. Il est possible que l’évolution des inégalités ait été hétérogène entre les générations. Si un accroissement des inégalités au sein de la jeunesse d’aujourd’hui était avéré, cela pourrait constituer une piste d’explication du malaise qu’elle exprime parfois.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/79160/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hippolyte d’Albis a reçu des financements de l’ANR et de l’ERC. </span></em></p>Contrairement à une idée répandue, les baby-boomers n’ont pas bénéficié d’avantages particuliers aux dépens des générations suivantes. La preuve avec cette analyse générationnelle des revenus.Hippolyte d’Albis, Professeur, Paris School of Economics – École d'économie de ParisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/686242016-11-10T14:47:02Z2016-11-10T14:47:02ZProfs : les clichés ont la vie dure<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/145443/original/image-20161110-25077-10n5ph7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le film « Les Profs », de Pierre-François Martin-Laval (2013) a fait rire plus de 4 millions de téléspectateurs. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://medias.unifrance.org/medias/128/122/96896/format_page/serial-teachers.jpg">Antoine Borel</a></span></figcaption></figure><p>Parmi les métiers les plus décriés, on rencontre : les huissiers, l’inspecteur des impôts, le contrôleur URSSAF, votre DRH, les profs…</p>
<p>Sous la <a href="http://www.le-temps-des-instituteurs.fr/histoire.html">Troisième république</a>, sous l’autorité du préfet et du recteur l’instituteur est une personnalité respectée du village. Ensuite, le professeur devient une des figures de la société civile respectée, représentant de l’autorité.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/144222/original/image-20161102-27215-1q4wlkm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/144222/original/image-20161102-27215-1q4wlkm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=468&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/144222/original/image-20161102-27215-1q4wlkm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=468&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/144222/original/image-20161102-27215-1q4wlkm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=468&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/144222/original/image-20161102-27215-1q4wlkm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=588&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/144222/original/image-20161102-27215-1q4wlkm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=588&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/144222/original/image-20161102-27215-1q4wlkm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=588&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La figure de l’enseignant vue par Honoré Daumier (Professeurs et Moutards, no. 7, 1845).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/f/f9/Comme_quoi_la_gymnastique_forme_les_membres..._LACMA_54.71.112.jpg">Honoré Daumier</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cette image a évolué après les <a href="https://ress.revues.org/884">événements de mai 68</a>.
Les générations actuelles n’ayant plus le même rapport à l’autorité, l’image des enseignants s’est <a href="http://www.lemonde.fr/education/article/2011/06/08/la-degradation-de-l-image-de-l-enseignant-n-a-jamais-ete-aussi-forte_1533447_1473685.html">progressivement dégradée</a>.</p>
<p>Et oui, les enseignants sont souvent <a href="http://tempsreel.nouvelobs.com/education/20130313.OBS1726/enquete-les-couteux-privileges-des-profs-parisiens.html">considérés comme des privilégiés</a> : temps de travail, vacances, sécurité de l’emploi, couverture sociale généreuse, système de retraite spécial, mutations aisées. Nous traiterons ici principalement des enseignants titulaires de l’enseignement supérieur public.</p>
<p>Une légende urbaine raconte que :</p>
<ul>
<li><p>Les enseignants seraient vêtus de <a href="https://leblogdegui.net/2010/01/26/mon-metier-de-prof-et-ses-stereotypes-vestimentaires/">pantalons en velours côtelé</a> et ils porteraient des <a href="http://www.vice.com/fr/read/le-tissu-selon-l-education-nationale-v6n3">sandales avec des chaussettes</a></p></li>
<li><p>Ils seraient grassement payés pour rejoindre les banlieues difficiles.</p></li>
<li><p>Ils passeraient leur vie en vacances (au camping certes, mais en vacances).</p></li>
<li><p>Ils travailleraient 15 heures par semaine.</p></li>
<li><p>Leur couverture sociale serait meilleure que dans le privé (La MGEN financerait généreusement les cures thermales).</p></li>
<li><p>Leur système de retraite serait extrêmement favorable (ils partiraient tous à 55 ans).</p></li>
<li><p>Ils seraient mutés où ils veulent.</p></li>
<li><p>Ils seraient tous abonnés à Télérama.</p></li>
</ul>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/143656/original/image-20161028-15788-1qjxkwy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/143656/original/image-20161028-15788-1qjxkwy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=772&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/143656/original/image-20161028-15788-1qjxkwy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=772&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/143656/original/image-20161028-15788-1qjxkwy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=772&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/143656/original/image-20161028-15788-1qjxkwy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=971&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/143656/original/image-20161028-15788-1qjxkwy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=971&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/143656/original/image-20161028-15788-1qjxkwy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=971&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">George Clooney, nouveau modèle vestimentaire des enseignants ?</span>
<span class="attribution"><a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Toute légende urbaine méritant vérification, essayons de faire le point sur ces idées fausses :</p>
<ul>
<li><p>Non les profs ne sont pas toujours habillés comme des bûcherons. La nouvelle tenue des profs à la rentrée 2017 pourrait d’ailleurs très bien être celle de George Clooney non ?</p></li>
<li><p>Les primes versées pour un poste en REP (ex ZEP) vont de <a href="https://www.versailles.snes.edu/spip.php?article3697">144 à 192 euros bruts</a> par mois environ. Pas de quoi manger du caviar à tous les repas.</p></li>
<li><p>Selon une <a href="http://blog.francetvinfo.fr/l-instit-humeurs/2012/12/10/la-duree-legale-de-conge-annuel-des-profs-est-de-5-semaines.html">enquête Insee de 2009</a>, en moyenne, les enseignants déclarent travailler pendant les congés : 20 jours dans le primaire et 18 jours dans le secondaire, dont environ la moitié pendant les vacances d’été.
Les enseignants mettent également à profit les grandes vacances pour préparer la rentrée, réfléchir à un projet pédagogique ou compléter leur formation.</p></li>
<li><p>Le temps de travail d’un enseignant du secondaire est de 15 heures par semaine pour un agrégé et 18 heures pour un certifié. Dans l’enseignement supérieur un agrégé (statut PRAG) effectue un service de 384 heures équivalent TD et un maître de conférences 192 heures équivalent TD. Ce <a href="http://www.lemonde.fr/politique/article/2012/11/16/temps-de-travail-des-enseignants-derriere-les-fantasmes_1791478_823448.html">service</a> inclut la préparation des cours, la correction des copies, encadrement de mémoires et de rapports de stage, participation aux réunions pédagogiques.</p></li>
<li><p>La MGEN, sécurité sociale pour les enseignants du secteur public propose une complémentaire santé qui coûte entre 1,69 et 3,18 % du de la base brute fiscale. </p></li>
<li><p>Pour les enseignants, la réforme des retraites est en marche comme pour d’autres professions !</p></li>
<li><p>Concernant les mutations, le <a href="http://www.education.gouv.fr/pid62/mutation-des-personnels-enseignants-du-second-degre-siam-phase-interacademique.html">fonctionnement</a>dans l’enseignement supérieur public est complexe et consiste à <a href="http://www.sgen-cfdt-champagne-ardenne.fr/calcul-de-son-bareme-inter-academique.htm">cumuler</a> un maximum de points.</p></li>
</ul>
<p>Enfin, les <a href="http://www.lemonde.fr/campus/article/2016/10/11/en-seine-saint-denis-le-sacerdoce-des-professeurs-stagiaires_5011584_4401467.html">néo-titulaires</a> ne bénéficient pas des points liés à l’ancienneté et pâtissent de mutations subies. Heureusement, pour les plus chanceux le rapprochement de conjoint permet de cumuler 150 points.</p>
<h2>Le problème des doubles carrières pour les enseignants</h2>
<p>Ce système de mutation questionne alors la <a href="http://www.emploi-pro.fr/edito/article/gerer-un-couple-a-double-carriere-aea-5987">problématique des doubles carrières</a>. En effet, les enseignants en couple doivent gérer simultanément deux évolutions professionnelles. Cette progression doit se faire en accord avec l’autre. Quand les femmes étaient au foyer, ce problème sociologique n’avait pas émergé. Désormais, un couple bi-actif est confronté à la question de la mutation : soit elle est utile pour obtenir un « rapprochement de conjoint », soit elle devient contraignante car la mutation de l’enseignant remet en question la carrière du conjoint.</p>
<p>Plusieurs situations apparaissent :</p>
<ul>
<li><p>Le conjoint est salarié du privé : la démission pour suivi de conjoint ouvre droit à une inscription à pôle emploi et une indemnisation.</p></li>
<li><p>Le conjoint est fonctionnaire : il demande une mise en disponibilité ou une mobilité</p></li>
<li><p>Le conjoint est enseignant également mais dans le privé et là ça commence à se corser : il faut donc trouver deux postes d’enseignants au même endroit.</p></li>
</ul>
<p>Bon nombre d’enseignants ont été confrontés à ce problème qui reste un frein au développement des carrières et au recrutement des profs. En 2015, 34 602 demandes de mutation ont été formulées pour la phase interacadémique du mouvement, dont un peu plus d’un tiers motivées pour rapprochement de conjoints. Près de 86,6 % des enseignants ayant demandé une mutation au titre du rapprochement de conjoints l’<a href="http://www.education.gouv.fr/cid4175/rapprochement-de-conjoints.html">ont obtenue</a>. Les demandes de mutations sont effectuées sur le site I-prof. Le SNES fournit <a href="http://v2.sgenplus.cfdt.fr/?q=Statistiques_departementales_mouvement_1d">des statistiques</a> qui laissent entrevoir que toutes les demandes ne sont pas satisfaites.</p>
<p>Que l’on soit titulaire de l’éducation nationale, à l’université ou professeur permanent dans une école sous statut privé, se pose le problème de la localisation géographique du poste. De cette localisation dépend la nature des missions mais aussi la carrière du conjoint. Le phénomène de la double carrière est donc un élément à prendre en compte pour recruter et fidéliser les enseignants.</p>
<p>Les enseignants sont alors confrontés à des choix personnels et professionnels liés à leurs mutations successives.</p>
<p>Pour l’abonnement à Télérama, aucune étude ne nous a permis de remettre en question la légende urbaine.</p>
<p>Alors, pas sûr que la vie des profs soit celle que l’on imagine !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/68624/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Au-delà des légendes urbaines et des clichés, comment vivent vraiment les enseignants du supérieur ?Caroline Diard, Enseignant-Chercheur en Management des Ressources Humaines, EM NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.