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photographie – The Conversation
2024-03-27T14:06:07Z
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2024-03-27T14:06:07Z
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Photographier l’éclipse solaire, un rappel du sentiment de faire partie de quelque chose de plus grand que nous
<p>Si vous faites partie des <a href="https://www.quebecscience.qc.ca/espace/eclipse-solaire-2024/#:%7E:text=L%E2%80%99%C3%A9clipse%20solaire%20totale%20de,totale%20%C3%A0%20Montr%C3%A9al%20depuis%201932.">millions de personnes qui souhaitent voir</a> l’éclipse solaire totale du 8 avril, il y a de fortes chances que vous preniez des photos de votre expérience. </p>
<p>Et, comme beaucoup d’autres avant vous, vous trouverez peut-être que ces photos ne sont pas à la hauteur de vos attentes, de vos expériences et de vos souvenirs de l’éclipse.</p>
<p>Nous vous proposons quelques conseils techniques pour la photographie d’éclipses. Nous nous demandons aussi pourquoi nous sommes si nombreux à vouloir photographier ce type de moments collectifs d’émerveillement et d’étonnement, en réfléchissant au contexte plus large de la culture visuelle autour des éclipses solaires à travers l’histoire.</p>
<h2>Défis techniques et sécuritaires</h2>
<p>Photographier une éclipse solaire présente quelques <a href="https://www.youtube.com/watch?v=dClhdu0oyWM">défis techniques et de sécurité</a>. Vous pouvez vous préparer, notamment en vous assurant que votre appareil photo (<a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2058820/eclipse-solaire-photographie-protection">même les téléphones intelligents !</a>) est équipé d’un filtre solaire. Il est également important de vous familiariser avec votre appareil photo et de vous entraîner à l’utiliser dans différentes conditions de luminosité avant l’éclipse. </p>
<p>Les changements de qualité de la lumière seront rapides et drastiques, c’est pourquoi il sera important de se familiariser avec l’ouverture et la vitesse d’obturation le jour J. Un trépied permet de réduire le flou lorsqu’une exposition plus longue est nécessaire. S’il y a des nuages, il est toujours important d’être prudent et de porter des lunettes de protection. La capacité à capturer une image dépendra de l’étendue de la couverture nuageuse. L’expérience visuelle sera différente, mais le ciel s’assombrira toujours, créant des changements dans la couleur et la façon dont la lumière passe à travers les nuages. </p>
<p>Il existe également des façons plus créatives d’envisager la capture de l’expérience, notamment la <a href="https://www.asc-csa.gc.ca/fra/jeunes-educateurs/activites/experiences-amusantes/projecteur-eclipse.asp">fabrication d’un projecteur à sténopé</a>. </p>
<p>Ce dispositif simple peut être fabriqué à partir d’une boîte en carton et permet à la fois de regarder en toute sécurité et d’obtenir des images intéressantes.</p>
<h2>Premières photographies d’éclipses</h2>
<p>Si vos photographies ne sont pas conformes à vos attentes, vous n’êtes pas seuls. En 1842, le physicien italien <a href="https://hyperallergic.com/392269/the-first-photographs-of-a-solar-eclipse/">Gian Alessandro Majocchi a tenté de photographier</a> l’éclipse solaire totale qui a eu lieu en juillet de cette année-là. Les documents qui subsistent indiquent qu’il n’a eu qu’un succès partiel : les images de son daguerréotype — une des premières techniques de photographie inventées par Louis-Jacques-Mandé Daguerre en 1839, c <a href="https://www.loc.gov/collections/daguerreotypes/articles-and-essays/the-daguerreotype-medium/#">onsistant à traiter une plaque de cuivre recouverte d’argent avec des produits chimiques sensibles à la lumière</a> — sont perdues.</p>
<p>Majocchi a pu prendre quelques photos <a href="https://babel.hathitrust.org/cgi/pt?id=hvd.fl1241&view=1up&seq=265">avant et après</a> les moments de <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2052917/eclipse-totale-soleil-avril-canada-quebec-montreal">l’éclipse totale</a>.</p>
<h2>Un rappel des sentiments d’émerveillement et de partage</h2>
<p>Au-delà des aspects techniques, une photographie réussie de l’éclipse constitue un rappel durable des sentiments d’émerveillement et de faire partie de quelque chose de plus grand que nous. </p>
<p>C’est le genre d’événement qui rassemble les gens. L’expérience partagée se poursuit longtemps après la fin de l’éclipse grâce aux photographies qui servent de marqueurs de mémoire et de preuve tangible que vous étiez là pour assister à l’éclipse. Et même si beaucoup d’entre nous finissent par avoir des photos similaires, il y a quelque chose de significatif dans le fait qu’autant de personnes prennent des photos du même événement.</p>
<p>Par exemple, <a href="https://psycnet.apa.org/record/2016-27715-001">prendre des photos d’événements peut augmenter le plaisir que l’on en retire</a>, comme l’ont montré les recherches conduites par Kristin Diehl, professeure de marketing, et ses collègues. </p>
<p>La photographie nous permet de conserver des souvenirs, de les partager avec d’autres et de revivre ces moments à l’avenir. Ce qui fait qu’une image se distingue des millions d’autres partagées chaque jour sur les médias sociaux tient souvent à une combinaison de facteurs : son impact visuel, l’histoire qu’elle raconte et la résonance émotionnelle qu’elle peut susciter chez les personnes qui la regardent. En d’autres termes, une grande partie de ce que nous partageons concerne l’expérience au sens large.</p>
<h2>Une preuve d’une expérience vécue et une connexion dans le temps</h2>
<p>Les photographies répondent également depuis longtemps à un besoin profond de preuve de l’expérience vécue — « nous y étions ». Qu’il s’agisse d’une image floue de la <em>Joconde</em> prise par un téléphone portable ou d’un cliché de l’éclipse, ces images servent de rappels tangibles de nos expériences. Elles valident nos souvenirs, ancrent les histoires que nous racontons et nous permettent de partager ces moments avec d’autres. </p>
<p>Regarder des images de personnes observant une <a href="https://www.atlasobscura.com/articles/century-eclipse-watching-photos">éclipse à d’autres époques peut également offrir un sentiment partagé de connexion à travers le temps</a>. Il s’agit d’un phénomène qui nous dépasse et ces images nous relient aux expériences des générations précédentes. </p>
<p>Les photographies scientifiques d’une éclipse, comme celles que <a href="https://siarchives.si.edu/collections/siris_arc_308088">Thomas Smillie</a> a réalisées pour le Smithsonian en 1900, ont pu être saluées comme des <a href="https://siarchives.si.edu/blog/smillie-and-1900-eclipse">avancées technologiques</a>. Pourtant, les <a href="https://www.atlasobscura.com/articles/century-eclipse-watching-photos">photographies de personnes rassemblées, qui s’arrêtent un instant et regardent le ciel</a> ont quelque chose de particulièrement fascinant.</p>
<h2>Les photographies donnent des indications partielles</h2>
<p>Un <a href="https://hyperallergic.com/392269/the-first-photographs-of-a-solar-eclipse/">daguerréotype d’une éclipse solaire pris le 28 juillet 1851 est la première photographie réussie connue de la couronne solaire</a>. Cette image a été réalisée à l’Observatoire royal prussien de Königsberg (aujourd’hui Kaliningrad, en Russie) par Johann Julius Friedrich Berkowski à l’aide d’un télescope. <a href="https://www.space.com/37656-first-total-solar-eclipse-photo-ever.html">L’exposition de 84 secondes a permis de capturer l’instant de manière particulièrement détaillée</a>.</p>
<p>En 1890, le <a href="https://babel.hathitrust.org/cgi/pt?id=hvd.fl1241&view=1up&seq=265"><em>American Journal of Photography</em> écrivait</a> : « la photographie n’a probablement pas été aussi utile dans aucun autre domaine scientifique, et certainement dans aucune branche de la science astronomique, que dans l’étude des éclipses solaires ».</p>
<p>Comme le notent les rédacteurs, la photographie peut certainement façonner notre compréhension du monde, contribuer à créer de nouvelles connaissances et fournir des indications précieuses sur la nature de l’univers. </p>
<p>Mais il y a aussi une limite à ce que la photographie peut faire. L’expérience d’une éclipse solaire va au-delà du visible : les <a href="https://www.scientifique-en-chef.gouv.qc.ca/impact-recherche/5-vrais-ou-faux-sur-leclipse-totale/">températures chutent</a>, le <a href="https://www.scientifique-en-chef.gouv.qc.ca/impact-recherche/des-animaux-sont-perturbes-par-une-eclipse-solaire-vrai/">comportement des animaux non humains peut soudainement changer</a> et de nombreuses personnes font état de <a href="https://www.cbc.ca/player/play/1.7149511">réactions émotionnelles ou spirituelles inattendues</a>.</p>
<h2>De nombreuses réponses visuelles et artistiques</h2>
<p>En outre, il existe une longue tradition d’enregistrement des éclipses sur <a href="https://doi.org/10.1038/508314a">différents supports visuels</a>. Par exemple, la <a href="https://doi.org/10.1017/S1743921314004621">dynastie Shang en Chine fournit un enregistrement visuel des éclipses solaires</a> par le biais d’une écriture ancienne gravée <a href="https://asia-archive.si.edu/learn/chinas-calligraphic-arts/oracle-bone-script">sur des os d’oracle</a>.</p>
<p><a href="https://smarthistory.org/peter-paul-rubens-elevation-of-the-cross/">Un tableau de 1610 de Peter Paul Rubens, intitulé « L’élévation de la croix »</a>, illustre la longue et complexe histoire des liens entre des phénomènes tels que les éclipses et les croyances religieuses. Au début du XX<sup>e</sup> siècle, le peintre américain Howard Russell Butler a réalisé une série de peintures dans lesquelles il se concentrait sur les <a href="https://hyperallergic.com/393623/howard-russell-butler-eclipse-paintings/">aspects de l’éclipse qu’il était difficile de saisir avec la photographie en noir et blanc — la qualité changeante de la lumière et des couleurs du ciel</a>. </p>
<p>La <a href="https://artmuseum.princeton.edu/transient-effects/eclipses-art/blackstar">vidéo accompagnant <em>Black Star</em> de David Bowie</a> (2016) s’ouvre sur une éclipse solaire totale.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/kszLwBaC4Sw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Vidéo de la chanson « Black Star » de David Bowie.</span></figcaption>
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<p>Il s’agit d’une imagerie visuelle évocatrice, qui complète les thèmes de la chanson relatifs à la mortalité, tout en faisant un clin d’œil aux interprétations anciennes de l’éclipse, comme symbole d’un malheur imminent. Ce symbolisme était d’autant plus poignant qu’il s’agissait du titre du dernier album studio de Bowie.</p>
<p>Ces types de réponses artistiques aux événements célestes mettent en avant l’interprétation personnelle et les réactions émotionnelles qu’ils suscitent. Elles mettent également en évidence et reflètent les significations sociales, culturelles et spirituelles associées à une éclipse solaire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/226702/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Keri Cronin a déjà reçu des fonds du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Amy Friend ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Au-delà des aspects techniques, une photographie réussie de l’éclipse constitue un rappel durable de l’émerveillement et du sentiment de faire partie de quelque chose de plus grand que nous.
Amy Friend, Associate professor, Visual Arts Department, Brock University
Keri Cronin, Professor, History of Art & Visual Culture, Brock University
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/225121
2024-03-24T17:50:00Z
2024-03-24T17:50:00Z
Comment les artistes queers se réapproprient leur image
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/583268/original/file-20240320-30-ltxkk7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=30%2C0%2C2014%2C1361&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Exposition Zanele Muholi à Glasgow : Somnyama Ngonyama, Hail, the dark lioness.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/glasgowschoolart/38562156676">Flickr / Alan McAteer</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Si la tradition artistique contribue à la légitimation d’un <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2007-2-page-45.htm">canon</a> – un modèle unique et hégémonique du point de vue social et politique – fondé sur le modèle masculin, blanc, cisgenre, hétérosexuel, valide et de classe sociale aisée, des groupes ou des individus minoritaires n’ont pas eu historiquement les moyens matériels de se représenter et sont alors dépeints par le regard dominant.</p>
<p>Dans mon ouvrage, <a href="https://www.double-ponctuation.com/produit/art-queer-precommande/"><em>Art queer. Histoire et théorie des représentations LGBTQIA+</em></a>_ (éditions Double ponctuation, 2024), j’investis différentes perspectives pour explorer l’art <em>queer</em>, en posant notamment la question de la manière de représenter des subjectivités <em>queers</em>.</p>
<p>Le terme « queer » est une expression anglophone désignant ce qui est « étrange », « bizarre », « tordu », et <a href="http://www.editionsamsterdam.fr/la-pensee-straight-2/">s’oppose à celui de « straight »</a>, signifiant « droit » mais aussi « hétérosexuel ». Il est alors d’abord utilisé comme une insulte pour qualifier des sexualités non-hétérosexuelles au cours du XIX<sup>e</sup> siècle, avant d’être détourné de manière positive par les communautés concernées pour s’auto-qualifier, notamment avec l’émergence de groupes activistes comme <a href="https://queernationny.org/history">Queer Nation</a> dans les années 1980-1990 aux États-Unis, en pleine épidémie du sida.</p>
<p>Par son ancrage politique et social, mon travail met en évidence la réappropriation par les artistes LGBTQIA+ des images de leur propre communauté. Afin d’articuler la vie et l’expérience réelle des personnes avec l’image qui en est faite, des artistes s’emparent en particulier du format de la photographie.</p>
<h2>Travailler le passé et le présent</h2>
<p>Dans cette quête de « réparation » de la représentation des communautés <em>queers</em>, il est possible d’observer deux tendances. La première s’articule autour d’un retour sur le passé pour créer de l’archive politique, permettant à la communauté <em>queer</em> de s’identifier à des modèles. C’est le cas en particulier du travail de l’artiste libanais et <em>queer</em> <a href="https://www.mohamadabdouni.com/">Mohamad Abdouni</a> (1989-), qui vise à combler la lacune des images <em>queers</em> dans la culture libanaise.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/8gbpXBWg9f0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>La deuxième tendance vise à travailler sur le présent, comme une sorte d’archive vivante, pour faire passer les corps minorés du statut d’objet à celui de sujet – à l’instar de l’artiste sud-africain·e non-binaire <a href="https://www.mep-fr.org/event/zanele-muholi/">Zanele Muholi</a> (1972-), avec la représentation des femmes lesbiennes noires en Afrique du Sud.</p>
<p>Tout en mettant en relation les notions de <em>queer</em> et de race (voir notamment : Michele Wallace, <a href="https://www.versobooks.com/products/1316-invisibility-blues"><em>Invisibility Blues</em></a>, Londres, Verso, 1990 ; bell hooks, <a href="https://aboutabicycle.files.wordpress.com/2012/05/bell-hooks-black-looks-race-and-representation.pdf"><em>Black Looks. Race and Representation</em></a>, Boston, South End Press, 1992), ces deux artistes confèrent à leurs séries de photographies un caractère documentaire et biographique, car elles se fondent sur la vie quotidienne des protagonistes photographiés. Si Abdouni et Muholi s’inscrivent dans l’élan de réappropriation des pratiques artistiques comme ce fut le cas au début du XX<sup>e</sup> siècle (avec Romaine Brooks ou Claude Cahun par exemple), faisant passer les personnes <em>queers</em> d’une position d’objet représenté à celle de sujet représentant, ils rompent avec les stratégies expérimentées lors de la crise de l’épidémie du sida, comme celles conceptuelles de Felix Gonzalez-Torres refusant le voyeurisme et le fétichisme pour laisser place à l’interprétation subjective. Ces deux artistes se tournent donc plutôt vers la fabrique de l’archive dont l’enjeu est la visibilité.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/iJ4bPFfU6Hs?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Mohamad Abdouni réalise en 2022 une sorte de reportage photographique intitulé <em>Treat Me Like Your Mother. Trans Histories From Beirut’s Forgotten Past</em>, conservé à la Fondation arabe pour l’image, accompagné d’entretiens qui retracent les mémoires de dix femmes transgenres de Beyrouth dans les années 1980 et 1990. Abdouni raconte leurs souvenirs d’enfance, la guerre du Liban, les épisodes heureux de leurs vies et leur précarité. Il montre par exemple des images d’archives prises par des anonymes d’une femme transgenre nommée Em Abed dans des moments d’intimité : au milieu d’une fête, dans un bus, apprêtée ou sans maquillage. Commencée en 2006, la série <em>Being</em> de Muholi montre quant à elle la vie quotidienne de plusieurs couples de lesbiennes noires dans l’espace privé de la maison, posant de manière assurée, s’embrassant, se lavant, etc.</p>
<h2>Pour des récits collectifs</h2>
<p>Ces deux projets sont menés en relation étroite avec les communautés représentées : <em>Treat Me Like Your mother</em> de Mohamad Abdouni est réalisée en collaboration avec Helem, une association militante <em>queer</em> qui l’aide à rassembler des photographies, lesquelles feront également l’objet d’un numéro spécial de <a href="https://www.coldcutsonline.com/"><em>Cold Cuts</em></a>, un magazine collaboratif créé en 2017 consacré aux cultures <em>queers</em> dans la région de l’Asie du Sud-Est et de l’Afrique du Nord, dont il est rédacteur en chef. De son côté, Zanele Muholi collabore avec les membres – qui sont ses modèles – du <a href="https://inkanyiso.org/about/">collectif Inkanyiso</a> (« lumière » en isizulu, la langue natale de Muholi), lequel a fondé un média <em>queer</em> d’information et artistique créé la même année que la série.</p>
<p>L’impression de familiarité et de collectivité, renforcée pour l’un par un titre qui appelle au respect des femmes transgenres comme si elles étaient nos propres mères, et pour l’autre par une iconographie de l’espace intime, relève en fait d’un positionnement politique dans le champ de la représentation. En effet, la photographie permet ici de visibiliser sans altériser et essentialiser des récits inédits qui entrent en rupture avec les représentations canoniques, telles que celles de <a href="https://iris.unipa.it/retrieve/e3ad891a-f9e2-da0e-e053-3705fe0a2b96/0%20DE%20SPUCHES%20-%20Geotema%20Sguardi%20di%20genere%20Muholi.pdf">l’espace domestique entretenu par des femmes hétérosexuelles</a>.</p>
<h2>Changer de regard pour se (re)construire</h2>
<p>Le caractère documentaire des photographies de Mohamad Abdouni et de Zanele Muholi cherche à émanciper les membres de la communauté <em>queer</em> libanaise et sud-africaine d’un regard extérieur. Elles résistent au sensationnalisme humiliant et morbide des images banalisées dans les médias en valorisant d’autres représentations que celles produites en Occident, véhiculant une certaine représentation des sociétés non occidentales comme homophobes et transphobes. En effet, ce type de production, au plus près des personnes concernées, construit une image plus nuancée de ces sociétés, et déjoue le statut figé de victimes de violence et d’exclusion assigné aux personnes LGBTQIA+ en leur conférant une subjectivité et une agentivité.</p>
<p>Cette capacité à agir sur son environnement – en termes géographiques mais aussi politiques et sociaux – passe également par la capacité à agir sur soi-même : les personnes minoritaires sont capables de se définir, de se construire en négociation avec les rapports de domination d’un canon universel. Ce processus suscite dans l’art un changement de statut chez les artistes. Des artistes <em>queers</em> utilisent ainsi l’autoportrait photographique pour non seulement présenter un état de fait stabilisé et figé, mais aussi documenter le processus de construction de leur identité (voir le travail de Del LaGrace Volcano, notamment <em>The Drag King Book</em>, co-publié en 1999 avec Jack Halberstam).</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/581742/original/file-20240313-30-tmgvs8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/581742/original/file-20240313-30-tmgvs8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/581742/original/file-20240313-30-tmgvs8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=850&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/581742/original/file-20240313-30-tmgvs8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=850&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/581742/original/file-20240313-30-tmgvs8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=850&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/581742/original/file-20240313-30-tmgvs8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1068&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/581742/original/file-20240313-30-tmgvs8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1068&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/581742/original/file-20240313-30-tmgvs8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1068&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">« Art queer. Histoire et théorie des représentations LGBTQIA+ », éditions Double ponctuation.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Jérôme Pellerin-Moncler</span></span>
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<p>S’affranchir du regard dominant constitue un enjeu pour un certain nombre d’artistes contemporains, qui tentent ainsi de se réapproprier la manière dont leurs propres communautés sont représentées. En effet, il s’agit pour elles et eux de montrer qu’ils sont légitimes à être pris en compte, simplement du fait de leur existence. En offrant un nouvel espace de visibilité par la photographie, ces enjeux artistiques s’inscrivent dans le débat de la politique de représentation, déployé en particulier dans des travaux féministes des années 1970, qui mettent en exergue les rapports de pouvoir qui sous-tendent les représentations des femmes (voir à ce sujet, « Représenter les femmes, la politique de la représentation du soi », dans <a href="https://www.editionstextuel.com/livre/chair-a-canons"><em>Chair à canons. Photographie, discours, féminisme</em></a>, Paris, éditions Textuel, 2016, pages 229 à 252).</p>
<p>Comme j’essaye de le montrer dans mes travaux, la manière dont les notions de genre ou de race (entre autres) prennent forme dans les images participe fondamentalement à la construction de l’identité d’un groupe social. Rassemblant des artistes à la fois incontournables et émergeants, des œuvres et des musées, la réflexion que je propose me semble contribuer à la connaissance d’un sujet encore en développement, dont les enjeux sont très actuels et vont sans doute marquer durablement les musées et l’histoire de l’art.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225121/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Quentin Petit Dit Duhal ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Afin d’articuler la vie et l’expérience réelle des personnes avec l’image qui en est faite, des artistes s’emparent en particulier du format de la photographie.
Quentin Petit Dit Duhal, Docteur en Histoire de l'art, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/225140
2024-03-11T16:13:04Z
2024-03-11T16:13:04Z
« Extérieurs : Annie Ernaux et la photographie » : quand la littérature rencontre ses images
<p>Que se passe-t-il lorsque des formes d’art tranchantes et abrasives se rencontrent ? Le frottement peut les faire résonner, éventuellement grincer, ou les aiguiser encore plus. C’est ce qui se passe avec l’exposition dense et fascinante que l’écrivain Lou Stoppard a montée avec la <a href="https://theconversation.com/nobel-prize-in-literature-annie-ernaux-and-writing-from-experience-192050">lauréate du prix Nobel Annie Ernaux</a> à la <a href="https://www.mep-fr.org/event/exterieurs-annie-ernaux-et-la-photographie/">Maison européenne de la photographie</a> (MEP) de Paris.</p>
<p>Stoppard a été écrivaine en résidence à la MEP en 2022 et « Extérieurs » représente l’aboutissement de cette résidence. L’exposition reprend des pages du mince volume de 1993 d’Ernaux, <em>Journal du dehors</em>, et les place à côté de photographies de la collection de la MEP, suggérant des liens possibles, des résonances, des affinités.</p>
<p><em>Le Journal du dehors</em>, traduit vers l’anglais par Tanya Leslie sous le titre <a href="https://fitzcarraldoeditions.com/books/exteriors"><em>Exteriors</em></a> et publié chez Fitzcarraldo en 2021, se présente sous la forme d’entrées de journal aléatoires s’étalant sur sept ans, dans les années 1980 et au début des années 1990. Il donne à voir des rencontres fugaces ou récurrentes qui jalonnaient le trajet qu’Ernaux faisait alors très régulièrement entre Paris et son domicile en banlieue parisienne.</p>
<p>Le montage d’images et de pages découpées du volume intensifie l’écriture, happant les visiteurs par la concentration d’informations. Mais l’effet ajoute aussi de l’espace à la routine des déplacements quotidiens, aux couloirs souterrains immuables avec leurs mendiants familiers, au même parking devant le même supermarché, aux schémas de déplacements qui racontent notre façon de vivre et de travailler, qui donnent au Journal d’Ernaux sa corrosivité particulière.</p>
<p>Le texte d’Ernaux acquiert une clarté supplémentaire et une immobilité proprement photographique lorsqu’il est lu sous forme de panneaux accrochés au mur. Ses scènes du Paris des années 1980 nous parlent avec la force du « ça a été », avec leur paradoxale combinaison de tragédie sans fin et de fugacité : ce moment, cette robe, ces mots, ces chaussettes…</p>
<h2>Imagerie tranchante</h2>
<p>Ernaux veut depuis longtemps faire de son écriture un <a href="https://theconversation.com/annie-ernaux-french-feminist-who-uses-language-as-a-knife-wins-nobel-prize-for-literature-192084">couteau</a>. Son style est court, dépouillé, non lyrique. Elle va droit au cœur des choses sur lesquelles elle écrit, chaque mot étant nécessaire. Et l’organisation équilibrée et réfléchie de cette exposition est une extension de cette habileté à trancher. Elle nous montre que tout est dans le détail s’il est saisi avec suffisamment d’acuité pour en révéler l’importance. De nombreuses photographies sont, à cet égard, éblouissantes.</p>
<p>Elles sont presque toutes caractérisées par ce que le photographe français Henri Cartier-Bresson appelait des <a href="https://www.henricartierbresson.org/en/expositions/henri-cartier-bresson-images-a-la-sauvette/">« images à la sauvette »</a> : des scènes aperçues et saisies dans la rue, capturant des personnes à leur insu, saisissant leur présence singulière dans leurs moments d’absence. L’un des effets de la scénographie, faisant dialoguer deux ensembles de photographies, démontre combien cette approche peut générer des images merveilleusement différentes.</p>
<p>D’un côté de la galerie, étroite et semblable à un couloir, nous voyons une succession de petites images distinctes du photographe américain <a href="https://www.icp.org/browse/archive/constituents/harry-callahan">Harry Callahan</a>, tirées de sa série « Archives françaises » des années 1950. Ces tirages presque noirs sont traversés par des bandes de lumière du soleil ou par des taches minimales de luminosité. Des figures apparaissent énigmatiquement gravées dans la lumière, entrant et sortant du champ du visible.</p>
<p>Nous nous tournons ensuite vers l’autre mur où se trouve un fabuleux montage du photographe américano-japonais <a href="https://www.nytimes.com/2021/08/18/style/hiro-dead.html">Hiro</a>. Ces images, grandeur nature et continues, montrent les usagers d’un train de Tokyo des années 1960, exposés comme en vitrine et malgré eux à travers les fenêtres du wagon, leurs regards et leurs doigts pressés contre la vitre, s’adressant à nous et à d’autres passagers.</p>
<p>D’un côté, un profond sentiment de solitude. De l’autre, la pression des gens autour.</p>
<p>En dialoguant, ces deux sélections d’images mettent en lumière la qualité étrange du journal d’Ernaux, tout à la fois proche et détachée de la vie ordinaire. Elle regarde toujours depuis l’extérieur, même lorsqu’elle imagine, comme le soulignent les textes de l’exposition, qu’elle pourrait tout aussi bien être en train de se regarder elle-même.</p>
<h2>Un spectateur détaché</h2>
<p>L’inclusion de plusieurs séries d’œuvres de photographes japonais est frappante à cet égard, car elle crée un sentiment d’éloignement là où Ernaux a si systématiquement embrassé la familiarité de la vie française ordinaire. Les photographies de l’époque parisienne plus récente produisent un peu le même effet, en particulier dans la salle où se trouvent deux grandes œuvres de Mohamed Bourouissa et une œuvre de Marguerite Bornhauser, une des seules à ne pas inclure de figures humaines.</p>
<p>Les deux œuvres de Bourouissa montrent des scènes de la vie « des quartiers » en France. L’une d’elles représente un groupe de quatre jeunes autour d’une voiture brûlée dans une ruelle sale. L’un des membres du groupe se tient sur le toit, le haut du torse et la tête coupés par l’encadrement.</p>
<p>L’autre photo montre un homme qui se fait arrêter. Il est menotté, presque nu, et fixe du regard une femme, peut-être sa petite amie, debout devant lui, jambes nues, habillée seulement d’un long t-shirt. Le policier et la femme sont également décapités par le cadrage de Bourouissa.</p>
<p>Quant à la photographie de Bornhauser, elle montre l’impact d’une balle sur une vitre quelque part près du <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/attentats-du-13-novembre-2015-le-recit-d-une-nuit-d-horreur-par-ceux-qui-l-ont-vecue-2606892">Bataclan en 2015</a> après les attaques terroristes.</p>
<p>Ce sont des scènes d’une violence toute contemporaine. Elles nous suggèrent que même la mobilité sociale somme toute limitée de la génération d’Ernaux, et les formes fétiches de la vie moderne comme la voiture, ont débouché sur un échec.</p>
<p>Ces quelques images en couleur ne diminuent pas la violence évidente dans les autres œuvres plus calmes de cette salle, mais elles mettent en lumière une autre facette de l’écriture, sa qualité prémonitoire, en particulier dans les pages accrochées à côté des images extraordinaires de Bourouissa. Ces pages sont moins des notations de ce qui est que des extrapolations de ce qui pourrait être. Elles parlent de peur, d’espaces vides où la violence (voire le viol) pourrait ne pas être entendue, et les misères de l’ambition parentale qui annoncent une adolescence malheureuse.</p>
<p>Le spectateur en ressort avec le sentiment du pouvoir extraordinaire de ces images de la vie quotidienne. Et pour ceux qui admirent déjà Ernaux, « Extérieurs » est l’occasion de voir plus clairement comment elle a aiguisé son œil et son oreille contre la routine de ses trajets quotidiens.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225140/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anna-Louise Milne ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
L’exposition qui se tient à la Maison européenne de la photographie célèbre la relation entre la photographie et l’écriture d’Annie Ernaux, à travers des textes de son « Journal du dehors » (1993).
Anna-Louise Milne, Director of Graduate Studies and Research, University of London Institute in Paris
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2023-12-10T15:49:40Z
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Quand la Terre se lève sur la Lune : la genèse de la « photo du siècle »
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/560468/original/file-20231117-24-a4qtm4.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=9%2C9%2C2035%2C1523&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">The restored image of Earthrise. A high quality black and white image was coloured using hues from the original colour photos.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://apod.nasa.gov/apod/ap181224.html">Image Credit: NASA, Apollo 8 Crew, Bill Anders; Processing and License: Jim Weigang</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le récent <a href="https://www.theguardian.com/science/2023/nov/10/frank-borman-commander-first-apollo-moon-mission-dies-aged-95">décès de Frank Borman</a>, commandant de la <a href="https://nasa.gov/missions/apollo/apollo-8-mission-details/">mission Apollo 8 de la NASA en 1968</a>, a attiré l’attention sur le premier voyage sur la Lune.</p>
<p>Il a eu lieu huit mois avant la mission <a href="https://www.nasa.gov/mission/apollo-11/">Apollo 11</a>, au cours de laquelle Neil Armstrong et Buzz Aldrin ont exploré la surface lunaire pour la première fois. Cependant, l’impact de la photo du « lever de Terre » d’Apollo 8 – la vue de la Terre depuis la Lune – semble aujourd’hui encore plus grand que celui du premier alunissage.</p>
<p>Pendant de nombreuses années, l’histoire derrière la <a href="https://www.nasa.gov/image-article/apollo-8-earthrise/">célèbre photo du lever de la Terre</a>, était que l’équipage avait été pris au dépourvu par l’orbe bleu s’élevant derrière la Lune. Mais <a href="https://science.nasa.gov/resource/the-story-behind-apollo-8s-famous-earthrise-photo/">même s’ils étaient occupés à d’autres tâches</a>, les astronautes avaient en tête que cela allait arriver.</p>
<p>Un autre événement marquant de la mission a été la lecture de <a href="https://moon.nasa.gov/resources/318/apollo-8-genesis-reading/">la Genèse (le premier livre de la Bible)</a> par l’équipage, dont les images ont été diffusées dans le monde entier à Noël. Les recherches approfondies que j’ai menées dans les archives de la NASA ont révélé plus clairement l’ampleur de la mise en scène de tous ces moments. La fameuse photo du lever de la Terre, un cliché bizarre pris à la hâte, a été certes improvisée, mais elle avait été anticipée.</p>
<h2>Capturer le Lever de Terre</h2>
<p>Après être entrés en orbite lunaire, les astronautes ont failli ne pas voir la Terre. Ce n’est qu’au cours de la quatrième orbite, lorsque la capsule s’est retournée de 180 degrés pour pointer vers l’avant, qu’ils l’ont remarquée. Quand je l’ai interrogé, Borman m’a confirmé qu’à ce moment-là, ils ont été « pris par surprise – trop occupés par l’observation lunaire sur les trois premières orbites ».</p>
<p>Mais le <a href="https://historycollection.jsc.nasa.gov/JSCHistoryPortal/history/oral_histories/UnderwoodRW/underwoodrw.htm">directeur de la photographie du programme Apollo, Dick Underwood</a>, tenait à rétablir la vérité. Il explique : « Des heures ont été consacrées à l’observation lunaire sur les trois premières orbites », « Les équipages lunaires, y compris l’équipage d’Apollo 8, ont été longuement formés et informés sur la manière exacte d’installer la caméra, sur la pellicule à utiliser… ces briefings étaient très complets. »</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="L’équipage d’Apollo 8." src="https://images.theconversation.com/files/559679/original/file-20231115-21-97wwdu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/559679/original/file-20231115-21-97wwdu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/559679/original/file-20231115-21-97wwdu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/559679/original/file-20231115-21-97wwdu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/559679/original/file-20231115-21-97wwdu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/559679/original/file-20231115-21-97wwdu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/559679/original/file-20231115-21-97wwdu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">L’équipage d’Apollo 8 présentant la photo du lever de Terre au gouverneur du Texas, John Connally, en 1969.</span>
<span class="attribution"><span class="source">NASA</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Toutefois, la NASA s’est battue pour savoir sur quelles images les astronautes devaient se concentrer, la direction insistant sur des clichés de la <a href="https://history.nasa.gov/alsj/a410/A08_PressKit.pdf">géologie lunaire et des sites d’atterrissage potentiels</a>. Dick Underwood a expliqué : </p>
<blockquote>
<p>« J’ai beaucoup insisté pour que l’on prenne une photo du lever de la Terre, et nous avions fait comprendre aux astronautes que c’était ce que nous voulions absolument. »</p>
</blockquote>
<p>Borman était accompagné de deux autres astronautes : Jim Lovell, pilote du module de commande, et Bill Anders, pilote du module lunaire. La NASA avait prévu qu’Apollo 8 testerait le module lunaire, mais comme elle avait pris du retard, la mission n’a pas eu lieu.</p>
<p>Lors de la conférence de presse précédant le lancement, Borman s’était réjoui d’avoir « de bonnes vues de la Terre depuis la Lune » et Lovell de voir « la Terre se coucher et la Terre se lever ».</p>
<p>Le plan de mission officiel prévoyait que les astronautes prennent des photos de la Terre, mais seulement en dernière priorité. Lorsque le moment clé est arrivé, les astronautes ont effectivement été pris par surprise, mais pas pour longtemps.</p>
<p>Anders se trouvait à une fenêtre latérale et prenait des photos de cratères à l’aide d’un appareil photo à pellicule noir et blanc lorsqu’il vit la Terre surgir de derrière la Lune. « Regardez cette image ! C’est la Terre qui se lève », <a href="https://science.nasa.gov/resource/the-story-behind-apollo-8s-famous-earthrise-photo/">s’exclama Anders</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/559678/original/file-20231115-23-nzbbhx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/559678/original/file-20231115-23-nzbbhx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=486&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/559678/original/file-20231115-23-nzbbhx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=486&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/559678/original/file-20231115-23-nzbbhx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=486&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/559678/original/file-20231115-23-nzbbhx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=610&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/559678/original/file-20231115-23-nzbbhx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=610&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/559678/original/file-20231115-23-nzbbhx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=610&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La première photo du lever de Terre, prise par Bill Anders.</span>
<span class="attribution"><span class="source">NASA</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Anders a rapidement pris une photo nette de la Terre émergeant de l’horizon lunaire. Puis Lovell et lui se sont brièvement disputés pour savoir qui devait avoir l’appareil photo couleur, tandis que Borman tentait de les calmer.</p>
<p>C’est Anders qui a pris la <a href="https://apod.nasa.gov/apod/ap020127.html">photo couleur du lever de la Terre</a>, floue, cadrée à la hâte et surexposée, surnommée plus tard l’<a href="https://www.theguardian.com/artanddesign/2018/dec/22/behold-blue-plant-photograph-earthrise">image du siècle</a>. Mais dans l’autre appareil photo se trouvait une bien meilleure photo, longtemps ignorée parce qu’elle était en noir et blanc.</p>
<p>Cette première image mono était parfaite. Une photo restaurée du « lever de la Terre », récemment colorisée par des experts qui ont pris pour référence les clichés ultérieurs, restitue le spectacle époustouflant qu’ont vu les astronautes.</p>
<p>Cette photo révèle la Terre comme une oasis majestueuse mais fragile. Comme l’a dit Lovell : « La solitude qui règne ici est impressionnante… Cela nous fait prendre conscience de ce que nous avons sur Terre ». Pour Borman aussi, ce fut « intensément émouvant… Nous ne nous sommes rien dit, mais nous avons peut-être partagé la même pensée : Ce doit être ce que Dieu voit ».</p>
<h2>La lecture de la Genèse</h2>
<p>En 1968, comme aujourd’hui, les voyages dans l’espace étaient considérés comme un domaine scientifique et technologique. Mais la mission était également envoyée par l’un des <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Christianity_in_the_United_States">pays les plus fortement christianisés du monde</a>, et l’équipage n’était pas parti sans son bagage culturel.</p>
<p>La NASA était fière que ses astronautes soient libres de leurs opinions, tandis que les cosmonautes soviétiques soient <a href="https://www.bbc.com/future/article/20210406-how-russias-cosmonauts-trained-for-space">étroitement surveillés et contrôlés</a>. Aussi extraordinaire que cela puisse paraître aujourd’hui, ils ont été laissés libres de décider eux-mêmes de ce qu’ils allaient dire lors de leur émission historique en direct de l’orbite lunaire.</p>
<p>Borman savait qu’il devait trouver quelque chose de spécial pour l’émission de Noël. Quelques semaines à l’avance, un attaché de presse lui a dit : « Nous pensons que vous serez plus écouté que n’importe quel autre homme dans l’histoire. Nous voulons donc que vous disiez quelque chose d’approprié ».</p>
<p>Alors que le message « un petit pas » de Neil Armstrong a été <a href="https://time.com/5621999/neil-armstrong-quote/">soigneusement préparé au sein de la NASA</a>, personne au sein de l’agence ne savait à l’avance ce que Borman allait dire.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Earthrise" src="https://images.theconversation.com/files/560186/original/file-20231117-25-yelyw3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/560186/original/file-20231117-25-yelyw3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=527&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/560186/original/file-20231117-25-yelyw3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=527&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/560186/original/file-20231117-25-yelyw3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=527&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/560186/original/file-20231117-25-yelyw3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=662&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/560186/original/file-20231117-25-yelyw3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=662&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/560186/original/file-20231117-25-yelyw3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=662&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La première photo du lever de Terre.</span>
<span class="attribution"><span class="source">NASA</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Alors qu’il ne reste que deux minutes avant que le contact radio ne soit perdu lorsque le vaisseau spatial passe derrière la Lune, Anders a déclaré : « L’équipage d’Apollo 8 a un message à vous transmettre. » Il a ensuite lu un <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ToHhQUhdyBY">extrait de la Genèse</a> : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre, et la terre était informe et vide. Dieu dit : “Que la lumière soit !” et la lumière fut. »</p>
<p>Lovell et Borman ont pris le relais pour lire les versets suivants, et Borman a conclu : « Joyeux Noël, et que Dieu vous bénisse tous – vous tous sur notre bonne Terre. »</p>
<p>Alors qu’Apollo 8 cessait tout contact radio, le monde devait absorber l’impact de ces paroles. « Pendant ces instants, j’ai ressenti la présence de la création et du créateur », se souviendra plus tard Gene Kranz, <a href="https://airandspace.si.edu/explore/stories/eugene-kranz">directeur de vol de la NASA</a>. « J’avais les larmes aux yeux. »</p>
<p>D’une manière ou d’une autre, Borman et ses collègues ont trouvé les mots parfaits pour exprimer leur expérience. Mais Borman avait bien réfléchi à sa mission et avait demandé à un <a href="https://airandspace.si.edu/collection-archive/apollo-8-and-11-notes-and-letters-bourgin/sova-nasm-1995-0025">ami publiciste de l’aider à rédiger le texte</a>.</p>
<p>Il s’agissait de Simon Bourgin, responsable de la politique scientifique à l’Agence américaine d’information. Bourgin demanda à son tour à un journaliste, Joe Laitin, qui en <a href="https://www.smithsonianmag.com/smithsonian-institution/how-apollo-8-delivered-moment-christmas-eve-peace-and-understanding-world-180976431/">parla à sa femme, Christine</a>.</p>
<p>Après avoir consulté l’Ancien Testament, elle a suggéré : « Pourquoi ne pas commencer par le commencement ? » Elle a souligné la puissance primitive du récit de la création dans le premier livre de la Genèse, avec sa description évocatrice de la Terre.</p>
<p>Borman a immédiatement reconnu que c’était parfait et l’a fait dactylographier. Il a superbement justifié la confiance que la NASA lui a accordée.</p>
<p>Si la photo du lever de la Terre et la lecture de la Genèse sont le fruit de l’inspiration et d’une certaine liberté, on doit leur exécution à une planification minutieuse et un grand professionnalisme.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218203/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Robert Poole ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Ou comment le professionnalisme de l'astronaute Frank Borman a contribué à la réussite de la mission Apollo 8.
Robert Poole, Professor of History, University of Central Lancashire
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/218146
2023-12-05T16:59:32Z
2023-12-05T16:59:32Z
Ellis Island, au seuil du rêve américain
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/560367/original/file-20231120-27-3d4ecb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C176%2C722%2C627&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://picryl.com/media/ellis-island-immigrant-portraits-42fe80">Lewis Hine, 1892</a></span></figcaption></figure><p>Cette photographie a été prise dans le centre d’accueil des étrangers qui a ouvert en 1892 à Ellis Island, une île en face de Manhattan dans la baie de New York. C’est Lewis Hine (1864-1940) qui l’a prise – il fut un des premiers à utiliser la photographie <a href="https://www.cairn.info/revue-la-cause-du-desir-2018-2-page-211.htm">comme un outil documentaire, notamment en faveur d’une plus grande justice sociale</a>.</p>
<p>À la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, de <a href="https://www.degruyter.com/document/isbn/9783110982497/html">nombreux Américains craignaient un flux migratoire important et avaient réclamé des mesures pour le réduire</a>. Le centre d’Ellis Island fut donc créé afin de sélectionner les candidats à l’immigration, de plus en plus nombreux en provenance d’Europe centrale, de l’Est et du Sud. À Ellis Island, il s’agissait de contrôler leur éligibilité et de repousser ceux qui représenteraient un problème social ou politique pour la nation.</p>
<p>Ellis Island est donc devenue une porte d’entrée de l’Amérique : une « golden door » pour les candidats européens à l’immigration, mais également un barrage pour ceux qui ne répondaient pas aux critères requis. Savoir lire et écrire, être en bonne santé, avoir des ressources suffisantes, ne pas être un anarchiste… entre autres. Ceux-ci étaient alors renvoyés dans leur pays d’origine – soit environ 2 % des 11,6 millions d’Européens arrivés entre 1891 et 1910 (période pendant laquelle cette photographie a été prise).</p>
<p>Aussi, Ellis Island demeurait <a href="https://www.ggarchives.com/Books/Immigration/EllisIsland-GatewayToTheAmericanDream-0517059053.html">« l’île de l’espoir »</a>, un surnom donné par les historiens et inspiré des rumeurs parmi les immigrants. Mais les conditions d’accueil étaient souvent précaires et longues, quelquefois brutales, inflexibles et traumatisantes.</p>
<h2>L’image comme témoin de la réalité migratoire et comme outil politique</h2>
<p>Lewis Hine, dans une démarche sociopolitique, a souhaité <a href="https://www.mediatheques.strasbourg.eu/OND/doc/IGUANA_2/175658/lewis-w-hine-photogr-de-lewis-w-hine-introd-par-naomi-rosenblum-avec-la-collab-de-walter-rosenblum">témoigner de cette réalité de l’expérience migratoire</a>, que celle-ci soit triste ou optimiste ; c’était la spontanéité de la situation qui lui importait de saisir, comme on le voit sur cette photographie d’anonymes.</p>
<p>Par ailleurs, suite à ses photographies, des mesures ont été prises pour améliorer les conditions de vie des plus pauvres, par exemple pour améliorer la ventilation ou les sanitaires dans les immeubles où s’entassaient les étrangers (les « tenement houses »).</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/563904/original/file-20231206-29-e9rzdk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/563904/original/file-20231206-29-e9rzdk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/563904/original/file-20231206-29-e9rzdk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=851&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/563904/original/file-20231206-29-e9rzdk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=851&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/563904/original/file-20231206-29-e9rzdk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=851&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/563904/original/file-20231206-29-e9rzdk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1069&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/563904/original/file-20231206-29-e9rzdk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1069&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/563904/original/file-20231206-29-e9rzdk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1069&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">La photographie prise par Lewis Hine.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://picryl.com/media/ellis-island-immigrant-portraits-42fe80">Lewis Hine, 1892</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cette image présente une femme avec ses deux enfants, originaires d’Europe de l’Est, sûrement de Russie. <a href="https://www.census.gov/programs-surveys/decennial-census.html">Avec les Italiens, les immigrants venant d’Europe de l’Est étaient les plus nombreux à immigrer dans le Nouveau Monde</a>, terre promise et de liberté, au tournant des XIX<sup>e</sup> – XX<sup>e</sup> siècles. Ils fuyaient leurs conditions d’existence misérables, la répression et les troubles politiques qui sévissaient en Europe, par exemple les pogroms en Russie ou la construction de la nation italienne par Garibaldi.</p>
<p>Les <a href="https://cmsny.org/publications/book-struggle-and-success/">femmes, qui immigraient rarement seules</a>, accompagnaient leurs époux ou venaient les rejoindre quand ils s’étaient déjà expatriés. Ainsi, il est probable que la femme de la photographie vienne rejoindre son époux qu’elle n’a pas vu depuis des mois peut-être… ou qu’elle l’attende tandis que, dans une autre pièce, les officiers du service d’immigration d’Ellis Island et les médecins vérifient s’il peut être autorisé à entrer aux États-Unis.</p>
<p>La photographie est prise dans le Grand Hall du centre d’accueil, là où les nouveaux arrivants attendaient leur tour pour être examinés et que leur sort soit décidé par les officiers du service d’immigration. On voit derrière la femme et ses enfants une grande fenêtre. Coupée par les barreaux des vitres et en forme d’ogive, elle rappelle les vitraux des églises gothiques, donnant une dimension spirituelle au lieu, et à l’Amérique ; les sourires sur les visages des enfants et celui esquissé sur celui de leur mère laissent entrevoir leur espoir, leur confiance dans le Nouveau Monde, l’image positive qu’ils veulent donner au photographe qui semble les surprendre dans leur attente.</p>
<p>La fenêtre qui occupe l’arrière-plan de la photographie s’apparente à une ouverture vers un avenir meilleur en Amérique. En même temps, on a l’impression que les barreaux vont empêcher le passé de refaire surface. La composition de cette photographie rappelle l’attente et l’espoir des immigrants qui, après un périple transatlantique de plusieurs semaines, sont enfin arrivés à Ellis Island, au seuil du rêve américain, ce qui nous renvoie au superbe film d’Emmanuele Crialese <a href="https://www.dailymotion.com/video/x27h0zv"><em>Golden Door</em></a> (2006) qui relate le voyage puis l’arrivée d’une famille sicilienne à Ellis Island au début du XX<sup>e</sup> siècle.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218146/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie-Christine Michaud a reçu des financements d'institutions :
Université Bretagne Sud ; Institut des Amériques ; Région Bretagne</span></em></p>
Ellis Island fut longtemps le centre d’accueil des candidats immigrants aux États-Unis. Des sociologues ont utilisé des images pour dévoiler une réalité plus dure que les sourires affichés.
Marie-Christine Michaud, Professeure des universités en études nord-américaines, Université Bretagne Sud
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/217950
2023-11-28T17:10:05Z
2023-11-28T17:10:05Z
Mieux comprendre la charge mentale des aidants
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/560880/original/file-20231121-17-i905ud.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=13%2C13%2C2233%2C1482&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La charge mentale des aidants s'impose dans cette photographie du semainier de Mme B.</span> <span class="attribution"><span class="source">Semainier de Mme B. © Illés Sarkantyu, ADAGP Paris, 2022</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Jour après jour, Mme B., particulièrement investie dans la prise en charge de sa belle-mère atteinte de la maladie d’Alzheimer, consigne des informations sur un agenda. Ces informations portent sur un fait marquant qui a eu lieu dans la journée ou dans la semaine, sur son cheminement émotionnel du moment, ou sur des choses à faire dans un avenir proche.</p>
<p>Cette photographie utilise la technique de surimpression pour représenter l’aperçu de dix semaines (de janvier à juin 2021) qui ont été autorisées à être reproduites par Mme B. Cette photographie constitue également un excellent témoignage pour montrer l’accumulation d’éléments constituant la charge mentale mobilisée chaque jour dans le travail de l’<a href="https://www.pour-les-personnes-agees.gouv.fr/solutions-pour-les-aidants/trouver-du-soutien/aidant-familial-proche-aidant-quelles-definitions-et-quelles-aides">aidante</a>.</p>
<blockquote>
<p>« La charge mentale est “le fait de devoir penser simultanément à des choses appartenant à deux mondes séparés physiquement”. » (<a href="https://www.persee.fr/doc/sotra_0038-0296_1984_num_26_3_2072">Monique Haicault, 1984</a>)</p>
</blockquote>
<p>Madame B fait partie des 9,3 millions d’<a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications/etudes-et-resultats/93-millions-de-personnes-declarent-apporter-une-aide-reguliere-un">aidants</a> en France qui prennent en charge un ascendant (direct ou indirect), qui taisent leur besoin d’aide et dont la santé se dégrade jour après jour.</p>
<h2>Une recherche en sciences sociales sur les aidants : une vulnérabilité qui ne doit pas se dire ou se montrer</h2>
<p>L’implication de cette aidante dans son travail quotidien a été importante alors qu’elle a eu des tensions par le passé avec sa belle-mère qui lui signifiait sans cesse sa supériorité intellectuelle. Ce document montre combien l’humanité de l’aidante transcende les tensions qui apparaissent dans les relations intrafamiliales.</p>
<p>Aujourd’hui, la malade se trouve dans un établissement médicalisé, Mme B. n’est plus chargée de l’aider comme avant, mais elle n’est pas moins complètement libérée de la charge mentale. Lors de l’<a href="https://www-aidant-alzheimer.univ-ubs.fr/fr/index.html">entretien</a> mené le jour où la photo a été prise, Madame B. nous confie non sans émotion :</p>
<blockquote>
<p>« Où est la limite de l’acceptable ?</p>
<p>La dégradation de la santé d’une malade n’est pas acceptable.</p>
<p>Elle nous a dit en nous tenant le poignet, de mon mari et le mien : ce n’est pas possible qu’il n’y ait pas un moyen de me faire mourir ?</p>
<p>Mais depuis un moment nous ne comprenons plus rien de ce qu’elle nous dit.</p>
<p>Maintenant, on ne sait pas ce qui se passe dans sa tête ; je suis toujours à me dire mais comment on peut la laisser vivre comme ça, elle n’aurait jamais accepté.</p>
<p>Le personnel de santé nous a demandé de ne plus venir aussi régulièrement.</p>
<p>Je ne veux pas vivre ça, ni faire vivre ça. »</p>
</blockquote>
<p>Le caractère personnel, voire intime, de ce document et de ces témoignages rend habituellement difficile son accès aux chercheurs. Seuls les projets de recherche qui s’inscrivent sur le moyen et long terme favorisent un lien, entre chercheur et aidant, qui peut aller au-delà de ce que le projet de recherche prévoyait initialement : invitation personnelle à des événements familiaux marquants, remerciements sincères par de longs mails, messages vocaux emplis d’émotion… et mise à disposition des documents à caractère intime et sensible renvoyant à une forme de vulnérabilité qui ne doit pas se dire ou se montrer. Ce type de documents constitue ainsi du matériau riche, singulier et inédit pour la recherche en sciences humaines.</p>
<p>Par ailleurs, ces documents difficiles à obtenir rendent plus intéressante une confrontation menée entre sciences humaines et art – ici entre des chercheurs et le photographe professionnel <a href="https://sarkantyu.com/">Illés Sarkantyu</a>.</p>
<p>Ce moment capturé apporte le regard subjectif du photographe, qu’il livre au grand public. Cette photographie nous montre combien il est important de décentrer son regard, pour réfléchir ensemble sur la question de la prise en charge et, <em>in fine</em>, pour faire évoluer les politiques publiques dans le domaine de la dépendance et du grand âge.</p>
<p>Cela fait 40 ans que la notion de <em>charge mentale</em> a été introduite par Monique Haicault dans un article de sociologie <a href="https://www.persee.fr/doc/sotra_0038-0296_1984_num_26_3_2072">« La gestion ordinaire de la vie en deux »</a>. Cette notion s’est installée dans l’espace public plus récemment, par exemple en 2021 avec l’<a href="https://www.editions-larousse.fr/livre/la-charge-mentale-des-femmes-9782035947864">ouvrage</a> d’Aurélia Schneider, psychiatre, spécialisée en psychiatries comportementales et cognitives, mais surtout avec la bande dessinée de l’autrice Emma <a href="https://massot.com/collections/un-autre-regard-2/">« Fallait demander »</a> diffusée au départ sur Internet.</p>
<p>Cependant, on constate que la charge mentale n’est pas encore scientifiquement mesurée et quantifiée dans le domaine de l’aide à la prise en charge du malade d’Alzheimer. Elle n’est pas non plus étudiée en la croisant avec d’autres variables : épuisement, stress, accès ou non aux dispositifs d’aides proposés par la puissance publique, entre autres.</p>
<p>Tant que la recherche en sciences humaines et sociales sur la charge mentale n’aura pas produit des savoirs disciplinaires croisés sur ce que cette charge induit chez l’aidant, la prise en charge sur mesure et les dispositifs adéquats se feront malheureusement attendre – formules de répit différentes selon que le proche aidé se trouve au début du diagnostic de la maladie ou quand la maladie est bien installée, <a href="https://aidants.morbihan.fr/">centralisation de l’information sur la disponibilité des places en Ehpad sur un territoire donné</a>, reconnaissance graduée des besoins de l’aidant par l’employeur, dispositifs d’écoute…</p>
<hr>
<p><em>Dans le cadre de ce projet de recherche, nous avons sollicité Illés Sarkantyu, photographe et cinéaste, enthousiaste pour travailler avec nous, selon une « commande » très ouverte qui consistait à nous accompagner chez les aidants pour les photographier et capturer ce qui, dans leur environnement, attirait le regard de l’artiste.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217950/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédéric Pugniere-Saavedra a reçu des financements de l'Iresp (Inserm) dans le cadre de l'appel à projet AAP2019 HPA10_01.
Cette recherche a bénéficié de l'aide de la Caisse Nationale des Solidarités pour l'Autonomie (CNSA) dans le cadre de l'appel à projets blanc 2019 "Handicap et perte d'autonomie"-session 10 lancée par l'Iresp. </span></em></p>
La vulnérabilité des aidants ne se dit pas, ne se montre pas. Sciences sociales et photographie s’allient pour mettre en lumière leurs charges mentales.
Frédéric Pugniere-Saavedra, Maître de conférences en sciences du langage, Université Bretagne Sud
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tag:theconversation.com,2011:article/217199
2023-11-14T18:56:07Z
2023-11-14T18:56:07Z
Comment appréhender les images des violences terroristes contre les otages ?
<p><em>Attention, les descriptions de faits violents rapportés dans cet article peuvent heurter un public sensible.</em></p>
<hr>
<p>Visuellement, Shani Louk est apparue aux yeux de tous le 7 octobre dernier. Cette jeune Israélo-Allemande, tatoueuse de profession, a été kidnappée alors qu’elle participait au festival Tribe of Nova. On l’a vue dénudée et sur le ventre, à l’arrière d’un pickup, dans une courte vidéo de propagande prise par le Hamas.</p>
<p>Sur cette vidéo, sa tête est ensanglantée et elle apparaît inconsciente. Plusieurs miliciens du Hamas la présentent en trophée, tandis qu’un autre, placé à côté du véhicule, lui crache dessus. Le film montre ensuite le véhicule démarrer et disparaître au loin. Shani Louk a été rapidement identifiée par sa mère grâce à ses tatouages et à ses dreadlocks. Trois semaines après son enlèvement, <a href="https://www.bbc.com/news/world-middle-east-67260093">elle a été déclarée morte</a>.</p>
<p>Le destin tragique et révoltant de Shani Louk doit nous inciter à réfléchir à la visibilité de la violence terroriste, à l’usage qui en est fait et à l’impact que ces images ont sur nous. En prenant évidemment toutes les précautions possibles.</p>
<p>Le raid meurtrier du Hamas sur Israël le 7 octobre 2023 a apporté son lot d’images atroces, même si, apparemment, les plus insoutenables n’ont pas toujours été diffusées, et qu’Israël dispose d’un <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/france-culture-va-plus-loin-l-invite-e-des-matins/videos-de-l-attaque-du-hamas-une-nouvelle-dimension-de-la-cruaute-4379606">montage vidéo de 43 minutes</a> d’images très difficiles à regarder, qui ont été montrées à des chercheurs, des journalistes et des parlementaires.</p>
<p>L’embarras des médias et leur autocensure sont importants dès qu’il s’agit de montrer la violence, dès que la dignité des victimes est en jeu, dès que les images relèvent de la propagande, dès qu’elles sont trop perturbantes, mais aussi dès qu’elles provoqueraient des émotions trop fortes.</p>
<p>La déontologie journalistique (voir par exemple la <a href="https://www.afp.com/sites/default/files/charte_deontologique_afp-mars2023.pdf">page 19 de cette charte de l’AFP</a>) comme les spécialistes des images fixent des règles à ce sujet, partant du postulat que la violence peut être l’ennemie de l’information, et qu’on comprend mieux un phénomène lorsque sa représentation est « apaisée ».</p>
<p>Le philosophe <a href="https://journals.openedition.org/etudesphotographiques/321">Yves Michaud</a> pense ainsi que les images des blessés de l’attentat du RER Saint-Michel en 1995 ne dénoncent ni la violence ni le terrorisme, mais on pourrait poser tout au contraire que, le temps passant, elles acquièrent désormais une valeur d’archives historiques, annonçant l’ère du terrorisme djihadiste en France.</p>
<p>Nombre d’images tombent dans l’oubli et demeurent invisibles. Mais la <a href="https://laviedesidees.fr/Faut-il-montrer-les-images-de-violence">visibilité de la violence</a> est une question qui ne fait que se répéter et s’amplifier à l’ère de la profusion d’images et de leurs canaux de diffusion.</p>
<p>On peut dès lors s’interroger, comme le suggérait l’essayiste, romancière et militante américaine <a href="https://bourgoisediteur.fr/catalogue/devant-la-douleur-des-autres/">Susan Sontag</a> dans son essai « Devant la douleur des autres », sur le fait d’accepter de se laisser hanter par les images de violence et d’apprendre à les regarder.</p>
<h2>Nudité et violence</h2>
<p>L’effroi provoqué par les images de la capture de Shani Louk tient notamment à la vulnérabilité de la jeune fille exposée. Elle se retrouve au milieu des visages ivres de haine des membres du Hamas qui inspirent la terreur et occupent tout l’espace d’une image qui proclame leur gloire.</p>
<p>L’empathie qu’une image peut provoquer peut ainsi passer par la présence dérangeante de la nudité comme préalable récurrent à la violence ou à la mort.</p>
<p>On pense aux femmes dénudées lors des pogroms de Lviv en Ukraine en 1941, où furent tués des milliers de Juifs. On dispose de plusieurs photos de ces femmes, qui ne sont bizarrement pas devenues iconiques, peut-être parce que, comme le note l’historienne anglaise <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/distributed/P/bo12346074.html">Griselda Pollock</a> à propos des massacres de Juifs dans les pays baltes à la même époque, pour un regard masculin, la nudité détourne de la perspective de la mort.</p>
<p>Pour autant, comme l’a montré <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Images_malgr%C3%A9_tout-2050-1-1-0-1.html">Georges Didi-Huberman</a>, ce sont bien trois photos de corps nus, vivants puis morts, de femmes déshabillées avant l’entrée dans les chambres à gaz d’Auschwitz, prises par les membres d’un Sonderkommando – des unités de travail dans les centres d’extermination nazis, composées de prisonniers, juifs dans leur très grande majorité, forcés à participer au processus de la « solution finale » – qui donne un « imaginable » à la pensée du « dehors » et à ce dont personne n’entrevoyait la possibilité.</p>
<p>Plus près de nous, en 1972, la <a href="https://www.francetvinfo.fr/culture/arts-expos/photographie/kim-phuc-la-petite-fille-au-napalm-photographiee-au-vietnam-il-y-a-47-ans-se-raconte-dans-sauvee-de-l-enfer_3647071.html">« napalm girl »</a> de Nick Ut, petite fille au dos brûlé et hurlant de douleur, fuyant son village bombardé, a failli ne jamais paraître dans les journaux du monde entier, parce qu’Associated Press était gêné par sa nudité. Encore aujourd’hui, les algorithmes des réseaux sociaux traquent et éliminent cette image, alors même qu’elle est célèbre et que sa puissance iconographique provient du contraste entre la fragilité de Kim Phuc – c’est son nom – et le champ de bataille où elle est piégée, son statut d’enfant innocent et la violence des adultes dont elle est victime.</p>
<p>Le destin visuel de Shani Louk fait immanquablement penser à l’image méconnue mais saisissante de la jeune patriote russe Zoïa Kosmodemianskaïa, tuée par les nazis en 1941 dans le village de Petrishchevo, pendue puis dépoitraillée, le sein coupé, mais le visage intact. Analysant la photographie de son corps, <a href="https://www.rougeprofond.com/produit/representer-lhorreur/">Frédéric Astruc</a> montre qu’elle est un point d’équilibre improbable entre beauté et horreur, et qu’elle redonne toute son humanité à Zoïa face à ses meurtriers barbares.</p>
<p>Faire disparaître le corps de Shani Louk, dont le visage est d’ailleurs dérobé, c’est aussi prendre le risque d’interdire toute identification et reconduire l’effacement de sa présence au monde voulu par ses bourreaux.</p>
<h2>Une image saturée d’oppositions</h2>
<p>La mise en scène par le Hamas de cet enlèvement est un précipité de ce qui caractérise le terrorisme contemporain. En effet, les actions terroristes sont marquées par une <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-des-sciences-sociales-2002-4-page-525.htm">déconnexion</a> entre les victimes réellement touchées et les cibles politiques ultimement visées.</p>
<p>Dans la « logique » de cette violence aveugle, tuer des gens au Bataclan ferait avancer la cause de l’établissement d’un califat dans la zone syro-irakienne, et mitrailler des danseurs dans le désert permettrait de lutter contre Israël.</p>
<p>Mais la réception de ces actions par les populations relève de la pure terreur, sans idée qu’une transaction politique entre les terroristes et l’État soit possible, car l’atteinte à des civils qui ne sont pas directement concernés est insupportable. Pour le Hamas, Shani Louk est une prise de guerre, mais son dénuement dit justement le contraire : elle est dès l’origine étrangère au conflit, ni son métier ni l’activité festive qu’elle menait avant d’être prise en otage ne l’en rapproche, et sa capture n’est pas un objectif militaire.</p>
<p>Comme souvent, les images de propagande sont réversibles : là où le Hamas entend mettre en scène un coup de force, les publics occidentaux voient une action armée qui vise essentiellement des civils désarmés, et rappelle plutôt la brutalité des gangs et des cartels mexicains. Voire une activité criminelle dépolitisée, où les assassinats de bébés et d’enfants, les viols de femmes, les kidnappings de vieilles dames, les tirs systématiques sur toute personne rencontrée, jusque dans l’espace domestique, ne peuvent être rapportés à une quelconque logique militaire.</p>
<p>C’est au contraire la dissymétrie entre tueurs et victimes que dévoile la vidéo de Shani Louk, dans des couples d’oppositions difficiles à appréhender émotionnellement.</p>
<p>Comme au Bataclan encore, opposition entre une rave party insouciante et l’irruption d’une violence qui l’achève dans le sang. Opposition entre l’espace de la fête et celui de la guerre, symbolisé ici par les mitraillettes et les jeeps. Opposition entre les photographies de Shani Louk avant son enlèvement, qui ont circulé sur Internet, la montrant en tenue bohème, clubbeuse, jeune fille « de son époque » posant sur Instagram pour ses <a href="https://www.businessinsider.com/shani-louk-friends-family-describe-german-israel-who-was-killed-2023-11">13 000 followers</a>, et ses derniers instants insupportables.</p>
<p>Opposition de posture et de sons entre des miliciens gesticulant et hurlant, levant leurs armes, et une jeune femme inconsciente. Opposition des religions entre combattants fanatisés et victimes, le Hamas traquant des « Juifs », avant de traquer des « Israéliens », ce qui a conduit à l’utilisation du mot « pogrom » pour qualifier l’attaque du 7 octobre. Toutes ces oppositions reconduisent en fait le découplage initial entre des univers qui « n’auraient pas dû » se rencontrer et que le terrorisme fait se rencontrer, celui de la violence et celui des civils.</p>
<p>Accepter d’être hanté par les images de souffrance et de violence, c’est se laisser envahir par des émotions dites négatives, par la sidération et le choc, alors même que les journalistes hésitent à les montrer, que la loi française interdit pénalement de publier des images portant atteinte à la dignité des victimes, et que les <a href="https://www.lemonde.fr/international/video/2023/10/23/guerres-massacres-attentats-les-conseils-d-un-psychiatre-pour-se-proteger-face-aux-images-violentes_6196124_3210.html">psychologues déconseillent de les regarder</a> au risque sinon de la sidération permanente, de <a href="https://www.slate.fr/tech-internet/operation-net-propre/travailleurs-horreur-quotidien-philipines-moderateurs-contenu-choquant-images-videos-reseaux-sociaux">l’anxiété</a>, du dégoût, voire de l’insensibilisation.</p>
<p>On sait que les images de propagande, d’exécutions (par Daech, par exemple), ici d’enlèvements, sont utilisées à des fins d’enrôlement de nouvelles recrues, de galvanisation, de construction de toute une imagerie de la violence et du martyre, afin de renforcer la radicalisation des terroristes.</p>
<p>Mais a contrario, les images choquantes peuvent aussi jouer un rôle de dénonciation et fédérer celles et ceux qui combattent ces violences. Pour ne citer qu’un exemple, les photos nazies ont été utilisées par la résistance polonaise, par les Soviétiques, par les journaux alliés, pour dénoncer le nazisme.</p>
<p>Cet iconoclasme contemporain tient à la confusion que pointait déjà <a href="https://lafabrique.fr/le-spectateur-emancipe/">Jacques Rancière</a> entre « l’intolérable dans l’image », celui de la réalité, et « l’intolérable de l’image ». Se confronter aux images c’est aussi accéder à d’autres émotions, la compassion notamment, provoquer des comportements, une révolte voire un engagement, face à la violence contre les civils, accéder à des informations, déconstruire une propagande, documenter une situation, ou encore identifier des assassins pour une éventuelle action en justice.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217199/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Taïeb ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Le destin tragique et révoltant de Shani Louk, tuée par le Hamas, fait réfléchir à la visibilité de la violence et à la façon d’être traversé par les images.
Emmanuel Taïeb, Professeur de Science politique - Rédacteur en chef de Quaderni, Sciences Po Lyon
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/215729
2023-10-26T18:01:59Z
2023-10-26T18:01:59Z
« Une expo, un chercheur » : Les photos de Julia Margaret Cameron dans l’œil d’un spécialiste du romantisme anglais
<p><em>Marc Porée est spécialiste de la littérature anglaise du XIXᵉ siècle, poésies comme romans. Infatigable lecteur, traducteur et contributeur régulier de notre média, il aime explorer les liens, les échos et les correspondances cachées entre différentes formes artistiques, en particulier chez les Romantiques. Il nous livre ses réflexions suite à sa visite de l’exposition dédiée à la photographe britannique <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Julia_Margaret_Cameron">Julia Margaret Cameron </a> (1815-1879), figure du XIXᵉ siècle, qui se tient en <a href="https://jeudepaume.org/evenement/exposition-julia-margaret-cameron/">ce moment au Jeu de Paume</a>. Captivé, comme nous, par la beauté de ces portraits mélancoliques, il dissipe avec sensibilité le flou (artistique) et enrichit notre vision de références historiques et de questionnements littéraires et poétiques, sans rien ôter à la magie Cameron.</em></p>
<hr>
<p>Ma première impression, en me promenant dans les salles de l’exposition du Jeu de Paume, est celle d’une forêt de visages, qu’on regarde et qui vous regardent. Pourquoi une forêt ? Sans doute à cause de la présence, étrangement végétale, de ces portraits de Victoriens à la barbe épaisse et broussailleuse, de ces chevelures de femmes, dénouées, flottant librement sur l’épaule, telles des lianes.</p>
<p>Leurs visages, alignés comme autant de plantes rares, semblent tout droit sortis de la serre – en réalité, un ancien poulailler, très lumineux – où Julia Margaret Cameron faisait poser ses modèles, dans sa propriété de Freshwater, sur l’île de Wight. Où elle faisait éclore, à dire vrai, leur être profond à l’issue de longues séances de pose (jusqu’à sept minutes !). D’où cette sensation que les visages sont de « vivants piliers », pour citer le poème « Correspondances » de Charles Baudelaire. Ils brillent doucement, semblant émerger de l’épaisseur d’une « forêt obscure ».</p>
<h2>Visages connus et illustres anonymes</h2>
<p>L’étonnement majeur, c’est de découvrir que Cameron n’aura photographié aucun paysage, aucun extérieur, à quelques rares exceptions près. Uniquement des visages. Et là, le dix-neuviémiste que je suis se retrouve en pays de connaissance… et néanmoins dépaysé. Pour plus de la moitié d’entre eux, en effet, ce sont des visages connus, de personnalités marquantes du temps. Ces « Eminents Victoriens » ont pour nom : Charles Darwin, le poète lauréat <a href="https://actualitte.com/article/101899/radio/lord-alfred-tennyson-une-voix-venue-du-passe">Alfred Tennyson</a>, le polémiste Thomas Carlyle, l’astronome F.W. Herschel, etc. Bref, on a là le gratin qui trône en majesté. Je les reconnais, je les saluerais presque, si l’intensité de leur expression n’imposait respect et recueillement.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/554331/original/file-20231017-15-qxba0q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/554331/original/file-20231017-15-qxba0q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=757&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/554331/original/file-20231017-15-qxba0q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=757&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/554331/original/file-20231017-15-qxba0q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=757&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/554331/original/file-20231017-15-qxba0q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=951&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/554331/original/file-20231017-15-qxba0q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=951&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/554331/original/file-20231017-15-qxba0q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=951&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Julia Margaret Cameron, « L’astronome John Frederick William Herschel », 1867, tirage albuminé.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Royal Photographic Society/V&A</span></span>
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<p>Mais il y a aussi les anonymes, les sans grade, les obscurs, sur lesquels Cameron fait toute la lumière : la domesticité employée par le couple Cameron, de nombreux enfants, comme chez Lewis Carroll, des membres de sa famille, dont tous n’étaient pas illustres. Sans oublier une population indigène, native d’Inde ou de Ceylan (où la famille avait une plantation de café et dont elle tirait l’essentiel de sa richesse déclinante) que Cameron immortalise en les « orientalisant » quelque peu au passage.</p>
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<img alt="Vignette de présentation de la série « Une expo, un chercheur », montrant une installation artistique de l’artiste Kusama" src="https://images.theconversation.com/files/539052/original/file-20230724-21-ipn5gj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/539052/original/file-20230724-21-ipn5gj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/539052/original/file-20230724-21-ipn5gj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/539052/original/file-20230724-21-ipn5gj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/539052/original/file-20230724-21-ipn5gj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/539052/original/file-20230724-21-ipn5gj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/539052/original/file-20230724-21-ipn5gj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>« Une expo, un chercheur » est un nouveau format de The Conversation France. Si de prime abord, le monde de l’art et celui de la recherche scientifique semblent aux antipodes l’un de l’autre, nous souhaitons provoquer un dialogue fécond pour accompagner la réflexion sans exclure l’émotion. Cette série de rencontres inattendues vous guidera à travers l’actualité des expositions en les éclairant d’un jour nouveau.</em></p>
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<p>Et puis, troisième cas de figure, il y a les portraits de Julia Jackson, la nièce et filleule de Cameron, la future mère de l’écrivaine Virginia Woolf (que l’artiste n’a pas connue). La flèche du temps s’inverse : c’est comme si Virginia était « toujours déjà là », en germe dans l'oeuvre de Cameron, elle qui rédigera, en 1926, la première biographie de sa grand-tante, la tirant de l’oubli et façonnant sa légende. Renchérissant de la sorte sur la dimension intrinsèquement littéraire de cette branche (tiens, encore la métaphore végétale…) de l’art photographique qu’on nommera <a href="https://pur-editions.fr/product/8671/soleil-noir">« photolittérature »</a>. Quelque part, Cameron apparaît déjà dans le temps de demain, le temps d’après, celui des modernistes. Et puis, avec son studio « à soi », sa chambre noire « à elle » (installée dans la cave de la maison), elle anticipe sur les revendications de la même Woolf, réclamant pour les femmes une plus grande indépendance, matérielle et financière, au nom du droit à la création.</p>
<h2>Des portraits magnétiques</h2>
<p>On pourrait les croire en noir et blanc, mais les portraits de Cameron sont plutôt ton sur ton, un sépia sur un fond inégalement sombre. Ses images fascinent parce qu’y affleure le visage, dans sa nudité, sa vulnérabilité – dont parle si bien le <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-chemins-de-la-philosophie/levinas-quand-un-visage-nous-desarme-6097234">philosophe Emmanuel Lévinas</a> –, sa désirabilité, aussi. Sa mélancolie, surtout. <em>Bonjour tristesse</em>, aurait-on envie de titrer, en songeant « à ce quelque chose qui se replie sur moi comme une soie, énervante et douce, et me sépare des autres » dont parlera, au XX<sup>e</sup> siècle, Françoise Sagan.</p>
<p>Anthropologiquement, la palette des émotions qu’exprime un visage est limitée, mais elle est de tous les temps. Un cri, une lamentation, une imploration, quand ils sont pris dans un faisceau de représentations, picturales, sculpturales, littéraires, reconnues comme telles ou non, prennent racine dans un psychisme collectif et sont de forts vecteurs d’émotion.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/554333/original/file-20231017-21-4g883l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/554333/original/file-20231017-21-4g883l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=676&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/554333/original/file-20231017-21-4g883l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=676&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/554333/original/file-20231017-21-4g883l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=676&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/554333/original/file-20231017-21-4g883l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=850&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/554333/original/file-20231017-21-4g883l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=850&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/554333/original/file-20231017-21-4g883l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=850&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Julia Margaret Cameron, « The Echo », 1868, tirage albuminé.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Maisons de Victor Hugo Paris-Guernesey</span></span>
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<p>La mythologie, aussi, réactive puissamment l’expression de la souffrance. Le portait intitulé « The Echo » représente une jeune femme désignant implicitement de la main sa gorge : dans la légende rapportée par Ovide, on se souvient que la nymphe amoureuse de Narcisse se voit punie par Junon, qui lui interdit de parler autrement qu’en répétant la dernière syllabe des mots entendus. On pourrait alors à se livrer à une analyse métapoétique de ce portrait, qui pointerait du doigt le mutisme affectant la photographie elle-même. Voyez, entendez, l’écho muet, ineffable, qui se prolonge…</p>
<h2>Une photographe anticonformiste</h2>
<p>Anticonformiste, Cameron l’est, parce qu’elle choisit de ne respecter aucune des préconisations contemporaines en matière de photographie. Elle va cultiver le flou artistique et faire de ses erreurs – erreurs de débutante, lui fait-on remarquer avec condescendance – sa marque de fabrique.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/une-expo-un-chercheur-les-cranes-geants-de-ron-mueck-vus-par-un-paleoanthropologue-208800">Une expo, un chercheur : les crânes géants de Ron Mueck vus par un paléoanthropologue</a>
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<p>Plus ses plaques et tirages comportent de tâches, de rayures, de griffes, de traces de doigt, sales par-dessus le marché, et mieux elle se porte ! La matérialité du médium, son opacité, lui importent, alors même que ses images se veulent immatérielles, quasi diaphanes ou éthérées. C’est ce paradoxal rappel à l’ordre de la matière (les tirages au charbon, le collodion dont on recouvre à l’époque les lourdes plaques de verre, le temps de pose, incompressible, mais qu’elle a tendance à rallonger encore, sa signature à la main et ses commentaires apposés tout autour du cliché), qui la distingue des autres photographes.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/554349/original/file-20231017-17-tp40pt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/554349/original/file-20231017-17-tp40pt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=775&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/554349/original/file-20231017-17-tp40pt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=775&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/554349/original/file-20231017-17-tp40pt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=775&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/554349/original/file-20231017-17-tp40pt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=974&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/554349/original/file-20231017-17-tp40pt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=974&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/554349/original/file-20231017-17-tp40pt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=974&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Julia Margaret Cameron, « Annie », 1864, tirage albuminé. Il s’agit du premier tirage de la photographe.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Royal Photographic Society Collection/V&A</span></span>
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</figure>
<p>Anticonformiste, aussi, le despotisme, à peine éclairé, dont elle fait preuve avec ses modèles, auxquels elle impose, outre la pose, de se draper dans d’invraisemblables tenues, ou de supporter sur le dos de lourdes ailes d’anges. Cameron est une femme puissante, tyrannique dans sa façon de « réaliser » ses tableaux vivants et de diriger ses « acteurs » et « actrices », ce qui est peu conforme, en tout cas, au stéréotype de la femme victorienne.</p>
<h2>Les femmes et les enfants d’abord</h2>
<p>Les femmes que Cameron photographie sont ses proches, ou ses servantes. Ses sœurs aussi, au sens figuré. En permettant à ses modèles de sortir de l’ombre, celle de l’anonymat comme celle de l’arrière-plan, Cameron les révèle à elles-mêmes. Le topos de la femme en attente de son accomplissement sexuel, elle l’illustre plus d’une fois, comme s’il y avait là une échéance, un rite de passage, dont seule une femme peut saisir l’enjeu et déchiffrer le mystère.</p>
<figure class="align-center ">
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<span class="caption">Julia Margaret Cameron, « Lucia », 1864, tirage albuminé.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Bibliothèque nationale de France (BnF)</span></span>
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</figure>
<p>Quant aux enfants, elle comprend, à l’instar des poètes romantiques avant elle, qu’ils sont le sel de la terre, les dépositaires d’une puissance d’être infinie. Aux artistes masculins, qui se détournent des enfants, Cameron oppose sa préférence pour ce qui, chez eux, rompt avec la hiérarchie des adultes. Ses premiers portraits sont du reste des portraits d’enfant. Elle a 48 ans quand sa fille et son gendre lui offrent pour Noël son premier appareil. Avec la ferveur des fraîchement converti(e) s, elle gardera un regard d’enfant pour ce jouet magique qui n’en est encore qu’à ses balbutiements. Dans l’enfance de l’art…</p>
<h2>Un univers victorien</h2>
<p>Victorienne, Cameron l’est jusqu’au bout des ongles. Ses portraits de femme, qui ne portent pas l’indication de leur identité (laquelle est réservée aux hommes), s’ornent de légendes mettant en avant des allégories (du chagrin, du deuil, de l’espérance, de la pureté, du désespoir, etc.). Son œuvre, même la plus profane en apparence, s’ouvre sur un arrière-plan religieux. Sous le portrait d’un enfant aux ailes d’ange, on lit « I wait » (J’attends). On comprend immédiatement que le chérubin bougon supporte difficilement l’attente qu’on lui fait subir ; dans un deuxième temps, pour nous, pas pour les Victoriens qui avaient parfaitement intégré le double niveau de lecture, l’énoncé renvoie à l’attente de la résurrection, de la vie éternelle dans l’au-delà. Il n’est d’ailleurs pas exclu que Cameron introduise, à l’occasion, de l’humour dans ces sujets graves et sérieux.</p>
<h2>Une pro du storytelling</h2>
<p>En faisant le choix d’illustrer les <a href="https://www.babelio.com/livres/Tennyson-Les-idylles-du-roi/297771">« Idylles du Roi »</a> de Tennyson, <a href="https://www.poetryfoundation.org/poems/43971/christabel">« Christabel »</a> de S.T. Coleridge, <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9791041914258-la-veille-de-la-sainte-agnes-poesies-et-poemes-de-john-keats-john-keats/">« la Veille de la St Agnès »</a> de John Keats, mais aussi Shakespeare, dans la deuxième période de sa courte existence de photographe (douze ans au plus), Cameron opte pour la narration, le storytelling, davantage que pour l’« imagement » (terme emprunté à <a href="https://www.en-attendant-nadeau.fr/2020/02/11/monde-image-bailly/">Jean-Christophe Bailly</a>, dont il faut lire les pénétrants essais sur la photographie). Certes, la photographie se soustrait à « l’éclosion continue » du temps, mais Cameron insiste pour la remettre en mouvement. Pareille dynamique fictionnelle témoigne de la persistance, outre-Manche, d’une forte tradition narrative. Nombre de photos de Cameron s’apparentent ainsi à des esquisses, des départs d’histoires, souvent d’amour : le futur époux de Mary Ryan, immigrante irlandaise, tomba fou amoureux d’elle à la seule vue du portrait qu’en tira Cameron…</p>
<h2>Révélation et flou artistique</h2>
<p>La photographie est d’abord un processus, chimique voire alchimique, qui se déploie dans le temps. Tout, dans cet arrêt sur image, est tributaire d’une action chimique visant la révélation, l’apparition de l’image au sens épiphanique et encore une fois religieux du terme. C’est l’âme inconnue du portraituré qui se dégage de la plaque, et se dépose sur cette feuille ultrasensible. Le visage illuminé de l’astronome Herschel, tourné vers le ciel qu’il scrute de son télescope, brille d’un éclat autant égaré que surnaturel. Cameron traque la folie, et la sainteté, du génie au moyen de son écriture lumineuse (<em>photo-graphie</em>, littéralement).</p>
<p>Le flou idéalise la personne, lui confère l’équivalent d’une auréole, ce qu’on désignera autrement par le terme d’aura. Mais gare à ne pas abuser de la technique du « soft focus » : les flous hamiltoniens, du nom de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/David_Hamilton">David Hamilton</a>, le photographe aujourd’hui controversé des nymphettes qui connut son heure de gloire dans les années 1970, sont (justement) passés de mode.</p>
<p>Le flou caméronien, lui, procède du désir « d’empiéter sur le domaine de l’impalpable et de l’imaginaire », dont Charles Baudelaire se méfiait grandement, dans un Salon de 1859 consacré à démolir le surgissement en force de « l’industrie photographique ». En s’arrogeant pour sa part un droit de regard sur « tout ce qui ne vaut que parce que l’homme y ajoute son âme » (Baudelaire, encore), Cameron semble contredire formellement l’idée baudelairienne selon laquelle la photographie ferait notre « malheur » !</p>
<h2>Une créatrice partout présente et partout absente</h2>
<p>Arrivé au terme de l’exposition, on se pince les yeux. Comment se fait-il qu’aucun de ces portraits – Cameron a dû en réaliser plus d’un millier – ne la représente, elle ? Elle serait l’absente de tout portrait, s’il n’y avait, juste avant la sortie, un portrait réalisé par son fils, lui aussi photographe professionnel.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/554334/original/file-20231017-27-wp5fj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/554334/original/file-20231017-27-wp5fj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=593&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/554334/original/file-20231017-27-wp5fj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=593&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/554334/original/file-20231017-27-wp5fj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=593&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/554334/original/file-20231017-27-wp5fj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=746&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/554334/original/file-20231017-27-wp5fj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=746&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/554334/original/file-20231017-27-wp5fj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=746&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Henry Herschel Hay Cameron, « Mrs Julia Margaret Cameron », 1867, tirage albuminé.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Royal Photographic Society/V&A</span></span>
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<p>On la découvre, les traits un peu épais et mats, très loin des figures de Madones qui hantent ses photos. Cameron se serait-elle fuie elle-même ? Aurait-elle programmé minutieusement sa propre disparition ? Il faut comprendre, je crois, qu’à l’image de William Shakespeare dont Cameron mit photographiquement en scène des moments choisis de son répertoire, le créateur, dramaturge ou photographe, est partout absent et partout présent dans son œuvre, de par sa capacité à absorber l’identité de l’autre en passant tout entier en lui, à créer indifféremment un Iago ou une Imogène, à se faire caméléon, à se défaire de son identité propre, pour mieux les endosser toutes.</p>
<p>L’art le plus sublime, avait dit le poète William Blake, consiste à faire que l’autre « passe avant et devant soi ». Dont acte.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215729/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>
Pourquoi les visages mélancoliques capturés par la photographe Julia Margaret Cameron, à l’époque victorienne, sont-ils aussi fascinants ?
Marc Porée, Professeur émérite de littérature anglaise, École normale supérieure (ENS) – PSL
Sonia Zannad, Cheffe de rubrique Culture, The Conversation France
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tag:theconversation.com,2011:article/210732
2023-08-16T18:38:01Z
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Quand art et sciences économiques s’associaient pour parler au plus grand nombre
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/540408/original/file-20230801-15-34adsa.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C22%2C1058%2C653&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le « Survey Graphic », une des premières publications à faire la part belle aux visuels dans l'Entre-deux-guerres (ici un encart publicitaire de novembre 1938)</span> <span class="attribution"><span class="source">Archives.org</span></span></figcaption></figure><p>La <a href="https://theconversation.com/topics/premiere-guerre-mondiale-25897">Première guerre mondiale</a> fut une atroce boucherie et une immense désillusion morale. Les promesses ouvertes par la révolution industrielle et la philosophie positiviste du siècle précédent s’étaient fracassées sur la réalité de la guerre avec un <a href="https://www.ined.fr/fichier/s_rubrique/19890/population_societes_2014_510_guerre.fr.fr.pdf">bilan</a> sans appel : <a href="https://www.sudouest.fr/redaction/le-cercle-sud-ouest-des-idees/le-bilan-humain-de-la-guerre-14-18-20-millions-de-morts-2911746.php">vingt millions de morts</a> toutes nations confondues et autant de blessés graves.</p>
<p>L’armistice signé, l’opinion publique prenait conscience que les progrès de la science, célébrés par les utopies socialistes ou dans les romans d’anticipation de Jules Verne, avaient aussi été à l’origine des <a href="https://www.theoemery.com/book-hellfire-boys/">gaz mortels</a> et des divers outils de destructions massives qui avaient participé à ce massacre. À partir de 1917, de nombreux soulèvements ont lieu, à commencer par la Russie. Dans la vieille Europe comme aux États-Unis, une part significative de la population est séduite par les idées des mouvements populistes : le parti national-socialiste en Allemagne, le Ku Klux Klan aux États-Unis, les fascistes en Italie et divers autres groupes d’extrême droite en France, en Angleterre ou en Autriche. Dans la plupart des pays avancés s’ouvre alors une période de remise en cause profonde des idéaux modernes.</p>
<p>La <a href="https://theconversation.com/topics/science-economique-33724">science économique</a> n’a pas été épargnée par ce climat de défiance. Confrontée à la planification des activités économiques qui a permis la victoire de l’Entente, la théorie du marché parfait des économistes mathématiciens apparaît désormais comme une utopie un peu vaine. Comme nous l’avons montré dans un <a href="https://hal.science/hal-00870490/document">article</a> publié dans une <a href="https://read.dukeupress.edu/hope/article-abstract/45/4/567/12541/Economics-for-the-Masses-The-Visual-Display-of">revue historique américaine</a>, de nombreuses critiques voient le jour dans les années 1920 contre la spécialisation grandissante de la discipline et son isolement par rapport à une population traumatisée par le conflit mondial et la Révolution russe.</p>
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<p>Des ingénieurs, des sociologues et des économistes, inquiets de cette déconnexion croissante entre la population et les théories sociales et économiques, pensent alors qu’il est nécessaire de créer des outils et des méthodes pour unifier les sciences sociales et développer un véritable dialogue avec le peuple. Une autre éducation économique était nécessaire. Ils imaginent notamment de nouveaux <a href="https://theconversation.com/topics/data-visualisation-37427">visuels</a> comme moyen de répondre à ce défi.</p>
<h2>Photographie et statistique sociale aux États-Unis</h2>
<p>Outre-Atlantique, ce sont les associations de travailleurs sociaux qui sont les plus ouvertes à cette nouvelle approche. Leur principal média, le <a href="https://archive.org/search?query=survey+associates"><em>Survey</em></a>, propose, en particulier dans son supplément graphique, une large sélection de représentations visuelles des faits économiques et sociaux : photographies, diagrammes mais aussi <a href="http://www.info-ren.org/projects/btul/exhibit/stell31.html">tableaux</a>, <a href="https://winoldreiss.org/works/artwork/graphic/SurveyGraphic.htm">portraits</a> et autres <a href="https://library.osu.edu/site/vanloon/illustrator/">formes</a> d’<a href="https://twitter.com/dorothyjberry/status/1353458000904773632?l">illustrations</a>. Sur le plan universitaire, c’est un manuel d’introduction généraliste, <a href="https://archive.org/details/americaneconomic0000rexf/page/n5/mode/2up"><em>American Economic life</em></a>, rédigé par Rexford Tugwell – un proche du futur Président Franklin Roosevelt – et son assistant Roy Stryker, qui popularise cette pratique pédagogique.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/540143/original/file-20230731-179364-g5nfj3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/540143/original/file-20230731-179364-g5nfj3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/540143/original/file-20230731-179364-g5nfj3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=860&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/540143/original/file-20230731-179364-g5nfj3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=860&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/540143/original/file-20230731-179364-g5nfj3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=860&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/540143/original/file-20230731-179364-g5nfj3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1081&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/540143/original/file-20230731-179364-g5nfj3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1081&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/540143/original/file-20230731-179364-g5nfj3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1081&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Photographie de mécanicien, par Lewis Hine.</span>
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<p>Ces publications font la part belle aux photographies de <a href="https://www.cairn.info/revue-la-cause-du-desir-2018-2-page-211.htm">Lewis Hine</a>. Après des études de sociologie, ce dernier devient professeur à New York au début du XX<sup>e</sup> siècle. C’est pour des raisons pédagogiques qu’il commence à photographier de manière systématique les migrants européens arrivant à Ellis Island, porte d’entrée des États-Unis située à l’embouchure du fleuve Hudson. Bientôt convaincu de la capacité de la photographie à sensibiliser et faire comprendre les problèmes sociaux et économiques, non seulement aux décideurs, mais aussi au plus grand nombre, Hine décide d’abandonner l’enseignement et de se consacrer à plein temps à son activité de <a href="https://www.jstor.org/stable/2712885">« photographe social »</a>. Impliqué dans des enquêtes d’envergure à Pittsburgh puis à New York, il se mit à produire régulièrement des « portraits du travail » dont l’objet était d’offrir une vision positive et émancipatrice des salariés anonymes de l’industrie, comme ce célèbre portrait de mécanicien.</p>
<p>La photographie n’est cependant pas le seul type de support visuel utilisé. On trouve également des dessins, des schémas, des représentations statistiques, parfois illustrées pour leur donner une forme plus agréable pour le lecteur. Les auteurs du manuel <em>American economic life</em> et du magazine <em>The Survey</em> s’inspirent notamment de l’<a href="https://archive.org/details/graphicmethodsfo00brinrich">ouvrage</a> publié en 1914 par l’ingénieur Willard C. Brinton consacré aux méthodes graphiques de présentation des faits sociaux. Ce dernier y explique en introduction qu’il a écrit un ouvrage destiné « à l’homme d’affaire, au travailleur social et au législateur ». Il a, pour cela, cherché à éviter tout symbole mathématique au profit d’une présentation purement graphique.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/540144/original/file-20230731-19-3cyqz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/540144/original/file-20230731-19-3cyqz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/540144/original/file-20230731-19-3cyqz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=341&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/540144/original/file-20230731-19-3cyqz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=341&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/540144/original/file-20230731-19-3cyqz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=341&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/540144/original/file-20230731-19-3cyqz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=429&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/540144/original/file-20230731-19-3cyqz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=429&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/540144/original/file-20230731-19-3cyqz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=429&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Comparaison des régimes alimentaires des citoyens américains et allemands.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Extrait du manuel American Economic Life</span></span>
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<p>On y trouve ainsi de nombreux outils visuels devenus très courants, mais tout à fait nouveaux pour l’époque comme ce « camembert » comparant la composition des régimes alimentaires des citoyens américains et allemands.</p>
<h2>La recherche d’une clarté maximale</h2>
<p>En Europe aussi, nombreux sont ceux qui ne sont pas satisfaits par l’économie « classique » et s’intéressent aux méthodes visuelles pour éduquer et émanciper les classes populaires. Le <a href="https://journals.openedition.org/nrt/3412?lang=en">photographe allemand August Sander</a> s’engage, par exemple, dans un projet assez similaire à celui de Lewis Hine. Il veut rendre compte de manière visuelle des différents groupes sociaux, qu’ils soient visibles comme celui des artistes modernistes qu’il côtoyait, ou modestes comme celui des paysans qu’il allait rencontrer à la campagne. Ses œuvres participent du mouvement artistique et intellectuel dit de « La nouvelle objectivité », qui fut récemment l’objet d’une <a href="https://www.centrepompidou.fr/fr/programme/agenda/evenement/dEOe6u0">exposition au Centre Pompidou</a>.</p>
<p>Parallèlement aux photographies de Sander, l’historien, économiste, philosophe des sciences et directeur du Musée de l’économie et de la société de Vienne, Otto Neurath, met au point une méthode scientifique de visualisation simplifiée des statistiques économiques et sociales. Elle est appelée « Méthode viennoise », puis « Isotype ». Neurath était par ailleurs membre du célèbre Cercle de Vienne qui développait une pensée empiriste et logique, et coauteur de son influent <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Manifeste_du_Cercle_de_Vienne">manifeste</a>. Ses principes pédagogiques reposaient sur les expériences scientifiques des psychologues viennois de son époque.</p>
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<span class="caption">Exemple typique d’isotype créé par l’équipe d’Otto Neurath au Musée de Vienne.</span>
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<p>Otto Neurath, avec sa future épouse Marie Reidemeister, a imaginé sa méthode au croisement de ses conceptions <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-otto_neurath_un_philosophe_entre_science_et_guerre_antonia_soulez-9782738456298-10964.html">philosophiques</a> et <a href="http://www.editionsdelasorbonne.fr/fr/livre/?GCOI=28405100397310">politiques</a> sur le langage et le rôle du savoir dans la société, et des recherches visuelles initiées par les artistes du groupe des <a href="https://books.openedition.org/pupo/2002?lang=fr">« Progressifs de Cologne »</a>, tels que <a href="https://libcom.org/article/gerd-arntz-illustrations">Gerd Arntz</a> et <a href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/9/94/Franz_Wilhelm_Seiwert_-_Fabriken_-_1926.jpeg">Franz Whilem Seiwert</a>. Comme le montre cette représentation du nombre de travailleurs dans l’industrie sidérurgique, l’isotype repose sur un principe de clarté maximale qui exige la simplification des objets représentés, mais aussi la conversion des unités statistiques en icônes. Le tableau statistique était alors reconstruit sous la forme d’une histoire visuelle, compréhensible même pour ceux qui n’avaient pas eu la chance de bénéficier d’une éducation classique avancée. La standardisation des pictogrammes et des codes couleur utilisés, conçue avec son principal collaborateur visuel, Gerd Arntz, renforçait cette lisibilité en permettant un apprentissage visuel des classes populaires.</p>
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<span class="caption">Une du Survey Graphic, numéro de Mars 1932.</span>
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<p>Activiste socialiste et promoteur de l’universalisme sur les plans politique et culturel, Neurath profite de toutes les occasions pour internationaliser sa méthode, ouvrant des succursales en Allemagne, en Angleterre et en Union soviétique au début des années 1930. Il noue aussi de nombreux contacts aux États-Unis, à New York et Chicago, et arrive à convaincre les éditeurs du <em>Survey</em> de publier son travail.</p>
<h2>De l’engouement à l’échec</h2>
<p>Des statistiques visuelles « à la Neurath » se répandent alors rapidement dans des journaux et magazines américains. L’administration Roosevelt joue un rôle essentiel en initiant un vaste programme de communication politique qui vise à montrer l’état du pays, en particulier des zones rurales ravagées par des années de crise économique et les épisodes climatiques, mais aussi à promouvoir les politiques du <em>New Deal</em>. La plus célèbre de ces initiatives est sans doute le recueil de <a href="https://www.loc.gov/rr/program/journey/fsa.html">photographies de la Farm Security Administration</a>, coordonné par Roy Stryker, qui encore aujourd’hui oriente largement notre vision de cette époque, notamment à travers les clichés de Dorothea Lange ou <a href="https://www.loc.gov/pictures/collection/coll/item/2003656560/">Walker Evans</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/540150/original/file-20230731-235615-ur66wm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/540150/original/file-20230731-235615-ur66wm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/540150/original/file-20230731-235615-ur66wm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=748&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/540150/original/file-20230731-235615-ur66wm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=748&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/540150/original/file-20230731-235615-ur66wm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=748&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/540150/original/file-20230731-235615-ur66wm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=940&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/540150/original/file-20230731-235615-ur66wm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=940&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/540150/original/file-20230731-235615-ur66wm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=940&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Migrant mother, par Dorothea Lange, une des photographies les plus connues du programme de la Farm Security Administration.</span>
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<p>À côté de ces photographies qui s’apparentent au projet initié par Lewis Hine, l’administration Roosevelt multiplie les représentations visuelles dans ses documents officiels pour illustrer et justifier ses politiques. Ces figures ne se contentent plus de représenter des données, mais parfois aussi des processus économiques ou des concepts théoriques comme le multiplicateur keynésien, lequel sera largement diffusé dans les <a href="https://read.dukeupress.edu/hope/article/46/suppl_1/134/38740/Negotiating-the-Middle-of-the-Road-Position-Paul">manuels d’économie d’après-guerre</a>.</p>
<p>Bien qu’ils soient utilisés de manière massive dans les principaux magazines d’information créés dans années 1920 et 1930 (<em>Time magazine</em>, <em>Newsweek</em> et <em>Fortune</em>), ces objets visuels furent néanmoins très rapidement discrédités sur le plan scientifique. Plusieurs scandales éclatèrent à propos d’images « arrangées » par les photographes du groupe Stryker, remettant en cause leur neutralité comme source d’information à la fois pour le public, mais aussi pour les chercheurs en sciences sociales. Les statistiques visuelles sont également sévèrement critiquées pour leur manque de précision et leur caractère trop publicitaire. Aussi, malgré la publication de quelques ouvrages remarquables comme <a href="https://dorothealange.museumca.org/section/an-american-exodus-a-new-kind-of-book/"><em>Un exode américain</em></a>, co-écrit par l’économiste Paul Douglas et Dorothea Lange, ce mouvement de visualisation a rapidement quitté la sphère des sciences sociales pour intégrer celle de la communication, du journalisme et la publicité.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/540152/original/file-20230731-160144-yt9g05.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/540152/original/file-20230731-160144-yt9g05.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/540152/original/file-20230731-160144-yt9g05.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=781&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/540152/original/file-20230731-160144-yt9g05.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=781&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/540152/original/file-20230731-160144-yt9g05.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=781&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/540152/original/file-20230731-160144-yt9g05.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=981&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/540152/original/file-20230731-160144-yt9g05.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=981&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/540152/original/file-20230731-160144-yt9g05.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=981&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Le multiplicateur keynésien, vu par l’administration Roosevelt.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cet échec met en perspective l’écart très souvent dénoncé entre les experts de l’économie et la population sur des sujets essentiels tels que l’<a href="https://laviedesidees.fr/Derriere-les-chiffres-de-l-inflation">inflation</a> ou la <a href="https://laviedesidees.fr/La-dette-cet-artefact">dette publique</a>. À se complexifier, la science crée simultanément une difficulté, voire une incapacité, à se rendre compréhensible par le plus grand nombre. Le mouvement <a href="https://www.cairn.info/revue-education-et-societes-2015-1-page-103.htm">« autisme-économie »</a> prônait par exemple, au début des années 2000, une réforme de l’enseignement de l’économie qui ne décrivait, selon ses membres, que des « mondes imaginaires ». L’histoire nous apprend que le dilemme entre la volonté de scientificité et la nécessité de se faire comprendre par les citoyens est ancien et qu’il n’existe pas, à ce jour, de solution complètement satisfaisante pour y répondre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210732/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Loïc Charles a reçu des financements de l'Université de Paris 8, de l'Ined et de l'ANR. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Yann Giraud a reçu des financements de CY Cergy Paris Université.</span></em></p>
Les économistes, déconnectés du monde réel ? Dans les années 1920 et 1930, ils faisaient appel à la photographie et d’autres outils visuels pour parler de l’économie.
Loïc Charles, Professeur d'histoire de l'économie, Institut National d'Études Démographiques (INED)
Yann Giraud, Professeur en histoire des savoirs économiques, CY Cergy Paris Université
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/209646
2023-07-20T15:55:32Z
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À Marseille, l’espace public vu par ceux et celles qui s’injectent des drogues
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/538505/original/file-20230720-27-21ff1r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C31%2C3019%2C1969&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">#Mise en abîme : « C’est la fenêtre extérieure du Tipi, où du coup y a un graff dessous, j’ai posé sur le mur la boite de l’appareil photo, avec le plastique, et en fait c’est dans l’entrebâillement du volet, et on voit au fond le jardin, et en fait on vous voyait, vous. »</span> <span class="attribution"><span class="source">Projet Eposim</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>À Marseille, l'attente et les résistances liées à l'ouverture <a href="https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/drogues-une-salle-de-consommation-a-moindre-risque-doit-ouvrir-a-marseille-20230608_D25DJ5IGNJF2PHVH2FJPDKNB3E">d'une salle de consommation à moindre risque</a> révèlent une grande méconnaissance des réalités vécues au quotidien par les personnes qui s'injectent des drogues.</p>
<p>Les réactions hostiles à ce type de dispositif indiquent aussi une forme de frilosité quant à une <a href="https://www.ajpmonline.org/article/S0749.3797(21)00275-0/fulltext">réelle politique de réduction des risques</a>, qui se caractérise par une approche pragmatique de santé publique, qui favorise l'aller-vers et une meilleure compréhension du monde social qui les entoure.</p>
<p>Afin de pallier cette ignorance et de mieux comprendre comment vivent les personnes qui injectent des drogues à Marseille, une <a href="https://doi.org/10.1177/10497323231169607">enquête</a> mobilisant une méthodologie «photovoix» a été mise en place début 2020.</p>
<h2>Donner une voix par l'image</h2>
<p><a href="https://doi.org/10.1177/109019819702400309">Cette méthode photovoix</a> est aujourd'hui fréquemment utilisée dans les recherches communautaires et participatives afin d'approcher des terrains sensibles et de collecter des données dans le souci de mieux inclure les participants, en leur donnant une <a href="https://doi.org/10.1016/j.healthplace.2019.05.001">voix dans la recherche par la photographie</a>.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/538510/original/file-20230720-25-n80ysy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/538510/original/file-20230720-25-n80ysy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/538510/original/file-20230720-25-n80ysy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=905&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/538510/original/file-20230720-25-n80ysy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=905&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/538510/original/file-20230720-25-n80ysy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=905&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/538510/original/file-20230720-25-n80ysy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1137&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/538510/original/file-20230720-25-n80ysy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1137&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/538510/original/file-20230720-25-n80ysy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1137&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">#Poubelle à seringues «Les seringues ! Je les mets dans des bouteilles. Après je les rapporte ici. Il doit y en avoir quarante ou cinquante, enfin ça dépend des bouteilles, souvent j'prends des grosses bouteilles, voilà, ça recycle la bouteille… J'fais super attention, je jette jamais mon matos, sauf dans la rue, quand j'ai pas le choix….</span>
<span class="attribution"><span class="source">Eposim</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Durant un à trois mois, nous avons donné aux participant·e·s (n=10) un appareil photographique, ici un jetable Fujifilm, 27 poses, 400 ISO, couleurs, pour qu'elles et ils prennent des clichés de leur environnement, de leurs pratiques, des outils utilisés pour l'injection ainsi que des lieux fréquentés, tout en veillant à l'anonymat et au fait de ne pas prendre de photographies identifiantes.</p>
<p>L'intérêt de cette approche réside dans son caractère participatif : il s'agit d'inclure les participant·e·s comme co-chercheurs et co-chercheuses à chacune des étapes de la recherche : élaboration de la question de recherche, réflexion autour des enjeux éthiques propre à la recherche, collecte des données par la photographie, analyse des photographie lors d'un entretien individuel travail de codage des photographies lors d'atelier en groupe, et enfin valorisation de la recherche lors d'expositions ou d'élaboration de dossier dans une <a href="https://drive.google.com/file/d/1h9JUcZkiArqpmm_l-fJF4QSJKgYvzo06/edit">revue d'auto-support</a> (Sang d'Encre n°7) ou encore sur un <a href="https://vif-fragiles.org/photovoix/">site web</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/537728/original/file-20230717-96368-40gorh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/537728/original/file-20230717-96368-40gorh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/537728/original/file-20230717-96368-40gorh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/537728/original/file-20230717-96368-40gorh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/537728/original/file-20230717-96368-40gorh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/537728/original/file-20230717-96368-40gorh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/537728/original/file-20230717-96368-40gorh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">«Expert de l'expérience»: La préparation c'est une grosse pompe de dix millilitres, tout est stérile, on se lave les mains, moi avec les collègues et tout, on met tout sur une table, des fois on essaye de prendre un truc assez propre pour le poser, voilà. On prend de l'eau, on remplit notre pompe sans mettre l'aiguille, on la remplit jusqu'à cinq, même des fois dix, on met l'eau dedans, on prend une gélule, de deux cents milligrammes, on la met dedans, on le chauffe un peu, une fois que c'est chaud, faut bien savoir, faut bien connaître le système parce que après, faut pas que ce soit trop chaud, ni trop froid, sinon après les grains ils vont mal s'écraser ou bien savoir il faut bien connaître le procédé du truc, écraser tous les grains, après prendre un filtre.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Recherche Eposim</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Une immersion</h2>
<p>Cette méthode permet une certaine immersion, médiée par la photographie, dans les vies des personnes et donne accès à leur intimité, au plus près de leurs pratiques.</p>
<p>Les entretiens réalisés à partir des photographies permettent au photographe-participant de revenir sur l'intentionnalité du cliché, d'expliquer ce que l'on regarde et d'aider à décoder les indices des consommations, des pratiques et de ces gestes du quotidien devenus banals pour elles et eux mais qui pourtant relèvent de stratégies et de débrouille qui pourraient être mises en commun ou accompagnées.</p>
<p>Ces savoirs de l'expérience mobilisés par les personnes utilisatrices de drogues sont indispensables à la fois dans une approche de réduction des risques et dans toute clinique des addictions. Les personnes prennent des habitudes et échangent des savoirs entre pairs. La pratique de l'injection est un geste technique qui nécessitent des outils tels que les seringues, les filtres ou encore les «cups» (récipient stérile).</p>
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<p>Testés en laboratoire ces outils ne sont pas toujours adaptés aux modes de consommations et aux conditions de vie précaire des personnes, notamment lorsqu'elles doivent s'injecter rapidement entre deux voitures, afin d'éviter le regard des passants.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/537730/original/file-20230717-200541-1nr3qo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/537730/original/file-20230717-200541-1nr3qo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/537730/original/file-20230717-200541-1nr3qo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/537730/original/file-20230717-200541-1nr3qo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/537730/original/file-20230717-200541-1nr3qo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/537730/original/file-20230717-200541-1nr3qo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/537730/original/file-20230717-200541-1nr3qo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">«Entre deux voitures»: C'est la rue Thiers, en fait en bas c'est Curiol et là c'est la rue Thiers et en fait c'est des marches, je trouvais ça sympa, la prise elle est trop cool, j'aime trop. Ouais, c'est parce que là en fait tu as tous les déchets de la société. T'y as le plus vieux travail du monde qui est représenté dans c'te rue, t'y as les tox, parce que les marches elles sont prises et tout et puis en plus c'est des petites rues, t'as plein de voitures, la nuit il n'y a pas beaucoup de personnes qui passent, t'as des putes, t'as tout, genre t'as jamais les flics qui passent, ils s'en battent les couilles tu peux faire ce que tu veux ici, puis tu retrouves des seringues, tout ça, c'est sympa c'te rue, enfin pas vraiment, et puis, la voilà pour dire, tu t'caches derrière la voiture, entre les voitures, parce que on te voit pas, et puis c'est tout, voilà.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Recherche Eposim</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les photographies collectées permettent de documenter les lieux de consommation et les stratégies mobilisées pour faire face aux différents risques, notamment ceux liés aux contrôles de police. Les témoignages associés montrent également combien la stigmatisation est intériorisée par les personnes. La violence des termes que ce participant utilise « déchets » ; « tox » ; « putes » renvoie à la violence subie au quotidien, notamment dans le <a href="https://www.psychoactif.org/forum/t29074-p1-Toxicophobie-mon-amour.html">langage toxicophobe</a> qui peut être entendu dans les familles, dans les discours politiques et parfois même jusque dans les cabinets de consultations.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/537732/original/file-20230717-98971-5tvzpx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/537732/original/file-20230717-98971-5tvzpx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/537732/original/file-20230717-98971-5tvzpx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/537732/original/file-20230717-98971-5tvzpx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/537732/original/file-20230717-98971-5tvzpx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/537732/original/file-20230717-98971-5tvzpx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/537732/original/file-20230717-98971-5tvzpx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">«Savoir plus»: Et c'est comme il disait, tu as toute la documentation, tu as tout pour prendre ton matos et au final, tu te retrouves à t'injecter dans un endroit crasseux. Tu peux lire et t'informer sur tout, si tu te retrouves dans un endroit crasseux, tu ne peux rien y faire.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Recherche Eposim</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le paradoxe entre le fait de pouvoir récupérer du matériel d'injection stérile et de ne pas avoir ensuite de lieu pour consommer a fait l'objet de nombreuses discussions. Les participant·e·s soulignent les conditions très précaires dans lesquelles ils se trouvent et ils expriment ici tous les freins qu'ils rencontrent pour un accès à leurs droits et à la santé. Sans logement ou vivant dans des squats, leur pratique de l'injection dans des lieux insalubres leur fait courir autant de risques sanitaires (infectieux, santé mentale, etc.) que sociaux (intégration sociale, estime de soi).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/537733/original/file-20230717-29-5ep5bx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/537733/original/file-20230717-29-5ep5bx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/537733/original/file-20230717-29-5ep5bx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/537733/original/file-20230717-29-5ep5bx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/537733/original/file-20230717-29-5ep5bx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/537733/original/file-20230717-29-5ep5bx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/537733/original/file-20230717-29-5ep5bx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">«Invisible»: Ce qui est intéressant, aussi, c'est qu'il y a des gens, c'est la vie quotidienne, le tramway, des voitures, plein de gens qui ne se doutent pas de ce qui peut se passer à 20 mètres d'eux, dans ce lieu-là.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Recherche Eposim</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Enfin, parmi les motivations des participants, beaucoup ont souhaité éveiller les consciences, montrer leur misère et rendre visible les conditions dans lesquelles ils se trouvent. <a href="https://harmreductionjournal.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12954-019-0334-2">Cette photographie des mouvements urbains</a> vient souligner le sentiment d'invisibilité, voire d'abandon, que ressentent les personnes. L'omniprésence de la misère, à chaque coin de rue, façonne le regard des passant·e·s qui apprennent à l'ignorer, détourner le regard.</p>
<p>Ce projet photographique aura permis, le temps de quelques ateliers, d'interroger avec les personnes le poids du regard social, les effets du stigmate mais surtout les capacités d'expressivité des personnes lorsqu'un cadre leur est ouvert pour affirmer leurs opinions et contribuer à produire des savoirs dans le champ de la réduction des risques. Enfin, ce projet vient souligner la nécessaire ouverture d'une salle de consommation afin de répondre aux besoins de ces personnes qui font avec ce qu'elles ont.</p>
<hr>
<p><em><a href="https://iresp.net/wp-content/uploads/2021/08/Projet-EPOSIM-IReSP-10-juin-2021.pdf">Le projet Eposim</a> est issu d'une étroite collaboration entre des associations communautaires marseillaises (ASUD Mars Say Yeah, Le Tipi et Nouvelle Aube et une équipe de recherche SanteRcom qui travaille sur des questions de santé communautaire au sein du laboratoire SESSTIM.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209646/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>
Durant un à trois mois, des usagers de drogue ont participé à une recherche en documentant leur quotidien et leur environnement afin de mieux comprendre les pratiques liées à l'injection.
Marie Dos Santos, docteure en sociologie, Inserm
Perrine Roux, Directrice de Recherche INSERM, Santé Publique, Recherche communautaire, VIH et réduction des risques , Inserm
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/196248
2022-12-25T17:05:31Z
2022-12-25T17:05:31Z
« L’élévation du drapeau à Iwo Jima », une image iconique au service de toutes les (bonnes) causes
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/502406/original/file-20221221-19-acxtx6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=35%2C7%2C4695%2C3510&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'image conçue par Periscope pour la campagne de dons de The Conversation France.</span> </figcaption></figure><p>Fin 2022, la campagne annuelle de dons de <em>The Conversation</em> mobilise un visuel qui cite une image instantanément familière : « L’Élévation du drapeau sur Iwo Jima » (Joe Rosenthal, 1945). L’écho de cette photographie va bien au-delà du moment de sa genèse. Devenue un porte-étendard pour de nombreuses causes, elle charrie un inconscient collectif qui en donne une clé de lecture immédiate, quel que soit le contexte de son utilisation.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/502407/original/file-20221221-23-6vakze.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/502407/original/file-20221221-23-6vakze.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/502407/original/file-20221221-23-6vakze.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=454&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/502407/original/file-20221221-23-6vakze.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=454&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/502407/original/file-20221221-23-6vakze.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=454&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/502407/original/file-20221221-23-6vakze.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=571&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/502407/original/file-20221221-23-6vakze.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=571&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/502407/original/file-20221221-23-6vakze.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=571&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Raising the Flag on Iwo Jima, Joe Rosenthal, 1945.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikipédia</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Vertus essentielles pour un média, l’indépendance et la qualité éditoriale ont un prix qui passe, soit par le financement <em>via</em> les lecteurs (abonnement ou achat unitaire), soit par le recours aux dons du public. Dans le cadre de The Conversation France, média en ligne accessible gratuitement et sans publicité, <a href="https://theconversation.com/vos-dons-soutiennent-notre-independance-195057">c’est cette seconde option qui est retenue</a>, en complément des cotisations versées par son réseau de soutien (institutions d'enseignement supérieur et de recherche, et subventions publiques). Il convient alors de communiquer auprès de l’audience visée pour l’inciter à apporter un appui financier. La tâche est difficile puisqu’il faut exprimer un message explicite qui dise à la fois l'importance du défi et la noblesse de l’enjeu.</p>
<p>La campagne lancée par <em>The Conversation</em> à l’automne 2022 s’inscrit dans cette logique, avec un visuel fort, adapté à la situation, et qui porte intrinsèquement en lui ces deux valeurs – ça se passe maintenant, et c’est pour la bonne cause.
Mais pourquoi ce dessin si simple est-il lesté d’un tel sens ?
Et pourquoi est-ce cette image spécifiquement qui s’est imposée sous le crayon des graphistes ?</p>
<h2>Une scène familière au premier coup d’œil</h2>
<p>Si le message sur le drapeau est nouveau et adapté à la campagne pour laquelle l’illustration a été commandée, la posture du groupe de personnages donne un sentiment de déjà-vu. Et, en effet, depuis des décennies et partout sur le globe, cette image a été aperçue <a href="https://news.usni.org/2015/02/23/iwo-jima-at-70-the-most-reproduced-and-parodied-photo-in-history">à d’innombrables reprises</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/502560/original/file-20221222-22-4cgppx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/502560/original/file-20221222-22-4cgppx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/502560/original/file-20221222-22-4cgppx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=207&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/502560/original/file-20221222-22-4cgppx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=207&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/502560/original/file-20221222-22-4cgppx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=207&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/502560/original/file-20221222-22-4cgppx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=260&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/502560/original/file-20221222-22-4cgppx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=260&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/502560/original/file-20221222-22-4cgppx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=260&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Pochettes des albums <em>In the Army Now</em> (Status Quo, 1986), <em>Fight for the Rock</em> (Savatage, 1986) et <em>Conquest</em> (Uriah Heep, 1980).</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/502565/original/file-20221222-4087-7tfbyn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/502565/original/file-20221222-4087-7tfbyn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/502565/original/file-20221222-4087-7tfbyn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/502565/original/file-20221222-4087-7tfbyn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/502565/original/file-20221222-4087-7tfbyn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/502565/original/file-20221222-4087-7tfbyn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=528&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/502565/original/file-20221222-4087-7tfbyn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=528&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/502565/original/file-20221222-4087-7tfbyn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=528&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Banksy, <em>Flag</em>, 2008.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Nous la connaissons pour l’avoir vue en couverture de disques de rock (et pas qu’une fois !), mais aussi dans des bandes dessinées, à la une de news magazines, au cœur d’affiches, de publicités ou de prospectus, trônant sur des objets du quotidien, de la canette de bière aux billets de banques (du Bangladesh, en l'occurrence), en passant par des timbres (à Grenade).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/502561/original/file-20221222-16-jpnmtd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/502561/original/file-20221222-16-jpnmtd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/502561/original/file-20221222-16-jpnmtd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=133&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/502561/original/file-20221222-16-jpnmtd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=133&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/502561/original/file-20221222-16-jpnmtd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=133&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/502561/original/file-20221222-16-jpnmtd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=167&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/502561/original/file-20221222-16-jpnmtd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=167&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/502561/original/file-20221222-16-jpnmtd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=167&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Campagnes publicitaires pour l’armée britannique, l’office du tourisme australien, une entreprise de soins gériatriques américaine et le quotidien sud-africain <em>Die Burger</em>.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Des happenings la reproduisent en statue de sable, en <em>crop circle</em> dans des champs, au fond d’une piscine voire en sculpture à base de beurre (!)… Des artistes s’en emparent, comme Bansky en 2008 avec son œuvre <em>Flag</em>, pour dénoncer le culte de la victoire - de la compétition - si fort aux États-Unis, ou bien comme Benoît Vieillard, dont le dessin rend hommage à l’équipe de <em>Charlie Hebdo</em>, assassinée lors de l’attentat islamiste de 2015.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/502562/original/file-20221222-23-pjfi0f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/502562/original/file-20221222-23-pjfi0f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/502562/original/file-20221222-23-pjfi0f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=209&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/502562/original/file-20221222-23-pjfi0f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=209&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/502562/original/file-20221222-23-pjfi0f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=209&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/502562/original/file-20221222-23-pjfi0f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=263&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/502562/original/file-20221222-23-pjfi0f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=263&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/502562/original/file-20221222-23-pjfi0f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=263&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Le hors-série du <em>Times</em> consacré au réchauffement climatique (2008), la Une du <em>Sun</em> après les attentats de New York (2001) et la couverture du recueil annuel du journal <em>Spirou</em> (1973).</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/502564/original/file-20221222-18-q97zvf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/502564/original/file-20221222-18-q97zvf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/502564/original/file-20221222-18-q97zvf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=412&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/502564/original/file-20221222-18-q97zvf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=412&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/502564/original/file-20221222-18-q97zvf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=412&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/502564/original/file-20221222-18-q97zvf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=518&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/502564/original/file-20221222-18-q97zvf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=518&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/502564/original/file-20221222-18-q97zvf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=518&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Hommage à <em>Charlie Hebdo</em>, Benoît Vieillard, 8 janvier 2015.</span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Une scène de guerre née dans la douleur</h2>
<p>Derrière ces variantes et détournements artistiques ou lucratifs, se trouve une photographie prise le 23 février 1943 sur une île du Pacifique par l’Américain Joe Rosenthal – il obtiendra le prix Pulitzer pour ce reportage en 1945.</p>
<p>L’élévation du drapeau survient au terme d’une bataille particulièrement meurtrière (20703 morts et 1152 disparus côté japonais et 6821 morts, 492 disparus et 19189 blessés côté américain), marquée par des atrocités, une violence inouïe et des actes de fanatisme inattendus, avec un adversaire qui privilégiait le suicide à la reddition. Dès lors, les troupes des États-Unis vécurent l’apparition de la bannière étoilée en haut du mont Suribachi comme une lueur d’espoir, le symbole d'une conquête de leur patrie. Cris de joie, sifflets, applaudissements, sirènes de navires : un charivari de tous les diables accueillit l’exploit des marines qui dressèrent le fier drapeau sur ce morceau de terre déchiqueté. Une libération après des jours et des jours de combats acharnés pour avancer mètre par mètre.</p>
<p>Aussi dramatique soit-il, ce contexte particulier ne constitue qu’un moment de la Seconde Guerre mondiale et rien ne justifiait qu’un témoignage visuel parmi tant d’autres soit érigé au rang d’icône soixante ans plus tard. <em>A fortiori</em> si l’on sait que le reporter d’Associated Press à l’origine du cliché l’a pris à la va-vite, sans recul, <a href="https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2006/08/22/joe-rosenthal-photoreporter-americain_805361_3382.html">avant de l’envoyer à sa rédaction new-yorkaise sans même le voir</a> ! Pourtant, le phénomène visuel s’emballe instantanément. La photo fait la une du <em>Times</em> le 25 février 1945 et provoque un choc dans la population. La propagande s’en empare, avec une large reproduction – 3,5 millions de posters, 15000 affiches, 137 millions de timbres <a href="https://www.mariemoniquerobin.com/100photosdusiecleft.html">inondent les États-Unis</a> – et l’utilisation comme emblème pour soutenir l’effort de guerre.</p>
<h2>Un symbole éloigné de la réalité</h2>
<p>Le témoignage sur le vif change de registre, son destin échappe à son auteur. La photo devient un pan du patrimoine américain, mélange de dévotion patriotique et d’adoration religieuse. Dans ses mémoires, <a href="https://digital-commons.usnwc.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=2828&context=nwc-review">Charles Sweeney</a>, le pilote qui largua la bombe atomique, raconte que seules trois images avaient les honneurs d’être encadrées dans la salle à manger de ses parents : celle de Jésus Christ, du président Franklin D. Roosevelt et « L’élévation du drapeau à Iwo Jima ». Toute l’Amérique d’alors est contenue dans ce triptyque.</p>
<p>De toute évidence, la composition de l’image explique une part de ce succès : des soldats en uniformes, visibles, mais non identifiables, solidaires dans l’effort et dont les corps soutiennent la hampe du drapeau qui est aussi l’axe de la photo. Le militaire agenouillé à l’avant est perpendiculaire au mât, formant une croix subliminale. Le sol dévasté contraste avec l’horizon dégagé. Ce n’est pas une photographie, c’est une scène de genre de la peinture de la Renaissance. C’est Paolo Uccello et Hollywood condensés en un cliché.</p>
<p>Cette popularité va effacer l’origine controversée de l’image, pourtant bien documentée et reconnue par Joe Rosenthal lui-même. Car elle représente non pas un lever de drapeau spontané, mais la deuxième tentative de ce jour de 1943. La première, captée par le reporter Louis R. Lowery, ne dure pas car le drapeau est enlevé pour être ramené au bercail par le Secrétaire d’État de la Marine.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/502418/original/file-20221221-25-83iaxf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/502418/original/file-20221221-25-83iaxf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/502418/original/file-20221221-25-83iaxf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=762&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/502418/original/file-20221221-25-83iaxf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=762&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/502418/original/file-20221221-25-83iaxf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=762&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/502418/original/file-20221221-25-83iaxf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=958&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/502418/original/file-20221221-25-83iaxf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=958&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/502418/original/file-20221221-25-83iaxf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=958&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Photographie de la première installation du drapeau réalisée par le sergent d'état-major Louis R. Lowery, 1943.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikipédia</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Il faut donc planter un nouvel étendard et ce sont 6 marines qui se lancent. Le premier groupe est demeuré ignoré ; le second est devenu célèbre. Rapatriés, les trois survivants rencontrèrent le président Truman, furent accueillis en triomphe au Sénat et présentés au public sur Times Square. Leur tournée de collecte de fonds rencontra un succès démesuré, les ovations s’enchaînant à travers le pays, galvanisant le patriotisme. </p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/502566/original/file-20221222-12-13wyq7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/502566/original/file-20221222-12-13wyq7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/502566/original/file-20221222-12-13wyq7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=608&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/502566/original/file-20221222-12-13wyq7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=608&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/502566/original/file-20221222-12-13wyq7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=608&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/502566/original/file-20221222-12-13wyq7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=764&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/502566/original/file-20221222-12-13wyq7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=764&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/502566/original/file-20221222-12-13wyq7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=764&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"></span>
</figcaption>
</figure>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/502567/original/file-20221222-24-13wyq7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/502567/original/file-20221222-24-13wyq7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/502567/original/file-20221222-24-13wyq7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=271&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/502567/original/file-20221222-24-13wyq7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=271&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/502567/original/file-20221222-24-13wyq7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=271&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/502567/original/file-20221222-24-13wyq7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=341&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/502567/original/file-20221222-24-13wyq7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=341&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/502567/original/file-20221222-24-13wyq7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=341&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Les marines d’Iwo Jima (First Aero Squadron Foundation, 2016).</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le livre <em>Mémoires de nos pères</em> (James Bradley et Ron Powers, 2000) et le film homonyme réalisé par Clint Eastwood (2006) témoignent de cette ambiance d’exaltation collective - signalons que le réalisateur proposait un diptyque, associant au film cité <em>Lettres d’Iwo Jima</em> (2006), qui expose la version japonaise de l’histoire.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/502409/original/file-20221221-22-x9zieo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/502409/original/file-20221221-22-x9zieo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=389&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/502409/original/file-20221221-22-x9zieo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=389&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/502409/original/file-20221221-22-x9zieo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=389&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/502409/original/file-20221221-22-x9zieo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=489&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/502409/original/file-20221221-22-x9zieo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=489&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/502409/original/file-20221221-22-x9zieo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=489&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Une icône des temps modernes</h2>
<p>Nous sommes en 2022 et cette résurgence de l’image d’Iwo Jima intrigue. La bataille entre Américains et Japonais est loin dans le temps et l’espace, sa contingence l’a reléguée au rang d’épisode d’une guerre marquée à jamais par l’Holocauste en Europe et l’usage de l’arme nucléaire au Japon. Ce n’est plus de cela dont il est question. Ce n’est plus une photographie, mais un signe qui ressemble vaguement à son référent originel. Du cliché de Joe Rosenthal ne subsiste qu’une silhouette fugace, une forme – un ensemble de soldats plantant un drapeau. Une icône au cœur de notre inconscient collectif.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/502563/original/file-20221222-4087-49w8q3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/502563/original/file-20221222-4087-49w8q3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/502563/original/file-20221222-4087-49w8q3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=302&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/502563/original/file-20221222-4087-49w8q3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=302&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/502563/original/file-20221222-4087-49w8q3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=302&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/502563/original/file-20221222-4087-49w8q3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=380&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/502563/original/file-20221222-4087-49w8q3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=380&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/502563/original/file-20221222-4087-49w8q3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=380&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Une scène de la série <em>Stranger Things</em> (saison 3, 2019).</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Que nous dit-elle ? Elle dit l’espoir (c’était le premier message, dès 1945), le courage, la victoire malgré la souffrance, la force du groupe, la lutte pour la liberté, pour le bien, pour l’avenir. C’est un symbole qui transmet non pas la mémoire d’un événement, mais la mythologie du monde moderne, submergé par les images, comme l'ont démontré notamment <a href="https://journals.openedition.org/critiquedart/8070">Marshall McLuhan</a>, <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/mythologies-roland-barthes/9782757841754">Roland Barthes</a> ou <a href="https://books.google.fr/books/about/Shooting_Kennedy.html?id=WgQqrmPDZksC&redir_esc=y">David M. Lubin</a>. Son inscription dans des archétypes et des codes anciens (ceux de la sculpture, de la peinture, du cinéma) en rendent la lisibilité universelle. Et, à ce stade, sa diffusion généralisée était inévitable, irrésistible. Les détournements et parodies l'ont renforcée, lui conférant une puissance sans égale. La Russie soviétique l’avait pressenti dès 1945, en mettant en scène une riposte, <a href="https://journals.openedition.org/1895/4899">avec le Drapeau rouge sur le Reichstag d’Evgueni Khaldéi</a>, photo fabriquée (et, comble de l’ironie, retouchée). En vain.</p>
<p>L’image qui orne la campagne de <em>The Conversation</em> est universelle et dit à jamais que la bannière des causes légitimes ne peut être portée en solitaire : un bon journal, ce sont ses équipes et toutes les personnes qui contribuent à son contenu et qui le lisent.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/502415/original/file-20221221-23-fnbkw4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/502415/original/file-20221221-23-fnbkw4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=276&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/502415/original/file-20221221-23-fnbkw4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=276&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/502415/original/file-20221221-23-fnbkw4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=276&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/502415/original/file-20221221-23-fnbkw4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=346&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/502415/original/file-20221221-23-fnbkw4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=346&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/502415/original/file-20221221-23-fnbkw4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=346&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le visuel de la campagne de dons de The Conversation 2022, avec illustration et message.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Periscope</span></span>
</figcaption>
</figure><img src="https://counter.theconversation.com/content/196248/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Joan Le Goff ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Pourquoi ce dessin si simple est-il lesté d’un tel sens ? Et pourquoi est-ce cette image spécifiquement qui s’est imposée sous le crayon du graphiste ?
Joan Le Goff, Professeur des universités en sciences de gestion, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/170702
2021-12-21T19:44:34Z
2021-12-21T19:44:34Z
La photographie spirite capte à la fois l'amour, le deuil et la nostalgie
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/431756/original/file-20211112-23-13ewqd2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1041%2C799&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une photographie spirite prise par William Hope, autour de 1920.</span> <span class="attribution"><span class="source">(National Media Museum Collection/Flickr)</span></span></figcaption></figure><p><a href="https://www.bloomsburycollections.com/book/cinematic-ghosts-haunting-and-spectrality-from-silent-cinema-to-the-digital-era/ch1-phantom-images-and-modern-manifestations-spirit-photography-magic-theater-trick-films-and-photography-s-uncanny">La photographie a toujours eu un rapport avec le spiritisme</a>, car elle ne montre pas ce qui est, mais plutôt ce qui a été.</p>
<p>Le processus par lequel la lumière doit rebondir sur le sujet et revenir vers l’appareil photo suggère que les photographies ont été en contact avec ce qui est montré et en gardent aussi la trace. Des chercheurs œuvrant dans des domaines allant de l’anthropologie à l’histoire de l’art ont exploré <a href="https://jhupbooks.press.jhu.edu/title/nature-exposed">l’association entre</a> les photographies <a href="https://doi.org/10.1080/08949460802156292">et les fantômes</a>.</p>
<p>Cette association est exagérée par la photographie spirite, c’est-à-dire les portraits qui réunissent visuellement les personnes endeuillées avec leurs êtres bien-aimés disparus, un phénomène que j’attribue <a href="https://theconversation.com/spirit-photography-19th-century-innovation-in-bereavement-rituals-was-likely-invented-by-a-woman-164033">à l’innovation créative d’une femme de Boston en 1861</a>.</p>
<p>Le lecteur de notre époque peut être <a href="https://www.history.com/news/spirit-photography-civil-war-william-mumler">préoccupé par les motifs et les méthodes des photographes spirites</a>, par exemple, leur utilisation de la double exposition, du tirage combiné ou de la manipulation numérique contemporaine pour produire des apparitions semi-translucides. Mais l’effet des photographies sur les personnes en deuil qui ont commandé ces portraits est bien plus intéressant. Au fond, l’intérêt des Victoriens pour la photographie spirite est une histoire d’amour, de deuil et de nostalgie.</p>
<hr>
<p>
<em>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/photographie-spirite-un-rituel-de-deuil-novateur-du-xix-siecle-ou-les-femmes-ont-joue-un-grand-role-169978">Photographie spirite : un rituel de deuil novateur du XIXᵉ siècle où les femmes ont joué un grand rôle</a>
</strong>
</em>
</p>
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<h2>L’esprit de l’époque</h2>
<figure class="align-left ">
<img alt="Photo noir et blanc d’une femme assise à côté d’un enfant semi-translucide" src="https://images.theconversation.com/files/428568/original/file-20211026-13-c04axm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/428568/original/file-20211026-13-c04axm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=988&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/428568/original/file-20211026-13-c04axm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=988&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/428568/original/file-20211026-13-c04axm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=988&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/428568/original/file-20211026-13-c04axm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1241&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/428568/original/file-20211026-13-c04axm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1241&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/428568/original/file-20211026-13-c04axm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1241&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Photographie spirite prise entre 1862 et 1875.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.getty.edu/art/collection/objects/95744/william-h-mumler-mrs-tinkham-american-1862-1875/">(The Paul J. Getty Museum)</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La photographie spirite s’est développée dans le <a href="https://www.britannica.com/topic/spiritualism-religion">contexte du spiritisme</a>, un mouvement religieux du XIX<sup>e</sup> siècle. Selon le spiritisme, <a href="https://www.theguardian.com/science/2013/oct/20/seances-and-science">l’esprit survit au décès</a>, ce qui rend possible le maintien de liens et d’une communication entre les défunts et les vivants.</p>
<p>En 1848, lorsque deux jeunes femmes de Hydesville, dans l’État de New York, <a href="https://www.smithsonianmag.com/history/the-fox-sisters-and-the-rap-on-spiritualism-99663697/">ont affirmé avoir la capacité d’entendre et d’interpréter les coups frappés chez elles par un colporteur décédé</a>, <a href="https://iupress.org/9780253215024/radical-spirits-second-edition/">ces idées en matière de spiritisme étaient déjà largement répandues</a>.</p>
<p>Certains artistes spirites du XIX<sup>e</sup> siècle considéraient que leur travail était inspiré par une présence invisible. Par exemple, l’artiste et médium britannique Georgianna Houghton produisait des <a href="https://georgianahoughton.com/">aquarelles abstraites qu’elle appelait des « dessins spirites »</a>. De même, environ 20 ans après l’apparition de la photographie comme médium, les photographes spirites ont commencé à attribuer le <a href="https://www.bbc.com/culture/article/20191001-how-spiritualism-influenced-modern-art">fruit de leur travail à une force extérieure, une présence qui les dépassait momentanément, voire les possédait</a>. L’« ajout » spirituel qui apparaît aux côtés des personnes en deuil dans les photographies spirites — tantôt sous la forme distincte d’un visage, tantôt sous celle d’une silhouette ou d’un objet — doit être compris comme <a href="https://doi.org/10.1111/j.1469-8676.2010.00139.x">n’ayant pas été créé par des humains</a>.</p>
<p>Associées à la nostalgie des personnes en deuil, les photographies spirites avaient le potentiel de devenir de véritables objets de mémoire profondément personnels et enchanteurs.</p>
<h2>Liens soutenus</h2>
<figure class="align-right ">
<img alt="Photographie d’un homme assis avec une figure féminine vaporeuse se tenant à ses côtés" src="https://images.theconversation.com/files/428569/original/file-20211026-17-vyezlv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/428569/original/file-20211026-17-vyezlv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=963&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/428569/original/file-20211026-17-vyezlv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=963&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/428569/original/file-20211026-17-vyezlv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=963&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/428569/original/file-20211026-17-vyezlv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1210&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/428569/original/file-20211026-17-vyezlv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1210&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/428569/original/file-20211026-17-vyezlv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1210&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Photographie spirite prise autour de 1870.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Wikimedia)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Contrairement à la <a href="http://www.reaktionbooks.co.uk/display.asp?K=9781861897916">photographie post-mortem — pratique du XIXᵉ siècle consistant à photographier la personne défunte, généralement comme si elle dormait</a>, les photographies spirites n’enferment pas l’être cher dans un moment de séparation après la mort. Au contraire, elles suggèrent un temps au-delà de la mort et par conséquent le potentiel de futurs moments partagés.</p>
<p>La photographie spirite <a href="https://muse.jhu.edu/article/439624">a encouragé, puis facilité la résurgence de l’image animée du défunt</a>. À une époque où de nombreuses <a href="https://www.dukeupress.edu/haunted-media">technologies disponibles</a> — <a href="https://www.cornellpress.cornell.edu/book/9780801448010/the-sympathetic-medium/#bookTabs=1">comme le télégraphe, le téléphone et la machine à écrire</a> — étaient employées pour communiquer avec les morts, la photographie spirite offrait une preuve visuelle de communication.</p>
<p>Cependant, dans les photographies spirites, les êtres bien-aimés apparaissent rarement dans une opacité totale. En utilisant la technique de la semi-translucidité, les photographes spirites dépeignent les esprits comme des êtres animés et « toujours avec nous ». Ils indiquent par ailleurs qu’ils ne sont qu’à « moitié » là. Les photographies spirites illustrent ainsi la présence persistante de l’être cher absent, de la manière dont elle est ressentie par la personne en deuil.</p>
<p>Les photographies spirites <a href="https://graphicarts.princeton.edu/2018/09/27/stories-in-stereo/">ne sont toutefois pas les premières à représenter des apparitions fantomatiques</a>. Mais elles constituent le premier cas où ces « ajouts » vaporeux ont été commercialisés comme preuves d’un lien continu avec le défunt.</p>
<p>En tant que service rendu dans le cadre de l’industrie du deuil, les photographies spirites sont censées être associées au chagrin de la séparation, saisi par l’appareil photo, et non construit par une quelconque forme de supercherie.</p>
<h2>Esprits dans le monde</h2>
<figure class="align-left ">
<img alt="Peinture à l’huile d’un voile au visage translucide" src="https://images.theconversation.com/files/428574/original/file-20211026-15-1m5qlz9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/428574/original/file-20211026-15-1m5qlz9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=704&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/428574/original/file-20211026-15-1m5qlz9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=704&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/428574/original/file-20211026-15-1m5qlz9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=704&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/428574/original/file-20211026-15-1m5qlz9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=885&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/428574/original/file-20211026-15-1m5qlz9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=885&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/428574/original/file-20211026-15-1m5qlz9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=885&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">« Le Voile de Véronique, peinture à l’huile de Francisco de Zurbaran (1598-1664), photo prise au Musée national des beaux-arts de Stockholm.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Ninara/Flickr)</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La croyance en l’apparition d’impressions miraculeuses de formes et de visages peut sembler nouvelle dans le médium émergent et la technologie photographique. Mais une tradition plus ancienne consistant à trouver un sens et un réconfort dans l’apparition de visages peut être observée <a href="https://theconversation.com/belief-in-touch-as-salvation-was-stronger-than-fear-of-contagion-in-the-italian-renaissance-157135">dans les traditions chrétiennes de dévotion aux reliques</a>, telles que le <a href="https://www.newworldencyclopedia.org/entry/Veil_of_Veronica"><em>Voile de Véronique</em></a> qui, selon la croyance populaire catholique et la légende, porte l’empreinte du <a href="https://www.britannica.com/biography/Saint-Veronica">visage du Christ avant sa crucifixion</a>.</p>
<p>Même <a href="https://www.unz.com/print/AtlanticMonthly-1863jul-00001/">au XIXᵉ siècle</a>, la reconnaissance de son être bien-aimé dans les photographies spirites était parfois assimilée <a href="https://www.bbc.com/future/article/20140730-why-do-we-see-faces-in-objects">à la paréidolie</a>, soit la puissante tendance humaine à percevoir des motifs, des objets ou des visages, par exemple dans des reliques ou des objets aléatoires.</p>
<p>En 1863, le médecin et poète O. W. Holmes <a href="https://www.unz.com/print/AtlanticMonthly-1863jul-00001/">explique dans le périodique <em>Atlantic Monthly</em></a>, que le résultat de la photographie obtenue est sans importance pour les personnes en deuil qui commandent une photographie spirite :</p>
<blockquote>
<p>Il suffit à la pauvre mère, dont les yeux sont aveuglés par les larmes, de voir une empreinte de draperie semblable à la robe d’un nourrisson, et une chose arrondie, comme une boule vaporeuse, qui tiendra lieu de visage, pour accepter le portrait spirite comme une révélation du monde des ombres.</p>
</blockquote>
<p>Et si les méthodes du photographe étaient exposées, les personnes en deuil maintenaient toujours que leur photographie spirite était authentique. L’ambiguïté des silhouettes qui apparaissaient empêchait rarement les personnes en deuil de voir ce qu’elles espéraient. C’est cet acte de foi même qui a d’ailleurs suscité l’imagination nécessaire pour transformer ces photographies, par ailleurs incroyables, en véritables objets puissants et profondément personnels.</p>
<p>En 1962, une femme qui avait commandé une photographie de son défunt mari a confié au photographe spirite : « Tous ceux qui l’ont vue et qui ont connu mon mari sur Terre <a href="http://iapsop.com/archive/materials/banner_of_light/banner_of_light_v12_n12_13_dec_1862.pdf">reconnaissent qu’il s’agit d’une ressemblance parfaite, et je suis moi-même convaincue que son esprit était présent, bien qu’invisible pour les mortels »</a>.</p>
<h2>Refrains envoûtants</h2>
<p>Il a souvent été prouvé que les photographies spirites étaient produites par double exposition ou par tirage combiné. Il aurait donc été tout aussi possible de produire des photographies dans lesquelles le défunt apparaît pleinement aux côtés de la personne endeuillée, harmonieusement réunis. Pourtant, la tendance à présenter l’être disparu avec une opacité moindre <a href="https://www.nytimes.com/2016/04/07/us/a-dead-child-a-ghostly-photo-and-a-mother-charged-with-murder.html">a persisté, même dans les portraits composites contemporains</a>.</p>
<p>L’utilisation de la semi-translucidité dans la représentation de l’être dont on se souvient est une indication délibérée d’une présence ressentie, mais non vue, sauf par ceux qui y sont sensibles.</p>
<p>Si les photographies spirites étaient vénérées comme des messages d’amour d’outre-tombe, elles étaient certainement aussi des messages d’amour à l’intention des défunts.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/170702/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Felicity T. C. Hamer a reçu des fonds du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) et du Fonds de recherche du Québec - Société et culture (FRQSC).</span></em></p>
Les photographies spirites peuvent nous paraître étrangers aujourd’hui, mais elles ont eu un impact notable sur les personnes endeuillées du XIXᵉ siècle qui ont commandé ces portraits.
Felicity T. C. Hamer, PhD Candidate and Public Scholar, Communication Studies, Concordia University
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/173772
2021-12-20T18:51:40Z
2021-12-20T18:51:40Z
Le pétoncle noir bientôt de retour en Bretagne ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/437984/original/file-20211216-21-184oz5.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">De jeunes pétoncles sont semés par l’équipe de l’écloserie du Tinduff (Finistère) sur des zones préalablement enrichies en substrats pour leur permettre de se fixer.</span> <span class="attribution"><span class="source">Stéphane Pouvreau / Ifremer</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Longtemps pêché sur la côte atlantique française – principalement en rade de Brest, dans les Pertuis charentais et le bassin d’Arcachon –, le pétoncle noir (<em>Mimachlamys varia</em>) se fait de plus en plus rare.</p>
<p>Peu connu, il a pour cousin le pétoncle blanc, souvent appelé « vanneau » et plus largement consommé. Tous deux appartiennent à la famille des pectinidés, celle de la coquille Saint-Jacques. Moins répandu, le pétoncle noir fait l’objet d’une consommation plus restreinte et surtout locale. Les amateurs lui trouvent des qualités gustatives supérieures à celles du pétoncle blanc, du fait de son goût à mi-chemin entre la coquille et l’huître.</p>
<p>Au cours des dernières décennies, les stocks de <em>Mimachlamys varia</em> se sont effondrés, sous l’action conjointe de la surpêche et de la dégradation ou perte d’habitat. Dans les années 1970, la pêcherie du pétoncle noir produisait <a href="https://archimer.ifremer.fr/doc/00000/6041/">700 tonnes en rade de Brest</a>. Cette production est tombée à 70 tonnes dans les années 2010 ; la pêcherie a été fermée en 2018, faute de stocks suffisants.</p>
<p>Aujourd’hui, l’avenir de cette exploitation par la pêche est incertain, notamment en rade de Brest.</p>
<h2>Réintroduire l’espèce durablement</h2>
<p>Dans le cadre d’un projet de recherche – <a href="https://wwz.ifremer.fr/mascoet/">Mascoet</a>, réunissant des équipes de l’Ifremer, de l’université de Brest, des comités des pêches et une écloserie située en rade de Brest (celle du Tinduff) – des travaux sont conduits pour mieux connaître cette espèce.</p>
<p>Un des volets du projet concerne l’étude des conditions favorables à sa croissance (température, salinité, régime alimentaire…), mais aussi les conditions favorables à son implantation et son maintien en milieu naturel ; un effort particulier est ainsi consacré à l’étude de son habitat.</p>
<p>Le pétoncle noir a besoin de supports pour se fixer sur le fond, se développer (failles de roches, blocs, coquilles d’autres bivalves et notamment celles de l’huître plate, <em>Ostrea edulis</em>) et obtenir un abri contre ses principaux prédateurs – les étoiles de mer, les dorades. Mais, dans les zones fréquemment draguées, ces supports se raréfient.</p>
<p>L’ambition des scientifiques est de pouvoir proposer des solutions de réintroduction de l’espèce et de reconquête de ses conditions d’habitat favorable dans les sites historiques de présence. Pour permettre une reprise de son exploitation par les professionnels de façon durable.</p>
<p>Nous vous proposons de suivre en photos ces travaux sur le terrain…</p>
<h2>Des écoblocs en guise de maison</h2>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/437985/original/file-20211216-21-pni4zu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/437985/original/file-20211216-21-pni4zu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/437985/original/file-20211216-21-pni4zu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/437985/original/file-20211216-21-pni4zu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/437985/original/file-20211216-21-pni4zu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/437985/original/file-20211216-21-pni4zu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/437985/original/file-20211216-21-pni4zu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/437985/original/file-20211216-21-pni4zu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Écoblocs.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Matthias Huber/Ifremer</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dans le cadre des opérations de restauration écologique de l’habitat favorable aux pétoncles – comme ici (photo ci-dessus) sur le site du Roz en baie de Daoulas dans la rade de Brest –, de petits blocs de béton coquillier, fabriqués à partir de poudre de coquilles d’huîtres, sont proposés à des jeunes pétoncles.</p>
<p>Ces derniers viennent s’abriter à l’intérieur de chaque niche prévue à cet effet. Alors qu’il n’y a plus aucun pétoncle sur le fond, chaque écobloc abrite plus d’une dizaine de pétoncles.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/437986/original/file-20211216-13-4srufg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/437986/original/file-20211216-13-4srufg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/437986/original/file-20211216-13-4srufg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/437986/original/file-20211216-13-4srufg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/437986/original/file-20211216-13-4srufg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/437986/original/file-20211216-13-4srufg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/437986/original/file-20211216-13-4srufg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/437986/original/file-20211216-13-4srufg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Comptage des pétoncles dans les écobocs.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Stéphane Pouvreau/Ifremer</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Des opérations de comptage des pétoncles présents dans chaque écobloc sont conduites, comme ici (photo ci-dessus) sur le chantier pilote de la rade de Brest ; on y compte une trentaine d’écoblocs déposés sur une surface de 5 m<sup>2</sup>. La densité actuelle est de 500 pétoncles sur l’ensemble du chantier, soit environ 100 pétoncles par m<sup>2</sup>.</p>
<p>Ce suivi va se poursuivre tout au long du projet et de nouveaux types d’écoblocs, de plus en plus bioinspirés, vont être testés.</p>
<h2>Un destin lié à celui des huîtres plates</h2>
<p>Comme les moules, le pétoncle noir vit fixé à l’aide d’un byssus sur divers supports : les failles de roches, les blocs de rocher, les coquilles d’autres bivalves et tout particulièrement sur celle de l’huître plate (<em>Ostrea edulis</em>).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/437987/original/file-20211216-25-1goeus4.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/437987/original/file-20211216-25-1goeus4.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/437987/original/file-20211216-25-1goeus4.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/437987/original/file-20211216-25-1goeus4.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/437987/original/file-20211216-25-1goeus4.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/437987/original/file-20211216-25-1goeus4.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/437987/original/file-20211216-25-1goeus4.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/437987/original/file-20211216-25-1goeus4.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Les huîtres, un des habitats favoris des pétoncles.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Stéphane Pouvreau/Ifremer</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Même si le pétoncle peut changer plusieurs fois de support au cours de sa vie, les huîtres plates mortes présentant leurs deux valves intactes offrent des abris de premier choix permettant au pétoncle de se protéger des prédateurs (étoiles de mer, dorades).</p>
<p>Historiquement, les fonds de la rade de Brest hébergeaient d’importants <a href="https://www.encyclopedie-environnement.org/vivant/huitres-meconnus-milieux-cotiers/">bancs sauvages d’huîtres plates</a>, espèce quasi disparue aujourd’hui, en lien avec la surexploitation, la dégradation des milieux et l’émergence de maladies parasitaires. La disparition de ces supports a fortement contribué au déclin du pétoncle.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/438044/original/file-20211216-17-102xsii.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/438044/original/file-20211216-17-102xsii.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/438044/original/file-20211216-17-102xsii.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/438044/original/file-20211216-17-102xsii.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/438044/original/file-20211216-17-102xsii.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/438044/original/file-20211216-17-102xsii.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/438044/original/file-20211216-17-102xsii.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/438044/original/file-20211216-17-102xsii.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les branchies du pétoncle.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Olivier Dugornay/Ifremer</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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</figure>
<p>Le pétoncle noir est un microphage filtreur qui se nourrit en piégeant les particules organiques en suspension dans l’eau de mer, tout particulièrement le phytoplancton qui constitue une source de nourriture majeure.</p>
<p>Une fois les particules piégées par les branchies – ces lames orange aplaties, visibles dans la cavité palléale que l’on distingue sur la photo ci-dessus –, elles sont conduites via des sillons vers les palpes labiaux qui les amènent ensuite vers la bouche. D’autres sources peuvent contribuer à son régime alimentaire telles que le microphytobenthos lorsqu’il est remis en suspension, et les détritus de macroalgues.</p>
<p>En rade de Brest, étant donné que les sources de nourritures fluctuent en fonction des paramètres du milieu (conditions de marées, apports continentaux et océaniques, charge particulaire…), la quantité et la qualité des ressources alimentaires disponibles constituent des paramètres importants à considérer puisqu’ils déterminent la croissance et le contenu énergétique de l’animal.</p>
<h2>En attendant que grandissent les pétoncles</h2>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/438043/original/file-20211216-13-1t1adhq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/438043/original/file-20211216-13-1t1adhq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/438043/original/file-20211216-13-1t1adhq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/438043/original/file-20211216-13-1t1adhq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/438043/original/file-20211216-13-1t1adhq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/438043/original/file-20211216-13-1t1adhq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=494&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/438043/original/file-20211216-13-1t1adhq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=494&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/438043/original/file-20211216-13-1t1adhq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=494&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Mesure pour suivre la croissance des pétoncles.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Olivier Dugornay/Ifremer</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pour suivre la croissance des pétoncles noirs réintroduits dans la rade de Brest, où les conditions environnementales sont contrastées, on peut marquer les coquilles à l’aide d’un fluorochrome non toxique pour l’animal.</p>
<p>La strie fluorescente, que l’on distingue clairement sur la photo ci-dessus, est visible lorsqu’elle est éclairée sous une lumière bleue. Elle correspond au marquage du bord de la coquille au début de l’expérience. La distance comprise entre la strie fluorescente (début du suivi) et la bordure de la coquille indique la zone de croissance. Sur la photo, la coquille a grandi de 13 mm.</p>
<p>Des naissains de pétoncles (individus de même âge) produits en écloserie sont plongés dans une solution de calcéine durant quelques heures puis semés en milieu naturel dans des parcs expérimentaux.</p>
<p>L’objectif de ce marquage est double : il s’agit de différencier les pétoncles semés des individus issus du milieu naturel qui viendraient se fixer dans les parcs expérimentaux ; de suivre la croissance individuelle des pétoncles.</p>
<p>Toutes ces connaissances acquises au cours de ces différentes expériences permettront le futur développement de modèles numériques pour simuler et prédire la croissance et la distribution spatiale des pétoncles en rade de Brest, mais également sur d’autres sites potentiels de la façade Manche-Atlantique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/173772/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Philippe Cugier a reçu des financements de France Filière Pêche (FFP). FFP est le principal financeur du projet MASCOET.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Aline Blanchet-Aurigny a reçu des financements de France Filière Pêche (FFP). FFP est le principal financer du projet MASCOET.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Stéphane Pouvreau est membre de la SER, Society for Ecological Restoration (SER is the leading international organization working on the science, practice, and policy of ecological restoration)</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Olivier Dugornay ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Longtemps pêché en rade de Brest, Mimachlamys varia a été victime ces dernières décennies de la surexploitation et de la perte de son habitat. Un programme tente de le réintroduire.
Philippe Cugier, Chercheur en modélisation des écosystèmes benthiques côtiers, Ifremer
Aline Blanchet-Aurigny, Chercheuse en écologie marine, Ifremer
Stéphane Pouvreau, Chercheur en biologie marine, spécialisé dans l’écologie et la physiologie des bivalves marins, Ifremer
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/172997
2021-12-09T18:16:58Z
2021-12-09T18:16:58Z
« Le numérique et nous » : Petite philosophie du selfie
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/436077/original/file-20211207-19-i50j40.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1607%2C807%2C3280%2C1974&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Écho et Narcisse (John William Waterhouse, 1903, Walker Art Gallery, Liverpool).</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Narcisse_(mythologie)#/media/Fichier:John_William_Waterhouse_-_Echo_and_Narcissus_-_Google_Art_Project.jpg">Wikipédia</a></span></figcaption></figure><iframe src="https://embed.acast.com/601af61a46afa254edd2b909/61add94745d15e001361087b" frameborder="0" width="100%" height="190px"></iframe>
<p><iframe id="tc-infographic-569" class="tc-infographic" height="100" src="https://cdn.theconversation.com/infographics/569/0f88b06bf9c1e083bfc1a58400b33805aa379105/site/index.html" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-ecouter-les-podcasts-de-the-conversation-157070">Comment écouter les podcasts de The Conversation ?</a>
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<p><em>Comment définir et mieux comprendre les rapports que nous entretenons avec le numérique et ses outils ? Quelles interactions avons-nous vraiment avec notre téléphone et nos tablettes ? Dans une série de quatre podcasts intitulée « Le numérique et nous » réalisés avec le Collège des Bernardins, nous allons essayer de mieux définir les liens qui nous rattachent au numérique dans notre vie quotidienne.</em></p>
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<p>Qui n’a jamais cédé à la tentation du selfie ? Face à cette pratique si répandue, si banale de nos quotidiens connectés, les discours pathologisants ou moralisateurs sont nombreux.</p>
<p>Pourtant, le mythe de Narcisse et les philosophes nous apprennent autre chose sur ce désir de capturer sa propre image : notre identité en construction permanente trouve peut-être dans ce geste une façon d’évoluer et d’inviter les autres à enrichir cette narration de soi.</p>
<p>Jacopo Bodini, chercheur en philosophie à l’Université Jean Moulin Lyon 3, en collaboration avec le département « Humanisme numérique » du Collège des Bernardins, nous éclaire sur ce sujet.</p>
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<p><em>Crédits, conception, Fabrice Rousselot et Sonia Zannad. Réalisation, Romain Pollet. Chargé de production, Rayane Meguenni.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/172997/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jacopo Bodini ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Que dit le selfie de la façon dont nous construisons notre identité, dont nous nous confrontons au monde ?
Jacopo Bodini, Chercheur en philosophie à l'Université Jean Moulin Lyon 3, Collège des Bernardins
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/169978
2021-10-29T13:50:40Z
2021-10-29T13:50:40Z
Photographie spirite : un rituel de deuil novateur du XIXᵉ siècle où les femmes ont joué un grand rôle
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/429111/original/file-20211028-23-1t13c7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C0%2C547%2C416&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Photographie spirite datant de 1901.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://lccn.loc.gov/91732576">(Library of Congress/John K. Hallowell; S.W. Fallis, photographer)</a></span></figcaption></figure><p>Au début des années 1860, la photographie spirite a marqué une <a href="http://iapsop.com/archive/materials/herald_of_progress_us/herald_of_progress_v3_n37_nov_1_1862.pdf">évolution importante</a> dans les rituels de deuil.</p>
<p>Les photographies de ce genre sont des portraits de la personne en deuil, sur lesquels apparaît aussi l’image vaporeuse de ses êtres chers. Certains y voyaient une <a href="http://iapsop.com/archive/materials/banner_of_light/banner_of_light_v12_n12_13_dec_1862.pdf">manifestation tangible</a> de leurs <a href="https://www.britannica.com/topic/spiritualism-religion">profondes croyances « spiritistes »</a>. Selon le spiritisme, l’esprit survit au décès, ce qui rend possible le <a href="https://www.theguardian.com/science/2013/oct/20/seances-and-science">maintien de liens et d’une communication entre les défunts et les vivants</a>.</p>
<p>Les <a href="https://www.cornellpress.cornell.edu/book/9780801448010/the-sympathetic-medium/#bookTabs=1%20%22%22%20">médiums</a>, <a href="https://www.jstor.org/stable/10.7591/j.ctt7z8f3">principalement des femmes</a>, travaillaient aux côtés de photographes spirites pour amener l’« esprit » des défunts à se montrer. Comme en témoignent mes travaux de recherche, les femmes ont grandement contribué à l’essor de cette pratique : la personne à l’origine de la photographie spirite est vraisemblablement une <a href="https://doi.org/10.1080/03087298.2018.1498491">femme, selon moi</a>.</p>
<h2>Écho auprès des femmes</h2>
<p>L’apparition de la photographie spirite à Boston représente un moment marquant de l’histoire, dont on a beaucoup parlé et qui <a href="https://www.bbc.com/future/article/20150629-the-intriguing-history-of-ghost-photography">continue de fasciner les gens</a>.</p>
<p>Aujourd’hui, les photographies spirites peuvent nous paraître d’amusants <a href="https://www.youtube.com/watch?v=No9shmys4Qc">objets historiques</a>. À l’époque victorienne, on utilisait aussi parfois des éléments translucides dans la composition des photographies pour <a href="https://www.jstor.org/stable/20442752">divertir les gens</a> <a href="https://graphicarts.princeton.edu/2018/09/27/stories-in-stereo/">ou illustrer des récits populaires</a>.</p>
<p>Certaines personnes collectionnaient et s’échangeaient par exemple des images créées au moyen d’appareils photo produisant différents points de vue d’une même scène et <a href="https://www.smithsonianmag.com/innovation/sterographs-original-virtual-reality-180964771">donnant l’illusion d’une tridimensionnalité</a>. Cependant, pour les endeuillés qui commandaient des photographies spirites, celles-ci constituaient plutôt de précieux souvenirs personnels.</p>
<p>L’après-vie dépeinte par le spiritisme trouvait <a href="https://iupress.org/9780253215024/radical-spirits-second-edition/">écho auprès des femmes</a> pour qui il était impensable que leurs enfants non baptisés soient voués à l’enfer. Les personnes décédées à un âge précoce – les soldats, les enfants et les nombreuses femmes mortes en couche – poursuivaient paisiblement leur existence dans le monde des esprits, et les <a href="https://www.upress.virginia.edu/title/1256">liens affectifs avec elles étaient maintenus</a>.</p>
<p>Les photographies spirites étaient le symbole d’un amour immortel pour quiconque y posait un regard compatissant. Néanmoins, elles alimentaient aussi grandement les <a href="http://iapsop.com/spirithistory/spiritualist_skepticism_about_spirit_photography.html">critiques</a>, même au sein de groupes d’adeptes du spiritisme.</p>
<h2>Accusations de fraude</h2>
<p>Reconnu à l’époque comme le créateur de la photographie spirite, <a href="https://www.jstor.org/stable/10.5749/j.ctttsdrr">William H. Mumler</a> a été <a href="http://access.bl.uk/item/viewer/ark:/81055/vdc_100036301494.0x000001#?c=0&m=0&s=0&cv=0&xywh=-1643%2C-151%2C5043%2C3001">accusé de « soutirer de l’argent en vendant de prétendues photographies d’esprits</a> ». Au terme d’un long avant-procès s’étant déroulé devant public, il a été acquitté de toutes les accusations portées contre lui et a pu poursuivre son travail.</p>
<p>Pendant l’avant-procès de M. Mumler, la presse s’est intéressée à « Mme Stuart » et a indiqué que c’était elle qui dirigeait le studio d’où provenaient les premières photographies spirites prises par M. Mumler. Mme Stuart n’a cependant jamais comparu devant la cour. Les méthodes de travail de M. Mumler et de son associée, Mme Stuart, n’ont jamais pu être démontrées, contrairement à celles de beaucoup d’autres photographes spirites les ayant suivis.</p>
<p>Selon mes travaux de recherche, Mme Stuart figurait parmi les <a href="https://books.google.ca/books?id=5UH2swEACAAJ&dq=Fields+of+vision+:+women+in+photography+:+from+the+photography+collections,+Special+Collections+Department&hl=en&newbks=1&newbks_redir=0&sa=X&redir_esc=y">photographes les plus prolifiques de Boston</a>.</p>
<p>Il s’agit aussi de la première <a href="https://babel.hathitrust.org/cgi/pt?id=chi.101956564&amp;view=1up&amp;seq=422&amp;skin=2021&amp;q1=stuart">photographe à être clairement présentée comme une femme dans les annuaires de la région</a>. Plus important encore, les résultats de mes travaux donnent à penser que « Mme Stuart » était probablement un pseudonyme.</p>
<p>Comme l’indiquent un grand nombre de <a href="https://www.upress.umn.edu/book-division/books/the-strange-case-of-william-mumler-spirit">témoignages importants</a> sur la <a href="https://www.upress.virginia.edu/title/1256">photographie spirite</a>, il y aurait lieu de se pencher davantage sur le rôle joué par Mme Stuart et Hannah Mumler, l’épouse de William Mumler.</p>
<h2>Créatrice de bijoux de deuil en cheveux</h2>
<p>Née à Marblehead, au Massachusetts, en 1832, Hannah Frances Green a épousé Thomas Miller Turner à 20 ans et a eu deux enfants avec lui. Le <a href="https://newspaperarchive.com/boston-post-oct-08-1864-p-4/">dossier de divorce indique</a> que Mme Green a été abandonnée avec les enfants en 1859.</p>
<p>L’année même où Mme Green commençait à composer avec sa nouvelle situation de mère célibataire de deux enfants, une certaine Mme A. M. Stuart est apparue dans l’annuaire de Boston. Elle s’y présentait comme <a href="https://babel.hathitrust.org/cgi/pt?id=chi.14813064&amp;view=1up&amp;seq=393&amp;skin=2021&amp;q1=stuart">artiste en cheveux (artist in hair)</a> sise au 191, rue Washington, et comme « <a href="https://babel.hathitrust.org/cgi/pt?id=chi.14813064&view=1up&seq=467&skin=2021&q1=stuart">créatrice d’œuvres en cheveux (hair work manufacturer)</a>“ à la même adresse.</p>
<p>Art de l’époque victorienne, la création d’œuvres en cheveux <a href="https://www.artsy.net/article/artsy-editorial-curious-victorian-tradition-making-art-human-hair">consistait à fabriquer des objets d’art, des bijoux ou des ornements funéraires à partir de cheveux</a>. L’année suivante, Mme Stuart figure encore dans l’annuaire en tant qu’<a href="https://babel.hathitrust.org/cgi/pt?id=chi.14815759&amp;view=1up&amp;seq=415&amp;skin=2021&amp;q1=stuart">artiste en coiffure</a>.</p>
<p>En 1861, l’annuaire présente Mme <a href="https://babel.hathitrust.org/cgi/pt?id=hvd.32044082518507&view=1up&seq=432&skin=2021&q1=stuart">H.F. Stuart comme joaillière en cheveux (hair jewellery manufacturer)</a> sise au 221, rue Washington.</p>
<p>En 1862, H.F. Stuart élargit ses activités et ouvre un studio de <a href="https://babel.hathitrust.org/cgi/pt?id=chi.101956564&amp;view=1up&amp;seq=422&amp;skin=2021&amp;q1=stuart">photographie professionnelle</a> au <a href="https://babel.hathitrust.org/cgi/pt?id=hvd.32044092997923&amp;view=1up&amp;seq=495&amp;skin=2021&amp;q1=stuart">258, rue Washington</a>, l’adresse où a été prise la première photographie spirite. Mme Stuart poursuit son travail de <a href="https://quod.lib.umich.edu/w/wcl1ic/x-7923/WCL007989?lasttype=boolean;lastview=reslist;med=1;resnum=3;size=50;sort=relevance;start=1;subview=detail;view=entry;rgn1=wcl1ic_su;select1=phrase;q1=Women%2520photographers.">joaillerie en cheveux</a> <a href="http://www.luminous-lint.com/__phv_app.php?/p/Mrs_Stuart">comme en témoigne l’inscription</a> au verso des nombreux portraits qu’on lui commandait sous forme de <a href="https://www.britannica.com/technology/carte-de-visite">carte de visite</a>.</p>
<p>Les annuaires font état des activités professionnelles d’Helen F. Stuart de 1859 à 1867, mais je n’ai pu trouver aucun relevé de recensement la concernant. Les registres des naissances, des décès et des mariages ne comprennent aucune entrée à son nom pouvant être confirmée.</p>
<h2>« Médecin voyante »</h2>
<p>Plus tôt pendant cette période, Hannah Green a inscrit ses services en tant que <a href="https://babel.hathitrust.org/cgi/pt ?id=chi.14815759& ;amp ;view=1up& ;amp ;seq=198& ;amp ;skin=2021& ;amp ;q1=hannah %20greene">médecin voyante (clairvoyant physician)</a>. (Certaines femmes adeptes du spiritisme soutenaient avoir un <a href="https://www.newyorker.com/magazine/2021/05/31/why-did-so-many-victorians-try-to-speak-with-the-dead">don de clairvoyance</a> leur permettant de diagnostiquer des problèmes et de <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/D/bo3623876.html">favoriser la guérison</a> en servant de canal à un esprit).</p>
<p>Les activités de joaillière en cheveux, de photographe et de médecin voyante qu’Hannah Green (Stuart) pratiquait toujours bien au-delà de <a href="https://cambridge.dlconsulting.com/ ?a=d&d=Chronicle18940210-01.2.100.1&dliv=none&e=-------en-20%20--%201%20--%20txt-txIN-------">ses 80 ans</a> lui procuraient un point de vue unique pour prévoir l’évolution que pourrait représenter la photographie spirite dans les rites funéraires. À l’époque victorienne et même avant, les femmes jouaient après tout un rôle fondamental bien connu dans les <a href="https://oxford.universitypressscholarship.com/view/10.1093/acprof :oso/9780198201885.001.0001/acprof-9780198201885">pratiques commémoratives</a> <a href="https://oxford.universitypressscholarship.com/view/10.1093/acprof :oso/9780195104677.001.0001/acprof-9780195104677">entourant le deuil</a>.</p>
<p>Jusqu’ici, j’ai retrouvé quatre photographies spirites <a href="https://quod.lib.umich.edu/w/wcl1ic/x-7923/WCL007989 ?lasttype=boolean ;lastview=reslist ;med=1 ;resnum=3 ;size=50 ;sort=relevance ;start=1 ;subview=detail ;view=entry ;rgn1=wcl1ic_su ;select1=phrase ;q1=Women %2520photographers.">attribuées avec certitude à Helen F. Stuart</a>, une professionnelle inscrite dans l’annuaire seulement dans les environs de la période pendant laquelle Hannah Green·e est absente des relevés publics de recensement.</p>
<h2>Un « pouvoir magnétique »</h2>
<p>Dans une <a href="https://www.upress.umn.edu/book-division/books/the-strange-case-of-william-mumler-spirit">déclaration à la cour en 1869</a> suivant son enquête et sa mise en accusation, M. Mumler affirme qu’il était seul lorsqu’il a pris sa première photographie spirite. Il soutient avoir simplement reproduit ce qu’il croyait avoir observé auprès d’un ami, dont il n’a pas divulgué le nom. Or, il n’est fait aucune autre mention de cet ami.</p>
<p>Dans l’annuaire de 1861, <a href="https://babel.hathitrust.org/cgi/pt ?id=hvd.32044082518507& ;amp ;view=1up& ;amp ;seq=332& ;amp ;skin=2021& ;amp ;q1=mumler">M. Mumler, graveur (engraver)</a> et <a href="https://babel.hathitrust.org/cgi/pt ?id=hvd.32044082518507& ;amp ;view=1up& ;amp ;seq=528& ;amp ;skin=2021& ;amp ;q1=stuart">Mme Stuart, joaillière (jewellery manufacturer)</a>, figurent tous deux au 221, rue Washington, à Boston.</p>
<p>La référence à un « ami » a vraisemblablement été inventée pour dissimuler le fait que M. Mumler recevait des directives d’une femme (Mme Stuart). M. Mumler a peut-être sciemment caché la présence d’Hannah Green, celle-ci étant toujours mariée à M. Turner. Il a peut-être aussi voulu éviter d’attirer l’attention sur elle et ses enfants, au moment où ils déménageaient tous les quatre à New York. Comme l’indiquent les registres officiels, M. Mumler et Mme Green se sont mariés en 1864, quatre mois après le divorce de Mme Green et de M. Turner.</p>
<p><a href="https://www.upress.umn.edu/book-division/books/the-strange-case-of-william-mumler-spirit">Lors de l’avant-procès de M. Mumler, des témoins ont affirmé</a> qu’une femme se faisant appeler Mme Mumler préparait les clients à leur rencontre avec les esprits des défunts et les guidait dans l’identification concluante des entités se manifestant.</p>
<p>Plus tard, dans les mémoires qu’il a publiés, M. Mumler mentionnera que lors de sa « première innovation », une femme était présente – une personne dont il souligne le <a href="http://iapsop.com/archive/materials/banner_of_light/banner_of_light_v36_n22_feb_27_1875.pdf">« puissant pouvoir magnétique »</a>, lié selon lui à l’apparition d’entités. Même si l’épouse de M. Mumler n’a pas eu à se présenter devant la cour et que les récits font peu de cas du rôle important qu’elle a joué, M. Mumler a tout de même trouvé un moyen de lui rendre hommage.</p>
<h2>Une professionnelle dotée d’aptitudes extraordinaires</h2>
<p>La capacité d’Hannah Green d’assurer sa subsistance en tant que professionnelle dotée <a href="https://cambridge.dlconsulting.com/ ?a=d&d=Chronicle18931118-01.2.77&dliv=none&e=-------en-20%20--%201%20--%20txt-txIN-------">d’aptitudes extraordinaires pour l’autopromotion peut être confirmée</a> bien après sa séparation d’avec William Mumler, son deuxième époux, à la fin des années 1870 – et après le décès de celui-ci en 1884.</p>
<p>À l’époque victorienne, le rôle de médium se caractérisait par une <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/D/bo3623876.html">certaine passivité, c’est pourquoi on croyait qu’il convenait aux femmes</a>. En revanche, dans la dernière moitié du XIX<sup>e</sup> siècle, le travail de photographe était rattaché beaucoup plus étroitement <a href="https://jhupbooks.press.jhu.edu/title/nature-exposed">au travail des hommes et à la méthode scientifique</a>. Il aurait alors été difficile pour une femme de prétendre avoir inventé la photographie spirite. À mon avis, Hannah Green s’est adjoint les compétences complémentaires d’un homme pour donner de l’élan à sa vision et à ses activités professionnelles.</p>
<p>L’étude de l’apport de Mme Green à la photographie spirite démontre que le rôle joué par les femmes dans une période marquante de l’histoire de la photographie a été passé sous silence – et que nous devons réinterpréter la photographie spirite en tant que pratique novatrice dans les rites funéraires personnels.</p>
<p>Pourquoi accorder de la crédibilité à ce contre-discours ? Parce que les faits montrent qu’il est plus que probable qu’il en soit ainsi.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/169978/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Felicity T. C. Hamer a reçu des fonds du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) et du Fonds de recherche du Québec - Société et culture (FRQSC).</span></em></p>
La vie après la mort envisagée par le spiritisme plaisait aux femmes qui rejetaient l’idée que leurs enfants non baptisés puissent être condamnés à l’enfer.
Felicity T. C. Hamer, PhD Candidate and Public Scholar, Communication Studies, Concordia University
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/163313
2021-08-30T20:51:17Z
2021-08-30T20:51:17Z
Une exposition de photographies en réalité augmentée pour mettre en lumière le matrimoine amérindien
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/416793/original/file-20210818-27-l350fn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=13%2C26%2C2917%2C2078&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption"> Portrait de deux jeunes femmes mapuche devant leur métier à tisser utilisant un _ngürewe_, tendeur textile en os de baleine. D’après la taille de la structure du tissage et le détail des fils, elles sont probablement en train de confectionner un _chañuntuku_, petit tapis.</span> <span class="attribution"><span class="source">Claude Joseph, circa 1927. Dans “Los tejidos araucanos”, 1928, Revista Chilena, XII (103-104), p. 1251-1280, Museo Histórico Nacional de Chile, archive S-001321.</span></span></figcaption></figure><p>Chez les Mapuche, peuple autochtone de l’extrême sud-américain (Chili, Argentine), les femmes jouent un rôle majeur dans la préservation et la transmission de l’histoire et de la culture ancestrale qui a su résister aux attaques successives de l’Empire inca et de la colonisation espagnole puis aux expropriations causées par les politiques néolibérales du Chili contemporain. Les tisserandes racontent à travers leur art cette histoire de résistances et le lien primordial avec la terre que ce peuple entretient, comme en atteste son nom qui signifie « gens » (<em>che</em>) de la « terre » (<em>mapu</em>) en mapudungun, la langue du peuple mapuche.</p>
<h2>Gardiennes d’un savoir-faire ancestral</h2>
<p>L’exposition de photographies en réalité augmentée, <em>Pilquen. L’héritage des femmes mapuche</em>, propose de découvrir l’art des tisserandes mapuche, gardiennes d’un savoir-faire ancestral. Le titre <em>Pilquen</em> signifie « vêtement, tissu » en mapudungun. Quant au sous-titre, il souligne l’attention portée au legs féminin que constitue le tissage et ses modalités de transmission, considéré comme une ressource essentielle du matrimoine culturel mapuche.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/v8u04w4zMWc?wmode=transparent&start=2" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Relatos de mujer : « Mujer mapuche » – Récits de femmes : « Femme mapuche », Servicio National del Patrimonio Cultural (Chili), 2011.</span></figcaption>
</figure>
<p>À l’origine de l’exposition initialement dédiée aux femmes indigènes d’Amérique latine, se trouve l’intérêt des étudiant·e·s pour la culture mapuche découverte au sein de <a href="https://culture.uca.fr/activites/ateliers/arts-de-la-scene/theatre-en-espagnol-1">l’Atelier théâtre en espagnol de l’Université Clermont Auvergne</a>, et du travail mené autour de la <em>Médée mapuche</em> du dramaturge chilien Juan Radrigán.</p>
<p>La découverte de cette culture amérindienne et du rôle majeur des figures féminines a constitué un déclencheur dans ce projet culturel. À partir de la collaboration avec le <a href="https://matrimoine.art/">programme de recherche-création Matrimoine Afro-Américano-Caribéen</a>, soutenu par l'Agence Universitaire de la Francophonie, et qui vise la constitution et l’analyse de la transmission des legs féminins dans la création contemporaine des Amériques et de la Caraïbe, l’exposition a fait l’objet d’une conception conjointe des étudiant·e·s du double diplôme de <a href="https://lcc.uca.fr/formation/master/master-etudes-europeennes-et-internationales/master-eei-option-etudes-interculturelles-franco-espagnoles">Master Études Interculturelles Franco-Espagnoles</a> de l’Université Clermont Auvergne et de <a href="https://www.auf.org/les_membres/nos-membres/ecole-superieure-dinfotronique-dhaiti/">l’École Supérieure d’Infotronique d’Haïti</a>.</p>
<p>Après un important travail de recherches documentaires sur la culture, l’histoire, la cosmogonie et l’art textile mapuche, la sélection finale des photographies représente des tisserandes au travail sur le <em>witral</em>, métier à tisser vertical, des pièces textiles et des accessoires de tissage. Toutes les photographies cibles de l’exposition mettent en lumière la transmission intergénérationnelle au sein de généalogies féminines – de mère en fille, de grand-mère à petite-fille, de tante à nièce… – en confrontant photographies d’archives collectées auprès de musées chiliens (<a href="https://www.mhn.gob.cl/sitio/">Museo Histórico Nacional de Chile</a>, <a href="https://museo.precolombino.cl/">Museo Chileno de Arte Precolombino</a>, et photographies actuelles, en particulier celles de l’anthropologue et photographe <a href="https://tierra-mapuche.wixsite.com/celineparra/a-propos">Céline Parra</a> et du Musée Bargoin-Clermont Auvergne Métropole.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/416795/original/file-20210818-17-1othw4u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/416795/original/file-20210818-17-1othw4u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=416&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/416795/original/file-20210818-17-1othw4u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=416&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/416795/original/file-20210818-17-1othw4u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=416&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/416795/original/file-20210818-17-1othw4u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=523&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/416795/original/file-20210818-17-1othw4u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=523&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/416795/original/file-20210818-17-1othw4u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=523&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Portrait d’une femme Mapuche assise au sol devant son métier à tisser. Elle porte un châle noir, ou <em>ukulla</em>, qui lui recouvre le dos, un bandeau et des boucles d’oreille, caractéristiques du costume mapuche traditionnel.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Anonyme, circa 1920, Museo Histórico Nacional de Chile</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les trois parties de l’exposition parcourent l’histoire du tissage mapuche : de ses origines mythiques sous le patronage de <em>Lalén Kuzé</em>, la vieille araignée, divinité tutélaire qui, selon le mythe, initie les jeunes tisserandes aux techniques de filage et de tissage perpétuées par la transmission. L’apprentissage est marqué par divers rituels au cours desquels la tisserande expérimentée transmet non seulement son savoir-faire textile mais également sa connaissance poussée de l’environnement naturel qui fournit les matières premières nécessaires aux créations : la laine ainsi que les fruits, les feuilles et les fleurs utilisés pour les teintures scellent une coopération féconde et sacrée avec <em>ñuke mapu</em> (« la Terre Mère »).</p>
<p>Les pièces photographiées rendent compte d’une véritable écriture textile qui peut raconter, avec ses codes propres selon les motifs et couleurs choisis, l’histoire de la communauté ou désigner le statut de la personne pour laquelle la pièce a été conçue ou encore l’occasion où elle a été arborée. Les tisserandes sont parfois les seules à pouvoir déchiffrer les œuvres de leurs ancêtres, assurant de la sorte leur fonction de gardiennes de la culture communautaire.</p>
<p>Les augmentations des photos cibles accessibles grâce à une application de réalité augmentée téléchargeable sur le portail web <a href="https://matrimoine.art/expositions/pilquen-lheritage-des-femmes-mapuche/">matrimoine.art</a> permettent d’enrichir la scénographie par des témoignages vidéos, des extraits de mythes et de poèmes, des explications audios et lectures bilingues en français et en espagnol avec lesquels les visiteurs-utilisateurs peuvent interagir (en les modifiant, les annotant…).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/416794/original/file-20210818-13-wd58m.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/416794/original/file-20210818-13-wd58m.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/416794/original/file-20210818-13-wd58m.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/416794/original/file-20210818-13-wd58m.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/416794/original/file-20210818-13-wd58m.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/416794/original/file-20210818-13-wd58m.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/416794/original/file-20210818-13-wd58m.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Un poncho mapuche.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Collection Musée Bargoin, Clermont Auvergne Métropole, Anja Beutler, Clermont-Ferrand, juin 2021</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’approche interculturelle a trouvé un point d’ancrage particulièrement pertinent dans la collaboration avec le <a href="https://www.clermontmetropole.eu/bouger-se-divertir/le-dynamisme-culturel/les-musees-de-clermont-auvergne-metropole/musee-bargoin/">Musée Bargoin-Clermont Auvergne Métropole</a> qui dispose d’un poncho mapuche dans sa collection. Cette pièce photographiée constitue la dernière étape du parcours et couronne cette chaîne de transmission intergénérationnelle et interculturelle qui a déterminé la composition de l’exposition, en créant un pont entre le textile mapuche et le public clermontois.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/416798/original/file-20210818-25-1hz42st.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/416798/original/file-20210818-25-1hz42st.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=849&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/416798/original/file-20210818-25-1hz42st.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=849&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/416798/original/file-20210818-25-1hz42st.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=849&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/416798/original/file-20210818-25-1hz42st.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1067&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/416798/original/file-20210818-25-1hz42st.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1067&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/416798/original/file-20210818-25-1hz42st.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1067&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">L’affiche de l’exposition.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Juliette Chausse</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Projet pluridisciplinaire et international au carrefour de la formation, de la recherche et de l’action culturelle, l’exposition <em>Pilquen</em> contribue aux travaux menés au sein de l’Atelier Recherche-Création du Centre de Recherches sur les Littératures et la Sociopoétique et du Service Université Culture de l’Université Clermont Auvergne dans l’expérimentation d’outils alternatifs de constitution et de transmission du savoir mis au service de la réhabilitation du matrimoine culturel tel que l’autrice et chercheuse <a href="https://www.50-50magazine.fr/2019/09/04/aurore-evain-rendre-visibles-les-femmes-dans-lhistoire-culturelle-et-artistique-consiste-a-sattaquer-aux-violences-symboliques-de-la-domination-masculine-1-2/">Aurore Evain</a> le définit. </p>
<p>Cette notion (ré)émergente au sein de la francophonie constitue la pierre angulaire du programme Matrimoine afro-américano-caribéen qui héberge la version en ligne de l’exposition <em>Pilquen</em>. Ce choix terminologique aux implications sociétales et politiques majeures (en matière d’égalité femmes-hommes et de diversité culturelle) pour désigner les formes de legs féminins que le programme entend recenser, fait l’objet de <a href="https://matrimoine.art/stephanie-urdician/publications">travaux lexico-culturels</a> en cours, en raison de l’acception restreinte des termes <em>matrimonio, matrimony</em> au sens de « mariage » dans les autres langues des aires culturelles concernées.</p>
<hr>
<p><em>L’exposition « Pilquen. L’héritage des femmes mapuche », visible depuis mars 2021 sur le portail <a href="https://matrimoine.art/expositions/pilquen-lheritage-des-femmes-mapuche/">matrimoine.art</a>, est présentée pour la première fois à la <a href="https://bu.uca.fr/bibliotheques/les-bu/bu-droit-economie-management">BU Droit, Economie, Management de Clermont-Ferrand</a> du 10 juin au 24 septembre 2021. Visites guidées les 17 et 18 septembre 2021 à l’occasion des Journées du Matrimoine.</em></p>
<p><em>Crédits : <a href="https://matrimoine.art/expositions/pilquen-lheritage-des-femmes-mapuche/">pilquen-lheritage-des-femmes-mapuche</a>. Contact : <a href="mailto:pilotage@matrimoine.art">pilotage@matrimoine.art</a>. Instagram : @Pilquen.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/163313/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stéphanie Urdician ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
L’exposition de photographies en réalité augmentée, « Pilquen. L’héritage des femmes mapuche » propose de découvrir l’art des tisserandes mapuche, gardiennes d’un savoir-faire ancestral.
Stéphanie Urdician, Maîtresse de conférences en études hispaniques, Université Clermont Auvergne (UCA)
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/166074
2021-08-15T16:35:49Z
2021-08-15T16:35:49Z
Apple peut scanner vos photos pour lutter contre la pédocriminalité tout en protégeant votre vie privée – si la société tient ses promesses
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/416064/original/file-20210813-27-j3yhva.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C8%2C5751%2C3819&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une fois prise, cette photo pourra être vérifiée. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/z0WDn0Mas9o"> Drew Hays / Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>La prolifération des <a href="https://www.nytimes.com/interactive/2019/09/28/us/child-sex-abuse.html">images pédopornographiques</a> sur Internet est terrible et donne à réfléchir. Les entreprises technologiques envoient des <a href="https://www.missingkids.org/content/dam/missingkids/gethelp/2020-reports-by-esp.pdf">dizaines de millions de rapports par an</a> de ces images à l’organisation américaine à but non lucratif <a href="https://www.missingkids.org/theissues/csam">National Center for Missing and Exploited Children</a> (le centre national pour les enfants disparus et exploités).</p>
<p>La manière dont les entreprises qui assurent le stockage de vos images dans les nuages (ou clouds en anglais) détectent généralement ces images peut vous rendre vulnérable à des violations de la vie privée – et aux pirates qui s’introduisent dans leurs ordinateurs. Le 5 août 2021, Apple <a href="https://www.apple.com/child-safety/">a annoncé une nouvelle méthode de détection de ces contenus</a> qui promet de mieux protéger votre vie privée.</p>
<p>En tant qu’<a href="https://scholar.google.com/citations?user=lneZSfIAAAAJ">informaticien</a> qui étudie la cryptographie, je peux expliquer comment le système d’Apple fonctionne, pourquoi il constitue une amélioration et pourquoi Apple doit en faire plus.</p>
<h2>Qui détient les clés ?</h2>
<p>Les fichiers numériques peuvent être protégés dans une sorte de coffre-fort virtuel grâce au cryptage, qui brouille un fichier de sorte qu’il ne peut être révélé, ou décrypté, que par une personne détenant une clé secrète. Le cryptage est l’un des meilleurs outils pour protéger les informations personnelles lorsqu’elles transitent sur Internet.</p>
<p>Un fournisseur de services en nuage peut-il détecter du matériel pédopornographique si les photos sont brouillées par le cryptage ? Cela dépend de la personne qui détient la clé secrète.</p>
<p>De nombreux fournisseurs de services en nuage, dont Apple, conservent une copie de la clé secrète afin de pouvoir vous aider à <a href="https://support.apple.com/en-us/HT201487">récupérer des données</a> si vous oubliez votre mot de passe. Grâce à cette clé, le <a href="https://www.macobserver.com/analysis/apple-scans-uploaded-content/">fournisseur peut également comparer</a> les photos stockées sur le nuage avec les images d’abus d’enfants connues détenues par le <em>National Center for Missing and Exploited Children</em>.</p>
<p>Mais cette commodité a un coût important. Un fournisseur de services en ligne qui stocke des clés secrètes peut <a href="https://www.vice.com/en/article/g5gk73/google-fired-dozens-for-data-misuse">abuser de son accès</a> <a href="https://www.telegraph.co.uk/news/2021/07/12/exclusive-extract-facebooks-engineers-spied-women/">à vos données</a> ou être la proie d’une <a href="https://epic.org/privacy/data-breach/equifax/">violation de données</a>.</p>
<p>Une meilleure approche de la sécurité en ligne est le <a href="https://ssd.eff.org/en/glossary/end-end-encryption">chiffrement de bout en bout</a>, dans lequel la clé secrète est stockée uniquement sur votre propre ordinateur, téléphone ou tablette. Dans ce cas, le fournisseur ne peut pas décrypter vos photos. La réponse d’Apple à la recherche de matériel pédopornographique protégé par un cryptage de bout en bout est une nouvelle procédure dans laquelle le fournisseur de services en nuage, c’est-à-dire Apple, et votre appareil effectuent ensemble la comparaison des images.</p>
<h2>Repérer les preuves sans les regarder</h2>
<p>Bien que cela puisse sembler magique, la cryptographie moderne permet de travailler avec des données que vous ne pouvez pas voir. J’ai contribué à des projets qui utilisent la cryptographie pour <a href="https://thebwwc.org/">mesurer l’écart salarial entre les hommes et les femmes</a> <a href="https://www.usenix.org/system/files/soups2019-qin.pdf">sans connaître le salaire de quiconque</a>, et pour <a href="https://www.mycallisto.org/">détecter les récidivistes d’agressions sexuelles</a> <a href="https://static1.squarespace.com/static/5ff5d891409193661a0718c0/t/604134db3f35b3501dabfa4a/1614886107693/callisto-cryptographic-approach.pdf">sans lire le rapport de la victime</a>. Et il existe de <a href="https://drive.google.com/file/d/1NT_vdxRC8YEPlkQa2KHw22ai9IshyU73/view">nombreux autres exemples</a> d’entreprises et de gouvernements qui utilisent l’informatique protégée par cryptographie pour fournir des services tout en protégeant les données sous-jacentes.</p>
<p>La <a href="https://www.apple.com/child-safety/pdf/Apple_PSI_System_Security_Protocol_and_Analysis.pdf">correspondance d’images proposée par Apple</a> sur <em>iCloud Photos</em> utilise une informatique protégée par cryptage pour analyser les photos sans les voir. Elle s’appuie sur un outil appelé <a href="https://blog.openmined.org/private-set-intersection/">intersection d’ensembles privés</a>, étudié par les cryptographes depuis les années 1980. Cet outil permet à deux personnes de découvrir les fichiers qu’elles ont en commun tout en cachant le reste.</p>
<p>Voici comment fonctionne la correspondance d’images. Apple distribue sur l’iPhone, l’iPad et le Mac de chacun une base de données contenant des encodages indéchiffrables d’images connues d’abus d’enfants. Pour chaque photo que vous téléchargez sur iCloud, votre appareil <a href="https://www.apple.com/child-safety/pdf/Expanded_Protections_for_Children_Technology_Summary.pdf">applique une empreinte digitale numérique</a>, appelée <em>NeuralHash</em>. L’empreinte digitale fonctionne même si quelqu’un apporte de petites modifications à une photo. Votre appareil crée ensuite un justificatif pour votre photo, que votre appareil ne peut pas comprendre, mais qui indique au serveur si la photo téléchargée correspond à des images pédopornographiques dans la base de données.</p>
<p>Si un nombre suffisant de justificatives provenant d’un appareil indique des correspondances avec des images connues d’abus d’enfants, le serveur apprend les clés secrètes permettant de décrypter toutes les photos correspondantes, mais pas les clés des autres photos. Dans le cas contraire, le serveur ne peut visualiser aucune de vos photos.</p>
<p>Le fait que cette procédure de comparaison se déroule sur votre appareil peut être plus favorable à la protection de votre vie privée que les méthodes précédentes, dans lesquelles la comparaison se fait sur un serveur – à condition qu’elle soit correctement déployée. Il s’agit d’une mise en garde importante.</p>
<h2>Imaginer ce qui pourrait mal tourner</h2>
<p>Il y a une <a href="https://www.youtube.com/watch?v=XLMDSjCzEx8">réplique dans le film <em>Apollo 13</em></a> dans laquelle Gene Kranz, interprété par Ed Harris, proclame : « Je me fiche de ce pour quoi une chose a été conçue. Ce qui m’intéresse, c’est ce qu’elle peut faire ! » La technologie de balayage des téléphones d’Apple est conçue pour protéger la vie privée. Les experts en sécurité informatique et en politique technologique sont formés pour découvrir les façons dont une technologie peut être utilisée, détournée et abusée, indépendamment de l’intention de son créateur. Cependant, l’annonce d’Apple <a href="https://twitter.com/mattblaze/status/1423474134202437637">manque d’informations pour analyser les composants essentiels</a>, il n’est donc pas possible d’évaluer la sécurité de son nouveau système.</p>
<p>Les chercheurs en sécurité doivent voir le code d’Apple pour valider que le logiciel de correspondance assistée par appareil est fidèle à la conception et n’introduit pas d’erreurs. Les chercheurs doivent également vérifier s’il est possible de tromper l’algorithme <em>NeuralHash</em> d’Apple en <a href="https://twitter.com/yvesalexandre/status/1423293697152610314">apportant des modifications imperceptibles à une photo</a>.</p>
<p>Il est également important qu’Apple mette en place une politique d’audit afin que l’entreprise soit tenue responsable de ne faire correspondre que des images d’abus d’enfants. La menace d’une dérive de la mission était un risque même avec la comparaison sur serveur. La bonne nouvelle est que le rapprochement des appareils offre de nouvelles possibilités d’auditer les actions d’Apple, car la base de données codée lie Apple à un ensemble d’images spécifique. Apple devrait permettre à chacun de vérifier qu’il a reçu la même base de données codée et à des auditeurs tiers de valider les images contenues dans cet ensemble. Ces objectifs de responsabilité publique <a href="https://www.bu.edu/riscs/2021/08/10/apple-csam/">peuvent être atteints en utilisant la cryptographie</a>.</p>
<p>La technologie de comparaison d’images proposée par Apple a le potentiel d’améliorer la confidentialité numérique et la sécurité des enfants, surtout si Apple suit cette démarche en <a href="https://www.reuters.com/article/us-apple-fbi-icloud-exclusive/exclusive-apple-dropped-plan-for-encrypting-backups-after-fbi-complained-sources-idUSKBN1ZK1CT">donnant à iCloud un cryptage de bout en bout</a>. Mais aucune technologie ne peut, à elle seule, répondre entièrement à des problèmes sociaux complexes. Toutes les options relatives à l’utilisation du cryptage et de la numérisation d’images ont des <a href="https://mobile.twitter.com/alexstamos/status/1424054544556646407">effets délicats et nuancés</a> sur la société.</p>
<p>Ces questions délicates nécessitent du temps pour raisonner sur les conséquences potentielles d’actions, même bien intentionnées, avant de les déployer, par le biais d’un <a href="https://cyber.fsi.stanford.edu/io/content/e2ee-workshops">dialogue</a> avec les groupes concernés et des chercheurs d’horizons très divers. J’invite Apple à se joindre à ce dialogue afin que la communauté des chercheurs puisse collectivement améliorer la sécurité et la responsabilité de cette nouvelle technologie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/166074/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mayank Varia bénéficie de subventions de recherche de la National Science Foundation et de la DARPA. Toutes les opinions, constatations, conclusions ou recommandations exprimées dans ce document sont celles de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement les vues du gouvernement des États-Unis.</span></em></p>
Apple va analyser les photos téléchargées dans le nuage pour détecter des images pédopornographiques sans regarder les photos. Quels problèmes cela pose-t-il pour la vie privée ?
Mayank Varia, Research Associate Professor of Computer Science, Boston University
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tag:theconversation.com,2011:article/164218
2021-08-11T13:58:55Z
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La pandémie à travers les yeux – et l’appareil-photo – des aînés
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/414352/original/file-20210803-27-1bhgfpb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C4570%2C3039&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Face au stress mental élevé, les aînés ont dû trouver des stratégies permettant de passer à travers la pandémie.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Unsplash/Jonathan Cooper)</span></span></figcaption></figure><p>Partout sur la planète, la Covid-19 a frappé de plein fouet les plus vulnérables et au premier plan, les personnes âgées.</p>
<p>Le Québec n’a pas fait exception. Nos aînés ont fait face à une double peine : celle d’être un groupe à haut risque de complications en cas de contraction de la Covid <a href="https://www.inspq.qc.ca/covid-19/donnees/age-sexe">(au Québec, 97,4 % des décès liés à la Covid-19 ont concerné les personnes de plus de 60 ans)</a>, en plus d’être une cohorte à risque d’isolement social.</p>
<p>À l’heure où le Québec complète sa distribution des <a href="https://www.quebec.ca/sante/problemes-de-sante/a-z/coronavirus-2019/situation-coronavirus-quebec/donnees-sur-la-vaccination-covid-19">secondes doses vaccinales</a>, le pays retrouve un peu ses esprits et son souffle. C’est le moment de tirer les premières leçons de la gestion de cette pandémie. Comprendre comment les plus âgés d’entre nous ont survécu et se sont relevés de cette crise pourrait bien s’avérer payant face à d’autres confinements et d’éventuelles futures pandémies.</p>
<p>C’est là un des objectifs de la recherche <a href="https://confinesensemble.ca/">« Confinés, ensemble ! »</a>. Née au cœur de l’hiver 2020, cette recherche a été propulsée par notre volonté de comprendre comment les aînés vivaient cette crise au-delà des décès et des infections. Trois groupes étaient ciblés : les aînés vivant en résidence pour personnes âgées, ceux vivant seuls à domicile, ceux s’identifiant comme membre de la communauté LGBTQ.</p>
<p>Avec le soutien d’organismes communautaires et de campagnes de presse, nous avons recruté, de mai à septembre 2020, un total de 26 aînés âgés de 60 à 81 ans, issus de l’ensemble du territoire québécois. « Confinés, ensemble ! » est une recherche-action qui s’appuie sur le <a href="https://scienceetbiencommun.pressbooks.pub/evalsantemondiale/chapter/photovoix/">photovoix</a>, une méthode qui met la photographie au centre du processus de recherche ; les participants étaient invités à illustrer leur expérience de la pandémie avec des photos de leur quotidien, qu’ils ont ensuite partagées dans des groupes de discussion en ligne.</p>
<p>En tant que chercheurs en santé publique, nos intérêts portent sur les expériences vécues de santé, les populations vulnérables, le milieu urbain et les approches de recherche artistiques. « Confinés, ensemble ! » est un projet au caractère inédit parce qu’il place la photographie au cœur de la recherche, couplée à des groupes de discussion, le tout entièrement en ligne.</p>
<h2>Investir le moment présent</h2>
<p>Avec la pandémie, les nerfs ont été mis à rude épreuve. Face au stress mental élevé, les aînés ont dû trouver des stratégies permettant de prendre de la distance avec la pandémie. Être pleinement conscient et présent dans l’instant était une stratégie largement adoptée dans ce sens.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Une dame est installée devant une machine à coudre" src="https://images.theconversation.com/files/413839/original/file-20210729-23-twh8lj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/413839/original/file-20210729-23-twh8lj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/413839/original/file-20210729-23-twh8lj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/413839/original/file-20210729-23-twh8lj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/413839/original/file-20210729-23-twh8lj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/413839/original/file-20210729-23-twh8lj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/413839/original/file-20210729-23-twh8lj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">« Je me suis acheté une machine » (Chloé).</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Si toute occupation était utile pour combler un temps qui s’était allongé, certaines activités telles que la marche, la photographie, la méditation ou encore la tenue d’un journal intime aidaient particulièrement « à se rapprocher de soi » et ainsi à se détacher de la crise. La marche en particulier avait ce pouvoir de calmer l’esprit grâce à la connexion avec la nature qu’elle favorise. Le jardinage, qui « ramène à l’essentiel », apportait lui aussi du réconfort.</p>
<p>Parce qu’elle a rendu les temps incertains, la pandémie a aussi rendu difficiles les projets d’avenir. Qu’à cela ne tienne, s’ils ne pouvaient se réjouir du futur, les participants avaient décidé de doublement profiter du présent. Chaque instant était apprécié, honoré et investi pour ce qu’il avait à offrir, la possibilité d’être encore là. C’est ainsi que Paula, Montréalaise, plutôt habituée à une vie bien remplie, se répétait : « Paula, profite de la vie, y’a pas de temps à perdre, no time to loose ! »</p>
<h2>Continuer de voyager</h2>
<p>Se voir imposer des règles a été particulièrement éprouvant pour beaucoup de participants, en particulier pour ceux soumis aux mesures additionnelles de leur résidence.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Une bicyclette garée au milieu d’une ruelle" src="https://images.theconversation.com/files/412947/original/file-20210723-27-16bra6e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/412947/original/file-20210723-27-16bra6e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=805&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/412947/original/file-20210723-27-16bra6e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=805&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/412947/original/file-20210723-27-16bra6e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=805&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/412947/original/file-20210723-27-16bra6e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1012&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/412947/original/file-20210723-27-16bra6e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1012&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/412947/original/file-20210723-27-16bra6e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1012&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">« Passe-temps inédit : l’exploration des ruelles » (Lou).</span>
<span class="attribution"><span class="source">fournie par Julie Karmann</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Afin de regagner de la liberté, reconquérir un territoire plus large que celui de son unique domicile était une stratégie que plusieurs participants avaient adoptée. Ainsi, certains enfourchaient volontiers leur bicyclette pour s’évader tandis que d’autres continuaient de planifier des randonnées, mais cette fois, dans leur propre quartier.</p>
<p>« Pour ne pas aussi me sentir emprisonné, ben je vais à vélo. Cette semaine je suis allé jusqu’à la cité du Havre » exprimait Jacques, pour sa part privé de son autre maison, le club de sport.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Une panoplie de livres disposés sur une table" src="https://images.theconversation.com/files/413566/original/file-20210728-27-vsm8j4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/413566/original/file-20210728-27-vsm8j4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/413566/original/file-20210728-27-vsm8j4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/413566/original/file-20210728-27-vsm8j4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/413566/original/file-20210728-27-vsm8j4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/413566/original/file-20210728-27-vsm8j4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/413566/original/file-20210728-27-vsm8j4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">« L’importance du voyage intérieur avec nos amis les livres » (Marianne).</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Plusieurs participants ont continué de voyager, de rencontrer, de vivre de nouvelles expériences… à travers des livres ! Ces derniers étaient devenus de réelles échappatoires permettant de sortir de son petit environnement qui pouvait devenir étouffant.</p>
<p>« Veut, veut pas, quand t’acceptes d’embarquer dans un roman […] tu sors de toi. Tu sors de ton petit environnement qui des fois peut être très restreint et même très restrictif pour t’ouvrir à autre chose… », soulignait Marianne, pour qui la culture était aussi un lien social.</p>
<h2>Être indulgent envers soi-même</h2>
<p>La pandémie, par les nouvelles règles du jeu qu’elle a imposé aussi subitement, est sans précédent. Face à cette tempête, les aînés ont rapporté que l’indulgence envers soi-même était primordiale.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Une paire de petites bottes roses d’enfants" src="https://images.theconversation.com/files/412948/original/file-20210724-5107-1fc3h3x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/412948/original/file-20210724-5107-1fc3h3x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=365&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/412948/original/file-20210724-5107-1fc3h3x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=365&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/412948/original/file-20210724-5107-1fc3h3x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=365&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/412948/original/file-20210724-5107-1fc3h3x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=458&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/412948/original/file-20210724-5107-1fc3h3x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=458&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/412948/original/file-20210724-5107-1fc3h3x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=458&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">« Petits bonheurs » (Marcel).</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Cette bienveillance passait par le plaisir que l’on pouvait s’offrir. Qu’il s’agissait de la préparation ou la dégustation d’un repas, d’une soirée passée à visionner des séries ou la compagnie d’un verre de vin, il était important de se gâter.</p>
<p>« La vie continue et se renouvelle. Il faut l’alimenter, surtout pour moi en favorisant la présence des fantaisies, les petits bonheurs qu’on croise, les petits bonheurs qu’on se donne… » faisait remarquer Bruno, un amoureux de la nature et de la photographie.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Une dame au visage recouvert d’un masque noir" src="https://images.theconversation.com/files/412949/original/file-20210724-21-ojvf4p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/412949/original/file-20210724-21-ojvf4p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=799&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/412949/original/file-20210724-21-ojvf4p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=799&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/412949/original/file-20210724-21-ojvf4p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=799&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/412949/original/file-20210724-21-ojvf4p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1004&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/412949/original/file-20210724-21-ojvf4p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1004&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/412949/original/file-20210724-21-ojvf4p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1004&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">« Conquérir la peur » (Louise).</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pour les aînés, l’indulgence envers soi-même passait aussi par l’acceptation de soi, de sa vulnérabilité, de ses moments de fragilité. S’accepter dans l’adversité, mais aussi se reconnaître des victoires, petites — nouvelles compétences informatiques, artistiques — ou grandes — s’adapter, transcender sa peur — c’était se reconnaître des forces et renforcer son estime de soi.</p>
<p>Ainsi, investir le moment présent, continuer à voyager et être indulgent avec soi-même sont quelques-uns des ingrédients des aînés pour reprendre un peu de contrôle sur la situation, mais aussi grandir avec elle. Car si nul ne peut encore prédire aujourd’hui si la pandémie sera un simple passage ou une réelle rupture entre un avant et un après, une chose est certaine, elle aura imposé à chacun de se réinventer pour s’adapter.</p>
<p>Toutes les photos du projet « Confinés, ensemble ! » sont disponibles à l’adresse : <a href="https://confinesensemble.ca/">https://confinesensemble.ca/</a></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/164218/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julie Karmann a reçu des financements des IRSC ainsi que de l'Université de Montréal. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Olivier Ferlatte a reçu des financements du Fond de recherche du Québec (Santé)</span></em></p>
Vulnérables et isolées, des personnes âgées ont pris leurs caméras pour photographier leur quotidien, dans le cadre d’une recherche inédite sur les impacts de la pandémie dans leur vie.
Julie Karmann, PhD student, Université de Montréal
Olivier Ferlatte, Assistant professor, Université de Montréal
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/165206
2021-08-09T17:49:54Z
2021-08-09T17:49:54Z
Quand les expériences de réalité virtuelle donnent envie de voyager…
<p>Si on en croit l’Organisation mondiale du tourisme, <a href="https://www.banquedesterritoires.fr/tourisme-de-masse-manne-ou-calamite">95 % des touristes mondiaux se concentrent sur 5 % des terres</a> émergées. Cela n’est pas sans <a href="https://www.e-unwto.org/doi/pdf/10.18111/9789284422197">risques</a> : saturation, pression sur les infrastructures, cohabitation difficile avec les habitants…</p>
<p>A contrario, de nombreux territoires restent par ailleurs privés des bienfaits du tourisme. Ceux-ci semblent toutefois profiter de la crise sanitaire. Depuis l’apparition du nouveau coronavirus, les voyageurs ont privilégié le tourisme domestique et des régions peu fréquentées. Recherche d’expériences authentiques en pleine nature et activités en plein air, ont été plébiscitées à l’été 2020.</p>
<p>En France, par exemple, le département de l’Aveyron a enregistré une <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/occitanie/aveyron/rodez/aveyron-succes-du-tourisme-vert-pleine-crise-du-coronavirus-1865416.html">hausse de 14 %</a> de la fréquentation touristique au mois de juillet, par rapport à 2019 ; dans la Creuse, la fréquentation des familles françaises a <a href="https://www.lamontagne.fr/bordeaux-33000/actualites/le-covid-19-a-plombe-la-saison-touristique-en-limousin-comme-partout-en-nouvelle-aquitaine_13845746/">bondi de 23 %</a>.</p>
<p>Selon le <a href="https://wttc.org/Portals/0/Documents/Reports/2021/Global%20Economic%20Impact%20and%20Trends%202021.pdf">World Travel & Tourism Council</a>, ces tendances persisteront à court terme. Ce nouvel intérêt des touristes ouvre des perspectives pour des territoires jusqu’à présent peu fréquentés. À ce sujet, nos travaux suggèrent que les nouvelles technologies peuvent leur permettre de doper leur attractivité.</p>
<h2>Des monuments, des paysages, mais une faible fréquentation…</h2>
<p>Notre <a href="https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-02507519/">étude</a> a porté sur la ville égyptienne de <a href="http://egypt.travel/fr/regions/nile-valley/el-menya">El Minya</a> qui occupe la troisième place, après <a href="https://egymonuments.gov.eg/en/world-heritage/ancient-thebes-and-its-necropolis">Louxor</a> et <a href="https://egymonuments.gov.eg/archaeological-sites/giza-plateau/">El Giza</a>, au classement des endroits riches en monuments. On y trouve des édifices pharaoniques, gréco-romains, islamiques mais aussi coptes ainsi que des musées et des châteaux. Les visiteurs profitent également de l’alternance de paysages magnifiques entre sites urbains, terres agricoles et désert, que l’on peut parcourir en bateau sur le Nil.</p>
<p>Malgré ces atouts, la publicité en Égypte et à l’étranger sur le gouvernorat de El Minya reste inexistante et l’endroit demeure peu fréquenté.</p>
<p>Notre enquête quantitative a été menée en 2019 auprès de 341 personnes de nationalité égyptienne, afin d’identifier les conditions d’efficacité du fait de vivre une expérience virtuelle de l’endroit pour décider les individus à s’y rendre.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/413762/original/file-20210729-25-1d885qm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/413762/original/file-20210729-25-1d885qm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/413762/original/file-20210729-25-1d885qm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=362&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/413762/original/file-20210729-25-1d885qm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=362&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/413762/original/file-20210729-25-1d885qm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=362&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/413762/original/file-20210729-25-1d885qm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=455&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/413762/original/file-20210729-25-1d885qm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=455&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/413762/original/file-20210729-25-1d885qm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=455&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Certains enquêtés ont eu affaire à ce site Internet.</span>
<span class="attribution"><span class="source">capture d’écran</span></span>
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<p>Chacun des répondants a visité une des six versions des sites Internet créés pour El Minya. Celles-ci se différenciaient uniquement par leur degré d’interactivité et de vivacité. Des <a href="https://phdmontvr-4.jimdofree.com/">photos</a> ou des vidéos ou des <a href="https://phdmontvr-1.jimdofree.com/">visites virtuelles en 3D</a> pour les attractions touristiques étaient parfois incluses.</p>
<h2>Vivre l’ambiance</h2>
<p>Il en ressort que les touristes semblent apprécier vivre une expérience virtuelle avant de choisir une destination.</p>
<p>Certes, l’expérience peut varier d’un individu à l’autre : les caractéristiques personnelles (par exemple la préférence pour les informations visuelles, l’implication envers le voyage, la familiarité avec la technologie…) influencent l’intensité de cette expérience. Une tendance se dégage cependant.</p>
<p>En créant une expérience de « téléprésence », vidéos interactives et visites virtuelles en 3D déclenchent des états affectifs positifs, influencent positivement la valeur perçue de la destination et accroissent l’intention de visite. À l’inverse, les sites qui ne présentent que des photos en 2D ont suscité peu d’envie de visiter la destination.</p>
<p>Pour aller plus loin, des entretiens semi-directifs ont permis d’identifier les raisons de la préférence pour les visites virtuelles. Différents avantages ont été mis en avant par les enquêtés :</p>
<blockquote>
<p>« Avec la 3D, vous voyagez sur le site sans bouger de chez vous. »</p>
<p>« La 3D nous montre tout ce qui arrivera sur place. Grâce à la 3D, les choses sont plus concrètes, comme si elles étaient réelles. »</p>
<p>« Les visites en 3D sont très utiles, car on peut s’imaginer en pratiquant les activités disponibles. Si je me sens heureux pendant cette expérience en ligne, bien sûr je visiterai cette destination. »</p>
</blockquote>
<p>Faire ressentir les sensations d’une balade en pleine nature, sur mer, en milieu rural ou vivre l’ambiance de la production de produits locaux grâce à des vidéos à 360° ou des visites en 3D facilitent ainsi la prise de décision.</p>
<h2>Nouvelles perspectives</h2>
<p>L’utilisation de tels outils se développe et selon un <a href="https://www.bloomberg.com/press-releases/2020-02-13/augmented-reality-and-virtual-reality-ar-vr-market-size-is-expected-to-reach-usd-571-42-billion-by-2025-valuates-reports">rapport de Bloomberg</a>, publié le 13 février 2020, les produits de réalité virtuelle et de réalité augmentée représenteront d’ici 2025 un marché mondial de plus de 571,42 milliards de dollars.</p>
<p>Même s’il est difficile de prédire les comportements des touristes après la crise sanitaire, il semble indispensable pour le secteur de capitaliser sur l’évolution récente des comportements et d’aller dans le sens d’une utilisation croissante du numérique.</p>
<p>Les ventes d’outils de réalité virtuelle s’avèrent actuellement en hausse. Ils reflètent l’intérêt croissant des touristes mondiaux pour les expériences immersives et ouvrent de nouvelles perspectives aux destinations touristiques peu fréquentées.</p>
<p>De nombreux pays ont désormais mis en place des politiques et des plans visant à développer le <a href="https://www.unwto.org/fr/le-tourisme-dans-le-programme-2030">tourisme durable à l’horizon 2030</a>. Le <a href="https://www.nationalgeographic.com/travel/article/undertourism-overtourism-sustainable-destinations">« sous-tourisme »</a> est même devenu une tactique suscitant un intérêt croissant des marketeurs. Il s’agit d’encourager les voyageurs lassés par les destinations bondées à choisir des destinations touristiques moins fréquentées comme alternative. Nos travaux montrent que la réalité virtuelle semble un moyen efficace pour parvenir à cette fin.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/165206/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>
D’après une étude, pouvoir visiter virtuellement un endroit motive les touristes à prendre la décision de s’y rendre. Cela semble ouvrir des perspectives pour les territoires les moins visités.
Yasmine Hashish, PHD- Lecturer at Faculty of Mass Communication, Cairo University, Cairo University
Marie-Christine Lichtlé, Professeur des Universités, Université de Montpellier
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/157268
2021-03-25T21:08:34Z
2021-03-25T21:08:34Z
Goya, précurseur du photojournalisme ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/391825/original/file-20210325-13-3mujch.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=88%2C769%2C4382%2C2885&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">« Estragos de la guerra » (les ravages de la guerre), 1810-1814, détail. Caprices N° 30. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/f/ff/Estragos_de_la_guerra_sin_marco.jpg">Wikipédia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Le 30 mars marquera le 275<sup>e</sup> anniversaire de la naissance du grand peintre Francisco de Goya y Lucientes, né dans le petit village de Fuendetodos en Aragon et mort à Bordeaux le 16 avril 1828 : l’occasion de rendre hommage à cet artiste qui a vécu en France les quatre dernières années de sa vie. </p>
<p>Exilé volontaire, Goya quitte Madrid en 1824 afin de fuir le retour de l’absolutisme de Ferdinand VII. Quand il arrive à Bordeaux, âgé de 78 ans et complètement sourd, il dessine un autoportrait métaphorique intitulé « Aun aprendo » (J’apprends encore) où il dévoile son état d’esprit. Les années bordelaises correspondent à une période riche et paisible pour le peintre, pleine de créativité et d’envies d’expérimenter de nouvelles techniques de lithographie. Une étape où se consolident la liberté créative et l’autonomie de l’artiste, centré sur ses envies et préoccupations personnelles, loin des commandes de la cour d’Espagne.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/391737/original/file-20210325-17-1h4e9qh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/391737/original/file-20210325-17-1h4e9qh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/391737/original/file-20210325-17-1h4e9qh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=793&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/391737/original/file-20210325-17-1h4e9qh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=793&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/391737/original/file-20210325-17-1h4e9qh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=793&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/391737/original/file-20210325-17-1h4e9qh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=997&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/391737/original/file-20210325-17-1h4e9qh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=997&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/391737/original/file-20210325-17-1h4e9qh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=997&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Aun aprendo, autoportrait métaphasique de l’artiste qui dévoile son état d’esprit quand il arrive en France.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Aun_aprendo.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Un regard de reporter</h2>
<p>Goya est un grand artiste qui a touché à toutes les thématiques picturales, mais qui avait le regard perçant d’un reporter et savait observer, raconter la société et les événements de son temps. Ses dessins peuvent être considérés comme des dessins de presse : avec les <a href="https://musees-occitanie.fr/encyclopedie/themes/arts-graphiques/goya-les-desastres-de-la-guerre/"><em>Désastres de la guerre</em></a>, il invente le reportage graphique et participe à la naissance d’un journalisme visuel. Ces dessins constituent un précédent dans le genre des grands reportages photographiques de guerre. Par exemple, le dessin de la série intitulé <em>Estragos de la guerra</em> figure comme la première scène d’un bombardement sur une population civile. Goya, en précurseur du photojournalisme, nous laisse un fonds iconographique qui anticipe toute la barbarie des guerres à venir.</p>
<p>L’artiste s’inspire de la réalité qu’il perçoit avec ses cinq sens, qualité fondamentale de tout bon reporter comme le disait le journaliste polonais <a href="https://laviedesidees.fr/Le-monde-selon-Ryszard-Kapuscinski.html">Ryszard Kapuscinski</a>. L’art réaliste que présente Goya avec la réalisation des « Désastres de la guerre » ou « Les fusillades du 3 mai » nécessite une excellente préparation, tout comme un bon reportage, selon Kapuscinski : « lectures préparatoires, enquête de terrain et réflexion a posteriori. »</p>
<p>Le travail du reporter – comme celui du peintre – exige l’art du discernement, comme l'indique l’agencier polonais : </p>
<blockquote>
<p>« Je dois avoir l’œil. Il s’agit d’une réelle compétence : savoir sélectionner. Autour de soi, on voit des centaines d’images, mais on sait qu’elles sont inutiles, il faut se concentrer sur ce qu’on a l’intention de montrer. L’image au bon endroit. » </p>
</blockquote>
<p>Goya le fait notamment avec <a href="https://www.museumtv.art/artnews/oeuvre/zoom-sur-el-tres-de-mayo-de-1808-de-goya/">« Les fusillades du 3 mai »</a>, traduisant une pensée photographique qui résume le long récit de la guerre en un cadrage magistral. Un tableau qui se rapproche de la célèbre photo de Robert Capa « Mort d’un milicien », publiée dans la revue <em>Life</em> en 1937.</p>
<p>Le reportage « historiographique » qui se réclame de Kapuscinski se rapproche de la peinture par sa dimension visuelle, avec la description des scènes, des images, des détails qui construisent la narration. Avec son regard indépendant, Goya dénonce les atrocités dans les deux camps, comme le ferait un reporter impartial. Le goût de Goya pour le reportage graphique sous forme de dessins se manifeste encore à Bordeaux dans son singulier « Traité sur la violence ». Goya y montre des hommes enchaînés et des mises à mort, par exemple dans sa série consacrée à la guillotine. Sur le dessin 161 de l’Album bordelais G, intitulé</p>
<p>« Le chien volant », on voit un chien agressif qui survole une ville comme une machine à tuer.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/391740/original/file-20210325-21-q0fdt9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/391740/original/file-20210325-21-q0fdt9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/391740/original/file-20210325-21-q0fdt9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=762&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/391740/original/file-20210325-21-q0fdt9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=762&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/391740/original/file-20210325-21-q0fdt9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=762&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/391740/original/file-20210325-21-q0fdt9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=957&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/391740/original/file-20210325-21-q0fdt9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=957&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/391740/original/file-20210325-21-q0fdt9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=957&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Le chien volant.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Goya_-_El_perro_volante,_D04131.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le chien assassin tient sur son dos un livre blanc avec les noms supposés des promoteurs de cette chasse à l’homme orchestrée. C’est là une allégorie de la violence d’un État répressif. Vision fantastique, certes, mais qui l’est moins aujourd’hui, avec l’invention des robots meurtriers. Le chien évoque aussi la vidéosurveillance, mais aussi les drones qui nous surveillent 24h/24. Visionnaire, Goya explore en toute liberté un éventail de menaces qui sont devenues des réalités de nos sociétés contemporaines, et anticipe des phénomènes omniprésents dans l’actualité du XXI<sup>e</sup> siècle.</p>
<p><strong>L’obsession de l’actualité</strong></p>
<p>À Bordeaux, il se fait le chroniqueur de la ville. À la fin de sa vie, il peint pour lui, par plaisir, pour dénoncer, sans contraintes ni autocensure. Il se libère et s’éloigne du politiquement correct. Ce changement avait déjà été amorcé avec la publication de la série des « Caprices ». Ses récits ressemblent aux bandes dessinées documentaires d’aujourd’hui. En allant plus loin, dans une transposition temporelle anachronique, on aurait pu imaginer Goya publier ses dessins pour <a href="https://charliehebdo.fr/"><em>Charlie Hebdo</em></a>. Il met ses dessins au service d’une histoire qui frappe fort, à travers des récits par épisodes et toujours une brève légende, dans une approche très journalistique.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/391741/original/file-20210325-13-1gp5wz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/391741/original/file-20210325-13-1gp5wz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/391741/original/file-20210325-13-1gp5wz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=908&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/391741/original/file-20210325-13-1gp5wz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=908&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/391741/original/file-20210325-13-1gp5wz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=908&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/391741/original/file-20210325-13-1gp5wz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1141&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/391741/original/file-20210325-13-1gp5wz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1141&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/391741/original/file-20210325-13-1gp5wz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1141&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Les songes de la raison produisent de monstres.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/El_sue%C3%B1o_de_la_razon_produce_monstruos#/media/Fichier:Francisco_Jos%C3%A9_de_Goya_y_Lucientes_-_The_sleep_of_reason_produces_monsters_(No._43),_from_Los_Caprichos_-_Google_Art_Project.jpg">Wikimedia</a></span>
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</figure>
<p>L’ironie, la satire, le sarcasme, le grotesque, sont les ressources que Goya utilise pour renforcer sa narration visuelle. Ses obsessions, ses peurs, ses monstres sont aussi les nôtres. On dirait qu’ils émanent de notre époque. Il dénonce l’obscurantisme de son temps, immortalisé par le fameux dessin « Les songes de la raison produisent de monstres ».</p>
<p><a href="https://www.goyaenelprado.es/fileadmin/goyaweb/pdf/21-2266.pdf">Ses Albums G et H</a>, réalisés à Bordeaux, nous montrent un Goya intéressé par le versant populaire de la ville. Il est attentif aux invisibles, aux oubliés. Goya, après avoir été au service de ceux qui font l’histoire comme peintre de la cour et des puissants finit par défendre la cause de « ceux qui subissent l’Histoire », comme l’affirmait Albert Camus en référence à la mission de l’art et au rôle de l’écrivain dans son célèbre discours de réception du <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-journal-de-la-philo/camus-et-les-discours-du-prix-nobel-de-litterature">prix Nobel de Littérature</a>. Il dessine les marginaux, les fous, les pauvres, les prostituées, les précaires, les délaissés de la société. Il dénonce la peine de mort,</p>
<p>les inégalités, les excès de la religion, l’ignorance et la corruption.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/391744/original/file-20210325-21-1xexbpt.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/391744/original/file-20210325-21-1xexbpt.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=765&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/391744/original/file-20210325-21-1xexbpt.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=765&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/391744/original/file-20210325-21-1xexbpt.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=765&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/391744/original/file-20210325-21-1xexbpt.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=962&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/391744/original/file-20210325-21-1xexbpt.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=962&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/391744/original/file-20210325-21-1xexbpt.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=962&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Avec ce dessin intitulé Mal Marido, le peintre dénonce les violences machistes.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Au-delà de son héritage artistique, Goya est l’auteur d’une réflexion morale et philosophique sur la conduite humaine qui reste très actuelle. Le peintre est une icône de la modernité par sa défense de la liberté, de la raison, de la justice sociale, de l’égalité. Sa personnalité civique et intellectuelle mérite d’être explorée plus en profondeur. L’historien de l’art allemand <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fred_Licht">Fred Licht</a>, spécialiste de Goya, écrit en 1979 avec raison : </p>
<blockquote>
<p>« Quiconque a vu, ne serait-ce que superficiellement, les journaux du dernier demi-siècle a constaté que Goya avait illustré il y a plus de 150 ans les nouvelles les plus significatives. » </p>
</blockquote>
<p>Si ses images nous touchent aujourd’hui, c’est parce que nous y trouvons l’écho, et même l’explication, d’événements récents, très postérieurs à la mort du peintre.</p>
<h2>Interprète de l’angoisse</h2>
<p>De toutes ses forces, Goya a essayé de comprendre les comportements, les attitudes, les gestes humains face à l’histoire et de les représenter de la manière la plus véridique, la plus factuelle, en véritable reporter aux prises avec les faits. La vérité qu’il recherche est celle des passions, de l’amour, de la violence, de la guerre, de la folie, des injustices. On a l’impression que ces dessins ont été conçus pour illustrer les maux de notre époque. André Malraux, dans son ouvrage <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Editions-originales/Saturne"><em>Saturne, Essai sur Goya</em></a> (1950), le décrit comme « le plus grand interprète de l’angoisse qu’ait connu l’Occident. Lorsqu’un génie trouve le chant profond du Mal… » Goya nous dévoile la part invisible du monde.</p>
<p>Comme le dit Susan Sontag dans son essai <a href="https://www.artpress.com/2003/12/09/susan-sontag-devant-la-douleur-des-autres/">« Face à la douleur des autres »</a> : « Les images de Goya amènent le spectateur près de l’horreur. » Tantôt l’artiste s’inspire des faits divers lus dans la presse, tantôt c’est le témoignage direct qui l’inspire, comme un véritable reporter de terrain. Mais c’est toujours la quête de la vérité qui détermine ses sources d’inspiration : il s’agit de témoigner, d’alerter, de dénoncer, de prévenir. </p>
<p>L’œuvre de Goya contient en germe le tourment révolutionnaire de l’art moderne. Dans sa conception de l’art, le peuple joue un rôle central : il incarne le peuple dans l’histoire. Il représente comme personne ne l’avait fait auparavant l’entrée en scène du fanatisme des idées, de la foule, de la masse en action, autrement dit l’avènement du populisme. Son parti pris est celui d’un éditorialiste qui écrit avec des images et pointe du doigt les dysfonctionnements de la société avec ses légendes. Le réalisateur espagnol <a href="https://journals.openedition.org/etudesromanes/3372?lang=en">Luis Buñuel</a> disait à propos de Goya : « Le Peintre doit lire le monde pour les autres, pour ceux qui ne savent pas lire le monde… ».</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/391750/original/file-20210325-15-qwfajy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/391750/original/file-20210325-15-qwfajy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=669&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/391750/original/file-20210325-15-qwfajy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=669&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/391750/original/file-20210325-15-qwfajy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=669&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/391750/original/file-20210325-15-qwfajy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=840&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/391750/original/file-20210325-15-qwfajy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=840&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/391750/original/file-20210325-15-qwfajy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=840&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La laitière de Bordeaux, ouvre les portes à la modernité.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Laiti%C3%A8re_de_Bordeaux#/media/Fichier:Goya_MilkMaid.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le séjour de Francisco de Goya à Bordeaux lui permettra de reconquérir la joie de vivre. Son testament, comme un symbole d’espoir, nous pouvons le trouver dans sa dernière œuvre qui montre une scène de la vie quotidienne : une jeune travailleuse modeste, délicate et rêveuse. Un tableau aux accents impressionnistes qui préfigure une nouvelle ère dans l’art pictural.</p>
<hr>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/157268/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>María Santos-Sainz ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Une lecture politique et journalistique des derniers de Goya permet de comprendre sa grande modernité.
María Santos-Sainz, Maître de conférences, Institut de Journalisme Bordeaux Aquitaine, Université Bordeaux Montaigne
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/155009
2021-03-07T19:29:10Z
2021-03-07T19:29:10Z
Man Ray et la mode : les femmes dans l’œil des surréalistes
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/387288/original/file-20210302-23-10kwi8s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C2%2C1718%2C1272&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Noire et Blanche, portrait de 1926 représentant Kiki de Montparnasse</span> </figcaption></figure><p>« La beauté convulsive sera érotique-voilée, explosante-fixe, magique-circonstancielle ou ne sera pas » écrit André Breton dans <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Blanche/L-Amour-fou"><em>L’Amour fou</em></a>. Les pages du roman surréaliste, tout comme celles de <a href="https://www.franceculture.fr/litterature/la-veritable-histoire-de-nadja-de-breton"><em>Nadja</em></a>, sont illustrées par de multiples clichés de Man Ray. Le photographe américain (1890-1976), Emmanuel Radnitzky de son vrai nom, s’attache à capturer cette étrange beauté du surréalisme dans ses photographies de mode, qui ont été récemment <a href="https://museeduluxembourg.fr/fr/agenda/evenement/man-ray-et-la-mode">exposées au Musée du Luxembourg à Paris</a>.</p>
<p>Cette exposition a montré le rapport complexe de Man Ray et des surréalistes à la représentation des modèles féminins. Si certaines œuvres proposent un regard masculin enfermant les muses dans un rôle d’objet de désir, les choix esthétiques et les innovations techniques de Man Ray lui permettent néanmoins de déplacer le regard et de rendre à ses modèles leur rôle de sujet dans l’entreprise artistique.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/BNN9PvcCryY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Man Ray et la Mode : la bande-annonce de l’exposition.</span></figcaption>
</figure>
<p>Fasciné par les avant-gardes européennes, Man Ray se destine initialement à une carrière de peintre et se lance dans la photographie pour mettre en scène ses toiles à l’aide de son premier Kodak. Il évolue à New York dans la sphère dadaïste menée par Marcel Duchamp et Francis Picabia autour de la galerie <em>291</em>, fondée par <a href="https://www.musee-orsay.fr/fr/evenements/expositions/archives/presentation-detaillee/browse/6/article/new-york-et-lart-moderne-alfred-stieglitz-et-son-cercle-1905-1930-4217.html?S=&tx_ttnews%5BbackPid%5D=252&cHash=0b95738aaf&print=1">Alfred Stieglitz</a>. Lorsque Duchamp repart pour Paris, Man Ray le suit, et s’installe en 1921 dans un atelier de la rue Campagne-Première, dans le XIV<sup>e</sup> arrondissement.</p>
<p>C’est cette période parisienne de l’entre-deux-guerres dont témoigne l’exposition « Man Ray et la mode », offrant aux visiteurs un large éventail de photographies, mais également des créations signées Gabrielle Chanel ou Jeanne Lanvin.</p>
<h2>Fragmentation du corps féminin</h2>
<p>Paradoxalement, la photographie de mode telle qu’elle se trouve dans les pages des magazines du milieu du XX<sup>e</sup> siècle, participe tout autant à la libération et à l’épanouissement du corps féminin qu’à sa réification.</p>
<p>À travers des photographies explicitement mises en scène, les magazines de mode offrent une célébration des femmes et des courbes de leur corps tout en mettant en valeur une représentation de beauté idéalisée. Man Ray publie ses clichés dans <em>Vogue</em> et <em>Harper’s Bazaar</em> dans les années 1920 et 1930, alors que ses deux rivaux remplacent les traditionnelles illustrations au crayon par des photographies capturant le mouvement du sujet vivant et la fluidité du vêtement porté par les modèles.</p>
<p>Les portraits de Man Ray représentent presque exclusivement des modèles féminins. Adoptant un regard surréaliste, l’artiste attire régulièrement l’attention sur des parties spécifiques du corps féminin qu’il morcelle et recompose.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/387269/original/file-20210302-15-1f0at4t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=19%2C14%2C1165%2C1499&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/387269/original/file-20210302-15-1f0at4t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=19%2C14%2C1165%2C1499&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/387269/original/file-20210302-15-1f0at4t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=766&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/387269/original/file-20210302-15-1f0at4t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=766&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/387269/original/file-20210302-15-1f0at4t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=766&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/387269/original/file-20210302-15-1f0at4t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=962&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/387269/original/file-20210302-15-1f0at4t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=962&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/387269/original/file-20210302-15-1f0at4t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=962&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Man Ray à Paris en 1934.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Carl van Vechten -- Van Vechten Collection at Library of Congress</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Il photographie ainsi des bustes tronqués, à la manière d’une statue, des mains qu’il isole du reste du corps, <a href="https://www.centrepompidou.fr/fr/ressources/oeuvre/cEbrad">comme les <em>Mains peintes par Pablo Picasso</em></a>, ou <a href="https://www.centrepompidou.fr/en/ressources/oeuvre/crgGkbM">celles de Nusch Éluard</a>, des jambes détachées du corps, des visages en gros plans. L’une des œuvres les plus célèbres du photographe, intitulée <a href="https://www.centrepompidou.fr/fr/ressources/media/mbkgk5d"><em>Les Larmes</em></a>, devait être initialement une publicité pour la marque de mascara Cosmécil.</p>
<p>Man Ray prend plusieurs versions du même cliché en variant les échelles, et en cadrant au plus près le visage du modèle, puis ses yeux, pour finalement n’isoler qu’un seul œil perlé de larmes de verre.</p>
<p>Cette fragmentation du corps féminin relève de l’esthétique surréaliste, et participe à l’objectivation de la femme tout en la sublimant. Les images artistiques à l’élégance indéniable célèbrent le corps des modèles et offrent au spectateur la « beauté érotique-voilée » évoquée par Breton.</p>
<p>Pourtant, ces femmes sont au même moment immobilisées par l’objectif de l’appareil photo et sont bien souvent réduites à leur beauté passive, privées de toute possibilité d’action, réservée aux hommes. C’est ce rapport complexe et problématique des artistes surréalistes aux femmes qu’examine <a href="https://www.oxy.edu/academics/faculty/amy-lyford">Amy Lyford</a> dans son ouvrage <a href="https://www.ucpress.edu/book/9780520246409/surrealist-masculinities"><em>Surrealist Masculinities : Gender Anxiety and the Aesthetics of Post-World War I Reconstruction in France</em></a> (<em>Masculinités surréalistes : L’angoisse liée au genre et l’esthétique de la reconstruction de la France après la Première Guerre mondiale</em>).</p>
<p>Les femmes, à travers leur statut de muses et d’icônes de la mode, deviennent l’objet du désir et du regard masculin, ce « male gaze » théorisé par <a href="https://www.anothergaze.com/suddenly-woman-spectator-conversation-interview-feminism-laura-mulvey/">Laura Mulvey</a> dans son célèbre essai de 1975, <a href="https://academic.oup.com/screen/article/16/3/6/1603296"><em>Visual Pleasure and Narrative Cinema</em></a> (<em>Plaisir visuel et cinéma narratif</em>), analysant le rôle des femmes sous l’œil de la caméra.</p>
<p>La femme s’y trouve sexualisée, réduite à la passivité et soumise au prisme du regard masculin et au « plaisir visuel » de ceux qui la filment et qui l’observent. La notion féministe de « male gaze » identifie et critique ainsi ce regard voyeur et dominant, qui relègue les figures féminines au second plan.</p>
<p>Le regard de Man Ray participe toutefois également à la valorisation de ses modèles féminins grâce à des choix esthétiques minutieusement élaborés. Les femmes qui posent pour le photographe se voient offrir un rôle de premier plan en tant que sujets de l’œuvre d’art à laquelle elles donnent vie.</p>
<h2>Lee Miller : la muse photographe</h2>
<p>Parmi les – nombreuses – femmes et muses photographiées par Man Ray se trouve Lee Miller. Mannequin, actrice auprès de Jean Cocteau, puis <a href="http://www.film-documentaire.fr/4DACTION/w_fiche_film/1774_1">brillante photographe pendant la Seconde Guerre mondiale</a>, elle fut l’assistante, la muse et la compagne de Man Ray.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/387696/original/file-20210304-13-13osqnl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/387696/original/file-20210304-13-13osqnl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=766&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/387696/original/file-20210304-13-13osqnl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=766&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/387696/original/file-20210304-13-13osqnl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=766&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/387696/original/file-20210304-13-13osqnl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=963&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/387696/original/file-20210304-13-13osqnl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=963&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/387696/original/file-20210304-13-13osqnl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=963&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Lee Miller fut aussi une brillante photographe pendant la Seconde guerre mondiale.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=77888314">US Army Center of Military History</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>De très nombreux portraits la représentent, démontrant les talents du photographe, ainsi que son goût pour l’expérimentation surréaliste.</p>
<p>Lee Miller <a href="https://www.centrepompidou.fr/fr/ressources/oeuvre/c5pn9jq">apparaît ainsi dans un cliché de 1930</a> vêtue d’une robe ostensiblement froissée au tissu chatoyant, des lignes noires dessinées sur son visage rappelant les plis du vêtement.</p>
<p>La même année, le Bal Blanc crée l’événement à Paris : avec l’aide de Lee Miller, Man Ray photographie les invités vêtus de blanc, sur les silhouettes desquelles sont projetées des images colorées, inventant ainsi la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Mapping_vid%C3%A9o#:%7E:text=La%20technique%20de%20%C2%AB%20projection%20mapping,affichage%20pour%20la%20projection%20vid%C3%A9o.">technique du « mapping » vidéo</a>. </p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/387730/original/file-20210304-13-1eak5ir.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/387730/original/file-20210304-13-1eak5ir.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/387730/original/file-20210304-13-1eak5ir.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=792&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/387730/original/file-20210304-13-1eak5ir.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=792&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/387730/original/file-20210304-13-1eak5ir.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=792&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/387730/original/file-20210304-13-1eak5ir.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=995&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/387730/original/file-20210304-13-1eak5ir.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=995&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/387730/original/file-20210304-13-1eak5ir.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=995&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Une photo du Bal Blanc par Man Ray dans Vogue, août 1930.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k65395030/f52.item.r=bal%20blanc.zoom">Gallica BnF</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p><a href="https://www.independent.co.uk/arts-entertainment/art/features/man-crush-when-man-ray-met-lee-miller-8463783.html">Un autre portrait de Lee Miller</a>, d’apparence plus traditionnel, la représente de profil, illustrant l’une des techniques signature de Man Ray qui consiste à exposer le papier à la lumière blanche, grâce à un processus chimique nommé solarisation. Celui-ci trace un liseré entre les zones sombres et claires de la photographie.</p>
<p>Une série de clichés de petit format représente Lee Miller dans des poses légèrement différentes, ce qui n’est pas sans rappeler le Pop Art et les œuvres en série d’<a href="https://www.moma.org/collection/works/portfolios/61240">Andy Warhol</a> dans les années 1970. Man Ray introduit ainsi une vision artistique dans les magazines de mode, allant au-delà de la simple démarche publicitaire.</p>
<p>L’artiste délaisse la traditionnelle prise de vue frontale, et adopte des cadrages dynamiques, optant pour des angles en plongée et en contre-plongée. Les jeux d’ombres et de lumière, l’éclairage et la composition géométrique mettent en valeur les robes et les silhouettes féminines.</p>
<p>L’effet de mouvement ainsi créé par le photographe redonne aux modèles un rôle d’agent. Le regard posé sur les femmes photographiées n’est plus seulement un regard masculin et voyeur ; Man Ray joue sur les codes surréalistes pour déplacer le regard, surprendre le spectateur, et attirer l’œil sur des questions esthétiques.</p>
<h2>Rendre leur image aux femmes</h2>
<p>Man Ray parvient ainsi à dépasser le rapport problématique des surréalistes aux questions de genre grâce à son audace artistique. Ses photographies interpellent notre regard et nous invitent à considérer ses modèles féminins sous un autre jour.</p>
<p>Man Ray est influencé dans sa démarche par le surréalisme, qui se développe à Paris alors qu’il élabore ses premières photographies de mode. Les clichés de Man Ray apparaissent dans les revues <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb34381250f/date"><em>La Révolution surréaliste</em></a> et <a href="http://bibliothequekandinsky.centrepompidou.fr/clientbookline/service/reference.asp?output=PORTAL&INSTANCE=INCIPIO&DOCBASE=CGPP&DOCID=0468285"><em>Minotaure</em> </a>; il participe également en 1937 à l’exposition <a href="https://www.moma.org/calendar/exhibitions/2823">« Fantastic Art, Dada, Surrealism »</a> à New York.</p>
<p>Le <a href="https://www.cairn.info/revue-topique-2011-2-page-113.htm"><em>Manifeste du surréalisme</em></a> de 1924 pose comme principe « la résolution future de ces deux états, en apparence si contradictoires, que sont le rêve et la réalité, en une sorte de réalité absolue, de surréalité ». Alors qu’il développe des photographies de mode pour Paul Poiret en 1922, Man Ray invente la rayographie, une technique novatrice grâce à laquelle il développe des images sans utiliser l’appareil photo en s’appuyant sur le principe du photogramme.</p>
<p>Cette invention trouve écho dans le <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-essais/Manifestes-du-surrealisme"><em>Manifeste du Surréalisme</em></a>, où Breton définit le mouvement comme « le ‘rayon invisible’ qui nous permettra un jour de l’emporter sur nos adversaires ». Dix ans plus tard, la première photographie de Man Ray pour le <em>Harper’s Bazaar</em> s’intitule <a href="http://www.manray-photo.com/catalog/product_info.php?products_id=930"><em>Fashion by Radio</em></a> : il s’agit d’une image envoyée par ondes radio d’une rive à l’autre de l’Atlantique. De telles prouesses techniques soulignent que le photographe ne s’attache pas à dépeindre la beauté figée d’un modèle féminin devant l’objectif, mais plutôt à mettre en œuvre une pratique artistique exigeante, qui tente d’aller au-delà du visible.</p>
<p>La technique de la transparence permet quant à elle de superposer deux négatifs différents sur une même image. La silhouette féminine se dédouble alors en un phénomène de surimpression qui donne à voir deux poses distinctes simultanément. L’effet produit relève d’une beauté troublante, créant un phénomène d’ <a href="https://www.jstor.org/stable/468561?seq=1">« Unheimliche »</a>, terme freudien désignant une « inquiétante étrangeté » associée au surréalisme dans son rapport à la magie et aux sciences occultes.</p>
<p>Ce même trouble se produit lorsque Man Ray <a href="https://www.telerama.fr/scenes/a-marseille,-man-ray,-le-photographe-qui-a-fait-entrer-lart-moderne-dans-la-mode,n6503620.php">ajoute un bras de mannequin au portrait d’Elsa Schiaparelli</a> qui, d’après le collectionneur Julien Levy, était « la seule créatrice de mode à comprendre le surréalisme ». L’effet d’étrangeté ainsi produit subvertit le regard en proposant un nouveau prisme d’observation, non plus fondé sur un voyeurisme masculin, mais sur des principes de questionnement et d’absurde auxquels les modèles féminins prennent pleinement part.</p>
<p>Dans sa célèbre photographie <em>Noire et blanche</em>, Man Ray représente Kiki de Montparnasse, les yeux fermés, accompagnée d’un masque de bronze, faisant explicitement référence à la <em>Muse endormie</em> du sculpteur Brancusi. Si la forme ovale unit les deux visages, le contraste entre la peau diaphane de Kiki et la teinte sombre du masque est d’autant plus marquant. La femme échappe ici au rôle d’objet auxquels bien des surréalistes l’ont condamnée. La collaboration artistique de Man Ray et de ses modèles féminins permet de leur rendre leur voix, ou plus exactement leur image et leur rôle de sujet dans l’entreprise artistique.</p>
<p>Man Ray photographie aussi Kiki pour son <a href="https://art21.fr/1924-le-violon-dingres-par-man-ray/"><em>Violon d’Ingres</em></a>, chargé d’érotisme. Les ouïes de violon dessinées dans son dos attirent l’œil et constituent le « punctum » défini par Roland Barthes dans <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Cahiers-du-Cinema-Gallimard/La-Chambre-claire"><em>La Chambre claire</em></a> : « Le <em>punctum</em> d’une photo, c’est ce hasard qui, en elle, <em>me point</em> (mais aussi me meurtrit, me poigne) ». L’œuvre de Man Ray est bel et bien poignante : interpellant le regard grâce à son esthétique surréaliste, elle nous invite à entrer dans l’image non pas les yeux fermés comme Kiki, mais les yeux grands ouverts.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/155009/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Diane Drouin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Avec Man Ray, le regard posé sur les femmes n’est plus seulement masculin et voyeur. L’artiste utilise les codes surréalistes pour rendre à ses modèles leur rôle de sujet dans l’entreprise artistique.
Diane Drouin, Doctorante en littérature anglophone, Sorbonne Université
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tag:theconversation.com,2011:article/155519
2021-02-21T17:22:00Z
2021-02-21T17:22:00Z
Vers un encadrement généralisé des filtres de beauté sur les réseaux sociaux ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/384813/original/file-20210217-15-1lnnl5f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1280%2C850&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En janvier 2020, on dénombrait 3,8 milliards d'utilisateurs de réseaux sociaux numériques pour 7,75 milliards de personnes dans le monde. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pxhere.com/fr/photo/121556">PxHere</a></span></figcaption></figure><p>Les réseaux sociaux sont par définition une application sociale, où l’utilisation de filtres s’est fortement standardisée. Aujourd’hui, n’importe quelle personne peut facilement « photoshoper » sa photo grâce à ces applications. L’utilisation de ces filtres est devenue normale, si ce n’est incontournable – bien que ces dernières années, on peut observer une tendance au « naturel » et à l’« authenticité ».</p>
<p>Le Royaume-Uni a très récemment <a href="https://fr.techbriefly.com/le-royaume-uni-interdit-aux-influenceurs-dutiliser-des-filtres-de-beaute-sur-instagram-snapchat-et-tiktok-tech-25262/">interdit l’utilisation des filtres de beauté</a> aux « influenceurs » s’inscrivant dans une démarche commerciale sur Insta-gram, Snapchat et TikTok, où la promotion des produits de beauté fait les affaires des influenceurs et des marques.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/384799/original/file-20210217-19-5slquq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/384799/original/file-20210217-19-5slquq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/384799/original/file-20210217-19-5slquq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1059&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/384799/original/file-20210217-19-5slquq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1059&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/384799/original/file-20210217-19-5slquq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1059&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/384799/original/file-20210217-19-5slquq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1331&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/384799/original/file-20210217-19-5slquq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1331&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/384799/original/file-20210217-19-5slquq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1331&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Capture d’écran de la story à la une pour le mouvement #filterdrop sur le compte Instagram de Sasha Louise Pallari.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.instagram.com/sashalouisepallari/?hl=en">Instagram</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Toutefois, avec cette mesure seuls les influenceurs sont impactés, les autres utilisateurs de ces réseaux n’étant pas concernés par cette directive. L’Advertising Standards Authority (ASA), l’organisme d’autorégulation de l’industrie de la publicité au Royaume-Uni, a en effet pris cette décision suite à une campagne lancée sur le réseau Instagram par Sasha Louise Pallari (maquilleuse professionnelle comp-tant plus de 28 000 abonnés sur les réseaux sociaux) avec le hashtag <em>#filterdrop</em>. Pour l’ASA, l’objectif est de promouvoir une publicité loyale envers les consommateurs par une beauté natu-relle.</p>
<h2>Les réseaux sociaux : des géants sur le net</h2>
<p>En <a href="https://wearesocial.com/fr/blog/2020/01/digital-report-2020">janvier 2020</a>, on dénombre 4,54 milliards d’internautes pour 7,75 milliards de personnes dans le monde, soit un taux de pénétration de 54 % dont 3,8 milliards utilisent les réseaux sociaux numériques. Parmi ces réseaux, certains sont d’utilité professionnelle (comme LinkedIn ou Yammer), d’autres sont plus person-nels (comme Facebook ou Snapchat).</p>
<p>Il est également possible de souligner les réseaux sociaux à dominante textuelle (par exemple Twitter) ou visuelle, c’est-à-dire centrés sur le partage d’images, de photographies ou de vidéos. Instagram, Snap-chat ou encore TikTok font aujourd’hui partie des réseaux sociaux les plus utilisés, où le partage de vi-suels demeure l’aspect central.</p>
<p>Instagram, qui a vu récemment son taux d’utilisation en forte croissance, fait partie du cercle très fermé des <a href="https://fr.statista.com/statistiques/570930/reseaux-sociaux-mondiaux-classes-par-nombre-d-utilisateurs/">réseaux sociaux à plus d’un milliard d’utilisateurs actifs par mois</a>. Les images digitales diffusées sur cette plate-forme se chiffrent à 50 milliards depuis son lancement en 2010, avec plus de 100 millions de photos et vidéos publiés au quotidien.</p>
<p><a href="https://blog.digimind.com/fr/agences/snapchat-chiffres-essentiels-france-monde">Snapchat</a> quant à lui est <em>le</em> réseau le plus utilisé dans le monde par les moins de 20 ans. Il compte pas moins de 249 millions d’utilisateurs actifs quotidiens.</p>
<p>Enfin, <a href="https://www.blogdumoderateur.com/chiffres-tiktok/">TikTok</a> avec ses 800 millions d’utilisateurs actifs par mois à l’échelle mondiale progresse à toute vitesse chez les 15-20 ans qui l’utilisent pour poster des vidéos de play-back et de chorégraphies.</p>
<h2>Les influenceurs porte-parole des marques</h2>
<p>Les marques ont depuis longtemps recours aux célébrités pour promouvoir leurs produits et services. Cette pratique est plus connue en marketing sous le terme <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0767370119857337?journalCode=rama">« endossement des célébri-tés »</a>. Avec le développement des possibilités offertes par les réseaux sociaux numériques, de nouveaux porte-parole pour les marques ont vu le jour : les influenceurs.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1214039670499266560"}"></div></p>
<p>Ces derniers sont des leaders d’opinion, reconnus pour leur expertise dans un domaine particulier. <a href="https://blog.hubspot.fr/marketing/techniques-perfectionner-marketing-influence">Le marketing d’influence</a> est une stratégie marketing qui permet à une entreprise de promouvoir son offre via ces influenceurs, afin qu’ils créent et diffusent le contenu de la marque à leur communauté (souvent des personnes abon-nées à leur profil). Cette pratique s’est intensifiée avec le développement des réseaux sociaux numé-riques.</p>
<p>Face à l’intensification des pratiques de marketing d’influence, en France, l’Autorité de régulation profes-sionnelle de la publicité (ARPP) a formulé des <a href="https://www.arpp.org/nous-consulter/regles/regles-de-deontologie/communication-publicitaire-digitale/">règles</a> pour « contribuer à créer un environnement numérique dans lequel les consommateurs pourront avoir pleinement confiance et apprécier les nou-velles possibilités offertes par les réseaux numériques ».</p>
<p>Ces règles ont pour objectif d’encadrer la communication publicitaire mais à ce jour, aucune n’est men-tionnée quant à l’utilisation des filtres.</p>
<h2>Sublimer son image en quelques clics</h2>
<p>Le succès des réseaux sociaux numériques visuels a provoqué chez les consommateurs des modifica-tions majeures de comportements, ouvrant la voie à une nouvelle nécessité : celle d’avoir une vie en ligne, obtenir un capital social <em>online</em> et être <a href="https://www.definitions-marketing.com/definition/instagrammable/">« instagrammable »</a> (phénomène encore plus marqué chez les influenceurs).</p>
<p>Ainsi, sur Instagram, Snapchat ou TikTok, une palette de filtres visuels est disponible afin de permettre aux utilisateurs de modifier l’aspect de leurs photos ou vidéos au même titre que certains logiciels de re-touche du type Photoshop, Gimp ou PhotoScape. Selon les filtres utilisés, il est ainsi possible de faire ressortir les couleurs, d’améliorer la luminosité et les contrastes dans une logique d’embellissement des photos. Jusque-là, rien de bien grave vous nous direz !</p>
<p>Ces filtres sont également applicables aux <em>selfies</em> (autoportraits photographiques réalisés le plus sou-vent à l’aide de son <a href="https://www.futura-sciences.com/tech/definitions/smartphone-smartphone-1954/">smartphone</a>). Avec une logique purement décorative, les filtres d’animaux, les masques et orne-ments floraux ne présentent pas vraiment de risque.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/384812/original/file-20210217-15-1u7mrcc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/384812/original/file-20210217-15-1u7mrcc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/384812/original/file-20210217-15-1u7mrcc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/384812/original/file-20210217-15-1u7mrcc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/384812/original/file-20210217-15-1u7mrcc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/384812/original/file-20210217-15-1u7mrcc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/384812/original/file-20210217-15-1u7mrcc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Il existe un filtre sur Snapchat per-mettant de prendre l’apparence du sexe opposé, dans un but récréatif.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/moscow-russia-may-24-2019-snapchat-1414050707">Shutterstock</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En revanche, les filtres que l’on peut qualifier d’esthétiques permettent de retoucher (parfois à l’extrême) l’apparence physique : teint lissé et sublimé, cils allongés, visage affiné, forme des yeux retouchée, bouche plus pulpeuse, dents blanchies… Lorsqu’ils ne sont plus utilisés dans un but ludique, ces filtres esthétiques qui présentent une image faussée peuvent avoir des conséquences négatives tant pour les instagrammeurs que leurs abonnés (leur audience).</p>
<h2>Des conséquences sur le rapport à soi</h2>
<p>Les tensions entre le désir de présenter un soi authentique (<em>true self</em>) et la tentation d’exagérer des traits avantageux (<em>ideal self</em>) pour « faire impression » ne sont pas <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2352250X15003000">sans consé-quence</a> sur le plan identitaire et relationnel, sur le rapport à soi (<em>disembodiment</em>), sur l’altérité (condition de l’autre au regard de soi) et l’extimité (désir d’exhiber tout ou partie de son intimité), provoquant un formatage des représentations visuelles.</p>
<p>La littérature académique montre notamment que l’utilisation des réseaux sociaux numériques visuels peut déclencher ou renforcer des troubles de <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1740144519300981">l’image de soi</a> et exacerber un mal-être (on peut également parler de <a href="https://www.marieclaire.fr/,dysmorphophobie-quand-la-crainte-d-etre-laid-devient-une-veritable-maladie,715181.asp">dysmorphophobie</a>), participer au phénomène de <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1740144519303754">comparai-son sociale</a>, attisé par une <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10551-017-3643-y">compétition intrasexuelle</a>, aussi bien chez les hommes que chez les femmes.</p>
<p>Parfois, les conséquences sont encore plus graves. En février 2018, le journal britannique <a href="https://www.independent.co.uk/life-style/cosmetic-surgery-snapchat-instagram-filters-demand-celebrities-doctor-dr-esho-london-a8197001.html">The Indepen-dent</a> publie un article dans lequel un chirurgien esthétique indique que de plus en plus de femmes demandent à ressembler à leur version numérique, c’est-à-dire obtenir le même visage que celui créé par les filtres des réseaux sociaux. On parle alors de chirurgie numérique ou de <a href="https://www.sciencesetavenir.fr/sante/cerveau-et-psy/la-dysmorphie-snapchat-quand-les-patients-veulent-se-faire-operer-pour-ressembler-a-leurs-selfies-retouches_127133">chirurgie Snapchat</a>.</p>
<p>Certains pourront ainsi critiquer, au nom de la liberté, la décision prise par le Royaume-Uni d’interdire aux influenceurs l’utilisation de filtres esthétiques dans leurs publications sur les réseaux sociaux, tandis que d’autres y verront une mesure préventive visant à limiter les troubles de l’apparence physique dans un monde où l’on accorde parfois plus d’importance à la forme qu’au fond.</p>
<p>En France, depuis mai 2017, toute photo (par exemple par voie d’affichage, dans les publications de presse ou encore les imprimés publicitaires) à usage commercial de mannequins (professionnels ou non) dont la silhouette du corps est affinée ou épaissie, doit être accompagnée de la mention <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000034580217">« photographie retou-chée »</a> (certes écrit en caractères très petits mais néanmoins obligatoire).</p>
<p>La France emboîtera-t-elle le pas au Royaume-Uni en interdisant ces filtres ou bien imposera-t-elle une mention obligatoire sur les publications d’influenceurs à usage commercial ? Une affaire à suivre de près…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/155519/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>
Le Royaume-Uni a très récemment interdit l’utilisation des filtres de beauté aux influenceurs à la suite d’une campagne lancée sur Instagram.
Laurie Balbo, Professeure Associée en Marketing _ Directrice du Programme MSc in Marketing Management, Grenoble École de Management (GEM)
Aurély Lao, Maître de Conférences en Marketing - Directrice LP DistriSup Lille et Responsable Axe 1 du projet ANR ETIC - IAE Lille, IAE France
Sandra Camus, Professeure en sciences de gestion - Directrice du laboratoire de recherche d'économie et management GRANEM, Université d'Angers
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/154012
2021-02-19T14:50:20Z
2021-02-19T14:50:20Z
Ce je-ne-sais-quoi qui fait rêver dans les photos de voyage enfin expliqué
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/383806/original/file-20210211-21-1dhzn2w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=471%2C0%2C3727%2C1871&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La majorité des consommateurs de produits touristiques se basent sur les conseils d'influenceurs en ligne pour prendre des décisions de voyage.</span> <span class="attribution"><span class="source">shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Imaginez un peignoir jeté sur une chaise longue savamment placée aux abords de la piscine d’un hôtel chic, dont la terrasse surplombe la mer… La scène donne envie de voyager, et fait surtout rêver, en ces temps de confinement. Mais pourquoi certaines images évoquent-elles l’envie de partir plus que d’autres ?</p>
<p>C’est ce à quoi s’est intéressée notre équipe de chercheurs, experts dans le domaine de l’expérience utilisateur (UX) et l’expérience client multisensorielle.</p>
<p>Nous avons réalisé une étude en collaboration avec le <a href="https://tech3lab.hec.ca/en/accueil2-0/">Tech3lab</a> et le Centre de recherche <a href="https://www.ithq.qc.ca/expertise-et-recherche/recherche/experisens/">ExperiSens</a> de l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec dans laquelle nous avons demandé à 335 consommateurs de répondre à un questionnaire sur une série de photos hôtelières et touristiques trouvées dans Internet. Les participants ont été invités à évaluer différentes photos en fonction des sentiments provoqués, la crédibilité de l’image et sa qualité. À la fin du questionnaire, ils devaient se prononcer sur leurs intentions d’achat.</p>
<p>Les résultats de cette étude nous ont permis d’identifier les éléments qui font en sorte que certaines images se démarquent et font rêver les consommateurs plus que d’autres. Les professionnels de l’industrie hôtelière et touristique devraient en tenir compte lors de la sélection de photos à partager en ligne.</p>
<h2>Les meilleures photos à partager</h2>
<p>Les résultats ont montré l’importance d’une <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/009365087014005005">présence sociale</a> dans l’image. La présence sociale est la capacité d’une image de transmettre une perception de présence et de chaleur humaine. Toutefois, il n’est pas nécessaire qu’elle soit représentée par un individu. Une présence sociale dite « suggérée » (des objets personnels dans la photo, mais sans individu) a une portée égale, voire supérieure, sur les intentions d’achat que les photos avec une présence sociale « observée » (des personnes dans la photo).</p>
<p>Dans tous les cas, une certaine présence sociale sera plus efficace qu’une photo qui n’en a aucune. Ceci indique aux professionnels de l’industrie touristique qu’il n’est pas nécessaire d’investir dans le recrutement de modèles humains pour la prise de photos promotionnelles afin d’obtenir l’impact désiré. Les frais s’en trouvent donc réduits.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/382408/original/file-20210204-14-1hlnlpg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/382408/original/file-20210204-14-1hlnlpg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=296&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/382408/original/file-20210204-14-1hlnlpg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=296&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/382408/original/file-20210204-14-1hlnlpg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=296&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/382408/original/file-20210204-14-1hlnlpg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=372&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/382408/original/file-20210204-14-1hlnlpg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=372&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/382408/original/file-20210204-14-1hlnlpg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=372&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">De gauche à droite : 1) Présence sociale non observée : aucune indication que des humains ont été présents dans la photo, 2) Présence sociale suggérée : les objets personnels suggèrent que des humains ont été présents dans la photo récemment, 3) Présence sociale observée : un ou plusieurs humains sont visibles dans la photo.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Nos résultats montrent que les photos prises par les clients incitent plus à acheter que celles prises par les hôteliers, à condition qu’elles soient de bonne qualité. En fait, les photos les plus efficaces sont celles prises par les clients, qui ont une présence sociale suggérée et une mise en scène soignée ou « élevée ». Une mise en scène élevée signifie qu’elle est planifiée et préparée dans un contexte approprié et de manière à renforcer l’esthétique et l’attrait émotionnel du produit touristique.</p>
<p>C’est ce type de photos que les entreprises qui ont recours au marketing de contenu devraient encourager à partager en ligne. Les photos ci-dessous en sont de bons exemples :</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/382133/original/file-20210203-19-1a9e1ed.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/382133/original/file-20210203-19-1a9e1ed.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=181&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/382133/original/file-20210203-19-1a9e1ed.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=181&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/382133/original/file-20210203-19-1a9e1ed.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=181&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/382133/original/file-20210203-19-1a9e1ed.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=228&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/382133/original/file-20210203-19-1a9e1ed.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=228&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/382133/original/file-20210203-19-1a9e1ed.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=228&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
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</figure>
<p>Toutefois, notre étude a aussi révélé qu’il faut éviter d’utiliser des photos prises par le consommateur, mais dont la mise en scène est faible, peu importe le type de présence sociale. Une photo de moins bonne qualité ou mal cadrée, par exemple, n’aura jamais l’impact désiré, même avec la présence du plus joli des modèles.</p>
<p>Les images prises par l’entreprise, sans présence sociale et avec une mise en scène faible, ont également un faible impact. Dans ce cas, il est essentiel que les photos soient soignées et qu’elles soient perçues comme ayant soit une présence sociale suggérée ou observée. Voici des exemples de photos à éviter :</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/382134/original/file-20210203-17-1mr7b83.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/382134/original/file-20210203-17-1mr7b83.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=180&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/382134/original/file-20210203-17-1mr7b83.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=180&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/382134/original/file-20210203-17-1mr7b83.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=180&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/382134/original/file-20210203-17-1mr7b83.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=226&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/382134/original/file-20210203-17-1mr7b83.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=226&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/382134/original/file-20210203-17-1mr7b83.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=226&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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<h2>L’influence des influenceurs</h2>
<p>Malgré l’importance accordée aux photos dans le secteur de l’hôtellerie et du tourisme, il existe très peu de directives concernant les types de photos à partager en ligne afin d’obtenir les meilleurs résultats.</p>
<p>Ces informations sont pourtant cruciales, car Internet a profondément modifié la façon dont les consommateurs se renseignent et achètent des produits dans l’industrie hôtelière et touristique. Lorsque les consommateurs effectuent des recherches en ligne pour leur prochaine destination de voyage, ils se tournent désormais vers les <a href="https://ojs.lib.unideb.hu/apstract/article/view/6145">sites tiers comme TripAdvisor, les réseaux sociaux et les blogues d’influenceurs</a> afin de poser des questions, se renseigner sur les expériences vécues, et pour prendre des décisions d’achat.</p>
<p>En fait, plus de <a href="https://medium.com/socialmedia-market/influencer-marketing-in-tourism-4d67551a18f0">80 %</a> des consommateurs de produits touristiques se basent sur les conseils d’influenceurs en ligne pour prendre des décisions de voyage (agences, hôtels, compagnies aériennes, destinations, itinéraires de voyage). L’information échangée entre consommateurs est maintenant considérée comme étant <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/JHTT-09-2016-0058/full/html">plus fiable</a> que toute information donnée par les entreprises touristiques et les agences de voyages.</p>
<p>De plus, une étude interne menée par TripAdvisor a révélé que les <a href="https://fredericgonzalo.com/en/2014/09/03/photos-impact-bookings-more-than-reviews-on-tripadvisor/">photos de consommateurs sont encore plus importantes pour les réservations en ligne</a> que les commentaires. Avec l’essor des médias sociaux et la popularité des contenus générés par les utilisateurs, les photos sont devenues un moyen de communication très populaire pour toutes informations liées aux voyages.</p>
<p>Dans ce contexte, sur quels critères est-ce que les professionnels du secteur hôtelier et touristique devraient se baser pour choisir les photos à partager en ligne ? Est-ce que les influenceurs et les consommateurs devraient être encouragés à partager des photos et, si oui, quelles lignes directrices devraient-ils suivent afin de générer les meilleurs résultats ? Quelles sont les photos qui influencent le mieux l’intention d’achat en ligne ?</p>
<p>Les réponses à ces questions, à la base de notre étude, permettront aux professionnels de cette industrie de prendre de meilleures décisions d’affaires quant aux choix de photos à diffuser en ligne.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/154012/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cette étude a été réalisée dans le cadre d’une collaboration entre le Tech3Lab et ExperiSens, le CCTT de l’Institut de tourisme et d'hôtellerie du Québec (ITHQ) grâce au financement du Fonds de recherche du Québec - Natures et technologies (FRQ). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Sarah Cosby a reçu une bourse de recherche du Fond de recherche du Quebec - Natures et technologies (FRQ)</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Cette étude a été réalisée dans le cadre d’une collaboration entre le Tech3Lab et ExperiSens, le CCTT de l’Institut de tourisme et d'hôtellerie du Québec (ITHQ) grâce au financement du Fonds de recherche du Québec - Natures et technologies (FRQ).</span></em></p>
Avec l’essor des médias sociaux et la popularité des contenus générés par les utilisateurs, les photos sont devenues un moyen de communication très populaire pour les informations liées aux voyages.
Pierre-Majorique Léger, Professeur en TI, HEC Montréal
Sarah Cosby, M.Sc. en marketing, Tech3lab - recherche UX, HEC Montréal
Sylvain Senecal, Professor of Marketing, HEC Montréal
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/153226
2021-01-27T18:31:37Z
2021-01-27T18:31:37Z
Yukio Mishima, un écrivain obsédé par la mise en scène de sa propre mort
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/379757/original/file-20210120-19-1hxtduf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C41%2C926%2C533&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'auteur japonais Yukio Mishima parle aux soldats de la Force d'autodéfense japonaise au poste de garnison militaire de Tokyo le 25 novembre 1970.</span> <span class="attribution"><span class="source">Jiji Press/AFP</span></span></figcaption></figure><p>L’écrivain japonais <a href="https://books.google.com/books/about/Mishima.html?id=nUhkAAAAMAAJ">Yukio Mishima</a> a longtemps été la coqueluche de la presse internationale. <a href="https://books.google.com/books?id=61UEAAAAMBAJ&pg=PA28">En 1966, le magazine <em>Life</em></a> le qualifiait d’« écrivain prolifique » et d’« Hemingway japonais ». En août 1970, la une <a href="https://images-na.ssl-images-amazon.com/images/I/51PGGMgWsEL._SX258_BO1,204,203,200_.jpg">du <em>New York Times Magazine</em></a> le présentait comme « le symbole du renouveau japonais ».</p>
<p>Mishima était aussi acteur et réalisateur, chanteur, culturiste et fervent adepte des arts martiaux. La couverture du <em>New York Times</em> le montre ainsi en train de manier un sabre, vêtu d’une veste de <a href="https://www.collinsdictionary.com/us/dictionary/english/kendo"><em>kendo</em></a> blanche et d’un <em>hakama</em>. Moins de quatre mois plus tard, il se faisait <a href="https://www.britannica.com/topic/seppuku"><em>seppuku</em></a>, le rituel plus connu en Occident sous le nom de <em>hara-kiri</em>, qui consiste à s’ouvrir l’abdomen à l’aide d’un sabre court, avant d’être décapité au sabre long par une personne de confiance.</p>
<p>Un demi-siècle plus tard, ce geste spectaculaire et toujours aussi déconcertant continue de hanter les esprits. Il n’en est pas moins déroutant que le recueil de photographies récemment dévoilées, publié sous le titre <a href="https://www.rizzoliusa.com/book/9780847868698"><em>Yukio Mishima : The Death of a Man</em></a> en anglais et <a href="https://www.ccc-artlab.jp/news/2020/11/568/"><em>Otoko No Shi</em></a> en japonais.</p>
<p>Pris par Kishin Shinoyama, l’un des plus éminents photographes japonais depuis les années 1960, et mis en scène par Mishima dans les mois précédant son suicide, ces clichés dépeignent les multiples morts de l’auteur.</p>
<p>Le livre sur lequel je travaille aujourd’hui, <em>Le suicide orchestré dans le Japon moderne</em>, recense des dizaines d’écrivains japonais qui, à l’instar de Mishima, ont mis en scène leur suicide – depuis l’étudiant de seize ans gravant un ultime poème, <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Misao_Fujimura"><em>Sentiments du haut du rocher</em></a>, dans un tronc au sommet d’une cascade du haut de laquelle il s’est jeté en 1903, jusqu’à la célébrissime <em>mangaka</em> <a href="http://luvpcefu.livedoor.blog/archives/6197542.html">Yamada Hanako</a>, qui, lors d’une conférence sur la bande dessinée en 1992, prédit sa chute depuis le toit d’un immeuble résidentiel à Tokyo.</p>
<p>Ces actes interrogent sur la manière dont chacun façonne et entretient son image, dans la vie comme dans la mort. Ils nous rappellent que les défunts laissent des traces inattendues, parfois même de leur propre initiative. Pourtant, l’énigme Mishima reste entière.</p>
<h2>Un adapte ultranationaliste du renouveau japonais</h2>
<p>Mishima a connu très tôt la renommée littéraire et publié ses premières nouvelles en 1941. Il n’était alors qu’un adolescent précoce, bientôt catapulté sous les feux de la rampe avec un roman semi-autobiographique, <a href="https://www.ndbooks.com/book/confessions-of-a-mask/"><em>Confessions d’un masque</em></a>, paru en 1949. Fortement pressenti à devenir le premier Japonais à remporter un prix Nobel de littérature, il échoua en 1968 au profit de son mentor, <a href="https://www.nobelprize.org/prizes/literature/1968/kawabata/biographical/">Yasunari Kawabata</a>. Mishima, qui refusait obstinément de se laisser imposer une étiquette, écrivait aussi bien de la poésie, des pièces de théâtre <a href="http://afe.easia.columbia.edu/special/japan_1000ce_noh.htm">Nô</a> et <a href="https://globalshakespeares.mit.edu/glossary/kabuki">Kabuki</a> modernes que de la science-fiction, des polars sanglants et des essais sur la culture.</p>
<p>Il refusait de se cantonner à la littérature. Durant les années 1960, il exprima des opinions de droite de plus en plus assumées, où il défendait la restauration du pouvoir de l’empereur et de l’armée japonaise. Après la défaite de son pays à la fin de la Seconde Guerre mondiale, il <a href="https://jacobinmag.com/2020/11/yukio-mishima-far-right-anniversary-death">déplora</a> que ces deux institutions aient été neutralisées par une <a href="https://www.cfr.org/japan-constitution/japans-postwar-constitution">constitution imposée par les États-Unis</a> qui faisait de l’empereur un homme de paille et privait le Japon de son droit de partir en guerre.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="En uniforme militaire, Mishima observe les marcheurs." src="https://images.theconversation.com/files/377376/original/file-20210106-21-gbgewd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/377376/original/file-20210106-21-gbgewd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=439&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/377376/original/file-20210106-21-gbgewd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=439&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/377376/original/file-20210106-21-gbgewd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=439&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/377376/original/file-20210106-21-gbgewd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=552&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/377376/original/file-20210106-21-gbgewd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=552&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/377376/original/file-20210106-21-gbgewd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=552&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Yukio Mishima observe une parade du <em>Tatenokai</em> ou « société du bouclier », une milice composée de jeunes militants cofondée par l’auteur dans le but de réinstaurer les traditions ancestrales du Japon.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/famous-japanese-novelist-yukio-mishima-committed-suicide-news-photo/515398518?adppopup=true">Bettmann/AFP</a></span>
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</figure>
<p>Le 25 novembre 1970, après des mois de préparatifs minutieux, Mishima et quatre membres de sa milice privée, la « société du bouclier », fomentèrent un coup d’État <a href="https://www.nytimes.com/1970/11/27/archives/mishimas-suicide-linked-to-plot-to-oust-the-regime.html">lors d’une prise d’otages dans le quartier général du ministère de la Défense</a>. L’écrivain prononça ensuite un discours vibrant devant les jeunes officiers, sans pour autant réussir à gagner leur respect ni leur soutien. Anticipant l’échec de son entreprise, il se suicida par <em>seppuku</em>. <a href="http://www.asahi.com/ajw/articles/13903294">Son amant présumé</a>, Masakatsu Morita, membre lui aussi de la société du bouclier, le suivit dans la mort.</p>
<p><a href="https://www.youtube.com/watch?v=NeskvAXHfZw">Terrifié à l’idée de vieillir et de survivre à son heure de gloire</a>, Mishima mit fin à ses jours à l’âge de 45 ans. Il était alors à son apogée, tant sur le plan physique que créatif. Plus tard, on le revit dans les pages du magazine <em>Life</em>. Cette fois, il s’agissait d’une photo de sa tête décapitée, à côté de celle de Morita.</p>
<h2>Tenter d’expliquer l’inexplicable</h2>
<p>Les spéculations autour du mode opératoire choisi par Mishima sont allées bon train. À la façon d’un test de Rorschach, l’incident est soumis à une myriade d’interprétations à même d’étayer n’importe quelle théorie ou presque. Ainsi se poursuit sans fin la quête d’une raison susceptible d’expliquer un acte inexplicable.</p>
<p>Le <em>seppuku</em> a longtemps été réservé aux samouraïs, mais la caste de guerriers et leur suicide rituel <a href="https://www.penguinrandomhouse.com/books/563658/seppuku-by-andrew-rankin/">ont été abolis</a> dans le cadre d’une politique de modernisation du pays à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>D’aucuns ont interprété le suicide de Mishima à travers le prisme culturel et politique. En revenant à une pratique rituelle anachronique depuis longtemps interdite par la loi, il cherchait à ressusciter l’esprit samouraï de sa nation, appelant le Japon à briser le joug de l’impérialisme américain et à revenir à ses traditions ancestrales.</p>
<p>Certains ont avancé que sa mort, dans d’atroces souffrances, au côté de son jeune amant, marquait le paroxysme d’une obsession macabre. <a href="https://uhpress.hawaii.edu/title/mishima-aesthetic-terrorist-an-intellectual-portrait/">D’autres l’envisagent sous un angle cérébral, philosophique</a>, citant les critiques et les essais de Mishima sur l’union d’Éros et de la mort, telle que le philosophe français Georges Bataille l’avait analysée. En parallèle, les <a href="https://books.bunshun.jp/ud/book/num/9784166604777">témoignages polémiques et sans concession</a> de ses anciens amants illustrent son engouement érotique pour le suicide mis en scène dans des jeux de rôles savamment orchestrés.</p>
<h2>La mort banalisée par accumulation</h2>
<p>Toutes ces théories éclipsent la production artistique ahurissante de Mishima à mesure que la date de son suicide approchait, car il avait parfaitement conscience que ces œuvres seraient englouties dans les répercussions de son geste.</p>
<p>Dans son essai canonique, <a href="https://www.google.com/books/edition/The_Savage_God/aGBLQAbPE7cC?hl=en&gbpv=1&dq=The+Savage+God+ALvarez"><em>Le Dieu sauvage</em></a>, relatif au rapport entre l’art et le suicide dans la société occidentale, Al Avarez souligne que cet acte, en ce qu’il est un « monde clos », se soustrait à la logique du témoin extérieur. En outre, dans le célèbre <em>Porter la main sur soi : du suicide</em>, Jean Améry, qui a survécu à Auschwitz et à la première de ses deux tentatives de suicide, juge le geste tout aussi incompréhensible pour la personne qui le commet, le rapprochant du sentiment d’être « cerné de profondes ténèbres impénétrables ».</p>
<p>Avec Mishima, cependant, ce monde est loin d’être clos. Il s’avère peut-être même trop accessible, exhibé aux yeux de tous sans le moindre signe d’apaisement, même cinquante ans plus tard. <em>La Mort d’un homme</em>, publié par Rizzoli Press en septembre dans sa version anglaise, dévoile une série de photographies prises par Shinoyama dans les semaines qui ont précédé la mort de Mishima.</p>
<p>Sur ces images, l’écrivain multiple les trépas. On le voit tantôt habillé en marin, fouetté à mort sur un bateau, tantôt en combinaison de mécanicien déboutonnée, un tournevis planté dans l’abdomen. Il se fait duelliste tout de blanc vêtu, transpercé par le fleuret de son adversaire ; gymnaste abattu d’un tir en pleine poitrine, suspendu à un anneau ; poissonnier en pagne se livrant au <em>seppuku</em> sur le sol de son échoppe jonché d’entrailles de poisson ; ou encore soldat, avec casque et pagne, pris au piège des barbelés.</p>
<p>Abrutissantes dans leur accumulation macabre, les photographies aux titres génériques et répétitifs (<em>La Mort d’un marin</em>, <em>La Mort d’un mécanicien</em>, <em>La Mort d’un gymnaste</em>, <em>Le Noyé</em>, <em>Le Pendu</em>, etc.) épuisent. Le « cadavre » de Mishima apparaît comme la seule constante, réunissant un éventail de professions et de modes opératoires. Il incarne, ô combien littéralement, les <a href="https://books.google.com/books?id=yT0iaUzDmIUC&q=return+of+the+dead#v=onepage&q=that%20rather%20terrible%20thing%20which%20is%20there%20in%20every%20photograph%3A%20the%20return%20of%20the%20dead&f=false">propos</a> de Roland Barthes selon lequel « ce qui est photographié est un spectre : il y a retour du mort ».</p>
<h2>Une mise en scène minutieuse</h2>
<p>Cette série de photographies n’illustre pourtant pas la première mort de Mishima dans son œuvre.</p>
<p>Acteur principal de son moyen métrage de 1966, <em>Yūkoku ou les rites d’amour et de mort</em>, réalisé par ses soins et adapté de sa nouvelle éponyme, Mishima pratique déjà l’éprouvant <em>seppuku</em>. Dans le film de 1960 de Yasuzō Masumura, <em>Le Gars des vents froids</em>, il joue un yakuza abattu d’un tir dans le dos. Il se donne de nouveau la mort par <em>seppuku</em> dans le rôle d’un samouraï dans le film de 1969 de Hideo Gosha, <a href="https://www.imdb.com/title/tt0200710/?ref_=nv_sr_srsg_0"><em>Hitokiri</em></a>. Alors qu’il participe à une séance photo en 1967 avec le culturiste et photographe Tamotsu Yatō, <a href="https://www.google.com/books/edition/The_Japan_Journals/kfeVYVhvnfgC?hl=en&gbpv=1&dq=Yato+Tamotsu&pg=PT99">il pose, feignant la mort, dans un paysage enneigé</a>, seulement vêtu d’un pagne, et serrant dans sa main un <em>katana</em>.</p>
<p>Toutefois, Mishima a exercé un contrôle absolu sur la conception et la réalisation de cet ultime recueil. Contrairement à ses précédents travaux de modèle, où il s’était entièrement livré – <a href="https://www.theguardian.com/artanddesign/gallery/2016/nov/03/yukio-mishima-erotic-portraits-eikoh-hosoe-ordeal-by-roses-in-pictures">selon ses propres termes</a> – à la « fascination de l’objectif », il a ici tout orchestré. La grande majorité des clichés ont été pris à sa demande entre début septembre et le 17 novembre 1970. Il a finalisé la <a href="https://www.stonebridge.com/catalog-2020/Persona">sélection</a> lors d’une réunion le 20 novembre 1970, cinq jours seulement avant sa mort.</p>
<p>Shinoyama déplorera plus tard le « manque total d’intérêt » du projet, et s’agacera de l’ingérence de Mishima, obsédé par la « nuance très précise de rouge » qu’il voulait donner au faux sang.</p>
<p>L’ouvrage devait à l’origine être publié immédiatement après le suicide de Mishima. Du moins était-ce la volonté de l’auteur. Mais Shinoyama s’y est opposé pendant plusieurs dizaines d’années, <a href="https://www.tokyo-sports.co.jp/entame/news/1537983/">arguant avec colère</a> en septembre 2019 qu’il avait été manipulé.</p>
<blockquote>
<p>« Seul Mishima savait. Même s’il s’agissait d’un documentaire menant à la mort, en tant que photographe, je n’étais qu’un idiot. »</p>
</blockquote>
<h2>Notre désir de préservation</h2>
<p>On ne peut nier que la volonté de Mishima à explorer la mort dans l’art, la politique et l’intimité relevait de l’obsession. Toutefois, son acte, quoiqu’extrême, présente une certaine universalité.</p>
<p>La mort – la nôtre ou celle d’autrui – contraint à s’interroger sur le souvenir laissé par les défunts, à supposer qu’ils en laissent un. On ne peut s’empêcher d’imaginer ou même de chercher à contrôler la façon dont nous marquerons les mémoires, les objets ou la vie de nos proches. Il s’agit d’un désir de préservation, voire d’immortalité.</p>
<p>Dans le cas de Mishima, ce projet d’autopréservation était prémédité. L’auteur admettait que, quand bien même l’art permettrait de survivre à travers les œuvres qui perdurent, cela n’allait pas sans poser des problèmes. Dans un essai datant d’octobre 1967, au titre provocateur de <a href="https://iss.ndl.go.jp/books/R100000002-I000001261103-00"><em>Comment vivre éternellement ?</em></a>, Mishima médite sur les difficultés rencontrées par les artistes qui s’inscrivent au cœur de leur art – soit en auteur d’une fiction autobiographique, soit en tant qu’acteur dans un film ou une pièce de théâtre – dans le but d’atteindre ce qu’il appelle « une immortalité fourbe et trompeuse ».</p>
<p>C’est cette volonté de préservation que l’on retrouve au cœur de son projet photographique. La mort n’y est pas seulement représentée, mais aussi mise en suspens, souvent littéralement, comme dans les clichés montrant Mishima suspendu, transpercé par un fleuret ennemi, ligoté par des cordes ou accroché à des anneaux de gymnastique.</p>
<p>Au sein d’une nation qualifiée de « pays du suicide », en raison du taux aujourd’hui très élevé de cet acte, étroitement lié à l’histoire du Japon, Mishima en demeure, cinquante ans plus tard, l’exemple le plus tristement célèbre.</p>
<p>Il est grand temps de laisser Mishima reposer en paix. Et ces photographies éprouvantes nous en offrent peut-être l’occasion.</p>
<p>L’ouvrage se conclut par un chapitre intitulé <em>La Mort d’un samouraï</em>, où l’on voit Mishima en tenue blanche traditionnelle, les cheveux rassemblés en chignon haut, en train de se faire <em>seppuku</em>, dans une série de six clichés qui s’achèvent en apothéose par une silhouette mouchetée de sang, prostrée dans un néant blanc.</p>
<p>Pourtant, c’est une autre image, celle qui orne la couverture, qui offre un semblant de répit : un simple plan rapproché du visage de Mishima, sans tache ni éclaboussure sanglante. L’arrière-plan plongé dans l’ombre contraste avec sa figure généreusement poudrée tendue vers la lumière. En guise de contexte, un titre : <em>Masque mortuaire</em>.</p>
<p>Le soulagement dans la mort et la mort en soulagement, enfin.</p>
<hr>
<p><em>Traduit de l’anglais par Mathilde Montier pour <a href="http://www.fastforword.fr">Fast ForWord</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/153226/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Kirsten Cather ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Les photographies récemment publiées de Yukio Mishima, prises au cours de ses dernières semaines, montrent un artiste obsédé par la mise en scène de la mort.
Kirsten Cather, Associate Professor, The University of Texas at Austin
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/153295
2021-01-17T17:31:52Z
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Bonnes feuilles : « Une histoire visuelle de Solidarnosc »
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/379132/original/file-20210117-21-sp5q8k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=93%2C215%2C1070%2C670&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><span class="source">Malgorzata Brucka </span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p><em>Ania Szczepańska, chercheuse à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, membre du laboratoire Hicsa, s’intéresse à l’histoire du cinéma. Ses travaux portent principalement sur le cinéma polonais et les archives audiovisuelles. Elle nous propose dans son ouvrage intitulé : « Une histoire visuelle de Solidarnosc », qui <a href="https://www.fmsh.fr/fr/diffusion-des-savoirs/31024">vient de paraître aux éditions de la Fondation des Sciences de l’Homme</a>, un regard original sur le premier syndicat libre et autonome créé en Pologne communiste. En explorant des sources visuelles variées – photographies, films, images amateur ou tournées par la milice mais aussi images médiatiques diffusées à l’Ouest –, elle revient sur ce mythe révolutionnaire, interroge la notion de solidarité – un terme qui fait fortement écho à la crise sanitaire que nous vivons et à ses conséquences sociales et économiques – et retrace l’histoire de ce mouvement social et ouvrier.</em></p>
<hr>
<p>C’est aux premiers temps de « Solidarność » que propose de s’intéresser <a href="https://www.fmsh.fr/fr/diffusion-des-savoirs/31024">ce travail</a> : à la naissance de la contestation collective et à sa transformation en un mouvement international, à l’époque des deux Europe. Car si l’histoire politique du mouvement a déjà été écrite, celle de « l’union fraternelle » selon l’expression de Karol Modzelewski, historien médiéviste, homme de gauche et figure majeure de l’opposition politique au régime communiste et de la mobilisation collective reste lacunaire. Or ce sont précisément ces facettes de Solidarność qui intéressent notre présent en crise. Elles ont été révolutionnaires, à l’échelle de l’individu et du collectif, et ont été oubliées, car recouvertes par le tournant libéral et les discordes de l’après-1989.</p>
<p>Solidarność s’inscrit dans l’histoire des luttes ouvrières et syndicales du XX<sup>e</sup> siècle ainsi que dans celle des combats d’indépendance nationale au sein du bloc soviétique. L’événement prend donc place dans une histoire européenne et interroge les multiples processus de sortie du communisme. Son nom a d’abord désigné un mouvement de protestation sociale qui aspirait à créer un syndicat professionnel libre, autonome vis-à-vis du Parti et de l’État. Cette revendication se formula le plus clairement à Gdańsk, lors des grandes grèves d’occupation d’août 1980. Au droit de grève et aux libertés syndicales s’ajoutèrent 21 postulats qui devaient cristalliser les aspirations de la population, au-delà du chantier naval de la côte Baltique et de la classe ouvrière, ralliant à elle intellectuels, étudiants et paysans, et obligeant le pouvoir à négocier. Légalisé le 10 novembre 1980, le nouveau syndicat Solidarność compta 10 millions de membres et des millions de sympathisants, en Pologne et à l’Ouest. Même s’il ne pouvait être officiellement un mouvement politique, puisqu’il n’en avait pas les structures, il en partageait les aspirations et les actions, regroupant l’ensemble des forces d’opposition au pouvoir communiste, menaçant le régime par la puissance de son contre-pouvoir, sans pour autant pouvoir agir sur une situation économique désastreuse.</p>
<p>Après dix-huit mois de fonctionnement légal, la loi martiale du 13 décembre 1981 mise en place par le général Jaruzelski obligea ses militants les plus actifs, ceux qui ne furent pas arrêtés, à choisir la voie de la clandestinité. Interdit d’existence, Solidarność devint alors une société parallèle, qui publiait, informait, et continuait à essayer de mobiliser les esprits, à défendre les militants internés et à soutenir leurs familles. En 1985, son histoire croisa celle de la politique de libéralisation et de transparence menée en URSS par Mikhaïl Gorbatchev, qui aboutit, après les concertations polonaises de la Table ronde, aux premières élections libres du bloc de l’Est en juin 1989 et à la victoire politique de Solidarność.</p>
<p>Quarante ans plus tard, <a href="https://www.fmsh.fr/fr/diffusion-des-savoirs/31024">ce livre</a> propose donc de revenir par la richesse des images à la face digne et inspirante d’un mouvement oublié qui bouleversa la gauche occidentale et bien au-delà, ranima l’idéal socialiste et humaniste, remettant en cause les cloisonnements et les croyances. L’histoire de Solidarność est aussi celle d’une solidarité européenne qui a pris forme malgré le Rideau de fer qui divisait l’Est et l’Ouest. Elle est au fondement de liens humains et institutionnels issus de la société civile, qui se sont tissés au début des années 1980 par-delà les frontières, façonnant des vies jusqu’à aujourd’hui.</p>
<p>Le livre commence ainsi en 1977, au moment de la première grève de la faim à Varsovie, menée par « solidarité » et des ouvriers emprisonnés, et s’achève vers 1986, lorsque le soutien international à Solidarność s’effrite et que la scène internationale prend le relais des aspirations réformistes. Les images serviront de guides pour penser l’éveil des consciences et les conditions de possibilité d’un engagement massif pour imaginer et réaliser l’inimaginable.</p>
<h2>Parmi des milliers d’autres</h2>
<p>Dans ce cheminement en Pologne populaire, le choix opéré ici s’est d’abord porté sur des <a href="https://www.decitre.fr/livres/reveiller-l-archive-d-une-guerre-coloniale-9782354281410.html">images oubliées</a>, « assoupies » dans des archives ou des albums privés. Des images d’observation, de contemplation, laissant dans l’esprit des empreintes profondes, peut-être prises sans la grandeur du geste artistique, et pourtant y aspirant parfois. <a href="https://editions-verdier.fr/livre/la-voie-des-images/">Des images</a> qui étaient « en attente du regard qui se jugera désireux de les interpréter et de leur donner l’initiative », car le choix est une affaire de raison autant que de désir. Certaines voix s’élèveront pour reprocher l’arbitraire ou l’incomplétude de la modeste sélection que le lecteur va découvrir dans ces pages, et elles n’auront pas tort : le choix et la finitude sont la tragédie de celles et ceux qui cherchent. Viser sans relâche les astres infinis, voilà le malheur mortifère de Faust. L’historien <a href="https://www.cairn.info/revue-le-philosophoire-2003-1-page-155.htm">Lucien Febvre</a> tenta de nous en libérer et osa le formuler clairement : « Le savant, quel qu’il soit, choisit toujours […], toute l’histoire est déjà choix ». Choisir exige de renoncer – et c’est une douleur – à l’illusion de la totalité qui souvent entrave l’intelligibilité du passé et le rend confus, lui qui est déjà désordre. Élire son objet conduit à le construire et à naviguer sur des voies nouvelles, sur ces « mers trop frayées » où il n’y avait, semble-t-il, plus rien à découvrir, et pourtant.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/sJv5zv0X8eA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Simone Signoret et Michel Foucault « Solidarność et la Pologne » | Archive INA.</span></figcaption>
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<p>L’arbitraire du choix n’implique donc pas le caprice, c’est la condition possible d’un point de vue. Tel un filet de pêche aux mailles solides, l’image, une fois retenue, ramène à elle d’autres traces, d’autres sources avec lesquelles elle entre en dialogue, qu’elle éclaire et perturbe. Elle éveille la raison et bouscule l’imaginaire. Les images de ce livre entrent ainsi en résonance avec le précieux <a href="https://www.persee.fr/doc/sotra_0038-0296_1982_num_24_3_1888">travail de terrain</a> des <a href="http://excerpts.numilog.com/books/9782867380150.pdf">sociologues français</a> mené au début des années 1980, sous l’impulsion notamment d’Alain Touraine, éblouis par « la lumière de Solidarność ». Dans la grande tradition de l’intervention sociologique et à l’aide de traducteurs et traductrices, ces groupes de chercheurs et de chercheuses ont réalisé dans plusieurs villes de Pologne d’importants entretiens, l’été qui suivit les grèves de Gdańsk. Ils ont justifié leur démarche par la présence, « à la base » du mouvement syndical, d’un sens plus vif de la contestation qu’au sommet.</p>
<p>C’est dans ces bribes de parole reconstituées, qui gardent la spontanéité des échanges, que l’on apprend par exemple qu’une ouvrière polonaise doit travailler une heure pour pouvoir acheter deux œufs, et qu’il lui faut neuf mois de salaire pour s’offrir une télévision couleur. On apprend aussi que sa blouse a été brûlée par des produits chimiques sans être remplacée et que, dans son atelier, le robinet d’eau chaude de la douche ne marche pas, été comme hiver. Et même si notre seuil de confort a bien changé, que nos estomacs et nos peaux ne sont plus les mêmes, ces bribes de réalité quotidienne changent assurément notre compréhension de la classe ouvrière polonaise. Bien sûr, les chiffres de l’économie pourraient nous le dire, mais ils ne le diraient pas <em>de cette manière</em>. Les transcriptions de ces voix nous laissent en effet entrapercevoir la vie quotidienne de ces « individus absorbés par une inhumaine besogne humaine ». En retour, les <a href="https://www.persee.fr/doc/sotra_0038-0296_1982_num_24_3_1888">voix</a> de ces « militants de base » nous font voir autrement les <a href="https://www.persee.fr/doc/sotra_0038-0296_1982_num_24_3_1888">traces</a> photographiques et cinématographiques de cette époque. Elles éclairent avec plus d’acuité les corps usés des Polonais regroupés devant le portail du chantier naval Lénine, et de tous ces individus qui formèrent ensemble ce « mouvement social total ».</p>
<p>Aux témoignages recueillis à cette époque s’ajoutent ceux enregistrés lors du tournage d’un film documentaire sur Solidarność en 2019 et à l’occasion de recherches menées en amont et en aval dans les archives, essentiellement en Pologne et en France. <a href="http://www.film-documentaire.fr/4DACTION/w_fiche_film/57855_1">Ce film</a> fut une commande de NDR/Arte à la société de production allemande Looksfilm, dans le cadre du 40<sup>e</sup> anniversaire de la chute du mur de Berlin :</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/378709/original/file-20210114-14-1e1wvip.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/378709/original/file-20210114-14-1e1wvip.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/378709/original/file-20210114-14-1e1wvip.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=918&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/378709/original/file-20210114-14-1e1wvip.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=918&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/378709/original/file-20210114-14-1e1wvip.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=918&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/378709/original/file-20210114-14-1e1wvip.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1154&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/378709/original/file-20210114-14-1e1wvip.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1154&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/378709/original/file-20210114-14-1e1wvip.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1154&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Ce texte est issu de « Une histoire visuelle de Solidarnosc » d’Ania Szczepańska, qui vient de paraître aux éditions de la Fondation Maison des sciences de l’homme.</span>
<span class="attribution"><span class="source">FMSH</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Solidarność, La chute du mur commence en Pologne [Solidarność, Der Mauerfall begann in Polen]. Quarante ans, c’est un temps lointain mais c’est presque encore hier. Les témoins étaient jeunes en 1980 et ne le sont donc plus en 2020. Leurs souvenirs sont néanmoins brûlants, bien qu’ils apprivoisent déjà les horizons inéluctables de la disparition. Ils résonnent dans cette mince couche de temps où la vie côtoie la mort avec une même intensité, où les amis de combat disparaissent année après année sans que l’on puisse les retenir, si ce n’est en évoquant des fragments de souvenirs, au-dessus de leur tombe que l’on regarde comme la sienne. La génération qui m’a raconté Solidarność perçoit l’écart entre son expérience et les récits qu’en feront ses héritiers. Lucide, elle éprouve, peut-être plus qu’une autre, l’inadéquation douloureuse entre l’événement vécu, la mémoire qui a pétri son souvenir et l’a aménagé au gré des épreuves de la vie, et cette troisième dimension qui lui échappe déjà en grande partie, celle de l’histoire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/153295/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ania Szczepanska ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
C’est au travers d’images et de témoignages saisissants que nous redécouvrons Solidarność, cette contestation polonaise ouvrière contre le régime communiste, devenue un mouvement international.
Ania Szczepanska, Maître de conférences en histoire du cinéma, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.