tag:theconversation.com,2011:/uk/topics/salon-de-lagriculture-25013/articlesSalon de l’agriculture – The Conversation2024-03-01T16:29:13Ztag:theconversation.com,2011:article/2239922024-03-01T16:29:13Z2024-03-01T16:29:13Z« Paysan » : histoire d’un terme tour à tour stigmatisant et valorisant<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/577108/original/file-20240221-26-3bkgdk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C0%2C2348%2C1762&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La Paye des moissonneurs, Léon Augustin Lhermitte, 1882, musée d'Orsay.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Paye_des_moissonneurs#/media/Fichier:Lhermitte_La_Paye_des_moissonneurs.jpg">Wikipédia</a></span></figcaption></figure><p>La conférence de Gabriel Attal, qui s’est tenue le 26 janvier 2024 dans une ferme près du barrage de l’autoroute A64, foyer de la dernière contestation agricole, a marqué les esprits en raison de l’organisation dont <a href="https://www.lepoint.fr/politique/bottes-de-paille-saucisson-et-vin-rouge-le-numero-de-charme-de-gabriel-attal-aupres-du-monde-agricole-27-01-2024-2550843_20.php">elle a fait l’objet</a>. Le premier ministre y apparaît planté au milieu d’un public d’agriculteurs, avec des bottes de paille en guise de pupitre, et une grange, une petite église et la montagne en toile de fond.</p>
<p>En déclarant que <a href="https://twitter.com/BFMTV/status/1750923207501021389">« sans nos paysans et agriculteurs, ce n’est plus la France »</a>, Gabriel Attal parle des agriculteurs pour encenser la puissance économique <a href="https://theconversation.com/agriculture-comment-napoleon-iii-a-permis-le-productivisme-a-la-francaise-222775">d’une agriculture productiviste</a> et exportatrice. Le terme paysan revêt quant à lui une dimension affective. Le discours de Gabriel Attal se veut rassurant, protecteur, voire paternaliste. Il s’adresse bien sûr aux exploitants agricoles, mais aussi à toute une partie de la société française en manque de repères dans la mondialisation. Cette thématique est particulièrement exploitée par l'extrême-droite. Dans un message publié sur Twitter/X, le 1er mars 2024, Marion Maréchal-Le Pen oppose ainsi les « paysans » et les « migrants ».</p>
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<p>Si à l’heure actuelle le mot <em>paysan</em> est donc plutôt valorisé, il convient de ne pas oublier sa nature polysémique et son acception changeante au fil des circonstances et de <a href="https://theconversation.com/comment-la-societe-francaise-a-appris-a-mepriser-les-paysans-et-leurs-patois-223387">l’histoire</a>.</p>
<p><a href="https://books.openedition.org/pulg/1107">L’étymologie du terme <em>paysan</em></a> vient du latin <em>pagus</em> (pays) : circonscription administrative et religieuse à la fin de l’Empire romain. Ses habitants sont appelés les « <em>pagani</em> », les « gens du pays », par opposition aux « alienus », c’est-à-dire aux étrangers, en fait souvent des militaires romains. Aux IV<sup>e</sup>-V<sup>e</sup> siècles, les chrétiens, qui affirment être les soldats du Christ désignent les <em>pagani</em> comme des <em>paganus</em> (païens), parce qu’ils continuent d’exercer le polythéisme à l’inverse des citadins.</p>
<p>Les païens se situent donc essentiellement dans les campagnes du point de vue chrétien. Au cours du Moyen Âge, le mot <em>païsant</em>, <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-socio-economie-2012-1-page-117.htm">attesté à partir du XIᵉ siècle,</a> en vient à désigner l’habitant de son pays natal et une personne qui cultive la terre. Cependant, le travailleur du sol est plus souvent qualifié de « vilain », de « serf » ou encore de « manant ».</p>
<h2>Du paysan « littéraire » au paysan « politique »</h2>
<p>L’invention littéraire et artistique du « bon paysan » ne se produit vraiment qu’au XVII<sup>e</sup> siècle et durant la première moitié du XVIII<sup>e</sup> siècle. En 1680, Madame de Sévigné vante les <a href="https://www.persee.fr/doc/abpo_0003-391x_1972_num_79_3_2647">« âmes de paysans plus droites que des lignes »</a>. Dans <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k105077m/f1.item"><em>Les Caractères ou les Mœurs de ce siècle</em></a> (1688) de Jean de La Bruyère, c’est un être franc, utile, qui a un bon fond, même s’il vit dans la misère.</p>
<p>Ces qualités de simplicité et d’honnêteté, qui frôlent la naïveté, sont encore mises en évidence par Marivaux dans son roman <a href="https://editions.flammarion.com/le-paysan-parvenu/9782081231481"><em>Le Paysan parvenu</em></a> (1735). L’exaltation des vertus paysannes permet à ces auteurs de dénoncer les vices de la Cour du roi de France à Versailles. La connotation péjorative du terme <em>paysan</em> semble s’imposer à la même époque en réaction. Elle apparaît dans l’édition de 1718 du <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1280389n/f243.item"><em>Nouveau Dictionnaire de l’Académie française</em></a> :</p>
<blockquote>
<p>« Homme, femme de village, de campagne. […] On dit, d’un homme malpropre et incivil, que c’est un paysan, un gros paysan, qu’il a l’air d’un paysan. »</p>
</blockquote>
<p>La dévalorisation du mot <em>paysan</em> s’accentue au cours du XVIII<sup>e</sup> siècle.</p>
<h2>L’apparition du « cultivateur »</h2>
<p>Les philosophes des Lumières et les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Physiocratie">physiocrates</a> préfèrent utiliser le terme <a href="https://www.cairn.info/revue-histoire-et-societes-rurales-2017-2-page-93.htm"><em>cultivateur</em></a> pour désigner la personne qui travaille le sol.</p>
<p>Ils opposent les cultivateurs, qui sont utiles pour l’économie, aux aristocrates oisifs et décadents. Le mot <em>paysan</em> renvoie à un état intermédiaire entre celui de sauvage et celui de cultivateur sur l’échelle du progrès humain. La stigmatisation du terme <em>paysan</em> est <a href="https://theses.hal.science/tel-04187197">inversement proportionnelle à la valorisation de celui de cultivateur</a>. Au XIX<sup>e</sup> siècle, les élites agricoles, qui veulent moderniser les campagnes, <a href="https://www.persee.fr/doc/rural_0014-2182_1966_num_21_1_1265">ne parlent jamais de paysans</a>, terme jugé infamant, mais de cultivateurs, d’agriculteurs, de viticulteurs, d’éleveurs, etc. Le paysan reste une importante figure littéraire au XIX<sup>e</sup> siècle, mais sa perception varie en fonction des auteurs et des circonstances politiques.</p>
<p>Les républicains démocrates, comme George Sand dans <em>La Mare au Diable</em> (1846), ou Jules Michelet dans <em>Le Peuple</em> (1846), idéalisent le paysan. Ce dernier <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6118289n/f67.item.r=Michelet,%20Jules%20Le%20Peuple">écrit</a> : « Le paysan n’est pas seulement la partie la plus nombreuse de la nation, c’est la plus forte, la plus saine, et, en balançant bien le physique et le moral, au total la meilleure ».</p>
<p>Au contraire, Honoré de Balzac, dans <em>Les Paysans</em> (1844), ou Émile Zola dans <em>La Terre</em> (1887), dressent un <a href="https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1957_num_12_4_2676">portrait très noir du paysan</a>. Pour Balzac, propriétaire conservateur, c’est un dupe, un jaloux et un voleur de riches. Pour Zola, républicain hostile à Napoléon III <a href="https://www.napoleon.org/enseignants/documents/lage-dor-des-campagnes-limportance-du-monde-rural-cours-et-bibliogr/">soutenu massivement par l’électorat rural</a>, le paysan est orgueilleux, buté, obscène, violent.</p>
<h2>De la « classe objet » au sentiment d’appartenance</h2>
<p>Pierre Bourdieu qualifie la paysannerie de <a href="https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1977_num_17_1_2572">« classe objet »</a>, pour expliquer <em>que « l’on ne pense à peu près jamais les paysans en eux-mêmes et pour eux-mêmes</em> », mais seulement pour louer ou critiquer un autre groupe.</p>
<p>Par exemple, dans le discours politique et journalistique dominant sous la III<sup>e</sup> République, le paysan représente un gage de moralité et de stabilité pour la société en opposition aux ouvriers urbains attirés par le socialisme. Avec l’essor des sciences médicales et anthropologiques, il représente la partie saine de la « race française », la vie rurale étant réputée meilleure pour la santé humaine. Cette valorisation biologique du paysan atteint son paroxysme avec <a href="https://books.openedition.org/pul/15740">l’idéologie raciste de l’État français (1940-1944)</a>. En outre, le « soldat-paysan » devient l’incarnation du patriotisme et de l’héroïsme suite à la Première Guerre mondiale (1914-1918).</p>
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<p>Dans ce contexte positif, des <a href="https://www.persee.fr/doc/rural_0014-2182_1966_num_21_1_1265">exploitants agricoles commencent à revendiquer l’identité paysanne</a>. Il s’agit d’une rupture historique majeure : avant le début du XX<sup>e</sup> siècle, très peu de gens ne se sentaient ou ne se disaient « paysans » dans les campagnes. Les mouvements politiques agrariens d’extrême droite, tels que les <a href="https://www.persee.fr/doc/rhmc_0048-8003_1975_num_22_2_2416">« Comités de Défense paysanne » de Dorgères</a>, concourent à la diffusion d’un sentiment d’appartenance paysan.</p>
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<figcaption><span class="caption">L’Historial du Paysan Soldat, le monde rural pendant la Grande Guerre.</span></figcaption>
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<h2>Le paysan « égoïste, râleur, ennemi de la modernité »</h2>
<p>Le terme <em>paysan</em> redevient stigmatisant au lendemain de la Seconde Guerre mondiale (1939-1945). Le citadin accuse le paysan de s’être enrichi sur son dos grâce au <a href="https://paybox.lhistoire.fr/les-parvenus-du-march%C3%A9-noir">marché noir</a> (1940-1949). Le gouvernement lui reproche d’être incapable de nourrir la France et d’être trop conservateur face au <a href="https://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/remembrement">grand remembrement rural</a> (1955-1975). Il est encore jugé « égoïste, râleur, ennemi de la modernité », <a href="https://journals.openedition.org/economierurale/3473">à l’heure des premières manifestations de tracteurs dans les années 1960</a>.</p>
<p>La figure du « paysan millionnaire » devient ensuite un lieu commun des trente glorieuses, comme l’illustre le sketch de l’humoriste Fernand Reynaud : « Ça eût payé » (1965).</p>
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<figcaption><span class="caption">Fernand Reynaud, « Ça eût payé », 1965.</span></figcaption>
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<p>En 1967, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Henri_Mendras">Henri Mendras</a> publie un livre intitulé <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1967_num_8_4_3243"><em>La Fin des paysans</em></a> où il observe que le « paysan », qui cultive la terre de façon routinière, est remplacé progressivement par « l’agriculteur », qui exploite rationnellement à la manière d’un entrepreneur capitaliste. C’est la <a href="https://www.cairn.info/revue-paysan-et-societe-2018-3-page-27.htm">« révolution silencieuse »</a> et le triomphe du <a href="https://theconversation.com/agriculture-comment-napoleon-iii-a-permis-le-productivisme-a-la-francaise-222775">productivisme</a> (1950-1975).</p>
<p>La civilisation paysanne est, croit-on, appelée à disparaître.</p>
<h2>Une revalorisation marketing</h2>
<p>Toutefois, à partir des années 1960, des contestataires du productivisme, à l’instar de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Bernard_Lambert">Bernard Lambert</a>, proposent un modèle agricole alternatif : <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-socio-economie-2012-1-page-117.htm">l’agriculture paysanne</a>. Ils s’inscrivent résolument à gauche dans une logique anticapitaliste. Ils fondent la <a href="https://www.cairn.info/histoire-de-la-nouvelle-gauche-paysanne--9782707146311.htm">Confédération paysanne</a> en 1986. Néanmoins, les représentations du paysan restent globalement négatives jusqu’au début du XXI<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>L’importance croissante de la question environnementale dans le débat public et la critique de la mondialisation néolibérale tendent depuis à revaloriser le mot <em>paysan</em>. Ce dernier est désormais synonyme de denrées produites à proximité, par une personne de confiance avec aussi des visées marketing. Beaucoup de marques emploient le terme <em>paysan</em> et mettent des photos des agriculteurs ou des éleveurs sur les emballages.</p>
<p>Il constitue aux yeux des consommateurs le gage d’une alimentation plus saine et respectueuse de la biodiversité. Gabriel Attal énumère tour à tour les paysans et les agriculteurs, parce qu’il semble placer sur un pied d’égalité <a href="https://www.inrae.fr/actualites/meilleure-comparaison-entre-agriculture-biologique-conventionnelle">l’agriculture conventionnelle</a> et l’agriculture biologique. Aujourd’hui, le paysan semble donc être appelé à devenir un acteur aussi important que l’agriculteur.</p>
<p>Toutefois, l’histoire laisse penser que la portée du terme <em>paysan</em> fluctuera encore à l’avenir. Les conceptions du paysan forgées à chaque génération constituent néanmoins autant de strates sensibles et sémantiques qui accentuent la complexité et l’ambivalence du terme.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223992/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anthony Hamon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si à l’heure actuelle le mot « paysan » est plutôt valorisant, il convient de ne pas oublier sa nature polysémique et son acception changeante au fil de l’histoire.Anthony Hamon, Docteur en histoire contemporaine, Université Rennes 2Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2241172024-02-28T15:33:06Z2024-02-28T15:33:06ZClimat : nos systèmes alimentaires peuvent devenir plus efficaces, plus résilients et plus justes<p>À Paris, l’édition 2024 du <a href="https://theconversation.com/fr/topics/salon-de-lagriculture-25013">Salon de l’Agriculture</a> se déroule dans un contexte particulier, entre <a href="https://theconversation.com/la-fnsea-syndicat-radical-derriere-le-mal-etre-des-agriculteurs-des-tensions-plus-profondes-222438">grogne des syndicats agricoles</a> et <a href="https://theconversation.com/colere-des-agriculteurs-ce-qui-etait-coherent-et-cohesif-est-devenu-explosif-222066">colère des agriculteurs</a>.</p>
<p>Pendant ce temps, le réchauffement planétaire continue de s’accentuer, et expose la production agricole à une augmentation des dommages dus à ses conséquences : intensification des <a href="https://theconversation.com/des-temperatures-extremes-statistiquement-impossibles-quelles-sont-les-regions-les-plus-a-risque-210342">vagues de chaleurs</a>, sécheresses, <a href="https://theconversation.com/changement-climatique-et-pluies-extremes-ce-que-dit-la-science-103660">pluies extrêmes</a>…</p>
<p>Comment y faire face ? Dans un <a href="https://www.hautconseilclimat.fr/publications/accelerer-la-transition-climatique-avec-un-systeme-alimentaire-bas-carbone-resilient-et-juste/">récent rapport du Haut conseil pour le climat</a>, nous montrons qu’il est possible d’accélérer la réduction des émissions de l’alimentation et de la production agricole, en protégeant l’avenir des agriculteurs et des consommateurs, notamment les plus vulnérables. Autrement dit, un cercle plus vertueux est possible.</p>
<h2>L’agriculture en première ligne des défis climatiques</h2>
<p>Chaque dixième de degré compte et expose la production agricole à une augmentation des dommages dus aux <a href="https://theconversation.com/les-risques-de-temperatures-extremes-en-europe-de-louest-sont-sous-estimes-213015">événements météorologiques extrêmes</a>.</p>
<p>On les observe déjà en France, à travers l’intensification des <a href="https://theconversation.com/secheresse-2022-un-manque-de-pluies-presque-ordinaire-aux-effets-exceptionnels-191323">sécheresses</a> à l’origine de <a href="https://theconversation.com/changement-climatique-et-agriculture-les-economistes-alertent-sur-la-necessite-dintensifier-les-efforts-dadaptation-en-afrique-subsaharienne-218184">baisses de rendements</a> pour les cultures (dont le blé, le maïs, et les fourrages). D’autant plus que les vagues de chaleur induisent un <a href="https://theconversation.com/chaleur-et-humidite-leurs-effets-sur-notre-corps-se-font-sentir-plus-tot-que-prevu-212041">stress thermique</a> et hydrique néfastes tant pour les cultures que pour les animaux.</p>
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<p>Le réchauffement rend également les semis et les récoltes plus précoces, ce qui les expose davantage aux gelées printanières ainsi qu’à certaines maladies, par exemple les <a href="https://www.inrae.fr/actualites/laccave-10-ans-recherche-partenariat-ladaptation-viticulture-au-changement-climatique">maladies cryptogamiques (liées au développement de champignons) dans les vignobles</a>. De la même façon, plusieurs maladies touchant les animaux d’élevage <a href="https://www.anses.fr/fr/content/maladie-hemorragique-epizootique">risquent de se développer à cause du réchauffement</a>.</p>
<p>Les inondations, plus fréquentes du fait de l’élévation des températures, entraînent elles aussi de lourds dégâts, tant pour pour les sols, les cultures que le matériel agricole.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/578258/original/file-20240227-26-3stevc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/578258/original/file-20240227-26-3stevc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/578258/original/file-20240227-26-3stevc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/578258/original/file-20240227-26-3stevc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/578258/original/file-20240227-26-3stevc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/578258/original/file-20240227-26-3stevc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/578258/original/file-20240227-26-3stevc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Hersage sur un terrain inondé.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Irri Photos/Flickr</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les dommages liés au changement climatique représentent déjà des surcoûts pour les agriculteurs et les <a href="https://theconversation.com/risques-climatiques-les-tarifs-des-assurances-sont-ils-condamnes-a-augmenter-191216">assureurs</a> qui ont des <a href="https://www.ipcc.ch/report/sixth-assessment-report-working-group-ii/">répercussions sur les prix et la sécurité de l’approvisionnement alimentaire</a>.</p>
<p>Et ce n’est que le début : les conséquences du changement climatique sur les rendements des cultures et de l’élevage continueront de s’amplifier avec chaque incrément de réchauffement supplémentaire. Pour y faire face, il convient de combiner plusieurs transformations pour renforcer la résilience du système alimentaire et réduire son <a href="https://theconversation.com/une-alimentation-bonne-pour-moi-et-la-planete-tout-depend-de-la-ou-jhabite-153330">empreinte carbone</a>.</p>
<h2>Des systèmes alimentaires à transformer</h2>
<p>Car pour l’heure, l’adaptation des activités agricoles aux effets négatifs du changement climatique est surtout réactive. Elle intervient en réponse à des sécheresses ou des inondations, mais n’anticipe pas les transformations des systèmes agricoles et alimentaires qui seront nécessaires au cours des prochaines décennies du fait de la hausse de la température planétaire. Par exemple, le déplacement des aires de production agroclimatiques et les conséquences de l’accélération de la montée du niveau de la mer.</p>
<p>Pour autant, les interventions pour répondre au changement climatique ne doivent pas cibler seulement l’agriculture, mais l’ensemble du système alimentaire. En effet, l’alimentation représente <a href="https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/lempreinte-carbone-de-la-france-de-1995-2022">22 % de l’empreinte carbone des Français</a>, et cette empreinte carbone ne diminue <a href="https://www.hautconseilclimat.fr/publications/accelerer-la-transition-climatique-avec-un-systeme-alimentaire-bas-carbone-resilient-et-juste/">qu’insuffisamment au regard des objectifs climatiques</a>.</p>
<p>Bien que l’agriculture en France, comme dans les autres pays, représente <a href="https://librairie.ademe.fr/consommer-autrement/779-empreinte-energetique-et-carbone-de-l-alimentation-en-france.html">60 % de cette empreinte carbone</a>, d’autres activités y contribuent de manière significative principalement par des émissions de CO<sub>2</sub> :</p>
<ul>
<li><p>la transformation des aliments est à l’origine de 6 à 18 % des émissions <a href="https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/lempreinte-carbone-de-la-france-de-1995-2022">selon les méthodes</a>,</p></li>
<li><p>le commerce et la restauration de 12 %,</p></li>
<li><p>le transport notamment routier de 6 à 14 %.</p></li>
</ul>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/578263/original/file-20240227-26-dh7oex.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/578263/original/file-20240227-26-dh7oex.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/578263/original/file-20240227-26-dh7oex.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/578263/original/file-20240227-26-dh7oex.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/578263/original/file-20240227-26-dh7oex.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/578263/original/file-20240227-26-dh7oex.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/578263/original/file-20240227-26-dh7oex.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les bovins sont de grands émetteurs de méthane, un gaz à effet de serre notoire.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Pexels</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pour limiter l’escalade des impacts climatiques, il est indispensable d’atteindre l’objectif de zéro émission nette de CO<sub>2</sub> d’ici 2050 tous secteurs confondus.</p>
<p>Et cela, tout en réduisant fortement les émissions des autres gaz à effet de serre, comme le méthane, émis par l’élevage et la riziculture et le protoxyde d’azote émis par les sols fertilisés.</p>
<p>Cela implique de réduire l’ensemble des émissions du système alimentaire, dont l’agriculture, tout en renforçant le <a href="https://theconversation.com/pour-sauver-nos-systemes-alimentaires-restaurer-nos-sols-en-sequestrant-le-carbone-212820">stockage de carbone dans les sols</a> et dans la <a href="https://theconversation.com/mesurer-linvisible-la-dure-tache-de-calculer-le-stock-et-le-flux-de-carbone-dune-foret-212810">biomasse agroforestière</a>.</p>
<h2>Des freins systémiques à surpasser</h2>
<p>Le problème, c’est que la structure et le fonctionnement du système alimentaire actuel freinent l’adoption de pratiques agricoles et alimentaires bas carbone. Cela limite aussi la possibilité de changements transformationnels, tant du côté agricole que du côté de l’évolution de l’alimentation des consommateurs.</p>
<p>D’un côté, la transformation des pratiques agricoles se heurte aux <a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?GCOI=27246100979080">difficultés économiques des agriculteurs</a> (pertes de production, inégalités et faiblesse des revenus de l’agriculture) et aux besoins de transferts de compétences (formation, accompagnement technique).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/agriculture-pourquoi-la-bio-marque-t-elle-le-pas-en-france-207510">Agriculture : pourquoi la bio marque-t-elle le pas en France ?</a>
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<p>De l’autre, les changements de régimes alimentaires sont fortement contraints par les environnements alimentaires proposés aux consommateurs, puisque les offres bas-carbone (par exemple, riches en protéines végétales) sont peu nombreuses, <a href="https://theconversation.com/affichage-environnemental-bio-ou-pas-comment-evaluer-limpact-ecologique-des-aliments-216505">peu visibles</a> et peu accessibles économiquement. Cela demande donc des efforts concertés des filières agricoles, des industries agroalimentaires et de la distribution.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/578564/original/file-20240228-22-8fk536.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/578564/original/file-20240228-22-8fk536.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=443&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/578564/original/file-20240228-22-8fk536.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=443&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/578564/original/file-20240228-22-8fk536.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=443&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/578564/original/file-20240228-22-8fk536.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=557&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/578564/original/file-20240228-22-8fk536.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=557&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/578564/original/file-20240228-22-8fk536.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=557&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Certains produits importés, comme la viande, contribuent fortement à ce qu’on appelle la déforestation importée.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ted Eytan/Flickr</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>En outre, une partie de cette offre alimentaire concerne des produits animaux importés, qui contribuent fortement à l’empreinte carbone de l’alimentation française, notamment via la <a href="https://theconversation.com/lutte-contre-la-deforestation-importee-en-europe-quelles-consequences-pour-des-millions-dafricains-187952">déforestation importée</a>.</p>
<p>Pour faciliter les changements, il est important de mobiliser l’ensemble du système alimentaire, des agriculteurs aux consommateurs, en passant aussi par l’agrofourniture, le conseil agricole, la formation, les coopératives, la transformation, la distribution et la restauration.</p>
<p>Or, les nombreuses interdépendances entre les maillons du système alimentaire, mais aussi la situation socio-économique du secteur (<a href="https://theconversation.com/comment-la-grande-distribution-sadapte-aux-tensions-sur-le-pouvoir-dachat-197146">inflation alimentaire</a>) et son organisation institutionnelle constituent d’importants freins au changement.</p>
<p>Cela concerne notamment les formes inégales du partage de la valeur au sein des filières, la concurrence internationale, la faiblesse des revenus agricoles, la structuration autour d’un nombre restreint de cultures et d’animaux et la concentration des acteurs de l’aval (industries agroalimentaires, distribution).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-producteurs-principaux-perdants-de-la-repartition-des-gains-de-productivite-de-lagriculture-depuis-1959-222780">Les producteurs, principaux perdants de la répartition des gains de productivité de l’agriculture depuis 1959</a>
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<p>Des options existent pourtant pour s’adapter au changement climatique tout en réduisant les gaz à effet de serre. Par exemple, la diversification des cultures permet de limiter les dommages en cas de sécheresse et cette diversification permet d’introduire des <a href="https://theconversation.com/les-legumineuses-pilier-pour-des-systemes-agroalimentaires-plus-durables-en-europe-193186">légumineuses</a> (lentilles, pois…) qui <a href="https://theconversation.com/cultiver-des-legumineuses-pour-utiliser-moins-dengrais-mineraux-et-nourrir-la-planete-197256">ne nécessitent pas d’engrais azotés</a> (moins de gaz à effet de serre émis) et qui renforcent l’offre de protéines végétales.</p>
<p>Toutefois, cette diversification nécessite le développement de <a href="https://theconversation.com/legumineuses-insectes-nouvelles-cultures-les-scientifiques-au-defi-des-futurs-systemes-alimentaires-184512">nouvelles filières végétales</a>, avec leurs silos et leurs usines de transformation. Elle implique aussi des changements en aval de la production pour mieux transformer et valoriser ces produits dans l’offre en matière d’alimentation.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-legumineuses-bonnes-pour-notre-sante-et-celle-de-la-planete-216845">Les légumineuses : bonnes pour notre santé et celle de la planète</a>
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<p>Un autre obstacle concerne la forte spécialisation des bassins de production. Dans les régions spécialisées en grandes cultures, les sols ne reçoivent pas assez d’azote organique issu de l’élevage et consomment beaucoup d’engrais de synthèse, alors que dans d’autres régions les élevages peinent à épandre leurs excédents d’azote organique. Ces déséquilibres régionaux contribuent aux pertes d’azote et aux émissions de <a href="https://theconversation.com/agroforesterie-intrants-labour-comment-ameliorer-le-bilan-carbone-de-lagriculture-165403">protoxyde d’azote, un puissant gaz à effet de serre</a>.</p>
<p>Enfin, le changement climatique comme les politiques de transition risquent de faire augmenter encore le <a href="https://www.i4ce.org/publication/alimentation-durable-budget-consommateurs-climat/">coût de l’alimentation</a> et d’accroître le risque de <a href="https://theconversation.com/insecurite-alimentaire-au-dela-du-prix-des-aliments-il-faut-sattaquer-aux-obstacles-systemiques-202933">précarité alimentaire</a>.</p>
<p>Par conséquent, on ne peut réduire les émissions de l’alimentation et de la production agricole sans protéger agriculteurs et consommateurs. Cela nécessite des mesures qui portent sur l’ensemble du système alimentaire dans un esprit de transition juste.</p>
<h2>Des solutions agroécologiques à portée de main</h2>
<p>Ces freins et verrous pourraient pourtant être levés. Il faudrait notamment :</p>
<ul>
<li><p>revaloriser les revenus des agriculteurs et des éleveurs en difficulté pour soutenir et accompagner leurs changements de pratiques,</p></li>
<li><p>réorienter les dispositifs de soutien vers un cap à long terme de résilience au changement climatique, et de baisse des émissions nettes de gaz à effet de serre,</p></li>
<li><p>mobiliser les acteurs de la transformation, du stockage, du transport, de la distribution et de la restauration, afin de maîtriser l’empreinte carbone de l’alimentation.</p></li>
</ul>
<p>De nombreuses options pour l’atténuation et l’adaptation au changement climatique peuvent être déployées de manière élargie dans toutes les composantes du système alimentaire. Elles concernent :</p>
<ul>
<li><p>la gestion des terres (<a href="https://www.inrae.fr/actualites/stocker-4-1-000-carbone-sols-potentiel-france">stockage de carbone dans les sols</a>),</p></li>
<li><p>l’<a href="https://www.cirad.fr/les-actualites-du-cirad/actualites/plus-vieux/agroforesterie-et-coefficients-carbone-du-giec">agroforesterie</a>,</p></li>
<li><p>les productions végétales (gestion adaptative de l’eau, <a href="https://www.inrae.fr/actualites/ble-tendre-secheresse-nouvelles-varietes-venir">tolérance à la sécheresse et à la chaleur</a>, <a href="https://www.inrae.fr/actualites/quelle-contribution-lagriculture-francaise-reduction-emissions-gaz-effet-serre">réduction des pertes d’azote et de la fertilisation minérale</a>,</p></li>
<li><p>et les productions animales (<a href="https://gabi.jouy.hub.inrae.fr/actualites/etude-de-l-adaptation-des-bovins-au-changement-climatique">tolérance à la chaleur</a>, santé animale, additifs alimentaires et <a href="https://www.inrae.fr/actualites/methane-2030-demarche-collective-francaise-focalisee-methane-enterique">sélection pour réduire les émissions de méthane</a>).</p></li>
</ul>
<p>Ces options peuvent être déployées dans le cadre de la transition <a href="https://theconversation.com/fr/topics/agro-ecologie-33625">agroécologique</a> afin de mobiliser les <a href="https://www.inrae.fr/dossiers/lagriculture-va-t-elle-manquer-deau/lagroecologie-source-solutions">régulations écologiques</a> (conservation des sols, renforcement de l’agrobiodiversité, complémentarités agriculture-élevage) au bénéfice de la production agricole, tout en bénéficiant <a href="https://www.inrae.fr/evenements/lancement-pepr-agroecologie-numerique">d’approches technologiques</a> (numérique, services climatiques)</p>
<p>La transformation des environnements alimentaires (l’environnement des consommateurs qui détermine les choix possibles), notamment la substitution de protéines animales par des protéines végétales, et la réduction du gaspillage à chaque étape sont nécessaires.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/voici-trois-bonnes-raisons-de-consommer-des-proteines-dorigine-vegetale-176097">Voici trois bonnes raisons de consommer des protéines d’origine végétale</a>
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<p>Ces actions combinées auraient des effets vertueux, en permettant de diminuer la consommation de produits alimentaires intensifs en émissions, de réduire l’empreinte carbone de la production agricole tout en évitant l’importation de produits alimentaires avec des effets d’augmentation de l’empreinte carbone importée.</p>
<p>Enfin, une importante difficulté tient au fait que les politiques agricoles et alimentaires sont aujourd’hui peu mobilisées en appui aux politiques climatiques.</p>
<h2>Un besoin de politiques plus engagées</h2>
<p>Il est clair que seule une coordination des politiques concernant l’agriculture, l’alimentation, la santé publique, le climat, la qualité de l’eau et de l’air, et la biodiversité, permettra de mener ces transformations.</p>
<p>Celles-ci doivent être menées tout en protégeant les agriculteurs français d’une forte augmentation des dommages causés par le changement climatique, en minimisant les coûts de la transition et en réduisant les risques économiques pour les acteurs du système alimentaire les plus vulnérables. Enfin, elles doivent garantir l’accès à une alimentation durable et saine pour tous les consommateurs.</p>
<p>Avec une vision partagée de l’agriculture et de l’alimentation bas carbone, adaptée au climat de demain, la France pourrait porter la réforme de la Politique agricole commune de l’Union européenne de 2028. Elle pourrait également, grâce à des lois d’orientation nationale, permettre la réduction des émissions du secteur agricole par au moins un facteur deux d’ici à 2050, <a href="https://www.hautconseilclimat.fr/publications/accelerer-la-transition-climatique-avec-un-systeme-alimentaire-bas-carbone-resilient-et-juste/">comme le montre notre rapport</a>. De quoi se rapprocher le plus possible de la neutralité carbone pour le secteur agricole, en augmentant fortement le stockage de carbone dans les sols agricoles et dans la biomasse.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/que-sont-les-puits-de-carbone-et-comment-peuvent-ils-contribuer-a-la-neutralite-carbone-en-france-201420">Que sont les « puits de carbone » et comment peuvent-ils contribuer à la neutralité carbone en France ?</a>
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<p>Ceci réduirait la dépendance aux <a href="https://www.academie-sciences.fr/fr/Communiques-de-presse/communique-de-presse-foret-et-changement-climatique-menace-sur-le-puits-forestier-francais.html">puits de carbone forestiers</a>
qui sont fragilisés par le changement climatique, et à la capture et au <a href="https://theconversation.com/la-capture-et-le-stockage-du-carbone-comment-ca-marche-192673">stockage de carbone technologique</a>, qui sont des options <a href="https://www.hautconseilclimat.fr/publications/avis-sur-la-strategie-de-capture-du-carbone-son-utilisation-et-son-stockage-ccus/">plus coûteuses, limitées et risquées</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224117/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Financements publics reçus par l'INRAE pour des projets que j'ai coordonné : de l'Agence Nationale de la Recherche (France) ; du programme de recherche Horizon de la Commission Européenne ; du programme KIC Climat de l'Institut Européen de Technologie ; de l'ADEME (France).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Corinne Le Quéré préside le Haut conseil français pour le climat. Corinne Le Quéré a reçu des financements du programme de recherche et d'innovation Horizon 2020 de l'Union européenne dans le cadre de la convention de subvention n° 821003 (4C), du Conseil de recherche sur l'environnement naturel du Royaume-Uni sous la subvention NE/V011103/1 (Frontiers), de la Royal Society du Royaume-Uni sous subvention RP\R1\191063 (Professeur de recherche), et a reçu un don pour financer ses recherches de l'Institut virtuel de recherche sur le système terrestre (VESRI), une initiative de Schmidt Futures. Corinne Le Quéré est également membre du Comité britannique sur le changement climatique. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Marion Guillou est actuellement présidente de l’Académie d’agriculture de France et membre du Haut conseil pour le Climat.
Elle fait partie de plusieurs conseils d’administration privés et publics qui ne tirent aucun bénéfice des sujets traités dans cet article.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Sophie Dubuisson-Quellier est directrice de recherche au CNRS et directrice du Centre de sociologie des organisations (CNRS-Sciences Po), membre du Haut conseil pour le climat. Dans le cadre de ses activités de recherche, elle a reçu des financements de l'Agence nationale de la recherche pour le projet ANR-18-CE26-0016 sur les politiques alimentaires.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Valérie Masson-Delmotte est directrice de recherches au CEA, et a été co-présidente du groupe I du GIEC de 2015 à 2023. Elle a reçu des financements de l'European Research Council pour le projet ERC Synergy AWACA sur le cycle de l'eau en Antarctique.</span></em></p>Nos systèmes agricoles et alimentaires sont en première ligne du changement climatique. Ils pourraient être transformés pour gagner en résilience et équité, et contribuer à la stabilisation du climat.Jean-François Soussana, Directeur de Recherche, InraeCorinne Le Quéré, Royal Society Research Professor of Climate Change Science, University of East AngliaMarion Guillou, Retired scientist, InraeSophie Dubuisson-Quellier, Directrice de recherche CNRS, Sciences Po Valérie Masson-Delmotte, Chercheuse en sciences du climat, coprésidente du groupe de travail I du GIEC, directrice de recherche au CEA (Commissariat à l’énergie atomique), Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2241812024-02-26T15:47:31Z2024-02-26T15:47:31ZRéussir la relève agricole : le rôle capital des entreprises familiales<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/577274/original/file-20240222-30-urbkvd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=37%2C7%2C1135%2C781&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La France compte 100&nbsp;000 exploitations de moins qu’en 2010.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pxhere.com/fr/photo/710513">Pxhere</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le modèle de l’entrepreneuriat familial, <a href="https://journals.openedition.org/economierurale/5150">majoritaire dans l’agriculture française</a>, apparaît aujourd’hui comme un levier économique robuste mais vulnérable, un mois après le mouvement de colère qui <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/en-direct-crise-agricole-gabriel-attal-devoile-de-nouvelles-mesures-pour-tenter-de-calmer-la-fronde-20240221">s’est prolongé lors de l’ouverture du Salon de l’agriculture</a>, le 24 février à Paris.</p>
<p>Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), l’agriculture familiale joue en effet un rôle essentiel pour ce qui est de <a href="https://www.fao.org/3/cb8227fr/cb8227fr.pdf">rendre les systèmes agroalimentaires plus inclusifs et plus durables</a>, plus résilients, et plus efficaces. En tant que gardiens de la biodiversité, des paysages, des communautés, et du patrimoine culturel, les agriculteurs familiaux dépassent les simples considérations de rentabilité financière pour y inclure des considérations d’ordre <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0894486520910876">socio-émotionnel</a>. Avec cet état d’esprit, les entreprises familiales agricoles s’avèrent être non seulement plus performantes mais également <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0308521X21000354">plus résilientes</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Salon de l’agriculture : une journée de tensions, huées et dialogue (TF1 INFO, 25 février 2024).</span></figcaption>
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<p>Ainsi, plutôt que de se centrer exclusivement sur les <a href="https://www.20minutes.fr/societe/3347415-20221017-education-pourquoi-lycees-agricoles-attirent-plus-plus-jeunes">jeunes dans les lycées agricoles</a>, transmettre l’entreprise à la génération suivante apportera des <a href="https://www.worldscientific.com/doi/pdf/10.1142/S0218495822300013">atouts uniques</a> performance : vision de long-terme, ancrage territorial fort ou encore ressources stratégiques (histoire, savoir-faire, valeurs, capital de confiance, etc.). Mais comment relever ce défi de la transmission générationnelle ?</p>
<p>Notre récente <a href="https://www.worldscientific.com/doi/10.1142/S0218495822300013">recherche</a> apporte des éléments de réponse à cette question. Il en ressort notamment que, s’il existe un <a href="https://www.institutmontaigne.org/expressions/salon-international-de-lagriculture-2023-un-secteur-agricole-en-mal-dattractivite">problème d’attractivité chez les jeunes</a> pour les métiers agricoles et l’installation en agriculture, le véritable défi réside au niveau intergénérationnel. La génération des cédants partage également une responsabilité dans ce problème.</p>
<h2>La composante familiale s’estompe</h2>
<p>Tout d’abord, notons que des mutations structurelles compliquent cette transmission. La composante familiale tend ainsi à s’atténuer dans le travail agricole. Les exploitants agricoles ont de plus en plus recours à une main-d’œuvre extérieure au cercle familial, souvent sous forme de salariat agricole.</p>
<p>L’agriculture est également largement perçue comme générant des revenus modestes et impliquant des contraintes de travail importantes. Les générations plus jeunes, du fait de leurs parcours éducatifs, s’éloignent en outre souvent de l’exploitation. Il faut aussi composer avec le phénomène d’<a href="https://chambres-agriculture.fr/actualites/toutes-les-actualites/detail-de-lactualite/actualites/agribashing-un-terme-a-proscrire-pour-comprendre-la-relation-agriculture-et-societe/">« agribashing »</a> qui peut constituer un repoussoir.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Le recensement agricole de 2020 révèle ainsi que la France compte <a href="https://agreste.agriculture.gouv.fr/agreste-web/download/publication/publie/Pri2210/Primeur%202022-10_RA_Age%20des%20exploitations.pdf">100 000 exploitations de moins</a> qu’en 2010. Deux phénomènes s’articulent : la baisse du nombre total des exploitations des entreprises réalisant moins de 2000 euros de recettes par mois et l’agrandissement des exploitations agricoles.</p>
<p>Les jeunes estiment que la durée de travail en agriculture est non seulement élevée par rapport à d’autres secteurs, mais également répartie sur tous les jours de la semaine. En 2019, les agriculteurs ont déclaré travailler en moyenne <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/4806717">55 heures par semaine</a> pour leur emploi principal, comparé à 37 heures pour l’ensemble des travailleurs. Cette réalité va à l’encontre de ce que recherche la nouvelle génération, qui aspire à <a href="https://theconversation.com/equilibre-de-vie-sens-ethique-les-nouvelles-cles-pour-fideliser-les-jeunes-en-entreprise-184504">trouver un équilibre entre vie professionnelle et vie privée</a>.</p>
<h2>« La nouvelle génération peut faire la différence »</h2>
<p>Cependant, les jeunes particulièrement enthousiastes à entreprendre dans le domaine agricole, qu’ils soient ou non membres d’entreprises familiales agricoles, sont motivés avant tout par le désir d’avoir « un travail stimulant » et attirés par des approches respectueuses de l’écosystème.</p>
<p>Une agricultrice interrogée sur sa motivation, dans le cadre d’une enquête menée auprès des étudiants ingénieurs d’UniLaSalle (Communication au séminaire interne « L’entrepreneuriat agricole des jeunes : quels moyens pour réussir », octobre 2021), met par exemple en avant :</p>
<blockquote>
<p>« Une envie forte de m’impliquer face aux enjeux du changement climatique. Une prise de conscience personnelle assez forte de vouloir être dans l’action […] car le secteur agricole a une importance vitale pour la société, pour le monde, pour le rôle à jouer face aux enjeux du changement climatique justement. ».</p>
</blockquote>
<p>En entreprise familiale, la motivation de la nouvelle génération s’inscrit également dans cette lignée tout en s’imbibant d’autres dimensions. Comme l’affirme Marianne Gamet, membre de la troisième génération d’une lignée de producteurs de champagne, « la nouvelle génération peut faire la différence dans l’entreprise familiale agricole ». Tout en s’acharnant à dire que la cession de parts de l’entreprise à un investisseur externe n’est pas une option pour elle, rejoindre la <a href="https://www.champagne-gamet.com/">Maison de Champagne Gamet</a> trouve ses sources dans la passion du métier qui lui a été transmise et qu’elle tient à perpétuer pour assurer la continuité de l’affaire familiale.</p>
<p>En France comme <a href="https://research-repository.uwa.edu.au/en/publications/changing-land-management-adoption-of-new-practices-by-rural-landh">ailleurs</a>, cette motivation se concrétise dans la diversification des activités : méthanisation, le photovoltaïque, le tourisme agricole ou encore à visée éducative, à l’instar de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=N3oEaqjTt_Q">l’entreprise Oleastro</a>, productrice d’olives et de produits dérivés qui a été pionnière à Chypre en matière de production bio. Autres exemples : l’entreprise chypriote <a href="https://www.youtube.com/watch?v=fTEPv-ZBoZk">Golden Donkey Farm</a>, qui développe des produits à base de lait d’ânesse avec des activités culturelles sur la ferme, ou encore, en France, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=RoajZS1gVTs">Les Délices du Jardin d’Ainval</a>, qui propose des visites de la ferme aux écoles avec un retour aux racines mettant en valeur les légumes « oubliés ».</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/N3oEaqjTt_Q?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Olive Park Oleastro (ARTISAN EU, 2018).</span></figcaption>
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<p>L’esprit entrepreneurial, souvent considéré comme l’ADN des entreprises familiales, incarne l’essence même des facteurs de motivation des jeunes familiaux à prendre la relève, notamment le goût des défis à relever, le désir d’autonomie, la créativité, la volonté de s’impliquer dans les décisions et de concrétiser des projets. L’alliance entre aspects psychologiques et organisationnels constitue donc le point clé de la transmission dans le secteur agricole.</p>
<h2>Se retirer au bon moment</h2>
<p>Une relation saine entre le cédant et le repreneur contribue par ailleurs à établir des bases solides, entraînant une cohabitation harmonieuse et, par conséquent, une transition réussie de l’affaire agricole dans le cadre familial. Elle implique une <a href="https://www.researchgate.net/publication/358884227_Motivating_Next-generation_Family_Business_Members_to_Act_Entrepreneurially_a_Role_Identity_Perspective">compréhension des attentes mutuelles</a>, suivie par un ajustement effectif des rôles et des décisions. Les prédécesseurs doivent également être capables à la fois d’accompagner la phase post-transmission et de se retirer au bon moment, en <a href="https://api.pageplace.de/preview/DT0400.9781641135320_A37017984/preview-9781641135320_A37017984.pdf">faisant confiance</a> à la jeune génération.</p>
<p>Le rôle des exploitants agricoles en place est donc de se préparer à cette transition en l’anticipant et en travaillant à rendre leurs exploitations transmissibles aux nouvelles générations. Cela implique de répondre à leurs attentes en créant des conditions favorables à la reprise, notamment en adoptant des pratiques et des modèles d’exploitation qui tiennent compte des évolutions souhaitées par cette nouvelle génération.</p>
<p>Parmi ces adaptations, figure l’organisation du travail, notamment le recrutement de salariés pour améliorer les conditions de travail sur l’exploitation en réduisant la pénibilité et les contraintes. En déléguant les tâches techniques, l’exploitant agricole peut par exemple consacrer davantage d’attention à des aspects stratégiques, innovants et durables de l’exploitation. Réduisant ainsi la pénibilité liée aux nombreuses activités agricoles exigeantes physiquement, l’agriculteur contribue à moderniser l’image de l’agriculture, démontrant qu’elle est une profession dynamique, impliquant des compétences variées et <a href="https://start.lesechos.fr/travailler-mieux/metiers-reconversion/les-agriculteurs-devront-etre-des-super-entrepreneurs-selon-audrey-bourolleau-directrice-dhectar-2077731?xtor=CS2-13">offrant des opportunités de carrière diversifiées</a>.</p>
<h2>« Apporter quelque chose de nouveau »</h2>
<p>Les exemples d’installations réussies dans le cadre familial soulignent l’importance cruciale de la transmission des savoirs et des valeurs familiales, conjuguée à une approche innovante indispensable pour garantir la durabilité de l’exploitation et l’épanouissement du repreneur. Marius Voeltzel, producteur de légumineuses dans l’Eure et créateur de la marque Pousses de là, illustre cette dynamique :</p>
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<p>« Le message de ma mère a toujours été clair, à mon frère et à moi-même. Si nous voulons nous installer, nous avons la possibilité de reprendre une partie de l’exploitation, mais à condition d’avoir un projet en tête visant à apporter quelque chose de nouveau. Pour moi, cette approche est stimulante, car elle me pousse à réfléchir sur la manière dont je peux apporter ma propre contribution distinctive à l’exploitation. Ma mère nous a également apporté son soutien en fournissant les outils nécessaires et en nous aidant physiquement, mon frère et moi, dès notre arrivée sur l’exploitation. En effet, lorsqu’on débute, il n’est pas toujours possible d’acheter immédiatement des équipements importants tels qu’un tracteur ou du matériel agricole ».</p>
</blockquote>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/AzxClVZmcT8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Transmission de l’entreprise familiale agricole : société Pousses de là (UniLaSalle, 2022).</span></figcaption>
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<p>Ce dernier exemple montre bien que les dimensions entrepreneuriales, organisationnelles, et psychologiques constituent autant de dimensions à considérer, en plus de celles relevant d’un soutien administratif ou financier, si l’on veut développer durablement les entreprises familiales agricoles, poumon de l’agriculture française.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224181/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La transmission générationnelle des exploitations n’est pas seulement essentielle pour pérenniser le secteur mais aussi pour l’orienter vers des pratiques plus durables.Rania Labaki, Directrice de l’EDHEC Family Business Centre, EDHEC Business SchoolMaryem Cherni, Enseignant-chercheur en Stratégie et Innovation, UniLaSalleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2241232024-02-22T15:46:30Z2024-02-22T15:46:30ZL’éternelle quête de la vache parfaite, de l’auroch nazi aux bovins sans cornes<p>L’image est gravée dans nos inconscients collectifs : celle d’une vache regardant placidement passer un train, comme un archétype d’une nature impassible face à une modernité en marche. On retrouve cette vision d’un bovin figé au milieu d’un pré verdoyant dans les livres d’enfants, sur la pochette d’un <a href="https://www.youtube.com/watch?v=rR0y06jvJhU">fameux album</a> de Pink Floyd, sur des fonds d’écrans d’ordinateurs, ainsi que dans de nombreuses publicités où les ruminants nous vendent, tour à tour, du chocolat, une destination touristique ou du fromage à bas prix.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/577266/original/file-20240222-22-8vvwsh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/577266/original/file-20240222-22-8vvwsh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=901&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/577266/original/file-20240222-22-8vvwsh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=901&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/577266/original/file-20240222-22-8vvwsh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=901&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/577266/original/file-20240222-22-8vvwsh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1132&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/577266/original/file-20240222-22-8vvwsh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1132&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/577266/original/file-20240222-22-8vvwsh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1132&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Publicité du chocolat Milka de Suchard, d’environ 1906.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5566152s/f6.image">La Publicité moderne. Revue mensuelle, septembre 1906</a></span>
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<p>Aux antipodes de cette image de la vache immobile, immuable, il y les vaches réelles. Celles-là ne cessent de se transformer et d’évoluer, comme on peut le voir au fil des concours agricoles et des éditions du Salon de l’Agriculture. La Holstein, par exemple, est devenu le standard global de la vache à lait ; originaire des Pays-Bas, cette race a traversé l’Atlantique, pour mieux revenir ensuite sur le vieux continent avec un gabarit considérablement plus imposant et une productivité sans commune mesure.</p>
<h2>L’héritage de la vache : de la lettre A à l’étymologie de capitalisme</h2>
<p>La vache ne cesse, de fait, d’évoluer, mais aussi de façonner notre culture. C’est vrai sur le plan symbolique, comme en témoigne la <a href="http://expositions.bnf.fr/utopie/pistes/ateliers/image/fiches/aleph.htm">lettre A</a> de notre alphabet latin, dérivée d’un pictogramme représentant une tête de taureau. C’est vrai également sur le plan économique. Le mot <a href="https://fr.wiktionary.org/wiki/capital"><em>capital</em></a> est ainsi dérivé du terme <em>cattle</em>, (<em>cheptel</em> en anglais), qui désigne des animaux de rente que l’on possède pour toute richesse, avec lesquels on noue des alliances, on règle des dots, on occupe du terrain.</p>
<p>Mais si les vaches ont ainsi pu participer à façonner notre vision du monde, les êtres humains les ont aussi forgées en retour. La grande majorité des bovins qui de nos jours cohabitent avec l’être humain sont héritiers de lignées d’animaux de rente, sélectionnés d’abord et avant tout pour leurs traits productifs – quantité de lait, quantité de viande. Elles sont le fruit d’une longue histoire de co-évolution entre des générations de bovins d’élevage et leurs commensaux humains.</p>
<p>L’histoire de la vache est donc celle d’une domestication, mais aussi d’une transformation des espèces bovines comme humaines au contact l’une de l’autre. Ni l’une ni l’autre ne sont « naturelles », au sens où chacune existerait en elle-même et par elle-même, indépendamment l’une de l’autre. Toutes deux, en revanche, sont très « naturelles » si on considère la nature comme un ensemble d’interdépendances et une notion fondamentalement relationnelle. Et à chaque époque sa vision du monde, de la nature et donc de la vache « idéale », de ce qu’elle devrait être et de ce qu’elle devrait, littéralement, « incarner ».</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/577267/original/file-20240222-20-djh19q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/577267/original/file-20240222-20-djh19q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/577267/original/file-20240222-20-djh19q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/577267/original/file-20240222-20-djh19q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/577267/original/file-20240222-20-djh19q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/577267/original/file-20240222-20-djh19q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/577267/original/file-20240222-20-djh19q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Salon de l’Agriculture de 2018.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/maitreyoda/39738977535/">Rog01/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/peut-on-restaurer-la-nature-220297">Peut-on « restaurer » la nature ?</a>
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<h2>À la recherche de la vache originelle</h2>
<p>Un des exemples les plus éloquents à cet égard est celui des frères Lutz et Heinz Heck dans l’Allemagne nazie. Dans les années 1930, ces deux biologistes ont poursuivi un rêve fou : celui de retrouver l’archétype de la vache originelle, l’auroch, <em>Bos primigenius</em> de son nom latin. Seul problème, cette espèce avait disparu, supplantée par sa lointaine cousine, transformée par des siècles de domestication en une nouvelle espèce, <em>Bos Taurus</em>, l’ancêtre de tout bovin domestiqué. Il s’est donc agi, pour les frères Heck, de « réensauvager » les bovidés avilis par leur contact avec la civilisation humaine, afin de retrouver la puissance et la vigueur de l’ancestralité primordiale.</p>
<p>Pour ce faire, ils se sont livrés à une « rétro-ingénierie » (<em>back breeding</em>) de l’espèce bovine. Ils ont cherché à remonter le fil du chemin de l’évolution, à le parcourir à l’envers en quelque sorte. Bien sûr, l’auroch ayant disparu depuis belle lurette, ils étaient réduits à faire des suppositions sur ce que devaient être ses qualités, sa rusticité (la rusticité se dit d’une bonne résistance aux maladies et d’une bonne adaptabilité aux milieux inhospitaliers), sa vigueur, sa puissance. Faute d’avoir des spécimens sous la main, il a bien fallu composer avec les espèces de bovidés qui leur semblaient les plus proches de ce que devrait être un auroch.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/577268/original/file-20240222-17-bgl7ta.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/577268/original/file-20240222-17-bgl7ta.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/577268/original/file-20240222-17-bgl7ta.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/577268/original/file-20240222-17-bgl7ta.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/577268/original/file-20240222-17-bgl7ta.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/577268/original/file-20240222-17-bgl7ta.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/577268/original/file-20240222-17-bgl7ta.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Descendant d’auroch des frères Heck dans le Hervester Bruch en Allemagne aujourd’hui utilisé. Les bovins Heck sont à l’extérieur toute l’année et sont utilisés pour brouter.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/heck-cattle-hervester-bruch-germany-outside-2374992175">Volker Heide</a></span>
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<p>Les géographes <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/00045608.2015.1115332">Jamie Lorimer et Clemens Driessens ont montré dans leurs travaux les liens forts entre le régime nazi et cette entreprise</a> de « dés-extinction » d’une espèce animale disparue.</p>
<p>Les frères Heck ont ainsi participé au projet piloté par le chef des SS Heinrich Himmler de Ahnenerbe (« héritage ancestral » en allemand) qui visait à la restauration de l’espace vital du peuple allemand, protégé des immixtions étrangères et rendu à son état de paradis originel – auroch compris, donc. Lorimer et Driessens montrent également les fortes connivences entre les deux frères biologistes et Hermann Goering, l’un des hauts dignitaires et chefs militaires du troisième Reich, et entre ce dernier et les bovins ainsi obtenus par voie de rétro-ingénierie. Goering leur vouait une admiration toute particulière, s’échinant – avec succès – à les protéger lorsque le front de guerre se rapprocha.</p>
<p>La tentative des frères Heck était bien sûr expérimentale sur le plan biologique, puisqu’elle s’inscrivait dans une époque préalable à l’essor de la microbiologie et de la génétique moléculaire. Les biologistes ont ainsi <a href="https://www.smithsonianmag.com/history/when-nazis-tried-bring-animals-back-extinction-180962739/">prospecté différentes races bovines, d’Espagne à la Hongrie</a>, pour éliminer les caractéristiques qu’ils associaient à la domestication. S’inspirant aussi bien du bison européen, alors en voie d’extinction à l’état sauvage, que des peintures pariétales, ils ont cherché à fabriquer une race bovine affranchie de sa dépendance aux êtres humains, en privilégiant les caractères de rétivité, de rusticité, de taille ou de force, affirmant être parvenus à leurs fins dans les années 1930.</p>
<p>Ont-ils réussi dans leur entreprise ? Cela dépend de comment on définit la réussite, et donc de l’idée qu’on se fait de « l’authenticité ». Selon que l’évaluation porte sur l’adéquation entre les caractères physiques de ces vaches et leurs caractères génétiques, sur leur apparence physique ou encore sur leur rôle dans les écosystèmes, la réponse variera. D’autant que la <a href="https://openquaternary.com/articles/10.5334/oq.25#the-dawn-of-de-extinction">recherche scientifique a montré depuis qu’il existait toute une diversité de races d’aurochs</a>, de provenances variées, dont ont hérité en zigzag différentes espèces bovines domestiquées, suivant les continents où elles se sont développées.</p>
<p>Si l’on regarde leur rôle dans les écosystèmes, les travaux des frères Heck ont été un succès. Les descendants de ces aurochs reconstitués trouvent aujourd’hui à s’épanouir dans différentes réserves naturelles, notoirement dans le Oostvaardersplassen, aux Pays-Bas, dans les polders repris à la mer et aux marais, où ils sont prisés pour leurs qualités de rusticité et de maintien des écosystèmes moyennant des soins très minimaux – au point parfois de redevenir des espèces férales ou « réensauvagées ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/des-bovins-decoupes-encore-vivants-comment-changer-notre-rapport-aux-animaux-delevage-221633">« Des bovins découpés encore vivants » : comment changer notre rapport aux animaux d’élevage ?</a>
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<h2>Et demain, la vache parfaite ?</h2>
<p>Si l’exemple de l’auroch nazi est spectaculaire, il est aussi singulier par sa démarche de retour vers un passé idéalisé, sa quête de l’ancestralité, la pureté de la lignée, etc. Nos sociétés de <a href="https://www.jstor.org/stable/j.ctv12100qm">capitalisme tardif</a> nourrissent également une version figée de la nature et une image tout aussi idéalisée des bovins d’élevage. Depuis l’après-guerre, les vaches sont plutôt projetées vers le futur et investies d’une série de missions morales. La nature y est perçue comme pourvoyeuse de ressources et les animaux de rente considérés comme de la matière à produire. Ils sont ainsi <a href="https://www.quae.com/produit/1722/9782759234493/la-vache-globale">rationalisés, quantifiés, évalués</a>, etc., ce qui aura eu pour effet une explosion de la production. Un veau gras vaut son pesant de kilos de chair et une vache à lait les litres qu’elle pourra donner par le jeu de la <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/de_la_generation-9782359252613">reproduction, qui implique cette forme de nature « chosifiée »</a>.</p>
<p>Toutefois, ce développement productif se heurte à différentes limites. En témoignent par exemple les maladies auxquelles l’élevage intensif expose les vaches ou encore leur vulnérabilité face aux stress climatiques. Un épisode de canicule peut ainsi susciter une baisse significative de la production ou des problèmes de fertilité. Les polémiques abondent sur les conséquences environnementales de l’élevage bovin, tant en ce qui concerne la production de méthane (un gaz à effet serre virulent mais à a rémanence moindre dans l’atmosphère que le CO<sub>2</sub>) ou d’azote.</p>
<p>De nombreux scientifiques recherchent dès lors les caractères génétiques qui permettraient aux bovins de mieux résister aux coups de chaud, dans un contexte où ceux-ci sont appelés à se répéter et à s’intensifier. Existerait-il un gène de la résistance aux canicules ? Les questions de ce type abondent sur ce à quoi devrait ressembler la vache de demain. On voit se multiplier les idéaux auxquels elle devrait correspondre. Ainsi, en 2019, le célèbre magasine Wired faisait sa couverture sur les potentialités de l’édition du génome des vaches, haut lieu des promesses les plus variées : vache sans cornes, afin de protéger les éleveurs, vache résistante à la chaleur, au virus de la grippe…</p>
<p>Avec mes collègues du projet de recherche <a href="https://www.spiral.uliege.be/cms/c_7654746/en/presentation-du-projet-de-recherche-the-body-societal-the-bos">The Body Societal</a>, nous menons l’enquête sur les différentes valeurs dont sont ainsi investis les corps bovins et leurs devenirs.</p>
<p>À quoi ressemblera la vache du futur ? La seule certitude à ce stade, c’est que pour se plier à tous ces attendus, parfois contradictoires, elle devrait avant tout présenter des qualités de contorsionniste. Autant les frères Heck étaient à la recherche d’un modèle immuable et éternel, autant la vache de demain devrait se montrer flexible, et adaptable.</p>
<p>Le point commun de ces projections, qu’elles regardent vers l’arrière ou vers l’avant, c’est de négliger les types de société qui accompagnent l’élevage bovin. En première ligne, bien sûr, on trouve les éleveurs, chargés de composer avec ces injonctions paradoxales dans des conditions historiquement difficiles, comme en témoigne la colère qui s’exprime actuellement. Eux aussi sont soumis à une logique impitoyable, contraints de s’adapter ou de disparaître, ni plus ni moins. Les lobbies promouvant la viande artificielle, développée en laboratoire, <a href="https://mooslawbook.com/the-book/">qualifient d’ailleurs l’élevage de « technologie obsolète »</a>.</p>
<p>Les éleveurs, en attendant, font partie des agriculteurs les moins bien rémunérés malgré une charge de travail écrasante, des investissements lourds à supporter et des marges réduites, qui ne subsistent que par la perfusion de subsides publics. Avec de moins en moins de marge de manœuvre, leur profession est à la croisée des chemins, bien consciente d’une chose ; on ne regarde pas impunément passer le train de la modernité. Il ne passe pas deux fois.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224123/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cet article s’appuie sur le projet de recherche interdisciplinaire financé par le European Research Council, « The Body Societal », sous la coordination de François Thoreau (laboratoire Spiral, Université de Liège).
François Thoreau a reçu des financements du European Research Council (GA959477) et du F.R.S.-FNRS de Belgique.
</span></em></p>À chaque époque sa vache idéale. Si les dignitaires nazis rêvaient de la vache originelle, puissante et sauvage, les temps actuelles sont plutôt au bovin résistant à la canicule comme aux maladies.François Thoreau, Sciences Techniques et Société, Humanités environnementales, Université de LiègeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2003102023-02-24T18:27:30Z2023-02-24T18:27:30ZCoopératives agricoles : la grande panne du modèle de gouvernance<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/511166/original/file-20230220-20-y7azd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=102%2C0%2C1005%2C779&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dans les coopératives qui dégagent plus de 75&nbsp;millions d’euros de chiffre d’affaires par an, moins de 25&nbsp;% des membres participent aux votes.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/sybarite48/28860656548">Daniel Jolivet/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/cooperatives-agricoles-62996">coopératives agricoles</a> représentent aujourd’hui la <a href="https://www.routledge.com/Farmers-Cooperatives-and-Sustainable-Food-Systems-in-Europe/Gonzalez/p/book/9780367510947">moitié des activités agricoles mondiales</a>. Fondées par des agriculteurs, qui seront à l’honneur comme chaque année fin février à l’occasion du <a href="https://theconversation.com/fr/topics/salon-de-lagriculture-25013">Salon de l’agriculture</a> de la porte de Versailles, à Paris, les coopératives conservent un <a href="https://www.quae.com/produit/1699/9782759233588/gouverner-les-cooperatives-agricoles/commentaires-clients">système de gouvernance original</a> qui permet la représentation des intérêts des paysans.</p>
<p>Leur stratégie s’inscrit généralement dans le long terme et dans une perspective <a href="https://www.cairn.info/revue-recma-2020-4-page-23.htm">moins financiarisée que leurs homologues privés et cotés</a>. Les choix stratégiques des coopératives sont donc déterminants à la fois pour la <a href="https://www.euractiv.fr/section/agriculture-alimentation/interview/100-des-cooperatives-sont-engagees-dans-les-transitions-agroecologiques-selon-dominique-charge/">qualité de notre alimentation</a> comme pour les sujets relatifs à la durabilité et à la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=0iXj-2TWO74">souveraineté alimentaire</a>.</p>
<p>À la différence des autres entreprises, le bon fonctionnement des coopératives repose sur un pilier essentiel, qui conditionne leur développement et leur <a href="https://theconversation.com/fr/topics/gouvernance-23847">gouvernance</a> : <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/cjag.12015">l’engagement réel et effectif de leurs adhérents</a>. Les adhérents ont la particularité d’entretenir une <a href="https://www.cairn.info/revue-recma-2016-1-page-19.htm">triple relation</a> avec la coopérative : ils sont détenteurs de parts sociales, fournisseurs (ils apportent leurs récoltes afin qu’elles soient vendues ou valorisées) et également clients (ils achètent des produits et services à la coopérative). Du fait de cette triple fonction, l’engagement des adhérents est crucial pour que la coopérative, par le biais de sa gouvernance, soit en mesure de concevoir et de mettre en œuvre une stratégie pertinente, porteuse de sens et qui bénéficie également aux membres de l’organisation.</p>
<p>Or, depuis plusieurs années, des <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/cjag.12015">chercheurs</a>, des observateurs mais aussi les représentants des coopératives elles-mêmes tirent la sonnette d’alarme : les adhérents sont de moins en moins engagés, désertent parfois les réunions et participent très peu aux élections jusqu’à devenir parfois des <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/apce.12205">passagers « fantômes »</a>.</p>
<h2>Des coopérateurs de moins en moins engagés</h2>
<p>Selon les derniers chiffres de <a href="https://actualites-agricoles.lacooperationagricole.coop/images/files/2021/AA-2021-07-23/Observatoire%20gouvernance%20coop%20Juin%202021.pdf">l’Observatoire de la gouvernance des coopératives agricoles</a>, 75 % des coopératives interrogées (764 coops soit 83 % du chiffre d’affaires du secteur coopératif), identifient un risque important lié à l’engagement des adhérents. Cela se traduit notamment par une faible participation aux instances essentielles de la coopérative (assemblée générale et/ou de section). Le taux de participation chute en dessous de 25 % des membres dès le seuil de 75 millions de chiffre d’affaires franchi.</p>
<p>Cette même inquiétude était partagée dans le rapport de la récente mission parlementaire portant sur <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion-eco/l15b5040_rapport-information">« le secteur coopératif dans le domaine agricole »</a>. Ainsi peut-on y lire :</p>
<blockquote>
<p>« La faible participation en assemblée générale, parfois réduite en moyenne à 20 % pour les grandes coopératives, traduit une certaine distension du lien entre les associés coopérateurs et les coopératives, en particulier dans les plus grandes d’entre elles ».</p>
</blockquote>
<p>La faible représentation des adhérents pose évidemment un problème politique majeur dans des organisations démocratiques, chaque adhérent n’ayant qu’une voix, quel que soit le nombre de parts sociales détenues. En effet, comment justifier et rendre légitime des décisions s’appliquant à l’ensemble des adhérents quand seule une petite minorité est présente à l’heure des décisions ? Cela renvoie à une <a href="https://www.jstor.org/stable/20024687">forme de « tyrannie » de la minorité</a> et interroge les fondements mêmes de la coopérative.</p>
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<p>Face à ce constat inquiétant, comment relever le défi de l’engagement des adhérents ? La recherche en sciences sociales s’est penchée de longue date sur le sujet. L’engagement revêt trois dimensions majeures : une dimension affective (attachement émotionnel et sentiment d’appartenance) ; un engagement normatif (je me dois de rester dans l’organisation) ; et une dimension de continuité (je n’ai pas d’autres choix que de rester ou si je souhaite partir cela m’est relativement coûteux).</p>
<p>La situation idéale est évidemment constituée par un alignement de ces trois dimensions. En revanche, si une des dimensions est manquante ou pénalisée, c’est l’engagement global des individus qui peut être <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1002/agr.21321">significativement affecté</a>.</p>
<h2>Le risque d’un cercle vicieux</h2>
<p>Au terme d’un travail de terrain, notre recherche récente nous a permis de dégager une typologie des adhérents de coopératives. Le désengagement se manifeste de diverses façons. Au-delà des adhérents les plus désengagés (les « absents »), deux cas de figure intermédiaires relèvent de formes intermédiaires et pernicieuses du désengagement.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/511168/original/file-20230220-28-xfgul0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/511168/original/file-20230220-28-xfgul0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/511168/original/file-20230220-28-xfgul0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=283&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/511168/original/file-20230220-28-xfgul0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=283&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/511168/original/file-20230220-28-xfgul0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=283&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/511168/original/file-20230220-28-xfgul0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=356&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/511168/original/file-20230220-28-xfgul0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=356&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/511168/original/file-20230220-28-xfgul0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=356&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Typologie des adhérents de coopératives.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Auteur.</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Nous avons observé des adhérents faisant plus ou moins acte de présence mais qui ne s’investissent jamais dans leur structure ou ne participent pas à l’effort collectif, ce sont en quelque sorte des présents « passifs » et très peu moteurs (les adhérents « passifs »).</p>
<p>À l’inverse, nous avons observé des adhérents investis sur le terrain ou auprès de leurs collègues mais peu présents dans les instances ou ne souhaitant pas exercer de fonction ou de mandat (les adhérents « discrets »).</p>
<p>Or, il est absolument vital que les coopératives puissent s’appuyer sur des adhérents qui s’investissent, consacrent du temps et de l’énergie à leur coopérative et qui participent en même temps aux assemblées afin de légitimer la prise de décision qui en découle. À défaut, c’est bien un véritable cercle vicieux du désengagement qui est susceptible de se mettre en place.</p>
<p>En effet, les adhérents risquent d’être insatisfaits et d’être encore moins représentés, ce qui les conduit à ne plus croire au système politique de la coopérative et les incite à se désengager davantage au point de devenir des adhérents fantômes. Dans ce cas de figure, la coopérative est vidée de sa substance réelle, de sa nature coopérative et se retrouve livrée au bon vouloir d’une poignée d’élus ou de dirigeants. Il y a alors un risque fort de dérive « autocratique » ou de personnalisation du pouvoir, à l’opposé des principes coopératifs, qui sont, par essence le collectif et la démocratie.</p>
<h2>Quelques pistes de solution</h2>
<p>Face à ce constat (qui certes simplifie la diversité des situations), les coopératives, les élus et les adhérents peuvent cependant explorer quelques pistes.</p>
<p>En premier, sur ce qui fonde l’engagement des individus. Les coopératives doivent permettre le développement de la triple dimension de l’engagement : affectif, normatif et continuité. Concrètement, cela passe par la fierté et le sentiment d’appartenance. Ce qui suppose que les adhérents se sentent bien « traités » (notion de justice) et qu’ils se projettent avec fierté dans les projets portés et développés par leur coopérative.</p>
<p>À cette condition, ils seront en mesure d’avoir un engagement normatif et de s’inscrire dans une relation de continuité voulue et non subie avec leur coopérative. Au-delà du contrat liant juridiquement l’adhérent à sa coopérative, un « <a href="https://www.cairn.info/psychologie-du-travail-et-des-organisations--9782100738113-page-136.htm">contrat psychologique</a> », qui comprend les attentes non formalisées, se superpose et peut éventuellement évoluer en devenant de nature plus transactionnelle alors qu’il est idéalement de nature relationnelle.</p>
<p>Mais tout ne repose pas uniquement sur l’animation de la vie coopérative. Dès l’accueil des nouveaux adhérents comme à certains moments clés de l’année, il peut être utile de rappeler ce que « participer » veut réellement dire. On a la chance de pouvoir s’appuyer sur les <a href="https://www.editionsbdl.com/produit/participer-essai-sur-les-formes-democratiques-de-la-participation/">travaux de la philosophe Joëlle Zask</a> qui a clarifié ce concept de participation : il s’agit de prendre <em>part</em> (participer à une aventure collective et être associé à un destin commun) ; d’apporter une <em>part</em> (apporter sa contribution qui permet au collectif d’exister) et enfin de bénéficier d’une <em>part</em> (sa participation est reconnue).</p>
<p>Ces quelques pistes brièvement esquissées constituent des pistes permettant d’avancer vers une véritable stratégie construite et pertinente pour faire « garantir » un contexte favorable à l’engagement réel, durable et contributif des adhérents à leur(s) coopérative(s). Car il en va au fond de la « survie » effective d’un modèle qui pèse 40 % du système agroalimentaire français et la moitié de l’agriculture mondiale.</p>
<hr>
<p><em>Cet article s’appuie sur une étude terrain à laquelle ont été associés Rodolphe Bonsacquet et Elsa Bonnard, ingénieurs agronomes, ayant évolué au contact de nombreuses coopératives et leurs adhérents</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/200310/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Xavier Hollandts ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les adhérents, qui sont à la fois clients, fournisseurs, et détenteurs de parts sociales des structures coopératives, se montrent de moins en moins engagés dans les processus de décisions collectives.Xavier Hollandts, Professeur de stratégie et entrepreneuriat, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1781832022-03-03T19:56:38Z2022-03-03T19:56:38ZNégociations commerciales et prix des matières premières agricoles : la France à côté de la PAC<p>Le prix des matières premières agricoles, qui pourrait s’envoler avec le conflit russo-ukrainien, constitue un sujet sensible. Il conditionne l’accès à un besoin physiologique essentiel – se nourrir – et la pérennité économique des entreprises agricoles qui assurent quotidiennement la production de notre alimentation. Pour atteindre cet objectif, la réglementation vise à ce que les industriels et les distributeurs de l’agroalimentaire n’abusent pas de leur pouvoir de marché pour imposer des prix trop faibles aux agriculteurs.</p>
<p>L’une des caractéristiques des marchés agricoles en France réside en effet dans une atomisation de la production des matières premières (lait, viande, céréales, œufs, fruits, légumes, pommes de terre, etc.) et une concentration importante de la collecte, transformation et commercialisation des denrées alimentaires. Il existe 400 000 entreprises agricoles qui écoulent leurs productions dans des filières industrielles structurées concentrées autour de <a href="http://www.senat.fr/rap/r19-649/r19-649_mono.html">quatre grandes centrales d’achat</a>.</p>
<p>Les marchés agricoles répondent à un schéma de concurrence oligopolistique et les enseignements de l’économie industrielle nous rappellent que, dans ce type de situation, les fournisseurs des oligopoles sont placés dans une situation de forte de dépendance. Ils se voient imposer des volumes et des prix par les grands donneurs d’ordre qui peuvent exiger des conditions tarifaires en <a href="https://www.europe1.fr/economie/lagriculture-vend-a-perte-on-travaille-pour-la-gloire-3692333">deçà des seuils de rentabilité</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1015611402591956994"}"></div></p>
<p>Dans ces conditions de concurrence oligopolistique et de défaillances, la « loi du marché » conduit l’entreprise agricole à des seuils de rentabilité faibles quand elle ne la condamne pas tout simplement à disparaître.</p>
<h2>La force du collectif</h2>
<p>Pour contrer ce pouvoir de marché considérable des industriels de l’agroalimentaire, la Politique agricole commune (PAC) propose aux agriculteurs de chaque États-membres de se regrouper à travers la mise en place d’organisations de producteurs (OP). Ces organisations de producteurs peuvent se constituer sous la forme d’une association libre ou acquérir cette qualité au sein d’une structure déjà existante, par exemple une coopérative agricole.</p>
<p>Dans les deux cas, elles permettent d’équilibrer les rapports de force et d’engager collectivement des négociations commerciales avec un même industriel sur un pied d’égalité. Elles constituent des outils de régulation efficaces des marchés agricoles en redonnant un pouvoir de marché aux agriculteurs.</p>
<p>En outre, ces organisations de producteurs permettent aux agriculteurs de reprendre la main sur le contrôle des volumes de production. À travers une organisation de producteurs, il est possible de lisser les volumes de production pour mieux s’ajuster aux fluctuations des marchés (qui se produisent fréquemment dans les filières agroalimentaires). Cette perspective de contrôle des volumes de production, qui peut sembler évidente, est aujourd’hui plus l’exception que la norme dans nombreuses filières agricoles comme dans le lait où c’est l’acheteur qui fixe les volumes et peut même <a href="https://journals.openedition.org/economierurale/5525">infliger des pénalités</a> quand les volumes de production ne sont pas atteints.</p>
<p>Les OP ont également la possibilité de bénéficier des aides de l’Union européenne et de percevoir des subventions afin de procéder à des investissements collectifs pour le bénéfice des entreprises agricoles qu’elles représentent. Cela peut se concrétiser par l’achat de matériel de collecte ou de stockage ou plus généralement d’outils susceptibles d’aider les entreprises agricoles dans leurs activités quotidiennes. Chaque organisation de producteurs peut ainsi lancer un programme opérationnel lui permettant d’obtenir des aides publiques de la PAC jusqu’à hauteur de 60 % des dépenses.</p>
<p>Enfin, les organisations de producteurs peuvent être le lieu où se construisent des stratégies dans une logique de développement durable. L’organisation de producteurs ne réduit pas l’entreprise agricole à un maillon taylorisé d’une chaîne alimentaire. À travers une organisation de producteurs, les entreprises agricoles ont la possibilité de penser une stratégie de différenciation et de singularisation afin de <a href="https://journals.openedition.org/economierurale/715">sortir d’une logique de commodité</a>, en valorisant un ensemble de services et d’implications sur un territoire.</p>
<p>Avec la prochaine PAC, qui <a href="https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20211118IPR17613/la-reforme-de-la-politique-agricole-commune-approuvee-par-les-deputes">entrera en vigueur en 2023</a>, ce qui était <a href="https://ec.europa.eu/info/food-farming-fisheries/key-policies/common-agricultural-policy/market-measures/agri-food-supply-chain/producer-and-interbranch-organisations_fr">réservé au secteur des fruits et légumes</a> et à la viticulture deviendra accessible à tous les secteurs, à condition que les États membres l’autorisent. Les agriculteurs auront théoriquement la possibilité de créer et de faire émerger des dynamiques d’action collective afin de sortir des négociations commerciales déséquilibrées.</p>
<h2>La France et sa politique agricole « colbertiste »</h2>
<p>Les organisations de producteurs fonctionnent en France depuis bientôt trente ans dans le secteur des fruits et légumes avec de réels succès. Ces organisations de producteurs disposent d’une dérogation au droit de la concurrence qui leur autorise non seulement à concentrer l’offre, mais également à négocier les prix et les volumes.</p>
<p>Elles tardent en revanche à émerger comme des acteurs forts dans les secteurs du lait et de la viande en raison de la structuration historique de ces filières autour de relations structurellement favorables à l’aval (transformation et distribution) au détriment de l’amont. Du côté des groupes privés, songez par exemple que le groupe Bigard (Charal) pèse 4 milliards d’euros : n°1 de la filière viande en France et n°3 en Europe (transformation), il représente 2 steaks hachés sur 3 vendus sur le territoire national. Il en est de même dans le secteur laitier où Lactalis, 20 milliards de chiffres d’affaires, privilégie la gestion individuelle des volumes de « ses » producteurs.</p>
<p>Par ailleurs, les autres acteurs majeurs de ces filières, à savoir les coopératives, ont en partie perdu leur raison d’être initiale, comme nous l’avons montré dans nos <a href="https://www.researchgate.net/publication/296153985_Referentiel_pour_une_gouvernance_strategique_des_cooperatives_agricoles">recherches</a>. À l’instar des producteurs, elles restent soumises à une domination économique et politique des grands acteurs privés. C’est ainsi tout l’enjeu de leur donner également accès à ces financements de la PAC pour qu’elles se donnent à nouveau les moyens de répondre à l’enjeu d’émancipation économique de leurs adhérents.</p>
<p>Depuis la fin des années 1980, la politique agricole française peut assez facilement être qualifiée de <a href="http://www.olivierpastre.fr/livres/livres-en-2006/533-2006-septembre-la-methode-colbert-ou-le-patriotisme-economique-efficace.html">« colbertiste »</a> puisqu’elle vise à faire émerger des champions nationaux (aussi bien coopératifs que privés). Mais cette concentration des acteurs industriels ne produit pas les effets escomptés au niveau des agriculteurs. Elle conduit même à les aggraver faute d’un ruissellement spontané de la valeur ajoutée pour le bénéfice des agriculteurs. Les récentes <a href="https://theconversation.com/remuneration-des-agriculteurs-egalim-2-une-loi-a-la-portee-limitee-175160">lois EGalim 1 et 2</a> apportent à cet égard des effets limités.</p>
<p>Cette logique a conduit à mettre les fermes sous la tutelle et l’influence de grands donneurs d’ordres embarqués dans des luttes commerciales à l’échelle mondiale.</p>
<p>Après quinze ans de cavalerie législative pour essayer de mieux rémunérer les entreprises agricoles et équilibrer les relations commerciales, la France pourrait sans doute s’appuyer utilement sur certains outils de la Politique agricole commune, notamment dans sa prochaine version, afin de donner aux entreprises agricoles l’autonomie et le pouvoir d’agir qu’elles méritent.</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été co-écrit avec <a href="https://www.linkedin.com/in/frederic-courleux-2a578387/">Frederic Courleux</a>, ingénieur agronome et ingénieur du Génie rural, eaux et forêts. Il est actuellement conseiller politique agricole au Parlement européen après avoir été membre du <a href="https://agriculture.gouv.fr/le-centre-detudes-et-de-prospective-cep">Centre d’études et de prospective du ministère de l’Agriculture</a> puis directeur des études et de la recherche du think tank <a href="https://www.agriculture-strategies.eu/">Agriculture Stratégies</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178183/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Dans le secteur du lait et de la viande, les producteurs restent insuffisamment groupés pour bénéficier des dispositifs européens et peser face aux industriels.Bertrand Valiorgue, Professeur de stratégie et gouvernance des entreprises, EM Lyon Business SchoolXavier Hollandts, Professeur de stratégie et entrepreneuriat, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1759342022-02-28T19:33:27Z2022-02-28T19:33:27ZPourquoi il est si important de préserver la santé de nos sols<p>Nous n’en sommes pas forcément conscients, mais le sol est avant tout un milieu vivant, qui contient plus d’un quart des espèces animales et végétales connues sur notre planète. </p>
<p>Chaque mètre carré abrite des milliers d’animaux invertébrés tels que les vers de terre ou les fourmis, plusieurs dizaines à plusieurs centaines de milliers d’espèces de champignons et de bactéries. Ce sont plus de 115 000 espèces de bactéries qui ont été identifiées grâce à leur ADN dans les sols de France (voir l’<a href="https://leclub-biotope.com/fr/librairie-naturaliste/1076-atlas-francais-des-bacteries-du-sol">Atlas français des bactéries du sol</a>).</p>
<p>La vie de ces écosystèmes est l’assurance d’un sol en bonne santé, qui assure des fonctions essentielles pour produire notre alimentation, lutter contre le changement climatique, limiter les inondations, réduire les pollutions, etc. Selon le <a href="https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/sites/4/2020/06/SRCCL_SPM_fr.pdf">rapport spécial du GIEC « Changement climatique et terres émergées »</a>, les trois quarts de la surface des terres subissent pourtant l’exploitation ou l’occupation des humains, quand un quart est déjà considéré comme dégradé.</p>
<p>Préserver la biodiversité des sols agricoles et forestiers, mais aussi réhabiliter <a href="https://theconversation.com/le-sol-urbain-un-sol-fertile-a-rouen-des-etudiants-les-mains-dans-la-terre-163037">les sols urbains</a> aujourd’hui, c’est améliorer la capacité de nos sociétés à faire face à l’avenir. Cela implique en matière d’agriculture des changements de pratiques, notamment en « ré-alimentant » le sol en matières organiques et en diversifiant les cultures. <a href="https://theconversation.com/il-y-a-de-la-vie-dans-nos-sols-urbains-104649">En ville</a>, il s’agit de désimperméabiliser et de reconstituer des sols « sains » par des approches de génie pédologique et écologique.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1103391532109971459"}"></div></p>
<h2>Fonctions et services d’un sol en bonne santé</h2>
<p>Par sols « sains », on entend principalement des sols qui abritent une diversité d’organismes contribuant à sa fertilité, qui ne polluent pas leur environnement et qui sont riches en matières organiques. Les sols peuvent dans ces conditions remplir correctement leurs différentes fonctions écologiques.</p>
<p>Parmi les sept grandes fonctions que recensent les scientifiques, on peut citer par exemple la rétention, la circulation et l’infiltration de l’eau ou encore la rétention et la fourniture des nutriments aux végétaux, fonctions essentielles au maintien des écosystèmes et de leur capacité d’adaptation aux changements climatiques.</p>
<p>Ces fonctions sont <a href="https://theconversation.com/la-biodiversite-des-sols-nous-protege-protegeons-la-aussi-88538">aussi indispensables à l’humain</a> pour répondre à ses besoins fondamentaux. On parle ainsi de « services écosystémiques » rendus par les sols.</p>
<p>Des sols en bon état constituent en effet la première condition à la production de notre alimentation et à notre qualité de vie : ils apportent les nutriments et abritent les organismes grâce auxquels pousse notre nourriture – en limitant également maladies et ravageurs – ils contribuent à la régulation de la qualité de l’eau que l’on consomme, du climat local et global que l’on supporte – notamment en stockant 2 à 3 fois plus de carbone que l’atmosphère.</p>
<p>Tous ces formidables services et fonctions sont intimement liés et donnent à voir un sol vivant et dynamique essentiel à protéger.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1335177096805531649"}"></div></p>
<h2>Les menaces qui pèsent sur les sols</h2>
<p>Malgré son rôle majeur, le sol constitue pourtant une ressource non renouvelable à l’échelle de la vie humaine et subit de nombreuses pressions, pour beaucoup provoquées par les activités humaines – il faut 200 à plusieurs milliers d’années pour former 1 cm de sol.</p>
<p>Imperméabilisation, tassement engendré par la mécanisation des activités agricoles et forestières, excavation, pollutions par les pesticides, les produits chimiques et les plastiques, érosion liée à la déforestation… Ces dégradations sont le fruit de pressions nombreuses et croissantes : urbanisation galopante, demande alimentaire exponentielle ou développement des usages de la biomasse en alternative aux ressources fossiles.</p>
<p>Enfin, le réchauffement climatique en lui-même, notamment induit par le destockage de carbone dans les sols provoqués par les activités humaines, a également des effets néfastes sur les sols : les fortes précipitations qui s’intensifient dans ce contexte de changement climatique contribuent en particulier à leur érosion.</p>
<p>Résultat, chaque heure, <a href="https://www.fao.org/documents/card/fr/c/0937bd3d-dedd-43d6-956b-b804850a0ee7/">11 hectares de sols disparaissent en Europe</a> du fait de l’expansion urbaine – la France en tête. Avec pour conséquence une perte de biodiversité non sans impact sur la chaîne alimentaire, des eaux polluées, des sols moins fertiles et la multiplication des inondations et des glissements de terrain.</p>
<h2>Une prise de conscience européenne</h2>
<p>Pour faire face à cet enjeu, l’Union européenne s’est dotée d’une <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/qanda_21_5917">stratégie pour la protection des sols à l’horizon 2030</a>, dont les déclinaisons législatives devraient permettre d’offrir un cadre juridique aux sols à l’échelle de l’Union européenne au même titre que l’air, l’eau et l’environnement marin.</p>
<p>En France, la récente <a href="https://www.vie-publique.fr/eclairage/281953-loi-climat-et-resilience-des-avancees-et-des-limites#:%7E:text=La%20loi%20du%2022%20ao%C3%BBt,et%20de%20l%E2%80%99%C3%A9conomie%20fran%C3%A7aises.">loi « climat et résilience » du 22 août 2021</a> vient déjà renforcer ce besoin d’indicateurs opérationnels de suivi des fonctions écologiques (hydriques, climatiques, biologiques) et du potentiel agronomique des sols en inscrivant dans la loi l’objectif de Zéro artificialisation nette à l’horizon 2050 et la nécessité de suivre sa mise en œuvre.</p>
<p>Outre la préservation des espaces naturels et des sols forestiers, deux grands chantiers sont à mener : la restauration des sols agricoles dégradés et la réhabilitation des sols urbains artificialisés.</p>
<h2>Restaurer les sols agricoles dégradés</h2>
<p>En ce qui concerne l’agriculture, l’augmentation de la teneur en matière organique constitue un levier majeur pour améliorer la santé des sols. Si cette teneur varie en fonction de nombreux facteurs et notamment du climat, plusieurs pratiques vertueuses contribuent à la préserver : la présence de prairies permanentes ou temporaires, le retour au sol d’une partie des résidus de cultures, la réduction des périodes de sol nu par l’introduction de couverts végétaux, l’apport de produits résiduaires organiques tels que du compost ou des déjections animales, des aménagements de luttes contre l’érosion des sols comme les haies ou encore l’agroforesterie.</p>
<p>Bien sûr, la restriction aux stricts besoins des suppléments minéraux dans les élevages et des apports en pesticides et en engrais, et enfin le choix d’engrais phosphatés moins riches en cadmium permettent de leur côté de diminuer la contamination des sols agricoles.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1412682521578508290"}"></div></p>
<p>Au-delà des forêts et de l’agriculture, la gestion des jardins publics et privés doit elle aussi évoluer. Les jardins urbains s’avèrent ainsi souvent plus pollués que les sols agricoles ou ruraux : avec le développement des potagers, le risque de transfert dans la chaîne alimentaire doit être pris en compte.</p>
<p>Pour limiter la contamination des sols, il est important de sensibiliser les usagers à être vigilants au choix des parcelles cultivées d’une part, et d’autre part à éviter des fertilisants nocifs et à limiter l’usage des produits de protection des plantes, même bio.</p>
<h2>Réhabiliter des sols urbains dégradés</h2>
<p>Quand on évoque les sols urbains, il existe une grande diversité de situations, avec des sols plus ou moins dégradés car ils sont souvent déstructurés et tassés, ce qui déséquilibre leur composition en éléments minéraux et matière organique, et contiennent des polluants variés, qui affectent la biodiversité et le fonctionnement biologique des sols.</p>
<p>Des solutions techniques existent permettant de maintenir, voire restaurer, les fonctions écologiques des sols, notamment via des opérations de dépollution. Il s’agit de recréer des sols fertiles à partir de techniques de génie pédologique (construction ou reconstruction des horizons du sol – on parle aussi de « biotechnosols ») et/ou génie écologique (travail du sol et apport de plantes et micro-organismes).</p>
<p>D’autres solutions sont fondées sur des techniques de bioremédiation (phytomanagement, biodégradation, bio-immobilisation). Cela regroupe un ensemble de méthodes qui consistent à utiliser des micro-organismes, des champignons, des plantes ou des enzymes qui en dérivent pour réduire les teneurs en polluants dans un sol et conduire à une innocuité environnementale.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1377153709956689925"}"></div></p>
<h2>Promouvoir un développement urbain durable</h2>
<p>Au-delà de la restauration des sols agricoles et de la réhabilitation des sols urbains, différentes pistes sont envisageables pour promouvoir un développement urbain plus durable. Il est par exemple possible de réinvestir et de densifier les zones déjà bâties ou imperméabilisées, de concevoir des architectures urbaines économes en espace ou de prévoir des modes de gestion différenciée en recréant des espaces verts afin de favoriser les continuités écologiques et lutter contre les îlots de chaleur urbains ou encore limiter les inondations.</p>
<p>Dans un contexte de <a href="https://theconversation.com/limiter-lartificialisation-des-sols-pour-eviter-une-dette-ecologique-se-chiffrant-en-dizaines-de-milliards-deuros-166073">maîtrise de l’artificialisation</a> des sols et de tensions sur leur usage, la reconversion des friches urbaines constitue un véritable enjeu pour l’aménagement urbain durable basé sur une offre de logements adaptée aux besoins, éviter son étalement, maintenir son attractivité et permettre une adaptation aux changements climatiques. </p>
<p>Ces sites représentent en effet de réelles opportunités pour inscrire ces zones dans une trajectoire de sobriété et de résilience nécessaire à l’atteinte de l’objectif de zéro artificialisation nette inscrit dans la loi climat et résilience d’août 2021.</p>
<p>En tenant compte toutefois en amont de la pollution des milieux (eau, sol et air) impliquant la mise en place de projets de réhabilitation pour l’intégration d’espaces de nature et pour être en mesure de rendre des services écosystémiques en milieu urbain.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/175934/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Préserver la biodiversité des sols agricoles et forestiers, mais aussi réhabiliter les sols urbains, c’est améliorer la capacité de nos sociétés à faire face à l’avenir.Antoine Pierart, Ingénieur sols et prospective, Ademe (Agence de la transition écologique)Cécile Grand, Chef de projets sols et sites pollués, Ademe (Agence de la transition écologique)Thomas Eglin, Animateur thématique « biodiversité, sol et paysage », Ademe (Agence de la transition écologique)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1751982022-02-24T18:52:10Z2022-02-24T18:52:10ZLes six chantiers prioritaires pour l’avenir de l’agriculture française<p>Avec 77 milliards d’euros de production en valeur pour 2019, la France est la première puissance productrice agricole européenne. Sur 48,5 % du territoire métropolitain, les <a href="https://agreste.agriculture.gouv.fr/agreste-web/download/publication/publie/Pri2105/Primeur%202021-5_Recensement-Agricole-2020.pdf">390 000 exploitations agricoles recensées en 2020</a> façonnent les paysages.</p>
<p>En 2022 et dans les années qui viennent, les défis à relever demeurent toutefois nombreux.</p>
<p>L’agriculture française a d’une part un impact négatif sur l’environnement et le climat, étant source d’émissions brutes de gaz à effet de serre non compensées par le carbone stocké dans les sols et les biomasses. Elle ne réussit pas d’autre part à générer un revenu décent à de nombreux agriculteurs, en dépit de soutiens publics importants. Le fossé se creuse également entre agriculteurs et consommateurs, exigeants, mais souvent peu enclins à dépenser davantage pour leur alimentation.</p>
<p>Dans un tel contexte, l’agriculture française doit résolument s’engager sur une autre voie en répondant à six grands défis.</p>
<h2>1. Réduire (enfin) l’usage des pesticides</h2>
<p>Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, l’agriculture « intensive » s’est construite sur la mécanisation et la chimie. Ses impacts négatifs sur la <a href="https://theconversation.com/pesticides-a-quoi-sexposent-ceux-qui-habitent-pres-des-champs-83994">santé des hommes</a> et des écosystèmes sont établis.</p>
<p>Depuis 2008, le gouvernement français porte un plan de réduction massive des produits phytosanitaires, traduction de la directive européenne 2009/128/CE, ambition reprise à l’échelle européenne dans le cadre du Pacte vert. Mais si elle a permis d’accélérer le retrait de certaines molécules parmi les plus préoccupantes et en particulier les CMR (cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques), <a href="https://www.ccomptes.fr/system/files/2020-01/20200204-refere-S2019-2659-bilan-plans-ecophyto.pdf">cette initiative n’a pas produit la baisse escomptée</a>.</p>
<p>Les différents plans Ecophyto auront néanmoins permis d’identifier de nombreux axes de progrès :<br>
- les pratiques agroécologiques pour gérer la fertilité des sols et contenir les ravageurs ;<br>
- l’agriculture de précision portée par la géolocalisation et le numérique de façon à augmenter l’efficacité des usages de pesticides (<a href="https://www.inrae.fr/actualites/agriculture-optimiser-doses-dintrants-grace-aux-technologies-numeriques">avec un gain espéré d’environ 10 %</a>) ;<br>
- la sélection variétale orientée sur la résistance génétique des cultures aux maladies, avec de réels progrès déjà enregistrés sur le blé et la <a href="https://www.inrae.fr/actualites/cepages-innovants-ressourcer-vignobles">vigne</a> notamment ;</p>
<ul>
<li>le développement du biocontrôle.</li>
</ul>
<p>Le réseau des <a href="https://ecophytopic.fr/dephy/le-dispositif-dephy-ferme">fermes Dephy</a> mis en place dans le cadre d’Ecophyto montre que de telles évolutions sont possibles. D’autre part, le dispositif du conseil en agriculture, réellement séparé de la vente de produits phytosanitaires, doit être mis au service de la généralisation de ces expérimentations.</p>
<p>Les politiques publiques, notamment la politique agricole commune (PAC), doivent être mobilisées en renforçant la redevance pour pollutions diffuses appliquée aux achats de pesticides, en obligeant les vendeurs de ces produits à participer à l’effort de réduction (par l’offre d’alternatives dans le cadre du dispositif des certificats d’économie de produits phytosanitaires), en rémunérant les agriculteurs pour les efforts importants de réduction (y compris en couvrant la prise de risque) et en soutenant les investissements de matériels permettant de réduire les usages de pesticides.</p>
<h2>2. Diminuer les émissions de gaz à effet de serre agricoles</h2>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/448038/original/file-20220223-25-13f86rr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/448038/original/file-20220223-25-13f86rr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/448038/original/file-20220223-25-13f86rr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1172&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/448038/original/file-20220223-25-13f86rr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1172&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/448038/original/file-20220223-25-13f86rr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1172&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/448038/original/file-20220223-25-13f86rr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1473&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/448038/original/file-20220223-25-13f86rr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1473&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/448038/original/file-20220223-25-13f86rr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1473&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les émissions de gaz à effet de serre agricoles.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://agriculture.gouv.fr/infographie-le-secteur-agricole-et-forestier-la-fois-emetteur-et-capteur-de-gaz-effet-de-serre">Ministère de l’Agriculture (à partir des données CITEPA)</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p><a href="https://www.citepa.org/fr/secten/">D’après le CITEPA</a>, l’agriculture représentait, en 2020, 21 % des émissions françaises de gaz à effet de serre sous forme de méthane CH<sub>4</sub> (45 %), protoxyde d’azote N<sub>2</sub>0 (42 %) et dioxyde de carbone CO<sub>2</sub> (13 %). Ces émissions sont stables (-0,1 % entre 2015 et 2018).</p>
<p>Les émissions de méthane sont directement liées à la taille du cheptel, notamment de bovins chez qui elles sont essentiellement <a href="https://librairie.ademe.fr/produire-autrement/574-greencow-quantification-des-emissions-individuelles-de-methane-des-bovins.html">produites lors de la digestion de la cellulose des fourrages</a>.</p>
<p>Elles peuvent être légèrement diminuées en modifiant l’alimentation des animaux – grâce notamment à l’incorporation de tourteaux de lin et <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2405654521001694">d’additifs</a>, dont les effets sont prometteurs, mais restent à confirmer –, en augmentant la productivité des animaux, ce qui permet de réduire leur nombre à production constante, et en réduisant la taille du cheptel dans le cadre de régimes alimentaires des humains moins riches en viande rouge.</p>
<p>Les émissions de N<sub>2</sub>O et de CO<sub>2</sub> seront diminuées en jouant sur les formes et les modalités d’application des engrais, et surtout en utilisant moins d’engrais azotés minéraux et organiques grâce à un <a href="https://theconversation.com/les-legumineuses-une-source-dazote-plus-durable-pour-la-culture-du-ma-s-147096">recours accru aux légumineuses</a> et à une meilleure <a href="https://hal.inrae.fr/hal-03217087/document">articulation des productions végétales et animales</a> dans les territoires.</p>
<p>Le stockage de carbone dans les sols, promu avec l’<a href="https://www.4p1000.org/fr">initiative 4/1000</a>, a l’avantage additionnel d’améliorer leur fertilité et leur structure. L’agriculture peut aussi contribuer à la <a href="https://theconversation.com/agriculture-et-transition-energetique-les-atouts-du-biogaz-et-de-lagroforesterie-93842">production d’énergie renouvelable</a> sous diverses formes (méthanisation, photovoltaïque, etc.)… à condition qu’il n’y ait pas concurrence avec la production alimentaire et la restitution du carbone au sol.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/linitiative-4-pour-1-000-quest-ce-que-cest-54425">L’initiative « 4 pour 1 000 », qu’est-ce que c’est ?</a>
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<p>Ces voies de progrès sont au cœur de nombreuses démarches : agriculture de conservation des sols, agriculture du vivant ou régénératrice, permaculture, etc. Ces pratiques sont à encourager par les politiques publiques, selon la même logique que celle appliquée aux pesticides, soit en mobilisant plus strictement les principes émetteur-payeur et stockeur-bénéficiaire.</p>
<h2>3. Assurer le développement de l’agriculture biologique à grande échelle</h2>
<p>Le cahier des charges de l’agriculture biologique (AB) garantit une production sans intrants chimiques, avec des bénéfices sur la qualité des sols, de l’eau et de l’air, la préservation de la biodiversité, et la santé des agriculteurs, des habitants et des consommateurs du fait d’une moindre exposition aux contaminants.</p>
<p>Ses bénéfices nutritionnels comme son impact sur le climat <a href="https://www.mdpi.com/2071-1050/12/17/7012">font toujours l’objet de débats</a>. Si les pratiques de l’AB permettent bien de réduire les émissions de gaz à effet de serre rapportées à l’hectare, ce n’est pas toujours le cas quand elles sont mesurées par unité de produit du fait d’une moindre productivité. Pour la même raison, l’agriculture bio nécessitera davantage de terres pour produire les mêmes quantités de biens.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/448040/original/file-20220223-23-h6z4rv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/448040/original/file-20220223-23-h6z4rv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/448040/original/file-20220223-23-h6z4rv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=434&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/448040/original/file-20220223-23-h6z4rv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=434&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/448040/original/file-20220223-23-h6z4rv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=434&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/448040/original/file-20220223-23-h6z4rv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/448040/original/file-20220223-23-h6z4rv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/448040/original/file-20220223-23-h6z4rv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Évolution des surfaces cultivées en bio en France.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.agencebio.org/vos-outils/les-chiffres-cles/">Agence Bio</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ces rendements plus faibles requièrent des prix des produits finaux plus élevés. L’équilibre économique des exploitations en AB a été assuré jusqu’à aujourd’hui par un marché tendanciellement porteur et par des aides, notamment lors de la période de conversion vers l’AB pendant laquelle les produits ne sont pas labellisés.</p>
<p>La poursuite du développement de l’AB nécessite des innovations (sélection variétale, pratiques agronomiques, etc.) pour accroître et stabiliser les rendements. Elle exige aussi que le marché reste dynamique et soit accessible à tous.</p>
<p>Les politiques publiques doivent ainsi favoriser l’accès des plus précaires à l’alimentation biologique, par exemple par un système de chèques alimentaires. L’AB gagnera aussi à ce que les services négatifs de l’agriculture soient plus explicitement pénalisés, et les services positifs récompensés.</p>
<p>Enfin, des changements de régimes alimentaires et la réduction des pertes et gaspillages seront nécessaires, notamment pour limiter les besoins en terres du fait des moindres rendements de l’AB, comme le soulignait en 2018 le <a href="https://www.iddri.org/fr/publications-et-evenements/etude/une-europe-agroecologique-en-2050-une-agriculture">scénario TYFA de l’IDDRI</a>.</p>
<h2>4. Adapter l’offre agricole aux nécessaires évolutions des régimes alimentaires</h2>
<p>Des régimes alimentaires trop caloriques et trop déséquilibrés (trop de sucres, de graisses, de sel, de charcuteries et de viandes rouges ; pas assez de protéines et de fibres végétales, de fruits et de légumes) ont des effets négatifs sur la santé, entraînant surpoids, obésité et maladies chroniques.</p>
<p>En France, en 2016, le coût social annuel du surpoids et de l’obésité s’élevait à <a href="https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/90846524-d27e-4d18-a4fe-e871c146beba/files/1f8ca101-0cdb-4ccb-95ec-0a01434e1f34">20,4 milliards d’euros</a>, comparable à celui du tabac et supérieur à celui de l’alcool. Pourtant, les politiques nutritionnelles, essentiellement basées sur la norme, les recommandations, l’information et l’étiquetage (Nutri-Score), et très peu sur des mesures fiscales incitatives (taxes ou subventions), restent très modestes.</p>
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<p>Les changements de régimes alimentaires ne seront pas sans conséquence sur l’offre agricole (et agroalimentaire). Ils impacteront négativement les consommations de produits animaux, baisse à laquelle les producteurs doivent se préparer en compensant la réduction des volumes par une augmentation de la qualité.</p>
<p>Cette perspective est aussi l’occasion de revoir la spécialisation marquée des troupeaux de bovins lait et viande en favorisant des races mixtes, comme la Normande ou l’Aubrac qui valorisent à la fois la production de lait et de viande, et peuvent permettre de réduire les émissions de gaz à effet de serre des bovins.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comprendre-la-carte-de-la-france-agricole-168029">Comprendre la carte de la France agricole</a>
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<p>Il convient simultanément d’encourager le développement de filières structurées et compétitives de fruits, de légumes et de protéines végétales. Ces dernières requièrent de travailler la production, la collecte, la transformation (nouvelles recettes), et les habitudes de consommation grâce à l’éducation et à l’information. Plusieurs expérimentations, à l’image de celle du territoire d’innovation <a href="https://www.metropole-dijon.fr/Grands-projets/Un-systeme-alimentaire-durable-pour-2030">« Alimentation durable 2030 » à Dijon</a>, sont prometteuses.</p>
<h2>5. Concilier protection de l’environnement et revenus agricoles</h2>
<p>Les revenus des exploitations agricoles françaises sont très dépendants des soutiens budgétaires de la PAC qui, en 2019, représentaient en moyenne les trois quarts du revenu courant avant impôt.</p>
<p>Cette dépendance est encore plus grande, <a href="https://hal.inrae.fr/hal-03514845/document">supérieure à 100 %</a>, pour certaines catégories d’exploitations (250 % pour les bovins viande, 136 % pour les bovins viande et lait, 128 % pour les céréales et oléo-protéagineux). Elle rend très difficile toute modification des modalités d’octroi des aides, notamment pour satisfaire des objectifs écologiques, qui mettrait en péril la viabilité économique de nombre d’exploitations.</p>
<p>Le statu quo écologique n’est toutefois plus une option.</p>
<p>Sortir de ce dilemme requiert de renforcer le pouvoir de négociation des agriculteurs pour mieux répartir la valeur (regroupement de l’offre, biens adaptés aux attentes des consommateurs, développement de circuits courts).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"929359899515064320"}"></div></p>
<p>Il exige aussi de développer des sources complémentaires de revenu, en mobilisant ces différents axes : réduire les coûts de production en mobilisant toutes les sources de progrès (génétique, numérique, optimisation de l’usage de la biomasse, innovation ouverte…) ; exploiter le consentement à payer des consommateurs pour des produits issus de systèmes plus respectueux du climat et de l’environnement, et accorder parallèlement aux ménages les plus pauvres des aides leur permettant d’accéder à ces produits ; développer les paiements pour services environnementaux financés par le contribuable, mais aussi l’usager ; limiter les distorsions de concurrence entre agriculteurs de l’espace européen et ceux des pays tiers grâce à l’introduction de mécanismes d’ajustement aux frontières européennes au titre du climat, de l’environnement et de la santé.</p>
<p>Une réflexion plus globale devra d’autre part être engagée quant à l’utilisation des économies réalisées grâce aux dépenses de santé et de dépollution en baisse. Ce seraient plus de <a href="http://temis.documentation.developpement-durable.gouv.fr/docs/Temis/0070/Temis-0070550/19342.pdf">50 milliards d’euros</a> qui seraient dépensés chaque année en France pour la seule dépollution des eaux en pesticides et nitrates…</p>
<h2>6. Rendre le métier d’agriculteur plus attractif</h2>
<p>En 2019, <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/4806717">55 % des agriculteurs français</a> avaient plus de 50 ans. Et quand 10 d’entre eux partent en retraite, <a href="https://agriculture.gouv.fr/actifagri-de-lemploi-lactivite-agricole-determinants-dynamiques-et-trajectoires">7 seulement s’installent</a>. Au vieillissement de cette population s’ajoute donc le non-renouvellement des générations.</p>
<p>Le paradoxe actuel étant qu’une agriculture plus agroécologique <a href="https://theconversation.com/pour-en-finir-avec-les-pesticides-il-faut-aussi-des-agriculteurs-dans-les-champs-106978?utm_term=Autofeed&utm_medium=Social&utm_source=Twitter#Echobox=1547514523">nécessite davantage de main-d’œuvre</a> (pour surveiller plantes et animaux, assurer le désherbage mécanique des cultures, développer des activités de transformation et de vente, etc.), avec des qualifications plus étendues et plus élevées. Ces difficultés ne sont pas propres à la France et se retrouvent, avec des spécificités nationales, dans les différents pays européens.</p>
<p>Selon le <a href="https://www.eesc.europa.eu/en/our-work/opinions-information-reports/information-reports/evaluation-impact-cap-generational-renewal">Comité économique et social européen</a>, plusieurs facteurs défavorables expliquent cette double spirale négative : les écarts de revenu entre l’agriculture et les autres secteurs d’activité ; la charge administrative d’accès aux aides de la PAC ; des normes européennes plus contraignantes que dans la plupart des autres pays ; des difficultés de trésorerie, de financement des investissements et d’accès au foncier ; la faiblesse des retraites agricoles ; et des contraintes liées à la vie en milieu rural (accès plus difficile aux services publics et privés).</p>
<p>Les leviers d’action devront combiner politiques sociale, foncière, agricole et territoriale. La revalorisation des retraites et leur conditionnement à la transmission du foncier à des entrants limitera la rétention des terres par les plus âgés.</p>
<p>Une politique foncière efficace ciblera deux objectifs : la protection vis-à-vis de l’artificialisation des terres et leur accès en priorité aux actifs agricoles.</p>
<p>Au-delà de sa mission productive, une refonte du métier pourrait être menée en inscrivant l’exploitation agricole dans une dynamique d’entreprise à mission qui redéfinirait le contrat social qui lie la société à ses agriculteurs.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/175198/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hervé Guyomard a reçu des financements de la Caisse des Dépôts - Banque des Territoires, des Conseils régionaux de Bretagne, de Normandie et des Pays de la Loire, d'InVivo, du Parlement européen et de la Commission européenne. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Xavier Reboud a reçu des financements de l'OFB dans le cadre de travaux conduits sur Ecophyto</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Christian Huyghe et Cécile Détang-Dessendre ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Réduire les pesticides et les gaz à effet de serre, développer l’offre bio et une alimentation saine, soutenir les revenus et carrières des agriculteurs et agricultrices, les défis sont nombreux.Cécile Détang-Dessendre, Directrice de recherche en économie, InraeChristian Huyghe, Directeur scientifique pour l’agriculture, InraeHervé Guyomard, Chercheur, InraeXavier Reboud, Chercheur en agroécologie, InraeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1320482020-02-26T20:21:34Z2020-02-26T20:21:34ZMalgré le succès du bio, des travailleurs confrontés à la pénibilité et à l’incertitude<blockquote>
<p>« En bio, la terre est basse par rapport au conventionnel, le dos trinque. »<br> « Les clients ne se rendent pas compte de notre travail. Ils viennent nous dire qu’on a de la chance de travailler en plein air. Qu’ils viennent faire une journée avec nous, ils verront ! »<br> « Avoir 1 000 euros pour avoir le dos broyé, c’est cher payé ! »</p>
</blockquote>
<p>À lire ces propos d’agriculteurs et de salariés de l’agriculture biologique, on devine à quelles contraintes ces derniers font face dans un secteur en plein essor. <a href="https://www.agencebio.org/vos-outils/les-chiffres-cles/">En 2018</a>, 5 000 exploitations françaises se sont converties en bio, un niveau jamais atteint auparavant, portant à plus de 9 % la proportion de fermes certifiées.</p>
<p>Désormais, 5 % des achats alimentaires des Français sont issus de ce secteur. Et la production biologique représentait, en 2017, <a href="http://www.abiodoc.com/sites/default/files/2017_biblio-emploi-enab.pdf">10,8 % de l’emploi agricole</a> en France, soit un peu moins de 78 000 emplois (pour près de 32 000 fermes).</p>
<h2>Bon pour la santé et l’environnement</h2>
<p>L’agriculture biologique désigne un mode de production agricole répondant à un <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:02007R0834-20130701&from=EN">règlement européen</a> de 2007 qui en fixe les grands principes. Un <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:02008R0889-20181112&from=EN">règlement d’application</a> le complète ; ces textes doivent être respectés par chaque exploitation labellisée « bio » ou en cours de conversion.</p>
<p>L’usage de produits phytosanitaires est, par exemple, particulièrement limité, impliquant un travail physique important (il faut, par exemple, enlever les mauvaises herbes mécaniquement).</p>
<p>Aujourd’hui, les consommateurs sont friands de ces produits pour des raisons essentiellement sanitaires et environnementales. <a href="https://www.agencebio.org/wp-content/uploads/2019/02/Rapport_Barometre_Agence-Bio_fevrier2019.pdf">Selon l’Agence Bio</a>, en 2018, les consommateurs ou non-consommateurs estimaient majoritairement que :</p>
<blockquote>
<p>« L’agriculture biologique contribue à préserver l’environnement, la qualité des sols, les ressources en eau » (à 87 %) ;<br>« les produits biologiques sont meilleurs pour la santé » (à 83 %).</p>
</blockquote>
<p>Pour satisfaire ces attentes, les travailleurs de l’agriculture biologique sont-ils prêts à endurer des situations de travail demeurant difficiles et incertaines ?</p>
<p>Pour répondre à cette question, nous nous appuyons sur une enquête réalisée entre 2013 et 2018 dans quatorze exploitations agricoles spécialisées dans la production de légumes bio, dans le Nord et le Pas-de-Calais. Mais aussi sur une quarantaine d’entretiens, près de 120 heures d’observations dans six exploitations agricoles et sur la constitution d’un corpus d’articles de presse sur les agriculteurs bio des deux départements.</p>
<h2>Un travail pénible (mais satisfaisant)</h2>
<p>L’une des tâches les plus importantes et les plus pénibles en maraîchage biologique concerne le désherbage, indispensable pour que les cultures poussent au mieux. Le travail se réalise à la main, à l’aide de binettes et nécessite des postures du corps spécifiques (accroupi, incliné). Par ailleurs, l’aspect chronophage de cette activité peut sembler aliénant, comme en témoigne cette technicienne du maraîchage bio :</p>
<blockquote>
<p>« Moralement, c’est difficile, on a l’impression que c’est des tâches qui n’avancent pas. Il y a le marché demain, faudrait récolter des tomates, il faut aller récolter les salades. Ça va faire une journée à rallonge. Le désherbage, c’est le plus difficile parce que moralement et physiquement c’est compliqué. »</p>
</blockquote>
<p>Pour contourner les difficultés de cette tâche, les agriculteurs ont recours à différentes techniques : le paillage, la mise plastiques à terre pour éviter l’enherbement, l’investissement dans des machines adaptées tel le lit de désherbage…</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/wBNW_27K02I?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Présentation d’un outil ergonomique pour préserver le dos. (Agriculteurbio, 2017).</span></figcaption>
</figure>
<h2>Un travail manuel intense</h2>
<p>Dans les exploitations agricoles (cinq sur le terrain d’enquête), les salariés embauchés le sont essentiellement pour désherber ou récolter. D’autres sont également employés pour le conditionnement des légumes, comme c’est le cas dans la production endivière. Ici, la préparation se déroule derrière une chaîne similaire aux lignes de montage de l’industrie :</p>
<blockquote>
<p>« En bout de chaîne, un salarié pose les endives sur une roue dentée qui tourne et coupe les racines. L’endive défile sur le tapis, un deuxième salarié la prend pour enlever les feuilles les plus abîmées, il la repose, le troisième en fait de même. Le quatrième pose l’endive dans une caisse. Lorsque celle-ci est remplie, elle est posée sur un deuxième tapis roulant. Le salarié qui est en bout de chaîne la réceptionne, la recouvre d’un papier noir, met un élastique, et la transporte pour l’empiler avec les autres. » (Observation réalisée en décembre 2016)</p>
</blockquote>
<p>Ce type de tâches est source de fatigue physique : le travail, effectué debout en posture fixe, est répétitif et peut être à l’origine de tendinites. Le bruit des machines est également perçu comme contraignant. En outre, les journées de travail sont quasiment dédiées à cette unique tâche.</p>
<p>Pourtant, cette pénibilité peut aussi être conçue comme un défi et <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00521474/document">revêt un certain sens</a> : désherber est vu comme noble car « c’est comme si je prenais soin des légumes » pour une salariée agricole interrogée ou encore, pour cet agriculteur : « On sait comment c’est produit. »</p>
<p>Bref, si ces tâches apparaissent pénibles, elles font aussi l’objet d’une <a href="https://www.decitre.fr/livres/les-agriculteurs-bio-vocation-ou-interet-9782870374948.html">forme de satisfaction</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/OemcjACOtzY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le travail dans une endiverie bio. (Eurletani/Youtube, 2012).</span></figcaption>
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<h2>Les risques de la conversion en bio</h2>
<p>L’activité en agriculture biologique présente également pour nombre de travailleurs du secteur un caractère incertain.</p>
<p>Pour certains agriculteurs se convertissant à l’agriculture biologique après une activité en agriculture conventionnelle, la conversion peut être source de pénibilité physique car il faut remplacer le pulvérisateur de produits phytosanitaires par un travail plus manuel.</p>
<p>La conversion est également pourvoyeuse d’incertitude économique. Pour compenser cette difficulté, les agriculteurs peuvent choisir de ne <a href="https://bit.ly/380jtaL">convertir que certaines parcelles</a> tout en gardant une partie de leur production en non biologique.</p>
<p>Cela est toutefois perçu comme une prise de risque économique en raison des marchés et des difficultés techniques engendrées, notamment avec l’achat de matériel adapté. Une agricultrice, installée sur près de 70 hectares et convertie au bio depuis quelques années au moment de l’entretien, en témoigne :</p>
<blockquote>
<p>« Sur quatre agriculteurs, trois ont fait un essai en betteraves rouges, et y en a un qui a fait directement six hectares de carottes. Donc tout de suite, gros risque quoi. […] Nous, on s’est plutôt plantés en betteraves rouges avec du matériel d’occasion. C’était assez difficile et au fil des années on s’est rendu compte qu’on n’a pas le même prix qu’en vente directe, les prix sont relativement bas. Il faut sortir du volume et avoir le bon matériel. »</p>
</blockquote>
<p>Travailler en bio implique donc ici de s’adapter rapidement à de nouvelles techniques de travail différentes de celles de l’agriculture conventionnelle.</p>
<h2>Du côté des <em>outsiders</em> de l’agriculture</h2>
<p>D’autres agriculteurs créent une exploitation agricole suite à une reconversion professionnelle. Ces structures sont plus petites que les précédentes, dépassant rarement les quinze hectares. Si certains travaillaient déjà dans des secteurs proches de l’agriculture (espaces verts, ouvriers agricoles), d’autres sont issus d’activités plus éloignées (secrétariat, informatique, éducation, par exemple). Ils doivent apprendre à faire face aux incertitudes du climat, à la relative méconnaissance de la gestion d’une ferme tout en écoulant leurs produits malgré la concurrence.</p>
<p>Pour toutes ces raisons, les premières années sont perçues comme étant les plus difficiles. Il leur faut articuler travail de production et de commercialisation, ce qui implique des semaines de travail pouvant culminer à 80 heures, sans la garantie d’en retirer une rémunération satisfaisante. Un agriculteur explique à ce propos ne gagner que <a href="https://hazebrouck.maville.com/actu/actudet_-Producteurs-bio-Philippe-et-Christophe-ont-la-passion-du-metier_loc-1732204_actu.Htm">450 euros par mois</a> mais « avoir fait vœu de pauvreté ». Un autre, venant de s’installer, assure que la <a href="http://flandres-artois.safer.fr/10-ans-apres-qu-est-il-devenu--Retour-sur-l-installation-d-un-agriculteur-bio.aspx">motivation est essentielle</a> et « qu’il ne faut pas compter ses heures et accepter de faibles revenus ».</p>
<p>Les salariés, quant à eux, sont principalement saisonniers. Leur temps de travail est irrégulier en fonction des besoins en main-d’œuvre et des aléas climatiques. Embauchés pour quelques semaines ou quelques mois, une partie d’entre eux sont des étudiants ou lycéens et travaillent durant les vacances scolaires. D’autres saisonniers alternent les périodes de chômage et les emplois saisonniers dans différents secteurs d’activité. Enfin, certains travaillent en été dans les champs et sont employés au conditionnement des légumes à partir de l’automne.</p>
<p>De fait, la grande majorité d’entre eux sont en CDD et l’accès à un CDI reste rare. Sur une centaine de saisonniers du terrain d’enquête, moins de dix ont pu accéder à ce statut. Ils ont été choisis en raison de leur ancienneté ou pour leurs compétences (réparation de machines, conduite de tracteurs, par exemple).</p>
<h2>Un déficit d’informations</h2>
<p>Les travailleurs de l’agriculture biologique font donc face à des conditions de travail difficiles et à un avenir relativement incertain. Si les travaux scientifiques traitant de ce sujet le soulignent déjà, on souffre également d’un déficit d’informations à propos des pratiques de travail en bio.</p>
<p>Il faudrait pouvoir répondre quantitativement à ces questions : quelles sont les maladies professionnelles les plus courantes dans ce mode de production ? Existe-t-il des risques professionnels spécifiques au bio ? Quelle est la durée moyenne d’un contrat de travail d’un saisonnier dans ce secteur ?</p>
<p>La réponse à ces différentes questions représente un chantier important et nécessaire à la meilleure connaissance d’une alimentation attirant toujours plus de consommateurs.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/132048/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Germain Bonnel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Ce que nous révèle une vaste enquête, conduite entre 2013 et 2018, sur les personnes qui travaillent dans les champs de l’agriculture biologique française.Germain Bonnel, Doctorant en sociologie (laboratoire CeRIES), ATER à l'Université de Lille, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1322072020-02-21T09:17:10Z2020-02-21T09:17:10ZDes tiers-lieux pour aider les néo-paysans à se lancer<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/316520/original/file-20200220-92507-i4908u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les espaces-tests agricoles aident les aspirants agriculteurs à se faire la main. </span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Selon le <a href="http://agreste.agriculture.gouv.fr/recensement-agricole-2010/">dernier recensement agricole français</a>, quelque 200 000 actifs agricoles ont été perdus entre 2000 et 2010, soit une baisse de 26 %. Pour chaque installation d’un agriculteur, on compte désormais 3 départs. En 2015 en France, <a href="http://agreste.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/Gaf2017p038-042.pdf">885 000 personnes</a> (chef d’exploitation, coexploitant, conjoint, actif non salarié) travaillaient de manière régulière dans les exploitations du secteur. C’est moins de 4 % de la population active du pays (contre plus de <a href="https://www.persee.fr/doc/estat_0336-1454_1977_num_91_1_3127">35 % au milieu du XX<sup>e</sup> siècle</a>).</p>
<p>La démographie y est pour quelque chose, l’âge moyen des exploitants atteignant les 51 ans. Et quand les agriculteurs prennent leur retraite, ils ont <a href="http://www.rfi.fr/fr/emission/20151101-france-transmission-exploitations-agricoles-probleme-saone-loire">bien du mal à transmettre</a> leur exploitation. En cause notamment, un schéma de reprise familiale en déconstruction : les enfants d’agriculteurs reprennent de plus en plus rarement l’exploitation familiale.</p>
<p>Lorsque les exploitations trouvent repreneurs, c’est généralement au profit de l’agrandissement d’une exploitation existante plutôt que d’un nouvel agriculteur. Cet agrandissement rend ensuite plus difficile encore l’installation de nouveaux porteurs de projets agricoles plus modestes.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comprendre-le-malaise-des-agriculteurs-127862">Comprendre le malaise des agriculteurs</a>
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<h2>La difficile installation des « hors cadre »</h2>
<p>D’autres facteurs rendent le renouvellement difficile. Parmi ceux qui s’installent en agriculture – environ <a href="https://aura.chambres-agriculture.fr">1700 chaque année</a> en Auvergne-Rhone-Alpes, par exemple – 1/3 sont dits « hors cadre familial » : leurs parents ne sont pas agriculteurs ou ils ne reprennent pas la ferme familiale.</p>
<p>Ces nouveaux porteurs de projets font évoluer les profils sociologiques. Il s’agit, de plus en plus souvent, de <a href="https://www.data.gouv.fr/fr/datasets/agreste-donnees-communales-nombre-d-exploitations-agricoles-et-superficies-par-statut-juridique-ch-0/">personnes non issues du territoire</a> où ils désirent s’implanter ; ils s’y installent avec une <a href="https://www.cairn.info/revue-pour-2011-5-page-137.htm">conception différente</a> de l’agriculture et du travail agricole.</p>
<p>Ils préfèrent les <a href="https://www.cairn.info/revue-sciences-eaux-et-territoires-2016-2-page-56.htm">petites exploitations</a> et une pratique plus raisonnée de l’agriculture ; et ils souhaitent pour certains que leur activité agricole n’occupe pas 100 % de leurs activités professionnelles.</p>
<p>Les premières difficultés qu’ils rencontrent concernent l’accès au foncier, le coût élevé de l’investissement de départ, le manque de réseau et de connaissance du territoire ainsi que le manque de formation. Cela a pour conséquence de <a href="https://terredeliens.org/S-installer-et-apres-Reflexions-paysannes-pour-durer.html">fragiliser la pérennisation</a> des installations ou de la ralentir fortement.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/voIRmGs8UpE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Un agriculteur sur 5 doit transmettre sa ferme hors du cadre familial. (France 3 Hauts-de-France/Youtube, 2017).</span></figcaption>
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<h2>Des dispositifs de soutien alternatifs</h2>
<p>En France, les mécanismes d’aide à l’installation agricole existent. Le plus connu est certainement la <a href="https://agriculture.gouv.fr/aide-linstallation-de-jeunes-agriculteurs">« dotation jeune agriculteur »</a>, mais ses conditions d’éligibilité sont souvent mal adaptées à ces profils « hors cadre familial ».</p>
<p>La « dotation jeune agriculteur » exclut en effet les plus de 40 ans, donc les nouvelles vocations. Elle exige la « capacité agricole », donc un diplôme faisant foi des compétences et demande que les personnes soient installées à « titre principal », ce qui exclut les très petites exploitations, ainsi qu’un revenu équivalent au smic dès la quatrième année d’activité, ce qui limite la possibilité de pluriactivité.</p>
<p>Face à cette situation, des dispositifs d’appuis alternatifs existent, parmi lesquels les « espaces-tests agricoles » (ETA). Il s’agit d’un <a href="https://www.cairn.info/revue-pour-2013-4-page-227.htm">dispositif réversible</a> d’accès au foncier pour des individus qui souhaitent tester leur projet agricole sans y investir de sommes trop importantes.</p>
<p>Cette notion de test dans les structures d’accompagnement à la création d’activités dans les milieux ruraux est apparue au début des années 2000. Elle s’inspire des couveuses et pépinières d’entreprises. Il a fallu peu de temps cependant pour constater la spécificité des activités agricoles dans la perspective d’un test. La saisonnalité, les outils de production onéreux, le lien étroit avec la situation géographique et les risques inhérents au travail sur la machinerie agricole réclamaient une nécessaire adaptation.</p>
<p>Ces dispositifs de test sont rassemblés depuis 2012 <a href="https://reneta.fr/">au sein du Reneta</a>, le réseau national des ETA. Il compte près de 80 espaces-tests dans toute la France et permet leur mise en relation tout en facilitant le partage d’expériences de plus de 500 porteurs de projet.</p>
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<figcaption><span class="caption">Présentation du test d’activités agricole. (Reneta/Youtube, 2018).</span></figcaption>
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<h2>Un espace-test, comment ça marche ?</h2>
<p>L’ETA permet à une personne, potentiellement non issue du milieu agricole ou en reconversion professionnelle, de tester un projet en conditions réelles et réversibles sur une période oscillant entre 1 et 3 ans, tout en réduisant les risques associés à l’acquisition de foncier.</p>
<p>Dans cet espace-test convergent quatre fonctions autour d’un porteur de projet ou testeur. La première concerne la fonction « couveuse » qui met à disposition un cadre juridique où le testeur s’inscrit, par exemple par un contrat d’appui au projet d’entreprise. Il y reçoit de l’aide comptable et des conseils juridiques. La seconde est la fonction « pépinière », qui donne accès à des moyens de production. Cela peut prendre la forme d’accès à du foncier, des bâtiments ou du matériel, voire des animaux. La troisième fonction correspond à un accompagnement technique, mais surtout humain, visant l’acquisition graduelle des compétences requises par le projet agricole du testeur. La quatrième fonction, celle de l’animation, concerne la mise en cohérence des trois fonctions précédentes autour du testeur et de son projet.</p>
<p>Ces différentes composantes du test peuvent être portées par une seule organisation, mais sont le plus souvent le fait de plusieurs structures. Les testeurs n’ont ainsi que très peu d’investissement à apporter pour se tester. Cet apport varie en fonction de chaque ETA, de rien du tout à un forfait annuel, voire un capital de départ.</p>
<p>Le dispositif rassemble toutes ces composantes et rend possible la réalisation du test. Ce dernier se déroule sur un lieu pouvant adopter différentes formes, dépendantes de la structure de l’espace-test et du type de test (maraîchage, élevage, apiculture, plantes aromatiques…).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1038391249521332224"}"></div></p>
<p>Ce lieu peut correspondre à une zone dans une ferme ou à une ferme entière qu’un agriculteur cherche à transmettre. Il peut être mis à disposition par la structure d’ETA, par un particulier, par une collectivité territoriale ou encore une association, comme <a href="https://terredeliens.org/">Terre de liens</a> par exemple.</p>
<p>Le lieu-test peut être permanent – lorsque le terrain aura vocation à rester en test en voyant se succéder les porteurs de projet – ou provisoire s’il est décidé que le testeur s’y installera définitivement au terme de la période d’essai. Un ETA peut comprendre plusieurs lieux-tests, il sera alors et dit « en archipel ». Un territoire pourra ainsi accueillir 3, 4, 5 lieux-tests. De par son fonctionnement, son territoire et les partenaires prenant part au projet, chaque structure créée est unique.</p>
<h2>Des tiers-lieux agricoles</h2>
<p>On le voit, un espace-test se base généralement sur un multipartenariat et peut compter des structures associatives (telles que des associations pour le développement de l’emploi agricole et rural, des groupements d’agriculteurs biologiques…), des collectivités territoriales, des couveuses d’entreprises ou couveuses d’activités et d’emplois, des institutions d’enseignement agricole ou encore la chambre d’agriculture.</p>
<p>Des groupes locaux de soutien formés par des représentants de ces acteurs et des habitants de communes concernées sont aussi formés pour épauler l’intégration des testeurs aux milieux locaux. Les ETA s’inscrivent ainsi au sein de stratégies multipartenariales de développement territorial.</p>
<p>Pour cette raison, on peut concevoir l’ETA comme quelque chose de beaucoup plus ample qu’un dispositif menant à l’installation de nouveaux agriculteurs ; il s’agit dans les faits de véritables tiers-lieux du développement agricole.</p>
<p>Comme tous les tiers-lieux, les ETA ne sont ni domiciles ni lieux de travail, ils constituent le cadre d’une <a href="https://smartbe.be/wp-content/uploads/2016/07/07-2016-Les-tiers-lieux---l--ments-de-typologie1.pdf">mise en commun « libre et volontaire »</a>. Ils favorisent la création d’un <a href="http://dx.doi.org/10.2139/ssrn.2210127">capital social</a>, individuel et relationnel qui va bien au-delà du porteur de projet : même si ce dernier peut décider que l’installation agricole ne lui convient pas, les acteurs qu’il aura rassemblés autour d’un projet partagé continueront de contribuer collectivement au développement local.</p>
<p>L’un des principaux défis rencontrés aujourd’hui par les structures d’ETA concerne la confrontation entre l’intention première d’accompagnement des porteurs de projets et les besoins urgents de redynamisation qu’éprouvent nombre d’acteurs ruraux, publics notamment. Bien comprendre que les ETA constituent un espace de rencontre et d’accompagnement plutôt qu’un outil de formation permettrait à ces acteurs de profiter de tout leur potentiel. À cet égard, la France ne fait pas cavalier seul puisque nombreux sont les pays aux prises avec la problématique du <a href="http://www.newbie-academy.eu/">renouvellement des actifs agricoles</a> et, plus largement, de la revitalisation des espaces ruraux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/132207/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre-Mathieu Le Bel a reçu un financement du programme de recherche pour et sur le développement régional (PSDR4) dans le cadre du programme USUS sur le foncier agricole. Il est membre du conseil d’administration du réseau national des espaces-test agricoles. </span></em></p>Tester grandeur nature sa future activité agricole, c'est ce que proposent les espaces-tests agricoles, un dispositif alternatif.Pierre-Mathieu Le Bel, Géographe, chercheur accueil haut niveau en développement territorial, InraeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1266442020-02-03T20:25:20Z2020-02-03T20:25:20ZContre l’uniformisation des semences, produisons de la biodiversité<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/304971/original/file-20191203-67017-uquxtc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=442%2C227%2C4028%2C2701&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixnio.com/fr/flore-plantes/graines/semences-sols-plantes-agriculture#">Pixnio</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>En février 2019, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture a publié un <a href="http://www.fao.org/state-of-biodiversity-for-food-agriculture/en/">rapport alarmant</a> sur l’état de la biodiversité pour l’alimentation et l’agriculture dans le monde. En mai de la même année, la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques a publié un rapport tout aussi alarmant sur le <a href="https://www.ipbes.net/news/Media-Release-Global-Assessment-Fr">déclin de la biodiversité</a>.</p>
<p>L’occasion de faire le point sur un exemple tangible de notre gestion de la biodiversité, celui des semences à la base de toute notre alimentation.</p>
<p>Depuis que nous avons pris conscience de l’érosion des ressources génétiques, il n’a été question que de limiter cette érosion, et non de contribuer à la production des ressources. Remise en contexte historique, une telle vision est intrigante et alarmante.</p>
<h2>Une vision dynamique de la biodiversité</h2>
<p>L’œuvre séminale de Charles Darwin a démontré que la biodiversité est dynamique. Le mécanisme de la divergence évolutive – par lequel les lignées s’écartent peu à peu des unes des autres et de leur racine commune – est progressif et continu. Le système entier est en perpétuelle évolution. La diversité existe à toutes les échelles (individus, variétés, familles), et toutes les lignées y contribuent. Une telle biodiversité dynamique résulte des actions combinées de l’émergence, de l’extinction et de la divergence des lignées.</p>
<p>Deux mécanismes sont impliqués dans la production de diversité : les entités (populations, variétés) doivent être suffisamment isolées pour se différencier (sous l’effet de la sélection naturelle et/ou de la dérive génétique), mais suffisamment d’échanges doivent subsister entre elles pour que leurs diversités génétiques ne s’appauvrissent pas.</p>
<p>Ainsi, la production de biodiversité résulte d’un subtil équilibre entre isolement et interconnexion. Cette vision dynamique nous oblige à intégrer le changement dans nos perspectives et à nous intéresser aux mécanismes de production de diversité plutôt qu’aux entités elles-mêmes.</p>
<h2>Les agriculteurs producteurs de biodiversité</h2>
<p>En quelques centaines de millions d’années, le processus naturel d’évolution a produit une multitude de formes vivantes, dont chacune possède des potentialités évolutives importantes. Pendant des milliers d’années, les paysans du monde entier ont cultivé certaines des plantes issues de ce processus, et en ont encore augmenté la diversité. Comment ont-ils fait ? En cultivant des espèces dans un cadre d’isolement et d’échanges, en cohérence avec la dynamique de production de biodiversité.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1219522564395077632"}"></div></p>
<p>La domestication des plantes a historiquement été permise par le maintien des échanges entre les formes cultivées et sauvages, avant que chaque cultivateur sélectionne ses propres semences. Chaque lot de semences avait son individualité génétique, dont la diversité était maintenue par un système d’échanges entre paysans. Les mécanismes essentiels à la production de biodiversité étaient à l’œuvre, générant une immense diversité de formes.</p>
<p>Les ressources génétiques ainsi produites nous sont précieuses. C’est sur elles que reposent les possibilités de sélection futures de ces plantes, qui permettront d’en augmenter encore les potentialités et de mieux répondre à nos besoins (maladies, sécheresses).</p>
<h2>Une révolution industrielle</h2>
<p>Au XIX<sup>e</sup> siècle, le système a été bouleversé. Les agriculteurs se sont spécialisés : d’un côté ceux qui produisent les semences, et de l’autre ceux qui les exploitent. À partir de ce moment, les plantes n’étaient plus reproduites que dans les champs des semenciers.</p>
<p>Rapidement, le nombre d’entreprises semencières n’a cessé de décroître à cause des phénomènes de concentration industrielle, et avec elles la diversité des variétés disponibles. Les industries agrochimiques ont également décidé d’investir dans la niche. Ceci a mené à l’apparition de géants, tels que Monsanto et Bayer Corporation. Par conséquent, le nombre de plantes reproduites <a href="http://www.fao.org/fileadmin/templates/nr/documents/CGRFA/factsheets_plant_fr.pdf">est désormais en chute libre</a>.</p>
<p>Cette pratique d’« amélioration des plantes » a eu momentanément des effets positifs sur les productions agricoles. Des pays comme la France sont passés du statut d’importateur à celui d’exportateur dans le domaine agricole. Tout semblait aller pour le mieux dans le meilleur des mondes, jusqu’au jour où la question de l’« érosion des ressources génétiques » fut soulevée.</p>
<p>L’ensemble de ce nouveau système reposait sur la diversité existante des formes vivantes. Or, l’innovation génétique ne pouvait plus se produire que chez les sélectionneurs, qui représentent une part infime de l’entière communauté d’agriculteurs. Ils ne peuvent pas remplacer l’immense territoire d’évolution représenté par l’ensemble des champs <a href="http://www.fao.org/newsroom/fr/focus/2004/51102/article_51107fr.html">cultivés historiquement</a>.</p>
<p>Aujourd’hui, nous exploitons ces ressources sans les maintenir (agriculture « minière »). Manifestement renouvelables pendant bien longtemps, elles sont désormais devenues épuisables. Pour faire face à cette situation, nous voyons deux voies d’action possibles.</p>
<h2>La réponse technologique</h2>
<p>Les humains peuvent croire que leur technologie palliera la perte de diversité et de ressources. Les biotechnologies permettront en effet de rechercher les gènes dont nous aurons besoin dans toutes sortes d’organismes (bactéries, poissons, plantes, etc.) pour faire face, au coup par coup, à chacune des difficultés rencontrées.</p>
<p>Dans cet état d’esprit, il est essentiel de mettre la main sur les ressources génétiques existantes. Cet héritage peut alors être conservé dans un <a href="https://www.seedvault.no/about/history/">immense congélateur souterrain</a>, où les gènes resteront à notre disposition pendant longtemps. Si l’on suit cette logique, les progrès technologiques doivent être favorisés. Le profit des entreprises innovantes doit être maximisé, et pour cela, elles doivent conserver l’exclusive propriété sur les ressources génétiques qu’elles exploitent.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1146686464777998337"}"></div></p>
<p>C’est dans un tel contexte que le brevet sur l’insertion de gènes dans les plantes a finalement <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-d-intelligence-economique-2013-1-page-9.htm?contenu=article">été accepté et promu</a>. Cette voie est celle mise en avant par les firmes de biotechnologie, et suivie par une majorité d’États.</p>
<p>Elle est fondée sur la croyance que la technologie humaine deviendra suffisamment puissante, en un temps suffisamment court, pour remplacer les processus naturels de production de biodiversité. La croyance que la diversité d’aujourd’hui sera suffisante pour faire face à tous nos besoins futurs, que la biodiversité est un système fixe, dont les ressources génétiques doivent être conservées en leur état actuel.</p>
<h2>Rendre aux agriculteurs le pouvoir de produire de la biodiversité</h2>
<p>À l’inverse, les humains peuvent croire en la supériorité des processus naturels qui ont généré la biodiversité. Ces mécanismes en action depuis des milliards d’années, produisant constamment de nouvelles formes de vie en constante évolution dans des conditions toujours changeantes. Fondée sur une vision dynamique de la biodiversité, cette voie la promeut vivante et en évolution. Dans cet état d’esprit, la priorité urgente est de remettre en route le processus dynamique de production de biodiversité.</p>
<p>Pour les plantes cultivées, ceci implique de redonner aux agriculteurs la pleine et libre possession de leurs semences. Il s’agit de développer des <a href="https://www.semencespaysannes.org/">techniques de sélection participative</a>, dans lesquelles les connaissances modernes de la biologie, de la génétique, de l’écologie et de l’agronomie seraient mises en œuvre pour développer la production agricole.</p>
<p>Chaque agriculteur participerait à la sélection des plantes cultivées, de façon concertée et optimisée. Un tel système pourrait inclure des démarches biotechnologiques, mais sans aucun monopole sur les ressources génétiques pour assurer une production maximale de diversité. Un tel système serait donc incompatible avec le maintien des brevets sur l’insertion de gènes dans les plantes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/126644/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre-Henri Gouyon a reçu des financements du Ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Il est membre du Conseil scientifique de la fondation Nicolas Hulot</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Andréa Thiebault ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La révolution industrielle a spécialisé les agriculteurs, coupant court aux échanges indispensables pour entretenir la biodiversité des espèces cultivables.Pierre-Henri Gouyon, Chercheur, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)Andréa Thiebault, Postdoctoral fellow, Nelson Mandela UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1299452020-01-29T17:52:06Z2020-01-29T17:52:06ZDe l’urine recyclée pour les futurs engrais<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/311099/original/file-20200121-117907-1t3b4jx.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=36%2C52%2C1300%2C919&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Épandage d’urine en sortie d’hiver sur le plateau de Saclay.</span> <span class="attribution"><span class="source">Auteurs</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Le plateau de Saclay est un petit territoire périurbain situé à une dizaine de kilomètres au sud de Paris. Malgré son urbanisation croissante, l’agriculture y occupe encore une place importante, avec environ 3 500 hectares. Majoritairement conventionnelle, elle repose sur une utilisation importante d’engrais d’origine synthétique ou minérale. Les cultures principales sont le blé, le colza, le maïs et l’orge, et nécessitent des apports importants <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0921344918302131">d’engrais azotés (N) et phosphatés (P2O5)</a>.</p>
<p>Les engrais azotés sont produits via un procédé très gourmand en énergie, de l’ordre de <a href="https://pubs.acs.org/doi/abs/10.1021/es505432w">1 à 2 % de la consommation mondiale</a>. Le phosphore est quant à lui extrait de mines dont les réserves sont limitées. Un pic de production pourrait survenir <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S095937800800099X">d’ici quelques décennies</a>.</p>
<p>Une fois consommés par les humains, les nutriments contenus dans les aliments sont majoritairement excrétés via l’urine et se retrouvent dans les eaux usées.</p>
<h2>Un recyclage des nutriments très limité</h2>
<p>Sur le plateau de Saclay, les eaux usées des quelque 200 000 habitants sont aujourd’hui orientées vers les stations d’épuration du syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne (SIAAP). Les nutriments (du point de vue de l’agriculture) ou polluants (du point de vue de l’assainissement) qu’elles contiennent sont ainsi traités.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/311098/original/file-20200121-117907-16evyzo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/311098/original/file-20200121-117907-16evyzo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/311098/original/file-20200121-117907-16evyzo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/311098/original/file-20200121-117907-16evyzo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/311098/original/file-20200121-117907-16evyzo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/311098/original/file-20200121-117907-16evyzo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/311098/original/file-20200121-117907-16evyzo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Épandage d’urine sur le plateau de Saclay.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Auteurs</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Après ajout de réactif, le phosphore précipite à environ 80 % dans les boues d’épuration (le reste est rejeté dans la Seine). À l’inverse, l’azote est majoritairement éliminé par dénitrification (53 %) ou rejeté dans les eaux traitées (38 %), une part minime finissant dans les boues d’épuration (9 %). L’épandage d’une partie de celles-ci en agriculture ne permet donc qu’un recyclage limité du phosphore et surtout de l’azote contenus dans les eaux usées, estimé respectivement <a href="https://www.leesu.fr/ocapi/wp-content/uploads/2018/10/Esculier-et-al-2018-the-biogeochemical-imprint-of-Paris-Megacity_in-press.pdf">à 43 % et 4 %</a> à l’échelle de l’agglomération parisienne.</p>
<p>La gestion actuelle des eaux usées sur le plateau de Saclay ne permet donc pas le recyclage des nutriments alors que l’agriculture du plateau en est une consommatrice importante. Elle est par ailleurs associée à d’autres impacts : importantes émissions de gaz de serre lors du traitement des eaux en station d’épuration, rejet vers la Seine, épandage d’éléments indésirables lors du recyclage des boues d’épuration en agriculture, etc.</p>
<h2>L’urine, pour reconnecter la ville et les champs</h2>
<p>Parmi les eaux usées, l’urine représente environ 80 % de l’azote et 50 % du phosphore, le tout concentré dans un faible volume comparé <a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=juicry4LaRgC&oi=fnd&pg=PP1&dq=+Source+separation+and+decentralization+for+wastewater+management.">au volume global des eaux usées</a>. L’urine est peu contaminée en métaux et pathogènes, contrairement à d’autres intrants comme certains engrais minéraux et les boues d’épuration. Des questions subsistent cependant sur les résidus médicamenteux présents à faible concentration dans l’urine.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/312028/original/file-20200127-81346-14gtbhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/312028/original/file-20200127-81346-14gtbhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/312028/original/file-20200127-81346-14gtbhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/312028/original/file-20200127-81346-14gtbhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/312028/original/file-20200127-81346-14gtbhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/312028/original/file-20200127-81346-14gtbhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/312028/original/file-20200127-81346-14gtbhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/312028/original/file-20200127-81346-14gtbhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Utilisation de toilettes à séparation pour « récolter » l’urine.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Auteur</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<p>Différentes techniques sont possibles pour séparer l’urine à la source et ainsi éviter sa dilution dans les eaux usées et sa contamination par d’autres rejets : toilette à séparation, urinoir sec (masculin ou féminin).</p>
<p>Une fois que l’urine a été séparée des autres composantes des eaux usées, il est possible de réaliser une multitude de traitements pour différents objectifs.</p>
<p>La première option est de stabiliser l’azote afin de diminuer la volatilisation ammoniacale (qui pollue l’air et entraîne une perte de la valeur fertilisante de l’urine) et d’atténuer les odeurs. La seconde possibilité est de réduire le volume épandu, qui varie de celui d’un lisier à celui d’un engrais minéral pour les fertilisants à base d’urine les plus concentrés. Enfin, le troisième traitement consiste à restreindre la contamination en microorganismes pathogènes ou résidus de pharmaceutiques.</p>
<p>Ces différents traitements aboutissent à divers fertilisants à base d’urine ou « urinofertilisants » aux caractéristiques variées (teneurs en nutriments, en contaminants, forme des éléments nutritifs…).</p>
<h2>Un territoire privilégié pour l’expérimentation</h2>
<p>Depuis plusieurs décennies, le plateau de Saclay fait l’objet d’une urbanisation croissante, mais reste un lieu de production agricole important situé seulement à une dizaine de kilomètres de Paris. Ce contexte dynamique permet la mise en place de dispositifs innovants sur les nouvelles constructions.</p>
<p>Encouragés par les autorités publiques et des associations, plusieurs projets sont actuellement en cours pour l’installation de dispositifs permettant de récupérer l’urine dans des établissements recevant du public. Du fait de l’installation progressive de divers organismes de recherche et d’enseignement supérieur sur le plateau de Saclay, les interactions entre les agriculteurs et la recherche sont également fréquentes.</p>
<p>Par exemple, le programme LEADER du plateau de Saclay finance depuis quelques années une partie des expérimentations sur le recyclage des matières organiques en agriculture menées par l’INRAE et la chambre d’agriculture d’Île-de-France. Les matières étudiées jusqu’à maintenant étaient plus traditionnelles : composts, effluents d’élevage, digestats de méthanisation, etc.</p>
<h2>Une bonne efficacité fertilisante</h2>
<p>L’intérêt des agriculteurs pour le recyclage de l’urine a été étudié à travers plusieurs enquêtes. Cette pratique, même si elle est peu connue, est globalement accueillie positivement. Mais les agriculteurs ont pointé des besoins d’expérimentation sur ces nouveaux produits, tant sur leur valeur fertilisante que sur leur contamination en résidus médicamenteux.</p>
<p>Afin de répondre pour partie à cet intérêt des agriculteurs et étudier plus en détail les différents urinofertilisants envisageables, des essais agronomiques ont été mis en place sur le plateau de Saclay dans le cadre du projet de recherche AGROCAPI (INRAE, AgroParisTech, École des Ponts). L’efficacité fertilisante de ces traitements a été testée sur différentes cultures (blé, colza et maïs grain) depuis deux ans.</p>
<p>Selon les résultats, elle est proche des engrais minéraux et supérieure à des engrais organiques classiques comme un lisier bovin. Un kilogramme d’azote contenu dans un urinofertilisant a le même effet qu’un kilogramme d’azote d’engrais minéral, à la différence de l’azote des engrais organiques (lisiers) dont l’efficacité est moindre à court terme. En complément à l’étude de la valeur fertilisante, les émissions de gaz à effet de serre, la volatilisation ammoniacale et les résidus médicamenteux sont en cours d’analyse.</p>
<p>Il reste encore du chemin avant de généraliser le recyclage de l’azote et du phosphore sur le plateau. Cet automne cependant, du pain a été produit avec le blé récolté sur les parcelles fertilisées avec de l’urine.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/310435/original/file-20200116-181589-9ht5tw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/310435/original/file-20200116-181589-9ht5tw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/310435/original/file-20200116-181589-9ht5tw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=436&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/310435/original/file-20200116-181589-9ht5tw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=436&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/310435/original/file-20200116-181589-9ht5tw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=436&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/310435/original/file-20200116-181589-9ht5tw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=548&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/310435/original/file-20200116-181589-9ht5tw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=548&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/310435/original/file-20200116-181589-9ht5tw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=548&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">La boucle est bouclée avec le pain « Boucle d’or » préparé à partir du blé des essais.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Auteurs</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Sur le plateau de Saclay, l’urine des habitants représenterait près du double des besoins des agriculteurs en fertilisant. Le cas de l’agglomération parisienne est particulièrement pertinent, car elle regroupe plus de 10 millions de personnes et est entourée de plaines céréalières très demandeuses en fertilisants. Les besoins en engrais minéraux de l’Ile-de-France pourraient être couverts <a href="https://www.leesu.fr/ocapi/wp-content/uploads/2018/10/Esculier-et-al-2018-the-biogeochemical-imprint-of-Paris-Megacity_in-press.pdf">avec l’urine de l’agglomération parisienne</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/129945/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dans le cadre de ces travaux sur la valorisatiion des urines, Florent Levavasseur a reçu des financements de l'Ademe, de la région Ile-de-France, de l'Europe, de la SEDE et du SIAAP,</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Tristan Martin a reçu des financements de l'ADEME (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie), l'université Paris-Saclay, la SEDE et le SIAAP (Syndicat interdépartemental pour l'assainissement de l'agglomération parisienne). </span></em></p>Sur le plateau de Saclay, au sud-ouest de Paris, des projets de recherche expérimentent de recycler l’urine pour la substituer aux engrais dans l’agriculture.Florent Levavasseur, Ingénieur de recherche, InraeTristan Martin, Doctorant en agronomie, InraeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1073812018-11-25T20:05:31Z2018-11-25T20:05:31ZAgriculture urbaine en France, le jeu des sept familles<p><a href="https://theconversation.com/fr/topics/agriculture-urbaine-25614">L’agriculture urbaine</a>, on en parle beaucoup, mais qu’est-ce que c’est exactement ? Quelle différence avec l’agriculture « classique » ? Quelles différences entre fermes rurales et fermes urbaines ?</p>
<p>Si plusieurs définitions – comme celle du Canadien <a href="https://idl-bnc-idrc.dspacedirect.org/bitstream/handle/10625/26429/117785.pdf?sequence=12">Luc J.A. Mougeot</a> (2000) et celle des Français <a href="https://journals.openedition.org/eue/437">Paula Nahmias et Yvon Le Caro</a> (2012) – et plusieurs typologies – comme celles proposées par le <a href="https://www.cerema.fr/fr/actualites/agriculture-urbaine-ecoquartier">Cerema</a>, <a href="http://www.afaup.org/exp-au/">Exp’AU</a> ou l’<a href="https://www.iau-idf.fr/fileadmin/NewEtudes/Etude_1478/NR_779_web.pdf">IAU</a> – ont été avancées ces dernières années, nous nous référerons ici à la définition de Mougeot, qui définit l’agriculture urbaine comme :</p>
<blockquote>
<p>« Une production située dans (intra-urbaine) ou à la frange (péri-urbaine) d’une ville, cité ou métropole qui produit, élève, transforme et distribue une diversité de produits alimentaires ou non, (ré)utilisant largement les ressources humaines et matérielles, produits et services trouvés dans et autour de la zone urbaine et fournissant des ressources humaines et matérielles, produits et services majoritairement à cette zone urbaine. »</p>
</blockquote>
<p>Pour présenter ces formes variées, nous avons choisi de jouer au jeu des sept familles, chaque catégorie d’agriculture urbaine correspondant à un groupe. Nous décrirons pour chacune l’histoire de ses formes anciennes (ancêtres et parents) et celles de ses formes actuelles (enfants).</p>
<p>Commençons les présentations sans plus tarder.</p>
<h2>1. La famille « Pieds dans le sol »</h2>
<p>Famille historique du milieu urbain, celle-ci a bien les pieds sur terre… mais les fermes de cette catégorie subissent aujourd’hui de plein fouet deux problématiques récurrentes : l’accès au foncier et la pollution.</p>
<p>On pourrait faire remonter l’ancêtre de ce premier ensemble aux potagers des nobles, à l’image du <a href="https://www.versailles-tourisme.com/visiter-et-explorer-versailles/versailles-une-ville-a-decouvrir/le-potager-du-roi">célèbre « Potager du Roy »</a>, créé au XVII<sup>e</sup> siècle à Versailles pour fournir fruits et légumes à la cour de Louis XIV.</p>
<p>Les parents en constitueraient une déclinaison populaire et commerciale, à l’image des marais du centre de Paris, qui donnèrent au XVIII<sup>e</sup> siècle naissance au mot <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/mara%C3%AEchage/68128">« maraîchage »</a>. Ces maraîchers ont été de grands initiateurs et inventeurs de techniques agricoles <a href="https://ecosociete.org/livres/le-jardinier-maraicher">encore utilisées aujourd’hui</a>. Pratiquant une agriculture intensive sur de petites surfaces, ils avaient recours aux châssis ou aux cloches en verre pour cultiver plus tôt dans la saison. Le fumier de cheval, alors abondant en ville, ou les boues urbaines faisaient partie des ressources qu’ils utilisaient couramment ; ces usages témoignent des nombreux services rendus à la ville par les maraîchers.</p>
<p>Leur descendance est aujourd’hui multiple et variée. Citons les fermes périurbaines – souvent repoussées à l’extérieur des villes à cause de la densification et de l’hygiénisation urbaines – mais qui continuent à alimenter de leurs productions les citadins, principalement en maraîchage et en petits animaux (poules, œufs, etc.). Depuis une quinzaine d’années, ces fermes connaissent un regain d’intérêt avec le développement des circuits courts et locaux, on pense ici au <a href="http://www.reseau-amap.org/amap.php">réseau des AMAPs</a>. Ces structures occupent généralement quelques hectares chacune. Dès 2010, près de la moitié des fermes françaises productrices de légumes et de miel vendaient en <a href="http://agreste.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf_primeur275.pdf">circuit court</a>.</p>
<p>Des exploitations ont toutefois réussi à s’établir ou même (mais c’est plus rare) à survivre à l’intérieur des villes grâce à une diversification de leurs activités. Certaines assument une fonction sociale, en menant par exemple des actions d’insertion pour les personnes éloignées de l’emploi (comme dans les jardins de l’<a href="https://aurore.asso.fr/documents/325">association Aurore</a>) ; d’autres s’investissent dans la pédagogie (<a href="https://www.veniverdi.fr/">Veni Verdi</a> pour la production maraîchère, <a href="https://www.bergersurbains.com/">Bergers urbains</a> pour le pastoralisme urbain) ou l’événementiel culturel (<a href="http://www.lafermedubonheur.fr/">La ferme du bonheur</a>).</p>
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<iframe src="https://player.vimeo.com/video/182117098" width="500" height="281" frameborder="0" webkitallowfullscreen="" mozallowfullscreen="" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le jardin du collège Pierre Mendès France, à Paris, suivi par l’association Veni Verdi. (Michèle Foin/Vimeo, 2016).</span></figcaption>
</figure>
<p>Les descendants les plus proches des maraîchers d’antan travaillent dans des fermes à fonction productive (comme <a href="https://www.unidivers.fr/perma-grennes-ferme-rennes/">Perma G’Rennes</a>), situées sur d’anciennes terres agricoles, dans des écoles ou des parcs dotés de surfaces plus ou moins importantes (de quelques centaines de m<sup>2</sup> à 1 ou 2 hectares).</p>
<h2>2. La famille « Tête en l’air »</h2>
<p>Une famille nouvelle ? Que nenni, on recensait déjà des terrasses hébergeant des végétaux sur les toits égyptiens, comme en témoignent certaines images du livre <a href="https://books.openedition.org/iremam/3078?lang=fr"><em>Palais et Maisons du Caire</em></a>, consacré à l’architecture du XIII<sup>e</sup> au XVI<sup>e</sup> siècles. Plus proche de nous, ce sont les ruches qui ont colonisé les toits de nombreux bâtiments publics ou privés, assurant une <a href="http://www.naturabee.com/">production de miel urbain</a>.</p>
<p>On observe depuis les années 1980, un intérêt grandissant pour les toitures végétalisées (non productives d’aliments). Aujourd’hui, la descendance « agricole » de cette famille comprend notamment les fermes à visée sociale – que ce soit avec une dimension d’insertion (<a href="https://www.fondation.veolia.com/fr/culticime-est-un-accelerateur-d-insertion">Culticimes</a>), de pédagogie et d’expérimentation (le toit d’<a href="http://www2.agroparistech.fr/Galerie-photo-du-toit.html">AgroParisTech</a>) ou d’événementiel (<a href="https://www.lejardinsuspendu.paris/">Jardins suspendus</a>). On y retrouve aussi des fermes à fonction productive (<a href="https://aeromate.fr/">Aéromate</a>, <a href="http://agripolis.eu/">AgriPolis</a>).</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/LZt_6gH0Vis?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Interview de Louise Doulliet, co-fondatrice de la startup Aéromate. (Supbiotech/YouTube, 2017).</span></figcaption>
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<p>En raison de leur localisation en toiture et du fait que ces surfaces ne sont pas aussi étendues que celles au sol, les fermes « Têtes en l’air » ont des besoins spécifiques. Aujourd’hui, les potagers en toiture peuvent être vus comme une solution face aux problématiques d’accès au foncier et de sols pollués, si bien que dans un nombre croissant de villes d’ailleurs, les nouvelles constructions anticipent leur présence. Néanmoins, de nombreuses questions subsistent, notamment au sujet de leur conception et aux <a href="https://theconversation.com/toits-potagers-en-ville-ce-nest-pas-que-pour-faire-joli-88457">supports de culture utilisés</a>.</p>
<h2>3. La famille « Verticale »</h2>
<p>Se servir des parois pour cultiver, la tâche semble périlleuse et pourtant les <a href="http://www.montreuil.fr/la-ville/histoire-de-la-ville/histoire-des-murs-a-peches/">murs à pêches de Montreuil</a> étaient mondialement connus <a href="https://www.liberation.fr/debats/2018/06/01/pour-que-vivent-les-murs-a-peches_1655867">au XIXᵉ siècle</a> pour leur production de qualité ; ces fruits étaient exportés jusqu’à la cour du Tsar de Russie. Quant à la vigne, elle se plaît à grimper sur les murets et autres treilles depuis l’Antiquité.</p>
<p>Les <a href="http://www1.rfi.fr/francefr/articles/113/article_81462.asp">murs végétalisés</a> à visée décorative se multiplient depuis les années 1990-2000, dans les musées, les hôpitaux ou sur les grands magasins. Aujourd’hui, on retrouve des <a href="http://www.souslesfraises.com/">murs productifs</a> pour du maraîchage ou <a href="http://www.leparisien.fr/paris-75/paris-un-mur-de-houblon-sur-l-opera-bastille-28-03-2018-7633710.php">du houblon</a>, en accompagnement du développement des micro-brasseries urbaines. Les murs sont aussi utilisés par les fermes événementielles sur les toits. Cette famille reste néanmoins plus discrète que les deux précédentes.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"965272724624035844"}"></div></p>
<h2>4. La famille « Sous cloche »</h2>
<p>Les productions sous serre permettent d’étendre la période de production des fruits et légumes. Les nobles auront été les premiers à en profiter, avec les orangeries et les jardins d’hiver. Au XIX<sup>e</sup> siècle, les serres d’Auteuil et <a href="https://www.mnhn.fr/fr/collections/ensembles-collections/collections-vivantes/jardin-plantes">celles du Jardin des plantes</a> seront elles construites pour assurer la conservation des variétés et espèces constituant des collections végétales.</p>
<p>Aujourd’hui, les serres sont toujours très utilisées en agriculture – qui n’a pas entendu parler des immenses <a href="https://www.nationalgeographic.fr/photography/2017/10/les-pays-bas-centre-de-toutes-les-innovations-agricoles?image=14_hunger_solution_sidebars_MM8473_170228_20170">productions en Hollande</a> – mais elles s’étendent également en ville à des fins productives, directement au sol (<a href="https://www.skygreens.com">Skygreen</a>) ou sur des immeubles (<a href="https://montreal.lufa.com/fr/">Les Fermes Lufa</a>, <a href="http://thenewfarm.nl/en/the-building/">The New Farm</a>). Elles peuvent aussi avoir une fonction pédagogique et expérimentale ou d’insertion et de pédagogie alimentaire (comme à la <a href="http://www.ville-romainville.fr/1076-tour-maraichere.htm">Cité maraîchère</a> de Romainville).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/247042/original/file-20181123-149326-1q9ugpr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/247042/original/file-20181123-149326-1q9ugpr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=341&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/247042/original/file-20181123-149326-1q9ugpr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=341&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/247042/original/file-20181123-149326-1q9ugpr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=341&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/247042/original/file-20181123-149326-1q9ugpr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=429&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/247042/original/file-20181123-149326-1q9ugpr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=429&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/247042/original/file-20181123-149326-1q9ugpr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=429&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Culture de chou kale sous serre dans les Fermes de Loufa, à Montréal.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.facebook.com/lesfermeslufa/photos/a.541716065891648/2044177178978855/?type=3&theater">Page Facebook Les Fermes Lufa</a></span>
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</figure>
<p>Une autre forme de serre concerne l’aquaponie, qui allie production maraîchère et élevage de poissons. Cette production peut se faire sur substrat vivant (à pouvoir fertilisant pour les plantes) dans des bacs, mais elle se fait surtout sur substrat neutre, dans des systèmes hydroponiques où l’on apporte, via l’eau, les éléments nécessaires aux plantes (et aux poissons quand il y en a). Cette production fait actuellement l’objet d’un <a href="https://projetapiva.wordpress.com/">projet national de recherche</a>.</p>
<h2>5. La famille « À l’ombre »</h2>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/247043/original/file-20181123-149326-ufvu1n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/247043/original/file-20181123-149326-ufvu1n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/247043/original/file-20181123-149326-ufvu1n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/247043/original/file-20181123-149326-ufvu1n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/247043/original/file-20181123-149326-ufvu1n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/247043/original/file-20181123-149326-ufvu1n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/247043/original/file-20181123-149326-ufvu1n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La Boîte à champignons.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Agnès Lelièvre</span></span>
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<p>Les ancêtres de cette famille se sont développés en sous-sol, avec les champignonnières et la production d’endives. On les appelle « produits de cave », très répandus en <a href="https://www.iledefrance.fr/toutes-les-actualites/profession-champignonniste">Île-de-France</a>. Les parents ont très peu évolué concernant leurs produits, mais davantage sur les systèmes de production. Leurs enfants ont repris l’affaire familiale en la diversifiant (on pense au système des micro-pousses) et surtout en valorisant les nouveaux déchets organiques de la ville, tel le marc de café. L’orientation est majoritairement productive (<a href="https://www.laboiteachampignons.com/">Boîte à champignons</a>, <a href="https://lacaverne.co/">La Caverne</a>).</p>
<p>Un parent <em>high tech</em> en bâtiment est apparu ces dernières années : ici, tout est contrôlé (lumière, atmosphère…) en s’appuyant sur les progrès réalisés dans la recherche spatiale. Ses enfants ont, de leur côté, adopté des bâtiments déjà existants ou recyclés à partir de containers (<a href="https://agricool.co/">Agricool</a>, <a href="http://lafarmbox.com/">Farmbox</a>). Cette famille connaît un fort développement dans certains pays où la densité urbaine est intense ou le climat très contraignant. En France, il permet de recoloniser certains espaces, comme des parkings inutilisés, ou de mettre en place des fermes mobiles selon les besoins.</p>
<h2>6. La famille « Vivement dimanche »</h2>
<p>L’ancêtre du jardin individuel a donné naissance aux jardins privés, mais aussi au jardinage de groupe avec les jardins ouvriers de la fin du XIX<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Les enfants de cette famille poursuivent la pratique du jardin privé (balcon, terrasse, au sol) qui peut être <a href="https://www.bastamag.net/L-extraordinaire-productivite-d-un-petit-potager-de-50-m2-un-exemple-pour">très productive</a> et du jardinage en groupe qui rassemble les <a href="https://www.nantes.fr/jardins-collectifs">jardins partagés</a>, les jardins <a href="http://www.jardins-familiaux.asso.fr/nos-associations.html">familiaux</a> et de multiples <a href="https://www.regiedequartier.org/chantiers/si-tes-jardin/">expériences hybrides</a>. Si le jardinage privé a une dimension productive, le jardinage de groupe ajoute une dimension sociale et pédagogique à l’expérience.</p>
<p>Cette famille a connu un fort développement depuis le XX<sup>e</sup> siècle et un <a href="https://editions.educagri.fr/livres/4715-jardins-collectifs-urbains-parcours-des-innovations-potageres-et-sociales.html">intérêt grandissant aujourd’hui</a>, tout particulièrement concernant le jardinage de groupe. On compte ainsi plus de 1000 sites de jardins collectifs en Île-de-France, occupant <a href="https://www.iau-idf.fr/savoir-faire/nos-travaux/edition/la-renaissance-des-jardins-collectifs-franciliens.html">au moins 900 hectares</a>, alors que le maraîchage professionnel n’occupe plus qu’environ <a href="http://agreste.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/R1118C01.pdf">5000 hectares</a>. Un vrai succès même s’il reste aujourd’hui difficile d’obtenir un espace où cultiver en ville ou à ses abords, comme en témoignent les longues listes d’attente pour accéder à un jardin familial ou partagé.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/247045/original/file-20181123-149308-1v2erh5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/247045/original/file-20181123-149308-1v2erh5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=334&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/247045/original/file-20181123-149308-1v2erh5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=334&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/247045/original/file-20181123-149308-1v2erh5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=334&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/247045/original/file-20181123-149308-1v2erh5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=420&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/247045/original/file-20181123-149308-1v2erh5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=420&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/247045/original/file-20181123-149308-1v2erh5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=420&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Jardins familiaux dans le parc des Lilas à Vitry-sur-Seine (94).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Agnès Lelièvre</span></span>
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<h2>7. La famille « Libre-service »</h2>
<p>Portée par des mouvements comme <a href="http://guerilla-gardening-france.fr/wordpress/">Guerrilla gardening</a>, qui dans les années 1970 aux États-Unis lançait la reconquête du béton par la végétation, cette dernière famille est revendicative, inventive et conquérante.</p>
<p>Elle a donné naissance à une progéniture active qui cherche à mettre en place une production végétale dans les espaces publics pour que chacun puisse en profiter. On y retrouve des mouvements internationaux, comme les <a href="https://www.incredibleedible.org.uk/">Incroyables comestibles</a>, mais aussi des initiatives des villes elles-mêmes (<a href="https://www.paris.fr/permisdevegetaliser">permis de végétaliser</a>, réintroduction d’arbres fruitiers dans les parcs). Si cette famille demeure encore modeste, son avenir semble radieux à mesure que les collectivités s’emparent de ses idées.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/107381/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Murs végétaux, toits potagers, champignons dans les parkings ou brebis dans les rues d’Aubervilliers, l’agriculture urbaine adopte des formes multiples. Décryptage d’un monde en pleine germination !Agnès Lelièvre, Maître de conférences en agronomie, AgroParisTech – Université Paris-SaclayBaptiste Grard, Chercheur postdoctoral, AgroParisTech – Université Paris-SaclayChristine Aubry, Responsable de l’équipe de recherche « Agricultures urbaines », AgroParisTech – Université Paris-SaclayVéronique Saint-Ges, Économiste, InraeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/919452018-03-01T21:17:35Z2018-03-01T21:17:35ZGluten : mythe ou réalité ? À la recherche des personnes hypersensibles<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/208245/original/file-20180228-36671-1kmcfl7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Selon l’Insee, 3 % des Français auraient banni le gluten de leur alimentation. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/woman-stomach-ache-because-gastritis-menstruation-525041650?src=QSAwbj872_KAUvNue11hzQ-1-31">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Depuis plus de 8 500 ans, la présence des céréales comme base du régime alimentaire des humains permet de couvrir plus de <a href="https://www.cabi.org/cabebooks/ebook/20103205516">20 % de nos apports</a> en protéines.</p>
<p>Mais on observe ces dernières années un nombre croissant d’individus présentant des pathologies liées à l’ingestion de gluten, cet ensemble de protéines présent dans les grains de nombreuses céréales. C’est <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/19362553">quatre fois plus</a> qu’il y a 50 ans.</p>
<p>Les consommateurs sont inquiets, ce qui contribue à expliquer pourquoi, selon les données 2017 de l’Insee, 3 % des Français ont déjà supprimé le gluten de leur alimentation tandis que les ventes de produits sans gluten explosent (plus 30 à 50 % par an depuis 2009, selon le magazine spécialisé <em>LSA</em>). Même si d’autres motivations, de nature sociologique, doivent être prises en compte pour expliquer ces nouveaux comportements.</p>
<h2>Utile pour la plante… et l’agroalimentaire</h2>
<p>Le terme latin <em>gluten</em> signifie « colle » ou « glu » ; il désigne la fraction protéique insoluble de certaines céréales constituée de deux types de protéines : les prolamines et les glutélines (respectivement gliadines et gluténines chez le blé).</p>
<p>Ces protéines ont tout d’abord un intérêt pour la plante : elles servent de réserve nutritive lors de la germination du grain pour donner une plantule vigoureuse. Elles ont aussi un intérêt pour l’industrie agroalimentaire en conférant à la pâte à pain ses capacités de cohésion, d’élasticité, de ténacité et de rétention des gaz.</p>
<p>La boulangerie industrielle rajoute ainsi souvent du gluten pur sec dans la farine pour donner son « gonflant » à la pâte. Mais peu de chiffres précis sont disponibles aujourd’hui sur ces glutens rajoutés, leur utilisation par les boulangers, leur qualité sanitaire et leur impact sur la santé humaine.</p>
<h2>Les maladies du gluten</h2>
<p>On distingue aujourd’hui trois types de pathologies liées à l’ingestion de gluten.</p>
<p>Premier type, la maladie cœliaque (ou intolérance au gluten) : cette maladie auto-immune se traduit par des lésions de l’intestin grêle provoquant un trouble de l’absorption, ou malabsorption, des nutriments. Son diagnostic est possible par dosage d’anticorps spécifiques de la maladie et par biopsie. Elle touche environ <a href="https://jamanetwork.com/journals/jamainternalmedicine/fullarticle/215079">1 % de la population mondiale</a> ; en France, seulement 10 à 20 % des cas seraient diagnostiqués.</p>
<p>Second type, l’allergie au blé : elle se manifeste par des troubles cutanés, digestifs ou respiratoires (« asthme du boulanger ») ; un dosage des immunoglobulines E est utilisé pour le diagnostic. <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/18378288">Quelques travaux</a> font état d’une prévalence de l’ordre de 0,1 à 0,6 % en Europe.</p>
<p>Enfin, l’hypersensibilité au gluten (ou NCGS pour <em>non-cœliac gluten sensibility</em>). Cette pathologie concernerait un grand nombre de personnes présentant des symptômes variés (douleurs abdominales, brûlures épigastriques, nausées, diarrhées, constipation, maux de tête, fatigue…).</p>
<p>Si pour la maladie cœliaque et l’allergie au blé, il est possible de réaliser des dosages d’anticorps, d’IgE ou des biopsies pour prouver la présence de la maladie, aucune de ces analyses ne se révélera positive dans les cas d’hypersensibilité au gluten. Les médecins doivent donc continuer à rechercher des « marqueurs » de cette hypersensibilité, c’est-à-dire des manières de l’identifier grâce à des critères sérologiques ou histopathologiques ; pour l’instant, rien n’a été trouvé.</p>
<p>Les chiffres sont ici encore difficiles à établir : selon les études, on parle de <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4476872/#B84">0,5 % à 13 %</a> de personnes se plaignant de cette pathologie.</p>
<h2>Une recherche en cours sur l’hypersensibilité</h2>
<p>Dans le cas de la maladie cœliaque ou de l’allergie au blé, seul un régime alimentaire strict sans gluten permettra d’éviter la manifestation des symptômes. L’hypersensibilité constitue, elle, un cas de figure différent.</p>
<p>En 2012, des membres du <a href="http://www.bio-aude.com/le_biocivam_11_3.php">Biocivam 11</a>, une association de producteurs bio de l’Aude, ont conduit une enquête sur cette pathologie ; ils avaient été sollicités en ce sens par des paysans boulangers et pastiers dont les clients déclaraient pouvoir manger les produits vendus par ces professionnels alors même qu’ils présentaient d’habitude des symptômes d’hypersensibilité au gluten.</p>
<p>Ces personnes ont donc été interrogées sur les produits à base de blé qu’elles pouvaient ingérer sans problème ; l’enquête montre qu’il s’agit fréquemment de pâtes et pains au levain confectionnés à partir de semoules ou farines issues de blé de variétés locales, cultivées en agriculture biologique, écrasées sur meules de pierre et transformées sans additif.</p>
<p>À la suite de ces premiers résultats, agriculteurs, meuniers, boulangers, pastiers des filières industrielles, artisanales et paysannes, conseillers, médecins, consommateurs, personnes souffrant de NCGS et plusieurs équipes de recherche, dont la nôtre, ont décidé de s’associer ; nous collaborons tous désormais à un vaste projet de recherche sur plusieurs années, dont l’objectif est d’identifier les éventuels déterminants génétique, agronomique, technologique et sociologique de cette hypersensibilité.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/208242/original/file-20180228-36686-1y4nqi3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/208242/original/file-20180228-36686-1y4nqi3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/208242/original/file-20180228-36686-1y4nqi3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/208242/original/file-20180228-36686-1y4nqi3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/208242/original/file-20180228-36686-1y4nqi3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/208242/original/file-20180228-36686-1y4nqi3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/208242/original/file-20180228-36686-1y4nqi3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les ventes de produits sans gluten ont augmenté de 30 à 50 % depuis 2009 en France.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/AumHYHRn2AM">Ben Garratt/Unsplash</a></span>
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</figure>
<h2>Variétés de blé et modes de culture : quelles implications ?</h2>
<p>La sélection des blés s’est fortement développée au cours du XX<sup>e</sup> siècle pour satisfaire les exigences des agriculteurs (rendement plus élevé et résistance aux maladies) et celles de la filière agroalimentaire industrielle (meilleure adéquation aux usages de la panification, biscuiterie, amidonnerie et aux évolutions technologiques comme l’augmentation de la vitesse des pétrins, la surgélation ou encore la cuisson-extrusion).</p>
<p>Des études comparant les blés dits « modernes », cultivés depuis les années 1950 – période à laquelle ont été introduits des gènes de nanisme pour raccourcir la paille de blé et éviter ainsi que la plante ne se couche sur le sol – et les blés plus anciens montrent que la « toxicité » serait davantage <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3469346/">liée à la variété</a> qu’à une période précise de l’histoire durant laquelle ils ont été sélectionnés.</p>
<p>Mais une importante variabilité génétique entre les variétés actuelles et celles cultivées au début du XX<sup>e</sup> siècle a été <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1161030116301009#!">mise en évidence</a>. Les principales différences tiennent à la quantités de fibres, de polyphénols, de flavonoïdes et de caroténoïdes, ainsi qu’au degré d’activité anti-oxydante présent dans le grain de blé.</p>
<p>D’autres différences entre variétés s’observent au niveau de leurs gliadines, un des deux types de protéines composant le gluten. Des résultats préliminaires montrent une diversité importante pour la <a href="https://prodinra.inra.fr/?locale=en#!ConsultNotice:263175">teneur en 33-mer</a>, un des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Peptide">peptides</a> considéré comme nocif dans la maladie cœliaque, donc, a fortiori, dans l’hypersensibilité.</p>
<p>Cependant, de multiples familles de gliadines peuvent être impliquées dans la manifestation de la maladie cœliaque. Quelques variétés de blé dur présentant une faible « toxicité » ont pu être identifiées, permettant d’envisager un programme de sélection de variétés adaptées aux personnes hypersensibles.</p>
<p>Le projet de recherche que nous conduisons vise à comparer les variétés de blés tendres et de blés durs recommandées par la meunerie, semoulerie et boulangerie industrielles et celles utilisées par la filière paysanne pour leur teneur et composition des glutens.</p>
<p>Des chercheurs ont par ailleurs <a href="http://www.academia.edu/32690890/A_Grounded_Guide_to_Gluten_How_Modern_Genotypes_and_Processing_Impact_Wheat_Sensitivity">montré que l’allergénicité</a> d’une variété de blé, liée à un type de gliadine, peut varier en fonction de son environnement de culture (comme le niveau de fertilisation ou la température). Nos travaux visent également à comparer l’impact de deux systèmes de culture – bio et conventionnel – sur l’allergénicité d’un grand nombre de variétés.</p>
<h2>Procédés de transformation : quelles implications ?</h2>
<p>Peu d’études montrent l’impact de procédés de transformation sur les composantes du produit fini et leur éventuelle toxicité.</p>
<p>Nous proposons donc d’étudier dans notre recherche en cours les procédés industriels, dans leurs différences d’avec les procédés artisanaux ; ces particularités concernent, pour les procédés industriels : l’utilisation de grains non germés, le remplacement des processus lents de fermentation par l’utilisation de levure à effet rapide, l’absence de conditions acides et d’hydratation prolongée, l’addition de gluten pur dans les produits finis, l’utilisation de farines blanches raffinées, des vitesses de pétrissage rapides, une cuisson à haute température.</p>
<p>L’une de nos hypothèses est ainsi que le levain contenant des protéases actives permettrait une fragmentation du gluten pouvant faciliter sa digestion, au niveau du pancréas, par les protéases pancréatiques ; de même, une hydratation importante de la farine semble aussi indispensable à une bonne dénaturation des protéines.</p>
<h2>Appel aux hypersensibles</h2>
<p>Notre projet de recherche vise, comme on vient de l’énoncer, à identifier les principaux facteurs qui pourraient avoir une incidence sur la quantité et la qualité du gluten. Parmi ces facteurs, les variétés, le système de culture et le processus de transformation seront testés pour leur impact sur la digestibilité des pains et pâtes.</p>
<p>L’ensemble du processus de fabrication (de la fourche… à la fourchette) est ici considéré. Il sera testé auprès de personnes dont l’hypersensibilité a été reconnue au niveau médical.</p>
<p>L’objectif de ces travaux de recherche est de favoriser l’accès à des produits de qualité à base de blé ne générant pas d’intolérance alimentaire et d’accompagner, pour cela, les filières céréalières.</p>
<p>Soulignons enfin qu’il s’agit d’une recherche participative : c’est pour cela que nous lançons avec cet article un appel aux personnes déclarant être hypersensibles au gluten et volontaires pour être impliquées dans nos travaux (pour plus d’informations, merci d’envoyer un courriel à <a href="mailto:biocivam.animation@orange.fr">biocivam.animation@orange.fr</a>).</p>
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<p><em><a href="http://www.bio-aude.com/moyens_du_biocivam_de_l_aude_28.php">Kristel Moinet</a> (Biocivam) a participé à la rédaction de cet article</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/91945/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dominique Desclaux reçoit des financements de la Fondation de France pour conduire ses travaux sur l’hypersensibilité au gluten. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Marie-Françoise Samson a reçu des financements de la Fondation de France. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Yuna Chiffoleau va recevoir des financements de la Fondation de France pour mener des enquêtes auprès de consommateurs de produits céréaliers et de clients des filières artisanales. </span></em></p>On observe un nombre croissant d’individus présentant des pathologies liées à l’ingestion de gluten. Parmi ces maladies, l’hypersensibilité, qui fait l’objet d’un vaste projet de recherche.Dominique Desclaux, Chercheuse en agronomique et génétique, InraeMarie-Françoise Samson, Chercheuse en biochimie alimentaire, InraeYuna Chiffoleau, Directrice de recherche en sociologie, InraeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/925262018-02-27T22:17:02Z2018-02-27T22:17:02ZRegards croisés sur « l’humanité carnivore »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/208128/original/file-20180227-36677-16937kl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C0%2C1217%2C926&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">« Le quartier de viande », de Claude Monet, vers 1864. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Nature_morte_(Monet)#/media/File:Monet_-_Stilleben_mit_Fleisch.jpg">Wikipedia</a></span></figcaption></figure><p><em>Ce texte est publié en partenariat avec <a href="http://revue-sesame-inra.fr/">« Sesame »</a>, revue semestrielle éditée par la Mission Agrobiosciences-INRA, qui s’intéresse aux questions alimentaires, agricoles et environnementales. Pour cet entretien dont nous publions un extrait, la rédaction de Sesame a convié les philosophes Catherine Larrère et Florence Burgat à débattre de notre alimentation carnée, à l’occasion de la parution en 2017 de l’ouvrage de Florence Burgat, <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/l-humanite-carnivore-florence-burgat/9782021332902">« L’Humanité carnivore »</a>.</em> </p>
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<p><strong>Revue <em>Sesame</em> : Florence Burgat, pourquoi avoir écrit ce livre et pourquoi ce titre, <em>L’Humanité carnivore</em>, alors que l’on dit de l’homme qu’il est omnivore ?</strong></p>
<p><strong>Florence Burgat :</strong> Ce livre s’inscrit dans le prolongement de recherches que je mène depuis une vingtaine d’années. J’ai essayé d’écrire un ouvrage de fond qui pose une question qui, à mon avis, n’est pas véritablement posée : pourquoi l’humanité est-elle carnivore ? Nombre de disciplines comme la nutrition, l’histoire et la sociologie de l’alimentation ont répondu à cette question et apportent des éclairages mais, malgré cela, il m’a semblé qu’il restait un noyau qui n’était pas interrogé et qui le mérite pourtant.</p>
<p><strong>Catherine Larrère :</strong> La consommation de viande, la condition animale sont des sujets sensibles, et le livre de Florence est un travail de très grande qualité, accessible à beaucoup. Extrêmement clair et très argumenté, il va dans le sens de mon travail sur la nature. Il est très important que sur des questions d’actualité, on ne cède pas sur l’importance d’une réflexion de fond.</p>
<p><strong>F. Burgat :</strong> Ma question est « Pourquoi l’humanité mange-t-elle des animaux ? », et non « pourquoi mange-t-elle de la viande ? ». Je ne parle pas ici d’un régime alimentaire, qui est effectivement omnivore, mais bien du fait que l’humanité a institué l’alimentation carnée. Par ailleurs, l’humanité carnivore est un thème qui apparaît dans la littérature, dans les mythes…</p>
<p><strong>C. Larrère :</strong> Je rappellerai la distinction entre carnassier et carnivore. Si l’humanité ne mangeait que de la viande par besoin physiologique, comme le font les loups, les chats, elle serait carnassière. Carnivore signifie que l’on mange de la viande, avec une référence qui dépasse de beaucoup l’apport de protéines dans un régime omnivore. D’où la question que se pose Florence : alors que l’humanité est omnivore, pourquoi la consommation de viande a-t-elle un rôle central, et non anecdotique ou passager ? Elle l’aborde philosophiquement, comme une question sur l’humanité dans son unité et son rapport, ou son absence de rapport à sa nature.</p>
<p><strong>F. Burgat :</strong> C’est cela. Car même si l’humanité était physiologiquement carnassière, elle pourrait souhaiter moralement s’écarter de cette nature, comme elle le fait par exemple pour la reproduction. Mais il n’en est rien. Alors que l’humanité peut désormais choisir son régime et où elle peut se passer de viande, puisque que nous disposons des connaissances en nutrition et de savoir-faire, pourquoi choisit-elle de manger des animaux dans des proportions qui vont de façon croissante ? L’institution de l’alimentation carnée se radicalise, se développe et s’universalise. La question de l’humanité carnivore se pose donc encore plus nettement aujourd’hui. C’est là que l’on s’écarte d’une question simplement biologique ou nutritionnelle.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/208138/original/file-20180227-36671-b3mk2g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/208138/original/file-20180227-36671-b3mk2g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=332&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/208138/original/file-20180227-36671-b3mk2g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=332&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/208138/original/file-20180227-36671-b3mk2g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=332&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/208138/original/file-20180227-36671-b3mk2g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=417&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/208138/original/file-20180227-36671-b3mk2g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=417&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/208138/original/file-20180227-36671-b3mk2g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=417&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Fresque égyptienne présente dans la Tombe d’Idout (2374 à 2140 av. J.-C.).</span>
<span class="attribution"><span class="source">DR</span></span>
</figcaption>
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<h2>Légal ou moral ?</h2>
<p><strong>Revue <em>Sesame</em> : Ce n’est donc pas l’industrialisation qui vous pose problème, mais le fait que l’homme mange des animaux…</strong></p>
<p><strong>F. Burgat :</strong> Je n’ai pas écrit ce livre pour faire une critique de l’industrialisation, par ailleurs bien développée et débattue. Le tournant industriel est suffisamment documenté, dans la façon dont l’élevage se trouve modifié et dans l’impact du développement des savoirs biologiques, de la génétique, etc. Ce que j’ai voulu interroger c’est, d’une part, ce rapport très ancien – je pars de la préhistoire – et, d’autre part, les sociétés dont les modes de consommation sont très différents des nôtres. En fait, le tournant industriel n’est pas une rupture, puisque l’élevage des animaux pour la consommation passe par un certain nombre de pratiques peu différentes en elles-mêmes de celles de l’élevage industriel, mais qui pèsent plutôt sur le nombre d’animaux. La contention, les mutilations, l’isolement, etc. sont autant de pratiques d’élevage que l’on retrouve, par exemple, chez les Romains.</p>
<p><strong>C. Larrère :</strong> Là, il peut y avoir désaccord entre les positions de Florence et les miennes. Mon mari, Raphaël Larrère, et moi faisons partie de ceux qui ont critiqué l’industrialisation de l’élevage, la mécanisation que représente la zootechnie. La critique ne porte donc pas simplement sur des pratiques, mais aussi sur des savoirs et ce qui est enseigné. Alors, continuité ou rupture, large débat… Mais je pense qu’il y a dans l’industrialisation actuelle de l’élevage, non pas une rupture, mais une dérive et un abus extrêmes qui posent des problèmes spécifiques. Nous sommes à un moment où les questions d’élevage recoupent très fortement les questions environnementales.</p>
<p><strong>F. Burgat :</strong> Dans le même temps, on peut se demander ce que l’élevage pourrait être d’autre qu’industriel pour nourrir autant de gens qui veulent manger autant de viande aussi peu chère.</p>
<p><br><strong>Revue <em>Sésame</em> : Ne voyez-vous pas émerger quand même un changement de regard de la société sur la souffrance ou le bien-être animal, suite notamment à la diffusion d’images volées dans les abattoirs ?</strong></p>
<p><strong>F. Burgat :</strong> Un débat s’est installé et je crois que sa légitimité est reconnue. En même temps, en réponse à ce débat, on assiste souvent à la mise en place d’une rhétorique qui occulte les problèmes. L’inflation du terme « bien-être » s’agissant par exemple des animaux dans les abattoirs n’a pas de sens ! J’ai l’impression que ce qui est aujourd’hui instillé dans l’esprit du plus grand nombre, c’est que ce qui a été montré dans les abattoirs pourrait être, d’une certaine manière, extirpé du processus tout en laissant le processus intact. Il y a, là, une croyance qui n’est pas valide. Donc je crois que si on veut prendre en main le problème, c’est tout un mode de vie et d’alimentation qui doit être revu.</p>
<p><strong>C. Larrère :</strong> Il faut aussi insister sur la transformation importante des sensibilités vis-à-vis de la question animale. Non seulement les animaux sont des êtres sensibles, comme cela est désormais inscrit au code civil, mais les images des abattoirs posent aussi une question entre ce qui légal et ce qui est moral. La sensibilisation du public se fait non seulement pour condamner la non-application de la loi mais aussi pour montrer que la loi, telle qu’elle est, conduit à des actes immoraux.</p>
<p><br><strong>Revue <em>Sesame</em> : Par ailleurs, vous réinterrogez le fameux « L’homme ne mange que ce qui est bon à penser » enseigné par les sciences sociales.</strong></p>
<p><strong>F. Burgat :</strong> Pour être plus précise, le titre du chapitre sur les sciences sociales est : « Quand le bon à manger est bon à penser comme bon à manger ». Comme je l’ai dit, les approches disciplinaires qui se sont emparées de cette question ne permettent pas de penser l’animal dans la viande. C’est inhérent à leur objet de recherche et à leur méthodologie, qui consiste à réfléchir à l’animal une fois qu’il est déjà passé du côté de la cuisine. Donc si les sciences sociales ont montré que les hommes ne mangent pas n’importe quoi, encore que la palette de l’alimentation peut varier considérablement d’une société à l’autre et d’une époque à l’autre, il y a toujours du bon à penser, c’est-à-dire une signification qu’on ajoute. Mais, au fond, ce bon à penser revient toujours en boucle vers le bon à manger. On est donc dans une circularité qui ne permet pas de penser la place de l’animal. Cela laisse dans l’ombre le cœur même de ce qui est à penser, et que Pythagore puis Plutarque nomment le « meurtre alimentaire ».</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/208144/original/file-20180227-36674-d1pi75.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/208144/original/file-20180227-36674-d1pi75.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/208144/original/file-20180227-36674-d1pi75.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/208144/original/file-20180227-36674-d1pi75.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/208144/original/file-20180227-36674-d1pi75.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/208144/original/file-20180227-36674-d1pi75.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/208144/original/file-20180227-36674-d1pi75.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Image réalisée par l’association de protection animale L214 dans un abattoir francilien en 2016.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.l214.com/enquetes/2017/abattoir-made-in-france/houdan/">L214</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Nature et culture</h2>
<p><strong>C. Larrère :</strong> Dit autrement, nous ne mangeons pas de l’animal, mais de la viande. Nous ne mangeons pas un individu singularisé, mais une matière. On demande du steak haché au boucher. Dans le langage même et dans la pensée, il y a une transformation entre les animaux et ce que nous allons trouver dans notre assiette au point que, dans certaines langues, l’animal sur pied n’a pas le même nom que celui dans l’assiette – <em>pig/pork</em>, cochon/porc. On peut dire de cette transformation qu’elle est une dissimulation, une façon de nous cacher que nous mangeons quelque chose qui était vivant, individualisé, sympathique, etc. Pour ma part, j’ajouterais que nous ne mangeons pas de la nature, nous mangeons de la culture. Par exemple, Braudel parle des « plantes de civilisation ». Ainsi le thé est bon à penser car, plus qu’une simple feuille séchée que l’on infuse, il est entouré de quantité de pratiques, de toute une culture. On peut le dire aussi de l’importance de la viande dans notre culture, plus que des légumes, car elle est liée à des pratiques, à des formes de repas, à de la littérature, à des recettes de cuisine, etc. On peut donc voir cette question de deux façons : comme Florence, pour qui le bon à penser est une façon de dissimuler ce qui est réellement mangé, par une opération intellectuelle complexe (le langage et quantité d’autres formes). Mais aussi, le bon à penser dans le sens où manger est un acte culturel s’accompagnant de tout un réseau de significations qui se construit autour de la viande. Quand je dis que l’alimentation est culturelle, je veux dire que, même si l’élevage est orienté vers la mort animale, il peut avoir des retombées positives dans notre rapport avec les animaux que ce livre ne permet pas de comprendre. Florence a tendance à penser qu’à trop insister sur la culture, on passe à côté de la chose même.</p>
<p><strong>F. Burgat :</strong> C’est ça. Toutes ces constructions mentales et techniques, ces habillages aboutissent à autonomiser ce qu’on appelle la viande. Même le poulet mort n’est plus un poulet. C’est déjà quelque chose d’autre, une forme refermée sur elle-même. Une opération presque magique mais qui fonctionne.</p>
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<p><em>Retrouvez <a href="http://revue-sesame-inra.fr/peches-de-chair-au-nom-dune-humanite-carnivore/">l’intégralité de cette interview</a> sur le site de Sesame</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/92526/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Invitées par la revue « Sesame », les philosophes Florence Burgat et Catherine Larrère débattent du fait de « manger des animaux ».Florence Burgat, Philosophe, directrice de recherche, InraeCatherine Larrère, Professeur des universités en philosophie, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/923032018-02-25T20:18:10Z2018-02-25T20:18:10ZFromages : pourquoi les microbes sont les meilleurs alliés du goût<p>On entend souvent parler de l’influence des guides des vins anglo-saxons sur l’uniformisation des goûts ; une uniformisation qui conduit à la perte de la typicité de certains vignobles, contraints de s’aligner sur la tendance dominante pour vendre et survivre.</p>
<p>Si les causes diffèrent, un phénomène comparable, que l’on peut faire remonter aux années 1970, a touché les plateaux de fromages. À cette époque, le secteur de la production laitière connaît en effet une forte industrialisation ; il s’agissait de répondre à la demande d’une population croissante et aux mutations des circuits de distribution dans les pays occidentaux. Les consommateurs réclamaient aussi des produits plus homogènes, au goût constant.</p>
<p>Ces attentes ont conduit les industriels à mieux contrôler les processus de fabrication et à standardiser leur production. Un phénomène renforcé par l’évolution des modes de consommation (aujourd’hui, plus de 90 % des achats de fromages se font en grande distribution) et des réglementations de plus en plus drastiques pour la sécurité sanitaire des produits.</p>
<h2>L’émergence de laits pauvres en microbes</h2>
<p>La transformation du lait en fromage reposait traditionnellement sur une fermentation spontanée par les microorganismes dits « utiles » et naturellement présents dans le lait cru. Or les immenses progrès réalisés ces dernières décennies en matière de quantité et de qualité des laits produits ont radicalement changé cette façon de procéder.</p>
<p>En élevage, par exemple, l’hygiène de la traite a amélioré la qualité microbienne des laits (moins de pathogènes contaminant la matière première). L’une des conséquences inattendues de cette évolution a résulté en un appauvrissement général de la microbiologie des laits, y compris pour les microorganismes dits « utiles ».</p>
<p>Dans les années 1980, la flore totale des laits crus était de l’ordre de 10 000 bactéries par millilitre (UFC/mL) ; en 2010, elle est tombée à 1 000 UFC/mL. On parle ici de laits « paucimicrobiens » (pauvres en microbes), nécessitant un ensemencement (c’est-à-dire un ajout exogène et massif de bactéries lactiques permettant la fermentation du lait) et cela, même pour des fabrications fromagères au lait cru.</p>
<p>En parallèle, les producteurs ont peu à peu abandonné les productions au lait cru pour des productions à base de lait pasteurisé. Toute la flore microbienne naturelle du lait se trouvant ainsi neutralisée, les risques de contamination par des bactéries pathogènes ont été grandement limités.</p>
<p>Il est alors devenu indispensable d’ensemencer ce lait avec les microorganismes (bactéries, levures et/ou moisissures) nécessaires à l’obtention d’un fromage. Ces ensemencements, réalisés grâce à des levains, sont de composition parfaitement contrôlée et diffèrent selon le type de fromage à fabriquer.</p>
<p>Les levains de Pont-l’Évêque diffèrent ainsi des levains de munster, eux-mêmes différents de ceux du comté… Une industrie connexe, celle des producteurs de levains, s’est créée, dominée aujourd’hui par quelques grands groupes internationaux tels que Chr Hansen, Danisco ou Lallemand.</p>
<p>Si les ensemencements bien contrôlés par le biais de ces levains commerciaux ont permis de nets progrès en matière sanitaire et de standardisation, ils ont aussi abouti à une uniformisation et une perte de diversité. De composition parfaitement maîtrisée, ces levains commerciaux ne contiennent qu’un petit nombre de microorganismes au regard de la diversité naturelle d’un lait cru, qui peut contenir à lui seul jusqu’à <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0168160514001068?via%3Dihub">36 espèces de microorganismes différentes</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"967093791348920321"}"></div></p>
<h2>À la redécouverte de la microbiologie laitière</h2>
<p>On découvre chaque jour un peu plus l’importance des microbiotes. Par microbiote, on désigne l’ensemble des microorganismes associés à une niche écologique donnée : tube digestif, voies respiratoires, sol, air, aliment fermenté, lait cru…</p>
<p>Le nombre de publications scientifiques relatant la composition, la dynamique et les services rendus par ces microbiotes va croissant, témoignant des découvertes rendues possibles grâce aux évolutions technologiques en matière de <a href="https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fmicb.2017.01829/full">séquençage à haut débit</a>.</p>
<p>Ces techniques ont permis d’explorer des écosystèmes alimentaires : on s’est ainsi aperçu que le microbiote associé à un fromage était en réalité <a href="https://bmcgenomics.biomedcentral.com/articles/10.1186/1471-2164-15-1101">bien plus complexe</a> que ce que les études antérieures pouvaient laisser supposer.</p>
<p>On sait désormais que pour obtenir un bon fromage, il faut bien plus que ce qu’on y « ensemence » ! Ceci n’a rien d’un secret pour les fromagers : le bon affinage d’un fromage résulte pour une grande partie de la cave d’affinage elle-même et du microbiote associé, à l’image des moisissures du Roquefort ou de la morge du Beaufort.</p>
<p>S’il est possible de produire un fromage avec seulement 2 ou 3 espèces microbiennes, ces productions très homogènes ne répondent pas (ou plus) au regain d’intérêt et à une demande des consommateurs pour des produits variés, typiques, en prise avec un terroir.</p>
<p>Après une période de perte de diversité microbienne et fromagère, les chercheurs et professionnels de la filière se sont (re)penchés sur la <a href="http://www.nrcresearchpress.com/doi/abs/10.1139/w11-050?url_ver=Z39.88-2003&rfr_id=ori%3Arid%3Acrossref.org&rfr_dat=cr_pub%3Dpubmed&#.Wo7XX2dlwrQ">microbiologie laitière</a> ; leurs travaux ont abouti à des levains fromagers enrichis de quelques espèces qui, bien que non indispensables ou minoritaires dans l’écosystème, assurent un vrai travail pour le développement de la typicité.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/207765/original/file-20180225-108146-te78e5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/207765/original/file-20180225-108146-te78e5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=355&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/207765/original/file-20180225-108146-te78e5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=355&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/207765/original/file-20180225-108146-te78e5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=355&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/207765/original/file-20180225-108146-te78e5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=446&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/207765/original/file-20180225-108146-te78e5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=446&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/207765/original/file-20180225-108146-te78e5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=446&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le Roquefort ne serait bien fade sans sa célèbre moisissure.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/milstan/5304118608/in/photolist-95GZEQ-bJ66L8-misf5-82DJHC-72CcVS-8FPf4d-7ywWxs-dA3hf1-66UJae-6rNP8Z-72ydHB-X5T3GQ-dX9C9T-kfRmzi-4EYuZ8-6x2xDR-5P6Nht-QDdQdr-fDQbqS-egCvza-7LbDt4-39h6Zp-o33jEb-7ywWpS-Xw5bLW-7BCbGy-at9ukQ-hnwD89-drJo4e-8BWqen-nJEei-7ywWhJ-22WTYvt-7ywWif-oP9bjN-aCCN76-j9YVSv-dDQ2b5-aGLyoH-9jnhSd-9rASgT-aw4nv-4vN8mX-5Y6vwz-attcLr-7jBVi3-nqRKhh-nJEmB-B9yQmn-eLmUMe">MilStan/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<h2>Des banques pour les bactéries alimentaires</h2>
<p>Dans ce contexte de découverte des vertus de la diversité microbienne, les collections de microorganismes d’intérêt alimentaire jouent un rôle central. Au Centre international de ressources microbiennes de Rennes, par exemple, on collecte, on identifie, on conserve et surtout on caractérise des centaines de souches bactériennes issues d’aliments d’origine variée.</p>
<p>La finalité première de cette banque est de rendre accessible la diversité bactérienne au plus grand nombre mais aussi d’en explorer le potentiel.</p>
<p>Des travaux scientifiques menés à l’INRA à l’aide de cette banque visent à combiner de façon rationnelle (et non plus empirique) des souches en consortia (communautés de microorganismes) pour que celles-ci <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s13594-015-0267-9">remplissent des fonctions utiles</a> à la technologie fromagère : développement d’une texture, d’une flaveur ou d’arômes particuliers.</p>
<p>Seule une parfaite connaissance des souches, de leur génome et de leur phénotype peut permettre <a href="https://bmcgenomics.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12864-015-1467-7">ce type d’approche</a>. Ainsi, la richesse des banques de microorganismes permet de réinjecter de la diversité et de la typicité dans les productions fromagères.</p>
<h2>Le goût et la santé</h2>
<p>En adoptant une approche similaire, il est aujourd’hui possible de construire des consortia dont les fonctions seront cette fois <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S095816691200119X?via%3Dihub">nutritionnelles</a> (par exemple la production de vitamines) ou <a href="http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/mnfr.201500580/abstract;jsessionid=52DAFD2D242F6934F00036AC52AB3E5A.f01t04">probiotiques</a> (comme l’effet anti-inflammatoire) pour des services rendus aux consommateurs allant bien au-delà du plaisir hédonique !</p>
<p>De même, la diversité microbienne pourrait être l’une des clés pour faire face à l’évolution de la démographie mondiale, à l’émergence de marchés nouveaux (Asie et Afrique) et à une demande sociétale forte pour une agriculture plus durable et limitant son impact environnemental.</p>
<p>La diversité des microorganismes peut en effet être judicieusement exploitée pour fermenter des matrices alimentaires d’origine végétale ou des mixtes animal-végétal (lait et légumineuses, par exemple). Là encore, les chercheurs puisent dans l’extraordinaire potentiel des bactéries et moisissures alimentaires pour imaginer de nouveaux produits, toujours aussi appétissants, mais avec une empreinte carbone moindre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/92303/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les microorganismes sont essentiels pour apporter à certains produits alimentaires, fromages en tête, leur typicité, comme le montrent de récentes études scientifiques.Yves Le Loir, Directeur de recherche en microbiologie, InraeFlorence Valence, Responsable du Centre Ressources Biologiques dédié aux Bactéries d'Intérêt Alimentaire CIRM-BIA, InraeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/911002018-02-22T19:57:57Z2018-02-22T19:57:57ZL’agriculture française à la croisée des chemins<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/207547/original/file-20180222-152357-b6j6u8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En France, l’autosuffisance alimentaire n’a été atteinte qu’au début des années 1980.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/YZcAPjOoFf8">Julian Pana/Unsplash</a></span></figcaption></figure><p>Boom du bio, expérimentations sur les toits des villes, émergence du <a href="http://www.spe.inra.fr/Le-departement/biocontrole/micro-organismes-et-biocontrole/(key)/5">biocontrôle</a>… mais aussi scandales sanitaires, précarité de nombreux agriculteurs, dégradation des sols et usage de pesticides fatal aux insectes pollinisateurs : sur fond d’aspirations et d’injonctions souvent contradictoires, l’agriculture et les agriculteurs français semblent arrivés à la croisée des chemins.</p>
<p>Au-delà des coups de projecteur sur les réussites et les échecs du secteur, c’est bien la question du modèle agricole qui se pose avec de plus en plus d’acuité, comme en témoignent les récents débats conduits dans le cadre des <a href="https://theconversation.com/etats-generaux-de-lalimentation-chronique-dune-deception-annoncee-90977">États généraux de l’alimentation</a>.</p>
<p>La question qui devrait désormais nous préoccuper, c’est de savoir comment la recherche et l’action politique peuvent penser et préparer non pas seulement le monde de demain, mais celui d’après-demain. Dans ce contexte, le système agricole et alimentaire (du producteur au consommateur) tient un rôle essentiel.</p>
<h2>Des régions fragilisées</h2>
<p>Ces dernières décennies, des gains de productivité considérables ont été obtenus dans un contexte de profondes transformations du monde agricole, permettant d’assurer une alimentation à un prix très bas.</p>
<p>Il faut insister ici sur un point : on a assisté ces 40 dernières années, à un mouvement global de <a href="https://www.cairn.info/systemes-agroalimentaires-en-transition--9782759225736.htm">substitution du travail agricole</a> par les intrants (machines, chimie). Cette transformation a permis des économies d’échelle et l’émergence d’exploitations de plus en plus grandes. Ceci a également conduit à la spécialisation des productions au niveau des régions agricoles, comme en témoigne l’exemple du lait.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/206806/original/file-20180216-50536-z009ma.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/206806/original/file-20180216-50536-z009ma.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=359&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/206806/original/file-20180216-50536-z009ma.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=359&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/206806/original/file-20180216-50536-z009ma.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=359&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/206806/original/file-20180216-50536-z009ma.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=451&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/206806/original/file-20180216-50536-z009ma.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=451&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/206806/original/file-20180216-50536-z009ma.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=451&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Évolution de la surface agricole utile (SAU) en France entre 1970 et 2010.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://agreste.agriculture.gouv.fr/recensement-agricole-2010/resultats-donnees-chiffrees/">Données Agreste</a>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/206810/original/file-20180216-50540-17s4hf2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/206810/original/file-20180216-50540-17s4hf2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=726&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/206810/original/file-20180216-50540-17s4hf2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=726&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/206810/original/file-20180216-50540-17s4hf2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=726&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/206810/original/file-20180216-50540-17s4hf2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=912&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/206810/original/file-20180216-50540-17s4hf2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=912&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/206810/original/file-20180216-50540-17s4hf2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=912&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La production laitière par département en 2014 en France.</span>
<span class="attribution"><span class="source">D. Ricard/Ceramac</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Conséquence de ce mouvement : les capacités de résilience garanties par la diversité des agricultures se sont amoindries. Chaque région de France est ainsi plus exposée aux aléas, qu’ils soient climatiques ou de marché.</p>
<p><a href="http://www.vie-publique.fr/decouverte-institutions/union-europeenne/approfondissements/reforme-pac.html">Dans les réformes successives</a> de l’agriculture et de la PAC, ce problème – le fait que cette spécialisation allait intensifier les impacts environnementaux – n’a pas été explicitement pris en compte, même si le <a href="https://www.touteleurope.eu/actualite/5-questions-sur-les-quotas-laitiers.html">système de quotas laitiers</a> en France avait intégré ce point et permis de ralentir la concentration. Sortir de ce système établi s’avère compliqué. Il faut s’atteler à impulser de petits et de grands changements.</p>
<h2>Changer le système mais comment ?</h2>
<p>Pour que les choses bougent, plusieurs approches sont possibles, comme l’ont conceptualisé les chercheurs <a href="http://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1300/J064v07n01_07?journalCode=wjsa20">Stuart B. Hill & Rod J. MacRae</a> à qui l’on doit une grille d’analyse permettant d’évaluer le degré de changement d’un système, selon trois grands niveaux.</p>
<p>Il y a d’abord l’« efficience » : on ne change rien radicalement mais on essaie d’améliorer l’existant, en ajustant chaque composante d’un système. Vient ensuite la « substitution » : on part d’une même organisation en explorant les bénéfices permis par une substitution à l’une ou l’autre des composantes d’un système. Enfin, la « reconception » : tout le système est repensé.</p>
<p>Prenons l’exemple de la gestion des mauvaises herbes pour la production de colza d’hiver (semé à la fin de l’été). On peut régler au mieux le pulvérisateur pour réduire au maximum la quantité d’herbicides nécessaires (efficience). On peut, en adaptant l’écartement des rangs, utiliser le désherbinage, qui combine désherbage mécanique et traitement chimique sur le rang (substitution). Enfin, on peut semer le colza d’hiver avec des légumineuses <a href="https://www.aquaportail.com/definition-3547-gelif.html">gélives</a> (reconception).</p>
<p>Dans ce dernier cas, les légumineuses vont s’installer rapidement en automne, empêchant ainsi la croissance des mauvaises herbes, puis elles vont geler en hiver, laissant le sol propre et permettant au colza de se développer. À noter que dans ce dispositif, les légumineuses gelées vont libérer de l’azote favorable à la croissance du colza et empêcher la survenue en automne d’un insecte, la <a href="https://www7.inra.fr/hyppz/RAVAGEUR/3psychr.htm">grosse altise</a>. Cela permet donc aussi d’éviter un traitement insecticide.</p>
<h2>L’obsession du prix bas</h2>
<p>Pour faire évoluer la situation, il faut aussi dessiner un nouvel horizon commun. Or, le contrat social sur lequel repose notre modèle agricole n’a pas bougé. Il s’agit toujours d’avoir assez en quantité et au prix le plus bas, tout en assurant la sécurité sanitaire.</p>
<p>Rappelons qu’en France, l’autosuffisance alimentaire n’a été atteinte qu’au tout début des années 1980 : elle est le résultat d’un ensemble de systèmes de production mis en place à un moment où les gens ne mangeaient pas à leur faim. En 1950, l’Hexagone importait la moitié de ses denrées alimentaires ! Un réel exploit a donc été accompli par l’agriculture française et européenne en quelques décennies.</p>
<p>C’est à cette lumière qu’il faut relire le premier attendu du <a href="https://www.touteleurope.eu/actualite/le-traite-cee-a-la-loupe.html">Traité de Rome</a> – « accroître la productivité » – concernant la politique agricole européenne commune et sur lequel s’appuie toujours notre agriculture.</p>
<p>La PAC repose de même sur cette augmentation régulière de la production agricole. Mais cet accroissement continu ne peut se réaliser sans une évaluation juste et précise des rendements ; or ceux-ci risquent de devenir de plus en plus imprévisibles à l’heure des changements climatiques.</p>
<p>Prenons l’exemple du blé tendre d’hiver. Ses rendements moyens ont augmenté régulièrement de 1969 à 1995 du fait de l’amélioration génétique, de la maîtrise (souvent chimique) de la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Verse">verse</a> et des bioagresseurs (maladies, insectes, mauvaises herbes) ainsi que de la gestion de la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fertilisation">fertilisation azotée</a>. Depuis 1995, il n’y a plus d’augmentation tendancielle et les variations inter-annuelles deviennent centrales. En France, l’année 2016 marque à ce titre une année au climat exceptionnellement défavorable.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/206853/original/file-20180218-75964-8h2pzm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/206853/original/file-20180218-75964-8h2pzm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=387&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/206853/original/file-20180218-75964-8h2pzm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=387&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/206853/original/file-20180218-75964-8h2pzm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=387&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/206853/original/file-20180218-75964-8h2pzm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=486&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/206853/original/file-20180218-75964-8h2pzm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=486&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/206853/original/file-20180218-75964-8h2pzm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=486&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Rendement du blé tendre, en France et en Allemagne, depuis 1961.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Agreste/Eurostat</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Le changement climatique induit une maturité plus précoce et, à long terme, limite le potentiel de rendement. Plutôt que de rechercher la productivité maximale à l’échelle de chaque culture, ne doit-on pas explorer d’autres options ? Ne faut-il pas passer d’une culture par an à 3 en 2 ans et ainsi mieux valoriser l’ensemble de l’année ? <a href="http://www.irstea.fr/les-cultures-intermediaires-production-agricole-durable-quae">Les cultures intermédiaires</a> constituent, par exemple, une option efficace pour cette nouvelle approche.</p>
<h2>Un nouveau contrat pour l’agriculture de demain</h2>
<p>Si les États généraux de l’alimentation ont offert un espace où repenser le modèle agricole français (pour notamment garantir une alimentation durable et une meilleure distribution des revenus agricoles), ils sont avant tout porteurs d’une vision ; leurs résultats ne pourront s’évaluer que sur le long terme.</p>
<p>Ce n’est pas sans rappeler le Grenelle de l’environnement et la prise de conscience au sujet de l’utilisation massive des produits phytosanitaires et des antibiotiques. Il aura fallu du temps pour que des actions se mettent en place avec des résultats concrets : <a href="http://agriculture.gouv.fr/le-plan-ecoantibio-2-2017-2021">EcoAntibio</a> (réduction des antibiotiques en élevage), <a href="http://agriculture.gouv.fr/ministere/bilan-du-plan-de-developpement-de-lagriculture-biologique-2008-2012">AgriBio</a> (augmentation de la part de l’agriculture biologique dans la production et la consommation) ou encore <a href="http://agriculture.gouv.fr/le-plan-ecophyto-pour-reduire-lutilisation-des-produits-phytosanitaires-en-france">Ecophyto</a> (réduction de l’usage des produits phytosanitaires) ; même si dans ce dernier cas, les résultats sont plus lents à se manifester.</p>
<p>Aujourd’hui, pour que cette transition soit possible, il faut évidemment identifier les leviers à actionner, mais aussi comprendre en quoi le <a href="https://orbi.uliege.be/bitstream/2268/136905/1/Baret%20Stassart%202013%20lock-in.pdf">système agricole est « verrouillé »</a>. Dans une telle configuration, avec de nombreux acteurs en équilibre, le premier qui cherche à évoluer risque en effet de perdre. Des innovations et une incitation réglementaire devraient permettre de « déverrouiller » le système.</p>
<p>On pourra ainsi faire le pari d’innovations de niche – comme le biocontrôle, qui pourra s’hybrider avec le système dominant de la chimie pour le remplacer progressivement. Sans oublier le rôle crucial du législateur, comme on le verra sans aucun doute avec le futur arrêt du glyphosate. La réglementation constitue un accélérateur clé pour modifier les pratiques.</p>
<p>Mais il faut que ce que l’on promeut présente un risque réel faible. Car dans le régime d’innovation que connaît l’agriculture, le déploiement de systèmes opérationnels se fait en forte dépendance avec les conditions locales (marchés, régulations, conditions de sol, conditions climatiques). Or une très forte dépendance aux conditions locales ralentit, voire empêche, l’adoption d’innovations. Rappelons que c’est justement pour réduire le risque et cette dépendance au milieu que l’agriculture a eu recours massivement à la chimie.</p>
<h2>Des leviers pour une transition</h2>
<p>On peut identifier plusieurs leviers pour soutenir la transition de l’agriculture française vers l’<a href="http://agriculture.gouv.fr/quest-ce-que-lagro-ecologie">agroécologie</a> : l’apprentissage par l’usage, qui souligne le rôle de la formation initiale et continue, les fonctionnements collectifs des groupes d’agriculteurs, le <a href="http://www1.montpellier.inra.fr/PSDR/doc/intersama/2011%20Faure-Desjeux-Gasselin%20Conseil.pdf">conseil agricole</a> ou encore des équipements collectifs partagés grâce aux nouvelles technologies.</p>
<p>La formation des agriculteurs de demain est cruciale : aujourd’hui, on arrive à la fin des <a href="http://www.culturecommunication.gouv.fr/Thematiques/Developpement-culturel/Culture-Monde-rural/Les-acteurs/L-enseignement-agricole">« lycées Pisani »</a> ; ceux-ci ont formé des générations d’agriculteurs dans le cadre de ce premier « contrat social agricole » qui préconisait l’intensification de la production pour remplir des objectifs d’autosuffisance alimentaire. Si aujourd’hui les choses peuvent bouger, ce sera aussi grâce à cette nouvelle génération qui mobilisera des pratiques et systèmes plus « intensifs » en savoirs.</p>
<p>Le conseil est également une composante majeure pour le changement, car il permet de diffuser des connaissances et fait baisser l’aversion au risque des agriculteurs. Au moment où l’on parle de la <a href="http://www.lepoint.fr/economie/pesticides-separer-le-conseil-de-la-vente-un-bouleversement-pour-les-professionnels-31-01-2018-2191056_28.php">séparation du conseil et de la vente</a>, c’est surtout la qualité du conseil et des conseillers qui doit faire l’objet de toutes les attentions. Différents modèles organisationnels du conseil existent en Europe et dans le monde. Celui du Canada et du Québec, avec un <a href="https://oaq.qc.ca">ordre des agronomes</a>, incite à la réflexion.</p>
<p>La transition agricole est une question individuelle pour chaque agriculteur, mais aussi collective et sociétale. Ce n’est pas seulement la production de ressources qui doit être mobilisée mais toute la chaîne de valeur (de la production à la consommation, en passant par la transformation). Une meilleure répartition de la valeur et une modification de la politique agricole commune, avec mise en œuvre de <a href="http://bit.ly/2sMWPDE">paiements pour services environnementaux</a>, seraient des traductions effectives de ces changements importants en cours.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/91100/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian Huyghe a reçu des financements de l’UE : programmes européens Inno4Grass (2017-2020), Multisward (2011-2014), Lupine. Ainsi que des financements de InVivo (thèse de Nicolas Urruty).
</span></em></p>Alors que s’ouvre ce samedi la 57ᵉ édition du Salon international de l’agriculture à Paris, retour sur les profondes transformations et défis auxquels doit faire face le secteur agricole français.Christian Huyghe, Directeur scientifique pour l’agriculture, InraeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/920782018-02-22T19:57:54Z2018-02-22T19:57:54ZLa fin du modèle unique pour l’agriculture française ?<p>L’agriculture hexagonale offre un bilan de santé contrasté. Si la France compte des <a href="https://www.usinenouvelle.com/article/salon-de-l-agriculture-ces-champions-caches-qui-fabriquent-tracteurs-charrues-epandeurs.N313559">champions agro-industriels</a>, des entreprises intermédiaires et des <a href="https://www.terre-net.fr/partenaire/innovation-et-technologie/article/les-six-startups-de-l-agtech-selectionnees-pour-un-coaching-intensif-made-in-usa-2894-129721.html">startups</a> qui bénéficient d’une excellente compétitivité sur des marchés mondialisés, plusieurs signaux d’alerte montrent que le secteur vit des <a href="https://theconversation.com/lagriculture-francaise-a-la-croisee-des-chemins-91100">mutations profondes</a> et souvent douloureuses.</p>
<p>De nombreuses exploitations sont aujourd’hui en détresse et un <a href="http://www.lafranceagricole.fr/actualites/gestion-et-droit/niveau-de-vie-un-quart-des-agriculteurs-sous-le-seuil-de-pauvrete-1,2,256873783.html">agriculteur sur quatre vit</a> en France sous le seuil de pauvreté. Les raisons de cette paupérisation sont bien connues : elles tiennent à la fois à la <a href="https://reporterre.net/La-nouvelle-politique-agricole-commune-abandonne-les-paysans-au-neo-liberalisme">dérégulation</a> des marchés agricoles et, surtout, à la très inégale répartition de la valeur dans les filières agricoles et alimentaires.</p>
<p>Les récents États généraux de l’alimentation (EGA) ont été l’occasion d’identifier différentes pistes de réformes pour les années à venir. <a href="https://theconversation.com/etats-generaux-de-lalimentation-chronique-dune-deception-annoncee-90977">Ces grandes orientations</a> laissent toutefois de côté trois mutations majeures qui méritent d’être analysées en détail. Elles imposent également une nécessité : changer de paradigme en matière de politiques publiques pour favoriser la diversité des agricultures françaises.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"966007291370721280"}"></div></p>
<h2>L’émergence d’un capitalisme agraire</h2>
<p>Pour la première fois dans l’histoire du secteur agricole naissent de véritables empires, développés par des investisseurs privés et extérieurs à ce milieu. Comme l’ont bien résumé François Purseigle et ses co-auteurs dans le récent ouvrage <a href="http://www.pressesdesciencespo.fr/fr/livre/?gcoi=27246100509220"><em>Le nouveau capitalisme agricole</em></a>, nous sommes en train de passer de la « ferme à la firme agricole ».</p>
<p>Alors que pendant des décennies, le modèle agricole de référence reposait sur des structures de production familiales, on observe aujourd’hui la multiplication de formes non familiales d’organisation du travail, d’importantes levées de capitaux et des stratégies commerciales totalement inédites. Le modèle dominant de la ferme familiale cède la place ainsi à l’entreprise agricole qui vise à répondre à une demande mondialisée. Ceci est particulièrement vrai dans des secteurs où les <a href="https://theconversation.com/sortir-les-producteurs-laitiers-de-limpasse-91517">produits agricoles sont des commodités</a> (des produits standards et homogènes), où seul le prix bas compte.</p>
<p>Cette émergence d’un capitalisme agraire mondialisé et les transformations des structures de production agricoles posent de nombreuses questions au sujet de la construction de la souveraineté alimentaire des pays, mais également sur les modes de production des denrées alimentaires.</p>
<p>Ainsi, que faut-il penser du <a href="https://www.leberry.fr/bourges/economie/ruralite/2016/04/30/une-societe-chinoise-basee-a-hongkong-vient-dinvestir-dans-la-terre-agricole-en-berry-mais-pourquoi_11893207.html">rachat de terre à grande échelle</a> de la part d’investisseurs chinois qui expédient ensuite dans leurs pays d’origine les denrées agricoles produites en France ? Ces investissements, s’ils devaient se généraliser, tendraient à faire de la France le « grenier » de puissances étrangères.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"933405842359152641"}"></div></p>
<h2>La digitalisation du métier d’agriculteur</h2>
<p>En parallèle, le métier d’agriculteur est en train de fortement évoluer, notamment sous l’influence de la révolution numérique. Aujourd’hui, seuls 12 % des exploitations ne possèdent aucun objet connecté. On parle souvent de <em>smart farming</em> pour désigner cet univers numérique qui accompagne désormais le quotidien des agriculteurs : puces électroniques, données en temps réel, drones, robots de traite, tracteurs connectés et pilotés par satellite, plateformes et pilotage à distance des exploitations. Les objectifs sont évidents : produire plus et mieux tout en consommant moins d’intrants (et donc en diminuant aussi les coûts).</p>
<p>On voit également apparaître l’intelligence artificielle sur les moissonneuses-batteuses. Elles intègrent des éléments topographiques grâce au positionnement GPS ainsi que les données de rendement des années précédentes.</p>
<p>L’analyse de ces données en temps réel permet à la machine d’adapter les réglages sur plusieurs de ses organes (battage, séparation, nettoyage) pour optimiser différents paramètres (débit, qualité, propreté, pertes). Les robots conversationnels ou « chatbots » constituent une autre déclinaison de l’intelligence artificielle pour les agriculteurs. En élevage, les premiers assistants virtuels sur smartphone aiguillent les éleveurs dans leur choix de taureau, facilitent la commande d’insémination, contrôlent les déclarations de sortie d’animaux.</p>
<p>Objets connectés et intelligence artificielle vont bouleverser comme jamais le métier d’agriculteur.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"966205857288675329"}"></div></p>
<h2>Rapprocher les producteurs des consommateurs</h2>
<p>Depuis plusieurs années, les consommateurs exigent une plus grande transparence et traçabilité des produits agricoles, renouant ainsi avec une tradition pas si lointaine où l’on consommait localement ce qui était <a href="https://theconversation.com/un-appetit-croissant-pour-le-manger-local-en-ile-de-france-57388">produit localement</a>.</p>
<p>Cette demande s’exprime parfaitement à travers les <a href="https://theconversation.com/faire-ses-courses-en-circuits-courts-cest-mieux-pour-lenvironnement-85216">circuits courts</a>, ou encore le regroupement de producteurs en vente directe ou bien la création de mini-marchés locaux ou de paniers paysans (la Ruche qui dit Oui, les AMAP, etc.). Par ailleurs, l’émergence de plateformes transactionnelles change la donne car elles facilitent et sécurisent grandement la mise en relation entre producteurs et consommateurs. Cette transformation est regardée de très près par des géants du web comme Amazon ou encore le Chinois Alibaba, qui voient dans cette mutation des modes de consommation une opportunité majeure de profit.</p>
<p>Les grandes villes n’échappent pas à ce phénomène puisque de nouveaux types d’agriculteurs investissent les espaces urbains. On parle désormais d’une <a href="https://theconversation.com/lagriculture-urbaine-quest-ce-que-cest-55900">« agriculture urbaine »</a> pour désigner l’appropriation de territoires urbains parfois délaissés ou rendus à une vocation agricole.</p>
<h2>Accompagner les mutations</h2>
<p>Pour répondre à ces mutations, l’agriculture française doit répondre à trois enjeux majeurs.</p>
<p>Elle doit d’abord réussir son tournant numérique. La digitalisation des métiers ne se décrète ni ne s’impose. Il faut donc accompagner les paysans français dans cette évolution désormais inéluctable. Les coopératives, qui regroupent 75 % du monde agricole, sont particulièrement attendues sur cette question.</p>
<p>Il faut ensuite faire évoluer les modèles économiques en étant réellement transparent sur l’origine des produits et la répartition de la valeur, comme les débats menés dans le cadre des États généraux de l’alimentation l’ont souligné. Les initiatives couronnées de succès, telles que <a href="https://theconversation.com/cest-qui-le-patron-une-initiative-solidaire-pour-depasser-les-dogmes-du-marche-68443">La Marque du consommateur</a>, Merci ou Faire France, montrent que l’on peut avoir une consommation citoyenne et engagée dans notre pays quand la vérité sur les prix agricoles est assumée. Demain, il faudra mieux former les agriculteurs au management, au marketing et à l’informatique.</p>
<p>Enfin, répondre au défi démographique et professionnel. Si la surface agricole française n’a pas reculé, le nombre d’exploitations en France a été divisé par deux depuis les années 1980. Il en résulte de véritables difficultés autour de l’installation ou de la reprise d’exploitations agricoles. À moins de laisser l’initiative à des investisseurs privés étrangers, la France doit pouvoir compter sur un renouvellement des générations afin de maintenir une présence humaine et agricole sur ses territoires. Le rôle des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (comme les <a href="http://www.safer.fr/">Safer</a>) devra être redimensionné et modernisé.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"798733747080327168"}"></div></p>
<h2>Éviter une vision homogène de l’agriculture</h2>
<p>Une interrogation essentielle demeure : quels modèles agricoles les pouvoirs publics souhaitent-ils promouvoir ? Quelles initiatives doivent-ils encourager pour assurer un revenu aux agriculteurs et une alimentation durable et saine aux consommateurs ?</p>
<p>Depuis les années 1950, les pouvoirs publics ont globalement privilégié une orientation productiviste des fermes familiales. Il s’agissait de gagner l’indépendance alimentaire du pays et de maintenir un modèle d’agriculture séculaire.</p>
<p>Comme le souligne le sociologue <a href="https://www.academie-agriculture.fr/membres/annuaire/bertrand-hervieu">Bertrand Hervieu</a>, cette vision de l’agriculture reposait sur un postulat de base : l’activité agricole est par excellence une activité à caractère familial, censé se déployer dans un cadre national. Ce modèle universel de l’agriculture, c’est celui d’un adossement des fermes familiales à une industrie agroalimentaire puissante, offrant des progrès technologiques constants. </p>
<p>Les pouvoirs publics ont favorisé ce modèle à travers une politique volontariste et homogène qui a poussé les fermes familiales à se restructurer en continu pour gagner sans cesse en productivité. L’Europe prit le relais à travers la politique agricole commune (PAC), toujours dans le même esprit : ferme familiale productive – industrie agroalimentaire compétitive – souveraineté alimentaire des pays.</p>
<p>Les transformations actuelles font voler en éclat ce paradigme : la ferme familiale est en voie d’extinction, les consommateurs sont moins préoccupés par l’abondance que par la qualité des biens alimentaires, les marchés agricoles sont mondialisés et l’État, comme l’Europe, n’ont plus les moyens de subventionner. Face à ces mutations, l’erreur à ne pas reproduire de la part des pouvoirs publics serait de privilégier, comme par le passé, un modèle unique, au motif qu’il serait souhaitable ou plus performant sur la scène internationale.</p>
<p>Avant de proposer des solutions globales, il apparaît plus que nécessaire de reconnaître et d’accompagner la diversité des différents modèles agricoles français. Il faut éviter une vision homogène de l’agriculture et promouvoir un accompagnement différencié de la part des pouvoirs publics. Les enjeux agricoles ne se posent pas de la même manière en Haute-Loire, en Aquitaine ou dans la plaine de la Beauce. Les pouvoirs publics gagneront à se rapprocher des collectivités territoriales (régions, départements, métropoles) pour mettre en place des dispositifs d’accompagnement localement adaptés.</p>
<p>Dans les années qui viennent, on devrait pouvoir évoquer non pas le Salon international de l’agriculture, qui ouvre ses portes ce samedi 24 février, mais bien le Salon international des agricultures et de l’alimentation durable.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/92078/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bertrand Valiorgue a reçu des financements de la fondation de l'Université Clermont Auvergne dans le cadre de la Chaire Alter-Gouvernance (<a href="http://www.alter-gouvernance.org">www.alter-gouvernance.org</a>). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Xavier Hollandts ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Émergence d’un capitalisme agraire, transition numérique et nouvelles exigences des consommateurs : autant de problématiques qui mettent à mal une vision homogène des réalités agricoles.Xavier Hollandts, Professeur de Stratégie et Entrepreneuriat, Kedge Business SchoolBertrand Valiorgue, Professeur de stratégie et gouvernance des entreprises - co-titulaire de la Chaire Alter-Gouvernance, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/884572018-02-22T19:57:50Z2018-02-22T19:57:50ZToits potagers en ville, ce n’est pas que pour faire joli<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/207473/original/file-20180222-152363-eevm40.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Sur le toit d’AgroParisTech. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.paris.fr/actualites/un-toit-potager-au-sommet-de-l-ecole-agro-paris-tech-3845">François Grunberg/Mairie de Paris</a>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p><em>Cet article est republié dans le cadre du séminaire « Agro-écologie et systèmes alimentaires durables en Ile-de-France : Quels acquis et quels besoins pour la recherche ? », organisé par la Région IdF, l’INRA, l’Irstea et AgroParisTech et dont The Conversation France est partenaire. Cet événement aura lieu ce <a href="https://www.dim-astrea.fr/Accueil/Actualites/Seminaire-DIM-ASTREA-PSDR">mercredi 10 octobre 2018</a> à Paris.</em></p>
<hr>
<p>En ville, la gestion des déchets, les épisodes de canicule, les risques d’inondations et l’approvisionnement alimentaire sont autant de défis à relever pour soutenir un développement durable des centres urbains.</p>
<p>Face à ces défis, les scientifiques s’intéressent de près à la végétalisation des zones urbaines : celle-ci peut en effet contribuer à produire des ressources alimentaires et à retenir de l’eau. Ces dernières années, de tels espaces verts se sont multipliés, notamment sur les toits, compte tenu de l’espace urbain limité. Ces espaces peuvent-ils vraiment faire la différence ?</p>
<h2>Les promesses des toits urbains</h2>
<p>Pour répondre à cette question, nous avons mis à l’épreuve de la science la pratique innovante des potagers sur les toits. Nos résultats – <a href="https://link.springer.com/article/10.1007%2Fs13593-017-0474-2">publiés en décembre 2017</a> dans la revue <em>Agronomy for Sustainable Development</em> – tirent un bilan positif. Le niveau de récoltes sur l’espace testé, à savoir le toit potager de l’école AgroParisTech, est bon et certains <a href="http://www.fao.org/ecosystem-services-biodiversity/fr/">« services écosystémiques »</a> sont au rendez-vous : rétention d’eau de pluie, recyclage des biodéchets et stockage du carbone.</p>
<p>C’est la première fois qu’une équipe de recherche mesure les services écosystémiques rendus par ces potagers ; à noter que dans ce cas précis, le toit potager est alimenté uniquement par des déchets urbains. Au vu de ces résultats, l’agriculture urbaine sur les toits pourrait bien devenir plus qu’un phénomène marginal au cœur des mégapoles.</p>
<p>Les toits peuvent en effet représenter jusqu’à <a href="http://www.mit.edu/people/spirn/Public/Granite%20Garden%20Research/Plants/Oberndorfer%20et%20al%202007%20Green%20Roof%20Ecosystems.pdf">32 % des surfaces horizontales</a> des villes. Il faut également souligner que le phénomène de conquête agricole de ces lieux est aujourd’hui porté par de nombreuses collectivités ; ainsi de Paris, au travers des appels à projets <a href="http://www.parisculteurs.paris/">« Parisculteurs »</a> ou encore de l’<a href="http://www.parisculteurs.paris/fr/charte-100-hectares/">« Objectif 100 hectares »</a> d’espaces végétalisés dans la capitale d’ici à 2020. Ces expérimentations ont par ailleurs contribué à l’émergence de <a href="http://topager.com/">Topager</a> et <a href="http://culturesenville.fr/">Cultures en ville</a>, deux entreprises aujourd’hui bien implantées.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"950351029064912897"}"></div></p>
<h2>Compost, vers de terre et terreau</h2>
<p>C’est donc sur le toit de l’école AgroParisTech – baptisé « Bertrand Ney », du nom du professeur à l’origine de sa création – dans le V<sup>e</sup> arrondissement de Paris que notre équipe de recherche a mis en place un potager aérien. Trois objectifs pour ce projet : valoriser les ressources de la ville ; concevoir un système de culture low-tech simple à conduire ; ne pas recourir à l’utilisation d’intrants chimiques (pesticides ou engrais).</p>
<p><a href="https://link.springer.com/article/10.1007%2Fs13593-017-0474-2">Les résultats présentés</a> en décembre dans <em>Agronomy for Sustainable Development</em> correspondent à deux années (de mars 2013 à mars 2015) où ont été cultivées salades, tomates cerises et engrais verts dans 9 bacs en bois (type compostières de 90x90x40cm).</p>
<p>S’inspirant d’une technique utilisée dans les jardins depuis les années 1980 – la culture en lasagne –, les chercheurs ont comparé deux compositions de sol différentes à un sol témoin.</p>
<p>Le premier bac contient un « Technosol » (désignant un sol constitué de matériaux apportés par l’homme) ; il est composé à parts égales de compost de déchets verts et de bois broyé, issus de l’entretien des espaces verts. Le second bac est de même composition que le premier, mais avec l’ajout de trois différents types de vers de terre, en vue d’accélérer la biodégradation des résidus organiques. Le troisième bac contient un sol témoin, composé de terreau industriel disponible en jardinerie.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"937897941141983232"}"></div></p>
<h2>Quels services rendus ?</h2>
<p>L’équipe s’est concentrée sur quatre services écosystémiques : l’approvisionnement alimentaire (quantité et qualité des récoltes), le recyclage de déchets, la régulation des eaux de pluie (quantité d’eau de pluie retenue et qualité des eaux de drainage) et le stockage de carbone lié à l’utilisation de matériaux riches en matière organique.</p>
<p><strong>• Résultats pour l’approvisionnement alimentaire</strong></p>
<p>Les niveaux de production atteints sont supérieurs à ceux de jardins familiaux en plein sol et proches de ceux de maraîchers professionnels en agriculture biologique en Île-de-France. Les plus forts niveaux de rendement sont atteints dans les Technosols en présence de vers de terre (bac 2). La qualité est aussi au rendez-vous : aucune des récoltes ne dépasse les normes pour les métaux lourds mesurés et réglementés.</p>
<p><strong>• Résultats pour le recyclage des résidus urbains</strong></p>
<p>C’est au Technosol enrichi en vers de terre (bac 2) que revient encore la palme de l’efficacité, avec une diminution de 50 % de l’épaisseur du substrat sur la première année (par tassement et par consommation des éléments nutritifs du « sol » par les plantes). Le Technosol sans vers (bac 1) et le bac témoin (bac 3) montrent quant à eux une diminution de l’épaisseur du substrat de 36 et 31 % respectivement ; cela traduit une consommation annuelle moindre de déchets par le système de culture.</p>
<p><strong>• Résultats pour la régulation des eaux de pluies</strong></p>
<p>Les résultats sont ici semblables entre le témoin (bac 3) et les Technosols (bacs 1 et 2), avec de 74 à 84 % des eaux de pluies retenues. Par rapport à un toit nu, cette expérience montre tout l’intérêt d’installer des bacs de culture pour lutter contre le ruissellement des eaux de pluie.</p>
<p>En ce qui concerne l’impact de l’installation sur les eaux de drainage sortant des bacs, les Technosols (bacs 1 et 2) retiennent, sur les deux années d’expérimentation, plus de nitrates qu’ils n’en rejettent. À la différence du terreau (bac 3) et ce tout particulièrement en début d’expérimentation.</p>
<p>C’est en revanche l’inverse pour le carbone perdu sous forme dissoute (pouvant, en grande quantité, provoquer l’asphyxie d’un milieu aquatique) dans les eaux de drainage : le terreau (bac 3) en libère moins que le Technosol (bac 1) ; la présence de vers dans le bac 2 aboutissant au rejet le plus important.</p>
<p>Ces résultats montrent la nécessité d’optimiser la composition du Technosol et/ou du système de culture en place pour aboutir au rejet le plus faible possible de carbone et d'azote dans les eaux en sortie de toiture. Par ailleurs, l’analyse de deux types d’éléments (le carbone-élément constitutif des Technosols et l’azote-élément nutritif), met bien en évidence deux comportements différents vis-à-vis de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Lixiviation_(agriculture)">la lixiviation</a>.</p>
<h2>Agriculture urbaine et circuits courts</h2>
<p>À la lumière de ces résultats, on comprend qu’un équilibre reste encore à trouver entre un sol suffisamment riche pour assurer une bonne alimentation des plantes tout en limitant les pertes d'éléments (carbone en particulier) dans l’eau.</p>
<p>Le bilan de ces installations reste toutefois très positif : elles permettent de recycler des déchets organiques voués aujourd’hui majoritairement à l’enfouissement ou à l’incinération. La réutilisation des déchets des villes permet en outre d’éviter l’importation de terreau, l’utilisation de fertilisants minéraux de synthèse, ainsi que la prise en charge du traitement et du transport des ordures vers les décharges, au profit d’une valorisation locale.</p>
<p>La liste des autres bénéfices potentiels de cette agriculture sur les toits peut encore s’élargir : depuis la prévention des inondations (par la rétention d’une partie des écoulements) au rafraîchissement de la ville. Cette agriculture peut participer à la préservation de la biodiversité, favoriser la pollinisation, servir d’espace pédagogique où à visée sociale, tout en rompant avec la monotonie grisâtre des paysages urbains.</p>
<p>À l’heure où il est beaucoup question des circuits courts, l’agriculture urbaine représente une opportunité de transcrire cette logique au cœur des mégapoles.</p>
<hr>
<p><em>Pour plus d’informations, consultez la <a href="http://bit.ly/2oq6jPz">page dédiée au projet T4P</a> sur le site d’AgroParisTech</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/88457/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Le doctorat de Baptiste Grard a été financé par le DIM ASTREA (région Île-de-France, <a href="http://www.dim-astrea.fr">www.dim-astrea.fr</a>) et la Chaire ParisTech « Éco-conception des ensembles bâtis et des infrastructures » (<a href="http://www.chaire-eco-conception.org/fr/folders/30-un-partenariat-de-recherche-pour-une-ville-plus-durable">www.chaire-eco-conception.org/fr/folders/30-un-partenariat-de-recherche-pour-une-ville-plus-durable</a>).
</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Christine Aubry a dirigé pendant quatre ans le programme régional DIM ASTREA de la Région Île-de-France qui a co-financé la thèse de Baptiste Grard.
</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Nicolas Plantey travaille au sein de l’INRA en tant que chargé de projet DIM ASTREA, projet financé par la région Île-de-France.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Claire Chenu ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Végétaliser les toits des centres urbains présente de nombreux avantages, évalués pour la première fois par une équipe de chercheurs.Baptiste Grard, Chercheur postdoctoral, AgroParisTech – Université Paris-SaclayChristine Aubry, Responsable de l’équipe de recherche « Agricultures urbaines », AgroParisTech – Université Paris-SaclayClaire Chenu, Enseignante chercheure à AgroParisTech, science du sol, biogéochimie, matières organiques, InraeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/737172017-02-28T23:23:37Z2017-02-28T23:23:37ZModèles économiques de l’agriculture française : les gagnants et les perdants<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/158745/original/image-20170228-29922-1m9wfhn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un coq du Salon de l’agriculture. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/petit_louis/8504854960/in/photolist-dXxB5m-beYMkH-99UHev-8wRLo3-b3JMaT-b3LTUR-nQbkZQ-nAKW7B-b3MJXt-qgexX-b3JEGX-nzJfJC-6neFt2-b3MMSH-5ymc9L-qjs3a-hivh89-5ymc3Y-h2i8eK-2N1eS-b3Mt2T-PPpqmx-b3KG9D-b3K3PH-b3HTtX-52KQX7-nRVNJp-78WZUX-jgKVB-6R4VH7-b3KACp-b3MiNX-b3Mh9F-b3L6LH-b3JLwr-nzKepR-b3Kuze-4StAz-b3M9ZF-6YhY2W-6R4VAG-hfg2Un-jhbyV-b3Jju8-nS5SFq-b3HWTc-b3MEbv-b3Kw4t-hAjkku-b3Jn6D">Petit_louis/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Derrière l’unité de façade offerte par le Salon de l’agriculture – dont la 57<sup>e</sup> édition se tient à Paris jusqu’au 1er mars – se cache en vérité une très grande diversité des produits et modes de production agricoles.</p>
<p>On devrait ainsi parler de la coexistence de différents <a href="http://www.armand-colin.com/sociologie-des-mondes-agricoles-9782200354404">« mondes agricoles »</a> en France tant la variété des pratiques est grande. En effet, il y a bien peu de points communs entre la petite exploitation familiale et l’entreprise agricole connectée en permanence aux marchés mondiaux.</p>
<p>Le détour par le concept de modèle économique peut s’avérer précieux pour mieux saisir les évolutions de l’agriculture française. Certains modèles économiques agricoles semblent clairement en cours d’extinction alors que d’autres sont susceptibles de conduire à des stratégies durablement créatrices de valeur pour les agriculteurs.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ohqZZlUKl-I?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">La fin des petits paysans.</span></figcaption>
</figure>
<h2>Des « mondes agricoles »</h2>
<p>La notion de <a href="http://www.bmcommunity.sitew.com/fs/Root/8u9mp-Warnier_Lecocq_Demil.pdf">modèle économique</a> permet de comprendre le positionnement d’une entreprise sur son marché et les modalités de création de valeur. Cette notion est très largement utilisée dans de nombreux secteurs d’activités (services, industries, Internet) et pour tout type d’entreprises (start-up, PME, grands groupes internationalisés). Elle en revanche trop peu mobilisée pour comprendre la variété des positionnements des exploitations agricoles françaises sur leurs marchés respectifs.</p>
<p>Or une exploitation agricole peut, comme n’importe quelle autre entreprise, être analysée à l’aune de son modèle économique. Chaque exploitation agricole offre une proposition de valeur : produits agricoles, transformés ou non (lait, vin, viande, céréales, légumes…) et parfois des services (formations, hébergements, location de matériels…) qui possèdent tous une certaine valeur. Cette proposition de valeur est plus ou moins innovante, plus ou moins rare ou tout simplement plus ou moins chère et impacte directement le niveau d’activité de l’exploitation.</p>
<p>Une exploitation sert également un ou des clients et utilise certains canaux de distribution. Certaines exploitations agricoles s’inscrivent dans des circuits longs via des relations commerciales avec des coopératives ou des industriels. D’autres transforment et vendent directement leurs produits à des clients fidélisés via des circuits courts.</p>
<p>Enfin, chaque exploitation supporte une structure de coûts liée à son activité de production (matières premières et intrants, matériel, salariés). Les prix des produits agricoles, souvent volatils, étant déconnectés des niveaux de coûts réels, la plupart des agriculteurs subissent une perte en vendant leur production ; plus d’un tiers d’entre eux ne touchent pas plus de 350 euros par mois. Signe du malaise profond et des difficultés économiques majeures que traverse ce secteur, pas moins de 732 suicides ont été recensés l’an dernier, ce qui en fait la catégorie socioprofessionnelle la <a href="http://www.lafranceagricole.fr/r/Publie/FA/p1/Infographies/Web/2014-12-03/97308_1.pdf">plus exposée</a> à ce type de risque.</p>
<p>La mobilisation des trois éléments majeurs du modèle économique (proposition de valeur, modèle de revenus, schéma de production et structure de coûts) permet de faire ressortir une grande variété de positionnements, au nombre de 8.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"835137458832568321"}"></div></p>
<h2>Décryptage des grands modèles</h2>
<p>Deux éléments majeurs du modèle économique sont particulièrement structurants pour appréhender la diversité des exploitations agricoles qui couvrent le territoire français. Il s’agit de la proposition de valeur et du schéma de production. Les choix opérés, parfois subis, par les agriculteurs en la matière structurent leurs exploitations agricoles et conditionnent souvent la viabilité économique.</p>
<p><strong>• Trois options principales pour la proposition de valeur</strong></p>
<p>La diversification de la proposition de valeur est une caractéristique historique des exploitations agricoles françaises. Elle correspond à une multiplicité de productions (lait, viande, céréales, fourrages…) qui permettait à l’exploitation agricole de diversifier les sources de revenus et d’être relativement autonome dans les entrants nécessaires à la production. Cette proposition est typique de la ferme en polyculture et élevage qui a traversé les générations et qui est mise en difficulté depuis plusieurs années. <a href="http://www.lemonde.fr/idees/article/2008/08/01/la-fin-des-paysans-par-laetitia-clavreul_1079462_3232.html">Dès 1967, Henri Mendras</a> annonçait en effet la <a href="http://www.actes-sud.fr/catalogue/essais-documents/la-fin-des-paysans-suivi-de-une-reflexion-sur-la-fin-des-pay">fin des paysans</a>, longtemps à la tête de ces fermes polyvalentes.</p>
<p>La standardisation de masse correspond à une spécialisation de l’exploitation agricole sur un produit en particulier qui est destiné à être écoulé sur des marchés souvent globalisés. La concurrence se joue en grande partie sur le prix et les exploitants agricoles doivent en permanence optimiser leurs outils de production et leurs coûts pour rester compétitifs. On pense ici à la production de lait, avec des fermes comptant plusieurs centaines de vaches et des robots de traite fonctionnant en continu. On repère également ce positionnement dans les grandes exploitations céréalières (blé, colza, orges) qui comptent plusieurs centaines d’hectares grâce à une optimisation des processus de production et une recherche de rendements optimaux. Le grand maraîchage spécialisé entre également dans cette catégorie.</p>
<p>La spécialisation de niche correspond à des produits agricoles qui ont un enracinement local fort et dont les débouchés commerciaux se sont peu à peu élargis pour capter une clientèle qui peut être d’envergure nationale, parfois internationale. La production est localisée dans une région bien particulière (un terroir) avec un nombre d’agriculteurs réduits et des débouchés commerciaux qui dépassent souvent les capacités de productions. La <a href="http://www.lalentillevertedupuy.com/">lentille verte du Puy</a> produite uniquement sur une partie bien délimitée du bassin du Velay ou encore le <a href="http://www.haricot-tarbais.com/terroir_hautes_pyrenees.html">haricot tarbais</a> sont typiques de cette spécialisation de niche. Plus globalement, la certification et la reconnaissance via des <a href="http://www.inao.gouv.fr/Les-signes-officiels-de-la-qualite-et-de-l-origine-SIQO/Appellation-d-origine-protegee-Appellation-d-origine-controlee">AOP</a> (ex-AOC) rentrent dans cette catégorie.</p>
<p>Les différentes productions agricoles et leurs propositions de valeur associées que nous venons d’identifier peuvent être issues de différents schémas de production qui dessinent, au final, différents modèles économiques agricoles. Les mêmes denrées pouvant être produites selon des techniques et modes de culture très différents.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"836149431217041408"}"></div></p>
<p><strong>• Trois options principales pour les schémas de production</strong></p>
<p>Le schéma de production conventionnel signifie un recours à un ensemble de technologies qui vont permettre d’optimiser au maximum les rendements des exploitations agricoles. Le recours à des produits phytosanitaires, aux technologies OGM ou biomoléculaires sont emblématiques de ce mode de production qui vise des rendements maximum. L’efficacité de ces techniques est amplifiée par l’utilisation des <a href="https://www.forbes.com/sites/federicoguerrini/2015/02/18/the-future-of-agriculture-smart-farming/">dernières technologies</a>, rendant toujours plus efficace l’organisation du travail. Les coûts environnementaux de ce schéma de production sont très élevés mais ce type d’agriculture a aussi contribué à l’indépendance alimentaire de la France et à l’obtention d’excédents commerciaux.</p>
<p>Le biologique est un schéma de production qui rejette toutes les formes de manipulation du vivant destinées à améliorer les rendements. Ce schéma de production rejette également le recours à des produits phytosanitaires. Il nécessite ainsi des connaissances pointues insuffisamment développées dans le système français ; et mobilise également une main-d’œuvre plus importante et un outillage spécifique. Il fait généralement l’objet d’une labellisation, d’une reconnaissance et d’une meilleure valorisation sur les marchés.</p>
<p>Le schéma de production agro-écologique peut être positionné à mi-chemin du conventionnel et du biologique. Il aspire en effet à atteindre un certain niveau de productivité tout en veillant à limiter les impacts négatifs sur l’environnement et la santé humaine. Il réintroduit de la diversité dans les systèmes de production agricole et restaure une mosaïque paysagère variée (diversification des cultures et allongement des rotations, implantation d’infrastructures agro-écologiques, par exemple) et le rôle de la biodiversité comme facteur de production est renforcé. Ce schéma de production demande beaucoup d’engagement et des compétences pointues ; il impose en outre des cahiers des charges souvent lourds et ne fait pas l’objet d’une reconnaissance spécifique sur le marché, contrairement au bio qui a su créer des labels et des normes valorisés par les clients.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/158798/original/image-20170228-29915-11m9wvv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/158798/original/image-20170228-29915-11m9wvv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/158798/original/image-20170228-29915-11m9wvv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/158798/original/image-20170228-29915-11m9wvv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/158798/original/image-20170228-29915-11m9wvv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/158798/original/image-20170228-29915-11m9wvv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/158798/original/image-20170228-29915-11m9wvv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/158798/original/image-20170228-29915-11m9wvv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Le croisement de ces trois dimensions fait ainsi ressortir huit grands positionnements possibles en matière de modèle économique pour exploitation agricole. Ces huit modèles sont présentés dans le schéma ci-contre.</p>
<h2>La fin de la ferme familiale polyvalente</h2>
<p>L’agriculture française s’est construite historiquement sur le modèle de l’exploitation agricole <a href="http://www.armand-colin.com/sociologie-des-mondes-agricoles-9782200354404">familiale diversifiée</a>. C’est cette agriculture qui souffre le plus aujourd’hui car le modèle économique de ce schéma agricole matriciel est mis à mal pour trois raisons complémentaires.</p>
<ul>
<li><p>Une proposition de valeur non différenciante : ces exploitations agricoles produisent des produits standards pour des marchés de masse où seul le prix est différenciant. Elle peine à lutter face à des exploitations spécialisées, étrangères ou non, aux processus de production plus efficaces et moins coûteux, capables de supporter des prix durablement faibles.</p></li>
<li><p>Un pouvoir de négociation inexistant : ces exploitations ne transforment pas et privilégient les circuits longs. Elle ne pèse pas face aux industriels et distributeurs qui imposent des prix et réduisent les marges. L’engagement dans une coopérative agricole ne permet pas toujours de rééquilibrer les rapports de force.</p></li>
<li><p>Des coûts de production trop élevés : du fait de surfaces et de volumes trop faibles, ces exploitations agricoles ne sont pas capables de générer des économies d’échelle suffisantes et ne sont donc pas suffisamment productives. L’exposition de ces exploitations à des cours mondialisés les fragilise grandement.</p></li>
</ul>
<p>Les grandes difficultés que rencontre le modèle économique de la ferme familiale en polyculture et élevage imposent de reconsidérer leurs modèles économiques. Plusieurs voies semblent possibles. Elles comportent des risques et des opportunités et nécessitent d’importants changements en matière de compétences et mentalités.</p>
<ul>
<li><p>Grandir et se spécialiser : abandonner la polyculture et se spécialiser, mais cela suppose l’accès à des ressources foncières ou des capacités d’investissement souvent inaccessibles pour ce type de structure.</p></li>
<li><p>Valoriser via des labels idoines : sortir de la logique de différentiation par le prix et mieux valoriser la qualité ou les spécificités des produits. L’initiative <a href="http://www.montlait.fr/montlait/">Montlait</a> qui regroupe les producteurs de lait de montagne est emblématique de cette stratégie de repositionnement tout comme la démarche innovante <a href="https://lamarqueduconsommateur.com/">C’est qui le patron ?</a>. Elle nécessite une action collective ou une prise à témoin des consommateurs qui peut être accompagnée par les pouvoirs publics.</p></li>
</ul>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/dIHqBUDX-h4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">La brique de lait « C’est qui le patron ? » (France 3 Centre-Val de Loire, 2016).</span></figcaption>
</figure>
<ul>
<li><p>Rationaliser les coûts de production : mobiliser les techniques de l’agro-écologie pour améliorer les rendements et basculer vers une plus grande technicité et complémentarité des activités. Cela suppose des changements de culture importants, de nouvelles compétences et une meilleure reconnaissance sur les marchés. Ici aussi le soutien des pouvoirs publics est incontournable.</p></li>
<li><p>Se convertir en bio : ces exploitations peuvent aussi faire le choix de basculer en bio et valoriser ainsi leur production sur des marchés plus rémunérateurs. Les changements culturels et techniques sont très importants et nécessitent un accompagnement significatif pour réussir cette transition lourde, qui signifie concrètement une « perte » de plusieurs années de production. Les territoires ne sont pas tous égaux dans cette capacité de conversion en agriculture biologique.</p></li>
</ul>
<p>Contrairement à l’image véhiculée, l’agriculture française est caractérisée par une très grande hétérogénéité des pratiques. Il n’existe pas une agriculture mais des agricultures. Cette hétérogénéité se traduit par des positionnements en matière de modèle économique très contrastés. Si certains modèles économiques s’avèrent rémunérateurs, d’autres au contraire conduisent les agriculteurs dans des impasses. Les pouvoirs publics et les candidats à l’élection présidentielle de 2017 doivent mieux intégrer cette diversité et conduire des actions ciblées qui permettront aux différents agriculteurs de tirer des revenus décents de leur travail.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/73717/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bertrand Valiorgue a reçu des financements de Université Clermont Auvergne Fondation. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Xavier Hollandts a reçu des financements de Université Clermont Auvergne Fondation. </span></em></p>L’agriculture française se caractérise par une grande hétérogénéité des pratiques. Il n’existe pas une agriculture, mais des agricultures.Bertrand Valiorgue, Professeur de stratégie et gouvernance des entreprises, Université Clermont Auvergne (UCA)Xavier Hollandts, Professeur de Stratégie et Entrepreneuriat, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/731002017-02-26T22:22:25Z2017-02-26T22:22:25ZQuel avenir pour la robotique agricole ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/158098/original/image-20170223-24107-jhwfg4.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Robot mobile secondant un tracteur conduit manuellement pour l’assister dans ses tâches. </span> <span class="attribution"><span class="source">Irstea</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Le secteur agricole est aujourd’hui confronté à un épineux paradoxe : maintenir, voire accroître, ses niveaux de production tout en réduisant l’impact de ses activités sur l’environnement.</p>
<p>À cela s’ajoutent les contraintes économiques qui pèsent sur les exploitants et la pénibilité d’un métier exigeant, exposant l’agriculteur à <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Agriculteur#cite_note-7">plusieurs types de risque</a> : accidents du travail, pathologies professionnelles et exposition à des produits potentiellement dangereux, à l’image des pesticides. On recense, par exemple, pour les seuls accidents liés <a href="http://www.msa.fr/lfr/sst/renversement-tracteur">au renversement</a> de machines agricoles, entre 20 et 30 décès par an.</p>
<p>Depuis les années 1950, la modernisation de l’agriculture a permis de doubler les niveaux de production en réduisant la pénibilité. Ceci s’est accompagné d’utilisation de machines de grandes tailles et de produits potentiellement nuisibles. La contrainte environnementale de plus en plus prégnante a également favorisé le développement de nouvelles modalités de production, comme l’<a href="http://agriculture.gouv.fr/lagriculture-biologique-1">agriculture biologique</a> ou l’<a href="http://prodinra.inra.fr/ft?id=0731B2B9-388D-4F8B-A93D-C3A39E3B5064">agriculture de précision</a>. Ces dernières nécessitent une main-d’œuvre accrue, pour réaliser par exemple un désherbage mécanique (sans herbicides) ou effectuer des traitements très localisés.</p>
<h2>Surtout des dispositifs d’assistance</h2>
<p>Dans ce contexte, la robotique peut apporter des solutions, en permettant d’effectuer avec précision des tâches répétitives et d’intervenir dans des zones difficiles (dans les vignobles en forte pente, par exemple) sans exposer les individus.</p>
<p>Les économistes perçoivent d’ailleurs cet intérêt et placent l’agriculture comme le <a href="https://www.tractica.com/newsroom/press-releases/agricultural-robot-revenue-to-reach-74-1-billion-worldwide-by-2024/">second marché pour la robotique de service</a> à l’horizon 2025.</p>
<p>Sans aller jusqu’à la commercialisation de solutions robotiques complètes, les constructeurs historiques proposent, depuis une dizaine d’années, des dispositifs d’assistance à la conduite comprenant notamment des <a href="https://www.deere.fr/fr_FR/products/equipment/agricultural_management_solutions/guidance_and_machine_control/itec_pro/itec_pro.page">systèmes de guidage automatique</a>, lors des phases de travail en plein champ. À l’instar des véhicules autonomes, ces dispositifs requièrent la présence d’un conducteur ; ils ne constituent donc pas des robots à proprement parlé.</p>
<p>De fait, la présence de robots commerciaux dans un cadre agricole concerne pour l’essentiel des systèmes intervenant dans le périmètre de l’exploitation, comme les robots <a href="http://www.jeantil.com/Contenus-Jeantil/2-50-0-0-0-0-145-1-JEANTIL_Automatic_Feeding.html">d’affouragement</a> ou de traite, démocratisés depuis plusieurs années. On estime aujourd’hui que la moitié des exploitations laitières qui voient le jour sont <a href="http://idele.fr/rss/publication/idelesolr/recommends/robots-de-traite-le-deploiement-continue.html">équipées de telles machines</a>. En 2015, 3 316 exploitations, sur les <a href="http://agriculture.gouv.fr/combien-y-t-il-dagriculteurs-en-france">514 800 que compte la France</a>, en disposaient.</p>
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<figcaption><span class="caption">Reportage sur les robots de traite (France 3 Normandie, 2016).</span></figcaption>
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<p>Si les robots sont performants dans les bâtiments – où ils évoluent dans un environnement connu et des conditions répétables –, à l’extérieur, la diversité des sols et des travaux à réaliser (semis, désherbage, récolte, etc.) rend la robotisation plus compliquée. Par conséquent, les solutions commerciales complètement autonomes restent cantonnées à des actions limitées, comme le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=EPxDZYhQSds">désherbage en maraîchage</a> ou l’assistance à l’opérateur, notamment <a href="http://www.vitisphere.com/images/magazine/Robots.pdf">dans les vignes</a>.</p>
<p>L’avènement du tracteur autonome demeure pour le moment à l’état de prototype, à l’image du tracteur sans chauffeur Magnum mis au point par l’entreprise américaine Case IH et <a href="https://www.caseih.com/emea/fr-fr/News/Pages/2017-01-23-Case-IH-marque-son-175%C3%A8me-anniversaire-en-pr%C3%A9sentant-pour-la-premi%C3%A8re-fois-en-Europe-son-concept-de-tracteur-aut.aspx?tCat=Hero%20Promo">présenté</a> ces jours-ci au Salon international du machinisme agricole.</p>
<h2>À la recherche de la modularité</h2>
<p>L’avènement de la robotique en agriculture nécessite, on le voit, encore des développements scientifiques et technologiques pour pouvoir s’adapter à différentes situations et accomplir divers types de travaux agricoles. Face à cette diversité, les robots doivent pouvoir adapter leurs comportements, voire leur configuration (hauteur, voie, etc..), en temps réel ; c’est ce qu’étudie notamment le projet <a href="https://adap2e.irstea.fr/">Adap2E</a>.</p>
<p>Ils permettront alors de remplir différentes missions, avec un niveau d’autonomie réellement utile pour l’agriculteur. Les projets <a href="http://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/nantes-44000/un-robot-agricole-multi-usages-en-cours-d-experimentation-dans-l-ouest-4647241">PumAgri</a> et <a href="http://www.naio-technologies.com/machines-agricoles/robot-enjambeur-viticole/">Ted</a>, en cours de développement, visent ainsi à accroître la modularité – c’est-à-dire les capacités d’adaptation – des robots agricoles pour différentes cultures et opérations.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/158078/original/image-20170223-24107-xasshn.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/158078/original/image-20170223-24107-xasshn.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/158078/original/image-20170223-24107-xasshn.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/158078/original/image-20170223-24107-xasshn.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/158078/original/image-20170223-24107-xasshn.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/158078/original/image-20170223-24107-xasshn.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/158078/original/image-20170223-24107-xasshn.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Deux robots coopérant dans un champs pour effectuer des traitements.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Irstea</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Cette modularité ne se conçoit pas que pour une seule machine, mais également pour une flotte de robots, capables de coopérer entre eux afin d’étendre les capacités de production en tentant de limiter l’impact environnemental. Les projets européens <a href="https://www.youtube.com/watch?v=FquW_WDBIE4">Mars</a> et <a href="https://www.youtube.com/watch?v=WoVBoY-B0kI">Flourish</a> développent de tels concepts à l’aide de machines de petite taille. Le projet Safeplatoon a également montré la capacité de <a href="https://adap2e.irstea.fr/retombees/coop02red/">contrôler plusieurs robots</a> en coordination à l’aide d’une machine conduite manuellement.</p>
<h2>La place des robots dans le système agricole</h2>
<p>De telles avancées permettent d’entrevoir de nouvelles possibilités pour l’agriculture : conjuguer production et respect de l’environnement, tout en réduisant la pénibilité des travaux agricoles. Car elles ont surtout vocation à améliorer les conditions de travail en secondant les agriculteurs. Pour être pleinement efficaces et utiles, ces innovations doivent donc se faire en lien l’ensemble des acteurs de la filière.</p>
<p>Elles s’accompagnent également d’une réflexion plus globale sur l’organisation des exploitations et du travail agricole. Des initiatives, comme la <a href="http://www.axema.fr/AProposAxema/Documents/Axemag-N17-BD.pdf">plateforme RobAgri</a>, témoignent de ce souci de faire en sorte que les robots contribuent socialement, économiquement et écologiquement à l’amélioration de cette activité exigeante qu’est l’agriculture.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/73100/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Roland Lenain a reçu des financements de l’Agence nationale de la recherche (ANR). </span></em></p>L’agriculture est un marché porteur pour l’automatisation. Que ce soit pour augmenter la production ou réduire la pénibilité et les impacts environnementaux, les robots s’installent aux champs.Roland Lenain, Directeur de recherche, équipe « Robotique et mobilité pour l’environnement et l’agriculture », InraeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/572462016-04-06T04:34:46Z2016-04-06T04:34:46ZCrise de l’élevage français, les raisons de la colère<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/117470/original/image-20160405-13536-x6e1rk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/inra_dist/25437725826/in/photolist-EKQZDL-DQrnGN-aCDso3-pccYAR-pcd3gB-prDQf5-DQLWXr-Em37hw-EBG21L-EKR24E-ENa5Xx-EeFbFP-EDX4S4-EKR6ws-F7wHwA-EBG3Au-EBHgqL-DQsyLQ-EeGrTv-EeGrPc-Em4mi5-DQLUxr-Em3b1d-ENabd2-EBG5W1-EeFfTg-DQrnJw-AKMv3S-EKR6rN-DQrnpU-DQNaBx-EeFfA2-EKR3y3-EKR6uo-EBG5Cf-EDX2xz-EeGqqR-Em4jLN-ENbn48-EKSgz1-F9QEvB-EDYfee-DQNbVe-Em4amW-DQrkJE-EDWYvH-EBHgyw-DQNciP-Em4moq-DQNbJT">INRA DIST/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Les huées qui ont accompagné la visite de François Hollande au Salon de l’agriculture, le 27 février dernier, ont braqué les projecteurs sur les difficultés rencontrées par les agriculteurs français – et tout particulièrement les éleveurs. En fonction de leur sensibilité plus ou moins libérale, les commentateurs soulignent soit l’<a href="http://www.fondation-prometheus.org/wsite/publications/newsletter/distorsions-de-concurrence-dans-l%E2%80%99agriculture/">incapacité des réglementations</a> à protéger les agriculteurs face à la concurrence internationale, soit l’<a href="https://www.contrepoints.org/2016/03/02/241252-agriculture-qui-osera-liberer-le-secteur">incapacité des agriculteurs</a> à s’adapter à cette nouvelle donne du fait de dispositifs de soutien trop protecteurs.</p>
<p>Mais cette lecture en surplomb, privée de perspective historique, ne permet pas de comprendre les logiques sociales et politiques de ces manifestations de colère. Pourtant, à y regarder de plus près, cette situation de crise est riche d’enseignements, à condition de se demander qui sont les agriculteurs en question et ce qui les pousse à interpeller les pouvoirs publics.</p>
<h2>Les éleveurs, une place à part</h2>
<p>Il faut d’abord souligner que les éleveurs occupent une place particulière dans le paysage agricole français. Ce sont les principaux héritiers du modèle de l’exploitation familiale, au cœur des politiques de modernisation de l’<a href="http://www.clubdemeter.com/pdf/ledemeter/2013/l_exploitation_agricole_une_institution_en_mouvement.pdf">après-guerre</a>. Ce modèle, cogéré entre l’administration et les organisations professionnelles agricoles, a bénéficié du soutien de tout un appareil d’encadrement technique et politique pendant plusieurs décennies, mobilisant des organisations (chambres d’agriculture, syndicats, crédit et mutuelle), des personnels (conseillers, animateurs, techniciens) et des crédits nationaux ou européens (garantie de prix plancher, subventions, bonifications de prêts).</p>
<p>Au cours des années 1950-1960, ces organisations professionnelles ont été progressivement investies par une génération de petits éleveurs laitiers, formés à l’école de la Jeunesse agricole catholique (<a href="https://rives.revues.org/496">JAC</a>). Jusqu’à l’élection récente à la tête de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (<a href="http://www.fnsea.fr/">FNSEA</a>) de <a href="http://www.lesechos.fr/24/07/2015/lesechos.fr/021226788708_xavier-beulin--le-syndicaliste-pdg-de-l-agriculture-francaise.htm">Xavier Beulin</a>, agrobusinessman spécialisé dans la production de biocarburants, les présidents successifs étaient presque tous issus de cette même lignée.</p>
<p>Le modèle de l’exploitation familiale s’est progressivement délité depuis les années 1970, sous l’effet de deux visions critiques : celle qui lui reprochait de ne pas aller assez loin dans l’<a href="http://www.persee.fr/doc/ecoru_0013-0559_1970_num_86_1_2122">intensification</a> des modes de production, et a contrario celle qui lui reprochait d’être allé déjà trop loin dans l’<a href="https://strates.revues.org/4732">industrialisation</a> de l’agriculture.</p>
<p>Les politiques agricoles nationales et européennes ont eu, dès lors, tendance à faire co-exister deux logiques différentes avec, d’un côté, le soutien aux producteurs capables de se positionner sur les marchés mondiaux et, de l’autre, la préservation d’une agriculture attachée à des terroirs capable de générer des niches économiques autour de produits labellisés, comme l’<a href="http://terrain.revues.org/2703">AOC Beaufort</a> par exemple. Bien que ces deux modèles soient systématiquement opposés, il est frappant de constater qu’ils co-existent depuis maintenant plusieurs décennies davantage qu’ils ne se concurrencent. Cela se traduit notamment dans le système de subventions : aides directes calculées à la surface de l’exploitation favorisant les grands producteurs, et aides spécifiques attribuées, par exemple, aux agriculteurs de montagne.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/at5dzd1tcbo?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">François Hollande visite le Salon de l’agriculture 2016 sous les huées. (BFMTV, 27 février 2016)</span></figcaption>
</figure>
<h2>Crise de la représentation</h2>
<p>Cette dissociation des politiques agricoles qui n’a jamais été formulée clairement ni par l’administration ni par les organisations professionnelles, mais qui s’applique de fait, suscite un profond malaise. Les « bons élèves » des politiques de modernisation agricole de l’après-guerre avaient investi pour augmenter la productivité de leur exploitation et standardiser leur production. Ils se retrouvent aujourd’hui pour nombre d’entre eux entre deux feux du fait de la réorientation progressive des politiques agricoles et de l’appareil d’encadrement. Le mouvement de concentration des capitaux et des moyens de production fragilise ceux qui héritent d’une exploitation familiale et entendent conserver leur indépendance ; l’apparition de labels de qualité ne concerne que des territoires et des produits spécifiques, désavantageant ceux qui s’étaient engagés dans un processus de standardisation.</p>
<p>Malgré l’émergence de la <a href="http://www.confederationpaysanne.fr/">Confédération paysanne</a>, qui s’est structurée à partir de la critique sociale et environnementale du productivisme, la FNSEA a continué de revendiquer le monopole de la représentation syndicale des agriculteurs. Mais elle apparaît depuis quelques années comme débordée par sa propre base ; les incidents récents du salon de l’agriculture en sont une illustration. Des <a href="http://www.cairn.info/load_pdf.php?ID_ARTICLE=HSR_044_0111">travaux sociologiques</a> récents sur la crise du lait de <a href="http://www.robert-schuman.eu/fr/questions-d-europe/0144-l-europe-et-la-crise-du-lait-quelles-regulations-pour-le-secteur-laitier">2009</a> montrent ainsi que ces mobilisations, qui se cristallisent en dehors du syndicalisme, émanent davantage d’agriculteurs ayant opéré de lourds investissements et qui se trouvent dans une logique d’intensification, plutôt que de plus petits exploitants, marginalisés ou protégés du fait de l’autonomie de leur exploitation.</p>
<p>L’expression d’un sentiment de <a href="http://www.lemonde.fr/economie/article/2016/02/27/les-agriculteurs-ont-un-reel-sentiment-d-abandon-vis-a-vis-de-la-societe_4872920_3234.html">colère et d’abandon</a> de la part de certains agriculteurs français ne renvoie donc pas seulement au contexte économique d’une crise momentanée de production, mais aussi à une crise de la représentation politique et syndicale qui s’inscrit dans une histoire plus longue.</p>
<p>Entre les gagnants (provisoires) de la course à l’intensification et ceux qui s’en sont extraits pour investir d’autres modèles économiques, davantage fondés sur la qualité, toute une frange de producteurs se révolte contre le fait d’être laissés pour compte, alors même qu’ils ont consenti d’importants efforts en terme de productivité et ne se considèrent pas (encore) comme des perdants de cette course.</p>
<p>Cette histoire nous incite à réaliser un nouvel inventaire des politiques de modernisation agricole d’après-guerre – parfois un peu hâtivement réduites à leur dimension productiviste – pour mieux saisir comment elles sont parvenues à construire un projet qui incluait au moins une partie des petits et moyens exploitants. Cette histoire nous incite aussi à prêter attention à l’expression de <a href="http://www.onpes.gouv.fr/IMG/pdf/Lettre_ONPES_2_mars2016.pdf">ce sentiment d’abandon</a> et de colère dans différentes couches de la population et dans différents mondes professionnels, et à envisager des politiques qui prennent soin de tous ceux qui ne sont ni armés pour participer à la course à la performance économique, ni capables de s’extraire par eux-mêmes de cette course en explorant des voies alternatives.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/57246/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvain Brunier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Un retour sur les politiques de modernisation du secteur agricole des années 1950 éclaire la profonde crise que traverse une partie des agriculteurs français.Sylvain Brunier, Post-doctorant au Centre de sociologie des organisations, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/546152016-02-29T05:38:11Z2016-02-29T05:38:11ZUn an après : agriculture et paysage, des liens à géométrie variable<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/159148/original/image-20170302-14717-2c5ykp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption"></span> <span class="attribution"><a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p><em>Publié à l’occasion du Salon de l’agriculture 2016, cet article est désormais porté par une touche poétique, celle du dessinateur <a href="http://www.remimalingrey.com/">Rémi Malingrëy</a>, avec la référence gaullienne aux 365 fromages évoquant la foultitude de paysages agraires qui composent notre patrimoine, partagé et à transmettre. Rejoignons la palette optimiste de l’artiste, mais sans baisser la garde face à la banalisation des paysages et à l’érosion de la biodiversité.</em></p>
<hr>
<p>Sur des siècles, des générations successives ont bâti des finages soignés, déjà perceptibles dans les enluminures du <a href="http://crdp.ac-amiens.fr/ressources-culture/data/pdfdames/tresriche.pdf">livre d’Heures</a> du duc de Berry (XV<sup>e</sup> siècle). Pour la communauté rurale, ces finages rassemblaient un ensemble fort varié de terres cultivées pour subsister, disposer du pain quotidien et du pot (potage). Ces mêmes surfaces correspondent aujourd’hui à l’étendue d’une ou deux fermes. Découlèrent de ces pratiques agraires des paysages riches en biodiversité, souvent pittoresques, tracés dans des mailles étroites.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/112000/original/image-20160218-1261-dsd9jh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/112000/original/image-20160218-1261-dsd9jh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=640&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/112000/original/image-20160218-1261-dsd9jh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=640&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/112000/original/image-20160218-1261-dsd9jh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=640&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/112000/original/image-20160218-1261-dsd9jh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=804&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/112000/original/image-20160218-1261-dsd9jh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=804&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/112000/original/image-20160218-1261-dsd9jh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=804&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Extrait des « Très Riches Heures » du duc de Berry.</span>
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<p>Perçues comme presque immobiles, ces organisations ont pourtant évolué sur des pas de temps très longs. Des successions d’occupations spatiales dynamiques et très variées s’enchaînèrent. Les temps troublés virent ainsi l’effondrement des paysages (haut Moyen Âge, épisodes de la Guerre de Cent Ans). Entre 1827 et 1990, la forêt fut très conquérante, sa surface passant de 6,4 à 13,6 millions d’hectares.</p>
<h2>Dans la mémoire des sols</h2>
<p>Petits polyculteurs et laboureurs aidés par des cohortes abondantes de manouvriers avaient construit des paysages que nous idéalisons parfois. Jusque vers 1860, ces ruraux ont accompagné la transition démographique qui fit des campagnes pleines, voire surpeuplées, avant que les révolutions industrielles successives permettent d’aller vivre à la ville.</p>
<p>Tous ces épisodes empilés forment une matrice territoriale revendiquée, chargée de valeurs patrimoniales ou fondatives pour notre Nation. Dans les paysages évoqués se retrouvent des lignes de force, des cicatrices qui ont fait vibrer nos poètes et historiens. Ces traits et traces sont désormais facilement identifiables lus du ciel, par exemple sur le site <a href="https://remonterletemps.ign.fr">Remonterletemps.IGN.fr</a>.</p>
<p>Toute cette construction se fit au pas du cheval, lentement, de façon têtue et opiniâtre. Elle s’inscrit dans la mémoire des sols pour le bonheur des archéologues du rural. Ce legs est aussi nostalgie, souvenir déformé de paysanneries laborieuses et routinières, frileuses parce que vivant dans la pénurie. Leurs productions nourrissaient mal le pays. La balance commerciale agricole est restée déficitaire jusqu’en 1971. Ces temps de connivence étroite entre les paysans et les paysages qu’ils construisaient durèrent jusque hier, vers 1960.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/112001/original/image-20160218-1283-1yf7vp1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/112001/original/image-20160218-1283-1yf7vp1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=283&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/112001/original/image-20160218-1283-1yf7vp1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=283&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/112001/original/image-20160218-1283-1yf7vp1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=283&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/112001/original/image-20160218-1283-1yf7vp1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=356&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/112001/original/image-20160218-1283-1yf7vp1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=356&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/112001/original/image-20160218-1283-1yf7vp1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=356&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Comparaison d’un même territoire à deux époques différentes.</span>
<span class="attribution"><span class="source">remonterletemps.ign.fr</span></span>
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<h2>À l’heure des changements accélérés</h2>
<p>Après 1960, le couple paysan-paysage s’étiole, l’éloge de la lenteur également. Les courbes des productions sont ascensionnelles. On ne dira jamais assez que le rendement du blé s’inscrivait dans la fourchette 8-20 quintaux à l’hectare il y moins d’un siècle et qu’il est désormais de 40 à 120 quintaux selon les lieux et les années, soit une moyenne de 75 quintaux.</p>
<p>Toutes les productions agricoles ont changé, s’affolent, obéissent bien malgré elles à des courbes spéculatives seulement freinées par les conditions naturelles. Parmi les cultures les plus impérialistes, la diffusion du maïs changea la donne paysagère et diffusa l’irrigation bien au-delà de ses territoires traditionnels, les assolements furent prioritairement dictés par les marchés. Sur les terres à cailloux de l’Est du Bassin parisien, il fallut garder le colza dans les rotations pour ne pas trop charger la terre en intrants. L’harmonie du vert et jaune fut ainsi sauvée, la qualité des sols préservée. Sur les craies de Champagne pouilleuse, on ne s’embarrassa pas de ces contraintes. Les logiques inverses existent également. On commence à mesurer les impacts paysagers créés par la disparition des quotas laitiers et ses répercussions (libéralisation des marchés, baisse des prix du lait). Les velléités de bâtir des fermes immenses, sans dimension familiale ni bien insérées dans le paysage débutent.</p>
<p>Aujourd’hui, les lieux de la ruralité sont pluriels. Ils peuvent être vivants mais désertés par l’agriculture (campagnes <a href="http://www.la-croix.com/Actualite/France/Le-rurbain-nouvelle-espece-en-voie-d-expansion-2014-01-14-1089239">« rurbanisées »</a> ), pérennes mais soumis à une simplification paysagère parfois excessive (modèles de grande agriculture), gommés par l’étalement urbain mal maîtrisé faute d’efficacité suffisante des schémas de cohérence territoriale <a href="http://www.territoires.gouv.fr/schema-de-coherence-territoriale-scot">SCoT</a> ou encore gagnés par la friche et la forêt. Les réponses à donner sont donc plurielles, jamais définitives. Elles invitent à réfléchir aux externalités offertes par nos décisions. Il s’agit tout particulièrement de bien prendre la mesure des effets induits sur la qualité des systèmes (eau, air, société).</p>
<h2>Des révolutions agricoles aux effets imprudents</h2>
<p>Après les temps difficiles de la Reconstruction avait débuté ce que le syndicaliste <a href="http://www.la-croix.com/Archives/1997-06-13/Agriculture-Michel-Debatisse-architecte-du-monde-paysan-L-ancien-leader-de-la-JAC-puis-de-la-FNSEA-vient-de-mourir-dans-son-village-du-Puy-de-Dome-_NP_-1997-06-13-429993">Michel Debatisse</a> appela « la révolution silencieuse », celle de la modernisation à marche forcée de l’agriculture au sein de l’Europe verte. Cette mutation rapide fit entrer la France dans le groupe fort réduit des grandes puissances agricoles.</p>
<p>Elle permit de nourrir en abondance, à bon marché et sans souci de dépendance pour le pays. Cette mutation rapide repose sur quatre opérations successives. D’abord l’essor de la mécanisation et son corrélat, les opérations de remembrement et de drainage qui ont conduit à une simplification des objets connexes (haies, bosquets, ripisylves) et des zones humides (mardelles, prairies inondables).</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/112006/original/image-20160218-12817-1undrid.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/112006/original/image-20160218-12817-1undrid.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/112006/original/image-20160218-12817-1undrid.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/112006/original/image-20160218-12817-1undrid.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/112006/original/image-20160218-12817-1undrid.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/112006/original/image-20160218-12817-1undrid.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/112006/original/image-20160218-12817-1undrid.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Dans la Beauce, des champs de céréales à perte de vue.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ensuite, la révolution génétique qui impose la sélection des hybrides et l’omniprésence des puissants semenciers, la raréfaction des races locales au mieux reléguées dans des conservatoires ou des labels de protection, par exemple au bénéfice du porc cul noir du Limousin ou du porc blanc de l’Ouest. Enfin, la révolution informatique qui permet de réaliser d’importants gains de productivité, mais accélère les tensions spéculatives. Elle développe des systèmes déterritorialisés adaptés aux normes de la mondialisation, à la forte demande en matière de toutes sortes, y compris agricole, exprimée par la Chine depuis une décennie. Ainsi, les céréaliers lorrains vendent par pleines péniches de l’orge transformée dans les brasseries de la rivière des Perles.</p>
<h2>Des connivences à réinventer</h2>
<p>Les modèles agricoles conquérants ont montré des limites écosystémiques, économiques, déontologiques. Ils ne sont plus toujours en phase avec les demandes des consommateurs attentifs à disposer de traçabilité, de certification, voire de produits « bio ».</p>
<p>Derrière ces propos, beaucoup d’attentes, de déceptions, d’incompréhensions ayant par exemple contribué à l’amalgame entre paysan et pollueur. Les progrès enregistrés par l’écologie du paysage sont surtout postérieurs à l’essor des premières révolutions agricoles. L’agronome <a href="http://www.laviedesidees.fr/Rene-Dumont-les-quarante-ans-d-une.html">René Dumont</a> avait été un précurseur de ces alertes dans les années 1960. Nos connaissances sur le fonctionnement des <a href="http://www.irstea.fr/nos-editions/dossiers/feu-vert-pour-la-trame-verte-et-bleue">trames vertes et bleues</a>, sur la biodiversité ordinaire et sur la vie des sols sont assez récentes. Elles invitent à trouver un nouveau contrat pour les agricultures.</p>
<p>Les contrats territoriaux d’exploitation <a href="http://www7.inra.fr/lecourrier/assets/C41Domas.pdf">(CTE) </a> furent une tentative en faveur de ce changement. Aujourd’hui, il faut admettre de faire cohabiter plusieurs scénarios, plusieurs rythmes d’évolutions agricoles et plaider pour tous une part croissante de la rémunération du travail sur les primes. Comment mieux produire, mieux fertiliser, mieux vendre ses productions, réduire les distances entre les lieux de production et de consommation ?</p>
<p>Les champs de ces interrogations sont fertiles, inventifs et assez bien servis par la communication. Un nombre croissant de GAEC et EARL font leur promotion, vantant par exemple leur recherche de circuits courts ou leurs pratiques économes. Ce peut être l’assolage, une forme prudente de la conduite de l’assolement afin de réduire la fatigue du sol ou encore la fabrique de ses aliments à la ferme <a href="http://www.lavolontepaysanne.fr/fr/detail-article/cuma-fabriquer-ses-aliments-a-la-ferme-%5Bvideo%5D_IDVP1681.php">(FAF) </a> pour valoriser ses récoltes. La prudence passe également par des labours peu profonds, l’essentiel de la fertilité étant dans l’épiderme de la terre. Toutes ces idées cheminent et devraient provoquer des changements dans les paysages.</p>
<p>Enfin, dans le cadre de la PAC 2014-2020, le respect du <a href="http://agriculture.gouv.fr/fiches-explicatives-sur-le-verdissement-de-la-pac">verdissement</a> est mis en place, avec concrètement la délimitation de 7 % de surface écologique au sein des parcelles de plus de 15 hectares. Cette décision doit freiner les évolutions simplificatrices. Pour l’instant, celles-ci restent dominantes et les difficultés dans lesquelles se débattent les paysans ne laissent pas augurer de changements rapides car certains pensent avant tout à échapper à la faillite.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/54615/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Pierre Husson ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment les pratiques agricoles et leurs évolutions ont façonné au fil des siècles le paysage rural français.Jean-Pierre Husson, Professeur de géographie, président de l’Académie de Stanislas, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/552592016-02-25T21:59:01Z2016-02-25T21:59:01ZÀ quoi ressemblera l’agroforesterie de demain ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/112769/original/image-20160224-29156-6anu0j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">À Roquefixade, dans l’Aude, les haies structurent toujours le paysage. </span> <span class="attribution"><span class="source">E.T/Cirad</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Pour l’agroforesterie, l’un des défis futurs consistera à instaurer une bonne entente entre voisins. Dans l’agriculture contemporaine industrielle, l’arbre est un ennemi, comme en témoignent l’océan de blé de la Beauce ou celui des rizières du Bangladesh. Pour atteindre leurs objectifs de production, les monocultures de l’agronomie conventionnelle du XX<sup>e</sup> siècle ont simplifié à outrance les paysages agraires. Plus de <a href="http://www7.inra.fr/dpenv/pointc46.htm">haies</a>, plus d’arbres qui pourraient gêner les travaux des champs. On a voulu consacrer le maximum d’espace aux cultures saisonnières et limiter les arbres aux plantations forestières et aux vergers.</p>
<p>En ce début de XXI<sup>e</sup> siècle, le renouveau de l’agroforesterie montre qu’il faut renverser la tendance : partir du postulat que l’arbre et les cultures peuvent faire bon ménage et rechercher toutes les options permettant de favoriser au mieux cette cohabitation. D’autant que les mentalités sont en train d’évoluer : l’agroforesterie a désormais sa place dans <a href="http://agriculture.gouv.fr/fiches-explicatives-sur-le-verdissement-de-la-pac">les politiques agricoles européennes</a> et se trouve recommandée comme l’une des options permettant de lutter contre le changement climatique tout en s’y adaptant.</p>
<h2>À la recherche de la synergie écologique</h2>
<p>Il faut néanmoins prendre en compte le fait qu’arbres et cultures ne sont pas toujours compatibles. Il existe des cas où des phénomènes de concurrence apparaissent : si des racines superficielles des arbres envahissent un champ, si l’ombre des arbres est trop intense ou si des composés volatils émis par les arbres compromettent la croissance des cultures.</p>
<p>Mais ces phénomènes de concurrence doivent être mis en face d’éventuels mécanismes de complémentarité. Si la présence des arbres permet de protéger une parcelle du vent, par exemple, il est astucieux d’être prêt à renoncer à quelques rangs de cultures à proximité des arbres. Si ces derniers permettent de favoriser les auxiliaires de certaines cultures et ainsi de diminuer l’utilisation de pesticides, même chose. Ou encore, lorsque des haies bien entretenues permettent de limiter l’érosion du sol, protéger la biodiversité ou les nappes phréatiques.</p>
<p>Tout l’art de l’agroforesterie du futur consistera donc à rechercher tous ces mécanismes de synergie écologique et les favoriser, que ce soit dans une parcelle de céréales, les berges d’une rivière, ou à l’échelle du <a href="http://afac-agroforesteries.fr/wp-content/uploads/2015/02/article-bocage-Odile-Marcel-revue-Sites-et-Monuments.pdf">paysage d’un bocage</a>, par exemple.</p>
<h2>Des milliers d’espèces à tester</h2>
<p>L’utilisation des arbres en production agricole peut aller beaucoup plus loin, notamment lorsque l’arbre lui-même produit de l’alimentation. Et ceci ne concerne pas que les fruits de nos desserts. On connaît en France le châtaignier des Cévennes, mais qui se souvient de l’époque où la farine de châtaigne assurait une importante production de pain ?</p>
<p>Dans la zone tropicale, les arbres sources d’alimentation sont légion. Que l’on pense aux <a href="http://www.fruits-journal.org/articles/fruits/pdf/2006/01/i6005.pdf">feuilles du baobab</a> consommées en Afrique, aux haricots du néré ou au beurre de karité. Les arbres peuvent aussi produire du fourrage pour les animaux, du nectar pour les abeilles, des écorces ou des racines médicinales, etc. Pour toutes ces productions, il faut réinventer l’aménagement de l’espace rural afin que les arbres utiles y trouvent leur place en association avec les autres activités agricoles.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/112760/original/image-20160224-32745-1ni5ixv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/112760/original/image-20160224-32745-1ni5ixv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/112760/original/image-20160224-32745-1ni5ixv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/112760/original/image-20160224-32745-1ni5ixv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/112760/original/image-20160224-32745-1ni5ixv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/112760/original/image-20160224-32745-1ni5ixv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/112760/original/image-20160224-32745-1ni5ixv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/112760/original/image-20160224-32745-1ni5ixv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Néré dans la savane du Burkina Faso. Les graines contenues dans les fruits de cet arbre sont très riches en protéines.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wiktionary.org/wiki/n%C3%A9r%C3%A9#/media/File:Parkia_biglobosa_Burkina.jpg">Vitellaria/Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Il faut aussi identifier les bonnes variétés, parfois sélectionnées depuis des générations par des agriculteurs avertis, et continuer à les améliorer, les diffuser à grande échelle. Il existe des milliers d’espèces d’arbres tropicaux qui sont rarement mises en culture et ne sont récoltées qu’à l’état sauvage, par exemple le prunier d'Afrique. Un immense champ d’investigation pour les productions arborées agroforestières s’ouvre devant nous, notamment dans les pays tropicaux.</p>
<p>Ce sont aussi les cultures à associer aux arbres qu’il faut améliorer. Par exemple celles qui sont tolérantes à l’ombre (certaines variétés de haricots, des tubercules comme les ignames) et cohabiteraient naturellement avec des arbres afin de créer une authentique « agriculture multi-étagée ». Ainsi pourrait-on faire d’une pierre deux coups : diversifier les productions dans l’intérêt des agriculteurs tout en faisant jouer aux arbres le rôle important qu’ils peuvent avoir en tant que « puits de carbone » pour atténuer les effets du changement climatique.</p>
<p>Mais là encore, de nombreuses questions demeurent : combien faut-il d’agroforêts pour compenser les émissions de gaz carbonique dues à la déforestation tropicale ? Peut-on contribuer au stockage de carbone dans le sol, reconnu comme essentiel pour lutter contre le changement climatique, avec les arbres de l’agroforesterie ? Quelles sont les espèces les plus performantes pour assurer cette fonction tout en assurant une production alimentaire ou de bois d’œuvre ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/55259/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Torquebiau ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Troisième et dernier volet de notre série sur l’agroforesterie, cette méthode ancestrale qui opère un retour remarqué sous nos latitudes.Emmanuel Torquebiau, Chercheur en écologie tropicale et agroforesterie, CiradLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/552572016-02-24T22:07:50Z2016-02-24T22:07:50ZL’agroforesterie en exemples gagnants<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/112883/original/image-20160225-15156-1gqgt00.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Parc agroforestier au Cameroun. </span> <span class="attribution"><span class="source">E.T/Cirad</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>L’arbre se trouve au cœur des premières expériences agricoles menées par l’homme : dès le néolithique, ce dernier se livrait à l’abattis-brûlis, pratique consistant à défricher des parcelles de forêt pour y implanter des cultures, puis à laisser la jachère reconstituer le sol et la forêt après quelques années de culture. Et, depuis la nuit des temps, l’homme élève des animaux de manière nomade ou semi-nomade sur des terrains de parcours, grandes formations naturelles où les parties tendres des arbres et arbustes (le brout) jouent un rôle primordial dans l’alimentation du bétail, surtout pendant les saisons sèches.</p>
<p>En raison de l’exploitation immodérée des ressources naturelles dans le monde d’aujourd’hui, ces pratiques traditionnelles ne sont plus en équilibre avec le milieu. Il en subsiste toutefois de nombreuses traces dans l’agroforesterie contemporaine. Les <a href="http://books.openedition.org/irdeditions/3336?lang=fr">arbres fourragers</a> constituent ainsi une grande part de la ration alimentaire des troupeaux du Sahel et d’autres zones semi-arides. Les « agroforêts » tropicales, où l’on associe plusieurs strates arborescentes, des cultures de sous-bois et parfois de l’élevage, témoignent de la domestication ancienne des forêts par l’homme.</p>
<h2>Les multiples services agricoles de l’arbre</h2>
<p>Dans les paysages ruraux d’aujourd’hui, surtout en zone tempérée, les marques de cette proximité entre forêt et agriculture ont presque toutes disparu, mais l’arbre a néanmoins gardé sa place ici et là. Le bocage, les haies, les vergers fruitiers à cultures associées de la vallée de l’Isère, en France, les brise-vent de cyprès de la vallée du Rhône ou les vignes qui grimpent sur des arbres au Portugal et en Sicile, l’association entre céréales, élevage porcin et chênes dans la <em><a href="http://www1.montpellier.inra.fr/safe/conferences/Paris/4-Gerry%20Lawson%20APCA-Europe-Fr.pdf">dehesa</a></em> espagnole, sont autant de témoins d’une agriculture forestière.</p>
<p>Dans ces paysages, l’arbre crée de l’hétérogénéité. Il participe à la conservation de la biodiversité et contribue au fonctionnement équilibré des agro-écosystèmes auxquels il appartient. Enfin, et surtout, l’arbre est impliqué dans <a href="https://theconversation.com/attenuation-adaptation-50680">l’adaptation</a> aux modifications du climat, en contribuant à la <a href="https://theconversation.com/resilience-51449">résilience</a> de ces espaces face à l’aléa climatique. Il atténue aussi le changement climatique en cours, en <a href="https://theconversation.com/les-forets-tropicales-des-puits-de-carbone-hautement-vulnerables-54281">fixant du carbone</a> grâce à son importante biomasse aérienne et souterraine.</p>
<p>Les plantations de caféiers ou de cacaoyers sous arbres d’ombrage sont l’un des exemples contemporains d’agroforesterie les plus spectaculaires. On en trouve en Amérique latine, au Cameroun, au Ghana, en Indonésie. Sous ombrage, la production de fruits est de qualité et si les rendements sont légèrement inférieurs à ceux des plantations industrielles de plein soleil, le revenu final est meilleur pour l’agriculteur car les investissements de plantation, en produits phytosanitaires, eau d’irrigation, main d’œuvre, sont réduits. Les arbres d’ombrage produisent aussi du bois, tout en fixant et améliorant le sol. <a href="http://www.fao.org/docrep/005/y2328f/y2328f10.htm">Le café</a> et le cacao « agroforestiers » sont aujourd’hui recherchés dans le monde entier.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/112594/original/image-20160223-16447-q9rrpg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/112594/original/image-20160223-16447-q9rrpg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/112594/original/image-20160223-16447-q9rrpg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/112594/original/image-20160223-16447-q9rrpg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/112594/original/image-20160223-16447-q9rrpg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/112594/original/image-20160223-16447-q9rrpg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/112594/original/image-20160223-16447-q9rrpg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Agriculture « multi-étagée » dans le delta du Nil en Égypte.</span>
<span class="attribution"><span class="source">E.T/Cirad</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<h2>Les champions agroforestiers</h2>
<p>Les jardins agroforestiers, tels ceux d’Indonésie, constituent peut-être le nec plus ultra de l’agroforesterie : une couche supérieure de végétation, composée de grands arbres, recouvre des arbres plus petits, des arbustes, des lianes, des palmiers et diverses plantes, lesquelles forment ainsi plusieurs strates superposées, plus ou moins tolérantes à l’ombre.</p>
<p>Des activités d’élevage, telles que basse-cour, petits ruminants, étangs de pisciculture, sont aménagées dans le sous-bois, à proximité des habitations. L’équilibre écologique de ces « agroforêts » est parfait, comparable à celui d’une forêt naturelle, notamment en raison de l’étonnante biodiversité qu’on y trouve. Ces mêmes principes d’« agriculture multi-étagée » sont aussi appliqués en Égypte, dans le delta du Nil. Des palmiers dattiers abritent trois couches superposées de cultures, en production intensive irriguée : des oliviers, des agrumes et des plantes potagères.</p>
<p>Dans les zones sèches d’Afrique, la pratique agricole la plus courante consiste à conserver dans les champs des arbres dispersés sous lesquels on entretient différentes cultures annuelles, par exemple du sorgo, du mil ou des légumineuses. Pendant la saison sèche, ces champs sont utilisés par le bétail.</p>
<p>Cette forme d’agriculture sempervirente, parfois appelée « parc agroforestier » est l’objet de toutes les attentions depuis quelques années car on lui reconnaît de multiples rôles bénéfiques, allant de la diversification des revenus à la protection du sol et de la préservation de la biodiversité jusqu’à une résilience améliorée face au changement climatique.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/112585/original/image-20160223-16455-19lup81.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/112585/original/image-20160223-16455-19lup81.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=857&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/112585/original/image-20160223-16455-19lup81.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=857&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/112585/original/image-20160223-16455-19lup81.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=857&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/112585/original/image-20160223-16455-19lup81.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1077&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/112585/original/image-20160223-16455-19lup81.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1077&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/112585/original/image-20160223-16455-19lup81.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1077&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">En Nouvelle-Zélande, élevage et plantations.</span>
<span class="attribution"><span class="source">www.teara.govt.nz</span></span>
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</figure>
<p>Dans les zones tempérées, l’agroforesterie d’aujourd’hui prend des formes différentes. La Nouvelle-Zélande et l’<a href="http://agroforestry.org.au/main.asp">Australie</a>, par exemple, pratiquent l’élevage dans des plantations d’arbres. En France, outre la renaissance des haies rurales, on assiste à un renouveau de l’agroforesterie, sous forme d’alignements d’arbres dans des parcelles céréalières. Les recherches ont montré que de telles associations sont bénéfiques à la fois pour l’arbre et pour la culture, donc pour l’agriculteur. Et elles sont également favorables à la biodiversité, au climat et à l’environnement en général. L’arbre de l’agroforesterie, parfois appelé « arbre hors-forêt » a sans aucun doute de beaux jours devant lui.</p>
<p><br>
<em>Emmanuel Torquebiau est notamment l’auteur de <a href="http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=23970">« L’agroforesterie,
Des arbres et des champs »</a> (éd. L’Harmattan).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/55257/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Torquebiau ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Second volet de notre série sur l’agroforesterie, cette méthode ancestrale qui opère un retour remarqué sous nos latitudes.Emmanuel Torquebiau, Chercheur en écologie tropicale et agroforesterie, CiradLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.