tag:theconversation.com,2011:/uk/topics/savoir-23917/articlessavoir – The Conversation2024-01-23T16:35:27Ztag:theconversation.com,2011:article/2212382024-01-23T16:35:27Z2024-01-23T16:35:27ZFormation ou expérience : de quoi nos compétences dépendent-elles vraiment ?<p>L’âge de Gabriel Attal, né en 1989 et <a href="https://www.lexpress.fr/monde/le-premier-ministre-ressemble-a-un-nouveau-ne-gabriel-attal-vu-par-la-presse-etrangere-EUIBMBSSEZDZ5FGGAIV35OZH24/">nommé premier ministre le 9 janvier dernier</a>, a fait couler beaucoup d’encre, en France et à l’étranger. Trente-quatre ans, n’est-ce pas un <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2024/01/09/quels-sont-les-records-d-age-et-de-longevite-des-premiers-ministres-de-la-v-republique_6209915_4355770.html">peu jeune pour diriger un gouvernement</a> ? On pourrait rétorquer d’emblée, avec <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-pierre-corneille-en-quatre-tragedies-et-une-comedie">Corneille</a>, que l’âge ne fait rien à l’affaire. Car, « aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années », disait la célèbre tragi-comédie du XVII<sup>e</sup> siècle <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54586108/f3.item"><em>Le Cid</em></a> dans une réplique qu’ont apprises des générations de collégiens.</p>
<p>Encore faudrait-il dire ce qu’est une âme bien née, ce qui soulève le problème des dons ; et préciser de quelle « affaire » il s’agit. Existe-t-il des tâches, ou des fonctions, pour lesquelles on est trop jeune… ou trop vieux ? Et cela ne dépend-il pas essentiellement de capacités propres aux individus ?</p>
<p>C’est toute la question du rapport entre les compétences, et l’expérience, qui se trouve posée. Examiner cette question nous permettra de mieux comprendre la dynamique du processus éducatif. Car c’est elle qui, pour l’essentiel, et en jeu dans cette « affaire ». Qu’en disent les sciences de l’éducation ?</p>
<h2>Savoirs, compétences, expérience : des réalités distinctes ?</h2>
<p>À première vue, les compétences et l’expérience sont deux réalités bien distinctes. Dans le sens du mouvement créé par le développement, tant dans le domaine de la formation, que dans celui de l’éducation, de <a href="https://theconversation.com/faut-il-continuer-a-noter-les-eleves-184694">pratiques d’évaluation centrées sur les compétences</a>, celles-ci ont fait l’objet de nombreux travaux.</p>
<p>Le Gouvernement du Québec définit la <a href="https://ulysse.univ-lorraine.fr/discovery/fulldisplay/alma991005643969705596/33UDL_INST:UDL">compétence</a> comme « un savoir agir fondé sur la mobilisation et l’utilisation efficaces d’un ensemble de ressources ». Ce qui distingue la compétence d’un simple savoir, lequel n’est pas directement opératoire. La compétence implique :</p>
<ul>
<li><p>la possession de ressources (en termes de savoirs et de savoir-faire) ;</p></li>
<li><p>la capacité de mobiliser de façon adéquate ces ressources, pour faire face à des familles de tâches (ex. : conduire une voiture ; installer un chauffe-eau) ;</p></li>
<li><p>et donc l’existence de familles de tâches identifiables dans l’univers des tâches possibles (ex. : les problèmes de soustraction ; la conduite d’un ministère).</p></li>
</ul>
<p>Mais la compétence n’est pas une donnée immédiate. Fait capital, elle se construit, grâce à un apprentissage. Certes, cette construction repose sur un socle de capacités que l’on peut considérer comme innées. Puis, une fois construite, la compétence se situe du côté des ressources internes des individus ; et, à ce titre, du côté du donné – mais d’un donné construit. Alors que l’expérience, forgée au fil du temps, est sans conteste et totalement du côté de l’acquis.</p>
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<figcaption><span class="caption">De plus en plus, dans le champ du recrutement, on parle en termes de « compétences ». (France Travail, 2019).</span></figcaption>
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<p>L’expérience peut s’entendre de deux façons. Elle est de l’ordre du fait brut : avoir de l’âge ; avoir vécu ; avoir rencontré et résolu des problèmes. Et de l’ordre de la maturité, consécutive à ce vécu : celui-ci a laissé des traces sous la forme d’une familiarité avec les problèmes, ou d’une véritable sagesse, qui rendent plus facile, et plus efficace, l’entrée en jeu de ses compétences.</p>
<p>Il y a bien alors un acquis important, qui s’intègre au « bagage » des ressources personnelles. On apprend de ses expériences, et l’ensemble de ces apprentissages constitue ce que l’on appelle l’expérience.</p>
<h2>Éduquer : ouvrir un champ pour la réalisation de soi</h2>
<p>Finalement, le donné et l’acquis sont en interconnexion. Compétence et expérience sont à la fois l’objet, et le fruit, d’un apprentissage. Quand le développement de l’individu est positif, compétences et expérience agissent de concert et travaillent dans le même sens. On pourrait définir à cet égard quatre grands cas de figure :</p>
<ul>
<li><p>l’individu compétent, mais sans expérience (le novice).</p></li>
<li><p>expérimenté mais avec un bagage très restreint de compétences (le professionnel limité, au champ d’exercice étroit).</p></li>
<li><p>sans compétence ni expérience.</p></li>
<li><p>et à la fois expérimenté, et très compétent (l’expert ouvert à toutes sortes de situations, et qui échappe à l’enfermement technocratique).</p></li>
</ul>
<p>L’éducation et la formation ont pour mission de faire progresser vers ce dernier idéal. Car le développement de la personne ne peut se faire en dehors d’un milieu humain, qui offre un environnement déterminé (historique, économique, social, politique, familial). Cet environnement propose, ou non, un accompagnement adéquat pour faire fructifier le socle de potentialités, désirs, capacités, propres à chacun.</p>
<p>C’est pourquoi le prix Nobel d’économie <a href="https://www.economie.gouv.fr/facileco/amartya-sen">Amartya Sen</a> propose de parler de « capabilités » plutôt que de capacités. Chaque capabilité ouvre sur un champ de réalisation de soi (ex. : se nourrir ; participer à la vie politique) où l’on pourra construire des compétences, et acquérir une expérience… si le milieu a une valeur éducative, et formatrice. C’est-à-dire s’il s’organise en milieu susceptible de favoriser les apprentissages.</p>
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<figcaption><span class="caption">Qu’est ce que les capabilités ? (FNEGE Médias, 2021)</span></figcaption>
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<p>À tout moment, chacun est (entre autres, car aucune personne humaine ne se réduit à cela) la somme de ses compétences, et le résultat de son expérience. Les compétences se construisent et évoluent. Leur état conditionne l’expérience, elle-même en élaboration progressive.</p>
<p>Chacun est engagé dans une spirale dont la positivité n’est jamais assurée, et qui peut se révéler tout autant destructrice, que majorante (au sens où Jean Piaget parlait d’une <a href="https://www.fondationjeanpiaget.ch/fjp/site/presentation/index_notion.php?NOTIONID=85">« équilibration majorante »</a>, qui permet de grandir et d’accroître son pouvoir d’agir). Tout dépend de la qualité de la construction de soi en termes de compétences et d’expérience, et de la qualité de l’offre d’éducation et de formation que propose le milieu dans lequel on a la chance, ou la malchance, de se trouver.</p>
<h2>L’être humain, un être à jamais inachevé</h2>
<p>Il faut être attentif, enfin, à une dernière caractéristique du développement de l’être humain : c’est un processus doublement marqué par un inachèvement constitutif. Dans son ouvrage <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1964_num_5_4_6400"><em>L’entrée dans la vie. Essai sur l’inachèvement de l’homme</em></a>, Georges Lapassade a remarquablement décrit l’homme comme un être à la fois prématuré et « immaturé », « à jamais marqué par un inachèvement originel ».</p>
<p>Plasticité et fragilité sont deux caractéristiques humaines fondamentales. Si bien que la capacité de perfectionnement de soi (pour qui bénéficie d’une spirale majorante…) n’est que l’autre face de « l’inachèvement permanent de l’individu… à l’image de l’inachèvement permanent de l’espèce ». Double inachèvement qu’exprime l’idée de <a href="https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/n%C3%A9ot%C3%A9nie/54244">« néoténie »</a>), capacité de progresser par l’épanouissement de formes juvéniles, sans espoir d’achèvement complet et définitif.</p>
<p>En termes simples, cela signifie que l’éducation ne peut être que permanente. Et que chacun est sommé de se donner les moyens de progresser toujours, vers l’idéal de l’individu ayant développé pleinement ses capabilités, dans le cadre d’un <a href="https://www.eyrolles.com/Entreprise/Livre/orientation-et-formation-tout-au-long-de-la-vie-9782367176321/">« trajet de formation émancipateur »</a>.</p>
<p>Dans le meilleur des cas, les compétences et l’expérience s’enrichissent mutuellement au cours d’un développement que l’éducation a pour mission principale d’orchestrer, avant que chacun ne prenne le relais pour devenir l’autorégulateur de sa propre vie.</p>
<p>Mais ce processus d’éducation, puis d’autoéducation, est sans fin. Personne ne peut se prévaloir d’avoir atteint la maturité, et d’être devenu adulte. D’où la pertinence du concept d’« anthropolescence » (sur le modèle du terme « adolescence ») que <a href="https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2022/10/26/la-mort-de-guy-avanzini-pionnier-des-sciences-de-l-education_6147447_3382.html">Guy Avanzini</a> a proposé pour désigner « <a href="https://www.labouquinette.fr/livre/9782865863280-cahiers-binet-simon-n-4-94-libres-propos-sur-l-ecole-collectif/">cet être humain qui ne cesse de se renouveler</a> et, né plusieurs, ne cesse de manifester, et de se manifester, sa pluralité, à travers un renouvellement de lui-même ».</p>
<p>C’est pourquoi, enfin, n’en déplaise à Corneille, ce n’est qu’à la fin d’une vie que l’on peut savoir si l’âme qui s’en va était « bien née ». Car, paradoxalement, c’est à l’aune du développement que l’on peut apprécier la qualité d’un donné initial. Ce n’est qu’à la fin de l’histoire que la vérité (toujours relative) se révèle.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221238/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Charles Hadji ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Existe-t-il des tâches, ou des fonctions, pour lesquelles on est trop jeune… ou trop vieux ? Retour sur ce que les sciences de l’éducation nous disent du rapport entre expérience et compétences.Charles Hadji, Professeur honoraire (Sciences de l’éducation), Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2128312023-09-13T19:52:24Z2023-09-13T19:52:24ZPourquoi les discriminations nourrissent l’ignorance – et inversement<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/548083/original/file-20230913-15-v3c4g9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=39%2C0%2C743%2C443&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Margaret Qualley, dans la série Maid, interprète une jeune femme devenue femme de ménage pour échapper à une relation abusive. Son personnage, discriminé, éprouve des difficultés à rendre compte de son expérience afin d’être comprise par son entourage. </span> <span class="attribution"><span class="source">Netflix</span></span></figcaption></figure><p>En 2021, une <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/fc5a96e5fc19ccdcf46fd9d55339591b/Dares%20Analyses_testing_discrimination_embauche.pdf">étude menée sous l’égide de la DARES</a> sur les discriminations <a href="https://theconversation.com/quy-a-t-il-de-discriminant-dans-un-cv-les-enseignements-de-la-recherche-experimentale-151808">à l’embauche</a> conduit à la conclusion suivante : « en moyenne, à qualité comparable, les candidatures dont l’identité suggère une origine maghrébine ont 31,5 % de chances de moins d’être contactées par les recruteurs que celles portant un prénom et nom d’origine française ». Plus généralement, en dix ans, <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/6473349">l’Insee constate une hausse de 4 points</a> des discriminations dont les trois principales sources sont le sexe, l’origine et l’âge. Face à une telle tendance, le <a href="https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/rap-origine-num-15.06.20.pdf">Défenseur des droits</a> en appelait à « l’urgence d’agir » et rappelait que « ces discriminations, souvent peu visibles, entravent de façon durable et concrète les parcours de millions d’individus, mettant en cause leurs droits les plus fondamentaux ».</p>
<p>Si de nombreux travaux issus de disciplines comme <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-d-economie-2019-1-page-91.htm">l’économie</a>, la <a href="https://www.annualreviews.org/doi/abs/10.1146/annurev-soc-071811-145508">sociologie</a> ou la <a href="https://psycnet.apa.org/record/2014-05943-001">psychologie</a> nous offrent des ressources pour penser ce problème, qu’en est-il de la philosophie contemporaine ?</p>
<p>Une réponse pourrait se trouver dans le concept d’<a href="https://ndpr.nd.edu/reviews/epistemic-injustice-power-and-the-ethics-of-knowing/">« injustice épistémique »</a> forgé par la philosophe Miranda Fricker qui identifie une cause des discriminations dans nos attitudes intellectuelles. À la lumière de cette notion, les injustices sociales ne sont plus seulement liées au fait de mal agir mais également de « mal penser ».</p>
<p>Cette notion est un facteur qui aggrave systématiquement ces injustices – quelle que soit leur nature.</p>
<p>En effet, l’ignorance et l’absence de recul quant à nos propres préjugés, et la confusion entre culture dominante et intelligence entretient ce phénomène.</p>
<p>L’appartenance à un groupe social dominant peut ainsi conduire à croire que son raisonnement est « le bon », « le seul » voire « le meilleur » donc supérieur par nature à celui des groupes dominés. En parallèle, l’accès aux connaissances et le temps disponible pour apprendre et s’informer sont inégalement distribués selon les milieux sociaux ou les habitudes familiales ; or ce sont, entre autres, les connaissances qui permettent de raisonner, de se mettre à la place d’autrui, d’accéder aux débats d’idées. </p>
<h2>Qu’est-ce que l’« injustice épistémique » ?</h2>
<p>Partons de nos vies ordinaires et de l’importance que notre crédibilité joue dans les relations sociales. Pour construire des relations de confiance donc, tout simplement, d’initier notre processus d’intégration à la société, nous avons un double besoin : d’une part, être cru donc jugé comme digne de confiance et, d’autre part, être compris. Si un individu ment de manière répétée, il est probable que sa crédibilité soit remise en cause ; et c’est là une conclusion raisonnable et juste à en tirer.</p>
<p>Toutefois, si la crédibilité d’une personne est remise en cause en raison de son statut social c’est-à-dire de son appartenance à un groupe social particulier alors on peut parler d’injustice épistémique. « Injustice » car c’est un droit inaliénable que d’être reconnu dans sa capacité à raisonner. Comme le rappelle l’article premier de la <a href="https://www.un.org/fr/universal-declaration-human-rights/">Déclaration universelle des droits de l’homme</a> : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ». « Epistémique » car cette injustice est relative au domaine de la connaissance.</p>
<h2>Discrédit et incompréhension</h2>
<p>Dans son célèbre ouvrage <em>Epistemic Injustice. Power and the Ethics of Knowing</em> publié en 2007, Miranda Fricker théorise l’injustice épistémique à partir de ces deux formes : testimoniale et herméneutique.</p>
<p>L’injustice testimoniale est un discrédit intellectuel attribué à autrui en raison de son statut social et nourri par les préjugés. Un premier exemple que cite Miranda Fricker est celui d’un policier qui ne croit par une personne en raison de sa couleur de peau. Un autre est tiré du film <em>Le talentueux Mr Ripley</em> où le personnage Herbert Greenleaf décrédibilise l’accusation pour meurtre défendue par Marge Sherwood en déclarant : « Marge, il y a l’intuition féminine et puis il y a les faits ». Par ces mots, Greenleaf discrédite Marge non au regard du contenu de ses propos ou de son attitude intellectuelle mais de son genre. Dans la suite du récit, cette remarque sexiste lui permettra d’écarter tout soupçon à son égard jusqu’à ce que soit réhabilité la parole de Marge et, ainsi, découvert le véritable coupable.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/548355/original/file-20230914-15-vj9s66.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/548355/original/file-20230914-15-vj9s66.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/548355/original/file-20230914-15-vj9s66.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/548355/original/file-20230914-15-vj9s66.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/548355/original/file-20230914-15-vj9s66.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/548355/original/file-20230914-15-vj9s66.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/548355/original/file-20230914-15-vj9s66.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Pour bien raisonner, encore faut-il avoir conscience de ses privilèges.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jmenj/32945713230/in/album-72157691229705502/">Flickr / Jeanne Menjoulet</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Lorsqu’une situation, comme celle vécue par Marge, se présente, alors la personne discriminée peut éprouver des difficultés à rendre compte de son expérience afin d’être comprise. Pour Miranda Fricker, le second type d’injustice épistémique qualifié d’herméneutique trouve son origine dans les ressources interprétatives collectivement partagées. Ainsi, il est difficile pour la victime de formuler des énoncés compréhensibles car les mots ou les faits qu’elle relate sont absents du langage ou de la culture de son groupe. Un cas saillant est celui du harcèlement sexuel que la culture dominante rend difficile à tant à dénoncer qu’à énoncer en raison de l’absence de notions communes pour nommer ce genre de faits.</p>
<p>Les deux formes d’injustice épistémique nourrissent l’ignorance des oppresseurs. Dans un cas, ils se rendent coupables de leur bêtise par car ils se laissent guider par leurs préjugés. Dans le second, ils sont en partie victimes de la situation intellectuelle de leur groupe qui présente des carences en matière de ressources interprétatives.</p>
<h2>Un problème démocratique</h2>
<p>Du point de vue des opprimés, les enjeux démocratiques de notre problème sont évidents : privés du droit à l’égale dignité, méprisés intellectuellement, l’attitude des oppresseurs participe à les exclure de l’espace public. L’aveuglement partagé quant aux récits de leurs expériences conduit à exclure leurs points de vue de l’espace de formation du jugement et de décision. La riche littérature évoquée en introduction de cet article permet de mesurer les conséquences pratiques d’un tel état de fait.</p>
<p>Du point des oppresseurs, que l’on aimerait ignorer mais que le respect de l’égale dignité nous interdit, le problème se situe dans l’impossibilité d’accéder à une citoyenneté libre car éclairée. <a href="https://gallica.bnf.fr/essentiels/anthologie/lumieres">En termes kantiens</a>, la difficulté est liée à l’incapacité de l’oppresseur à sortir de son état de « minorité » pour parvenir à celui de « majorité ». Cette minorité « consiste dans l’incapacité où il est de se servir de son intelligence sans être dirigé par autrui » et, plus encore, dans le manque de désir de penser par soi-même. Les préjugés acquis, souvent involontairement, dès l’enfance et développés au cours de son histoire personnelle placent l’oppresseur dans un état d’aliénation que les philosophes de Lumières ont combattu avec force.</p>
<p>Comme le rappelait Kant dans <a href="https://gallica.bnf.fr/essentiels/anthologie/lumieres"><em>Qu’est-ce que les Lumières ?</em></a>, « la diffusion des lumières n’exige autre chose que la liberté, et encore la plus inoffensive de toutes les libertés, celle de faire publiquement usage de sa raison en toutes choses ». Or, notre malheur en la matière est qu’« il est […] difficile pour chaque individu en particulier de travailler à sortir de la minorité qui lui est presque devenue une seconde nature ».</p>
<h2>Comment résister à la bêtise pour devenir un citoyen libre et éclairé ?</h2>
<p>« Sapere aude » (« Ose savoir ») pourrait-on déclarer avec Kant qui voyait, dans cette injonction au courage d’utiliser sa propre intelligence, « la devise des lumières ». Aussi, dans la continuité de la théorie développée par Miranda Fricker qui conçoit l’injustice épistémique comme un vice intellectuel, la résistance à la bêtise impliquerait de résister aux vices et de cultiver la vertu. Par exemple, il s’agirait pour chacun de lutter contre sa propre arrogance intellectuelle qui le conduit à mépriser la capacité d’autrui à penser ou encore sa paresse de l’esprit qui le pousse à se contenter de ses préjugés et de ses fausses croyances.</p>
<p>Toutefois, la raison seule ne saurait suffire. Si l’on suit les traces de <a href="https://www.college-de-france.fr/fr/agenda/cours/les-vertus-epistemiques/responsabilisme-vertus-epistemiques-et-vertus-morales">la philosophe Linda Zagzebski</a>, la vertu est une motivation stable à poursuivre le bien. En matière de connaissance, cela implique donc que résister à la bêtise passe par la régulation de nos désirs en direction de la vérité et de la connaissance. Sans ce désir de la vérité et de la connaissance, indispensable pour devenir maître de ses pensées, l’individu peinera à revoir ses jugements tant ce qui le guide n’est pas le vrai mais plutôt ce qui comble d’autres désirs (le pouvoir, l’argent, la gloire, l’autorité, la certitude, le désir d’avoir raison, etc.).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/ah-ces-chinois-ils-travaillent-dur-quand-le-racisme-se-veut-bienveillant-147305">« Ah ces Chinois, ils travaillent dur ! » : quand le racisme se veut « bienveillant »</a>
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<p>Enfin, la résistance à l’injustice épistémique ne saurait se réduire à un travail individuel sur ses propres croyances. C’est là un aspect important de la théorie de Miranda Fricker qui relie la connaissance à la politique. En effet, les institutions démocratiques, portées par l’État, joue un rôle central de garant des libertés. Dès lors, on attend d’elles un certain pouvoir de régulation de nos mauvaises conduites notamment celles injustes qui nuisent à la liberté d’autrui.</p>
<p>En premier lieu, on peut <a href="https://www.cairn.info/revue-le-telemaque-2015-2-page-105.htm">légitimement attendre de l’école</a> qu’elle favorise la formation vertueuse de nos intelligences et nourrissent en chaque citoyen le goût voire le désir de la vérité, de la liberté, de la raison et de la justice. Ensuite, il est impératif que la culture épistémique des institutions publiques (police, justice, etc.) place au cœur de ses principes le sens de la vertu et la résistance aux vices. Enfin, un espace public qui garantit la libre expression des conflits et garantit aux <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-2013-12-page-978.htm&wt.src=pdf">opprimés la possibilité de dénoncer les injustices</a> qu’ils subissent est indispensable à l’établissement d’une société véritablement démocratique. C’est en ce sens que le <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-2013-12-page-978.htm&wt.src=pdf">philosophe José Médina</a>, à la suite de Fricker, invite à la « résistance épistémique » c’est-à-dire « l’utilisation de nos ressources épistémiques et de nos capacités pour affaiblir et changer les structures normatives de l’oppression ainsi que les formes complaisantes du fonctionnement cognitif-affectif qui soutiennent ces structures ».</p>
<p>Les récits de fiction qui mettent en avant des expériences de vie invisibilisées ou les mouvements sociaux qui remettent en cause l’ordre dominant quant à la manière de penser le sexe, la famille ou le travail sont de bons exemples de cette « résistance épistémique ». Par cette lutte, les opprimés participent à leur propre émancipation ainsi qu’à celles de leurs oppresseurs aliénés par l’ignorance.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/212831/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ousama Bouiss ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les injustices sociales et les discriminations sont causées, entre autres, par des raisonnements trop peu informés et qui manquent de recul.Ousama Bouiss, Doctorant en stratégie et théorie des organisations, Université de MontpellierLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1912252022-11-23T20:15:32Z2022-11-23T20:15:32Z« Peer Community In », un système alternatif de publication scientifique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/496709/original/file-20221122-14-yezqlc.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=33%2C12%2C958%2C652&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le projet CPI a germé en 2016 suite à la prise de conscience des dérives du système de publication scientifique.</span> <span class="attribution"><span class="source">Brendan Howard/Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>En 2017, trois chercheurs d’INRAE (Institut National de Recherche pour l’Agriculture, l’Alimentation et l’Environnement), Denis Bourguet, Benoit Facon et Thomas Guillemaud, fondent <a href="https://peercommunityin.org/">Peer Community In</a>, un service de recommandation de preprints (le preprint ou prépublication est une version d’un article qu’un scientifique soumet à un comité de lecture) basé sur des évaluations par les pairs. Les articles validés ainsi que les évaluations et les données, codes et scripts afférents sont déposés en libre accès. PCI ouvre la voie à une réappropriation par les chercheurs de leur système d’évaluation et de publication et une plus grande transparence dans la chaîne de production des savoirs. </p>
<h2>Naissance du projet</h2>
<p>L’idée du projet a germé en 2016 suite à la prise de conscience des dérives du système de publication scientifique qui présente notamment deux problèmes importants : la majeure partie des publications ne sont pas libres d’accès et les frais de publication et d’abonnement <a href="https://doi.org/10.1080/1941126X.2011.601225">sont extrêmement onéreux pour les institutions</a>.</p>
<p>En effet, <a href="https://www.science-ouverte.cnrs.fr/le-mouvement-pour-la-science-ouverte/">même en France où le mouvement pour la science ouverte s’est accéléré ces dernières années</a>, la moitié des publications restent protégées par des droits d’accès. Elles ne sont donc pas librement accessibles pour les citoyens, les journalistes et tous les scientifiques qui dépendent d’institutions qui n’ont pas les moyens de s’abonner aux revues scientifiques. Cette entrave à la libre circulation de l’information scientifique est un frein à la circulation et au partage des connaissances scientifiques et des idées. </p>
<p>Par ailleurs, au niveau mondial, le chiffre d’affaires de l’industrie de publication d’articles scientifiques en science, technique et médecine <a href="https://www.stm-assoc.org/2018_10_04_STM_Report_2018.pdf">est d’environ 10 milliards de dollars US pour 3 millions d’articles publiés</a>. C’est considérable, d’autant plus que les marges bénéficiaires réalisées par les grandes maisons d’édition atteignent, en moyenne, <a href="https://digitalcommons.unl.edu/scholcom/99/">35 à 40 % ces dernières années</a>. Ayant pris connaissance de ces coûts et de ces marges, les fondateurs de PCI ont souhaité offrir aux scientifiques et aux institutions les moyens de se réapproprier le système de publication. Ainsi est née, en 2017, l’initiative Peer Community In (PCI). </p>
<h2>Auto-organisation des communautés scientifiques</h2>
<p>PCI organise des communautés de scientifiques qui évaluent et valident publiquement des preprints dans leur champs thématiques. L’évaluation se déroule comme dans des revues scientifiques classiques. Sur la base d’une évaluation par les pairs (peer review), les éditrices et éditeurs (dénommés « recommenders ») qui se chargent de l’évaluation d’un preprint soumis à une PCI décident, après un ou plusieurs séries d’évaluation, de rejeter ou d’accepter l’article. En cas d’acceptation, et à la différence de pratiquement toutes les revues traditionnelles, l’éditrice ou l’éditeur rédige un texte de recommandation, expliquant le contexte et les qualités de l’article. </p>
<p>Ce texte de recommandation, ainsi que tout le processus éditorial (reviews, décisions éditoriales, réponses des autrices et auteurs…), est publié sur le site de la PCI qui a organisé l’évaluation du preprint. Cette transparence est là aussi assez unique dans le système de publication actuel. </p>
<p>La version finale, validée et recommandée de l’article, est quant à elle déposée sans frais par les autrices et auteurs sur le serveur de preprint ou sur l’archive ouverte. Les articles validés, déposés sur les serveurs de preprints ou dans les archives ouvertes sont libres d’accès : tout le monde peut les lire.</p>
<h2>Une révolution dans la production scientifique</h2>
<p>PCI rend inutile la publication dans un journal. La version finale et recommandée du preprint, de facto validée par les pairs, peut en effet être citée dans la littérature. Les preprints recommandés par PCI sont d’ailleurs reconnus, notamment en France, par plusieurs institutions et comités d’évaluation et de recrutement au CNRS. En Europe, les preprints reviewés sont reconnus par la commission européenne, et plusieurs agences nationales de financement comme le Wellcome Trust, La fondation Bill et Melinda Gates, etc.</p>
<p>L’autre originalité de PCI est qu’il permet de séparer l’évaluation par les pairs de la publication. La validation/recommandation d’un preprint par PCI n’empêche pas les autrices et auteurs de soumettre ce preprint pour publication dans une revue scientifique. D’ailleurs, un grand nombre de revues se déclarent publiquement « PCI-friendly » dans le sens où, lorsqu’elles reçoivent des soumissions de preprints préalablement recommandés par PCI, elles tiennent compte des évaluations déjà réalisées par PCI pour accélérer leur décision éditoriale.</p>
<h2>2021, lancement de <em>Peer Community Journal</em> : une nouvelle étape</h2>
<p>Au départ, l’intention de cette initiative était de s’en tenir uniquement à l’évaluation et la recommandation de preprints par les PCIs. Malgré ça, il peut être frustrant de voir son preprint recommandé dans les serveurs de preprints (car ces preprints, pourtant évalués et recommandés, sont encore mal indexés et ne sont pas toujours reconnus comme de véritables articles) ou d’avoir à les soumettre pour publication dans des journaux avec le risque de repartir pour un tour d’évaluation. La création de <em>Peer Community Journal</em> permet ainsi de publier directement et sans condition un article recommandé par une PCI thématique.</p>
<p><a href="https://peercommunityjournal.org/"><em>Peer Community Journal</em></a> est une revue diamant, c’est-à-dire une revue qui ne fait pas payer de frais de publication aux autrices et auteurs et qui publie les articles systématiquement en accès ouvert. Les articles peuvent donc être librement consultés sur le site du journal sans abonnement et sans restriction d’accès. <em>Peer Community Journal</em> est une revue généraliste qui comprend pour l’instant 16 sections - correspondants aux 16 PCIs thématiques actuelles - dans lesquelles peuvent être publiés tout preprint recommandé par une PCI thématique. </p>
<h2>PCI : un modèle innovant en progression</h2>
<p>PCI a fait des émules : 16 PCIs thématiques ont été créés (par exempt <a href="https://evolbiol.peercommunityin.org/">PCI Evolutionary Biology</a>, <a href="https://ecology.peercommunityin.org/">PCI Ecology</a>, <a href="https://neuro.peercommunityin.org/">PCI Neuroscience</a>, <a href="https://rr.peercommunityin.org/">PCI Registered Reports</a>…) et d’autres PCIs sont en projet. Ces 16 PCIs regroupent 1900 personnes côté édition, 130 membres de comités éditoriaux et plus de 4000 scientifiques utilisatrices et utilisateurs. PCI et <em>Peer Community Journal</em> sont reconnus par 130 institutions et la moitié de ces institutions - dont l’Université de Perpignan Via Domitia - soutient cette initiative financièrement. La proportion d’universitaires français qui connaissent et/ou utilisent PCI est très variable suivant les communautés. Pour les communautés qui ont une PCI (par exemple, la communautés en écologie ou en biologie évolutive, avec PCI Ecology et PCI Evol Biol) la proportion est très élevée (probablement >50 % des scientifiques de ces communautés connaissent maintenant PCI). Pour les communautés qui n’ont pas encore de PCI, cette proportion reste très faible. À ce jour, >600 articles ont été reviewés par PCI. La biologie domine largement, mais d’autres disciplines émergent comme l’archéologie et les sciences du mouvement. La marge de progression est encore importante : l’enjeu est que ceux qui connaissent s’investissent encore davantage et que les scientifiques de champs disciplinaires non couverts par les 16 PCI créent une PCI dans leur domaine. </p>
<p>À l’échelle internationale, d’autres initiatives de science ouverte ont vu le jour, mais aucune ne ressemble véritablement à PCI. La plupart se limitent à des offres - souvent directement ou indirectement payantes - de peer reviews de preprints, mais sans décision éditoriale (comme <a href="https://www.reviewcommons.org/">Review Commons</a> ou <a href="https://prereview.org/">PreReview</a>) et ne viennent donc pas chambouler le système de publication actuel.</p>
<p>Si la dynamique de PCI est indéniablement croissante avec plus de 10000 visiteurs différents par mois sur l’ensemble des sites des PCIs, la création de <em>Peer Community Journal</em> montre que le système classique de publication reste d’actualité et risque sans aucun doute de perdurer à moyen terme, même si l’on peut espérer que la validation des preprints offerte par les PCIs devienne un modèle suffisant, car plus économe et transparent à tout point de vue. </p>
<p>En attendant, PCI et <em>Peer Community Journal</em> offrent une alternative crédible pour publier en accès ouvert diamant, sans frais pour les autrices et auteurs, et en accès gratuit. Les temps changent et de nombreuses institutions et universités, face à l’inflation démesurée et injustifiée des abonnements et des frais de publication, soutiennent la montée en puissance des journaux diamants. PCI et <em>Peer Community Journal</em> s’inscrivent dans cette dynamique en offrant à toutes les communautés scientifiques qui le souhaitent les moyens de se fédérer pour se réapproprier leur système d’évaluation/publication. </p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Science et Société se nourrissent mutuellement et gagnent à converser. La recherche peut s’appuyer sur la participation des citoyens, améliorer leur quotidien ou bien encore éclairer la décision publique. C’est ce que montrent les articles publiés dans notre série « Science et société, un nouveau dialogue », publiée avec le soutien du <a href="https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr">ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/191225/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Denis Bourguet est co-fondateur de Peer Community In et de Peer Community Journal et président de l'association Peer Community In.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Thomas Guillemaud est co-fondateur et travaille au fonctionnement de Peer Community In et de Peer Community Journal. Peer Community In a reçu plus d'une centaine de financements d'organismes publics dont le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, de nombreuses universités et de nombreux organismes de recherche depuis 2016.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Etienne Rouzies ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>« Peer Community In » ouvre la voie à une réappropriation par les chercheurs de leur système d’évaluation et de publication et une plus grande transparence dans la chaîne de production des savoirs.Denis Bourguet, Directeur de recherches, InraeEtienne Rouzies, Conservateur des bibliothèques, Référent Science ouverte, Université de PerpignanThomas Guillemaud, Directeur de recherches, InraeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1842302022-06-14T14:53:40Z2022-06-14T14:53:40ZBâtir des ponts entre savoirs scientifiques et savoirs autochtones<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/468501/original/file-20220613-15-9yinfb.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=17%2C0%2C2977%2C1899&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des hommes participent à une démonstration de fabrication de cordes pour les attelages de chiens, le 12 mai 2022, à Inukjuak, au Québec.
</span> <span class="attribution"><span class="source">La Presse Canadienne/Adrian Wyld</span></span></figcaption></figure><p>Il y a déjà plus de 20 ans, j’ai participé à la fondation du <a href="https://reseaudialog.ca">Réseau de recherche et de connaissances relatives aux peuples autochtones (DIALOG)</a>. Son mandat : développer un dialogue éthique, constructif et durable entre le monde universitaire et le monde autochtone.</p>
<p><a href="https://www.sshrc-crsh.gc.ca/results-resultats/prizes-prix/2021/connection_levesque-fra.aspx?wbdisable=true">En recevant cette année le Prix Connexion 2021</a>, au nom de l’équipe de direction du Réseau, le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) reconnaît ainsi l’importance de la mission de DIALOG et sa contribution majeure aux initiatives de réconciliation entre la société québécoise/canadienne et les sociétés autochtones.</p>
<p>Forum de partage, de rencontre et de savoir, DIALOG met en relation des chercheurs universitaires, autochtones et non autochtones, des gardiens et des gardiennes du savoir, des leaders, des intellectuels autochtones et des étudiants engagés dans une démarche d’actualisation et de renouvellement des pratiques de recherche et des connaissances scientifiques et autochtones.</p>
<p>Le secret de DIALOG, c’est que nous n’avons pas tenté d’amener les populations autochtones à l’université. Nous sommes allés les voir chez eux.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/468787/original/file-20220614-24-r12wce.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/468787/original/file-20220614-24-r12wce.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/468787/original/file-20220614-24-r12wce.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/468787/original/file-20220614-24-r12wce.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/468787/original/file-20220614-24-r12wce.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/468787/original/file-20220614-24-r12wce.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/468787/original/file-20220614-24-r12wce.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Communauté naskapi de Kawawachikamach.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(DIALOG)</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<h2>Renouveler la relation entre l’université et le monde autochtone</h2>
<p>DIALOG se caractérise par sa compréhension élargie du rôle moteur de <a href="https://reseaudialog.ca/la-coconstruction-des-connaissances-en-contexte-autochtone-modalites-contraintes-perspectives/">la coconstruction dans l’avancement et la mobilisation des connaissances</a>. Son mode de fonctionnement est axé sur l’ouverture à des formes multiples de savoirs et son existence est ancrée dans la durée ainsi que son rayonnement international.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/468676/original/file-20220614-17-nhdo00.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/468676/original/file-20220614-17-nhdo00.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/468676/original/file-20220614-17-nhdo00.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/468676/original/file-20220614-17-nhdo00.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/468676/original/file-20220614-17-nhdo00.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/468676/original/file-20220614-17-nhdo00.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/468676/original/file-20220614-17-nhdo00.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/468676/original/file-20220614-17-nhdo00.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Le 14 juin, l’auteure Carole Lévesque discutera, dans le cadre d’un événement en direct organisé conjointement par The Conversation/La Conversation et le Conseil de recherches en sciences humaines, de ses recherches sur comment bâtir des ponts entre les savoirs scientifiques et les savoirs autochtones.</span>
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</figure>
<p>La mission de DIALOG a toujours été de renouveler la relation entre l’université et le monde autochtone, avec la justice au cœur de ses actions, la volonté de contribuer à l’amélioration des conditions de vie des populations autochtones et la reconnaissance que ces peuples détiennent des droits, dont celui à l’autodétermination. La relation entre l’université et le monde autochtone a trop longtemps été caractérisée par un rapport unilatéral au savoir, engendrant peu de retombées pour les communautés autochtones elles-mêmes.</p>
<p>En construisant cet espace de rapprochement au sein duquel les voix, les langues et les savoirs autochtones peuvent s’exprimer à leur manière, DIALOG a reconnu l’existence et les fondements des systèmes de savoirs autochtones, et documenté l’apport des cultures autochtones au patrimoine de l’humanité.</p>
<h2>Un travail de terrain</h2>
<p>J’ai la chance de faire partie de la première génération d’anthropologues québécois qui ont souhaité, très tôt, non seulement s’instruire des réalités autochtones, mais aussi apprendre à connaître ces peuples de l’intérieur en travaillant en étroite collaboration avec eux.</p>
<p>Mon premier contact avec les communautés autochtones s’est fait il y a maintenant 50 ans et c’est en travaillant avec eux que j’ai grandi.</p>
<p>La présence au sein des communautés et des territoires autochtones était une composante incontournable de notre formation. Et on ne parle pas ici de visites d’une ou deux semaines, mais plutôt d’années à partager la vie communautaire, à loger dans des familles accueillantes et à s’intéresser à de multiples dimensions de la culture locale. J’aurai passé presque sept ans au sein des communautés autochtones.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/468786/original/file-20220614-13-bjpzkz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/468786/original/file-20220614-13-bjpzkz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/468786/original/file-20220614-13-bjpzkz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/468786/original/file-20220614-13-bjpzkz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/468786/original/file-20220614-13-bjpzkz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/468786/original/file-20220614-13-bjpzkz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/468786/original/file-20220614-13-bjpzkz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Site culturel Kinawit, Val-d’Or.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(DIALOG)</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>La différence principale entre mes débuts comme anthropologue et aujourd’hui se situe dans la prise de parole des Autochtones eux-mêmes. Bien sûr, il y a longtemps que les propos des politiciens autochtones sont relayés par les médias. Cependant, aujourd’hui, d’autres paroles se font entendre de la part des jeunes, des femmes, des personnes aînées, soit des paroles citoyennes, portées par des gens de tout âge et de tout genre, qui ont à cœur l’identité, l’éducation, la culture.</p>
<p>Aujourd’hui, on insiste avec raison sur l’importance pour les chercheuses et les chercheurs de privilégier la coproduction des connaissances. La recherche se fait avec les Autochtones, et non pas sur les Autochtones.</p>
<h2>Respect, équité et partage</h2>
<p>Des valeurs de respect, d’équité, de partage, de réciprocité et de confiance animent les membres du Réseau, quels qu’ils soient, selon leurs trajectoires respectives et leurs contributions spécifiques au savoir. Ils explorent ensemble divers chemins de connaissance et font appel aux épistémologies et aux ontologies autochtones afin d’apporter de nouvelles réponses aux défis communautaires auxquels font face les populations.</p>
<p>DIALOG mise également sur le potentiel d’innovation et de transformation sociale que recèlent les instances qui œuvrent à leur mieux-être, autant au sein des communautés autochtones territoriales (réserves) qu’en milieux urbains où la présence autochtone est de plus en plus nombreuse.</p>
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<img alt="Une foule de manifestants portant un chandail orange" src="https://images.theconversation.com/files/468500/original/file-20220613-14-ecqcbg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/468500/original/file-20220613-14-ecqcbg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=427&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/468500/original/file-20220613-14-ecqcbg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=427&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/468500/original/file-20220613-14-ecqcbg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=427&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/468500/original/file-20220613-14-ecqcbg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=536&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/468500/original/file-20220613-14-ecqcbg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=536&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/468500/original/file-20220613-14-ecqcbg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=536&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Marche pour la première Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, le 30 septembre 2021, à Montréal.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse Canadienne/Ryan Remiorz</span></span>
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<h2>Ériger des passerelles entre savoirs scientifiques et autochtones</h2>
<p>Dans cette optique, la <a href="https://reseaudialog.ca/la-coconstruction-des-connaissances-en-contexte-autochtone-modalites-contraintes-perspectives/">démarche de coconstruction des connaissances</a>, à la source des passerelles à ériger entre savoirs scientifiques et savoirs autochtones, ne peut être qu’une œuvre collective ancrée dans le relationnel, contrairement à une orientation prédéterminée et déjà calibrée à l’image d’une science impersonnelle, distante et dominante.</p>
<p>La première caractéristique de la coconstruction en matière de recherche sociale est en effet de reconnaître le rôle incontournable du lien de proximité qui unit ses actrices, ses acteurs et les mènent par la suite à s’engager vers de nouvelles avenues de compréhension et de décolonisation.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/468788/original/file-20220614-12-v59wi2.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/468788/original/file-20220614-12-v59wi2.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/468788/original/file-20220614-12-v59wi2.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/468788/original/file-20220614-12-v59wi2.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/468788/original/file-20220614-12-v59wi2.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/468788/original/file-20220614-12-v59wi2.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/468788/original/file-20220614-12-v59wi2.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Site culturel Kinawit, Val-d’Or.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(DIALOG)</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>La seconde caractéristique est de favoriser la prise en compte des compétences et des expertises, souvent complémentaires.</p>
<p>Enfin, il ne saurait y avoir de coconstruction sans une participation de toutes et tous à la régénération des héritages culturels et pédagogiques, des modes de pensée, d’apprentissage et de transmission, des marqueurs sociaux qui sous-tendent la vie collective ; autant de systèmes de valeurs et d’action autochtones ébranlés par l’entreprise coloniale, mais dont les principes directeurs et l’essence même ont transcendé les époques et les générations.</p>
<p>Je suis aujourd’hui une kokom (aînée) qui souhaite apprendre encore longtemps des humains en général et des cultures autochtones en particulier. Je me sens privilégiée de pouvoir poursuivre mes travaux de recherche, tous aussi intéressants les uns que les autres, de travailler tous les jours avec des gens qui m’inspirent et de séjourner encore très souvent en milieu autochtone, un ressourcement essentiel à mon existence de femme et d’anthropologue.</p>
<hr>
<p><em>Note de la rédaction : Ce reportage fait partie d’une série qui comprend également des entretiens en direct avec certains des meilleurs universitaires canadiens en sciences sociales et humaines. <a href="https://www.meetview.ca/sshrc20220614/?language_set_set_id=17">Cliquez ici pour vous inscrire à cet événement gratuit</a> coparrainé par The Conversation/La Conversation et le Conseil de recherches en sciences humaines.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/184230/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Au cours de sa longue carrière Carole Lévesque a reçu des financements de plusieurs organisations dont le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, les Fonds de recherche du Québec, des agences gouvernementales, des organisations paragouvernementales, des instances autochtones et des organismes philanthropiques.</span></em></p>Le Réseau DIALOG est une passerelle entre savoirs scientifiques et autochtones. Il renouvelle la relation entre l’université et le monde autochtone, trop longtemps caractérisée par un rapport unilatéral.Carole Lévesque, Professeure titulaire, INRS, Institut national de la recherche scientifique (INRS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1611242021-06-20T17:01:33Z2021-06-20T17:01:33ZL’éducation populaire est-elle toujours d’actualité ?<p>Quel point commun entre les maisons des jeunes et de la culture, les auberges de jeunesse ou le scoutisme ? Chacun de ces mouvements ou associations se rattache à ce qu’on appelle l’éducation populaire, qui entend améliorer le fonctionnement de la société hors de l’appui des institutions classiques.</p>
<p>Mais comment définir plus précisément cette démarche éducative non scolaire ? L’éducation populaire a une histoire, des principes et des pratiques spécifiques. Que représente-t-elle aujourd’hui ? En quoi peut-elle être un vrai projet politique et éducatif novateur au XXI<sup>e</sup> siècle ?</p>
<h2>Des savoirs pour s’émanciper</h2>
<p>Les historiens de l’éducation populaire soulignent le flou de sa définition <a href="https://www.cairn.info/revue-agora-debats-jeunesses-2017-2-page-65.htm">sur le plan scientifique</a>, tout en affirmant son <a href="https://www.cairn.info/revue-savoirs-2016-3-page-11.htm">importance</a> pour comprendre notre histoire éducative. S’agit-il seulement d’une démarche visant à donner la possibilité au plus grand nombre d’accéder aux savoirs ? L’éducation populaire est bien plus que cela.</p>
<p>À la fois élément d’éducation permanente, formation tout au long de la vie, avec l’ambition d’une éducation accessible à tous, elle peut se définir comme une volonté d’émancipation individuelle et collective à partir de pratiques actives et concrètes.</p>
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<figcaption><span class="caption">Mais, au fait, c’est quoi l’éducation populaire ? (Le Planning familial, 2017).</span></figcaption>
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<p>Permettre à tous d’accéder aux connaissances et aux savoirs pour s’émanciper et transformer la société est un idéal issu de la Révolution française. Mais, c’est au début du XIX<sup>e</sup> siècle, avec l’essor de la société industrielle et capitaliste, que l’ambition <a href="http://atelierdecreationlibertaire.com/Instruire-le-peuple-emanciper-les-travailleurs.html">d’une instruction du peuple et de l’émancipation des travailleurs</a> se dessine concrètement.</p>
<p>Cette <a href="https://www.cairn.info/revue-agora-debats-jeunesses-2017-2.htm">éducation populaire naissante</a> a de multiples formes. Le courant républicain, en créant, en 1866, la <a href="https://laligue.org/">ligue de l’enseignement</a>, pense à l’encadrement des jeunes hors temps scolaire, avant même l’élaboration de l’école laïque et obligatoire.</p>
<p>Le courant syndicaliste ouvrier propose autour des bourses du travail et des <a href="https://injep.fr/wp-content/uploads/2018/09/rapport-2018-01-univpop.pdf">universités populaires</a>, une formation politique des travailleurs. De leur côté, les courants chrétiens fondent leurs propres associations d’éducation populaire à l’image de la jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) et la jeunesse agricole catholique (JAC).</p>
<h2>Un âge d’or ?</h2>
<p>L’essor de l’éducation populaire est perceptible à partir de la création des congés payés en 1936 et de la politique progressiste du Front populaire mise en œuvre par le ministre de l’Éducation nationale Jean Zay et par le secrétaire d’État à la jeunesse et aux sports Léo Lagrange.</p>
<p>C’est le début d’un rayonnement de l’éducation populaire avec la création des Cemea (<a href="https://www.cemea.asso.fr/spip.php?rubrique552">Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active</a>) en 1937 et des multiples associations de <a href="https://journals.openedition.org/rfp/184">colonies de vacances</a>, espaces d’éducation et de sociabilisation des jeunes. Le mouvement se poursuit à la Libération avec la création de la <a href="https://www.persee.fr/doc/rfp_0556-7807_1997_num_118_1_1178">Fédération nationale des Francas</a> (Mouvement des Francs et Franches Camarades) et la création des <a href="https://www.cairn.info/revue-histoire-urbaine-2010-2-page-181.htm">Maisons des Jeunes et de la Culture</a> (MJC) qui perpétuent et amplifient cette éducation populaire d’accès à la culture et aux savoirs pour tous.</p>
<p>Parallèlement, l’éducation populaire <a href="http://www.theses.fr/s139918">s’institutionnalise</a>. En 1953, l’institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (INJEP) fédère les différents mouvements et un statut officiel d’animateur professionnel est créé. Tout en se pérennisant, l’éducation populaire semble perdre de vue son caractère émancipateur du point de vue social en se cantonnant au domaine socioculturel.</p>
<h2>De nouveaux domaines d’action ?</h2>
<p>En 1998, la création d’Attac a illustré ce retour vers une conception politique de l’éducation populaire. <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/05/04/crise-sanitaire-et-pauvrete-les-degats-sociaux-attenues-par-la-solidarite-nationale-vont-perdurer_6078984_3224.html">Les dégâts sociaux</a> encore exacerbés par la crise sanitaire actuelle nécessitent, plus que jamais, une prise de conscience des inégalités croissantes de notre société et de <a href="https://www.inegalites.fr/Le-Rapport-sur-la-pauvrete-en-France-2020-2021-vient-de-paraitre">l’aggravation de la pauvreté en France</a>.</p>
<p>ATD Quart Monde ou Emmaüs, pour ne citer que ces deux associations emblématiques, participent activement depuis des décennies à la lutte contre les inégalités sociales par des actions d’éducation populaire et de formation.</p>
<p>Faut-il donc y voir, comme le souligne un <a href="https://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Avis/2019/2019_12_education_populaire.pdf">rapport</a> du Conseil économique et social de mai 2019, un « concept moderne et précurseur » et un « laboratoire permanent de l’innovation et des méthodes actives » ? Car on assiste aujourd’hui à un renouveau,une <a href="https://www.ciriec-france.org/ciriec/cms/7147-7652/christian-maurel-education-populaire-et-bifurcation-de-l-histoire-avril-2021.dhtml">bifurcation</a> précise le sociologue Christian Maurel, ou peut-être un retour aux sources même de l’éducation populaire.</p>
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<figcaption><span class="caption">L’éducation populaire, une exigence du XXIᵉ siècle (Cese).</span></figcaption>
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<p>En effet, en mai 2021, la note de l’Injep sur la <a href="https://injep.fr/publication/la-fabrique-de-leducation-populaire-et-de-lanimation/">fabrique de l’éducation populaire</a> précise les multiples champs possibles d’intervention de l’éducation populaire au XXI<sup>e</sup> siècle : éducation permanente, universités populaires, mais aussi appui aux mesures de politiques urbaines, de luttes contre les inégalités ou toutes les formes de discriminations.</p>
<p>L’éducation populaire s’ancre dans tous les domaines et représente un levier éducatif pour toutes les catégories sociales et toutes les générations à l’image du travail de la <a href="https://www.centres-sociaux.fr/">Fédération des centres sociaux</a> sur le vieillissement.</p>
<h2>Un projet de société au XXIᵉ siècle</h2>
<p>En raison de son histoire, l’éducation populaire possède ses figures pédagogiques, à l’instar de <a href="https://www.cairn.info/revue-reliance-2008-2-page-113.htm">Fernand Oury</a> ou <a href="https://www.cemea.asso.fr/spip.php?article2774">Gisèle de Failly</a>. Elle possède aussi ses propres pédagogies comme celle de la décision – « permettre aux individus de décider de ce qui les concerne » – la <a href="https://www.icem-pedagogie-freinet.org/sites/default/files/principes_elementaires_de_la_pedagogie_sociale_v_1.1.pdf">pédagogie sociale</a>, théorisée en France notamment par <a href="https://www.cairn.info/revue-journal-du-droit-des-jeunes-2012-6-page-44.htm">Laurent Ott</a>, ou les pédagogies critiques inspirées par le pédagogue brésilien <a href="https://freire.org/">Paulo Freire</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1115477150222704641"}"></div></p>
<p>La présence de <a href="https://www.meirieu.com/">Philippe Meirieu</a>, grand nom de la pédagogie, à la présidence nationale des Cemea est à cet égard un symbole de cette réaffirmation que <a href="https://ec56229aec51f1baff1d-185c3068e22352c56024573e929788ff.ssl.cf1.rackcdn.com/attachments/original/2/5/9/002618259.pdf">l’éducation</a> peut être au cœur d’un projet de société.</p>
<p>Mais la vigueur de l’éducation populaire est aussi dans ce lien entre méthodes actives et <a href="http://www.theses.fr/2011PA083546">éducation au politique</a> soulignant ce besoin de repenser une démocratie vivante où tous les habitants ont une place, peuvent agir et peser sur les décisions.</p>
<p>Les champs d’action de l’éducation populaire au XXI<sup>e</sup> siècle sont donc innombrables. La volonté de créer des activités de <a href="https://nuit-debout.fr/">démocratie directe</a>, des formes d’expression publique spécifique comme les <a href="https://conferences-gesticulees.net/">conférences gesticulées</a> ou des espaces éducatifs nouveaux, à l’image des <a href="https://theconversation.com/des-terrains-daventure-pour-redessiner-la-place-des-enfants-en-ville-159936">terrains d’aventure</a> qui redessinent la place des enfants dans la ville ne sont que quelques exemples de ce dynamisme éducatif et politique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/161124/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>On y retrouve des colonies de vacances, les maisons des jeunes et de la culture ou encore les universités populaires. Mais que vise vraiment l’éducation populaire ? Son projet résonne-t-il encore ?Sylvain Wagnon, Professeur des universités en sciences de l'éducation, Faculté d'éducation, Université de MontpellierMathieu Depoil, Doctorant en Science de l'éducation au Liderf - Université de Montpellier, Université Paul Valéry – Montpellier IIILicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1533402021-01-19T18:29:34Z2021-01-19T18:29:34ZLes cas de « bullshit à propos du bullshit » : le rationalisme perd-il son sang-froid ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/379528/original/file-20210119-26-1rw5z69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C9%2C1280%2C843&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Comment s'y retrouver dans le foisonnement de vérités et contre-vérités?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/photos/personne-humain-enfant-fille-blond-875165/">Pezibear/Pixabay</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Alors qu’aux États-Unis les mensonges de Donald Trump conduisaient à une extraordinaire situation insurrectionnelle, en France paraissait le dernier livre de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/G%C3%A9rald_Bronner">Gerald Bronner</a>, intitulé <a href="https://www.puf.com/content/Apocalypse_cognitive"><em>Apocalypse cognitive</em></a> (qui s’inquiète de l’usage que nous faisons de notre « temps de cerveau disponible »).</p>
<p>Surprenante rencontre des actualités éditoriale et politique : le sacrilège du Capitole ne pouvait mieux illustrer les <a href="https://www.letemps.ch/culture/gerald-bronner-redoute-un-affaissement-civilisationnel">sombres prophéties</a> du sociologue rationaliste.</p>
<p>Bien sûr, Gerald Bronner prend soin de rappeler l’étymologie grecque du mot <em>apocalypse</em> (« révélation », et non « fin du monde »), mais le contenu prophétique de son livre est manifeste.</p>
<p>L’apocalypse cognitive, au sens le plus commun, est pour bientôt, elle <a href="https://www.europe1.fr/emissions/le-billet-de-patrick-cohen/extrait-incident-du-capitole-le-sociologue-gerald-bronner-decrit-une-rage-sans-programme-politique-et-de-la-dynamite-pour-la-democratie-4017189">s’annonce</a> avec le visage hurlant du conspirationnisme profanant le temple de la raison démocratique.</p>
<p>Ces événements semblent bien conforter ce catastrophisme, et justifier les oracles pessimistes que suscitent les diverses pollutions « épistémiques » (qui concernent la production de connaissances) : fake news ou « infox », théories du complot, « bullshits », que <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Pascal_Engel">Pascal Engel</a> propose de traduire par « foutaises », « infodémie »… Mais une telle attitude ne contribue pas à une approche sereine et objective de ces problèmes.</p>
<p>Il s’agit avant tout de comprendre ces dérèglements pour mieux pouvoir les traiter. Et la compréhension de ces phénomènes complexes demande de la patience, du sang-froid, de la prudence et de la pondération. Ce n’est pas toujours le cas. Et cela conduit la littérature rationaliste sur les turpitudes épistémiques de notre temps à parfois, trop souvent, céder aux travers qu’elle dénonce.</p>
<h2>Du bullshit à propos du bullshit</h2>
<p>Il existe déjà beaucoup de travaux sérieux sur le sujet, tant <a href="https://agone.org/bancdessais/lesvicesdusavoir/">théoriques</a> qu’<a href="https://www.climatechangecommunication.org/debunking-handbook-2020/">empiriques</a>. Hélas, ces travaux sont souvent noyés par une masse bruyante d’affirmations douteuses, qui pourraient bien elles-mêmes être qualifiées de « bullshit ».</p>
<p>Le philosophe américain Harry Frankfurt définit le bullshit comme une forme d’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/De_l%27art_de_dire_des_conneries">indifférence à la vérité</a>. On bullshit pour vendre des produits cosmétiques ou faire élire une candidate à la présidentielle, sans se soucier de savoir si cette crème va vraiment vous rendre plus jeune (non) ou si cette candidate va rendre sa grandeur passée au pays (non plus). En général, ceux qui s’inquiètent des pollutions épistémiques ne sont pas indifférents au vrai.</p>
<p>Mais le bullshit, comme le rappelle le chercheur en neurosciences <a href="https://www.puf.com/content/Total_bullshit">Sébastien Dieguez</a>, ce peut être aussi une certaine indifférence à ce qui soutient une affirmation.</p>
<p>On peut croire mordicus aux vertus de la crème rajeunissante que l’on vend, sans trop se préoccuper des preuves empiriques de ces vertus. Ironiquement, une telle indifférence peut apparaître lorsqu’il est justement question de bullshits. On se retrouve alors avec du bullshit <em>sur</em> le bullshit. On croit mordicus, par exemple, que les fausses nouvelles se diffusent plus vite que les vraies, sans trop prendre la peine de se poser quelques questions élémentaires sur ce qui soutient cette affirmation extraordinaire.</p>
<h2>Le faux va-t-il plus vite que le vrai ?</h2>
<p>C’est en 2018 qu’est paru dans la revue <em>Science</em> l’<a href="https://science.sciencemag.org/content/359/6380/1146.abstract">article</a> avançant que les informations fausses se diffuseraient plus rapidement sur Twitter que les informations vraies.</p>
<p>Cet article, en passe de devenir un classique, a été cité de très nombreuses fois dans la <a href="https://scholar.google.com/scholar?cites=9478851254193495951&as_sdt=2005&sciodt=0,5">littérature académique</a> ainsi que <a href="https://www.nouvelobs.com/sciences/20180308.OBS3317/sur-twitter-les-fake-news-se-propagent-beaucoup-plus-vite-que-la-verite.html">dans la presse ici</a> <a href="https://www.lesechos.fr/2018/03/pourquoi-les-fake-news-se-propagent-bien-plus-vite-986267">ou là</a>. C’est qu’il conforte bien des frayeurs.</p>
<p>Il y a pourtant tout lieu d’être dubitatif. Imaginons que quelqu’un poste sur Twitter deux messages, l’un vrai et l’autre faux, mais tous deux également plausibles, concernant par exemple le lieu de résidence estivale d’une star quelconque. L’un dit par exemple que la star va séjourner aux Bahamas, l’autre dit qu’elle va aux Maldives, et absolument rien n’indique lequel de ces messages est vrai. Que va-t-il se passer ?</p>
<p>Si les auteurs de l’article disent vrai, le message faux sera diffusé plus rapidement que le vrai. Mais cela suppose nécessairement que les lecteurs de ces messages distinguent le faux du vrai, ce qui n’est pas possible dans ce cas (sauf à imaginer une sorte de mystérieux sixième sens). Cela suppose ensuite qu’ils aient l’étrange disposition de diffuser avec plus d’ardeur le message faux (et on ajoute là du bizarre au surnaturel). On voit bien que quelque chose ne va pas dans la « découverte » des auteurs de cet article.</p>
<p>Ce qui peut déterminer la plus ou moins grande rapidité de la diffusion d’un message, c’est notamment son caractère spectaculaire ou surprenant. Plus un message est surprenant, plus il est partagé. Et l’on peut bien sûr s’attendre à ce que les messages les plus surprenants soient également les plus souvent faux. D’où le lien entre fausseté et rapidité de diffusion. Cela ne signifie pas que les messages faux sont plus partagés que les vrais. Cela signifie que les messages surprenants (souvent faux) sont plus partagés que les messages ordinaires (moins souvent faux).</p>
<p>Et de fait, ce n’est que cela que disent les auteurs de l’article de <em>Science</em>. Mais plutôt que de s’arrêter à ce constat trivial et sans grand intérêt (les messages les plus surprenants sont les plus partagés), ils ont préféré affirmer que les messages faux circulent plus vite que les vrais, suggérant de manière trompeuse que c’est la fausseté elle-même qui cause cette diffusion plus rapide.</p>
<p>C’est évidemment plus accrocheur, mais c’est absurde (et, si besoin était, infirmé par une <a href="https://www.nature.com/articles/s41598-020-73510-5">étude plus récente</a>). Cette affirmation a pourtant été reprise une multitude de fois, dans la presse et dans la littérature scientifique, sans le moindre doute ni recul. Un cas d’école de bullshit à propos du bullshit.</p>
<h2>Post-vérité ?</h2>
<p>On a encore plus parlé, ces dernières années, de la notion aussi vague que <a href="https://www.en-attendant-nadeau.fr/2019/06/18/verite-what-else/">douteuse</a> de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%88re_post-v%C3%A9rit%C3%A9">post-vérité</a>. Elle est souvent entendue comme l’idée que notre époque se caractériserait par une production jamais vue de foutaises. C’est un autre clair exemple de bullshit sur le bullshit.</p>
<p>Le problème avec cette idée n’est pas qu’elle est absurde, mais que personne ne sait si elle est vraie ou fausse, et que cela ne semble pas inquiéter grand monde.</p>
<p>Pour trancher, il faudrait des travaux empiriques qui quantifieraient la pollution épistémique (bullshit, fake news et compagnie) et montreraient que notre époque se caractérise par une augmentation de ces pollutions en comparaison des époques passées. Mais ces travaux empiriques n’existent pas, et il n’est même pas évident qu’ils puissent exister, ni même que l’on puisse quantifier rigoureusement ce genre de chose.</p>
<p>La réalité du déferlement de foutaises semble pourtant évidente. A-t-on besoin de preuves empiriques ? Oui, car une saine démarche scientifique consiste précisément à se méfier des évidences. Après tout, n’est-il pas « évident » que le Soleil tourne autour de la Terre ?</p>
<hr>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-la-terre-tourne-t-elle-123485">Pourquoi la terre tourne-t-elle ?</a>
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<h2>Des « foutaises » contemporaines plus nombreuses ou plus visibles ?</h2>
<p>À défaut de preuve empirique directe il y a tout de même, bien sûr, de bonnes raisons scientifiques de croire en la décadence cognitive de notre temps. Gerald Bronner en énumère plusieurs, généralement en rapport avec l’essor d’internet (qui exciterait quelques méchants archaïsmes cognitifs des cerveaux humains). Mais il y a également de <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/concordance-des-temps/lhistoire-vraie-des-fausses-nouvelles">bonnes raisons</a> de penser que ce n’est pas le cas, et que notre époque n’est pas plus dépravée qu’une autre sur plan épistémique mais que, simplement, les foutaises contemporaines sont plus visibles.</p>
<p>En 1967, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Rostand">Jean Rostand</a> écrivait <a href="https://books.google.fr/books/about/Inqui%C3%A9tudes_d_un_biologiste.html?id=NdJLAAAAMAAJ">à propos de la radio</a> que « l’usage des transistors (n’a) pas rendus (les hommes) plus sots, mais (que) la sottise s’est faite plus sonore ». On pourrait le paraphraser aujourd’hui en écrivant qu’internet, à son tour, n’a peut-être pas tant rendu les internautes plus bêtes qu’il a rendu leur bêtise plus accessible. Ce n’est bien sûr qu’une conjecture. À nouveau, on ne sait pas.</p>
<p>Ce qui n’empêche pas que soit répété sans cesse et sans prudence que les foutaises n’auraient jamais été aussi envahissantes.</p>
<p>Se dispenser ainsi de cette prudence, sur cette question ou sur d’autres, ne rend pas service au rationalisme. Plus grave, un tel relâchement risque de décrédibiliser la lutte qui doit être menée contre la production contemporaine de foutaises. Sur ces sujets, il est urgent de retrouver un peu de sang-froid et de distance critique, et d’éviter les eschatologies douteuses.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/153340/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Erwan Lamy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La littérature sur les turpitudes épistémiques de notre temps (fake news, bullshit, complotisme…) cède trop souvent aux facilités qu’elle dénonce. Il serait temps de recouvrer son sang-froid.Erwan Lamy, Associate professor, ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1490232020-11-03T19:37:39Z2020-11-03T19:37:39ZLa parole des professeurs fait-elle encore autorité ?<p><a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/10/17/attentat-de-conflans-un-hommage-national-sera-rendu-a-l-enseignant-assassine-vendredi-annonce-l-elysee_6056408_3224.html">L’effroyable assassinat</a> de Samuel Paty peut conduire à penser que la parole professorale ne fait plus autorité dans certaines situations où les professeurs enseignent des savoirs figurant dans les programmes scolaires, mais contestés par une partie du corps social. Quelles sont les causes et les conséquences d’un tel affaiblissement ? Sur quelles ressources les professeurs peuvent-ils s’appuyer ? Mais aussi, quelles limites à leur action ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lettre-aux-enseignants-en-premiere-ligne-pour-defendre-les-valeurs-de-la-republique-148315">Lettre aux enseignants, en première ligne pour défendre les valeurs de la République</a>
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<p>Pour mieux comprendre les enjeux qui se posent en salle de classe, il faut d’abord revenir sur les différentes conceptions de la vérité qui se sont croisées au cours de l’histoire, celle des savoirs, celle des informations et celle des croyances.</p>
<p>Rappelons qu’avant 1789, sous l’Ancien Régime, le savoir émanait d’une transcendance (Dieu), dont certains hommes – le roi avant tout – tenaient leur autorité. À la Renaissance, l’imprimerie, le protestantisme et les libres penseurs ont contribué à remettre en cause le principe de transcendance au profit du principe de rationalité : le savoir se légitime alors du fait de la cohérence des énoncés.</p>
<p>Depuis la période des Lumières, le développement continu des sciences assoit davantage encore le principe de rationalité. Mais il n’empêche pas que les savoirs soient interrogés voire contestés. Plusieurs raisons l’expliquent :</p>
<ul>
<li><p>Premièrement, l’idée que la vérité des savoirs scientifiques reste temporaire est largement partagée. Les savoirs reflètent l’état actuel de nos connaissances, évolutives par essence. De plus, au cours du XX<sup>e</sup> siècle, l’idée d’un progrès humain continu grâce à la raison, à la science et à la « civilisation » a été considérablement mise à mal, lorsque la rationalité technique a été mise au service des guerres mondiales et coloniales ou des systèmes totalitaires. Ces éléments ont contribué à délégitimer les savoirs.</p></li>
<li><p>Deuxièmement, l’essor des technologies numériques – et avec elles le projet d’une « société de la connaissance » – assimile la science à la connaissance et la réduit à une information. Acquérir des connaissances revient à traiter des informations, sans lien avec les questions humaines fondamentales à l’origine des savoirs accumulés au fil des générations. Or, c’est l’inscription des savoirs dans la culture qui aide à comprendre le monde contemporain.</p></li>
<li><p>Troisièmement, les croyances n’ont pas disparu avec l’essor des sciences. Elles apportent des réponses à certaines questions humaines essentielles, d’une nature différente des réponses scientifiques. Mais contrairement aux sciences qui produisent des savoirs dans des conditions bien particulières, les croyances ne se démontrent pas. On y adhère ou pas, ce qui ne signifie pas qu’elles ne font pas l’objet de débats d’interprétation.</p></li>
</ul>
<h2>Fin du monopole scolaire ?</h2>
<p>L’une des difficultés actuelles vient des confusions – parfois ouvertement entretenues – entre savoirs, croyances, informations et opinions. Certes, des groupes religieux fondamentalistes situant leurs croyances au même niveau que des savoirs, déclarent qu’elles disent le vrai au détriment de ceux-ci, mais ils ne sont pas les seuls. À l’ère de la <a href="https://theconversation.com/post-verite-la-raison-du-plus-fou-70712">post-vérité</a>, des responsables politiques de premier plan en ont fait une pratique d’exercice du pouvoir, diffusant de fausses informations ou privilégiant des travaux scientifiques sujets à caution, parfois avec la complicité de chercheurs.</p>
<p>En substance, trois conceptions de la vérité s’opposent :</p>
<ul>
<li><p>la vérité des savoirs scientifiques est une vérité classique (quelque chose est vrai s’il a été démontré à l’aide d’un raisonnement scientifique) ;</p></li>
<li><p>la « société de la connaissance » va de pair avec une vérité pragmatiste (quelque chose est vrai s’il produit des effets immédiats tangibles) ;</p></li>
<li><p>les croyances reposent sur une vérité révélée, non démontrable (quelque chose est vrai s’il émane d’une transcendance, de paroles transcrites dans des textes sacrés).</p></li>
</ul>
<p>Or à l’école, c’est la première conception qui prévaut. Elle n’en est pas moins en concurrence avec les deux autres. Les savoirs scolaires ne peuvent s’enseigner comme des croyances. <a href="https://www.cairn.info/l-autorite-enseignante--9782353719358.html?contenu=sommaire">L’autorité des professeurs</a> ne peut plus se fonder uniquement sur les savoirs qu’ils détiennent et énoncent.</p>
<p>En clair, être savant est une condition nécessaire, mais non suffisante pour faire apprendre des élèves, qui contestent davantage qu’autrefois les savoirs au nom d’autres autorités (familiales, amicales, religieuses…). Lorsque c’est possible, la démarche expérimentale, mais aussi l’histoire des sciences, sont de précieux moyens d’enseignement.</p>
<p>De plus, avec la « révolution numérique », l’école n’a plus l’exclusivité de la transmission des savoirs et les professeurs n’ont plus le monopole du savoir fiable, la plupart des élèves pouvant accéder à des connaissances diversifiées et vérifiables.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1248265282499555328"}"></div></p>
<p>Cependant, ce n’est pas parce que les savoirs sont disponibles sur Internet que les élèves y accèdent et les acquièrent. Ainsi, les professeurs doivent-ils repenser leur pédagogie, pour aider leurs élèves à faire le tri entre savoir (spécifié par les conditions de sa production), information (vraie ou fausse), opinion ou croyance, notamment en identifiant les sources consultées. La recherche documentaire devient un enseignement fondamental.</p>
<p>Ajoutons que dans une « société de la connaissance », tous les savoirs enseignés à l’école ne sont plus regardés comme pertinents. Les savoirs scolaires sont investis différemment selon les élèves et leurs familles, du fait des possibilités d’orientation qu’ils permettent ou de leur utilité sociale immédiate. Pourtant, certaines disciplines – par exemple les disciplines artistiques – sont indispensables au développement d’esprits critiques, d’ouverture et de créativité.</p>
<h2>Apprendre à apprendre</h2>
<p>Mais la parole des professeurs entre encore en concurrence avec les valeurs individualistes et productivistes des sociétés néo-libérales. Les multinationales industrielles et financières les diffusent en contrôlant les moyens de communication audiovisuels et numériques. Ces nouvelles autorités « dictent » les valeurs et les comportements des jeunes. Elles captent leur attention, pour satisfaire leurs pulsions primaires de plaisirs immédiats et illimités, posséder pour exister et être comme les autres, dans la passivité et sans effort.</p>
<p>Or, apprendre nécessite une attitude inverse : l’élève doit contrôler a minima ses pulsions, tolérer la frustration et différer son plaisir, accepter une discipline qui lui permettra d’être en condition d’activité cognitive, mais aussi faire des efforts dans la durée.</p>
<p>Par conséquent, l’autorité des professeurs ne se fonde plus seulement sur leur parole et l’exercice du métier change en profondeur. C’est en mettant en œuvre des compétences didactiques (organisation et présentation des contenus de savoir) et pédagogiques (organisation de l’espace, du temps, des relations en classe, aspects matériels et techniques), qu’ils créent, dans leurs cours, des conditions permettant à leurs élèves d’apprendre sans se contenter seulement de ce qu’ils disent, les croire « sur parole ».</p>
<p>Pour autant, les élèves n’ont pas à « redécouvrir » ou à « ré-inventer » les savoirs. La situation d’enseignement/apprentissage doit les aider à se décentrer des représentations incomplètes ou erronées qu’ils en ont, tout en leur permettant de se poser d’autres questions. Un nouveau savoir fera sens pour eux s’il leur apporte des réponses à ces questions, rejoignant leur expérience humaine.</p>
<p>La réflexivité des élèves sur les savoirs devient donc un enjeu majeur à l’école, non seulement pour légitimer l’autorité des professeurs, mais aussi pour que les élèves accèdent à un rapport au savoir subjectif, critique et émancipateur.</p>
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<figcaption><span class="caption">Un bon professeur, qu’est-ce que c’est ? (Ina Actu).</span></figcaption>
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<p>Certains professeurs sont devenus des experts dans l’enseignement des thèmes sensibles des programmes scolaires. <a href="https://www.u-cergy.fr/ema/fr/recherche/projets-en-cours/gps.html">Des dispositifs de formation</a> permettant d’analyser ces situations existent aussi. Des pédagogues, des chercheurs, le <a href="http://eduscol.education.fr/cid95488/deconstruire-la-desinformation-et-les-theories-conspirationnistes.html;http://www.gouvernement.fr/on-te-manipule">Ministère</a> de l’Éducation nationale lui-même relèvent le défi de la formation des élèves à l’esprit critique.</p>
<h2>Enjeux sociaux et politiques</h2>
<p>Des ressources existent, mais tous les professeurs n’y sont pas formés, et ce n’est pas la formation continue, sinistrée, qui y remédie. On ne s’étonnera donc pas que certains renoncent à aborder ces savoirs qui les mettent en difficulté, surtout s’ils subissent des pressions de leur chef d’établissement où les remontrances de leurs inspecteurs.</p>
<p><a href="http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2015/01/30012015Article635581990201069719.aspx">La parole</a> des responsables politiques à propos de l’autorité des professeurs n’apporte pas plus de soutien. En laissant constamment entendre – comme le fait l’actuel ministre de l’Éducation nationale – que les professeurs auraient besoin que <a href="http://www.touteduc.fr/fr/scolaire/id-15017-j-m-blanquer-souhaite-voir-transformer-la-forme-scolaire-il-precise-les-liens-entre-science-et-pedagogie">« la science »</a> détermine les « bonnes pratiques » qu’ils n’auraient qu’à appliquer ensuite, on méprise leurs qualifications et leurs capacités d’améliorer collectivement leurs pratiques. Ces discours, qui font des professeurs de simples exécutants, discréditent leur autorité aux yeux de l’opinion publique.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pour-lecole-et-les-resultats-scolaires-les-neurosciences-feront-elles-le-printemps-88934">Pour l’école et les résultats scolaires, les neurosciences feront-elles le printemps ?</a>
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<p>Plus globalement, les difficultés récurrentes qu’a notre représentation nationale à définir les <a href="https://www.cairn.info/revue-specificites-2011-1-page-199.htm">finalités</a> que la société assigne à son école (par exemple à travers la fréquence des changements de programmes scolaires), sans corriger les inégalités de réussite scolaire selon l’origine sociale, ne font qu’accroître son discrédit auprès des milieux populaires.</p>
<p>Enfin, face à un attentat comme celui qu’a subi notre collègue, la réponse est d’abord politique. Elle relève d’une cohérence des paroles et des décisions, pour une résistance de l’ensemble de la société au projet totalitaire de l’islamisme politique, contraire à nos valeurs.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/149023/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bruno Robbes est co-président de l'Association des Enseignant.e.s et Chercheur.e.s en Sciences de l'Éducation. </span></em></p>À l’heure où des parents d’élèves refusent des enseignements au nom de croyances et où le numérique fait descendre le professeur de son piédestal, comment faire entendre la valeur des savoirs ?Bruno Robbes, Professeur des universités en sciences de l'éducation, CY Cergy Paris UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1279422020-01-14T21:08:57Z2020-01-14T21:08:57ZComment Ubisoft lève les freins à la coopétition interne grâce aux « knowledge brokers »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/303993/original/file-20191127-112517-hfmspo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=65%2C50%2C920%2C589&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les « Lapins crétins », l'un des titres qui a contribué au succès de l'éditeur de jeux vidéo Ubisoft.</span> <span class="attribution"><span class="source">OpturaDesign / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Quel est le point commun entre Mondelez, l’un des leaders mondiaux de la confiserie et des chocolats, l’Oréal, l’une des plus grandes marques de cosmétiques et Ubisoft, l’un des acteurs incontournables du secteur du jeu vidéo ?</p>
<p>Ces trois acteurs ont mis en place une stratégie bien particulière, en mettant en concurrence leurs différents marques ou produits, tout en leur demandant de coopérer entre eux sur certaines activités, comme la R&D ou le marketing. Cette situation particulière porte un nom : la coopétition interne.</p>
<p>La <a href="https://theconversation.com/la-coopetition-et-si-votre-concurrent-devenait-votre-meilleur-allie-79704">coopétition</a> est un concept créé dans les années 1990 pour étudier les spécificités des alliances entre entreprises concurrentes. Sa spécificité réside dans le fait que les entreprises doivent coopérer pour réduire leurs coûts ou réaliser un projet commun, tout en restant en concurrence sur d’autres activités ou marchés. La coopétition peut être envisagée entre des entreprises différentes, mais aussi à l’intérieur de la même entreprise entre des services concurrents.</p>
<p>Mais avoir recours à la coopétition n’est pas toujours aisé, car elle génère des tensions pour les organisations, et ces <a href="https://theconversation.com/coopetition-trois-principes-pour-manager-les-tensions-128564">tensions doivent être gérées</a>. Par exemple, dans le cas de la coopétition interne, si au sein d’une entreprise, une business unit souhaite lancer un produit avant les autres business units avec lesquelles elle est en concurrence, alors celle-ci n’aura pas d’incitation à partager des informations ou son savoir avec ses collègues.</p>
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<figcaption><span class="caption">Comment les knowledge brokers aident à gérer la coopétition interne, le cas d’Ubisoft (FNEGE Médias, 2019).</span></figcaption>
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<p>Mais si les idées ou solutions innovantes ne sont pas partagées, chaque équipe doit les redévelopper à chaque fois, engendrant ainsi des surcoûts pour la R&D. Le résultat est que l’on a une fâcheuse tendance à réinventer la roue. La direction a donc intérêt à développer la coopération entre ses équipes, quand bien même celles-ci seraient concurrentes. Comment donc concilier ces deux incitations contradictoires ? Pour répondre à cette question, <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0048733318302415">dans un article de recherche</a> publié dans <em>Research Policy</em>, nous avons analysé le cas d’Ubisoft.</p>
<h2>« Que le meilleur gagne ! »</h2>
<p><a href="https://www.ubisoft.com/fr-FR/groupe/presentation.aspx">Ubisoft</a> est le 3<sup>e</sup> éditeur de jeu vidéo au monde qui grâce à des succès comme Rayman, Assassin’s Creed ou les « Lapins crétins », s’est développé jusqu’à atteindre aujourd’hui près de 16 000 employés, répartis dans 45 studios autour du monde.</p>
<p>Quand on regarde l’organisation des projets d’Ubisoft, on observe une situation de coopétition interne. D’un côté, les projets de création sont très libres et certains jeux vidéo vendus se retrouvent en concurrence pour les consommateurs. D’une certaine manière, la logique est « que le meilleur gagne ! ».</p>
<p>Mais de l’autre, Ubisoft incite aussi les équipes en charge des différents projets à partager les connaissances entre eux, l’idée étant que cette collaboration produit de la valeur.</p>
<p>Or, cette situation de « coopétition interne » peut générer un certain nombre de tensions dans l’organisation. Quand un projet fait une percée technologique pour un jeu vidéo, par exemple un outil qui permet de gérer les ombres ou faire briller la mer, il est très intéressant pour l’entreprise que cette innovation soit partagée et exploitée aussi par d’autres équipes.</p>
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<figcaption><span class="caption">Bande-annonce du jeu vidéo iconique Assassin’s Creed 3 (Ubisoft, 2014).</span></figcaption>
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<p>Cependant, dans la pratique, cela s’avère compliqué, et ce pour plusieurs raisons :</p>
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<li><p>Premièrement, le projet à l’origine de l’innovation peut ne pas vouloir la partager. Il veut être le premier jeu à utiliser cette innovation sur le marché. C’est son avantage concurrentiel, qui lui permettra de faire la différence sur le marché, et donc de vendre plus de jeux.</p></li>
<li><p>Deuxièmement, partager, ce n’est pas gratuit, ça a un coût ! Il faut déployer des ressources pour accompagner l’autre projet dans l’implémentation de la solution innovante.</p></li>
<li><p>Troisièmement, récupérer une percée technologique issue d’un autre projet peut aussi faire peur au projet qui le récupère, car son intégration peut s’avérer complexe, en particulier sans les ingénieurs qui en sont à l’origine.</p></li>
</ul>
<h2>Le rôle décisif du knowledge broker</h2>
<p>Dans ce contexte de tensions, notre étude analyse le rôle d’une cellule qui peut être qualifiée de « knowledge broker » (« un relais de connaissance »). Ce concept désigne des individus ou des entités qui se trouvent à l’intersection entre différents groupes et qui agissent en tant qu’intermédiaires dans la transmission des savoirs et des innovations.</p>
<p>Chez Ubisoft, le knowledge broker a pour mission de favoriser le partage des outils de création, grâce à trois grands types d’activités :</p>
<ul>
<li><p>Premièrement, l’identification. Une veille technologique permet d’identifier les percées technologiques futures ou réalisées dans les projets dans l’entreprise. L’objectif n’est pas de tout partager, mais au contraire d’identifier et sélectionner les nouveaux outils susceptibles d’être réutilisés dans d’autres projets de jeu.</p></li>
<li><p>Deuxièmement, la standardisation. Les outils identifiés ne peuvent pas être partagés en l’état, car ils sont souvent trop spécifiques à un jeu. Il faut donc les retravailler, reprendre le code, pour les améliorer et les rendre utilisables par tous.</p></li>
<li><p>Troisièmement, la diffusion. Les outils retravaillés sont répertoriés dans un catalogue qui est communiqué à travers toute l’entreprise et la cellule met à disposition ses équipes pour en favoriser l’utilisation.</p></li>
</ul>
<h2>Gagner du temps</h2>
<p>Ces résultats nous amènent à plusieurs observations sur les rôles du knowledge broker dans la gestion de la coopétition interne :</p>
<ul>
<li><p>Premièrement, la médiation par le knowledge broker crée des délais dans la transmission des solutions en interne. Ce phénomène de <em>lagging</em> (« retardement ») permet au projet à l’origine d’une solution innovante de la valoriser et de la commercialiser avant les autres. L’avantage concurrentiel du projet donateur reste du coup protégé.</p></li>
<li><p>Deuxièmement, le knowledge broker prend en charge ce processus d’absorption et, surtout, standardise les solutions pour les rendre compatibles, de façon à ce qu’elles soient plus faciles à intégrer par tout type de projet et dans n’importe quel contexte.</p></li>
<li><p>Troisièmement, le knowledge broker centralise la diffusion des innovations et favorise la confiance. Sa position neutre et centrale dans le processus d’innovation lui permet d’être reconnu pour son expertise, de sorte que les équipes ont confiance en lui.</p></li>
</ul>
<p>Ainsi notre étude révèle que la mise en place de knowledge brokers peut être un moyen efficace pour surmonter les tensions liées à la coopétition interne et pour favoriser le partage d’innovations entre des équipes mises en concurrence.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/127942/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Une étude souligne le rôle clé de ces intermédiaires pour apaiser les tensions internes entre les équipes qui peuvent se faire concurrence au sein de l’éditeur de jeux vidéo.Paul Chiambaretto, Enseignant-chercheur, Montpellier Business SchoolDavid Massé, Telecom ParisTech, i3, CNRS /, École polytechniqueNicola Mirc, Maître de conférences, TSM Toulouse School of Management-Research, Université Toulouse Capitole, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1270652019-12-03T17:20:02Z2019-12-03T17:20:02ZDébat : L’école est-elle encore un ascenseur social ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/304725/original/file-20191202-67011-i5f10s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C19%2C998%2C636&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'école donne-t-elle à chacun les moyens de réussir selon ses ambitions ?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/young-man-different-stages-his-life-88750300?src=904df977-349e-4b5f-a443-ae8a9a5d9501-1-6">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>L’école est en crise. Encore ? Toujours ? Cette affirmation semble accompagner en permanence l’évolution du système éducatif, et il ne fait aucun doute que, dans la société française d’aujourd’hui, son image est fortement dégradée : l’école <a href="http://www.slate.fr/story/134963/pourquoi-eleves-reussissent-pas-ecole">reproduirait</a> les inégalités, transmettrait des savoirs obsolètes, <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2014/08/25/l-enseignement-vit-au-passe-anterieur-alors-que-le-futur-est-compose_4476435_3232.html">préparerait mal</a> à l’insertion professionnelle, etc.</p>
<p>Fondamentalement, ce qui est remis en cause, c’est la légitimité sociale de l’institution – mais ce n’est pas vrai seulement de l’école : on trouve des situations parallèles pour la médecine, l’institution judiciaire ou le système de représentation politique. Comment en est-on arrivé là ?</p>
<p>Il y a une inadaptation croissante entre ce que semble offrir l’école et ce que ses usagers lui demandent. En prenant conscience de la persistance d’inégalités de réussite scolaire, on en est venu à une condamnation sans nuances d’un système qui ne sait pas faire réussir tous les enfants… En cause, selon une interprétation un peu simpliste des recherches en sociologie de l’éducation, le poids écrasant des <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-La_Reproduction-1952-1-1-0-1.html">« déterminismes sociaux »</a>, l’effet des « handicaps socio-culturels » que l’école s’avère incapable de combler.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/debat-ce-que-dit-la-sociologie-sur-les-origines-des-inegalites-scolaires-117132">Débat : Ce que dit la sociologie sur les origines des inégalités scolaires</a>
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<p>Certes, l’école ne peut pas tout, mais rappelons <a href="https://www.education.gouv.fr/cid57102/l-etat-de-l-ecole-2019.html">quelques faits</a> : aujourd’hui en France, il y a <a href="https://cache.media.education.gouv.fr/file/2019/07/2/depp-ENC-2019_1183072.pdf">12,6 millions</a> d’élèves et 2,7 millions d’étudiants. Si on y ajoute les personnels (1,14 million d’emplois), près d’un Français sur quatre est à l’école. En moins de cinquante ans, le <a href="https://www.senat.fr/rap/r07-370/r07-370.html">taux d’accès</a> au baccalauréat d’une génération est passé de 20 % à 80 %, et l’université a délivré <a href="https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid20185/le-doctorat.html">plus de 14 000 doctorats</a> en 2017…
Donc oui, l’école scolarise et fait réussir de plus en plus d’élèves, la démocratisation de l’enseignement est, sous sa forme quantitative, une réalité, et sous cet aspect là, le système éducatif remplit indiscutablement sa mission. Mais la réussite scolaire ne dépend pas que de l’école, elle est aussi fortement liée à des effets de contexte. Et, de fait, de <a href="http://observatoire-reussite-educative.fr/problematiques/inegalites-scolaires-et-educatives/publications-ressources/ecole-et-inegalites-1/ecole-et-inegalites-1">fortes inégalités</a> de réussite demeurent, entre élèves issus de milieux modestes et ceux de milieux favorisés, <a href="https://www.lemonde.fr/education/article/2015/03/06/a-l-ecole-les-garcons-restent-moins-performants-que-les-filles_4588725_1473685.html">entre filles et garçons</a>, entre ruraux et urbains… </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-faux-semblant-de-la-meilleure-reussite-scolaire-des-filles-99561">Le « faux-semblant » de la meilleure réussite scolaire des filles</a>
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<h2>Écoles et territoires</h2>
<p>L’exemple de <a href="https://www.reseau-canope.fr/notice/ecole-rurale-et-reussite-scolaire.html">l’école rurale</a> l’illustre parfaitement. <a href="https://www.reseau-canope.fr/ecole-rurale-et-reussite-scolaire/le-systeme-educatif-dans-le-rural/historique.html">Au début du XXᵉ siècle</a>, elle a été considérée comme la réalisation d’un idéal : l’école laïque et républicaine, présente dans toutes les communes et offrant à tous les petits Français la même éducation de base. Puis, dans les années 1960-70, la situation s’est totalement renversée, et on l’a accusée d’être une école au rabais – surtout en ce qui concerne la petite école à classes multi-niveaux.</p>
<p><a href="https://www.youtube.com/watch?v=iWwZzCCK0As">Le discours social</a>, largement relayé par l’institution scolaire, stigmatisait à la fois l’école rurale – trop petite, manquant de moyens, isolée – et le milieu rural, qui serait éloigné des ressources culturelles, habité par des familles modestes manquant d’ambition scolaire et rétives à la mobilité. Ainsi s’est constituée la théorie du « handicap socioculturel », fortement lié à l’isolement, qui expliquait la moins bonne réussite scolaire des élèves ruraux.</p>
<p>Or, les <a href="https://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=26718">recherches</a> menées depuis la fin des années 1990 dans le cadre de l’<a href="https://observatoire-education-territoires.com/">Observatoire</a> Éducation et Territoires montrent que les performances scolaires des élèves ruraux sont, à origine sociale identique, meilleures que ceux des urbains. Mais le niveau d’ambition scolaire, en termes de durée des études, ou de type de filières souhaitée, est resté longtemps chez les ruraux plus faible à performances égales que chez les élèves urbains.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/SlOjaT3-NBg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">P. Champollion, « L’école rurale et montagnarde n’est pas une école de seconde zone ».</span></figcaption>
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<p>Cela se vérifie d’ailleurs dans de nombreux pays, montrant à quel point les relations <a href="https://iste-editions.fr/products/permanences-et-evolutions-des-relations-complexes-entre-educations-et-territoires">entre école et territoire</a> sont complexes. Mais ce phénomène a progressivement disparu, et, aujourd’hui, les métiers souhaités par les élèves ruraux sont très proches de ceux choisis par les élèves urbains.</p>
<p>En effet, la demande sociale d’éducation évolue fortement dans toutes les couches sociales, même si elle repose pour une part sur un malentendu : certes, le diplôme favorise l’accès à des emplois mieux rémunérés, mais la compétition s’exacerbe avec la multiplication du nombre des diplômés.</p>
<h2>Socialisation citoyenne</h2>
<p>L’école ne peut se préoccuper de toutes les <a href="https://www.lemonde.fr/campus/article/2019/01/24/ils-exercent-un-metier-qui-n-existait-pas-il-y-a-dix-ans-et-n-existera-peut-etre-plus-dans-quelques-annees_5413598_4401467.html">fluctuations</a> du marché du travail, car cela conduirait à programmer les élèves pour une affectation à des emplois… qui peut-être n’existeront plus lors de leur arrivée sur le marché ! Elle doit conserver sa capacité à former des femmes et des hommes susceptibles de développer une certaine <a href="https://www.telerama.fr/monde/il-est-necessaire-que-l-esprit-des-lumieres-soit-transmis-a-l-ecole,127152.php">distance critique</a>, et d’évoluer en fonction de leurs aspirations – ce qui peut aussi, hélas, entraîner des déconvenues et des frustrations.</p>
<p>De ce point de vue, le contrat entre l’école et la société mériterait une mise au point en profondeur, car il ne repose plus sur une évidence comme cela a été assez largement le cas avant les années 1960. Il s’agit là clairement de politique éducative, au sens le plus élevé du terme.</p>
<p>L’école détient de moins en moins aujourd’hui le monopole de la diffusion du savoir, car elle est confrontée à la puissance des réseaux sociaux et à la <a href="http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/pages/2014/03/26032014article635314144864742097.aspx">concurrence</a> de nombreux producteurs de contenus qui contribuent à une importante marchandisation de l’éducation : médias, entreprises spécialisées dans l’édition parascolaire et dans les diverses modes d’éducation privée) mais elle reste un puissant outil de socialisation citoyenne, sans lequel notre société serait en péril.</p>
<p>Pour qu’elle puisse remplir ce rôle, il faut bien évidemment des moyens, comme le réclament en permanence les enseignants, mais pas seulement. Il faut aussi – et c’est une tâche qui n’est jamais terminée – reconstruire le lien de confiance entre école et familles, ce qui relève de la sphère politique en général. Il s’agit de repenser la transmission des savoirs, non de façon quantitative, ce qui serait une fuite en avant perdue d’avance, mais dans ses modalités, en donnant la priorité à tout ce qui conduit à apprendre à apprendre.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/apprendre-a-apprendre-mot-dordre-sulfureux-ou-banal-103714">« Apprendre à apprendre » : mot d’ordre sulfureux ou banal ?</a>
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<p>Faisons évoluer la formation des enseignants : il ne s’agit pas de décréter à grand fracas une grande réforme tous les dix ans (IUFM, puis ESPE, puis <a href="http://www.devenirenseignant.gouv.fr/cid142150/former-aux-metiers-du-professorat-et-de-l-education-au-21e-siecle.html">INSPE</a>…) mais de considérer enfin que le métier d’enseignant est un métier difficile, insuffisamment rémunéré au regard des compétences qu’il suppose, et qu’il est confronté à des évolutions très rapides et complexes, qui rendent indispensable de concevoir la formation des enseignants comme un continuum sur toute la carrière.</p>
<p>Sur ce point comme sur le précédent, la recherche en éducation et le progrès des neurosciences pourraient et devraient y contribuer beaucoup plus que ce n’est le cas aujourd’hui… </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/304705/original/file-20191202-67028-1d9pn91.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/304705/original/file-20191202-67028-1d9pn91.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=929&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/304705/original/file-20191202-67028-1d9pn91.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=929&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/304705/original/file-20191202-67028-1d9pn91.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=929&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/304705/original/file-20191202-67028-1d9pn91.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1167&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/304705/original/file-20191202-67028-1d9pn91.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1167&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/304705/original/file-20191202-67028-1d9pn91.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1167&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Yves Alpe a participé à l’ouvrage collectif « L’origine sociale des élèves », dirigé par Patrick Ryou et publié en 2019 aux éditions Retz. L’ouvrage passe en revue un certain nombre d’idées reçues sur l’école : « Exposer aux mêmes savoirs garantit l’égalité », « L’école fréquentée fait toute la différence », « Les héritages décident de tout » – et les confronte aux résultats de la recherche.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/127065/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yves Alpe est membre de l'Observatoire Éducation et Territoires </span></em></p>Le contrat entre l’école et la société mériterait une mise au point en profondeur, car il ne repose plus sur une évidence comme cela a été assez largement le cas avant les années 1960.Yves Alpe, Professeur des universités émérite, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1251132019-10-20T19:40:31Z2019-10-20T19:40:31ZCe que Condorcet a encore à nous dire sur l’éducation<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/297451/original/file-20191017-98666-4cpa79.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C998%2C664&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Statue de Condorcet, quai Conti, à Paris</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/condorcet-statue-on-quay-conti-paris-1102019033?src=fJPgRsnSYXxcMEqHmA0oZA-1-2">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Quand on lit un grand philosophe, même s’il est mort depuis plus de deux siècles, on a l’étrange sentiment de lire un de nos contemporains, d’entendre une voix si vive et si forte qu’elle nous parle encore. C’est le cas lorsqu’on se penche sur les textes majeurs que <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Nicolas_de_Condorcet">Nicolas de Condorcet</a> (1743-1794) nous a laissés sur l’école et l’enseignement.</p>
<p>Au XVIII<sup>e</sup> siècle, alors qu’on accordait peu d’intérêt à la formation intellectuelle des filles, ce mathématicien des Lumières, homme politique sous la Révolution française, se positionnait en précurseur. Dans ses <em>Mémoires sur l’instruction publique</em> (1791), il défend l’idée que filles et garçons doivent avoir accès à la même instruction, car la vérité, universelle par nature, est due à toutes et à tous.</p>
<p>De plus, les femmes ne pourront exercer leurs droits sereinement que si elles sont, elles aussi, conviées à la table du savoir, explique-t-il dans <em>Sur l’admission des femmes au droit de cité</em>, 1790). Il ne s’agit pas seulement de permettre aux filles d’étudier les mêmes programmes que les garçons, mais d’ores et déjà, de créer des classes mixtes :</p>
<blockquote>
<p>« Puisque l’instruction doit être généralement la même, l’enseignement doit être commun, et confié à un même maître qui puisse être choisi indifféremment dans l’un ou l’autre sexe » (« Premier Mémoire »).</p>
</blockquote>
<p>En avance sur son temps, Condorcet soulève des débats sur l’école qui animent encore notre époque, de la constitution d’un socle de savoirs fondamentaux à la question de la compétition scolaire, en passant par une instance garante des programmes. Voyage dans une pensée éducative d’une étonnante modernité.</p>
<h2>Savoirs communs</h2>
<p>La période révolutionnaire a vu s’affronter les tenants de l’instruction publique, dont la figure emblématique est précisément Condorcet, et les tenants d’une éducation nationale, représentée notamment par <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean%E2%80%91Paul_Rabaut_Saint-%C3%89tienne">Rabaut Saint-Etienne</a> et <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Louis-Michel_Lepeletier_de_Saint-Fargeau">Lepeletier de Saint-Fargeau</a>. Instruire ou éduquer, ces deux orientations sont posées comme irréconciliables.</p>
<blockquote>
<p>L’instruction vise à transmettre des savoirs et à cultiver la raison ; l’éducation, elle, a pour tâche de transmettre non seulement « des vérités de fait et de calcul » mais aussi « des opinions politiques, morales et religieuses (Premier mémoire).</p>
</blockquote>
<p>Condorcet récuse l’orientation éducative car, si l’instruction affranchit par les vertus intrinsèques du savoir, l’éducation, en revanche, modèle et domestique. L’éducation est de plus une prérogative parentale. Et à s’arroger celle-ci, non seulement l’école se fourvoie dans sa mission, mais elle porte aussi atteinte aux droits légitimes des parents. À la famille le devoir d’éduquer, à l’école celui d’instruire et d’éclairer.</p>
<p>Il faut donc « rendre la raison populaire » tout en veillant à ce que les différences de savoir n’entraînent pas des rapports de subordination. <a href="https://books.google.fr/books/about/%C3%80_l_%C3%A9cole_de_Condorcet.html?id=Iz4UAQAAIAAJ&redir_esc=y">La tâche de l’école</a> est alors de dispenser les <a href="https://www.persee.fr/doc/spira_0994-3722_1995_num_15_1_1905">savoirs élémentaires</a>, véritable <a href="https://www.education.gouv.fr/cid2770/le-socle-commun-de-connaissances-et-de-competences.html">socle commun</a> de compétences avant l’heure.</p>
<p>Car ces savoirs, dérivés des savoirs scientifiques disponibles, doivent obéir, comme l’a bien montré Catherine Kintzler (<a href="https://www.persee.fr/doc/dhs_0070-6760_1985_num_17_1_1572_t1_0474_0000_3"><em>Condorcet. L’instruction publique et la naissance du citoyen</em></a>), à deux principes épistémologiques originaux. Un principe de suffisance : leur maîtrise garantit l’autonomie intellectuelle.</p>
<blockquote>
<p>« On enseigne dans les écoles primaires, ce qui est nécessaire à chaque individu pour se conduire lui-même et jouir de la plénitude de ses droits » (Rapport sur l’instruction publique, 1792).</p>
</blockquote>
<p>Et un principe d’ouverture : ces savoirs s’ouvrent sur d’autres savoirs, plus élaborés, ce qui permet à l’esprit qui a suffisamment de vivacité intellectuelle d’atteindre les sommets de la connaissance.</p>
<p>Les <a href="http://www.theses.fr/2006ROUEL527">savoirs élémentaires</a> ne sont donc pas des savoirs rudimentaires qui n’auraient qu’une utilité pratique, ils sont aussi les savoirs premiers de la connaissance. Savoirs organisés de manière progressive, qui permettent de concilier une exigence juridique – le libre exercice de ses droits – et une exigence sociétale – avoir une élite digne de ce nom.</p>
<p>Tel est le tour de force de Condorcet : concilier l’égalité juridique entre les hommes et l’accès différencié à la science. Les savoirs élémentaires rendent possible la formation d’une raison commune tout en préservant la diversité des talents.</p>
<h2>Une compétition à éviter</h2>
<p>L’école doit alors promouvoir une émulation dont le ressort est le désir d’être aimé et reconnu pour ses qualités. Émulation qui tourne le dos à l’envie permanente de vouloir toujours être le meilleur :</p>
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<p>L’habitude de vouloir être le premier est un ridicule ou un malheur pour celui à qui on la fait contracter, et une véritable calamité pour ceux que le sort condamne à vivre auprès de lui. (<em>Premier mémoire</em>) »</p>
</blockquote>
<p>L’ancien pensionnaire des jésuites de Reims dénonce la pédagogie de ses maîtres qui n’ont cessé de cultiver la rivalité et la compétition. <a href="https://www.belin-editeur.com/radio-studiorum">Chez ces derniers</a>, pas d’étude sans classement, pas d’apprentissage sans récompense. Dispute, exercice public, remise de prix, création d’académies…</p>
<p>Condorcet rejoint sur ce point ce que disait Rousseau dans <em>L’Emile</em> :</p>
<blockquote>
<p>« Il est bien étrange, se désolait déjà le philosophe genevois, que, depuis qu’on se mêle d’élever des enfants, on n’ait imaginé d’autre instrument pour les conduire que l’émulation, la jalousie, l’envie, la vanité, l’avidité, la vile crainte, toutes les passions les plus dangereuses […] et les plus propres à corrompre l’âme. » (« Emile ou de l’éducation », Livre II).</p>
</blockquote>
<p>L’émulation que vante Condorcet, fruit d’une école qui sait accueillir tout le monde pour que l’on puisse y apprendre ensemble, ne doit rien à cet orgueil arrogant qui nous pousse à vouloir être au-dessus des autres. Elle ne vise qu’une seule chose : gagner l’estime et la confiance de ses pairs. L’école pense toujours au lendemain et</p>
<blockquote>
<p>« la vie humaine n’est point une lutte où des rivaux se disputent des prix ; c’est un voyage que des frères font en commun, et où chacun employant ses forces, en est récompensé par les douceurs d’une bienveillance réciproque, par la jouissance attachée au sentiment d’avoir mérité la reconnaissance ou l’estime ». (Condorcet, « Premier mémoire »)</p>
</blockquote>
<h2>Indépendance de l’école</h2>
<p>Si la condition première de toute instruction est de de n’enseigner que des vérités, alors « les établissements que la puissance publique y consacre, doivent être aussi indépendants qu’il est possible de toute autorité politique » (<em>Rapport sur l’instruction publique</em>). Dans le rapport d’avril 1792, Condorcet propose de fonder une société nationale des sciences et des arts qui aurait pour mission de garantir la qualité scientifique des programmes et de rédiger les manuels scolaires.</p>
<p>La nomination des enseignants devrait, elle aussi, être indépendante de la puissance publique. D’où l’on voit que l’instruction publique n’est pas une instruction d’État. Car si l’école doit être indépendante de tout groupe social, elle doit aussi l’être de l’État.</p>
<p>La seule autorité légitime que l’école est en droit d’admettre est l’autorité scientifique. Car en se soumettant aux instances savantes, l’école ne se soumet finalement qu’à elle-même, en tant que lieu des savoirs et de la science. Il faut mettre l’école à l’abri de toutes les formes de pression (familiale, cléricale, idéologique…) pour qu’elle puisse déployer son projet qui n’est autre que l’amour de la vérité et des Lumières.</p>
<p>Si l’école doit transmettre des savoirs émancipateurs, encore faut-il qu’elle puisse vraiment le faire, c’est-à-dire en toute liberté. Être un lieu d’instruction, préservé et indépendant car voué à l’émancipation de tous les hommes, telle est la définition que pourrait donner Condorcet de l’école.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/125113/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Eirick Prairat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Retour sur la pensée de Condorcet, homme des Lumières, défenseur de l'égalité d'instruction entre filles et garçons.Eirick Prairat, Professeur de Philosophie de l’éducation, membre de l’Institut universitaire de France (IUF), Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1244452019-10-06T19:39:32Z2019-10-06T19:39:32ZLes compétences interculturelles, l’apprentissage de toute une vie<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/294821/original/file-20190930-194832-v46ux4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=28%2C91%2C958%2C564&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les managers « globaux » sont capables d'apprendre et de s'adapter en permanence.</span> <span class="attribution"><span class="source">Pressmaster / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Les <a href="https://theconversation.com/ces-frictions-culturelles-qui-menent-a-lechec-des-fusions-acquisitions-internationales-117059">échecs des organisations internationales</a> sont souvent liés aux manques de compétences interculturelles des employés et des managers.</p>
<p>Ainsi, selon Evalde Mutabazi, professeur à l’EM Lyon, la compétence interculturelle constitue bien un <a href="https://www.cairn.info/load_pdf.php?ID_ARTICLE=MAV_101_0015">« défi majeur »</a>, d’autant qu’il n’existe pas de profil standard de cadres ou de managers avec des compétences identiques. Si ceux-ci avaient les mêmes valeurs, les mêmes croyances et les mêmes aspirations managériales, les dysfonctionnements organisationnels seraient beaucoup plus rares, les négociations avec les partenaires étrangers simplifiées, la mise en place des équipes multiculturelles facilitées.</p>
<p>Effectivement, le concept de « compétence interculturelle » s’avère en lui-même bien difficile à définir et souvent <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/mi/2009-v13-n4-mi3562/038582ar/">difficilement mesurable</a> comme le rappelle Anne Bartel-Radic, professeure des universités en sciences de gestion à Sciences Po Grenoble. De fait, on associe souvent la compétence interculturelle aux caractéristiques distinctes des individus, telles que la motivation (affective, émotion), le savoir (cognitif), ou encore les compétences (comportementales et organisationnelles). Aussi, l’acquisition des compétences interculturelles permettrait d’éviter les malentendus et les pièges liés à un environnement où des cultures différentes sont rassemblées.</p>
<h2>Acquérir une compétence interculturelle</h2>
<p>Certes, l’influence de l’environnement familial et le fait, par exemple, d’avoir des parents biculturels contribuent notablement à l’acquisition de compétences interculturelles pour l’individu : « si on a été élevé de sorte à toujours garder l’esprit ouvert, on le fera naturellement », répond ainsi un interviewé dans une <a href="https://hal-normandie-univ.archives-ouvertes.fr/hal-01885638">étude de terrain</a> que j’ai publiée avec Dounia Benhaida.</p>
<p>Mais on constate que l’environnement familial n’est pas nécessairement crucial, puisque des individus non issus de parents biculturels peuvent avoir acquis une sensibilité culturelle dans le cadre de leurs études, de leurs voyages ou bien au cours d’expériences professionnelles diverses. « Pendant mes études, j’ai effectué des stages en Allemagne, j’ai appris de nouvelles méthodes de travail et la façon d’appréhender les choses différemment », explique un autre interviewé. « Pour ma part, j’ai travaillé avec un manager de nationalité différente qui utilisait des méthodes de management différentes, en cherchant à construire une relation basée sur la confiance et une communication plus directe », témoigne encore un ancien expatrié.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1131278602014736384"}"></div></p>
<p>Les travaux de Yih-teen Lee, professeur à l’IESE Business School de Barcelona, confirment d’ailleurs que les expatriés peuvent démontrer une <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1470595809359583">meilleure adaptation culturelle</a> que les biculturels, ainsi qu’une communication plus efficace au contact des différentes cultures.</p>
<p>On constate enfin que l’acquisition de cette compétence est également liée aux « ressources matérielles » qui l’accompagnent (scolarité, facilité de mobilité internationale, accès aux différents supports linguistiques, stages dans un environnement multiculturel, etc.). L’apprentissage et la maîtrise d’une langue étrangère facilitent notamment l’apprentissage interculturel, ce qui pose plus largement la question de la structuration globale d’une société et de ses institutions.</p>
<h2>La volonté d’apprendre</h2>
<p>Il est toutefois intéressant de noter que l’effort des individus en apprentissage interculturel semble être peu abordé en littérature scientifique. Pourtant, l’acquisition et le développement de la compétence interculturelle demandent de la motivation : « Quand on veut, on peut », commente un interviewé.</p>
<p>Il est important de « vouloir interagir avec les différences culturelles » au départ. Les individus doivent fournir des efforts notamment au sein des équipes multiculturelles afin de comprendre et s’adapter aux autres cultures nationales présentes, comme le soulignent plusieurs témoignages que nous avons recueillis : « lorsqu’on est confronté à quelque chose de nouveau, il faut savoir l’apprécier et l’accepter. Ne pas être effrayé par le changement ou l’inconnu. Par la suite, l’expérience permet de relativiser et d’être plus sage le moment venu. » ; ou encore, « si on apprend à mieux connaître ce qui nous effraie ou déplaît, on peut être amené à l’apprécier ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/de-la-difficulte-a-se-defaire-dune-certaine-arrogance-a-la-francaise-dans-les-relations-interculturelles-85871">De la difficulté à se défaire d’une certaine « arrogance à la française » dans les relations interculturelles</a>
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<p>Le comportemental joue ainsi un grand rôle dans les compétences. La plupart des auteurs mettent en évidence les <a href="https://www.researchgate.net/publication/261704188_La_competence_interculturelle_est-elle_acquise_grace_a_l%E2%80%99experience_internationale">cinq traits centraux</a> (les « big five », comme le note Anne Bartel-Radic) : ouverture à l’expérience ; caractère consciencieux ; extraversion ; caractère agréable ; et stabilité émotionnelle.</p>
<p>Les personnes interviewées soulignent surtout en complément de ces cinq traits : ouverture d’esprit, flexibilité, tolérance à l’ambiguïté, curiosité, patience, accepter la différence et aller vers les autres. Et si on ne sait pas comment : « accepter de se faire aider ».</p>
<h2>Un manager ouvert d’esprit ne suffit pas</h2>
<p>L’ouverture à l’autre peut faciliter le travail du manager dans la gestion de son équipe. En effet, sur le plan organisationnel, le manager est le premier acteur hiérarchique à être confronté au management d’équipes multiculturelles. Même doté de sensibilité et de compétences interculturelles, il lui sera difficile d’assumer son rôle si son équipe ne contient pas de personnes ayant ces compétences. Celui-ci aura donc besoin d’outils de la part de l’organisation qui lui permettront de gérer son équipe multiculturelle.</p>
<p>Dès lors, les managers, peuvent avoir besoin de moyens, notamment financiers, afin d’être accompagnés dans leur rôle au quotidien (par exemple, formations en management interculturel, en animation d’équipe). Ils pourront également avoir besoin de moyens de pilotage de leur équipe dans un souci de performance organisationnel, de fidélisation et de motivation des collaborateurs pour en assurer la pérennité.</p>
<p>Même les référents culturels pouvant être extrêmement différents selon les cultures, ils peuvent lors de leur application dans un contexte professionnel entraîner des incompréhensions en termes de gestion du temps, définition des tâches, prise de risque, degré d’autonomie, de hiérarchie, d’attitudes individuelles en opposition aux attitudes collectives ou encore en termes de communication directe ou indirecte, etc.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/294824/original/file-20190930-194852-1r0qblr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/294824/original/file-20190930-194852-1r0qblr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/294824/original/file-20190930-194852-1r0qblr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/294824/original/file-20190930-194852-1r0qblr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/294824/original/file-20190930-194852-1r0qblr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/294824/original/file-20190930-194852-1r0qblr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/294824/original/file-20190930-194852-1r0qblr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un manager interculturel doit pouvoir compter sur des équipes ayant également des compétences interculturelles.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Pressmaster/Shutterstock</span></span>
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<p>Voilà d’où vient la difficulté d’un manager international aujourd’hui, car aucun manager ne peut apprendre tout sur les cultures et groupes ethniques existants mais l’intérêt réel porté à l’individu et à ses origines prouve de la compréhension de sa part. Selon Lena Zander, professeur à la Uppsala University en Suède, et ses collègues, le manager de demain doit devenir <a href="https://research.monash.edu/en/publications/leading-global-teams">« un médiateur » et « un rassembleur »</a> avec intelligence culturelle importante. Au-delà d’un manager idéal « hybride » qui est capable « d’absorber » plusieurs cultures, de plus en plus d’auteurs mettent en avant le caractère flexible du manager qui lui permet d’éviter les chocs culturels et de s’adapter dans des cultures différentes.</p>
<p>L’apprentissage et l’adaptabilité comme mode d’ajustement des managers, que ce soit dans des équipes multiculturelles ou projets internationaux, caractérisent aujourd’hui les managers que l’on appelle par ailleurs « globaux ». Ils devraient être capables de motiver et d’inspirer, de coacher et de s’intéresser réellement aux membres de leurs équipes, à plus forte raison de pouvoir devenir des « agents de liaison ». Ce type de manager est capable d’identifier les différences culturelles et de créer des synergies entre elles alors qu’un médiateur facilite la communication intra-équipe et sait résoudre les conflits interculturels en construisant les ponts entre les langues et les cultures.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/124445/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Helena Karjalainen ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Rien n’est jamais acquis en la matière, quelles que soient l’expérience et la bonne volonté du manager.Helena Karjalainen, Professeur associé en management interculturel, EM NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1214122019-08-27T20:15:03Z2019-08-27T20:15:03ZLa moulinette : « Hacher menu » les projets de culture scientifique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/286798/original/file-20190803-117910-1pbkfzz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=11%2C253%2C3820%2C2425&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Séance de préparation du projet de médiation scientifique Yakaton'18 à la Haute Ecole Spécialisée de Suisse Occidentale (HES-SO) en juin 2018.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.yakaton.ch/homepage/">Richard-Emmanuel Eastes</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span></figcaption></figure><p>Depuis le printemps 2019, le <a href="http://www.rezoscience.ch/">Réseau romand Science et Cité</a> met à la disposition des acteurs et actrices de la culture scientifique un outil d’aide à la conception et au suivi de leurs projets : <a href="http://www.lamoulinette.ch">La moulinette</a>.</p>
<p>Cet outil inédit ne s’accompagne d’aucun conseil méthodologique, ne contient aucune recette toute faite. On pourrait s’en étonner, mais c’est ce qui constitue sa force et sa spécificité. La réflexivité et l’empowerment, tels sont en effet les objectifs de ses concepteurs.</p>
<p>Rappelons que la <a href="https://journals.openedition.org/culturemusees/749">médiation</a> n’est pas qu’une pratique d’éducation informelle d’un public béotien, consistant à simplifier des savoirs complexes. Il s’agit plus largement d’un ensemble de démarches et pratiques destinées à rapprocher la connaissance spécialisée des besoins auxquels elle pourrait répondre, à l’appliquer aux <a href="https://journals.openedition.org/dse/1593">questions socialement vives</a> et à favoriser l’élaboration commune de connaissances entre spécialistes et groupes de citoyens concernés.</p>
<h2>Réflexivité indispensable</h2>
<p>Pratiquer la médiation culturelle, c’est exercer un véritable <a href="https://www.letudiant.fr/metiers/secteur/culture/mediateur-culturel.html">métier</a>. Les connaissances techniques et académiques en sont l’un des piliers, certes. Mais la connaissance des publics, la maîtrise de la pédagogie et la compréhension des modes de production et de diffusion des savoirs y sont tout aussi essentielles. Ces missions nécessitent donc une démarche aussi <a href="https://journals.openedition.org/sociologie/1584">réflexive</a> que possible, interrogeant les objectifs de ses acteurs à l’aune des attentes et besoins de leurs publics.</p>
<p>Pourtant, cette réflexivité est difficile à atteindre, car cela suppose de remettre en question des approches intuitives, souvent mues par la passion et par le désir de partager ses propres connaissances. Pour ne pas être simplement égoïste ou prosélyte, voire condescendante et finalement contre-productive, elle doit donc miser sur une décentration radicale.</p>
<p>Dans le cas de la science et de la technologie, il est probable que le besoin de réflexivité soit encore plus fort que dans celui de toute autre forme de médiation culturelle, à proportion même de leur impact sur l’évolution de la société.</p>
<p>Tout « progrès » scientifique et technologique disruptif s’accompagne en effet de bouleversements de l’ordre social, de <a href="http://controverses.mines-paristech.fr/presentation/quappelons-nous-controverse-sociotechnique/">controverses sociotechniques</a>, d’effets secondaires d’ordres sanitaire ou environnemental, voire de questions éthiques qui interrogent <em>in fine</em> son <a href="https://journals.openedition.org/communiquer/584">acceptabilité sociale</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/apprendre-a-construire-le-desaccord-pour-reinventer-le-dialogue-societal-68865">Apprendre à construire le désaccord pour réinventer le dialogue sociétal</a>
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<h2>Mission citoyenne</h2>
<p>Dans ce processus, la médiation scientifique et technique est un acteur déterminant, au sens où elle a tout autant pour mission de promouvoir les applications vertueuses des avancées de la science que d’en interroger les éventuels effets pervers. Sans compter qu’elle tire autant sa légitimité de sa capacité à écouter les peurs et objections de ses publics qu’elle doit souvent ses financements à sa capacité supposée à fabriquer de l’acceptabilité sociale, justement.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-jeux-de-discussion-comprendre-et-se-comprendre-67322">Les jeux de discussion : comprendre et se comprendre</a>
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<p>Face à tant de pressions et d’enjeux, les acteurs de la culture scientifique peuvent avoir besoin d’outils pour trouver la juste voie entre l’enthousiasme zélé qui les a probablement poussés dans cette voie professionnelle, et la prudence. Une prudence éminemment nécessaire, face à des publics qui ne souhaitent plus seulement collectionner des informations mais également les articuler à leurs valeurs, pour exercer leur pouvoir de citoyens et de consommateurs.</p>
<p>Dans ce contexte, il convient de promouvoir par tous les moyens une médiation scientifique autocritique et <a href="https://www.groupe-traces.fr/projet/manifeste-revoluscience/">responsable</a>. C’est dans cet esprit que <a href="http://www.lamoulinette.ch">« La moulinette »</a> a été élaborée par des spécialistes de la médiation scientifique <a href="http://www.lamoulinette.ch/fr/qui-sommes-nous-/">suisses et français</a>, universitaires comme acteurs de terrain.</p>
<p>Le résultat prend la forme d’un site web, structuré autour de 11 questions ou chapitres telles que : Pourquoi ? Comment ? Quand ? Avec quels risques ? Il propose à ses utilisateurs un cheminement à géométrie variable en fonction de leurs besoins.</p>
<p>Une fois les questions sélectionnées, le site génère automatiquement des fiches au format pdf, chacune comprenant à son tour des sous-questions qui invitent les utilisateurs à positionner leurs réponses sur différents diagrammes : sliders, pourcentages, matrices, QCM, etc.</p>
<h2>Accompagnement sur mesure</h2>
<p>En passant son projet au crible des catégories proposées par « La moulinette », on génère ainsi des réflexions précieuses concernant l’ensemble des facettes de l’action envisagée : de ses propres motivations initiales aux impacts escomptés et réels, de la nature des publics visés aux formes possibles de l’activité en passant par la recherche de fonds et les risques encourus.</p>
<p>Un effort particulier a notamment été porté sur l’analyse des motivations (individuelles ou institutionnelles) ayant présidé à la conception de l’activité de médiation et sur la réflexion relative à ses <a href="https://www.youtube.com/watch?v=NTih-l739w4">« non-publics »</a>, c’est-à-dire aux catégories de personnes s’en trouvant exclues pour des raisons conscientes ou inconscientes.</p>
<p>Par ailleurs, ce travail aidera les médiatrices et médiateurs scientifiques à mieux décrire leurs projets quand ils devront les présenter au grand public, à une structure de financement ou encore à un nouvel employeur. « La moulinette » est donc non seulement un outil de réflexivité, mais également un outil d’<a href="https://www.cairn.info/revue-tiers-monde-2009-4-page-735.htm">empowerment</a> des actrices et acteurs de la culture scientifique, comme doivent l’être leurs propres actions pour leurs publics.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/286800/original/file-20190803-117871-1nyd0q2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/286800/original/file-20190803-117871-1nyd0q2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=354&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/286800/original/file-20190803-117871-1nyd0q2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=354&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/286800/original/file-20190803-117871-1nyd0q2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=354&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/286800/original/file-20190803-117871-1nyd0q2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=445&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/286800/original/file-20190803-117871-1nyd0q2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=445&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/286800/original/file-20190803-117871-1nyd0q2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=445&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La moulinette, site web.</span>
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<h2>Multiples usages</h2>
<p>Ces fiches imprimables ont été pensées pour répondre aux multiples situations auxquelles sont en général confrontés les professionnels de la médiation, seuls ou en groupes. La moulinette peut en effet être utilisée en tant qu’outil :</p>
<ul>
<li><p>d’aide à la conception d’un projet, pour n’oublier aucune de ses dimensions importantes (<em>check list</em>),</p></li>
<li><p>de suivi de projet, sous forme de <em>guidelines</em> permettant de conserver le cap initial,</p></li>
<li><p>d’évaluation <em>a posteriori</em> d’un dispositif, éventuellement par comparaison avec les réponses aux mêmes questions données lors de sa conception,</p></li>
<li><p>de formation initiale des médiateurs et médiatrices, dans leurs cursus de formation et/ou lors de leur arrivée dans une organisation de culture scientifique,</p></li>
<li><p>de documentation d’activités stabilisées, voire de formation des médiateurs et médiatrices sur un dispositif donné (rôle de transmission),</p></li>
<li><p>de formation continue pour se replacer de temps en temps dans une posture réflexive,</p></li>
<li><p>de communication avec l’équipe de médiation, la direction, les partenaires, les bailleurs de fonds… autour d’un dispositif de médiation donné.</p></li>
</ul>
<p>Mettre en pièces son projet de médiation et ses idées d’activités pour en interroger toutes les dimensions, en recenser les différentes facettes, les analyser et assumer ses choix en toute connaissance de cause, tel est le service que tente de rendre « La moulinette » à celles et ceux qui partagent leurs connaissances scientifiques au quotidien.</p>
<p>Mis gracieusement à disposition en échange de leurs retours sur <a href="http://moulinette.ch/fr/feedback/">leurs usages</a>, l’outil se veut collaboratif pour servir au mieux et le plus longtemps possible les intérêts de la communauté.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/121412/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Richard-Emmanuel Eastes conseille le Réseau Romand Science et Cité, association à but non lucratif, lequel a reçu des financements de la fondation Ernst Göhner et du canton de Vaud (Suisse) pour la réalisation de La moulinette. Cet outil est entièrement gratuit. Il est mis à disposition sans perspectives financières et ne collecte aucune information sur ses utilisateurs.</span></em></p>Pour aider le grand public à comprendre les dernières avancées de la recherche, mais aussi mesurer leurs impacts, la médiation scientifique doit faire du sur-mesure. Voici un outil qui peut y aider.Richard-Emmanuel Eastes, Head of the academic development : University of applied arts and sciences Western Switzerland (HES-SO, Suisse), Haute école spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1221402019-08-26T18:46:47Z2019-08-26T18:46:47ZLe transfert de technologie, l’autre pomme de discorde de la guerre commerciale sino-américaine<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/288945/original/file-20190821-170910-1jd29ld.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=23%2C23%2C5152%2C3422&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les accusations d'espionnage sont largement insuffisantes pour comprendre les désaccords entre la Chine et les États-Unis...</span> <span class="attribution"><span class="source">Phol_66/Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Dans un <a href="https://theconversation.com/debate-reckoning-the-damage-wrought-by-trumps-economic-ignorance-102360">précédent article</a> pour The Conversation, j’ai fait valoir que, à en juger par les guerres commerciales qu’il a lancées et qu’il est en train d’intensifier avec la Chine, le président des États-Unis Donald Trump ne passerait pas un examen de première année de premier cycle en économie (ou du moins pas la question de la théorie du commerce international). Essentiellement, j’ai montré qu’il (avec son équipe de conseillers dirigée par Larry Kudlow, le négociateur principal) fait preuve de peu de compréhension de la <a href="https://www.lemonde.fr/revision-du-bac/annales-bac/sciences-economiques-terminale-es/avantage-comparatif_sex104.html">théorie de l’avantage comparatif</a> des coûts qui se trouve au cœur de la compréhension des économistes du commerce international et, en fait, de tous les échanges interrégionaux depuis la fin du XVIII<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Toutefois, il est possible de détecter une deuxième pomme de discorde plus obscure dans les négociations interminables entre les États-Unis et la Chine, qui est peut-être le cœur de la controverse actuelle de la guerre commerciale, mais qui a été beaucoup moins discutée, que ce soit dans les débats universitaires ou dans les médias. Il s’agit de la question du transfert de technologie et des droits de propriété intellectuelle.</p>
<h2>Un nouveau champ de bataille</h2>
<p>Actuellement, les négociateurs américains souhaitent que leurs entreprises puissent accéder au marché chinois sans que cela implique de transfert de technologies, ce que réclament leurs interlocuteurs. Comme l’écrit le quotidien britannique <a href="https://www.theguardian.com/world/2019/may/12/trump-china-tariff-hike-trade-war">The Guardian</a> en mai dernier, Washington craint en effet que la Chine « vole des technologies et fasse pression sur des sociétés américaines pour qu’elles divulguent leurs secrets commerciaux ».</p>
<p>Or, pour Pékin, le transfert de technologie constituerait une contrepartie en échange des bénéfices que feraient les entreprises américaines sur son territoire. Si elles veulent développer des affaires en Chine, elles doivent être prêtes à partager leur savoir-faire technologique avec les locaux ! Une position diamétralement opposée à celle des États-Unis qui n’ont pas du tout la même conception de la notion de propriété intellectuelle. Celle-ci revêt en effet pour les Américains un caractère inattaquable, voire inaliénable. C’est peut-être là que se situe le point de désaccord clé de la guerre commerciale sino-américaine.</p>
<p>La théorie économique des biens publics illustre bien combien les deux positions semblent inconciliables. L’un des exemples les plus clairs de ce que les économistes appellent des biens publics est justement la connaissance scientifique et technologique. Un bien public est un bien où, en raison de la nature même du bien, la consommation/utilisation d’unités du bien par une personne ou une entreprise n’empêche pas la consommation/utilisation des mêmes unités par d’autres consommateurs ou entreprises (par exemple, une autoroute ou un parc naturel). On contraste ces biens avec les biens privés où la consommation d’une personne ou d’une entreprise d’une unité du bien empêche toute autre personne d’utiliser la même unité (par exemple, un bonbon ou une opération dentaire).</p>
<p>La plupart des biens et services qui sont produits et vendus sur le marché sont des biens privés, les marchés (du moins dans des conditions de concurrence) sont en théorie assez efficaces pour obtenir une <a href="https://www.kartable.fr/ressources/ses/fiche-notion/allocation-des-ressources/10489">allocation optimale des ressources</a> en ce qui concerne la production ces biens.</p>
<h2>La production de biens publics divise</h2>
<p>Mais en ce qui concerne l’affectation optimale des ressources à la production de biens publics, les économistes sont en désaccord assez intense depuis près d’un siècle. D’une part, il y a eu les néolibéraux (<em>market fundamentalists</em>) qui soutiennent qu’il vaut mieux confier la production de biens publics à des entreprises privées soumises à la discipline des forces du marché, même si presque tous ces biens publics sont par nature des monopoles naturels (une concession d’autoroute, une franchise ferroviaire) et que le producteur privé possède donc tout le pouvoir de marché néfaste d’un monopoleur (abus de position dominante).</p>
<p>D’un autre côté, il y a eu des économistes qui ont soutenu qu’un bien public est mieux produit sur une base collective par ou pour toutes les personnes qui peuvent profiter du bien une fois produit. Il peut s’agir d’un simple collectif de consommateurs. Par exemple, un club sportif pour des biens publics d’envergure limitée et locale ; ou pour des biens publics d’envergure plus large tels que l’environnement naturel, le réseau d’infrastructures de transport ou la défense nationale, une production du bien publique par l’État agissant au nom de ses citoyens. Même si le secteur public est susceptible de certaines inefficacités liées aux aléas politiques et de la corruption, il s’agit d’un monopoleur en principe bienveillant au service de la communauté et pas d’un monopoleur privé qui ne fait rien d’autre que maximiser ses rentes monopolistiques, ce qui en fin de compte n’est qu’une forme d’extorsion.</p>
<p>Il s’avère que ce contraste dans la façon de traiter les biens publics est l’un des points de friction les plus importants dans les négociations autour de la guerre de commerce entre la Chine et les États-Unis. La position des États-Unis est résolument liée à l’idée que les connaissances technologiques que possèdent les entreprises privées américaines sont une propriété intellectuelle (donc un bien privé en effet) que les Chinois s’efforcent de leur enlever par tous les moyens – qu’ils soient honnêtes ou moins honnêtes.</p>
<p>Les Chinois, pour leur part, considèrent la connaissance technologique comme un bien public qui doit être partagé collectivement par toute l’humanité, de la même manière que la connaissance de la physique, de la chimie et des mathématiques constitue un bien public qui est et devrait toujours être librement accessible à tous. Je laisserai aux lecteurs de former leurs propres opinions sur cette impasse. Mais ce qui est remarquable, c’est qu’au lieu des insultes et des accusations parfois farfelues de sécurité et d’espionnage qui circulent dans ce conflit commercial et qui esquivent la question centrale, il serait préférable et peut-être plutôt révélateur des présupposés idéologiques implicites des deux parties d’avoir un débat ouvert, transparent et serein sur ce qui est une question fondamentale de l’économie politique : l’allocation optimale des ressources en matière de la production des biens publics en générale et du savoir-faire technologique en particulier.</p>
<h2>Une nouvelle forme de colonialisme ?</h2>
<p>Pour conclure, je ne peux résister à une observation malicieuse. Les néo-libéraux sont les plus ardents défenseurs des droits de propriété privée à l’égard de la propriété intellectuelle dont ils considèrent le savoir technologique comme un exemple de premier plan. Mais dans cette même défense fondamentaliste du marché, de l’efficacité suprême de la propriété privée et des forces du marché, il est généralement supposé que tous les acteurs sur le marché soient… bien informés. En effet, dans les versions les plus poussées de ce conte de fées, ils sont supposés <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/08911916.2018.1517462">avoir des informations parfaites</a> !</p>
<p>Si les acteurs économiques doivent agir avec des informations parfaites en ce qui concerne leurs décisions concernant la production (et même la consommation) de biens et de services, ils ont besoin d’avoir accès à toutes ces connaissances technologiques qui sont… jalousement retenues et gardées secrètes par les titulaires de droits de propriété intellectuelle. Cette retenue d’information clé dans une situation ou le coût marginal de diffusion serait pratiquement zéro représente une inefficacité des plus grossières dans l’économie mondiale actuelle. Donc peut-être les Chinois avaient-ils raison d’insister pour que, lorsque des entreprises étrangères viennent en Chine (ou ailleurs dans le monde), elles partagent pleinement leurs connaissances technologiques avec les autochtones. Après tout, cela est indispensable à l’allocation optimale des ressources, si vantée par les néo-libéraux fondamentalistes du marché.</p>
<p>Si l’on fait preuve d’un certain cynisme, on pourrait donc conclure que cette impasse ne concerne donc tant les droits de propriété et son lien avec une allocation efficace des ressources, mais révèle que les droits de propriété intellectuelle servent plutôt comme un outil de domination par lequel les entreprises des États-Unis et de nombreuses autres entreprises occidentales cherchent à conserver leurs positions dominantes historiques sur le marché mondial face à leurs rivaux des pays émergents, en refusant de partager leur savoir-faire technologique avec elles. Peut-être que le colonialisme et le complexe de supériorité occidentale dont il est issu ne sont pas vraiment morts, mais juste dans leur phase d’agonie terminale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/122140/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Patrick O'Sullivan ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Washington et Pékin ont des conceptions radicalement différentes du droit de propriété intellectuelle, ce qui générerait une incompréhension alimentant leurs différends actuels.Patrick O'Sullivan, Senior Professor, People, Organizations and Society, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1202802019-07-22T22:51:38Z2019-07-22T22:51:38ZEn quoi consiste le travail d'une Wikipédienne en résidence ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/285098/original/file-20190722-11323-1cssr7m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C5137%2C3399&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le WikiSalon de Philadelphie, au mois de mai 2019.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Philadelphia_WikiSalon_May_11,_2019_8061.jpg">Avery Jensen at Wikimedia Commons</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p><em>Durant mon séjour au Science History Institute à Philadelphie, j’ai travaillé pour la première fois avec une « wikipedienne en résidence ». J’assiste Mary Mark Ockerbloom à l’occasion des WikiSalons organisés à l’institut, et nous essayons d’imaginer ensemble des façons d’améliorer Wikipedia en collaboration avec les chercheurs associés de l’institut, sur des sujets qui les concernent.</em></p>
<p><em>Fidèle à l’esprit de réutilisation des licences Creative Commons, cette interview s’inspire <a href="https://www.sciencehistory.org/distillations/wikispeaks-what-it-means-to-be-a-wikipedian-in-residence">d’une interview parue auparavant dans « Distillations »</a>, le magazine et podcast du Science History Institute, publiée sous <a href="https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/fr/">licence CC-BY-SA-3.0</a>.</em></p>
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<p><strong>Alexandre Hocquet</strong> : Quel est le travail d’un.e wikipédien.ne en résidence (WeR) au Science History Institute ?</p>
<p><strong>Mary Mark Ockerbloom</strong> : J’écris des articles pour Wikipedia sur l’histoire des sciences et améliore ceux qui existent, et je publie des images du domaine public ou pour lesquelles l’Institut détient les droits d’auteur. Je fais aussi de la sensibilisation dans les communautés wikipédiennes à Philadelphie. Lorsque j’ai commencé à travailler ici, un certain nombre de personnes avaient peur de publier des images sous une licence Creative Commons, pour un usage libéré, mais au fil du temps, les gens sont devenus plus tolérants et même enthousiastes vis-à-vis de cette idée. L’équipe des initiatives numériques a beaucoup travaillé lors de la création de notre nouvelle archive numérique, avec comme conséquence une publication de documents d’archives numérisées sous licence CC-BY-SA 3.0 dans la mesure du possible.</p>
<p><strong>A.H</strong> : Comment en êtes vous arrivée à ce type d’emploi ?</p>
<p><strong>M.M.O</strong> : Au début des années 2000, j’ai créé un site Web intitulé « <a href="http://digital.library.upenn.edu/women/">A Celebration of Women Writers »</a> » pour lutter contre le manque d’informations en ligne sur les femmes écrivaines. Les lecteurs et lectrices m’ont écrit pour suggérer des écrivaines et des œuvres à ajouter, et je leur ai souvent recommandé de créer des pages Wikipedia à leur sujet. Finalement, j’ai commencé à éditer moi-même Wikipedia. En 2006, lorsque j’ai créé mon premier article, sur <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Harriet_A._Roche">Harriet A. Roche</a>, les directives de Wikipedia étaient moins nombreuses. Tel qu’écrit à l’origine, cet article n’aurait jamais satisfait aux nouvelles exigences en vigueur à ce jour. Il n’y avait pas de références et pas de format standardisé. Heureusement, les personnes qui ont examiné l’article en question ont apporté depuis des changements utiles. J’y suis retournée et l’ai amélioré plusieurs fois depuis. C’est un bon exemple de la façon dont un article peut être développé et de la façon dont les normes de Wikipedia ont évolué avec le temps.</p>
<p><strong>A.H</strong> : Comment a évoluée Wikipédia au cours des années ?</p>
<p><strong>M.M.O</strong> : Au fur et à mesure de l’ajout de contenu sur le site par de plus en plus de personnes, Wikipedia a créé davantage de règles pour filtrer les contenus de qualité médiocre. Wikipedia utilise un système d’équilibre des pouvoirs pour tenter d’empêcher que du contenu imprécis, insignifiant, partial ou promotionnel ne soit mis sur le site. Une des choses qui m’inquiète est la difficulté à détecter la désinformation ou les biais. Wikipedia s’appuie sur l’hypothèse selon laquelle les personnes aux opinions et aux expertises variées travailleront sur des articles et qu’elles collaboreront et résoudront leurs divergences d’opinion. L’espoir est que l’article résultant soit équilibré et complet, mais cela ne peut se produire que si des personnes ayant des perspectives différentes s’impliquent de manière productive, tant en ce qui concerne les informations contenues dans l’article qu’entre elles-mêmes.</p>
<p>Wikipedia permet de suivre tous les changements et tous les contributeurs et contributrices, et cette transparence permet de voir plus facilement ce qui se passe. Wikipedia est une excellente plate-forme pour enseigner aux gens des compétences en vérification de faits et en littératie numérique qui peuvent être appliquées partout, pas seulement sur Wikipedia. Les gens doivent réfléchir de manière critique aux documents qu’ils ont lus et se demander : « Qui a dit cela ? Quelle est la source originale de cette information ? La source dit-elle vraiment ce qu’elle prétend détenir ? Existe-t-il des biais dans ce qui est écrit ou est-ce que les informations pertinentes ne sont pas traitées ? L’information est-elle à la fois précise et à jour ?</p>
<p><strong>A.H</strong> : Par quel type d’institution les WeR sont ils ou elles embauché·e·s ?</p>
<p><strong>M.M.O</strong> : Chaque wikipédien en résidence est unique, il s’agit d’un contrat entre l’institution hôte et le wikipédien concerné. Cela dit, j’ai l’impression qu’il y a eu plus de positions de WeR en Europe qu’aux États-Unis et que les WeR européens ont tendance à se concentrer sur la publication d’images dand le domaine public plutôt que sur l’édition de contenu. Cela peut refléter comment la mission est perçue par l’institution, les types de collections et les problèmes juridiques. Une collection d’œuvres anciennes peut se concentrer sur la libération d’images. Les institutions s’intéressant à la science peuvent considérer que l’amélioration du contenu écrit est plus importante pour leur mission.</p>
<p>Le débat est ouvert dans la communauté de Wikipedia sur le rôle des WeR. La question se pose de savoir si un.e WeR est même censé·e éditer le contenu de Wikipédia ou pas. Beaucoup de WeR ne contribuent pas directement au contenu de Wikipédia dans le cadre de leur travail. Ceux qui le font sont plutôt employé·e·s par des établissements scientifiques, ainsi que dans des établissemnts de type <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Wikip%C3%A9dia:GLAM">GLAM</a>. Le réseau WREN (Wikimedians in Residence Exchange Network), récemment créé, est un “Wikimedia user group” qui promeut la collaboration entre les WeR et joue le rôle de porte-parole.</p>
<p><strong>A.H</strong> : Le débat autour de la question des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Aide:Contributions_r%C3%A9mun%C3%A9r%C3%A9es">« contributions rémunérées »</a> à Wikipédia est récurrent au sein de la communauté. Comment les WeR gèrent-ils ou elles le problème ? Reçoivent-ils ou elles des commentaires négatifs de la part de certain·e·s wikipédien·ne·s ?</p>
<p><strong>M.M.O</strong> : Il existe une préoccupation très légitime dans Wikipédia sur le fait qu’une personne qui est payée pour contribuer contribuera de manière biaisée. Le terme “contribution rémunérée” est souvent utilisé, mais l’idée de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Wikip%C3%A9dia:Conflit_d%27int%C3%A9r%C3%AAts">conflit d’intérêts</a> est plus adaptée. Cela concerne les rédacteurs et rédactrices qui tentent de manipuler les informations sur Wikipedia pour introduire des préjugés, ou servir les intérêts d’une personne ou d’une institution spécifique. Un employé du “Congress” <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/United_States_Congressional_staff_edits_to_Wikipedia">peut supprimer les critiques</a> concernant les parlementaires, ou une entreprise de relations publiques peut promouvoir les produits de ses clients, ou un escroc peut essayer <a href="https://www.independent.co.uk/news/uk/crime/wikipedia-rocked-by-rogue-editors-blackmail-scam-targeting-small-businesses-and-celebrities-10481993.html">d’extorquer de l’argent</a> en offrant de « protéger » des articles qui pourraient sinon être supprimés. Dans tous ces cas, un contributeur ou une contributrice fait passer les intérêts de quelqu’un qui bénéficiera de la présence d’informations biaisées avant les intérêts de Wikipedia et de ses lecteurs et lectrices qui sont censé·e·s bénéficier d’informations impartiales. Il s’agit d’une réelle violation des conditions d’utilisation de Wikipedia.</p>
<p>Un ou une WeR peut être payé·e et toujours contribuer de manière à fournir des informations impartiales et précises. La mission de Wikipedia et la mission d’institutions culturelles telles que le Science History Institute ne sont pas contradictoires. Les deux considèrent qu’il est important de fournir de bonnes informations. La règle que je me fixe à moi-même pour décider quoi éditer en tant que WeR est la même que celle que j’utilise pour l’édition personnelle : existe-t-il un conflit d’intérêts potentiel ? Si je ne suis pas la personne pour qui j’écris, je ne suis pas payée par la personne ou l’institution au nom de laquelle je contribue, et je n’ai pas écrit la source que je cite, alors je considère qu’il n’y a pas de conflit.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/120280/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexandre Hocquet est membre de Wikimedia France</span></em></p>La plupart des rédacteurs de Wikipédia sont bénévoles, mais certains sont employés. Mary Mark Ockerbloom, de l’Institut d’histoire des sciences, nous parle du programme « Wikipédien en résidence ».Alexandre Hocquet, Professeur des Universités en Histoire des Sciences, Visiting fellow at the Science History Institute, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1075872019-01-01T23:29:14Z2019-01-01T23:29:14ZYouTubeurs et institutions : de nouveaux formats pour la médiation scientifique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/251953/original/file-20181223-103634-11nnabb.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C1%2C1159%2C703&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Collaboration entre le Musée du Louvre et deux youtubeurs, Dirtybiology et C'est une autre histoire.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.youtube.com/watch?v=puPFb3nuooo&t=8s&list=PLXLB812R3GOlBktyIDbKJoMEJLPb1PdOE&index=7">Youtube</a></span></figcaption></figure><p><em>Cet article a été co-écrit avec <a href="https://twitter.com/JuPolge">Julie Polge</a>, chargée d’exposition scientifique à la Communauté Université Grenoble Alpes.</em></p>
<p>En France, les vidéastes sur YouTube – les youtubeurs – spécialisés dans la vulgarisation sont actifs depuis une dizaine d’années déjà. A mesure qu’il a pris de l’ampleur, ce phénomène n’est pas passé inaperçu auprès des acteurs de la Culture scientifique, technique et industrielle (CSTI). Les musées, les établissements d’enseignement supérieur et de recherche, les Centres de CSTI (CCSTI) et les associations ont peu à peu investi ce nouvel espace de médiation, en produisant eux-mêmes des contenus et/ou en collaborant avec des youtubeurs. L’analyse des jeux, enjeux et stratégies d’acteurs engendrés par ces relations nouvelles a donné lieu à un premier travail de recherche exploratoire réalisé au printemps dernier.</p>
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<p>Preuve de cet engouement, le ministère de la Culture a publié il y a un mois un <a href="http://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Langue-francaise-et-langues-de-France/Ressources/Ressources-pedagogiques-et-sensibilisation/350-ressources-culturelles-et-scientifiques-francophones-en-video">document recensant quelques 350 chaînes de vulgarisation scientifique adaptées à un usage éducatif</a>. D’autres acteurs y voient une occasion de « reconquérir » une culture scientifique qu'ils jugent en perdition. Ceux-ci plaident notamment pour l’organisation d’une <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/HauteAutorite%C3%8C%20CultureScientifiqueNoteCEVIPOFVTreluOGVVT.pdf">haute autorité reposant sur un <em>Science Media Centre</em></a> alimenté par les valeurs de l’éducation populaire.</p>
<h2>L’émergence des « pro-ams »</h2>
<p>C’est en 2016 que l’intérêt porté aux youtubeurs de vulgarisation scientifique augmente de façon significative. Le tournant est amorcé par le Musée du Louvre et trois collaborations avec <a href="https://www.youtube.com/user/notabenemovies">NotaBene</a>, <a href="https://www.youtube.com/user/Axolotblog">Axolot</a> et <a href="https://www.youtube.com/user/deadwattsofficiel">Le Fossoyeurs de Films</a>. Par la suite, le Louvre invitera <a href="https://www.youtube.com/playlist?list=PLXLB812R3GOlBktyIDbKJoMEJLPb1PdOE">d’autres YouTubeurs</a>, l’objectif de ces vidéos explicatives, ludiques et pédagogiques étant de populariser la chaîne YouTube du musée. Depuis cette date, le nombre d’abonnés de la chaîne ne cesse d’augmenter. Il culmine aujourd’hui à plus de 30 000 abonnés contre 5 580 abonnés début 2016. Le succès de cette relation a été relayé sur les réseaux sociaux et dans la presse.</p>
<p>Les youtubeurs, d’abord présentés comme des vidéastes profanes, sont rapidement devenus des <a href="https://www.demos.co.uk/files/proamrevolutionfinal.pdf">pro-ams</a> : des amateurs travaillant selon des standards professionnels pour produire du contenu audiovisuel sur la plate-forme numérique. Simultanément, on observe à plus petite échelle la naissance de relations diverses entre institutions de CSTI et youtubeurs. Souvent discrètes, ces relations se traduisent par la relecture d’un script par un scientifique, le prêt de matériel, de services, de locaux, ou encore le financement de tout ou partie du projet. Quelques exemples : l’hébergement de la chaîne <a href="https://www.youtube.com/channel/UCS_7tplUgzJG4DhA16re5Yg">Balade Mentale</a> par le CCSTI La Rotonde, la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Iq9jY5ILN8c&t=1s">vidéo du youtubeur Axolot</a> au CCSTI La Casemate et au Muséum de Grenoble, la chaîne du <a href="https://www.youtube.com/channel/UCkwx826rwD3pDEoybx_kZZQ/featured">Projet Lutétium</a> notamment portée PSL Research University et le Conservatoire de Paris, ou encore les nombreuses invitations de youtubeurs dans des <a href="https://www.youtube.com/channel/UC_ZChHhr5nDrUymz7qsRqRw">conférences</a> et autres <a href="https://www.youtube.com/watch?v=tt94LyeVoJo&t=2s">tables rondes</a>. Des formats hybrides émergent, institutionnels mais « typés YouTubeur » comme les chaînes de vulgarisation <a href="https://www.youtube.com/channel/UCAxljKT0ujiJZhGC8Ood7mw">« Zeste de Science »</a> du CNRS, <a href="https://www.youtube.com/channel/UClqXzMdc8hCC6PWRTBSYfgg">« Des Médias Presque Parfaits #DMPP »</a> par la sémiologue Virginie Spies ou <a href="https://www.youtube.com/channel/UCCgsvR54jK-9K8Fk3SUvEJw">« Happy Hour »</a> produite par le CCSTI Espace des Sciences.</p>
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<p>Ces collaborations protéiformes sont devenues un thème de réflexion fréquent chez les acteurs de la médiation scientifique. Des moments d’échange, publics ou non, comme lors du <a href="https://www.amcsti.fr/fr/congres/36e-edition-congres-de-lamcsti/science-engagement-citoyen-programme/">congrès de l’Association des musées et centres pour le développement de la culture scientifique, technique et industrielle (AMCSTI)</a> ou du <a href="https://framesfestival.fr/programme-2018-2/">festival Frames</a> à Avignon, démultiplient les espaces et les formes de rencontre entre les youtubeurs et les institutions. La pertinence et l’avenir de ces pratiques nouvelles et des enjeux qu’elles soulèvent y sont abordés.</p>
<h2>Les « géants sans visage »</h2>
<p>Pour être regardé sur YouTube, il faut être original, parler de sujets populaires et respecter certaines normes. La plate-forme a ses propres langages et codes utilisés par les youtubeurs dans leurs vidéos. Ces normes communicationnelles se retrouvent dans les formats utilisés, le montage, les nombreuses références à la « culture Internet » (<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_de_ph%C3%A9nom%C3%A8nes_Internet">memes</a>, chansons, jeu vidéo…) et la capacité à raconter (storytelling). Elles se matérialisent également à travers une relation particulière entre les vidéastes et leur public. Le youtubeur doit se montrer sincère et authentique pour gagner la confiance des spectateurs, n’hésitant pas à transmettre sa « vision du monde » et ses propres discours. Ces caractéristiques éloignent les vidéos populaires sur la plate-forme numérique des formats télévisuels. Or, ces derniers tendent à rester la référence pour les institutions de CSTI.</p>
<p>Ce décalage entre le discours institutionnel et le ton des vidéos sur YouTube transparaît dans la façon dont les institutions utilisent le média. Le plus souvent, les chaînes institutionnelles servent de « lieu de stockage » où sont regroupées des vidéos diffusées sur d’autres réseaux sociaux. Ces usages donnent à voir une image de <a href="https://iris.sissa.it/retrieve/handle/20.500.11767/39293/16226/Violato.pdf">géants sans visage</a> aux institutions de CSTI : pour la plupart, les vidéos institutionnelles manquent de personnalité, l’interlocuteur change à chaque vidéo, le débit de parole semble faible, il y a peu de dialogue avec le public, etc. Des similarités avec les formats télévisuels que l’on peut retrouver par exemple dans les <a href="https://www.youtube.com/playlist?list=PL-GL80g2OlE1w2rkwkD1jUXYvCbwwCCuD">reportages</a> du CNRS, les <a href="https://www.youtube.com/playlist?list=PL525ZU55fXEzDjP4DuaQCtRxOgJx04PXu">interviews</a> de l’INSERM ou encore le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=GhE7Kh0hmBQ&index=7&list=PL1D28FF09923FA1C1">“journal télévisé”</a> du CCSTI Espace des Sciences.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/252175/original/file-20181231-47295-cc4zfj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/252175/original/file-20181231-47295-cc4zfj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=339&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/252175/original/file-20181231-47295-cc4zfj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=339&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/252175/original/file-20181231-47295-cc4zfj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=339&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/252175/original/file-20181231-47295-cc4zfj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=426&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/252175/original/file-20181231-47295-cc4zfj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=426&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/252175/original/file-20181231-47295-cc4zfj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=426&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le reportage, l’interview et le journal d’actualité, des formats télévisuels utilisés par les institutions sur YouTube.</span>
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<p>Si l’on en croit les chiffres d’audiences, ces usages apparaissent moins séduisants pour le public… alors même que YouTube est promulgué, par certains acteurs de la CSTI et non sans effets de croyance, comme nouvel espace d’expression d’une culture scientifique contemporaine et populaire. Or la raison d’être de la plate-forme, reposant sur le modèle publicitaire, est avant tout de maximiser les audiences. Cela produit un second décalage avec les logiques de publicisation instituées de la CSTI. Les algorithmes ne mettent en effet pas en avant les contenus visant à cultiver l’esprit critique et la démarche scientifique mais ceux qui apparaissent déjà comme les plus populaires et les plus pertinents par rapport à chaque historique de consultation. Autrement dit, la qualité de la démarche de vulgarisation entreprise et de sa validité scientifique n’est pas un critère déterminant de popularité sur la plate-forme.</p>
<p>YouTube confère toutefois une attractivité nouvelle à la vulgarisation scientifique. Les contenus intéressent, attirent et plaisent aux spectateurs, même les plus jeunes. En France, des youtubeurs vulgarisateurs parviennent ainsi à rassembler des centaines de milliers d’abonnés (<a href="https://www.youtube.com/user/dirtybiology">Dirtybiology</a>, <a href="https://www.youtube.com/channel/UCKjDY4joMPcoRMmd-G1yz1Q">C’est une autre histoire</a>, etc) voire dépassent le million pour certains (<a href="https://www.youtube.com/user/epenser1">E-penser</a>, <a href="https://www.youtube.com/user/DrNozman">Dr Nozman</a>, etc). Conscientes du potentiel de dialogue avec le public, les institutions de CSTI souhaitent de plus en plus travailler avec ces vidéastes pour renouveler les formes de publicisation de la culture scientifique.</p>
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<h2>La CSTI en question</h2>
<p>Dans les années à venir, il fait peu de doute que ces collaborations vont se développer tant les discours professionnels montrent qu’institutions et youtubeurs y ont chacun leur intérêt. YouTube apparaît en effet comme un espace réciproque de légitimation et de reconnaissance. Pour les premières, il s’agit de s’appuyer sur la légitimité populaire des seconds pour diversifier leurs publics et renouveler les formes de communication scientifique dans l’espace public. Pour les seconds, il s’agit de s’appuyer sur la légitimité scientifique des premières pour engranger la reconnaissance dont ils estiment manquer pour disposer de plus de ressources. Ces « gains » réciproques s’amenuiseront-ils à mesure que les collaborations deviendront l’une des nouvelles normes de médiation culturelle et scientifique ? La figure désinstitutionnalisée des youtubeurs, appréciée par les institutions, risque de disparaître progressivement à mesure que les vidéastes seront associés à ces mêmes institutions.</p>
<p>Sans postuler que les formes de publicisation de la culture scientifique se réinventent sur YouTube, la médiation et la vulgarisation des sciences opérées sur cette plate-forme numérique révèlent tout de même l’émergence de nouveaux formats de mise en public des savoirs. Dans un contexte de <a href="https://www.cairn.info/revue-savoirs-2011-3-page-9.htm">complexification de la CSTI</a>, ces formats interrogent les usages sociaux des sciences et leurs cultures. Ils participent également à la profusion d’actions, d’objectifs et d’acteurs en recherche d’une (re)définition contemporaine de la culture scientifique et de ses objectifs. En tant que dispositif techno-visuel, YouTube ne saurait être la réponse « magique » à ces questionnements.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/107587/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mikaël Chambru ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les institutions culturelles et scientifiques ont peu à peu investi un nouvel espace de médiation, en produisant eux-mêmes des contenus et/ou en collaborant avec des YouTubeurs.Mikaël Chambru, Maître de conférences en Sciences de l'information et de la communication, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1086302018-12-19T23:38:26Z2018-12-19T23:38:26ZDoper les savoirs de l’entreprise à l’intelligence artificielle<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/250001/original/file-20181211-76983-1n8dvfi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=11%2C10%2C949%2C655&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les entreprises ont d'ores et déjà adopté les nouvelles technologies pour favoriser la création, l’identification et le partage de connaissances.</span> <span class="attribution"><span class="source">Tom Wang / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p><em>Cet article s’appuie sur les interventions du colloque <a href="https://knowledgecercle.wordpress.com/2018/12/03/doper-les-savoirs-de-lentreprise-a-lintelligence-artificielle/">« Doper les savoirs de l’entreprise à l’intelligence artificielle »</a> organisé par le Cercle « Knowledge & Collaborative Intelligence » avec l’association CoP-1 KM à SKEMA Business School, le 22 novembre 2018.</em></p>
<hr>
<p>L’intelligence artificielle (IA) peut être définie comme <a href="https://www.college-de-france.fr/site/yann-lecun/Recherches-sur-l-intelligence-artificielle.htm">« un ensemble de techniques »</a> permettant à des machines d’accomplir des tâches et de résoudre des problèmes normalement réservés aux humains et à certains animaux). De ce fait, la résurgence de l’IA au tournant de l’année 2012 a fait émergé de nombreuses <a href="https://usbeketrica.com/article/pour-yuval-harari-l-intelligence-artificielle-avantage-les-dictatures">craintes</a> de <a href="https://theconversation.com/intelligence-artificielle-vers-une-destruction-creatrice-demplois-97637">substitution de l’humain par la machine</a>.</p>
<p>De manière plus immédiate, des entreprises ont adopté et adapté ces nouvelles technologies pour favoriser la création, l’identification et le partage de connaissances (ce que l’on appelle <a href="https://www.commentcamarche.net/contents/325-knowledge-management-km-gestion-des-connaissances">« Knowledge management »</a>, ou gestion des connaissances). Ces mises en œuvre s’appuient sur une complémentarité entre les capacités humaines d’analyse, de contextualisation et de créativité, et les <a href="https://theconversation.com/lia-et-le-langage-comment-capturer-ce-qui-fait-sens-105897">capacités de calcul</a> permises par les nouvelles technologies.</p>
<p>Pour les organisations, l’enjeu est de mieux utiliser les ressources, ainsi que de favoriser le partage et la création des savoirs pour maintenir un avantage concurrentiel ou se développer. Ainsi, le <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0266382112470412">« digital workplace »</a> fait <a href="https://wordpress.com/post/knowledgecercle.wordpress.com/471">gagner du temps</a> dans l’accomplissement de différentes tâches. Le partage et l’accès aux connaissances est facilité grâce à une cartographie pointue des connaissances de chacun. L’IA permet donc une <a href="https://www.taemana.com/produits-2/">meilleure identification</a> par les collaborateurs des experts et des expertises, dans l’entreprise comme à l’extérieur.</p>
<h2>Analyses des contrats ou des besoins en compétences</h2>
<p>Les progrès du <a href="http://www.ijcseonline.org/pub_paper/28-IJCSE-VC-109.pdf">traitement automatique du langage naturel</a> permettent aujourd’hui d’identifier, de classer et de conserver automatiquement les <a href="https://wordpress.com/post/knowledgecercle.wordpress.com/471">documents</a> qui codifient les savoirs clés pour l’organisation. Plutôt que d’utiliser un moteur de recherche, les collaborateurs peuvent accéder à ces connaissances en dialoguant avec des <a href="https://www.latribune.fr/technos-medias/innovation-et-start-up/thomas-solignac-simplifie-les-algorithmes-de-langage-naturel-779567.html">chatbots</a>. De plus, l’automatisation couplée aux nouvelles technologies de l’IA permet de passer en revue des millions de données et de documents pour en faire l’analyse à d’autres fins. Ainsi, une analyse des <a href="https://wordpress.com/post/knowledgecercle.wordpress.com/471">contrats de l’entreprise</a> en utilisant l’IA peut permettre d’identifier les clauses non satisfaites et générer un gain financier important pour l’organisation.</p>
<p>Les savoirs de l’organisation reposent sur les collaborateurs qui la composent. Certaines directions des ressources humaines ont bien compris comment l’IA peut permettre aux entreprises de mieux gérer le développement de leurs collaborateurs. L’intelligence artificielle est utilisée au sein de l’industriel français Saint-Gobain pour <a href="https://knowledgecercle.wordpress.com/2018/12/03/doper-les-savoirs-de-lentreprise-a-lintelligence-artificielle/">détecter des talents</a> qui auraient échappé au processus d’identification habituel. L’utilisation de cette technologie a permis de découvrir 3 % de talents potentiels de plus.</p>
<p>Le groupe pharmaceutique Sanofi utilise de son côté l’IA pour détecter des tendances et <a href="https://knowledgecercle.wordpress.com/2018/12/03/doper-les-savoirs-de-lentreprise-a-lintelligence-artificielle/">prédire ses besoins en expertises</a> au regard de ses collaborateurs actuellement en poste.</p>
<h2>Pratiques managériales nouvelles</h2>
<p>Pour bénéficier de l’IA et renforcer l’<a href="https://journals.openedition.org/pistes/3758">apprentissage organisationnel</a>, les entreprises peuvent mettre en œuvre certaines pratiques managériales :</p>
<ol>
<li><p>Investir dans les projets IA. La décision d’investir dans les projets IA demeure une décision managériale. Les entreprises qui investissent dans ces projets ont su montrer leurs bénéfices potentiels, mais aussi prendre des risques. En effet, « 99 % des approches ne vont pas fonctionner, il faut l’accepter », comme cela a été dit à l’occasion du colloque <a href="https://knowledgecercle.wordpress.com/2018/12/03/doper-les-savoirs-de-lentreprise-a-lintelligence-artificielle/">« Doper les savoirs de l’entreprise à l’intelligence artificielle »</a> organisé par SKEMA Business School en novembre dernier. Chez Air Liquide, l’IA a été utilisée pour <a href="https://knowledgecercle.wordpress.com/2018/12/03/doper-les-savoirs-de-lentreprise-a-lintelligence-artificielle/">identifier des opportunités d’affaires</a> pondérées des risques. Certains acteurs de l’IA se sont d’ailleurs spécialisés dans la conception de projets « Proof of Concept » (POC) pour montrer les avantages de la technologie avec un risque plus limité.</p></li>
<li><p>Apprendre sur les nouvelles technologies de l’IA. Pour être déployées, les technologies de l’IA nécessitent d’être comprises, y compris par les managers. Garder un esprit critique, comprendre les modèles d’analyse utilisés et leurs limites est clé, notamment pour lutter contre les biais dans la conception de ces modèles. Construire un modèle d’analyse qui fonctionne est un <a href="https://knowledgecercle.wordpress.com/2018/12/03/doper-les-savoirs-de-lentreprise-a-lintelligence-artificielle/">processus itératif</a>. Par exemple, chez Saint-Gobain, après une première vague d’analyse et un retour des opérationnels sur les améliorations possibles, la direction des ressources humaines a fait le choix d’inclure de nouvelles variables de comportement dans le modèle d’analyse.</p></li>
<li><p>Aider au développement des collaborateurs. L’IA repose la question du rôle de l’humain dans l’organisation. À l’heure actuelle, l’IA n’a pas encore de conscience, mais les progrès technologiques pourraient <a href="http://bernardgeorges.fr/themes/0040-la-vie-augmentee/difference-entre-intelligence-et-conscience-artificielle/">y aboutir rapidement</a>. Favoriser le développement des capacités « irremplaçables » des collaborateurs, en particulier les « soft skills », la créativité, la capacité à poser les bonnes questions, l’intuition, pourrait permettre aux entreprises de combiner et de développer leurs capacités.</p></li>
<li><p>Tenir compte du volet législatif et politique. La législation sur la protection des données offre des avantages à l’individu, et limite la liberté des entreprises. D’autres pays ont choisi un modèle différent, où l’individu échange une partie de ses libertés (et de ses données), contre davantage de confort procuré par la technologie. Ce choix de société est central, et d’ordre politique. Pour les organisations, cela limite leur capacité à tirer parti de l’IA. Tenir compte de ce cadre est cependant indispensable pour développer les savoirs de l’entreprise avec l’IA.</p></li>
</ol>
<p>Personne ne sait exactement comment l’essor de l’IA fera évoluer les usages ces prochaines années. Cet essor dépendra d’ailleurs sûrement des pratiques managériales décrites ci-dessus, qui forment la base des futurs développements. Aux entreprises de s’en saisir car, une chose est sûre, on ne reviendra plus en arrière.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/108630/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Aurore Haas ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans l’économie de la connaissance, les savoirs de l’entreprise sont la source de son avantage concurrentiel. Un contexte dans lequel l’IA offre des opportunités précieuses.Aurore Haas, Professeur en Knowledge management et Intelligence collaborative, SKEMA Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1049882018-10-18T21:46:43Z2018-10-18T21:46:43ZLes universitaires américains pris dans le tourbillon de la désinformation<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/240646/original/file-20181015-165924-1kpfw6o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C7%2C1599%2C1053&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Même les plus reconnus des universitaires peuvent, par idéologie, omettre ou brouiller les informations contribuant à une meilleure analyse de phénomènes complexes. Université de Columbia.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/skinnylawyer/6435261963/"> InSapphoWeTrust/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span></figcaption></figure><p>Il est relativement facile de faire la <a href="https://www.washingtonpost.com/news/fact-checker/wp/2018/08/01/president-trump-has-made-4229-false-or-misleading-claims-in-558-days/?noredirect=on&utm_term=.089f9072a735">liste des mensonges</a> ou fake news disséminées par Donald Trump, et les décodeurs ou <em>fact checkers</em> n’ont pas de peine à montrer que le président américain a pris congé du souci de recherche de la vérité.</p>
<p>Le phénomène est certes <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/les-chemins-de-la-philosophie">ancien</a>. Cependant, porté aujourd’hui par les technologies les plus récentes, il permet à des personnages médiatiques de singer la recherche de la vérité pour disséminer rapidement et efficacement leurs préjugés ou pseudo-recherches.</p>
<p>En France, Éric Zemmour est devenu l’archétype du bonimenteur qui veut se faire passer pour un intellectuel. Il attaque la communauté des historiens, dans laquelle il puise cependant des idées, pour proposer une histoire alternative sans faire le travail d’archives indispensable. Il est donc aisé pour les historiens de pointer ses erreurs comme l’ont récemment fait deux médiévistes, <a href="https://www.nonfiction.fr/article-9560-actuel-moyen-age-eric-zemmour-et-les-croisades-fact-checking.htm">Florian Besson et Simon Hasdenteufel</a>, ou encore <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/09/29/gerard-noiriel-eric-zemmour-tente-de-discrediter-tous-les-historiens-de-metier_5361955_3232.html">Gérard Noiriel</a>, historien chevronné, dans <em>Le Monde</em>.</p>
<p>Complotistes ou disséminateurs de fake news se situent d’un côté et université et médias de qualité de l’autre. Cet état des lieux a priori simple s’avère cependant trompeur. Prenons un exemple spécifique : l’analyse des relations entre la Russie et les États-Unis et l’émergence du <a href="https://journals.openedition.org/lisa/9621">phénomène Trump</a>.</p>
<h2>Aux prises avec la propagande</h2>
<p>Nous remarquons ainsi que les idées de spécialistes de la Russie et/ou de la politique étrangère américaine tels que <a href="https://www.princeton.edu/politics/people/display_person.xml?netid=stcohen&display=All">Stephen Cohen</a> (Princeton), <a href="http://mearsheimer.uchicago.edu/">John Mearsheimer</a> (Chicago), <a href="https://history.yale.edu/people/timothy-snyder">Timothy Snyder</a> (Yale) ou <a href="http://as.nyu.edu/content/nyu-as/as/faculty/nikhil-singh.html">Nikhil Pal Singh</a> (NYU) sont très différentes et parfois incompatibles lorsqu’il s’agit d’aborder l’ingérence russe dans la politique américaine ou même de l’émergence de Trump.</p>
<p>On pourrait penser que la divergence d’opinions n’est que le travail normal de la recherche universitaire mais les oppositions sont bien plus profondes et parfois les accusations de fake news ou de propagande sont dirigées par l’un de ces chercheurs à l’encontre d’un autre.</p>
<p>Snyder ne cite aucun travail universitaire de Cohen, l’auteur de <a href="https://cup.columbia.edu/book/soviet-fates-and-lost-alternatives/9780231148962"><em>Soviet Fates and Lost Alternatives : From Stalinism to the New Cold War</em></a>. Ce dernier est pourtant considéré comme l’un des meilleurs spécialistes de l’histoire soviétique, puis russe, mais il lui reproche une erreur de traduction et un alignement sur la propagande de Poutine. Cohen pour sa part, ne cesse de mettre en doute les articles du <em>New York Times</em> et du <em>Washington Post</em> sur la Russie ou le <em>Russiagate</em>, journaux pourtant considérés de grande qualité aux États-Unis et à l’étranger.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/240611/original/file-20181015-165891-cicpme.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/240611/original/file-20181015-165891-cicpme.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=898&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/240611/original/file-20181015-165891-cicpme.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=898&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/240611/original/file-20181015-165891-cicpme.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=898&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/240611/original/file-20181015-165891-cicpme.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1129&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/240611/original/file-20181015-165891-cicpme.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1129&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/240611/original/file-20181015-165891-cicpme.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1129&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p>Snyder est persuadé que Trump doit son élection à la Russie qui, selon lui, est intervenue massivement dans l’élection de 2016. Dans son livre <em>The Road to Unfreedom</em>, il retrace le parcours intellectuel de Poutine et cite de très nombreuses sources journalistiques concernant la supposée intervention russe dans le processus électoral américain.</p>
<p>Il discrédite les journalistes de gauche qui ont émis des critiques vis-à-vis de ce récit en affirmant que tout ce qu’ils disent est déjà dans la propagande russe.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/240613/original/file-20181015-165885-1ii4hki.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/240613/original/file-20181015-165885-1ii4hki.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=910&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/240613/original/file-20181015-165885-1ii4hki.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=910&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/240613/original/file-20181015-165885-1ii4hki.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=910&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/240613/original/file-20181015-165885-1ii4hki.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1143&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/240613/original/file-20181015-165885-1ii4hki.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1143&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/240613/original/file-20181015-165885-1ii4hki.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1143&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p>Cette déclaration est en elle-même problématique car si des chercheurs disent, par exemple, que des néo-nazis ont pris part à ce que les médias appellent la <a href="https://www.bbc.com/news/world-europe-27173857">« révolution du Maidan » à Kiev</a>, d’autres y voient un coup d’État. Si un <a href="https://www.strategic-culture.org/news/2018/10/10/john-mearsheimer-stephen-cohen-take-delusional-neocon-neoliberal-establishment-vital-debate.html">débat entre ces positions</a> peut s’entendre, il alimente néanmoins la propagande (russe dans ce cas).</p>
<p>La propagande s’appuie ainsi sur des faits avérés pour imposer une interprétation, et ses utilisateurs ont fréquemment recours au mensonge, aux interprétations abusives et aux omissions stratégiques pour la nourrir. Saddam Hussein avait bien envahi le Koweït et il était bien un tyran, mais la propagande américaine s’est appuyée sur ces faits pour inventer des armes de destruction massive inexistantes ou des <a href="https://www.lepoint.fr/societe/les-faux-bebes-koweitiens-16-08-2012-1696502_23.php">meurtres de bébés</a> dans les hôpitaux du Koweït.</p>
<h2>Au-delà des querelles de chercheurs</h2>
<p>Snyder ne cite pas les journalistes critiques qui infirment son récit comme <a href="https://consortiumnews.com/2017/12/15/protecting-the-shaky-russia-gate-narrative/">Robert Parry</a> (aujourd’hui décédé) qui a montré les incohérences du récit sur le <a href="https://www.liberation.fr/planete/2016/12/14/hacking-durant-la-presidentielle-americaine-ce-que-l-on-sait_1534981">hacking du siège du Parti démocrate</a>, ou le présentateur <a href="https://www.youtube.com/watch?v=nlgrOhcajDY">Aaron Maté</a>.</p>
<p>Il ne cite pas non plus les travaux de Cohen ni ceux de Mearsheimer qui vient de publier <em>The Great Delusion : Liberal Dreams and International Realities</em>.</p>
<p>Mearsheimer, spécialiste de géopolitique, a ainsi montré qu’en 2014 c’est l’Occident, qui a créé la <a href="https://www.foreignaffairs.com/articles/russia-fsu/2014-08-18/why-ukraine-crisis-west-s-fault">crise en Ukraine</a>.</p>
<p>Snyder, dans son opposition au pouvoir autoritaire de Poutine, se laisse emporter à dire des choses… inexactes. Il affirme, par exemple, que l’Occident n’a jamais été une menace pour la Russie, gommant d’une phrase toute l’histoire de l’extension de l’OTAN et des <a href="https://nsarchive.gwu.edu/briefing-book/russia-programs/2017-12-12/nato-expansion-what-gorbachev-heard-western-leaders-early">promesses faites</a> à Gorbatchev.</p>
<p>La liste de ses erreurs ou omissions est impressionnante mais s’agit-il pour autant de fake news ou de mensonges ? Snyder est <a href="https://www.lemonde.fr/livres/article/2012/04/27/timothy-snyder-sur-le-lieu-des-crimes_1691250_3260.html">réputé pour son travail sur la « Shoah par balles » (<em>Terres de sang</em>)</a>. De nombreux passages de son livre <em>Road to Unfreedom</em> sont d’ailleurs fort intéressants tel son concept de « sadopopulisme » pertinent à propos de Trump, mais son analyse de la relation américano-russe est problématique car il ignore totalement la géopolitique, domaine d’expertise de Mearsheimer.</p>
<h2>Trump : débat sur les origines de son émergence</h2>
<p>Nikhil Pal Singh, l’auteur de <em>Race and America’s Long War</em>, propose de son côté une <a href="https://www.youtube.com/watch?v=V7kE6CjJy1w&feature=share">analyse différente des origines du trumpisme</a>. Il ne mentionne même pas la Russie. En revanche, il fonde son travail sur le racisme, la domination sociale et la collusion des « élites » dans l’histoire américaine ainsi que la diabolisation des groupes ethno-raciaux. Pour Nikhil Pal Singh, qui fait référence aux déclarations de Martin Luther King, comme pour d’autres chercheurs, le trumpisme s’explique totalement par des phénomènes internes aux États-Unis.</p>
<p>Pour Singh, le trumpisme est ainsi 100 % « Made in America ». Une position à l’opposée de celle de Snyder, pour qui Poutine a fait élire Trump.</p>
<p>Ces différences d’approche démontrent que le monde des chercheurs, y compris lorsqu’ils ou elles sont de bonne foi, est loin d’être imperméable à l’erreur, au contre-sens, à l’oubli, et que les aveuglements idéologiques peuvent influencer ou pervertir la recherche.</p>
<p>Dans le monde des médias, on retrouve les mêmes oppositions ou phénomènes d’oubli, de focalisation et de préférences idéologiques.</p>
<p>En dépit de sa rigueur, par exemple la longue enquête sur la <a href="https://www.nytimes.com/2018/10/02/us/politics/donald-trump-wealth-fred-trump.html?action=click&module=RelatedCoverage&pgtype=Article&region=Footer">triche de Trump face à l’impôt</a>, le <em>New York Times</em> a parfois une approche partielle de certains sujets.</p>
<p>C’est le cas sur les relations étatsuniennes avec la Russie et l’ingérence dans l’élection de 2016. Le journal de référence ne cite ainsi ni les <a href="https://www.ineteconomics.org/uploads/papers/Ferg-Jorg-Chen-INET-Working-Paper-Industrial-Structure-and-Party-Competition-in-an-Age-of-Hunger-Games-8-Jan-2018.pdf">études universitaires</a> ni les enquêtes <a href="https://consortiumnews.com/2018/10/10/the-shaky-case-that-russia-manipulated-social-media-to-tip-the-2016-election/">mettant en doute ses propres reportages</a>.</p>
<p>Par ailleurs, il minimise, post-2016, tout ce qui paraît mettre la candidate Hillary Clinton en difficulté alors même que le journal a publié dans le passé de nombreux articles sur ce sujet (par exemple le fait que la fondation Clinton a reçu <a href="https://www.nytimes.com/2015/04/24/us/cash-flowed-to-clinton-foundation-as-russians-pressed-for-control-of-uranium-company.html">500 millions de dollars venant de Russie</a>).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/debat-jeremy-corbyn-lantisemitisme-et-les-medias-britanniques-103106">Débat : Jeremy Corbyn, l’antisémitisme et les médias britanniques</a>
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<h2>Une marque de partialité</h2>
<p>Plus récemment, les médias américains ont salué la publication du livre de Bob Woodward, <em>Fear</em>, qui montre le chaos qui règne à la Maison Blanche mais ont peu insisté sur le fait que ce dernier a affirmé <a href="https://www.realclearpolitics.com/video/2018/09/14/woodward_no_evidence_of_collusion_between_trump_and_russia_i_searched_for_two_years.html">n’avoir pas vu de trace de collusion</a> entre Poutine et Trump lors de l’élection. Pas de collusion ne veut pas dire que Trump est innocent des multiples autres accusations de mensonge ou de triche ou exonéré de son racisme et de sa ploutocratie.</p>
<p>Une autre star du journalisme américain, Seymour Hersh, prix Pulitzer et auteur des scoops révélant les atrocités de My Lai (massacre durant guerre du Vietnam) et d’Abou Ghraib est aujourd’hui <a href="https://www.thenation.com/article/seymour-hersh-reporter/">accusé de complotisme</a> après avoir remis en cause les affirmations officielles concernant l’utilisation de gaz chimiques en Syrie.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/uptlBvEVTLE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Seymour Hersh, sur Al Jazeera.</span></figcaption>
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<p>Ce refus est <a href="https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2013/12/09/l-enquete-a-charge-contre-les-etats-unis-apres-l-attaque-chimique-en-syrie_3528166_3218.html?">considéré par <em>Le Monde</em></a> comme la preuve de la mauvaise qualité de son travail, pourtant corroboré par des spécialistes des enquêtes sur le terrain comme l’ex-inspecteur des Nations unies en Irak <a href="https://www.theamericanconservative.com/articles/ex-weapons-inspector-trumps-sarin-claims-built-on-lie/">Scott Ritter</a>.</p>
<p>L’utilisation ou non de ce gaz en Syrie <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Moyen-Orient/Malgre-preuves-irrefutables-debat-armes-chimiques-Syrie-continue-2017-04-20-1200841084">continue de faire débat concernant les attaques post-2013</a>.</p>
<h2>Occulter des faits et interprétations</h2>
<p>Le travail universitaire est lui, rapidement balayé par certains médias qui préfèrent ne retenir que les polémiques et les « preuves » de sympathie d’un chercheur pour son objet de recherche. C’est notamment le cas du professeur Cohen en ce qui concerne Poutine.</p>
<p>Concernant le professeur Snyder, qui se réfugie derrière des preuves « irréfutables » d’un Russiagate, il devient à son insu, « producteur » de désinformation par l’omission. En effet, sa détermination à prouver dans les médias que le <em>Russiagate</em> existe bel et bien agace les opposants russes à Poutine, pour qui l’<a href="https://www.newyorker.com/news/our-columnists/the-fundamental-uncertainty-of-muellers-russia-indictments%22">obsession américaine</a> concernant cette affaire exacerbe le sentiment de toute-puissance de Poutine à l’extérieur tout en lui donnant une stature de plus en plus importante en Russie.</p>
<p>Mais, aveuglé par ses propres positions politiques, sans nuance, Snyder omet complètement leurs points de vue, oblitérant ainsi l’important travail de Masha Gessen, une opposante russe installée aux États-Unis, auteur de <em>[Poutine, l’Homme sans visage</em>](https://www.fayard.fr/poutine-9782213668567).</p>
<p>Dans les productions tant universitaires que journalistiques, occulter des faits et interprétations est aussi inacceptable que diffuser des fausses nouvelles.</p>
<p>Médias de qualité comme universitaires renommés ne sont donc pas à l’abri de la désinformation. Dans le cas du Russiagate, en refusant les débats contradictoires et les <a href="https://www.lrb.co.uk/v40/n01/jackson-lears/what-we-dont-talk-about-when-we-talk-about-russian-hacking">informations qui ne cadrent pas avec leur récit préféré</a>, ces fake news journalistiques ou universitaires sont volontaires. Lorsque les institutions dominantes sont défaillantes sur le plan de la vérité et de l’éthique, elles donnent des arguments aux véritables complotistes qui effectivement pullulent sur le Net.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/104988/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Guerlain ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La lutte contre les fake news implique de prendre en compte l’impossible partialité des producteurs de savoirs, médias de qualité et universitaires, ainsi que le montre l’émergence de Trump.Pierre Guerlain, Professeur émérite de civilisation américaine, politique étrangère des Etats-Unis, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1023572018-08-31T00:24:48Z2018-08-31T00:24:48ZBonnes feuilles : « Comment pense un savant ? »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/234231/original/file-20180830-195328-1tdfa41.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C46%2C1730%2C1079&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption"></span> </figcaption></figure><p><em>Les archives inédites du savant Georges-Louis Le Sage, constituées de 35 000 cartes à jouer, sont un document exceptionnel sur la pensée telle qu’elle chemine. Drôle et énigmatique, ce matériau étonnant se révèle tout à la fois laboratoire, autobiographie et véritable boîte noire de la recherche.</em></p>
<p><em>Ce physicien genevois, contemporain de Rousseau, est un anticonformiste. Refusant les codes du monde savant, il écrit absolument tout sur des cartes à jouer : eurêka et tâtonnements, amertume de ne pas être reconnu, rapports polémiques avec ses pairs ou poème pour Newton, mais aussi angoisse face à sa mémoire qui peut flancher et à un corps qui vieillit… Classer ses cartes, les empaqueter et les étiqueter est pour Le Sage un travail quotidien, à la fois excitant et harassant. Ce sera sa seule véritable œuvre, et sans doute aussi la source de ses désillusions sur la science et ses méthodes.</em></p>
<p><em>Trois siècles plus tard, Jean‑François Bert s’empare avec tendresse de ces cartes, matériaux de la pensée. Il propose une plongée dans la recherche en train de se faire et son pouvoir imaginatif, tout en rendant hommage à ce _performer</em> avant-gardiste. La force de ce témoignage est que chacun y reconnaîtra le cheminement complexe de ses pensées et l’échafaudage perpétuel de listes sans cesse réagencées que toute réflexion impose._</p>
<hr>
<p>Au milieu du XVIII<sup>e</sup> siècle, les savants écrivent sur des bandelettes, des feuilles volantes, des fiches ou encore sur le verso des cartes à jouer. C’est une pratique qui complète, puis finit par remplacer l’écriture sur un carnet ou sur un registre. Avec la carte, puis la fiche, il devient possible, bien plus facilement qu’auparavant, d’accumuler, d’organiser, de classer, de transférer, de partager des informations nécessaires à tout travail de recherche. La sérialisation des savoirs que cette pratique implique, permet de faire ressortir des similitudes, des variations, des continuités ou au contraire des différences. Une pratique qui se révèle tout aussi indispensable pour classer les mêmes faits ou éléments suivant des ordres différents (alphabétique, chronologique, thématique ou encore par ouvrage). Ces deux effets du fichier vont structurer durablement la forme et le contenu de la science moderne en encourageant différents types d’opérations de rassemblement, de recensement, de référencement ou encore d’authentification des sources.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/234253/original/file-20180830-195328-k340er.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/234253/original/file-20180830-195328-k340er.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=212&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/234253/original/file-20180830-195328-k340er.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=212&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/234253/original/file-20180830-195328-k340er.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=212&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/234253/original/file-20180830-195328-k340er.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=267&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/234253/original/file-20180830-195328-k340er.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=267&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/234253/original/file-20180830-195328-k340er.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=267&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">En quoi consiste surtout, la faiblesse de mon Attention. Je ne puis la fixer qu’un seul instant, sur plusieurs Idées à la fois. Et, quand je m’occupe, un peu longtemps de suite, d’un même Objet : Son Ensemble m’échappe, pendant que j’en saisis quelques Détails ; et tous les Détails particuliers, pendant que j’en embrasse l’Ensemble. Ces Phénomènes d’un Entendement fort borné ; ressemblent à certains accidents de la Vüe : qui ont lieu ; quand on s’avance dans une longue Allée obscure et embarrassée ; et qu’on veut profiter pour cela, ou de la lueur passagère des Éclairs ; ou de celle des Flambeaux qui passent dans la rüe (savoir, en saisissant l’instant où elle se trouve justement dans la direction de cette Allée). Car alors : On donne uniquement son Attention instantanée, ou à la seule disposition générale ou en particulier aux Embarras les plus voisins ; et non, à ces deux genres de coup – d’œil à la fois.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Pages 70-71 Ms. fr. 2001b, n° 78, f 0002.</span></span>
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<p>Nombreux sont les auteurs qui vont opérer, grâce aux cartes ou aux fiches, une première de standardisation de ce travail bibliographique. C’est le cas, par exemple, de François Rozier (1734-1793), abbé de son état, formé à Lyon par les Jésuites, qui compose sa Nouvelle table des articles contenus dans les volumes de l’Académie royale des sciences de Paris, depuis 1666 jusqu’en 1770 en collant sur le verso de ses cartes, dont la taille varie entre 83 × 43 mm et 70 × 43 mm, plusieurs références. L’innovation est techniquement maigre, mais elle inaugure en fait l’ère des catalogues et forge un nouveau critère de l’écriture savante, à savoir l’accumulation des références. De nouvelles figures de savoir émergent alors. Les « grabeleurs », les « tacherons » ou encore les « grignoteurs » consacrent leur vie entière à compiler et à collectionner sur des cartes ou des fiches l’ensemble des savoirs disponibles sur un même sujet.</p>
<p>Deux « savants » genevois ont très concrètement fait l’expérience de ce geste singulier de la mise en fiche durant la seconde moitié du XVIII<sup>e</sup> siècle. Le premier, évoquons-le rapidement, est Jean‑Jacques Rousseau. Pour rédiger les <em>Rêveries du promeneur solitaire</em>, entre l’été 1776 et le mois d’avril 1778, l’homme de lettres utilise le dos de plusieurs cartes à jouer pour inscrire ses notes à l’aide d’une mine de plomb, parfois directement à l’encre. Conservées à la bibliothèque de Neuchâtel, ses 27 cartes dévoilent une écriture irrégulière, réalisée par Rousseau à divers moments de la journée, y compris lors de promenades. La carte est une sorte de bloc-notes qu’il peut emporter partout, dans sa poche, et qui lui permet de réduire drastiquement le laps de temps qui s’écoule entre ses observations, la venue de nouvelles idées, et leur enregistrement sur papier. Le second est Georges-Louis Le Sage (aussi Lesage).</p>
<p>Ce mathématicien et physicien, né à Genève le 13 juin 1724 et décédé le 9 novembre 1803, laissa à sa mort près de 35 000 cartes à jouer qui, à la différence des cartes de Rousseau qui connurent l’honneur d’une édition en Pléiade, n’ont pas eu droit à autant d’égard ! Mal coupées, mal colorées ou encore au motif désaxé, les cartes de Le Sage ont certainement été achetées au poids. Le savant profita probablement de l’interdiction des jeux de hasard dans la cité de Calvin. À la différence de Rousseau, encore, il les utilise pour se repérer et s’orienter dans ses lectures. Il signale à chaque fois avec une grande précision la provenance des citations qu’il décide d’extraire et d’utiliser dans le cadre de sa propre réflexion. Il s’en sert aussi pour témoigner, juger, corriger, polémiquer avec d’autres savants, faire valoir aussi sa primauté sur telles ou telles idées, expériences, ou hypothèses.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/234255/original/file-20180830-195322-gbxyxh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/234255/original/file-20180830-195322-gbxyxh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=207&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/234255/original/file-20180830-195322-gbxyxh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=207&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/234255/original/file-20180830-195322-gbxyxh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=207&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/234255/original/file-20180830-195322-gbxyxh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=260&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/234255/original/file-20180830-195322-gbxyxh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=260&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/234255/original/file-20180830-195322-gbxyxh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=260&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Que : puisque je me perdois moi-même, dans ce Labyrinthe irrégulier de petits Faits qui me concernent ; et que je n’ai pû m’en tirer, qu’en les rangeant d’abord suivant l’ordre de leurs Dates, et qu’en les classant/groupant ensuite par matières : À plus forte raison ; d’autres personnes s’y perdraient-elles, si je ne leur fournissais pas le même Fil qui m’a aidé à en sortir. Et il est bien juste, que ce soit moi qui en prenne la peine : Puisque c’est moi que cela intéresse le plus et qui suis le plus, à [ill] d’en venir à bout. Puisque je ne suis qu’un, au lieu que ces Personnes là sont plusieurs.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ms. fr. 2003, n° 3, f 026.</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le savant genevois n’est pas un complet inconnu de la République des lettres de la fin du XVIII<sup>e</sup> siècle, même si sa physique corpusculaire a été, depuis, souvent réduite à une mauvaise application, voire une dérive, des <em>Principia</em> de Newton. En effet, pour le physicien, les corps célestes ne s’attirent pas, mais sont poussés les uns vers les autres par l’effet de chocs répétés de petites particules, qu’il appelle, suivant un conseil donné par le mathématicien et physicien suisse Leonhard Euler dans une lettre de 1761, des « corpuscules ultramondains ». Ces derniers créent d’imperceptibles impulsions qui finissent par mettre les corps – par ailleurs poreux – en mouvement par un effet de compression. Sur l’une de ses cartes, Le Sage résume, en quelques lignes, l’enchaînement de la réflexion qui l’a finalement conduit à élaborer son hypothèse, espérant au passage que celle-ci vienne profondément révolutionner la compréhension de certains phénomènes physiques, en premier celui de la pesanteur :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai senti que la pesanteur, devait avoir quelque cause distincte du corps central et du grave, quoique déterminée par la présence de ce premier ; que cette cause externe, devait être une cause – seconde, toujours en action ; que cette cause seconde devait être matérielle ; que cette matière gravifique, pour ne pas être épuisée depuis tant de siècles, devait être quelque chose d’ultramondain ; que le corps central ne devait en déterminer l’action vers le lieu qu’il occupe, qu’en l’affaiblissant simplement de ce côté-là ; enfin que cet affaiblissement d’action, devait consister en un ralentissement. »</p>
</blockquote>
<p>Sur cette même carte, il donne aussi quelques précisions concernant le mouvement des corpuscules, qui se fait toujours dans un même sens, et non par une sorte d’oscillation. Il souligne encore pourquoi ils ne sont pas asservis à l’hypothèse encore classique des tourbillons. La conséquence en est que la pesanteur résulte pour Le Sage d’un équilibre qui naît de l’égalité des impulsions opposées.</p>
<p>Reste que si Georges-Louis Le Sage est surtout connu, c’est pour son important fonds d’archive conservé à la bibliothèque de Genève, dont sa correspondance avec d’autres savants comme Charles Bonnet ou encore Jean le Rond d’Alembert, qui a fait l’objet de plusieurs études marquantes pour essayer de comprendre le développement de la science genevoise à partir des années 1740, tant chez les particuliers que dans l’Académie. C’est dans le petit milieu genevois, comme le décrit Le Sage, où l’on ne cesse de s’échanger avec politesse des positions académiques, qu’émergent alors de nouvelles disciplines comme la météorologie, la géologie, la compréhension des mécanismes électriques mais surtout la physique expérimentale.</p>
<p>Le Sage plaidera longtemps pour maintenir un dialogue entre cette nouvelle physique dite expérimentale et la physique spéculative, continuant ainsi à pouvoir rechercher tant les conséquences prochaines des expériences, que les conséquences éloignées : « Ce qui constitue la solidité d’une chaîne, ce n’est pas sa brièveté, mais l’exacte connexion de ses anneaux. » Si les observations et les expériences sont importantes, elles ne sont pour Le Sage que le « rez-de-chaussée » de la discipline qui a besoin, pour avancer, de se munir d’une « saine logique ». C’est cela que la physique spéculative apporte en forçant le lecteur à juger par lui-même, en particulier lorsqu’il s’agit d’objets comme la gravitation, « qu’on ne peut point connaître par d’autres voies que par celle du raisonnement ». Cette alliance est d’autant plus nécessaire que la physique expérimentale est encore presque uniquement fondée sur la confiance que l’on accorde au témoignage de celui qui a réalisé l’expérimentation. Trop peu de savants s’occupent concrètement, et selon l’expression de Le Sage, de « reproduire » !</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/234244/original/file-20180830-195307-r7aulv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/234244/original/file-20180830-195307-r7aulv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=205&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/234244/original/file-20180830-195307-r7aulv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=205&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/234244/original/file-20180830-195307-r7aulv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=205&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/234244/original/file-20180830-195307-r7aulv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=258&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/234244/original/file-20180830-195307-r7aulv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=258&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/234244/original/file-20180830-195307-r7aulv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=258&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Agendum previsionnel. Renfermer dans des Sachets ; tous les petits Groupes de Cartes qui ne le sont pas encore, tels que sont ceux du Portefeuille sur la Résistance des Fluides en général. Et étiqueter, ceux qui peuvent l’être aisément. Savoir : A la plume, ceux auxquels je trouverai un Titre bien convenable ; et au crayon, ceux auxquels je ne trouverai pas un Titre bien assorti à leur contenu.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ms. fr. 2001b, n° 43, f 0009.</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cette position défendue par Le Sage tout au long de sa vie interrogera la plupart de ses contemporains. Dans son célèbre journal intime, l’écrivain et philosophe suisse Henri-Frédéric Amiel (1821-1881) ne fait pas mystère de la curieuse originalité de la physique de celui qu’il appelait le « vacuiste impulsionnaire ». Ce savant tatillon « qui ajourne de conclure et de produire et qui arrive à 80 ans sans avoir réussi à faire un livre ni à se marier, tout en travaillant toujours ». Le naturaliste Charles Bonnet (1720-1793), lui aussi, a développé très tôt les plus grandes inquiétudes devant les étranges manières d’un Le Sage qu’il trouve excessivement scrupuleux, toujours à la recherche de la moindre imperfection dans son travail, et qu’il appelait dans ses lettres, non sans arrière-pensée, « mon cher philosophe ». Le naturaliste a vu littéralement Le Sage se consommer en projets inaboutis, achevant ainsi l’une de ses lettres :</p>
<blockquote>
<p>« Vous m’effrayez avec tous vos extraits à faire, tous vos écrits à entreprendre. Je voudrais que nous n’eussiez jamais qu’une seule chose dans l’esprit, et que vous eussiez le courage de chasser tout le reste. C’est ainsi au moins que j’ai toujours fait, pour satisfaire au besoin de mon cerveau. »</p>
</blockquote>
<p>Suzanne Necker, qui tenait salon à Coppet, s’inquiétait, elle aussi, des étranges singularités de Le Sage, par ailleurs « un homme distingué ». Mais c’est certainement Pierre Prevost, son élève et héritier en physique, à qui l’on doit une importante notice nécrologique sur Le Sage publiée juste après la mort du savant en 1805, qui décrit le mieux les effets de son obsession pour la mise en carte sur son travail, comme sur sa manière de penser :</p>
<blockquote>
<p>« Il détermina à tout écrire sur de petites cartes, et il retira de cette pratique divers avantages. Ces cartes, insérées par ordre dans de petits sacs de papier sous les titres convenables, furent distribuées dans des boîtes ou portefeuilles soigneusement étiquetés. C’est dans cet état que les papiers de Le Sage ont été trouvés à sa mort, et si la maladie ou de nouveaux projets n’y avaient pas introduit quelquefois du trouble ou de la négligence, on ne pourrait désirer rien de plus pour faciliter le travail de ses éditeurs. Mais comme les meilleures choses ont leurs inconvénients, il est arrivé peut-être que ce philosophe ayant poussé jusqu’à la perfection la méthode de recueillir, a fini par trop s’y complaire, et que cette cause (jointe à d’autres dont je parlerai), a longtemps ralenti, puis enfin totalement arrêtée la rédaction et la publication de tant de riches matériaux. »</p>
</blockquote>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/234240/original/file-20180830-195316-zpk6bf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/234240/original/file-20180830-195316-zpk6bf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=934&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/234240/original/file-20180830-195316-zpk6bf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=934&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/234240/original/file-20180830-195316-zpk6bf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=934&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/234240/original/file-20180830-195316-zpk6bf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1174&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/234240/original/file-20180830-195316-zpk6bf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1174&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/234240/original/file-20180830-195316-zpk6bf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1174&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">« Comment pense un savant ? Un physicien des Lumières et ses cartes à jouer », de Jean‑François Bert, éditions Anamosa, 2018, 221 p.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Anamosa</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>C’est sur ces cartes que Le Sage décide de « tout » écrire, faisant de son fichier un indispensable « échafaudage » de sa pensée savante. C’est vers cette pratique graphique où rien ne peut, ni ne doit plus, lui échapper qu’il décide d’orienter toute sa vie. Les « petites occasions », les « vues » qui se présenteraient par « hazard », tout est motif à être recopié, rangé, étiqueté et daté avec précision, qui plus est de manière scrupuleuse, et ce, quelle que soit l’importance du sujet.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/102357/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-François Bert a reçu des financements de la fondation pour l'Université de Lausanne et de l'ANR La vie savante (VISA). </span></em></p>Les archives inédites du savant Georges-Louis Le Sage, constituées de 35 000 cartes à jouer, sont un document exceptionnel sur la pensée telle qu’elle chemine.Jean-François Bert, Sociologue et historien des sciences sociales, Université de LausanneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1016812018-08-22T20:23:52Z2018-08-22T20:23:52ZLes vertus du troc de savoirs : un autre « modèle » économique ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/232273/original/file-20180816-2891-1y7n0rm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Tableau Offres et Demandes dans un RERS</span> </figcaption></figure><p><em>Des centaines de milliers de personnes se sont engagées dans des relations par lesquelles chacun enseigne aux autres, relations entre tous les âges et toutes les situations sociales, génératrices de fiertés individuelles et collectives au sein de l’improbable épopée des Réseaux d’échanges réciproques de savoirs. Les vertus de ce modèle sont innombrables et ébranlent plusieurs de nos croyances économiques.</em></p>
<hr>
<p>À l’heure où l’économie du partage connaît un engouement comme modèle économique alternatif, mais aussi comme autre manière de consommer, l’initiative des Réseaux d’échanges réciproques des savoirs est peut-être encore plus intéressante, car elle permet de montrer qu’en matière de ces biens que sont les savoirs tout le monde peut échanger, même ceux qui croient n’être propriétaires de rien.</p>
<h2>Une expérience fondatrice</h2>
<p>Dans les années 1970, Claire Héber-Suffrin, institutrice à Orly, se rend compte que ses élèves, dits « en difficultés », ont une curiosité sur laquelle elle peut s’appuyer. Elle les emmène un jour faire un dossier sur la vie dans les HLM.</p>
<blockquote>
<p>« Un mois plus tard, l’ouvrier chauffagiste qu’ils avaient rencontré revient de lui-même dans la classe. Il souhaite voir ce que les élèves ont retenu. Pas suffisamment à son goût, car il improvise un cours passionnant pour combler les lacunes de leur exposé. Les élèves lui proposent de rester pendant l’heure suivante, où un groupe d’élèves doit faire un exposé sur les volcans avec l’aide d’une géographe professionnelle. Le chauffagiste se passionne pour les volcans et reste plus d’une heure à discuter avec la géographe après la fin de la classe. »</p>
</blockquote>
<p>Cela donne à l’institutrice l’idée de créer avec Marc Héber-Suffrin, avocat et éducateur bénévole dans un club de prévention de la cité, un dispositif dans lequel chacun peut apprendre, à condition d’enseigner. Les débuts sont enthousiasmants. Très vite, quarante personnes animent un réseau qui compte plusieurs centaines de participants. Mais certains pouvoirs établis trouvent subversive cette manière d’enseigner. Épuisée de tenir le réseau à bout de bras, Claire Héber-Suffrin abandonne, s’engage dans la préparation d’un doctorat et part s’installer à Évry.</p>
<h2>Anatomie d’un réseau d’échanges réciproques de savoirs</h2>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/232275/original/file-20180816-2918-ur73zc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/232275/original/file-20180816-2918-ur73zc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/232275/original/file-20180816-2918-ur73zc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/232275/original/file-20180816-2918-ur73zc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/232275/original/file-20180816-2918-ur73zc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/232275/original/file-20180816-2918-ur73zc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/232275/original/file-20180816-2918-ur73zc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/232275/original/file-20180816-2918-ur73zc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Claire et Marc Héber-Suffrin.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Claire et Marc Héber-Suffrin font plus tard une nouvelle expérience, avec succès. Il formalisent alors le modèle de réseau d’échanges réciproques de savoirs. Un réseau est ancré localement et organisé en association loi de 1901, la cotisation de chaque membre étant constituée par les savoirs qu’il offre, et pas forcément par un apport monétaire. Les savoirs échangés sont multiples.</p>
<blockquote>
<p>« Ils vont de la cuisine antillaise à la broderie, en passant par la philosophie et l’informatique ou la soudure. Certains nécessitent quelques heures d’apprentissage, d’autres des séances régulières pendant une ou plusieurs années. Certains échanges se passent entre deux personnes, d’autres en groupes. »</p>
</blockquote>
<p>Souvent, les personnes arrivent avec une demande floue et ignorent quelle formation offrir en retour. Le rôle des animateurs est alors à la fois de les aider à préciser la nature de leur besoin et de leur faire découvrir ce qu’elles peuvent apporter aux autres, cette démarche n’étant pas facile pour ceux qui ont toujours été en position de demande. Il ont développé un véritable savoir-faire pour faire se rencontrer les offres et les demandes, faisant preuve parfois de créativité :</p>
<blockquote>
<p>« Deux jeunes garçons passaient leur temps à faire du patin à roulettes dans la rue voisine. Un des animateurs du réseau eut l’idée de faire appel à eux, car une demande d’apprentissage de patin était depuis un certain temps en attente. Les deux adolescents se sont laissés convaincre, avec un mélange d’appréhension et de fierté, et se sont révélés des enseignants formidables… Ils ont ensuite fait une demande pour du soutien scolaire… »</p>
</blockquote>
<h2>Un réseau de réseaux</h2>
<p>Les Réseaux d’échanges réciproques de savoir se sont multipliés, en France et à l’étranger, par capillarité, sans volonté de modèle venu du centre. Claire Héber-Suffrin parle de centralités multiples pour caractériser le fonctionnement du réseau des Réseaux. Chacun d’eux adhère à un réseau national, le Foresco (Formations réciproques, échanges de savoirs, créations collectives), qui assure la formation des animateurs, aide à la création de Réseaux, favorise les apprentissages entre Réseaux. Il est garant des principes et des méthodes d’enseignement, et anime des recherches sur la manière de les perfectionner.</p>
<p>On trouve des Réseaux dans les grandes villes comme dans les zones rurales, en France – où on en a compté jusqu’à 750 –, en Europe, au Brésil, au Québec, au Burkina Faso, au Sénégal, au Mali. Au Burundi, un Réseau de 2 000 participants dans un camp de réfugiés a permis d’échanger sur des besoins basiques – comment faire pousser des légumes sur une terre aride – tout en donnant à tous un moyen de se projeter dans l’avenir.</p>
<p>Les entreprises peuvent y recourir avec profit, comme le montre cet exemple de <a href="https://www.ecole.org/fr/seance/793-le-reseau-d-echanges-reciproques-de-savoirs-une-innovation-a-la-poste-courrier">Réseau à la Poste</a>, qui a fait l’objet d’une séance de l’École de Paris du management.</p>
<h2>Au-delà de l’économie</h2>
<p>Des centaines de milliers de personnes ont été impliquées dans au moins un Réseau. Le dispositif ne peut toutefois pas fonctionner uniquement sur le bénévolat : quand un réseau local devient important, il a besoin de moyens pour fonctionner et le Foresco devrait pouvoir rémunérer des permanents, notamment pour former les animateurs des Réseaux.</p>
<p>Ils ont donc besoin de subventions, ce qui n’est pas la partie la plus facile pour le mouvement, les financeurs rapportant souvent leurs subventions au nombre d’emplois créés. Claire Héber-Suffrin explique alors inlassablement le rôle social de ces réseaux :</p>
<blockquote>
<p>« Chacun est à la fois savant et ignorant, et il n’y a pas de savoir plus grand ou plus digne qu’un autre. À l’intérieur du principe de réciprocité, chacun choisit son rythme, ses méthodes, ses contenus d’apprentissage. Tous peuvent y contribuer, jeunes, vieux, inclus, exclus. C’est une école de la citoyenneté et de la démocratie. »</p>
</blockquote>
<p>Pierre-Noël Giraud explique dans <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences-humaines/economie-et-finance/homme-inutile_9782738133113.php">L’homme inutile</a> que le sentiment d’inutilité ressenti par un nombre croissant de personnes menace nos démocraties. L’utopie concrétisée par Claire et Marc Héber-Suffrin montre que des remèdes pour endiguer ce fléau peuvent se trouver au-delà de la vision économique classique. En cela, ils ouvrent une voie importante à développer.</p>
<p>Ils illustrent plusieurs caractéristiques exposées dans le <a href="http://www.lejardindesentreprenants.org/le-manifeste-des-entreprenants/">Manifeste des entreprenants</a> : ils aiment inventer des solutions à des problèmes que d’autres jugent insolubles et, même s’ils sont tirés par un rêve, ce ne sont pas des rêveurs : ce qu’ils font doit marcher et ils aiment l’efficacité.</p>
<p>Voir le compte rendu d’une séance très riche <a href="https://www.ecole.org/fr/seance/142-offre-cours-d-economie-demande-cours-de-soudure-le-succes-des-reseaux-d-echanges-reciproques-de-savoirs">« Offre cours d’économie, demande cours de soudure » : le succès des réseaux d’échanges réciproques de savoirs</a>. Le site du réseau est <a href="https://www.rers-asso.org/">rers-asso.org</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/232276/original/file-20180816-2903-175kmya.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/232276/original/file-20180816-2903-175kmya.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/232276/original/file-20180816-2903-175kmya.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/232276/original/file-20180816-2903-175kmya.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/232276/original/file-20180816-2903-175kmya.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/232276/original/file-20180816-2903-175kmya.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/232276/original/file-20180816-2903-175kmya.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/232276/original/file-20180816-2903-175kmya.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Deux traités présentés par les dessins d’Éric Grelet.</span>
</figcaption>
</figure><img src="https://counter.theconversation.com/content/101681/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Michel Berry est le fondateur et l"animateur du Jardin des entreprenants</span></em></p>L’improbable épopée des Réseaux d’échanges réciproques de savoirs révèle les vertus d’un modèle nouveau de relation et ébranle plusieurs de nos croyances économiques.Michel Berry, Fondateur de l'école de Paris du Management, Mines ParisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/971282018-05-28T20:45:22Z2018-05-28T20:45:22ZQuand l’esprit critique de l’« Encyclopédie » de Diderot et D’Alembert revit sur le web<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/220614/original/file-20180528-80653-6mb7ms.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=11%2C0%2C1560%2C837&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Sur le frontispice de l'_Encyclopédie_: La lumière de la Vérité illumine le monde.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikisource.org/w/index.php?curid=1225394">Wikipedia</a></span></figcaption></figure><p>Malgré la place importante qu’elle occupe dans l’histoire des idées et dans l’histoire des sciences, aucune équipe n’avait jamais tenté de réaliser une édition de l’<em>Encyclopédie</em> qui permette d’y naviguer aisément, d’en expliquer le contenu, l’histoire, le contexte, les enjeux, afin de rendre cette œuvre majeure du Siècle des Lumières et ce que nous savons d’elle accessible au public. Telle est la raison d’être de l’<em>ENCCRE</em>, première édition critique de l’<em>Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers</em> (1751-1772), <a href="http://enccre.academie-sciences.fr">mise en ligne en accès libre le 19 octobre 2017</a>.</p>
<h2>Une somme inégalée de savoirs</h2>
<p>Publiés entre 1751 et 1772 par Diderot, D’Alembert et Jaucourt, troisième éditeur méconnu, les 28 volumes de l’<a href="https://www.franceculture.fr/emissions/concordance-des-temps/lencyclopedie-longtemps-avant-Internet"><em>Encyclopédie</em></a> rassemblent une somme inégalée de savoirs sur les sciences, les arts, les métiers et la langue, répartis dans 17 volumes de textes et 11 volumes d’illustrations commentées. « Ouvrage immense et immortel », pour citer Voltaire, elle est la plus grande entreprise éditoriale du XVIII<sup>e</sup> siècle, tant en volume et en capital investi qu’en force humaine employée. Sa publication souleva bourrasques et tempêtes, et fut par deux fois interdite.</p>
<p>L’<em>Encyclopédie</em>, qui s’inscrit dans une tradition déjà ancienne des recueils de savoirs renouvelée par l’essor de l’imprimerie, hérite à la fois des traités techniques réalisés sous Louis XIV, des recueils de mémoires académiques qui voient le jour à la même époque, des dictionnaires universels (dont l’âge d’or s’ouvre à la fin du XVII<sup>e</sup> siècle), ou encore de la pensée du chancelier Bacon, fondateur des sciences expérimentales modernes.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/220640/original/file-20180528-80653-1nd8teo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/220640/original/file-20180528-80653-1nd8teo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=972&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/220640/original/file-20180528-80653-1nd8teo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=972&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/220640/original/file-20180528-80653-1nd8teo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=972&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/220640/original/file-20180528-80653-1nd8teo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1222&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/220640/original/file-20180528-80653-1nd8teo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1222&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/220640/original/file-20180528-80653-1nd8teo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1222&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Page de titre de l’<em>Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers</em>, éditée sous la direction de Denis Diderot et Jean le Rond D’Alembert.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikipedia</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’<em>Encyclopédie</em> innove cependant aussi de bien des façons : en intégrant ce qu’on appelait alors les « arts mécaniques » dans le cercle des connaissances, en offrant une place jusque-là inégalée à l’illustration, en articulant la logique alphabétique du dictionnaire avec celle, raisonnée, permettant de lier les connaissances. Elle est aussi une œuvre collective qui ne se limite pas, comme ses prédécesseurs, à la seule compilation livresque, mais qui recourt directement aux meilleurs scientifiques, philosophes et écrivains de son temps, parmi lesquels Rousseau, Voltaire, Montesquieu, Daubenton, et bien sûr Diderot et D’Alembert eux-mêmes.</p>
<h2>Une œuvre éminemment critique</h2>
<p>Mais au-delà de ces traits profondément novateurs, ce qui caractérise l’<em>Encyclopédie</em> est la volonté critique qui l’anime : critique des savoirs, dans leur élaboration, leur transmission et leur représentation, critique des préjugés, critique de l’autorité surtout, et du dogme. L’<em>Encyclopédie</em> étonne immédiatement par la modernité de ses combats et de ses questionnements ! Elle nous rappelle le rôle du langage dans la transmission des savoirs et l’importance du combat contre les interdits de pensée dans la reconnaissance des découvertes scientifiques (lisez les articles <a href="http://enccre.academie-sciences.fr/encyclopedie/article/v1-2217-0/">« Antipodes »</a> et <a href="http://enccre.academie-sciences.fr/encyclopedie/article/v4-343-0/">« Copernic »</a>. Elle fourmille de critiques contre les institutions religieuses, le <a href="http://enccre.academie-sciences.fr/encyclopedie/article/v6-529-0/">« Fanatisme »</a> et l’<a href="http://enccre.academie-sciences.fr/encyclopedie/article/v8-2659-0/">« Intolérance »</a> (voyez ces articles, ainsi que <a href="http://enccre.academie-sciences.fr/encyclopedie/article/v16-1189-0/">« Tolerance »</a>), le gouvernement politique (lisez <a href="http://enccre.academie-sciences.fr/encyclopedie/article/v6-483-0/">« Faim », « Appetit »</a>) ou <a href="http://enccre.academie-sciences.fr/encyclopedie/article/v7-883-0/">« Genealogie »</a>). Elle dénonce les barbaries, à commencer par l’esclavage (<a href="http://enccre.academie-sciences.fr/encyclopedie/article/v16-1600-5/">« Traite des negres »</a>), la torture (<a href="http://enccre.academie-sciences.fr/encyclopedie/article/v13-1675-3/">« Question (procédure criminelle) »</a>) et la <a href="http://enccre.academie-sciences.fr/encyclopedie/article/v7-1654-3/">« Guerre »</a>. Elle milite aussi pour l’<a href="http://enccre.academie-sciences.fr/encyclopedie/article/v8-2484-0/">inoculation</a> (à l’article du même nom) contre la variole, comme un écho passé des débats actuels sur la vaccination.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/220634/original/file-20180528-80633-wdo6xi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/220634/original/file-20180528-80633-wdo6xi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/220634/original/file-20180528-80633-wdo6xi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=328&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/220634/original/file-20180528-80633-wdo6xi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=328&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/220634/original/file-20180528-80633-wdo6xi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=328&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/220634/original/file-20180528-80633-wdo6xi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=412&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/220634/original/file-20180528-80633-wdo6xi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=412&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/220634/original/file-20180528-80633-wdo6xi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=412&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Planche tome VII, 1769, Musique.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://enccre.academie-sciences.fr/encyclopedie/planche/v28-x14?p=v28-g232&vp=y&">ENCCRE</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Librement accessible, l’<em>ENCCRE</em> est une invitation à découvrir ou redécouvrir cet héritage des Lumières afin, pour reprendre les célèbres mots de Diderot, que « les travaux des siècles passés n’aient pas été des travaux inutiles pour les siècles qui succéderont ».</p>
<p>Elle pallie d’abord une lacune étonnante, commune à toutes les versions numériques de l’<em>Encyclopédie</em> jusqu’alors disponibles sur Web : l’absence d’une édition expertisée répondant à ces critères pourtant indispensables quand on connaît l’histoire éditoriale mouvementée de l’œuvre, les multiples réimpressions, reproductions, contrefaçons dont elle a fait l’objet, ou les nombreux exemplaires hybrides (formés de volumes de plusieurs éditions différentes) qui ont pu être constitués au cours des siècles suivants. L’<em>ENCCRE</em> s’appuie pour ce faire sur un exemplaire original et complet de l’ouvrage, <a href="https://www.bibliotheque-mazarine.fr/fr/evenements/expositions/liste-des-expositions/oser-l-encyclopedie-un-combat-des-lumieres">conservé à la Bibliothèque Mazarine</a>, intégralement numérisé pour l’occasion, dans la meilleure définition possible, et en veillant à restituer les caractéristiques concrètes de l’ouvrage : grain du papier, épaisseur des volumes, courbure des pages, etc.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/220641/original/file-20180528-80626-1u9jq5z.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/220641/original/file-20180528-80626-1u9jq5z.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/220641/original/file-20180528-80626-1u9jq5z.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=314&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/220641/original/file-20180528-80626-1u9jq5z.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=314&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/220641/original/file-20180528-80626-1u9jq5z.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=314&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/220641/original/file-20180528-80626-1u9jq5z.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=394&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/220641/original/file-20180528-80626-1u9jq5z.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=394&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/220641/original/file-20180528-80626-1u9jq5z.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=394&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Planche dédiée à l’escrime dans le volume IV, 1765.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Bibliothèque Mazarine</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Grâce aux dernières possibilités offertes par le numérique et à une équipe internationale de plus de 130 personnes, historiens de toutes disciplines, ingénieurs, étudiants et bénévoles, elle est dotée d’une interface numérique permettant d’apprécier la beauté de cet exemplaire, de naviguer aisément parmi les 74 000 articles de l’ouvrage, d’apprécier comme jamais le spectacle de ses 2 579 planches gravées, de consulter les commentaires qui y sont apportés, et d’y effectuer les recherches les plus variées, comme les plus pointues.</p>
<p>L’<em>ENCCRE</em> est aussi une édition dynamique, conçue pour être enrichie en permanence, de façon collaborative. Diderot lui-même, évoquant la nécessaire collaboration des savants « spécialistes » à l’<em>Encyclopédie</em>, écrivait :</p>
<blockquote>
<p>« Quand on vient à considérer la matière immense d’une Encyclopédie, la seule chose qu’on aperçoive distinctement, c’est qu’elle ne peut être l’ouvrage d’un seul homme […]. Qui est-ce qui définira exactement le mot “conjugué”, si ce n’est un géomètre ? le mot “conjugaison” si ce n’est un grammairien ? le mot “azimuth” si ce n’est un astronome ? le mot “épopée” si ce n’est un littérateur ? »</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/220607/original/file-20180528-80620-1jtv9a9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/220607/original/file-20180528-80620-1jtv9a9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=328&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/220607/original/file-20180528-80620-1jtv9a9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=328&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/220607/original/file-20180528-80620-1jtv9a9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=328&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/220607/original/file-20180528-80620-1jtv9a9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=412&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/220607/original/file-20180528-80620-1jtv9a9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=412&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/220607/original/file-20180528-80620-1jtv9a9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=412&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Un extrait de l’article « Encyclopédie » dans l’<em>Encyclopédie</em> de Diderot et D’Alembert.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://enccre.academie-sciences.fr/encyclopedie/article/v5-1249-0/">ENCCRE</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>De la même façon, l’<em>ENCCRE</em> fait appel à l’historien des mathématiques pour annoter les articles de mathématiques, à l’historien de la grammaire pour les articles de grammaire, etc. Elle s’appuie sur une plate-forme en ligne partagée par l’équipe, qui permet d’envisager un processus d’édition dynamique, pensé à long terme, où se croisent et se conjuguent les compétences multiples et complémentaires des spécialistes de l’œuvre.</p>
<p>Pensée pour en démocratiser l’accès, et pour partager le fruit des recherches qui lui sont consacrées avec tous les publics, amateurs, érudits, élèves, étudiants ou enseignants, l’<em>ENCCRE</em> se présente comme un lieu de rencontre sur l’œuvre, animé par le souhaite de faire revivre l’un de ses plus beaux atours, sérieusement en danger aujourd’hui : son esprit critique.</p>
<hr>
<p><em>Sorbonne Université lance le 31 mai un tout nouveau cycle de conférences (« Il était une fois… demain ! » pour le grand public. Retrouvez Alexandre Guilbaud, l’auteur de cet article, lors de la conférence d’ouverture le 31 mai à 18h, « Cœlacanthe et street-art : voyage au cœur du patrimoine », à l’Amphithéâtre D Campus Pitié-Salpêtrière 91 bd de l’hôpital, Paris XIII<sup>e</sup>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/97128/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexandre Guilbaud ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Librement accessible, l’ENCCRE est une invitation à découvrir ou redécouvrir l’Encyclopédie en ligne, dans une version critique et enrichie.Alexandre Guilbaud, Maître de conférences en histoire des sciences mathématiques à Sorbonne Université, Institut de mathématiques de Jussieu-Paris Rive Gauche, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/916392018-02-15T19:59:11Z2018-02-15T19:59:11ZSavoirs, connaissances, capacités, compétences : une question sociale et politique ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/205851/original/file-20180211-51723-1iyvn1w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C3%2C1196%2C846&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Shiva Nataraja.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:WLANL_-_23dingenvoormusea_-_Shiva_Nataraja.jpg">23dingenvoormusea/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><h2>Une ambiguïté fonctionnelle</h2>
<p>Les débats publics en matière d’éducation et plus généralement dans les « métiers de l’humain » butent souvent sur l’imprécision et la polysémie du vocabulaire de base utilisé :</p>
<ul>
<li><p>Savoirs et connaissances par exemple sont régulièrement considérés comme pratiquement équivalents. Ils sont même utilisés quelquefois indifféremment pour désigner les produits d’une action de recherche et les produits d’une action éducative.</p></li>
<li><p>La même confusion se constate entre capacités et compétences : dans l’ingénierie de formation, on parle souvent de référentiels de compétences ; ceux-ci auraient pour fonction de finaliser les actions éducatives, alors que dans le même temps les compétences sont définies comme non séparables de leur engagement en situation.</p></li>
</ul>
<p>Ces glissements sémantiques ne sont pas de simples approximations ou erreurs. Ils jouent des fonctions sociales. Lorsqu’il s’agit d’approcher les questions relatives à la valeur des sujets humains, la confusion entre savoirs et connaissances permet par exemple de confondre hiérarchies sociales des savoirs et hiérarchies sociales des personnes censées les détenir, ce qui a d’évidentes conséquences en matière de rémunérations ; la généralisation du recours à la notion de compétence permet à l’inverse de valoriser socialement les actions qui s’y réfèrent sans lier en termes de reconnaissance sociale.</p>
<p>Nous faisons l’hypothèse que pour engager un débat public sur la question, il serait possible de discuter d’un statut plus univoque du vocabulaire utilisé, faute de quoi l’ambiguïté n’est plus seulement une question intellectuelle : elle devient une question sociale et politique, comme il arrive souvent dans le débat public.</p>
<p>C’est le sens de la présente contribution qui lie explicitement les définitions proposées à des approches des cultures de l’<a href="https://theconversation.com/enseigner-nest-pas-une-science-cest-une-culture-daction-educative-90396">enseignement, de la formation et du développement des compétences</a>. Elle invite aussi à relativiser ces outils au regard de leur fonction, et à les resituer par rapport à ce à quoi ils ont trait : les rapports entre les sujets et leurs activités.</p>
<h2>Les savoirs sont des énoncés auxquels sont indexés des jugements de valeur</h2>
<p>L’origine étymologique du mot est intéressante : <a href="https://sites.google.com/site/etymologielatingrec/home/s/savoir"><em>sapere</em> désigne ce qui a du goût</a>.</p>
<p>Les savoirs sont valorisés dans les contextes de transmission/communication comme l’enseignement. Dans ces contextes, ils présentent notamment <a href="http://bit.ly/2o0qEe7">cinq caractéristiques</a> :</p>
<ul>
<li><p>Ce sont des énoncés écrits ou oraux (éventuellement graphiques). Ils ont une existence sociale distincte de ceux qui les énoncent ou de ceux à qui ils sont destinés. Ils sont conservables, cumulables, considérés comme appropriables par les sujets destinataires.</p></li>
<li><p>Ils sont conventionnellement associés à des représentations ou à des systèmes de représentation provisoirement stabilisés sur le fonctionnement du monde ou sur sa possible transformation. Ce sont des savoirs « sur ». Selon les cas, il s’agit d’énoncés sur des existants : savoirs factuels, prédicatifs, assertifs, etc. ; ou sur des séquences d’opérations susceptibles d’assurer de possibles transformations : savoirs opératifs, procéduraux, méthodes, savoirs d’action, etc. Les savoirs d’action par exemple sont des énoncés relatifs à la génération de séquences actionnelles construites et considérées comme efficaces par les acteurs/énonciateurs eux-mêmes.</p></li>
<li><p>Ces énoncés sont indexés d’un jugement de valeur, d’une reconnaissance, d’une qualification sur le registre de la vérité (vrai/faux) ou de l’utilité (efficace/inefficace). Dire d’un énoncé qu’il constitue un savoir, et le transmettre/communiquer revient à lui conférer de la valeur auprès du destinataire de la communication. Cette valorisation est d’autant plus forte que le discours est objectivant. Pas de savoir non plus sans désignation de l’espace de référence dans lequel il est reconnu comme tel : selon les cas il peut s’agir d’un espace académique, professionnel, ou de n’importe quel espace social organisé. Les espaces sociaux de reconnaissance des savoirs tendent eux-mêmes, dans une culture donnée, à entretenir des relations hiérarchisées de reconnaissance, ce qui ne manque pas d’affecter les hiérarchies de savoirs correspondants.</p></li>
<li><p>La validité de ces énoncés, c’est-à-dire leur lien de correspondance entre discours et objet, donne lieu à contrôle social, notamment par deux voies : l’expérience ou exercice personnel de l’activité, la recherche ou action spécifiquement ordonnée autour de la production de savoirs.</p></li>
<li><p>Ces énoncés sont supposés susceptibles d’être investis dans des activités de pensée, dans des activités de communication et/ou dans des activités de transformation du monde physique et social, ou les trois à la fois.</p></li>
</ul>
<h2>Les connaissances sont des possibles d’activité mentale</h2>
<p>Dans les contextes de transmission/communication, les connaissances se différencient des savoirs en en constituant en quelque sorte les compléments obligés. Elles sont censées être le produit de leur intériorisation par les sujets destinataires :</p>
<ul>
<li><p>Elles présentent les caractères inversés des savoirs : elles sont non dissociables des sujets, variables d’un individu à un autre, non cumulables et conservables au sens strict, mais intégrables et activables. Elles sont des états supposés des sujets correspondant <a href="http://bit.ly/2muvVKc">à des possibles d’activité</a>.</p></li>
<li><p>Elles se construisent et se transforment dans les actions. Les actions sont en effet dotées d’unités de fonction, de sens ou de significations par les sujets qui y sont engagés, s’accompagnent d’activités mentales relatives à leur propre développement. Ces activités mentales supposent des constructions antérieures qu’elles transforment. Ce qui est socialement désigné comme connaissances (au pluriel) acquises relève de l’activation/réactivation de traces de ces constructions mentales.</p></li>
<li><p>Ces activités mentales sont désignées selon les cas en termes d’appropriation, acquisition, assimilation. Elles impliquent un rapport entre un sujet et un objet qui peut être le réel ou <a href="http://www.persee.fr/doc/jda_1156-0428_1997_num_70_1_2044">des énoncés sur le réel</a>).</p></li>
<li><p>Elles peuvent être inférées, et le sont souvent dans l’univers scolaire et académique, à partir du constat d’énonciations ou de restitution d’énoncés. Ceci explique la toute-puissance de l’écrit et de l’oral dans les évaluations scolaires ou académiques, et aussi des expressions comme « contrôle des connaissances » ou « connaissances déclaratives ».</p></li>
<li><p>Ces constructions/reconstructions mentales s’inscrivent plus généralement dans l’histoire et la dynamique de construction/reconstruction des sujets. Elles constituent à la fois le préalable, l’environnement et le produit des constructions de sens qui s’opèrent chez eux à l’occasion de leur engagement dans les actions. Les connaissances sont à la fois produites à partir de connaissances antérieures et les transforment, même quand elles sont en rupture avec elles.</p></li>
<li><p>Les connaissances sont à la fois des représentations du monde et des autoreprésentations de soi se représentant le monde. Quand on dit qu’on connaît, on se représente soi-même comme connaissant. Ceci explique aussi les phénomènes, souvent considérés comme encombrants dans la vie sociale et le débat public, d’identification des personnes aux savoirs censés être constitutifs de la discipline, académique ou professionnelle, à laquelle elles disent « appartenir » ; ces phénomènes influent en particulier sur les comportements de présentation de soi, à soi-même et à autrui, selon des codes socialement hiérarchisés.</p></li>
</ul>
<h2>Les capacités sont des construits attribués à des sujets sociaux pour désigner les rapports qu’ils entretiennent avec des classes d’activités</h2>
<p>Le terme de <em>capacités</em> tend lui à se développer dans des contextes éducatifs centrés sur les apprenants et plus généralement dans des contextes centrés sur la construction des sujets humains, par distinction avec leur engagement dans la production d’utilités, de biens et/ou de services. Elle est déclinée notamment sous la forme du tryptique « savoir, savoir-faire, savoir-être », et est congruente avec la terminologie des « habiletés » (<em>skills</em>) ou des « être capable de ».</p>
<ul>
<li><p>Les capacités sont des construits attribués à des sujets sociaux. Parler d’une capacité c’est qualifier un sujet en faisant l’hypothèse qu’il détient les caractéristiques ainsi conférées. Cette caractéristique explique que l’on passe sans cesse du registre de l’être au registre de l’avoir.</p></li>
<li><p>Les capacités établissent un lien explicite entre l’espace de la formation et les espaces d’activités finalisant la formation. Elles sont habituellement décrites en termes d’activités de référence. Susceptibles d’être produites ou transformées chez les sujets par l’exercice de la formation, les capacités sont destinées à être « transférées » dans les espaces qui les finalisent. Cette situation a pu être décrite comme en termes de décontextualisation/recontextualisation. Les capacités sont des capacités « pour ».</p></li>
<li><p>Ces construits sont relatifs aux rapports que les sujets entretiennent avec des classes d’activités ou de situations. Ils sont obtenus par repérage/analyse de régularités ou invariants d’activités, ce qui explique la contribution qu’ont pu y apporter différentes recherches dans le champ de la psychologie.</p></li>
<li><p>Ces construits sont porteurs d’évaluation : la capacité est une attribution positive, et les classements de capacités sont presque toujours organisés selon une hiérarchie de valeur quelquefois représentée graphiquement selon un axe vertical (Cf. notamment les taxonomies d’objectifs).</p></li>
<li><p>Ce sont des potentiels : présenter des capacités permettrait de réussir les activités correspondantes, sous réserve de transfert en situation.</p></li>
<li><p>Enfin ces construits sont souvent utilisés pour la conception et l’organisation d’interventions sociales visant la construction des sujets humains. C’est la raison pour laquelle le repérage des capacités visées est essentiel dans l’ingénierie de formation.</p></li>
</ul>
<h2>Les compétences sont des propriétés attribuées à des sujets par inférence à partir de leur engagement dans des actions situées</h2>
<p>Le terme compétence tend à se développer au contraire dans des contextes liant engagement des sujets dans des actions productrices de biens et services, ou d’utilités sociales, et construction des sujets dans ces mêmes actions. C’est le cas notamment des formes nouvelles de la formation intégrant travail et formation, mais également de ce qu’il est convenu d’appeler « logique compétence ». La compétence serait dans un même temps produite et mobilisée dans l’activité.</p>
<ul>
<li><p>Les compétences sont également des construits. Elles n’ont pas le caractère d’entités psychologiques et sociales qu’il serait possible de reconnaître et d’identifier comme telles : elles sont elles-mêmes des représentations ou des énoncés, produites entre sujets dans le cadre de leurs interactions. Il n’existe pas de compétence qui ne soit dite, représentée ou communiquée par des sujets à propos d’autres sujets ou d’eux-mêmes. Elles relèvent des relations entre sujets.</p></li>
<li><p>Ces constructions font souvent l’objet d’un processus de naturalisation aussi bien dans le langage académique que dans le langage social. On pense que les compétences, cela existe et on parle notamment de mobilisation des compétences. Vouloir produire des savoirs « scientifiques » directs sur les compétences participe de ce processus de naturalisation.</p></li>
<li><p>Ces représentations ou énoncés s’effectuent par inférence à partir de l’engagement d’un sujet, individuel ou collectif, dans des actions situées. Là se trouve la grande différence avec les capacités, construites pour le futur et par abstraction et repérage d’invariants : les compétences, elles, sont construites pour le présent et présentent tous les caractères attribués aux actions situées. Elles sont singulières et tiennent compte de la singularité des actions ; elles sont contextualisées et tiennent compte de la spécificité et du caractère évolutif des contextes ; elles sont finalisées et tiennent compte des finalisations des actions ; elles prennent en compte la question des sens construits et des significations données par les sujets. Les compétences sont des compétences « dans ». L’expression <a href="http://bit.ly/2BROdze">« savoir y faire »</a> est une expression assez heureuse pour rendre compte de ces différentes caractéristiques.</p></li>
<li><p>Les actions situées à partir desquelles elles sont construites sont des actions évaluées au regard de leurs finalisations, qu’elles soient réussies ou non. Pas de compétence sans référence à une action efficace, sans jugement sur la valeur ou l’utilité de l’action. Les compétences s’infèrent à partir de performances</p></li>
<li><p>Ces inférences fonctionnent comme des inférences causales. Elles permettent de faire apparaître la compétence comme explication de l’action, et de l’attribuer au sujet qui y est engagé. Selon J.Curie, ce sont des imputations causales (<a href="http://pmb.cereq.fr/index.php?lvl=bulletin_display&id=13279">Performances humaines et techniques, n°75-76, 1995</a>).</p></li>
<li><p>Enfin les compétences sont souvent décrites en termes de combinaisons ou de combinatoires de ressources. La notion sociale de compétence est quelquefois étendue à des ressources « internes » (les sujets) et « externes » (leurs environnements). La compétence est souvent décrite <a href="https://www.amazon.fr/comp%C3%A9tence-Essai-sur-attracteur-%C3%A9trange/dp/270811753X">comme une combinatoire</a>.</p></li>
</ul>
<h2>Savoirs, connaissances, capacités, compétences sont des outils. Ils ne se substituent pas à l’intérêt pour l’activité humaine elle-même</h2>
<p><strong>Ce sont des outils dans les interactions humaines</strong></p>
<p><a href="https://www.abebooks.fr/rechercher-livre/titre/le-metier-de-sociologue/auteur/bourdieu/">Pierre Bourdieu</a> avait l’habitude de dire qu’il faut examiner la part qui revient aux mots dans la construction des choses.</p>
<p>Lorsqu’elles donnent lieu à échanges, les actions humaines supposent une nomination de l’objet de leur intervention. Dans l’Égypte ancienne, le dieu Ra était à la fois le dieu qui éclaire et le dieu qui nomme…</p>
<p>Les métiers de l’humain n’échappent pas à la logique d’un vocabulaire de désignation de « ce sur quoi » ils pensent ou prétendent agir. Ce vocabulaire est par construction très lié aux interactions entre sujets. Ricoeur parlait d’une <a href="https://books.google.fr/books/about/La_S%C3%A9mantique_de_l_action.html?id=DVzlAAAAIAAJ&redir_esc=y">« sémantique de l’action »</a>. En l’occurrence, les termes savoirs, connaissances, capacités, compétences relèvent de lexiques d’intervention sur l’activité humaine : ils ont la <a href="https://www.babelio.com/livres/Wittgenstein-Recherches-philosophiques/5452">valeur de leur emploi</a>. Selon les cas ils peuvent contribuer aux processus de développement des sujets ou à l’inverse les inhiber. Leur substantialisation pour désigner des sujets est une réduction de ce dont elles prétendent rendre compte.</p>
<p><strong>Ces outils ne se substituent pas à l’intérêt pour l’activité humaine elle-même.</strong></p>
<p>Savoirs, connaissances, capacités compétences ont une autre caractéristique commune : ce sont des outils pour approcher les rapports entre les sujets et leurs activités. Le meilleur moyen de ne pas réduire les sujets qu’ils prétendent qualifier n’est-il pas de chercher à identifier/reconnaitre l’activité même de ces sujets en situation, toute leur activité ? Bref, prêter moins attention à ce que seraient les personnes ou à ce qu’elles détiendraient, pour porter intérêt à ce qu’elles font.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/91639/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Marie Barbier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Définitions de quelques mots et concepts essentiels dans le débat actuel sur l’éducation.Jean-Marie Barbier, Professeur des universités en sciences de l'éducation/formation des adultes, DHC Louvain, Chaire Unesco Cnam/Centre de recherche sur la Formation, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/889892017-12-19T20:40:11Z2017-12-19T20:40:11ZLes stéréotypes de genre nuisent à la santé des femmes… et des hommes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/199035/original/file-20171213-27597-u91u6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C343%2C4593%2C2709&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En santé, les inégalités entre les sexes relèvent des mêmes mécanismes que dans le reste de la société.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/pUEqqlRbKq0">Luke Porter/Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=282&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=282&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=282&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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<p><em>Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la Science 2018 dont The Conversation France est partenaire. Retrouvez tous les débats et les événements de votre région sur le site <a href="https://www.fetedelascience.fr/">Fetedelascience.fr</a></em></p>
<hr>
<p><em>En matière de santé, femmes et hommes ne sont pas logés à la même enseigne. Le livre coécrit par Catherine Vidal et Muriel Salle <a href="https://www.belin-editeur.com/femmes-et-sante-encore-une-affaire-dhommes">Femmes et santé, encore une affaire d’hommes ?</a> (Belin) se donne l’objectif de tordre le cou aux idées reçues, chez les soignants comme chez les patients, sur la santé des femmes et des hommes. Nous en publions ici un extrait ; les chiffres de l’infographie et le quiz sont également tirés de l’ouvrage ; les vidéos ont été coproduites par l’<a href="https://www.inserm.fr/actualites-et-evenements/actualites/genre-et-sante-attention-cliches">Inserm</a>, le CNRS et l’université Paris Diderot.</em></p>
<p>Les différences entre les sexes dans la santé se retrouvent dans quasiment tous les champs de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/medecine-21223">médecine</a>, au-delà du domaine de la reproduction : asthme, cancer, maladies des systèmes cardio-vasculaires et immunitaires, diabète, obésité, arthrose, ostéoporose, troubles mentaux, addiction, vieillissement, etc.</p>
<p>Mais les différences en question ne sont pas forcement d’origine biologique. Les codes sociaux de féminité (fragilité, sensibilité, expression verbale) et de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/masculinite-33579">masculinité</a> (virilité, résistance au mal, prise de risque) influencent l’expression des symptômes, le rapport au corps, le recours aux soins de la part des patient·e·s. De même, chez les médecins et personnels soignants, les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/stereotypes-24543">stéréotypes</a> de genre influencent l’interprétation des signes cliniques et la prise en charge des pathologies. Le poids des représentations sociales est un facteur de risques et d’inégalités tant <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/la-tete-au-carre/la-tete-au-carre-18-decembre-2017">pour la santé des femmes que pour celle des hommes</a>, comme en témoignent les exemples qui suivent.</p>
<h2>Quand flanche le cœur des femmes</h2>
<p>Les maladies <a href="https://theconversation.com/fr/topics/cardiovasculaire-22898">cardiovasculaires</a> sont la première cause de mortalité des femmes dans le monde, bien avant le cancer du sein qui occupe la <a href="http://www.academia.edu/12620211/Beyond_a_catalogue_of_differences_A_theoretical_frame_and_good_practice_guidelines_for_researching_sex_gender_in_human_health">dixième place</a>. Les femmes sont <a href="https://academic.oup.com/eurheartj/article/37/1/24/2398374">plus vulnérables</a> que les hommes aux maladies cardiovasculaires : 56 % en meurent contre 46 % des hommes. Elles développent ces maladies en moyenne dix ans plus tard que les hommes.</p>
<p>La raison couramment invoquée tiendrait à la ménopause susceptible de favoriser l’hypertension, le diabète, l’hyperlipidémie, l’obésité et autres troubles métaboliques. La baisse des estrogènes qui survient alors a longtemps été considérée comme responsable de cette vulnérabilité accrue des femmes. Un <a href="https://theconversation.com/fr/topics/hormone-replacement-therapy-5303">traitement hormonal</a> substitutif était souvent préconisé à titre préventif chez les femmes ménopausées. Or, des études statistiques sur de nombreuses populations ont montré au contraire une augmentation du nombre d’<a href="https://theconversation.com/fr/search?utf8=%E2%9C%93&q=infarctus">infarctus</a> chez les femmes qui reçoivent un traitement hormonal substitutif.</p>
<p>Dans l’état actuel des recherches, le rôle spécifique des hormones sur les maladies cardio-vasculaires chez les femmes avant et après la ménopause ne fait <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-531-92501-1_17">pas consensus</a>. Néanmoins l’explication hormonale, qui conforte une vision stéréotypée des différences femmes/hommes, reste très répandue chez les médecins et les chercheurs.</p>
<h2>Quand symptômes et diagnostics sont biaisés</h2>
<p>Les normes sociales et les stéréotypes liés au <a href="https://theconversation.com/fr/topics/genre-22050">genre</a> féminin ou masculin jouent sur l’attitude des patient·e·s et du corps médical. Ainsi, l’infarctus du myocarde reste <a href="http://nursing.ceconnection.com/ovidfiles/00003465-200901000-00001.pdf">sous-diagnostiqué</a> chez les femmes, car considéré comme une maladie « masculine », caractéristique des hommes d’âge moyen stressés au travail. Une patiente qui se plaint d’oppression dans la poitrine se verra prescrire des anxiolytiques, alors qu’un homme sera orienté vers un cardiologue.</p>
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<p>D’après une étude internationale sur 27 000 patient·e·s, le symptôme le plus courant chez les hommes (94 %) et les femmes (92 %) concerne les douleurs au niveau du thorax. Elles peuvent aussi présenter des signes cliniques « atypiques ». Elles se plaignent plus fréquemment de grande fatigue, de nausée et de douleurs à la mâchoire. Ces types de symptômes, pourtant fortement corrélés aux maladies cardio-vasculaires, sont <a href="https://jamanetwork.com/journals/jamainternalmedicine/fullarticle/1738716">rarement pris en compte</a> par les praticien·ne·s.</p>
<p>Une étude du Centre de santé de l’Université McGill à Montréal (Canada) a révélé que les femmes qui arrivent aux urgences pour une suspicion d’infarctus sont moins vite prises en charge et diagnostiquées que les hommes. L’enquête menée sur plus de mille patient·e·s dans des hôpitaux du Canada, des États-Unis et de Suisse indique qu’en moyenne les femmes sont 29 % à passer un électroencéphalogramme en moins de 10 minutes, contre 38 % des hommes.</p>
<p>Les maladies cardio-vasculaires étant perçues comme masculines, les femmes sont <a href="https://theconversation.com/pour-une-recherche-et-une-medecine-sexuellement-differenciees-des-faits-biologiques-irrefutables-73619">sous-représentées dans les essais cliniques et les recherches biomédicales</a>. Les enquêtes menées au niveau international et en France montrent que sur l’ensemble des protocoles de recherche clinique, <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3182143/">seulement 33,5 %</a> des participants sont des femmes. Cette sous-représentation est particulièrement visible dans les recherches sur les facteurs de risques d’hypercholestérolémie, d’ischémie et de crises cardiaques.</p>
<h2>Les os des hommes… même pas durs</h2>
<p>L’exemple en miroir de l’infarctus du myocarde est celui de l’ostéoporose. En Europe et aux États-Unis, les hommes sont <a href="http://www.sciencedirect.com/science/book/9780123746023">sous-diagnostiqués</a> pour cette pathologie. Or un tiers des fractures de la hanche chez les hommes est liée à l’ostéoporose. Les femmes ont certes un risque plus élevé de fracture, mais l’évolution médicale de l’ostéoporose chez les hommes est plus grave : une fracture de faible intensité chez une femme multiplie par deux le risque d’en faire une autre, alors que chez l’homme, le risque de refaire une fracture est <a href="http://homes.chass.utoronto.ca/%7Esousa/teach/PHL243-06.MAIN_files/20065_phl243h1f_archive/FAUSTO-STERLING-bonesofsex05.pdf">multiplié par trois</a>.</p>
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<p>L’ostéoporose a longtemps été considérée comme une maladie « des femmes » liée à la baisse des hormones à partir de la ménopause. Les traitements hormonaux de substitution n’ont pas donné les résultats escomptés (en particulier pour l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/industrie-pharmaceutique-26016?page=2">industrie pharmaceutique</a>). Ils entraînent au contraire des effets secondaires délétères, avec un risque accru d’accidents cardiaques. Du coup les chercheur·e·s se sont intéressé·e·s à l’ostéoporose chez les hommes. Ce n’est qu’en 1997 que, dans les examens d’ostéodensitométrie, des normes de densité osseuse ont pu être définies spécifiquement pour les hommes. Auparavant, les normes en vigueur étaient celles établies chez des jeunes femmes blanches de 20-29 ans. Des efforts de formation des personnels de santé restent nécessaires.</p>
<p>L’ostéoporose n’est pas seulement liée à l’âge, elle dépend aussi des modes de vie, en particulier de l’exercice physique et de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/nutrition-20768">nutrition</a>. La minéralisation du squelette peut être défectueuse chez les jeunes filles qui font souvent moins de sport et de travaux physiques que les garçons. Les femmes chinoises qui travaillent tous les jours dans les champs ont des os plus robustes que les hommes qui échappent à ces travaux.</p>
<iframe src="https://e.infogram.com/74c926c5-b128-4239-9e1b-5a0cf8aa1c3e?src=embed" title="Femmes et santé -- chiffres clés" width="100%" height="1720" scrolling="no" frameborder="0" style="border :none ;" allowfullscreen="allowfullscreen"></iframe>
<h2>Quand on les pense douillettes</h2>
<p>Les femmes souffrent plus fréquemment de douleurs chroniques : migraine, fibromyalgie, arthrite rhumatoïde, colon irritable. Ces différences n’existent pas chez les enfants et émergent à l’adolescence. Les recherches sur ces pathologies ont révélé l’implication de <a href="http://journals.lww.com/pain/Abstract/2012/03000/A_systematic_literature_review_of_10_years_of.16.aspx">nombreux facteurs</a> à la fois biologiques, psychologiques et sociaux. La perception, l’expression et la tolérance à la douleur diffèrent selon le sexe. Comparativement aux hommes, les femmes se plaignent davantage et décrivent des douleurs plus intenses et fréquentes. D’où vient cette différence face à la douleur ? La constitution biologique des femmes les rendrait-elle plus sensibles et vulnérables que les hommes ?</p>
<p>D’après une revue des recherches menées ces 10 dernières années sur les différences entre les sexes dans la sensibilité à la douleur, les résultats des expériences ne permettent pas de dégager de causes physiologiques qui fassent consensus. En particulier, l’hypothèse d’un rôle des oestrogènes dans la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/douleur-20649">douleur</a> n’est pas démontrée. Les mesures de la sensibilité douloureuse au cours du cycle menstruel ou lors de la prise de contraceptifs ou de traitement hormonal substitutif chez les femmes ménopausées donnent des résultats mitigés et contradictoires.</p>
<p>Des examens par <a href="https://theconversation.com/fr/topics/imagerie-27540">IRM</a> du cerveau n’ont pas non plus révélé de différences entre les sexes dans les circuits neuronaux qui traitent les informations douloureuses. Par contre, il existe un consensus scientifique sur le fait que ces différences sont en partie explicables par des facteurs culturels et sociaux.</p>
<h2>Si ça fait mal, ça fait pas mâle…</h2>
<p>Les représentations sociales liées au genre influencent le vécu et l’<a href="http://allodoxia.blog.lemonde.fr/2012/06/24/inegalites-dans-la-douleur/">expression de la douleur</a>. Les femmes, supposées vulnérables physiquement et psychologiquement, s’autorisent davantage à exprimer leurs émotions et leur douleur, à l’inverse des hommes censés être durs au mal et stoïques (« un garçon ne pleure pas »). L’intériorisation de ces stéréotypes se répercute sur le ressenti de la douleur de façon inconsciente. Par exemple chez des acteurs et actrices soumis à un test de douleur thermique, la tolérance à la douleur est meilleure après avoir joué un rôle de héros ou d’héroïne. À l’inverse, leur tolérance est moindre après un rôle d’âme sensible…</p>
<p>Le seuil de douleur est aussi influencé par le sexe de la personne qui mène l’expérience. Dans un <a href="https://www.researchgate.net/publication/51409969_Sex_Gender_and_Pain_An_Overview_of_a_Complex_Field">test de douleur thermique</a>, la tolérance est plus forte chez les hommes quand la personne en charge de l’expérience est une femme. Et si l’expérimentatrice est attractive sexuellement, le seuil de douleur est encore plus élevé ! Inversement, les femmes sont moins tolérantes si l’expérimentateur est un homme séduisant. Les vieux clichés de la femme fragile qui cherche la protection de l’homme et du mâle viril qui défie la douleur sont manifestement encore bien ancrés dans nos inconscients…</p>
<h2>Quand les états d’âme sont genrés</h2>
<p>Les normes de genre jouent un rôle important dans les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/troubles-psychiques-32293">troubles</a> qui touchent à la vie psychique, <a href="https://theconversation.com/femmes-et-hommes-ne-sont-pas-egaux-devant-la-depression-61873">comme la dépression</a>. Le syndrome de dépression majeure touche <a href="https://fr.scribd.com/document/88865348/Major-Depressive-Disorder-New-Clinical-Neurobiological-And-Treatment-Perspectives">deux fois plus</a> les femmes que les hommes. On a longtemps pensé que la dépression des femmes était liée à leur constitution biologique qui les rendrait plus fragiles et plus vulnérables. Les recherches actuelles montrent que les troubles dépressifs résultent d’une intrication complexe entre des facteurs de tous ordres : biologique (gènes, hormones), psychologique, socio-culturel, hygiène de vie, etc.</p>
<p>Les codes sociaux féminins et masculins influencent l’expression des symptômes. Les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/depression-28988">signes classiques</a> tels que tristesse, pleurs, anxiété, perte d’énergie, troubles du sommeil, fatigue, irritabilité, stress, sont fréquents chez les femmes. En revanche, les hommes présentent davantage d’autres types de symptômes : colère, agressivité, consommation d’alcool et de drogues, comportements à risque, hyperactivité. La faiblesse émotionnelle, signe de vulnérabilité, n’est pas socialement admise chez les hommes.</p>
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<p>Pour eux, l’alternative est d’extérioriser leur souffrance psychique sous des formes qui satisfont aux critères de la virilité. Or beaucoup d’enquêtes sur la prévalence de la dépression ne considèrent que les symptômes classiques qui sont ceux exprimés majoritairement chez les femmes. En conséquence, la dépression est sous-diagnostiquée chez les hommes. Mais si les questionnaires des enquêtes incluent l’ensemble des symptômes exprimés par les femmes et les hommes, alors le pourcentage d’hommes présentant des troubles dépressifs est équivalent à celui des femmes, soit <a href="https://jamanetwork.com/journals/jamapsychiatry/fullarticle/1733742">environ 30 %</a>.</p>
<h2>L’autisme sous-diagnostiqué chez les filles</h2>
<p>L’autisme est un autre exemple de trouble influencé par les normes de genre. Les troubles autistiques sont en moyenne quatre fois <a href="https://scholar.harvard.edu/srichard/publications/autism-biomedical-platform-sex-difference-research">plus fréquents</a> chez les garçons que chez les filles. Les raisons de la différence de prévalence entre les sexes restent hypothétiques : origine génétique, trouble du développement du cerveau in utero, influences des hormones, de substances toxiques, environnement psychologique familial, etc.</p>
<p>Une théorie très médiatisée postule que le comportement autiste est l’expression d’un fonctionnement « extrême » du cerveau masculin sous l’effet de la testostérone <a href="http://allodoxia.blog.lemonde.fr/2013/10/04/sexes-mensonges-et-video-baron-cohen">pendant la vie fœtale</a>. L’hormone aurait un effet masculinisant sur le cerveau des garçons, les rendant plus aptes à comprendre les systèmes complexes, les mathématiques, les sciences et des techniques. À l’inverse, chez les filles l’absence d’influence de la testostérone sur leur cerveau, les rendrait plus sociables, empathiques et attentives aux autres.</p>
<p>Dans cette logique, chez les autistes, le repli sur soi et les difficultés de communication, seraient l’expression d’un déficit des aptitudes cognitives à l’empathie, tandis que les capacités d’analyse des systèmes de type mathématiques serait exacerbée. On expliquerait ainsi la fréquence plus forte de l’autisme chez les garçons, et aussi des aptitudes de certains autistes pour les mathématiques. Mais les preuves expérimentales font cruellement défaut pour conforter cette théorie car le rôle de la testostérone <a href="https://molecularautism.biomedcentral.com/articles/10.1186/s13229-016-0078-8">n’est pas démontré</a>. Les recherches se poursuivent…</p>
<p>Une piste pertinente pour expliquer la différence de prévalence entre les sexes dans l’autisme <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21803468">tient aux normes sociales</a> liées au genre. Le retrait sur soi, le défaut d’interactions sociales sont considérés chez une petite fille comme de la réserve et de la timidité. Ces mêmes attitudes sont davantage interprétées comme un indice de trouble de communication chez les garçons, car en décalage avec les représentations sociales des comportements des garçons censées plus expansifs et dynamiques. En conséquence, l’autisme est <a href="https://theconversation.com/ces-femmes-autistes-qui-signorent-75998">sous-diagnostiqué chez les filles</a>.</p>
<p>Dans une enquêté menée aux États-Unis sur un échantillon de 14 000 enfants présentant des troubles autistiques avérés, 18 % des filles avaient été détectées dès le plus jeune âge contre 37 % des garçons.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/198803/original/file-20171212-9410-18s9bmr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/198803/original/file-20171212-9410-18s9bmr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=970&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/198803/original/file-20171212-9410-18s9bmr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=970&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/198803/original/file-20171212-9410-18s9bmr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=970&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/198803/original/file-20171212-9410-18s9bmr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1219&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/198803/original/file-20171212-9410-18s9bmr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1219&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/198803/original/file-20171212-9410-18s9bmr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1219&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.belin-editeur.com/femmes-et-sante-encore-une-affaire-dhommes">Éditions Belin</a></span>
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<p>Nul ne conteste que les différences entre les sexes dans la santé soient le résultat d’une interaction complexe entre des facteurs biologiques, sociaux et culturel. Néanmoins, les normes sociales et les stéréotypées liées au genre font encore obstacle à la prise en charges efficace et équitable de pathologies graves telles que les maladies cardiovasculaires, l’ostéoporose ou la dépression.</p>
<p>Sensibiliser les soignants à la question du genre conduit à poser de meilleurs diagnostics et à prendre en charge les patients plus efficacement. Dans la recherche, la prise en compte de l’interaction entre sexe et genre permet de formuler de nouvelles hypothèses pour comprendre les pathologies et élaborer de meilleures stratégies de prévention et de traitement. L’information à donner aux patients est tout autant nécessaire pour la prévention des pathologies, pour le plus grand bénéfice de la santé des femmes et des hommes.</p>
<iframe data-rid-id="136377" width="100%" height="450" frameborder="0" src="https://www.riddle.com/a/136377 ?fixed=1"><section><h2>Testez vos connaissances sur les femmes et la santé</h2><p><p>Toutes les données de ce quiz sont citées et discutées dans le livre.</p></p></section><section><h2>Quelle est la définition actuelle du mot « santé » ?</h2></section><section><h3>Depuis quand les médecins qualifient-ils les femmes de « sexe faible » ?</h3></section><section><h3>De combien d’années les femmes dépassent-elles les hommes dans l’espérance de vie ?</h3></section><section><h3>Quelle est la première cause de mortalité des femmes dans le monde ?</h3></section><section><h3>Les hommes peuvent-ils souffrir d’ostéoporose ?</h3></section><section><h3>Quel est le pourcentage de femmes incluses dans les essais cliniques ?</h3></section><section><h3>Combien de femmes ont été tuées par leur conjoint en 2015, en France ?</h3></section><section><h3>Combien d’hommes ont été tués par leur conjointe en 2015, en France ?</h3></section><section><h3>Combien de femmes sont violées chaque jour en France ?</h3></section><section><h3>Quelles sont les causes des inégalités de santé entre les sexes ?</h3><p><p>Plusieurs réponses possibles</p></p></section><section></section><section></section></iframe><img src="https://counter.theconversation.com/content/88989/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Maladies cardiovasculaires, autisme, dépression, ostéoporose… Autant de troubles ou pathologies sous-diagnostiqués en raison de clichés et d’idées reçues sur les genres féminin et masculin.Catherine Vidal, Neurobiologiste, membre du Comité d’éthique de l’Inserm, InsermMuriel Salle, Maîtresse de conférences en histoire, Université Claude Bernard Lyon 1Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/887442017-12-14T23:01:28Z2017-12-14T23:01:28ZUne encyclopédie en ligne pour la philosophie<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/199011/original/file-20171213-27558-1wneo0r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Socrate.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/philosophie-gr%C3%A8ce-socrates-statue-2603284/">Pixabay</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Les dispositions philosophiques se cultivent mieux avec des instruments de travail appropriés. La récente <a href="https://encyclo-philo.fr/"><em>Encyclopédie philosophique</em></a>, accessible sur Internet, souhaite y concourir autant qu’il se peut. Sa finalité est de fournir aux étudiants et enseignants de philosophie, mais aussi au « grand public cultivé », des connaissances philosophiques et des instruments pour la réflexion philosophique.</p>
<p>Le lecteur y trouvera des articles sur des notions, des problèmes philosophiques et des auteurs : exposé des distinctions fondamentales, aperçu des thèses soutenues, examen des arguments, bibliographies contemporaines. Cependant les articles font appel aux auteurs de la tradition et discutent les doctrines classiques. Cette encyclopédie suppose une certaine culture philosophique, mais elle permet aussi de l’acquérir, de l’affermir ou de la développer.</p>
<h2>Faire comprendre</h2>
<p>L’intention n’est pas de vulgariser la discipline, pas plus que de participer aux débats journalistiques sur les sujets d’actualité. L’encyclopédie n’est pas un prolongement, en ligne, de ce que certains attendent des cafés philosophiques. Elle ne concurrence pas non plus les magazines, émissions de radio et de télévision qui, ces derniers temps, se proposent de rendre accessible la philosophie, mais délestée de sa lourdeur académique supposée – y aurait-il une philosophie légère comme on parle de musique légère ? </p>
<p>Elle ne cherche pas à être plus conviviale, populaire ou ludique que ne le sont habituellement les travaux des universitaires, mais à les faire comprendre, y compris quand ils sont pointus. Dans cette encyclopédie, l’accessibilité de la pensée philosophique contemporaine résulte d’un effort de clarté et de rigueur des auteurs, et non d’une prétendue démocratisation, surtout si elle devait conduire à renoncer aux arguments charpentés, au travail exigeant de clarification conceptuelle et aux références savantes indispensables.</p>
<h2>Quels précédents ?</h2>
<p>Pour comprendre ce que <em>L’Encyclopédie philosophique</em> apporte de neuf, il faut examiner les projets du même genre. En 1989, les Presses Universitaires de France publièrent l’<em><a href="https://www.puf.com/collections/Encyclop%C3%A9die_philosophique_universelle">Encyclopédie philosophique universelle</a></em>, sous la direction d’André Jacob, Sylvain Auroux et Jean‑François Mattéi, en quatre volumes. Il s’agissait de synthétiser, pour un public francophone, les connaissances en philosophie. Mais qui se rend encore en bibliothèque pour la consulter ?</p>
<p>L’<a href="https://www.universalis.fr/classification/philosophie/"><em>[Encyclopédia Universalis</em>](https://www.puf.com/collections/Encyclop%C3%A9die_philosophique_universelle)</a>, quant à elle, propose des articles philosophiques numériques de qualité – mais il faut payer pour lire les contenus. Wikipedia permet la consultation gratuite d’articles sur des sujets philosophiques. Malheureusement, la qualité intellectuelle et pédagogique des articles y est incontrôlable et, à l’usage, fort inégale. Quant à la confiance qu’on peut accorder à la rectification collaboratrice de Wikipédia, elle est souvent mise en défaut.</p>
<p>En langue anglaise, la situation est certes bien meilleure. Il y eut d’abord, dans les années soixante, la remarquable <a href="https://www.amazon.com/Encyclopedia-Philosophy-Volumes-Paul-Edwards/dp/0028949501"><em>Encyclopedia of Philosophy</em></a> de Paul Edwards. Elle mérite toujours qu’on la consulte. Aujourd’hui, en ligne, on trouve une <a href="http://www.iep.utm.edu"><em>Internet Encyclopedia of Philosophy</em></a>, et surtout la <a href="https://plato.stanford.edu/"><em>Stanford Encyclopedia of Philosophy</em></a>, à la fois numérique, gratuite et de qualité. Ces deux encyclopédies philosophiques en ligne sont hélas peu connues en France, même des étudiants en philosophie, normalement les premiers concernés ; et, bien sûr, il existe un obstacle linguistique à leur consultation par le lecteur français. Dans la <em>Stanford Encyclopedia</em>, les articles, souvent longs et parfois techniques, requièrent un important bagage philosophique – ce qui cependant ne retire rien à sa valeur et à son utilité comme instrument de travail. Toutefois, passer de ce que les journaux, radio et télévision, en France, appellent « philosophie » à l’<em>Internet Encyclopedia of Philosophy</em> ou à la <em>Stanford Encyclopedia of Philosophy</em>, c’est un changement d’univers, si ce n’est un choc mental. Il ne sera peut-être pas moins grand avec <em>L’Enclyclopédie philosophique</em>. Mais c’est aussi tout son intérêt.</p>
<h2>Exigence de sérieux</h2>
<p>Partant de ce constat, le projet d’une encyclopédie de philosophie en langue française a ainsi été remis à plat, ses contenus sont renouvelés et l’exigence de sérieux universitaire confirmée. Maxime Kristanek, jeune professeur de philosophie en lycée, est à l’origine du projet. Il coordonne une équipe de 315 professeurs et chercheurs en philosophie, qui a déjà rédigé 150 articles, consultables en ligne. 200 autres ont été commandés par les éditeurs, et environ 10 nouveaux articles sont mis sur le site tous les deux mois.</p>
<p><em>L’Encyclopédie philosophique</em> a un <a href="https://encyclo-philo.fr/de-lequipe/">comité éditorial</a> et un <a href="https://encyclo-philo.fr/de-lequipe/">comité de lecture</a> – principalement constitué d’enseignants et de chercheurs en philosophie – qui examine les articles avant publication. Il fonctionne selon la méthode de la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89valuation_par_les_pairs">recension par les pairs</a><em>L’Encyclopédie philosophique</em> est aussi dotée d’un <a href="https://encyclo-philo.fr/de-lequipe/">comité scientifique</a> qui garantit le sérieux général du projet en conseillant les membres du comité éditorial dans le choix des entrées et des auteurs.</p>
<h2>Deux formats différents</h2>
<p>Elle comprend des articles « grand public », de format court, et rédigés d’une manière immédiatement compréhensible sans formation importante en philosophie. Les articles « Académiques » diffusent quant à eux l’état des questions dans la recherche philosophique internationale auprès des étudiants, des enseignants de philosophie ou d’autres disciplines, et aussi de tous ceux qui ont un solide appétit philosophique. Il faut insister sur le rôle que devrait jouer cette encyclopédie pour la diffusion d’une philosophie argumentative, rigoureuse et précise, parfois même technique, quand c’est utile, faisant la part belle aux problématiques discutées dans la vie internationale de la philosophie.</p>
<p>Prenons un exemple. L’article <a href="http://encyclo-philo.fr/theorie-de-lerreur-morale-a/">« Théorie de l’erreur morale »</a> s’ouvre ainsi : « Vous pensez que la peine de mort est injuste et le viol immoral, que le courage est une vertu et l’obscénité un vice, qu’il faut respecter son père et s’abstenir de frapper ses enfants ? D’après la théorie de l’erreur morale, vous vous trompez. Plus généralement, les théoriciens de l’erreur soutiennent que tous les jugements moraux sont faux. » Cela ne donne-t-il pas envie de lire la suite, et d’examiner si cette manière de présenter les choses ne souffriraient pas de certains <a href="http://encyclo-philo.fr/biais-cognitifs-gp/">« biais cognitifs »</a> ?</p>
<p>Qui se lève un matin en se demandant ce qu’est le plaisir, en quoi consiste une raison suffisante, ou comment il reconnaîtra un zombie s’il vient à en croiser, trouvera un article « Grand Public », parfaitement sérieux, à lire en cinq ou quinze minutes, avant même d’entamer sa journée. S’il se demande <a href="http://encyclo-philo.fr/creation-a/">pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien</a> ou ce que <a href="http://encyclo-philo.fr/ockham-a/">Guillaume d’Ockham</a> ou <a href="http://encyclo-philo.fr/poincare-a/">Henri Poincaré</a> ont vraiment dit, ce sera tout de même un peu plus long : les articles « Académiques » sur la création, le <em>Venerabilis Inceptor</em> ou l’un des plus grands philosophes français lui feront passer une très bonne soirée. La consultation est de toute façon possible toute la journée et même la nuit !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/88744/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Roger Pouivet fait partie du conseil scientifique de l'Encyclopédie Philosophique.</span></em></p>Naissance d’une nouvelle encyclopédie en ligne, destinée à fournir aux étudiants et enseignants, mais aussi au « grand public » des connaissances et des instruments pour la réflexion philosophique.Roger Pouivet, Professeur à l’Université de Lorraine (Laboratoire d’Histoire des Sciences et de Philosophie Archives Henri-Poincaré), Membre de l’Institut Universitaire de France, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/885002017-12-06T21:24:28Z2017-12-06T21:24:28ZDe l’agnotologie, production de l’ignorance<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/197584/original/file-20171204-4083-1oeqpiv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Puzzle.</span> <span class="attribution"><span class="source">geralt/Pixabay</span></span></figcaption></figure><p><em>Nous publions ici un extrait du livre de <a href="https://mathiasgirel.com/">Mathias Girel</a>, <a href="http://www.quae.com/fr/r5020-science-et-territoires-de-l-ignorance.html">« Science et Territoires de l’ignorance »</a>, accompagné d’une introduction de l’auteur.</em></p>
<hr>
<p>Cet essai est né d’une série de réflexions sur « l’enquête », ou encore sur la recherche ressaisie dans sa dimension pratique. Mon travail sur les pragmatistes américains, et en particulier sur <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Sanders_Peirce">Peirce</a>, m’avait conduit à m’intéresser à la production de connaissances fiables. Toute une série d’exemples, dans le domaine de controverses environnementales et sanitaires, montrait cependant que cette connaissance pouvait également être défaite, fragilisée, voire disparaître tout à fait de l’espace public, ce qui m’a progressivement confirmé dans l’idée qu’une épistémologie robuste devait rendre compte aussi bien de la production de connaissances que de l’opération contraire, la création d’ignorance. Ces exemples montraient en outre, ce qui était plus troublant, que pour contrer la science, il ne suffisait pas la nier, mais qu’il fallait entrer sur son terrain, mobiliser de la science pour attaquer la science. De ce fait, le présent livre, qui est pensé comme le point de départ d’une entreprise plus large, tente de poser et d’articuler entre elles quatre questions :</p>
<ul>
<li><p>Tout d’abord, puisqu’il est question d’ignorance, comment rendre compte de ce que nous ne savons pas ? Comment sortir de l’idée que l’ignorance serait une page blanche dans le livre du savoir pour faire droit à la grande diversité de ses facettes ?</p></li>
<li><p>Dans quelles situations est-il pertinent de comprendre l’ignorance non seulement comme un état, mais aussi comme un effet, comme quelque chose qui peut être produit ? Parmi ces effets, lesquels sont les effets d’une cause, de mécanismes plus ou moins aveugles, lesquels peuvent être reliés à une intention ?</p></li>
<li><p>Comment expliquer que les mêmes propos, « Il faut plus de recherches », « Il y a d’autres causes », « Corrélation n’est pas causalité », puissent dans certains cas contribuer à produire de la connaissance, et dans d’autres la fragiliser ? Comment sortir de l’indiscernabilité à ce sujet ?</p></li>
<li><p>Enfin, comment faire droit à ces situations sans réinvestir une épistémologie déviante : repérer des intentions, des instrumentalisations, est-ce souscrire à une « logique conspirationniste » ? La voie est étroite, entre une attitude qui relirait toute l’Histoire et toutes les institutions à la lumière d’intentions cachées et une autre qui nierait dans son principe même la possibilité d’ententes intéressées.</p></li>
</ul>
<h2>De l’agnotologie, production de l’ignorance</h2>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/197349/original/file-20171201-17338-o522sm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/197349/original/file-20171201-17338-o522sm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/197349/original/file-20171201-17338-o522sm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=950&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/197349/original/file-20171201-17338-o522sm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=950&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/197349/original/file-20171201-17338-o522sm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=950&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/197349/original/file-20171201-17338-o522sm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1194&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/197349/original/file-20171201-17338-o522sm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1194&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/197349/original/file-20171201-17338-o522sm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1194&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Quae, Coll. Sciences en Questions, décembre 2017.</span>
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<p>C’est au fond cette idée qui est au cœur des travaux parfois regroupés sous le nom d’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Agnotologie">agnotologie</a>, littéralement : science ou connaissance de l’ignorance, que <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Robert_N._Proctor">Robert N. Proctor</a> a pu caractériser comme la « production culturelle de l’ignorance et son étude ». Comme l’existence d’ignorances produites est un constat qui a été fait maintes fois au cours de l’histoire des idées, l’intérêt de ces travaux récents tient donc moins à ce constat qu’à l’attention qu’ils portent aux mécanismes mêmes de production, intentionnelle ou non, d’ignorance. […]</p>
<p>Si l’on accepte de mettre au cœur de l’analyse de la connaissance le processus de l’enquête, par laquelle la connaissance est produite, si l’on accepte de comprendre nos enquêtes comme des actions, c’est-à-dire comme des choses que nous faisons et qui ne se font pas sans nous, l’approche agnotologique paraît tout de suite moins mystérieuse. Relevons en effet que nos actions peuvent réussir, qu’elles peuvent échouer, qu’elles peuvent échouer de manière persistante, qu’elles peuvent échouer sous l’action d’un tiers. Ces quatre points semblent bien faire partie de la grammaire de l’action. Si la première et la seconde possibilité sont triviales, tous les actes ne s’y exposant pas de la même manière, la troisième ne l’est pas moins, car elle est illustrée aussi bien par nos incapacités, par la méconnaissance d’obstacles structurels que, parfois, par ce que les psychologues appellent « conduites d’échec ». La quatrième est également tout à fait ordinaire : nos actions peuvent avoir pour support un objet, une chose, mais elles peuvent aussi avoir pour objet l’action des autres, elles peuvent donc viser à faciliter ces dernières ou à les contrarier.</p>
<p>On notera que nous pouvons faire échouer l’action d’autrui, du fait de la nôtre, de manière tout à fait involontaire – je peux faire échouer un anniversaire-surprise si un mot m’échappe devant la mauvaise personne – ou volontaire – ce qui correspondrait ici à de plus noirs desseins. Il y a donc au moins deux variantes correspondant au dernier cas. Pourquoi n’en serait-il pas ainsi pour cette action particulière qu’est l’enquête ? Il s’agirait d’intégrer dans notre approche de la connaissance la dimension de l’échec, à travers les trois figures de l’échec ordinaire, de l’échec persistant et de l’échec induit, non pas pour réduire la portée de l’épistémologie mais bien au contraire pour l’étendre. […]</p>
<p>Une indécision s’ouvre pourtant car, dans la masse de textes consacrés à l’ignorance produite, l’effet est parfois celui d’une cause, biologique, structurelle, historique, politique, il est parfois saisi comme l’effet d’une intention, ce qui est très différent et correspond sans doute à une explication relevant d’une grammaire spécifique. Le terme de « production », employé par Proctor, est lui aussi ambigu car il peut renvoyer à un mécanisme aveugle comme à une stratégie.</p>
<p>C’est à partir de cette indécision que se sont jouées beaucoup d’incompréhensions, et peut-être de confusions. Dans le premier cas, on veut dire qu’un individu ou un collectif pourrait ou aurait pu savoir <em>X</em>, et toute la question est alors de se prononcer sur le statut de cette possibilité, ainsi que sur les attentes éventuelles de cet individu ou de ce collectif. Dans le second cas, on veut dire qu’un agent, individuel ou collectif, désire qu’un autre agent, lui aussi individuel ou collectif, ne sache pas <em>X</em>, ce qui pose trois séries de questions de natures très différentes, que nous relevons simplement ici, en notant qu’elles ne sont pas toujours traitées explicitement et jusqu’au bout, dans la littérature existante :</p>
<h2>1. La question de l’objectivation de cette intention</h2>
<p>À partir de quand pouvons-nous l’attribuer ? Nous sommes parfois conduits à attribuer à autrui une intention, même s’il ne la manifeste pas expressément, même si elle n’a aucune existence écrite ou verbale. Cette attribution est lourde de sens, c’est celle qui peut faire la différence entre un homicide involontaire et un homicide volontaire ou même un assassinat. Cela n’en fait pas pour autant une affaire triviale : attribuer une intention à une personnalité morale, à un État ou à un groupe industriel, peut toujours être contré par l’objection selon laquelle les documents saisis, et qui formulent une telle intention, ne reflètent pas les intentions du groupe ou du collectif, mais sont le fait d’un franc-tireur ou d’une personnalité isolée. Si nous devons écrire l’histoire d’une ignorance produite stratégiquement, prendrons-nous en compte ces intentions implicites ou devrons-nous privilégier les expressions explicites, telles qu’elles peuvent par exemple apparaître dans des « mémos » internes à tel ou tel agent collectif, parfois saisis par la justice ou divulgués par des lanceurs d’alerte ?</p>
<h2>2. La question du succès de cette intention</h2>
<p>Une chose est d’attribuer une intention, une autre chose est d’imputer un changement d’aspect de notre situation à cette intention. Je peux réciter des prières vaudoues pour que mon athlète favori l’emporte aux Jeux olympiques, et il peut se trouver qu’il réussisse, mais la conjonction entre une intention de ma part et un effet qui corresponde à cette intention n’en fait pas pour autant un effet de mon intention ; il faut pouvoir reconstituer une chaîne de causalité intentionnelle. Cette question soulève des problèmes métaphysiques redoutables, mais elle est souvent réglée concrètement, de manière acceptable : nous établissons sans cesse, au prix d’enquêtes parfois longues, des responsabilités. Il est significatif que les enquêtes faisant l’hypothèse d’une production intentionnelle d’ignorance et qui engagent donc une forme d’enquête causale relèvent d’un type d’histoire ou de sociologie massivement étayées par des archives ou des données de terrain, nécessaires pour l’administration de la preuve. Quels sont les matériaux minimaux pour faire l’hypothèse d’un succès de ce type d’intention ?</p>
<h2>3. La question de la motivation profonde</h2>
<p>Si l’on admet qu’il y ait des stratégies pour produire de l’ignorance, on peut se demander ce qui change quand un individu ou un collectif ne sait pas quelque chose, qu’il pourrait pourtant savoir ou vouloir savoir. Paradoxalement, les tentatives délibérées de production d’ignorance sont un témoignage et une affirmation de la valeur de la connaissance. En effet, elles présupposent que la possession d’une connaissance et la capacité à s’en servir changeraient l’issue des choses, du point de vue de l’intérêt de celui qui cherche à produire de l’ignorance. Cela engage un pari sur l’importance de la connaissance dans des actions collectives, cela engage aussi un pari sur ce que nous faisons à partir de ce que nous savons. Le caractère incontestable des effets prouvés du tabac n’a pas anéanti sa consommation, car cette dernière ne repose pas que sur des facteurs cognitifs, l’addiction jouant un rôle primordial ici. Le consensus des climatologues sur les causes anthropiques du réchauffement climatique n’a pas conduit à cette réforme totale des politiques et des comportements qui devrait en être le corollaire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/88500/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mathias Girel est en outre conseiller technique de l'IHEST, établissement public à caractère administratif.</span></em></p>Sur la question de l’ignorance, comment rendre compte de ce que nous ne savons pas ? Extraits du livre de Mathias Girel, « Science et Territoires de l’ignorance » tout juste sorti aux Éditions Quae.Mathias Girel, Directeur des études du département de Philosophie de l'ENS Ulm, Directeur du Centre d'Archives en Philosophie, Histoire et Edition des Science, CNRS-ENS, École normale supérieure (ENS) – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/865052017-11-01T22:54:23Z2017-11-01T22:54:23ZPodcast : Trois questions sur le « libre accès » aux contenus numériques<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/192320/original/file-20171029-13327-wd36h7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption"></span> <span class="attribution"><a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>En tant qu’historien des sciences, Alexandre Hocquet s’interroge sur les relations entre le scientifique et l’ordinateur, tandis que l’importance croissante du logiciel a modifié les pratiques scientifiques de la communauté. Il <a href="http://meetings.sigcis.org/">présente</a> cette semaine ses travaux avec Frédéric Wieber au congrès annuel de la Society for the History of Technology à Philadelphie.</p>
<p>Le libre accès (en anglais, <em>open access</em>) est la mise à disposition en ligne de contenus numériques ; pour autant, les informations ainsi proposées sont-elles faciles d’accès et réutilisables sans condition ?</p>
<p>Pour ce podcast, nous avons choisi la licence CC-BY-SA : écoutez-le pour savoir ce que cela signifie !</p>
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<p><em>A noter : la dernière semaine d’octobre s’est tenue l’<a href="http://www.openaccessweek.org/">Open access week</a>, un événement annuel du monde scientifique marqué par l’organisation de nombreuses activités sur le thème du libre accès et sur le futur de la recherche académique dans de nombreux pays.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/86505/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexandre Hocquet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le libre accès est la mise à disposition en ligne de contenus numériques ; pour autant, les informations ainsi proposées sont‑elles faciles d’accès et réutilisables sans condition ?Alexandre Hocquet, Professeur des Universités en Histoire des Sciences, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.