tag:theconversation.com,2011:/uk/topics/souverainete-29812/articlessouveraineté – The Conversation2024-01-16T16:18:26Ztag:theconversation.com,2011:article/2205602024-01-16T16:18:26Z2024-01-16T16:18:26ZUne vraie souveraineté alimentaire pour la France<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/567861/original/file-20240104-27-n2p29k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C13%2C4656%2C3059&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La souveraineté alimentaire est devenue un argument d’autorité, trop souvent invoqué afin de poursuivre des pratiques agricoles délétères.</span> <span class="attribution"><span class="source">Thibaut Marquis/unsplash</span></span></figcaption></figure><p>Le mercredi 6 décembre 2023, la FNSEA sortait du bureau d’Elisabeth Borne en déclarant fièrement que <a href="https://www.ouest-france.fr/economie/agriculture/agriculture-la-fnsea-annonce-obtenir-labandon-de-la-hausse-de-taxes-sur-les-pesticides-et-leau-333bc86a-23b2-411f-af77-d4a9bcafc79c">l’État abandonnait son projet de taxer l’usage des pesticides et des retenues d’eau</a>. Cela vient conclure une séquence historique. Le 16 novembre déjà, l’Europe reconduisait <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/pesticides/glyphosate/glyphosate-l-autorisation-du-glyphosate-renouvelee-pour-10-ans-par-la-commission-europeenne_6187641.html">l’autorisation du glyphosate pour 10 ans</a>. Et, six jours plus tard, <a href="https://www.courrierinternational.com/article/environnement-un-jour-sombre-le-reglement-contre-les-pesticides-tue-par-la-droite-europeenne">abandonnait aussi l’objectif de réduction de 50 % de l’usage des pesticides à l’horizon 2030</a>.</p>
<p>Comment en est-on arrivé là ? La question a été récemment posée dans un <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/dossiers/commission_enquete_phytosanitaires">rapport de l’Assemblée nationale</a>. En plus <a href="https://www.agra.fr/agra-presse/enquete">du lobbying habituel de la FNSEA</a> et de <a href="https://theconversation.com/comprendre-le-malaise-des-agriculteurs-127862">l’état de crise permanent dans laquelle vivent les agriculteurs</a> et qui rend toute réforme explosive, la question de la souveraineté alimentaire – qui correspond au droit d’un pays à développer ses capacités productives pour assurer la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/securite-alimentaire-51357">sécurité alimentaire</a> des populations – a joué un rôle clé dans cette dynamique.</p>
<p>La souveraineté alimentaire est ainsi devenue, depuis la <a href="https://theconversation.com/gaspillage-et-in-securite-alimentaires-les-lecons-a-tirer-de-la-crise-sanitaire-153601">crise du Covid</a> et la <a href="https://theconversation.com/envol-des-prix-insecurite-alimentaire-les-lourdes-consequences-pour-lafrique-de-la-guerre-en-ukraine-181193">guerre en Ukraine</a>, l’argument d’autorité permettant de poursuivre des pratiques qui génèrent des catastrophes écologiques et humaines majeures. Il existe pourtant d’autres voies.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quatre-pistes-pour-une-souverainete-alimentaire-respectueuse-de-la-sante-et-de-lenvironnement-206947">Quatre pistes pour une souveraineté alimentaire respectueuse de la santé et de l’environnement</a>
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<h2>Le mythe de la dépendance aux importations</h2>
<p>De quelle souveraineté alimentaire parle-t-on ? Les <a href="https://www.franceagrimer.fr/Actualite/International/2023/Souverainete-alimentaire-un-eclairage-par-les-indicateurs-de-bilan">derniers chiffres de FranceAgrimer</a> montrent que notre « dépendance aux importations » – comme aiment à le répéter les défenseurs d’un modèle intensif – est de 75 % pour le blé dur, 26 % pour les pommes de terre, 37 % pour les fruits tempérés ou 26 % pour les porcs.</p>
<p>Mais ce que l’on passe sous silence, c’est que le taux d’autoapprovisionnement – soit le rapport entre la production et la consommation françaises – est de <a href="https://www.franceagrimer.fr/content/download/70677/document/ETU-2023-SOUVERAINETE_ALIMENTAIRE.pdf">148 % pour le blé dur</a>, 113 % pour les pommes de terre, 82 % pour les fruits tempérés et 103 % pour le porc. Le problème de souveraineté alimentaire n’en est pas un. Le vrai problème, c’est qu’on exporte ce que l’on produit, y compris ce dont on a besoin. Cherchez l’erreur.</p>
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<p>D’autres arguments viennent encore se greffer à celui de la souveraineté, dans un monde d’interdépendances : la France serait le <a href="https://www.lejdd.fr/Economie/Les-exportations-francaises-de-ble-sont-en-passe-de-battre-un-record-historique-247861-3107024">« grenier à blé de l’Europe »</a>, il faudrait « nourrir les pays du Sud », la France serait <a href="https://www.gouvernement.fr/sites/default/files/contenu/piece-jointe/2021/10/hcp_ouverture-n7-grande_puissance_agricole.pdf">« une puissance exportatrice »</a>, etc.</p>
<p>Au-delà de l’hypocrisie de certaines de ces affirmations – en effet, les exportations des surplus européens subventionnés ont <a href="https://www.euractiv.fr/section/aide-au-developpement/news/les-dommages-collateraux-de-la-pac-sur-lagriculture-des-pays-en-developpement/">détruit tout un tissu productif, en Afrique de l’Ouest notamment</a> – il ne s’agit pas là d’enjeux liés à la souveraineté alimentaire, mais d’enjeux stratégiques et politiques liés à la compétitivité de certains produits agricoles français sur les marchés internationaux.</p>
<p>Comprendre : la France est la 6<sup>e</sup> puissance exportatrice de produits agricoles et agroalimentaires au monde et elle entend bien le rester.</p>
<h2>Voir la productivité de façon multifonctionnelle</h2>
<p>S’il ne faut évidemment pas renoncer aux objectifs de productivité alimentaire nationaux, ces derniers gagneraient à être redéfinis. Car comment évoquer la souveraineté alimentaire sans parler des <a href="https://theconversation.com/plan-eau-la-politique-des-petits-tuyaux-fera-t-elle-les-grandes-rivieres-203391">besoins en eau</a> pour produire les aliments, de la <a href="https://theconversation.com/comment-lagriculture-industrielle-bouleverse-le-cycle-de-lazote-et-compromet-lhabitabilite-de-la-terre-219276">dépendance aux énergies fossiles</a> générée par les intrants de synthèse, de l’épuisement de la fertilité des sols lié à la monoculture intensive ou encore des <a href="https://theconversation.com/changement-climatique-et-agriculture-les-economistes-alertent-sur-la-necessite-dintensifier-les-efforts-dadaptation-en-afrique-subsaharienne-218184">effets du réchauffement climatique</a> ?</p>
<p>Comment évoquer la souveraineté alimentaire sans parler des enjeux fonciers, de l’évolution du travail agricole (25 % des agriculteurs sont en passe de partir à la retraite), du <a href="https://theconversation.com/fr/topics/gaspillage-alimentaire-22121">gaspillage alimentaire</a> – qui avoisine les 30 % tout de même – des besoins nutritionnels et des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/alimentation-21911">habitudes alimentaires</a> de la population ?</p>
<p>La productivité alimentaire doit dorénavant se conjuguer avec d’autres formes de productivité tout aussi essentielles à notre pays :</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/568017/original/file-20240105-25-tf6kwm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/568017/original/file-20240105-25-tf6kwm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/568017/original/file-20240105-25-tf6kwm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/568017/original/file-20240105-25-tf6kwm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/568017/original/file-20240105-25-tf6kwm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/568017/original/file-20240105-25-tf6kwm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/568017/original/file-20240105-25-tf6kwm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les zones humides naturelles ont une certaine capacité à épurer les milieux aquatiques.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Sandro Bisotti/Flickr</span></span>
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<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/568012/original/file-20240105-23-bpwi9g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/568012/original/file-20240105-23-bpwi9g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/568012/original/file-20240105-23-bpwi9g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/568012/original/file-20240105-23-bpwi9g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/568012/original/file-20240105-23-bpwi9g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/568012/original/file-20240105-23-bpwi9g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/568012/original/file-20240105-23-bpwi9g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La cétoine dorée, un coléoptère, est aussi un pollinisateur, au même titre que les abeilles.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Jean-Raphaël Guillaumin/Flickr</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<li><p>la capacité de rétention <a href="https://theconversation.com/podcast-donner-une-seconde-vie-aux-eaux-usees-208996">d’eau dans les sols</a>,</p></li>
<li><p>le renouvellement des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/pollinisateurs-35904">pollinisateurs</a>,</p></li>
<li><p>le maintien des capacités épuratoires des milieux pour conserver une eau potable,</p></li>
<li><p>le renouvellement de la <a href="https://theconversation.com/pourquoi-il-est-si-important-de-preserver-la-sante-de-nos-sols-175934">fertilité des sols</a>,</p></li>
<li><p>la régulation des <a href="https://theconversation.com/les-bioinsecticides-miracle-ou-mirage-147050">espèces nuisibles</a> aux cultures,</p></li>
<li><p>ou encore la <a href="https://theconversation.com/pieger-le-carbone-dans-le-sol-ce-que-peut-lagriculture-216768">séquestration du carbone</a> dans les sols.</p></li>
</ul>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pour-sauver-nos-systemes-alimentaires-restaurer-nos-sols-en-sequestrant-le-carbone-212820">Pour sauver nos systèmes alimentaires, restaurer nos sols en séquestrant le carbone</a>
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<p>Or, il est <a href="https://sfecologie.org/regard/r110-mai-2023-e-porcher-pollinisation-en-crise/">scientifiquement reconnu</a> que les indicateurs de productivité relatifs à ces services <a href="https://aida.ineris.fr/reglementation/instruction-gouvernement-050220-relative-a-protection-ressources-eau-captages">baissent depuis plusieurs décennies</a>. Pourtant, ce sont bien ces services qui permettront de garantir une véritable souveraineté alimentaire future.</p>
<h2>La diversification pour maintenir des rendements élevés</h2>
<p>Une <a href="https://www.science.org/doi/10.1126/sciadv.aba1715">revue de littérature scientifique parue en 2020</a>, compilant plus de 5000 études menées partout dans le monde, montrait que seules des stratégies de diversification des pratiques agricoles permettent de répondre à ces objectifs de performance plurielle pour l’agriculture, tout en maintenant des rendements élevés.</p>
<p>Les ingrédients de cette diversification sont connus :</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/568016/original/file-20240105-25-2phosz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/568016/original/file-20240105-25-2phosz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/568016/original/file-20240105-25-2phosz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/568016/original/file-20240105-25-2phosz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/568016/original/file-20240105-25-2phosz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/568016/original/file-20240105-25-2phosz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/568016/original/file-20240105-25-2phosz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le non-labour est l’une des clés de la diversification agricole.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Lutz Blohm/Flickr</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/568013/original/file-20240105-25-cfxjlg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/568013/original/file-20240105-25-cfxjlg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/568013/original/file-20240105-25-cfxjlg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/568013/original/file-20240105-25-cfxjlg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/568013/original/file-20240105-25-cfxjlg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/568013/original/file-20240105-25-cfxjlg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/568013/original/file-20240105-25-cfxjlg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les haies permettent de limiter le ruissellement d’eau et rendent plusieurs services agrosystémiques.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Jean Balczesak/Flickr</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
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<ul>
<li><p>augmentation de la rotation des cultures et des amendements organiques,</p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/pesticides-les-alternatives-existent-mais-les-acteurs-sont-ils-prets-a-se-remettre-en-cause-146648">renoncement aux pesticides de synthèse</a> et promotion de l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/agriculture-biologique-26141">agriculture biologique</a> à grande échelle,</p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/en-cessant-de-labourer-les-sols-on-pourrait-reduire-limpact-de-lagriculture-sur-le-climat-de-30-160218">réduction du labour</a>,</p></li>
<li><p>diversification des semences et <a href="https://theconversation.com/retour-sur-le-combat-pour-les-semences-paysannes-en-europe-190670">recours aux variétés rustiques</a>,</p></li>
<li><p>ou encore <a href="https://theconversation.com/climat-biodiversite-le-retour-gagnant-des-arbres-champetres-174944">restauration des haies</a> et des talus pour limiter le ruissellement de l’eau de pluie.</p></li>
</ul>
<p>Dans 63 % des cas étudiés par ces chercheurs, ces stratégies de diversification ont permis non seulement d’augmenter les services écosystémiques qui garantissent la souveraineté alimentaire à long terme, mais aussi les rendements agricoles qui permettent de garantir la souveraineté alimentaire à court terme.</p>
<h2>Les sérieux atouts de l’agriculture biologique</h2>
<p>Parmi les pratiques de diversification qui ont fait leurs preuves à grande échelle en France, on retrouve l’agriculture biologique. <a href="https://theconversation.com/agriculture-pourquoi-la-bio-marque-t-elle-le-pas-en-france-207510">Se convertir au bio</a>, ce n’est pas simplement abandonner les intrants de synthèse.</p>
<p>C’est aussi recourir à des rotations de cultures impliquant des <a href="https://theconversation.com/les-legumineuses-bonnes-pour-notre-sante-et-celle-de-la-planete-216845">légumineuses fixatrices d’azote dans le sol</a>,utiliser des semences rustiques plus résilientes face aux parasites, des amendements organiques qui nécessitent des couplages culture-élevage, et enfin parier sur la <a href="https://theconversation.com/agroforesterie-intrants-labour-comment-ameliorer-le-bilan-carbone-de-lagriculture-165403">restauration d’un paysage qui devient un allié</a> dans la lutte contre les aléas naturels. La diversification fait ainsi partie de l’ADN des agriculteurs bio.</p>
<p>C’est une question de réalisme économique. Les exploitations bio consomment en France <a href="https://agriculture.ec.europa.eu/system/files/2023-04/agri-market-brief-20-organic-farming-eu_en.pdf">deux fois moins de fertilisant et de carburant par hectare que les exploitants conventionnels</a>, ce qui les rend moins vulnérables à l’évolution du prix du pétrole. En clair, l’agriculture biologique pourrait être la garante de la future souveraineté alimentaire française, alors qu’elle est justement souvent présentée comme une menace pour cette dernière du fait de rendements plus faibles à court terme.</p>
<p>Au regard des éléments mentionnés plus haut, il s’agit évidemment d’un faux procès. Nous sommes autosuffisants et nous avons les réserves foncières qui permettraient de déployer le bio à grande échelle en France, puisque nous sommes passé de <a href="https://www.ressources.terredeliens.org/les-ressources/l-etat-des-terres-agricoles-en-france-dossier-thematique-rapport-1">72 % du territoire dédié aux activités agricoles en 1950 à 50 % en 2020</a>. Une petite partie de ces surfaces a été artificialisée tandis que la majorité a tout simplement évolué en friche, <a href="https://hal.science/hal-01197118v1/file/C57Coulon.pdf">à hauteur de 1000 km<sup>2</sup> par an en moyenne</a>.</p>
<p>Par ailleurs, le différentiel de rendement entre le bio et le conventionnel se réduit après quelques années seulement : de <a href="https://www.nature.com/articles/nature11069">25 % en moyenne (toutes cultures confondues) au moment de la conversion, il descend à 15 % ensuite</a>. La raison en est l’apprentissage et l’innovation dont font preuve ces agriculteurs qui doivent en permanence s’adapter aux variabilités naturelles. Et des progrès sont encore à attendre, si l’on songe que l’agriculture bio n’a pas bénéficié des 50 dernières années de recherche en agronomie dédiées aux pratiques conventionnelles.</p>
<h2>Relever le niveau de vie des agriculteurs sans éroder le pouvoir d’achat des consommateurs</h2>
<p>Mais a-t-on les moyens d’opérer une telle transition sans réduire le pouvoir d’achat des Français ? Pour répondre à cette question, il faut tout d’abord évoquer le revenu des agriculteurs. Il est <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/5434584">notoirement faible</a>. Les agriculteurs travaillent beaucoup et vivent mal de leur métier.</p>
<p>Or, on oublie souvent de le mentionner, mais le surcoût des produits bio est aussi lié au fait que les consommateurs souhaitent mieux rémunérer les agriculteurs : hors subventions, les revenus des agriculteurs bio sont <a href="https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.1423674112">entre 22 % et 35 % plus élevés</a> que pour les agriculteurs conventionnels.</p>
<p>Ainsi, le consommateur bio consent à payer plus parce que le bio est meilleur pour l’environnement dans son ensemble (eau, air, sol, biodiversité), mais aussi pour que les paysans puissent mieux vivre de leur métier en France sans mettre en danger leur santé.</p>
<p>Par ailleurs, si le consommateur paie plus cher les produits bio c’est aussi parce qu’il valorise le travail agricole en France. Ainsi la production d’aliments bio <a href="https://www.agencebio.org/vos-outils/les-chiffres-cles/observatoire-de-la-consommation-bio/">nécessite plus de main-d’œuvre (16 % du total du travail agricole pour 10 % des surfaces)</a> et est très majoritairement localisée en France (71 % de ce qui est consommé en bio est produit en France).</p>
<p>Cette question du travail est centrale. Moins de chimie, c’est plus de travail des communautés humaines, animales et végétales. C’est aussi plus d’incertitudes, ce qui n’est évidemment pas simple à appréhender pour un exploitant.</p>
<p>Mais il faut rappeler que le discours sur le pouvoir d’achat des français, soi-disant garanti par le modèle hyper-productiviste de l’agriculture française, vise surtout à conforter les rentes de situations des acteurs dominants du secteur agricole. Car les coûts sanitaires et environnementaux de ce modèle sont payés par le contribuable.</p>
<p>Rien que le traitement de l’eau, lié aux pollutions agricoles, pour la rendre potable, <a href="https://aida.ineris.fr/reglementation/instruction-gouvernement-050220-relative-a-protection-ressources-eau-captages">coûte entre 500 millions d’euros et 1 milliard d’euros par an à l’État</a>. Or, ce que le consommateur ne paie pas au supermarché, le citoyen le paie avec ses impôts. Le rapport parlementaire évoqué plus haut ne dit pas autre chose : la socialisation des coûts et la privatisation des bénéfices liés aux pesticides ne sont plus tolérables.</p>
<h2>Le bio, impensé de la politique agricole française</h2>
<p>Une évidence s’impose alors : il semblerait logique que l’État appuie massivement cette filière en vue de réduire les coûts pour les exploitants bio et ainsi le prix pour les consommateurs de produits bio. En effet, cette filière offre des garanties en matière de souveraineté alimentaire à court et long terme, permet de protéger l’eau et la santé des Français, est créatrice d’emplois en France. Il n’en est pourtant rien, bien au contraire.</p>
<p>L’État a promu le label Haute valeur environnementale (HVE), dont l’intérêt est très limité, <a href="https://professionnels.ofb.fr/fr/doc/evaluation-performances-environnementales-certification-haute-valeur-environnementale-hve-dans">comme révélé par l’Office français de la biodiversité</a> (OFB). L’enjeu semble surtout être de permettre aux agriculteurs conventionnels de toucher les aides associés au plan de relance et à la nouvelle PAC, au risque de créer une <a href="https://www.biofil.fr/actualites-nationales/label-hve-le-conseil-detat-saisi-pour-tromperie/">concurrence déloyale vis-à-vis des agriculteurs bio</a>, d’autant plus que les aides publiques au maintien de l’agriculture biologique ont été supprimées en 2023.</p>
<p>La décision récente de l’État de retirer son projet de taxe sur l’usage des pesticides créé aussi, <em>de facto</em>, un avantage comparatif pour le conventionnel vis-à-vis du bio. Enfin, rappelons que la Commission européenne a pointé à plusieurs reprises que la France était le seul pays européen à donner <a href="https://agriculture.ec.europa.eu/document/download/df01a3c7-c0fb-48f1-8eca-ce452ea4b8c2_en?filename=agri-market-brief-20-organic-farming-eu_en.pdf">moins de subventions par unité de travail agricole aux céréaliers bio qu’aux conventionnels</a>.</p>
<p>Ainsi, un céréalier bio français reçoit un tiers de subventions en moins par unité de travail agricole qu’un céréalier conventionnel, alors qu’en Allemagne ou en Autriche, il recevrait 50 % de subventions supplémentaires. En France, l’État renonce aux taxes sur les pesticides tout en maintenant des charges sociales élevées sur le travail agricole, alors que c’est évidemment l’inverse dont aurait besoin la transition agroécologique.</p>
<p>Que peuvent faire les citoyens au regard de ce constat déprimant ? Consommer des produits bio malgré tout, et trouver des moyens de les payer moins cher, grâce par exemple à la vente directe et à des dispositifs tels que les <a href="https://theconversation.com/les-amap-leconomie-collaborative-les-pieds-sur-terre-68318">AMAP</a> qui permettent de réduire le coût du transport, de la transformation et de la distribution tout autant que le gâchis alimentaire, les variabilités de la production étant amorties par la variabilité du contenu du panier.</p>
<p>Les agriculteurs engagés pour la transition écologique, de leur côté, peuvent réduire les risques associés aux variabilités naturelles et économiques en créant de nouvelles formes d’exploitations coopératives combinant plusieurs activités complémentaires : élevage, culture, transformation, conditionnement et distribution peuvent être organisés collectivement pour mutualiser les coûts et les bénéfices, mais aussi se réapproprier une part significative de la chaîne de valeur laissée aujourd’hui au monde de l’agro-industrie et de la grande distribution.</p>
<p>Il ne s’agit pas d’une utopie. De nombreux acteurs essaient de faire émerger, malgré les résistances institutionnelles, ces nouvelles pratiques permettant de garantir la souveraineté alimentaire de la France à long terme.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220560/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Harold Levrel est professeur d'économie écologique à AgroParisTech</span></em></p>La souveraineté alimentaire est régulièrement invoquée pour justifier le productivisme agro-alimentaire. Une vision restrictive qui ignore bon nombre des services écosystémiques rendus par la nature.Harold Levrel, Professeur, économie de l’environnement, AgroParisTech – Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2162882023-11-01T17:16:34Z2023-11-01T17:16:34ZLa transition énergétique reste conditionnée à la souveraineté industrielle en Europe<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/555583/original/file-20231024-17-8f00na.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C22%2C1066%2C695&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le coût de production des panneaux photovoltaïques a été divisé par 10&nbsp;ans 10&nbsp;ans.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Parc_de_centrales_solaires_photovolta%C3%AFques_de_la_Colle_des_M%C3%A9es#/media/Fichier:Panneaux_PhotV_Les_M%C3%A9es.JPG">Christian Pinatel de Salvator/Wikimedia commons</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>L’objectif de souveraineté technologique s’impose de plus en plus à tout pays dit « moderne » ou s’en réclamant. Cette « capacité d’un État à développer l’accès et fournir aux citoyens et entreprises les <a href="https://www.isi.fraunhofer.de/content/dam/isi/dokumente/publikationen/technology_sovereignty.pdf">technologies dont ils ont besoin</a> », pour reprendre la définition de l’institut allemand Fraunhofer, est en effet censée favoriser la croissance de son économie et renforcer son autonomie stratégique.</p>
<p>En matière de politique énergétique, cette souveraineté technologique doit alors intégrer et faciliter l’atteinte de <a href="https://theconversation.com/guerre-en-ukraine-50-ans-apres-un-choc-energetique-de-lampleur-des-chocs-petroliers-178627">trois objectifs souvent opposés entre eux</a>. On parle alors de <a href="https://trilemma.worldenergy.org/">« trilemme énergétique »</a> que l’on peut résumer de la manière suivante :</p>
<ul>
<li><p><strong>Sécurité</strong>, pour garantir un approvisionnement fiable des besoins, en limitant les dépendances à des pays ou sociétés fournisseurs externes trop dominantes.</p></li>
<li><p><strong>Compétitivité</strong>, pour garantir l’accès à tous et sur longue période à une énergie abondante et bon marché.</p></li>
<li><p><strong>Environnement</strong>, afin de limiter les émissions de gaz à effet de serre (GES) et pollutions liées à la production et consommation d’énergie dans les différents secteurs de l’économie (énergie, industrie, transport, bâtiment, etc.).</p></li>
</ul>
<p>Les politiques pour atteindre la souveraineté technologique doivent ainsi permettre de décarboner l’économie, tout en garantissant l’accès à une énergie bon marché et en limitant les dépendances extérieures.</p>
<p>Comment faire ? Pour répondre à cette question, il s’agit d’abord de rappeler le contexte. Ces 10 dernières années, les politiques européennes de transition énergétique ont favorisé un développement rapide et étendu de <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=CELEX%3A52023PC0161">l’accès aux technologies favorables à la transition énergétique</a>, principalement dans les « nouvelles » énergies renouvelables (solaire photovoltaïque et éolien en tête, et plus récemment sur les batteries lithium-ion pour véhicules électriques). Cet essor a été notamment favorisé par le marché unique européen, <a href="https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php?title=Renewable_energy_statistics">accélérateur du libre-échange international</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/batteries-lue-cherche-lequilibre-entre-ouverture-aux-marches-et-souverainete-technologique-210005">Batteries : l’UE cherche l’équilibre entre ouverture aux marchés et souveraineté technologique</a>
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<p>Or, les politiques d’innovation technologique menées n’ont pas permis (à l’exception notable de l’éolien, néanmoins menacé) le développement d’un accès élargi à des technologies d’origine européenne, souvent bien <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/energie-environnement/panneaux-solaires-le-cri-dalarme-des-derniers-producteurs-europeens-1980112">moins compétitives que celles importées d’Asie</a>, Chine en tête. Ainsi, ce développement s’est appuyé sur des technologies importées sous forme d’équipements fabriqués en masse en Asie, Chine en particulier, qui a nettement renforcé la dépendance technico-économique de l’UE, en particulier sur le <a href="https://www.bruegel.org/analysis/cleantech-manufacturing-where-does-europe-really-stand-0">solaire photovoltaïque et les batteries pour véhicules électriques</a>.</p>
<h2>Une opportunité de réindustrialisation</h2>
<p><a href="https://www.washingtonpost.com/business/energy/2023/03/18/climate-change-europe-s-green-policy-will-hurt-its-energy-security/e3e914f4-c600-11ed-82a7-6a87555c1878_story.html">Pourquoi, dès lors, ne pas se contenter d’importer ces technologies d’Asie</a>, Chine en particulier, l’industrie de masse probablement la plus efficace au monde ? Deux arguments principaux peuvent être opposés ici : d’abord, pouvoir limiter le danger, ou risque de surdépendance économique et politique à un pays pas forcément « ami », avec des ambitions de domination mondiale comme pour la Chine. Cet objectif de leadership justifie un besoin évident de diversification en matière de fournisseurs, dont des productions en partie localisées au sein de l’UE.</p>
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<p>En outre, la crise du gaz née de l’invasion russe en Ukraine en février 2022 a bien démontré la réalité du <a href="https://www.connaissancedesenergies.org/afp/climat-le-gaz-naturel-energie-de-transition-ou-fausse-solution-191122">risque d’approvisionnement sur une énergie primaire</a> (dite « de transition » parfois), potentiellement démultiplié sur les technologies de la transition énergétique. Il s’agit donc d’investir en Europe pour limiter ce risque de dépendance énergétique tout en sécurisant et diversifiant l’approvisionnement en métaux rares, <a href="https://www.usinenouvelle.com/article/les-technologies-vertes-une-industrie-de-630-milliards-de-dollars-par-an-en-2030-a-reconquerir.N2085921">essentiels pour les technologies de transition énergétique</a>. Dit autrement, de payer une « assurance industrielle » pour réduction du risque de souveraineté énergétique en Europe.</p>
<p>Deuxièmement, la transition énergétique peut constituer une formidable opportunité de réindustrialisation pour favoriser la croissance d’activités et d’emplois à valeur ajoutée élevée, comme l’ont bien compris <a href="https://www.usinenouvelle.com/article/aux-etats-unis-le-plan-energies-renouvelables-fait-decoller-les-investissements.N2038572">Américains</a> et <a href="https://www.banquemondiale.org/fr/news/press-release/2022/10/12/china-s-transition-to-a-low-carbon-economy-and-climate-resilience-needs-shifts-in-resources-and-technologies">Chinois</a>, et en totale cohérence avec l’objectif premier de souveraineté technologique.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1566773621464391683"}"></div></p>
<p>Ainsi concilier souveraineté technologique et transition énergétique exige de réintroduire davantage de politique industrielle européenne.</p>
<h2>Un besoin élevé d’investissement</h2>
<p>Cette exigence apparaît en outre d’autant plus cruciale que la transition énergétique repose essentiellement sur des technologies matures fortement industrialisées. Plus que des technologies « de pointe », la transition énergétique repose en effet sur des équipements qui doivent être fabriqués à grande échelle, ce qui permettra de les rendre plus accessibles en faisant baisser les coûts de production.</p>
<p>On a en effet clairement observé ces effets des volumes sur les prix ces dernières années dans le développement du solaire photovoltaïque et des batteries lithium-ion au niveau mondial. Dans les deux cas, le coût de production des équipements pour produire un watt a été divisé environ par 10 ans en 10 ans tandis que les capacités de production étaient de leur côté multipliées par 10.</p>
<p><iframe id="wqWsd" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/wqWsd/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p><iframe id="pbDCg" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/pbDCg/3/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p><iframe id="eN7qW" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/eN7qW/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p><iframe id="f3wvS" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/f3wvS/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Ainsi, l’innovation nécessaire semble de l’ordre de l’« incrémentale » (par touches successives) plus que « de rupture », ce qui <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0301421518305901">nécessite des investissements élevés</a> et stables sur long terme que seule une politique industrielle peut assurer.</p>
<p>À noter que le pilotage de la transition et management de l’énergie à base de numérique et service, en lien avec l’évolution des réseaux vers plus de flexibilité (« smart grids »), <a href="https://agirpourlatransition.ademe.fr/entreprises/demarche-decarbonation-industrie/agir/structurer-demarche/mettre-en-place-systeme-management-energie">échappent à cette contrainte industrielle</a>, avec d’importants atouts européens à valoriser (réseaux, industrie et régulations).</p>
<p>Au bilan, concilier souveraineté technologique et transition énergétique exige de réintroduire davantage de politique industrielle de l’UE, sans pour autant abandonner les avantages de son marché unique. C’est pourquoi les grands groupes industriels privés, Européens en priorité, sont incités aujourd’hui à participer directement au développement d’une industrie européenne de la transition énergétique, notamment <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-les-airbus-de-ceci-ou-de-cela-nouvelle-generation-1346507">sous forme d’alliances</a>. Cette capacité à attirer et sécuriser davantage les financements privés de long terme, font partie des <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/10/23/energies-renouvelables-ce-sont-les-etats-unis-qui-vont-probablement-encore-gagner-la-course_6057105_3232.html">bases d’une nouvelle politique industrielle européenne</a>.</p>
<p>En mars dernier, la Commission européenne a fait un pas supplémentaire en ce sens en adoptant le projet <a href="https://single-market-economy.ec.europa.eu/publications/net-zero-industry-act_en">« Net-zero Industry Act »</a> (NZIA), en réaction aux politiques protectionnistes entrées en vigueur aux États-Unis avec <a href="https://theconversation.com/linflation-reduction-act-americain-un-danger-pour-la-production-automobile-hexagonale-204417">l’Inflation Reduction Act</a>. Une preuve qu’à Bruxelles, les dirigeants européens ont parfaitement compris que la transition énergétique irait de pair avec la souveraineté technologique et industrielle.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216288/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fabrice Arroyo ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le développement de technologies comme le solaire photovoltaïque ou les batteries lithium-ion repose actuellement sur une dépendance économique européenne vis-à-vis de l’Asie.Fabrice Arroyo, Responsable Mastère Énergie, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2143282023-10-08T17:15:09Z2023-10-08T17:15:09Z« PSPP », l’étoile montante de la politique québecoise<p>Lundi 2 octobre, au Québec, une élection législative partielle, dans la circonscription de Jean-Talon, a vu une <a href="https://www.ledevoir.com/politique/quebec/799195/election-partielle-jean-talon-resultats">nette victoire du Parti québécois</a> (PQ), favorable à l’indépendance. Ce scrutin a constitué un test pour l’étoile montante du paysage politique québécois, <a href="https://www.noovo.info/nouvelle/cest-un-vote-qui-est-un-avertissement-tres-serieux-a-la-caq-dit-pspp.html">Paul Saint-Pierre Plamondon, dit « PSPP »</a>, chef du PQ depuis 2020 et député à l’Assemblée nationale du Québec depuis 2022. Dans le présent article, j’applique la matrice de la réussite, un de <a href="https://www.pressesdesmines.com/produit/le-nouvel-heroisme/">mes objets de recherche depuis une dizaine d’années</a>, au cas PSPP.</p>
<p>PSPP ne dispose encore que d’un poids modeste, puisque son parti – qui est présent uniquement sur la scène politique québécoise, l’indépendance du Québec étant défendue au niveau fédéral par une autre formation, le Bloc québécois – avait jusqu’ici trois députés à l’Assemblée nationale du Québec, qui en compte 125. Avec l’élection de Pascal Paradis dans la circonscription de Jean-Talon, il en aligne désormais quatre. Bien loin de la majorité. Cependant, d’après les critères de la <em>matrice de la réussite</em>, son potentiel est remarquable. PSPP sature déjà tous les critères qui forgent l’image du « héros-leader » dans nos sociétés contemporaines, sujet sur lequel j’ai publié des articles de recherche au <a href="https://journals.openedition.org/communication/4854">Québec</a> et aux <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10551-016-3063-4">États-Unis</a>, ainsi qu’un livre en <a href="https://www.pressesdesmines.com/produit/le-nouvel-heroisme/">France</a>.</p>
<p>J’examine successivement ces sept critères de la <em>matrice de la réussite</em>. Je les aborde, pour les six premiers, par paires de critères en tension entre eux : être (1) dans le cadre et (2) faire voler le cadre en éclats ; (3) dans la coopération et (4) dans la compétition ; (5) un grand acteur habile à jouer sur les signes extérieurs et (6) fortement branché sur son intériorité, son authenticité. Le septième critère, qualifions-le de « méta », au-delà des six autres, est (7) de montrer une aisance au milieu des paradoxes et de savoir leur donner du sens.</p>
<h2>1. Être dans le cadre, solide sur ses objectifs</h2>
<p>PSPP défend une <em>mission</em>. C’est le service minimum du leadership : avoir un projet clair, partageable avec les autres. Rien de très original, mais encore faut-il y parvenir, ce qui n’est pas toujours évident quand le paysage est complexe, ce qui est le cas ici. Pour PSPP, l’objectif est le renouveau du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_du_mouvement_ind%C3%A9pendantiste_qu%C3%A9b%C3%A9cois">mouvement indépendantiste au Québec</a> et son aboutissement à un État québécois indépendant.</p>
<p>Il l’énonce vers le milieu des années 2010, justifiant son action par l’idée qu’« à moyen terme, la question de l’indépendance du Québec reviendrait en force ». La proposition est de « faire de l’indépendance la locomotive du parti ».</p>
<p>La mission est de <a href="https://www.journaldequebec.com/2020/08/23/rebatir-le-camp-du-oui--la-survie-du-quebec-passe-par-lindependance"><em>Rebâtir le camp du oui</em></a>, titre de son livre paru en 2020 : un « oui » à l’indépendance clairement assumé. L’enjeu est « l’accession à l’indépendance », plus encore que la « prise de pouvoir » qui, dit-il en 2020, n’est qu’un « enjeu complémentaire ».</p>
<p>La franchise de l’énoncé programmatique fait partie de la stratégie : « parler sans détour de la cause qui nous anime » est le registre privilégié. Il recommande à son camp d’« être transparent quant à ce qu’on pense véritablement ».</p>
<h2>2. Faire voler les cadres en éclats, oser nager à contre-courant</h2>
<p>PSPP se distingue par une aptitude forte à la <em>divergence</em>. C’est une autre clé du leadership cherchant à s’affirmer : se faire remarquer en innovant par rapport à la norme.</p>
<p>Plusieurs aspects de sa personnalité et de ses initiatives alimentent ce récit de manière éclatante. Il y a le coup le plus visible, qui restera en mémoire : <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1923814/paul-st-pierre-plamondon-pq-refus-serment-roi-demande">il refuse de prêter allégeance au roi d’Angleterre</a> au moment de son accession au Parlement en 2022. Il restera le premier député de l’histoire québécoise, et canadienne, à ne pas prêter serment au roi.</p>
<p>La règle est pourtant sans ambiguïté : selon la constitution, si vous ne prêtez pas serment, vous n’avez pas le droit de siéger. Avec les deux autres députés du PQ, il doit, physiquement, rebrousser chemin devant la porte d’entrée du Parlement, gardée par une huissière. La provocation est magistrale. À noter que, en décembre 2022, suite à cet épisode, l’Assemblée nationale a <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1940108/assemblee-nationale-abolition-serment-roi-deputes-pq">aboli l’obligation pour les députés québécois de prêter serment au roi</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/1LlK8_CY3jM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<h2>3. Privilégier la coopération, construire avec les autres</h2>
<p>PSPP se signale par une recherche constante d’<em>entente</em>. Pas de polémique inutile, pas de stratégie de la controverse, pas de scandale : l’inverse d’un Trump.</p>
<p>Même lors de l’épisode de la non-prestation de serment au Parlement, politesse et mesure guident les députés concernés. C’est d’autant plus remarquable qu’ils pourraient facilement faire de cet événement et, plus généralement, de leur action pour l’indépendance du Québec, un cheval de bataille qu’ils évoqueraient à hauts cris.</p>
<p>Or, sans arrogance et sans esclandre, PSPP maintient le cap de la coopération, à l’œuvre par exemple lorsqu’il salue les autres partis que le sien, ouvrant sans doute la voie à de futures coalitions : « Bravo aux autres chefs de s’être tenus debout pour leurs convictions. » Il répète à l’envi qu’il fait primer le commun sur les différences, bien que, par ailleurs, on l’a vu avec le critère (2) précédent, il est engagé dans une stratégie de la différenciation : il faut bien voir – je ne le rappellerai jamais assez – que c’est en jonglant avec des critères en tension entre eux, dans un <em>équilibre précaire</em>, que le profil de réussite se parachève.</p>
<h2>4. Ne pas avoir peur du rapport de forces</h2>
<p>Pour autant, PSPP ne rechigne pas à la <em>compétition</em>. Les sujets de discorde sont mis sur la table sans ambages, notamment la difficile <a href="https://www.lapresse.ca/debats/opinions/2021-04-17/cohabitation-cote-a-cote-ou-anglicisation-coast-to-coast.php">cohabitation entre le français et l’anglais</a>, avec, à l’horizon, ni plus ni moins qu’une question de « survie linguistique et culturelle » pour le Québec francophone.</p>
<p>Placer le débat sur le terrain de la survie veut dire, très explicitement, que la compétition est <em>à mort</em>. La coopération, oui – cf. le critère (3) ci-dessus – mais sans aucun angélisme. PSPP et le PQ ne se censurent pas pour qualifier le problème, avançant des arguments juridiques, culturels, éthiques, organisationnels, donc complexes et intriqués. Le point décisif est que, pour eux, le pronostic vital est engagé, ce dont ils auront à convaincre, dans le futur, de nouveaux électeurs et électrices pour progresser.</p>
<p>Remarquons que le registre de la lutte à mort, de la lutte tragique, est présent. Par exemple, PSPP défend l’idée que, entre le niveau fédéral canadien et le niveau provincial québécois, « il y a un gouvernement de trop », ou qu’« une véritable gouvernance environnementaliste implique de pouvoir se détacher des choix polluants du Canada. Cela implique donc que le Québec devienne un pays ». Sur cette base, il n’est pas étonnant que les campagnes se déroulent avec « énormément de pression ».</p>
<h2>5. Être un grand acteur, habile à jouer sur les signes extérieurs</h2>
<p>PSPP, comme tout leader politique aujourd’hui dans nos sociétés démocratiques, doit assumer, en public, une dimension de <em>rôle</em>. Il est à l’aise dans les médias, et passe très bien à la télévision et à la radio. Il a d’ailleurs lui-même animé une émission de radio et tenu des chroniques à la télévision pendant des années.</p>
<p>Le leader du PQ sait, et théorise en professionnel, que « la politique est une question d’images autant que d’idées, et celui ou celle qui incarne un mouvement politique joue pour beaucoup »… et « joue beaucoup », pourrait-on ajouter en se référant à <a href="https://www.cairn.info/la-sociologie--9782912601858-page-79.htm">Erving Goffman</a>, le grand sociologue de la mise en scène de soi qui a montré que la moindre de nos interactions en société a une dimension théâtrale.</p>
<p>Autour de PSPP, tout un imaginaire est en train de se bâtir à partir de narrations (<em>storytelling</em>) et de symboles qui frappent. Avec ses deux autres collègues élus du PQ au Parlement, ils étaient <a href="https://www.lapresse.ca/actualites/politique/2022-10-21/assermentation-du-pq/les-trois-mousquetaires-sentent-qu-ils-ont-des-bases-solides.php">« les trois mousquetaires »</a>. Ils seront désormais, le destin le voulait, « les quatre mousquetaires », ce qui colle bien à leur image de rebelles, fortes têtes, et en même temps courageux pour servir des causes qui les dépassent.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1665010529440505857"}"></div></p>
<h2>6. Être une personne complète, avec son corps, ses sentiments et ses émotions</h2>
<p>PSPP est au contact de son <em>intériorité</em>. Ce point est essentiel à articuler avec le point (5). Aujourd’hui, pas de grand acteur sans implication forte de l’intériorité. Pas de signe extérieur efficace qui ne soit rendu crédible par une dose d’énergie intérieure. En même temps qu’il se montre très pointu pour maîtriser les signes extérieurs, l’acteur moderne est branché sur sa sensibilité, ses émotions, ses mouvements intérieurs. Le jeu doit être vivant, juste, authentique, personnel. Le public doit y croire : c’est la leçon d’un siècle d’école russo-américaine du jeu d’acteur, via <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782070707058-le-travail-a-l-actors-studio-strasberg-l/">l’Actors Studio</a>, Stanislavski et Strasberg en référents de la Méthode – contre, soit dit en passant, l’école française (Diderot et le <a href="https://editions.flammarion.com/paradoxe-sur-le-comedien/9782080711311">paradoxe sur le comédien</a>).</p>
<p>La pure extériorité, non seulement ne suffit pas, mais se retourne contre l’émetteur aussitôt que le public sent le conventionnel, la recette mécanique, la désincarnation, le faux. Les registres varient : mettre ses tripes à l’air, se noyer dans l’introspection, annoncer une confidence, une valeur intime, ne pas tricher avec ce qu’on est, avoir des imperfections qui échappent, distiller la vérité de sa propre vie…</p>
<p>Pour PSPP, un registre qui lui échappe fréquemment est d’être ému aux larmes, comme, par exemple, un <a href="https://www.noovo.info/video/paul-st-pierre-plamondon-est-emu-devant-ses-militants.html">jour d’élection où il attend, devant les caméras, les résultats</a>. Il a sa fille dans ses bras, la berce. Il commence à parler devant un petit groupe, et, d’un seul coup, il s’interrompt, il a un début de sanglot, il enfouit son visage contre l’épaule de sa fille, les larmes emplissent ses yeux. Dans le public, le signe est interprété bizarrement par deux personnes qui partent d’un rire sonore. PSPP confie, de manière presque inaudible, comme pour s’excuser, ou donner la clé de son hoquet : « Je suis émotif, mais… », pause, puis il se reprend et continue son discours.</p>
<h2>7. « Paul Saint-Pierre Paradoxal ». Montrer une aisance au milieu des injonctions en tension et savoir leur donner du sens</h2>
<p>PSPP sait naviguer parmi les <em>paradoxes</em>. Ce septième critère de réussite est « méta », car il englobe les critères précédents. Il condamne au funambulisme, dans un équilibre précaire entre plusieurs sources de contradictions. Un journaliste ne s’y trompe pas qui décerne à PSPP le surnom de <a href="https://www.journaldequebec.com/2020/10/15/paul-st-pierre-paradoxal">« Paul Saint-Pierre Paradoxal »</a>.</p>
<p>Comme pour tout paradoxe, soit la contradiction vous brise et le dilemme vous épuise ; soit vous en sortez par le haut, vous vous adressez à un spectre plus large de la réalité et en tirez votre énergie. Plusieurs paradoxes sont particulièrement actifs dans le cas de PSPP. Je n’évoquerai ici que celui qui tourne autour de la dialectique ordre/désordre, sur l’axe <em>mission/divergence</em> de la <em>matrice de la réussite</em>. Le désordre est difficile à évacuer d’un projet de sécession qui s’assume. L’aventure de l’indépendance peut attirer pour les opportunités qu’elle crée, mais elle peut aussi faire peur. L’ordre, PSPP le revendique fortement. Dans son livre, il détaille le budget de sa première année au pouvoir et sa feuille de route des 100 premiers jours, afin de répondre à « la stratégie de la peur économique » souvent opposée au projet souverainiste par ses adversaires.</p>
<p>Avec cette capacité à marcher en <em>équilibre</em> sur un chemin de crête, PSPP semble disposer des capacités nécessaires pour rassembler. S’il peut faire progresser le « camp du oui » en incluant des sensibilités divergentes, mises en dialogue, rien ne permet encore, évidemment, de prédire la victoire ultime : l’histoire du « Québec libre » reste à écrire. Mais l’élection de Pascal Paradis à Jean-Talon est peut-être le signe qu’une dynamique s’est enclenchée…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214328/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olivier Fournout ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le leader du Parti québecois coche toutes les cases de la « matrice de la réussite », un concept développé pour évaluer les chances de succès des personnalités politiques.Olivier Fournout, Maître de conférence HDR, département Sciences économiques et sociales, chercheur à l’Institut Interdisciplinaire de l’Innovation (CNRS), Télécom Paris – Institut Mines-TélécomLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2105032023-07-31T16:18:39Z2023-07-31T16:18:39ZUnion européenne et marché de l'électricité : des principes à revoir pour rester compétitive<p>La modification du contexte géopolitique et la perspective d’un monde moins ouvert ont remis sur le devant de la scène le concept de <a href="https://theconversation.com/batteries-lue-cherche-lequilibre-entre-ouverture-aux-marches-et-souverainete-technologique-210005">souveraineté</a>. <a href="https://theconversation.com/topics/reindustrialisation-86098">Relocaliser</a> de nombreuses <a href="https://theconversation.com/topics/industrie-21143">productions industrielles</a>, considérées comme stratégiques (molécules pharmaceutiques ou chimiques, semi-conducteurs, construction automobile, voire certaines matières premières comme le lithium par exemple) fait partie de l’agenda public. Les groupes industriels concernés ne seront cependant enclins à rapatrier leur production que dans la mesure où les investissements permettent de rester <a href="https://theconversation.com/topics/competitivite-21451">compétitif</a> sur leurs marchés.</p>
<p>Stabilité de l’environnement règlementaire, qualité des infrastructures, niveau d’éducation de la population, possibilité de disposer de subventions, tous ces paramètres entrent en ligne de compte au moment de prendre pareille décision. D’autres facteurs sont de nature plus économique, parmi lesquels, dans le cas précis de l’industrie, le coût de l’<a href="https://theconversation.com/topics/electricite-23762">électricité</a> et sa maîtrise sur le long terme.</p>
<p>La France et l’Allemagne l’avaient bien compris en optant chacun pour une solution garantissant sur plus de 20 ans, des prix bas de l’électricité via la construction du parc électro nucléaire en France et l’accès au gaz russe en Allemagne. Cet équilibre a été brutalement rompu par le déclenchement de la guerre en Ukraine.</p>
<p>Or, le conflit ne semble pas une simple parenthèse : deux tendances de fond sont en effet d’ores et déjà à l’œuvre. D’une part, la transition écologique accélérée dans laquelle s’est engagée l’<a href="https://theconversation.com/topics/union-europeenne-ue-20281">Europe</a> va entrainer une <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/energie-environnement/pourquoi-la-demande-delectricite-devrait-exploser-dici-a-2050-1358134">hausse de 35 % environ de la demande au-delà de 2030</a>, ce qui suppose à la fois une augmentation des capacités, le passage à une production décarbonée, et une adaptation du réseau de transport.</p>
<p>D’autre part, les concurrents économiques de l’Europe investissent massivement pour garantir la compétitivité de leurs industries. Les États-Unis ont, par exemple, opté pour l’option la plus simple qui consiste à attribuer des subventions massives, dans le cadre notamment de <a href="https://theconversation.com/inflation-reduction-act-comment-lunion-europeenne-peut-elle-repondre-aux-incitations-fiscales-americaines-201425">l’<em>Inflation Reduction Act</em></a>. Pour rester dans le jeu, l’Union européenne est donc aujourd’hui contrainte de réagir.</p>
<h2>Plusieurs composantes de prix</h2>
<p>Plusieurs facteurs déterminent le prix de l’électricité. Une partie a trait aux infrastructures. On note, par exemple, un effet d’expérience en cas de passage du prototype à un ensemble d’unités. Dans le cas des réacteurs pressurisés européens (EPR), l’Ademe estime le coût du mégawattheure à <a href="https://www.europeanscientist.com/fr/opinion/nucleaire-vs-eolien-offshore-quest-ce-qui-coute-le-moins-cher/">110-120 euros pour le seul site de Flamanville</a>, susceptible d’être ramené à 70 euros à compter de la 4<sup>e</sup> unité mise en service.</p>
<p>L’innovation intervient également. Par exemple, l’évolution technologique des éoliennes a permis de multiplier leur puissance par 60 entre 1985 et 2015. Il en résulte une baisse régulière du prix de production moyen de <a href="https://www.connaissancedesenergies.org/etat-des-lieux-du-marche-de-leolien-offshore-220218">130-190 euros en 2000 à 60-110 euros actuellement</a>.</p>
<p>Outre le coût des matières premières, l’état de santé financière des opérateurs joue également. Ce sont néanmoins des évolutions de nature fiscale qui ont le plus fait varier le prix du mégawattheure au cours de la dernière décennie.</p>
<p><iframe id="8H6i6" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/8H6i6/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>À 15 ans, les <a href="https://www.europarl.europa.eu/ftu/pdf/fr/FTU_2.1.9.pdf">différents scénarios</a> anticipent une accélération de la croissance de la demande en électricité résultant d’une part de la transition énergique (habitat, transport) et d’autre part de la relocalisation industrielle. De là résulterait une inadéquation durable entre l’offre et la demande compte tenu des incertitudes inhérentes au déploiement des nouvelles infrastructures (en termes de coûts et de délais), d’autant plus que la transition énergétique requiert principalement de l’électricité décarbonée.</p>
<h2>Limiter la volatilité</h2>
<p>Ces scénarios laissent anticiper à la fois une hausse tendancielle des prix mais également une forte augmentation de la volatilité. Mettre en place les conditions d’une offre d’électricité durablement compétitive suppose donc de maîtriser ces deux risques.</p>
<p>Une faible volatilité des prix permet aux producteurs de pouvoir garantir sur le très long terme le remboursement des dettes destinées à financer les infrastructures. Il s’agirait donc d’une invitation à investir, notamment pour une transition verte. Pour les clients consommateurs, cela permet de mieux prévoir et donc de maîtriser leurs dépenses.</p>
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<p>Pour la limiter, plusieurs options sont ouvertes : diversifier le mix de production en faveur des capacités dont la part de coût variable est la plus faible possible, développer des solutions de « stockage » de l’électricité, ou surdimensionner la capacité de production par rapport à la demande attendue. Toutes ont en commun une mise en œuvre longue et complexe, et le risque d’accroitre sensiblement les coûts de production. La meilleure solution consiste donc à améliorer les mécanismes du marché actuel, en particulier avec le développement sa composante à long terme (maturités supérieures à 2 ans)</p>
<h2>Deux postulats à revoir</h2>
<p>Pour ce qui est du niveau des prix, deux aspects nous paraissent source de réflexion. Le premier a trait à l’<a href="http://ses.ens-lyon.fr/articles/une-analyse-de-la-politique-europeenne-de-la-concurrence-i-du-traite-de-rome-au-marche-unique">ouverture à la concurrence</a>, impulsée par une directive de 1996. Le postulat consiste à considérer qu’une concurrence accrue présente un impact positif sur les prix à long terme. Il a poussé à réduire la position des opérateurs historiques pour faire place à de nouveaux entrants. En France, par exemple, avec <a href="https://theconversation.com/electricite-pourquoi-une-telle-flambee-des-prix-malgre-louverture-a-la-concurrence-183751">« l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique »</a> (Arenh), les concurrents d’EDF peuvent accéder à la rente issue de la production des centrales nucléaires à des conditions fixées par l’administration.</p>
<p>Le bilan s’avère globalement négatif. En premier lieu, l’évolution du prix moyen de vente du mégawattheure à l’industrie en Europe depuis 1991 démontre qu’il n’y a pas de relation significative entre niveau de la concurrence et prix, puisque ce dernier reste avant tout conditionné par des facteurs de nature conjoncturelle. Ensuite, en cas de crise, la volatilité est hors de contrôle. Enfin, la situation financière de l’opérateur historique est fortement pénalisée et handicape d’autant sa capacité à investir.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1552641963983265792"}"></div></p>
<p>L’autre postulat suppose une optimisation de la capacité de production, donc que la réponse à une demande supplémentaire provienne de la dernière unité mise en production – en l’espèce pour des raisons techniques, des centrales thermiques et soit donc valorisée sur la base du coût marginal de cette dernière unité. Or c’est justement ce mode de calcul qui est à l’original de l’envolée du prix du mégawattheure et de l’explosion de la volatilité. Il convient donc de mettre en œuvre un autre mode de calcul à défaut de quoi le coût de la volatilité viendra gonfler de manière disproportionnée, l’inflation induite par la hausse de la demande.</p>
<h2>Pour une rémunération au coût réel</h2>
<p>Parmi les solutions envisageables, outre les changements relatifs à l’organisation de la production décrits précédemment, certains acteurs ont formulé des propositions au moment de l’invasion de l’Ukraine. Le gouvernement grec, notamment, a soumis en juillet 2022 à l’Union européenne, un modèle visant à <a href="https://www.euractiv.fr/section/energie-climat/news/les-grecs-proposent-un-nouveau-modele-de-marche-europeen-de-lelectricite/">segmenter le marché de gros en deux compartiments distincts</a>.</p>
<p>D’un côté, il y aurait les centrales à coûts marginaux faibles mais à coûts fixes élevés, produisant lorsqu’elles sont disponibles (nucléaires et énergie renouvelables). De l’autre côté, les centrales à coûts variables élevés (qui produisent à partir des combustibles fossiles), qui produiraient à la demande et contribueraient à équilibrer le marché en complément des productions évoquées précédemment. Les premières ne seraient plus rémunérées sur la base des coûts marginaux, mais recevraient un prix couvrant leur coût moyen de long terme, appelé Levelized Cost of Electricity. Le prix payé par le consommateur résulterait d’une moyenne pondérée des prix observés dans chacun des deux compartiments du marché.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/batteries-lue-cherche-lequilibre-entre-ouverture-aux-marches-et-souverainete-technologique-210005">Batteries : l’UE cherche l’équilibre entre ouverture aux marchés et souveraineté technologique</a>
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<p>Ce système présente l’avantage de rémunérer les producteurs en fonction de leur coût réel de production, plutôt que de se baser sur le coût des centrales fossiles et provoquer ainsi une baisse du coût moyen de l’électricité. De plus, en lissant les anticipations des prix futurs, elle devrait mécaniquement réduire la volatilité potentielle.</p>
<p>Voilà pourquoi, pour faire de la maîtrise du prix de l’énergie un socle de la compétitivité industrielle, il parait nécessaire de remettre en cause des postulats qui ont prévalu à l’organisation de la production sur les 20 dernières années et qui ont eu pour effet d’affaiblir les anciens monopoles sans véritable contrepartie mesurable sur le plan économique. Et ce alors que le défi de la transition énergétique passe par un effort d’investissement colossal, dont le succès repose, au-delà du cadre que nous venons de décrire, sur une parfaite coordination sur les plans technique, industriel et institutionnel. Si les acteurs privés ont leur place dans le dispositif, le rôle du maître d’œuvre sera déterminant.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210503/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Attirer des industriels requiert des prix de l’électricité stables et peu élevés, ce que la libéralisation et la tarification au coût marginal, piliers de la politique de l’UE, ne garantissent pas.Jean Pascal Brivady, Professeur, EM Lyon Business SchoolAbdel Mokhtari, Economiste, Chargé de cours, EM Lyon Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2096372023-07-17T19:21:53Z2023-07-17T19:21:53ZSemi-conducteurs : l’indépendance technologique ne se limite pas à la fabrication<p>L’industrie des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/semi-conducteurs-105633">semi-conducteurs</a> demande de lourds investissements. Le franco-italien <a href="https://www.st.com/content/st_com/en.html">STMicroelectronics</a> (ST), un des quelques fabricants européens de circuits intégrés de haute technologie, va s’associer avec <a href="https://gf.com/">Global Foundries</a>, un grand acteur international du secteur, pour étendre <a href="https://www.openstreetmap.org/?mlat=45.2691&mlon=5.8806">son usine de Crolles</a>, près de Grenoble (Isère).</p>
<p>Cette extension fait polémique en raison, d’une part, des <a href="https://www.bfmtv.com/economie/entreprises/usine-de-semi-conducteurs-a-crolles-l-etat-apportera-une-aide-de-2-9-milliards-d-euros_AD-202306050509.html">très fortes subventions publiques</a> annoncées début juin 2023 pour cette installation (2,9 milliards d’euros) et, d’autre part, de la <a href="https://www.latribune.fr/economie/france/partage-de-l-eau-des-centaines-de-manifestants-devant-une-usine-stmicroelectronics-en-isere-957470.html">consommation en eau des installations</a>. On justifie l’effort public européen dans les semi-conducteurs par l’indépendance technologique ; mais qu’en est-il vraiment ?</p>
<p>On trouve des puces électroniques non seulement dans les ordinateurs, les téléphones portables, les tablettes… mais aussi dans une très grande part des appareils qui nous entourent, de la machine à café aux automobiles en passant par les robots industriels. Le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/numerique-20824">numérique</a> est partout. <a href="https://theconversation.com/semi-conducteurs-une-penurie-appelee-a-durer-157250">Les difficultés d’approvisionnement</a> dues à la pandémie de Covid ont bien illustré notre dépendance aux fournisseurs de circuits intégrés.</p>
<h2>La conception des puces est aussi une industrie</h2>
<p>Ces puces électroniques sont produites dans des usines de haute technologie, avec un équipement très spécialisé et très coûteux. Certains de ces équipements ne sont produits que par un unique fabricant au niveau mondial, le néerlandais <a href="https://www.asml.com/en">ASML</a>. Pour produire des circuits du plus haut niveau de performance, celles pour ordinateurs et smartphones, il faut une usine – une « <em>fab</em> », disent les professionnels du secteur – à l’état de l’art, dont le coût de construction est de l’ordre de <a href="https://www.theinquirer.net/inquirer/news/3018890/tsmc-says-3nm-plant-could-cost-it-more-than-usd20bn">10 milliards de dollars</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/537057/original/file-20230712-27-8a0b55.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Vue des bâtiments du groupe néerlandais ASML à Veldhoven, aux Pays-Bas" src="https://images.theconversation.com/files/537057/original/file-20230712-27-8a0b55.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/537057/original/file-20230712-27-8a0b55.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=323&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/537057/original/file-20230712-27-8a0b55.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=323&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/537057/original/file-20230712-27-8a0b55.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=323&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/537057/original/file-20230712-27-8a0b55.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=406&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/537057/original/file-20230712-27-8a0b55.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=406&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/537057/original/file-20230712-27-8a0b55.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=406&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Vue des bâtiments du groupe néerlandais ASML à Veldhoven, aux Pays-Bas.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:20080825_Veldhoven_ASML_DSCF0349.jpg">HHahn/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Devant de tels montants d’investissement, on ne trouve plus à l’échelle mondiale que quelques fabricants, parmi lesquels le géant taïwanais <a href="https://www.tsmc.com/english">TSMC</a>, le coréen <a href="http://samsung.com/">Samsung</a>, les américains <a href="https://gf.com/">GlobalFoundries</a> ou <a href="https://www.intel.com/">Intel</a>, face auxquels ST apparaît de taille nettement plus modeste. On comprend l’enjeu stratégique de conserver en Europe de la fabrication de puces proches de l’état de l’art en performance. Toutefois, c’est avoir une vue très réductrice de cette industrie que de ne considérer que la fabrication.</p>
<p>La conception des puces est elle-même une industrie : produire le plan d’une puce demande de lourds investissements et une expertise considérable. On fait commerce de plans partiels, blocs de propriété intellectuelle (« blocs IP ») produits par des sociétés dont le britannique <a href="https://www.arm.com/">ARM</a> est sans doute la plus connue – les puces sur modèle ARM équipent la plupart des téléphones portables et sont également la base des <a href="https://www.cnetfrance.fr/news/apple-m1-focus-sur-la-puce-arm-qui-equipe-les-nouveaux-mac-39912809.htm">puces Apple des iPhone et des nouveaux Mac</a>.</p>
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<p>Cette industrie est internationale, mais largement invisible du grand public : pas d’usines, tout se passe dans des bureaux et par des échanges de fichiers. Les enjeux sont importants : lancer la fabrication d’une puce comportant des <em>bugs</em> a un coût qui, au mieux, se mesure en millions, mais peut être bien plus élevé – on évalue à 1 milliard de dollars actuels le coût pour Intel du <a href="https://korii.slate.fr/tech/intel-erreur-calcul-500-millions-dollars-pentium-1994-bug-virgule-flottante">fameux bug du Pentium en 1995</a> (cette puce calculait fausses certaines divisions).</p>
<p>Il y a même pour servir cette industrie de la conception de puces une industrie de logiciels spécialisés (conception, simulation, test, etc.), dont les acteurs sont par exemple les américains <a href="https://www.cadence.com/en_US/home.html">Cadence</a> ou encore <a href="https://www.linkedin.com/company/mentor_graphics/?originalSubdomain=fr">Mentor Graphics</a>. Signe de son caractère stratégique, cette dernière société a été rachetée par l’allemand Siemens.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/537082/original/file-20230712-25-meeok5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Photos de plusieurs iPhone" src="https://images.theconversation.com/files/537082/original/file-20230712-25-meeok5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/537082/original/file-20230712-25-meeok5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=285&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/537082/original/file-20230712-25-meeok5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=285&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/537082/original/file-20230712-25-meeok5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=285&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/537082/original/file-20230712-25-meeok5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=359&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/537082/original/file-20230712-25-meeok5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=359&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/537082/original/file-20230712-25-meeok5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=359&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les iPhone sont équipés de processeurs utilisant l’architecture du britannique ARM.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/photos/iphone-iphone-13-iphone-13-max-6884673/">Monoar Rahman Rony/Pixabay</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>On a ainsi largement découplé la conception et la fabrication des puces, à telle enseigne qu’il existe de très nombreux fabricants de puces <em>fabless</em>, c’est-à-dire qu’ils ne possèdent pas d’usine de fabrication et font fabriquer par d’autres, à l’image de TSMC. En France, c’est le cas notamment de l’isérois <a href="https://www.kalrayinc.com/">Kalray</a>, dont les puces ont maintenant un grand succès dans les centres de traitement de données. Ceci pose cependant la question de notre dépendance à l’industrie taïwanaise, avec l’épineuse question de ce qu’elle deviendrait en cas d’invasion de l’île par la Chine populaire.</p>
<h2>Le risque d’une licence extraeuropéenne</h2>
<p>Comment analyser, dans ce contexte, la subvention à ST, par rapport à l’objectif d’indépendance technologique ? La plus grande partie de l’activité de ST en matière de processeurs consiste à fabriquer des puces (<a href="https://www.st.com/en/microcontrollers-microprocessors/stm32-32-bit-arm-cortex-mcus.html">STM32</a>) sous licence ARM. Or, ARM <a href="https://nvidianews.nvidia.com/news/nvidia-and-softbank-group-announce-termination-of-nvidias-acquisition-of-arm-limited">a failli être racheté par l’américain Nvidia en 2022</a>. Il n’y aurait guère d’indépendance technologique à fabriquer en Europe des puces sous licence américaine, potentiellement soumises aux conditions de commercialisation fixées par le gouvernement américain suivant ses objectifs stratégiques.</p>
<p>La dépendance de toute l’industrie des processeurs aux <em>designs</em> de deux grands acteurs (Intel et ARM) a suscité le développement d’une architecture ouverte nommée <a href="https://riscv.org">RISC-V</a>. Tout un écosystème d’entreprises conçoit des puces RISC-V, et cette architecture reçoit l’attention tant des dirigeants européens (<a href="https://www.european-processor-initiative.eu/"><em>European processor initiative</em></a>) que chinois, pour ses promesses d’indépendance technologique. Toutefois, faute de concevoir nous-mêmes les puces, le danger serait là encore de se contenter d’être fabricant sous licence extraeuropéenne (chinoise, américaine, ou encore russe ?).</p>
<p>Si nous voulons une réelle indépendance technologique et stratégique européenne en matière de « puces », il ne faut donc pas se concentrer uniquement sur la partie fabrication, mais sur toute la chaîne de valeur, y compris la conception de puces et la conception des logiciels de conception de puces.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209637/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>En tant que chercheur, je bénéficie de subventions de l'Agence nationale de la recherche.
J'ai par le passé dirigé ou co-encadré des thèses CIFRE avec les sociétés STMicroelectronics et Kalray, mais ne conseille pas ces sociétés, ne travaille pas pour elles et n'ai plus de projets avec elles.</span></em></p>L’industrie des processeurs, outre des usines de pointe, met en jeu de lourdes activités de conception tout aussi stratégiques que la fabrication.David Monniaux, Chercheur en informatique, Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2090772023-07-09T15:29:09Z2023-07-09T15:29:09ZLa sobriété, impensé de la politique européenne sur les matériaux critiques<p>La question de la sécurisation des approvisionnements en <a href="https://theconversation.com/pourquoi-parle-t-on-de-criticite-des-materiaux-105258">matériaux critiques</a>, c’est-à-dire des matières premières essentielles à l’économie et aux technologies bas-carbone (véhicule électrique, panneaux solaires, éolien, etc.) a pris de l’ampleur ces dernières années. En juillet 2023, la <a href="https://www.lefigaro.fr/conjoncture/la-chine-verrouille-l-acces-aux-metaux-critiques-20230703">Chine a ainsi décidé</a> d’instaurer des licences d’exportation pour le gallium et le germanium, indispensables à l’industrie des semi-conducteurs.</p>
<p>Cela a donné lieu à de nouvelles législations, comme le <a href="https://single-market-economy.ec.europa.eu/sectors/raw-materials/areas-specific-interest/critical-raw-materials/critical-raw-materials-act_en"><em>Critical Raw Materials Act</em></a> (CRMA) proposé par la Commission européenne en mars 2023. Ce règlement identifie 34 matériaux considérés comme critiques pour l’UE – depuis la dernière liste réalisée en 2020, 6 ont été ajoutés (arsenic, <a href="https://theconversation.com/cuivre-quel-avenir-pour-ce-metal-essentiel-a-la-transition-energetique-119500">cuivre</a>, feldspath, hélium, manganèse et nickel) et 2 retirés (caoutchouc naturel et indium).</p>
<p>Une seconde liste de matériaux considérés comme stratégiques (SRM) a aussi été créée, comprenant les matériaux « importants pour les technologies qui contribuent à la double transition verte et numérique et aux objectifs en matière de défense et d’aérospatiale ».</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/535784/original/file-20230705-4482-6f1os7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/535784/original/file-20230705-4482-6f1os7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/535784/original/file-20230705-4482-6f1os7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=128&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/535784/original/file-20230705-4482-6f1os7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=128&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/535784/original/file-20230705-4482-6f1os7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=128&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/535784/original/file-20230705-4482-6f1os7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=161&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/535784/original/file-20230705-4482-6f1os7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=161&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/535784/original/file-20230705-4482-6f1os7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=161&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Liste des matériaux critiques et stratégiques. En gras, les matériaux ayant intégré la liste en 2023. Le cuivre et le nickel ne font pas partie des matériaux critiques mais sont considérés comme des matériaux stratégiques.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://op.europa.eu/en/publication-detail/-/publication/57318397-fdd4-11ed-a05c-01aa75ed71a1">Commission européenne, 2023</a>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>Le CRMA s’appuie sur cette nouvelle liste pour fixer quatre <a href="https://ec.europa.eu/info/law/better-regulation/have-your-say/initiatives/13597-European-Critical-Raw-Materials-Act_en">objectifs européens</a> à l’horizon 2030 en matière de production, de transformation, de recyclage et de diversification des fournisseurs. Des objectifs encore susceptibles d’évoluer à la lumière des négociations qui sont en <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2023/06/30/critical-raw-material-act-council-adopts-negotiating-position/">cours au sein du Parlement européen et du Conseil de l’UE</a>. Il est toutefois difficile d’estimer la faisabilité du chemin à parcourir pour les atteindre.</p>
<h2>Miner 10 % de la consommation</h2>
<p>Un premier problème concerne la lisibilité et la mesurabilité des objectifs de production. La proposition indique que la filière extractive européenne devra permettre de miner « au moins 10 % de la consommation annuelle de matières premières stratégiques de l’Union, dans la mesure où ses réserves le permettent ».</p>
<p>La formulation laisse entendre que l’objectif porte sur la consommation cumulée des différents SRM par les entreprises établies dans l’UE. Elle ne précise toutefois pas comment sera opéré ce calcul.</p>
<p>En effet, considérer un objectif moyen de production masque des écarts importants entre les matériaux : la Commission européenne estime ainsi dans son <a href="https://op.europa.eu/en/publication-detail/-/publication/57318397-fdd4-11ed-a05c-01aa75ed71a1">évaluation technique</a> que l’UE dépend à 48 % des importations pour le cuivre alors qu’elle est entièrement dépendante des importations de terres rares.</p>
<p>Une façon d’éviter cet écueil serait d’envisager que l’objectif est en fait d’atteindre une production européenne de 10 % pour chacun des SRM. Or un tel objectif risque de se heurter aux <a href="https://theconversation.com/relocaliser-lextraction-des-ressources-minerales-en-europe-les-defis-du-lithium-138581">limites des ressources</a> minières européennes.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/535855/original/file-20230705-29-p80i72.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/535855/original/file-20230705-29-p80i72.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/535855/original/file-20230705-29-p80i72.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=526&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/535855/original/file-20230705-29-p80i72.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=526&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/535855/original/file-20230705-29-p80i72.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=526&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/535855/original/file-20230705-29-p80i72.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=661&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/535855/original/file-20230705-29-p80i72.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=661&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/535855/original/file-20230705-29-p80i72.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=661&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Caractéristiques de matériaux stratégiques (minerais) pour l’Union européenne.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Commission européenne, 2023</span></span>
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<h2>Un temps minier très long</h2>
<p>Si l’intention est louable, l’objectif d’extraction européenne semble ainsi difficile à évaluer… et donc à atteindre. Afficher un objectif explicite devrait permettre à l’UE de stimuler les <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CONSIL:ST_8863_2023_INIT">investissements</a> dans le secteur (2 % des investissements mondiaux dans l’exploration minière sont actuellement destinés aux États de l’UE) et d’alléger et simplifier ses procédures d’autorisation, obstacles de taille au développement minier européen.</p>
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<p>Questionnons toutefois l’ampleur de l’effort que cela représente. L’horizon temporel considéré semble très limité compte tenu du <a href="https://www.iea.org/data-and-statistics/charts/average-observed-lead-times-from-discovery-to-production-for-selected-minerals-2010-2019">« temps minier » nécessairement long</a> : il s’écoule en général entre 5 à 20 ans entre l’exploration initiale et la mise en production d’un projet minier. D’autant que l’UE pâtit d’une sous-exploration flagrante de ses ressources minières.</p>
<p>Enfin, un objectif à l’échelle de l’UE risque de faire peser des contraintes différenciées sur les États membres dont les <a href="https://single-market-economy.ec.europa.eu/sectors/raw-materials/related-industries/minerals-and-non-energy-extractive-industries/metallic-minerals_en">réalités minières</a> et les problématiques d’acceptabilité sociale sont très différentes.</p>
<h2>Transformer 40 % des matériaux stratégiques consommés</h2>
<p>L’UE entend de plus renforcer sa filière de transformation des minerais en affichant un objectif de production européenne de 40 % des matériaux stratégiques consommés par l’UE d’ici à 2030.</p>
<p>L’ambiguïté méthodologique dans la définition de la consommation est la même que pour l’objectif d’extraction. S’y ajoute la difficulté à obtenir des données portant sur le taux de production actuel de minerais transformés au sein de l’UE.</p>
<p>Dans son évaluation technique, la Commission européenne calcule le taux d’indépendance aux importations de chaque minerai évalué. Sur cette base, on peut considérer que l’objectif viserait en fait à passer de 27,7 % de SRM transformés produits sur le sol européen actuellement à 40 % d’ici 2030.</p>
<p>Cette ambition est rendue possible par la séparation géographique des étapes de l’extraction et de la transformation, par le délai plus court d’installation des infrastructures de transformation et par la volonté de réduire l’empreinte carbone européenne et de faciliter la mise en œuvre du Plan industriel du Pacte vert dans lequel s’inscrit le CRMA.</p>
<h2>Coût, compétitivité, acceptabilité</h2>
<p>Cependant, l’implantation de nouvelles raffineries et fonderies au sein de l’UE se heurte à une problématique de compétitivité et de relocalisation d’industries polluantes sur le territoire européen.</p>
<p>Outre la nécessité d’importer une large part des matières premières et le coût du travail plus élevé que dans des pays concurrents, le coût des matériaux transformés sur le sol européen pâtira également des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/535856/original/file-20230705-25-uw2c6d.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/535856/original/file-20230705-25-uw2c6d.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/535856/original/file-20230705-25-uw2c6d.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=526&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/535856/original/file-20230705-25-uw2c6d.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=526&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/535856/original/file-20230705-25-uw2c6d.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=526&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/535856/original/file-20230705-25-uw2c6d.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=661&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/535856/original/file-20230705-25-uw2c6d.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=661&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/535856/original/file-20230705-25-uw2c6d.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=661&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Caractéristiques de matériaux stratégiques (raffinés) pour l’Union européenne.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Commission européenne, 2023</span></span>
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</figure>
<p>En plus des émissions de gaz à effet de serre, les activités d’extraction et de transformation ont d’importants impacts écologiques locaux, du fait de la pollution des écosystèmes et des conflits d’usage sur la consommation d’eau ou l’occupation des sols qu’elles créent. D’où l’opposition des populations locales malgré les normes exigeantes de l’UE.</p>
<h2>Une filière de recyclage loin d’être au point</h2>
<p>La Commission européenne a également pour objectif que 15 % de la consommation annuelle de matériaux stratégiques de l’UE proviennent de filières de recyclage européennes. Cela reviendrait à multiplier le <a href="https://op.europa.eu/en/publication-detail/-/publication/57318397-fdd4-11ed-a05c-01aa75ed71a1">niveau de recyclage actuel par 1,35 d’ici à 2030</a>.</p>
<p>Le recyclage des déchets miniers nécessite une collecte, un tri et un prétraitement complexe avant qu’ils puissent être transformés en matière première secondaire, autant d’étapes lourdes et coûteuses à mettre en place.</p>
<p>L’horizon temporel de disponibilité de ces déchets représente également un défi. Plusieurs matériaux sont ainsi largement et efficacement recyclés mais principalement intégrés dans des biens d’équipement à longue durée de vie : ils ne pourront être recyclés que sur le long terme.</p>
<p>En outre, l’évolution rapide des technologies des batteries agit comme un frein au développement de la filière de recyclage – les investisseurs étant réticents à se positionner sur des technologies encore incertaines.</p>
<p>À ces problématiques s’ajoutent encore celles des alliages ou des usages dispersifs des métaux, rendant plus complexe, voire impossible, leur recyclage, ou encore la question du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9cyclage">« décyclage »</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/535851/original/file-20230705-19-fzq3sn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/535851/original/file-20230705-19-fzq3sn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/535851/original/file-20230705-19-fzq3sn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/535851/original/file-20230705-19-fzq3sn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/535851/original/file-20230705-19-fzq3sn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/535851/original/file-20230705-19-fzq3sn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=532&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/535851/original/file-20230705-19-fzq3sn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=532&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/535851/original/file-20230705-19-fzq3sn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=532&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Taux de recyclage (EOL-RIR) au sein de l’Union européenne.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Commission européenne, 2023</span></span>
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</figure>
<h2>Diversifier les sources, défi complexe</h2>
<p>D’ici à 2030, l’approvisionnement de l’UE en matériaux stratégiques ne devrait pas dépendre à plus de 65 % d’un unique pays tiers, et ce pour toute étape de la chaîne de valeur du matériau. Actuellement, plus de la moitié d’entre eux dépend à plus de 65 % d’un pays extérieur à l’UE.</p>
<p>Si l’on peut espérer que l’augmentation de la production minière européenne, le développement du recyclage et la diversification des sources réduisent ces dépendances, cela s’annonce extrêmement complexe pour des matériaux dont la production est très concentrée – comme le platine, produit à 74 % par l’Afrique du Sud.</p>
<p>Diversifier ses approvisionnements en terres rares, en borates ou en niobium en quelques années représente aussi un défi de taille compte tenu des importantes dépendances actuelles de l’UE à un seul pays, respectivement la Chine, la Turquie et le Brésil.</p>
<h2>Une diplomatie minérale européenne ?</h2>
<p>Dans sa volonté de développer une diplomatie minérale, l’UE risque ainsi de se heurter à de nombreux problèmes. Elle risque d’arriver après d’autres acteurs qui ont déjà largement investi les territoires miniers depuis le début des années 2000, <a href="http://www.cepii.fr/PDF_PUB/lettre/2022/let428.pdf">comme la Chine</a>. D’autre part, la diplomatie minérale va nécessiter un volume de financement important et des acteurs miniers européens souhaitant porter cette dynamique.</p>
<p>En outre, les bouleversements géopolitiques actuels avec leurs possibles jeux d’alliances (bloc occidental contre bloc chinois) et de <a href="https://theconversation.com/metaux-strategiques-et-si-les-pays-producteurs-se-regroupaient-en-cartel-du-type-opep-194749">possibles coalitions entre producteurs miniers</a> (cartel) risquent d’exacerber les tensions sur les marchés des métaux, voire de faire apparaître des conflits liés à la compétition d’accès.</p>
<p>La compétition entre puissances et les problématiques d’acceptabilité au niveau local pourraient devenir les nouveaux maîtres mots de la géopolitique de l’énergie et des métaux.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/535791/original/file-20230705-21-s5ak77.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/535791/original/file-20230705-21-s5ak77.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/535791/original/file-20230705-21-s5ak77.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=379&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/535791/original/file-20230705-21-s5ak77.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=379&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/535791/original/file-20230705-21-s5ak77.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=379&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/535791/original/file-20230705-21-s5ak77.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=477&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/535791/original/file-20230705-21-s5ak77.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=477&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/535791/original/file-20230705-21-s5ak77.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=477&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Principaux fournisseurs de l’UE en matériaux critiques.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Commission européenne, 2023</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Et la sobriété ?</h2>
<p>Dans ce contexte, il est étonnant qu’aucune attention n’ait été portée à la question de la sobriété dans la politique européenne sur les matériaux stratégiques – la modération dans l’usage des matériaux est en effet absente des textes du CRMA.</p>
<p>Réduire la consommation de matériaux dans l’UE constitue pourtant le <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2022-4-page-43.htm">meilleur rempart</a> pour assurer l’autonomie stratégique du continent, et le contexte ukrainien le confirme.</p>
<p>Rappelons que le 3<sup>e</sup> volet du sixième rapport du <a href="https://www.ipcc.ch/report/sixth-assessment-report-working-group-3/">GIEC</a> publié en avril 2022 a mis au cœur de la lutte contre le changement climatique les politiques de sobriété, définies comme un « ensemble de mesures et de pratiques quotidiennes qui évitent une demande en énergie, en matières premières, en terres et en eau, tout en assurant le bien-être de tous dans le respect des limites planétaires ».</p>
<p>Pour le GIEC comme pour l’UE, la sobriété devrait constituer un pilier majeur des politiques de décarbonation.</p>
<h2>Des co-bénéfices</h2>
<p>Son véritable intérêt apparaît quand on réalise l’ampleur de ses co-bénéfices : des véhicules électriques plus légers limitent à la fois la consommation d’électricité, la pollution liée à l’usure des plaquettes de frein, les impacts environnementaux liés à la production du véhicule et la dépendance aux métaux critiques.</p>
<p>Une approche par la sobriété et non par notre capacité à extraire ou transformer les matériaux offrirait des perspectives renouvelées concernant le modèle productif européen : maîtriser la demande en matériaux facilitera l’atteinte des objectifs européens.</p>
<p>Cette <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2022-4-page-77.htm">démarche</a> suppose d’interroger nos modes de consommation et nos besoins en intégrant pleinement la question de la justice sociale et la variabilité des modes de vie dans la population.</p>
<hr>
<p><em>Le projet <a href="https://anr.fr/Projet-ANR-17-CE05-0024">GENERATE</a> est soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. Elle a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’<a href="https://anr.fr/">ANR</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209077/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Hache a reçu des financements de l'Agence nationale de la recherche (ANR) pour le projet GENERATE (Géopolitique des énergies renouvelables et analyse prospective de la transition énergétique) entre 2018 et 2020. Il est chercheur associé au laboratoire Economix de l’université Paris Nanterre et directeur de recherche à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Louis-Marie Malbec, Vincent d’Herbemont et Émilie Normand ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>L’Union européenne fixe des objectifs peu atteignables en matière de relocalisation de ces matériaux stratégiques, sans s’interroger sur la façon d’en réduire notre usage.Emmanuel Hache, Économiste et prospectiviste, IFP Énergies nouvelles Émilie Normand, Économiste, IFP Énergies nouvelles Louis-Marie Malbec, Économiste, IFP Énergies nouvelles Vincent d’Herbemont, Ingénieur économiste, IFP Énergies nouvelles Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1974662023-01-17T17:49:56Z2023-01-17T17:49:56ZSuède et Italie : la droite radicale au gouvernement<p>Des <a href="https://theconversation.com/etats-unis-la-democratie-en-sursis-196524">États-Unis</a> à la France, en passant par les laboratoires revendiqués de la « démocratie illibérale » que sont la <a href="https://confrontations.org/admin/le-tournant-illiberal-de-la-hongrie-et-de-la-pologne/">Pologne et la Hongrie</a>, la portée transnationale de la montée en puissance des partis radicaux-populistes de droite dans les pays occidentaux est indiscutable.</p>
<p>Depuis une quinzaine d’années, les politologues tâchent d’en capturer le dénominateur commun en multipliant les concepts (<a href="https://www.lapresse.ca/international/europe/201712/18/01-5147616-lonu-sinquiete-dun-courant-ethno-nationaliste-en-europe.php">« ethno-nationalisme »</a>, <a href="https://www.cairn.info/les-grandes-idees-politiques--9782361064488-page-109.htm">« national-populisme »</a>, <a href="https://www.populismstudies.org/Vocabulary/welfare-chauvinism/">« welfare-chauvinism »</a>) et en tentant de mettre en évidence ce que tous ces mouvements ont en partage.</p>
<p>Le succès quasi simultané des Démocrates de Suède (SD) et des <em>Fratelli d’Italia</em> (FdI) aux législatives tenues dans les deux pays les 11 et 25 septembre 2022 est un test probant de cet effet d’entraînement à l’échelle de l’Europe. Et cela, d’autant plus que ces résultats détonent par rapport aux traditions politiques des deux pays après 1945.</p>
<p>Totalisant 20,5 % des suffrages aux <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/09/12/elections-legislatives-en-suede-l-extreme-droite-a-son-plus-haut-dans-des-resultats-partiels-tres-serres_6141178_3210.html">élections législatives</a>, les SD sont devenus le deuxième parti de Suède et ont été intégrés à la nouvelle majorité, aux côtés de trois formations de centre-droit. Forts de leurs 26 %, les FdI se sont imposés comme le premier parti italien et leur présidente, Giorgia Meloni, a accédé au poste de premier ministre.</p>
<p>Quelles analogies peut-on déceler entre les trajectoires que ces deux <em>outsiders</em> ont connues dans le champ politique, de l’ostracisme des débuts aux responsabilités de gouvernement d’aujourd’hui ?</p>
<h2>Désenchantement et désagrégation du cadre politique : deux conditions similaires</h2>
<p>Apparentées par un engagement commun, au Parlement européen, au sein du <a href="https://www.ecrgroup.eu/">groupe des Conservateurs et Réformistes</a> (ECR), ainsi que dans le parti du même nom, dont Meloni est la présidente, les deux formations n’ont toutes deux longtemps existé, politiquement parlant, qu’en tant que forces d’opposition. Annoncée par une progression ascendante d’une dizaine d’années, leur percée s’explique par l’accumulation de facteurs qui ont, en <a href="https://politiqueinternationale.com/revue/n161/article/suede-la-montee-en-puissance-de-lextreme-droite">Suède</a> comme en <a href="https://www.20minutes.fr/monde/1010181-20120925-scandale-lazio-accroit-discredit-hommes-politiques-italie">Italie</a>, contribué à discréditer les classes dirigeantes.</p>
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<p>La concomitance de trois crises (démographique, budgétaire et sociale) a créé les circonstances idéales pour nourrir l’argument de campagne de la droite radicale : un patriotisme à la fois victimaire et revanchard. À l’échelle de l’UE, <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMAnalyse/3127">Suède</a> et <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/litalie-sinquiete-de-lafflux-de-migrants-a-ses-frontieres-1314314">Italie</a> se trouvent exposées de manière particulièrement aiguë aux aléas des flux migratoires. L’aggravation du phénomène est intervenue sur fond d’une instabilité chronique de la gouvernance politique, marquée par le brouillage des frontières idéologiques. La droite radicale y a trouvé l’occasion d’étayer sa crédibilité, en capitalisant sur sa capacité à incarner la seule opposition se réclamant, de manière cohérente et univoque, de l’intérêt national.</p>
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<figcaption><span class="caption">Les élections législatives en Suède aboutissent à l’arrivée au pouvoir des SD.</span></figcaption>
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<p>En Italie, les dix dernières années ont été marquées par <a href="https://theconversation.com/la-politique-italienne-est-elle-vraiment-atteinte-dinstabilite-chronique-187812">l’alternance</a> entre des gouvernements d’union dirigés par des technocrates, et des coalitions dirigées par des personnalités externes au Parlement (Matteo Renzi de 2014 à 2016, puis Giuseppe Conte, de 2018 à 2021). De l’ancien commissaire UE Mario Monti (2011-2013) à l’ex-président de la BCE Mario Draghi (2021-2022), en passant par l’ancien ministre des Affaires étrangères Paolo Gentiloni (2016-2018), l’ascendant des premiers ministres a souvent été le seul recours face au blocage induit par la conflictualité des factions internes aux partis – sur fond d’attaques spéculatives, puis d’urgences sanitaires qui imposaient des choix impopulaires et des gages de fiabilité face à Bruxelles.</p>
<p>En Suède, depuis 2014, le monopole idéologique de la social-démocratie, autant que l’alternative incarnée par la droite néolibérale, ont été <a href="https://information.tv5monde.com/info/legislatives-en-suede-vers-la-fin-du-modele-social-democrate-258992">ébranlés</a> par l’impossibilité de chacun des deux blocs à réunir une majorité parlementaire. Le pays a été exposé à d’exténuantes <a href="https://www.touteleurope.eu/vie-politique-des-etats-membres/suede-le-parlement-renverse-le-gouvernement-une-premiere-dans-l-histoire-du-royaume/">vacances du pouvoir</a>, suivies de coalitions transversales à géométrie variable : accords rendus précaires par la divergence des positions sur des dossiers tels que le nucléaire, l’engagement dans les enjeux climatiques, la réponse à l’insécurité.</p>
<h2>Un nationalisme décomplexé</h2>
<p>Les grandes coalitions, au profil flou, qui ont régi les deux pays, ont impliqué une rupture avec des mœurs politiques bien ancrées, ce qui a nourri la désagrégation des grands partis de centre-gauche et centre-droit. En attestent, en Italie, le <a href="https://www.contretemps.eu/italie-dans-une-democratie-moribonde-cest-lextreme-droite-qui-lemporte/">déclin très rapide de Forza Italia et du Parti démocrate</a>, ainsi que l’émergence d’un <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2018/03/05/qu-est-ce-que-le-mouvement-5-etoiles_5266001_3214.html">sentiment antitechnocratique</a>, hostile à toute forme d’expertise. Le rôle de cette dernière durant la crise de la Covid-19 ne pouvait qu’accentuer la polarisation, qui a fini par favoriser le message manichéen martelé par les partis de droite radicale : la réinstauration de la souveraineté nationale, et l’appel viscéral aux valeurs-refuges dans lesquelles elle se reflète.</p>
<p>Le handicap à surmonter, pour ces partis, était le stigmate de l’« extrémisme » lié à leurs racines idéologiques anti-démocratiques : les DS comme les FdI sont parvenus, ces dernières années, à convertir ce stigmate en une sorte de label d’engagement « patriotique ». Ce nationalisme décomplexé se manifeste, en Italie comme en Suède, par un euroscepticisme tempéré (la proposition de sortir de l’euro ou de renégocier les traités, dans le cas de Meloni, a été discrètement évacuée depuis les résultats du Brexit) et par la focalisation sur la lutte contre l’immigration. Celle-ci est présentée comme la solution à la plupart des problèmes du pays, de l’insécurité au financement de la sécurité sociale.</p>
<p>Le penchant des deux partis pour une politique isolationniste n’exclut pas des convergences embarrassantes. Autant <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/italie-5-choses-a-savoir-sur-giorgia-meloni-la-candidate-dextreme-droite-qui-pourrait-arriver-au-pouvoir-1782899">Meloni</a> qu’<a href="https://www.aa.com.tr/en/europe/right-wing-swedish-democrats-slammed-as-security-risk-by-ruling-party/2675442">Åkesson</a> n’ont pas manqué de signifier, en tout cas jusqu’à l’invasion de l’Ukraine en février 2022, leur sympathie à l’égard de Vladimir Poutine et de son modèle de leadership.</p>
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<p>Autre analogie : le fort élément de personnalisation présent dans les deux formations. SD et FdI ont littéralement grandi avec leurs leaders actuels. Jimmie Åkesson (43 ans aujourd’hui) a pris la tête du parti à 27 ans, et Meloni a participé, en 2012, à 35 ans, au divorce de la droite postfasciste de l’expérience éphémère du <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2009/03/28/01003-20090328ARTFIG00206-berlusconi-fonde-le-parti-unique-de-la-droite-italienne-.php">parti unique du centre-droit</a> voulu par Silvio Berlusconi, et s’est emparée de FdI deux ans plus tard.</p>
<p>Les deux leaders monopolisent le temps de parole dévolu à leurs partis respectifs dans les médias : leurs discours, qui empruntent volontiers le canal des médias sociaux, sont souvent axés (à l’instar de <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/monde/giorgina-meloni-par-elle-meme-les-extraits-de-sa-biographie-20221209">l’autobiographie de Meloni</a>, sortie en 2021) sur les vicissitudes familiales et sur les émotions du leader.</p>
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<figcaption><span class="caption">Italie : qui est Giorgia Meloni ? TV5 Monde, 23 septembre 2022.</span></figcaption>
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<p>Le succès de la quête de dé-diabolisation des deux partis doit beaucoup à cette métamorphose « pop ». L’héritage antidémocratique dont ils sont issus les avait cantonnés au-delà d’un cordon sanitaire qui interdisait toute alliance (un cordon jusqu’à récemment plus hermétique dans le cas de la Suède, FdI étant formée en grande partie d’ex-alliés du mouvement de Berlusconi).</p>
<p>Fondé en 1988, SD est issu de la fusion d’une constellation de groupuscules anti-immigrés, avec une composante raciste et négationniste affichée. L’empreinte de cet héritage, en dépit de l’effort de l’actuel leadership pour s’en démarquer, demeure visible, et s’est exprimée, encore en 2022, par des dérapages plus qu’embarrassants. Le cas d’une <a href="https://www.i24news.tv/fr/actu/international/europe/1665996513-une-responsable-des-democrates-suedois-suspendue-apres-un-message-controverse-sur-anne-frank">responsable du parti proférant sur Instagram des insultes</a> contre la mémoire d’Anne Frank est loin d’être isolé.</p>
<p>Dans le cas des FdI, on a plutôt affaire à une réaffirmation identitaire qu’à une continuité directe : le <a href="https://www.tf1info.fr/international/elections-legislatives-en-italie-la-flamme-ce-sulfureux-symbole-d-extreme-droite-choisi-par-fratelli-d-italia-de-giorgia-meloni-2233219.html.">parti exprimant au sens littéral le « retour de flamme » du MSI</a>, parti historique de la droite radicale, en rupture à la fois contre la dissociation explicite vis-à-vis du fascisme, prônée par son ancien secrétaire Gianfranco Fini, et contre la dissolution dans le projet plébiscitaire de Berlusconi.</p>
<h2>Une politique de l’histoire – ou de la nostalgie ?</h2>
<p>Avec des accents différents, la réappropriation de l’histoire (teintée de révisionnisme) est le fer de lance de la stratégie des deux partis. En 2016, la radicalisation du projet des FdI fut marquée par le reproche, adressé au premier ministre Renzi, d’avoir choisi le jour anniversaire de la fondation du Royaume d’Italie (17 mars 1861) pour « brader » les intérêts du pays lors d’un Conseil européen consacré aux migrants.</p>
<p>FdI entretient une relation compliquée avec la commémoration du 25 avril (date de <a href="https://lepetitjournal.com/milan/actualites/le-25-avril-pourquoi-le-fete-t-en-italie-228956">l’insurrection contre le nazi-fascisme en 1945</a>) ; après sa victoire aux élections, le parti a réitéré la proposition de reconnaître le 17 mars comme fête nationale, pour sceller la solidarité retrouvée entre tous les Italiens. Ses premières mesures au gouvernement ont été symboliques : insertion de renvois aux termes « souveraineté », « Made in Italy » et « natalité » dans les appellations des ministères, criminalisation des « rave parties »… – une stratégie qui cache les impasses au niveau de la gestion de la question migratoire (à peine occultées derrière les polémiques avec l’UE) et les urgences économiques, à commencer par l’application du <a href="https://commission.europa.eu/business-economy-euro/economic-recovery/recovery-and-resilience-facility/italys-recovery-and-resilience-plan_fr.">plan de relance européen</a>, rendue compliquée par les tensions entre partis partenaires et entre intérêts régionaux. Le détour par le virtuel offre un recours facile : il convoque une image d’Épinal, y compris au niveau de la politique familiale. Une société sous cloche, arborant face à la mondialisation la fierté pour sa culture et ses productions traditionnelles.</p>
<p>Le point de rencontre entre FdI et SD pourrait bien se résumer à un usage judicieux de l’arme de la nostalgie. Autant dans sa théorie que dans son discours, le parti d’Åkesson a peaufiné une alchimie qui n’est pas sans rappeler l’argumentaire des populistes <a href="https://www.lepoint.fr/elections-europeennes/thierry-baudet-la-nouvelle-figure-du-populisme-neerlandais-28-05-2019-2315449_2095.php">néerlandais</a> et <a href="https://www.liberation.fr/planete/2019/06/04/au-danemark-la-victoire-ideologique-de-l-extreme-droite_1731603/">danois</a> : elle combine un vieil arsenal xénophobe avec l’éloge du bilan du « modèle suédois », en associant ses mots-clés (« solidarité », « sécurité », « État-providence ») aux vertus d’un entre-soi mis à mal par la mondialisation.</p>
<p>Le slogan de campagne de 2022 (« La Suède doit redevenir <em>un bon pays</em> ») rappelle un adage plus percutant (« Rendez-nous la Suède ! ») utilisé il y a quelques années. La phrase était plaquée sur une photo rappelant une affiche touristique, qui mettait en scène la course insouciante d’un groupe d’enfants blonds dans un pré. Dans un contexte anxiogène (le pays a connu la plus forte augmentation en Europe des délits occasionnés par des règlements de comptes <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/la-suede-face-a-la-violence-meurtriere-des-gangs-1787105">entre gangs criminels</a>), le message a été d’autant plus porteur que la totalité du spectre politique se range désormais derrière l’éloge de la « suédicité » (<em>svenskhet</em>). En Suède comme en Italie, la course des partis de droite radicale vers une nouvelle hégémonie culturelle n’a pas encore atteint son but : mais tous ses ingrédients sont bel et bien réunis.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/197466/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Piero S. Colla ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les partis d’extrême droite « Démocrates de Suède », qui participe au gouvernement à Stockholm, et « Frères d’Italie », qui dirige celui de Rome, ont bien des points en commun.Piero S. Colla, Chargé de cours à l’université de Strasbourg, laboratoire « Mondes germaniques et nord-européens », Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1927582022-10-26T18:33:25Z2022-10-26T18:33:25ZMayotte : pourquoi ce département français est-il revendiqué par les Comores ?<p>Le 22 septembre 2022, Assoumani Azali, le président de l’Union des Comores a rappelé lors de 77<sup>e</sup> Session ordinaire de l’Assemblée générale des Nations Unis le <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/mayotte/nations-unies-azali-revendique-toujours-mayotte-et-condamne-l-invasion-russe-en-ukraine-1324228.html">différend territorial</a> qui oppose son pays à la France concernant l’île de Mayotte.</p>
<p>En effet, la souveraineté du plus jeune et du plus petit département français situé dans l’océan Indien est au cœur d’un conflit territorial et l’objet de débats passionnés depuis <a href="https://www.cairn.info/revue-l-information-geographique-2021-1-page-8.htm">plusieurs décennies</a>.</p>
<p>S’il est incontestable que les quatre îles formant l’archipel des Comores ont une géographie et une grande partie de leur peuplement en commun, il convient de revenir brièvement sur l’histoire de l’archipel pour comprendre les tensions entre Mayotte et ses voisins.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/490381/original/file-20221018-26-qbq8r6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Carte représentant l’archipel des Comores" src="https://images.theconversation.com/files/490381/original/file-20221018-26-qbq8r6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/490381/original/file-20221018-26-qbq8r6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=463&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/490381/original/file-20221018-26-qbq8r6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=463&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/490381/original/file-20221018-26-qbq8r6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=463&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/490381/original/file-20221018-26-qbq8r6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=581&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/490381/original/file-20221018-26-qbq8r6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=581&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/490381/original/file-20221018-26-qbq8r6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=581&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Archipel des Comores, 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Victoire Cottereau</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<h2>« L’archipel des sultans batailleurs »</h2>
<p>Au VIII<sup>e</sup> siècle, les îles se peuplent de Bantous agriculteurs et pêcheurs venus d’Afrique ainsi que de commerçants malgaches et d’austronésiens originaires de l’<a href="https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2002-4-page-677.htm4">archipel indonésien</a>. </p>
<p>À partir du XIII<sup>e</sup> siècle, des familles provenant de Chiraz, en Perse, s’implantent dans l’archipel et s’efforcent d’emblée d’asseoir leur domination, imposent leur culture, et réduisent les populations locales en <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2009/06/MICHALON/17230">esclavage</a>. Les îles sont alors gouvernées par des sultans issus des différentes familles chiraziennes. En perpétuelle concurrence, ces monarques organisent régulièrement des expéditions militaires d’une île contre l’autre. Touchées par des troubles violents (pillages, razzias d’esclaves, etc.), les îles sont baptisées <a href="https://www.persee.fr/doc/outre_1631-0438_2012_num_99_374_4921">« l’archipel des sultans batailleurs »</a>.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="Représentation d’Andriantsoly, ancien sultan de Mayotte, 1 janvier 1855" src="https://images.theconversation.com/files/490384/original/file-20221018-12-wxc74o.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/490384/original/file-20221018-12-wxc74o.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=686&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/490384/original/file-20221018-12-wxc74o.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=686&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/490384/original/file-20221018-12-wxc74o.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=686&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/490384/original/file-20221018-12-wxc74o.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=862&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/490384/original/file-20221018-12-wxc74o.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=862&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/490384/original/file-20221018-12-wxc74o.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=862&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Représentation d’Andrian Tsouly (ou Andriantsoly), ancien sultan de Mayotte, 1 janvier 1855.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Andriantsoly">Auteur inconnu -- Édouard Charton (dir.), Le Magasin pittoresque, Paris, 1855/Wikimedia</a></span>
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<p>Lassé de ces querelles, le sultan de Mayotte, AndrianTsouli, cherche l’appui d’une puissance étrangère afin de conforter son assise politique dans l’île la plus malgache de l’archipel.</p>
<p>En 1841, il cède Mayotte à la France. L’île devient une colonie française en 1843. Le protectorat français est établi aux trois autres îles en 1886 et, celles-ci sont érigées en colonies françaises en 1912, soit près de 70 ans après Mayotte. Contrairement aux idées reçues, <a href="https://www.parislibrairies.fr/livre/9782858022953-comores-quatre-iles-entre-pirates-et-planteurs-vol02-tome-2-genese-vie-et-mort-du-protector-jean-martin/">l’archipel des Comores</a> n’a jamais constitué une entité politique avant la présence française.</p>
<h2>Le combat des « chatouilleuses »</h2>
<p>Historiquement, la détermination des habitants de l’île de Mayotte dénommés les Mahorais à accéder à un ancrage pérenne au sein de la République française est antérieure à la période de décolonisation.</p>
<p>L’année 1958 marque une rupture dans la relation entre Comoriens et Mahorais. L’assemblée territoriale des Comores <a href="https://www.cairn.info/revue-l-information-geographique-2021-1-page-8.htm">vote le transfert</a> de la capitale de Dzaoudzi (Mayotte) à Moroni (Grande Comore).</p>
<p>Cette situation sécrète une <a href="https://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2013-3-page-119.htm">certaine rancœur</a> chez les Mahorais et amène à la fondation du <a href="https://www.cairn.info/revue-le-mouvement-social-2016-2-page-57.htm">Mouvement populaire mahorais (MPM)</a> en 1966.</p>
<p>Les femmes, connues sous le nom de <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-zakia_madi_la_chatouilleuse_alain_kamal_martial-9782747564908-17546.html">« chatouilleuses »</a>, débutent leur combat en menant des <a href="https://www.cairn.info/revue-le-mouvement-social-2016-2-page-57.htm">activités protestataires</a> contre l’autorité territoriale et réclament la départementalisation.</p>
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<img alt="Paneau sur lequel est écrit « Mayotte est française et le restera à jamais »." src="https://images.theconversation.com/files/490386/original/file-20221018-22-j0xixw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/490386/original/file-20221018-22-j0xixw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=487&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/490386/original/file-20221018-22-j0xixw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=487&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/490386/original/file-20221018-22-j0xixw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=487&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/490386/original/file-20221018-22-j0xixw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=612&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/490386/original/file-20221018-22-j0xixw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=612&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/490386/original/file-20221018-22-j0xixw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=612&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">Victoire Cotterau</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<h2>La décolonisation dans l’archipel des Comores</h2>
<p>En 1974, les Comoriens sont interrogés sur leur souhait d’indépendance. C’est la décolonisation qui marque le point de départ du « dossier douloureux qui dure depuis plus d’une quarantaine d’années » entre la France et les Comores, comme le rappelait Azali Assoumani, président de l’Union des Comores le 22 septembre 2022 <a href="https://www.habarizacomores.com/2022/09/discours-dazali-la-77e-session.html">devant l’ONU</a>.</p>
<p>Alors que les habitants des trois îles voisines votent majoritairement « oui », les Mahorais se distinguent en votant « non » et soulignent leur volonté de demeurer au sein de la République française.</p>
<p>Face à ce résultat, l’assemblée des Comores proclame dès 1975 l’indépendance des îles de l’archipel, y compris Mayotte. Devant la contestation des Mahorais et l’inquiétude de perdre un territoire géostratégique dans l’océan Indien, la France prend acte de l’indépendance des îles, <a href="https://www.persee.fr/doc/outre_1631-0438_2012_num_99_374_4922">excepté Mayotte</a>, près de six mois après la proclamation d’indépendance et quelques semaines après l’adhésion à l’ONU du nouvel État comorien.</p>
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<p>Au lieu de considérer ce vote dans son ensemble selon le droit international au nom de l’intangibilité des frontières, la France organise une seconde consultation de la population de Mayotte sur leur souhait de rester français ou d’intégrer le nouvel État comorien. En 1976, les <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2005-2-page-515.htm">Mahorais choisissent la France à plus de 99 % des suffrages</a>.</p>
<p>Cet acte apporte une légitimité à l’élaboration d’un <a href="https://agone.org/livres/comoresmayotteunehistoireneocoloniale">« micmac constitutionnel »</a> comme l’écrit le militant Pierre Caminade, afin de conserver l’île sous son giron.</p>
<p>L’Assemblée générale des Nations unies se saisit immédiatement de la question, condamne les agissements de l’État français et affirme la souveraineté comorienne sur l’île de Mayotte. A cette condamnation, la France rétorque par le principe des peuples à disposer d’eux-mêmes et, de ce fait, <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00839367/document">considère sa décision comme conforme</a> au droit international.</p>
<h2>Un rattachement qui n’est plus au cœur des préoccupations internationales</h2>
<p>De 1976 à 1994, l’assemblée générale des Nations unies adopte 18 résolutions. Chacune d’entre elles se réfère à la <a href="https://www.ohchr.org/fr/instruments-mechanisms/instruments/declaration-granting-independence-colonial-countries-and-people">Résolution 1514 (XV) de 1960</a> affirmant la souveraineté comorienne sur l’île de Mayotte.</p>
<p>Or, au fil de celles-ci, les mots utilisés par l’ONU <a href="https://hal.univ-reunion.fr/hal-03590943">sont de plus en plus nuancés</a> passant de « condamne » à « invite », et l’abstention des États votants pour statuer sur ce sujet est en constante augmentation. Lors de la dernière résolution, le « oui » reste majoritaire mais avec seulement 47,28 % des États.</p>
<p>À compter de 1996, l’Union des Comores n’entreprend plus les démarches nécessaires pour faire inscrire la question de Mayotte à l’ordre du jour définitif de l’assemblée générale de l’ONU. Malgré cela, les tensions diplomatiques sont encore bien présentes et le sujet est régulièrement évoqué dans les discours du <a href="https://www.france24.com/fr/20191113-entretien-comores-president-azali-assoumani-mayotte-eux-macron">président comorien</a>.</p>
<p>De son côté, la France affirme clairement sa volonté de préférer l’avis du peuple à celui des instances internationales. Mayotte devient le 101<sup>e</sup> département français en 2011 et une <a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/ultraperipheriques-regions-rup">région ultrapériphérique</a> (RUP) de l’Union européenne en 2014.</p>
<p>Ce dernier statut a été obtenu suite à un vote unanime du Conseil européen désignant de facto Mayotte comme française, tandis qu’aucun des États membres n’a relevé une contradiction avec sa <a href="https://www.cairn.info/revue-plein-droit-2014-1-page-31.htm">propre position au sein de l’ONU</a>.</p>
<p>Bien que Mayotte française ne dispose encore aujourd’hui d’aucune <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2005-2-page-515.htm">reconnaissance internationale</a>, il semble que cette question ne soit plus au cœur des préoccupations mondiales et qu’elle prenne de plus en plus le chemin de l’acceptation, excepté pour les <a href="https://www.courrierinternational.com/article/vu-des-comores-crise-mayotte-la-france-doit-cesser-doccuper-mon-pays">Comoriens</a>.</p>
<h2>Une situation politique instable aux Comores</h2>
<p>Subissant une vingtaine de coups de force entre 1975 et 2001, l’État comorien connaît une longue instabilité politique et institutionnelle depuis son indépendance. La <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1997/07/23/anjouan-une-ile-des-comores-est-tentee-par-un-retour-a-la-france_3783193_1819218.html">crise séparatiste</a> la plus profonde réside probablement dans la déclaration de sécession des îles d’Anjouan et Mohéli en 1997. Les îles déclarent leur indépendance et demandent sans succès leur rattachement à la France. Échouant à retrouver son autorité par la force, le pouvoir central comorien entame un long processus de réconciliation qui s’achève par la <a href="https://journals.openedition.org/com/9692">ratification de la nouvelle constitution de l’Union des Comores de 2001</a>).</p>
<p>Cette constitution marque la mise en place d’une stabilité politique en accordant une plus large autonomie aux îles qui composent l’Union et en instaurant le principe d’une présidence tournante à raison d’un mandat non renouvelable par élu natif de chacune des trois îles.</p>
<p>Or, en 2018, Azali Assoumani organise une réforme constitutionnelle afin de pouvoir étendre de un à deux mandats la durée de la présidence. Réélu en 2019, l’opposition crie au « coup d’État institutionnel » et au <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/03/26/comores-le-president-sortant-azali-assoumani-reelu-des-le-premier-tour_5441643_3212.html">« Hold-up électoral »</a>.</p>
<p>Au-delà de l’instabilité politique et institutionnelle du pays, les Comores sont également confrontées à des <a href="https://lejournaldemayotte.yt/2022/09/02/comores-la-penurie-des-denrees-de-base-sajoute-a-la-hausse-du-pri-du-gaz/">évènements climatiques et environnementaux (cyclones, inondations, etc.), économiques (pénuries de denrées de première nécessité)</a> ou <a href="https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-d-outre-mer-2020-2-page-437.htm">sanitaires</a> (épidémies, etc.). Aujourd’hui, le pays fait partie des 47 États dont le niveau de développement est le <a href="https://www.donneesmondiales.com/pays-moins-avances.php">plus faible</a> et est classé 21<sup>e</sup> État le plus corrompu selon <a href="https://atlasocio.com/classements/economie/corruption/classement-etats-par-indice-de-corruption-monde.php">l’indice de perception de la corruption en 2020</a>. Cette situation offrant peu de perspectives heureuses aux Comoriens, les candidats à l’émigration sont nombreux <a href="https://www.editions-coelacanthe.com/product-page/le-drame-comorien-abdourahim-bacari">à vouloir rejoindre Mayotte</a>.</p>
<h2>Mayotte : un département français sous tension</h2>
<p>La proximité géographique et les écarts économiques entre les îles de l’archipel ont rapidement transformé Mayotte en « eldorado ». Aujourd’hui, près d’un habitant sur deux est de <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/3713016">nationalité étrangère</a> et 77 % des habitants vivent sous le seuil de <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/4622454">pauvreté</a>, souvent dans des bidonvilles.</p>
<p>Les inégalités sociales et l’explosion démographique, liée à une forte natalité et à des flux migratoires importants, engendrent de nombreuses tensions sur cette petite île de seulement 375 km<sup>2</sup>. L’insécurité quotidienne et la <a href="https://www.marianne.net/societe/police-et-justice/insecurite-a-mayotte-les-elus-vont-fermer-ecoles-et-administrations-pour-denoncer-les-vagues-de-violences">flambée de violences</a> de ces dernières années cristallisent les débats autour de la question migratoire. En ce sens, la France est aujourd’hui le premier bailleur des Comores et lui accorde d’importantes aides financières, en contrepartie d’une lutte contre le <a href="https://www.linfokwezi.fr/comores-france-bailleur-accord-cadre/">départ de ces ressortissants vers Mayotte</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">France 24, Les Observateurs.</span></figcaption>
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<p>Devant l’assemblée de l’ONU en septembre dernier, Assoumani Azali a souligné que s’ouvrent :« des perspectives nouvelles avec l’esprit de dialogue qui s’est créé entre les parties [comorienne et française] », après avoir rappelé le <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/mayotte/nations-unies-azali-revendique-toujours-mayotte-et-condamne-l-invasion-russe-en-ukraine-1324228.html">caractère comorien de l’île mahoraise</a>.</p>
<p>La <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/268369-emmanuel-macron-22072019-azali-assoumani-france-comore">politique gouvernementale française</a> a effectivement la « volonté de résoudre ces désaccords sur le plan bilatéral et de trouver des solutions constructives dans le temps » à travers la mise en place d’un nouveau partenariat en matière de développement, comme l’a exprimé le président Macron lors d’une conférence de presse conjointe avec le président Azali en 2019.</p>
<p>Or, de nombreux Mahorais interrogent l’utilité de cette politique. Ils dénoncent une « crise migratoire alimentée par les autorités comoriennes et instrumentalisée pour leur revendication territoriale sur Mayotte », pour reprendre les propos de la <a href="https://www.mayottehebdo.com/actualite/politique/estelle-youssouffa-nations-unies-defendre-choix-mahorais-demeurer-francais/">députée Estelle Youssouffa</a> qui s’est également rendue aux Nations unies en septembre dernier pour défendre le choix des Mahorais de demeurer Français.</p>
<p>Entravé par l’insoluble différend territorial concernant Mayotte, le renforcement des liens de coopération régionale apparaît pourtant comme une nécessité et devrait se poursuivre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192758/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Victoire Cottereau ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le différend territorial entre Mayotte et l’Union des Comores demeure un enjeu pour la France.Victoire Cottereau, Maitre de conférences en géographie au CUFR de Mayotte, chercheuse associée au laboratoire Migrinter, Poitiers et au laboratoire ESPACE-DEV, Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1808202022-04-07T19:01:31Z2022-04-07T19:01:31ZÉlection présidentielle : deux conceptions de la souveraineté s’affrontent<p>L’appréciation de l’engagement européen des candidats joue-t-elle un rôle fondamental aux yeux des électeurs lors du premier tour de l’élection présidentielle française ? On désigne par cette expression d’engagement européen la représentation politique selon laquelle l’Europe n’est pas un problème mais une solution, tant pour la France que pour chacun des pays membres de l’UE. Le scrutin de ce dimanche apportera un début de réponse à cette question.</p>
<p>Cette campagne partage avec la précédente, tenue en 2017, une particularité. Jusque-là, huit des neuf <a href="https://www.france-politique.fr/elections-presidentielles.htm">élections présidentielles</a> organisées au suffrage universel depuis la mise en place de la V<sup>e</sup> République (l’exception étant celle de 1969) avaient vu au moins deux candidats identifiables par leur engagement européen obtenir au moins 15 % des suffrages au premier tour. Ce ne fut plus le cas en 2017, et ne le sera sans doute pas en 2022. Quelles conclusions en tirer ?</p>
<h2>Le rôle de l’engagement européen dans les premiers tours</h2>
<p>En 2017, un seul candidat présent au premier tour était identifiable avant tout par son engagement européen. Il arriva en tête au premier tour avant de l’emporter au second.</p>
<p>En 2022 ils sont deux identifiables au premier tour par leur engagement européen : Emmanuel Macron (LREM, président sortant) et Yannick Jadot (EELV). Ce positionnement idéologique est cohérent avec la situation de leur famille politique respective dans le paysage politique européen. LREM appartient à l’eurogroupe parlementaire <a href="https://www.reneweuropegroup.eu/fr">Renew Europe</a> ; EELV est membre de l’eurogroupe parlementaire <a href="https://www.greens-efa.eu/dossier/accueil/notre-groupe/">Les Verts/ALE</a>. Ces deux groupes sont les plus favorables à ce que les politiques publiques soient autant que possible déterminées à l’échelle de l’UE.</p>
<p>Lors des <a href="https://www.europarl.europa.eu/election-results-2019/fr">élections européennes de 2019</a>, cette caractéristique a favorisé, avec d’autres, les <a href="https://www.jean-jaures.org/publication/europeennes-2019-le-territoire-dune-societe-politique/">gains en voix et en sièges</a> de ces deux groupes politiques européens au détriment des familles qui s’y partageaient le pouvoir depuis 1979, les socialistes (<a href="https://www.socialistsanddemocrats.eu/fr">groupe S&D</a>) et les conservateurs (<a href="https://www.eppgroup.eu/fr/">groupe PPE</a>). En 2022 comme en 2017, Emmanuel Macron est toutefois à nouveau le seul candidat caractérisé par son engagement européen susceptible d’obtenir au moins 15 % des suffrages ; Yannick Jadot est crédité pour sa part d’intentions de vote inférieures à 10 %.</p>
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<p>Deux candidates sont issues des formations qui ont gouverné la France jusqu’en 2017 et co-conduit la construction européenne depuis la naissance de la CEE : Valérie Pécresse, candidate de la droite de type PPE, et Anne Hidalgo, candidate de gauche de type S&D. Elles se caractérisent l’une et l’autre par un positionnement ambigu quant à l’engagement européen. Cette double ambiguïté s’inscrit dans les <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2013-6-page-1081.htm">« sécessions partisanes »</a> qui sur l’Europe travaillent les familles gaullistes et socialistes françaises depuis un demi-siècle.</p>
<p>Ainsi, Anne Hidalgo <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2021/12/16/pour-vivre-mieux-un-projet-social-et-ecologiste/">rejette</a> comme étant « de droite » les politiques publiques européennes mises en place depuis vingt ans, quand bien même cette période inclut le mandat de François Hollande et de sa majorité parlementaire PS ; elle rejette aussi la législation européenne sur les aides d’État et sur la concurrence, qui forme l’un des soubassements de la construction européenne depuis le traité de Rome, et que tous les gouvernements socialistes français comme la Commission européenne présidée par le socialiste Jacques Delors ont co-construit. Valérie Pécresse, pour sa part, s’est par exemple engagée à <a href="https://www.sudouest.fr/politique/valerie-pecresse-conteste-la-primaute-du-droit-europeen-6553376.php">remettre en cause la primauté du droit européen</a> dans plusieurs domaines en cas de victoire.</p>
<p>Ce manque de clarté des programmes LR et PS tranche avec la netteté des doctrines européennes proposées par les autres candidats. En 2022, si l’on se fie aux enquêtes, le second tour opposera deux candidats dont les doctrines européennes sont sans ambiguïté : un candidat européiste (l’UE est une solution) et un candidat eurosceptique (l’UE est un problème), qu’il soit d’extrême droite (Marine Le Pen) ou de gauche radicale (Jean‑Luc Mélenchon). Ce fut déjà le cas en 2017 lors du duel entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen.</p>
<h2>2022 : du clivage sur l’Europe au clivage sur la souveraineté</h2>
<p>En ce qui concerne les questions relatives à l’UE, un second tour Macron-Le Pen, présenté comme le plus probable en 2022, ne serait pourtant pas la répétition du second tour Macron-Le Pen de 2017. Le clivage s’est, en effet, affiné.</p>
<p>En 2017, les mots et les cadres de pensée étaient encore ceux qui avaient dominé la vie politique européenne depuis son origine dans les années 1950. Adversaires et promoteurs de la construction européenne se retrouvaient dans l’idée que la souveraineté du peuple ne pouvait qu’être nationale ; la construction européenne était ou bien un déni de la souveraineté (soit du demos, soit de l’État), ou bien une délégation de la souveraineté dans le cadre d’une fédération d’États-nations (selon l’expression de Jacques Delors). Schématiquement, il y avait donc des eurosceptiques (<a href="http://journals.openedition.org/ress/2996">soit de gauche soit de droite</a>) et des européistes fédéralistes.</p>
<p>En 2022, il n’y a plus en France (comme dans l’UE d’ailleurs) de grand parti dont l’euroscepticisme se décline en europhobie (« europhobie » signifiant ici le projet de sortir de l’UE ou, à tout le moins, de sortir de la zone euro). En 2022, aucun des candidats souverainistes n’a de programme explicitement europhobe. En 2017, Marine Le Pen prônait le Frexit. En 2022, non. Dans l’intervalle, la réalité du Brexit a rendu peu attractive la perspective d’une sortie de la France de l’UE. Par ailleurs, la crédibilité de la défense du pouvoir d’achat affirmée dans le programme lepéniste dès 2017 était affaiblie par le projet du retour au franc. Prôner cette option avait notamment rendu méfiants ceux des épargnants et des retraités qui pouvaient être intéressés par d’autres éléments du programme du RN. Marine Le Pen en est donc <a href="https://www.challenges.fr/politique/l-acrobatique-conversion-de-marine-le-pen-a-l-euro_798320">revenue</a> dans son programme pour 2022.</p>
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<p>Ainsi, la différence entre les aspects souverainistes des partis de droite de type PPE, notamment LR, et le souverainisme des partis de droite radicale et extrême de type <a href="https://ecrgroup.eu/">CRE</a> et <a href="https://fr.idgroup.eu/">I&D</a> (groupe Identité et démocratie au Parlement européen, auquel est affilié le Rassemblement national), s’est amenuisée. Si des différences de degrés parfois très importantes subsistent sur des questions comme la liberté de circulation des biens et le marché unique, que Marine Le Pen <a href="https://www.lesechos.fr/elections/candidats/presidentielle-marine-le-pen-prend-le-risque-dun-frexit-de-fait-1398414">remet en cause</a>, ils prônent l’un comme l’autre une re-nationalisation de plusieurs politiques publiques aujourd’hui mutualisées dans l’UE, et contestent l’ordre juridique européen comme la supranationalité.</p>
<p>Dans le même temps, les divergences sur l’Europe entre le programme de Jean‑Luc Mélenchon, candidat de la gauche radicale (LFI est au Parlement européen affiliée au groupe <a href="http://europe.jean-luc-melenchon.fr/du-cote-du-groupe-guengl/">Gauche unitaire européenne)</a>, et Anne Hidalgo, candidate de la gauche socialiste, sont devenues des différences. Car, contrairement à 2017, l’euroscepticisme de La France Insoumise <a href="https://melenchon2022.fr/plans/europe/">ne débouche plus</a> sur un plan B de sortie de l’euro voire de l’UE.</p>
<p>Nonobstant leurs différences, les eurosceptiques de la gauche radicale d’une part et de l’extrême droite d’autre part ont en partage leur critique récurrente de la supranationalité au nom du peuple, ainsi que de la Commission européenne au nom de leur rejet des élites. Les uns comme les autres annoncent que la France ne respectera plus les lois ou les traités européens pour mettre en œuvre les mesures de leurs programmes respectifs. Alors que l’UE fonctionne selon le principe du compromis et du consensus entre ses membres, il s’agirait pour eux que la France reste dans l’UE en y faisant cavalier seul sans se soucier de son caractère collectif. Mais la sortie de l’UE, répétons-le, n’est plus à l’ordre du jour. La situation européenne d’une France gouvernée par un mouvement eurosceptique ferait alors en quelque sorte écho à celles de la <a href="https://information.tv5monde.com/info/bras-de-fer-entre-la-pologne-et-l-ue-que-signifie-la-primaute-du-droit-europeen-429122">Pologne</a> et de la <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/etat-de-droit-bruxelles-engage-des-mesures-de-retorsion-contre-la-hongrie-1398678">Hongrie</a> ces <a href="https://theconversation.com/bras-de-fer-entre-bruxelles-et-varsovie-comprendre-la-strategie-des-autorites-polonaises-169665">dernières</a> années.</p>
<h2>Souveraineté de la France par l’UE ou malgré l’UE ?</h2>
<p>Entre 2017 et 2022, une bifurcation a donc eu lieu. Alors que plus personne ne conteste l’existence de l’Union européenne et de l’existence de l’Europe comme société et comme société politique, en 2022 la campagne du premier tour oppose deux conceptions de la souveraineté (de l’État comme du peuple). C’est-à-dire de la capacité d’un pays (une société et son État) à ne dépendre autant que possible que de lui-même et à être autonome dans l’interdépendance.</p>
<p>C’est pourquoi, entre 2017 et 2022, une notion jusqu’alors oxymorique pour les classes politiques a fait son entrée dans le débat politique : la souveraineté européenne. Celle-ci devient même, dans la <a href="https://www.consilium.europa.eu/media/54777/20220311-versailles-declaration-fr.pdf">déclaration de Versailles</a> du 11 mars dernier, un bien collectif à garantir par l’action publique des 27 à l’échelle de l’UE.</p>
<p>Avec Macron – ou Jadot –, la souveraineté nationale de la France tend à être garantie par la mutualisation de la souveraineté entre États-nations au sein de l’UE et par son régime politique supranational – donc par l’exercice d’une souveraineté européenne par l’UE. Avec Le Pen ou Mélenchon, la souveraineté – de l’État dans un cas et du peuple dans l’autre – s’épanouit à proportion du rapetissement de la supranationalité et de la marginalisation des institutions qui l’agissent (Parlement européen, Commission européenne, Cour de justice européenne, Banque centrale européenne, Conseil de l’Union européenne). Il ne s’agit plus de sortir de l’UE mais d’y contester de l’intérieur l’élaboration d’une souveraineté européenne.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/180820/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvain Kahn ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Aucun des 12 candidats en lice ne propose que la France sorte de l’UE. En revanche, deux perceptions de ce que signifie dans le contexte actuel la notion de « souveraineté » s’opposent.Sylvain Kahn, Professeur agrégé d'histoire, docteur en géographie, Centre d'histoire de Sciences Po, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1802122022-04-03T16:15:25Z2022-04-03T16:15:25ZLa guerre en Ukraine marque-t-elle un tournant pour la défense européenne ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/455871/original/file-20220401-20-i4ldhc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C16%2C5426%2C3615&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Pour l’instant, on est encore loin d’une véritable armée européenne.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/tanks-lined-front-european-union-eu-2131109300">LeStudio/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Le Conseil européen a validé il y a quelques jours l’adoption d’une <a href="https://www.defense.gouv.fr/actualites/europe-defense-boussole-strategique-adoptee">« boussole stratégique »</a>. Il s’agit de l’un des grands acquis de la présidence française de l’Union européenne. Sous cette appellation un peu baroque, c’est la première fois que l’UE se dote de l’équivalent d’un <a href="http://www.livreblancdefenseetsecurite.gouv.fr/la-commission-les-membres.html">Livre blanc sur la défense et la sécurité</a>. La « boussole » comporte, d’une part, une analyse de l’environnement stratégique mondial et, de l’autre, une liste d’actions concrètes déclinées en quatre volets : agir, sécuriser, investir, coopérer.</p>
<p>Par « défense européenne », on entend tout d’abord la défense de l’Europe, la défense territoriale, la défense collective, contre une agression armée. Sur le Vieux Continent, une clause de défense collective unissait déjà les signataires du <a href="https://www.cvce.eu/obj/traite_de_bruxelles_17_mars_1948-fr-3467de5e-9802-4b65-8076-778bc7d164d3.html">traité de Bruxelles de 1948</a>, avant même la création de l’OTAN. Cette clause a ensuite été <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A12008M042">intégrée dans les traités européens</a> par le traité de Lisbonne (2007), avec une formulation qui, prise à la lettre, serait bien plus engageante que les dispositions du Traité de l’Atlantique Nord : la clause de défense collective prévoit que les États membres <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=LEGISSUM:mutual_defence">« doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir »</a> à l’un d’entre eux qui serait l’objet d’une agression armée, tandis que l’article V du Traité de l’OTAN précise que chaque partie a la liberté de décider <a href="https://www.nato.int/cps/fr/natolive/official_texts_17120.htm">« telle action qu’elle jugera nécessaire »</a> pour porter assistance à l’État agressé.</p>
<p>Dans le contexte de la guerre en Ukraine et d’une Europe qui veut parler le langage de la puissance, le temps de la défense européenne serait-il venu ? On pourrait le penser mais, à prendre un peu de <a href="https://www.puf.com/content/La_Politique_%C3%A9trang%C3%A8re_europ%C3%A9enne">recul</a>, la « boussole » semble pourtant une évolution plutôt qu’une révolution.</p>
<h2>Primat de l’OTAN</h2>
<p>La clause de défense collective européenne reste très largement un engagement sans portée concrète à ce jour. Pendant toute la guerre froide, l’organisation portée par le traité de Bruxelles, l’Union de l’Europe occidentale (UEO), était une coquille vide qui avait délégué à l’OTAN sa mission de défense collective.</p>
<p>Après sa disparition en 2010, le primat de l’OTAN n’a nullement été remis en question. L’article 42-7 du Traité sur l’Union européenne affirme en effet que la défense européenne doit rester conforme aux engagements pris dans l’OTAN « qui demeure, pour les États qui en sont membres, le fondement de leur défense collective et l’instance de sa mise en œuvre ».</p>
<p>Pour au moins les 21 des 27 membres de l’UE qui sont membres de l’OTAN, l’Europe de la défense n’assure donc pas la défense de l’Europe. Les traités disent clairement, d’ailleurs, que la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) n’aboutira à une défense commune que lorsque « le Conseil européen, statuant à l’unanimité, en aura décidé ainsi » (article 42-2). Autrement dit, si l’Europe a une <em>perspective</em> de défense commune, elle n’a pas de défense commune autonome.</p>
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<p>L’article 42-7 ne reste cependant pas totalement inconsistant. Il a été mis en œuvre une fois, au bénéfice de la France, après les attentats terroristes de 2015 à Paris, et a conduit de nombreux États membres à manifester leur appui aux opérations militaires françaises (contre Daech et au Sahel).</p>
<p>La boussole stratégique, de ce point de vue ne semble pas marquer de rupture. Elle rappelle explicitement l’engagement de l’article 42-7 et prévoit une préparation accrue de l’UE par des scénarios opérationnels. Ce n’est certes pas rien, mais elle rappelle aussi le primat de l’OTAN pour la défense collective.</p>
<h2>Des propositions françaises restées sans réponse</h2>
<p>Bien que le président français Emmanuel Macron ait fait de la défense la première clé de la souveraineté européenne dans son <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2017/09/26/initiative-pour-l-europe-discours-d-emmanuel-macron-pour-une-europe-souveraine-unie-democratique">discours de la Sorbonne en 2017</a>, aucun pays européen ne souhaite une défense européenne indépendante. Il ne faut donc pas se mentir : la crise actuelle à l’est de l’Europe renforce d’abord l’OTAN. C’est l’OTAN qui accroît sa présence militaire à l’est de l’Europe pour dissuader toute agression russe contre un pays membre de l’Alliance. C’est l’OTAN qui assure la protection de l’Europe par le parapluie nucléaire américain, alors que Vladimir Poutine joue dangereusement avec cette menace.</p>
<p>Emmanuel Macron avait évoqué la <a href="https://www.franceculture.fr/geopolitique/lotan-en-etat-de-mort-cerebrale">« mort cérébrale »</a> de l’OTAN en 2019 ; il vient de convenir que l’Alliance avait subi un <a href="https://www.bfmtv.com/politique/elysee/emmanuel-macron-l-otan-vient-d-avoir-un-electrochoc_VN-202203240481.html">« électrochoc »</a>. L’effectif des troupes américaines en Europe, qui était de 67 000 avant la crise, est repassé au-dessus de 100 000 (loin malgré tout de la guerre froide, où il était de 400 000).</p>
<p>Des considérations sur l’arme atomique poussent le raisonnement dans la même direction. Le rôle des forces nucléaires européennes est reconnu au sein de l’OTAN depuis le sommet d’Ottawa de 1974, mais pas au sein de l’Union européenne. On n’en retrouve aucune trace dans la boussole stratégique, et les propositions d’Emmanuel Macron à ses partenaires européens d’ouvrir un dialogue sur le rôle de la dissuasion française sont restées sans réponse. La France est pourtant seule à pouvoir protéger l’UE à travers cette dissuasion maintenant que le Royaume-Uni en est sorti.</p>
<p>On notera aussi, pour être complet, que l’objectif assigné aux pays européens de consacrer 2 % de leur PIB à l’effort de défense a été adopté au sein de l’OTAN depuis 2014 (lors du sommet du pays de Galles), mais pas dans la boussole stratégique, officiellement parce qu’il n’y a pas de comptabilité uniformisée des dépenses de défense.</p>
<h2>Autonomie d’action</h2>
<p>Cela ne signifie pourtant pas que la politique européenne de défense n’existe pas. On relève une différence importante par rapport à la période de la guerre froide.</p>
<p>Depuis 1998 et la <a href="https://mjp.univ-perp.fr/defense/1998malo.htm">déclaration franco-britannique de Saint-Malo</a>, l’UE s’est donné l’ambition de lancer des opérations militaires à l’extérieur. Depuis 2003, on recense plus de 30 opérations civiles et militaires, dont 18 en cours, avec une série de succès notables : retour à la paix en Bosnie, au Kosovo et en Macédoine, opérations ponctuelles en Afrique, supervision du retrait russe de Géorgie en 2008, ou encore l’opération Atalante qui lutte contre la piraterie maritime au large de la Corne de l’Afrique depuis 2008.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"927915366751318017"}"></div></p>
<p>La boussole stratégique a décidé de renforcer cette capacité autonome d’action en créant une force européenne de déploiement rapide de 5 000 hommes, et en développant la capacité de planification militaire européenne créée en 2017. On revient de loin quand on se souvient qu’en 1999, toute ambition de structure de planification militaire européenne était rejetée au nom du principe de « non-duplication » avec l’OTAN.</p>
<p>Ce sont des progrès importants, mais il faut les nuancer. L’essentiel des opérations européennes ont été civiles ou civilo-militaires, comme des missions d’observation, de formation, de conseil, de renforcement des capacités sécuritaires. Bien que les traités et les textes politiques lui en fixent l’ambition, l’UE n’a jamais conduit d’opérations de combat, en tout cas pas du calibre de celles de l’OTAN.</p>
<h2>Finie la « belle au bois dormant » ?</h2>
<p>Un autre niveau de la montée en puissance de la politique européenne de défense concerne les moyens. Les avancées ont été considérables depuis quelques années. La Commission européenne a commencé en 2016 à dépenser de l’argent européen pour des projets de recherche militaire et de développement capacitaire menés en commun. Sur la période 2021-2027, le nouveau Fonds européen de défense est doté de 8 milliards d’euros : c’est peu par rapport à la somme des budgets militaires des États membres (200 milliards par an), mais ce n’est pas négligeable par rapport aux dépenses d’équipement. Le char et l’avion de combat du futur, le drone européen de combat et la dimension militaire de la politique spatiale sont mentionnés dans la boussole stratégique.</p>
<p>L’UE apporte aussi sa contribution pour répondre aux « attaques hybrides », comme les cyberattaques, les campagnes de désinformation, l’ingérence électorale, la coercition économique, ou l’instrumentalisation des migrations. Dans tous ces domaines, l’UE utilise sa plus-value qui est de pouvoir combiner les moyens civils et militaires et de pouvoir mobiliser des financements communs du budget européen.</p>
<p>Le renforcement de l’autonomie stratégique européenne concerne aussi, depuis au moins la pandémie de Covid en 2020, le renforcement des capacités industrielles et technologiques européennes. Qu’il s’agisse de la défense, de l’espace, de l’énergie, de la santé, du numérique, de l’électronique, des matières premières, ou même du secteur agroalimentaire, cette autonomie stratégique accrue renforce aussi la sécurité et la défense de l’Europe.</p>
<p>Si l’Europe n’a donc pas encore fixé l’objectif d’une défense collective indépendante, elle se trouve de plus en plus présente sur les questions de sécurité et de défense. C’est une très grande différence avec la situation qui existait durant la guerre froide où, malgré quelques projets communs d’armement, la Communauté européenne n’était qu’un marché et l’UEO qu’une « belle au bois dormant ».</p>
<p>Deux éléments manquent principalement pour poursuivre les avancées : affirmer une volonté politique européenne commune, ce qui reste un défi à 27, et mettre en œuvre concrètement le renforcement des moyens et capacités. À défaut d’avoir accouché d’une défense européenne et d’une armée européenne que les citoyens appellent de leurs vœux dans tous les sondages, la boussole stratégique est une étape importante sur la voie d’une Europe qui <a href="https://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-10715-2016-INIT/fr/pdf">« assume davantage la responsabilité de sa propre sécurité »</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/180212/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Maxime Lefebvre ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En adoptant une « boussole stratégique », l’Union européenne poursuit son évolution depuis la fin de la guerre froide sur la défense. C’est cependant bien l’OTAN qui reste la structure dominante.Maxime Lefebvre, Associate professor, ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1801112022-03-28T18:30:14Z2022-03-28T18:30:14ZPrésidence française de l’UE et sommet du 25 mars : l’éveil de l’Europe à la souveraineté<p>Le <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2022/03/25/european-council-conclusions-24-25-march-2022/">Conseil européen des 24 et 25 mars 2022</a> a été consacré, pour l’essentiel, à la souveraineté des Européens, c’est-à-dire à leur capacité à ne dépendre que d’eux-mêmes et à être indépendants.</p>
<p>La vulnérabilité éprouvée par l’UE face au Covid avait <a href="https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/souverainete-europeenne-comment-bruxelles-defend-les-interets-economiques-des-etats-membres-899050.html">commencé d’en faire un sujet de préoccupation</a>. L’invasion de l’Ukraine par la Russie achève d’en faire, pour les Européens, un objectif politique global.</p>
<h2>Réglementer le numérique</h2>
<p>Premièrement, le Conseil européen a <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2022/03/25/council-and-european-parliament-reach-agreement-on-the-digital-markets-act/">confirmé</a> que la loi sur le marché digital (DMA) était prête à être adoptée.</p>
<p>Finalisée avec célérité sous la houlette des commissaires Vestager et Breton depuis une année, son adoption était une priorité de la présidence française de l’UE (PFUE). Dans le domaine des données numériques (datas), l’Europe non seulement <a href="https://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/concurrence-l-ue-trouve-un-accord-pour-encadrer-les-geants-du-numerique-20220325">s’affranchit des GAFAM</a> (et de leurs homologues chinois et russes) mais aussi fixe les règles du jeu : en ne laissant plus le champ libre aux porteurs d’accès (« gate keepers ») et en les encadrant strictement, l’UE consolide la protection des données (<a href="https://www.economie.gouv.fr/entreprises/reglement-general-sur-protection-des-donnees-rgpd">loi RGPD de 2018</a>), crée les conditions du pluralisme et du libre choix dans ce domaine, et tend à empêcher l’écrasement de l’innovation par un oligopole.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1507114731215237122"}"></div></p>
<p>Il s’agit rien moins que de chercher à donner à l’espace numérique les caractères d’un espace public, en n’y laissant pas aux firmes qui l’ont construit de facto – les GAFAM – le monopole de l’exercice du pouvoir.</p>
<h2>Maintenir la pression sur Moscou</h2>
<p>Deuxièmement, les 24 et 25 mars 2022, les dirigeants de l’UE ont confirmé le cap de leur <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/sanctions/restrictive-measures-ukraine-crisis/">politique de sanctions</a> contre la Russie et sur leurs livraisons d’armes à l’Ukraine. Ce faisant, ils confirment ce qu’ils réalisent depuis le 28 février : leur capacité à faire face ensemble à un État dont la politique impérialiste et belliciste constitue une menace pour eux, et à se mobiliser aux côtés d’un pays très proche avec lequel ils ont contracté un <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2017/07/11/ukraine-association-agreement/">accord d’association</a> en 2017.</p>
<p>Par les sanctions contre la Russie et les livraisons d’armes à l’Ukraine, les Européens agissent pour peser sur le cours des événements en employant, sinon la force militaire, les leviers de la contrainte et du rapport de force.</p>
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<p>L’histoire dira si cette politique d’« intervention sans intervention » produira les effets escomptés – stopper l’invasion de l’Ukraine par la Russie, préserver l’intégrité territoriale de l’Ukraine et favoriser la fierté des Européens – ou si (par analogie avec la guerre d’Espagne) elle ne permettra pas d’atteindre ces objectifs et se soldera donc par un échec qui pèsera durablement sur la mémoire collective et le moral des Européens.</p>
<h2>La boussole stratégique et la question du rapport à l’OTAN</h2>
<p>Troisièmement, les dirigeants de l’UE ont adopté leur « <a href="https://www.defense.gouv.fr/actualites/europe-defense-boussole-strategique-adoptee">boussole stratégique</a> » : fruit de deux ans d’élaboration, cette doctrine a été pilotée par le vice-président Josep Borrell et son <a href="https://eeas.europa.eu/headquarters/headquarters-homepage_fr">Service européen d’action extérieure</a> (le SEAE est pour l’UE l’équivalent d’un ministère des Affaires étrangères).</p>
<p>Ce <a href="https://www.touteleurope.eu/l-ue-dans-le-monde/securite-et-defense-qu-est-ce-que-la-boussole-strategique-de-l-union-europeenne/">document</a> vise à définir les intérêts vitaux et stratégiques de l’UE en tant que telle ainsi que les dispositifs industriels et militaires à même d’en garantir plusieurs de façon autonome par rapport aux États-Unis. Paris avait fait de ce pas supplémentaire dans la longue marche vers l’Europe de la défense une <a href="https://presidence-francaise.consilium.europa.eu/fr/actualites/conference-de-presse-une-boussole-strategique-pour-renforcer-la-securite-et-la-defense-de-l-ue-au-cours-de-la-prochaine-decennie">priorité</a> de sa PFUE. La donne géopolitique de la fin de la décennie 2010 donnait en effet un <a href="https://theconversation.com/latout-de-la-puissance-militaire-francaise-dans-lue-173814">poids croissant</a> aux arguments comme à l’expérience de la France.</p>
<p>L’invasion de l’Ukraine a eu deux conséquences contradictoires sur ce projet.</p>
<p>La guerre déclenchée par la Russie a éprouvé la vigueur de l’OTAN et de l’engagement américain sur le territoire européen. Par le passé, l’une comme l’autre ont convaincu la très grande majorité des pays européens du caractère accessoire d’une défense européenne. Et ce d’autant plus facilement que l’industrie de défense est, en Europe, fragmentée.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lindustrie-de-defense-en-europe-la-cooperation-ou-le-declassement-151454">L’industrie de défense en Europe : la coopération ou le déclassement ?</a>
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<p>En effet, les appareils d’État nationaux promeuvent leurs <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2020-7-page-61.htm">champions</a> industriels de défense au nom de l’indépendance, des intérêts stratégiques, de l’emploi et de la balance commerciale. Dans le même temps, ces capacités et ces savoir-faire convergent dans plusieurs projets européens civils ou de défense, comme la <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/air-defense/airbus-defense-and-space-veut-revenir-dans-la-course-1360771">branche militaire d’Airbus</a>, le système de navigation par satellite <a href="https://www.esa.int/Space_in_Member_States/France/Qu_est-ce_que_Galileo">Galileo</a>, les lanceurs de <a href="https://www.esa.int/">l’Agence spatiale européenne (ESA)</a>, le <a href="https://www.touteleurope.eu/l-ue-dans-le-monde/qu-est-ce-que-le-fonds-europeen-de-defense/">fonds européen de défense</a> (FED), et le projet d’avion <a href="http://www.opex360.com/2022/01/28/scaf-un-accord-entre-dassault-aviation-et-airbus-sur-le-futur-avion-de-combat-est-il-possible/">Système de combat aérien du futur (Scaf)</a>.</p>
<p>Les membres les plus récents de l’UE, qui ont été assujettis à l’empire soviétique, préfèrent d’autant plus l’OTAN et les États-Unis pour être défendus qu’ils ne sont que marginalement concernés par les problématiques industrielles de défense. L’effet Biden ayant effacé l’effet Trump, les Européens sont-ils repartis pour <a href="https://www.lepoint.fr/politique/emmanuel-berretta/arnaud-danjean-la-defense-europeenne-est-un-complement-de-l-otan-25-03-2022-2469553_1897.php">confier à l’OTAN l’exclusivité de la défense du territoire de l’UE</a> comme c’est le cas depuis 1949 ?</p>
<p>Dans le même temps, toutefois, l’agression russe a convaincu les <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2022/02/28/le-jour-ou-la-politique-etrangere-allemande-a-change/">Allemands</a> du caractère prioritaire pour les Européens de se doter de capacités de défense et de politiques militaires ; une <a href="https://theconversation.com/guerre-en-ukraine-vers-une-defense-europeenne-178261">Europe de la défense</a> promue par le couple franco-allemand et dorénavant soutenue par la quasi-totalité de l’UE 15 devrait s’édifier plus vite et plus profondément qu’une Europe de la défense portée traditionnellement par la France seule avec le soutien de la Grèce et de l’Espagne. L’histoire est en train de s’écrire…</p>
<h2>Garantir la souveraineté alimentaire de l’Union</h2>
<p>Quatrièmement, le Conseil européen a pris des décisions de politique agricole qui s’inscrivent dans la continuité de l’une des toutes premières missions et raisons d’être de la construction européenne : la souveraineté alimentaire – lors du <a href="https://www.touteleurope.eu/histoire/histoire-de-la-politique-agricole-commune/">lancement de la PAC (1958-1962)</a>, on l’appelait indépendance agricole.</p>
<p>Dans les faits, l’UE étant une <a href="https://agriculture.gouv.fr/infographie-lunion-europeenne-1re-puissance-agricole-mondiale">puissance agricole exportatrice mondiale</a>, sa souveraineté alimentaire n’est pas du tout menacée par la guerre ; mais celle-ci <a href="https://www.euractiv.fr/section/agriculture-alimentation/news/hausse-des-prix-des-produits-agricoles-les-ministres-et-les-legislateurs-de-lue-sinquietent/">renchérit</a> considérablement le prix des intrants agricoles utilisés en Europe, et pourrait provoquer pénuries et instabilité au voisinage de l’UE dans plusieurs pays d’Afrique et du Moyen-Orient.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-impacts-de-la-guerre-en-ukraine-sur-les-marches-agricoles-et-la-securite-alimentaire-178628">Les impacts de la guerre en Ukraine sur les marchés agricoles et la sécurité alimentaire</a>
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<p>Les dirigeants européens ont <a href="https://www.eupoliticalreport.eu/eu-to-increase-food-production/">décidé</a> de favoriser une augmentation de la production agricole européenne à des fins exportatrices. Cela perpétue un levier d’influence dans l’espace mondial et fera contrepoids dans la balance commerciale de l’UE à l’augmentation de sa facture d’énergie. Mais cette décision <a href="https://www.novethic.fr/actualite/environnement/agriculture/isr-rse/la-guerre-en-ukraine-relance-l-agriculture-productiviste-en-europe-mettant-a-mal-le-green-deal-150674.html">fait douter</a> de la détermination des dirigeants européens à basculer vers une agriculture durable, à en faire un modèle dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique, et de leur <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/03/22/la-guerre-en-ukraine-fragilise-la-transition-europeenne-vers-une-agriculture-plus-verte_6118569_3234.html">capacité à rester fermes</a> face aux corporations du secteur agricole qui bataillent dur contre le Pacte vert adopté en 2019 et la politique dite de la Ferme à l’assiette (<a href="https://ec.europa.eu/food/horizontal-topics/farm-fork-strategy_fr">Farm to fork</a>).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1506883735643463684"}"></div></p>
<h2>Régler le problème de la dépendance énergétique à l’égard de Moscou</h2>
<p>Le Conseil européen et la Commission ont enfin acté leur prise de conscience du principal talon d’Achille des Européens : leur dépendance énergétique. Il est désormais clair pour tous – y compris ceux qui en Allemagne en doutaient – que cette dépendance énergétique est une vulnérabilité géopolitique : 43,6 % du gaz, 25 % du pétrole et 46 % du charbon importés par l’UE sont <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/guerre-en-ukraine-quelles-sont-les-matieres-premieres-que-la-france-importe-de-russie_4990518.html">achetés à la Russie</a>. Par cécité, facilité, idéalisme ou avidité (l’ex-chancelier allemand <a href="https://www.lepoint.fr/monde/la-descente-aux-enfers-de-gerhard-schroder-l-ami-de-poutine-07-03-2022-2467226_24.php">Gerhard Schröder</a> incarnant les quatre à lui tout seul), cette proportion n’a fait qu’augmenter au cours des vingt dernières années !</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comprendre-la-dependance-des-etats-europeens-vis-a-vis-du-gaz-russe-178843">Comprendre la dépendance des États européens vis-à-vis du gaz russe</a>
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<p>Les objectifs fixés lors du sommet du 25 mars visent dans l’urgence à <a href="https://www.la-croix.com/Monde/LEurope-cherche-reduire-dependance-lenergie-russe-2022-03-26-1201207066">réduire</a> puis à éteindre cette dépendance vis-à-vis de la Russie… et à lui substituer une dépendance diversifiée à d’autres producteurs d’énergie fossile. Les moyens envisagés, comme les <a href="https://www.capital.fr/economie-politique/gaz-la-commission-europeenne-aura-mandat-pour-un-achat-commun-et-faire-baisser-les-prix-1432188">achats groupés</a>, laissent <a href="https://www.lopinion.fr/international/lachat-commun-de-gaz-resultat-a-minima-du-sommet-europeen-sur-lenergie">dubitatifs</a> les professionnels du secteur. Les citoyens européens payent clairement ici les pots cassés de quarante années de nationalisme industriel et de chacun pour soi dans le secteur énergétique de tous les gouvernements qui se sont succédé dans la totalité des pays de l’UE depuis le choc pétrolier de 1973.</p>
<p>Les dirigeants européens ont également évoqué leur volonté de <a href="https://www.challenges.fr/top-news/l-ue-s-entend-sur-des-achats-communs-de-produits-energetiques-dit-macron_806486">réformer</a> en profondeur le mécanisme de fixation des prix de marché de l’électricité pour faire face à leur <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/02/01/comprendre-d-ou-vient-la-hausse-de-4-de-l-electricite-et-pourquoi-elle-aurait-du-etre-bien-plus-elevee_6111808_4355770.html">envolée</a>.</p>
<p>Le pourront-ils dans l’urgence, et pour quels résultats ? On connaît depuis des années les effets pervers du <a href="https://institutdelors.eu/publications/flambee-des-prix-de-lenergie-en-europe/">« marché européen de l’électricité »</a> : au motif d’éviter les black-out, le prix de celle-ci y est en dernière instance <a href="https://www.ouest-france.fr/economie/energie/flambee-des-prix-de-l-energie-comment-fonctionne-le-marche-europeen-de-l-electricite-c7c2eb58-283e-11ec-991c-dac596d5a249">indexé</a> sur le prix du gaz ou du charbon utilisés en bout de chaîne de la production électrique ; les producteurs historiques dominants (EDF et ses équivalents), capables d’exporter leur production sur celui-ci, n’ont pas intérêt au changement Toutefois, mieux vaut tard que jamais, d’autant que les politiques de transition énergétique de l’UE vont d’ores et déjà dans ce sens.</p>
<p>Le sommet européen des 24 et 25 mars pourrait bien rester dans l’histoire comme celui de l’éveil de l’Europe à sa souveraineté. Dans cette hypothèse, la postérité pourrait en attribuer le mérite à la présidence française de l’UE et à Emmanuel Macron, qui <a href="https://www.euractiv.fr/section/election-presidentielle-2022/news/la-souverainete-au-c%C5%93ur-de-la-vision-pour-leurope-demmanuel-macron/">poursuit cet objectif</a> depuis 2017. Mais l’histoire et les générations futures retiendront aussi à quel point certaines politiques, lestées par des réflexes nationaux et corporatistes, ont retardé et contrarié cet éveil durant un demi-siècle.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/180111/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvain Kahn ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le dernier Conseil de l’UE fera date : sur le numérique, l’énergie, l’agriculture, la défense et la guerre en Ukraine, les Européens ont su parler d’une seule voix.Sylvain Kahn, Professeur agrégé d'histoire, docteur en géographie, Centre d'histoire de Sciences Po, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1790712022-03-14T19:00:09Z2022-03-14T19:00:09ZLes 25 licornes de Macron, une dangereuse fascination ?<p>Dans une vidéo postée le 17 janvier dernier, Emmanuel Macron pouvait annoncer, tout sourire, la naissance de la 25<sup>e</sup> licorne française : « Derrière, il y a près de 20 000 start-up qui, par leur impact, sont essentielles à notre économie, à notre société », s’est-il réjoui.</p>
<p>Une licorne est une entreprise exerçant dans le secteur des nouvelles technologies, non cotée en bourse, et valorisée à plus d’un milliard de dollars. On en compte aujourd’hui <a href="https://bigmedia.bpifrance.fr/decryptages/la-licorne-est-elle-synonyme-de-reussite-entrepreneuriale">26 en France</a> dont les plus connues sont BackMarket, Qonto, Doctolib ou encore Lydia. Sur le plan international, cela reste peu (selon les méthodes de recensement, il y en aurait entre 650 et 1000 dans le monde), mais la dynamique s’avère exponentielle : il n’y avait que 12 licornes françaises en 2021 et seulement 3 en 2020.</p>
<p>La France semble attirer de plus en plus de très gros financeurs étrangers capables de mettre 50, 100 ou 200 millions d’euros dans une start-up. Le président de la République avait fixé, en 2019, l’objectif de 25 licornes françaises d’ici <a href="https://www.nouvelobs.com/economie/20190918.OBS18608/macron-veut-multiplier-les-licornes-francaises-en-semant-5-milliards-d-euros.html">2025</a>, but atteint donc, et même dépassé 3 ans avant la date de tombée.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1482963796629012482"}"></div></p>
<p>Si son quinquennat reste résolument associé à la France « start-up nation » et à la French tech, ce mouvement vers l’entrepreneuriat a débuté il y a beaucoup plus longtemps, dès la fin des années 1990, sous l’impulsion de politiques publiques qui visaient à projeter la France dans ce qu’on appelait alors la <a href="https://theconversation.com/la-bataille-dazincourt-1415-la-mode-des-start-up-1998-2017-et-lhistoire-des-passions-francaises-85491">« nouvelle économie »</a>. La Silicon Valley était le modèle absolu et semble l’être restée.</p>
<p>La presse économique se réjouit de ce carnet de naissances, mais certaines <a href="https://www.bfmtv.com/economie/tout-comprendre-la-licorne-animal-mythique-devenu-une-realite-economique-en-france_AV-202201190288.html">voix discordantes</a> se font aussi entendre. Et nos <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/10422587211059991">travaux</a> font partie de ceux qui invitent à nuancer l’enthousiasme ambiant. Leurs résultats suggèrent en effet que l’hyper-priorisation de la croissance est une injonction qui ne fonctionne pas pour une majorité d’entrepreneurs.</p>
<h2>Croître ou mourir</h2>
<p>Car outre leur valorisation stratosphérique, les licornes ont pour point commun d’opérer des levées de fonds à tour de bras tout en n’ayant (généralement) pas atteint un quelconque seuil de rentabilité. En d’autres termes, elles sont en hypercroissance, ont un besoin constant de nouveaux capitaux, « brûlent du cash » selon l’expression consacrée et sont rarement rentables.</p>
<p>Une récente <a href="https://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19595497&cserie=25775.html">mini-série consacrée à Uber</a> l’illustre parfaitement, en particulier dans une scène où le cofondateur Travis Kalanick redemande à son fonds d’investissement partenaire des millions quelques mois à peine après en avoir reçu un nombre certain. Leur devise partagée est « Grow or die », croître ou mourir. La demande reçoit une réponse positive.</p>
<p>Ils appliquent la logique suivante : dans un nouvel espace de marché (Uber a créé un nouveau marché), il va y avoir une licorne. Il faut donc miser sur la bonne et s’accrocher. C’est une stratégie de « <em>winner takes all</em> (le gagnant prend tout) » et les investisseurs sont en mode « <em>high risk high reward</em> (prime à qui prendra le plus de risque) ».</p>
<h2>Des modèles</h2>
<p>Dans son discours de 2019 ainsi que dans celui de ce début d’année, Emmanuel Macron explique qu’il y a là une « bataille pour la souveraineté ». L’idée est que si la France ne parvient pas à construire des champions dans les secteurs d’avenir tels que le digital ou l’intelligence artificielle, ses choix seront dictés par d’autres.</p>
<p>Il est vrai que nous avons beaucoup de retard en la matière. Les deep tech par exemple, ces start-up qui proposent des produits ou des services sur la base d’innovations de rupture, restent très <a href="https://www.bpifrance.fr/nos-actualites/generation-deeptech-reconnaitre-un-projet-deeptech">peu soutenues</a> en France. Leurs cycles de recherche et développement étant particulièrement longs, elles ont des besoins de financement encore plus élevés que les autres start-up. Et ces <a href="https://bigmedia.bpifrance.fr/decryptages/la-licorne-est-elle-synonyme-de-reussite-entrepreneuriale">investissements massifs</a> sont plus le fait, en France, de <a href="https://www.usine-digitale.fr/article/derriere-la-course-aux-licornes-les-questions-qui-se-posent.N1776552">fonds américains et japonais</a>.</p>
<p>Emmanuel Macron explique que l’ambition est d’irriguer l’ensemble de l’économie, plus particulièrement en créant des emplois directs et indirects. Les chiffres du <a href="https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs-2021-rapport-rec-lemploi_dans_les_start-up.pdf">rapport</a> publié en octobre 2021 par France Stratégie semblent d’ailleurs corroborer cette assertion.</p>
<p>Ce qui est intéressant également est que ces licornes peuvent permettre de retenir nos talents, ces ingénieurs, par exemple, qui ne trouvent pas de projets assez ambitieux et à la pointe en France et qui s’expatrient. Il y a aussi dans ces licornes l’espoir qu’elles soient les têtes de pont, les animateurs, les leaders d’<a href="https://theconversation.com/quelle-politique-industrielle-pour-lintelligence-artificielle-en-france-122057">écosystèmes qui nous font cruellement défaut</a>. Dans son récent discours, le président affirme :</p>
<blockquote>
<p>« La French tech, ce n’est évidemment pas que les licornes, mais je les vois en quelque sorte comme des exemples, des modèles pour l’ensemble de l’écosystème ».</p>
</blockquote>
<h2>Licornes ou cygnes noirs ?</h2>
<p>Le tableau n’est cependant pas si idyllique. Rechercher sa souveraineté technologique, ou vouloir créer des emplois, constitue un objectif louable, mais la surmédiatisation des licornes a aussi des impacts négatifs. Deux sociologues des organisations américains, Howard Aldrich et Martin Ruef critiquent ainsi fortement, dans un <a href="https://journals.aom.org/doi/abs/10.5465/amp.2017.0123">article récent</a>, la chasse aux <a href="https://www.lesbelleslettres.com/livre/9782251444369/le-cygne-noir">« cygnes noirs »</a> du monde entrepreneurial. Ils emploient l’expression en référence au statisticien Nassim Taleb qui explique qu’il existe certains évènements aléatoires et rares à la fois qui, s’ils se réalisent, ont des conséquences d’une portée considérable et exceptionnelle.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/451641/original/file-20220311-14-a9nhkc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/451641/original/file-20220311-14-a9nhkc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/451641/original/file-20220311-14-a9nhkc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=902&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/451641/original/file-20220311-14-a9nhkc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=902&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/451641/original/file-20220311-14-a9nhkc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=902&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/451641/original/file-20220311-14-a9nhkc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1134&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/451641/original/file-20220311-14-a9nhkc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1134&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/451641/original/file-20220311-14-a9nhkc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1134&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">blank.</span>
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</figure>
<p>GAFAM, BATX ou autres NATU… les deux chercheurs montrent qu’il s’agit bien de cygnes noirs : extrêmement rares et imprévisibles. Et pourtant, la communauté scientifique tout comme les médias leur vouent l’immense majorité de leurs ressources.</p>
<p>Tout ceci se fait aux dépens de ce qui constitue 99,99 % de l’entrepreneuriat à savoir des entreprises qui n’ont rien de tout cela mais qui font quand même marcher l’économie. C’est dans cette veine que <a href="https://www.bfmtv.com/economie/tout-comprendre-la-licorne-animal-mythique-devenu-une-realite-economique-en-france_AV-202201190288.html">certains entrepreneurs et entrepreneuses s’expriment</a> pour expliquer que leurs entreprises ne sont pas des licornes et qu’elles ne cherchent pas à le devenir.</p>
<p>Il faut aussi comprendre que placer la croissance avant la rentabilité est la meilleure façon d’aller vers l’échec. C’est ce que nous avons démontré sur un échantillon constitué par près de 40 % des PME européennes.</p>
<h2>Diamétralement opposées</h2>
<p>Différentes méthodes d’estimation statistiques nous conduisent au même résultat : les entreprises qui parviennent le plus à la réussite, c’est-à-dire qui combinent à la fois forte croissance et forte rentabilité, sont, le plus souvent, celles qui ont misé sur la rentabilité plutôt que sur la croissance. Autrement dit, réussir à une date t est plus probable lorsque l’on connaît une forte rentabilité en t-1 que lorsqu’on connaît une forte croissance en t-1. Grâce à des données sur 8 années de profondeur de champ, on observe même une forme de dépendance à la stratégie choisie initialement.</p>
<p>Ceci est diamétralement opposé à la philosophie licorne qui pourtant irrigue tous les aspects de l’écosystème entrepreneurial. Politiques publiques comme enseignants-chercheurs en gestion mettent la croissance sur un piédestal. Or, l’immense majorité des entrepreneurs <a href="https://www.nber.org/papers/w17041">ne partagent pas cette ambition</a>.</p>
<p>D’autres travaux invitent également à regarder avec méfiance le modèle licorne, soit que l’on <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/08985626.2017.1291762?journalCode=tepn20">surestime leur contribution à l’emploi</a>, soit que l’on oublie l’impact des stratégies de croissance sur les <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/j.1540-627X.2009.00282.x">chances de survie de l’entreprise</a>. De fait, en France, les start-up qui ont procédé à une levée de fonds ne représentent que <a href="https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs-2021-rapport-rec-lemploi_dans_les_start-up.pdf">2,67 %</a> de l’ensemble des emplois créés par des start-up. Et beaucoup des licornes sont déclassées comme <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/immobilier-btp/redresse-mais-plus-modeste-wework-entre-enfin-en-bourse-1356816">WeWork</a> voire meurent à l’image de la plate-forme de streaming Quibi.</p>
<p>Ces modèles irréalistes en termes de réussite entrepreneuriale peuvent d’ailleurs induire un certain nombre de comportements particulièrement nuisibles. L’obsession de la croissance et la pression des différentes parties prenantes, financeurs en particulier, <a href="https://theconversation.com/la-start-up-nation-un-symptome-mais-de-quoi-105599">favorisent l’opportunisme irresponsable</a>. On a pu l’observer dans des scandales tels que <a href="https://theconversation.com/start-up-frauduleuses-laveuglement-complice-des-investisseurs-105325">Theranos</a>, dont l’ancienne dirigeante, Elizabeth Holmes, a été récemment <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/01/04/etats-unis-au-proces-theranos-le-jury-reste-indecis-sur-la-culpabilite-d-elizabeth-holmes_6108076_3234.html">condamnée</a>.</p>
<p>Pour conclure, on peut entendre l’appel à aller plus loin : certains souhaiteraient même transformer nos licornes en <a href="https://www.challenges.fr/high-tech/french-tech/la-france-celebre-sa-25eme-licorne-et-apres_797347">« dragons »</a>. Mais on ne peut pas continuer à imposer ce type d’ambition à l’ensemble des entrepreneurs. Il s’agit aussi de reconnaître comme il se doit les entrepreneurs ordinaires, du quotidien.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/179071/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Leurs retombées sur l’économie sont indéniables. Reste qu’à prioriser la croissance sur la rentabilité, le modèle semble assez nocif pour une grande majorité d’entrepreneurs.Cyrine Ben-Hafaïedh, Professeur en Entrepreneuriat, Innovation et Stratégie, IÉSEG School of ManagementAnaïs Hamelin, Professeur des Universités en Sciences de Gestion à Sciences Po Strasbourg et l'EM Strasbourg, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1775992022-02-27T18:33:56Z2022-02-27T18:33:56ZLes monnaies digitales publiques, une devise pour l’avenir ?<p>En l’espace de quelques années, l’univers des monnaies a connu des bouleversements considérables. Développement de nouveaux moyens de paiement, montée en puissance des cryptoactifs, on a aussi assisté à l’émergence de monnaies digitales émises par des banques privées et même par des banques centrales. Fin 2019, d’après la Banque des règlements internationaux, <a href="https://www.latribune.fr/entreprises-finance/banques-finance/monnaie-digitale-80-des-banques-centrales-planchent-sur-le-sujet-837966.html">80 % des instituts monétaires</a> réfléchissaient déjà à un projet de monnaie numérique, mais seuls 10 % en étaient au stade de projet pilote. La Banque centrale européenne (BCE) s’est d’ailleurs déjà <a href="https://www.ecb.europa.eu/paym/digital_euro/html/index.fr.html">positionnée</a> sur le sujet et affirme :</p>
<blockquote>
<p>« Dans cette nouvelle ère, un euro numérique garantirait que les habitants de la zone euro puissent bénéficier d’un moyen de paiement gratuit, simple, universellement accepté ».</p>
</blockquote>
<p>Un objectif de politique économique non avoué ne serait-il pas de supprimer les paiements en espèces pour atteindre un but ultime quasi-inatteignable autrement : tracer tous les virements et endiguer la plupart des irrégularités, les transactions « au noir » non déclarées, la « petite » fraude fiscale ou encore les paiements illégaux (trafics de drogue, financement des activités terroristes, etc.) ?</p>
<p>À nos yeux, ces monnaies digitales publiques présenteraient un double avantage : permettre une politique monétaire aux effets plus directs et plus immédiats, mais aussi se prémunir des dérives des actifs privés. Car ces nouvelles offres posent de nombreuses questions et ont des impacts macro-économiques, politiques, écologiques d’une ampleur fondamentale, au premier desquels se pose la question de la souveraineté des États.</p>
<h2>Des réserves en devises traditionnelles ? Plus une évidence</h2>
<p>Proches de nous, les pays nordiques semblent en avance sur l’adoption des technologies décentralisées de virements financiers. En dehors des frontières européennes, la Chine a largement pris les devants. Elle ambitionne d’être le premier grand pays à émettre une monnaie numérique souveraine, l’e-yuan. Les tests ont commencé à grande échelle dans ce pays où le paiement mobile est déjà populaire. En décembre dernier, dans 10 000 commerces de la ville de Suzhoules clients ont pu <a href="https://www.lesechos.fr/monde/chine/a-suzhou-la-chine-prepare-la-fin-du-cash-1278091">payer avec cette devise</a>.</p>
<p>Publics ou non, le FMI estime que la valeur totale des cryptoactifs en circulation dans le monde a été <a href="https://www.imf.org/fr/News/Articles/2021/10/01/blog-gfsr-ch2-crypto-boom-poses-new-challenges-to-financial-stability">multipliée par dix</a> entre début 2020 et septembre 2021, date à laquelle elle dépasse les 2000 milliards de dollars. Le cours du bitcoin, le plus célèbre d’entre eux, a atteint les 40 000 dollars en janvier 2021, et a poursuivi son ascension pour dépasser les 60 000 dollars en milieu d’année avant de fluctuer.</p>
<p><iframe id="9xdba" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/9xdba/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>En parallèle, les parts du dollar et de l’euro dans les réserves de change mondiales tendent à baisser. Celle du dollar est tombée à son niveau le plus bas en 25 ans au quatrième trimestre 2020. L’euro aussi connaît des difficultés face à l’émergence du yuan chinois et le retour en grâce de l’or, perçu comme une couverture face au contexte reflationniste actuel. L’or et le bitcoin semblent de plus en plus complémentaires, opérant tous deux la protection recherchée contre l’inflation.</p>
<p><iframe id="W0zBA" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/W0zBA/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Selon le <a href="https://www.imf.org/en/Publications/Departmental-Papers-Policy-Papers/Issues/2020/11/17/Reserve-Currencies-in-an-Evolving-International-Monetary-System-49864">FMI</a> toujours, les monnaies digitales privées de type « stable coin », c’est-à-dire à fluctuations plus stables, pourraient émerger comme des monnaies de réserve internationales. Le rapport de cette organisation internationale examine les facteurs qui pourraient influencer la domination du dollar en la matière et il n’apparaît plus évident que les devises traditionnelles des principales puissances financières puissent maintenir leur statut prépondérant sans rentrer dans la course des monnaies digitales.</p>
<h2>Cryptomonnaie hélicoptère</h2>
<p>Les banquiers centraux peuvent en outre voir dans la monnaie digitale publique une solution face aux écueils traditionnels de la politique monétaire. L’énorme atout de ces actifs numériques serait de permettre aux agents économiques d’avoir un compte directement auprès de la banque centrale, cela avec les avantages généralement attribués à la <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-pourquoi-du-comment-economie-social/qu-est-ce-que-la-monnaie-helicoptere">« monnaie hélicoptère »</a> : contourner les blocages éventuels dans les canaux du crédit bancaire, mettre de l’argent frais directement entre les mains des individus en prenant en compte les inégalités…</p>
<p>En somme, cela pourrait grandement faciliter la transmission de la politique monétaire, sans les effets néfastes des achats d’actifs. La situation induite d’excès de liquidité comme actuellement éprouvée est typiquement une situation délicate dans laquelle la banque centrale peut être en difficulté pour atteindre ses objectifs. Les banques centrales pourraient ainsi retrouver une forme de contrôle et une modulation bien plus directe de la masse monétaire car n’interviendrait plus, dans la chaîne de la création monétaire, le crédit des banques privées.</p>
<p>La tentation de développer des monnaies digitales d’État comme l’euro ou le yuan digital trouve également ses sources dans les faiblesses et dangers inhérents aux devises digitales privées. La Chine, très en avance dans le développement de sa monnaie numérique publique, nous l’avons dit, déclarait d’ailleurs en mai dernier <a href="https://theconversation.com/krach-du-bitcoin-cybercriminalite-et-surconsommation-delectricite-la-face-cachee-des-cryptomonnaies-161057">l’illégalité des transactions liées aux cryptomonnaies</a>.</p>
<h2>Question de confiance</h2>
<p>Plus de <a href="https://currency.com/how-many-cryptocurrencies-are-there">13000 cryptomonnaies privées coexistent aujourd’hui</a>, ce qui génère inévitablement des inefficiences des marchés. Des opportunités béantes d’arbitrage permettent à certains fonds spécialisés d’exploiter les différentiels de prix pour atteindre des rentabilités de 100 %.</p>
<p>Par ailleurs, le bitcoin n’est pas véritablement une monnaie en tant que telle. La confiance dans une monnaie repose en effet sur l’institution qui l’émet et sur un actif-passif présents dans son bilan. L’indépendance de l’émetteur (traditionnellement une banque centrale) augmente théoriquement cette confiance dans la monnaie émise. Le bitcoin ne bénéficie pas de cela et d’ailleurs, en France, <a href="https://www.economie.gouv.fr/particuliers/cryptomonnaies-cryptoactifs">personne n’est obligé d’accepter un paiement en bitcoin</a> d’après le Code monétaire et financier.</p>
<p>La question ultime reste donc celle de l’affirmation des États vis-à-vis des entreprises privées. C’est une question incontournable avant que les monnaies privées n’atteignent une position dominante dépossédant les États d’une fonction régalienne d’intérêt général.</p>
<p>D’autant que s’y mêlent des considérations environnementales. Le minage de ces devises génère d’importantes dérives énergétiques liées à la puissance de calcul des serveurs informatiques. Le bitcoin, par exemple, <a href="https://www.journaldunet.com/economie/finance/1506105-les-cryptomonnaies-sont-elles-ecologiques-ou-non/">a consommé 143 TWh en 2021</a>, ce qui représente plus que la quantité d’énergie utilisée par les Pays-Bas (111 TWh).</p>
<p>-</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/177599/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Amaury Goguel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Leurs avantages pour mener une politique monétaire efficace plaident en leur faveur, de même que les inconvénients véhiculés par les cryptoactifs privés.Amaury Goguel, Economist & Academic Dean of the MSc Financial Markets & Investments. Co-author of the book "Managing Country Risk in an Age of Globalization", SKEMA Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1753872022-01-25T19:45:09Z2022-01-25T19:45:09ZBonnes feuilles : « L’Europe : changer ou périr »<p><em>Dans son dernier ouvrage, <a href="https://www.tallandier.com/livre/leurope-changer-ou-perir/">« L’Europe : changer ou périr »</a>, qui vient de paraître aux éditions Tallandier avec une préface de Jacques Delors, et dont nous vous proposons ici de découvrir l’introduction, Nicole Gnesotto, vice-présidente de l’Institut Jacques Delors et professeure émérite du CNAM, dresse le constat de la fragilité d’une Union européenne dont le salut ne viendra que d’une profonde transformation.</em></p>
<p><em>Retrouvez Nicole Gnesotto, en compagnie de Florent Parmentier (Sciences Po), de la journaliste Frédérique Lebel et du chef de la rubrique International de The Conversation France Grégory Rayko dans le podcast de l’émission <a href="https://www.rfi.fr/fr/podcasts/carrefour-de-l-europe/20220114-l-europe-puissance-c-est-pour-quand">Carrefour de l’Europe</a> sur RFI.</em></p>
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<p><a href="https://www.dicocitations.com/citation_historique_ajout/420.php">« On ne fait rien de sérieux si on se soumet aux chimères. Mais que faire de grand sans elles ? »</a></p>
<p>Trop de crises s’abattent sur l’Europe depuis trop longtemps : économique, sociale, stratégique, démocratique, sanitaire, tandis que la géopolitique mondiale se métamorphose à grande vitesse, que l’intelligence artificielle nous impose un monde inconnu, et que la menace climatique guette à l’horizon. L’Union européenne s’adapte, parfois dans la douleur des populations, elle résiste, elle innove aussi dans la défense du marché unique et de l’euro, mais elle ne parvient pas à dessiner une stratégie globale qui la différencie d’autres acteurs et ressuscite l’adhésion et la confiance des citoyens. Beaucoup d’États membres ne souhaitent d’ailleurs pas qu’elle se distingue.</p>
<p>Dans ce renoncement réside sans doute le risque majeur pour l’avenir de l’Europe. Le dilemme est en effet limpide : soit les Européens choisissent de se diluer dans le camp occidental, afin d’affronter avec les États-Unis les défis majeurs de notre époque, dont la montée en puissance de la force et du modèle chinois. Soit ils inventent une seconde option : construire les éléments d’une Europe souveraine, évidemment membre loyale du camp occidental, mais capable, si besoin est, de défendre seule ses intérêts, sa culture, son modèle de croissance et de société. Ce livre montre que cette ambition d’une Europe plus politique est la seule capable de perpétuer l’aventure européenne commencée il y a plus de soixante-dix ans. Mais à condition de changer les moules : celui de l’Europe comme celui de la puissance.</p>
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<p>La crise sanitaire du Covid-19 restera dans l’histoire comme la première vraie crise mondialisée : pendant deux mois du printemps 2020, 7,5 milliards d’humains dans 192 pays ont parlé et souffert de la même épreuve, les écrans et la « visio » ont remplacé les déambulations dans le monde réel, tous les médias ont publié des unes pratiquement identiques et oublié les autres atrocités du monde, la mondialisation de l’économie s’est contractée à plus de 80 %, l’inquiétude et l’incertitude sont devenues les ingrédients d’une sidération planétaire : un moment de parfaite communion universelle, remarquable si elle n’était aussi tragique. Après cette sorte de « trou noir » dans la normalité de la vie, le cours des événements et des victoires contre la pandémie a ensuite divergé, la Chine sortant de la crise avant les autres, et l’histoire reprenant ses droits. Mais le monde a eu chaud. Il s’est interrogé. L’Europe aussi, plus légèrement.</p>
<p>C’est d’abord la mondialisation qui subit les effets du virus, du moins à la marge. Nul ne songe en effet à l’abandonner pour on ne sait quelle économie alternative, protectionniste ou planifiée. Le Covid-19 a néanmoins mis en lumière les lacunes les plus dangereuses du made in monde. « C’est un vice en tout que l’excès », disait Sénèque. Or au fil des décennies, la mondialisation a connu des distorsions qui en ont perverti et le sens et le bon sens. La plus évidente concerne l’ampleur de l’interdépendance : parce que le commerce était la valeur suprême, tout pouvait se produire et s’échanger partout, du moment que la baisse des prix et la croissance des entreprises suivaient.</p>
<p>La Chine en fut la première bénéficiaire : il y a vingt ans, elle comptait pour 4 % dans le commerce des biens manufacturiers. Elle atteint désormais 20 %. C’est cette concentration dans l’« usine du monde », positive dans la mesure où elle a fait baisser considérablement le prix de milliers de produits, qui crée in fine un risque géopolitique. La Chine n’est pas, en effet, une démocratie libérale, et les bénéfices qu’elle tire du commerce mondial ne sont pas seulement commerciaux : ils renforcent la puissance relative de Pékin sur la scène internationale, ils lui donnent des leviers éventuels de pression dans la rivalité avec l’Occident.</p>
<p>La mondialisation n’a jamais empêché la lutte idéologique entre les démocraties et les régimes autoritaires, pas plus qu’elle n’a éteint les ambitions de puissance des États. N’en déplaise aux intégristes du marché, l’interdépendance n’est pas le sésame d’une entente universelle. C’est aussi un processus à risques. La pandémie de Covid-19 a servi de révélateur planétaire : nos Doliprane dépendaient de sources pharmaceutiques chinoises. Très vite, pour tenter de contrer ces défis, la communauté occidentale s’est donc interrogée sur la mise en œuvre de nouveaux concepts : accroître la régionalisation, diversifier les sources de production, relocaliser peut-être les produits les plus stratégiques.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/covid-19-quand-leurope-voit-ses-strategies-industrielles-fragilisees-134427">Covid-19 : quand l’Europe voit ses stratégies industrielles fragilisées</a>
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<p>Ces correctifs nécessaires pour reprendre le cours d’une mondialisation normale ont séduit beaucoup d’acteurs et de responsables de l’Union. Ils ont d’ailleurs donné à la notion de souveraineté européenne une légitimité nouvelle : est-il acceptable, en effet, que la santé des citoyens repose in fine, pour certains médicaments, dans les mains de la Chine ? Est-il souhaitable que les géants du numérique, américains et chinois, contrôlent les interactions entre Européens ?</p>
<p>Toutefois, l’analyse critique de la mondialisation n’est pas allée au-delà. La question des inégalités notamment, entre les pays comme à l’intérieur des États, n’intéresse pas vraiment. Que <a href="https://www.oxfamfrance.org/communiques-de-presse/davos-2020-nouveau-rapport-doxfam-sur-les-inegalites-mondiales/">« la fortune des 1 % les plus riches de la planète corresponde à plus de deux fois celle de 90 % de la population »</a>, ou qu’une poignée de <a href="https://www.ouest-france.fr/economie/economie-selon-l-oxfam-les-milliardaires-du-monde-detiennent-plus-d-argent-que-60-de-l-humanite-6697017">« 2 000 milliardaires possèdent plus de biens que 60 % de la population mondiale »</a> ne semble pas inquiéter outre mesure. Or, c’est bien cette répartition inégale de la richesse mondiale qui nourrit la véritable fragilité du système libéral et de la démocratie.</p>
<p>Dans les pays pauvres, la mondialisation est une bénédiction car elle profite à tout le monde. Mais dans les pays industrialisés, elle enrichit les riches. Une grande partie des classes moyennes, aux États-Unis comme en Europe, trouve dans ce déséquilibre, qui les affecte directement, des ferments de colère et de révolte.</p>
<p>Pour certains, c’est même une raison suffisante pour se laisser séduire par les idéologies populistes, anti-européennes, xénophobes, complotistes qui prolifèrent en temps de crise. Parmi toutes les réformes nécessaires que l’Union européenne va adopter pour surmonter la crise pandémique, la définition d’une politique ancrée sur la réduction des inégalités sociales devrait faire partie du top 5 des priorités. Or ce n’est pas le cas.</p>
<p>Margrethe Vestager, commissaire à la concurrence et vice-présidente de la Commission, <a href="https://www.touteleurope.eu/economie-et-social/margrethe-vestager-il-ne-s-agit-pas-de-reconstruire-le-monde-tel-qu-il-etait-avant-le-covid/">propose</a> un autre modèle : « Nous avons l’ambition, non pas de reconstruire le monde d’avant, mais de le renouveler, notamment par le numérique et la transition écologique ».</p>
<p>Certes. Investir dans le numérique, l’intelligence artificielle, les technologies vertes, la fabrication de champions européens et la croissance collective, tout cela est très bien et nécessaire : l’Union se prépare au monde de demain. Mais l’Europe ne fera jamais la différence sur ces enjeux. Elle ne marquera pas le monde de son empreinte ni sur la 5G, ni sur l’intelligence artificielle, ni sur la rigueur de son marché.</p>
<p>C’est le social qui fera la différence. Ni les États-Unis, ni la Chine, ni la Russie, ni la Corée du Sud, etc. ne s’alarment en effet des inégalités qui les accablent. Si l’Union doit avoir un rôle positif dans le monde, si elle souhaite retrouver l’aura d’un modèle de développement et de politique différent, alors c’est sur le traitement de l’injustice sociale qu’elle remportera ses galons.</p>
<p>Derrière la mondialisation pointe un second débat, la mère sans doute de toutes les interrogations : le système libéral, qui a porté l’extraordinaire puissance de l’Occident depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, serait-il en danger ? Il y a cinq ans, lorsque les Britanniques votèrent en faveur du Brexit et que les Américains élurent Donald Trump, un premier doute avait surgi. Les Anglo-saxons perdaient-ils la tête ou étaient-ils à l’avant-garde d’une nouvelle organisation du monde ? Donald Trump laissait bouche bée des Européens qui voyaient l’Amérique détruire systématiquement les fondements d’un système international qu’elle avait elle-même créé à son profit : le multilatéralisme, le libre-échange, la défense des valeurs démocratiques et les droits de l’homme.</p>
<p>On vit alors des alliances curieuses passées entre l’Europe et la Chine pour défendre le multilatéralisme que Trump dénonçait avec une brutalité toute personnelle. Ces deux étranges partenaires, européen et chinois, se retrouvèrent également victimes du protectionnisme que les États-Unis imposaient à coups de sanctions commerciales délirantes. Leur accord prit fin dès lors qu’il s’est agi de défendre les vertus de la démocratie libérale : la Chine n’a aucune intention, en effet, d’assortir sa ferveur capitaliste d’une remise en cause de son système communiste.</p>
<p>C’est justement cette collusion entre des régimes autoritaires puissants – Chine, Russie, Inde et Turquie dans une moindre mesure – et une mondialisation économique de moins en moins fair-play qui inquiète. Vladimir Poutine enfonça le clou dans une <a href="https://www.ft.com/content/878d2344-98f0-11e9-9573-ee5cbb98ed36">interview</a> donnée au <em>Financial Times</em> :</p>
<blockquote>
<p>« L’idée libérale est devenue obsolète, elle contredit les intérêts d’une majorité de la population. Les libéraux ne peuvent pas dicter tout à tous, comme ils ont tenté de le faire lors de ces dernières décennies. »</p>
</blockquote>
<p>Après quatre années d’attaques en règle, par les États-Unis, d’une mondialisation qui ne profiterait plus à l’Amérique, la pandémie de Covid déferla sur le monde, fermant les frontières, rompant les chaînes d’approvisionnement. Plus d’avions, plus de commerce, plus de croissance : aurait-elle sonné le glas de l’économie libérale ? Quand il apparut aussi que la Chine s’en sortait plus rapidement et plus radicalement que les Européens, les doutes s’ajoutèrent sur l’efficacité des démocraties comparée à celle des dictatures. Et quand la Chine signa, en novembre 2020, un accord massif, inouï, avec quatorze autres pays de la région, créant ainsi la plus grande zone de libre-échange du monde, l’ordre libéral vacilla de plus belle.</p>
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<p>Était-on en train d’inverser les rôles : du protectionnisme en Occident, voulu ou contraint par le Covid, et des opinions publiques de plus en plus réticentes envers une mondialisation sans contrôle ; de l’ultralibéralisme en Asie, avec des opinions bâillonnées mais une croissance à faire pâlir les Occidentaux eux-mêmes ? Le modèle libéral passait-il en d’autres mains, asiatiques et autoritaires ?</p>
<p>Si l’on assimile le libre-échange au libéralisme, sans doute avons-nous de quoi nous inquiéter. Mais le libre-échange n’est que l’aspect commercial de l’ordre libéral. Depuis son invention au XVIII<sup>e</sup> siècle, le libéralisme suppose en effet autant la liberté des acteurs économiques que celle des acteurs politiques. Autrement dit, le libre-échange et la démocratie.</p>
<p>Que l’Asie marque des points sur le commerce mondial ne fait donc pas d’elle une championne du libéralisme. Ce sont les démocraties occidentales, et particulièrement l’Union européenne, qui peuvent concilier ces deux priorités. La Chine reste un pays adepte d’un capitalisme brutal et d’un communisme qui l’est encore plus : rien à voir avec le libéralisme que nous chérissons et incarnons en Europe, depuis 1945. En revanche, c’est la remise en cause de la démocratie dans les vieux pays occidentaux, à commencer en Amérique sous Trump, et en Europe avec les mouvements populistes et la dissidence antidémocratique de certains États de l’Est, qui représente un risque mortel pour l’ordre libéral.</p>
<p>Ira-t-on un jour vers un modèle libéral-autoritaire sur notre continent ? Cette hypothèse aurait été jugée complètement folle il y a dix ans. Elle ne peut plus l’être. Dans ce bouillonnement de remise en cause, l’Europe n’est pas restée inerte. Elle aussi s’est interrogée, bien que plus modestement. Un moment de panique bouleversa les responsables européens au tout début de l’épidémie : l’Italie allait-elle vouloir quitter une Union qui ne lui venait pas en aide ? La France et l’Allemagne allaient-elles entraîner une explosion de l’Europe si leurs divergences massives sur le plan de relance n’étaient pas surmontées ?</p>
<p>Mais le bord du gouffre ne fut pas franchi. Les décisions prises en juillet 2020, en particulier l’adoption du <a href="https://ec.europa.eu/info/strategy/recovery-plan-europe_fr">plan de relance de 750 milliards d’euros</a>, permirent finalement de maintenir l’Union solidaire, et le couple franco-allemand retrouva l’unisson. L’Europe s’adapta, proposa, prit des mesures spectaculaires et finit par suspendre toutes les règles et les politiques d’austérité qu’elle présentait naguère comme intouchables : on dépensa « quoi qu’il en coûte », on ferma les frontières, on redistribua allègrement des milliards d’euros que toutes les rhétoriques sur une Europe sociale n’avaient jamais pu rassembler.</p>
<p>L’ambition d’une souveraineté européenne, si chère à la France, trouva même son public : contre les dépendances pharmaceutiques ou autres, contre les défis géopolitiques du commerce avec la Chine, contre les concurrences et les innovations technologiques en ébullition, les Européens prirent conscience à la fois de leur naïveté et de leur nécessaire résistance. Toutefois, ces multiples interrogations n’allèrent pas jusqu’à une remise en cause des fondements de l’Union elle-même. Certes, on décida de corser une Europe de la santé jusqu’alors minimale, on sauta le pas vers un début de mutualisation des dettes révolutionnaire, la Commission proposa la création d’un salaire minimum, une réforme des politiques d’asile, on inventa même un début de conditionnalité politique contre les États rebelles à l’état de droit, Pologne et Hongrie notamment, mais toujours avec les mêmes principes et les mêmes priorités.</p>
<p>L’alliance avec les États-Unis allait d’une part nous sauver de toutes les nouveautés de la géopolitique dans une mondialisation en crise. Le modèle européen, d’autre part, devait être conforté sur ses bases : le marché, la concurrence, la croissance, avec l’espoir d’une restauration la plus rapide possible de l’Europe d’avant. Une Europe certes plus verte, plus résiliente, plus digitale, plus atlantique, mais finalement identique.</p>
<h2>Changer les modèles</h2>
<p>C’est ce culte de la continuité des modèles (atlantique et européen) qu’il convient de remettre en question. Une Europe souveraine et puissante dans le chaos mondial, celle qui pourra défendre ses intérêts et tenter d’infléchir la mondialisation selon ses valeurs, cette Europe n’émergera jamais des modèles mis en place il y a plus de soixante-dix ans. Le format originel de l’Europe était en effet parfaitement adapté au monde des années 1950 et à la guerre froide qui s’installait : l’Europe détruite était forcément dépendante des États-Unis pour sa défense et la reconstruction d’un marché ouvert et concurrentiel.</p>
<p>La première partie de cet ouvrage retrace l’histoire de ce qui reste une réussite historique spectaculaire : des années glorieuses, où la prospérité s’épanouit dans pratiquement toutes les couches de la société, où la sécurité est effectivement assurée par la dissuasion américaine élargie, où les succès économiques et industriels sont légion. Certes, cette Europe heureuse n’ignorait pas les débats, les batailles d’idées et de modèles, les divergences stratégiques : la France et la Grande-Bretagne ont incarné la plupart du temps deux visions antagoniques de la construction européenne. Mais la croissance était là, et avec elle le soutien massif des citoyens européens.</p>
<p>Ce monde s’effondre avec la disparition de l’URSS en 1991. Une Europe plus grande mais plus incertaine va prendre le relais, sans que les modèles initiaux – la dépendance stratégique et le culte du marché – soient le moins du monde adaptés. La seconde partie de cet essai montre à quel point le nouveau monde dérange l’ordre européen, mais à quel point aussi le conservatisme l’emporte. On élargit le cadre ancien, sans repenser une Europe moderne. On s’invente une politique européenne de défense, on sacralise le cadre de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN).</p>
<p>Trop de crises ont affecté l’Union européenne depuis : la crise économique de 2008, la crise des réfugiés de 2015, la montée des populismes et de l’europhobie, les gesticulations stratégiques de la Russie et de la Turquie, le Brexit, l’élection de Trump et son tropisme anti-européen, la crise pandémique, etc. Si certaines naissaient de causes extérieures à l’Europe, d’autres prenaient leurs racines dans les failles mêmes de l’Union européenne, parfois depuis des décennies. Les divisions entre États membres, l’accroissement des inégalités sociales, l’atonie de la croissance, les raidissements autoritaires de la Pologne et de la Hongrie, l’absence de vision politique, de contrôle minimal sur la folie des marchés, tout cela affaiblit depuis longtemps l’efficacité et donc la légitimité de l’Union européenne aux yeux des citoyens.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/441773/original/file-20220120-8497-4jqe6q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/441773/original/file-20220120-8497-4jqe6q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/441773/original/file-20220120-8497-4jqe6q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=889&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/441773/original/file-20220120-8497-4jqe6q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=889&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/441773/original/file-20220120-8497-4jqe6q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=889&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/441773/original/file-20220120-8497-4jqe6q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1117&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/441773/original/file-20220120-8497-4jqe6q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1117&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/441773/original/file-20220120-8497-4jqe6q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1117&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Ce texte est issu de « L’Europe : changer ou périr », paru le 6 janvier 2022 aux éditions Tallandier.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Tallandier</span></span>
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<p>Or, à quoi sert l’Europe si elle ne les sert pas, ou mal ? C’est cette refondation européenne qui sert de fil d’Ariane à la dernière partie de l’ouvrage : réguler plutôt que l’inverse, contrôler plutôt que laisser faire les marchés, lutter contre les inégalités sociales en complément des États, inventer un devoir de solidarité comme il existe un droit de la concurrence, refuser de subir le monde et vouloir au contraire peser collectivement sur le cours des choses. Covid oblige, la souveraineté est devenue la nouvelle aventure européenne. Et la France y mérite une place à part : parce qu’elle a joué un rôle moteur dans l’histoire de l’Europe politique, parce que l’ambition d’une Europe souveraine et autonome reste au cœur de l’identité française, ses évolutions seront déterminantes pour l’avènement de cette nouvelle Europe.</p>
<p>Réforme, rénovation, refondation, autant de termes galvaudés : chacun y va de son projet de refonte, des leçons tirées de la pandémie, un grand exercice pan-européen de débat citoyen, <a href="https://futureu.europa.eu/?locale=fr">« la conférence sur l’avenir de l’Europe »</a> a même été lancé par le couple franco-allemand en 2021. Mais à ce stade, rien ne bouge. Les Européens restent figés dans leurs moules, qu’ils soient atlantique ou libéral. Est-ce donc si impossible de réformer les modèles, certes admirables, mais conçus il y a soixante-dix ans, pour six pays, sur les décombres d’une guerre mondiale, autrement dit dans un monde définitivement révolu ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/175387/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicole Gnesotto ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’ambition d’une Europe plus politique est la seule capable de perpétuer l’aventure de l’UE. Mais les citoyens et dirigeants européens y sont-ils prêts ?Nicole Gnesotto, Professeure émérite du CNAM, vice-présidente de l'Institut Jacques Delors, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1742062022-01-17T19:34:51Z2022-01-17T19:34:51ZLe Somaliland, la démocratie africaine aux 30 ans d’isolement<p>Il y a trente ans, tandis que la Somalie <a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2003-4-page-57.htm">sombrait dans la guerre civile</a>, la partie nord-ouest du pays a fait sécession. Elle s’est déclarée indépendante sous le nom de Somaliland. Depuis, ce pays a construit un État, un ordre démocratique, sa propre monnaie et une économie. Il a surtout <a href="https://www.voaafrique.com/a/le-somaliland-havre-de-paix-en-qu%C3%AAte-de-reconnaissance-internationale/6272554.html">connu la paix</a>, à la différence de la Somalie voisine.</p>
<p>Le Somaliland, grand comme la moitié de la France, est peuplé de trois à quatre millions de personnes. Il commande une position stratégique sur les rives sud du Golfe d’Aden, une des zones majeures du transit maritime mondial.</p>
<p>Depuis trente ans, ce pays cherche la reconnaissance diplomatique, en tant que bon voisin et en respectant les règles internationales. Pourtant, il n’est pas reconnu. Pourquoi ?</p>
<h2>Contexte</h2>
<p>Le Somaliland fut d’abord, depuis 1887, un protectorat britannique. En 1960 il fut <a href="https://citizenshiprightsafrica.org/union-of-somaliland-and-somalia-law-no-1-of-1960/?lang=fr">intégré sans heurts</a> à la Somalie indépendante qui se forma après une colonisation et tutelle italiennes. Pendant deux décennies, tout se passa bien, même si le pays, à l’exception de la capitale Mogadiscio, stagnait et souffrait d’un manque de développement.</p>
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<figcaption><span class="caption">Somaliland : l’exception africaine (Arte, 5 octobre 2021).</span></figcaption>
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<p>Mais, dans les années 1980, le régime militaire de Siad Barre commença à se purger des clans auquel le dictateur ne faisait plus confiance, entre autres la famille de clans <a href="https://books.openedition.org/demopolis/245?lang=fr">Isaaq</a>, majoritaire au Somaliland, allant jusqu’à bombarder la capitale régionale, Hargeisa, ainsi que la deuxième ville du Somaliland, Bur’o, et remplir des fosses communes de milliers de civils <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Isaaq_genocide">purgés dans des campagnes génocidaires</a>. C’est pourquoi, dès 1991, les chefs de clan Isaaq saisirent l’opportunité de la guerre civile qui enflamma la Somalie et proclamèrent l’indépendance du Somaliland.</p>
<p>Ils tissèrent des liens avec les autres clans somaliens habitant le territoire – appartenant aux familles de clans Dir et Darood – pour éteindre les conflits locaux. De longs pourparlers entre les habitants, financés par la diaspora, les commerçants et la population, forgèrent un État, qui se dota à la fin des années 1990 d’un <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-africaine-2010-4-page-175.htm">système électoral démocratique constitutionnel</a>. Entre-temps, l’économie s’est reconstruite sur de nouvelles bases.</p>
<h2>Une économie en croissance</h2>
<p>Le Somaliland n’est pas doté de richesses minérales, et il n’y pleut qu’à peine, ce qui limite fortement l’agriculture. Le pays exporte principalement des chèvres, des moutons, des chameaux (élevés par les nomades et destinés aux abattoirs du Golfe) et un peu de gommes aromatiques (la myrrhe et l’encens). Mais son économie repose surtout sur le <a href="https://www.lepoint.fr/economie/somaliland-faut-etre-un-peu-fou-mais-il-y-a-un-immense-potentiel-09-06-2016-2045519_28.php">business</a>, grâce aux bonnes connexions de la diaspora somalilandaise dans les pays du Golfe, en Occident et ailleurs. Le pays vise aussi à assurer une plus grande part du transit commercial en direction de l’Éthiopie, qui aimerait réduire sa dépendance à l’égard du port de Djibouti.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/440423/original/file-20220112-15-1ct723m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/440423/original/file-20220112-15-1ct723m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=416&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/440423/original/file-20220112-15-1ct723m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=416&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/440423/original/file-20220112-15-1ct723m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=416&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/440423/original/file-20220112-15-1ct723m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=523&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/440423/original/file-20220112-15-1ct723m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=523&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/440423/original/file-20220112-15-1ct723m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=523&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le marché du bétail à Aynabo.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Robert Kluijver</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Une visite à Hargeisa (ce qui <a href="https://wikitravel.org/en/Somaliland">s’organise facilement</a>, je vous y encourage) montre une ville saisie par la fièvre de l’immobilier, financée par les compagnies de télécom, les sociétés de transfert d’argent, et le commerce.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/440421/original/file-20220112-21-1pk8t4p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/440421/original/file-20220112-21-1pk8t4p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/440421/original/file-20220112-21-1pk8t4p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/440421/original/file-20220112-21-1pk8t4p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/440421/original/file-20220112-21-1pk8t4p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/440421/original/file-20220112-21-1pk8t4p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/440421/original/file-20220112-21-1pk8t4p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le centre de Hargeisa.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Robert Kluijver</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Les cafés sont ouverts jusqu’aux petites heures ; c’est une des capitales les plus sûres d’Afrique. Il y a des centres d’art, des boutiques de luxe, des designers et plein de salons de beauté ainsi qu’un marché foisonnant. La ville est de mieux en mieux intégrée aux <a href="https://www.thebrenthurstfoundation.org/downloads/hargeisa_discussion-paper-04-2019-hargeisa-somaliland-invisible-city.pdf">réseaux de transport et commerce de la Corne d’Afrique</a>.</p>
<h2>Une démocratie fonctionnelle, quoique non idéale</h2>
<p>Dans ce qui semble un cas unique, l’État du Somaliland repose sur de vrais fondements populaires car, n’ayant accès à aucun soutien international, même pas d’un pays voisin, l’État s’est formé par un contrat social unissant la plupart (mais pas tous) des habitants du pays. L’effort de création de l’État et de ses institutions fut soutenu par la population jusqu’aux années 2000, quand l’aide internationale commença à affluer vers les institutions somalilandaises. C’est justement le manque de soutien international à la formation de cet État qui l’a <a href="https://gsdrc.org/document-library/when-less-is-more-external-assistance-and-the-political-settlement-in-somaliland/">rendu si démocratique</a>.</p>
<p>Pour pouvoir participer au système interétatique contemporain, les dirigeants somalilandais optèrent pour un État basé sur la loi et la démocratie électorale multipartiste. Le président et les membres de l’Assemblée nationale sont élus par la population dans des processus électoraux qui ont déjà vu plusieurs transitions pacifiques entre gouvernements – ce qui est rare dans la région. Derrière cette façade démocratique, il y a un accord de partage de pouvoir entre les grands clans, basé sur le principe de l’alternance. En juin 2021, le parti au pouvoir <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20210609-au-somaliland-les-deux-principaux-partis-d-opposition-coalisent-pour-diriger-le-parlement">perdit les élections</a> à un siège de Parlement près ; il accepta avec peu de protestations. Le président Muse Bihi doit maintenant cohabiter avec l’opposition au Parlement, ce qui atténuera peut-être ses tendances autoritaires.</p>
<p>Soyons clairs, le Somaliland n’est pas un exemple rayonnant de démocratie. On y trouve des <a href="https://www.rtbf.be/info/monde/detail_on-le-laisse-mourir-en-prison-quand-les-autorites-du-somaliland-enferment-un-journaliste-critique?id=10487404">journalistes en prison</a> pour avoir critiqué le gouvernement, et les jeunes éduqués <a href="http://democracyinafrica.org/somaliland-suspends-relations-united-nations/">cherchent à fuir le pays</a> pour le manque de liberté et de possibilités de croissance. Enfin, les populations non-Isaaq de l’Est et de l’Ouest du pays, soit à peu près un quart de la population, se sentent trop peu représentées à Hargeisa. La population Darood du tiers Est du Somaliland est aussi <a href="https://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/Between%20Somaliland%20and%20Puntland%20by%20Markus%20Hoehne%20-%20RVI%20Contested%20Borderlands%20%282015%29%20%281%29.pdf">réclamée par le Puntland voisin</a>, où les Darood sont au pouvoir.</p>
<p>Le Puntland est presque aussi autonome que le Somaliland mais se considère comme un État membre de l’État fédéral qui s’est formé en Somalie en 2012. Il y a eu plusieurs confrontations armées entre le Somaliland et le Puntland. Mais en comparaison avec ses voisins de la Corne d’Afrique – y compris le Puntland, haut-lieu de la piraterie somalienne et terrain d’opérations d’Al-Shabaab et de l’État islamique –, le Somaliland ressemble à la Suisse.</p>
<h2>Pays non reconnu</h2>
<p>La sécession du Somaliland ne fut jamais acceptée par Mogadiscio. Mais de 1990 à 2009, il n’y avait effectivement pas de gouvernement somalien, et celui présent actuellement est faible. De tous les points de vue, la communauté internationale devrait reconnaître le Somaliland. Il y a les arguments historiques : le pays est désormais indépendant depuis aussi longtemps (trente ans) qu’il a été uni à la Somalie. Mais il y a également les arguments légaux : selon la <a href="http://danielturpqc.org/upload/Convention_concernant_les_droits_et_devoirs_des_%C3%89tats_Convention_de_Montevideo_1933.pdf">convention de Montevideo</a>, le pays coche toutes les cases : un territoire déterminé, une population permanente, un gouvernement et la capacité de rentrer dans les relations internationales.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/440426/original/file-20220112-17-yu3h3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/440426/original/file-20220112-17-yu3h3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/440426/original/file-20220112-17-yu3h3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/440426/original/file-20220112-17-yu3h3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/440426/original/file-20220112-17-yu3h3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/440426/original/file-20220112-17-yu3h3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/440426/original/file-20220112-17-yu3h3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Frantz Fanon University, Hargeisa.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Robert Kluijver</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Il y a aussi des raisons sécuritaires : la piraterie, le soulèvement islamique et l’instabilité permanente que connaît la Somalie n’ont jamais pris racine au Somaliland. Pourquoi les Nations unies et le reste de la communauté internationale veulent-ils remettre ce pays sous le joug du <a href="https://www.france24.com/fr/20170203-somalie-elections-presidentielles-pays-corrompu-monde-mogadiscio-shebab">gouvernement corrompu</a> de Mogadiscio, qui reste entièrement dépendant de ses soutiens étrangers ? L’État fédéral, même après le retour du Somaliland dans le giron de la Somalie, sera probablement balayé par un <a href="https://foreignpolicy.com/2021/09/22/could-somalia-alshabab-taliban-next-afghanistan/">soulèvement islamiste</a>, comme le fut le gouvernement afghan.</p>
<p>Enfin, il y a des raisons morales : ce pays, si « bon élève » depuis trente ans, une démocratie libérale qui réussit à se maintenir malgré son isolement, ne mériterait-il pas d’être récompensé par la reconnaissance internationale ? N’est-ce pas, justement, un exemple à ériger, un modèle à suivre pour <a href="https://issafrica.org/iss-today/somalilands-election-boosted-its-theoretical-case-for-recognition">encourager la démocratie en Afrique</a> ?</p>
<p>Il est souvent dit que l’Union africaine ne veut pas reconnaître le Somaliland de peur d’ouvrir la « boîte de Pandore » des réclamations sécessionnistes en Afrique mais, en 2005, une commission d’enquête de cette institution décida que le Somaliland <a href="https://unpo.org/article/3867">méritait la reconnaissance</a>.</p>
<p>Un ambassadeur européen me dit un jour à Hargeisa que le Somaliland n’était pas reconnu parce que rien n’y obligeait les puissances étrangères. Ce qui pourrait les y obliger ? Une guerre, me répondit-il, comme celles qui précédèrent la reconnaissance de l’Érythrée (en 1993) et du Sud-Soudan (en 2011). Si le Somaliland provoque un conflit régional qui appelle l’intervention de puissances étrangères, le pays finira par être reconnu, m’assura-t-il.</p>
<p>Voilà une perspective peu joyeuse, qui donne l’impression que la communauté des États est une cour de récréation où règne depuis longtemps la même bande de copains. S’ils n’ont pas envie de te reconnaître, ton comportement n’y changera rien. Il faut provoquer une véritable crise pour qu’ils se penchent sur ton sort.</p>
<h2>Une existence fantôme</h2>
<p>Mais il faut aussi constater que le pays se porte plutôt bien malgré sa non-reconnaissance. Les problèmes sont multiples : le passeport somalilandais n’est reconnu que par l’Éthiopie, les banques et commerces locaux ne peuvent pas ouvrir de lignes de crédit et le Somaliland ne peut participer à aucun forum régional ou international.</p>
<p>Pourtant, le pays n’en souffre pas démesurément : ses citoyens et ses commerçants ont trouvé des voies détournées pour participer à la vie internationale.</p>
<p>Le gouvernement veut surtout être reconnu pour pouvoir emprunter sur les marchés mondiaux. Or, il n’y a aucune raison de penser que le gouvernement somalilandais s’adonnera à une gestion financière plus prudente que d’autres pays africains. En effet, l’argent extérieur ne comporte aucune obligation sociale et permet aux autorités de s’enrichir ou de financer leurs projets préférés, en comptant sur les générations futures pour payer la dette. Pour l’instant, le Somaliland est peut-être le seul pays non endetté de la planète ; son gouvernement doit subsister surtout grâce aux impôts qu’il arrive à prélever.</p>
<p>Il est vrai que les autorités profitent aussi des flux humanitaires et de développement provenant de l’étranger. Cela a permis une consolidation autocratique des clans au pouvoir depuis l’indépendance, même si le manque de reconnaissance incite parfois les autorités du pays à <a href="https://africanarguments.org/2020/11/why-did-somaliland-just-suspend-cooperation-with-the-un/">se tourner contre les Nations unies</a>. Mais ces flux sont insignifiants en comparaison des dizaines ou centaines de millions de dollars que le gouvernement pourrait emprunter au FMI ou à la Banque mondiale si le Somaliland était reconnu.</p>
<p>Somme toute, il est donc peut-être préférable que le Somaliland ne soit pas reconnu. Cela oblige le gouvernement à se comporter de manière plus démocratique et à maintenir un consensus social, ce qui, à son tour, assure la paix. Ces effets de la non-reconnaissance du Somaliland en disent long sur l’ordre international…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174206/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Robert Kluijver ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’un des rares pays africains à connaître la démocratie et la stabilité depuis plus de 30 ans, le Somaliland n’est pourtant pas reconnu par la communauté internationale. Pourquoi ?Robert Kluijver, Researcher at the Centre for International Research (CERI), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1738642022-01-05T11:22:24Z2022-01-05T11:22:24ZEn graphiques : les exportations d’armes françaises<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/438047/original/file-20211216-15-1bxmuqw.PNG?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C914%2C362&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">À qui la France vend-elle ses armes&nbsp;? Quelle place occupe-t-elle sur ce marché&nbsp;? Quelles sont les tendances de court et long termes&nbsp;? Les réponses en infographies.
</span> <span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Les exportations d’armes, qui font l’objet de vifs <a href="https://www.publicsenat.fr/article/debat/ventes-d-armes-il-faut-a-l-evidence-ameliorer-le-controle-des-assemblees">débats de société</a> et se trouvent parfois au cœur de <a href="https://theconversation.com/pourquoi-la-rupture-par-laustralie-du-contrat-du-siecle-etait-previsible-168247">séquences diplomatiques tendues</a>, sont <a href="https://theconversation.com/ventes-darmes-la-france-resiste-a-lhegemonie-americaine-171798">essentielles</a> pour l’industrie de défense française.</p>
<p>La vente de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/12/03/rafale-aux-emirats-treize-ans-de-negociations-pour-un-contrat-record_6104569_3210.html">80 avions de combat Rafale aux Émirats arabes unis</a> pour un montant de 16 milliards d’euros, signée début décembre, vient de le rappeler. Le montant de la commande, qui équivaut à 40 % du budget 2021 des armées, et le <a href="https://www.lefigaro.fr/international/entre-la-france-et-les-emirats-arabes-unis-la-fiabilite-d-un-partenariat-deja-ancien-20211203">partenariat stratégique qui y est associé</a>, mettent en évidence l’importance économique, technologique et politique de ce secteur.</p>
<p>Une présentation historique et chiffrée des exportations d’armes françaises permet de saisir l’évolution que celles-ci ont connue au cours des dernières décennies et la place de la France sur le marché mondial.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/sous-marins-australiens-le-modele-francais-dexportation-darmes-en-question-170390">Sous-marins australiens : le modèle français d’exportation d’armes en question</a>
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<h2>Tendances des trente dernières années</h2>
<p>Depuis 1991, qui marque la fin de la guerre froide, l’évolution des exportations françaises d’armement est cyclique, avec un niveau plancher, c’est-à-dire un montant moyen minimal, se situant aux alentours de 4 milliards d’euros par an.</p>
<p>Deux raisons peuvent expliquer ces <a href="https://www.routledge.com/French-Arms-Exports-The-Business-of-Sovereignty/Beraud-Sudreau/p/book/9780367511456">phénomènes conjoncturels</a> :</p>
<ul>
<li><p>la signature de grands contrats qui génèrent des pics de livraisons (à l’instar des chars Leclerc <a href="https://www.lesechos.fr/1993/02/la-france-emporte-un-contrat-de-21-milliards-de-francs-a-abou-dhabi-899295">vendus aux Émirats arabes unis au début des années 2000</a>)</p></li>
<li><p>un environnement favorable aux exportations, avec une demande soutenue de la part des pays importateurs (depuis le début des années 2010).</p></li>
</ul>
<p><iframe id="J71s7" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/J71s7/3/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Dans une analyse de marché, les exportations françaises représentent le versant « offre » alors que les dépenses de défense des pays clients correspondent au versant « demande ». En 2020, les dépenses de défense ont atteint un niveau jamais observé, y compris durant la guerre froide, frôlant les 2 000 milliards de dollars.</p>
<p>Si certaines régions du monde, en particulier l’Europe de l’Ouest, voient leurs dépenses stagner, d’autres, comme le Moyen-Orient et l’Asie, font montre d’un dynamisme certain depuis près d’une quinzaine d’années. Historiquement, ces deux régions sont des « importateurs nets ». Elles ont besoin de matériels de défense étrangers car elles ne disposent pas des compétences nécessaires pour les fabriquer.</p>
<p>Se pose alors la question de savoir si les performances françaises sont tirées par la dynamique de la demande depuis une dizaine d’années. En effet, le taux de croissance des exportations françaises est supérieur, en moyenne, à celui du reste du monde. Il y a donc une forme de « surperformance » de la France.</p>
<p>Cela peut s’expliquer par <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/air-defense/rafale-pourquoi-lavion-invendable-enchaine-desormais-les-succes-1369541">plusieurs éléments</a> : la qualité des produits, notamment sur le plan technologique ; leur maturité (c’est ainsi le 4<sup>e</sup> standard du Rafale qui sera exporté aux E.A.U.) ; l’effet <em>combat proven</em> de certains matériels (dont le Rafale, largement employé en opération extérieures par la France sur un spectre de missions très large montrant ainsi sa polyvalence) ; ou encore une politique diplomatique et commerciale efficace (la fameuse « équipe France » qui s’est <a href="https://www.ifri.org/fr/publications/etudes-de-lifri/focus-strategique/politique-francaise-de-soutien-aux-exportations">particulièrement illustrée sous la présidence de François Hollande</a>).</p>
<h2>La France, troisième vendeur d’armes mondial</h2>
<p>Depuis 1991, le classement des pays exportateurs est <a href="https://sipri.org/publications/2021/sipri-fact-sheets/trends-international-arms-transfers-2020">largement dominé par les États-Unis (plus de 38 %) et la Russie (près de 20 %)</a>. La France, leader des puissances moyennes, arrive en troisième position, avec une part de marché moyenne de plus de 7 %. Du côté de l’offre, le marché est extrêmement concentré, puisque les exportations cumulées du top 10 mondial représentent près de 90 % du total.</p>
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<div><a class="‘flourish-credit’" target="‘_top’"><img alt="‘Made"> </a></div>
<p>Les <a href="https://sipri.org/publications/2021/sipri-fact-sheets/sipri-top-100-arms-producing-and-military-services-companies-2020">entreprises américaines</a> dominent nettement le marché de l’industrie de défense mondiale.</p>
<p>Les raisons qui expliquent la domination américaine sont bien connues. Le marché intérieur américain est le plus grand au monde, les États-Unis concentrant près de 40 % des dépenses de défense mondiales : la pression à l’exportation est plus faible que pour les pays qui ont besoin d’augmenter la taille de leur marché par des commandes à l’export. Enfin, les États-Unis font de leurs exportations d’armes une arme diplomatique majeure, puisqu’elles permettent à leurs clients de satisfaire leur besoin de sécurité à la fois par l’achat d’armes et par une plus grande proximité (aussi bien opérationnelle que relationnelle) avec la puissance américaine.</p>
<p>Les pays européens complètent l’essentiel du top 10 et représentent près de 25 % des exportations mondiales. Néanmoins, leur position est de plus en plus contestée <a href="https://sipri.org/publications/2020/sipri-insights-peace-and-security/emerging-suppliers-global-arms-trade">par la Chine ou Israël</a>, mais aussi par la <a href="https://orientxxi.info/magazine/turquie-l-industrie-de-l-armement-a-marche-forcee-vers-l-autonomie,5127">Turquie</a> ou bien encore par la <a href="https://fr.yna.co.kr/view/AFR20201214001600884">Corée du Sud</a>, qui ont vu leurs parts de marché respectives multipliées par trois entre les années 2000 et 2010.</p>
<p>L’arrivée de ces nouveaux acteurs constitue une concurrence supplémentaire dans un secteur où, traditionnellement, les barrières à l’entrée sont fortes. Ainsi, sur la dernière décennie, la France a vu sa part de marché se réduire, alors même qu’elle s’est installée à la troisième place dans le classement.</p>
<h2>Qui sont les clients de la France ?</h2>
<p>Depuis 1991, le top 5 des clients de la France est principalement dominé par des pays du Proche et Moyen-Orient (Arabie saoudite, Émirats arabes unis, Égypte et Qatar). En moyenne, plus de 25 % des exportations françaises sont <a href="https://www.iris-france.org/163107-vente-record-de-rafale-aux-emirats-arabes-unis-consecration-pour-lindustrie-darmement-francaise/">dirigées vers l’Arabie saoudite et les E.A.U</a>, tandis que 7 % sont dirigées vers l’Inde. Mais ce dernier pays présente une très forte progression (passant de 2,5 % sur la période 1991-2000 à plus de 12 % sur la période 2011-2020) grâce aux contrats des sous-marins Scorpène et des avions de combat Rafale.</p>
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<div><a class="‘flourish-credit’" target="‘_top’"><img alt="‘Made"> </a></div>
<p>Les pays alliés de la France au sein de l’OTAN forment près de 11 % des exportations totales sur la période post-guerre froide. Cette part est toutefois en constante baisse : de 20 % dans les années 1990, elle représente à peine plus de 5 % sur la décennie 2010.</p>
<p>Les exportations de la France sont donc cohérentes avec l’analyse de la demande : les tendances en matière de dépenses de défense sont orientées à la hausse en Asie et au Proche et Moyen-Orient (PMO), alors que les budgets de défense sont davantage contraints (voire même orientés à la baisse) pour les pays occidentaux.</p>
<p>Cela se confirme par l’analyse régionale (cf. graphique), qui montre que tous les marchés export sont en croissance, sauf en Europe et en Amérique du Nord. Le PMO et l’Asie du Sud/Sud-Est concentrent près de 60 % des exportations totales, contre à peine 20 % pour l’Europe.</p>
<p>Pour cette dernière, la chute de la part de marché entre les décennies 2000 et 2010 peut principalement s’expliquer par les politiques d’austérité décidées à la suite de la crise financière de 2008, en particulier en Grèce, qui est historiquement un client majeur.</p>
<p>Pour expliquer les volumes d’exportations ponctuellement plus élevés, deux raisons sont à avancer : un <a href="https://www.challenges.fr/entreprise/defense/l-armement-dernier-bastion-du-grand-export-francais_755659">« grand export »</a> (c’est-à-dire en dehors des frontières de l’UE) et un <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/culturesmonde/politique-etrangere-les-chantiers-du-futur-president-34-moderniser-loutil">« grand contrat »</a> (pour des matériels, soit dans le domaine naval (sous-marins et navires de surface), soit dans le domaine aéronautique, en particulier les avions de combat.</p>
<p>À noter que sur la période 1990-2020, les matériels aéronautiques, navals et missiles représentent 75 % du montant cumulé des exportations d’armement, chiffre à relier à l’« avantage comparatif » dont dispose la France dans ces trois catégories de matériels.</p>
<h2>La dépendance de la France aux exportations d’armes</h2>
<p>Dans la mesure où les exportations de la France sont un <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/cultures-monde/industrie-de-defense-le-made-in-france-depasse">élément primordial de l’activité des entreprises de défense du pays</a>, il est utile de mesurer leur importance sur le long terme. Le volume d’exportations est ainsi comparé à la « production de défense », considérée ici comme la somme des dépenses d’équipement (c’est-à-dire le montant dépensé par l’armée française pour s’équiper) et des livraisons d’armement à l’exportation.</p>
<p>Les travaux sur le sujet montrent que ce ratio était de 8 % environ au début des années 1960 et de 15 % dans les années 1970. Les données disponibles permettent de le retracer précisément sur la période allant de 1980 à aujourd’hui.</p>
<p><iframe id="wnsDD" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/wnsDD/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Les pics du ratio de dépendance sont globalement les mêmes que ceux observés pour les exportations (en 2004 et entre 2015 et 2019) et représentent au maximum environ un tiers de la commande nationale. Un tel résultat place l’industrie de la défense française <a href="https://www.cairn.info/revue-les-champs-de-mars-2018-1-page-397.htm">dans la fourchette haute</a> en termes de dépendance à l’export mais ne diffère pas d’autres grands pays européens comme l’Allemagne ou le Royaume-Uni.</p>
<p>Le modèle économique de la France se caractérise donc aujourd’hui par une dépendance accrue vis-à-vis des exportations avec, au sein de ces dernières, une concentration des ventes sur un nombre restreint de pays.</p>
<p>Le marché français national est trop petit pour maintenir les compétences industrielles nécessaires à la production de l’ensemble du spectre capacitaire (c’est-à-dire l’ensemble des équipements utilisés par l’armée) et amortir les coûts de recherche et développement indispensables à la supériorité opérationnelle des armées comme à la compétitivité des entreprises de la défense.</p>
<p>Les motivations économiques, industrielles et stratégiques sont donc profondément imbriquées, et ce depuis des décennies, dans un relatif consensus politique. C’est le modèle d’une puissance moyenne avec des ambitions mondiales et des contraintes économiques et industrielles certaines ; son dilemme inhérent tient dans les risques de dépendance aux exportations d’armes alors que la technologie qui est associée à ce domaine positionne la France dans le haut de la hiérarchie des industries de défense.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/173864/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Josselin Droff est chercheur à la Chaire économie de défense de l'IHEDN. Il est par ailleurs chercheur associé au GREThA (Université de Bordeaux, UMR 5113). Il a reçu des financements de la DGA pour sa thèse de doctorat entre 2009 et 2012. Il a reçu le prix de thèse du Ministère des armées en 2015 pour sa thèse de doctorat en sciences économiques.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Julien Malizard travaille pour la Chaire Economie de défense de l'IHEDN comme titulaire adjoint ; il est par ailleurs chercheur associé au GREThA (Université de Bordeaux, UMR 5113). Il a reçu une bourse de thèse de la Direction générale de l'armement (DGA). Il est lauréat du prix de thèse de l'IHEDN en 2011.</span></em></p>L’étude des données des exportations d’armes françaises permet de faire ressortir les particularités de la place du pays dans ce marché explosif. Panorama en graphiques.Josselin Droff, Chercheur associé au GREThA (UMR 5113), Université de BordeauxJulien Malizard, Chercheur associé au GREThA (UMR 5113), Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1734552021-12-16T20:06:53Z2021-12-16T20:06:53ZTaïwan et la rivalité sino-américaine : le monde peut-il basculer ?<p>Chacun a pu entendre parler, dans l’actualité internationale récente, des <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/chine/larticle-a-lire-pour-tout-comprendre-aux-tensions-entre-la-chine-et-taiwan_4823717.html">tensions autour de Taïwan</a> et de leur aggravation. Elles furent au centre des échanges entre Xi Jinping et Joe Biden lors de leur <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20211116-joe-biden-et-xi-jinping-entament-un-sommet-virtuel-pour-apaiser-les-tensions">sommet virtuel</a> dans la nuit du 15 au 16 novembre dernier.</p>
<p>Ces tensions mettent directement aux prises plusieurs acteurs clés : la République de Chine – mieux connue sous le diminutif de « Taïwan » –, la République populaire de Chine (RPC), les États-Unis et les États géographiquement proches qui, évidemment, auraient tout à craindre d’un affrontement militaire sur le territoire taïwanais et sur les territoires maritimes adjacents.</p>
<p>Le Japon, les Philippines et, peut-être dans une moindre mesure, la Corée du Sud ou le Vietnam ne peuvent qu’être préoccupés par l’accentuation des discours martiaux et parfois menaçants des deux principales parties : la République populaire de Chine et les États-Unis d’Amérique.</p>
<h2>L’intensification des tensions</h2>
<p>Ces tensions se sont intensifiées dans la période récente sous le double effet, notamment, de la multiplication des incursions et de la pression militaires chinoises, et des expressions voire des actions de soutien de la part des États-Unis au bénéfice de Taïwan.</p>
<p>La Chine a effectué plusieurs opérations aériennes au cours desquelles un nombre considérable (plusieurs dizaines par opération) d’appareils ont traversé la zone d’identification aérienne de Taïwan. Nous ne détaillerons pas <a href="https://www.capital.fr/economie-politique/defense-linquietante-montee-en-puissance-de-la-flotte-chinoise-1410805">l’activité navale</a> chinoise, également très intense, et plus largement la multiplication de manœuvres.</p>
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<figcaption><span class="caption">Intrusion record d’avions militaires chinois dans le ciel de Taïwan (France 24, 3 octobre 2021).</span></figcaption>
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<p>De leur côté, les États-Unis ont affirmé être <a href="https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20211022-les-%C3%A9tats-unis-sont-pr%C3%AAts-%C3%A0-d%C3%A9fendre-ta%C3%AFwan-en-cas-d-attaque-de-la-chine-selon-joe-biden">prêts à défendre Taiwan</a> en cas d’intervention militaire chinoise et ont confirmé la présence de conseillers et d’instructeurs militaires américains sur le sol taïwanais.</p>
<p>Il faut rappeler au passage que cette région est l’objet de vives tensions depuis longtemps, puisqu’à proximité immédiate de Taïwan se trouvent également les <a href="https://centreasia.eu/montee-des-tensions-autour-des-iles-senkaku/">îles Senkaku</a>, contrôlées aujourd’hui par le Japon mais revendiquées à la fois par la RPC et par la République de Chine. Ces îles font partie de l’archipel des Ryūkyū et de la préfecture d’Okinawa, territoire japonais où stationnent de très importantes forces navales et aériennes américaines depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.</p>
<h2>Une querelle issue d’oppositions anciennes</h2>
<p>Les tensions actuelles autour de Taïwan sont le fruit d’une histoire ancienne. Celle-ci résulte d’abord de l’affrontement entre nationalistes et communistes après l’effondrement de la première République chinoise, en 1949. C’est alors que les seconds, victorieux, obligèrent les premiers à se réfugier sur l’île de Taïwan.</p>
<p>Dans la plupart des rivalités et des frictions géopolitiques, sinon dans toutes, les parties prenantes rivales s’opposent des arguments presque toujours de deux types : des arguments historiques, et des arguments juridiques. Ici, l’un des principaux arguments avancés par le régime de Pékin pour obtenir de gré ou de force la réintégration de la <a href="https://fr.euronews.com/2021/10/09/le-president-chinois-promet-une-reunification-pacifique-avec-l-ile-rebelle-de-taiwan">« province rebelle »</a> – c’est ainsi qu’il désigne la démocratie taïwanaise – est d’affirmer que Taïwan a toujours été chinoise.</p>
<p>Pourtant, l’argument historique est en réalité plus faible qu’il n’y paraît : il n’y a eu <a href="https://www.lhistoire.fr/ta%C3%AFwan-ou-la-fronti%C3%A8re-inachev%C3%A9e">ni présence ni souveraineté chinoises sur l’île avant la fin du XVIIᵉ siècle</a>. De plus, l’île de Taïwan fut <a href="https://taiwaninfo.nat.gov.tw/news.php?unit=60&post=63468">sous contrôle japonais de 1895 à 1945</a>. Enfin, la fin de la Seconde Guerre mondiale a coïncidé avec la défaite des nationalistes et leur regroupement sur l’île de Taïwan tandis que, sur le continent, la République populaire de Chine était proclamée par Mao Zedong en 1949.</p>
<p>On voit donc que l’antériorité multiséculaire d’un pouvoir chinois sur l’île de Taïwan est plus limitée que ce que l’intuition suggérerait. D’autant plus que l’on doit l’apparition et le renforcement d’une présence « chinoise » non pas à l’action résolue de l’empire chinois, mais à l’action intéressée des premiers « colonisateurs », si l’on peut dire, à savoir des Portugais, qui, au XVI<sup>e</sup> siècle, firent venir dans un but de valorisation économique des populations chinoises sur l’île de Taïwan d’où elles étaient donc absentes auparavant. Les populations natives étaient aborigènes et austronésiennes.</p>
<p>Autre problème historique : jusqu’en 1971, c’est la République de Chine – autrement dit Taïwan – qui représente la Chine à l’ONU. Et non pas la République populaire de Chine. Ce n’est que cette année-là que la communauté internationale – notamment les États-Unis – dut se résoudre à reconnaître l’importance politique indiscutable de la Chine maoïste et à lui attribuer le siège détenu jusqu’alors par Taïwan.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1452567256014069765"}"></div></p>
<p>Dès lors, le déclin diplomatique de Taïwan sur la scène internationale a été quasiment inexorable, quoique lent. Car, jusqu’à une période récente, Taïwan fut reconnu diplomatiquement par des dizaines d’États à travers le monde. Ce n’est que sous l’effet d’un <a href="https://www.frstrategie.org/programmes/programme-taiwan-sur-securite-diplomatie/taiwan-une-puissance-diplomatique-part-entiere-2021">lobbying agressif de la part de la Chine</a> que la plupart des États qui avaient des relations diplomatiques avec Taïwan y ont renoncé : ils ne sont plus qu’une <a href="https://www.frstrategie.org/sites/default/files/documents/programmes/Programme-Taiwan/2021/taiwan-2021-01.pdf">quinzaine</a> (notamment de petits États des Caraïbes) et la liste continue de fondre avec le <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20211210-le-nicaragua-rompt-avec-ta%C3%AFwan-et-reconna%C3%AEt-une-seule-chine-dirig%C3%A9e-par-p%C3%A9kin">choix récent du Nicaragua de ne plus reconnaître que la RPC</a>. La menace de rétorsions économiques à généralement suffi à convaincre de petits États à « abandonner » Taïwan à son sort face au géant émergent.</p>
<h2>Quel est le risque réel de dérapage militarisé ? Quand pourrait-il se produire ?</h2>
<p>Il est évidemment impossible de répondre à ces questions avec certitude : le problème de l’évaluation des gains et des coûts par chacune des parties peut difficilement être résolu.</p>
<p>Mais on peut faire plusieurs constats. D’abord, il y a le précédent de Hongkong qui, en pleine crise pandémique a été réduite au silence. Ses (jeunes) activistes prodémocratie ont été envoyés en prison et maltraités, des lois liberticides ont été votées et appliquées à la demande de Pékin et, plus largement, la démocratie hongkongaise a été démantelée.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/hong-kong-la-fin-du-principe-un-pays-deux-systemes-139280">Hong Kong : la fin du principe « Un pays, deux systèmes »</a>
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<p>Ce précédent est tout à fait essentiel pour bien appréhender la montée des tensions autour de Taïwan. Il faut bien comprendre que, pour le régime actuel de Pékin, toute expérience chinoise d’un système politique à caractère démocratique représente une menace vitale. Cela explique que l’une de ses lignes de positionnement, depuis fort longtemps, est de prétendre que les <a href="https://www.cairn.info/revue-rue-descartes-2011-2-page-52.htm">valeurs promues par les puissances occidentales n’ont rien d’universel</a> et que les Chinois entendent avoir leur propre régime politique, fidèle à leurs propres valeurs, et que cela ne passe pas par la promotion de la démocratie. Évidemment.</p>
<p>Autrement dit, toute expérience démocratique qui fonctionne et qui réussit par, avec et pour des citoyens chinois est une menace car elle fait la démonstration que les Chinois peuvent tout à fait « rester chinois » et fonctionner dans un système démocratique. Si en plus ces Chinois vivant en démocratie sont prospères, c’est une menace encore plus vitale pour le régime actuel de Pékin.</p>
<p>Par-delà la volonté de défendre la thèse d’« une seule Chine », de récupérer un territoire présumé historiquement chinois, etc., il faut bien voir le caractère vital que prend, pour le régime actuel de Pékin, le fait d’entraver, voire de faire cesser, toute expérience démocratique chinoise.</p>
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<figcaption><span class="caption">Taïwan : la guerre aura-t-elle lieu ? Le dessous des cartes (Arte, 24 novembre 2021).</span></figcaption>
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<p>Il faut également souligner l’importance géostratégique de Taïwan pour l’affirmation de la puissance chinoise. L’examen rapide d’une carte des territoires maritimes autour de Taïwan et de la RPC (eaux territoriales et zones économiques exclusives notamment) montre un fait simple : nulle part la Chine de Xi Jinping n’a d’accès direct et totalement libre au grand large. Contrôler Taïwan territorialement, c’est améliorer cette donnée géostratégique pour une puissance militaire qui entend bientôt rivaliser avec celle des États-Unis.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1457981387714224130"}"></div></p>
<p>Enfin, pour comprendre la montée actuelle des tensions autour de Taïwan, il faut peut-être les mettre en relation avec la montée des tensions, concomitante, d’une part dans l’est de l’Ukraine et d’autre part à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie. Une hypothèse ne doit pas être écartée : une entente entre la puissance chinoise et la puissance russe qui pourrait leur permettre, au moment opportun, d’ouvrir un <a href="https://www.meta-defense.fr/2021/04/12/ukraine-taiwan-moyen-orient-le-scenario-du-pire-pour-le-pentagone-prend-corps/">double front</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1468162762052280320"}"></div></p>
<p>Ouvrir un front dans le Pacifique nord-ouest autour de Taïwan et ouvrir un front dans l’est de l’Europe aurait l’énorme avantage pour les deux puissances, si leur action était ainsi coordonnée, d’obliger les Occidentaux, et en particulier les Américains, à se positionner sur deux zones très éloignées simultanément.</p>
<p>Aujourd’hui, la puissance militaire nominale des Américains reste très supérieure à celle des Chinois, surtout si l’on y ajoute l’ensemble des alliés sur lesquels peuvent compter les Américains. Mais si ces derniers doivent positionner des forces sur deux fronts simultanément, la situation est très différente. Un tel scénario n’aurait rien à envier au meilleur des préceptes stratégiques que l’on peut trouver dans <em>L’Art de la guerre</em> de Sun Tzu ou dans un traité désormais célèbre comme celui des <a href="https://chinesereferenceshelf.brillonline.com/grand-ricci/files/36-stratagemes.pdf">« 36 Stratagèmes »</a>…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/173455/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ludovic Jeanne ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La Chine met de plus en plus la pression sur Taïwan. La montée des tensions pourrait-elle déboucher sur un conflit de grande envergure ?Ludovic Jeanne, Géographe, Laboratoire Métis, EM NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1727902021-12-15T20:44:08Z2021-12-15T20:44:08ZLa souveraineté numérique passe aussi par la sobriété<p>Pour un pays, le recours à des infrastructures numériques basées sur des plates-formes informatiques en nuage étrangères (« cloud »), questionne sa capacité à assurer sa souveraineté numérique et le fragilise. En étant contrôlée par des acteurs émanant de superpuissances, la non-maîtrise d’infrastructures numériques essentielles à son bon fonctionnement, à sa stabilité et à son économie, est synonyme de mise sous tutelle et de perte de contrôle de ses territoires numériques. Ainsi, il subit une forme de colonialisme numérique.</p>
<p>Les fournisseurs de cloud étrangers jouent avec les moyens que leur procure leur taille, leur puissance et leur position monopolistique. Les acteurs hégémoniques du Net sont capables de proposer une palette étendue de services et des offres intégrées, auxquelles il est difficile, pour les organisations publiques et privées, de ne pas céder. Ils font pression sur les prix sur un marché qu’ils contrôlent. Ils imposent une économie du numérique basée sur la location d’infrastructures et de services. Leurs clients ne sont plus, comme par le passé, propriétaires de leurs systèmes informatiques (et indirectement de leurs données), mais des abonnés à des plates-formes. Devenus dépendants, les clients sont contraints de payer une rente à vie à leurs fournisseurs.</p>
<h2>Ce que signifie la dépendance</h2>
<p>L’asymétrie du pouvoir entre les acteurs qui fournissent des services cloud et ceux qui les utilisent est telle qu’il y a de facto assujettissement aux règles imposées par les acteurs les plus forts. La mise sous tutelle numérique, contribue à faciliter des actions d’intelligence économique, mais aussi écoutes et surveillance numérique. Cela affaiblit les actions d’un pays dans les domaines économique, politique, diplomatique et militaire, tout en renforçant le pouvoir des acteurs dominants qui se nourrissent des activités numériques de leurs clients. La captation et l’exploitation des données leur permettent d’accroître leur offre de services (y compris ceux basés sur l’intelligence artificielle), services qu’ils savent monnayer et imposer.</p>
<p>Une fois captif d’une solution cloud, la dépendance peut générer des problèmes de pérennité et de coûts car les fournisseurs peuvent à leur gré, modifier les conditions d’utilisation et augmenter leurs tarifs. Comment être sûr sur le long terme de la stabilité de l’environnement, de la disponibilité des données et de leurs traitements ? Le retour arrière ou la migration vers d’autres plates-formes sont généralement impossibles. Les choix cloud sont en fait, non-réversibles car trop coûteux et trop difficile techniquement. De facto, cela dissuade ou empêche le passage à la concurrence.</p>
<p>Il est souvent impossible, ou alors à des coûts additionnels exorbitants de savoir ce que deviennent données et traitements confiés à une plate-forme.</p>
<p>Lorsqu’il est quasi impossible d’effectuer des contrôles et des audits indépendants, comment avoir confiance dans l’intégrité et la confidentialité des données et traitements ?</p>
<p>De plus, la dimension juridique échappe aux pays qui ne maîtrisent pas le droit applicable aux plates-formes qui émane de pays étrangers, ce qui est particulièrement problématique avec des lois extraterritoriales qui autorisent certaines autorités, à accéder aux données captées partout dans le monde.</p>
<p>Bien que des labels « Cloud de confiance » existent en Europe, ils ne sont pas pour autant garants de la souveraineté numérique lorsqu’ils s’appliquent à des fournisseurs étrangers. En effet, être en conformité à un label n’est pas équivalent à la maîtrise complète de l’infrastructure. Même si le chiffrement des données est réalisé, le label ne protège pas contre les capacités de déchiffrement de ceux qui maitrisent les infrastructures et des autorités étatiques dont ils relèvent. Le risque juridique, comme le risque technologique, ne sont donc pas sous contrôle.</p>
<h2>Le besoin</h2>
<p>Comprendre que le numérique déstabilise les prérogatives d’un État et concurrence sa puissance publique est stratégiquement crucial pour saisir les enjeux de la souveraineté numérique et les conséquences de sa non-réalisation. Être conscient des besoins et enjeux de la souveraineté numérique permet de justifier une volonté politique pour résister à l’apparente facilité proposée par des acteurs hégémoniques.</p>
<p>Ne pas renoncer à défendre aux mieux des intérêts nationaux et régionaux, fixer des objectifs raisonnables à atteindre, décider d’une stratégie et de plans d’action concrets, permettent de tracer le chemin vers moins de dépendance et plus de liberté. À défaut, pour un pays, cela revient à collaborer à sa propre cyberinfériorité et à consolider la cybersuprématie des superpuissances pourvoyeuses de multinationales de la tech.</p>
<p>Ne rien faire ou laisser faire, ce n’est pas être pragmatique, mais défaitiste. Disposer d’une ambition numérique et des moyens de la réaliser pour accéder à un peu plus d’autonomie numérique, est vital. Même si un pays n’est pas sûr de gagner la bataille de la cybersouverainté, il ne peut pas, ne pas la livrer !</p>
<p>C’est peut-être là que réside encore un espace de liberté. La liberté d’agir pour disposer d’une alternative à opposer à celle qui consiste à toujours rechercher la protection des géants du numérique et d’y être inféodés.</p>
<p>Être réaliste, c’est non seulement appréhender la difficulté rencontrée par le financement de projets ambitieux mais aussi la nécessité de faire face à la pénétration croissante des acteurs hégémoniques dans toutes les sphères d’activité, de décision et du pouvoir.</p>
<p>Contribuer à la souveraineté numérique nationale revient à protéger la capacité d’un pays à décider par lui-même ainsi qu’à préserver la compétitivité de ses entreprises et la liberté de choix et d’actions, nécessaire à la réalisation de leurs missions.</p>
<p>Pour toutes ces raisons, un pays devrait s’engager à tout mettre en œuvre pour contribuer à :</p>
<ul>
<li><p>Développer son écosystème numérique qui ne soit pas GAFAM & Cie dépendant ;</p></li>
<li><p>Protéger ses actifs informationnels et patrimoines numériques ;</p></li>
<li><p>Offrir d’autres horizons de travail et d’autres employabilités que ceux proposés, comme un miroir aux alouettes, par les multinationales étrangères. Le chantage à l’emploi est un moyen de pression et d’influence non négligeable. Ce n’est pas une fatalité que de devenir des pourvoyeurs d’une main-d’œuvre bien formée, dont l’éducation est financée par les impôts de tous, alors que les multinationales du numérique bénéficient d’une optimisation fiscale qui ne permet pas une rétrocession à la hauteur des gains effectués sur un territoire national. Les individus méritent mieux que d’être cantonnés à des rôles d’agents du service après-vente des GAFAMs & Cie ou à être des usagers, employés non rétribués, des plates-formes.</p></li>
</ul>
<h2>Élargir le champ des possibles</h2>
<p>Le numérique est un levier d’influence jusqu’alors inconnu touchant aux domaines politique, économique, juridique, technique et social. La société s’organise et poursuit son développement en recourant à toujours plus d’informatique et de substitution de l’humain par des outils numériques, sans suffisamment questionner les nouvelles dépendances sociotechniques, les vulnérabilités et les risques environnementaux engendrés. La plateformisation du monde, inscrite dans la pensée technoéconomique dominante, développée par des multinationales hégémoniques et déclinée à l’infini, est un obstacle à envisager d’autres futurs numériques.</p>
<p>Le réalisme nous oblige à considérer l’avance colossale que possèdent les superpuissances numériques et à mesurer l’envergure du décalage entre le souhait d’être autonome et les moyens de l’être effectivement. Affronter la difficulté et la complexité de la démarche à réaliser pour être en mesure de réorienter l’informatisation de la société et d’offrir des alternatives crédibles est impératif. Cela passe par une forme de décolonisation de l’esprit, de la manière d’appréhender la numérisation du monde, afin de se soustraire de la pensée dominante imposée par une poignée d’acteurs, pour oser imaginer que d’autres alternatives sont possibles. « There is no alternative » est un slogan qui relève de la désinformation et répété à l’infini, du lavage de cerveau. Il est temps de penser le numérique en termes de défis écologiques et civilisationnels à relever, pour questionner nos présent et futur technologiques et ne pas être bannis par les générations futures. Il est temps de sortir de l’emprise et de la fascination numériques.</p>
<h2>Ouvrir de nouveaux horizons, suivre la voie du juste milieu</h2>
<p>La fuite en avant technologique associée à toujours plus d’informatique et à la banalisation des usages du numérique (QRCodes, etc.) ne peut pas résoudre tous les problèmes, y compris sécuritaires et sanitaires.</p>
<p>S’il est admis que :</p>
<ul>
<li><p>L’Europe ne maîtrise pas la chaîne de fabrication du matériel informatique et du développement des logiciels ;</p></li>
<li><p>Les capacités de déstabilisation sociale, économique et politique des usages abusifs, détournés, criminels ou conflictuels du numérique sont réels ;</p></li>
<li><p>Le numérique est un destructeur de ressources naturelles, un consommateur d’énergie, un générateur de gaz à effet de serre et un producteur de déchets électroniques qui contribue à porter atteinte de manière croissante à l’environnement et au climat ;</p></li>
</ul>
<p>Alors, il devient urgent pour faire face aux défis environnementaux, pour contribuer à réduire les cybernuisances et pour gagner en souveraineté numérique, d’opposer à la fuite en avant informatique et à la dépendance numérique, une logique de retenue numérique. Celle-ci consisterait à faire la balance des intérêts entre les avantages de l’usage du numérique et les risques écologiques et de sécurité qu’il génère. Le risque climatique est une urgence planétaire internationale. Les technologies du numérique peuvent contribuer à le maitriser à condition d’en limiter ses impacts environnementaux.</p>
<p>Comment devenir <em>Homo numericus</em> écoresponsable ? Sinon en tenant compte des négativités du numérique, durant tout son cycle de vie, pour faire des choix politiques, organisationnels et techniques, cohérents au regard des exigences de développement durable de la société. Penser la sobriété numérique comme solution pour être moins polluant, moins destructeur de l’environnement, moins cyberdépendant et moins vulnérable informatiquement, est incontournable. Pour permettre de préserver les apports essentiels du numérique, toute stratégie numérique se doit désormais d’intégrer la possibilité de déployer de la sobriété numérique.</p>
<p>Pour faire face à la finitude des ressources, il est nécessaire de repenser les modèles économiques du développement numérique qui sont basés sur une captation permanente et des traitements infinis des données et sur une consommation exponentielle du numérique. Ce faisant, cela permettrait de trouver la voie du juste milieu pour sortir d’un capitalisme numérique ultra libéral qui s’appuie sur des formes de techno totalitarisme devenues des catalyseurs de la performance et de la rationalité économiques au détriment du vivant et du progrès social pour tous.</p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/398230/original/file-20210502-19-2lk7b1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/398230/original/file-20210502-19-2lk7b1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=333&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/398230/original/file-20210502-19-2lk7b1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=333&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/398230/original/file-20210502-19-2lk7b1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=333&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/398230/original/file-20210502-19-2lk7b1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=419&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/398230/original/file-20210502-19-2lk7b1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=419&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/398230/original/file-20210502-19-2lk7b1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=419&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Solange Ghernaouti est membre de la Commission suisse pour l’Unesco, spécialiste des questions numériques.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/172790/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Solange Ghernaouti ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Quand un pays a recours à des infrastructures numériques basées sur des plates-formes informatiques « cloud » étrangères, sa souveraineté numérique peut être en danger.Solange Ghernaouti, Professeure en Cybersécurité, Directrice de Recherche, Université de LausanneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1724302021-12-05T17:16:17Z2021-12-05T17:16:17ZAlgérie-Maroc : la rupture est consommée<p>Les tensions entre les deux grands États du Maghreb, qui se sont <a href="https://www.iris-france.org/162907-algerie-maroc-de-la-brouille-au-conflit/">nettement envenimées ces dernières semaines</a>, si bien que certains observateurs redoutent que le conflit actuel <a href="https://www.lopinion.fr/international/lalgerie-est-prete-a-faire-la-guerre-au-maroc-sil-le-faut">dégénère en guerre ouverte</a>, ne datent pas d’hier.</p>
<p>En réalité, elles remontent à la fin de la guerre d’indépendance algérienne. La question des frontières <a href="https://lygeros.org/wp-content/uploads/root/21701.pdf">dessinées par le colonisateur</a>, qui avantagent l’Algérie au détriment des autres pays de la région, suscite un profond différend entre Rabat et Alger, qui connaîtra de multiples rebondissements, sous des formes diverses et avec un abcès de fixation récurrent au <a href="https://www.cairn.info/les-conflits-dans-le-monde--9782200272715-page-79.htm">Sahara occidental</a>. Un retour historique s’impose pour comprendre les données de la dégradation à laquelle on assiste en ce moment.</p>
<h2>Un conflit ancien</h2>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/435085/original/file-20211201-17-kihtg0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/435085/original/file-20211201-17-kihtg0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/435085/original/file-20211201-17-kihtg0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=647&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/435085/original/file-20211201-17-kihtg0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=647&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/435085/original/file-20211201-17-kihtg0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=647&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/435085/original/file-20211201-17-kihtg0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=813&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/435085/original/file-20211201-17-kihtg0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=813&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/435085/original/file-20211201-17-kihtg0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=813&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Sahara occidental d’après la carte du World Factbook de la CIA.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikipedia</span></span>
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<p>Lorsque le Maroc devient <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/ma1912.htm">protectorat français en 1912</a>, l’administration française délimite les deux territoires algérien et marocain. Mais le tracé est très peu précis et varie d’une carte à l’autre.</p>
<p>Pour la France, il ne s’agit pas à proprement parler de frontières, la zone qui va de <a href="https://www.google.com/maps/dir/colomb+bechar/Tindouf,+Alg%C3%A9rie/@29.1347596,-8.1906065,5.5z/data=!4m14!4m13!1m5!1m1!1s0xd855f5061ac9881:0x97206fd4229749af!2m2!1d-2.2162443!2d31.6238098!1m5!1m1!1s0xdc8f543a42dd5fb:0x77f07f133f79f497!2m2!1d-8.1398003!2d27.6719159!3e2">Colomb-Béchar à Tindouf</a> et correspond à l’Ouest algérien étant inhabitée.</p>
<p>Le regard sur ce territoire allait fondamentalement changer à partir de 1952, date à laquelle la France y <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00919268/document">découvre un gisement de pétrole et des minerais (fer et manganèse)</a>. Ces terres sont alors intégrées à l’Algérie. Pour la France, il s’agit de les inclure dans son territoire sur le long terme, <a href="https://www.cairn.info/algerie-des-evenements-a-la-guerre--9782846703949-page-121.htm">l’Algérie étant française</a> alors que le Maroc n’est qu’un protectorat appelé à s’affranchir de la tutelle de Paris.</p>
<p>Mais dès son indépendance, en 1956, le Maroc <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1956/07/05/tindouf-colomb-bechar-et-la-mauritanie-font-partie-du-grand-maroc-que-veut-realiser-si-allal-el-fassi_2251800_1819218.html">revendique ce territoire</a>, affirmant qu’il fait partie du Maroc historique.</p>
<p>La France répond à cette demande en proposant à Rabat un marché : cette bande Ouest de l’Algérie pourrait être restituée au Maroc en contrepartie de la mise en place d’une <a href="http://alger-roi.fr/Alger/cdha/textes/55_organisation_regions_sahara_cdha_60.htm">« Organisation commune des régions sahariennes »</a> (OCRS), qui serait chargée d’exploiter les gisements miniers du Sahara algérien, au bénéfice commun du Maroc et de la France.</p>
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<p>L’offre de Paris est assortie d’une demande : celle de ne pas abriter d’insurgés algériens. Rabat rejette cette proposition, préférant discuter directement avec les Algériens.</p>
<p>En juillet 1961, <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMBiographie?codeAnalyse=26">Hassan II</a>, qui vient d’accéder au trône, reçoit à Rabat <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/abbas-abbas/">Farhat Abbès</a>, le président du Gouvernement provisoire de la République algérienne. <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1965_num_15_4_392877">Une convention est signée</a> au terme de la rencontre, et une commission algéro-marocaine est créée pour régler cette question du Sahara algérien « dans un esprit de fraternité et d’unité maghrébines ».</p>
<p>Selon l’accord, une fois l’indépendance de l’Algérie acquise, le statut de la zone serait renégocié. Mais à l’indépendance de l’Algérie, et avant même que l’accord de Rabat ait pu être ratifié, une coalition menée par Ahmed Ben Bella et soutenue par l’Armée de libération nationale (ALN) <a href="https://www.djazairess.com/fr/elwatan/1298789">évince Farhat Abbas du gouvernement</a>. La nouvelle équipe au pouvoir à Alger refuse de rétrocéder au Maroc un territoire « libéré avec le sang de tant de martyrs ».</p>
<p>Hassan II se sent trahi par la nouvelle classe politique algérienne, et <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/Istiqlal/125318">l’Istiqlal</a>, le parti marocain qui porte la question nationale et en devient le phare, se dit indigné par l’« ingratitude » des Algériens. Le Maroc historique auquel se réfèrent les acteurs politiques marocains allait être matérialisé par une carte du <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1956/07/05/tindouf-colomb-bechar-et-la-mauritanie-font-partie-du-grand-maroc-que-veut-realiser-si-allal-el-fassi_2251800_1819218.html">« Grand Maroc »</a> que l’Istiqlal fait dessiner et publier dans son hebdomadaire <em>Al-Alam</em> en mars 1963.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1353422945947947008"}"></div></p>
<p>Selon cette carte, les frontières du pays se définissent en fonction des allégeances qui ont été faites aux sultans du Maroc à travers les âges. Le Grand Maroc comprendrait un bon tiers du Sahara algérien, le Sahara occidental colonisé par l’Espagne (1884-1976), la Mauritanie et une partie du Mali.</p>
<p>Entre « territoire acquis par le sang des martyrs » et « droit historique », deux conceptions du droit et de l’histoire allaient donc s’affronter, donnant lieu, en septembre 1963, au déclenchement d’un conflit armé : la <a href="https://www.cairn.info/les-100-portes-du-maghreb--9782708234345-page-171.htm">Guerre des sables</a>.</p>
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<p>Ayant pour théâtre la région de Tindouf, ce conflit oppose le Maroc à une Algérie fraîchement indépendante et aidée par l’Égypte et Cuba. Les combats, dont le bilan humain est encore controversé, cessent en février 1964, quand l’Organisation de l’unité africaine (<a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/organisation-de-l-unite-africaine/">OUA</a> – l’ancêtre de l’Union africaine) obtient un cessez-le-feu qui laisse la frontière inchangée : la zone contestée demeure algérienne.</p>
<p>Mais le contentieux entre les deux États allait se prolonger, se nourrissant de l’irrédentisme marocain autour de la question du « Grand Maroc » et du refus de l’Algérie indépendante de reconsidérer les frontières héritées de l’ère coloniale. Un différend dont l’intensité ne peut se comprendre qu’à l’aune de la sourde rivalité pour le leadership régional qui oppose les deux pays.</p>
<h2>Le conflit du Sahara occidental : abcès de fixation des tensions entre les deux pays</h2>
<p>À partir de 1975, l’appui apporté par l’Algérie au Front Polisario, ce mouvement indépendantiste mis en place en 1973 et qui revendique le Sahara occidental au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, viendra nourrir la tension désormais permanente entre Alger et Rabat. En effet, le Maroc revendique cette ancienne colonie espagnole et s’engage donc dans une lutte durable contre le Front Polisario. Pour l’Algérie, qui s’abrite derrière le <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/269898-quest-ce-que-le-droit-des-peuples-disposer-deux-memes">droit des peuples à l’autodétermination</a>, un conflit de basse intensité a l’avantage d’affaiblir le Maroc. Les deux pays allaient donc s’affronter par Front Polisario interposé.</p>
<p>Deux conflits s’additionnent et se superposent : l’opposition territoriale entre l’Algérie et le Maroc, d’une part, et le conflit de décolonisation entre Sahraouis et Marocains, qui n’aurait pu se prolonger pendant près d’un demi-siècle si le contentieux algéro-marocain n’avait pas lourdement pesé sur son déroulement.</p>
<p>En accueillant les réfugiés sahraouis à Tindouf, symboliquement, après l’installation du Maroc sur ce territoire, en mettant sa diplomatie au profit du Front Polisario et en l’armant, l’Algérie donnait un autre aspect à <a href="https://journals.openedition.org/anneemaghreb/697">ce dernier conflit de décolonisation d’Afrique</a>.</p>
<p>L’imbrication des deux conflits, entre Algérie et Maroc d’abord, entre Sahraouis et Marocains ensuite, pèse lourdement sur l’attitude des acteurs. Chacun des deux camps souhaite une victoire totale sur l’adversaire, au point que toute négociation devient impossible. L’impuissance des Nations unies, en charge du règlement de ce conflit saharien <a href="https://peacekeeping.un.org/fr/mission/minurso">depuis 1991</a> est sans doute à lire à travers ce prisme.</p>
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<figcaption><span class="caption">Série documentaire sur le conflit du Sahara occidental, 1ᵉʳ épisode.</span></figcaption>
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<p>L’implication de l’Algérie dans le dossier saharien provoque une rupture des relations diplomatiques entre l’Algérie et le Maroc entre 1976 et 1988. Pour autant, la reprise des relations ne contribue pas à dissiper la conflictualité.</p>
<p>En 1994, Driss Basri, ministre marocain de l’Intérieur, a laissé entendre que les services secrets algériens pouvaient avoir commandité <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1994/08/30/maroc-arrestations-apres-l-attentat-contre-un-hotel-a-marrakech_3821195_1819218.html">l’attentat terroriste</a> qui s’est produit dans un hôtel de Marrakech, faisant deux victimes espagnoles. Il instaure des visas et organise une campagne d’expulsion d’Algériens résidant au Maroc sans carte de séjour. La riposte d’Alger est immédiate : la fermeture de la frontière terrestre.</p>
<p>Abdelaziz Bouteflika, président de l’Algérie à partir de 1999, a tenté de rompre cette spirale de tensions et de ruptures, sans succès. Il s’est heurté à la l’intransigeance de l’état-major de l’armée algérienne qui gère le dossier des frontières, la relation avec le Maroc et bien plus encore, tant l’armée est <a href="https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-l-orient-2010-4-page-19.htm?contenu=resume">impliquée dans la vie politique algérienne</a>.</p>
<p>La brouille aura des effets majeurs sur les échanges commerciaux et culturels <a href="https://www.medias24.com/2014/08/24/vingt-ans-apres-la-fermeture-de-la-frontiere-maroc-algerie-limmense-gachis/">entre les deux pays</a>.</p>
<p>La coopération est quasi inexistante, exception faite du <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre2-2014-4-page-362.htm?contenu=plan">gazoduc qui relie l’Algérie à l’Europe</a> en passant par le Maroc. Le différend bloque toute interaction au niveau horizontal et rend impossible l’intégration de la région, c’est-à-dire la mise en place de <a href="https://journals.openedition.org/anneemaghreb/1938">l’Union du Maghreb arabe (UMA)</a>, qui a pourtant été signée en 1989. Le conflit du Sahara occidental s’en est trouvé gelé, la coopération entre les pays quasi nulle et l’UMA une véritable <a href="https://maghrebarabe.org/fr/">coquille vide</a>.</p>
<h2>L’axe Washington/Tel-Aviv/Rabat rebat les cartes</h2>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/12/22/le-maroc-et-israel-concretisent-leur-normalisation-diplomatique_6064261_3210.html">L’accord du 22 décembre 2020</a> passé entre le Maroc et les États-Unis, qui stipule que Rabat normalise ses relations avec Israël en contrepartie de la reconnaissance par Washington de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental a créé un déséquilibre dans le rapport des forces entre l’Algérie et le Maroc.</p>
<p>Pour Alger, un Maroc appuyé par Israël ne pouvait être que plus puissant, d’autant que le pays a donné de lui-même l’image d’un partenaire incontournable pour les États occidentaux, notamment <a href="https://www.courrierinternational.com/article/analyse-le-maroc-fer-de-lance-de-la-lutte-contre-le-djihadisme-en-afrique">dans la lutte contre le djihadisme</a>, ou en matière de <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Immigration-lUnion-europeenne-menage-Maroc-2020-12-03-1201128079">contrôle de l’immigration</a> venue des pays subsahariens.</p>
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<figcaption><span class="caption">Relations Maroc/Israël : les deux pays vont ouvrir réciproquement des ambassades, France 24, 13 août 2021.</span></figcaption>
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<p>Un an après la <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20201210-donald-trump-annonce-la-normalisation-des-relations-entre-le-maroc-et-isra%C3%ABl">déclaration de Donald Trump</a>, l’administration Biden a d’une certaine manière confirmé cette reconnaissance, même si le chef de la diplomatie américaine a exprimé son désir de respecter le droit international. Les Algériens, qui continuent d’appuyer inconditionnellement le Front Polisario, savent que c’est une question de temps et que, tôt ou tard, le Maroc verra sa souveraineté sur ce territoire être reconnue par l’ONU, au mépris d’un processus de résolution du conflit saharien confié à la même organisation depuis 1991. Le silence éloquent de l’Union européenne sur ce dossier les conforte dans leur conviction.</p>
<p>L’année 2021 a été émaillée de vexations et de provocations qui sont allées crescendo jusqu’à l’été passé. La tension devient très vive en juillet dernier, suite aux révélations selon lesquelles le Maroc aurait eu <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2021/07/27/projet-pegasus-ces-elements-techniques-qui-attestent-de-l-implication-du-maroc_6089711_4408996.html">recours au logiciel israélien Pegasus</a>, commercialisé par <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/de-l-affaire-pegasus-a-la-plainte-d-apple-la-descente-aux-enfers-de-nso-group_2163005.html">l’entreprise israélienne NSO</a>, pour espionner « des responsables et des citoyens algériens ». L’enquête a révélé que des milliers de numéros de téléphone algériens ont été ciblés, dont certains appartenant à de hauts responsables politiques et à des militaires.</p>
<p>La tension monte d’un cran lorsque, au cours d’une réunion des Non Alignés à New York (13 et 14 juillet) Omar Hilale, l’ambassadeur du Maroc à l’ONU a distribué une note stipulant que <a href="https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/nouveau-coup-de-chaud-diplomatique-entre-alger-et-rabat-1333040">« le vaillant peuple de Kabylie mérite, plus que tout autre, de jouir pleinement de son droit à l’autodétermination »</a>.</p>
<p>Un mois plus tard, c’est <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20210602-isra %C3 %ABl-ya %C3 %AFr-lapid-guid %C3 %A9-par-les-r %C3 %AAves-de-son-p %C3 %A8re-vers-le-poste-de-premier-ministre">Yaïr Lapid</a>, le ministre israélien des Affaires étrangères, en visite à Rabat, qui <a href="https://www.courrierinternational.com/revue-de-presse/diplomatie-en-visite-au-maroc-le-ministre-israelien-yair-lapid-ravive-les-tensions">déclarait</a>, en présence de son homologue marocain <a href="https://www.diplomatie.ma/fr/biographie-de-m-nasser-bourita">Nasser Bourita</a>, qu’il était « inquiet du rôle joué par l’Algérie dans la région, du rapprochement d’Alger avec l’Iran et de la campagne menée par Alger contre l’admission d’Israël en tant que membre observateur de l’UA ».</p>
<h2>La riposte algérienne</h2>
<p>Le 24 août, l’Algérie annonce la <a href="https://www.lci.fr/international/l-algerie-annonce-la-rupture-de-ses-relations-diplomatiques-avec-le-maroc-2194558.html">rupture de ses relations diplomatiques</a> avec le Maroc. Le haut conseil de sécurité algérien, présidé par le chef de l’État Abdelmajid Tebboune, <a href="https://www.france24.com/fr/afrique/20210925-avec-la-rupture-des-relations-entre-l-alg %C3 %A9rie-et-le-maroc-le-maghreb-durablement-fractur %C3 %A9">ferme l’espace aérien du pays</a> à tout appareil civil ou militaire immatriculé au Maroc.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-lalgerie-a-t-elle-rompu-ses-relations-diplomatiques-avec-le-maroc-et-quelles-en-sont-les-consequences-pour-lavenir-168179">Pourquoi l'Algérie a-t-elle rompu ses relations diplomatiques avec le Maroc et quelles en sont les conséquences pour l'avenir ?</a>
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<p>Évidemment, la frontière étant fermée depuis 1994, l’impact de cette rupture des relations est politique. Elle met néanmoins un terme au seul cas de coopération entre les deux pays : le fameux <a href="https://telquel.ma/2021/11/05/gazoduc-maghreb-europe-le-gaz-de-la-discorde_1742135">gazoduc Maghreb Europe (GME)</a>.</p>
<p>Le gaz est, ici comme ailleurs, utilisé comme un moyen de pression. Le contrat qui liait les deux pays pour alimenter le Maroc en gaz et pour le transit a été <a href="https://information.tv5monde.com/afrique/le-president-algerien-coupe-le-robinet-du-gaz-au-maroc-430682">interrompu le 31 octobre</a>.</p>
<p>Difficile de croire le Maroc qui affirme, par un communiqué de l’Office national de l’électricité et de l’eau (<a href="http://www.one.org.ma/">ONEE</a>), que l’impact de cette décision sur le système électrique marocain est « insignifiant », le pays ayant pris ses dispositions.</p>
<p>Car, depuis 1996, le Maroc est un pays de transit pour le gaz algérien exporté en Espagne et au Portugal. 10 milliards de mètres cubes sont ainsi transportés chaque année et le Maroc perçoit des droits de péage en gaz et le reste de sa consommation est facturé à des tarifs très avantageux.</p>
<p>La réponse marocaine s’inscrit dans le prolongement du conflit, puisque l’ONEE affirme que même si les deux centrales électriques qui fonctionnent grâce au gaz algérien venaient à s’arrêter, le consommateur marocain ne s’en rendrait pas compte car, pour compenser la perte, le Maroc dispose de plusieurs options : les alimenter en charbon, en produits pétroliers ou bien importer plus d’électricité.</p>
<p>Le premier ministre <a href="https://www.courrierinternational.com/article/maroc-aziz-akhannouch-un-premier-ministre-milliardaire-au-service-de-sa-majeste">Aziz Akhannouch</a> est en <a href="https://fr.le360.ma/economie/gazoduc-maghreb-europe-phase-decisive-des-negociations-entre-le-maroc-et-lespagne-pour-linversement-247911">négociation avec Madrid</a> au sujet du renvoi du gaz algérien à partir de l’Espagne. Ce dernier pays serait quant à lui toujours alimenté par l’Algérie par voie sous-marine, à travers le gazoduc Medgaz.</p>
<p>Toutefois, ce pipeline est aujourd’hui au maximum de sa capacité, 8 milliards de mètres cubes y transitant chaque année. Pour compenser la différence, il faudrait élargir le pipeline, ou transporter le gaz liquéfié par méthaniers. Autant de moyens qui impliquent un coût qui ne peut que se répercuter sur le consommateur, qu’il soit espagnol ou marocain.</p>
<p>L’énergie est donc la dernière arme qu’a choisi d’utiliser l’Algérie dans sa guerre sans fin contre le Maroc. Mais les armes conventionnelles pourraient aussi parler, les deux pays étant les plus grands <a href="https://information.tv5monde.com/afrique/algerie-maroc-que-pesent-leurs-forces-militaires-431591">acheteurs d’armes</a> en Afrique après l’Égypte…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/172430/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Khadija Mohsen-Finan ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le conflit qui oppose l’Algérie au Maroc depuis des décennies risque aujourd’hui de dégénérer en véritable guerre. Pour en comprendre les causes, un retour historique s’impose.Khadija Mohsen-Finan, Politologue, enseignant-chercheur, spécialiste du Maghreb & du Monde Arabe, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1710142021-11-10T12:34:03Z2021-11-10T12:34:03ZSouveraineté et numérique : maîtriser notre destin<p>Facebook se dote d’un <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2021/10/21/le-conseil-de-surveillance-de-facebook-critique-les-regles-du-reseau-social-concernant-la-moderation-des-contenus-de-celebrites_6099423_4408996.html">conseil de surveillance</a>, sorte de « cour suprême » statuant sur les litiges relatifs à la modération des contenus. Des géants du numérique comme Google investissent le <a href="https://theconversation.com/sans-les-cables-sous-marins-plus-dinternet-leurope-est-elle-prete-169858">marché des câbles sous-marins de télécommunications</a>. La France a dû faire <a href="https://www.usine-digitale.fr/article/d-ici-deux-ans-microsoft-ne-sera-plus-l-hebergeur-du-health-data-hub.N1031429">machine arrière</a> après avoir confié à Microsoft l’hébergement du Health Data Hub.</p>
<p>Ces quelques exemples montrent que la manière dont le numérique se développe ne porte pas seulement atteinte à l’indépendance économique et l’identité culturelle de l’Union européenne et de la France. C’est la souveraineté qui est en cause, menacée par le numérique, mais y trouvant aussi une forme d’expression.</p>
<p>Le fait le plus marquant réside dans l’appropriation par les grandes plates-formes numériques non européennes des attributs de la souveraineté : un territoire transnational qui est celui de leur marché et du lieu d’édiction de normes, une population d’internautes, une langue, des monnaies virtuelles, une fiscalité optimisée, un pouvoir d’édiction de normes et de régulation. La composante propre au contexte numérique réside dans la <a href="https://www.larcier.com/fr/droits-et-souverainete-numerique-en-europe-2016-9782802753469.html">production et l’utilisation de données et dans la maîtrise de l’accès à l’information</a>. Il y a donc une forme de concurrence avec les États ou l’Union européenne.</p>
<h2>C’est la souveraineté sous toutes ses formes qui est interrogée</h2>
<p>La notion de souveraineté numérique <a href="https://pierrebellanger.com/publications/">a mûri</a> depuis qu’elle a été formalisée il y a une dizaine d’années sous la forme d’un objectif de « maîtrise de notre destin sur les réseaux ». Le contexte actuel est différent de celui qui l’a vue naître. Désormais, c’est la souveraineté en général qui connaît un regain d’intérêt, voire le souverainisme (qui fait de la protection de la souveraineté étatique une priorité).</p>
<p>La <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2021/07/01/le-peuple-souverain-et-lespace-numerique/">politisation du sujet</a> n’a jamais été aussi grande et le débat public s’organise autour de thèmes comme la souveraineté étatique face à l’Union européenne et son droit, l’indépendance économique, ou encore l’autonomie stratégique face au monde, la citoyenneté et la démocratie.</p>
<p>Dans les faits, la souveraineté numérique se construit sur la base de la régulation du numérique, de la maîtrise de ses éléments matériels et de la composition d’un espace démocratique. Il est nécessaire d’agir, sous peine de voir la souveraineté numérique être l’otage de débats trop théoriques. Nombreuses sont donc les initiatives qui se réclament directement de la souveraineté.</p>
<h2>La régulation au service de la souveraineté numérique</h2>
<p>Le cadre juridique du numérique est fondé sur des valeurs qui façonnent une voie européenne, notamment la protection des données personnelles et de la vie privée, la promotion de l’intérêt général, par exemple dans la gouvernance des données.</p>
<p>Le texte emblématique de l’approche européenne est le règlement sur la protection des données personnelles (RGPD) adopté en 2016, qui vise la maîtrise de ses données par le citoyen, maîtrise qui s’apparente à une forme de souveraineté individuelle. Ce règlement est souvent <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/fs_20_1172">présenté</a> comme un succès et un modèle, même si cela doit être relativisé.</p>
<h2>La nouvelle régulation européenne du numérique pour 2022</h2>
<p>L’actualité est marquée par la préparation d’une nouvelle régulation du numérique avec deux règlements qui devront être adoptés en 2022.</p>
<p>Il s’agit de <a href="https://www.mollat.com/livres/2549971/julien-nocetti-questions-internationales-n-109-les-gafam-une-histoire-americaine#">réguler les plates-formes</a> qui mettent en relation offreurs et utilisateurs ou proposent des services de classement ou référencement de contenus, de biens ou de services proposés ou mis en ligne par des tiers : Google, Meta (Facebook), Apple, Amazon, et bien d’autres encore.</p>
<p>L’enjeu de souveraineté est présent dans cette réforme comme le montre le <a href="https://www.contexte.com/article/numerique/andreas-schwab-le-digital-markets-act-doit-se-focaliser-sur-les-gafa_132213.html">débat sur la nécessité de se focaliser sur les GAFAM</a>.</p>
<p>D’un côté, le <em>Digital Markets Act</em> (le futur règlement européen sur les marchés numériques) prévoit des obligations renforcées pour les plates-formes dites <a href="https://www.contexte.com/numerique/les-digital-services-act-dsa-et-digital-markets-ac/">« contrôleurs d’accès »</a> dont dépendent utilisateurs intermédiaires et finaux. Les GAFAM sont concernés même si d’autres entreprises pourraient être l’être – comme Booking ou Airbnb. Tout dépend de l’issue des discussions en cours.</p>
<p>De l’autre, le <em>Digital Services Act</em> est un règlement sur les services numériques qui viendra <a href="https://www.contexte.com/numerique/les-digital-services-act-dsa-et-digital-markets-ac/">organiser la responsabilité des plates-formes</a>, notamment à raison des contenus illégaux qu’elles peuvent véhiculer.</p>
<h2>L’espace numérique, lieu de confrontations</h2>
<p>Se doter de règles de droit ne suffit pas.</p>
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<p>« Les États-Unis ont les GAFA (Google, Amazon, Facebook et Apple), la Chine a les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi). Et l’Europe ? Nous avons le RGPD. Il est temps de ne pas dépendre uniquement des solutions américaines ou chinoises ! » déclarait le Président Emmanuel Macron <a href="https://medium.com/atomico/french-president-emmanuel-macron-niklas-zennstr%C3%B6m-europes-technology-future-dec-2020-238d477c4a01">lors d’un entretien</a> le 8 décembre 2020.</p>
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<figcaption><span class="caption">Entretien entre Emmanuel Macron et Niklas Zennström (CEO d’Atomico). Source : Atomico sur Medium.</span></figcaption>
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<p>L’espace international est un lieu de confrontation des souverainetés. Chacun veut légitimement maîtriser son destin numérique, mais il faut compter avec l’ambition des États qui revendiquent le droit de contrôler ou surveiller leur espace numérique conçu de manière large, à l’instar des États-Unis ou de la Chine.</p>
<p>L’Union européenne et/ou ses États membres, comme la France, sous peine d’être une « colonie numérique », passent donc à l’action et promeuvent des solutions souveraines.</p>
<h2>Maîtriser les infrastructures et ressources stratégiques</h2>
<p>À force de concentrer l’attention sur les services d’intermédiation, on ne met pas assez l’accent sur la dimension industrielle du sujet.</p>
<p>Or, le premier enjeu réside dans la <a href="http://www.senat.fr/rap/r19-007-1/r19-007-18.html">maîtrise des infrastructures vitales et des réseaux de télécommunications</a>. Moins médiatisée que celle des équipements de la 5G et de la résistance face à Huawei, la question des câbles sous-marins (98 % des données numériques mondiales y circulent) est révélatrice de la nécessité de promouvoir notre industrie câblière face à l’hégémonie d’entreprises étrangères et l’arrivée de géants tels que Google ou Facebook dans le secteur.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/si-la-russie-coupe-les-cables-sous-marins-leurope-peut-perdre-son-acces-a-internet-169858">Si la Russie coupe les câbles sous-marins, l’Europe peut perdre son accès à Internet</a>
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<p>L’adjectif « souverain » est aussi accolé à d’autres ressources stratégiques. Ainsi, l’Union européenne veut sécuriser l’approvisionnement en semi-conducteurs, car actuellement la dépendance à l’égard de l’Asie est forte. C’est l’objet de l’<a href="https://www.usine-digitale.fr/article/souverainete-numerique-l-europe-veut-sa-legislation-sur-les-semi-conducteurs.N1140697"><em>European Chips Act</em></a> qui vise à créer un écosystème européen. <a href="https://www.usine-digitale.fr/article/souverainete-numerique-l-europe-veut-sa-legislation-sur-les-semi-conducteurs.N1140697">Pour Ursula Von Leyden</a>, « ce n’est pas seulement une question de compétitivité, mais aussi de souveraineté numérique ».</p>
<p>Se pose aussi la <a href="https://www.la-croix.com/Economie/largent-public-cloud-souverain-2021-11-02-1201183299">question du cloud « souverain »</a> qui peine à se mettre en place. Territorialisation du cloud, confiance, protection des données sont autant de conditions pour asseoir la souveraineté. La France a créé pour cela le <a href="https://www.ssi.gouv.fr/actualite/secnumcloud-evolue-et-passe-a-lheure-du-rgpd/">label SecNumCloud</a> et prévoit des financements substantiels.</p>
<p>L’adjectif « souverain » est aussi utilisé pour qualifier certaines données : celles pour la disponibilité desquelles aucun État ne doit dépendre de quiconque, comme les données géographiques. D’une manière générale, un consensus se crée autour de la nécessité de maîtriser les données et l’accès à l’information, en particulier dans les domaines où l’enjeu de souveraineté est le plus fort : la santé, l’agriculture, l’alimentation, l’<a href="https://cnnumerique.fr/files/uploads/2020/CNNum%20-%20Avis%20Donnees%20environnementales%20d%27interet%20general.pdf">environnement</a>. Le développement de l’intelligence artificielle est très lié au statut de ces données.</p>
<h2>Le temps des alternatives</h2>
<p>Est-ce que tout cela implique de favoriser l’émergence de grands acteurs européens ou nationaux et/ou d’acteurs stratégiques, start-up et PME-TPE ? Certainement, encore faut-il qu’ils soient vertueux, comparés à ceux qui exploitent les données personnelles sans vergogne par exemple.</p>
<p>L’alternative pure est <a href="https://www.usine-digitale.fr/article/le-cloud-souverain-n-est-il-qu-un-fantasme.N1151837">difficile à faire émerger</a>. C’est pourquoi des partenariats, au demeurant fort critiqués, se développent, par exemple pour des offres de cloud à l’instar de celui entre <a href="https://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/securite-informatique-thales-et-google-cloud-concluent-un-partenariat-20211006">Thales et OVHcloud en octobre 2021</a>.</p>
<p>En revanche, il est permis d’espérer. L’« open source » est un bon exemple d’une <a href="https://www.lemondeinformatique.fr/actualites/lire-plaidoyer-de-l-open-source-francais-sur-la-souverainete-et-le-business-83125.html">alternative crédible aux technologies privées américaines</a>. On en attend donc une meilleure promotion, notamment en France.</p>
<p>Enfin, la cybersécurité et la cyberdéfense sont des sujets cruciaux pour la souveraineté. La situation est critique avec des attaques notamment de la Russie et de la Chine. La cyber est un des grands chantiers dans lequel la France investit beaucoup actuellement et <a href="https://www.touteleurope.eu/l-ue-dans-le-monde/la-cybersecurite-cheval-de-bataille-de-la-france-et-de-l-union-europeenne/">se positionne comme champion</a>.</p>
<h2>La souveraineté du peuple</h2>
<p>Pour conclure, rappelons que les enjeux de souveraineté numérique se manifestent dans toutes les activités humaines. Une des grandes prises de conscience initiale, en 2005, concerne la culture avec le constat fait par Jean-Noël Jeanneney d’un <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2005/01/22/quand-google-defie-l-europe-par-jean-noel-jeanneney_395266_1819218.html">Google qui défie l’Europe</a> en numérisant son patrimoine culturel lorsqu’il crée Google Books.</p>
<p>La période récente renoue avec cette vision et l’enjeu culturel et démocratique s’affirme comme essentiel, à l’heure de la désinformation en ligne et son cortège d’effets pervers, notamment sur les élections. Cela implique de placer le citoyen au cœur du dispositif et de démocratiser le monde numérique en affranchissant l’individu de la tutelle des géants du net dont l’emprise ne se limite pas à l’économie et au régalien. C’est sur le système cognitif, sur l’attention et la liberté <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/l_economie_de_l_attention-9782707178701">que la toile des grandes plates-formes se tisse</a>. La souveraineté, celle du peuple, rimerait donc ici avec résistance.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171014/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Annie Blandin-Obernesser a reçu des financements de projets de recherche de l'UE, de l'ANR, de la Région Bretagne, du pôle image et réseaux (FUI). </span></em></p>Comment se construit concrètement la souveraineté numérique, alors qu’elle semble menacée par les stratégies et ambitions d’entreprises étrangères et de certains États ?Annie Blandin-Obernesser, Professeur de droit, IMT Atlantique – Institut Mines-TélécomLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1703902021-10-27T20:41:36Z2021-10-27T20:41:36ZSous-marins australiens : le modèle français d’exportation d’armes en question<p>Le 15 septembre 2021, l’Australie <a href="https://www.liberation.fr/international/asie-pacifique/sous-marins-laustralie-annule-son-contrat-du-si%C3%A8cle-avec-le-francais-naval-group-20210916_33K5KSABDZD5JPVZXSHBDGDZUI/">décide de renoncer à l’acquisition</a> de douze sous-marins français <a href="https://www.defense.gouv.fr/marine/dossiers/barracuda">Shortfin Barracuda</a> produits par Naval Group et annonce la création d’un pacte de sécurité avec le Royaume-Uni et les États-Unis (AUKUS, pour Australia, United Kingdom, United States) qui lui permettra de se procurer, auprès de Londres et Washington, des navires à propulsion nucléaire.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-les-sous-marins-nucleaires-sont-un-choix-militaire-judicieux-pour-laustralie-face-a-la-chine-168202">Pourquoi les sous-marins nucléaires sont un choix militaire judicieux pour l’Australie face à la Chine</a>
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<p>Cette affaire implique des dynamiques soumises à des temporalités différentes : celles liées à la géopolitique internationale, davantage régie par le court terme et où s’impose souvent une forte réactivité ; et celles liées à l’industrie de défense, régie par la planification et les cycles de long terme.</p>
<p>L’<a href="https://amp-ouest--france-fr.cdn.ampproject.org/c/s/amp.ouest-france.fr/economie/economie-de-la-mer/naval-group/crise-des-sous-marins-le-pdg-de-naval-group-appelle-a-un-programme-de-cooperation-europeen-dc2098da-1cfd-11ec-b443-821185c78bbd">accélération de l’agenda géopolitique australien</a> semble ici clairement avoir désynchronisé la demande et l’offre. Dans ce contexte, l’industriel <a href="https://www.naval-group.com/fr">Naval Group</a> et l’État français sont des « victimes collatérales » d’une course aux armes en Asie-Pacifique où la Chine et les États-Unis rivalisent pour une hégémonie mondiale.</p>
<h2>Un choix que l’Australie estime bénéfique pour elle…</h2>
<p>Face à l’option française initiale, fondée sur une propulsion conventionnelle, l’Australie a finalement préféré une option stratégique d’acquisition de sous-marins à propulsion nucléaire, en partenariat avec les États-Unis et le Royaume-Uni. Qu’est-ce qui a pu conduire à ce choix ?</p>
<p>Il semblerait qu’en raison de l’évolution rapide de l’agenda géopolitique et de la <a href="https://theconversation.com/laustralie-face-a-la-chine-la-montee-des-tensions-156807">montée des tensions entre la Chine et l’Australie</a> ces derniers mois, il soit devenu nécessaire pour le pays d’acquérir de nouveaux sous-marins plus performants par rapport à la spécification initialement demandée. Cette acquisition garantirait ainsi une portée opérationnelle supérieure à celle d’un sous-marin conventionnel.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-la-rupture-par-laustralie-du-contrat-du-siecle-etait-previsible-168247">Pourquoi la rupture par l’Australie du « contrat du siècle » était prévisible</a>
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<p>De plus, dans le cadre de l’accord AUKUS, les Australiens recherchaient certainement une <a href="https://www.iris-france.org/160439-rupture-du-contrat-sur-les-sous-marins-australiens-quelles-consequences-pour-lindustrie-francaise/">réassurance de sécurité</a> dans la région que seuls les États-Unis pouvaient leur offrir, ce qui explique leur <a href="https://www.institutmontaigne.org/blog/la-france-lamerique-et-lindopacifique-apres-le-choc">refus de recourir à la technologie nucléaire française</a>. Cette recherche de protection a vraisemblablement pesé lourd dans l’arbitrage rendu par l’Australie.</p>
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<figcaption><span class="caption">La Chine condamne une vente « irresponsable » de sous-marins américains à l’Australie, France 24, 16 septembre 2021.</span></figcaption>
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<h2>… mais qui pourrait bien se révéler plus coûteux que prévu</h2>
<p>Trois aspects sont à prendre en compte dans la dimension industrielle de cette rupture de contrat.</p>
<p>Tout d’abord, le projet retenu sera certainement plus coûteux que le projet initial. Premièrement parce que la rupture de celui-ci entraîne un versement de pénalités dont le montant reste à déterminer. Le PDG de Naval Group <a href="https://www.leparisien.fr/international/crise-des-sous-marins-naval-group-va-envoyer-une-facture-a-laustralie-annonce-son-pdg-23-09-2021-5YWVARP4JJDDTLZIW4PTM4GQGY.php">l’a dit</a> :</p>
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<p>« Cette résiliation par convenance donnera lieu à un paiement des coûts engagés et à venir, liés à la démobilisation physique des infrastructures et informatique ainsi qu’au reclassement des employés. »</p>
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<p>Ensuite, le design des futurs sous-marins australiens sera certainement inspiré soit des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Classe_Virginia_(sous-marin)">classes Virginia</a> (américains), soit <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Classe_Astute">Astute</a> (britanniques). Ces sous-marins pèsent environ 7 500 tonnes contre 4 000 pour la version australienne du Suffren. Étant plus lourds, ils seront certainement plus coûteux à construire.</p>
<p>Enfin, la durée de réalisation d’un tel projet sera longue. Les Britanniques et les Américains ne disposent pas des capacités de production nécessaires pour satisfaire la demande australienne dans l’immédiat. <a href="https://www.meta-defense.fr/2021/09/21/laustralie-envisage-de-louer-des-sous-marins-americains-comme-solution-dattente/">Des délais sont donc à craindre</a>. Par ailleurs, l’industrie navale britannique a montré de <a href="https://www.rand.org/pubs/monographs/MG1128z3.html">grandes difficultés dans la conduite du projet Astute</a>, qui se sont traduites par des dérives de coûts et des délais importants.</p>
<p>De plus, côté australien, il convient de noter que le pays n’a aucune expérience dans la mise en œuvre opérationnelle, la doctrine d’emploi, ni l’entretien de sous-marins à propulsion nucléaire. Tout cela n’est certes pas impossible à acquérir mais demande du temps, même si les compétences en la matière sont rares.</p>
<p>Au final, il risque donc d’y avoir un décalage opérationnel entre le besoin – qui est soudainement devenu urgent – et la réalité industrielle, organisationnelle et technologique d’un tel choix.</p>
<p>Sur un plan plus stratégique, l’Australie remplace la dépendance à la France (qui proposait d’importants transferts de technologie) par une dépendance aux États-Unis plus forte, car a priori sans transfert de technologie. Ainsi, les Australiens risquent d’acheter une « boîte noire » dont les secrets de fabrication leur resteront inconnus.</p>
<p>Enfin, alors que les Australiens cherchaient à consolider leur filière navale, il leur faut envisager un gros manque à gagner dans le cadre de la maintenance des futurs sous-marins. L’ensemble du contrat pourrait se solder par la disparition de <a href="https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/sous-marins-en-australie-10-questions-cles-pour-decrypter-une-crise-hors-norme-892786.html">1 800 emplois chez Naval Group Australia et environ 1 000 autres chez les sous-traitants australiens</a>.</p>
<p>En 2021, quand on était encore dans une phase de design, 650 emplois étaient concernés en France (dont environ 500 à Cherbourg) ainsi que 350 emplois en Australie.</p>
<h2>Exporter pour financer son excellence industrielle : le modèle français</h2>
<p>Cette affaire des sous-marins met aussi en avant les <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-de-politique-comparee-2016-1-page-57.htm">divergences existantes entre les modèles d’exportation français et américain</a>, dont il s’agit de déterminer les logiques sous-jacentes.</p>
<p>On peut considérer tout d’abord que le modèle français est centré autour du produit (un système d’armes) et des enjeux industriels. Il se caractérise aujourd’hui par une dépendance accrue vis-à-vis des exportations. En effet, la France exporte aujourd’hui un peu plus de 30 % de sa production totale d’équipements de défense (contre 8 % dans les années 1960 et 15 % dans les années 1970).</p>
<p>Les motivations sont d’abord <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-de-politique-comparee-2016-1-page-57.htm">économiques et liées au modèle d’armée</a> ainsi qu’aux moyens nécessaires à la crédibilité de la dissuasion.</p>
<p>Le marché français est trop étroit pour maintenir les compétences industrielles nécessaires à la production de l’ensemble des équipements dont les forces armées ont besoin et ainsi amortir les coûts de recherche et développement indispensables à la compétitivité des entreprises.</p>
<p>Pourtant, la concurrence mondiale, et en particulier européenne, pousse à une productivité élevée. Le dilemme inhérent à ce modèle tient aux risques de dépendance aux exportations d’armes, alors que la technologie associée à ces armes positionne la France haut dans la hiérarchie des industries de défense. C’est le modèle d’une puissance moyenne avec des ambitions mondiales et des contraintes économiques et industrielles certaines.</p>
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<figcaption><span class="caption">4 questions sur les exportations d’armements de la France, Brut, 4 juin 2021.</span></figcaption>
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<p>De ce fait, le programme australien représentait 10 % de l’activité de Naval Group et offrait une visibilité en termes d’activité sur plusieurs décennies. Historiquement, les exportations jouent un rôle important dans le fonctionnement de Naval Group (30 % du chiffre d’affaires sur la décennie 2010) : le modèle économique de l’entreprise nécessite d’exporter pour entretenir les compétences industrielles et l’activité des bureaux d’étude.</p>
<p>Néanmoins, compte tenu des engagements internationaux de la France, le contrôle des exportations reste exigeant. Enfin, les exportations sont également conçues comme des opportunités de rapprocher la France de ses clients au travers des « partenariats stratégiques ».</p>
<p>Par ailleurs, la France a historiquement été considérée comme une « troisième voie » entre les États-Unis et l’URSS durant la guerre froide, et il n’est pas interdit de penser que ce sera aussi le cas dans le cadre de la rivalité entre la Chine et les États-Unis.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/aukus-la-france-grande-perdante-du-duel-americano-chinois-168786">AUKUS : la France, grande perdante du duel américano-chinois</a>
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<h2>L’exportation comme instrument diplomatique pur : le modèle américain</h2>
<p>À l’opposé du modèle français d’exportations d’armes, on trouve le modèle américain. Il se caractérise fondamentalement par un <a href="https://www.businessinsider.fr/les-10-pays-qui-ont-realise-les-plus-importantes-depenses-militaires-dans-le-monde-en-2020-187307#1-etats-unis-778mds-4-4">budget de défense sans commune mesure au niveau mondial</a> et ses corollaires : une flotte d’équipements qui confère un statut de grande puissance ; des accords de défense stables associés à des partenariats de long terme (<a href="https://www.nato.int/nato-welcome/index_fr.html">OTAN</a>, <a href="https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/le-quad-une-autre-alliance-ravivee-pour-contrer-la-chine-1349475">Japon</a>, <a href="http://cecrilouvain.be/wp-content/uploads/2018/01/25-note-danalyse-etats-unis-australie.pdf">Australie</a>, etc.) ; une industrie de défense capable de produire l’ensemble du spectre des équipements au plus haut niveau de la technologie disponible et dont les entreprises sont classées <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/12/09/les-etats-unis-poursuivent-leur-domination-mondiale-dans-la-production-d-armes_6022134_3210.html">parmi les plus importantes du secteur</a>.</p>
<p>D’un point de vue économique, le marché américain est pleinement intégré, c’est-à-dire homogène d’un point de vue politique et comportant un nombre limité d’acteurs industriels <a href="https://theconversation.com/lindustrie-de-defense-en-europe-la-cooperation-ou-le-declassement-151454">(au contraire du marché européen souvent qualifié de « fragmenté »)</a>. Sa taille est suffisamment large pour que les entreprises américaines ne soient pas dépendantes des contrats d’exportation. Cela lui confère un avantage comparatif majeur, grâce aux économies d’échelle induites par la <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/ecin.12220">taille de son marché domestique</a>. La pression aux exportations est donc moins forte pour les entreprises américaines que pour les entreprises françaises.</p>
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<figcaption><span class="caption">Armement : les États-Unis dominent, les ventes d’armes augmentent, Euronews, 8 décembre 2020.</span></figcaption>
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<p>Cette situation sur le marché domestique permet aux États-Unis d’envisager les exportations d’armes comme des relations diplomatiques.</p>
<p>Il s’agit, d’une part, de garder la maîtrise des technologies de défense et de garder inchangée la hiérarchie militaire et, d’autre part, de créer les conditions d’un partenariat qui permet aux pays clients d’obtenir une forme d’assurance vis-à-vis des États-Unis.</p>
<p>Ce dernier point constitue un second avantage comparatif, en ce que la valeur accordée aux exportations d’armes bénéficie de l’« image de marque » américaine, jugée supérieure à celles des autres pays. Celle-ci peut aussi se conjuguer à des effets d’<a href="https://www.frstrategie.org/programmes/observatoire-des-conflits-futurs/nouveaux-enjeux-interoperabilite-2021">interopérabilité</a> entre les forces armées américaines et celles du pays importateur, jouant ainsi un rôle de multiplicateur de forces.</p>
<p>Du point de vue français, cette affaire soulève plusieurs problèmes : la soutenabilité d’un modèle économique de défense dépendant des exportations, associé à un marché domestique de petite taille par rapport aux États-Unis et un modèle d’armée <a href="https://www.irsem.fr/le-collimateur/innovation-et-nouvelles-technologies-militaires-22-12-2020.html">reposant sur des équipements très technologiques</a>. Mais, comme le souligne l’exemple de la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/09/28/la-grece-achete-trois-fregates-a-naval-group_6096283_3210.html">vente des frégates et des avions Rafale à la Grèce</a>, l’image de marque de la France n’est pas écornée, puisqu’au-delà des relations commerciales, un <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/09/28/la-grece-achete-trois-fregates-a-naval-group_6096283_3210.html">accord de défense ambitieux a été signé</a>. Cela montre que, tout comme les États-Unis, et malgré le camouflet qu’a constitué pour elle le revirement de Canberra, la France reste capable de construire des partenariats durables.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/170390/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Malizard travaille pour la Chaire Economie de défense de l'IHEDN comme titulaire adjoint ; il est par ailleurs chercheur associé au GREThA (Université de Bordeaux, UMR 5113). Il a reçu des financements de la Direction générale de l'armement (DGA) durant sa thèse. Il est membre du conseil d'administration de l'association pour les études sur la guerre et la stratégie (AEGES).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Josselin Droff est chercheur à la Chaire économie de défense de l'IHEDN. Il est par ailleurs chercheur associé au GREThA (Université de Bordeaux, UMR 5113). Il a reçu des financements de la DGA pour sa thèse de doctorat entre 2009 et 2012. Il a reçu le prix de thèse du Ministère des armées en 2015 pour sa thèse de doctorat en sciences économiques.</span></em></p>La rupture par l’Australie du contrat français au profit d’AUKUS témoigne du modèle d’exportation d’armes américain : à l’inverse de la France, les É.-U. ne sont pas dépendants de leurs ventes.Julien Malizard, Chercheur associé au GREThA (UMR 5113), Université de BordeauxJosselin Droff, Chercheur associé au GREThA (UMR 5113), Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1458902020-09-14T17:38:25Z2020-09-14T17:38:25ZRelocalisation, souveraineté, réindustrialisation, résilience : ne confondons pas tout !<p>Le <a href="https://www.gouvernement.fr/france-relance">plan France Relance</a> présenté début septembre par le gouvernement prévoit de consacrer un milliard d’euros aux relocalisations. On attend de celles-ci qu’elles renforcent notre souveraineté, créent des emplois, permettent de réindustrialiser le pays, le rendent plus résilient… Or, ces notions (souveraineté, réindustrialisation, résilience, relocalisation) recouvrent des sens assez différents.</p>
<p>Une <a href="https://www.la-fabrique.fr/fr/publication/de-la-souverainete-industrielle-aux-relocalisations-de-quoi-parle-t-on/">publication récente</a> de <a href="https://www.la-fabrique.fr/fr/">La Fabrique de l’industrie</a> précise utilement ce qu’elles signifient, dans une perspective historique.</p>
<h2>Souveraineté ne veut pas dire autarcie</h2>
<p>La souveraineté consiste à ne pas dépendre de la bienveillance d’autrui pour satisfaire certains besoins (énergie, alimentation, santé, maîtrise de nos données, etc.), de pouvoir agir en fonction de nos valeurs et de nos intérêts, sans être soumis à la volonté d’un autre État, voire d’une entreprise.</p>
<p>La fragmentation des chaînes de valeur peut créer un risque de souveraineté en cas de dépendance vis-à-vis d’une matière ou d’un composant critique.</p>
<p>La souveraineté s’apprécie dans un domaine, par rapport à un objectif, dans un périmètre géographique spécifiques. Elle ne suppose pas l’autarcie. Si les fournisseurs d’un composant introuvable en France sont répartis dans diverses zones géopolitiques et que certains d’entre eux ont besoin de produits français (ou de technologies, ou de services) ou de débouchés, nous pouvons avoir un niveau d’interdépendance raisonnable.</p>
<p>Si une production n’est pas ordinairement assurée en France, mais qu’en cas de besoin des usines du territoire peuvent la réaliser, même avec une productivité médiocre (équipement médical ou de protection, par exemple), un niveau de stock raisonnable peut suffire à garantir notre indépendance.</p>
<p>La garantie de notre souveraineté repose donc, soit sur l’autonomie, soit sur la construction d’un rapport de force favorable, permettant de sécuriser nos approvisionnements.</p>
<p>Cela nécessite une certaine vigilance : lorsqu’au début de 1970, les producteurs de pétrole de l’OPEP ont décidé de s’entendre entre eux, ils ont pu <a href="https://www.lecho.be/dossier/130ans/le-premier-choc-petrolier-le-prix-de-l-or-noir-quadruple/9109990.html">quadrupler le prix du pétrole en 6 mois</a>, puis le multiplier à nouveau par 2,7 entre 1978 et 1981.</p>
<p>Aujourd’hui, le lithium fait par exemple l’objet d’une forte demande, mais il existe de nombreux fournisseurs possibles, tandis que les fournisseurs de cobalt sont moins nombreux et que la Chine négocie avec eux des accords qui peuvent lui assurer une position de force sur cette matière première.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1267564407502110720"}"></div></p>
<p>Une balance des paiements durablement déficitaire peut ainsi constituer une menace pour notre souveraineté dans la mesure où tout débiteur dépend de la bienveillance et de la patience de ses créanciers.</p>
<p>Si, du fait d’un déficit commercial, la balance est équilibrée grâce à l’achat d’entreprises françaises par des étrangers (investissements directs étrangers), nous conservons certes la capacité de production sur notre sol, mais perdons une partie de notre capacité de décision. La Grèce et l’Italie ont ainsi cédé à la Chine des infrastructures portuaires stratégiques (Le Pirée, Trieste).</p>
<h2>La désindustrialisation impacte la souveraineté</h2>
<p>Le <a href="https://www.leslibraires.fr/livre/3768620-l-industrie-francaise-decroche-t-elle--pierre-noel-giraud-thierry-weil-la-documentation-francaise">moindre poids de l’industrie</a> <em>stricto sensu</em> dans l’emploi ou le PIB résulte de 4 facteurs :</p>
<ul>
<li><p>L’<strong>externalisation</strong> (sous-traitance) de certains services jadis internalisés à des entreprises locales (nettoyage, gestion technique des locaux, restauration du personnel) ou potentiellement étrangères (support client, comptabilité, informatique, R&D…). Les emplois correspondants et leur valeur ajoutée restent en France ou non, mais ne sont plus comptabilisés comme industriels.</p></li>
<li><p>Les <strong>gains de productivité</strong> : l’industrie réalise des gains de productivité très supérieurs à ceux des services, donc produit la même quantité de biens avec moins de travail humain et à moindre coût. Le consommateur qui s’enrichit augmente la part des services dans sa consommation (loisirs, culture, éducation, soins…).</p></li>
</ul>
<p>Notons que les deux facteurs précédents conduisent à une réduction des emplois et de la valeur ajoutée de l’industrie, mais pas à la fabrication de moins de biens manufacturés.</p>
<ul>
<li>L’<strong>économie de la fonctionnalité</strong> : le client achète de plus en plus une fonction (la mobilité plutôt qu’une voiture). Ceci conduit à offrir le même niveau de service avec moins de biens matériels : l’autopartage et la mobilité multimodale permettent de faire autant de trajets avec moins de voitures. C’est indispensable pour découpler la croissance des services consommés par une personne de celle de son empreinte énergétique.</li>
</ul>
<p>Ce dernier facteur conduit à une moindre production de biens (souhaitable pour un développement durable) sans réduction des fonctionnalités et du bien-être des consommateurs.</p>
<ul>
<li>La <strong>perte de parts de marché</strong> : si nous ne sommes pas compétitifs, les consommateurs (français ou étrangers) préfèrent des biens produits à l’étranger à ceux produits en France. L’écart de compétitivité peut dépendre des domaines, auquel cas nous exporterons certains biens (avions) et en importerons d’autres (t-shirts). Si nous sommes peu compétitifs dans de trop nombreux domaines, nous produisons moins de biens que nous n’en consommons et notre balance commerciale est déficitaire.</li>
</ul>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/357426/original/file-20200910-16-1x4ui22.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/357426/original/file-20200910-16-1x4ui22.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/357426/original/file-20200910-16-1x4ui22.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=390&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/357426/original/file-20200910-16-1x4ui22.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=390&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/357426/original/file-20200910-16-1x4ui22.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=390&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/357426/original/file-20200910-16-1x4ui22.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=490&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/357426/original/file-20200910-16-1x4ui22.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=490&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/357426/original/file-20200910-16-1x4ui22.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=490&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Part de l’emploi industriel manufacturier dans l’emploi total de 1949 à 2018.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Comptes nationaux, base 2014, Insee. Traitement La Fabrique de l’industrie</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Tous les pays développés connaissent une désindustrialisation depuis des décennies, après avoir connu jadis un effondrement de la part de la main-d’œuvre employée dans l’agriculture. Comme pour l’agriculture, cela ne s’est pas traduit, bien au contraire, par une moindre production disponible.</p>
<p>En revanche, certains pays ont su maintenir ou restaurer la compétitivité de leur industrie (l’Allemagne, l’Espagne, la France jusqu’en 2005, l’Europe globalement), tandis que d’autres (les États-Unis, le Royaume-Uni, la France depuis 2005) ont une balance commerciale des biens manufacturés très déficitaire.</p>
<p>La désindustrialisation induit la perte de certaines compétences (du tissu de sous-traitants, notamment), de sorte que même si le choix politique était fait de payer plus cher les produits pour lesquels nous ne sommes pas compétitifs, il ne serait pas toujours possible de trouver les producteurs sur le territoire national. Elle a donc un impact sur notre souveraineté.</p>
<h2>Penser attractivité plutôt que relocalisation</h2>
<p>La délocalisation est un concept mal défini. Au sens strict, elle correspond au transfert d’une unité de production française dans un pays étranger, souvent pour profiter de coûts inférieurs. Mais certains considèrent comme une délocalisation le fait d’ouvrir à l’étranger une unité de production qui aurait pu être localisée en France, parfois pour être plus proche du marché, parfois pour satisfaire une exigence de valeur ajoutée locale imposée par un client ou son État (ce n’est pas pour optimiser ses coûts de production qu’Airbus a ouvert des usines aux États-Unis et en Chine), ou le fait de faire appel à un sous-traitant étranger alors qu’on trouve des sous-traitants nationaux.</p>
<p>L’ordre de grandeur est, selon les définitions et les périodes, de 4 000 à 27 000 emplois perdus, à mettre au regard des quelque 250 000 emplois créés et détruits chaque année dans l’industrie, avec un solde qui redevient positif entre 2017 et 2019 après une longue période de déclin.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1303323141649903617"}"></div></p>
<p>Le concept de relocalisation est tout aussi mal défini. Par ailleurs, les décisions de localisation des entreprises étrangères ont le même impact que celles des entreprises nationales.</p>
<p>Pour cette raison, et malgré son succès chez certains politiques, communicants, ou consultants, il semble plus pertinent de réfléchir aux <em>facteurs de localisation</em> d’une unité de production (de biens ou de services), que le décideur soit une entreprise nationale ou étrangère. Ces facteurs incluent la facilité d’accès, à des coûts intéressants, à divers intrants, au marché, aux infrastructures, à une main-d’œuvre qualifiée, motivée et efficace, à diverses compétences complémentaires.</p>
<p>Plutôt que de s’enliser dans des débats sur ce qu’est une délocalisation, il nous semble préférable de se concentrer sur ce qui rend notre <a href="https://www.eyrolles.com/Litterature/Livre/l-industrie-notre-avenir-9782212561159/">territoire attractif pour l’industrie</a>, mais aussi sur ce qui rend les métiers de l’industrie et les territoires où sont localisées les usines attractifs pour les Français.</p>
<h2>Les capacités de résilience</h2>
<p>La résilience face à une crise telle que celle que nous venons de vivre repose sur plusieurs capacités :</p>
<ul>
<li><p><strong>Disposer de certains produits</strong> là où ils sont nécessaires (produits de santé, alimentation, etc.) : ce qui repose sur des capacités logistiques d’acheminement, sur des stocks (pour les besoins immédiats excédent les flux disponibles) et des flux (d’importation ou de production locale).</p></li>
<li><p>Des <strong>infrastructures</strong> essentielles (notamment énergie, télécom et transports, distribution d’eau, santé, assainissement, sécurité, etc.)</p></li>
<li><p>Des <strong>options d’accès</strong> à des flux (d’importations ou de production locale), qui demandent parfois un temps de mise en œuvre conditionnant les stocks de sécurité</p></li>
<li><p>Des <strong>compétences</strong> (de soin, de production, etc.) adaptées aux besoins et des infrastructures de production opérationnelles répondant immédiatement aux besoins ou reconfigurables pour y répondre rapidement</p></li>
<li><p>Des <strong>institutions robustes</strong>, qui font que ceux dont on a besoin se mobilisent de manière volontaire et confiante et peuvent le faire dans de bonnes conditions (prise en compte de leur sécurité et de leurs besoins).</p></li>
</ul>
<h2>Réindustrialiser plutôt que relocaliser</h2>
<p>Savoir produire ou pouvoir acheter ce dont on a besoin est nécessaire à notre résilience, mais au-delà de cette fonction, l’industrie est aussi un facteur essentiel de cohésion sociale et territoriale.</p>
<p>Cohésion sociale, car l’industrie offre des salaires de tous niveaux (et en moyenne supérieurs à ceux des services). Il est possible d’y progresser, d’y faire carrière en améliorant ses qualifications et en prenant plus de responsabilités, tandis que les emplois des services sont plus souvent polarisés entre des travaux très qualifiés confortablement payés d’une part, et d’autre part des postes ne demandant pas beaucoup de formation, payés au SMIC, même s’ils sont souvent exigeants, et présentant peu de perspectives d’évolution.</p>
<p>Cohésion territoriale, car l’industrie est souvent située dans des villes moyennes ou à leur périphérie, tandis que les services haut de gamme tendent à se concentrer dans les métropoles.</p>
<p>Nous avons donc un impérieux besoin de disposer d’une industrie forte, mais il ne s’agit pas de conserver ou de vouloir faire revenir sur notre territoire une industrie polluante qui offrirait des emplois pénibles et peu qualifiés.</p>
<p>Il nous faut construire et attirer une industrie sobre en ressources, respectueuse des femmes et des hommes qu’elle emploie ainsi que des territoires dans lesquels elle est implantée, pouvant défendre ses parts de marché dans une économie ouverte et globalisée.</p>
<p>Cette industrie offre des emplois attractifs et des possibilités de développement personnel. Elle contribue à l’économie, moins par les emplois directs qu’elle offre que par la richesse qu’elle crée et par tous les emplois indirects qu’elle induit. Elle consolide notre souveraineté et favorise notre résilience.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/145890/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thierry Weil reçoit des financements de la Fondation Mines Paristech, reconnue d'utilité publique, qui soutient la recherche et l'enseignement de l'Ecole des mines de Paris, membre de l'Université Paris Sciences et Lettres. Thierry Weil conseille La Fabrique de l'industrie, laboratoire d'idée laboratoire d'idées destiné à susciter et à enrichir le débat sur l'industrie.</span></em></p>Les objectifs dévoilés par le gouvernement relèguent au second plan la nécessité de penser avant tout à l’attractivité de la France.Thierry Weil, Chaire Futurs de l'industrie et du travail (CERNA, I3, CNRS), Membre de l’Académie des technologies, Mines ParisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1379802020-05-07T19:47:35Z2020-05-07T19:47:35Z70 ans après la déclaration Schuman, l’indispensable « retour de l’Europe en France »<p><em>Ce texte est basé sur une étude de Bruno Cautrès, Thierry Chopin et Emmanuel Rivière : <a href="https://institutdelors.eu/wp-content/uploads/2020/05/R119_OpinionFranceEurope_Chopin_200504_FR.pdf">« Les Français et l’Europe : entre défiance et ambivalence. Le nécessaire « retour de l’Europe en France »</a>, Rapport, CEVIPOF/Institut Jacques Delors/Centre Kantar sur le futur de l’Europe, mai 2020.</em></p>
<hr>
<p>75 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale et 70 ans après la <a href="http://eubg.eu/upload/files/662783579_Shumann.pdf">Déclaration Schuman</a>, l’acte de naissance de la construction européenne lancée par la France, il convient d’éclairer la relation paradoxale que semblent entretenir les Français avec l’Europe. À la fois moteur et frein de la construction européenne, la France est aussi bien à l’origine de certaines de ses plus grandes avancées que de ses « coups d’arrêt » les plus notables, dont le rejet de la « Constitution européenne » en 2005. Depuis, l’eurodéfiance des Français semble s’être encore accrue – et ce, en dépit de la volonté des autorités françaises, au plus haut niveau de l’État, de porter une <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2017/09/26/initiative-pour-l-europe-discours-d-emmanuel-macron-pour-une-europe-souveraine-unie-democratique">vision stratégique ambitieuse</a> de l’avenir de l’UE.</p>
<h2>La très forte défiance des Français vis-à-vis de l’UE</h2>
<p>Sur la longue durée, on peut distinguer trois périodes dans l’évolution des rapports des Français à l’UE. Tout d’abord, du début des années 1950 aux années 1980, une période de « consensus permissif » (selon l’expression de <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/000271627039200117">Lindberg et Scheingold</a>) pendant laquelle la France a longtemps figuré parmi les pays les plus « europhiles » ; dans les années 1970, entre 52 % et 68 % des Français interrogés par les enquêtes Eurobaromètre considèrent que « l’appartenance de la France à l’Union européenne est une bonne chose ».</p>
<p>Ensuite, à partir du début des années 1990, le moment « Maastricht » marque la fin du « consensus permissif » avec l’apparition d’un clivage politique sur la question européenne (un clivage principiel sur la question de la souveraineté nationale contre l’intégrationnisme européen) et un début de politisation des attitudes de l’opinion publique à l’égard des « affaires européennes ».</p>
<p>Enfin, à partir de 2004, au moment de l’élargissement aux pays d’Europe centrale et orientale, les Français ayant tendance à ne pas faire confiance à l’Union européenne deviennent majoritaires, ce qui se cristallise lors du référendum sur le Traité constitutionnel européen du 29 mai 2005. Treize ans après le référendum sur le Traité de Maastricht, le référendum de 2005 marque une inflexion du clivage politique sur l’Europe en France : ce sont alors principalement les modalités de l’intégration européenne et les orientations des politiques de l’UE qui sont au cœur des débats de 2005. À partir de 2008, ceux qui ne font pas confiance à l’UE seront toujours plus nombreux que ceux qui lui font confiance. La défiance vis-à-vis de l’UE s’est accrue de près de 30 points entre 2007 et 2019 ! Aujourd’hui, 58 % des Français interrogés ne font pas confiance à l’UE et 32 % lui font confiance, alors que les moyennes européennes sont respectivement de 47 % et de 43 % (graphique 1).</p>
<p><strong>Graphique 1</strong></p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/332900/original/file-20200505-83745-admw14.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/332900/original/file-20200505-83745-admw14.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=339&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/332900/original/file-20200505-83745-admw14.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=339&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/332900/original/file-20200505-83745-admw14.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=339&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/332900/original/file-20200505-83745-admw14.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=426&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/332900/original/file-20200505-83745-admw14.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=426&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/332900/original/file-20200505-83745-admw14.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=426&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">Eurobaromètre</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La France fait donc partie du groupe des pays dont les habitants sont les moins favorables à l’UE. Pour analyser ce phénomène dans le détail, il est important de distinguer <a href="https://www.jstor.org/stable/193437?seq=1">deux types de « soutien politique »</a> : le « soutien diffus » (sentiments et attitudes les plus abstraits : adhésion à une vision, à des valeurs…) et le « soutien spécifique » (évaluation de l’efficacité des actions menées à l’échelle de l’UE). À partir de cette distinction, il est possible d’identifier un premier élément caractéristique du rapport ambivalent des Français à l’Europe : le soutien à l’UE est d’autant plus élevé qu’il s’exprime au niveau le plus diffus.</p>
<p>En se focalisant sur la perception des évaluations que font les Français de l’action de l’UE, une analyse comparative permet de définir la place occupée par la France en termes de soutien spécifique à l’Union par rapport aux autres États membres (graphique 2).</p>
<p><strong>Graphique 2</strong></p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/332901/original/file-20200505-83764-7liurj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/332901/original/file-20200505-83764-7liurj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=302&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/332901/original/file-20200505-83764-7liurj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=302&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/332901/original/file-20200505-83764-7liurj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=302&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/332901/original/file-20200505-83764-7liurj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=380&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/332901/original/file-20200505-83764-7liurj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=380&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/332901/original/file-20200505-83764-7liurj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=380&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="attribution"><span class="source">Eurobaromètre</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>La géographie et la typologie des opinions vis-à-vis de l’UE qui se dégagent de cette analyse mettent en évidence deux types de fracture au sein de l’espace européen et quatre types de rapport à l’UE à l’échelle des individus.</p>
<p>La première fracture à l’échelle européenne distingue les pays les plus favorables des moins favorables aux logiques de l’intégration européenne. Les Français appartiennent au groupe des Européens les plus négatifs vis-à-vis de l’UE. Dans le premier groupe, on trouve (par ordre croissant de soutien à l’UE) l’Irlande, le Danemark, le Portugal, le Luxembourg, la Lituanie, la Roumanie et Malte ; dans le second groupe (par ordre croissant d’opposition à l’Europe), la Slovénie, Chypre, la République tchèque, la France, l’Italie, le Royaume-Uni et la Grèce.</p>
<p>D’autre part, la fracture sociale constitue une deuxième ligne de clivage significative pour tous les pays, et particulièrement pour la France. L’intégration européenne est négativement perçue par les classes populaires, les ouvriers, les chômeurs, et ceux qui ont terminé leurs études avant l’âge de 16 ans.</p>
<p>Enfin, quatre groupes d’attitude vis-à-vis de l’UE, en fonction de leur positionnement et de l’intensité de ce positionnement, sont identifiables : 37 % appartiennent au premier groupe (Européens assez positifs), 43 % au second groupe (Européens assez négatifs), 5 % au troisième groupe (Européens les plus positifs) et 15 % au dernier groupe (Européens les plus négatifs). Dans le reste de l’Europe, les plus positifs sont deux fois plus nombreux, les plus négatifs deux fois moins.</p>
<h2>Des attitudes fortement négatives vis-à-vis de l’Europe, mais loin d’être systématiques</h2>
<p>Bien que la France se classe parmi les pays où les jugements négatifs vis-à-vis de l’Europe sont les plus répandus, ses habitants peuvent également s’y montrer favorables sur certaines questions. En effet, des attitudes proeuropéennes peuvent ponctuellement rassembler près des trois quarts des Français et l’opinion, très critique sur de nombreux points, peut basculer pour exprimer majoritairement des positions « proeuropéennes » sur d’autres (graphique 3). Ces mouvements de bascule sont surtout le fait d’individus ambivalents exprimant un positionnement « neutre » vis-à-vis de l’UE, qui représentent plus d’un tiers des Français.</p>
<p><strong>Graphique 3</strong></p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/332902/original/file-20200505-83751-1bszocl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/332902/original/file-20200505-83751-1bszocl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=256&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/332902/original/file-20200505-83751-1bszocl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=256&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/332902/original/file-20200505-83751-1bszocl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=256&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/332902/original/file-20200505-83751-1bszocl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=321&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/332902/original/file-20200505-83751-1bszocl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=321&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/332902/original/file-20200505-83751-1bszocl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=321&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="attribution"><span class="source">Eurobaromètre</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Ces personnes « ambivalentes » se rapprochent sur certains aspects des « europhiles », sur d’autres des détracteurs de l’UE. Les principaux points de convergence entre « europhiles » et profils « ambivalents » sont l’ouverture aux autres, l’adhésion massive aux principes de l’Union (par exemple le droit de travailler dans tous les États membres), aux politiques communes (76 % des « ambivalents » sont favorables à l’euro) et à l’importance de la voix de l’UE dans le monde.</p>
<p>En revanche, concernant la confiance en l’UE, ou plutôt la défiance, ces mêmes individus ambivalents rejoignent les tendances les plus négatives des opinions sur l’Europe : 22 % des « ambivalents » ont plutôt confiance dans l’UE, ce qui les rapproche des « eurosceptiques » chez qui cette proportion tombe à 4 %, quand elle s’élève à 65 % parmi les personnes émettant un jugement positif. De manière générale, on constate également que le manque de connaissances sur le fonctionnement de l’UE constitue un élément majeur du rapport de défiance des Français à l’Europe (la France occupe de ce point de vue le dernier rang parmi les 27).</p>
<h2>L’ambivalence des rapports entre les Français et « l’Europe » : le facteur culturel comme élément explicatif</h2>
<p>Plusieurs éléments explicatifs de nature culturelle peuvent être avancés pour comprendre l’ambivalence du rapport des Français à l’UE.</p>
<p>Tout d’abord, la culture politique unitaire française est en décalage avec la culture européenne du compromis. En effet, la conception unitaire de la souveraineté en France se heurte à la conception pluraliste de la pratique institutionnelle et politique à l’œuvre au sein de l’UE. Ce tropisme a des conséquences sur l’appréhension de la complexité de la vie politique à l’échelle de l’Union, et se traduit notamment par une difficulté à intégrer la pratique du compromis et à s’adapter au système de coalitions majoritaires à géométrie variable.</p>
<p>Ensuite, la culture socio-économique française, marquée par une certaine défiance voire une hostilité au libéralisme, constitue un second élément de tension. Les représentations négatives du libéralisme, du libre-échange (la France se classe de en dernière position parmi les pays étudiés) et de la concurrence impactent négativement le rapport que maints Français entretiennent au marché qui constitue le cœur de l’Union européenne. La culture colbertiste est orthogonale avec la réalité du marché intérieur européen comme le montrent les débats sur la politique industrielle et la politique de concurrence. En outre, la « préférence » française pour les dépenses publiques constitue peut-être aussi la « face cachée » du stato-centrisme de la culture politique française. La défiance vis-à-vis du Pacte de stabilité confirme le peu d’importance accordée en France à une autre figure centrale de la culture politique présente dans les débats publics d’autres pays : celle du contribuable. Si les questions de justice fiscale occupent une place centrale dans les débats politiques français, la figure du « contribuable » peine à être incarnée en termes européens dans notre pays.</p>
<p>Cette lecture permet enfin de mettre en perspective les réticences françaises vis-à-vis de l’élargissement. Pendant plus d’un demi-siècle, la France a su combiner deux visions radicalement différentes de la raison d’être de son engagement européen : d’un côté, le projet des « pères fondateurs » (convergence des intérêts des États membres) et, de l’autre, le projet gaulliste d’une Europe vue comme un instrument permettant à la France de promouvoir ses intérêts nationaux. Les élargissements aux pays d’Europe centrale et orientale obligent la France à une clarification de son projet européen dans la mesure où les Français découvrent que « l’Europe n’est pas la France en grand » ! C’est sans doute la raison principale des discours nostalgiques, en France en particulier, sur la « petite Europe » et de la difficulté à assumer le changement d’échelle de l’Union élargie.</p>
<h2>Comment réconcilier les Français et l’UE ?</h2>
<p>Si le « retour de l’Europe en France » semble plus que jamais une problématique politique fondamentale, l’enjeu serait d’éviter une difficulté centrale du discours que tiennent nos dirigeants sur la place de la France en Europe et la place de l’Europe en France : nos dirigeants continuent très largement d’entretenir une vision de l’Europe « franco-centrée », c’est-à-dire vue uniquement du point de vue de la France et avec souvent des perspectives de politique nationale.</p>
<p>Fondamentalement, clarifier et apaiser les relations entre les Français et « l’Europe » suppose un narratif renouvelé qui pourrait s’articuler autour des éléments suivants : davantage mettre en évidence les bénéfices de l’appartenance de la France au marché unique et à la zone euro, plutôt que de dénoncer de manière systématique leurs défauts ; ensuite, revoir l’organisation encore trop unitaire et monarchique du système politique français, ce qui lui permettrait de privilégier une « gouvernance » davantage adaptée à la réalité et à la complexité politiques de l’UE ainsi qu’à la maturité de la société et des citoyens français ; enfin, favoriser l’appropriation de l’échelle de l’Europe réunifiée en rompant avec le fantasme d’une Europe qui serait la France en grand.</p>
<p>Il serait aujourd’hui préférable de promouvoir une relation plus lucide entre la France et l’UE, qui ne soit pas uniquement fondée sur un désir de projection des conceptions françaises au niveau européen mais sur la recherche patiente de compromis constructifs avec nos partenaires. Ce n’est qu’à ces conditions que les Français pourront renouer le fil de la confiance avec une Europe où ils ont encore un rôle essentiel à jouer.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/137980/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bruno Cautrès a reçu des financements du CNRS, de l'Union européenne et de Sciences Po. Il collabore régulièrement au développement d'enquêtes universitaires recevant des financements publics ou privés (fondations). Il analyse régulièrement la vie politique dans les médias et les tendances de l'opinion publique en partenariat avec des instituts de sondages. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Rivière dirige la division Public de Kantar en France. Kantar est titulaire des marchés des enquêtes Eurobaromètre auprès de la Commission européenne et du Parlement européen. Il est membre du Conseil d'administration de la Maison de l'Europe de Paris et correspondant pour la France de WAPOR (World Association for Public Opinion Research)</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Thierry Chopin est conseiller spécial à l'Institut Jacques Delors</span></em></p>La profonde défiance des Français vis-à-vis de l’Union européenne tient en bonne partie aux spécificités de la culture politique et économique de notre pays.Bruno Cautrès, Chercheur en sciences politiques, Sciences Po Emmanuel Rivière, Président du Centre Kantar sur le Futur de l'Europe, enseignant de sociologie des sondages et de l’opinion, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneThierry Chopin, Conseiller spécial de l'Institut Jacques Delors, professeur de sciences politiques à l'European School of Political and Social Sciences (ESPOL), Institut catholique de Lille (ICL)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1348442020-03-29T17:18:03Z2020-03-29T17:18:03ZUnion européenne : la frontière comme antidote à l’épidémie ?<p>En 1588, Montaigne, faisant le récit de son voyage à travers l’Europe, raconte ses expériences physiques et métaphysiques. L’Europe d’alors ne connaît pas vraiment de frontières autres que celles érigées par la nature ; un col, un fleuve. Elle connaît aussi le mur, l’enceinte de protection. La peste est une barrière bien plus redoutable, qui interdit l’accès à la ville infectée et inspire la peur de la quarantaine, du confinement curatif. </p>
<blockquote>
<p>« Voici encore un malheur qui m’arriva en plus du reste : au dehors et au dedans de chez moi, je fus assailli par la peste, une peste des plus violentes entre toutes. […] Je dus supporter cette étrange situation : la vue même de ma maison m’était effroyable. […] Et le pire c’est que, selon les règles de la médecine, pour tout danger que l’on a pu approcher, il faut rester quarante jours dans les transes de l’incertitude, l’imagination vous tourmentant pendant ce temps comme elle le veut, et vous rendant fiévreux, vous qui étiez en bonne santé ! » <a href="https://archive.org/stream/MontaigneLesEssaisLivreIIIPernon/Montaigne%20-%20Les%20Essais%20-%20Livre%20III%20Pernon_djvu.txt">(Essais, III, Chap. XII, 31, 1595, trad. de Pernon, 2008)</a></p>
</blockquote>
<p>L’Europe n’est plus au temps de la peste mais le coronavirus repose la question de la frontière comme barrière de protection des populations. Est-ce toujours une <a href="https://theconversation.com/le-retour-des-frontieres-en-europe-une-fausse-bonne-idee-117015">fausse bonne idée</a> que d’opposer la frontière à la propagation de ce virus nouveau et sans traitement ?</p>
<h2>L’Union européenne et les frontières : la fin d’un non-dit</h2>
<p>L’Europe s’est construite sur l’utopie de la disparition des frontières ; elle a œuvré pour leur dévaluation progressive. Le passage de la frontière <a href="https://theconversation.com/lunion-europeenne-sans-le-marche-interieur-un-espace-vide-de-sens-75106">n’est plus une expérience d’attente et de contrôles tatillons et arbitraires</a>. Mais l’UE doit aujourd’hui <a href="https://rcf.fr/actualite/europe/l-europe-doit-elle-aimer-ses-frontieres">redéfinir la fonction</a> de ses frontières. Elle a déjà considéré en <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32019R1020&from=FR">2019</a> ses frontières extérieures comme des filtres de protection pour les marchandises venant d’au-delà de l’Union. Elle doit aujourd’hui appréhender ces frontières autrement : comme un moyen de protection sanitaire de première urgence. À ce jeu, elle a été prise de vitesse par ses États membres, qui ont très vite revendiqué la fermeture de leurs frontières nationales.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1239823176634437632"}"></div></p>
<h2>Le coronavirus fragmente l’Union européenne</h2>
<p>Du point de vue constitutionnel, rien de plus logique que de voir les États européens prendre leurs responsabilités pour préserver ou améliorer la santé publique et protéger leur population. Cette responsabilité leur incombe toujours au sein de l’UE. La question de l’articulation de la sauvegarde de la santé publique avec la liberté de circulation s’est posée dès le traité de Rome en 1957. La protection de cet objectif d’intérêt général a toujours permis aux États de contrôler ceux qui franchissent leurs frontières. Par exemple, <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:12012E/TXT">l’article 45 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne</a> (Traité de Lisbonne, en vigueur depuis 2009) prévoit que la liberté de circulation des travailleurs peut être limitée par des considérations de santé publique. <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=celex%3A32004L0038">L’article 29 de la directive 2004/38</a> prévoit une exception à la liberté de circulation, voire la possibilité d’expulsion, pour les porteurs de maladies potentiellement épidémiques ou de parasites contagieux. Elle prévoit également un mécanisme qui autorise les États membres à réclamer des certificats médicaux aux personnes désireuses de séjourner ou de travailler sur leur territoire.</p>
<p>La Cour de Justice de l’UE, basée à Luxembourg et chargée d’interpréter le droit de l’Union, abonde dans cette logique selon laquelle les États membres ont une responsabilité en matière de santé publique. Elle a expliqué que <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A62007CJ0141">l’État doit décider du niveau de protection de la santé et des modalités à mettre en œuvre pour y parvenir</a>.</p>
<p>Dans le cas de la lutte contre le coronavirus, cela leur permet de fermer la frontière – ou pas –, de confiner les populations – ou pas –, d’exiger le port d’un masque ou de tester systématiquement leur population – ou pas. Ces différentes modalités d’action peuvent toutes être justifiées si elles sont proportionnées à l’objectif de protection de la santé publique. La Cour de justice de l’UE cherche à savoir, pour chaque cas, si une autre mesure moins contraignante mais tout autant efficace aurait pu être préférée à celle mise en place par l’État membre qui cherche à protéger sa santé publique.</p>
<p>La fermeture des frontières est-elle effectivement une mesure propre à garantir la préservation de la santé publique ? Cette question émergera sans aucun doute dans un prétoire national ou européen. Les États membres ont d’ailleurs une certaine conscience de la nécessaire proportionnalité de la fermeture de leurs frontières. On remarquera, par exemple, que les travailleurs frontaliers <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Europe/coronavirus-Commission-europeenne-affronte-lepineuse-question-frontieres-2020-03-17-1201084633">sont autorisés à traverser les frontières même fermées</a>.</p>
<h2>Que cherchent donc les États en fermant la frontière ?</h2>
<p>La Commission européenne a publié le 16 mars 2020 une <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52020XC0316(03)&from=FR">communication sur la gestion des frontières par temps de coronavirus</a>. On est bien loin de la « religion de l’ouverture des frontières » dénoncée par Marine Le Pen. Cette communication rappelle la responsabilité des États dans la protection sanitaire et donne le mode d’emploi d’une gestion proportionnée de la frontière nationale. En cas de « circonstances exceptionnelles », les États peuvent reprendre temporairement le contrôle de leurs frontières. On l’a expérimenté dans l’espace Schengen depuis la crise migratoire de 2015 et les attentats terroristes de la même année. Encore faut-il que cette reprise en main nationale de la frontière serve à protéger la santé de la population locale.</p>
<p>Pour la Commission, la frontière nationale peut retrouver une fonction de filtre en évitant qu’une personne qui a l’air malade ne franchisse la frontière en risquant de devenir un agent de contamination. Mais ce constat ne doit pas conduire à fermer la frontière et donc repousser la personne, mais au contraire à la soigner sur le territoire du pays d’entrée sans faire de discrimination. Cela légitime les mesures de quatorzaine imposées aux personnes venant de foyers d’infection, qui doivent prévaloir quelle que soit leur nationalité. Les États ne peuvent pas se servir de la frontière pour rendre son passage difficile et décourager la circulation, ne serait-ce que parce que créer des embouteillages est clairement propice à la diffusion de la contamination.</p>
<h2>Que signifie fermer la frontière ?</h2>
<p>La fermeture de la frontière ne peut être prononcée par l’État comme un mantra, une incantation magique pour éloigner le coronavirus. Elle ne peut être efficace que si elle est le lieu de contrôles renforcés servant à limiter la propagation de l’infection. La Commission ne parle d’ailleurs pas de fermeture de la frontière nationale, mais de contrôles spécifiques lors de son passage.</p>
<p>Pour que ces mesures soient efficaces, elles impliquent une forte coordination, en particulier dans les zones frontalières. Renforcer un contrôle des personnes à la frontière entre l’Autriche et l’Italie ou arrêter un train ne sert pas à protéger la santé si aucune mesure n’est prise ni en Italie ni en Autriche. En d’autres termes, un État seul ne peut pas se calfeutrer derrière ses frontières et croire en leur fonction protectrice.</p>
<p>Lors de sa <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/03/12/adresse-aux-francais">première allocution télévisée, le 12 mars</a>, Emmanuel Macron expliquait ainsi qu’il y aurait « sans doute des mesures de contrôle, des fermetures de frontières à prendre, mais il faudra les prendre […] en Européens, à l’échelle européenne, car c’est à cette échelle-là que nous avons construit nos libertés et nos protections. » Dans ce cadre, l’Union tente de donner corps au principe de solidarité entre les États. Elle privilégie une coordination de plus en plus systématique des États par visioconférences mais aussi et surtout sur le fond des mesures de gestion de la crise sanitaire sans précédent qu’elle affronte. Certains diront que ce sont des « mesurettes » et que l’UE montre son inefficacité. C’est en réalité quelque chose de plus profond qui se joue.</p>
<h2>Mais que fait l’Union européenne ?</h2>
<p>Nombre de médecins, en première ligne dans la lutte contre le coronavirus, se sont très tôt émus de <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/03/19/la-crise-du-coronavirus-doit-amener-l-europe-a-changer-de-logiciel-economique_6033664_3232.html">l’absence d’une « Europe de la santé »</a>. Il est vrai que l’UE n’a pas la capacité juridique de promouvoir une batterie de mesures uniformes pour lutter contre le coronavirus.</p>
<p>Dans le partage de compétences entre l’Union et ses États membres, la règle est que les États sont les maîtres du jeu pour protéger la santé publique. L’UE possède une compétence d’harmonisation des règles nationales, essentiellement pour garantir la qualité et la sécurité des médicaments. L’Union peut agir mais par ce que l’on appelle en droit une « compétence d’appui » : il s’agit d’<a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:12012E/TXT&from=ET">« appuyer, coordonner ou compléter l’action des États membres »</a> dans le domaine de la santé.</p>
<p>On mesure avec cette crise combien une politique coordonnée est en réalité préférable à une politique uniforme. Les réactions des États européens faisant face au même coronavirus sont à ce jour très différentes parce que les populations sont différemment affectées (le degré d’infection, les capacités hospitalières et les stratégies de lutte ne sont pas les mêmes d’un pays à l’autre). Il arrive même que les États membres s’attaquent différemment au problème au niveau de chaque région. On a ainsi découvert la mise en place de politiques très différentes entre Bundesländer allemands qui ont conduit, par exemple, à ce que des parties de la frontière soient fermées (entre le Bade-Württemberg et l’Alsace) pendant que d’autres demeuraient ouvertes (<a href="https://plus.lesoir.be/287309/article/2020-03-15/coronavirus-les-frontieres-allemandes-sont-fermees-sauf-vers-la-belgique-et-les">entre la Rhénanie-du-Nord-Westphalie et la Belgique par exemple</a>).</p>
<p>On déduit de ces différents états de fait qu’une solution européenne uniforme n’est ni juridiquement faisable ni objectivement souhaitable. Cela ne veut pas dire que l’Europe ne se mobilise pas.</p>
<h2>Mobiliser une panoplie de politiques de l’UE</h2>
<p>L’UE agit en dehors de la politique de santé, d’abord et avant tout pour donner aux États les moyens de faire face à la crise économique majeure qui suivra la crise sanitaire. Il est en effet inédit dans l’histoire de mettre quasiment à l’arrêt des pans entiers de l’économie et de confiner des populations sur plusieurs territoires nationaux.</p>
<p>La Commission européenne mobilise <a href="https://ec.europa.eu/info/live-work-travel-eu/health/coronavirus-response/european-commissions-action-coronavirus_fr">plusieurs commissaires</a> pour coordonner des actions contre la crise : aux côtés de la présidente Ursula von der Leyen travaillent de concert sept commissaires chargés des aspects économiques (la vice-présidente exécutive Vestager et les commissaires Breton, Gentiloni et Valean) et de santé (la commissaire Kyriadikes), la commissaire Johansson en charge des frontières, ainsi que le commissaire Lenarčič, spécifiquement chargé des crises. La Commission mobilise aussi des moyens sans précédent à ce jour, dont la mesure la plus emblématique est la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/03/20/coronavirus-l-ue-prend-la-decision-inedite-de-suspendre-les-regles-de-discipline-budgetaire_6033897_3210.html">suspension du Pacte de stabilité et de croissance</a>, ce qui permettra aux États de creuser les déficits publics pour injecter des liquidités dans les économies nationales.</p>
<p>La Banque centrale européenne a aussi pris sa part de la gestion de la crise en <a href="https://www.liberation.fr/planete/2020/03/19/europe-le-tir-de-barrage-de-la-bce-contre-le-coronavirus_1782384">débloquant 1050 milliards d’euros</a> dans le système économique après une première réaction qui avait été jugée bien trop timide.</p>
<h2>Le contrôle des frontières extérieures de l’UE devient un sujet politique</h2>
<p>L’UE ne ferme pas ses frontières mais les transforme en zones de protection des populations européennes. Ce qui est impératif dans ce nouveau discours, et constitue un changement notable, est le contrôle systématique de toute personne entrant dans l’Union en traversant ses frontières extérieures. Formaté pour protéger la santé publique, ce contrôle systématique met de la « viscosité » aux frontières pour qu’elles garantissent exclusivement le passage des personnes non infectées autant que l’isolement et le traitement des malades du Covid-19. L’information en la matière doit être bien coordonnée entre les États. Cette libre circulation de l’information est également observable dans la <a href="https://presse.inserm.fr/lancement-dun-essai-clinique-europeen-contre-le-covid-19/38737/">recherche d’un traitement au Covid-19</a>.</p>
<p>Mais si les frontières peuvent redevenir des lieux de filtrage des personnes, elles doivent rester des lieux de passage des marchandises. Faire circuler les respirateurs ou les masques de protection et, à court terme, les médicaments nécessaires au traitement du Covid-19, est un impératif. Il importe aussi de ne pas perturber les chaînes d’approvisionnement au passage de la frontière. De même, les États peuvent laisser passer les transports de malades d’un État pour des soins de l’autre côté de la frontière. C’est ce que fait le land du Bade-Württenberg pour les <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/grand-est/alsace/coronavirus-bade-wurtemberg-commence-se-confiner-offre-son-aide-alsace-1802446.html">malades trop nombreux de l’hôpital de Mulhouse</a>.</p>
<h2>Peut-on vivre sans le marché intérieur ?</h2>
<p>Emmanuel Macron a évoqué lors de son allocution du 12 mars que « ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché ». Cette formule est fortement chargée sur le plan symbolique. Le marché intérieur ne sera plus le même après le coronavirus. L’absence de réponse convaincante du libéralisme à cette crise particulière (et a contrario sa gestion à priori plutôt efficace par le régime autoritaire chinois) conduit à l’idée qu’il serait peut-être temps de changer de système par la prise de conscience des effets négatifs du « tout-mondialisation ». </p>
<p>En matière de santé, l’Union doit retrouver la capacité à fabriquer des médicaments vitaux, des masques de protection ou des respirateurs. Le marché intérieur reste malgré tout nécessaire dans ce nouveau monde, parce que le virus dépasse le local et même le national. Finalement, le coronavirus aura peut-être réussi à matérialiser la souveraineté de l’Europe…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/134844/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La pandémie de Covid-19 incite les Européens à repenser leur rapport aux frontières. Face à la menace de la propagation de la maladie, la frontière doit-elle être un mur ou un filtre ?Frédérique Berrod, Professeure de droit public, Sciences Po Strasbourg – Université de StrasbourgPierrick Bruyas, Enseignant à la Faculté de droit de Strasbourg. Chercheur doctorant en droit de l'Union européenne, membre du CEIE (EA7307), Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1322122020-02-23T19:33:56Z2020-02-23T19:33:56ZAprès le Brexit, la clarification de l’arène politique européenne<p>Comme chacun sait, le Brexit a largement été interprété comme une manifestation de la crise de la légitimité démocratique européenne. Mais il se trouve que, dans les mois qui ont suivi le référendum britannique de juin 2016, la quasi-totalité des partis européens comparables au UKIP – ce parti xénophobe et tribunitien, uniquement dédié à la sortie de l’UE depuis le début des années 1990, et qui a fini par atteindre son objectif grâce à la complicité du parti Conservateur – ont renoncé à la sortie de l’UE et de la zone euro.</p>
<p>En conséquence, depuis le 31 janvier 2020, date du départ du Royaume-Uni, il ne se trouve plus au sein du Parlement européen (PE) élu en mai 2019 de délégation prônant le retrait de l’UE.</p>
<p>Le PE compte désormais 705 membres (contre 751 en mai 2019). La quasi-totalité d’entre eux, y compris dans les rangs nationalistes et souverainistes, inscrivent leur combat politique dans l’espace politique européen. De ce point de vue, le Brexit clarifie le tableau. Maintenant que Nigel Farage et les siens ont quitté le PE, la stratégie des nationalistes est de s’allier entre eux au sein de l’UE autour d’un ensemble de cibles partagées, sources selon eux de la plupart des problèmes affectant les Européens : les personnes venues de l’extérieur de l’Europe, le libéralisme politique, les élites… Au nom d’une vision ethno-confessionnelle, culturaliste et populiste du monde, l’Europe politique apparaît désormais, au sein de cette famille qu’on continue d’appeler eurosceptique et souverainiste, voire europhobe, comme une communauté appelée à défendre chacune des nations européennes contre les agents susceptibles de les corrompre, tant de l’extérieur que de l’intérieur.</p>
<h2>Europe orbanisée vs Europe urbanisée</h2>
<p>Cette évolution du nationalisme et de l’euroscepticisme peut être qualifiée d’« orbanisation », du nom du premier ministre hongrois. Elle brouille les cartes, car ce nationalisme du XXI<sup>e</sup> siècle se diffuse au delà de l’extrême droite, dans toutes les familles politiques. Aux élections européennes de 2019, on a pu constater un <a href="https://www.nouvelobs.com/elections-europeennes/20190526.OBS13507/resultats-elections-europeennes-pas-de-raz-de-maree-pour-les-nationalistes-mais.html">recul relatif des nationalistes</a> dans une aire qui en fut pourtant un foyer très précocement actif depuis le tout début des années 2000 : l’espace qui regroupe les pays baltes qui ont adhéré à l’UE en 2004 et les marches sociales-démocrates et neutres englobées dans l’UE à la fin de la guerre froide (Suède, Finlande, Estonie, Lettonie, Autriche, ainsi que le Danemark, entré dès 1973). Ce recul s’explique par le fait que plusieurs partis membres du PPE (famille des droites démocrates-chrétienne et conservatrice) comme de S&D (famille des sociaux-démocrates et du centre gauche) ont repris à leur compte la xénophobie et l’islamophobie des nationalistes, sans céder toutefois à la dénonciation de type populiste des élites bruxelloises.</p>
<p>UKIP (puis le Brexit Party) excellait pour sa part dans une xénophobie <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/1354068818816969">d’abord dirigée contre d’autres Européens</a>, tout en dénonçant le pouvoir de Bruxelles, Parlement européen y compris. Longtemps, dans la seconde moitié du XX<sup>e</sup> siècle, le souverainisme alla de pair avec ce type de rejet de la construction européenne. Mais Viktor Orban et le PiS polonais ont introduit une innovation doctrinale et idéologique que se sont aujourd’hui appropriée la grande majorité des partis nationalistes promouvant la souveraineté nationale : l’échelle européenne, et les institutions qui la rendent opérationnelle, ne sont antinomiques ni avec la souveraineté nationale ni avec l’indépendance du peuple national, qu’il s’agit de protéger et de magnifier.</p>
<p>Viktor Orban aime à expliquer que son parti, le Fidesz, est au PPE ce que la CSU, parti démocrate-chrétien ultraconservateur, est à la CDU en Allemagne. Il est vrai que le PPE a besoin de cet allié parfois encombrant. Ainsi, en février 2020 comme un an plus tôt en 2019, le PPE ne se résout pas à exclure Viktor Orban pour ses multiples provocations – il ne peut que le <a href="https://www.ouest-france.fr/europe/hongrie/la-droite-europeenne-decide-de-suspendre-le-parti-de-viktor-orban-pas-de-l-exclure-6271919">« suspendre »</a>. De fait, cette suspension-inclusion montre à quel point le PPE est divisé sur la xénophobie et l’illibéralisme, et combien il se sent affecté par la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/05/27/europeennes-2019-percee-des-verts-des-liberaux-et-de-l-extreme-droite-dans-un-parlement-fragmente_5467891_3210.html">diminution de son score</a> aux européennes de 2019 (il ne pèse plus qu’un gros quart des sièges contre 29 % en 2014). Ces élections ont en revanche renforcé Viktor Orban : avec plus de 50 % des voix dans son pays, et 13 eurodéputés, le poids relatif de son parti Fidesz dans le PPE a augmenté. Orban demeure donc idéalement placé pour continuer à jouer, au sein d’un PPE affaibli, le rôle de tête de pont des nouveaux groupes nationalistes eurosceptiques.</p>
<p>Cette idéologie souverainiste, nationaliste et xénophobe – portée au nom des peuples européens et de l’Europe – s’insinue dans la quasi-totalité des eurogroupes parlementaires. Elle s’épanouit bien entendu au sein des deux groupes qui lui sont explicitement dédiés : Identité et Démocratie (ex-Europe des nations et des libertés, où l’on retrouve par exemple le RN français, la Ligue italienne, le FPÖ autrichien, l’AfD allemande, le PVV hollandais…) et CRE (Conservateurs et réformistes européens, rassemblés autour du PiS polonais). Mais elle se diffuse aussi au PPE (avec notamment le Fidesz d’Orban et Forza Italia de Silvio Berlusconi), au S&D (avec ses délégations maltaise et roumaine, par exemple) et même dans le groupe des Verts/ALE au travers du député élu sur la liste du parti Union russe de Lettonie et, s’agissant du souverainisme, dans une moindre mesure, au travers des deux députés danois du Parti populaire socialiste (SF).</p>
<p>Le nationalisme, l’illibéralisme et la xénophobie concernent également Renew Europe (RE). Dans ce groupe classiquement à l’avant-garde du fédéralisme européen, composé de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe (ALDE) que personnifie Guy Verhofstadt, et augmenté de la macronienne LREM, on trouve en effet, et de longue date, le Parti libéral allemand (FDP) ; or, cet allié historique tantôt de la CDU tantôt du SPD est devenu depuis 2014 xénophobe et eurocritique ; il vient même de tester une <a href="https://theconversation.com/quelle-sortie-de-crise-pour-les-chretiens-democrates-en-allemagne-131596">alliance locale des droites</a> avec l’extrême droite dans le land de Thuringe !</p>
<p>Au sein de Renew Europe, on trouve aussi Ciudadanos, auquel on a pu comparer En Marche. Ce parti espagnol centriste s’est distingué en prônant une <a href="https://www.courrierinternational.com/article/espagne-madrid-symbole-des-alliances-entre-ciudadanos-et-lextreme-droite">alliance électorale avec le nouveau parti xénophobe et réactionnaire Vox</a>, plutôt qu’avec le PSOE de Pedro Sanchez. Dans RE se trouve aussi ANO, le parti du populiste premier ministre tchèque Andrej Babis, qui se montre aussi critique envers « Bruxelles » que l’est Orban… et qui, comme son homologue hongrois, n’hésite pas à <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Fraude-fonds-europeens-Premier-ministre-tcheque-collimateur-2019-04-17-1301016382">détourner</a> les importants fonds européens publics de développement régional pour ses entreprises, sa clientèle d’affidés et son enrichissement personnel.</p>
<p>Depuis son retour au pouvoir en 2010, Viktor Orban, largement vainqueur des élections législatives hongroises de 2014 et 2018, propose donc, avec un succès qui mérite d’être salué, une innovation doctrinale déterminante : inscrire le nationalisme à l’échelle européenne et dans l’arène européenne. Il affirme à la fois l’importance de la nation hongroise et la nécessité, pour les nations européennes, de faire bloc contre ce qui pourrait menacer les valeurs qu’elles partagent selon lui, dans une construction en écho à la thèse du <a href="https://journals.openedition.org/anatoli/457">« choc des civilisations »</a> développée par le politologue américain Samuel Huntington. Il défend ainsi la lutte contre l’« islamisation de l’Europe », exigeant notamment le refus des flux migratoires venus du monde arabo-musulman. Au nom de la détestation des élites qui trahiraient le peuple, il minimise l’importance du libéralisme politique, de l’État de droit, du pluralisme et des institutions qui les font vivre, et qu’en Hongrie ses politiques publiques <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/05/22/en-hongrie-neuf-annees-d-affaiblissement-de-l-etat-de-droit_5465481_3210.html">érodent</a> avec efficacité.</p>
<p>Viktor Orban a donc sorti le nationalisme et le communautarisme de la simple opposition entre « pro » et « anti » européens : il se réclame lui aussi de l’Europe, pour y porter un projet bien différent de sa tradition humaniste et émancipatrice. Marine Le Pen en France et Matteo Salvini en Italie ont fait leurs cette doctrine au sein de leur eurogroupe parlementaire ENL, rebaptisé ID en 2019 et devenu, après le départ des eurodéputés britanniques, le quatrième eurogroupe du PE, devant les Verts qui ont perdu leurs députés britanniques suite au Brexit, comme Renew Europe. Par son europhobie et son nationalisme, ID reste très proche non seulement du Fidesz de Viktor Orban, mais aussi de l’eurogroupe parlementaire des Conservateurs et réformistes européens (CRE), qui ne perd que les quelques députés Tories alors en déroute élus en 2019, et dans lequel on trouve notamment les nationalistes flamands de la NVA et le PiS polonais. Les dirigeants du PiS, qui a obtenu plus de 40 % des voix en Pologne aux éuropéennes en mai 2019, ne cache pas qu’Orban représente pour lui une source d’inspiration.</p>
<p>Cette Europe orbanisée est aux antipodes de l’Europe urbanisée. « Urbanisée » s’entend ici au sens de cette qualité qu’on appelle l’urbanité. Les nationalistes, en effet, ne prisent guère le pluralisme, la mixité et le cosmopolitisme qui caractérisent la très grande ville.</p>
<p>De fait, le vote nationaliste a été en 2019 sous-représenté dans les grandes villes. Londres, Paris, Budapest et Helsinki en ont témoigné tout particulièrement, même si les métropoles de l’Italie du nord et de la France du sud-est ne se sont pas inscrites dans cette tendance.</p>
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<h2>Après le Brexit, une confrontation entre deux Europe antagonistes</h2>
<p>Le départ des eurodéputés britanniques va encore plus nettement mettre aux prises les deux visions de l’Europe. C’était déjà le cas auparavant mais, depuis 2014, entre 5 et 7 % des sièges au PE étaient d’une certaine façon « neutralisés » par les Brexiters.</p>
<p>Les nationalistes, tout en maintenant leur critique populiste de « Bruxelles », ont adapté leur offre politique à la demande de leurs électeurs qui ne veulent plus sortir de l’UE et qui tiennent à Erasmus, à l’euro, à la PAC, à Schengen, au corps des garde-frontières, à la politique commerciale face à la Chine… En démontrant à quel point les Européens sont interdépendants les uns des autres, le Brexit a <a href="https://theconversation.com/leurope-des-27-ne-veut-surtout-pas-imiter-le-brexit-130659">contribué à structurer cette demande</a>.</p>
<p>L’europhobie se caractérise aujourd’hui par sa méfiance voire sa détestation des valeurs au nom desquelles a été promue la construction européenne, y compris la supranationalité comme méthode de gouvernement. Mais, avec la sortie du Royaume-Uni, elle ne se caractérise plus par le projet de quitter l’UE ou l’euro. Le soutien à la construction européenne et l’euroscepticisme souverainiste représentent désormais deux projets opposés d’unité européenne et d’utilisation des institutions et des politiques publiques de l’UE. Ce face-à-face définira dans une large mesure les années à venir.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/132212/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvain Kahn ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Avec le départ des députés britanniques, il ne reste au Parlement européen que des forces favorables à la préservation de l’UE. Le combat politique n’en sera pas moins acharné.Sylvain Kahn, Professeur agrégé, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.