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Un an après : comment sauver cette espèce en voie de disparition, l’écrivain

Le métier d'écrivain vu par Rémi Malingrëy. Remi Malingrëy

Un an après, Rémi Malingrëy a porté un regard graphique et personnel sur cet article.


La singularité du statut des auteurs en France reste préoccupante dans la mesure où les acteurs centraux de l’univers littéraire apparaissent comme les maillons économiquement les plus faibles de la chaîne que forment les différents « professionnels du livre ». Ainsi, un an après on constate que cette question est toujours d’actualité suscitant débats et controverses.

En écho au défilé des écrivains en colère lors du Salon du Livre 2015, une nouvelle pétition en mai 2016 insiste sur la précarité de l’auteur et la fragilité de la reconnaissance symbolique des écrivains au sein de la société. En effet, un texte collectif publié par l’Humanité en réaction aux propos de Laurence Parisot évoquant le statut des auteurs, récuse les stéréotypes qui pèsent sur cette activité : « l’écrivain n’est pas un acteur économique, ses prétentions à l’être sont au mieux risibles ». Dans un entretien accordé (mars 2016) à Télérama, Marie Sellier, la présidente de la Société des gens de lettres (SGDL) fait remarquer qu’être auteur : « C’est d’abord quelqu’un qui jouit d’un statut envié, mais dont le compte en banque n’est pas enviable ! »

Ce constat de la paupérisation croissante des écrivains a aussi été commenté, sous l’angle de l’expertise culturelle cette fois, grâce à la vaste étude réalisée par les services du Ministère de la Culture et de la Communication et du Centre national du Livre (CNL), et par des structures régionales pour le livre (Le MOTif et la Fédération interrégionale pour le Livre et la Lecture (FILL)), auprès d’auteurs professionnels et occasionnels.

Dans cette enquête rendue publique le 16 mars 2016 visant à produire une « photographie inédite de la situation économique et sociale des auteurs du livre », on rappelle notamment qu’une majorité d’écrivains sont contraints d’exercer une autre activité étant donné que les droits d’auteurs représente en moyenne 12 % des revenus et que 47 % d’entre eux gagnent moins que le smic. Dans ce cadre, un des rapports proposés, piloté par l’observatoire du livre et de l’écrit en île-de-France (MOTif) s’avère fort intéressant avec une étude des enjeux ces activités connexes exercées par les écrivains (lectures-débats, résidences d’auteurs, ateliers d’écriture…).

Quoiqu’il en soit, les diverses prises de positions des acteurs du monde du livre, tout comme les enquêtes menées, montrent la nécessité d’une véritable réflexion sur le métier d’auteur aujourd’hui.


Médiatiquement et théoriquement, la figure de l’écrivain reste mouvante, ambiguë, une sorte d’entité polymorphe polémique soumise à l’extrême diversité (M. Houellebecq, J.-M. G. Le Clézio). Certains considèrent l’écrivain comme un génie inspiré, un « mage » qui dévoile des vérités que le langage commun ne sait pas dire, ou même un « prophète », dont la création est en fait l’accès à un message d’origine transcendante.

Une autre attitude privilégie la représentation de l’acte d’écrire comme un travail, un artisanat des mots et du style que viennent récompenser chaque année les prix. Dans ce sens, la notion d’auteur ne comporte pas de définition stable ou déterminée à l’avance, c’est-à-dire une définition instituée avant le contact d’un « auditoire » avec l’œuvre en soi, ou même avec d’autres discours sociaux non littéraires qui peuvent également véhiculer des images auctoriales, c’est-à-dire des représentations, une mise en scène de l’écrivain (cf le travail de Dominique Maingueneau).

Quoi qu’il en soit la question de l’auteur refait surface dans l’actualité littéraire depuis peu et renvoie au positionnement de l’écrivain dans la société contemporaine.

Un constat alarmant

Très clairement, le rapport commandé par le CNL (Centre national du Livre) au journaliste Frédéric Martel sur la condition de l’écrivain à l’âge numérique (novembre 2015), pose la question du statut de l’auteur contemporain et dresse un constat alarmant sur la précarité de l’écrivain en France, en somme un constat radical : « Cette paupérisation, cette lente disparition des écrivains, ne fait que commencer ».

En effet, comme le montre les recherches en sociologie et en théorie littéraire portant sur la figure de l’écrivain (Nathalie Heinich, Bernard Lahire, Alain Viala), la singularité de la situation des auteurs est préoccupante dans la mesure où les acteurs centraux de l’univers littéraire, apparaissent comme les maillons économiquement les plus faibles de la chaîne que forment les différents « professionnels du livre ». Ils sont donc contraints à mener une « double vie » (écrivain-professeur, écrivain-journaliste…) à l’instar de Philippe Delerm, Annie Ernaux, Laure Adler ou encore Umberto Eco.

Il suffit de se référer aux critères institutionnels mis en exergue par ce rapport pour s’en convaincre (droits d’auteur, contrats d’édition…). Situation dénoncée d’ailleurs par certains écrivains, comme Jonathan Littell dans un article du quotidien Le Monde : « en France, pratiquement aucun auteur ne peut gagner sa vie ; toute la chaîne du livre vit du livre, sauf l’écrivain ». Dès lors, on peut s’interroger. Comment rendre aux auteurs une visibilité sociale ? Comment sauver cette espèce en voie de disparition : l’écrivain ?

Un dispositif culturel du XXIe siècle : la Maison de la littérature de Québec

MaisonLitt RPhilippe.

C’est peut-être du côté de la Belle Province que s’amorce un dispositif attractif d’aides aux auteurs dans un lieu culturel atypique ouvert récemment, la Maison de la Littérature à Québec. L’innovation représentée par la création de cet équipement culturel constitue une piste de réflexion intéressante sur la place et le rôle d’une « fabrique littéraire » en lien avec les auteurs au cœur de la cité. Il s’agit d’un espace d’envergure de création et de diffusion de la littérature qui a été pensé en étroite concertation avec les auteurs littéraires du pays.

Dans le cadre de ce projet ambitieux culturellement et financièrement (plus de 14 millions de dollars), la ville de Québec et le ministère de la Culture se sont engagés à repositionner les écrivains au cœur de l’univers urbain. La volonté politique affichée est de contribuer au rayonnement de la littérature québécoise, certes, mais aussi d’offrir aux auteurs l’accès à un lieu, à des services et à des activités. Ainsi, cette mégastructure articule les divers champs de la littérature, à la fois la création (« cabinets d’écriture, studio de création multimédia, atelier de bande dessinée et d’illustration »…), la diffusion (« bibliothèque publique, salon de lecture, espace web, expositions, bureaux pour les organismes littéraires »), les médiations culturelles (« bistro littéraire, spectacles littéraires, des performances, des rencontres d’auteur »), sans oublier la formation (« les jeunes de la relève littéraire pourront y rencontrer leur mentor, obtenir du soutien et de la formation et présenter aux publics le résultat de leur travail »).

Selon Julie Lemieux, vice-présidente du comité exécutif à la Ville de Québec : « On crée un lieu d’écriture mettant en relief l’importance de l’écriture et de la littérature québécoise et francophone ». Ce lieu innovant fondé sur la recherche d’un accompagnement offre donc aux auteurs, comme aux professionnels du livre et aux publics, un espace de mutualisation, tout en participant au soutien à la création littéraire.

MaisonLitt RPhilippe.

La résidence d’auteurs, un instrument de survie

De manière concrète, cette aide aux écrivains s’articule autour d’appels à projet, mais surtout autour d’un dispositif spécifique, celui de la résidence d’auteurs. Le dispositif résidentiel constitue un moyen efficace de lutter contre cette réelle paupérisation, dans la mesure où il donne les conditions et les moyens matériels à un écrivain afin qu’il poursuive son travail de création sur un territoire, selon une durée déterminée.

D’un point de vue conceptuel, la résidence d’auteur se définit comme un dispositif communicationnel qui met en place une transmission d’information, fondé sur un couple émetteur-récepteur, un « entre-deux », c’est-à-dire une structure d’accueil (association, collectivité, institution…) et un auteur, en vue de réaliser un projet d’action littéraire incluant des médiations, en lien avec des publics visés.

La Maison de la littérature propose ainsi sur une durée de un à trois mois, un programme de résidence de création au sein de la structure même ou de résidences croisées (Québec-Paris, Québec-Bordeaux) par exemple, afin que l’écrivain puisse pendant le dispositif bénéficier d’une bourse et d’un lieu d’hébergement. La résidence devient un lieu d’expérimentation littéraire, de plus, ce lieu de vie permet la construction de la posture auctoriale face aux publics et aux médias. Outre l’aspect financier évident et crucial, l’intérêt réside dans cette mise en réseau offerte par la structure à l’auteur, c’est-à-dire la mise en lien, les interactions sociales possibles avec divers acteurs de la scène littéraire québécoise (journalistes, éditeurs, traducteurs).

Le dispositif résidentiel peut constituer donc un outil de survie non négligeable pour l’écrivain contemporain. Il est clair que les auteurs sont en attente d’une politique de valorisation forte de la création littéraire et de revalorisation de leur statut qui pourrait peut-être passer par un élargissement du dispositif résidentiel à une échelle européenne, avec le programme Europe Créative (2014-2020), un plan de financement européen de la culture qui prévoit notamment de favoriser la mobilité des acteurs culturels et créatifs, en particulier les artistes, les écrivains.

Finalement, face à l’exemple innovant de la politique culturelle québécoise menée autour de la figure de l’écrivain, une suggestion, une interrogation : quel pourrait être, l’enjeu de la création d’un cluster littéraire en France (un ensemble d’entreprises, d’institutions, d’individus dont le regroupement sur un site ou le fonctionnement en réseau vise à développer l’innovation, la créativité) articulant culture, technologies, recherche et économie ?

RPH MaisonLitt.

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