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Valérie Plante
La mairesse de Montréal, Valerie Plante, réagit au lendemain de sa réélection, le 8 novembre. Les femmes sont désormais à la tête de 5 des 10 plus grandes villes du Québec. Il faut que cet élan trace la voie à une meilleure représentation féminine aux postes de direction dans le milieu des entreprises. La Presse canadienne/Paul Chiasson

Un leadership féminin émerge. Va-t-il réussir à s’imposer ?

Lors des élections municipales tenues le 7 novembre, l’émergence des femmes à des postes de haut niveau a été remarquable. En effet, cinq des dix plus grandes villes québécoises ont élu une mairesse, soit Montréal, Longueuil, Gatineau, Sherbrooke et Saguenay.

Ce changement notable survient alors qu’on observe aussi, dans le milieu des affaires, qu’une nouvelle forme de leadership, plus féminin, a émergé durant la crise de la Covid-19.

C’est ce que révèle une étude récente de McKinsey&Company et LeanIn.Org, réalisée auprès de 423 entreprises américaines et canadiennes. Elle brosse un portrait du leadership exercé par les femmes et les hommes au cours de la dernière année de la pandémie.

Selon ses conclusions, les femmes ont su exprimer un leadership plus fort que celui des hommes au moment où le mieux-être des employés prenait plus de place au sein des organisations, et ce, sous plusieurs dimensions : poser des actions pour accompagner les membres de leurs équipes, aider leurs collègues à gérer leur charge de travail dans un contexte de travail à domicile ou encore, accorder une importance particulière à la santé mentale et au bien-être de leurs collègues.

De plus, cette étude révèle que les femmes consacrent presque deux fois plus de temps que leurs collègues masculins à appuyer d’autres femmes ou des employés appartenant à des groupes minoritaires par des efforts de mentorat ou de parrainage (sponsoring). De telles actions contribuent sans aucun doute à créer un meilleur climat de travail, à maintenir ou accroître le taux de rétention des employés, voire à augmenter le taux d’attractivité de nouveaux talents dans un contexte de pénurie généralisée de main-d’œuvre.

Toutefois, comme le souligne l’étude, de telles activités d’accompagnement sont peu valorisées par certaines organisations. Elles ne font pas partie des critères utilisés pour évaluer la performance ou accorder des promotions, et elles ne sont généralement pas rémunérées à leur juste valeur, lorsqu’elles le sont.

Alors, ce style de leadership empreint de valeur d’inclusion et d’empathie, qui s’exprime davantage chez les femmes que chez les hommes, va-t-il s’imposer ou disparaître à mesure que la vie d’avant reprend ses droits ?

Économiste, MBA et certifiée en gouvernance, je suis engagée depuis 40 ans à promouvoir une participation accrue des femmes au sein des hautes instances de nos organisations. Depuis plusieurs années, j’observe, j’étudie et je vis la diversité au sein des entreprises canadiennes. Le Centre Lorenzetti, que je co-dirige avec la professeure Ingrid Chadwick, vise à promouvoir le développement de l’entrepreneuriat et du leadership chez les femmes.

Un leadership en péril

Comme des collègues et moi-même l’avons déjà exprimé dans un article publié dans La Conversation, une plus grande mixité au sein des pouvoirs de décision ne conduit pas nécessairement à une confrontation constructive des visions de différents types de leadership. Ainsi, « le leadership fondé sur le commandement et le contrôle, qui fut le propre du siècle dernier et caractérisé par l’homogénéité du pouvoir masculin, se complète par l’ajout d’autres qualités, comme l’empathie, la compassion, la communication et la collaboration, qui témoignent de l’émergence de nouveaux leaders féminins ».

Les propos de Linda Seymour, présidente et chef de la direction de la Banque HSBC Canada, semblent indiquer que ce style de leadership, où on trouve davantage d’équilibre entre les femmes et les hommes en situation de pouvoir, serait peut-être en péril. Bien que la formule du travail hybride s’impose de plus en plus au sein de nos organisations, le retour au travail des femmes gestionnaires, qui ont réduit leurs heures pour assurer la nécessaire conciliation travail-famille, s’effectuera à un rythme plutôt lent. Les jeunes enfants n’ont pas encore reçu les vaccins nécessaires pour assurer un retour normal à la garderie ou à l’école. On pourrait ainsi assister à un retour en arrière où les hommes occupaient la grande majorité des fonctions de direction. Ce scénario appelle à la vigilance.

L’importance d’avoir des femmes à des postes de direction s’est fragilisée, et cela est plus qu’inquiétant. Selon le plus récent rapport des autorités canadiennes des valeurs mobilières sur les divulgations en matière de représentation des femmes aux postes de haute direction, 35 % des entreprises ne comptaient, avant l’impact de la pandémie, aucune femme au sein de leur haute direction, et seulement 5 % des postes à la présidence et direction générale étaient occupées par des femmes. Une compilation récente des données relatives aux 60 plus grandes entreprises canadiennes composant l’indice S&P/TSX 60 révélait que seulement 7,6 % des postes les mieux rémunérés étaient occupés par des femmes. Selon mon expérience, la situation actuelle demande des actions particulières et fermes.

Des cibles pour les postes de haute direction

L’étude des autorités en valeurs mobilières canadiennes indique que les grandes entreprises qui se sont dotées d’une cible pour accroître la représentation féminine au sein de leurs conseils d’administration comptaient en moyenne 26 % de femmes à leur conseil, contre 17 % en moyenne chez les autres entreprises. L’efficacité de l’orientation réglementaire est également confirmée par une étude récente intitulée « The Impact of a Principles-Based Approach to Director Gender Diversity Policy ».

Toutefois, la pratique qui consiste à fixer des cibles au sein des entreprises canadiennes n’est pas chose courante en regard des postes de haute direction. Seulement 4 % des entreprises avaient choisi cette voie. L’une des raisons évoquées est qu’une telle stratégie soit inappropriée compte tenu du nombre très restreint de personnes composant la haute direction des organisations.

Sachant que le nombre de femmes présentes dans des postes de direction de tous les niveaux pourrait diminuer à la suite de la pandémie, je crois que les autorités réglementaires devraient encourager fortement les entreprises assujetties à cette réglementation à se doter de telles cibles pour les principales catégories de postes de gestionnaires. Elles doivent y accorder une attention particulière dans leur reddition de compte.

De plus, une idée intéressante serait de considérer de facto toutes les personnes éligibles à une promotion en se rappelant que certaines femmes ont de la réticence à se mettre de l’avant ou à considérer qu’elles possèdent les compétences et les expériences requises pour postuler à un poste plus élevé.

Favoriser le retour en force des femmes

Ainsi, il nous faut accepter que la productivité au travail devra dorénavant être considérée autrement, et qu’elle intègre la notion de mieux-être. L’évaluation de la performance ne doit plus uniquement être basée sur des critères liés à la présence au bureau.

Au fil des décennies, une meilleure représentation des femmes dans les entreprises nous a permis d’accomplir de grands progrès en tant que société. La pandémie est venue freiner cet élan. Il importe de récupérer nos acquis compromis présentement et de venir en aide aux femmes qui démontrent un engagement et une passion pour leur travail, ou tout simplement qui souhaitent réintégrer à leur juste valeur le marché de l’emploi. Il faut pour cela des politiques actives des gouvernements et des entreprises qui visent à favoriser leur retour en force.

Bref, il faut que cet élan que l’on a vu aux dernières élections municipales trace la voie à une meilleure représentation féminine aux postes de direction dans le milieu des entreprises du secteur privé.

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