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Une lueur dans les ténèbres : l’honneur au cœur de la Grande guerre

Une exposition d'acrobaties par des internés allemands au camp de prisonniers de guerre de Newbury Racecourse dans le Berkshire en octobre 1914. Imperial War Museum/Wikimedia

Les premiers vers d’« Insensibilité », le poème de Wilfred Owen (1893-1918), témoignent du terrible choc de la Première Guerre mondiale sur ceux qui ont participé au conflit :

Heureux, les hommes qui, avant même d’être tués,
Peuvent laisser leur sang refroidir dans leurs veines.
Ceux que la compassion ne vient pas tourmenter
Ni meurtrir leurs pieds
Dans les chemins pavés des corps de leurs frères.

Le sacrifice de plus de 16 millions de vies sur l’autel d’une guerre impitoyable et le traumatisme de millions d’autres personnes, si bien décrits par Wilfred Owen, l’écrivain Jean Norton Cru et d’autres témoins, sont aujourd’hui devenus le point d’ancrage de la mémoire de 14-18. On comprend aisément pourquoi l’horreur des tranchées, l’apparition d’armes toujours plus meurtrières, et les atrocités comme le génocide arménien ont laissé une marque indélébile dans la mémoire collective.

Pourtant, l’adaptabilité des sociétés à ce que l’historien dublinois John Horne appelle les « tendances totalitaires » de la Grande Guerre ne peut être réduite aux effets corrosifs de ce seul traumatisme. Loin de rendre les combattants « insensibles », comme le croyait Wilfred Owen, la durée du conflit doit en fait beaucoup à l’investissement affectif des citoyens dans les idéaux les plus nobles. Si le choix des nations belligérantes d’ériger leur combat au rang de « dernière croisade » peut être vu comme un simple outil de propagande pour humilier l’ennemi, la rhétorique chevaleresque employée contrastait parfois de façon surprenante avec l’inhumanité du conflit.

La captivité et l’honneur

Prenons l’exemple des 8 millions de soldats qui ont connu l’épreuve de la captivité pendant la guerre. Faire prisonniers un si grand nombre de combattants ennemis représentait un véritable défi pour les armées. Le protocole à respecter en cas de capitulation était mal défini, et les infrastructures pour accueillir ces hommes étaient insuffisantes. Les prisonniers ont donc été maltraités de manière quasi systématique mais le souhait, exprimé avant-guerre par un juriste allemand, Paul Wünnenberg, de libérer les prisonniers s’ils donnaient leur parole de ne plus prendre part au combat, a été exaucé, même s’il le fut, de manière sélective.

En France, par exemple, le ministère de la Guerre a fait communiquer en septembre 1914 des instructions spécifiques autorisant les officiers capturés à garder leur épée et à louer des logements privés confortables dans des villages pittoresques, où ils pouvaient se déplacer librement à condition de s’engager par écrit à ne jamais tenter de s’échapper.

Pour éviter de devoir employer et payer des gardes, les autorités britanniques et allemandes ont elles aussi choisi, au début de la guerre, de relâcher les civils capturés et les équipages des navires marchands dès lors que ceux-ci promettaient de ne plus combattre le pays qui les avait faits prisonniers. Dans au moins un cas, un officier britannique a obtenu d’être libéré temporairement pour se rendre au chevet de sa mère mourante, après s’être engagé sur l’honneur à revenir, ce qu’il a fait sans délai.

Bien sûr, même si le droit humanitaire international et les conventions de La Haye (1899-1907) reconnaissaient la validité des accords de libération sur parole, les belligérants ont massivement abandonné cette pratique durant la première année du conflit. En soi, cette évolution n’est sans doute pas surprenante, étant donné que ces accords imposaient aux prisonniers l’obligation morale de s’abstenir de s’évader, privant ainsi les gouvernements de leur service. En outre, la possibilité de passer un accord avec l’ennemi conférait une dimension démocratique à la guerre, en donnant à un soldat le pouvoir de décider individuellement de se retirer du conflit.

Les accords de libération sur parole

Néanmoins, ces accords sur parole sont réapparus sous d’autres formes durant la seconde moitié de la Grande Guerre. La « psychose des barbelés », endémique parmi les prisonniers de longue durée, a poussé la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne à signer une série de traités bilatéraux permettant l’internement des détenus malades en Suisse, pays neutre, et aux Pays-Bas. Ces accords permettaient aux internés de visiter des villages locaux, en échange de leur parole de ne pas s’enfuir. La permission de faire de courtes promenades à l’extérieur des camps de prisonniers a aussi été accordée aux officiers, restés en Allemagne, qui acceptaient de signer ce que l’on appelait des « cartes de parole ».

Cartes de parole, 1918. Publié avec l’aimable autorisation du Conseil d’administration du Musée national de l’Armée de Londres.

La place accordée à la parole donnée dans le cadre plus vaste des tentatives d’amélioration du sort des prisonniers nous rappelle que le cataclysme de la Première Guerre mondiale n’a pas été qu’une course vers l’abîme. Bien qu’insuffisamment coordonnés pour endiguer la violence systémique engendrée par la « dynamique de destruction » du conflit, ces élans philanthropiques ont été riches en enseignements théoriques et pratiques pour le développement ultérieur de l’humanitaire (comme le montre par exemple la nouvelle Convention de Genève de 1929).

Le « sentiment d’honneur » a fait partie intégrante de ce processus d’apprentissage car il constituait la première garantie de bonne conduite de la part des soldats, comme l’avait fait remarquer l’avocat belge Gustave Rolin-Jacquemyns, spécialiste du droit international, dès 1871.

Bien des années plus tard, un homologue allemand, Henri Harburger, commentera :

Même à la guerre, même entre des armées hostiles, il faut qu’il y ait de part et d’autre de la loyauté et de la bonne foi. Faute d’admettre ce principe, il n’est pas de trêve, pas d’armistice, pas de capitulation possibles, et les dispositions de la Convention de Genève deviennent absolument inapplicables.

À quelques jours du centenaire de l’Armistice, nous ferions bien de nous remémorer cette leçon.


Traduit de l’anglais par Iris Le Guinio pour Fast for Word.

This article was originally published in English

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