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Une réforme nécessaire de la carte scolaire : déghettoïser l’école ou par l’école ?

Manifestations contre la carte scolaire à Paris. Stéphane De Sakutin / AFP

La ministre de l’Éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, devrait annoncer en novembre des expérimentations de modification de la sectorisation dans une dizaine de départements, dans l’objectif d’accroître la mixité sociale des établissements scolaires (a priori plutôt des collèges).

À terme l’idée serait d’amender la définition de la carte scolaire. Après un passage sans éclats de Vincent Peillon au Ministère de l’Éducation nationale, Najat Vallaud Belkacem a le mérite de poser les bonnes questions à une école en souffrance, mais d’y répondre a minima. Mais qu’en sera-t-il donc pour la carte scolaire ?

L’école ne peut plus soutenir la foi en l’avenir

La ministre n’a pas hésité à aborder de front la question de la pluridisciplinarité, mais s’est bornée à proposer une réforme du collège qui, bien que suscitant les résistances du corps enseignant, ne change qu’à la marge l’ordonnancement disciplinaire caduque de notre école. Elle a mis en débat la question centrale des notes à l’école, sans pourtant décider vraiment de les réformer. Elle a abordé la question du lien social par l’école, mais les mesures pour « mettre la laïcité et la transmission des valeurs républicaines au cœur de la mobilisation de l’école » ont donné lieu à une surenchère dans l’affichage d’une laïcité conçue plutôt comme une réponse défensive que comme un projet pour le vivre-ensemble. Elle met en cause aujourd’hui les effets de la carte scolaire et de son assouplissement depuis sa mise en œuvre à partir de la rentrée scolaire 2007.

Construire une école pour tous et pour chacun tel est le défi de l’école du XXIesiècle. Force est de constater qu’aujourd’hui l’école ne peut plus soutenir la foi en l’avenir. L’école républicaine n’est pas une école de l’égalité des chances. Depuis 1963, le choix des établissements primaires et secondaires publics est encadré par la carte scolaire : l’affectation de chaque élève dans un établissement public est définie par le secteur géographique où se situe son domicile.

Or, la carte scolaire repose sur un découpage de quartiers eux-mêmes socialement et ethniquement ségrégués d’autant que les dérogations accordées par l’éducation nationale aux familles sont socialement discriminantes et renforcent l’homogénéisation sociale des établissements… Il faut connaître les codes de l’éducation nationale pour savoir à qui et comment demander une dérogation, ce à quoi s’ajoutent les stratégies résidentielles des familles, voire même d’achat d’adresses factices.

Ségrégation urbaine

Les sciences sociales montrent que notre école ne se contente pas de subir la ségrégation urbaine et son évolution ; elle fabrique elle-même de la ségrégation. Car c’est ainsi qu’interagissent les stratégies résidentielles et scolaires des familles, le découpage de la carte scolaire, la gestion des dérogations, les politiques des établissements (offre d’options spécifiques, par exemple).

Et la constitution des classes de niveau sont souvent reconstruites par le biais d’options ou de classes à projet archéologie, opéra, théâtre ou tango au collège…). Aux facteurs internes à l’école se combinent donc des facteurs extrascolaires, tels que l’accentuation de la concentration dans l’espace urbain des populations en difficultés et de la fuite corollaire des populations plus favorisées de ces quartiers populaires.

Or, ces comportements d’ « évitement » de certains établissements qui hier n’étaient le fait que des catégories sociales très privilégiées sont en train de se « démocratiser ». Ce qui se traduit par une tendance, dans les classes moyennes, à ne pas se satisfaire forcément du collège imposé par la carte scolaire et de rechercher l’établissement qui leur semble le meilleur pour leur enfant.

Le traitement formellement identique d’élèves d’origines culturelles et sociales plurielles produit des inégalités sociales face à l’école, d’autant que l’uniformisation de la scolarité, initiée au collège par la réforme Habydu collège unique et la mise en œuvre de la carte scolaire, n’est qu’apparente ou tout au moins relative.

Dynamique

Il existe donc des inégalités sociales, sexuelles, ethniques face à l’école. Toutes les recherches empiriques confirment notamment que la quantité et la qualité de l’enseignement dispensé en classe sont modulées par la composition sociale du public. D’autant qu’il y a une influence de la composition sociale du public scolaire sur les attitudes et les comportements des élèves et des enseignants. Ainsi, la ségrégation est porteuse d’une diversification qui est source d’inégalités, puisque les conditions d’un enseignement stimulant semblent davantage réunies dans les établissements au public mixte.

D’ailleurs, le courant de recherche dit de la « school effectiveness » a mis largement en évidence l’impact que peuvent également avoir les établissements : des élèves par ailleurs comparables progressent plus ou moins selon l’établissement fréquenté.

La ségrégation sociale entre établissements que génère la carte, si elle affecte de manière modérée mais réelle les apprentissages des élèves, marque encore plus davantage leur expérience scolaire et par-là la construction de leur personnalité, via à la fois les réactions à visée adaptative des enseignants et la dynamique qui s’instaure avec eux et entre les élèves eux-mêmes.

L’école fréquentée au quotidien est de fait le lieu où les jeunes se forment, et la nature des échanges qui s’y nouent, elle-même fortement dépendante de sa composition sociale, n’a pas un caractère accessoire. L’assouplissement de la carte scolaire, présentée en 2007 comme un moyen de « donner une nouvelle liberté aux familles », de « favoriser l’égalité des chances et améliorer sensiblement la diversité sociale dans les collèges et lycées », a encore réduit la mixité sociale. Le sociologue Pierre Merle montre qu’elle a encore accru la ségrégation sociale des établissements : désormais de fait ce sont les chefs d’établissements qui choisissent leurs publics. La réforme a certes introduit de nouveaux critères de dérogation en faveur des élèves boursiers, mais leurs demandes sont limitées au regard des demandes initiées par les familles aisées.

Écoles-aimants ?

Bref, l’expérimentation proposée par Najat Vallaud Belkacem est légitime… mais comment peut-on en tirer une réforme ambitieuse et multidimensionnelle ? En 2005, l’ouvrage de Georges Felouzis, Françoise Liot et Joëlle Perroton, « L’apartheid scolaire. Enquête sur la ségrégation ethnique dans les collègues » démontrait les effets de la ségrégation urbaine sur l’école. Si l’école ne parvient pas à elle seule à déghettoïser la société, pourrait-elle y contribuer ?

Bien sûr le levier passerait par une politique de logement qui réintroduirait de la mixité sociale et ethnique dans les territoires et les quartiers. Supprimer la carte scolaire engendre des inégalités accrues : puisque ce ne sont pas les familles qui choisissent alors leur établissement, mais les établissements leurs élèves … d’où un renforcement de la ségrégation.

Faut-il alors rigidifier la carte scolaire ? Évidemment les plus informés ont toujours les moyens d’éviter ou de contourner la règle, ne serait-ce que par le recours à l’enseignement privé. Mais une carte scolaire qui associerait des quartiers hétérogènes socialement serait plus efficiente à condition de rendre cette carte scolaire quasi imperméable et de rendre attractifs tous les établissements par une politique volontariste.

Il s’agirait de créer des « écoles-aimants ». Les établissements géographiquement situés dans les quartiers difficiles se verraient attribués une implantation prioritaire des sections qui servent à la sélection sociale (options rares, langues anciennes ou orientales, etc.). C’est le principe des écoles-aimants (magnet schools). À quartier répulsif, école attractive.

On pourrait créer des jumelages interétablissements. Aujourd’hui, de nombreux élèves – par un système de jumelage de classes – sont en relation avec le bout du monde, alors que certains d’entre eux, nés dans les banlieues ne sont jamais allés en centre-ville – et réciproquement. Sans mettre fin aux jumelages internationaux, il s’agirait de développer les échanges entre des élèves qui, parce qu’ils vivent dans des quartiers différents, ne se rencontrent pas. Issus de milieux sociaux, de cultures et d’origines différentes, ils auraient beaucoup à découvrir les uns des autres. C’est en cela que l’école peut recréer du lien citoyen au sein de la république.

Enfin, on pourrait créer des superétablissements comme levier. Au sein des superétablissements cohabiteraient des établissements de quartiers, localisés en centre-ville comme dans les périphéries. Issus des anciens établissements, parfois très hétérogènes, ils porteraient tous désormais le même nom, ce qui contribuerait à homogénéiser l’« image de marque » de l’ensemble. Au-delà du nom, ils relèveraient tous désormais d’une même gouvernance, d’une même politique d’établissement, ce qui permettrait en interne, au sein du réseau, des marges de manœuvre permettant de tirer les plus en difficulté vers le haut.

La question de la ségrégation sociale et scolaire interroge de plein fouet l’idéal d’une école républicaine commune à tous. La faiblesse de la mobilité sociale en France mise en évidence par les sciences sociales constitue un état des lieux préoccupant pour la société française. En France plus que dans la majorité des pays de l’OCDE, l’origine socio-économique des élèves conditionne les niveaux de formation et de revenus auxquels pourront prétendre les jeunes générations durant leur vie professionnelle.

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