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Universités : les examens entre le Charybde du simulacre et le Scylla de la démagogie

Étudiants de l'université de Limoges préparant leurs examens reportés en raison des blocages. France 3 Nouvelle Aquitaine

En cette fin d’année universitaire fortement perturbée par les « blocages », on observe une véritable guérilla des examens. Cela n’étonnera guère s’agissant d’activités de « formation » : l’évaluation se retrouve au cœur des combats.

Ainsi, un collectif d’universitaires de Paris 1-Panthéon-Sorbonne, dénonçant « l ‘instrumentalisation des examens par le gouvernement », et refusant ce qu’il appelle des « simulacres d’examens », a récemment souhaité une « organisation sereine et concertée d’évaluations dignes de ce nom ». Tandis qu’un autre collectif, d’enseignants-chercheurs de Paris-Nanterre, s’insurgeant, en sens opposé, contre les blocages et l’annulation des examens, exigeait tout aussi fortement une organisation d’« examens dans les meilleures conditions possibles », afin de « délivrer des diplômes de qualité ».

Un consensus existe donc sur la nécessité d’une évaluation « juste », de qualité, et dont la légitimité soit incontestable. Mais cette exigence conduit à des prises de position radicalement opposées sur la question de la tenue des examens en période de tensions et de conflits. Comment s’y retrouver ? Quelles sont donc les « conditions » pouvant donner « sens » (collectif 1) et « crédibilité » (collectif 2) aux examens universitaires ?

Débat entre un président d’université et une représentante de l’UNEF le 14 mai 2018.

Un consensus réel sur le primat de la formation

Il est remarquable que ces deux collectifs d’universitaires se prononcent de façon différente sur les examens au nom d’une même affirmation du primat de l’action formative des universités. Pour les uns (Panthéon-Sorbonne), il faut partir du fait que la mission principale de l’université est de dispenser des contenus pédagogiques, de transmettre des savoirs, et de former l’esprit critique. On doit rechercher « la réussite effective des étudiants ». C’est pourquoi, pour eux, le sens des « partiels » (comme de tout examen) est d’apprécier, dans de bonnes conditions d’équité, et de « cohérence pédagogique », la réussite de cette mission, du point de vue des effets produits sur les étudiants.

Pour les autres (Paris-Nanterre), ce qui fait « le cœur » de la mission des universitaires est bien, de la même manière, « la formation des étudiants ». Le sens de l’examen est alors de sanctionner les étudiants méritants, c’est-à-dire les étudiants qui ont fait les efforts nécessaires pour bénéficier avec succès de l’action formative déployée par les universités.

Un dissensus apparent sur l’importance de la certification

On s’accorde de façon logique dans les deux cas sur la nécessité d’une « cohérence » entre l’action formative de l’université, et ses pratiques évaluatives. Mais sans doute n’envisage-t-on pas cette cohérence de la même manière.

Pour les uns, elle conduit au refus de l’évaluation à tout prix. Pour eux, le principe de formation a plus de valeur que le principe d’évaluation. La note ne peut primer sur la pédagogie. L’action formative inscrite dans une logique de recherche de sens ; l’évaluation dans une « logique marchande » de « course aux résultats ».

Quand donc l’action de formation n’a pas pu être conduite avec sérieux, ou jusqu’au bout (par suite de grèves et de blocages), il est vain de vouloir organiser des examens qui ne sauraient alors être que des « simulacres d’examens », délivrant « des notes ou des certifications vides de sens ».

Pour les autres, l’impératif est, dans tous les cas, d’assurer la tenue d’examens venant couronner la formation, qu’ils ont seuls le pouvoir de sanctionner. Une année de formation ne débouchant pas sur un examen est une année perdue, dont les étudiants seront les impuissantes victimes, comme l’ont fait observer nombre d’étudiants s’estimant pris au piège par les bloqueurs.

N’est-il pas significatif, dans ce sens, que la certification, que certains refusent avec mépris en la faisant sortir par la porte (exigence d’annulation des examens), revient par la fenêtre avec la revendication étudiante d’une « validation automatique » ? Cette revendication est à juste titre jugée « aberrante et illégale » par les anti-bloqueurs. Mais il faut observer qu’elle marque en outre comme une survalorisation paradoxale de l’évaluation certificative, par ceux-là mêmes qui refusent l’évaluation marchande !

En cette affaire, ceux qui vénèrent le plus le diplôme ne sont donc pas ceux que l’on croit. Comme l’a symbolisé parfaitement le comportement d’un étudiant grenoblois bloqueur qui, lors d’un examen délocalisé, après avoir harangué ses camarades, a fini par s’asseoir pour passer son examen, comme si de rien n’était (Le Dauphiné Libéré du 16/05/18).

Report des examens à l’université de Limoges.

Deux logiques en proie aux turbulences

La recherche de l’évaluation juste voit donc ici s’affronter deux logiques : une logique du sens, contre une logique du droit. Mais chacune souffre du contexte dans lequel elle se développe. La logique du sens est prisonnière de la spirale du blocage. La certification a pour fin d’attester que les niveaux de maîtrise requis sur les principaux axes de développement définis par les programmes sont atteints. Ce qui donne sens à la certification est de sanctionner une formation qui la précède. Elle ne peut venir qu’après.

Mais alors, le blocage des universités et l’empêchement de faire cours constituent un piège diabolique. Telle est la terrible efficacité de la spirale du blocage : empêchement des enseignements, d’où pas d’examen sensé possible, d’où empêchement des examens. Ce qui marque le triomphe de ce que Hegel (Principes de la philosophie du droit, Introduction, §5) a désigné comme la « liberté du vide ».

Cette « liberté du vide » vient heurter de plein fouet la logique du droit. Celle-ci est rendue comme impuissante par les pratiques de blocages. Fondée sur la double prise en compte de la valeur du diplôme comme outil d’insertion sociale et économique, et de l’injustice que constitue l’impossibilité, ou pire le refus, de sanctionner socialement l’existence de compétences résultant d’un long et important effort individuel de formation, elle affirme que, pour qui a fait l’effort d’étudier, l’examen est un droit.

Pour déjouer le piège de la spirale des blocages, il faudra ruser avec les bloqueurs, en délocalisant les examens, et en tenant leurs lieux secrets. Ou, ce qui pourra, paradoxalement, s’avérer positif pour l’évaluation, faire preuve d’une inventivité bienvenue, en imaginant des modalités de contrôle plus intelligentes que les traditionnels devoirs sur table (ex : examen à distance sur un sujet de réflexion).

Gare à la « médaille en chocolat »

Dans un contexte de guérilla, tout le monde court le risque de la « médaille en chocolat ». D’un côté, et c’est ce que dénonce la « logique du sens », à vouloir à tout prix faire passer l’examen, on risque d’accorder des diplômes « Dry », qui n’auront que l’apparence du vrai diplôme, puisqu’ils auront été accordés en dépit d’un déficit de formation (critique de l’examen qualifié de « simulacre »).

Mais d’un autre côté, et c’est ce que dénonce la « logique du droit », on risque, on l’a vu (hommage du vice à la vertu ?), de sombrer dans des demandes de diplôme automatique, qui pourrait (devrait ?) être accordé en l’absence de toute vérification crédible de la réalité de la formation. On peut critiquer alors ce que l’on appelait naguère l’examen « bidon », qui, il faut l’observer, est sans doute beaucoup plus de l’ordre du simulacre, au sens propre du terme, que l’examen trop « partiel » condamné par les partisans de la logique du sens. Surtout quand cette demande s’inscrit dans une surenchère démagogique, quand on passe de la demande d’un « 10/20 améliorable pour tous » à la demande d’une « note politique automatique de 20/20 ».

Que faire alors ? L’évaluation est-elle condamnée à venir se fracasser soit sur le Charybde du simulacre, soit sur le Scylla de la démagogie ?

Pourra-t-on trouver « un port » pour l’évaluation universitaire ?

On sait que Pascal a montré la nécessité de trouver un « point fixe », qui jouera le rôle du « port » permettant de juger ceux qui « sont dans le vaisseau ». Il est clair qu’en situation de crise, il est très difficile de faire triompher la raison et la sérénité. Mais, pour sortir des turbulences de la guérilla, il peut ne pas être totalement inutile de se raccrocher à quelques principes, issus d’un travail réflexif sur la justice en évaluation.

Du droit au diplôme

Le diplôme a certes une importance sociale capitale. Mais il n’est en aucun cas un droit dans le sens où tout étudiant pourrait en bénéficier automatiquement.

Cependant chaque étudiant ayant suivi une formation a le droit de prétendre au diplôme, en faisant ses preuves lors d’un examen (droit de passer ses examens). C’est l’examen (la vérification honnête et attentive de la réalité des compétences construites) qui est de droit, et non le diplôme.

De la nécessité d’un contrôle

Cela entraîne la nécessité d’un contrôle (des compétences construites). Tel est le sens même de l’évaluation certificative. La société ne peut pas accepter la seule auto-proclamation d’un niveau. On ne peut pas vouloir une reconnaissance, et refuser l’évaluation certificative. C’est pourquoi des comportements ayant pour but d’interdire des examens sont inacceptables, et tombent sous le coup de la loi.

De la nécessité de respecter les exigences de cohérence de toute évaluation

Enfin, le nécessaire contrôle doit, en effet, respecter des exigences de cohérence. Le primat de la formation sur la notation signifie qu’en cours de formation, l’évaluation est d’abord cohérente à condition d’être formative. Mais on pourrait distinguer quatre niveaux de cohérence (cf. Hadji, 2012, « Faut-il avoir peur de l’évaluation ? », pp. 218/225), répondant à quatre impératifs incontournables. On ne peut ici qu’inviter chacun à en prendre conscience, s’il veut progresser dans la recherche d’une évaluation qui soit irréprochable de ce point de vue.

Il devrait en tout cas être clair, pour terminer, qu’en matière d’examens universitaires, la recherche du sens ne devrait jamais se traduire par l’oubli du droit.

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