tag:theconversation.com,2011:/us/topics/amerique-centrale-46469/articlesAmérique centrale – The Conversation2024-03-27T16:47:15Ztag:theconversation.com,2011:article/2263652024-03-27T16:47:15Z2024-03-27T16:47:15ZHaïti, la fin d’un État<p>Haïti, <a href="https://www.lemonde.fr/livres/article/2011/01/12/histoire-d-haiti-la-premiere-republique-noire-du-nouveau-monde-de-catherine-eve-roupert-et-ma-vie-a-saint-domingue-de-jean-jacques-salgon_1464575_3260.html">première république noire</a>, apparaît de nouveau dans l’actualité sous les traits d’un <a href="https://www.bbc.com/afrique/articles/cy7zdzz2z7eo">État aux abois</a>, d’une société en proie à une violence multiforme.</p>
<p>Depuis le 11 mars 2024, le pays est sans autorité légale. Ses ports et ses aéroports sont fermés. La région métropolitaine vit au ralenti. Le premier ministre <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2024/03/12/apres-la-demission-du-premier-ministre-la-fin-de-la-crise-a-haiti/">Ariel Henry a dû démissionner</a> sous la pression des bandits qui ont <a href="https://www.lemonde.fr/comprendre-en-3-minutes/article/2023/10/08/comment-les-gangs-ont-pris-le-controle-d-haiti-comprendre-en-trois-minutes_6193123_6176282.html">pris le contrôle de plus de 80 % de l’espace métropolitain</a>.</p>
<p>Le président Jovenel Moïse a été <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/07/07/haiti-le-premier-ministre-annonce-l-assassinat-du-president-jovenel-moise_6087360_3210.html">assassiné</a> le 7 juillet 2021 dans des conditions troublantes ; mis à part <a href="https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20230215-assassinat-du-pr%C3%A9sident-ha%C3%AFtien-jovenel-mo%C3%AFse-quatre-hommes-arr%C3%AAt%C3%A9s-aux-%C3%A9tats-unis">quelques complices de second rang</a>, les principaux commanditaires du crime courent encore. Depuis, les bandes armées <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/03/13/haiti-ce-ne-sont-pas-deux-franges-de-la-population-qui-s-affrontent-mais-des-bandes-armees-qui-utilisent-la-terreur-pour-asseoir-leur-pouvoir_6221711_3232.html">continuent de faire régner la terreur</a> et plus de 350 000 personnes ont dû fuir de chez elles en quête d’un abri plus sûr.</p>
<p>Comment en est-on arrivé là ? Pour le comprendre, il convient d’analyser la triple faillite de l’État haïtien.</p>
<h2>Faillite écologique</h2>
<p>Le pays est soumis au double aléa <a href="https://ayiti.unice.fr/sismo-ayiti/votre-communaute/le-risque-sismique-en-haiti.html">sismique</a> et <a href="https://www.unicef.org/haiti/recits/ha%C3%AFti-face-au-d%C3%A9fi-du-changement-climatique">hydroclimatique</a>. Les <a href="https://books.openedition.org/editionsmsh/8316">cyclones de plus en plus fréquents</a>, de plus en plus violents ; les séismes majeurs qui peuvent se produire à tout moment (comme ceux de <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre-2013-1-page-163.htm">janvier 2010</a> et <a href="https://theconversation.com/sismo-citoyens-et-chercheurs-du-monde-entier-sallient-pour-comprendre-le-recent-seisme-dha-ti-166787">août 2021</a>) renforcent au sein de la population un sentiment de vulnérabilité systémique.</p>
<p>Lorsque les Européens ont débarqué au XV<sup>e</sup> siècle, la forêt recouvrait 90 % du territoire ; aujourd’hui, <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/ameriques/haiti-a-perdu-98-de-ses-forets-en-moins-de-trois-si%C3%A8cles_3061201.html">elle n’en occupe plus que 3 %</a> selon les données les plus fiables.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/86Uy3JvaCYg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Le milieu naturel a donc été soumis à rude épreuve. La déforestation a mis à nu des versants pentus dont la terre arable a été entraînée vers la mer par les pluies diluviennes. Les sols sont, par conséquent, pauvres, dégradés et les <a href="https://agritrop.cirad.fr/580382/1/ID580382.pdf">rendements agricoles</a> en souffrent.</p>
<p>La situation du milieu marin est <a href="https://journals.openedition.org/etudescaribeennes/267">catastrophique</a>. Le réchauffement global et la montée des eaux <a href="https://journals.openedition.org/com/1018">menacent les milieux littoraux fragiles</a>. Les coraux blanchissent et la mangrove est exploitée pour faire du charbon. Les frayères des espèces marines benthiques sont menacées d’ensevelissement sous une chape d’alluvions récentes.</p>
<h2>Faillite économique</h2>
<p>La sécurité alimentaire de la population s’en trouve compromise. Avec le blocage des routes, <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/guadeloupe/haiti-la-directrice-de-l-unicef-decrit-une-situation-apocalyptique-1473192.html">l’UNICEF alerte sur le risque de famine</a>, qui concerne plus de 2 millions de personnes, en majorité des femmes et des enfants. Le chômage touche également plus de 60 % de la population active.</p>
<p>Après l’indépendance, les anciens esclaves voulaient sortir de l’aliénation économique. Leur premier souci était d’assurer leur autosubsistance sans rapport de dépendance à l’égard de l’État. Mais le <a href="https://www.persee.fr/doc/outre_1631-0438_2005_num_92_346_4149_t1_0348_0000_5">Code rural de Toussaint Louverture</a> n’a pas répondu à leurs espoirs, se contentant de remplacer « esclaves » par « cultivateurs » dans les grands domaines.</p>
<p>Les Blancs restés dans la colonie après la proclamation de l’indépendance en janvier 1804 furent en grande partie <a href="https://www.haiticulture.ch/Jean-Jacques_Dessalines.html">massacrés sur ordre de Dessalines</a>, le père de l’indépendance haïtienne, à l’exception des Polonais qui avaient pris parti pour l’armée des insurgés contre <a href="https://www.herodote.net/Retablissement_de_l_esclavage_et_independance_d_Haiti-synthese-2955.php">l’expédition coloniale chargée en 1802 de rétablir l’esclavage dans l’île</a>.</p>
<p>Les grandes plantations perdirent peu à peu leur capacité de production par manque de personnel et du fait de la fuite de la main-d’œuvre vers les mornes. L’agriculture de plantation, qui avait fait de Saint-Domingue « la Perle des Antilles », laissa peu à peu la place à une économie paysanne de petits cultivateurs indépendants pratiquant une polyactivité très adaptée à leur souci d’autonomie personnelle. Ainsi se mit en place le <a href="https://maison-monde.com/maisons-rurales-haiti-lakou/">lakou</a>, cellule de base de l’habitat rural haïtien prenant racine sur les ruines de la plantation. Il s’ensuit une fragmentation extrême du tissu foncier au fur et à mesure de la croissance de la population : 400 000 habitants en 1804, plus de 11 millions en 2024.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1770797602772050321"}"></div></p>
<p>Quelques chiffres rendent compte de la situation difficile de la population. Avec une moyenne de 441 hab/km<sup>2</sup> et une grande concentration humaine dans les plaines, peu étendues, la densité est très forte sur certaines portions du territoire. La capitale, Port-au-Prince, regroupe 3,3 millions des 11 millions d’habitants du pays. <a href="https://journals.openedition.org/com/9806">30 % des Haïtiens</a> vivent au-dessous du seuil de pauvreté (fixé à 1,80 €/jour), ce qui explique la faiblesse de l’espérance de vie (63 ans, alors qu’elle est de 83 ans à Cuba).</p>
<p>Aujourd’hui la société haïtienne est une des <a href="https://lescientifique.org/inegalites-et-pauvrete-en-haiti-a-mieux-comprendre-ses-enjeux-et-consequences">plus inégalitaires des Amériques</a>. 20 % de la population concentrent 64 % des richesses alors que 20 % des plus pauvres n’en possèdent que 1 %.</p>
<h2>Faillite politique</h2>
<p>Après avoir subi de 1957 à 1986 la <a href="https://www.martinique.franceantilles.fr/actualite/chez-nos-voisins/pour-comprendre-la-situation-en-haiti-retour-sur-la-dictature-des-duvalier-957449.php">dictature dynastique des Duvalier</a> (François et Jean-Claude), protégés par les <em>Tontons Macoutes</em>, milice à la sinistre réputation, le pays est entré dans une spirale de violence qui mêle la répression des mouvements sociaux par des régimes brutaux et les exactions commises par des bandits.</p>
<p><a href="https://pauillac.inria.fr/%7Emaranget/volcans/06.96/comment.html">L’abolition en 1995 de l’armée</a> par le président Jean-Bertrand Aristide, comme remède à la récurrence des <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2011/05/13/01003-20110513ARTFIG00537-de-coups-d-etat-en-dictatures-l-histoire-convulsive-d-haiti.php">coups d’État militaires</a>, se révèle un mauvais calcul. La perte du monopole de la violence légitime laisse l’État central à la merci des groupes armés recrutés illégalement par les hommes d’affaires et les politiciens pour défendre leurs propres intérêts. Les gangs armés ont pris le contrôle d’une grande partie du territoire et des principaux axes de circulation, avec comme principal enjeu le contrôle du trafic de drogue entre les pays andins et la Floride. L’argent de la drogue a gangréné la société haïtienne et corrompu les cadres dirigeants de l’État.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/-b1sTvWHS8U?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>La transition vers la démocratie a été ratée du fait de la brutalisation de l’espace public et de son invasion par des groupes mafieux qui ont fait dérailler le train de la démocratie au début des années 2000. S’est ensuivie une intervention des <a href="https://peacekeeping.un.org/fr/mission/minustah">Casques bleus de l’ONU, de 2004 à 2017</a> avec pour mission la stabilisation de la situation. À la fin de la mission, les gangs ont repris de l’activité et défient aujourd’hui ouvertement l’État en s’appropriant des secteurs entiers de la capitale. Devenus des territoires perdus de la Loi, ces quartiers sont barrés par des portails en fer et des murs érigés par les gangsters.</p>
<p>Les gangs occupent 80 % du territoire de la capitale haïtienne. Ils rançonnent la population et terrorisent les faubourgs. <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/haiti/haiti-les-violences-des-gangs-ont-fait-doubler-le-nombre-dhomicides-en-2023-69b182b8-ba09-11ee-afe8-d81ceac7fa4c#">Plus de 5 000 morts ont été enregistrés depuis janvier 2023</a>, et plus de 25 000 personnes ont été enlevées contre rançon.</p>
<p>L’émigration apparaît comme <a href="https://www.migrationpolicy.org/article/haitians-flee-collapse">l’unique recours</a>. En 2023, selon l’Organisation internationale des migrations, les principaux pays de destination sont les États-Unis (700 000), la République dominicaine (500 000), le Chili (230 000), le Canada (100 000) et la France (90 000). Avec un effectif d’environ 3 millions de personnes installées aux États-Unis, au Canada, en République dominicaine et en France (en comptant la deuxième et la troisième générations), la diaspora transfère chaque année l’équivalent de 3 milliards de dollars dans le pays d’origine : les Haïtiens de l’extérieur font vivre ceux de l’intérieur. Le revers de la médaille, c’est un tarissement des ressources humaines : 85 % des personnes titulaires d’un diplôme supérieur ou égal à un master sont à l’étranger.</p>
<h2>Une seule loi, celle du plus fort</h2>
<p>Le 2 octobre, le Conseil de Sécurité de l’ONU a <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/10/02/le-kenya-prend-la-tete-de-la-future-force-en-haiti-a-la-demande-des-etats-unis_6192062_3212.html">mandaté le Kenya</a> pour une mission financée non pas par l’ONU mais par des contributeurs volontaires, essentiellement les États-Unis. Le Kenya s’est dit prêt à envoyer 1 000 policiers pour lutter contre les gangs, ce qui semble bien peu vu l’ampleur de la tâche. Mais depuis la démission du premier ministre et la menace grandissante des bandits, le Kenya multiplie les déclarations dilatoires et <a href="https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20240314-l-envoi-d-une-force-internationale-en-ha%C3%AFti-une-mission-impossible-pour-le-kenya">repousse sine die</a> la mise en exécution de son engagement d’intervention. C’est d’ailleurs au retour d’un voyage à Nairobi que le premier ministre a été destitué. Signe qu’il n’y a pas de véritable accord entre les protagonistes de la situation : plus de dix jours après l’annonce de cette destitution, la société civile et les partis politiques appelés à la table de négociation n’ont toujours pas réussi à se mettre d’accord sur un calendrier de sortie de crise.</p>
<p>Haïti reste un terrain miné où personne n’a envie de s’engager, parmi les partenaires occidentaux traditionnels. Un sentiment de solitude existentielle taraude les Haïtiens et leur enlève tout espoir de solution. C’est de ce qui arrive lorsqu’on a foulé aux pieds les principes de liberté, d’égalité et de solidarité pour ne laisser place qu’à la loi du plus fort. La fin d’un État ouvre la voie à la loi de la jungle, à la raison du plus fort. Et les plus forts pour le moment, ce sont les bandits et les groupes mafieux qui les approvisionnent en armes et en munitions.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/226365/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Marie Théodat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Au-delà de la crise sécuritaire actuelle, Haïti est enfoncé depuis des années dans une triple crise – écologique, économique et politique – dont on peine à discerner la fin.Jean-Marie Théodat, Maître de conférences en géographie physique, humaine, économique et régionale, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2162202023-12-03T16:57:27Z2023-12-03T16:57:27ZLe président élu pourrait ne jamais gouverner : la tentative de coup d’État judiciaire au Guatemala provoque une mobilisation jamais-vu<p>La victoire historique de forces progressistes et anticorruption au Guatemala lors des élections présidentielles en août a provoqué une bataille judiciaire et politique d’ampleur inédite, dont l’issue déterminera dans une grande mesure l’avenir de la démocratie dans ce pays. </p>
<p>Bernardo Arévalo et Karina Herrera, le binôme présidentiel du parti Semilla, ont créé la surprise lors du premier tour des élections générales, le 25 juin, puis lors de leur victoire en août. Mais Arévalo pourrait ne pas réussir à devenir officiellement président, en janvier, si les tentatives d’entrave se poursuivent.</p>
<p>En effet, <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2016383/guatemala-bernardo-arevalo-president-corruption">trois fonctionnaires, qui se trouvent sur une liste d’acteurs corrompus et antidémocratiques dressée par le département d’État américain, complotent pour voler son élection</a>. C’est du moins ce qu’en concluent les Guatémaltèques, qui manifestent leur colère depuis des semaines en manifestant partout au pays.</p>
<p>Candidate au doctorat en science politique à l’Université de Montréal, je travaille, dans le cadre de ma thèse, sur les usages des droits humains par les acteurs politiques guatémaltèques.</p>
<h2>Le pacte des corrompus</h2>
<p>Quel a été le déroulé des évènements dans ce pays d’Amérique centrale de 17 millions d’habitants, ayant connu la démocratie seulement lors d’une courte période de 1944 à 1954, puis plus récemment, depuis 1985 ?</p>
<p>Dès les jours suivant le premier tour de juin, une coalition de partis perdants tentait de faire invalider les résultats au moyen de divers recours légaux et administratifs. Cette initiative était soutenue officieusement par l’actuel président depuis 2020, Alejandro Giammattei, et ses alliés, placés à des postes clés de l’État, en particulier au sein du système judiciaire. </p>
<p>Ceux qu’on appelle le <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/07/14/au-guatemala-les-interferences-du-pacte-des-corrompus-dans-l-election-presidentielle_6181991_3210.html">« pacte des corrompus »</a> est ainsi une une alliance informelle d’élites économiques et politiques conservatrices, liées au crime organisé, impliquées dans de nombreuses affaires de corruption et toutes relativement proche du gouvernement sortant.</p>
<p>Tous voient d’un très mauvais œil l’investiture de Bernardo Arévalo, dont le parti propose un programme anticorruption. Le trio de fonctionnaires à la tête de la contestation actuelle est composé de la procureure générale Consuelo Porras, du procureur du bureau spécial contre l’impunité (FECI) Rafael Curruchiche et du juge Fredy Orellana. </p>
<p>Le processus électoral précédant le premier tour avait été entaché d’irrégularités. En particulier, plusieurs candidats et candidates s’étaient vus interdire de participer, sous des prétextes souvent douteux. Le parti Semilla n’étant pas alors pris au sérieux, il avait pu se présenter. Aucun observateur n’avait par ailleurs relevé de fraude au moment du scrutin lui-même, ou de manquements pouvant amener à remettre en question les résultats. </p>
<p>Puis le 20 août, malgré une faible participation (44 %), la victoire de Sémilla a été écrasante, remportant 70 % des suffrages exprimés contre 30 % pour l’UNE de Sandra Torres. Cette dernière est connue par ailleurs pour ses pratiques clientélistes et ses liens avec différents membres du « pacte des corrompus ».</p>
<h2>Les résultats électoraux attaqués</h2>
<p>Comme l’avaient déjà illustré les attaques durant l’entre deux tours, ceux et celles dont les intérêts sont particulièrement menacés par le programme d’Arévalo n’ont pas accepté un tel dénouement. Les offensives administratives et légales se sont donc multipliées. Elles tentent d’un côté de faire invalider le parti Semilla lui-même et de l’autre, de poursuivre en justice, pour des motifs fallacieux, certaines personnalités centrales du mouvement. </p>
<p>Les ripostes de la part du parti et de ses soutiens ont été immédiates, mais le manque de transparence et d’indépendance du système judiciaire rend ces stratégies peu efficaces pour les vainqueurs de l’élection. </p>
<p>Le principal espoir résidait dans la possibilité que le Tribunal Suprême Electoral (TSE) considère le processus électoral encore en cours jusqu’à l’investiture d’Arévalo, prévue pour le 14 janvier. </p>
<p>Mais le 30 octobre, le TSE a finalement tranché et a déclaré la période électorale terminée, entérinant la suspension de Semilla. Une nouvelle offensive, le 16 novembre a vu <a href="https://www.bnnbloomberg.ca/guatemala-prosecutors-seek-to-revoke-president-elect-s-immunity-1.1999669">l’émission de 27 mandats d’arrêt afin de placer en détention provisoire plusieurs personnalités liées à Semilla et à l’opposition, et tente de faire révoquer l’immunité d’Arévalo</a>.</p>
<h2>Des manifestations d’une ampleur inédite</h2>
<p>En réaction aux manœuvres du « pacte des corrompus », et dans un contexte de nette régression démocratique depuis plusieurs années, les Guatémaltèques sont descendus dans les rues, à travers des <a href="https://www.liberation.fr/international/amerique/le-guatemala-se-mobilise-pour-defendre-son-futur-president-20231025_7NKB7NUO35CYDKPEPYPPEZJNVA/">mobilisations à la portée immense</a>, au sein d’un mouvement populaire absolument inédit. </p>
<p>Le mot d’ordre est avant tout la démission de Consuelo Porras et de Rafael Curruchiche, et au-delà, du président Giammattei. Ceux-ci constituent en effet les clés de voûte de l’offensive du pouvoir en place contre Semilla, et plus généralement, de cette tentative de coup d’État judiciaire.</p>
<p>Ces mobilisations, loin d’être les seules de ces dernières années, ont toutefois été inédites par leur durée. On a assisté à plus d’un mois de blocage et plus de 15 jours de mise à l’arrêt quasi totale du pays – interrompue par des négociations avec le gouvernement. </p>
<p>Elles l’ont été aussi par leur ampleur. Elles réunissent des dizaines de milliers de personnes, réparties dans tout le pays. Habituellement, ce sont les manifestations au sein de la capitale qui sont les plus médiatisées. Ici, grâce aux réseaux sociaux notamment, de nombreux autres lieux de protestation de l’intérieur du pays ont été placés au centre de l’attention. </p>
<p>Elles l’ont été également par leur inventivité. Certes, les manifestations sont traditionnellement des espaces d’expressions artistiques, mais ici la danse, les chants, voire le yoga, ont pris une place exceptionnelle. </p>
<p>Dernier aspect fondamental de ces événements : le soutien immense que les organisations de peuples autochtones ont démontré à l’égard de la défense du processus électoral. Si ces groupes sont traditionnellement très actifs politiquement, leurs revendications d’ampleur nationale et leur engagement aux côtés d’autres secteurs politiques montrent qu’il s’agit d’un moment crucial pour la politique guatémaltèque.</p>
<h2>Un tournant pour le Guatemala ?</h2>
<p>L’analyse des derniers développements me permet donc de dresser deux constats :</p>
<p>1) Le succès d’Arévalo a montré que les aspirations à une solide démocratie demeuraient largement partagées. Les citoyennes et citoyens expriment aujourd’hui un souhait de transformation profonde, en particulier en termes de transparence et de justice sociale. Ces projets sont, de surcroît, soutenus par des acteurs traditionnellement conservateurs (comme c’est notamment le cas des jeunes entrepreneurs).</p>
<p>2) L’issue de ces évènements a le potentiel de créer un précédent important, en montrant la mesure dans laquelle il est possible (ou non) de freiner, voire de renverser un processus de fermeture autoritaire et d’érosion démocratique qui semblait bien en marche. Les acteurs prodémocratiques disposent encore d’une marge de manœuvre pour tenter de faire avancer leurs revendications. </p>
<p>Les prochains mois et les prochaines années nous montreront si les événements en cours sont les points de départ de véritables changements de paradigmes, ou de simples soubresauts dans la trajectoire historique et politique du Guatemala.</p>
<p>En effet, malgré tout l’espoir dont ces évènements sont porteurs, les défis restent immenses. Si le président Arévalo parvient à être investi, son parti ne gouvernera qu’avec une minorité au sein du Congrès. Par ailleurs, il faut prendre en compte les conditions structurelles du Guatemala, produits d’une trajectoire historique mouvementée (un <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2012/07/12/au-guatemala-les-plaies-a-vif-de-la-guerre-civile_1732841_3210.html">conflit armé interne de 1960 à 1996</a>, de très fortes inégalités, une violence endémique, le manque de capacité de l’État, un racisme systémique envers les peuples autochtones, une forte dépendance économique). Ce sont des éléments qui, malgré toute la bonne volonté politique du monde, prendront des décennies à être transformés.</p>
<p>La communauté internationale aura-t-elle un rôle à jouer ? Comme on peut le lire dans cette <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/08/l-europe-et-la-france-doivent-faire-pression-sur-le-gouvernement-sortant-du-guatemala-afin-qu-il-respecte-l-expression-de-la-volonte-populaire_6193137_3232.html">tribune du journal français <em>Le Monde</em></a>, signée par plus de 80 intellectuels, politiques et magistrats francophones, la communauté internationale doit exercer toute la capacité de pression possible sur le gouvernement sortant afin qu’il respecte l’expression de la volonté populaire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216220/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Garance Robert est membre de l'ODPC, de l'ÉRIGAL et de la Chaire du recherche du Canada Participation et Citoyenneté-s.</span></em></p>La victoire des forces progressistes au Guatemala lors des dernières élections a provoqué une bataille judiciaire et politique, dont l’issue déterminera l’avenir de la démocratie dans ce pays.Garance Robert, Candidate au doctorat en science politique, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2009282023-04-03T17:52:50Z2023-04-03T17:52:50ZLe Costa Rica, au cœur des migrations sur le continent américain<p>Ce 3 novembre 2022, comme tous les jours, Ronaldo, jeune adolescent, est posté en compagnie de sa mère à un carrefour non loin du centre de San José, la capitale du Costa Rica. Une pancarte de fortune autour du cou les identifie comme Vénézuéliens. Ils vendent des bonbons pour gagner de quoi manger. Pour arriver ici, ils viennent de traverser, à pied et en bus, la Colombie, le Panama (via le Tapón del Darién, une jungle auparavant aux mains des narcotrafiquants et désormais entre celles des passeurs) et une partie du Costa Rica.</p>
<p>Les images de migrants vénézuéliens mendiant à tous les coins de rue du centre de San José ou dormant dans des campements de fortune ont fait le tour des médias nationaux. On trouve parmi eux des familles entières, mais aussi beaucoup de femmes seules avec des enfants. Fuyant un <a href="https://www.france24.com/fr/%C3%A9missions/billet-retour/20220218-venezuela-une-crise-sans-fin">pays en situation de crise profonde</a>, dénués de ressources, sans idée claire sur la suite de leur parcours, ils espèrent rejoindre les États-Unis. Mais le 12 octobre 2022, le gouvernement Biden, au nom d’un programme d’immigration humanitaire temporaire, a de fait <a href="https://www.courrierinternational.com/article/immigration-washington-ouvre-la-porte-a-24-000-venezueliens">durci sa politique migratoire</a>. Résultat : les migrants vénézuéliens de San José sont coincés au Costa Rica, créant une situation inédite de « crise migratoire » subite dans ce petit pays de 5 millions d’habitants.</p>
<p>Selon le Service national des migrations du Panama, 133 726 personnes ont été enregistrées comme transitant par le Panama en 2021, pour 248 284 en 2022. Le plus probable est qu’elles ont ensuite passé la frontière avec le Costa Rica, mais ce pays n’est pas en mesure, aujourd’hui, de produire ses propres données, signe de son impréparation face à l’ampleur des flux migratoires actuels. Ces chiffres augmentent fortement depuis le début de l’année 2023. Ces migrants venaient très majoritairement du Venezuela en 2022, de Haïti et de Cuba en 2021. Mais on compte aussi de plus en plus de migrants d’Afrique ou d’Asie.</p>
<iframe src="https://www.google.com/maps/d/embed?mid=1Lg3ILAjj0nIND616-RjqcMUmTjt44SQ&ehbc=2E312F" width="100%" height="480"></iframe>
<p>Le 30 novembre 2022, le président du Costa Rica, le populiste Rodrigo Chaves, modifie les conditions d’obtention de l’asile dans son pays en adoptant deux décrets qui créent une catégorie migratoire spéciale pour les migrants du Venezuela, du Nicaragua et de Cuba. Le ton est donné : face aux plus de 220 000 demandes d’asile reçues depuis 2018, le <a href="https://www.rfi.fr/fr/am%C3%A9riques/20220316-les-%C3%A9tats-unis-et-le-costa-rica-signent-un-accord-pour-renforcer-l-int%C3%A9gration-des-migrants">gouvernement conditionne l’accueil de ces migrants au soutien financier international</a> et met en cause la légitimité de leurs demandes d’asile politique. Ces mesures sont un tournant. Jusqu’ici, le Costa Rica se positionnait comme un pays d’accueil pour les migrants. L’adoption des décrets est un tel choc que la Cour constitutionnelle a invalidé, le 14 février 2023, celui concernant l’asile.</p>
<p>Comment le Costa Rica est-il devenu l’un des centres du phénomène migratoire sur le continent américain, et comment expliquer l’évolution de ses politiques dans ce domaine ? Les travaux de deux chercheurs de l’Universidad du Costa Rica, <a href="https://eccc.ucr.ac.cr/docentes/carlos-sandoval/">Carlos Sandoval</a> et <a href="https://vinv.ucr.ac.cr/sigpro/web/researchers/114190096">Guillermo Navarro</a>, permettent de mieux comprendre les tendances actuelles et de les replacer dans un contexte socio-historique plus large.</p>
<h2>Du Nicaragua vers le Costa Rica : une migration ancienne, précaire et indispensable</h2>
<p>8 % de la population du Costa Rica est originaire du Nicaragua voisin – un chiffre qui rappelle l’importance des <a href="https://books.openedition.org/irdeditions/5835?lang=fr">migrations Sud-Sud</a>. La vague migratoire actuelle en provenance du Venezuela, très médiatisée et politisée, n’efface pas cette migration structurelle plus ancienne, précaire et invisibilisée.</p>
<p>Les migrants nicaraguayens occupent en effet principalement des postes de travailleurs agricoles, d’agents de sécurité, d’ouvriers de la construction et d’employées domestiques. L’agriculture intensive (ananas, café, canne à sucre) a fortement recours à cette main-d’œuvre bon marché. Le modèle économique costaricien ne correspond pas toujours à la carte postale envoyée au niveau international (<a href="https://www.lefigaro.fr/voyages/au-pays-du-tourisme-responsable-20220204">écotourisme</a>, énergies renouvelables, reforestation) et s’appuie également sur des pratiques destructrices de l’environnement et des sociétés (voir les travaux de Rodríguez Echavarría et Prunier sur <a href="https://hal-univ-montpellier3-paul-valery.archives-ouvertes.fr/hal-03114105/">l’ananas</a>, dont le Costa Rica est le premier producteur mondial).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1536744119028092932"}"></div></p>
<p>Aujourd’hui, la dictature du couple Ortega-Murillo au Nicaragua conduit à des départs de plus en plus nombreux, bien souvent pour demander le statut de réfugié politique.</p>
<p>La loi sur la migration adoptée en 2009 met en avant l’hospitalité, l’intégration et le respect des droits humains. Néanmoins, le diable se cache dans les détails : « En termes de procédure, les exigences et les coûts de la régularisation sont très élevés et laissent de nombreuses personnes sur le carreau. Le problème n’est pas que la loi n’est pas appliquée, mais qu’elle est inaccessible », <a href="https://repositorio.iis.ucr.ac.cr/handle/123456789/735">explique Carlos Sandoval</a>, qui souligne que, au-delà d’un texte très généreux, le coût et la complexité de la procédure violent les droits fondamentaux des personnes concernées. Un grand nombre des migrants nicaraguayens vivent ainsi sans le statut de résident auquel ils pourraient avoir accès.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Le statut des Nicaraguayens au Costa Rica renvoie à l’idée bien ancrée dans le pays d’un <a href="https://www.theses.fr/179743538">exceptionnalisme costaricien</a> : la stabilité politique, l’état social de droit, le pacifisme seraient liés à <a href="https://www.revistas.una.ac.cr/index.php/historia/article/view/12397">l’homogénéité ethnique et même à la « blancheur » de la population</a>, au cœur du récit national sur une population d’origine européenne. Il est dès lors difficile de penser un « autre de l’intérieur », qu’il soit nicaraguayen, indien ou afrodescendant. L’altérité minimale (même langue, même religion, même histoire) des Nicaraguayens n’en est que plus menaçante. Surtout, la fermeture des frontières liée à l’épidémie de Covid a alimenté le rejet de l’autre, vu comme responsable de la circulation du virus.</p>
<p>L’autre trait marquant la migration nicaraguayenne est son invisibilité. Carlos Sandoval rappelle que près de 20 % des nouveau-nés au Costa Rica aujourd’hui ont un père ou une mère originaire du Nicaragua. Cette deuxième génération et les couples mixtes sont absents des récits sur l’identité nationale, de la littérature, des espaces interculturels et des mémoires familiales. L’instabilité migratoire et la xénophobie ordinaire font ainsi de l’origine nicaraguayenne un « secret de famille bien gardé. Cette expérience binationale se vit mais ne se raconte pas ».</p>
<h2>Migrations planétaires et adaptation des politiques migratoires</h2>
<p>Les migrations actuelles modifient radicalement la situation : nombreuses, multiples, souvent très visibles, il s’agit essentiellement de migrations de transit.</p>
<p><a href="https://estudiossociologicos.colmex.mx/index.php/es/article/view/2177">Guillermo Navarro</a> fait remonter le début de ces nouvelles migrations aux années 2000. Ce flux migratoire continu devient subitement visible en 2015, lorsque le Nicaragua, pays de passage vers les États-Unis, ferme sa frontière avec le Costa Rica. Des milliers de migrants se retrouvent alors bloqués au Costa Rica. La petite ville de La Cruz, dans le nord du pays, devient malgré elle le lieu d’arrivée et d’immobilisation forcée de migrants cubains, tout d’abord, puis africains et haïtiens.</p>
<p>Si la migration cubaine a laissé le souvenir d’une solidarité culturelle et politique, les migrations africaine et haïtienne qui lui succèdent ont provoqué des situations de tension, de peur, de rejet, face à des populations à la fois différentes (religion, langue, pratiques alimentaires) et inconnues, faisant l’objet de stigmatisation raciale.</p>
<p>Le gouvernement du Costa Rica met alors en place des centres d’accueil. La question migratoire devient un problème public et l’État adapte ses politiques en créant un permis de transit temporaire pour traverser rapidement le Costa Rica. « Cela a conduit l’État à se mobiliser, précisément en mettant en avant le récit de la crise migratoire. Entre 40 et 44 abris ont été ouverts, gérés par les communautés, les gouvernements locaux et le gouvernement central », selon Guillermo Navarro.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/517929/original/file-20230328-418-7u5zkr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/517929/original/file-20230328-418-7u5zkr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=346&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/517929/original/file-20230328-418-7u5zkr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=346&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/517929/original/file-20230328-418-7u5zkr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=346&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/517929/original/file-20230328-418-7u5zkr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=435&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/517929/original/file-20230328-418-7u5zkr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=435&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/517929/original/file-20230328-418-7u5zkr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=435&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Centro de Atención Temporal a Migrantes (CATEM), La Cruz, 29 septembre 2016.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Dirección General de Migración y Extranjería Costa Rica</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ces nouvelles trajectoires migratoires sont longues et complexes. Les Cubains commencent leur voyage en prenant l’avion jusqu’au Nicaragua, qui les accueille sans visa. Les Haïtiens ont souvent passé des années dans le cône Sud (notamment le Brésil de Lula et l’Équateur de Rafael Correa) avant de reprendre la route vers l’Amérique du Nord, suite au ralentissement des économies nationales ou au renforcement des contraintes migratoires. <a href="https://doi.org/10.24201/es.2022v40n120.2177">Les Africains cherchent à traverser en bus au plus vite le Costa Rica</a>. Ces nouvelles migrations touchent maintenant pratiquement tous les pays d’Afrique, mais aussi la Syrie, le Népal, l’Afghanistan, le Bangladesh, etc., sans que l’on connaisse précisément les motivations de ces migrants (crises économiques et politiques, fermetures de frontières, migrations par étapes, etc.) et leurs routes migratoires qui les emmènent en Amérique latine pour une destination finale qui reste les États-Unis.</p>
<p>Avec le Covid, les frontières du Costa Rica se ferment en avril 2020 et le gouvernement démantèle le système de soutien aux migrants qu’il avait mis en place. Les flux ne s’arrêtent pas mais deviennent clandestins. Lorsque les frontières s’ouvrent à nouveau et que les migrations reprennent plus fortement, le Costa Rica n’a plus d’outils et d’infrastructures.</p>
<p>Les hésitations du gouvernement Chaves et son discours répressif, mais aussi la politique erratique du Nicaragua, favorisent le développement de réseaux de passeurs, le racket des migrants et la stigmatisation de la migration. Un nouveau système de contrôle est progressivement instauré, qui passe par la construction de centres d’accueil pérennes, dont Guillermo Navarro souligne l’influence internationale (formation des fonctionnaires de migration, circulation des idées et des personnes) et la contribution financière des États-Unis et de l’UE. Les agences spécialisées (OIM, <a href="https://www.unhcr.org/costa-rica.html">HCR</a>) et les bailleurs de fonds internationaux (<a href="https://www.iadb.org/en/countries/costa-rica/overview">Banque interaméricaine de développement</a>) sont désormais bien présents.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/p-tMe7mC_K4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>« Le Costa Rica est actuellement un laboratoire en train d’expérimenter le contrôle et le soutien humanitaire. L’Amérique centrale entre dans le système mondial migratoire, non seulement pour expulser et recevoir les migrants, mais aussi gérer la migration », constate Navarro.</p>
<p>18 février 2023. Ronaldo et sa mère ont réussi à économiser suffisamment d’argent pour payer le bus jusqu’au Panama puis l’avion vers le Venezuela. Retour à la case départ, où les attend la même situation de pauvreté extrême, même s’ils ne seront plus désormais des migrants illégaux contraints à la mendicité…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/200928/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Élisabeth Cunin a reçu des financements de IRD, ANR. </span></em></p>Soumis aux décisions politiques des pays de destination et de transit, de nombreux migrants de différentes origines se retrouvent bloqués au Costa Rica.Élisabeth Cunin, Anthropologue, directrice de recherche à l'Unité de Recherche Migrations Et Société (URMIS), chercheuse associée à l'Université du Costa Rica, Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1943642022-11-24T22:28:25Z2022-11-24T22:28:25ZHaïti : État en faillite ou État en retrait ?<p>Le 25 septembre 2022, un cadre du ministère haïtien de l’Éducation <a href="https://rezonodwes.com/?p=291184">a été enlevé</a> du côté de Delmas (département de l’Ouest). Un mois plus tard, ce fut le tour d’un <a href="https://rezonodwes.com/?p=294866">ancien ministre de la Planification</a>. Ces deux événements ne sont pas isolés, loin de là.</p>
<p>Le kidnapping est devenu un <a href="https://www.connectas.org/especiales/violencia-secuestro-en-haiti/fr/">phénomène fréquent dans le pays</a>. Partout, les gangs gagnent du terrain, notamment dans le département de l’Ouest, où la <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/sep/18/haiti-violence-gang-rule-port-au-prince">grande criminalité</a> ainsi que la violence sous toutes ses formes sont à leur paroxysme et font quotidiennement des victimes, au premier rang desquelles les <a href="https://www.cetri.be/Haiti-%C3%89tat-des-gangs-dans-un-pays">femmes et les enfants</a>. La société est en miettes et <a href="https://www.banquemondiale.org/fr/country/haiti/overview">l’extrême pauvreté</a> ne cesse de progresser.</p>
<p>Haïti est en proie à une <a href="https://onu.delegfrance.org/haiti-traverse-aujourd-hui-une-crise-tres-grave">crise totale et multiforme</a> (sociale, politique, humanitaire mais aussi symbolique), à tel point que le socio-géographe Jean-Marie Théodat qualifie le pays de <a href="https://www.jstor.org/stable/48631257">véritable « trou noir » dans la Caraïbe</a>.</p>
<p>Comment expliquer une telle descente aux enfers ? Serait-ce la résultante de l’effondrement d’un État en faillite, devenu incapable d’assumer ses fonctions régaliennes ? Ne faudrait-il pas plutôt y voir la conséquence de l’attitude d’indifférence et de retrait adoptée par un État uniquement désireux de garder par-devers soi les maigres ressources disponibles et de capter la rente issue de l’aide internationale ainsi que des transferts effectués par les <a href="https://docplayer.fr/113647923-La-raison-rentiere-monde-et-societe-alain-gilles.html">communautés diasporiques</a> ?</p>
<h2>Comment qualifier l’État haïtien ?</h2>
<p><a href="https://journals.openedition.org/cal/3093?lang=pt">« État failli »</a>, <a href="https://www.alternatives-economiques.fr/letat-haitien-situation-de-faillite-economique-politique-env/00100219">« État en faillite »</a>, <a href="https://transparans.net/actualites/martisant-miroir-dun-etat-en-defaillance-totale/">« État en défaillance »</a>, telles sont – entre autres – les expressions utilisées dans les domaines du développement et de la géopolitique internationale pour qualifier l’État haïtien.</p>
<p>Les auteurs mobilisant ces cadres conceptuels s’accordent au moins sur un ensemble de caractéristiques pour définir ce type d’État : absence quasi totale de services publics, perte de contrôle du territoire, corruption généralisée. À la vérité, il ne vendrait à personne l’idée de remettre en cause le constat selon lequel l’État haïtien ne parvient pas à exercer le monopole de la violence légitime, pas plus qu’il ne réussit à s’imposer comme seul principe d’organisation du corps social sur tout le territoire national.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Force est de constater toutefois que ces concepts ne sont opératoires que dans le cadre d’une approche normative de l’État, laquelle consiste à définir l’État à partir de ce qu’il devrait être, à lui attribuer des fonctions a priori, telles assurer des prérogatives internes, des fonctions de base comme la sécurité intérieure et extérieure. Une telle approche – bien que permettant de construire des indices et des classements internationaux – s’interdit de saisir les <a href="https://doi.org/10.4000/cal.3131">transformations de l’État haïtien</a> et d’avoir une compréhension nuancée de la fragilité de celui-ci.</p>
<h2>Un gouvernement humanitaire parallèle</h2>
<p>Trois facteurs expliquent, selon nous, l’attitude de retrait de l’État haïtien et, corrélativement, son manque de volonté politique.</p>
<p>D’abord, l’application, à la fin des années 1980, des plans néolibéraux qui ont contribué au démantèlement des principaux services publics stratégiques. Ce processus de privatisation s’est fait au <a href="http://www.cadtm.org/Construire-ou-reconstruire-Haiti,6647">« détriment de l’État et de l’intérêt général »</a> et c’est suite à cela que l’État, en train de s’atomiser et de se désinstitutionnaliser, commence à adopter une attitude de retrait pour mieux tirer profit de sa collusion – au détriment des masses pauperisées – avec les sociétés transnationales, telles, entre autres la société United Parcel Service (UPS), la société transnationale Monsanto, la société financière internationale (branche du groupe Banque mondiale). Le détricotage progressif des secteurs stratégiques du service public par les Plans de réajustement structurels induit en même temps des transformations et de nouveaux rapports à l’État, celui-ci fonctionnant selon la raison rentière, pour reprendre la notion du sociologue Alain Gilles.</p>
<p>Ensuite, la montée en puissance, à partir des années 1990, d’un <a href="https://doi.org/10.4000/cal.3090">« gouvernement humanitaire parallèle »</a> pousse l’État à se tenir de plus en plus en retrait par rapport à moult décisions qui devraient pourtant relever de la souveraineté nationale. Ainsi, malgré les efforts qui ont été déployés, au cours des années 1980, pour contrôler leur installation, les ONG ont fini par s’implanter comme de véritables <a href="http://classiques.uqac.ca/contemporains/PIERREETIENNE_Sauveur/Haiti_invasion_ONG/Haiti_invasion_ONG.html">« États dans l’État »</a>. </p>
<p>En témoigne la pléthore d’ONG qui se sont implantées suite au séisme de janvier 2010, souvent à l’insu de l’État et dont certaines(par exemple l’ONG confessionnelle américaine Samarithan’s Purse), étant donné les moyens dont elles disposent, sont <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2011/01/WARGNY/20059">plus puissantes que l’État lui-même</a>. Ce « système d’action publique transnationalisé » a eu de nombreuses conséquences parmi lesquelles la recomposition de l’institution étatique et, par conséquent, une nouvelle forme de gouvernementalité.</p>
<p>Enfin, les liaisons de l’État avec les gangs depuis la fin des années 1990 – liaisons qui sont devenues de plus en plus intenses et visibles. L’exemple le plus emblématique à ce jour reste l’alliance (bien documentée) passée entre la Police nationale et la <a href="https://insightcrime.org/caribbean-organized-crime-news/g9-family-profile/">fédération de gangs « G9 en famille et alliés »</a> dans l’objectif de combattre un autre gang appelé <a href="https://www.ofpra.gouv.fr/sites/default/files/atoms/files/2109_hti_gang_400_mawozo_154025_web.pdf">« 400 Mawozo »</a> (en créole « mauvais garçons ne s’intéressant pas aux femmes »).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1591131664499245057"}"></div></p>
<p>Loin d’être une preuve de sa faiblesse ou de son absence, ces liaisons traduisent les transformations profondes d’un État patrimonial qui, après avoir atteint <a href="https://journals.openedition.org/plc/569">son paroxysme</a>, en vient à se mettre en repli sous l’effet d’une multitude d’individualités égocentriques (nantis, parlementaires, politiciens, acteurs transnationaux).</p>
<p>Celles-ci se livrent à des luttes de factions politico-économiques et constituent le plus souvent de véritables micro-États dans l’État. Plus qu’un déficit d’État, il faut y voir une forme de <a href="https://www.cairn.info/milieux-criminels-et-pouvoirs-politiques--9782811100179-page-127.htm">Shadow State</a> (au sens de William Reno), qui se résume à des jeux d’acteurs, des rivalités économiques inter-individuelles (politiciens, entrepreneurs, intermédiaires de tout poil) sur fond de violence et de grande criminalité, comme le montre l’analyse du dessous du <a href="https://lenouvelliste.com/article/238148/laboule-12-les-dessous-dun-conflit-sanglant">conflit sanglant</a> survenu du côté de Laboule 12 (Commune de Petion-Ville).</p>
<p>Dans une telle configuration, par le truchement d’une hybridation du formel et de l’informel, du licite et de l’illicite, l’État recourt de plus en plus à la <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-1998-4-page-151.htm">décharge</a> c’est-à-dire qu’il intervient par procuration, notamment dans les quartiers populaires, en déléguant aux bandits les basses besognes afin de ne pas avoir à répondre de ses actes. Le <a href="https://haitiantimes.com/2020/12/11/us-cherizier-two-ex-government-officials-sanctioned-for-plotting-la-saline-massacre/">massacre perpétré en novembre 2018 à La Saline</a> (commune de Port-au-Prince) est une illustration criante de cette stratégie d’intervention par proxy.</p>
<h2>Retrait de l’État ou État en retrait ?</h2>
<p>Examiner l’État du point de vue de son attitude permet de mieux comprendre le laisser-aller qui est le sien vis-à-vis de la société et de produire une lecture plus nuancée de sa « défaillance ».</p>
<p>Son attitude de retrait et d’indifférence, qui trouve son principe d’explication dans la mise en place d’un gouvernement transnational parallèle <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1846080/haiti-ambassades-core-group-democratie-gouvernement">(Banque mondiale, FMI, ONG, Core Group)</a> et la <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-sociologie-1-2012-1-page-3.htm">redéfinition de la place de l’État dans l’action publique</a> n’est, du moins dans de nombreux cas, qu’une posture adoptée pour faire croire, selon les enjeux du moment, à sa faiblesse structurelle.</p>
<p>Car l’État sait faire preuve d’une grande capacité de négociation lorsque ses intérêts, notamment économiques, sont en jeu comme on a pu le constater dans le cas du projet du <a href="https://journals.openedition.org/cal/3131#ftn1">Parc industriel de Caracol</a> dans le département du Nord-Est, ce fameux projet financé par la Banque interaméricaine de développement (BID) à hauteur de 224 millions de dollars américains et qui devait faire d’Haïti le Taïwan de la Caraïbe.</p>
<p>Si l’État reste en retrait, c’est que l’intérêt général n’est plus sa priorité et qu’il n’a plus intérêt à se penser comme principe organisateur du monde social, même s’il lui arrive, par moments, de mobiliser des stratégies rhétoriques pour faire croire à sa neutralité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/194364/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lukinson Jean ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’État haïtien, souvent présenté comme étant failli, voire inexistant, dispose en réalité de certaines capacités… qu’il n’emploie guère pour promouvoir l’intérêt général.Lukinson Jean, PhD in Social Sciences, GReSCo, Université de Limoges, LADIREP, Professor at the State University of Haiti, Université de LimogesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1877352022-08-07T20:39:47Z2022-08-07T20:39:47ZLes cinq crises du Panama<p>Le Panama se trouve au cœur d’une <a href="https://www.rfi.fr/fr/am%C3%A9riques/20220721-%C3%A0-la-une-crise-sociale-au-panama">crise sociale</a> probablement sans précédent durant l’ère démocratique (commencé en 1990 après l’intervention militaire étasunienne de décembre 1989). Depuis deux semaines, les syndicats de la construction, les communautés autochtones, les producteurs agricoles, les syndicats d’enseignants et des professionnels de santé, les travailleurs du transport, les pêcheurs et d’autres acteurs sociaux ont bloqué des rues dans tout le pays et ont manifesté devant les institutions publiques.</p>
<p>Les raisons immédiates du mécontentement sont les mêmes que dans le reste du continent et du monde : l’augmentation du prix du pétrole et la hausse du prix des produits de première nécessité qu’elle a provoquée. La liste des revendications va des plus conjoncturelles (prix de l’essence, panier alimentaire de base et médicaments) aux <a href="https://suntracspanama.com/wp-content/uploads/2022/05/PLIEGO-DE-PETICIONES-ORGANIZACIONES-POPULARES.pdf">plus structurelles</a> (assurance chômage, réforme fiscale…).</p>
<p>La crise actuelle ne peut guère être une surprise. Le mécontentement des citoyens s’est exprimé à de nombreuses reprises ces derniers mois. En octobre 2019, des étudiants d’universités privées et publiques, ainsi que des membres des mouvements féministes et LGBT panaméens, <a href="https://www.20minutes.fr/monde/2641935-20191101-panama-manifestations-mouvementees-contre-reforme-constitutionnelle">se sont mobilisés</a> pendant des semaines contre des réformes constitutionnelles qui, bien que vues comme nécessaires par la population et promises pendant sa campagne par le président, ne répondaient pas à l’objectif pointé par les sondages d’opinion : <em>défendre les pauvres</em>. Les réformes n’ont finalement pas été adoptées.</p>
<p>Après une pandémie qui a entraîné dans ce pays l’une des <a href="https://www.laestrella.com.pa/nacional/publicando-historia/210916/pandemia-llevo-retos-proximo-siglo#:%7E:text=En%202020%20la%20econom%C3%ADa%20de,y%20restaurantes%2C%20transporte%20y%20otros.">pires récessions</a> du monde (-17,9 %), de nouvelles poches de mécontentement se sont formées, pour des raisons aussi variées que la <a href="https://www.laestrella.com.pa/nacional/210922/210923-democracia-digno-seguridad-social-demandas-sectores-populares">situation précaire de la caisse de sécurité sociale</a>, la montée du chômage ou une <a href="https://journals.openedition.org/ideas/12878">réforme électorale impopulaire</a>.</p>
<p>Le gouvernement de centre droit, élu quelques mois avant la pandémie est en situation de faiblesse : les derniers sondages indiquent qu’à peine 22 % des sondés approuvent la gestion du président, qui a lui-même annoncé qu’il souffrait d’un cancer il y a quelques semaines. Les tentatives de dialogues et les mesures visant à atténuer l’inflation ne semblent pas avoir été suffisantes pour calmer la colère de la population. Les groupes organisés sont déterminés à poursuivre les blocages, tandis que le niveau de tension entre la population et les forces publiques augmente. Car au-delà du prix de l’essence, le pays est embourbé dans cinq crises distinctes.</p>
<h2>1. La crise des inégalités</h2>
<p>Ces dernières décennies, le Panama a connu <a href="https://www.worldbank.org/en/country/panama#:%7E:text=Over%20the%20past%20decade%2C%20Panama,in%202015%20and%202016%2C%20respectively.">l’une des croissances les plus rapides au monde</a>. Au milieu des immenses protestations actuelles, le gouvernement a fièrement annoncé que le Panama était désormais <a href="https://qz.com/1320041/panama-croatia-and-argentina-join-the-world-banks-list-of-high-income-countries/#:%7E:text=For%20the%20first%20time%20ever,more%E2%80%94by%20the%20World%20Bank.">considéré comme un pays à haut revenu</a>. Cependant, cela ne cache pas des inégalités criantes : de ce point de vue, le Panama se classe parmi les cinq pays les <a href="https://elpais.com/internacional/2019/05/02/america/1556790061_709734.html">plus inégaux du monde</a>.</p>
<p>Les <a href="https://www.kas.de/documents/7851262/9778142/Impactos+Econ%C3%B3micos+%E2%80%9CUn+pa%C3%ADs%2C+deux+crises+l%E2%80%99in%C3%A9galit%C3%A9+et+le+Covid-19+au+Panam%C3%A1%E2%80%9D.pdf/0fad9151-d557-ae4a-98d5-18ca135e2fde?version=1.0&t=1605831818385">10 % d’habitants les plus riches représentent 37,3 % du revenu national</a>, soit <a href="https://repositorio.cepal.org/bitstream/handle/11362/46437/1/S2000664_es.pdf">près de treize fois plus que les 40 % les plus pauvres</a>.</p>
<p>La part des salaires dans la production de richesses est passée de <a href="https://cieps.org.pa/salario-minimo-diversidad-de-visiones-limitada-informacion/">50 % du PIB à moins de 30 % en vingt ans</a>. L’écart de richesse entre les citoyens est encore plus marqué. En 2013, 115 millionnaires pesaient 16 000 millions de dollars, tandis que les <a href="https://minerpa.com.pa/ingreso-mensual-promedio-de-los-hogares-por-provincias/">revenus moyens familiaux de la province indigène Gnäbe Buglé s’élevaient à 367 dollars par mois</a>.</p>
<p>La pandémie a <a href="https://documents1.worldbank.org/curated/en/946431626680572263/pdf/Mind-the-Gap-How-Covid-19-is-Increasing-Inequality-in-Latin-America-and-the-Caribbean.pdf">encore aggravé cette situation d’inégalité</a>. 49,5 % des personnes déclarent que leurs revenus ont diminué pendant la pandémie (données de l’enquête du CIEPS des Droits et de la Citoyenneté, 2021) et la plupart des personnes qui ont trouvé un emploi ces derniers mois l’ont fait dans le <a href="https://www.efe.com/efe/america/economia/el-desempleo-baja-a-9-y-la-informalidad-sube-48-2-en-panama/20000011-4838509#:%7E:text=Le%20taux%20de%20ch%C3%B4mage%20est%20de%20la%20Rep%20C3%BAblica%20(CGR).">secteur informel</a>.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/derriere-les-caravanes-de-migrants-damerique-centrale-des-pays-a-bout-de-souffle-107566">Derrière les caravanes de migrants d’Amérique centrale, des pays à bout de souffle</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>De plus, l’inflation actuelle rend la situation particulièrement difficile pour ceux qui ont juste assez pour survivre. Des études antérieures ont montré qu’au Panama, les <a href="https://www.eustat.eus/documentos/opt_0/tema_395/elem_14478/definicion.html">déciles</a> les plus pauvres sont touchés par une <a href="https://publications.iadb.org/publications/spanish/document/Inflaci%C3%B3n_y_distribuci%C3%B3n_del_ingreso_en_Panam%C3%A1_es_es.pdf">inflation plus élevée</a>, en raison de la place centrale qu’occupe l’alimentation dans leur budget, qui est également la catégorie la plus soumise à l’inflation.</p>
<p>Les citoyens ont conscience de ces inégalités. Selon les données de Latinobarómetro, 75,3 % des Panaméens affirment que la répartition des revenus est « injuste » ou « très injuste » et 82,7 % pensent que le pays est gouverné par « quelques groupes puissants pour leur propre bénéfice ».</p>
<h2>2. La crise de la représentativité et de la confiance</h2>
<p>Il existe de <a href="https://cieps.org.pa/wp-content/uploads/2022/03/informe_encuestaCIEPS2021.pdf">sérieux problèmes de confiance</a> envers les institutions panaméennes.</p>
<p>L’Assemblée nationale suscite 84,2 % de méfiance, le gouvernement 77,2 %, le système judiciaire 75,9 % et les partis politiques 87,5 %. Toutefois, les institutions publiques ne sont pas les seules à être confrontées à ce problème. La confiance interpersonnelle est pratiquement inexistante (74,2 % disent ne faire « jamais ou rarement confiance » aux gens). Avec la pandémie, toutes les institutions, tant publiques que privées, ont perdu la confiance des citoyens. Cela explique dans une certaine mesure la difficulté qu’ont eue différents groupes mobilisés à coordonner leurs actions.</p>
<p>[<em>Près de 70 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Il convient de dire un mot de l’Église catholique, qui a été invitée par le président du pays, Laurentino Cortizo, à servir de médiatrice dans le conflit actuel. L’institution religieuse est en effet, comme l’a souligné le président, celle qui bénéficie de la plus grande confiance de la population (70,6 % disent lui faire confiance). Toutefois, ce chiffre cache un tableau plus nuancé : entre le début des années 1990, lorsque l’Église catholique a servi de médiatrice dans tous les pactes et dialogues dans lesquels le projet économique et politique du pays a été conçu, et aujourd’hui, l’Église a perdu 20 points de pourcentage de confiance.</p>
<p>D’une part, il existe aujourd’hui des secteurs de la société qui prônent une plus grande séparation entre l’Église et l’État, et d’autre part, les personnes qui ont le moins accès aux biens et aux services, avec lesquelles l’État cherche à dialoguer avec la médiation de l’Église, sont précisément celles qui disent avoir le moins confiance en l’Église. D’où l’échec initial du dialogue convoqué par le président Laurentino Cortizo avec la médiation de l’Église, ce qui nous amène à la troisième crise.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/eVrg4jEnRyw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Panama : les blocages et manifestations contre la vie chère reprennent • France 24, 19 juillet 2022.</span></figcaption>
</figure>
<h2>3. La crise des systèmes de négociation collective</h2>
<p>Depuis la transition vers la démocratie, le Panama a connu une prolifération de dialogues, de tables rondes et de pactes destinés à jeter les <a href="https://scholarship.rice.edu/bitstream/handle/1911/106081/lai-panama-3-011219.pdf">bases politiques et économiques du pays</a>. Ces mécanismes reflètent une culture politique qui valorise le consensus, mais aussi des institutions démocratiques très faibles qui n’ont pas réussi à canaliser ces échanges. Du fait de cette faiblesse et de choix politiques, le <a href="https://www.academia.edu/45026721/La_pol%C3%ADtica_en_el_discurso_construcciones_discursivas_de_las_%C3%A9lites_pol%C3%ADticas_paname%C3%B1as_en_la_posinvasi%C3%B3n">secteur privé s’est retrouvé au centre de la politique</a>, et la politique économique a été conduite depuis des décennies conformément aux prescriptions libérales classiques des années 1990.</p>
<p>Ces mécanismes ont progressivement perdu de leur sens aux yeux des citoyens. En 2021, les travailleurs syndiqués ont abandonné le dialogue sur la sécurité sociale. Le pacte du bicentenaire, une plate-forme en ligne qui rassemblait les propositions des citoyens, n’a pas réussi à convaincre les gens de son utilité, et les négociations actuelles n’ont pas eu plus de succès. La crise de confiance évoquée plus haut n’est pas étrangère à cette situation, de même que le sentiment des groupes mobilisés d’un dialogue du « moi avec moi », où les pouvoirs politiques et économiques sont de connivence, et où les secteurs populaires sont invités à entériner des décisions qui ont déjà été prises sans eux.</p>
<h2>4. La crise de l’honnêteté</h2>
<p>Le pays est également confronté à une profonde crise de probité.</p>
<p>Deux anciens présidents sont poursuivis dans l’<a href="https://www.occrp.org/en/daily/14510-two-panama-ex-presidents-accused-in-the-odebrecht-corruption-scandal">affaire Odebrecht</a>. Pendant la pandémie, le ministère public a ouvert des procédures pour pas moins de <a href="https://www.prensa.com/impresa/panorama/pocos-avances-en-casos-judiciales-por-mal-uso-de-los-fondos-de-la-pandemia/">18 cas de corruption</a> liés à la gestion de la crise sanitaire ; un scandale impliquant de <a href="https://www.laestrella.com.pa/nacional/210812/informe-senniaf-desvela-casos-paralizados">graves abus dans le système de protection de l’enfance</a> a éclaté ; plusieurs hauts fonctionnaires ont démissionné sans aucune explication ; les salaires des employés du secteur public ont été systématiquement remis en question, en raison de leur caractère souvent clientéliste (en effet, les fonctionnaires sont presque intégralement remplacés à chaque élection par le parti au pouvoir, souvent au profit de militants du parti, voire des membres de la famille du personnel élu) ; etc.-</p>
<p>Cette crise de l’honnêteté n’est pas seulement liée au secteur public. En septembre 2021, l’Union européenne a décidé de maintenir le Panama sur la liste noire des pays qui « ne coopèrent pas en matière fiscale ». Selon le directeur général des recettes, <a href="https://www.ecotvpanama.com/economia/panama-lidera-la-evasion-fiscal-la-region-asegura-dgi-n5571806">l’évasion fiscale représente encore 4 % du PIB</a> du pays.</p>
<p>On estime qu’en dix ans <a href="https://www.laestrella.com.pa/nacional/211003/evasion-tributaria-impacto">environ 35 milliards de dollars</a> ont été soustraits au fisc, en ne tenant compte que de l’impôt sur les personnes morales. Cette crise de probité dans les secteurs publics et privés, couplée à une politique libérale de baisse progressive du taux d’imposition, a conduit à la cinquième crise, celle des ressources publiques.</p>
<h2>5. La crise des ressources publiques</h2>
<p>Outre la corruption et l’évasion fiscale, l’évitement fiscal (à savoir les manœuvres légales pour payer moins ou pas d’impôts) et les politiques d’exonération fiscale ont également contribué à réduire les capacités de l’État à mettre en œuvre des politiques publiques. Les exonérations fiscales sur toutes sortes de biens et d’activités tels que les nouvelles constructions, les transferts d’actions, les yachts, etc. en sont des exemples.</p>
<p>En 2020, le taux de recouvrement de l’impôt n’était que de 13,7 % du PIB (contre 22,9 % en moyenne en Amérique latine), en baisse de plus de 3,5 points par rapport au début des années 1990. La croissance économique permettait de compenser ce déclin progressif, mais la crise économique actuelle a fait reculer la perception des impôts de près de cinq ans.</p>
<p>Dans ce contexte, une loi accordant des crédits d’impôt à hauteur de presque 3 milliards de dollars aux <a href="https://www.revistaconcolon.com/2022/06/30/pearl-island-la-isla-vip-con-trato-preferencial/">projets de tourisme de luxe</a> a été adoptée en juin, ce qui a suscité un fort mécontentement dans l’opinion publique et dans le secteur du tourisme. L’abrogation de cette loi fait partie des revendications de l’un des principaux syndicats actuellement mobilisés dans le pays et a finalement été obtenue au cours des négociations.</p>
<p>La situation est complexe et, compte tenu de ses contraintes budgétaires, le gouvernement ne dispose que d’une faible marge de manœuvre pour négocier avec les manifestants. Jusqu’à présent, les négociations ont porté sur une subvention à l’essence, qui serait payée par des coupes dans le fonctionnement de l’État, en particulier une réduction de 10 % des effectifs de la fonction publique. Cependant, il semble que certaines organisations recherchent des réformes plus structurelles qui pourraient apporter des réponses plus profondes aux cinq crises que nous avons décrites.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/187735/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claire Nevache a reçu des financements du FNRS (Belgique) et du SNI (Panama). </span></em></p>La crise sociale qui secoue le Panama est la somme de cinq crises distinctes. Les contraintes budgétaires laissent une faible marge de manœuvre au gouvernement pour améliorer la situation.Claire Nevache, Doctorante en sciences politiques, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1810872022-05-01T16:45:53Z2022-05-01T16:45:53ZLe trafic d’armes, pierre angulaire de la criminalité au Mexique<p>Andrés Manuel López Obrador (gauche) a été <a href="https://www.france24.com/fr/20180628-mexique-amlo-andres-manuel-lopez-obrador-gauche-favori-presidentielle-morena">élu président du Mexique en 2018</a> à l’issue d’une campagne au cours de laquelle il avait promis à ses concitoyens de réduire significativement la <a href="http://www.scielo.org.co/scielo.php?script=sci_abstract&pid=S0121-51672019000100286&lng=en&nrm=iso&tlng=es">corruption, l’impunité et l’insécurité</a>. Des thèmes correspondant aux préoccupations des Mexicains : en septembre 2017, un sondage avait montré que <a href="https://www.pewresearch.org/global/2017/09/14/mexicans-are-downbeat-about-their-countrys-direction/">84 % d’entre eux considéraient</a> que la criminalité et la corruption étaient les principaux problèmes du pays.</p>
<p>L’une des principales stratégies de lutte contre la corruption et le crime a été résumée dans une phrase fameuse du film <a href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=3690.html"><em>Les Hommes du président</em></a> (1976) (consacré à l’affaire du Watergate), invitant à cesser de se concentrer sur les personnes impliquées en bout de chaîne et, plutôt, à suivre la piste de l’argent : « Follow the money ». Ce phénomène a été étudié dans de nombreux travaux, notamment consacrés aux <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-richesse-cachee-des-nations-gabriel-zucman/9782021375688">paradis fiscaux</a>.</p>
<p>S’inspirant de ce principe, la présente contribution se propose, pour mieux comprendre le <a href="https://urbanviolence.org/the-micro-geopolitics-of-organised-crime/">phénomène de la criminalité au Mexique</a>, de ne pas suivre la piste des criminels, mais des armes, puisque la quantité d’armes en circulation est directement liée à celle des homicides et autres crimes. Dans les faits, il y a plus d’homicides de civils au <a href="http://www.pbs.org/wgbh/frontline/article/the-staggering-death-toll-of-mexicos-drug-war/">Mexique qu’en Afghanistan ou en Irak</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/5-RfBwwYjBM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Mexique : fusils d’assaut et véhicules blindés, la démonstration de force d’un puissant cartel – Le Parisien.</span></figcaption>
</figure>
<h2>L’afflux d’armes achetées aux États-Unis</h2>
<p>En 2010, le Mexique a <a href="http://armsglobe.chromeexperiments.com/">dépensé</a> 47 878 654 USD pour importer des armes à feu militaires, civiles et munitions, dont plus de <a href="https://journals.openedition.org/etudescaribeennes/16805">50 % provenaient des États-Unis (67 % des munitions)</a>. Cela représentait 0,45 % du PIB et, en 2020, le pourcentage passe à près de <a href="https://datos.bancomundial.org/indicador/MS.MIL.XPND.GD.ZS?end=2020&locations=MX&start=2000&view=chart">0,57 %</a>.</p>
<p>Cependant, il existe tout un marché invisible, facilité par les politiques étatsuniennes. Les États-Unis sont les <a href="https://www.sipri.org/media/press-release/2020/new-sipri-data-reveals-scale-chinese-arms-industry">plus grands producteurs d’armes au monde</a>, et le port d’armes y est <a href="https://www.pewresearch.org/fact-tank/2021/09/13/key-facts-about-americans-and-guns/">considéré comme un droit constitutionnel</a>. À l’inverse, le Mexique a des politiques prohibitives sur le port d’armes. Or, il existe une concentration de <a href="https://www.mcclatchydc.com/news/nation-world/world/article24726304.html">magasins d’armes</a> dans les <a href="http://fileserver.idpc.net/library/Informe%20de%20pol%C3%83%C2%ADtica%20del%20IDPC%20Mexico.pdf">États du sud des États-Unis qui bordent le Mexique</a>, bien que de récentes études montrent que ce n’est pas « toute la frontière » qui est concernée, mais plutôt certains <a href="https://www.animalpolitico.com/el-blog-de-causa-en-comun/la-venta-de-armas-en-la-frontera-sur-de-los-eu/"><em>hotspots</em> d’armes</a>. Une proportion importante des armureries étatsuniennes <a href="https://academic.oup.com/joeg/article-abstract/15/2/297/929819">dépend</a> de la demande croissante en provenance du Mexique, et 14 % des armes destinées à entrer illégalement au Mexique sont interceptées par les autorités des deux pays (12 % par les Mexicains et 2 % par les États-Uniens). En d’autres termes, le contrôle des armes à la frontière est totalement inefficace, aussi bien du côté mexicain qu’étatsunien.</p>
<p>L’une des explications de cette inefficacité tient probablement au fait que les deux gouvernements ont élaboré en 2009 une stratégie secrète appelée <a href="https://www.washingtonpost.com/investigations/us-anti-gunrunning-effort-turns-fatally-wrong/2011/07/14/gIQAH5d6YI_story.html">« Fast and furious »</a> visant à arrêter les trafiquants de drogue. Des traceurs avaient été intégrés à cette fin aux armes illégales que les trafiquants achetaient aux États-Unis et avec lesquelles ils traversaient la frontière. Le président mexicain Felipe Calderón (droite, 2006-2012) a ainsi accepté que ces armes à feu entrent au Mexique – et y fassent donc des victimes –, estimant que cela permettrait d’arrêter un certain nombre de narcotrafiquants.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/9PsKUeP-o8g?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le Mexique inculpe sept personnes dans le cadre de la stratégie « Fast and furious » (Fox 10 Phoenix).</span></figcaption>
</figure>
<p>Depuis le <a href="https://www.theguardian.com/news/2016/dec/08/mexico-war-on-drugs-cost-achievements-us-billions">début de la « guerre contre la drogue »</a> en 2007, les groupes trafiquants sont devenus plus violents, se sont multipliés et ont commencé à obtenir des revenus d’autres activités, si bien qu’ils ont pu être qualifiés de <a href="https://www.redalyc.org/pdf/767/76746670008.pdf">« criminels géopolitiques »</a>. Comme l’indique un <a href="https://ioangrillo.substack.com/p/who-is-really-killing-mexican-journalists?s=r">spécialiste de la criminalité organisée au Mexique</a>, les cartels se sont depuis longtemps transformés en réseaux d’affaires organisant de multiples types d’escroqueries : des fraudes financières (blanchiment d’argent ou utilisation de paradis fiscaux) au trafic de personnes (migrants), en passant par le vol de pétrole, l’extorsion de mines d’or, le très rentable trafic de médicaments ou encore, évidemment, le trafic d’armes de gros calibre.</p>
<p>La frontière entre les États-Unis et le Mexique est poreuse pour tout ce qui va vers le sud et hermétique pour tout ce qui va vers le nord. Il est vrai que les réalités sont extrêmement contrastées en termes de <a href="https://www.amazon.fr/Why-Nations-Fail-Origins-Prosperity/dp/1846684307">confiance dans les institutions</a> ou de salaires (5 dollars par jour dans l’une et 7 dollars par heure dans l’autre).</p>
<h2>Un procès qui pourrait changer la donne</h2>
<p>Si l’on replace ce phénomène dans le contexte d’un État mexicain aux faibles capacités ; d’un système judiciaire <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-03503523/document">dysfonctionnel</a> ; d’une société marquée par de <a href="https://journals.openedition.org/etudescaribeennes/21569">grandes inégalités et des conditions de travail épouvantables</a> ; d’une guerre contre la drogue ratée depuis 2007 ; des décennies de présence criminelle ; et de <a href="https://ioangrillo.substack.com/p/who-is-really-killing-mexican-journalists?s=r">l’incapacité de la société dans son ensemble à faire face à ces problèmes</a>, on constate sans surprise que la situation est conforme à ce que de multiples études ont révélé à l’échelle planétaire : les <a href="https://www.jstor.org/stable/10.5749/j.ctt6wr830">cellules criminelles</a> sont entretenues et reproduites par les jeunes de 16 à 24 ans défavorisés sur le plan socio-économique, <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=4057578">et le Mexique ne fait pas exception</a>.</p>
<p>Cependant, depuis son élection en 2018, Andrés Manuel López Obrador n’est pas resté les bras croisés. En août 2021, le gouvernement mexicain, représenté par son ministre des Affaires étrangères Marcelo Ebrard, a intenté à Boston un procès aux fabricants d’armes Smith & Wesson, Beretta, Century Arms, Colt, Glock et Ruger, les <a href="https://www.theguardian.com/world/2011/dec/08/us-guns-mexico-drug-cartels">accusant d’être des facilitateurs d’armes pour les cartels mexicains</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1513799583167836164"}"></div></p>
<p>Un <a href="https://www.gob.mx/sre/documentos/nota-informativa-relaciones-exteriores-no-16">document officiel</a> présenté par le Mexique lors de ce procès affirme qu’entre 70 et 90 % des armes découvertes sur les scènes de crime au Mexique ont fait l’objet d’un trafic illégal depuis les États-Unis et que l’industrie étatsunienne « sait comment fabriquer et vendre des armes pour éviter ce commerce illégal », puisque son propre gouvernement lui a recommandé depuis 2001 de contrôler et de superviser la vente d’armes, ce qu’elle a refusé.</p>
<h2>L’indispensable contrôle de l’industrie américaine de l’armement</h2>
<p>Il est clair que le marché de l’armement des États-Unis a <a href="https://igarape.org.br/en/the-way-of-the-gun-estimating-firearms-traffic-across-the-us-mexico-border/">besoin de la demande mexicaine pour survivre</a>. On estime que <a href="https://www.theguardian.com/world/2021/aug/04/mexico-guns-us-manufacturers-lawsuit">2,5 millions d’armes</a> sont entrées illégalement au Mexique au cours des dix dernières années : le crime organisé mexicain a donc largement contribué à la bonne santé financière de l’industrie étatsunienne des armes pendant cette décennie.</p>
<p>Les deux pays ont évidemment intérêt à ce que leurs citoyens cessent d’être tués par des armes à feu aux mains d’éléments criminels, et donc que ces armes à feu soient nettement plus contrôlées. De fait, <a href="https://edition.cnn.com/2022/02/06/us/mexico-lawsuit-us-gun-manufacturers/index.html">treize États</a> des États-Unis ont soutenu le procès du gouvernement mexicain. Parce qu’elle alimente la violence armée, la politique de commercialisation est selon eux inacceptable, y compris aux États-Unis mêmes.</p>
<p>Réduire ces flux d’armes aurait un impact évident sur le taux d’homicides au Mexique – qui <a href="https://dataunodc.un.org/content/Country-profile ?country=Mexico">atteignait en 2018</a> le scandaleux niveau de 29,1 victimes pour 100 000 habitants –, et aux États-Unis – <a href="https://worldpopulationreview.com/country-rankings/murder-rate-by-country">4,9</a>, parmi le plus élevé des pays du G7. Sans collaboration, aucune politique publique ne pourra réduire efficacement la violence, les inégalités et la criminalité dans ces deux pays.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181087/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jaime Aragon Falomir ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La circulation non contrôlée d’armes à feu, en provenance essentiellement des États-Unis, fait du Mexique un des pays comptant le plus d’homicides volontaires au monde. Comment y remédier ?Jaime Aragon Falomir, Maître de conférences en civilisation latino-américaine, Université des AntillesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1709032021-11-21T16:51:11Z2021-11-21T16:51:11ZMexique : Christophe Colomb est mort, vive la jeune femme d’Amayac !<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/429374/original/file-20211029-27-1hq5hqb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/429374/original/file-20211029-27-1hq5hqb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/429374/original/file-20211029-27-1hq5hqb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/429374/original/file-20211029-27-1hq5hqb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/429374/original/file-20211029-27-1hq5hqb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/429374/original/file-20211029-27-1hq5hqb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1006&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/429374/original/file-20211029-27-1hq5hqb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1006&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/429374/original/file-20211029-27-1hq5hqb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1006&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Aujourd’hui, l’emplacement de la statue est occupé par une figure féminine, poing en l’air, érigée par les collectifs féministes et baptisée l’<em>Antimonumenta</em>. Le piédestal est entouré de plaques de protection sur lesquelles sont inscrits des centaines de noms de femmes assassinées ou de mères dont les enfants ont disparu. Ici les mères des victimes du massacre d’Ayotzinapa, en 2014, qui a coûté la vie à 43 étudiants..</span>
<span class="attribution"><span class="source">A. Exbalin</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Mexico, 12 octobre 2021. Le monument à Christophe Colomb, retiré de son socle il y a un an, sera <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/tanguy-pastureau-maltraite-l-info/tanguy-pastureau-maltraite-l-info-du-mercredi-08-septembre-2021">remplacé</a> par une reproduction d’une statue d’origine olmèque, la Joven de Amayac. Cette annonce de la maire de Mexico, Claudia Sheinbaum, qui appartient au même parti (<a href="https://www.iris-france.org/153789-avec-le-mouvement-de-renovation-nationale-morena-le-mexique-perpetue-la-pinata-politique%E2%80%AF/">Morena</a> gauche) que le président du pays, Andrés Manuel López Obrador, a déchaîné les opinions contradictoires, suscité des réactions hostiles de la part de l’opposition et divisé la communauté des historiens.</p>
<p>Lue dans un premier temps par les médias comme une manifestation du tournant iconoclaste de l’été 2020 à la suite du mouvement nord-américain Black Lives Matter, la nouvelle exige d’être appréhendée dans son contexte national et replacée dans une séquence plus longue. Au Mexique, le monument à Colomb n’a, à vrai dire, jamais fait l’unanimité et il est régulièrement contesté, au moins depuis la fin des années 1980.</p>
<p>La Joven de Amayac est une statue découverte il y a un an par des paysans de la Huastèque dans la région de Veracruz. Avec ses mains jointes sur le ventre, elle représente la déesse Teem de la fertilité et de la terre, à moins qu’elle n’incarne avec sa coiffe, son collier et ses boucles d’oreille, une jeune gouvernante de l’élite locale de la fin du XV<sup>e</sup> siècle. La statue est actuellement présentée au Musée d’Anthropologie et d’Histoire de Mexico pour l’exposition <a href="https://www.gob.mx/cultura/prensa/abre-al-publico-la-exposicion-dual-la-grandeza-de-mexico?idiom=es"><em>La grandeza de México</em></a>. Une reproduction de grande taille (six mètres de hauteur) remplacera le monument à Colomb.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/432235/original/file-20211116-25-1tthrsy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/432235/original/file-20211116-25-1tthrsy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/432235/original/file-20211116-25-1tthrsy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/432235/original/file-20211116-25-1tthrsy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/432235/original/file-20211116-25-1tthrsy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/432235/original/file-20211116-25-1tthrsy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/432235/original/file-20211116-25-1tthrsy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La Joven de Amayac.</span>
<span class="attribution"><span class="source">A. Exbalin</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Un monument à Colomb ou à la colonisation ?</h2>
<p>Le monument à Colomb est situé sur l’axe le plus emblématique de la capitale mexicaine. Le paseo de Reforma est une grande avenue qui va du Centre historique au bois de Chapultepec, résidence de Maximilien d’Autriche lorsqu’il fut porté au pouvoir en 1862 après l’invasion française et qui planifia le tracé de cette promenade de prestige. <em>Reforma</em> concentre aujourd’hui le pouvoir économique, politique et symbolique du pays.</p>
<p>Entre 1870 et 1900, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Porfirio_D%C3%ADaz">Porfirio Diaz</a> mena une politique active d’édification de statues à la gloire de la nation mexicaine, une politique édilitaire dont on retrouve des équivalents à la même époque au Chili sous Manuel Bulnes, au Guatemala sous José María Reyna Barrios mais aussi en Espagne ou en France sous la III<sup>e</sup> République. Le monument à Colomb de Mexico s’inscrit donc dans un ensemble monumental dont la composition n’a cessé d’évoluer depuis sa création au gré des régimes politiques et mémoriels.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/429376/original/file-20211029-23-x4rbgq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/429376/original/file-20211029-23-x4rbgq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/429376/original/file-20211029-23-x4rbgq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=425&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/429376/original/file-20211029-23-x4rbgq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=425&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/429376/original/file-20211029-23-x4rbgq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=425&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/429376/original/file-20211029-23-x4rbgq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=535&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/429376/original/file-20211029-23-x4rbgq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=535&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/429376/original/file-20211029-23-x4rbgq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=535&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Ce plan de la ville est traversé par le Paseo de la Reforma : la retonde du monument à Colomb de 1877 (n° 6) jouxte le monument à Cuauhtémoc de 1887 (n° 5) et la retonde au Caballito (n° 7) où la statue équestre de Charles IV d’Espagne demeura de 1852 à 1977. Références à la monarchie espagnole et au passé préhispanique se mêlaient jusqu’à une date récente sur cette avenue monumentale.</span>
<span class="attribution"><span class="source">INEGI 2015/Google maps</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La statue de Colomb, en bronze, mesure près de quatre mètres de hauteur et repose sur un piédestal de trois mètres. Le « découvreur de l’Amérique » est représenté en pied, sans arme ni armure, le regard et une main tendus vers l’horizon, l’autre main découvrant le voile qui drape un planisphère centré sur l’Amérique. La statue surmonte un groupe de quatre autres statues situées sur un plan inférieur et en position assise. Le monument a donc été conçu comme un dialogue entre ces cinq personnages.</p>
<p>Pedro Gante (1478-1572) fut l’un des treize franciscains débarqués en 1523 dans le Mexique tout juste conquis par Cortés, missionnaire, traducteur inlassable des langues indigènes et auteur de catéchismes en images destinés à évangéliser ceux que l’on appelait alors les Naturels. Bartolomé de Las Casas (1484-1566), plus connu, dominicain, fut d’abord <em>encomendero</em> (propriétaire d’Indiens) à Cuba puis évêque du Chiapas et grand protecteur des Indiens. Diego de Dieza (1443-1523), lui aussi frère dominicain, fut le confesseur et chapelain des Rois Catholiques avant d’être nommé archevêque et Grand Inquisiteur de Castille. S’il n’a jamais foulé le Nouveau Monde, il fut le plus sûr soutien de Colomb auprès d’Isabelle de Castille et de Ferdinand d’Aragon. Enfin, Juan Pérez, franciscain du Couvent de la Rabida en Andalousie où Colomb prit asile avec son fils en 1484, accompagna le navigateur génois lors de son premier voyage.</p>
<p>L’ensemble monumental n’est pas uniquement centré sur le moment de la Découverte ; il inclut également ce qui suit : la conquête « légitime » des terres nouvelles au nom de Dieu et du monarque espagnol, l’évangélisation des natifs et la colonisation.</p>
<p>Éléments de décoration, gestuelle, position des corps et accessoires participent au sein de cet ensemble à un discours politique alors en vogue parmi les élites conservatrices hispanophiles qui plaçaient clairement la nation mexicaine dans la lignée des découvreurs, des conquistadors et des frères évangélisateurs. Ce monument fut pourtant moins le fruit d’une politique nationale que l’œuvre d’un homme d’affaires mexicain alors exilé en France…</p>
<h2>La naissance du Colomb mexicain</h2>
<p>Son nom apparaît comme donateur en bas de la dédicace en latin apposée sur une plaque en bronze. C’est une consécration. Antonio Escandón (1825-1877) est un magnat de l’industrie du chemin de fer. Il fit fortune, devint banquier, acquit la concession de la ligne ferroviaire entre Veracruz et Mexico et se lia, grâce à un mariage opportuniste, à la noblesse de l’ancien régime colonial. Compromis avec le régime de Maximilien, il dut s’exiler en France en 1867, à l’avènement du gouvernement libéral de Benito Juarez. Il entra en grâce sous le premier gouvernement de Porfirio Diaz, qui l’impliqua personnellement dans l’érection du monument.</p>
<p>Le magnat et le président passèrent un contrat : une donation de 60 000 pesos contre la concession d’une nouvelle ligne ferroviaire. Escandón joua un rôle déterminant non seulement dans le financement, mais aussi dans les choix esthétiques et idéologiques du monument. C’est lui qui imposa les quatre statues des religieux au détriment des figures allégoriques des quatre océans initialement prévues. C’est également lui qui décida de confier l’exécution de l’œuvre à un sculpteur français, <a href="https://galerietourbillon.com/biographie-charles-cordier/">Charles Cordier</a>.</p>
<p>Le groupe de statues fut donc fondu à Paris, le corps principal et le piédestal sculptés dans du marbre des Vosges et l’ensemble convoyé en bateau jusqu’à Veracruz en décembre 1875. Le convoi est interrompu à plusieurs reprises par des révoltes indiennes dont on craint qu’ils s’en prennent à la statue. Le Colomb de Cordier met près de 18 mois pour arriver jusqu’à Mexico !</p>
<p>Lorsque le monument fut inauguré en août 1877 en présence de Porfirio Diaz, Antonio Escandón venait de décéder à Paris. Dans le milieu artistique mexicain et les gazettes de l’époque, les réactions au monument furent globalement hostiles : manque d’harmonie dans les formats (les religieux avaient une place démesurée), problèmes de proportions, accusations de plagiat du sculpteur français à partir de modèles conçus au Mexique, etc. Dans la presse, les journalistes fustigeaient une œuvre réalisée par un étranger et l’influence culturelle de la France sur le Porfiriat. Mais durant un siècle, le monument demeura intact, trônant sur la plus belle avenue du Mexique et, chose remarquable, il ne fut jamais inquiété pendant la <a href="https://www.herodote.net/20_novembre_1910-evenement-19101120.php">Révolution mexicaine</a> de 1910.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/429380/original/file-20211029-27-1aapfg9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/429380/original/file-20211029-27-1aapfg9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=447&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/429380/original/file-20211029-27-1aapfg9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=447&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/429380/original/file-20211029-27-1aapfg9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=447&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/429380/original/file-20211029-27-1aapfg9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=561&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/429380/original/file-20211029-27-1aapfg9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=561&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/429380/original/file-20211029-27-1aapfg9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=561&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le 12 octobre 1892, pour le IVᵉ centenaire de la Découverte, Porfirio Diaz inaugurait un autre monument à Colomb situé en face de la gare ferroviaire de Buenavista. Cette statue toujours sur pied, n’a pas été attaquée, ni remise en cause dans l’actualité, du fait de sa situation excentrée et peut-être aussi parce que, contrairement à celle de Reforma, elle n’est pas entourée de personnages liés à la conquête. Photographie de la fin du XIXᵉ siècle.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Collection Villasana-Torres</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Le monument contesté</h2>
<p>Depuis 1928, le 12 octobre, <a href="https://www.persee.fr/doc/mat_0769-3206_1992_num_27_1_410625">Día de la Raza</a>, est au Mexique un jour férié qui célèbre l’arrivée de Colomb et la fusion des races indienne et européenne.</p>
<p>Le 12 octobre 1989, le jour de la Race, des membres de Coordinadora Nacional de Pueblos Indios (CNPI), qui regroupe des communautés indiennes, manifestent et défilent jusqu’au Zocalo (la Place centrale) où, dans une annonce officielle, ils déclinent l’invitation faite par le président Carlos Salinas de Gortari (1988-1994) à participer aux futures commémorations de la Découverte prévues en 1992. Sur le parcours, le délégué politique de la CNPI passe le cordon policier qui protégeait l’édifice, dérobe une gerbe de fleurs déposée en l’honneur du découvreur pour l’offrir à la statue de Cuauhtémoc située sur la même avenue à 200 mètres de là. Cuauhtémoc fut l’empereur qui assura la défense de Mexico pendant le siège de Tenochtitlan en 1521 et dont la statue fut érigée en 1887.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/429377/original/file-20211029-13-151wu7a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/429377/original/file-20211029-13-151wu7a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/429377/original/file-20211029-13-151wu7a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=904&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/429377/original/file-20211029-13-151wu7a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=904&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/429377/original/file-20211029-13-151wu7a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=904&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/429377/original/file-20211029-13-151wu7a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1136&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/429377/original/file-20211029-13-151wu7a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1136&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/429377/original/file-20211029-13-151wu7a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1136&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Le corps principal du monument à Colomb est occupé par quatre autres statues, on voit ici Gante et Las Casas. Sur cette photographie, le monument a été fleuri à l’occasion du Jour de la Race, le 12 octobre 1989. Au premier plan, un jeune homme en béquilles dérobe ostensiblement une couronne de fleurs.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Archives photographiques de El Universal</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Un an plus tard, toujours un 12 octobre, même scénario : cette fois, les gerbes de fleurs furent brûlées. En 1992, lors des <a href="https://www.persee.fr/doc/carav_1147-6753_1992_num_58_1_2492">commémorations du Vᵉ centenaire de la Découverte</a>, des manifestations contre le jour de la Race éclosent en Bolivie, au Chili, au Costa Rica, au Honduras, au Guatemala, etc. <a href="https://www.nytimes.com/1992/10/13/world/indians-in-protest-against-columbus.html">À Mexico</a>, près de 25 000 contre-manifestants partis depuis la Place des Trois Cultures, des groupes d’étudiants, des activistes anarchistes, des organisations indigènes communautaires et des partisans du Parti écologique accrochent à la statue de Colomb un drap blanc sur lequel on pouvait lire : « V<sup>e</sup> centenaire des massacres d’Indiens » et bariolent le monument de graffitis : « Répudiation du conquistador/Respect aux Indiens/Christophe Colomb au poteau d’exécution/Le Mexique ne célèbre pas, il est en deuil/500 ans de résistance indigène ». Les dirigeants du Parti écologique rédigent une demande officielle au gouvernement de la ville pour faire enlever la statue.</p>
<p>Le monument à Colomb de Reforma fut par la suite la cible régulière de dégradations successives commises par des altermondialistes, néo-zapatistes, membres des confréries de danseurs néo-aztèques. En 1994, des manifestants tentèrent à l’aide de cordes d’abattre la statue, en vain : elle était trop lourde.</p>
<p>C’est dans le contexte nouveau d’émergence de groupes féministes en août 2019 que le monument est à nouveau graffé. Les activistes dénoncent le sexisme structurel et les viols commis par les Européens sur les jeunes femmes indigènes depuis la découverte qu’incarne Colomb. La statue est retirée en octobre 2020, officiellement pour restauration, officieusement pour la préserver d’une destruction prochaine annoncée par le mouvement « Nous allons le faire tomber ».</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/429381/original/file-20211029-25-1bh4k1t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/429381/original/file-20211029-25-1bh4k1t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=807&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/429381/original/file-20211029-25-1bh4k1t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=807&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/429381/original/file-20211029-25-1bh4k1t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=807&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/429381/original/file-20211029-25-1bh4k1t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1014&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/429381/original/file-20211029-25-1bh4k1t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1014&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/429381/original/file-20211029-25-1bh4k1t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1014&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">En 1992, pour le Vᵉ centenaire de la Découverte, des étudiants montent sur la statue de Colomb pour y fixer une banderole, « Vᵉ centenaire des massacres d’Indiens ».</span>
<span class="attribution"><span class="source">Archives El Universal</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ces attaques doivent être lues comme des tentatives de réécriture de l’histoire officielle. Les spécialistes de l’histoire de l’iconoclasme, d’<a href="https://www.persee.fr/doc/rhr_0035-1423_1994_num_211_4_10283">Olivier Christin</a> à <a href="https://journals.openedition.org/rh19/7257">Emmanuel Fureix</a> en passant par <a href="https://www.unige.ch/lejournal/numeros/125/article4/">Dario Gamboni</a>, ont montré que ces moments destructeurs correspondaient à des transformations politiques majeures de l’histoire de l’humanité : la Réforme au XVI<sup>e</sup> siècle, la Révolution française ou la chute des régimes communistes qui ont vu des milliers de statues brisées.</p>
<h2>Les réécritures de l’histoire mexicaine en 2021</h2>
<p>Le retrait de la statue de Colomb et des quatre religieux doit finalement être replacé dans le <a href="https://www.lapresse.ca/international/amerique-latine/2021-10-12/le-mexique-reactive-l-indigenisme-d-etat-pour-effacer-toute-trace-de-colomb.php">mandat d’Andrés Manuel López Obrador</a>. Le président du Mexique est l’héritier d’une certaine conception de l’histoire nationale dont les programmes scolaires, les politiques mémorielles et patrimoniales puisent dans l’<a href="https://www.persee.fr/doc/polit_0032-342x_1961_num_26_5_6155">indigénisme</a> des années 1950-1960 : valoriser le passé indigène – quitte à l’embellir et à l’instrumentaliser – et minimiser les apports de la culture européenne trop longtemps survalorisée dans la construction nationale.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/432628/original/file-20211118-25-1wb2xl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/432628/original/file-20211118-25-1wb2xl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=369&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/432628/original/file-20211118-25-1wb2xl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=369&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/432628/original/file-20211118-25-1wb2xl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=369&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/432628/original/file-20211118-25-1wb2xl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=463&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/432628/original/file-20211118-25-1wb2xl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=463&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/432628/original/file-20211118-25-1wb2xl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=463&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Alvarado était un capitaine de Hernan Cortés. L’Avenue du Pont d’Alvarado, en référence à un épisode de la Conquête, a été débaptisée et renommée Avenue Mexico-Tenochtitlan en septembre 2021.</span>
<span class="attribution"><span class="source">A. Exbalin</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le retrait du monument à Colomb n’est qu’une action parmi d’autres qui forment un véritable <a href="https://historia21.org/">programme de commémoration-décommémoration</a>.</p>
<p>Le jour de la Race a été transformé en journée de la Nation Pluriculturelle ; l’Arbre de la Nuit triste sous lequel Cortés aurait pleuré la perte de ses soldats face à la vigueur d’une attaque aztèque en 1520 a été rebaptisé Arbre de la Nuit Victorieuse ; la station de métro de la place centrale où se trouvent la cathédrale, le Palais présidentiel et le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Templo_Mayor">Templo mayor</a> s’appelle désormais Zocalo-Tenochtitlan. Parmi les 15 dates retenues par le gouvernement pour les commémorations du bicentenaire de l’Indépendance en 2021, seront célébrés les sept siècles de fondation de Tenochtitlan et les cinq cents ans de « résistance indigène », un slogan porté par les contre-manifestants de 1992.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/429383/original/file-20211029-13-10h6pgn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/429383/original/file-20211029-13-10h6pgn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/429383/original/file-20211029-13-10h6pgn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/429383/original/file-20211029-13-10h6pgn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/429383/original/file-20211029-13-10h6pgn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/429383/original/file-20211029-13-10h6pgn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/429383/original/file-20211029-13-10h6pgn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">À Buenos Aires, la statue de Colomb qui se trouvait en face du palais présidentiel et qui avait été offerte par la communauté italienne à la Ville en 1921 a été retirée en 2013 sous le gouvernement de Cristina Kirchner et remplacée par la statue d’une guérillera des guerres d’indépendance, Juana Azurduy, originaire de Sucre (Bolivie), don du gouvernement bolivien d’Evo Morales.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Contrairement à nombre de statues de Colomb détruites aux quatre coins du continent pendant l’été 2020, le monument de Mexico survivra. Une fois « restaurée », la statue sera replacée dans le <a href="https://www.forbes.com.mx/confirmado-estatua-de-colon-sera-reubicada-en-el-parque-america-en-polanco/">Parc de l’Amérique à Polanco</a> l’un des quartiers les plus riches, les plus blancs et les plus cosmopolites de la capitale. Y sera-t-elle davantage en sécurité ? Sera-t-elle défendue par le voisinage ? Affaire à suivre…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/170903/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Arnaud Exbalin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Analyse du déboulonnement du monument à Christophe Colomb, qui trônait en plein cœur de Mexico depuis 1877, et de son remplacement par une statue plus « locale ».Arnaud Exbalin, Maître de conférence, histoire, Labex Tepsis – Mondes Américains (EHESS), Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1647282021-07-20T22:59:25Z2021-07-20T22:59:25ZSalvador : le pari à haut risque du président sur le bitcoin<p>Lors du <em>Bitcoin 2021</em>, principale conférence annuelle consacrée aux cryptoactifs réunie les 4 et 5 juin 2021 à Wynwood, un quartier branché de Miami, Nayib Bukele, président du Salvador depuis 2019, a créé la surprise en annonçant dans une vidéoconférence que son pays allait <a href="https://www.nbcmiami.com/news/local/we-own-our-money-its-no-longer-in-centralized-banking-2021-bitcoin-conference-in-miami-is-the-biggest-yet/2466879/">adopter le bitcoin comme monnaie légale</a>. Une décision immédiatement actée par une loi <a href="https://www.letemps.ch/economie/bitcoin-devient-une-monnaie-officielle-salvador">approuvée le 9 juin</a> par 64 parlementaires sur 82. Le 7 septembre, le Salvador sera ainsi le premier pays à s’engager dans cette voie.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/411871/original/file-20210719-21-io700y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/411871/original/file-20210719-21-io700y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/411871/original/file-20210719-21-io700y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=698&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/411871/original/file-20210719-21-io700y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=698&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/411871/original/file-20210719-21-io700y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=698&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/411871/original/file-20210719-21-io700y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=877&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/411871/original/file-20210719-21-io700y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=877&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/411871/original/file-20210719-21-io700y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=877&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.businessinsider.fr/voici-les-etats-qui-interdisent-ou-sopposent-au-bitcoin-dans-le-monde-187885">Statista</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cette annonce a effectivement de quoi surprendre. Tout d’abord, ce qui se passe au Salvador s’inscrit à rebours des décisions d’autres États, et non des moindres, qui non seulement limitent fortement mais interdisent même parfois l’usage du bitcoin en tant que moyen de paiement (comme la Bolivie, le Maroc, l’Algérie, l’Égypte, le Népal et le Bangladesh, l’Indonésie, la Turquie et le Vietnam) ou dans les transactions bancaires (comme la Chine, le Cambodge, le Canada, l’Équateur, le Nigeria, l’Arabie saoudite et la Jordanie).</p>
<p>Ensuite, bien souvent, les pays dont un pourcentage significatif de la population adopte le bitcoin comme moyen de paiement sont soumis à une forte inflation (tels le Liban, le Nigeria ou le Venezuela). Ce n’est en rien la situation du <a href="https://data.worldbank.org/indicator/FP.CPI.TOTL.ZG?locations=SV">Salvador</a>, où la hausse des prix, en rythme annuel, après avoir été négative au second semestre 2020, a été depuis <a href="https://fr.tradingeconomics.com/el-salvador/inflation-cpi">cantonnée au-dessous de 3 %</a>.</p>
<p>En outre, pour ce qui est de l’usage, on peut douter que le Salvador, où l’exclusion bancaire frappe <a href="https://www.lesechos.fr/finance-marches/marches-financiers/le-salvador-veut-adopter-le-bitcoin-comme-monnaie-legale-une-premiere-dans-le-monde-1321365">70 % des habitants</a> et où plus de <a href="https://information.tv5monde.com/info/presidentielle-au-salvador-pauvrete-et-violence-au-coeur-du-scrutin-283306">30 % de la population</a> vit sous le seuil de pauvreté, soit seul capable de créer les conditions techniques d’un usage généralisé du bitcoin et son acceptation sociale.</p>
<h2>La population peu convaincue</h2>
<p>Pour favoriser l’usage de la principale cryptomonnaie, le gouvernement a décidé que celui ou celle qui s’enregistrera sur <a href="https://siecledigital.fr/2021/06/28/salvador-bitcoin-2/">l’app Chivo</a> (un portefeuille électronique) permettant de payer en bitcoin et d’en recevoir, verra son compte crédité l’équivalent de 30 dollars… en bitcoin.</p>
<p>On peut remarquer que ceux et celles qui ouvriront ce compte pourront immédiatement demander sa conversion… en dollars. Peut-être doit-on douter de l’efficacité de la mesure en termes de changement des habitudes de paiement ; mais non de son coût pour les finances publiques… à moins que l’initiative doive être comprise comme une mesure de relance économique par la demande… une sorte de revenu universel via le bitcoin !</p>
<p>D’ailleurs, l’annonce du président n’a pas convaincu : selon la Chambre de Commerce du Salvador, 92 % de plus de 1 600 enquêtés ont déclaré leur <a href="https://coinacademy.fr/bitcoin/bitcoin-au-salvador-airdrop-massif-au-peuple-et-membre-du-congres-recalcitrant/">hostilité à l’acceptation du bitcoin</a> et 93,5 % ont déclaré qu’ils ne voulaient pas être payés en bitcoin, devise qui se distingue par sa <a href="https://theconversation.com/le-cours-du-bitcoin-condamne-a-toujours-plus-de-volatilite-163997">forte volatilité</a>.</p>
<p>Selon une <a href="https://news.chastin.com/le-comite-regional-de-lonu-met-en-garde-contre-les-risques-de-blanchiment-dargent-en-vertu-de-la-loi-bitcoin-au-salvador/">étude</a> menée par le Francisco Citizens Research Center (CEC) à l’Université de Gavidia, 53,5 % des Salvadoriens pensent en outre que les mesures visant à établir le bitcoin comme monnaie légale ne sont « pas du tout correctes » et pour 24 % elles sont juste « un peu correctes ».</p>
<p>Pourquoi le pays se lance-t-il dès lors dans l’inconnu en adoptant la cryptomonnaie comme devise officielle ? L’un des principaux arguments du gouvernement salvadorien est que la mesure vise à <a href="https://www.elfinanciero.com.mx/opinion/isabel-cruz/2021/07/06/el-bitcoin-no-abarata-el-costo-de-transferir-remesas/">réduire le coût des transferts</a> des migrants. En 2019, ils représentaient 20,9 % du PIB dans le principal pays du Sud en matière de transferts des migrants. Ces transferts bénéficient à un million de familles qui reçoivent en moyenne 195 dollars par mois.</p>
<p>Il y a 20 ans, le pays avait d’ailleurs <a href="https://www.letemps.ch/economie/salvador-abandonne-monnaie-profit-dollar">abandonné sa monnaie nationale</a> au profit du dollar américain (comme l’<a href="https://www.letemps.ch/economie/lequateur-abandonne-sucre-profit-dollar">Équateur</a>) en raison de l’importance des <em>remesas</em>, les fonds envoyés par les migrants salvadoriens installés <a href="https://unsacsurledos.com/le-salvador-une-histoire-de-migrations-et-despoirs/">principalement aux États-Unis</a> (en particulier à Washington, Los Angeles, Houston et New York).</p>
<p>Or, ce coût pourrait au contraire <a href="https://www.elfinanciero.com.mx/opinion/isabel-cruz/2021/07/06/el-bitcoin-no-abarata-el-costo-de-transferir-remesas/">doubler voire tripler</a> par rapport aux méthodes traditionnelles d’envoi. Cela tient à ce que l’usage interne du dollar fait qu’à la commission d’envoi (en moyenne 2,85 %, soit la plus basse d’Amérique latine et des Caraïbes et l’une des plus basses au monde) ne s’ajoute aucune commission de change en monnaie nationale vu l’usage interne du dollar. Et la commission de change du dollar en bitcoin est à minima de 5 %.</p>
<h2>L’ombre de la mara salvatrucha</h2>
<p>Selon le gouvernement, l’adoption du bitcoin doit également doper l’économie du pays alors que les dépenses publiques pour l’éducation ont diminué de <a href="https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/SE.XPD.TOTL.GD.ZS?name_desc=true&locations=SV">4,6 % à 3,6 % du PIB</a> depuis 2010… et que les dépenses pour la santé sont tombées de 8,24 % du PIB à 7,1 %.</p>
<p>Encore faut-il pour cela que les infrastructures soient à la hauteur des exigences technologiques pour le fonctionnement d’une cryptomonnaie. Seulement <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/07/04/le-jour-ou-le-salvador-s-est-converti-au-bitcoin_6086923_3234.html">45 % de la population</a> salvadorienne a aujourd’hui accès à Internet et il n’existe dans tout le pays que deux bornes pour changer les bitcoins en dollars ou acquérir des bitcoins contre dollar.</p>
<p>En 2019, El Zonte, une station balnéaire connue sous le nom de <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/07/04/le-jour-ou-le-salvador-s-est-converti-au-bitcoin_6086923_3234.html">Bitcoin beach</a>, avait adopté le bitcoin comme moyen local de paiement. Mais le succès n’a pas été à la hauteur des espérances des promoteurs, notamment en raison d’un accès à Internet très défectueux.</p>
<p>Le gouvernement a toutefois annoncé engager une dépense d’un million de dollars pour <a href="https://www.numerama.com/tech/722634-le-salvador-va-installer-des-distributeurs-adaptes-au-bitcoin.html">l’installation de 1 500 bornes</a> afin de faire face à la demande de change en bitcoins. On peut donc considérer avant tout dans l’immédiat l’annonce de Nayib Bukele, 39 ans, comme un coup de pub pour apparaître branché. Mais il est aussi possible de le soupçonner, comme Washington, d’avoir scellé un pacte avec les gangs locaux.</p>
<p>Le 1<sup>er</sup> juillet, les États-Unis, qui accusent <a href="https://www.aljazeera.com/news/2021/5/18/five-of-salvadoran-presidents-allies-accused-of-corruption-us">cinq proches de Nayib Bukele de corruption</a>, ont ainsi mis en garde le pays contre les risques du bitcoin, s’appuyant notamment sur l’exemple de la cyberattaque et demande de rançon dont venait d’être victime la compagnie pétrolière <a href="https://www.usine-digitale.fr/article/colonial-pipeline-a-accepte-de-verser-une-rancon-de-4-4-millions-de-dollars-aux-cybercriminels.N1094744">Colonial Pipeline</a> quelques semaines plus tôt.</p>
<p>Le Salvador présente en effet un taux de criminalité parmi les plus élevés au monde, hors conflits armés : <a href="https://www.lemonde.fr/big-browser/article/2017/01/13/11-janvier-2017-premiere-journee-sans-meurtres-au-salvador-depuis-deux-ans_5062506_4832693.html">81,2 meurtres pour 100 000 habitants en 2016</a>. Un sombre record, mais un <a href="https://www.lapresse.ca/international/amerique-latine/2020-01-02/salvador-forte-chute-du-nombre-des-homicides-en-2019">chiffre en baisse continue depuis</a>. Le président du Salvador est en effet soupçonné de <a href="https://www.courrierinternational.com/article/criminalite-salvador-le-president-bukele-aurait-aussi-negocie-avec-les-gangs">négocier secrètement</a> avec le principal gang, la <em>mara salvatrucha</em>, qui se livre localement au racket et au trafic de drogue tout en ayant de nombreuses ramifications internationales, pour faire baisser le nombre d’homicides.</p>
<p>C’est ce qui expliquerait l’appui politique dont le président a pu bénéficier lors des dernières <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/03/01/au-salvador-nayib-bukele-revendique-la-victoire-aux-legislatives_6071593_3210.html">élections législatives de février 2021</a> et sa large popularité actuelle dans le pays.</p>
<p>Début juillet, Alicia Bárcena, secrétaire exécutive de la CEPALC, la Commission régionale des Nations unies pour l’Amérique latine et les Caraïbes, a mis en garde le gouvernement du Salvador contre les risques macroéconomiques, financiers et juridiques, mais aussi de <a href="https://journalducoin.com/actualites/onu-met-en-garde-salvador-bitcoin/">blanchiment d’argent</a> que pouvait constituer l’adoption du bitcoin comme monnaie légale. La commission régionale de l’ONU a en particulier souligné qu’aucune analyse technique n’avait été réalisée pour évaluer l’impact de cette adoption du bitcoin.</p>
<p>Quant à la Banque mondiale, elle a <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-eco/la-banque-mondiale-refuse-d-aider-le-salvador-a-adopter-le-bitcoin-20210617">refusé d’apporter l’aide demandée</a> par le pays afin de mettre en place la généralisation de son usage. En réponse à la dénonciation du <a href="https://www.institut-rousseau.fr/le-bitcoin-mirage-monetaire-et-desastre-ecologique/">caractère énergivore du bitcoin</a>, le président a annoncé l’utilisation d’électricité « propre » pour miner le bitcoin dans le pays grâce à la géothermie des volcans. Le pays pourra en effet sans doute rapidement bénéficier du bannissement du bitcoin de Chine, pays qui réalisait jusqu’à ce printemps <a href="https://investir.lesechos.fr/marches/bitcoin-cryptomonnaies/minage-du-bitcoin-ce-qui-se-passe-en-chine-est-pour-nous-une-opportunite-folle-1969085.php">65 % du minage de la cryptomonnaie</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/164728/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Michel Servet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Malgré les réticences de la population et les mises en garde internationales, le pays d’Amérique centrale deviendra le premier à adopter officiellement la cryptomonnaie le 7 septembre prochain.Jean-Michel Servet, Honorary professor, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1641752021-07-08T17:49:48Z2021-07-08T17:49:48ZHaïti : quelles perspectives après l’assassinat du président impopulaire d’un pays exsangue ?<p>Le président d’Haïti Jovenel Moïse a été <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/07/08/l-assassinat-de-jovenel-moise-plonge-haiti-dans-le-chaos_6087504_3210.html">assassiné aux premières heures du matin du 7 juillet 2021</a>, lors d’une attaque à son domicile personnel, près de la capitale Port-au-Prince. Son épouse, Martine Moïse, a été grièvement blessée.</p>
<p>Les assaillants n’ont pas été immédiatement identifiés, même si la police a annoncé quelques heures plus tard avoir <a href="https://www.lepoint.fr/monde/le-president-haitien-assassine-chez-lui-par-un-commando-arme-07-07-2021-2434605_24.php">tué quatre « mercenaires »</a> et arrêté deux autres. Le premier ministre Claude Joseph a <a href="https://haiti24.net/jovenel-moise-assassine-claude-joseph-declare-letat-de-siege-sur-tout-le-pays/">décrété l’état de siège</a> et annoncé qu’il assumait provisoirement le pouvoir. Un retour sur les dernières années de la vie politique haïtienne permet de mieux comprendre comment le pays en est arrivé là.</p>
<h2>Jovenel Moïse, un businessman en politique</h2>
<p>Jovenel Moïse est né en 1968, ce qui signifie qu’il a grandi sous la <a href="https://www.la-croix.com/Actualite/Monde/Les-Duvalier-un-regne-de-30-ans-sur-Haiti-2014-10-05-1216590">dictature des Duvalier</a>. Comme la plupart des Haïtiens d’aujourd’hui, il a vécu une époque turbulente – les dernières décennies ont été marquées non seulement par la dictature mais aussi par des <a href="https://www.aljazeera.com/news/2021/7/7/haitis-turbulent-political-history-a-timeline">coups d’État et une violence généralisée, y compris des assassinats politiques</a>.</p>
<p>Moïse, businessman devenu président, a fait carrière en politique en utilisant les connexions politiques qu’il avait tissées dans le monde des affaires. Il a d’abord investi dans des entreprises liées à l’automobile, principalement dans le nord d’Haïti, où il est né, avant de se consacrer au secteur agricole – un <a href="https://www.economy.com/haiti/indicators">élément majeur de l’économie en Haïti, qui emploie une partie importante de la population</a>.</p>
<p>En 2014, la société de financement agricole de Moïse, Agritrans, <a href="https://www.france24.com/en/20190214-haitis-banana-man-president-under-siege-frozen-crisis">a lancé une bananeraie biologique</a>, en partie grâce à des prêts de l’État. Sa création <a href="https://nacla.org/news/2016/01/22/haiti%E2%80%99s-fraudulent-presidential-frontrunner-seizes-land-his-own-banana-republic">a déplacé des centaines de paysans, qui n’ont reçu que des compensations minimales</a>.</p>
<p>Mais l’entreprise a permis à Moïse de se faire connaître. C’est en tant que célèbre exportateur de bananes que Moïse a rencontré le président haïtien de l’époque, Michel Martelly, en 2014. Bien qu’il n’ait aucune expérience politique, Moïse a été choisi pour <a href="https://www.globalsecurity.org/military/world/haiti/politics-moise.htm">succéder à Martelly lors de l’élection prochaine suivante</a>.</p>
<p>Martelly était <a href="https://www.wlrn.org/show/latin-america-report/2016-01-11/haitis-cursed-presidential-election-is-voting-there-set-up-for-failure">profondément impopulaire à la fin de son mandat</a>, et les dirigeants de son parti, le Parti haïtien Tèt Kale, ont supposé que Moïse serait mieux accueilli en raison de son expérience dans l’agriculture.</p>
<h2>Une présidence divisée et instable</h2>
<p>Moïse a été élu de justesse en novembre 2016 dans une élection à laquelle marquée par un <a href="https://haitiliberte.com/the-record-low-voter-participation-in-haitis-2016-election/">taux de participation inférieur à 12 % des inscrits</a>. Cette maigre victoire est intervenue après deux ans de reports de votes et de <a href="http://worldpolicy.org/2016/03/22/haitis-unending-electoral-transition/">fraudes électorales du gouvernement de Martelly</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/AmKR6p08M_4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>En 2017, première année de mandat de Moïse, le <a href="https://haitiliberte.com/le-rapport-petrocaribe-de-la-commission-senatoriale-speciale-denquete-du-senateur-evalliere-beauplan/">Sénat haïtien a publié un rapport l’accusant</a> d’avoir détourné au moins 700 000 dollars d’argent public appartenant à un fonds de développement des infrastructures appelé PetroCaribe <a href="https://time.com/5609054/haiti-protests-petrocaribe/">vers son entreprise de bananes</a>.</p>
<p>Des manifestants sont descendus en nombre dans les rues en criant « <a href="https://theweek.com/articles/840427/fight-transparency-haiti">Kot Kòb Petwo Karibe a ?</a> » (« Où est l’argent du PetroCaribe ? »).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1039275345491312640"}"></div></p>
<p>Ne bénéficiant pas de la confiance du peuple, Moïse s’est appuyé sur la force pour rester au pouvoir.</p>
<p>Il a créé en Haïti une sorte d’État policier, <a href="https://www.reuters.com/article/us-haiti-military/haitian-army-set-to-make-controversial-return-after-two-decades-idUSKBN1DJ01M">reformant l’armée nationale</a> deux décennies après sa dissolution et <a href="https://cepr.net/whats-in-haitis-new-national-security-decrees-an-intelligence-agency-and-an-expanded-definition-of-terrorism/">établissant un service de renseignement intérieur</a> chargé de surveiller la population.</p>
<p>Depuis le début de l’année dernière, Moïse gouvernait par décret. Il a de facto fermé le Parlement en refusant <a href="https://www.economist.com/the-americas/2020/01/18/jovenel-moise-tries-to-govern-haiti-without-a-parliament">d’organiser les élections législatives qui étaient prévues pour janvier 2020</a> et a sommairement <a href="https://www.miamiherald.com/news/nation-world/world/americas/haiti/article249251975.html">démis tous les maires élus du pays en juillet 2020</a>, à l’expiration de leur mandat.</p>
<p>Le mandat de Moïse a été marqué par des <a href="https://theconversation.com/haiti-protests-summon-spirit-of-the-haitian-revolution-to-condemn-a-president-tainted-by-scandal-126315">protestations récurrentes</a> dénonçant les pénuries de gaz, les pannes d’électricité et l’austérité budgétaire qui a provoqué une <a href="https://www.economist.com/the-americas/2021/02/25/can-haiti-rid-itself-of-jovenel-moise">inflation rapide et une détérioration des conditions de vie</a>, ainsi que par des <a href="http://hrp.law.harvard.edu/wp-content/uploads/2021/04/Killing_With_Impunity-1.pdf">attaques de gangs qui ont fait plusieurs centaines de morts</a>.</p>
<p>Les manifestations de rue se sont multipliées au début de l’année 2021 après que Moïse a refusé d’organiser une élection présidentielle et de <a href="http://www.haiti.org/wp-content/uploads/2020/11/CCI-CONSTITUTION-Note.pdf">se retirer à la fin de son mandat de quatre ans en février</a>. Au lieu de cela, il a affirmé que son mandat prendrait fin un an plus tard, en février 2022, parce que l’élection de 2016 avait été reportée.</p>
<p>Avant sa mort, Moïse prévoyait de <a href="https://www.liberationnews.org/fierce-struggle-resists-u-s-backed-haitian-presidents-power-grab/">modifier la Constitution haïtienne</a> pour renforcer les prérogatives de la présidence et <a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2021-02-03/proposed-changes-to-haiti-s-constitution-may-keep-moise-in-power">prolonger sa présence au pouvoir</a>.</p>
<h2>Moïse, successeur des Duvalier ?</h2>
<p>Pendant les mois précédant l’assassinat de Moïse, des manifestants haïtiens avaient exigé à de multiples reprises sa démission.</p>
<p>Pour bon nombre de ses concitoyens, les décisions non démocratiques prises par Moïse pour renforcer et prolonger son pouvoir rappellent les dictatures de François Duvalier, surnommé « Papa Doc », et de son fils, Jean‑Claude « Baby Doc » Duvalier, qui ont duré trente ans et ont été soutenues par les États-Unis.</p>
<p>Papa Doc et Baby Doc n’ont pas hésité à faire <a href="https://www.sjsu.edu/faculty/watkins/haiti.htm">assassiner</a> et <a href="https://www.latimes.com/archives/la-xpm-1986-02-03-mn-3859-story.html">violeter</a> des Haïtiens pour rester au pouvoir, avec <a href="https://origins.osu.edu/article/pact-devil-united-states-and-fate-modern-haiti/page/0/1">l’approbation tacite des Occidentaux</a>. En travaillant avec les Duvalier, les industriels américains présents en Haïti ont assuré la rentabilité de leurs investissements, obtenant que les salaires locaux <a href="https://theconversation.com/gas-shortages-paralyze-haiti-triggering-protests-against-failing-economy-and-dysfunctional-politics-116337">restent bas et que les conditions de travail restent mauvaises</a>.</p>
<p>Lorsque les protestations des Haïtiens ont mis fin au régime en 1986, Baby Doc a fui le pays. Les Duvalier s’étaient enrichis, laissant leur pays Haïti dans une <a href="https://scholarworks.uvm.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1835&context=graddis">profonde crise économique et sociale</a>.</p>
<p>La Constitution haïtienne de 1987 que Moïse souhaitait modifier a été rédigée peu après leur départ, pour garantir qu’Haïti ne retomberait jamais dans la dictature.</p>
<p>En mars, le département d’État américain a annoncé qu’il soutenait la <a href="https://responsiblestatecraft.org/2021/03/09/the-biden-administration-is-greenlighting-haitis-descent-towards-dictatorship/">décision de Moïse de rester en fonction jusqu’en 2022</a>, afin de donner au pays frappé par la crise le temps d’« élire ses dirigeants et de restaurer les institutions démocratiques d’Haïti ».</p>
<p>Cette position – qui fait écho à celle des organisations internationales dominées par l’Occident qui exercent une influence considérable en Haïti, <a href="https://dyalog.org/refleksyon/2019/2/11/the-core-group-as-a-parasite-on-haitian-sovereignty">comme l’Organisation des États américains</a> – avait quelque peu renforcé la légitimité chancelante de Moïse.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ZPmboxAzzH8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Les Haïtiens mécontents du soutien continu des Américains à leur président aux abois ont organisé de <a href="https://abcnews.go.com/International/wireStory/hundreds-haiti-protest-demand-leaders-resignation-75387503">nombreuses manifestations devant l’ambassade des États-Unis</a> à <a href="https://www.garda.com/crisis24/news-alerts/445921/haiti-activists-to-protest-outside-the-us-embassy-in-port-au-prince-feb-22-24">Port-au-Prince</a>, tandis que des Américains d’origine haïtienne résidant aux États-Unis <a href="https://www.peoplesworld.org/article/solidarity-rallies-call-for-end-to-u-s-backed-dictatorship-in-haiti/">ont manifesté devant l’ambassade d’Haïti à Washington, D.C.</a>.</p>
<p>De l’invasion et l’occupation militaire d’Haïti de 1915 à 1934 jusqu’au soutien fourni au régime Duvalier, les États-Unis ont joué un <a href="https://library.brown.edu/create/modernlatinamerica/chapters/chapter-14-the-united-states-and-latin-america/moments-in-u-s-latin-american-relations/a-history-of-united-states-policy-towards-haiti/">rôle majeur dans la déstabilisation du pays</a>.</p>
<p>Depuis le tremblement de terre dévastateur de 2010, des organisations internationales comme les Nations unies et des organisations à but non lucratif comme la Croix-Rouge américaine sont également <a href="https://theconversation.com/a-decade-after-the-earthquake-haiti-still-struggles-to-recover-129670">très présentes dans le pays</a>.</p>
<p>Aujourd’hui, le président impopulaire que les puissances étrangères ont soutenu dans l’espoir d’obtenir une certaine stabilité politique en Haïti a été tué.</p>
<hr>
<p><em>Cet article est une version substantiellement mise à jour d’un <a href="https://theconversation.com/haitians-protest-their-president-in-english-as-well-as-creole-indicting-us-for-its-role-in-countrys-political-crisis-160154">article</a> publié à l’origine le 10 mai 2021</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/164175/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Tamanisha J. John ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le président Jovenel Moïse, qui vient d’être assassiné, était très contesté depuis le début de son mandat, en 2016.Tamanisha J. John, Ph.D. Candidate of International Relations, Florida International UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1446252020-08-19T18:31:08Z2020-08-19T18:31:08ZAu Mexique, une communauté indigène se coupe du monde pour échapper au Covid-19<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/353666/original/file-20200819-14-fd46kw.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C1%2C916%2C644&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des fermiers zapotèques reviennent de leur « milpa ». Ces parcelles de jardin fournissent une grande partie de la nourriture des communautés, à Oaxaca, au Mexique. </span> <span class="attribution"><span class="source">Jeffrey H. Cohen</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Alors que le <a href="https://www.aljazeera.com/programmes/specialseries/2020/07/frontline-mexico-fight-covid-19-200723100729057.html">Mexique paie un lourd tribut au coronavirus</a>, certaines communautés indigènes de l’État du Oaxaca, dans le sud du pays, font preuve d’une grande créativité pour faire face à l’épidémie.</p>
<p>Le Oaxaca, <a href="https://politica.expansion.mx/mexico/2019/08/06/chiapas-guerrero-y-oaxaca-los-estados-con-mas-pobreza-en-mexico">l’un des États les plus pauvres du Mexique</a> et le plus diversifié sur le plan ethnique, abrite de nombreuses communautés indigènes, dont le peuple zapotèque. J’ai passé de nombreuses années dans les vallées centrales du Oaxaca à mener des recherches anthropologiques dans les villages zapotèques ruraux, à <a href="https://utpress.utexas.edu/books/cohcoo">documenter la vie des gens</a>, leurs <a href="https://www.jstor.org/stable/10.7560/705708">modèles de migration</a> et leur <a href="https://scholar.google.com/citations?user=e7tYdvkAAAAJ&hl=en">culture alimentaire</a>.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/350647/original/file-20200731-14-how2n2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Le Oaxaca sur la carte du Mexique" src="https://images.theconversation.com/files/350647/original/file-20200731-14-how2n2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/350647/original/file-20200731-14-how2n2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=391&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/350647/original/file-20200731-14-how2n2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=391&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/350647/original/file-20200731-14-how2n2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=391&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/350647/original/file-20200731-14-how2n2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=491&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/350647/original/file-20200731-14-how2n2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=491&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/350647/original/file-20200731-14-how2n2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=491&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Le Oaxaca.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Oaxaca_in_Mexico.svg">TUBS/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les recherches que j’avais prévu d’effectuer cet été dans le Oaxaca ont été annulées en raison de la pandémie. J’ai tout de même été informé, de loin, de la façon dont les Zapotèques affrontent le coronavirus alors même que leur existence était déjà rendue compliquée par des facteurs tels que la <a href="https://www.gob.mx/cms/uploads/attachment/file/348121/Violencia_de_G_nero_Contra_Mujeres_en_Zonas_Ind_genas_en_M_xico.pdf">pauvreté chronique</a>, un faible accès aux soins de santé, un Internet limité, les <a href="https://www.reuters.com/article/us-health-coronavirus-mexico-indigenous/language-barriers-social-distancing-mexicos-indigenous-face-coronavirus-idUSKBN21M03L">barrières linguistiques</a> et le manque d’eau courante.</p>
<p>En échangeant avec des collègues de <a href="http://utvco.edu.mx/">l’Universidad Tecnológica de los Valles Centrales du Oaxaca</a> et en parcourant les ressources médiatiques en ligne, j’ai pu constater que les Zapotèques résistent à la pandémie en faisant ce qu’ils ont toujours fait lorsque le gouvernement mexicain ne peut pas ou ne veut pas les aider : s’appuyer sur les traditions indigènes locales de coopération, d’autonomie et d’isolement.</p>
<p>Pour l’instant, cette approche semble couronnée de succès. Alors que le nombre de contaminations et de décès <a href="https://www.aljazeera.com/news/2020/08/coronavirus-cases-deaths-rise-brazil-mexico-200810071724113.html">augmente sans cesse au Mexique</a>, de nombreuses communautés indigènes du Oaxaca demeurent largement épargnées par le coronavirus. Le village indigène mixtèque de Santos Reyes Yucuná a par exemple signalé sa <a href="https://wearemitu.com/things-that-matter/the-coronavirus-is-starting-to-hit-mexicos-poorest-communities-and-the-results-could-be-devastating/">première infection le 17 juillet</a>, quatre mois après l’arrivée du Covid-19 au Mexique.</p>
<h2>Les stratégies de survie des peuples indigènes</h2>
<p><a href="https://nacla.org/news/2019/05/30/coast-oaxaca-afro-and-indigenous-tribes-fight-water-autonomy">La coopération</a> est la pierre angulaire de la vie des Zapotèques au Oaxaca. La longue histoire de leur <a href="https://theconversation.com/study-reveals-racial-inequality-in-mexico-disproving-its-race-blind-rhetoric-87661">exclusion sociale</a> par le gouvernement fédéral incite les Zapotèques <a href="https://news.trust.org/item/20200417171219-xdsy2">à ne pas compter sur les politiciens</a> pour les sauver.</p>
<p>Les gens travaillent ensemble dès leur plus jeune âge, en se regroupant en « tequio », ou brigades de travail communales, pour réaliser des projets qui peuvent aller de la peinture des murs d’une école à la réparation d’un réseau électrique. Les individus, leurs familles et leurs amis collaborent régulièrement pour faire en sorte que les petits travaux soient réalisés rapidement et que les gros travaux paraissent moins accablants.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Une femme prépare de la farine de maïs pour des tortillas" src="https://images.theconversation.com/files/350724/original/file-20200802-17-1faxfay.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/350724/original/file-20200802-17-1faxfay.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=389&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/350724/original/file-20200802-17-1faxfay.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=389&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/350724/original/file-20200802-17-1faxfay.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=389&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/350724/original/file-20200802-17-1faxfay.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=489&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/350724/original/file-20200802-17-1faxfay.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=489&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/350724/original/file-20200802-17-1faxfay.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=489&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Une femme zapotèque fabrique des tamales à partir de maïs cultivé localement.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Jeffrey H. Cohen</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les Zapotèques sont également relativement isolés de la société mexicaine au sens large, <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/distributed/M/bo20850757.html">comme le montrent mes recherches</a>. Ils cultivent de la nourriture dans leurs « milpas », ou parcelles de jardin, en complément de la nourriture achetée dans les magasins, et assurent la sécurité de leurs propres communautés avec des volontaires appelés « topiles ». Faisant profondément confiance à leur communauté et forts d’une histoire d’autonomie antérieure à la conquête espagnole, les Zapotèques qui continuent de vivre dans les campagnes du Oaxaca n’ont pas besoin de beaucoup d’échangent entre leurs villages et le monde extérieur, et cherchent dans la mesure du possible à réduire ces interactions.</p>
<p>Ces trois aspects de la culture zapotèque traditionnelle – coopération, isolement et autonomie – sont tous utiles en cas de pandémie.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/350064/original/file-20200729-27-b9kc6s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/350064/original/file-20200729-27-b9kc6s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/350064/original/file-20200729-27-b9kc6s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=735&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/350064/original/file-20200729-27-b9kc6s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=735&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/350064/original/file-20200729-27-b9kc6s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=735&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/350064/original/file-20200729-27-b9kc6s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=924&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/350064/original/file-20200729-27-b9kc6s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=924&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/350064/original/file-20200729-27-b9kc6s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=924&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Chapulines sur un marché.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Jeffrey H. Cohen</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Selon la chercheuse <a href="https://utvco.academia.edu/NydiaDehliMataSanchez">M.C. Nydia Sanchez</a> de l’Universidad Tecnológica de Oaxaca, les familles zapotèques partagent des ressources rares comme la nourriture, l’information, l’eau et les masques faciaux dans le cadre de ce qu’on appelle la « guelaguetza », à savoir la pratique du travail en commun et du don de cadeaux.</p>
<p>En cette période où la <a href="https://www.animalpolitico.com/blog-invitado/covid-19-y-las-cadenas-de-suministro-de-alimentos/">chaîne d’approvisionnement alimentaire du Mexique est sous pression</a>, les villageois s’assurent que personne ne souffre de la faim en augmentant leur récolte de « maiz », le maïs utilisé pour faire des tortillas.</p>
<p>Les « chapulines » – des sauterelles récoltées dans les champs et rapidement grillées sur un feu – reviennent sur les tables : elles représentent une alternative riche en protéines à la viande achetée en magasin, qui est chère et qui, souvent, n’est plus disponible localement.</p>
<h2>La règle du consensus</h2>
<p>Toutefois, la nature très soudée des communautés zapotèques est également susceptible de compliquer la mise en œuvre de certaines mesures essentielles visant à limiter l’exposition des résidents à l’infection.</p>
<p>Dans ces petits villages de quelques milliers d’âmes au maximum, tout le monde se connaît, et les Zapotèques passent généralement une grande partie de leur journée en famille et entre amis. Cela peut rendre difficile le maintien de la distanciation sociale recommandée par les <a href="https://www.youtube.com/watch?v=pD6t62pv11Y">responsables nationaux de la santé</a>.</p>
<p>« Il est difficile de ne plus se saluer comme avant dans la rue, car nous y sommes habitués », a reconnu un Zapotèque du nom de José Abel Bautista Gonzalez <a href="https://www.reuters.com/article/us-health-coronavirus-mexico-indigenous/language-barriers-social-distancing-mexicos-indigenous-face-coronavirus-idUSKBN21M03L">interrogé par Reuters en avril</a>. « C’est une tradition, c’est la culture du peuple ».</p>
<p>Plutôt que de fermer leurs portes à leur famille et leurs amis, les Zapotèques cherchent donc à empêcher le Covid-19 à arriver jusqu’à eux.</p>
<p>Dans la majeure partie du Oaxaca, les villageois construisent des barricades faites de chaînes, de pierres et de bouts de bois pour bloquer physiquement l’accès à leurs communautés, qui ne sont généralement desservies que par une seule route. De nombreux villages se retrouvent ainsi de fait mis en quarantaine de la société.</p>
<p>« Nous avons décidé de mettre en place ces barrières afin que les visiteurs et les étrangers ne puissent pas entrer », a déclaré José Manzano, de San Isidro del Palmar, <a href="https://globalpressjournal.com/americas/mexico/mexicos-coast-communities-unite-keep-coronavirus/">au <em>Global Press Journal</em> le 28 juin</a>].</p>
<p>Ces décisions, comme la plupart des mesures prises par les Zapotèques, <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0010414019857094">reposent sur un consensus communautaire</a>, et non sur les ordres d’un dirigeant politique local ou national.</p>
<h2>Un futur incertain</h2>
<p>Il est malgré tout peu probable que les communautés indigènes mexicaines échappent à la pandémie.</p>
<p>Mexico est en train de <a href="https://www.brookings.edu/blog/order-from-chaos/2020/03/30/amlos-feeble-response-to-covid-19-in-mexico/">perdre sa bataille</a> contre les effets économiques du coronavirus : des emplois disparaissent et les experts prédisent que l’économie nationale pourrait connaître une <a href="https://www.csis.org/analysis/covid-19-pandemic-threatens-mexicos-economy">contraction de 8 % cette année</a>. Le tourisme, moteur de l’économie mexicaine, <a href="https://www.spokesman.com/stories/2020/jul/18/tourism-will-be-key-to-recovery-for-oaxaca-post-co/">s’est arrêté</a>.</p>
<p>Le pays s’attend à subir une longue récession qui, selon les experts, aura un impact disproportionné sur les pauvres des zones rurales, lesquels risquent de connaître la faim. L’<a href="https://www.coneval.org.mx/SalaPrensa/Comunicadosprensa/Documents/2020/Comunicado_06_POLIITICA_SOCIAL_EN_CONTEXTO_Covid_19.pdf">Agence de développement social du Mexique</a> estime que <a href="https://www.npr.org/2020/07/30/895698797/if-coronavirus-doesn-t-kill-me-hunger-will-mexico-s-poor-bear-brunt-of-pandemic">jusqu’à 10 millions de personnes pourraient tomber dans l’extrême pauvreté</a>, ce qui mettrait fin à une décennie de réduction de la pauvreté dans le pays].</p>
<p>Et si le coronavirus finit par s’introduire dans les communautés zapotèques, les habitants seront sans doute <a href="https://www.telesurenglish.net/news/-mexico-chiapas-natives-vulnerable-to-covid19-20200403-0005.html">durement frappés</a>. Leurs villages manquent d’eau courante, de distanciation sociale, d’approvisionnement en masques et des soins de santé nécessaires pour ralentir la propagation de la maladie.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/350727/original/file-20200802-17-fwk79p.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/350727/original/file-20200802-17-fwk79p.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/350727/original/file-20200802-17-fwk79p.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/350727/original/file-20200802-17-fwk79p.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/350727/original/file-20200802-17-fwk79p.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/350727/original/file-20200802-17-fwk79p.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/350727/original/file-20200802-17-fwk79p.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Une campagne de prévention contre le choléra pour une eau potable propre dans le Oaxaca.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Jeffrey H. Cohen</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le manque d’eau potable augmente en outre le risque que des problèmes intestinaux comme le choléra, parmi <a href="https://www.healthaffairs.org/doi/full/10.1377/hlthaff.21.3.47">d’autres problèmes de santé courants</a> chez les populations indigènes rurales, exacerbent les effets du Covid-19.</p>
<p>Le <a href="https://siete24.mx/mexico/estados/desde-hace-diez-anos-51-hospitales-y-dos-autopistas-estan-en-construccion-en-oaxaca/">gouvernement mexicain s’est engagé</a> à construire davantage d’hôpitaux ruraux, y compris dans l’Oaxaca. Mais le virus se déplace plus vite que les équipes de construction. Les Zapotèques le savent, ils doivent toujours <a href="https://oaxaca.eluniversal.com.mx/municipios/30-07-2020/en-estos-municipios-zapotecas-la-organizacion-comunitaria-mantiene-raya-la">compter avant tout sur eux-mêmes</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/144625/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jeffrey H. Cohen a reçu des financements de la National Science Foundation. Il a été Senior Fulbright scholar au Mexique et ses travaux antérieurs ont été soutenus par la National Geographic Society ainsi que par l'université d'État de l'Ohio.
</span></em></p>Les Zapotèques du sud du Mexique, communauté qui se caractérise par une forte solidarité interne, ont décidé de pratiquement se couper du monde pour échapper à l’épidémie.Jeffrey H. Cohen, Professor of Anthropology, The Ohio State UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1376682020-05-10T21:44:19Z2020-05-10T21:44:19ZRaptivisme : en Amérique latine, le rap vecteur des combats féministes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/332851/original/file-20200505-83764-12igls3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=58%2C24%2C1937%2C1324&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La rappeuse chilienne Ana Tijoux lors du festival Lollapalooza en 2014 au Chili.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/canchageneral/13673768023">Cancha General/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le 9 mars dernier, à la suite des Espagnoles, les femmes mexicaines se sont mises en grève générale. Elles ont cessé toute activité et ont déserté leurs lieux de travail, l’école et l’Université, les commerces ou la maison. Une nouvelle fois, la musique s’est imposée dans ce mouvement féministe de grande ampleur : sur le Zócalo, l’immense place du centre historique de Mexico qu’elles ont occupée, résonnait ce jour-là le titre <a href="https://www.youtube.com/watch?v=-UgyLRjz3Oc">Canción sin miedo</a> (Chanson sans peur) de la chanteuse mexicaine Vivir Quintana.</p>
<p>Quelques mois plus tôt, en novembre 2019, la <a href="https://theconversation.com/the-rapist-is-you-why-a-viral-latin-american-feminist-anthem-spread-around-the-world-128488">performance « El violador eres tú »</a> (le violeur, c’est toi) du collectif de Valparaíso <a href="https://www.youtube.com/watch?v=yJGE9zqgna8&vl=fr">Las Tesis</a> inondait toutes les rues et places du Chili avant de gagner le monde entier.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/CVa9O2HRtyE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Les féministes haussent le ton pour se faire entendre et, partout, la musique et la chanson accompagnent ces mouvements sociaux. Elles amplifient les voix des militantes, les portent au-delà des espaces traditionnels et les rendent populaires notamment auprès de la jeunesse.</p>
<p>L’actuelle révolution féministe en marche dans les pays latino-américains et en Espagne met en avant l’idée de visibiliser par des performances les revendications des femmes à disposer librement de son corps, et d’engager ce dernier, y compris la voix, dans ces combats.</p>
<p>Il s’agit d’une réactivation des propos célèbres de la militante anarchiste féministe Emma Goldman (1869-1940), « À quoi sert une révolution si je ne peux pas danser ? », traduits en espagnol par « <a href="http://ladobleefe.blogspot.com/2013/05/si-no-puedo-perrear-no-es-mi-revolucion.html">Si no puedo bailar/perrear (façon de danser propre au reggaeton), no es mi revolución</a> ». Et d’une façon de se réapproprier à la fois son corps, sa voix et des genres musicaux communément considérés comme machistes.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/VLLyzqkH6cs?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Vivir Quintana – Canción sin miedo ft. El Palomar.</span></figcaption>
</figure>
<h2>L’Amérique latine, moteur des luttes féministes</h2>
<p>En Amérique latine, les luttes féministes sont pionnières dans de nombreux domaines. Elles constituent actuellement un moteur mondial dans les luttes contre les violences de genre mais également contre les violences économiques et sociales, de classe et de race, et contre l’exploitation forcenée des ressources naturelles.</p>
<p>On peut citer des mouvements militants comme « Ni una menos » (Pas une de moins) né en Argentine contre les violences faites aux femmes ou des collectifs comme Mujeres Creando (Femmes qui créent), né en Bolivie. Mais également des mouvements pratiques et théoriques comme le féminisme communautaire ou décolonial, par exemple.</p>
<p>Le rap s’est imposé dans la région comme l’une des principales musiques porteuses de ces valeurs féministes. Cela ne devrait d’ailleurs en rien nous surprendre. Loin de se réduire aux textes et images véhiculés par l’une de ses branches les plus commerciales, le gangsta rap, ce genre est en réalité « la musique la plus inclusive » <a href="https://www.revue-ballast.fr/rencontre-madame-rap/">comme le rappelle Madame Rap</a>.</p>
<h2>Un genre musical contestataire</h2>
<p>Le rap féministe que l’on peut entendre en Amérique latine s’inscrit pleinement dans l’esprit d’origine du hip hop. Ce mouvement culturel qui regroupe plusieurs expressions artistiques comme le rap, le break dance, le graffiti et la conception du beat (le rythme) est né à New York dans les années 1970 au sein de communautés afro-américaines désireuses de mettre en avant la non-violence et l’inclusion, et de dénoncer les discriminations socio-économiques.</p>
<p>C’est ce terreau qui a alimenté et alimente encore ce rap que l’on peut qualifier d’engagé, au même titre que l’était la chanson engagée des années 1960 et 1970 en relayant des idéaux de justice et d’égalité sociales.</p>
<p>Par sa structure, cette musique offre de larges plages de textes, qu’un beat plus ou moins travaillé vient soutenir. C’est ce qui séduit des artistes pour qui le texte est fondamental et qui reprennent le flambeau du rap contestataire des origines.</p>
<h2>Les femcees, femmes et artistes autonomes</h2>
<p>Les rappeuses latino-américaines sont si nombreuses qu’on ne peut pas toutes les citer. Parmi les premières à avoir émergé sur la scène hip hop latino-américaine, parfois dans des conditions très artisanales et surtout hors des circuits commerciaux traditionnels de l’industrie musicale, on peut citer Rebeca Lane (Guatemala), Ana Tijoux (Chili), Mare Advertencia Lírika (Mexique), Caye Cayejera (Equateur), les Krudas Cubensi (Cuba), entre autres.</p>
<p>Ce n’est qu’un très faible échantillon de toutes les <em>femcees</em> (contraction de female et MC, master of ceremony) qui existent du Nord au Sud du continent.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/332848/original/file-20200505-83725-1qum2zz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/332848/original/file-20200505-83725-1qum2zz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/332848/original/file-20200505-83725-1qum2zz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/332848/original/file-20200505-83725-1qum2zz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/332848/original/file-20200505-83725-1qum2zz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/332848/original/file-20200505-83725-1qum2zz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/332848/original/file-20200505-83725-1qum2zz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La rappeuse mexicaine Mare Advertencia Lírika.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/culturacdmx/28689009047/in/photostream/">Secretaría de Cultura Ciudad de México</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Elles ont pour particularité d’affirmer et de revendiquer leur autonomie, aussi bien en tant que femmes qu’en tant qu’artistes. Le rap est à la fois une caisse de résonance de leur militantisme et de leurs pratiques féministes, mais aussi un laboratoire de féminismes en action.</p>
<h2>Un rap autogéré et collaboratif</h2>
<p>Souvent écartées des scènes et des affiches consacrées, elles se sont retrouvées dès le départ en marge des circuits traditionnels du rap dans leurs pays respectifs.</p>
<p>C’est pourquoi elles ont rapidement développé des pratiques auto-gérées, en s’appuyant sur des financements participatifs, en décloisonnant les espaces et les activités, en partageant leur travail, leurs réflexions et leurs engagements sur les réseaux sociaux et en proposant des ateliers où se mêlent écriture, chant, pratiques d’<em>empowerment</em> ou retours sur des expériences de vie en espace non mixte.</p>
<p>Pratiques artistiques et militantisme se confondent et toutes ne l’envisagent pas de la même façon. La rappeuse costaricienne Nakury, qui vient de l’univers du graffiti et du breakdance, a par exemple dénoncé les pratiques de combats d’improvisation ou <em>battle</em> de rap (<a href="https://www.france24.com/fr/20171121-battle-rap-concours-eloquence-tous-moyens-sont-bons-reprendre-parole">concours d’éloquence entre rappeur.ses</a>.), estimant que ces compétitions ne correspondaient pas à l’esprit de partage horizontal et sororal qu’elle entendait privilégier avec ses consœurs du collectif « Somos Guerreras » (Nous sommes des guerrières).</p>
<p>Parmi ces dernières, Rebeca Lane est une <em>femcee</em> poète guatémaltèque qui se revendique « raptiviste ». Elle fait de son art un activisme en faveur de différentes causes qui lui tiennent à cœur, parmi lesquelles les <a href="https://www.youtube.com/watch?v=VbQ_yOlzWTs">violences faites aux femmes</a>, la mémoire du conflit armé guatémaltèque ou les problématiques écologiques et racistes au Guatemala.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/VbQ_yOlzWTs?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Ni una menos – Rebeca Lane (Video Oficial).</span></figcaption>
</figure>
<p>Ces artistes mettent en place de nombreuses collaborations, continentales ou transatlantiques : le collectif mexicain <em>Batallones femeninos</em> a collaboré avec Ana Tijoux (Chili), avec Rebeca Lane, avec Miss Bolivia (Argentine), avec Mare et les Krudas Cubensi (Cuba). Cette quête de sororité peut aussi donner lieu à des albums, comme <em>Femcees, Flow Feminista</em> (2014), qui regroupe des rappeuses espagnoles et latino-américaines, financé par crowdfunding et dont les bénéfices ont été versés à différents groupes et associations féministes d’Espagne, d’Amérique latine et de la Caraïbe.</p>
<h2>Revendications imbriquées</h2>
<p>Ces <em>femcees</em> viennent de différents horizons sociaux. Certaines sont passées par l’université (Rebeca Lane est sociologue de formation, Audry Funk philosophe), d’autres sont issues de milieux plus populaires qui ne leur ont pas permis de faire des études supérieures, comme Mare Advertencia Lírika qui vient d’une communauté zapotèque du Sud du Mexique et a grandi dans des conditions très précaires.</p>
<p>Certaines chantent aussi dans les langues autochtones comme le quechua (la Mafia Andina, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=VQUrV_v7OK8">Renata Flores</a>), l’aymara (la rappeuse indigéniste Nina Uma) ou le mazahua, une langue otomie du Mexique (<a href="https://www.youtube.com/watch?v=hZFRKROrncY">Za Hash</a>), reprenant des rythmes plus locaux (la cumbia, par exemple) ou des instruments traditionnellement associés à d’autres genres musicaux (le violon de la musique andine).</p>
<p>Plusieurs activismes s’imbriquent comme chez les <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Mlzf9BPHZYo">Krudas Cubensi</a>, un duo de rappeuses cubaines qui vivent aujourd’hui aux États-Unis et qui se revendiquent queers, vegans et afro-féministes. L’Équatorienne Caye Cayejera chante un rap qu’elle veut transféministe et lesbo-féministe mais vient aussi relayer, avec les artistes Black Mama, M. Ankayli, Taki Amaru et DJ MIC, les <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Eaz_r8fDdgw">combats du peuple Shuar</a> contre les grandes compagnies minières intéressées par leur territoire, en chantant dans leur langue et aux côtés de femmes shuars engagées dans ce combat.</p>
<p>Ces rappeuses ont donc réussi leur pari de monter sur scène et d’ouvrir la voie et la voix à d’autres femmes trouvant dans le rap un <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2018-4-page-83.htm?contenu=resume">espace d’expression et d’autonomisation</a>. En prenant le micro, elles prennent le pouvoir, elles incarnent leur agentivité, c’est-à-dire leur faculté à être et à agir sur le monde en l’influençant : elles invoquent le corps et la voix des femmes dans leurs textes tout en l’incarnant sur scène.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/137668/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lise Segas ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Moteur des combats féministes, l’Amérique latine a vu émerger au cours des dernières années un large mouvement de rap engagé.Lise Segas, Maîtresse de conférences en littérature et culture latino-américaines, Université Bordeaux MontaigneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1371212020-04-27T17:48:11Z2020-04-27T17:48:11ZVirus, religion et politique : Dieu appelé au secours de l’Amérique latine<p>Si la propagation du virus Covid-19 est mondiale, les discours politiques, médiatiques et religieux concernant la pandémie diffèrent selon les régions du globe. En Amérique latine, la croyance religieuse est régulièrement présentée comme une réponse au virus, non seulement par les Églises (évangéliques et catholiques conservatrices) mais également par les forces politiques.</p>
<p>Au cours des dernières semaines, les discours de dirigeants en appelant à Dieu pour contrer le Covid-19 se sont multipliés dans l’ensemble de la région. Un phénomène qui rappelle non seulement la relation ambiguë entre le pouvoir politique et la religion sur le sous-continent, mais reflète également l’incapacité des États latino-américains à apporter des réponses concrètes à cette crise.</p>
<p>La pandémie ne vient qu’aggraver les conditions de vie dans cette région marquée par de fortes inégalités sociales, où l’État-providence reste insuffisant et l’accès à l’information plurielle et de « qualité » déficiente – notamment en raison du monopole médiatique à différents niveaux selon les pays.</p>
<h2>Du Guatemala au Brésil, Dieu appelé au secours</h2>
<p>À la mi-mars, le président guatémaltèque Alejandro Giammattei demandait sur la chaîne de télévision nationale au peuple de s’unir pour une <a href="https://republica.gt/2020/03/21/giammattei-llama-a-la-unidad-y-ayuno-contra-el-covid-19/">journée de prière et de jeûne</a> face à la pandémie du Covid-19, en implorant la bénédiction de Dieu pour le pays. Même scénario au Honduras, où le <a href="https://www.presidencia.gob.hn/index.php/gob/el-presidente/7021-presidente-hernandez-e-iglesias-catolica-y-evangelica-invitan-a-jornada-de-ayuno-y-oracion-para-afrontar-el-coronavirus">président Juan Orlando Hernández</a> a invité – en direct à la télévision nationale du Honduras (TNH) et à partir de sa page Facebook – ses concitoyens à jeûner et à prier lors de la « Grande journée de prière pour la santé et l’unité du peuple hondurien ».</p>
<p>Lors d’une conférence de presse du gouvernement, le Salvadorien Nayib Bukele a quant à lui <a href="https://ultimahora.sv/presidente-bukele-pide-a-salvadorenos-orar-a-dios-por-un-mejor-pais1/">appelé les croyants</a> à prier pour le pays : « Je sais que c’est un État laïque, mais nous avons beaucoup de croyants, à ceux qui le sont, je vous demande que nous demandions à Dieu de les aider à faire face à ce problème ».</p>
<p>Au Paraguay, le dirigeant Mario Abdo Benitéz a invité sur les réseaux sociaux les familles confinées <a href="https://www.hoy.com.py/nacionales/mario-abdo-pide-orar-ante-covid-19-dios-va-a-proteger-al-paraguay">« à ne pas oublier le domaine spirituel »</a>. « Le pouvoir de la prière, j’en suis sûr, va protéger la nation », a-t-il ainsi déclaré.</p>
<p>Même le président uruguayen Luis Alberto Lacalle Pou a participé <a href="http://www.presidencia.gub.uy/comunicacion/comunicacionnoticias/presidente-lacalle-pou-catedral-montevideo-sturla-oracion-interreligiosa">à une « prière interreligieuse »</a> convoquée par le cardinal Daniel Sturla, archevêque de Montevideo. Le pays fait pourtant figure d’exception dans le paysage religieux en Amérique latine pour son attachement plus fort au principe de laïcité. Le président a souligné que l’État est laïque, mais pas laïciste en soulignant : « Toutes les initiatives en faveur de la nation et du pays sont les bienvenues – religieuses, laïques, toutes ».</p>
<p>Les exemples sont trop nombreux pour être tous cités, mais des initiatives similaires ont émané des différents gouvernements en <a href="https://www.lanacion.com.ar/sociedad/coronavirus-antes-dejar-casa-rosada-alberto-fernandez-nid2344068">Argentine</a>, en <a href="https://www.eltiempo.com/politica/gobierno/duque-le-pide-proteccion-por-coronavirus-a-la-virgen-de-chiquinquira-473412">Colombie</a>, au Mexique, au Venezuela ou au Brésil.</p>
<h2>La Bible, source d’information pour les croyants</h2>
<p>En ce contexte et en période de crise sanitaire, une partie des Latino-Américains ont en effet tendance à chercher des réponses à leurs peurs et incertitudes dans la Bible, et à interpréter – notamment chez les courants chrétiens les plus conservateurs – les textes sacrés de manière littérale, ne tenant pas compte des évolutions scientifiques et sociopolitiques.</p>
<p>Pour nombre d’entre eux, la Bible est considérée non seulement comme une « source d’information » et d’explication concernant l’épidémie – la colère de Dieu, le signe de manifestation de la parousie, c’est-à-dire la deuxième venue du Christ et l’annonce du Jugement dernier, mais aussi comme un manuel ou un guide de survie pour faire face au Covid-19.</p>
<p>En ce sens, certains versets bibliques rencontrent un succès tout particulier chez les chrétiens de la région en ce temps de pandémie : « Si mon peuple sur qui est invoqué mon nom s’humilie, prie, et cherche ma face, et s’il se détourne de ses mauvaises voies, je l’exaucerai des cieux, je lui pardonnerai son péché, et je guérirai son pays » (Livre des Chroniques 7 :13-15).</p>
<p>Prier, se recueillir et principalement se repentir de ses péchés devient alors pour des nombreux Latino-américains chrétiens des « mesures barrières », et par conséquent des méthodes de survie face à la pandémie.</p>
<h2>Un reflet de l’impuissance des politiques</h2>
<p>Si ces discours parlent effectivement à de nombreux croyants dans la région, les dirigeants politiques ont recours à ces interventions médiatisées pour donner le change vis-à-vis de leurs concitoyens, faute de moyens financiers à la fois dans la tentative de lutter contre la pandémie et dans la tentative de les rassurer – voire d’infantiliser leurs habitants.</p>
<p>En Équateur, les dirigeants de la ville de Guayaquil, foyer épidémique du Covid-19 du pays, ont désigné la journée du dimanche 5 avril pour implorer Dieu face à la situation sanitaire calamiteuse de la ville et à l’expansion du virus dans le pays. Le président Lenín Moreno a invité les Équatoriens <a href="https://twitter.com/Lenin/status/1242889548474068994">à s’unir en prière</a> « indépendamment de leur croyance », car « la foi déplace les montagnes et que pour un croyant qui prie, rien n’est impossible ».</p>
<p>Le monde entier a ainsi eu vent de la Journée nationale de jeûne et de prière décrétée début avril <a href="https://www.correiobraziliense.com.br/app/noticia/politica/2020/04/02/interna_politica,842034/bolsonaro-quer-um-dia-de-jejum-religioso-contra-coronavirus.shtml">par le président Jaïr Bolsonaro</a>, afin que les Brésiliens soient « délivrés de ce mal le plus rapidement possible » – le même dirigeant qui refuse de confiner sa population pour ne pas mettre à mal l’économie du pays. Cette décision aurait été prise trois jours plutôt, à la demande d’un groupe de pasteurs évangéliques.</p>
<h2>Une diffusion dans les médias traditionnels</h2>
<p>Du fait de la structure des médias dans la région, marquée par une forte concentration, les discours des dirigeants latino-américains à propos de la pandémie associant religion et lutte contre la propagation du virus sont diffusés dans les médias généralistes et sur les réseaux sociaux numériques des différents pays, alors même qu’ils comportent parfois des risques.</p>
<p>Ainsi, au Nicaragua, en réponse à la pandémie du Covid-19, la vice-présidente Rosario Murillo – également épouse du dirigeant Daniel Ortega – a utilisé les médias du gouvernement pour organiser des rassemblements de masse dans tout le pays afin d’informer le peuple sur les mesures d’hygiène et sur les « gestes barrières » pour lutter contre la pandémie…</p>
<p>La vice-présidente a expliqué aux concitoyens la raison de la marche intitulée <a href="https://edition.cnn.com/world/live-news/coronavirus-outbreak-2-03-15-20-intl-hnk/h_7f5858d85954296c3b45e9dcec34991d">« Amor en tiempos del Covid-19 »</a> (Amour en temps de Covid-19) : </p>
<blockquote>
<p>« Nous allons marcher avec la force de la foi et de l’espoir dans tout le pays, en prière permanente et en solidarité avec tous les peuples, les familles et frères dans le monde qui sont affectés par le coronavirus. »</p>
</blockquote>
<h2>Des relais religieux très développés</h2>
<p>La région compte par ailleurs depuis quelques décennies une très vaste et florissante « industrie culturelle de la foi » et des biens symboliques du salut. Musique gospel sous forme d’hymnes de louanges, livres religieux, CD-DVD, cette tendance en perpétuelle expansion s’explique notamment par l’explosion de l’évangélisme qui séduit les déçus d’une Église catholique très décriée.</p>
<p>Dans le contexte de la pandémie, les différentes obédiences utilisent leurs puissants relais sur Internet pour produire et diffuser des contenus à dimension politico-religieuse. Prédications, images numériques de piété, séances de prières se multiplient à mesure que la pandémie se répand dans la région.</p>
<p>Dans une période au cours de laquelle l’éloignement social est préconisé par les politiques de santé publique de lutte contre le virus, les médias – qu’il s’agisse des médias dits traditionnels comme la télévision, la radio ou la presse ou des médias numériques, réseaux sociaux numériques, blogs, sites Internet – représentent le médium par excellence de consommation de biens symboliques du salut chez les croyants.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/137121/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Kelber Pereira Gonçalves ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans toute la région, la foi est revenue comme un leitmotiv des discours politiques des dernières semaines. Une façon de rassurer leur population sans nécessairement prendre des mesures concrètes.Kelber Pereira Gonçalves, Doctorant en Sciences de l’Information et de la Communication, Université de ToursLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1333882020-03-11T17:37:34Z2020-03-11T17:37:34ZYa basta ! Pourquoi les Mexicaines ont disparu de l’espace public le 9 mars<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/319660/original/file-20200310-61094-f0zapf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=330%2C214%2C4941%2C3454&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des manifestantes féministes protestent contre la violence contre les femmes après l’assassinat d’Ingrid Escamilla, de 25 ans, poignardée jusqu’à la mort. Ciudad de México, 14 février 2020.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/es/search/conflictos?missing_image_id=1645760182">Pacific Press / Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>« Le pire est que nous nous soyons habitués. On ne compte déjà plus les morts, on ne s’étonne même plus. C’est un mort de plus ». « Nous sommes comme anesthésiés : tant de morts, tant de mortes. Nous ne sommes plus capables de nous en émouvoir ». Ces mots sont ceux des habitants de Caborca, après le meurtre en juillet 2019 de 11 personnes en l’espace d’un week-end, dans cette commune de 100 000 habitants au nord du Mexique.</p>
<p>Chaque jour, 10 femmes meurent assassinées dans le pays. <a href="https://www.letraslibres.com/mexico/politica/violencia-genero-y-feminicidios-en-mexico-los-datos-hablan">Un féminicide sur dix</a> concerne des filles et des adolescentes de moins de 17 ans. Sur les réseaux sociaux, les messages se multiplient, sollicitant de l’aide après la disparition de femmes. De temps en temps, certains cas suscitent l’attention de la population, comme celui de la professeure Raquel Padilla, historienne à l’Institut national d’anthropologie et d’histoire (INAH), morte poignardée par son compagnon. La majorité reste dans l’anonymat.</p>
<p>Mais l’anesthésie sociale n’est pas un défaut moral propre aux Mexicains et aux Mexicaines, qui ne sont ni plus ni moins sensibles que n’importe quel autre peuple. Différents facteurs permettent de le comprendre. La situation est le résultat de la terreur semée par les guerres (capitalistes) contre le narcotrafic depuis plus de dix ans ; de l’impunité de la plupart de ces crimes ; de l’individualisme qui nous enferme dans nos problèmes personnels ; et enfin de l’impossibilité de mener un travail d’investigation journalistique qui permettrait de formuler publiquement la vérité.</p>
<h2>Anesthésie étatique</h2>
<p>Au-delà de l’anesthésie sociale, il existe au Mexique une anesthésie des pouvoirs publics, qui devraient en théorie réagir immédiatement face à ces événements macabres. L’action de l’État, censé être le garant de la sécurité et de la liberté des femmes et des filles sur son territoire, est tout simplement nulle. Ce silence contribue de façon certaine à l’impunité et à la perpétuation de la violence, spécifiquement de la violence à l’encontre des femmes dont la manifestation la plus dramatique est le féminicide.</p>
<p>Le cas de Fátima, âgée de 7 ans, a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, pointant une nouvelle fois l’inertie coupable de l’État. Cette affaire révèle une chaîne de négligences et d’omissions qui questionne, une nouvelle fois, l’absence d’engagement des autorités pour la sécurité des femmes.</p>
<p>La fillette a été laissée le 11 février dernier, dans le sud-est de la ville de Mexico, à une personne non autorisée à la sortie de l’école. La famille a sollicité plusieurs instances, jusqu’à ce que la demande remonte jusqu’au bureau du procureur spécialisé dans la recherche, la localisation et l’enquête sur les personnes disparues. Une alerte « Amber » (système d’alerte enlèvement) contenant la photo et diverses informations sur Fátima a été lancée. Selon plusieurs témoignages, elle n’a toutefois pas été diffusée massivement, et la famille a donc imprimé et distribué elle-même un dossier de disparition dans toute la région de l’enlèvement.</p>
<p>Dans le cas de Fátima, ces efforts ont été vains puisqu’elle a été retrouvée morte quatre jours après son rapt. Son corps portait des traces de torture et de viol.</p>
<h2>Le cas de Paloma</h2>
<p>Le 13 décembre 2019, Paloma, une adolescente de 14 ans, a disparu à Hermosillo (capitale de l’État du Sonora). Son corps a été découvert le 31 décembre, à moitié enterré, aux côtés des dépouilles de deux autres personnes, à 12 kilomètres de la ville. La famille avait déposé plainte pour disparition auprès du bureau du procureur général (FGJE) le 14 décembre 2019. Là aussi, elle s'est entendu promettre qu’une <a href="http://www.alertaamber.gob.mx/">alerte orange</a> serait émise.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/319149/original/file-20200306-118951-17o5aiw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/319149/original/file-20200306-118951-17o5aiw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/319149/original/file-20200306-118951-17o5aiw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=819&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/319149/original/file-20200306-118951-17o5aiw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=819&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/319149/original/file-20200306-118951-17o5aiw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=819&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/319149/original/file-20200306-118951-17o5aiw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1029&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/319149/original/file-20200306-118951-17o5aiw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1029&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/319149/original/file-20200306-118951-17o5aiw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1029&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Circulaire distribuée par les proches de Paloma, adolescente de 14 ans disparue et assassinée.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.facebook.com/pages/category/Interest/Madres-Buscadoras-De-Sonora-340192573336376/">Mères chercheuses du Sonora</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les autorités ont conseillé aux proches de ne pas essayer de solliciter de l’aide ni de publier la photo de Paloma sur les réseaux sociaux. La famille, en désespoir de cause, a tout de même eu recours à des groupes de recherche, leur demandant de publier l’avis de disparition sur Internet.</p>
<p>Le 2 janvier, le père de Paloma est parti à sa recherche. Depuis, il n'a plus donné aucune nouvelle et son téléphone ne fonctionne plus : il s’est à son tour volatilisé. Aujourd’hui au Mexique, on disparaît aussi en cherchant les disparus et disparues.</p>
<p>Le 22 février, deux mois après son enlèvement, il a été confirmé par un test génétique que les restes trouvés sur des terres de la commune La Mesa Del Seri dans l’État du Sonora correspondaient bien à Belem Paloma Lara, 14 ans.</p>
<h2>Le rôle du « monstre » dans le récit médiatique</h2>
<p>Ce féminicide n’est pas isolé. Ce n'est qu'un cas parmi tant d’autres. Quelques jours plus tôt, <a href="https://www.bbc.com/mundo/noticias-america-latina-51518716">Ingrid</a> a été tuée par son mari, qui s’est acharné sur son corps jusqu’à l’indicible. Dans ce cas précis, s’est ajouté au terrible événement le traitement que la presse lui a réservé, en publiant des détails macabres et sensationnalistes sur la mort de la femme, accompagnés de photos.</p>
<p>Une fois de plus, l’État a été la cible de critiques et de soupçons : comment ces détails et ces photos ont-ils pu parvenir aux médias si ce n’est grâce à une <a href="https://aristeguinoticias.com/2802/mexico/siguen-en-activo-policias-investigados-por-filtrar-fotos-de-ingrid-asesinada-por-su-pareja/">fuite</a> de la part des autorités ?</p>
<h2>Désensibilisation, mais aussi peur et censure</h2>
<p>Il est important de s’attarder sur le rôle des médias. Des images insoutenables défilent sans cesse, au point de devenir banales : une fosse d’où sort un bras ou une jambe, des gens pendus à des ponts, des cadavres démembrés…</p>
<p>Cette exposition d'horreurs, qui se limite à imposer au public le spectacle d'une brutalité après l’autre, ne contribue pas tant à nous faire comprendre la violence qu’à nous saturer et nous désensibiliser. Nous savons que des journalistes courageux, qui ont osé exposer les mécanismes et à dénoncer les acteurs de cette hyper-violence, ont <a href="https://rsf.org/es/mexico">payé de leur vie</a> leur engagement en faveur de la vérité.</p>
<p>Malgré tout cela, malgré cette guerre qui a engendré plus de <a href="https://www.gob.mx/segob/prensa/presenta-gobernacion-informe-de-fosas-clandestinas-y-registro-de-personas-nacional-de-desaparecidas-o-no-localizadas">60 000 disparus et disparues</a>, malgré la terreur et le manque d’information, de nombreuses femmes ont réussi à s’organiser en plus de 70 collectifs dans tout le Mexique pour chercher leurs êtres chers.</p>
<p>De nombreuses femmes parcourent en <a href="https://movimientomigrantemesoamericano.org/caravana-de-madres/">caravane</a> le territoire mexicain à la recherche de leurs proches disparus en tentant d'émigrer vers les États-Unis, parmi lesquels beaucoup de femmes fuyant la violence et la misère. Les pionnières de ces recherches ont été les mères des disparues de Ciudad Juárez qui, entre autres collectifs, ont constitué <a href="https://nuestrashijasderegresoacasa.blogspot.com/">Pour le retour de nos filles</a>.</p>
<p>Cette énergie énorme et extraordinaire chez tant de femmes, consacrée à l’enquête et à la recherche, interroge. Pourrait-elle se transformer en un pouvoir d’organisation et de solidarité ? Un pouvoir qui nous permettrait également de nous confronter aux racines profondes de cette violence, qui est non seulement le fait de sujets déviants et d’hommes blessés (ils existent sans doute), mais surtout la conséquence d’une longue histoire de dépossession et d’exploitation.</p>
<h2>Néolibéralisme, ultraviolence et « femmes de service »</h2>
<p>La violence contre les femmes est au moins aussi vieille que la <a href="https://www.traficantes.net/libros/calib%25C3%25A1n-y-la-bruja">chasse aux sorcières</a>. Jusqu’à récemment, la violence dans l’intimité du foyer était largement tolérée. Elle a servi (et sert encore) à discipliner cette importante main-d’œuvre féminine et invisible qui n’est pas étrangère à l’accumulation de capital, comme l’explique <a href="https://newleftreview.org/issues/II86/articles/nancy-fraser-behind-marx-s-hidden-abode">Nancy Fraser</a>.</p>
<p>Cette domination n’est mise en lumière que depuis quelques décennies. On la reconnaît sous les noms de « violence domestique » ou « violence intrafamiliale ». Depuis peu, nous l’appelons « violence de genre ». Mais cette brutalité envers les femmes ne se comprend que dans le contexte global de sociétés que l'anthropologue <a href="https://www.traficantes.net/libros/contra-pedagog%25C3%25ADas-de-la-crueldad">Rita Segato</a> qualifie de « dueñistas » – c’est-à-dire que la richesse y est extrêmement concentrée – et d’<a href="https://www.routledge.com/Economies-of-Death-Economic-logics-of-killable-life-and-grievable-death/Lopez-Gillespie/p/book/9781138805767">économies de la mort</a>.</p>
<h2>Ce que signifie être « tuable »</h2>
<p>La « tuabilité » de certains sujets n’est pas accidentelle et ne doit pas être rapportée dans les chroniques de faits divers, comme un fait isolé.</p>
<p>C’est la conséquence d’une exposition inégale à la violence étatique, para-étatique, économique et domestique qui fabrique une population « jetable ». Les plus exposés sont bien sûr, les femmes et les filles ; mais aussi les hommes vulnérables, notamment les membres des minorités ethniques.</p>
<p>Comme l’indique <a href="http://editorialmadreselva.com.ar/catalogo/feminismos-nacimiento-y-crianza/pax-neoliberalia/">Jules Falquet</a>, la majorité des féminicides touche des femmes déjà vulnérables. Car si autrefois la reproduction sociale se faisait gratuitement et à domicile, les tâches traditionnellement réservées aux femmes sont aujourd’hui devenues une marchandise, de la garde d’enfants à la location d’un utérus. Ce sont surtout ces « femmes de service », comme les appelle Jules Falquet, qui sont violées, assassinées et jetées dans les décharges.</p>
<p>N’oublions pas toutefois que le féminicide, s’il touche principalement les femmes pauvres et issues des minorités ethniques, frappe également des <a href="https://mexico.unwomen.org/es/digiteca/publicaciones/2019/03/violencia-y-feminicidio-ninas-y-adolescentes">femmes d’autres classes sociales</a>, comme le rappelle le cas de l’historienne Raquel Padilla.</p>
<h2>Le « Ya basta ! » des femmes mexicaines</h2>
<p>Tout semble indiquer que l’accumulation des griefs conduit aujourd’hui à un nouveau « Ya Basta ! » (maintenant ça suffit !) au Mexique. Le 9 mars, au lendemain de la Journée internationale des droits des femmes, les femmes étaient appelées à se mettre en grève. Un grand nombre de personnes et d’institutions, tant publiques que privées, se sont jointes à nous, au Mexique et dans d’autres pays du monde.</p>
<p>Initiée par l’organisation Brujas del Mar (Sorcières de la mer), la proposition a rencontré un franc succès. Pendant une journée, des milliers de femmes ont disparu de la vie publique, des espaces économiques et productifs, cherchant à se rendre visibles par leur absence et à dénoncer ainsi la négligence des autorités.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/319151/original/file-20200306-118956-fn98m1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/319151/original/file-20200306-118956-fn98m1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/319151/original/file-20200306-118956-fn98m1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=592&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/319151/original/file-20200306-118956-fn98m1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=592&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/319151/original/file-20200306-118956-fn98m1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=592&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/319151/original/file-20200306-118956-fn98m1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=744&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/319151/original/file-20200306-118956-fn98m1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=744&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/319151/original/file-20200306-118956-fn98m1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=744&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Affiche de la grève prévue pour le 9 mars.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’appel, dont le slogan est #undiasinnosotras (Un jour sans nous), exprime la lassitude des femmes et dénonce l’indifférence <a href="https://www.bbc.com/mundo/noticias-america-latina-51554011">que la société et l’État leur opposent</a> face aux violences qu’elles subissent chaque jour.</p>
<p>Derrière le « nous » de ce slogan, il y a les femmes transformées en marchandise corporelle à Tijuana, les mains (de main-d’œuvre) bon marché des anciennes <em>maquiladoras</em> de Ciudad Juárez, les migrants rassemblés aujourd’hui à la frontière nord du Mexique en attendant l’utopique asile américain, les mères qui recherchent les disparus. Si l'assassinat des femmes détruit le lien social, l'organisation des femmes permet de le reconstruire.</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été écrit avec la collaboration du professeur Alicia Márquez de l’Instituto Mora et de la journaliste Lorenza Sigala de El Expreso. Le travail de terrain a été réalisé dans le cadre du projet « Sortir de la violence » financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR-France).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/133388/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Paola Díaz a reçu des financements de Projet ANR "Sortir de la Violence" <a href="https://sov.hypotheses.org/le-projet">https://sov.hypotheses.org/le-projet</a></span></em></p>Au Mexique, la succession de féminicides ultraviolents ont fait émerger dans la sphère publique une mobilisation inédite des femmes.Paola Díaz, Investigadora en la Escuela de Altos Estudios en Ciencias Sociales CEMS- EHESS- Francia y en COES- Chile (Centre for Social Conflict and Cohesion Studies), Diego Portales UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1308162020-02-09T18:16:33Z2020-02-09T18:16:33ZNi vivants ni morts : des mères mexicaines sur les traces de leurs disparus<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/312829/original/file-20200130-41490-l6jw8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=122%2C0%2C5177%2C3628&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le collectif Madres Buscadoras de Sonora lors d’une expédition récente au Mexique.</span> <span class="attribution"><span class="source">Basem Siria</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>À Sonora, au Mexique, la disparition et la recherche d’un être cher sont des expériences où se mêlent science, magie et foi. Virginia voulait suivre les traces de son père en étudiant l’agronomie mais, à la suite de sa disparition, elle a finalement choisi d’étudier la criminologie. « Je me suis promis de le retrouver et mes études m’aident dans cette quête », me confie-t-elle en sortant de son portefeuille une coupure de presse, déjà jaunie, où est inscrit l’avis de disparition. « Cette coupure restera là jusqu’à ce qu’elle se désintègre, je ne cesserai jamais de chercher », ajoute-t-elle.</p>
<p>Virginia fait partie des « Madres Buscadoras » (littéralement, les mères chercheuses) du Sonora (État du nord du Mexique), un des 70 collectifs de <a href="https://sinlasfamiliasno.org/nosotros/">« chercheuses »</a>, <a href="https://revistas.flacsoandes.edu.ec/iconos/article/view/1854">« rastreadoras » (pisteuses)</a> et <a href="https://www.redalyc.org/articulo.oa?id=16440055006">« guerrières »</a> – selon les noms qu’on leur donne – qui existent au Mexique, et qui se dédient jour après jour à poursuivre les traces de leurs êtres chers, <a href="http://www.scielo.org.mx/scielo.php?script=sci_abstract&pid=S2007-49642016000100007&lng=es&nrm=iso">disparus</a> dans leur propre pays.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/310341/original/file-20200115-134784-61uyct.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/310341/original/file-20200115-134784-61uyct.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=305&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/310341/original/file-20200115-134784-61uyct.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=305&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/310341/original/file-20200115-134784-61uyct.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=305&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/310341/original/file-20200115-134784-61uyct.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=383&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/310341/original/file-20200115-134784-61uyct.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=383&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/310341/original/file-20200115-134784-61uyct.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=383&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Virginia sortant de son portefeuille l’article annonçant la disparition de son père.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Basem Siria</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Plus de 60 000 disparus depuis 2006</h2>
<p>Depuis quelques années, les disparitions forcées ressurgissent en Amérique latine dans un contexte global de démocraties néolibérales globalisées et d’économies néo-extractivistes. Dans le cas du Mexique, la disparition forcée se combine, de façon complexe, aux disparitions de « particuliers ». En 2017, le Mexique a approuvé la <a href="https://www.senado.gob.mx/comisiones/gobernacion/docs/LGDF.pdf">Loi générale sur la disparition des personnes et la disparition commise par des particuliers</a>, dont l’objectif est de mettre un frein aux disparitions « multiacteurs ». Mais cette loi est bien loin d’être effective. Entre 2006 et janvier 2019, la Commission nationale de Recherche des personnes au Mexique <a href="https://www.gob.mx/segob/prensa/presenta-gobernacion-informe-de-fosas-clandestinas-y-registro-de-personas-nacional-de-desaparecidas-o-no-localizadas">compte</a> 61 647 Mexicains disparus.</p>
<p>Comme au Chili, avec l’Association des familles des détenus disparus (<a href="https://twitter.com/afddchile">AFDD</a>), et en Argentine, avec les Mères et grands-mères de la place de Mai, ce sont principalement les femmes qui partent à la recherche de leurs proches, parcourant de long en large le territoire mexicain.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/310342/original/file-20200115-134820-dz2hhw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/310342/original/file-20200115-134820-dz2hhw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/310342/original/file-20200115-134820-dz2hhw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/310342/original/file-20200115-134820-dz2hhw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/310342/original/file-20200115-134820-dz2hhw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=494&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/310342/original/file-20200115-134820-dz2hhw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=494&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/310342/original/file-20200115-134820-dz2hhw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=494&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Centre ville, Sonora. Recherche de restes humains, novembre 2019.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Basem Siria</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>À ces collectifs s’ajoutent la <a href="https://movimientomigrantemesoamericano.org/2019/11/18/madres-centroamericanas-quince-anos-de-resistencia-en-perspectiva/">Caravane des mères centroaméricaines</a>, qui traverse le Mexique chaque année depuis quinze ans à la recherche de proches, disparus en tentant de rejoindre les États-Unis. Elles parcourent tout le pays en montrant la photo de leur fils ou de leur fille sur des pancartes devenues emblématiques où est inscrite cette douloureuse question : « Où sont-ils ? ». Elles collent des affiches dans les rues, parcourent les hôpitaux, des prisons, des campagnes et des cimetières. Elles s’entretiennent avec des associations, des journalistes, les autorités, et de temps en temps reçoivent un indice, un appel anonyme. <a href="https://vimeo.com/32677195">Et il arrive</a> qu’elles réussissent à localiser, vivant ou mort, leur être cher.</p>
<h2>« Pitazo » dans le Sonora : science, magie et foi</h2>
<p>Nous avons accompagné les <a href="https://www.facebook.com/Madres-Buscadoras-De-Sonora-340192573336376/">Madres Buscadoras du Sonora</a> en trois endroits où on leur avait donné un « pitazo », c’est-à-dire où quelqu’un, anonymement, leur avait indiqué qu’elles trouveraient des restes humains. Nous sommes sorties en camionnettes, avec des pelles et des « varas », instruments en fer en forme de T qu’elles enterrent dans le sol pour ensuite les sentir. Si la « vara » empeste, c’est peut-être que se trouvent sous terre des restes humains en processus de décomposition. Voire qu’ils appartiennent à une personne qu’elles cherchent. Mais elles savent que les os ne « sentent pas la mort » et qu’avec cette méthode, elles ne trouveront que des restes récents.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/310340/original/file-20200115-134768-pxfddu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/310340/original/file-20200115-134768-pxfddu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=766&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/310340/original/file-20200115-134768-pxfddu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=766&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/310340/original/file-20200115-134768-pxfddu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=766&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/310340/original/file-20200115-134768-pxfddu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=963&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/310340/original/file-20200115-134768-pxfddu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=963&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/310340/original/file-20200115-134768-pxfddu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=963&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Don Manuel avec le pendule.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Basem Siria</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le premier jour de recherche, les mères se font accompagner par Don Manuel, qui affirme être doté d’un don spécial : à l’aide de son pendule, il est capable de pister l’énergie des morts. Les mères lui confient les photos des visages des disparus et Don Manuel en choisit une, la met devant son pendule, et attend de voir si l’instrument « veut travailler », et indiquer par où il faut enterrer l’instrument et creuser. Cette fois-là, le visage devant le pendule est celui du fils de Carmen. Elle se saisit de l’objet et commence à parler à son fils, en lui demandant de l’orienter pour qu’enfin elle ait un lieu adéquat où le pleurer, c’est-à-dire une tombe, avec ses restes.</p>
<h2>« Je veux le retrouver, et à la fois je ne veux pas »</h2>
<p>Mais Carmen nous confie qu’elle ne comprend pas pourquoi Don Manuel insiste pour prendre la photo de son fils et pas des autres. « Je veux le retrouver, et à la fois je ne veux pas ». Cette mère souhaiterait retrouver ses restes, et ne plus vivre dans l’incertitude de la disparition de son fils, et à la fois l’incertitude lui permet de garder l’espoir qu’il soit encore en vie. Toutes ces femmes vivent dans cette ambiguïté torturante et constante.</p>
<p>Comme Juana, qui dans une petite ville du Sonora, attend elle aussi de retrouver son fils disparu il y a cinq ans, trois mois et quelques jours. Elle nous raconte comment ils l’ont emmené une nuit, à trois heures du matin. Depuis, plus de nouvelles. Elle explique entre les sanglots la douleur immense de cette disparition : « Depuis sa disparition, je ne vis plus. Et si je suis en vie, c’est pour le chercher, jamais je ne cesserai de le chercher. »</p>
<p>Juana attend encore qu’il l’appelle, qu’il apparaisse. Son récit sonne encore si vivant, si riche en détails minuscules, comme si son enlèvement datait du jour même. Pour ces femmes en quête, le temps s’est suspendu au moment de la disparition. Leurs proches ne sont ni vivants ni morts, c’est une <a href="https://gedisa.com/autor.aspx?codaut=0725">perte ambiguë</a>, comme la définit la thérapeute Pauline Boss.</p>
<h2>L’impossible adieu</h2>
<p>C’est pourquoi « nous ne pouvons pas dire qu’ils sont morts », explique Virginie : « Je ne peux pas dire adieu à mon père. En mon for intérieur, je peux penser qu’après tant d’années il est très probablement décédé, mais rien ne me le prouve, donc tant que je ne serai pas certaine, je continuerai à le chercher. » Pour Virginie, il est très choquant que certains de ses proches, qui croient en Dieu, souhaitent à son père de « reposer en paix ».</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/310339/original/file-20200115-134764-1itnw8w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/310339/original/file-20200115-134764-1itnw8w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/310339/original/file-20200115-134764-1itnw8w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/310339/original/file-20200115-134764-1itnw8w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/310339/original/file-20200115-134764-1itnw8w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/310339/original/file-20200115-134764-1itnw8w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/310339/original/file-20200115-134764-1itnw8w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Une des « chercheuses » du collectif des Madres Buscadoras de Sonora, novembre 2019.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Basem Siria</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Mais la foi en Dieu est une consolation pour certaines de ces mères, sœurs et épouses. Ou plus précisément, c’est une demi-consolation. Beaucoup l’invoquent, l’implorent pour leurs êtres chers et prient tous les jours, se rendent à la messe et demandent conseil au prêtre de la paroisse. Mais, comme certains psychologues leur suggèrent de « dire au revoir » à leurs proches disparus, certains prêtres leur demandent de les « laisser à Dieu ». Une jeune femme, qui était enceinte lorsque son époux a été enlevé, nous confie : « Je n’ai rien à donner à Dieu, je n’ai pas son corps, je n’ai rien, je ne sais pas où il est, que puis-je donner à Dieu ? ».</p>
<p>Jusqu’à aujourd’hui, le collectif des Madres Buscadoras de Sonora, qui réunit des familles de tout l’État et compte plus de 200 adhérents depuis qu’il a été créé en 2019, a retrouvé 79 restes. Ce sont de petits groupes qui partent chaque week-end à la recherche de ces corps, avec leurs propres ressources, en payant l’essence, la nourriture, etc.</p>
<p>La deuxième fois que nous avons suivi les Madres dans leur quête, nous sommes tombés sur l’avant d’un crâne et une mandibule. Au cours des trois autres sorties, nous n’avons trouvé que des morceaux de vêtements et des terrains pleins de petites pierres blanches semblables à du cristal, dégageant une forte odeur chimique. Cela pourrait être des restes de soude caustique, utilisée pour dissoudre des corps.</p>
<h2>Disparus en rejoignant les États-Unis</h2>
<p>Sur ce parcours, nous avons aussi trouvé des chercheurs de l’autre côté de la frontière, du côté étasunien. Depuis Tijuana, il ne me faut pas plus de 15 minutes pour traverser la frontière et me joindre aux <a href="https://www.facebook.com/ArmadillosBusquedaYRescate/">Armadillos Binacional</a>, qui acceptent de venir nous rencontrer dans une cafétéria de San Diego. Le plus jeune d’entre eux, un garçon âgé de vingt ans au plus, raconte : « Mes parents ont traversé ce désert d’Arizona. Comme eux, beaucoup de personnes souffrent là-bas et tentent de venir pour avoir ce que j’ai, des études, un travail ». Beaucoup d’Armadillos sont arrivés avec leurs parents du Mexique sans papiers et s’identifient aux personnes qui tentent de franchir la frontière.</p>
<p>Les Armadillos ont commencé il y a deux ans ce qu’ils nomment leur « travail de recherche » de leurs frères à la frontière, desquels ils ont trouvé 22 corps ou restes. C’est un travail volontaire qu’ils réalisent en dehors de leurs horaires de travail, avec leurs propres moyens et les dons qu’ils réussissent à réunir au sein de leur communauté. Si le collectif est composé principalement d’hommes, ils indiquent que les femmes jouent un rôle très important. « Ma femme me soutient, elle prépare tout pour les recherches : l’eau, les vêtements, le déjeuner ».</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/310343/original/file-20200115-134768-1lc6481.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/310343/original/file-20200115-134768-1lc6481.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/310343/original/file-20200115-134768-1lc6481.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/310343/original/file-20200115-134768-1lc6481.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/310343/original/file-20200115-134768-1lc6481.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/310343/original/file-20200115-134768-1lc6481.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/310343/original/file-20200115-134768-1lc6481.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">César, à la tête du collectif Armadillos Binacional, San Diego, 2019.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Paola Díaz</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les week-ends, ils conduisent toute la nuit de la Californie à l’Arizona, puisque 90 % des signalements de disparitions leur arrivent de cet État. En effet, depuis que les points de passage urbains ont été fermés pendant la décennie 1990, un <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3040107">« effet entonnoir »</a> s’est produit, forçant les migrants à traverser par des zones reculées extrêmement dangereuses comme le désert de Sonora et l’Arizona. Un désert « immense, où tu marches 5 minutes et tu ne sais déjà plus où tu es », raconte César, un des membres fondateurs du collectif.</p>
<h2>Solidarité avec l’autre côté de la frontière</h2>
<p>Au cours de la dernière année, Armadillos a réussi à étendre son action de l’autre côté de la frontière pour aider les groupes de recherche mexicains. Ici, il ne s’agit pas de personnes qui disparaissent en traversant la frontière mais de personnes disparues sur le territoire mexicain – ce qui n’empêche pas qu’il y aient parmi elles des migrants. Armadillos insiste sur le fait que leur collectif se donne pour but de « chercher des personnes disparues ». Quand un signalement arrive, Armadillos ne sait pas, et ne veut pas savoir, comment ni qui a fait disparaître cette personne.</p>
<p>C’est ainsi que les Madres Buscadoras de Sonora et Armadillos Binacional ont uni leurs forces pour mener des recherches ensemble sur ce territoire de disparitions. Car si quelque chose circule et parcourt cette zone d’Amérique latine, au-delà des immenses murs frontaliers, au-delà du trafic légal et illégal, ce sont les disparus et disparues.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/310344/original/file-20200115-134777-1n4olqk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/310344/original/file-20200115-134777-1n4olqk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=368&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/310344/original/file-20200115-134777-1n4olqk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=368&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/310344/original/file-20200115-134777-1n4olqk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=368&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/310344/original/file-20200115-134777-1n4olqk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=463&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/310344/original/file-20200115-134777-1n4olqk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=463&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/310344/original/file-20200115-134777-1n4olqk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=463&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Frontière entre les États-Unis et le Mexique à Tijuana, au bord de l’océan Pacifique.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Paola Díaz</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Depuis le désert d’Arizona à Chiapas et plus au sud, où les États-Unis ont externalisé leurs frontières et leurs guerres contre les drogues, s’est constitué un tissu dense d’absences qui traversent les familles, les générations et les nations. Tout comme ces guerres (et leurs économies) s’internationalisent, ce tissu d’absences et de recherches traverse lui aussi les frontières. Une physionomie de la disparition qui ne laisse pas de cicatrices mais des blessures ouvertes, qu’entre le Mexique et les États-Unis, on supporte chaque heure de chaque jour en s’appuyant sur la foi, la magie et la science, et en tissant des solidarités transnationales.</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été écrit avec la collaboration de Basem Siria, photographe et cyberactiviste des droits de l’homme exilé, et de la journaliste Lorenza Sigala. Tous les noms des interviewé·e·s sont fictifs, à l’exception du leader du collectif Armadillos Binacional, qui nous a demandé de garder son prénom. Le travail de terrain a été réalisé dans le cadre du projet <a href="https://sov.hypotheses.org/le-projet">« Sortir de la violence »</a>, financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/130816/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Paola Díaz a reçu des financements de l’Agence Nationale de Recherche-France, dans le cadre du projet "Sortir de la Violence" dirigé par Ybon Le Bot, FMSH-Paris, France.</span></em></p>Plus de 70 collectifs ont consacré leur vie à la recherche de leurs proches au Mexique, où l’on estime que 60 000 personnes ont disparu « de force ».Paola Díaz, Investigadora en la Escuela de Altos Estudios en Ciencias Sociales CEMS- EHESS- Francia y en COES- Chile (Centre for Social Conflict and Cohesion Studies), École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1251042019-10-17T19:00:58Z2019-10-17T19:00:58Z« Nous ne sommes plus humains » : la fin du monde vue par des Indiens Ayoreo<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/297230/original/file-20191015-98632-tku9zl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C6%2C1397%2C859&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">« Tous ceux qui sont vivants aujourd’hui vont certainement connaître la fin de ce monde. »</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://journals.openedition.org/terrain/18010">Elèves de l'école Penninghen/revue Terrain</a>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Il y a 70 ans, « les Ayoreode », les « êtres humains », que l’on connaît aujourd’hui ordinairement sous le nom d’<a href="https://www.ias.edu/ideas/2015/bessire-ayoreo">« Indiens Ayoreo »</a>, un groupe ethnique transnational vivant dans les régions centrales de l’Amérique du Sud et qui compte environ 6 000 membres, ne formaient pas un groupe ethnique identifiable.</p>
<p>La plupart des groupes de langue ayoreo sont entrés en relation pacifique avec les missionnaires entre 1947 et 1969, mais les Totobiegosode, <em>Ceux-du-lieu-où-les-pécaris-à-collier-ont-mangé-nos-jardins</em>, ont <a href="https://sciencepost.fr/qui-sont-les-peuples-non-contactes/">refusé ce contact</a>.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/297311/original/file-20191016-98653-z3wz8w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/297311/original/file-20191016-98653-z3wz8w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/297311/original/file-20191016-98653-z3wz8w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=411&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/297311/original/file-20191016-98653-z3wz8w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=411&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/297311/original/file-20191016-98653-z3wz8w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=411&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/297311/original/file-20191016-98653-z3wz8w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=517&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/297311/original/file-20191016-98653-z3wz8w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=517&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/297311/original/file-20191016-98653-z3wz8w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=517&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Les Indiens Ayareo ont vécu sur des zones transnationales avec une forte concentration dans l’état du Paraguay.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.google.com/maps/search/paraguay/@-20.9759491,-67.4404989,5z">GoogleMaps</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Par conséquent, des missionnaires évangéliques de la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/New_Tribes_Mission">New Tribes Mission</a> (NTM), accompagnés d’Ayoreo ennemis, christianisés et armés, ont capturé la majorité d’entre eux au cours des célèbres <a href="https://www.survivalinternational.fr/peuples/ayoreo">chasses à « l’homme sauvage »</a> de 1979 et 1986.</p>
<p>Parmi les Totobiegosode, certains groupes nomades n’ont été en contact pacifique avec les non-Indiens qu’en 2004. Cette rencontre, de leur point de vue, a marqué un tournant et le <a href="https://www.press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/B/bo18001963.html">début de la fin du monde de la forêt</a> telle qu’ils la connaissait.</p>
<blockquote>
<p>« Je travaillais dans mon jardin lorsque le bulldozer est entré dans le village. J’ai commencé à courir vers le village. J’ai oublié mon cobia (collier de plumes pour la guerre) près de mon jardin. J’ai fait demi-tour, ai mis mon cobia de plumes de Jabiru et suis allé combattre le bulldozer. Il était très bruyant. Il semblait être en colère contre nous, comme s’il voulait qu’on aille ailleurs pour nous prendre nos beaux jardins. […] Nous avions très peur des bulldozers, et c’est pourquoi on ne restait pas en place. Nous sommes retournés à notre campement et y sommes restés. Mais les bulldozers sont revenus et nous avons dû nous enfuir à nouveau. On marchait de nuit, d’un lieu à un autre… On ne savait pas où aller pour être à l’abri des bulldozers. »</p>
</blockquote>
<h2>Les attaquants du monde</h2>
<p>Contrairement aux premières descriptions qui furent faites d’eux comme des primitifs stéréotypés, avant le contact, les Ayoreo n’étaient donc pas déterminés par une représentation cyclique du temps mythique mais par leurs relations à des forces économiques et politiques globales.</p>
<p>Pour les Totobiegosode, les bulldozers sont devenus les <a href="https://anthrosource.onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/j.1548-1425.2011.01334.x">instruments et le signe de la fin des temps</a>. Ils les appellent <em>eapajocacade</em>, « attaquants du monde ».</p>
<p>Ces machines de l’agriculture industrielle ont hanté leur forêt pendant les deux décennies où ceux-ci se sont cachés, dans les années 1980 et 1990.</p>
<p>Le bruit du bulldozer – dont l’origine est difficile à identifier dans l’acoustique complexe de la forêt – faisait fuir les Totobiegosode vite et loin. Dans la précipitation, ils abandonnaient souvent derrière eux quelques membres du groupe. Ils pensaient que les bulldozers étaient des êtres monstrueux contrôlés par les <em>Cojnone</em>.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/297231/original/file-20191015-98657-1kgook5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/297231/original/file-20191015-98657-1kgook5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=865&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/297231/original/file-20191015-98657-1kgook5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=865&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/297231/original/file-20191015-98657-1kgook5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=865&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/297231/original/file-20191015-98657-1kgook5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1087&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/297231/original/file-20191015-98657-1kgook5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1087&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/297231/original/file-20191015-98657-1kgook5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1087&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les bulldozers étaient des êtres monstrueux contrôlés par les Cojnone.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://journals.openedition.org/terrain/18010">Élèves de l’école Penninghen pour la revue Terrain</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ce terme (<em>Cojnoiau</em> singulier) désignait originellement tous les non-Ayoreo et embrassait différents degrés d’inimitié, d’ignorance et de statut infra-humains.</p>
<p>Aujourd’hui il fait presque exclusivement référence aux « Blancs », c’est-à-dire aux non-Indiens. La terreur était si présente que les devins ont commencé à avoir des visions de la mort de l’ensemble du groupe, une prophétie qui a des précédents dans l’histoire ayoreo.</p>
<p>Ces peurs n’ont fait que s’intensifier dans les groupes totobiegosode restés dans la forêt, tandis que la fin de leur monde se trouvait évoquée par des images d’éternelles nuits sans feu, d’enfants incapables de parler, de massues impossibles à soulever et de terres broyées, mortes. Les Totobiegosode, vivant cachés au nord du Paraguay dans des forêts se réduisant à grande vitesse, en ont conclu qu’ils avaient peu de chances de survie.</p>
<blockquote>
<p>« Nous souffrions beaucoup dans la forêt, et c’est la raison pour laquelle nous avons décidé de vivre avec les Blancs. Nous pensions que la nourriture des Cojnone était donnée gratuitement. Mais maintenant nous savons qu’elle coûte très cher. Avant nous avions faim. Mais il s’est avéré qu’ils vendaient leur nourriture. »</p>
</blockquote>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/6u2bz9F6Lfc?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Vidéo de Survival International, 2014.</span></figcaption>
</figure>
<h2>Fatale sédentarisation</h2>
<p>Quatre mois après le contact, les hommes du « nouveau groupe », comme il s’appelait désormais, avaient commencé à travailler comme salariés à côté des bulldozers dans la construction de clôtures de pâtures pour une paie quotidienne de trois à cinq dollars. Leurs maigres gains leur permettent aujourd’hui d’acheter des pâtes, des gâteaux et du Coca-Cola. En suivant un tel régime, ils sont souvent faibles et malades. Certains meurent d’infections qui seraient bénignes ailleurs. On diagnostique aux adolescents des formes rares de cancer et, plus récemment, le VIH.</p>
<p>Par une ironie cruelle, la <a href="https://www.scienceshumaines.com/la-chute-du-ciel_fr_26833.html">sédentarisation</a> expose désormais les Totobiegosode à des spores de champignons qui attaquent leurs poumons, spores qui restent normalement dans les sols en l’absence de déforestation.</p>
<p>La poussière dorée, omniprésente, est ainsi devenue la source potentielle d’une contagion mortelle. Les Ayoreo ne distinguent pas d’ordinaire la santé physique, le bien-être moral et l’agentivité sociale.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/297232/original/file-20191015-98661-1bcun1e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/297232/original/file-20191015-98661-1bcun1e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/297232/original/file-20191015-98661-1bcun1e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=750&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/297232/original/file-20191015-98661-1bcun1e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=750&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/297232/original/file-20191015-98661-1bcun1e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=750&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/297232/original/file-20191015-98661-1bcun1e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=942&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/297232/original/file-20191015-98661-1bcun1e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=942&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/297232/original/file-20191015-98661-1bcun1e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=942&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Le simple fait de se remémorer avec plaisir la vie précontact est réputé attirer les infections.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://journals.openedition.org/terrain/18041">Élèves de l’école Penninghen pour la revue Terrain</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>« Beaucoup m’ont affirmé ne plus se souvenir de grand-chose de leur vie d’avant »</h2>
<p>L’expérience quotidienne de la maladie et de la marginalité sociale est ainsi lue comme le <a href="https://anthrosource.onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/amet.12083">signe d’une faiblesse morale</a> inhérente à ce groupe et aux sociétés amérindiennes voisines. Beaucoup pensent que cette faiblesse puise ses racines dans un passé que les Ayoreo doivent transcender pour accéder à des sources de pouvoir radicalement différentes dans ce lieu qu’ils appellent Cojnone-gari, « ce-qui-appartient-aux-non-Ayoreo ».</p>
<p>Ils le considèrent comme le lieu de la modernité même. Là, le passé fait peser une menace constante sur le bien-être collectif, une source de danger potentiel et de contagion qui doit être activement réprimée.</p>
<p>Le simple fait de se remémorer avec plaisir la vie précontact est réputé attirer les infections, la vengeance de Dieu pour s’être abandonné à un « souvenir amer ».</p>
<p>Durant mon terrain, beaucoup m’ont affirmé ne plus se souvenir de grand-chose de leur vie d’avant. Les croyants totobiegosode ont le sentiment aigu que le présent opère dans une écologie morale radicalement différente de celle du passé, une écologie morale structurée autour du retour de Jésus et de la transformation physique des vrais croyants.</p>
<blockquote>
<p>« Tous ceux qui sont vivants aujourd’hui vont certainement connaître la fin de ce monde. Cela arrivera du vivant de cette génération, cela n’arrivera pas à une génération future. Cela va arriver à cette génération. Quand Dieu viendra, personne ne sera capable de distinguer le ciel et la terre, seulement la Parole de Dieu. […] Nous devons être prêts parce qu’il peut arriver n’importe quel jour. »</p>
</blockquote>
<h2>L’or brun, les âmes indiennes</h2>
<p>La conversion du groupe en 2004 a été conduite par des Totobiegosode apparentés contactés en 1986, avec lesquels ils partagent désormais un village. Même si les visites tous les trois jours de Bobby, missionnaire nord-américain adepte de la chasse à l’arc, ont joué un rôle dans cette conversion, ses agents principaux sont des Ayoreo.</p>
<p>Les prédicateurs indiens en charge de convertir le « nouveau groupe » s’inspirent des enseignements des <a href="https://www.institutoiepe.org.br/media/livros/livro_povos_indigenas_do_oiapoque-baixa_resolucao.pdf">missionnaires</a> de la New Tribes Mission (NTM), qui avaient reçu un mandat exclusif auprès de l’État bolivien pour initier le contact et ont ensuite poursuivi cette entreprise au Paraguay.</p>
<p>Voyant comme de « l’or brun » les âmes des Indiens, ces missionnaires profitaient souvent des épidémies, par exemple de certains échecs des techniques chamaniques pour guérir de la rougeole, pour mettre en scène la supériorité de leur grâce sur la sorcellerie « satanique ».</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/297233/original/file-20191015-98661-tyug0q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/297233/original/file-20191015-98661-tyug0q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/297233/original/file-20191015-98661-tyug0q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/297233/original/file-20191015-98661-tyug0q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/297233/original/file-20191015-98661-tyug0q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/297233/original/file-20191015-98661-tyug0q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/297233/original/file-20191015-98661-tyug0q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La fin de leur monde se trouvait évoquée par des images d’éternelles nuits sans feu, d’enfants incapables de parler, de massues impossibles à soulever et de terres broyées, mortes.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://journals.openedition.org/terrain/18041">Élèves de l’école Penninghen pour la revue Terrain</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le but de ces démonstrations était clair : les corps et les âmes des Ayoreo étaient insuffisants, désormais vulnérables. Aujourd’hui, des affirmations ordinaires comme « Dieu détestait nos anciennes manières d’être » ou « nous ne valions rien et péchions » soulignent que Jésus est l’arbitre ultime du pouvoir au sein de la nouvelle écologie métaphysique à Cojnone-gari, une reconnaissance partagée qui fait désormais du christianisme un synonyme à la fois de la modernité et de la moralité ayoreo.</p>
<h2>Puissance générative de la violence</h2>
<p>Aussi brutal que soit ce processus, largement fondé sur la moquerie et la domination, par lequel est passé le « nouveau groupe », il est considéré comme indispensable pour survivre à Cojnone-gari. Cette position suppose que les termes contemporains de la vie elle-même sont modifiés de manière si radicale que le seul espoir de survie réside dans la mort des formes humaines précédentes et la transformation intérieure des corps.</p>
<p>Ces croyances ayoreo sont un témoignage de la puissance générative de la violence : elles excèdent et catalysent à la fois les cadres de pensée des missionnaires (leur opposition entre âmes indigènes et intériorité corporelle) et les ontologies ayoreo préexistantes.</p>
<p>L’imminente transformation du corps et l’imminente destruction du monde ne sont pas un écart logique si important pour ceux qui estiment être déjà passés par là. Beaucoup d’Ayoreo disent qu’ils attendent désormais Jésus. De la même manière que les adeptes du culte du cargo en Nouvelle-Guinée, dont <a href="https://www.persee.fr/doc/caoum_0373-5834_1962_num_15_59_4251_t1_0312_0000_1">Kenelm Burridge</a> a décrit en 1960 les rêves mythiques collectifs, les fidèles ayoreo peuplent cette « structure de l’attente » d’espérances à demi articulées, de conflits et de rumeurs. Les histoires de chiens qui parlent, d’animaux sataniques et de Blancs cannibales sont courantes.</p>
<h2>Un territoire éclaté entre camps, favelas et missions</h2>
<p>Ces visions et ces espoirs sont souvent déçus par les conditions précaires de la vie postcontact. Aujourd’hui, la plupart des Ayoreo sont dispersés entre trente-huit communautés, missions, favelas et camps de travail temporaires situés à la périphérie de leur territoire ancestral.</p>
<p>Ceux qui vivent dans ces camps font partie des plus démunis, des plus pauvres d’entre les Indiens dans une région où ceux-ci, d’une manière générale, sont censés céder la place aux Blancs sur le trottoir et où certains restaurants refusent de les servir.</p>
<p>Ils sont fréquemment la cible de violences et, des deux côtés de la frontière, éloignés des villes par l’armée qui considère qu’ils n’y sont pas à leur place, qu’ils constituent une menace pour l’hygiène et l’ordre public.</p>
<p>Ils sont trop culturels ou trop modernes, trop primitifs ou pas assez. À Cojnone-gari, les lois de l’échange capitaliste les poussent à appliquer eux-mêmes les scénarios de la fin du monde. Ils sont souvent contraints de participer à la destruction d’un environnement naturel qui était auparavant la source occulte de leur sacré. Il y a peu, chaque plante, insecte ou animal dans l’univers était un membre de la tribu.</p>
<p>Aujourd’hui, la plupart des Ayoreo coupent arbres et arbustes dans les rares parcelles qu’ils contrôlent encore afin de les brûler dans des fours enterrés pour fabriquer du charbon qui alimentera peut-être des <a href="https://www.theguardian.com/environment/andes-to-the-amazon/2017/sep/01/will-european-supermarkets-act-over-paraguay-forest-destruction">jardins allemands</a>. L’une des principales marques qui commercialisent ce charbon a pour logo un Indien de dessin animé à moitié nu.</p>
<h2>De nouvelles manières d’être au monde</h2>
<p>Pour les Totobiegosode-Ayoreo récemment contactés, le futurisme apocalyptique, une sorte de schéma apocalyptique qui donne sens au présent à partir d’un futur imaginé, est devenu un puissant cadre explicatif pour comprendre ou créer des événements passés et définir leur nouvelle place comme « peuple autochtone » au Paraguay.</p>
<p>Il s’agit d’un cadre de pensée qui représente des enjeux particulièrement importants pour les anciens « primitifs » en Amérique latine, où le maintien de la « culture traditionnelle » apparaît souvent comme seule légitimation possible des autochtones dans leur quête d’une visibilité politique et dans leurs demandes de ressources adressées à l’État.</p>
<p>L’adoption par les Ayoreo de l’imaginaire apocalyptique ne marque pas l’effacement de leurs catégories ontologiques, pas plus qu’elle ne manifeste la permanence d’un noyau culturel caché sous un vernis de changement apparent.</p>
<p>Il forge de nouvelles manières d’être au monde qui, transcendant tout système de valeurs cohérent déjà présent, soulignent la valeur intrinsèque de la transformation elle-même.</p>
<p>Cet imaginaire constitue ainsi une forme de savoir incarné qui émerge des contradictions insolubles posées par la violence coloniale, transformant la souffrance sociale en source de vie et faisant du présent l’effet d’un futur imminent. Les Ayoreo concluent de leur histoire que la modernité et l’indianité sont deux régimes de vie qui ne peuvent accueillir, une fois de plus, qu’un humain radicalement transformé. Ils l’expriment par un jeu de mots répandu :</p>
<blockquote>
<p>« Nous ne sommes plus ayoreo [humains], nous sommes devenus ayore-cojnoque, [ce qui peut être traduit comme “Ayoreo-Blancs” et “humains-non humains”]. »</p>
</blockquote>
<hr>
<p><em>Ce texte est publié en collaboration avec la revue Terrain où est apparue une <a href="https://journals.openedition.org/terrain/18010">première version longue</a> dans le numéro 71, <a href="https://journals.openedition.org/terrain/17964">Apocalypses</a> traduite en français par Emmanuel de Vienne ainsi que sur le blog <a href="https://blogterrain.hypotheses.org/">carnets de Terrain</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/125104/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les premiers contacts pacifiques des Indiens Ayoreo avec les non-Indiens ont eu lieu en 2004, et ont été de leur point de vue le début de la fin du monde.Lucas Bessire, Anthropologue, University of OklahomaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1164462019-05-09T19:57:38Z2019-05-09T19:57:38ZEthnologue et membre de gang : une expérience nicaraguéenne<p>J’étudie les gangs d’Amérique centrale et plus particulièrement du Nicaragua, depuis plus de 20 ans. En 1996, à 23 ans je suis devenu membre d’un gang nicaraguéen : pendant un an j’ai participé à ses activités, souvent illicites.</p>
<p>Les recherches que j’entreprends depuis maintenant plus de 20 ans ont montré que les gangs – qu’il s’agisse des « bandes » de jeunes au Nicaragua, celles qui rôdent dans le 93 en France, ou les <em>maras</em> honduriens – sont un phénomène <a href="https://theconversation.com/les-gangs-etonnants-miroirs-de-notre-societe-114774">miroir</a> de nos sociétés, avec leur hiérarchie sociale, leur organisation, et leur violence qui souvent reflète la nôtre.</p>
<p>Mais comment les étudier en pratique ? Comment les approcher, nouer des liens avec leurs membres, développer une recherche approfondie sur le phénomène ? Comment s’immerger dans l’univers des gangs ?</p>
<h2>L’approche participative</h2>
<p>Les études les plus révélatrices sur les gangs ont en général toujours été celles basées sur une <a href="http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=62248">approche ethnographique</a>. Ceci découle en partie du fait que l’ethnographie est une méthodologie qui appelle au développement d’une <a href="http://anthropomada.com/bibliotheque/manuel_ethnographie.pdf">intimité profonde</a> avec le phénomène que l’on souhaite étudier.</p>
<p>Cela permet au chercheur ou à la chercheuse d’interagir directement avec l’autre et son environnement social pour pouvoir comprendre les logiques et dynamiques de l’intérieur. Mais la nature particulière de l’ethnographie fait qu’elle n’est clairement <a href="https://rowman.com/ISBN/9781498598439/Ethnography-as-Risky-Business-Field-Research-in-Violent-and-Sensitive-Contexts">pas une méthode évidente</a> à mettre en œuvre afin d’étudier un phénomène tel les gangs. Ceci est vrai tant au niveau pratique, dans la mesure où l’ethnographie demande une certaine proximité avec le phénomène sous étude, ce qui peut soulever des dilemmes moraux, déontologiques, et pratiques.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/272453/original/file-20190503-103075-4ht8ij.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/272453/original/file-20190503-103075-4ht8ij.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/272453/original/file-20190503-103075-4ht8ij.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=360&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/272453/original/file-20190503-103075-4ht8ij.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=360&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/272453/original/file-20190503-103075-4ht8ij.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=360&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/272453/original/file-20190503-103075-4ht8ij.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=452&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/272453/original/file-20190503-103075-4ht8ij.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=452&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/272453/original/file-20190503-103075-4ht8ij.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=452&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Bronislaw Malinowski, l’un des « pères » de l’anthropologie classique, avec des habitants des Îles Trobriand en 1918.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Bronis%C5%82aw_Malinowski#/media/File:Wmalinowski_trobriand_isles_1918.jpg">Billy Hancock/Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Aller au-delà des stéréotypes</h2>
<p>Si cela peut sembler de prime abord très difficile, trois superbes études ethnographiques sur les gangs en France attestent cependant de la faisabilité d’un tel projet.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/272454/original/file-20190503-103063-7laef3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/272454/original/file-20190503-103063-7laef3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/272454/original/file-20190503-103063-7laef3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=941&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/272454/original/file-20190503-103063-7laef3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=941&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/272454/original/file-20190503-103063-7laef3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=941&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/272454/original/file-20190503-103063-7laef3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1183&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/272454/original/file-20190503-103063-7laef3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1183&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/272454/original/file-20190503-103063-7laef3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1183&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"><em>Coeur de Banlieue</em> est paru en 1997 aux éditions Odile Jacob.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://s0.odilejacob.fr/couvertures/9782738104557.jpg">Odile Jacob</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Il s’agit de <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences-humaines/linguistique-psycholinguistique/coeur-de-banlieue_9782738104557.php"><em>Cœur de banlieue</em></a> de David Lepoutre, <a href="https://www.armand-colin.com/le-capital-guerrier-9782200347024"><em>Le capital guerrier</em></a>, de Thomas Sauvadet, et <a href="https://www.amazon.fr/formation-bandes-Mohammed-Marwan/dp/2130578721"><em>La formation des bandes</em></a>, de Marwan Mohammed.</p>
<p>L’étude de Lepoutre explore les codes, les rites et les langages des bandes de jeunes dans la cité des Quatre-Mille à La Courneuve (93), celle de Sauvadet compare la concurrence et la solidarité entre membres de gangs dans deux cités à Paris et une à Marseille, alors que l’étude de Mohammed se focalise sur l’émergence des bandes dans la cité des Hautes-Noues, à Villiers-sur-Marne (94). Ces trois études nous offrent des analyses très fines qui vont bien au-delà des <a href="https://www.liberation.fr/societe/2009/04/15/avec-les-bandes-sarkozy-police-son-image_552721">représentations médiatiques stéréotypées</a> qui abondent à propos des gangs.</p>
<p>Comment ont-ils fait ?</p>
<h2>Tisser des liens</h2>
<p>Les trois chercheurs expliquent dans leurs ouvrages leur démarche méthodologique, qui souvent ont pu se confondre avec un moment de leur vie personnelle. Lepoutre enseigna pendant sept ans dans un collège de La Courneuve, où il vécut également pendant deux ans. Ceci lui permit de tisser des liens forts avec certains individus et familles qui lui servirent d’intermédiaires afin de s’approcher de membres de gangs. Pour sa part, Sauvadet passa une partie de sa jeunesse dans une des deux cités parisiennes étudiées. Il y était donc connu et avait un réseau préexistant. Dans l’autre cité parisienne, il emménagea dans un petit pavillon ouvrier situé juste en face, où l’un de ses voisins le mit en contact avec ce qu’il appelle des « informateurs-médiateurs » qui lui permirent de s’intégrer socialement, alors qu’à Marseille, un ami d’enfance animait une association de boxe dans la cité et cautionna sa présence. Mohammed, enfin, grandit dans la cité des Hautes-Noues où il a effectué sa recherche et il y retourna plus tard afin d’y fonder une association locale avant de devenir vacataire dans la maison de quartier.</p>
<p>Ces trois exemples soulignent l’importance de la proximité tant sociale que spatiale afin de pouvoir véritablement étudier le gang, en tout cas d’un point de vue ethnographique. En même temps, l’extension logique de cette observation voudrait que l’étude parfaite se fasse sur la base d’une immersion dans le gang.</p>
<p>C’est d’ailleurs probablement pour cela que l’une des meilleures descriptions des dynamiques des gangs en France publiée ces 20 dernières années est le livre de Lamence Madzou, <a href="https://editionsladecouverte.fr/catalogue/index-J___tais_un_chef_de_gang-9782707157874.html"><em>J’étais un chef de gang</em></a>. Cet ouvrage est le récit autobiographique – édité et commenté par la sociologue <a href="https://www.metropolitiques.eu/_Bacque-Marie-Helene_.html">Marie-Hélène Bacqué</a> – de Madzou, qui fut chef des « Fight Boys », une bande de jeunes dans la cité Montconseil à Corbeil-Essonnes (91). Le fait que Madzou était membre de gang lui donne bien évidemment un regard privilégié sur le phénomène, et lui permet d’expliquer la logique et les dynamiques de « son » gang.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/2h8a1RkIz8A?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Débat citoyen « Gang story », Champigny, 2013 avec Lamence Madzou, auteur de <em>J’étais un chef de gang</em>.</span></figcaption>
</figure>
<h2>Ethnologues-gangsters</h2>
<p>Ceci étant dit, peu d’anciens membres de gangs écrivent à propos de leurs expériences, et encore moins de manière académique, même si certains deviennent universitaires.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/272456/original/file-20190503-103060-gcgvnn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/272456/original/file-20190503-103060-gcgvnn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/272456/original/file-20190503-103060-gcgvnn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/272456/original/file-20190503-103060-gcgvnn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/272456/original/file-20190503-103060-gcgvnn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/272456/original/file-20190503-103060-gcgvnn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/272456/original/file-20190503-103060-gcgvnn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/272456/original/file-20190503-103060-gcgvnn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Ouvrage paru en 2013.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://cup.columbia.edu/book/gang-life-in-two-cities/9780231158664">Columbia University Press</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p><a href="https://liberalarts.tamu.edu/sociology/profile/robert-duran">Robert Durán</a>, professeur à l’université du Texas A&M aux États-Unis, est auteur de <a href="http://cup.columbia.edu/book/gang-life-in-two-cities/9780231158664"><em>Gang life in two cities</em></a>, une étude comparative des gangs à Denver dans le Colorado, et à Ogden en Utah, où il fut membre d’un gang dans sa jeunesse, et <a href="https://sociology.ucr.edu/faculty/randol-contreras">Randol Contreras</a>, professeur à l’université de Toronto au Canada, est auteur de l’étude <a href="https://www.ucpress.edu/book/9780520273382/the-stickup-kids"><em>The stick-up kids</em></a>, à propos d’un gang de braqueurs de trafiquants de drogue dans le Bronx à New York, avec lequel il a eu des liens intimes.</p>
<p>Ceci étant dit, il y a aussi quelques ethnologues qui deviennent membres d’un gang pendant leurs recherches – c’est ce qui m’est arrivé dans le cadre de mes études sur les gangs au Nicaragua.</p>
<h2>« Attaqué et tabassé »</h2>
<p>Il faut préciser que je ne suis pas allé au Nicaragua afin d’y étudier les gangs. Mon projet d’origine se focalisait sur l’endurance postrévolutionnaire des idéaux révolutionnaires qui caractérisèrent ce pays pendant les années 80.</p>
<p>Ce fut un choc de réaliser suite à mon arrivée au Nicaragua en 1996 – donc six ans après que la <a href="https://journals.openedition.org/cal/8475">révolution sandiniste</a> se soit terminée – qu’il restait très peu des idéaux de la révolution au quotidien. Tout comme de constater que la violence constituait une caractéristique importante de la réalité quotidienne du Nicaragua, plus particulièrement sous la forme des gangs, dénommés localement <em>pandillas</em>.</p>
<p>Trois jours après mon arrivée au Nicaragua, des membres d’un gang m’ont attaqué et tabassé. Puis je subis d’autres épisodes de ce genre au cours des deux premiers mois de mon séjour.</p>
<p>Cette violence inattendue a été plutôt traumatisante – je n’en avais jamais fait l’expérience auparavant – mais en même temps, elle a aussi profondément affecté ma recherche, dans la mesure où elle me força à prêter attention à un phénomène dont je ne me souciais absolument pas mais qui était clairement un élément très important de la réalité sociale nicaraguayenne contemporaine.</p>
<h2>Initiation</h2>
<p>C’est pour cela que, lorsque j’emménageai dans le <em>barrio</em> (quartier) Luis Fanor Hernández – ce nom est bien évidemment fictif, afin de protéger l’identité du quartier et la vie privée ainsi que la sécurité de ses habitants – deux mois après mon arrivée au Nicaragua, les gangs et leur violence étaient devenus le sujet principal de ma recherche.</p>
<p>Cela tombait bien, car le quartier jouissait alors d’une réputation particulièrement sulfureuse à cause de son gang, à l’époque l’un des plus notoires du district. Ce qui fut plus inattendu est que suite à une séquence d’évènements un peu rocambolesques et improbables, quelques semaines après m’être établi dans le quartier, <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/j.1470-9856.2007.00234.x">je fus initié au sein du gang local</a>.</p>
<p>Plus spécifiquement, j’ai dû participer (indirectement) à un vol à l’étalage puis me charger de la vente du butin de celui-ci, me défendre lorsqu’un membre du gang m’attaqua afin de prouver ma valeur, et j’ai aussi dû montrer que j’étais prêt à défendre le quartier lorsque celui-ci fut attaqué par le gang d’un autre quartier.</p>
<p>Le débarquement au cœur d’un gang d’un étranger, chercheur de surcroît, peut paraître invraisemblable, mais dans une certaine mesure cette initiation était presque naturelle : j’étais jeune – 23 ans à l’époque – homme, et suivant les principes de l’enquête ethnographique je traînais dans les rues du quartier, donc dans un espace privilégié du gang…</p>
<h2>La réputation</h2>
<p>Mais le facteur déterminant était la réputation du gang, qui découlait à l’époque en grande partie des caractéristiques de ses membres individuels. Le gang décida de m’intégrer car cela lui permettait de devenir le seul gang de la ville à avoir un <em>chele pandillero</em>, ou membre étranger, et elle vit sa notoriété s’accroître de manière significative.</p>
<p>Il est important de préciser que je n’ai jamais caché mon rôle de chercheur aux membres du gang, qui semblent l’avoir accepté comme condition de mon intégration. En même temps, j’ai accepté de devenir membre du gang non pas pour pouvoir les étudier, mais plutôt comme stratégie de survie, selon l’idée que « si vous ne pouvez pas les vaincre, joignez-vous à eux ».</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/272457/original/file-20190503-103049-7upxmz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/272457/original/file-20190503-103049-7upxmz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=921&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/272457/original/file-20190503-103049-7upxmz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=921&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/272457/original/file-20190503-103049-7upxmz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=921&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/272457/original/file-20190503-103049-7upxmz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1158&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/272457/original/file-20190503-103049-7upxmz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1158&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/272457/original/file-20190503-103049-7upxmz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1158&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Un membre de gang du barrio Luis Fanor Hernández montrant un tatouage et une cicatrice impressionnante.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Dennis Rodgers</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Trainer, fumer, boire, vanner</h2>
<p>Devenir membre du gang m’a bien évidement fourni une opportunité de recherche ethnographique incroyable, et m’a permis de développer ce que le sociologue <a href="https://loicwacquant.org/">Loïc Wacquant</a> a dénommé dans sa célèbre étude sur la boxe, <a href="https://agone.org/lordredeschoses/corpsame/"><em>Corps et âme</em></a>, une recherche « charnelle », c’est-à-dire impliquant une conversion sensuelle et incarnée au phénomène sous étude.</p>
<p>J’ai pu passer énormément de temps à traîner avec le gang dans les rues du quartier. J’ai fumé, bu, vanné avec les autres membres. J’ai participé à beaucoup de leurs activités collectives, tant violentes comme non-violentes, et j’ai pu me familiariser ainsi avec les codes, rites et pratiques du gang.</p>
<p>J’ai aussi partagé beaucoup de temps individuellement avec des membres de gangs, tant dans la rue que chez eux, à leur demander ce qui les avait poussés à se joindre au gang, savoir comment ils se voyaient, ce qu’ils pensaient des autres.</p>
<p>J’ai pu comparer leurs discours avec leurs pratiques, et les observer agir et interagir dans diverses circonstances, dont beaucoup qui auraient été impossibles pour quelqu’un qui n’était pas membre du gang.</p>
<h2>Dilemmes moraux et éthiques</h2>
<p>J’ai bien évidemment dû faire face à divers dilemmes moraux et à des situations compliquées à gérer, par exemple quand des membres du gang me parlaient d’actes criminels qu’ils disaient planifier – les membres de gang mentent peut-être plus que le commun des mortels… – mais j’ai aussi appris que les décisions morales ne peuvent se prendre que de manière très situationnelle, et qu’à certains niveaux l’ethnologue ne peut qu’inévitablement devenir complice.</p>
<p>Que faire lorsque l’on découvre que des individus faisant partie de notre champ de recherche ont commis des crimes, ce qui est presque inévitable lorsque l’on étudie les gangs ? Faut-il les dénoncer, les confronter ou bien les ignorer ?</p>
<p>Les trois options impliquent différentes complicités – avec les autorités, avec le gang, avec l’individu… Elles doivent clairement être considérées par rapport à un cadre éthique plus large, mais en fin de compte elles engagent toujours des choix avec lesquels inévitablement quelqu’un ne sera pas d’accord.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/272459/original/file-20190503-103049-q4fvo8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/272459/original/file-20190503-103049-q4fvo8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/272459/original/file-20190503-103049-q4fvo8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/272459/original/file-20190503-103049-q4fvo8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/272459/original/file-20190503-103049-q4fvo8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=509&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/272459/original/file-20190503-103049-q4fvo8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=509&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/272459/original/file-20190503-103049-q4fvo8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=509&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">« L’ethnologue-gangster » et un ami, 1996.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Dennis Rodgers</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Vivre avec soi-même</h2>
<p>Au final, comme l’a très bien dit le sociologue américain <a href="https://www.press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/S/bo3684722.html">William Foote Whyte</a>, le critère déterminant est que</p>
<blockquote>
<p>« l’ethnologue doit continuer à vivre avec lui-même. S’il se trouve en train de participer à des activités qu’il perçoit comme immorales, il est probable qu’il commencera à se demander quel genre de personne il est. »</p>
</blockquote>
<p>De ce point de vue, je peux tout à fait vivre avec tout ce que j’ai fait lorsque j’étais membre du gang.</p>
<p>J’ai imposé des limites à ma participation, en demandant un statut de « membre observateur », par exemple. Les membres du gang l’ont accepté en partie à cause de mon statut d’étranger, ce qui m’a permis de ne pas avoir à respecter toutes les règles régissant le gang. Je n’ai pas accepté de m’impliquer dans certaines activités, et j’ai aussi déclaré que j’en dénoncerais d’autres si je les observais. En même temps, ceci n’a rien d’exceptionnel, la recherche ethnographique, quelle qu’elle soit, étant en fin de compte toujours une négociation…</p>
<h2>Un moyen de recherche parmi d’autres</h2>
<p>Le fait d’avoir rejoint le gang du barrio Luis Fanor Hernández pendant un an m’a aussi permis d’engager les recherches ethnographiques longitudinales sur le phénomène que je poursuis encore.</p>
<p>Bien qu’ayant pris ma « retraite » du gang à mon départ du Nicaragua, en juillet 1997, suite à mon premier séjour, les relations que j’y ai nouées ont perduré.</p>
<p>Encore aujourd’hui je reste un « vieux de la vieille » respecté par les anciens et nouveaux membres du gang. Ces derniers ont donc toujours été prêts à me parler, à répondre à mes questions, à partager des informations concernant leurs activités, tant légales qu’illégales, lors de mes retours réguliers au barrio Luis Fanor Hernández.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/272832/original/file-20190506-103049-1l88ye8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/272832/original/file-20190506-103049-1l88ye8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/272832/original/file-20190506-103049-1l88ye8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/272832/original/file-20190506-103049-1l88ye8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/272832/original/file-20190506-103049-1l88ye8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/272832/original/file-20190506-103049-1l88ye8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/272832/original/file-20190506-103049-1l88ye8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">‘L’ethnologue-gangster’ retraité et deux amis, 2007.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Dennis Rodgers</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Devenir membre d’un gang n’est bien sûr pas l’unique manière de faire de la recherche ethnographique sur le phénomène, et n’est pas quelque chose à la portée de tous, pour de multiples raisons souvent contextuellement variables, mais aussi des questions de genre, d’ethnicité, ou bien d’âge (qui peuvent varier de gang en gang).</p>
<p>De ce point de vue, presque un quart de siècle après mon premier terrain au Nicaragua, je m’apprête à bientôt développer de <a href="https://www.graduateinstitute.ch/research-centres/centre-conflict-development-peacebuilding/gangs-gangsters-and-ganglands-towards">nouvelles recherches ethnographiques sur les gangs de Marseille</a>. Celles-ci n’impliqueront très certainement pas être initié au sein d’un gang, mais j’espère que mes expériences passées me serviront afin de développer de nouvelles approches qui seront toutes aussi productives et génératrices d’idées et d’analyses.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/116446/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dennis Rodgers has received funding from the European Research Council (<a href="https://erc.europa.eu">https://erc.europa.eu</a>) for a project on “Gangs, Gangsters, and Ganglands: Towards a Global Comparative Ethnography” (GANGS) within the context of the ERC Advanced Grant scheme (EU 787935).</span></em></p>Comment étudier des gangs ? Comment les approcher, nouer des liens avec leurs membres, développer une recherche approfondie sur le phénomène ? Comment s’immerger dans leur univers ?Dennis Rodgers, Research Professor, Anthropology and Sociology, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1147742019-04-17T20:28:12Z2019-04-17T20:28:12ZLes gangs, étonnants miroirs de notre société<p>Les membres des gangs sont les êtres <a href="https://www.youtube.com/watch?v=GorMdb8k-Mg">« les plus vils, malades et vicieux qui existent au monde »</a> éructait Donald Trump fin mars 2019 lors d’un meeting politique à Grand Rapids, dans l’état du Michigan. Cette déclaration violente à l’encontre des « gangs » qui sévissent aux États-Unis n’est pas sans rappeler celle qu’il avait déjà faite en mai 2018 lors d’une conférence de presse à la Maison Blanche, qualifiant ces criminels d’animaux.</p>
<p>Trump a largement déployé ce discours envers les membres de gangs pour justifier certaines de ses actions politiques ou médiatiques, telle que la construction potentielle d’un mur entre les frontières américaines et mexicaines afin de protéger les citoyens américains de gangs latino-américains dont la référence principale est le MS-13.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"997108754322685952"}"></div></p>
<p>Mais il n’a pas été le seul à utiliser l’argument de la « bande de criminels » ou du gang pour ses fins politiques ou médiatiques.</p>
<p>En France la peur des « bandes » est également un marronnier journalistique régulièrement brandi par les médias ou les hommes politiques – <a href="https://www.liberation.fr/societe/2009/04/15/avec-les-bandes-sarkozy-police-son-image_552721">Nicolas Sarkozy</a>, alors ministère de l’Intérieur, avait largement utilisé cet argument et un vocabulaire choisi pour prôner « sa tolérance zéro ». Parfois le phénomène bénéficie d’une cartographie comme l’avait fait <a href="https://www.lepoint.fr/politique/exclusif-la-carte-des-bandes-de-jeunes-a-paris-14-11-2018-2271412_20.php">Le Point pour la ville de Paris et ses « bandes »</a>. Et ce, quitte à véhiculer parfois une information trompeuse et à se ridiculiser comme cela a été le cas il y a quelques années avec la description de « no-go zones » (zones de non-droit) mêlant, d’après Fox News (chaîne américaine) ou le <em>Daily Express</em> (tabloïd britannique) chaos, <a href="https://www.timeout.fr/paris/le-blog/fuyez-paris-les-no-go-zones-sont-de-retour-030217">affrontements avec les forces de l’ordre et charia en plein Paris</a>.</p>
<p>Ces visions mélodramatiques des gangs comme la personnification même de la violence, du danger et de la brutalité, voire de la barbarie sont cependant à la fois anciennes et bien diffusées à travers les institutions politiques, juridiques et l’opinion.</p>
<p>Or, si elles servent le propos de certains acteurs politiques, elles cachent cependant tout ce que les gangs révèlent de nos sociétés et que nous refusons de voir.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/oTtcc5zIrDw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Nicolas Sarkozy et les banlieues, Ina Société, 2005.</span></figcaption>
</figure>
<h2>Chaos, anarchie et destruction</h2>
<p>Dans l’imaginaire collectif, les gangs représentent des phénomènes incontrôlables semant l’anarchie, le chaos et la destruction.</p>
<p>Leur brutalité pathologique est de mise dans les <a href="http://www.leparisien.fr/faits-divers/a-marseille-l-inquietante-multiplication-des-reglements-de-comptes-10-09-2018-7883391.php">médias</a>, les <a href="https://www.amazon.fr/Tropique-violence-Nathacha-Appanah/dp/2070197557">récits</a> et les <a href="https://www.imdb.com/title/tt3655522/">films</a>.</p>
<p>En <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/j.1467-7660.2009.01590.x">Amérique Centrale</a>, un cas classique est celui des <em>maras</em> ou <em>pandillas</em>, perçus comme les acteurs principaux d’une criminalité largement étendue mais dont la violence surpasserait celle des nombreux conflits révolutionnaires armés ayant ébranlés la région dans les années 70 et 80.</p>
<p>Les gangs de cette région ont particulièrement été décrits par les institutions juridiques et les journalistes comme une menace sécuritaire, voire comme une <a href="https://ssi.armywarcollege.edu/pubs/display.cfm?pubID=597">« une nouvelle forme d’insurrection urbaine »</a> qui tenterait de renverser le <a href="https://www.foreignaffairs.com/articles/central-america-caribbean/2005-05-01/how-street-gangs-took-central-america">pouvoir</a>.</p>
<p>La réponse publique a été celle de la répression violente, à tel point qu’il n’est pas exagéré de décrire les états d’Amérique Centrale comme menant une <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0967010609343298">guerre aux gangs</a>.</p>
<p>Ces constructions alarmistes se fondent souvent <a href="https://books.google.ch/books?id=eH6JDwAAQBAJ&amp;pg=PT148&amp;lpg=PT148&amp;dq=Reporting+Urban+Violence+and+Gangs+Mathew+Charles&amp;source=bl&amp;ots=o7DuaESqj8&amp;sig=ACfU3U2gno3FrwMZiZo0WvAU-3qWK-TgRg&amp;hl=en&amp;sa=X&amp;ved=2ahUKEwj198C6g5bhAhUVxMQBHVuTCVoQ6AEwAHoECAkQAQ#v=onepage&amp;q&amp;f=false">sur des stéréotypes et des modes</a>, que ce soit en Amérique Centrale ou au-delà.</p>
<p>Cependant, elles demeurent diffuses notamment parce que les gangs forment des boucs émissaires idéaux pour les autorités, permettant de justifier des formes de contrôle étendues et des interventions musclées, y compris par le biais de la ségrégation spatiale comme c’est par exemple le <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/095624780401600202">cas au Nicaragua</a> où de nouvelles formes d’organisation spatiale des villes sont censées préservées certains habitants des « gangs ».</p>
<p>Ces stéréotypes perdurent d’autant plus que les gangs constituent un phénomène <a href="https://www.upress.umn.edu/book-division/books/global-gangs">universel, historique et contemporain à la fois</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/269783/original/file-20190417-139113-1df6nw9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/269783/original/file-20190417-139113-1df6nw9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=244&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/269783/original/file-20190417-139113-1df6nw9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=244&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/269783/original/file-20190417-139113-1df6nw9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=244&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/269783/original/file-20190417-139113-1df6nw9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=306&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/269783/original/file-20190417-139113-1df6nw9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=306&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/269783/original/file-20190417-139113-1df6nw9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=306&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Vue depuis la lagune de l’un des quartiers « riches » de Villa Nueva, Tigre, district de Buenos Aires (Argentine), 2013.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://es.wikipedia.org/wiki/Archivo:Complejo_Villa_Nueva,_Tigre.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Les trublions de la Pax Romana</h2>
<p>L’historien romain Titus Livius, connu sous le nom de Livy, montre dans son ouvrage de référence, <a href="https://www.amazon.com/Ab-urbe-condita-libri-Latin/dp/B0038ONK3E"><em>Ab Urbe Condita</em></a> que les gangs criminels ont joué un rôle éminemment politique durant la République romaine au I<sup>er</sup> siècle de cette ère.</p>
<p>Il décrit ainsi la façon dont les politiciens se sont appuyés sur les bandes rivales pour établir physiquement l’assise de leur pouvoir, mobiliser des soutiens ou au contraire, perturber ceux de leurs opposants. Ce phénomène a également été mis en lumière dans la fiction du romancier Robert Fabbri <a href="http://www.robertfabbri.com/books/the-crossroads-brotherhood-trilogy/">‘<em>Crossroads Brotherhood Trilogy</em>’</a>.</p>
<p>Plus d’un siècle de recherches sur les gangs ont montré qu’ils existent dans des pays aussi divers que les <a href="https://www.cambridge.org/core/books/life-in-the-gang/F9DAC96DA6999EEB1C9A42EDFA70F69A">États-Unis</a>, le <a href="https://www.ajol.info/index.php/sacq/article/view/101434">Kenya</a>, l’<a href="https://www.press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/G/bo6161597.html">Afrique du Sud</a>, le <a href="https://www.companhiadasletras.com.br/detalhe.php?codigo=14423">Brésil</a>, le <a href="https://utpress.utexas.edu/books/wolf-mano-dura">Salvador</a>, le <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/journal-of-latin-american-studies/article/living-in-the-shadow-of-death-gangs-violence-and-social-order-in-urban-nicaragua-19962002/4DF2EFF5663289AACBC6538C126A8E30">Nicaragua</a>, la <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0047235297000147">Chine</a>, l’<a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/1466138111432035">Inde</a>, la <a href="https://www.amazon.fr/J%C3%A9tais-chef-gang-Marie-H%C3%A9l%C3%A8ne-BACQU%C3%89/dp/2707157872">France</a> et le <a href="https://global.oup.com/academic/product/urban-legends-9780198728610?cc=ch&amp;lang=en&amp;">Royaume-Uni</a>, parmi d’autres.</p>
<h2>Les gangs comme systèmes sociaux</h2>
<p>L’ubiquité des gangs laisse clairement voir que ce sont des systèmes sociaux institutionnalisés. Le sociologue américain Frederic Thrasher écrivait d’ailleurs dans son <a href="https://www.press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/G/bo5968347.html">étude pionnière au sujet des gangs de Chicago dans les années 20</a>, que ces derniers témoignaient d’une</p>
<blockquote>
<p>« vie, dure et sauvage [et donc] riche en éléments et processus sociaux clefs pour la compréhension de la société et de la nature humaine ».</p>
</blockquote>
<p>Les gangs s’insèrent dans un vaste panel de pratiques humaines comme l’exercice du pouvoir politique, l’accumulation du capital, la socialisation, la définition de l’identité d’un individu et d’un groupe, le contrôle d’un territoire, le défi de l’autorité et la structuration des relations de genre. Tous ces processus, communs à l’ensemble du genre humain sont particulièrement intéressants à observer du point de vue des gangs.</p>
<p>C’est aussi pour cette raison qu’ils offrent, d’une certaine façon un miroir pour la société, mettant en évidence ses traits et ses tendances les plus crispantes.</p>
<p>L’étude de Thrasher a ainsi pour mérite non seulement de présenter des détails sur le fonctionnement des gangs de Chicago mais aussi d’illuminer l’économie politique et sociale de la ville. Il fait ainsi le lien entre l’émergence des gangs et les communautés – souvent immigrantes – socialement exclues dont les droits ont été bafoués, pointant les inégalités criantes et croissantes de la société américaine <a href="https://www.jstor.org/stable/pdf/25053897.pdf">des années 1920 et 30</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/JwXfVGjSz-4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">La série <em>Peaky Blinders</em> décrit la vie d’un gang de Birmingham au tout début du XXᵉ siècle, illustrant par la même occasion les changements sociaux et politiques profonds qui secouent l’Angleterre.</span></figcaption>
</figure>
<p>Les gangs ne constituent pas juste un phénomène social autonome aux logiques internes complexes, avec des dynamiques propres, mais sont donc aussi des épiphénomènes, qui reflètent et sont formés par une structure sociale plus large.</p>
<p>Ils nous montrent ainsi les changements au sein de notre société.</p>
<p>Dans ses recherches, le sociologue Sudhir Venkatesh a étudié les <a href="https://www.journals.uchicago.edu/doi/abs/10.1086/231172?journalCode=ajs">activités économiques d’un gang de rue à Chicago dans les années 1980</a> et comment ce dernier a bouleversé le marché de la drogue, en individualisant peu à peu un système de ventes auparavant collectif, imitant en cela les tendances de l’économie américaine, la <a href="https://www.investopedia.com/terms/r/reaganomics.asp">« Reaganomics »</a> poussant vers toujours plus d’individualisme.</p>
<p>De manière similaire, le <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Les_bandes_de_jeunes-9782707153456.html">travail</a> des sociologues français Marwan Mohammed et Laurent Mucchielli a mis en lumière comment l’évolution des gangs en France, en particulier des « blousons noir » dans les années 50 et 60 aux gangs des Zoulous dans les années 80 pouvait être liée à la fin des « trente glorieuses » et la restructuration profonde de l’économie française qui s’en suivit.</p>
<p>Comprendre la logique des gangs nous informe ainsi sur des changements sociétaux plus larges. Ainsi lorsqu’un gang devient plus violent ou lorsque ses activités se recentrent sur un secteur à l’exclusion d’autres, cela peut marquer un tournant dans les politiques publiques de répression ou de discrimination à l’égard de certains groupes de la société. Par exemple, le fait que les gangs d’Amérique centrale soient devenus de plus en plus brutaux et qu’ils soient passés de l’action d’autodéfense à l’extorsion et au trafic de drogue peut être associé à la nature de plus en plus <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0308275X06066577">oligarchique et ségrégative des sociétés dans la région</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/jkit6sfExEI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Reportage sur les « blousons noirs » de 1968.</span></figcaption>
</figure>
<h2>Un phénomène volatile</h2>
<p>Les gangs sont volatiles. Ce qui implique dans toute enquête d’aborder la question de leur émergence, leur propagation, leur évolution et leur déclin en évitant de les catégoriser ou de les définir <a href="http://www.sscnet.ucla.edu/soc/faculty/katz/pubs/TheCriminologistsGang.pdf">d’une manière trop rigide</a>.</p>
<p>Par exemple, nous devons nous demander ce que nous entendons par le terme « gang ». Ce mot n’est pas seulement chargé, il est aussi utilisé de manière très variable, appliqué à des phénomènes sociaux qui incluent le crime organisé, des associations de détenus dans les prisons et même des groupes informels de jeunes au coin de la rue qui adoptent un comportement « antisocial ». Ils peuvent aussi changer de forme rapidement : le gang de jeunes d’aujourd’hui pourrait devenir une organisation de trafic de drogue demain, et une milice politique le surlendemain.</p>
<p>Nous avons donc besoin d’une définition large qui nous permette d’englober ces différentes itérations. Nous devons aller au-delà de la seule dynamique organisationnelle ou de l’appartenance à un gang, et considérer leur environnement et leurs circonstances structurelles, y compris la façon dont ils se connectent à d’autres acteurs tels que des <a href="https://us.macmillan.com/books/9780374230029">membres du crime organisé</a>, la <a href="https://www.ucpress.edu/book/9780520285712/the-killing-consensus">police</a>, les <a href="https://www.uncpress.org/book/9780807857748/drugs-and-democracy-in-rio-de-janeiro/">politiciens</a> ou les <a href="http://www.cornellpress.cornell.edu/book/?GCOI=80140100190880">élites du monde des affaires et entrepreneurs</a>, entre autres.</p>
<figure>
<iframe src="https://player.vimeo.com/video/27014900" width="500" height="281" frameborder="0" webkitallowfullscreen="" mozallowfullscreen="" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption"><em>Bronx-Barbes</em> (2000), d’Eliane De Latour, dépeint les rêves et les aspirations des gangsters de la Côte d’Ivoire contemporaine.</span></figcaption>
</figure>
<p>Si la recherche a montré les variations de forme et d’impact des gangs, l’écrasante majorité des études se concentre sur un seul gang ou une seule région du monde. De fait elles ont généré peu de connaissances généralisables. La comparaison pourrait permettre de déterminer quels types de dynamiques de gangs pourraient être généralisables et quelles autres plus spécifiques à des lieux ou contextes particuliers. C’est pour cette raison que nous avons récemment lancé le projet de recherche <a href="https://www.graduateinstitute.ch/research-centres/centre-conflict-development-peacebuilding/gangs-gangsters-and-ganglands-towards">GANGS</a>. Au cours des cinq prochaines années, nous explorerons de manière comparative la dynamique des gangs au Nicaragua, en Afrique du Sud et en France.</p>
<p>Ce projet cherchera à répondre à des questions telles que comment et pourquoi les gangs émergent et évoluent d’une manière particulière ? Dans quelles conditions urbaines et politiques ? Pourquoi certains individus rejoignent-ils des gangs, pourquoi en sortent-ils, et en quoi cela peut-il avoir un impact sur leurs choix de vie ?</p>
<p>Répondre à ces questions nous aidera, nous l’espérons, non seulement à comprendre la logique des gangs d’un point de vue plus global, mais aussi, plus généralement, à mieux appréhender la nature sous-jacente du monde dans lequel nous vivons.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/114774/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dennis Rodgers has received funding from the European Research Council (<a href="https://erc.europa.eu">https://erc.europa.eu</a>) for a project on “Gangs, Gangsters, and Ganglands: Towards a Global Comparative Ethnography” (GANGS) within the context of the ERC Advanced Grant scheme (EU 787935).</span></em></p>Les gangs tendent un miroir à nos sociétés, mettant en évidence leurs caractéristiques les plus dérangeantes et les plus cachées.Dennis Rodgers, Research Professor, Anthropology and Sociology, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1152762019-04-15T18:18:35Z2019-04-15T18:18:35ZMigrants aux portes des États-Unis : pourquoi ils fuient leurs pays<p><a href="https://www.nytimes.com/2019/03/05/us/crossing-the-border-statistics.html">L’afflux massif de familles en provenance d’Amérique centrale</a> et qui demandent l’asile aux États-Unis est un phénomène d’une ampleur considérable pour les services d’immigration américains.</p>
<p>La crise humanitaire à la frontière sud des États-Unis a provoqué, le 7 avril dernier, la <a href="https://www.nytimes.com/2019/04/07/us/politics/kirstjen-nielsen-dhs-resigns.html">démission forcée de Kirstjen Nielsen, secrétaire à la Sécurité intérieure</a>, le président Donald Trump lui ayant reproché d’avoir mal géré la situation.</p>
<p><a href="https://www.politico.com/story/2019/04/02/trump-aides-border-shutdown-disaster-1249828">Au moment où Trump renouvelle sa promesse de « fermer la frontière »</a> et de <a href="https://www.nytimes.com/2019/03/29/us/politics/trump-mexico-illegal-immigration.html">« punir » les gouvernements du Honduras, du Guatemala et du Salvador</a> pour ne pas avoir réussi à endiguer l’exode en provenance de leurs pays, il est impératif d’essayer de comprendre les raisons qui poussent tant de familles à faire ce voyage difficile et dangereux vers le Nord.</p>
<p>J’ai passé la majeure partie de la dernière décennie <a href="https://www.ucpress.edu/book.php?isbn=9780520297098">à mener des travaux sur le terrain dans cette région</a> et le long des routes migratoires à travers le Mexique, cherchant des réponses à cette question. L’extrême pauvreté de la région et l’impunité face aux violences apparaissent comme des facteurs primordiaux de cette migration.</p>
<p>Pourtant, chaque migrant a une histoire unique. Certains cherchent simplement à gagner assez d’argent pour s’assurer un avenir meilleur. D’autres fuient les persécutions des gangs, du crime organisé ou des fonctionnaires corrompus. Pour d’autres encore, l’insécurité et la pauvreté sont tellement liées qu’il devient impossible de les distinguer.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/268212/original/file-20190408-2924-jctt6s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/268212/original/file-20190408-2924-jctt6s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/268212/original/file-20190408-2924-jctt6s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/268212/original/file-20190408-2924-jctt6s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/268212/original/file-20190408-2924-jctt6s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/268212/original/file-20190408-2924-jctt6s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/268212/original/file-20190408-2924-jctt6s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/268212/original/file-20190408-2924-jctt6s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Santos Isabel Escobar pleure son fils âgé de 18 ans, Eddy Fernando Cabrera, tué avec quatre autres jeunes à Tegucigalpa (Honduras), le 11 janvier 2019.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.apimages.com/Search?query=violence+honduras&ss=10&st=kw&entitysearch=&toItem=18&orderBy=Highlights&searchMediaType=allmedia">Fernando Antonio/AP</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Criblé de dettes</h2>
<p>L’extrême pauvreté et l’inégalité hantent la région. Aujourd’hui, environ la moitié des Centraméricains – et même les deux tiers des populations rurales du Guatemala et du Honduras – <a href="https://borgenproject.org/poverty-in-central-america/">vivent en dessous du seuil de pauvreté</a>.</p>
<p>Or, dans le même temps, le Honduras, le Guatemala et le Salvador figurent <a href="https://www.cfr.org/backgrounder/central-americas-violent-northern-triangle">parmi les pays les plus meurtriers du monde</a>. De nombreux migrants d’Amérique centrale désespèrent de trouver un emploi qui leur permette de subvenir aux besoins de leur famille. La loi américaine sur l’asile n’apporte aucune solution à ces « réfugiés économiques ».</p>
<p>Fin 2017, j’ai rencontré Roberto Quijones dans un refuge pour migrants dans l’État mexicain de Tabasco, à environ 25 kilomètres de la frontière avec le Guatemala. Pendant que nous parlions, il essayait de réparer ses chaussures abîmées avec du ruban adhésif pour protéger ses pieds perclus d’ampoules.</p>
<p>Roberto est originaire d’une ville rurale du nord-ouest du Salvador, près de la frontière avec le Honduras et le Guatemala. Il était au chômage depuis deux ans. Depuis plus d’un an, lui, sa femme et leur fille de deux ans vivaient avec une tante. Son hébergement à titre gracieux touchait à sa fin.</p>
<blockquote>
<p>« C’est la famille, dit Roberto, mais à un moment il n’est plus possible de ne plus payer de loyer. Même quand il s’agit de la famille ».</p>
</blockquote>
<p>Or, même ceux qui trouvent du travail ne peuvent pas couvrir les besoins fondamentaux des familles, anéantissant l’espoir d’un avenir meilleur, en raison du niveau de salaires extrêmement bas.</p>
<blockquote>
<p>« Je peux me faire 200 lempiras par jour de travail (l’équivalent de 10 dollars US), m’expliquait Marvin Otoniel Castillo, père de trois enfants, originaire de Tegucigalpa au Honduras ».</p>
</blockquote>
<p>Nous avons échangé, fin 2016, sous un pont à Veracruz, au Mexique, alors que nous attendions un train pour continuer notre route vers le Nord.</p>
<blockquote>
<p>« Vous passez votre vie entière à creuser votre dette, poursuit Marvin. C’est pour ça que je suis venu. Pour pouvoir envoyer mon aîné à l’école afin qu’il n’ait pas à vivre comme son père ».</p>
</blockquote>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/268213/original/file-20190408-2909-tmgx3n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/268213/original/file-20190408-2909-tmgx3n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/268213/original/file-20190408-2909-tmgx3n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/268213/original/file-20190408-2909-tmgx3n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/268213/original/file-20190408-2909-tmgx3n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/268213/original/file-20190408-2909-tmgx3n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/268213/original/file-20190408-2909-tmgx3n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/268213/original/file-20190408-2909-tmgx3n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Une femme vend des poussins dans le centre de San Salvador.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.apimages.com/metadata/Index/Migrant-Caravan-El-Salvador-Why-They-Leave/1d466429a15443e694cb6775790d117a/30/0">Rebecca Blackwell/AP</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Courir pour sauver sa vie</h2>
<p>D’autres migrants ont été la cible d’organisations criminelles qui opèrent dans une incroyable impunité en Amérique centrale.</p>
<p>Les organisations criminelles tirent une grande partie de leur pouvoir de leurs liens étroits avec les fonctionnaires du gouvernement ; il est parfois impossible de savoir où l’État s’arrête et où commence le monde souterrain. Du fait de ces connexions, il est souvent compliqué d’identifier les responsables d’un meurtre.</p>
<p>Des gangs transnationaux, comme la <a href="https://theconversation.com/what-gangs-tell-us-about-the-world-we-live-in-114221">Mara Salvatrucha, ou MS-13</a>, jouent un rôle important dans cette violence. Il est très difficile de mesurer leurs poids dans la criminalité globale qui affecte ces pays en raison d’un faible taux de poursuite judiciaire et un <a href="https://www.insightcrime.org/news/analysis/appraising-violence-in-honduras-how-much-is-gang-related/">manque de données fiables</a>.</p>
<p>Cependant, il est clair que les gangs sont les principaux responsables <a href="https://read.dukeupress.edu/public-culture/article-abstract/28/3%20(80)/593/85832">des rackets violents</a> dans la région, provoquant d’importants dégâts psychologiques et économiques parmi les populations démunies en Amérique centrale et à l’origine d’innombrables meurtres.</p>
<p>Résultat, de nombreux migrants centraméricains courent, au sens propre du terme, pour sauver leur vie.</p>
<p>Parmi eux, on trouve Pedro, dont l’oncle et deux frères ont été abattus dans une rue bondée de Guatemala City en 2015 parce que, selon lui, son cousin avait arnaqué une organisation de trafic de drogue. Comme d’autres personnes que j’ai interviewées qui fuient des persécutions violentes, il a demandé l’anonymat pour se protéger et protéger sa famille qui vit toujours au Guatemala.</p>
<p>Pedro explique qu’il a déménagé avec sa femme et ses deux filles dans un autre quartier de la ville pour échapper aux menaces. Mais, un jour, la police a découvert le corps sans vie de sa fille de 13 ans dans une ruelle. Ses agresseurs l’avaient violée, brûlée avec des cigarettes et poignardée à mort. Pedro a compris que personne ne lui dirait qui avait commis ce crime horrible. Il a choisi de s’enfuir avec sa famille pour assurer la sécurité des siens.</p>
<p>Il y a aussi Alejandra, originaire d’une ville de taille moyenne dans l’ouest de la capitale guatémaltèque. Elle en était à sa dernière année de formation d’infirmière et passait ses vacances de Noël en famille quand elle a vu son oncle se faire abattre dans sa cour alors qu’il accrochait des guirlandes.</p>
<p>Son oncle, m’a-t-elle expliqué, avait refusé de verser de l’argent à un groupe criminel dirigé par des officiers de police, dont certains à la retraite. Le lendemain, Alejandra a reçu des messages de menaces sur Facebook. Elle ne voulait pas quitter le pays, et a emménagé chez une amie dans une autre ville et a essayé de se faire oublier.</p>
<p>Quelques semaines plus tard, expliqua Alejandra, le groupe avait envoyé un enfant avec une arme de poing pour la tuer. Elle s’est échappée en sautant de sa moto. C’est alors qu’elle a décidé d’abandonner sa carrière d’infirmière et de fuir le Guatemala.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/268214/original/file-20190408-2931-wm4ghv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/268214/original/file-20190408-2931-wm4ghv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/268214/original/file-20190408-2931-wm4ghv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/268214/original/file-20190408-2931-wm4ghv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/268214/original/file-20190408-2931-wm4ghv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/268214/original/file-20190408-2931-wm4ghv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/268214/original/file-20190408-2931-wm4ghv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/268214/original/file-20190408-2931-wm4ghv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Des demandeurs d’asile originaires d’Amérique centrale détenus par le service des douanes et des garde-frontières américains, à El Paso, Texas, le 28 mars 2019.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://pictures.reuters.com/CS.aspx?VP3=SearchResult&VBID=2C0FCIDD1367R&SMLS=1&RW=1386&RH=635#/SearchResult&VBID=2C0FCIDD1367R&SMLS=1&RW=1386&RH=635&POPUPPN=39&POPUPIID=2C0FQEQZZP8G0">Jose Luis Gonzalez/Reuters</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Le prix à payer pour ceux qui restent</h2>
<p>Pour des raisons financières ou personnelles, de nombreux Centraméricains ne peuvent ou ne veulent pas fuir face à de telles menaces. Et cela peut leur coûter très cher.</p>
<p>Un soir de fin 2018, une femme nommée Sofia m’a dit que des membres du MS-13 l’avaient attrapée alors qu’elle rentrait du travail à San Pedro Sula, au Honduras. Elle avait emménagé avec sa fille de 12 ans dans cette ville quelques mois auparavant, après la fuite de son mari, Pablo, menacé par le gang.</p>
<p>Pablo conduisait un camion de fruits et légumes quand le MS-13 a tué son patron qui refusait de payer. Le racket par les gangs est considéré comme l’une des principales causes de meurtres au Honduras et bien que la majorité des victimes soient pauvres, les familles versent environ <a href="https://www.insightcrime.org/news/analysis/crime-factors-pushing-northern-triangle-migrants-out/">200 millions de dollars par an pour se protéger</a>.</p>
<p>Le MS-13 a dit à Pablo qu’il serait le suivant sur la liste… La famille disposait juste assez d’argent pour sortir Pablo du Honduras. Ses membres espéraient lui parti, le gang laisserait la famille tranquille. Une fois aux États-Unis, Pablo pourrait alors envoyer de l’argent chez lui.</p>
<p>Mais le plan n’a pas fonctionné. Quatre membres du gang ont forcé Sofia à monter dans une voiture, l’ont conduite à la campagne, l’ont battue et l’ont violée à plusieurs reprises. « Voilà ce qui arrivera à votre fille si vous ne nous payez pas ce que votre mari vous doit », lui crièrent-ils.</p>
<h2>« À ma place, tu ferais quoi ? »</h2>
<p>Les images et les histoires des Centraméricains emprisonnés à la frontière, dans des camps de rétention, montrent que le système d’immigration américain n’a jamais été conçu pour faire face à un tel afflux de personnes.</p>
<p>Dans l’espoir d’obtenir un meilleur traitement à la frontière, certains migrants ont fait semblant de faire partie d’une unité familiale ou de mentir sur leur âge. Ce type de mensonge est peut-être douteux sur le plan éthique, mais tout à fait logique du point de vue de la survie.</p>
<p>De telles stratégies témoignent surtout d’un désespoir collectif, et soulève une question posée par bon nombre des migrants centraméricains que j’ai rencontrés au fil des ans : « À ma place, tu ferais quoi ? »</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/115276/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anthony W. Fontes a reçu des financements de la Fondation Harry Frank Guggenheim, l'Open Society Foundations, et du Social Science Research Council. </span></em></p>Des milliers de migrants d’Amérique centrale tentent de traverser la frontière sud des États-Unis. Un chercheur a suivi leur chemin pour découvrir les raisons de ce voyage dangereux, parfois mortel.Anthony W. Fontes, Assistant Professor of Human Security, American University School of International ServiceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1083502018-12-09T20:07:47Z2018-12-09T20:07:47ZLe Pacte mondial pour les migrations : des polémiques et des avancées<p>Les 10 et 11 décembre 2018 se tient à Marrakech (Maroc) une conférence sous l’égide des Nations unies afin d’adopter <a href="https://refugeesmigrants.un.org/sites/default/files/180711_final_draft_0.pdf">le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières</a> Élaboré dans une certaine indifférence depuis 2016, ce Pacte a fait l’objet, tout au long de l’automne 2018, d’une intense politisation et de polémiques virulentes. Pourtant, <a href="http://icmigrations.fr/2018/12/09/defacto-2-002/">il suffit de lire ce document</a> pour se rendre compte du caractère modéré de son contenu – du moins par rapport à ses ambitions initiales. </p>
<p>Comment, dès lors, expliquer le rejet qu’il suscite, et quelle sera l’influence de ce Pacte onusien sur les politiques migratoires nationales ?</p>
<h2>Prendre la mesure de l’enjeu migratoire global</h2>
<p>Selon ses propres termes, l’ONU a pour mission de <a href="http://www.un.org/fr/sections/about-un/overview/">« prendre des mesures pour résoudre un grand nombre de problèmes auxquels est confrontée l’humanité au XXIème siècle ».</a> Les migrations constituent, à n’en pas douter, un de ces « problèmes ». Qu’il s’agisse <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/amerique-sud/venezuela-les-frontieres-des-pays-voisins-se-referment_2031834.html">des Vénézuéliens fuyant la crise économique dans leur pays</a>, des Honduriens de la « caravane » de migrants <a href="http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2018/12/04/97001-20181204FILWWW00058-des-migrants-de-la-caravane-entrent-aux-etats-unis.php">bloqués à la frontière entre les États-Unis et le Mexique</a>, des réfugiés Rohingyas qui se sont échappés de Birmanie <a href="https://www.unhcr.org/fr/urgence-rohingya.html">pour s’installer au Bangladesh</a>, ou encore <a href="https://www.cairn.info/politiques-des-frontieres--9782348040740-page-129.htm">des dizaines de milliers de migrants noyés en Méditerranée</a> : partout dans le monde, les migrations suscitent <a href="https://theconversation.com/le-spectacle-politique-du-territoire-mure-50668">crises humanitaires, surenchères sécuritaires</a> et rejets politiques.</p>
<p>L’intérêt de l’ONU pour les migrations n’est pas nouveau. Dès 2003, Kofi Annan, alors Secrétaire général des Nations unies et <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2006/06/07/kofi-annan-defend-les-bienfaits-sur-le-long-terme-de-l-immigration_780647_3210.html">fervent partisan de la cause des migrants</a>, met sur pied <a href="https://www.iom.int/global-commission-international-migration">la Commission mondiale sur les migrations internationales.</a> En 2006 et 2013 sont organisés <a href="http://www.un.org/fr/ga/68/meetings/migration/">deux Dialogues de haut niveau sur les migrations dans le cadre de l’Assemblée générale de l’ONU</a>, tandis qu’<a href="https://theconversation.com/a-quoi-sert-le-forum-mondial-sur-la-migration-et-le-developpement-67609">un Forum mondial sur la migration et le développement est organisé annuellement depuis 2007.</a> </p>
<p>L’objectif de ces réunions multilatérales est d’élaborer des recommandations politiques à destination des États afin de « résoudre » les problèmes posés par les migrations. La crise des migrants dans la région euro-méditerranéenne a accéléré ce processus, avec l’organisation en 2016 d’un Sommet de l’ONU sur les migrations, à l’issue duquel fut prise la décision de préparer le « Pacte de Marrakech ».</p>
<p>Ce Pacte a été finalisé en juillet 2018, en vue d’une adoption formelle en décembre 2018. C’est avant tout <a href="https://theconversation.com/les-dilemmes-de-lorganisation-internationale-pour-les-migrations-99170">l’Organisation internationale pour les migrations</a> (OIM) qui a été à la manœuvre, tandis que le Haut-Commissariat aux Réfugiés (HCR) est en parallèle chargé d’un autre Pacte, <a href="https://www.unhcr.org/fr/vers-un-pacte-mondial-sur-les-refugies.html">le Pacte pour les réfugiés</a>, qui semble aujourd’hui en retrait par rapport à celui sur les migrations.</p>
<h2>Objectif : concilier l’inconciliable</h2>
<p>Le caractère feutré de ces débats ne doit pas masquer le caractère périlleux de la tâche. Les migrations constituent un enjeu sensible et les États, très attachés à leur souveraineté, sont réticents à l’élaboration de normes internationales qui viendraient contraindre leurs politiques. </p>
<p>De plus, les gouvernements n’ont pas les mêmes intérêts ni le même agenda. Ainsi, si le contrôle des frontières est une priorité pour les pays occidentaux, ce n’est pas le cas pour les pays du Sud, qui ont au contraire besoin de l’émigration pour soulager leur marché du travail et contribuer à leur développement. De même, les pays du Nord cherchent à attirer les migrants qualifiés (ingénieurs, professionnels de santé, etc.), alors que ce sont précisément ces derniers que les pays du Sud souhaiteraient retenir chez eux. </p>
<p>A ces divergences entre États s’ajoutent les critiques d’acteurs non-étatiques, comme les employeurs désireux d’avoir accès à une main d’œuvre étrangère, ou les ONG remontées contre les politiques sécuritaires des pays occidentaux et les violations des droits des migrants.</p>
<p>De manière plus générale, les pistes avancées par l’ONU se heurtent aux dilemmes presque insurmontables que pose la gouvernance des migrations dans le monde actuel. Comment concilier une économie libérale de marché, fondée sur la circulation du capital et du travail, avec les impératifs de sécurité et de contrôle des frontières ? Comment protéger les droits sociaux des migrants dans des économies dérégulées qui prospèrent sur l’exploitation des travailleurs étrangers ? Comment faire respecter les droits fondamentaux des migrants, et notamment l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme qui proclame le droit de quitter son pays, avec le respect de la souveraineté des États ?</p>
<p>On conçoit que, face à la difficulté de la tâche, l’ONU se réfugie dans un discours aseptisé et parfois ambigu. Le titre du Pacte est éloquent. On ne parle pas de « contrôle » des migrations, mais de migrations « ordonnées » et « régulières ». L’ONU se démarque ainsi de l’obsession sécuritaire des pays riches et envisage des migrations de travail légales, lesquelles bénéficieraient tant aux pays riches – dont la population vieillit et qui manquent de main d’œuvre dans certains secteurs économiques – qu’aux pays de départ qui y trouvent un levier de développement. </p>
<h2>Un pacte non contraignant</h2>
<p>De même, la notion de migrations « sûres » implique la nécessité de protéger les migrants, dans un contexte où nombre d’entre eux perdent la vie en tentant de franchir des frontières, mais sans pour autant insister sur les droits des migrants (comme le droit d’asile), que les États occidentaux perçoivent comme un obstacle à leur souveraineté et à leur volonté d’expulser les migrants.</p>
<p>Parmi les 23 objectifs affichés par le Pacte de Marrakech se trouvent d’autres enjeux consensuels, comme la lutte contre les causes profondes des migrations (sous-développement, changement climatique) ou le combat contre les « passeurs » et les « trafiquants » coupables d’exploiter les migrants et de les faire traverser les frontières dans des conditions dangereuses. </p>
<p>C’est également en raison du caractère politiquement sensible que le Pacte, à l’instar des autres documents précédemment adoptés par l’ONU sur le sujet, est un instrument de <em>soft law</em> non-contraignant : il se contente d’énoncer des principes <a href="https://news.un.org/en/story/2018/11/1026791">sans obliger juridiquement les États à les mettre en œuvre.</a> On est donc très loin du fantasme d’un <a href="https://www.theguardian.com/world/2018/nov/01/austria-criticised-not-signing-un-global-migration-compact-european-commission">« droit de l’homme à la migration » véhiculé par les opposants au Pacte</a>.</p>
<h2>Une fronde inattendue des États</h2>
<p>Mais rien n’y fait : malgré une recherche constante de consensus, le Pacte ploie sous les critiques et semble aujourd’hui davantage creuser les clivages que faciliter la coopération. </p>
<p>Tout a commencé en décembre 2017, <a href="https://www.theguardian.com/world/2017/dec/03/donald-trump-pulls-us-out-of-un-global-compact-on-migration">avec le retrait des États-Unis</a>. Cette décision de Donald Trump n’était pas réellement une surprise, étant donné son hostilité à l’égard du multilatéralisme et la tonalité anti-migrants de sa campagne électorale. Mais loin d’être isolé, ce retrait fut suivi d’une spectaculaire cascade d’autres décisions similaires. En novembre 2018, <a href="https://www.timesofisrael.com/israel-wont-sign-global-migration-pact-netanyahu-announces/">Israël</a>, <a href="https://edition.cnn.com/2018/11/20/australia/united-nations-migration-pact-intl/index.html">l’Australie</a>, la Hongrie, <a href="http://www.thenews.pl/1/9/Artykul/392943,Poland-will-not-sign-UN-migration-pact-govt-minister">la Pologne</a>, la Slovaquie et <a href="https://www.theguardian.com/world/2018/nov/01/austria-criticised-not-signing-un-global-migration-compact-european-commission">l’Autriche</a> ont ainsi imité les États-Unis. Étonnement, d’autres Etats-clés du multilatéralisme se posent la question de leur retrait, <a href="https://www.levif.be/actualite/belgique/la-n-va-ne-veut-pas-signer-le-pacte-mondial-sur-les-migrations/article-normal-1053415.html?fbclid=IwAR364e0MAZSiSbz5AkQU6WU5j43mjIWQ3J7zRWgmGPD49tMletn6vEokNJc&cookie_check=1543926403">comme la Belgique </a> ou la Suisse.</p>
<p>Partout, l’argument est le même : l’ONU empêcherait les États de contrôler leurs frontières, entraverait leur souveraineté et conduirait à un afflux incontrôlable de migrants. Le Pacte est pourtant très clair : il prévoit que les États gèrent leurs frontières<a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/la-france-et-les-nations-unies/le-pacte-mondial-sur-les-migrations/"> « selon le principe de la souveraineté nationale », en « prévenant la migration irrégulière » et « dans le respect des obligations prévues par le droit international ».</a>.</p>
<p>Il respecte donc le droit des États à déterminer leurs politiques migratoires et à contrôler leurs frontières – ce qui est naturel si on considère que l’ONU est une organisation intergouvernementale qui répond aux États, et que le Pacte a fait l’objet de consultations approfondies avec l’ensemble des gouvernements de la planète. Lorsque le Pacte énonce des principes contraignants, comme le respect du droit international, il ne fait que rappeler des obligations auxquelles les États se sont de toute manière déjà astreints. </p>
<p>Cette fronde est inattendue. En général, les États européens sont parmi les « bons élèves » à l’ONU et soutiennent, tant financièrement que politiquement, les efforts de cette organisation. De plus, les arguments des États récalcitrants sont infondés et surtout, le Pacte étant en gestation depuis 2016 et sa version définitive connue depuis juillet 2018, les gouvernements auraient aisément pu faire valoir leurs arguments plus tôt. </p>
<p>Certains États ont même joué un rôle clé dans la préparation du Pacte : c’est le cas de la Suisse, très active sur le sujet, mais le travail mesuré et discret des diplomates helvétiques a volé en éclats lorsqu’il a été confronté à un climat politique dominé par les populistes et la méfiance à l’égard des étrangers.</p>
<p>Le Pacte fait aussi l’objet d’une politisation à des fins électorales. Ce week-end, en Belgique, la <a href="https://www.lesoir.be/194586/article/2018-12-09/crise-gouvernementale-charles-michel-senvolera-en-fin-de-journee-pour-marrakech">N-VA flamande</a> a claqué la porte du gouvernement fédéral pour officiellement s’opposer à la signature du Pacte par le premier ministre Charles Michel. En réalité, elle mobilise une nouvelle fois une rhétorique anti-migratoire pour se préparer aux élections fédérales de mai prochain. </p>
<p>En France, dans un contexte social agité, le gouvernement dépêchera le secrétaire d’État aux Affaires étrangères pour le signer alors que <a href="http://www.leparisien.fr/politique/immigration-massive-et-pleins-pouvoirs-que-dit-vraiment-le-pacte-de-l-onu-sur-les-migrations-03-12-2018-7959921.php">les réseaux sociaux bruissent de rumeurs fantaisistes</a> sur le Pacte et que Marine Le Pen dénonçait samedi ce « <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2018/12/09/migration-marine-le-pen-et-steve-bannon-denoncent-a-bruxelles-le-pacte-avec-le-diable_5394839_3210.html">Pacte avec le diable</a> », aux côtés de Steve Bannon et de ses amis du Mouvement pour l’Europe des nations et des libertés (MENL) avec en ligne de mire les élections européennes.</p>
<h2>Un pacte sans ambition ?</h2>
<p>A l’image d’Amnesty International, la société civile pointe, quant à elle, les insuffisances du Pacte et regrette que les États ne se soient pas montrés plus ambitieux : le Pacte justifierait des pratiques comme l’enfermement des migrants et ne défendrait <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2018/07/un-refugee-compact-world-leaders-not-up-to-the-challenge/">pas assez les droits des migrants.</a> En revanche, les États du Sud restent favorables au Pacte, à l’instar du Maroc, qui organise la conférence à Marrakech.</p>
<p>L’ONU était, jusqu’à présent, parvenue à contourner l’hostilité à l’égard des migrants qui caractérise un grand nombre de ses États-membres. Depuis près de vingt ans, elle s’activait à développer ses propositions en matière de politiques migratoires qui, malgré leur tiédeur, n’en avait pas moins le mérite de proposer une autre lecture des migrations, axée au moins autant sur la sécurité que sur les droits de l’homme ou le développement. La relative indifférence qui entourait ce processus la protégeait des polémiques, mais au prix d’un décalage grandissant entre ses positions et celles qui dominent le débat public, et au détriment de son influence sur les politiques migratoires des États.</p>
<p>La donne est clairement en train de changer. Il faudra beaucoup de courage politique à l’ONU et aux États qui soutiennent le Pacte pour affirmer la nécessité d’un changement de politique. On peut craindre que ce courage vienne à manquer et que les critiques à l’égard du Pacte ne sonnent le glas des initiatives de l’ONU. </p>
<p>Toutefois, la politisation de ce Pacte a le mérite de mettre les États face à leurs responsabilités : à Marrakech, les 10 et 11 décembre, ils auront l’opportunité d’affirmer leur volonté d’ancrer les politiques migratoires dans les valeurs cardinales de la communauté internationale… ou d’offrir aux opposants des migrations une nouvelle victoire symbolique et politique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/108350/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Élaboré dans l'indifférence, ce Pacte fait l'objet d'une intense politisation et de polémiques virulentes. Pourtant, il suffit de le lire pour se rendre compte du caractère modéré de son contenu.Antoine Pécoud, Professeur de sociologie, Université Sorbonne Paris NordDamien Simonneau, Chercheur postdoctoral en science politique, Sciences Po BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1075662018-12-02T20:43:50Z2018-12-02T20:43:50ZDerrière les caravanes de migrants d’Amérique centrale, des pays à bout de souffle<p>Les images aériennes de milliers de personnes provenant d’Amérique centrale et cherchant à traverser le pont international entre le Guatemala et le Mexique ont fait le tour du monde et contribué à mettre en lumière aussi bien les conditions socio-économiques critiques dans les pays centraméricains que les risques encourus par les migrants lors de leur traversée du Mexique.</p>
<p>Ces « caravanes », qui ne sont pas les premières et ni vraisemblablement les dernières, constituent une expression récente d’un phénomène complexe qui trouve son origine dans le dernier quart du XX<sup>e</sup> siècle : l’essor des migrations internationales des pays d’Amérique centrale, en particulier du « Triangle du Nord » (Guatemala, le Honduras et El Salvador), vers les États-Unis.</p>
<p>Il s’agira ici, tout d’abord, d’identifier certains facteurs structurels qui prennent racine dans l’histoire contemporaine des pays centraméricains. Autrement dit, des causes – liées notamment au système économique et politique – qui influent sur les mouvements migratoires et de réfugiés. Puis, nous examinerons les facteurs plus immédiats, liés à l’actualité, qui contribuent à l’apparition de ces « caravanes ».</p>
<h2>Des relations internationales asymétriques</h2>
<p>Il convient de rappeler que, d’un point de vue historique et politique, la seconde moitié du XX<sup>e</sup> siècle est marquée par l’interventionnisme nord-américain en Amérique centrale et le soutien à des régimes militaires, sous couvert de lutte contre le communisme et les mouvements insurrectionnels. Cela n’est pas sans rapport avec les flux migratoires et de réfugiés : ainsi, durant les années 80, les conflits civils poussèrent près d’un million de Guatémaltèques et Salvadoriens sur les routes de l’exode <a href="https://www.migrationpolicy.org/article/central-americans-and-asylum-policy-reagan-era">vers les États-Unis et, dans une moindre mesure, vers le Mexique</a>.</p>
<p>Certes, la Guerre froide est terminée, mais l’époque des interventions est-elle pour autant révolue ? Rien n’est moins sûr. Ce sont davantage les menaces qui ont été redéfinies – la guerre contre le « crime organisé », la drogue et le terrorisme islamiste – plutôt que les politiques extérieures de Washington envers l’Amérique centrale. Que cela soit sous forme de financements, d’aide logistique, de formation ou encore de participation militaire directe, les interventions des États-Unis contre le narcotrafic dans les pays latino-américains ont succédé à celles visant à contenir les foyers révolutionnaires.</p>
<h2>Une situation de dépendance économique qui perdure</h2>
<p>Le soutien à des régimes autoritaires et répressifs est étroitement lié à la mainmise économique de certains pays sur l’Amérique centrale. Historiquement, nombre d’économies de cette région se sont trouvées dans une situation de dépendance à la fois technologique et économique vis-à-vis des pays industrialisés, comme l’ont souligné les pionniers latino-américains de la <a href="http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMDictionnaire?iddictionnaire=1685">théorie de la dépendance</a></p>
<p>Dans ce schéma, ces pays « périphériques » ont fonctionné aussi bien comme des fournisseurs de matières premières que de réserves de ressources naturelles et énergétiques pour les grandes puissances du continent, avec souvent la complicité des gouvernements en place. L’expression péjorative de « république bananière » est précisément issue de cette réalité.</p>
<p>Depuis la participation de la United Fruit Company <a href="https://www.lhistoire.fr/et-united-fruit-inventa-les-r%C3%A9publiques-banani%C3%A8res">dans la préparation de coups d’État en Amérique latine</a>, en passant par la crise de la dette, la décennie perdue des années 1980 ou encore les dénommés « plans d’ajustement structurel » et les politiques néolibérales de privatisations des années 1990, que de chemin parcouru pour les pays d’Amérique centrale ! mais a-t-on pour autant assisté à un changement de paradigme économique et à une réelle amélioration des pays dits « en développement » ?</p>
<p>Dans le cas du Guatemala, des programmes très « agressifs » de libéralisation commerciale ont été appliqués, dont les répercussions se font sentir sur les groupes économiques vulnérables, <a href="https://gredos.usal.es/jspui/bitstream/10366/55959/1/III_perfildeGuatemala.pdf">tels que les petits producteurs et les petites et moyennes entreprises</a>. L’ouverture des marchés et la diminution subséquente des prix des produits d’exportation, tel que le café, a également fortement affecté le secteur agricole de l’ensemble des pays.</p>
<p>En outre, certaines analyses récentes ont tendance à mettre en avant le creusement des inégalités, tout en révélant de nouvelles formes particulièrement prédatrices de capitalisme, telles que l’<a href="https://journals.openedition.org/nrt/2037">« accumulation par dépossession »</a> ou encore l’« offensive extractive » du secteur minier en Amérique latine <a href="http://www.redalyc.org/pdf/124/12426097006.pdf">sur fond d’expropriations et de déprédation de l’environnement</a>.</p>
<h2>Le cercle vicieux de la pauvreté et de la violence</h2>
<p>Il en découle une situation marquée par la pauvreté : en 2009, on estimait qu’en Amérique centrale environ 3,3 millions de foyers (plus de 17 millions de personnes) vivaient dans des conditions d’exclusion sociale sans accès au marché du travail ni aux services sociaux élémentaires. Un chiffre qui s’est élevé à 4,2 millions en 2014, reflétant une <a href="http://www.estadonacion.or.cr/erca2016/assets/cap-1-erca-2016-sinopsis.pdf">dégradation accélérée des conditions socioéconomiques</a>.</p>
<p>Si l’on se penche sur le cas spécifique du Honduras, l’un des pays les plus pauvres et les plus inégaux de l’ensemble du continent, on peut constater que plus de six foyers sur dix vivent dans la pauvreté, parmi lesquels près de quatre <a href="http://www.ine.gob.hn/index.php/25-publicaciones-ine/91-linea-de-pobreza">dans des conditions d’extrême pauvreté</a>.</p>
<p>Les pays du « Triangle du Nord » se caractérisent également par des niveaux intenses de violence dus notamment aux conflits entre gangs de rue, entre organisations criminelles, sans compter d’autres formes de violence liées aux répressions politiques, ou encore celles visant spécifiquement les femmes et les minorités.</p>
<p>Le Honduras est le pays le plus affecté, comme en témoigne son taux d’homicide sur l’année 2011 (92 pour 100 000 habitants). Ce chiffre reste <a href="https://www.unodc.org/documents/toc/Reports/TOCTASouthAmerica/Spanish/TOCTA_CA_Caribb_cocaina_grupos_violencia_ES.pdf">« un record des temps modernes »</a>. Et s’il a baissé depuis (43,5 en 2017, soit 3,864 homicides), il n’en reste pas moins préoccupant et continue à être un motif de déplacements forcés à l’intérieur et à l’extérieur du pays.</p>
<p>Ce phénomène de violence est aggravé par une série de problèmes étroitement liés : la fragilité des capacités institutionnelles, la corruption, le clientélisme, l’impunité, le manque de transparence dans la gestion de l’État ou encore le mauvais fonctionnement des systèmes judiciaires.</p>
<h2>Le facteur environnemental</h2>
<p>D’un point de vue climatique, l’Amérique centrale constitue une des zones les plus vulnérables de la planète. Sa situation géographique et son caractère d’isthme entre les océans Atlantique et Pacifique impliquent une exposition aux changements et phénomènes climatiques extrêmes (ouragans, sécheresses, inondations, tremblements de terre). Ces derniers provoquent de nombreuses migrations forcées, comme on a pu l’observer suite au passage de l’ouragan Stan, en 2005.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/drOLB9eDUh4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>À l’heure actuelle, d’après les divers témoignages de personnes voyageant en caravane <a href="https://www.theguardian.com/world/2018/oct/30/migrant-caravan-causes-climate-change-central-america">relatés par la presse</a>, l’impact des phénomènes climatiques semble indéniable. En l’occurrence, les quatre dernières années de sécheresse qui ont mis en péril la sécurité alimentaire de plus de 3 millions de personnes en Amérique centrale, <a href="http://www.fao.org/in-action/agronoticias/detail/es/c/1024540/">notamment les groupes sociaux les plus vulnérables (les enfants, femmes et communautés indigènes)</a>.</p>
<h2>Un système migratoire</h2>
<p>Dans ce contexte, on observe une forte augmentation des flux migratoires d’Amérique centrale vers les États-Unis à partir les années 1990. Pour donner un ordre d’idée quant à cet accroissement : en <a href="https://www.migrationpolicy.org/article/central-american-immigrants-united-states-1#2">2011</a>, on estimait qu’environ 3,1 millions de personnes nées dans l’un des pays de l’Isthme centraméricain vivaient aux États-Unis et que 35 % étaient entrés sur le territoire étatsunien après l’année 2000.</p>
<p>Sans être exclusive, l’une des principales raisons des migrations est économique – les disparités de salaire entre pays d’origine et de réception motivent les départs. Toutefois, il faut prendre en compte les facteurs d’attraction, tels que le besoin de main-d’œuvre intensive dans certains secteurs économiques aux États-Unis : l’agriculture, la construction, la manufacture de produits de faible technologie ou encore les services. Ces besoins sont dus notamment au vieillissement démographique et à la baisse de la natalité. Par ailleurs, les programmes de réunification familiale y ont également stimulé les migrations.</p>
<p>Dès lors, il existe une réelle interdépendance entre pays « récepteurs » et pays « émetteurs » de migrants : une partie de l’économie des premiers dépendent de la main d’œuvre des seconds qui, à leur tour, se trouvent dépendants des envois d’argent des immigrés. Le FMI estime, par exemple, que les transferts de fonds de l’étranger en 2017 ont représenté <a href="https://www.imf.org/es/Publications/REO/WH/Issues/2017/05/10/wreo0517">plus de 15 % du PIB du Honduras et du Salvador</a>, avec certaines conséquences négatives comme la réduction de la force de travail et une baisse de la productivité dans les pays d’origine.</p>
<h2>De forts liens sociaux et culturels</h2>
<p>D’autres facteurs sociaux et culturels influencent également les migrations : aux États-Unis où se trouvent d’importantes communautés transnationales d’immigrés, qui maintiennent et tissent de multiples relations sociales, aussi bien dans leur pays d’origine que dans le pays récepteur. Ce phénomène est facilité par les progrès technologiques accomplis ces vingt dernières années en matière de transport, de communication et de transfert d’argent. Face au durcissement des politiques migratoires aux États-Unis, on observe d’ailleurs une mobilisation de ces réseaux afin d’assurer la continuité des migrations.</p>
<p>D’un point de vue culturel, les États-Unis exercent aussi une influence importante en Amérique centrale. D’autant plus que dans certains cas, comme celui du Salvador, plus d’un quart de la population y réside ! Les regards sont ainsi tournés vers ce pays, <a href="https://www.laprensagrafica.com/seccion/departamento15/">à l’image du programme <em>Departamento 15</em></a> de l’un des principaux journaux du pays qui se centre sur la diaspora salvadorienne. Son nom fait allusion au « quinzième département » du Salvador, soit la communauté vivant aux États-Unis.</p>
<h2>Une succession de « caravanes » de migrants</h2>
<p>Il y a eu récemment plusieurs groupes importants, dénommés « caravanes », qui ont tenté de traverser le Mexique pour gagner les États-Unis. Le premier, qui comptait plusieurs milliers de personnes et dont les rangs ont grossi au fur et à mesure du trajet, est parti de la seconde ville du Honduras, San Pedro Sula, le 13 octobre 2018. Il a été suivi d’un autre parti lui le 21 de Tegucigalpa. D’autres ont pris la route en provenance du Salvador, dont le plus important a quitté la capitale, le 31 octobre.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/t_QxU3CPOnc?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Ces groupes représenteraient entre 7 000 et 9 000 personnes cherchant refuge aux États-Unis et au Mexique, <a href="http://www.onunoticias.mx/guterres-preocupado-por-la-situacion-humanitaria-de-la-caravana-de-migrantes/">selon les estimations de l’ONU</a>. Le dernier en date, composé de quelques centaines de personnes, en provenance principalement du Salvador, a tenté d’entrer en <a href="https://www.eluniversal.com.mx/estados/entre-alboroto-frenan-paso-de-sexta-caravana-en-chiapas">territoire mexicain, le 22 novembre</a>.</p>
<p>Ces caravanes s’inscrivent dans le panorama que nous avons dressé précédemment. Toutefois, il existe certains événements conjoncturels les influant. On peut ainsi observer une mobilisation sociale au Honduras, à travers les réseaux sociaux, qui surgit dans un contexte d’instabilité politique suite à la réélection – entachée de soupçons de fraude électorale – du président Orlando Hernández, en novembre 2017. Elle avait donné lieu à d’importantes manifestations et à des affrontements entre forces gouvernementales et partisans de l’opposition.</p>
<h2>Une multitude d’acteurs impliqués</h2>
<p>Dans cette situation de tension postélectorale, la question des « caravanes » a rapidement pris un tour politique. Le président en fonction du Honduras a affirmé qu’il s’agissait d’une tentative de déstabilisation menée par l’opposition. Cette dernière martelait de son côté que si l’argent de l’aide au développement n’était pas détourné par le gouvernement, les <a href="https://aristeguinoticias.com/2210/mundo/amenazas-de-trump-no-afectan-a-hondurenos-sino-al-gobierno-de-joh-que-se-roba-el-dinero-excandidato-presidencial/">Honduriens n’auraient pas lieu de partir</a>.</p>
<p>Par ailleurs, il faut prendre en compte l’implication et le soutien de certains acteurs individuels et collectifs dans cette mobilisation : militants, journalistes, défenseurs des droits de l’homme, organisations religieuses, tel que le réseau jésuite dans les pays centraméricains, au Mexique et aux États-Unis, ainsi que l’Église luthérienne au Salvador. On peut aussi citer des associations civiles, <a href="https://www.pueblosinfronteras.org/">à l’instar de <em>Pueblos sin Fronteras</em> au Mexique</a>, organisateur de la précédente caravane d’avril 2018 et qui apporte aujourd’hui son soutien aux caravanes « non officielles ».</p>
<p>Si les différents forums sur Internet et les dizaines de groupes Facebook et WhatsApp autour des caravanes et de l’émigration aux États-Unis ont facilité cette mobilisation sociale, le fait que Donald Trump ait communiqué abondamment à ce sujet – en agitant le spectre du grand déferlement pour mobiliser son électorat dans un contexte d’élections nord-américaine de mi-mandat – a servi de caisse de résonance. Les médias ont consacré un nombre important d’articles et reportages sur ce thème. Ainsi, ce n’est pas seulement à travers les réseaux sociaux que les membres des caravanes se sont rassemblés et que les informations ont circulé, mais également grâce aux médias traditionnels, en particulier la télévision.</p>
<h2>Un véritable mouvement social</h2>
<p>Plus qu’une simple marche groupée, ces déplacements massifs prennent les traits d’un mouvement social qui s’inscrit dans la continuité des précédentes caravanes, en particulier les « chemins de croix » (<em>via crucis migrante</em>) organisés chaque année depuis 2011 par l’association « La 72 » (en référence au <a href="https://la72.org/nosotros/">massacre de 72 migrants au nord du Mexique en 2010) à l’époque des fêtes de Pâques</a>.</p>
<p>Il s’agissait, initialement, d’attirer l’attention sur les conditions des migrants centraméricains et de dénoncer la violence dont ils sont victimes – en faisant le parallèle avec la souffrance du Christ – à travers une marche qui débutait au Guatemala et prenait fin au Mexique une fois la frontière traversée.</p>
<p>Par ailleurs, depuis 2015, le Mouvement migrant mésoaméricain (<em>Movimiento Migrante Mesoamericano</em>) organise annuellement les « caravanes des mères centraméricaines » : une marche internationale ayant pour but de <a href="https://movimientomigrantemesoamericano.org/acerca-de/">dénoncer les agressions et les disparitions de migrants au Mexique</a>.</p>
<p>La stratégie des caravanes, en soi, n’est pas nouvelle : des immigrés mexicains travaillant aux États-Unis se sont regroupés en caravane plusieurs années de suite depuis 2010 afin de pouvoir rentrer en sécurité dans leur communauté d’origine au Mexique durant les fêtes de Noël. Il s’agissait alors de « s’unir » pour éviter d’être victime de délinquance et des abus des autorités sur les routes de la migration, <a href="http://www.cndh.org.mx/sites/all/doc/Programas/migrantes/Caravanas-Personas-Migrantes.pdf">tout en critiquant et dénonçant cette situation</a>.</p>
<p>La différence entre les caravanes de 2018 et les précédentes réside avant tout dans leur finalité : celles-ci visent à atteindre la frontière nord du Mexique en nombre. Ainsi elles rompent avec le schéma habituel qui consistait à <a href="https://www.nytimes.com/2018/10/31/world/americas/migrant-caravans-border-mexico-usa.html">essayer de traverser clandestinement le Mexique individuellement ou en petits groupes</a>.</p>
<h2>Un moment propice</h2>
<p>La mobilisation autour des caravanes de 2018 intervient à un moment clé au Mexique : entre la fin du mandat d’Enrique Peña Nieto, dont le bilan en matière migratoire est passablement critiqué, et la prochaine investiture d’Andrés Manuel López Obrador, figure historique de la gauche mexicaine. Celui-ci a déjà annoncé <a href="https://lopezobrador.org.mx/temas/migrantes/">plusieurs mesures de solidarité vis-à-vis des migrants</a> contrastant avec celles de son prédécesseur.</p>
<p>Il y a là un moment propice pour les associations civiles et religieuses engagées en faveur des migrants au Mexique pour générer un dialogue, participer au processus décisionnel, formuler des demandes et exiger certaines réformes de la part du gouvernement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/107566/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean Clot a reçu des financements du Fonds national suisse. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Germán Martínez Velasco ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La différence entre les caravanes de 2018 et les précédentes réside dans leur finalité : chercher à atteindre la frontière nord du Mexique.Jean Clot, Postdoctoral fellow, Université Grenoble Alpes (UGA)Germán Martínez Velasco, Enseignant chercheur au Colegio de la Frontera Sur, ECOSURLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1066362018-11-20T07:45:50Z2018-11-20T07:45:50ZLe droit à la mobilité au miroir de la caravane de migrants centraméricains<p>La <a href="https://www.nytimes.com/2018/10/26/world/america/what-is-migrant-facts-history.htlm">« caravane</a> » dite de migrants, partie du Honduras vers les États-Unis, a été une aubaine pour Donald Trump qui l’a aussitôt mobilisée dans sa campagne électorale de mi-mandat, réveillant les haines les plus sordides, dont certaines <a href="http://theconversation.com/aux-etats-unis-la-haine-raciste-et-antisemite-alimentee-par-les-theses-du-post-nazisme-105882">déjà bien implantées</a>, parfois suivies d’actes aussi dramatiques que la tuerie antisémite de la synagogue de Pittsburgh.</p>
<p>D’une telle déraison, les électeurs lui ont donné acte et lui ont envoyé en réponse une majorité d’opposition à la Chambre des représentants. Mais l’instrumentalisation de la « caravane » a occulté, par effet de loupe, sa problématique première : quels rapports entretiennent migrations, mobilité et frontières ?</p>
<p>Composée de personnes fuyant les conflits armés, la criminalité et la misère que provoquent par ailleurs le <a href="https://progressivepost.eu/human-mobility-neoliberal-globalisation-and-forced-migration/">chômage</a>, la dégradation environnementale, le réchauffement climatique dont l’Amérique centrale <a href="https://www.nytimes.com/2018/10/26/world/americas/what-is-migrant-caravan-facts-history.html">n’est pas exempte</a>, et qui constitue une autre des <a href="https://www.theguardian.com/world/2018/oct/30/migrant-caravan-causes-climate-change-central-america">motivations des départs</a>, la « caravane » illustre les transformations que connaissent les configurations migratoires depuis le milieu des années 1980.</p>
<p>Les mouvements migratoires de la fin du XX<sup>e</sup> siècle et de ce début de XXI<sup>e</sup> siècle sont en effet entrés dans ce qu’on pourrait appeler le « deuxième âge des migrations et des circulations » : sans cadre juridique idoine, au contraire de celles du « premier âge » du début du XX<sup>e</sup> siècle pourvues d’un cadre juridique et institutionnel désormais inadapté aux nouvelles configurations.</p>
<p>Le <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2018/10/26/voyager-avec-un-passeport-africain-ca-ne-mene-pas-bien-loin_5374871_3212.html">discrédit</a> sur le caractère universel de la liberté de circulation en est la conséquence.</p>
<h2>D’anciennes formes de migration couvertes par le droit positif</h2>
<p>Le « premier âge des migrations et des circulations » correspond à l’après-Première Guerre mondiale qui a vu se multiplier les déplacements de masse.</p>
<p>Mettant fin à la liberté de circulation d’avant-guerre, les États soumettent les déplacements internationaux à la détention d’un titre de voyage international à défaut duquel une personne ne pourrait pénétrer sur le territoire d’un autre pays. Le <a href="https://www.cairn.info/revue-apres-demain-2016-3-page-48.htm">« passeport Nansen »</a> remplira provisoirement cet office. Transformé en « document de voyage », il sera officialisé par la Convention de Genève de 1933. Puis, à l’initiative du président Roosevelt, une conférence intergouvernementale, réunie en 1938 à Genève, créera le Comité intergouvernemental pour les Réfugiés (CIR). Plus tard transformé en Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR), il sera placé sous l’égide de l’ONU.</p>
<p>La Convention de Genève de 1951 relative au statut de réfugié et le protocole de New York de 1967 parachèvent l’édifice. La Convention définit le réfugié – mais pas le droit d’asile – qui doit être protégé contre les persécutions de son propre État. Protection cependant individuelle, excluant donc <em>de jure</em> groupes, communautés ou ethnies, bien que la persécution visant des groupes fût assez répandue.</p>
<p>Individualisme libéral et arrière-pensées politiques servent de trame aux négociations. Le critère de « persécution politique », impliquant qu’elle soit individuellement et personnellement subie, s’imposa au détriment du critère de « persécution économique » qui sous-entendait qu’elle pouvait être collective.</p>
<p>La figure du « réfugié », nécessairement opposant politique dans le contexte de la Guerre froide, s’imposa : pas de place, donc, ni pour la figure de « réfugié économique » ni pour celle de « réfugié-groupe ». Ce qu’entérina la Convention de Genève, choix gros de difficultés à venir.</p>
<p>La Convention établit le droit de chercher protection à l’étranger contre la persécution. La Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) de 1948 établissait déjà le droit pour toute personne de quitter tout pays, y compris le sien, et le droit de revenir dans son pays. La liberté de circulation semblait presque entière n’était l’apparition de nouvelles configurations migratoires inédites.</p>
<h2>Des formes récentes de migration orphelines de protection juridique dédiée</h2>
<p>L’interdiction des migrations de travail au milieu des années 1970 suivie, dans les années 1980, de l’instauration du visa d’entrée et de sa généralisation montrèrent vite les limites du cadre juridique de protection existant.</p>
<p>Les phénomènes liés au réchauffement climatique et leurs conséquences sur le déplacement des populations, comptant parfois parmi les causes des <a href="https://theconversation.com/la-syrie-une-guerre-climatique-les-liens-complexes-entre-secheresse-migration-et-conflit-81858">conflits infra-étatiques</a>, complexifièrent les facteurs de migration. Explosion du nombre de demandeurs d’asile, fermeture des frontières, construction de murs, édification de barrières de fils barbelés, édiction de législations restrictives en sont les indicateurs.</p>
<p>Les motifs de migration et de circulation recouvrent dès lors des situations orphelines de tout cadre juridique idoine. Les situations de migration s’inscrivent désormais le plus souvent dans le registre de la <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00688086">« migration forcée »</a>, forme de migration imposée par les conflits armés, les crises alimentaires, le chômage de masse, le réchauffement climatique, etc.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/246257/original/file-20181119-76134-ctqpdu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/246257/original/file-20181119-76134-ctqpdu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/246257/original/file-20181119-76134-ctqpdu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/246257/original/file-20181119-76134-ctqpdu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/246257/original/file-20181119-76134-ctqpdu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/246257/original/file-20181119-76134-ctqpdu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/246257/original/file-20181119-76134-ctqpdu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Des migrants tentent d’entrer en Hongrie (ici en août 2015).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/f/ff/Migrants_in_Hungary_2015_Aug_018.jpg/640px-Migrants_in_Hungary_2015_Aug_018.jpg">Gémes Sándor/SzomSzed/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En conséquence, le terme « migrant » englobe désormais des réalités migratoires différentes aboutissant à l’effacement progressif du réfugié au profit de l’<a href="https://theconversation.com/ce-que-cachent-les-mots-de-la-migration-104339">interchangeabilité des termes</a> « migrant » et « réfugié », le premier étant nécessairement animé par des raisons d’ordre économique, le second étant cet introuvable « combattant-de-la-liberté ».</p>
<p>La conclusion qu’en tirent les États est désarmante de simplisme : migrant = réfugié = faux demandeur d’asile. Formule qui illustre aussi et surtout l’<a href="https://journals.openedition.org/hommesmigrations/939">inadéquation de la Convention de Genève</a> et, dans une moindre mesure, de la DUDH. Une personne fuyant les conséquences du réchauffement climatique ou de la misère ne saurait invoquer valablement la protection qu’elle organise car les notions de « réfugié climatique » ou de « réfugié environnemental » et encore plus de « réfugié économique » n’existent pas pour la Convention. Il en va de même de la DUDH qui consacre la liberté de circulation en tant que droit objectif dont la pleine réalisation dépend, en conséquence, des États qui autorisent ou non sa mise en œuvre quasi-exclusivement par l’arme du visa d’entrée.</p>
<p>Pour fuir les effets plus ou moins immédiats du réchauffement climatique ou les conséquences d’un conflit armé, une personne doit non seulement pouvoir quitter librement son pays – ce que la DUDH garantit –, mais doit surtout pouvoir entrer dans un autre pays que le sien, soit pour y demander asile soit pour le traverser à la recherche d’un autre pays de refuge. Or, le droit d’entrer dans un autre pays que le sien n’existe pas, encore moins le droit de s’y installer. C’est là que réside le principal obstacle à l’universalisation véritable du droit à la mobilité.</p>
<h2>Un lent, incertain mais nécessaire changement de paradigme</h2>
<p>Imposer aux États l’obligation de laisser entrer sur leurs territoires des non-nationaux n’est pas une mince affaire. On le constate déjà pour l’asile où se multiplient partout politiques d’externalisation et militarisation des frontières.</p>
<p>Reconnaître un droit à la mobilité – droit subjectif rattaché à la personne non à l’État – suppose un changement de paradigme qui heurte de front la souveraineté, la sécurité nationale, donc le contrôle des <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Peut-imaginer-monde-sans-frontieres-2018-02-21-1200915357">frontières</a>.</p>
<p>Faire coïncider fait et droit, coller aux nouvelles réalités comme le plaident <a href="https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2009-1.htm">ONG</a> et <a href="http://www.pressesdesciencespo.fr/fr/livre/?GCOI=27246100723540">spécialistes des migrations</a>, implique une gouvernance globale des migrations associant tous ses acteurs. La <a href="http://www.unhcr.org/fr/declaration-de-new-york-pour-les-refugies-et-les-migrants.html">Déclaration de New York</a> pour les réfugiés et les migrants permettait l’espérance. Le <a href="http://www.un.org/en/conf/migration/">« Pacte mondial »</a> pour des migrations sûres, ordonnées et régulières qui en est issu et qui sera proposé à la signature des États à Marrakech, en décembre prochain, s’en éloigne, hélas.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/246259/original/file-20181119-76154-rj03ln.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/246259/original/file-20181119-76154-rj03ln.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=459&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/246259/original/file-20181119-76154-rj03ln.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=459&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/246259/original/file-20181119-76154-rj03ln.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=459&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/246259/original/file-20181119-76154-rj03ln.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=576&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/246259/original/file-20181119-76154-rj03ln.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=576&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/246259/original/file-20181119-76154-rj03ln.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=576&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">À Tijuana, le long de la frontière entre le Mexique et les États-Unis.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/8/88/US-Mexico_barrier_at_Tijuana_pedestrian_border_crossing.jpg/628px-US-Mexico_barrier_at_Tijuana_pedestrian_border_crossing.jpg">Toksave/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ce texte, qui ne sera signé ni par les États-Unis ni par la Hongrie et l’Autriche et d’autres encore probablement qui le trouvent trop libéral, réaffirme le primat de la sécurité sur les droits des migrants se situant même en deçà de la <a href="http://www.hommes-et-migrations.fr/index.php?id=4980">Convention des Nations unies</a> sur les droits des travailleurs migrants. La reconnaissance d’un droit humain à la mobilité ne constitue ainsi pas le cœur de ce Pacte.</p>
<p>Dans les faits, c’est pourtant bien un tel objectif que ne cessent de revendiquer, au péril parfois de leur vie, ceux qui affrontent ce monde où capitaux, marchandises et information circulent librement mais pas les êtres humains. Frontières, déserts, mers et océans, montagnes, tempêtes et ouragans, barrières barbelées, chaque obstacle affronté témoigne, par la souffrance, de l’impérieuse nécessité d’inscrire le droit à la mobilité parmi les droits humains.</p>
<p>La « caravane » donne réalité à cette utopie du XXI<sup>e</sup> siècle. Ne plus circuler dans la clandestinité, ignorer la frontière comme <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2017/08/ROBIN/57766">ligne continue à défendre</a>, refuser le processus de <a href="https://journals.openedition.org/espacepolitique/3336">frontièrisation</a> à l’œuvre partout dans le monde, jusque et y compris dans le <a href="https://aoc.media/opinion/2018/11/16/droit-universel-a-lhospitalite/">corps de la personne</a> elle-même, seront les effets salvateurs de la consécration d’un droit humain à la mobilité.</p>
<hr>
<p><em>À la mémoire du Professeur Noureddine Harrami (Université de Meknès) très récemment disparu.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/106636/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hocine Zeghbib ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Caravane de migrants en Amérique centrale, Aquarius en Méditerranée, « crise des migrants » en Europe : tout témoigne des limites du droit à la mobilité et appelle à sa réelle universalisation.Hocine Zeghbib, Maître de conférences HDR de droit public honoraire, Université Paul Valéry – Montpellier IIILicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1063592018-11-05T19:57:54Z2018-11-05T19:57:54ZL’immigration, le pari de Donald Trump<p>On ne s’y attendait pas : pourtant, Donald Trump a réussi à faire de cette élection de mi-mandat un <a href="https://theconversation.com/aux-etats-unis-la-campagne-dans-le-caniveau-66440">remake de celle de 2016</a>. Pour arriver à un tel résultat, il a utilisé une recette qu’il connaît bien et qui a parfaitement fonctionné voici deux ans : le Président américain a tout misé sur la question de l’immigration.</p>
<h2>Statu quo</h2>
<p>Ce thème avait été loin de dominer les débats jusqu’à récemment et, pendant de longs mois, les candidats se sont affrontés sur la santé, l’économie, ou la meilleure façon de gouverner. On sentait bien, pourtant, que rien ne permettait de départager les candidats ou de créer une dynamique susceptible de renverser des résultats que tous les sondages s’accordaient à trouver très stables : même le tsunami bleu (la couleur du Parti démocrate) qui était annoncé n’allait certainement pas se produire.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1052556944068755456"}"></div></p>
<p>Donald Trump est alors entré un peu plus dans la campagne et il l’a secouée violemment en revenant à ses classiques et en proposant une stratégie de campagne plus vigoureuse aux républicains, tweetant :</p>
<blockquote>
<p>« Les républicains doivent faire en sorte que la frontière et les lois sur l’immigration – qui sont si abominables, faibles et obsolètes –, soient au cœur des midterms ! »</p>
</blockquote>
<h2>L’aubaine de la caravane du Honduras</h2>
<p>Très vite, le discours national a changé. Il était dominé par des attaques incessantes venues du camp démocrate contre la moralité du président, remettant en cause jusqu’à sa capacité à gouverner. Depuis l’<a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2018/09/27/l-accusatrice-de-brett-kavanaugh-candidat-a-la-cour-supreme-americaine-a-temoigne-devant-le-senat_5361215_3222.html">épisode Kavanaugh</a>, les démocrates pensaient tenir là un thème fort, capable sinon de leur faire gagner quelques voix supplémentaires, à tout le moins de fédérer leur camp et de mobiliser leurs électeurs.</p>
<p>L’enjeu de la participation est en effet primordial dans ce scrutin, et loin d’être acquis pour les uns ou les autres. Donald Trump a-t-il réussi à contrecarrer leurs plans ? On remarque <a href="https://www.lameuse.be/302510/article/2018-11-03/trump-en-mode-combat-le-president-multiple-les-meetings">qu’il a renforcé sa présence dans la campagne</a> au cours des dernières semaines. Le Président multiplie les meetings – jusqu’à dix dans la dernière semaine – et ne ménage donc pas ses efforts.</p>
<p>A chaque sortie, il souligne les dangers de l’immigration clandestine, renforçant les craintes par des tweets. <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/amerique-sud/la-caravane-des-migrants-du-honduras-vers-les-etats-unis_2045054.html">La caravane des migrants qui s’est mise en marche</a> depuis le Honduras a été une véritable aubaine qu’il a su exploiter jusqu’à la lie. Les images de ces milliers de migrants qui voyagent en groupe sont, il est vrai, très impressionnantes. Elles ont <a href="https://www.telerama.fr/monde/aux-etats-unis,-la-caravane-de-migrants-qui-affole-les-medias-et-ravit-trump,n5866666.php">vite occupé tout l’espace médiatique aux États-Unis</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/3LDQKeyhlfc?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>La détermination de ces mêmes migrants qui, bloqués sur un pont à la frontière mexicaine, se sont jetés dans le fleuve en contrebas, parfois même sans savoir nager, a réveillé les peurs les plus profondes de celles et ceux qui craignent l’invasion. <a href="https://thehill.com/homenews/administration/413624-trump-calls-migrant-caravan-an-invasion">D’ailleurs, ce mot « d’invasion » a été prononcé</a> par le président lui-même.</p>
<p>2018 résonne désormais comme un écho de 2016, quand le candidat Donald Trump parlait de mur à la frontière et expliquait que les immigrants mexicains étaient <a href="https://theconversation.com/donald-trump-et-limmigration-en-cinq-questions-64828">des « voleurs » et des « violeurs »</a>.</p>
<h2>Le showman</h2>
<p>Trump est un homme qui met tout en scène et n’a aucune limite dans son action pour fournir le « meilleur » rendu, avec les « meilleurs » effets. Donald Trump connaît son affaire : <a href="http://tvmag.lefigaro.fr/programme-tv/donald-trump-merci-la-telerealite-_689cd8c0-d364-11e6-ae35-79550273466e/">des années de télévision, à produire des show à grande audience</a>, ont fait de lui un maestro pour ce qui est de capter l’attention.</p>
<p>Depuis la Maison Blanche, il peut faire plus que de s’en tenir aux incantations ou d’élever la voix en accompagnant ses déclarations tonitruantes d’imitations ou de provocations : désormais, Trump peut dramatiser le débat en poussant les peurs jusqu’au paroxysme. Il ne s’en est pas privé. En une semaine, le Président américain a dénoncé la porosité des frontières, s’est plaint de la passivité de tous ses prédécesseurs sur ce sujet, a vilipendé les blocages des démocrates qui ont empêché la construction de son mur.</p>
<p>Puis, soudain, tout a basculé : l’armée est devenue la solution. Le chiffre de <a href="http://french1.newsdeskpress.com/trump-ordonne-a-800-soldats-de-larmee-de-securiser-la-frontiere-avec-le-mexique-selon-un-officiel/">800 soldats a tout d’abord été évoqué</a>, lesquels devaient – en urgence – renforcer le dispositif de contrôle en place le long de la frontière et, jusque-là, assuré par les Border Patrol, auxquels Trump avait déjà adjoint 2 700 hommes de la Garde nationale. Le lendemain, il faisait grimper le <a href="https://lactualite.com/actualites/2018/10/29/caravane-de-migrants-ladministration-trump-deploie-5200-soldats-de-plus/">nombre de soldats mobilisés à 5 200</a>, puis – le surlendemain – à <a href="http://www.rfi.fr/ameriques/20181101-une-trump-envisage-envoyer-15-000-soldats-frontiere-mexicaine">15 000</a> !</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/QeZnN_EjYyo?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Pour qui ne l’aurait pas compris, c’est un véritable état de guerre que promulgue, sans le dire, Donald Trump. D’ailleurs, le nombre de soldats évoqué est supérieur à celui des <a href="http://geopolis.francetvinfo.fr/plus-de-5000-soldats-americains-deployes-en-irak-et-en-syrie-105467">militaires déployés en Irak</a>. Comme cela ne suffisait toujours pas, Trump a annoncé la fin du droit du sol pour les enfants de clandestins et, le surlendemain, prévenu que les <a href="https://www.lemonde.fr/donald-trump/article/2018/11/02/trump-suggere-que-l-armee-peut-faire-feu-sur-les-migrants_5377740_4853715.html">soldats pourraient tirer contre celles et ceux qui jetteraient des cailloux</a>.</p>
<p>Contredit par l’administration, le Président américain a averti qu’ils seraient arrêtés et mis en prison « pour très longtemps ». Enfin, le week-end dernier, il a annoncé le lancement de la construction du mur sur une portion de la frontière au Texas : 6 km d’un mur en béton armé haut de 9 mètres dont le contrat a été confié à une entreprise texane.</p>
<h2>Le débat sur la citoyenneté</h2>
<p>Lorsque le président a évoqué un décret <a href="https://www.lesechos.fr/monde/etats-unis/0600060849941-etats-unis-trump-veut-mettre-fin-au-droit-du-sol-2217846.php">supprimant la citoyenneté octroyée automatiquement à tous les enfants nés aux États-Unis</a>, il a relancé un débat important pour la nation américaine : la définition de cette citoyenneté ne pouvant passer par pertes et profits dans un pays comme les États-Unis, il a relégué tous les autres thèmes au second plan.</p>
<p>Les candidats démocrates tentent aujourd’hui de faire entendre leur voix sur leurs thèmes de départ. Mais sont-ils encore audibles sur la santé, les <a href="https://www.lemonde.fr/elections-americaines-mi-mandat-2018/article/2018/10/31/etats-unis-pour-les-midterms-les-democrates-parient-sur-la-proximite_5377121_5353298.html">questions sociétales ou la moralité ?</a> Il est indéniable que l’opération menée par le Président est ici un véritable succès.</p>
<p>Donald Trump a fixé un objectif clair, qui passe par des lois plus strictes sur l’immigration, un élément clé de sa plate-forme de candidat depuis 2015. Lors de l’annonce de sa candidature, il avait affirmé au bout de quelques minutes à peine que le Mexique n’envoyait « pas le meilleur » aux États-Unis. Sa promesse de construire un mur frontière entre les États-Unis et le Mexique a captivé l’<a href="http://www.nouvelobs.com/en-direct/a-chaud/50780-trump-usa-video-frontiere-trump-mexique-toujours.html">imagination de ses partisans</a>, et « construire le mur » reste un chant commun lors des rassemblements de campagne.</p>
<h2>Un gros risque</h2>
<p>Avant et après son élection à la présidence, Donald Trump a évoqué le spectre des <a href="http://www.lefigaro.fr/international/2018/02/22/01003-20180222ARTFIG00294-le-ms-13-ce-gang-auquel-donald-trump-a-declare-la-guerre.php">membres de gangs MS-13 entrant dans le pays</a> et entraînant des communautés dans la violence. Cette rhétorique a mobilisé une partie des électeurs qui ont aidé à faire élire Donald Trump en 2016.</p>
<p>Qu’en sera-t-il, cette fois ? Convaincus que seul Donald Trump vaut vraiment la peine de se déplacer pour voter, certains électeurs pourraient être tentés de rester chez eux. La dramatisation extrême et l’omniprésence de leur leader dans la campagne visaient à les mobiliser à nouveau.</p>
<p>Mais pour obtenir un tel résultat, Donald Trump a pris un gros risque : en éclipsant tous les autres thèmes de la campagne, il a aussi fortement atténué la <a href="http://www.atlantico.fr/decryptage/croissance-americaine-encore-revue-hausse-mais-que-fait-donald-trump-que-europe-ne-fait-pas-nicolas-goetzmann-3491404.html">question économique qui est pourtant indéniablement son plus grand atout</a>. Trump estime visiblement que cette réussite est une évidence et qu’il n’est plus nécessaire de la défendre. Mais que valent les évidences en politique ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/106359/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Éric Branaa ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En l’axant sur les questions migratoires, Donald Trump a réussi à faire de cette élection de mi-mandat un remake de celle de 2016.Jean-Éric Branaa, Maître de conférences politique et société américaines et chercheur associé à l'institut Iris., Université Paris-Panthéon-AssasLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1033072018-10-31T20:28:34Z2018-10-31T20:28:34Z« C’est le rôle des vivants de sauver les morts de la noyade »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/242445/original/file-20181026-7062-1q27xvu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C4%2C1000%2C661&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les restes d'un homme Ixil émergent du sol, il s'agit d'une des 669 victimes massacrées et connues à ce jour, lors de la guerre civile au Guatemala. </span> <span class="attribution"><span class="source">Tristan Brand/FAFG Fundacion de Antropologia Forense de Guatemala</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>J’arrive à Buenos Aires en décembre. Mon terrain au Guatemala vient de s’achever et mon terrain en Argentine n’a pas encore commencé. Je suis dans un entre-deux. J’ai travaillé avec une équipe d’anthropologues médico-légaux, à exhumer des fosses communes et rassembler des ossements, à tenter d’identifier les victimes des violences politiques qui ont marqué l’histoire récente du Guatemala. Après des mois d’intimité avec la mort et la terreur, il est étrange de débarquer dans la chaleur ensoleillée de Buenos Aires.</p>
<p>C’est le plein été en Argentine, la période des vacances. Je suis désorientée par les saisons inversées (pour moi) de l’hémisphère sud. Je m’étonne de me retrouver à errer dans Palermo Soho, où les touristes boivent des cafés cortados sur les trottoirs. Dans le parc arboré du Parque Centenario, des gens pratiquent le yoga et se contorsionnent de concert pour prendre la position du chien tête en bas. Un monde me sépare de Guatemala City, avec ses fenêtres à barreaux et ses rues prudentes. Il est difficile de croire que, quelques semaines plus tôt, je me tenais dans la boue d’un site de fouilles, dans la lointaine province de Quiché, à déterrer des os.</p>
<p>Au Guatemala, j’étais toujours entourée de gens. Nous creusions ensemble et nous déjeunions ensemble. Nous partagions nos chambres, nos vêtements, nos sprays anti-moustiques, nos bouteilles d’eau et nos rhumes. En Argentine, je suis seule. Mon studio loué récemment est d’une nudité et d’une blancheur cliniques : un sol carrelé de blanc, des murs blancs, des rideaux blancs. Avec la lumière vive de l’été, j’ai l’impression de vivre à l’intérieur d’une coquille d’œuf.</p>
<h2>« Je pense constamment aux trois hommes, à la manière dont leurs os s’entrecroisaient dans la boue »</h2>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/242448/original/file-20181026-7071-cbh2zg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/242448/original/file-20181026-7071-cbh2zg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=662&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/242448/original/file-20181026-7071-cbh2zg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=662&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/242448/original/file-20181026-7071-cbh2zg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=662&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/242448/original/file-20181026-7071-cbh2zg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=831&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/242448/original/file-20181026-7071-cbh2zg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=831&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/242448/original/file-20181026-7071-cbh2zg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=831&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">« De Boue ».</span>
<span class="attribution"><span class="source">Anna Parraguette/Penninghen</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Quand est-ce que je réalise que je ne vais pas bien ? Quand j’entends des gens rire en passant dans la rue, et que je me précipite pour fermer les rideaux afin qu’ils ne me voient pas ? Quand, au lieu de dîner, je reste assise affamée au bord du lit plutôt que de sortir ? Des choses étranges me passent par la tête : une gravure sur bois que j’ai vue une fois, avec des enfants dans un jardin. Au-dessus d’eux, des nuages d’été rebondis. En-dessous d’eux, des racines d’arbres et de plantes qui s’enfoncent dans la terre – et, au milieu des racines, des squelettes.</p>
<p>Je pense constamment aux trois hommes, à la manière dont leurs os s’entrecroisaient dans la boue. Pourquoi cette exhumation et pas une autre ? Je ne sais pas, mais cette fosse commune particulière dans les collines de Quiché est toujours présente, comme une radio allumée en bruit de fond. Les strates de terre teintée de cuivre. Les femmes de la communauté, bras croisés, attendant à la lisière des fouilles. Le bruit de la rivière et des pioches.</p>
<p>Il y a des milliers de fosses communes au Guatemala. <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2012/07/12/au-guatemala-les-plaies-a-vif-de-la-guerre-civile_1732841_3210.html">Au cours du conflit armé qui s’est déroulé de 1960 à 1996</a>, l’armée guatémaltèque, soutenue par le gouvernement des États-Unis, a pris pour cible les communautés paysannes mayas en raison de leur sympathie supposée pour les groupes de guérilla de gauche. Des villages entiers ont été massacrés. Les Nations unies ont estimé que 83 % des victimes du conflit armé <a href="https://journals.openedition.org/amerika/3880">étaient des indigènes locuteurs du maya</a>. L’ampleur de la violence est stupéfiante : dans un pays dont la population compte 8 millions de personnes, il y a eu 200 000 morts et 45 000 disparus. Quiché était l’épicentre de ce bain de sang : localement, le conflit est simplement appelé <a href="http://berkeleyjournal.org/2017/03/la-violencia-after-war-the-long-legacy-of-conflict-in-guatemala/">La Violencia</a> – la violence.</p>
<h2>Avec un tendon d’Achille coupé, les gens ne peuvent pas s’enfuir</h2>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/242455/original/file-20181026-7056-bq9ruo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/242455/original/file-20181026-7056-bq9ruo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=660&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/242455/original/file-20181026-7056-bq9ruo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=660&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/242455/original/file-20181026-7056-bq9ruo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=660&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/242455/original/file-20181026-7056-bq9ruo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=829&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/242455/original/file-20181026-7056-bq9ruo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=829&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/242455/original/file-20181026-7056-bq9ruo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=829&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Localisation de la province de Quiché, Guatemala.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9partement_du_Quich%C3%A9">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Sur le site d’exhumation, nous creusons pour <a href="http://eprints.kingston.ac.uk/35562/">trouver les os enterrés</a>. Nous découvrons trois squelettes d’hommes. Des impacts de balles très nets, entrée et sortie, marquent deux des crânes ; le troisième est complètement brisé. Alors que nous les débarrassons de la boue, Maxi nous dit de chercher des traces de machette, qui apparaissent sous la forme de lignes gravées dans l’os. Dans d’autres fosses communes, sur d’autres squelettes, nous avons trouvé les hachures reconnaissables sur les crânes, les omoplates, les tibias (avec un tendon d’Achille coupé, les gens ne peuvent pas s’enfuir).</p>
<p>C’est le type de détail médico-légal que nous sommes entraînés à reconnaître et à documenter. Cela peut être utilisé comme une preuve de torture et de meurtre, pour bâtir une accusation de génocide lors d’un procès. Si un procès a jamais lieu.</p>
<p>Lors d’un bel après-midi d’été à Buenos Aires, quelqu’un frappe à la porte blanche de mon appartement blanc. Je ne veux pas ouvrir, mais je suis en train d’écouter de la musique et, à travers les fines cloisons, il est inutile d’essayer de me dérober. Une femme sourit sur le pas de la porte. Elle habite l’étage du dessus. Elle vient de Colombie, elle est ici pour étudier la médecine dentaire. Elle me dit que la moitié des appartements de l’immeuble sont loués par des étudiants colombiens. De nombreux Colombiens ont été déplacés par la longue guerre civile, et le système universitaire en Argentine a bonne réputation et ne coûte pas cher. Elle est venue m’inviter à un barbecue. « Tu ne peux pas passer Noël toute seule ! », sourit-elle. Une trace de rouge à lèvres a débordé sur ses parfaites dents blanches.</p>
<h2>« Ce sont les bottes qui me perturbent le plus »</h2>
<p>Brosses à dents, balais, balayettes, seaux en plastique roses et verts. Maxi – mon collaborateur – s’est arrêté à Walmart à l’extérieur de Guatemala City pour acheter du matériel. Les instruments avec lesquels on exhume des fosses communes sont ordinaires. Nous travaillons durant des heures à nettoyer la boue qui macule les trois corps, attentifs à ne pas modifier leur position dans la fosse. Ce ne sont pas les os qui me perturbent le plus. Ce ne sont pas non plus les crânes, avec leurs grimaces hurlantes ou souriantes. Ce n’est pas même la corde encore attachée autour des os carpiens des poignets de l’un des hommes. Ce sont les bottes.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/242449/original/file-20181026-7053-rkuw7k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/242449/original/file-20181026-7053-rkuw7k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/242449/original/file-20181026-7053-rkuw7k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/242449/original/file-20181026-7053-rkuw7k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/242449/original/file-20181026-7053-rkuw7k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/242449/original/file-20181026-7053-rkuw7k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/242449/original/file-20181026-7053-rkuw7k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Des ouvriers exhument des restes dans la province de Qiche, Guatemala. Des milliers de corps ont été découverts. Sur les plus de 200 000 personnes assassinées ou disparues, 83 % étaient des locuteurs indigènes.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Tristan Brand/FAFG Fundacion de Antropologia Forense de Guatemala</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Tous les hommes locaux portent exactement les mêmes bottes. Quand je lève la tête de ma tâche, je vois ces mêmes bottes rassemblées autour de la fosse, portées par les hommes qui nous regardent, les hommes qui espèrent trouver leur père, leur frère, leur fils disparu. Après le travail, je gratte la boue sur mes chaussures, je nettoie mes semelles à l’aide d’un bout de bois – tout comme celui que j’utilise pour nettoyer la boue maculant les semelles de bottes des morts.</p>
<p>Les trois hommes morts portent des vêtements de travail communs. En brossant la boue d’une chemise à carreaux, je peux sentir les côtes pointues sous le tissu. Je remarque la couture régulière de la chemise faite à la main. Le tissu est intact et a conservé ses couleurs. Une partie du fil, le long de la manche, s’est désagrégée (le coton se dégrade plus vite que le nylon), laissant des morceaux de tissu agencés comme sur un patron. J’imagine les épouses et les mères qui ont coupé ces morceaux et les ont cousus les uns aux autres.</p>
<h2>Identification par le vêtement</h2>
<p>Maxi me dit que lorsque l’on trouve des corps de femmes vêtus de <em>traje</em> (costume traditionnel), les femmes de la communauté demandent des photographies de leurs <em>huipil</em>, les chemisiers brodés à la main, et parfois descendent dans la fosse pour inspecter la couture. Le motif d’un <em>huipil</em> est unique et peut donner un indice de l’identité d’un squelette. Si une femme trouve le corps de sa mère, elle fera peut-être confectionner le même <em>huipil</em> pour elle-même et ses filles.</p>
<p>L’identification par <em>huipil</em> n’est pas une identification scientifique. Les corps sont parfois trouvés avec des bijoux, des tatouages apparents et même des papiers d’identité lisibles. Ces preuves sont notées et constituent un profil médico-légal. Elles peuvent aider à établir l’identité, en fonction des résultats de l’examen médico-légal, et idéalement d’un test ADN. Mais les papiers d’identité peuvent se retrouver avec quelqu’un d’autre que leur propriétaire originel. Les gens peuvent avoir des tatouages similaires. Les bijoux peuvent être volés. Les vêtements peuvent être échangés.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/242450/original/file-20181026-7056-1qhuv2v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/242450/original/file-20181026-7056-1qhuv2v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/242450/original/file-20181026-7056-1qhuv2v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/242450/original/file-20181026-7056-1qhuv2v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/242450/original/file-20181026-7056-1qhuv2v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/242450/original/file-20181026-7056-1qhuv2v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/242450/original/file-20181026-7056-1qhuv2v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Cette femme ixil participe aux recherches pour retrouver les restes de son frère, province de Quiché.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Tristan Brand/FAFG Fundacion de Antropologia Forense de Guatemala</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les familles et les membres de la communauté peuvent être plus aisément convaincus par des vêtements que par une identification médico-légale ou même une correspondance génétique. Il est difficile d’imaginer un squelette – ou souvent juste un fragment d’os – comme un fils ou une mère. Une montre, un tatouage, un permis de conduire – toutes ces choses sont plus propices au travail d’imagination que suppose le fait d’identifier des restes humains à un proche disparu. Les familles et les équipes médico-légales mesurent parfois les indices selon différents standards, et fondent leurs certitudes sur différentes sortes de preuves.</p>
<h2>Des rêves pour retrouver les morts</h2>
<p>Au Guatemala, ces divers modes de connaissance <a href="https://www.interventionjournal.com/content/pau-p%C3%A9rez-sales-susana-navarro-garc%C3%ADa-2007resistencias-contra-el-olvido-trabajo-psicosocial">convergent dans les rêves</a>. Dans la cosmovision maya, les morts jouent un rôle actif dans les vies des vivants. Les rêves sont l’un des principaux canaux de communication, un moyen par lequel les ancêtres offrent des conseils et des avertissements. Dès leur plus jeune âge, les enfants sont encouragés à se souvenir de leurs rêves et à les raconter. Dans le contexte des exhumations, les membres de la communauté rapportent des rêves dans lesquels les morts indiquent où se trouve leur corps, afin qu’il puisse être localisé et faire l’objet de véritables funérailles. Sans rites funéraires, les morts ne sont pas en paix et ne peuvent pas remplir leur rôle communautaire. L’exhumation aide à restaurer des relations normales entre les vivants et les morts.</p>
<p>Les membres de la communauté <a href="https://www.stabilityjournal.org/articles/10.5334/sta.au/">localisent les corps à travers les rêves</a>, mais l’équipe médico-légale choisit où creuser en fonction d’indices archéologiques. Ils cherchent des modifications subtiles de la topographie qui pourraient révéler un fossé. Ils fouillent des tranchées exploratoires à la recherche de signes montrant que la terre est <em>revuelto</em>, les couches mêlées les unes aux autres : une indication qu’elle a été remuée auparavant.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/242452/original/file-20181026-7071-1f1xms1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/242452/original/file-20181026-7071-1f1xms1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=288&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/242452/original/file-20181026-7071-1f1xms1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=288&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/242452/original/file-20181026-7071-1f1xms1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=288&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/242452/original/file-20181026-7071-1f1xms1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=362&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/242452/original/file-20181026-7071-1f1xms1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=362&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/242452/original/file-20181026-7071-1f1xms1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=362&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">L’exhumation aide à restaurer des relations normales entre les vivants et les morts.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Alicia Andre/Penninghen</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Je veux savoir comment ces méthodes concurrentes de localisation des corps affectent la relation entre les équipes de fouilles et les communautés. J’interroge Zulma, la directrice d’une organisation qui fournit un soutien pratique et psychologique aux communautés durant le processus d’exhumation. Zulma est une travailleuse sociale qui a grandi à Quiché, porte le <em>traje</em> de son village, et parle ixil et espagnol. Elle joue le rôle d’interprète, non seulement linguistique mais sociale, entre les communautés locales, l’équipe médico-légale, et d’autres ONG et acteurs gouvernementaux. Elle me dit que pour les communautés mayas l’ADN est important et les rêves aussi. Quand je lui demande si elle a l’impression que les équipes médico-légales prennent au sérieux les rêves qu’on leur rapporte, elle fait une pause et dit : « Nous devons être patients avec les scientifiques. Ils ont une manière différente de voir le monde ». Elle ajoute : « Ils s’intéressent avant tout à la couleur de la terre, et nous nous intéressons aux rêves ».</p>
<p>Je demande à Alvaro, un archéologue médico-légal hispanique, quel rôle jouent les rêves dans le travail de l’équipe. Il me dit qu’à peine une semaine plus tôt, une femme l’a approché pour lui raconter un rêve indiquant que son père était enterré sous un large pin sur le site actuel. Je demande si l’équipe va fouiller là. Il me dit « Nous devons respecter la manière dont ils voient le monde ». Puis il soupire et ajoute : « mais il y a beaucoup de pins ! »</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/242454/original/file-20181026-7056-u7xev3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/242454/original/file-20181026-7056-u7xev3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/242454/original/file-20181026-7056-u7xev3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/242454/original/file-20181026-7056-u7xev3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/242454/original/file-20181026-7056-u7xev3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/242454/original/file-20181026-7056-u7xev3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/242454/original/file-20181026-7056-u7xev3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Un membre de l’équipe FAFG prend en photo quelques restes retrouvés, dont un morceau de crâne défoncé.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Tristan Brand/FAFG Fundacion de Antropologia Forense de Guatemala</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Les cadavres ne peuvent pas se noyer</h2>
<p>Le site que nous fouillons est à la lisière d’une forêt. Nous creusons à côté d’un large pin, dont les racines épaisses rendent le déblayage difficile. Il est déjà tard dans la journée lorsque nous trouvons le premier os. L’atmosphère est lourde de la pluie qui s’annonce. Tandis qu’Alvaro gratte la terre autour d’un fémur, les hommes locaux préparent une bâche pour protéger le site de la tempête imminente. Dans un éclair de machette ils tranchent des branches d’arbres, découpent des supports et des pieux soigneusement entaillés de sorte à s’imbriquer. Maxi a dit une fois que l’une des tragédies de La Violencia a été la disgrâce de la machette. Elle a entaché de honte un outil noble, destiné à récolter le maïs et bâtir des maisons. Tant de morts infligées par les machettes, tant de massacres. Un instrument de vie changé en arme de mort. Les hommes sur le site manient la machette avec grâce et magie, ils dressent des tentes au-dessus des fosses ouvertes en quelques minutes à peine.</p>
<p>La pluie commence à s’abattre, mais l’équipe continue à travailler sous la bâche, avec un regain d’énergie dû à l’excitation d’avoir trouvé une tombe. Au bout d’une heure, les formes distinctes de trois corps sont visibles. Ce sont des squelettes, c’est-à-dire que toute la chair s’est décomposée et qu’il ne reste que l’os. Il semble y avoir d’autres corps en-dessous. Alvaro en devine sept au total.</p>
<p>Sur le trajet du retour en ville, alors que le camion se fraye un chemin à travers le déluge, Maxi et Alvaro racontent une histoire. Lors d’une exhumation dans une autre communauté, une pluie drue s’est mise à tomber. La fosse avec ses corps à demi-exposés s’est rapidement remplie d’eau. Les membres de la communauté se sont précipités pour sauver de la noyade les personnes enterrées là. La chute de l’histoire se trouve, bien sûr, dans le fait que les cadavres ne peuvent pas se noyer. […] C’est le rôle des vivants de sauver les morts de la noyade.</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été publié en collaboration avec le <a href="https://blogterrain.hypotheses.org/">blog de la revue Terrain</a>, les illustrations et photos ont été gracieusement fournies par les élèves de l’école <a href="https://www.penninghen.fr/">Penninghen</a> et par le <a href="https://tristanbrand.photoshelter.com/gallery-image/Guatemala-Forensics/G00008wpP3TKzdIQ/I0000l1S.emeNVQg">photographe Tristan Brand</a> avec la FAFG Fundacion de Antropologia Forense de Guatemala.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/103307/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexa Hagerty a travaillé avec la FAFG Fundacion de Antropologia Forense de Guatemala.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Laure Assaf est membre du conseil de rédaction de la revue Terrain.</span></em></p>Des habitants ixil, au Guatémala, rêvent des lieux où se trouvent leurs morts, massacrés pendant la guerre civile et aident ainsi l’équipe médico-légale à creuser et identifier. Récit.Alexa Hagerty, Anthropologist, Stanford UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1022772018-09-06T18:33:01Z2018-09-06T18:33:01ZLa tranquille pénétration chinoise en Amérique latine et Caraïbes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/235255/original/file-20180906-190650-1nrr25t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=27%2C43%2C2005%2C1356&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Deux diplomates chinois lors d'une visite dans le nord du Brésil (ici en 2011).
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/prefeituradeolinda/6323844431/in/photolist-aCPmCx-5PAk4s-8rPeJi-4ULBrG-f7BCD3-dYKLvF-XrmmjS-8YHTGy-7oocmY-58JLdy-e26FrC-7rj1d3-eU91hW-ddwGTC-7zwEyz-dUirhY-CdbAo2-eTZ3uv-oC4vxQ-faJceh-67zPdo-Y2aEmR-cEmncE-qazVKu-8YERF2-gpvSqQ-6hnqbY-9gMM53-izLQmd-YZCJGJ-YDFz8L-4xJZqW-XXGxzs-pWWLrh-8idtKm-ddx15n-BWkqqQ-qekwpF-cWNG7f-67nHwX-cWNGLY-cYZ8B9-cWNGmh-cWNmCJ-cWNFju-nFu9PT-cWNjsq-4xENQk-7vTPgW-237j87Z">Pire/Pref.Olinda/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>En 2008, la République populaire de Chine (RPC) publiait son premier <em>Policy Paper</em> définissant stratégiquement ses relations avec l’Amérique latine et les Caraïbes (ALC). Depuis, en l’espace d’une décennie, elle s’est affirmée comme un partenaire commercial et financier incontournable dans cette zone longtemps considérée comme l’arrière-cour de Washington. Pourtant, vus d’Europe, les intérêts et l’action de Pékin dans le sous-continent latino-américain restent encore largement méconnus, voire ignorés.</p>
<h2>Une pénétration économique et financière croissante</h2>
<p>Le volume des échanges en marchandises entre la Chine et l’ALC est passé de négligeable en 1990 à 10 milliards de US dollars en 2000, avant de s’envoler après 2008 pour atteindre 266 milliards de dollars US en 2017, selon les <a href="https://repositorio.cepal.org/bitstream/handle/11362/43213/S1701250_es.pdf">chiffres de la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes</a>. Soit l’équivalent du commerce de marchandises entre les États-Unis et les pays de la région.</p>
<p>Grâce aux liens commerciaux tissés avec ses partenaires latino-américains – Brésil, Argentine, Venezuela –, Pékin a sécurisé des ressources stratégiques (hydrocarbures, ressources minérales, productions alimentaires, etc.) ainsi que des matières premières pour alimenter sa consommation intérieure, tout en ouvrant de nouveaux marchés pour ses entreprises.</p>
<p>Outre le commerce, la RPC est aussi devenue un important investisseur (par le biais des investissements directs sur sites vierges et mais aussi sous forme de fusions-acquisitions) et fournisseur de capitaux sous forme de prêts pour un nombre croissant de pays de l’ALC. Elle a ainsi pratiquement doublé le montant de ses prêts à destination de ces pays à une période où le financement des banques de développement occidentales envers le sous-continent connaissait au contraire une diminution graduelle : en 2010 et en 2015, où ils atteignaient respectivement 36 et 29,1 milliards de US dollars, le montant des prêts concédés par la Chine ont dépassé ceux combinés de la Banque mondiale, de la Banque interaméricaine de développement (BID) et de la Corporation andine de développement (CAF).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/235264/original/file-20180906-190639-njnu5i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/235264/original/file-20180906-190639-njnu5i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=644&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/235264/original/file-20180906-190639-njnu5i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=644&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/235264/original/file-20180906-190639-njnu5i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=644&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/235264/original/file-20180906-190639-njnu5i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=809&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/235264/original/file-20180906-190639-njnu5i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=809&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/235264/original/file-20180906-190639-njnu5i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=809&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">DR</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’engagement économique et financier chinois dans le sous-continent latino-américain est massif. Une politique qui offre des opportunités <a href="https://www.palgrave.com/gb/book/9783319667201">vu les intérêts croisés des deux parties</a>, qui n’est cependant <a href="https://www.palgrave.com/br/book/9781137439765">pas sans risques et défis</a>, à la fois pour la Chine – comme le montre la situation économique désastreuse du Venezuela qui laisse planer le doute quant aux capacités de Caracas d’honorer les dettes contractées auprès de la RPC – mais aussi <a href="https://www.e-elgar.com/shop/china-the-european-union-and-the-developing-world?___website=uk_warehouse">pour ses partenaires latino-américains</a>. Certains d’entre eux pourraient ainsi être confrontés au surendettement.</p>
<h2>Une vulnérabilité accrue pour les pays de la région</h2>
<p>Ce risque de surendettement ne doit pas être pris à la légère. <a href="https://www.cgdev.org/publication/examining-debt-implications-belt-and-road-initiative-policy-perspective">Une étude</a> montre en effet que 8 des 68 pays impliqués dans l’initiative BRI (Belt and Road Initiative, le nom officiel depuis 2017 de l’initiative One Belt One Road annoncée en 2013 par Xi Jinping) lancée par Pékin sont d’ores et déjà confrontés à des niveaux d’endettement insoutenables. Cette étude ne couvre malheureusement pas le cas des pays ALC. Outre les difficultés socio-économiques, il les rendrait vulnérables à d’éventuelles pressions de la part de leur créancier comme on a pu le constater ailleurs. Pékin a en effet obtenu du Sri Lanka, incapable de rembourser ses emprunts, la cession à bail pour 99 ans du port d’Hambantota !</p>
<p>Ce n’est pas le seul problème. Certaines études soulignent l’asymétrie des relations commerciales établies avec la RPC, la « primarisation » des exportations des pays latino-américains, l’accélération de la désindustrialisation dont ils pourraient être victimes du fait de la concurrence des produits chinois ou l’<a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/01436597.2012.691834">émergence possible d’un nouveau phénomène de « dépendance »</a> que ces relations économiques pourraient créer, <a href="https://global.oup.com/academic/product/the-china-triangle-9780190246730?cc=be&lang=en&">pour n’en citer que quelques-uns</a>.</p>
<p>De plus, le financement inconditionnel chinois peut être détourné dans les pays d’accueil pour des gains personnels ou politiques. L’investissement et les prêts sans conditionnalité de Pékin peuvent aussi favoriser la <a href="https://pdfs.semanticscholar.org/2f1b/5247360f944646bbbe8126defbc03245f0fe.pdf">mauvaise gouvernance</a>, les atteintes à l’environnement ou <a href="https://nationalinterest.org/feature/chinese-loans-hurt-south-american-us-interests-26226">perpétuer la corruption dans la région</a>, voire semer les graines d’une nouvelle crise de la dette latino-américaine – ce qui n’est pas une bonne nouvelle pour les populations locales.</p>
<p>Bref, une présence croissante et des relations commerciales et financières qui soulèvent bien des questions, dans un contexte où la Chine revoit ses ambitions à la hausse dans la région. Lors du premier sommet entre dirigeants chinois et de la Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes (CELAC), qui s’est tenu à Brasilia en juillet 2014, Pékin a énoncé sa volonté de faire passer le commerce Chine-ALC à 500 milliards de dollars US en 2025 et d’investir 250 milliards de dollars dans la région au cours de la prochaine décennie. En janvier 2018, Pékin a par ailleurs invité les pays latino-américains à se joindre à <a href="https://theconversation.com/la-nouvelle-route-de-la-soie-une-strategie-dinfluence-mondiale-de-la-chine-75084">son initiative des Routes de la Soie</a> !</p>
<h2>Une projection facilitée par la neutralité politique de Pékin</h2>
<p>La pénétration commerciale et financière chinoise s’est accompagnée d’une projection politique, facilitée par l’orientation très critique de Washington vis-à-vis de certains régimes locaux et par une politique étrangère de Pékin guidée par le principe de non-ingérence dans les affaires intérieure des États, la neutralité quant à la nature des systèmes politiques et une coopération soustraite aux formes de conditionnalité promues par les puissances occidentales et les institutions internationales qu’elles ont façonnées. Ces dernières irritent de nombreux pays.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/235260/original/file-20180906-190662-1djey3d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/235260/original/file-20180906-190662-1djey3d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/235260/original/file-20180906-190662-1djey3d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/235260/original/file-20180906-190662-1djey3d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/235260/original/file-20180906-190662-1djey3d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/235260/original/file-20180906-190662-1djey3d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/235260/original/file-20180906-190662-1djey3d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Visite d’État en 2016 du président Xi Jinping en Équateur (ici avec son homologue Rafael Correa).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:VISITA_DE_ESTADO_-_XI_JINPING_(31072546255).jpg">Carlos Rodríguez/Andes/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Sur le plan bilatéral, Pékin a multiplié depuis Hu Jintao, avec une forte accélération sous Xi Jinping, les visites et les contacts entre hauts responsables politiques. Il a établi des relations de proximité avec les États ALC <a href="http://www.nids.mod.go.jp/english/publication/joint_research/series3/pdf/3-cover.pdf">par le biais d’accords de <em>partenariats stratégiques</em></a>. Certaines de ces relations ont atteint le plus haut niveau de la hiérarchie des « partenariats » établie par la diplomatie chinoise. C’est le cas du Brésil, du Venezuela, du Mexique, de l’Argentine, du Pérou, du Chili et de l’Équateur. L’Uruguay pourrait suivre prochainement.</p>
<p>Ces partenariats dits « compréhensifs » (complets) comprennent tous les aspects des relations bilatérales : politiques, économiques, financiers, culturels, technologiques, etc., mais aussi de sécurité. Dans le secteur militaire, les liens avec les États ALC sont encore de faible intensité mais suffisants pour éveiller l’attention, voire l’inquiétude d’observateurs à Washington. En plus des ventes d’armes à certains pays, Pékin a développé une dimension humanitaire et de <em>peacekeeping</em> en direction de la région (Haïti). Il entretient des échanges de haut niveaux réguliers avec des responsables militaires de ces pays et favorise des transferts de technologies (la Chine est par exemple l’une des principales plates-formes de développement satellitaire pour l’ALC). Un Forum multilatéral portant sur la coopération militaire logistique a aussi été mis en place.</p>
<h2>Un <em>soft power</em> efficace</h2>
<p>La RPC a consolidé ses relations politiques bilatérales par la création d’une plate-forme multilatérale : le <a href="http://www.chinacelacforum.org/eng/">Forum sur la coopération Chine-CELAC</a>. Xi Jinping l’a établi en 2014. Des consultations régulières sur les questions régionales et internationales d’intérêt mutuel sont organisées : Forum ministériel de coopération, Forum agricole, Forum de l’innovation scientifique et technologique, Business Forum, Forum des think-tanks, Forum des jeunes dirigeants politiques, Forum sur la coopération en matière d’infrastructure, Forum pour l’amitié de peuple à peuple, Forum des partis politiques.</p>
<p>En plus de cette structure, Pékin met à profit les sommets des <a href="https://theconversation.com/limportance-des-brics-ne-se-dement-pas-67349">BRICs</a> (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) pour cultiver les rapports Sud-Sud avec les pays latino-américains.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/235259/original/file-20180906-190653-1lxclti.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/235259/original/file-20180906-190653-1lxclti.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/235259/original/file-20180906-190653-1lxclti.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/235259/original/file-20180906-190653-1lxclti.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/235259/original/file-20180906-190653-1lxclti.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/235259/original/file-20180906-190653-1lxclti.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/235259/original/file-20180906-190653-1lxclti.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Lors du sixième sommet des BRICs à Brasilia.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.google.fr/search?biw=1193&bih=627&tbs=sur%3Afmc&tbm=isch&sa=1&ei=bkaRW_jtLJGZlwTDzoawCw&q=Xi+Jinping+in+South+America&oq=Xi+Jinping+in+South+America&gs_l=img.3...20240.23781.0.24061.13.13.0.0.0.0.124.739.11j2.13.0....0...1c.1.64.img..0.1.109...0i5i30k1j0i8i30k1.0.9so3mkAYsSw#imgrc=uoSoVNUTGwLdwM:">Service de presse du Kremlin/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Enfin, la RPC a complété sa présence économique, financière et politique par l’essor d’une diplomatie publique destinée à promouvoir son <em>soft power</em> dans le sous-continent latino-américain et dans les Caraïbes. Elle est particulièrement visible à travers l’augmentation du nombre d’Instituts et de classes Confucius établis dans les pays de la région ou la <a href="http://theasiadialogue.com/2018/05/28/chinese-state-media-in-latin-america-profile-and-prospects/">présence de médias destinés à un public hispanophone</a>.</p>
<p>De plus, dans certains pays, Pékin peut utiliser le relais potentiel que constitue la présence d’une diaspora chinoise relativement ancienne. L’Amérique latine et les Caraïbes abritent en effet dans leur ensemble <a href="http://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/2057150X16655077">plus de 1,8 million de Chinois d’outre-mer</a>.</p>
<p>Si on en croit l’<a href="http://www.pewglobal.org/database/indicator/24/">enquête d’opinion réalisée par l’Institut Pew au printemps 2017</a>, la RPC semble avoir réussi à diffuser une image favorable de ses activités et de sa présence multiforme croissante auprès l’opinion publique de certains pays d’ALC. C’est le cas de 61 % des personnes interrogées au Pérou, de 52 % de celles interrogées au Brésil et au Venezuela et de 51 % de celles interrogées au Chili. Ailleurs, son score est plus mitigé : 43 % de personnes favorables en Colombie et au Mexique et 41 % en Argentine.</p>
<h2>Un nouveau compétiteur géopolitique de taille</h2>
<p>Au total, loin des regards européens, la Chine est devenue en l’espace d’une décennie un acteur dont on ne peut ignorer les activités et l’influence croissante dans le sous-continent latino-américain et les Caraïbes, même si sa présence multiforme actuelle suscite des questions et se heurte à des limites.</p>
<p>Certains y voient l’entrée en lice d’un compétiteur géopolitique de taille notamment pour Washington, alors que d’autres considèrent que ce type d’inquiétude est surestimé au stade actuel, signalant au contraire les importants obstacles auxquels les ambitions chinoises sont confrontées sur le continent.</p>
<p>Quoi qu’il en soit, il n’en s’agit pas moins d’une transformation majeure des relations internationales. Cette pénétration chinoise est un phénomène encore en cours et ses conséquences économiques, financières, <a href="https://orbi.uliege.be/handle/2268/227541">normatives</a>, <a href="https://www.raco.cat/index.php/RevistaCIDOB">politiques et géopolitiques</a>, voire sociétales et environnementales au long cours, tant pour les sociétés locales que pour les partenaires plus traditionnels des États du sous-continent latino-américain, restent aujourd’hui autant de questions ouvertes à discussion.</p>
<hr>
<p><em>Les auteurs de cet article organisent un <a href="http://msh.ulb.ac.be/agenda/colloque-chine-amerique-latine-et-caraibes-bilan-et-perspectives/">colloque à l’Université libre de Bruxelles</a> le 30 novembre 2018, : une quinzaine d’experts internationaux y feront le point sur ces questions.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/102277/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Depuis, en l’espace d’une décennie, la Chine s’est affirmée comme un partenaire commercial et financier incontournable dans cette zone longtemps considérée comme l’arrière-cour de Washington.Thierry Kellner, Chargé de cours (politique étrangère de la Chine), Université Libre de Bruxelles (ULB)Sophie Wintgens, Chargée de recherches du F.R.S.-FNRS en Relations internationales, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1019022018-09-04T19:10:55Z2018-09-04T19:10:55ZVulgarisation scientifique : une discipline émergente au Mexique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/232835/original/file-20180821-30584-1hn3svy.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C10%2C3637%2C2031&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Extraction d’ADN lors d’un atelier organisé à Mexico par l’association ADN Aprende y Descubre la Naturaleza (en français, ADN Apprends et Découvre la Nature).</span> </figcaption></figure><p><em><a href="https://theconversation.com/mediation-scientifique-le-reve-americain-99372">Après les États-Unis</a>, c’est au tour du Mexique d’être passé au crible par l’équipe de <a href="http://www.sciencevagabonde.com/">Science vagabonde</a>. Thibaud Sauvageon et Mariana Díaz nous livrent leurs impressions sur l’état de la communication des sciences dans ce pays en plein changement.</em></p>
<hr>
<p>Après la côte ouest mexicaine, les États-Unis et le Canada, nous avons repris la route vers le centre du Mexique. Heureux hasard, nous sommes passés par la ville de Guanajuato au moment où la <a href="http://somedicyt.org.mx/">Société mexicaine de la vulgarisation des sciences et techniques</a> y organisait son congrès bisannuel. Nous avons donc eu la chance et l’honneur d’assister à ce rassemblement de 300 vulgarisateurs venus de tout le pays. Conférences, tables rondes, débats… Cet événement hors du commun nous a permis de prendre la température de la vulgarisation des sciences au Mexique.</p>
<p>En 2011, le chimiste mexicain Aarón Pérez-Benítez présentait cette activité dans son pays comme <a href="https://ac.els-cdn.com/S0187893X18301484/1-s2.0-S0187893X18301484-main.pdf?_tid=1d9ec18b-556a-4f4b-8489-838c55bed382&acdnat=1534827941_59152275fbd170ad9d1dfb163b11c303">« une passion, un défi, un art… une activité incomprise »</a>. Sept ans plus tard, cette situation a-t-elle changé ?</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/234216/original/file-20180830-195316-1khfmsr.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/234216/original/file-20180830-195316-1khfmsr.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/234216/original/file-20180830-195316-1khfmsr.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/234216/original/file-20180830-195316-1khfmsr.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/234216/original/file-20180830-195316-1khfmsr.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=423&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/234216/original/file-20180830-195316-1khfmsr.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=423&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/234216/original/file-20180830-195316-1khfmsr.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=423&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Ouverture du congrès bisannuel de la Société mexicaine de vulgarisation des sciences et techniques.</span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Une activité très majoritairement bénévole</h2>
<p>La première chose qui nous frappe en observant la vulgarisation scientifique au Mexique, c’est son amateurisme. Non pas par sa qualité, mais par la situation économique et professionnelle de ceux qui la pratiquent ! D’après Jorge Padilla González, chercheur et co-auteur de l’étude <a href="http://www.redpop.org/wp-content/uploads/2017/06/Diagnostico-divulgacion-ciencia_web.pdf"><em>Diagnostic de la vulgarisation de la science en Amérique Latine : Un regard sur la pratique de terrain</em></a>, seul un vulgarisateur sur dix exerce cette activité de manière rémunérée. Dans l’immense majorité des cas, il s’agit d’une démarche totalement bénévole réalisée par des chercheurs, des étudiants ou de simples citoyens.</p>
<blockquote>
<p>« D’un côté on pourrait dire que c’est une bonne chose, que c’est de l’altruisme, que ça fait partie des responsabilités de la société… Mais si on va dans ce sens, la vulgarisation ne sera jamais professionnelle. Si un médecin a le droit légitime de gagner sa vie en exerçant son activité de médecin, un vulgarisateur devrait aussi pouvoir vivre de la vulgarisation. »</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/234222/original/file-20180830-195331-4nedmp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/234222/original/file-20180830-195331-4nedmp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/234222/original/file-20180830-195331-4nedmp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/234222/original/file-20180830-195331-4nedmp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/234222/original/file-20180830-195331-4nedmp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=423&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/234222/original/file-20180830-195331-4nedmp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=423&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/234222/original/file-20180830-195331-4nedmp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=423&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Rencontre avec Jorge Padilla González, co-auteur de l’étude « Diagnostic de la vulgarisation de la science en Amérique latine : Un regard sur la pratique de terrain ».</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le caractère non professionnel de la vulgarisation scientifique au Mexique, relevé par Jorge Padilla González, est facilement vérifiable. En discutant avec les participants du congrès, nous nous rendons compte que, malgré un coût relativement élevé, beaucoup ont payé l’inscription de leur poche ! Les budgets alloués à la communication des sciences sont extrêmement faibles et il est très courant de voir des professionnels investir leur propre argent dans des équipements de travail (caméras, micros…). Indéniablement, la vulgarisation scientifique au Mexique coûte beaucoup plus d’argent à ses acteurs qu’elle ne leur en rapporte.</p>
<p>Cette situation est dommageable, mais présente tout de même un avantage : le monde de la médiation scientifique au Mexique est pour l’essentiel constitué de passionnés. Les vulgarisateurs redoublent d’efforts et de créativité pour proposer une communication de qualité avec le public. Personne ne compte ses heures. Et dans un contexte institutionnel plutôt défavorable, l’ambiance n’est pas à la compétition, mais à la solidarité et à l’entraide. Tout le monde trouve sa place dans un milieu où les vulgarisateurs restent rares face à une population mexicaine très nombreuse. De plus, le très large éventail de médias possibles (musées, ateliers, conférences, blogs…) ne donne à personne l’impression d’empiéter sur un terrain déjà occupé.</p>
<h2>Une nouvelle vague de vulgarisateurs 2.0</h2>
<p>Depuis quelques années, l’utilisation massive et de plus en plus diversifiée d’Internet change également le visage de la vulgarisation des sciences. Si <a href="http://sciencedecomptoir.cafe-sciences.org/youtube-tournant-vulgarisation-scientifique/">ce phénomène peut être observé à l’échelle mondiale</a>, les jeunes Mexicains ne sont pas en reste. De nombreux projets sont montés de manière indépendante par des étudiants ou de simples passionnés qui voient en Internet une tribune ouverte et facilement accessible. Blogs, chaînes YouTube, réseaux sociaux… L’aisance de la jeune génération avec les nouvelles technologies a provoqué une production exponentielle de contenus scientifiques de qualité et touchant un public sans cesse plus nombreux.</p>
<p>Loin des milieux officiels, les jeunes YouTubeurs-vulgarisateurs mexicains sont parvenus à créer une communauté solide et montent de nombreux projets collaboratifs. À travers un groupe de discussion sur l’application WhatsApp et sur Facebook, ils échangent quotidiennement pour se tenir informés de l’avancée de leurs projets respectifs. Norberto Espíritu, doctorant en astrophysique et co-auteur de la chaîne YouTube <a href="https://www.youtube.com/channel/UCgmvxxs23lRBV9_zK-u9E4w">« Astrofísicos en Acción »</a> (Astrophysiciens en Action), nous parle de son rapport aux médias traditionnels :</p>
<blockquote>
<p>« Entre vulgarisateurs, il existe une sorte de compétition amusante. Nous ne sommes pas en compétition avec les médias de masse, mais entre YouTubeurs, pour voir qui sortira une info en premier. […] Avec Astrofísicos en Acción, notre objectif n’a jamais été de remplacer les médias traditionnels. Nous pensons que les réseaux sociaux et les médias traditionnels sont complémentaires, car nous avons des publics totalement différents. »</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/234223/original/file-20180830-195313-1fmgd7p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/234223/original/file-20180830-195313-1fmgd7p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=336&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/234223/original/file-20180830-195313-1fmgd7p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=336&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/234223/original/file-20180830-195313-1fmgd7p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=336&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/234223/original/file-20180830-195313-1fmgd7p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=422&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/234223/original/file-20180830-195313-1fmgd7p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=422&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/234223/original/file-20180830-195313-1fmgd7p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=422&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Norberto Espíritu, de la chaîne YouTube « Astrofísicos en Acción », nous raconte son expérience de YouTubeur.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Globalement, cette nouvelle vague de vulgarisateurs 2.0 est accueillie avec bienveillance par les professionnels du milieu. La différence générationnelle est bien présente, mais on perçoit une sincère reconnaissance mutuelle entre jeunes vulgarisateurs et communicants chevronnés. Que ce soit par l’expérience acquise au long des années ou par l’énergie créative de la jeunesse, tout le monde a quelque chose à apprendre de l’autre.</p>
<h2>« Nous ne sommes pas des supporters des sciences ! »</h2>
<p>Alors que les moyens de communication des sciences au Mexique se diversifient, la nature même des contenus doit être repensée. C’est en tout cas l’avis de la philosophe des sciences Aline Guevara Villegas, responsable de la communication de l’Institut des sciences nucléaires de l’Université nationale autonome du Mexique. Selon elle, le communicant des sciences n’a pas seulement un devoir d’informer. Il a aussi et surtout un rôle social et politique à jouer.</p>
<blockquote>
<p>« Le problème avec la vulgarisation scientifique traditionnelle, c’est qu’elle parle au nom de l’intérêt scientifique. Mais en réalité, nous devons aussi défendre l’intérêt public. Nous ne sommes pas des supporters des sciences ! Nous ne devons pas non plus lui mettre des bâtons dans les roues, mais nous devons avant tout jouer le rôle de médiateurs entre intérêt scientifique et intérêt public. »</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/234225/original/file-20180830-195316-11zb7xg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/234225/original/file-20180830-195316-11zb7xg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=336&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/234225/original/file-20180830-195316-11zb7xg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=336&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/234225/original/file-20180830-195316-11zb7xg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=336&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/234225/original/file-20180830-195316-11zb7xg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=423&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/234225/original/file-20180830-195316-11zb7xg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=423&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/234225/original/file-20180830-195316-11zb7xg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=423&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Aline Guevara Villegas nous reçoit dans les locaux de l’Institut des sciences nucléaires de l’Université nationale autonome du Mexique.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Aline Guevara Villegas a travaillé comme médiatrice dans la mise en œuvre d’un projet scientifique international : l’<a href="https://www.hawc-observatory.org/">observatoire HAWC</a>. Cet observatoire de rayons cosmiques a été installé en 2009 sur le volcan Sierra Negra, dans l’état de Puebla. Cependant, lors de son installation, l’observatoire a été sujet à une forte réticence de la part des populations vivant sur place. Le volcan étant classé réserve naturelle et l’accès à l’eau étant difficile dans cette région asséchée, l’utilisation par les chercheurs de 54 000 m<sup>3</sup> d’eau cristalline nécessaires au fonctionnement de l’observatoire a du mal à passer… Dans un tel contexte, la communication des sciences n’a pas pour objectif de satisfaire la curiosité du public :</p>
<blockquote>
<p>« En tant que médiateurs scientifiques, nous devons identifier des points d’intérêt commun entre les scientifiques et les communautés locales ; des sujets qui pourraient générer des tensions, de potentiels conflits d’intérêts… Dans notre cas, un des sujets sensibles, c’est l’eau. […] Les sciences et les rayons cosmiques ont un lien avec cette thématique, mais notre fonction principale n’est pas de parler de rayons cosmiques. Notre rôle est de faire en sorte que chacun puisse comprendre quelles sont les nécessités de l’autre. »</p>
</blockquote>
<p>Dans ce cas, la communication n’est pas descendante du scientifique vers le public mais est menée de façon bilatérale. C’est pourquoi Aline Guevara Villegas veut impliquer les chercheurs dans la démarche de vulgarisation tout en militant pour une formation de professionnels de la communication scientifique. D’après elle, plus que le grand public, le premier sujet d’étude du médiateur des sciences est le chercheur lui-même…</p>
<h2>Un long chemin vers la professionnalisation</h2>
<p>Les différentes rencontres et observations que nous avons pu faire durant notre séjour au Mexique nous laissent entrevoir un véritable tournant dans la manière de communiquer les sciences. Il est de plus en plus question de créer des filières universitaires dédiées à la communication des sciences ; on voit apparaître des revues scientifiques spécialisées ; les réseaux de vulgarisateurs se densifient et s’organisent… La vulgarisation scientifique se consolide peu à peu comme une discipline à part entière. Et dans cette discipline en plein essor, le Mexique est généralement considéré comme <a href="http://noticias.universia.net.mx/en-portada/noticia/2012/05/04/927363/mexico-pionero-divulgacion-cientifica.html">« un pionnier » en Amérique Latine</a>.</p>
<p>Nous reprenons désormais la route vers le sud pour parcourir le reste du continent dans les mois à venir. Il est certain que la suite de notre voyage nous réservera des rencontres inattendues et de nouveaux éléments de réflexion. Comment les sciences se font-elles en Amérique Centrale ? Et comment sont-elles communiquées ? Pour le savoir, rendez-vous dans notre prochaine chronique !</p>
<p>Pour les plus impatients, n’oubliez pas que vous pouvez toujours suivre notre itinéraire en temps réel et nos reportages sur notre <a href="http://www.sciencevagabonde.com/">site Internet</a> et sur les réseaux sociaux (<a href="https://www.facebook.com/ScienceVagabonde/">Facebook</a>, <a href="https://twitter.com/Science_Vaga">Twitter</a>, <a href="https://www.instagram.com/sciencevagabonde/">Instagram</a>).</p>
<p>À bientôt !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/101902/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Après les États-Unis, c’est au tour du Mexique d’être passé au crible par l’équipe de Science vagabonde. Ses impressions sur l’état de la communication des sciences dans ce pays en plein changement.Thibaud Sauvageon, Reporter indépendant, cofondateur de Science vagabonde, correspondant du laboratoire CREM, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.