tag:theconversation.com,2011:/us/topics/armements-34904/articlesarmements – The Conversation2024-02-22T15:49:11Ztag:theconversation.com,2011:article/2236712024-02-22T15:49:11Z2024-02-22T15:49:11ZL’impact de la guerre en Ukraine sur la coopération militaire franco-allemande<p>Comme le veut la coutume issue de la longue tradition d’amitié entre la France et l’Allemagne, le nouveau premier ministre français Gabriel Attal a réservé son premier déplacement à l’étranger en tant que chef du gouvernement à Berlin, le 5 février 2024. Il a assumé, lors de la conférence de presse conjointe donnée avec le chancelier Olaf Scholz, les <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/a-berlin-gabriel-attal-assume-les-divergences-avec-lallemagne-2074195">divergences existant entre les deux pays</a> sur de nombreux sujets, dont l’actuelle négociation de l’accord commercial avec le Mercosur. Ces divergences existent également dans le domaine de la coopération militaire bilatérale. Elles ne sont pas nouvelles, mais ont été réactivées par le contexte de la guerre en Ukraine et le réagencement de l’architecture de sécurité européenne.</p>
<p>Au cours de ces deux dernières années, <a href="https://ukandeu.ac.uk/the-effects-of-the-war-in-ukraine-on-european-defence-deeper-eu-integration/">l’UE a lancé un certain nombre d’initiatives</a> pour produire en commun des munitions (l’instrument <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2023/07/07/asap-council-and-european-parliament-strike-a-deal-on-boosting-the-production-of-ammunition-and-missiles-in-the-eu/">ASAP</a>, adopté en juillet 2023) et pour renforcer l’industrie de défense européenne (plan <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2023/10/09/edirpa-council-greenlights-the-new-rules-to-boost-common-procurement-in-the-eu-defence-industry/">EDIRPA</a> annoncé en septembre 2023), sans avoir résolu la question de son lien à l’OTAN et à l’allié américain. Or la guerre en Ukraine vient souligner la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2024/02/13/otan-les-etats-unis-toujours-indispensables-a-la-defense-de-l-europe_6216254_3210.html">dépendance des Européens à l’égard de Washington</a>, tant sur le plan stratégique que logistique et capacitaire.</p>
<p>Dans ce contexte, comment la guerre en Ukraine affecte-t-elle la coopération militaire franco-allemande sur le plan politico-stratégique ?</p>
<h2>Une crise révélatrice de divergences stratégiques antérieures</h2>
<p>C’est un truisme que de dire que les <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2019-6-page-37.htm">cultures stratégiques française et allemande sont différentes</a>. L’armée et la politique de défense, façonnées par l’histoire de chacun des deux pays et le fonctionnement du système politique interne, n’occupent pas la même place et n’exercent pas tout à fait les mêmes fonctions – en dehors de la fonction fondamentale de défense du territoire et des populations commune à toutes les armées.</p>
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<p>L’armée expéditionnaire française, héritière d’une longue tradition historique, ressemble peu à une Bundeswehr construite en 1955 dans le cadre de l’Alliance atlantique pour faire face à la menace conventionnelle soviétique pendant la guerre froide.</p>
<p>Pour autant, les dernières années de l’ère Merkel, si elles n’avaient pas gommé les différences stratégiques entre Paris et Berlin, avaient semblé converger vers l’idée d’une défense européenne plus substantielle à côté de l’OTAN, mobilisant, certes avec des sous-entendus divergents, la notion <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2023/04/11/2027-lannee-de-lautonomie-strategique-europeenne/">d’autonomie stratégique européenne</a> du côté français, et de souveraineté européenne du côté allemand.</p>
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<p>Mais malgré le <a href="https://www.ifri.org/fr/publications/notes-de-lifri/notes-cerfa/livre-blanc-allemand-2016-consolidation-consensus-de-munich">consensus de Munich</a> qui actait dès 2014 du côté de Berlin la nécessité, pour la première puissance économique européenne, de prendre davantage de responsabilités en matière de sécurité internationale et de défense, la France continuait à voir en l’Allemagne un partenaire circonspect sur ces sujets. La littérature académique ainsi que nombre d’experts ont longtemps considéré l’Allemagne comme une <a href="https://www.economist.com/special-report/2013/06/13/europes-reluctant-hegemon">« puissance réticente »</a>.</p>
<p>L’invasion militaire de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022 semblait avoir changé la donne : trois jours plus tard, le chancelier allemand annonçait un changement d’époque (<a href="https://www.bundesregierung.de/breg-fr/actualites/d%C3%A9claration-gouvernementale-du-chancelier-f%C3%A9d%C3%A9ral-2009510"><em>Zeitenwende</em></a>). L’Allemagne prenait conscience que la guerre conventionnelle en Europe était possible, et qu’elle avait trop longtemps négligé ses budgets de défense et ses capacités, malgré les critiques récurrentes des commissaires parlementaires aux forces armées successifs, dont les rapports annuels dénonçaient <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20230314-allemagne-l-arm%C3%A9e-manque-de-tout-dit-la-commissaire-parlementaire-%C3%A0-la-d%C3%A9fense-au-bundestag">l’état critique de la Bundeswehr</a>.</p>
<p>La France y avait alors vu l’occasion de travailler enfin de manière plus efficace avec l’Allemagne en matière de défense, et même de promouvoir la politique européenne de défense en adoptant notamment – en mars 2022 une <a href="https://ecfr.eu/article/the-eus-strategic-compass-brand-new-already-obsolete/">Boussole stratégique européenne</a> dont le chantier avait été lancé sous présidence allemande du Conseil de l’UE en 2020.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-petit-pas-inapercu-de-lue-vers-une-defense-commune-203011">Le petit pas inaperçu de l’UE vers une défense commune</a>
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<p>Mais très rapidement, les divergences stratégiques franco-allemandes ont refait surface : là où Paris a vu dans la guerre en Ukraine la confirmation de la nécessité d’enfin donner à l’UE une défense substantielle et basée sur ses propres forces, l’Allemagne, comme une majorité des autres États européens, y a au contraire forgé la conviction qu’il fallait renforcer l’OTAN.</p>
<p>Cette divergence d’analyse se traduit notamment par le lancement de <a href="https://www.la-croix.com/Monde/LAllemagne-brandit-bouclier-antimissile-europeen-sans-France-2022-10-13-1201237611">l’initiative de défense aérienne européenne</a> (<em>European Sky Shield Initiative</em>) par le chancelier allemand, sans réelle concertation avec Paris et au détriment d’une souveraineté européenne en la matière, en écartant le système de défense proposé par la France et l’Italie (SAMP/T) au profit d’un système israélien soutenu par Washington (Arrow 3).</p>
<p>S’y ajoute l’achat sur étagère de matériel militaire américain (notamment des <a href="https://www.letemps.ch/monde/allemagne-lachat-chasseurs-f35-americains-confirme">avions de combat F-35</a>), démontrant clairement l’invariant de l’ancrage allemand dans le pilier transatlantique de la sécurité européenne, et la méfiance de Berlin (partagée haut et fort par de nombreux pays européens, au premier rang desquels la Pologne et les États baltes) à l’égard des velléités françaises d’une Europe de la défense autonome.</p>
<p>Pourtant, la France a également pris conscience de l’importance de consolider un pilier européen au sein de l’OTAN afin de mieux dialoguer avec ses partenaires européens. Mais les espoirs de changement majeur dans la politique de défense allemande ont rapidement été mitigés par les <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/01/26/olaf-scholz-se-defend-d-avoir-tarde-a-approuver-la-livraison-de-chars-lourds-a-l-ukraine_6159390_3210.html">atermoiements du chancelier autour de la livraison de chars de combat à l’Ukraine en janvier 2023</a>, démontrant l’ambigüité allemande sur les questions militaires malgré le fonds spécial de 100 milliards débloqué pour rééquiper la Bundeswehr, et une <a href="https://www.pwc.de/de/pressemitteilungen/2024/die-deutschen-wollen-verteidigungsfaehiger-werden.html">opinion publique allemande en phase de transition sur les questions militaires</a>.</p>
<h2>Une coordination bilatérale en déclin</h2>
<p>Si le « moteur franco-allemand » de l’Europe semblait régulièrement à la peine avant 2022 (malgré la signature en 2019 du <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/01/22/relations-franco-allemandes-le-traite-d-aix-la-chapelle-risque-d-etre-depasse-par-l-evolution-de-la-politique-mondiale_6212237_3232.html">Traité d’Aix-la-Chapelle</a>, dont la mise en œuvre fut perturbée par la pandémie de Covid), il paraît aujourd’hui grippé.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/60-ans-apres-le-traite-de-lelysee-le-couple-franco-allemand-a-change-de-nature-217137">60 ans après le traité de l’Élysée, le « couple » franco-allemand a changé de nature</a>
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<p>Plusieurs facteurs peuvent être convoqués pour l’expliquer. Tout d’abord, l’élément interpersonnel, qui joue un rôle important dans la relation franco-allemande, n’est pas au beau fixe : si les rapports entre les deux ministres de la Défense ou entre l’ancienne ministre française des Affaires étrangères et son homologue allemande semblaient de bonne qualité, nombre d’observateurs ne peuvent que constater l’absence d’alchimie entre le président Macron et le chancelier Scholz, dont le style de gouvernement très personnel <a href="https://www.economist.com/europe/2023/04/05/who-does-olaf-scholz-listen-to">déroute d’ailleurs outre-Rhin</a>.</p>
<p>Ainsi, l’absence de référence à la France dans le discours du chancelier à Prague en août 2022 sur l’avenir de l’Europe, et le peu de consultation avec l’allié français traditionnel dans l’exercice de la rédaction de la toute première <a href="https://www.euractiv.fr/section/politique/news/lopposition-allemande-interpelle-olaf-scholz-sur-ses-relations-au-plus-bas-avec-la-france/">stratégie de sécurité allemande</a> publiée en juin 2023, sont venues confirmer des tensions franco-allemandes qui ont conduit à des <a href="https://theconversation.com/conseil-des-ministres-franco-allemand-un-report-sur-fond-de-ralentissement-economique-europeen-193227">reports</a> et à des diminutions de fréquence du conseil des ministres franco-allemand en 2022 et 2023. S’y est substitué, en dehors du conseil symbolique de janvier 2023 célébrant les 60 ans du traité de réconciliation, un séminaire bilatéral à Hambourg en octobre 2023 afin que les deux équipes gouvernementales puissent apprendre à mieux se connaître.</p>
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<p>De la même façon, en matière d’aide militaire et financière à l’Ukraine, les deux pays n’agissent pas de façon coordonnée, mais plutôt en relation bilatérale directe avec Kiev. L’Allemagne a contribué à cette aide à hauteur de 20 milliards d’euros (dont 17 milliards d’aide militaire) depuis 2022, là où la France n’aurait versé jusqu’à présent qu’autour de 1,7 milliard (dont 544 millions d’aide militaire) selon les <a href="https://www.ifw-kiel.de/topics/war-against-ukraine/ukraine-support-tracker/">chiffres de l’Institute for World Economy de Kiel</a>. Paris s’est engagé à verser une <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/lallemagne-sengage-a-soutenir-lukraine-militairement-a-long-terme-2076889">aide militaire supplémentaire de 3 milliards d’euros</a> lors de la visite du président Zelensky le 15 février 2024 à Paris, et Berlin a de son côté annoncé un milliard d’euros supplémentaires.</p>
<p>Enfin, sur le plan matériel, l’injection du fonds spécial de 100 milliards d’euros et la hausse importante du budget militaire allemand (estimé autour de <a href="https://www.zeit.de/news/2024-02/14/deutschland-meldet-rekordsumme-an-nato">2 % du PIB en février 2024</a>) ont intensifié la compétition industrielle déjà existante entre Paris et Berlin, remettant en cause le partage des tâches tacite en vigueur jusque-là entre la puissance économique allemande et la puissance militaire française. Ajoutons que ces derniers mois, les échanges entre les deux ministères de la Défense ont été émaillés par les aléas des projets de coopération industrielle militaire (notamment les <a href="https://www.challenges.fr/entreprise/defense/scaf-mgcs-derriere-les-discours-la-grande-panne-des-projets-militaires-franco-allemands_870322">programmes SCAF et MGCS</a>).</p>
<h2>Quel peut être l’avenir du partenariat franco-allemand en matière de défense ?</h2>
<p>Si les partenaires de Paris et Berlin ont par le passé souvent critiqué le poids du tandem franco-allemand dans la construction européenne, il semble aujourd’hui certain que celui-ci ne suffit pas, mais demeure une <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/07/01/la-desunion-politique-de-la-france-et-de-l-allemagne-contribue-a-fragmenter-l-union-europeenne_6180154_3232.html">condition nécessaire</a> pour construire du consensus à Bruxelles, y compris sur les sujets militaires.</p>
<p>Une des leçons de la guerre en Ukraine en la matière est l’importance de mieux considérer les intérêts de sécurité des pays baltes et des pays d’Europe centrale et orientale, très critiques sur l’attitude de Paris et Berlin vis-à-vis de Moscou au début de la guerre, <a href="https://news.err.ee/1608613669/ft-baltic-politicians-annoyed-by-scholz-and-macron-s-putin-call">jugée trop compréhensive</a>. Un élément qui semble émerger en ce sens consiste à réinvestir le <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/france-allemagne-et-pologne-relancent-le-triangle-de-weimar-pour-contrer-la-russie-2075825">triangle de Weimar</a>, la coopération franco-germano-polonaise étant rendue moins difficile par l’arrivée aux affaires à Varsovie du gouvernement pro-européen issu des élections de l’automne 2023.</p>
<p>Un second axe de rapprochement pour la France et l’Allemagne tient au facteur américain : l’élection présidentielle de 2024 pourrait favoriser un renforcement de l’Europe de la défense si Donald Trump revenait à la Maison Blanche, notamment au regard des <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2024/02/14/otan-pourquoi-donald-trump-qualifie-t-il-les-allies-de-mauvais-payeurs_6216493_4355770.html">propos sans équivoque</a> qu’il a tenus en février 2024 sur la faiblesse de certaines contributions européennes au budget militaire de l’OTAN. C’est ce qui s’était produit entre 2016 et 2020, période d’avancées significatives pour la politique européenne de défense marquée notamment par le lancement de la <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=LEGISSUM:permanent_structured_cooperation">coopération structurée permanente</a>.</p>
<p>Même en cas de victoire démocrate, Paris et Berlin peuvent trouver une voie de rapprochement en travaillant sur la notion de pilier européen dans l’OTAN. <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/air-defense/la-cour-des-comptes-appelle-la-france-a-mieux-simpliquer-dans-lotan-1984569">La France a d’ailleurs donné des gages de sa bonne volonté</a> en s’investissant très activement dans la présence de l’OTAN à l’Est du continent européen afin de contrer la menace russe.</p>
<p>Ainsi, si les désaccords, notamment industriels, ne manqueront pas de perdurer, c’est par la voie politique que la coopération militaire franco-allemande pourrait regagner de la souplesse. Beaucoup d’incertitudes demeurent toutefois sur ce point au regard des futures élections tant européennes que nationales, étant donné la montée des discours populistes dans les deux pays et les crises économiques et sociales dont ceux-ci se nourrissent.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223671/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Delphine Deschaux-Dutard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les deux pays soutiennent fermement l’Ukraine, mais leurs visions de la meilleure organisation de la défense européenne et du rôle que doit y jouer l’OTAN continuent de diverger.Delphine Deschaux-Dutard, Maître de conférences en science politique, Université Grenoble Alpes, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2229602024-02-15T14:10:56Z2024-02-15T14:10:56ZL’IA au cœur de la stratégie israélienne à Gaza<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/575644/original/file-20240214-22-anab9e.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=10%2C12%2C1698%2C896&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Capture d’écran d’une vidéo de l’armée israélienne diffusée le 2&nbsp;novembre 2023 montrant des frappes sur la bande de Gaza.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.idf.il/%D7%90%D7%AA%D7%A8%D7%99-%D7%99%D7%97%D7%99%D7%93%D7%95%D7%AA/%D7%99%D7%95%D7%9E%D7%9F-%D7%94%D7%9E%D7%9C%D7%97%D7%9E%D7%94/%D7%9B%D7%9C-%D7%94%D7%9B%D7%AA%D7%91%D7%95%D7%AA/%D7%94%D7%A4%D7%A6%D7%95%D7%AA/%D7%9E%D7%9C%D7%97%D7%9E%D7%94-%D7%9E%D7%98%D7%A8%D7%95%D7%AA-%D7%A9%D7%94%D7%95%D7%AA%D7%A7%D7%A4%D7%95-%D7%9B%D7%95%D7%97%D7%95%D7%AA-%D7%A6%D7%94-%D7%9C-%D7%90%D7%92%D7%A3-%D7%94%D7%9E%D7%95%D7%93%D7%99%D7%A2%D7%99%D7%9F-%D7%97%D7%99%D7%9C-%D7%94%D7%90%D7%95%D7%95%D7%99%D7%A8-%D7%97%D7%99%D7%9C-%D7%94%D7%99%D7%9D/">Israeli Defence Forces</a></span></figcaption></figure><p>À la fin du mois de novembre 2023, les autorités israéliennes indiquaient que, dans les 35 premiers jours du conflit à Gaza, elles avaient frappé plus de 15 000 cibles – soit trois fois plus qu’au cours des 51 jours qu’avait duré l’opération <a href="https://www.idf.il/fr/minisites/tsahal-au-passe/guerres-et-operations/operation-bordure-protectrice-2014/">« Bordure protectrice »</a>, en 2014.</p>
<p>Quelques jours plus tard, le magazine d’investigation israélien <em>+972</em> dévoilait une <a href="https://www.972mag.com/mass-assassination-factory-israel-calculated-bombing-gaza/">enquête</a> révélant les raisons de ce rythme effréné : un programme informatique dopé à l’intelligence artificielle (IA) surnommé <em>Habsora</em> – l’Évangile en français – et fonctionnant comme une « <a href="https://www.idf.il/%D7%90%D7%AA%D7%A8%D7%99-%D7%99%D7%97%D7%99%D7%93%D7%95%D7%AA/%D7%99%D7%95%D7%9E%D7%9F-%D7%94%D7%9E%D7%9C%D7%97%D7%9E%D7%94/%D7%9B%D7%9C-%D7%94%D7%9B%D7%AA%D7%91%D7%95%D7%AA/%D7%94%D7%A4%D7%A6%D7%95%D7%AA/%D7%9E%D7%9C%D7%97%D7%9E%D7%94-%D7%9E%D7%98%D7%A8%D7%95%D7%AA-%D7%A9%D7%94%D7%95%D7%AA%D7%A7%D7%A4%D7%95-%D7%9B%D7%95%D7%97%D7%95%D7%AA-%D7%A6%D7%94-%D7%9C-%D7%90%D7%92%D7%A3-%D7%94%D7%9E%D7%95%D7%93%D7%99%D7%A2%D7%99%D7%9F-%D7%97%D7%99%D7%9C-%D7%94%D7%90%D7%95%D7%95%D7%99%D7%A8-%D7%97%D7%99%D7%9C-%D7%94%D7%99%D7%9D/">usine à cibles</a> », 24 heures sur 24.</p>
<p>D’après l’article, ce système capable de traiter des masses de données très hétérogènes et issues de différentes branches du renseignement serait utilisé par Tsahal pour identifier les cibles potentielles de la campagne de bombardements, mais aussi pour estimer à l’avance le nombre de victimes civiles.</p>
<h2>Un recours massif à l’intelligence artificielle</h2>
<p>En Israël, le recours à ce type de technologies n’est pas nouveau : Tsahal a, en effet, érigé la supériorité technologique face à ses adversaires en objectif clé, notamment dans le cadre de son plan de modernisation, mis en œuvre en 2019 et baptisé <a href="https://fr.timesofisrael.com/tsahal-devoile-son-momentum-plus-destructeur-et-rapide-moyennant-financement/">« Momentum »</a>. En 2021, déjà, l’opération « Gardien des Murs » avait été qualifiée par l’armée israélienne de <a href="https://www.jpost.com/arab-israeli-conflict/gaza-news/guardian-of-the-walls-the-first-ai-war-669371">« première guerre de l’intelligence artificielle »</a>.</p>
<p>Ainsi que l’<a href="https://www.ynetnews.com/magazine/article/ry0uzlhu3">expliquait</a> il y a quelques mois l’ancien chef d’état-major Aviv Kochavi, le programme <em>Habsora</em> avait été utilisé pour générer une centaine de cibles par jour, dont la moitié avaient effectivement été engagées. Il rappelait, à titre de comparaison, que jusqu’alors une cinquantaine de cibles étaient identifiées chaque année dans les territoires palestiniens.</p>
<p>Comme l’exposait en juin 2022 la chercheuse Liran Antebi <a href="https://www.calameo.com/cesa/read/00694028836ec273548b7">dans les colonnes de la revue <em>Vortex</em></a>, l’État hébreu s’appuie sur au moins quatre logiciels dans ses opérations contre le Hamas : <em>Alchemist, Gospel (Habsora), Depth of Wisdom</em> et <em>Fire Factory</em>.</p>
<p>Si le fonctionnement précis de ces systèmes, vraisemblablement conçus par la célèbre <a href="https://www.lepoint.fr/monde/israel-ces-unites-militaires-secretes-ou-poussent-des-start-up-15-12-2023-2547150_24.php">unité 8 200</a>, est difficile à établir, il semble qu’<em>Alchemist</em> facilite les ripostes en cas d’attaque visant le territoire israélien ; que <em>Depth of Wisdom</em> cartographie les sols et les sous-sols de la bande de Gaza (pour repérer les tunnels du Hamas) ; qu’<em>Habsora</em> définit les cibles les plus pertinentes ; tandis que <em>Fire Factory</em> génère en temps réel des plans de frappe par avions et par drones, en fonction du type de cible. C’est grâce à ces technologies de pointe que l’armée israélienne est désormais capable de frapper plusieurs centaines de cibles par jour.</p>
<p>Ces logiciels permettent d’automatiser la constitution des « dossiers d’objectifs » préalables aux missions aériennes. Ces dossiers comportent des cartes et des images satellite de localisation des cibles ; ils précisent également les types de munitions à privilégier, ainsi que les points d’impact potentiels et les conséquences probables des frappes.</p>
<p>En croisant ces données, les programmes suggèrent automatiquement des cibles, sur le modèle des <a href="https://dommagescivils.wordpress.com/2012/12/25/signature-strike/"><em>signature strikes</em> américaines</a> qui agrègent les caractéristiques communes d’individus impliqués dans des actes terroristes pour en dégager des « schémas » ou « patterns of life ». La CIA a ainsi ciblé des individus dont l’identité n’était pas formellement confirmée, mais dont un ensemble de données (localisation, équipement, âge, sexe, etc.) permettait de les associer à des combattants d’organisations terroristes.</p>
<h2>Une « usine à assassinats de masse »</h2>
<p>L’auteur de l’enquête de <em>+972</em>, Yuval Abraham, expose dans une <a href="https://www.democracynow.org/2023/12/1/israel_gaza_war_gospel_artificial_intelligence">interview</a> au média américain <em>Democracy Now</em> que ces programmes informatiques ont été développés pour la <em>Target Division</em> de Tsahal, afin de remédier à la pénurie de cibles dont avaient pâti les forces israéliennes lors de leurs opérations précédentes à Gaza. L’armée de l’air s’était en effet trouvée plusieurs fois à court d’objectifs, alors que demeurait une forte pression politique pour continuer la guerre.</p>
<p>Le journaliste israélien alerte toutefois sur la « politique du chiffre » dont découle cette capacité à identifier des centaines d’objectifs chaque jour. Il relate ainsi que les militaires auprès desquels il a enquêté estiment être « jugés sur la quantité de cibles qu’ils arrivent à désigner, pas sur leur qualité », dans le but de créer un effet de choc au sein de la population gazaouie.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1730936319705026620"}"></div></p>
<p>Cette multiplication des frappes occasionne cependant un nombre colossal de victimes, majoritairement civiles.</p>
<p>Le bilan depuis le 7 octobre a ainsi dépassé les 27 000 morts à Gaza, dont les deux tiers <a href="https://www.liberation.fr/checknews/quelle-est-la-proportion-de-combattants-du-hamas-parmi-les-plus-de-26-000-personnes-tuees-a-gaza-20240129_RUGTGURDFJHXBOZCSETFW34BHA/">ne sont pas des combattants</a>, d’après les chiffres avancés par les autorités israéliennes. Le recours à des techniques d’intelligence artificielle autorise donc Tsahal à <a href="https://www.theguardian.com/world/2023/dec/01/the-gospel-how-israel-uses-ai-to-select-bombing-targets">intensifier ses frappes</a>, mais ne permet pas pour autant de limiter les « dommages collatéraux », ce qui peut sembler paradoxal.</p>
<h2>Une « riposte disproportionnée » ?</h2>
<p>L’emploi de l’IA dans un nombre croissant de systèmes d’armes est présenté comme porteur d’une plus grande mesure dans le recours à la force, car permettant davantage de précision dans les frappes. Le cas d’<em>Habsora</em> démontre au contraire que ces technologies peuvent aussi être employées pour intensifier les campagnes aériennes en augmentant la cadence des frappes – causant donc plus de dommages humains et matériels parmi les civils. La retenue dans l’usage de la force ne dépend donc pas d’instruments techniques, mais bien d’une volonté politique.</p>
<p>Dans le cadre de l’opération « Glaives de fer », qui a débuté le 11 octobre 2023, deux objectifs militaires ont été fixés à l’armée israélienne : l’éradication du Hamas d’une part, et la libération des près de 240 otages détenus dans Gaza depuis le 7 octobre d’autre part.</p>
<p>Ces objectifs ont toutefois été vivement critiqués en Israël. D’abord parce que, comme l’a pointé le <a href="https://www.haaretz.com/israel-news/2023-12-16/ty-article/.premium/israels-two-war-aims-meet-for-a-fatal-clash-every-day-in-gaza-endangers-hostages/0000018c-73d3-d798-adac-f7ff8ca30000">journaliste d’<em>Haaretz</em> Amos Harel</a>, ils sont en partie contradictoires, les otages étant susceptibles de périr lors de bombardements ou lors d’échanges de tirs entre les geôliers et Tsahal ; la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/12/16/l-armee-israelienne-reconnait-avoir-tue-par-accident-trois-otages-lors-d-une-operation-dans-la-bande-de-gaza_6206133_3210.html">mort tragique d’otages</a> abattus par l’armée israélienne alors qu’ils avaient réussi à s’échapper en est un exemple cruel.</p>
<p>Ils semblent en outre difficilement réalisables sur le plan tactique. Le Hamas est une organisation biface : si sa branche armée s’est rendue coupable d’actions terroristes de masse, il n’en reste pas moins perçu par une partie du peuple palestinien comme un parti capable d’organiser une résistance. Son éradication militaire ne serait donc pas synonyme de sa défaite politique ou idéologique.</p>
<p>Le gouvernement israélien est donc confronté à un dilemme : comment cibler le Hamas de façon adéquate tout en sauvant les otages ? Depuis la seconde Intifada (2000-2005), Tsahal a oscillé entre deux approches de l’emploi de la force. La première, extrêmement précise, se traduit par des campagnes de « prévention ciblée » visant à éliminer les hauts responsables ennemis – du Hamas, mais aussi du Hezbollah ou de l’Iran. Cette approche apporte des succès tactiques : elle permet de réduire le niveau de menace pesant sur Israël en ralentissant le rythme des attaques, en privant les organisations ciblées de compétences essentielles, et en compliquant les communications entre les chefs, contraints de se cacher.</p>
<p>La seconde approche consiste au contraire à riposter de manière disproportionnée, afin de dissuader l’action armée. Cette option se décline en de multiples théorisations, dont la plus célèbre est « la doctrine Dahiya », du nom d’un quartier de Beyrouth rasé par l’aviation israélienne en 2006.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1726988377239453757"}"></div></p>
<p>Gadi Eisenkot, ancien chef d’état-major israélien – et qui fait désormais partie du cabinet de guerre – avait ainsi déclaré dans une <a href="https://www.haaretz.com/2008-10-05/ty-article/analysis-idf-plans-to-use-disproportionate-force-in-next-war/0000017f-db22-d856-a37f-ffe216460000">interview</a> à <em>Haaretz</em> en 2008 :</p>
<blockquote>
<p>« Ce qui est arrivé à Dahiya à Beyrouth en 2006 arrivera à tous les villages qui servent de base à des tirs contre Israël. Nous ferons un usage de la force disproportionné et y causerons de grands dommages et destructions. Ce n’est pas une suggestion mais un plan qui a été approuvé. »</p>
</blockquote>
<p>La <a href="https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2015/01/02/israel-autorise-la-destruction-punitive-de-maisons-de-terroristes-palestiniens_4548355_3218.html">destruction des maisons des familles de Palestiniens accusés de terrorisme</a> s’inscrit également dans cette idée d’utilisation de la force à des fins dissuasives et dans une logique de responsabilité collective, qui vise à rendre insupportable aux Palestiniens les conséquences de toute action armée.</p>
<p>L’opération <a href="https://www.idf.il/fr/minisites/guerre-contre-le-hamas/glaive-de-fer-compte-rendu-en-temps-reel/">« Glaive de fer »</a> conjugue donc ces deux approches, ainsi que leurs travers. D’une part, la perception du Hamas par l’état-major de Tsahal semble réduite aux quatre dirigeants responsables de la branche militaire : Yahya Sinouar et son frère Mohammed Sinouar, Abu Ubaida et Mohammed Deif. Incapable de les localiser et de les éliminer, l’armée israélienne offre une image de défaite, en dépit de l’intense campagne militaire en cours. <a href="https://www.jpost.com/israel-hamas-war/article-778002">Des tracts</a> ont ainsi été largués dans Gaza promettant une récompense à tous les Gazaouis détenant des informations sur ces quatre hommes.</p>
<p>Le cabinet de guerre semble quant à lui pencher pour la <a href="https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-l-orient-2009-4-page-75.htm">riposte disproportionnée</a>, afin de restaurer le régime de dissuasion qui s’est écroulé le 7 octobre. Cette stratégie est néanmoins contraire à l’un des principes cardinaux du droit international humanitaire (DIH) : l’obligation pour les armées de distinguer entre civils et combattants.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/a-gaza-larmee-israelienne-respecte-t-elle-le-droit-international-217394">À Gaza, l’armée israélienne respecte-t-elle le droit international ?</a>
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<p>Certes, le DIH admet que des civils meurent au cours de frappes, mais seulement si l’objectif militaire anticipé est décisif, et si toutes les précautions ont été prises pour éviter ces morts.</p>
<p>D’après les informations recueillies par <em>+972</em>, le programme <em>Habsora</em> permet de connaître précisément le nombre de civils susceptibles d’être tués lors d’une frappe. Le calcul de proportionnalité de Tsahal a donc manifestement évolué : Yuval Abraham rapporte ainsi qu’alors que jusqu’au 7 octobre une dizaine de victimes collatérales étaient tolérées pour éliminer un membre exécutif du Hamas, plus d’une centaine de morts civiles seraient désormais acceptées pour en neutraliser un membre subalterne.</p>
<p>Cette évolution explique la destruction d’immeubles entiers pour abattre une unique cible répertoriée, comme en témoigne la <a href="https://www.courrierinternational.com/article/conflit-a-gaza-le-camp-de-refugies-de-jabaliya-de-nouveau-bombarde">frappe sur le camp de réfugiés de Jabaliya</a>, le 31 octobre 2023, qui visait un seul des dirigeants de l’attaque du 7 octobre et qui a fait 126 morts, <a href="https://airwars.org/observation/entire-family-killed/">selon le collectif Airwars</a>.</p>
<p>Ces exemples tendent à montrer que le recours à des technologies avancées ne conduit pas à l’avènement d’une guerre plus « propre » : les algorithmes ne sont ici pas utilisés pour limiter les dommages collatéraux, mais pour cibler plus massivement, avec un ratio particulièrement élevé de victimes civiles, et ce en connaissance de cause.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1712718931171967426"}"></div></p>
<h2>Le piège de la guerre asymétrique</h2>
<p>L’analyse de la campagne militaire de l’armée israélienne conduit enfin à s’interroger sur son efficacité stratégique. Alors que les plus hauts responsables militaires de l’attaque du 7 octobre sont encore en vie, terrés dans les tunnels de Gaza, l’offensive militaire est de plus en plus critiquée à l’international, en raison du grand nombre de civils tués. La Cour internationale de justice, saisie par l’Afrique du Sud, a ainsi <a href="https://aoc.media/analyse/2024/01/29/afrique-du-sud-c-israel/">constaté un risque de génocide à Gaza</a>, fragilisant le soutien occidental à l’État hébreu.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/israel-devant-la-cour-internationale-de-justice-celle-ci-est-elle-devenue-un-substitut-a-un-conseil-de-securite-dysfonctionnel-220727">Israël devant la Cour internationale de justice : celle-ci est-elle devenue un substitut à un Conseil de sécurité dysfonctionnel ?</a>
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<p>Or ce soutien est vital pour Israël, qui <a href="https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/les-americains-plus-prompts-a-aider-tel-aviv-que-kiev-1988555">bénéficie d’une aide militaire américaine de 3,8 milliards de dollars par an</a>. Certains de ses équipements militaires clés sont achetés aux États-Unis, dont une cinquantaine d’avions F35. Sur le plan opérationnel, l’envoi de deux porte-avions américains en Méditerranée immédiatement après le 7 octobre a été décisif pour dissuader l’Iran de profiter du chaos dans lequel Israël était plongé pour attaquer. Dans un tel contexte, un abandon du soutien américain aurait des conséquences majeures sur la politique de défense israélienne.</p>
<p>Sur le plan local, les morts et blessés civils nourrissent le ressentiment des Gazaouis envers Israël, ce qui a pour effet de les pousser dans les bras du Hamas plutôt que de les en détourner. Un enfant de Gaza ayant vécu les guerres de 2014, de 2021, puis de 2023 sera sans doute plus susceptible d’être séduit par la rhétorique guerrière du Hamas que de devenir un partenaire stable avec lequel construire une paix durable dans la région.</p>
<p>Dans un <a href="https://www.awrad.org/files/server/polls/polls2023/Public%20Opinion%20Poll%20-%20Gaza%20War%202023%20-%20Tables%20of%20Results.pdf">sondage</a> réalisé le 14 novembre par le <em>Arab World for Research and Development</em> auprès des Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie, 76 % des personnes interrogées déclaraient ainsi qu’elles avaient une vision positive du Hamas ; en septembre, <a href="https://www.foreignaffairs.com/israel/israels-failed-bombing-campaign-gaza">27 % seulement</a> des personnes interrogées dans ces deux territoires estimaient que le Hamas était « celui qui méritait le plus de représenter le peuple palestinien ».</p>
<p>Comment, alors, expliquer le choix d’Israël de recourir à une intense campagne de bombardements, avec l’aide d’<em>Habsora</em> ? L’État hébreu semble avoir été pris dans le <a href="https://quillette.com/2023/12/01/gaza-and-the-asymmetry-trap/">« piège de la guerre asymétrique »</a> : l’effroi et la colère des Israéliens à la suite des massacres du 7 octobre ont incité le gouvernement Nétanyahou à mettre en œuvre une réponse politique forte, dont la pertinence militaire pose aujourd’hui question.</p>
<p>En l’absence d’une solution politique, Israël risque de s’épuiser dans une guerre sans issue. Le 7 octobre a déjà montré les limites du « tout technologique », lorsque le mur réputé infranchissable entre Israël et les territoires palestiniens a été déjoué par des membres armés du Hamas. Le ciblage intensif permis par <em>Habsora</em> peut donner une nouvelle fois au peuple israélien l’illusion d’une victoire sur le Hamas, alors que les leaders militaires de ce dernier n’ont pas été éliminés et que le grand nombre de victimes civiles risque d’aliéner à Israël l’appui de ses soutiens internationaux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222960/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le recours systématique à l’IA pour désigner les cibles palestiniennes et décider de l’intensité des frappes est, pour l’instant en tout cas, loin d’avoir porté ses fruits.Laure de Roucy-Rochegonde, Chercheuse au Centre des études de sécurité de l'Institut français des relations internationales (Ifri), chercheuse associée au Centre de recherches internationales (Ceri, Sciences Po/CNRS), Sciences Po Amélie Férey, Chercheuse et responsable du Laboratoire de recherche sur la Défense, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2176002023-11-29T17:20:56Z2023-11-29T17:20:56ZFrance-Inde : un partenariat de plus en plus stratégique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/561575/original/file-20231124-24-ag3fle.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Emmanuel Macron, accompagné notamment du ministre de l'Économie Bruno Le Maire, échange avec Narendra Modi lors du G20 de New Delhi, le 10 septembre 2023.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://twitter.com/EmmanuelMacron/status/1700804801464762673">Compte Twitter officiel d'Emmanuel Macron</a></span></figcaption></figure><p>« L’Inde aura un rôle déterminant pour notre avenir ; c’est aussi un partenaire stratégique et un pays ami », <a href="https://www.bfmtv.com/politique/elysee/14-juillet-macron-a-decerne-la-grand-croix-de-la-legion-d-honneur-au-premier-ministre-indien-modi_AD-202307140259.html">déclarait</a> Emmanuel Macron quelques minutes après avoir décerné la grande croix de la Légion d’honneur au premier ministre Narendra Modi le 14 juillet 2023, invité à assister au traditionnel défilé sur les Champs-Élysées.</p>
<p>Il est vrai que depuis la signature d’un <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/inde/le-partenariat-strategique-franco-indien-en-4-questions/">partenariat stratégique en 1998</a>, la relation bilatérale franco-indienne a connu un essor sans précédent dans plusieurs domaines : culturel, économique, diplomatique, mais surtout stratégique. L’énergie nucléaire, l’aérospatiale, la recherche et développement, l’exportation d’armements et les exercices militaires conjoints sont autant de secteurs clés qui favorisent le développement de cette relation.</p>
<p>Depuis 2018, ce partenariat stratégique intègre une forte dimension Indo-Pacifique. Par la voix de leurs chefs d’État respectifs, <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2018/05/03/discours-a-garden-island-base-navale-de-sydney">Emmanuel Macron</a> et <a href="https://www.mea.gov.in/Speeches-Statements.htm">Narendra Modi</a>, les deux pays ont, chacun, formalisé sa propre stratégie Indo-Pacifique en 2018, à quelques mois d’intervalle.</p>
<h2>Une longue histoire commune</h2>
<p>La France et l’Inde entretiennent une relation bilatérale ancienne, remontant au XVII<sup>e</sup> siècle. À l’époque, Jean-Baptiste Colbert, ministre de Louis XIV, poursuivit l’ambition de bâtir un <a href="https://www.lesindessavantes.com/ouvrage/la-france-et-linde-des-origines-a-nos-jours/">empire colonial en Asie du Sud</a>. Cinq « comptoirs indiens » restèrent d’ailleurs sous souveraineté française jusqu’en 1954 : Pondichéry, Karikal, Yanaon, Mahé et Chandernagor.</p>
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<p>Au XX<sup>e</sup> siècle, les deux pays ont maintenu de bonnes relations symbolisées par le respect exprimé entre leurs chefs d’État respectifs : <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1962/09/25/m-nehru-a-invite-le-general-de-gaulle-a-se-rendre-en-inde_2371950_1819218.html">Jawaharlal Nehru et Charles de Gaulle</a>, Jacques Chirac et Indira Gandhi (<a href="https://www.youtube.com/watch?v=JeTWGUJ0FZY">parfaitement francophone</a>), et désormais Emmanuel Macron et Narendra Modi (ce qui vaut d’ailleurs au président français des <a href="https://www.nouvelobs.com/opinions/20230710.OBS75561/emmanuel-macron-doit-sortir-de-son-silence-sur-les-abus-generalises-en-inde.html">critiques régulières de la part des ONG de défense des droits humains</a>, du fait de la politique conduite dans ce domaine par le premier ministre indien).</p>
<p>Par ailleurs, la France a été l’un des seuls pays à <a href="https://www.eoiparis.gov.in/page/india-france-economic-and-commercial-relations-brief">ne pas condamner</a> les essais nucléaires indiens en 1998 et soutient l’Inde dans son objectif de <a href="https://in.ambafrance.org/Relations-politiques-et-partenariat-strategique">devenir membre permanent du conseil de sécurité de l’ONU</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1631232889940504576"}"></div></p>
<p>Identifiables comme de <a href="https://www.canalacademies.com/emissions/partager-le-savoir-le-francais-en-partage/les-alliances-francaises/valery-giscard-destaing-au-31%3Csup%3Ee%3C/sup%3E-colloque-de-lalliance-francaise">« grandes puissances moyennes »</a> selon une formule employée en 2009 par Valéry Giscard d’Estaing et qui semble toujours d’actualité aujourd’hui – l’Inde n’est toujours pas membre du Conseil de sécurité de l’ONU, les capacités opérationnelles de son armée sont limitées et la croissance de son économie compense à peine une démographie annuelle conséquente –, les diplomaties française et indienne ont régulièrement adopté des politiques étrangères convergentes, notamment lors de la guerre en Irak en 2003, marquées par une volonté d’autonomie stratégique dans la pratique de leurs politiques étrangères respectives et un rejet des politiques de blocs.</p>
<p>Si la France est aujourd’hui bien ancrée dans le camp occidental en tant que membre de l’OTAN, et l’Inde un acteur majeur du « sud global » à travers sa participation aux BRICS, les deux pays revendiquent toujours une politique étrangère indépendante.</p>
<p>Cette vision commune des relations internationales a permis à l’Inde et la France de développer un <a href="https://www.defense.gouv.fr/actualites/focus-partenariat-strategique-entre-linde-france">partenariat de défense approfondi</a>.</p>
<h2>Partenariat de défense</h2>
<p>Au lendemain de son indépendance en 1947, l’Inde ne veut pas dépendre exclusivement de l’ancien colonisateur britannique. Elle se tourne alors vers la France pour acheter du matériel militaire. En 1953, <a href="https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/pourquoi-l-inde-veut-s-offrir-le-rafale-599687.html">120 avions de chasse</a> de type Ouragan sont achetés au constructeur aéronautique français Dassault. L’embargo déclaré en 1965 sur les ventes d’armes à l’Inde pour donner suite aux guerres indo-pakistanaises est levé côté français dès 1966. Depuis, les ventes d’armements français en Inde sont en pleine expansion.</p>
<p><a href="https://www.sipri.org/databases/armstransfers">Sur la période 2002-2023</a>, la France est le deuxième fournisseur d’armement indien après la Russie, tandis que l’Inde est le principal client français. Plusieurs contrats sont emblématiques : six sous-marins de classe <a href="https://www.naval-group.com/fr/mise-en-service-de-lins-vagir-le-cinquieme-sous-marin-scorpener-de-classe-kalvari-entierement">Scorpène « indianisés »</a> réalisés par les chantiers de Bombay sont désormais en service et 36 avions de chasse Rafale ont été livrés entre 2020 et 2022.</p>
<p>En 2023, à l’issue du 14 juillet, l’Inde <a href="https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/l-inde-officialise-l-achat-de-26-rafale-marine-et-de-trois-sous-marins-a-la-france-969706.html">a annoncé l’acquisition</a> de trois sous-marins et de 26 avions Rafale supplémentaires.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/kjdyvsPI-UM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Exporter de l’armement n’est pas un acte neutre, dénué de tout intérêt politique, car cela <a href="https://medias.vie-publique.fr/data_storage_s3/fiche_produit/pdf/3303331600732_EX.pdf">entraîne une diffusion</a> de standards d’entraînement, de culture opérationnelle, d’accoutumance technologique et de mise en application doctrinale. La vente d’armes verrouille une relation de défense à laquelle se superposent des intérêts géopolitiques et économiques.</p>
<p>À ces coopérations civilo-militaires s’ajoute la <a href="https://www.defense.gouv.fr/marine/actualites/mission-jeanne-darc-23-exercice-conjoint-franco-indien-frinjex-2023">multiplication d’exercices militaires bilatéraux</a> et multilatéraux ainsi que la participation active à des forums régionaux (<a href="https://www.ions.global">Indian Ocean Naval Symposium</a>, <a href="https://www.iora.int/en">Indian Ocean Rim Association</a>).</p>
<h2>Le tournant Indo-Pacifique</h2>
<p>En 2021, l’<a href="https://www.iris-france.org/wp-content/uploads/2022/04/Asia-Focus-178-Paco-Milhiet.pdf">AUKUS</a>, un accord triparti entre les États-Unis, l’Australie et le Royaume-Uni a entraîné l’annulation d’un contrat de sous-marin franco-australien. Depuis, la stratégie indo-pacifique française favorise le développement de ses relations avec les pays de l’océan Indien. Ce nouveau schème stratégique libère une marge de manœuvre pour la diplomatie française afin de renforcer ses liens avec d’autres pays de la zone, prioritairement l’Inde, désormais pierre angulaire de sa politique extérieure en Indo-Pacifique.</p>
<p>Preuve s’il en est, le 14 juillet 2023, le premier ministre indien, Narendra Modi, était <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/geopolitique/geopolitique-du-vendredi-14-juillet-2023-8320448">l’invité d’honneur</a> du défilé militaire sur les champs Elysées. Des <a href="https://www.bfmtv.com/societe/240-soldats-indiens-defilent-sur-les-champs-elysees_VN-202307140278.html">troupes indiennes ont défilé</a> tandis que des Rafale indiens <a href="https://www.bfmtv.com/societe/14-juillet-trois-avions-rafale-indiens-survolent-le-ciel-de-paris_VN-202307140271.html">survolaient</a> l’avenue parisienne.</p>
<p>Quelques instants plus tard, les diplomaties indiennes et françaises publiaient un <a href="https://www.mea.gov.in/bilateral-documents.htm">communiqué conjoint</a> pour célébrer les 25 ans du partenariat stratégique. Intitulé « Horizon 2047 : 25<sup>e</sup> anniversaire du partenariat stratégique entre l’Inde et la France, vers le centenaire des relations franco-indiennes », une <a href="https://www.elysee.fr/admin/upload/default/0001/15/e8eae5f6be3ec256f7c8b5a89c072610ceb54381.pdf">« feuille de route »</a> énumérait 12 points comme autant de piliers d’une collaboration dans l’ensemble régional Indo-Pacifique : fonds marins, espace, coopération maritime, alliance solaire, campus franco-indien, Pacifique océanien.</p>
<h2>L’île de La Réunion, laboratoire des relations franco-indiennes</h2>
<p>Un territoire français de l’océan Indien, l’île de La Réunion, illustre cette nouvelle composante indo-pacifique de la relation franco-indienne.</p>
<p>La France, puissance riveraine de l’Indo-Pacifique à travers l’exercice de sa souveraineté dans ses collectivités d’outre-mer, entend utiliser l’île de La Réunion comme un relais de la bonne entente franco-indienne. Une grande partie de la population réunionnaise est d’origine indienne et un consulat indien sur l’île de La Réunion est ouvert depuis 1983. Depuis 2018, les deux pays ont signé un accord de <a href="https://www.geostrategia.fr/accord-militaire-inde-france-dans-locean-indien-vers-un-partenariat-strategique-renforce/">coopération logistique</a> donnant un accès à la base de La Réunion aux forces navales indiennes.</p>
<p>Des patrouilles conjointes impliquant un avion <a href="https://www.opex360.com/2019/10/30/linde-va-deployer-un-avion-de-patrouille-maritime-a-la-reunion-pour-des-missions-de-surveillance/">P8I indien</a> sont régulièrement effectuées. Grâce à son champ d’action de 2 200 km, cet appareil peut couvrir et surveiller depuis La Réunion une partie de la côte orientale de l'Afrique, ce qui constitue une plus-value stratégique considérable pour les forces armées indiennes. L’île de La Réunion devient donc progressivement une plate-forme stratégique de la collaboration militaire franco-indienne dans la zone.</p>
<h2>Une collaboration dictée par les intérêts nationaux</h2>
<p>Les stratégies française et indienne servent avant tout les impératifs nationaux propres à chacun des deux pays. Pour la France, il convient d’apparaître comme une puissance régionale légitime et de diversifier ses partenaires étrangers. Pour l’Inde, les relations tumultueuses avec le puissant voisin chinois et le rival pakistanais restent le facteur géopolitique déterminant.</p>
<p>Chaque stratégie comporte donc des spécificités et peut parfois restreindre les perspectives de collaborations franco-indiennes, notamment dans leur rapport avec les deux grandes puissances américaine et chinoise, et surtout vis-à-vis de la Russie, qui, depuis son invasion de l’Ukraine, reste un partenaire majeur de l’Inde.</p>
<p>Mais ces divergences n’affecteront pas la relation bilatérale à court terme. La relation franco-indienne reste au beau fixe, particulièrement en Indo-Pacifique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217600/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Paco Milhiet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’Inde et la France cultivent depuis plusieurs décennies une relation privilégiée, notamment sur le plan militaire.Paco Milhiet, Visiting fellow au sein de la Rajaratnam School of International Studies ( NTU-Singapour), chercheur associé à l'Institut catholique de Paris, Institut catholique de Paris (ICP)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1971242023-01-09T20:22:17Z2023-01-09T20:22:17ZDoctrine spatiale française : pas de tirs antisatellites mais plus d’« ambiguïté stratégique » ?<p>Fin novembre 2022, le ministère des Armées s’est <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/securite-desarmement-et-non-proliferation/actualites-et-evenements-lies-a-la-securite-au-desarmement-et-a-la-non/2022/article/spatial-engagement-de-la-france-a-ne-pas-conduire-d-essais-de-missiles">formellement engagé à ne pas conduire de tirs de missiles antisatellites</a>.</p>
<p>Pourtant, la <a href="https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/194000642.pdf">stratégie spatiale française de 2019</a> ne s’interdit pas de « durcir » les capacités d’action de la France dans l’espace.</p>
<p>À trois ans d’intervalle, la posture spatiale militaire française se contredit-elle ?</p>
<h2>Une décision aussi historique que surprenante ?</h2>
<p>Après avoir coparrainé la résolution <a href="https://undocs.org/Home/Mobile?FinalSymbol=A%2FC.1%2F77%2FL.62&Language=E&DeviceType=Desktop&LangRequested=False">A/C.1/77/L.62</a> (adoptée par la première Commission de l’Assemblée générale des Nations unies en <a href="https://press.un.org/en/2022/gadis3703.doc.htm">octobre 2022</a>), la France joint la parole aux actes et s’est engagée à ne pas procéder à des tirs de missiles antisatellites destructifs à ascension directe, c’est-à-dire tirés depuis la surface ou les airs. La France n’a <a href="https://www.opex360.com/2022/11/30/la-france-sengage-a-ne-pas-effectuer-dessais-de-missiles-antisatellites-destructifs-a-ascension-directe/">jamais formellement disposé d’une telle capacité</a>, même si elle possède l’expertise technique nécessaire pour la développer.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Le <a href="https://www.defense.gouv.fr/sites/default/files/ministere-armees/29.11.2022_Spatial%20%E2%80%93%20Engagement%20de%20la%20France%20%C3%A0%20ne%20pas%20conduire%20d%E2%80%99essais%20de%20missiles%20antisatellites%20destructifs%20%C3%A0%20ascension%20directe.pdf">communiqué</a> français, publié le 29 novembre 2022, utilise des éléments de langage forts. Il qualifie de tels tirs de « déstabilisateurs et irresponsables », rappelle que la France n’en a jamais effectué, et s’alarme des risques de débris spatiaux et des conséquences pour l’intégrité des satellites en activité et de l’ensemble du domaine spatial. La décision française suit celle des États-Unis adoptée le <a href="https://www.whitehouse.gov/briefing-room/speeches-remarks/2022/04/18/remarks-by-vice-president-harris-on-the-ongoing-work-to-establish-norms-in-space/">9 avril 2022</a>. La France avait d’ailleurs <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/etats-unis/evenements/article/etats-unis-la-france-salue-l-engagement-des-etats-unis-a-ne-pas-effectuer-de">salué</a> l’engagement américain.</p>
<p>La détermination du ministère des Armées est d’autant plus historique que la France est l’un des rares pays à avoir développé une <a href="https://www.cairn.info/revue-guerres-mondiales-et-conflits-contemporains-2010-2-page-65.htm">« triade stratégique »</a> comprenant missiles intercontinentaux, arme atomique et capacités aérospatiales. Son programme balistique se poursuit notamment dans le cadre du <a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2018-3-page-17.htm">renouvellement de la dissuasion nucléaire</a>, de la <a href="https://www.ariane.group/fr/defense/programme-m51/">modernisation du missile balistique mer-sol M51 d’Ariane Group</a>, et du <a href="https://www.usinenouvelle.com/article/ou-en-est-la-france-dans-la-bataille-des-armes-hypersoniques-et-des-missiles-de-nouvelle-generation.N1799472">développement du missile air-sol nucléaire de 4ᵉ génération (ASN4G) et d’un planeur hypersonique V-Max</a>. Cet effort de modernisation, même s’il n’est pas directement lié à la question de la destruction des satellites, témoigne néanmoins de l’importance portée au développement des capacités balistiques françaises.</p>
<p>En parallèle, le programme Syracuse est destiné à <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/10/24/paris-lance-un-satellite-militaire-derniere-generation_6099685_3210.html">doter les armées de satellites militaires de nouvelle génération</a> pour leur permettre de communiquer à haut débit depuis n’importe quel relais (terrestre, aérien, marin et sous-marin). Ces satellites sont d’ailleurs équipés de moyens de surveillance de leur environnement immédiat (leur permettant de se déplacer pour éviter toute attaque). Avec les satellites CSO et CERES, ils représentent les <a href="https://theconversation.com/satellites-les-yeux-les-oreilles-et-le-porte-voix-de-la-defense-francaise-dans-lespace-187381">yeux, oreilles, et porte-voix de la Défense française <em>dans</em> et <em>depuis</em> l’espace</a> et seront suivis des programmes « Céleste » (renseignement d’origine électromagnétique) et « Iris » (capacités d’observation optique) (dont le lancement est <a href="https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/cso-3-iris-les-futurs-satellites-espions-francais-cloues-au-sol-927346.html">contrarié par la guerre en Ukraine, les retards d’Ariane 6, et le Covid-19</a>).</p>
<p>L’espace extra-atmosphérique figure enfin et surtout dans les chantiers consacrés comme prioritaires par <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2022/11/09/a-toulon-le-president-de-la-republique-presente-la-revue-nationale-strategique">Emmanuel Macron le 9 novembre 2022</a> en vue de la <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/12/12/les-grandes-lignes-de-la-future-loi-de-programmation-militaire-se-dessinent_6154084_823448.html">prochaine Loi de Programmation militaire 2024-2030</a>.</p>
<p>Dans ce contexte, il était possible d’envisager que la France développe un jour ou l’autre un missile antisatellite (par exemple, une version lourde et très haute altitude du missile antibalistique <a href="https://www.mbda-systems.com/product/aster-15-30/">Aster 30</a> ?) et procède à un « tir de démonstration » sur un ancien satellite non fonctionnel (et dans une orbite limitant l’impact des débris).</p>
<p>Les tirs antisatellites ont en effet ponctué l’histoire spatiale et sont de forts marqueurs de puissance militaire. La <a href="https://swfound.org/news/all-news/2020/06/swf-releases-updated-compilation-of-anti-satellite-testing-in-space/">Secure World Foundation</a> recense d’ailleurs <a href="https://docs.google.com/spreadsheets/d/1e5GtZEzdo6xk41i2_ei3c8jRZDjvP4Xwz3BVsUHwi48/edit">plus de 70 tests antisatellites depuis 1959</a>, dont plus de 20 tirs depuis 2005. Les plus importants incluent le <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/10163270709464125">tir chinois de janvier 2007</a>, la <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/14777620801907913">réponse américaine de février 2008</a>, le <a href="https://muse.jhu.edu/article/754917/summary">tir indien de mars 2019</a>, et le <a href="https://spacenews.com/russia-destroys-satellite-in-asat-test/">tir russe de novembre 2021</a> (dont la NASA rappelle dans un point presse du <a href="https://blogs.nasa.gov/spacestation/2022/10/24/space-station-maneuvers-to-avoid-orbital-debris/">24 octobre 2022</a> qu’il est toujours à l’origine de manœuvres d’évitement de débris de la station spatiale internationale).</p>
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<figcaption><span class="caption">Un essai de missile anti-satellite russe met en danger l’équipage de l’ISS • France 24, 16 novembre 2021.</span></figcaption>
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<p>Notons d’ailleurs que la décision américaine constitue elle-même un <a href="https://theconversation.com/amid-tensions-on-earth-the-united-states-claims-that-conflict-in-space-is-not-inevitable-181993">revirement</a> par rapport au <a href="https://www.degruyter.com/document/doi/10.1515/9781503609402-009/html">renouveau nationaliste spatial américain</a> d’après-guerre froide et la <a href="https://crsreports.congress.gov/product/pdf/IF/IF11495">création de l’U.S. Space Force</a> en 2020 sous les forts accents offensifs de Donald Trump.</p>
<p>Bien que la tendance d’ensemble des dernières décennies ait été à la <a href="https://www.un.org/disarmament/topics/outerspace-sg-report-outer-space-2021/">recherche de normes de comportement dans l’espace</a> (ce à quoi la <a href="https://www.cairn.info/revue-les-champs-de-mars-2019-1-page-29.htm">France participe activement</a>), cette recherche ne va pas de soi. L’histoire spatiale est en effet caractérisée par une <a href="https://www.sup.org/books/title/?id=31357">alternance entre vision militariste et « retenue stratégique »</a>, et le <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/physique-et-astrophysique/le-nouvel-age-spatial/">« nouvel âge spatial »</a>, malgré son ouverture grandissante aux <a href="https://www.publicaffairsbooks.com/titles/christian-davenport/the-space-barons/9781610398299/">acteurs privés</a> et aux <a href="https://www.cairn.info/revue-strategique-2019-3-page-215.htm">logiques de commercialisation</a>, reste marqué par la dimension militaire.</p>
<h2>« Affermir » la doctrine spatiale française : vers une approche plus offensive ?</h2>
<p>La France a connu une forte <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2020-10-page-37.htm">montée en puissance du spatial de défense</a>, voire un véritable <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2019-4-page-114.htm">sursaut</a> sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron et le mandat de la ministre des Armées Florence Parly.</p>
<p>La <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000039060428">création du Commandement de l’Espace en septembre 2019</a>, concomitante de l’<a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/07/25/la-france-militarise-sa-politique-spatiale_5493327_3210.html">élaboration d’une doctrine spatiale de défense</a>, a représenté un point d’inflexion (qui sera suivi de la transformation de l’Armée de l’Air française en « Armée de l’Air et de l’Espace » en <a href="https://otan.delegfrance.org/L-Armee-de-l-Air-devient-l-Armee-de-l-air-et-de-l-Espace-12-septembre-2020">septembre 2020</a>). Des députés avaient alors appelé à <a href="https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/la-france-doit-avoir-des-armes-dans-l-espace-olivier-becht-depute-udi-804106.html">allier « défensif » et « offensif »</a>, usant d’une dichotomie qui n’en finit plus de <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/001632878290057X">caractériser les activités spatiales</a> sur fond d’<a href="https://link.springer.com/book/10.1057/978-1-349-95851-1">« astroculture »</a>. À la croisée des chemins entre science-fiction et <em>realpolitik</em>, la technologie militaire (et les visions de puissance qu’elle porte) demeure indissociable de la « modernité spatiale » et façonne notre rapport à l’espace.</p>
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<figcaption><span class="caption">Maîtriser l’espace, le nouveau défi des armées, Ministère des Armées, 25 mai 2021.</span></figcaption>
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<p>Il est vrai que la stratégie spatiale française présente néanmoins le souci de la mesure et du respect du droit international. Elle affirme clairement comme buts premiers l’appui aux opérations et la protection des moyens spatiaux français pour « décourager nos adversaires d’y porter atteinte » (p. 4). Elle considère donc l’espace avant tout comme un « multiplicateur de force » adossé aux autres champs (et non pas distinct d’eux) et souligne l’enjeu de la <a href="https://www.cairn.info/revue-strategique-2018-3-page-201.htm">surveillance spatiale</a>.</p>
<h2>Comment protéger les satellites français ?</h2>
<p>Cependant, si l’on poursuit le raisonnement, développer des capacités de protection nécessite deux éléments : une capacité d’action technique et un cadre d’emploi.</p>
<p>Du point de vue technique d’abord, à l’image des États-Unis, de la Russie, ou de la Chine, la France développe elle aussi les technologies à énergie dirigée afin d’aveugler ou de « brûler » des éléments critiques de satellites hostiles. En <a href="https://www.challenges.fr/entreprise/defense/la-france-travaille-sur-une-arme-laser-anti-satellites_657432">juin 2019, dans la revue Challenges</a>, l’Office national d’Études et de Recherches aérospatiales (ONERA) explique travailler sur de futures armes laser antisatellites. Dans une <a href="https://www.onera.fr/fr/actualites/espace-nouveau-theatre-militaire">note de mai 2019</a>, le laboratoire public précise que « des essais grandeur nature de neutralisation de satellites en fin contractuelle de vie opérationnelle ont été menés ». Ces essais se distinguent difficilement des tirs antisatellites si ce n’est pour les débris générés. Les lasers font eux-mêmes partie d’un éventail de moyens spatiaux (entourés d’un certain silence aux États-Unis comme en France) comprenant également les <a href="https://www.gov.uk/government/news/russia-behind-cyber-attack-with-europe-wide-impact-an-hour-before-ukraine-invasion">attaques cyber</a> et autres <a href="https://theconversation.com/apres-le-gaz-poutine-va-t-il-nous-couper-le-gps-194508">brouillages</a> sur les satellites, des <a href="https://www.courrierinternational.com/article/guerre-des-etoiles-la-russie-t-elle-mis-en-orbite-un-tueur-de-satellites">satellites « tueurs de satellites »</a>, ainsi que des <a href="http://www.opex360.com/2022/11/13/le-drone-spatial-militaire-americain-x-37b-est-revenu-sur-terre-apres-908-jours-passes-en-orbite/">drones spatiaux</a>.</p>
<p>Du point de vue du cadre d’emploi, ensuite, la stratégie française ouvre une brèche vers une forme d’« ambiguïté stratégique » (une <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/11/23/avec-la-guerre-en-ukraine-le-retour-a-l-ambiguite-strategique-principe-indispensable-de-la-doctrine-nucleaire_6151159_3232.html">notion réactivée par la guerre en Ukraine</a>), que vient paradoxalement renforcer la décision de pas conduire de tirs antisatellites. La France se réserve ainsi « le droit de prendre des mesures de rétorsion » face à « un acte inamical dans l’espace » (p. 28), de déployer des « contre-mesures » en réponse « à un fait illicite commis à son égard » (p. 29), et de « faire usage de son droit de légitime défense » en cas « d’agression armée dans l’espace » (p. 29).</p>
<p>Nul doute que les termes employés gardent une souplesse d’interprétation à même d’entretenir un certain flou sur la caractérisation d’une agression tout comme sur la nature de la riposte. Cette ambiguïté est une règle de base du lexique stratégique pour ainsi garantir l’efficacité de la <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2020-1-page-147.htm">« dissuasion spatiale » française</a>. (Elle permet aussi de répondre à agressions menées « sous le seuil » de déclenchement d’un conflit).</p>
<p>En cela, la stratégie française semble s’inscrire dans une recherche de l’équilibre « psychotechnique » cher au réalisme aronien (voir Raymond Aron, <a href="https://www.calmann-levy.fr/livre/paix-et-guerre-entre-les-nations-9782702134696/">Paix et Guerre</a>, 1962, p. 669) : la détermination (et sa perception dans le champ psychologique) importe autant que la crédibilité technologique et la capacité technique à « frapper » (cette dernière a d’ailleurs pu être <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/14682745.2020.1832472">mise à mal dans l’histoire de la dissuasion française</a>).</p>
<p>En s’interdisant les tirs antisatellites, la France renonce à une possibilité de la <a href="https://www.cairn.info/revue-strategique-2019-4-page-187.htm">grammaire stratégique spatiale</a> mais laisse d’autres possibilités d’action ouvertes, sans toutefois bien les spécifier (les modalités de réponse exactes à une agression dans l’espace ne sont pas publiques). Il reste donc à voir dans quelle mesure la doctrine spatiale française sera amenée à évoluer (et avec quel discours public). En l’état, rien n’exclut une possible forme de convergence (voire une <a href="https://www.areion24.news/2021/04/15/cyberespace-une-intersection-redoutable%E2%80%89/">intersection</a>) avec la <a href="https://www.defense.gouv.fr/nos-expertises/cyberdefense-au-ministere-armees">doctrine française cyber</a> (en majeure partie <a href="https://www.numerama.com/politique/456551-la-france-a-sa-doctrine-pour-operer-militairement-dans-le-cyber.html">secrète</a> également), pour laquelle le <a href="https://www.defense.gouv.fr/ema/commandement-cyberdefense-comcyber">Commandement de la Cyberdéfense créé en 2017</a> affiche une <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/01/18/armees-la-france-prepare-ses-cyberoffensives_5410983_3210.html">posture plus offensive</a>, tournée vers la <a href="https://www.defense.gouv.fr/sites/default/files/ministere-armees/Lutte%20informatique%20offensive%20%28LIO%29.PDF">supériorité opérationnelle</a>, et prévoit une <a href="https://www.defense.gouv.fr/sites/default/files/ministere-armees/CEMA%20-%20Cyber%20militaire%20-%2018%20janvier%202019.pdf">montée en puissance du cyber militaire</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/197124/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thomas G. Chevalier a reçu un financement doctoral de l'Université de Kent (Vice Chancellor’s Research Scholarship) pour ses recherches. </span></em></p>De nombreux pays ont déjà effectué des tirs antisatellites. La France vient de s’engager à ne pas le faire. Pour quelles raisons, et avec quelles conséquences ?Thomas G. Chevalier, Chercheur Doctoral (Technologie, Relations Internationales, et Affaires Militaires) | Doctoral Researcher (Technology, International Relations, and Military Affairs), University of KentLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1808392022-04-08T11:55:36Z2022-04-08T11:55:36ZPourquoi les exportations d’armes françaises et européennes vers la Russie n’ont pas cessé après l’embargo de 2014<p>Des États européens ont exporté des armes vers la Russie jusqu’en 2020 en dépit de l’existence d’un <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2014/07/30/russie-de-nouvelles-sanctions-et-des-consequences-probables_4464666_4355770.html">embargo</a> sur les armes décidé par l’Union européenne. C’est ce qu’a révélé le média <a href="https://disclose.ngo/fr/article/ukraine-france-a-livre-armes-russie"><em>Disclose</em></a> le 14 mars 2022, en pleine invasion de l’Ukraine. Dix pays, dont la France, sont concernés.</p>
<p>L’embargo était en vigueur depuis le 1<sup>er</sup> août 2014. Il avait été décidé à la suite de l’annexion de la Crimée par Moscou en février de cette même année, et à l’autoproclamation de l’indépendance des républiques séparatistes de Lougansk et Donetsk, suivie par un référendum d’autodétermination en mai dans la seconde.</p>
<p>Il convient donc de s’arrêter à la fois sur le fond de ces contrats révélés par ce média d’investigation, via les sources ouvertes mises à disposition en <a href="https://disclose.ngo/fr/article/ukraine-france-a-livre-armes-russie">ligne</a>, sur le montant exporté par la France dans cette affaire, ainsi que sur les raisons qui ont poussé la Russie à se tourner vers la France.</p>
<h2>Vide juridique</h2>
<p>Il apparaît que, dans les documents recensant les matériels exportés, le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), dont l’une des missions est le <a href="http://www.sgdsn.gouv.fr/">contrôle des exportations de matériel de guerre</a>, a bien vérifié que les contrats exécutés ont été signés avant le 1<sup>er</sup> août 2014, date d’entrée en vigueur de l’embargo européen.</p>
<p>D’après le Coarm, un groupe de travail du Conseil européen chargé de l’exportation des armes conventionnelles, l’embargo décrété le 1<sup>er</sup> août 2014 par l’UE ne s’applique en effet pas aux négociations, contrats et accords entamés avant cette date, ainsi qu’à la fourniture de pièces de rechange et de services nécessaires à la maintenance et à la sécurité de ces systèmes.</p>
<p>En conséquence, tout contrat d’armement dont la date serait postérieure au 1<sup>er</sup> août 2014 pourrait être dénoncé et entrer sous le coup de sanctions européennes lourdes, ce qui n’est pas le cas à ce jour des exportations effectuées par la France et révélées par ce média. Les États européens qui ont continué les livraisons d’armes à la Russie se sont donc servis d’un vide juridique dans la réglementation européenne pour poursuivre les livraisons.</p>
<p><iframe id="tFoFl" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/tFoFl/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Les ventes d’armes européennes à la Russie ont représenté entre 2015 et 2020 un montant de <a href="https://www.investigate-europe.eu/fr/2022/dix-etats-europeens-exporte-armes-russie-embargo-2014/">346 millions d’euros</a> pour les dix États européens concernés, dont 152 millions d’euros pour la France, premier fournisseur européen d’équipements militaires à Moscou durant cette période, avec 44 % du total.</p>
<h2>Rattraper l’avance des pays occidentaux</h2>
<p>Des vidéos tournées par des combattants ukrainiens ont établi que des chars et blindés russes détruits ou abandonnés étaient équipés de systèmes français. Parmi le matériel exporté par la France en Russie figurent des équipements électroniques à destination des armées de terre et de l’air.</p>
<p>En détail, Moscou a commandé des caméras thermiques de type Catherine FC et XP du fabricant <a href="https://www.usinenouvelle.com/article/thales-fournit-des-cameras-thermiques-aux-chars-russes.N20123">Thales</a>, destinées à équiper les chars de type T-72 et T-90. Son concurrent direct, le groupe <a href="http://www.red-stars.org/spip.php?article249">Safran</a>, a quant à lui exporté sa caméra thermique de type Matis STD qui équipe les chars de combat T-72, T-80 BVM et T-90.</p>
<p>Concernant le matériel à destination des avions et hélicoptères de combat, la France a exporté, via ses industries de défense, des écrans vidéo Thales SMD55S et des HUD à destination des avions de combat multirôles Soukhoï Su-30 ; des systèmes de navigation TACAN à destination de Mig-29 ; et des casques Thales Topowl à destination des pilotes d’avions de combat et des systèmes de navigation Safran Sigma 95N. L’entreprise Sofradir a également livré des détecteurs infrarouges dans le cadre d’un accord signé en octobre 2012.</p>
<p>Les accords qui lient les groupes français Thales et Safran à la Russie ne sont pas récents. En 2007 déjà, un accord avec Rosoboronexport, qui est l’agence russe en charge des exportations du complexe militaro-industriel, avait été signé par ces entreprises. Ces ventes avaient déjà, en pleine guerre civile syrienne, fait l’objet de <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2012/06/12/hrw-s-inquiete-de-la-signature-d-un-contrat-entre-thales-et-le-russe-rosoboronexport_1717296_3234.html">dénonciations de la part de l’ONG Human Rights Watch</a>.</p>
<h2>Situation industrielle dégradée</h2>
<p>L’ensemble des équipements français livrés à la Russie ont permis à Moscou d’assurer la modernisation d’une partie de ses forces armées. Car, le fait est qu’après la saignée budgétaire du début des années 1990, il demeure difficile pour la Russie de rattraper l’avance des pays occidentaux et de certains pays asiatiques dans bien des domaines, dont celui des systèmes et capteurs embarqués.</p>
<p>Selon le <a href="https://www.sipri.org/databases/milex">Sipri</a> (Institut international de recherche sur la paix de Stockholm), les dépenses de défense de l’Union soviétique (en euros constants de 2019) en 1988 étaient de 281 milliards de dollars américains. Celles de la Russie de 1993 étaient de 41 milliards et de 15 en 1998… mais elles représentaient encore 2,7 % du PIB. La remontée s’amorce à partir de 1998 pour atteindre aujourd’hui un montant d’environ 62 milliards de dollars en 2020, soit un poids de 4,3 % du PIB. Rappelons de ce point de vue que la totalité des pays membres de l’Union européenne dépensent 2 % ou moins de leur PIB dans leur défense.</p>
<p><iframe id="YrM88" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/YrM88/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>La situation budgétaire russe est aujourd’hui bien meilleure et la Russie est un exportateur de premier plan. Reste que cette longue période de vaches maigres a laissé des traces dans l’appareil industriel de défense russe. Immédiatement après la guerre en Géorgie en 2008, les forces russes ont entrepris un profond travail de modernisation.</p>
<p>D’un point de vue industriel, la situation était décrite en 2011 comme extrêmement <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2011/10/CHETERIAN/21074">dégradée</a> : une R&D vieillissante, des capacités de production en berne et des programmes interminables, comme celui de l’INS Vikramaditya. Cet ex-porte-avions soviétique, entré en service en 1987 puis retiré en 1996, a été acheté par l’Inde en 2004 pour livraison en 2008 après remise en service et modernisation par l’industrie russe. Il le sera finalement en 2013, après la multiplication par trois du coût de la remise à flot et une première campagne d’essais calamiteuse en 2012.</p>
<h2>Le rattrapage s’impose à l’Europe</h2>
<p>On pourrait également citer les exportations renvoyées au constructeur, comme ces Mig 29 livrés à l’Algérie en 2008 et qu’Alger retourne à l’industriel pour malfaçons et non-conformité au contrat. Les appareils étaient partiellement constitués de pièces ayant déjà été utilisées sur des avions en service dans l’armée de l’air russe…</p>
<p>En 2013, alors que l’effort de défense du pays était déjà largement relancé, le constat restait assez sombre pour les forces russes et notamment pour sa marine, réduite à <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2013-4-page-139.htm">« faire du neuf avec du vieux »</a> comme le soulignait Philippe Migault, directeur du Centre européen d’analyses stratégiques.</p>
<p>De fait, lors de l’annulation, en représailles à l’invasion de la Crimée, de la vente des navires de guerre BPC Mistral construits par le français Naval Group, les représentants de la base industrielle et technologique de défense (BITD) russe avaient feint de se féliciter de la décision. Les industriels russes étaient, affirmaient-ils, parfaitement en <a href="https://lemarin.ouest-france.fr/articles/detail/items/la-russie-se-dit-capable-de-construire-elle-meme-lequivalent-des-bpc.html">mesure de parvenir à un résultat équivalent</a>. Le fait est qu’aucun navire équivalent ne figure aujourd’hui dans l’ordre de bataille russe.</p>
<p>Finalement, la situation des forces russes, a été parfaitement résumée par Isabelle Facon, spécialiste des politiques de défense et de sécurité russes : le rattrapage depuis la fin de la guerre froide a été considérable, mais des <a href="https://www.frstrategie.org/publications/librairie/nouvelle-armee-russe-2021">déficits persistent</a>. Ce que nous observons tous les jours en Ukraine confirme largement ces soupçons.</p>
<p>Au-delà du cas russe, cette situation doit également nous alerter, nous européens, sur ce que sera le travail de rattrapage qui semble s’amorcer. Après 30 années de réductions constantes, les budgets de défense européens vont sans doute repartir à la hausse, parfois de façon massive. Mais, même si la BITD européenne (et singulièrement française) ne s’est pas effondrée de la même façon que son équivalent russe, les résultats ne seront pas immédiats.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/180839/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les contrats signés avant l’annexion de la Crimée restent en vigueur. Pour la défense russe, ils constituent un rouage essentiel de la stratégie de modernisation militaire.Mourad Chabbi, Professeur de RI/Géopolitique, Enseignant chercheur, Grenoble École de Management (GEM)Laurent Griot, Professeur assistant en géopolitique., Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1781272022-03-06T17:09:27Z2022-03-06T17:09:27ZExporter ou disparaître : le dilemme de l’industrie de défense française<p>Le 10 février dernier, un contrat est signé avec l’Indonésie pour la <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/air-defense/lindonesie-achete-six-rafale-et-prevoit-den-commander-36-supplementaires-1385915">vente de 42 chasseurs Rafale</a>. Le 3 décembre 2021, Dassault Aviation a annoncé que le <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/12/21/la-vente-de-80-rafale-aux-emirats-arabes-unis-un-contrat-aux-multiples-retombees_6106868_3232.html">contrat de fourniture de Rafale aux Émirats arabes unis</a> était signé. Le pays deviendra ainsi le second plus gros utilisateur de l’appareil avec 80 machines à terme, derrière les forces françaises. Ce contrat fait suite à celui signé le 15 novembre 2021 avec l’Égypte <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/05/04/l-egypte-confirme-l-achat-de-30-avions-de-combat-rafale-a-la-france_6079014_3210.html">pour un total de 54 machines</a>. Le lendemain de ce contrat, Jean Guisnel,dans le journal le Point, s’interrogeait : <em>La France doit-elle vendre à tout prix ?</em></p>
<p>Relayant les préoccupations de nombreuses ONG, le journaliste spécialiste des questions militaires concluait en <a href="https://www.lepoint.fr/editos-du-point/jean-guisnel/nouveaux-rafale-pour-l-egypte-un-succes-et-des-questions-16-11-2021-2452199_53.php">posant cette question</a>.</p>
<blockquote>
<p>« Les contestataires qui lui font grief [à l’État français] de ne pas afficher le moindre scrupule parviendront-ils un jour à le faire changer de position ? Rien n’est moins sûr… ».</p>
</blockquote>
<p>Aux origines de la question, un paradoxe apparent : D’après le <a href="https://www.defense.gouv.fr/layout/set/print/content/download/472496/7555575/version/1/file/20160501_DSPC_Mini+guide+Controle+%20Export+Armements-ALLs.pdf">mini-guide sur le contrôle des exportations d’armement</a> du ministère de la Défense :</p>
<blockquote>
<p>« Le régime qui s’applique aux matériels de guerre est un régime de prohibition. Toutes les opérations concernant les matériels de guerre proprement dits sont interdites (conception, fabrication, commerce, importation, transit, exportation), sauf autorisation ».</p>
</blockquote>
<p>C’est naturellement ce dernier mot le plus important. Alors bien sûr, toute règle souffre quelques exceptions. Mais en l’espèce, il est assez osé de considérer la prohibition comme étant la règle et l’autorisation l’exception.</p>
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<p>Car la <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/entendez-vous-leco/entendez-vous-leco-emission-du-vendredi-29-janvier-2021">France est un exportateur de premier plan</a>. En termes de ventes mondiales, avec 8,2 % de part de marché pour la période (2016-2020) contre 5,6 % en (2011-2015) la France est le <a href="https://sipri.org/publications/2021/sipri-fact-sheets/trends-international-arms-transfers-2020">troisième exportateur mondial</a>. Dans le classement du SIPRI des 25 premières firmes de défense, la France est positionnée à égalité avec la Russie et le Royaume-Uni en 3<sup>e</sup> position avec 2 firmes chacun. Les États-Unis, avec 12 firmes, et la Chine avec 4 firmes ouvrent le classement.</p>
<h2>Des exportations d’armements stratégiques</h2>
<p>Les bonnes raisons de procéder à ces exportations ne manquent pas. Le <a href="https://www.defense.gouv.fr/fre/portail/actualites2/rapport-au-parlement-2021-sur-les-exportations-d-armement-de-la-france"><em>Rapport au Parlement sur les exportations d’armement de la France</em></a> nous les donne.</p>
<p>La première partie du document met en avant le fait que les exportations d’armement sont cohérentes avec les priorités stratégiques de la France : la préservation de la sécurité internationale via le renforcement des partenariats de défense, la préservation de la stabilité régionale et la lutte contre le terrorisme. Dans ce volet, les partenariats en <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2016-1-page-85.htm">direction de pays amis/alliés</a> sont vus comme autant de moyens d’exporter des armes.</p>
<p>Le cas des tensions récurrentes en mer Égée entre la Grèce et la Turquie, avec la <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/vente-de-fregates-convergences-strategiques-cette-lune-de-miel-entre-paris-et-athenes_2160016.html">signature d’un accord stratégique</a> entre Paris et Athènes en septembre 2021, en est un parfait exemple.</p>
<p>Puis ce sont les engagements internationaux de la France qui sont mis en avant : règlements internationaux, réglementations européennes et embargos sur les armes sont respectés. <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/12/06/les-geants-de-l-armement-epargnes-par-la-crise-economique-du-covid-19_6104845_3210.html">Le marché de l’armement</a> étant en soi fortement déstabilisateur, la notion de responsabilisation des producteurs et des vendeurs influe logiquement sur la crédibilité internationale du pays.</p>
<p>À noter que la notion de crédibilité internationale ne serait pas en soi opposée à la notion d’intérêt national. Les exportations d’armes sont présentées comme un moyen de renforcement de la dissuasion au sein d’une zone donnée permettant ainsi la vente d’armements aux deux belligérants.</p>
<p>Le cas des ventes d’armes françaises en direction du Pakistan et de l’Inde, deux ennemis héréditaires, en est la parfaite illustration. Même s’il nous semble loisible de penser que ce type de situation peut être analysé de façon différente. En considérant notamment que ces exportations alimentent des courses aux armements régionales entre des pays dont une proportion importante de la population vit encore sous le seuil de pauvreté.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1498221446618877960"}"></div></p>
<p>Enfin, l’autonomie stratégique française est défendue. Si notre pays veut maintenir son rôle au sein de l’Europe (puissance, influence), elle se doit de disposer d’une importante base industrielle et technologique de défense (BITD) indispensable à l’autonomie stratégique et à la souveraineté du pays. De fait, la production d’armements et leur exportation tiennent une place importante dans le tissu économique français. La BITD représente environ 200 000 emplois directs et non délocalisables.</p>
<p>En mai 2020, au sortir de notre première période de confinement, elle y voyait le « <a href="https://www.senat.fr/presse/cp20200515a.html">fer de lance d’une relance souveraine de l’économie française</a> ». La production d’armements est donc une industrie qui se maintient en France à un moment où la désindustrialisation est présentée comme le principal symptôme du déclin économique de notre pays.</p>
<p>Si l’on va un peu plus loin, on constate d’ailleurs que les exportations d’armements ne sont pas seulement autorisées, elles sont fermement soutenues. Le soutien aux exportations d’armements en France découle des orientations de politique étrangère et de défense nées sous la présidence de Charles de Gaulle. Le rôle de l’État a ainsi été central dans l’appui à la recherche d’indépendance stratégique de la base industrielle et technologique de défense (BITD).</p>
<p>La Direction générale de l’armement occupe une place importante dans ce dispositif, notamment via ses attachés d’armements présents dans de nombreuses ambassades. Par ailleurs, le groupe Défense conseil international (DCI) tient une place centrale dans le transfert des savoirs – faire vers les pays partenaires clients de la France. Jusqu’aux armées dont certaines missions sont officiellement dédiées au soutien à l’export, le « SOUTEX ». Activité qui au passage est aussi un important consommateur de ressources et créateur de contraintes pour les armées.</p>
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<h2>Une dépendance vitale aux exportations</h2>
<p>La justification de tous ces dispositifs est simple : la France est dépendante aux exportations. Le rôle de l’État dans l’industrie d’armement a beaucoup évolué depuis les années 1990. Sous l’influence de la doctrine libérale mais surtout de la baisse des budgets de défense après la fin de la guerre froide, l’État producteur d’armement a reculé au profit d’entreprises partiellement ou totalement privées.</p>
<p>Ce fut la fin de l’époque durant laquelle « les prix ont longtemps été plutôt des indicateurs comptables ex post que des critères de décisions ». Il ne faut cependant pas en tirer la conclusion que la production et l’exportation d’armements est devenue une activité commerciale comme les autres. Si la logique concurrentielle a bien transformé l’industrie de défense, en réduisant le champ de l’intervention publique, le rôle de l’État y reste essentiel. D’abord parce qu’il est un client puissant.</p>
<p>Ensuite parce que la R&D de défense ne peut se passer de financement public dans la mesure où elle est très incertaine et donc très risquée financièrement parlant. Mais en tant qu’institution de contrôle, l’État français n’a d’autres choix que de favoriser et de soutenir les exportations de sa BITD.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1479443904445534208"}"></div></p>
<p>Il y a plus de quinze ans, le député Fromion résumait parfaitement la situation : « À la différence de leurs concurrents américains, pour qui exporter ne représente en fait qu’une activité à la marge, d’ailleurs largement prise en compte par l’administration fédérale pour accompagner sa politique d’hégémonisme planétaire, les <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2019/09/MIELCAREK/60365">industriels français et européens</a> de la défense doivent, eux, exporter pour survivre ».</p>
<p>En premier lieu parce que le marché français (lui-même tributaire du budget français de la Défense) n’est pas suffisamment large pour permettre aux industriels français de prospérer en se passant des exportations. Ensuite parce que la privatisation relative du secteur de l’armement a fait naître un paradoxe : Il n’est pas possible de laisser des entreprises se développer au sein du secteur privé en leur interdisant d’avoir accès aux moyens de leur prospérité. Enfin parce que de cette capacité à exporter dépend aussi la capacité de l’État français à équiper ses propres forces.</p>
<p>Le Rafale est, de ce point de vue, un excellent exemple. Les contrats d’exportations de l’appareil s’enchaînent depuis le premier avec l’Égypte signée en 2015. Mais avant cela, il a été pendant plus d’une décennie l’objet de critiques, car présenté comme trop cher et donc invendable.</p>
<p>En décembre 2011, le ministre de la Défense (Gérard Longuet à l’époque) prévenait : si le Rafale ne s’exporte pas, il faudra à terme <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2011/12/08/rafale-gerard-longuet-evoque-la-fin-de-la-production-en-cas-d-echec-a-l-export_1615082_3234.html">fermer la ligne de production</a>. Et donc faire porter la poursuite de la production sur les seules commandes nationales.</p>
<p>Les exportations permettent d’allonger les séries et donc d’amortir l’outil industriel comme les investissements en R&D. Elles permettent également d’étaler les livraisons et de ne pas faire peser sur le seul budget national le développement des programmes d’armements. Elles assurent enfin la rentabilité des industriels de la BITD. C’est-à-dire leurs capacités à satisfaire les besoins futurs des armées françaises.</p>
<p>Les chances de voir la France rigidifier ses contrôles des exportations d’armement semblent donc très faibles. D’autant que, si certains militants voudraient aller dans cette direction, ce modèle bénéficie d’un relatif consensus politique, comme le relèvent les chercheurs Josselin Droff et Julien Malizard dans un <a href="https://theconversation.com/en-graphiques-les-exportations-darmes-francaises-173864">article</a> publié récemment dans The Conversation.</p>
<p>Pour conclure, dans un contexte de tension internationale exacerbé sur fond d’invasion russe en Ukraine, un électrochoc semble avoir touché l’ensemble des États européens, dont l’Allemagne. Ce dernier, longtemps partisan d’une doctrine « pacifiste », vient d’annoncer un revirement complet de sa posture stratégique en raison de l’agression russe.</p>
<p>En décidant de passer son <a href="https://www.20minutes.fr/monde/3243003-20220227-guerre-ukraine-allemagne-va-porter-depenses-militaires-plus-2-pib">budget de la défense à 2 % de son PIB</a> (soit pratiquement un doublement de son budget qui était de 47 milliards d’euros en 2021), d’engager immédiatement une rallonge budgétaire de 100 milliards d’euros pour son budget 2022 tout en incitant plus directement les industries de défense allemande aux exportations, Berlin rejoint ici Paris de manière inattendue dans sa volonté de soutenir désormais, ses propres industries de défense.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178127/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>« On ne vend pas des armes comme on vend des baguettes de pain », affirme Florence Parly. L’industrie de l’armement est souvent l’objet de critiques, bien qu’elle soit une nécessité pour la France.Mourad Chabbi, Professeur, Enseignant chercheur, Grenoble École de Management (GEM)Laurent Griot, Professeur assistant en géopolitique., Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1738642022-01-05T11:22:24Z2022-01-05T11:22:24ZEn graphiques : les exportations d’armes françaises<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/438047/original/file-20211216-15-1bxmuqw.PNG?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C914%2C362&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">À qui la France vend-elle ses armes&nbsp;? Quelle place occupe-t-elle sur ce marché&nbsp;? Quelles sont les tendances de court et long termes&nbsp;? Les réponses en infographies.
</span> <span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Les exportations d’armes, qui font l’objet de vifs <a href="https://www.publicsenat.fr/article/debat/ventes-d-armes-il-faut-a-l-evidence-ameliorer-le-controle-des-assemblees">débats de société</a> et se trouvent parfois au cœur de <a href="https://theconversation.com/pourquoi-la-rupture-par-laustralie-du-contrat-du-siecle-etait-previsible-168247">séquences diplomatiques tendues</a>, sont <a href="https://theconversation.com/ventes-darmes-la-france-resiste-a-lhegemonie-americaine-171798">essentielles</a> pour l’industrie de défense française.</p>
<p>La vente de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/12/03/rafale-aux-emirats-treize-ans-de-negociations-pour-un-contrat-record_6104569_3210.html">80 avions de combat Rafale aux Émirats arabes unis</a> pour un montant de 16 milliards d’euros, signée début décembre, vient de le rappeler. Le montant de la commande, qui équivaut à 40 % du budget 2021 des armées, et le <a href="https://www.lefigaro.fr/international/entre-la-france-et-les-emirats-arabes-unis-la-fiabilite-d-un-partenariat-deja-ancien-20211203">partenariat stratégique qui y est associé</a>, mettent en évidence l’importance économique, technologique et politique de ce secteur.</p>
<p>Une présentation historique et chiffrée des exportations d’armes françaises permet de saisir l’évolution que celles-ci ont connue au cours des dernières décennies et la place de la France sur le marché mondial.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/sous-marins-australiens-le-modele-francais-dexportation-darmes-en-question-170390">Sous-marins australiens : le modèle français d’exportation d’armes en question</a>
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<h2>Tendances des trente dernières années</h2>
<p>Depuis 1991, qui marque la fin de la guerre froide, l’évolution des exportations françaises d’armement est cyclique, avec un niveau plancher, c’est-à-dire un montant moyen minimal, se situant aux alentours de 4 milliards d’euros par an.</p>
<p>Deux raisons peuvent expliquer ces <a href="https://www.routledge.com/French-Arms-Exports-The-Business-of-Sovereignty/Beraud-Sudreau/p/book/9780367511456">phénomènes conjoncturels</a> :</p>
<ul>
<li><p>la signature de grands contrats qui génèrent des pics de livraisons (à l’instar des chars Leclerc <a href="https://www.lesechos.fr/1993/02/la-france-emporte-un-contrat-de-21-milliards-de-francs-a-abou-dhabi-899295">vendus aux Émirats arabes unis au début des années 2000</a>)</p></li>
<li><p>un environnement favorable aux exportations, avec une demande soutenue de la part des pays importateurs (depuis le début des années 2010).</p></li>
</ul>
<p><iframe id="J71s7" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/J71s7/3/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Dans une analyse de marché, les exportations françaises représentent le versant « offre » alors que les dépenses de défense des pays clients correspondent au versant « demande ». En 2020, les dépenses de défense ont atteint un niveau jamais observé, y compris durant la guerre froide, frôlant les 2 000 milliards de dollars.</p>
<p>Si certaines régions du monde, en particulier l’Europe de l’Ouest, voient leurs dépenses stagner, d’autres, comme le Moyen-Orient et l’Asie, font montre d’un dynamisme certain depuis près d’une quinzaine d’années. Historiquement, ces deux régions sont des « importateurs nets ». Elles ont besoin de matériels de défense étrangers car elles ne disposent pas des compétences nécessaires pour les fabriquer.</p>
<p>Se pose alors la question de savoir si les performances françaises sont tirées par la dynamique de la demande depuis une dizaine d’années. En effet, le taux de croissance des exportations françaises est supérieur, en moyenne, à celui du reste du monde. Il y a donc une forme de « surperformance » de la France.</p>
<p>Cela peut s’expliquer par <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/air-defense/rafale-pourquoi-lavion-invendable-enchaine-desormais-les-succes-1369541">plusieurs éléments</a> : la qualité des produits, notamment sur le plan technologique ; leur maturité (c’est ainsi le 4<sup>e</sup> standard du Rafale qui sera exporté aux E.A.U.) ; l’effet <em>combat proven</em> de certains matériels (dont le Rafale, largement employé en opération extérieures par la France sur un spectre de missions très large montrant ainsi sa polyvalence) ; ou encore une politique diplomatique et commerciale efficace (la fameuse « équipe France » qui s’est <a href="https://www.ifri.org/fr/publications/etudes-de-lifri/focus-strategique/politique-francaise-de-soutien-aux-exportations">particulièrement illustrée sous la présidence de François Hollande</a>).</p>
<h2>La France, troisième vendeur d’armes mondial</h2>
<p>Depuis 1991, le classement des pays exportateurs est <a href="https://sipri.org/publications/2021/sipri-fact-sheets/trends-international-arms-transfers-2020">largement dominé par les États-Unis (plus de 38 %) et la Russie (près de 20 %)</a>. La France, leader des puissances moyennes, arrive en troisième position, avec une part de marché moyenne de plus de 7 %. Du côté de l’offre, le marché est extrêmement concentré, puisque les exportations cumulées du top 10 mondial représentent près de 90 % du total.</p>
<iframe src="https://flo.uri.sh/visualisation/8142161/embed" title="Interactive or visual content" class="flourish-embed-iframe" frameborder="0" scrolling="no" style="width:100%;height:600px;" sandbox="allow-same-origin allow-forms allow-scripts allow-downloads allow-popups allow-popups-to-escape-sandbox allow-top-navigation-by-user-activation" width="100%" height="400"></iframe>
<div><a class="‘flourish-credit’" target="‘_top’"><img alt="‘Made"> </a></div>
<p>Les <a href="https://sipri.org/publications/2021/sipri-fact-sheets/sipri-top-100-arms-producing-and-military-services-companies-2020">entreprises américaines</a> dominent nettement le marché de l’industrie de défense mondiale.</p>
<p>Les raisons qui expliquent la domination américaine sont bien connues. Le marché intérieur américain est le plus grand au monde, les États-Unis concentrant près de 40 % des dépenses de défense mondiales : la pression à l’exportation est plus faible que pour les pays qui ont besoin d’augmenter la taille de leur marché par des commandes à l’export. Enfin, les États-Unis font de leurs exportations d’armes une arme diplomatique majeure, puisqu’elles permettent à leurs clients de satisfaire leur besoin de sécurité à la fois par l’achat d’armes et par une plus grande proximité (aussi bien opérationnelle que relationnelle) avec la puissance américaine.</p>
<p>Les pays européens complètent l’essentiel du top 10 et représentent près de 25 % des exportations mondiales. Néanmoins, leur position est de plus en plus contestée <a href="https://sipri.org/publications/2020/sipri-insights-peace-and-security/emerging-suppliers-global-arms-trade">par la Chine ou Israël</a>, mais aussi par la <a href="https://orientxxi.info/magazine/turquie-l-industrie-de-l-armement-a-marche-forcee-vers-l-autonomie,5127">Turquie</a> ou bien encore par la <a href="https://fr.yna.co.kr/view/AFR20201214001600884">Corée du Sud</a>, qui ont vu leurs parts de marché respectives multipliées par trois entre les années 2000 et 2010.</p>
<p>L’arrivée de ces nouveaux acteurs constitue une concurrence supplémentaire dans un secteur où, traditionnellement, les barrières à l’entrée sont fortes. Ainsi, sur la dernière décennie, la France a vu sa part de marché se réduire, alors même qu’elle s’est installée à la troisième place dans le classement.</p>
<h2>Qui sont les clients de la France ?</h2>
<p>Depuis 1991, le top 5 des clients de la France est principalement dominé par des pays du Proche et Moyen-Orient (Arabie saoudite, Émirats arabes unis, Égypte et Qatar). En moyenne, plus de 25 % des exportations françaises sont <a href="https://www.iris-france.org/163107-vente-record-de-rafale-aux-emirats-arabes-unis-consecration-pour-lindustrie-darmement-francaise/">dirigées vers l’Arabie saoudite et les E.A.U</a>, tandis que 7 % sont dirigées vers l’Inde. Mais ce dernier pays présente une très forte progression (passant de 2,5 % sur la période 1991-2000 à plus de 12 % sur la période 2011-2020) grâce aux contrats des sous-marins Scorpène et des avions de combat Rafale.</p>
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<div><a class="‘flourish-credit’" target="‘_top’"><img alt="‘Made"> </a></div>
<p>Les pays alliés de la France au sein de l’OTAN forment près de 11 % des exportations totales sur la période post-guerre froide. Cette part est toutefois en constante baisse : de 20 % dans les années 1990, elle représente à peine plus de 5 % sur la décennie 2010.</p>
<p>Les exportations de la France sont donc cohérentes avec l’analyse de la demande : les tendances en matière de dépenses de défense sont orientées à la hausse en Asie et au Proche et Moyen-Orient (PMO), alors que les budgets de défense sont davantage contraints (voire même orientés à la baisse) pour les pays occidentaux.</p>
<p>Cela se confirme par l’analyse régionale (cf. graphique), qui montre que tous les marchés export sont en croissance, sauf en Europe et en Amérique du Nord. Le PMO et l’Asie du Sud/Sud-Est concentrent près de 60 % des exportations totales, contre à peine 20 % pour l’Europe.</p>
<p>Pour cette dernière, la chute de la part de marché entre les décennies 2000 et 2010 peut principalement s’expliquer par les politiques d’austérité décidées à la suite de la crise financière de 2008, en particulier en Grèce, qui est historiquement un client majeur.</p>
<p>Pour expliquer les volumes d’exportations ponctuellement plus élevés, deux raisons sont à avancer : un <a href="https://www.challenges.fr/entreprise/defense/l-armement-dernier-bastion-du-grand-export-francais_755659">« grand export »</a> (c’est-à-dire en dehors des frontières de l’UE) et un <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/culturesmonde/politique-etrangere-les-chantiers-du-futur-president-34-moderniser-loutil">« grand contrat »</a> (pour des matériels, soit dans le domaine naval (sous-marins et navires de surface), soit dans le domaine aéronautique, en particulier les avions de combat.</p>
<p>À noter que sur la période 1990-2020, les matériels aéronautiques, navals et missiles représentent 75 % du montant cumulé des exportations d’armement, chiffre à relier à l’« avantage comparatif » dont dispose la France dans ces trois catégories de matériels.</p>
<h2>La dépendance de la France aux exportations d’armes</h2>
<p>Dans la mesure où les exportations de la France sont un <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/cultures-monde/industrie-de-defense-le-made-in-france-depasse">élément primordial de l’activité des entreprises de défense du pays</a>, il est utile de mesurer leur importance sur le long terme. Le volume d’exportations est ainsi comparé à la « production de défense », considérée ici comme la somme des dépenses d’équipement (c’est-à-dire le montant dépensé par l’armée française pour s’équiper) et des livraisons d’armement à l’exportation.</p>
<p>Les travaux sur le sujet montrent que ce ratio était de 8 % environ au début des années 1960 et de 15 % dans les années 1970. Les données disponibles permettent de le retracer précisément sur la période allant de 1980 à aujourd’hui.</p>
<p><iframe id="wnsDD" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/wnsDD/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Les pics du ratio de dépendance sont globalement les mêmes que ceux observés pour les exportations (en 2004 et entre 2015 et 2019) et représentent au maximum environ un tiers de la commande nationale. Un tel résultat place l’industrie de la défense française <a href="https://www.cairn.info/revue-les-champs-de-mars-2018-1-page-397.htm">dans la fourchette haute</a> en termes de dépendance à l’export mais ne diffère pas d’autres grands pays européens comme l’Allemagne ou le Royaume-Uni.</p>
<p>Le modèle économique de la France se caractérise donc aujourd’hui par une dépendance accrue vis-à-vis des exportations avec, au sein de ces dernières, une concentration des ventes sur un nombre restreint de pays.</p>
<p>Le marché français national est trop petit pour maintenir les compétences industrielles nécessaires à la production de l’ensemble du spectre capacitaire (c’est-à-dire l’ensemble des équipements utilisés par l’armée) et amortir les coûts de recherche et développement indispensables à la supériorité opérationnelle des armées comme à la compétitivité des entreprises de la défense.</p>
<p>Les motivations économiques, industrielles et stratégiques sont donc profondément imbriquées, et ce depuis des décennies, dans un relatif consensus politique. C’est le modèle d’une puissance moyenne avec des ambitions mondiales et des contraintes économiques et industrielles certaines ; son dilemme inhérent tient dans les risques de dépendance aux exportations d’armes alors que la technologie qui est associée à ce domaine positionne la France dans le haut de la hiérarchie des industries de défense.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/173864/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Josselin Droff est chercheur à la Chaire économie de défense de l'IHEDN. Il est par ailleurs chercheur associé au GREThA (Université de Bordeaux, UMR 5113). Il a reçu des financements de la DGA pour sa thèse de doctorat entre 2009 et 2012. Il a reçu le prix de thèse du Ministère des armées en 2015 pour sa thèse de doctorat en sciences économiques.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Julien Malizard travaille pour la Chaire Economie de défense de l'IHEDN comme titulaire adjoint ; il est par ailleurs chercheur associé au GREThA (Université de Bordeaux, UMR 5113). Il a reçu une bourse de thèse de la Direction générale de l'armement (DGA). Il est lauréat du prix de thèse de l'IHEDN en 2011.</span></em></p>L’étude des données des exportations d’armes françaises permet de faire ressortir les particularités de la place du pays dans ce marché explosif. Panorama en graphiques.Josselin Droff, Chercheur associé au GREThA (UMR 5113), Université de BordeauxJulien Malizard, Chercheur associé au GREThA (UMR 5113), Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1717982021-11-25T20:44:33Z2021-11-25T20:44:33ZVentes d’armes : la France résiste à l’hégémonie américaine<p>L’annulation du « contrat du siècle » portant sur les sous-marins australiens au <a href="https://theconversation.com/aukus-la-france-grande-perdante-du-duel-americano-chinois-168786">profit des États-Unis et du Royaume-Uni</a> a provoqué la stupéfaction et la <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/metiers/armee-et-securite/rupture-du-contrat-des-sous-marins-par-l-australie-c-est-un-coup-dans-le-dos-denonce-jean-yves-ledrian_4770743.html">colère</a> des gouvernants en France. Certains observateurs n’ont pas hésité à dénoncer une <a href="https://www.meta-defense.fr/2021/09/22/les-etats-unis-veulent-ils-eliminer-lindustrie-de-defense-francaise/">volonté délibérée des Anglo-Saxons</a> d’affaiblir l’industrie de défense navale tricolore.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-la-rupture-par-laustralie-du-contrat-du-siecle-etait-previsible-168247">Pourquoi la rupture par l’Australie du « contrat du siècle » était prévisible</a>
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<p>Si ces arguments peuvent être recevables (la guerre économique entre industries de défense concurrentes pousse évidemment à toutes les éventualités), il demeure important de ne pas perdre de vue que les États-Unis agissent avant tout dans le but de maximiser leurs intérêts nationaux, mais avec des moyens techniques (tels que le <a href="http://www.slate.fr/story/74651/echelon">réseau ÉCHELON</a>) et financiers largement supérieurs à ceux d’autres États.</p>
<p>La structuration du commerce d’armes au niveau international fait clairement ressortir une domination étasunienne, confirmée par le fait que les cinq entreprises de défense générant le plus de revenus <a href="https://people.defensenews.com/top-100/">sont toutes américaines</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/432617/original/file-20211118-15-84nqa5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/432617/original/file-20211118-15-84nqa5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/432617/original/file-20211118-15-84nqa5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/432617/original/file-20211118-15-84nqa5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/432617/original/file-20211118-15-84nqa5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/432617/original/file-20211118-15-84nqa5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/432617/original/file-20211118-15-84nqa5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<h2>Le complexe militaro-industriel comme levier de puissance économique et politique</h2>
<p>Si de <a href="https://www.hup.harvard.edu/catalog.php?isbn=9780674725263">nombreux travaux</a> ont été publiés sur le rôle du complexe militaro-industriel américain et <a href="https://yalebooks.yale.edu/book/9780300177626/unwarranted-influence">son influence croissante au niveau politique</a>, il convient de ne pas négliger son poids économique.</p>
<p>Déjà, lors de son <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMDictionnaire?iddictionnaire=1846">discours d’adieu à la nation en 1961</a>, le président Eisenhower mettait en garde contre les dangers de ce complexe militaro-industriel devenu à ses yeux trop enraciné dans l’économie et la société américaines. La fin de la guerre froide n’a pas signé sa fin : il a su, au travers de grandes vagues de fusions-acquisitions, <a href="http://archive2.grip.org/bdg/g1026.html">trouver un nouveau souffle</a>.</p>
<p><a href="https://facts.aia-aerospace.org/">Selon l’<em>US Aerospace & Defense Industry</em></a>, ce secteur emploie 2,1 millions de salariés en emplois indirects et 880 000 en emplois directs. Son chiffre d’affaires avoisine les 875 milliards de dollars en 2020 et les revenus des exportations frôlent les 91 milliards de dollars. Le marché domestique américain représente le premier marché de défense de la planète (38 % du marché mondial). Cela profite fortement à ses grands groupes de défense, leaders internationaux autour desquels est structurée la <a href="https://www.frstrategie.org/programmes/observatoire-de-la-defense-americaine/industrie-defense-americaine-2020">Base Industrielle et Technologique de Défense (BITD) américaine</a>.</p>
<p>Moins dépendants des exportations en raison de ce marché intérieur conséquent, les États-Unis sont soucieux d’éviter la diffusion de technologies militaires susceptibles de modifier les équilibres de puissance au niveau international et ont souvent été moins enclins à exporter leurs technologies militaires d’avant-garde que leurs concurrents.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/sous-marins-australiens-le-modele-francais-dexportation-darmes-en-question-170390">Sous-marins australiens : le modèle français d’exportation d’armes en question</a>
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<p>Ainsi, les États-Unis ont mis en place un ensemble de mesures contraignantes dans le domaine des exportations de défense, démontrant que les <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-de-politique-comparee-2016-1-page-57.htm">considérations politico-stratégiques sont prioritaires pour eux</a>. La législation américaine (sur le transfert d’armes) est en effet <a href="https://www.bis.doc.gov/index.php/documents/technology-evaluation/ote-data-portal/ecr-analysis/1471-sta-use-through-april-2016/file">très sévère</a>.</p>
<p>Cependant, du fait d’un contexte budgétaire contraint, le gouvernement américain a assoupli les contrôles des exportations d’armes ces dernières années, afin de <a href="http://www.opex360.com/2020/08/06/les-etats-unis-vont-accorder-des-facilites-de-paiement-pour-maintenir-le-niveau-de-leurs-exportations-darmes/">soutenir son industrie de défense</a>.</p>
<p>Au-delà de l’assistance sécuritaire accordée à de très nombreux États dans le monde, via les <a href="https://www.dsca.mil/foreign-military-sales-fms">FMS</a> ou les <a href="https://www.dsca.mil/programs/excess-defense-articles-eda">EDA</a>, les États-Unis incitent leurs entreprises de défense à réinvestir une partie de leurs bénéfices issus des exportations dans le développement de technologies nouvelles.</p>
<p>D’autre part, en nouant des partenariats industriels de défense importants avec des pays comme les <a href="https://almashareq.com/fr/articles/cnmi_am/features/2017/12/12/feature-01">Émirats arabes unis</a>, <a href="https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2016/09/14/l-alliance-militaire-entre-les-etats-unis-et-israel-renforcee-pour-dix-ans_4997467_3218.html">Israël</a> ou la <a href="https://fr.euronews.com/2020/08/15/la-pologne-et-les-etats-unis-renforcent-leur-cooperation-militaire">Pologne</a>, Washington consolide ses relations de défense avec des alliés traditionnels.</p>
<p>Deux impératifs de leur politique étrangère apparaissent ainsi en filigrane : la lutte contre le terrorisme et les retombées des industries de défense pour leur économie nationale, via, notamment, l’annihilation des concurrents directs les plus dangereux.</p>
<h2>La France, concurrent le plus redoutable de l’industrie de défense américaine ?</h2>
<p>C’est un axiome bien connu dans le marché des armes : <a href="https://flipbook.cantook.net/?d=%2F%2Fwww.edenlivres.fr%2Fflipbook%2Fpublications%2F5193.js&oid=42&c=&m=&l=&r=&f=pdf">« pour acheter, il est nécessaire de vendre »</a>.</p>
<p>La France n’échappe pas à cette règle et les marges de manœuvre dont elle dispose sont bien moins importantes que celle des États-Unis. Si la France veut conserver son autonomie dans le domaine de la défense, les <a href="https://theconversation.com/sous-marins-australiens-le-modele-francais-dexportation-darmes-en-question-170390">exportations sont nécessaires</a> pour pérenniser sa BITD, qui représente <a href="https://www.lesechos.fr/2016/01/lindustrie-de-la-defense-devrait-creer-40000-emplois-dici-a-2018-195010">80 000 emplois directs et 120 000 indirects</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">4 questions sur les exportations d’armements de la France, Brut, 4 juin 2021.</span></figcaption>
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<p>Environ 40 % du chiffre d’affaires enregistré par la BITD française provient des exportations : la taille du marché français est insuffisante pour permettre une réduction massive des coûts et, donc, d’importantes économies d’échelles.</p>
<p>Possédant une industrie unique en Europe, la France est le seul pays de la région à être autonome dans encore nombre de systèmes critiques d’armes (avions de combat, chars lourds, navires de fort tonnage, missiles, radars…) tout en étant cependant dépendant pour ce qui concerne un certain nombre d’autres systèmes (drones longue endurance, ISR, composants électroniques embarqués…). Néanmoins, le savoir-faire accumulé fait de Paris une réelle et sérieuse alternative aux États-Unis dans nombre de secteurs hautement stratégiques des armements.</p>
<p>Cet état de fait n’est pas nouveau : dans les années 1960 déjà, l’industrie de défense française <a href="https://www.persee.fr/doc/polit_0032-342x_1976_num_41_6_1699">gênait énormément les États-Unis</a> dans le cadre de compétition internationale.</p>
<p>À l’époque, dans le domaine aéronautique par exemple, le Mirage était <a href="https://www.cairn.info/revue-histoire-economie-et-societe-2010-4-page-75.htm">l’une des rares alternatives</a> aux avions de combat américains et soviétiques et attira tout particulièrement l’attention de pays qui, à l’instar de la France, voulaient atténuer l’influence hégémonique des deux superpuissances.</p>
<p>Depuis, si Paris s’est fortement rapproché des États-Unis, le comportement de ces derniers n’en a pas été moins offensif. Washington a, ces dernières années, systématiquement tenté de faire capoter des accords pourtant bien avancés dans de très nombreux contrats d’armements :</p>
<ul>
<li><p>1992 : la mise en place d’une surveillance de la forêt amazonienne au Brésil (projet SIVAM) via la fourniture d’un satellite et d’un radar de surveillance. Cet appel d’offres d’un montant de 1,4 milliard de dollars verra le Français Thomson-CSF (devenu Thales en 2000) affronter la firme américaine Raytheon. Cette dernière <a href="https://www.lesechos.fr/1994/07/le-bresil-confie-la-surveillance-de-lamazonie-a-lamericain-raytheon-886638">obtiendra ce marché</a> le 18 juillet 1994 après que des interceptions effectuées par la CIA sur des dessous de table supposés et des <a href="https://www.zdnet.fr/actualites/pourquoi-l-affaire-echelon-embarrasse-thomson-csf-2060838.htm">interceptions de communications de la NSA</a> entre Français et Brésiliens aient été exploitées. Des révélations plus tardives démontreront que les États-Unis <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/l-economie-c-est-la-guerre-frederic-charpier/9782021022247">avaient agi de la même manière</a>.</p></li>
<li><p>2002 : le renouvellement des avions de combat de la Corée du Sud. Le Rafale était opposé au chasseur F-15K de Boeing. Au terme des campagnes d’évaluations techniques et opérationnelles, le Rafale fut classé en tête en termes de performances, mais de très nombreux rebondissements lors de cette affaire (perquisition, rumeurs de corruption, intimidations, espionnage…) amenèrent la <a href="https://www.usinenouvelle.com/article/defaite-politique-pour-le-rafale.N1819">défaite de Dassault</a>. Le F-15K fut choisi par Séoul pour des considérations de sécurité nationale, car les États-Unis demeurent le véritable garant de sa sécurité face à la Corée du Nord.</p></li>
<li><p>2002 encore : le Rafale était en concurrence avec le F-16 en Pologne. L’appareil français impressionna les pilotes de l’armée de l’air, mais les compensations proposées par les Américains firent basculer leur choix. Washington s’engagea à inclure dans le contrat un transfert de technologie portant sur le système de télécommunications crypté Tetra (avec Motorala), ainsi que la création d’un centre de recherche en informatique <a href="https://www.latribune.fr/archives/2002/entreprises/id67823a44af0b1848c1256c9c00490594/la-pologne-prefere-le-f-16-americain-au-mirage-francais.html">couplé à un plan de R&D conséquent</a>.</p></li>
<li><p>2007 : au Maroc, les États-Unis acceptèrent un rabais important pour empêcher une fois de plus Dassault de vendre son Rafale. Ils proposèrent 36 chasseurs F-16 pour un montant de 2 milliards de dollars, contre 2,3 milliards d’euros pour 18 Rafale, assortis d’une garantie américaine pour faire bénéficier Rabat de <a href="https://wikileaks.org/plusd/cables/10RABAT5_a.html">l’ensemble des ressources technologiques du F-16</a>. Dans ces conditions, le Rafale n’avait aucune chance de l’emporter.</p></li>
</ul>
<p>Il arrive parfois que les États-Unis bloquent, pour des raisons de « sécurité nationale et de politique étrangère », la vente de certains composants électroniques américains qui équipent certains systèmes d’armes français. La réglementation américaine ITAR a ainsi poussé Washington à <a href="https://www.lesechos.fr/2014/02/satellites-espions-les-etats-unis-imposent-leur-loi-a-la-france-291211">bloquer la vente</a> de deux satellites-espions français (Airbus et Thalès) aux Émirats arabes unis en 2014 ainsi que la vente de missiles de croisière Scalp (MBDA) <a href="https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/rafale-en-egypte-les-etats-unis-bloquent-768856.html">vers l’Égypte</a> et le Qatar.</p>
<p>Une intervention directe de l’ancien président François Hollande fut nécessaire pour débloquer la vente des satellites en février 2014. Le contrat pour le missile Scalp ne put être débloqué et Paris s’engagea auprès du Caire à fabriquer un composant analogue <a href="https://www.ege.fr/infoguerre/2018/11/enjeux-de-reglementation-itar-blocage-de-vente-missiles-scalp-a-legypte">échappant au dispositif ITAR</a>.</p>
<p>Dans ces cas précis, la sécurité d’Israël via le maintien d’un avantage militaire face à ses potentiels adversaires arabes, le <a href="https://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/us-foreign-policy-and-israels-qualitative-military-edge-need-common-vision"><em>Qualitative Military Edge</em></a>, servit de prétexte pour contrer les effets politiques des succès commerciaux du Rafale à l’exportation.</p>
<p>Plus récemment encore, de très nombreux marchés ont opposé industriels français et Américains (<a href="http://www.opex360.com/2016/10/10/la-pologne-va-commander-des-helicopteres-americains-black-hawk-pour-ses-forces-speciales/">hélicoptères Caracal vs UH-60</a> en Pologne, chasseurs Rafale et systèmes antiaériens SAMP-T vs chasseurs F-35 et systèmes antiaériens Patriot en <a href="https://www.capital.fr/entreprises-marches/defense-la-suisse-achete-des-avions-de-chasse-f-35-et-des-patriot-revers-pour-la-france-1408111">Suisse</a>…), avec à la clé de nombreuses défaites françaises, notamment en raison de pressions politiques en direction d’alliés fortement dépendants des États-Unis.</p>
<h2>Résister aux ambitions hégémoniques des États-Unis</h2>
<p>Ce qui ressort du comportement américain est la volonté manifeste de maintenir son hégémonie économique et industrielle dans le domaine des armements, notamment en Occident.</p>
<p>La France est ici principalement visée, car elle dispose justement des atouts qui font d’elle une <a href="https://www.usinenouvelle.com/article/comment-la-france-a-decroche-la-troisieme-place-mondiale-en-matiere-d-exportation-d-armes.N1071464">véritable rivale</a> dans nombre de domaines technologiques clés.</p>
<p>En cherchant à maintenir son hégémonie par tous les moyens, Washington tente par ailleurs de limiter les marges de manœuvre de certains acteurs régionaux influents (Inde, Corée du Sud, Égypte, Indonésie…) en impactant leurs degrés d’autonomie stratégique et de décision sur la scène internationale.</p>
<p>En limitant ainsi la possibilité pour ces États d’acquérir des technologies autres qu’américaines, les États-Unis affermissent d’autant leur influence. En effet, il ne faut pas omettre le fait que le pays vendeur d’armes dispose, outre d’informations sensibles, de <a href="https://theconversation.com/pourquoi-la-rupture-par-laustralie-du-contrat-du-siecle-etait-previsible-168247">moyens de pression</a> quant à leur maintenance, leur modernisation et… leur utilisation.</p>
<p>La France, avec un budget de la défense contraint et une dépendance aux exportations forte, ne dispose que de peu d’appui au sein d’une Union européenne déjà en <a href="https://www.ouest-france.fr/europe/ue/l-europe-peut-elle-se-passer-des-etats-unis-pour-sa-defense-eded5092-26a0-11ec-b8e1-a5d0cfbb7050">partie dépendante des industries de défense américaines</a>.</p>
<p>Il lui appartient donc d’être en mesure de continuer à établir avec certains États, européens ou extra-européens, des partenariats <a href="https://www.touteleurope.eu/l-ue-dans-le-monde/defense-la-france-et-la-grece-renforcent-leur-partenariat-strategique/">susceptibles de durer dans le temps</a>, sans exposer inutilement sa BITD, afin de faire en sorte que le village gaulois continue à résister encore et toujours…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171798/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mourad Chabbi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Visant l’hégémonie dans le commerce des armes, les États-Unis utilisent des stratégies très agressives, notamment vis-à-vis du concurrent français.Mourad Chabbi, Enseignant chercheur, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1703902021-10-27T20:41:36Z2021-10-27T20:41:36ZSous-marins australiens : le modèle français d’exportation d’armes en question<p>Le 15 septembre 2021, l’Australie <a href="https://www.liberation.fr/international/asie-pacifique/sous-marins-laustralie-annule-son-contrat-du-si%C3%A8cle-avec-le-francais-naval-group-20210916_33K5KSABDZD5JPVZXSHBDGDZUI/">décide de renoncer à l’acquisition</a> de douze sous-marins français <a href="https://www.defense.gouv.fr/marine/dossiers/barracuda">Shortfin Barracuda</a> produits par Naval Group et annonce la création d’un pacte de sécurité avec le Royaume-Uni et les États-Unis (AUKUS, pour Australia, United Kingdom, United States) qui lui permettra de se procurer, auprès de Londres et Washington, des navires à propulsion nucléaire.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-les-sous-marins-nucleaires-sont-un-choix-militaire-judicieux-pour-laustralie-face-a-la-chine-168202">Pourquoi les sous-marins nucléaires sont un choix militaire judicieux pour l’Australie face à la Chine</a>
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<p>Cette affaire implique des dynamiques soumises à des temporalités différentes : celles liées à la géopolitique internationale, davantage régie par le court terme et où s’impose souvent une forte réactivité ; et celles liées à l’industrie de défense, régie par la planification et les cycles de long terme.</p>
<p>L’<a href="https://amp-ouest--france-fr.cdn.ampproject.org/c/s/amp.ouest-france.fr/economie/economie-de-la-mer/naval-group/crise-des-sous-marins-le-pdg-de-naval-group-appelle-a-un-programme-de-cooperation-europeen-dc2098da-1cfd-11ec-b443-821185c78bbd">accélération de l’agenda géopolitique australien</a> semble ici clairement avoir désynchronisé la demande et l’offre. Dans ce contexte, l’industriel <a href="https://www.naval-group.com/fr">Naval Group</a> et l’État français sont des « victimes collatérales » d’une course aux armes en Asie-Pacifique où la Chine et les États-Unis rivalisent pour une hégémonie mondiale.</p>
<h2>Un choix que l’Australie estime bénéfique pour elle…</h2>
<p>Face à l’option française initiale, fondée sur une propulsion conventionnelle, l’Australie a finalement préféré une option stratégique d’acquisition de sous-marins à propulsion nucléaire, en partenariat avec les États-Unis et le Royaume-Uni. Qu’est-ce qui a pu conduire à ce choix ?</p>
<p>Il semblerait qu’en raison de l’évolution rapide de l’agenda géopolitique et de la <a href="https://theconversation.com/laustralie-face-a-la-chine-la-montee-des-tensions-156807">montée des tensions entre la Chine et l’Australie</a> ces derniers mois, il soit devenu nécessaire pour le pays d’acquérir de nouveaux sous-marins plus performants par rapport à la spécification initialement demandée. Cette acquisition garantirait ainsi une portée opérationnelle supérieure à celle d’un sous-marin conventionnel.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-la-rupture-par-laustralie-du-contrat-du-siecle-etait-previsible-168247">Pourquoi la rupture par l’Australie du « contrat du siècle » était prévisible</a>
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<p>De plus, dans le cadre de l’accord AUKUS, les Australiens recherchaient certainement une <a href="https://www.iris-france.org/160439-rupture-du-contrat-sur-les-sous-marins-australiens-quelles-consequences-pour-lindustrie-francaise/">réassurance de sécurité</a> dans la région que seuls les États-Unis pouvaient leur offrir, ce qui explique leur <a href="https://www.institutmontaigne.org/blog/la-france-lamerique-et-lindopacifique-apres-le-choc">refus de recourir à la technologie nucléaire française</a>. Cette recherche de protection a vraisemblablement pesé lourd dans l’arbitrage rendu par l’Australie.</p>
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<figcaption><span class="caption">La Chine condamne une vente « irresponsable » de sous-marins américains à l’Australie, France 24, 16 septembre 2021.</span></figcaption>
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<h2>… mais qui pourrait bien se révéler plus coûteux que prévu</h2>
<p>Trois aspects sont à prendre en compte dans la dimension industrielle de cette rupture de contrat.</p>
<p>Tout d’abord, le projet retenu sera certainement plus coûteux que le projet initial. Premièrement parce que la rupture de celui-ci entraîne un versement de pénalités dont le montant reste à déterminer. Le PDG de Naval Group <a href="https://www.leparisien.fr/international/crise-des-sous-marins-naval-group-va-envoyer-une-facture-a-laustralie-annonce-son-pdg-23-09-2021-5YWVARP4JJDDTLZIW4PTM4GQGY.php">l’a dit</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Cette résiliation par convenance donnera lieu à un paiement des coûts engagés et à venir, liés à la démobilisation physique des infrastructures et informatique ainsi qu’au reclassement des employés. »</p>
</blockquote>
<p>Ensuite, le design des futurs sous-marins australiens sera certainement inspiré soit des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Classe_Virginia_(sous-marin)">classes Virginia</a> (américains), soit <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Classe_Astute">Astute</a> (britanniques). Ces sous-marins pèsent environ 7 500 tonnes contre 4 000 pour la version australienne du Suffren. Étant plus lourds, ils seront certainement plus coûteux à construire.</p>
<p>Enfin, la durée de réalisation d’un tel projet sera longue. Les Britanniques et les Américains ne disposent pas des capacités de production nécessaires pour satisfaire la demande australienne dans l’immédiat. <a href="https://www.meta-defense.fr/2021/09/21/laustralie-envisage-de-louer-des-sous-marins-americains-comme-solution-dattente/">Des délais sont donc à craindre</a>. Par ailleurs, l’industrie navale britannique a montré de <a href="https://www.rand.org/pubs/monographs/MG1128z3.html">grandes difficultés dans la conduite du projet Astute</a>, qui se sont traduites par des dérives de coûts et des délais importants.</p>
<p>De plus, côté australien, il convient de noter que le pays n’a aucune expérience dans la mise en œuvre opérationnelle, la doctrine d’emploi, ni l’entretien de sous-marins à propulsion nucléaire. Tout cela n’est certes pas impossible à acquérir mais demande du temps, même si les compétences en la matière sont rares.</p>
<p>Au final, il risque donc d’y avoir un décalage opérationnel entre le besoin – qui est soudainement devenu urgent – et la réalité industrielle, organisationnelle et technologique d’un tel choix.</p>
<p>Sur un plan plus stratégique, l’Australie remplace la dépendance à la France (qui proposait d’importants transferts de technologie) par une dépendance aux États-Unis plus forte, car a priori sans transfert de technologie. Ainsi, les Australiens risquent d’acheter une « boîte noire » dont les secrets de fabrication leur resteront inconnus.</p>
<p>Enfin, alors que les Australiens cherchaient à consolider leur filière navale, il leur faut envisager un gros manque à gagner dans le cadre de la maintenance des futurs sous-marins. L’ensemble du contrat pourrait se solder par la disparition de <a href="https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/sous-marins-en-australie-10-questions-cles-pour-decrypter-une-crise-hors-norme-892786.html">1 800 emplois chez Naval Group Australia et environ 1 000 autres chez les sous-traitants australiens</a>.</p>
<p>En 2021, quand on était encore dans une phase de design, 650 emplois étaient concernés en France (dont environ 500 à Cherbourg) ainsi que 350 emplois en Australie.</p>
<h2>Exporter pour financer son excellence industrielle : le modèle français</h2>
<p>Cette affaire des sous-marins met aussi en avant les <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-de-politique-comparee-2016-1-page-57.htm">divergences existantes entre les modèles d’exportation français et américain</a>, dont il s’agit de déterminer les logiques sous-jacentes.</p>
<p>On peut considérer tout d’abord que le modèle français est centré autour du produit (un système d’armes) et des enjeux industriels. Il se caractérise aujourd’hui par une dépendance accrue vis-à-vis des exportations. En effet, la France exporte aujourd’hui un peu plus de 30 % de sa production totale d’équipements de défense (contre 8 % dans les années 1960 et 15 % dans les années 1970).</p>
<p>Les motivations sont d’abord <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-de-politique-comparee-2016-1-page-57.htm">économiques et liées au modèle d’armée</a> ainsi qu’aux moyens nécessaires à la crédibilité de la dissuasion.</p>
<p>Le marché français est trop étroit pour maintenir les compétences industrielles nécessaires à la production de l’ensemble des équipements dont les forces armées ont besoin et ainsi amortir les coûts de recherche et développement indispensables à la compétitivité des entreprises.</p>
<p>Pourtant, la concurrence mondiale, et en particulier européenne, pousse à une productivité élevée. Le dilemme inhérent à ce modèle tient aux risques de dépendance aux exportations d’armes, alors que la technologie associée à ces armes positionne la France haut dans la hiérarchie des industries de défense. C’est le modèle d’une puissance moyenne avec des ambitions mondiales et des contraintes économiques et industrielles certaines.</p>
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<figcaption><span class="caption">4 questions sur les exportations d’armements de la France, Brut, 4 juin 2021.</span></figcaption>
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<p>De ce fait, le programme australien représentait 10 % de l’activité de Naval Group et offrait une visibilité en termes d’activité sur plusieurs décennies. Historiquement, les exportations jouent un rôle important dans le fonctionnement de Naval Group (30 % du chiffre d’affaires sur la décennie 2010) : le modèle économique de l’entreprise nécessite d’exporter pour entretenir les compétences industrielles et l’activité des bureaux d’étude.</p>
<p>Néanmoins, compte tenu des engagements internationaux de la France, le contrôle des exportations reste exigeant. Enfin, les exportations sont également conçues comme des opportunités de rapprocher la France de ses clients au travers des « partenariats stratégiques ».</p>
<p>Par ailleurs, la France a historiquement été considérée comme une « troisième voie » entre les États-Unis et l’URSS durant la guerre froide, et il n’est pas interdit de penser que ce sera aussi le cas dans le cadre de la rivalité entre la Chine et les États-Unis.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/aukus-la-france-grande-perdante-du-duel-americano-chinois-168786">AUKUS : la France, grande perdante du duel américano-chinois</a>
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<h2>L’exportation comme instrument diplomatique pur : le modèle américain</h2>
<p>À l’opposé du modèle français d’exportations d’armes, on trouve le modèle américain. Il se caractérise fondamentalement par un <a href="https://www.businessinsider.fr/les-10-pays-qui-ont-realise-les-plus-importantes-depenses-militaires-dans-le-monde-en-2020-187307#1-etats-unis-778mds-4-4">budget de défense sans commune mesure au niveau mondial</a> et ses corollaires : une flotte d’équipements qui confère un statut de grande puissance ; des accords de défense stables associés à des partenariats de long terme (<a href="https://www.nato.int/nato-welcome/index_fr.html">OTAN</a>, <a href="https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/le-quad-une-autre-alliance-ravivee-pour-contrer-la-chine-1349475">Japon</a>, <a href="http://cecrilouvain.be/wp-content/uploads/2018/01/25-note-danalyse-etats-unis-australie.pdf">Australie</a>, etc.) ; une industrie de défense capable de produire l’ensemble du spectre des équipements au plus haut niveau de la technologie disponible et dont les entreprises sont classées <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/12/09/les-etats-unis-poursuivent-leur-domination-mondiale-dans-la-production-d-armes_6022134_3210.html">parmi les plus importantes du secteur</a>.</p>
<p>D’un point de vue économique, le marché américain est pleinement intégré, c’est-à-dire homogène d’un point de vue politique et comportant un nombre limité d’acteurs industriels <a href="https://theconversation.com/lindustrie-de-defense-en-europe-la-cooperation-ou-le-declassement-151454">(au contraire du marché européen souvent qualifié de « fragmenté »)</a>. Sa taille est suffisamment large pour que les entreprises américaines ne soient pas dépendantes des contrats d’exportation. Cela lui confère un avantage comparatif majeur, grâce aux économies d’échelle induites par la <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/ecin.12220">taille de son marché domestique</a>. La pression aux exportations est donc moins forte pour les entreprises américaines que pour les entreprises françaises.</p>
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<figcaption><span class="caption">Armement : les États-Unis dominent, les ventes d’armes augmentent, Euronews, 8 décembre 2020.</span></figcaption>
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<p>Cette situation sur le marché domestique permet aux États-Unis d’envisager les exportations d’armes comme des relations diplomatiques.</p>
<p>Il s’agit, d’une part, de garder la maîtrise des technologies de défense et de garder inchangée la hiérarchie militaire et, d’autre part, de créer les conditions d’un partenariat qui permet aux pays clients d’obtenir une forme d’assurance vis-à-vis des États-Unis.</p>
<p>Ce dernier point constitue un second avantage comparatif, en ce que la valeur accordée aux exportations d’armes bénéficie de l’« image de marque » américaine, jugée supérieure à celles des autres pays. Celle-ci peut aussi se conjuguer à des effets d’<a href="https://www.frstrategie.org/programmes/observatoire-des-conflits-futurs/nouveaux-enjeux-interoperabilite-2021">interopérabilité</a> entre les forces armées américaines et celles du pays importateur, jouant ainsi un rôle de multiplicateur de forces.</p>
<p>Du point de vue français, cette affaire soulève plusieurs problèmes : la soutenabilité d’un modèle économique de défense dépendant des exportations, associé à un marché domestique de petite taille par rapport aux États-Unis et un modèle d’armée <a href="https://www.irsem.fr/le-collimateur/innovation-et-nouvelles-technologies-militaires-22-12-2020.html">reposant sur des équipements très technologiques</a>. Mais, comme le souligne l’exemple de la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/09/28/la-grece-achete-trois-fregates-a-naval-group_6096283_3210.html">vente des frégates et des avions Rafale à la Grèce</a>, l’image de marque de la France n’est pas écornée, puisqu’au-delà des relations commerciales, un <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/09/28/la-grece-achete-trois-fregates-a-naval-group_6096283_3210.html">accord de défense ambitieux a été signé</a>. Cela montre que, tout comme les États-Unis, et malgré le camouflet qu’a constitué pour elle le revirement de Canberra, la France reste capable de construire des partenariats durables.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/170390/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Malizard travaille pour la Chaire Economie de défense de l'IHEDN comme titulaire adjoint ; il est par ailleurs chercheur associé au GREThA (Université de Bordeaux, UMR 5113). Il a reçu des financements de la Direction générale de l'armement (DGA) durant sa thèse. Il est membre du conseil d'administration de l'association pour les études sur la guerre et la stratégie (AEGES).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Josselin Droff est chercheur à la Chaire économie de défense de l'IHEDN. Il est par ailleurs chercheur associé au GREThA (Université de Bordeaux, UMR 5113). Il a reçu des financements de la DGA pour sa thèse de doctorat entre 2009 et 2012. Il a reçu le prix de thèse du Ministère des armées en 2015 pour sa thèse de doctorat en sciences économiques.</span></em></p>La rupture par l’Australie du contrat français au profit d’AUKUS témoigne du modèle d’exportation d’armes américain : à l’inverse de la France, les É.-U. ne sont pas dépendants de leurs ventes.Julien Malizard, Chercheur associé au GREThA (UMR 5113), Université de BordeauxJosselin Droff, Chercheur associé au GREThA (UMR 5113), Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1682952021-10-03T17:01:57Z2021-10-03T17:01:57ZArmes autonomes et soldats augmentés : quel impact sur les valeurs des armées ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/422392/original/file-20210921-21-1a8f1kb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1440%2C1017&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Testé durant la guerre civile syrienne, le drone terrestre Uran-9&nbsp;sera le cœur des unités de combat robotiques russes nouvellement créées. Bardé d’armements et de capteurs, il est destiné à prendre la place des hommes sur le champ de bataille.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Ministère de la Défense de la Fédération de Russie</span></span></figcaption></figure><p>La Russie vient d’annoncer la <a href="https://jamestown.org/program/moscow-forming-first-robotic-military-units/">création d’une nouvelle unité de combat robotique</a> constituée de véhicules terrestres sans pilote Uran-9 qui, testés au combat en Syrie, ont affiché des <a href="https://www.businessinsider.fr/us/russias-uran-9-robot-tank-performed-horribly-in-syria-2018-7">résultats mitigés</a>. Par ailleurs, une version expérimentale, également sans pilote, du char T-14 Armata est en cours de développement ainsi que de <a href="https://airrecognition.com/index.php/archive-world-worldwide-news-air-force-aviation-aerospace-air-military-defence-industry/global-defense-security-news/2019-news-aerospace-industry-air-force/october/5544-altius-and-okhotnik-drones-to-enter-state-aviation-register.html">nouveaux drones à longue portée dénommés Okhotnik et Altius</a>.</p>
<p>Ces avancées sur les <a href="https://www.dems.defense.gouv.fr/cdem/productions/biblioveilles/systemes-darmes-letales-autonomes-sala">systèmes d’armes létales autonomes (SALA)</a> ont une forte charge de projection de puissance à l’international mais leur déploiement dans des unités de combat reste encore exceptionnel. Cependant, ces évolutions constituent l’avant-garde d’autres projets qui, connus sous le nom d’<a href="https://www.penseemiliterre.fr/le-soldat-augmente-quels-enjeux-pour-l-armee-de-terre-_114473_1013077.html">« homme augmenté »</a> (ou <em>Human enhancement technologies</em>, HET), ont pour but d’accroître les capacités des combattants.</p>
<p>À ce jour, si ces systèmes ne sont pas ou peu déployés, ils soulèvent déjà nombre d’interrogations sur ce que seront les champs de bataille du futur. Ainsi, on pense facilement à des améliorations comme les <a href="https://army-technology.com/features/us-army-exoskeletons/">exosquelettes</a>, qui relevaient encore récemment de la science-fiction mais sont aujourd’hui <a href="https://forbes.com/sites/vikrammittal/2020/08/17/military-exoskeletons-science-fiction-or-science-reality/">techniquement réalisables</a>. Encore très perfectibles et sujets de nombreuses questions, ces systèmes ne font pas l’unanimité.</p>
<h2>Des questionnements pour les SALA</h2>
<p>L’enjeu des SALA est loin d’être anecdotique. En France, ce sujet a déjà fait l’objet d’un rapport d’information de <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_def/l15b3248_rapport-information">l’Assemblée nationale</a> qui précédait de quelques mois celui sur <a href="https://www.defense.gouv.fr/salle-de-presse/communiques/communique_le-comite-d-ethique-de-la-defense-publie-son-rapport-sur-l-integration-de-l-autonomie-des-systemes-d-armes-letaux">l’intégration de l’autonomie des systèmes d’armes létaux au comité d’éthique de la défense</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"622488890566438912"}"></div></p>
<p>Après que la Russie a annoncé la création de son unité de combat robotique, les États-Unis <a href="https://breakingdefense.com/2021/04/inside-russias-robot-army-rhetoric-vs-reality/">ont répliqué</a> que l’automatisation du champ de bataille exige une retenue éthique qui risquait de fait défaut à la Russie et à la Chine. Cependant, à l’instar des Occidentaux, la Russie souligne la nécessité qu’un humain conserve la maîtrise du recours à la force létale et n’envisage pas de déléguer cette décision à un quelconque système automatisé.</p>
<p>Il reste que, en dépit de ces propos rassurants, la crainte de voir la Russie changer de portage et autoriser la prise de décision hors du contrôle humain dans le temps est réelle. Cette crainte est d’autant plus forte que la nouvelle génération de drones, comme les Okhtonik et Altius, pourrait être équipée d’une IA embarquée pour la sélection, l’identification et même la destruction de cibles.</p>
<p>Une autre mutation majeure du champ de bataille, le soldat augmenté, soulève autant de questions qu’elle suscite d’inquiétudes.</p>
<h2>Et des enjeux pour les hommes augmentés</h2>
<p>Les soldats augmentés peuvent être <a href="https://finabel.org/the-bio-enhanced-soldier-in-international-law-classification-and-obligations/">définis</a> comme le résultat de l’amélioration artificielle des capacités humaines par le développement technologique à des fins de guerre. Si tous les projets qui augmentent les capacités humaines n’aboutiront pas, loin s’en faut, ils ne relèvent plus de la seule science-fiction et soulèvent de nombreuses interrogations.</p>
<p>L’une d’elles porte sur <a href="https://digital-commons.usnwc.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1695&context=ils">l’encadrement international de la technologie militaire</a>, à savoir le droit des conflits armés et les droits de l’homme. Il appartiendra au législateur de définir les droits de ces individus et leur responsabilité pour les actions qu’ils entreprennent munis de ces équipements.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/422388/original/file-20210921-15-1qkoaw6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/422388/original/file-20210921-15-1qkoaw6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=251&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/422388/original/file-20210921-15-1qkoaw6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=251&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/422388/original/file-20210921-15-1qkoaw6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=251&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/422388/original/file-20210921-15-1qkoaw6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=316&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/422388/original/file-20210921-15-1qkoaw6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=316&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/422388/original/file-20210921-15-1qkoaw6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=316&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Quelle est la responsabilité exacte de Bucky Barnes pour ce qu’il fait de son bras mécanique ?</span>
<span class="attribution"><span class="source">The Walt Disney Company France</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En termes de R&D, ces évolutions orienteront les activités d’une recherche qui deviendra prioritaire et devra <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1440244020307866">s’adapter en fonction des besoins et des exigences futurs</a>. Dans tous les cas, ces recherches devront être particulièrement scrutées au regard des normes de l’éthique biomédicale, notamment en ce qui concerne les expérimentations sur des sujets humains déjà visées par le <a href="https://www.inserm.fr/wp-content/uploads/2017-11/inserm-codenuremberg-tradamiel.pdf">Code de Nuremberg</a>, la <a href="https://www.cairn.info/revue-laennec-2002-1-page-44.htm">Déclaration d’Helsinki</a> ou encore la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000508831/">loi Huriet</a> en France.</p>
<p>Ces enjeux sont tout particulièrement importants alors que plusieurs pays s’engagent résolument dans cette voie : en témoignent la mise en œuvre par le Royaume-Uni de son projet <a href="https://www.gov.uk/government/publications/advanced-research-and-invention-agency-aria-statement-of-policy-intent/advanced-research-and-invention-agency-aria-policy-statement">Advanced Research and Invention Agency</a> (Aria), le <a href="https://www.defense.gouv.fr/salle-de-presse/communiques/communique_le-comite-d-ethique-de-la-defense-publie-son-avis-sur-le-soldat-augmente">récent rapport</a> du comité d’éthique sur le soldat augmenté, le <a href="https://www.darpa.mil/program/safe-genes">programme Safe Genes</a> de la <a href="https://www.darpa.mil/">Defense Advanced Research Projects Agency américaine</a> (DARPA) ou encore les suspicions qui <a href="https://www.nbcnews.com/politics/national-security/china-has-done-human-testing-create-biologically-enhanced-super-soldiers-n1249914">pèsent sur la Chine</a>, soupçonnée de procéder à des expérimentations humaines pour créer des soldats biologiquement améliorés.</p>
<p>Mais outre ces sujets de première importance, l’impact des améliorations neurales et physiques humaines est encore plus vaste : il porte également en lui des conséquences pour l’armée qui risque de devoir adapter ses valeurs et son identité à ces révolutions technologiques.</p>
<h2>L’identité de l’organisation et le corpus de valeurs</h2>
<p>En effet, les armées disposent d’une identité très affirmée, structurée autour de valeurs fortes concourant à rendre prévisible le comportement des militaires qui y adhèrent. Ces valeurs sécurisent l’organisation et facilitent l’exercice du commandement au point qu’il est possible de dire qu’il n’y aurait <a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=W9BsFQf834wC">pas de management sans valeurs</a>.</p>
<p>De même, elles facilitent pour les hommes <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1162908820300566">l’affrontement de situations extrêmes</a> (imprévisibles, évolutives et risquées). Elles leur permettent aussi de <a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=nz1RT-xskeoC&oi=fnd&pg=PR7&dq=weick">réordonner le chaos ambiant et d’améliorer leur processus de prise de décision</a>.</p>
<p>Dans le cas des armées, leur corpus de valeurs pourrait être affecté par des avancées technologiques qui donneraient naissance au soldat augmenté. En effet, il sera plus délicat de valoriser le goût de l’effort quand un exosquelette permettra de soulever de lourdes charges sans effort et sans entraînement. Dans la même logique, des configurations de combat à distance faisant appel à des SALA écorneront probablement la mythologie du héros dans sa forme actuelle puisqu’il minimiserait le risque physique et la portée de l’action héroïque réalisée par les militaires.</p>
<p>Au-delà de ces quelques exemples, ces avancées technologiques, qui progressent à une vitesse exponentielle, soulèvent de très nombreuses questions, tant éthiques que bioéthiques. En outre, elles interrogent autant les législations internes que le droit international. Enfin, il semble inévitable que ces innovations impacteront l’armée en tant que structure mais aussi dans son mode de management. De fait, le déploiement de ces technologies risque d’en fragiliser l’équilibre et de la contraindre à adapter ses pratiques managériales, comme les processus de diffusion des valeurs qui façonnent son identité et participent à sécuriser le déploiement de ses stratégies sur les théâtres d’opérations.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/168295/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christine Dugoin-Clément ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Malgré les questions éthiques, la course à l’automatisation du combat fait rage parmi les armées du monde. Mais ces nouvelles armes pourraient bien déstabiliser les systèmes de valeurs militaires.Christine Dugoin-Clément, Analyste en géopolitique, membre associé au Laboratoire de Recherche IAE Paris - Sorbonne Business School, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, chaire « normes et risques », IAE Paris – Sorbonne Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1634402021-07-06T17:22:27Z2021-07-06T17:22:27ZDes médecins militant pour la prévention de la guerre nucléaire : l’IPPNW et son double prix Nobel de la paix<p>En janvier 2021 est entré en vigueur le <a href="https://theconversation.com/vers-une-mise-au-ban-de-la-bombe-nucleaire-153995">Traité d’interdiction des armes nucléaires</a> (TIAN), une victoire pour la <a href="http://icanfrance.org/">Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires</a> (ICAN), regroupement de près de 500 associations militant pour la paix et le désarmement, fondé en 2007 à Vienne et dont l’action a été saluée par le prix Nobel de la paix en 2017.</p>
<p>Parmi ces associations, représentant plus de 100 pays, figure en bonne place <a href="https://www.ippnw.eu/fr/accueil.html">l’Association internationale des médecins pour la prévention de la guerre nucléaire</a> (IPPNW), créée en 1980, et qui a elle-même reçu le <a href="https://www.ippnw.org/about/ippnw-a-brief-history/nobel-peace-prizes">prix Nobel de la Paix en 1985</a>.</p>
<p>Pourquoi l’IPPNW et sa branche française, <a href="https://www.amfpgn.org/">l’Association des médecins français pour la prévention de la guerre nucléaire</a> (l’AMFPGN-IPPNW France), ne sont-elles pas davantage connues, et leur combat plus médiatisé ?</p>
<p>Des entretiens inédits avec des membres et avec le président de l’association permettent de braquer le projecteur sur l’action menée par cette structure.</p>
<h2>Une approche pluridisciplinaire</h2>
<p>Anne-Marie Roucayrol, médecin anatomo-pathologiste, membre du bureau de l’association, que nous avons rencontrée, s’est intéressée à la question de l’arme nucléaire de par sa spécialité, l’étude des lésions et les diagnostics de cancer :</p>
<blockquote>
<p>« C’était un choix politique pour moi d’entrer à l’association. J’ai adhéré dans les années 1980, c’était encore l’époque de la guerre froide. Dans l’association, nous nous centrons sur la prévention des conflits nucléaires. Cette notion de prévention est vraiment le mot clé car, en tant que médecins, nous savons qu’il n’y a pas de remède aux retombées radioactives d’une guerre nucléaire. Il faut donc à tout prix l’empêcher. Nous nous sommes intéressés aux enjeux géopolitiques et au face-à-face des deux Grands, et à partir des années 1990 nous avons intégré les pays émergents, avec l’idée de la pyramide de la violence, dont le sommet est la guerre nucléaire et la base est constituée par la violence sociale, dont les inégalités sociales sont l’un des principaux moteurs. L’association a travaillé dans de nombreuses directions. Nous avons étudié tous les échelons de la filière nucléaire et des causes de tensions dans le monde. »</p>
</blockquote>
<p>L’IPPNW condamne les essais nucléaires français menés sous la présidence Chirac (1995-2007) et leurs conséquences, notamment en Polynésie française, en particulier dans <a href="https://www.liberation.fr/france/2018/09/07/bombe-h-moruroa-un-silence-des-morts_1677269/">l’atoll de Mururoa</a>.</p>
<p>Anne-Marie Roucayrol ajoute : « Jacques Mongnet, qui s’occupait de la revue de notre association, et Christian Chenal ont initié un travail remarquable au Kazakhstan, sur le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Polygone_nucl%C3%A9aire_de_Semipalatinsk">polygone nucléaire de Semipalatinsk</a> », qui était l’un des principaux sites d’essais nucléaires soviétiques.</p>
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<p>L’IPPNW et sa branche française ont suscité et publié de nombreux rapports et études, en s’appuyant sur les compétences médicales de ses membres, aussi bien en radiophysique, en radiobiologie qu’en épidémiologie, ou même en matière d’aspects psychologiques. L’un de ses membres, <a href="https://maitron.fr/spip.php?article179635">Stanislas Tomkiewicz</a> (1925-2003), Juif polonais rescapé du ghetto de Varsovie et des camps de la mort, est devenu psychiatre pour adolescents et a travaillé sur les aspects psychologiques des conflits. Il a d’ailleurs eu pour compagne la fille d’une rescapée d’Hiroshima. « Ainsi, dans l’association nous étudions tous les aspects du problème, avec une dimension de militantisme pacifiste », témoigne la militante.</p>
<p>L’association fournit une expertise et des études rigoureuses sur de nombreux sujets, comme les cas de <a href="https://www.ippnw.eu/fr/accueil/artikel/5f54786b06b290bc9e9d05e14ef60598/les-cas-de-cancer-de-la-thyroide-che.html">cancers de la thyroïde chez les enfants de Fukushima</a>, les <a href="https://dailygeekshow.com/guerre-nucleaire-famine/">risques de famine liés à une guerre nucléaire</a>, ou encore les <a href="https://www.amfpgn.org/">risques d’écocide liés aux armes nucléaires</a>.</p>
<h2>Un plaidoyer difficile…</h2>
<p>Cependant, analyse A.-M. Roucayrol, « le problème de cette association, c’est que c’est un groupe d’experts, plus qu’une association de masse. » Elle apporte de l’expertise, elle vulgarise les connaissances médicales sur le nucléaire et elle s’efforce d’influencer les dirigeants politiques, ce qui est difficile étant donné que la France est une grande puissance nucléaire :</p>
<blockquote>
<p>« Notre association est reçue de temps en temps au Quai d’Orsay, et aussi à l’Élysée. Nous leur exposons nos arguments, mais les fonctionnaires du Quai d’Orsay n’en démordent pas, restent attachés à la théorie de la dissuasion, donc à la bombe. »</p>
</blockquote>
<p>Afin de s’adapter aux sensibilités de la société actuelle, l’association insiste aujourd’hui davantage sur les enjeux humanitaires et environnementaux. Elle s’efforce de faire prendre conscience à la population que la question de la bombe est d’actualité dans un contexte marqué par les risques posés par le terrorisme et la cyber-guerre.</p>
<p>L’IPPNW, qui a des branches actives dans de nombreux pays (États-Unis, Royaume-Uni, Allemagne, France, Australie, Nouvelle-Zélande, mais aussi Russie et d’autres pays issus de l’URSS, Chine, Inde, Pakistan et Japon), a permis et permet des échanges et des circulations transnationales d’idées et d’expertise par-delà les frontières, y compris par-delà le rideau de fer au début de son existence, lors de la guerre froide.</p>
<p>Cependant, aujourd’hui en France, « l’association a du mal à recruter des jeunes internes et des jeunes médecins, ces derniers se méfiant de tout embrigadement politique et étant déjà surchargés de travail ».</p>
<p>Pourtant, l’association mène des travaux scientifiques et rigoureux sur des sujets cruciaux, comme la question des dédommagements à apporter à l’Algérie pour les essais nucléaires menés par la France au Sahara.</p>
<h2>… mais couronné de plusieurs succès</h2>
<p>L’association a, depuis sa création, organisé des délégations qui se sont rendues à des commémorations à Hiroshima ; elle a été représentée au Forum social mondial ; elle a également contribué à la création du réseau international <a href="https://afcdrp.com/">« Maires pour la paix »</a>. Elle alerte sur les situations humanitaires dramatiques des migrants et réfugiés, des ouvriers sous-traitants, précaires, travaillant dans les centrales nucléaires. « Avec <a href="https://aven.org/">AVEN (l’association des vétérans des essais nucléaires)</a>, nous avons réussi à faire bouger le gouvernement français », se félicite Anne-Marie Roucayrol, en particulier en matière de reconnaissance des dégâts causés par les essais nucléaires français au Sahara et dans le Pacifique. L’association fait connaître le fait que « même une faible dose d’irradiation a des effets toxiques, c’est l’effet micro-dose, avec la notion d’exposome, qui modifie l’ADN ; ainsi, plusieurs facteurs se potentialisent. »</p>
<p>Nous avons également rencontré <a href="https://maitron.fr/spip.php?article212146">Abraham Béhar</a>, le président de l’AMFPGN, et ancien co-président de l’IPPNW. Ancien médecin nucléaire, il a dirigé un laboratoire de radiobiologie et a beaucoup travaillé sur les essais nucléaires français dans l’atoll de Mururoa, montrant que les normes de radioprotection n’étaient pas appliquées et que les essais dégradaient le corail, et appelant donc à un moratoire sur les essais nucléaires :</p>
<blockquote>
<p>« Cet engagement était dangereux pour ma carrière. Le Quai d’Orsay a demandé à mon patron de me mettre à la porte, il y a eu toute une coalition pour m’empêcher d’être nommé médecin des hôpitaux, j’ai fini par l’être mais j’ai perdu dix ans. […]. Avec d’autres collègues de l’association, nous avons effectué une mission à Mururoa en 1990. Nous savions depuis 1981 qu’à la suite d’un tsunami, deux kilogrammes de plutonium avaient été répandus sur l’atoll. Il y a eu des hurlements du CEA pour dire que c’était un mensonge éhonté. Quand nous avons été sur place avec notre équipe envoyée par Michel Rocard, les militaires ont voulu nous montrer combien ils avaient bien travaillé pour colmater les taches radioactives du plutonium. »</p>
</blockquote>
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<p>C’est une victoire de l’association d’avoir obtenu le <a href="https://www.liberation.fr/france/2021/01/27/c-etait-un-27-janvier-le-dernier-essai-nucleaire-francais_1818583/">moratoire sur les essais nucléaires</a> décrété par le président Mitterrand en avril 1992.</p>
<p>Abraham Behar a mené des enquêtes médicales en Polynésie, à Tahiti et à Mururoa :</p>
<blockquote>
<p>« Notre association a placé le problème sur le plan de la santé publique, c’est notre spécificité, alors que d’autres organisations l’ont mis sur le plan politique, ou environnemental. Il y avait alors le débat sur les faibles doses : les gens pensaient qu’une faible dose de radioactivité était inoffensive, or nous avons montré que même une faible dose est nocive. Nous avons montré les effets délétères sur les 15 000 hommes de Polynésie qui avaient été recrutés par le gouvernement français, déracinés de leur atoll, pour travailler aux essais nucléaires : ils se sont retrouvés dans les bidonvilles de Tahiti où leurs conditions de vie et de santé se sont dramatiquement dégradées. »</p>
</blockquote>
<p>Il a également eu une action internationale :</p>
<blockquote>
<p>« Au titre de l’IPPNW, j’étais envoyé à l’étranger pour plaider en faveur du désarmement nucléaire. Dans ce cadre, je me suis rendu plusieurs fois en Chine, en Inde, au Pakistan, ainsi qu’en Russie, et dans ces différents endroits nous avons essayé de plaider au sommet, on s’est vite rendu compte que ça ne servait à rien du tout, on était très bien reçus, j’ai été invité à dîner avec des ministres, mais cela ne changeait rien, on s’est aperçus que la bataille était autour de l’opinion publique. »</p>
</blockquote>
<p>Abraham Behar a par ailleurs enquêté sur l’arme nucléaire israélienne ainsi que sur les effets secondaires des bombardements sur les populations civiles lors de la guerre du Vietnam, dans le cadre du <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve/730">Tribunal Russell sur les crimes de guerre au Vietnam</a>, ce qui l’a amené ensuite à fonder l’Association médicale franco-vietnamienne.</p>
<h2>La campagne « No First Use »</h2>
<p>Au fil des années, les pays non nucléaires se sont de plus en plus affirmés au sein de l’IPPNW et sur la scène internationale. C’est de ces pays émergents, et en particulier d’Australie, qu’est venue l’idée du TIAN.</p>
<p>Cependant, aucun pays de l’OTAN n’a signé le TIAN. Ainsi, « actuellement, le TIAN, bien qu’entré en vigueur, marque le pas », selon Abraham Behar :</p>
<blockquote>
<p>« Il y a un grand danger avec le réarmement accéléré auquel se livrent des pays comme la France, le Royaume-Uni, les États-Unis, la Russie, la Chine, l’Inde et le Pakistan. Profitant du fait que l’opinion publique est occupée par la pandémie, ils avancent leurs pions de façon énorme. »</p>
</blockquote>
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<p>C’est pourquoi, face à ce danger, l’IPPNW a déclenché une nouvelle campagne en Europe : celle du « No First Use » (« Non-recours en premier aux armes nucléaires »). « Cela permettrait de supprimer la logique de la dissuasion qui est basée sur le principe de la menace du <em>first use</em> », explique Abraham Behar.</p>
<p>« Cette bataille du <em>no first use</em> est importante, elle arrive à un moment opportun ; si cela marche, la France sera obligée de suivre. La campagne a en partie porté ses fruits : le communiqué final de l’entrevue Biden/Poutine fait allusion, de manière alambiquée, à cette question – un premier pas, donc, vers cet objectif. »</p>
<p>Les deux dirigeants ont en effet ébauché <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/06/16/entre-joe-biden-et-vladimir-poutine-des-retrouvailles-sous-le-signe-de-la-defiance_6084308_3210.html">l’amorce d’un nouveau système de sécurité collective et de contrôle des armements</a> entre les États-Unis et la Russie, après l’abandon ces dernières années de plusieurs traités de désarmement entre ces deux pays.</p>
<p>La question de l’arme nucléaire est plus que jamais d’actualité aujourd’hui : la pandémie de 2020-2021 ayant accaparé l’attention médiatique, les puissances nucléaires en ont profité pour augmenter leurs dépenses d’armement sans que cela n’attire l’attention des populations, si bien qu’aujourd’hui, avec <a href="https://passes-composes.com/book/285">près de 1 800 milliards de dollars</a>, la dépense militaire mondiale a atteint son maximum depuis la fin de la guerre froide. Les États-Unis sont toujours en tête des dépenses militaires mondiales, suivis de la Chine, puis de l’Arabie saoudite, puis de la Russie.</p>
<p>Malgré l’entrée en vigueur du TIAN en janvier 2021, et la remise du prix Nobel de la paix à l’ICAN en 2017, la prolifération nucléaire continue. Il est donc crucial d’accorder de l’importance à l’action salutaire menée par ces associations et par les pays non nucléaires qui ont signé le TIAN.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/163440/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Chloé Maurel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’Association internationale des médecins pour la prévention de la guerre nucléaire multiplie les actions de plaidoyer depuis sa création en 1980. Malgré des succès, la route est encore longue.Chloé Maurel, SIRICE (Université Paris 1/Paris IV), Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1535812021-02-14T17:08:11Z2021-02-14T17:08:11ZQuels principes juridiques pour les systèmes d’armes létales autonomes ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/383352/original/file-20210209-19-149i6vv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=12%2C0%2C1183%2C673&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/121186423@N04/50744495887/in/photolist-2kj7NHv-BP39hB-EZ5vvA-8XgBHy-Ur3foH-sQcbEn-Cm4Y6C-BP34o8-cBz2WN-6dx5jk-4ggAqq-acQsYj-qYGQAp-bPbLci-EzgjQJ-ETcr1k-E51kaP-F2opLF-5LpzsN-acQtdS-81nC9q-sAD9w-5ds2eg-SLjLx3-9f5wkd-EHyc8-6Mqm6Z-4SHsu-EHyaT-Axz8d1-4wCQ8-7Md2Kg-24x5xkU-5anMwx-byEEu7-81nCb3-5wUMRB-23zPqYa-Vx52HM-4zRaKm-bxTegR-23Kj9Ck-9bQuaF-2gYyPZk-6H5wwY-Qiohaj-abMtfa-7bxtC-85uGQC-9vwN7s">Flickr/Clodius-22</a></span></figcaption></figure><p>L’intelligence artificielle (IA) est intrinsèquement à double usage (civil et militaire), de même que les systèmes informatiques. Une réglementation efficace en la matière devrait faire en sorte que l’IA utilisée par le secteur de la défense soit responsable, équitable, traçable, fiable et gouvernable. Or, malgré l’évidence des risques liés aux SALA (systèmes d’armes létales autonomes), celles-ci ne font à ce jour l’objet d’aucune réglementation internationale ad hoc.</p>
<p>Dans quelle mesure les règles du droit international (tant public que privé) et du droit de l’Union européenne sont-elles adaptées à l’essor de ces technologies ? Le <a href="https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/A-9-2021-0001_FR.html">rapport</a> que le Parlement européen a adopté le mercredi 20 janvier cherche à répondre à cette interrogation.</p>
<h2>Autorité de l’État : souveraineté numérique, résilience stratégique et militaire</h2>
<p>Le rapport observe en filigrane que les États membres doivent agir avec efficacité pour réduire leur dépendance à l’égard des données étrangères et veiller à ce que :</p>
<blockquote>
<p>« la détention, par de puissants groupes privés, des technologies les plus élaborées en matière d’IA n’aboutisse pas à contester l’autorité de la puissance publique et encore moins à lui substituer des entités privées, en particulier lorsque le propriétaire de ces groupes privés est un pays tiers. »</p>
</blockquote>
<p>Or l’écosystème mondial de l’IA est, précisément, dominé par les géants du numérique américains (GAFAM) et chinois (BATX : Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi). Ces entreprises s’engagent <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/intelligence-artificielle-peut-on-se-passer-des-gafam-1138142">avec d’énormes moyens</a> dans la bataille de l’IA, telles des nations souveraines. Elles développent pour cela des <a href="https://www.forbes.fr/technologie/gafam-et-industrie-4-0-la-discrete-strategie-de-conquete/">technologies</a> qu’utilisent volontiers les grandes puissances, engagées dans une « course à l’armement numérique ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1356905808236335105"}"></div></p>
<p>Si la résilience stratégique implique de ne jamais être pris au dépourvu, notamment en temps de crise, l’IA n’est pas une « simple » révolution technologique source de « destruction créatrice », selon <a href="https://www.economie.gouv.fr/facileco/joseph-schumpeter">l’expression de Schumpeter</a>. Appliquée au domaine militaire, elle représente un outil stratégique dans un contexte où les acteurs, s’ils n’en sont pas au stade de la confrontation, ne s’engagent pas encore suffisamment sur le terrain de la coopération.</p>
<p>Concernant les SALA, les principes généraux du droit international humanitaire créent un véritable hiatus souligné par le rapport puisque seuls les êtres humains sont dotés de capacités de jugement. Le Sénat français <a href="https://www.senat.fr/rap/r19-642/r19-6427.html">remarque</a> justement que :</p>
<blockquote>
<p>« les SALA permettraient en effet d’éliminer les barrières psychologiques à l’utilisation de la force létale, ce qui n’est pas le cas pour les drones qui restent pilotés par un être humain (d’où le syndrome post-traumatique parfois observé chez des pilotes de drones). »</p>
</blockquote>
<p>Les principaux États-nations militaires développent des SALA à un rythme rapide car ils ont un intérêt propre à créer les capacités offensives les plus efficaces, indépendamment du cadre juridique. Les États-Unis développent le <a href="https://www.mer-ocean.com/sea-hunter-premier-navire-autonome-pour-chasser-les-sous-marins-ennemis/"><em>Sea Hunter</em></a>, navire autonome transocéanique de 60 mètres, dédié à la lutte anti-sous-marine et capable de naviguer dans les eaux internationales en s’adaptant sans intervention humaine aux règles de navigation en vigueur. La Russie, elle, mise avant tout sur la robotisation. Elle a développé un petit char capable de suivre un soldat et de tirer vers la même cible.</p>
<p>Demain, un État ne pourrait-il pas répondre par une guerre conventionnelle à une cyberattaque ? Il est donc plus que nécessaire d’examiner l’incidence que peut avoir l’IA, en tant que facteur stratégique, sur la politique de sécurité et de défense commune de l’Union européenne.</p>
<h2>Les risques éthiques des systèmes d’armes létales autonomes</h2>
<p>Les principes juridiques de précaution, de distinction, d’intégrité territoriale, de non-intervention et de recours à la force issus du droit de la guerre restent pertinents face à une technologie innovante car le principe de nouveauté ne peut être invoqué en soutien à une quelconque dérogation quant au respect des <a href="https://www.icj-cij.org/fr/affaire/95">normes actuelles</a> du droit international humanitaire.</p>
<p>Or, le droit relatif à l’emploi de la force, tel que consacré par la Charte des Nations unies (abstention du recours à la menace ou à l’emploi de la force dans les relations internationales), et le droit applicable dans les conflits armés reposent notamment sur deux principes cardinaux auxquels les SALA restent soumis :</p>
<ul>
<li><p>La distinction entre combattants et non-combattants (les États ne doivent jamais prendre pour cible des civils, ni en conséquence utiliser des armes qui sont dans l’incapacité de distinguer entre cibles civiles et cibles militaires) ;</p></li>
<li><p>La <a href="https://www.icrc.org/fr/doc/resources/documents/misc/5fzgrl.htm">clause de Martens</a>, selon laquelle les personnes civiles et les combattants restent sous la sauvegarde et sous l’empire des principes du droit des gens, tels qu’ils résultent des usages établis, des principes de l’humanité et des exigences de la conscience publique.</p></li>
</ul>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/383339/original/file-20210209-21-ota5uv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/383339/original/file-20210209-21-ota5uv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/383339/original/file-20210209-21-ota5uv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/383339/original/file-20210209-21-ota5uv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/383339/original/file-20210209-21-ota5uv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/383339/original/file-20210209-21-ota5uv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/383339/original/file-20210209-21-ota5uv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les technologies doivent être utilisées au bénéfice de l’humanité.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/fr-fr/photo/personne-tenant-un-outil-a-main-noir-et-argent-6153343/">Cottonbro/Pexels</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le Parlement européen souhaite donc que les SALA ne soient utilisés que dans des cas précis et selon des procédures d’autorisation fixées à l’avance de façon détaillée dans des textes dont l’État concerné (qu’il soit membre ou non de l’OTAN) assure l’accessibilité au public, ou au moins à son Parlement national.</p>
<p>En 2018, le secrétaire général de l’ONU et le Parlement européen avaient appelé à <a href="https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-8-2018-0341_FR.html">l’interdiction</a> de la mise au point, de la production et de l’utilisation de SALA « avant qu’il ne soit trop tard ».</p>
<p>Pour que les technologies soient centrées sur l’humain, elles doivent être utilisées au bénéfice de l’humanité et du bien commun, et avoir pour but de contribuer au bien-être et à l’intérêt général de leurs citoyens.</p>
<p>De plus, une personne doit avoir la possibilité de corriger, d’interrompre ou de désactiver une technologie fondée sur l’IA en cas de comportement imprévu, d’intervention accidentelle, de cyberattaques et d’ingérence de tiers. Cela implique que toute décision prise par un être humain qui s’appuierait exclusivement sur des données et des recommandations générées par des machines est à proscrire.</p>
<p>Ce principe est à intégrer dès la conception des systèmes d’IA et devrait également s’intégrer via des lignes directrices sur la supervision et la surveillance humaines. C’est ce qui explique la <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-monde-est-a-nous/le-parlement-europeen-legifere-pour-la-premiere-fois-sur-l-intelligence-artificielle_4132967.html">position</a> du Parlement européen :</p>
<blockquote>
<p>« Les systèmes totalement soustraits à un contrôle humain (<em>human off the loop</em>) et à une surveillance humaine doivent être interdits sans aucune exception et en toutes circonstances. »</p>
</blockquote>
<h2>Réglementer pour anticiper les évolutions technologiques</h2>
<p>Le Parlement européen constate que les <a href="https://www.justice-ia.com/files/sites/181/2019/10/EthicsguidelinesfortrustworthyAI-FRpdf.pdf">lignes directrices sur l’éthique</a> du groupe d’experts de haut niveau ne sont pas suffisantes pour garantir que les entreprises agissent loyalement et assurent la protection effective des individus, et que le <a href="https://ec.europa.eu/info/sites/info/files/commission-white-paper-artificial-intelligence-feb2020_fr.pdf">Livre blanc de la Commission européenne sur l’IA</a> ne tient pas compte des aspects militaires de l’utilisation de l’intelligence artificielle.</p>
<p>Suite à <a href="https://undocs.org/fr/A/RES/73/266">l’adoption</a> par l’Assemblée générale de l’ONU de sa résolution « Favoriser le comportement responsable des États dans le cyberespace dans le contexte de la sécurité internationale », deux groupes ont été formés pour guider les pourparlers :</p>
<ul>
<li><p>Le Groupe d’experts gouvernementaux chargés d’examiner les moyens de favoriser le <a href="https://www.un.org/disarmament/fr/informatique-et-telematique/">comportement responsable</a> des États dans le cyberespace dans le contexte de la sécurité internationale (GEG), M. Guilherme de Aguiar Patriota (Brésil),</p></li>
<li><p>Le Groupe de travail à composition non limitée sur les <a href="https://www.un.org/disarmament/open-ended-working-group/">progrès de l’informatique et des télécommunications</a> dans le contexte de la sécurité internationale.</p></li>
</ul>
<p>Le premier rassemble des experts gouvernementaux des Nations unies des hautes parties contractantes (États) à la [Convention sur certaines armes classiques</p>
<p>(CCAC)](https://www.un.org/disarmament/fr/le-desarmement-a-geneve/convention-sur-certaines-armes-classiques/), et le second tous les États membres de l’ONU qui peuvent auditionner des représentants de l’industrie, des ONG et des membres académiques.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1233295771912540160"}"></div></p>
<p>L’UE, dans son ensemble, n’a accepté que récemment de discuter des implications de l’évolution de l’IA et de la numérisation dans le secteur de la défense. Aujourd’hui, le Parlement européen estime que l’Union doit aider les États membres à harmoniser leur stratégie en matière d’IA militaire. Le Parlement appelle également à faire progresser les travaux d’élaboration d’un nouveau cadre normatif mondial vers un instrument juridiquement contraignant axé sur les définitions, les concepts et les caractéristiques des technologies émergentes relevant des SALA. Ces principes sont bien connus des opérateurs d’IA du secteur civil :</p>
<ul>
<li><p>Loyauté, transparence, équité, gouvernabilité précaution ;</p></li>
<li><p>Responsabilité et imputabilité ;</p></li>
<li><p>Obligation de rendre des comptes, explicabilité et traçabilité.</p></li>
</ul>
<p>L’explicabilité vise ici à déterminer si, et dans quelle mesure, l’État, en tant que sujet de droit international et autorité souveraine, peut agir avec l’aide de systèmes d’IA dotés d’une certaine autonomie sans enfreindre les obligations découlant du droit international. Elle permet de vérifier par quel procédé les technologies d’IA à haut risque parviennent à des décisions, notamment en ce qui concerne les fonctions critiques telles que la sélection et l’engagement d’un objectif et le degré d’interaction nécessaire entre l’humain et la machine, y compris la notion de contrôle et de jugement humains. Cela nécessitera une formation appropriée des personnels civil et militaire (professions réglementées, activités liées à l’exercice de l’autorité de l’État, comme l’administration de la justice) afin de leur permettre de déceler avec précision les discriminations et les partis pris dans les ensembles de données et de les éviter.</p>
<p>Sur la responsabilité, le Parlement recommande que l’identité de la personne responsable de la décision de l’IA puisse être établie et retient la responsabilité des États membres, des parties à un conflit et des individus quant aux actions et effets prévisibles, accidentels ou indésirables des systèmes fondés sur l’IA.</p>
<p>Un contrôle <em>ex ante</em>, miroir de l’étude d’impact, permettrait dès la conception et à tout moment, lors des phases de développement, d’essai, de déploiement et d’utilisation de systèmes fondés sur l’IA, d’identifier les risques potentiels, notamment celui de victimes collatérales parmi la population civile, de pertes accidentelles de vies humaines et de dommages aux infrastructures.</p>
<p>Un contrôle <em>ex post</em> soutenu par des systèmes de certification et de surveillance rigoureux, ainsi que par des mécanismes clairs d’audit et des tests de résistance spécifiques visera à faciliter et à assurer le respect de cette conformité. Ces audits devraient être effectués périodiquement par une autorité indépendante qui superviserait les applications d’IA à haut risque utilisées par les pouvoirs publics ou les autorités militaires.</p>
<h2>Réglementation ou prolifération des SALA ?</h2>
<p>L’examen du droit international conventionnel ne contient pas d’interdiction de recourir aux SALA. Si l’on examine le droit international coutumier, on constate que les membres de la communauté internationale sont profondément divisés sur le point de savoir si le non-recours aux SALA constitue l’expression d’une <em>opinio juris</em> (conscience d’être lié par une obligation juridique, conviction que l’on doit adopter, un comportement donné).</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ryjRGWoZPhQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Robots tueurs : faut-il les interdire ?</span></figcaption>
</figure>
<p>L’apparition, en tant que <em>lex lata</em> (loi qui existe), d’une règle coutumière prohibant spécifiquement l’emploi des SALA se heure aux tensions qui subsistent entre 28 États qui sont en faveur d’un instrument juridiquement contraignant interdisant les armes totalement autonomes (Autriche, Brésil, Chili). En 2018, lors de la <a href="https://www.un.org/disarmament/fr/le-desarmement-a-geneve/convention-sur-certaines-armes-classiques/">réunion</a> annuelle des États parties à la Convention sur certaines armes classiques, une minorité d’États a utilisé les règles résultant du consensus pour bloquer toute progression sur ce terrain. La Corée du Sud, Israël, les États-Unis et la Russie se sont déclarés contre la négociation d’un nouveau traité, alors que la <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/securite-desarmement-et-non-proliferation/desarmement-et-non-proliferation/systemes-d-armes-letales-autonomes-quelle-est-l-action-de-la-france/">France</a> envisage davantage un code de conduite qu’un traité d’interdiction.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1308849154194579456"}"></div></p>
<p>L’Assemblée générale de l’ONU a <a href="https://undocs.org/fr/A/RES/73/266">adopté</a> en décembre 2018 une résolution intitulée « Favoriser le comportement responsable des États dans le cyberespace dans le contexte de la sécurité internationale ». En novembre 2020, elle a adopté <a href="https://www.un.org/ga/search/view_doc.asp?symbol=A/C.1/75/L.4&referer=/&Lang=F">quinze projets</a> de résolutions, dont deux concurrents, portant sur la sécurisation du cyberespace : l’un américain, appuyé par les pays de l’UE notamment, l’autre russe, qui prévoit la <a href="https://www.un.org/ga/search/view_doc.asp?symbol=A/C.1/75/L.8/rev.1&referer=/&Lang=F">création</a> d’un autre groupe de travail pour remplacer ceux existant dès 2021. Au nom de l’Union européenne, la représentante de l’Allemagne a expliqué qu’elle <a href="https://www.un.org/press/fr/2020/agdsi3659.doc.htm">s’opposerait</a> au projet de résolution russe qui va à l’encontre de la résolution A/73/27 puisque les travaux sont en <a href="https://www.un.org/ga/search/view_doc.asp?symbol=A/C.1/75/L.60&Lang=F">cours</a> et non finalisés.</p>
<p>Le prochain cycle de négociations aura lieu en mars prochain.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/153581/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nathalie Devillier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La réalité a dépassé la science-fiction. Les robots « tueurs » sont dans les rangs de notre armée et de celles d’autres États. Il semble urgent de réglementer l’utilisation de ces engins autonomes.Nathalie Devillier, Professeur de droit, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1539952021-02-08T20:14:21Z2021-02-08T20:14:21ZVers une mise au ban de la bombe nucléaire ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/382633/original/file-20210204-24-1ewomqh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=36%2C14%2C4852%2C2975&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Neuf pays possèdent aujourd'hui l'arme nucléaire. Aucun d'entre eux n'a ratifié le Traité l'interdisant, qui vient d'entrer en vigueur.</span> <span class="attribution"><span class="source">Razvan Ionut Dragomirescu/shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Le 22 janvier 2021 est entré en vigueur le <a href="https://treaties.un.org/Pages/ViewDetails.aspx?src=TREATY&mtdsg_no=XXVI-9&chapter=26&clang=_fr">Traité sur l’interdiction des armes nucléaires</a> (TIAN), élaboré sous l’égide de l’ONU. Ce nouveau traité vise à interdire purement et simplement les armes nucléaires dans le monde. Il a donc une optique différente et plus radicale que le <a href="https://www.un.org/fr/conf/npt/2015/pdf/text%20of%20the%20treaty_fr.pdf">Traité de non-prolifération</a> (TNP) de 1968. Son entrée en vigueur a été permise par la ratification d’un minimum de 50 États (51 l’ont ratifié).</p>
<p>Est-ce à dire que les armes nucléaires vont disparaître ? Non, car aucune des neuf puissances nucléaires (États-Unis, Russie, Royaume-Uni, France, Chine, Inde, Pakistan, Corée du Nord, Israël) ne l’a ratifié pour l’instant. Sa portée est donc essentiellement symbolique. Mais le TIAN – obtenu grâce à l’implication de nombreuses ONG et associations de la société civile, comme l’ICAN (<a href="https://www.icanw.org/leaders_voice_support_for_nuclear_ban_treaty">Campagne pour l’interdiction des armes nucléaires</a>, un groupement d’associations comprenant notamment <a href="https://pugwash.org/">Pugwash</a> et le <a href="http://www.mvtpaix.org/">Mouvement de la Paix</a>, et qui a obtenu le prix Nobel de la paix en 2017) et le <a href="https://www.icrc.org/fr">Comité international de la Croix-Rouge</a> (CICR) – représente tout de même un grand pas en avant.</p>
<h2>Satisfaction des abolitionnistes</h2>
<p>Le traité a été progressivement élaboré au cours de trois grandes conférences intergouvernementales en 2013 et 2014 sur « l’impact humanitaire des armes nucléaires », en Norvège, au Mexique et en Autriche, conférences auxquelles de nombreuses ONG pacifistes ont été associées.</p>
<p>Dominique Lalanne, physicien nucléaire, membre du conseil d’administration de Pugwash France, et du collectif « Abolition des armes nucléaires », a été associé à l’élaboration du TIAN. Il rappelle qu’à l’origine, l’idée du TIAN a été lancée par des médecins, en particulier par l’<a href="https://www.ippnw.eu/fr/accueil.html">Association internationale des médecins pour la prévention de la guerre nucléaire</a> (lIPPNW) :</p>
<blockquote>
<p>« Les médecins ont mis l’accent sur les conséquences dramatiques pour la santé humaine de l’explosion d’armes nucléaires, ils ont insisté sur le fait que ce serait catastrophique sur le plan humanitaire. Ils ont lancé l’idée d’un traité légalement contraignant, qui irait plus loin que le TNP de 1968. En effet le TNP induit une inégalité entre pays nucléaires et pays non nucléaires. »</p>
</blockquote>
<p>Dominique Lalanne insiste sur l’atmosphère « enthousiasmante » lors de l’élaboration du TIAN à l’ONU :</p>
<blockquote>
<p>« C’était très enthousiasmant car les associations ont eu le même droit de parole que les ambassadeurs des États, c’était une dynamique extraordinaire ; ainsi, le TIAN reflète à la fois la position des États et celle des peuples eux-mêmes, dans l’esprit de la Charte de l’ONU de 1945 qui commence par “Nous, les peuples”. Cela a été une grande victoire pour les peuples. Cette élaboration a été très différente de celle des autres traités onusiens comme le TNP, c’était plus démocratique. »</p>
</blockquote>
<p>Pour Dominique Lalanne, même si le TIAN n’est pas ratifié par les puissances nucléaires, et si aucun pays nucléaire ne va adhérer au TIAN dans les prochaines années, « le TIAN va populariser l’idée que les armes nucléaires sont illégales, il stigmatise l’arme nucléaire, et va donc faire évoluer les mentalités. »</p>
<p>Édith Boulanger, membre du Bureau national du Mouvement de la Paix, confirme cette analyse : elle relate que la conférence d’élaboration du TIAN à laquelle elle a participé à New York s’est tenue dans « une ambiance extraordinaire » et affirme que le TIAN va exercer une « pression morale » sur les puissances nucléaires.</p>
<p>Cette opinion est partagée par Annick Suzor-Weiner, physicienne, professeure émérite, vice-présidente de Pugwash-France :</p>
<blockquote>
<p>« L’ONU a vraiment joué le jeu et fait participer la société civile à l’élaboration du TIAN. Il m’a semblé, quand j’étais à New York en juillet 2017, que les Hibakusha de Hiroshima et Nagasaki jouaient un rôle important, mis en avant par l’ICAN. D’ailleurs, une Hibakusha était à Stockholm pour la remise du prix Nobel de la Paix à l’ICAN en 2017. »</p>
</blockquote>
<p>Les <a href="https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2015/08/05/hiroshima-le-combat-des-hibakusha-contre-l-oubli_4712659_3216.html">Hibakusha</a> sont les survivants japonais irradiés, victimes des bombes atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki. Ils sont engagés depuis longtemps en faveur du désarmement nucléaire et exercent une pression morale importante pour condamner l’usage de la bombe.</p>
<h2>L’abolition, une exigence aussi ancienne que l’arme nucléaire</h2>
<p>De fait, le <a href="https://www.un.org/disarmament/wp-content/uploads/2017/10/tpnw-info-kit-v2.pdf">préambule du TIAN</a> évoque la souffrance des Hibakusha et des victimes des essais nucléaires, déplore la « lenteur du désarmement nucléaire et l’importance que continuent de prendre les armes nucléaires dans les doctrines militaires » et appelle au respect du droit international existant : la Charte de l’ONU, le droit international humanitaire, le TNP – qualifié de « pierre angulaire du régime de non-prolifération et de désarmement nucléaires », ainsi que le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE). Le préambule souligne que tout emploi d’armes nucléaires serait contraire aux règles du droit international, et serait inadmissible par rapport aux principes de l’humanité. Il conclut en insistant sur « le rôle de la conscience publique dans l’avancement des principes de l’humanité »,</p>
<p>Annick Suzor-Weiner souligne la continuité entre le TNP et le TIAN : en effet, « l’article 6 du TNP fait – depuis un demi-siècle – obligation de négocier en vue de “la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée” et d’un “traité de désarmement général et complet” ! C’est devant le non-respect prolongé de cet article que la pression s’est organisée dans la société civile. » Selon elle, le progrès, avec l’entrée en vigueur du TIAN, « est surtout de remettre la question bien en vue, et d’instituer une sorte de “norme” morale qui fera pression sur les états détenteurs, via leur opinion publique et les pays exposés. La période de menaces multiformes (pandémies, changement climatique) est propice à : 1. éliminer un danger qui est entre nos mains (ou sous nos doigts pour neuf chefs d’État !) ; 2. économiser des milliards dont on a bien besoin ailleurs. »</p>
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<p>Ghislaine Doucet, conseillère juridique principale au CICR, analyse pour sa part :</p>
<blockquote>
<p>« Au CICR, on n’a pas attendu le XXI<sup>e</sup> siècle pour dire qu’il faut renoncer aux armes nucléaires : dès 1945, on avait déjà des délégués du CICR à Hiroshima, et un délégué, Fritz Bilfinger, avait envoyé un télégramme pour attirer l’attention de la communauté mondiale sur la gravité de l’arme atomique. Et en septembre 1945, le Dr Marcel Junot, chef de la délégation du CICR au Japon, avait adressé une circulaire à toutes les sociétés nationales de la Croix-Rouge sur les dangers de l’arme atomique. En 1946, la Conférence des sociétés nationales de la Croix-Rouge avait recommandé l’interdiction de l’emploi de l’arme atomique pour des buts de guerre. »</p>
</blockquote>
<p>Elle rappelle le rôle clé du CICR dans la lutte contre la bombe nucléaire : « Lors de la préparation du TIAN, le CICR s’est prononcé pour, car les soignants, les aidants ne peuvent pas intervenir pour venir en aide aux populations en cas d’attaque nucléaire. Le CICR a toujours mis en avant les considérations humanitaires. Au CICR, on a fait valoir qu’en cas d’explosion d’une bombe nucléaire, on ne peut pas envoyer de soignants, de travailleurs humanitaires. »</p>
<h2>La lente évolution des consciences</h2>
<p>La France, puissance nucléaire depuis 1960, considère officiellement que le TIAN est « un <a href="https://www.vie-publique.fr/en-bref/276902-traite-sur-linterdiction-des-armes-nucleaires-entre-en-vigueur-en-2021">texte inadapté au contexte sécuritaire international</a> marqué par la résurgence des menaces d’emploi de la force » ; qu’il s’adresse exclusivement aux démocraties occidentales et « ne servira donc pas la cause du désarmement, puisqu’aucun État disposant de l’arme nucléaire ne le signera » ; et qu’il « fragilise une approche réaliste d’un désarmement s’effectuant étape par étape ». </p>
<p>Le ministre des Affaires étrangères français, Jean‑Yves Le Drian, a fait valoir en avril 2019 devant le Conseil de sécurité de l’ONU que « <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/271272-jean-yves-le-drian-1042019-respect-du-droit-international-humanitaire">l’interdiction des armes nucléaires, alors que le désarmement ne se décrète pas ; n’est pas une approche réaliste</a>, seule une démarche progressive par étapes pouvant selon lui permettre d’atteindre cet objectif. Les États-Unis n’ont pas réagi officiellement suite à l’entrée en vigueur du TIAN, mais à New York, des <a href="https://www.npr.org/2021/01/22/959583731/u-n-treaty-banning-nuclear-weapons-takes-effect-without-the-u-s-and-others?t=1612513172884">militants contre l’arme nucléaire ont manifesté en faveur de sa ratification</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/7l0ezopoDAQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Ainsi, des conceptions opposées se font face. Mais insensiblement, le TIAN influence même les puissances nucléaires, comme l’analyse Annick Suzor-Weiner, qui estime que le Traité pourra avoir des effets bien réels : pour preuve, « même les discours de Macron et Le Drian ont évolué : après nous avoir traités de bisounours (Védrine) ou d’illuminés, ils commencent à dire qu’ils respectent les convictions et les efforts de ces associations et de ces pays » qui ont signé le TIAN. Le TIAN pourra « forcer les États à commencer à planifier les étapes du démantèlement », amorcer « le désinvestissement des banques et des grandes entreprises », et « mettre des scientifiques sur le démantèlement au lieu de les mettre sur la modernisation des armes ». Édith Boulanger confirme que le TIAN pourra permettre aux opposants à l’arme nucléaire de faire pression sur les grandes entreprises et sur les grandes banques pour qu’elles cessent d’investir dans l’armement nucléaire. Ce que <a href="https://www.latribune.fr/opinions/droit-international-et-armes-nucleaires-quels-enjeux-pour-les-institutions-financieres-873940.html">confirme Jean‑Marie Collin</a>, co-porte-parole de ICAN France. Peu à peu, une évolution est en cours.</p>
<p>Autre point positif : un autre traité de désarmement, le traité START de réduction des armes stratégiques, conclu initialement en 1991 entre les États-Unis et la Russie, a été, début février 2021, <a href="https://information.tv5monde.com/info/le-traite-new-start-prolonge-les-defis-russes-commencent-pour-biden-394727">prolongé pour cinq ans</a>, jusqu’en 2026, prolongation entérinée par la Russie et par l’administration Biden.</p>
<p>Un bémol de taille, cependant : comme l’observent Édith Boulanger et Dominique Lalanne, les jeunes d’aujourd’hui, qui sont conscients des dégâts causés par la pollution et des risques climatiques, sont peu sensibles à la question de l’arme nucléaire. L’enjeu est donc pour les associations anti-nucléaires de toucher ce public pour faire évoluer le rapport de forces au sein des puissances disposant de l’arme ultime.</p>
<hr>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/153995/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Chloé Maurel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’entrée en vigueur du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires, élaboré sous l’égide de l’ONU et ratifié par 52 États, est une victoire pour les tenants de l’abolition de l’arme nucléaire.Chloé Maurel, SIRICE (Université Paris 1/Paris IV), Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1514542020-12-22T19:48:16Z2020-12-22T19:48:16ZL’industrie de défense en Europe : la coopération ou le déclassement ?<p>Comme la madeleine de Proust, la question de la coopération industrielle de défense est un sujet qui revient, à intervalles réguliers, dans l’actualité et <a href="https://ecodef-ihedn.fr/les-cooperations-de-defense-en-europe--vers-plus-defficacite/">l’agenda européen</a>. En effet, le <a href="https://www.europarl.europa.eu/about-parliament/fr/in-the-past/the-parliament-and-the-treaties/maastricht-treaty">traité de Maastricht</a>, signé en 1992, postulait déjà qu’il fallait former « une identité européenne de sécurité et de défense » et proposait « une coopération renforcée en matière d’armement en vue de créer une agence européenne des armements ». Un tel projet réveillait des initiatives lancées dans les années 1950 avec des objectifs relativement similaires (<a href="https://www.cvce.eu/education/unit-content/-/unit/803b2430-7d1c-4e7b-9101-47415702fc8e/6d9db05c-1e8c-487a-a6bc-ff25cf1681e0">Union de l’Europe occidentale</a>).</p>
<p>Le <em>momentum</em> actuel semble, une nouvelle fois, favorable à ces problématiques de défense, comme en témoignent les annonces récentes. Le risque de la « non-coopération » est double : un surcoût associé au non-partage des coûts de développement, et une perte de compétitivité vis-à-vis de concurrents américains, chinois ou russes.</p>
<h2>Pour une coopération durable face aux menaces</h2>
<p>Sans prétendre à l’exhaustivité, nous pouvons citer, parmi les coopérations existantes, l’<a href="https://www.defense.gouv.fr/dgris/action-internationale/l-iei/l-initiative-europeenne-d-intervention">Initiative européenne d’intervention (IEI)</a> qui vise à partager les expériences opérationnelles ; la <a href="https://www.areion24.news/2020/10/30/leurope-et-sa-defense-la-cooperation-structuree-permanente-est-elle-une-panacee">Coopération structurée permanente (CSP)</a>, qui est un outil de coopération prévu par les traités qui couvre un ensemble de problématiques diverses (capacitaires, industrielles…) ; le <a href="https://ue.delegfrance.org/fonds-europeen-de-defense">Fonds européen de défense (FED)</a> qui est la première incursion de la Commission européenne dans le financement du développement de technologies de défense avec un budget, encore provisoire, de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/07/25/le-budget-de-securite-et-de-defense-europeen-victime-du-fonds-de-relance_6047272_3210.html">7 milliards d’euros</a> et qui s’accompagne de la création d’une <a href="https://www.euractiv.fr/section/politique/news/la-commission-se-dote-dune-nouvelle-dg-defense-et-espace/">Direction générale à l’industrie de défense et de l’espace</a> ; et le lancement de grands programmes d’armement pour les années à venir, avec par exemple, le <a href="http://www.senat.fr/rap/r19-642/r19-642_mono.html">Système de combat aérien du futur (SCAF)</a>, une coopération entre l’Allemagne, l’Espagne et la France.</p>
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<figcaption><span class="caption">#LeBourget19 – SCAF, le système de combat aérien du futur – Teaser.</span></figcaption>
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<p>Les raisons pour lesquelles les Européens doivent coopérer d’un point de vue industriel sont multiples, mais il est possible de distinguer ce qui relève d’enjeux stratégiques et politiques et ce qui relève de problématiques économiques et industrielles.</p>
<p>En ce qui concerne les raisons stratégiques, il faut souligner que les pays européens font face à un certain nombre d’incertitudes et de menaces communes qui nécessitent une coordination plus forte. Au premier rang de celles-ci se trouve l’attitude des États-Unis vis-à-vis des alliés européens : <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2019-4-page-141.htm">même si l’OTAN reste résiliente</a>, Donald Trump l’a critiquée à de nombreuses reprises et un pivot vers le Pacifique a été amorcé dès le mandat de Barack Obama. En conséquence, les Européens devraient investir massivement pour pouvoir <a href="https://www.iiss.org/blogs/research-paper/2019/05/defending-europe">se défendre par eux-mêmes</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">L’OTAN & la France – Pourquoi l’Europe de la Défense stagne ?</span></figcaption>
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<p>Concomitamment, l’UE est confrontée à des défis sécuritaires comme les attaques terroristes, les tensions posées par l’attitude de la Russie ou celles en Méditerranée orientale ou bien encore les enjeux liés à la dimension cyber. Leur caractère transfrontalier implique une <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2020-3-page-95.htm">prise en charge collective</a>.</p>
<p>Par ailleurs, les projections en termes de conflictualité dans le <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/cultures-monde/demain-la-guerre-14-de-la-guerrilla-a-la-haute-intensite-preparer-nos-armees">futur</a> indiquent que les états-majors anticipent des affrontements de haute intensité. Comme l’explique le <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/11/23/philippe-lavigne-chef-d-etat-major-de-l-armee-de-l-air-et-de-l-espace-nous-assistons-a-une-contestation-des-espaces-aeriens_6060783_3210.html">général Lavigne</a>, chef d’état-major de l’Armée de l’air et de l’espace :</p>
<blockquote>
<p>« Nous assistons à une démonstration de force des grandes puissances, à une contestation des espaces aériens, à une diversification des menaces et à une désinhibition dans l’emploi de la force. »</p>
</blockquote>
<p>Cette évolution appelle à des investissements importants dans des technologies « classiques » alors que les équipements destinés à être employés dans les conflits asymétriques restent plus que d’actualité.</p>
<h2>Compétitivité économique et industrielle</h2>
<p>D’autres raisons, de nature économique et industrielle, sont également à signaler. Tout d’abord, les budgets européens de défense sont limités : d’après les données du <a href="https://www.sipri.org/publications/2020/sipri-fact-sheets/trends-world-military-expenditure-2019">SIPRI</a>, les dépenses de défense de l’UE sont plus de deux fois inférieures à celles des États-Unis. Le contexte du Brexit limite encore plus le poids des Européens puisque le Royaume-Uni se classe structurellement aux premières places des dépenses européennes, avec notamment 27 % des dépenses de R&D de défense de l’UE.</p>
<p>En complément de ces budgets contraints, se trouvent les conséquences de la perte de « pouvoir d’achat » des ministères de la Défense européens, avec le risque d’être désarmés par l’inflation. Ce que l’on appelle communément la « <a href="https://www.defnat.com/pdf/cahiers/CAH062/19.%20Wallaert%20(CHEM%202017).pdf">loi d’Augustine</a> » est en fait la matérialisation de la tendance haussière du coût des grands programmes d’armement, en termes d’acquisition mais aussi de soutien tout au long de leur cycle de vie. Les travaux les plus récents montrent que l’inflation militaire est nettement supérieure à celle des produits civils, ce qui tient à des raisons générationnelles puisque les matériels modernes incorporent les technologies les plus à la pointe, ces dernières étant plus difficiles à développer.</p>
<p>Au niveau industriel, le paysage est relativement peu concentré, en particulier dans les domaines naval et terrestre. En parallèle, le nombre de programmes nationaux est trois fois plus élevé qu’aux <a href="https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/etudes/join/2013/494466/IPOL-JOIN_ET(2013)494466_EN.pdf">États-Unis</a>. C’est la raison pour laquelle les entreprises européennes sont en monopole sur leur marché national mais se retrouvent en concurrence sur les marchés d’exportation. Pour maintenir les compétences industrielles, ces entreprises sont obligées d’exporter pour garantir leur rentabilité. Eu égard à l’étroitesse des demandes nationales, une recomposition est nécessaire, d’autant que ce phénomène est déjà à l’œuvre aux <a href="https://www.journal-aviation.com/actualites/44095-raytheon-et-united-technologies-finalisent-leur-fusion">États-Unis</a>.</p>
<p>Enfin, le secteur civil est davantage en pointe dans les technologies nécessaires au développement des matériels de nouvelle génération, notamment les drones, le spatial, le traitement des données ou encore l’intelligence artificielle. Ces technologies seront pourtant au cœur des <a href="https://www.economist.com/science-and-technology/2020/11/19/fighter-aircraft-will-soon-get-ai-pilots">futurs équipements de défense</a>. Néanmoins, les technologies de défense gardent leurs spécificités et les passerelles entre les domaines civil et militaire restent plutôt <a href="https://www.iris-france.org/wp-content/uploads/2016/03/EPS2014-Spin-In-Spin-Off-synth%C3%A8se.pdf">rares</a>.</p>
<h2>Des divergences politiques</h2>
<p>La coopération dans le domaine de la défense est historiquement source de dilemmes : faut-il renoncer à des pans entiers de souveraineté industrielle (et aux emplois qui vont avec) pour obtenir des équipements de défense plus efficaces, au meilleur prix ? Si oui, quels pays doivent renoncer à tout ou partie de leur industrie de défense ? En effet, tous les pays n’ont pas les mêmes ambitions, ni les mêmes objectifs quant à leur industrie.</p>
<p>Au-delà des aspects opérationnels et militaires, la construction de l’Europe de la défense pose aussi des questions de politique et de stratégie industrielle. En particulier, l’ensemble des initiatives évoquées plus haut doivent être mises en cohérence afin qu’elles soient pleinement efficaces : une vision politique claire s’inscrivant sur le long terme est un préalable indispensable. La déclinaison de cette vision passe par différents instruments de politique industrielle.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1339604561997119491"}"></div></p>
<p>Tout d’abord, les expériences passées de coopération industrielle sont mitigées parce que les spécifications des équipements n’étaient pas harmonisées entre les pays partenaires. Les économies d’échelle n’étaient donc pas au rendez-vous. Aussi, l’efficacité de la coopération dépend de la capacité des États à s’entendre en amont pour éviter que les programmes en coopération ne deviennent une superposition de programmes nationaux.</p>
<h2>Coopération, dialogue et retours d’expérience</h2>
<p>Pour les forces armées, la multiplication des échanges opérationnels et les retours d’expérience sont d’une grande importance. On peut espérer que dans le cadre de <a href="https://www.cairn.info/revue-l-europe-en-formation-2019-2-page-51.htm">l’IEI</a>, les échanges sur des problématiques communes permettront de mieux préciser les besoins et donc de s’accorder sur les spécifications des équipements. La technologie peut contribuer favorablement à combler, au moins partiellement, ces différences.</p>
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<figcaption><span class="caption">Vers où va l’initiative européenne de défense ?</span></figcaption>
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<p>Cela peut passer par des formes de modularité, entendue ici comme une conception des systèmes de défense fondée sur une plate-forme principale qui accueillerait des modules interchangeables. Dans le cadre d’une coopération, cela permet de réfléchir à une plate-forme commune et standardisée, avec des modules personnalisés selon les types de missions envisagées.</p>
<p>De telles expériences ont déjà été conduites au Danemark ou en Suède. Le cas du futur avion de combat entretient des similarités avec ce concept dans la mesure où le porteur principal (un avion) va être relié à des drones. Ceci est rendu possible via des technologies de l’<a href="https://www.irsem.fr/institut/actualites/etude-de-l-irsem-n-65-2019.html">industrie 4.0</a> qui peuvent favoriser cette modularité, notamment en améliorant les interfaces numériques entre le porteur principal et son environnement, mais aussi en rendant possible la production d’armements en petite série à des coûts abordables via par exemple la simulation numérique ou l’impression 3D.</p>
<h2>Pour une stratégie économique et industrielle commune ?</h2>
<p>D’autres mécanismes économiques méritent réflexion ; en premier lieu la taille du marché : le seul marché européen sera-t-il suffisant ou faudra-t-il passer également par l’exportation pour obtenir une taille critique ? Les divergences de politique en matière d’exportation d’armements sont fortes, ce qui joue comme un frein à la construction d’une Europe de la défense intégrée sur le plan industriel.</p>
<p>Par ailleurs, il est également nécessaire de s’assurer que les industriels européens restent compétitifs par rapport à leurs concurrents internationaux. Sur les contrats d’exportations, de nouveaux acteurs apparaissent (Turquie, Corée du Sud, Chine…) et grignotent des parts de marché. Mais si cette question de la taille du marché est bien économique, le fond reste politique : il s’agit en effet de s’accorder sur une vision claire du rôle des exportations dans une politique de défense européenne et sur un modèle économique de défense européen.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1298589904151216128"}"></div></p>
<p>Enfin, pour être pleinement intégré, le marché européen doit promouvoir sa propre production, certains souhaitant la création d’un <em>buy european act</em> qui validerait la préférence communautaire, en particulier pour des <a href="https://club.bruxelles2.eu/2020/01/diminuer-de-moitie-le-budget-du-fonds-europeen-de-defense-thierry-breton-dit-non/">compétences critiques</a>. Cela entraînerait probablement des surcoûts sur certains segments de marché où les Européens seraient moins compétitifs : c’est le prix de la souveraineté.</p>
<p>L’éparpillement des compétences industrielles entre pays est également une explication du manque d’intégration. En préalable, une analyse globale des avantages comparatifs est indispensable pour rationaliser les capacités industrielles. Il s’agit plutôt de renforcer les compétences existantes, sans créer de nouvelle concurrence et donc, de préférence, choisir l’acteur industriel le plus avancé. Le FED ou les grands programmes d’armement peuvent servir de catalyseur, de par leur capacité à structurer les relations industrielles.</p>
<p>En effet, les programmes d’armements sont des fenêtres d’opportunité pour une intégration européenne plus poussée. On peut citer le processus d’intégration économique de groupes nationaux, sur le modèle de MBDA grâce au missile <a href="https://www.frstrategie.org/publications/recherches-et-documents/scalp-eg-storm-shadow-lecons-dune-cooperation-succes-2018">Storm Shadow</a> /Scalp. Le secteur des hélicoptères est un autre <a href="https://www.epsjournal.org.uk/index.php/EPSJ/article/view/286">exemple historique</a> d’une industrie qui s’est structurée autour de grands programmes militaires qui ont été progressivement intégrés pour former Airbus Helicopters.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1335960114176684034"}"></div></p>
<p>L’acceptabilité d’une telle politique de rationalisation de l’outil industriel peut passer par la compensation des manques à gagner en matière d’emplois et mettre ainsi fin au mécanisme de « juste retour ». Cet élément est à prendre en compte dans une perspective de politique industrielle européenne <a href="https://ec.europa.eu/info/strategy/priorities-2019-2024/europe-fit-digital-age/european-industrial-strategy_fr">globale</a>. Enfin, l’implication, dans la chaîne de sous-traitance, d’équipementiers de PME et d’ETI issus de pays européens éloignés du premier cercle offre l’opportunité d’impliquer l’ensemble des pays membres, de garantir une forme d’indépendance européenne et de permettre des économies d’échelle par de la spécialisation sectorielle.</p>
<p>Au terme de cette analyse, il apparaît que la défense n’échappe pas aux « lois » qui régissent les autres <a href="https://www.jstor.org/stable/1804123?seq=1">biens publics</a> : une politique industrielle de défense commune en Europe ne pourra probablement pas se faire sans une instance supra-nationale de défense commune qui coordonnerait les actions individuelles tout en respectant la souveraineté des États. Ce « dilemme » institutionnel est encore à résoudre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/151454/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Malizard travaille pour la Chaire Economie de défense de l'IHEDN comme titulaire adjoint ; il est par ailleurs chercheur associé au GREThA (Université de Bordeaux, UMR 5113). Il a reçu des financements de la Direction générale de l'armement (DGA) durant sa thèse. Il est membre du conseil d'administration de l'association pour les études sur la guerre et la stratégie (AEGES).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Josselin Droff est chercheur à la Chaire économie de défense de l'IHEDN. Il est par ailleurs chercheur associé au GREThA (Université de Bordeaux, UMR 5113). Il a reçu des financements de la DGA pour sa thèse de doctorat entre 2009 et 2012. Il a reçu le prix de thèse du Ministère des armées en 2015 pour sa thèse de doctorat en sciences économiques.</span></em></p>En matière de défense et d’armement, les enjeux économiques, industriels et politiques façonnent la coopération européenne. Mais pour quels résultats ?Julien Malizard, Chercheur associé au GREThA (UMR 5113), Université de BordeauxJosselin Droff, Chercheur associé au GREThA (UMR 5113), Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1464252020-09-23T17:31:06Z2020-09-23T17:31:06ZSystèmes d’armes létales autonomes : y aura-t-il un Terminator tricolore ?<p>« Terminator ne défilera pas au 14 juillet », promettait Florence Parly le 5 avril 2019, alors qu’elle présentait la <a href="https://www.defense.gouv.fr/salle-de-presse/discours/discours-de-florence-parly/discours-de-florence-parly-ministre-des-armees_intelligence-artificielle-et-defense">stratégie</a> du ministère des Armées en matière d’intelligence artificielle. Ainsi signifiait-elle la décision française de ne pas développer de systèmes d’armes létales autonomes (SALA).</p>
<p>Ces technologies, que les médias appellent volontiers <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/metiers/armee-et-securite/robots-tueurs-dans-l-armee-le-chef-militaire-doit-pouvoir-reprendre-la-main-a-tout-moment-preconise-un-rapport-parlementaire_4052555.html">« robots tueurs »</a>, ont été <a href="https://www.esd.whs.mil/Portals/54/Documents/DD/issuances/dodd/300009p.pdf">définies</a> en 2012 par le Département de la Défense américain comme « des systèmes d’armes qui, une fois activés, peuvent sélectionner et attaquer des cibles sans autre intervention d’un opérateur humain ».</p>
<h2>Des robots sur le champ de bataille</h2>
<p>De fait, l’autonomisation des systèmes d’armes se développe à la faveur des progrès en intelligence artificielle (IA) et en robotique permis par la <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/la-quatrieme-revolution-industrielle-a-t-elle-reellement-commence-1001568">« quatrième révolution industrielle »</a>.</p>
<p>Si les SALA n’existent pas encore, des prototypes sont développés par un certain nombre d’États – au premier rang desquels la Chine, la Corée du Sud, les États-Unis, Israël, le Royaume-Uni et la Russie – et devraient être de plus en plus répandus dans la décennie à venir. Pourraient alors apparaître sur le champ de bataille des armes capables de déterminer si et quand ouvrir le feu, dans un environnement changeant et imprévisible, sans qu’un opérateur doive indiquer et valider chaque action. Déjà, la Corée du Sud a déployé le long de la frontière intercoréenne un <a href="https://www.amnesty.fr/controle-des-armes/actualites/robots-tueurs--play-it-now">robot sentinelle</a> qui peut repérer des cibles et décider seul de tirer – bien qu’il n’ait encore jamais été utilisé de la sorte.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1284178728919105537"}"></div></p>
<p>S’il n’est bien sûr pas question que les robots se régissent par leurs propres lois, comme l’indiquerait l’étymologie du mot grec « αυτονόμος » (<em>autonomos</em>), plusieurs degrés d’autonomie se font jour. Le premier degré conserve un humain <em>dans la boucle</em> décisionnelle, pour conduire le système. L’homme peut aussi être <em>sur la boucle</em> : le système agit alors seul, mais sous la surveillance d’un opérateur qui peut reprendre le contrôle à tout moment. Enfin, le niveau d’autonomie le plus élevé, où l’humain demeure <em>hors de la boucle</em>, signifierait que plus aucun contrôle ne serait maintenu.</p>
<p>Le développement des SALA suscite un intérêt militaire soutenu, au point que certains estiment qu’ils pourraient donner lieu à une <a href="https://www.liberation.fr/futurs/2015/07/28/la-troisieme-revolution-apres-la-poudre-et-l-arme-nucleaire_1355372">nouvelle révolution des techniques de la guerre</a>. Ces systèmes s’annoncent en effet plus rapides, plus endurants et plus coordonnés que les soldats. Alors que la réduction du format des armées oblige à restreindre les effectifs, que la tolérance aux pertes humaines faiblit et que l’évolution accélérée des technologies se prête à l’élaboration de systèmes pouvant suppléer voire remplacer l’homme, les « robots tueurs » s’annoncent particulièrement attractifs pour les armées.</p>
<h2>Une opposition de principe</h2>
<p>Dans cette perspective, les États écartant la possibilité de développer des armes autonomes risqueraient non seulement d’accuser un retard technologique mais aussi de subir un déclassement stratégique qui serait difficile à combler. Pourtant, la France indique depuis 2013 qu’elle ne compte pas se doter de telles technologies, tant elle prend au sérieux les enjeux éthiques, juridiques, opérationnels et technologiques qu’elles soulèvent.</p>
<p>En effet, l’émergence des armes autonomes donne lieu à un vif débat, initié par des dizaines d’organisations non gouvernementales, alliées en 2012 sous la bannière de la <a href="https://www.stopkillerrobots.org/?lang=fr"><em>Campaign to Stop Killer Robots</em></a> pour revendiquer la mise en œuvre d’un traité les interdisant de façon préventive.</p>
<p>Ce mouvement craint que les SALA soient incapables de se conformer au droit international humanitaire – notamment à ses principes de précaution, de distinction, et de proportionnalité ; qu’ils se révèlent incompatibles avec le droit à la vie et le respect de la dignité humaine ; et que leur utilisation engendre un abaissement du seuil d’entrée en conflit et une dilution des responsabilités en cas d’exaction.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/qiJTq11kqdw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Consciente de ces enjeux, la France a initié en novembre 2013 les premières discussions multilatérales sur les SALA à l’ONU, et présidé la première réunion sur le sujet à la <a href="https://www.un.org/disarmament/fr/le-desarmement-a-geneve/convention-sur-certaines-armes-classiques/">Convention sur certaines armes classiques</a> en mai 2014. Depuis 2016, elle a participé à toutes les réunions du <a href="https://cd-geneve.delegfrance.org/Groupe-d-Experts-Gouvernementaux-GGE-2019">groupe d’experts gouvernementaux</a> sur la question, dont l’objectif est d’« explorer et de se mettre d’accord sur les recommandations possibles et sur les options liées aux technologies émergentes dans le domaine des SALA ». En mars 2018, le président Macron révélait au magazine américain <a href="https://www.wired.com/story/emmanuel-macron-talks-to-wired-about-frances-ai-strategy/"><em>Wired</em></a> qu’il était « catégoriquement opposé » à ce qu’un robot dispose de l’initiative d’ouvrir le feu.</p>
<p>En novembre 2018, lors du premier <a href="https://parispeaceforum.org/2018/11/14/bringing-together-global-governance-actors-for-3-days-a-major-challenge-successfully-met/">Forum de Paris sur la Paix</a>, initié et porté par la France, le Secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres a <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/metiers/armee-et-securite/robots-tueurs-l-onu-va-t-elle-interdire-les-rarmes-autonomes_3044717.html">appelé</a> les États à interdire ces armes « politiquement inacceptables et moralement révoltantes ».</p>
<h2>Des ambitions ambivalentes</h2>
<p>Pourtant, dans les enceintes de négociations internationales, la France ne défend pas l’élaboration d’un traité d’interdiction préventive des SALA. En avril 2019, dans le discours cité au début de cet article, Florence Parly balayait même les appels à les prohiber, tout en assurant que « la France refuse de confier la décision de vie ou de mort à une machine qui agirait de façon pleinement autonome et échapperait à tout contrôle humain ». Là réside l’ambivalence de la position française, qui s’oppose à l’emploi éventuel d’armes entièrement autonomes, sans pour autant défendre un moratoire sur leur développement.</p>
<p>La France, comme l’Allemagne et le Royaume-Uni, semble vouloir mettre en œuvre un « endiguement contrôlé ». Elle estime en effet que le droit de la guerre suffit à encadrer les SALA, et appelle de ses vœux des négociations ; mais elle envisage davantage un code de conduite qu’un traité d’interdiction.</p>
<p>Lors de la dernière réunion du groupe d’experts gouvernementaux sur les SALA à l’ONU, la délégation française a en effet rappelé que la signature d’un accord juridiquement contraignant, déconnecté de la réalité industrielle et capacitaire, des États serait contre-productive, puisqu’un tel texte risquerait d’une part de ne pas être respecté, et d’autre part de freiner les progrès technologiques dans les domaines civils de l’IA et de la robotique – dans lesquels la France s’efforce de compter, en témoigne sa stratégie d’<a href="https://www.vie-publique.fr/rapport/270333-lintelligence-artificielle-au-service-de-la-defense">« intelligence artificielle au service de la défense »</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1065488897638129664"}"></div></p>
<p>D’ailleurs, si le <a href="https://www.vie-publique.fr/rapport/37225-donner-un-sens-lintelligence-artificielle-pour-une-strategie-nation">rapport Villani sur l’IA</a>, remis en mars 2018, proposait la création d’un observatoire de non-prolifération des armes autonomes, il ne se prononçait pas sur l’éventualité d’un traité international juridiquement contraignant à leur sujet.</p>
<p>Cet été, les députés Claude de Ganay et Fabien Gouttefarde ont présenté à la Commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale un <a href="http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_def/l15b3248_rapport-information">rapport d’information</a> sur les SALA. Ils y incitent la France à appuyer l’adoption d’une réglementation internationale contraignante, tout en prônant un accroissement de la recherche dans le domaine de l’autonomie des systèmes « dans le respect des valeurs et de l’encadrement juridique, en continuité des discussions dans le cadre de l’ONU ».</p>
<h2>Pour un leadership français en la matière</h2>
<p>En 2017, la France a proposé avec l’Allemagne une <a href="https://cd-geneve.delegfrance.org/Declaration-conjointe-de-l-Allemagne-et-de-la-France-sur-l-evolution-des">déclaration</a> politique juridiquement non contraignante, qui affirme l’applicabilité du droit de la guerre aux SALA, la nécessité d’un contrôle humain significatif et l’impossibilité de déléguer la décision létale à un système. Elle rappelle en outre que les États sont tenus d’examiner au stade de leur conception la licéité des armes nouvelles qu’ils développent ou acquièrent.</p>
<p>L’encadrement des armes létales autonomes était à l’ordre du jour lors d’une réunion publique du Conseil de sécurité de l’ONU, le 27 mai 2020. Nicolas de Rivière, le représentant permanent de la France, a clos cette rencontre en <a href="https://onu.delegfrance.org/Les-civils-sont-la-cible-d-une-violence-inacceptable">rappelant</a> l’enjeu constitué par les SALA et en saluant les « progrès » permis par les discussions à la Convention sur certaines armes classiques, qui ont produit des « principes directeurs ». En effet, les réunions du groupe d’experts gouvernementaux ont abouti à l’adoption de <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/la-france-et-les-nations-unies/l-alliance-pour-le-multilateralisme/11-principes-sur-les-systemes-d-armes-letaux-autonomes/">onze principes</a> devant présider au développement des SALA.</p>
<p>Mary Wareham, la coordinatrice de la « Campaign to stop killer robots », a immédiatement rétorqué sur Twitter que si les principes peuvent aider à faire progresser la compréhension collective de ces armes, seul un nouveau traité international est en mesure de protéger les civils de la menace que représentent les SALA.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1265688261369958400"}"></div></p>
<p>Le récent <a href="https://www.senat.fr/notice-rapport/2019/r19-642-notice.html">rapport</a> du Sénat sur le système de combat aérien du futur (SCAF) présente l’IA comme un « pilier transversal » du programme. Il insiste toutefois sur les enjeux éthiques et juridiques que soulèvent les usages militaires de l’IA, et appelle à relancer les discussions internationales sur l’autonomie des systèmes d’armes pour « faire aboutir un cadre juridique clair, conforme à l’éthique et aux principes du droit international humanitaire ». Dans la même veine, le récent rapport de l’Assemblée nationale sur les SALA souligne qu’un engagement international est « à portée de main » et qu’il appartient à la France d’être moteur sur la question.</p>
<p>Dans un entretien au <a href="https://www.lemonde.fr/sciences/article/2015/08/03/noel-sharkey-lorsque-des-machines-repondront-a-des-algorithmes-secrets-personne-ne-pourra-predire-l-issue-d-un-conflit_4710098_1650684.html"><em>Monde</em></a>, le roboticien Noel Sharkey, pionnier du mouvement <em>Stop Killer Robots</em>, a ainsi résumé la situation :</p>
<blockquote>
<p>« La France nous a apporté une aide très utile, les progrès sont là mais il reste encore un long chemin à parcourir. »</p>
</blockquote>
<p>Il reste que si la France consent à se soumettre seule à un moratoire sur les SALA, comme le Parlement européen y a <a href="https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20180906IPR12123/le-parlement-europeen-s-eleve-contre-les-robots-tueurs">enjoint</a> les États de l’UE, elle s’exposerait à un retard capacitaire irrattrapable, et prendrait le risque d’être défaite sur le champ de bataille de demain.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/146425/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laure de Rochegonde a reçu des financements de l'ANRT. Elle est membre de l'Institut français des relations internationales. </span></em></p>Pour l’heure, la France refuse de fabriquer des systèmes d’armes létales autonomes (SALA). Mais elle ne soutient pas pour autant un moratoire sur leur développement.Laure de Roucy-Rochegonde, Chercheuse au Centre des études de sécurité de l'Institut français des relations internationales, Doctorante au Centre de Recherches Internationales de Sciences Po, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1323392020-02-27T19:43:22Z2020-02-27T19:43:22ZLe secret autour des armes biologiques, amplificateur de tous les fantasmes<p>Selon une <a href="https://www.washingtontimes.com/news/2020/jan/26/coronavirus-link-china-biowarfare-program-possible/">rumeur qui circule sur Internet</a>, le coronavirus <a href="http://www.inrs.fr/actualites/epidemie-pneumonies-coronavirus.html">SARS-CoV-2</a>, à l’origine de l’épidémie de COVID-19, aurait une origine humaine. Il résulterait d’expérimentations sur des germes ou de <a href="https://www.factcheck.org/2020/02/baseless-conspiracy-theories-claim-new-coronavirus-was-bioengineered/">manipulations génétiques</a> ayant abouti à un <a href="https://www.zerohedge.com/geopolitical/coronavirus-contains-hiv-insertions-stoking-fears-over-artificially-created-bioweapon">virus « chimère »</a>. Ces thèses conspirationnistes s’appuient sur le fait que l’unique laboratoire de recherche biologique classé P4 en Asie est situé à Wuhan et qu’il bénéficie d’un niveau de sécurité maximale.</p>
<p>D’autres rumeurs répandent l’idée que le germe aurait été transmis accidentellement par un chercheur contaminé ou <a href="https://twitter.com/ezracheungtoto/status/1228637753941753857">par des animaux</a> ayant servi à des expériences <a href="http://archive.ph/JrGmY">qui se seraient échappés</a>. S’il semble évident que l’institut de virologie de Wuhan n’a pas de vocation militaire et que le SARS-CoV-2 <a href="https://foreignpolicy.com/2020/01/29/coronavirus-china-lab-mortality-virology-wuhan-virus-not-bioweapon/">n’est pas une arme biologique</a> ayant « fuité », la frontière entre recherche biologique à usage civil ou militaire n’est pas aussi claire et définitive qu’il y paraît. Des indicateurs fiables permettent de déterminer si un pays s’est lancé ou non dans un programme de production d’armement biologique ; or, jusqu’à présent, la <a href="https://bookstore.gpo.gov/products/china-military-power">Chine ne semble pas concernée</a>.</p>
<h2>Le crime peut parfois être récompensé</h2>
<p>Bien plus que les programmes nucléaires, les programmes d’armements biologiques sont marqués par le plus grand secret depuis la Seconde Guerre mondiale. Les premiers sont expérimentés et mis au point par les <a href="https://www.albin-michel.fr/ouvrages/la-guerre-bacteriologique-9782226041197">Japonais de l’unité 731</a>. Dès 1937, les équipes du colonel Ishii, surnommé <a href="https://mondesasiatiques.wordpress.com/2018/10/10/9-octobre-1959-deces-de-ishii-shiro-le-mengele-japonais/">« le Mengele japonais »</a>, utilisent <a href="https://tinyurl.com/sq7l7wl">des prisonniers de guerre comme cobayes</a>. Ils leur infligent de grandes souffrances qui débouchent presque toujours sur la mort.</p>
<p>Ces pratiques, qui impliquaient bien entendu le secret absolu, établirent les bases technologiques de tous les programmes d’armement biologique actuels. Lors de leurs expérimentations, les Japonais s’aperçurent que les germes sont difficiles à utiliser : ils sont à la fois fragiles et incontrôlables. Leurs divers essais, que ce soit par des avions épandeurs, des bombardements aériens avec des puces infestées ou des bombes chargées de bacilles se révélèrent d’abord décevants. Par la suite, ils furent en mesure d’affiner leurs techniques et d’obtenir des résultats. Plutôt que de faire subir aux Japonais les foudres de la justice pour leurs crimes de guerre, les <a href="https://apjjf.org/-Christopher-Reed/2177/article.pdf">Américains</a> et les <a href="https://books.google.fr/books?id=4ydd-hC1GlQC&printsec=frontcover&hl=fr#v=onepage&q&f=false">Soviétiques</a> préférèrent réutiliser leurs compétences, dans le secret le plus absolu, afin de faire passer leurs propres programmes biologiques au stade industriel.</p>
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<h2>Le secret, toujours le secret</h2>
<p>Ce secret est une constante de la guerre biologique. Ainsi en 1942, une épidémie de tularémie, une maladie incapacitante, éclate d’abord dans les rangs de l’armée allemande, puis dans toute la région du Caucase. Pour <a href="https://www.senscritique.com/livre/La_guerre_des_germes/483900">Kanatjan Alibekov</a> – également connu sous le nom de Ken Alibek, qui fut dans les années 1980 le directeur adjoint de Biopreparat (le principal organisme soviétique de production d’armes biologiques) –, il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’un épisode de guerre biologique qui a mal tourné. Malheureusement, aucun document ne peut en attester.</p>
<p>Dès 1946, les autorités américaines <a href="https://www.lisez.com/livre-grand-format/lhistoire-secrete-des-guerres-biologiques/9782221112144">s’essaient à un effort de transparence</a>. Pour cela, elles décident de lever le voile sur leurs recherches effectuées pendant la guerre. Le moment paraît favorable : chercher des moyens peu conventionnels pour vaincre des ennemis immoraux comme les nazis et les Japonais semble alors justifiable. Mais la réaction de l’opinion publique fut hostile, la peur immémoriale des grandes épidémies refaisant immédiatement surface.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/317050/original/file-20200225-24668-2gy6bm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/317050/original/file-20200225-24668-2gy6bm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/317050/original/file-20200225-24668-2gy6bm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=854&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/317050/original/file-20200225-24668-2gy6bm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=854&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/317050/original/file-20200225-24668-2gy6bm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=854&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/317050/original/file-20200225-24668-2gy6bm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1073&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/317050/original/file-20200225-24668-2gy6bm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1073&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/317050/original/file-20200225-24668-2gy6bm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1073&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Affiche de propagande chinoise de l’époque de la guerre de Corée : « Vaccinez tout le monde pour écraser la guerre bactériologique menée par l’impérialisme américain ! »</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Allegations_of_biological_warfare_in_the_Korean_War#/media/File:1950s_Chinese_propaganda_poster_against_American_biowarfare.jpg">Wikipedia</a></span>
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<p>Dès 1950 et suite à la publication du <a href="https://books.google.fr/books?id=MQMGhInCvlgC&pg=PA24&lpg=PA24&dq=committee+on+chemical+biological+warfare+stevenson&source=bl&ots=bGuEAzJHnb&sig=ACfU3U0HlHN7fyx-65wrpax4b_KOhqhtGg&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwiIl6GdrurnAhUR1RoKHZ5zCvkQ6AEwAnoECAYQAQ#v=onepage&q=committee%20on%20chemical%20biological%20warfare%20stevenson&f=false">rapport Stevenson</a>, les recherches reprennent dans le plus grand secret. En 1952, lors de la guerre de Corée, <a href="https://www.yorku.ca/sendicot/ReplytoColCrane.htm">des épisodes infectieux suspects</a> surviennent parmi les Nord-Coréens. Une commission d’enquête internationale du Conseil exécutif du Conseil mondial de la Paix, organisation indépendante soutenue par les Soviétiques, relève <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/1999/07/ENDICOTT/3116">des indices</a> laissant imaginer de possibles expérimentations de guerre biologique menées par l’armée américaine. À ce jour, aucun document n’a permis de prouver <a href="https://www.livrenpoche.com/l-arme-biologique-microbes-virus-et-terrorisme-e647380.html">cette supposée implication</a>.</p>
<p>Ce secret s’est confirmé lors des recherches menées par les Américains dans les années 1960 où ceux-ci disséminèrent dans plusieurs villes des États-Unis des germes dits inoffensifs. Ces expérimentations provoquèrent néanmoins un certain nombre d’hospitalisations pas toujours bénignes. Ces faits ne furent dévoilés que bien plus tard, ce qui n’est pas sans lien avec l’explosion de thèses complotistes dans ce domaine.</p>
<h2>Comment les États-Unis renoncèrent à la guerre biologique</h2>
<p>Les années 1960 sont une période particulière pour les États-Unis. Les multiples révélations liées à la guerre du Vietnam et aux différents programmes militaires ébranlent la confiance de l’opinion publique. La découverte de <a href="https://www.nytimes.com/1975/09/20/archives/army-discloses-3-new-coverups-concealed-cause-of-deaths-from-rare.html">plusieurs accidents survenus dans les laboratoires militaires de Fort Detrick</a>, le principal centre de production de germes militarisés, lève un voile sur le programme de guerre biologique. Parallèlement, le grand public apprend que des tests d’épandage de germes ont eu lieu dans le Pacifique. <a href="https://2001-2009.state.gov/r/pa/ho/frus/nixon/e2/83597.htm">Le 25 novembre 1969, Richard Nixon</a> décide qu’à l’âge de la dissuasion nucléaire, il est temps de renoncer officiellement à concevoir et à produire des armes biologiques offensives.</p>
<p>En 1972, plus d’une centaine de pays, dont les grandes puissances, <a href="https://ihl-databases.icrc.org/applic/ihl/dih.nsf/INTRO/450">signent une convention</a> sur l’<a href="https://www.un.org/disarmament/fr/amd/armes-biologiques/">interdiction de développement, de production et de stockage des armes biologiques et toxines et de leur destruction</a>. Mais ce traité comporte <a href="https://www.icrc.org/fr/doc/resources/documents/misc/57jnpa.htm">deux failles essentielles</a>. Tout d’abord, il ne prévoit pas de mécanisme de vérification. D’autre part, il n’établit pas de différence nette entre les recherches dites offensives et défensives. En d’autres termes, une nation peut continuer à faire des recherches sur des virus ou des bactéries qui pourraient éventuellement être utilisés comme des armes de guerre si elle est en mesure de justifier qu’elle cherche à se prémunir d’une attaque biologique ennemie ou de l’apparition d’une épidémie naturelle. En revanche, ce traité proscrit de manière claire la production massive de germes à usage militaire. Aujourd’hui, la Russie, les États-Unis et la Chine, entre autres, s’appuient sur cette zone grise afin de mener des recherches militaires très discrètes sur les germes.</p>
<h2>Le vaste programme soviétique d’armes bactériologiques</h2>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/317056/original/file-20200225-24690-1pa24hr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/317056/original/file-20200225-24690-1pa24hr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/317056/original/file-20200225-24690-1pa24hr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=967&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/317056/original/file-20200225-24690-1pa24hr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=967&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/317056/original/file-20200225-24690-1pa24hr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=967&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/317056/original/file-20200225-24690-1pa24hr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1216&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/317056/original/file-20200225-24690-1pa24hr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1216&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/317056/original/file-20200225-24690-1pa24hr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1216&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Couverture de la traduction française (2001) du livre de Ken Alibek par en 1999 chez Random House aux États-Unis sous le titre « Biohazard ».</span>
<span class="attribution"><span class="source">Presses de la Cité</span></span>
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<p>À partir de la fin des années 1970 et jusqu’en 1991, l’URSS va développer les armements biologiques à un niveau jamais atteint auparavant. Sous l’égide de la 15<sup>e</sup> direction militaire et de Biopreparat, un organisme prétendument dédié à la production de vaccins et médicaments, entre 30 et 60 000 personnes développent et produisent d’importantes quantités d’agents infectieux. Pour Ken Alibek (l’ancien directeur adjoint de BioPreparat, déjà cité), les Soviétiques sont alors en mesure de <a href="https://www.nonproliferation.org/wp-content/uploads/npr/alibek63.pdf">produire suffisamment de germes</a> pour éradiquer l’espèce humaine. L’URSS étant en infraction avec la convention de 1972 sur les armes biologiques, ce programme est totalement secret. De par son étendue, il permet de situer une frontière nette entre des nations effectuant des recherches pas toujours irréprochables et des pays produisant de manière massive des agents infectieux. Le secret sur ce programme est tel qu’en 1979, lorsque survient un <a href="https://www.ucpress.edu/book/9780520229174/anthrax">accident</a> qui provoque la mort d’une centaine de personnes, les autorités soviétiques réussissent à faire croire à l’opinion qu’il s’agit d’une épidémie naturelle liée à la consommation de viande avariée. La vérité ne sera <a href="https://www.researchgate.net/publication/15224942_The_Sverdlovsk_anthrax_outbreak_of_1979">connue qu’en 1992</a> grâce à la chute de l’URSS. De toute évidence, un programme d’une telle ampleur ne pouvait se dérouler sans quelques accidents qui virent plusieurs cas de contamination accidentelle ainsi que des fuites d’animaux utilisés pour les expérimentations.</p>
<p>Les chercheurs soviétiques ont également été les premiers à créer des <a href="https://www.aphis.usda.gov/animal_health/vet_biologics/publications/notice_05_23.pdf">virus chimères</a> par manipulation génétique. Ils réussirent ainsi à créer un virus apte à déclencher une maladie auto-immune dévastatrice dans laquelle le système immunitaire de l’organisme infecté détruit ses propres organes. Si Ken Alibek fit défection en 1992, ses révélations sur l’ampleur du programme soviétique <a href="https://www.persee.fr/doc/polit_0032-342x_1999_num_64_2_4864_t1_0404_0000_1">ne furent dévoilées au grand public qu’en 1998</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">De nouvelles armes biologiques : les virus issus de manipulations génétiques.</span></figcaption>
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<h2>Une menace plus subtile qu’il n’y paraît</h2>
<p>Aujourd’hui, les <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2005-1-page-137.htm">manipulations génétiques sur les germes</a> sont très accessibles, surtout grâce aux <a href="https://www.lisez.com/livre-grand-format/lhistoire-secrete-des-guerres-biologiques/9782221112144">techniques de fabrication in vitro</a> permettant la synthèse de longs fragments d’ADN à partir de données informatiques.</p>
<p>Différencier les recherches civiles des recherches militaires est relativement difficile. Les manipulations génétiques sur les virus ou les bactéries permettent de mieux comprendre leur fonctionnement. L’administration Bush Junior a ainsi défendu la <a href="https://www.newscientist.com/article/dn4318-us-develops-lethal-new-viruses/">conception de nouveaux virus offensifs</a> afin de permettre la conception de mesures défensives efficaces. En ce qui concerne la Chine, on sait qu’elle a eu dans les années 1980 une importante activité de production de germes militarisés qu’elle a par la suite abandonnée, d’autant plus qu’elle a signé en 1984 la convention sur les armes biologiques. Il est cependant fort probable que, comme les États-Unis et la Russie, la Chine effectue des recherches sur des germes à vocation militaire dans la plus grande discrétion, une constante dans ce domaine.</p>
<h2>Le complotisme a de beaux jours devant lui</h2>
<p>Comme le montre l’histoire des armements biologiques, les accidents peuvent survenir à tout moment, les germes étant invisibles. Ainsi Ken Alibek <a href="https://www.decitre.fr/livres/la-guerre-des-germes-9782258053458.html">cite sa propre expérience</a> où, jeune directeur de laboratoire, il s’infecta. Ayant marché accidentellement sur un bouillon de culture, il passa par un sas de décontamination ; cela ne fut pas suffisant. Contaminé à la tularémie, le médecin qu’il était sut immédiatement reconnaître le mal qui l’affectait et se traiter avant que la maladie ne fasse des ravages. De la même façon, les témoignages révélant la fuite d’animaux contaminés après des expériences sont nombreux. Évidemment, les niveaux de sécurité actuels sont bien plus élevés, mais les germes ont une capacité surprenante à se répandre. Les thèses conspirationnistes ne sont pas près de s’évanouir dans un domaine où règne l’opacité la plus absolue. Néanmoins, l’inquiétude du grand public à l’égard de ces recherches, qu’elle s’exprime de manière rationnelle ou non, ne peut qu’inciter les chercheurs à renforcer des mesures de sécurité plus que nécessaires dans un domaine hautement sensible.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/132339/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Eric Martel-Porchier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les thèses conspirationnistes affirmant que le coronavirus serait d’origine militaire naissent du secret absolu qui entoure les programmes d’armes biologiques conduits par divers États dans le monde.Eric Martel-Porchier, Docteur en Sciences de Gestion/Chercheur associé au LIRSA, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1263812020-01-22T19:06:40Z2020-01-22T19:06:40ZPompidou, la « bombe anglaise » et le Brexit<p>Parmi les profonds bouleversements engendrés par le Brexit, la coopération franco-britannique en matière de défense et de sécurité se trouve de nouveau mise en cause. Que va-t-il advenir des accords qui engagent depuis plusieurs années ces deux voisins de la Manche et qui constituent une des <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2018/09/21/le-brexit-pese-sur-la-cooperation-de-defense-franco-britannique_5358182_3214.html">formes les plus abouties des relations stratégiques à l’échelle de l’Europe ?</a></p>
<p>À l’époque de la présidence du Général de Gaulle, les différends franco-britanniques sur les questions stratégiques représentent pourtant un obstacle de taille à l’entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché commun. Il faut attendre Georges Pompidou, successeur du Général en 1969, pour résoudre ces tensions. Européen convaincu, il favorise les premiers accords franco-britanniques en matière de défense et débloque les négociations menées à Bruxelles à partir de 1970.</p>
<p>Georges Pompidou a su désamorcer avec talent la problématique française de la « bombe anglaise ».</p>
<h2>La « bombe anglaise », un obstacle durable dans les relations franco-britanniques</h2>
<p>La <a href="https://ehne.fr/article/leurope-les-europeens-et-le-monde/action-internationale-et-politiques-exterieures-de-lunion-europeenne/la-relation-speciale-anglo-americaine-mythe-et-realite"><em>special relationship</em></a> que les Britanniques entretiennent avec les Américains après la Seconde Guerre mondiale conduit rapidement le Général de Gaulle a les considérer comme le « cheval de Troie » des États-Unis en Europe. Lui, au contraire, a choisi pour la France la <a href="http://www.sgdsn.gouv.fr/discours/la-defense-et-les-moyens-de-lindependance-strategique-hommes-industries-capacites/">doctrine de l’« indépendance nationale »</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/310933/original/file-20200120-69582-1nzlo1v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/310933/original/file-20200120-69582-1nzlo1v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/310933/original/file-20200120-69582-1nzlo1v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=994&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/310933/original/file-20200120-69582-1nzlo1v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=994&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/310933/original/file-20200120-69582-1nzlo1v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=994&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/310933/original/file-20200120-69582-1nzlo1v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1249&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/310933/original/file-20200120-69582-1nzlo1v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1249&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/310933/original/file-20200120-69582-1nzlo1v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1249&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Missile Polaris de la Royal Navy exposé à l’Imperial War Museum.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/6/6a/PolarisMissileIWMLondon.jpg/362px-PolarisMissileIWMLondon.jpg">John Griffith/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>À l’époque, les dirigeants britanniques ne mesurent pas combien cette divergence politico-stratégique va peser sur leurs relations avec la France. En décembre 1962, à la conférence de Nassau, les Britanniques acceptent de placer leur arme nucléaire entre les mains des Américains par l’achat des missiles Polaris (missiles balistiques mer-sol, destinés aux sous-marins).</p>
<p>Les conséquences sont immédiates : le 14 janvier 1963, de Gaulle pose son <em>veto</em> à l’entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché commun. Le 27 novembre 1967, le Général réaffirme ce refus par un second <em>veto</em>, malgré le considérable travail mené par les négociateurs à Bruxelles.</p>
<h2>La « stratégie anglaise » de Georges Pompidou</h2>
<p>En juin 1969, Georges Pompidou remporte les élections présidentielles après la démission du Général, et hérite – entre autres dossiers – de ce problème de la « bombe anglaise ».</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/310927/original/file-20200120-69563-1nm2nf6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/310927/original/file-20200120-69563-1nm2nf6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/310927/original/file-20200120-69563-1nm2nf6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=973&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/310927/original/file-20200120-69563-1nm2nf6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=973&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/310927/original/file-20200120-69563-1nm2nf6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=973&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/310927/original/file-20200120-69563-1nm2nf6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1222&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/310927/original/file-20200120-69563-1nm2nf6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1222&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/310927/original/file-20200120-69563-1nm2nf6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1222&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le caricaturiste britannique Cummings ironise sur la liste des exigences françaises que doit faire valoir le premier ministre français Georges Pompidou.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.cvce.eu/obj/caricature_de_cummings_sur_les_conditions_d_adhesion_du_royaume_uni_aux_ce-fr-7341df8d-e5ac-42b2-96bb-eafcc6c58a97.html">_De Gaulle : 300 caricatures de 50 dessinateurs_, Cérès, 1967</a></span>
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<p>En organisant le sommet de La Haye en décembre 1969, il parvient à relancer le processus de construction européenne et à sortir la France de l’isolement diplomatique dans lequel le double <em>veto</em> gaulliste a contribué à la placer. Dès cette époque, le Président Pompidou est favorable à l’élargissement de la Communauté européenne à de nouveaux membres, et la <a href="https://www.georges-pompidou.org/sites/default/files/documents/pompidou-gb.pdf">Grande-Bretagne apparaît comme un candidat de choix</a>.</p>
<p>Véritable spécificité de la pensée stratégique pompidolienne, c’est dans le domaine de l’industrie que la coopération franco-britannique en matière de défense trouve son épanouissement. Dans les années 1970, celle-ci se traduit par la mise en service de l’avion Jaguar, la construction des hélicoptères Lynx, Gazelle et Puma, et la fabrication des missiles air-surface Martel.</p>
<p>Mais, pour Pompidou, cette « stratégie anglaise » n’a pas seulement pour but de privilégier des relations bilatérales entre la France et la Grande-Bretagne. Il voit plus large. Leur nouveau dynamisme doit surtout convaincre les autres membres de la Communauté européenne de la nécessité de renforcer la sécurité européenne dans un contexte international qui inquiète le Président français.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/310936/original/file-20200120-69568-wr1ape.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/310936/original/file-20200120-69568-wr1ape.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=218&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/310936/original/file-20200120-69568-wr1ape.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=218&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/310936/original/file-20200120-69568-wr1ape.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=218&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/310936/original/file-20200120-69568-wr1ape.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=274&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/310936/original/file-20200120-69568-wr1ape.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=274&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/310936/original/file-20200120-69568-wr1ape.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=274&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’AS 37 Martel.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.deltareflex.com/site/wp-content/uploads/2017/03/accmartel.jpg">Cyril Defever, site « Delta Reflex, l’aviation militaire d’hier et d’aujourd’hui ».</a></span>
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<p>Parallèlement, les négociations pour l’adhésion de la Grande-Bretagne au Marché commun reprennent. À l’initiative de Pompidou, elles se recentrent désormais sur les questions économiques et les tensions sous-jacentes liées aux problèmes de défense ne doivent plus interférer. Ceux-ci font désormais l’objet de discussions parallèles. Ainsi, là où le Général faisait du règlement de ces questions une condition pour l’entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché Commun, Georges Pompidou en fait désormais une conséquence destinée à servir l’approfondissement de la sécurité en Europe.</p>
<p>Ce changement de paradigme dans la pensée stratégique française se traduit concrètement : après le succès des négociations de Bruxelles <a href="https://m.ina.fr/video/CAF89003288/allocution-de-monsieur-georges-pompidou-video.html">et le référendum français</a>, la Grande-Bretagne entre dans le Marché commun le 1<sup>er</sup> janvier 1973.</p>
<h2>L’héritage pompidolien</h2>
<p>Après cette adhésion, la signature de la <a href="https://www.cvce.eu/obj/la_declaration_d_ottawa_19_juin_1974-fr-f346514e-080b-4053-a25d-abfd0e3d4f26.html">Déclaration d’Ottawa, le 19 juin 1974</a>, est un premier événement à mettre au compte de l’héritage pompidolien – car le Président, décédé le 2 avril 1974, ne peut personnellement en revêtir le succès. Dans ce texte, la contribution des forces nucléaires française et anglaise à la défense de l’Alliance atlantique est enfin reconnue. L’époque où les États-Unis jugeaient ces forces « tierces » comme nuisant à la politique globale de dissuasion en temps de guerre froide est donc révolue. La coopération entre la bombe française et la bombe anglaise, amorcée sous Georges Pompidou, permet donc à chacune de gagner en crédibilité.</p>
<p>Pompidou ne se serait sans doute pas contenté de cette reconnaissance. La coopération stratégique franco-britannique, telle qu’il l’envisage, doit surtout conduire à la création d’une défense européenne autonome vis-à-vis de l’Alliance atlantique. Depuis, cette vision pompidolienne se retrouve dans les différents accords franco-britanniques en matière de défense, <a href="https://www.robert-schuman.eu/fr/questions-d-europe/0122-l-europe-de-la-defense-du-sommet-de-saint-malo-a-la-presidence-francaise-de-l-union-europeenne">comme les accords de Saint-Malo de 1998</a> et le traité de Lancaster House de 2010. La volonté pompidolienne de favoriser la coopération des industries d’armement françaises et anglaises est d’ailleurs concrétisée par ce traité : l’entreprise franco-britannique MBDA, spécialisée dans la fabrication de missiles, devient le cadre privilégié des nouveaux programmes d’armement bilatéraux.</p>
<h2>L’avenir de la coopération stratégique franco-britannique en période de Brexit</h2>
<p>À l’heure du Brexit, ce sont les réussites et les perspectives opérationnelles, industrielles et nucléaires de ce traité quela <a href="https://www.iris-france.org/78039-le-brexit-peut-il-tuer-lancaster-house/">France et la Grande-Bretagne craignent de voir remises en cause</a>. Cette situation critique questionne l’héritage et l’avenir de leurs relations stratégiques, selon plusieurs hypothèses et scénarios :</p>
<ul>
<li><p>les « cavaliers seuls » : si la France et la Grande-Bretagne décident de découpler les questions de défense et les autres domaines de négociation du Brexit, elles peuvent envisager de conserver le cadre actuel de leur coopération bilatérale qui ne dépend pas directement de l’Union européenne. Pour les deux pays, le risque serait d’être perçus tels des « cavaliers seuls », privilégiant la sauvegarde de leurs acquis et la poursuite de leurs objectifs au détriment d’une défense européenne en difficulté. Si Pompidou a lui-même dissocié les questions stratégiques des questions agricoles, économiques et monétaires lors de l’adhésion britannique au Marché commun, il n’aurait pas pour autant joué la « bombe anglaise » contre l’approfondissement de la défense européenne.</p></li>
<li><p>l’« option OTAN » : la France ayant réintégré en 2007 le commandement intégré de l’organisation, les effets stratégiques du Brexit n’empêcheraient pas les Français et les Britanniques de coopérer dans des opérations militaires conjointes sous commandement onusien. De fait, la restriction des relations franco-britanniques à ce seul cadre romprait ici largement avec l’héritage gaullo-pompidolien – les deux pays renonçant alors à la possibilité de définir une ligne stratégique autonome vis-à-vis des États-Unis.</p></li>
<li><p>la solution du « pays tiers » : par son statut de puissance nucléaire, la Grande-Bretagne pourrait négocier un statut de « pays tiers » pour conserver son rôle dans la défense et la sécurité européennes. Ce scénario rencontrerait probablement les faveurs du pragmatisme pompidolien, à condition que les nouveaux accords ne remettent pas en cause l’autonomie des choix stratégiques de l’Union européenne post-Brexit et les spécificités de son processus de décision.</p></li>
</ul>
<h2>La « bombe anglaise », un paradoxe français ?</h2>
<p>Les incertitudes provoquées par le Brexit mettent en évidence le paradoxe français de la « bombe anglaise » : elle qui a longtemps fondé le désaccord entre Paris et Londres se retrouve désormais au cœur de leurs relations bilatérales en matière stratégique.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/0ViTAA6IdZQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Jugée par de Gaulle comme un obstacle à l’entrée des Britanniques dans le Marché commun, elle représente aujourd’hui un des héritages que la France souhaite préserver des effets de Brexit.</p>
<p>Cependant, entre ces deux attitudes opposées, la « bombe anglaise » exprime moins un paradoxe qu’un changement de paradigme dans la pensée stratégique française à l’époque de Georges Pompidou.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/126381/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alice de Lyrot est membre de la Société française d'histoire politique. </span></em></p>Européen convaincu, Pompidou favorise les premiers accords franco-britanniques en matière de défense et débloque les négociations menées à Bruxelles à partir de 1970.Alice de Lyrot, Doctorante en histoire contemporaine, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1298352020-01-15T17:59:47Z2020-01-15T17:59:47ZCorée du Nord/États-Unis : un seul lit pour deux rêves en 2020 ?<p><em>« Un seul lit pour deux rêves » est une formule tirée d'un proverbe chinois, utilisée par Chou En-lai (ministre des Affaires étrangères chinois sous Mao) et titre d'un <a href="https://www.persee.fr/doc/polit_0032-342x_1982_num_47_1_3120_t1_0188_0000_5">livre</a> remarqué d'André Fontaine paru en 1981 et évoquant la période de détente (1963-1980) non dénuée d'arrière-pensées entre l'Union soviétique et les États-Unis.</em></p>
<p>Après la spectaculaire détente de 2018 dans la péninsule, l’année 2019 a vu les pourparlers entre les États-Unis et la Corée du Nord marquer le pas à la suite du fiasco du <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2019/02/28/01003-20190228ARTFIG00220-sommet-de-hanoi-kim-et-trump-dans-l-impasse-nucleaire.php">deuxième sommet de Hanoï en février 2019</a> entre les deux dirigeants. D’autres discussions bilatérales, menées à un niveau inférieur, se sont également terminées sur une impasse.</p>
<p>Pensant amener les États-Unis à des concessions, la Corée du Nord est revenue à sa politique éprouvée de provocations militaires avec des tirs divers : artillerie, roquettes, missiles à courte portée. Ceux-ci ont été invariablement minorés par Washington qui les a même qualifiés de « projectiles », ne voulant pas remettre en cause le bénéfice du moratoire sur les tirs de missiles balistiques et nucléaires que le président Trump s’est targué d’avoir obtenu de Kim Jong‑un. En décembre, la Corée du Nord n’a pas hésité à procéder à deux tirs de missiles à partir de sa base de lancement de satellites de Sohae, évoquant la <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Coree-nord-accelere-programme-nucleaire-militaire-2019-12-14-1201066471">détention d’une « nouvelle arme stratégique »</a>. Poussant plus loin la menace, elle a même fait du 31 décembre une date butoir pour la reprise des négociations, laissant planer le doute sur un possible nouveau tir nucléaire qui mettrait Washington au pied du mur.</p>
<p>Toutefois, le discours de fin d’année du jeune dirigeant nord-coréen change la donne. Quittant la rhétorique belliqueuse, il a en effet adopté un ton grave, annonçant une nouvelle orientation du pays sans que l’on comprenne si ce discours est à usage interne ou externe. Pourquoi Kim Jong‑un a-t-il publiquement acté la faillite des négociations menées avec les États-Unis ? Faute d’une levée des sanctions, va-t-on vers la reprise des essais nucléaires ? Et si, pour des raisons de politique intérieure, Kim Jong‑un et Donald Trump étaient condamnés à s’appuyer l’un sur l’autre et à « s’entendre » ?</p>
<h2>Chronique d’une faillite diplomatique annoncée</h2>
<p>L’extrême personnalisation des négociations entre les États-Unis et la Corée du Nord avait été considérée comme le socle d’une politique inédite, bien que largement critiquée en raison de sa complaisance pour la normalisation d’un régime proliférant.</p>
<p>Au lendemain de la première rencontre de Singapour en juin 2018, un Donald Trump euphorique avait voulu convaincre le monde entier <a href="https://www.nytimes.com/2018/06/13/us/politics/trump-north-korea-nuclear-threat-.html">qu’il n’y avait plus de menace nucléaire nord-coréenne</a> avant de découvrir que les deux parties avaient une conception très différente de la dénucléarisation qu’ils s’étaient fixée comme objectif. Pyongyang envisageait cette dénucléarisation comme un processus progressif, étendu à l’ensemble de la péninsule et accompagné de fortes garanties de sécurité américaines, dont la signature d’un traité de paix. À Hanoï, en février 2019, ce sont les termes mêmes de l’engagement envisagé qui ont posé problème.</p>
<p>Donald Trump a assuré que Kim Jong‑un souhaitait la levée de toutes les sanctions pesant sur son pays contre le démantèlement, déjà promis par le passé, de la centrale de Yongbyon. La partie nord-coréenne a souhaité rectifier ces affirmations en assurant n’avoir demandé en échange de l’arrêt de la centrale qu’une levée partielle des mesures affectant le plus durement la population. Le 30 juin 2019, la rencontre impromptue de Panmunjom entre les deux dirigeants, dans le périmètre hautement symbolique de la zone démilitarisée (<em>Demilitarized Zone</em>, DMZ), entretient l’illusion qu’une négociation peut encore aboutir. Sur son compte Twitter, Donald Trump insiste sur les avantages économiques qu’apporterait la dénucléarisation.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1117035779589648386"}"></div></p>
<p>S’accrochant aux perspectives d’une reprise du dialogue, en pensant que sa politique de maintien des sanctions fonctionnerait, la partie américaine a soigneusement évité tout au long de l’année 2019 de renchérir sur les provocations nord-coréennes, s’abstenant de s’associer aux condamnations des tirs nord-coréens au sein du Conseil de sécurité. En décembre, Washington s’était même refusé à apporter son soutien à une initiative pour l’organisation d’une réunion au Conseil de sécurité sur la situation des droits de l’homme en Corée du Nord, empêchant ainsi sa tenue. Confronté à la perspective d’une procédure de destitution et déjà ouvertement en campagne pour sa réélection, le président Trump veut continuer à croire, où à faire croire, que sa politique nord-coréenne fonctionne.</p>
<h2>Des soutiens chinois et russes constants mais non décisifs</h2>
<p>Afin d’apaiser les tensions, la Russie et la Chine, les deux principaux alliés de la Corée du Nord, ont déposé mi-décembre devant le Conseil de sécurité de l’ONU une <a href="https://www.theguardian.com/world/2018/sep/27/un-security-council-north-korea-sanctions-china-russia-pompeo">proposition de réduction des sanctions</a> sous réserve que le pays avance vers la dénucléarisation.</p>
<p>Au plan économique, les deux pays continuent d’afficher leur soutien sans faille à Kim Jong‑un, sachant qu’un affaiblissement trop notable, qui pourrait provoquer l’effondrement du régime ou le conduire à l’aventurisme nucléaire, reste pour eux le pire scénario envisageable. Il semblerait qu’ils n’appliquent que <a href="https://www.ft.com/content/220c9eac-215b-11ea-92da-f0c92e957a96">partiellement</a> la résolution 2397, selon laquelle les membres des Nations unies devaient renvoyer chez eux les travailleurs nord-coréens présents à l’étranger avant fin décembre 2019. Or ces quelque 100 000 travailleurs à l’étranger constituent une source de devises appréciables pour la Corée du Nord <a href="https://www.treasury.gov/resource-center/sanctions/Programs/pages/nkorea.aspx">selon le département d’État américain</a>.</p>
<p>Toutefois, la coopération économique entre la Corée du Nord et ses deux alliés (transfert de charbon et de pétrole et un commerce transfrontalier restreint) ne suffit pas à aider le jeune dirigeant à lancer la réforme économique d’ampleur dont le pays a besoin. Pour Pékin, qui n’est pas mécontent de reprendre l’ascendant sur un partenaire jugé trop indépendant, la Corée du Nord constitue une variable d’ajustement dans ses relations avec les États-Unis, notamment dans le cadre de la guerre commerciale en cours. C’est de ce point de vue qu’il convient d’appréhender la visite de <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/geopolitique/geopolitique-21-juin-2019">Xi Jinping en Corée du Nord en juin 2019</a>, à la veille du Sommet du G20, la première en quatorze ans d’un chef de l’État chinois à Pyongyang, après les quatre visites de Kim Jong‑un à Pékin au cours des deux dernières années.</p>
<p>Prenant le monde à témoin de sa proximité avec le dirigeant nord-coréen, Pékin a ainsi rappelé implicitement à Washington que la péninsule faisait partie du « pré carré » chinois et que la Chine demeurait un acteur incontournable dans tout règlement de la question nucléaire nord-coréenne. Le message était clair : si Donald Trump souhaite mettre à son actif un succès diplomatique avec une Corée du Nord rétive, il doit faire preuve de souplesse avec la Chine afin que celle-ci incite Pyongyang à faire des concessions.</p>
<h2>La Corée du Nord au milieu du gué</h2>
<p>Si, pour des raisons de politique intérieure, Donald Trump ne reconnaît pas qu’en dépit de ses efforts la relation qu’il a créée avec Kim Jong‑un n’a pas débouché sur un accord, le dirigeant nord-coréen, pour sa part, a publiquement fait le constat de l’improbabilité d’une levée des sanctions internationales lors d’un plénum extraordinaire du comité central du Parti des Travailleurs de Corée du 28 au 31 décembre 2019. Il a annoncé la <a href="https://www.38north.org/reports/2020/01/pressbriefing010220/">fin du moratoire sur les essais de missiles balistiques et nucléaires</a> et sa résolution à vivre sous le poids des sanctions afin de conserver sa capacité nucléaire. La dénucléarisation, sous quelle forme que ce soit, n’est donc plus à l’ordre du jour ; a contrario, <a href="https://www.lci.fr/international/coree-du-nord-le-monde-va-decouvrir-dans-un-proche-avenir-une-nouvelle-arme-strategique-annonce-kim-jong-un-2141664.html">Pyongyang annonce le développement d’une arme stratégique</a>.</p>
<p>Kim Jong‑un est revenu sur les <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/01/02/en-coree-du-nord-l-economie-menacee-par-le-retour-des-tensions_6024602_3210.html">difficultés de l’économie nord-coréenne</a> en ayant recours à une métaphore déjà utilisée précédemment sur la nécessité pour la population de ne pouvoir compter que sur elle-même et de « se serrer la ceinture » en raison de l’intransigeance de Washington. Au-delà de la priorité accordée à l’arme nucléaire, garantie de sécurité du régime mais aussi source de sa légitimité, Kim Jong‑un n’a cessé, depuis son arrivée au pouvoir en 2012, d’insister sur l’importance d’améliorer le quotidien de la population.</p>
<p>Sous son impulsion, une économie semi-capitaliste s’est instaurée. Les marchés privés se sont multipliés, des supermarchés et de petites boutiques sont apparus. Kim Jong‑un entend promouvoir le tourisme avec la construction de complexes modernes comme la station de ski de Samjyon, achevée en décembre 2019, ou la station balnéaire de Wonsan. S’il escompte obtenir des revenus avec le développement d’une activité qui n’est pas sous sanctions, il veut également poursuivre l’ouverture internationale qu’il a lui-même lancée au plus haut niveau et continuer à « normaliser » l’image de son pays.</p>
<p>Tout cela ne suffit cependant pas pour procéder au redressement économique dont la Corée du Nord a un urgent besoin. Mais cet objectif implique un climat régional stable, sans retour à des campagnes de tirs provocantes qui isoleraient davantage le pays et entraîneraient de nouvelles sanctions. Accaparé par le dossier iranien et la gestion de sa campagne électorale, Donald Trump continue à croire en ses bonnes relations avec le leader nord-coréen, dont il a salué l’anniversaire le 10 janvier dernier. Ce dernier semble s’installer dans une posture d’attente, observant les développements de la crise iranienne et sondant peut-être les résultats des élections américaines avec le maintien possible de son « ami » Donald Trump à la Maison Blanche.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/129835/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marianne Péron-Doise ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le discours de fin d’année de Kim Jong‑un a suscité l’émoi : s’achemine-t-on vers une nouvelle crise entre Pyongyang et Washington ? En réalité, les deux parties semblent condamnées à s’entendre.Marianne Péron-Doise, Expert associé au Ceri, chargée du programme Sécurité maritime internationale à l'IRSEM, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1298182020-01-14T21:09:11Z2020-01-14T21:09:11ZLa crise entre les États-Unis, l’Iran et l’Irak : la fin du droit international ?<p>Depuis une dizaine de jours, le conflit larvé entre les États-Unis
et l’Iran a connu une inquiétante escalade, avec un raid meurtrier le 3 janvier qui a notamment causé la mort d’un haut responsable du régime iranien, Ghassem Soleimani, puis une action militaire le 8 contre deux bases de l’armée américaine stationnées en Irak. À ce moment précis, beaucoup ont craint un embrasement de la région, au vu de la force des armées en présence, et c’est avec un certain soulagement que les <a href="https://www.journaldemontreal.com/2020/01/07/iran-trump-fera-une-declaration-mercredi-matin">propos plus apaisants du président Trump</a> ont été accueillis.</p>
<p>Comme on pouvait s’y attendre, ces événements ont suscité des réticences, pour ne pas dire des critiques très vives, de divers spécialistes du droit international (comme <a href="https://www.ejiltalk.org/the-killing-of-soleimani-and-international-law/">Mary Ellen O’Connell, de l’Université de Notre-Dame</a>, <a href="https://www.ejiltalk.org/the-soleimani-strike-and-self-defence-against-an-imminent-armed-attack/">Marko Milanovic, de l’Université de Nottingham</a>, ou <a href="https://www.bbc.com/news/world-51007961">Ralph Wilde, de l’University College London</a>), dont certains ont tout simplement annoncé la mort (comme <a href="https://francais.rt.com/magazines/interdit-d-interdire/69993-iran-usa-la-guerre-est-elle-declaree">Stéphane Rials, de l’Université Paris 2</a>). Pourtant, les États-Unis comme l’Iran ont envoyé une lettre au Conseil de sécurité pour développer une argumentation juridique relativement précise, tournant autour de la légitime défense au sens de <a href="https://www.lawfareblog.com/us-and-iran-submit-article-51-letters-use-force">l’article 51 de la Charte des Nations unies</a>. Ces arguments sont-ils fondés ? Ou ne masquent-ils pas tout simplement une politique de force qui tend à éroder, si non à saper, la Charte ?</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1215374196987060224"}"></div></p>
<h2>Les arguments américains…</h2>
<p>Dans leur lettre du 8 janvier, les États-Unis dénoncent une « série d’attaques » qui auraient préalablement été menées par l’Iran et affirment qu’ils avaient, dès lors, la possibilité de le frapper afin de le « dissuader » d’en mener de nouvelles. L’aspect purement préventif de l’exécution de Soleimani, dont on a prétendu qu’il planifiait des actions meurtrières contre les États-Unis, a été dénoncé par plusieurs spécialistes de droit international, à la fois en raison du manque de preuves avancées à son appui et de sa fragilité sur le plan juridique.</p>
<p>Absente de la Charte ou de la jurisprudence existante, la « guerre » ou la « légitime défense préventive » a en effet été fermement condamnée par l’immense majorité des États, en particulier <a href="https://www.lgdj.fr/le-droit-contre-la-guerre-9782233007001.html">après l’invasion de l’Irak en 2003</a>. Quant aux attaques iraniennes antérieures dénoncées par les États-Unis, un examen attentif des faits allégués laisse pour le moins perplexe. Les incidents qui ont touché leur ambassade le 31 décembre 2019 à Bagdad (aucun mort ni blessé parmi le personnel diplomatique) ainsi que l’action menée par une milice liée à l’Iran le 27 décembre 2019 contre une de leurs bases militaires (un sous-traitant mort et quatre soldats blessés) semblent bien loin d’atteindre le seuil d’une « agression armée » qui, selon le texte de l’article 51 de la Charte, conditionne le déclenchement d’une légitime défense.</p>
<p>Selon la jurisprudence existante, cette notion doit s’entendre assez strictement, précisément pour éviter un engrenage belliqueux : il ne suffit donc pas de pointer un incident ou un accrochage, mais de montrer que l’on est devant l’une des « formes les plus graves de l’emploi de la force » (<a href="https://www.icj-cij.org/fr/affaire/70">Cour internationale de Justice, Affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua</a>, Recueil 1986, p. 101, par. 191).</p>
<p>L’administration Trump se réfère encore à des incidents antérieurs, tels <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/06/20/l-iran-a-abattu-un-drone-americain-au-dessus-du-golfe_5478900_3210.html">l’interception d’un drone américain en juin 2019</a> dans l’espace aérien iranien (selon l’Iran) ou international (selon les États-Unis) ou des accrochages avec des navires de diverses nationalités dans le Golfe. Mais, là encore, ces actes isolés (et qui ne visent pas tous les États-Unis, ce qui empêche ces derniers de s’en prévaloir pour fonder une légitime défense individuelle) peuvent difficilement être assimilés à une agression armée.</p>
<p>On rappellera en ce sens que la Cour internationale de Justice a déjà été amenée à se prononcer sur une série d’incidents dans le Golfe arabo-persique, au début des années 2000. Prenant en compte une série d’entre eux, qui avaient été invoqués par les États-Unis pour <a href="https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_2003_num_49_1_3752">bombarder des plates-formes pétrolières iraniennes</a> en légitime défense, la Cour constate que « même pris conjointement […] ces incidents ne semblent pas à la Cour constituer une agression armée contre les États-Unis […] » (<a href="https://www.icj-cij.org/fr/affaire/90">C.I.J., Affaire des Plates-formes pétrolières (Iran/États-Unis), Recueil 2003, p. 192, par. 64</a>). En transposant ces propos aux événements plus récents, il est manifeste que la « légitime défense » peut difficilement fonder l’action militaire menée contre l’Iran le 3 janvier dernier.</p>
<h2>… et les arguments iraniens</h2>
<p>Est-ce à dire que l’Iran était en droit de riposter en lançant des frappes contres les bases des États-Unis en Irak, le 8 janvier ? Il est permis d’en douter. Certes, on peut sans doute estimer que le raid qui a abouti à la mort de Soleimani, l’un des plus hauts responsables militaires de l’État iranien, est suffisamment grave pour atteindre le seuil d’une agression armée. Cependant, et en tout état de cause, rien ne peut justifier le bombardement d’un État comme l’Irak, lequel n’a donné son consentement ni aux frappes iraniennes, ni aux actions militaires des États-Unis.</p>
<p>On touche ici à l’un des problèmes les plus aigus soulevés par ces événements. Les deux États en conflit font comme s’ils étaient habilités à utiliser le territoire irakien comme un champ de bataille, en le bombardant à plusieurs reprises : rappelons à cet égard une action militaire des <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/12/29/apres-la-mort-d-un-de-ses-ressortissants-washington-frappe-cinq-bases-du-hezbollah-irakien_6024345_3210.html">États-Unis le 29 décembre dernier, qui a fait une trentaine de victimes irakiennes</a>. Or, pour que les armées américaine ou iranienne soient en mesure de viser l’Irak conformément au droit international, il faudrait démontrer que ce dernier a été directement impliqué soit dans les attaques iraniennes contre les États-Unis, soit dans l’action de ces derniers contre le général Soleimani. Une tâche qui s’avère plus que délicate à accomplir au vu des protestations récurrentes de Bagdad, et que ni les États-Unis ni l’Iran n’ont d’ailleurs même envisagées dans leurs lettres adressées à l’ONU.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1215733120365932546"}"></div></p>
<p>C’est dans ce contexte que certains ont annoncé la « mort du droit international », les États s’estimant libres de lancer des actions militaires sur le territoire d’États souverains, sans même chercher à se justifier. L’avenir dira si ce précédent, qui s’ajoute à d’autres (il suffit de penser aux attaques menées par la Turquie contre les Kurdes en Syrie ou en Irak, par exemple), est de nature à rendre obsolète l’instrument élaboré en 1945 en vue d’éloigner les perspectives d’une Troisième Guerre mondiale…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/129818/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olivier Corten ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les États-Unis ont tué Ghassem Soleimani sur le territoire irakien, et l’Iran a réagi en visant des bases américaines situées en Irak. Victime collatérale de cette affaire : le droit international…Olivier Corten, Professeur de droit international, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1274572019-11-26T19:34:54Z2019-11-26T19:34:54ZLa stratégie russe de développement de l’intelligence artificielle<p>Le 1<sup>er</sup> septembre 2017, le président de la Fédération de Russie Vladimir Poutine énonça lors du discours de rentrée universitaire <a href="https://www.larevuedudigital.com/vladimir-poutine-le-leader-en-intelligence-artificielle-dominera-le-monde/">ces propos sentencieux</a> :</p>
<blockquote>
<p>« L’intelligence artificielle est l’avenir, non seulement pour la Russie, mais pour toute l’humanité. Cela présente des opportunités colossales, mais aussi des menaces difficiles à prévoir aujourd’hui. Quiconque deviendra le leader dans ce domaine deviendra le dirigeant du monde. »</p>
</blockquote>
<p>L’<em>oukaze</em> (loi) fixant le cadre, les objectifs et les moyens du développement de l’intelligence artificielle en Russie a été promulgué près de deux ans plus tard, le 10 octobre 2019. Ce <a href="https://cset.georgetown.edu/wp-content/uploads/Decree-of-the-President-of-the-Russian-Federation-on-the-Development-of-Artificial-Intelligence-in-the-Russian-Federation-.pdf">décret présidentiel</a> s’inscrit dans une volonté politique plus large : garantir la souveraineté technologique de la Fédération de Russie. Une ambition qu’est encore venue illustrer la <a href="http://en.kremlin.ru/events/president/news/62003">participation remarquée de Vladimir Poutine</a> à la conférence sur l’intelligence artificielle tenue le 9 novembre 2019 à Moscou.</p>
<h2>Contextualisation historique de la stratégie informationnelle et cyber russe depuis les années 2000</h2>
<p>La <a href="https://www.itu.int/en/ITU-D/Cybersecurity/Documents/National_Strategies_Repository/Russia_2000.pdf">doctrine de la Fédération de Russie en matière de cyberespace</a> – ou plus exactement de « stratégie informationnelle » – date du 9 septembre 2000. Elle a été <a href="https://rg.ru/2016/12/06/doktrina-infobezobasnost-site-dok.html">révisée à la marge le 5 décembre 2016</a>, restant immuable sur ses aspects principaux : la défense des intérêts nationaux (sur le plan technique mais aussi civilisationnel, moral et spirituel) ; la nécessité d’un secteur informationnel propice à l’émergence de champions nationaux et internationaux ; l’appui d’outils et de services informationnels au développement économique ; l’émergence d’une société informationnelle sûre et fiable.</p>
<p>Ce corpus doctrinal, relativement neutre technologiquement, d’où sa pérennité, fut complété au fil des années par plusieurs textes officiels à l’orientation ostensiblement plus technique, qui fournissent des définitions, des rapports de situation, des objectifs, le cadre législatif et la liste des acteurs financiers impliqués.</p>
<p>Citons par exemple la <a href="http://government.ru/en/docs/8024/">Stratégie de développement de l’industrie des technologies de l’information</a> de la Fédération de Russie pour 2014-2020 et perspectives à l’horizon 2025 ou, plus récemment, la <a href="http://en.kremlin.ru/acts/news/54477">Stratégie pour le développement de la société informationnelle 2017-2030</a>. Certains textes complémentaires peuvent être très ciblés, comme la <a href="https://www.wipo.int/edocs/lexdocs/laws/en/ru/ru126en.pdf">loi fédérale sur l’information, les technologies de l’information et de la protection de l’information n°149-FZ</a> du 27 juillet 2006, laquelle sera modifiée à plusieurs reprises, notamment via la <a href="https://www.lexology.com/library/detail.aspx?g=1b82dd62-4be5-4236-b295-7aab0cf0f90c">loi fédérale n°242-FZ</a> du 21 juillet 2014 (concernant la protection des données des citoyens russes hébergées sur des serveurs situés sur le territoire national), la <a href="https://www.loc.gov/law/foreign-news/article/russia-new-legislation-restricts-anonymity-of-internet-users/">loi fédérale n°276-FZ</a> du 29 juillet 2017 (réglementant l’utilisation et le développement des outils d’anonymisation) et la <a href="https://merlin.obs.coe.int/iris/2019/6/article22.en.html">loi fédérale n°90-FZ</a> du 1<sup>er</sup> mai 2019 (qui porte sur la résilience du réseau Internet en cas de blocage ou de dysfonctionnement majeur du DNS).</p>
<p>Il ne faudrait cependant pas omettre les déclarations du président Poutine, qui donnent le la quant aux futures orientations stratégiques du pays. Ce fut l’objet de son fameux <a href="https://www.frstrategie.org/publications/notes/discours-1er-mars-vladimir-poutine-quels-messages-2018">discours</a> du 1<sup>er</sup> mars 2018, en pleine campagne de réélection, face aux représentants des deux Chambres ainsi qu’aux membres du gouvernement Medvedev. Dans un contexte de grande tension avec ses homologues occidentaux, il confirme la détermination de la Russie à assurer sa sécurité militaire par le développement de diverses armes… mais, aussi, de l’intelligence artificielle, évoquée à deux reprises, signe de son importance. D’où son aboutissement logique avec l’oukaze n°490 du 10 octobre 2019.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/302700/original/file-20191120-542-1h60wc8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/302700/original/file-20191120-542-1h60wc8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/302700/original/file-20191120-542-1h60wc8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=505&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/302700/original/file-20191120-542-1h60wc8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=505&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/302700/original/file-20191120-542-1h60wc8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=505&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/302700/original/file-20191120-542-1h60wc8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=634&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/302700/original/file-20191120-542-1h60wc8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=634&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/302700/original/file-20191120-542-1h60wc8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=634&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"></span>
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<h2>L’oukaze du 10 octobre 2019</h2>
<p>Ce décret présidentiel de plus de vingt-trois pages est exclusivement focalisé sur l’intelligence artificielle et sur son écosystème, d’où ce titre sans ambiguïté : « Stratégie nationale du développement de l’intelligence artificielle pour la période s’étendant jusqu’à 2030 ».</p>
<p>Si le texte fixe comme horizon l’année 2030, il prévoit un rapport de situation et la finalisation des premiers objectifs pour l’année 2024, notamment dans le registre de la recherche (au travers du dépôt de brevets ou de publications scientifiques mais aussi de solutions pratiques pleinement fonctionnelles). L’article premier relatif aux dispositions générales annonce que la liste des documents cités n’exclut en rien les programmes nationaux où l’intelligence artificielle viendrait à s’appliquer, à tous les échelons du pays.</p>
<p>La définition russe de l’intelligence artificielle donnée à l’article 5 est la suivante :</p>
<blockquote>
<p>« Ensemble de solutions technologiques permettant de simuler des fonctions cognitives humaines (incluant l’auto-apprentissage et la recherche de solutions sans l’appoint d’algorithmes prédéterminés) et d’obtenir des résultats lors de tâches spécifiques comparables aux résultats de l’activité intellectuelle humaine. »</p>
</blockquote>
<p>Si le document prend soin de rappeler le contexte global de course à l’intelligence artificielle (chiffres à l’appui) et de souligner les ressources techniques et humaines de la Fédération de Russie, il rappelle également qu’une absence de coordination et d’implication des différents acteurs nationaux serait préjudiciable pour la place mondiale de la Russie dans ce secteur stratégique. Il est énoncé distinctement que la recherche scientifique spécifique à ce secteur doit être appuyée, que la qualité et l’accessibilité des données doivent être prioritaires, que les produits et services russes doivent bénéficier d’un accès facilité au marché mondial, que l’obtention de matériel informatique puissant est nécessaire et que l’émergence de cadres qualifiés dans ce domaine et d’un éveil de la population active aux possibilités offerte par l’intelligence artificielle doivent être stimulés.</p>
<p>Assez surprenant toutefois est l’objectif de création d’un système complexe de régulation des relations sociales issues du développement et de l’utilisation de l’intelligence artificielle. Il ne s’agit pas de contrôler les relations sociales déjà existantes par l’appoint de l’intelligence artificielle mais de réguler celles qui sont créées algorithmiquement : c’est là une projection peu commune. Autre point qu’il convient de souligner : le soutien au développement d’architectures matérielles basées sur <a href="https://www.zdnet.fr/actualites/qu-est-ce-que-l-ingenierie-neuromorphique-et-pourquoi-elle-declenche-une-revolution-39880479.htm">l’intelligence neuromorphique</a>.</p>
<p>Fait singulier, le télétravail est évoqué comme l’un des moyens d’attirer des spécialistes du secteur en améliorant leur environnement de recherche et de production. Par ailleurs, le recrutement de spécialistes étrangers est recommandé : pour les attirer, de hauts salaires sont préconisés, concomitamment à un cadre de travail agréable. Plus généralement, le texte octroie une place majeure à l’aspect humain, en insistant sur la qualité de la formation en recherche tant fondamentale qu’appliquée – et cela, sur le long terme.</p>
<p>Sont également encouragées la participation des spécialistes russes aux forums mondiaux et la mise à disposition, au profit de leurs collègues extérieurs, de bibliothèques ouvertes. Il est mentionné que des compétitions pourraient stimuler l’émulation et le progrès (on peut songer à cet égard aux <a href="https://ioinformatics.org/">Olympiades de l’informatique</a> et à l’<a href="https://icpc.baylor.edu">International Collegiate Programming Contest (ICPC)</a> où les universités de l’ex-Union soviétique excellent depuis les années 2000).</p>
<p>Enfin, le texte recommande la mise en place de méthodes unifiées et régulièrement mises à jour permettant de développer des bases de données massives de qualité sur les serveurs publics afin d’alimenter les plates-formes d’apprentissage automatique.</p>
<p>Pour résumer, l’oukaze fixe deux dates butoir : 2024 et 2030. La première date est un point d’étape critique vers la seconde qui doit être l’aboutissement des objectifs fixés. La Russie, ayant appris des rigidités et de l’hypocrisie du Gosplan, a décidé de procéder par une approche cadrée mais non rigide, se ménageant une capacité d’évolution au gré des découvertes et aboutissements. D’où l’avertissement inséré explicitement dans le document sur le potentiel ralentissement que provoqueraient des barrières administratives trop rigoureuses – message comminatoire destiné tant au législateur trop bavard qu’aux fonctionnaires trop zélés qui entraveraient la bonne marche d’une intelligence artificielle à la russe.</p>
<h2>Les enjeux militaires liés au développement de l’IA</h2>
<p>Même si le volet militaire n’apparaît pas directement dans l’oukaze du 10 octobre 2019, il faut garder à l’esprit qu’il est bien présent en arrière-plan de chaque direction ou préconisation fixée par ce texte.</p>
<p>La doctrine militaire russe a pleinement intégré l’apport de l’intelligence artificielle dans le contexte global de robotisation du champ de bataille pour le combat terrestre, aérien, naval, sous-marin, cyber puis spatial. En 2018, le chef d’état-major des forces russes <a href="https://forcesoperations.com/la-guerre-du-futur-vue-par-les-russes/">indiquait</a> que la Russie s’engageait vers la robotisation de 33 % de ses matériels et de ses systèmes d’armes. Depuis, plusieurs hauts responsables ont déclaré qu’il fallait impérativement retirer le soldat russe de la zone d’immédiate conflictualité pour le remplacer par des plates-formes armées robotisées télé-opérées et semi-autonomes. La <a href="https://fr.rbth.com/tech/80667-russie-drones-combat-devoiles">« dronification » des matériels militaires terrestres russes</a> est en bonne marche.</p>
<p>De nombreuses plates-formes ont été développées, testées et améliorées, <a href="http://www.spacewar.com/reports/Russia_tested_over_200_new_weapons_in_Syria_MP_999.html">y compris sur le théâtre de guerre syrien</a>. De grands programmes industriels ont été lancés comme celui du char de combat <a href="https://fr.rbth.com/defense/2017/05/16/le-char-russe-t-14-armata-equipe-des-technologies-furtives_763914">T14 Armata</a> qui évolue rapidement vers une plate-forme télé-opérée sans équipage (sans doute la première au monde de ce genre). Ou encore le projet d’aéronef de cinquième génération Su-57 qui, en sa prochaine mouture, est censé embarquer un système intégré algorithmique de complète délégation de vol. On ne compte plus le nombre de plates-formes robotisées de taille intermédiaire créées depuis 2015 et utilisées pour les campagnes de déminage, de détection d’explosifs, d’actions en zone ayant subi une pollution NRBC (nucléaire, radiologique, biologique et chimique), d’acquisition de renseignements, de surveillance automatique de zones sensibles, de logistique, de ravitaillement ou d’appui feu. Les forces terrestres russes seront dotées de plates-formes modulables, robustes, rapidement configurables et adaptables à des missions et à des contextes spécifiques comme le combat en milieu sous-terrain (grottes et tunnels), toujours très coûteux en vies humaines.</p>
<p>Fin 2009, les premiers robots de combat terrestre (UGV) russes dotés de capacités de duplication d’actions de combat ont fait leur apparition, à l’image du <a href="https://www.c4isrnet.com/unmanned/2019/03/04/russias-new-robot-is-a-combat-platform-with-drone-scouts/">robot Marker</a>, capable de suivre automatiquement un combattant humain superviseur et de reproduire fidèlement ses tirs lorsque celui-ci ouvre le feu sur une cible. Le développement d’UGV armés « dupliquants » transforme en profondeur les mécanismes du combat terrestre et constitue un important multiplicateur de puissance sur le théâtre des opérations.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/HfYuDHphx1M?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Présentation du robot Marker, publiée par la Fondation russe pour les projets de recherche avancés, février 2019.</span></figcaption>
</figure>
<p>Concrètement, le robot doit intervenir partout où il peut économiser le sang russe. La doctrine d’économie du sang est aussi liée à l’économie financière engendrée par le remplacement d’équipages humains par des systèmes automatisés produits en grande série. Ce choix stratégique de dronification des systèmes est d’ailleurs totalement partagé par les concurrents <a href="https://www.forbes.com/sites/sebastienroblin/2019/09/30/dont-just-call-them-drones-a-laypersons-guide-to-military-unmanned-systems-on-air-land-and-sea/#b068fd72b005">chinois et américain</a>.</p>
<p>Quel que soit le milieu de confrontation (terre, air, mer, cyber), nous assistons ainsi à une course à l’autonomisation des systèmes d’armes impliquant les trois acteurs principaux – Russie, Chine, États-Unis. Cette course à l’armement semi-autonome s’appuie nécessairement sur les progrès technologiques et scientifiques réalisés en apprentissage automatique, en robotique, en optimisation ou en contrôle optimal. Les besoins en expertise dans ces champs de recherche motivent pleinement les mesures d’incitation au recrutement d’experts internationaux en IA et le développement de laboratoires et de structures de formation de haut niveau en IA.</p>
<p>Comme elle a su le faire pour la conquête spatiale au milieu du XX<sup>e</sup> siècle, la Russie s’est mise en ordre de marche pour la conquête de l’intelligence artificielle. Méthodiquement, sereinement, efficacement, elle installe ce puissant vecteur de puissance dans l’ensemble de ses structures militaro-industrielles.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/127457/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le décret président adopté le 9 octobre 2019 fixe les objectifs de la Russie en matière d'intelligence artificielle. Un programme d'une grande ambition, notamment dans le domaine militaire.Thierry Berthier, Maitre de conférences en mathématiques, cybersécurité et cyberdéfense, chaire de cyberdéfense Saint-Cyr, Université de LimogesYannick Harrel, Consultant, expert en cyberstratégie et géonomie, chercheur, Université de Petrosani, Université PetrosaniLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1255302019-10-23T13:26:00Z2019-10-23T13:26:00ZAbandonner nos valeurs pour des ventes d’armes: l’étrange relation entre le Canada et l’Arabie saoudite<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/297944/original/file-20191021-56234-1hqr4yk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des Yéménites assistent aux funérailles des victimes d'une attaque aérienne dirigée par l'Arabie saoudite à Saada, en août 2018.</span> <span class="attribution"><span class="source">AP Photo/Hani Mohammed</span></span></figcaption></figure><p>C’est en août 2018 que la relation entre le Canada et le royaume d’Arabie saoudite semble s’être détériorée et ce, de manière fort visible et contemporaine, c’est à dire sur Twitter.</p>
<p>Tout a débuté lorsque la ministre des Affaires étrangères Christine Freeland s’est livrée à une timide critique de la longue histoire <a href="https://www.hrw.org/fr/world-report/2019/country-chapters/325579">d’abus des droits humains</a> du royaume. La riposte du gouvernement saoudienne ne s’est pas faite attendre: <a href="https://www.cbc.ca/news/politics/saudi-retaliation-canada-memo-1.5085832">il a immédiatement suspendu les relations diplomatiques avec le Canada et bloqué un certain nombre d’accords dans les domaines commerciaux, de l’investissement et de l’éducation</a>.</p>
<p>Aux yeux de plusieurs, le Canada semblait <a href="https://www.theguardian.com/world/2018/aug/08/saudi-arabia-canada-latest-egypt-russia">se tenir droit</a> en mettant en avant la défense des droits humains plutôt que ses intérêts commerciaux. Ce qui s’inscrivait en droite ligne avec les positions du premier ministre libéral Justin Trudeau et de son gouvernement, qui se présentent comme les champions de la lutte contre les <a href="https://www.thestar.com/news/canada/2015/11/30/busy-day-for-trudeau-at-paris-climate-change-talks.html">changements climatiques</a>, du droit international, des droits de la personnes, de la communauté LGBTQ, ainsi que des femmes, incluant <a href="https://www.international.gc.ca/world-monde/issues_development-enjeux_developpement/priorities-priorites/fiap_action_areas-paif_champs_action.aspx?lang=fra">une politique étrangère explicitement féministe.</a></p>
<h2>Aux antipodes?</h2>
<p>Le Canada de Trudeau semble également incarner l’inverse d’un royaume conservateur tristement réputé par son <a href="https://www.theweek.co.uk/60339/things-women-cant-do-in-saudi-arabia">mépris des droits de la femme</a> les plus élémentaires, comme le droit de conduire ou de voyager sans l’autorisation d’un tuteur masculin. Cette infamie s’assortit de fréquentes condamnations à mort. On a aussi recours aux <a href="https://www.independent.co.uk/news/world/middle-east/saudi-arabias-human-rights-abuses-10-examples-a6794576.html">décapitations et crucifixions publiques</a> pour punir les manifestations, l’homosexualité ou la <a href="https://www.theatlantic.com/international/archive/2013/08/saudi-arabias-war-on-witchcraft/278701/">sorcellerie</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/296467/original/file-20191010-188807-11jgl3m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/296467/original/file-20191010-188807-11jgl3m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=361&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/296467/original/file-20191010-188807-11jgl3m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=361&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/296467/original/file-20191010-188807-11jgl3m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=361&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/296467/original/file-20191010-188807-11jgl3m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=454&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/296467/original/file-20191010-188807-11jgl3m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=454&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/296467/original/file-20191010-188807-11jgl3m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=454&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le square Deera à Riyad dont le nom familier est « le square de la découpe » en raison des décapitations qui y prennent place.</span>
<span class="attribution"><span class="source">WikiMedia Commons, Photographe: Luke Richard Thompson, 2011</span></span>
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</figure>
<p>La dispute entre le Canada et les Saoudiens <a href="https://www.ctvnews.ca/canada/trudeau-says-canada-wants-saudi-answer-on-its-role-in-khashoggi-killing-1.4178098">s’est aggravée</a> suite à <a href="https://www.theguardian.com/world/2018/oct/12/how-jamal-khashoggi-disappeared-visual-guide">l’enlèvement et au démembrement de Jamal Khashoggi à l’intérieur du consulat saoudien à Istambul en octobre 2018</a>. Khashoggi était un dissident saoudien qui vivait en exil à Washington où il travaillait comme <a href="https://www.washingtonpost.com/people/jamal-khashoggi/">journaliste au <em>Washington Post</em></a>.</p>
<p>Khashoggi devait se rendre au Canada cet automne ou il collaborait avec un autre exilé saoudien, <a href="https://citizenlab.ca/2018/10/how-a-canadian-permanent-resident-and-saudi-arabian-dissident-was-targeted-with-powerful-spyware-on-canadian-soil/">Omar Abdulaziz</a>. Il travaillaient <a href="https://www.cbc.ca/news/world/khashoggi-israel-lawsuit-omar-abdulaziz-saudi-arabia-1.4929952">sur un projet</a> visant à défier et <a href="https://www.cbc.ca/news/world/khashoggi-israel-lawsuit-omar-abdulaziz-saudi-arabia-1.4929952">contrôler les trolls internet favorables à la monarchie saoudienne</a>.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/296594/original/file-20191011-188787-hlnnfl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/296594/original/file-20191011-188787-hlnnfl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/296594/original/file-20191011-188787-hlnnfl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=406&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/296594/original/file-20191011-188787-hlnnfl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=406&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/296594/original/file-20191011-188787-hlnnfl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=406&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/296594/original/file-20191011-188787-hlnnfl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/296594/original/file-20191011-188787-hlnnfl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/296594/original/file-20191011-188787-hlnnfl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">L’assassinat de Khashoggi a aggravé la dispute entre le Canada et l’Arabie saoudite.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse Canadienne/AP/Hasan Jamali</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cela faisait partie d’un effort des réformistes libéraux saoudiens cherchant à faire avancer les changements au royaume, à commencer par des pistes de solution pour la liberté d’expression. C’était bien là le contentieux d’août 2018. Mme Freeland avait gazouillé en faveur du blogueur Raid Badawi, et de sa sœur libérale réformiste, <a href="https://www.aljazeera.com/news/2019/06/saudi-women-rights-activist-samar-badawi-appears-court-190627074012916.html">Samar Badawi</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1025030172624515072"}"></div></p>
<p>Le Canada s’est engagé de manière moins visible en soutenant les enquêtes indépendantes sur <a href="https://thedefensepost.com/2019/09/26/un-yemen-war-crimes-investigation-extended/">les allégations de crimes de guerre à l’encontre de l’Arabie saoudite au Yémen</a>. Le Canada s’est également joint à plusieurs nations européennes pour applaudir les réformes récentes au royaume <a href="https://www.cbc.ca/news/world/geneva-saudi-statement-1.5294025">tout en condamnant les violations des droits de la personne</a>.</p>
<p>Mais ces efforts ne font pas le poids contre l’aide apportée par le Canada à l’Arabie saoudite dans le cadre de la guerre civile au Yémen.</p>
<h2>Le soutien des conservateurs</h2>
<p>Le soutien a débuté en mars 2015, tout de suite après l’intervention saoudienne en tête de la coalition intervenant au Yémen. Rob Nicholson, le ministre conservateur des Affaires étrangères de l’époque, <a href="https://twitter.com/HonRobNicholson/status/599295989879541760?s=20">a publiquement félicité l’Arabie saoudite</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"599295989879541760"}"></div></p>
<p>Ottawa a appuyé ce commentaire en exportant <a href="https://www.theglobeandmail.com/news/politics/the-saudi-arms-deal-what-weve-learned-so-far/article28180299/">des quantités importantes d’armes</a> destinées à aider l’Arabie saoudite à faire la guerre.</p>
<p>Le gouvernement Trudeau est parfaitement au fait de ces ventes. Après la venue au pouvoir des Libéraux fin 2015, le feu vert a été donné à l’exportation vers l’Arabie saoudite de véhicules blindés légers fabriqués par General Dynamics Land Systems Canada (GDLS).</p>
<p>Selon <a href="https://www.international.gc.ca/controls-controles/assets/pdfs/documents/Memorandum_for_Action-eng.pdf">un mémo déclassifié</a>, la logique derrière cette décision était que ces véhicules seraient utiles aux efforts de l’Arabie saoudite afin de « contrecarrer l’instabilité » au Yémen.</p>
<p>Je pense que nous sommes nombreux à penser que l’impact de la coalition menée par les Saoudiens au Yémen est <a href="https://www.youtube.com/watch?v=WPa6HUxy11w">loin d’avoir été un facteur de stabilité…</a></p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/296587/original/file-20191011-188840-1fx7asm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/296587/original/file-20191011-188840-1fx7asm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/296587/original/file-20191011-188840-1fx7asm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=545&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/296587/original/file-20191011-188840-1fx7asm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=545&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/296587/original/file-20191011-188840-1fx7asm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=545&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/296587/original/file-20191011-188840-1fx7asm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=685&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/296587/original/file-20191011-188840-1fx7asm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=685&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/296587/original/file-20191011-188840-1fx7asm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=685&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">The GDLS LAV II.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Le LAV II de General Dynamics Land Systems Canada</span></span>
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</figure>
<p>Un rapport récent publié par le Groupe d’experts sur le Yémen <a href="https://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/A_HRC_42_17.pdf">stipule que</a> « les livraisons d’armes aux différentes factions impliquées dans le conflit au Yémen pérennisent ce conflit et les souffrances infligées sa population ».</p>
<p>Ce qui inclut <a href="https://news.un.org/en/story/2019/03/1035501">100 000 morts et des millions de victimes de la famine</a>.</p>
<h2>Des armes difficiles à trouver</h2>
<p>De ce fait, l’Arabie saoudite fait désormais face à des difficultés d’approvisionnement en armes. L’<a href="https://www.dw.com/en/german-arms-export-freeze-on-saudi-arabia-extended/a-50481984">Allemagne</a> a annoncé l’annulation de ses contrats avec l’Arabie saoudite suite à l’affaire Khashoggi. Les tribunaux anglais ont statué que les exportations d’armes vers l’Arabie saoudite étaient illégales <a href="https://www.theguardian.com/law/2019/jun/20/uk-arms-sales-to-saudi-arabia-for-use-in-yemen-declared-unlawful">compte tenu</a> de la situation au Yémen. D’autre pays, <a href="https://www.reuters.com/article/us-yemen-security-norway-emirates/norway-suspends-arms-sales-to-uae-over-yemen-war-idUSKBN1ES0HG">la Norvège</a> et <a href="https://www.middleeasteye.net/news/denmark-suspends-arms-exports-uae-over-yemen-war-report">le Danemark</a>, ont même interrompu leurs livraisons aux Émirats arabes unis, alliés de la coalition Saoudienne au Yémen.</p>
<p>Plus récemment encore, les autorités belges ont annulé les livraisons d’armes à l’Arabie saoudite, quoiqu’il subsiste un doute à savoir si les <a href="https://www.rtbf.be/info/belgique/detail_le-conseil-d-etat-annule-les-licences-d-exportations-d-armes-wallonnes-en-arabie-saoudite?id=10246413">tourelles exportées au Canada </a> pourraient être installées sur des blindés légers destinés aux Saoudiens.</p>
<p>Malgré tous ces efforts, ainsi que ceux du congrès américain de <a href="https://www.rtbf.be/info/belgique/detail_le-conseil-d-etat-annule-les-licences-d-exportations-d-armes-wallonnes-en-arabie-saoudite?id=10246413">bloquer les ventes</a> d’armes en raison des violations des droits de la personne au Yémen, le Canada n’a pas embarqué. Bien que le gouvernement Trudeau ait annoncé en octobre 2018 une « <a href="https://www.aljazeera.com/news/2019/08/canadians-seek-cancellation-major-arms-deal-saudi-arabia-190809191316431.html">évaluation</a> » des transactions d’armes avec l’Arabie saoudite, cette évaluation traîne, pendant que les ventes d’armes continuent pour un nombre non divulgué de <a href="https://www.cbc.ca/news/politics/canada-saudi-arms-deal-1.4579772">permis déjà en cours</a>.</p>
<p>Depuis l’assassinat de Kashoggi, on parle d’un montant d’<a href="https://www5.statcan.gc.ca/cimt-cicm/topNCommodity-marchandise?lang=fra&getSectionId%28%29=0&dataTransformation=0&scaleValue=0&scaleQuantity=0&refYr=2019&refMonth=8&freq=9&countryId=369&getUsaState%28%29=0&provId=1&retrieve=Retrieve&country=null&tradeType=">au moins 1,34 milliard de dollars</a>.</p>
<h2>L’implication du Canada se poursuit</h2>
<p>Bien que le gouvernement ait annoncé qu’il n’accorderait <a href="https://globalnews.ca/video/5862537/freeland-says-no-deals-with-saudi-arabia-have-been-done-since-death-of-journalist-jamal-khashoggi">pas de nouveaux permis d’exportation</a> durant cette période d’évaluation, il ne s’agit guère plus que d’un geste symbolique, le gouvernement saoudien ayant <a href="https://www.cbc.ca/news/politics/saudi-retaliation-canada-memo-1.5085832">déjà annoncé</a> l’annulation de toute nouvelle transaction avec des compagnies canadiennes.</p>
<p>Aucun des nouveaux blindés n’ont encore été repérés au Yémen, mais des modèles fabriqués au Canada plus anciens ainsi que des <a href="https://twitter.com/Silah_Report/status/973996196976119808">fusils à lunette</a> font <a href="https://lostarmour.info/yemen/">régulièrement leur apparition</a> sur les champs de bataille <a href="https://www.youtube.com/watch?v=NZhv-IlPNEE">selon des vidéos distribuées par les forces saoudiennes et yéménites</a>. La guerre au Yémen est également inondée de véhicules blindés fabriqués par d’autres compagnies canadiennes, <a href="https://www.international.gc.ca/controls-controles/assets/pdfs/documents/memorandum-memo.pdf">comme le groupe Streit, basé au Émirats, ainsi que Terradyne Armored et IAG</a>.</p>
<p><a href="https://www.prnewswire.com/news-releases/pratt--whitney-celebrates-the-inauguration-of-a-new-middle-east-propulsion-company-facility-159993065.html">Des moteurs d’avion fabriqués au Canada</a> équipent des avions, <a href="https://www.ainonline.com/aviation-news/defense/2015-11-08/iomax-production-archangel-ready-uae-forces">des chasseurs</a> et <a href="https://www.dsca.mil/major-arms-sales/saudi-arabia-ah-64d-apache-uh-60m-blackhawk-ah-6i-light-attack-and-md-530f-light">des hélicoptères</a>, de la coalition. <a href="https://www.nationalobserver.com/2018/11/30/news/experts-say-theres-proof-canadian-made-weapons-are-being-used-saudi-war-yemen">Des dispositifs de ciblage</a> sont <a href="https://www.wescam.com/wp-content/uploads/2018/04/WESCAM_TAQNIA-for-IDEX-2017_FINALFeb19_2017_rev.pdf">installés dans ces mêmes avions</a>. Le Canada <a href="https://twitter.com/JosephHDempsey/status/639073928091189248">a fourni des drones</a> à l’Arabie Saoudite et <a href="https://www.journaldemontreal.com/2019/01/18/lametti-vantait-des-avions-destines-aux-forces-emiraties">des avions de reconnaissance</a> aux <a href="https://www.releases.gov.nl.ca/releases/2009/business/0227n13.htm">EAU</a>. Une <a href="https://gbp.com.sg/stories/uae-air-force-rq-1e-rpa-training-track/">compagnie canadienne forme</a> les <a href="https://www.monch.com/mpg/news/simulation/2894-uae-predator-training-underway.html">pilotes de drones</a> des EAU.</p>
<p><a href="https://en.arij.net/report/the-end-user-how-did-western-weapons-end-up-in-the-hands-of-isis-and-aqap-in-yemen">Des rapports non vérifiés font état d’armes de contrebande qui auraient été détournées par les forces yéménites qui combattent auprès de la coalition</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/NZhv-IlPNEE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Ce « contenu canadien » résulte en partie du soutien gouvernemental à l’industrie de l’armement canadienne qui cherche à prendre pied sur les marchés lucratifs du Moyen-Orient. Ce qui a débuté sous le <a href="https://www.theglobeandmail.com/news/politics/canada-exporting-arms-to-countries-with-suspicious-human-rights-records/article15817569/">gouvernement conservateur</a>de Harper s’est <a href="https://www.cbc.ca/news/politics/justin-trudeau-advised-to-deepen-ties-with-saudi-arabia-brace-for-change-in-iran-1.3394669">poursuivi</a> sous Trudeau.</p>
<h2>Le statu quo</h2>
<p>Malgré <a href="https://www.bbc.com/news/world-us-canada-46873796">les quelques cas notoires où le Canada s’est engagé en faveur de femmes et de réformateurs du royaume</a> , il semble que l’on privilégie les gains matériels aux dépens des droits de la personne.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1168533942313652230"}"></div></p>
<p>Si le Canada a augmenté l’aide humanitaire au Yémen, ce n’est pas grand-chose comparé à la destruction opérée par les armes et les entraînements vendus - ventes qui alimentent un conflit ayant <a href="https://www.oxfam.ca/blog/canada-joins-the-arms-trade-treaty-while-still-selling-arms-to-saudi-arabia/">aggravé l’inégalité des genres</a> tout en menaçant de faire éclater en trois morceaux un Yémen dévasté.</p>
<p>Cela n’a pas empêché Freeland de déclarer récemment que le royaume demeure « <a href="https://globalnews.ca/video/5862537/freeland-says-no-deals-with-saudi-arabia-have-been-done-since-death-of-journalist-jamal-khashoggi">un partenaire important du Canada</a>. »</p>
<p><strong>Qu’il s’agisse de Trudeau ou de Andrew Scheer qui formeront le nouveau gouvernement après l’élection du 21 octobre,</strong> <a href="https://www.cbc.ca/news/politics/saudi-arabia-g20-summit-trudeau-1.5205665">l’un et l’autre</a> semblent prêts à assister au sommet du G20 en Arabie Saoudite, sommet qui sera instrumentalisé par le prince Mohammed Bin Salman pour redorer <a href="https://www.theguardian.com/world/2019/jun/19/jamal-khashoggi-killing-saudi-crown-prince-mohammed-bin-salman-evidence-un-report">un blason entaché par le meurtre macabre de Kashoggi</a>.</p>
<p>Pendant la campagne, seuls <a href="https://ricochet.media/en/2717/jagmeet-singh-stakes-out-clear-opposition-to-canada-saudi-arms-deal">le NPD</a> et <a href="https://www.greenparty.ca/sites/default/files/platform_2019_web_update_oct_6.pdf">les Verts</a> se sont engagés à annuler le contrat LAV avec l’Arabie Saoudite. Et seul le NPD a suggéré <a href="https://www.ndp.ca/news/ndp-statement-upcoming-g20-meeting-saudi-arabia">qu’il n’assisterait pas au sommet du G20</a> à Riyad.</p>
<p>La présence du Canada à ce sommet offre une occasion de se réconcilier avec l’Arabie Saoudite tout en informant le public canadien d’une démarche en faveur des droits de la personne. Et ce, tout en continuant à faire du business comme si de rien n’était.</p>
<p>[ <em>Ne manquez aucun de nos articles écrits par nos experts universitaires.</em> <a href="https://theconversation.com/ca-fr/newsletters?utm_source=TCCA-FR&utm_medium=inline-link&utm_campaign=newsletter-text&utm_content=expert">Abonnez-vous à notre infolettre hebdomadaire</a>. ]</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/125530/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jeremy Wildeman est affilié à l'Institut Rideau et au Centre de recherche et d'éducation sur les droits de la personne de l'Université d'Ottawa.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Anthony Fenton ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Un an après une tristement célèbre dispute sur Twitter et le meurtre horrible de Jamal Khashoggi, les relations Canada-Saoudienne semblent prêtes à reprendre leur cours normal, si ce n'est déjà fait.Jeremy Wildeman, Research Associate in International Development, University of BathAnthony Fenton, PhD Candidate (ABD), York University, CanadaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1240142019-09-24T19:02:17Z2019-09-24T19:02:17ZRugby et territoires, destins croisés : le cas de la ville de Tarbes<p>Un défilé d’enseignes abandonnées et de parkings jonchés d’herbes folles… un paysage désormais classique d’entrée de villes de province touchées de plein fouet par la crise, la vraie, celle qui dépeuple les usines, brise des familles et consacre l’exode vers d’autres horizons… Tarbes a connu des jours meilleurs, celui notamment de l’âge d’or de l’Atelier de construction (ATS), qu’on appelle encore ici l’Arsenal ; une époque où cette ville était un centre névralgique de l’industrie du grand sud-ouest, derrière ses grandes sœurs Toulouse et Bordeaux, au même titre que les mines de Carmaux ou les tanneries de Mazamet, autres hauts lieux rugbystiques désintégrés par la crise.</p>
<p>La préfecture du département des Hautes-Pyrénées a connu la même trajectoire que beaucoup d’autres villes moyennes de province : une désindustrialisation forte accompagnée d’une tertiarisation de ses emplois, parfois au détriment des intérêts économiques locaux. Cette crise a en même temps contaminé ce qui faisait un de ses fleurons, son club de rugby, le Stadoceste tarbais. L’histoire de la ville de Tarbes et de son club de rugby illustre bien les mutations à la fois de l’environnement économique et du monde du rugby professionnel en France. Son actualité soulève aussi des questions plus générales concernant tant les perspectives d’avenir émergentes au sein des villes moyennes, que le futur des clubs sportifs de ces villes.</p>
<h2>Fief ouvrier et terre de rugby : une époque bénie</h2>
<p>Tarbes démarre véritablement son développement industriel à partir des années 1870, confirmant sa vocation militaire, elle qui a vu naître le maréchal Foch, commandant en chef des armées durant la Première Guerre mondiale. Et c’est encore un général – Verchère de Reffye – qui, en 1871, décide d’installer à Tarbes une industrie de l’armement à la place d’un magasin de tabac.</p>
<p>Tarbes est sur la route impériale reliant Bordeaux à Campan, proche de la nouvelle ligne des chemins de fer du Midi et surtout loin de la Prusse et du front de guerre. Au début du XX<sup>e</sup> siècle, le site de l’Arsenal emploie ainsi près de 2 500 personnes. Cette manufacture va devenir à la fois l’orgueil et le poumon de la ville, et surtout le principal pourvoyeur d’emplois de ses grands alentours.</p>
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<figcaption><span class="caption">« L’Arsenal de Tarbes » (Marie Diorite).</span></figcaption>
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<p>Dès les années 1920, <a href="https://www.persee.fr/doc/ingeo_0020-0093_1965_num_29_1_5692">d’autres économies fleurissent</a> comme la fonderie des cloches Fourcade, l’industrie de l’ameublement dont la réputation s’étend à la France entière et à ses colonies, les Ateliers de l’Adour (usines Gache) spécialisés dans les forges, la Compagnie générale d’électro-céramique ou encore les Constructions métalliques des Pyrénées. Mais ce sont surtout les Constructions électriques de France (ancêtre de Alsthom) qui deviennent le deuxième atout économique avec l’Arsenal, à l’autre extrémité de la ville. En 1922, elles livrent leur première locomotive et par la suite, grâce à leurs 1 700 employés, approvisionneront régulièrement la Compagnie des chemins de fer du Midi.</p>
<p>Côté rugby, le Stadoceste Tarbais voit le jour en 1902 à la suite de la fusion des deux clubs de la ville, le « Stade tarbais » où l’on pratiquait le rugby, et le « Ceste » où l’on s’adonnait plutôt à la boxe et l’escrime. À l’origine, le nom du club était le Stade Ceste puis une erreur de prononciation d’un soldat du premier régiment de hussards conduira à cette drôle d’appellation, le Stadoceste. Le club est alors dirigé par la classe bourgeoise, dont l’un des membres laissera une marque indélébile dans l’histoire du club, Jules Soulé, pour avoir présidé le club de longues années, donné son nom à un stade (avant l’actuel Maurice Trélut) et… dilapidé sa fortune au nom de sa passion.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/293550/original/file-20190923-54749-1e3flb4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/293550/original/file-20190923-54749-1e3flb4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/293550/original/file-20190923-54749-1e3flb4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/293550/original/file-20190923-54749-1e3flb4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/293550/original/file-20190923-54749-1e3flb4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/293550/original/file-20190923-54749-1e3flb4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/293550/original/file-20190923-54749-1e3flb4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le Stadoceste tarbais, vainqueur de la Coupe de l’Espérance, le 4 avril 1919.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Vie au Grand Air/Wikimedia</span></span>
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<p>La nouvelle entité s’installe rapidement dans le paysage du rugby français, en perdant deux demi-finales lors des saisons 1909-1910 et 1910-1911. En 1914, les Tarbais échouent en finale contre Perpignan. Les premiers trophées arrivent avec la victoire 4 à 3 contre Bayonne en 1919 en <a href="https://www.lnr.fr/rugby-top-14/actualit%C3%A9s/1915-1919-coupe-de-l-esperance">Coupe de l’Espérance</a>, sorte de championnat espoirs pendant que les seniors s’extirpent à peine d’un jeu de tranchées beaucoup plus cruel. En 1920, le Stado touche le graal avec son <a href="https://www.lnr.fr/rugby-top-14/actualit%C3%A9s/palmares-du-championnat-de-france-de-1892-nos-jours">premier championnat de France</a> conquis contre le Racing Club de France sur le score de 8-3. Les journalistes parisiens évoquent alors <a href="http://sports.loucrup65.fr/rugbyclubs.htm">« l’ours tarbais »</a> et son emblématique représentant, René Caujolle.</p>
<p>Dans la période des « trente glorieuses » (1945-1975), Tarbes continue à développer un important prolétariat industriel, ne se cantonnant pas aux « arsenalistes » mais embrassant toute la ville et sa périphérie. Ce phénomène trouve son origine dans l’exode rural mais aussi dans le déclin de certaines branches artisanales traditionnelles comme le textile. Tarbes, qui compte en 1968 plus de 55 000 habitants contre environ <a href="http://www.tarbes.fr/gp/Chiffres-de-la-population/31/0">40 000 aujourd’hui</a>, reste aussi un lieu intense d’échanges commerciaux entre la « plaine » et la « montagne » avec le marché Marcadieu de la ville qui draine très large. En même temps, sa vocation militaire lui permet de « profiter » des guerres de Corée et d’Indochine et de l’essor des ventes d’armement à l’étranger. C’est aussi au cours de cette période que Tarbes connaît une impulsion urbaine sans précédent qui fera quasiment doubler sa population.</p>
<p>Dans cette même période du rugby d’avant-professionnalisme, le Stado va à nouveau côtoyer les sommets, avec notamment une <a href="https://www.lnr.fr/rugby-top-14/actualit%C3%A9s/stadium-municipal-toulouse-20-mai-1951">finale perdue</a> contre Carmaux en 1951, une demi-finale également perdue contre Lourdes en 1968. La légende se poursuivra encore jusqu’en 1973 avec un dernier titre de champion de France obtenu aux dépens de l’US Dax.</p>
<h2>Une lente descente aux enfers</h2>
<p>Quelques soubresauts dans les années 1980, avec notamment une finale perdue contre Agen en 1988, ne peuvent masquer le lent déclin subi tant par la ville que par son club. Tarbes a perdu sa dominante ouvrière et entame inconsciemment le début de sa vulnérabilité avec l’exode de sa jeunesse qui ne trouve plus sur place les emplois correspondant à ses qualifications. En parallèle, l’expansion du secteur tertiaire permet à Tarbes de profiter de la concentration des services. Les ouvriers sont remplacés par les classes moyennes tandis que les cabinets immobiliers, d’assurance, les agences bancaires ou de travail intérimaire fleurissent un peu partout dans la ville à la place des commerces de proximité, qui sont eux remplacés par les grandes surfaces au sein des zones suburbaines. En même temps, les succès rugbystiques se raréfient…</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/293558/original/file-20190923-54767-6ytbqt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/293558/original/file-20190923-54767-6ytbqt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/293558/original/file-20190923-54767-6ytbqt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/293558/original/file-20190923-54767-6ytbqt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/293558/original/file-20190923-54767-6ytbqt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=493&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/293558/original/file-20190923-54767-6ytbqt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=493&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/293558/original/file-20190923-54767-6ytbqt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=493&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Tarbes-Dax, finale du Championnat de France 1973.</span>
<span class="attribution"><span class="source">AFP</span></span>
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<p>Les années 1990 marquent le début de l’ère professionnelle du rugby tandis que le <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/19-novembre-1990-signature-du-traite-de-desarmement-est-ouest_3071305.html">désarmement</a> progressif des états annonce des budgets militaires en peaux de chagrin. C’est la signature de l’arrêt de mort pour la ville. L’Arsenal voit son activité se réduire drastiquement pour devenir le GIAT puis <a href="https://www.ladepeche.fr/article/2017/01/19/2499825-tarbes-et-les-fantomes-de-l-arsenal.html">fermer définitivement</a> en 2006 pour laisser place à une zone commerciale et hôtelière.</p>
<p>Excentrée, Tarbes souffre de la présence de grosses industries implantées pour des causes stratégiques anciennes et confrontées désormais à des impératifs de restructuration éloignés des intérêts économiques locaux.</p>
<p>Sous l’impulsion des acteurs politiques locaux, le club de rugby est sauvé en 2000 mais selon un schéma quelque peu alambiqué : il fusionne avec celui de Lannemezan, ville distante de 35 kilomètres, qui accède cette année-là à la Pro D2, la seconde division d’élite. Or, faute de finances suffisantes et pérennes, Lannemezan a toutes les chances de se voir refuser cette accession par la Ligue Nationale de Rugby. En mai 2000, est créé le LT 65 (Lannemezan Tarbes Hautes-Pyrénées). Mais la prédominance de Tarbes dans cette fusion marginalise peu à peu le partenaire lannemezanais, qui décide de sortir de l’association en 2003. C’est l’accouchement du TPR (Tarbes Pyrénées Rugby).</p>
<h2>Système à deux vitesses</h2>
<p>En accédant au deuxième niveau de l’élite du rugby français, le TPR va s’enorgueillir d’un record, celui du nombre d’années de présence à ce niveau. Faut-il y voir une marque de stabilité ou une absence d’ambition ? Tenter de répondre à cette question revient à s’interroger sur la place d’une ville de 40 000 habitants dans le paysage actuel du rugby français, mais aussi à l’échelle plus large de l’économie française. Ainsi, le début de l’aventure du TPR en Pro D2 est plutôt une réussite. Dès sa première saison, il atteint la finale, qu’il perd après prolongations (25-21) contre Montpellier, club qualifié à l’époque d’OVNI amateur. L’histoire contredira très largement ce jugement, illustrant au passage la métamorphose en cours du rugby français.</p>
<p>En effet, le rugby n’a pas attendu le professionnalisme pour se développer dans les zones urbaines les plus dynamiques et peuplées. Si l’on repère dans le <a href="https://www.lnr.fr/rugby-top-14/palmares-rugby-top-14">palmarès</a> des vingt dernières années quelques exceptions (Castres et ses 40 000 habitants ou Biarritz et ses 30 000 habitants), la tendance est paradoxale entre réduction de la taille de l’élite et massification du public. Un système à deux vitesses apparaît, entre ceux qui peuvent dégager des recettes d’exploitation élevées tout en bénéficiant encore du soutien de leurs actionnaires, et ceux qui n’ont d’autres choix que de maîtriser leurs charges d’exploitation sous peine de disparaître. Pour ces derniers, le modèle est très (trop ?) fragile comme en témoignent les situations économiques de plus de la moitié des clubs de Pro D2 et de la plupart de ceux de Fédérale 1. La dépendance financière vis-à-vis des institutions politiques locales (mairie, département, région) est même devenue un très mauvais signal envoyé à la Ligue et ses organes de surveillance.</p>
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<figcaption><span class="caption">Vidéo officielle de soutien au Stado Tarbes Pyrénées Rugby (2015).</span></figcaption>
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<p>Le 24 novembre 2015, devant les graves difficultés financières du club de Tarbes, la Ligue nationale annonce de <a href="https://www.lerugbynistere.fr/news/pro-d2-la-dnacg-ordonne-sanction-exemplaire-contre-tarbes-pyrenees-rugby-2411151019.php">lourdes sanctions</a> : retrait de 15 points et rétrogradation administrative en fin de saison. Malgré un appel aux dons qui rappelle l’attachement des Tarbais à leur club, le trou ne sera pas comblé. Le TPR évite malgré tout la Fédérale 2 en ne terminant pas dans la zone de relégation mais est contraint de descendre en Fédérale 1. Le TPR bataille alors contre des équipes dont il avait oublié le nom, voire qui n’existaient pas au temps de sa splendeur : Massy, Nevers, Bourg-en-Bresse… Il reste encore le club le mieux classé de Bigorre mais son avenir reste fragile et incertain.</p>
<p>On lui interdit encore de se mêler à la lutte pour les places d’accession à la Pro D2, toujours pour des raisons financières.</p>
<p>Cette histoire est celle de nombreuses autres villes dont la renommée sportive parvenait parfois même à dépasser nos frontières : Béziers, Lourdes, Mont-de-Marsan… Si elle nous alerte quant au virage emprunté par le rugby depuis deux décennies (médiatisation, spectacle, argent), elle interroge quant à la cohérence et la viabilité des politiques économiques et sociales menées dans ces villes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/124014/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Batac ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Tout au long du XXᵉ siècle, le Stadoceste Tarbais a suivi une trajectoire similaire à la vitalité économique de la préfecture des Haute-Pyrénées.Julien Batac, Maître de conférences, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1232942019-09-15T19:44:41Z2019-09-15T19:44:41ZLes nouveaux missiles russes signent-ils la fin de la domination américaine ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/292511/original/file-20190915-8678-1xm7txw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=160%2C71%2C1391%2C910&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La politique militaire de Vladimir Poutine en matière de technologie militaire et nucléaire pourrait renverser la conception même de 'dissuasion'. Ici avec Trump, en 2017.</span> <span class="attribution"><span class="source">SAUL LOEB / AFP</span></span></figcaption></figure><p>L’accident du <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/08/14/mysteres-autour-d-un-accident-nucleaire-a-nionoksa-en-russie_5499357_3210.html">8 août dernier survenu en Russie</a> sur une plate-forme militaire offshore à plus de 1 200 kilomètres au nord de Moscou, et qui a coûté la vie à au moins cinq ingénieurs nucléaires, a particulièrement suscité inquiétudes et suspicions du fait du manque de transparence sur l’explosion et de sa gestion auprès des populations. Mais il a aussi confirmé ce que Vladimir Poutine avait annoncé un an plus tôt : l’armée russe <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/08/13/ce-que-l-on-sait-de-l-explosion-dans-une-base-nucleaire-russe_5499059_3210.html">développe</a> un missile à propulsion nucléaire.</p>
<p>Un tel engin, complètement autonome, a l’avantage de voler pendant des mois, voire des années, à l’affût de ses cibles, attendant patiemment l’ordre de frapper. Une fois l’instruction reçue, seules quelques minutes le séparent de son point d’impact.</p>
<h2>La fin de la domination américaine</h2>
<p>Les affirmations de Poutine, lors de son <a href="http://en.kremlin.ru/events/president/news/56957">discours de politique générale du 1ᵉʳ mars 2018</a>, avaient pourtant laissé bien des experts sceptiques. Or, l’engagement des Russes dans ce domaine est sérieux, il date de 2011 <a href="https://www.ifri.org/fr/publications/notes-de-lifri/russieneivisions/modernisation-nucleaire-russe-supermissiles-de-vladimir">avec le programme d’armements à l’horizon 2020</a>.</p>
<p>Ces nouvelles armes auront pour effet de rendre obsolète le bouclier antimissile américain.</p>
<p><a href="https://www.bloomsbury.com/us/the-doomsday-machine-9781608196746/">La stratégie apparue dans les années 50</a> à l’initiative de l’US Air Force consistant à effectuer une première frappe nucléaire ou <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Pre-emptive_nuclear_strike"><em>First Strike</em></a> puis de contrer une riposte russe devra être définitivement écartée. Comment peut-on menacer son adversaire de le frapper à tout moment si l’on ne peut se prémunir de sa réaction ?</p>
<p>Donald Trump a pu être tenté par la <a href="https://www.barnesandnoble.com/w/vietnam-john-prados/1101628289">stratégie du fou ou <em>madman theory</em> de Nixon</a> : ce concept théorisé par <a href="https://www.britannica.com/biography/Herman-Kahn">Hermann Kahn</a>, un consultant de la <a href="https://www.rand.org/">RAND (Research and Development)</a> un <a href="https://www.oftt.eu/think-tanks/monographs/article/la-rand-corporation">think tank fondé pour conseiller l’armée américaine</a>, vise à faire croire à l’adversaire que le dirigeant d’une nation disposant d’une énorme capacité de destruction a un comportement imprévisible.</p>
<p>A l’avenir, il devra y renoncer définitivement. Personne ne peut plus désormais croire qu’il sera capable de déclencher un <em>First Strike</em>. Symboliquement, les États-Unis sont donc redevenus une puissance comme les autres pour lesquelles l’arsenal nucléaire ne sert plus qu’à dissuader un éventuel attaquant.</p>
<h2>Une technologie ancienne</h2>
<p>Lors de ce fameux discours en mars 2018, Poutine <a href="https://edition.cnn.com/2018/07/20/europe/russia-new-weapons-videos-intl/index.html">mentionna d’autres types d’armes porteuses d’ogives nucléaires</a>, tel un engin sous-marin autonome doté d’un réacteur nucléaire, un planeur hypersonique et un missile balistique amélioré.</p>
<p>Les doutes des experts quant à la capacité de la Russie à mettre au point des missiles à propulsion nucléaire s’expliquent aisément : leur conception suppose la résolution de nombreux problèmes techniques.</p>
<p>Implémenter un réacteur atomique dans un missile n’a rien d’une sinécure. La pile à combustible doit être miniaturisée. Pour des raisons de poids, elle ne saurait être blindée : elle émet donc des radiations. En conséquence, le réacteur ne peut être activé qu’en vol, le lancement du missile doit donc être effectué de manière conventionnelle avec un propulseur chimique.</p>
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<figcaption><span class="caption">Le SLAM, projet de missile équipé d’un réacteur nucléaire.</span></figcaption>
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<p>Cette technologie peut paraître révolutionnaire, elle est pourtant ancienne. Les Américains expérimentèrent un premier projet d’avion équipé d’un réacteur atomique, le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=9Jt924xjaJo&t=593s">Convair NB-36H</a>, en 1955. Puis ils développèrent au début des années 60 le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Supersonic_Low_Altitude_Missile">SLAM</a> qui ressemblait très fortement au projet russe. Complètement automatisé avec les technologies de l’époque, le SLAM était équipé d’un <a href="https://www.youtube.com/watch?v=DZHONQAMV48">statoréacteur à propulsion nucléaire</a> non blindé, donc fortement radioactif. Même s’il ne fut jamais construit, les <a href="http://jpcolliat.free.fr/x6/x6-10.htm">essais de son réacteur</a> s’avérèrent concluants. Le programme fut abandonné en 1964 en raison de sa dangerosité.</p>
<h2>Une machine n’a pas d’état d’âme</h2>
<p>Les Russes ont repris ce concept en lui apportant une amélioration majeure : des éléments d’intelligence artificielle le rendant complètement autonome, l’engin détermine lui même sa trajectoire afin de déjouer les systèmes de détection ennemis, il est également apte à « choisir » ses cibles.</p>
<p>Si l’accident du 8 août dernier nous permet de comprendre les risques inhérents à ce programme, il ne faut pas oublier que les Russes ont montré lors de leurs programmes spatiaux une forte tolérance aux risques. Là où les Américains préféraient vérifier chaque sous-système individuellement, les Soviétiques optaient pour des tests grandeur nature avec de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Gn40M8EaoMo">vraies fusées bardées de capteurs</a>.</p>
<p>Si auparavant avec les missiles lancés de sous-marins nucléaires ennemis, les États-Unis disposaient d’un temps de réaction d’à peine cinq minutes, avec ces nouveaux engins, il pourrait se compter en secondes, voire quasiment nul si l’on se réfère aux propos de Vladimir Poutine. En effet fonctionnant comme un missile de croisière, il serait indétectable.</p>
<h2>Docteur Folamour, un documentaire ?</h2>
<p>Certes, le film <a href="https://www.youtube.com/watch?v=8Ps2lTqaVNw"><em>Docteur Folamour</em></a> nous avait révélé le principe de la <a href="https://www.editionsddb.fr/livre/fiche/la-guerre-qui-ne-peut-pas-avoir-lieu-9782220095691">dévolution</a> (Stanley Kubrick, 1964) mis en place par Eisenhower dans les années 50. À ce titre, pour Daniel Ellsberg, un ancien consultant de la RAND, ce film doit plus être considéré comme un documentaire que comme une fiction satirique.</p>
<p>Pour rendre crédible la dissuasion et décourager les Russes de décapiter le haut commandement en lançant une attaque massive sur Washington, le pouvoir de lancer une attaque nucléaire est <a href="https://www.bloomsbury.com/us/the-doomsday-machine-9781608196746/">déléguée aux commandants de terrain</a> qui peuvent eux-mêmes la déléguer à leurs subalternes.</p>
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<figcaption><span class="caption">Le Dr.Folamour, extrait, Stanley Kubrick, 1964.</span></figcaption>
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<p>Mais comme l’exposait le personnage du docteur Folamour, en grande partie inspiré par l’ouvrage d’Hermann Kahn <a href="https://www.hoover.org/research/thermonuclear-war-herman-kahn-princeton-university-press-1960"><em>On Thermonuclear War</em></a>, pour être crédible la dissuasion nucléaire ne peut s’appuyer sur l’élément humain qui constitue le maillon faible.</p>
<p>Rien ne dit que l’officier chargé du lancement des missiles à ogives nucléaires n’aura pas quelque appréhension à prendre une décision aussi grave, quel que soit le contexte. Pour être parfaitement crédible, la dissuasion se doit donc d’être automatisée : une machine n’a pas d’état d’âme.</p>
<p>C’est ainsi que les Russes avaient conçu le système <a href="https://www.sipri.org/publications/2019/other-publications/impact-artificial-intelligence-strategic-stability-and-nuclear-risk">Mertvoya Ruka ou Dead Hand</a> dans les années 70, également connu sous le nom de « Perimeter ».</p>
<p>Il est censé avoir été opérationnel dès 1985. Activé en cas de crise, il repose sur un ensemble de capteurs et d’ordinateurs aptes à analyser les informations reçues. Si le système concluait que Moscou avait été détruite par une attaque thermonucléaire et qu’en conséquence le haut commandement avait disparu, il pouvait <a href="https://www.paulscharre.com/army-of-none">déclencher de sa propre initiative</a> une riposte nucléaire. L’ordre était alors donné d’envoyer des fusées aptes à transmettre les instructions de lancement aux différents sites de missiles nucléaires.</p>
<p>Curieusement, l’existence de cette machine apocalyptique n’a été connue qu’après la <a href="https://www.wired.com/2009/09/mf-deadhand/?currentPage=all">chute de l’Union Soviétique</a>. À l’époque, les militaires soviétiques n’avaient pas osé effrayer leur population en informant le monde de l’activation d’un tel système. L’analyste en stratégie militaire <a href="https://www.bloomsbury.com/us/the-doomsday-machine-9781608196746">Daniel Ellsberg</a> appelle cela le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=2yfXgu37iyI">« Strangelove paradox »</a> (paradoxe du docteur Folamour).</p>
<p>En effet, dans cette optique, ce dispositif sert à dissuader l’adversaire, à condition qu’il le sache, mais le révéler ne ferait qu’alarmer l’opinion publique.</p>
<p>Aujourd’hui les militaires russes n’ont plus cette appréhension <a href="https://www.bloomsbury.com/us/the-doomsday-machine-9781608196746">puisqu’ils ont prévenu en 2017</a> par l’intermédiaire de la Pravda que « Perimeter » était de nouveau opérationnel.</p>
<h2>Le « launch on warning », une option effrayante</h2>
<p>Si ce système peut paraître effrayant, il n’est qu’une alternative à une option beaucoup plus dangereuse : le <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Launch_on_warning">« launch on warning »</a> (LOW) qui consiste à déclencher une riposte après avoir été averti d’une attaque ennemie par le biais du système de détection.</p>
<p>Plusieurs erreurs ont montré la dangerosité de cette doctrine. Ainsi le 3 juin 1980, le <a href="https://www.sipri.org/publications/2019/other-publications/impact-artificial-intelligence-strategic-stability-and-nuclear-risk">NORAD annonça que plus de 2 200 missiles soviétiques</a> se dirigeaient vers les États-Unis. Il ne s’agissait que d’une fausse alerte.</p>
<p>Il paraît plausible d’envisager aujourd’hui, ne serait ce que pour rendre crédible leur dissuasion nucléaire, que les États-Unis travaillent à la mise en place d’un tel système. Pour cela, ils profiteront des avancées en termes d’intelligence artificielle et <a href="https://www.sipri.org/publications/2019/other-publications/impact-artificial-intelligence-strategic-stability-and-nuclear-risk">plus particulièrement de <em>machine learning</em></a>.</p>
<p>Le système pourra ainsi être « entraîné » par de multiples simulations, ce qui contribuera à le rendre plus crédible, voire acceptable auprès de l’ensemble de l’opinion publique américaine. Néanmoins, ces appareillages statistiques, aussi élaborés qu’ils soient, recèlent des fragilités. Ils peuvent être leurrés, sans parler des erreurs techniques. En fait quelque soit le niveau de sophistication du système, il ne sera jamais aussi clairvoyant qu’un être humain.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/123294/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Eric Martel-Porchier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les missiles russes à propulsion nucléaire, autonomes, pourraient rendre obsolète le bouclier antimissile américain.Eric Martel-Porchier, Docteur en Sciences de Gestion/Chercheur associé au LIRSA, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1100032019-02-20T23:41:33Z2019-02-20T23:41:33ZLa saga du Novitchok, arme chimique mortelle et ferment de désinformation massive<p>L’affaire Skripal n’en finit pas de faire des vagues. Tandis que les enquêteurs britanniques viennent d’identifier un troisième suspect dans l’empoisonnement de l’ancien espion russe, on se pose toujours autant de questions sur le Novitchok, l’agent innervant utilisé. Cette arme chimique mortelle a été développée par l’URSS dans les années 1970 et 1980, malgré la Convention sur l’interdiction des armes chimiques (OIAC). Elle a tout d’abord été <a href="https://wikimonde.com/article/Novitchok">« testée » sur le banquier russe Ivan Kivelidi et son assistante Zara Imaïlova en août 1995</a>, puis en mars 2018, à Salisbury, sur Ioula et Sergueï Skripal, officier de renseignement russe réfugié en Angleterre. Un article de Norman Dombey, <a href="https://www.lrb.co.uk/v40/n24/norman-dombey/poison-and-the-bomb">« Poison and the Bomb »</a>, paru dans le <em>London Review of Books</em>, fait le lien entre les programmes nucléaires américains et russes, qui se poursuivent par ces programmes d’armes chimiques.</p>
<p>Tout commence en janvier 1947 avec la construction de sites secrets pour les armes nucléaires aux USA, en Grande-Bretagne et en URSS. Les Russes développent en parallèle un programme d’armes chimiques, pris en charge par le « GosNIIOKhT », l’« Institut d’État pour la recherche scientifique en chimie organique et en technologie » situé à Moscou. Le centre se dote à partir de 1950 et 1960, d’antennes principales à Volgograd et à Chikhany, dans l’<em>oblast</em> de Saratov, sur la Volga. C’est là que se déroulent les recherches du programme « Foliant ». C’est une sorte de réponse à la mise au point d’agents chimiques par les Britanniques : à Porton Down, près de Salisbury, des gaz innervants de la série des agents V, dont le fameux VX sont développés.</p>
<h2>Programme « Foliant »</h2>
<p>Le programme « Foliant » développe alors les agents « Novitchok » (ce qui signifie « nouveau venu » en russe), une série de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Compos%C3%A9_organophosphor%C3%A9">composés organophosphorés</a>. Conçus à partir d’esters d’acide phosphorique, ils sont d’abord catalogués comme A-230, A-232 et A-234 et validés par les Russes comme armes chimiques. Le premier de la série, le A-230 est un composé organophosphoré contenant de l’azote. Mais c’est un liquide visqueux qui cristallise à moins 10°C, peu pratique à utiliser dans un cadre militaire. Le produit A-232 est alors rebaptisé Novitchok-5 et validé comme arme chimique en 1989. Sa fabrication est cependant très vite arrêtée car très instable. En tant que phosphate, avec une absence de liaison carbone-phosphore, il est difficile à détecter. Il reste cependant deux à trois fois moins toxique que le A-230 et se décompose rapidement au contact de l’eau.</p>
<p>En 1980, apparaissent alors les versions binaires de ces produits. Ce sont des produits de réaction de deux composants précurseurs moins toxiques. La structure chimique de ces produits est longtemps restée obscure, afin de ne pas être détectés par les experts en armement, ni par les médecins. Il était alors facile de les camoufler sous le vocable de pesticides organophosphorés, donc relevant de l’industrie agroalimentaire. Ce sont des inhibiteurs par vieillissement ou dénaturation de l’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ac%C3%A9tylcholinest%C3%A9rase">acétylcholinestérase</a>. Cette dernière est une enzyme impliquée dans la transmission de l’influx nerveux. Le résultat est une relaxation musculaire, laquelle conduit à la mort par étouffement. Auparavant le corps réagit par une sudation excessive, suivie de nausées et de vomissements, la perte de contrôle des muscles provoque un arrêt respiratoire suivi d’un arrêt cardiaque. L’inhibition de son site actif réduit aussi l’efficacité des antidotes.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/259576/original/file-20190218-56215-zk1xod.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/259576/original/file-20190218-56215-zk1xod.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=619&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/259576/original/file-20190218-56215-zk1xod.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=619&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/259576/original/file-20190218-56215-zk1xod.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=619&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/259576/original/file-20190218-56215-zk1xod.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=778&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/259576/original/file-20190218-56215-zk1xod.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=778&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/259576/original/file-20190218-56215-zk1xod.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=778&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Siège de l’OIAC à La Haye.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikipedia</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Gorbatchev annonce la fin de la production de ces armes chimiques en 1987. Cependant, des essais sont effectués en 1989 et 1990 sur le plateau d’Oust-Ourt au Kazakhstan. Le développement de la série des Novitchok se poursuit aussi avec le Novitchok-7 en 1993 et le Novitchok-9 testé à Chikhany et en secret en Ouzbékistan. Par la suite il y aura même un Novitchok-T. Néanmoins ces agents ne seront jamais déclarés dans les listes des produits interdits par la « Chemical Weapon Convention » (CWC) organisme placé sous la tutelle de (OIAC) en 1993. Pudiquement, il ne sera question de « fourth-generation agents » (FGA) ou de « non-traditional agents » (NTA) lors de la décontamination.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/259577/original/file-20190218-56229-d57nk8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/259577/original/file-20190218-56229-d57nk8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=919&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/259577/original/file-20190218-56229-d57nk8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=919&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/259577/original/file-20190218-56229-d57nk8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=919&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/259577/original/file-20190218-56229-d57nk8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1155&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/259577/original/file-20190218-56229-d57nk8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1155&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/259577/original/file-20190218-56229-d57nk8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1155&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le livre de Mirzayanov.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Editeur</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>L’existence de ce programme été révélée en 1992 dans un journal moscovite par deux chimistes, Lev Fedorov et Vil Mirzayanov. En 1995, ce dernier émigre aux USA. Il publie un <a href="https://books.google.fr/books/about/State_Secrets.html?id=ldpNPgAACAAJ&redir_esc=y">livre</a> sur son histoire et celle des gaz innervants. Il y décrit les détails techniques ainsi que les structures chimiques d’agents Novitchok. Il est alors intéressant de voir qu’à cette époque, il y a 10 ans, il est violemment critiqué par les agents du renseignement américains et surtout britanniques, qui déplorent la divulgation de ce programme. En fait ils sont en porte à faux vis-à-vis de leurs propres travaux.</p>
<h2>Un chimiste parle</h2>
<p>Ce n’est qu’en mars 2018, après l’affaire de l’empoisonnement de Sergueï et Iouri Skripal, que le livre connaît un regain d’intérêt. Il est tout aussi intéressant de lire les défenses contorsionnées des autorités britanniques, mais aussi ouzbèques sur le sujet, accusant même Vil Mirzayanov d’être un Tatar, donc pas véritablement un Russe. Ce personnage joue par ailleurs un rôle obscur, déclarant que les agents toxiques du genre Novitchok ne pouvaient être manipulés que dans des centres très spécialisés, en contradiction avec ce que l’on peut savoir de leur fabrication dans des laboratoires iraniens.</p>
<p>Pour finir, quelques mots sur la victime Sergueï Viktorovitch Skripal et sa fille Ioula, venue lui rendre visite. Skripal était officier du GRU, le service de renseignement militaire. Mais il a été recruté également par le MI 6 anglais au début de 1990. Il est arrêté en Russie, et emprisonné. En 2010, il est transféré à Moscou pour être échangé avec des agents russes. Skripal s’installe à Salisbury, au Royaume-Uni, à 10 kilomètres au nord-nord-est de Porton Down où se déroulait le programme britannique d’armes chimiques. Simple coïncidence mais qui a permis à l’agent russe de bénéficier d’un antidote, peut-être parce que les chercheurs de Porton Down avaient une bonne connaissance du produit, et donc travaillaient sans doute sur ces agents innervants.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/110003/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean Louis Vigneresse ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’espion russe Sergueï Viktorovitch Skripal et sa fille Ioula ont été victimes d’un poison violent, le Novitchok, développé par l’URSS, puis par la Russie. Que sait-on de cette arme chimique ?Jean Louis Vigneresse, Géophysicien, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1114082019-02-10T23:20:49Z2019-02-10T23:20:49ZEmmanuel Macron, retour d’Égypte<p>Emmanuel Macron a, avec son voyage égyptien fin janvier 2019, effectué son plus long déplacement dans un pays de la région depuis son accession à l’Élysée. Il inscrit celui-ci dans un ensemble de stratégies à la fois symbolique, politique et économique cruciales pour les relations diplomatiques françaises au Proche-Orient. Très attendu sur la question des droits de l’homme, la <a href="https://www.nytimes.com/aponline/2019/01/28/world/middleeast/ap-ml-egypt-france.html">presse internationale</a> et nationale a souligné l’attitude volontariste du Président français, malgré une situation toujours aussi préoccupante.</p>
<h2>De Napoléon à Macron, une fascination française</h2>
<p>En se rendant aux temples d’Abou Simbel, Emmanuel Macron a cherché à inscrire sa visite dans l’<a href="https://www.franceculture.fr/emissions/les-nuits-de-france-culture/legypte-une-passion-francaise-racontee-par-robert-sole-0">héritage des relations franco-égyptiennes</a> : celui des expéditions scientifiques et archéologiques de Napoléon Bonaparte à la fin du XVIII<sup>e</sup> siècle, des découvertes de Champollion au début du XIX<sup>e</sup> siècle, mais aussi de l’œuvre des grands égyptologues français du XX<sup>e</sup> siècle, comme <a href="https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2011/06/24/christiane-desroches-noblecourt-premiere-femme-egyptologue-est-morte_1540771_3382.html">Christiane Desroches Noblecourt</a> qui participa au sauvetage des monuments de Nubie.</p>
<p>Cette mise en scène convoque des symboles et un imaginaire qui diffèrent avec ceux de ses deux derniers prédécesseurs pour s’inscrire dans la continuité de Jacques Chirac.</p>
<p>Pour sa première visite en Égypte, en avril 1996, Jacques Chirac avait fait le choix de visiter les Pyramides avant de prononcer un célèbre <a href="https://www.liberation.fr/planete/1996/04/09/un-discours-plein-d-ambiguites-en-se-demarquant-des-etats-unis-et-en-evitant-soigneusement-d-encombr_169247">discours à l’Université du Caire</a>, se tournant vers l’avenir en s’adressant à la jeunesse égyptienne.</p>
<p>En décembre 2017, Nicolas Sarkozy avait débuté son <a href="http://www1.rfi.fr/actufr/articles/096/article_60746.asp">séjour égyptien par une visite privée</a>, d’abord à Louxor, puis dans une luxueuse villa de Charm El Cheikh. Quant à François Hollande, il s’était rendu une première fois à l’<a href="http://www.rfi.fr/moyen-orient/20150805-canal-suez-francois-hollande-invite-honneur-inauguration">inauguration du nouveau canal de Suez</a> en août 2015, puis une seconde fois, en avril 2016, il avait visité le <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2016/04/18/francois-hollande-veut-renforcer-les-liens-economiques-entre-paris-et-le-caire_4904334_3210.html">chantier du métro du Caire</a>.</p>
<p>Symboliquement, Emmanuel Macron a choisi de valoriser l’Égypte « éternelle », pour se détourner de l’Égypte « actuelle » controversée. Cette communication avait déjà été utilisée lors de son déplacement en Inde en mars 2018 : il s’était rendu au Taj Mahal pour vanter <a href="https://www.lemonde.fr/emmanuel-macron/article/2018/03/11/emmanuel-macron-au-taj-mahal-une-tres-mediatique-visite-privee_5269295_5008430.html">« la force de l’Inde […] à marier les religions »</a>.</p>
<p>Au Caire, il a aussi cherché à mettre en évidence « l’Égypte de demain », en se rendant avec le Président al-Sissi sur le chantier de la future capitale administrative qui mobilisera de <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/egypte/les-entreprises-francaises-participeront-a-l-extension-du-metro-du-caire_3168053.html">nombreuses entreprises françaises</a> dans le domaine des transports, de l’énergie et de l’eau.</p>
<h2>La sécurité et « en même temps » les droits de l’homme</h2>
<p>Attendu sur le dossier des droits de l’homme, Emmanuel Macron a composé avec l’exercice imposé de la diplomatie française : allier réalisme et idéalisme.</p>
<p>En <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2019/01/28/conference-de-presse-conjointe-demmanuel-macron-et-dabdel-fattah-al-sissi-president-de-la-republique-arabe-degypte">conférence de presse</a>, il a réaffirmé la priorité française pour la stabilité du régime égyptien :</p>
<blockquote>
<p>« La sécurité et la prospérité de l’Égypte sont de la plus haute importance stratégique pour la France ».</p>
</blockquote>
<p>L’utilisation du terme « stabilité » à plusieurs reprises, renoue avec le leitmotiv qui a longtemps guidé la politique française dans l’ensemble de la région, avant les Printemps arabes. Le maintien des régimes autoritaires était une condition à la sécurité nationale de la France et de ses intérêts. Cette politique trouvait ses meilleurs alliés auprès des <a href="https://www.middleeasteye.net/fr/opinions/sissi-un-pinochet-arabe-que-la-france-devrait-avoir-honte-daccueillir-61729836">« Pinochet arabes »</a> pour qu’ils contrôlent les débordements de la <a href="http://www.slate.fr/story/33535/-rue-arabe-egypte-tunisie">« rue arabe »</a> et luttent activement contre le terrorisme islamiste.</p>
<p>Cependant, Emmanuel Macron n’a pas été le digne héritier de « l’ancien monde », monde qui prévalait avant les soulèvements des Printemps arabes de 2011. Il a affirmé que sa conception de la stabilité impliquait le développement d’une société libre :</p>
<blockquote>
<p>« La stabilité et la paix durable vont de pair avec l’État de droit et les droits de l’homme. […] Une société civile dynamique et active reste le meilleur rempart contre l’extrémisme. […] Les meilleurs esprits ont besoin de liberté. Ils ont besoin de pouvoir dire pour faire ».</p>
</blockquote>
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<h2>Une situation préoccupante</h2>
<p>Néanmoins, la situation des droits de l’homme en Égypte reste très alarmante. Les disparitions forcées, les exécutions extrajudiciaires et les arrestations d’opposants se sont accentuées <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2016/07/egypt-hundreds-disappeared-and-tortured-amid-wave-of-brutal-repression/">ces dernières années</a>.</p>
<p>C’est le cas, entre autres, d’Ismaïl Alexandrani, chercheur égyptien en science politique, <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2018/05/24/dix-ans-de-prison-pour-un-chercheur-egyptien-specialiste-du-sinai_5303831_3212.html">condamné à dix années de prison</a> alors qu’il travaillait sur le terrorisme dans le Sinaï. La lumière n’a toujours pas été faite sur l’assassinat du <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/egypte/egypte-les-autorites-bloquent-lenquete-de-la-justice-italienne-sur-lassassinat-de-letudiant-giulio-regeni-au-caire_3082869.html">jeune chercheur italien Giulio Regeni</a>, il y a trois ans, dont le corps mutilé avait été retrouvé dans un fossé de la périphérie du Caire.</p>
<h2>Des missiles de croisière sur le Nil</h2>
<p>L’archéologie n’est plus la seule spécialité franco-égyptienne. Depuis cinq ans, elle a fait de la vente d’armes <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/les-histoires-du-monde/les-histoires-du-monde-04-decembre-2018">sa marque de fabrique</a>. L’homme clé de la continuité des relations avec l’Égypte est Jean‑Yves Le Drian. Sous le précédent quinquennat, il s’est rendu à quatre reprises au Caire pour négocier les différents contrats d’armement. Depuis sa nomination comme ministre des Affaires étrangères, il a voyagé au Caire à trois reprises : en juin 2017, avril 2018 et juin 2018.</p>
<p>Le montant des contrats d’armement passés avec la République égyptienne s’élève à 2 445 millions d’euros en cinq ans : 41 millions en 2013 ; 17 millions en 2014 ; 711 millions en 2015 ; 922 millions en 2016 ; et 754 millions en 2017, selon le centre de recherche suédois <a href="http://armstrade.sipri.org/armstrade/html/export_values.php">SIPRI</a>.</p>
<p>La France est ainsi rapidement devenue le principal fournisseur du régime, devant la Russie et les États-Unis. Paris a équipé Le Caire de 24 Rafale, 2 Mistral et 173 Sherpa (véhicules blindés légers). Ces achats massifs ont permis à l’Égypte de devenir le <a href="https://www.sipri.org/research/armament-and-disarmament/arms-transfers-and-military-spending/international-arms-transfers">troisième plus gros importateur mondial</a> d’armes sur la période, derrière l’Inde et l’Arabie saoudite.</p>
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<p>De nombreuses ONG ont alerté sur l’utilisation d’armes françaises contre les manifestants égyptiens. Amnesty International a <a href="https://www.amnesty.fr/controle-des-armes/actualites/la-france-aborde-enfin-les-droits-humains-en-egypte?utm_medium=reseaux-sociaux&utm_source=twitter">récemment salué</a> la prise de position franche d’Emmanuel Macron, condamnant l’utilisation de véhicules blindés français pour des missions de police.</p>
<p>A cet armement militaire s’ajoute la vente de technologies de sécurité et de surveillance par des entreprises françaises. Ces contrats n’entrent pas dans la réglementation sur les ventes d’armes. <a href="https://www.telerama.fr/monde/amesys-les-tribulations-egyptiennes-d-un-marchand-d-armes-numeriques-francais,160002.php"><em>Télérama</em> révélait ainsi, en 2017</a>, qu’une société française, Amesys, avait vendu ces « armes numériques » au régime – des technologies qui lui auraient permis de contrôler et réprimer les opposants.</p>
<p>Le développement de ces nouvelles technologies et de leurs usages répressifs devrait être un enjeu pour le législateur français dans les prochaines années, afin d’adapter sa réglementation sur le commerce d’armes, comme le réclament plusieurs ONG dans un <a href="https://madeinfrance.fidh.org/data/rapport.pdf">rapport récent</a>.</p>
<h2>À la recherche d’une « politique arabe » introuvable</h2>
<p>Au cours de ses deux jours de visite en Égypte, Emmanuel Macron a essayé de renouer avec l’esprit de la diplomatie chiraquienne. L’Égypte est le symbole d’une « politique arabe » fantasmée autant que révolue. Elle reste perçue comme le <a href="https://groupeavicenne.wordpress.com/2017/04/02/rapport-avicenne-2017-maghreb-moyen-orient-une-priorite-de-politique-etrangere-pour-la-france/">« centre de gravité »</a> de la région.</p>
<p>En étant actif sur la résolution du conflit libyen, dont l’Égypte est un acteur majeur, il cherche à redonner à la France un rôle de médiateur, contrastant avec l’interventionnisme de ses prédécesseurs.</p>
<p>Néanmoins, la diplomatie d’Emmanuel Macron dans le monde arabe manque encore d’une vision globale et cohérente, contrairement à l’image qu’il avait construite lors de sa <a href="https://www.ifri.org/fr/espace-media/lifri-medias/politiques-arabes-de-france">campagne et des premiers mois de sa mandature</a> : celle d’un candidat voulant rompre avec le passé sur la colonisation algérienne et d’un Président s’impliquant personnellement dans la résolution des crises, comme lors de l’éviction du premier ministre libanais Saad Hariri.</p>
<p>À quelques mois des élections européennes, il semble plus que jamais nécessaire, pour la diplomatie française, de replacer la question du partenariat euro-méditerranéen au cœur, pour construire une <a href="https://www.ecfr.eu/publications/summary/alone_in_the_desert_how_france_can_lead_europe_in_the_middle_east">politique européenne ambitieuse</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/111408/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Louis-Simon Boileau is affiliated with la Fondation Jean Jaurès.</span></em></p>À quelques mois des élections européennes, il est nécessaire pour Paris de replacer la question du partenariat euro-méditerranéen pour construire une politique européenne ambitieuse dans la région.Louis-Simon Boileau, Doctorant en relations internationales, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.