tag:theconversation.com,2011:/us/topics/assurance-maladie-21865/articlesassurance maladie – The Conversation2024-01-10T18:58:10Ztag:theconversation.com,2011:article/2184682024-01-10T18:58:10Z2024-01-10T18:58:10ZPourquoi les sites qui proposent des calculs d’indemnisations après un accident ne sont pas forcément fiables<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/562692/original/file-20231130-25-655bi1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C8805%2C5852&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les personnes utilisant de tels services s’exposent à une exploitation indue de leurs données personnelles, notamment à des fins de démarchage.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Depuis quelque temps se multiplient des sites Internet proposant aux victimes d’accidents la possibilité de calculer les indemnisations auxquelles elles pourraient prétendre. Ces calculateurs sont à fuir. Ils donnent des résultats bien peu sérieux, sont à la limite de la légalité, et risquent de conduire les victimes à faire de mauvais choix.</p>
<p>La victime d’un accident, d’une infraction, de certaines maladies a le droit à une indemnisation de ses préjudices, de la part du responsable, de son assureur, ou d’un organisme d’indemnisation. Le montant de celle-ci se détermine au terme d’un processus dont le déroulement suppose le concours de plusieurs acteurs spécifiquement formés. Un médecin expert examine d’abord la victime, indique – ce qui est primordial – si l’état de la victime est ou non consolidé, et évalue certains paramètres médico-légaux, comme le taux d’incapacité ou le degré des souffrances. Ensuite, le juriste, selon une <a href="https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/Rapport_groupe_de_travail_nomenclature_des_prejudices_corporels_de_Jean-Pierre_Dintilhac.pdf">nomenclature précise</a> et aidé par des référentiels chiffrés, traduit les atteintes telles que décrites par le médecin ou attestées par les preuves fournies par la victime en une somme d’argent.</p>
<p>L’ensemble du processus ressemble à un <a href="https://aurelienbamde.com/2022/03/23/la-reparation-algorithmique-du-dommage-corporel-binaire-ou-ternaire/">grand algorithme</a>. Des sites Internet prétendent pouvoir indiquer l’indemnisation possible en fonction de quelques éléments saisis par la victime, ce qui semble très critiquable – cette critique ne concerne pas les logiciels destinés à être utilisés seulement par des professionnels formés, notamment des avocats, comme <a href="https://www.norma.software/">Norma</a> ou <a href="https://juri-solutions.fr/quantum/">Quantum</a>, qui ne sont que des aides au calcul, et non des prédictions d’un montant indemnitaire.</p>
<h2>Des résultats peu sérieux</h2>
<p>Le caractère algorithmique du calcul de l’indemnisation en cas de dommage corporel peut laisser penser que l’indemnisation des victimes est prévisible, une fois renseignées quelques informations, comme la perte de revenus, les frais médicaux, le taux d’incapacité, le degré de souffrances, l’âge de la victime…</p>
<p>Or, la victime, à moins d’avoir déjà été examinée par un médecin expert, ne peut renseigner convenablement le formulaire – l’expertise médicale est une spécialité pointue. Les formulaires soumis par les sites qui proposent des calculs d’indemnités en ligne sont frustes et négligent nombre de paramètres, à commencer par la date de consolidation (autrement dit, la date à laquelle l’état de la victime se stabilise), qui est <a href="https://www.labase-lextenso.fr/gazette-du-palais/GPL323q4">absolument cruciale</a>. Ils ne prennent pas en compte le fait que certaines sommes, notamment versées par la Sécurité sociale, doivent être déduites des montants indemnitaires. Les résultats ne peuvent donc être sérieux.</p>
<p>En outre, des <a href="https://shs.hal.science/CENTRE-FAVRE/hal-03246155v1">recherches</a> démontrent qu’à atteinte corporelle comparable, les conséquences indemnitaires peuvent varier dans des proportions très importantes (du simple au décuple). Chacun peut comprendre que l’amputation d’une main a des conséquences particulières pour le travailleur manuel, le pianiste, le parent de jeunes enfants, la personne malentendante s’exprimant en langue des signes, le paraplégique se déplaçant en fauteuil roulant manuel… Chiffrer convenablement les conséquences d’un dommage corporel suppose de prendre en compte la victime non seulement à hauteur de son atteinte physiologique, mais dans la globalité de sa personne, et dans l’écosystème que constitue son environnement.</p>
<p>La réparation des dommages obéit au respect du principe de <a href="https://www.lgdj.fr/le-principe-de-reparation-integrale-du-prejudice-9782731411867.html">la réparation intégrale</a>, qui a pour corollaire celui de l’individualisation de la réparation. Prétendre atteindre le degré de subjectivité requis à partir de quelques éléments objectifs recueillis dans un formulaire relève de la pensée magique.</p>
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<h2>Des sites à la limite de la légalité</h2>
<p>Certains de ces sites sont proposés par des cabinets d’avocat, d’autres par des officines d’experts d’assurés, encore appelées mandataires de victimes, qui sont des personnes qui, sans être avocats, se proposent d’accompagner les victimes dans leurs démarches indemnitaires. Le but réel de ces formulaires n’est absolument pas de fournir de l’information, mais de récupérer les coordonnées de victimes, avec d’autres données personnelles, afin de les démarcher activement pour qu’elles deviennent clientes.</p>
<p>Lorsque des avocats sont dans une telle démarche, ils sont à la frontière de ce que permet leur déontologie. <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000047774060">Un décret du 30 juin 2023</a> a créé un Code de déontologie des avocats. Au titre des principes essentiels de la profession se trouvent la conscience, la probité, la compétence, la prudence… qui semblent bien peu compatibles avec la création de logiciels à visée publicitaire, qui ne peuvent pas donner de résultats fiables. Si l’article 15 de ce décret prévoit que « la publicité et la sollicitation personnalisée sont permises à l’avocat si elles procurent une information sincère sur la nature des prestations de services proposées et si leur mise en œuvre respecte les principes essentiels de la profession », il semble que les courriels envoyés ne respectent pas les conditions posées.</p>
<p>Les sites qui ne sont pas tenus par des avocats pourraient enfreindre les règles posées par la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000508793">loi du 31 décembre 1971</a>. Celle-ci prévoit, en ses articles 54 et suivants, une restriction de l’activité de consultation juridique aux membres de certaines professions (avocats, notaires, professeurs de droit…) ; les mandataires de victimes ou experts d’assurés n’en font pas partie.</p>
<p>Certes, l’article 66-1 de la même loi dispose que la diffusion en matière juridique de renseignements et informations à caractère documentaire est libre. La frontière entre l’information et la consultation réside essentiellement dans la personnalisation de la réponse apportée à une question posée. Il ne fait nul doute que l’évaluation d’une indemnisation par ces sites est personnalisée, de telle sorte qu’il s’agit d’une consultation, non d’une information documentaire. Dès lors, si elle n’est pas exercée par une personne autorisée, elle est constitutive d’une usurpation de titre, réprimée par <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000021342951">l’article 433-17 du code pénal</a>.</p>
<p>En outre, des informations sensibles sont collectées par ces sites : non seulement des données à caractère personnel (âge, adresse de courriel…) mais aussi des données sensibles, car relatives à la santé (taux d’incapacité, évaluation des souffrances…). Or, nombre de calculateurs testés ne répondent pas aux exigences du RGPD (<a href="https://www.cnil.fr/fr/reglement-europeen-protection-donnees">règlement général sur la protection des données</a>) ou à celles de la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000886460">loi informatique et liberté</a>, ne serait-ce que sur le consentement à la collecte des données.</p>
<h2>Les risques pour les victimes</h2>
<p>Les personnes utilisant de tels services s’exposent ainsi à une exploitation indue de leurs données personnelles, notamment à des fins de démarchage. Il y a plus grave : les résultats envoyés, qui sont nécessairement fantaisistes, peuvent ancrer dans l’esprit de la victime de faux ordres de grandeur quant à l’étendue de ses droits.</p>
<p>Or, c’est en principe l’assureur du responsable d’un accident qui réalise une première estimation des dommages et intérêts, pour faire une offre d’indemnisation – il s’agit même d’une <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006839463">obligation en cas d’accident de la circulation</a>. La victime risque dès lors, si la simulation est inférieure à l’offre, d’accepter témérairement celle-ci alors même qu’elle serait insuffisante, ce qui vaut transaction et lui interdit de demander une indemnisation complémentaire une fois repentie de son erreur. À l’inverse, si la simulation est supérieure à l’offre, la victime sera incitée à refuser cette dernière, alors même qu’elle serait pleinement satisfaisante, pour s’engager dans un contentieux dont l’issue pourrait lui être défavorable.</p>
<p>Favoriser le règlement amiable et protéger les droits des victimes suppose que l’évaluation des dommages et intérêts soit réalisée par un professionnel formé et compétent, qui prendra le temps nécessaire pour individualiser son estimation, et donner un conseil avisé.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218468/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christophe Quézel-Ambrunaz a reçu des financements de l'Institut Universitaire de France. Son équipe a un partenariat de recherche rémunéré avec la société Norma, citée dans l'article, sans qu'il n'en tire de profit personnel. </span></em></p>Les formulaires de renseignement des sites qui proposent des calculs d’indemnités en ligne négligent nombre de paramètres.Christophe Quézel-Ambrunaz, Professeur de droit privé, Université Savoie Mont BlancLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2000192023-02-15T23:12:40Z2023-02-15T23:12:40ZQuels effets sur la santé des seniors d’un report de l’âge légal de départ en retraite ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/510378/original/file-20230215-22-l1en85.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C15%2C924%2C598&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Après la réforme de 2010, le coût des indemnités journalières liées à l’absence pour maladie a augmenté en moyenne chaque année de 4,2%.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Pour une deuxième semaine, la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/reforme-des-retraites-82342">réforme du système de retraite</a> voulue par le gouvernement est débattue par les parlementaires. Une semaine marquée ce jeudi 16 février par une <a href="https://www.ouest-france.fr/economie/retraites/greve-du-jeudi-16-fevrier-contre-la-reforme-des-retraites-a-quoi-faut-il-sattendre-67ec3fb0-ac43-11ed-b6e3-38da84828b93">quatrième journée de mobilisation intersyndicale</a>.</p>
<p>En attendant l’examen des amendements portant sur le recul de l’âge légal de 62 à 64 ans, les députés d’opposition ont fait échec à la proposition gouvernementale de création d’un <a href="https://www.bfmtv.com/politique/parlement/reforme-des-retraites-l-assemblee-nationale-rejette-l-article-2-sur-l-index-seniors-dans-les-entreprises_AD-202302140801.html">index senior</a>, au grand dam des ministres en charge du dossier.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1625622449797603328"}"></div></p>
<p>L’idée était d’obliger les entreprises à publier leurs statistiques d’embauche de salariés en fin de carrière pour les inciter à embaucher ou garder en <a href="https://theconversation.com/fr/topics/emploi-20395">emploi</a> des salariés plus âgés, sans toutefois les y contraindre, en réponse à des <a href="https://theconversation.com/reforme-des-retraites-des-craintes-pour-lemploi-des-seniors-a-nuancer-198540">craintes pour l’emploi des seniors</a>. Des participants au débat, pensifs quant à l’utilité du dispositif, ont notamment avancé que les travailleurs seniors ont un risque assez élevé de se retrouver en <a href="https://twitter.com/LCP/status/1625153970992709633">congés maladie</a> de longue durée ou en situation d’invalidité.</p>
<p>C’est sur ce point que nos <a href="https://ceet.cnam.fr/publications/connaissance-de-l-emploi/age-legal-de-depart-en-retraite-et-absences-maladie-quels-effets-du-passage-a-62-ans-en-2010--1394102.kjsp?RH=1507626697168">travaux</a> récents ont porté, proposant une évaluation des effets de la réforme de 2010 sur les absences maladie des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/seniors-38909">seniors</a>.</p>
<h2>Une équation financière pas systématiquement positive</h2>
<p>La principale mesure de cette réforme avait été l’augmentation de 2 ans des âges légaux, d’ouverture des droits comme d’annulation de la décote. Ils sont passés respectivement de 60 et 62 à 62 et 64 ans, et ce, dans un délai remarquablement court, 5 ans.</p>
<p>Étaient visées une réduction de la charge des pensions et une augmentation du taux d’activité des seniors pour limiter le déficit des caisses d’assurance-retraite. Le nouveau texte a, de fait, induit une augmentation des taux d’activité des seniors. Selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), la proportion des personnes âgées de 60 ans en emploi s’est accrue de <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/2546882">17 points de pourcentage pour les hommes et de 16 points pour les femmes</a> tandis que la proportion au chômage s’est accrue de 7 et 6 points de pourcentages, respectivement.</p>
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<p>En fin de carrière, cette hausse du chômage est même mesurée à 13 points de pourcentages par d’autres <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/journal-of-pension-economics-and-finance/article/abs/employment-and-substitution-effects-of-raising-the-statutory-retirement-age-in-france/4286104DFC75D283D1652996120C2B1C">études</a>. Combiné à une hausse de l’invalidité de 6 points, cela pèse sur les régimes d’assurance sociale alternatifs à la retraite. La Cour des comptes n’a pas manqué de le relever dans un <a href="https://www.ccomptes.fr/fr/publications/securite-sociale-2019">rapport de 2019</a>. Elle pointe une croissance notable des dépenses pour le risque maladie : dans les années qui ont suivi la réforme, le coût des indemnités journalières liées à l’absence pour maladie a augmenté en moyenne chaque année de <a href="https://www.ccomptes.fr/system/files/2019-10/20191008-synthese-rapport-securite-sociale-2019.pdf#page=19">4,2 %</a> pour atteindre <a href="https://www.ccomptes.fr/system/files/2019-10/20191008-rapport-securite-sociale-2019-2.pdf#page=20">8 milliards d’euros</a> en 2017. Une part non négligeable de cette hausse est attribuée au <a href="https://www.ccomptes.fr/system/files/2019-10/20191008-rapport-securite-sociale-2019-2.pdf#page=20">vieillissement</a> de la population des salariés.</p>
<p>En même temps qu’elle prolonge la durée de cotisations à l’assurance-retraite, l’allongement de la vie semble en même temps augmenter, dans une moindre mesure toutefois, d’autres dépenses. Au-delà d’un enjeu financier pour des organismes publics, c’est aussi, pour les entreprises, des absences plus fréquentes de salariés qu’il leur faut pallier.</p>
<h2>Des arrêts maladie plus fréquents, plus longs et plus nombreux après 60 ans</h2>
<p>Pour le documenter, nous avons, dans nos <a href="https://ceet.cnam.fr/publications/connaissance-de-l-emploi/age-legal-de-depart-en-retraite-et-absences-maladie-quels-effets-du-passage-a-62-ans-en-2010%E2%80%931394102.kjsp?RH=1507126380703">travaux</a>, mobilisé une base de données administratives dans laquelle les mêmes individus sont suivis sur plusieurs années : le panel <a href="https://www.irdes.fr/recherche/partenariats/hygie-systeme-d-information-sur-les-indemnites-journalieres/actualites.html">Hygie</a> sur la période 2005-2015, mis en place par l’<a href="https://www.irdes.fr/recherche/partenariats/hygie-systeme-d-information-sur-les-indemnites-journalieres/actualites.html">Irdes</a> après un appel d’offres de la Drees, direction statistique du ministère de la Santé. Il combine des données administratives de la Caisse nationale de l’assurance vieillesse avec celles de la Caisse nationale de l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/assurance-maladie-21865">assurance maladie</a>.</p>
<p>Pour mesurer l’impact d’un décalage de l’âge légal de départ sur la fréquence des absences maladie, il faudrait pouvoir observer ce qui se serait passé chez ceux qui ont pu prendre leur retraite à 60 ans s’ils avaient travaillé jusqu’à l’âge 62 ans, ce qui est impossible. On peut néanmoins trouver moyen de trouver une approximation pour cet élément de comparaison que l’on appelle, en statistique, le contre-factuel.</p>
<p>En comparant les toutes premières générations concernées par la retraite à 62 ans (les individus nés entre 1952 et 1954) avec les toutes dernières à y avoir échappé (1946-1951), on peut ainsi réduire un certain nombre de biais. On peut en effet supposer plus de ressemblance entre la trajectoire réelle des individus nés en 1952 avec celle, fictive, des individus nés en 1950 que si l’on comparait les générations 1940 et 1958.</p>
<p>L’idée est la suivante. Avec des départs en retraite, une génération voit logiquement le nombre d’individus concernés par un ou plusieurs arrêts maladie chuter (puisqu’on n’est pas arrêté pour maladie lorsque l’on est retraité). Cela survient à 60 ans avant l’entrée en vigueur de la réforme de 2010, à 62 ans après. Si l’on compare donc nos deux groupes entre 60 et 62 ans, l’un aura connu cette chute et pas l’autre. La différence s’expliquera donc a priori largement par un décalage de l’âge légal.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/510342/original/file-20230215-22-1kbvdr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/510342/original/file-20230215-22-1kbvdr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/510342/original/file-20230215-22-1kbvdr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=468&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/510342/original/file-20230215-22-1kbvdr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=468&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/510342/original/file-20230215-22-1kbvdr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=468&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/510342/original/file-20230215-22-1kbvdr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=588&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/510342/original/file-20230215-22-1kbvdr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=588&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/510342/original/file-20230215-22-1kbvdr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=588&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La méthode dite de « régression avec discontinuité ».</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<p>Pour rendre les deux groupes aussi comparables que possible du point de vue de leurs caractéristiques individuelles, toute autre que l’âge de départ en retraite, on va également tenir compte de ces dernières dans nos calculs. Parmi ces caractéristiques figurent le salaire des individus, le temps qu’ils ont passé au chômage durant l’ensemble de la carrière ou encore leur catégorie socioprofessionnelle.</p>
<p>Nous avons ainsi pu mettre en regard entre nos deux groupes, la probabilité de connaître au moins un arrêt de travail sur une année, la durée annuelle cumulée d’arrêts-maladie et le nombre d’épisodes d’arrêts-maladie dans l’année d’observation. Les analyses économétriques confirment bien que la hausse de l’âge d’ouverture des droits explique une large part de l’augmentation significative de la probabilité, après 60 ans, d’être arrêté pour maladie sur une année de l’ordre de 1,7 point de pourcentage. Le nombre annuel cumulé de jours d’arrêt augmenterait, lui, d’un peu plus d’un jour et le nombre annuel d’arrêts maladie, de 0,02.</p>
<h2>Des populations plus sensibles que d’autres</h2>
<p>De manière générale, une grande hétérogénéité apparaît au-delà de ces moyennes. Il s’avère notamment que la réforme des retraites de 2010 a effectivement eu un effet plus fort sur la probabilité d’arrêt pour les individus considérés en mauvaise santé et ayant connu des événements de santé comme les accidents de travail et maladies professionnelles conduisant à des absences maladie de longue durée par le passé (hausse de 2,2 points de pourcentage contre 1,2 point de pourcentage pour ceux en bonne santé). L’effet de la réforme sur le nombre de jours annuel de maladie est également plus important pour ces individus en mauvaise santé avant le report de l’âge légal d’ouverture des droits entraînant une augmentation de 1,8 jour environ.</p>
<p><iframe id="rksVm" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/rksVm/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Les différences semblent, en outre, plus marquées pour les femmes que pour les hommes s’agissant de la probabilité d’arrêt ou du nombre d’épisodes d’arrêt. Elles restent toutefois moins importantes en ce qui concerne le nombre annuel de jours d’arrêt.</p>
<p>Pareilles observations suggèrent l’importance pour des projets d’évolution des paramètres de retraite, comme la réforme en débat actuellement, de mesures permettant de tenir compte de l’hétérogénéité des situations parmi la population active, avec une prise en compte de la pénibilité et de l’état de santé des salariés. Cela peut passer par des mesures de prévention, une amélioration des conditions de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/travail-20134">travail</a> ou par une possibilité laissée aux salariés fragilisés par leur état de santé ou par leur parcours professionnel d’accéder à la retraite plus tôt. Il pourrait aussi s’agir d’assouplir le temps de travail des seniors, avec des possibilités de départs progressifs à la retraite, et de les affecter aux postes les moins pénibles.</p>
<p>Rappelons enfin qu’un recul de l’âge de départ n’influence pas seulement les absences maladie des seniors : il induit également un <a href="https://www.cor-retraites.fr/sites/default/files/2022-01/Doc10_D%C3%A9penses%20rel%C3%A8vement%20%C3%A2ge_DREES.pdf">effet de déversement</a> vers d’autres dispositifs alternatifs de protection sociale tels que le chômage ou l’invalidité. Seule la prise en compte de l’ensemble de ces effets éclairerait le décideur public quant à l’ensemble des retombées de réformes telles que celle actuellement en débat.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/200019/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Évaluer la réforme de 2010 montre qu'une fin d'activité retardée, c'est, certes, plus de recettes pour le système de retraites, mais c'est aussi un peu plus de dépenses pour l'assurance maladie.Mohamed Ali Ben Halima, Maître de conférences, économiste santé au travail, MESuRS, CEET, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)Ali Skalli, Maître de conférences de sciences économiques, Laboratoire d’Economie Mathématique et de Microéconomie Appliquée (LEMMA), Université Paris-Panthéon-AssasMalik Koubi, Chercheur associé au Centre d’études de l’emploi et du travail (CEET), Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1887742022-09-01T12:56:04Z2022-09-01T12:56:04ZQuel accès aux soins pour les femmes enceintes migrantes dépourvues d’assurance maladie ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/480882/original/file-20220824-2207-pwpqn5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C1%2C995%2C664&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des milliers de femmes migrantes enceintes expérimentent des grossesses complexes, voire dangereuses, pour elles-mêmes et leurs enfants à naître. </span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Au Québec, l’admissibilité à la couverture de santé publique est gérée par la Régie de l’Assurance Maladie du Québec (RAMQ) et dépend du statut migratoire des individus. Les personnes admissibles sont principalement les citoyens canadiens, les résidents permanents et les réfugiés.</p>
<p>Les demandeurs d’asile bénéficient d’une couverture de santé fédérale : le <a href="https://www.canada.ca/fr/immigration-refugies-citoyennete/services/refugies/aide-partir-canada/soins-sante/programme-federal-sante-interimaire/resume-couverture-offerte.html">Programme fédéral de santé intérimaire (PFSI)</a>. Les personnes qui ne sont pas admissibles aux couvertures de santé publiques ni provinciale, ni fédérale, peuvent souscrire à des assurances privées, assez coûteuses. C’est ainsi qu’en 2020, on estimait la présence au Québec de près de <a href="https://sherpa-recherche.com/wp-content/uploads/impact_covid19_communautes_culturelles.pdf">50 000 individus (adultes et enfants) dépourvus de couverture de santé, la majorité vivant à Montréal</a>.</p>
<p>Ces personnes sont communément désignées par le terme de Migrants sans assurance maladie (MSAM). Lorsqu’elles sont enceintes, certaines femmes MSAM renoncent à leurs soins obstétricaux, en raison de leur incapacité à payer des frais médicaux pouvant osciller entre <a href="https://tout-petits.org/publications/dossiers/acces-soins-de-sante-migrants/">8 934 $ et 17 280 $</a>. Or, la <a href="https://www.sogc.org/fr">Société des obstétriciens et gynécologues</a> recommande fortement un suivi de grossesse rigoureux afin de <a href="https://doi.org/10.1038/jp.2015.218">réduire les risques de mortalité maternelle, de fausse couche, de naissance prématurée, de faible poids de naissance, de mortinatalité et de mort subite inattendue dans l’enfance</a>.</p>
<p>En tant que chercheuse en éthique clinique spécialisée sur la santé des migrants, je me propose de vous informer sur l’existence de ces milliers de femmes qui expérimentent des grossesses complexes, voire dangereuses, pour elles-mêmes et leurs enfants à naître. Mon approche éthique offre une analyse critique du statu quo de la RAMQ, à l’aune des principes de dignité de la personne humaine et de justice sociale.</p>
<h2>Portrait de la situation au Québec</h2>
<p>Les MSAM sont réparties en <a href="https://doi.org/10.1371/journal.pone.0231327">trois catégories</a>, selon leur statut administratif au Canada :</p>
<ul>
<li><p>les personnes en attente de statut à la RAMQ, telles que les Résidents permanents en période de carence de 3 mois ou les demandeurs d’asile en attente de PFSI ;</p></li>
<li><p>les Résidents non permanents ayant généralement des visas étudiants (à l’exception de ceux originaires des 11 pays européens ayant une entente avec la RAMQ) ou des permis de travail ouverts ;</p></li>
<li><p>les personnes sans statut qui restent au Québec après l’expiration de leur visa ou à la suite de l’échec de leur demande d’asile.</p></li>
</ul>
<p>Au Québec, l’entrée à l’hôpital est théoriquement ouverte à toute personne s’y présentant. Or, lorsqu’une personne ne bénéficie d’aucune couverture médicale et qu’elle souhaite recevoir des services de santé non urgents, elle doit d’abord prouver sa capacité à s’acquitter de la facture qui en découlera. Dans le cas des MSAM, cette facture est de surcroît soumise à la circulaire 03-01-42-07, qui prescrit l’application d’une majoration tarifaire de 200 % à <a href="https://doi.org/10.7202/1087213ar">toute personne non affiliée à la RAMQ ayant eu recours à des soins de santé effectués dans des établissements publics</a>. Par exemple, pour un suivi de grossesse et un accouchement, les frais totaux peuvent s’élever à <a href="https://tout-petits.org/publications/dossiers/acces-soins-de-sante-migrants/">17 280 $</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/480874/original/file-20220824-22-nc36uc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C4%2C992%2C661&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="femme enceinte fait une échographie" src="https://images.theconversation.com/files/480874/original/file-20220824-22-nc36uc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C4%2C992%2C661&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/480874/original/file-20220824-22-nc36uc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/480874/original/file-20220824-22-nc36uc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/480874/original/file-20220824-22-nc36uc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/480874/original/file-20220824-22-nc36uc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/480874/original/file-20220824-22-nc36uc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/480874/original/file-20220824-22-nc36uc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">La Société des obstétriciens et gynécologues recommande fortement un suivi de grossesse rigoureux afin de réduire les risques de mortalité maternelle, de fausse couche, de naissance prématurée, de faible poids de naissance, de mortinatalité et de mort subite inattendue dans l’enfance.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Alors que des associations comme Médecins du monde plaident depuis plus de 20 ans en faveur de la mise en place gouvernementale d’une <a href="https://medecinsdumonde.ca/uploads/Memoire-Medecins-du-Monde-Sante-sexuelle-et-reproductive-des-femmes-migrantes-a-statut-precaire-vivant-au-Quebec_15avril-2022.pdf">couverture universelle de soins obstétricaux</a>, la RAMQ juge dans son <a href="https://www.msss.gouv.qc.ca/inc/documents/ministere/salle-de-presse/Rapport_mandat_femmes_enceintes_2022-06-28.pdf">rapport publié en juin 2022</a> que le statu quo reste une réponse adéquate à la situation de ces femmes.</p>
<h2>Préserver la dignité humaine</h2>
<p>Il arrive dans certaines situations que des femmes enceintes choisissent de se présenter à l’hôpital à la dernière minute pour minimiser leurs coûts, et passer en urgence en salle de naissance. Dans les cas extrêmes, les femmes <a href="https://books.openedition.org/pum/5389">décident d’accoucher seules chez elles, au péril de leur vie</a>.</p>
<p>De plus, des recherches ayant examiné les différents dossiers médicaux en services d’obstétriques prouvent que l’absence d’assurance maladie augmente les taux de césariennes dues à des <a href="https://doi.org/10.3390%2Fijerph10062198">anomalies du rythme cardiaque fœtal et de réanimations néonatales</a>.</p>
<p>Ainsi, d’un point de vue clinique, la mise en place d’une couverture universelle de soins prénataux apparaît appropriée et efficace pour garantir des conditions d’accouchement sécuritaires et dignes à toutes les femmes et leurs enfants, sans égard à leur statut migratoire.</p>
<h2>Loin d’être des touristes</h2>
<p>Le <a href="https://www.msss.gouv.qc.ca/inc/documents/ministere/salle-de-presse/Rapport_mandat_femmes_enceintes_2022-06-28.pdf">dernier rapport de la RAMQ</a> témoigne que ce sont davantage des préoccupations liées au phénomène de « tourisme obstétrique » qui incitent au statu quo, plutôt qu’un regard médical ajusté et humaniste à l’égard de la réalité des femmes enceintes MSAM. Or, ce ne sont pas des touristes, puisque la plupart d’entre elles <a href="https://doi.org/10.1080/17441692.2020.1771396">résident au Québec depuis au moins deux ans et qu’elles ont l’intention de s’y établir</a>.</p>
<p>Par ailleurs, ces femmes contribuent à la société de diverses façons, à commencer par leur travail, notamment au cours de la pandémie de Covid-19. Les travaux de l’<a href="https://sherpa-recherche.com/">Institut universitaire SHERPA</a> ont révélé que les travailleuses migrantes ont été surreprésentées dans les métiers désignés de première ligne. Elles étaient nombreuses à être <a href="https://sherpa-recherche.com/wp-content/uploads/impact_covid19_communautes_culturelles.pdf">préposées aux bénéficiaires, vendeuses ou agentes d’entretien ménager</a>.</p>
<p>Ces personnes prennent soin de notre société. La mise en place d’une couverture universelle de soins prénataux et obstétricaux témoignerait d’une reconnaissance juste de leurs apports économiques, sociaux, culturels, académiques et démographiques au Québec.</p>
<h2>Pour garantir la justice sociale</h2>
<p>Il est primordial de distinguer les femmes enceintes MSAM des personnes qui voyagent au Canada dans l’unique but d’y accoucher pour garantir l’obtention de la citoyenneté à leurs enfants à naître.</p>
<p>De plus, les limitations d’accès à la RAMQ n’empêchent pas le phénomène de <em>tourisme obstétrical</em> d’exister, bien qu’il demeure <a href="https://www.lesoleil.com/2012/03/08/du-tourisme-obstetrique-a-quebec-26f02f95a23fdca000845c92e0becef7">marginal</a>.</p>
<p>Pour la période du 1<sup>er</sup> janvier 2015 au 31 décembre 2021, la <a href="https://www.msss.gouv.qc.ca/inc/documents/ministere/salle-de-presse/Rapport_mandat_femmes_enceintes_2022-06-28.pdf">RAMQ dénombre 9 917 femmes ayant accouché alors qu’elles n’avaient pas d’assurance maladie</a>. Cette donnée regroupe toutes les femmes, installées ou non dans la province. D’après la RAMQ, il n’existe aucun moyen de distinguer celles qui résident au Québec de celles n’ayant que l’intention d’y accoucher.</p>
<p>Rien ne prouve qu’une couverture universelle de soins de grossesse s’accompagnera inexorablement d’une recrudescence du <em>tourisme obstétrical</em>. En effet, l’accès à cette mesure pourrait par exemple être conditionné par des preuves de résidence.</p>
<p>En revanche, le statu quo génère un accroissement des inégalités d’accès aux soins. Des inégalités aux conséquences cliniques potentiellement lourdes pour les nourrissons en cas de suivi de grossesse inadéquat ou inexistant.</p>
<h2>Des exemples à suivre</h2>
<p>C’est justement par respect des principes humanistes de meilleur intérêt de l’enfant et de dignité humaine de la femme que des pays dotés d’un système de santé public comme la France, l’Allemagne, et la Finlande, offrent des soins prénataux et obstétricaux gratuits à toutes les femmes, sans discrimination, ni d’égard à leur statut migratoire, légal ou non.</p>
<p>D’autres provinces canadiennes tout aussi concernées par <em>le tourisme obstétrical</em>, comme la Colombie-Britannique et l’Alberta, réduisent leur taux de MSAM en octroyant l’assurance maladie provinciale à toutes personnes détentrices d’un permis d’étude ou d’un permis de travail. En Ontario, le gouvernement finance les soins de grossesse et d’accouchement à toutes les femmes enceintes qui résident dans la province avec un statut légal.</p>
<p>À l’aube des élections provinciales au Québec, nous encourageons le futur nouveau gouvernement à suivre ces modèles inspirants dans l’optique de garantir des droits de la personne fondamentaux, comme la santé, à l’ensemble de la communauté.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/188774/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Annie Liv a reçu des financements du Centre de recherche en éthique (CRÉ) et de l'Équipe de recherche interdisciplinaire sur les familles réfugiées et demandeuses d'asile (ERIFARDA). </span></em></p>L’admissibilité à la RAMQ dépend du statut migratoire. Les personnes admissibles sont principalement les citoyens canadiens et les résidents permanents. Les étudiant-es, par exemple, en sont exclus.Annie Liv, Doctorante en Éthique clinique, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1776652022-02-28T19:32:15Z2022-02-28T19:32:15ZDébat : La « Grande Sécu », mythe ou réalité ?<p>En novembre dernier, Olivier Véran, ministre de la Santé, commandait au <a href="https://www.leparisien.fr/economie/sante-bientot-la-fin-des-complementaires-01-11-2021-T4LIWJQJGBBMRK6FUCKIL3BUSA.php">Haut Conseil pour l’avenir de l’Assurance Maladie</a>, dont le rôle est notamment de réfléchir aux « évolutions envisageables des politiques d’assurance maladie », un rapport sur l’articulation entre assurance maladie obligatoire et complémentaires santé. Ainsi était lancée l’idée d’une « Grande Sécu » qui supprimerait la part du remboursement des soins prise en charge par les mutuelles au profit de la caisse d’assurance maladie.</p>
<p>Tandis que les assureurs privés de la santé manifestaient leur opposition, la <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/11/18/grande-secu-decryptage-d-un-projet-clivant_6102479_3224.html">presse nationale</a> s’est fait le relais de ce débat. Parmi les détracteurs du projet, l’ex-ministre de la Santé Xavier Bertrand, qui l’a attaqué vertement dans une tribune intitulée <a href="https://www.lejdd.fr/Politique/tribune-xavier-bertrand-la-grande-secu-demmanuel-macron-serait-une-folie-4075607">« La “Grande Sécu” serait une folie »</a>. L’épouvantail d’une médecine à deux vitesses sur le modèle anglais ou américain était alors agité.</p>
<p>Publié début janvier 2022, le <a href="https://www.securite-sociale.fr/files/live/sites/SSFR/files/HCAAM/2022/RapportHCAAM--QuatrescenariosarticulationAMO-AMC--janvier2022.pdf">rapport commandé par Olivier Véran</a> envisage quatre scénarios de remboursement des soins. Malgré sa mise en ligne, le débat sur le futur de la Sécurité sociale reste absent de l’agenda politique de la présidentielle. Le projet de Grande Sécurité sociale n’en est pas moins une réalité qui a commencé à se dessiner il y a quarante ans. Nous en retraçons l’histoire dans un essai à paraître, dont voici les grandes lignes.</p>
<h2>Le long adieu au modèle de sécurité sociale de 1945 : l’action de l’élite du <em>Welfare</em></h2>
<p>Le tournant de la « Grande Sécurité sociale » a été initié au début des années 1980, par une élite <a href="https://www.cairn.info/l-elite-des-politiques-de-l-etat--9782724610529.htm">composée de plusieurs générations de hauts fonctionnaires</a>). Depuis cette période, le contrat social de 1945 associant la couverture maladie à l’exercice d’une profession n’a cessé d’être redéfini.</p>
<p>Pour le comprendre, revenons quelques décennies en arrière. À la fin de la Deuxième Guerre mondiale, l’ordonnance d’octobre 1945 fonde le <a href="https://www.cairn.info/gouverner-la-securite-sociale--9782130550051.htm">nouveau contrat social autour de la Sécurité sociale</a>). Inspirée du modèle allemand, cette dernière prend la forme d’une démocratie sociale <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03215146">basée sur le paritarisme</a> : les caisses de Sécurité sociale sont cogérées par le patronat et les syndicats de salariés. Durant les Trente Glorieuses, Pierre Laroque et les juristes du Conseil d’État, empreints de philosophie sociale, mettent en musique la distribution des prestations sociales avec les syndicats. Mais les chocs pétroliers de 1973 et 1979, qui entraînent le développement du chômage, plongent ce système de gouvernement de l’assurance maladie dans une crise structurelle.</p>
<p>Une longue guerre de pouvoir s’engage alors pour le gouvernement de la Sécurité sociale. Face-à-face : les partenaires sociaux, les partisans d’une privatisation et des élites d’État divisées en trois groupes. Le premier est celui des conseillers d’État « héritiers » de Pierre Laroque, partisan d’un <em>statu quo</em>. Le second, les « moines soldats » de Bercy engagent une campagne pour contrôler la dérive du budget social. Le troisième, enfin, <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-des-affaires-sociales-2001-4-page-41.htm">qu’on a qualifié d’</a> <a href="https://journals.openedition.org/sdt/26235"><em>élite du Welfare</em></a>, rassemble des magistrats de la Cour des comptes porteurs d’un projet de réforme du gouvernement de la Sécurité sociale.</p>
<p>Le parcours de Jean Marmot, magistrat de la Cour des comptes, est emblématique du combat mené par la nouvelle élite. Issu de la « Botte » de l’École nationale d’Administration (les quinze premiers d’une promotion), ce magistrat à la Cour des comptes s’engage dans les affaires sociales alors même que les carrières y sont très peu valorisées. Son but : initier avec ses collègues de la Cour la réforme de la Sécurité sociale en instaurant un contrôle démocratique des comptes, inexistant jusqu’alors. Son passage à la Direction de la Sécurité sociale lui permet de faire avancer cette idée.</p>
<p>Avec l’alternance de 1981, la question des comptes sociaux alimente le clivage politique entre la gauche et la droite, deux ans avant que le tournant de la rigueur budgétaire ne fracture la gauche de gouvernement. Malgré le « système des dépouilles » à la française (principe selon lequel un nouveau gouvernement substitue des fidèles à ceux qui sont en place), l’élite du <em>Welfare</em> accroît son pouvoir dans le gouvernement de la Sécurité sociale. Certains d’entre eux affrontent leur ministre de tutelle – Nicole Questiaux puis Georgina Dufoix – sur la question de l’exercice du contrôle des comptes sociaux. Le conflit s’achève en 1995 lorsque le Président Jacques Chirac, après une campagne autour de la « fracture sociale », fait le choix d’engager la réforme du gouvernement de la Sécurité sociale.</p>
<p>La réforme constitutionnelle de 1996, qui impose au Parlement d’exercer un contrôle sur le financement de la Sécurité sociale, suivie quelques années plus tard par l’introduction puis par l’élargissement d’une protection maladie universelle (CMU 2000 et PUMa 2016), seront au fondement de la Grande Sécurité sociale.</p>
<h2>En marche vers une « Grande » sécurité sociale : universalisation et pilotage par l’État</h2>
<p>Le modèle de Grande Sécurité sociale imaginé par l’élite du <em>Welfare</em> se concrétisera par une série de réformes portée par les gouvernements de droite comme de gauche. La réforme constitutionnelle du 22 février 1996 instaure, tout d’abord, la Loi de Financement de la Sécurité sociale. La Couverture Maladie universelle (CMU) <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000198392/">est établie dans la foulée, par le gouvernement Jospin, en 2000</a>).</p>
<p>Suite à la réforme des retraites de 2003, la droite engage celle de l’assurance maladie (loi Douste-Blazy de 2004), achevant ainsi de déposséder les partenaires sociaux de leur pouvoir de gestion au profit de l’élite du <em>Welfare</em>. La création de l’Union Nationale des Caisses d’Assurance Maladie (<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Union_nationale_des_caisses_d%27assurance_maladie">UNCAM</a>) permet d’inféoder la fonction de Président de Caisse, traditionnellement occupée par un élu syndical, à celle de directeur, octroyée à un haut fonctionnaire.</p>
<p>Sous la Présidence de Nicolas Sarkozy, la création en 2009 d’un ministère du budget et des comptes publics auquel est rattachée la puissante <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Direction_de_la_S%C3%A9curit%C3%A9_sociale">Direction de la sécurité sociale</a> est l’occasion d’un dernier conflit avec les élites de Bercy. Forte de sa capacité à développer des politiques conjuguant enjeux médico-sociaux et maîtrise des dépenses, l’élite du <em>Welfare</em> conforte l’élan de la Grande Sécurité sociale.</p>
<p>Pour consolider le chemin ainsi pris, la nouvelle génération de l’élite du <em>Welfare</em> monopolise les postes de gouvernement au sein d’un « triangle de fer » composé par la Direction de la sécurité sociale, l’Union nationale des caisses d’assurance maladie et les différentes hautes autorités et agences du secteur de la santé créées depuis la fin des années 1990.</p>
<p>Peu à peu, le profil sociologique de l’élite du <em>Welfare</em> modifie. Les magistrats de la Cour des comptes cèdent leur place. Les nouveaux hauts fonctionnaires sont issus de l’Inspection générale des affaires sociales ou formés au sein même de la Direction de la sécurité sociale. Le parcours de <a href="https://www.lesbiographies.com/Biographie/LIBAULT-Dominique,16750">Dominique Libault</a>, premier directeur de la Sécurité sociale formé en interne (2000-2012), atteste de cette évolution. Celui de <a href="https://www.wikimanche.fr/Thomas_Fatome">Thomas Fatôme</a>, énarque et Inspecteur général des affaires sociales, passé dans les cabinets ministériels sous les présidences Sarkozy et Macron, et successivement directeur de la Sécurité sociale et de l’UNCAM, le confirme.</p>
<p>La forte identité professionnelle, leur dépolitisation, rend les membres de cette élite interchangeables. C’est ainsi qu’ils ont pu se rendre indispensables sous les présidences Sarkozy, Hollande et Macron et assurer le contrôle de dépenses d’assurance maladie tout en faisant évoluer le système vers la protection maladie universelle.</p>
<h2>La Grande Sécurité sociale face au défi des crises de 2008 et 2020</h2>
<p>Le développement du projet de Grande Sécurité sociale ne fut pas sans embûche. La crise financière mondiale de 2008 <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-des-sciences-administratives-2015-3-page-523.htm">a impacté durement les finances publiques</a>. La pandémie Covid-19 de 2020 a mis sous tension le système hospitalier. Le défi du déficit de l’Assurance maladie a été un véritable <em>crash test</em> pour l’avenir de la grande Sécurité sociale.</p>
<p>Sur le volet financier, l’élite du <em>Welfare</em> a œuvré sous les présidences Sarkozy et Hollande pour maintenir sous contrôle les dépenses de l’assurance maladie. En effet, le déficit de la Sécurité sociale est, juste après la crise financière, en 2010, de 28 milliards d’euros ; en 2015, 10,8 milliards d’euros. En 2018, il est ramené à 1,2 milliard d’euros avant de rebondir pour 2019 et 2020 autour de 5 milliards d’euros. Avec la pandémie en 2021, il s’élève à 34,6 milliards d’euros avec pour prévision 21,6 milliards d’euros en 2022… Des techniques budgétaires éprouvées telles que le respect rigoureux de l’Objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM) ont permis une maîtrise relative des déficits. Néanmoins, l’application zélée de la tarification des actes médicaux en milieu hospitalier, dite « T2A », a été vécue comme particulièrement contraignante.</p>
<p>À ce titre, un collectif de 123 signataires, composé notamment de professeurs de médecine, de médecins, d’experts, etc. s’est élevé <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782738126924-manifeste-pour-une-sante-egalitaire-et-solidaire-andre-grimaldi-didier-tabuteau-francois-bourdillon-frederic-pierru-olivier-lyon-caen/">contre les effets délétères de cette politique</a>). Ces défenseurs de l’hôpital public dénoncent la mise en œuvre d’une idéologie « gestionnaire ». Toutefois, pour l’élite du <em>Welfare</em>, la question du contrôle des dépenses de santé est indissociable de la stratégie d’universalisation de la couverture maladie.</p>
<p>Sous le ministériat de Marisol Touraine, la loi <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F34308#:%7E:text=Depuis%202016%2C%20la%20protection%20universelle..">Protection universelle Maladie</a> a assoupli le critère de résidence pour l’accès à l’assurance maladie. Dans le même mouvement, l’élite va obtenir la création d’une <a href="https://www.vie-publique.fr/loi/282701-ordonnance-1er-decembre-2021creation-cinquieme-branche-secu-autonomie">cinquième branche de la Sécurité sociale</a> relative à la prise en charge de la dépendance (2021). Fin 2021, un projet de suppression des complémentaires santé privées est présenté.</p>
<p>Aujourd’hui, le <a href="https://www.securite-sociale.fr/la-secu-cest-quoi/chiffres-cles#:%7E:text=470%20milliards%20d%E2%80%99euros%20de,2%20000%20milliards%20d%E2%80%99euros">budget Sécurité sociale (470 milliards) dépasse celui de l’État (350 milliards)</a>. Il entend refléter une doctrine progressiste conforme aux exigences de la maîtrise budgétaire. Mais la crise de la Covid-19 est venue mettre à l’épreuve cette perspective.</p>
<p>Le <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/systeme-de-sante-et-medico-social/segur-de-la-sante/article/segur-de-la-sante-les-conclusions">Ségur de la santé</a>, conclu par les accords signés entre le gouvernement de Jean Castex et les partenaires sociaux en juillet 2021, sera-t-il suffisant pour éviter une nouvelle crise ? Le futur nous le dira.</p>
<p>De façon plus générale, la réalisation de la Grande Sécurité sociale met en lumière le rôle positif de certains hauts fonctionnaires dans la défense de l’intérêt général. Cela mérite d’être souligné, en cette période où l’antiélitisme est de rigueur, et devrait amener à nuancer le réflexe de rejet des élites d’État en charge des affaires de la cité.</p>
<hr>
<p><strong>Pour aller plus loin :</strong></p>
<ul>
<li>Genieys William, Darviche Mohammad-Saïd, <em>Éloge d’une élite. Les hussards de la “Grande” Sécurité sociale</em>, 2022 (à paraître).</li>
</ul><img src="https://counter.theconversation.com/content/177665/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>William Genieys a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche pour étudier les élites de la Sécurité sociale.
ANR-DGF French-German Program in Social Sciences, “Programmatic Action in Times of Austerity. Elites’ Competition and Health Sector Governance in France, Germany, the UK (England) and the US (2008-2018)” (acronym : ProAcTA), 01/04/2018 to 31/03/2021 (832 171€) <a href="http://www.agence-nationale-recherche.fr/Project-ANR-17-FRAL-0008">http://www.agence-nationale-recherche.fr/Project-ANR-17-FRAL-0008</a> </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Mohammad-Saïd Darviche ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le contrat social qui a donné naissance en 1945 à la Sécurité sociale a été largement redéfini depuis la création de l’institution. Retour sur une évolution qui ne s’est pas faite sans résistance.William Genieys, Directeur de recherche CNRS au CEE, Sciences Po Mohammad-Saïd Darviche, Maître de conférences, Université de MontpellierLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1738522021-12-16T20:09:48Z2021-12-16T20:09:48ZUne troisième voie pour améliorer le système de santé français ?<p>Malgré une crise sanitaire qui n’en finit pas, le thème de la santé peine à s’imposer dans une campagne électorale engluée dans des problématiques identitaires et sécuritaires. Les sondages structurels (non électoraux) mettent pourtant la santé au premier rang des préoccupations des Français – selon le baromètre CSA en 2020, dès 2016 selon le baromètre BVA.</p>
<p>Afin d’éclairer et de susciter le débat, le CES (Collège des économistes de la santé) vient de publier un ouvrage collectif intitulé <a href="https://eska-publishing.com/fr/gestion-et-economie/1133231-le-systeme-de-sante-francais-aujourd-hui-brochee.html"><em>Le système de santé français aujourd’hui. Enjeux et défis</em></a> (éditions ESKA). Cet ouvrage réunit 30 contributeurs, économistes de la santé français, et ambitionne d’analyser les principaux défis auxquels notre système de santé fait face.</p>
<p>De façon dépassionnée, et sur la base d’une littérature académique nationale et internationale, le Collège tente également de proposer des pistes de recommandations pour rendre le système plus efficient et plus juste. Ces solutions contribueraient à renforcer un modèle original dans le paysage mondial, représentant une forme de troisième voie, ni étatique, ni privatisé, avec la juste balance qui semblait caractériser le système de santé français jusqu’ici.</p>
<h2>La pandémie : révélatrice des insuffisances du système de santé français</h2>
<p>La pandémie de Covid-19 a souligné, parfois avec cruauté, certaines insuffisances de notre système. Elle a d’abord mis en lumière l’absence d’une stratégie territorialisée de gestion du risque sanitaire et l’incapacité de prendre des décisions adaptées à un niveau infranational.</p>
<p>La crise exacerbe la rigidité d’un système de soins trop centralisé, spécialiste de la prise en charge de malades chroniques à l’hôpital public et sous-équipé, sous-entraîné pour une « course de fond ». Elle jette aussi le doute sur la médecine libérale, qui finalement a très peu participé à la réponse sanitaire.</p>
<p>Mais la pandémie a aussi révélé une véritable capacité d’adaptation des professionnels de santé, à l’hôpital et en ville, et des industriels pharmaceutiques : les processus d’innovation thérapeutique et technologique ont été accéléré, avec le succès constaté d’une production de vaccins à l’échelle internationale, bien que la distribution effective de ces vaccins dans les pays du Sud reste encore à réaliser.</p>
<p>Les défis sont donc de taille et préexistaient bien avant les premières manifestations de cette pandémie. Y figurent en bonne place : l’accès aux soins primaires sur tout le territoire, le manque de coordination entre médecine de ville et hôpital, d’une part, et entre acteurs du soin et de la sphère médico-sociale, d’autre part ; le déficit de prévention et le délaissement relatif de la santé publique (comparé à d’autres pays) ; les inégalités sociales de santé et d’accès aux soins ou encore la surconsommation de tabac et d’alcool.</p>
<h2>Quelles recommandations ?</h2>
<p>Les contributeurs de l’ouvrage ciblent sept grands chantiers :</p>
<ul>
<li><p>Repenser l’organisation du financement des dépenses de santé,</p></li>
<li><p>Améliorer la couverture du risque santé et du risque dépendance,</p></li>
<li><p>Réorganiser en profondeur l’offre de soins,</p></li>
<li><p>Développer les systèmes d’information en santé,</p></li>
<li><p>Réfléchir au budget à consacrer à l’innovation médicale,</p></li>
<li><p>Définir une stratégie de santé publique plus ambitieuse et plus systémique,</p></li>
<li><p>Accroître la place de l’évaluation (médico-) économique dans les décisions en santé.</p></li>
</ul>
<p>Tout d’abord, l’organisation du financement des dépenses de santé devrait être repensée et décentralisée. Repensée dans une logique plus inclusive et moins segmentée des différents sous-objectifs nationaux des dépenses d’assurance maladie (soins de ville, établissements de santé…) ; décentralisée en vue d’une organisation des soins et d’une définition <em>ex ante</em> du budget tenant compte des besoins de la population locale.</p>
<p>Les périmètres respectifs des paniers de soins couverts d’une part par l’Assurance maladie obligatoire, d’autre part par les organismes complémentaires doivent être redéfinis afin que ces derniers ne couvrent pas les mêmes soins que l’assurance publique et que soient réduits les frais de gestion. On parle de « grande sécu »… Au minimum, les complémentaires santé devraient évoluer vers des assurances dites plutôt « supplémentaires », agissant sur un panier de soins privés restreint et surtout distinct du panier de soins publics.</p>
<p>Par ailleurs, le système de financement de la dépendance pourrait relever d’une logique assurantielle clairement établie, couvrant le risque-dépendance selon son niveau de sévérité, mais indépendamment du niveau de l’aide informelle reçue dans l’environnement familial et du mode de prise en charge choisi.</p>
<p>Il importe également de continuer à réduire les barrières financières qui subsistent pour l’accès aux soins de spécialistes, aux soins dentaires et d’optique et également aux soins préventifs.</p>
<p>L’objectif de réduction des inégalités sociales de santé nécessite de mener une politique publique ambitieuse, globale et coordonnée, pour faire face aux déterminants multiples de ces inégalités dont certains interviennent tôt dans les itinéraires personnels (éducation, revenu, épisodes de précarité, conditions de travail, recours au dépistage, comportements à risque, accès aux soins, etc.).</p>
<h2>Réorganiser l’offre de soins sur plusieurs volets</h2>
<p>Concernant le système de paiement tout d’abord. Celui des médecins reste massivement fondé sur le paiement à l’acte. Des systèmes de paiement au forfait liés à la qualité des soins ou au suivi des patients pourraient être généralisés dans tous les secteurs (hôpital, en ville, en médico-social).</p>
<p>Le développement de nouveaux modes de rémunération plus coopératifs, comme des paiements forfaitaires collectifs associant la ville et l’établissement de santé, devrait être renforcé. Ils accompagnent en effet une meilleure coordination entre la ville et l’hôpital et correspondent davantage au développement des nouvelles pratiques, notamment celles aujourd’hui permises par la télémédecine.</p>
<p>La lutte contre les zones sous-dotées ensuite. La suppression récente du <em>numerus clausus</em> et l’arrivée de médecins formés à l’étranger qui s’installent (parfois) dans les zones difficiles sont des outils potentiels d’amélioration de l’accessibilité aux soins à saisir. Toutefois, il importe de développer encore les connaissances, à la fois sur les déterminants des choix d’installation des médecins formés dans les universités françaises, mais également sur les logiques d’installation et de maintien des médecins étrangers dans les zones sous-denses.</p>
<p>Des incitations financières existent depuis de nombreuses années, mais ne semblent pas avoir eu d’influence réelle sur les installations dans les zones prioritaires. L’ouvrage questionne la mise en place de mesures incitatives améliorant l’attractivité des zones sous-denses, monétaires et non-monétaires (accompagnement au développement de modes d’exercice en groupe pluriprofessionnel, coopération entre professionnels de santé notamment entre généraliste et infirmiers).</p>
<p>Le développement des systèmes d’information en santé (à l’hôpital, en ville et à leur intersection) constitue également un enjeu fort. Deux leviers sont notamment proposés : le développement d’un système d’information en médecine de ville, comparable à celui à l’hôpital, et la mise en place d’un large éventail d’indicateurs de qualité relatifs à l’ensemble des soins (dans le secteur hospitalier, médico-social et ambulatoire) et non plus uniquement centrés sur le processus de soins hospitaliers.</p>
<p>Il importe de généraliser l’utilisation du dossier médical partagé et aussi la collecte de résultats de santé et d’expériences rapportées par les patients, pour que les professionnels de santé soient sensibilisés à l’importance d’utiliser de telles mesures et en tirent le meilleur parti, sans crispations négatives.</p>
<h2>Mieux évaluer pour mieux exploiter l’innovation médicale</h2>
<p>De façon générale, elle est susceptible de modifier en profondeur l’organisation de notre système de santé (accès aux soins, télémédecine, dispositifs de e-santé).</p>
<p>Trois types d’innovations sont analysées dans l’ouvrage : la médecine génomique, l’e-santé et les médicaments innovants. Le rôle des économistes est de proposer des méthodologies permettant d’évaluer ces innovations. Il semble ainsi souhaitable de développer des analyses fondées sur les préférences sociétales et de recourir plus fréquemment à l’évaluation médico-économique, par exemple pour définir une valeur de référence à comparer au prix demandé par les industriels, particulièrement les nouveaux entrants du secteur, venant du numérique, qui pourraient parfois avoir tendance à surestimer la plus-value médicale de leurs produits.</p>
<p>Sur un autre sujet, les dispositifs expérimentaux, visant à réduire les inégalités sociales de santé, à améliorer la répartition des médecins sur le territoire ou à accroître les comportements de prévention, sont actuellement insuffisamment développés.</p>
<p>Enfin, mobiliser de façon plus systématique l’évaluation économique et médico-économique comme outil d’aide à la décision en santé est un des messages clés de cet ouvrage. Le recours plus systématique à des méthodes d’évaluation des politiques ou interventions publiques de santé permettrait d’évaluer leur effet causal, par exemple dans le cadre d’essais randomisés, et de promouvoir les dépenses de santé efficientes.</p>
<p>Une fois encore, ces solutions contribueraient à renforcer un modèle hybride, ni étatique, ni privatisé, qui fait l’originalité du système de santé français de par le monde.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/173852/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Notre système de santé fait face à de nombreux défis, soulignés par la pandémie de Covid. Comment le rendre meilleur ? Un collège de trente experts propose des pistes concrètes.Thomas Barnay, Professeur de sciences économiques (en disponibilité) / Visiting Professor, Health Care Policy Department, Harvard Medical School and French Harkness Fellow in Health Care Policy and Practice (The Commonwealth Fund) (2021-2022), Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Anne Laure Samson, Professeur d'économie, Chercheure au LEM, Université de Lille, Université de LilleBruno Ventelou, Chercheur CNRS-AMSE, économie, santé publique,, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1694222021-10-14T17:19:57Z2021-10-14T17:19:57ZLes défis de la couverture sanitaire universelle en Afrique : un ouvrage de synthèse en français<p>L’accès aux soins de santé est au cœur de la volonté déclarée des États du monde de se diriger vers la <a href="https://www.uhc2030.org/fr/">couverture sanitaire universelle</a> (CSU) en 2030. Depuis 2015, celle-ci est l’un des objectifs de développement durable (<a href="https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/health/">ODD</a>).</p>
<p>Dans un <a href="https://www.editionscienceetbiencommun.org/?p=1636">ouvrage collectif</a> qui vient de paraître, nous avons souhaité rendre accessibles en français (et gratuitement) les plus récentes connaissances scientifiques sur l’état des lieux en la matière en Afrique pour soutenir les réflexions et les débats sur les différentes options pour y parvenir.</p>
<h2>Où en est-on ?</h2>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/425974/original/file-20211012-15-pvee1y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/425974/original/file-20211012-15-pvee1y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/425974/original/file-20211012-15-pvee1y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/425974/original/file-20211012-15-pvee1y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/425974/original/file-20211012-15-pvee1y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/425974/original/file-20211012-15-pvee1y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/425974/original/file-20211012-15-pvee1y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/425974/original/file-20211012-15-pvee1y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">« Vers une couverture sanitaire universelle en 2030 » vient de sortir aux Éditions Science et bien commun et est gratuitement disponible en téléchargement.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Éditions Science et bien commun</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La couverture sanitaire est aujourd’hui loin d’être universelle. Elle est très variable d’un pays à l’autre mais aussi, au sein de chaque pays, d’un groupe de population à l’autre et d’un service de santé à l’autre. Par exemple, plusieurs chapitres du livre montrent comment le Burkina Faso a été en mesure d’améliorer de manière incroyable l’accès aux soins de santé pour les enfants de moins de cinq ans et les femmes enceintes (pour leur accouchement) par l’intermédiaire d’une politique de suppression du paiement des soins financée par l’État.</p>
<p>Cette politique s’est révélée non seulement <a href="https://scienceetbiencommun.pressbooks.pub/cus/chapter/limpact-de-la-reduction-et-de-la-suppression-du-paiement-des-frais-dutilisation-sur-la-prestation-de-services-au-burkina-faso/">efficace</a> mais aussi <a href="https://scienceetbiencommun.pressbooks.pub/cus/chapter/cout-efficacite-des-politiques-dexemption-du-paiement-des-soins-de-sante-maternelle-au-burkina-faso/">efficiente</a>, et son rapport coût-bénéfice est impressionnant.</p>
<p>Mais malgré les progrès remarquables de certains pays en Afrique, il reste encore de nombreux défis et obstacles pour que soient atteints les deux objectifs principaux de la CSU, à savoir l’amélioration de l’accès aux soins de santé de qualité pour tous et la réduction du fardeau financier pour les familles dans un contexte où l’on demande encore aux patients de payer lorsqu’ils se rendent dans un centre de santé. Plusieurs chapitres du livre illustrent ces défis dans de nombreux pays de la région ouest-africaine car les obstacles sont encore nombreux.</p>
<h2>Des financements publics insuffisants</h2>
<p>Le premier obstacle, souvent peu abordé, est celui du manque de financement public accordé au secteur de la santé. De même que la France est loin d’atteindre ses engagements internationaux pour l’aide publique au développement, très rares sont les pays en Afrique à approcher de leur <a href="https://au.int/sites/default/files/pages/32894-file-2001-abuja-declaration.pdf">objectif de consacrer 15 % de leur budget au secteur de la santé</a>. Par exemple, le <a href="https://www.unissahel.org/wp-3-senegal">Sénégal</a> accorde autant (soit 5 %) de son budget annuel au ministère de la Santé qu’à celui de la Défense où à celui de l’Ordre et de la sécurité publique.</p>
<p><a href="https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/345336/9789290234531-eng.pdf">Selon l’OMS</a>, un seul pays, le Rwanda, a atteint cet objectif aujourd’hui. De fait, ils restent tous très dépendants de l’aide internationale pour financer leur système de santé. Par exemple, <a href="https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/345336/9789290234531-eng.pdf">au Rwanda</a>, 49 % des dépenses de santé sont payées par l’aide internationale contre 15 % au Burkina Faso ou 27 % en Guinée. Du fait de l’insuffisance des dépenses publiques en matière de santé des États, les citoyens doivent payer des sommes considérables quand ils doivent se soigner.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1149003073882337281"}"></div></p>
<p>Ainsi, au Burkina Faso, 40 % des dépenses totales de santé sont supportées par les habitants, qui payent lorsqu’elles se rendent au centre de santé. Or, ce mode de financement est injuste puisque l’on demande aux malades de payer sans tenir compte de leur capacité financière. C’est tout l’intérêt des <a href="https://www.pum.umontreal.ca/catalogue/acces-aux-soins-de-sante-en-afrique-de-louest-l">politiques de suppression</a> de ces paiements au point de service que nous évoquons dans notre ouvrage et qui datent des années 2000.</p>
<p>Mais, évidemment, pour que cela puisse fonctionner, il faut que le retrait de ces paiements par les populations soit compensé par un financement public dont le mode de collecte tient compte des enjeux d’équité, c’est-à-dire que les gens devraient payer en fonction de ses capacités. Rares sont les pays qui se sont déjà engagés dans ce mode de financement équitable et solidaire à une échelle nationale. C’est certainement le principal défi des prochaines décennies pour les pays africains car l’argent, <a href="https://books.openedition.org/pum/3607?lang=fr">contrairement aux idées reçues</a>, ne manque pas toujours. Il suffit de penser à l’évasion fiscale, qui se chiffre en milliards, et aux <a href="https://www.scidev.net/afrique-sub-saharienne/opinions/secteur-minier-financer-soins-sante-afrique/">industries minières internationales</a> présentes en Afrique.</p>
<h2>Des choix à la fois techniques et idéologiques</h2>
<p>Le corollaire à cette dépendance à l’aide internationale est l’influence que les experts étrangers peuvent exercer sur le choix des instruments de politique de santé. En effet, pour atteindre la CSU, il existe de multiples choix possibles et les débats sont très nombreux et très anciens. Par exemple, faut-il prélever une partie du salaire ou taxer les populations pour financer un système de santé ? Faut-il demander un paiement au point de service ou le supprimer ? Faut-il payer une prime de performance au personnel de santé ?</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/NsGD3hn0yp4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Couverture-Santé Universelle (CSU) : Un exemple au Ghana/OMS, 22 mars 2019.</span></figcaption>
</figure>
<p>Ces choix sont techniques mais ils sont aussi souvent enchâssés dans des idéologies et des perspectives propres aux personnes et aux organisations d’aide internationale qui imposent encore très souvent leurs idées, comme c’est le cas de la <a href="https://scienceetbiencommun.pressbooks.pub/cus/chapter/la-diffusion-politique-du-financement-base-sur-les-resultats-au-mali/">Banque mondiale et de certains cabinets de consultants</a>. L’ouvrage collectif met en évidence les débats en cours autour de ces différents instruments, mais aussi la permanence et l’échec des outils issus de l’approche du <a href="https://scienceetbiencommun.pressbooks.pub/cus/front-matter/introduction/"><em>New Public Management</em></a> (par exemple le financement basé sur les résultats, le paiement direct des soins, etc.) comme c’est le cas en <a href="https://www.cairn.info/revue-du-mauss-2013-1-page-77.htm">France pour son système de santé</a>.</p>
<h2>La piste des assurances communautaires professionnelles à grande échelle</h2>
<p>Il existe cependant des initiatives prometteuses dans la région ouest-africaine dont il faut parler et sur lesquelles il convient de continuer de produire des connaissances scientifiques pour en vérifier la pertinence.</p>
<p>Avec plusieurs collègues, nous étudions une innovation relativement récente en Afrique de l’Ouest francophone, celle des assurances communautaires à grande échelle avec un soutien de professionnels pour la gestion. En effet, après plus de 20 ans d’expériences, les recherches ont montré que les mutuelles communautaires organisées au niveau des villages et des communes avec une gestion bénévole n’étaient pas une solution, comme nous <a href="https://scienceetbiencommun.pressbooks.pub/cus/chapter/implications-pour-la-recherche-et-pour-les-politiques-de-sante/">l’évoquons dans l’ouvrage</a>. Elles couvrent trop de peu personnes et leur stabilité financière est très précaire. Ainsi, depuis quelques années, des pays comme le <a href="https://www.ceped.org/fr/publications-ressources/working-papers-du-ceped/article/la-couverture-universelle-en-sante">Mali</a> et le <a href="https://www.itg.be/files/docs/shsop/shsop34.pdf">Sénégal</a> se sont engagés (alors que cela avait été proposé <a href="http://dspace.itg.be/handle/10390/6090">il y a très longtemps</a>) dans le développement de mutuelles de santé, où la cotisation reste volontaire (c’est un autre défi !), à l’échelle d’un département/cercle.</p>
<p>De plus, la gestion de ces mutuelles n’est plus laissée à des bénévoles mais réalisée par des professionnels de l’assurance et de la gestion. Les instances de gouvernance continuent d’impliquer les communautés et leurs représentants. Cela pose évidemment des défis concernant la place des communautés et de la <a href="https://theconversation.com/les-invisibles-du-systeme-de-sante-au-senegal-137456">démocratie sanitaire</a> qu’il faudra étudier. Par exemple, au Sénégal, nous évoquons dans le livre le fait que deux départements disposent aujourd’hui d’une assurance maladie qui couvre plus de la moitié de leur population, ce qui est un record historique à notre connaissance. Ce modèle, qui s’est montré <a href="https://theconversation.com/senegal-un-modele-dassurance-sante-resilient-en-temps-de-covid-19-143116">résilient</a> face à la pandémie de Covid-19, commence à s’étendre dans d’autres départements du Sénégal et il a reçu des délégations du Niger, de la Guinée, de la Mauritanie, montrant son attractivité et son potentiel.</p>
<h2>Rendre accessibles les résultats de la recherche</h2>
<p>Enfin, cet ouvrage collectif aborde aussi l’enjeu central de <a href="https://www.equiperenard.org/">l’accès et de l’utilisation de la science</a>. C’est en effet aussi un enjeu scientifique que de produire des connaissances sur la manière dont il est possible de favoriser l’utilisation des données probantes par les acteurs de terrain et les décisionnaires.</p>
<p>Cet objet de recherche est encore rarement abordé en <a href="https://alternatives-humanitaires.org/fr/2020/03/18/lutilisation-de-la-recherche-par-les-ong-un-appel-a-actions-et-a-reflexions/">Afrique de l’Ouest</a>. Un chapitre du livre est consacré à ces défis au <a href="https://scienceetbiencommun.pressbooks.pub/cus/chapter/le-point-de-vue-des-decideurs-du-burkina-faso-sur-lutilisation-de-la-recherche-au-ministere-de-la-sante/">Burkina Faso</a> et montre comme la science éclaire peu les responsables du ministère de la Santé.</p>
<p>L’un des défis de l’utilisation de la recherche est que cette dernière est la plupart du temps, dans le domaine de la santé, publiée en anglais, ce qui n’en facilite pas l’utilisation par les décisionnaires francophones de l’Afrique de l’Ouest. C’est pour cela que nous avons publié ce livre en français et en accès gratuit. Il n’est pas en vente et quelques copies papier sont actuellement distribuées dans les pays.</p>
<p>De plus, il y a encore beaucoup d’équipes de recherche qui rechignent à s’engager dans un soutien aux politiques publiques et à adapter leurs résultats de recherche pour que ceux-ci puissent nourrir les réflexions des décideurs. Certaines équipes préfèrent attendre que leurs résultats soient publiés dans des revues scientifiques (souvent payantes) en anglais, ce qui peut prendre de nombreux mois et parfois des années, avant de les partager avec les responsables des systèmes de santé concernés. </p>
<p>Il nous reste donc collectivement encore beaucoup de chemin à parcourir pour que les résultats de nos travaux puissent soutenir le développement et les décisions en faveur de la couverture sanitaire universelle en 2030. Nous espérons que cet ouvrage collectif pourra nourrir les réflexions francophones sur le sujet au-delà des idées reçues et des solutions miracles.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/169422/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Valéry Ridde a reçu des financements d'organismes de recherche publics (ANR, IRSC, AFD, ONG etc.). Il est actuellement affecté à l'ISED/UCAD au Sénégal.</span></em></p>De nombreux travaux sont consacrés aux défis et aux promesses de la mise en place de la couverture sanitaire universelle en Afrique. Un ouvrage qui vient de paraître fait le point sur la situation.Valery Ridde, Directeur de recherche, Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1541342021-02-03T20:23:45Z2021-02-03T20:23:45ZFact check US : La gauche du parti démocrate peut-elle enfin impulser une réforme de l’assurance-santé ?<p>Les démocrates ont repris le pouvoir. De ce camp politique émanent des appels favorables à une transformation complète du système de protection maladie, notamment par la voix du sénateur progressiste Bernie Sanders. Celui-ci vient précisément d’être élu au poste stratégique de président du comité du Budget du Sénat. Faut-il comprendre que la gauche et le centre du parti démocrate vont réussir à s’entendre sur un programme d’assurance santé plus universel ?</p>
<p><a href="https://www.politico.com/news/2021/01/12/bernie-sanders-big-budget-plans-458461">Bernie Sanders</a> a déjà repris avec force son plaidoyer de campagne en faveur du « Medicare for All », un modèle d’assurance santé universelle et publique :</p>
<blockquote>
<p>« Je suis un ardent défenseur de “Medicare for All”. J’ai introduit le projet de loi au Sénat. Je pense qu’au bout du compte, les Américains comprennent que notre système de santé est si dysfonctionnel, si cruel, si cher, que nous devons faire ce que tous les autres grands pays sur cette planète font et proposer une protection santé à tout le monde. Ce qu’on va faire maintenant, c’est travailler dans le cadre défini par Biden. »</p>
</blockquote>
<p>Ce discours n’est pas étonnant. L’instauration d’un grand système public de santé proche des modèles de l’Europe continentale, notamment français, est un combat politique mené depuis de nombreuses années par l’élu de l’État progressiste du Vermont. Il s’inscrit au cœur de la pensée des <a href="http://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?gcoi=27246100830610">élites progressistes du Wisconsin</a> à l’aube du <em>new deal</em> rooseveltien jusqu’aux partisans du « single payer » en 1993, au moment des débats sur la réforme de la santé voulue par Bill Clinton. L’aile gauche démocrate préconisait alors que l’État soit le « payeur unique », en lieu et place d’assurances privées.</p>
<h2>Sur fond de pandémie, la quête d’un système de santé plus juste</h2>
<p>Pour bien des observateurs américains, le débat reste le même : il s’agit toujours de choisir entre la « grande illusion » et la <a href="https://ajph.aphapublications.org/doi/10.2105/AJPH.2019.305315">« solution faisable »</a>. La catastrophe sanitaire liée aux effets de la pandémie Covid-19, avec plus de 400 000 décès, permet cependant aux partisans de l’établissement d’un système de santé publique de faire fortement entendre leur voix au moment même où l’administration de Joe Biden se met en place. Mais que faut-il attendre du président ?</p>
<p>Durant la campagne des primaires démocrates, Joe Biden, représentant de l’aile modérée du parti, était clairement opposé à « Medicare for All ». Il disait privilégier la voie d’une amélioration de l’Obamacare, surnom de la grande réforme du système de soin initiée par Barack Obama qui a permis d’élargir la couverture santé à des millions d’Américains en étant dépourvus. L’incitation à souscrire à une assurance privée, avec l’aide publique en cas de ressources insuffisantes, y complétait alors les deux grands programmes publics rigoureusement encadrés : Medicare (à destination des plus de 65 ans) et Medicaid (ciblant les mineurs et les femmes isolées).</p>
<p>Joe Biden a ainsi parlé d’un projet d’Affordable Care Act 2.0 (ACA 2.0), qui consisterait à augmenter les subventions publiques afin que tous les citoyens puissent payer leur prime d’assurance. Sans aller plus loin : le coût de Medicare for All pour les finances publiques – ajouté à l’attachement d’une bonne partie des citoyens américains à l’assurance maladie fournie par l’employeur (<em>employer based system</em>) – étant alors considéré comme rédhibitoire pour le sénateur du Delaware.</p>
<p>Ce n’est qu’avec le choix de Kamala Harris comme colistière, et afin de tendre une main à l’aile gauche du parti démocrate, qu’il a été amené à faire certaines concessions politiques. Entre autres, il a envisagé une réforme plus substantielle de l’Obamacare afin d’y introduire la possibilité de souscrire à une assurance maladie publique (<em>public option</em>). Prenant le sens inverse, Kamala Harris s’est, elle, dite partisane d’une version de Medicare for All « ouverte », incluant la possibilité de contracter une assurance privée complémentaire. L’un comme l’autre emprunte finalement une voie médiane autour d’un système mixant privé et public. Toutefois, ce type de réforme devant être intégrée à une loi budgétaire ne peut être votée à majorité simple (rappelons que les démocrates disposent en effet d’une majorité simple au Sénat). Il leur faudrait une majorité qualifiée de 60 voix pour y parvenir et échapper au pouvoir d’obstruction des élus républicains (le fameux <a href="https://theconversation.com/fact-check-us-lobstruction-parlementaire-lun-des-obstacles-majeurs-a-venir-pour-joe-biden-153902"><em>filibuster</em></a>).</p>
<p>De surcroît, avec la priorité absolue donnée à la lutte contre la pandémie de Covid-19, il n’est pas sûr que le président Biden fasse un pas supplémentaire vers la grande réforme voulue par l’aile gauche du parti démocrate. Si l’on regarde la composition de la nouvelle administration Biden, rien ne permet d’évaluer précisément l’importance que pourra prendre cet enjeu sur l’agenda politique à venir. Sur les <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/interactive/2020/biden-appointee-tracker/">19 postes de direction</a> du ministère de la Santé en cours d’affectation et d’évaluation devant le Sénat, seul celui du directeur de National Institutes of Health est à ce jour confirmé (Dr Francis Collins). Celui de Xavier Becerra (ministre) et celui des numéros deux et trois du ministère de la Santé sont en attente d’approbation. </p>
<p>Si l’on compare avec la composition de l’administration Obama en 2008-09, on constate que ce dernier s’était alors entouré d’une sorte de <em>task force</em> composée de vétérans de l’administration Clinton. Ces conseillers présents en grand nombre à la Maison Blanche et au ministère de la Santé étaient porteurs d’un projet de réforme consensuel et attrape-tout de l’assurance maladie. Rien de cela n’est actuellement présent dans l’administration en cours de formation.</p>
<h2>Les limites de la majorité démocrate au Congrès</h2>
<p>Pour le président Biden, il s’agit avant tout de lutter contre la pandémie. Il a ainsi promis <a href="https://www.forbes.com/sites/roberthart/2021/12/29/biden-promises-100-million-covid-19-vaccinations-in-first-100-days-warning-that-trumps-approach-would-take-years/?sh=6efbc5892a97">« 100 jours 100 millions de vaccins »</a>. C’est dans ce sens qu’il a recruté un <em>chief of staff</em>, <a href="https://theconversation.com/fact-check-us-joe-biden-peut-il-arreter-le-virus-aux-etats-unis-comme-il-laffirme-et-comment-150558">Ron Klain</a>, ayant l’expérience de la gestion de l’épidémie Ebola sous l’administration Obama. La réponse au Covid-19 permet le retour en force au sein de l’administration des chercheurs qui sous l’administration Trump avaient été aussi maltraités que peu écoutés. </p>
<p>La sélection des 10 personnes formant la <a href="https://www.statnews.com/2021/01/21/the-10-biden-officials-to-watch-covid-19/">task force Biden</a> marque un profond changement de cap. La nomination de Jeff Zients, ex-conseiller de l’administration Obama, pour coordonner au niveau fédéral la politique de vaccination conforte ce choix. Cet économiste avait réparé le désastre du lancement du site web du marché fédéral d’assurance maladie sur lequel reposait la mise en œuvre de l’ACA.</p>
<p>Pour évaluer ses possibilités de réforme, il faut enfin faire une lecture attentive et nuancée du résultat des dernières élections. Certes, Joe Biden a été élu confortablement malgré les dénégations de Donald Trump. En revanche, il n’y a pas eu de « grande vague bleue » au Congrès. Les démocrates ont perdu des sièges à la Chambre de représentants, et la majorité au Sénat ne tient qu’à la voix de Kamala Harris. Tout projet de grande réforme du type Medicare for All tombera inévitablement sous le coup de la critique des républicains dénonçant alors la perspective de la mise en place d’une « médecine socialisée ». Thématique qui a permis aux Républicains de gagner des élections dans des États où ils n’étaient pas favoris dans les sondages, comme dans le Maine, la Caroline du Nord, l’Iowa et le Kansas entre autres. </p>
<p>De surcroît, pour lutter contre les effets de la Covid-19 le gouvernement a déjà – et projette encore – d’engager des sommes d’argent public importantes (1 900 milliards de dollars) qui feront gravement défaut pour le financement d’un passage au Medicare for All. Pour cette raison, il est fort probable que Biden fasse le choix de l’amélioration de l’ACA en introduisant des mesures via le vote d’une loi fiscale ou d’équilibre budgétaire que ne nécessite que la majorité relative au Sénat (50 voix).</p>
<p>Quant à la vice-présidente Kamala Harris, il y a fort à parier qu’elle laisse de côté ses convictions réformatrices sur l’assurance maladie pendant un temps. L’engagement d’une réforme de l’assurance maladie devant le Sénat en l’absence de 60 voix démocrates constitue un risque politique majeur à deux ans des élections de mi-mandat. Il y a certainement d’autres sujets comme le droit des minorités, la régularisation des 11 millions de sans-papiers ou encore de 700 000 « dreamers » (jeunes mineurs migrants nés sur le sol américain) que le président Trump n’a pas cessé de stigmatiser. Ces combats politiques, tout aussi symboliques que Medicare for All, sont aujourd’hui sûrement moins risqués pour la personnalité politique qui devrait incarner l’après-Biden au sein du parti démocrate.</p>
<hr>
<p><em>Ce Fact check a été réalisé avec Lydia Reynaud de l’École publique de journalisme de l’Université de Tours (EPJT).</em></p>
<p><em>La rubrique Fact check US a reçu le soutien de <a href="https://craignewmarkphilanthropies.org/">Craig Newmark Philanthropies</a>, une fondation américaine qui lutte contre la désinformation</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/154134/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>De Kamala Harris à Bernie Sanders, des voix se sont élevées durant la campagne pour un système de santé plus universel. Qu’attendre de l’administration Biden ?William Genieys, Directeur de recherche CNRS au CEE, Sciences Po Larry Brown, Professeur invité au Laboratoire interdisciplinaire d'évaluation des politiques publiques (LIEPP), Sciences Po, Columbia UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1431162020-08-31T19:24:55Z2020-08-31T19:24:55ZSénégal : un modèle d’assurance santé résilient en temps de Covid-19<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/354887/original/file-20200826-16-1d75zoi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C613%2C459&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Cérémonie de remise de cartes aux bénéficiaires enrôlés dans l'Unité départementale d'assurance maladie par la mairie de NIoro </span> <span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Dans sa volonté d’étendre la couverture sanitaire de sa population, le Sénégal s’est lancé ces dernières années dans <a href="https://www.ceped.org/IMG/pdf/wp40.pdf">plusieurs stratégies</a> de <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32015580/">financement de la santé</a>, au risque d’une certaine <a href="https://www.who.int/bulletin/volumes/98/2/19-239665/en/">fragmentation</a>.</p>
<p>Le <a href="https://www.ilo.org/dyn/natlex/docs/ELECTRONIC/99956/119628/F1231146326/BEN-99956.pdf">plan stratégique de développement de la couverture maladie universelle 2013-2017</a> vise un objectif de couverture du risque maladie d’au moins 75 % de la population en 2021. Après les <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0305750X03002122">mutuelles communautaires</a> au niveau communal et la <a href="https://equityhealthj.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12939-019-1089-9">gratuité des soins</a> pour certaines personnes (personnes âgées, enfants de moins de 5 ans, indigents) ou certains services (césariennes, traitement VIH), le Sénégal a testé deux modèles d’extension de la couverture du risque maladie.</p>
<p>Le premier est la décentralisation de l’assurance maladie (DECAM) avec la création de mutuelles de santé au niveau communal. Le second est une <a href="https://www.itg.be/files/docs/shsop/shsop34.pdf">assurance maladie à grande échelle</a> professionnalisée avec, pour le moment, deux unités départementales d’assurance maladie (UDAM) à Koungheul et Foundiougne. De 2013 à 2017, la formulation et la mise en œuvre de ces deux unités ont été organisées par le ministère de la Santé et de l’Action sociale avec la Coopération technique belge (Enabel), à travers son Projet d’Appui à l’Offre et à la Demande de Soins (PAODES).</p>
<p>Le dispositif des UDAM est un modèle d’unités d’assurance à grande échelle :</p>
<ul>
<li><p>Une unité opérationnelle au niveau du département avec une gestion centralisée</p></li>
<li><p>Une professionnalisation de son organisation</p></li>
<li><p>Un financement associant la cotisation des populations et des subventions de l’État et/ou des partenaires</p></li>
<li><p>Les formations sanitaires fournissent les soins et les UDAM contrôlent la qualité des services</p></li>
<li><p>Un système de tarification forfaitaire transparent et uniforme</p></li>
<li><p>Une intégration des collectivités territoriales dans les instances de décision</p></li>
<li><p>Une représentation locale des populations issues des organisations communautaires de base par la mise en place d’antennes de collectivités territoriales</p></li>
</ul>
<h2>Des unités départementales efficaces dans un contexte de pandémie</h2>
<p>Les résultats des UDAM ont été capitalisés, un <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5728265/">Forum national</a> sur la couverture universelle en santé a été organisé et un <a href="https://www.itg.be/files/docs/shsop/shsop34.pdf">ouvrage collectif</a> a été publié.</p>
<p>Le soutien d’<a href="https://www.enabel.be/fr/publication/introducing-large-scale-health-insurance-rural-poor-senegal">Enabel (PAODES)</a> a pris fin en juin 2017. Depuis, les UDAM doivent s’organiser sans appui technique et financier international. Malgré ces défis, et contrairement aux mutuelles communautaires <a href="https://bmchealthservres.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12913-017-2419-5">qui ne se relèvent généralement</a> pas de l’arrêt des appuis, les UDAM ont su s’adapter. Leur viabilité financière est toujours appréciable et leurs indicateurs de performance n’ont pas chuté : ils ont même progressé si l’on évoque les taux de pénétration, soit la proportion de la population cible adhérente aux UDAM (Figure 1).</p>
<p><strong>Figure 1 : Évolution du taux de pénétration des deux UDAM</strong></p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/348798/original/file-20200722-21-vamu7m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/348798/original/file-20200722-21-vamu7m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=382&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/348798/original/file-20200722-21-vamu7m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=382&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/348798/original/file-20200722-21-vamu7m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=382&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/348798/original/file-20200722-21-vamu7m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=481&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/348798/original/file-20200722-21-vamu7m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=481&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/348798/original/file-20200722-21-vamu7m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=481&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p>Les UDAM ont été en mesure de s’adapter, d’innover et de s’organiser pour déployer des stratégies de <a href="http://www.equitesante.org/wp-content/uploads/2015/07/1.-Pluye-Potvin-Denis-2004-EPP.pdf">pérennisation</a>. Les circonstances de ce contexte sont exceptionnelles à étudier car les recherches sur la pérennité des interventions de santé en Afrique sont rares et le <a href="https://globalizationandhealth.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12992-017-0307-8">succès du maintien des acquis encore plus</a> [21]. Cela fera l’objet d’une prochaine recherche.</p>
<p>Mais le Sénégal a été frappé début mars 2020 par la pandémie du SARS-CoV-2. La Figure 2 montre l’évolution des cas de la Covid-19 depuis le début de la pandémie. Fin août 2020, <a href="https://www.covid19afrique.com">plus de 13 000 cas ont été recensés</a>.</p>
<p><strong>Figure 2 : Évolution des cas de Covid-19 et des tests effectués au Sénégal</strong></p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/354922/original/file-20200826-7372-n8u767.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/354922/original/file-20200826-7372-n8u767.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=406&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/354922/original/file-20200826-7372-n8u767.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=406&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/354922/original/file-20200826-7372-n8u767.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=406&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/354922/original/file-20200826-7372-n8u767.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=510&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/354922/original/file-20200826-7372-n8u767.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=510&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/354922/original/file-20200826-7372-n8u767.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=510&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p>Si le nombre de cas et de décès reste bien moindre qu’ailleurs et qu’un plateau semble atteint, les mesures prises par l’État pour endiguer la pandémie ont eu un impact sur le fonctionnement des UDAM. Alors que quelques études sur la <a href="https://u-paris.fr/hospicovid/">résilience</a> des systèmes d’assurance et des systèmes de santé <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32199083/">ont démarré en Europe</a>, nous pensons utile de nous interroger sur celle des UDAM au Sénégal. Il s’agit d’une réflexion exploratoire afin de partager nos idées et de préparer une prochaine recherche empirique dans le cadre du programme de recherches <a href="https://www.unissahel.org">UNISSAHEL</a>.</p>
<h2>Défis et adaptation des activités des UDAM en contexte de pandémie</h2>
<p>Notre analyse a permis de mettre au jour au moins quatre défis importants auxquels les UDAM ont dû faire face pendant le début de la pandémie en organisant des solutions innovantes.</p>
<p><strong>Défi 1 : Participer de manière responsable à la lutte contre la pandémie</strong></p>
<p>Les UDAM se sont senties immédiatement et pleinement parties prenantes de la réponse sanitaire à la pandémie. Mais il ne s’agissait pas d’y répondre en faisant courir des risques démesurés à ses employés. Tous les agents ont été formés par les médecins-chefs des districts aux enjeux de santé publique de la maladie, tant au plan clinique que des gestes barrières. Les UDAM se sont aussi directement impliquées dans la riposte.</p>
<p>Ainsi, leurs directeurs sont membres du comité départemental de gestion de l’épidémie et des comités communaux multisectoriels de lutte. À Koungheul, le personnel technique de l’UDAM a accompagné les relais communautaires et le collectif d’étudiants de la commune dans leurs visites à domicile pour sensibiliser les populations aux gestes barrières. À Foundiougne, des volontaires de la Croix-Rouge sont venus pour soutenir l’UDAM dans l’organisation des dispositifs d’accueil sécuritaire (prise de température, lavage des mains, etc.) des bénéficiaires dans leurs locaux. Les UDAM ont appuyé financièrement le plan de riposte départemental en octroyant un budget de 550 000 F CFA à Foundiougne et 1 500 000 F CFA à Koungheul.</p>
<p><strong>Défi 2 : maintenir la collecte des cotisations</strong></p>
<p>Les UDAM vivent en grande partie des cotisations de leurs membres. Dans un contexte où les déplacements étaient restreints et les contacts entre personnes sujettes à distanciation physique, elles ont dû innover sans participer à la propagation du coronavirus. Pour le renouvellement des cotisations, les paiements électroniques ont été privilégiés et, lorsque cela était nécessaire, en subventionnant les frais d’envois des adhérents. Il a été conseillé aux nouveaux adhérents, l’envoie des photos et autres documents nécessaires par messagerie WhatsApp.</p>
<p>Les agents collecteurs se sont appuyés sur les points focaux des UDAM dans les villages pour optimiser la collecte des cotisations et réduire le nombre de déplacements nécessaires. À Foundiougne, afin d’éviter que les adhérents ayant plus de 10 bénéficiaires et qui n’avaient pas, dans les conditions économiques difficiles durant l’épidémie, la possibilité de tous les renouveler, ne fassent un choix sur les personnes à assurer, la stratégie adoptée pour l’UDAM consistait à leur demander de suivre l’ordre d’enrôlement de la famille inscrit dans le logiciel de gestion. Il s’agit d’une forme de contrainte tacite pour éviter que lors du renouvellement de la cotisation, le chef de ménage ne sélectionne que les personnes les plus malades au détriment des autres.</p>
<p><strong>Défi 3 : continuité de la prise en charge des bénéficiaires dans les formations sanitaires</strong></p>
<p>Durant la période où il était interdit de se déplacer entre communes, il n’a pas été possible de remettre les documents permettant aux indigents (familles bénéficiant de la bourse de sécurité familiale leur donnant droit à une cotisation gratuite subventionnée par l’État) de renouveler leur adhésion. Pour garantir la permanence de leur accès aux soins, une correspondance spécifique a été adressée à tous les médecins-chefs. De même, lorsqu’un patient adhérent d’une UDAM est référé, il doit d’abord venir chercher une lettre de prise en charge au siège départemental. Il a été devenu possible de demander cette lettre au niveau plus local du district.</p>
<p>Pour les personnes devant se rendre à l’hôpital, les UDAM ont innové en envoyant directement un courrier électronique de prise en charge. En outre, puisque le suivi des plaintes au niveau local a été réduit par la limitation des déplacements des agents de l’UDAM, c’est lors des réunions mensuelles de coordination au niveau du district et en la présence des infirmiers responsables des formations sanitaires que les difficultés rencontrées par les patients ont été abordées.</p>
<p><strong>Défi 4 : garantir le paiement des factures dans un contexte de retard de l’État</strong></p>
<p>Les UDAM continuent de subir les effets du retard de remboursement des subventions générales de l’État et des subventions ciblées pour les mutuelles de santé et des frais associés aux exemptions de paiement pour certaines catégories de personnes. À ce retard de près de deux années de paiement exacerbé en contexte de pandémie, s’ajoute la réduction du recours aux soins. En outre, dans le département de Koungheul, ce sont les postes de santé qui préfinançaient les évacuations sanitaires d’urgence au sein du district et l’UDAM les remboursait à la fin du mois. Or, dans ce contexte, l’UDAM éprouvait des difficultés à honorer ce remboursement mensuel. Cela a amené certaines structures à réclamer aux bénéficiaires de payer des frais d’évacuation alors que leur adhésion à l’UDAM leur donne droit gratuitement à ce service. Ainsi, l’UDAM s’est engagée à rembourser mensuellement les évacuations sanitaires d’urgence aux postes de santé afin d’éviter aux bénéficiaires de perdre cet acquis.</p>
<p>Alors que les UDAM ont été en mesure de faire face à l’arrêt du soutien de leur partenaire technique et financier mi-2017, l’arrivée de la pandémie en mars 2020 représente une nouvelle épreuve. Elles ont été capables d’innovations pour affronter les nouveaux défis que la pandémie a provoqués à l’échelle du pays mais aussi localement, dans leur routine organisationnelle.</p>
<p>Face à la <a href="https://www.unissahel.org/analyse-de-la-resilience">résilience</a> dont ont fait preuve les UDAM et leurs personnels, on est en droit de croire que la pandémie ne suffira pas à rompre cette dynamique en faveur de la couverture universelle en santé au Sénégal.</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été écrit avec Ndeye Bineta Mbow et Ibrahim Senghor, directrice et directeur des UDAM de Foundiougne et de Koungheul. Merci à F.-A. Roy, E. Bonnet et F.-B. Diongue Lopes pour les données et la figure 2 (https://www.covid19afrique.com).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/143116/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Valery Ridde a reçu des financements de nombreux organismes de recherche publics (ANR, IRSC, AFD, etc.) et il a été consultant pour Enabel afin de soutenir la capitalisation de cette expérience des UDAM. </span></em></p>La pandémie de la Covid-19 met en évidence la résilience du modèle de couverture sanitaire au Sénégal, même s’il reste quelques défis à relever.Valery Ridde, Directeur de recherche, Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1378212020-05-24T17:04:42Z2020-05-24T17:04:42ZÉtats-Unis : l’impact de la pandémie sur la bataille des idées<p>Le Covid-19 a frappé l’Amérique au moment où le candidat centriste Joe Biden devenait de facto le candidat investi par le parti démocrate, après que les autres modérés eurent abandonné la course et se furent désistés en sa faveur. Les plus à gauche ont attendu avant de se rallier (Bernie Sanders, puis Elizabeth Warren) mais la pertinence de leurs propositions est rendue évidente par la crise sanitaire (mal gérée par l’administration Trump) doublée d’une crise économique qui se solde déjà par 30 millions de chômeurs. Dans la bataille des idées, le rôle d’un État fédéral protecteur, compétent et responsable (défendu par les Démocrates) et la nécessité d’une couverture médicale universelle, quelle que soit sa forme, sont les grands gagnants. Sans oublier l’idée encore minoritaire d’un revenu minimal défendue par l’entrepreneur et éphémère candidat aux primaires démocrates <a href="https://www.wired.co.uk/article/can-universal-basic-income-fix-the-coronavirus-crisis">Andrew Yang</a>.</p>
<p>Sur le rôle de l’État, le credo étatsunien était, avant le Covid-19, la liberté (au détriment de l’égalité) et une dérive accentuée par Donald Trump vers toujours plus de néo-libéralisme et moins d’impôts. Mais en quelques semaines de mars-avril 2020, plusieurs plans de soutien sont votés dans l’urgence par le Congrès pour un total de 4 000 milliards de dollars. Au pays du « tout marché », ils prévoient des aides versées aux individus : 1 200 dollars, plus 500 dollars par enfant, pour les personnes gagnant moins de 75 000 dollars par an et l’extension/augmentation des allocations chômage (600 dollars par semaine au-delà des montants prévus). La loi <a href="https://www.congress.gov/bill/116th-congress/senate-bill/3548/text?q=product+update">Cares (coronavirus Aid, Relief, and Economic Security Act)</a> met aussi en place des prêts aux petites entreprises garantis par l’État, classiques dans une social-démocratie mais contraires à la culture anti-État qui prédomine aux États-Unis depuis cinquante ans.</p>
<h2>Le retour en force de l’État</h2>
<p>La réaction contre « les dérives » d’un État devenu providence durant le New Deal peut être datée de 1964 quand le parti républicain investit le sénateur de l’Arizona Barry Goldwater, qui faisait campagne pour l’équilibre budgétaire, la réduction des dépenses fédérales et, donc, des programmes sociaux de l’État-providence. Puis il y eut Ronald Reagan – qui dans son discours sur l’état de l’Union le 21 janvier 1981, désigna l’État comme l’ennemi public et la cause de toutes les difficultés de l’Amérique – et, plus récemment, l’émergence du Tea Party en 2010 en réaction à l’élection du premier président noir et au plan de relance de 2008-2009.</p>
<p>Il est vrai que le credo d’un État fédéral au rôle réduit avait été profondément remis en cause par l’adoption de plans de relance représentant 3 % du PNB et la quasi-nationalisation de General Motors et des grandes banques. Donald Trump n’eut alors qu’à faire campagne en 2016 contre les élites et l’État « pourri », inutile et dispendieux ; dès 2018, il supprimait le poste de coordinateur en charge de la lutte contre les maladies infectieuses au sein du Conseil national de sécurité, avant de minimiser l’impact de la pandémie de Covid-19 et de retarder l’intervention de l’État fédéral et la mise en œuvre des mesures d’urgence, pour des raisons électoralistes.</p>
<p>Chaque année depuis 2017, ses projets de budget ont inclus une baisse des crédits destinés aux différentes agences et administrations fédérales, en particulier l’administration en charge des situations d’urgence (FEMA) et le centre de contrôle des maladies (CDC), au cœur de la crise sanitaire actuelle. C’était à nouveau le cas pour le budget FEMA prévu pour 2021, alors que les sommes sont destinées à financer les collectivités locales et les États confrontés à des urgences climatiques ou sanitaires. Quant au budget du CDC, le président se proposait de le réduire de 16 % le 10 février, soit 11 jours après que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) eut déclaré la pandémie.</p>
<p>Puis le POTUS a soudain découvert « l’utilité » des deux institutions et a signé des textes, négociés et adoptés par les deux partis au Congrès sans aucune aide de sa part, qui attribuent des centaines de milliers de dollars à ces institutions. Les libertariens étaient furieux, estimant qu’avec le vote des quatre plans de soutien à la santé et l’économie (pour un montant total équivalant à 10 % du PNB), les États-Unis étaient devenus un État « socialiste ». Mais les élus de tous bords avaient pris conscience de l’urgence, et l’hostilité anti-État de Donald Trump s’évanouit quand il comprit tout l’intérêt politique de la distribution à de larges pans de la population de chèques de 1 200 dollars sur lesquels figure son nom, en violation de toutes les normes et traditions.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1251148929971793921"}"></div></p>
<p>Mise à part la « redécouverte » du rôle essentiel de l’État, l’irruption de la pandémie du coronavirus durant la présidence Trump a révélé au grand jour l’échec du modèle économique étatsunien, dépourvu de tout filet social, et la <a href="https://www.vox.com/2020/4/9/21210353/coronavirus-health-insurance-biden-sanders-medicare-for-all">nécessité d’une assurance médicale universelle</a>, désormais reconnue par une majorité du corps médical et des soignants.</p>
<h2>Des millions de citoyens dépourvus d’assurance médicale</h2>
<p>Le système de santé aux États-Unis est cher, peu efficace, et il laisse 27,5 millions de personnes sans couverture médicale, malgré l’adoption de la loi santé du président Obama (ou Obamacare) en 2010. <a href="http://www.oecd.org/health/health-systems/health-at-a-glance-19991312.htm">Dans les classements de l’OCDE</a>, les États-Unis sont passés du 6<sup>e</sup> rang en 1990 au 27<sup>e</sup> en 2019 alors que les sommes dépensées par tête (10 600 dollars) sont supérieures aux autres pays de l’OCDE ayant un système de santé de qualité similaire : 7 300 dollars en Suisse et 5 300 dollars en moyenne pour les pays de l’OCDE hors États-Unis.</p>
<p>Aux millions d’individus dépourvus de sécurité sociale (au sens français) se sont ajoutés ceux qui ont <a href="https://www.washingtonpost.com/health/first-the-coronavirus-pandemic-took-their-jobs-then-it-wiped-out-their-health-insurance/2020/04/18/1c2cb5bc-7d7c-11ea-8013-1b6da0e4a2b7_story.html">perdu leur assurance</a> en 2018 et 2019 du fait du démantèlement des mécanismes protecteurs de l’Obamacare et du refus des législatures des États à majorité républicaine d’adhérer au volet Medicaid pour les défavorisés prévu par la loi. Puis, en six semaines de mi-mars à fin avril, 30 millions de personnes se sont inscrites au chômage, beaucoup perdant ipso facto leur couverture médicale – qui pour 55 % des Américains est attachée à l’emploi. Selon l’Economic Policy Institute, il s’agirait de 9,2 millions de personnes supplémentaires sans assurance ; les organisations Health Medical Association et Health Management Associates (HMA) estimaient dès mi-avril que ce chiffre était bien supérieur et se situait entre 12 et 35 millions.</p>
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<p>Parmi les non-assurés, on compte une forte proportion de travailleurs précaires, ouvriers du bâtiment, des conserveries, magasiniers, camionneurs, livreurs, caissières, c’est-à-dire les catégories qui continuent à travailler et risquent leur santé ou leur vie pour faire tourner l’économie durant l’épidémie. Or ces personnes sous-payées, qui appartiennent de façon disproportionnée aux minorités (Africains-Américains en particulier), sont en première ligne.</p>
<p>Elles ne cessent pas le travail car elles ne peuvent se permettre de perdre leur gagne-pain et elles font partie des catégories à risque (plus susceptibles d’être diabétiques ou obèses ou atteintes de pathologies qu’on sait être des facteurs de comorbidité) car, n’ayant pas d’assurance maladie, elles consultent rarement, y compris en cas de suspicion de Covid-19, sachant qu’elles ne pourront pas acquitter les centaines de dollars facturés pour une visite médicale ou un test du coronavirus.</p>
<p>Certes, les plans de réponse à la pandémie adoptés par le Congrès contiennent, en partie grâce à la pression des Démocrates, quelques palliatifs et « rustines ». Ainsi, le premier plan prévoit un dispositif incomplet d’indemnisation pendant 14 jours pour les salariés des entreprises comptant entre 50 et 500 employés. Et le président promet depuis début mars « des tests gratuits pour tous » et des soins gratuits, mais c’est loin d’être le cas dans la réalité.</p>
<p>D’autres propositions suscitent un intérêt accru, comme le <a href="https://www.wired.co.uk/article/can-universal-basic-income-fix-the-coronavirus-crisis">revenu universel</a>, dont on peut trouver l’idée chez Thomas More dans son livre Utopie de 1516 ou chez Thomas Paine, Jugé fantaisiste et irréaliste durant les primaires démocrates, où il était notamment défendu par Andrew Yang, ce « dividende de la liberté » semblait en opposition frontale avec l’ADN du mythe du rêve américain : tout le monde peut réussir et si un individu est au chômage, c’est de sa faute ; quant aux aides versées, elles relèveraient de l’assistanat et sont vues comme une incitation à ne pas travailler. De plus, le coût d’une telle mesure – environ 3 000 milliards par an (12 000 dollars multipliés par 254 millions d’habitants), soit plus des deux tiers du budget fédéral total, ou 10 % du PNB – semblait rédhibitoire.</p>
<p>Mais la donne a changé. Le Congrès, y compris des Républicains en principe attachés à l’équilibre budgétaire et hostiles aux interventions massives de l’État, a adopté en quelques semaines plusieurs plans s’élevant à un total de 4 000 milliards de dollars pour lutter contre la crise, sanitaire et économique. Et les <a href="https://www.politico.com/magazine/story/2019/10/16/andrew-yang-universal-basic-income-229847">sondages</a> semblent montrer que le soutien aux idées de Yang gagne dans l’opinion ; du fait de la crise, de nombreux Américains ont pris conscience des inégalités profondes et de la nécessité de mettre en place des filets sociaux comme il en existe en Europe. Cette nouvelle perception aura-t-elle un effet sur la présidentielle de novembre 2020 ?</p>
<h2>Quel effet sur la présidentielle ?</h2>
<p>Joe Biden a déjà promis, en cas de victoire, l’ouverture de Medicare à partir de 55 ans (au lieu de 65 actuellement), ainsi que la gratuité des études courtes pour les jeunes issus de familles aux revenus inférieurs à 75 000 dollars et un smic fédéral à 15 dollars. Mais les Démocrates de gauche vont-ils se contenter de ces réformettes et faire confiance à ce Démocrate de l’ancien monde ? Quant aux Républicains, vont-ils continuer à soutenir le président malgré la dure situation sanitaire et économique qui les frappe et malgré le mépris affiché de Donald Trump pour la vie humaine, la science et les experts ?</p>
<p>Les jeux sont ouverts. En tout état de cause, pour que l’élection ait des chances de déboucher sur de vrais changements de la donne politique et économique, le minimum est une triple victoire qui donnerait aux Démocrates le contrôle de la Maison-Blanche et des deux chambres du Congrès.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/137821/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne E. Deysine ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Aux États-Unis, la pandémie a remis au goût du jour des concepts comme l’État-providence et la couverture médicale universelle.Anne E. Deysine, Professeur émérite juriste et américaniste, spécialiste Etats-Unis, questions politiques, sociales et juridiques (Cour suprême), Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1364232020-04-15T17:07:19Z2020-04-15T17:07:19Z« America First », de l’ambition hégémonique à l’effondrement sanitaire et social<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/328045/original/file-20200415-153351-139lds2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=9%2C0%2C1024%2C562&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Donald Trump pendant une rencontre avec des patients ayant guéri du coronavirus à la Maison Blanche, le 14 avril 2020</span> <span class="attribution"><span class="source">Pool/Getty Images North America / Getty Images via AFP</span></span></figcaption></figure><p>Sous sa devise qui proclame sur fond noir « Democracy dies in darkness », le site Internet du <em>Washington Post</em> présente une carte mondiale de l’épidémie suivie d’un tableau actualisé plusieurs fois par jour du terrible décompte des cas et des décès dus au Covid-19. Le 11 avril 2020, avec un nombre de morts qui dépasse désormais celui de l’Italie, les États-Unis sont passés en première position. Le slogan « America First » résonne alors de façon tragique.</p>
<h2>Les chiffres américains actuels sont-ils vraiment si inquiétants ?</h2>
<p>Les États-Unis comptent un peu moins de 330 millions d’habitants. Si l’on souhaite effectuer une comparaison entre le bilan humain enregistré dans ce pays immense et celui affiché par les pays d’Europe, il est préférable de considérer séparément la situation de chacun des États américains et de chaque pays européen en tenant compte non pas du nombre de décès absolu mais du nombre de décès pour 100 000 habitants. Ce faisant, on obtient le début de classement suivant :</p>
<p><strong>Nombre de décès cumulé pour 100 000 habitants au 12 avril 2020</strong></p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/328081/original/file-20200415-153313-blt6xf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/328081/original/file-20200415-153313-blt6xf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=483&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/328081/original/file-20200415-153313-blt6xf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=483&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/328081/original/file-20200415-153313-blt6xf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=483&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/328081/original/file-20200415-153313-blt6xf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=607&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/328081/original/file-20200415-153313-blt6xf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=607&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/328081/original/file-20200415-153313-blt6xf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=607&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="attribution"><span class="source">Johns Hopkins CSSE, Eurostat</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Le 12 avril, l’État de New York, dont la population est le double de celle de la Belgique, a présenté le taux de décès pour 100 000 habitants le plus élevé au monde, bien supérieur à celui de l’Italie, le premier pays occidental à avoir été massivement touché par le virus. À la même date, l’État du New Jersey dépasse nettement la France, elle-même suivie de la Louisiane. Au niveau fédéral, les États-Unis présentent un taux de décès pour 100 000 habitants de 6,55, bien plus faible que la zone euro (18,26 décès pour 100 000 habitants).</p>
<p>Mais le raisonnement à une date donnée, même sur la base des chiffres les plus récents, ne donne qu’une image statique de l’étendue de la maladie et exclut la dynamique des contaminations. Sur ce point, les inquiétudes sont fondées.</p>
<p>Les États-Unis peinent à apporter une réponse fédérale à la crise sanitaire. Des décisions de confinement hétérogènes sont prises au niveau des États, alors que les frontières entre eux sont inexistantes. Si les festivités du Mardi Gras le 25 février en Louisiane – qui pourraient expliquer le foyer épidémique positionnant cet État dans le haut du tableau – se sont déroulées avant que la France elle-même n’interdise les rassemblements, le Spring Break, qui a réuni des milliers de personnes sur les plages de Floride à la mi-mars avant d’être finalement suspendu, illustre la réaction très tardive de certains États. Les contaminations de masse provoquées par de telles manifestations concourent à disséminer le virus sur l’ensemble du territoire.</p>
<p>Pour mieux appréhender la dynamique de l’épidémie, le graphique ci-dessous présente l’évolution du nombre de décès pour 100 000 habitants entre le 13 mars et le 12 avril dans les pays/États les plus touchés.</p>
<p><strong>Évolution du nombre de décès cumulé pour 100 000 habitants entre le 13 mars et le 12 avril par pays/État</strong></p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/328027/original/file-20200415-153298-4g5p0r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/328027/original/file-20200415-153298-4g5p0r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=412&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/328027/original/file-20200415-153298-4g5p0r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=412&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/328027/original/file-20200415-153298-4g5p0r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=412&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/328027/original/file-20200415-153298-4g5p0r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=517&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/328027/original/file-20200415-153298-4g5p0r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=517&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/328027/original/file-20200415-153298-4g5p0r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=517&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="attribution"><span class="source">Johns Hopkins CSSE, Eurostat</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>On observe que l’Espagne a dépassé l’Italie dès le 4 avril et le New Jersey la France depuis le 8 avril. Le 11 avril, l’État de New York est devenu le territoire le plus atteint, passant devant l’Espagne.</p>
<p>La pente des décès dans l’État de New York est bien supérieure à celles de l’Italie, de la France ou de l’Espagne. Les pentes les plus fortes concernent les États de New York et du New Jersey, mais aussi de la Belgique. Elles traduisent une dynamique plus importante de la morbidité. Sous cet angle, la situation américaine est plus inquiétante que le nombre absolu des décès au niveau fédéral.</p>
<h2>Des conséquences sociales immédiates plus dures qu’en zone euro</h2>
<p>Indépendamment de la vitesse de propagation du virus sur le territoire et des difficultés à y apporter une réponse harmonisée sur le plan fédéral, les conséquences socioéconomiques peuvent se révéler bien plus dévastatrices aux États-Unis que dans la zone euro. En effet, l’économie américaine risque de payer cher ses choix idéologiques historiques :</p>
<ul>
<li><p>Le marché du travail aux États-Unis est beaucoup plus flexible que dans les économies européennes. Les arrêts de production liés au confinement se sont traduits par une vague massive de licenciements et une hausse brutale du taux de chômage. Les trois premières semaines de la crise sanitaire ont ainsi conduit à <a href="https://www.dol.gov/ui/data.pdf">l’inscription au chômage de plus de 15 millions d’Américains</a>, soit 9 % de la population active. Cette hausse considérable révèle la faiblesse traditionnelle des systèmes d’amortissement. Il n’existe en effet que très peu de dispositifs de type chômage partiel. Quant aux congés payés, quand ils existent, ils sont de trop faible durée (une dizaine de jours en moyenne) pour constituer une solution d’attente pour les salariés.</p></li>
<li><p>Comme le fait remarquer un <a href="https://www.brookings.edu/research/unemployment-insurance-is-failing-workers-during-covid-19-heres-how-to-strengthen-it/">article du Brookings Institute</a>, les filets de sécurité sociale sont à la peine. Le système d’indemnisation-chômage existant est à la fois complexe, différent entre les États en matière d’accès et de montant des allocations – avec un taux de remplacement moyen faible (36 % en 2019 dans le secteur industriel) – et parfois inadapté à la situation actuelle parce qu’incapable de répondre à l’urgence.</p></li>
<li><p>L’accès aux soins, qui repose principalement sur des prises en charge d’assurance privée par l’employeur, peut se poursuivre temporairement lorsque les salariés se retrouvent au chômage à condition qu’ils puissent assumer l’intégralité des primes d’assurance. Si les systèmes Medicare (pour les séniors) et Medicaid (pour les non-assurés respectant certaines conditions) sont là pour pallier cette limite, l’accès à ces filets de sécurité est là encore mal aisé et ils sont loin de concerner toute la population. Sont en effet exclus de Medicaid tous les individus dont les revenus dépassent le seuil de pauvreté d’au moins 38 %. En outre, les critères d’accès et les services couverts varient selon les États.</p></li>
</ul>
<p>Certes, les admissions en réanimation ne dépendent pas des capacités financières des patients. Il est cependant à craindre qu’une partie de la population choisisse de ne pas aller se faire soigner à l’hôpital en dépit de symptômes qui le nécessiteraient, pour éviter de devoir payer tout ou partie de la facture ultérieurement. Cette simple inquiétude, fondée ou non, suffit à accroître le taux de mortalité ainsi que la contagion au sein de certaines populations, au-delà des facteurs de comorbidité qui sont autant de marqueurs sociaux aux États-Unis (l’obésité et le diabète touchant davantage les plus pauvres et les populations afro-américaines).</p>
<h2>Les mécanismes de sécurité proposés jusqu’à présent seront-ils suffisants ?</h2>
<p>Tout dépend de ce que l’on entend par suffisant.</p>
<p>Le 27 mars, le <a href="https://www.congress.gov/bill/116th-congress/senate-bill/3548/text">CARES Act</a> (Coronavirus Aid, Relief, and Economic Security Act) était signé. Ce plan d’urgence à destination des particuliers, des petites et grandes entreprises, du secteur de la santé, des États et administrations locales, et de l’éducation débloque un montant colossal de 2 000 milliards de dollars pour faire face à la crise, soit près de 10 % du PIB de 2019.</p>
<p>Les mesures sont multiples et très inhabituelles dans une économie à tendance fortement libérale : chèque de 1 200 dollars (plus 500 dollars par enfant) adressé aux personnes percevant moins de 75 000 dollars de revenus par an (soit une grande partie de la population) ; augmentation et extension des allocations chômage de 600 dollars par semaine au-delà des montants prévus ; obligation pour les assurances privées de prendre en charge les traitements, vaccins et tests liés au Covid-19 ; facilités d’emprunt et aides aux petites entreprises ; filet de sécurité alimentaire à destination des plus pauvres (banques et chèques alimentaires notamment). Les États sont également incités à adopter et à communiquer sur des programmes STC (Short-Term Compensation programs) de chômage partiel qui permettent à l’employeur de réduire le volume horaire de travail. Pour compléter ces dispositifs, le gouvernement américain a consenti une aide de 1 milliard de dollars aux États à travers le <a href="https://www.congress.gov/bill/116th-congress/house-bill/6201/text">FFCR Act</a> (Families First coronavirus Response Act) pour les aider à mettre en place les procédures relatives à l’extension de l’assurance chômage.</p>
<p>Cette réponse à l’urgence est salutaire. Cependant, elle arrive tard et n’exclut pas les risques associés à un système de sécurité sociale fragile.</p>
<p>S’agissant des allocations chômage, dont les montants, la durée et les conditions sont très inégales sur le territoire, les États risquent d’avoir du mal à mettre en place les extensions alors même que les services – parfois déjà à la limite de leur capacité avant la crise – sont désormais saturés par l’afflux de nouveaux dossiers. Le système exclut par ailleurs les nouveaux entrants sur le marché du travail ainsi que <a href="https://myunemployment.nj.gov/before/about/who/">ceux dont les salaires ne sont pas suffisamment élevés pour prétendre aux allocations chômage</a>. S’agissant des programmes STC de chômage partiel, seuls 26 États disposaient de programmes opérationnels en début d’année ; les autres risquent d’avoir des difficultés de mise en œuvre, quelle que soit leur volonté d’y recourir.</p>
<h2>Le chômage pourrait-il se résorber aussi vite qu’il est monté ?</h2>
<p>S’il est permis de le penser, il serait également naïf de l’affirmer. Les statistiques des taux de chômage et de croissance montrent que la flexibilité du marché du travail américain est à la fois une bénédiction et un piège. Après la crise des subprimes, le chômage américain a décru bien plus vite que dans nos économies européennes mais non sans avoir doublé dans les premiers mois. En outre, cette crise sanitaire n’a strictement rien à voir avec la crise des subprimes qui a débuté dans la sphère financière avant de se diffuser à l’économie réelle. Elle n’a rien non plus à voir avec grande dépression de 1929 qui a débuté par une crise de surproduction.</p>
<p>Cette fois, il est bien plus difficile de prévoir la durée d’une crise dont le calendrier n’est pas lié à des enjeux économiques. Il est par conséquent compliqué de présager du comportement de consommation, d’épargne et d’investissement des ménages et des entreprises lorsque le confinement sera progressivement levé.</p>
<p>L’incertitude est d’autant plus grande aux États-Unis que les amortisseurs sociaux sont faibles. Il est en effet plus facile pour un ménage de reprendre un mode de consommation proche de celui qu’il avait avant la crise s’il n’a pas lui-même subi de choc économique à travers un licenciement. Ce besoin de sécurisation de l’emploi et des revenus des ménages est d’autant plus crucial pour la reprise économique qu’une grande partie du corps médical anticipe une succession de vagues de Covid-19 risquant de provoquer des retours au confinement, perspective propre à renforcer les inquiétudes sur l’avenir.</p>
<h2>Une question de choix de société</h2>
<p>Les perspectives sanitaires qui conduisent à confiner les populations se heurtent nécessairement aux perspectives économiques qui appellent à la reprise de l’activité. Cela est encore plus vrai pour l’économie américaine dont le choix de société repose sur une individualisation du risque avec une faible protection sociale.</p>
<p>En France et dans la zone euro, l’intervention de l’État, de la BCE et de l’UE permet de laisser du temps au temps en limitant les conséquences économiques directes d’un confinement prolongé. Aux États-Unis, au contraire, la question de la reprise ou du maintien de l’activité domine dans une partie du discours politique celle du coût sanitaire et humain, car un choc économique violent correspond lui-même – qu’il soit temporaire ou plus durable – à un choc futur sanitaire, social et humain, dont le bilan à terme pourrait être plus destructeur que la crise sanitaire elle-même. Il est trop tôt pour vérifier si les mesures adoptées en urgence pourront inverser cette logique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/136423/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les États-Unis sont déjà le pays du monde où le nombre de victimes du Covid-19 est le plus élevé. À la crise sanitaire s’ajoute une crise économique aux conséquences encore difficiles à imaginer…Thérèse Rebière, Maître de conférences en économie, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)Isabelle Lebon, Professeur des Universités, directrice adjointe du Centre de recherche en économie et management, Université de Caen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1274862019-12-04T19:02:41Z2019-12-04T19:02:41ZCrise à l’hôpital : l’organisation des soins, grande oubliée des réformes<p>Le <a href="http://video.lefigaro.fr/figaro/video/plan-d-urgence-pour-l-hopital-les-annonces-du-gouvernement/6106529137001/">« plan d’urgence »</a> pour l’hôpital public dévoilé par le gouvernement le 20 novembre dernier est axé sur l’octroi de moyens financiers supplémentaires aux hôpitaux – reprise d’un tiers de la dette des hôpitaux (10 milliards d’euros) et hausse de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM), ou au personnel – primes à certains personnels médicaux.</p>
<p>En revanche, l’organisation des soins dans les hôpitaux et hors les murs semble très significativement négligée. Pourtant, en filigrane, l’essentiel des revendications des personnels, comme celles des patients, concerne l’amélioration des prises en charge hospitalières : augmentation des lits disponibles, du nombre de personnel, des coordinations hôpital/médecine de ville, etc.</p>
<p>Les travaux de recherche portant sur les soins intégrés (<em>integrated care</em>) montrent pourtant qu’il existe des solutions, notamment en ce qui concerne l’amélioration des coordinations hospitalières intra- et inter-organisationnelles.</p>
<p>Appliquées depuis plus de 15 ans aux USA et dans de nombreux pays occidentaux, ces approches permettent d’améliorer sensiblement la productivité et la qualité des prises en charge.</p>
<h2>Qu’entend-on par « soins intégrés » ?</h2>
<p>Synonyme de soins coordonnés et continus, l’<em>integrated care</em> se situe à l’opposé des soins fragmentés et épisodiques. Plus précisément, il s’agit d’organiser les soins de telle façon que les patients reçoivent un <a href="http://www.irspum.umontreal.ca/rapportpdf/N04-01.pdf">continuum de services</a> allant de la promotion de la santé jusqu’aux soins palliatifs et de réadaptation, en passant par la prévention des maladies et la gestion des interventions médicales.</p>
<p>De son côté, <a href="https://www.who.int/servicedeliverysafety/areas/people-centred-care/ipchs-what/en/">l’Organisation mondiale de la santé</a> (OMS), qui prône leur développement partout dans le monde, définit les soins intégrés comme des soins centrés sur les besoins des individus et de leurs familles.</p>
<p>Ils peuvent être réalisés à partir d’une structure commune physique tels qu’une maison médicale ou un hôpital de proximité, ou peuvent être mis en place au niveau organisationnel, via des réunions pluridisciplinaires ou des systèmes d’information intégrés permettant, a minima, une colocation des services de soins et une gestion des cas par une équipe multidisciplinaire.</p>
<p>Différentes formes de soins intégrés ont été expérimentés depuis une vingtaine d’années dans de nombreux pays occidentaux, aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Suède, en Finlande, en Suisse, au Canada ou en Espagne. Les deux principaux modèles testés et mis en œuvre jusqu’ici sont celui des soins intégrés individuels, adoptés pour l’ensemble d’une patientèle d’un territoire, et le modèle des soins intégrés collectifs, davantage centré sur un groupe de patients atteints d’une ou plusieurs pathologies identiques.</p>
<h2>Les soins intégrés individuels</h2>
<p>Concernant le modèle des soins intégrés individuels, l’exemple le plus emblématique et le plus répandu est celui du <em>case management</em> (gestion de cas). Il a été mis en œuvre dans les hôpitaux américains à partir des années 2000 et porté par une association nationale dédiée, l’<a href="http://www.acmaweb.org/section.aspx?sID=4">American Case Management Association</a>.</p>
<p>Le principe de la gestion des cas est de garantir la coordination des soins d’un patient par l’affectation d’un gestionnaire de cas (<em>case manager</em>). Il peut s’agir d’un professionnel paramédical (infirmière de soins spécialisés, manipulatrice en radiologie, laborantin d’analyses médicales, etc.) ou d’une infirmière de <a href="https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/primary-health-care">soins primaires</a> qui assure le premier contact avec les patients (prévention ou premier diagnostic). Ce gestionnaire de cas, appuyé éventuellement par un gestionnaire de données médicales (<em>data manager</em>), organise l’ensemble des rendez-vous internes et externes des patients pris dans un établissement hospitalier.</p>
<p>La <a href="https://www.kingsfund.org.uk/sites/default/files/Clinical-and-service-integration-Natasha-Curry-Chris-Ham-22-November-2010.pdf">planification des soins</a> est une autre approche d’intégration des soins individuels pour notamment les patients atteints de plusieurs maladies et pouvant recevoir des traitements multiples. L’objectif est d’offrir des soins plus personnalisés et plus ciblés en créant des plans de soins partagés qui décrivent les processus de soins, articulent clairement le rôle de chaque prestataire de soins et conservent des renseignements rétrospectifs et prospectifs sur l’état de santé des patients de l’établissement.</p>
<p>Un coordonnateur de soins évalue les besoins du patient puis planifie, négocie et coordonne la prestation de soins multidisciplinaires. Aux États-Unis, les plans de soins s’inscrivent dans ce qu’il est convenu d’appeler la « santé communautaire ». Ils s’appuient principalement sur l’influence de l’industrie de la santé (assurance maladie privée et mutuelles), qui financent, et des services sociaux, qui coordonnent les activités.</p>
<p>Enfin, en matière de soins intégrés individuels, des <a href="https://www.nhs.uk/using-the-nhs/help-with-health-costs/what-is-a-personal-health-budget/">budgets personnels de santé</a> ont été mis à l’essai aux États-Unis et au Royaume-Uni puis en Autriche, en Allemagne, aux Pays-Bas et en Norvège.</p>
<p>Ce modèle de soins intégrés donne aux patients une plus grande autonomie. Chacun d’entre eux dispose d’un budget de soins attribué par l’assurance maladie en fonction de leurs pathologies. Une équipe du système de santé gestionnaire (par exemple le National Health Service – NHS – au Royaume-Uni) construit avec le patient un plan de soins et le revoit périodiquement. Grâce à lui, les patients peuvent acheter des services prévus dans le plan de soins auprès de différents prestataires.</p>
<p>Les <a href="http://php.york.ac.uk/inst/spru/pubs/ipp.php?id=1759">évaluations de ce dernier système</a> ont montré une plus grande efficacité dans la prestation des soins, principalement grâce à une meilleure continuité de soins initiés par le patient lui-même et par l’évitement des doubles emplois de soins.</p>
<h2>Les soins intégrés collectifs</h2>
<p>Le modèle de soins de longue durée (MCP) est le modèle de soins intégrés collectifs le plus connu. Appliqué sous diverses formes, le MCP a été mis au point en 1998 par un groupe de chercheurs du <a href="http://www.improvingchroniccare.org/index.php?p=The_Chronic_Care_Model&s=2">MacColl Center for Health Care Innovation</a> aux États-Unis, notamment pour la prise en charge de personnes atteintes de maladies chroniques. Le MCP suggère de passer d’une approche aiguë et épisodique des soins à une approche plus globale qui englobe les soins longitudinaux et préventifs (notamment éducation à la santé, prévention, soins de réadaptation et palliatifs).</p>
<p>Un exemple pratique de MCP est illustré par le <a href="https://www.brookings.edu/wpcontent/uploads/2015/04/050415EmerMedCaseStudyKaiser.pdf">Kaiser Permanente</a> (KP), l’une des plus grandes organisations de maintien de la santé aux États-Unis, comptant plus de 9,6 millions de membres dans huit régions du pays.</p>
<p>Le KP est un système virtuellement intégré composé de trois entités interdépendantes :</p>
<ul>
<li><p>un plan de santé à but non lucratif qui supporte les risques d’assurance (Kaiser Foundation Health Plan) ;</p></li>
<li><p>des groupes médicaux autonomes à but lucratif de médecins (Permanente Medical Groups) ;</p></li>
<li><p>un système hospitalier sans but lucratif (Kaiser Foundation Hospitals).</p></li>
</ul>
<p>Les Groupes Médicaux autonomes (équivalents aux cliniques privées françaises) et les Hôpitaux de la Fondation Kaiser (proches du modèle des hôpitaux publics) se partagent un budget global au niveau régional, ce qui les oblige à se coordonner en matière d’offre de soins.</p>
<p>Dans le <a href="https://healthy.kaiserpermanente.org/">modèle du KP</a>, la patientèle reçoit des services d’éducation à la santé et de prévention ainsi qu’un accès en ligne ou téléphonique pour autogérer ses soins (fixer et annuler des rendez-vous médicaux avec des professionnels affiliés, visualiser la plupart des résultats de laboratoire, gérer sa couverture maladie et ses coûts).</p>
<p>Toutes les entités du KP sont mutuellement responsables des résultats et de l’expérience positive d’un patient. Par exemple, un épisode d’hospitalisation ou de réadmission de courte durée est considéré comme un échec de l’ensemble du système.</p>
<p>Plus près de chez nous, au Pays Basque espagnol, les soins intégrés collectifs ont été également expérimentés avec la <a href="http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4491322/">stratégie de lutte contre la maladie d’Alzheimer et les affections connexes</a>. Dans ce cas, l’intégration a été appliquée en fusionnant les structures hospitalières et de soins primaires en une seule organisation – les organisations intégrées de soins de santé (OSI).</p>
<p>Actuellement, le Pays Basque espagnol compte 13 OSI avec des bassins versants de 30 000 à 400 000 personnes. Les OSI ont créé des unités de continuité des soins (USC) pour améliorer la coordination entre les prestataires. On y trouve un ou plusieurs internes désignés, chargés de l’admission et de la stabilisation des patients chroniques. Des infirmières de liaison appuient également le parcours des patients, ainsi que la transition de l’hôpital à leur domicile, où ils seront ensuite suivis par leur médecin généraliste.</p>
<p>En dehors des épisodes aigus, les internes travaillent en étroite collaboration avec les médecins de famille dans la planification des soins.</p>
<h2>L’organisation des soins, oubliée des dernières réformes hospitalières</h2>
<p>L’ensemble de ces dispositifs de soins intégrés (individuels ou collectifs) reste relativement méconnu en France, et en tout cas très peu sollicité. On constate surtout des initiatives isolées, à l’échelle d’un établissement, d’un service, ou encore d’une collectivité territoriale par exemple dans le cadre d’une communauté de santé (comme les <a href="https://www.ars.sante.fr/les-contrats-locaux-de-sante">contrats locaux de santé, CLS</a> ou les <a href="https://sig.ville.gouv.fr/page/45">contrats urbains de cohésion sociale, CUCS</a>).</p>
<p>L’organisation des soins, encore très centrée sur les médecins et les établissements, favorise assez peu la coordination d’un ensemble d’intervenants (infirmières, services sociaux, kinésithérapeutes, ostéopathes, etc.). Ceux-ci sont plus souvent considérés, dans le processus de soins, comme assurant une fonction de supports plutôt que comme de potentiels acteurs de coordination.</p>
<p>Certes, le <a href="https://www.irdes.fr/documentation/syntheses/projet-de-loi-relatif-a-l-organisation-et-a-la-transformation-du-systeme-de-sante.pdf">plan ma santé 2022</a> a initié la formation d’infirmières de pratique avancée (plutôt pour la médecine hospitalière pour réaliser, dans le cas de pathologies chroniques, certains actes techniques de médecine ou prescrire certains médicaments et examens complémentaires) et la création d’assistants médicaux (pour décharger les médecins de ville dans la gestion des dossiers des patients et la préparation d’actes techniques).</p>
<p>Cependant cette mesure, probablement très appropriée dans une perspective globale de prise en charge des patients, reste très isolée des autres mesures et très partiellement dotée sur le plan financier. À elle seule, elle révèle les principaux oublis des dernières réformes hospitalières qui, en privilégiant surtout l’octroi, de manière horizontale, de moyens financiers aux hôpitaux ou au personnel, proposent assez peu de moyens, plus structurels et transversaux, pour réorganiser et coordonner les soins de ville et hospitaliers.</p>
<p>Les exemples réussis d’intégration de soins sont pourtant nombreux. Mais, en France, ils semblent rentrer en contradiction avec une tradition « réformiste » privilégiant les solutions catégorielles plutôt que les solutions plus globales, prenant en compte les intérêts mais aussi la participation d’un ensemble de parties prenantes (patient, hôpitaux, personnel, médecine de ville, services sociaux, etc.).</p>
<p>Il paraît particulièrement dommageable qu’une réflexion globale ne soit pas réellement initiée. En particulier alors que les 5 et 17 décembre prochains se mobiliseront les personnels de santé, toutes catégories confondues…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/127486/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Mériade ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les dernières réformes hospitalières attribuent de nouveaux moyens financiers de manière globale ou catégorielle, mais elles négligent l’organisation des soins.Laurent Mériade, Enseignant chercheur en sciences de gestion - Titulaire de la chaire de recherche "santé et territoires" - IAE, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1231862019-09-10T18:39:42Z2019-09-10T18:39:42ZLe bonus/malus, un remède contre les arrêts maladie au travail<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/291466/original/file-20190909-109915-17wwmc7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=10%2C34%2C884%2C592&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Aujourd'hui, de plus en plus de salariés sont malades et ils restent arrêtés de plus en plus longtemps.
</span> <span class="attribution"><span class="source"> Dmytro Zinkevych / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Chaque année sortent en septembre les chiffres de l’absentéisme de l’année précédente. Chaque année, les médias les diffusent et s’alarment de l’augmentation du nombre de jours d’absence des salariés en raison d’arrêts maladie. Chaque année, le sujet est oublié deux semaines plus tard ; tout reste comme avant. L’année 2019 ne fait pas exception à cette rengaine. D’après les chiffres fournis par plusieurs assureurs, l’absentéisme a poursuivi sa croissance en 2018, ce qui a entraîné un <a href="http://www.leparisien.fr/economie/travail-toujours-plus-d-absenteisme-26-08-2019-8139747.php">grand nombre d’articles dans les médias</a>. En revanche, les réactions du gouvernement et des représentants patronaux se font rares. Il semble que la résignation règne en maître. « C’est la faute de la fatalité ! » dirait Charles Bovary.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/291456/original/file-20190909-109935-1n1cpd7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/291456/original/file-20190909-109935-1n1cpd7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/291456/original/file-20190909-109935-1n1cpd7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=154&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/291456/original/file-20190909-109935-1n1cpd7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=154&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/291456/original/file-20190909-109935-1n1cpd7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=154&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/291456/original/file-20190909-109935-1n1cpd7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=193&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/291456/original/file-20190909-109935-1n1cpd7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=193&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/291456/original/file-20190909-109935-1n1cpd7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=193&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Montant annuel des indemnités journalières en 2016 et 2017.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://http://www.securite-sociale.fr/IMG/pdf/ccss-juin2018-20180720-104327-203-53.pdf">CCSS</a></span>
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</figure>
<p>On aurait pourtant tort de baisser les bras face à l’absentéisme. Tout d’abord parce qu’il coûte cher à tout le monde. D’après la <a href="http://www.securite-sociale.fr/IMG/pdf/ccss-juin2018-20180720-104327-203-53.pdf">commission des comptes de la Sécurité sociale</a> (CCSS), les indemnités journalières versées s’élèvent à plus de 10,3 milliards d’euros par an. Les arrêts de travail pénalisent aussi les employeurs de façon directe (coûts salariaux, coûts de remplacement, etc.) et indirecte (désorganisation du service, coûts de gestion, dégradation de la qualité du travail, etc.). À titre individuel, un arrêt de travail peut représenter une baisse de revenus pour un salarié. Au-delà de cette dimension pécuniaire, on ne peut se satisfaire du point de vue éthique que de plus en plus de travailleurs soient malades et de plus en plus longtemps.</p>
<h2>Des propositions qui oublient les causes</h2>
<p>L’été dernier, le gouvernement avait pour une fois marqué son intention d’agir afin d’endiguer le phénomène. L’idée avait alors été lancée de faire payer les employeurs à travers l’instauration d’une sorte de malus visant à sanctionner financièrement les employeurs qui auraient le plus d’arrêts de travail de courte durée. Cette réflexion fut toutefois rapidement enterrée sous la pression des organismes patronaux.</p>
<p>Le premier ministre Édouard Philippe avait alors confié une mission de concertation à Jean‑Luc Bérard, DRH du groupe Safran, Stéphane Oustric, professeur de médecine à l’université de Toulouse, et Stéphane Seiller, magistrat à la Cour des comptes. Ce rapport préconise <a href="https://www.gouvernement.fr/partage/10899-rapport-relatif-a-la-prevention-l-efficacite-l-equite-et-la-maitrise-des-arrets-de-travail">plusieurs mesures</a>. Il propose notamment d’instaurer un jour de carence obligatoire pour tous, ce qui revient à prendre les salariés malades au portefeuille. Son introduction dans la fonction publique a montré que ce type de mesure <a href="https://www.sofaxis.com/nous-connaitre/qui-sommes-nous/nos-publications">fait baisser la fréquence des arrêts</a>, mais fait courir le risque d’une augmentation de la durée des arrêts courts, d’une part, et d’une augmentation du « surprésentéisme », d’autre part : des travailleurs peuvent <a href="https://www.deboecksuperieur.com/ouvrage/9782804180607-le-surpresenteisme">renoncer à un arrêt de travail</a> alors que celui-ci était nécessaire par rapport à leur état de santé. </p>
<p>Le rapport propose aussi de meilleurs contrôles médicaux, ce qui est sans doute nécessaire mais n’améliore en rien la santé au travail. Enfin, il prône l’utilisation du télétravail et du temps partiel comme alternatives à l’arrêt total du travail. Cette dernière piste est intéressante dans certains cas, mais ne s’attaque pas non plus aux causes. Autrement dit, ce rapport se propose avant tout de limiter les arrêts et leurs conséquences, s’attaquant peu à leur racine.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1053002603896815616"}"></div></p>
<p>À quoi est dû un arrêt de travail ? Soit à un état de santé réellement dégradé, soit à un abus du système, soit à de la démotivation au sens où le premier prétexte (un petit coup de fatigue par exemple) sera utilisé par une personne qui cherche à fuir sa situation de travail. La plupart des acteurs (les gouvernements successifs, la plupart des employeurs, le rapport précité) tendent à se focaliser sur les abus. Ceux-ci sont réels, mais <a href="https://actu.orange.fr/france/15-d-abus-dans-les-arrets-maladie-agnes-buzyn-suscite-la-colere-des-medecins-magic-CNT00000167I1v.html">minoritaires</a>. Le risque est de passer à côté des deux autres motifs d’arrêts de travail.</p>
<p>Comment améliorer la santé des travailleurs et accroître leur motivation ? La métaphore médicale s’impose : difficile de proposer un bon remède sans bon diagnostic préalable. Quelles sont donc les causes de la hausse de l’absentéisme ? À l’échelle sociétale, cette hausse s’explique par le vieillissement de la population active avec le recul de l’âge de la retraite, les difficultés rencontrées par les familles monoparentales, le nombre de salariés aidants, etc. Toutefois, il y a peu de chance que l’âge de la retraite soit avancé et l’on peut difficilement interdire aux couples de se séparer ou encore aux gens de ne plus s’occuper de leurs parents en état de dépendance.</p>
<p>À l’échelle individuelle, on peut inciter les Français à avoir une meilleure hygiène de vie, donc une meilleure santé. Aujourd’hui, tout le monde sait que fumer tue et qu’il faut manger cinq fruits et légumes par jour. Mais il ne suffit pas de le savoir pour le faire. Nombre de médecins fument par exemple ! On pourrait imaginer un système de bonus/malus pour récompenser/sanctionner les gens selon leur hygiène de vie, mais ce type de mesure obligerait l’assurance maladie et les assureurs à se montrer intrusifs, voire à devenir <em>big brother</em>.</p>
<h2>Baisse des accidents du travail</h2>
<p>C’est donc à l’échelle organisationnelle qu’il convient en premier lieu d’agir, en favorisant notamment le maintien dans l’emploi et l’accompagnement des salariés au retour d’un arrêt de travail pour éviter le risque de rechute. La question devient donc : comment inciter les employeurs à agir ? Certes, des dirigeants sont sensibles à ce sujet, mais d’autres ont besoin de la carotte et du bâton parce qu’ils sont évalués à court terme alors que la prévention et les plans d’action produisent des effets à plus long terme. Un système de bonus/malus inciterait les entreprises à remplir réellement leur obligation de résultat en matière de santé et sécurité.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/291464/original/file-20190909-109952-1hnx94c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/291464/original/file-20190909-109952-1hnx94c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/291464/original/file-20190909-109952-1hnx94c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/291464/original/file-20190909-109952-1hnx94c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/291464/original/file-20190909-109952-1hnx94c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/291464/original/file-20190909-109952-1hnx94c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/291464/original/file-20190909-109952-1hnx94c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les indemnités journalières ont coûté plus de 10 milliards d’euros à la Sécurité sociale en 2017.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Pixavril/Shutterstock</span></span>
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</figure>
<p>La principale critique adressée à cette proposition porte sur d’éventuels effets pervers : les employeurs pourraient être tentés de sous-déclarer les arrêts de travail ou faire pression sur leurs salariés pour qu’ils ne s’arrêtent pas. Toutefois, ces risques existent déjà à l’heure actuelle et des négociations entre l’État et les partenaires sociaux pourraient proposer des garde-fous ainsi que des adaptations (par exemple un bonus/malus différent suivant les branches d’activité). Certes, on peut comprendre qu’un bonus/malus effraie les mauvais élèves, mais ce n’est pas une raison pour rester les bras croisés.</p>
<p>Les systèmes de bonus/malus ont souvent démontré leur efficacité. Ils ont contribué à une baisse des accidents du travail <a href="https://www.lesechos.fr/2017/10/bonus-malus-un-systeme-qui-fonctionne-deja-pour-les-risques-professionnels-184002">à un taux historiquement bas</a> ; il y a donc de l’espoir d’obtenir des résultats semblables pour les arrêts maladie. De même, l’index de l’égalité femmes/hommes, même s’il est en <a href="https://theconversation.com/indice-degalite-professionnelle-un-petit-pas-vers-la-convergence-salariale-hommes-femmes-122418">partie critiquable</a> quant à ses modalités, produit déjà des effets incitatifs intéressants sur les entreprises.</p>
<p>Philosophiquement, on peut regretter d’être obligé d’agiter la carotte et le bâton, mais il faut bien tenir compte de la nature humaine. Le pragmatisme a du bon, surtout si c’est pour une bonne cause : la santé au travail.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/123186/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Denis Monneuse a reçu des bourses de recherche de la fondation de IE business school et de l'ESG-UQAM. </span></em></p>Cette solution, qui a pourtant fait ses preuves en matière de lutte contre les accidents de travail, ne figure pas parmi les propositions retenues pour endiguer l’absentéisme.Denis Monneuse, Chercheur à l'Université du Québec à Montréal, Agence Universitaire de la Francophonie (AUF)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1224222019-09-03T13:35:13Z2019-09-03T13:35:13ZIl est temps de créer un programme national d’assurance-médicaments<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/290704/original/file-20190903-175668-faqecb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une lettre adressée aux chefs de tous les partis politiques canadiens par 1200 scientifiques spécialistes des soins de santé réclame l’engagement de leurs partis envers un programme fédéral d’assurance-médicaments.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>C’est le 15 aout dernier qu’un groupe de plus de 1200 chercheurs spécialisés en soins de santé, dont je fais partie, ont <a href="https://pharmacare2020.ca/our-letter">adressé une lettre</a> aux dirigeants des partis politiques fédéraux leur demandant de s’engager envers un programme d’assurance-médicaments universel.</p>
<p>L’idée est simple : personne au Canada ne devrait être privé d’accès à ses prescriptions en raison de leur coût. Car malgré <a href="https://www.cihi.ca/sites/default/files/document/pdex-report-2018-fr-web.pdf">des dépenses en médicaments de plus de 1000 dollars par personne par an</a>– comparativement à une moyenne de 700 dollars pour les 29 membres de l’organisation de coopération et de développement économique (OCDE) – plusieurs millions de Canadiens ont du mal à se procurer les médicaments dont ils ont besoin.</p>
<p>Dans un rapport produit l’an dernier pour la Fédération canadienne des syndicats d'infirmières, on estime que <a href="https://nursesunions.ca/wp-content/uploads/2018/05/2018.04-Body-Count-Final-web.pdf">chaque année, 70 000 Canadiens âgés de 55 ans et plus souffrent d’une détérioration inutile de leur santé</a> en raison d’un déficit d’accès aux soins. Et que plus de 1200 Canadiens âgés de 40 ans et plus atteints de maladies cardiovasculaires doivent être hospitalisés pour la nuit.</p>
<h2>Des gens s’en passent</h2>
<p>Des centaines de milliers de Canadiens <a href="http://cmajopen.ca/content/6/1/E63.full">se privent de nourriture, de chauffage et d'autres dépenses en santé</a> afin de pouvoir se payer les médicaments dont ils ont besoin.</p>
<p>À l’exception du Canada, tous les pays offrant une couverture santé universelle, comprenant l’accès aux médecins et aux hôpitaux, couvrent également les médicaments sur prescription.</p>
<p>Chez nous, le <a href="https://www.cihi.ca/sites/default/files/document/nhex2017-drug-infosheet-1-en.pdf">gouvernement rembourse environ 42 pour cent du coût des médicaments</a>, alors que les assurances privées couvrent 36 pour cent supplémentaires. Quant au reste, il sort directement de la poche des citoyens. Ce n’était pas censé se passer comme ça.</p>
<p>Quand le juge Emmet Hall a publié en 1964 <a href="https://www.museedelhistoire.ca/cmc/exhibitions/hist/medicare/medic-5k01f.html">son rapport légendaire qui a pavé la voie au régime d’assurance-maladie</a>, il pensait qu’après la couverture médicale universelle, l’étape suivante serait l’assurance-médicaments tout aussi universelle. Ce qui ne s’est pas encore produit…</p>
<p>Au fil des ans, nombre de rapports ont émis la même recommandation : <a href="https://www.canada.ca/fr/sante-canada/services/systeme-soins-sante/rapports-publications/renouvellement-soins-sante/sante-canada-heritage-faire-fructifier-volume1.html">le forum national sur la santé</a>, le <a href="https://www.canada.ca/fr/sante-canada/services/systeme-soins-sante/ressources-humaines-sante/strategie/rapport-kirby.html">rapport Kirby au sénat</a>, <a href="https://www.canada.ca/fr/sante-canada/services/systeme-soins-sante/commissions-enquetes/commissions-federales-soins-sante/commission-avenir-soins-sante-canada-commission-romanow.html">la commission Romanow</a>, et plus récemment, <a href="https://www.ourcommons.ca/Content/Committee/421/HESA/Reports/RP9762464/hesarp14/hesarp14-f.pdf">le rapport du Comité permanent de la santé</a>.</p>
<p>C’est finalement en juin de cette année que <a href="https://www.canada.ca/fr/sante-canada/organisation/a-propos-sante-canada/mobilisation-publique/organismes-consultatifs-externes/mise-en-oeuvre-regime-assurance-medicaments/rapport-final.html">le rapport du Conseil consultatif sur la mise en œuvre d’un régime national d’assurance-médicaments</a> dirigé par Eric Hoskins, anciennement ministre de la santé de l’Ontario, a établi le cadre général nécessaire à l’accomplissement de cet objectif.</p>
<p>En dépit des arguments développés dans ces rapports, et des difficultés rencontrées par ceux qui n’ont pas les moyens de payer pour leurs médicaments ou les paient se privant d’autres nécessités, <a href="https://www.theglobeandmail.com/canada/article-ndp-unveils-universal-pharmacare-plan-aims-program-delivery-by-the-2/">seuls le NPD et le Parti vert</a> se sont à ce jour prononcés pour l’assurance-médicaments.</p>
<h2>Les lobbys et l’assurance-médicaments</h2>
<p>Il n’est pas surprenant que certains groupes de pression se soient mobilisés contre l’assurance-médicaments universelle – notamment <a href="http://innovativemedicines.ca/fr/imc-responds-to-final-report-of-advisory-council-on-the-implementation-of-national-pharmacare/">Médicaments novateurs Canada</a> (IMC), le lobby qui représente les multinationales pharmaceutiques - ainsi que des groupes de réflexion comme <a href="https://calgarysun.com/opinion/columnists/guest-column-rather-than-nationalizing-pharmacare-policymakers-should-simply-improve-our-current-systems">l’institut Fraser</a>.</p>
<p>Leur argumentation se résume en quelques lignes : le système en place fonctionne bien pour la majorité des Canadiens, et il suffit d’en combler les lacunes; l’assurance-médicaments fera baisser le prix des médicaments et les entreprises hésiteront à mettre sur le marché de nouveaux médicaments qui pourraient sauver des vies, et à investir au Canada; et l’assurance-médicaments ne pourra pas couvrir tous ceux qui sont présentement remboursés par les assurances privées, et les patients souffriront.</p>
<p>Tout cela ne tient pas debout. Car même les gens aux revenus moyens à élevés et bénéficiant d’une assurance privée <a href="http://www.cmaj.ca/content/184/3/297">déclarent ne pas prendre des médicaments qui leur sont prescrits</a> en raison de leur coût.</p>
<h2>Le modèle québécois n’est pas la solution</h2>
<p>On vante souvent le modèle québécois comme la solution pour ceux qui ne sont pas couverts. Dans cette province, tous les employeurs offrant un programme de couverture santé doivent également proposer une couverture médicaments. Le gouvernement intervient pour les autres.</p>
<p>Yanick Labrie, chercheur principal à l’institut Fraser, a publié un <a href="https://www.fraserinstitute.org/studies/lessons-from-the-quebec-universal-prescription-drug-insurance-program">rapport</a> défendant le modèle québécois qui, selon lui, devrait être étendu au reste du Canada. À un certain niveau, si les gens ne consomment pas les médicaments prescrits en raison de leur coût, le Québec fait mieux que les autres provinces. Mais compte tenu de la couverture déficiente proposée dans les autres provinces, cette comparaison ne tient pas la route.</p>
<p>L’étalon exact doit être établi en fonction des pays qui offrent une couverture universelle, et sur cette base, le <a href="http://www.cmaj.ca/content/189/40/E1259">Québec est en retard</a> sur l’Australie, l’Allemagne, les Pays-Bas, et le Royaume-Uni.</p>
<p>En outre, un pourcentage plus élevé de la population québécoise dépense plus de 1000 dollars en franchise médicaments, et le montant total de 1087 dollars per capita au Québec est nettement plus élevé que la moyenne canadienne (912 dollars) et celle des pays à couverture universelle (826 dollars).</p>
<h2>Les menaces des compagnies pharmaceutiques</h2>
<p>Lorsque les pharmas menacent de ne pas offrir de nouveaux médicaments au Canada ou de ne pas y investir, elles ne font que répéter un discours qu’elles tiennent depuis près de 50 ans. Quand le gouvernement du NPD au Manitoba a fait passer en 1972 une loi rendant obligatoire l’usage de médicaments génériques, l’organisme prédécesseur de l’IMC a déclaré :</p>
<blockquote>
<p>“On verra bien quel effort sera fait par les laboratoires dans le marché manitobain… S’ils ne peuvent concurrencer sur les prix, ils pourraient faire faillite ”.</p>
</blockquote>
<p>Même en l’absence de l’assurance-médicaments, les entreprises ont diminué leur effort de recherche au Canada depuis le milieu des années 2000. Elles employaient alors 5890 personnes en recherche et développement, chiffre tombé à 3122 <a href="https://www150.statcan.gc.ca/n1/fr/pub/88-202-x/88-202-x2015000-fra.pdf?st=ovfYycZr">en 2013</a>.</p>
<p>La menace de ne pas introduire de nouveaux médicaments susceptibles de sauver des vies sonne creux également. La majorité des nouveaux médicaments ne sauvent pas de vies, ou n’améliorent que peu de choses par rapport à leurs prédécesseurs. Selon le <a href="http://www.pmprb-cepmb.gc.ca/view.asp?ccid=1380&lang=fr">Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés</a>, l’agence fédérale chargée de fixer un prix plafond pour les nouveaux médicaments, 2,2 pour cent seulement des médicaments introduits sur le marché canadien entre 2010 et 2017 démontraient un progrès décisif; 4,3 pour cent apportaient des améliorations substantielles, mais 72,5 pour cent ne présentaient que peu ou pas d’amélioration.</p>
<p>Les compagnies privées paient pour les trois quarts des médicaments qui ne font aucune différence pour la santé des patients, mais il n’y a aucune raison pour que l’argent de nos impôts finance cela à leur place.</p>
<p>Étudiante en premier cycle à McGill, ma fille a écrit une dissertation sur l’assurance-médicaments intitulée : « Mieux vaut laisser le patchwork aux courtepointes : il est temps de passer à l’assurance-médicaments ». La lettre écrite par 1200 chercheurs va dans le même sens, juste au cas où les politiciens se soient bouché les oreilles.</p>
<p><em>Vous aimez ce que vous avez lu ? Vous en voulez plus ?</em> <a href="https://theconversation.com/ca-fr/newsletters?utm_source=TCCA-FR&utm_medium=inline-link&utm_campaign=newsletter-text&utm_content=like">Abonnez-vous à notre infolettre hebdomadaire</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/122422/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Joel Lexchin a été consultant rémunéré dans le cadre de deux projets en 2016-2019 : l'un portait sur l'élaboration de principes de diagnostic conservateur (Gordon and Betty Moore Foundation) et l'autre, sur la détermination des médicaments qui devraient être fournis gratuitement par les médecins généralistes (gouvernement du Canada, Ontario Supporting Patient Oriented Research Support Unit et St Michael's Hospital Foundation). Il a également été rémunéré pour avoir fait partie d'un groupe d'experts de l'American Diabetes Association, pour avoir prononcé une allocution à la Toronto Reference Library, pour avoir rédigé un mémoire sur les effets secondaires d'un médicament pour Michael F. Smith, avocat, et pour avoir participé à un atelier des Instituts de recherche en santé du Canada sur les conflits d'intérêts dans les directives cliniques en pratique. Il est actuellement membre de groupes de recherche qui reçoivent des fonds des Instituts de recherche en santé du Canada et de l'Australian National Health and Medical Research Council. Il est membre du conseil de la fondation de Health Action International et du conseil de Canadian Doctors for Medicare.
</span></em></p>Des centaines de milliers de Canadiens se privent de nourriture, de chauffage et d'autres dépenses en santé afin de pouvoir se payer les médicaments dont ils ont besoin.Joel Lexchin, Professor Emeritus of Health Policy and Management, York University, Emergency Physician at University Health Network, Associate Professor of Family and Community Medicine, University of TorontoLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1066282018-11-14T21:07:27Z2018-11-14T21:07:27ZLibérer les énergies dans les organisations particulièrement coincées<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/245094/original/file-20181112-83599-3b84cv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Envol du colibri</span> </figcaption></figure><p><em><strong>Une Caisse primaire d’assurance maladie lauréate du Prix du manager public et du Trophée d’or de l’innovation participative, comment est-ce possible ? C’est que Patrick Negaret, directeur général de la Caisse des Yvelines, était convaincu que ses agents étaient mûrs pour développer de nouveaux modes de management et d’engagement.</strong></em></p>
<p>Patrick Negaret : </p>
<blockquote>
<p>« À la Caisse primaire d’assurance maladie, des centaines de postes ont été supprimés depuis dix ans, mais nous sommes arrivés à la limite. J’ai lancé en 2011, à la Caisse des Yvelines, une démarche basée sur l’humain pour obtenir des gains de performance à ressources constantes, même si notre configuration, 1 350 salariés répartis dans une quinzaine de sites, ne facilitait pas une pratique managériale innovante et de proximité. Certains la qualifient <a href="https://www.manager-go.com/organisation-entreprise/entreprise-liberee.htm">“d’entreprise libérée”</a>, mais je me méfie d’appellations qui se transforment trop souvent en dogmes. J’ignore si je libère l’entreprise, mais je sais que je libère les énergies. »</p>
</blockquote>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/244834/original/file-20181109-116841-4fjsdb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/244834/original/file-20181109-116841-4fjsdb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/244834/original/file-20181109-116841-4fjsdb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=817&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/244834/original/file-20181109-116841-4fjsdb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=817&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/244834/original/file-20181109-116841-4fjsdb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=817&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/244834/original/file-20181109-116841-4fjsdb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1027&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/244834/original/file-20181109-116841-4fjsdb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1027&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/244834/original/file-20181109-116841-4fjsdb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1027&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">P Negaret.</span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Un lancement avec des outils connus, mais adaptés au contexte</h2>
<p>La première étape a consisté en une adaptation au service public, appelé Progrescence, du <a href="http://www.qualiteperformance.org/comprendre-la-qualite/principes-et-fondamentaux/les-principes-du-lean-management"><em>lean management</em></a>. Les services ont été formés à cette démarche prônant la chasse au gaspillage, la maîtrise des délais, la réduction des coûts et le gain en ressources. Chacun était invité à améliorer tout ce qui pouvait l’être dans son environnement. Le plus difficile a été de convaincre les agents que leur directeur désirait vraiment les faire gagner en autonomie : jusqu’alors, ils ne pouvaient guère s’exprimer ou en subissaient les conséquences. La démarche a été expérimentée avec une équipe dont le manager était volontaire, son témoignage facilitant la diffusion de la méthode. Les résultats ont été nombreux, comme la réduction des délais d’encaissement de créances, des gains en surface de stockage et d’archivage. Un agent a même postulé à une fonction de cadre, à laquelle il n’aurait jamais aspiré dans l’ancien système, trop régi par le contrôle.</p>
<p>L’étape suivante, lancée en 2015, était celle de l’innovation participative. Les agents ont été invités à déposer leurs idées dans une plate-forme intranet, idées qui peuvent être <em>likées</em> et enrichies par les collègues. Un animateur y est dédié, accompagné d’une vingtaine de relais terrain, pour encourager au dépôt d’idées et s’assurer qu’une suite leur sera donnée. Des agents ont aussi proposé de créer des « arbres à idées » dans les services, où chacun peut déposer ses idées, qui sont débattues en équipe tous les quinze jours. Plus de 1 300 idées ont été émises en trois ans, dont 50 % par des employés : covoiturage entre agents, déclaration d’un médecin traitant pour les assurés de moins de 16 ans, codification améliorant la gestion des e-mails, etc.</p>
<h2>L’instauration d’un management bienveillant… et exigeant</h2>
<p>Puis les agents ont été invités à élaborer les principes du nouveau management de la Caisse. Après de nombreux ateliers et une réunion de deux jours avec un consultant, ils ont énoncé 10 principes d’un « management bienveillant et exigeant » : j’ai une ambition riche de sens, je (me) fixe des objectifs au bon niveau, je cultive la liberté d’action, j’incite à l’entraide, j’accepte l’erreur de l’autre, je cultive la gratitude, j’entretiens le sentiment de justice, je sais reconnaître mes maladresses, je cultive l’optimisme. Ces principes ne seraient que des vœux pieux s’ils n’avaient été énoncés par les agents eux-mêmes et s’ils n’étaient pas mis en pratique par des rites appropriés.</p>
<p>Ainsi, des groupes ont eu carte blanche pour imaginer des « microprojets susceptibles de donner de maxi-résultats ». Par exemple, un programme d’immersion permet à chacun de passer une journée dans un service de son choix, pour mieux le connaître et prendre conscience de ses contraintes. Des agents sont associés aux commissions des marchés pour choisir les prestataires de restauration collective. Pour cultiver la gratitude, un groupe a proposé que les agents puissent être remerciés par des chèques cadeaux (d’une valeur symbolique) payés par l’entreprise.</p>
<p>Un appel à volontaires a été lancé pour créer un baromètre de la qualité de vie au travail concis et fondé sur des critères simples, au lieu des 85 questions du baromètre social national de l’assurance maladie. Une enquête est dispensée tous les six mois selon huit critères, chaque campagne devant donner lieu à des mesures correctives sur les trois indicateurs les moins bien notés.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/244809/original/file-20181109-116832-ctxh1w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/244809/original/file-20181109-116832-ctxh1w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/244809/original/file-20181109-116832-ctxh1w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=784&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/244809/original/file-20181109-116832-ctxh1w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=784&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/244809/original/file-20181109-116832-ctxh1w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=784&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/244809/original/file-20181109-116832-ctxh1w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=985&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/244809/original/file-20181109-116832-ctxh1w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=985&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/244809/original/file-20181109-116832-ctxh1w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=985&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Walking desk.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Des transformations en profondeur ont aussi été générées. Pour une plate-forme téléphonique de 65 personnes affichant un turnover et un absentéisme élevés, un salarié a émis l’idée d’y instaurer une autogestion des plannings et des horaires. Patrick Negaret a demandé à trois téléconseillers volontaires et deux représentants des organisations syndicales de l’accompagner pour visiter une entreprise avancée dans ce domaine. L’équipe a planché pendant deux mois et mis en place une gestion autonome des plannings et des horaires permettant de concilier les contraintes personnelles et professionnelles : commencer plus tard ou terminer plus tôt selon les besoins de chacun.</p>
<p>L’absentéisme a chuté de 30 %, le taux d’appels décrochés a progressé de 15 points et le taux de réponse en 48 heures s’est sensiblement accru. Cette plate-forme est aujourd’hui fière de ses résultats et montrée en exemple. Elle a même fait l’objet d’un reportage au journal télévisé de France 2.</p>
<p>Un agent a aussi fait remarquer que l’assurance maladie enjoignait sans cesse de faire de l’exercice, mais que ses agents étaient assis toute la journée. Un « bureau roulant », tapis de course placé devant un ordinateur, a alors été installé.</p>
<h2>Patience et longueur de temps</h2>
<p>Cette transformation s’est étalée sur plus de sept ans.</p>
<blockquote>
<p>« On me dit parfois que ma démarche consomme trop de temps. Mais espère-t-on progresser en se consacrant exclusivement à la production huit heures par jour pendant quarante ans ? Il est illusoire de penser que les salariés en seront durablement satisfaits et productifs. On ne décrète toutefois pas de but en blanc la libération des énergies. Depuis l’origine, je sollicite des conférenciers pour présenter des démarches innovantes, j’invite mes collaborateurs à prendre part à des associations, clubs et autres communautés collaboratives. S’y ajoutent des méthodes structurées déployées avec l’aide de consultants. »</p>
</blockquote>
<p>Si une vision romantique de la Révolution fait penser à des grands soirs et des basculements gigantesques, elle se traduit ici par la multiplication de victoires concrètes : au fur et à mesure que la confiance vient, l’imagination fleurit et la transformation s’approfondit. Quand on lit <em>L’envol du colibri</em>, ouvrage rédigé et illustré par le personnel, il est manifeste que cette vision de la transformation est portée par le personnel. Patrick Negaret peut ainsi espérer que le jour où son mandat sera terminé, le mouvement sera engagé de manière irréversible.</p>
<p>Voici un bref reportage sur l’expérience :</p>
<iframe width="100%" height="500" src="https://cpam78.fr/com/france2.mp4" frameborder="0" scrolling="no" allowfullscreen=""></iframe>
<hr>
<p><em>Pour en savoir plus voir : <a href="https://www.ecole.org/fr/seance/1262-vers-un-management-decomplexe-de-l-assurance-maladie-des-yvelines">« Vers un management décomplexé de l’assurance maladie des Yvelines »</a>. « L’envol du Colibri » n’est pas en vente mais l’ouvrage est disponible auprès de la CPAM des Yvelines.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/106628/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Michel Berry est fondateur et animateur du Jardin des entreprenants</span></em></p>Une Caisse primaire d’assurance maladie symbole d’un management libéré, comment est-ce possible ? Patrick Negaret était convaincu que ses troupes y étaient prêtes. Chronique d’une démarche patiente.Michel Berry, Fondateur de l'école de Paris du Management, Mines ParisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1039732018-10-17T18:57:14Z2018-10-17T18:57:14ZRembourser les médicaments originaux au prix des génériques : une fausse bonne idée ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/240910/original/file-20181016-165891-12ddrt5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=16%2C8%2C5590%2C3724&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Comment améliorer la substitution par les médicaments génériques ?</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour l’année 2019 (<a href="https://www.economie.gouv.fr/projet-loi-financement-securite-sociale-2019">PFLSS 2019</a>), présenté par les ministres Agnès Buzyn et Gérald Darmanin le 25 septembre dernier, comporte deux mesures visant à favoriser le développement des médicaments génériques. L’une d’elles consisterait à rembourser, à partir de 2020, les médicaments originaux sur la base du prix du générique. Bien qu’elle soit présentée comme nouvelle, cette mesure reprend (et étend ?) un dispositif créé en 2003 et déjà appliqué à certains groupes génériques : les tarifs forfaitaires de responsabilité.</p>
<p><a href="http://www.pressesdesciencespo.fr/fr/livre/?GCOI=27246100637510">L’analyse de ce dispositif</a> met en lumière son efficacité et son intérêt pour certains médicaments. Elle révèle toutefois également les nombreux effets pervers auxquels conduirait sa généralisation. Ceux-ci se feraient sentir non seulement sur le développement des génériques mais aussi, <em>in fine</em>, sur les économies réalisées par l’Assurance Maladie.</p>
<h2>Les TFR font exploser les taux de substitution</h2>
<p>Inspirés des « prix de référence » développés en Allemagne ou aux Pays-Bas au début des années 1990, les tarifs forfaitaires de responsabilités (TFR) reposent sur une idée « de bon sens » : dès lors que les médicaments génériques sont équivalents aux médicaments originaux, il n’y a pas de raison que l’Assurance Maladie paye l’écart de prix entre les deux. Celui-ci reste donc à la charge du patient. De ce point de vue, le TFR présente plusieurs intérêts pour les pouvoirs publics.</p>
<p>Le premier intérêt est de « responsabiliser » les patients aux écarts de prix entre les médicaments génériques et originaux (autour de 40 % du prix du <em>princeps</em> – le médicament d’origine qui sert de modèle aux médicaments génériques) et de les inciter à privilégier les médicaments génériques ou à assumer individuellement le prix de leur attachement à la marque. Mon étude réalisée à partir des données de l’Assurance Maladie sur les premiers TFR en 2003 a mis en lumière la très grande efficacité de ce dispositif.</p>
<p>Si l’on considère le taux de substitution (part des ventes de génériques dans le groupe comprenant à la fois le <em>princeps</em> et les génériques) des groupes génériques dans lesquels il y existait un écart de prix entre génériques et <em>princeps</em>, on constate que celui-ci est passé en moyenne de 33,5 % à 73 % en un an dès lors que ces groupes ont été soumis à TFR, en 2003. Sur la même période, le taux de substitution pour l’ensemble des génériques, avec ou sans TFR, progressait seulement de 52 % à 57 %.</p>
<p>Plus frappant encore : si l’on considère les groupes génériques « cromoglicate de sodium/Nalcron », où l’écart de prix moyen entre générique et <em>princeps</em> était en 2003 de 4,43 €, et le groupe générique « propanolol/Avlocardyl », où l’écart de prix avec le <em>princeps</em> était de 0,88 €, on constate que les taux de substitution respectifs en 2006 étaient de 82 % et 84 %.</p>
<p>On imagine donc l’efficacité de ce dispositif, et les économies réalisées, pour les antirétroviraux utilisés contre le VIH, où ces écarts de prix dépassent les 100 €…</p>
<h2>Des économies substantielles</h2>
<p>Le deuxième intérêt des TFR est de « maximiser » les économies réalisées par l’Assurance Maladie. En effet, l’application d’un TFR permet à l’Assurance Maladie de réaliser des économies équivalentes à un taux de substitution de 100 % et ce, quelle que soit la part de marché réelle des génériques, puisque tous les médicaments sont remboursés au prix des génériques.</p>
<p>Cette économie est même supérieure, puisque l’application d’un TFR conduit à diminuer la marge des pharmaciens d’officine sur la vente des médicaments. En 1999, lorsque le droit de substitution a été accordé aux pharmaciens, il a été décidé, pour les inciter à privilégier les médicaments génériques, que leur marge sur ces derniers serait établie en fonction du prix du médicament original (et pas du prix, plus faible, du générique).</p>
<p>Concrètement, le <a href="https://www.leem.org/prix">prix public TTC</a> d’un médicament <em>princeps</em> est égal au Prix Fabricant Hors Taxe (PFHT), fixé par le <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/ministere/acteurs/instances-rattachees/article/ceps-comite-economique-des-produits-de-sante">Comité économique des produits de santé</a> auquel s’ajoutent la marge du grossiste et la marge du pharmacien (qui correspondent toutes deux à un pourcentage du PFHT), ainsi que la TVA. Le prix public TTC d’un médicament générique est quant à lui égal au PFHT (fixé par le CEPS, avec une décote de 60 % par rapport au PFHT du <em>princeps</em>) auquel s’ajoutent la marge du grossiste et la marge du pharmacien (égales à un pourcentage du PFHT du <em>princeps</em>, et non pas du PFHT du générique), ainsi que la TVA. Autrement dit, les pharmaciens touchent la même marge en montant pour la vente d’un générique ou d’un <em>princeps</em>.</p>
<p>Donc, même si les génériques sont moins chers que les <em>princeps</em>, le pharmacien a la même marge avant sur les deux catégories. Et comme par ailleurs, il touche d’importantes marges arrière de la part des laboratoires de génériques qui veulent être référencés par l’officine (et qui sont plafonnées par la loi à 40 % du PFHT du générique), sa marge totale est plus forte sur les génériques que sur les <em>princeps</em> et il est donc incité à les substituer.</p>
<p>Toutefois, en cas d’application du TFR, la marge officinale sur la vente d’un générique ou d’un <em>princeps</em> n’est plus fonction du prix du <em>princeps</em>, mais elle est calculée selon le prix du générique ; l’application du TFR conduit donc à faire baisser le prix total du médicament en diminuant la marge du pharmacien.</p>
<p>Enfin, le troisième intérêt du TFR est plus politique : il permet de mettre en scène le « libéralisme » des pouvoirs publics, qui affichent leur neutralité vis-à-vis des industriels (de <em>princeps</em> comme de génériques), leur respect de la liberté de choix des patients et leur croyance dans les bienfaits de la concurrence par les prix, libre et non faussée.</p>
<h2>Les TFR, efficaces mais non dénués d'effets pervers</h2>
<p>Bien qu’ils revêtent <em>a priori</em> les atours de l’instrument idéal, les TFR se sont avérés receler en pratique de nombreux effets pervers.</p>
<p>D’abord, en établissant une discrimination entre les patients, selon leur capacité à payer pour la marque, ils ont renforcé la croyance de nombre d’entre eux dans l’existence d’une médecine à deux vitesses : les plus riches pourraient s’offrir le « vrai » médicament, tandis que les autres devraient se contenter d’une « pâle imitation »… Si les TFR ont, de fait, permis d’augmenter la substitution, ils ont de ce fait renforcé les doutes de nombreux patients et prescripteurs sur la qualité des génériques.</p>
<p>Ensuite, dans un grand nombre de cas, les industriels de <em>princeps</em> ont riposté à l’application d’un TFR en alignant le prix de leur médicament original sur celui des génériques, privant ces derniers de leur seul « atout » concurrentiel. Le plus souvent, cela n’a pas conduit à un effondrement du taux de substitution, car les patients ignorent bien souvent le montant de l’écart de prix entre les médicaments. Qui plus est, les pharmaciens ne les en ont pas informés afin de ne pas mettre en cause la progression de la substitution dans les autres groupes génériques. Mais cet alignement a néanmoins clairement ralenti ladite progression.</p>
<p>Ainsi, dans les groupes génériques soumis à TFR en 2003 pour lesquels le prix du <em>princeps</em> a été immédiatement aligné, le taux de substitution moyen a crû de 28,5 % à 38,5 % seulement entre 2003 et 2004. Soit +10 points sur la période, contre +40 points pour les groupes sans alignement de prix. Pensé initialement comme un soutien au développement des génériques, le TFR s’est ainsi rapidement mû en frein à la substitution.</p>
<p>Les TFR ont d’autant plus freiné la substitution qu’ils ont eu d’importantes conséquences sur les revenus des pharmaciens d’officine, comme évoqué précédemment. Même si les pharmaciens bénéficient d’autres incitations financières que leurs marges pour développer les génériques (remises concédées par les laboratoires de génériques, primes versées par l’Assurance Maladie en fonction d’objectifs de substitution), l’application des TFR s’est dans les faits traduite par une chute de leur investissement dans la substitution et une stagnation voire une régression des parts de marché des génériques dans les groupes concernés.</p>
<h2>Un instrument à manier avec précaution</h2>
<p>Les TFR s’avèrent donc au final un instrument délicat à manier. Certes, ils sont un moyen très efficace de développer la substitution et de réaliser des économies dans les groupes de médicaments génériques pour lesquels les pharmaciens peinent à atteindre des taux de substitution élevés même plusieurs années après la mise sur le marché. Ils sont aussi efficaces pour les groupes où les industriels de <em>princeps</em> choisissent de ne pas baisser leurs prix. Néanmoins, le TFR peut se muer très rapidement en adversaire de la substitution dans les groupes où les écarts de prix sont faibles voire nuls, et où les pharmaciens cessent leurs efforts de promotion des génériques.</p>
<p>À deux reprises (lors de leur création en 2003 et lors du PLFSS 2006), le gouvernement a envisagé de généraliser les TFR à tous les groupes génériques. Dans les deux cas, ce projet a conduit à une forte mobilisation des pharmaciens d’officine (allant jusqu’à <a href="https://books.google.fr/books?id=FTY7DwAAQBAJ&pg=PT77&lpg=PT77&dq=%22gr%C3%A8ve%22+%22substitution%22+g%C3%A9n%C3%A9riques+2005&source=bl&ots=63jQ3prAy6&sig=nvRGbt3tXMFnq21MbMj1GxxOR2U&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwjNloqRgozeAhVQJhoKHdr3CsEQ6AEwAHoECAkQAQ#v=onepage&q=%22gr%C3%A8ve%22%20%22substitution%22%20g%C3%A9n%C3%A9riques%202005&f=false">« une grève de la substitution »</a> à l’hiver 2005).</p>
<p>Pharmaciens et industriels de génériques ont mis en avant les dangers de ce dispositif pour le développement des médicaments génériques en France. Selon eux, la généralisation de ce dispositif permettrait certes de réaliser de très substantielles économies à court terme, mais elle mettrait à mal l’investissement des pharmaciens dans la substitution et menacerait l’activité des industriels de génériques, en les privant de leur seul argument concurrentiel.</p>
<p>En l’absence de concurrence sur le marché, il serait alors plus délicat pour les pouvoirs publics de négocier de nouvelles baisses de prix avec les industriels de <em>princeps</em>.</p>
<h2>Tiers payant contre génériques, une alternative aux TFR ?</h2>
<p>En 2003 comme en 2006, le gouvernement avait finalement opté pour un usage parcimonieux du TFR, le réservant aux groupes génériques difficiles a promouvoir. À partir de 2006, les pouvoirs publics ont préféré mobiliser un autre instrument : la <a href="https://www.ameli.fr/pharmacien/exercice-professionnel/facturation-remuneration/pratique-tiers-payant/tiers-payant-generiques">mesure « Tiers payant contre génériques »</a>.</p>
<p>Celle-ci consiste à conditionner l’application de l’avance des frais de médicaments par les pharmaciens à l’acceptation des génériques par le patient. Elle présente les mêmes avantages que le TFR : elle « responsabilise » les patients aux prix de leurs médicaments et les incite à privilégier les génériques en différant le remboursement de ces médicaments.</p>
<p>De fait, cette mesure a permis une progression spectaculaire du taux de substitution de tous les génériques dans les départements où elle a été appliquée (+15 points en moyenne entre fin 2005 et fin 2006). Contrairement aux TFR, sa généralisation ne met pas en cause le développement des génériques, car elle n’affecte ni l’écart de prix entre les médicaments, ni le taux de remboursement des dépenses de médicaments pour les patients ni les incitations dont bénéficient les pharmaciens. Elle suppose cependant une mobilisation permanente des Caisses d’Assurance Maladie et des syndicats de pharmaciens et de médecins pour s’assurer qu’elle est bien appliquée par toutes les officines à tous les patients.</p>
<h2>Le développement des génériques en France doit-il passer par les prix ?</h2>
<p>Plus fondamentalement, on peut se demander si le développement des génériques en France doit reposer sur la « responsabilisation financière » des patients par rapport au prix des médicaments. <a href="https://www.economie.gouv.fr/projet-loi-financement-securite-sociale-2019">Dans le dossier de presse fourni par le ministère de la Santé</a>, ce dernier déclarait espérer économiser 100 millions d’euros grâce à l’application des TFR. S’il s’agit bien sûr d’un montant non négligeable, il semble dérisoire en comparaison du budget consacré par l’Assurance Maladie aux médicaments (plus de 20 milliards d’euros) ou même du marché des génériques (3,5 milliards d’euros pour les génériques et 1,5 milliard d’euros pour les <em>princeps</em> généricables).</p>
<p>On peut également s’interroger sur l’influence du prix dans le développement de la substitution. Nous avons vu que les TFR avaient des effets spectaculaires pour inciter les patients à privilégier les génériques lorsque l’écart de prix était maintenu. Mais les pharmaciens d’officine ont réussi de manière tout aussi spectaculaire à porter le taux de substitution <a href="https://www.ameli.fr/pharmacien/actualites/signature-des-avenants-generiques-2018-quelles-nouveautes">à près de 90 % en à peine vingt ans</a> (hors Lévothyrox et médicaments sous TFR).</p>
<p>Aujourd’hui, en France, le principal obstacle au développement des génériques n’est pas la méfiance des patients ou le manque d’investissement des pharmaciens dans la substitution, mais <a href="https://theconversation.com/patients-medecins-qui-a-peur-des-medicaments-generiques-65909">« l’attrait des médecins pour la nouveauté »</a>. Celui-ci les conduit à prescrire les derniers médicaments sortis (et brevetés), même lorsque ces derniers ne présentent pas d’amélioration thérapeutique importante. C’est ce qui explique la faible part des génériques dans les ventes totales de médicaments (<a href="http://www.medicamentsgeneriques.info/le-marche-francais-du-medicament-generique">autour de 35 % en volumes</a>, hors paracétamol).</p>
<p>L’enjeu pour les pouvoirs publics reste donc plus que jamais d’amener ces prescripteurs à préférer, à efficacité comparable, l’ancien médicament (donc le moins cher) au nouveau…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/103973/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Etienne Nouguez a reçu des financements publics (allocation de thèse) pour mener sa thèse sur les médicaments génériques. Il a réalisé des expértises rémunérées pour le Ministère de la Santé et le laboratoire Mylan. </span></em></p>L’Assurance Maladie gagnerait-elle à rembourser les médicaments originaux au tarif des génériques, en laissant la différence à la charge des patients qui souhaite payer pour une marque ? Pas si sûr.Etienne Nouguez, Sociologue, chargé de recherche CNRS, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/984132018-07-05T02:23:11Z2018-07-05T02:23:11ZLe « virage ambulatoire » de l’hôpital : de la communication ou une vraie politique de santé ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/225969/original/file-20180703-116117-1lro2jb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C2%2C1500%2C994&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Entré le matin à l'hôpital, le patient opéré ressort le jour même : c'est le principe de l'ambulatoire. Ici dans le service de cardiologie d'une clinique de Rome, en Italie. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/rome-italy-june-11-2018-people-1125029753?src=ZWhLxziMg6DQxtybL4DH5w-1-0">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>À l’hôpital, les soins en ambulatoire, c’est-à-dire sans que le patient y passe la nuit, sont encouragés depuis plusieurs années. « D’ici à 2022, je souhaite porter la médecine ambulatoire à 55 % et la chirurgie ambulatoire à 70 % », contre 43 % et 54 % aujourd’hui, <a href="https://www.lemonde.fr/sante/article/2017/10/05/buzyn-fixe-l-objectif-de-70-de-la-chirurgie-realisee-en-ambulatoire-en-2022_5196776_1651302.html">déclarait la ministre de la Santé</a>, Agnès Buzyn, à l’automne 2017.</p>
<p>Ce changement dans la manière de soigner, qualifié de « virage ambulatoire », vise à la fois à délivrer de meilleurs soins et à diminuer leur coût. Deux spécialistes de notre système de santé se sont rapprochés pour l’analyser dans un livre publié récemment aux Presses de l’EHESP, <a href="https://www.presses.ehesp.fr/produit/fondements-virage-ambulatoire/"><em>Les fondements du virage ambulatoire</em></a>. Maurice-Pierre Planel est président du Comité économique des produits de santé, organisme chargé notamment de fixer le prix des médicaments. Frédéric Varnier est directeur général adjoint de l’Institut Gustave Roussy, le centre anti-cancer parisien.</p>
<p>Ensemble, ils développent une thèse intéressante. Ce qu’on présente comme un simple « virage » constitue, selon eux, une réforme complète de notre politique de santé. Celle-ci implique en particulier de coordonner les interventions entre la médecine de ville et la médecine hospitalière tout au long des étapes de la prise en charge du patient. On peut toutefois se demander s’il ne s’agit pas, avec le « virage ambulatoire », d’habiller de grands mots une simple réduction du nombre de lits voulue pour des raisons économiques.</p>
<h2>Les citoyens veulent être pris en charge en dehors de l’hôpital, le plus possible</h2>
<p>Notre système de santé doit prendre en compte deux évolutions conjointes. Celle des besoins des citoyens : allongement de leur espérance de vie, vieillissement général de la population, dépendance accrue. Et celle de leurs souhaits : prévenir les maladies plutôt que devoir les guérir, être pris en charge en dehors de l’hôpital le plus possible, recevoir une meilleure éducation à la santé. Cela implique rien moins que la refondation du système, qui passerait notamment par le « virage ambulatoire ».</p>
<p>Ce concept mobilisé par les pouvoirs publics désigne en réalité deux choses différentes. D’une part la création de parcours de soins sans rupture entre la médecine de ville et l’hôpital. Et d’autre part, les transformations que ces parcours entraînent sur le fonctionnement de chacun de ces deux pôles de notre système de santé.</p>
<p>De nouvelles formes de prise en charge sont ainsi expérimentées à l’hôpital, telles que les interventions chirurgicales avec une hospitalisation d’un maximum de 12 heures, ou encore des soins de suite et de réadaptation assurés pour partie à domicile.</p>
<h2>La maison de santé, une rupture avec l’exercice solitaire de la médecine</h2>
<p>Des transformations sont également à l’œuvre – ou, plus souvent, envisagées – au sein de la médecine de ville. On retrouve là des pistes d’évolutions ayant en commun de rompre avec l’exercice solitaire de la médecine de ville, telle que la création de centres de santé, de maisons de santé ou de plates-formes territoriales qui informent, aident et soutiennent les médecins traitants confrontés à des patients aux pathologies complexes en vue de leur maintien à domicile.</p>
<p>Une dernière évolution, conséquence logique des deux précédentes, concerne la territorialisation de l’organisation des soins, c’est-à-dire leur adaptation aux réalités sociologiques, démographiques et spatiales d’un territoire donné. Celle-ci apparaît comme un préalable à la mise en place de ce qu’on appelle la « médecine de parcours », c’est-à-dire la prise en charge structurée et continue du patient par différents intervenants au plus près de chez lui. Elle est censée permettre de réduire les dépenses et assurer de meilleurs soins.</p>
<p>Les deux auteurs du livre cité plus haut sont des acteurs engagés dans la politique publique du « virage ambulatoire ». Maurice-Pierre Planel et Frédéric Varnier ont été conseillers de Marisol Touraine lorsqu’elle était ministre de la Santé de 2012 à 2017. Dès lors leur ouvrage apparaît aussi comme un témoignage non pas tant sur cette expérience politique – les auteurs restant très discrets sur ce point – que sur les représentations à l’œuvre parmi ces hauts fonctionnaires « passés en politique ».</p>
<p>Ces représentations se fondent sur une vision « rationnelle » de l’action publique. Dans leur esprit, ce sont les problèmes objectivement constatés, qualifiés de « défis » posés à notre système de santé, qui induisent des transformations « souhaitables » donnant sens à l’action publique. Une approche classique que les spécialistes de politique publique désignent par le terme de <em>problem solving</em>.</p>
<p>Cette approche a le mérite d’être intellectuellement rassurante car elle semble cohérente. Cependant, elle décrédibilise d’autres approches qui voient dans les politiques publiques des espaces d’affrontement entre différents intérêts. On peut lire à la fin de l’introduction du livre : </p>
<blockquote>
<p>« L’ampleur des mutations à venir constitue un défi mais aussi une chance pour qu’au niveau le plus proche des réalités de santé, chacun dépasse les grilles de lecture et postures défendues par les organisations syndicales ou représentatives et définisse une approche pragmatique des organisations de santé. » </p>
</blockquote>
<p>Or on sait que le pragmatisme est aussi une posture et que personne n’a le monopole de la rationalité.</p>
<h2>Le virage ambulatoire existe-t-il vraiment ?</h2>
<p>On peut se demander, au fond, si le « virage ambulatoire » existe vraiment, ou s’il s’agit d’une construction artificielle. Pourrait-il notamment constituer un « référentiel » comme le définit le politiste et directeur de recherche au CNRS, Pierre Muller ? Dans <em>Les politiques publiques</em> (PUF, 2015) il a écrit : </p>
<blockquote>
<p>« Élaborer une politique publique revient à construire une représentation, une image de la réalité sur laquelle on veut intervenir. C’est en référence à cette image cognitive que les acteurs vont organiser leur perception du système, confronter leurs solutions et définir leurs propositions d’action : on appellera cet ensemble d’images le référentiel d’une politique. » </p>
</blockquote>
<p>Certains passages de l’ouvrage laissent à penser qu’il faut prendre le « virage ambulatoire » au sérieux. Le « virage ambulatoire » condenserait ainsi en deux mots tout à la fois une vision des principaux défis en matière de santé publique, une manière de penser les solutions et l’axe des propositions de transformation des politiques de santé.</p>
<p>Pour autant, le « virage ambulatoire » est parfois réduit au rang d’« expression » par les auteurs qui évoquent ses contours « flous » et « une certaine ambiguïté ». On peut alors imaginer de la part des pouvoirs publics un usage plus cosmétique du terme. Le « virage » relèverait ainsi davantage d’une politique de communication permettant d’habiller de neuf de vieilles politiques, en l’occurrence pour mieux justifier des politiques contestées depuis longtemps comme la réduction du nombre de lits dans les hôpitaux.</p>
<p>Là encore, les auteurs rendent possible cette interprétation par le lecteur en écrivant : « Pour accompagner l’objectif de réduction capacitaire, les pouvoirs publics ont progressivement construit un discours sur la nécessité de promouvoir l’activité ambulatoire ». Le « virage ambulatoire » présente un aspect séduisant – qui ne souhaite pas réduire au minimum son séjour à l’hôpital ? – et « concilie ce qui, dans les esprits, paraît antinomique : la réduction des coûts et la qualité des soins ». Reste à savoir si cette conciliation est possible dans la réalité, ou simplement dans l’esprit des spécialistes de la communication.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/98413/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yves Palau ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Sortir de l’hôpital le jour même de l’opération, la plupart des patients s’en réjouissent. On peut toutefois se demander si on a affaire à une véritable réforme ou à un plan de communication.Yves Palau, Maître de conférences en science politique, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/982832018-07-03T20:12:55Z2018-07-03T20:12:55ZChirurgie de l’obésité : trop d’opérations inutiles<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/223075/original/file-20180613-32342-mo1i27.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=10%2C145%2C3444%2C2129&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">De nombreuses opérations sont pratiquées chez des personnes obèses, alors que l'intervention n'est pas pertinente. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/ShJUYkshceY">Martha Dominguez/Unsplash</a></span></figcaption></figure><p><em>Economiste de la santé, notre auteur s’intéresse aux disparités d’un établissement à l’autre, d’un praticien à l’autre, en matière de prescription de médicaments ou d’actes chirurgicaux. Dans son ouvrage <a href="https://www.economica.fr/livre-la-couteuse-inegalite-des-soins-cash-roland-kervasdoue-de-jean,fr,4,9782717869972.cfm">« La coûteuse inégalité des soins »</a>, qui vient de paraître aux éditions Economica, il se livre avec son co-auteur Roland Cash, médecin et économiste, à une analyse implacable d’un système « qui n’est pas géré ». Estimant qu’on peut faire mieux pour moins cher, en évitant notamment les actes inutiles.</em></p>
<hr>
<p>La chirurgie bariatrique est une chirurgie de l’estomac pour les patients atteints d’obésité sévère ou compliquée. Cette technique est cependant invalidante. Elle ne devrait être employée qu’en dernier ressort. Pourtant, elle est pratiquée de plus en plus largement.</p>
<p>Afin de réduire les capacités de l’estomac à contenir de la nourriture, il y a <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2018/04/13/la-chirurgie-de-l-obesite-en-5-chiffres_5284856_4355770.html">trois grands types d’intervention</a>. La première est la pose d’un anneau gastrique ajustable à l’endroit de la jonction entre l’œsophage et l’estomac, qui réduit le diamètre de « l’entrée » dans l’estomac. Cette intervention a l’avantage d’être réversible, contrairement aux autres. La deuxième intervention possible est le court-circuit gastrique ou <em>by-pass</em>. Le chirurgien établit une liaison entre le haut de l’estomac et le tube digestif, court-circuitant la majeure partie de l’estomac qui ne reçoit plus d’aliments. Troisième intervention, la <em>sleeve gastrectomy</em>, qui réduit la taille de l’estomac directement. On en enlève environ les quatre cinquièmes, pour ne conserver qu’un tube étroit.</p>
<p>Ces interventions sont mutilantes, mais pour les personnes en hyperobésité, cela permet de juguler une situation impossible à résoudre par le seul régime. Encore faut-il avoir essayé le régime auparavant ! Surtout qu’après ces interventions, le patient est obligatoirement soumis à un changement radical de ses habitudes alimentaires, et doit faire attention à ne pas subir de carences nutritionnelles.</p>
<h2>Une chirurgie réservée aux patients ayant un indice de masse corporelle élevé</h2>
<p>Les <a href="https://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_765529/fr/obesite-prise-en-charge-chirurgicale-chez-l-adulte">recommandations officielles</a> indiquent que ces interventions constituent un traitement de deuxième intention, en cas d’échec d’une prise en charge médicale, diététique et psychologique bien conduite, pendant au moins six mois. Elle concerne certains patients seulement, en fonction de leur indice de masse corporelle (IMC). L’IMC est le rapport entre le poids et la taille en mètres élevée au carré. La norme se situe entre 19 et 25. L’obésité commence à 30 ; au-delà de 35, on parle d’obésité sévère et, au-delà de 40, d’obésité morbide ou massive. Pour la chirurgie de l’obésité, l’IMC doit être supérieur à 40 – ou à 35 lorsqu’il existe des comorbidités comme un diabète, une hypertension artérielle, une apnée du sommeil.</p>
<p>Il faut aussi que la décision d’intervention soit collégiale, pluridisciplinaire et qu’un suivi de long terme soit organisé, avec prise en charge hygiéno-diététique durant toute la vie. Une autre condition est que le patient ait été informé, ait compris et accepté la nécessité du suivi de long terme. Certains hôpitaux publics ont mis en place des centres experts (centres spécialisés de l’obésité ou CSO) pour organiser tout cela. Ce n’est pas simple car de nombreuses professions de santé sont impliquées : chirurgien, médecin endocrinologue/nutritionniste, diététicienne, psychologue… Toutefois, le recours à ces centres bien organisés n’est pas obligatoire.</p>
<p>Dans ces conditions, en tout cas, la chirurgie est efficace pour réduire le poids et éviter d’autres pathologies associées sévères. Elle est particulièrement indiquée en cas de diabète de type 2, et d’IMC très élevé (supérieur à 50). Elle s’avère alors efficiente.</p>
<h2>Des effets indésirables, comme un ulcère digestif ou une perte de masse musculaire</h2>
<p>Mais il existe des effets indésirables, le plus grave étant la mortalité postopératoire (1 pour 1 000 cas opérés). On peut aussi constater un échec avec reprise de poids, des troubles psychiatriques, une gastrite, un ulcère digestif, une dénutrition, des carences vitaminiques (notamment en vitamines B1 et B12, entraînant des risques de complications neurologiques) ou une perte de masse musculaire.</p>
<p>L’Assurance Maladie l’écrit dans ses propositions pour 2018 en <a href="https://www.ameli.fr/l-assurance-maladie/statistiques-et-publications/rapports-et-periodiques/rapports-charges-produits-de-l-assurance-maladie/rapport-charges-et-produits-pour-l-annee-2018.php">vue « d’améliorer la qualité du système de santé et maîtriser les dépenses »</a> : « En France, sur les 50 000 patients opérés chaque année, un sur deux est perdu de vue deux ans après l’intervention ou fait l’objet d’un mauvais suivi, ce qui induit un échec thérapeutique à moyen ou long terme avec une reprise de poids significative, une dégradation de l’état de santé et des complications tardives. »</p>
<p>Malgré ces problèmes, la chirurgie bariatrique s’est fortement développée dans les années 1990, et malgré une campagne active de l’Assurance maladie pour freiner certains excès, ces activités <a href="http://www.europe1.fr/societe/journee-europeenne-de-lobesite-le-nombre-de-chirurgies-en-forte-hausse-en-france-3656588">sont reparties à la hausse</a>.</p>
<p>La pose d’anneaux gastriques ajustables, technique réversible, recule au profit des interventions de <em>by-pass</em> et surtout de <em>sleeve gastrectomy</em>. Très peu pratiquées en 2006, ces dernières représentent la grande majorité des interventions en 2015. Les anneaux représentent 6 % des interventions en 2015, selon les données tirées du Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI), tous régimes confondus.</p>
<h2>Un nombre d’interventions multiplié par trois entre 2001 et 2015</h2>
<p>La croissance moyenne est de 16 % par an, tous actes confondus. Le nombre d’interventions annuelles a été multiplié par trois entre 2001 et 2015, passant de 16 000 à 50 000 par an – sachant qu’un séjour hospitalier pour une telle intervention coûtait en 2015 en moyenne 5 371 euros à l’hôpital public. On compte en France un demi-million de personnes ayant subi une intervention de chirurgie bariatrique. Ce phénomène est à mettre en regard de la prévalence de l’obésité, qui n’augmente que de 6 % par an.</p>
<p>On notera que la France est l’un des pays avec le plus fort taux d’interventions pour obésité par habitant : 6,5/10 000 habitants en 2013 (contre 3 en 2003). C’est six fois plus qu’en Allemagne ou au Royaume-Uni, qui ont pourtant des prévalences de l’obésité chez l’adulte supérieures à celle de la France. La proportion est en effet de 17 % en France, 23,6 % en Allemagne, 26,9 % au Royaume-Uni, 38,2 % aux États-Unis, en 2015, d’après le Panorama de la santé 2017 de l’OCDE. Nous dépassons même les États-Unis ! Seules la Suède et la Belgique ont des taux supérieurs aux taux français.</p>
<p>On observe en France de fortes disparités régionales dans le taux de recours à la chirurgie bariatrique, comme montré dans l’<a href="http://www.irdes.fr/recherche/ouvrages/002-atlas-des-variations-de-pratiques-medicales-recours-a-dix-interventions-chirurgicales.pdf">Atlas 2016 des variations de pratiques médicales</a> publié par l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (Irdes).</p>
<p>En 2014, toutes techniques chirurgicales confondues, les taux de recours standardisés varient de 8 séjours pour 100 000 habitants en Guyane et 24 dans le Puy-de-Dôme à plus de 140 dans l’Yonne et l’Aube, et 170 en Haute-Corse. Soit un rapport entre les extrêmes de 1 à 21 ! Le taux de recours moyen au niveau national est de 72.</p>
<p>Ces disparités sont sans relation directe avec la fréquence de l’obésité dans la zone concernée. On constate par exemple un très fort taux d’interventions dans le Sud Est de la France, une des régions les moins touchées par l’obésité. On peut supposer que certaines indications sont excessives, c’est-à-dire que des patients sont opérés alors qu’ils ne répondent pas aux critères médicaux.</p>
<p>À noter que 66 % des actes sont effectués en secteur privé, dont le suivi postopératoire est moins bien organisé que dans le secteur public.</p>
<h2>Un suivi problématique après l’opération</h2>
<p>Par ailleurs, l’Assurance maladie observe que la supplémentation nutritionnelle et vitaminique (fer, calcium, vitamine D…), nécessaire après ce type de chirurgie, est insuffisante chez les patients opérés. De fait, le suivi de long terme est problématique. Seuls 14 % des personnes opérées ont un bon suivi à 5 ans, 50 % un suivi moyen (avec quelques lacunes) et 36 % un mauvais suivi, selon la CNAMTS. L’Académie nationale de médecine propose à ce sujet de <a href="http://www.academie-medecine.fr/ameliorer-le-suivi-des-patients-apres-chirurgie-bariatrique/">mobiliser davantage les médecins généralistes</a>, avant même l’opération, pour organiser le parcours de ces patients.</p>
<p>La CNAMTS s’est aussi intéressée au cas des mineurs. 114 interventions en 2013 ont été observées entre 11 et 17 ans, auxquelles s’ajoutent 640 interventions chez les jeunes adultes (18 et 19 ans). C’est peu mais c’est encore trop, la Haute autorité de santé indiquant que la pratique de cette chirurgie chez l’adolescent <a href="https://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2016-03/fm_chirurgie_bariatrique__v3_2.pdf">n’est pas recommandée</a>. Précisément, elle ne peut être envisagée que dans le cadre d’une prise en charge pluriprofessionnelle régulière réalisée en lien avec un centre spécialisé de l’obésité ayant une compétence pédiatrique, avec une bonne observance de l’adolescent et de son entourage pendant une durée de 1 à 2 ans. En cas d’échec de la prise en charge pluriprofessionnelle et de demande exprimée par le patient, sa famille ou son médecin, la chirurgie bariatrique peut être envisagée si le patient répond à certains critères d’éligibilité.</p>
<p>Dans les autres pays, les interventions chez les mineurs sont beaucoup plus encadrées, voire interdites. Au vu des critères cités plus haut, auxquels s’ajoutent des critères sur l’organisation et le suivi de l’adolescent après l’intervention (avec éducation diététique, conseils sur l’activité physique, accompagnement psychologique), on ne devrait avoir en France qu’une dizaine de cas par an.</p>
<p>La probabilité de se faire opérer est très variable selon la région de domicile et l’établissement concerné. Ces disparités sont un indice, généralement probant, que certains des actes réalisés sont injustifiés. Ainsi, il est clair que de nombreuses interventions de chirurgie bariatrique ne sont pas pertinentes. Et, quand elles le sont, elles ne sont pas assorties <a href="https://www.lequotidiendumedecin.fr/actualites/article/2018/01/31/chirurgie-bariatrique-les-experts-rassembles-par-lacademie-de-medecine-alertent-sur-les-dangers-du-manque-de-suivi_854703">du suivi nutritionnel indispensable</a>. Éviter ces opérations inutiles serait à la fois bénéfique pour les patients concernés et induirait d’importantes économies pour notre système de santé.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/98283/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean de Kervasdoué est membre du conseil de l'Institut Montsouris (établissement de santé parisien) et membre du conseil de la fondation de Médecins du Monde.</span></em></p>La réduction de la taille de l’estomac ou la réalisation d’une dérivation des aliments sont des interventions lourdes. Elles sont aujourd’hui pratiquées en trop grand nombre en France.Jean de Kervasdoué, Professeur d'économie de la santé, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/966572018-05-22T20:43:57Z2018-05-22T20:43:57ZDébat : Le remboursement des séances chez le psychologue est une fausse bonne idée<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/219729/original/file-20180521-14960-r37fiv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=51%2C146%2C5760%2C3673&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un dispositif expérimental permet actuellement aux patients d'obtenir le remboursement pour des séances chez le psychologue. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/loving-pleasant-couple-holding-their-hands-583827136?src=QqwqpfdLYZsB54-h1-9UPg-1-0">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>L’Assurance maladie entrouvre la porte du remboursement pour les séances chez un psychologue. Il s’agit pour l’instant d’une expérimentation, lancée pour une période de 4 ans dans quatre départements : le <a href="https://www.francetvinfo.fr/sante/patient/droits-et-demarches/remboursement-des-consultations-chez-le-psychologue-le-oui-mais-des-professionnels_2722709.html">Morbihan</a> (depuis février), les <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/bouches-du-rhone/remboursement-consultations-psychologue-test-bouches-du-rhone-1467823.html">Bouches-du-Rhône</a> et la Haute-Garonne (depuis mai) et les Landes (à l’automne).</p>
<p>Les psychologues réclamaient une telle mesure depuis longtemps. En effet, leurs actes de psychothérapie ne sont pas remboursés aux patients par l’Assurance maladie. Or les mêmes actes, réalisés cette fois par des psychiatres, peuvent être pris en charge – au moins pour partie – du fait de leur qualité de médecin. Non pas officiellement, car ces actes ne peuvent pas être côtés en tant que tels. Mais officieusement, les psychiatres les « déguisant » sous des actes de consultation psychiatrique.</p>
<p>Aussi, le dispositif actuellement expérimenté en France paraît séduisant, aussi bien pour les psychologues que pour les citoyens. À y regarder de plus près, il apparaît comme dangereux pour l’évolution de la rémunération de ces actes pour les professionnels et pour la qualité des soins reçus par les patients.</p>
<h2>Des patients qui se rendent chez le psychiatre pour leur psychothérapie</h2>
<p>Pour les patients, le coût d’une séance avec un psychologue dans le système actuel est la plupart du temps supérieur à celui d’une consultation chez le psychiatre. Aussi bon nombre d’entre eux se rendent chez le psychiatre pour leur psychothérapie. Aux yeux des psychologues, cette différence constitue une concurrence déloyale qui réduit l’accès à leur expertise, en plus d’être source d’une différence de rémunération notable.</p>
<p>Certains patients se trouvent dans un contexte de désert médical, avec très peu d’offres médicales alternatives aux psychologues. De manière générale, les psychologues sont régulièrement confrontés à des patients nécessitant une psychothérapie mais n’ayant pas les moyens de la financer.</p>
<p>Par ailleurs, des thérapies telles que les <a href="http://www.psycom.org/Espace-Presse/Actualites-du-Psycom/Nouvelle-version-de-la-brochure-Therapie-comportementale-et-cognitive-TCC">thérapies comportementales et cognitives</a> ont montré scientifiquement leur efficacité dans des maladies comme les troubles anxieux, les troubles obsessionnels et compulsifs ou la dépression légère à modérée, ainsi que dans la prévention de la rechute. Il est illogique qu’elles ne soient pas reconnues par l’Assurance maladie au même titre qu’une prise en charge par des médicaments, parfois sources d’effets indésirables. Il est donc compréhensible que les psychologues demandent à la fois la reconnaissance de leurs actes et leur remboursement.</p>
<h2>La dérive vers un fonctionnement purement administratif de notre système de soins</h2>
<p>Alors que l’Assurance maladie devrait se contenter de rembourser les patients selon une quote-part négociée contractuellement, cet organisme tente désormais de diriger les soins. En 2016, la <a href="http://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/280116_dp_loi-de-sante.pdf">loi de modernisation du système de santé</a> portée par la ministre d’alors, Marisol Touraine, a institué l’État en garant des soins, lui donnant le contrôle sur la manière de les délivrer. Ainsi l’Assurance maladie et l’État régissent désormais la façon d’exercer des médecins et ce, avec une vision comptable.</p>
<p>Cette dérive a eu plusieurs conséquences néfastes avérées. Les soignants sont englués dans les tâches administratives, comme montré dans mon livre publié en 2016, <a href="https://www.alternativesante.fr/medecine/medecine-en-danger-qui-pour-nous-soigner-demain"><em>Médecine en danger, qui pour nous soigner demain ?</em></a> (Editions First). Ils peuvent se retrouver sanctionnés pour des délits… purement statistiques. Par exemple, un généraliste de Dunkerque (Nord) a été mis sous surveillance l’an dernier par la Caisse d’assurance maladie des Flandres pour avoir prescrit <a href="http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2017/06/30/20002-20170630ARTFIG00145-un-medecin-delivre-4200-jours-d-arret-maladie8230-en-4-mois.php">trop d’arrêts de travail comparé à la moyenne de son secteur</a>. En théorie il encourt même une amende, voire une interdiction d’exercer pendant trois mois prononcée de façon unilatérale.</p>
<p>La relation entre le médecin et le malade s’est altérée. Elle est devenue consumériste, avec un patient qui consomme des soins comme il se rendrait chez le coiffeur ou chez l’esthéticienne. On ne peut s’empêcher d’y voir un lien avec l’augmentation des consultations non honorées par les patients et <a href="https://www.francebleu.fr/infos/societe/108-agressions-de-medecins-dans-le-nord-en-2017-je-n-ai-pas-peur-affirme-un-generaliste-victime-de-1523025679">des violences envers les soignants</a>.</p>
<h2>Une crise des vocations chez les médecins libéraux</h2>
<p>Aujourd’hui, on assiste à une crise des vocations chez nombre de médecins exerçant en libéral, en <a href="http://www.leparisien.fr/economie/qui-nous-soignera-demain-25-09-2017-7284090.php">particulier les généralistes</a>. Certains vont jusqu’à envisager, pour retrouver leur liberté, de quitter la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM).</p>
<p>L’une des possibilités consiste à s’installer à l’étranger, la Suisse par exemple <a href="https://www.francetvinfo.fr/sante/professions-medicales/sante-les-medecins-francais-s-exilent-en-suisse_2498925.html">attirant aussi bien des généralistes que des chirurgiens français</a>. L’autre option est de passer en « secteur 3 », secteur libre et non contractuel avec la CPAM – les actes étant entièrement à la charge des patients.</p>
<p>Dans l’expérimentation actuelle concernant les actes des psychologues, on retrouve la logique administrative et comptable à l’origine d’une crise des vocations chez certains médecins. En effet, la CPAM a instauré des conditions précises pour le remboursement des consultations.</p>
<ul>
<li><p>Le prix des consultations est de 22 euros la demi-heure et 32 euros les 45 minutes, sans dépassement d’honoraires.</p></li>
<li><p>Ces consultations s’effectuent uniquement sur la prescription préalable d’un médecin.</p></li>
<li><p>La première consultation est de 45 minutes.</p></li>
<li><p>Ensuite, le patient bénéficie de 10 consultations de 30 minutes, avec un rapport du psychologue à envoyer au médecin.</p></li>
<li><p>Si les soins doivent être poursuivis, sur avis du médecin, le psychologue peut proposer 10 nouvelles consultations de 45 minutes chacune.</p></li>
</ul>
<h2>Un encadrement très strict des remboursements</h2>
<p>À la lumière de ces règles, on peut qualifier l’encadrement de très strict. En effet, la CPAM ne propose pas un remboursement souple en fonction des besoins du patient, mais un remboursement qui contrôle à la fois le volume d’activité et les tarifs. Par ailleurs, les tarifs des consultations sont fondés sur la rémunération des psychologues exerçant à l’hôpital. Or cette rémunération est très basse, comparé aux tarifs pratiqués dans la réalité.</p>
<p>Pendant longtemps, d’ailleurs, les psychologues salariés de l’hôpital public compensaient le bas niveau de leur rémunération en détournant le temps libre prévu dans leur statut pour la formation, l’information et la recherche (sous l’acronyme FIR) pour une activité plus rémunératrice, par exemple des consultations privées. Ce temps FIR est aujourd’hui très encadré.</p>
<p>La rémunération proposée aux psychologues libéraux ne tient pas compte du fait qu’à l’hôpital, le temps consacré à d’autres tâches que la consultation est payé.</p>
<h2>Un dispositif aussi tentant que la pomme tendu à Ève par le serpent</h2>
<p>Pour les psychologues, ce dispositif encore expérimental est aussi tentant que la pomme tendue à Ève par le serpent dans les jardins du paradis. Cependant, il s’inscrit à l’envers de l’Histoire, au moment où les soignants et l’Assurance maladie s’affrontent, au point que certains rêveraient de pouvoir s’en affranchir.</p>
<p>Les psychologues ont longtemps désiré rentrer dans le système pour que l’on reconnaisse mieux leurs compétences, comme c’est le cas pour les psychiatres. Aujourd’hui l’Assurance maladie leur dit « oui, mais… » en leur proposant, au fond, d’être de simples employés de santé à qui elle donnerait la pièce pour leurs bons services.</p>
<p>Les psychologues, comme tous ceux qui exercent dans les métiers du soin, ne peuvent mettre toute leur attention au service des patients s’ils exercent dans des conditions difficiles. Ils ont besoin, aussi, que l’État les aide à ce que leur pratique soit considérée afin de garantir une relation de qualité avec le patient, seule efficace.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/96657/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Christophe Seznec est médecin psychiatre exerçant en libéral. Il a reçu, au cours des trois dernières années, des financements du laboratoire pharmaceutique Lilly France SAS pour sa participation en tant qu'orateur à des réunions scientifiques. </span></em></p>Dans quatre départements, les séances chez le psychologue sont remboursées à titre expérimental. Mais le dispositif, très encadré, est-il vraiment bénéfique pour les patients et les psychologues ?Jean-Christophe Seznec, Psychiatre, chercheur Inserm sur les troubles du comportement alimentaire chez l'adolescent, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/954842018-05-06T20:10:24Z2018-05-06T20:10:24ZLa modification des pratiques et des règles par les big data en santé dans un contexte mondialisé<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/216823/original/file-20180430-135851-dwvhfn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=53%2C0%2C6000%2C3979&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'entrée dans l'ère des mégadonnées change la manière de prévenir et de traiter les maladies, exigeant la définition de nouvelles règles. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/network-internet-331483583">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>La collecte, le traitement et l’emploi des mégadonnées sont en train, <em>via</em> les techniques du numérique, de modifier les pratiques dans le domaine de la santé ainsi que leurs modalités de régulation normative. Le projet que nous menons sur ces <a href="https://theconversation.com/fr/topics/big-data-23298"><em>big data</em></a>, à l’Institut des Sciences juridique et philosophique de la Sorbonne (ISJPS), ambitionne d’analyser ces évolutions.</p>
<h2>Une politique volontariste tant française qu’européenne</h2>
<p>Ces évolutions sont encouragées par une politique volontariste tant au niveau national qu’européen dans l’objectif d’améliorer les connaissances sur les maladies et les moyens de les soigner. <strong>L’Etat français</strong> défend une politique publique qui se traduit depuis 2012 par le choix de lier ce qu’il appelle les « Stratégies », Stratégie de recherche, Stratégie de santé, <a href="http://www.economie.gouv.fr/files/files/PDF/industrie-du-futur_dp.pdf#page=37">Stratégie des industries de santé</a>, Stratégie numérique, <a href="http://solidarites-sante.gouv.fr/systeme-de-sante-et-medico-social/recherche-et-innovation/france-genomique">Plan France médecine génomique 2025</a> et plus récemment <a href="https://www.economie.gouv.fr/strategie-intelligence-artificielle-France-IA">Stratégie nationale en intelligence artificielle</a>, en vue de mieux les articuler entre elles. Elles entendent accélérer le <a href="http://www.social-sante.gouv.fr/IMG/pdf/Note_de_synthese_csis.pdf">passage des nouvelles connaissances à leur application aux malades</a> et faire de « la recherche un levier de croissance et de compétitivité en irriguant la filière par l’innovation ».</p>
<p>Outre les malades, il s’agit aussi de s’adresser aux bien-portants pour les inciter à prendre en charge leur santé dans l’espoir qu’ils ne deviendront pas malades, évitant ainsi des dépenses de soins. Dans un contexte de vieillissement de la population et de restrictions des financements sociaux, l’accent est mis sur les bénéfices attendus du développement de la santé mobile. Ainsi, en France, la santé et le bien-être ont-ils été reconnus comme l’un <a href="http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid78802/strategie-nationale-de-recherche-bilan-des-travaux-des-10-ateliers.html">des dix grands défis</a> des décennies à venir, visant les personnes en bonne santé.</p>
<p><strong>Quant à l’Union européenne</strong>, elle a, dans son <a href="https://ec.europa.eu/digital-single-market/news/green-paper-mobile-health-mhealth">Livre vert sur la santé mobile</a> publié en 2014, porté sa réflexion sur le développement de la santé mobile qui « contribuerait à rendre les patients […] plus responsables de leur santé à l’aide de capteurs qui détectent et communiquent les signes vitaux, et d’applications mobiles qui encouragent à respecter régime alimentaire et prescription ».</p>
<h2>Des données très hétérogènes issues de sources multiples</h2>
<p>En France, les <em>big data</em> en santé sont issues de sources multiples, qui les collectent pour des finalités diverses. Ces données sont de types différents. Jusqu’à il y a peu, on n’avait affaire qu’à des données de nature médicale stockées dans différents fichiers et systèmes, recueillies par des professionnels et des établissements de santé ou par les organismes de sécurité sociale à l’occasion d’épisodes de soins ponctuels : données médicales issues de pratiques de soins mais aussi de pratiques de recherche (suivi de cohortes, recherches cliniques…) ; données médico-administratives pour gérer, contrôler, autoriser, payer (résumés de séjours hospitaliers (PMSI), feuilles de soins ou décomptes de l’assurance maladie…) les soins.</p>
<p>Or en la matière, la France dispose d’une gigantesque base de données du fait de l’existence d’un système centralisé de protection médico‐sociale couvrant l’ensemble de la population : le <a href="http://www.ameli.fr/l-assurance-maladie/statistiques-et-publications/sniiram/chiffres-cles.php">Système national d’information interrégimes de l’assurance maladie</a> (SNIIRAM). Il concerne 57 millions de personnes (soit 86 % de la population) et enregistre tous les remboursements de chaque bénéficiaire tout au long de sa vie.</p>
<p>Les sources de données se caractérisent également par leur très grande hétérogénéité : elles peuvent être de nature sociale, clinique, physiologique, biologique, génomique ; il peut s’agir de prescriptions, d’images, de résultats d’examens, de prélèvements, de comptes-rendus, de séquences génomiques ; enfin, elles sont dispersées dans plusieurs systèmes d’information : ceux des établissements de santé, des laboratoires de recherche, et les bases de données publiques.</p>
<p>Désormais il est également nécessaire de prendre en considération les données sans caractère médical issues des personnes elles-mêmes, qui ne sont pas produites par les professionnels de santé, mais à l’occasion d’interactions permanentes soit entre personnes, soit avec des entreprises ; il s’agit, d’une part, des pratiques développées dans des communautés de malades qui, par l’intermédiaire des réseaux sociaux, recherchent des informations utiles et du soutien ; d’autre part, des pratiques individuelles, grâce à des applications « bien-être » et « santé » de plus en plus souvent corrélées à des objets connectés à la personne.</p>
<p>Ces applications sont proposées par le biais d’Internet et capturent un certain nombre de variables relatives aux activités physiques, à la nutrition, au poids, au rythme cardiaque, au sommeil, à l’humeur, etc. Leur particularité est d’être en accès direct, sans passer par les médecins.</p>
<h2>Des transformations sociales par les big data dans les domaines des soins, de la prévention et de la recherche</h2>
<p>Sans pouvoir prédire en quoi elles consisteront exactement, il est cependant d’ores et déjà possible de mettre en exergue les transformations sociales à l’œuvre du fait de l’utilisation des <em>big data</em> en santé, dans trois grands domaines – le diagnostic, les traitements et les soins, la prévention et la recherche médicale – et de s’interroger sur les changements induits du point de vue de leur organisation et par voie de conséquence, sur les nouvelles modalités de régulation normative qui en découleront.</p>
<p><strong>En matière de diagnostic, de traitements et de soins</strong>, une des questions centrales qui va se poser est celle de la <a href="http://www.lechappee.org/collections/pour-en-finir-avec/la-vie-algorithmique">délégation à des algorithmes</a> de décisions prises jusque-là par des professionnels, et, ce d’autant plus, qu’ils seront couplés à des logiciels incluant de l’intelligence artificielle comme outil d’aide au diagnostic. Si un algorithme est une méthode qui permet de produire des informations issues d’une masse gigantesque de données), quant à elle, regroupe un très grand nombre d’algorithmes capables de se mettre à jour et d’évoluer seuls, en dehors de toute programmation. La spécificité de l’intelligence artificielle réside dans le fait que la machine apprend à chercher des solutions qui n’existent pas, alors que l’on ne sait pas comment elle procède.</p>
<p><a href="https://ai100.stanford.edu/2016-report">Les applications susceptibles de se développer</a> porteraient sur l’aide à la décision médicale, la surveillance des patients, l’assistance chirurgicale par robots. Elles poseraient la question centrale de la responsabilité de la prise de décision : qui contrôle ce que la machine invente ? Comment savoir si le diagnostic ou le traitement sont pertinents ? Selon quelles règles serait appréciée une éventuelle responsabilité si, l’un comme l’autre se révélant inadéquats, il en résulterait un dommage pour le patient.</p>
<p><strong>En ce qui concerne la prévention</strong>, la prise en compte de nouvelles données et d’indicateurs de bien-être, mais aussi la discussion normative sur le choix de ces indicateurs et la pertinence des données, est une des questions les plus brûlantes concernant les <em>big data</em>. Parallèlement, on constate le développement d’offres émanant d’acteurs de l’Internet, des applications et des objets connectés, offres sous-tendues par la promotion de la santé et la prévention des maladies.</p>
<p>Ces offres sont explicitement fondées sur l’incitation des citoyens à améliorer leur hygiène de vie en vue d’éviter l’apparition de maladies. Elles présentent deux caractéristiques essentielles :</p>
<ul>
<li><p>le type de prévention dont il s’agit ne s’inscrit pas dans une approche de santé publique, qui permet de réduire l’exposition aux risques de maladie et de handicap, mais fait peser sur les personnes l’entière responsabilité de la prévention ;</p></li>
<li><p>la particularité de ces différents outils proposés à des personnes non malades est d’être en accès direct, sans passer par les médecins.</p></li>
</ul>
<p>Les conséquences de cette situation sont les suivantes : leur utilisation n’est pas prise en charge au titre de l’assurance maladie puisqu’il ne s’agit pas d’une modalité de soins ; ce sont les règles du droit commercial et du droit de l’Internet qui s’appliquent et non pas les modalités habituelles de la protection de la relation patient-médecin. Ces connexions sont caractérisées par leur rapidité et leur mise en lien entre des systèmes qui, pour la plupart, sont gérés par les géants de l’Internet Google, Apple, Facebook ou Amazon – désignés sous l’acronyme GAFAM – si bien que ces connexions sont régies par les règles du droit américain.</p>
<p>Une interconnexion entre ces données de santé et les données médicales concernant une même personne est-elle envisageable, réalisable et souhaitable, un des risques à ne pas écarter étant une surveillance accrue des comportements ?</p>
<p>Quant à <strong>la recherche médicale</strong> (recherches biomédicales, génétiques, épidémiologiques) associée aux <em>big data</em>, elle se caractérise par sa réalisation dans un contexte mondialisé basé sur le partage des données cliniques et génétiques. Une des conséquences est la constitution d’alliances au niveau mondial réunissant les laboratoires pharmaceutiques, les milieux académiques et scientifiques. Afin de surmonter les disparités de règles, leur objectif est de définir progressivement un cadre commun dont le contenu est déterritorialisé, mais reconnu par les acteurs qui s’en sont dotés comme constituant des règles pertinentes qu’ils s’engagent à suivre.</p>
<p>À travers son projet lancé en 2017, notre équipe de l’Institut des sciences juridiques et philosophiques de la Sorbonne (université Paris 1 Panthéon Sorbonne) analyse, au travers de l’ensemble des pratiques dans le champ de la santé, comment les technologies du numérique bouleversent à la fois leur organisation et leur légitimité et comment elles mettent à mal les modes traditionnels de régulation éthique, déontologique et légale de ces pratiques.</p>
<p>Nous travaillons aussi à identifier comment ces techniques, en connectant à distance des personnes de manière déterritorialisée, mettent en cause les normes juridiques habituellement applicables pour des activités s’exerçant sur le territoire où elles vivent.</p>
<p>À l’issue de nos travaux, nous entendons proposer une analyse de la manière dont ces technologies développées historiquement aux États-Unis redistribuent les cartes dans le champ de la santé (privilégiant de nouveaux intérêts au détriment de ceux actuels) et obligent aussi bien l’Union européenne que la France à modifier ses normes pour s’adapter à ce nouveau contexte, tout en essayant de sauvegarder ses spécificités.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/95484/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dominique Thouvenin co-dirige le projet "Les big data en santé, pluralité des normativités et mutations des systèmes de droit dans un contexte mondialisé" à l'ISJPS, mené en collaboration avec MGEN. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Christine Noiville fait partie de l'équipe du projet "Les big data en santé, pluralité des normativités et mutations des systèmes de droit dans un contexte mondialisé" à l'ISJPS, mené en collaboration avec MGEN. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Picavet fait partie de l'équipe du projet "Les big data en santé, pluralité des normativités et mutations des systèmes de droit dans un contexte mondialisé" à l'ISJPS, mené en collaboration avec MGEN. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Joël Moret-Bailly co-dirige le projet "Les big data en santé, pluralité des normativités et mutations des systèmes de droit dans un contexte mondialisé" à l'ISJPS, mené en collaboration avec MGEN.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Sandra Laugier fait partie de l'équipe du projet "Les big data en santé, pluralité des normativités et mutations des systèmes de droit dans un contexte mondialisé" à l'ISJPS, mené en collaboration avec MGEN. </span></em></p>L’utilisation des mégadonnées dans les divers champs de la santé bouleverse les pratiques. Il est donc nécessaire que la France comme l’Europe définissent de nouvelles règles.Dominique Thouvenin, Professeure émérite de droit privé et spécialiste de la santé, École des hautes études en santé publique (EHESP) Christine Noiville, Juriste, directeur de recherche CNRS, Institut des Sciences Juridique et Philosophique de la Sorbonne, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneEmmanuel Picavet, Professeur d'éthique appliquée, chercheur à l'Institut des Sciences Juridique et Philosophique de la Sorbonne, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneJoël Moret-Bailly, Professeur de droit privé à l’Université de Saint Etienne, Centre de recherches critiques sur le droit, Chercheur associé à l’ISJPS, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneSandra Laugier, Professeur de philosophie du langage, chercheur à l'Institut des Sciences Juridique et Philosophique de la Sorbonne, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/929502018-04-04T19:58:51Z2018-04-04T19:58:51ZDébat : Les données de notre santé doivent rester confidentielles<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/211241/original/file-20180320-80634-1w6em7p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C521%2C5607%2C3203&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'accès aux données de l'Assurance maladie ou des hôpitaux, même rendues anonymes, fait courir un risque pour la protection de la vie privée. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/patient-paying-medical-consultation-141930811?src=yTAqCcNT2dzQ_TjCcDqzSQ-1-24">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Où vont les données que nous produisons lorsque nous nous soignons ? Les noms et la quantité des médicaments que nous prenons à la pharmacie, les actes réalisés par l’infirmier ou le médecin lorsque nous nous rendons aux urgences ? Qui les utilise, et de quelle façon ?</p>
<p>Le mouvement général en faveur de l’ouverture des données, ou <em>open data</em>, se renforce, dans un objectif de transparence et surtout d’avancées pour la recherche en santé publique. Il vise notamment à mieux prévenir les crises sanitaires, par exemple en repérant le plus tôt possible les effets indésirables liés à un médicament.</p>
<p>Le système actuel rend public un grand nombre de données de santé, après les avoir rendues anonymes. Se pose néanmoins la question de leur réelle confidentialité. C’est l’un des sujets actuellement débattu dans les États généraux de la bioéthique, notamment à travers la consultation en ligne ouverte jusqu’au 1<sup>er</sup> mai. « Comment concilier des objectifs, antinomiques en apparence, de protection de la vie privée et de contribution à l’intérêt collectif ? » : tout citoyen peut <a href="https://etatsgenerauxdelabioethique.fr/project/intelligence-artificielle-et-donnees-de-sante/presentation/presentation-9">y poster ses propositions sur ce thème</a>.</p>
<h2>Les soins remboursés via la carte Vitale, les actes réalisés à l’hôpital</h2>
<p>Le principe de l’ouverture des données consiste à mettre à la disposition de tous les citoyens des données relevant de la vie publique. Celles sur la santé en font partie. Beaucoup sont issues des remboursements de soins via la carte Vitale et du codage des actes réalisés à l’hôpital. Elles sont d’ores et déjà regroupées en totalité dans un seul système, le Système national d’information interrégimes de l’Assurance maladie (SNIIRAM). Un autre système, le Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI), offre également un fichier très étoffé, contenant des données sur les ressources et l’activité des établissements de soins.</p>
<p>Il en existe un troisième, plus récent, le Système national des données de santé (SNDS). Créé en 2016 par la loi de modernisation de notre système de santé, c’est un métafichier, autrement dit un fichier de fichiers, institué pour mettre à la disposition des chercheurs un certain nombre de données de santé. Celles-ci sont rendues anonymes, le but affiché étant de ne pas nuire aux personnes dont il est question. Elles peuvent aussi être réutilisées par des établissements publics ou des entreprises privées, à l’exception de celles relevant du commerce d’assurance et de l’industrie pharmaceutique.</p>
<p>En pratique, cela revient à regrouper en un seul lieu les informations émanant des feuilles de soins gérées par l’Assurance maladie, des données hospitalières, des données liées au handicap et un échantillon des données provenant des organismes de garantie complémentaire (les mutuelles), ainsi que des actes de décès.</p>
<h2>Le respect de la confidentialité de nos données personnelles de santé</h2>
<p>Dans un tel système, la confidentialité de nos données personnelles de santé est-elle assurée ? Le principe d’un contrôle <em>a posteriori</em> du respect de cette confidentialité a été retenu par le législateur. La Cour des comptes a publié en mai 2016, après la loi de modernisation, un <a href="https://www.ccomptes.fr/fr/publications/les-donnees-personnelles-de-sante-gerees-par-lassurance-maladie">rapport</a> sur les données personnelles de santé gérées par l’Assurance maladie. Elle se disait favorable à ce mode de contrôle « s’appuyant sur des sanctions renforcées et faisant notamment l’objet d’un rapport annuel au Parlement de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) ».</p>
<p>Le 27 février, la <a href="https://www.cnil.fr/fr/sniiram-la-cnamts-mise-en-demeure-pour-des-manquements-la-securite-des-donnees">CNIL</a> a mis en demeure l’Assurance maladie de « renforcer la sécurisation » de la base SNIIRAM dans les trois mois, en raison de ses insuffisances. Un mois plus tôt, cependant, la présidente de la CNIL, Isabelle Falque-Pierrotinelle, regrettait le <a href="http://premium.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2018/01/22/32001-20180122ARTFIG00326-isabelle-falque-pierrotin-la-cnil-manque-de-moyens-face-a-ses-nouvelles-missions.php">manque de moyens</a> pour faire face aux missions qui lui étaient confiées.</p>
<p>Aujourd’hui, l’anonymat apparaît difficile à garantir, dans les faits, au citoyen. Pour l’élaboration de la loi créant le SNDS, l’inspecteur général des affaires sociales (IGAS) Pierre-Louis Bras avait rendu en 2013 <a href="http://www.drees.sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport-donnees-de-sante-2013.pdf">son rapport sur les données de santé</a>. Il remarquait qu’« en croisant certaines informations, on peut identifier des personnes connues par ailleurs ». Et insistait sur le fait que, dès lors que les données présentaient un risque pour les patients d’être ré-identifiés, l’accès devait en être restreint. Il écrivait ainsi (page 29) :</p>
<p>« Même si le risque de réidentification ne doit pas être majoré, il est indéniable que ce risque existe et ne permet pas d’envisager un accès libre à l’ensemble des données du système d’information. Il ne fait aucun doute en particulier […] aux dires des experts rencontrés par la mission IGAS, que les données individuelles exhaustives du système d’information, associant soins hospitaliers et ambulatoires [NDLR : c’est-à-dire les soins avec des nuits passées à l’hôpital et les soins sans], permettent d’identifier une grande proportion des personnes présentes dans la base pour qui en connaît – même approximativement – l’âge, l’adresse, la nature et la date de certains soins et éventuellement la date du décès. De sorte qu’un tiers disposant de ces informations peut apprendre pour quelles maladies ces personnes ont reçu des soins. »</p>
<p>La commission <em>open data</em> en santé avait à son tour, en 2014, remis <a href="http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/144000397.pdf">son rapport</a> à la ministre de l’époque, Marisol Touraine. Celui-ci était favorable au « principe d’ouverture par défaut des données anonymes, sauf exception motivée ». À propos des possibilités de ré-identification, la commission concluait : « Le risque de mésusage n’est pas considéré comme un motif de non-publication ». Et par là-même, reconnaissait l’existence de ce risque.</p>
<h2>Eviter des scandales comme celui du Mediator</h2>
<p>Les promoteurs de l’<em>open data</em> défendent, non sans raison, une certaine idée de la santé publique, promettant que l’analyse des données permettra d’éviter des scandales comme celui du Médiator. L’accès aux « données administratives de l’Assurance maladie » était déjà, en 2014, une recommandation de la <a href="http://www.prescrire.org/fr/3/31/49374/0/NewsDetails.aspx">revue médicale indépendante <em>Prescrire</em></a> pour que les victimes du médicament puisse étayer leur action en justice. En outre, cet accès aux données permettrait de mieux mesurer le poids de chaque pathologie dans la population et son coût pour le système de santé.</p>
<p>Robert Madelin, alors conseiller spécial sur les questions d’innovation à la Commission européenne, se demandait en 2015 s’il était éthique de refuser de partager des données personnelles dans des domaines comme la recherche médicale. <a href="https://www.euractiv.fr/section/economie/news/l-inquietude-sur-les-donnees-personnelles-est-elle-excessive/">Sur le site du média européen Euractiv</a>, il affirmait : « Si le stockage des mégadonnées, plus mon génome, plus le génome de tout le monde peut sauver des vies, ai-je le droit de dire “Non, je ne veux pas partager mon génome avec la société” ? »</p>
<p>En revanche, il faudrait, toujours selon lui, imposer des limites aux variations de primes d’assurance que l’accès aux données de santé ne manquera pas d’entraîner. Ainsi, pour Robert Madelin, il est acquis que les assureurs connaîtront nos données de santé et que certaines personnes en pâtiront.</p>
<h2>Des remboursements modulés selon les citoyens</h2>
<p>Aujourd’hui, de nombreuses questions se posent. Les données de santé issues du SNDS peuvent être recoupées avec celles de nombreuses autres sources, par exemple des smartphones ou des pèse-personnes connectés. Qui peut garantir que ces mégadonnées ne serviront pas, un jour, à moduler les remboursements des citoyens par l’Assurance maladie ou des mutuelles ?</p>
<p>Le danger est que des critères actuariels, c’est-à-dire tenant compte du risque individuel, soient appliqués, à la place de la solidarité collective qui prévaut actuellement. Et que le modèle mutualiste, dans lequel les plus vulnérables sont pris en charge de la même manière que les autres, soit remis en cause.</p>
<p>Ces mégadonnées vont-elles permettre, à terme, de contrôler la conduite des personnes malades, en les remboursant seulement si elles adoptent un comportement jugé responsable, par exemple en arrêtant de fumer ? En trouvant les bons algorithmes, l’ensemble des données issues des objets connectés et des réseaux sociaux peut permettre de connaître assez précisément les comportements des individus. Si une personne diabétique poste des photos de sucreries sur Instagram, que pourra en conclure sa mutuelle ?</p>
<p>Le même type d’interrogation surgit concernant les assureurs. Le groupe Axa, par exemple, a lancé <a href="https://www.lesechos.fr/19/11/2015/LesEchos/22069-150-ECH_axa-investit-les-big-data.htm">dès 2015</a> son chantier pour produire et exploiter des mégadonnées ou <em>big data</em>. Projetons-nous dans un futur peut-être pas si lointain : si l’assureur connaissait le génome de l’assuré, avec ses prédispositions à telle ou telle maladie, ne serait-il pas tenté de calculer un risque spécifique le concernant ?</p>
<h2>Quel secret médical dans une période où l’échange d’information domine ?</h2>
<p>Nous nous trouvons actuellement dans une forme d’injonction paradoxale. D’une part, l’accès plus grand à des données de santé massives est un réel service rendu à la population, qui bénéficie à la santé publique ; de l’autre, ses enjeux économiques risquent de mettre à mal la cohésion sociale. L’objet du débat, c’est au fond notre capacité à continuer à supporter ensemble, à l’échelle du pays, un risque commun, afin de protéger les plus vulnérables au sein de la population.</p>
<p>Le secret professionnel des médecins participe de cela en évitant que soient stigmatisés les plus malades. D’une certaine manière, il protège la possibilité de vivre ensemble. Quel sens donner à ce secret dans une période où le principe de l’échange d’information et de l’accès généralisé aux données domine ? Le médecin que je suis, soucieuse de le voir respecté, s’interroge.</p>
<p>Entre protection de la vie privée et sécurité sanitaire, la question se pose de ce que chacun veut vraiment. À l’échelle de la société, notre capacité de faire n’excède-t-elle pas, actuellement, notre capacité à penser ce que nous faisons ?</p>
<p><em>Ce texte a été republié dans le cadre d'une série d’articles autour de la thématique <a href="https://www.auf.org/asie-pacifique/nouvelles/agenda/colloque-annuel-de-lauf-sante-publique/">« Santé publique</a>, sujet du colloque de l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF) qui se tient les 6 et 7 novembre, à Bruxelles avec plus de cent cinquante acteurs francophones : établissements universitaires, représentants gouvernementaux, représentants des agences nationales, experts des politiques de santé publique dans le monde francophone.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/92950/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne Lécu ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’accès aux données de l’Assurance maladie ou des hôpitaux doit permettre d’éviter des crises sanitaires comme celle du Mediator. Mais il faut mettre en balance le respect de la vie privée.Anne Lécu, Médecin, co-directrice du département d’éthique biomédicale, pôle de recherche, Collège des BernardinsLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/895112018-02-07T22:48:51Z2018-02-07T22:48:51ZQui est le propriétaire des données de ma santé ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/204461/original/file-20180201-123849-884pi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C467%2C6000%2C3520&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Mesure de la tension à la maison. Les informations sur notre santé sont de plus en plus disponibles sous forme numérique, et partagées avec des tiers. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/woman-checking-blood-pressure-home-260764628">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Chacun d’entre nous produit une grande quantité de données sur sa santé, parfois même sans le savoir. Ce peut être un taux de cholestérol, après s’être rendu pour une prise de sang dans un laboratoire d’analyses ; un diagnostic de trouble du rythme cardiaque, suite à un bilan réalisé par le cardiologue ; un nombre de pas faits durant la journée, enregistré automatiquement par le smartphone.</p>
<p>La plupart de ces informations restent sur le papier, dans un dossier à notre nom à l’hôpital, ou dans une chemise cartonnée à la maison. Mais elles se présentent, de plus en plus, sous forme numérique. Elles peuvent être stockées sur notre ordinateur personnel ou notre smartphone mais aussi… ailleurs.</p>
<p>Aujourd’hui, je n’ai plus besoin de me déplacer au laboratoire d’analyses ou d’attendre le courrier pour connaître mes résultats. Il me suffit d’aller sur son site et de les télécharger. Pratique ! Seulement, mon taux de cholestérol ou de fer reste stocké sur le serveur du laboratoire. Quand je consulte un médecin dans son cabinet, le remboursement de la Sécurité sociale tombe automatiquement sur mon compte en banque, grâce à la carte Vitale. Pratique, là aussi. Mais des informations comme le nom du médecin que j’ai vu ou sa spécialité sont conservées par l’Assurance-maladie.</p>
<p>Ainsi, le citoyen produit des données lorsqu’il se soigne, demande un remboursement à l’Assurance-maladie ou à sa mutuelle, s’inscrit sur un groupe Facebook de patients ou se confie sur les réseaux sociaux, utilise un bracelet tracker d’activité ou un <a href="https://www.cnil.fr/fr/quantified-self-m-sante-le-corps-est-il-un-nouvel-objet-connecte">autre objet connecté pour sa santé</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/204060/original/file-20180130-107697-kevv18.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/204060/original/file-20180130-107697-kevv18.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/204060/original/file-20180130-107697-kevv18.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/204060/original/file-20180130-107697-kevv18.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/204060/original/file-20180130-107697-kevv18.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/204060/original/file-20180130-107697-kevv18.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/204060/original/file-20180130-107697-kevv18.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Lorsque le patient donne sa carte Vitale au médecin à la fin de la consultation, l’Assurance-maladie enregistre des données personnelles concernant sa santé.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/patient-paying-medical-consultation-141930811?src=yTAqCcNT2dzQ_TjCcDqzSQ-1-24">shutterstock</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Certains d’entre nous expriment une crainte, légitime, celle d’être fichés voire dépossédés de leurs données de santé. Comment <a href="https://theconversation.com/les-paradoxes-du-big-data-en-sante-65124">partager ces informations très personnelles</a> pour bénéficier de services profitables à notre bien-être ou encore faire avancer la recherche médicale, tout en évitant qu’elles nous échappent ? C’est l’un des sujets dont les citoyens débattent actuellement <a href="http://www.europe1.fr/sante/etats-generaux-de-la-bioethique-que-faire-des-donnees-de-sante-des-patients-3549365">à travers les États généraux de la bioéthique</a>.</p>
<h2>Un « déluge » de données</h2>
<p>Les moindres actes de notre existence s’accompagnent aujourd’hui d’une captation automatique des données, provoquant un « déluge » de données liées à notre personne. Grâce aux nouvelles technologies de l’information, combinées avec les sciences cognitives et l’intelligence artificielle, ces <em>big data</em> peuvent être organisées de manière à nous être utiles.</p>
<p>En ce qui concerne notre santé, les médecins et les établissements de soins ne sont plus seuls à récolter nos données. Les nouveaux acteurs, désignés comme des « collecteurs » de données, comptent notamment les géants du web comme Google, Apple, Facebook, Amazon – surnommés les Gafa. Dans la chaîne de traitement des données viennent ensuite les « hébergeurs », c’est-à-dire les entreprises détenant des parcs de serveurs informatiques pour les stocker. Enfin interviennent les <em>data scientists</em>, ou scientifiques de données, qui identifient dans la masse de données celles qui présentent un intérêt et dessinent des modèles ou algorithmes prédictifs.</p>
<p>Améliorer sa santé par le traitement de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/big-data-23298">mégadonnées</a> : les promesses sont immenses. Le PDG de Facebook les avait d’ailleurs évoquées en 2017, alors qu’il faisait face à des critiques sur l’aspect trop commercial de son réseau social. Dans un discours <a href="https://www.letemps.ch/opinions/2017/05/29/mark-zuckerberg-ensemble-redefinissons-legalite-chances">prononcé à l’université de Harvard</a>, Marc Zuckerberg suggérait : « Pourquoi ne pas guérir toutes les maladies et demander aux bénévoles de collecter leurs informations médicales et de partager leurs génomes ? » L’idée peut paraître séduisante… mais aussi terrifiante.</p>
<h2>Notre santé, des données personnelles « sensibles »</h2>
<p>Au regard du droit français, les données de santé constituent des données personnelles dites « sensibles ». C’est-à-dire qu’elles méritent une protection accrue eut égard à leur nature, touchant au plus intime de l’individu. Elles sont ainsi régies par le droit commun des données personnelles, assorti d’un surplus de protections spécifiques.</p>
<p>Nous ne sommes pas « propriétaires » de nos données personnelles. Ce principe a été juridiquement exclu, et ce à plusieurs reprises. Ainsi, leur indisponibilité de principe a été consacrée par la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000886460">loi informatique et liberté de 1978</a>. Autrement dit, la personne ne peut en aucun cas disposer librement de ses données ni les vendre. Elle ne peut en être qu’usufruitière. En effet, la propriété est constituée de l’usus (droit d’user librement de l’objet du droit de propriété), le fructus (le droit de récolter les fruits générés par l’objet du droit de propriété) et l’abusus (le droit d’abuser de l’objet du droit de propriété, c’est-à-dire le droit de le vendre).</p>
<p>Plusieurs arguments juridiques sous-tendent cette position. D’abord, reconnaître à la personne « fichée » la propriété de ses données donnerait à ce droit une composante patrimoniale. Elle aurait alors la possibilité de monnayer l’accès d’un tiers à cet élément de sa personnalité. Or les données de santé, produits du corps humain, ne peuvent pas être commercialisées par la personne. Par contre, un « collecteur » peut, lui, commercialiser un fichier de données, à condition que celles-ci soient anonymes.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/204056/original/file-20180130-107694-q66adg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/204056/original/file-20180130-107694-q66adg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=434&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/204056/original/file-20180130-107694-q66adg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=434&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/204056/original/file-20180130-107694-q66adg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=434&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/204056/original/file-20180130-107694-q66adg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/204056/original/file-20180130-107694-q66adg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/204056/original/file-20180130-107694-q66adg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Données vitales d’un patient sur l’écran d’un appareil de surveillance cardiaque, à l’hôpital.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/vital-sign-ekg-monitor-1009230514?src=KzJYkkkNtCPzj1G3-UsB1A-2-41">shutterstock</a></span>
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</figure>
<p>Ensuite, donner un droit de la propriété à la personne fichée reviendrait à la reconnaître comme acteur principal de sa protection. Dans cette logique, elle serait la plus à même d’opérer des choix rationnels et de veiller à son propre intérêt. Ce postulat libéral est celui de la législation américaine. Mais cette position n’est pas partagée par le droit français, ni par celui de l’Union européenne.</p>
<p>L’un comme l’autre considèrent que la personne fichée ne peut opérer des choix pleinement éclairés. Car bien souvent elle n’est pas informée de la manière dont sera traitée l’information, ou alors de manière incomplète. Le risque est grand qu’elle sacrifie la protection de ses données personnelles pour pouvoir accéder à un service désirable. À titre d’exemple, si je veux mieux surveiller ma ligne en utilisant l’application liée à ma balance connectée, je vais entrer des données relatives à mon âge, mon poids, ma taille et bien d’autres paramètres. Et tant pis si je ne sais pas grand-chose de la manière dont celles-ci seront utilisées…</p>
<h2>Le respect de la vie privée, mais aussi le lancement de services utiles</h2>
<p>Les législations européenne et française ont cherché à ménager le respect des droits et libertés fondamentaux des individus, sans bloquer le flux des données à caractère personnel et les services utiles qui pourraient découler de son traitement. Elles ont institué pour cela une liberté de traitement de principe, assortie d’une police administrative spéciale.</p>
<p>Il s’agit à la fois de protéger les intérêts privés, autrement dit de respecter la vie privée, et de poursuivre un objectif d’intérêt général. Ce dernier consiste à pouvoir développer de nouveaux services, basés par exemple sur l’analyse de nos navigations sur le web. Des chercheurs ont ainsi proposé, dans une étude publiée en 2017 <a href="https://epjdatascience.springeropen.com/articles/10.1140/epjds/s13688-017-0110-z">dans la revue <em>EPJ data science</em></a>, de diagnostiquer la dépression à partir des photos postées par la personne <a href="https://blogs.letemps.ch/dr-jean-gabriel-jeannot/2017/10/12/la-depression-mieux-diagnostiquee-par-instagram-que-par-les-medecins/">sur le réseau social Instagram</a>.</p>
<p>Afin de défendre cette liberté de prestation de services, la communauté internationale a consacré la notion de « société d’information ». Celle-ci est issue du principe de libre circulation de l’information adopté aussi bien par l’Organisation des Nations unies (ONU), le GATT (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce), l’Organisation mondiale du commerce (OMC), l’UIT (Organisation internationale des télécommunications), l’Union européenne, que par le Conseil de l’Europe.</p>
<h2>Le consentement, un droit fondamental</h2>
<p>Toutefois, le traitement des données personnelles est conditionné <a href="http://blog.cnam.fr/technologie/innovation/quand-nos-donnees-personnelles-sont-en-peril-sur-le-web-971601.kjsp?RH=1479718129770">à l’obtention du consentement de la personne concernée</a>. Ce point figure dans la <a href="http://www.europarl.europa.eu/charter/pdf/text_fr.pdf">Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne</a>, adoptée en 2000, ainsi que dans une <a href="http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:31995L0046&from=en">directive européenne de 1995</a>.</p>
<p>Au sein de l’Union, le <a href="https://www.cnil.fr/fr/reglement-europeen-sur-la-protection-des-donnees-ce-qui-change-pour-les-professionnels">règlement général sur la protection des données</a> (RGPD), signé en 2016, poursuit cet objectif d’équilibre. Il entrera en vigueur en France le 25 mai 2018. Il renforce les droits des personnes fichées en leur offrant un certain <em>empowerment</em>, mot que l’on peut traduire par la capacité à agir sur son propre destin.</p>
<p>L’<em>empowerment</em> passe par la libre disposition des données personnelles pour les individus, dans l’idée que chacun devienne véritablement acteur de la protection de ses droits. Aussi, les partisans du principe de libre disposition le présentent comme un rempart face à la consécration d’un droit de propriété d’acteurs extérieurs sur les données personnelles.</p>
<p>En France, l’adoption en 2016 de <a href="https://www.economie.gouv.fr/projet-loi-pour-republique-numerique-definitivement-adopte">la loi pour une république numérique</a> a anticipé sur l’entrée en vigueur du RGPD. Cette loi consacre le principe de la libre disposition. Cette dernière s’est traduite concrètement par l’assurance, par exemple, de la confidentialité des correspondances électroniques – sauf si l’usager a donné son consentement pour leur traitement automatisé.</p>
<p>Dans cet esprit, les individus disposent aussi d’un droit à la « portabilité » de leurs données personnelles. Celui-ci permet aux individus de récupérer celles qui sont récoltées par un prestataire de services. Ils peuvent aussi décider de les transférer à d’autres prestataires. Le but de la portabilité est de redonner aux personnes à l’origine des données un certain pouvoir sur l’usage qui en est fait. Sans pour autant qu’elles puissent les vendre.</p>
<p>Qui est, aujourd’hui, le propriétaire des données de ma santé ? Ni tout à fait moi-même, ni tout à fait l’organisme ou l’entreprise qui les collecte. Le législateur s’efforce de maintenir, dans la durée, un subtil équilibre entre les deux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/89511/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Kim Boyer effectue sa thèse CIFRE à la Fondation d'entreprise MGEN pour la santé publique. Elle intervient lors du cycle de séminaires "les Big data en santé" organisé par l'Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne (Université Paris 1), en collaboration avec MGEN, sur la période 2017-2020.</span></em></p>Lorsqu’une personne passe un examen médical ou donne sa carte Vitale, elle produit des informations personnelles. A l’occasion des États généraux de la bioéthique, le point sur leur devenir.Kim Boyer, Doctorante en droit de la protection sociale, Université Paris-Panthéon-AssasLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/872002017-12-17T21:06:26Z2017-12-17T21:06:26ZSanté des migrants : les préjugés ont la vie dure<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/198614/original/file-20171211-31699-1j5joox.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une clinique mobile de Médecins sans frontières à la porte de la Chapelle, à Paris, le 11 janvier 2017.</span> <span class="attribution"><span class="source">Armelle Loiseau/MSF</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=282&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=282&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=282&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la Science 2018, dont The Conversation France est partenaire. Retrouvez tous les débats et les événements de votre région sur le site <a href="https://www.fetedelascience.fr/">fetedelascience.fr</a></em></p>
<hr>
<p>Les polémiques récurrentes, en France, sur le nombre de migrant.e.s et leur légitimité favorisent les idées reçues autour de leur santé. Les migrant.e.s apporteraient des maladies en France ; les « campements » seraient des foyers d’épidémies ; ils ou elles viendraient profiter de notre système de santé ; ils ou elles coûteraient cher à la Sécurité Sociale. </p>
<p>Ces préjugés masquent une réalité bien différente, plus complexe aussi, parfaitement décrite dans la littérature scientifique. Plus grave, ces préjugés peuvent être utilisés comme arguments pour promouvoir des politiques publiques qui vont à l'encontre de nos valeurs et engagements nationaux et européens, comme le rappelait le Défenseur des droits, Jacques Toubon, <a href="https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/736160170_ddd_rapport_droits_etrangers.pdf">dans son rapport remis en 2016</a> sur « les droits fondamentaux des étrangers en France ».</p>
<h2>Première idée reçue : les migrant.e.s apporteraient des maladies en France</h2>
<p>Historiquement, les études sur la santé des immigré.e.s ont montré un effet de sélection par la « bonne santé » des candidat.e.s à la migration. Cela se traduit par un meilleur état de santé des immigré.e.s comparé aux personnes nées en France, du fait notamment de la moindre fréquence relevée de maladies chroniques. Depuis les années 2000 cependant, cet effet est moindre et l’on observe que l'état de santé des immigré.e.s, sur le territoire français, <a href="http://www.ladocumentationfrancaise.fr/catalogue/3303331953920/index.shtml">se dégrade avec la durée de leur résidence</a>. Cette évolution est principalement liée à des conditions de vie moins favorables, qu'il s'agisse du logement, du travail, de l'accès aux services, aux biens ou encore aux soins.</p>
<p>Les migrant.e.s vulnérables, c'est à dire en majorité sans couverture santé et sans logement stable, consultent notamment dans les centres de santé des ONG ou dans les permanences d'accès aux soins de santé (les PASS) au sein des hôpitaux. Chez Médecins du Monde, par exemple, les principaux motifs de consultation sont <a href="http://www.medecinsdumonde.org/fr/actualites/publications/2017/10/13/rapport-de-lobservatoire-de-lacces-aux-droits-et-aux-soins-de-la-mission-france-2016">les pathologies digestives, respiratoires et ostéo-articulaires</a>. </p>
<p>Selon les pays d’origine, on observe une prévalence (une fréquence) plus élevée chez les migrant.e.s que dans le reste de la population générale pour <a href="http://invs.santepubliquefrance.fr/Publications-et-outils/BEH-Bulletin-epidemiologique-hebdomadaire/Archives/2012/BEH-n-2-3-4-2012">certaines infections sexuellement transmissibles (VIH, hépatites) et pathologies de la précarité (tuberculose)</a>. Elles sont aussi liées aux parcours migratoires et aux conditions d’accueil en France.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/198619/original/file-20171211-31695-62jwkj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/198619/original/file-20171211-31695-62jwkj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/198619/original/file-20171211-31695-62jwkj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/198619/original/file-20171211-31695-62jwkj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/198619/original/file-20171211-31695-62jwkj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/198619/original/file-20171211-31695-62jwkj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/198619/original/file-20171211-31695-62jwkj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/198619/original/file-20171211-31695-62jwkj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">A leur arrivée à la clinique mobile de Médecins sans frontières, à Paris, les migrants sont enregistrés et orientés en fonction de leurs besoins médicaux.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Matthieu Tordeur/MSF</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Si la santé physique des migrant.e.s est plutôt bonne, au moins à leur arrivée, on observe cependant chez 1 personne sur 5 en situation de migration contrainte des troubles psychiques liés aux violences qu’elle a pu subir. Dans une étude portant sur la période de 2012 à 2016 citée dans <a href="http://www.editions-ellipses.fr/product_info.php?products_id=11516">l'ouvrage collectif consacré à la santé des populations vulnérables</a>, 62 % des personnes accueillies par le <a href="http://www.comede.org/">Comité pour la santé des exilés</a>, ou Comede, ont déclaré avoir subi des violences, 14 % des tortures et 13 % des violences liés au genre ou à l'orientation sexuelle.</p>
<h2>Deuxième idée reçue : les « campements » de migrant.e.s seraient des foyers d’épidémies</h2>
<p>C’est l’indignité de ces campements qui est en cause lorsque les conditions de vie ne permettent pas de satisfaire aux <a href="https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/node/23871">besoins fondamentaux</a>, tels que l'accès à l'eau potable, aux douches et aux latrines.</p>
<p>Une étude publiée en septembre <a href="http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2017/19-20/2017_19-20_1.html">dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire de Santé publique France</a> a porté sur les campements de Calais et de Grande-Synthe, dans le nord. Elle montre un lien important entre trois facteurs : les pathologies détectées, les caractéristiques sociodémographiques des personnes et les conditions d'installation des camps. Ainsi, la gale a été un motif constant de consultation à Calais, où les conditions d'hébergement étaient très éloignées des normes sanitaires internationales. Plusieurs cas de tuberculose ont également été détectés (et traités) dans la population de ce campement, composée essentiellement d'hommes jeunes venant de la corne de l'Afrique. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/139034/original/image-20160923-29897-2e0w7e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/139034/original/image-20160923-29897-2e0w7e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/139034/original/image-20160923-29897-2e0w7e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/139034/original/image-20160923-29897-2e0w7e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/139034/original/image-20160923-29897-2e0w7e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/139034/original/image-20160923-29897-2e0w7e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/139034/original/image-20160923-29897-2e0w7e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le camp de Grande-Synthe (Nord) et ses baraques en bois installées par Médecins sans frontières.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Nicolas Beaudoin/MSF</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>A l'inverse aucun cas de tuberculose n'a été retrouvé à Grande Synthe durant l'année de l'étude, dans une population composée de familles venant du Moyen-Orient et dans un camp établi par Médecins sans frontières et aux normes du Haut commissariat aux réfugiés. Ainsi ce sont avant tout les conditions de précarisation qui induisent la circulation de pathologies transmissibles, un phénomène que l’on observe également <a href="http://www.academie-medecine.fr/wp-content/uploads/2014/09/pages-de-277-292.pdf">dans la population sans domicile fixe</a>.</p>
<h2>Troisième idée reçue : les migrant.e.s viendraient profiter de notre système de santé</h2>
<p>En France, il existe un dispositif qui permet à certaines personnes d'être régularisées du fait de leur état de santé, la procédure dite « étrangers malades ». Depuis 2003, le nombre de personnes bénéficiant de cette procédure reste stable, autour de 6 000 par an, selon l'ouvrage déjà cité, <em>La santé des populations vulnérables</em>.</p>
<p>Le droit à une couverture santé est corrélé au titre de séjour. Tous les migrant.e.s n’y ont pas droit. Les ouvertures de droit sont complexes, liées à des pratiques diverses des administrations et requérant différents justificatifs. Plus de 90 % des patient.e.s dans les centres de santé de Médecins du Monde n’ont pas de couverture santé, selon le rapport de l'ONG déjà cité.</p>
<p>Quand les droits sont ouverts, les études montrent un moindre recours aux soins et un plus fort taux de renoncement aux soins par les immigré.e.s, comparés aux natifs. Les difficultés financières figurent parmi les premières raisons invoquées, selon <a href="http://invs.santepubliquefrance.fr/Publications-et-outils/BEH-Bulletin-epidemiologique-hebdomadaire/Archives/2012/BEH-n-2-3-4-2012">les études publiées en 2012</a> sur « l'état de santé et recours aux soins des immigrés en France » dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire. </p>
<p>De plus, les migrant.e.s font face à des discriminations dans l’accès aux soins et leur qualité, selon <a href="http://www.ladocumentationfrancaise.fr/catalogue/3303331953920/index.shtml">l'ouvrage publié en 2014</a>, <em>Les immigrés en France</em>.</p>
<p><a href="http://www.ceped.org/parcours/">L'étude Parcours</a>, menée en 2012 et 2013 sur les migrant.e.s sub-saharien.ne.s en Ile-de-France, montre que la grande majorité des personnes interrogées ne connaissaient pas leur statut sérologique en arrivant en France. De plus, près de la moitié des personnes séropositives dans cette population ont été contaminées par le VIH une fois en France. Ces données laissent penser que, de manière plus générale, la motivation des migrant.e.s qui arrivent sur notre territoire n'est pas de se faire soigner en France.</p>
<p>L’enjeu pour les politiques publiques n’est donc pas de s'attaquer à un « tourisme médical » largement fantasmé, ni même à la fraude, mais bien de travailler à un meilleur accès aux soins et au suivi pour les migrant.e.s. Cela passe par l'information sur l'organisation de notre système de santé, ainsi que des moyens en interprétariat et <a href="https://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_2801497/fr/la-mediation-en-sante-pour-les-personnes-eloignees-des-systemes-de-prevention-et-de-soins">médiation</a>. La prise en charge doit être réalisée avant que l'état de santé de la personne ne se dégrade et n'entraîne des dépenses plus importantes. </p>
<h2>Quatrième idée reçue : les migrant.e.s coûteraient cher à la Sécurité Sociale</h2>
<p>Le dispositif de l'Aide médicale d'Etat (AME) est destiné à prendre en charge les dépenses de santé des personnes en situation irrégulière sur le territoire, présentes depuis plus de trois mois. Toutefois le dispositif est complexe et là encore, il est difficile pour les intéressés de faire valoir leurs droits, comme le montre notre étude <a href="https://publichealthreviews.biomedcentral.com/articles/10.1186/s40985-016-0017-4">publiée en 2016 dans <em>Public health reviews</em></a>. </p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/198616/original/file-20171211-31695-beb91b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/198616/original/file-20171211-31695-beb91b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/198616/original/file-20171211-31695-beb91b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/198616/original/file-20171211-31695-beb91b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/198616/original/file-20171211-31695-beb91b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/198616/original/file-20171211-31695-beb91b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/198616/original/file-20171211-31695-beb91b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/198616/original/file-20171211-31695-beb91b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Consultation le 9 novembre 2017 dans une clinique mobile de Médecins sans frontières avec Bachir, un soudanais de 29 ans arrivé depuis quelques jours à Paris.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Matthieu Tordeur/MSF</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Pour 2018, le projet de loi de finances prévoit pour l'AME <a href="http://www.senat.fr/rap/a17-111-6/a17-111-65.html">des crédits de 923,7 millions d'euros</a>, en augmentation de 13 % par rapport à 2017, pour faire face aux sous-budgétisations récurrentes. En valeur absolue, ce montant peut paraître important. Mais rapporté à l'objectif national de dépenses de l'assurance maladie (l'ONDAM) en 2018 qui a été fixé le 4 décembre 2017 par le législateur à 195,2 milliards, le dispositif correspond seulement à 0,47 % de ce total. </p>
<p>Régulièrement remise en cause, l'AME a fait l'objet de plusieurs <a href="http://www.igas.gouv.fr/spip.php?article135">rapports des inspections générales</a>. Chaque fois, les enquêteurs ont conclu à la nécessité de conserver ce dispositif, et même de l'améliorer pour permettre de ne pas retarder des soins qui, de toutes manières, seront prodigués. </p>
<p>Par ailleurs, contrairement à une idée souvent véhiculée, la consommation de soins des migrant.e.s ne diffère pas fondamentalement de celle de la population générale, comme le montre <a href="http://journals.openedition.org/cybergeo/24796">l'étude publiée en 2011 dans la Revue européenne de géographie</a>. </p>
<p>Les bénéfices économiques d'une intervention précoce dans une population en situation irrégulière ont été montrés dans <a href="http://fra.europa.eu/en/publication/2015/cost-exclusion-healthcare-case-migrants-irregular-situation">une étude publiée en 2015 par l'Agence européenne pour les droits fondamentaux</a>. Les chercheurs ont fait ces calculs pour trois pays (Suède, Allemagne et Grèce) et pour deux pathologies (l'hypertension et les soins prénataux). Leur constat est clair. Non seulement il n'est pas acceptable, sur le plan éthique, d'attendre qu'un problème de santé devienne une urgence pour le traiter, mais en plus, c'est un investissement rentable. Les économies vont de 9 % jusqu'à 69 %, selon les pathologies et les pays. </p>
<p>Par ailleurs, la lenteur croissante des processus d’installation des migrant.e.s, en France, a un effet délétère sur leur santé. En effet, selon l'étude Parcours déjà citée, après 5 à 6 ans en France, seulement la moitié des migrant.e.s originaires d'Afrique Sub-Saharienne ont un titre de séjour d'au moins un an, un logement autonome et un emploi qui leur permette de subvenir à leurs besoins. Au bout de 11 à 12 ans en France, un quart d'entre eux n'ont toujours pas accès à ces trois conditions de bonne intégration. </p>
<p>Ces obstacles à des conditions de vie correctes font écho à l'avis <a href="http://www.ccne-ethique.fr/sites/default/files/publications/ccne_avis_127_sur_la_sante_des_migrants_0.pdf">rendu le 16 octobre par le Comité Consultatif National d'Ethique</a> (CCNE) sur « santé des migrants et exigence éthique ». Dans ce texte, le Comité affirme que la santé des migrant.e.s « ne doit en aucun cas pouvoir être instrumentalisée, notamment en maintenant de mauvaises conditions sanitaires comme outil de refoulement ». Un rappel salutaire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/87200/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fabienne Azzedine travaille sur un projet financé par la Commission Européenne qui vise une meilleure prise en charge de la santé des migrants vulnérables (<a href="http://mighealthcare.eu/">http://mighealthcare.eu/</a>).
</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Laurent Chambaud ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>A l'occasion de la journée internationale des migrants, la question de leur santé mérite d'être examinée sur la base des données scientifiques. Tout comme le coût des soins.Laurent Chambaud, Médecin de santé publique, École des hautes études en santé publique (EHESP) Fabienne Azzedine, Ingénieure d'études, École des hautes études en santé publique (EHESP) Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/884172017-12-07T21:42:34Z2017-12-07T21:42:34ZContre le mal de dos, bouger plus ne suffit pas<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/197843/original/file-20171205-23037-rtznai.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Certaines méthodes de yoga figurent parmi les interventions validées par les études scientifiques dans la lombalgie. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/yoga-concept-close-woman-meditates-while-760566325?src=MYKwKIfYbQJuY7QMka3JYw-1-49">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>« Mal de dos ? Le bon traitement, c’est le mouvement ». Le slogan est martelé depuis deux semaines à la télévision et sur des affiches. L’Assurance-Maladie <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/carriere/vie-professionnelle/sante-au-travail/une-campagne-pour-lutter-contre-le-mal-de-dos_2472660.html">a lancé sa première campagne nationale</a> pour encourager les personnes souffrant de lombalgie à l’activité physique.</p>
<p>L’objectif de <a href="https://www.ameli.fr/paris/medecin/actualites/lombalgie-lancement-de-la-campagne-mal-de-dos-le-bon-traitement-cest-le-mouvement">cette campagne</a>, programmée jusqu’au 18 décembre, est de lutter contre une idée reçue, selon laquelle rester couché est le meilleur moyen de se remettre d’un tour de rein. Bouger plus est certes bénéfique, mais est-ce si simple ?</p>
<p>Le mal de dos touche <a href="http://ard.bmj.com/content/early/2014/02/14/annrheumdis-2013-204428">environ 1 personne sur 10</a>. Cette douleur persistante au niveau des vertèbres lombaires, situées un peu au-dessus du coccyx, est appelée lombalgie bénigne ou non spécifique. Elle provoque une limitation des mouvements, une sédentarité accrue, des pensées négatives récurrentes, des difficultés émotionnelles et des arrêts de travail à répétition, comme l’établit une <a href="http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1521694210000884?via%3Dihub">étude publiée en 2010</a>.</p>
<p>Certaines personnes se sentent désemparées, près de 60 % des personnes souffrant de lombalgie <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2758336/">pensant ne pas pouvoir récupérer</a>. Elles multiplient les traitements et les soins, sans en tirer de bénéfice durable. Et les coûts de prise en charge pour l’Assurance-maladie s’envolent. Ainsi, une <a href="http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1472-8206.2009.00730.x/epdf">étude française sur une cohorte de personnes suivies en médecine générale</a> a montré que la durée de la lombalgie était supérieure à un an chez 81 % des patients, avec un coût moyen total par patient sur six mois de 715 euros, en 2007.</p>
<p>Le reste à charge pour les patients augmente, lui aussi, car l’Assurance-Maladie ne rembourse que 35 à 70 % des soins, selon les cas.</p>
<h2>Le mouvement est nécessaire</h2>
<p>Pour soigner le mal de dos, le mouvement est nécessaire, comme le souligne la <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/carriere/vie-professionnelle/sante-au-travail/une-campagne-pour-lutter-contre-le-mal-de-dos_2472660.html">campagne</a>. Prendre les escaliers au lieu de l’ascenseur, s’arrêter une station de métro ou de tramway plus tôt, utiliser un vélo dès que possible pour se déplacer, nager sont un début de réponse. Ces efforts physiques sont un mal pour un bien, bien plus efficaces que le repos pour venir à bout des douleurs lombaires.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"934063328590213120"}"></div></p>
<p>Le repos est un mauvais réflexe, acquis lors de maladies épisodiques comme une grippe. En pensant soigner la lombalgie par le repos, on l’aggrave, au contraire. Moins les personnes bougent et moins elles se sentent capables de bouger. L’inactivité physique les rend plus vulnérables à d’autres problèmes de santé. La lombalgie se complique et devient chronique. Ce processus se nomme le <a href="http://blogensante.fr/2013/09/20/definir-la-notion-de-deconditionnement/">cercle vicieux du déconditionnement</a>.</p>
<p>À l’opposé, le danger serait d’aller trop loin, trop vite, trop fort. Prendre des traitements masquant la douleur, pratiquer du sport à outrance ou « faire avec » (en accusant le vieillissement, le surmenage professionnel, le burn-out, les contraintes familiales…) permet d’oublier le mal mais ne règle rien.</p>
<h2>Bouger plus, mais pas n’importe comment</h2>
<p>Bouger plus, oui, mais pas n’importe comment. La recherche explore de plus en plus le domaine, très riche, des <a href="http://blogensante.fr/2013/09/16/definir-la-notion-dintervention-non-medicamenteuse/">interventions non médicamenteuses</a>. La <a href="https://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2011-06/developpement_de_la_prescription_de_therapeutiques_non_medicamenteuses_rapport.pdf">Haute Autorité de Santé (HAS)</a>, l’<a href="https://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=1&ved=0ahUKEwi4iOTK6-jXAhUsCcAKHShoCa8QFggnMAA&url=https%3A%2F%2Fwww.inserm.fr%2Fcontent%2Fdownload%2F75074%2F592913%2Ffile%2FOst%25C3%25A9opathie.pdf&usg=AOvVaw2pEGAWSwE-VW2xX4knlKv9">Inserm</a> comme l’<a href="http://www.academie-medecine.fr/publication100100025/">Académie de Médecine</a> s’y intéressent.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/197309/original/file-20171201-318-ljwolx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/197309/original/file-20171201-318-ljwolx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/197309/original/file-20171201-318-ljwolx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=286&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/197309/original/file-20171201-318-ljwolx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=286&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/197309/original/file-20171201-318-ljwolx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=286&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/197309/original/file-20171201-318-ljwolx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=359&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/197309/original/file-20171201-318-ljwolx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=359&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/197309/original/file-20171201-318-ljwolx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=359&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Panorama de l’ensemble des interventions non médicamenteuses possibles.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Plateforme CEPS Universités de Montpellier</span></span>
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</figure>
<p>Des interventions non médicamenteuses (INM) spécifiques à la lombalgie vont cibler des aspects musculaires (comme le renforcement des muscles posturaux), neuromusculaires (comme la souplesse), neurologiques (comme la gestion de la douleur), posturaux (comme la station de travail), psychologiques (comme la désensibilisation à la douleur et la régulation du stress), sociaux (comme l’organisation du travail) et environnementaux (comme la literie).</p>
<p>Ces INM vont faire appel à des professionnels formés, masseur kinésithérapeute, ostéopathe, acupuncteur, professeur en activité physique adaptée (APA), psychologue ou professionnel en éducation thérapeutique.</p>
<p>Définir la dose, l’intensité et la fréquence de ces INM pour chaque personne est essentiel pour obtenir des résultats satisfaisants.</p>
<p>Des interventions non médicamenteuses ont fait l’objet d’études cliniques évaluant leur efficacité dans le traitement et la prévention des lombalgies. Il s’agit notamment du <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4077575/pdf/pone.0100402.pdf">Pilates</a>, du dru yoga (une <a href="http://blogensante.fr/2016/03/01/le-dru-yoga-un-remede-contre-stress-et-le-mal-de-dos-au-travail/">forme de yoga</a> notamment pratiquée en Grande-Bretagne), du tai-chi, des programmes en activité physique adaptée, de l’ostéopathie, de la chiropraxie, de l’acupuncture, d’une cure thermale, de la <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2328760/pdf/iowaorthj00030-0073.pdf">méthode Back School</a> (une « école du dos » d’origine américaine, née en 1969), de la <a href="http://blogensante.fr/2016/02/15/deux-inm-a-letude-pour-soigner-la-lombalgie/">méthode McKenzie</a> (d’origine néo-zélandaise, née en 1981) et enfin de l’éducation thérapeutique du patient.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/197850/original/file-20171205-23018-7doj8y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/197850/original/file-20171205-23018-7doj8y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/197850/original/file-20171205-23018-7doj8y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/197850/original/file-20171205-23018-7doj8y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/197850/original/file-20171205-23018-7doj8y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/197850/original/file-20171205-23018-7doj8y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/197850/original/file-20171205-23018-7doj8y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/197850/original/file-20171205-23018-7doj8y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Des programmes d'acupuncture ont fait leurs preuves dans la lombalgie chronique.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/jmRbgqXLCI0">Antonika Chanel/Unsplash</a></span>
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</figure>
<h2>Un programme d’ostéopathie spécifique à la lombalgie</h2>
<p>Certaines études sont particulièrement intéressantes. Ainsi, l’essai clinique <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/14701889">mené par l’équipe du médecin et chercheur britannique Nefyn Howard Williams</a> a évalué les <a href="http://blogensante.fr/2015/11/01/losteopathie-previent-le-mal-de-dos/">bénéfices d’une méthode d’ostéopathie</a> chez des personnes souffrant de douleurs rachidiennes aiguës et subaiguës (c’est-à-dire de faible intensité). L’<a href="http://blogensante.fr/2013/09/07/definir-la-notion-dessai-randomise-controle/">essai randomisé contrôlé</a> a inclut 201 personnes âgées de 16 à 65 ans. Elles avaient consulté leur médecin généraliste pour des douleurs dans le cou ou dans le dos apparues entre 2 et 12 semaines auparavant.</p>
<p>Des comparaisons entre le groupe recevant seulement les soins courants et celui suivant 3 à 4 séances d’ostéopathie par un médecin formé ont été réalisées à trois reprises : avant le début de l’intervention, en fin d’intervention (soit 2 mois plus tard) et six mois après l’intervention. Les mesures concernaient l’état de santé lié aux douleurs rachidiennes, la qualité de vie, les dimensions sensorielles et affectives de la douleur et le rapport entre le coût et l’efficacité des soins reçus.</p>
<p>Les séances d’ostéopathie étaient espacées d’une à deux semaines, dans un intervalle de temps maximal de deux mois. Le programme incluait des techniques manuelles et des conseils sur la pratique régulière d’activité physique. Les résultats montrent, à la fin des deux mois d’intervention ostéopathique, une diminution de l’intensité de la douleur rachidienne et une amélioration de la qualité de vie par rapport au groupe servant de contrôle.</p>
<p>Au bout de six mois, la qualité de vie est restée supérieure au groupe contrôle. Par contre, les niveaux de douleur ne différaient plus entre les deux groupes. Les coûts de soins de santé spécifiques aux douleurs rachidiennes ont été significativement supérieurs pour le groupe bénéficiant de l’intervention en ostéopathie (88 euros par patient au total).</p>
<h2>Une psychothérapie adaptée à la lombalgie</h2>
<p>Autre étude, cette fois avec une psychothérapie. L’essai mené <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10926-015-9596-z">par l’équipe du chercheur suédois Steven Linton</a>, publié en 2015, évalue l’efficacité d’une intervention menée auprès de travailleurs et de leurs employeurs pour <a href="http://blogensante.fr/2015/12/08/prevenir-le-mal-de-dos-et-le-mal-de-cou/">prévenir les invalidités dues à un mal de dos</a>. L’intervention est comparée à une prise en charge habituelle des lombalgies.</p>
<p>140 personnes de 27 à 65 ans ont participé à cette étude, réalisée dans une maison de santé suédoise. Elles souffraient d’une douleur lombaire, avec un risque élevé de développer un trouble musculo-squelettique chronique. Les chercheurs ont comptabilisé pour chaque personne les jours d’arrêt de travail liés aux troubles musculo-squelettiques, le recours aux soins, l’état de santé perçu et l’intensité des douleurs. Les mesures ont été faites avant et après l’intervention, puis six mois après l’intervention.</p>
<p>Les participants du groupe test ont reçu, en plus, une intervention psychologique brève basée sur les principes <a href="http://www.aftcc.org/les-therapies-comportementales-et-cognitives">des thérapies cognitivo-comportementales</a> (TCC). Ils ont participé à trois séances en face à face avec un psychologue clinicien. Chaque séance durait entre 60 et 90 minutes. L’objectif principal de l’intervention était d’accroître la capacité des travailleurs à gérer eux-mêmes au quotidien, et notamment sur leur lieu de travail, les difficultés liées à leur expérience de la douleur.</p>
<p>L’étude montre une réduction par deux de la moyenne des jours d’arrêt de travail six mois après l’intervention (38 jours, au lieu de 17). La différence est statistiquement significative par rapport au groupe contrôle. Les chercheurs constatent également une amélioration de l’état de santé perçue et une diminution de l’utilisation des soins pour le groupe test. L’intensité de la douleur ressentie est réduite de manière identique dans les deux groupes.</p>
<h2>Le yoga, une intervention non médicamenteuse pertinente</h2>
<p>Le yoga fait partie, lui aussi, des interventions non médicamenteuses pertinentes contre les lombalgies. Une <a href="http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/14651858.CD010671.pub2/abstract">méta-analyse publiée en janvier 2017</a> passe en revue l’ensemble des études scientifiques sur l'utilisation du yoga dans la lombalgie et indique des bienfaits. Ces programmes de yoga comprennent des exercices physiques, des exercices de respiration, des techniques de relaxation et de méditation. Ils favorisent la pleine conscience et renforcent le lien entre le corps et l’esprit.</p>
<p>À qui s’adresser pour espérer venir à bout d’un mal de dos ? Le rôle du médecin généraliste et/ou spécialiste consiste à cerner l’origine de la douleur, sa gravité et son évolution. Il peut ainsi proposer l’intervention non médicamenteuse la plus adaptée à la lombalgie du patient – voire en proposer plusieurs. Celle-ci peut venir en complément de médicaments antidouleur. Ce choix se fait sur la base de la meilleure balance entre les bénéfices et les risques issue des données de la science, de l’expérience du médecin, de la préférence du patient et de la faisabilité de l’intervention.</p>
<p>Les médecins généralistes et spécialistes <a href="http://blogensante.fr/2017/11/22/linnovation-medecine-generale-lapproche-globale-chemin-vers-inm/">connaissent de mieux en mieux les INM</a> et le réseau local des professionnels qui les animent. Des mutuelles commencent à rembourser certaines d’entre elles. Contre le mal de dos, il faut bouger plus, mais surtout bouger mieux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/88417/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gregory Ninot a reçu des financements de l'Etat français, de la Région Occitanie, de la Métropole de Montpellier, de l'INCa, de la Ligue contre le Cancer et de l'ARC pour le développement de ses recherches interventionnelles non pharmacologiques. Ces fonds ont été gérés par les universités de Montpellier.</span></em></p>La campagne nationale contre le mal de dos incite à ne pas rester inactif pour en guérir. Mais tous les mouvements ne se valent pas. Revue des méthodes validées par des études scientifiques.Gregory Ninot, Professeur en santé, psychologie et sciences du sport, Université de MontpellierLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/859982017-12-05T20:52:23Z2017-12-05T20:52:23ZCancer : que valent vraiment les thérapies géniques ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/193423/original/file-20171106-1032-ksjuj7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Représentation en 3D d'un lymphocyte T, une cellule de notre système immunitaire. Dans les nouvelles thérapies géniques, son ADN est modifié pour qu'il puisse combattre les cellules cancéreuses. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/lymphocytes-t-helper-cellule-1123292/">allinonemovie/Pixabay</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Le rapport de la Cour des comptes sur l’avenir de l’Assurance-maladie, <a href="https://www.ccomptes.fr/fr/publications/lavenir-de-lassurance-maladie">rendu public le 29 novembre</a>, a été beaucoup commenté pour <a href="http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2017/11/29/20002-20171129ARTFIG00073-le-rapport-explosif-de-la-cour-des-comptes-qui-va-faire-hurler-les-medecins.php">ses propositions contraignantes pour les médecins libéraux</a>. Mais un autre point abordé par les « Sages » est passé inaperçu. Il s’agit du « coût de certains nouveaux traitements » en particulier dans le cancer, pointé en <a href="https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2017-11/20171129-rapport-avenir-assurance-maladie.pdf">page 26 du rapport</a>, et de la charge qu’ils risquent de représenter pour notre système de santé.</p>
<p>Les thérapies géniques proposées dans le cancer y sont citées expressément, désignées comme un « exemple de molécules coûteuses ». Elles consistent à modifier certains gènes de nos cellules pour combattre la maladie. Présentés comme des nouveaux traitements prometteurs, il convient de se pencher sur ce qu’ils pourraient apporter aux patients. Et en quoi ils pourraient menacer l’Assurance-maladie.</p>
<p>En cours d’évaluation en France, les thérapies géniques dans le cancer ne sont pas encore disponibles dans notre pays. Mais deux d’entre elles ont déjà obtenu leur autorisation aux États-Unis, dans des leucémies aiguës. Et suscitent l’enthousiasme de l’autorité sanitaire américaine, la Food and Drug Administration (FDA).</p>
<p>Cette agence a en effet donné son feu vert, le 30 août, à la mise sur le marché du Kymriah, produit par le laboratoire pharmaceutique Suisse Novartis. Le directeur de la FDA, Scott Gottlieb, <a href="https://www.fda.gov/NewsEvents/Newsroom/PressAnnouncements/ucm574058.htm">a déclaré à cette occasion</a> : « Cette décision historique marque le dépassement d’une nouvelle frontière dans l’innovation médicale avec la possibilité de reprogrammer les propres cellules d’un patient pour combattre un cancer mortel ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"902923662109573120"}"></div></p>
<p>Quelques semaines plus tard, une autorisation était octroyée pour le Yescarta au laboratoire californien Gilead. Cette thérapie <a href="https://www.fda.gov/NewsEvents/Newsroom/PressAnnouncements/ucm581216.htm">était qualifiée</a>, par le même directeur de la FDA, de « nouvelle étape importante franchie dans le développement d’un paradigme scientifique radicalement nouveau pour traiter les maladies graves ».</p>
<h2>L’engouement pour la thérapie par les gènes</h2>
<p>Pour comprendre les raisons de <a href="https://www.researchgate.net/publication/265081514_THERAPIE_GENIQUE_ET_INDUSTRIE_BIOTECHNOLOGIQUE_ET_PHARMACEUTIQUE_EN_FRANCE_LA_TRAJECTOIRE_D%27UNE_PROMESSE">cet engouement</a>, il faut remonter aux années 1990. Après les premiers succès de la génétique humaine et le décryptage du génome, un nouvel horizon s’ouvre en médecine : la thérapie par les gènes, ou thérapie génique.</p>
<p>Sur le papier, l’idée est simple. Puisque des mutations génétiques provoquent des maladies spécifiques, pourquoi ne pas aller réparer directement ces anomalies ? On envoie alors dans l’organisme une version corrigée du gène défectueux, un « gène médicament », apte à restaurer les fonctions biologiques altérées.</p>
<p>Dans la pratique, le chemin se révèle bien plus tortueux que prévu. Bien que l’industrie des thérapies géniques bénéficie de soutiens institutionnels forts en recherche et développement, les tentatives pour soigner des patients peinent à passer le stade des essais cliniques. Le Kymriah est ainsi la première thérapie de ce genre à avoir obtenu son autorisation aux États-Unis. Suivi de près par le Yescarta.</p>
<h2>Des « promesses » médicales et financières</h2>
<p>Comment deux traitements ont-ils pu obtenir ce sésame indispensable à la commercialisation à un mois d’intervalle ? Première raison, il s’agit de thérapies géniques d’un genre nouveau. Elles utilisent des cellules de notre système immunitaire, des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Lymphocyte_T">lymphocytes T</a>, prélevés chez des malades atteints de cancer, et modifiées génétiquement en laboratoire. Leur particularité ? Il ne s’agit pas ici de réparer l’ADN de ces cellules, mais d’y introduire de l’ADN supplémentaire pour qu’elles produisent une molécule qu’elles n’auraient pas fabriqué naturellement.</p>
<p>Cette molécule est dite <em>chimérique</em>, car elle est produite en fusionnant artificiellement deux éléments dont l’un provient de la souris et l’autre de l’homme. Les lymphocytes ainsi modifiés <a href="https://gizmodo.com/did-the-fda-really-just-approve-the-first-gene-therapy-1796890192">dits CAR-T (pour <em>chimeric antigene response T</em>)</a> deviennent capables d’une réponse immunitaire contre la maladie. Autrement dit, ils peuvent combattre les cellules cancéreuses.</p>
<p>Deuxième explication au feu vert obtenu par ces thérapies aux États-Unis : elles combattent des cancers résistants aux traitements existants ; les leucémies aiguës lymphoblastiques de l’enfant pour le Kymriah, et de l’adulte pour le Yescarta. Jusqu’ici, les effets secondaires importants des thérapies géniques avaient constitué un frein à leur développement. En France, les thérapies expérimentales pour soigner les « bébés bulles », <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/societe/sante/quand-j-etais-bebe-bulle_951712.html">ces enfants privés de défenses immunitaires</a>, avaient dû être arrêtées après la survenue de leucémies chez certains patients. Mais dans le cas de maladies mortelles et sans traitement, la question des effets secondaires n’arrive qu’au second plan. De plus, l’oncologie est un domaine où l’expérimentation thérapeutique est très répandue et la haute toxicité des traitements, largement banalisée.</p>
<h2>Une procédure d’évaluation raccourcie</h2>
<p>Enfin, le Kymriah comme le Yescarta ont bénéficié d’une procédure d’évaluation prioritaire, c’est-à-dire raccourcie, de la part de la FDA. Sous ce régime de « breakthrough therapy » (en français, innovation de rupture), les traitements qui permettent de combattre une maladie grave, potentiellement mortelle, peuvent obtenir une première autorisation à partir de données préliminaires. Ce dispositif, qui limite le risque financier lié aux aléas de l’accès au marché, a largement contribué à attirer les investisseurs. Ces derniers étaient d’autant plus motivés que le marché potentiel, celui du cancer, est vaste.</p>
<p>La question de savoir si les résultats préliminaires obtenus avec ces thérapies seront confirmés se pose. Et ce, avec d’autant plus d’acuité que plusieurs essais similaires dans d’autres types de cancer <a href="https://labiotech.eu/cellectis-car-t-clinical-trial-halt/">ont dû être arrêtés</a> après le décès de patients.</p>
<p>Les thérapies Kymriah et Yescarta s’inscrivent dans un mouvement enthousiaste, d’un point de vue à la fois médical et économique. Les espoirs mais aussi les incertitudes dont elles sont porteuses en font des éléments constitutifs de ce que le sociologue <a href="http://ifris.org/membre/pierre-benoit-joly/">Pierre-Benoît Joly</a> nomme un <a href="http://www.editions-hermann.fr/4692-sciences-et-technologies-emergentes-pourquoi-tant-de-promesses-.html">« régime de promesse technoscientifique »</a>. Lequel conduit les pouvoirs publics, les industriels, les patients et les cliniciens à y investir avant même de disposer de résultats probants et stabilisés.</p>
<h2>Des traitements hors de prix ?</h2>
<p>Les transformations médicales et scientifiques qu’introduisent ces thérapies géniques s’accompagnent également de transformations économiques et politiques importantes. Les débats, à ce sujet, se cristallisent autour d’un point : les prix annoncés de ces traitements.</p>
<p>Les laboratoires pharmaceutiques annoncent un coût total par patient de 475 000 dollars pour le Kymriah et de 373 000 dollars pour le Yescarta, sans compter la prise en charge des effets secondaires. Ce niveau élevé de prix met en jeu la capacité des systèmes de santé des différents pays à pouvoir financièrement prendre en charge ces traitements pour tous les patients. La question se pose d’ailleurs, plus largement, pour l’ensemble <a href="https://theconversation.com/prix-des-medicaments-innovants-contre-le-cancer-le-systeme-doit-evoluer-ou-perir-74664">des traitements dits « innovants » dans le cancer</a>.</p>
<p>Leur impact budgétaire est aujourd’hui difficile à estimer. En France, le rapport du Conseil Économique Social et Environnemental rendu public en février 2017 indique néanmoins que l’ensemble des médicaments « innovants » contre le cancer pourraient coûter <a href="http://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Avis/2017/2017_04_acces_medicaments_innovants.pdf">entre 1 et 1,2 milliards d’euros par an</a>. Pour bien mesurer à quel point la charge serait lourde, il faut rapporter ce montant aux 15 milliards d’euros que pèse pour l’instant le cancer, selon les <a href="http://www.securite-sociale.fr/IMG/pdf/annexe_7-2.pdf">données de 2014</a>. Cette maladie représente à elle seule 10 % des dépenses de l’assurance maladie.</p>
<h2>Sur le mode « satisfait ou remboursé »</h2>
<p>En réponse à ces inquiétudes, Novartis propose de commercialiser le Kymriah selon un mode contractuel – relativement – nouveau : le paiement à la performance. Si aucune <a href="https://fr.express.live/2017/09/01/novartis-therapie-car-t-kymriah-leucemie/">« amélioration »</a> n’est détectée au bout d’un mois, <a href="http://fortune.com/2017/08/31/novartis-kymriah-car-t-cms-price/">indique le laboratoire</a>, alors le traitement ne sera pas facturé.</p>
<p>Cette approche sur le mode « satisfait ou remboursé » pose plusieurs questions. Que doit-on considérer comme une « amélioration » ? S’agit-il d’une rémission totale et durable ? Et pourquoi l’évaluation devrait-elle s’arrêter au bout d’un mois ? Certaines ONG françaises, européennes et américaines <a href="https://epha.org/">travaillant sur l’accès au médicament</a> s’interrogent aujourd’hui sur la façon dont ces critères sont définis.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"903616765787328513"}"></div></p>
<p>À première vue, le « paiement à la performance » semble un principe simple, et même juste. Mais en réalité il déplace les termes de la négociation du prix sur un autre terrain, celui des résultats obtenus grâce au traitement. Et les évaluer n’a rien d’évident. Par exemple, l’essai clinique qui est venu asseoir le succès du Kymriah comportait <a href="https://www.novartis.com/news/media-releases/novartis-receives-first-ever-fda-approval-car-t-cell-therapy-kymriahtm-ctl019">63 patients</a>, ce qui est peu. L’évaluation dans la « vie réelle » et non dans le cadre d’essais cliniques, demande encore, elle, à être réalisée.</p>
<h2>Le coût des effets secondaires et de l’administration du traitement</h2>
<p>Les effets secondaires se déclarant chez les patients et le coût de leur traitement constituent un autre élément à prendre en compte. Certains effets comme les réactions inflammatoires sont <a href="https://www.nature.com/articles/d41586-017-01536-3">déjà pointés du doigt</a> concernant le Kymriah. S’y ajoutent les coûts de l’administration du traitement, certains les estimant entre 150 à 200 000 dollars.</p>
<p>Enfin, il importe de noter que les rares expériences de paiement à la performance à travers le monde, <a href="https://www.lesechos.fr/29/05/2017/lesechos.fr/030357694563_medicaments---bilan-en-demi-teinte-pour-les-contrats---satisfait-ou-rembourse--.htm">y compris en France,</a> n’ont pour l’instant pas été à la hauteur des promesses qui les avaient portées. <a href="http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1098301514047251">En Italie</a> par exemple, les retours financiers ont été minimes pour l’État.</p>
<p>Ce mode de régulation du prix s’inscrit parfaitement dans le « régime de promesses technoscientifiques » dont il était question plus haut. En effet, ce régime a son économie propre qui consiste à inclure dans le calcul de la « valeur » quelque chose qui dépasse le présent et engage l’avenir, en l’occurrence l’espoir qu’un début de réussite appelle des succès encore plus grands. Dans la même logique, le mode de financement à la performance vise à convaincre les citoyen·ne·s et les pouvoirs publics que si la promesse n’est pas tenue, elle ne coûtera rien.</p>
<p>Les nouvelles thérapies géniques dans le cancer sont ainsi amenées à avoir des effets budgétaires importants pour le système de santé, en France et ailleurs. Le débat, pourtant, ne doit pas porter sur le seul niveau des prix. Il doit pouvoir questionner, aussi, la qualité de ces traitements. Ces réflexions engagent plus que les agences d’expertise sanitaire ou les administrations centrales. Elles concernent directement les citoyen·ne·s et les patient.es.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/85998/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Catherine Bourgain est membre du Comité d'éthique de l'Inserm et administratrice de l'association Sciences Citoyennes. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Pierre-André Juven ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les premiers traitements reposant sur la modification de gènes dans nos cellules ont obtenu leur autorisation dans le cancer aux États-Unis. Le point sur leur efficacité mais aussi sur leur coût.Pierre-André Juven, Sociologue post-doctorant Cermes3, École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)Catherine Bourgain, Généticienne, chargée de recherche Inserm, Cermes3, École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/848222017-10-15T19:51:39Z2017-10-15T19:51:39ZLe travail, trop rarement incriminé dans les cancers<p>Fin 2018, l'inspection du travail des Bouches-du-Rhône a remis un rapport accablant pour la direction de l'usine d'ArcelorMittal de Fos-sur-Mer. Ce rapport, dont l'existence a été <a href="https://marsactu.fr/des-salaries-darcerlormittal-face-a-des-taux-de-benzene-32-fois-superieurs-aux-normes/">révélé le 28 janvier par le site Marsactu</a>, concluait selon Le Monde à une « situation dangereuse avérée pour les travailleurs », <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/01/30/a-fos-des-salaries-d-arcelormittal-gravement-surexposes-a-un-gaz-cancerogene_5416861_3244.html">gravement surexposés à un gaz cancérogène</a>. Ces révélations préoccupantes soulignent un problème plus large : la responsabilité du travail dans l’apparition de cancers est, aujourd'hui encore, largement sous-estimée. </p>
<p>Le facteur professionnel est fréquemment incriminé dans les <a href="http://www.inrs.fr/risques/tms-troubles-musculosquelettiques/ce-qu-il-faut-retenir.html">troubles musculo-squelettiques</a> liés aux gestes répétitifs ou dans les <a href="http://www.inrs.fr/risques/psychosociaux/ce-qu-il-faut-retenir.html">problèmes de santé mentale du type burn-out</a>, mais il l’est trop peu dans les pathologies cancéreuses. Celles-ci constituent pourtant la <a href="http://www.francetvinfo.fr/sante/cancer/le-cancer-premiere-cause-de-mortalite-en-france_1593453.html">première cause de mortalité en France</a>.</p>
<p>En raison de ce faible écho, les moyens octroyés aux salariés pour se protéger de ce risque restent insuffisants. De leur côté, les salariés atteints d’un cancer peinent à obtenir réparation lorsque des soupçons pèsent sur la responsabilité du travail dans leur maladie. Ces constats sont issus de l’étude des parcours de personnes impliquées dans une procédure de reconnaissance de leur cancer en maladie professionnelle, en Lorraine et dans le département de Seine-Saint-Denis. Des travaux réalisés dans le cadre d’une thèse en <a href="http://2l2s.univ-lorraine.fr/membres/doctorant/primerano-julie">sociologie</a> à l’université de Lorraine, et d’une autre en <a href="http://www.theses.fr/2018SACLE005">sociologie et histoire</a> à l’université d’Évry-Val-d’Essonne.</p>
<p>En cause, une forme d’acceptation sociale des maux du travail. Celle-ci touche l’ensemble de la société, y compris les médecins qui hésitent à entrer dans la sphère professionnelle de leurs patients. La question de ces corps abîmés par le travail a été abordée lors du <a href="https://fiso2017.event.univ-lorraine.fr/">Festival international de sociologie</a> qui s'est tenu à Épinal le 16 octobre 2017, sur le thème de la fabrication des corps au XXI<sup>e</sup> siècle.</p>
<h2>Plus d’un salarié sur dix exposé</h2>
<p>Les expositions aux substances cancérogènes sont massives dans l’espace professionnel. Plus d’un salarié sur dix est concerné (12 %), en majorité des ouvriers, selon les données <a href="http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2017/13/2017_13_2.html">publiées en 2017 par Santé publique France</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/189014/original/file-20171005-14904-1d8u94q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/189014/original/file-20171005-14904-1d8u94q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/189014/original/file-20171005-14904-1d8u94q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/189014/original/file-20171005-14904-1d8u94q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/189014/original/file-20171005-14904-1d8u94q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/189014/original/file-20171005-14904-1d8u94q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/189014/original/file-20171005-14904-1d8u94q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Dans une scierie. Les poussières de bois sont l'une des substances responsables de cancers d'origine professionnelle.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/carpenter-working-industrial-tool-wood-factory-280147910?src=UIyOfi-UhPNQIlTYbBmqsg-1-63">Shutterstock</a></span>
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<p>Les facteurs cancérogènes les plus <a href="http://dares.travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/2013-054-2.pdf">fréquemment rencontrés</a> sont, pour les hommes, les gaz d’échappement diesel, les huiles minérales entières, les poussières de bois, la silice cristalline ; et, pour les femmes, le travail de nuit, les rayonnements ionisants, le <a href="https://www.anses.fr/fr/content/evaluation-des-risques-sanitaires-li%C3%A9s-%C3%A0-la-pr%C3%A9sence-de-formald%C3%A9hyde">formaldéhyde, plus connu sous le nom de formol</a> et les <a href="https://www.anses.fr/fr/content/evaluation-des-risques-sanitaires-li%C3%A9s-%C3%A0-la-pr%C3%A9sence-de-formald%C3%A9hyde">médicaments cytostatiques</a> utilisés pour les chimiothérapies.</p>
<p>Avant d’en venir aux cancers en eux-mêmes, il convient de s’arrêter sur la notion de « maladie professionnelle ». Celle-ci émerge à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle au terme de décennies d’une lutte idéologique – traversée par des enjeux économiques – autour de la responsabilité des employeurs <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/l-apocalypse-joyeuse-jean-baptiste-fressoz/9782021056983">dans la survenue des maux du travail</a>. La <a href="http://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/Loi_du_9_avril_1898.pdf">loi de 1898</a> relative aux accidents du travail, étendue en <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000869167&categorieLien=id">1919</a> aux maladies professionnelles, fait basculer la réparation des dommages corporels du droit commun exercé par les tribunaux vers un système d’assurance. L’accident et la maladie sont désormais envisagés comme des « risques » inhérents au travail, contre lesquels les employeurs peuvent se « couvrir » en souscrivant une assurance permettant la prise en charge des réparations éventuelles.</p>
<p>On voit alors apparaître la « présomption d’imputabilité » à l’employeur, c’est-à-dire que sa responsabilité est engagée sous certaines conditions, très restrictives. Il s’agit qui plus est d’une responsabilité sans faute, et limitée. Il n’est plus question de réparer intégralement les préjudices subis par le salarié mais plutôt de proposer une réparation forfaitaire, au prétexte de ces risques inhérents au travail. Se définit ainsi une forme d’acceptation des maux du travail par la société et pour les ouvriers, d’un corps en perpétuel sursis. La réparation des corps abîmés par le travail est devenue, de fait, un droit d’exception.</p>
<h2>Les dommages du travail, moins indemnisés que ceux de la route</h2>
<p>Un dommage corporel, s’il est causé par le travail, n’est pas indemnisé de la même façon que s’il résulte, par exemple, d’un accident de la route. L’indemnisation de la victime est en effet calculée en fonction du <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F348">taux d'incapacité permanente</a> que lui attribue le médecin-conseil de l’Assurance-maladie selon un barème national, modulé en fonction de son salaire et de son âge. Cette modalité compense seulement la perte, pour la victime, de sa capacité de gain, c’est-à-dire de sa capacité de travail et du salaire que celui-ci rapporte.</p>
<p>Les corps des ouvriers y sont ainsi réduits à leur valeur industrielle. Certaines associations de victimes, notamment la Fédération nationale des accidentés de la vie (<a href="http://www.fnath.org/?action=fnath">FNATH</a>), militent depuis de longues années pour l’alignement des droits des victimes du travail sur ceux des autres catégories de victimes.</p>
<p>Concernant les cancers, comment expliquer que le rôle du travail reste minimisé ? Cela tient, d’abord, aux spécificités de cette maladie. Elle peut en effet être déclenchée par de multiples facteurs et se manifeste le plus souvent des dizaines d’années après l’exposition aux substances cancérogènes. Le salarié ou ancien salarié ne fait pas toujours le lien entre sa maladie et son activité professionnelle passée.</p>
<p>Le corps médical, ensuite, a sa part de responsabilité dans ce phénomène de sous-estimation. C’est aux médecins qu’il revient de questionner le malade sur les causes possibles de son cancer et de le renseigner sur la démarche de reconnaissance en maladie professionnelle. Ils sont également en charge de la rédaction du certificat médical indispensable à la démarche de reconnaissance. Ils jouent, en ce sens, un rôle de <a href="https://www.cairn.info/revue-agone-2016-1-page-105.htm">« garde-barrière »</a> de l’accès à la réparation. Une fois la pathologie reconnue en maladie professionnelle, le médecin-conseil de l’Assurance-maladie est impliqué à son tour – avec sa part de subjectivité – pour évaluer le taux d’incapacité du malade, qui détermine le montant de l’indemnisation.</p>
<h2>Des examens d’imagerie prescrits trop tardivement</h2>
<p>La pathologie cancéreuse évolue longtemps <a href="https://www.pourlesnuls.fr/livres/vie-pratique/le-cancer-pour-les-nuls-9782754021319">sans symptôme spécifique</a>, ce qui <a href="http://www.who.int/mediacentre/news/releases/2017/early-cancer-costs/fr/">retarde le diagnostic</a>. Si des campagnes de dépistage sont régulièrement menées pour identifier précocement les cancers du sein, de l’utérus et du colon, le risque cancérogène professionnel, lui, demeure le plus souvent ignoré par les médecins généralistes, comme souligné <a href="http://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/2014-02-03_Plan_cancer-2.pdf">dans le Plan cancer lancé en 2014</a>. Face à des maux de dos, des difficultés respiratoires, ils explorent le plus souvent d’autres pistes, <a href="http://inpes.santepubliquefrance.fr/nouveautes-editoriales/pdf/enquete-mg.pdf">faute de s'être intéressés aux conditions de travail de leurs patients</a>, un sujet peu abordé au cours de leur formation. Ils mettent trop rarement en œuvre le « dépistage » approprié, passant par la prescription d’actes d’imagerie. Or le diagnostic tardif limite les chances de guérison des patients et leur accès à une réparation.</p>
<p>Ensuite, le cœur de leur métier portant sur le soin, les médecins négligent souvent de se pencher sur les facteurs de risque du patient. Sur le fond, le médecin qui suggérerait une cause professionnelle se positionnerait dans un espace loin d’être neutre, où le salarié se place en opposition à son employeur. Nombre d’entre eux ne souhaitent pas s’aventurer sur un terrain où ils peuvent être soupçonnés, par l’un ou par l’autre, de partialité, et subir des pressions.</p>
<p>Enfin, le regard posé par les médecins sur les corps ouvriers abîmés hérite d’une <a href="https://ch.revues.org/450">longue tradition hygiéniste</a> où les facteurs individuels du cancer comme le tabagisme ou l’alcool sont davantage pris en compte que les conditions de travail. Ainsi, aux yeux d’un certain nombre de médecins, l’ouvrier serait davantage responsable de sa maladie que victime, selon les témoignages de salariés recueillis lors de nos enquêtes. En revendiquant une reconnaissance en maladie professionnelle, il provoque parfois chez son médecin la suspicion d’une démarche vénale, voire d’une tentative de fraude.</p>
<p>Il peut s’y ajouter une tentative de culpabilisation, avec une accusation de mise en péril de l’équilibre économique de l’entreprise. Monsieur T., par exemple, est un ancien ouvrier d’une entreprise de pneumatiques atteint d’un cancer broncho-pulmonaire. Il informe son généraliste de la déclaration en maladie professionnelle qu’il va réaliser avec l’aide d’une association. Réponse du médecin : « La maladie de l’amiante, c’est très bien, mais avec tous ces gens qui font des déclarations, ça peut couler des boites ».</p>
<h2>Le travail trop facilement « blanchi » de ses responsabilités</h2>
<p>À travers l’exemple des cancers, l’indemnisation plafonnée des victimes du travail interroge sur notre rapport à celui-ci. Le travail apparaît comme trop facilement « blanchi » de ses responsabilités, tandis que sont préférentiellement incriminés les comportements individuels et les caractéristiques comme l’âge, le sexe, ou le lieu de vie. Il se voit ainsi conforté dans son statut de priorité : il s’agit de « préserver l’emploi » avant toute considération sanitaire.</p>
<p>Ainsi, l’employeur peut être perçu par le salarié comme le pourvoyeur de son indispensable gagne-pain ; et le risque pour sa santé, comme une contrepartie normale de son salaire. Derrière la reconnaissance ou non de la maladie professionnelle, ce sont les rapports de production qui sont en jeu. Les corps des ouvriers abîmés par le travail n’ont, dans un tel contexte, qu’une valeur très modeste.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/84822/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julie Primerano a reçu des financements de l'Institut National du Cancer (contrat doctoral). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Anne Marchand a reçu des financements de l'Institut national du cancer dans le cadre d'une recherche interventionnelle pour réduire les inégalité sociales face à l'accès au droit à réparation</span></em></p>Le rôle du travail dans la survenue des cancers est sous-estimé. En conséquence, les salariés malades peinent à obtenir réparation, comme le montre l’étude de leurs parcours.Julie Primerano, Doctorante en sociologie, Université de LorraineAnne Marchand, Post-doctorante en sociologie et en histoire, Université d’Evry – Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.