tag:theconversation.com,2011:/us/topics/barack-obama-21988/articlesBarack Obama – The Conversation2023-11-22T16:18:24Ztag:theconversation.com,2011:article/2182212023-11-22T16:18:24Z2023-11-22T16:18:24ZLe style de leadership de JFK inspire toujours, 60 ans après sa mort<p>John F. Kennedy demeure une figure publique exemplaire, une source d’inspiration, et son style de leadership constitue une référence depuis des décennies.</p>
<p>L’ancien président américain (1961-1963) a projeté une image idéalisée du <a href="https://independentaustralia.net/politics/politics-display/john-f-kennedy-a-leader-for-our-time,13059">leadership</a>, qui, dans sa meilleure version, démontre que le système politique peut relever les plus grands défis de la société. Il a exercé une présidence optimiste et ambitieuse et, bien que sa fin ait été tragique, il a remporté des succès considérables dans des domaines aussi divers que la <a href="https://millercenter.org/president/kennedy/domestic-affairs">réduction de la pauvreté</a>, <a href="https://www.jfklibrary.org/learn/about-jfk/jfk-in-history/nuclear-test-ban-treaty#:%7E:text=Kennedy%20signed%20the%20ratified%20treaty,the%20nation%20conducting%20the%20test">l’interdiction des essais d’armes nucléaires</a> et les programmes spatiaux Mercury et <a href="https://history.nasa.gov/moondec.html">Apollo</a>.</p>
<p>Porté au pouvoir en novembre 1960, à l’âge de 43 ans, JFK demeure à ce jour le <a href="https://obamawhitehouse.archives.gov/1600/presidents/johnfkennedy">plus jeune président américain</a> élu. Son âge aurait pu être vu comme un handicap, en particulier en matière de politique étrangère, mais il a approfondi ses connaissances grâce aux nombreux voyages à l’étranger qu’il a effectués pendant son mandat au Congrès et son service militaire. En outre, il a choisi des personnes <a href="https://www.jfklibrary.org/learn/about-jfk/life-of-john-f-kennedy/fast-facts-john-f-kennedy/officials-of-the-kennedy-administration">hautement qualifiées et instruites</a> pour son cabinet.</p>
<h2>Un leadership éclairé</h2>
<p>Pour le 60<sup>e</sup> anniversaire de la mort de Kennedy, il est bon de rappeler que sa présidence a posé les <a href="https://www.jstor.org/stable/23631185">jalons</a> d’un style de leadership ambitieux, éclairé et progressiste. Jack, Robert et Edward Kennedy ont contribué, chacun à sa manière, aux causes politiques démocrates, telles que l’élargissement des droits civiques et la réforme des soins de santé.</p>
<p>Le style de leadership de JFK a eu une influence considérable et servi de <a href="https://theconversation.com/when-image-trumps-ideology-how-jfk-created-the-template-for-the-modern-presidency-78073">modèle</a> politique et culturel à des présidents aussi différents que Ronald Reagan, Bill Clinton et Barack Obama. </p>
<p>Bien que plus à droite que Kennedy, Reagan (un ancien acteur) partageait sans doute avec ce dernier un sens du <a href="https://archive.nytimes.com/www.nytimes.com/books/first/f/fitzgerald-blue.html">théâtre politique</a>. Clinton s’est efforcé de se forger une image <a href="http://www.espn.com/espn/photos/gallery/_/id/7964385/image/3/version/mobile/bill-clinton-presidents-playing-football">jeune, vigoureuse</a> et idéalisée <a href="https://www.jstor.org/stable/41940033">inspirée de JFK</a>, même si plusieurs de ses tentatives pour faire adopter des lois dans le but d’atteindre d’importants objectifs démocrates (comme la réforme des soins de santé) ont fini par échouer. Clinton, comme JFK, aimait réunir de grands groupes <a href="https://eu.recordnet.com/story/news/1995/01/01/clinton-parties-with-thinkers-s/50877460007/">d’intellectuels et de leaders de leur domaine</a> pour discuter de politique et de divers enjeux. <a href="https://books.google.co.uk/books?id=q6G96iX0xW8C">Selon Ted Sorensen</a>, ancien rédacteur de discours de JFK, Obama croyait, comme Kennedy, à la diplomatie et aux négociations, même avec ses adversaires.</p>
<p>Le style ouvert et captivant de Kennedy a fait en sorte que le gouvernement et le service public paraissaient intéressants et <a href="https://news.gallup.com/poll/165902/americans-rate-jfk-top-modern-president.aspx">pertinents</a>. Même si les méthodes utilisées pour établir les classements des présidents <a href="https://www.york.ac.uk/business-society/research/management/policy/archive/trump_presidential_performance_evaluation/">ont souvent été contestées</a>, JFK a toujours figuré parmi les <a href="https://scri.siena.edu/2022/06/22/american-presidents-greatest-and-worst/">dix premiers</a>, bien qu’il n’ait été au pouvoir qu’un peu plus de 1 000 jours. La famille Kennedy a prospéré grâce à l’ambition et au pouvoir, mais son désir de <a href="https://www.theatlantic.com/magazine/archive/2013/08/the-legacy-of-john-f-kennedy/309499/">servir le public</a> semblait sincère, tout comme celui d’apprendre et de progresser.</p>
<h2>Les séminaires de Hickory Hill</h2>
<p>JFK a gouverné à partir du centre, en nommant des personnes aux antécédents politiques variés dans son cabinet. <a href="https://www.historyextra.com/period/20th-century/jfk-style-over-substance/">Il a réussi</a> à faire adopter de nombreuses lois pendant son mandat et a contribué à l’adoption de la législation historique sur les droits civiques par son successeur, Lyndon Johnson.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/QXqlziZV63k?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Discours de JF Kennedy sur l’exploration spatiale.</span></figcaption>
</figure>
<p>Dans le cadre de nos <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/17427150211042153">recherches</a> archivistiques, nous nous sommes intéressés à l’évolution de ce que l’on a appelé les « séminaires de Hickory Hill », une série de discussions et de rencontres sociales qui se déroulaient généralement au domicile de Robert et Ethel Kennedy à McLean, en Virginie. </p>
<p>Ces événements permettaient d’explorer les problèmes sociaux et leurs solutions, et constituaient en quelque sorte des précurseurs des groupes de développement du leadership. Les échanges portaient sur des sujets aussi variés que les grandes œuvres littéraires et la pauvreté des enfants. <a href="https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/aujourd-hui-l-histoire/segments/entrevue/438908/rachel-carson-printemps-silencieux-ddt-environnement">Rachel Carson</a> et le philosophe <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Alfred_Jules_Ayer">A.J. Ayer</a> ont figuré parmi les orateurs invités. Le cercle intime de l’administration Kennedy collaborait avec des personnes de l’extérieur, ce qui contraste avec les <a href="https://doi.org/10.1177/1742715016680666">styles de leadership</a> partisans, secrets et souvent cloisonnés si courants aujourd’hui.</p>
<p>La présidence et le leadership de JFK ont été marqués par quelques succès notables. Le président a utilisé le gouvernement fédéral pour faire respecter la déségrégation raciale dans plusieurs <a href="https://www.nps.gov/articles/000/the-kennedys-and-civil-rights.htm">affaires</a> très médiatisées. Son administration a également préparé le terrain pour la législation sur les droits civiques mentionnée plus haut, qui a été adoptée après sa mort. Parmi les aspects moins positifs, le pouvoir de Kennedy était délibérément cultivé et contrôlé à la manière d’une marque par son entourage proche. Son père s’est vanté d’avoir vendu l’image de son fils comme des <a href="https://www.theguardian.com/film/2017/jan/07/jackie-natalie-portman-behind-the-creation-of-jfk-camelot-movies">savonnettes</a>.</p>
<h2>Éviter la pensée de groupe</h2>
<p>JFK a également commis des erreurs. Il a accepté le débarquement de la <a href="https://doi.org/10.2307/2149944">baie des Cochons</a>, à Cuba, après que des experts militaires ont prédit à tort qu’il serait facile de renverser le régime de Fidel Castro. Le président a appris, à la dure, qu’il fallait parfois se méfier des conseils militaires. Après l’incident de la baie des Cochons, JFK a introduit de nouvelles méthodes de travail pour <a href="https://hbr.org/2013/11/how-john-f-kennedy-changed-decision-making">éviter la « pensée de groupe</a> ». Son succès dans la crise des missiles de Cuba découle en partie de cette leçon.</p>
<p>Kennedy a également intensifié la terrible intervention américaine <a href="https://millercenter.org/the-presidency/educational-resources/kennedy-commitment">au Viêt Nam</a>. Il a souscrit à la <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1179/072924701791201576">« théorie des dominos »</a> sur la prétendue nécessité pour les États-Unis d’affronter le communisme en Asie, quel qu’en soit le prix. Son administration a entraîné l’Amérique dans une guerre perdue d’avance en soutenant le régime instable du Sud Viêt Nam et en participant à un <a href="https://nsarchive2.gwu.edu/NSAEBB/NSAEBB101/index.htm">coup d’État</a> sanglant contre l’un de ses dirigeants.</p>
<p>Des rédacteurs de discours et des historiens tels que Ted Sorensen et Arthur Schlesinger Jr ont déployé des efforts considérables pour préserver et promouvoir l’image de la famille Kennedy en présentant son leadership comme progressiste, voire héroïque (Schlesinger était chargé de la gestion quotidienne des séminaires de Hickory Hill et a joué un rôle clé dans l’élaboration des <a href="https://www.jstor.org/stable/2657937">classements</a> de leadership présidentiel). Ces efforts ont assurément influencé la portée et la longévité de la popularité des Kennedy.</p>
<p>D’autres liens existent entre JFK et l’étude du leadership. James MacGregor Burns, théoricien du leadership, a écrit un <a href="https://books.google.co.uk/books?id=cm2LCwAAQBAJ">livre de campagne</a> sur JFK, et <a href="https://books.google.co.uk/books?id=lhrPS_s7EawC">l’œuvre de Burns</a> a servi à promouvoir l’idée d’un <a href="https://doi.org/10.1080/135943299398410">« leadership transformationnel »</a>, selon laquelle les formes de leadership les plus efficaces et les plus éthiques sont celles qui mettent l’accent sur la vision, le changement et l’inspiration, plutôt que celles qui se limitent à tenir boutique.</p>
<p>On se souvient généralement de JFK comme d’un bon président, mais l’image idéalisée de Camelot est <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0018726702055002181">assurément exagérée</a>.</p>
<h2>L’anti-Trump</h2>
<p>Lors de ce qui s’est avéré son dernier voyage, JFK devait <a href="https://www.politico.com/news/magazine/2022/06/10/jfk-foresaw-donald-trumps-america-00038627">prononcer un discours à Dallas</a> dans lequel il mettait en garde contre « des voix qui prêchent des doctrines totalement étrangères à la réalité » – et qui, craignait-il, risquaient « d’entraver la sécurité de ce pays ». Ce leadership agressif et populiste qu’il décriait, incarné de nos jours par Donald Trump, est en plein essor.</p>
<p>Plutôt que de collaborer avec leurs rivaux politiques, ces personnes préfèrent les rejeter et les attaquer. Robert Kennedy Jr, par exemple, se présente à l’élection présidentielle en suivant le <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1350508419870901">modèle Trump</a> de dénigrement et de populisme, se positionnant comme quelqu’un de l’extérieur qui « va assainir le système », plutôt que comme un rejeton de l’une des familles les plus influentes d’Amérique.</p>
<p>L’héritage de JFK conserve néanmoins le potentiel de promouvoir une approche sérieuse et éthique du leadership. Il valorise des visions d’idéalisme et de service public, et non d’égoïsme et de dénigrement. Toutefois, <a href="https://www.theguardian.com/film/2016/sep/13/jackie-review-natalie-portman-kennedy-jfk#:%7E:texilsils%20t=Portman%20is%20altogether%20astonishing%20in,had%20on%20those%20around%20her.">cette présentation</a> omet souvent de tenir compte des défauts et des échecs de John F. Kennedy.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218221/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le style de leadership de JFK a eu une influence considérable et a servi de modèle tant à Ronald Reagan, qu'à Bill Clinton ou à Barack Obama.Leo McCann, Professor of Management, University of YorkSimon Mollan, Reader in Management, University of YorkLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2046432023-05-15T10:18:34Z2023-05-15T10:18:34ZPour devenir un leader, faut-il être drôle ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/523239/original/file-20230427-27-6dqen7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=83%2C0%2C1455%2C989&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L’ancien président des États-Unis, Barack Obama a forgé une partie de sa popularité sur des épisodes humoristiques, comme son Mic Drop en 2016.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Maison blanche</span></span></figcaption></figure><p>Si le rire est le propre de l’homme, le sens de l’<a href="https://theconversation.com/topics/humour-24698">humour</a> n’est pas aussi bien partagé chez nombre de dirigeants. Dans ses manifestations publiques ou symboliques, il ne fait pas bon ménage avec le <a href="https://theconversation.com/topics/pouvoir-64767">pouvoir</a>. L’humour a longtemps été condamné par le christianisme, dans la mesure où les Évangiles ne relatent pas d’épisodes dans lesquels Jésus rit. Tel est du moins l’argument du moine ultra rigoriste <a href="https://www.youtube.com/watch?v=tZcKVmljc_Q">Jorge de Burgos</a> dans le roman d’Umberto Eco, <em>Le Nom de la Rose</em>.</p>
<p>Dans les théories classiques du <a href="https://theconversation.com/fr/topics/leadership-24112"><em>leadership</em></a>, de plus en plus contestées aujourd’hui, l’humour ne fait pas partie des prétendues qualités nécessaires au leadership, telles que la ténacité, l’exemplarité ou la capacité à influencer et motiver. L’humour semblerait s’opposer à l’autorité que doivent incarner les leaders. Pour diriger, il faudrait être sérieux, tant de nombreuses décisions ont des conséquences graves.</p>
<p>En politique, il semble que plus les régimes sont autoritaires, plus l’humour est banni. Des dictateurs comme Mussolini, Pinochet, Staline, Hitler ou Pol Pot n’étaient pas des plaisantins (et c’est bien sûr une litote que de le dire). Dans l’actualité, certains dirigeants puissants présentent des visages sévères et n’utilisent presque jamais l’humour dans leur style de leadership. Les présidents autoritaires Recep Tayyip Erdogan, Viktor Orbán, Vladimir <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/10/06/en-russie-l-humour-politique-ne-fait-pas-rire-le-pouvoir-de-vladimir-poutine_6097273_3210.html">Poutine</a>, Xi Jinping ou Ali Khamenei, le mollah iranien, manient peu les calembours ou les jeux de mots.</p>
<p>Dans les démocraties ou au sommet des grandes entreprises, les « petites blagues » sont plutôt mal vues et peuvent décrédibiliser les compétences du leader et ternir son image. Le <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/francois-hollande/video-petites-blagues-autoderision-francois-hollande-le-president-des-bons-mots_2189235.html">président François Hollande</a> semble notamment en avoir fait les frais durant son quinquennat.</p>
<h2>Humour ou ironie ?</h2>
<p>Par leadership, on entend l’aptitude à influencer les autres pour atteindre un objectif et réaliser le changement, sachant que les suiveurs sont plus ou moins libres de suivre le leader. Nous qualifierons d’« éthique », le leader qui ne fait pas de mal aux autres et à son environnement.</p>
<p>L’humour est une forme de communication qui cherche intentionnellement à provoquer le rire ou le sourire. D’un côté, il y a un message supposé humoristique. De l’autre côté, il y a la réponse de ceux qui reçoivent ce stimulus. L’humour peut aussi être considéré comme une disposition d’esprit qui implique souvent la mise en cause de soi-même et l’autodérision. Voilà peut-être pourquoi les leaders autoritaires ou les petits chefs qui ne deviendront jamais grands le détestent : l’humour met en cause l’humoriste lui-même.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/n0SMMaoCVTg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>L’ironie, elle, est davantage une manière de railler, de se moquer de quelqu’un ou quelque chose. Dans les discours actuels, elle est utilisée par certains pour fustiger des catégories ciblées. L’intention est moqueuse, malicieuse, parfois cruelle. L’étymologie du mot nous renvoie à la « dissimulation ». <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/04/20/reforme-des-retraites-emmanuel-macron-joue-l-ironie-au-risque-d-alimenter-la-colere_6170378_823448.html">L’ironie</a> donne l’impression de plaisanter, mais il ne s’agit que d’une plaisanterie superficielle : derrière le sourire se masquent le reproche et la morsure.</p>
<p>Dans la bouche d’un leader autoritaire ou négatif, l’ironie devient une arme pour annihiler la motivation et le plaisir au travail. Le sarcasme du leader politique ou économique va souvent de pair avec le narcissisme ou l’arrogance. Le président américain <a href="https://www.washingtonpost.com/podcasts/post-reports/the-irony-of-trumps-casual-attitude-toward-coronavirus/">Donald Trump</a> en avait ainsi fait usage à de nombreuses reprises.</p>
<p>L’ironie, c’est rire des autres ou contre les autres et c’est une des armes des leaders toxiques. L’humour, c’est rire avec les autres ; et comme l’ont démontré de nombreuses recherches académiques sur le sujet, il peut devenir un atout du leader démocratique, positif et éthique, qui ne nie pas ses responsabilités et qui sait faire preuve d’empathie.</p>
<h2>Un levier de changement</h2>
<p>D’après <a href="https://www.cairn.info/revue-humanisme-et-entreprise-2008-3-page-21.htm">Céline Bottega</a>, enseignante à Marseille, l’humour est susceptible de renforcer collectivement les comportements. Il serait d’abord un bon outil de <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/le-management-par-lhumour-une-valeur-en-hausse-1032458">management</a> et leadership. Il favorise les <a href="https://www.letemps.ch/economie/carrieres/lhumour-un-ferment-relations-travail-un-outil-prevention-conflits">relations sociales</a>, rend les situations professionnelles moins négatives et réduit le stress par exemple. Il génère des bienfaits psychologiques : bien-être et plaisir au travail, permet d’éviter la colère et la frustration, deux émotions destructrices des relations sociales. Il redonne, enfin, de l’énergie.</p>
<p>L’humour s’avère également un <a href="https://www.lepoint.fr/culture/humour-fary-le-rire-est-le-premier-moyen-pour-communiquer-19-02-2019-2294444_3.php">bon moyen de communiquer</a>. Il permet de remettre en question les préjugés et de relativiser les opinions. Il met en évidence les contradictions et les croyances erronées. C’est un bon outil de persuasion. Les relations interpersonnelles, dans des négociations âpres par exemple, sont modifiées car l’humour instaure un climat relationnel agréable. Il engendre des émotions positives : la joie, la surprise, la gaieté. </p>
<hr>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"></span>
</figcaption>
</figure>
<p><em>Chaque lundi, que vous soyez dirigeants en quête de stratégies ou salariés qui s’interrogent sur les choix de leur hiérarchie, recevez dans votre boîte mail les clés de la recherche pour la vie professionnelle et les conseils de nos experts dans notre newsletter thématique « Entreprise(s) ».</em></p>
<p><a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-entreprise-s-153/"><em>Abonnez-vous dès aujourd’hui</em></a></p>
<hr>
<p>L’humour est enfin un <a href="http://www.journaldunet.com/management/0503/050376humour.shtml">bon levier de changement</a>. Un processus de transformation sera peut-être mieux accepté et mieux vécu si le leader sait communiquer sur ce processus avec humour, avant, pendant et après sa mise en œuvre.</p>
<p>L’utilisation de l’humour par les dirigeants suppose néanmoins que les leaders maîtrisent les lois de la communication.</p>
<p>Dans la communication des politiciens, il apaise les tensions, attire l’attention du public et favorise la mémorisation des messages. Le <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/s679654_001/humour-politique-de-de-gaulle-a-hollande">général de Gaulle</a> par exemple, savait manier les mots et répondre en 1967 à un journaliste prenant de ses nouvelles :</p>
<blockquote>
<p>« Je ne vais pas mal, mais, rassurez-vous, un jour je ne manquerai pas de mourir ».</p>
</blockquote>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/I0bYA9GkbJQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Le premier ministre britannique Winston Churchill tout comme le président américain Barack <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/usa/barack-obama-un-president-qui-a-de-l-humour_1429943.html">Obama</a> savaient manier avec talent les bons mots dans leurs interventions. L’humour rappelle aux leaders de ne pas se prendre trop au sérieux, même s’ils traitent de choses sérieuses. Il représente un atout pour affronter et résoudre les problèmes pénibles.</p>
<p>Oui, le leader authentique doit savoir pratiquer l’humour. Il ne doit pas hésiter à se moquer de lui-même, de ses défauts et de ses faiblesses. Car l’humour est un signe pertinent de la <a href="https://www.futura-sciences.com/sante/actualites/medecine-avoir-sens-humour-signe-bonne-sante-mentale-64725/">santé mentale</a> et un avantage inestimable dans la vie professionnelle et la vie en général.</p>
<h2>De bonne humeur, toujours !</h2>
<p>Attention cependant, si l’humour constitue un puissant levier pour influencer les comportements, il doit rester éthique, pour que l’outil de leadership ne se transforme pas en support de manipulation. On peut plus difficilement rire d’une guerre ou d’un bateau de migrants. L’humour doit se pratiquer à bon escient, au bon moment et dans la bonne situation. Sinon, il peut dégrader les relations humaines et abîmer la crédibilité du leader. Un P.-D.G serait mal vu s’il galéjait au moment où il annonce un plan de licenciement, de même qu’un ministre annonçant le report de l’âge de départ à la retraite.</p>
<p>À défaut d’humour, le leader a alors un <a href="https://www.usinenouvelle.com/article/le-manager-a-un-devoir-de-bonne-humeur-affirme-la-coach-corinne-samama.N203777">devoir de bonne humeur</a>. Nul besoin pour le leader d’être un humoriste. Comment peut-il cultiver cette bonne humeur ? Il lui suffit d’apprécier et d’encourager l’humour des autres. On pourrait donc donner le conseil suivant aux dirigeants actuels : restez toujours de bonne humeur, à défaut d’avoir de l’humour vous-mêmes. Si vous en avez, pratiquez-le à bon escient pour dédramatiser les situations, renforcer les comportements positifs et <a href="https://www.lexpress.fr/economie/emploi/au-travail-l-humour-engendre-la-joie-et-le-plaisir-d-etre-ensemble_1293272.html">favoriser les relations sociales</a>.</p>
<p>Si vous en manquez, entourez-vous de collaborateurs qui en ont ou qui sont de bonne humeur. Encouragez le <a href="https://www.capital.fr/votre-carriere/lhumour-est-un-pouvoir-sous-employe-en-entreprise-regrette-la-chercheuse-vanessa-marcie-1454706">rire</a> et la bonne humeur et riez aux blagues des autres. Bannissez, en revanche le cynisme, l’ironie et la moquerie. Lancez de nouveaux projets sur le mode ludique. Faites <a href="https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/20140516trib000830429/le-management-par-le-jeu-un-nouveau-moyen-de-motiver-les-salaries-.html">jouer ensemble</a>, lors des séminaires, les collaborateurs.</p>
<p>Un monde sans humour serait inhumain. Un exercice du pouvoir sans humour le serait tout autant.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204643/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Philippe Villemus ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si vous peinez à faire usage de l’humour, appliquez-vous à rester de bonne humeur et à vous entourer de collaborateurs capables de traits d’esprit autres que l’ironie.Philippe Villemus, Professeur chercheur en marketing et leadership, Montpellier Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1794912022-03-21T20:06:50Z2022-03-21T20:06:50ZLa première juge noire à la Cour suprême des États-Unis peut-elle changer la donne ?<p>C’est un moment historique et sans doute l’un des points saillants que l’on retiendra de la présidence Biden : l’image du président entouré de deux femmes noires, sa vice-présidente Kamala Harris et Ketanji Brown Jackson. C’est cette dernière que le président américain a choisie <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/01/26/stephen-breyer-juge-progressiste-a-la-cour-supreme-va-se-retirer-selon-plusieurs-medias-americains_6111112_3210.html">pour succéder au juge Stephen Breyer</a>. Sa candidature a commencé à être examinée par la commission judiciaire du Sénat ce lundi ; cet <a href="https://www.lavoixdunord.fr/1155477/article/2022-03-21/etats-unis-ketanji-brown-jackson-juge-noire-nommee-la-cour-supreme-doit">examen</a> durera jusqu’à jeudi prochain.</p>
<p>Comme Joe Biden s’y était engagé durant sa campagne, il a nommé une « femme noire »,la <a href="https://www.ladepeche.fr/2022/02/25/etats-unis-qui-est-ketanji-brown-jackson-la-juge-afro-americaine-tout-juste-nommee-a-la-cour-supreme-10135010.php">première appelée à siéger dans cette institution</a> qui fut entièrement masculine jusqu’en 1981 et n’a connu, depuis sa création en 1789, que deux juges noirs sur 115 : au très progressiste <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Thurgood_Marshall">Thurgood Marshall</a> (qui siégea de 1967 à 1991) a succédé sur ce qui est implicitement « le siège noir de la Cour » le très conservateur <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Clarence_Thomas">Clarence Thomas</a>, toujours en place aujourd’hui. La cour, composée de neuf juges, a compté au total quatre femmes, dont trois actuellement en poste (deux progressistes, Elena Kagan et Sonia Sotomayor, et une conservatrice, Amy Barrett).</p>
<p>Si la nomination de Ketanji Brown Jackson est confirmée, il y aura pour la première fois quasi-parité avec quatre femmes (trois progressistes et une conservatrice) et cinq hommes. Trois représentants des minorités siégeront alors à la Cour suprême : Clarence Thomas, l’Hispanique Sonia Sotomayor et cette première femme noire. Joe Biden souhaite que la juridiction suprême ressemble un peu plus au peuple américain, ce qui devrait être le cas malgré les critiques immédiates du camp conservateur.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1500844897678598148"}"></div></p>
<h2>La critique identitaire</h2>
<p>Avant même que le nom de la candidate retenue par le président soit connu, les Républicains et la droite trumpiste ont commencé à brandir l’accusation de « choix identitaire », de discrimination positive et de système de quotas, critiquant <em>a priori</em> la compétence supposée insuffisante de la candidate pas encore nommée. Le sénateur Ted Cruz, qui sera candidat à la présidentielle en 2024 s’il le peut et qui siège à la commission judiciaire du Sénat, a dénoncé la « politique identitaire » des Démocrates. Il a souligné qu’il était inadmissible de réserver une place à la Cour à une femme noire, quand celles-ci ne représentent que 6 % de la population.</p>
<p>Pourtant, des présidents républicains récents avaient eux aussi, en quelque sorte, procédé à des nominations sur des critères qui ne se limitaient pas à la seule compétence (<em>phrase de transition ajoutée, est-ce OK ?</em>) : Ronald Reagan s’était engagé à désigner la première femme à la Cour suprême, ce qu’il fit en <a href="https://www.presidency.ucsb.edu/documents/remarks-announcing-the-intention-nominate-sandra-day-oconnor-be-associate-justice-the">nommant en 1981 la juge Sandra Day O’Connor</a>. De même, Donald Trump avait « réservé » la <a href="https://information.tv5monde.com/terriennes/amy-coney-barrett-pro-armes-pro-vie-une-juge-aux-antipodes-de-ruth-baden-ginsburg-376973">candidature d’Amy Coney Barrett</a> de façon à disposer d’une candidate femme s’il était amené à nommer celle qui succéderait à l’icône de la lutte pour l’égalité et les droits des femmes <a href="https://theconversation.com/ruth-bader-ginsburg-une-vie-de-combats-146605">Ruth Bader Ginsburg</a>, et personne à droite n’y trouva rien à redire.</p>
<p>Puis, dès que le nom de Ketanji Brown Jackson a été connu, une deuxième accusation s’est ajoutée. Ses adversaires ne peuvent guère remettre en cause les qualités de la candidate : âgée de 51, elle affiche un CV impeccable qui commence à Harvard, se poursuit par le poste très convoité d’assistante judiciaire (<em>law clerk</em>) du juge Stephen Breyer (auquel elle est appelée à succéder) puis par un siège à la Cour d’appel du District de Columbia, vivier et tremplin dont sont issus trois membres actuels de la Cour, le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Juge_en_chef_des_%C3%89tats-Unis#:%7E:text=Le%20juge%20en%20chef%20des,Cour%20supr%C3%AAme%20des%20%C3%89tats%2DUnis."><em>Chief Justice</em></a> John Glover Roberts, Clarence Thomas et Brett Kavanaugh. Mais les conservateurs trouvent un autre angle d’attaque : Jackson serait une gauchiste poussée par <a href="https://theconversation.com/what-is-dark-money-5-questions-answered-118310">l’argent secret (<em>dark money</em>)</a> de la gauche radicale.</p>
<p>Il est vrai que le groupe <a href="https://demandjustice.org/about/"><em>Demand Justice</em></a> a financé des publicités <a href="https://www.politico.com/news/2020/09/29/demand-justice-seven-figure-ad-buy-scotus-fight-422886https://demandjustice.org/confirmkbj/">contre Amy Coney Barrett</a> et en faveur de juges progressistes. Cependant, les montants sont loin des millions de dollars dépensés par le tandem <em><a href="https://fedsoc.org/about-us#Background">Federalist Society</a></em>/ <a href="https://judicialnetwork.com/about/"><em>Judicial Crisis Network</em></a>, les deux lobbies favorables aux juges de droite.</p>
<p>La <em>Federalist Society</em>, créée dans les années 1980 pour contrer la « dérive gauchiste » des juridictions fédérales (selon la droite), est devenue un acteur puissant. Dotée de ressources financières considérables, elle a joué un rôle central dans la sélection des juges désignés par Donald Trump. L’ancien président lui avait alors littéralement sous-traité la tâche essentielle de contrôler la « pureté idéologique » des candidats.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/FSYgDb1h5GY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Avec <em>Judicial Crisis Network</em>, elle a dépensé des sommes énormes pour pousser les trois candidats conservateurs entrés à la Cour sous Trump : Neil Gorsuch, Brett Kavanaugh et Amy Coney Barrett. Pour cette dernière, nommée huit jours après le décès de Ruth Bader Ginsburg, à quelques jours de l’élection de novembre 2020 et passée en force au Sénat, les <a href="https://apnews.com/article/donald-trump-amy-coney-barrett-elections-us-supreme-court-courts-800810431929326355c9ef0a78bfee40">deux organisations ont financé</a> 5,3 millions de dollars de publicités télévisées et 2,9 millions de dollars de publicités numériques.</p>
<h2>Quel impact ?</h2>
<p>Les enjeux sont à la fois considérables et limités. D’un côté, la nomination de la candidate présentée par Joe Biden ne changera pas l’équilibre de la Cour qui resterait composée de six conservateurs et trois progressistes. Mais, de l’autre, la juge que l’on appellera peut-être un jour par ses initiales KBJ comme RBG (pour Ruth Bader Ginsburg), apportera à la Cour, en raison de son profil, une vraie diversité de perspectives sur des questions ignorées ou délaissées par des hommes blancs issus de l’aristocratie juridique blanche.</p>
<p>Mariée à un homme blanc issu de la haute société descendant des <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-cours-de-lhistoire/les-mythes-fondateurs-des-etats-unis-le-mayflower-les-puritains-debarquent">Pèlerins du Mayflower</a> et mère d’enfants métis majeurs, elle a <a href="https://lesactualites.news/nouvelles/en-tant-que-defenseur-public-ketanji-brown-jackson-a-aide-des-clients-que-dautres-evitaient/">défendu certains des prisonniers de Guantanamo</a>. Elle connaît le système pénal, non comme procureur (comme plusieurs membres actuels de la Cour) mais comme avocat de la défense (<em>public defender</em>).</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/4deWzSecDP8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Elle peut se mettre à la place d’un inculpé noir et pauvre, d’autant qu’elle a aussi siégé à la commission bi-partisane sur la détermination des peines (<em>Sentencing Commission</em>). À cette fonction, elle a contribué à réduire la disparité existant entre les lourdes peines encourues pour possession de crack et celles, plus légères, pour usage de cocaïne, les détenteurs de la première tendant à être noirs alors que les consommateurs de cocaïne étaient plutôt blancs. Et donc, accuse la droite, la juge Jackson sera « soft on crime », laxiste envers les criminels.</p>
<p>Et elle serait aussi la seule, avec la juge Sonia Sotomayor, à avoir siégé en juridiction de première instance avant de devenir juge d’appel. Les deux femmes comprennent ce qu’est réellement un procès, ce travail qui implique d’écouter les témoins, les experts et d’effectuer le travail de fond nécessaire pour la rédaction d’un jugement qui n’est pas simplement un exercice abstrait et philosophique sur la signification de la Constitution ou de la loi.</p>
<p>Et ce n’est pas anodin lorsque l’on constate que la Cour suprême évacue régulièrement et avec désinvolture les 150 ou 200 pages d’un jugement de première instance argumenté en profondeur pour se ranger aux côtés d’une cour d’appel qui infirme sans guère motiver. Ce fut le cas, par exemple, dans l’affaire <a href="https://www.justice.gov/crt/case-document/veasey-v-perry-court-appeals-decision">Veasey vs. Perry</a>, en 2015 : le Texas avait adopté une loi prétendument destinée à lutter contre la fraude électorale mais qui était discriminatoire à l’encontre des Afro-Américains et des Hispaniques. La juridiction de première instance a interdit la mise en œuvre des dispositions en raison de leur caractère discriminatoire. Mais la cour d’appel du cinquième circuit a bloqué cette interdiction, et la Cour suprême, saisie en procédure d’urgence, s’est rangée à la position de la cour d’appel. Ne prêtant aucune attention aux arguments développés en première instance.</p>
<p>Peut-être la nouvelle juge, si elle est confirmée, pourra-t-elle convaincre quelques-uns de ses collègues qu’un jugement de première instance représente un gros travail qui permet une analyse en profondeur et devrait être pris en compte.</p>
<h2>Des enjeux centraux</h2>
<p>Les nominations et confirmations par le Sénat sont devenues des enjeux centraux. Les décisions de la Cour touchent en effet à tous les domaines de la vie politique, sociale et économique et les juges, nommés à vie, sont choisis de plus en plus jeunes. Depuis 1972, seules deux juges sur 17 étaient âgées de plus de 55 ans le jour de leur confirmation, Ruth Baren Ginsburg et Sonia Sotomayor. Les candidats sont aujourd’hui de plus en plus nommés avant 50 ans, comme John Roberts, Elena Kagan, Neil Gorsuch ou Amy Coney Barrett.</p>
<p>Avant 1970, le mandat moyen d’un juge suprême était inférieur à 15 ans. Depuis, il est supérieur à 25 ans. En raison de l’espérance de vie qui a augmenté et de leur jeune âge au moment de leur accession à la juridiction suprême, les « nouveaux » pourront sans doute siéger 35 ans, prolongeant les préférences idéologiques des présidents qui les ont nommés.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1305357753511280640"}"></div></p>
<p>Clarence Thomas, le deuxième Noir à la Cour, avait 43 ans à sa nomination par George H. Bush. Il siège depuis trente ans et il ne partira que lorsqu’un président républicain sera élu. Car, compte tenu des enjeux et de la polarisation, il est désormais impensable qu’un juge quitte la Cour (sauf s’il décède) avant qu’un président de la bonne couleur idéologique n’accède à la Maison Blanche et puisse donc le remplacer par un successeur ayant la même vision que lui.</p>
<h2>Une Cour devenue très puissante</h2>
<p>Au fil du temps, la Cour s’est octroyé divers pouvoirs dont celui, central, de se prononcer sur la constitutionnalité des lois et des actes du président, dès la décision <a href="https://www.greelane.com/fr/sciences-humaines/probl%c3%a8mes/marbury-v-madison-104792/"><em>Marbury v. Madison</em> de 1803</a>. Son pouvoir de <em>judicial review</em> est large, qui intervient <em>a posteriori</em> sur les lois mais aussi les décrets du président ou ceux pris par les agences fédérales, ce qui fait d’elle un acteur central. D’autant que le Congrès paralysé par le blocage partisan est de nos jours incapable d’adopter la moindre loi, que ce soit sur l’immigration, la réforme de la police ou la protection du droit de vote.</p>
<p>Ce qui amène les présidents à agir de plus en plus par voie de décrets. Seulement, ceux-ci sont soumis au contrôle du pouvoir judiciaire, qui s’est transformé en « super-législateur », ce qui n’est pas son rôle et accroît encore les enjeux.</p>
<p>Au fil du temps, la Cour a aussi obtenu que le Congrès lui permette de choisir les affaires dont elle traite (entre 50 et 70 chaque année), ce qui permet aux groupes de pression divers, par exemple ceux qui militent un port d’armes illimité ou contre le droit à l’avortement, de monter des stratégies judiciaires pour obtenir le résultat qu’ils souhaitent.</p>
<p>En conséquence, le choix d’un juge est devenu l’acte le plus important d’une présidence. En nommant trois candidats à la Cour suprême, Donald Trump est parvenu à modifier la physionomie et la philosophie de celle-ci pour au moins une génération.</p>
<h2>Une Cour libérée…</h2>
<p>C’est d’autant plus vrai que la Cour actuelle s’affranchit des règles et critères traditionnellement acceptés qui limitaient son rôle. En principe, la Cour n’intervient que s’il s’agit d’uniformiser la jurisprudence lorsqu’il existe un conflit d’interprétation entre plusieurs cours d’appel régionales (<em>circuit courts</em>), ce qu’on appelle « circuit split ». Mais la Cour ne respecte plus cette retenue que prônaient les conservateurs quand la majorité à la Cour était progressiste.</p>
<p>Même attitude vis-à-vis de la règle du précédent (<em>stare decisis</em>), fondement du droit de <em>common law</em>, en vertu de laquelle les juridictions inférieures sont tenues de se conformer à la jurisprudence de la Cour. Et la Cour a tout intérêt à respecter ses propres précédents et à ne pas pratiquer trop de revirements non justifiés, sauf à affaiblir sa crédibilité et le poids juridique et politique de ses décisions.</p>
<p>Or, il existe à la Cour une majorité de cinq juges déterminée à en finir avec les précédents qui ne correspondent pas aux priorités politiques de leur camp. Quel que soit le prix pour la crédibilité de la Cour. On parle ici du droit à l’avortement, des mécanismes de protection du droit de vote contre la discrimination ou, plus insidieuse mais tout aussi dangereuse, de la doctrine jurisprudentielle <em>Chevron</em> qui valide les délégations de pouvoirs aux agences fédérales comme l’EPA (agence de protection de l’environnement) ou la FDA (agence des médicaments). Des revirements sur ces questions signifieraient une profonde remise en cause de la démocratie et de l’État administratif honni par les Républicains en raison de ses réglementations de protection des consommateurs, des salariés et du climat.</p>
<p>Quoi qu’il arrive, on peut s’attendre à un ballet bien orchestré, devenu classique depuis le <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1111824/cour-supreme-nomination-etats-unis-avortement-archives">rejet de la candidature de Robert Bork</a> par les Démocrates en 1987. On sait que l’on n’apprendra rien de nouveau sur les positions de la candidate lors de son audition devant la commission judiciaire du Sénat. Les Démocrates, par des questions accommodantes, s’efforceront de lui faciliter la tâche. Les Républicains essaieront de la piéger et de la présenter comme une gauchiste qui fera passer ses préférences personnelles avant la règle de droit.</p>
<p>Les trois sénateurs républicains qui siègent à la commission judiciaire voudront se faire remarquer et accroître leur visibilité en vue de leur éventuelle candidature à la présidentielle de 2024. Il faut donc s’attendre à des attaques en règle. Mais l’establishment du parti ne devrait pas bloquer la procédure (ce qu’il pourrait faire en refusant de siéger car cela empêcherait d’atteindre le quorum nécessaire pour entériner la nomination). Mais tout n’est pas gagné pour la candidate car il faut néanmoins que la totalité des 50 sénateurs démocrates votent pour elle. Il suffirait d’un dissident ou d’un malade pour que sa candidature échoue…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/179491/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne E. Deysine ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En proposant la candidature à la Cour suprême de la progressiste noire Ketanji Brown Jackson, Joe Biden prend une décision dont les effets se feront encore sentir bien après la fin de son mandat.Anne E. Deysine, Professeur émérite juriste et américaniste, spécialiste Etats-Unis, questions politiques, sociales et juridiques (Cour suprême), Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1740652021-12-21T19:07:27Z2021-12-21T19:07:27ZLa gauche française vit-elle son tournant américain ?<p>Appréhendée au jour le jour, la difficulté des partis qui forment la gauche française à désigner un candidat unique est peu compréhensible. Le choix du grand angle et, plus particulièrement, la comparaison de modalités des élections française et américaine permettent de montrer que les obstacles rencontrés par <a href="https://www.lefigaro.fr/elections/presidentielles/presidentielle-2022-anne-hidalgo-dans-le-piege-des-sables-mouvants-20211210">Anne Hidalgo</a> tiennent au moins autant à une crise du parti socialiste en tant qu’organisation qu’au peu d’audience d’un projet de gouvernement dont la facture est, cette fois, très classique. Et la candidature de Christiane Taubira ne permet pas de clarifier les choses. </p>
<p>Tout cela confirme une hypothèse qui pouvait déjà être posée au lendemain de <a href="https://www.lefigaro.fr/elections/presidentielles/2017/04/23/35003-20170423ARTFIG00184-benoit-hamon-autopsie-d-un-echec-programme.php">l’échec</a> de Benoît Hamon en 2017. La rénovation du programme par l’introduction de la revendication du <a href="https://www.editionsbdl.com/produit/linvention-du-revenu-de-base/">revenu universel</a> n’avait pas suffi, ni pour imposer Hamon comme le candidat unique de la gauche ni pour lui assurer un score très supérieur à celui promis en 2021 par les sondages à la maire de Paris, soit de l’ordre de 6 %.</p>
<p>Les candidats progressistes qui, sortis des rangs de gouvernements socialistes, ont réussi à obtenir la confiance d’une part importante de l’électorat traditionnel du PS, sont Emmanuel Macron et <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/le_populisme_de_gauche-9782348054921">Jean-Luc Mélenchon</a>.</p>
<p>Si les contenus de leurs programmes respectifs les distinguent, ils partagent le fait d’avoir renoncé à s’appuyer sur une construction traditionnelle de fédérations et de sections à laquelle ils ont préféré la fluidité et l’agilité de mouvements recourant au porte à porte, à des formes de mobilisation spontanée, à la participation locale comme aux derniers produits de la technologie électorale.</p>
<h2>Une évolution des organisations progressistes françaises</h2>
<p>Une <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/british-journal-of-political-science/article/abs/organizational-and-ideological-strategies-for-nationalization-evidence-from-european-parties/4F10C959DCBC194D3FF0949373F5C6E6">telle évolution</a> dans le <em>business model</em> des organisations progressistes françaises n’est pas sans rappeler la modernisation des campagnes américaines impulsées sous la présidence du Parti démocrate par Howard Dean avant l’élection de Barack Obama.</p>
<p>Les instituts de sondages n’envisagent pas une victoire de la France insoumise, <a href="https://www.lesechos.fr/elections/presidentielle/presidentielle-2022-jean-luc-melenchon-semploie-a-relancer-sa-campagne-1364399">créditée de 8 à 10 % des intentions</a> de vote en novembre 2021. Par contre, si le président de la République française conserve en 2022 la confiance d’un nombre suffisants d’électeurs socialistes, le paysage politique national pourrait ressembler un peu plus à celui des États-Unis.</p>
<p>Il serait alors probablement dominé par l’opposition entre une force progressiste libérale qui succéderait, conformément à l’un des scénarios décrits par <a href="https://www.laprocure.com/presidence-anormale-racines-election-emmanuel-macron-essai-bruno-jeanbart/9791097455248.html">Bruno Jeanbart</a>, au PS, et un parti républicain éprouvant des difficultés à convaincre les franges les plus radicales de la droite. La pièce n’est toutefois pas jouée comme en témoigne l’impact de la candidature de Valérie Pécresse sur la répartition des rôles.</p>
<h2>La personnalisation du pouvoir</h2>
<p>La France et les USA sont, à l’évidence, des pays dont la culture est différente. Cependant, saisir leurs convergences importe pour comprendre les contraintes de leur fonctionnement politique et l’état de la conjoncture.</p>
<p>La fondation de ces deux nations sur un moment révolutionnaire au XVIII<sup>e</sup> siècle ne résume en effet pas leurs similitudes. Parmi celles-ci, l’institution d’une présidence de la république, caractérisée par une élection au suffrage universel, a une influence déterminante sur l’organisation des partis politiques bien que ceux-ci n’existent pas pour cette seule élection et interviennent aussi dans le cadre de structures parlementaires nationales et régionales. La fonction présidentielle était secondaire sous la IV<sup>e</sup> république comme pour nombre de constituants américains au lendemain de la <a href="https://oxford.universitypressscholarship.com/view/10.1093/oso/9780197546918.001.0001/oso-9780197546918">révolution</a>.</p>
<p>Son renforcement a induit une personnalisation du pouvoir en même temps qu’une bipolarisation du champ partisan que les organisations doivent maîtriser pour réaliser le score électoral requis. C’est cette capacité qui est aujourd’hui mise à l’épreuve en France. Aux USA, les partis démocrate et républicain connaissent d’importantes divisions, mais celles-ci ne remettent pas en cause leur existence.</p>
<p>En France, la disparition de Charles de Gaulle, qui fut à même de rassembler une majorité par delà les frontières de la gauche et de la droite, a favorisé dans les années 1970 l’imitation du modèle américain d’organisation et la construction, en vue de la course à la présidence, de deux alliances à vocation majoritaire, dominées par une figure charismatique.</p>
<h2>L’avènement des partis présidentiels</h2>
<p>L’établissement, en 1972, d’un « programme commun » à trois formations ainsi que l’évolution de la composition sociologique du salariat au détriment du mouvement ouvrier communiste permirent l’élection de François Mitterrand en 1981. Elle assura l’installation – au moins jusqu’en 2002, sinon 2012 – du PS dans le rôle de « parti présidentiel » de gauche. Parallèlement, l’affirmation du mouvement néogaulliste dominé par la figure de Jacques Chirac sur l’UDF, inspirée par la démocratie-chrétienne de Valery Giscard d’Estaing, fédéra un nombre suffisant d’électeurs de droite pour constituer un autre grand parti présidentiel.</p>
<p>Ce dernier se montra capable de surmonter les défaites de 1981 et 1988 avant de remporter une succession de victoires entre 1995 et 2012. Il se maintient aujourd’hui sous le nom des « Républicains » à l’intérieur d’une compétition qui l’oppose au « Rassemblement national » de Marine Le Pen, voire à l’initiative d’Eric Zemmour.</p>
<p>Contrairement au cas américain, l’existence de deux formations capables de rassembler, chacune sur son nom, un peu plus ou un peu moins de la moitié des électeurs n’a pas été accompagnée en France par la disparition d’organisations concurrentes. Aux USA, rare est la posture du « troisième homme ». Récemment adoptée par Donald Trump, elle a abouti à l’adoubement par le parti républicain du célèbre homme d’affaires.</p>
<h2>Des usages électoraux bouleversés</h2>
<p>La différence entre la France et les États-Unis trouve différentes explications qui se complètent. La question financière constitue un premier élément : une élection à l’échelle d’un continent suppose des ressources importantes et par conséquent la concentration de celles-ci au service d’un petit nombre de participants à la compétition.</p>
<p>Les usages institutionnels en sont un autre. La tradition américaine d’une « primaire » à laquelle les candidats acceptent de se soumettre contribue à la limitation du nombre des formations en lice à l’élection présidentielle proprement dite en même temps qu’elle assure l’expression comme la mesure des divergences. Elle est également une occasion de tester le talent de personnalités qui peuvent déjà présenter une expérience en tant que gouverneurs, de chefs d’État.</p>
<p>En France, la difficulté de l’enracinement des « primaires » dans les usages électoraux et le <a href="https://journals.openedition.org/lectures/51473">pluralisme historique de la gauche</a> ne <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/ae/2008-v84-n2-ae2867/000376ar/">suffisent pas</a> à expliquer le nombre des candidatures.</p>
<p>La garantie d’un remboursement par l’État des frais de campagne dès qu’un score minimum relativement faible est atteint contribue à l’explication. Il en sera sans doute ainsi tant qu’un mode de financement, inspiré des propositions de <a href="https://www.fayard.fr/documents-temoignages/le-prix-de-la-democratie-9782213704616">l’économiste Julia Cagé</a>, ne réservera pas aux contribuables la responsabilité de la répartition des moyens financiers entre les candidats en amont de l’élection.</p>
<p>Mais plus fondamentalement, le nombre actuel des candidatures françaises communément cataloguées comme de gauche résulte d’une incapacité de « petites et moyennes entreprises » politiques qui, bien que partageant une sensibilité sociale et écologique, à s’agréger et à s’adresser d’une seule voix et de façon intelligible aux citoyens. Cette faiblesse de l’esprit d’entreprise de la gauche rompt avec un passé qui vit la construction, au XIX<sup>e</sup> siècle, par une « social-démocratie » unitaire d’organisations internationales mettant en réseau les partis ouvriers.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174065/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>L'auteur contribue à différentes revues européennes et fondations, parmi lesquelles la Fondation Jean-Jaurès et la Fondation européenne d’études progressistes (FEPS).</span></em></p>Le nombre actuel des candidatures cataloguées comme de gauche résulte d’une incapacité de « petites et moyennes entreprises » politiques à s’adresser d’une seule voix intelligible aux citoyens.Christophe Sente, Chercheur en sciences politiques, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1704082021-10-26T18:27:38Z2021-10-26T18:27:38ZLes prix Nobel de la paix controversés, signe d’une réforme nécessaire ?<p>Le prix Nobel de la paix 2021 a été décerné à deux journalistes, le Russe Dmitri Mouratov et la Philippine Maria Ressa, récompensés pour « leur combat courageux pour la liberté d’expression ». Une surprise, car ces deux militants étaient assez peu connus du grand public. On peut saluer le fait que ces deux lauréats, courageux militants pour la liberté d’expression dans des pays où celle-ci n’est pas garantie, sont tous deux issus de pays non occidentaux. En effet, longtemps, le prix a récompensé essentiellement des Européens et des Nord-Américains.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-fermeture-de-la-nova-a-gazeta-dernier-clou-dans-le-cercueil-de-la-liberte-dexpression-en-russie-170029">La fermeture de la Novaïa Gazeta, dernier clou dans le cercueil de la liberté d’expression en Russie</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Créé en 1901, le prix Nobel de la paix, selon le testament manuscrit d’Alfred Nobel, exposé au musée Nobel de Stockholm depuis 2015, récompense chaque année « la <a href="https://www.vie-publique.fr/eclairage/271285-le-prix-nobel-de-la-paix">personnalité ou la communauté ayant le plus ou le mieux contribué au rapprochement des peuples</a>, à la suppression ou à la réduction des armées permanentes, à la réunion et à la propagation des progrès pour la paix ». La liberté d’expression est parmi les causes les plus fréquemment récompensées par le Nobel depuis les années 1970, avec par exemple en 1975 le dissident soviétique Andrei Sakharov et en 1977 l’ONG Amnesty International.</p>
<p>Alfred Nobel aurait, selon l’écrivain autrichien Stefan Zweig dans ses mémoires <em>Le monde d’hier</em>, créé ce prix pour compenser les conséquences néfastes de son invention de la dynamite, brevetée en 1866._</p>
<p>Ainsi, des hommes et des femmes ayant oeuvré à la paix mondiale, milité pour les droits humains, ou agi pour l’aide humanitaire et la liberté dans le monde, sont récompensés par cette prestigieuse distinction. Ils sont choisis par un comité nommé par le parlement norvégien.</p>
<p>Au fil du temps, des grandes personnalités pacifistes et humanistes ont été distinguées, comme <a href="https://www.croix-rouge.fr/Actualite/henry-dunant-1219">Henry Dunant</a>, le fondateur de la Croix-Rouge, en 1901, la femme pacifiste autrichienne <a href="https://histoireparlesfemmes.com/2013/11/11/bertha-von-suttner-premiere-prix-nobel-de-la-paix/">Bertha von Suttner</a> en 1905, le chirurgien missionnaire français <a href="http://museeskaysersberg.e-monsite.com/pages/musees/musee-du-docteur-schweitzer/qui-est-albert-schweitzer.html">Albert Schweitzer</a> en 1952, le Suédois <a href="https://www.un.org/fr/memorial/hammarskjold50.shtml">Dag Hammarskjöld</a>, Secrétaire général de l’ONU, en 1961, le militant américain des droits civiques <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/l-ephemeride/10-decembre-1964-martin-luther-king-recoit-le-prix-nobel-de-la-paix_1770603.html">Martin Luther King</a> en 1964, la religieuse humanitaire d’origine albanaise <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A8re_Teresa">Mère Teresa</a> en 1979, ou encore, plus récemment, le militant des droits de l’homme chinois <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/chine/qui-etait-liu-xiaobo-dissident-chinois-et-nobel-de-la-paix-mort-apres-huit-ans-de-detention_2281971.html">Liu Xiaobo</a> en 2010.</p>
<h2>Critiques et polémiques</h2>
<p>Plusieurs critiques ont été formulées à l’encontre de ce prix.</p>
<p>Tout d’abord, il a été longtemps donné qu’à des Occidentaux, et bien davantage à des hommes qu’à des femmes. Cependant, avec 18 femmes lauréates, le Nobel de la Paix est le Nobel qui totalise le plus de récipiendaires féminines. Parmi ces rares femmes, on peut citer par exemple en 1992 la militante autochtone guatémaltèque Rigoberta Menchu, récompensée pour ses efforts en faveur « de <a href="https://clubquetzal.org/decouvrir-le-club-quetzal/rigoberta-menchu-sa-vie-son-oeuvre/">la justice sociale et de la réconciliation ethnoculturelle</a> basée sur le respect pour les droits des peuples autochtones ».</p>
<p>On a pu aussi relever d’injustifiables absences, comme Gandhi. Icône de la lutte pacifiste et non violente pour <a href="https://www.herodote.net/15_ao%C3%BBt_1947-evenement-19470815.php">l’indépendance de l’Inde</a>, il n’a jamais reçu le prix. Toutefois, assassiné en 1948, il est possible qu’il l’aurait obtenu s’il avait vécu plus longtemps.</p>
<p>Surtout, plusieurs prix Nobel de la Paix ont été <a href="https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-monde/20121012.RUE3108/retour-sur-cinq-prix-nobel-de-la-paix-controverses.html">controversés</a>. Ainsi, le président américain <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/amerique-nord/theodore-roosevelt-ou-la-naissance-de-l-empire-americain_2131747.html">Theodore Roosevelt</a> l’a reçu en 1906, pour saluer ses efforts en faveur de la fin de la guerre russo-japonaise de 1904-1905, alors qu’il était un militariste convaincu, adepte de la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Doctrine_du_Big_Stick">doctrine du « Big Stick »</a>, c’est-à-dire de la pression exercée par la menace militaire.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/wK6SsPE_Im8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Theodore Roosevelt, la présidence au pas de charge (1901–1909), France Inter, 2 novembre 2020.</span></figcaption>
</figure>
<p>Il n’a d’ailleurs pas hésité à tancer son successeur le Démocrate <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Thomas_Woodrow_Wilson/149909">Woodrow Wilson</a> pour avoir ébauché le projet de <a href="https://www.un.org/fr/about-us/history-of-the-un/predecessor#:%7E:text=Pr%C3%A9curseur%20de%20l%E2%80%99Organisation%20des,la%20paix%20et%20la%20s%C3%A9curit%C3%A9%20%C2%BB.">« Société des Nations »</a>, futur temple du multilatéralisme et du pacifisme, et préfiguration de l’ONU, durant son discours d’acceptation du prix en 1910. Theodore Roosevelt était en effet hostile au multilatéralisme.</p>
<h2>1973, le scandale Kissinger : le prix Nobel de la Paix décerné à un criminel de guerre ?</h2>
<p>En 1973, c’est un autre Américain, le secrétaire d’État <a href="https://www.liberation.fr/culture/livres/henry-kissinger-diplomate-de-fer-20211021_FJOAPM4PFZB6FLS4LBKLZPOTXA/">Henry Kissinger</a>, qui est lauréat du prix. C’est sans doute le cas le plus choquant et scandaleux, étant donné sa responsabilité dans l’<a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2001/05/ABRAMOVICI/1729">« opération Condor »</a>, campagne secrète d’assassinats de leaders démocrates et de coups d’État militaires conduite sous l’égide de la CIA dans plusieurs pays d’Amérique latine (Chili, Argentine, Bolivie, Paraguay, Uruguay notamment) pendant la guerre froide et en particulier dans les années 1970.</p>
<p>Kissinger est ainsi l’un des maîtres d’œuvre du <a href="https://www.rfi.fr/fr/am%C3%A9riques/20210911-au-chili-le-11-septembre-marque-le-coup-d-%C3%A9tat-militaire-de-pinochet-en-1973">coup d’État du 11 septembre 1973</a> au Chili, qui a vu le renversement – et la mort – du président socialiste Salvador Allende et la prise de pouvoir par le général Pinochet qui a instauré alors une sanglante dictature d’extrême droite qui a duré jusqu’en 1990.</p>
<p>Kissinger est aussi responsable de <a href="https://www.cairn.info/revue-relations-internationales-2018-3-page-63.htm">bombardements meurtriers au Cambodge</a> pendant la guerre du Vietnam. C’est donc un véritable scandale qu’il ait été récompensé par le prix Nobel de la Paix, car selon certains il est bien plutôt un <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2001/10/WARDE/7946">« criminel de guerre »</a>, responsable de <a href="https://www.letemps.ch/opinions/henry-kissinger-juge-crimes-contre-lhumanite">« crimes contre l’humanité »</a>. D’ailleurs, le diplomate nord-vietnamien Le Duc Tho, récompensé la même année pour avoir été l’un des négociateurs des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Accords_de_paix_de_Paris">accords de paix de Paris</a> mettant fin à la guerre du Vietnam, a refusé sa part du prix, par mesure de protestation.</p>
<p>En 1991, la femme d’État birmane Aung San Suu Kyi, militante de l’opposition <a href="https://ras-nsa.ca/fr/publication/la-non-violence-comme-strategie-de-resistance-au-myanmar/">non violente</a> à la dictature militaire de son pays, devient à son tour lauréate du prix Nobel de la paix. Or, plus tard, alors qu’elle est <em>de facto</em> chef du gouvernement, de 2016 à 2021, la presse va lui reprocher son inaction et son absence de condamnation des discriminations et des <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/09/09/deux-ex-soldats-birmans-avouent-des-crimes-contre-les-rohingya_6051476_3210.html">massacres commis par l’armée birmane à l’encontre des Rohingyas</a>, minorité musulmane persécutée de Birmanie.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/en-birmanie-la-junte-militaire-renoue-avec-ses-vieux-demons-154430">En Birmanie, la junte militaire renoue avec ses vieux démons</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Ces massacres sont même <a href="https://news.un.org/fr/story/2019/09/1051712">qualifiés de « génocide » par l’ONU</a>. <a href="https://www.bbc.com/afrique/monde-58828791">Des appels ont alors été lancés pour qu’elle soit privée de son prix</a>, mais les règles régissant les prix Nobel ne permettent pas une telle démarche.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/BejDEGBs0Z4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Nobel de la Paix : à quel prix ? France 24, 10 décembre 2019.</span></figcaption>
</figure>
<h2>1994, polémique autour du choix de Yasser Arafat</h2>
<p>Trois ans plus tard, en 1994, le prix Nobel de la paix a été attribué conjointement aux deux hommes politiques israéliens <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-moyen-orient/shimon-peres-ancien-president-israelien-et-dernier-pere-fondateur-d-israel_1834965.html">Shimon Peres</a> et <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Yitzhak_Rabin/140127">Yitzhak Rabin</a> et à l’homme politique palestinien <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Muhammad_Abd-al_Rauf_Arafat_dit_Yasser_Arafat/105896">Yasser Arafat</a>, fondateur de <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Organisation-de-Liberation-de-la-Palestine-OLP.html">l’Organisation pour la libération de la Palestine</a> (OLP), pour leur rôle à tous les trois dans la signature des <a href="https://www.amnesty.fr/focus/accords-oslo">accords d’Oslo</a>, étape importante en direction d’une paix dans le conflit israélo-palestinien. Plusieurs observateurs ont critiqué le choix d’Arafat, le considérant comme un terroriste en raison de l’action violente menée par l’OLP. <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/K %C3 %A5re_Kristiansen">Kare Kristiansen</a>, homme politique norvégien, membre du comité Nobel a ainsi <a href="https://www.bbc.com/afrique/monde-58828791">démissionné en signe de protestation</a>.</p>
<p>En 2004, la militante kényane Wangari Mathai, aujourd’hui décédée, est devenue la première femme africaine à recevoir un prix Nobel. Or, <a href="https://www.bbc.com/afrique/monde-58828791">elle a ensuite été critiquée pour ses propos sur les origines du VIH</a>. En effet, elle a laissé entendre que le virus du VIH aurait été créé artificiellement comme une arme biologique, conçue pour détruire les Noirs, ce qui n’est en aucune manière étayé scientifiquement.</p>
<h2>2009, Barack Obama : un prix Nobel pour rien ?</h2>
<p>En 2009, c’est Barack Obama qui se voit attribuer la précieuse distinction. Il a lui-même été très surpris, comme il le confie dans le premier tome de <a href="https://www.fayard.fr/documents-temoignages/une-terre-promise-9782213706122">son autobiographie</a>, étant alors au pouvoir depuis moins d’un an. Il a même cru à une blague au début. En réalité, le comité Nobel a, en choisissant de distinguer Obama, eu l’intention de récompenser <a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2009/10/09/barack-obama-prix-nobel-de-la-paix_1251573_3222.html">« le nouveau climat dans la politique internationale »</a> créé par l’arrivée d’Obama au pouvoir, et sa « vision pour un monde sans arme nucléaire ».</p>
<p>Cette attribution a suscité des critiques, car Obama représentait les États-Unis, qui étaient alors en guerre à la fois en Afghanistan et en Irak, et qui maintenaient le <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/09/11/les-20-ans-du-11-septembre-guantanamo-l-impasse-du-non-droit_6094265_3210.html">camp de Guantanamo</a> en service, dans lequel des prisonniers étaient <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/press-release/2021/01/usa-report-human-rights-violations-guantanamo/">torturés et incarcérés sans jugement et sans avocat dans des conditions indignes des droits humains</a>, comme l’ont dénoncé de nombreuses ONG et notamment Amnesty International.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1204305549900296193"}"></div></p>
<p>En 2011, le Prix Nobel de la Paix a été décerné à <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/ellen-johnson-sirleaf/">Ellen Johnson Sirleaf</a>, Présidente du <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/pays/Liberia/129821">Liberia</a> (ainsi qu’à deux autres personnalités). Dans son pays, ce prix a divisé la population.</p>
<p>Selon certains, cette récompense serait <a href="http://www.slateafrique.com/52395/ellen-johnson-sirleaf-Liberia-nobel">« inacceptable et non méritée »</a> car cette femme politique aurait « commis de la violence dans ce pays » et aurait été corrompue, offrant à ses enfants des postes très lucratifs.</p>
<p>Confirmant ces soupçons, la <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/Commission_V %C3 %A9rit %C3 %A9_et_R %C3 %A9conciliation/185922">Commission vérité et réconciliation</a>, responsable de faire la lumière sur la guerre civile libérienne, a recommandé qu’il soit interdit à Ellen Johnson Sirleaf d’exercer tout mandat politique pendant trente ans en raison du rôle négatif qu’elle a joué dans ce conflit.</p>
<p>Enfin, en 2019, le premier ministre éthiopien Abiy Ahmed a été distingué à son tour par le prix Nobel de la Paix, pour saluer ses efforts en vue de résoudre le conflit frontalier de longue date avec l’Érythrée voisine.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/tigre-tombeau-de-lethiopie-151082">Tigré : tombeau de l’Éthiopie ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Pourtant, peu après, la communauté internationale a critiqué le déploiement de troupes par Abiy Ahmed dans la région du Tigré, dans le nord de l’Éthiopie, qui a engendré des combats qui ont provoqué des milliers de morts et ont été <a href="https://news.un.org/fr/story/2021/10/1106172">dépeints par l’ONU comme une terrible dévastation, ayant de plus entraîné une famine</a> et une situation humanitaire catastrophique pour les habitants.</p>
<h2>Un prix impossible ?</h2>
<p>À l’aune de tous ces cas, il apparaît que le prix Nobel de la Paix est l’un des prix les plus controversés depuis sa création en 1901. Mais en cela, il est bien à l’image des relations internationales.</p>
<p>Il reflète le fait que chaque acteur des relations internationales comporte plusieurs facettes, et a parfois à son actif à la fois des actions très louables et des actions répréhensibles.</p>
<p>Cela dit, au vu de l’évident scandale qu’a constitué l’attribution du Prix à Henry Kissinger – aujourd’hui âgé de 98 ans –, ainsi que des autres attributions controversées, il apparaît souhaitable que le comité Nobel adopte une disposition permettant de retirer la récompense <em>a posteriori</em>, afin de corriger les erreurs les plus notables et de lui permettre de conserver une certaine légitimité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/170408/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Chloé Maurel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Kissinger, Abyi Ahmed, Obama, Aung San Suu Kyi, Theodore Roosevelt… La liste des Nobel de la paix polémiques est longue, bien plus que pour tout autre prix. Peut-être est-il temps de le réformer ?Chloé Maurel, SIRICE (Université Paris 1/Paris IV), Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1628662021-06-28T19:53:10Z2021-06-28T19:53:10ZLe nouveau cap du Parti démocrate sous Joe Biden<p>Les difficultés du Parti démocrate n’ont pas commencé avec l’élection de Donald Trump en 2016. N’oublions pas que le parti de l’âne a <a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2014/11/05/les-republicains-a-la-conquete-du-senat-americain_4518181_3222.html">perdu le Congrès dès 2014</a>, durant le second mandat de Barack Obama, alors que la situation du pays s’était améliorée et qu’Hillary Clinton n’avait pas encore commencé sa campagne. Le retour au pouvoir des Démocrates en 2020 semble s’accompagner d’un tournant vers le centre gauche qui tranche avec la période de Bill Clinton et même, dans une certaine mesure, avec celle de Barack Obama.</p>
<h2>L’évolution du parti à l’époque de Bill Clinton</h2>
<p>C’est sous Bill Clinton, dans les années 1990, après trois mandats républicains, que les Démocrates ont fini par embrasser ce qu’ils estimaient ne plus pouvoir éviter, à savoir la <a href="https://www.csmonitor.com/1996/0125/25012.html">mythologie du Parti républicain</a>.</p>
<p>Les emplois liés à la bulle technologique étaient alors prometteurs et l’establishment démocrate s’est pris à croire que chacun pourrait gravir les sommets à la condition d’avoir fait des études et que toutes les barrières discriminatoires aient été levées. Le logiciel du Parti a donc glissé d’une solidarité de groupe vers la réussite individuelle, ce qui permettait de défendre des idéaux de justice sociale sans en demander trop aux élites – ces élites auxquelles Clinton a lié l’avenir du Parti sans prévoir de véritable plan B pour qui ne pourrait pas réussir dans les emplois du futur.</p>
<p>Au sortir de la crise de 2008, tout le monde a fini par admettre la réalité d’une polarisation du marché du travail, avec très peu d’emplois qualifiés et rémunérateurs et une large majorité d’emplois non qualifiés et très mal payés.</p>
<p>Bill Clinton avait voulu croire qu’une marée technologique et méritocratique allait soulever la totalité des bateaux, les petits comme les gros, mais cela ne s’est pas produit. Il reste que l’idée était séduisante : avec de l’intelligence, il suffirait d’aller à Harvard puis de décrocher l’emploi de ses rêves chez Google, quels que soient sa race, son genre ou ses préférences sexuelles. Et là, s’agissant de la race, Obama a été une incarnation tout à fait extraordinaire… à ceci près que tout le monde n’est pas et ne peut pas être Barack Obama.</p>
<h2>Le poids de l’aile gauche</h2>
<p>Les Démocrates modérés, dont fait partie Joe Biden, appelaient jusqu’ici l’aile gauche du parti à se recentrer à des fins d’éligibilité. Cela n’a fait qu’accentuer leur rapport de force avec une base qui, elle, demande avec force des emplois, des soins de santé, des écoles décentes, des quartiers sûrs et quelqu’un à Washington qui lui prêterait une oreille attentive. Or les Démocrates <a href="https://www.firstthings.com/web-exclusives/2020/12/democrats-win-in-wealthy-suburbs">représentent aujourd’hui les quartiers les plus riches</a>, et les Républicains <a href="https://www.washingtonpost.com/blogs/in-the-loop/wp/2014/08/05/wealthiest-americans-in-each-state-primarily-support-republicans/">envoient systématiquement à Washington les individus les plus riches</a>. Le revenu médian au Congrès est <a href="https://www.statista.com/statistics/274581/median-wealth-per-member-of--us-congress-by-chamber/">disproportionnellement supérieur à celui de la population</a>.</p>
<p>Les deux partis se réjouissent de la diversification des membres du Congrès, avec 24 % de femmes, 22 % de minorités raciales ou ethniques, et plus de 5 % d’origine étrangère. Mais seuls 2 % des membres du Congrès sont issus de la classe ouvrière. C’est spécifiquement à celle-ci que s’est adressé Bernie Sanders durant ses campagnes de 2016 et de 2020. On lui a d’ailleurs reproché une sorte de <a href="https://newrepublic.com/article/122432/bernie-sanderss-blind-spot-race-was-imported-scandinavia">point aveugle pour ce qui a trait, par exemple, à la question raciale</a>. Sanders, en d’autres termes, ne serait pas « woke ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1224592221795766274"}"></div></p>
<p>La gauche du Parti démocrate est donc contrainte par une posture politique parfois impopulaire dont de nombreux dirigeants démocrates se tiennent éloignés. Biden n’a ainsi cherché à endosser ni la posture « woke » ni les problématiques liées à l’intersectionnalité, contrairement à Hillary Clinton en 2016. Il s’est présenté comme un modéré fiable et sympathique, à même de stabiliser le navire après le mandat très controversé de Donald Trump et la poussée des insurgés de Bernie Sanders.</p>
<h2>Le « New Deal » de Joe Biden</h2>
<p>Aujourd’hui tout le monde se demande si Biden va réussir à renverser la table néolibérale et à devenir le Roosevelt du XXI<sup>e</sup> siècle en ressuscitant l’État-providence. Il y a toutefois des limites, importantes, à la comparaison entre Biden et Roosevelt : Roosevelt est élu en 1932 avec 18 % d’avance dans le vote populaire, 472 grands électeurs sur 531 et 42 États sur 48. Force est de constater que la victoire de Biden n’est en rien comparable (4,5 % d’avance en matière de vote populaire, 306 grands électeurs sur 538 et 27 États sur 50).</p>
<p>Cela étant, on peut considérer que le cœur du programme de Biden (les emplois et les infrastructures) ressemble à celui de Roosevelt, même si Obama et Trump ont en réalité utilisé exactement les mêmes thèmes. Le New Deal de Biden (« Build Back Better ») vise à remettre à niveau les infrastructures que Roosevelt avait créées, en ajoutant une infrastructure de services pour soutenir les professions liées au « care ». Roosevelt avait résumé son action en trois objectifs, « Relief, Recovery and Reform », qui s’appliquent aussi à ce que fait Biden.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/build-back-better-le-programme-economique-de-joe-biden-151867">« Build back better » : Le programme économique de Joe Biden</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>La séquence « Relief » est déjà là, par le biais du gigantesque <a href="https://www.whitehouse.gov/american-rescue-plan/">American Rescue Plan</a>. En dollars constants de 1933, Biden a fait plus que Roosevelt au cours de ses 100 premiers jours, mais Roosevelt avait déjà réalisé des changements structurels, comme dans le système financier, que Biden n’a pas encore tentés.</p>
<p>La phase « Recovery » est également amorcée avec l’<a href="https://www.whitehouse.gov/briefing-room/statements-releases/2021/03/31/fact-sheet-the-american-jobs-plan/">American Jobs Plan</a> de 2 milliards de dollars, qui va créer des emplois via les infrastructures. Il faudra voir si le fait de placer stratégiquement ce type de projets dans des États « rouges » pourra aider Biden à remporter les 10 voix républicaines nécessaires pour éviter un <em>filibuster</em> au Sénat. La pratique du filibuster permet une obstruction que seule une majorité de 60 sièges permet de contourner, ce qui est très supérieur à la majorité simple dont peuvent disposer aujourd’hui les Démocrates.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1368503039649345536"}"></div></p>
<p>Le troisième « R » (« Reform ») sera le plus difficile. La réforme des lois électorales, de l’immigration, de la législation sur les armes à feu, par exemple, imposera de cumuler toutes les voix démocrates et d’obtenir l’assentiment de dix Républicains au Sénat. Cela paraît difficile sans abolir ou au moins réduire la pratique du <em>filibuster</em>. C’est très important pour que la rupture politique et psychologique soit aussi nette et permanente que celle opérée par Roosevelt, dont la plupart des grandes réalisations sont survenues après sa première année de mandat.</p>
<h2>L’interrogation des midterms de 2022</h2>
<p>Même si Biden réussissait à convaincre la totalité des Démocrates, le pari pourrait tout de même se retourner contre lui.</p>
<p>En 1934, Roosevelt a déjoué la logique des élections de mi-mandat où le parti du président perd traditionnellement des sièges. Ce n’est plus arrivé ensuite jusqu’à ce que George W. Bush instrumentalise la peur liée au 11-Septembre pour tout de même progresser à mi-mandat en 2002. La norme serait donc que les Républicains reprennent le contrôle après les midterms de 2022.</p>
<p>Cela mettrait les Démocrates en grande difficulté ; pour mémoire, c’est uniquement après le désastre des midterms de 1994 que Bill Clinton s’est mis à réaliser le programme économique du Speaker républicain Newt Gingrich. En simplement deux ans, Clinton est passé d’une ambitieuse réforme de la couverture santé à sa célèbre phrase <a href="https://www.pbs.org/weta/washingtonweek/web-video/era-big-government-over-clintons-1996-state-union">« The era of big government is over »</a>. Attendons de voir quel sera le Biden, historiquement très centriste, de l’après-2022.</p>
<p>Les 100 premiers jours de Biden sont ceux d’un Parti qui essaie de corriger le tir, de changer de cap, qui prend enfin ses distances avec l’époque Reagan et se tourne vers un électorat qui semble vouloir évoluer d’un pays de centre droit vers un pays de centre gauche. Il y a beaucoup d’anciens de l’administration Obama dans l’équipe Biden : ils essaient sans doute de donner une impulsion plus ouvertement progressiste à l’administration Biden, mais on verra si les impératifs de la responsabilité fiscale reprennent le dessus, ou pas, après les midterms de 2022.</p>
<p>Biden, comme Obama, a hérité d’une économie en crise, mais son plan de relance est 2,5 fois supérieur à celui d’Obama. Là où l’on avait reproché à Obama un plan trop modeste, trop compliqué et à peine perceptible par les électeurs, Biden a proposé un plan beaucoup plus important, plus simple et plus lisible, notamment centré sur ces fameux <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-eco/etats-unis-les-premiers-cheques-du-plan-de-relance-verses-des-ce-week-end-20210313">chèques de 1 400 dollars par personne</a> prévus dans son plan de relance.</p>
<p>Obama avait émoussé son plan initial pour essayer de s’assurer des voix républicaines ; Biden a rencontré les Républicains avant de se lancer seul. Là où Obama avait le don de faire en sorte que des programmes en réalité très modérés, comme sa réforme de santé, aient l’air véritablement réformateurs aux yeux des progressistes, la force de Biden est d’arriver à faire que des idées très libérales (au sens américain du terme) paraissent raisonnables et modérées aux yeux des centristes.</p>
<p>Enfin, l’ascension d’Obama a représenté un séisme prétendument post-racial, qui a déclenché une réaction raciste et conduit des élus Démocrates dans des circonscriptions difficiles à prendre leurs distances avec le président. Joe Biden n’a pas ce problème. Biden est un vieux Blanc. Et il faut hélas se rendre à l’évidence : il y a quelque chose de réconfortant pour les vieux électeurs blancs centristes en la personne d’un vieux Blanc centriste. Quand Joe Biden dit quelque chose, cela se passe différemment que si Barack Obama l’avait dit. Les préjugés implicites sont réels et il convient, pour ce sujet comme pour les autres, de ne pas céder à trop de conclusions hâtives avant novembre 2022.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/162866/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicolas Gachon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Avec l’ambitieuse relance économique de Joe Biden, le Parti démocrate semble revenir à ses principes d’avant le tournant vers le centre droit enclenché sous Bill Clinton il y a trente ans.Nicolas Gachon, Maître de conférences HDR en histoire et civilisation des Etats-Unis, Université Paul Valéry – Montpellier IIILicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1613262021-06-06T16:34:06Z2021-06-06T16:34:06ZTrianguler ou l’art de s’approprier les idées des autres en politique<p>Les enjeux électoraux sont très forts en cette période d’élections régionales qui auront lieu le 20 juin. Les stratégies se mettent en place afin de convaincre au mieux électeurs et électrices ; parmi elles, la « triangulation » concept qui agite aussi bien Les Républicains (LR) que La République en Marche (LREM).</p>
<p>Terme souvent entendu dans les médias afin de parler de la stratégie des politiques, le mot-concept « triangulation » recouvre des réalités complexes. Rapidement, trianguler en politique revient à prendre des idées dans l’escarcelle des partis adverses. Ceci permet de mordre dans les électorats voisins, d’affaiblir les opposants ; cette stratégie vise à prendre des idées dans des camps ennemis et les faire siennes comme l’explique le politiste <a href="https://www.jstor.org/stable/24278167?seq=1">Denis Lacorne</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Le maître de la triangulation n’est pas un arbitre, c’est plutôt un lutteur qui cherche à faire tomber son adversaire en accentuant son déséquilibre. »</p>
</blockquote>
<p>Pour rester dans les métaphores sportives, par certains aspects, trianguler c’est comme diriger un voilier sous des vents dominants, soit tirer des bords à gauche et à droite afin d’atteindre l’objectif désigné.</p>
<p>Le détour par la géométrie est intéressant : ici, trianguler c’est prendre un point à gauche et à droite de la base et à faire se rejoindre les segments des deux côtés sur un point au-dessus afin de former un triangle.</p>
<p>Présenté de cette façon-là, la triangulation ne semble être que tactique politicienne, or ce terme cache bon nombre de subtilités théoriques et pratiques.</p>
<h2>Une tendance venue des États-Unis</h2>
<p>L’histoire de la triangulation s’inscrit dans une tradition américaine, plus précisément ancrée dans les années 90, sous le régime du démocrate Bill Clinton.</p>
<p>En difficulté lors des élections de mi-mandat en 1994, Clinton décide de jouer l’ouverture envers les républicains. Il prendra des fragments de programme des républicains et des démocrates et pourra dès lors séduire les deux camps et se faire réélire en 1996. Partant, il pourra aussi faire passer ses réformes en neutralisant les oppositions tout en conservant ses soutiens ; c’est à <a href="https://www.pbs.org/wgbh/pages/frontline/shows/clinton/interviews/morris.html">Dick Morris</a> conseiller de Clinton à l’époque, que l’on attribuera la paternité de cette stratégie dite de « triangulation ».</p>
<p>De façon corolaire, Dick Morris conseillera à Bill Clinton de jouer avec deux staff : l’un composé de l’équipe démocrate, l’autre, à côté, ouvert politiquement du côté républicain. C’est en faisant toutes ces ouvertures à droite que le président américain conservera son assise politique et électorale.</p>
<p>Dans la lignée de Bill Clinton, Barak Obama lui-même a joué de la triangulation. En effet, aux élections de mi-mandat de 2010, Barak Obama est, comme Bill Clinton en 1994, en difficulté. Utilisant la stratégie Clinton-Morris, il se rapprochera des Républicains qui ont remporté la Chambre des représentants.</p>
<p>Dès lors Obama se placera au sommet d’un <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-2011-4-page-439.htm">triangle politique</a> entre républicains et démocrates. Il recevra d’ailleurs les félicitations de Clinton pour avoir su <a href="https://www.liberation.fr/planete/2010/12/14/le-perilleux-accord-d-obama_700480/">négocier</a> « le meilleur accord bipartisan que l’on pouvait atteindre » ; l’avenir lui donnera raison, il sera réélu en 2012.</p>
<p>Au-delà de ces aspects strictement électoralistes, d’autres auteurs ont souvent décrypté la stratégie de Barak Obama – mais aussi l’individu lui-même – comme relevant d’une forme de <a href="https://link.springer.com/book/10.1057%2F9780230372016">triangulation post-raciale</a> ; les écrits sur ce sujet estiment qu’un homme blanc ne peut pas représenter tous les Américains, de même qu’un homme noir…</p>
<p>Obama est une bonne synthèse des deux, écrivent ces auteurs. Il travaille pour l’ensemble des Américains dans une optique neutre au niveau de la race mais pour in fine travailler aussi pour les noirs américains. Il passe en quelque sorte par un élément tiers pour arriver jusqu’à la communauté noire. Sa triangulation est plutôt réussie : Obama au sommet du triangle, en bas à gauche les votants afro-américains, en bas à droite, l’électorat blanc. Un parfait triangle isocèle.</p>
<h2>Entre triangulation, troisième voie et « New Public Management »</h2>
<p>Cependant, historiquement le deuxième chantre de cette stratégie reste Tony Blair. Le premier ministre britannique se détachera des idéaux travaillistes pour piquer dans le programme plus libéral de ses adversaires.</p>
<p>Ce sera la troisième voie, le <a href="https://www.cairn.info/revue-regards-croises-sur-l-economie-2007-2-page-188.htm"><em>blairisme</em></a> l’esprit de la réforme à la mode du « New Public Management » (NPM), cette idée qui consiste à appliquer au service public les <a href="https://books.openedition.org/igpde/5756">pratiques de l’entreprise</a>.</p>
<p>Rapidement, toute l’Europe sera influencée par ce NPM. Ce terme de triangulation sera aussi largement appliqué, notamment sur le thème de <a href="https://www.routledge.com/New-Public-Management-and-the-Reform-of-Education-European-lessons-for/Gunter-Grimaldi-Hall-Serpieri/p/book/9781138833814">l’éducation en Espagne</a> mais aussi en France. Ainsi, en 2017 Alain Juppé, lors des primaires de droite, affirmait que sa priorité serait l’école et notamment maternelle et élémentaire, ce pour lutter contre l’illettrisme et donc le décrochage ; cela aurait été accompagné par une augmentation significative des enseignants tout en offrant plus d’autonomie aux établissements.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/fB2WqqxmCW4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Alain Juppé et la double triangulation.</span></figcaption>
</figure>
<p>Derrière Tony Blair et ses réformes, se trouve le chercheur et proche conseiller <a href="https://www.cairn.info/la-sociologie-de-anthony-giddens--9782707151902.htm">Anthony Giddens</a> dont la pensée a innervé le monde politique comme académique.</p>
<p>Revenons aux écrits de Giddens pour bien saisir l’épaisseur de ce qui a été nommé la troisième voie. Cette voie se situerait au-dessus de la gauche et de la droite, « Beyond Left and Right » comme le rappelle le titre de son <a href="https://www.wiley.com/en-us/Beyond+Left+and+Right%3A+The+Future+of+Radical+Politics-p-9780745666549">ouvrage de 1994</a>. Elle pourrait aussi être vue comme une alternative aux travaillistes et aux libéraux.</p>
<p>Anthony Giddens veut transcender les « modèles dépassés » à savoir : une social-démocratie dotée d’un état providence trop présent et un néo-libéralisme qui négligerait trop volontiers les laissés pour compte d’une société. Selon le théoricien, ces deux modèles ne sont plus adaptés au monde contemporain pour plusieurs raisons dont la mondialisation, la montée des libertés individuelles, et le rôle de l’État. À cela, il ajoute un élément fondamental : la fin des idéologies. Ce point capital fera souvent écrire à Giddens qu’il ne s’agit pas de prendre le meilleur de la gauche et de la droite, mais d’aller au-delà comme dans la figure géométrique. Au-delà de la gauche et de la droite, c’est exactement la manière de tracer un triangle.</p>
<h2>En même temps</h2>
<p>Il est assez aisé de faire le lien avec des slogans macroniens bien connus : « et de gauche et de droite » ou encore le fameux « en même temps ». Ces mots « Beyond Left and Right – au-delà, voire par-delà la gauche et la droite », nous disent qu’il ne s’agit pas de faire du centrisme, mais bien de se situer au-delà des clivages, des idéologies, des dogmes.</p>
<p>Un champ sémantique entendu et repéré de façon régulière chez le chef de l’État. Et que dire du symbole que choisit le couple Macron lors de la victoire de 2017 ; le nouveau président, et, en arrière fond ce triangle-pyramide du Louvre.</p>
<p>Il y aurait donc du Giddens chez Macron à n’en pas douter. C’est bien plus qu’un parti socialiste qui se modernise ou fait son <em>aggiornamento</em>, sa mise à jour, ou un parti Les Républicains (LR) qui fait du social. C’est aller par-delà les dogmes et les clivages. Ce qui dans l’histoire correspondait au « New liberalism » du <a href="https://www.cairn.info/revue-le-debat-2003-2-page-33.htm">début XXᵉ siècle</a> en Angleterre qui combine les principes libéraux traditionnels et les nouvelles exigences sociales sans que cela ne remette en cause les uns ou les autres.</p>
<h2>Le tournant de 2007 en France</h2>
<p>La France a des exemples de triangulation propre, éloignée du principe originel à la Giddens ; nous serons alors face à une forme de triangulation-communication.</p>
<p>La campagne de 2007 qui opposait Ségolène Royal (Parti socialiste) et Nicolas Sarkozy (UMP) présente un cas typique. Nicolas Sarkozy avait en effet joué l’ouverture avec des ministres venus de la gauche comme Fadela Amara tout en se plaçant aussi sur les thèmes de l’immigration et de la sécurité ; il avait débordé sur sa droite et sur sa gauche <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2016/01/05/les-egarements-de-la-triangulation_4841633_3232.html">dans cet effet de double triangulation</a>.</p>
<p>Ségolène Royal quant à elle avait pu donné des gages à la gauche avec <a href="https://www.scienceshumaines.com/segolene-royal-et-l-affaire-des-jurys-citoyens_fr_23218.html">l’idée du jury citoyen</a> mais elle n’avait pas hésité pas à mordre sur les terres de la droite avec le <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2006/07/03/segolene-royal-et-l-ordre-juste-par-michel-noblecourt_791168_3232.html">concept de l’ordre</a>.</p>
<p>Le summum de la triangulation tient peut-être à leurs slogans qui sont conçus en forme d’oxymores tels : la « Rupture tranquille » ou « L’ordre juste ». Ces figures de style témoignent de ces efforts de triangulations.</p>
<p>Royal et Sarkozy ont ouvert la voie, François Hollande a poursuivi dans la même <a href="https://www.franceculture.fr/politique/rocard-blair-clinton-macron-dans-lhistoire-de-la-troisieme-voie">dynamique</a>. Pendant la campagne présidentielle, voulant séduire l’électorat d’une gauche plus radicale, il affirme, « mon ennemi c’est la finance », pour, à la fin de son mandat, s’entourer d’Emmanuel Macron et de Manuel Valls et soutenir – un instant – la déchéance de nationalité pour les binationaux, <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/2011/06/01/01002-20110601ARTFIG00664-marine-le-pen-demande-la-fin-de-la-binationalite.php">idée plutôt chère au FN</a>.</p>
<p>Cela a provoqué un tel tsunami à gauche, que le sujet a été abandonné très rapidement en mars 2016. Ici c’est bien une triangulation qui ressemble moins à un triangle qu’à un voilier tentant de tirer des bords à gauche et à droite.</p>
<h2>Communication et démocratie d’opinion</h2>
<p>À partir de 2018, Emmanuel Macron opère un tournant progressif ; il se place « en même temps » dans le cadre originel de triangulation à la Giddens mais également dans des opérations de séduction de la droite. L’intervention sur la question de <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/en-matiere-d-immigration-macron-peut-il-trianguler-20190918">l’immigration en 2019</a> ou la loi de 2021 sur le <a href="https://www.publicsenat.fr/article/parlementaire/loi-separatisme-deputes-et-senateurs-ne-trouvent-pas-d-accord-189127">séparatisme</a> en seront des exemples : en effet quoi de mieux pour affaiblir le RN et une partie de la droite, que de récupérer ses idées pour mieux les recycler.</p>
<p>Dick Morris affirme : « Clinton sees goals, not ideologies » (<em>Clinton voit des objectifs, non des idéologies</em>). Or dans une <a href="https://blog.mondediplo.net/2011-03-28-Le-regime-d-opinion">démocratie d’opinion</a> comme la nomme Alain Garrigou notamment, est-il encore possible d’être fidèle à une ligne idéologique si celle-ci ne plaît plus, ou pas assez ?</p>
<h2>Flexibilité idéologique</h2>
<p>Les gouvernants utilisent les sondages d’opinion comme une boussole. Dans ce contexte, la triangulation devient vite une tactique incontournable, mais dans son acception plus opportuniste.</p>
<p>Dans cette dynamique, l’argumentation passe au second plan. La raison est supplantée par l’émotion, la séduction est de toutes les batailles, il est nécessaire de se saisir d’évènements ou de fragments de discours et de faire en sorte de tenir ensemble des éléments épars. Trianguler et faire en sorte que <a href="https://www.cairn.info/parler-pour-gagner--9782724610154-page-29.htm">l’ensemble reste crédible</a>.</p>
<p>Cette démocratie d’opinion demande aux partis politiques de faire preuve de flexibilité idéologique : sans cela, ils risquent de ne plus plaire aux électorats. La triangulation est ainsi devenue une nécessité pour accéder au pouvoir et le conserver.</p>
<p>À des fins de justification, la triangulation peut se dire pragmatisme, comme une sorte de <a href="https://www.cairn.info/revue-le-debat-2003-2-page-33.htm">real politik</a>, rejetant toute idéologie. En effet, quoi de mieux pour apparaître comme celui ou celle qui n’est pas dans une tactique politicienne mais juste au service de la nécessité du moment ?</p>
<p>Comme Blair <a href="https://laurentbouvet.net/2003/02/20/qu%E2%80%99est-ce-que-la-troisieme-voie-retour-sur-un-objet-politique-mal-identifie/">l’expliquait lui-même</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Ce qui compte c’est ce qui marche. Si ce qui marche aujourd’hui est contradictoire avec ce qui marchait hier et ce qui marchera demain, tant pis pour la cohérence idéologique. »</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/161326/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Trianguler est une stratégie qui vise à prendre des idées dans des camps ennemis et les faire siennes.Virginie Martin, Docteure sciences politiques, HDR sciences de gestion, Kedge Business SchoolKatia Richomme-Huet, Docteur, HDR en Sciences de Gestion Professeur en management et entrepreneuriat, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1546572021-02-07T17:24:24Z2021-02-07T17:24:24ZHarriet Tubman sur les billets de 20 dollars : les États-Unis peuvent-ils se réconcilier avec leur passé esclavagiste ?<p>Le 25 janvier dernier, la nouvelle administration du 46<sup>e</sup> président des États-Unis a annoncé sa volonté de concrétiser le projet de faire figurer la militante antiesclavagiste Harriet Tubman (vers 1820-1913) sur les billets de 20 dollars. Ainsi, selon les <a href="https://www.whitehouse.gov/briefing-room/press-briefings/2021/01/25/press-briefing-by-press-secretary-jen-psaki-january-25-2021/">déclarations</a> de la porte-parole de la Maison Blanche, Jen Psaki : </p>
<blockquote>
<p>« Le département du Trésor prend des mesures pour reprendre ses efforts pour insérer Harriet Tubman sur le recto des nouveaux billets de 20 dollars. Il est important que nos billets, notre argent […] reflètent l’histoire et la diversité de notre pays, et l’image d’Harriet Tubman ornant la nouvelle coupure de 20 dollars les reflète de façon évidente. »</p>
</blockquote>
<p>Dans un climat sociopolitique marqué depuis ces dernières années par le mouvement Black Lives Matter, ce projet est-il une énième tentative de réparation ou un véritable acte vers la reconnaissance durable des Noirs dans un pays qui a du mal à panser l’héritage de son histoire esclavagiste ?</p>
<h2>Harriet Tubman : le visage d’une vie de combats sur un billet ?</h2>
<p>La militante antiesclavagiste, antiraciste et féministe Harriet Tubman est bien connue aux États-Unis où, depuis plusieurs années, sur fond de restauration de l’histoire des Noirs américains, sa mémoire est rappelée à travers des actes de portée symbolique. En 1944, pendant la Seconde Guerre mondiale, son nom est donné à un navire de la Marine américaine. En 1978, elle est la première femme noire à avoir son effigie sur un timbre. Depuis le 13 mars 1990, une loi américaine fait du 10 mars le « Harriet Tubman Day » (<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Harriet_Tubman_Day">Journée d’Harriet Tubman</a>). </p>
<p>C’est dans cette ligne que s’inscrit le projet de faire apparaître son effigie sur un billet de dollar. <a href="https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/2021-01-26/harriet-tubman-sera-t-elle-la-premiere-femme-noire-sur-les-billets-de-20-dollars-b5e1950b-85a3-4c5f-ae06-3cfef5ea3ca2">Ce projet</a>, porté dans un premier temps par Barack Obama en 2016, par la suite remis en cause par Donald Trump, est désormais ranimé par le gouvernement Biden.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/wJoUYQ1vq0Y?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Biden relance le billet de 20 dollars avec Harriet Tubman, que Trump avait bloqué.</span></figcaption>
</figure>
<p>Quand on se réfère à la vie et à l’action menée par Harriet Tubman, il y a de quoi adhérer au projet. La mémoire de la militante noire s’illustre à travers des actes emblématiques concernant la lutte abolitionniste et féministe. Réduite en esclavage dès l’âge de 6 ans, Aramintha Ross, de son nom de naissance, n’a qu’un objectif : échapper à cette condition. </p>
<p>Elle met ce projet en action en 1849 en s’enfuyant de la plantation Poplar Neck (Caroline County) pour effectuer, à pied, un long périple estimé à 160 km vers la Pennsylvanie. Soutenue dans sa fuite par des membres de <em>l’Underground Railroad</em>, un <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Chemin_de_fer_clandestin">réseau informel</a> qui aide les esclaves à s’échapper, elle s’attelle à son tour à libérer des esclaves. On estime qu’entre 1849 et 1859, Harriet Tubman effectue 19 missions d’évasion pendant lesquelles elle réussit à <a href="https://books.google.fr/books?id=4i6uxAEACAAJ">libérer</a> 300 esclaves. L’espoir de libération qu’elle fait renaître auprès des esclaves lui vaut le surnom de <em>Moïse noire</em>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/wIp5NeHy8go?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Harriet Tubman, la « Moïse noire"- #CulturePrime.</span></figcaption>
</figure>
<p>Lors de la guerre de Sécession, profitant d’une loi autorisant les « personnes de couleur » à s’engager dans l’armée, elle aurait pris la direction d’une troupe de 150 soldats, <a href="https://www.franceinter.fr/culture/harriet-tubman-la-moise-noire">s’illustrant</a> ainsi comme la seule femme (noire) à jouer ce rôle à cette époque. Cette mission lui fournit l’occasion de libérer davantage d’esclaves en Géorgie. Après la guerre, elle poursuit un combat inlassable pour le droit des femmes en s’engageant aux côtés des suffragistes pour le droit de vote des femmes, droit qu’elle ne connaîtra jamais.</p>
<h2>Une initiative pas si simple</h2>
<p>Eu égard à ces actes, Harriet Tubman a recueilli une majorité de voix devant d’autres femmes comme l’ex–première dame Eleanor Roosevelt ou Rosa Parks pour figurer sur un billet de dollar en guise de reconnaissance de son activisme antiesclavagiste et de son <a href="https://www.womenon20s.org/may12_poll_results_and_petition">engagement féministe</a>. En dépit de cette adhésion majoritaire, le projet a suscité dès sa première annonce des interrogations voire des polémiques quant à certaines contradictions qu’il met en exergue. </p>
<p>Dans un <a href="https://www.degruyter.com/document/doi/10.1515/culture-2018-0038/html">article</a> bien documenté paru en 2018 et intitulé « Harriet Tubman and Andrew Jackson on the 20-dollar bill : A monstrous intimacy », deux universitaires américains, Sheneese Thompson et Franco Barchiesi, relèvent les contresens entourant certains aspects du projet par rapport à la question de réparation ou de restauration de la mémoire des esclaves et de leurs descendants.</p>
<p>« L’intimité monstrueuse » dont parle l’article dans son titre concerne la cohabitation envisagée sur le billet de 20 dollars entre l’ancien président américain <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Andrew_Jackson">Andrew Jackson</a> – dont le soutien à l’esclavage est avéré à travers la déportation des Amérindiens – et Harriet Tubman. Le controversé président figure depuis 1928 au verso de l’actuel billet alors que l’effigie d’Harriet Tubman est pressentie pour le recto, voire pour remplacer celle d’Andrew Jackson. La cohabitation des deux personnes ou le remplacement de l’une par l’autre sur le billet ont donné lieu à des <a href="https://www.vox.com/2016/4/21/11477568/20-bill-harriet-tubman-party-alexander-hamilton">polémiques</a>. À travers ces polémiques, Thompson et Barchiesi dénoncent l’incapacité de parler d’Harriet Tubman sans comparer son histoire avec celle d’un Blanc comme si sa condition de femme noire ne lui permet pas une souveraineté.</p>
<p>Une autre raison de « l’intimité monstrueuse » pointée par l’article est la représentation de Tubman sur l’objet, l’argent, qui conditionnait le statut de possession et de marchandise des esclaves noirs. Ainsi, le projet suscite des interrogations malgré ses velléités de réparation : le visage d’Harriet Tubman peut-il orner l’objet même de sa réduction en propriété captive ? Puisqu’on parle d’argent comme support de la cause des Noirs, à qui profite le projet si ce n’est au système capitaliste ? Dans ce sens, Thompson et Barchiesi demandent si le projet ne s’apparente pas davantage à « un symbolisme déformant visant à utiliser Tubman comme une marque du capitalisme racial ».</p>
<h2>L’irrésoluble question des réparations</h2>
<p>Les interrogations et polémiques suscitées par le projet depuis sa première annonce traduisent les difficultés que présente la question des réparations qui sont au cœur des problématiques concernant l’esclavage et ses héritages. Aux États-Unis, dans une société marquée par des rapports sociaux profondément racialisés, le problème des réparations se manifeste de manière particulière à travers la question de la justice sociale. Ainsi, comme le souligne l’historienne Myriam Cottias, la mobilisation du passé, souvent subordonnée aux revendications de réparations, sert à réclamer une nouvelle définition de la citoyenneté et à dénoncer le <a href="https://lejournal.cnrs.fr/articles/quelles-reparations-pour-lesclavage">racisme et les discriminations</a>. </p>
<p>Ce constat pousse à se questionner sur l’aboutissement des initiatives allant dans le sens de réparations, surtout quand ces dernières portent sur la volonté d’une reconnaissance des Noirs, à l’exemple du projet dont il est question dans cette contribution. Faut-il en conclure à l’impossible réconciliation de la Nation américaine ? Cette réconciliation doit-elle forcément passer par une démarche de réparations, qu’elles soient financières ou mémorielles ? En tout cas, le <a href="https://www.france24.com/fr/20200617-esclavage-et-colonialisme-la-haut-commissaire-de-l-onu-plaide-pour-des-r%C3%A9parations">Conseil des droits de l’homme</a> de l’ONU, face aux violences et discriminations dont font l’objet les Afro-Américains, a demandé aux États-Unis de réfléchir à des formes de réparations diverses afin de lutter contre le racisme systémique.</p>
<p>Avec ce projet de voir la première femme noire sur un billet de dollar, l’ancien président américain Barack Obama pensait faire entrer les États-Unis dans l’ère post-raciale. On se rend compte que le chemin vers cette ère reste long, même si l’élection du « premier président noir des États-Unis » en a constitué l’une des étapes principales. Le travail à effectuer pour y entrer, loin de la question des réparations comme seule condition, nécessite une vraie réflexion sur la construction d’une nation, dans le sens premier du terme, se caractérisant par la conscience qu’a un peuple de son unité et de sa volonté de vivre ensemble.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/154657/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Erick Cakpo ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Joe Biden relance le projet de faire figurer la militante anti-esclavagiste Harriet Tubman sur les billets de 20 dollars. Ce projet relance les débats sur la difficile question des réparations.Erick Cakpo, Historien, chercheur, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1524992020-12-27T22:39:01Z2020-12-27T22:39:01ZFact check US : Donald Trump a-t-il apaisé les tensions avec la Corée du Nord ?<p>Au cours de la campagne présidentielle, Donald Trump a affirmé que le président Obama lui avait laissé une situation très dangereuse avec la Corée du Nord qui <a href="https://time.com/5903268/donald-trump-north-korea-missiles-debates/">aurait même pu conduire à une guerre</a>. Selon ses dires, lui aurait au contraire contribué durant son mandat à apaiser les tensions entre les États-Unis et le régime nord-coréen en raison des relations personnelles qu’il a su créer avec son jeune dirigeant, Kim Jong‑un. Dès 2018, Donald Trump s’était d’ailleurs vanté sur Twitter d’avoir <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2018/06/13/washington-espere-desarmer-la-coree-du-nord-avant-la-fin-du-mandat-de-donald-trump_5314452_3210.html">réglé le problème</a>. À l’issue de sa première entrevue avec son homologue nord-coréen à Singapour, il déclarait en effet sur le réseau social :</p>
<blockquote>
<p>« Le président Obama disait que la Corée du Nord était notre plus gros et plus dangereux problème. Ce n’est plus le cas – dormez bien ce soir ! »</p>
</blockquote>
<p>Toutefois, si on peut admettre que Donald Trump a évité une crise majeure avec la Corée du Nord, il n’a pas su empêcher que celle-ci développe ses capacités nucléaires et balistiques et s’affirme, de fait, comme la cinquième puissance nucléaire du continent asiatique, après la Chine, la Russie, l’Inde et le Pakistan.</p>
<h2>Donald Trump, paradoxal « faiseur de paix » sur une péninsule nucléarisée</h2>
<p>Comme souvent s’agissant de Donald Trump, il y a une part de véracité dans ses déclarations. La situation lui permet de se positionner à son avantage, comme un pacificateur, et même de songer à recevoir un prix Nobel comme le président Obama avant lui. En 2019, il n’hésitait pas à faire mention des <a href="https://www.theguardian.com/us-news/2019/feb/15/trump-shinzo-abe-nominated-me-nobel-peace-prize">propositions de nomination</a> qu’auraient formulées en sa faveur le premier ministre japonais d’alors, Shinzo Abe, suivi par le président sud-coréen Moon Jae-in. Ceux-ci saluaient ainsi l’initiative, il est vrai courageuse et inattendue, d’un dialogue direct avec Kim Jong‑un et de rencontres « au sommet ». La rencontre de Singapour entre les deux dirigeants en juin 2018 avait en effet marqué les esprits par son caractère spectaculaire et prometteur. Elle mettait notamment fin à une <a href="https://theconversation.com/coree-du-nord-etats-unis-mettre-fin-a-la-diplomatie-des-extremes-82843">escalade verbale déclenchée à l’été 2017</a>, lorsque Donald Trump avait menacé de déchaîner « le feu et la fureur » et que son état-major n’écartait pas une option militaire contre la Corée du Nord.</p>
<p>Pour autant, la diplomatie « des sommets », aussi novatrice qu’elle ait pu paraître, n’a pas eu plus d’effet que les stratégies mises en œuvre avant elle, dont la « patience stratégique » de l’administration Obama, qui attendait que le régime s’effondre sous le poids des sanctions pour obtenir une dénucléarisation complète, vérifiable et irréversible de la Corée du Nord. Si Donald Trump a évité un conflit, il n’a pu empêcher qu’au terme de six essais nucléaires et de nombreux tirs de missiles balistiques jusqu’en 2017, la Corée du Nord revendique un statut de puissance nucléaire et dispose de <a href="https://www.cfr.org/backgrounder/north-koreas-military-capabilities">capacités de dissuasion crédibles</a>. À ce titre, elle reste une menace réelle et persistante tant pour les États-Unis, dont le territoire n’apparaît plus guère à l’abri de tirs nord-coréens de missiles balistiques intercontinentaux, que pour leurs deux plus proches alliés sud-coréens et japonais.</p>
<h2>Le nucléaire nord-coréen, outil de dissuasion</h2>
<p>Au demeurant, les motivations nucléaires de la Corée du Nord ont pu varier au cours du temps, sans que les administrations américaines successives ne se donnent les moyens de les comprendre. Lorsque le régime de Kim Jong-il effectue son premier essai souterrain en 2006, il le justifie par la « menace nucléaire » et les pressions exercées par l’administration Bush. Celle-ci vient de le labelliser « membre de l’axe du mal » aux côtés de l’Irak et de l’Iran dans le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=YtuL3Wg2OUI&ab_channel=atelierdesarchivesHistory">célèbre discours sur l’état de l’Union</a> du président Bush en 2002. Après l’invasion de l’Irak et l’exécution de Saddam Hussein en 2006, George Bush est fortement soupçonné par Pyongyang de vouloir faire de même en Corée du Nord en provoquant un changement de régime par la force. Cette suspicion et le manque de confiance réciproque expliquent en partie les aléas des <a href="https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2007/02/14/l-accord-sur-le-nucleaire-nord-coreen-suscite-prudence-et-reserve_867231_3216.html">Pourparlers à Six</a>, un mécanisme de dialogue multilatéral rassemblant les six pays riverains de la péninsule coréenne mis en place en 2003. Tout en tergiversant, la Corée du Nord avait accepté le principe d’une dénucléarisation progressive, action par action, et exigé la construction d’un réacteur à eau légère et le versement d’un million de tonnes de fuel lourd. Elle s’en retirera en 2009, non sans avoir obtenu la livraison de 550 000 tonnes de fuel lourd de la part des États-Unis.</p>
<p>En mai 2009, un second tir nucléaire nord-coréen intervient après le lancement d’un satellite qui se révèle être un missile balistique, déclenchant un nouveau cycle de sanctions. On peut alors penser, comme l’administration Obama, qu’il s’agit de la poursuite d’une politique de provocation pour obtenir des concessions selon un cycle plus ou moins identifié : provocations, sanctions, négociations, concessions. L’arrivée de Kim Jong‑un à la tête du pays en 2011 voit le nucléaire devenir un outil de puissance et un marqueur identitaire du régime alors que celui-ci renforce ses capacités opérationnelles par des campagnes de tirs accélérées. <a href="https://theconversation.com/coree-du-nord-le-nucleaire-comme-pacte-social-54994">Le nationalisme nucléaire</a> de la Corée du Nord répond à un besoin tout autant politique que stratégique. Au plan intérieur, il renforce la légitimité et donc la pérennité du régime et au plan extérieur, il remplit une fonction de dissuasion face aux États-Unis et ses alliés sud-coréens et japonais qui ont, tous trois, renforcé leur défense antimissile.</p>
<h2>D’Obama à Trump, les limites d’une politique de pressions maximales et de sanctions</h2>
<p>À peu de variantes près, l’objectif d’une dénucléarisation de la Corée du Nord, largement popularisé sous son acronyme anglais CVID, pour « Complete, Verifiable, Irreversible Denuclearization », a constitué le mantra indépassable des politiques nord-coréennes des États-Unis depuis George W. Bush en 2001 jusqu’aux présidents Obama et Trump. Leur manque de flexibilité et l’impact de facteurs régionaux – dont le facteur chinois – en expliquent les échecs passés et sans doute à venir. En effet, si la Corée du Nord a pu se montrer disposée à accepter un processus de dénucléarisation, dans son esprit celui-ci devait être progressif, englober toute la péninsule coréenne, c’est-à-dire impliquer le retrait des troupes américaines présentes, et s’assortir de robustes garanties de sécurité de la part des États-Unis, notamment la signature d’un traité de paix.</p>
<p>On se rappelle que lors de la signature de l’Accord dit du Cadre Agréée en 1994 entre l’administration Clinton et la Corée du Nord de Kim Il-sung, grand-père de l’actuel dirigeant, la première s’engageait sur la construction de réacteurs à eau légère pour fournir à Pyongyang l’électricité nécessaire à son développement en échange du gel de son programme nucléaire alors embryonnaire. Au demeurant, la Corée du Nord n’a <a href="https://slate.com/news-and-politics/2018/06/bolton-pompeo-trump-and-kim-all-have-different-ideas-about-what-the-d-in-cvid-stands-for.html">jamais entériné ce concept de dénucléarisation</a>, lui préférant celui de démantèlement. Ce qui, dans son esprit, peut aboutir à déclasser et fermer certains sites, notamment celui de Yongbyon, sans pour autant renoncer à ses capacités nucléaires.</p>
<p>Déjà, en 2018, au lendemain de la première rencontre de Singapour entre un Donald Trump triomphant affirmant que le <a href="https://www.courrierinternational.com/article/en-direct-sommet-de-singapour-trump-pret-suspendre-les-exercices-militaires-avec-seoul">processus de dénucléarisation allait commencer « très vite »</a> et son homologue nord-coréen, l’accord signé entretenait l’ambiguïté sur les perspectives d’une dénucléarisation sur laquelle les deux parties avaient une conception très différente. D’après le <a href="https://www.whitehouse.gov/briefings-statements/joint-statement-president-donald-j-trump-united-states-america-chairman-kim-jong-un-democratic-peoples-republic-korea-singapore-summit/">document commun</a>, l’objectif de cette rencontre était « l’établissement de nouvelles relations » entre les deux pays et l’instauration d’un « régime de paix solide et durable sur la péninsule coréenne ». Pour ce faire, le président Trump s’engageait à fournir des « garanties de sécurité » à la Corée du Nord dont le dirigeant réaffirmait son « engagement ferme et inébranlable envers la dénucléarisation complète de la péninsule coréenne ». Faute de mieux, des gestes symboliques ont été faits. En réponse au moratoire sur les essais nucléaires observé par Pyongyang, à sa propre initiative, Donald Trump avait ainsi suspendu ou réduit l’ampleur de certaines manœuvres militaires américano-sud-coréennes, comme Ulchi Freedom Guardian, <a href="http://www.opex360.com/2018/07/10/coree-sud-annulant-lexercice-ulchi-freedom-guardian-pentagone-va-economiser-14-millions-de-dollars/">annulées</a> en septembre de la même année.</p>
<p>En 2019, une <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2019/02/28/01003-20190228ARTFIG00220-sommet-de-hanoi-kim-et-trump-dans-l-impasse-nucleaire.php">nouvelle rencontre à Hanoï</a> révèle clairement le malentendu et tourne au fiasco, chacun protestant de sa bonne foi. Donald Trump a assuré que Kim Jong‑un souhaitait la levée de toutes les sanctions pesant sur son pays en contrepartie du démantèlement, déjà promis par le passé, de la centrale de Yongbyon. La partie nord-coréenne, pour qui le développement économique du pays est une priorité essentielle, a affirmé, quant à elle, n’avoir demandé, en échange de l’arrêt de la centrale, qu’une levée partielle des sanctions affectant le plus durement la population.</p>
<p>Quelques mois plus tard, la rencontre impromptue de Panmunjom entre les deux dirigeants, dans le périmètre de la zone démilitarisée (<em>Demilitarized Zone</em>, DMZ), entretient l’illusion qu’une négociation peut encore aboutir. Sur son compte Twitter, Donald Trump insiste en vain sur les avantages économiques qu’apporterait la dénucléarisation. S’accrochant aux perspectives d’une reprise du dialogue, en pensant que sa politique de maintien des sanctions fonctionnerait, la partie américaine a soigneusement évité tout au long de l’année 2019 et jusqu’en 2020 de renchérir sur les provocations nord-coréennes de tirs de missiles de courte portée.</p>
<p>Au final, Donald Trump a clairement échoué à faire du règlement de la question nucléaire nord-coréenne un succès personnel dû à ses talents de négociateur et à la proximité créée avec le dirigeant nord-coréen. En dépit de contacts directs et de l’envoi régulier de lettres – ils s’en seraient adressé 25 selon le journaliste américain Bob Woodward –, la personnalisation de leur relation, jouée ou réelle, s’est heurtée au réalisme stratégique nord-coréen. Si une guerre avec la Corée du Nord a été évitée, le pays dispose de capacités nucléaires et, en dépit des sanctions et de la pandémie, se serait doté de nouveaux missiles balistiques intercontinentaux. L’un de ceux-ci, <a href="https://www.38north.org/2020/10/melleman102120/">aux proportions impressionnantes</a>, porté sur un véhicule de 13 essieux a été complaisamment exposé lors de la grande parade militaire nocturne organisée à Pyongyang le 10 octobre 2020. Des questions se posent sur son opérationnalisation. Faut-il s’attendre à une nouvelle campagne de tirs nord-coréens en 2021 ?</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été réalisé avec la collaboration de Bessma Sikouk de l’École supérieure de journalisme de Lille (ESJ Lille).</em></p>
<p><em>La rubrique Fact check US a reçu le soutien de <a href="https://craignewmarkphilanthropies.org/">Craig Newmark Philanthropies</a>, une fondation américaine qui lutte contre la désinformation</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/152499/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marianne Péron-Doise ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Donald Trump a évité une crise majeure avec la Corée du Nord. Mais la question du nucléaire nord-coréen reste entière, le pays continuant de développer ses capacités nucléaires et balistiques.Marianne Péron-Doise, Chercheur Asie du Nord et Sécurité maritime Internationale, chargé de cours Sécurité maritime, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1503452020-11-19T23:28:59Z2020-11-19T23:28:59ZLe retour des États-Unis dans l’Accord de Paris, forcément une bonne nouvelle pour le climat ?<p>En juin 2017, Donald Trump annonçait la <a href="https://theconversation.com/laccord-de-paris-sans-washington-un-electrochoc-positif-78809">sortie des États-Unis de l’Accord de Paris</a>. La nouvelle, attendue par la plupart des observateurs, inaugurait une longue liste de processus multilatéraux dont Washington allait progressivement se retirer.</p>
<p>Le 4 novembre 2020, au terme du délai légal de trois ans nécessaire à leur sortie, les États-Unis se retiraient formellement de l’Accord. Dès le lendemain, Joe Biden annonçait que sa première décision en tant que président serait <a href="https://twitter.com/JoeBiden/status/1324158992877154310?s=20">d’y faire revenir son pays</a>. La nouvelle était accueillie avec enthousiasme partout dans le monde – l’ancienne secrétaire exécutive de la Convention-cadre des Nations unies sur le Changement climatique (CCNUCC), Christiana Figueres, en fonction au moment de la signature de l’Accord de Paris, se filmait même en train de faire des bonds de joie dans son salon.</p>
<p>L’élection de Joe Biden est indéniablement une excellente nouvelle pour la coopération internationale contre le changement climatique. Sous Barack Obama, les États-Unis s’étaient engagés à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de <a href="https://www.novethic.fr/actualite/environnement/climat/isr-rse/climat-avant-la-cop-21-les-etats-unis-devoilent-une-contribution-ambitieuse-143203.html">26 à 28 % sous leur niveau de 2005 d’ici 2025</a> : la présidence de Donald Trump, marquée par quatre années de déni du changement climatique et de <a href="https://theconversation.com/trump-le-nouveau-roi-du-petrole-72151">soutien aux énergies fossiles</a>, les a considérablement éloignés de cet objectif, qui semble aujourd’hui hors d’atteinte.</p>
<p>Joe Biden a quant à lui proposé un plan de <a href="https://energy.economictimes.indiatimes.com/news/renewable/bidens-2-trillion-climate-plan-aims-to-reframe-debate/76974160">2000 milliards de dollars</a> d’investissements dans les énergies renouvelables et les infrastructures peu carbonées, avec un objectif de neutralité carbone d’ici 2050. Au-delà des actions engagées sur le plan domestique, on peut également s’attendre à un soutien financier renouvelé à la recherche sur le climat, que ce soit à la NASA ou au GIEC, dont les financements avaient été sérieusement amputés par l’administration Trump.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Ku7uZ0Gok2g?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Vidéo présentant le plan Biden pour l’énergie et le climat. (Joe Biden, juin 2019).</span></figcaption>
</figure>
<p>Et la décision de revenir dans l’Accord de Paris au premier jour de la présidence de Joe Biden, qui pourrait prendre effet dès le 20 février 2021, serait évidemment un signal très fort en faveur du multilatéralisme, qui avait été balayé par le précédent président. Le retour des États-Unis permettrait à l’Accord de Paris de retrouver son caractère universel, qui constituait la pierre angulaire de celui-ci – seuls les États-Unis, sur les quelque 200 pays qui avaient signé l’Accord, s’en étaient retirés.</p>
<p>Surtout, on peut imaginer que le retour américain incite d’autres pays à revoir à la hausse leurs ambitions dans la lutte pour le changement climatique : la COP26 – qui doit se tenir à Glasgow en novembre 2021 suite à un report d’un an en raison de la pandémie de Covid-19 – devra précisément enregistrer de nouveaux engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour 2030, et seuls 14 pays ont annoncé de tels engagements à ce jour.</p>
<h2>Un retour pas forcément gagnant</h2>
<p>Mais l’enthousiasme général déclenché par la victoire de Joe Biden nous rend aussi aveugles à des risques liés au retour des États-Unis dans l’Accord de Paris.</p>
<p>Ce sont ces risques que je voudrais mettre en lumière ici.</p>
<p>Rappelons tout d’abord que le but principal de l’Accord de Paris est de fixer un cadre clair et durable à la coopération internationale dans la lutte contre le changement climatique. C’est aussi un signal clair de stabilité qui est envoyé aux marchés et aux entreprises. Les atermoiements liés à la <a href="https://theconversation.com/de-kyoto-a-paris-a-la-recherche-de-lefficacite-climatique-58029">mise en œuvre du Protocole de Kyoto</a>, entre 1997 et 2005, avaient considérablement atteint la crédibilité de celui-ci, et retardé les investissements dans l’économie à bas carbone. Il est donc essentiel que l’Accord de Paris bénéficie de la stabilité et de la crédibilité qui avaient tant manqué au Protocole de Kyoto.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/de-kyoto-a-paris-a-la-recherche-de-lefficacite-climatique-58029">De Kyoto à Paris, à la recherche de l’efficacité climatique</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Avant que Donald Trump ne mette à exécution sa menace de sortir de l’Accord de Paris, une centaine de chefs d’entreprises américaines, y compris certaines parmi les plus polluantes comme Exxon Mobil ou DuPont, avaient écrit au président <a href="https://www.ft.com/content/acf309b0-13b3-11e7-80f4-13e067d5072c">pour l’exhorter d’y rester</a> : ce que ces entreprises craignaient encore davantage que la contrainte de réduire leurs émissions, c’était l’incertitude et l’instabilité qu’une sortie américaine de l’Accord allait immanquablement générer. C’est ainsi qu’un retour des États-Unis, paradoxalement, pourrait aussi affaiblir l’Accord de Paris, en accréditant l’idée que la participation du deuxième émetteur mondial de gaz à effet de serre dépend du résultat de ses élections présidentielles.</p>
<p>Une telle dépendance du processus de coopération internationale aux aléas de la politique américaine serait un signal désastreux envoyé aux marchés et aux entreprises.</p>
<p>Ensuite, il est important de souligner que la participation à l’Accord de Paris n’est en rien nécessaire pour décarboner son économie. Aux États-Unis, de très nombreux leviers de la lutte contre le changement climatique se trouvent d’ailleurs dans les mains des maires et des gouverneurs – les villes et les États fédérés avaient d’ailleurs redoublé d’efforts pour compenser le déficit d’action climatique sous la présidence Trump. Il ne faudrait pas qu’un retour américain dans la coopération internationale soit un trompe-l’œil pour camoufler les faiblesses de l’action fédérale, ce qui risque d’être le cas si les républicains conservent la majorité au Sénat ; d’autant plus que l’Accord de Paris ne prévoit aucune obligation contraignante de réduction des émissions.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"940152225908887552"}"></div></p>
<h2>Ambitions freinées</h2>
<p>Il faut enfin rappeler, au risque de passer pour un rabat-joie, que les États-Unis n’ont jamais été un moteur des négociations internationales sur le climat – ils n’ont jamais accueilli aucune conférence des parties (COP), par exemple.</p>
<p>Pis encore, l’administration américaine – qu’elle soit démocrate ou républicaine – a souvent tenté de réduire la voilure de l’ambition collective. Ce sont les États-Unis, sous administration Clinton, qui ont imposé dans le Protocole de Kyoto les mécanismes de marché dont personne ne voulait. Ce sont encore les États-Unis, sous administration Obama, qui ont pris la tête du groupe de pays qui ont poussé pour que l’Accord de Paris ne contienne aucune obligation substantielle pour les États signataires.</p>
<p>La COP26 de Glasgow devra faire montre d’une ambition décuplée pour aligner les engagements des différents pays avec les objectifs de l’Accord de Paris. En septembre de cette année, la <a href="https://theconversation.com/debat-pourquoi-il-ny-aura-pas-de-grand-retour-des-etats-unis-sur-la-scene-climatique-149862">Chine a surpris tous les observateurs</a> avec l’annonce unilatérale d’une ambition renouvelée, qui verrait ses émissions de gaz à effet de serre atteindre leur pic en 2030 au plus tard, pour atteindre la neutralité carbone en 2060. Le relèvement des ambitions sera au cœur des négociations pour les prochains mois. Un retour des États-Unis à la table des négociations pourrait brider ces ambitions, une fois dissipé l’enthousiasme de l’élection de Joe Biden.</p>
<p>Il sera difficile, en tout cas, de faire comme si rien ne s’était passé au cours des quatre dernières années.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/150345/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François Gemenne a reçu des financements du FNRS, de la Commission européenne (programme de recherche Horizon 2020), et de la politique scientifique fédérale belge (BELSPO). Il est auteur principal pour le GIEC.</span></em></p>Si l’élection de Joe Biden est indéniablement une bonne nouvelle pour le climat, le retour annoncé des États-Unis dans l’Accord de Paris constituerait-il un tournant décisif ? Pas si sûr…François Gemenne, Chercheur en science politique, spécialiste du climat et des migrations, Université de LiègeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1488512020-11-03T19:41:23Z2020-11-03T19:41:23ZDe George Washington à Donald Trump, 230 ans de campagnes électorales<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/366667/original/file-20201030-17-1xjaihh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C0%2C1191%2C801&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le président Donald Trump communique énormément via les réseaux sociaux.</span> <span class="attribution"><span class="source">AP Photo/Alex Brandon</span></span></figcaption></figure><p>Les campagnes présidentielles n’ont pas toujours ressemblé à celle de 2020 – ni, d’ailleurs, à celle de 2016, quand la pandémie de coronavirus n’avait pas encore chamboulé les <a href="https://theconversation.com/pandemic-alters-political-conventions-which-have-always-changed-with-the-times-141663">conventions démocrates et républicaines</a>, la <a href="https://theconversation.com/amid-pandemic-campaigning-turns-to-the-internet-137745">communication politique</a> et les <a href="https://theconversation.com/why-the-supreme-court-made-wisconsin-vote-during-the-coronavirus-crisis-136102">procédures de vote</a>.</p>
<p>Un élément n’a pas changé : tout <a href="https://www.law.cornell.edu/wex/natural_born_citizen">citoyen né sur le territoire américain</a> et <a href="https://www.constitutioncenter.org/blog/why-does-a-presidential-candidate-need-to-be-35-years-old-anyway/">âgé de plus de 35 ans</a> peut se présenter. En revanche, la manière dont s’effectue le choix des candidats a considérablement évolué, tout comme la façon de faire campagne.</p>
<p>Aujourd’hui, les personnes désireuses de concourir à la présidentielle doivent s’enregistrer officiellement en tant que candidats après avoir <a href="https://www.fec.gov/help-candidates-and-committees/registering-candidate/house-senate-president-candidate-registration/">réuni la somme de 5 000 dollars</a>. À partir de là, la Commission électorale fédérale leur demande de s’affilier à un parti politique, qu’ils sont en droit de choisir même si la direction de ce parti <a href="https://www.nytimes.com/2016/07/23/us/politics/dnc-emails-sanders-clinton.html">ne veut pas d’eux pour candidats</a>.</p>
<p>Les élites du parti ont toujours du pouvoir, mais beaucoup moins qu’avant.</p>
<h2>L’ère des hommes d’État</h2>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/356147/original/file-20200902-20-1n7zn1o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="George Washington dans son uniforme militaire." src="https://images.theconversation.com/files/356147/original/file-20200902-20-1n7zn1o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/356147/original/file-20200902-20-1n7zn1o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=630&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/356147/original/file-20200902-20-1n7zn1o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=630&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/356147/original/file-20200902-20-1n7zn1o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=630&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/356147/original/file-20200902-20-1n7zn1o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=792&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/356147/original/file-20200902-20-1n7zn1o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=792&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/356147/original/file-20200902-20-1n7zn1o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=792&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">George Washington savait que d’autres souhaitaient qu’il soit président.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:George_Washington_After_the_Battle_of_Princeton_-_Charles_Willson_Peale_-_Cleveland_Museum_of_Art_(29746887513).jpg">Charles Willson Peale painting via Cleveland Museum of Art</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Lorsque la Convention constitutionnelle créa le régime présidentiel, un grand nombre des pères fondateurs de la nation estimaient que George Washington était la personne idéale pour l’incarner. Malgré ce consensus, ils rencontrèrent un problème pour le moins singulier.</p>
<p>Ils pensaient que quiconque souhaitait se faire élire le faisait pour de mauvaises raisons et utiliserait son pouvoir pour saper l’autorité du gouvernement. C’est pour cette raison que George Washington garda un « silence prudent » sur son aspiration à prendre la tête de l’État, afin de ne pas paraître « <a href="https://founders.archives.gov/documents/Hamilton/01-05-02-0038">orgueilleux et vaniteux</a> ». Il n’avoua qu’en privé qu’il accepterait de devenir le premier président du pays si on le lui demandait.</p>
<p>Étant donné la crainte très réelle de voir, comme par le passé, « des hommes ayant entamé leur carrière en <a href="https://avalon.law.yale.edu/18th_century/fed01.asp">courtisant le peuple de façon obséquieuse</a> » finir, une fois élus, par « renverser les libertés républicaines », il était préférable que les premiers candidats évitent de sembler trop avides de pouvoir.</p>
<p>Thomas Jefferson poussa cette logique jusqu’au bout en <a href="https://www.penguinrandomhouse.com/books/46096/american-sphinx-by-joseph-j-ellis/">jurant qu’il ne briguerait plus aucun mandat</a> après avoir été le premier secrétaire d’État de cette nouvelle nation. Ce n’est qu’en recevant une lettre de son ami James Madison l’invitant à « <a href="https://founders.archives.gov/documents/Madison/01-15-02-0405">se préparer</a> » à l’investiture présidentielle qu’il découvrit qu’il participerait au scrutin de 1796. Cette année-là, Jefferson, arrivé second, devint vice-président avant d’accéder, quatre ans plus tard, à la plus haute fonction.</p>
<p>Jusqu’en 1824, les candidats se montrèrent réticents à faire campagne pour eux-mêmes. Cette année-là, le candidat Andrew Jackson se présenta en promettant de <a href="https://theconversation.com/stolen-elections-open-wounds-that-may-never-heal-128613">gouverner pour l’homme du peuple plutôt que pour les élites du parti</a> qui contrôlaient Washington depuis trop longtemps. Les troubles qui précédèrent, accompagnèrent et suivirent la guerre de Sécession ne firent que désorganiser davantage les élections jusqu’à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, quand s’ouvrit l’ère industrielle.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/356150/original/file-20200902-14-oein2s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Trois hommes en réunion." src="https://images.theconversation.com/files/356150/original/file-20200902-14-oein2s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/356150/original/file-20200902-14-oein2s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=437&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/356150/original/file-20200902-14-oein2s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=437&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/356150/original/file-20200902-14-oein2s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=437&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/356150/original/file-20200902-14-oein2s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=549&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/356150/original/file-20200902-14-oein2s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=549&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/356150/original/file-20200902-14-oein2s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=549&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Warren Harding, au centre, aurait été désigné comme candidat républicain à la présidence de 1920 par certaines élites du parti réunies dans une « pièce enfumée ».</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/chairman-of-the-republican-national-committee-will-h-hays-news-photo/501167655">FPG/Keystone View Company/Archive Photos/Getty Images</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>L’essor du clientélisme politique</h2>
<p>Au sortir de la Reconstruction, en 1877, la politique américaine n’était pas reluisante. <a href="https://doi.org/10.1177%2F000271623316900104">Quelques représentants des élites des partis se réunissaient dans des salles enfumées</a> pour décider quel candidat soutenir et comment empêcher les autres de remporter les élections.</p>
<p>Une fois au pouvoir, les membres des deux partis se servaient de leur position pour distribuer des postes en échange de pots-de-vin. <a href="https://global.oup.com/ushe/product/gotham-9780195140491?cc=us&lang=en&">En général, les dirigeants des partis exerçaient un large contrôle</a> sur le pouvoir en place, exigeant même un droit de regard sur les nominations décidées par les représentants élus.</p>
<p>En tant que commissaire de la ville de New York, puis gouverneur de l’État du même nom, le républicain Theodore Roosevelt résista tant et si bien au système qu’un des <a href="https://www.worldcat.org/title/boss-platt-and-his-new-york-machine-a-study-of-the-political-leadership-of-thomas-c-platt-theodore-roosevelt-and-others/oclc/75290">responsables de son parti, agacé, fit pression sur sa formation</a> pour qu’elle offre à cet ambitieux politicien le <a href="https://www.washingtonpost.com/news/the-fix/wp/2014/10/03/a-brief-history-of-vice-presidents-bemoaning-the-vice-presidency/">poste notoirement insignifiant de vice-président</a>. Cependant, la manœuvre tourna court avec l’assassinat du président William McKinley en 1901. Devenu président, Roosevelt mit en place une série de réformes progressistes comme le <a href="https://doi.org/10.1111/1540-5907.00011">recrutement au mérite plutôt que par clientélisme</a> qui contribuèrent à réduire l’influence des chefs de parti.</p>
<p>Dans les années 1920, l’invention de la radio offrit aux candidats un moyen encore plus facile de contourner les élites partisanes.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/356151/original/file-20200902-20-17xafiv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Franklin Roosevelt à son bureau" src="https://images.theconversation.com/files/356151/original/file-20200902-20-17xafiv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/356151/original/file-20200902-20-17xafiv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=779&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/356151/original/file-20200902-20-17xafiv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=779&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/356151/original/file-20200902-20-17xafiv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=779&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/356151/original/file-20200902-20-17xafiv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=979&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/356151/original/file-20200902-20-17xafiv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=979&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/356151/original/file-20200902-20-17xafiv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=979&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Grâce à la radio, le président Franklin Roosevelt put s’adresser directement au peuple américain.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.apimages.com/metadata/Index/Watchf-AP-A-DC-USA-APHS468672-FDR-Radio-Appeal/bc99970464444be18346225734999ecf/4/0">AP Photo/Gil Friedberg</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>La première révolution médiatique</h2>
<p>L’invention de la radio marqua un tournant décisif dans le processus de démocratisation. Par le biais de ce médium, les présidents purent s’adresser directement aux citoyens et établir un lien plus viscéral entre le chef d’État et le peuple.</p>
<p>Avides de contenus populaires, les radiodiffuseurs obtinrent le droit d’accéder aux conventions de nomination et mirent en avant la radio comme <a href="https://psmag.com/news/airwaves-1924-the-first-presidential-campaign-over-radio-47615">moyen pour le peuple d’en approcher les rouages</a>. Avec l’arrivée de la télévision, au début des années 1950, les <a href="https://time.com/4471657/political-tv-ads-history/">candidats commencèrent à engager des publicitaires</a> pour les aider à se « vendre » directement au peuple sans passer par le parti.</p>
<p>En 1968, le parti démocrate désigna Hubert Humphrey comme candidat à la présidence, sans tenir compte du résultat des primaires. De <a href="https://www.history.com/topics/1960s/1968-democratic-convention">violentes émeutes éclatèrent à Chicago</a>, ce qui entraîna des réformes. Les primaires gagnèrent en importance et les <a href="https://theconversation.com/democratic-republican-parties-both-play-favorites-when-allotting-convention-delegates-to-states-143963">élites perdirent encore de leur pouvoir</a>. Toutefois, la <a href="https://www.theatlantic.com/politics/archive/2016/01/jimmy-carter-iowa-caucuses/426729/">victoire surprenante de Jimmy Carter dans l’Iowa en 1976</a> conduisit les Démocrates à reprendre les commandes en <a href="https://inthesetimes.com/features/superdelegate-interview-elaine-kamarck.html">créant des superdélégués</a>, c’est-à-dire des personnes sélectionnées par le parti pour apporter leur voix au candidat de leur choix, et potentiellement contourner le résultat des primaires. Ces efforts portèrent leurs fruits… jusqu’à l’apparition des réseaux sociaux.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/356152/original/file-20200902-22-1bzfa8b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Barack Obama et Hillary Clinton" src="https://images.theconversation.com/files/356152/original/file-20200902-22-1bzfa8b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/356152/original/file-20200902-22-1bzfa8b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=501&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/356152/original/file-20200902-22-1bzfa8b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=501&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/356152/original/file-20200902-22-1bzfa8b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=501&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/356152/original/file-20200902-22-1bzfa8b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=630&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/356152/original/file-20200902-22-1bzfa8b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=630&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/356152/original/file-20200902-22-1bzfa8b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=630&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Lors des primaires démocrates de 2008, Barack Obama s’est servi des réseaux sociaux pour mobiliser ses partisans et se faire nommer à la place d’Hillary Clinton.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.apimages.com/metadata/Index/Campaign-2016-Debate-Clinton-s-Experience/532a7608dfae402c8c9716764c7bfd17/1/0">AP Photo/Jae C. Hong, Pool</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>La deuxième révolution médiatique</h2>
<p>Pendant les primaires démocrates de 2008, tous les observateurs ou presque pensaient que l’heure d’Hillary Clinton était arrivée. Les acteurs et experts politiques furent peu nombreux à prendre au sérieux la candidature de Barack Obama. Ils pensaient que celui qui se présentait comme un <a href="http://www.nbcnews.com/id/5537216/ns/politics/t/skinny-kid-funny-name-rallies-democrats/">« gamin maigrichon au nom bizarre »</a> apprendrait les ficelles du métier et obtiendrait peut-être, au mieux, un poste ministériel.</p>
<p>Au lieu de cela, Obama a révolutionné la façon de faire campagne en utilisant « <a href="https://www.nytimes.com/2008/11/10/business/media/10carr.html">l’énorme capacité de communication</a> » des réseaux sociaux pour faire passer son message et recruter des bénévoles. Il a exploité l’énergie créée par les plates-formes conçues pour rassembler les « amis » de ses partisans et les inciter à partager leurs intérêts avec n’importe quel membre de leur réseau. Sa capacité à soulever les foules <a href="https://www.huffpost.com/entry/chris-matthews-i-felt-thi_n_86449">et une couverture médiatique très favorable</a> n’ont laissé aucune chance à Hillary Clinton et au parti qui la soutenait : le peuple voulait <a href="https://www.businessinsider.com/memorable-presidential-campaign-slogans-and-why-they-worked">du changement et de l’espoir</a>.</p>
<p>En 2016, le peuple a une nouvelle fois surpris les élites. Donald Trump a réussi à imposer <a href="https://www.iowastatedaily.com/election2012/donald-trump-a-political-outsiders-dream-to-make-america-great-again/article_aedfc2aa-98dd-11e6-b217-37e46a46ef9b.html">sa vision d’un pays en déliquescence</a>, attendant l’arrivée d’un outsider pour lui rendre sa grandeur.</p>
<p>Au départ, les <a href="https://www.washingtonpost.com/lifestyle/style/the-media-didnt-want-to-believe-trump-could-win-so-they-looked-the-other-way/2016/11/09/d2ea1436-a623-11e6-8042-f4d111c862d1_story.html">médias</a> ne l’ont pas davantage pris au sérieux que des responsables de premier plan du parti républicain comme <a href="https://www.ea">Reince Priebus</a> ou <a href="https://www.politico.com/agenda/story/2016/07/why-paul-ryan-wont-accept-or-dismiss-donald-trump-000159/">Paul Ryan</a>. Beaucoup <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2016/oct/27/hillary-clinton-will-win-what-kind-of-president-white-house-obama">pensaient qu’Hillary Clinton allait le battre</a> à plates coutures.</p>
<p>Encore une fois, les élites ont sous-estimé les réseaux sociaux – cette fois, elles n’ont pas compris à quel point ceux-ci pouvaient diviser le pays. Les <a href="https://www.nytimes.com/2018/04/25/world/asia/facebook-extremism.html">puissants algorithmes</a> utilisés par plusieurs plates-formes <a href="https://www.pbs.org/wgbh/nova/article/radical-ideas-social-media-algorithms/">ont considérablement augmenté la quantité de contenus extrémistes</a> vus par les électeurs.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"822502450007515137"}"></div></p>
<p>Dans le même temps, Donald Trump a alimenté le sentiment d’injustice éprouvé par une partie des Américains en affirmant qu’il travaillerait pour les « <a href="https://twitter.com/realDonaldTrump/status/822502450007515137">oubliés</a> ». Ce sentiment d’injustice persistant au sein de nombreux groupes, et les actions violentes déployées pour y remédier, restent un facteur important de l’élection actuelle où, une fois encore, un outsider provocant (qui se trouve aussi être le président sortant) affronte un vieux cadre du parti d’en face, bien sous tous rapports.</p>
<p>Chaque président imprime sa marque. Les deux derniers ont pleinement tiré parti du pouvoir d’Internet pour établir un lien direct avec le peuple. Il n’est pas évident d’imaginer la manière dont les futurs présidents utiliseront les outils existants et à venir. En revanche, on voit facilement comment des médias tels que Twitter et YouTube maintiennent le lien et transmettent des éléments d’information.</p>
<p>On voit aussi l’intérêt que représente le fait de créer une communauté sur les médias sociaux, afin de favoriser la diffusion d’un message politique par le biais des réseaux de militants et de leurs amis. Mais on voit mal, quand on repense aux <a href="https://medium.com/@rickbrownell/great-presidential-speeches-that-moved-a-nation-e0de4c17426e">grands discours des présidents américains d’autrefois</a>, comment on pourrait condenser ces moments émouvants en 280 caractères.</p>
<hr>
<p><em>Traduit de l’anglais par Catherine Biros pour <a href="http://www.fastforword.fr">Fast ForWord</a></em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/148851/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sarah Burns est Senior Fellow de l'Institute for Humane Studies.</span></em></p>La façon dont les candidats à la présidence briguent la plus haute fonction de l’État a significativement évolué au cours des siècles.Sarah Burns, Associate Professor of Political Science, Rochester Institute of TechnologyLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1483752020-10-20T19:51:06Z2020-10-20T19:51:06ZFact check US : L’Obamacare est-il « dysfonctionnel et trop cher », comme l’affirme Trump ?<p>Lors du premier débat télévisé de la course à la présidentielle américaine de 2020, Donald Trump lançait à la figure de son challenger démocrate, Joe Biden : « Obamacare is too expensive ; it doesn’t work ». « L’Obamacare est trop cher ; cette loi ne fonctionne pas ». L’attaque n’avait rien d’étonnant sur le fond tant la grande réforme de l’assurance maladie, dite <a href="https://www.congress.gov/bill/111th-congress/house-bill/3590/text">Affordable Care Act (ACA)</a>, constitue une obsession politique.</p>
<p>Pour rappel, l’ACA fut initié par l’administration de Barack Obama afin d’étendre la couverture maladie à plus 20 millions de citoyens américains sur les 45 millions qui n’en disposaient pas en 2009. Si l’objectif de l’extension de la couverture est atteint, celui de la maîtrise du déficit du système d’assurance maladie ne l’est pas. Son coût est estimé à 940 milliards de dollars en 2010 sur dix ans ; il fut réévalué par le Congrès dès 2012 à 1 760 milliards de dollars.</p>
<h2>Effacer la trace politique d’Obama</h2>
<p>Derrière la critique émise par Donald Trump, on perçoit la permanence d’une volonté d’effacer la trace politique laissée par Barack Obama, à laquelle est associé l’ancien vice-président Joe Biden. Dès les cent premiers jours de sa présidence, Donald Trump a en effet lancé en grande pompe une procédure d’abrogation de l’ACA (<a href="https://ballotpedia.org/Timeline_of_ACA_repeal_and_replace_efforts"><em>repeal and replace</em></a>) devant le Congrès pour marquer son territoire. Bien que s’appuyant sur une majorité républicaine à la Chambre des représentants et au Sénat, cette stratégie politique fut mise en déroute. Après avoir obtenu péniblement une majorité de voix à la Chambre (4 mai 2017), le texte d’abrogation est rejeté le 28 juillet 2017 par le Sénat <a href="https://www.franceinter.fr/monde/l-obamacare-sauve-par-le-senateur-republicain-john-mccain">grâce au vote contre</a> de l’ancien candidat républicain à la Maison Blanche John McCain, aujourd’hui décédé.</p>
<p>Face à ce premier échec politique, le président Trump a <a href="https://ballotpedia.org/Federal_policy_on_healthcare,_2017-2020">continué de s’attaquer</a> à l’ACA en opérant des coupes dans certains impôts fédéraux finançant le développement du nouveau système d’assurance maladie, en incitant les gouverneurs républicains à ne pas activer certains leviers de mise en œuvre de la loi dans leur État, et en multipliant les recours devant les cours fédérales. </p>
<p>La Cour suprême aura le dernier mot sur le sujet, le 10 novembre prochain, dans le cadre de la décision <a href="https://www.brookings.edu/blog/usc-brookings-schaeffer-on-health-policy/2020/10/13/a-supreme-court-decision-to-strike-down-the-aca-would-create-chaos-in-the-health-care-system/">California v. Texas</a>. Sera alors étudié le recours de l’administration Trump et d’un groupe de procureurs généraux contestant la constitutionnalité de la loi. Si le risque d’annulation de l’ACA est réel en raison de la forte majorité républicaine à la Cour, la pandémie de Covid-19 tout comme l’absence d’un programme d’assurance maladie alternatif proposé par les républicains jouent contre ce type de décision.</p>
<h2>Large consensus</h2>
<p>Si la charge de Donald Trump contre l’ACA ne porte pas facilement ses fruits, c’est aussi parce que cette réforme fut maturée dans la durée et construite autour d’un large consensus politique des spécialistes des politiques de santé, tant démocrates que républicains. Il s’agit là non pas de fonctionnaires de carrière, mais d’<a href="http://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?gcoi=27246100830610">experts des politiques d’assurance maladie</a> qui ont travaillé pendant des années au sein de l’État mais aussi à sa périphérie (think tanks, fondations, etc.) sur l’élaboration de ce programme. Concrètement, celui-ci repose sur un mélange subtil d’extension des programmes publics Medicare (ciblant les plus de 65 ans) et Medicaid (à destination des femmes isolées et enfants), et d’enrôlement des assureurs privés et des employeurs. Excessivement complexe pour le profane, la réforme a permis la mise en œuvre progressive d’un filet de protection santé beaucoup plus étendu.</p>
<p>Le nombre de citoyens américains sans couverture maladie était de 20,3 % en 2013, année de son lancement. Il se situe aujourd’hui légèrement au-dessus de 10 %. Au total, ce sont autour de 25 millions d’Américains qui accèdent au système de soins via l’ACA. Certes, le coût de la réforme pour les finances publiques dépasse les prévisions initiales. En 2010, on l’a dit, le coût prévisionnel à dix ans de l’ACA était évalué par l’administration Obama autour de 940 milliards de dollars. Il a été réévalué dès 2012 par l’agence budgétaire bipartisane du Congrès (le CBO) à 1 760 milliards de dollars. Ainsi, les États-Unis ont toujours un budget public consacré à la santé parmi les plus élevés dans le monde. Ils y consacrent 18 % de leur PIB pour une couverture maladie laissant de côté 8,9 % de la population (2016) alors que la France possède une assurance maladie universelle qui équivaut à 11 % de son PIB.</p>
<h2>Dimension hybride</h2>
<p>Pour ses opposants, c’est la dimension hybride de l’ACA, mixant programme public et assurance privée, qui favorise cette dérive des coûts. C’est sur ce point que Donald Trump s’appuie pour déclarer l’ACA « inopérante », exiger son retrait et repositionner au centre du jeu les assurances privées. Cela conduira à retrouver le système d’avant la réforme, en excluant du système 20 millions de citoyens modestes que le marché des assurances privées ne juge pas intéressants d’un point de vue commercial.</p>
<p>La pandémie du Covid-19 a permis de pointer certaines limites de l’ACA pour les citoyens américains qui ont été frappés par le chômage perdant ainsi l’assurance fournie par leur employeur. Ce constat a réactivé le débat autour d’un système d’assurance publique pour tous (Medicare for All) soutenu entre autres par l’aile gauche démocrate et Bernie Sanders lors des élections primaires du parti. Le candidat Joe Biden a, de son côté, toujours défendu le développement et l’extension de la logique de l’Obamacare. </p>
<p>En fin politicien, il essaye de faire le lien entre les démocrates favorables à l’extension progressive de l’éligibilité au programme Medicare (« Medicare like », un abaissement du seuil de 65 ans à 60 ans) tout en assumant l’héritage complexe et consensuel de l’ACA. Dans un <a href="https://www.nbcnews.com/politics/meet-the-press/blog/meet-press-blog-latest-news-analysis-data-driving-political-discussion-n988541/ncrd1029811#blogHeader">meeting du 13 octobre à Des Moines (Iowa)</a>, Joe Biden affirme : « J’estime que l’adoption de l’Affordable Care Act est l’une de nos réalisations les plus importantes ». Pour ces raisons, il est fort probable que si le candidat démocrate l’emporte lors de la prochaine élection présidentielle, l’ACA connaisse encore de beaux jours. </p>
<p>Même si elle est plus coûteuse que prévu, la loi atteint bien ses objectifs. Par conséquent, les assertions du candidat républicain sont fausses.</p>
<hr>
<p><em>Ce Fact check a été réalisé avec Manon Bernard de l’École publique de journalisme de l'Université de Tours (EPJT).</em></p>
<p><em>La rubrique Fact check US a reçu le soutien de <a href="https://craignewmarkphilanthropies.org/">Craig Newmark Philanthropies</a>, une fondation américaine qui lutte contre la désinformation</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/148375/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>William Genieys ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Selon les républicains, la grande réforme du système de santé votée sous Barack Obama est dysfonctionnelle et trop coûteuse. Or malgré son coût élevé, cette loi a déjà atteint ses objectifs.William Genieys, Directeur de recherche CNRS au CEE à Sciences Po, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1414852020-07-09T17:01:26Z2020-07-09T17:01:26ZComment améliorer les institutions des États africains ?<p><a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2009/07/13/l-afrique-n-a-pas-besoin-d-hommes-forts-mais-de-fortes-institutions12182813212.html">« L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais de fortes institutions »</a> : ce constat fait par le président américain Barack Obama lors de sa visite au Ghana en 2009 est toujours d’actualité.</p>
<p>Dans les faits, et même si les situations sont évidemment contrastées, l’Afrique demeure un continent où les <a href="https://www.systemicpeace.org/africaconflict.html">États sont particulièrement fragiles</a> et où cette <a href="https://journals.openedition.org/regulation/7494">méta-institution</a> qu’est la démocratie laisse encore beaucoup à désirer. En matière de démocratie, en effet, l’Afrique est de tous les continents celui qui présente les moins bons scores selon les indicateurs de <a href="https://ourworldindata.org/democracy">Polity IV</a> et de <a href="https://freedomhouse.org/article/democratic-trends-africa-four-charts">Freedom House</a>. En outre, la faible qualité de la gouvernance économique se traduit par une <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/02/06/en-afrique-la-corruption-sape-les-bases-de-la-democratie_5419921_3212.html">corruption</a> élevée.</p>
<p>Certains éléments de cette tribune sont disponibles dans notre contribution à l’ouvrage collectif <a href="http://liseuse.harmattan.fr/978-2-343-18383-1"><em>Améliorer l’efficacité de l’État au Cameroun</em></a> et dans plusieurs de nos travaux portant sur les <a href="https://www.cairn.info/revue-d-economie-politique-2019-1-page-105.htm">Constitutions en Afrique</a>, la <a href="http://ejce.liuc.it/18242979201902/182429792019160204.pdf">corruption</a> et la <a href="https://academic.oup.com/jae/article-abstract/28/2/202/5204426">qualité des dépenses publiques</a>.</p>
<h2>Le triste état des institutions de la plupart des pays d’Afrique</h2>
<p>Les travaux du Prix Nobel d'économie 1993 <a href="https://www.nobelprize.org/prizes/economic-sciences/1993/north/biographical/">Douglass North</a> et de ses co-auteurs sur les <a href="https://www.cairn.info/revue-securite-et-strategie-2011-1-page-75.htm"><em>Violences et Ordres Sociaux</em></a> fournissent une explication simple de l’encastrement des pays d’Afrique dans une dynamique institutionnelle négative. Ces travaux dissocient les sociétés « d’accès ouvert » (<em>open access societies</em>, OAOs) et « d’accès limité » (<em>limited access orders</em>, LAOs). </p>
<p>Les modèles d’accès ouvert, propres aux États dont les institutions sont le plus efficaces, se caractérisent par les traits suivants : un développement politique et économique ; une croissance économique positive ; une société civile diversifiée et vigoureuse, dotée d’un grand nombre d’organisations ; un État donnant une large place à la décentralisation ; un tissu de relations sociales impersonnelles, incluant État de droit, respect du droit à la propriété, justice et égalité de traitement de tous les individus.</p>
<p><a href="https://documents.worldbank.org/en/publication/documents-reports/documentdetail/844821500434522084/%c3%89valuation-des-politiques-et-des-institutions-en-afrique-r%c3%a9sultats-de-la-cpia-2016-pour-lafrique">Beaucoup de pays africains, en revanche, correspondent au modèle d’accès limité</a>, que North et ses co-auteurs décrivent ainsi : une économie à croissance lente, particulièrement vulnérable aux chocs ; des régimes politiques fonctionnant sans le consentement généralisé des administrés ; un État centralisé ; une prédominance des relations sociales organisées sur un mode personnel, reposant sur des privilèges et la hiérarchie sociale ; des lois appliquées au cas par cas ; des <a href="https://www.banquemondiale.org/fr/news/opinion/2013/07/22/securing-africa-s-land-for-shared-prosperity">droits de propriété fragiles</a> ; et le présupposé que tous les individus ne sont pas égaux.</p>
<p>Toutes les nations qui disposent aujourd’hui d’institutions relativement solides ont à un moment de leur histoire connu des sociétés « d’accès fermé » avant d’évoluer vers des « accès ouverts ». Plusieurs pays d’Afrique n’ont pas encore connu cette transition. Soixante ans après les indépendances, les institutions de bon nombre d’États du continent se trouvent encore à une phase embryonnaire de leur développement. Cependant, certains pays comme <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/politique-africaine/pourquoi-le-botswana-est-un-modele-de-democratie-et-de-transparence-en-afrique_3673845.html">le Botswana</a>, le <a href="https://www.economist.com/middle-east-and-africa/2019/02/22/senegal-west-africas-most-stable-democracy-teeters">Sénégal</a>, l’<a href="https://www.voaafrique.com/a/l-%C3%AEle-maurice-stabilit%C3%A9-politique-et-prosp%C3%A9rit%C3%A9-%C3%A9conomique/5156036.html">île Maurice</a>, l’<a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/03057070.2016.1116326?needAccess=true">Afrique du Sud</a>, le <a href="https://www.foreignaffairs.com/articles/ghana/2017-01-06/ghanas-durable-democracy">Ghana</a> pour ne citer que ceux-là se positionnent comme des références africaines.</p>
<h2>Une pluralité de facteurs explicatifs</h2>
<p><a href="https://economix.fr/pdf/dt/2016/WP_EcoX_2016-04.pdf">Plusieurs facteurs</a> expliquent le retard de développement institutionnel en Afrique.</p>
<p>L’histoire, bien sûr, <a href="https://journals.openedition.org/poldev/135">pèse d’un grand poids</a>. La plupart des colonies d’Afrique ont été des colonies d’extraction qui ont produit <a href="https://books.openedition.org/ifpo/9655">des institutions inadaptées</a>. Ces systèmes ont façonné la structure de la gouvernance institutionnelle durant la colonisation et même après l’indépendance ont <a href="https://journals.openedition.org/histoiremesure/5189">continué à avoir un impact</a> sur la qualité des institutions africaines.</p>
<p>Par ailleurs, certains auteurs ont établi que la fragmentation ethnique du continent constitue la <a href="https://academic.oup.com/qje/article-abstract/112/4/1203/1911730">tragédie de l’Afrique</a>. Cette fragmentation peut en tout cas expliquer le <a href="http://ejce.liuc.it/18242979201902/182429792019160204.pdf">niveau de corruption</a>, puisqu’il est fréquent qu’un responsable aux affaires considère qu’il est avant tout de son devoir d’aider son ethnie. La République centrafricaine offre un exemple édifiant où les <a href="http://www.rfi.fr/fr/afrique/20200129-centrafrique-lourd-bilan-%C3%A0-bria-apr%C3%A8s-derniers-affrontements">tensions communautaires ou ethniques</a> ont contribué, en grande partie, à <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2014-3-page-163.htm">alimenter les violences et l'effondrement de l'État et de ses institutions</a>. </p>
<p>Autre facteur prégnant, la richesse du continent en ressources naturelles. Les partisans de la théorie de la <a href="https://www.nouvelobs.com/monde/afrique/20180913.OBS2295/afrique-existe-t-il-une-malediction-des-ressources-naturelles.html">malédiction des ressources naturelles</a> justifient la contre-performance institutionnelle des pays d’Afrique par la richesse de son sol et de son sous-sol : le désir des États puissants de s’approprier les ressources naturelles de l’Afrique alimente une instabilité politique constante, ce qui à son tour ne favorise pas l’émergence de meilleures institutions. Et les rentes issues de l’exploitation des ressources sont des instruments de corruption des leaders politiques de l’opposition – un phénomène qui assure la pérennité de régimes politiques autocratiques. </p>
<p>Dans la région des Grands Lacs, notamment en République démocratique du Congo, les ressources naturelles sont aussi, en grande partie, <a href="https://plus.lesoir.be/215962/article/2019-04-02/congo-la-malediction-des-ressources-naturelles">à la base de l'instabilité dans le pays</a>.</p>
<h2>Le rôle décisif des leaders politiques</h2>
<p>Les réformes institutionnelles en Afrique sont souvent conduites par les détenteurs du pouvoir dans l’optique de servir leurs propres intérêts. Il semble illusoire de rechercher à avoir de bonnes institutions en négligeant l’importance des responsables politiques. Depuis quelques années, la <a href="https://academic.oup.com/qje/article-abstract/120/3/835/1841483">littérature économique</a> reconnaît l’importance des <a href="https://www.jeuneafrique.com/79443/archives-thematique/leadership-et-d-veloppement-en-afrique-la-comp-tence-la-bonne-place/">caractéristiques des leaders politiques dans les performances économiques des pays d’Afrique</a>. L’histoire de l’émergence des bonnes institutions politiques de deux modèles africains, à savoir le Bénin et le Ghana, donne plusieurs leçons à cet égard.</p>
<p>Le Bénin est un pays qui a connu plusieurs <a href="http://africhevalier.canalblog.com/archives/2017/09/21/35694313.html">coups d’État</a> au cours de son histoire politique. Mais il a fini par produire <a href="https://www.dw.com/fr/trenti%C3%A8me-anniversaire-de-la-conf%C3%A9rence-nationale-de-1990-au-b%C3%A9nin/a-52470186">une conférence nationale réussie</a> et des alternances démocratiques répétées. </p>
<p>Le scénario est similaire au Ghana qui, après plusieurs coups d'État et une instabilité politique chronique, semble s'installer dans une transition démocratique souvent cité en exemple. </p>
<p>Dans ces deux pays, le progrès a été rendu possible par des hommes forts. Au Bénin c'est le président <a href="https://www.jeuneafrique.com/271959/politique/benin-lancien-president-mathieu-kerekou-est-mort-a-lage-de-82-ans/">Mathieu Kérékou</a> et le premier ministre Nicéphore Soglo qui ont conduit le pays vers l’adoption d’une <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/bj1990.htm">nouvelle Constitution</a> qui a amorcé la transition démocratique. Au Ghana, la prise du pouvoir par <a href="https://www.jeuneafrique.com/mag/589664/politique/ghana-que-devient-jerry-rawlings/">Jerry Rawlings</a> a abouti au vote d’une [nouvelle Constitution en 1992]. </p>
<h2>Deux voies à explorer</h2>
<p><em>Le rôle du Parlement</em></p>
<p>Dans une démocratie digne de ce nom, le Parlement joue un rôle crucial. En France, par exemple, l'Assemblée constituante a mis fin à la monarchie et à une société de classes et proclamé la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen. Aux États-Unis, comme ailleurs, le Parlement fait office de contre-pouvoir et joue un rôle central dans la consolidation de la démocratie.</p>
<p>En Afrique, c’est au contraire souvent l’inefficacité du Parlement qui a bloqué les différents États dans la sphère de l’« accès fermé » et les a empêchés de construire des institutions de meilleure qualité. Illustration : depuis le début des années 2000, quinze des seize pays qui ont modifié l’article de la Constitution sur la <a href="https://www.cairn.info/revue-d-economie-politique-2019-1-page-105.htm">limitation du nombre de mandats du président</a> ont entériné cette modification par un vote du Parlement.</p>
<p>Dans les deux cas du Bénin et du Ghana, le Parlement a également joué un rôle de premier plan. En effet, les progrès ont été rendus possibles grâce notamment à des hommes forts et à un Parlement qui a su adopter des règles efficaces.</p>
<p><em>L’homme providentiel ou l'aiguillon du peuple</em></p>
<p>L’histoire politique de plusieurs pays d’Afrique montre que les tentatives de changement institutionnel impulsées par le bas n’ont pas toujours été couronnées de réussite. Cependant, il faut souligner que certaines demandes de ce type, c’est-à-dire provenant du peuple, ont connu des issues favorables (<a href="https://www.rfi.fr/fr/podcasts/20200221-alg%C3%A9rie-bilan-contrast%C3%A9-hirak-apr%C3%A8s-an-contestation">Algérie</a>, <a href="https://www.contrepoints.org/2015/09/26/223106-burkina-faso-la-democratie-enracinee-defait-la-dictature">Burkina Faso</a>, <a href="https://www.liberation.fr/planete/2011/01/15/ben-ali-sauve-qui-peut-face-au-peuple_707516">Tunisie</a>, <a href="https://www.jeuneafrique.com/529177/politique/ce-jour-la-le-11-fevrier-2011-hosni-moubarak-quitte-le-pouvoir-face-a-la-revolte-populaire/">Égypte</a>, <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Afrique/Au-Soudan-mouvement-contestation-tournant-2019-04-08-1201014293">Soudan</a>, etc.) sans être pour autant nécessairement suivies de l’émergence des bonnes institutions. </p>
<p>D’où la nécessité de disposer d’hommes providentiels porteurs d’une idéologie ouverte selon North, tournée vers la mise en place d’institutions solides conformes aux sociétés d’accès ouvert et non fermé. Ce qui permettra de construire une démocratie solide, de prévenir la corruption et de faire jouer aux agents économiques un rôle décisif dans la construction d’une société civile vigoureuse et des médias solides et indépendants.</p>
<p>L'homme providentiel et l'efficacité du parlement semblent donc des éléments centraux susceptibles de positionner les États africains sur une trajectoire de développement institutionnel irréversible.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/141485/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Joseph Keneck Massil ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Bon nombre de pays africains ne disposent pas d’institutions suffisamment efficaces. Comment y remédier ?Joseph Keneck Massil, Enseignant - Chercheur en économie politique, du droit, des institutions et du développement. Membre du laboratoire CEREG de l'Université de Yaoundé II et Chercheur Associé du CEMOTEV de l'Université de Versailles en France, Université de Yaoundé IILicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1393992020-05-29T00:10:29Z2020-05-29T00:10:29ZJoe Biden en route vers la Maison Blanche ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/337668/original/file-20200526-106819-19kb1w9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=25%2C0%2C4224%2C2822&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><span class="source">AAP/EPA/Tracie van Auken</span></span></figcaption></figure><p>À 77 ans, au crépuscule de sa vie, la troisième fois a été la bonne pour Joe Biden.</p>
<p>Il l’a emporté sur 24 autres aspirants à l’investiture démocrate, issus de tous les horizons politiques, et s’est imposé comme le candidat à la présidence de son parti, lequel se retrouve aujourd’hui dans une situation qui aurait paru impensable en janvier : uni de la gauche à la droite, par-delà les races et les croyances, l’âge et l’idéologie.</p>
<p>Biden est sorti vainqueur des primaires alors même qu’il a effectué une collecte de fonds médiocre, que son impact sur les réseaux sociaux est faible et qu’il ne dispose pas d’une base d’adeptes enthousiastes.</p>
<p>Les électeurs ont dû surmonter un certain scepticisme à son endroit avant d’accepter l’idée que c’est bien Joe Biden – cet homme qui a échoué dans ses candidatures à la Maison Blanche en 1988 et 2008 – qui était le démocrate le mieux à même de venir à bout de Donald Trump en novembre prochain.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/coronavirus-aux-etats-unis-la-campagne-de-la-peur-134179">Coronavirus aux États-Unis : la campagne de la peur</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Sur le fond, Biden n’a pas changé depuis sa première tentative, il y a plus de trois décennies. Comme Richard Ben Cramer l’a rapporté dans le <a href="https://www.penguinrandomhouse.com/books/33217/what-it-takes-by-richard-ben-cramer/">fameux récit</a> qu’il a fait de la campagne de 1988, « What It Takes », Biden avait à l’époque compris ceci :</p>
<blockquote>
<p>« Les Américains voulaient seulement de leur gouvernement un coup de main pour atteindre une vie meilleure pour leurs enfants, une aide pour se propulser un peu plus haut sur l’échelle sociale… C’était sa vie : celle d’un gamin de la classe moyenne qui avait reçu un peu d’aide en cours de route… et c’était tout ce qu’il avait à montrer. Mais c’est ce qui le reliait à un grand nombre d’électeurs du pays. C’est tout ce dont il avait besoin ! »</p>
</blockquote>
<p>Vingt ans plus tard, voici Biden au poste de vice-président de l’administration Obama. J’ai pris des notes sur tous ses discours adressés aux démocrates de la Chambre des Représentants. Voici trois citations que j’avais notées dans les carnets qui ont servi de support au livre que j’ai co-écrit avec Bryan Marshall, <a href="https://www.press.umich.edu/8918588/committee"><em>The Committee</em></a>, consacré aux mesures législatives historiques que l’administration Obama a cherché à faire adopter par le Congrès.</p>
<p>En 2010 :</p>
<blockquote>
<p>« Nous devons aider la classe moyenne et les travailleurs américains, c’est-à-dire les gens qui nous ont envoyés ici. »</p>
</blockquote>
<p>En 2012 :</p>
<blockquote>
<p>« Il est absolument clair que les décisions que nous avons prises sont efficaces. Et les gens voient bien qu’elles sont efficaces. […] Le peuple américain comprend que les républicains ont rejeté la notion de compromis. Ce n’est pas de cette façon que le peuple américain veut que nous fonctionnions. […] Nous ne pouvons pas faire entendre raison aux républicains, mais le peuple américain s’en chargera en novembre.</p>
<p>Nous gagnerons tout simplement parce que notre position est la bonne. Cette année, l’Amérique aura sous les yeux une comparaison très parlante. C’est un contraste saisissant, saisissant : Oussama Ben Laden est mort et General Motors est vivant. »</p>
</blockquote>
<p>Toute sa vie durant, Biden s’est voulu profondément lié à l’Amérique moyenne. Son message en 2020 est le même qu’en 1988. Et sa tâche est la même que lorsqu’il était sur le ticket de Barack Obama en 2008 : faire en sorte que l’Amérique se remette de la pire crise économique depuis la Grande Dépression.</p>
<p>À l’époque, c’est Biden qui avait été chargé de veiller à la mise en œuvre de l’<a href="https://en.wikipedia.org/wiki/American_Recovery_and_Reinvestment_Act_of_2009">American Recovery Act</a>, la première loi importante adoptée après l’entrée en fonctions du duo Obama-Biden. Au bout du compte, cette loi a donné l’impulsion d’une décennie de croissance économique et de plein emploi. Biden s’est donc déjà trouvé aux commandes au moment où l’exécutif devait juguler une crise économique majeure, et s’efforcera de recommencer s’il est élu en novembre prochain.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/335943/original/file-20200519-83348-14t5q0z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/335943/original/file-20200519-83348-14t5q0z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=479&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/335943/original/file-20200519-83348-14t5q0z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=479&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/335943/original/file-20200519-83348-14t5q0z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=479&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/335943/original/file-20200519-83348-14t5q0z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=601&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/335943/original/file-20200519-83348-14t5q0z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=601&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/335943/original/file-20200519-83348-14t5q0z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=601&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le président Barack Obama et le vice-président Joe Biden à la Maison Blanche en 2015.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Jonathan Ernst/AAP/EPA</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Une vice-présidente à choisir</h2>
<p>À ce stade, nous savons seulement que le choix de Biden pour la vice-présidence s’orientera vers une femme. Le débat fait rage dans les éditoriaux des grands journaux et sur les réseaux sociaux : quelle candidate serait la mieux placée ? Aux yeux de Biden, qui connaît bien les exigences de cette fonction pour l’avoir occupée pendant huit ans, deux aspects sont absolument prépondérants.</p>
<p>Compte tenu de son âge, il est impératif que la vice-présidente soit pleinement qualifiée et capable d’assumer sans ciller la fonction présidentielle s’il venait à décéder pendant son mandat. C’est en cela que Sarah Palin a gravement nui à la candidature de John McCain en 2008.</p>
<p>D’autres personnalités médiocres, qu’elles soient insipides (Dan Quayle sous George H.W. Bush) ou accusées de délits (Spiro Agnew sous Richard Nixon) ont exercé la fonction de vice-président mais n’ont pas accédé à la présidence.</p>
<p>En revanche, certains vice-présidents, comme Walter Mondale sous Jimmy Carter, Al Gore sous Bill Clinton et Dick Cheney sous George W. Bush, sont devenus de véritables partenaires de gouvernance, dotés d’un réel pouvoir et de réelles responsabilités, réinventant la fonction. C’est ce type de vice-présidence qui inspire Biden.</p>
<p>Biden avait exigé d’Obama – et obtenu satisfaction – qu’il soit toujours la dernière personne dans la pièce avec le président avant que des décisions importantes ne soient prises, afin de pouvoir pleinement exprimer son avis, que le président se range à celui-ci ou non. Par exemple, (Obama n’a pas suivi les conseils de Biden](https://www.washingtonpost.com/politics/2020/01/08/bidens-claim-that-he-didnt-tell-obama-not-launch-bin-laden-raid/) lors du raid qui a tué Oussama Ben Laden).</p>
<p>Biden veut une vice-présidente qui puisse jouer auprès de lui le même rôle que celui qu’il a joué auprès d’Obama. L’avantage électoral qu’elle pourrait apporter au ticket démocrate en novembre prochain (la sénatrice du Minnesota Amy Klobuchar susciterait des votes en faveur de Biden dans le Midwest, et la sénatrice de Californie Kamala Harris mobiliserait les Afro-Américains), est aux yeux du candidat un aspect secondaire.</p>
<p>Le deuxième facteur est l’alchimie personnelle : Biden doit ressentir, dans sa relation avec sa colistière, la même intensité qu’il a connue avec Obama pendant leurs huit années de cohabitation. Ainsi, une femme parfaitement qualifiée et dotée d’une grande notoriété ne sera pas désignée si Biden estime que le duo qu’il formerait avec elle ne parviendrait pas à faire de grandes choses ensemble faute de convictions communes et de confiance réciproque.</p>
<p>Étant donné que depuis 1952 cinq vice-présidents ont fini par accéder à la présidence, le choix qu’effectuera Biden pourrait bien avoir des conséquences majeures sur l’avenir du Parti démocrate et du pays pendant les douze prochaines années.</p>
<h2>Une élection à gagner</h2>
<p>Posez la question à n’importe quel Américain qui s’intéresse à la vie politique et il vous dira que l’élection de novembre 2020 sera la plus importante de sa vie.</p>
<p>Depuis la Maison Blanche, le président Donald Trump utilise pleinement l’avantage que lui offre sa position actuelle pour marteler son message sur les ondes, comme nous l’avons particulièrement constaté depuis le début la pandémie de Covid-19.</p>
<p>Il dispose d’un réseau de chaînes de télévision qui est indéniablement devenu un média d’État. Il peut également s’appuyer sur une majorité républicaine au Sénat qui n’exercera aucun contrôle sur ses actions, quelles qu’elles soient, et ne fera rien pour protéger le scrutin contre l’ingérence russe en sa faveur, pas plus qu’elle ne s’opposera aux <a href="https://www.brennancenter.org/our-work/research-reports/new-voter-suppression">processus mis en œuvre afin d’empêcher une partie des électeurs de se rendre aux urnes</a>.</p>
<p>Trump peut compter sur un <a href="https://thehill.com/hilltv/rising/476978-trump-support-among-republicans-reaches-all-time-high-in-poll">taux de soutien de 90 % parmi les sympathisants républicains</a>. Il a le pouvoir de déclarer des urgences nationales et de lancer des actions militaires pour défendre les États-Unis. Sa campagne est dotée d’une machine de guerre redoutablement efficace sur les réseaux sociaux. Ses dépenses de campagne dépasseront celles de Biden de <a href="https://www.washingtonpost.com/opinions/why-campaign-fundraising-isnt-the-factor-to-bank-on/2020/05/19/ff7042b8-99f0-11ea-a282-386f56d579e6_story.html">bien plus de 100 millions de dollars</a>. Sa base électorale ne s’est pas effritée – elle est <a href="https://www.realclearpolitics.com/epolls/other/president_trump_job_approval-6179.html">solidement fixée aux alentours de 46 % des intentions de vote</a> – malgré les coups de boutoir qu’ont portés au président certains médias qu’il qualifie d’« ennemis du peuple » et de propagateurs de « fake news » et malgré le <a href="https://www.theguardian.com/us-news/2020/feb/05/how-donald-trump-got-acquitted-after-impeachment">discrédit que fait peser sur lui la procédure d’impeachment dont il a fait l’objet</a>.</p>
<p>L’avalanche de mensonges de Trump va se poursuivre. Il mène campagne comme personne dans l’histoire américaine moderne, sans honte et sans relâche. Et s’il obtient suffisamment de voix dans les États clés qu’il a gagnés en 2016, il peut être réélu.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/donald-trump-blames-everyone-but-himself-for-the-coronavirus-crisis-will-voters-agree-135205">Donald Trump blames everyone but himself for the coronavirus crisis. Will voters agree?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>La tâche de Biden est claire : récupérer les États traditionnellement acquis aux démocrates – Pennsylvanie, Michigan, Wisconsin – que Trump a gagnés en 2016 à la faveur d’une explosion de colère populiste contre un establishment politique dont Hillary Clinton était l’une des incarnations. Pour cela, il devra résister aux accusations de conspiration et de corruption que Trump déchaîne contre lui en dénonçant le prétendu <a href="https://www.nytimes.com/reuters/2020/05/14/us/politics/14reuters-usa-trump-obamagate-explainer.html">« Obamagate »</a>.</p>
<p>À l’heure où ces lignes sont écrites, les sondages donnent Biden vainqueur du vote populaire avec une marge de trois à neuf points. Il est en tête dans trois États clés, dont la Floride, et a une chance de s’emparer de l’Arizona et de la Caroline du Nord. Trump, de son côté, vise le Minnesota, le New Hampshire et le Nouveau-Mexique. Le consensus aujourd’hui est que si l’élection avait lieu maintenant, Biden gagnerait.</p>
<p>Le scrutin de novembre apparaît de plus en plus comme un référendum sur la personne de Trump et sa gestion de la pandémie. La question est de savoir si les électeurs, confrontés à des difficultés désastreuses (plus de 16 millions d’Américains ont perdu leur assurance maladie en perdant leur emploi), feront confiance à Trump pour relancer l’économie.</p>
<p>Le message de Biden est simple : l’incapacité de Trump à prendre la mesure de la pandémie et à agir pour protéger le peuple américain a coûté des dizaines de milliers de vies qui auraient pu être sauvées. Biden, lui, a contribué à sortir la nation de la Grande Récession en 2009, et sait comment le faire à nouveau en 2021.</p>
<h2>Un pays à guérir</h2>
<p>Dans sa <a href="https://www.youtube.com/watch?v=FaN-Pf_LW1Q">vidéo de lancement de campagne</a> en avril 2019, Biden n’aurait pas pu être plus clair :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai écrit à l’époque de [la marche des nazis à Charlottesville en 2017] que nous étions engagés dans une bataille pour l’âme de cette nation. Eh bien, c’est encore plus vrai aujourd’hui. Je crois que l’Histoire se souviendra des quatre années de ce président et de tout ce qu’il représente comme d’un moment aberrant. Mais si nous laissons à Donald Trump la possibilité de rester huit ans à la Maison Blanche, il changera à jamais et fondamentalement le caractère de cette nation – ce que nous sommes – et je ne peux regarder cela se produire sans réagir. […] Les valeurs fondamentales de cette nation, notre position dans le monde, notre démocratie même, tout ce qui a fait l’Amérique, est en jeu. […] Plus important encore, nous devons nous rappeler qui nous sommes. Nous sommes l’Amérique. »</p>
</blockquote>
<p>À la fin des primaires, l’objectif de la plupart des démocrates était évident : se débarrasser de Trump. Comme les électeurs voyaient des limites aux candidatures de Bernie Sanders et d’Elizabeth Warren, et comme Kamala Harris, Amy Klobuchar ou encore Pete Buttigieg ne pouvaient tout simplement pas atteindre la masse critique nécessaire pour l’emporter, ils ont conclu que c’était Biden, un homme bien connu de tous ses concitoyens, qui était le mieux placé pour réussir à libérer le pays de Trump.</p>
<p>Parce qu’eux aussi veulent avant tout que l’Amérique soit guérie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/139399/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bruce Wolpe a travaillé pendant dix ans pour le groupe démocrate à la Chambre des représentants des États-Unis. Il a voté pour que Joe Biden soit le candidat démocrate à la présidence lors du Super Tuesday du 3 mars 2020 au Colorado. Il reçoit une allocation en tant que Senior Fellow non-résident du United States Studies Centre de l'Université de Sydney.
</span></em></p>Candidat pour la troisième fois à la Maison Blanche et vice-président de Barack Obama, Joe Biden doit maintenant relever un grand défi : choisir le bon colistier et vaincre Donald Trump en novembre.Bruce Wolpe, Non-resident Senior Fellow, United States Study Centre, University of SydneyLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1327022020-03-02T21:13:30Z2020-03-02T21:13:30ZLa religion joue-t-elle encore un rôle dans les élections américaines ?<p>À en juger par la façon dont les candidats démocrates à la présidence ont afflué dans les églises afro-américaines pour courtiser le vote des Noirs en Caroline du Sud, la réponse à la question posée dans le titre semble être oui. Et ce, malgré une <a href="https://esprit.presse.fr/article/lauric-henneton/aux-etats-unis-l-irresistible-sortie-des-eglises-41771">désaffection croissante</a> des Américains pour la religion.</p>
<p><a href="https://www.christianpost.com/news/south-carolina-black-church-may-partner-tom-steyer-charity-after-primary-election.html">Joe Biden, Pete Buttigieg</a>, <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/warren-works-to-overcome-hurdles-with-black-voters-in-sc/2019/08/18/e311f94c-c1e0-11e9-9986-1fb3e4397be4_story.html">Elizabeth Warren</a> et même <a href="https://www.youtube.com/watch?v=MaP9U5oGEaQ">Bernie Sanders</a>, sans doute le candidat le moins religieux, se sont tous exprimés dans des églises noires lors de services dominicaux. Rien de très suprenant : les Noirs, <a href="https://thehill.com/hilltv/rising/464680-poll-overwhelming-majority-of-black-voters-choose-any-given-2020-democrat-over">largement démocrates</a>, constituent le groupe le plus religieux : <a href="https://www.pewforum.org/religious-landscape-study/racial-and-ethnic-composition/">83 % croient en Dieu</a> (contre 61 % des Blancs), et ils sont aussi plus nombreux à fréquenter l’église et à prier.</p>
<p>Mais, au-delà même de cette communauté, c’est le peuple américain dans son ensemble qui continue de se <a href="https://www.pewresearch.org/fact-tank/2018/09/05/u-s-adults-are-more-religious-than-western-europeans/">singulariser par sa religiosité</a> :</p>
<ul>
<li><p><a href="https://www.statista.com/chart/17865/daily-prayer-worldwide/">55 % disent prier</a> régulièrement (contre environ 10 % en France et 6 % au Royaume-Uni) ;</p></li>
<li><p><a href="https://news.gallup.com/poll/268205/americans-believe-god.aspx">87 % affirment croire en Dieu</a> ;</p></li>
<li><p>Et une <a href="https://www.pewforum.org/2018/04/25/when-americans-say-they-believe-in-god-what-do-they-mean/">majorité (56 %)</a> dit même croire en Dieu « tel qu’il est décrit dans la Bible ».</p></li>
</ul>
<p>Des chiffres <a href="https://www.pewforum.org/2018/04/25/when-americans-say-they-believe-in-god-what-do-they-mean/">bien supérieurs à ceux de n’importe quel autre pays industrialisé</a>.</p>
<h2>Pourquoi les Américains sont-ils plus religieux ?</h2>
<p>Les chrétiens américains y voient le signe de <a href="https://www.christianitytoday.com/edstetzer/2015/july/god-and-country-new-research-on-americans-views-of-country.html">« la relation spéciale de Dieu avec l’Amérique »</a>, bien que cette idée n’ait aucune légitimité biblique.</p>
<p>Les sociologues ont d’autres explications exprimées <a href="https://www.jstor.org/stable/2781583?seq=1">ici</a>, <a href="https://www.journals.uchicago.edu/doi/10.1086/230139?mobileUi=0&">ici</a> et <a href="https://sacredmattersmagazine.com/why-do-americans-seem-so-religious/">ici</a>). La séparation historique de l’Église et de l’État aurait entraîné un pluralisme religieux qui aurait créé un marché de la religion. Ce « marché » répondrait donc aux désirs des individus, favorisant ainsi la participation religieuse. Cela expliquerait que les églises soient devenues non seulement des lieux de culte dynamiques, mais aussi des lieux de formation, d’échanges, de protection sociale et culturelle, y compris pour les immigrants et les minorités.</p>
<p>Une <a href="https://books.google.fr/books/about/Sacred_and_Secular.html?id=ObwtZ36m1hwC">hypothèse alternative</a> – mais non contradictoire – à cette <a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2008/04/15/etats-unis-le-marche-des-religions_1034554_3222.html">« théorie religieuse du marché »</a> serait que la religiosité exceptionnellement élevée aux États-Unis aurait été motivée par « la vulnérabilité de la société, l’insécurité, le risque et les inégalités économiques » malgré une prospérité générale indéniable. En d’autres termes, les églises offriraient des filets de sécurité que l’État ne fournit pas.</p>
<h2>La religion au Congrès et à la Maison Blanche</h2>
<p>Cette religiosité se retrouve tout naturellement dans la sphère politique. Prenons le Congrès américain depuis 2018 : il est, effectivement, plus diversifié sur le plan religieux, mais reste très majoritairement chrétien (<a href="https://www.pewresearch.org/fact-tank/2019/01/03/5-facts-about-the-religious-makeup-of-the-116th-congress/">88 % contre 71 % de la population adulte américaine</a>).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/317853/original/file-20200228-24651-8d895l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/317853/original/file-20200228-24651-8d895l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=525&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/317853/original/file-20200228-24651-8d895l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=525&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/317853/original/file-20200228-24651-8d895l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=525&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/317853/original/file-20200228-24651-8d895l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=659&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/317853/original/file-20200228-24651-8d895l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=659&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/317853/original/file-20200228-24651-8d895l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=659&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Appartenance religieuse des membres du Congrès américain.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Pew Research Center</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Seule une élue, la sénatrice <a href="https://www.usnews.com/news/blogs/washington-whispers/2013/01/03/first-member-of-congress-describes-religion-as-none">Kyrsten Sinema</a> (Démocrate de l’Arizona), se dit « non affiliée à une religion » (<em>nones</em> qui signifie « aucun ») et <a href="https://www.huffingtonpost.ca/entry/congress-atheists-representation_n_5c2f9b03e4b0bdd0de588425?ri18n=true&guccounter=1">aucun ne se dit athée</a>. Même une personne très à gauche comme Alexandria Ocasio-Cortez mentionne <a href="https://www.la-croix.com/Religion/Catholicisme/Monde/Alexandria-Ocasio-Cortez-justice-nom-foi-catholique-2018-11-07-1200981547">sa foi catholique au Congrès</a> et <a href="https://twitter.com/AOC/status/1088200188089565184">cite même la Bible</a> sur les réseaux sociaux.</p>
<p>La religiosité est encore plus visible à la Maison Blanche. Les présidents américains n’ont cessé d’invoquer la foi et Dieu depuis que George Washington a exprimé ses « ferventes supplications à cet Être tout-puissant qui règne sur l’univers » dans <a href="https://www.presidency.ucsb.edu/documents/inaugural-address-16">son discours inaugural</a>, le 30 avril 1789. De plus, les <a href="https://www.oxfordscholarship.com/view/10.1093/acprof:oso/9780195326413.001.0001/acprof-9780195326413">spécialistes</a> observent que l’utilisation d’un langage religieux et de références explicites à Dieu a augmenté dans la rhétorique présidentielle depuis les années 1980. Par exemple, les itérations de la formule « Dieu bénisse l’Amérique », la déclaration la plus explicite reliant Dieu et le pays, sont désormais attendues dans tout discours important, bien qu’elles aient été <a href="https://books.google.ca/books?redir_esc=y&hl=fr&id=T3viBwAAQBAJ">presque totalement absentes avant Ronald Reagan</a>.</p>
<p>Selon une <a href="https://ijoc.org/index.php/ijoc/article/view/8484">étude récente</a> cette tendance semble même s’être accentuée avec Donald Trump.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/317837/original/file-20200228-24701-e52w5u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/317837/original/file-20200228-24701-e52w5u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=390&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/317837/original/file-20200228-24701-e52w5u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=390&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/317837/original/file-20200228-24701-e52w5u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=390&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/317837/original/file-20200228-24701-e52w5u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=490&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/317837/original/file-20200228-24701-e52w5u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=490&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/317837/original/file-20200228-24701-e52w5u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=490&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La religiosité des présidents américains.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://ijoc.org/index.php/ijoc/article/view/8484/2547">Ceri Hughes, University of Wisconsin -- Madison, USA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Bien qu’il <a href="https://edition.cnn.com/2015/08/28/politics/donald-trump-church-member/">affirme</a> être un protestant presbytérien, de <a href="https://books.google.ca/books?id=0p1WDwAAQBAJ">nombreux indices</a> laissent à penser que l’actuel locataire de la Maison Blanche est le président le moins religieux de l’ère moderne, tout en étant celui qui invoque le plus la religion.</p>
<p>Il s’agit d’une stratégie politique évidente : après tout, en 2016 <a href="https://www.pewresearch.org/fact-tank/2016/11/09/how-the-faithful-voted-a-preliminary-2016-analysis/">81 % des évangéliques blancs</a> ont voté pour Trump. Sa promesse : les défendre dans la <a href="https://calenda.org/346342">guerre culturelle</a> qu’ils livrent, notamment sur les sujets de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/01/13/le-schisme-de-l-eglise-methodiste-symbole-de-la-guerre-culturelle-americaine_6025635_3210.html">l’avortement, des droits des personnes LBGTQ</a> ou de la prière à l’école. Au-delà même du cas de Donald Trump, jusqu’à présent <a href="https://www.pewresearch.org/fact-tank/2017/01/20/almost-all-presidents-have-been-christians/">tous les présidents de l’ère moderne ont été chrétiens</a> et, à l’exception notable de John Kennedy qui était catholique, ils se sont tous <a href="https://www.palgrave.com/gp/book/9783319621746">identifiés comme protestants</a>. </p>
<p>On note enfin qu’aucune personne de confession juive n’a reçu de nomination présidentielle d’un grand parti (Joseph Lieberman n’a reçu que celle de la vice-présidence démocrate en 2000), et l’identité religieuse mormone de Mitt Romney, le candidat républicain en 2008, n’a <a href="https://www.washingtonpost.com/national/on-faith/mormonism-hurt-mitt-romney-in-2008-what-about-2012/2012/05/22/gIQAerBjiU_story.html">pas été sans susciter des controverses</a>.</p>
<h2>Un paysage religieux en mutation</h2>
<p>La présence toujours plus grande de la rhétorique religieuse dans le discours politique est à la fois la raison et la conséquence de la <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-essais/De-la-religion-en-Amerique">politisation de la religion</a>, en particulier des évangéliques blancs, depuis les années 1970. Cette politisation a mis en lumière la fracture raciale qui existe aux États-Unis. <a href="https://www.prri.org/research/american-religious-landscape-christian-religiously-unaffiliated/">Selon le PRRI</a>(Public Religion Research Institute), organisation à but non lucratif et non partisane, « aucun groupe religieux n’est plus étroitement lié au Parti républicain que les protestants évangéliques blancs ».</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/317836/original/file-20200228-24672-5amwyq.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/317836/original/file-20200228-24672-5amwyq.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/317836/original/file-20200228-24672-5amwyq.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/317836/original/file-20200228-24672-5amwyq.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/317836/original/file-20200228-24672-5amwyq.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/317836/original/file-20200228-24672-5amwyq.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/317836/original/file-20200228-24672-5amwyq.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Affiliation partisane par confession religieuse.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.prri.org/research/american-religious-landscape-christian-religiously-unaffiliated/">PRRI</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’<a href="https://theconversation.com/qui-sont-les-evangeliques-et-comment-influencent-ils-les-elections-106145">étiquette « évangélique »</a> (à ne pas confondre avec <a href="https://www.la-croix.com/Religion/Protestantisme/Entre-evangelistes-evangeliques-confusion-frequente-2019-10-17-1201054998">« évangeliste »</a>, fonction d’un prédicateur) est toutefois complexe. Il s’agit d’un mouvement trans-confessionnel, principalement au sein du christianisme protestant, qui repose sur certaines <a href="https://www.ivpress.com/still-evangelical">croyances personnelles fondamentales</a> :</p>
<ul>
<li><p>la Bible au centre de la foi ;</p></li>
<li><p>l’expiation des péchés par la mort de Jésus sur la croix ;</p></li>
<li><p>la conversion personnelle incluant le salut (le fameux <em>born again</em>, « né de nouveau ») ;</p></li>
<li><p>et, bien entendu, le partage de l’évangile, d’où ce mouvement tire son nom.</p></li>
</ul>
<p>La situation est rendue davantage compliquée par l’existence d’une petite partie d’<a href="https://www.pewforum.org/religious-landscape-study/racial-and-ethnic-composition/">évangéliques non blancs</a> (environ un quart) et d’évangéliques blancs progressistes (<a href="https://www.prri.org/research/american-religious-landscape-christian-religiously-unaffiliated/">environ 15 %</a>) qui ont tendance à voter pour les démocrates. Néanmoins, les statistiques montrent une érosion continue du nombre d’Américains qui s’identifient comme protestants évangéliques depuis les années 1990, particulièrement au sein des jeunes générations. De même, le nombre de catholiques a lentement diminué, alors que le <a href="https://religioninpublic.blog/2018/06/28/what-is-a-mainline-protestant/">nombre de protestants historiques « Mainline »</a>, lui, s’est véritablement effondré.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/317838/original/file-20200228-24694-y259xb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/317838/original/file-20200228-24694-y259xb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/317838/original/file-20200228-24694-y259xb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/317838/original/file-20200228-24694-y259xb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/317838/original/file-20200228-24694-y259xb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/317838/original/file-20200228-24694-y259xb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/317838/original/file-20200228-24694-y259xb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">America s Changing Landscape.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://religioninpublic.blog/2018/06/28/what-is-a-mainline-protestant/">Ryan P. Burge, Paul A. Djupe/religioninpublic.blog</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La tendance la plus discutée par les spécialistes (<a href="https://www.cairn.info/revue-esprit-2018-11-page-55.htm">ici</a>, <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2009-4-page-135.htm">ici</a>, ou <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-2016-1-page-19.htm">ici</a>) est l’augmentation du nombre d’Américains qui ne s’identifient à aucune religion, à savoir les <em>nones</em> (non affiliés à une religion). Ils sont maintenant <a href="https://www.christianpost.com/news/religious-nones-now-as-big-as-evangelicals-in-the-us-new-data-shows.html">au moins aussi nombreux que les évangéliques</a>.</p>
<p>Mais comme le note le chercheur Lauric Henneton (<a href="https://esprit.presse.fr/article/lauric-henneton/aux-etats-unis-l-irresistible-sortie-des-eglises-41771">ici</a> et <a href="https://www.irsem.fr/data/files/irsem/documents/document/file/3205/Etude_IRSEM_n68_2019.pdf">ici</a>), l’étiquette <em>nones</em> est trompeuse : ceux-ci ont seulement en commun de ne pas vouloir être comptés comme appartenant à un groupe religieux ou à des traditions établies, ce qui ne dit rien de leurs croyances réelles. Une <a href="https://www.pewforum.org/2015/05/12/americas-changing-religious-landscape/">enquête de 2014</a> montre que les athées et les agnostiques sont en augmentation, mais représentent toujours moins d’un tiers des <em>nones</em>, le reste s’identifiant comme « rien de particulier ».</p>
<p>Le dépassement des évangéliques par les <em>nones</em> est davantage marqué dans les jeunes générations. Mais ce sont aussi celles qui votent le moins, ce qui pourrait réduire leur impact sur les élections.</p>
<h2>Une réappropriation de la foi par les démocrates ?</h2>
<p>Au-delà même d’une religiosité culturelle ou confessionnelle, c’est l’expression spirituelle que semblent vouloir <a href="https://apnews.com/9de001e6bb7843618ab42fc3ee674584">se réapproprier</a> nombre de candidats démocrates à la présidence (à la différence d’Hillary Clinton, qui était <a href="https://edition.cnn.com/2016/10/30/politics/clinton-faith-private/index.html">réticente à parler de sa foi</a> en public). Ils ont ainsi tous parlé de <a href="https://harvardpolitics.com/united-states/the-democrats-face-faith/">l’impact de leur foi sur leur vie</a>, et en ont fait un pont entre les divisions raciales, socio-économiques et culturelles. C’est particulièrement le cas d’Elizabeth Warren et de Pete Buttigieg.</p>
<p>Warren, une méthodiste, s’est <a href="https://www.nytimes.com/2019/10/22/opinion/democrats-2020-religion.html">exprimée à plusieurs reprises</a> sur son expérience d’enseignante à l’école du dimanche, assurant que <a href="https://www.cnn.com/2019/06/29/politics/elizabeth-warren-faith-life-decisions/index.html">sa foi animait tout ce qu’elle faisait</a>.</p>
<p>Buttigieg a été le <a href="https://www.nytimes.com/2019/10/22/opinion/democrats-2020-religion.html">plus offensif sur sa foi</a>, y compris dans le contexte de son mariage avec un autre homme dans son église épiscopale. Aucun candidat <a href="https://www.theatlantic.com/politics/archive/2016/12/democrats-have-a-religion-problem/510761/">depuis Barack Obama</a> n’avait embrassé la religion avec autant de conviction. Il a accusé les Républicains d’hypocrisie religieuse dans leur politique d’immigration, tout en revendiquant la foi pour la gauche : « Dieu n’appartient pas à un parti politique aux États-Unis d’Amérique », <a href="https://www.nytimes.com/2020/01/10/us/politics/pete-buttigieg-religion-2020.html">a-t-il déclaré</a>, ajoutant que « la foi et la religion » ont un « pouvoir unificateur ».</p>
<p>Joe Biden, quant à lui, a parlé de sa foi non pas en termes politiques mais dans le contexte de la <a href="https://apnews.com/e5a1e70314eb44219448eeb850c65f1%3Csup%3Ee%3C/sup">perte de membres de sa famille</a>, notamment de son fils, Beau en 2015 :</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/-Q5_FUqGHvk?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Amy Klobuchar, enfin, a établi un lien entre <a href="https://www.ncronline.org/news/opinion/catholic-case-amy-klobuchar">son réveil religieux</a> et l’alcoolisme de son père. </p>
<p>Bernie Sanders et Michael Bloomberg sont probablement les candidats les moins religieux. Tout en affirmant croire en Dieu, Michael Bloomberg est depuis longtemps mal à l’aise dans l’expression de sa foi. Le lien entre <a href="https://www.nytimes.com/2005/03/17/nyregion/bloomberg-in-israel-trip-shies-away-from-religiosity.html">sa judaïcité et sa politique</a> semble être essentiellement visible dans son soutien à Israël.</p>
<p>Bernie Sanders, pour sa part, s’identifie comme étant à la fois Juif et <a href="https://secular.org/2019/05/senator-bernie-sanders-on-separation-of-church-and-state/">laïc</a>. Il ne <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/bernie-sanders-finally-answers-the-god-question/2016/01/26/83429390-bfb0-11e5-bcda-62a36b394160_story.html">participe à aucune religion organisée</a> et <a href="https://www.youtube.com/watch ?v=DdLszEQDLZI">défend</a> la séparation entre l’État et la religion. Sans surprise, il est le <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/2020/02/07/bernie-sanders-religion-values-how-both-shape-his-politics/">favori des <em>nones</em></a>.</p>
<h2>Vers un match entre un socialiste laïque et un catholique centriste ?</h2>
<p>À moins que l’approche non conventionnelle de Bloomberg (que <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/2020/02/28/why-nobody-knows-how-assess-bloombergs-chances-including-political-scientists/">personne ne sait analyser</a>) ne créé la surprise, les primaires démocrates semblent se diriger vers un duel entre Joe Biden et Bernie Sanders, un duel qui oppose deux conceptions politiques et religieuses.</p>
<p>Bernie Sanders a une vision politique de la religion : il relie les croyances religieuses en général et son <a href="https://feelthebern.org/bernie-sanders-on-religion-and-beliefs/">héritage juif en particulier à la justice sociale et économique</a>. Il fait souvent <a href="https://www.ncregister.com/daily-news/the-old-and-new-socialism-of-bernie-sanders-should-catholics-support-it">l’éloge du Pape François</a> dont il se dit proche, le qualifiant même de <a href="https://www.youtube.com/watch ?v=ySGKlGA_zQk&t=500s">socialiste</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/btYvtWMs7tI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Joe Biden, lui, évoque sa foi en termes émotionnels et personnels. Tout en exprimant une peine authentique, il fait de son chagrin et sa douleur des atouts politiques, n’hésitant pas à les mettre en scène dans cette publicité de campagne par exemple, où il reprend presque mot pour mot ce qu’il a dit en interview.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/-EkvHHf_Hlo?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Il est le seul candidat démocrate considéré comme « plutôt religieux » par plus de la moitié des adultes américains (<a href="https://www.pewresearch.org/fact-tank/2020/02/27/most-americans-dont-see-democratic-candidates-as-very-religious/">55 %</a>).</p>
<p>En construisant ainsi un lien empathique avec de nombreux électeurs, il évite également les sujets plus polémiques : ses positions fluctuantes et contradictoires sur les questions de <a href="https://www.nytimes.com/2019/03/29/us/politics/biden-abortion-rights.html">l’avortement</a>, ou du <a href="https://www.nytimes.com/2019/09/20/us/politics/lgbt-forum-2020.html">mariage homosexuel</a> dans le conflit qui oppose son parti à l’église catholique, ou encore le <a href="https://www.la-croix.com/Religion/Catholicisme/Monde/pretre-refuse-communion-candidat-democrate-Joe-Biden-2019-10-31-1201057739">refus récent d’un prêtre de lui donner la communion</a> au motif de son soutien à l’avortement).</p>
<p>Si Bernie Sanders remportait l’investiture, sans parler de la présidence, il représenterait une nouvelle rupture des normes de la politique américaine moderne : il serait le premier président identifié comme juif, laïque et socialiste.</p>
<p>Son obstacle principal n’est pas sa vision laïque du monde, ou encore son judaïsme, mais plutôt son étiquette socialiste – et là encore, ce n’est pas seulement la fracture raciale ou religieuse qui divise l’électorat, mais aussi le <a href="https://www.brookings.edu/blog/fixgov/2016/06/03/the-democrats-generation-gap/">fossé générationnel</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/132702/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jérôme Viala-Gaudefroy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Tous les candidats à la primaire démocrate, ainsi que le président Trump, se disent croyants. Mais chacun le fait à sa façon. Quel impact ces appartenances confessionnelles ont-elles sur l’électorat ?Jérôme Viala-Gaudefroy, Assistant lecturer, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1293082020-01-03T18:12:00Z2020-01-03T18:12:00ZÉlimination de Ghassem Soleimani : une dangereuse escalade dans la politique américaine d'assassinats ciblés<p>Le général iranien Ghassem Soleimani, commandant de la Force Al-Qods, l'unité d'élite des Gardiens de la révolution, a été tué <a href="https://www.theguardian.com/world/live/2020/jan/03/iran-general-qassem-suleimani-killed-us-trump-drone-strike-baghdad-reaction-live-updates#block-5e0f1fc18f085eda5c1116ef">par une frappe aérienne américaine</a> aux premières heures du 3 janvier.</p>
<p>Il s'agit du développement le plus récent et le plus important du conflit par procuration qui oppose les États-Unis à l'Iran. Ce conflit se déroule en large part sur le territoire irakien. Il y a quelques jours à peine, l’ambassade américaine à Bagdad a subi une <a href="https://www.bbc.co.uk/news/world-middle-east-50966958">attaque</a> que l’administration Trump a explicitement attribuée à l’Iran. Les autorités iraniennes, notamment par la voix du ministre des Affaires étrangères <a href="https://twitter.com/JZarif/status/1212946202280579073">Javad Sharif</a>, ont affirmé qu’en assassinant Soleimani les États-Unis avaient commis un « acte de terrorisme international » et s’étaient engagés dans <a href="https://www.asianage.com/world/middle-east/030120/extremely-dangerous-foolish-escalation-iran-on-us-air-strike-that-killed-soleimani.html">« une escalade extrêmement dangereuse et imprudente »</a>.</p>
<p>S'il est trop tôt pour prévoir les conséquences qu’aura cette opération américaine, l'assassinat du général iranien est indéniablement le signe d'une escalade de la politique américaine d'assassinats ciblés. Il s’agit également d’un précédent dangereux en matière de politique internationale.</p>
<p>Dans son <a href="https://www.defense.gov/Newsroom/Releases/Release/Article/2049534/statement-by-the-department-of-defense/">communiqué</a>, le Département de la Défense des États-Unis a justifié la frappe aérienne en affirmant que Soleimani « préparait activement des attaques contre des diplomates et militaires américains en Irak et dans toute la région », rappelé que la Force Al-Qods est considérée par le gouvernement américain comme une organisation terroriste étrangère, et souligné que l’opération visait à protéger le personnel américain à l’étranger et à prévenir de futures attaques.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1212929029415661575"}"></div></p>
<p>Mais Soleimani était aussi un officiel d’un pays étranger. Et il n'est pas évident qu'il représentait une menace imminente pour des ressortissants américains. Le communiqué du Département de la Défense ne donne aucun détail sur ce dernier point. Or ces deux aspects – le statut de la cible et la nature de la menace qu’elle représentait – étaient jusqu’ici des éléments fondamentaux dans toute décision d’élimination ciblée ou de frappe préventive prise par le gouvernement américain.</p>
<h2>La justification des assassinats ciblés, de Reagan à Obama</h2>
<p>Depuis le milieu des années 1970, un <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/16161262.2018.1430431">décret</a> interdit aux agences du gouvernement américain de se livrer à des assassinats. Cependant, tout en maintenant l'interdiction d'assassinat, l'administration de Ronald Reagan s'est efforcée de créer l'espace juridique et politique dont elle avait besoin pour éliminer des terroristes quand elle le jugeait bon. Les avis juridiques rendus à cette époque par la CIA et le Pentagone suggéraient que le recours à la force pour lutter contre le terrorisme était <a href="https://repository.law.umich.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1036&context=mlr">une tout autre affaire</a> et ne relevait donc pas de l’interdiction frappant la pratique des assassinats.</p>
<p>Comme l'indique clairement la <a href="https://fas.org/irp/offdocs/nsdd/nsdd-138.pdf">Directive sur les décisions relatives à la sécurité nationale n°138</a>, l'administration Reagan fondait sa position sur l’idée que ces mesures étaient préventives et prises en légitime défense contre des cibles constituant une menace imminente pour les intérêts et le personnel des États-Unis.</p>
<p>Précédent important dans la perspective de l'assassinat de Soleimani plusieurs décennies plus tard : certains membres de l'administration Reagan ont également fait valoir que les éliminations ciblées pouvaient viser non seulement des terroristes, mais aussi des dirigeants d’États soutenant le terrorisme. Bien que certains désaccords subsistent, plusieurs sources primaires et secondaires semblent convenir que l'administration Reagan <a href="https://www.nytimes.com/1987/02/22/magazine/target-qaddafi.html">a tenté de tuer le leader libyen Mouammar Kadhafi</a> lors d'une frappe aérienne sur son quartier général et son domicile en 1986. Si les membres de l'administration Reagan ont maladroitement nié que Kadhafi, qui avait survécu au bombardement, avait été directement visé , ils espéraient aussi, comme l'administration Trump aujourd'hui, que l'attaque aurait un effet dissuasif.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/308447/original/file-20200103-11939-urpast.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/308447/original/file-20200103-11939-urpast.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/308447/original/file-20200103-11939-urpast.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/308447/original/file-20200103-11939-urpast.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/308447/original/file-20200103-11939-urpast.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/308447/original/file-20200103-11939-urpast.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/308447/original/file-20200103-11939-urpast.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Donald Trump, un précédent dangereux.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Al Drago/Bloomberg/Getty Images</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Au lendemain du 11 Septembre, l’élimination de terroristes avérés et suspectés est devenue un élément central de la politique antiterroriste américaine. Le nombre de frappes de drones a nettement augmenté, en particulier pendant le premier mandat de Barack Obama.</p>
<p>Toutefois, au cours de son second mandat, Obama a fait un <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/european-journal-of-international-security/article/obama-administrations-conceptual-change-imminence-and-the-legitimation-of-targeted-killings/15DB8DEE802628A4F76D300C2E82421F">effort tardif et peu convaincant</a> pour rendre la politique antiterroriste américaine plus conforme aux normes juridiques internationales relatives au recours à la force en cas de légitime défense. Son administration a alors insisté davantage sur le fait que l'élimination d'un terroriste n'était possible qu'à la condition que celui-ci représente une menace imminente pour les États-Unis. Mais la définition de la notion d'imminence adoptée par l'équipe d'Obama s'est révélée particulièrement souple. Cette justification juridique a créé des précédents internationaux que d'autres États (comme la Turquie et le Pakistan) ont été plus qu'heureux de reprendre à leur compte.</p>
<p>L'attaque qui a tué Soleimani va cependant au-delà de la pratique américaine récente et semble rendre explicite une opinion qui était restée quelque peu implicite dans les années Reagan. Il semblait jusqu’ici clairement établi que les seules personnes auxquelles l'interdiction d'assassinat ne s'appliquait pas étaient les acteurs terroristes non étatiques représentant une menace imminente. Or Soleimani était <a href="https://www.newyorker.com/magazine/2013/09/30/the-shadow-commander">en charge, côté iranien, de la guerre par procuration</a> qui met aux prises les États-Unis et l'Iran. Il ne s'agissait toutefois pas d'une guerre déclarée, ce qui aurait fait de Soleimani une cible légitime (comme le <a href="https://nationalinterest.org/blog/buzz/killing-yamamoto-how-america-killed-japanese-admiral-who-masterminded-pearl-harbor-attack">général japonais Yamamoto</a> pendant la Seconde Guerre mondiale). Même s’il était un militaire, il était indéniablement un haut responsable étranger ; par conséquent, son élimination semble enfreindre l'interdiction d’assassinat, ou au moins la remettre explicitement en cause.</p>
<h2>La politique de Trump</h2>
<p>La justification publiée par le Département de la Défense offre un compte-rendu détaillé des actions passées de Suleimani, indiquant :</p>
<blockquote>
<p>Il avait orchestré des attaques contre des bases de la coalition en Irak au cours des derniers mois – en particulier l’attaque du 27 décembre – à l’origine de morts et de blessés supplémentaires parmi les soldats américains et irakiens. Le général Soleimani a également approuvé les attentats de cette semaine contre l’ambassade des États-Unis à Bagdad.</p>
</blockquote>
<p>Mais il n'y a pas de preuve détaillée du fait qu’il représentait une menace imminente. Ce point peut sembler mineur, mais il se trouve au cœur de la justification légale de la frappe aérienne. Tout porte à croire que Soleimani n'a pas été tué parce qu'il représentait une menace imminente, mais plutôt en guise de représailles pour les événements récents et pour dissuader l’Iran de se livrer à d’autres attaques à l’avenir.</p>
<p>D’ailleurs, Agnès Callamard, rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, a déjà suggéré que les États-Unis pourraient avoir agi illégalement dans cette affaire.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1212918159096864768"}"></div></p>
<p>L'administration Trump a, jusqu'à présent, refusé d'expliquer et de justifier sa politique d'assassinats ciblés. Ce qui est sûr, c’est que cette dernière opération sape encore plus les normes internationales et américaines en matière d'assassinats et crée certainement un précédent international dangereux dans ce domaine.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/129308/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Luca Trenta a reçu des financements de la British Academy pour son Rising Star Engagement Award en 2017.</span></em></p>L'administration Trump n'est que la dernière administration américaine en date à repousser les limites de la loi pour éliminer ses ennemis étrangers.Luca Trenta, Senior Lecturer in International Relations, Swansea UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1266162019-11-11T20:49:38Z2019-11-11T20:49:38Z700 millions de pneus chinois, Obama, Michelin et moi<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/300618/original/file-20191107-10910-sskd8h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=23%2C62%2C937%2C526&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Près d’un pneu sur trois dans le monde est fabriqué en Chine.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Zhao jiankang / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Les pneus chinois ont envahi les États-Unis et l’Europe. Une concurrence déloyale qui a abouti à des sanctions commerciales de Washington et de Bruxelles. Le président Barack Obama a tiré le premier. <a href="https://www.lequotidien.lu/economie/face-aux-pneus-chinois-michelin-se-degonfle-en-europe/">Michelin est touché</a>. Et moi, je ne sais plus quoi acheter pour changer mes gommes usées. Des boudins du Vietnam premier prix ou des pneumatiques longue durée « Made in EU » ? Roulons ensemble pour comprendre le dumping chinois et l’effet des surtaxes à l’importation. Bon à savoir en ces temps de guerre commerciale ; la chaussée est glissante.</p>
<h2>Des pneus chinois par centaines de millions</h2>
<p>La Chine est le premier producteur mondial de pneus. Près d’un sur trois sort de ses usines. Aucune entreprise pourtant parmi les cinq plus grands manufacturiers du pneumatique. Le premier est d’origine japonaise, ce que ne laisse pas deviner son nom, Bridgestone ; le second, un français de Clermont-Ferrand qui éditait aussi un guide des meilleurs restaurants, Michelin bien sûr ; le troisième, un américain qui porte le nom de l’inventeur de la vulcanisation (ce qui rend le caoutchouc moins plastique, mais plus élastique), Goodyear ; le quatrième vient d’Hanovre et a conçu le premier pneu pour bicyclette, Continental ; le cinquième, un autre japonais qui porte un prénom comme tel, Sumitomo. En 2017, il fallait arriver à la sixième place pour trouver un fabricant chinois : Pirelli. Eh oui ! La firme milanaise plus que centenaire a été <a href="https://fr.reuters.com/article/businessNews/idFRKBN0MJ0G220150323">rachetée en 2015 par ChemChina</a>, un conglomérat d’État alors à la tête du principal producteur domestique de pneus radiaux et tout-terrain.</p>
<p>La place de la Chine dans le pneumatique est bien sûr liée à la montée en puissance spectaculaire de son industrie automobile. Pas de vente de voiture neuve avec des roues sans pneus ! Ce marché de la première monte est crucial. Les clients ont en effet tendance à reprendre les mêmes pneumatiques lorsqu’ils devront être changés. Dans les pays vieux routiers de l’automobile la première monte représente entre un quart et un tiers des ventes ; le remplacement le reste.</p>
<p>Mais comme la flotte chinoise de véhicules est récente (5 ans d’âge en moyenne contre près du double en France), le marché du remplacement garde ses plus belles promesses pour demain.</p>
<h2>Petits et grands pneumaticiens chinois</h2>
<p>Si vous passez par Dawang, au sud de Pékin, vous y trouverez des <a href="https://www.globaltimes.cn/content/1119026.shtml">centaines de manufacturiers du pneu</a>. Ils ont fait la prospérité de la ville. Ils y contribuent moins aujourd’hui car le pneumatique chinois est en crise. De nombreux petits faiseurs ont fait faillite et fermé leur porte. Pour la première fois depuis 20 ans la production automobile chinoise a décru en 2018, une année seulement après la <a href="https://www.lesechos.fr/2017/03/flambee-des-prix-sur-le-marche-des-pneumatiques-151708">flambée du prix du caoutchouc</a> naturel. À ces deux années noires s’est ajoutée une plus grande vigilance des autorités de contrôle de l’environnement ; elles ont fait le ménage parmi les entreprises ne respectant pas les normes. Le tout, suite à une longue série de restrictions commerciales contre l’importation de pneus chinois (voir plus bas).</p>
<p>Face à ces adversités, les petits et moyens manufacturiers ont les reins moins solides que les quelques grandes entreprises du secteur : pas de diversification sur des produits moins exposés, pas d’implantation à l’étranger, pas de capacité d’investissement pour se moderniser, pas d’influence sur le gouvernement central. À l’instar de leurs consœurs américaines <a href="https://www.jstor.org/stable/2138664">qui n’ont pas survécu aux années 1920</a>, la plupart vont disparaître face à la surcapacité de production. La consolidation du pneu chinois est donc en <a href="https://www.tirereview.com/china-rise-tire-companies-making-waves-around-globe/">route</a>. Dans une poignée d’années, quelques firmes seulement domineront le marché domestique. Mais, contrairement aux grandes entreprises américaines qui, à l’exception de Goodyear, <a href="https://www.nber.org/chapters/c8649">ont perdu pied sur le marché mondial</a>, il est peu probable qu’elles sortent du jeu planétaire.</p>
<h2>Barack Obama a tiré le premier</h2>
<p>Ce n’est pas Donald Trump mais son prédécesseur à la Maison Blanche qui a commencé à surtaxer les pneus venus de Chine. Une <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/protectionnisme-trump-ne-fait-pas-dans-la-nouveaute-131221">taxe <em>ad valorem</em> de plus de 35 %</a> a été introduite aux frontières pour trois ans. Prise en 2009, cette décision s’appuie sur une clause spéciale liée à l’<a href="https://www.cambridge.org/core/journals/world-trade-review/article/ustyres-upholding-a-wto-accession-contract-imposing-pain-for-little-gain/EE43CFD76D1FB29C084581D447E8DE43">entrée de la République populaire dans l’Organisation mondiale du commerce</a> (OMC). Elle vise à sauvegarder les entreprises dès lors que leur marché domestique est bouleversé par les importations du nouveau membre. Or celles des pneumatiques chinois a triplé entre 2004 et 2008, passant de 6,7 % à 29 % de la production étatsunienne. Sur la même période, le secteur a perdu plusieurs milliers d’emplois.</p>
<p>Oui, mais est-ce bien à cause des pneus chinois ? Rien, n’est moins clair. Il suffit de lire <em>International Debates</em> qui a <a href="https://congressionaldigest.com/issue/chinese-tire-tariffs/american-coalition-for-free-trade-in-tires/">ouvert ses colonnes</a> aux partisans et adversaires de cette protection des frontières. Pour le syndicat américain des métallos (qui coiffe aussi les ouvriers du caoutchouc) il est temps d’agir face aux pneus à prix bradés venus de Chine. D’autres usines vont sinon fermer. Point de vue partagé par les élus démocrates et républicains des États où elles sont menacées.</p>
<p>En revanche, il s’agit d’une mesure infondée pour l’Association des industriels chinois du pneu ainsi que pour les entreprises américaines qui les importent et les distribuent. À leurs yeux, les usines ont fermé parce que les entreprises ont décidé de leur propre chef d’abandonner la production de pneus bas de gamme du fait de leur manque de rentabilité sur le sol américain. Les Michelin, Goodyear et autres Bridgestone qui dominent la fabrication aux États-Unis ont des usines en Chine et bien ailleurs dans le monde. L’invasion pneumatique chinoise serait la conséquence de leur décision stratégique. Les opposants de la décision d’Obama observent d’ailleurs que ces pneumaticiens n’ont ni demandé, ni appuyé la mesure de taxation aux frontières.</p>
<p>Conclusion : faute d’études indépendantes, il est difficile de trancher cette controverse sur l’origine des emplois perdus.</p>
<h2>Quels sont les effets de la surtaxe ?</h2>
<p>En revanche, avec un peu d’années de recul, des données et des travaux académiques, les conséquences de surtaxe sont plus nettes. Sans surprise, les importations de pneus chinois ont drastiquement diminué en quantité (moins 67 % sur les 12 mois qui ont suivi son introduction). Quant aux emplois trois ans après la mesure, ils n’ont augmenté que d’un millier seulement, une croissance qui est <a href="https://www.piie.com/system/files/documents/pb12-9.pdf">loin de permettre</a> de revenir au niveau d’emploi des années antérieures à la mesure. De plus, ces nouveaux emplois auraient peut-être été créés sans elle, poussés par exemple par la reprise économique de l’après-crise financière. Ou, inversement, sans la décision de Barack Obama, le nombre d’emplois aurait décliné et ces pertes évitées sont alors à porter à son crédit.</p>
<p>Il convient donc de comparer les effets de la mesure à ce qui se serait passé si… elle n’avait pas eu lieu. C’est le fameux scénario contrefactuel cher aux économistes : comparer ce qui s’est passé dans le pneu à partir de 2009 à quelque chose qui n’est pas observable puisque non advenu. Vous voyez la difficulté. Pour la contourner, on peut penser par exemple à chercher des différences avec des industries qui n’ont pas connu de restrictions aux importations ou avec d’autres secteurs de transformation du caoutchouc. Pas sûr cependant que ces industries aient été soumises aux mêmes tendances que celle du pneumatique. Quand le choix du groupe de contrôle comparable n’est pas évident, il est possible de recourir à des méthodes économétriques sophistiquées. C’est ce que fait un <a href="https://ideas.repec.org/a/eee/eecrev/v85y2016icp22-38.html">trio de chercheurs</a>. Le résultat qu’ils avancent est sans appel :</p>
<blockquote>
<p>« L’emploi total et le salaire moyen des entreprises du pneu aux États-Unis n’ont pas été affectés par la mesure de sauvegarde. »</p>
</blockquote>
<p>L’hypothèse explicative est simple : les importations en moins des États-Unis venant de Chine auraient été compensées par des importations en plus d’autres pays. Avec la mesure, la Chine exporte moins de pneus, mais la Thaïlande, l’Indonésie ou encore la Corée du sud voient les leurs gonfler. Le vide chinois est comblé par une réallocation des capacités et une modification des circuits. Par exemple, les pneus d’une usine chinoise qui devaient aller aux États-Unis sont exportés dans les pays qui recevaient des pneus d’une usine indonésienne et ces derniers sont alors exportés aux États-Unis.</p>
<p>Conclusion : pas évident d’obtenir des effets significatifs lorsque les restrictions d’importations concernent un seul pays et que le bien considéré est produit par des multinationales implantées un peu partout.</p>
<h2>Dumping et subventions</h2>
<p>L’administration américaine a imposé de <a href="https://www.govinfo.gov/content/pkg/FR-2015-08-10/pdf/2015-19615.pdf">nouveaux droits de douane</a> aux pneus chinois en 2015. Il ne s’agit plus cette fois d’une mesure de sauvegarde, mais d’une action en bonne et due forme pour concurrence déloyale selon les règles de l’OMC. Il ne suffit plus de montrer que l’industrie a été bouleversée par une augmentation foudroyante des importations ; il faut apporter la preuve que le prix du bien importé est anormalement bas (mesure antidumping) ou que l’entreprise a bénéficié d’aides publiques (mesure antisubventions). Dans les deux cas, il est en plus nécessaire de démontrer que la concurrence déloyale qui s’est exercée a été dommageable à l’industrie domestique. Bref, le standard de preuve est élevé et les chiffres âprement discutés pour établir le prix normal, le niveau des subventions reçues et l’ampleur du préjudice.</p>
<p>L’administration américaine a estimé que la marge de dumping des fabricants de pneus en Chine s’élevait entre 15 et 30 % selon les sociétés et que les subventions représentaient l’équivalent de 21 à 100 % du prix facturé. Elle a donc taxé aux frontières les pneus chinois de chaque entreprise à hauteur de ces montants. Après s’être redressées quand la mesure de sauvegarde triennale de 2009 a expiré, les importations de pneumatiques chinois aux États-Unis <a href="https://www.tirebusiness.com/wholesale/impact-import-duties-chinese-truck-tires-flux">ont de nouveau dégringolé</a>.</p>
<p>Heureusement pour Donald Trump, les mesures qui viennent d’être décrites ont seulement porté sur les pneus équipant les véhicules de tourisme et les utilitaires légers. Restaient les pneumatiques chinois pour camions et autobus à chasser pour cause de dumping et subventions. Ils le seront à <a href="https://www.govinfo.gov/content/pkg/FR-2017-01-27/pdf/2017-01862.pdf">mi-mandat</a>. Ceci dit, les gros pneus chinois surtaxés représentent un marché affecté minuscule en comparaison des centaines de milliards de dollars d’importations de la République populaire taxées par le président américain dans sa bataille commerciale contre <a href="https://abcnews.go.com/Politics/10-times-trump-attacked-china-trade-relations-us/story?id=46572567">« le plus grand voleur dans l’histoire du monde »</a>. Mais il s’agit là d’une vision très personnelle de la concurrence déloyale. Elle ne s’embarrasse ni des règles et obligations de démonstration qu’impose l’OMC, ni des principes internationaux en matière de défense commerciale licite.</p>
<p>Conclusion : ne pas confondre défense commerciale et protectionnisme.</p>
<h2>Et l’Europe ?</h2>
<p>De son côté, l’Union européenne est à la traîne. Pas de mesures contre les pneus pour véhicules légers, seulement <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A32018R0683">contre les pneus pour poids lourds et autobus</a> ; de plus, elle a diligenté son enquête postérieurement à celle de l’Administration américaine. Les droits de douane tenant compte du dumping et des subventions chinoises sont entrés en vigueur il y a tout juste un an. Il faut dire que l’Union européenne n’est pas très encline à se défendre. Fin 2018, un peu plus d’une centaine de mesures antidumping et antisubventions étaient en vigueur contre <a href="https://www.igf.finances.gouv.fr/files/live/sites/igf/files/contributed/IGF%20internet/2.RapportsPublics/2019/2018-M-105-03-UE.pdf">près d’un demi-millier pour les États-Unis</a>.</p>
<p>Selon leur tissu industriel, les États membres sont plus ou moins affectés par les importations chinoises. La crainte de représailles est également différemment ressentie selon l’importance de leurs exportations. L’Allemagne et la France n’ont pas, par exemple, les mêmes intérêts en cas de mesure commerciale contre la Chine. Les États membres sont donc plus ou moins allants pour se défendre en cas de concurrence déloyale. Le consensus est difficile.</p>
<p>L’Union européenne n’a pas non plus été très soucieuse de défense commerciale en autorisant en 2015 la vente de Pirelli à Chemchina. À travers cette entreprise d’État, la Chine acquiert des technologies et des savoir-faire dans la conception et fabrication de pneumatiques haut de gamme ainsi qu’une marque reconnue (pour les non-initiés aux sports mécaniques, Pirelli équipe les pneus des bolides de Formule 1). L’achat de l’entreprise milanaise a d’ailleurs été largement aidé par l’État de la République populaire, notamment par un prêt préférentiel et une <a href="https://www.igf.finances.gouv.fr/files/live/sites/igf/files/contributed/IGF%20internet/2.RapportsPublics/2019/2018-M-105-03-UE.pdf">prise de participation du Fonds de la Route de la soie</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/300620/original/file-20191107-10952-1dk79jm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/300620/original/file-20191107-10952-1dk79jm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=347&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/300620/original/file-20191107-10952-1dk79jm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=347&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/300620/original/file-20191107-10952-1dk79jm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=347&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/300620/original/file-20191107-10952-1dk79jm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=437&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/300620/original/file-20191107-10952-1dk79jm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=437&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/300620/original/file-20191107-10952-1dk79jm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=437&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Pour la Chine, le rachat de Pirelli signifie l’acquisition d’un savoir-faire dans la conception et fabrication de pneumatiques haut de gamme.</span>
<span class="attribution"><span class="source">S_Z/Shutterstock</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>N’éreintons pas cependant l’Europe. L’Union, contrairement aux États-Unis, a été avisée d’inclure les pneus rechapés dans son investigation et sa décision. Le changement de la bande de roulement des pneus de camion est en effet un moyen de leur donner une nouvelle vie pour 300 000 km supplémentaires d’autoroute. Des kilomètres qui permettent d’économiser du caoutchouc et d’autres matières premières. Cette possibilité ne vaut toutefois que pour des pneus neufs plus chers à l’achat car de carcasse plus durable. Ce n’est pas le cas des pneus chinois bas de gamme, mais dont le prix subventionné les rendait encore moins cher que le simple coût du rechapage ; une opération par ailleurs réalisée par des <a href="https://www.challenges.fr/automobile/actu-auto/les-pneus-chinois-menacent-la-filiere-francaise-du-caoutchouc_416002">milliers d’employés en Europe</a> !</p>
<p>Conclusion : l’action antidumping de l’Europe est économiquement et écologiquement vertueuse.</p>
<h2>Des mesures moyennement efficaces</h2>
<p>Il convient toutefois de ne pas s’emballer à propos de l’efficacité de cette mesure de l’Union ; idem pour celles prises par les États-Unis en 2015 et 2019. Au cours des cinq dernières années passées, plusieurs grands pneumaticiens chinois ont construit des usines à l’étranger, en particulier en Thaïlande et au Vietnam. De plus, à l’instar de Pirelli, le numéro deux du pneu coréen – à la tête d’usines chez lui, mais aussi aux États-Unis et au Vietnam – est passé sous contrôle chinois. Par ces investissements étrangers, les entreprises chinoises disposent dorénavant de marges de manœuvre face aux restrictions à l’importation.</p>
<p>À l’inverse, il ne faudrait pas penser non plus que ces mesures n’ont aucune efficacité. Ce serait le cas si les pneus fabriqués en Chine étaient remplacés un pour un par des pneus produits ailleurs et exportés au même prix. Or les possibilités de réallocation des capacités et de modification des circuits des multinationales du pneu, y compris chinoises, ne sont ni instantanées ni complètement faisables à moyen terme. De plus, à long terme les grands fabricants chinois n’ont pas intérêt à perdre de l’argent en bradant leurs produits à l’export.</p>
<p>De façon générale, le bilan économique des mesures de défense commerciale relève du cas par cas. Des possibilités de manœuvre des multinationales, mais également des effets sur les importateurs et distributeurs qui perdent du chiffre d’affaires, des consommateurs lésés par une augmentation des prix, sans compter les effets de mesures de rétorsion et leur propre cortège d’effets. À la suite de la première mesure américaine contre les pneus chinois, l’industrie avicole américaine a perdu un <a href="https://www.piie.com/publications/pb/pb12-9.pdf">milliard de dollars de recettes d’exportation</a>, la Chine ayant décidé de surtaxer les morceaux découpés de poulet « made in USA ».</p>
<p>Conclusion : difficile de globaliser les effets</p>
<h2>Michelin touché</h2>
<p>Le cas Michelin est un bon exemple de l’effet en demi-teinte des mesures de défense commerciale. Malgré la mesure antidumping européenne, la firme globale auvergnate a décidé de <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/10/10/l-usine-michelin-de-la-roche-sur-yon-fermera-d-ici-a-la-fin-de-2020-plus-de-600-salaries-concernes_6014943_3234.html">fermer fin 2020 son site de production</a> de pneus pour poids lourds de La Roche-sur-Yon. Il souffre d’une taille insuffisante. Elle ne lui assure plus d’être compétitif face à une concurrence même à la loyale, c’est-à-dire basée sur la productivité du capital, du travail ou des intrants. Un esprit caustique remarquera aussi que Michelin est elle-même sanctionnée par la mesure européenne car elle surtaxe aussi ses pneumatiques pour poids lourds et autobus fabriqués en Chine. Ces exportations de Michelin vers l’Europe sont toutefois très marginales.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/5cqDgLTn0PM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Michelin : l’annonce de la fermeture du site de La Roche-sur-Yon (France 3 Pays de la Loire, 10 octobre 2019)</span></figcaption>
</figure>
<p>Par ailleurs, une mesure européenne antidumping sur les pneus bas de gamme pour véhicules légers n’aurait pas non plus empêché la fermeture de son usine allemande à Bamberg, un site vieux de près d’un demi-siècle spécialisé dans la production de pneus de moyenne gamme. Il souffre avant tout d’une demande décroissante : il produit des 16 pouces et non les larges pneus chaussant les véhicules de grand gabarit, SUV et autres Crossovers qui plaisent tant aujourd’hui même s’ils polluent plus, rendent la vie si difficile aux cyclistes et sont beaucoup plus dangereux pour les piétons.</p>
<h2>Et moi et moi et moi…</h2>
<p>Propriétaire d’une Peugeot 3008, attentif à mon empreinte carbone et roulant à vélo par des rues et routes étroites, je suis une preuve vivante de cette contradiction. De tels comportements qui frisent l’irrationalité ne cessent d’intriguer les économistes, en particulier les spécialistes de l’environnement. Pourquoi n’investissons-nous pas dans des équipements rentables grâce à la réduction de la facture d’énergie qu’ils nous apportent ?</p>
<p>Sur le papier, il n’y a en effet pas photo : le consommateur gagne à acheter des pneus chers plutôt que bon marché, c’est-à-dire des pneus haut de gamme plutôt que bas de gamme, ou encore des pneus des grandes marques historiques plutôt que des pneus anonymes venus d’Asie.</p>
<p>D’abord, ils permettent de parcourir un plus grand nombre de kilomètres sans les changer. Cette économie dans la durée est à souligner car un contre-exemple de la si courante obsolescence programmée. Les grands pneumaticiens cherchent à offrir des pneus qui durent le plus longtemps possible.</p>
<p>Ensuite, il suffit de rouler une quinzaine de milliers de kilomètres par an pour que le supplément de prix soit plus que compensé par la moindre consommation de carburant. Peut-être ne le savez-vous pas, mais environ un plein sur quatre de votre voiture sert uniquement à faire rouler les pneumatiques. La faute à la résistance au roulement. Le pneu s’écrase sous le poids du véhicule et cette déformation d’environ une largeur de main s’oppose à la traction. Diminuer la résistance au roulement permet donc de réduire la consommation de carburant, mais il faut y parvenir sans que le pneu perde de son adhérence – c’est mieux pour démarrer et conserver sa vitesse et éviter d’aller dans le décor sur chaussée mouillée… Bref, sans avoir à mentionner d’autres critères de performance des pneus, comme le confort de la conduite ou le bruit, le pneumatique est un produit hypertechnique. Ce qui explique pourquoi Michelin, inventeur hier du pneu radial et concepteur aujourd’hui de <a href="https://www.lamontagne.fr/clermont-ferrand-63000/actualites/michelin-presente-vision-son-pneu-du-futur-a-montreal_12441736/">nombreux prototypes</a> (pneus sans air, biodégradable, connecté…) fait partie des 50 premiers déposants de brevets au monde. Cherté et qualité des pneumatiques sont donc étroitement corrélées.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/300860/original/file-20191108-194650-1r5wooa.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/300860/original/file-20191108-194650-1r5wooa.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/300860/original/file-20191108-194650-1r5wooa.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=387&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/300860/original/file-20191108-194650-1r5wooa.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=387&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/300860/original/file-20191108-194650-1r5wooa.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=387&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/300860/original/file-20191108-194650-1r5wooa.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/300860/original/file-20191108-194650-1r5wooa.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/300860/original/file-20191108-194650-1r5wooa.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Le pneu increvable de Michelin.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://newatlas.com/michelin-gm-uptis-airless-tire/60004/">Michelin</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Malgré ce double gain, les pneus bas de gamme qui finalement reviennent plus cher se vendent bien. Les raisons avancées par les économistes qui s’intéressent à l’efficacité énergétique sont <a href="https://www.nber.org/papers/w15031.pdf">multiples</a>. Citons-en quelques-unes. Le consommateur peut être atteint d’une sorte de myopie qui écrase les gains futurs. Par exemple exprimer une nette préférence pour le présent et une aversion au risque et à l’incertitude (le prix des carburants fluctue et il n’est pas connu à l’avance sur la durée de l’amortissement de l’équipement). Un tien vaut mieux que deux tu l’auras. Le consommateur peut aussi reconnaître qu’il en sait moins que le vendeur et que le vendeur le sachant va lui faire miroiter des performances auxquelles il ne croira pas. Méfiance, méfiance…</p>
<p>Enfin, le consommateur peut prendre des décisions selon des mécanismes bien éloignés de la rationalité et des calculs qu’elles exigent. Il privilégiera alors des solutions simples et routinières comme acheter la même chose qu’avant. Comme le dit le refrain de la chanson de Jacques Dutronc qui a inspiré le titre de cette chronique « J’y pense et puis j’oublie, c’est la vie, c’est la vie ».</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/grn7SMp_EDs?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Jacques Dutronc, « Et moi, et moi, et moi » (Archive INA, 1966).</span></figcaption>
</figure>
<hr>
<p><em>François Lévêque vient de publier <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences-humaines/management-entreprise/habits-neufs-de-la-concurrence_9782738139177.php">« Les habits neufs de la concurrence. Ces entreprises qui innovent et raflent tout »</a> aux éditions Odile Jacob.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/126616/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Quelles sont les conséquences des sanctions commerciales visant à limiter la conquête chinoise du marché mondial du pneumatique ?François Lévêque, Professeur d’économie, Mines Paris - PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1250072019-10-14T19:43:07Z2019-10-14T19:43:07ZQuand les larmes des puissants incarnent leur force politique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/296497/original/file-20191010-188819-1n58o1m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=19%2C2%2C1578%2C1053&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Roshdy Zem est Idder Chaouch, un président d'origine maghrébine au coeur d'une puissante intrigue familiale dans la série Les Sauvages, Canal +. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://www.allocine.fr/article/fichearticle_gen_carticle=18684334.html">Allociné</a></span></figcaption></figure><p>Dans <a href="http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19585654&cserie=24290.html"><em>Les Sauvages</em></a>, série française de politique-fiction créée par Rebecca Zlotowski et Sabri Louatah, un président de la République d’origine kabyle est victime d’une tentative de meurtre.</p>
<p>Roschdy Zem est Idder Chaouch, élu de la République, homme saisissant d’élégance et de charisme. Imperturbable, il est aussi celui qui absorbe les secrets de familles, les déchirements identitaires et les conflits de pouvoir.</p>
<p>Salué par la critique, la série, à l’instar de <em>Baron Noir</em> (dont la troisième saison est en <a href="http://www.allocine.fr/article/fichearticle_gen_carticle=18684137.html">cours de tournage</a>) plonge le téléspectateur dans les coulisses d’un univers saturé d’émotions violentes et de trahisons.</p>
<p>Ces séries fonctionnent car elles suggèrent une tendance qui marque notre époque : les élites sont soumises à des fureurs et à des passions qui séduisent précisément parce qu’elles échappent à notre entendement.</p>
<h2>Des larmes inattendues</h2>
<p>Pensons bien sûr aux vibrants hommages rendus à Jacques Chirac mais aussi aux séquences mondialement médiatisées des larmes désarmantes de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=xgz7SWuRJVk">Barack Obama</a>, d’<a href="http://www.leparisien.fr/politique/les-larmes-de-la-mal-aimee-10-11-2016-6310500.php">Hilary Clinton</a> ou de <a href="https://www.dailymotion.com/video/x6artdp">Justin Trudeau</a> nous dévoilant des leaders débordés par leur désarroi. Tout récemment à l’ONU, les larmes de la jeune Greta Thunberg ont également ému la planète pour leur densité politique inédite.</p>
<p>En France, les auditeurs ont été saisis récemment par plusieurs sanglots inattendus : ceux du ministre de l’Environnement <a href="https://www.youtube.com/watch?v=YC5Ss9_ORlY">Nicolas Hulot</a> annonçant en direct sa démission, ceux de l’ancien premier ministre <a href="http://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/2019/02/14/25001-20190214ARTFIG00096-emu-aux-larmes-alain-juppe-fait-ses-adieux-a-bordeaux.php">Alain Juppé</a> argumentant publiquement son retrait de Bordeaux, ceux de l’ancienne ministre de la Justice <a href="https://www.dailymotion.com/video/x7lrd81">Christiane Taubira</a> lors de son évocation sur France Inter des attentats du 13 novembre. Ces effusions constituent des phénomènes nouveaux sur la scène politique parce qu’elles s’apparentent à des preuves de sincérité et des gages d’authenticité.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/kd8NyuBiDWY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Great Thunberg, une émotion brute, sa force politique.</span></figcaption>
</figure>
<p>Dans le même temps, les médias ne manquent pas de braquer les projecteurs sur les dérapages émotionnels de la politique au quotidien.</p>
<p>Les réactions à fleur de peau du président américain Donald Trump sont du pain bénit pour les journalistes, à l’instar de ses tweets outrés qui érigent les insultes et les coups de sang au rang de positions politiques. Sur le même registre, les chaînes de télévision ont passé en boucle les réactions pleines de colère du leader de la France Insoumise <a href="https://rmc.bfmtv.com/mediaplayer/video/la-republique-c-est-moi-les-images-de-la-colere-noire-de-melenchon-lors-des-perquisitions-1109530.html">Jean‑Luc Mélenchon</a> lors d’une perquisition.</p>
<p>Dans la presse écrite, les émois de la politique font aussi recette. Le journal Le Monde a été jusqu’à faire du teasing cet été à partir d’un florilège de confidences désabusées sur les haines entre amis de la présidence Hollande. La focale médiatique sur la série <a href="https://www.lemonde.fr/podcasts/article/2019/09/03/sept-ans-de-trahisons-le-podcast_5505939_5463015.html">PS, sept ans de trahisons</a> n’est pas anodine : elle suggère en creux que les rancœurs intestines et les ambitions égocentrées des élus relèvent d’un aveuglement émotionnel qu’il est urgent de dénoncer.</p>
<p>Toutes ces images-chocs et le récit de ces confidences dépitées ont pour point commun de donner le sentiment d’une forme de défaite de la raison : à l’épreuve du pouvoir, les élites céderaient à l’impulsivité et à l’incompétence, ou pire encore, au dépit et à l’impuissance. L’exercice des responsabilités collectives serait mis en danger par tous ces égarements émotionnels.</p>
<h2>Le continent noir de l’intime</h2>
<p>Est-il possible de rendre compte de cette évolution et d’en mesurer la portée sans céder aux sirènes populistes de l’antipolitique et aux postures moralistes ou dogmatiques ? Une piste existe sans doute qui consiste à prendre au sérieux les affects politiques sur le plan scientifique, c’est-à-dire en acceptant d’analyser la complexité du pouvoir au filtre de ce continent noir de l’intime. C’est ce que commencent à envisager les politologues, qui discutent l’<a href="http://www.pur-editions.fr/detail.php?idOuv=4319">hypothèse d’un <em>emotional turn</em></a>.</p>
<p>Au terme d’une enquête auprès de 200 élus centrée sur le goût du pouvoir, que j’ai relaté dans l’ouvrage <a href="https://www.pug.fr/produit/1310/9782706126147/des-elus-sur-le-divan"><em>Des élus sur le divan</em></a> (PUG, 2017), j’ai par exemple pu mesurer à quel point les leaders des grandes collectivités territoriales tiraient leur énergie d’épreuves émotionnelles permanentes. Les témoignages-confessions montrent notamment que les responsables politiques insistent sur la foi qui les habite (ils ont des missions à remplir qui les dépassent) et sur l’intensité des émotions fortes qui marquent les moments importants de leur parcours</p>
<p>En cherchant à démêler l’écheveau de ces influences, il semble possible de spécifier trois registres distincts d’émotions sur leurs blessures, leurs frissons et leurs ivresses.</p>
<p>Les blessures sont fondatrices dans les récits que font les responsables politiques de leur engagement. Elles se situent dès l’enfance et l’adolescence, dans des traumatismes familiaux mais aussi dans des évènements et des rencontres inoubliables. Avant d’entrer en politique, la plupart des élus ont vécu des décès, des ruptures et des passions qui surprennent par leur dureté.</p>
<p>Mezzo voce, ces empreintes racontent une hypersensibilité précoce aux injustices du monde et aux tensions entre les adultes. Les blessures des élus préfigurent les ressources décisives de fidélité, d’empathie et d’écoute des autres qu’ils sauront mettre en œuvre plus tard.</p>
<h2>La jubilation de la première campagne</h2>
<p>Les frissons sont dans le combat. Ils font partie de l’exercice du pouvoir, dans l’entremêlement permanent des « larmes » et du « sang » des rapports de force. Ils sont ressentis dans la jubilation de la première campagne électorale, ce temps singulier où l’identité des lieux, la magie de l’instant et l’euphorie collective transforment un destin individuel. Les élus rechercheront sans cesse ces frissons, par la suite, dans le tournis des tournois et dans l’adrénaline des grandes décisions à prendre.</p>
<p>Les ivresses enfin sont existentielles. Elles se construisent au fil du travail de médiation avec la population. À force d’être sommés d’incarner leur territoire, les élus endossent le rôle par les discours et ils habitent cette fonction de médiation jusque dans leur comportement corporel.</p>
<p>En anthropologie, on dirait que ce travail d’incarnation déborde les passions raisonnées de la démocratie représentative pour alimenter un imaginaire du pouvoir fait de rituels et de croyances. La politique est ici affaire de transcendance, de promesses et parfois même de prophéties. Les ivresses des élus sont spirituelles, à mille lieues des logiciels de la régulation publique.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/IN05jVNBs64?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Obama chante « Amazing Grace », un moment troublant d’émotions et de politique, 2015.</span></figcaption>
</figure>
<h2>La grandeur de l’engagement politique</h2>
<p>Blessures, frissons, ivresses : les mystères de ce cocktail émotionnel sont loin d’être dévoilés mais en reconnaissant qu’ils sont à l’épicentre du métier politique, on échappe à une grille de lecture qui concentrerait uniquement les explications sur des enjeux de domination. Quelles que soient leur compétence, leur probité et leur position de classe, les élus ont un cœur qui bat beaucoup plus intensément qu’on ne le croit. Ce sont des fauves blessés au cœur tendre qui sans cesse affrontent les contradictions de la décision et les vertiges de l’impuissance publique.</p>
<p>Il faut lire à cet égard les chroniques de Michel Issindou, ancien député socialiste sur ses <a href="https://www.pug.fr/produit/1665/9782706142840/tourments-au-palais-bourbon"><em>Tourments au palais Bourbon</em></a> (PUG, 2019). Son carnet de route consacré à l’année 2015 décrit par le menu la descente en enfer des socialistes aux prises avec leurs frondeurs. Au fil des pages, l’immersion réhabilite la grandeur de l’engagement politique en permettant au lecteur de ressentir les troubles sincères, les dépits de cœur et les élans de fierté qui alimentent et enferment le quotidien du travail parlementaire.</p>
<p>Retour au souvenir des présidents Idder Chaouch et Jacques Chirac : le métier politique s’apprend dans un enchaînement ininterrompu de petits succès, de grandes défaites, d’euphories, de fragilités et de doutes…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/125007/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alain Faure consigne ses travaux dans le carnet de recherche Les énigmes de l'action publique locale, (<a href="https://enigmes.hypotheses.org/">https://enigmes.hypotheses.org/</a>).</span></em></p>Les fureurs et passions de nos élites séduisent précisément parce qu’elles échappent à notre entendement.Alain Faure, Directeur de recherche CNRS en science politique, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1234742019-10-10T21:36:59Z2019-10-10T21:36:59ZUn corridor de la paix est-il possible après le retrait des troupes américaines au nord-est de la Syrie ?<p>Le 7 octobre, Donald Trump crée la surprise en annonçant le retrait de l’armée américaine de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/10/07/washington-donne-son-accord-a-une-offensive-turque-en-syrie_6014519_3210.html">certaines zones</a> aux abords de la frontière turque dans le nord de la Syrie. C’est un revirement de taille. Prenant Le Pentagone, le Département d’État et les services de renseignement à rebours, le président américain décide finalement de satisfaire la Turquie, son allié de l’OTAN depuis 1952, au détriment de son allié kurde depuis 2014 contre Daech, le PYD. Cette action permet à Ankara de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/10/09/la-turquie-annonce-le-debut-d-une-offensive-dans-le-nord-est-syrien_6014849_3210.html">lancer une offensive</a> dans la zone est syrienne contre les milices kurdes.</p>
<p>Par ailleurs <a href="https://www.ft.com/content/b548a604-d3ac-11e9-a0bd-ab8ec6435630">des pourparlers</a> continuent avec Washington afin que la Turquie reçoive finalement les avions de chasse américains F-35, ce qui avait été prohibé suite à son achat des missiles anti-aériens S-400 aux Russes.</p>
<p>Ce tournant majeur déterminera la possibilité de <a href="https://www.nytimes.com/2019/10/07/us/politics/trump-turkey-syria.html?action=click&module=Top%20Stories&pgtype=Homepage">confier à la Turquie la responsabilité</a> des membres européens de Daech détenus par les Kurdes.</p>
<p>Ce geste du président américain, couplé à sa volonté d’établir la zone de sécurité réclamée depuis de longs mois par Ankara au nord-est de la Syrie, laisse présager une amélioration de la relation turco-américaine.</p>
<p>Bien sûr, tous les griefs n’ont pas disparu et des contentieux demeurent tels la présence de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/fethullah-gulen-28324">Fethullah Gülen</a> aux États-Unis (instigateur présumé du coup d’État militaire en Turquie en juillet 2016), l’acquisition des S-400, la dimension de la zone de sécurité, l’envoi de réfugiés syriens présents en Turquie dans celle-ci ou encore la lenteur avec laquelle, selon Ankara, les États-Unis s’occupent de la création de cette zone.</p>
<p>Mais sa mise en place est essentielle afin que survive la relation turco-américaine, et plus largement turco-occidentale, qui pourrait bien imploser en cas d’échec, et ce en dépit de l’annonce de Trump le 7 octobre dernier. Non seulement les Européens ne s’alignent pas sur la position du président américain, mais ce dernier est également isolé dans ce dossier aux États-Unis, laissant présager d’éventuels revirements.</p>
<p>Pour saisir ces enjeux, il convient d’expliquer au préalable l’origine des tensions autour de la question kurde, qui empoisonne depuis plusieurs décennies la relation entre les États-Unis et la Turquie.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/295984/original/file-20191008-128652-1kt31c4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/295984/original/file-20191008-128652-1kt31c4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/295984/original/file-20191008-128652-1kt31c4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=574&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/295984/original/file-20191008-128652-1kt31c4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=574&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/295984/original/file-20191008-128652-1kt31c4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=574&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/295984/original/file-20191008-128652-1kt31c4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=721&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/295984/original/file-20191008-128652-1kt31c4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=721&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/295984/original/file-20191008-128652-1kt31c4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=721&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">« L’environnement stratégique de la mer Noire » (2015).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://cartotheque.sciences-po.fr/?wicket:interface=:14::::">FNSP/Sciences Po</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>L’origine des tensions</h2>
<p>Lors de la guerre du Golfe de 1990-1991, les premières tensions entre les Américains et les Turcs voient le jour autour de la question kurde. En effet, afin de satisfaire l’allié américain et de s’assurer de la durabilité de leur lien, la Turquie décide de <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/14782800600892242">rejoindre l’effort de guerre contre l’Irak</a>. Seulement, outre des conséquences économiques désastreuses (l’Irak étant alors son deuxième partenaire commercial), la <a href="https://www.jstor.org/stable/2622709">guerre renforce les ambitions autonomistes des Kurdes de Turquie</a>.</p>
<p>Car le PKK – organisation terroriste kurde ciblant l’héritière de l’Empire ottoman <a href="https://www.cfr.org/interactive/global-conflict-tracker/conflict/conflict-between-turkey-and-armed-kurdish-groups">depuis 1984</a> – se saisit de l’occasion pour reprendre les armes après une courte trêve. À cela s’ajoute la fuite de 500 000 Kurdes du nord de l’Irak vers le sud-est de la Turquie, déjà peuplée principalement de Kurdes.</p>
<p>Afin de limiter l’afflux de ces réfugiés, Ankara entreprend de créer une zone de sécurité au nord de l’Irak où seront protégés les Kurdes, dans le cadre de l’opération <a href="https://www.brookings.edu/wp-content/uploads/2016/06/Syrian-Refugees-and-Turkeys-Challenges-May-14-2014.pdf">« Provide Comfort »</a>.</p>
<p>Mais loin de régler la question kurde, cette initiative <a href="https://foreignpolicy.com/2018/09/11/the-u-s-turkey-relationship-is-worse-off-than-you-think/">permet au PKK d’établir sa base arrière en Irak</a>, d’où il entraîne ses recrues et conçoit ses attaques contre la Turquie.</p>
<p>Les Turcs s’inquiètent aussi du soutien et de la protection apportés par les Américains aux Kurdes d’Irak, la superpuissance ayant besoin d’alliés d’opposition à Saddam Hussein sur le terrain. Ce choix des États-Unis alimente le <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2014-1-page-199.htm">« syndrome de Sèvres »</a> des Turcs, c’est-à-dire leur crainte constante que des forces étrangères cherchent à affaiblir leur pays et à mettre à mal son intégrité territoriale. Pourtant, les Américains ne semblent pas entendre cette peur.</p>
<h2>Une défiance croissante envers les États-Unis</h2>
<p>La défiance envers la superpuissance s’accroît encore lors de la guerre en Irak de 2003. Les Turcs s’interrogent : ne risquerait-elle pas de plonger une nouvelle fois la Turquie dans une crise économique, de renforcer les Kurdes et de déstabiliser un pays frontalier ? Mais les Américains ignorent à nouveau les inquiétudes de leur allié ; dès lors, l’opinion publique turque considère la superpuissance comme une <a href="https://www.newamerica.org/fellows/policy-papers/is-the-united-states-losing-turkey/">menace directe à sa sécurité</a>.</p>
<p>Comme Ankara le redoutait, le PKK reprend sa guérilla en septembre 2003 après avoir mis fin unilatéralement au cessez-le-feu en vigueur depuis 1999. Le gouvernement turc alerte les autorités américaines présentes en Irak ; or, Washington ne se résout guère à aider son allié de l’OTAN à faire face à un terrorisme qui la cible.</p>
<p>Il faut attendre 2006 pour que les États-Unis viennent en aide à Ankara après qu’Erdoğan a menacé d’envahir le nord de l’Irak pour régler le problème du PKK. Alors, Washington accepte de partager du renseignement avec son allié sur les bases irakiennes du PKK et autorise Ankara à mener des opérations militaires au nord de l’Irak. Reste que la relative inaction des États-Unis renforce l’idée répandue au pays d’Atatürk que l’intention de la superpuissance est de diviser la Turquie pour établir un Kurdistan, alors que l’inactivité américaine provient de son <a href="https://wikileaks.org/plusd/cables/05ANKARA561_a.html">implication prioritaire dans le chaos irakien</a>.</p>
<h2>L’importance de la « zone tampon » syrienne pour apaiser les tensions</h2>
<p>La Turquie a donc progressivement perdu confiance en son allié américain. Le printemps arabe syrien renforce cette tendance quand, en dépit des promesses formulées par Barack Obama, celui-ci ne s’engage guère en Syrie contre Bachar Al-Assad, n’aide qu’a minima la Turquie à soutenir l’opposition même lorsque le dictateur syrien franchit la ligne rouge américaine en gazant sa population. Washington redoute en effet la radicalisation de l’opposition et souhaite en outre se focaliser sur le « nation building at home », c’est-à-dire sur la politique intérieure américaine.</p>
<p>Les États-Unis n’aident pas non plus la Turquie à instaurer une zone de sécurité au nord de la Syrie afin qu’elle puisse faire face à l’afflux de réfugiés qui arrive massivement dans son pays (ils sont près de <a href="https://edition.cnn.com/2012/04/06/world/europe/turkey-syrian-refugees/index.html">2000 par jour</a> à entrer en Turquie en 2012).</p>
<p>Pis, depuis l’été 2014, Obama décide d’armer et de soutenir le PYD – milice kurde syrienne créée par le PKK en 2005 – face à Daech. Alors même que depuis 2013 la question kurde était en voie de résolution politique en Turquie, elle <a href="https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-l-orient-2018-3-page-35.htm?contenu=resume">redevient une question sécuritaire</a>.</p>
<p>Face à Daech, les Occidentaux somment les Turcs de s’allier aux Kurdes armés, alors qu’une telle coopération menacerait, selon Ankara, l’intégrité territoriale de son pays et la sécurité de ses citoyens. Son refus conduit de nombreux Occidentaux à s’interroger sur la fiabilité de l’allié turc et sur les bienfaits qu’aurait son éventuelle expulsion de l’OTAN. Pour la Turquie, il apparaît alors que cette alliance n’est pas pleinement réciproque : les Occidentaux somment les Turcs de protéger leur sécurité quand eux-mêmes ne cherchent guère à protéger la sienne. D’ailleurs contrairement aux promesses formulées par les Américains, à savoir que le PYD ne s’installera pas aux frontières turques en Syrie et sera repoussé à l’est de l’Euphrate, les milices prennent bel et bien possession de ces villes frontière à l’ouest du fleuve, d’où les interventions militaires turques à Afrin ou à Jarabulus.</p>
<h2>Eloigner les milices kurdes</h2>
<p>Dans ce contexte, on comprend l’importance que revêt la mise en place d’une zone tampon au nord de la Syrie pour Ankara : il s’agit d’assurer sa sécurité en éloignant les milices kurdes de sa frontière afin qu’ils n’établissent ni une base arrière contre la Turquie (comme lors de la guerre du Golfe) ni un Kurdistan qui menacerait son intégrité territoriale.</p>
<p>La question du retour des réfugiés syriens dans leur pays, qui sont environ <a href="https://www.nouvelobs.com/societe/20190816.AFP2541/refugies-le-ras-le-bol-des-pays-voisins-de-la-syrie-apres-8-ans-de-guerre.html">3,6 millions en Turquie</a>, est aussi essentielle.</p>
<p>Tel « Provide Comfort », les Turcs envisagent la zone tampon syrienne comme une zone de sécurité où pourraient s’installer ces réfugiés. Sauf que, contrairement au cas irakien, des Arabes s’installeraient dans des terres kurdes, ce qui affaiblirait la quête autonomiste de ces derniers.</p>
<p>La mise en place de cette zone tampon est également importante pour l’Occident. Elle permettrait de témoigner de sa solidarité envers la Turquie, au risque que celle-ci ne décide de quitter à terme une alliance qu’elle estimerait ne guère la protéger. Pour l’Amérique, victime de son <a href="http://www.theses.fr/2019USPCA051">« complexe iranien »</a>, l’enjeu est d’éviter que l’État pivot turc, tel l’Iran en 1979, passe du statut de meilleur ami au Moyen-Orient à celui d’ennemi.</p>
<p>Ne tente-t-elle pas déjà de chercher des alternatives du côté de la Russie ? Ne menace-t-elle pas de ne plus contenir les réfugiés souhaitant se rendre en Europe si une zone de sécurité n’est pas créée ?</p>
<h2>Reconstitution d’un partenariat stratégique</h2>
<p>En raison de l’ancienneté des contentieux entre les États-Unis et la Turquie autour de la question kurde, reconstruire la confiance sera sans doute une entreprise de longue haleine et la zone tampon ne saurait être suffisante à cette fin.</p>
<p>D’ailleurs si sa mise en place constituerait une étape majeure vers la reconstitution de ce partenariat stratégique, elle acterait sans doute, en cas d’échec, la fin de l’alliance entre la Turquie, les États-Unis et l’Europe et menacerait, par voie de conséquence, l’intégrité de l’OTAN – alliance au demeurant déjà fortement fragilisée par des différends transatlantiques.</p>
<p>Il faut dire que la dégradation entre les trois acteurs ne peut être comprise qu’au travers du prisme de la question kurde : la crise que traverse la relation triangulaire est structurelle et trouve son origine dans l’<a href="http://www.theses.fr/2019USPCA051">affaiblissement de l’ordre libéral international</a>.</p>
<p>La question kurde n’est donc qu’un symptôme – certes majeur – de cette relation triangulaire déliquescente. Mais elle pourrait désormais briser cette alliance sécuritaire.</p>
<p>L’Europe ne condamne-t-elle pas la décision de Trump et l’attaque turque ? <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/syrie/offensive-turque-en-syrie-la-france-condamne-et-saisit-le-conseil-de-securite-de-l-onu-6557038">La France n’a-t-elle pas saisi</a> le conseil de sécurité de l’ONU contre les agissements d’un allié de l’OTAN ? Un corridor de la paix pourra-t-il dans ces conditions voir le jour ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/123474/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Margaux Magalhaes ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une « zone tampon » de sécurité en Syrie est essentielle mais le revirement de Trump risque de compromettre durablement les relations entre la Turquie, l’UE et les États-Unis.Margaux Magalhaes, Enseignante chercheuse , Sciences Po LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1228032019-09-02T18:04:03Z2019-09-02T18:04:03ZLes accents chiraquiens de la diplomatie d’Emmanuel Macron<p>Les hommages rendus à Jacques Chirac après <a href="https://theconversation.com/jacques-chirac-un-bulldozer-en-politique-63283">sa disparition</a> ont mis en avant plusieurs moments forts de sa <a href="https://theconversation.com/pourra-t-on-en-politique-etrangere-faire-du-chiraquisme-sans-chirac-124317">politique étrangère</a>. </p>
<p>Quelques jours plus tôt, la séquence de politique étrangère française de cette rentrée 2019 avait été dense, et se prêtait en effet à la comparaison. A commencer par l’accueil de Vladimir Poutine au fort de Brégançon, un Poutine qui s’était opposé à la guerre irakienne aux côtés de l’ancien président français. Il en salue d’ailleurs la mémoire aujourd’hui, <a href="http://www.lefigaro.fr/flash-actu/mort-de-jacques-chirac-poutine-salue-un-dirigeant-sage-et-visionnaire-20190926">en soulignant</a> un homme «sage et visionnaire» qu’il a admiré.</p>
<p>Le sommet du G7 à Biarritz avec également été marqué par la visite surprise du ministre iranien des Affaires Etrangères Mohammad Javad Zarif, un Iran avec lequel Jacques Chirac appela au « dialogue critique » plutôt qu’à la confrontation. </p>
<p>Des noms d’oiseau furent échangés entre les présidents français et brésilien sur fond d’Amazonie en feu, qui ne pouvaient pas ne pas être mis en parallèle avec la <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2004/09/20/jacques-chirac-et-lula-veulent-un-impot-mondial-contre-la-faim_379757_1819218.html">complicité passée</a> entre Jacques Chirac et un autre président brésilien, Lula, aujourd’hui en prison.</p>
<p>Et pour finir, un discours présidentiel fleuve et choc d’Emmanuel Macron lors de la désormais traditionnelle conférence des Ambassadeurs, avec, entre bien d’autres choses, un appel à revoir la relation avec la Russie, malgré les oppositions pressenties d’un « Etat profond » au sein de l’appareil diplomatique : ce souvent les mêmes observateurs qui, après s’être insurgés contre l’emploi de cette expression, marquent aujourd’hui leurs distances dans les hommages adressés à l’action chiraquienne de politique étrangère. Deux ans plus tôt, en 2017, Emmanuel Macron avait annoncé « Avec moi, ce sera la fin d’une forme de néoconservatisme importée en France depuis dix ans ». Dix ans, c'est-à-dire… depuis que Jacques Chirac a quitté l’Elysée.</p>
<p>Le « parler-vrai » et l’appel à la réforme du <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2019/08/27/discours-du-president-de-la-republique-a-la-conference-des-ambassadeurs-1">discours d’Emmanuel Macron devant les ambassadeurs</a> pourrait évoquer une fibre rocardienne, y compris dans une certaine noirceur autocritique : « Sinon, nous tombons », « alors, ce sera l’effacement », la Russie a « retrouvé des marges de manœuvre par nos faiblesses », « l’Allemagne a une pensée […] plus efficace et stratégique que nous », etc.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/p6SzTQZwVLM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Mais pour plusieurs raisons, c’est d’abord <a href="https://www.lepoint.fr/politique/emmanuel-macron-s-est-il-chiraquise-28-08-2019-2332085_20.php">un parallèle avec la période chiraquienne qui vient à l’esprit</a>, y compris dans sa longue plage de cinq ans (1997-2002) marquée par le tandem Chirac-Védrine (sous le gouvernement Jospin de cohabitation). On entendrait presque, dans certaines phrases, la tonalité brève et tranchante des formules védriniennes (« On ne va pas reprocher aux Chinois d’avoir été intelligents, on peut se reprocher d’avoir été stupides »).</p>
<p>Une partie de l’entourage élyséen ne cache d’ailleurs pas son admiration pour la diplomatie chiraquienne, dont l’épisode irakien (2002-2003) reste considéré par certains comme l’un des derniers grands moments de la politique étrangère française de l’« ancien monde ». Le discours du 27 août fait plusieurs mentions à cette période, comme étant la dernière en date à avoir été éclairée :</p>
<blockquote>
<p>« Je suis parfois revenu dans des pays qui n’avaient plus été visités par des présidents depuis 15, 20 ans. C’est fou ! »</p>
</blockquote>
<p>Ou, à propos des Balkans :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai fait au mois de juillet un déplacement en Serbie […]. Je crois que la dernière visite présidentielle datait de 2001. C’est fou ! »</p>
</blockquote>
<p>Les comparaisons pertinentes avec la politique étrangère chiraquienne sont en effet nombreuses, sur cette séquence de la fin du mois d’août. Pour autant, le contexte est bien entendu différent, pour avoir évolué considérablement depuis « 15, 20 ans », justement. Retrouver les audaces du chiraco-védrinisme est donc pertinent à condition d’en tirer les leçons pour la période actuelle.</p>
<h2>Tradition universaliste et dialogue critique</h2>
<p>De Jacques Chirac, on retrouve d’abord la reconquête de la popularité par la politique étrangère. Le bilan chiraquien en la matière avait séduit jusqu’aux auteurs les plus critiques de gauche, comme Pierre Péan dans son <a href="https://www.fayard.fr/documents-temoignages/linconnu-de-lelysee-9782213631493">« L’inconnu de l’Élysée »</a> (2007).</p>
<p>On insistait alors sur plusieurs qualités : l’ouverture sur le monde extra-occidental (partenariats stratégiques avec l’Inde et la Chine en 1998, passion pour les Orients, l’Afrique, etc.), la prise en compte d’un nouvel agenda global humaniste (environnement, diversité culturelle…), le volontarisme (depuis la guerre yougoslave en 1995 jusqu’à la guerre irakienne de 2003), même au prix d’une brouille assumée avec certains acteurs (Milosevic, Bachar Al-Assad après l’assassinat de Rafic Hariri). Et en même temps – si l’on ose dire – le choix de parler à tout le monde, et non uniquement avec les partenaires avec lesquels on est en accord, dans un cadre multilatéral si possible (on se souvient de l’insistance chiraquienne sur le rôle des Nations unies dans la crise irakienne).</p>
<p>Sur beaucoup de ces points, la geste et le discours macroniens, depuis 2017 et tels que réitéré cet été, s’y retrouveraient parfaitement :</p>
<ul>
<li><p>La critique d’une certaine mondialisation destructrice d’humanisme refait surface ;</p></li>
<li><p>la relativisation de l’Occident, pressentie par Jacques Chirac, est maintenant explicite (« Nous sommes sans doute en train de vivre la fin de l’hégémonie occidentale sur le monde ») ;</p></li>
<li><p>la nécessité de prendre acte des bouleversements mondiaux, dans un <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/documents/livres-politiques/mon-combat-pour-la-paix_9782738119858.php">« combat pour la paix »</a>, nécessitant l’impératif de mouvement (pour reprendre une formule chère à Dominique de Villepin lorsqu’il était au quai d’Orsay), se retrouve aussi. Ainsi que le choix du multilatéralisme, répété à l’envi comme l’un des leitmotivs principaux de cette politique étrangère.</p></li>
</ul>
<p>La nécessité de parler à tout le monde, à commencer par la Russie, mais aussi l’Iran – Jacques Chirac opposait la méthode du « dialogue critique » à celle, néoconservatrice, de l’exclusion – s’illustre particulièrement, avec les visites estivales de Poutine et de Zarif. La surprise étant, dans le deuxième cas, l’assentiment obtenu d’un président américain pourtant peu maniable en la matière. Cette ouverture au dialogue, comme sous Chirac, n’exclut pas la désignation frontale de l’adversaire : Bolsonaro a « menti », Orban ne peut incarner un projet pour l’Europe.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/EiI3V8MuYTQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Le combat chiraquien pour le développement, la diversité culturelle, les biens communs comme l’environnement, l’éducation ou la santé (avec à l’époque des projets comme <a href="https://unitaid.org/">Unitaid</a>), reste ou revient à l’ordre du jour : sommet « One Planet », dont la France a pris l’initiative avec l’ONU et la Banque mondiale ; Alliance solaire internationale organisée avec l’Inde ; agenda de Ouagadougou prévoyant notamment la restitution des œuvres d’art…).</p>
<p>La célèbre formule <a href="https://www.ina.fr/video/2090725001027">« notre maison brûle et nous regardons ailleurs »</a> (Johannesburg, 2002), sur l’environnement, a même été reprise par l’actuel président. Même la tension sous contrôle avec Washington, dans une étrange dialectique du « je t’aime, moi non plus », rappelle l’ambiguïté des années 2000, lorsque les deux pays s’affrontaient durement sur certains dossiers tout en maintenant une coopération étroite sur d’autres (comme le renseignement et la lutte antiterroriste). C’est encore l’« amis, alliés, mais pas alignés » de Hubert Védrine.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/W8vLbhbID1I?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<h2>Un contexte différent</h2>
<p>Il n’aura échappé à personne néanmoins – et certainement pas à Emmanuel Macron, à Hubert Védrine, ni à nos diplomates – que les temps ont changé – ce qui limite nécessairement la comparaison, au moins en partie. D’abord parce qu’un certain nombre de chantiers qui apparaissaient comme des opportunités pour un « brave nouveau monde » sont vus aujourd’hui comme des menaces.</p>
<p>Jacques Chirac tendait la main à la Chine, mais celle-ci n’avait pas la puissance qu’elle a aujourd’hui, qui peut se faire menaçante, comme à Hong Kong. Le partenariat stratégique avec l’Inde, trop longtemps sous-estimé, était à imaginer, et reste à cultiver, mais désormais avec un parti nationaliste au pouvoir qui rallume le <a href="https://theconversation.com/crise-au-cachemire-quelles-consequences-pour-lasie-du-sud-122442">baril de poudre cachemiri</a> et semble exclure les musulmans de l’identité nationale.</p>
<p>La Russie, alors convalescente, demeurait, comme aujourd’hui, un élément clef du paysage stratégique européen avec lequel il est dangereux de rompre le dialogue, mais c’était avant la Géorgie (2008), l’Ukraine et la Crimée (2014), la Syrie (2015), Russia Today, Sputnik ou les trolls.</p>
<p>Le Brésil était celui de Lula. Les États-Unis néoconservateurs étaient déjà porteurs d’instabilité (comme Jacques Chirac le dit sans ambages à plusieurs reprises), remettaient déjà en cause le multilatéralisme en voulant transformer l’ONU en chambre d’enregistrement de la politique étrangère américaine, mais la question posée était celle de leur « hyperpuissance », non pas de la relativisation de celle-ci face à de nouveaux hubris concurrents.</p>
<p>Surtout, l’Europe, certes déjà pleine de lacunes, n’avait pas encore connu la remise en cause des années 2010, qui la verrait exploser sur la crise des réfugiés ou se diviser sous les coups des progrès populistes. Tony Blair, Silvio Berlusconi et José Maria Aznar, opposés à Jacques Chirac sur l’affaire irakienne, n’étaient pas Matteo Salvini ni Viktor Orban.</p>
<p>Sur le Royaume-Uni, comme Jacques Chirac qui n’imaginait aucune situation où « les intérêts vitaux de l’un [des deux pays] pourraient être menacés sans que ceux de l’autre soient aussi menacés », Emmanuel Macron estime « indispensable que nous continuions à penser notre souveraineté avec la Grande-Bretagne ». Mais entre-temps il y eut le Brexit. Angela Merkel est encore là, mais en fin de règne.</p>
<p>La liste est longue, des paramètres qui ont changé. Le retour aux fondamentaux de ce que pourrait être l’ADN d’une identité de politique étrangère française dans le monde est sans doute pertinent. À cet égard, le carré Europe-multilatéralisme-humanisme-indépendance paraît raisonnable. La synthèse macronienne du 27 août – « L’esprit français, c’est un esprit de résistance et une vocation à l’universel » – aussi. Le problème est de décliner ces principes en autant de politiques sectorielles efficientes sur des dossiers précis et complexes.</p>
<p>Sur ce point comme sur d’autres, des leçons, dans le sens d’un inventaire, peuvent aussi être tirées de la période chiraquienne.</p>
<h2>Quelles leçons du chiraquisme en matière de politique étrangère ? Trois risques d’impasse</h2>
<p>Si la politique étrangère de Jacques Chirac a été jugée vertueuse par la plupart des analystes, elle n’en était pas pour autant exempte de limites, qui se donnent à voir sous la forme de quelques dilemmes.</p>
<p>Le premier dilemme se situe entre le discours et les actes. Trop d’effets d’annonce nuisent à la crédibilité. Le syndrome a surtout frappé d’autres présidences, comme celle de Barack Obama (réflexion sur les armes nucléaires, « reset » avec la Russie, main tendue au monde musulman, engagement des puissances du Sud…), ou même, en France, celle de Nicolas Sarkozy (réforme du capitalisme mondial, Union pour Méditerranée…) ou de François Hollande (deux conférences sans résultats sur la paix au Proche-Orient).</p>
<p>Mais la période chiraquienne a eu aussi ses projets inachevés, depuis le traité d’amitié franco-algérien jusqu’à une nouvelle politique arabe (annoncée à l’université du Caire en 1996) introuvable dans un monde arabe divisé. L’opposition à la guerre américaine en Irak n’a pu donner lieu à aucune solution alternative, ni l’engagement pour le Liban ou la paix au Proche-Orient, à aucune solution française.</p>
<p>Les discours étaient pourtant réussis. Mais la multiplication des discours ambitieux suscite l’évaluation ultérieure des réalisations. Paradoxalement, le discours réussi de politique étrangère peut donc se transformer en piège : c’est le fameux « expectations-capability gap », c’est-à-dire des attentes trop suscitées, qui seront ensuite déçues. Ce n’est certainement pas une raison pour renoncer aux bons discours, qui restent dans les mémoires et contribuent à la lisibilité d’une politique étrangère. Mais cela incite à y insuffler une dose de réalisme supplémentaire.</p>
<p>Cela nous amène directement à un second fossé, relativement lié au premier : celui qui peut se faire jour entre le volontarisme et les moyens. Comme les <a href="https://www.amazon.fr/politique-%C3%A9trang%C3%A8re-Jacques-Chirac/dp/2360131397">études sur cette période</a> l’ont souligné, Jacques Chirac s’est signalé par son volontarisme de politique étrangère – qu’il s’agisse de changer la donne balkanique dès son accession au pouvoir en 1995 (avec la <a href="https://www.lepoint.fr/monde/le-jour-ou-les-casques-bleus-francais-se-sont-rebiffes-22-07-1995-8571_24.php">reprise du pont de Vrbanja</a> par les soldats français), de reprendre les essais nucléaires français dans le Pacifique malgré le moratoire mitterrandien de 1992, de bousculer le jeu proche-oriental à <a href="https://www.ina.fr/video/CAB96053369">Jérusalem-Est</a> ou après les <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/relations-internationales/operation-raisins-de-la-colere/">bombardements israéliens de Cana au Liban</a> en 1996.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/IvXO6sbiN_U?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Emmanuel Macron ne manque pas non plus de volontarisme, en essayant de rapprocher les protagonistes libyens, de reprendre le dialogue avec Moscou, de déminer le terrain iranien, d’inciter Donald Trump à la modération dans sa guerre commerciale avec Pékin, de dénoncer le traitement amazonien de Bolsonaro, ou dans bien d’autres dossiers. Mais chaque fois, la question posée est celle des moyens.</p>
<p>Avec une tendance toujours à la baisse en argent et en personnels pour le quai d’Orsay (comme le confirme récemment un <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences-humaines/sciences-politiques/diplomatie-francaise_9782738144836.php">ouvrage bilan sur la question</a>), la question d’une politique étrangère ambitieuse se pose cruellement. Les discours les plus talentueux, les intentions les plus louables, pour utiles qu’ils soient, se heurtent à l’interrogation : « combien de divisions ? » (ou d’argent mis dans la balance). La France de Chirac ne pouvait financer la reconstruction du Liban, celle de Macron ne saurait faire jeu égal avec les moyens américains et chinois.</p>
<p>Enfin, la popularité garantit-elle l’influence ? L’affectif se transforme-t-il en puissance ? Populaire, Jacques Chirac l’était assurément dans plusieurs régions du monde, à commencer par la Méditerranée. Il était fêté dans les rues du Caire après sa position dans la guerre irakienne, ou dans celles de Bab el Oued lors de sa visite en 2001. Affectif, il l’était également, consulté en priorité par plusieurs leaders arabes, intime de Rafic Hariri, de Hassan II au Maroc, ou de Yasser Arafat. Proche ami de beaucoup d’autres. C’était mieux pour le pays qu’un président qui eut été détesté partout, et écouté de personne.</p>
<p>Pour autant, la France n’a pu prendre de grande initiative diplomatique franco-arabe, ni éviter des guerres qu’elle aurait tant voulu éviter. Les mêmes foules qui célébraient l’opposition française à la guerre américaine de 2003 défilaient quelques mois plus tard devant les ambassades de France, pour protester contre la loi sur le voile musulman. Ainsi va l’opinion publique : elle est volatile, et il est difficile de bâtir une politique sur son soutien.</p>
<p>Dans un style fort différent, et qui n’est pas réputé pour être aussi empathique, Emmanuel Macron est lui aussi populaire dans certains cercles à l’étranger, et a su recréer une demande de France. Chez les pro-européens, les démocrates libéraux, les partisans du multilatéralisme éclairé, il incarne un espoir. Il restera à le transformer en biens livrables.</p>
<p>Au final, sans conclure à une similitude entre les politiques étrangères respectives de Jacques Chirac et d’Emmanuel Macron (similitude rendue bien difficile par les changements qui ont affecté le monde ces dernières années), des parallèles intéressants s’imposent. A la fois pour comprendre les continuités et plaider pour certaines ruptures, la comparaison est utile.</p>
<p>Elle permet de déceler un retour à des fondamentaux, qui ne doivent pas pour autant valoir persistance dans certains travers bien ancrés. La disparition de Jacques Chirac va-t-elle inciter son successeur aujourd’hui hôte de l’Elysée, à se rapprocher plus encore d’une recette dont on voit aujourd’hui qu’elle se révèle gagnante au regard de l’histoire, comme de la popularité politique ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/122803/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédéric Charillon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une partie de l’entourage élyséen ne cache pas son admiration pour la diplomatie chiraquienne, notamment pour sa gestion de l’épisode irakien en 2002-2003. Mais le contexte international a changé.Frédéric Charillon, professeur de science politique, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1202622019-07-11T21:35:17Z2019-07-11T21:35:17ZLes démocrates tétanisés face à l’insolente réussite économique de Donald Trump<p>Qui aurait pu penser, le 8 novembre 2016, que le candidat milliardaire venant d’être élu à la Maison Blanche allait réussir à déployer une politique économique si solide qu’elle en deviendrait son meilleur argument de campagne pour une éventuelle réélection ?</p>
<p>Pourtant, lors de sa première campagne électorale, en 2015-2016, Donald Trump s’était contenté de parler de son expérience de businessman, en assurant que cela suffirait pour faire une politique et qu’il n’avait pas besoin d’indiquer dans le détail où il porterait ses efforts. Il a donc joué cette carte plutôt osée et proposé à ses compatriotes de renouer avec le « rêve américain », du moins avec sa propre version de ce rêve, à travers des <em>punchlines</em> fracassantes :</p>
<blockquote>
<p><a href="https://www.24heures.ch/monde/caucus-iowa-ted-cruz-lemporte-cote-republicain/story/20519428">« Vous allez tellement gagner avec moi que vous en aurez marre de gagner. »</a></p>
<p><a href="https://www.nouvelobs.com/topnews/20170111.AFP5128/trump-dit-qu-il-sera-le-plus-grand-createur-d-emplois-que-dieu-ait-cree.html">« Je serai le plus grand créateur d’emploi que Dieu ai jamais créé. »</a></p>
</blockquote>
<p>Cela faisait rire à l’époque. Donald Trump était moqué. Aujourd’hui, plus personne ne rit.</p>
<h2>Croissance, délocalisations : des promesses à la réalité</h2>
<p>Les marchés financiers ont, pour leur part, immédiatement salué l’élection de Donald Trump en novembre 2016 ou, plus exactement, <a href="https://www.lejdd.fr/Economie/Trump-elu-les-bourses-mondiales-s-effondrent-823195">ils ont manifesté leur soulagement après une forte période d’incertitude</a>. Comme cela se passe très souvent après une forte tension, le mouvement est parti très vite en sens inverse, et l’embellie économique s’est rapidement transformée en euphorie.</p>
<p>C’est l’attitude de Donald Trump qui a entraîné cette vague plus que surprenante d’après-élection, en créant le mythe qui manquait lors sa campagne. Le 29 novembre 2016, alors que Trump n’avait pas encore officiellement pris ses fonctions, l’Amérique éberluée apprenait dans un de ses tweets que le nouveau Président avait déjà <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/amerique-nord/trump-menace-de-consequences-les-entreprises-qui-quittent-les-etats-unis_1856261.html">sauvé 1400 emplois</a> : l’entreprise Carrier, qui fabrique des chaudières à Huntington, près d’Indianapolis, confirmait en effet qu’elle renonçait <a href="https://www.wsj.com/articles/carrier-corp-agrees-to-keep-about-1-000-jobs-at-indiana-plant-1480469875">à délocaliser sa production</a>.</p>
<p>Dix jours plus tôt, Trump assurait déjà avoir convaincu Ford de renoncer à délocaliser au Mexique son usine de Louisville (Kentucky), après avoir multiplié les menaces contre le constructeur américain, promettant notamment de taxer les voitures à hauteur de 40 % à l’entrée aux États-Unis <a href="https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/automobile/pourquoi-l-industrie-automobile-americaine-ne-doit-pas-craindre-donald-trump-615326.html">si Ford persistait à vouloir construire une usine de l’autre côté du Rio Grande</a>.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/trois-cles-pour-comprendre-le-phenomene-trump-68118">Trois clés pour comprendre le phénomène Trump</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Ces deux événements ont permis au nouveau président de vanter son plan de patriotisme économique et d’insister sur la relocalisation attendue des entreprises, tout en dénonçant les accords de libre-échange, notamment celui en vigueur avec le Mexique.</p>
<p>Le monde de la finance a considéré qu’il était en réalité un homme pragmatique et responsable. La dynamique boursière s’est alors orientée clairement à la hausse et les <a href="https://www.boursorama.com/bourse/actualites/effet-trump-quel-impact-sur-les-taux-et-la-bourse-30b76c16fe56936a5aac504749cfc94a">marchés lui ont donné leur confiance</a>. Ils se sont mis à croire, à leur tour, en un avenir où se conjugueraient reprise de la consommation et de la croissance avec le retour des emplois. Ses promesses de relance de l’investissement public et de diminution des impôts, ainsi que les annonces répétées concernant l’assouplissement de la régulation financière ont – semble-t-il – fini de convaincre les plus sceptiques. Au fil des mois, le <a href="https://www.la-croix.com/Economie/Monde/Wall-Street-dope-leffet-Trump-bilan-dObama-2017-01-26-1200820288">Dow Jones a battu des records absolus et continue à en battre aujourd’hui</a>.</p>
<p>Le 3 décembre 2016, c’est une tempête de tweets <a href="https://twitter.com/realdonaldtrump/status/804884532671430658">qui s’est abattue sur l’Amérique</a> et Donald Trump a vigoureusement mis en garde les entreprises américaines contre toute délocalisation à l’étranger, visant plus particulièrement le <a href="https://www.rexnord.com/home">groupe Rexnord</a>, qui voulait déménager son usine d’Indianapolis et ses 300 employés.</p>
<p>C’est bien à ce moment précis que la légende de Donald Trump s’est établie. L’opinion en a gardé l’impression que son intervention était magique et que son pouvoir de persuasion était illimité. « Il peut tout », « ça va changer », « ils ont peur de lui » sont quelques-unes des réactions qui ont été enregistrées et relayées par les journalistes dans leurs très nombreux reportages de l’époque.</p>
<p>Dès lors, aux yeux de beaucoup, conformément à ses promesses, ce président allait pouvoir rapatrier emplois et capitaux aux États-Unis. Au bout de six mois de mandat, les Américains semblaient penser que Trump avait déjà réussi puisqu’ils étaient 69 % à déclarer que le pays se portait bien et qu’ils avaient <a href="https://www.cbsnews.com/news/trumps-approval-ratings-remain-low-while-his-ratings-on-economy-rise/">confiance que cela allait continuer ainsi</a>. Pourtant, sa cote personnelle ne bougeait pas.</p>
<h2>Une réforme fiscale menée au pas de charge</h2>
<p>Au même moment, les entreprises annonçaient <a href="https://www.cnbc.com/2017/12/20/tax-reform-reaction-att-is-giving-bonuses-to-200000-employees.html">des bonus très généreux</a> vis-à-vis de leurs employés : parfois jusqu’à 1 000 dollars par personne. Mais, paradoxalement, la cote de popularité du président ne bougeait toujours pas.</p>
<p>La grande réussite de Donald Trump a été indéniablement de pouvoir conduire une réforme fiscale en quelques mois à peine : en moins d’un an, il a ainsi pu imposer et faire voter ses propositions de baisses massives des impôts, tant pour les entreprises – dont le taux d’imposition a été ramené de 35 à 21 % – que pour les ménages.</p>
<p>Ces baisses d’impôts, décidées en un temps record dans le cadre de la plus grande réforme fiscale jamais menée aux États-Unis, ont fait extrêmement peur aux démocrates, car son impact politique pouvait se révéler destructeur : <a href="https://www.vox.com/policy-and-politics/2018/7/11/17560704/tax-cuts-rich-san-francisco-fed">« Les baisses concernant l’impôt sur le revenu bénéficient en priorité aux plus riches »</a>, ont alors claironné les opposants à Donald Trump. Et d’insister sur le fait que ce sont eux, les riches, qui payant le plus d’impôt seraient le plus impactés par la baisse annoncée.</p>
<p>Trump a donc fait un pari fou, espérant ainsi doper la croissance au-delà des 3 %. Adoptée formellement par le Congrès, le 19 décembre 2017, la réforme fiscale a été le « <a href="https://edition.cnn.com/videos/politics/2017/11/02/trump-tax-cuts-christmas-ip-sot.cnn">plus beau cadeau de Noël qui soit pour les Américains », selon la formule trouvée par le président des États-Unis lui-même</a>, transformée en maxime, tweetée et retweetée.</p>
<h2>Des démocrates inaudibles</h2>
<p>Il est vrai que cette réforme était particulièrement ambitieuse, prévoyant une baisse des impôts de <a href="https://www.lapresse.ca/affaires/economie/etats-unis/201712/19/01-5147660-etats-unis-la-baisse-dimpots-adoptee-au-senat.php">quelque 1 456 milliards de dollars</a>. Les démocrates se sont empressés de critiquer ce trou dans le budget, qui alourdit immanquablement la dette du pays et qu’il faut assumer sur la période 2018-2027. Mais qu’est-ce que la dette nationale pour un Américain moyen dans son quotidien ? Les démocrates sont vite devenus inaudibles sur ce sujet.</p>
<p>Des spécialistes de l’économie sont certes montés en première ligne pour expliquer qu’en raison des contraintes structurelles liées au vieillissement de la population, d’une main-d’œuvre de plus en plus réduite et d’une croissance de la production ralentie, il serait très difficile, voire impossible, d’atteindre l’objectif de 3 %, ou encore des 4 % de croissance du PIB évoqué par Donald Trump. En effet, les baisses d’impôts risquaient de provoquer, à très court terme, une hausse des taux d’intérêt et une relance de l’inflation, qui ralentiraient alors mécaniquement la croissance du pays.</p>
<p>Les anti-Trump ont retenu que les baisses d’impôts risquaient de ne pas être si bonnes que cela pour l’économie. Et le Parti démocrate a persisté dans sa stratégie à combattre les réformes engagées par Donald Trump en jouant sur l’émotion, grandement aidé par des économistes de renom n’adhérant pas aux solutions préconisées par le 45<sup>e</sup> président. Ainsi, l’économiste et prix Nobel Paul Krugman avait signé une tribune dans le <em>New York Times</em> dès le 9 novembre 2016, dans laquelle il prédisait une récession à venir <a href="https://www.nytimes.com/interactive/projects/cp/opinion/election-night-2016/paul-krugman-the-economic-fallout">dans les prochains mois</a>, causée par Donald Trump et sa politique.</p>
<h2>C’est toujours l’économie, idiot !</h2>
<p>Ce faisant, ils ont tous joué un jeu dangereux car la liste des promesses tenues par Donald Trump n’a cessé de s’allonger et a mis dans l’embarras ses opposants les plus virulents. Et peu à peu, de plus en plus d’Américains se sont dit que Trump <a href="https://www.20minutes.fr/monde/1659691-20150730-donald-trump-troll-terrorise-republicains">n’était pas simplement un clown</a>, comme on le leur avait répété pendant des mois, mais qu’il développait un programme, d <a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2013-2-page-105.htm">‘abord emprunté au <em>Tea Party</em></a>, <a href="https://baripedia.org/wiki/La_r%C3%A9action_conservatrice_aux_%C3%89tats-Unis_:_1980_-_2000,_vers_une_soci%C3%A9t%C3%A9_polaris%C3%A9e">avant d’être calqué sur celui des groupes conservateurs et des évangéliques</a>. Mois après mois, les chiffres n’ont cessé de s’améliorer, bluffant tous ses opposants.</p>
<p>De fait, son plan à base de dérégulations, de baisses massives d’impôts et des charges et de réindustrialisation a fonctionné : plus de cinq millions d’emplois ont été créés dans les deux années qui ont suivi son élection, dont encore <a href="https://investir.lesechos.fr/marches/actualites/les-etats-unis-ont-cree-224-000-emplois-en-juin-plus-que-prevu-160-000-selon-bloomberg-le-taux-de-chomage-a-3-7-pas-de-poussee-des-salaires-3-1-sur-un-an-1860034.php">244 000 le mois dernier (alors que les analystes tablaient encore sur 160 000)</a>. Le chômage est tombé en dessous de 4 %, soit le plein-emploi. Un tel résultat n’avait pas été enregistré depuis la fin des années 1960 aux États-Unis.</p>
<p>Donald Trump a aussi, entre-temps, renégocié l’ALENA, le traité de libre-échange entre le Canada, les États-Unis et le Mexique, pour le remplacer <a href="https://www.letemps.ch/economie/mexique-ratifie-nouveau-traite-libreechange-nordamericain">par l’USMCA</a>, un traité qui donne quelques avantages supplémentaires à son pays, certes limités, mais bien suffisants pour le faire apparaître comme un vainqueur.</p>
<p>Les chiffres de la croissance sont dans le vert aujourd’hui. Le PIB augmente plus que les analystes ne le prévoyaient pour atteindre 3,5 % en 2018, après une année précédente à 1,2 %. Il faut donc croire que Trump a réussi à relever son défi. Au second semestre de 2018, l’embellie a été telle que la croissance avait même atteint 4,3 % au second trimestre, faisant taire toutes les critiques sur les « maigres capacités » en matière économique de Trump.</p>
<p>Les démocrates ont alors changé de sujet et se sont plus avantageusement repositionnés sur le terrain de la morale et des valeurs, qui leur a donné de nombreuses occasions de faire éclater leur courroux. Ils ont beaucoup reparlé du Trump « scandaleux », « brouillon », « incompétent », qui dégraderait la fonction présidentielle… On a aussi beaucoup reparlé de ses tweets.</p>
<h2>Toujours l’économie… mais pas seulement</h2>
<p>La grande peur de tous les candidats démocrates alignés sur la ligne de départ dans la course à la présidentielle est pourtant bien de se retrouver écrasés par les questions économiques.</p>
<p>On ne le sait que trop : les ménages regardent d’abord leur pouvoir d’achat. L’économie est devenue un épouvantail dans cette campagne, que tous les observateurs surveillent en sachant qu’il s’agit bien du point fort de Donald Trump, lui permettant potentiellement d’être réélu pour un second mandat. Même le <em>Washington Post</em> ou le <em>New york Times</em> s’y mettent avec les mêmes inquiétudes exprimées dans leurs pages sur le sort du camp démocrate.</p>
<p>Or l’hôte de la Maison Blanche n’en a pas l’air aussi convaincu qu’eux. Déjà en 2018, avec des chiffres aussi bons qu’aujourd’hui, Trump a choisi de pousser l’immigration comme premier thème de campagne. Cela a beaucoup surpris. Et il recommence aujourd’hui. En fin politicien, il sait que Barack Obama n’a pas été élu en 2008 puis réélu en 2012 pour ses promesses puis ses résultats économiques. Le premier président noir a soufflé un vent d’espoir avec son slogan sur toutes les lèvres en 2008 : « Yes we can ». Rien à voir avec l’économie. George W. Bush a quant à lui été réélu grâce à l’élan patriotique suscité par les attentats du 11 septembre 2001. L’économie, là encore, n’a pas joué le moindre rôle.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/OiskE1Jsr6A?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Ainsi, le vote est une construction subtile, qui ne s’adosse pas à une thématique unique, fut-elle économique. C’est bien ce qu’on appelle de la politique et que les uns et les autres ont laissé de côté pendant ces deux dernières années, aveuglés par le trumpisme, l’anti-trumpisme, et l’économie.</p>
<h2>Des électeurs qui attendent autre chose</h2>
<p>Donald Trump semble à première vue bien placé pour gagner : il doit bien entendu parvenir à conserver jusqu’au bout le noyau dur de son électorat, qui se situe autour de 45 %, pour espérer aller chercher des indécis et passer la barre qui lui permettra d’être devant dans chacun des États qu’il convoitera en 2020, selon les règles électorales américaines. N’importe quel observateur admettra que c’est là quelque chose qui est largement à sa portée.</p>
<p>Mais pas grâce à l’économie ! Car, si on y songe un instant, ce n’est pas tant sur le terrain économique qu’il pourra faire la différence et gagner ces quelques points qui lui manquent : les résultats sont déjà là, et sa cote continue à invariablement stagner depuis de très long mois.</p>
<p>C’est donc bien que les électeurs qu’il lui faut séduire attendent autre chose. Tout le travail reste à faire, pour lui, comme pour les démocrates. Mais un constat semble d’ores et déjà s’imposer : ce n’est pas l’économie qui fera perdre ou gagner cette élection 2020.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/120262/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Éric Branaa ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La liste des promesses tenues par Donald Trump n’a cessé de s’allonger, mettant et dans l’embarras ses opposants démocrates les plus virulents.Jean-Éric Branaa, Maître de conférences politique et société américaines (Paris 2 Panthéon-Assas), Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1187462019-06-13T23:43:44Z2019-06-13T23:43:44ZLes États-Unis et le Royaume-Uni : « une relation spéciale » sous la menace du Brexit<p>En organisant le référendum de juin 2016, les Britanniques ne s’imaginaient certainement pas qu’ils se condamnaient à une négociation très dure connue sous le nom de « Brexit », pour tenter de régler les détails du retrait de l’Union européenne (UE). Theresa May a ajouté son nom au nombre des <a href="https://www.franceinter.fr/monde/apres-la-demission-de-theresa-may-ce-qui-va-ou-ne-va-pas-se-passer">victimes de ces négociations</a> qui traînent vraiment en longueur, au point que l’on peut douter <a href="https://theconversation.com/le-brexit-aura-t-il-jamais-lieu-114157">que cette sortie se fera un jour</a>.</p>
<p>Aux États-Unis, on se demande comment aborder ce Brexit. Le divorce semble si difficile que les plus enclins à l’encourager sont maintenant beaucoup plus hésitants, en dehors du président américain, qui persiste à y voir un <a href="https://www.nytimes.com/2018/07/13/us/politics/brexit-donald-trump-political-movement-.html">événement anti-<em>establishment</em></a>. Lequel n’est pas sans lui rappeler sa propre élection, quelques mois plus tard, fin 2016. Toutefois, même dans son camp, on commence à craindre que les conséquences n’atteignent également les États-Unis, et pas forcément en bien.</p>
<p>Que se passera-t-il en effet si les Grand-Bretons sortent trop brutalement de l’Union européenne ?</p>
<p>L’idée que les dégâts économiques puissent être ressentis au plan mondial apparaît de plus en plus probable, et les Américains commencent à s’en inquiéter. Donald Trump a bien promis un <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/06/04/a-londres-donald-trump-rencontre-theresa-may-pour-discuter-d-un-accord-commercial-post-brexit_5471315_3210.html">accord « phénoménal » aux cousins britanniques</a> lors de <a href="http://www.rfi.fr/ameriques/20190601-apres-le-japon-trump-route-une-visite-etat-royaume-uni">sa visite d’État de début juin 2019</a>. Mais ce n’est pas un avis partagé par la classe politique américaine, qui reste très en retrait sur ce dossier.</p>
<p>Les enjeux sont multiples, que ce soit la relation entre Londres et Washington, le rôle du Royaume-Uni dans la sécurité européenne ou encore celui des États-Unis aux côtés des puissances européennes et les intérêts de l’Europe aux États-Unis, tout autant que le partenariat qu’il reste à réinventer entre tous ces différents acteurs.</p>
<h2>L’avertissement vain d’Obama</h2>
<p>La frilosité américaine n’est pas nouvelle : en 2016, John Kerry assurait déjà que les États-Unis souhaitaient le <a href="https://www.lexpress.fr/actualites/1/actualite-economique/un-brexit-nouveau-defi-defavorable-pour-l-economie-mondiale-tresor-americain_1806552.html">maintien du Royaume-Uni dans l’UE</a> et exprimait la crainte de son pays que cela ne soit pas le cas. Un mois plus tôt, Barack Obama, en visite au Royaume-Uni, adressait aux électeurs britanniques un message similaire, à travers une tribune dans le <em>Daily Telegraph</em>, dont le <a href="https://www.telegraph.co.uk/news/2016/04/21/as-your-friend-let-me-tell-you-that-the-eu-makes-britain-even-gr/">titre</a> résumait tout :</p>
<blockquote>
<p>« En tant qu’ami, laissez-moi vous dire que l’Union européenne rend le Royaume-Uni encore plus fort. »</p>
</blockquote>
<p>La préoccupation d’alors était la coopération internationale pour lutter contre le terrorisme, et Obama craignait que la division ne complique tout. D’autres dossiers capitaux, tels que la <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2016/02/26/crise-des-refugies-l-europe-vit-un-moment-historique_4872353_3232.html">crise des réfugiés</a> ou les <a href="https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2015/07/14/un-accord-sur-le-nucleaire-iranien-a-ete-trouve_4682310_3218.html">négociations nucléaires avec l’Iran</a>, dépendaient déjà également d’une réponse commune.</p>
<p>Son intervention avait déplu au camp du Brexit, et Boris Johnson avait répliqué dans <em>The Sun</em>, avec une <a href="https://www.nouvelobs.com/monde/20160423.OBS9109/brexit-boris-johnson-accuse-un-obama-en-partie-kenyan.html">attaque violente et considérée comme raciste</a>. Il l’accusait aussi d’hypocrisie, assurant que les Américains faisaient facilement la leçon aux autres mais ne céderaient jamais sur leur propre souveraineté. À travers cet échange, on comprenait alors que le Brexit pourrait potentiellement avoir un impact fort sur les relations transatlantiques.</p>
<h2>Le fantasme de la « relation spéciale »</h2>
<p>Le futur des relations entre Américains et Anglais est souvent considéré à travers un lien ancestral qui unirait prétendument les deux pays et qu’on l’appelle <a href="https://www.nouvelobs.com/l-amerique-selon-trump/20190603.OBS13879/trump-et-le-royaume-uni-une-relation-speciale-aux-allures-de-jeu-de-dupes.html">« relation spéciale</a> ». Pourtant, il n’y a pas grand-chose dans l’histoire commune aux deux pays qui justifie un tel titre.</p>
<p>Tout a même commencé entre eux par un conflit lourd, avec la guerre d’indépendance américaine de 1775-83. Puis, tout au long du XIX<sup>e</sup> siècle, les deux pays ont connu de nombreux autres conflits armés. Durant la guerre civile américaine (1861-1865), le premier ministre anglais de l’époque, Lord Palmerston, a même encouragé les rebelles confédérés qui voulaient briser l’Union américaine. Rien de moins. Le XX<sup>e</sup> siècle a été marqué par le déclin de l’Empire britannique et l’expansion constante de la puissance mondiale américaine. Le Royaume-Uni en est sorti épuisé et endetté. Il y a perdu sa position de première puissance militaire et économique mondiale.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/279338/original/file-20190613-32351-9lfwxc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/279338/original/file-20190613-32351-9lfwxc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=434&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/279338/original/file-20190613-32351-9lfwxc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=434&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/279338/original/file-20190613-32351-9lfwxc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=434&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/279338/original/file-20190613-32351-9lfwxc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/279338/original/file-20190613-32351-9lfwxc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/279338/original/file-20190613-32351-9lfwxc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">États-Unis et Royaume-Uni : jadis ennemis aujourd’hui meilleurs alliés ?</span>
<span class="attribution"><span class="source">Erika Wittlieb/Pixabay</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La « relation spéciale » est une création généralement attribuée à <a href="https://www.nouvelobs.com/l-amerique-selon-trump/20190603.OBS13879/trump-et-le-royaume-uni-une-relation-speciale-aux-allures-de-jeu-de-dupes.html">Winston Churchill</a>. Du côté des Anglais, elle semble surtout signifier une volonté de cajoler et manipuler les dirigeants américains, tout en refusant d’accepter que leur propre pays s’enfonçait toujours plus dans une position de faiblesse.</p>
<p>Côté américain, on y voit surtout l’exploitation opportune de l’avantage américain. Donald Trump n’a fait que s’inscrire dans cette lignée en faisant miroiter les contrats fabuleux à venir et en restant suffisamment dans le flou pour que chacun puisse fantasmer à sa guise.</p>
<h2>Le Royaume-Uni, porte d’accès à l’Europe</h2>
<p>Il faut reconnaître que la force du partenariat militaire était telle qu’il s’est poursuivi en temps de paix : on a retrouvé les deux nations sans cesse côte à côte sur différents fronts. Mais la réalité du lien anglo-américain provient quasi exclusivement de l’espace politique et géographique occupé par le Royaume-Uni à l’échelle mondiale, qui a donné à l’Amérique une porte d’entrée pour accéder à l’Europe, tant politiquement qu’économiquement : la Grande-Bretagne était une cliente qui disposait d’un accès à un réseau suffisamment grand pour intéresser un distributeur aussi ambitieux que les États-Unis.</p>
<p>Barack Obama <a href="https://www.lci.fr/international/brexit-a-un-mois-du-scrutin-ou-en-est-on-1511318.html">prévenait d’ailleurs son « meilleur ami »</a> en 2016 :</p>
<blockquote>
<p>« L’Union européenne ne réduit pas le pouvoir du Royaume-Uni, elle le magnifie ».</p>
</blockquote>
<p>Toutefois, il ne lui avait pas fallu bien longtemps avant de <a href="https://www.theguardian.com/politics/2016/apr/22/barack-obama-brexit-uk-back-of-queue-for-trade-talks">tomber le masque</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Peut-être voulez-vous entendre le point de vue du président des États-Unis sur ce sujet ? Peut-être qu’un jour lointain un accord entre les États-Unis et le Royaume-Uni existera, mais ça ne sera pas prochainement. »</p>
</blockquote>
<p>Car les négociations d’un accord de libre-échange avec l’Union européenne étaient alors la priorité américaine, et Barack Obama avait <a href="https://www.theguardian.com/politics/2016/apr/22/barack-obama-brexit-uk-back-of-queue-for-trade-talks">douché ce jour-là tous les espoirs</a> en expliquant que « le Royaume-Uni se retrouverait en queue de la file » pour avoir le droit d’ouvrir des négociations à son tour.</p>
<h2>L’Allemagne et la France, les autres options</h2>
<p>Pour les États-Unis, il est d’abord essentiel de renforcer leurs relations avec les autres pays de l’Union européenne. <a href="https://www.bbc.com/news/world-europe-38019605">L’Allemagne était le premier choix d’Obama</a> pour atteindre cet objectif et Berlin se préparait d’ailleurs à assumer ce rôle de premier plan dans les relations économiques et commerciales transatlantiques, ayant retrouvé une position de puissance économique dominante et de décideur dans l’UE.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/dqk6dWmXbgI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Barack Obama considérait Angela Merkel comme « le partenaire international le plus proche » des États-Unis.</span></figcaption>
</figure>
<p>Plus récemment, la France est devenue un <a href="http://www.rfi.fr/emission/20190606-etats-unis-france-quelle-cooperation-militaire-2019">allié privilégié des États-Unis</a> dans le domaine de la coopération militaire, qui sera cruciale pour l’avenir des relations transatlantiques en matière de sécurité et de défense. À l’issue du Brexit, la France se retrouvera dans une position très particulière puisqu’elle sera la seule grande puissance militaire de l’UE dotée d’un arsenal nucléaire, disposant d’un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU et d’une armée expérimentée capable d’intervenir sur les points de crise dans le monde entier.</p>
<h2>L’Europe, envers et malgré tout</h2>
<p>Même s’ils ont indéniablement un intérêt fort pour l’Asie, les États-Unis restent ainsi ancrés dans leur relation avec l’Europe. Comme le rappelait Emmanuel Macron lors des <a href="https://www.lemonde.fr/centenaire-14-18/article/2018/11/11/document-le-discours-d-emmanuel-macron_5382063_3448834.html">commémorations du centenaire</a> de la Première Guerre mondiale ou du <a href="https://www.ouest-france.fr/d-day/75e-anniversaire-du-debarquement-trump-et-macron-livrent-des-discours-emouvants-devant-les-veterans-6385290">75ᵉ anniversaire de la Seconde</a>, c’est un ensemble de valeurs communes faites de démocratie libérale, de capitalisme de marché, de liens politiques, historiques, culturels et ethniques qui ont permis de faire émerger des valeurs et des intérêts économiques convergents.</p>
<p>Cela a aidé, bien sûr, à un rapprochement pour mieux lutter contre le fascisme et le communisme. Le programme « Rendre la grandeur à l’Amérique » de Donald Trump n’y change rien. En soulignant la proportion d’investissements américains qui « ont représenté 18 % du nombre total de projets étrangers dans l’hexagone et 21 % des emplois créés ou sauvegardés », <em>Les Echos</em> titraient d’ailleurs en avril 2018 : <a href="https://www.lesechos.fr/2018/04/investissements-etrangers-les-americains-sont-de-retour-en-france-988038">« Les Américains sont de retour en France »</a>.</p>
<p>L’OTAN demeure aussi l’alliance militaire la plus importante au monde, avec des dépenses de défense américano-européennes combinées de 989 milliards de dollars en 2018, et un <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/04/29/les-depenses-mondiales-d-armement-approchent-des-2-000-milliards-de-dollars_5456047_3210.html">record de 656,7 milliards</a> pour les seuls États-Unis. Ces chiffres vont augmenter très fortement dans les années à venir, les États-Unis ayant déjà adopté un nouveau budget record de <a href="https://www.challenges.fr/monde/le-budget-americain-de-la-defense-porte-a-716-milliards-de-dollars_606839">716 milliards pour l’année suivante</a>. Ils ont surtout réussi à imposer une augmentation de la participation européenne et canadienne de <a href="https://www.atlantico.fr/decryptage/3479662/hausse-record-budget-militaire-americain-victoire-lobby-militaro-industriel-ou-decision-geopolitique-jean-sylvestre-mongrenier">89 milliards de dollars d’ici 2020</a>.</p>
<iframe src="https://ourworldindata.org/grapher/military-expenditure-as-share-of-gdp?time=1960..2017&country=USA+RUS+DEU+GBR+FRA+CHN" style="width: 100%; height: 600px; border: 0px none;" width="100%" height="400"></iframe>
<p>Le Royaume-Uni, de son côté, a maintes fois réaffirmé que le Brexit n’affaiblirait pas son engagement résolu dans la sécurité européenne en tant que membre-clé de l’OTAN. Toutefois, après avoir quitté l’UE, le Royaume-Uni ne siégera plus au <a href="https://europa.eu/european-union/about-eu/institutions-bodies/european-council_fr">Conseil européen</a> ni à la <a href="https://europa.eu/european-union/about-eu/institutions-bodies/european-commission_fr">Commission</a>, institutions où les États membres coordonnent leurs politiques nationales dans les domaines des affaires étrangères et de la sécurité. Or le <a href="https://www.robert-schuman.eu/fr/comprendre-le-traite-de-lisbonne">Traité de Lisbonne</a> définit les affaires étrangères et la défense comme étant du domaine de la politique intergouvernementale.</p>
<h2>L’atlantisme a de beaux jours devant lui</h2>
<p>La sortie britannique de l’UE soulève plusieurs questions. Premièrement, les États-Unis et l’UE partagent un certain nombre de positions sur la politique commerciale et économique. Le retrait anglais de l’UE ne modifiera pas sensiblement la réalité économique : les relations commerciales et d’investissement entre les États-Unis et l’Europe sont extrêmement importantes pour les deux parties.</p>
<p>Deuxièmement, l’atlantisme en Europe pourrait conserver de sa force, même sans les Britanniques, au vu des tendances pro-américaines des États d’Europe centrale et orientale. Historiquement, Le Royaume-Uni a toujours été un chef de file dans le camp atlantiste ; mais rien n’empêche un autre grand État tel que la Pologne de jouer ce rôle. Compte tenu de la position de l’Allemagne en tant que puissance européenne prédominante, les relations américano-allemandes resteront également d’une importance vitale.</p>
<p>La France, enfin, a réintégré la structure de <a href="https://www.liberation.fr/france/2009/03/12/le-retour-de-la-france-dans-l-otan-un-choix-ideologique_653173">commandement militaire intégrée de l’OTAN</a>, appliquant un programme économique de plus en plus tourné vers l’extérieur. Elle demeure donc un membre essentiel de cette alliance occidentale.</p>
<p>Il n’y a aucune raison de penser qu’une UE sans la Grande-Bretagne veuille disputer l’hégémonie militaire ou politique américain, et pas davantage qu’elle change de cap dans ses alliances. D’un autre côté, l’OTAN demeurera bien le principal organe militaire en Europe, et il semble peu probable que Brexit ait beaucoup d’effet sur la capacité actuelle de Washington d’influencer davantage les questions militaires européennes.</p>
<h2>Un risque réel de vassalisation</h2>
<p>Les relations des États-Unis avec le Royaume-Uni et le reste de l’Europe resteront très certainement définies par des idées communes, des intérêts économiques et de sécurité profondément enchevêtrés. Le départ britannique de l’UE va compliquer ces relations, sans les mettre en danger.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/279356/original/file-20190613-32342-zv9l8u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/279356/original/file-20190613-32342-zv9l8u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/279356/original/file-20190613-32342-zv9l8u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/279356/original/file-20190613-32342-zv9l8u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/279356/original/file-20190613-32342-zv9l8u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/279356/original/file-20190613-32342-zv9l8u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/279356/original/file-20190613-32342-zv9l8u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Des manifestants Pro-Brexit : l’illusion d’un retour au passé ?</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/leolondon/32881870388/in/photolist-S6EbtN-S6EnDJ-Goxtor-S6EgZN-S6Er5w-2eeMUX8-S6ErUY-KruBM2-2d8Jhgf-S6EsFY-KruGyM-2ea8mPG-2d8JjZS-28oPvPf-Kyqj6k-JPhJRD-Kyqftk-2cQVpDx-LkkuEj-KyqqcP-KoZHzL-S6EvrN-KoZEgS-2d8JjFf-2ea8v6m-JPhmXt-28oPJJd-276wqwP-JMaWK3-252ovzi-ZQjhE4-2dWyL7z-2fctvkE-TK3YrR-2ejA2cR-2d49tti-NZK3Q1-QtrY8c-2ea8nHf-QtsbKr-28oPuA3-27nG2fb-276wpkF-PXTyb7-28tcdPK-2cQVmJV-2d8Jw6u-S6EcjW-JPhLVt-JPhBmt">LeoLondon/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le Royaume-Uni, en revanche, a beaucoup à perdre, jusque dans son unité même, qui pourrait être remise en question dans les mois qui viennent. Donald Trump ne sait que trop qu’il est désormais le seul interlocuteur possible pour ce pays qui, ayant tourné le dos à l’Union européenne, ne sait pas comment réinventer sa relation avec ses anciens partenaires.</p>
<p>Les Britanniques se sont lancés dans une course en avant effrénée, qui les ramène dans l’illusion d’une indépendance et de leur grandeur d’antan, alors que les Américains les guident désormais sur le chemin qui leur convient le mieux. Ils leur réclament ainsi des gages : par exemple, un alignement sur leurs positions en Syrie, vis-à-vis de l’Iran ou encore sur le climat.</p>
<p>Peut-être les Britanniques y gagneront-ils une place à la table de l’accord commercial entre le Mexique, les États-Unis et le Canada l’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Accord_Canada%E2%80%93%C3%89tats-Unis%E2%80%93Mexique">ACEUM</a>, mais à quel prix ? Dans ce Brexit, les Britanniques risquent de perdre le peu de puissance qui leur reste, leur indépendance d’esprit et leur libre arbitre. Car, pour exister et conserver leur prospérité, il leur faudra se vassaliser encore davantage.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/118746/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Éric Branaa ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’idée que les dégâts économiques causés par le Brexit puissent être ressentis au plan mondial, donc outre-Atlantique, inquiète de plus en plus les Américains.Jean-Éric Branaa, Maître de conférences politique et société américaines (Paris 2 Panthéon-Assas), Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1162422019-04-30T14:25:45Z2019-04-30T14:25:45ZCe n’est pas Fox News le problème, c’est l’obsession des médias pour Fox News<p>La presse américaine semble obsédée par Fox News et ses propriétaires actuels, la famille Murdoch. Récemment, le <em>New York Times</em> a ainsi prétendu expliquer <a href="https://www.nytimes.com/interactive/2019/04/03/magazine/rupert-murdoch-fox-news-trump.html">« comment l’empire de l’influence de Rupert Murdoch a refait le monde »</a>. Cet article faisait suite à l’enquête du <em>New Yorker</em> sur <a href="https://www.newyorker.com/magazine/2019/03/11/the-making-of-the-fox-news-white-house">« la fabrication de la “Maison Blanche Fox News” »</a>. Les deux articles assurent vouloir révéler le véritable impact politique de Fox News et du patriarche Rupert Murdoch sur la politique américaine.</p>
<p><a href="https://www.npr.org/sections/thetwo-way/2017/05/18/528925119/roger-ailes-former-fox-news-ceo-dies-at-77">Roger Ailes, le fondateur de Fox News</a>, aurait sans doute très certainement apprécié ces deux articles, lui qui a tout fait pour forger l’identité de Fox News, réaffirmée jour après jour depuis sa mort (mai 2017), par la presse dite « respectable ». Il affirmait que Fox News <a href="https://www.politico.com/magazine/story/2017/05/24/roger-ailes-coworker-political-consultant-215185">resterait toujours cet outsider</a> dénigré par ses rivaux traditionnels. Malgré le licenciement de Roger Ailes, <a href="https://eu.usatoday.com/story/money/business/2017/05/10/foxs-bill-roger-ailes-settlements-now-45-million/101515930/">accusé d’agression sexuelle</a>, la programmation actuelle de Fox News reflète encore en grande partie sa vision. Comme le magicien d’Oz, ce dernier a renforcé l’image de sa propre puissance et de celle de son réseau. L’élection de Donald Trump tendrait à le confirmer.</p>
<p>Pourtant, lorsqu’on examine attentivement cette question, l’idée selon laquelle Fox News et Rupert Murdoch auraient façonné la période actuelle paraît beaucoup moins évidente que de prime abord. Tout comme celle d’une relation sans précédent entre la chaîne de télé et l’administration Trump.</p>
<h2>Une série d’échecs</h2>
<p>Imaginons que la victoire de Trump en 2016 puisse effectivement être attribuée à Fox News. Une telle affirmation serait beaucoup plus crédible si Rupert Murdoch et Roger Ailes avaient milité pour que Donald Trump soit effectivement le candidat républicain de 2016. Or ils ne l’ont pas fait. Le <em>New York Times</em> et le <em>New Yorker</em> doivent le reconnaître. Ne doit-on pas considérer plutôt qu’Ailes et Murdoch ont été incapables d’empêcher les républicains de voter pour lui ?</p>
<p>Mais cet échec à emporter la décision des républicains en 2016 n’est pas vraiment une surprise. Remettons les pendules à l’heure.</p>
<ul>
<li><p>En 2008, les <a href="https://eu.azcentral.com/story/news/politics/arizona/2018/04/02/john-mccain-clinches-2008-republican-presidential-nomination-arizona-senator/537348001/">électeurs républicains ont choisi John McCain</a> alors que la chaîne avait soutenu d’autres candidats. John McCain a alors expliqué qu’il se considérait comme <a href="https://books.google.com.au/books?id=0ng2DwAAQBAJ&pg=PT213&dq=a+Reagan+Republican%E2%80%A6+Not+a+talk+radio+or+Fox+News+Republican&hl=en&sa=X&ved=0ahUKEwiM_9OS4bzhAhVQT30KHQOnARkQ6AEIKDAA">« un républicain reaganien […] pas comme un républicain d’un talk-show ou de Fox News »</a>.</p></li>
<li><p>De même, en 2012, <a href="https://www.politico.com/story/2012/05/mitt-clinches-gop-presidential-nod-076845">Mitt Romney a remporté la primaire des républicains</a> sans avoir reçu le soutien de la direction de Fox News. Ceux qui dénoncent les éminences grises de Fox News ont oublié que, cette année-là, <a href="https://www.newyorker.com/news/john-cassidy/six-reasons-why-rupert-murdoch-is-tweeting-for-santorum">Rupert Murdoch avait fortement soutenu Rick Santorum</a>.</p></li>
</ul>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/268182/original/file-20190408-2935-1792gb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/268182/original/file-20190408-2935-1792gb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/268182/original/file-20190408-2935-1792gb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=323&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/268182/original/file-20190408-2935-1792gb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=323&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/268182/original/file-20190408-2935-1792gb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=323&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/268182/original/file-20190408-2935-1792gb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=406&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/268182/original/file-20190408-2935-1792gb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=406&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/268182/original/file-20190408-2935-1792gb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=406&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Sarah Palin, ancienne gouverneure de l’Alaska et candidate malheureuse à la vice-présidence à Fox News, 17 juin 2013.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://video.foxnews.com/v/2483279564001/#sp=show-clips">Fox News</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Selon de nombreux <a href="https://www.vox.com/policy-and-politics/2017/9/8/16263710/fox-news-presidential-vote-study">experts</a>, « Fox News est un acteur d’une importance capitale dans la politique américaine… [qui] modèle activement l’opinion publique américaine ». Ce faisant, ils minimisent les nombreux revers de Fox News. L’un d’entre eux est particulièrement marquant : malgré le versement d’un million de dollars par an à Sarah Palin en tant qu’éditorialiste (2010-2013) et un temps d’antenne généreusement accordé, Fox News <a href="https://www.thedailybeast.com/fox-made-limited-effort-to-keep-sarah-palin">n’a pas réussi à en faire une personnalité républicaine respectée</a>.</p>
<h2>La bulle « spéculative » Fox News</h2>
<p>Les journalistes et les universitaires minimisent la réalité de la faible audience de Fox News. En 2018, Fox News a ainsi attiré en moyenne environ <a href="https://www.adweek.com/tvnewser/the-2018-year-end-cable-ranker-fox-news-msnbc-hallmark-channel-are-among-the-top-networks-to-also-post-audience-growth/389422">2,4 millions de téléspectateurs aux heures de grande écoute</a>. C’est un chiffre a priori impressionnant. De fait, Fox News est la chaîne du câble la plus regardée en 2018. Il convient cependant de rappeler que la population américaine en 2018 était <a href="https://www.census.gov/newsroom/press-kits/2018/pop-estimates-national-state.html">d’environ 327 millions d’habitants</a> – autrement dit, 99,3 % des Américains n’ont pas regardé Fox News.</p>
<p>Combien de personnes regardent réellement cette chaîne ? Sur CBS Evening News, l’émission d’actualité qui réalise la plus faible audience du réseau de diffusion enregistre, en moyenne, <a href="https://www.cheatsheet.com/entertainment/how-many-people-actually-watch-fox-news-in-america.html/">plus du double du nombre de téléspectateurs de Fox News</a> en 2018.</p>
<p>Avec de tels chiffres, Fox News est clairement plus à la recherche de téléspectateurs que l’inverse. En d’autres termes, on peut dire que Fox News s’adresse surtout à la base partisane préexistante de son public, certes restreint mais loyal, qu’elle ne change réellement l’opinion de quiconque.</p>
<h2>Histoire du confort médiatico-présidentiel</h2>
<p>Autre idée évoquée par certains, le vrai pouvoir de Fox News serait lié sa relation étroite avec l’administration Trump. Plus précisément, la nomination de l’ancien dirigeant de Fox News, Bill Shine, à un poste de supervision des communications à la Maison Blanche – alors qu’il était <a href="https://www.adweek.com/tvnewser/bill-shine-is-receiving-millions-of-dollars-from-21st-century-fox-while-working-in-the-white-house/385480">toujours payé par Fox News</a> – confirmerait la collusion entre la Maison Blanche et la chaîne câblée.</p>
<p>Or les médias audiovisuels et la Maison Blanche entretiennent des liens étroits depuis longtemps.</p>
<p>Comme l’historien <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/01439688200260131?journalCode=chjf20&">David Culbert l’a révélé</a>, le président Roosevelt avait demandé que le commentateur Boake Carter, critique acerbe de sa politique, disparaisse des ondes de CBS. Pour ce faire, il avait simplement <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/01439688200260131">demandé à son attaché de presse de faire en sorte de supprimer l’émission</a>.</p>
<p>Mais en la matière, il est fort probable qu’aucune administration ne surclassera jamais le Président Lyndon Johnson (1963-1969). Son ascension politique a été <a href="https://slate.com/news-and-politics/2007/07/how-lady-bird-and-lyndon-baines-johnson-came-by-their-millions.html">soutenue par KTBC</a>, sa station de radio installée à Austin, au Texas. Alors élu au Congrès, Johnson a enregistré la licence de la station au nom de son épouse, tout en faisant <a href="https://books.google.com.au/books?id=aystgv5Xc2sC&pg=PA104&dq=%22It+wasn%27t+Mrs.+Johnson+who+saw+William+Paley+and+Frank+Stanton+in+New+York%22&hl=en&sa=X&ved=0ahUKEwji8bDA7L7hAhVaeH0KHaFBDG0Q6AEIKDAA">pression sur CBS pour obtenir un lucratif contrat d’affiliation</a>.</p>
<p>Frank Stanton, le dirigeant de CBS avec qui il a entretenu une relation étroite tout au long de vie, a scellé l’accord commercial. Stanton devint plus tard président de CBS, et lorsque Johnson succéda à Kennedy à la Maison Blanche, les deux hommes se rencontrèrent régulièrement. Dans une <a href="https://millercenter.org/the-presidency/secret-white-house-tapes/conversation-frank-stanton-february-6-1964-0">conversation enregistrée le 6 février 1964</a>, Stanton informe le Président Johnson d’une réunion à venir avec le comité de rédaction du <em>New York Times</em>.</p>
<p>Comme le prouve cet enregistrement, leur conversation ne se limitait pas au journalisme :</p>
<blockquote>
<p>« Que pensez-vous des candidats républicains de [1964], que font-ils ? Ils progressent-ils ? » (Johnson).</p>
<p>« Je ne pense pas qu’ils progressent du tout. » (le président de CBS)</p>
</blockquote>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/F_nCnoVVrlg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Frank Stanton, dirigeant de la SCB, est devenu l’ami de longue date du président Lyndon Johnson.</span></figcaption>
</figure>
<p>Il est fort probable que des <a href="http://nymag.com/intelligencer/2018/05/sean-hannity-donald-trump-late-night-calls.html?gtm=top">conversations similaires se déroulent maintenant régulièrement</a> entre le président Trump et plusieurs personnalités de Fox News.</p>
<p>On ne peut donc pas qualifier le cas Trump de « sans précédent ». Et contrairement à l’accord commercial entre Johnson et CBS, il ne semble pas que Donald Trump ait un intérêt financier direct dans Fox News.</p>
<h2>Loin de la « Planet Fox »</h2>
<p>Ce précédent n’exclut en rien le conflit d’intérêt évident entre Fox News et la Maison Blanche. Mais les journalistes et les universitaires qui prétendent révéler l’immense influence de Rupert Murdoch et Roger Ailes sur la politique aux États-Unis pourraient bien entretenir ce pouvoir à leur insu.</p>
<p>La réalité, c’est que la plupart d’entre nous ne vit pas sur « Planet Fox ». Nous ne sommes pas non plus des sujets de l’empire de Murdoch. Les critiques du <em>New Yorker</em> et du <em>New York Times</em> ne font qu’aider Fox News à gagner en crédibilité auprès de ses électeurs. Une telle obsession prouve, a contrario, que le pouvoir de Fox News continue à effrayer ses ennemis.</p>
<p>Roger Ailes n’a jamais eu peur des critiques des médias dits « respectables ». À l’instar du magicien d’Oz, il redoutait bien plus qu’on puisse déceler ses faiblesses et celles de sa « créature ». C’est pourtant ce que révèle l’histoire récente.</p>
<p>Ainsi, Fox News n’a pas pu empêcher l’élection ni la réélection de Barack Obama ou encore la <a href="http://www.lefigaro.fr/international/2018/11/08/01003-20181108ARTFIG00241-resultats-des-midterms-2018-la-vague-bleue-a-t-elle-eu-lieu.php">vague bleue de 2018</a>. Et malgré l’éloge répété et permanent de l’administration actuelle, le taux de popularité du président Trump demeure <a href="https://fivethirtyeight.com/features/trumps-approval-rating-is-incredibly-steady-is-that-weird-or-the-new-normal/">« incroyablement stable »</a>.</p>
<p>Il ne fait aucun doute que Fox News a un <a href="https://eml.berkeley.edu/%7Esdellavi/wp/FoxVoteQJEAug07.pdf">impact</a> – vérifiable – sur les marges politiques : son action incite incontestablement les républicains à voter… pour les républicains. Mais, précisément, son pouvoir de persuasion peut être qualifié de « marginal ».</p>
<p>Cerner précisément l’influence de Fox News et mettre en lumière son pouvoir électoral somme toute limité se révélera bien plus dommageable pour cette chaîne que la promotion de mythes autour de cette chaîne par les médias d’investigation.</p>
<hr>
<p><em>La version originale de cet article a été traduite de l’anglais par <a href="https://www.meta-media.fr/2019/04/29/fox-news-nest-pas-le-probleme-cest-lobsession-des-medias-pour-fox-news.html">Méta-Media</a> et Thomas Hofnung de The Conversation France.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/116242/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michael J. Socolow reçoit des fonds du programme Fulbright Scholar Program. Il est actuellement boursier Fulbright au News & Media Research Centre de l'Université de Canberra (Australie).</span></em></p>Malgré l’obsession de la presse américaine pour l’« empire » Fox News, l’idée que la chaîne d’information exerce un pouvoir politique sans précédent aux États-Unis est excessive.Michael J. Socolow, Associate Professor, Communication and Journalism, University of MaineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1159992019-04-25T19:17:52Z2019-04-25T19:17:52ZJoe Biden, une candidature à risque en pleine époque #MeToo<p>En 2016, l’électorat du Parti démocrate était composé à 58 % de femmes mais cela n’a <a href="https://www.thenewamerican.com/culture/family/item/28487-hillary-claims-white-women-voted-for-trump-because-men-told-them-to">pas fait gagner Hillary Clinton pour autant</a>. Quatre ans plus tard, les femmes pourraient bien jouer un rôle central et faire perdre certains des candidats qui s’élancent sur la piste. Or celui qui semble être déjà le plus en danger est bien Joe Biden, qui vient d’annoncer sa candidature : a-t-il pris la juste mesure des mutations récentes et de l’amplification du féminisme depuis 2016, ou sera-t-il à ranger dans la case de ceux qui vont en faire les frais ?</p>
<p>La question est posée après des accusations qui ont été portées contre son comportement « trop tactile » par <a href="https://www.franceinter.fr/monde/les-accusations-envers-joe-biden-peuvent-elles-le-faire-renoncer-a-la-presidentielle-americaine">Lucy Florès, une élue démocrate du Nevada</a>, et alors que l’accusatrice principale est revenue à la <a href="https://www.washingtontimes.com/news/2019/apr/23/lucy-flores-blasts-joe-bidens-hugging-jokes-incred/">charge mercredi 24 avril</a> sur cette affaire.</p>
<p>C’est d’autant plus regrettable que Joe Biden s’est, en réalité, montré très actif durant sa longue carrière pour le droit des femmes. On se souvient, notamment, de la lettre qu’il a adressée à la victime du viol de Standford (Californie). C’était en 2016 et l’affaire avait fait grand bruit aux États-Unis : Brock Turner, un champion universitaire de natation, avait écopé de six mois de prison, une peine quasi-symbolique, <a href="https://www.liberation.fr/planete/2016/06/07/six-mois-de-prison-pour-un-viol-a-stanford-la-peine-qui-scandalise-l-amerique_1457856">alors qu’il en risquait plus du double, vu la gravité des faits</a>. Il a été révélé que le <a href="http://www.slate.fr/story/119167/culture-viol-lettre-pere-brock-turner">père du jeune homme avait lui-même écrit au juge</a>, l’implorant de ne pas condamner son fils pour « à peine 20 minutes d’action qui pourraient ruiner sa vie ».</p>
<p>Le jeune homme n’avait jamais manifesté de regrets, s’estimant victime de la culture de la fête qui règne dans les campus américains et de la surconsommation d’alcool que l’on y pratique. <a href="https://www.buzzfeed.com/fr/katiejmbaker/la-lettre-puissante-quune-victime-a-lue-a-son-violeur-pendan">Son accusatrice avait lu une lettre adressée à son agresseur en pleine audience</a> pour faire part de sa détresse et dénoncer ce simulacre de justice.</p>
<p>La banalisation des agressions sexuelles a été un phénomène largement dénoncé à cette époque-là, et ce procès est vite devenu le symbole de ce qui scandalise l’Amérique et qu’il faut changer.</p>
<h2>Combattre la loi du silence</h2>
<p>La lettre de Joe Biden, qui a été publiée par <a href="https://www.buzzfeednews.com/article/tomnamako/joe-biden-writes-an-open-letter-to-stanford-survivor">Buzzfeed le 9 juin 2016</a>, commence ainsi :</p>
<blockquote>
<p>« Je ne connais pas votre nom, mais vos mots sont à jamais gravés dans mon âme. Des mots que l’on devrait faire lire aux hommes et aux femmes de tout âge. Des mots que j’aurai voulu que vous n’ayez jamais eu besoin d’écrire. »</p>
</blockquote>
<p>Cette lettre fait état de sa colère et de son incompréhension qu’une <a href="https://etudiant.lefigaro.fr/international/actu/detail/article/les-agressions-sexuelles-concernent-une-etudiante-sur-cinq-aux-etats-unis-9890/">jeune fille sur cinq</a> soit encore victime d’agression sexuelle dans les universités américaines et que la seule réponse apportée par la société soit de les inviter à se taire et à passer à autre chose.</p>
<p>Joe Biden a alors exhorté les victimes à parler, seule condition pour changer cette culture inacceptable, une culture qui fait que l’on persiste à poser aux victimes les mauvaises questions : « Que portiez-vous ? Pourquoi étiez-vous là ? Qu’avez-vous dit ? Combien d’alcool avez-vous bu ? » Au lieu de retourner l’angle d’approche et de demander à l’agresseur : « Comment avez-vous pu penser que vous aviez le droit de violer ? »</p>
<p>Joe Biden a fait sienne la cause de la lutte contre la violence faite aux femmes. Le 7 avril 2017, il était à l’<a href="https://www.parismatch.com/People/Politique/Joe-Biden-et-Lady-Gaga-unis-contre-les-violences-faites-aux-femmes-941957">Université de Las Vegas</a>, réputée comme l’une des plus touchées par le phénomène, pour faire entendre sa voix sur ce même thème aux côtés de la chanteuse pop Lady Gaga.</p>
<p>Le pays s’est alors souvenu qu’il a participé à la rédaction de la loi contre les violences faites aux femmes de 1994 et co-présidé avec Barack Obama le lancement du programme « It’s On Us », en 2014, destiné à lutter contre les <a href="https://www.itsonus.org/">agressions sexuelles dans les universités</a>.</p>
<h2>Joe Biden reste populaire auprès des femmes</h2>
<p>Toutefois, tout s’est compliqué pour Joe Biden avec le nombre de candidatures de femmes dans cette présidentielle : cette fois-ci, elles sont six – un <a href="http://www.slate.fr/story/173307/elizabeth-warren-femmes-democrates-donald-trump-election-presidentielle-2020">nombre jamais atteint</a>. Ne seront-elles pas plus à même de prendre en charge cette cause féministe bien mieux que lui ?</p>
<p>Car c’est du comportement odieux de <a href="https://www.francetvinfo.fr/culture/cinema/affaire-harvey-weinstein/mouvement-metoo-un-an-apres-l-affaire-weinstein_2973571.html">certains des hommes les plus puissants du pays dans les domaines du divertissement, de la politique et des entreprises</a> dont il est question. Les femmes vivent cette triste réalité depuis des années. Ce problème a constamment été enterré, les femmes craignant d’être davantage harcelées, mais aussi en raison de la honte ressentie par les victimes ou la crainte de représailles.</p>
<p>Pour ses amis, Joe Biden est au contraire l’homme de la situation, celui qui peut porter sur ses épaules l’espoir des femmes de voir les choses changer. Un sondage Quinnipiac mené auprès d’électeurs californiens a révélé la même tendance : 67 % des électrices ont déclaré que la question des attouchements inappropriés de Biden n’était « pas grave » à leurs yeux et qu’elles restaient convaincues qu’il <a href="https://edition.cnn.com/2019/04/10/politics/joe-biden-california-voters-poll/index.html">représentait la meilleure chance de battre Donald Trump</a>.</p>
<p>Peu importe, donc, pour son camp les comportements passés, qui appartiennent au passé et ne sont pas porteurs de machisme, de sexisme ou d’une volonté de dominer. Ses soutiens défendent sa volonté forte de mettre en œuvre la cause des femmes et rejettent surtout le surnom de « vieux pervers » dont l’a déjà affublé Donald Trump.</p>
<p>Cette exagération pourrait se révéler mortelle dans une campagne électorale. Joe Biden, qui l’a bien compris, <a href="https://www.francetvinfo.fr/culture/cinema/affaire-harvey-weinstein/mouvement-metoo-un-an-apres-l-affaire-weinstein_2973571.html">a tenté d’allumer un contre-feu avant de s’élancer dans cette présidentielle</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Au cours de mes nombreuses années de campagne et de vie publique, j’ai offert d’innombrables poignées de main, câlins, expressions d’affection, de soutien et de réconfort. Et pas une fois, jamais, je ne pensais avoir agi de manière inappropriée. Si on considère que c’est le cas, j’écouterai respectueusement ce point de vue. Mais jamais ce ne fut mon intention. »</p>
</blockquote>
<h2>En finir avec une masculinité toxique</h2>
<p>De nombreuses voix féministes se sont déjà <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2019/apr/02/joe-biden-inapprorpriate-touching-lucy-flores">fait entendre au cours de ces dernières semaines</a> pour apporter la contradiction et suggérer que le septuagénaire (il est âgé de 76 ans) retourne dans les années 1950 avec son collègue Trump. L’idée qui domine actuellement dans certains milieux féministes est qu’il faut en finir avec les manifestations outrancières d’une masculinité toxique qui restent toujours très présentes et évidentes dans le désir de conquête sexuelle, mais aussi dans l’étalage de la violence.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/CJHumJ6wkkE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Aux yeux de ces féministes, Joe Biden n’est donc pas bien différent de Donald Trump et <a href="https://www.lepoint.fr/people/trump-et-biden-relancent-leur-bagarre-de-cour-d-ecole-22-03-2018-2204679_2116.php">sa proposition de le frapper derrière le gymnase</a>, qu’il avait manifesté dans un tweet, en pensant être drôle et mettre les rieurs de son côté, n’a rien de rassurant pour l’électorat féminin.</p>
<p>Dès aujourd’hui, la campagne prend un tour nouveau avec l’entrée de Biden dans la course, et il lui faudra réviser son discours pour tenter de rallier les femmes, et le faire très vite.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/115999/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Joe Biden a-t-il pris la mesure des mutations récentes et de l’amplification du féminisme depuis 2016, ou en fera-t-il les frais lors de la prochaine présidentielle ?Jean-Éric Branaa, Maître de conférences politique et société américaines (Paris 2 Panthéon-Assas), Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1093562019-01-09T20:56:47Z2019-01-09T20:56:47ZLes femmes en politique : l’heure du renouveau, comme aux États-Unis ?<p>Un nombre plus important que jamais de femmes candidates – pas moins de <a href="https://www.franceinter.fr/monde/midterms-aux-etats-unis-nombre-record-de-femmes-candidates">400 candidates</a> sur l’ensemble des scrutins aux États-Unis (destinés à renouveler de nombreux mandats nationaux et locaux, parmi lesquels l’ensemble de la Chambre des représentants) – ont concouru lors des des élections de mi-mandat (les « midterms » ou » midterm elections) », le 6 novembre dernier.</p>
<p>À ce chiffre historique s’en est ajouté un autre : le <a href="http://www.lefigaro.fr/international/2018/11/07/01003-20181107ARTFIG00091-midterms-un-record-historique-de-femmes-elues.php">records de femmes élues</a>. Rien que pour la seule Chambre des représentants comportant 435 sièges, 95 d’entre elles ont remporté le suffrage, contre 84 pour l’ancienne mandature.</p>
<p>Cette progression de la parité se double d’une représentativité supplémentaire en terme de minorités, puisque deux élues musulmanes, deux élues amérindiennes et la plus jeune élue du scrutin – l’étonnante Alexandria Ocasio-Cortez – ont intégré la Chambre des représentants au sein du groupe du Parti démocrate. Ces résultats records des femmes aux <em>midterms</em> des États-Unis montrent que la parité est en train de devenir la norme dans ce pays : les citoyens rechignent de moins en moins à porter des femmes au pouvoir.</p>
<p>Si l’on s’en tient à l’analyse des scrutins successifs par le prisme du genre, ces femmes partaient pourtant de loin : la défaite-surprise de la démocrate Hillary Clinton, alors que l’<a href="https://www.20minutes.fr/monde/1956735-20161108-election-americaine-2016-clinton-donnee-gagnante-presque-toutes-projections">écrasante majorité des sondages</a> la donnaient gagnante, ne permettait guère d’envisager favorablement et avec certitude l’aspiration des électeurs à voter pour une femme. Pire : la dernière ligne droite de l’élection présidentielle états-unienne a débouché sur de nombreux propos sexistes et/ou misogynes attribués à Donald Trump.</p>
<p>Dans ce contexte, il semblait difficile de prédire qu’une égalité femmes-hommes serait aussi rapidement renforcée par le vote des habitant·e·s des États-Unis.</p>
<h2>Hillary Clinton, la défaite d’une candidate jugée « froide » et « masculine »</h2>
<p><a href="https://www.lesinrocks.com/2018/04/23/livres/comment-la-gauche-sest-embourgeoisee-111074963/">Dans son récent ouvrage</a> <em>Pourquoi les riches votent à gauche</em>, Thomas Frank explique que les classes diplômées ont commencé à voter pour ce qui constitue la gauche outre-Atlantique : le Parti démocrate. En réponse, la gauche états-unienne s’est mise à s’adresser quasi exclusivement à cette catégorie sociale, délaissant les classes populaires.</p>
<p>Après huit années de politique surplombées par Barack Obama, nombre de démocrates ont cru tenir en Hillary Clinton la candidate qui permettrait de s’adjoindre une population dominée – au sens sociologique du terme – de plus : les femmes. Sauf que… la candidate malheureuse de 2016 a éprouvé, durant les primaires, toutes les peines du monde à se défaire de Bernie Sanders, le vieux sénateur du Vermont affichant des ambitions plus à gauche qu’Hillary Clinton.</p>
<p>Déçu·e·s, les jeunes qui soutenaient massivement Sanders ne se sont pas reporté·e·s aussi intensément sur la candidature de Clinton, ajoutant cette catégorie aux autres ayant fait défaut à la candidate. Parmi celles-ci, les femmes blanches n’ont <a href="http://www.lefigaro.fr/vox/monde/2016/11/10/31002-20161110ARTFIG00339-minorites-jeunes-femmes-ouvriers-pourquoi-la-strategie-du-parti-democrate-a-echoue.php">pas voté massivement</a> pour Hillary Clinton, comme on aurait pu s’y attendre : 43 % ont voté pour Clinton contre 53 % pour Trump.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1081234130841600000"}"></div></p>
<p>Au-delà de son programme politique, son échec peut aussi être analysé par l’image qu’elle renvoyait aux citoyen·ne·s étas-unien·ne·s. Or, si la compétence était une qualité attribuée aisément à Hillary Clinton, celle-ci était également perçue comme <a href="https://www.washingtonpost.com/news/the-fix/wp/2015/02/09/is-hillary-clinton-likable-enough-and-why-does-it-even-matter/">froide</a> et <a href="https://theweek.com/articles/569182/american-presidential-elections-used-manliness-competitions-what-happened">« trop masculine »</a>. Des qualificatifs qui rappellent la description d’une autre femme politique : <a href="http://lodel.irevues.inist.fr/cahierspsychologiepolitique/index.php?id=3509">Marine Le Pen</a>.</p>
<h2>En France, l’échec de Marine Le Pen</h2>
<p>De l’autre côté de l’Atlantique, en France, quelques mois après que Hillary Clinton soit passée à côté d’une élection historique, Marine Le Pen est arrivée au second tour de l’élection présidentielle de 2017. Certes, il est difficile de parler de renouveau la concernant. Héritière d’un parti familial, élue en 2004 députée européenne et conseillère régionale d’Île-de-France et déjà candidate à la présidentielle de 2012, la présidente du Rassemblement national (RN) n’est pas une novice en politique.</p>
<p>Et si elle est clairement la femme ayant (eu ?) le plus de chance d’atteindre le sommet du pouvoir, le débat raté – de <a href="https://www.huffingtonpost.fr/2018/03/10/linterminable-mea-culpa-de-marine-le-pen-apres-son-debat-rate-face-a-emmanuel-macron_a_23382087/">l’aveu même de l’intéressée</a> – d’entre-deux-tours de la présidentielle de 2017 a montré les limites de la candidature de Marine Le Pen, de son positionnement politique et de sa stratégie.</p>
<p>Son échec souligne également que le renouveau peut difficilement être porté par une femme active sur la scène politique nationale depuis plusieurs années, élue en 2011 au poste de présidente du RN. Les électeurs et électrices risquent de finir par se lasser d’une femme politique qui ne parvient pas à évoluer pour franchir son <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/j.1471-6402.2009.01541.x">plafond de verre</a>, en échappant à son genre en faveur de ses orientations politiques.</p>
<p>Un tel changement pourrait lui permettre d’échapper au piège de la <a href="https://www.researchgate.net/publication/11287765_Role_Congruity_Theory_of_Prejudice_Toward_Female_Leaders">congruence des rôles de genre</a>, autrement dit au décalage dont sont victimes les femmes et leaders – un rôle associé à des caractéristiques stéréotypiquement masculines. Cette confusion amène à subir des conséquences néfastes en terme de perception de soi, de son comportement et de ses compétences… et, <em>in fine</em>, elle grève potentiellement les intentions de vote.</p>
<h2>Renouveau relatif à l’Assemblée nationale</h2>
<p>Toujours en France, un renouveau tout relatif concernant les femmes politiques a eu lieu lors les élections législatives de 2017, avec presque <a href="https://www.lemonde.fr/elections-legislatives-2017/article/2017/06/19/legislatives-2017-223-femmes-elues-un-record_5146848_5076653.html">39 % de femmes</a> élues députées.</p>
<p>Néanmoins, le renouvellement qui s’est opéré sur la base du genre ne s’est pas fait sur en termes de profession et de catégorie socioprofessionnelle (PCS). Ainsi, le groupe majoritaire de La République en marche (LaREM) est certes composé de 46,8 % de femmes, mais aussi d’une <a href="http://www.leparisien.fr/politique/infographie-deputes-lrem-plus-de-jeunes-plus-de-femmes-et-plus-d-elites-25-06-2017-7084731.php">majorité des cadres</a>.</p>
<p>Dès lors – et même s’il faudrait nuancer ce propos en fonction du groupe politique considéré – si la représentativité des femmes s’est améliorée en France, la majorité des femmes politiques médiatisées appartiennent toujours aux PCS favorisées. Un état de fait qui contribue à perpétuer le <a href="https://www.inegalites.fr/La-representation-des-categories-socioprofessionnelles-a-la-television">décalage entre la représentation médiatique et la réalité sociale</a>.</p>
<h2>La surprise des « gilets jaunes »</h2>
<p>Ces dernières semaines ont mis en lumière des femmes qui font de la politique et que l’on entendait peu jusqu’alors : celles qui participent au mouvement des « gilets jaunes ». Invitées sur les plateaux télé pour débattre parfois avec des professionnel·le·s de la politique, elles font de la politique, au point où le bruit court d’une possible <a href="https://www.bfmtv.com/politique/elections-europeennes-gilets-jaunes-le-mouvement-se-precise-avec-hayk-shahinyan-a-sa-tete-1592414.html">liste</a> aux élections européennes. Car, même si elles se prétendent apolitiques, elles sont en réalité <em>apartisanes</em>. Elles prennent une réelle place dans le champ politique, et font l’objet d’enquêtes sur les chaînes de télévision.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/znC_kc6mXRE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Et c’est peut-être ici que réside le vrai renouveau dans la politique, celui que l’on attendait, mais qui arrive par la voie non conventionnelle ; celui des femmes qui, comme les exemples emblématiques des nouvelles élues aux États-Unis, font partie des groupes sociaux dominés. Des femmes de <a href="http://www.slate.fr/story/170766/qui-sont-gilets-jaunes-et-soutiens-portrait-robot-categories-socio-professionnelles">classes sociales populaires ou moyennes, peu diplômées et qui ont du mal à finir le mois</a>, qui s’expriment dans la rue, dans les assemblées générales, dans les médias. Des femmes que l’on entendait plus, dont on ne parlait plus et que les politiques menées par les derniers gouvernements successifs avaient oubliées. Des femmes qui ne sont pas des politiciennes professionnelles, mais qui ont des choses à dire et font de la politique. En somme, des femmes citoyennes.</p>
<p>Est-ce l’heure du renouveau en France ? Probablement. Comme aux États-Unis ? Pas encore.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/109356/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Ailloud est membre de la France insoumise. </span></em></p>Les résultats records des femmes lors du scrutin des midterms montrent que la parité politique est en train de devenir la norme aux États-Unis. Et la France ? Peut mieux faire !Julien Ailloud, Doctorant en psychologie sociale et du travail, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.