tag:theconversation.com,2011:/us/topics/boycott-66836/articlesboycott – The Conversation2024-02-12T16:08:48Ztag:theconversation.com,2011:article/2232442024-02-12T16:08:48Z2024-02-12T16:08:48ZUltra-trail du Mont-Blanc : pourquoi l’appel au boycott a échoué<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/574663/original/file-20240209-26-xv4gn0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=49%2C67%2C1995%2C1465&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le nombre de participants à l’édition 2024, prévue à la fin de l’été, a bondi de 34 % par rapport à l’année précédente.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/mammaoca2008/5458694967">Flickr/Simona</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le 15 janvier 2024, Kilian Jornet et Zach Miller, deux grands champions d’ultra-trail, discipline de course à pied longue distance dans la nature, appelaient les meilleurs coureurs du monde à boycotter la prochaine édition de l’épreuve du Mont-Blanc, prévue à la fin de l’été. Cet appel, lancé par un <a href="https://jogging-international.net/actualites/kilian-jornet-et-zach-miller-appellent-au-boycott-de-lutmb-mont-blanc-2024/">e-mail</a> adressé à une centaine de coureurs appartenant à l’élite ainsi qu’à des membres de leur encadrement, a enflammé la toile la semaine qui a suivi.</p>
<p>Après avoir reconnu le rôle joué par l’Ultra-trail du Mont-Blanc (UTMB) dans la reconnaissance mondiale de la discipline, les champions se disent particulièrement inquiets des dérives économiques, environnementales et éthiques de l’épreuve.</p>
<blockquote>
<p>« Il y a une multitude de choses que nous pourrions citer qui nous préoccupent, mais l’essentiel est que nous pensons qu’ils ne se gèrent pas et ne gèrent pas leur(s) évènement(s) d’une manière qui soit dans le meilleur intérêt du sport et de ses pratiquants. »</p>
</blockquote>
<p>La diffusion de ce mail a dans un premier temps provoqué un coup de tonnerre dans l’univers du trail, car elle faisait suite à de nombreux éclairs annonciateurs qui avaient émaillé la presse l’été dernier sous forme de critiques. Ces dernières visaient principalement le <a href="https://piochemag.fr/pas-de-sport-sur-une-planete-morte-lultra-trail-du-mont-blanc-divise-le-monde-du-trail/">gigantisme de l’évènement</a>, le <a href="https://www.lefigaro.fr/sports/autres-sports/l-ultra-trail-du-mont-blanc-un-mythe-a-l-epreuve-des-critiques-20230831">contresens écologique</a> du contrat de sponsoring avec la marque automobile low cost Dacia, ou encore le modèle de gestion mercantile <a href="https://www.outside.fr/hors-serie-utmb-le-sport-business-a-t-il-eu-raison-de-lesprit-trail/">inspiré par la société organisatrice de compétitions d’élite du triathlon IronMan</a>.</p>
<h2>34 % d’inscrits en plus</h2>
<p>De nombreuses réactions ont suivi cette annonce dans la presse et sur les réseaux sociaux, alimentant une véritable controverse et obligeant les organisateurs de cet évènement <a href="https://www.lequipe.fr/Ultra-trail/Actualites/Catherine-poletti-cofondatrice-de-l-utmb-on-est-obliges-de-faire-des-choix-et-des-compromis/1444989">à clarifier leur position</a>. Puis, aussi rapidement que la polémique avait enflé, elle s’est dissipée dans les limbes du massif du Mont-Blanc. Début février, les demandes d’inscriptions pour l’édition 2024 étaient en effet en <a href="https://www.esprit-trail.com/utmb-mont-blanc-2024-34-dinscrits-en-plus-les-elites-au-rendez-vous/">hausse de 34 %</a> par rapport à 2023 et plusieurs grands athlètes de la discipline avaient confirmé leur présence.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1749487956249706736"}"></div></p>
<p>Que s’est-il passé ? Pourquoi cette tentative a-t-elle avorté ? Plusieurs raisons peuvent être invoquées. D’abord, parce qu’il n’est jamais facile de prendre à revers le <a href="https://books.google.fr/books/about/Sports_et_sciences_sociales.html?hl=fr&id=cDoTAQAAIAAJ">système qui organise le sport de haut niveau</a> entre performance, spectacle, médias, partenaires, argent, visibilité et notoriété. En effet, tous les acteurs composant l’univers du trail de compétition (coureurs, organisateurs d’évènements, équipementiers, médias, partenaires, institutions, collectivités territoriales, etc.) restent dépendants financièrement les uns des autres en raison d’intérêts multiples et variés à préserver.</p>
<p>Il n’est donc pas aisé de sortir du sillon dominant et de se priver de la vitrine UTMB à Chamonix, malgré les dysfonctionnements pointés par Kilian Jornet et Zach Miller. D’ailleurs, d’autres champions reconnus se sont montrés plus nuancés et des voix se sont élevées pour condamner le fait que ces deux athlètes profitaient de leur statut pour prendre la course en otage.</p>
<p>Deuxième raison : l’UTMB est devenu aujourd’hui plus qu’une course, plus qu’un évènement sportif. Il s’apparente à un véritable fait social total qui s’est diffusé en dehors de la sphère sportive et intéresse de plus en plus de personnes. La foule compacte présente à chaque départ et à chaque arrivée du premier en apporte la preuve, car il s’agit de ne manquer sous aucun prétexte ces moments, afin d’avoir le sentiment de faire partie du monde.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/574665/original/file-20240209-18-dy0acy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Foule au départ de l’édition 2013" src="https://images.theconversation.com/files/574665/original/file-20240209-18-dy0acy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/574665/original/file-20240209-18-dy0acy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=418&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/574665/original/file-20240209-18-dy0acy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=418&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/574665/original/file-20240209-18-dy0acy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=418&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/574665/original/file-20240209-18-dy0acy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=526&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/574665/original/file-20240209-18-dy0acy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=526&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/574665/original/file-20240209-18-dy0acy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=526&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">L’épreuve constitue un levier de retombées touristiques précieux pour la vallée de Chamonix.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Start_UTMB_2013_in_Chamonix-Mont-Blanc.jpg">PaulasBunt/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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</figure>
<p>L’UTMB est un véritable mythe aujourd’hui, et écorner un mythe fait toujours réagir. En effet, comme nous le montrions dès 2012 dans <a href="https://books.google.fr/books/about/The_North_Face_Ultra_Trail_du_Mont_Blanc.html?id=sdvWMgEACAAJ">l’ouvrage</a> <em>The North Face Ultra-Trail du Mont-Blanc. Un mythe, un territoire, des Hommes</em> (éditions Le Petit Montagnard &Autour du Mont-Blanc), l’épreuve peut être considérée comme un évènement pourvoyeur de rêve pour des milliers de personnes – en plus de constituer un <a href="https://www.cairn.info/une-montagne-dinnovations--9782706126970-page-189.htm">levier de retombées touristiques</a> pour la vallée de Chamonix.</p>
<h2>Culte de la performance</h2>
<p>Enfin, l’UTMB incarne un avatar de la <a href="https://www.cairn.info/l-individu-hypermoderne--9782749203126.htm">société « hypermoderne »</a> bercée par la mondialisation économico-technologique, le culte de la spectacularisation de soi et l’illimitisme consommatoire. Tout le monde s’y retrouve car cet évènement symbolise une société au sein de laquelle chacun cherche à se forger un destin, <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/la_performance_une_nouvelle_ideologie_-9782707144430">à être performant</a> et à concrétiser ses rêves.</p>
<p>L’UTMB est à la fois le produit et le reflet de cette société car cet évènement est en phase avec les attentes identitaires de ces nouveaux conquérants de l’extrême, désireux de s’explorer, de se défier et de <a href="https://www.cairn.info/la-vie-intense--9782746747623.htm">vivre une expérience pour le moins intense</a>. Véritable métaphore de la vie, l’UTMB apparaît comme un moyen de <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/resonance-9782707193162">réenchantement de son existence</a> car cette épreuve en situation limite favorise une résonance à la fois corporelle, sociale et écologique qui génère une vibration existentielle.</p>
<p>Pour les participants, terminer l’UTMB <a href="https://www.editions-orphie.com/guides-et-randonnees-/1180-le-grand-raid-de-la-reunion-une-folle-diagonale-9791029806254.html">comme d’autres courses du même type</a> procure des bénéfices à fort rendement symbolique qui permet d’écrire une page particulièrement valorisante de son histoire personnelle et d’en sortir grandi. Il répond ainsi à une nouvelle façon de se penser dans notre société hypermoderne, comme nous l’avions souligné dans un <a href="https://journals.openedition.org/socio-anthropologie/10465">article de recherche</a> publié en 2021.</p>
<p>Et pourtant, les raisons d’agir pour obliger les organisateurs à envisager l’avenir de l’UTMB autrement font sens. L’évènement doit-il continuer à attirer toujours plus de concurrents et de public ? La vallée de Chamonix peut-elle accueillir autant de monde sans perdre son âme ?</p>
<p>Ralentir le rythme, diminuer la voilure et faire preuve de davantage de sobriété, en bref trouver un meilleur équilibre entre intérêts économiques, enjeux socioculturels et exigences environnementales, tel est le défi à relever par UTMB Group afin de proposer un événement vraiment éco-responsable qui rassurerait les coureurs et les institutions mais aussi valoriserait durablement le territoire du Mont-Blanc. La puissance publique est ici interpellée puisqu’elle est censée jouer son rôle de régulateur en travaillant à une meilleure acceptabilité sportive, sociale et environnementale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223244/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olivier Bessy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Malgré les prises de position des champions de la discipline, le nombre de participants à la prochaine édition atteint des niveaux records.Olivier Bessy, Professeur émérite, chercheur au laboratoire TREE-UMR-CNRS 6031, Université de Pau et des pays de l'Adour (UPPA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2139032023-11-02T20:53:54Z2023-11-02T20:53:54ZJO de Paris 2024 : le casse-tête biélorusse<p>La relation des sportifs de haut niveau avec la politique est pour le moins ambivalente. Le tennis, entre autres, en a récemment fourni plusieurs exemples, le Serbe <a href="https://www.lemonde.fr/sport/article/2023/05/31/novak-djokovic-s-exprime-sur-le-kosovo-un-message-pas-approprie-selon-la-ministre-des-sports-le-tournoi-de-roland-garros-joue-l-apaisement_6175461_3243.html">Novak Djokovic</a> n’hésitant pas à profiter de sa notoriété pour affirmer que le Kosovo devrait appartenir à son pays tandis que la nouvelle numéro 1 mondiale, la Biélorusse <a href="https://www.lequipe.fr/Tennis/Actualites/Aryna-sabalenka-ne-soutient-pas-la-guerre-et-donc-pas-loukachenko-en-ce-moment/1401113">Aryna Sabalenka</a>, cherche à échapper à toute question sur le régime d’Alexandre Loukachenko.</p>
<p>Aujourd’hui, la plupart des sportifs adoptent la même position que la tenniswoman biélorusse. Pour diverses raisons, ils préfèrent soit botter en touche quand on leur pose des questions trop sensibles et se réfugier derrière l’apolitisme théorique du sport, soit se contenter de prendre part à des <a href="https://www.leparisien.fr/sports/football/psg/kylian-mbappe-sur-la-scene-des-enfoires-il-a-tenu-parole-malgre-son-emploi-du-temps-de-dingue-25-01-2022-X76D4D4IAFARLN5OLUKR3WIUPU.php">causes idéologiquement neutres et populaires</a>, le soutien affirmé d’un certain nombre d’entre eux au mouvement <a href="https://www.francetvinfo.fr/sports/dans-la-lignee-du-mouvement-black-lives-matter-une-prise-de-position-rare-des-sportifs-francais_4438321.html">Black Lives Matter</a> ayant <a href="https://www.tf1info.fr/sport/equipe-de-france-racisme-ce-genou-a-terre-qui-agace-la-droite-et-l-extreme-droite-2188847.html">suscité des polémiques</a>.</p>
<p>Alors que se profilent dans moins d’un an les JO de Paris 2024, les organisateurs de l’événement savent qu’ils n’échapperont pas à la dimension politique du sport. Ils devront trancher quant à la présence de certains États tels que la Russie et de la Biélorussie, largement considérée comme étant <a href="https://theconversation.com/alexandre-loukachenko-le-cobelligerant-bielorusse-malgre-lui-213825">co-belligérante</a> dans la guerre russe en Ukraine. Lors des derniers JO d’hiver et d’été, la Russie s’était déjà vu interdire d’afficher son drapeau et de faire résonner son hymne, en raison du <a href="https://www.lemonde.fr/sport/article/2020/12/17/dopage-la-russie-exclue-des-deux-prochains-jeux-olympiques_6063754_3242.html">dopage systématique</a> organisé par l’État. La situation actuelle est différente. Il n’est plus question de triche intrinsèque au sport, mais bien de savoir si un État peut être exclu en raison de sa politique intérieure et/ou extérieure.</p>
<h2>La spécificité biélorusse</h2>
<p>Le cas de la Biélorussie est plus complexe et plus épineux que celui de la Russie. Deux visions opposées de sa situation entrent en collision, causant un dilemme éthique sans précédent.</p>
<p>D’une part, le régime de Minsk est allié de la Russie dans la guerre en Ukraine et se retrouve donc au ban de la communauté internationale ; d’autre part, depuis les élections de 2020, un <a href="https://www.cairn.info/revue-civitas-europa-2020-2-page-431.htm?contenu=plan">vent de contestation</a> souffle dans le pays contre le président Loukachenko, une contestation soutenue par cette même <a href="https://fr.euronews.com/2020/09/27/belarus-loukachenko-doit-partir-estime-emmanuel-macron-avant-une-visite-dans-les-pays-balt">communauté internationale</a> et sujette à une <a href="https://www.liberation.fr/international/europe/au-belarus-la-repression-a-atteint-un-niveau-de-folie-totale-20221121_GRLBJIS3BVCVFOH6RN554JYL7U/">terrible répression</a>.</p>
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<p>Une première remarque s’impose : si par commodité, dans les deux cas nous présentons « la Biélorussie » comme l’auteur de ces deux situations, la réalité n’est pas aussi simple. Dans le cas de la guerre en Ukraine, par « Biélorussie », il faut comprendre le gouvernement et Loukachenko ; dans le cas des contestations, il s’agit de la population.</p>
<p>Ainsi, que faire ? Convient-il de considérer la Biélorussie seulement comme l’incarnation de son pouvoir politique ou bien faut-il mettre en avant son peuple, qui se bat pour défendre ses droits ? </p>
<h2>Sanctionner le pouvoir biélorusse engagé dans la guerre en Ukraine</h2>
<p>Le CIO a par le passé sanctionné des États en raison soit de leur politique extérieure (l’Allemagne et le Japon après la Seconde Guerre mondiale, les deux pays étant exclus des JO de Londres en 1948), soit de leur politique intérieure (cas de l’Afrique du Sud durant l’apartheid). De même, lors des guerres yougoslaves des <a href="https://olympics.com/cio/heritage/barcelone-1992/solidarite-avec-sarajevo">années 1990</a>, la Serbie et le Monténégro sont exclus des JO mais réintégrés de façon détournée en 1996 sous le nom de <a href="https://www.persee.fr/doc/receo_0338-0599_1997_num_28_1_2839?q=yves+tomic">Yougoslavie</a>.</p>
<p>Ces sanctions sont cohérentes au regard de la <a href="https://olympics.com/cio/charte-olympique">Charte olympique</a> qui proclame que le sport olympique est le promoteur de la paix, de la fraternité et de valeurs humanistes entre les peuples.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/RkMa5lrPIqI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Toutefois, depuis le début des années 2000, le CIO semble faire machine arrière et se figer dans une posture apolitique ferme, quitte à renier ses valeurs et fermer les yeux sur la réalité du monde.</p>
<p>Le CIO prétend ne pas faire de politique ; pourtant, défendre et diffuser les valeurs de la Charte est un acte politique au sens premier du terme. Le problème n’est-il pas plutôt que le CIO a abandonné ses valeurs fondamentales, happé par les sirènes mercantiles ? Faire de Pékin (2008) et de Sotchi (2014) des villes hôtes interroge sur la dimension humaniste des JO.</p>
<p>Et la Biélorussie ? Par son implication auprès de la Russie dans l’agression contre l’Ukraine, elle viole les valeurs de l’olympisme. </p>
<p>Néanmoins, la Biélorussie mérite-t-elle la même sanction que la Russie ? Elle est assurément son alliée mais, officiellement, <a href="https://www.20minutes.fr/monde/ukraine/4029664-20230326-guerre-ukraine-comment-bielorussie-sert-base-arriere-moscou-depuis-debut-conflit">elle n’a engagé aucune force militaire dans le conflit</a>. Sans oublier que, nous l’avons évoqué, une bonne partie des Biélorusses ont osé défier ouvertement le régime ; et parmi eux, un certain nombre de sportifs.</p>
<h2>Soutenir les sportifs engagés contre Loukachenko</h2>
<p>Depuis la présidentielle manifestement truquée de 2020, la société civile biélorusse se bat pour faire tomber Loukachenko. <a href="https://www.courrierinternational.com/article/contestation-pres-de-400-figures-du-sport-bielorusse-expriment-leur-soutien-aux-manifestants">Les sportifs</a> ne restent pas sur le banc de touche et nombre d’entre eux participent aux manifestations au péril de leur vie. C’est par exemple le cas de la basketteuse <a href="https://www.basketeurope.com/livenews-fr/524479/le-temoignage-de-yelena-leuchanka-la-joueuse-emprisonnee-pour-avoir-manifeste-contre-le-president-bielorusse/">Yelena Leuchanka</a> qui passera quelque temps en détention pour son engagement.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1388135857308241921"}"></div></p>
<p>Dès lors, ces sportifs sont des promoteurs des valeurs humanistes de l’olympisme. Pourquoi seraient-ils alors exclus ? D’autant que la <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/bielorussie/situation-en-bielorussie-la-position-de-la-france/">France a apporté son soutien aux opposants à Loukachenko</a>. Certains proposent que les athlètes participent aux JO <a href="https://www.euractiv.fr/section/politique/news/jeux-olympiques-les-eurodeputes-veulent-une-banniere-neutre-pour-les-athletes-russes-et-bielorusses/">sous la bannière neutre olympique</a>. Cette solution est séduisante sur le papier, mais est-elle possible ?</p>
<p>La bannière neutre olympique réunit les athlètes dont le Comité national olympique (CNO) a été suspendu par le CIO. Afin de ne pas pénaliser les athlètes, ces derniers peuvent concourir, mais pas au nom de leur État. Seul le CIO a la prérogative de suspendre un CNO et donc d’autoriser certains athlètes à concourir sous bannière neutre. À l’heure actuelle, malgré de <a href="https://www.lequipe.fr/Tous-sports/Actualites/Le-cio-refuse-de-reconnaitre-l-election-de-viktor-loukachenko-a-la-presidence-du-comite-olympique-de-bielorussie/1230454">nombreuses polémiques</a> depuis 2020, le <a href="https://olympics.com/cio/boc">CNO de Biélorussie</a> est toujours en place. Il n’y a aucune raison pour refuser l’accès aux JO aux athlètes biélorusses sous leurs couleurs nationales.</p>
<p>Comment dans ce cas montrer d’une part son soutien aux sportifs engagés contre le pouvoir et d’autre part exprimer sa réprobation face à l’aide logistique de la Biélorussie à la Russie ? Le CIO a trouvé une parade : les athlètes participent sous leur bannière nationale mais le <a href="https://www.lapresse.ca/sports/jeux-olympiques/2023-07-13/paris-2024/le-cio-invitera-203-pays-la-russie-et-la-bielorussie-exclues-pour-l-instant.php">CNO n’est pas convié</a>.</p>
<p>Cette solution paraît la plus équilibrée pour le CIO ; pour autant, la prise de risque est assez limitée. Depuis le début de la guerre en Ukraine, Loukachenko, toujours président du CNO de Biélorussie, est interdit de visa en France. Même si le CIO revient sur sa décision et l’invite <a href="https://www.liberation.fr/planete/2020/10/12/loukachenko-bastonne-l-europe-sanctionne_1802127/">il ne pourra entrer sur le territoire français</a> et ne pourra donc pas utiliser les JO de Paris pour nourrir sa propagande.</p>
<p>Un dernier problème peut se poser au CIO. Selon les textes, pour pouvoir participer un sportif doit être inscrit par son CNO national (<a href="https://stillmed.olympics.com/media/Document%20Library/OlympicOrg/General/FR-Olympic-Charter.pdf">règle 40</a>. Que faire si la Biélorussie décide d’évincer tous les sportifs opposés au régime au profit de ceux qui le soutiennent ou à tout le moins qui ne le critiquent pas ? La France semble anticiper cette problématique. En effet, le CIO a annoncé travailler avec l’État hôte à la mise en place d’un <a href="https://www.huffingtonpost.fr/sport/article/jo-paris-2024-en-quoi-consiste-le-consulat-olympique-dont-va-se-doter-la-france_223412.html">consulat olympique</a>, service immatériel chargé de délivrer les visas à toute personne souhaitant participer aux JO (sportifs et public). Pour le moment, l’idée est trop récente pour se faire une opinion sur sa pertinence. </p>
<h2>Sans vouloir conclure</h2>
<p>Nous ne prendrons donc pas position sur la présence ou non des athlètes biélorusses aux JO de Paris. L’ouverture des Jeux est encore bien loin et beaucoup de choses peuvent se passer et changer la donne. Néanmoins, les JOP donnent peut-être une tendance pour la suite. <a href="https://www.lejdd.fr/sport/jo-2024-la-participation-des-sportifs-russes-sous-banniere-neutre-serait-une-solution-selon-amelie-oudea-castera-138618">L’Assemblée générale du Comité international paralympique</a> a voté la réintégration de certains sportifs russes et biélorusses mais sous bannière neutre, malgré les contestations des Ukrainiens. Cette solution médiane propose un compromis entre l’apolitisme olympique et les réticences de la France. </p>
<p>Nous le voyons, le cas de la Biélorussie est bien plus complexe qu’il n’y paraît et il est difficile de prendre une position tranchée. Deux actualités majeures de l’État se percutent frontalement et donnent à voir deux visages de la Biélorussie.</p>
<p>Le cas de la Biélorussie réaffirme la politisation du sport, ni les sportifs ni le CIO ne peuvent y échapper. Et n’oublions pas que, si évincer Loukachenko, Poutine et leurs proches tant sportifs que politiques est un acte politique fort, cela leur offre un argument supplémentaire pour alimenter leur discours « anti-occident », les décisions du CIO, qui regroupe pourtant la quasi-totalité des pays de la planète, étant associées dans leur propagande à une volonté uniquement occidentale. Toutes ces décisions sont épineuses car parfois le revers de la médaille est bien plus funeste que celle-ci.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213903/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pauline Soulier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Faut-il refuser à la Biélorussie le droit de participer aux JO de Paris du fait de son allégeance à la Russie de Vladimir Poutine ? Il existe deux façons opposées de répondre à cette question.Pauline Soulier, Docteur en science politique, Institut de Recherche Montesquieu-Centre Montesquieu de Recherche Politique, Laboratoire Cultures – Éducation – Sociétés, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1945872022-11-16T14:27:28Z2022-11-16T14:27:28ZLe boycott de la Coupe du monde aura ses limites, mais le Qatar ne s’en sortira pas indemne<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/495482/original/file-20221115-11-eoau6e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=12%2C12%2C8614%2C5716&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un homme se prend en photo sur la corniche de Doha, capitale du Qatar, le 11 novembre 2022. Les multiples scandales dans l'organisation de l'événement vont ternir la réputation du pays hôte.</span> <span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Hassan Ammar)</span></span></figcaption></figure><p>Après 36 ans d’attente, l’équipe masculine canadienne de soccer va participer pour la deuxième fois de son histoire à la Coupe du monde 2022 qui se déroulera au Qatar. La compétition commence le 20 novembre et se conclut le 18 décembre prochain.</p>
<p>L’événement, d’envergure planétaire, qui suscite ferveur et passion, est malencontreusement entaché par la nomination comme pays hôte du Qatar, <a href="https://www.amnesty.org/fr/location/middle-east-and-north-africa/qatar/report-qatar/">jugé liberticide et discriminatoire par Amnesty International</a>, et par les préparatifs de la compétition.</p>
<p>Je suis passionné par le soccer (le football) depuis de nombreuses années. J’ai vécu de grands moments individuels et collectifs lors des Coupes du monde précédentes. Or, celle-ci au Qatar me laisse perplexe. Je m’interroge sur le boycott ou non de la présente édition, à titre d’amateur et de sociologue.</p>
<p>En adoptant une sociologie de l’engagement, je souhaite ainsi décortiquer les principaux scandales qui ont secoué le monde sportif, associatif et politique depuis cette nomination, et les limites des appels au boycott qu’on entend depuis.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/495486/original/file-20221115-13642-wtm1rn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/495486/original/file-20221115-13642-wtm1rn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/495486/original/file-20221115-13642-wtm1rn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/495486/original/file-20221115-13642-wtm1rn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/495486/original/file-20221115-13642-wtm1rn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/495486/original/file-20221115-13642-wtm1rn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/495486/original/file-20221115-13642-wtm1rn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des activistes protestent contre la tenue de la Coupe du monde et appellent au boycott de l’événement lors d’une manifestation devant l’ambassade du Qatar à Paris, le 15 novembre 2022. Les manifestants ont rendu hommage aux travailleurs migrants qui sont morts pendant les travaux de construction.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Francois Mori)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Scandale sportif et politique</h2>
<p>Depuis l’attribution de la Coupe du monde au Qatar, en décembre 2010, <a href="https://www.france24.com/fr/sports/20221019-une-coupe-du-monde-achet%C3%A9e-depuis-2010-des-soup%C3%A7ons-de-corruption-p%C3%A8sent-sur-le-qatar">il existe des soupçons de corruption</a>. L’émirat gazier aurait acheté la prestigieuse compétition. Son <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/cultures-monde/du-palais-de-l-elysee-aux-couloirs-de-la-fifa-une-attribution-sous-influence-6306577">dossier technique était le moins bon de tous les candidats</a>.</p>
<p><a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/cultures-monde/du-palais-de-l-elysee-aux-couloirs-de-la-fifa-une-attribution-sous-influence-6306577">Plusieurs enquêtes de la part des autorités américaines, suisses et françaises</a> corroborent la présence de pot-de-vin.</p>
<p>Cela s’ajoute à la <a href="https://www.lapresse.ca/sports/soccer/2022-11-10/documentaire-sur-netflix/la-corruption-a-la-fifa-exposee.php">longue liste de scandales touchant la gouvernance de la FIFA</a> depuis des décennies.</p>
<h2>Scandale des conditions de travail</h2>
<p>En 2021, le quotidien britannique <a href="https://www.theguardian.com/global-development/2021/feb/23/revealed-migrant-worker-deaths-qatar-fifa-world-cup-2022"><em>The Guardian</em></a> a publié les résultats d’un rapport sur les conditions de travail des travailleurs migrants (majoritairement en provenance du Népal et du Bengladesh). Pour la période de 2011 à 2020, près de 6 750 de ces travailleurs étrangers seraient morts lors des travaux des infrastructures qatariennes (il a fallu construire une dizaine de stades).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/495487/original/file-20221115-21-j9vuxu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/495487/original/file-20221115-21-j9vuxu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/495487/original/file-20221115-21-j9vuxu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/495487/original/file-20221115-21-j9vuxu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/495487/original/file-20221115-21-j9vuxu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/495487/original/file-20221115-21-j9vuxu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/495487/original/file-20221115-21-j9vuxu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des travailleurs s’affairent aux derniers préparatifs en vue de la Coupe du monde, à Doha, le 12 novembre 2022. Des milliers d’entre eux seraient morts pendant les travaux de construction. Le Qatar nie les abus.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Hassan Ammar)</span></span>
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</figure>
<p>Les conditions de travail ont maintes fois été dénoncées par les <a href="https://www.theguardian.com/global-development/2019/oct/07/sudden-deaths-of-hundreds-of-migrant-workers-in-qatar-not-investigated">médias</a> et les organisations non gouvernementales (ONG), telles que <a href="https://www.hrw.org/news/2022/10/24/will-qatar-and-fifa-remedy-abuse-migrant-workers">Human Rights Watch</a> et <a href="https://www.amnesty.fr/campagnes/qatar-2022-coupe-du-monde-football-ramenez-la-coupe-a-la-raison">Amnesty International</a>. Outre l’extrême chaleur et la rémunération aléatoire, une majorité de travailleurs se sont vu leur passeport confisqué.</p>
<h2>Scandale des droits de la personne</h2>
<p>Outre la discrimination envers les femmes, le Qatar « <a href="https://www.hrw.org/fr/news/2022/07/11/la-coupe-du-monde-de-la-honte-la-fifa-neglige-les-droits-des-lgbt-au-qatar">réprime les droits des personnes LGBT et punit les relations sexuelles entre personnes de même sexe d’une peine pouvant aller jusqu’à sept ans de prison</a>. »</p>
<p>Le Qatar a garanti que les personnes LGBT+ ne seront pas discriminées, mais Human Rights Watch a récemment « <a href="https://www.liberation.fr/societe/droits-des-femmes/mondial-2022-le-qatar-accuse-de-maltraiter-des-personnes-lgbt-20221024_NW63RYGABBGCHHYPUELBVOFHAU/">documenté six cas de passage à tabac sévères et répétés et cinq cas de harcèlement sexuel en garde à vue entre 2019 et 2022</a> » envers des personnes LGBT+.</p>
<p>Par ailleurs, l’ancien footballeur international qatari et ambassadeur de la Coupe du monde 2022, Khalid Salman, <a href="https://www.lemonde.fr/football/article/2022/11/08/un-ambassadeur-qatari-du-mondial-2022-qualifie-l-homosexualite-de-dommage-mental_6148958_1616938.html">a qualifié il y a quelques jours l’homosexualité de « dommage mental »</a>.</p>
<h2>Scandale environnemental</h2>
<p>La compétition se déroulera au milieu du désert et, pour une première fois de son histoire, la Coupe du monde aura lieu en hiver. Malgré cette mesure pour atténuer les conséquences des chaleurs extrêmes du pays, les stades seront climatisés. Ajoutons que plus de 150 trajets quotidiens en avion sont prévus pour déplacer les supporters vers les stades.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/495485/original/file-20221115-17-dvb80b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/495485/original/file-20221115-17-dvb80b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/495485/original/file-20221115-17-dvb80b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/495485/original/file-20221115-17-dvb80b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/495485/original/file-20221115-17-dvb80b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/495485/original/file-20221115-17-dvb80b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/495485/original/file-20221115-17-dvb80b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le stade Khalifa International, à Doha, au Qatar, le 15 octobre 2022. Comme les autres stades neufs qui accueilleront les compétitions, il sera climatisé durant la durée du tournoi, une ‘aberration écologique ».</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Nariman El-Mofty)</span></span>
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</figure>
<p>Pour les défenseurs de l’environnement, cette compétition est <a href="https://www.france24.com/fr/sports/20221028-qatar-derri%C3%A8re-la-neutralit%C3%A9-carbone-la-coupe-du-monde-du-greenwashing">l’une des plus grandes aberrations écologiques</a> de l’histoire de la Coupe du monde.</p>
<h2>Regarder ou pas la Coupe du monde ?</h2>
<p>À quelques jours du début de la compétition, une question éthique ou morale s’impose aux amateurs : <a href="https://www.francetvinfo.fr/coupe-du-monde/c-est-la-coupe-du-monde-du-scandale-sportifs-politiques-supporters-ils-racontent-pourquoi-ils-boycottent-le-mondial-au-qatar_5450416.html">faut-il ou non regarder la Coupe du monde de football au Qatar</a>, dans un contexte marqué par les nombreuses aberrations humaines, sociales et écologiques de l’évènement ?</p>
<p>Eric Cantona, ancien footballeur français, <a href="https://www.dailymail.co.uk/sport/football/article-10393613/Eric-Cantona-delivers-crippling-verdict-Qatar-World-Cup.html">a lancé le débat en janvier dernier</a> :</p>
<blockquote>
<p>Le Qatar, ce n’est pas un pays de football, c’est seulement une histoire d’argent, et la manière dont ils ont traité les gens qui construisent les stades est une horreur, des milliers de gens sont morts.</p>
</blockquote>
<p>D’autres personnalités publiques ou politiques, comme l’ancien président de la République française François Hollande, ont affirmé qu’elles boycotteraient cette compétition. Pour <a href="https://www.francetvinfo.fr/coupe-du-monde/c-est-la-coupe-du-monde-du-scandale-sportifs-politiques-supporters-ils-racontent-pourquoi-ils-boycottent-le-mondial-au-qatar_5450416.html">l’écrivain Olivier Guez</a>, « c’est la Coupe du monde du scandale, celle qui illustre toutes les dérives du football. »</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1572930849972310017"}"></div></p>
<p>Enfin, des <a href="https://ici.radio-canada.ca/sports/1914813/quotidien-boycotter-coupe-monde-qatar-ile-reunion--">médias</a> et des <a href="https://www.france24.com/fr/sports/20221006-boycott-des-%C3%A9crans-g%C3%A9ants-pour-le-mondial-au-qatar-un-choix-politique-%C3%A9conomique-hypocrite">villes</a>, comme <a href="https://www.ouest-france.fr/sport/coupe-du-monde/coupe-du-monde-2022-a-son-tour-paris-ne-diffusera-pas-les-rencontres-sur-ecran-geant-944106ca-4331-11ed-beb6-555db4e87ef8">Paris</a>, Marseille, Bordeaux ou Lille, ont décidé de boycotter la Coupe du monde pour des raisons morales et économiques. Elles ne diffuseront pas les rencontres sur des écrans géants, comme par le passé.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1575981740380016640"}"></div></p>
<p>Une décision qui ne fait pas l’unanimité. Le maire de Dijon, François Rebsamen, qualifie même le boycott de la compétition de démagogique : « <a href="https://www.france24.com/fr/sports/20221006-boycott-des-%C3%A9crans-g%C3%A9ants-pour-le-mondial-au-qatar-un-choix-politique-%C3%A9conomique-hypocrite">curieusement, aucune voix ne s’est élevée en 2018 lors du Mondial en Russie, alors même que l’armée de Poutine avait annexé la Crimée</a>. »</p>
<h2>Boycotter la Coupe du monde peut-il vraiment changer la donne ?</h2>
<p>Selon les auteures belges Ingrid Nyström et Patricia Vendramin, qui ont écrit <em>Le Boycott</em>, celui-ci <a href="https://www-cairn-info.proxy.bib.uottawa.ca/le-boycott--9782724617108-page-51.htm">« est un cas tout à fait singulier d’articulation des niveaux d’action individuelle et collective »</a>.</p>
<p>Le fait de boycotter un événement sportif représente une action individuelle à portée collective, car la somme des actions individuelles se matérialise dans une action collective.</p>
<p>Individuellement, le boycott est une opportunité citoyenne de manifester son désaccord concernant une situation dont il n’a pas le contrôle (nomination du Qatar) et que les autres voies diplomatiques n’ont pas résolu (les nombreux scandales et l’absence de réponse adéquate des associations membres de la FIFA, des commanditaires et des diffuseurs). Toujours selon les auteurs de <em>Le Boycott</em>, le citoyen <a href="https://www-cairn-info.proxy.bib.uottawa.ca/le-boycott--9782724617108-page-51.htm">« veut agir en son nom propre, en cohérence avec ses valeurs »</a>, tout en exerçant un poids économique à une organisation (perte de revenus). Le citoyen veut avant tout consommer un produit qui s’inscrit dans une logique cohérente avec ses valeurs.</p>
<p>Cela dit, le mouvement de boycott risque de ne rien changer au déroulement de la Coupe du monde. Ce mouvement arrive trop tard, selon plusieurs observateurs.</p>
<p>Ainsi, selon <a href="https://theconversation.com/profiles/eric-monnin-1319122">Eric Monnin, sociologue du sport</a>, le boycott <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/zoom-zoom-zen/zoom-zoom-zen-du-jeudi-22-septembre-2022-3641289">« n’a aujourd’hui plus beaucoup de sens</a>. Arrêtons de rêver. Il n’y aura pas de boycott significatif parce qu’il y a tellement d’enjeux économiques que, globalement, c’est impossible ! »</p>
<p>En revanche, les nombreux débats sur la pertinence du boycott ou non ont permis de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=B6EDQGr7wlQ">mettre en lumière les enjeux sociaux et environnementaux entourant cette Coupe du monde</a>. Le Qatar a ainsi attiré sur lui des projecteurs qui ont révélé des faits qu’il aurait préféré tenir cachés.</p>
<p>D’ici quelques jours, le partisan de soccer devra décider s’il suivra ou non cette compétition. Il risque de se retrouver coincé entre le désir de vivre des émotions fortes associées à la Coupe du monde tout en voulant être cohérent avec ses valeurs personnelles. <a href="https://www.lequipe.fr/Football/Actualites/Avant-la-coupe-du-monde-au-qatar-les-bleus-s-engagent-par-ecrit-pour-les-droits-humains/1364992">Des joueurs ont manifesté leurs malaises</a>. Une question demeure : jusqu’où les partisans, médias, joueurs, fédérations et commanditaires sont-ils prêts à sacrifier leurs valeurs individuelles ou organisationnelles afin de vivre leur passion ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/194587/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian J. Y. Bergeron ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Des scandales financiers, humains et environnementaux secouent la Coupe du monde de la FIFA. Même si les appels au boycott n’empêcheront pas la compétition d’avoir lieu, l’image du Qatar sera ternie.Christian J. Y. Bergeron, Professeur en sociologie de l’éducation, L’Université d’Ottawa/University of OttawaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1931562022-10-24T17:15:37Z2022-10-24T17:15:37ZCoupe du monde 2022 : le contre-la-montre du Qatar pour gagner la bataille des mentalités<p>Cet hiver, le Danemark jouera la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/coupe-du-monde-120635">Coupe du monde</a> de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/football-20898">football</a> au <a href="https://theconversation.com/fr/topics/qatar-39492">Qatar</a> avec des maillots particuliers : le nom et le logo de son sponsor, Hummel, <a href="https://www.20minutes.fr/sport/4002908-20220929-coupe-monde-2022-hummel-presente-maillots-danemark-protestation-contre-qatar">seront masqués</a>. L’une des trois tenues de l’équipe nationale sera même entièrement noire, la « couleur du deuil » précise l’équipementier.</p>
<p>La marque a justifié ce design inhabituel en faisant directement référence aux milliers de <a href="https://www.theguardian.com/global-development/2021/feb/23/revealed-migrant-worker-deaths-qatar-fifa-world-cup-2022">décès de travailleurs migrants du bâtiment au Qatar</a>, ainsi qu’au bilan pour le moins contesté de l’émirat en matière de <a href="https://bleacherreport.com/articles/1854355-qatar-accused-of-human-rights-violations-in-preparation-for-2022-world-cup">droits de l’homme</a>. « Nous ne souhaitons pas être visibles pendant un tournoi qui a coûté la vie à des milliers de personnes », explique un post de l’équipementier diffusé sur les réseaux sociaux.</p>
<p>Ce dernier précise : « Nous soutiendrons l’équipe nationale danoise jusqu’au bout, mais ce n’est pas la même chose que de soutenir le Qatar en tant que pays hôte ».</p>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/CjDEvi3KxVm/ ?utm_source=ig_embed\u0026ig_rid=d59b6226-a03b-42c2-b03\u003csup\u003ee\u003c/sup\u003e-f97590ff9c7c\"/\u003e\u003c/p\u003e\n\n\u003cp\u003eLa critique de Hummel n’est pas la première que connaît le Qatar et, le tournoi approchant, ce ne sera pas la dernière. L’ancienne star de Manchester United, \u003ca href=","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<h2>Changement de tactique</h2>
<p>Mais la <a href="https://www.qatar-tribune.com/article/22356/front/we-dispute-hummels-claim-on-world-cup-sc">réponse du Qatar</a> à la communication de Hummel semble démontrer un changement de tactique. Par le passé, les Qataris ont souvent été lents à réagir à de telles critiques. Pourtant, quelques heures après que Hummel a fait part de ses préoccupations, l’organisation responsable de l’événement publiait une ferme déclaration.</p>
<p>Le comité organisateur de l’événement a affirmé que le Qatar avait mis en œuvre d’importantes réformes du marché du travail, et que tous les autres pays, y compris le Danemark, feraient mieux de se concentrer sur le respect des droits de l’homme chez eux.</p>
<p>Une réponse aussi acerbe mérite d’être soulignée, car elle semble marquer une évolution dans la nature, le ton et la vitesse des communications émanant du Qatar. Les officiels se sont manifestement préparés à une période intense de surveillance et d’activisme pour ce qui sera l’une des Coupes du monde les plus controversées de l’histoire du football.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/coupe-du-monde-au-qatar-shell-danone-ou-nike-les-questions-que-soulevent-les-boycotts-191815">Coupe du monde au Qatar, Shell, Danone ou Nike : les questions que soulèvent les boycotts</a>
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<p>Ils ont également anticipé <a href="https://www.sportico.com/business/tech/2022/qatar-world-cup-security-spending-cyber-threats-1234690532/">l’éventualité d’une perturbation de l’événement</a>. Des policiers marocains ont été recrutés alors que des équipements de surveillance américains, des drones turcs et des frégates italiennes ont été achetés. Reste à savoir comment ces ressources seront déployées, et si elles sont liées à l’annonce récente de <a href="https://talksport.com/football/983856/world-cup-2022-fans-qatar-alcohol-stadiums-cost/">l’autorisation de vente d’alcool</a>, pendant 19 heures par jour.</p>
<p>En matière de logistique également, le Qatar s’est exercé. Il a accueilli plusieurs événements très médiatisés et à forte affluence pour mesurer son niveau de préparation, notamment deux événements de la Fifa : la Coupe du monde des clubs en 2019 et la Coupe arabe des nations en 2021. Les deux tournois se sont déroulés sans incident majeur. Mais un récent <a href="https://www.middleeasteye.net/news/qatar-world-cup-test-event-widespread-issues">événement-test au Lusail Iconic Stadium</a> (qui doit accueillir la finale du Mondial, le 18 décembre) a été moins encourageant : des pénuries d’eau, une climatisation défectueuse et la nécessité de marcher pendant une heure jusqu’au stade sous une chaleur de 35 °C sont venues perturber la fête.</p>
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<p>Rien qui ne soit insurmontable avant le match d’ouverture de novembre entre le Qatar et l’Équateur, le dimanche 20 novembre prochain. Mais il y a peu de marge d’erreur dans l’organisation d’événements sportifs de cette nature. En mars, le Grand Prix de Formule 1 en Arabie saoudite a failli être annulé après une <a href="https://www.theguardian.com/sport/2022/mar/25/saudi-arabian-grand-prix-at-risk-of-cancellation-after-houthi-missile-attack">attaque de drones des Houthis</a>, mouvement rebelle en guerre contre le pouvoir yéménite soutenu par Riyad, tandis qu’en mai, le Stade de France à Saint-Denis a connu de <a href="https://theconversation.com/incidents-aux-abords-du-stade-de-france-des-problemes-de-gestion-anciens-184202">graves problèmes de gestion des foules</a> lors de la finale de la Ligue des Champions.</p>
<h2>Énorme pari</h2>
<p>L’afflux de visiteurs sera d’ailleurs un défi majeur. On estime à <a href="https://www.latimes.com/sports/newsletter/2022-07-05/soccer-newsletter-qatar-soccer">plus de 1,2 million</a> le nombre de personnes qui se rendront au Qatar entre novembre et décembre.</p>
<p>Pour un pays de 3 millions d’habitants, c’est considérable. Cela mettra à l’épreuve les infrastructures essentielles, comme les routes, les transports publics, l’approvisionnement en eau et la <a href="https://www.deccanherald.com/international/doha-in-race-to-fix-its-drainage-before-fifa-world-cup-2022-1052677.html">capacité d’évacuation des eaux usées</a>. Certains travailleurs immigrés ont déjà reçu l’ordre de quitter le Qatar et de <a href="https://www.reuters.com/lifestyle/sports/qatari-government-workers-work-home-during-world-cup-2022-10-06/">ne revenir qu’une fois le tournoi terminé</a>. Les fonctionnaires ont été priés de travailler à domicile pendant la Coupe du monde, et les écoles, collèges et universités seront fermés.</p>
<p>Craignant les embouteillages, le gouvernement qatari interrompra la circulation dans Doha le vendredi (souvent le jour le plus chargé de la semaine) et teste actuellement <a href="https://thepeninsulaqatar.com/article/25/04/2022/qatar-receives-final-batch-of-electric-buses-to-ferry-fans-for-world-cup">700 bus électriques</a> aux couleurs de la Coupe du monde en prévision d’éventuels problèmes de transports. Comme je l’ai découvert lors d’une visite en septembre, à quelques semaines du coup d’envoi, d’importantes sections des rues de Doha sont d’ailleurs encore inaccessibles car le pays cherche à moderniser son système d’eau et d’égouts jusqu’au bout.</p>
<p>Au cours de ce voyage, j’ai été frappé par l’ampleur du développement des infrastructures qui a eu lieu depuis ma dernière visite au Qatar, avant la pandémie. La ville semblait beaucoup plus calme qu’auparavant, ce qui, selon un chauffeur de taxi, s’explique par le fait que les habitants ont reçu l’ordre de quitter le pays ou de rester à l’écart de la capitale pendant les derniers préparatifs.</p>
<p>À certains endroits, les routes n’étaient toujours pas terminées, pas plus que plusieurs zones où les supporters sont censés se rassembler. Parmi les travailleurs migrants avec lesquels j’ai discuté, certains évoquaient les longues heures de travail et les bas salaires. Toutefois, ils m’ont presque tous parlé de leur enthousiasme au sujet du tournoi, eux comme d’autres.</p>
<p>Le fait que beaucoup d’entre eux ne pourront pas s’offrir de billets pour les matchs ne préoccupe pas les autorités qataries. Les douze années de préparation de cette Coupe du monde ont été consacrées à la <a href="https://www.iris-france.org/160117-small-nation-big-games-qatar-gets-ready-for-2022/">construction d’une nation</a>, à la projection d’un <a href="https://www.scmp.com/sport/other-sport/article/2123791/soft-power-sponsorships-how-qatar-uses-sport-promote-positive">« soft power) »</a> et au changement des perceptions internationales. Alors que les derniers préparatifs sont en cours, le gouvernement de Doha ne tardera plus à juger si son énorme pari a été payant.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/193156/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Simon Chadwick a récemment été invité à parler de la Coupe du monde lors d'un événement organisé par le Gulf Studies Institute de l'Université du Qatar. Les frais de voyage et de séjour étaient pris en charge par l'université. Aucun autre paiement n'a été reçu.</span></em></p>Le pays hôte du Mondial de football, qui débute le 20 novembre, a changé de stratégie face aux critiques et met tout en œuvre pour qu’aucun incident ne vienne émailler l’événement.Simon Chadwick, Professor of Sport and Geopolitical Economy, SKEMA Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1918152022-10-16T15:40:16Z2022-10-16T15:40:16ZCoupe du monde au Qatar, Shell, Danone ou Nike : les questions que soulèvent les boycotts<p>Depuis quelques mois, l’idée d’un boycott de la coupe du monde au Qatar fait son chemin. En France, plusieurs <a href="https://www.huffingtonpost.fr/politique/article/coupe-du-monde-au-qatar-lyon-boycotte-son-maire-nous-dit-pourquoi_208551.html">maires</a> ont récemment annoncé que leur ville ne diffusera pas l’événement sur écrans géants comme de coutume. <a href="https://www.ouest-france.fr/sport/coupe-du-monde/coupe-du-monde-2022-une-aberration-une-mascarade-cantona-va-boycotter-le-mondial-au-qatar-00b42426-3415-11ed-bdc4-fcda9c919702">Des personnalités diverses</a> annoncent qu’elles ne se rendront ni ne suivront l’évènement. Chaque jour, les journalistes invitent aussi sportifs et personnalités politiques à prendre position. Et au bistrot, les passionnés discutent de se passer – ou non – du plaisir de voir de bons matchs.</p>
<p>Dans l’ouvrage <a href="https://www.dunod.com/sciences-humaines-et-sociales/sociologie-consommation"><em>Sociologie de la consommation</em></a>, Ana Perrin-Heredia et moi-même retraçons les liens nombreux entre <a href="https://www.cairn.info/sociologie-de-la-consommation--9782200616274-page-163.htm?contenu=resume">consommation et politique</a>. </p>
<p>Les boycotts constituent l’un de ces liens possibles.</p>
<h2>Un terme né dans l’Irlande du XIXᵉ siècle</h2>
<p>Dans la campagne irlandaise de la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, Charles C. Boycott, intendant au service d’un riche propriétaire terrien, augmente démesurément les loyers des paysans attachés à ses terres. Cette conduite provoque l’expulsion de ces derniers, pourtant <a href="https://doi.org/10.3917/scpo.filli.2009.01.0080">déjà affaiblis par la famine</a>.</p>
<p>Un leader nationaliste irlandais propose alors aux familles concernées et, plus largement, à tous les habitants de ces contrées (commerçants, employés, etc.) d’ostraciser C. C. Boycott, c’est-à-dire de refuser tout contact au quotidien avec lui. La proposition est ensuite étendue à tous les propriétaires terriens majorant leur loyer ainsi qu’aux paysans reprenant les terres des expulsés. Un journaliste de l’époque crée alors l’antonomase « boycott », transformant ce nom de famille en nom commun, pour désigner ces modes d’action.</p>
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<p>Si ce terme renvoie aujourd’hui le plus souvent au refus d’entretenir des relations marchandes avec une entreprise, pour autant, tous les boycotts ne portent pas sur des produits commerciaux. Par exemple, l’année 1936 a connu une grande campagne visant le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Boycotts,_scandales_et_controverses_olympiques">boycott des Jeux olympiques de Berlin</a> dans plusieurs pays en raison de l’arrivée au pouvoir du régime nazi.</p>
<p>Plus récemment, à la demande d’intellectuels et d’universitaires palestiniens, une campagne de boycott intitulée <a href="https://www.bdsfrance.org/">« Boycott désinvestissement et sanctions »</a> (BDS) a été lancée. Depuis 2005, elle appelle à un boycott économique, académique, culturel et politique de l’État d’Israël pour protester <a href="https://luxediteur.com/catalogue/boycott-desinvestissement-sanctions/">contre la colonisation et l’occupation des terres palestiniennes</a>.</p>
<p>Aujourd’hui, c’est la <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/09/25/coupe-du-monde-au-qatar-aimons-le-football-mais-pas-a-n-importe-quel-prix_6143083_3232.html">coupe du monde de football au Qatar</a> qui fait l’objet d’appel au boycott pour d’innombrables raisons, notamment environnementales et sociales (par exemple le <a href="https://www.mediapart.fr/journal/international/150922/mondial-de-foot-au-qatar-l-esclavage-fait-son-gros-oeuvre">nombre de travailleurs exploités et décédés</a> pour construire les stades).</p>
<h2>De Rosa Parks à Danone</h2>
<p>Le boycott des services de transports proposés par la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Boycott_des_bus_de_Montgomery">compagnie de bus de Montgomery</a> (Alabama) en 1955 fait partie des boycotts les plus célèbres de l’histoire.</p>
<p>Un soir de décembre, une couturière afro-américaine nommée Rosa Parks, s’installe à l’avant d’un bus sur l’une des places réservées aux passagers « blancs ». S’en suit une incarcération pour « troubles à l’ordre public » qui devient point de départ d’un mouvement qui se prolonge pendant plus d’un an.</p>
<p>Les usagers racisés arrêtent de recourir aux services de la compagnie, encouragés par une association créée par un pasteur, <a href="https://kinginstitute.stanford.edu/encyclopedia/montgomery-bus-boycott">Martin Luther King</a>. Les autres usagers ne les empruntent pas davantage, par solidarité… ou par crainte. Des véhicules particuliers en viennent à jouer les taxis à grande échelle et les contestataires tiennent bon. Treize mois plus tard, la Cour Suprême déclare la ségrégation dans les bus contraire à la Constitution américaine. Le boycott d’un service de transport routier a donc constitué une étape importante dans le cadre d’une mobilisation politique plus vaste, telle celle du mouvement des droits civiques américain <a href="https://www.dunod.com/sciences-humaines-et-sociales/sociologie-race">Civil Right Movement</a>, suggérant comment une forme de consommation protestataire peut contribuer à porter des revendications au-delà du seul service contesté.</p>
<p>En 1995, l’ONG Greenpeace engage une action de boycott, d’ampleur internationale, contre la compagnie pétrolière anglo-néerlandaise, Shell. En cause : le projet du pétrolier de couler une plate-forme de stockage au large de la mer du Nord, avec quelques milliers de tonnes de pétrole à bord. Si les activistes britanniques peinent à se faire entendre, les membres allemands de l’association engagent différentes actions, dont le recours au boycott des stations-service Shell. En Allemagne, le succès de ce dernier est tel que <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1995/06/22/shell-cede-a-la-pression-de-l-opinion-europeenne_3860042_1819218.html">Shell décide de rapatrier sa plate-forme sur la terre ferme pour la démanteler</a>. Là encore, le boycott d’un produit de consommation (ici du carburant), au-delà des frontières nationales, permet de peser dans le rapport de force économique et de faire aboutir des revendications environnementales.</p>
<p>Dans les années 2000, l’entreprise française Danone envisage de fermer différentes usines de biscuiterie, jugées moins rentables que ses autres activités, et impactant dès lors sa valeur boursière. À l’annonce des fermetures d’usines, différentes modalités d’actions sont mises en place à l’initiative des syndicats et des ouvriers. Parmi ces dernières, un appel au boycott est lancé, largement relayé et soutenu par plusieurs <a href="https://doi.org/10.3917/lms.207.0039">personnalités politiques</a>.</p>
<p>En dépit du succès médiatique de cette mobilisation, Danone ne plie pas. Si les exigences des consommateurs mobilisés n’ont cette fois pas abouti, le boycott a contribué à durablement écorner l’image de marque de l’entreprise et à légitimer la lutte contre les <a href="https://www.humanite.fr/danone/danone-le-cas-d-ecole-des-licenciements-boursiers-515635">« licenciements boursiers »</a>, lutte qui n’a cessé, depuis lors, de gagner en légitimité dans le débat politique français.</p>
<h2>Des choix collectifs et bien informés</h2>
<p>Quels enseignements peut-on tirer de ces boycotts ? Pour les chercheuses Ingrid Nyström et Patricia Vendramin, ce qui frappe d’abord, c’est la <a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?gcoi=27246100596060">diversité des acteurs engagés</a> : des syndicats, des hommes politiques, des ONG, des juristes, des représentants de l’État ainsi que des citoyens « ordinaires ».</p>
<p>Il faut dès lors se garder de rapporter les pratiques de (non) consommation à des choix individuels de consommateurs. Autre enseignement, il ne faut pas qualifier ces mobilisations de « nouvelles » ou d’« alternatives ». Dans bien des cas en effet, elles s’appuient sur des répertoires (scandalisation, médiatisation, judiciarisation, etc.) et des institutions politiques (homme politique, associations établies, etc.) anciens.</p>
<p>Par ailleurs, il importe de ne pas réduire le succès ou l’échec d’un boycott à l’aboutissement d’une revendication précise. Rappelez-vous, le boycott de Danone participe à la légitimation d’une action politique contre les <a href="https://doi.org/10.3917/mouv.089.0032">« licenciements boursiers »</a> de manière générale, et a ainsi nourri l’idée que les profits réalisés par les actionnaires de multinationales quand les employés souffrent de la crise sont illégitimes.</p>
<p>Enfin, on peut ajouter qu’il ne faut pas trop vite associer boycotts aux causes progressistes et/ou environnementales comme en témoigne le boycott de Nike en 2018 par de nombreux consommateurs Américains furieux que la marque ait choisi pour égérie le footballeur afro-américain <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/usa/reseaux-sociaux-polemique-autour-de-la-nouvelle-campagne-de-nike_2926759.html">Colin Kaepernick</a> – celui qui posa le premier le <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/police/violences-policieres/de-colin-kaepernick-a-george-floyd-voici-lhistoire-de-take-a-knee-le-geste-qui-veut-mettre-a-genoux-le-racisme-aux-etats-unis_3993459.html">genou à terre</a> pendant l’hymne nationale en signe de soutien à la lutte contre les violences policières et les discriminations envers les Afro-Américains.</p>
<h2>Un mode de protestation inégalitaire</h2>
<p>Pour autant, si la consommation engagée constitue un <a href="https://www.researchgate.net/publication/249176334_Political_Virtue_and_Shopping_Individuals_Consumerism_and_Collective_Action_by_Michele_Micheletti_book_review">authentique mode d’action politique</a>, ces démarches restent inégalitaires.</p>
<p>Du point de vue statistique, le recours au boycott en Europe est bien plus fréquent en Europe du Nord d’abord, de l’Ouest ensuite et beaucoup moins en Europe <a href="https://doi.org/10.3917/sopr.020.0037">méridionale et orientale</a>.</p>
<p>De même et sans surprise, ce type de mouvement s’est davantage diffusé parmi les classes moyennes du secteur tertiaire les <a href="https://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=644">plus éduquées</a>.</p>
<p>Mais il existe des <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2008/08/ESTEVES/16229">exceptions notables</a> comme en Afrique du Sud contre l’apartheid ou en Inde contre le colonialisme anglais. Et les boycotts sont de plus en plus fréquents dans les pays dits « du Sud ». Au Maroc, par exemple, les mobilisations de 2018 <a href="https://www.liberation.fr/planete/2018/06/05/au-maroc-un-boycott-surprise-contre-la-vie-chere_1656798/">« contre la vie chère »</a> prenant pour cible <a href="https://www.jeuneafrique.com/748871/economie/maroc-les-eaux-minerales-doulmes-accusent-le-coup-du-boycott/">l’eau minérale Sidi Ali</a>, le lait <a href="https://www.slate.fr/story/171975/economie-danone-maroc-boycott-gestion-de-crise-communication">Centrale Danone</a> ou les <a href="https://www.francetvinfo.fr/internet/reseaux-sociaux/maroc-quelles-sont-les-vraies-cibles-du-boycott-des-produits-danone-afriquia-et-sidi-ali_2800057.html">stations essence Afriquia</a> ont été particulièrement suivies.</p>
<p>Revenons aux appels au boycott de la prochaine coupe du monde de football. Si aucune délégation ne renonce à l’envoi de <a href="https://www.lemonde.fr/football/article/2022/09/19/appels-au-boycott-le-mondial-au-qatar-c-est-la-grosse-goutte-qui-fait-deborder-la-coupe_6142258_1616938.html">sa sélection nationale</a>, il importera de ne pas en conclure à l’échec du mouvement de protestation.</p>
<p>Les formes de boycott seront multiples (refuser de s’y intéresser, renoncer à se rendre sur place, ne pas regarder les matchs, s’empêcher d’acheter des goodies tels que les maillots des équipes nationales…), certaines critiques au principe des appels au boycott feront leur chemin. Elles gagneront probablement en légitimité progressivement, au cours d’une séquence temporelle plus longue, ce boycott n’en sera qu’une étape.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/191815/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hélène Ducourant ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Souvent présenté comme un choix individuel de non-consommation, le boycott est en même temps une action véritablement collective.Hélène Ducourant, Sociologue, Laboratoire Territoires Techniques et Sociétés, Université Gustave Eiffel, Université Gustave EiffelLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1800932022-03-30T18:13:29Z2022-03-30T18:13:29ZLa Russie pourra-t-elle créer un nouvel ordre mondial du sport ?<p>Dès le lendemain de l’annonce de l’<a href="https://www.rts.ch/sport/jo/beijing-2022/12909404-pekin-2022-paralympiques-les-russes-et-les-belarusses-finalement-exclus.html">exclusion de la Russie des Jeux paralympiques de Pékin</a>, le 5 mars 2022, les autorités russes réagissent et décident d’organiser une compétition sportive parallèle dans la ville de Khanty-Mansiïsk, en Sibérie occidentale : <a href="https://tass.com/sport/1420131">« Nous sommes ensemble : sport »</a>.</p>
<p>Le vice-premier ministre de la Fédération de Russie, Dmitri Chernychenko, charge le ministère des Sports et le ministère des Finances, ainsi que la mairie de Khanty-Mansiïsk, de mettre en œuvre au plus vite ces Jeux paralympiques alternatifs avec le concours de l’Arménie, du Tadjikistan, du Kazakhstan et de la Biélorussie, alliés du régime russe.</p>
<p>L’objectif, selon le ministre des Sports, Oleg Matytsine, est de montrer que la Russie est « une puissance sportive forte et autosuffisante ». Au sein de la population russe, une blague circule alors : « Pékin a préparé ses Jeux paralympiques en sept ans, Khanty-Mansiïsk a préparé les siens en sept jours ».</p>
<p>La compétition se déroule durant quatre jours, du 17 au 20 mars. Les athlètes russes la remportent au classement des médailles face aux quatre autres États participants. Dans la foulée, le vice-ministre des Sports, Odes Baisultanov, <a href="https://247newsagency.com/sports/89496.html">précise la vision russe</a> : « Nous devons développer un projet national, nous devons développer notre sport, y compris à travers les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, et Afrique du Sud) et l’Organisation de coopération de Shanghaï, afin que nous puissions organiser des compétitions internationales. »</p>
<p>S’il est passé relativement inaperçu en Occident, cet événement marque pourtant d’une pierre blanche le renouveau de la stratégie russe dite de <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre2-2016-2-page-111.htm">la « forteresse assiégée »</a>. L’objectif est triple. Il s’agit d’autonomiser au maximum le sport russe afin de répondre aux sanctions occidentales ; de rétablir la confiance des athlètes russes en leur État ; et de créer un nouvel ordre mondial du sport en s’appuyant sur les pays alliés de la Russie.</p>
<h2>Un système sportif à terre en quête de solutions</h2>
<p>À l’échelle nationale, l’enjeu est plus important qu’il n’y paraît. En effet, le système politico-économico-sportif – la <a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-la-sportokratura-sous-vladimir-poutine-une-geopolitique-du-sport-russe-160805">Sportokratura</a> – construit par Vladimir Poutine depuis 22 ans est mis à mal. Avec le concours des politiques, oligarques et athlètes russes de haut niveau, il avait pour ambition de faire de la Russie l’une des principales puissances sportives de la planète et un outil patriotique de contrôle social. Aujourd’hui, il est le symbole d’un pays devenu paria.</p>
<p>S’il est <a href="https://cepa.org/what-do-russians-think-about-putins-war/">difficile de savoir</a> à quel point la population russe soutient réellement ce que le Kremlin qualifie d’« opération militaire spéciale », certains signes montrent que les athlètes russes semblent tiraillés entre leur attachement au sport mondial « classique » et l’isolat russe qui pourrait potentiellement mettre un arrêt définitif à leur carrière.</p>
<p>En effet, les sportifs russes de haut niveau représentent un enjeu primordial pour le pouvoir. Habituellement rangés derrière le Kremlin, ils sont vus comme des outils de propagande destinés à valoriser le modèle russe dans le monde entier et à influencer l’opinion publique nationale. En d’autres termes, à l’instar des héros du sport de l’URSS, ils doivent supporter le régime quoi qu’il en coûte.</p>
<p>Or, dans la foulée de l’invasion russe en Ukraine, une dizaine d’entre eux ont élevé la voix sur les réseaux sociaux pour dénoncer la guerre (ou au moins, pour exprimer leur attachement à la paix), dont les célèbres tennismen <a href="https://www.eurosport.fr/tennis/crise-ukraine-russie-daniil-medvedev-demande-la-paix-dans-le-monde_sto8821069/story.shtml">Daniil Medvedev</a> et <a href="https://www.ladepeche.fr/2022/03/19/guerre-en-ukraine-tennis-andrei-rublev-se-sent-mal-pour-tout-le-monde-10180732.php">Andreï Rublev</a>, ou encore le footballeur international <a href="https://www.ouest-france.fr/sport/football/equipe-russie/guerre-en-ukraine-l-international-russe-fedor-smolov-affiche-son-opposition-a-la-guerre-c684bc56-955f-11ec-9ce0-a8acd3395b1a">Fedor Smolov</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1499005606992166918"}"></div></p>
<p>Face à cette réaction en chaîne sans précédent à l’ère post-soviétique en Russie, le pouvoir a vite réagi. Pour le Kremlin, remporter la bataille de l’opinion publique passe par l’utilisation de ses athlètes.</p>
<p>Ainsi, vendredi 18 mars, de <a href="https://www.insidethegames.biz/articles/1120716/putin-holds-rally-at-luzhniki-stadium">nombreux médaillés olympiques</a> ont participé au meeting « Pour un monde sans nazisme ! Pour la Russie ! Pour le Président ! » dans le stade Loujniki de Moscou. Tout sauf un hasard, c’est le célèbre commentateur sportif Dmitri Gouberniev qui a été le Monsieur Loyal de cet événement tenu en présence de 100 000 spectateurs et <a href="https://www.euronews.com/2022/03/18/putin-broadcast-interrupted-at-flag-waving-rally-in-moscow">diffusé en quasi direct</a> à la télévision. Gouberniev n’hésita pas à déclarer à propos des sportifs russes : « Il existe ce genre de profession : défendre la patrie. » Un slogan issu d’un film patriotique soviétique de 1971, largement repris depuis par l’armée soviétique puis russe, et dont l’utilisation concernant les athlètes montre la dimension militaire qui a été attribuée au monde du sport sous Vladimir Poutine.</p>
<p>Enfin, la deuxième édition de la Coupe Pervy Kanal de patinage artistique a été avancée du 25 au 27 mars à Saransk pour coïncider avec les <a href="https://montpellier2022.com/">Championnats du monde 2022</a>, dont les Russes et Biélorusses ont été exclus. À nouveau, l’objectif était de réunir la population et les athlètes russes autour du drapeau pour éviter leur défection potentielle. Signe de l’importance de l’événement, la star <a href="https://www.ouest-france.fr/sport/patinage-artistique/patinage-artistique-kamila-valieva-retrouve-la-competition-ce-week-end-en-russie-7df64712-aabc-11ec-8f65-86ac8778a6b3">Kamila Valieva</a> et la championne olympique de Pékin Anna Chtcherbakova étaient présentes pour envoyer un message fort à la fois à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Cette fois, l’organisation est uniquement russe, mais les prestations sont de niveau mondial.</p>
<h2>Quel nouvel ordre mondial du sport pour le pouvoir russe ?</h2>
<p>À l’échelle internationale, l’enjeu est différent. Coup sur coup, le <a href="https://www.lemonde.fr/sport/article/2022/02/28/le-cio-recommande-un-bannissement-des-russes-du-sport-mondial_6115573_3242.html">CIO</a>, l’<a href="https://foot11.com/news/ligue-europa-luefa-va-exclure-le-spartak-moscou-103935/">UEFA</a>, la <a href="https://www.espn.com/f1/story/_/id/33411099/formula-one-terminates-russian-grand-prix-contract">Formule 1</a> ou encore la <a href="https://www.france24.com/fr/sports/20220228-guerre-en-ukraine-la-fifa-exclut-la-russie-de-la-coupe-du-monde-de-football">FIFA</a> ont appelé à exclure la Russie du sport mondial.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/sanctions-contre-la-russie-le-monde-du-sport-entre-dans-une-nouvelle-ere-178667">Sanctions contre la Russie : le monde du sport entre dans une nouvelle ère</a>
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<p>La Russie s’est retrouvée isolée comme rarement un pays l’avait été dans l’histoire du sport moderne. Seules l’Afrique du Sud (1970–1991) et la Yougoslavie (1992–1994) l’avaient été par le passé, et il ne s’agissait pour ainsi dire pas de puissances sportives majeures. En effet, la Russie fait figure de ténor en matière de <a href="https://www.europerussiedebats.org/le-sport-power-russe/">sport power</a>. Elle est influente diplomatiquement, économiquement et structurellement. Dès lors, les conséquences d’une telle séparation sont majeures.</p>
<p>Pour le moment, le Kremlin semble naviguer à vue. Son soft power sportif oscille entre deux voies : édifier un nouveau modèle ou chercher à conserver le contact avec les fédérations sportives internationales. Illustration de la double pensée poutinienne, Oleg Matytsine a déclaré en moins de 24 heures, entre le 23 et le 24 mars, qu’il fallait développer le programme « Nous sommes ensemble : sport » dans la durée… tout en maintenant un canal diplomatique afin de construire des passerelles avec le mouvement sportif mondial. Cette hésitation est l’illustration d’une Russie entre deux mondes, dont l’avenir se joue actuellement.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1507376132496236563"}"></div></p>
<p>Dans les paroles et dans les actes, l’option privilégiée par le pouvoir russe depuis le début de l’invasion semble être celle d’une nouvelle géopolitique du sport. Par l’intermédiaire des Jeux paralympiques russes parallèles à ceux de Pékin, les autorités souhaitaient montrer aux Occidentaux qu’ils pouvaient fonctionner sans eux grâce à leurs alliés, en l’occurrence l’Arménie, le Tadjikistan, le Kazakhstan et de la Biélorussie.</p>
<p>Mais les ambitions russes ne se limitent pas à ces quatre anciennes républiques soviétiques. Pour Matytsine, l’objectif est d’interpeller les autres pays membres de la CEI, ainsi que ceux des BRICS et de l’<a href="http://eng.sectsco.org/">Organisation de coopération de Shanghai</a> afin qu’ils soient parties prenantes de cette ambition. Ces trois organisations comptent plusieurs ténors du sport mondial, dont la Chine fait figure de fleuron. Si ce projet russe était couronné de succès, nous pourrions assister à la création d’un nouvel ordre mondial du sport destiné à concurrencer les institutions historiques du sport moderne telles que le CIO ou la FIFA.</p>
<p>Certaines rumeurs vont même plus loin. Ainsi, le milliardaire et homme d’affaires russe Roman Abramovitch, après avoir rompu avec le club londonien de Chelsea, <a href="https://www.ouest-france.fr/sport/football/football-abramovitch-songerait-a-contrer-l-uefa-en-creant-sa-propre-ligue-continentale-d22cbbca-9d3f-11ec-bf35-9169ba44a485">songerait à créer prochainement une Ligue continentale de football</a>, qui inclurait les meilleures équipes de Russie, de Chine, de Serbie, d’Israël, de Bulgarie, de Biélorussie, de Finlande et du Kazakhstan. Rapportée par le portail Inc-news, cette information n’est pour le moment pas confirmée par le principal intéressé. Néanmoins, les autorités russes y sont favorables. </p>
<p>En effet, cette ligue participerait à la création d’un microcosme sportif eurasiatique qui confirmerait le pivot vers l’Est (<em>povorot na vostok</em>) entamé dans les années 2000 et accéléré depuis 2014 et l’annexion de la Crimée. Cette rhétorique russe n’est pas nouvelle. Elle remonte au <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/russie/vladimir-poutine/russie-ce-discours-de-vladimir-poutine-en-2007-qui-resonne-avec-la-crise-actuelle-en-ukraine_4968344.html">discours de Munich</a> dans lequel en février 2007 Vladimir Poutine dénonçait l’unilatéralisme américain et appelait de ses vœux l’avènement d’un monde « polycentrique ».</p>
<h2>Moscou a déjà essayé, sans grand succès</h2>
<p>Par le passé, l’URSS avait déjà essayé, avec un succès très relatif, de créer des microcosmes sportifs parallèles à celui ordonné par l’Occident, par l’intermédiaire des <a href="https://journals.openedition.org/chrhc/1582">Spartakiades</a> et de l’<a href="http://communismeetconflits.over-blog.com/2016/11/le-sport-rouge.html">Internationale rouge du sport</a> (IRS) sous Staline puis, des décennies plus tard, des <a href="https://look-travels.com/friendship-games-1984-quand-la-grande-bretagne-participait-aux-jeux-olympiques-du-rideau-de-fer/">Jeux de l’Amitié</a> pour pallier le boycott des JO de 1984 à Los Angeles.</p>
<p>Plus récemment, en 2008, la création de la <a href="https://en.khl.ru/">Kontinental Hockey League (KHL)</a> à l’initiative de Moscou avait pour objectif éminemment géopolitique de refaire planer l’ombre russe sur l’espace post-soviétique et même au-delà. En effet, la KHL visait à réunir les meilleures équipes de hockey sur glace de l’ex-URSS, des anciens pays du Pacte de Varsovie, de Scandinavie et même d’Asie centrale et de Chine. Le vainqueur remporte la Coupe Gagarine, en référence à la conquête spatiale soviétique. Si la Croatie, la Lettonie l’Ukraine, la République tchèque, la Finlande ou encore la Chine ont intégré la compétition au fil des années, la guerre en Ukraine qui se déroule depuis 2014 a peu à peu incité les clubs étrangers la quitter. Il ne reste aujourd’hui que les clubs du Red Star Kunlun (Pékin), de Barys (Noursoultan) et du Dinamo Minsk (Minsk) à participer au championnat, pour 19 clubs russes.</p>
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<p>Cette volonté d’expansion asymétrique de la part du Kremlin reflète le déséquilibre qui existe entre les ambitions russes et la réalité géopolitique d’un pays qui ne peut compter que sur quelques alliés. En outre, la puissance des institutions sportives internationales est telle qu’il apparaît illusoire de pouvoir les concurrencer sur leur terrain. Un pays comme la Chine, par exemple, devrait, pour entrer dans le nouveau système souhaité par Moscou, renoncer à une stratégie sportive qui court jusqu’en 2049, avec pour objectif final d’accueillir et de remporter une Coupe du monde de football afin de fêter le centenaire de l’instauration de la RPC. Risquerait-elle de se faire bannir de la FIFA pour satisfaire Vladimir Poutine ? C’est peu probable.</p>
<p>À la croisée des chemins, le sport russe semble plus que jamais naviguer à vue. Pour exister, il cherche des solutions géopolitiques. La résurrection du mythe du nouvel ordre mondial du sport s’apparente pour le moment à une ambition fantasmée, alors que les conséquences de la guerre en Ukraine sur les athlètes russes sont déjà bien réelles.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/180093/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lukas Aubin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Exclue des principales compétitions sportives mondiales, la Russie ambitionne désormais de créer un microcosme sportiivo-géopolitique parallèle. La tâche s’annonce difficile.Lukas Aubin, Docteur en Études slaves contemporaines : spécialiste de la géopolitique de la Russie et du sport, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1786672022-03-12T19:15:16Z2022-03-12T19:15:16ZSanctions contre la Russie : le monde du sport entre dans une nouvelle ère<p>L’agression russe contre l’Ukraine a provoqué un mouvement inédit de réactions en provenance du monde du sport, mais aussi de la <a href="https://www.cnrs.fr/fr/le-cnrs-suspend-toutes-nouvelles-formes-de-collaborations-scientifiques-avec-la-russie">science</a> et de la <a href="https://www.nytimes.com/2022/03/04/movies/film-boycott-russia-ukraine.html">culture</a>.</p>
<p>Si l’on s’en tient au monde du sport, des <a href="https://www.lalibre.be/sports/tennis/2022/02/28/lukrainienne-svitolina-ne-veut-pas-jouer-contre-la-russe-potapova-a-monterrey-MKMFQMSHE5FPHG4ZUYUF6PTRGM/">athlètes</a>, des <a href="https://www.lalsace.fr/sport/2022/02/26/pologne-russie-annule-ngapeth-veut-snober-le-mondial-de-volley-le-monde-du-sport-poursuit-la-mobilisation-face-a-la-russie">fédérations nationales</a>, des <a href="https://theconversation.com/fifas-suspension-of-russia-is-a-rarity-but-one-that-strips-bare-the-idea-that-sport-can-be-apolitical-178131">organisateurs de compétitions</a> ou encore des <a href="https://www.skysports.com/football/news/30964/12553638/england-will-not-play-against-russia-for-foreseeable-future-due-to-invasion-of-ukraine-fa-confirms">États</a> ont, dans un même élan, annoncé leur intention de ne plus concourir contre des représentants de la Russie, de ne plus les accueillir ou de ne plus se rendre en Russie pour une compétition sportive.</p>
<p>Cet élan a abouti à ce que le Comité international olympique (CIO) <a href="https://olympics.com/cio/news/la-commission-executive-du-cio-recommande-de-ne-pas-autoriser-la-participation-d-athletes-et-d-officiels-russes-et-belarussiens">recommande</a>, le 28 février dernier, de « ne pas autoriser la participation d’athlètes et d’officiels russes et bélarussiens » à des compétitions sportives – une recommandation immédiatement mise en œuvre par l’UEFA et la FIFA à travers plusieurs décisions, notamment <a href="https://www.sofoot.com/l-uefa-exclut-le-spartak-moscou-de-la-ligue-europa-511410.html">l’exclusion du Spartak Moscou de l’Europa League</a> et celle de la <a href="https://www.france24.com/fr/sports/20220228-guerre-en-ukraine-la-fifa-exclut-la-russie-de-la-coupe-du-monde-de-football">sélection russe des qualifications au Mondial 2022</a>.</p>
<p>Ayant longuement <a href="https://journals.openedition.org/balkanologie/2641">étudié</a> les sanctions sportives qui touchèrent la République fédérale de Yougoslavie (RFY, regroupant Serbie et Monténégro) de 1992 à 1995, l’auteur souhaite faire un pas de côté au regard de l’enchaînement rapide des derniers jours afin de poser plusieurs questions qui, si elles sont éludées aujourd’hui, ne manqueront pas de se poser demain.</p>
<h2>Un précédent unique : la Yougoslavie de Milosevic en 1992</h2>
<p>Les sanctions sportives s’inscrivent dans la panoplie de sanctions internationales développées au début des années 1990 à la faveur de la fin de la guerre froide et de la montée en puissance des interventions et opérations de l’ONU. Certains chercheurs ont ainsi parlé de la <a href="https://www.rienner.com/title/The_Sanctions_Decade_Assessing_UN_Strategies_in_the_1990s">« décennie des sanctions »</a>. Néanmoins, elles ne furent votées qu’une seule fois, contre la RFY, par l’article 8b de la <a href="https://digitallibrary.un.org/record/142881?ln=fr">résolution 757 du 30 mai 1992</a> relatif aux échanges sportifs, scientifiques et culturels.</p>
<p>On se souvient que ces sanctions eurent comme traduction immédiate le <a href="https://showsport.me/football/team-denmark-uefa-team-croatia-team-serbia-12797914">départ de la sélection de RFY de Suède</a>, où elle devait disputer l’Euro 1992 de football. Les archives de la correspondance entre la FIFA et la fédération yougoslave montrent que la FIFA n’a agi que contrainte par la résolution de l’ONU, alors qu’elle avait écarté cette possibilité quelques jours avant seulement, dissuadant d’ailleurs les autorités politiques suédoises, très tentées de renvoyer les athlètes yougoslaves, de le faire, arguant que cela créerait un précédent extrêmement dangereux.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1409801548071424006"}"></div></p>
<p>De son côté, le CIO, par la voix de son président Juan Antonio Samaranch, déploya une diplomatie parallèle dans les grandes capitales afin d’amoindrir la portée de ces sanctions en vue des Jeux de Barcelone à venir, au grand dam de certains États membres du comité des sanctions de l’ONU. In fine, un compromis fut trouvé sous la forme d’une participation des athlètes serbes et monténégrins <a href="https://www.latimes.com/archives/la-xpm-1992-07-11-sp-1382-story.html">sous drapeau blanc</a>, mais uniquement pour les sports individuels, d’où l’absence de la sélection de basket emmenée par Vlade Divac.</p>
<p>Quel bilan a-t-on pu tirer de ces sanctions sportives ? Cette question renvoie à celle, trop souvent éludée, des objectifs des sanctions. En l’espèce, personne ne croit sérieusement que des sanctions sportives vont pousser un régime à changer de politique. Cela est l’affaire de sanctions économiques massives et/ou ciblées. Les sanctions sportives, elles, vont toucher à la symbolique de la représentation internationale du pays visé.</p>
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<figcaption><span class="caption">Documentaire « Yougoslavie, Suicide d’une nation européenne », de Brian Lapping, partie 1.</span></figcaption>
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<p>Si l’on considère que les compétitions sportives revêtent un caractère de puissance, alors priver un État de cette démonstration peut être vu comme symboliquement pertinent. Les sanctions sportives combinent donc à la fois un impact symbolique à l’international, mais aussi un message directement adressé au peuple concerné. C’était <a href="https://undocs.org/fr/S/PV.3096">l’avis de l’ambassadeur autrichien au sein du comité des sanctions de l’ONU</a>, pour qui cette mesure servait précisément à faire comprendre directement au peuple serbe (et non à son gouvernement) que la communauté internationale désapprouvait la politique du régime de Milosevic.</p>
<p>Cette position, apparentant les sanctions sportives à une punition, ne fit pas l’unanimité malgré le vote de la résolution, à treize voix contre deux abstentions (Chine et Zimbabwe, ce qui signifie au passage que la Russie vota pour). Ainsi, l’ambassadeur de France à l’ONU Jean‑Bernard Mérimée <a href="https://undocs.org/fr/S/PV.3082">déclara</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Le texte comporte également une disposition sur le gel des contacts sportifs. Je souhaite indiquer de manière très claire que la France, qui a voté la résolution, se dissocie de ce passage. Pourquoi ? Parce que la mesure envisagée est dérisoire par rapport à la gravité des enjeux, inutilement vexatoire et, surtout, inappropriée parce que empruntée à une panoplie de mesures adoptées dans un autre contexte, celui de la lutte contre l’apartheid. »</p>
</blockquote>
<h2>Un bilan mitigé</h2>
<p>Dans les faits, ces sanctions n’eurent pas l’effet escompté de choc psychologique puisqu’elles furent ressenties par la population de la RFY comme une grande injustice. Au demeurant, Milosevic était loin d’être populaire en 1990-1992 : des <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1992/07/07/serbie-apres-une-semaine-de-contestation-l-opposition-suspend-ses-manifestations-contre-le-president-milosevic_3912875_1819218.html">manifestations contre la guerre</a> rassemblèrent plusieurs dizaines de milliers de personnes avant que l’exode, la répression, l’embargo et la fatigue ne viennent faire leur œuvre. La levée des sanctions sportives en 1994 qui fait suite à l’annulation d’autres sanctions (suspension de l’interdiction de survol international et de transport aérien, votées par la <a href="https://digitallibrary.un.org/record/161760?ln=fr">résolution 943</a> le 24 septembre 1994, en échange de la reconnaissance par Belgrade de la frontière entre la Bosnie et la Serbie, et de retrait du soutien politique, militaire et matériel aux Serbes de Bosnie) servit en revanche de levier pour obtenir quelques concessions de la part de Milosevic.</p>
<p>Néanmoins, les sanctions sportives ne furent plus utilisées à ce niveau depuis lors. Trois hypothèses peuvent être avancées pour l’expliquer.</p>
<p>Tout d’abord, il n’y a plus jamais eu d’accord au Conseil de Sécurité de l’ONU pour soumettre un autre pays à des sanctions aussi massives que celles qui ont touché la RFY en 1992.</p>
<p>Ensuite, le bilan de ces sanctions (qui sont aussi scientifiques et culturelles, il faut le rappeler) est jugé comme négatif à l’aune de leur objectif : l’humiliation gratuite l’emporte sur le choc psychologique.</p>
<p>Enfin, les fédérations internationales de sport ont toujours affirmé leur réticence à ce type de sanctions, ce qui n’est pas négligeable au regard de leur poids dans les relations internationales.</p>
<p>D’ailleurs, lorsqu’en 1998 certains intellectuels et parlementaires européens réclameront l’exclusion de la RFY du Mondial en raison des exactions commises par les forces de Milosevic au Kosovo, le porte-parole de la FIFA, Keith Cooper, se contentera de dire : « La FIFA a pour politique de suivre celle des Nations unies. Comme la Yougoslavie s’est qualifiée sur le terrain et qu’il n’y a pas de directive de l’ONU, il n’y a aucune raison de réviser notre position. »</p>
<p>Il en fut de même plus récemment pour la Syrie, dont les sportifs ont pu continuer à prendre part aux compétitions internationales en dépit des crimes imputés au régime de Bachar Al-Assad.</p>
<h2>La prise d’autonomie des fédérations et des athlètes</h2>
<p>Il existe une différence forte entre le cas yougoslave et la Russie : outre que les sanctions n’émanent pas de l’ONU (et pour cause, la Russie ayant droit de veto en sa qualité de membre permanent du Conseil de Sécurité), elles sont le résultat d’une mobilisation d’athlètes et de fédérations de sport, et non pas « simplement » d’organisations des droits humains, qui appellent régulièrement à ce type de sanctions ou de boycott, par exemple contre la Chine.</p>
<p>Autrement dit, en ce qui concerne le sport, on ne peut même pas évoquer des « sanctions » à proprement parler puisqu’elles n’émanent pas d’une autorité politique légitime et centralisée, mais plutôt d’un boycott massif initié par le bas, que les fédérations internationales de sport ont dû, bon gré mal gré et sous une intense pression, entériner. De ce point de vue, la situation actuelle ferait davantage penser au précédent de <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/le-zoom-de-la-redaction/le-zoom-de-la-redaction-29-juillet-2010">l’Afrique du Sud sous apartheid</a> : là aussi, des décisions d’exclusion avaient été prises par le bas et sous la pression, mais en ordre plus dispersé, sport par sport, que ce que l’on peut voir actuellement.</p>
<p>Dès lors, quelles sont les questions soulevées par les choix du CIO, sommet de la pyramide de mouvement sportif international, puis de la FIFA, si l’on se concentre sur elles ?</p>
<p>Le CIO fonde sa recommandation sur trois choses. D’une part, l’équité vis-à-vis des athlètes ukrainiens qui ne peuvent plus concourir. D’autre part, la sécurité des compétitions et des athlètes. Une préoccupation prise en compte par la FIFA et l’UEFA, qui ont initialement ordonné que les rencontres prévues en Russie et Ukraine <a href="https://www.rtbf.be/article/football-les-matches-a-domicile-impliquant-l-ukraine-et-la-russie-se-joueront-sur-terrain-neutre-uefa-10943021">soient disputées sur terrain neutre</a>. Enfin, le CIO met en avant la violation de la trêve olympique (préambule et point 4 de la déclaration) pour sanctionner en particulier des individus, y compris Vladimir Poutine. Depuis 1992, le CIO lance un appel international au respect de cette trêve. L’Assemblée générale de l’ONU <a href="https://olympics.com/cio/news/l-assemblee-generale-de-l-onu-adopte-la-treve-olympique-pour-beijing-2022">vote</a> avant chaque olympiade une résolution symbolique appelant à son respect.</p>
<p>Néanmoins, nous sommes bien ici dans la symbolique. Cela ne veut pas dire que ça n’a pas d’importance, puisqu’il semble que la Chine ait demandé à Poutine d’<a href="https://www.nytimes.com/2022/03/02/us/politics/russia-ukraine-china.html">attendre la fin des Jeux d’hiver pour attaquer l’Ukraine</a> (les Russes sont passés à l’offensive deux jours après la fin des JO de Pékin réservés aux athlètes valides, mais cette attaque continue alors que les Jeux paralympiques, qui se tiennent dans la même ville, <a href="https://www.lemonde.fr/sport/article/2022/03/04/les-jeux-paralympiques-2022-ouverts-dans-la-tempete-ukrainienne_6116195_3242.html">sont en cours</a>).</p>
<p>Il reste que le respect de la trêve olympique n’est adossé à aucun texte juridique, et la trêve elle-même ne figure pas dans la <a href="https://olympics.com/cio/charte-olympique">Charte olympique</a>, notamment à l’article 59 relatif aux sanctions. Par conséquent, il y a vraisemblablement une fragilité juridique dans la recommandation du CIO dans la mesure où la Charte ne prévoit pas explicitement de suspendre un Comité national olympique en raison des agissements politiques de son gouvernement, ce que le CIO rappelle d’ailleurs au deuxième paragraphe du communiqué. Si la suspension ne semble pas directement liée à la violation de la trêve olympique, l’évocation à deux reprises de celle-ci demeure problématique si l’on va au bout de la logique : cela signifie-t-il que le CIO n’aurait rien dit si Poutine avait décidé d’attaquer l’Ukraine en dehors de tout calendrier olympique et paralympique, par exemple le 5 avril ?</p>
<p>Le communiqué du CIO salue par ailleurs les athlètes, y compris russes, qui se sont opposés à la guerre, dérogeant ainsi au principe d’apolitisme pourtant si âprement défendu habituellement à Lausanne.</p>
<p>La FIFA s’est d’abord montrée <a href="https://www.lemonde.fr/football/article/2022/02/27/guerre-en-ukraine-la-fifa-et-son-president-gianni-infantino-sous-pression_6115469_1616938.html">très réticente</a> à suspendre la Russie. En l’absence d’une résolution de l’ONU qui ne viendra jamais, le parapluie du CIO lui a offert l’occasion de suivre le mouvement sans en prendre la responsabilité première. Pour autant, il est très discutable que ses <a href="https://www.fifa.com/fr/legal/documents">statuts</a> (Articles 16 et 17 en particulier) lui permettent, en l’état, de suspendre la fédération de football de Russie en raison des agissements du régime russe.</p>
<p>Ces décisions ouvrent donc sur une question fondamentale de droit et une question politique.</p>
<h2>Que dira le Tribunal arbitral du sport ?</h2>
<p>Les fédérations internationales de sport sont d’ordinaire très jalouses de leurs prérogatives. Elles sont par principe hostiles aux sanctions sportives, sauf quand celles-ci sont adossées à leurs propres textes, pour des manquements d’ordre sportif comme le programme de dopage systématique mis en place par la Russie, actuellement <a href="https://ici.radio-canada.ca/sports/1424230/russie-christiane-ayotte-inrs-russie-dopage-jean-luc-brassard">sanctionné</a>.</p>
<p>Or, cette fois, elles ont décidé d’elles-mêmes de ces sanctions. Ce faisant, elles se sont arrogé un pouvoir dont on peut se demander si leurs statuts le leur confèrent.</p>
<p>La Russie a <a href="https://www.ouest-france.fr/sport/coupe-du-monde/guerre-en-ukraine-la-russie-va-saisir-le-tas-pour-etre-reintegree-a-la-coupe-du-monde-de-football-79866000-9b0c-11ec-9b84-e19eae6be2d1">annoncé</a> son intention de faire appel devant le Tribunal arbitral du sport (TAS), ce qui est une très bonne chose car, quelle que soit sa décision (sauf s’il décide de botter en touche), le TAS fournira une assise juridique pour l’avenir au mouvement sportif international.</p>
<p>Par-delà l’émotion très légitime que suscite l’agression de la Russie contre l’Ukraine, et l’urgence d’une réaction, le droit est ce qui nous sépare du chaos. Cesser d’inviter ou de coopérer avec des chercheurs russes, annuler des représentations d’artistes russes, refuser de jouer contre des Russes au seul motif de leur passeport est un réflexe compréhensible, comme l’a développé le CIO au regard de leurs homologues ukrainiens qui sont désormais dans la lutte pour la survie de leur pays… mais cela ne va pas de soi.</p>
<p>Bien qu’elles répondent aux mêmes sentiments d’indignation et d’urgence, et quoi qu’on en pense par ailleurs, les <a href="https://www.bfmtv.com/economie/international/etats-unis-japon-union-europeenne-canada-quelles-sanctions-ont-ete-prises-contre-la-russie_AD-202202250045.html">sanctions prises par les États-Unis ou l’UE</a> le sont dans un cadre juridique bien établi. Le TAS aura donc à décider si les fédérations internationales de sport peuvent, de façon autonome et en l’état actuel de leurs statuts, infliger des sanctions sportives à leurs membres sur la base des agissements criminels des gouvernements de ceux-ci. Si le Tribunal répond par l’affirmative, le mouvement sportif aura gagné une autonomie politique considérable… qui peut très bien se révéler un cadeau empoisonné car avec l’autonomie vient la responsabilité politique.</p>
<h2>Sanctionner la Russie… et qui d’autre ?</h2>
<p>Pourquoi pas la Syrie ? Pourquoi pas la Birmanie ? Pourquoi pas la Chine ? Est-on sûr que si un jour la Chine envahit Taïwan, le CIO et la FIFA agiront de la même façon ? Dans le cas contraire, comment pourront-ils se justifier ? Que se passerait-il si, pure hypothèse, une dizaine de sélections qualifiées pour la Coupe du monde 2022 refusaient d’y prendre part pour protester contre sa tenue au Qatar ? La FIFA les sanctionnerait-elle ? Au regard de ses statuts actuels, elle en aurait le droit. À ce jour, la Chine organise les Jeux paralympiques d’hiver, et le Qatar organisera le Mondial à la fin de l’année.</p>
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<p>En outre, si le mouvement sportif est autonome, cela signifie-t-il qu’il sera le seul à décider de la levée, temporaire ou totale, de ces sanctions ? Sur quelles bases ? Rappelons que c’est le Conseil de sécurité de l’ONU qui avait levé les sanctions sportives contre la RFY.</p>
<p>Ajoutons que si le mouvement sportif est autonome, alors beaucoup se jouera à l’aune de la force de telle ou telle mobilisation, en particulier des athlètes, mettant la pression pour obtenir gain de cause. C’est potentiellement une chose positive au regard de la sensibilité des athlètes vis-à-vis des droits humains ou de la lutte contre le racisme. Suprême ironie, si le TAS donne raison au CIO et à la FIFA, il les obligera du même coup à ne plus sanctionner d’expression ou de mobilisation politique de la part des athlètes. Mais précisément, d’un autre côté, cela transfèrera aux athlètes la responsabilité de la mobilisation politique, ce qui est loin d’être évident dans une bonne partie du monde. Il y a alors le risque que seules les mobilisations assez puissantes en Occident soient prises en compte pour des raisons financières et d’image. De fait, quand bien même 141 pays ont voté la <a href="https://news.un.org/fr/story/2022/03/1115472">résolution</a> de l’Assemblée générale de l’ONU condamnant l’agression de la Russie, les sanctions ne sont à ce jour l’œuvre que d’un Occident élargi (Corée du Sud, Japon, Singapour), entreprises comprises.</p>
<p>Enfin, est-ce à dire que le CIO et la FIFA, notamment, devront revoir en profondeur leurs relations avec les pires régimes politiques de la planète et cesser de leur confier l’organisation de compétitions internationales, de peur de subir les pressions d’athlètes et d’ONG enhardis par le précédent russe ? Cela reste à démontrer.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178667/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Loïc Tregoures ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les sanctions excluant la Russie et ses représentants de toutes les compétitions internationales ne sont le fait ni de l’ONU ni des États, mais des fédérations et des athlètes. Cela change tout.Loïc Tregoures, Docteur en science politique, Université Lille 2, spécialiste des Balkans, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1746582022-02-16T22:53:23Z2022-02-16T22:53:23ZQuel est le poids exact de la France dans la « déforestation importée » qui touche l’Amazonie ?<p>Chaque année, les feux de forêt en Amazonie brésilienne rappellent que la protection des forêts tropicales reste insuffisante pour endiguer les changements d’occupation des sols contribuant au changement climatique et à la réduction de la biodiversité.</p>
<p>Dans ce contexte, les importations de soja en Europe sont <a href="https://ec.europa.eu/environment/forests/impact_deforestation.htm">depuis longtemps</a> pointées du doigt et l’Union européenne a récemment proposé un <a href="https://ec.europa.eu/environment/publications/proposal-regulation-deforestation-free-products_en">projet de règlement</a> contre la « déforestation importée ».</p>
<p>Alors que la France a décidé d’en faire une priorité de sa présidence de l’UE, qui a démarré en janvier 2022, que savons-nous précisément du <a href="https://theconversation.com/deforestation-au-bresil-que-fait-vraiment-la-france-123031">rôle de notre pays</a> dans la déforestation en Amazonie ?</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/440848/original/file-20220114-19-6wlej3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/440848/original/file-20220114-19-6wlej3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/440848/original/file-20220114-19-6wlej3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/440848/original/file-20220114-19-6wlej3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/440848/original/file-20220114-19-6wlej3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/440848/original/file-20220114-19-6wlej3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/440848/original/file-20220114-19-6wlej3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/440848/original/file-20220114-19-6wlej3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Paysage du Mato Grosso, dans lequel les grandes cultures se sont considérablement étendues au détriment des écosystèmes naturels de savane ou de forêt amazonienne.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Martin Delaroche</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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</figure>
<h2>Qu’est-ce que la déforestation importée ?</h2>
<p>Chaque année au Brésil, l’activité agricole – principalement l’élevage bovin extensif et la culture du soja – gagne du terrain sur les forêts d’Amazonie et sur les savanes de son biome voisin, le Cerrado.</p>
<p>Cette expansion est stimulée par la <a href="http://www.fao.org/documents/card/en/c/ca8861en">demande croissante de viande (bovine, porcine, de volaille) et de produits dérivés (œufs, produits laitiers) au niveau mondial</a>. Le Brésil est le premier exportateur mondial de viande bovine et de soja, ce dernier étant principalement destiné à l’alimentation animale.</p>
<p>La <a href="https://www.deforestationimportee.fr/fr/la-sndi-2">déforestation importée</a> en question correspond à la quantité de végétation naturelle (forêts ou savanes) détruite, directement ou indirectement, afin de produire dans le pays exportateur un bien demandé par le pays importateur.</p>
<p>Presque toutes les chaînes d’approvisionnement de matières premières ou de produits transformés provenant de pays tropicaux sont concernées (bois, huile de palme, cacao, etc.) mais, dans le cas de la France, le soja est celle dont l’<a href="https://envol-vert.org/camp/l-empreinte-foret/">« empreinte forêt »</a> est la plus grande.</p>
<p><a href="https://www.deforestationimportee.fr/fr/ressources/mettre-fin-aux-importations-de-soja-issu-de-la-conversion-decosystemes-naturels">Près de 60 % du soja</a> que nous importons provient en effet du Brésil. Par contraste, la part des importations de viande bovine provenant du Brésil est bien inférieure (1 %), mais la possibilité qu’elles <a href="https://www.gouvernement.fr/partage/11746-rapport-de-la-commission-d-evaluation-du-projet-d-accord-ue-mercosur">augmentent considérablement</a> dans le cadre de l’accord de libre-échange UE/Mercosur suscite de vives inquiétudes. La France reste, pour l’instant, <a href="https://www.europe1.fr/politique/la-france-restera-opposee-a-laccord-ue-mercosur-assure-emmanuel-macron-4064911">opposée à sa signature</a>.</p>
<h2>Pointer les responsabilités : le défi de la traçabilité</h2>
<p>Contrairement à ce que certains reportages (comme <a href="https://www.youtube.com/watch?v=AIe6paNCCCc">celui-ci</a> par exemple) sur le terrain laissent penser, démontrer de manière précise le lien entre une quantité de soja ou de bœuf importée et la destruction de forêts est bien plus complexe que de pointer une poignée d’acteurs responsables de la déforestation en lien avec des entreprises françaises.</p>
<p>Il faut en effet considérer l’ensemble des flux d’importation en jeu.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/440847/original/file-20220114-25-6x19iq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/440847/original/file-20220114-25-6x19iq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/440847/original/file-20220114-25-6x19iq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=299&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/440847/original/file-20220114-25-6x19iq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=299&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/440847/original/file-20220114-25-6x19iq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=299&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/440847/original/file-20220114-25-6x19iq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=376&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/440847/original/file-20220114-25-6x19iq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=376&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/440847/original/file-20220114-25-6x19iq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=376&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Capture d’écran du site du projet TRASE, qui permet de retracer la municipalité d’origine de flux d’exportation.</span>
<span class="attribution"><a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Depuis 2015, le <a href="https://trase.earth/">projet Trase</a> s’attache à identifier les flux de soja et de bœuf exportés par chaque municipalité du Brésil et de faire le lien avec la présence éventuelle de déforestation. Cela permet d’estimer le risque que les produits importés en soient responsables. On parle bien ici de « risques », car dans les faits, la production peut aussi bien venir d’une ferme n’ayant pas pratiqué de déforestation depuis des décennies que d’une parcelle récemment défrichée…</p>
<p>Ainsi, tant que le traçage direct du bœuf ou des grains de soja depuis la parcelle où ils ont été produits ne sera pas possible au travers d’un système fiable et à l’abri des fraudes, il sera difficile de pointer les responsabilités avec certitude.</p>
<h2>Le soja vecteur de déforestation ? Pas si simple…</h2>
<p>Les mécanismes de la déforestation au Brésil sont complexes même si l’analyse des images satellites permet de localiser de mieux en mieux les parcelles défrichées et de préciser <a href="https://mapbiomas.org/en">l’utilisation des terres</a> qui est faite suite aux déboisements.</p>
<p>Dans le tableau ci-dessous, le soja n’est pas forcément un vecteur de déforestation directe, depuis que les agroindustriels ont signé un <a href="https://www.nature.com/articles/s43016-020-00194-5">« moratoire sur le soja »</a> qui vise à interdire la production sur des parcelles défrichées après 2008.</p>
<p>Valant pour l’Amazonie, cette règle laisse néanmoins le champ libre dans le Cerrado, où se réalise la plus grande partie de la production et où la pression sur les milieux naturels est la plus forte. On peut aussi souligner qu’un <a href="https://www.ibge.gov.br/estatisticas/economicas/agricultura-e-pecuaria/9117-producao-agricola-municipal-culturas-temporarias-e-permanentes.html">tiers de la production de soja du Brésil se réalise dans le Sud du pays</a>, loin des fronts de déforestation. Par ailleurs, en Amazonie,les fermiers peuvent <a href="https://www.theguardian.com/environment/2022/feb/10/loophole-allowing-for-deforestation-on-soya-farms-in-brazils-amazon">défricher de nouvelles terres pour d’autres cultures (coton, maïs) et réserver les terres anciennement déboisées pour le soja</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/440851/original/file-20220114-17-11zeqjx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/440851/original/file-20220114-17-11zeqjx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/440851/original/file-20220114-17-11zeqjx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=873&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/440851/original/file-20220114-17-11zeqjx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=873&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/440851/original/file-20220114-17-11zeqjx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=873&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/440851/original/file-20220114-17-11zeqjx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1097&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/440851/original/file-20220114-17-11zeqjx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1097&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/440851/original/file-20220114-17-11zeqjx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1097&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Cartes montrant l’expansion de la production de soja au Brésil, pour la période 1985-2015. On note la forte progression vers le nord et l’Amazonie, mais aussi la persistance de grands foyers de production dans le sud et le centre du Brésil.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Martin Delaroche, données IBGE Produção Agricola Municipal</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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</figure>
<p>Mais si le soja brésilien n’est pas toujours associé à de la déforestation récente, au contraire, l’élevage bovin est (très) majoritairement responsable de la déforestation en Amazonie. Cependant, sa production approvisionne très peu le marché français.</p>
<h2>Peut-on changer la donne en sanctionnant la déforestation importée ?</h2>
<p>La Stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée (SNDI), lancée par le gouvernement français en 2018, vise à éliminer la participation « complice » (intentionnelle ou non) des importations à la déforestation dès 2030.</p>
<p>Pour cela, le gouvernement a proposé toute une série de mesures visant à financer des projets de gestion durable des forêts, influencer les accords commerciaux européens pour y intégrer des exigences environnementales et, enfin, sensibiliser les acteurs privés.</p>
<p>Les importations de viande brésilienne en France étant faibles, le levier potentiel réside dans celles de soja. Toutefois, le poids décroissant de l’Europe dans les exportations de soja brésilien et le rôle limité de celui-ci dans la déforestation font que même un boycott éventuel n’aurait sans doute pas grand effet pour l’Amazonie : la France pèse à peine 2 % des exportations de soja du Brésil.</p>
<p>Ce type de solution pourrait même amener le Brésil jouer sur deux tableaux : du soja non durable produit en Amazonie pourrait aller soit vers la Chine (qui <a href="https://abiove.org.br/estatisticas/">représente 60 % de ses exportations de soja</a>), soit rester dans le pays, tandis qu’une production durable et certifiée « zéro déforestation » irait vers l’Europe (16,7 % des exportations).</p>
<h2>Les Européens face à leurs contradictions</h2>
<p>La solution de n’importer que du soja durable, traçable à 100 % et garanti sans déforestation (avec une certification de type <a href="https://responsiblesoy.org/?lang=en">RTRS</a> ou <a href="https://www.proterrafoundation.org/">Proterra</a>) est souvent mise en avant.</p>
<p>Mais outre les questions de localisation évoquées ci-dessus, cette solution implique qu’il y ait des acheteurs prêts à payer plus cher que la production classique.</p>
<p>Or il existe déjà du soja certifié « sans déforestation », mais sa part dans les importations européennes <a href="https://www.idhsustainabletrade.com/publication/european-soy-monitor-report-2019/">n’était que de 25 %</a> en 2019 (<a href="https://www.idhsustainabletrade.com/publication/european-soy-monitor-2018/">contre 19 % en 2018</a>), reflétant une faible demande de la part des consommateurs européens.</p>
<p>Les situations diffèrent certes d’un pays à l’autre : la Norvège a importé 100 % de soja durable (mais à peine 244 000 tonnes au total) en 2019, la France 16 % (sur un total de 3,8 millions de tonnes) et l’Espagne 1 % (sur un total de 4,1 millions de tonnes).</p>
<p>Cet état de fait indique une chose : arrêter la déforestation a un prix et globalement les consommateurs européens ne semblent pas prêts à le payer tant la préférence pour les produits très bon marché est forte (on constate évidemment le même phénomène vis-à-vis du textile ou de <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2021/10/PITRON/63595">l’électronique</a>, produits dans des pays à bas coûts, avec des conséquences sociales et environnementales sévères, et pourtant achetés en masse en Europe).</p>
<p>Il serait toutefois injuste de n’attribuer la faute qu’au « consommateur » : l’étude des chaînes d’approvisionnement montre qu’il faut mobiliser un grand nombre d’acteurs – incluant fermiers, industriels, négociants, éleveurs et grande distribution – pour parvenir à un changement.</p>
<p>Lutter contre la déforestation importée est néanmoins important, car il en va de l’exemplarité écologique des pays européens.</p>
<p>Toutefois, plutôt qu’un contrôle de la déforestation à distance, la solution se trouve certainement beaucoup plus dans une politique que mettrait en place le Brésil lui-même, <a href="https://journals.openedition.org/cybergeo/27325">ce qu’il a fait avec succès entre 2004 et 2014</a>. De nombreuses ONG ont dénoncé le relâchement actuel, le pays ayant connu en 2021, son plus haut taux de déforestation depuis quinze ans.</p>
<p>Une alternative à l’interdiction de déforestation importée serait donc de collaborer avec le gouvernement brésilien et leurs organisations professionnelles locales afin de définir un objectif commun de préservation et un partage des coûts liés au changement de modèle de production.</p>
<p>Vaste programme, autrement plus complexe à mettre en œuvre qu’un boycott !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174658/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François-Michel Le Tourneau a reçu des financements de l’ANR.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Martin Delaroche a reçu des financements de l’Université d’Indiana–Bloomington et du Réseau français d’études brésiliennes (REFEB).</span></em></p>Le lien entre importations et déforestation n’est aujourd’hui pas clairement établi. Les boycotts n’ont ainsi qu’un impact limité sur la déforestation alors que d’autres solutions existent.François-Michel Le Tourneau, Géographe, directeur de recherche au CNRS, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneMartin Delaroche, Géographe, chercheur associé au Center for the Analysis of Social-Ecological Landscapes (CASEL), Indiana UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1735512021-12-12T20:53:03Z2021-12-12T20:53:03ZLa Chine, première puissance sportive de demain ?<p><a href="https://www.forbes.fr/business/de-plus-en-plus-de-pays-envisagent-un-boycott-diplomatique-des-jo-dhiver-de-pekin/">Critiquée de toutes parts</a> – à la fois pour le sort qu’elle réserve aux <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/chine/la-chine-est-responsable-d-un-genocide-des-ouighours-estiment-des-experts-et-avocats_4876347.html">Ouïghours</a>, pour sa remise au pas de <a href="https://www.la-croix.com/Hongkong-Jimmy-Lai-deux-autres-militants-condamnes-veillee-Tiananmen-2021-12-09-1301189298">Hongkong</a>, pour la <a href="https://reporterre.net/Le-totalitarisme-numerique-de-la-Chine-menace-toute-la-planete">« dictature numérique »</a> qu’elle a instaurée à l’intérieur de ses frontières, ou encore pour l’inquiétante affaire de la tenniswoman <a href="https://www.liberation.fr/international/asie-pacifique/nicolas-mahut-sur-laffaire-peng-shuai-on-ne-peut-pas-tolerer-la-tenue-des-jo-de-pekin-20211211_YPHLUZWHCRF63KBZVLAIVEDGFI/">Peng Shuai</a> –, la République populaire de Chine s’apprête à accueillir à Pékin les JO d’hiver dans une ambiance délétère.</p>
<p>On sait déjà que ces Jeux seront boycottés diplomatiquement – pas sportivement – par les <a href="https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20211207-jo-de-p%C3%A9kin-le-boycott-diplomatique-am%C3%A9ricain-divise-les-grandes-puissances">États-Unis</a>, l’<a href="https://www.rfi.fr/fr/en-bref/20211207-l-australie-annonce-%C3%A0-son-tour-un-boycott-diplomatique-des-jo-d-hiver-de-p%C3%A9kin">Australie</a>, le <a href="https://www.rfi.fr/fr/sports/20211208-le-royaume-uni-annonce-%C3%A0-son-tour-un-boycott-diplomatique-des-jo-d-hiver-de-p%C3%A9kin">Royaume-Uni</a> et le <a href="https://www.laprovence.com/actu/en-direct/6588188/le-canada-annonce-a-son-tour-un-boycott-diplomatique-des-jo-de-pekin.html">Canada</a>. D’autres pays pourraient leur emboîter le pas. Malgré ces contrariétés, la Chine fait pourtant du sport un élément essentiel de son pouvoir.</p>
<p>Le pays a érigé tout au long du XX<sup>e</sup> siècle un système politico-économico-sportif total dont les objectifs à long terme sont d’élever la performance sportive à son plus haut niveau pour devenir la première puissance sportive mondiale d’ici à 2049, date du centenaire de la révolution maoïste.</p>
<p>Comment la Chine est-elle devenue une sérieuse candidate au titre de première puissance sportive de la planète ?</p>
<h2>Le sport pour s’émanciper du joug bourgeois</h2>
<p>L’histoire du sport moderne en Chine est avant tout celle d’une revanche. À la fin du XIX<sup>e</sup> et au début du XX<sup>e</sup> siècle, le mouvement sportif chinois est contrôlé par les États-Unis, par l’intermédiaire de la Young Men’s Christian Association (YMCA), <a href="https://www.persee.fr/doc/perch_1021-9013_2008_num_102_1_3606">qui organise les programmes sportifs scolaires et les compétitions locales</a>.</p>
<p>Grâce au sport, la YMCA cherche avant tout à « évangéliser » et « civiliser » « l’homme malade de l’Asie ». Mais avec le début de la guerre civile chinoise en 1927, les critiques contre l’impérialisme américain se font de plus en plus présentes.</p>
<p>Mao Zedong <a href="https://www.persee.fr/doc/perch_1021-9013_2008_num_102_1_3602">s’empare politiquement du domaine du sport</a> afin d’en faire un argument pour lier force nationale et éducation physique. L’objectif est de redresser le corps de la nation chinoise par le prisme du corps de la population. Entre 1927 et 1949, l’éducation physique et la discipline militaire font partie intégrante du programme du Parti communiste chinois.</p>
<p>Dès le lendemain de la révolution de 1949, Mao appelle « à développer le sport et la culture physique et à renforcer la condition physique du peuple ». Les autorités chinoises vont même plus loin. Si le sport est une arme de « l’anti-féodalisme », il est également une arme de « l’anti-impérialisme » : il s’oppose au modèle sportif américain jugé bourgeois.</p>
<p>Afin de s’en émanciper, Mao décide de prendre le meilleur des modèles sportifs des autres pays communistes, dont l’URSS est la tête de gondole. Dès lors, la Chine multiplie les échanges par l’intermédiaire de <a href="https://www.cairn.info/revue-staps-2019-3-page-69.htm">« tournées de bonne volonté »</a> à l’intérieur et à l’extérieur de son territoire avec les « pays frères ».</p>
<p>Le système sportif chinois s’inspire grandement du modèle soviétique : les manuels sportifs de l’URSS sont traduits en mandarin, le système politico-économico-sportif chinois devient vertical et public, les associations et syndicats sportifs sont créés, l’apparition de classements favorise l’émergence des athlètes de haut niveau, qui disposent désormais de la possibilité de s’entraîner à temps plein dans des structures idoines.</p>
<h2>L’affaire des deux Chine : exister à l’échelle internationale</h2>
<p>Parallèlement, la RPC cherche à intégrer les grandes instances du sport mondial pour pouvoir exister sur la scène internationale. Dès 1952, Mao Zedong souhaite rejoindre le CIO <a href="https://www.persee.fr/doc/perch_1021-9013_2008_num_102_1_3603">pour pouvoir participer aux JO d’Helsinki</a>.</p>
<p>Problème, la Chine y est déjà représentée depuis 1922 par la République de Chine (ROC) et son Comité national olympique chinois (CNO) pré-existant à la révolution maoïste. En 1951, 19 des 25 membres du CNO chinois s’envolent pour Taïwan et participent à la création <em>de facto</em> de l’État de Taïwan. Ils demandent officiellement au CIO de prendre une position définitive.</p>
<p>Dans le même temps, la RPC formule la demande de participation aux JO. Cela a pour effet de créer deux entités politiques qui revendiquent un même territoire : c’est l’affaire des deux Chine. Pris entre deux feux, le CIO décide d’admettre des athlètes des deux territoires et d’éluder la question du statut de ces deux pays. La RPC envoie 38 hommes et 2 femmes à Helsinki. C’est la première fois de l’histoire olympique que le drapeau de la RPC flotte lors d’un événement sportif international. En réponse, Taïwan refuse d’envoyer ses représentants.</p>
<p>Deux ans plus tard, en 1954, le CIO est la première grande organisation internationale à officiellement reconnaître la RPC et son « Comité olympique de la République populaire de Chine ». Mais il continue aussi à reconnaître la Chine nationaliste présente à Taipei. Ainsi les deux délégations sont-elles présentes lors de la cérémonie d’ouverture des JO de Melbourne en 1956.</p>
<p>En voyant le drapeau de la ROC flotter sur la ville australienne, <a href="https://www.jstor.org/stable/20192198">Mao demande à sa délégation d’athlètes de repartir à Pékin et de quitter les JO</a>. La Chine est donc <a href="https://www.cairn.info/revue-relations-internationales-2008-2-page-93.htm">exclue du mouvement olympique en 1958</a>, faute de solution.</p>
<h2>Le temps de l’ouverture</h2>
<p>À partir des années 1960, les dirigeants chinois font du sport un élément de la diplomatie du pays et le ping-pong est proclamé sport national. En 1959, le pongiste <a href="https://www.france24.com/en/live-news/20210721-tragic-spy-who-sparked-china-s-table-tennis-domination">Rong Guotuan</a> remporte les championnats du monde de tennis de table et offre à la RPC son premier sacre sportif de premier plan. Pour Mao, cette victoire est <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/mav/170/PIRONET/61714">« une arme nucléaire spirituelle »</a> : « La balle de ping-pong représente la tête de l’ennemi capitaliste », la frapper avec la « raquette socialiste » permet de marquer « des points pour la mère patrie ».</p>
<p>Il s’agit bien entendu de renforcer l’image de la Chine dans le monde, dans un contexte d’isolement vis-à-vis des puissances occidentales et de tensions croissantes avec l’URSS.</p>
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<figcaption><span class="caption">Le sport en Chine selon Mao, Archive INA du 2 septembre 1974.</span></figcaption>
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<p>Si le sport permet au pouvoir chinois de signifier une intention négative, il devient un vecteur diplomatique positif à partir des années 1970. En effet, entre 1971 et 1972, le slogan chinois « L’amitié d’abord, la compétition après » se traduit par l’émergence de la célèbre <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/713675951">« diplomatie du ping-pong »</a>, qui voit des échanges de pongistes américains et chinois participer au renouveau des relations entre les deux pays.</p>
<p>Suite aux <a href="https://www.cairn.info/economie-de-la-chine--9782130575610-page-39.htm?contenu=article">réformes de Deng Xiaoping</a>, après la mort de Mao, le système sportif chinois s’inspire des moyens occidentaux pour croître.</p>
<p>En 1979, lors d’une conférence à Pékin, il est décidé que la politique sportive, qui s’inscrivait jusqu’ici dans le cadre de la lutte des classes, <a href="https://www.taylorfrancis.com/books/mono/10.4324/9781315857053/sport-nationalism-china-zhouxiang-lu-fan-hong">devait être abolie au profit d’une nouvelle politique sportive</a> destinée à servir les « Quatre modernisations ». L’objectif est de s’éloigner de la Révolution culturelle et de ses conséquences : le déclin du sport de haut niveau au profit de <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/09523367.2016.1188082?journalCode=fhsp20">l’hygiénisation du peuple</a>.</p>
<p>En 1980, Wang Meng, le ministre des Sports, affirme que la Chine est une puissance pauvre qui doit concentrer ses efforts sur le sport de haut niveau afin d’améliorer l’image du pays dans le monde et augmenter la fierté et le patriotisme chinois. Le sport doit désormais servir à renforcer la fierté nationale à travers les victoires sur d’autres nations. Le nouveau slogan, « Compétition ! », est sans équivoque.</p>
<p>Signe de l’importance du sport pour le PCC, et alors que le CIO continue de reconnaître Taïwan, la Chine <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1979/11/28/la-republique-populaire-de-chine-sera-a-lake-placid-et-a-moscou-en-1980_2764249_1819218.html">réintègre le CIO en 1979</a> et envoie pour la première fois depuis 1952 une délégation de 24 athlètes aux JO d’hiver de 1980 à Lake Placid. La même année, le PCC juge que l’invasion soviétique en Afghanistan met en péril les frontières chinoises et s’allie avec les États-Unis pour <a href="http://www.slate.fr/sports/83001/jo-moscou-1980">boycotter les JO de Moscou</a>.</p>
<p>Quatre ans plus tard, en 1984, 216 athlètes chinois participent aux JO de Los Angeles, alors que l’URSS refuse de s’y rendre. Principale représentante du monde communiste, la Chine finit à la quatrième place en remportant pas moins de 32 médailles, dont 15 en or. À leur retour au pays, les athlètes reçoivent un message officiel du Conseil d’État : « Vous avez réalisé de grands succès aux Jeux olympiques. La victoire aux JO va aider à construire la confiance et l’esprit chinois ».</p>
<p>L’engouement est tel que les médias de la RPC parlent alors d’« événement historique » et de « nouveau chapitre dans l’émergence de la Chine en tant que grande puissance du sport ».</p>
<h2>Le « Juguo Tizhi » : tout pour le sport de haut niveau</h2>
<p>C’est le début de la mutation du système sportif chinois concernant le haut niveau. L’objectif ? « Sportiviser » l’ensemble de la population chinoise dès le plus jeune âge afin de performer sur la scène internationale.</p>
<p>Pour ce faire, le budget dédié au sport est augmenté afin d’<a href="https://www.persee.fr/doc/perch_1021-9013_2008_num_102_1_3602">attirer les experts du sport international</a>. Au lendemain des JO de Los Angeles, le slogan « Développer l’élite du sport et faire de la Chine une superpuissance dans le monde » a pignon sur rue.</p>
<p>Il devient clair pour les dirigeants chinois que le sport sera le reflet des échecs et des succès du régime à l’étranger. C’est ainsi que le PCC adopte un projet de réforme du système sportif le 15 avril 1986. Dès lors, le <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/16184742.2017.1304433">« Juguo Tizhi »</a>, à savoir « le soutien de l’ensemble du pays au système sportif de haut niveau », devient la norme en Chine.</p>
<p>Concrètement, un système pyramidal à trois niveaux est mis en place afin de créer et faire émerger le champion de la masse des sportifs.</p>
<p>Le premier niveau est constitué de la masse des pratiquants présents dans les écoles primaires et secondaires. Dès leur plus jeune âge, les enfants et adolescents sont chaperonnés par une commission locale des sports qui les repère, les teste et les entraîne « scientifiquement ». L’État opère un écrémage chez les enfants entre 6 et 9 ans, suite à quoi les meilleurs sont envoyés dans des écoles du sport spécialisées où ils s’entraîneront 10 heures par jour. Le programme sportif est composé d’un savant mélange du meilleur des méthodes d’entraînement soviétique et capitaliste.</p>
<p>Ensuite, au deuxième niveau, les athlètes sont répartis dans des équipes de province et des clubs professionnels pour faire leurs classes. Dès lors, l’objectif est de tirer le meilleur de chacun d’eux.</p>
<p>Enfin, et c’est le troisième niveau, les meilleurs acquièrent le droit d’intégrer les équipes nationales puis, si leur niveau le permet, l’équipe olympique. Grâce à ce système, qui perdure encore aujourd’hui, c’est toute la société chinoise qui est mise en branle pour performer vite et bien.</p>
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<figcaption><span class="caption">L’entraînement des jeunes gymnastes chinoises, Archive INA du 11 octobre 2004.</span></figcaption>
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<h2>Le temps des records et des polémiques</h2>
<p>En dépit de ce renouveau systémique, les JO de 1988 sont un relatif échec compte tenu du retour des Soviétiques et des autres pays du bloc communiste. La RPC n’obtient que la onzième place au classement des médailles.</p>
<p>Dans la foulée, quelques critiques commencent à apparaître à l’égard du « Juguo Tizhi ». Certaines pointent notamment du doigt l’incapacité pour les athlètes à prendre du plaisir dans un contexte d’ultra-performance, le fait que l’omniprésence de l’État empêche une certaine forme d’innovation ou encore la mauvaise santé des athlètes de haut niveau.</p>
<p>De manière générale, les acteurs du mouvement sportif chinois – managers, athlètes et entraîneurs – font tout pour améliorer le niveau de performance. Les sportifs de haut niveau sont soumis par les autorités à un régime semi-militaire strict. Les campus sportifs sont organisés de façon à améliorer au maximum les performances et les lieux de vie des athlètes sont situés sur ceux-ci, les séparant ainsi de la vie civile.</p>
<p>À l’intérieur, les hommes et les femmes vivent séparément et n’ont pas le droit d’avoir de relations intimes. Il est d’ailleurs vivement conseillé aux athlètes de ne pas tomber amoureux ou de fonder une famille.</p>
<p>En outre, certaines méthodes illicites sont également employées pour améliorer les performances des sportifs. Parfois, les autorités mentent sur l’âge des athlètes qu’ils chapeautent afin qu’ils puissent se confronter rapidement à leurs pairs plus âgés et ainsi connaître le haut niveau plus tôt. Par ailleurs, l’usage de produits dopants devient <a href="https://www.lefigaro.fr/sports/jeux-olympiques/actualites/dopage-en-chine-plus-de-10000-athletes-positifs-entre-1980-90-881607">courant en Chine dans les années 1980</a>. Herbes, décoctions traditionnelles, ou encore « pilules miracles », les techniques sont aussi variées qu’originales.</p>
<p>Si la Chine remporte les Jeux asiatiques de Séoul en 1986, 11 athlètes sont testés positifs dans la foulée, laissant planer l’ombre d’un doute sur l’ensemble des performances chinoises. Pour le ministère des Sports chinois, il est hors de question que l’image du pays en pâtisse à l’étranger. En 1989, après quelques balbutiements, le premier centre de test antidopage chinois est reconnu par le CIO et les autorités promeuvent les « trois sérieux principes » : tests antidopage sérieux, interdiction de l’usage de produits dopants dans le sport et punitions pour ceux qui utilisent ces produits. Mais, dans un premier temps, cela ne suffira pas.</p>
<p>En 1993, « l’armée de Ma » – du nom de l’entraîneur chinois Ma Junren – fait sensation aux championnats du monde d’athlétisme de Stuttgart en remportant victoire sur victoire et en pulvérisant record sur record. Symbole du succès du « Juguo Tizhi », les Chinoises Qu Yunxia, Zhang Linli et Zhang Lirong réalisent un triplé retentissant en finale du 3000 mètres féminin. Mais épuisées par la dureté des conditions qui leur sont imposées, neuf femmes de l’équipe écrivent une lettre (révélée seulement en 2015) où elles dénoncent les pratiques de leur entraîneur, <a href="https://www.liberation.fr/sports/2016/02/06/athletisme-les-soldates-de-ma-ne-carburaient-pas-qu-au-sang-de-tortue_1431538/">qui les forçait à prendre des produits dopants</a>.</p>
<p>En dépit de ces déclarations, le sport chinois continue sa marche en avant.</p>
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<figcaption><span class="caption">La finale du triplé chinois aux Mondiaux d’athlétisme de Stuttgart en 1993.</span></figcaption>
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<h2>Une montée en puissance irrésistible ?</h2>
<p>Il faut attendre les années 1990 et la chute de l’URSS pour voir la Chine grappiller année après année des places au classement olympique des médailles. Elle est quatrième en 1992 et 1996 puis franchit un cap en 2000, finissant troisième, avant d’atteindre la deuxième place en 2004. À mesure que la Russie baisse le pied, la Chine se positionne comme une puissance sportive incontournable.</p>
<p>Le 13 juillet 2001, le CIO <a href="https://archive.wikiwix.com/cache/index2.php?url=http%3A%2F%2Fwww.olympic.org%2Ffr%2Fgames%2Fbeijing%2Felection_fr.asp#">attribue l’organisation des JO d’été 2008 à Pékin</a>. Pour les autorités chinoises, la victoire est totale. Un sondage d’opinion à l’époque montre que <a href="https://www.pewresearch.org/2008/08/05/an-enthusiastic-china-welcomes-the-olympics/">96 % de la population chinoise soutient cette initiative</a>. C’est fait, la Chine va accueillir les JO pour la première fois de son histoire. Mieux : elle va même les remporter au classement des médailles.</p>
<p>En dépit de cet indéniable succès, l’événement est marqué par de nombreuses <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2008/03/24/01003-20080324ARTFIG00279-la-flamme-des-jo-pekin-a-ete-allumee.php">protestations</a> à l’égard du régime chinois. La chancelière allemande Angela Merkel, le premier ministre britannique Gordon Brown, ou encore le secrétaire général des Nations unies Ban Ki-Moon, décident de ne pas assister à la cérémonie d’ouverture pour dénoncer les atteintes de Pékin aux droits humains. Dès lors, l’événement sportif est un projecteur qui éclaire la RDC pour le meilleur et pour le pire.</p>
<p>Depuis, le sport reste un enjeu majeur pour la Chine, qui cherche à atteindre le premier rang des superpuissances sportives. Pourtant, les boycotts annoncés aux JO d’hiver de Pékin 2022 laissent penser que les puissances occidentales ne la laisseront pas faire. À suivre…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/173551/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Alors que les JO d'hiver de Pékin à venir suscitent de nombreuses critiques, retour sur les ambitions sportives historiques de la puissance chinoise.Lukas Aubin, Docteur en Études slaves contemporaines : spécialiste de la géopolitique de la Russie et du sport, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresJean-Baptiste Guégan, Enseignant en géopolitique du sport, Institut libre d'étude des relations internationales (ILERI)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1704862021-11-02T18:03:55Z2021-11-02T18:03:55ZFacebook, Volkswagen, Samsung… Comment les stéréotypes nationaux influent sur le pardon accordé aux entreprises fautives<p>Facebook, Volkswagen, Samsung… Toutes ces multinationales ont, ces dernières années été confrontées à des événements imprévus : pannes mondiales, tricherie sur des pots d’échappement, batteries dangereuses et surtout conflits éthiques. Ils ont entraîné, selon les cas, des dommages physiques ou psychologiques pour les consommateurs, des pertes financières ou des dégâts environnementaux.</p>
<p>Les crises d’entreprise attirent l’attention des médias et suscitent souvent l’indignation du public. La nature des crises d’entreprise diffère cependant d’une société à l’autre. Et tous les malfaiteurs ne sont pas égaux aux yeux du public.</p>
<p>C’est ce que suggèrent <a href="https://doi.org/10.1177/1069031X20983806">nos recherches récentes</a>. Elles montrent notamment comment les stéréotypes nationaux peuvent protéger des entreprises des représailles des consommateurs et leur éviter d’être dénigrées sur les réseaux sociaux, voire de subir un boycott de leurs produits.</p>
<h2>Facebook : Deux crises à la fois</h2>
<p>Facebook est actuellement en pleine tourmente. Le 4 octobre, les services de l’entreprise ont connu une <a href="https://www.nytimes.com/2021/10/04/technology/facebook-down.html">panne qui a duré six heures</a>. 2,9 milliards d’utilisateurs n’ont pas pu accéder à la plate-forme originelle, ainsi qu’à Instagram, WhatsApp et Oculus en raison d’une <a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2021-10-04/explaining-the-protocol-failure-that-triggered-facebook-s-outage">erreur technique</a>.</p>
<p>Elle a entraîné des <a href="https://www.theverge.com/2019/3/14/18265002/facebook-instagram-outage-ad-revenue-lost">perturbations majeures</a> pour les consommateurs et les annonceurs et la perte causée pour l’économie mondiale causée est estimée à près d’un milliard de dollars. Soit la somme considérable de <a href="https://www.snopes.com/news/2021/10/04/facebook-ad-revenue/">150 millions de dollars par heure</a> ! Les crises de ce type peuvent être qualifiées de <strong><a href="https://doi.org/10.1080/02650487.2019.1672311">crises de capacité des entreprises</a></strong>, incapables de fournir leur produit ou service au niveau de qualité attendue.</p>
<p>Au même moment, une autre crise s’accélère, consécutivement à la publication par le <em>Wall Street Journal</em> de <a href="https://www.wsj.com/articles/the-facebook-files-11631713039">« The Facebook Files »</a>. Il s’agit d’un ensemble de documents ayant fait l’objet d’une fuite, et qui fournit un aperçu rare du fonctionnement interne de l’organisation et des recherches qu’elle mène.</p>
<p>Les documents suggèrent que Facebook est conscient des effets néfastes de ses services, mais que l’entreprise ne fait pas grand-chose pour y remédier. Des recherches internes auraient par exemple révélé qu’Instagram <a href="https://www.theverge.com/2021/9/29/22701445/facebook-instagram-mental-health-research-pdfs-documents">nuit à la santé mentale des adolescents</a> et contribue aux troubles alimentaires ainsi qu’aux pensées suicidaires. Le 5 octobre, un jour seulement après la panne mondiale, Frances Haugen, la lanceuse d’alerte à l’origine de la fuite des documents, s’est présentée devant le Congrès américain et a déclaré que Facebook <a href="https://www.bbc.com/news/technology-58784615">privilégie la croissance à la sécurité</a>. On parle ici de « <strong><a href="https://doi.org/10.1080/02650487.2019.1672311">crise de moralité</a></strong> ».</p>
<h2>Séquelles</h2>
<p>Les crises d’entreprise peuvent entraîner de graves représailles contre les sociétés fautives. Les consommateurs peuvent éprouver des émotions négatives à l’égard des fautifs et les punir. Cela peut aller de la diffusion d’informations négatives sur les réseaux sociaux au <a href="https://doi.org/10.1057/bm.2015.38">boycott</a> des produits de l’entreprise.</p>
<p>Pareilles intentions de vengeance dépendent largement du fait que la crise remette en question la capacité ou la moralité de l’entreprise. Deux exemples l’illustrent parfaitement.</p>
<p>En 2016, Samsung a suspendu les ventes du Galaxy Note 7 et annoncé un rappel mondial. Avait été constaté un défaut de fabrication des batteries, générant une chaleur excessive et provoquant incendies et explosions. Bien que le scandale ait affecté la perception des consommateurs quant à la sécurité de leurs smartphones et ait soudainement fait perdre à l’entreprise des <a href="https://www.washingtonpost.com/business/how-samsung-moved-beyond-its-exploding-phones/2018/02/23/5675632c-182f-11e8-b681-2d4d462a1921_story.html">milliards de dollars en bourse</a>, le problème n’a pas affecté la confiance des clients envers la marque. Près de <a href="https://www.reportlinker.com/insight/samsung-galaxy-s8-trust.html">9 clients de Samsung sur 10</a> ont déclaré envisager la marque pour un prochain achat quelques mois seulement après l’événement critique.</p>
<p>Les choses n’ont pas évolué dans la même direction pour Volkswagen en 2015. Le constructeur automobile s’était fait prendre à <a href="https://hbr.org/2016/09/what-100000-tweets-about-the-volkswagen-scandal-tell-us-about-angry-customers">tricher sur les tests d’émissions</a> en laboratoire, faisant apparaître ses voitures diesel jusqu’à 40 fois moins polluantes qu’elles ne l’étaient en réalité. La firme allemande a non seulement été frappée par une tempête médiatique sur les réseaux sociaux et de longues campagnes de boycott, mais a également enregistré sa <a href="https://www.theguardian.com/business/2016/may/31/vw-volkswagen-profits-down-20-diesel-emissions-scandal">première perte annuelle en plus de 20 ans</a>. Les dommages causés par le scandale <a href="https://fortune.com/2020/10/06/volkswagen-vw-emissions-scandal-damages/">continuent même de pleuvoir des années plus tard</a>.</p>
<h2>Affaires de stéréotypes</h2>
<p>Il est intéressant de noter qu’un autre facteur semble avoir une incidence sur la réaction du public à une crise d’entreprise : le pays d’origine de l’entreprise. Une <a href="https://doi.org/10.1177/0022242920911907">étude récente</a> a montré que les crises des marques étrangères bénéficient d’une couverture médiatique 80 % plus importante que les crises des marques nationales.</p>
<p>Nos <a href="https://doi.org/10.1177/1069031X20983806">travaux</a> montrent, eux, que le pays d’origine d’une entreprise influence la façon dont les consommateurs réagissent aux crises de capacité et de valeur de celles-ci. Pendant le « Dieselgate » de Volkswagen, les mots « allemand » et « Allemagne » figuraient par exemple parmi les <a href="https://hbr.org/2016/09/what-100000-tweets-about-the-volkswagen-scandal-tell-us-about-angry-customers">cinq mots les plus fréquemment utilisés par les utilisateurs de Twitter</a>.</p>
<p>Les consommateurs ont des croyances variées à propos d’une entreprise, notamment sur son origine, qui déterminent s’ils réagissent et comment à une transgression potentielle. C’est notre postulat de base : les associations de marques avec des pays dans la tête des consommateurs, par exemple, Facebook et les États-Unis, Volkswagen et l’Allemagne, Samsung et la Corée du Sud, activent certaines croyances.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/428017/original/file-20211022-22-gync9k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/428017/original/file-20211022-22-gync9k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/428017/original/file-20211022-22-gync9k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/428017/original/file-20211022-22-gync9k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/428017/original/file-20211022-22-gync9k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/428017/original/file-20211022-22-gync9k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/428017/original/file-20211022-22-gync9k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les stéréotypes des pays d’origine rejaillissent sur les entreprises qui y sont fortement associées.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Drapeaux.JPG">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Les psychologues définissent les <a href="https://doi.org/10.1037/0022-3514.82.6.878">stéréotypes</a> comme des ensembles de croyances simplifiées à l’extrême et généralisées concernant les caractéristiques des membres d’un groupe social particulier, qui se forment au fil du temps. Des groupes sociaux, le concept a ensuite été étendu à l’échelle des pays.</p>
<p>Les consommateurs stéréotypent notamment les pays en fonction de <a href="https://doi.org/10.1108/02651330810851881">deux dimensions</a>. Les pays que les consommateurs perçoivent comme étant amicaux, coopératifs et dignes de confiance sont considérés comme des pays « chaleureux » (par opposition aux pays « froids » qui sont considérés comme ayant des intentions antagonistes et compétitives). Les pays que les consommateurs perçoivent comme puissants et capables d’agir sur leurs intentions sont considérés comme « <a href="https://doi.org/10.1108/02651330810851881">compétents</a> » (ou « incompétents », dans le cas contraire).</p>
<h2>Être dans un pays étiqueté « chaleureux »</h2>
<p>Le public semble appliquer ses croyances sur un pays aux entreprises originaires de ce pays. Cet <a href="https://doi.org/10.1037/0022-3514.35.4.250">« effet de halo pays-entreprise »</a> reste une chose que nous rencontrons régulièrement en dehors des situations de crise, lorsque nous croyons par exemple aveuglément à la qualité supérieure des marques de vin français, des chocolats suisses et des voitures allemandes, simplement en raison de leur origine.</p>
<p>Qu’en est-il en situation de crise ?</p>
<p>Rappelons le processus psychologique présumé : les réactions émotionnelles négatives des consommateurs et leur intention de se venger de l’entreprise fautive dépendent de leur perception de la cupidité de l’entreprise.</p>
<p>D’après nos tests empiriques, les stéréotypes nationaux semblent jouer un rôle important dans ce processus psychologique, car les consommateurs peuvent en déduire les intentions sous-jacentes de l’entreprise. La dimension chaleureuse associée à un pays sert notamment d’indice à propos des intentions bienveillantes de l’entreprise envers les autres.</p>
<p>Elle peut conduire les consommateurs à occulter les informations négatives sur les intentions potentiellement cupides d’une entreprise, ce qui permet d’éviter la manifestation d’émotions négatives et de représailles. Cet effet tampon reste toutefois limité aux crises de capacité des entreprises. Les informations négatives qui remettent en question l’adhésion de l’entreprise aux normes morales restent en effet <a href="https://doi.org/10.1016/j.jbusres.2013.12.007">plus difficiles à ignorer</a>.</p>
<h2>Les managers doivent en être conscients</h2>
<p>Savoir cela aide à comprendre pourquoi les réactions des consommateurs à l’égard des entreprises qui commettent des actes répréhensibles peuvent varier. Un pays d’origine considéré chaleureux agit comme une « police d’assurance » pour les entreprises de ce pays contre les conséquences défavorables d’une crise.</p>
<p>Les managers doivent être conscients de cet effet. Il s’agit pour eux de bien comprendre d’abord dans quelle mesure les consommateurs <a href="https://doi.org/10.1016/j.jbusres.2017.05.014">associent leur marque à un pays spécifique</a> (par exemple, Volkswagen est étroitement associée à l’Allemagne, tandis que Samsung est souvent considérée à tort comme japonaise), puis dans quelle mesure ils perçoivent ce pays comme chaleureux, amical et digne de confiance.</p>
<p>Les managers doivent également savoir que le public condamne davantage les entreprises lorsqu’elles violent les normes éthiques que lorsque leur compétence professionnelle est en cause. Comme les normes morales <a href="https://doi.org/10.1509/jimk.15.2.86">différent d’une culture à l’autre</a>, il est ainsi nécessaire de comprendre comment les consommateurs des marchés concernés perçoivent exactement les actes répréhensibles.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/170486/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le pays d’origine d’une entreprise véhicule un certain nombre de stéréotypes, qui nous conduisent à être plus ou moins tolérants avec celle-ci lorsqu’elle est touchée par un scandale.Timo Mandler, Associate Professor of Marketing & International Business, TBS EducationCamilla Barbarossa, Professeure en marketing RSE, TBS EducationLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1522092020-12-20T21:53:03Z2020-12-20T21:53:03ZRupture du contrat entre Antoine Griezmann et Huawei : les célébrités sont aussi des marques<p>Le 10 décembre 2020, le footballeur français Antoine Griezmann a annoncé à sa communauté de 31,8 millions d’abonnés sur Instagram mettre fin à son engagement contractuel (de quatre ans, et en négociation pour être prolongé de deux années supplémentaires) avec la marque chinoise de smartphones Huawei, soupçonnée de participer à la surveillance de la communauté musulmane des Ouïgours en Chine.</p>
<p>Dans son post, signé et logoté, le champion du monde 2018 écrit :</p>
<blockquote>
<p>« Suite aux forts soupçons selon lesquels l’entreprise Huawei aurait contribué au développement d’une alerte Ouïgour grâce à un logiciel de reconnaissance faciale, j’annonce que je mets un terme immédiat à mon partenariat me liant à cette société. J’en profite pour inviter Huawei à ne pas se contenter de nier ces accusations mais à engager au plus vite des actions concrètes pour condamner cette répression de masse et user de son influence pour contribuer au respect des droits de l’homme et de la femme au sein de la société ».</p>
</blockquote>
<p>Si les exemples de résiliation sont légion, elles concernent généralement l’entreprise qui rompt le contrat en raison des agissements des personnalités, comme nous l’avions montré dans notre ouvrage <a href="https://www.dunod.com/entreprise-economie/marketing-et-celebrites-medaille-academie-sciences-2014"><em>Marketing et Célébrités</em></a> paru aux Éditions Dunod en 2014. Par exemple, le golfeur Tiger Woods a perdu plusieurs contrats à la suite des révélations de ses multiples adultères en 2009. En 2012, le cycliste Lance Armstrong était à son tour <a href="https://www.lemonde.fr/sport/article/2012/10/17/nike-lache-armstrong-qui-ne-preside-plus-sa-fondation-contre-le-cancer_1776861_3242.html">lâché par de nombreux sponsors</a> après que l’agence américaine d’anti-dopage l’ait convaincu de dopage.</p>
<h2>Une initiative rare chez les célébrités</h2>
<p>Les cas de célébrités qui renoncent à un contrat de sponsoring pour des raisons éthiques restent en revanche beaucoup plus rares. En général, les personnalités dénoncent plutôt des agissements d’entreprises auxquelles elles ne sont pas liées à travers des campagnes qui peuvent aller jusqu’au boycott.</p>
<p>Par exemple, en septembre 2020, plusieurs stars américaines (parmi lesquelles Kim Kardashian, Leonardo DiCaprio et Jennifer Lawrence) ont décidé de ne plus <a href="https://www.ouest-france.fr/high-tech/instagram/kim-kardashian-leonardo-dicaprio-et-d-autres-celebrites-appelle-au-boycott-d-instagram-6974650">rien publier sur Instagram et Facebook pendant 24 heures</a>, se faisant le relais d’associations accusant les réseaux sociaux de participer à la diffusion de contenus haineux et mensongers.</p>
<p>Dans le cas de « Grizou », rappelant celui du chanteur canadien The Weeknd, qui avait brusquement <a href="https://www.20minutes.fr/mode/2198731-20180109-the-weeknd-stoppe-collaboration-h-apres-polemique-raciste">stoppé sa collaboration</a> avec la marque de vêtements H&M, début 2019, après la mise en vente d’un sweat porté par un enfant sur lequel était inscrit « Coolest monkey in the jungle » (« le singe le plus cool de la jungle »), on peut néanmoins s’interroger sur l’intention du geste, entre engagement responsable et stratégie de communication.</p>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/CInqQ5-ptdP","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<p>En effet, les célébrités deviennent aussi des marques en développant sur la base de leur notoriété et de leur image un « capital-marque », mais aussi du point de vue de la pratique et du business, en développant des entreprises portant leur nom, à l’instar du <a href="https://www.forbes.com/sites/steveolenski/2018/04/02/brands-branding-and%20celebrities/?sh=32e560724db9">basketteur Michael Jordan</a>.</p>
<p>De ce fait, en s’associant à une autre entité commerciale à travers la signature d’un contrat d’endossement, ces « marques-célébrités » sont susceptibles de bénéficier d’attributs reliés à son partenaire (être ambassadeur de Rolex apporte à la star un certain prestige). Et bien évidemment, ces associations d’images peuvent s’avérer négatives et donc nuire à la marque de la célébrité, soudain embarrassée d’être potentiellement associée à des accusations de racisme, de sexisme, d’espionnage ou autres frappant leur sponsor.</p>
<p>C’est ce qui était arrivé à l’acteur George Clooney, ambassadeur de Nespresso, qui avait <a href="https://www.bfmtv.com/people/clooney-surpris-et-attriste-par-un-reportage-accusant-nespresso-de-faire-travailler-des-enfants_AN-202002260074.html">manifesté son mécontentement</a> après la révélation, en février dernier, de certaines conditions de travail dans un documentaire de la chaîne britannique Channel 4 : Nespresso y était accusée d’avoir recruté de très jeunes enfants pour travailler six jours par semaine à raison de huit heures par jour dans des fermes au Guatemala.</p>
<p>Antoine Griezmann apparaît à la foi comme un sportif à la fois engagé et très « bankable », ce qui n’est pas forcément antinomique. Dans un sport très souvent critiqué en raison des mauvais comportements des joueurs, le joueur du FC Barcelone se situe dans la lignée d’une tendance, pas forcément nouvelle, de footballeurs engagés dont l’écho et la résonance des messages sur les réseaux sociaux sont puissants.</p>
<p>Du buteur ivoirien Didier Drogba, <a href="https://www.undp.org/content/undp/fr/home/goodwill-ambassadors/didier_drogba.html">ambassadeur de bonne volonté</a> du programme des Nations unies pour le développement et président d’une fondation portant son nom dont la santé, la femme, l’éducation et les enfants sont les priorités, au jeune <a href="https://www.elle.fr/Societe/News/Marcus-Rashford-le-footballeur-qui-lutte-contre-la-pauvrete-infantile-3890842">Marcus Rashford</a>, extrêmement investi pour la lutte contre la pauvreté et influent jusqu’au gouvernement britannique, en passant par la star Cristiano Ronaldo qui a fait <a href="https://sport24.lefigaro.fr/scan-sport/actualites/coronavirus-cristiano-ronaldo-et-son-agent-financent-trois-unites-de-soins-intensifs-997634">don de trois unités de soin</a> à des hôpitaux portugais pour les aider à faire face à la pandémie de coronavirus, les sportifs n’hésitent plus à s’engager en « offrant » aux différentes causes une visibilité médiatique et/ou des dotations financières ou matérielles. </p>
<h2>Une nouvelle crise pour Huawei</h2>
<p>Chez Antoine Griezmann, sans que cela soit une critique, tout semble toujours très marketé, de la moindre célébration de but (l’une d’entre elles reprenait les codes du jeu vidéo Fortnite), aux changements fréquents de coiffure (à l’image du Britannique David Beckham dont Griezmann s’est visiblement beaucoup inspiré), en passant par la communication de ses choix de carrière. Ainsi, la sortie du documentaire dans lequel il annonce qu’il resterait à l’Atlético de Madrid, en pleine Coupe du monde 2018, faisait écho à la mise en scène télévisée de la « Decision » du basketteur américain LeBron James quand il quitta la franchise des Cleveland Cavaliers en 2010.</p>
<p>Se séparer de Huawei peut donc tout à fait être interprété à la fois comme un engagement courageux et sincère pour contribuer à médiatiser une cause peu connue du grand public et une action de communication pouvant améliorer son propre branding.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"983685662040903681"}"></div></p>
<p>Mais s’il est certain que le message de Griezmann donne un écho important auprès du grand public à une affaire qui aurait été moins ébruitée et commentée sans ce message Instagram, la marque chinoise a déjà été confrontée à la gestion de nombreuses polémiques à l’international liées à des <a href="https://www.zdnet.fr/actualites/face-aux-sanctions-americaines-huawei-se-dit-touche-mais-pas-coule-39910085.htm">soupçons d’espionnage</a> pour le compte du gouvernement chinois, et plus particulièrement aux États-Unis, allant au-delà d’une simple question d’image pour représenter un véritable enjeu diplomatique.</p>
<p>Dans le cas de Griezmann, l’entreprise chinoise s’est défendu en déclarant :</p>
<blockquote>
<p>« Nous ne développons pas d’algorithmes ou d’applications dans le domaine de la reconnaissance faciale, mais uniquement des technologies à usage général qui se <a href="https://www.journaldugeek.com/2020/12/10/huawei-alerte-ou%C3%AFgour-antoine-griezmann/">fondent sur les normes internationales</a> en matière d’apprentissage automatique et d’intelligence artificielle ».</p>
</blockquote>
<p>Quelle que soit la vérité, cette déclaration sera-t-elle suffisante pour dissiper les doutes ? En effet, un représentant de Huawei avait déclaré en 2017, lorsque le footballeur français était devenu l’ambassadeur de la marque : « Antoine Griezmann a la capacité à faire réagir sa communauté, c’est quelqu’un de naturel et direct, c’est ça qui nous intéresse ». Un argument qui peut désormais se retourner contre sa stratégie de communication.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/152209/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Philippe Danglade ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En annonçant ne plus vouloir être sponsorisé par le fabricant chinois de smartphones, le footballeur français affirme son engagement pour la cause des Ouïgours tout en soignant son image.Jean-Philippe Danglade, Head of department, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1516072020-12-08T19:15:40Z2020-12-08T19:15:40ZDiscrimination raciale au Brésil : le boycott de Carrefour souligne l'urgence des marques à revoir leurs pratiques<p><em>Black Lives Matter</em>, probablement le plus large <a href="https://www.nytimes.com/interactive/2020/07/03/us/george-floyd-protests-crowd-size.html">mouvement social</a> de l’histoire récente des États-Unis a eu une résonnance mondiale avec des échos en France, au Royaume-Uni, etc. Les entreprises internationales ont été prises dans l’œil du cyclone en tentant de répondre à cette volonté de démanteler le racisme structurel, vis-à-vis des personnes noires outre-Atlantique notamment.</p>
<p>Pour protester contre les injustices sociales, les citoyens se sont ainsi emparés d’outils comme la « cancel culture », c’est-à-dire les campagnes controversées visant à délégitimer les propos d’une personne en s’appuyant sur d’autres de ses opinions jugées choquantes ou d’autres faits qui peuvent lui être reprochés, ou encore le boycott d’entreprise.</p>
<p>On se souvient par exemple du <a href="https://www.20minutes.fr/high-tech/2809475-20200628-jarreteloreal-internautes-appellent-boycott-oreal-apres-decision-supprimer-certains-mots-produits">mouvement #Boycottloreal</a> pendant l’été. Certains internautes jugeaient superficielle l’annonce de l’entreprise de cosmétiques de bannir le terme « blanchissant » de sa communication alors que son conseil d’administration était dans le même temps critiqué pour son manque de diversité. Cet épisode s’ajoute à la liste des mouvements qui ont visé les boycotts pour discriminations raciales ou sexuelles de grandes marques internationales comme <a href="https://www.francetvinfo.fr/culture/cinema/netflix-fait-l-objet-d-un-appel-au-boycott-sur-les-reseaux-sociaux-apres-la-mise-en-ligne-du-film-francais-mignonnes_4102621.html">Netflix</a>, <a href="https://www.businessoffashion.com/articles/news-analysis/balenciaga-issues-second-apology-after-claims-of-discrimination-against-chinese-shoppers">Balanciaga</a>, ou encore <a href="https://www.lci.fr/international/accuse-de-racisme-starbucks-s-excuse-apres-l-arrestation-de-deux-hommes-noirs-dans-un-de-ses-cafes-etats-unis-philadelphie-2084628.html">Starbucks</a>.</p>
<h2>Des messages qui peinent à convaincre</h2>
<p>Depuis fin novembre, c’est au tour de l’enseigne de grande distribution française Carrefour de se retrouver dans la tourmente au Brésil. À la veille de la très symbolique Journée nationale de la conscience noire, des vigiles d’un supermarché de Porto Alegre, dans le Sud du pays, ont battu à mort un homme noir de 40 ans, déclenchant des <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/11/25/carrefour-cible-de-manifestations-contre-la-violence-raciste-au-bresil_6061034_3210.html">manifestations dans différentes villes</a>. Pris d’assaut ou vandalisés, plusieurs points de vente du groupe ont dû fermer leurs portes.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/FmJGxxGedT0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Manifestation à Porte Alegre après le drame dans le supermarché Carrefour (UOL, 23 novembre 2020).</span></figcaption>
</figure>
<p>Les médias nationaux ont remis en perspective le drame en rappelant les faits sombres de l’histoire du groupe au Brésil, comme les « actes de racisme quotidiens, le passage à tabac de personnes noires, les cas de torture et de viol supposés commis par des agents de sécurité, comparés à de véritables « milices » au service des Blancs… Comme l’a commenté l’avocat Thiago Amparo, figure de proue du mouvement antiraciste au Brésil, dans le <a href="https://www1.folha.uol.com.br/colunas/thiago-amparo/">quotidien <em>Folha de Sao Paulo</em></a> :</p>
<blockquote>
<p>« Quand nous entrons au supermarché, nous pénétrons dans une sphère où des policiers privés nous voient, nous les Noirs, comme des menaces ».</p>
</blockquote>
<p>En résumé, la couverture médiatique de cet événement projette, dans le contexte de <em>Black Lives Matter</em>, (<em>Vidas negras importam !</em> au Brésil), qu’une entreprise blanche a assassiné un Brésilien noir.</p>
<p>Cet épisode traduit de nouveau l’importance pour les entreprises d’articuler leurs valeurs antidiscriminatoires et de les arrimer à des pratiques positives au quotidien. Sans cela, la mise en cause devient pressante et planétaire du fait des réseaux sociaux, leur réputation fortement endommagée, ce qui représente un coût dont elles évitent de supporter le risque via des campagnes et politiques de diversité qui <a href="https://theconversation.com/pour-les-marques-black-lives-matter-vraiment-142055">peinent à convaincre</a>.</p>
<p>Des incidents graves comme celui-ci constituent un facteur de détérioration profond du lien chèrement acquis entre consommateurs et marques qui se détournent vers des concurrents plus en conformité avec les valeurs et causes sociales progressistes.</p>
<h2>Invisibilisation des mannequins noirs</h2>
<p>Or, en matière de lutte contre les discriminations, on peut avancer que les marques tendent à envoyer des messages contradictoires. C’est notamment ce qu’il ressort de notre <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1057%2F9781137330536_4">étude sémiotique</a> (science des signes ou symboles) des publicités parues dans les magazines de mode au Brésil. Nous avions analysé précisément la représentation du corps féminin à l’intersection de la notion de prestige social en sélectionnant des magazines internationaux et locaux qui insèrent des marques globales et brésiliennes premium et luxe.</p>
<p>Souvent, les modèles étaient moins des métis que des brunes, dont le maquillage et un subtil travail sur la couleur de peau brune dorée relayaient l’exotisme. Ces corps représentés dans la forêt tropicale, ou selon un récit de « bikini à Rio de Janeiro », ne sont pour autant jamais vraiment foncés lorsque les marques ne sont pas d’entrée de gamme. A contrario, nous avions noté une survisibilité de phénotypes blonds nordiques !</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1281224015009505283"}"></div></p>
<p>Toutefois, nous avons noté une résistance à cette invisibilisation des corps noirs de quelques marques brésiliennes dans un registre que nous avons nommé « Creative Rebel ». Des <a href="https://jacksonaraujo.medium.com/a-moda-como-resist%C3%AAncia-pol%C3%ADtica-e6ed1bb72a80">designers militent</a> au travers de la mode pour rendre visible et célébrer le corps noir comme beau et prestigieux notamment dans le contexte politique tendu vis-à-vis de la question raciale sous la présidence de Jair Bolsonaro.</p>
<p>En outre, l’actualité au Brésil laisserait penser qu’il s’agit là de discriminations uniquement opérées par des entreprises internationales ou codées comme blanches. Or, comme nous l’avons montré, les marques locales ne sont pas exemptes de pratiques discriminatoires.</p>
<h2>Nécessaire aggiornamento</h2>
<p>Le boycott de Carrefour, comme celui d’autres marques globales (Uncle Ben’s, etc.) dans différents pays à la suite au mouvement social <em>Black Lives Matter</em>, régénère donc la nécessité stratégique pour les marques de travailler leurs communications autant que leurs politiques de diversité en interne, sous peine d’essuyer un « bad buzz » important de la part de consommateurs très connectés (<a href="https://fr.statista.com/statistiques/564263/bresil-nombre-d-utilisateurs-d-internet--2019/">128 millions</a> de personnes au Brésil).</p>
<p>Pour un réel impact du mouvement <em>Vidas negras importam !</em> sur le racisme au Brésil, les citoyens doivent donc également dénoncer les pratiques de nombre de secteurs commerciaux où les personnes non blanches sont invisibilisées ou associées à un registre de classe inférieure.</p>
<p>Les marques constituent des plates-formes idéologiques qui reflètent l’évolution des discussions dans la société. Un <a href="https://www.liberation.fr/planete/2020/09/25/antiracisme-les-marques-retournent-leur-veste_1800600">aggiornamento des pratiques de marques globales</a> et locale pourrait donc participer aux aspirations de traitement égalitaire au Brésil, comme ailleurs.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/151607/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nacima Ourahmoune ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une étude montre que la publicité des entreprises internationales au Brésil tend à invisibiliser les populations noires.Nacima Ourahmoune, Professeur / Chercheur/ Consultant en marketing et sociologie de la consommation, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1500002020-11-16T18:20:11Z2020-11-16T18:20:11ZLe mouvement anti-Amazon de retour avec la crise de la Covid-19<p>Depuis l’annonce du deuxième confinement et de la décision de fermeture des commerces jugés <a href="https://www.gouvernement.fr/info-coronavirus/confinement">non essentiels</a>, nous assistons à une vague de contestations plaçant le géant du e-commerce Amazon dans le viseur des responsables politiques, des enseignes de distribution et des consommateurs. Amazon, en particulier, devient le responsable des maux de cette société fragilisée par la crise sanitaire de la Covid-19. Cela prend plusieurs formes allant de <a href="https://www.liberation.fr/debats/2020/03/23/pour-le-boycott-d-amazon-pour-un-soutien-massif-au-secteur-du-livre_1782744">l’appel à boycott</a> d’Amazon par des politiciens, des associations consuméristes et des enseignes de la grande distribution, jusqu’à la création d’un plugin <a href="https://amazonkiller.org/">« Amazon Killer »</a> recommandé aux consommateurs afin de chercher un livre sur Amazon et de l’acheter dans une librairie physique, ou de <a href="https://www.dismoi.io/sources/60/Amazon-Antidote/">« Amazon Antidote »</a> qui guide le consommateur vers d’autres sites proposant le même produit vendu par Amazon, à des prix plus bas.</p>
<p>L’ampleur de la tendance de boycott d’Amazon en France est jugée sans précédent. <a href="https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/confinement/la-psychose-francaise-sur-amazon-na-aucun-sens-denonce-cedric-o-secretaire-d-etat-au-numerique_4168369.html">Cédric O</a>, Secrétaire d’État chargé de la transition numérique, l’assimile à « une psychose française sur Amazon qui n’a pas beaucoup de sens ». Il précise que « Amazon, c’est 20 % du e-commerce en France », représentant le pourcentage le plus faible dans les pays de l’Union européenne. Pour cela, deux questions se posent : pourquoi s’attaque-t-on à Amazon en particulier, malgré le fait qu’il ne soit pas seul sur le marché du e-commerce français ? Et pourquoi ce mouvement anti-Amazon est-il propre à ce deuxième confinement ?</p>
<p>Pour répondre à ces questions, une étude qualitative, qui paraîtra en 2021, a été menée auprès de commerçants appartenant aux deux catégories : « commerces essentiels » et « commerces non essentiels » et de consultants en matière de RSE (responsabilité sociale des entreprises). Une étude ethnographique complémentaire a permis d’analyser une centaine de réactions clients à différentes publications écrites ou vidéo en relation avec l’appel au boycott d’Amazon. </p>
<p>Cela nous a permis d’identifier les facteurs explicatifs du mouvement de boycott d’Amazon lié au deuxième confinement, ainsi que les limites de ce mouvement.</p>
<h2>L’injustice cultivée par Amazon…</h2>
<p>Selon la théorie de la <a href="https://www.economie.gouv.fr/facileco/john-rawls">justice sociale</a> de Rawls (1971), l’homme juste est celui qui soutient les organisations justes. Or, Amazon incarne pour certaines personnes interviewées l’image du capitalisme sauvage caractérisé par un engraissement qui ne profite qu’à un très petit nombre de bénéficiaires. Ainsi, il a été pendant plusieurs années attaqué pour ses valeurs sociales et sociétales. Il a souvent fait l’objet de mouvements de contestation à l’égard de sa politique sociale caractérisée par des <a href="https://www.20minutes.fr/economie/2567555-20190719-entre-bonne-ambiance-epuisement-salaries-amazon-racontent-conditions-travail">conditions de travail</a> jugées inhumaines, par une politique salariale injuste, par la suppression de postes et la robotisation de ses entrepôts, etc.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/CBKs156BSaw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Covid-19 : l’inquiétude des salariés d’Amazon.</span></figcaption>
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<p>De plus, Amazon a été pointé du doigt, à plusieurs reprises, à cause d’une <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/03/19/coronavirus-amazon-sous-pression-du-gouvernement-et-de-salaries_6033724_3234.html">mauvaise protection</a> de ses salariés lors de la première vague de la Covid-19, en refusant de fermer ses entrepôts malgré les nombreux cas atteints signalés. Ses salariés se sont retrouvés dépourvus de moyens de protection, seuls face à la pandémie, contribuant ainsi, injustement, à l’enrichissement du géant du e-commerce.</p>
<p>En France, on reproche à Amazon, l’opacité des informations au niveau de son chiffre d’affaires de la publicité en ligne, des places de marché et du cloud. Ces chiffres estimés à plus de 50 % du chiffre d’affaires total réalisé en France, ne sont pas taxés. Ainsi, Amazon ne contribue pas à l’économie française grâce aux <a href="https://www.capital.fr/entreprises-marches/comment-amazon-embrouille-le-fisc-1264911">avantages fiscaux</a> dont il jouit, contrairement à d’autres géants du Web français tel que C-discount, dont les richesses générées profitent à l’économie française, et de manière indirecte aux Français. Amazon est perçu comme un opportuniste qui a énormément profité de la guerre contre la Covid-19, à travers la montée fulgurante de son chiffre d’affaires et de ses cours d’action en <a href="https://www.boursedirect.fr/fr/actualites/categorie/valeurs-us/amazon-au-plus-haut-a-wall-street-dope-par-le-coronavirus-boursier-f27ebaa516c8e09e7124a7d3e142a1e36c8eb44e">bourse</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1324026621003812864"}"></div></p>
<p>Les quelques <a href="https://siecledigital.fr/2020/11/02/amazon-boutique-produits-francais/">initiatives</a> du géant du e-commerce de mettre en avant les produits fabriqués en France et de soutenir les entreprises françaises sur son site Web, sont assimilées à de « la poudre de perlimpinpin ». Amazon est considéré, par certains, comme l’un des « riches de la guerre » avec tout ce que cela porte comme symboles négatifs d’opportunisme, d’égoïsme, d’individualisme et d’injustice.</p>
<p>Les attentes de solidarité avec les Français, d’assistance aux petits commerçants et d’aide aux salariés non remplies par Amazon lors de la première vague ont contribué à ternir son image et à faire de lui une cible privilégiée lors de cette deuxième vague de la Covid-19.</p>
<h2>L’injustice cultivée par les politiciens et relayée par les médias…</h2>
<p><a href="https://www.lci.fr/social/quel-est-le-poids-reel-d-amazon-dans-l-economie-francaise-2168838.html">L’appel</a> au boycott d’Amazon par madame Roselyne Bachelot, ministre de la Culture, a fait l’effet de « la seringue hypodermique » sur certains consommateurs qui ont placé le géant du e-commerce dans l’agenda de leurs sujets de discussion. Ce discours a d’autant plus été considéré comme faisant appel au sentiment de culpabilité du consommateur et à son sens de la justice, tel qu’évoqué par le philosophe américain John Rawls (1971).</p>
<p>Cela a été accentué par les <a href="https://www.procos.org/images/procos/presse/2020/CP/cp_commun_federations_impact_coronavirus.pdf">communiqués</a> des différentes fédérations du commerce, les publicités « solidaires » diffusées par certaines enseignes de distribution, ainsi que les discours politiques contradictoires au sujet d’Amazon. Or, au lieu d’aider à rétablir la justice sociale chez les Français, la médiatisation des différents discours politiques a davantage creusé le sentiment d’injustice sociale chez eux ; elle leur a donné l’impression qu’Amazon est plus fort que l’État français. Certains commerçants se lamentent en rappelant que : « lutter contre Amazon quand on fait partie du gouvernement doit se traduire par des lois et non pas par l’appel au boycott… ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1323174185770881024"}"></div></p>
<p>Par ailleurs, lors du deuxième confinement, l’interdiction d’ouvrir les commerces jugés non essentiels, y compris les <a href="https://www.rtl.fr/actu/economie-consommation/confinement-la-liste-des-rayons-qui-ferment-dans-les-grandes-surfaces-7800916062">rayons</a> concernés chez les supermarchés et les hypermarchés français, à l’exception des e-commerçants dont Amazon, a davantage éveillé le sentiment d’injustice sociale chez les consommateurs et les commerçants français. Cela a pris la forme de deux grandes polémiques.</p>
<p>La première polémique concerne la <a href="https://www.lemonde.fr/culture/article/2020/10/30/reconfinement-les-librairies-n-echappent-pas-a-la-fermeture_6057888_3246.html">catégorisation</a> de ce qui est essentiel de ce qui ne l’est pas. La hiérarchie des biens retenue par le gouvernement ne reflète pas de manière juste et équitable celle des commerçants français qui trouvent que les biens culturels sont aussi importants que les biens alimentaires pour eux et pour leurs clients. Le président de <em>UFC que choisir</em> a d’ailleurs <a href="https://www.sudouest.fr/2020/11/02/covid-19-le-president-de-l-ufc-que-choisir-fustige-les-fermetures-de-certains-rayons-et-commerces-8032428-705.php">pointé du doigt</a> le mauvais choix du terme « biens essentiels », au lieu d’utiliser celui de « la capacité à réguler les flux, à assurer de la distanciation, etc. ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1326853490170277889"}"></div></p>
<p>La deuxième polémique concerne les inégalités dans les traitements constatées entre Amazon et tous les autres commerçants. En effet, malgré que la fermeture des commerces et des rayons « non essentiels » ne concerne pas les acteurs du e-commerce, dont ceux français, Amazon reste le plus grand bénéficiaire de cette décision avec la <a href="https://www.capital.fr/entreprises-marches/ces-incroyables-profits-damazon-pendant-la-pandemie-1376861">hausse</a> encore plus importante de son chiffre d’affaires et la préservation des mêmes avantages fiscaux non permis aux petits commerçants et aux autres acteurs français de l’e-commerce. </p>
<p>Par ailleurs, fragilisés par le premier confinement, les commerces « non essentiels » risquent la cessation de leur activité suite à ce deuxième confinement décidé à une période critique de l’année (Black Friday et fêtes de Noël). De plus, <a href="https://www.service-public.fr/professionnels-entreprises/vosdroits/F35211">l’aide</a> promise par l’État a été jugée trop faible par certains, ce qui les a amenés à se battre pour survivre, à travers leurs différentes fédérations et associations, et à médiatiser leur combat. Cette deuxième polémique alimente donc l’hypothèse selon laquelle l’État n’a pas réussi à instaurer un système de concurrence loyale et juste entre les différentes formes de commerce, par les décisions et les politiques jugées injustes.</p>
<h2>Le consommateur pour rétablir la justice sociale ?</h2>
<p>L’isolement social vécu par les Français lors du premier confinement les a poussés à revoir leurs priorités et à se rendre compte de l’importance des relations humaines dans leur enrichissement personnel et dans l’atteinte de leur bien-être personnel. La proximité humaine avec les vendeurs en magasin, l’échange de bonnes pratiques et de conseils, ou de simples discussions autour de sujets divers et variés sont devenus de véritables avantages du magasin physique de proximité, contribuant ainsi à la construction d’un <a href="https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1980_num_31_1_2069">capital social</a>, au sens de Bourdieu (1979). Ainsi, prenant conscience du combat des commerces de proximité par l’effet de la médiatisation du sujet, les consommateurs se sont mêlés de l’affaire et ont tenté de s’inscrire dans un mouvement de solidarité afin de les sauver, en désignant « À qui le crime profite ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1325872030550519809"}"></div></p>
<p>Ce mouvement s’est manifesté par une campagne virale de boycott d’Amazon, à travers le partage des différents supports (textes, images, photos, vidéos) mis à leur disposition par les associations consuméristes, les enseignes de distribution et les groupements de librairies, dénonçant les pratiques déloyales et non éthiques d’Amazon.</p>
<h2>Les limites du mouvement anti-Amazon</h2>
<p>Malgré les tentatives citoyennes des consommateurs afin de restreindre Amazon et de réguler socialement le marché, la hausse des chiffres enregistrés par le géant américain de l’e-commerce, en France, dans la première semaine du reconfinement, remet en question la force de ce mouvement, pointant ainsi du doigt le double discours des consommateurs. Cette situation nous pousse à supposer l’existence d’un « Amazon paradox » selon lequel les consommateurs affichent des intentions et des positions susceptibles de différer de leurs comportements réels, et ce en fonction des bénéfices générés par Amazon à chacun parmi eux (choix, praticité, prix avantageux, rapidité de livraison…).</p>
<p>Le rôle de l’État demeure donc central à assurer l’égalité entre les différents acteurs du commerce et à rétablir, par conséquent, la justice sociale en instaurant les mêmes règles pour tous.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/150000/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hanene Oueslati ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La fermeture des commerces « non essentiels » met le feu aux poudres et ravive la polémique autour d’Amazon. Pourquoi le géant de l’e-commerce est-il dans le viseur, pour quels résultats ?Hanene Oueslati, Maître de conférences en Marketing, Université de Haute-Alsace (UHA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1407512020-06-15T20:28:04Z2020-06-15T20:28:04ZBoycott des produits israéliens : la CEDH rebat les cartes des échanges commerciaux avec l'Europe<p>Dans un <a href="https://hudoc.echr.coe.int/fre#%7B%22itemid%22:%5B%22001-202756%22%5D%7D">arrêt historique</a> rendu à l’unanimité de ses juges le 11 juin 2020, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) administre un cinglant désaveu aux autorités françaises. La Cour déclare que les condamnations précédentes des militants de la <a href="https://www.bdsfrance.org/">campagne BDS</a> (pour boycott, désinvestissement, sanctions) ayant appelé au boycott de produits israéliens dans des supermarchés alsaciens en 2010, constituent une violation de leur liberté d’expression.</p>
<h2>Une action jugée d’intérêt général</h2>
<p>Les requérants, après avoir été relaxés par le tribunal de Mulhouse en 2011, avaient été condamnés par la <a href="https://www.france-palestine.org/Liberte-d-expression-et-droit-d-appeler-au-boycott-procedure-en-cours-devant-la">Cour d’appel de Colmar en 2013</a> pour provocation à la discrimination de produits en raison de l’appartenance des producteurs à une nation déterminée, en l’occurrence Israël.</p>
<p>Leur pourvoi avait été <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000031374097">rejeté par la Cour de cassation</a> le 20 octobre 2015 au motif que la cour de Colmar avait correctement appliqué l’article 24-8 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 qui réprime la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence.</p>
<p>Elle estimait en outre que les restrictions à la liberté d’expression, prévues par l’article 10 de la <a href="https://www.echr.coe.int/Documents/Convention_FRA.pdf">Convention européenne des droits de l’homme</a>, s’appliquaient en l’espèce car nécessaires à la défense de l’ordre et à la protection des droits d’autrui.</p>
<p>Dès lors, la saisine de la Cour de Strasbourg portait principalement sur les limites des restrictions que la Cour de cassation imposait à la liberté d’expression.</p>
<p>Dans les motifs de son arrêt, la CEDH indique que :</p>
<blockquote>
<p>« d’une part, les actions et les propos reprochés aux requérants concernaient un sujet d’intérêt général, celui du respect du droit international public par l’État d’Israël et de la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés, et s’inscrivaient dans un débat contemporain, ouvert en France comme dans toute la communauté internationale. D’autre part, ces actions et ces propos relevaient de <a href="https://hudoc.echr.coe.int/fre#%7B%22itemid%22:%5B%22001-202756%22%5D%7D">l’expression politique et militante</a> ».</p>
</blockquote>
<p>Elle précise également que « par nature, le discours politique est source de polémiques et est souvent virulent. Il n’en demeure pas moins d’intérêt public, sauf s’il dégénère en un appel à la violence, à la haine ou à l’intolérance. Là se trouve la limite à ne pas dépasser », pour en conclure que les actions de boycott non violentes et dénuées d’antisémitisme devaient bénéficier de la protection de l’article 10.</p>
<h2>Des conséquences immédiates</h2>
<p>Les autorités israéliennes ont très vite pris conscience du défi que pouvait représenter la campagne BDS lancée en 2005 en créant dès 2008 un discret ministère des affaires stratégiques <a href="https://plateforme-palestine.org/Un-si-mysterieux-ministere-israelien-des-affaires-strategiques">chargé de stopper son expansion</a>.</p>
<p>Depuis son lancement en France 2009 par une cinquantaine d’associations, c’est essentiellement le CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France) qui a stigmatisé l’appel au boycott des produits israéliens comme du pur <a href="http://www.crif.org/fr/actualites/vote-ihra-comment-les-mouvements-de-boycott-promeuvent-lantisemitisme">antisémitisme</a>.</p>
<p>Depuis lors, les gouvernements successifs ont tous demandé aux procureurs d’agir avec fermeté à l’encontre des manifestants de BDS. Ainsi, ni <a href="https://www.aurdip.org/reponse-de-l-aurdip-a-la-lettre-de.html">Christiane Taubira</a>, ni <a href="https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2016/04/08/boycott-des-produits-israeliens-la-cedh-saisie_4898757_1653578.html">Jean‑Jacques Urvoas</a>, gardes des Sceaux, n’ont jugé utile d’abroger les circulaires adoptées par leurs prédécesseurs <a href="https://www.liberation.fr/france/2010/11/19/il-est-desormais-interdit-de-boycotter_694697">Michèle Alliot-Marie</a> et <a href="http://www.revuedlf.com/droit-penal/la-tentative-de-penalisation-des-appels-au-boycott-des-produits-israeliens-par-les-circulaires-alliot-marie-et-mercier/">Michel Mercier</a>.</p>
<p>Si ces circulaires ont régulièrement donné lieu à des procédures de police visant une <a href="http://www.revuedlf.com/droit-penal/la-tentative-de-penalisation-des-appels-au-boycott-des-produits-israeliens-par-les-circulaires-alliot-marie-et-mercier/#note-5698-12">centaine de personnes</a> depuis 2010, la majorité des dossiers ont fait l’objet de classements sans suite ou de simples rappels à la loi.</p>
<h2>Quels impacts sur l’économie d’Israël ?</h2>
<p>Juridiquement, l’arrêt rend désormais caduques les circulaires Alliot-Marie et Mercier et remettent en cause le discours officiel de stigmatisation de la campagne BDS tout en questionnant les tentatives politiques, comme la récente <a href="http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b2403_proposition-resolution#">résolution Maillard</a> d’assimiler à de l’antisémitisme les différentes formes de <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2019/12/03/l-assemblee-nationale-adopte-une-resolution-controversee-sur-la-lutte-contre-l-antisemitisme_6021535_823448.html">critique de la politique israélienne</a>.</p>
<p>Il impose surtout un retour aux principes fondamentaux du mouvement BDS : Israël viole le droit international en toute impunité par sa politique coloniale et d’« apartheid » envers les Palestiniens et seules des pressions internationales peuvent changer la donne.</p>
<p>C’est pourquoi à l’image du <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/11/13/qu-est-ce-que-le-mouvement-boycott-desinvestissement-sanctions-qui-agace-israel_4809044_4355770.html">boycott des produits sud-africains</a> au temps de l’apartheid, la société civile est en droit de se mobiliser contre l’achat de produits des entreprises israéliennes.</p>
<p>Si les conséquences économiques de la levée de la pénalisation française de la campagne BDS sont plus difficiles à évaluer, elles seront sans doute plus importantes à long terme, comme l’a montré l’exemple des différents boycotts sud-africain (académique, culturel et économique) qui a duré plus de 30 ans de 1959 jusqu’à l’abrogation de l’apartheid avec le <a href="https://www.courrierinternational.com/article/2010/02/03/le-jour-ou-de-klerk-a-change-l-histoire">discours de réconciliation nationale</a> de Frederik de Klerk le 2 février 1990.</p>
<p>À ce jour, 112 entreprises (dont 94 entreprises israéliennes) ont été identifiées comme ayant des activités dans les colonies israéliennes selon la <a href="https://digitallibrary.un.org/record/1475002?ln=en">liste publiée</a> le 12 février 2020 par les Nations unies.</p>
<p>Israël refusant toujours de respecter les consignes d’étiquetage distinct et spécifique des produits de ses colonies <a href="https://www.middleeastmonitor.com/20170928-goods-from-israel-settlements-granted-preferential-eu-trade-deals/">imposées par l’Union européenne</a> et validées par la Cour de justice de l’Union européenne dans un <a href="https://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2019-11/cp190140fr.pdf">récent arrêt</a> du 12 novembre 2019, le nombre d’entreprises boycottées pourrait augmenter significativement, car il est impossible d’identifier les <a href="https://theconversation.com/etiquetage-des-produits-des-colonies-israeliennes-un-cout-plus-politique-queconomique-127246">entreprises israéliennes</a> sans lien <a href="https://web.lexisnexis.fr/unerevues/pdf/une/dru2003.pdf">avec les colonies</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1197025880171843586"}"></div></p>
<p>Les échanges de marchandises entre la France et Israël représentent environ 3 milliards d’euros par an, mais ceux avec l’UE atteignent près de <a href="https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2019/06/06/les-echanges-commerciaux-d-israel-en-2018">16 milliards d’euros</a> ce qui en fait, devant les États-Unis, le premier partenaire commercial d’Israël.</p>
<p>L’essor du mouvement BDS pourrait contraindre l’Union européenne à revenir aux principes originels de l’accord de stabilisation et d’association conclu en 1995 entre l’Europe et Israël subordonnant le développement des échanges commerciaux au <a href="https://plateforme-palestine.org/Stop-a-l-accord-d-association-Union-Europeenne-Israel">respect des droits de l’homme</a>.</p>
<p>Au-delà des échanges commerciaux, c’est l’ensemble des relations économiques qui pourrait être remise en cause par les appels au boycott académique et scientifique, car l’UE verse chaque année, via des programmes de recherche, plusieurs centaines de millions d’euros de <a href="https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/defense-si-si-l-europe-finance-la-recherche-des-groupes-concurrents-aux-europeens-834460.html">subventions</a> aux universités, laboratoires et entreprises de technologie d’Israël.</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été co-écrit par Ghislain Poissonnier, magistrat.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/140751/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Éric Pichet est membre d'Amnesty International France et de l'AURDIP </span></em></p>L’Union européenne pourrait désormais être contrainte de revenir aux principes originels de son accord avec Israël de 1995 qui subordonne le développement du commerce au respect des droits de l’homme.Éric Pichet, Professeur et directeur du Mastère Spécialisé Patrimoine et Immobilier, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1225562020-01-16T22:48:21Z2020-01-16T22:48:21Z« Chers touristes… cassez-vous ! » Cette contagion sociale à l’origine de la tourismophobie<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/309251/original/file-20200109-80148-1o14hv3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C529%2C5982%2C3242&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Hors de leur cadre de vie habituel, les touristes se sentent plus libres vis-à-vis de contraintes sociales. Au grand dam des habitants.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://image.shutterstock.com/image-photo/closeup-young-caucasian-man-wearing-600w-1337805359.jpg">Nito/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Chaque période de vacances semble maintenant s’accompagner de son lot <a href="https://www.ouest-france.fr/economie/vous-n-etes-pas-les-bienvenus-rejet-du-tourisme-de-masse-en-europe-5192420">d’articles</a>, <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/du-grain-a-moudre-dete/trop-de-touristes-tuent-le-tourisme">d’émissions</a> ou de reportages témoignant des conséquences négatives de l’afflux de touristes dans des zones urbaines ou naturelles, générant une véritable <a href="http://www.elmundo.es/sociedad/2017/08/14/598df44c46163f585c8b45b3.html">« tourismophobie »</a>.</p>
<p>Dans notre monde de réseaux sociaux et d’hyperconnectivité, il nous a semblé intéressant de nous pencher sur le rôle que peuvent jouer les comportements en ligne des touristes dans le développement de ce phénomène, ainsi que sur l’influence potentielle de ces comportements en ligne sur ceux dits de la « vie réelle ».</p>
<p><a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0148296319303534">Notre recherche</a> indique que ces deux types de comportements (sur Internet et dans le monde physique) sont étroitement reliés et s’influencent réciproquement à travers des mécanismes dits de contagion sociale. Ces derniers amplifient leur potentielle nocivité, mais laissent aussi la possibilité d’en corriger les effets.</p>
<h2>Des comportements dits « déviants »</h2>
<p>Le terme de « tourismophobie » renvoie à une aversion très vive qu’une population locale exprime vis-à-vis des touristes. Pareille réaction peut sembler étonnante au premier abord, le tourisme étant généralement vu comme porteur de développement économique local. Mais la multiplication de comportements touristiques jugés « déviants » peut parfois nourrir un ressentiment, quand il ne s’agit pas d’une <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2014/sep/02/mass-tourism-kill-city-barcelona">véritable haine</a> à l’égard des touristes.</p>
<p>Pas plus tard que le 12 janvier dernier, des touristes venant du Brésil, d’Argentine, de France et du Chili ont par exemple été arrêtés au Pérou pour avoir <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/machu-picchu-expulsion-de-cinq-touristes-proces-pour-un-sixieme-20200114">endommagé le site du Temple du Soleil</a> au Machu Picchu. De même, une polémique était née début 2018 au Japon après la publication d’une vidéo du YouTuber américain Logan Paul dans laquelle il se mettait en scène dans une forêt tristement réputée pour être le théâtre de nombreux suicides. Autre exemple que nous pouvons citer : en 2014, à Barcelone, le comportement de touristes italiens se promenant nus et en état d’ébriété dans la ville, avait déclenché des manifestations spontanées de la population locale.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/WjNFGZLJLss?wmode=transparent&start=14" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le YouTuber américain aux 20 millions d’abonnés, Logan Paul, avait fait scandale avec une vidéo montrant le corps d’une personne venant de se suicider/ABC News..</span></figcaption>
</figure>
<p>Ces comportements sont dits « déviants » car ils s’écartent de ceux généralement admis ou constatés en transgressant des normes sociales, la loi ou encore des règles fixées par des entreprises. De tels comportements sont fréquents chez les touristes qui, sortis de leur cadre de vie habituel, se sentent <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S016073831100020X">plus libres vis-à-vis de contraintes sociales</a> auxquelles ils se conformeraient en temps normal. Ce faisant, ils provoquent des nuisances pour d’autres personnes respectueuses de ces normes, lois ou règles, ou dégradent des monuments ou des lieux naturels.</p>
<p>Par exemple, à Rome, la fontaine de Trévi est souvent <a href="https://www.ladepeche.fr/article/2018/08/29/2858874-face-au-flot-de-touristes-la-fontaine-de-trevi-suffoque.html">prise d’assaut par des touristes</a> bravant les interdictions de baignade. Ce qui apparaît comme du mépris vis-à-vis du patrimoine historique renforce l’aigreur des habitants locaux à l’endroit de l’ensemble des touristes, auxquels les autorités imposent à tous (déviants ou non) de nouvelles règles, plus contraignantes.</p>
<p>Ces comportements sont de plus en plus souvent alimentés par le désir de se mettre en avant en ligne – ce que des travaux identifient comme un autre type de déviance, <a href="https://www.taylorfrancis.com/books/e/9781315565736/chapters/10.4324/9781315565736-4">virtuelle cette fois</a>. Les multiples réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Instagram, TikTok, Snapchat, etc.) permettent en effet de partager des photos ou des vidéos « d’exploits » rares car réalisés dans des lieux prohibés ou dans des circonstances d’autant plus rocambolesques qu’elles sont interdites.</p>
<p>S’ensuit alors un véritable engrenage : les comportements déviants « réels » d’une personne alimentent ainsi ses propres comportements déviants « en ligne » (poster des contenus visant à se valoriser auprès de ses followers), qui en retour génèrent de nouveaux comportements déviants « réels ».</p>
<h2>Des comportements socialement contagieux</h2>
<p>Voyant cela, lesdits followers se retrouvent eux aussi <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007%2F978-3-319-51168-9_44">incités à agir de même</a> – voire à adopter des comportements plus extravagants encore qu’ils relaieront sur leurs réseaux sociaux, rentrant dans une véritable bataille d’image et d’ego. Ce phénomène, dit de contagion sociale, intervient donc à travers des allers-retours permanents entre le « réel » et le virtuel – chaque nouveau post relayant un comportement déviant dans le monde « réel » sur les réseaux sociaux entraînant potentiellement de nouveaux comportements déviants « réels » et ainsi de suite.</p>
<p>Au moins quatre causes expliquent cette contagion sociale, que celle-ci concerne des comportements déviants ou non. Tout d’abord, le <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0047287514563165">partage d’information entre les individus</a>, qui intervient ici à travers les photos et vidéos, mais aussi en observant les comportements déviants dans le « monde réel ».</p>
<p>Viennent ensuite les pressions normatives : il s’agit de la pression que ressentent des individus à se conformer à des comportements d’autres personnes dont ils recherchent l’approbation – par exemple, se rendre dans un site protégé et interdit pour faire une photo qui leur apportera des likes sur les réseaux sociaux du fait de sa rareté, de son originalité ou de sa beauté.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/309252/original/file-20200109-80153-nbnyh7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/309252/original/file-20200109-80153-nbnyh7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=291&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/309252/original/file-20200109-80153-nbnyh7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=291&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/309252/original/file-20200109-80153-nbnyh7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=291&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/309252/original/file-20200109-80153-nbnyh7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=365&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/309252/original/file-20200109-80153-nbnyh7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=365&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/309252/original/file-20200109-80153-nbnyh7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=365&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">À Rome, la Fontaine de Trevi assaillie par les touristes.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://image.shutterstock.com/image-photo/rome-italy-october-13-2019-600w-1551643112.jpg">Nito/Shutterstock</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Troisième cause : la <a href="https://repository.upenn.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1260&context=marketing_papers">pression concurrentielle</a>. Elle survient lorsqu’une personne se met dans une situation de compétition avec d’autres, rentrant dans une surenchère de comportement pour toujours « faire mieux » – ce qui en l’occurrence se traduit par l’adoption d’un comportement encore plus déviant que le comportement d’origine. Ainsi, lors d’un récent voyage en Islande, l’un des auteurs de cet article a été frappé de constater les comportements de touristes attrapant des morceaux d’iceberg toujours plus gros pour faire des photos, n’hésitant pas à se rendre dans l’eau glacée pour y casser de petits blocs de glace, revenir sur le rivage avec leur « trophée » et l’abandonner sur les galets une fois leur photo prise.</p>
<p>Enfin, la contagion sociale peut aussi survenir lorsque les avantages tirés de l’adoption d’un comportement <a href="https://repository.upenn.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1260&context=marketing_papers">s’accroissent avec le nombre d’individus adoptant ledit comportement</a>. Les touristes désireux de faire la fête se rendront ainsi bien plus dans des bars ou clubs très fréquentés, aux longues files d’attente sur les trottoirs (ce qui au passage accroîtra d’autant les niveaux de bruit et de nuisance potentielle dans le quartier).</p>
<h2>Inverser la contagion sociale</h2>
<p>En outre, notre recherche révèle l’existence d’au moins cinq amplificateurs de la contagion sociale entre le monde virtuel et le monde « réel » : la portée considérable d’Internet (facilité et liberté de l’accès au plus grand nombre) ; l’anonymat (certes de plus en plus relatif…) favorisé par Internet ; la reproductibilité de l’information, qui en permet la diffusion virale ; la longévité de l’information, accessible très longtemps après sa diffusion initiale (un comportement déviant diffusé dix ans auparavant peut donc resurgir à tout moment et se retrouver à nouveau viral), et enfin la facilité de communication, au cœur du fonctionnement des réseaux sociaux.</p>
<p>Il existe au moins deux manières de briser ce cercle vicieux de la contagion sociale des comportements déviants. Tout d’abord, les comportements déviants sont loin d’être tous volontaires. Ils peuvent résulter d’incompréhensions (par exemple, liées à la langue) ou de méconnaissance du contexte culturel ou des réglementations locales. Il est alors possible de communiquer et d’éduquer les touristes pour qu’ils adoptent des comportements alignés avec les normes locales.</p>
<p>C’est ce qu’a fait, par exemple, la municipalité d’Amsterdam à travers une <a href="https://www.theguardian.com/travel/2018/may/29/amsterdam-gets-tough-on-antisocial-behaviour-from-british-tourists-stag-parties">grande campagne de sensibilisation des touristes</a> tentés par des comportements inappropriés, comme uriner dans un canal, se promener en état d’ébriété ou encore jeter un mégot par terre.</p>
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<figcaption><span class="caption">La campagne « Enjoy & Respect campaign » à Amsterdam (I amsterdam, 2018).</span></figcaption>
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<p>Enfin, la contagion sociale peut aussi être inversée. Dans ce cas, une personne observant des comportements déviants, voire même simplement les conséquences de ces comportements, adopte un comportement inverse visant à rectifier les effets négatifs de cette déviance.</p>
<p>Par exemple, des touristes confrontés à d’autres touristes dégradant un site architectural ou naturel peuvent intervenir pour leur demander d’arrêter. Ils peuvent aussi tenter de limiter ou d’effacer les dommages réalisés, par exemple en ramassant des détritus que d’autres auraient laissé traîner, ou en postant en ligne des photos montrant les résultats désastreux de tels comportements afin de sensibiliser les futurs visiteurs.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/122556/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les réseaux sociaux tendent à encourager les comportements jugés déviants par les populations locales.Loïc Plé, DIrecteur adjoint en charge de la Pédagogie et du Développement Académique, IÉSEG School of ManagementCatherine Demangeot, Professeure associee de marketing, IÉSEG School of ManagementLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1275332019-11-27T19:06:52Z2019-11-27T19:06:52ZBlack Friday : la résistance s’organise autour du consommer moins et mieux<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/302899/original/file-20191121-547-1x3nzip.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=48%2C0%2C1167%2C666&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les initiatives se multiplient à l'approche du grand jour des promotions commerciales pour sensibiliser à la surconsommation.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://twitter.com/By2020WeRiseUp/status/1197419413026291712">Capture d'écran Twitter / @By2020WeRiseUp</a></span></figcaption></figure><p>Aucun Français ne fêtera Thanksgiving ce jeudi 28 novembre 2019 mais, le lendemain, nombreux seront ceux qui chasseront les promotions du Black Friday, à l’instar des consommateurs américains qui, depuis les années 1970, se ruent dans les magasins pour profiter de promotions fracassantes. Depuis 2014, cette journée s’impose dans le paysage de la consommation française. Tout comme le Singles Day (le « jour des célibataires ») asiatique ou le Cyber Monday, le Black Friday s’étend maintenant sur plusieurs jours avec un impact grandissant sur le chiffre d’affaires des entreprises, impliquées mais aussi sur le volume des produits vendus.</p>
<p>En 2019, les perspectives commerciales s’annoncent juteuses (5,9 milliards d’euros de dépenses prévisionnelles soit <a href="https://www.retailmenot.fr/black-friday-2019-plus-de-145-millions-deuros-de-depenses-prevues-chaque-heure-en-ligne-et-en-magasin/">+4,1 % par rapport à 2018</a>, selon une étude Retailmenot/CRR). Toutefois, le contexte socioculturel a aussi nettement évolué.</p>
<h2>Sensibiliser à la surconsommation</h2>
<p>À l’aune de l’urgence climatique et sociale, le Black Friday symbolise le culte de la surconsommation et de l’achat déraisonné et s’attire de vives critiques. Ces dernières ont existé dès son émergence mais s’organisent désormais de manière plus formelle en déclinant des stratégies de boycott. Certains sites, comme la Camif, spécialisé dans la vente d’équipement de la maison et de la personne aux particuliers, fermeront purement et simplement leur site de vente en ligne le jour J afin de faire prendre conscience aux citoyens de l’impact de leur consommation.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1195257649735991296"}"></div></p>
<p>Des associations comme <a href="https://www.greenfriday.fr">Green Friday</a>, qui regroupe 200 entreprises et associations, se fédèrent par ailleurs sous cette initiative, avec le soutien de la mairie de Paris.</p>
<p>D’autres collectifs de marque, comme <a href="https://www.faguo-store.com/fr/2019/11/faguo-reunit-450-marques-francaises-dans-un-collectif-make-friday-green-again/">Make Friday Green Again</a>, profitent de cet événement pour sensibiliser les consommateurs sur la consommation responsable, le commerce équitable, la production locale, le réemploi. De même, le mouvement Youth For Climate tente de mobiliser en ligne avec notamment le lancement du hashtag #BlockFriday.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1196865065422594048"}"></div></p>
<p>Leur objectif est d’informer par des campagnes de communication ou par des actions spécifiques (ateliers, conférences) sur les externalités négatives et sociales de la production et de l’accumulation des biens, en particulier dans le textile. Par exemple, les entreprises qui s’engagent avec l’association Green Friday, refusent d’organiser des promotions et reversent 10 % de leur chiffre d’affaires au profit d’associations qui militent pour une consommation responsable ou de lutte contre l’obsolescence programmée.</p>
<p>Dans le collectif de marques Make Friday Green Again, impulsé par le spécialiste de l’habillement et de la chaussure Faguo, et regroupant 450 marques comme Nature et Découvertes ou Manfield, mais aussi une multitude de petites marques responsables (la Gentle Factory, Joone, Bonne gueule, la garçonnière, les petits raffineurs, Big Moustache, etc.), le but affiché est triple : encourager les consommateurs à faire le tri de leurs placards pour revendre ou recycler, les questionner sur leurs besoins réels et les accompagner dans leurs achats vers une consommation raisonnable et au juste prix.</p>
<h2>Paradoxes de consommation</h2>
<p>Il n’est pas étonnant que ces marques qui construisent tout le reste de l’année des offres éthiques et responsables, choisissent de se fédérer pour envoyer un signal fort de résistance à ce qu’ils qualifient de « journée infernale de surconsommation imposée par le marché ». En s’engageant de la sorte, ces entreprises agissent en accord avec leurs <a href="https://blogs.alternatives-economiques.fr/hop/2019/05/31/business-models-vers-une-prise-en-compte-de-la-durabilite-effective-des-vetements">business models soutenables</a> et les valeurs qui font leur essence.</p>
<p>Ils se différencient des entreprises opportunistes sur le sujet et répondent aux attentes de consommateurs eux-mêmes pétris de convictions. En valorisant des actes d’achat raisonnés ou l’abstinence, ces entreprises font plus qu’un acte militant, elles offrent à leurs clients l’opportunité de pouvoir aligner leurs opinions et leurs actes, ce qui n’est pas toujours aisé.</p>
<p>En effet, dans nos <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0276146714553935">recherches sur la sobriété</a>, nous avons pu constater que le cheminement vers des schémas de consommation raisonnés et restreints n’est ni linéaire ni constamment gratifiant. Les valeurs consuméristes restent très influentes et structurantes. Même avec les meilleures intentions, les consommateurs avertis se retrouvent face à des paradoxes de consommation et des tensions qui sont le fruit de longues années d’infusion du modèle de la société de consommation constituant un habitus consumériste qui <a href="https://journals.sagepub.com/doi/pdf/10.1177/0767370116660056">structure leurs pratiques</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/302888/original/file-20191121-515-1xis9o7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/302888/original/file-20191121-515-1xis9o7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/302888/original/file-20191121-515-1xis9o7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=384&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/302888/original/file-20191121-515-1xis9o7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=384&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/302888/original/file-20191121-515-1xis9o7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=384&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/302888/original/file-20191121-515-1xis9o7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=483&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/302888/original/file-20191121-515-1xis9o7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=483&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/302888/original/file-20191121-515-1xis9o7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=483&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le Black Friday en chiffres.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.retailmenot.fr/black-friday-2019-plus-de-145-millions-deuros-de-depenses-prevues-chaque-heure-en-ligne-et-en-magasin/">Retailmenot/CRR Report</a></span>
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<p>Ne pas consommer ou réduire sa consommation est un choix politique qu’il est parfois difficile à assumer à un niveau individuel. La sobriété dans la consommation entraîne chez les consommateurs une démarche réflexive existentielle autour de la notion de besoin. Nos travaux montrent une redéfinition des frontières entre désirs et besoins, des oscillations entre le tout posséder et un ascétisme incompatible avec la vie moderne.</p>
<p>Les cheminements vers la sobriété ne sont pas construits selon une logique exclusivement sacrificielle. Au contraire, il s’agit de cheminements négociés, destinés à atteindre un point de bien-être. De fait, le Black Friday peut représenter un repoussoir et, en même temps, un faisceau de tentations qui peut ébranler les plus convaincus. Par ailleurs, il constitue aussi un moment d’exacerbation consumériste pour des consommateurs moins sensibilisés aux causes environnementales et sociales voire un pic de fragilisation pour les consommateurs économiquement vulnérables.</p>
<h2>David contre Goliath ?</h2>
<p>Par conséquent, le fait que les marques et associations utilisent le Black Friday pour boycotter, informer sur ses ressorts, porter des revendications est louable pour tous. Elles offrent des alternatives, mettent en avant des actions concrètes qui ne profitent pas uniquement aux convaincus mais aussi à l’ensemble des consommateurs en valorisant l’absence d’achat et en promouvant de nouveaux comportements vertueux. Ces derniers s’ancrent cette année dans les différents <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0921344917302835">R de l’économie circulaire</a> : réduire, réparer, réutiliser, reconditionner…
Ainsi, seront proposés par les différentes marques et associations à la fois des ateliers de zéro déchet ou de « do it yourself » (« fais-le toi-même ») visant à réduire la consommation et les déchets, des ateliers de réparation de vêtements, d’appareils électroniques, de vélos, des conférences sur l’upcycling (« recycler par le haut », qui incite à récupérer des objets qui finissent habituellement dans les poubelles) ou des visites d’ateliers de reconditionnement et de recyclage.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1197123675096592386"}"></div></p>
<p>Nous constaterons vendredi 29 novembre si la constellation d’actes de résistances est une goutte d’eau dans l’océan ou bien le caillou de David contre Goliath. À défaut, cet évènement permettra pour un nombre croissant de consommateurs sensibilisés aux problématiques sociales, éthiques et environnementales, d’identifier plus facilement les marques en accord avec leurs valeurs et de démêler le vrai du faux dans les discours actuels. Affaire à suivre car la déconsommation devient une réalité dans certains secteurs, en particulier celui du <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2018/12/07/par-choix-ou-par-contrainte-les-francais-acheteront-moins-de-vetements-neufs_5393835_3224.html">textile-habillement</a> et pourrait bien obtenir un coup de pouce législatif grâce aux députés qui viennent de proposer un <a href="http://www.leparisien.fr/economie/des-deputes-veulent-interdire-les-promotions-du-black-friday-26-11-2019-8202273.php">amendement anti–Black Friday</a> lié à la loi anti-gaspillage.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/127533/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Maud Herbert fait partie du comité d'experts de l'association HOP (Halte à l'Obsolescence Programmée).
Les recherches sur la mode circulaire sont soutenues financièrement par la région Hauts de France et l'ADEME.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Isabelle Robert fait partie du comité d'experts de l'association HOP (Halte à l'Obsolescence Programmée) et du comité d'experts de Clear Fashion. Les recherches sur la mode circulaire sont soutenues financièrement par la région Hauts de France et l'ADEME.</span></em></p>Des associations ou des marques prennent le contre-pied des enseignes qui proposent des promotions le 29 novembre pour dénoncer une « journée infernale de surconsommation ».Maud Herbert, Professeur des Universités, Université de LilleIsabelle Robert, Maître de conférences en sciences de gestion, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1121482019-02-25T21:03:44Z2019-02-25T21:03:44ZLa campagne de boycott « Moukatioun » au Maroc : une contestation du modèle des entreprises financiarisées<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/260212/original/file-20190221-195883-crn12d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C3%2C1134%2C824&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Moukatioun ! L'image de la campagne de boycott sur Facebook.</span> <span class="attribution"><span class="source">Facebook</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Durant le printemps-été 2018, la campagne de boycott « Moukatioun » (« boycotteurs ») qui a ciblé plusieurs produits de grande consommation a été au centre du débat social, économique et politique au Maroc. En particulier, cette campagne, lancée sur les réseaux sociaux, a visé l’eau minérale Sidi Ali, les produits laitiers du groupe Centrale-Danone et les stations-service Afriquia, accusés d’avoir augmenté leurs prix sans égard au pouvoir d’achat des consommateurs.</p>
<p>On peut relever deux spécificités majeures à cette compagne de boycott. La première est que la contestation sociale a dépassé le champ politique pour investir le champ économique. La seconde est que, contrairement aux mouvements de contestation récents au Maroc comme le <a href="https://www.rtl.fr/actu/international/maroc-qu-est-ce-que-le-mouvement-contestataire-al-hirak-7793909049">Hirak du Rif</a> en 2016, le boycott a largement emporté l’adhésion des classes moyennes et moyennes supérieures composées de professions libérales, de cadres et de patrons de TPE et PME.</p>
<p>Comment expliquer alors le soutien massif au mouvement de boycott de ces catégories sociales, généralement réputées « pro entreprises et business » ?</p>
<p>La première explication est que les classes moyennes subissent une baisse conséquente de leur pouvoir d’achat. En effet, le <a href="https://www.hcp.ma/downloads/Indicateurs-sociaux_t11880.html">rapport 2018 des « indicateurs sociaux du Maroc » du Haut-Commissariat au Plan</a> fait clairement état de la dégradation du pouvoir d’achat des classes moyennes. Plusieurs indicateurs soutiennent ce constat, parmi lesquels une hausse de l’indice de pauvreté subjective atteignant 37,7 % et une hausse du pessimisme des ménages de la classe moyenne quant à leur capacité à épargner. Cependant, l’argument du pouvoir d’achat seul ne suffit à expliquer ni le recours au boycott comme forme de contestation, ni le choix des entreprises visées.</p>
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<p>Une seconde explication est que ces catégories sociales expriment par là une revendication de justice sociale, un désaveu d’un modèle de développement économique et une opposition à la financiarisation non contrôlée des grandes entreprises.</p>
<h2>Contestation d’un modèle financiarisé</h2>
<p>L’économiste américain <a href="http://www.peri.umass.edu/media/k2/attachments/WP394.pdf">Gérald Epstein</a> décrit la financiarisation comme un accroissement important du rôle des institutions, des acteurs et des raisonnements financiers dans la conduite des activités économiques et la gestion des entreprises. Dans un <a href="http://lelibellio.com/wp-content/uploads/2013/01/Le-Libellio-d-volume-14-num%C3%A9ro-1-Printemps-2018.pdf">management financiarisé</a>, la finance devient une fin en soi qui bouscule d’autres valeurs et modes de pensée comme le bon, le juste, le généreux ou le solidaire.</p>
<p>Qu’en est-il pour l’économie et les entreprises marocaines ? Durant la dernière décennie, le poids de l’industrie financière a connu un accroissement sans précédent au Maroc, principalement porté par la libéralisation du secteur de l’intermédiation bancaire. Le taux de bancarisation a été multiplié par trois depuis le début des années 2000 et la place financière de Casablanca est devenue le premier centre financier africain devant Johannesburg.</p>
<p>À tort ou à raison, les membres des classes moyennes et moyennes supérieures ont le sentiment que ce développement ne leur profite pas. Chez les dirigeants de TPE et PME, le sentiment que le système financier sert d’abord les intérêts des banques elles-mêmes et des grandes entreprises, au détriment des entrepreneurs et des artisans est tenace.</p>
<p>Les entreprises industrielles, notamment celles visées par le boycott, sont perçues comme fortement financiarisées. Premièrement, ces entreprises ont développé un discours tourné vers la performance financière et la valeur actionnariale. Ce discours est d’autant plus visible que, les actionnaires-dirigeants de ces entreprises sont des personnalités exposées médiatiquement du fait de leur poids économique et politique dans le pays. C’est en particulier le cas pour les dirigeants de Sidi Ali et d’Afriquia, respectivement femme la plus influente et première fortune du pays selon le magazine <a href="https://www.forbes.com/#7a26ec952254"><em>Forbes</em></a>. Pour une large frange de la société marocaine, cette nouvelle élite des affaires s’enrichit au-delà de ce qui est moralement acceptable.</p>
<p>Deuxièmement, du point de vue du consommateur-boycotteur, les stratégies et les politiques de prix de ces entreprises privilégient la sacro-sainte rentabilité financière aux dépens des enjeux industriels et de l’orientation client. La structure oligopolistique des marchés concernés par le boycott renforce le soupçon d’une puissance dont les entreprises bénéficieraient au détriment des consommateurs et des fournisseurs.</p>
<p>C’est en réaction à ces évolutions que le mouvement « Moukatioun » traduit une rupture entre le peuple et les élites économiques en adoptant « une posture de défiance envers les grandes entreprises accusées de « s’enrichir sur le dos des citoyens » (<a href="https://www.middleeasteye.net/fr/news/maroc-un-boycott-de-grandes-marques-aux-allures-de-hirak-virtuel">Middle East Eye</a>). Cette contestation de la financiarisation de l’économie est un leitmotiv commun aux mouvements sociaux dans plusieurs pays d’Afrique du Nord. En Tunisie, les manifestations, actes de blocage et appels au boycott se sont multipliés depuis la révolution de 2011, avec une remise en cause du modèle de développement économique et du rôle des grandes entreprises perçues comme étant plus concernées par la génération de profits que par leur impact social.</p>
<h2>Est-il temps de repenser le rôle des entreprises ?</h2>
<p>Au moment où les leaders politiques et économiques du Maroc s’emploient à repenser le modèle de développement du pays, l’épisode du boycott invite à redéfinir le rôle des grandes entreprises et la manière dont ce rôle s’incarne dans les stratégies, les pratiques de gestion et les décisions commerciales et financières.</p>
<p>La réaction de Danone au mouvement de boycott est sans doute emblématique de cette évolution. Pour endiguer la chute des ventes (moins 19 % du chiffre d’affaires au 1<sup>er</sup> semestre 2018) et des résultats financiers (moins 50 % d’excédent brute d’exploitation), Danone a dépêché au Maroc son PDG Emmanuel Faber.</p>
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<p>Décrivant le boycott comme un « message fort », le PDG de Danone annonce travailler à « un nouveau modèle équitable et pérenne » pour les producteurs, les petits distributeurs et les consommateurs. Il a déclaré vouloir s’inspirer de ce qui se passe en France avec le label « C’est qui le patron ? », où les prix sont fixés par les consommateurs. Ainsi, le groupe laitier va vendre sa gamme de lait frais pasteurisé à prix coûtant.</p>
<p>L’entreprise s’engage également à « assurer une plus grande transparence de la collecte à la commercialisation du lait », notamment en rendant publiques les grilles tarifaires moyennes d’achat auprès des éleveurs. L’objectif est ainsi de rompre avec les représentations collectives de l’entreprise financiarisée et de remettre en avant des valeurs d’engagement, de confiance et de responsabilité sociale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/112148/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>En 2018, le Maroc a connu un large mouvement de boycott de plusieurs produits de consommation qui traduit un désaveu des élites économiques et une contestation des grandes entreprises financiarisées.Hicham Sebti, Professeur-Chercheur en Contrôle de Gestion, Co-directeur d'Euromed Fès Business School, Université Euro-Méditerranéenne de Fès - UEMFMohamed Ikram Nasr, Professeur Assistant en Comportement Organisationnel, EM Lyon Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.