tag:theconversation.com,2011:/us/topics/classes-moyennes-63379/articlesclasses moyennes – The Conversation2022-09-26T20:36:05Ztag:theconversation.com,2011:article/1877172022-09-26T20:36:05Z2022-09-26T20:36:05ZÀ la recherche des classes moyennes : une chasse aux fantômes ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/480819/original/file-20220824-26-7t5io0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=81%2C0%2C5381%2C3637&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L’appartenance à la classe moyenne est un élément-clé de la vision du monde de la plupart des citoyens, malgré de grandes différences de revenus, de conditions de vie et de travail.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>La « classe moyenne » fait partie des notions les plus utilisées et les plus floues dans les discours politiques et sociaux. À l’image d’une moyenne mathématique, « moyen » pourrait indiquer que cette « classe » représente ce qui est considéré comme normal.</p>
<p>On peut, bien sûr, statistiquement construire une tranche de revenus moyens autour du <a href="https://www.insee.fr/fr/outil-interactif/5367857/tableau/50_MTS/53_SRA">salaire moyen</a> (en France, 2 340 euros net par mois en 2022), sans rendre compte des multiples différences, par exemple entre hommes et femmes. La « classe moyenne » ne se réduit cependant pas à une tranche de revenus. Bien plus importante que ces aspects financiers est l’identification répandue avec la « classe moyenne ».</p>
<p>Environ la moitié des Français se considère comme membres de la classe moyenne, comme l’enquête menée par <a href="https://www.jean-jaures.org/publication/le-grand-malaise-enquete-sur-les-classes-moyennes/">Jérôme Fourquet</a> et son équipe, le montrent.</p>
<p>La masse que l’on appelle et qui s’appelle elle-même la « classe moyenne » s’est constituée grâce à sa <a href="https://editions-croquant.org/livres-numeriques/352-livre-numerique-au-dela-de-la-crise.html">mobilisation pour le projet du capitalisme néolibéral</a>, c’est-à-dire pour le bien-être et la reconnaissance par le consumérisme, la réussite professionnelle, la concurrence et la compétitivité, etc. qui, de ce fait, est devenu un véritable « capitalisme populaire ». <a href="https://www.lesbelleslettres.com/contributeur/margaret-thatcher">Margaret Thatcher</a>, premier ministre britannique et libérale convaincue l’a résumé ainsi : </p>
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<p>« Le capitalisme populaire n’est rien d’autre qu’une croisade destinée à permettre au plus grand nombre de participer de plein droit à la vie économique de la nation. »</p>
</blockquote>
<h2>Une vieille idée</h2>
<p>L’idée d’une société capitaliste « nivelée au milieu » est ancienne. Elle est vivement discutée dans les sciences sociales aux États-Unis depuis les années 1940. Le politologue américain <a href="https://www.worldcat.org/title/managerial-revolution-what-is-happening-in-the-world/oclc/522956">James Burnham</a> a particulièrement influencé ce débat et ses reprises en Europe.</p>
<p>Néanmoins, c’est surtout en Allemagne et sous la plume du sociologue allemand Helmut Schelsky que la conception de la « Nivellierten Mittelstandsgesellschaft », la société nivelée de la classe moyenne, a eu une énorme influence scientifique et politique.</p>
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<p>Schelsky (qui avait, par ailleurs un <a href="https://www.cambridge.org/core/books/abs/german-intellectuals-and-the-nazi-past/1968-and-its-aftermath/95D43AD64EB44C656C70FC84662FC381">passé nazi</a>) appuie son analyse non seulement sur l’atomisation du mouvement ouvrier par le nazisme mais également sur le fait que sous le nazisme, la bourgeoisie a laissé les décisions politiques à l’appareil de l’État nazi. Ce développement s’inscrit, selon lui, dans une tendance générale vers des « sociétés industrielles bureaucratiques », comme Burnham l’avait déjà proclamé. La mobilité ascendante et descendante que connaissent désormais les sociétés, par exemple grâce au système scolaire et aux carrières professionnelles, a pour résultat, entre autres, « le développement du même comportement social et du même statut social : une classe sociale socialement instable, nivelée, petite-bourgeoise-classe moyenne ».</p>
<p>Le sociologue austro-américain <a href="https://www.routledge.com/The-New-Society-The-Anatomy-of-Industrial-Order/Drucker/p/book/9781560006244">Peter Drucker</a> décrit cette société comme une société nivelée grâce à sa confiance d’être sur le chemin vers une classe moyenne généralisée au-delà de la tension entre les classes supérieures et inférieures. C’est pour cette raison que les théoriciens peuvent constater non seulement un nivellement du statut économique et politique mais surtout l’uniformisation des comportements sociaux et culturels ainsi que du mode de vie. Ceci est le résultat du nivellement de la consommation tout comme de la production de masse industrielle et médiatique qui produisent le sentiment et la volonté d’être inclus dans cette société.</p>
<h2>Disparition des antagonismes de classe ?</h2>
<p>Les auteurs qui traitent de la classe moyenne y voient la disparition des antagonismes de classe surtout grâce à l’ascension des ouvriers et des employés à la couche sociale supérieure mais aussi grâce au remplacement des propriétaires privés par des gestionnaires et managers. Ce processus entraînerait un changement qualitatif du capitalisme vers une société sans classes sociales. Les contradictions du capitalisme trouvent ainsi une (voie de) solution interne. Le capitalisme serait donc indépassable ; il n’y aurait pas de raison de vouloir le dépasser.</p>
<p>Les mêmes phénomènes ont fait l’objet des critiques par exemple du sociologue américain C.Wright Mills, de l’École de Francfort et de beaucoup d’autres auteurs qui y voient la victoire (peut-être définitive) du capitalisme qu’il déplorent car le capitalisme n’est pas ce qu’il prétend être : libre, raisonnable, relativement « nivelé » et juste. <a href="https://books.google.fr/books/about/Les_cols_blancs.html?id=2-oPAQAAIAAJ&redir_esc=y">C. Wright Mills</a> avait déjà dans les années 1940 et 1950 analysé dans une perspective critique aux États-Unis, cette « classe moyenne » américaine, constituée par sa mobilisation pour le capitalisme de son époque, une mobilisation qui donne aux États-Unis une véritable stabilité sociale et politique.</p>
<p>Georges Perec a décrit, mieux que beaucoup de sociologues, le vécu du début de ce processus dans la France des années 1960 dans son roman « Les Choses ». Un résultat de ce processus est une véritable massification sociale, culturelle, idéologique et politique portée par l’industrie culturelle.</p>
<h2>Luttes des places</h2>
<p>Cette massification cache pourtant de plus en plus mal la <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/6036907">polarisation sociale</a> réelle, par exemple le fait bien connu de la polarisation entre les plus riches, qui deviennent toujours plus riches, et les pauvres, qui s’appauvrissent de plus en plus. Néanmoins, l’identification avec « la classe moyenne » persiste. Ces acteurs se situent dans la société telle qu’elle est et selon des critères établis, sans pour autant pouvoir se situer positivement : ni riche ni pauvre.</p>
<p>Ils se livrent à de véritables « luttes des places » au sein de cette société, des luttes pour leur intégration souvent appelée « démocratisation », par exemple de la consommation, de la culture ou du mode de vie. La démocratisation signifierait cependant que le « demos » (le peuple) maîtrise l’objet de son action, qu’il a le pouvoir de le développer selon sa volonté et ses désirs, mais c’est le contraire qui est le cas. Le pouvoir s’est déplacé vers des élites fonctionnelles, la gouvernance, de plus en plus déracinées et coupées du reste de la société (le FMI, la Banque Mondiale, les institutions de la Communauté européenne, etc.).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/breve-histoire-dune-longue-defiance-entre-le-peuple-francais-et-les-elites-159153">Brève histoire d’une longue défiance entre le peuple français et les élites</a>
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<p>Cette tendance n’est pas récente. Le sociologue <a href="https://editions.flammarion.com/la-revolte-des-elites/9782081518575">Christopher Lasch</a> l’a déjà analysée aux États-Unis dans les années 1970. La rationalité et la fonctionnalité selon les critères de la logique marchande dominent et les sujets doivent s’y soumettre, qu’ils le veuillent ou non. Non seulement la devise qui y règne est « marche ou crève » ; il y règne également la concurrence omniprésente qui produit les « gagnants » et les « perdants » de la compétition (selon les termes désormais habituels) et qui radicalise l’individualisation.</p>
<p>En revanche, il n’y a pas de place pour tous dans le projet d’une « société de la classe moyenne ». Ce projet produit nécessairement des « surnuméraires », pour reprendre l’expression du sociologue français <a href="https://www.fayard.fr/sciences-humaines/les-metamorphoses-de-la-question-sociale-9782213594064">Robert Castel</a>, qui n’ont qu’une très faible visibilité et pas de reconnaissance sociale. C’est pour cette raison que la grande masse de cette « classe moyenne » oscille sur le plan politique, d’un côté, entre la rancœur et la haine des autres considérés comme les coupables de l’impossibilité de leur intégration dans la société. Ce phénomène n’est pas récent. <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-montee-des-incertitudes-robert-castel/9782020510424">Robert Castel</a> l’a analysé dans le contexte du néolibéralisme. De l’autre côté, il émerge sporadiquement des révoltes qui expriment des demandes de reconnaissance, comme les « gilets jaunes » par exemple et, enfin, très souvent, c’est la résignation du <a href="https://www.lisez.com/livre-grand-format/plus-rien-a-faire-plus-rien-a-foutre/9782221198667">« plus rien à faire, plus rien à foutre »</a> qui prend le dessus.</p>
<h2>Une nouvelle classe écologique ?</h2>
<p>Nous avons vu que l’identification avec « la classe moyenne » correspond à un projet de société pour lequel les « cols blancs » (Mills) se mobilisent. <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/memo_sur_la_nouvelle_classe_ecologique-9782359252187">Bruno Latour et Nikolaj Schultz</a> ont ébauché la possibilité et, selon eux, la nécessité de « la nouvelle classe écologique » comme noyau d’un nouveau projet de société qui ferait émerger la société « post crise écologique ».</p>
<p>L’idée que cette classe pourrait remplacer la « classe moyenne » comme noyau de la société à venir est séduisante. Il reste néanmoins la question de savoir quel mouvement social pourrait dépasser la dépolitisation, pour quelles raisons elle mènerait à la constitution de cette nouvelle classe et, enfin, si cette classe permettrait aux citoyens de maîtriser les forces sociales et de développer la société selon leur conception d’un avenir meilleur.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-fin-de-labondance-une-chance-pour-renouer-avec-notre-humanite-190599">La « fin de l’abondance », une chance pour renouer avec notre humanité</a>
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<p class="fine-print"><em><span>Jan Spurk a reçu des financements de l'ANR/DFG. </span></em></p>La « classe moyenne » fait partie des notions les plus utilisées et les plus floues dans les discours politiques.Jan Spurk, Professeur de sociologie, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1649302021-08-04T14:19:57Z2021-08-04T14:19:57ZLa Suède montre l'exemple dans la création de bons emplois dans le secteur de la vente au détail<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/413597/original/file-20210728-13-1xtdug3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C153%2C3212%2C2120&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un employé s'affaire dans une épicerie québécoise. Le secteur du commerce au détail paye mal ses employés par rapport à leurs homologues suédois. Pourquoi ? </span> <span class="attribution"><span class="source">La Presse Canadienne/Jacques Boissinot </span></span></figcaption></figure><p>Valorisons-nous les caissiers d’épiceries et le personnel de première ligne des commerces qui nous ont tant aidés à traverser la pandémie ? Pourquoi les employés de ce secteur sont si mal payés au Canada alors qu’ils font partie de la classe moyenne en Suède ?</p>
<p>Ce sont là des exemples de questions auxquelles j’essaie de répondre <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/epdf/10.1111/bjir.12596">dans mes recherches</a> sur le personnel d’épicerie de divers pays.</p>
<p>Jusqu’à la fin des années 1970, les employés des épiceries canadiennes étaient largement syndiqués et appartenaient à la classe moyenne. Embauchés à temps plein, ils profitaient de salaires supérieurs à la moyenne de ce qui se pratiquait ailleurs.</p>
<p>Les grandes chaînes étaient en situation d’oligopole dans chaque province. Elles étaient libres de fixer leur niveau de rémunération, mais leur stratégie commerciale, axée sur la qualité, justifiait des salaires élevés.</p>
<p>Mais les épiciers ont dû revoir leur gestion des ressources humaines avec l’apparition de chaînes à prix réduits comme Super Carnaval au Québec en 1982 et d’hypermarché comme The Real Canadian Superstore en 1979. Et certains nouveaux venus, qui grugeaient leur marge bénéficiaire, n’étaient même pas syndiqués, <a href="https://www.walmartcanada.ca/about-us/history">comme Walmart, entré au Canada en 1994</a>.</p>
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<img alt="Un homme marche devant le Real Canadian Superstore de Coquitlam, en Colombie-Britannique" src="https://images.theconversation.com/files/410926/original/file-20210713-21-1pfmuvm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/410926/original/file-20210713-21-1pfmuvm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=446&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/410926/original/file-20210713-21-1pfmuvm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=446&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/410926/original/file-20210713-21-1pfmuvm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=446&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/410926/original/file-20210713-21-1pfmuvm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=560&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/410926/original/file-20210713-21-1pfmuvm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=560&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/410926/original/file-20210713-21-1pfmuvm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=560&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Un homme se rend au Real Canadian Superstore de Coquitlam, en Colombie-Britannique, en 2005.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(La Presse Canadienne/Chuck Stoody)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Des salaires à la baisse au Canada… mais en hausse en Suède</h2>
<p>Les grandes chaînes ont alors exigé des syndicats qu’ils fassent leur part afin de protéger les bénéfices. Redoutant la faillite de leurs employeurs (ce qui est effectivement arrivé à certains), la plupart des syndicats ont collaboré à la réduction des salaires et des conditions de travail négociées dans les conventions collectives.</p>
<p>Le résultat a été une réduction draconienne des salaires réels des travailleurs syndiqués entre 1980 et 2016. Aujourd’hui, un nouvel employé d’un détaillant syndiqué <a href="https://www.thestar.com/news/gta/2021/06/16/pay-premiums-for-grocery-store-workers-have-ended-did-their-essential-status-change-labour-rights-advocates-say-no.html">peut tout juste espérer commencer au salaire minimum ou à peine au-dessus</a>.</p>
<p>En Suède, en 1980, les salaires du personnel d’épicerie étaient bons, mais plusieurs chaînes canadiennes payaient mieux. Le marché suédois de l’épicerie était lui aussi en situation d’oligopole jusqu’à ce que les premières grandes chaînes de rabais comme Netto et Lidl débarquent au début des années 2000.</p>
<p>Mais au contraire du Canada, les employés suédois ont maintenu leurs conditions de travail — qui se sont même améliorées sur plusieurs aspects. <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/epdf/10.1111/bjir.12484">Les salaires suédois ont augmenté de plus de 50 %</a>. Aujourd’hui, le salaire horaire de départ <a href="https://handels.se/pa-jobbet/lagstaloner/butiksanstalld/privata-och-kooperativa-butiker/">revient à un peu plus de 20 dollars</a>. La convention collective leur garantit 31 dollars l’heure pour le travail en soirée, et plus de 40 les week-ends. Mais la plupart des travailleurs touchent plus que le minimum prévu au contrat de travail.</p>
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<img alt="Des piétons déambulent dans une rue de Stockholm, en Suède" src="https://images.theconversation.com/files/410928/original/file-20210713-19-1yj7bcl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/410928/original/file-20210713-19-1yj7bcl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/410928/original/file-20210713-19-1yj7bcl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/410928/original/file-20210713-19-1yj7bcl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/410928/original/file-20210713-19-1yj7bcl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/410928/original/file-20210713-19-1yj7bcl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/410928/original/file-20210713-19-1yj7bcl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des consommateurs magasinent à Stockholm, en Suède.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Tomas Williams/Unsplash</span></span>
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<p>De plus, les travailleurs suédois profitent de protections importantes. Ils jouissent d’un préavis d’un mois sur leur horaire, mais aussi de droits réels limitant le travail effectué le week-end, en plus du droit de donner leur avis sur leur horaire. Et, remarquablement, <a href="https://www.researchgate.net/publication/269871584_HRM_practices_in_Swedish_retailing?channel=doi&linkId=549814c70cf2c5a7e34292b5&showFulltext=true">ils se disent très satisfaits de leur emploi</a>. Au Canada, les employés ont droit à un préavis de quelques jours sur leurs horaires — au mieux.</p>
<h2>Des négociations sectorielles essentielles</h2>
<p>Si le personnel suédois dans le secteur du détail est si bien traité, <a href="https://www.americanprogressaction.org/issues/economy/news/2020/03/02/176857/what-is-sectoral-bargaining/">c’est parce que leur droit du travail s’appuie fortement sur la négociation sectorielle</a>.</p>
<p>En Suède, chaque employé de chaque commerce est couvert par une même convention négociée pour l’ensemble du secteur du détail. Cet accord commun, qui stipule les conditions de travail, s’applique à l’ensemble des détaillants.</p>
<p>Cette façon de faire a l’avantage de détacher la question des salaires de celle de la concurrence entre détaillants. Au Canada, les syndicats des commerces de détail doivent constamment se demander si leurs exigences vont nuire à la rentabilité de l’employeur, et donc à sa capacité de maintenir les emplois.</p>
<p>Comme les conditions de travail diffèrent d’une chaîne à l’autre, voire d’un magasin à l’autre, les syndicats sont contraints de faire des concessions pour soutenir l’employeur face à la concurrence.</p>
<p>En Suède, c’est le contraire : les <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/epdf/10.1111/bjir.12484">détaillants ne se concurrencent pas sur les coûts de main-d’œuvre</a>. Au contraire, ils veulent que tous soient sur le même plan. Grâce aux négociations sectorielles, même un nouveau venu non syndiqué ne pourra les concurrencer avec des coûts de main-d’œuvre inférieurs lui conférant un avantage injuste.</p>
<h2>Des accords globaux</h2>
<p>Les employeurs souhaitent que les syndicats organisent les travailleurs et veillent à ce que les conventions collectives soient complètes et globales. Environ <a href="https://portal.research.lu.se/portal/files/94935911/Unions_in_social_dialogue_Kjellberg_Workplace_Innovation.pdf">70 % de la main-d’œuvre suédoise est syndiquée</a>, le double de la moyenne canadienne.</p>
<p>Pourquoi la négociation sectorielle est-elle rare au Canada, et absente dans le commerce de détail ? Essentiellement, nos lois du travail ne le permettent pas.</p>
<p>Les syndicats suédois sont également solidaires pour forcer les employeurs à adhérer aux règles. Par exemple, <a href="https://www.huffingtonpost.ca/2015/03/18/sweden-retail-unions_n_6888328.html">lorsque Toys « R » Us s’y est refusé au milieu des années 1990</a>, les autres syndicats ont bloqué ses activités suédoises.</p>
<p>Les syndiqués des transports ont cessé les livraisons de marchandise. Ceux des banques ont fait de même concernant les opérations financières de l’entreprise.</p>
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<img alt="Des consommateurs au Toys « R » Us" src="https://images.theconversation.com/files/411104/original/file-20210713-25-6gcyxb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/411104/original/file-20210713-25-6gcyxb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=428&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/411104/original/file-20210713-25-6gcyxb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=428&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/411104/original/file-20210713-25-6gcyxb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=428&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/411104/original/file-20210713-25-6gcyxb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=538&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/411104/original/file-20210713-25-6gcyxb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=538&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/411104/original/file-20210713-25-6gcyxb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=538&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Pour l’entrée de Toys « R » sur le marché suédois, l’accueil a été hostile.</span>
<span class="attribution"><span class="source">AP Photo/Alan Diaz</span></span>
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</figure>
<p>L’entreprise a fini par signer la convention collective. Les gestionnaires américains, reconnaissant qu’ils feraient mieux de s’adapter aux mœurs locales, sont allés jusqu’à créer un système de franchises gérées par des Scandinaves.</p>
<p>Ce genre de conflit a donné le ton aux autres détaillants étrangers. Ainsi, la chaîne d’épicerie allemande à prix réduits Lidl, réputée en Europe pour son antisyndicalisme, a adhéré au système dès son entrée sur le marché suédois en 2002.</p>
<p>Amazon, bien que présente sur le marché suédois, <a href="https://handelsnytt.se/2021/02/22/vi-later-inte-amazon-komma-undan-utan-schyssta-villkor/">n’y a pas encore ouvert son propre entrepôt</a>. Si elle le faisait, le syndicat réussirait certainement à lui faire signer une convention collective.</p>
<h2>Syndicalisation parcellaire</h2>
<p>Au Canada, le système n’encourage pas les actions de solidarité intersyndicales. La loi encourage la négociation collective par magasin ou par chaîne, et le personnel d’une même chaîne peut être divisé entre plusieurs syndicats.</p>
<p>Le résultat est un système fragmenté aux conditions de travail très divergentes. À l’intérieur d’une même chaîne ou d’un même magasin, les syndicats en présence sont mis sous pression pour se faire concurrence en faveur de la réduction des coûts de la main-d’œuvre, ce qui entretient de mauvaises conditions de travail.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Une femme et une fillette regardent un comptoir de fruits de mer dans une épicerie grande surface" src="https://images.theconversation.com/files/410933/original/file-20210713-13-1ng7rz9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/410933/original/file-20210713-13-1ng7rz9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=438&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/410933/original/file-20210713-13-1ng7rz9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=438&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/410933/original/file-20210713-13-1ng7rz9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=438&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/410933/original/file-20210713-13-1ng7rz9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=551&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/410933/original/file-20210713-13-1ng7rz9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=551&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/410933/original/file-20210713-13-1ng7rz9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=551&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une cliente devant le comptoir de fruits de mer d’un magasin Metro à Sainte-Thérèse, au Québec.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse Canadienne/Ryan Remiorz</span></span>
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<p>La présence de détaillants non syndiqués comme Walmart et Dollarama empire la situation. Devant la perspective de voir les chaînes non syndiquées dominer le secteur, la plupart des négociateurs syndicaux croient qu'ils doivent se contenter de défendre de modestes privilèges.</p>
<p>En l’absence d’un cadre légal permettant aux syndicats d’améliorer de manière générale les conditions de travail, y compris chez Walmart et Dollarama, les employés n’obtiendront jamais les conditions qu’ils méritent.</p>
<p>Il y aurait de nombreux avantages à soutenir la syndicalisation des épiceries : meilleure échelle salariale, meilleurs avantages sociaux et meilleure représentation du personnel.</p>
<p>Si le Canada espère développer sa classe moyenne, il doit réformer fondamentalement son droit du travail afin d’améliorer les conditions de travail dans divers secteurs comme le commerce au détail.</p>
<p>Le négociation sectorielle est probablement notre meilleur pari. Depuis longtemps, nous savons que les bons salaires <a href="https://cepr.net/documents/publications/low-wage-2012-01.pdf%5D">sont beaucoup plus courants dans les pays qui encouragent cette pratique</a>. Le Canada <a href="https://digitalcommons.osgoode.yorku.ca/cgi/viewcontent.cgi?article=1331&context=all_papers">a eu l’occasion de faire de telles réformes par le passé</a>. Si l’on veut revaloriser les emplois de première ligne, l’heure est venue d'entreprendre à nouveau de telles réformes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/164930/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sean O'Bradyreçoit des fonds du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) et a reçu des fonds du Fonds de recherche du Québec en Société et culture (FRQSC).</span></em></p>Si le Canada veut améliorer les conditions de travail des secteurs comme le commerce de détail, il doit réformer fondamentalement son droit du travail pour le rendre similaire à celui de la Suède.Sean O'Brady, Assistant Professor, Labour Relations, McMaster UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1471482020-09-29T21:06:43Z2020-09-29T21:06:43ZFact check US : Les démocrates vont-ils « ruiner les banlieues » comme l’affirme Donald Trump ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/364593/original/file-20201020-19-cdc619.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C190%2C3264%2C1905&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les lotissements du nord-est de Colorado Springs, dans le Colorado, sont typiques des banlieues axées sur l'automobile qui se sont développées aux États-Unis après la Seconde Guerre mondiale.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Suburbia_by_David_Shankbone.jpg">David Shankbone/Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>« Si jamais il arrivait à diriger ce pays, nos banlieues disparaîtraient » <a href="https://www.rev.com/blog/transcripts/donald-trump-joe-biden-1st-presidential-debate-transcript-2020">a déclaré Donald Trump</a> dans le premier débat présidentiel de la campagne 2020, dans la nuit de mardi à mercredi 30 septembre, en parlant de son rival Joe Biden.</p>
<p>Depuis plusieurs semaines, dans ses meetings de campagne, Donald Trump accuse les démocrates, et Joe Biden en particulier, de vouloir « abolir » et « détruire » les <em>suburbs</em>, ces banlieues américaines pavillonnaires généralement associées à la classe moyenne et classe moyenne supérieure. « Ils veulent mettre des logements à bas prix dans les banlieues, et cela reviendrait à abolir, à ruiner les banlieues. Cela a déjà commencé. Ça fait des années que ça dure », affirmait-t-il ainsi le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=gaOMuaNh5wQ">11 août dernier</a>.</p>
<p>Le 29 juillet 2020, dans un de ses nombreux tweets, il informe « toutes les personnes qui vivent leur vie rêvée en banlieue » qu’elles ne seront « plus gênées ou financièrement lésées par la construction de logements à loyers modérés dans [leur] quartier. »</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/360563/original/file-20200929-18-fu14r2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/360563/original/file-20200929-18-fu14r2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=276&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/360563/original/file-20200929-18-fu14r2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=276&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/360563/original/file-20200929-18-fu14r2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=276&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/360563/original/file-20200929-18-fu14r2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=347&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/360563/original/file-20200929-18-fu14r2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=347&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/360563/original/file-20200929-18-fu14r2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=347&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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<p>Il venait en effet de supprimer une <a href="https://www.allianceforhousingjustice.org/post/understanding-affh">réglementation de l’administration Obama</a> visant à diversifier l’offre de logements pour favoriser une certaine mixité sociale dans les <em>suburbs</em>. Cette réglementation prévoyait notamment de conditionner l’attribution des fonds fédéraux à l’élimination de barrières érigées par les plans locaux d’urbanisme, imposant par exemple la construction de maisons individuelles à tel ou tel endroit et excluant de fait des logements moins coûteux.</p>
<p>Depuis, Donald Trump se présente en <a href="https://www.youtube.com/watch?v=lh6iQP_TQz4">sauveur des banlieues</a> et du rêve américain : « J’ai donc entièrement mis fin au programme. », dit-il encore le <a href="https://factba.se/transcript/donald-trump-remarks-tele-rally-north-carolina-august-11-2020">11 août dernier</a>, ajoutant : « Les gens ne pouvaient pas croire que je l’avais fait, mais je l’ai fait, parce que les banlieues sont le rêve américain. »</p>
<p>Pour comprendre la stratégie de Donald Trump, il faut tout d’abord faire un bref retour historique sur le concept américain de la banlieue.</p>
<h2>Le péché originel des suburbs</h2>
<p>Si le terme « suburb » peut se traduire en français par « banlieue », son image bien différente de celle des banlieues européennes. Aux États-Unis, elle est associée à une population de classe moyenne ou plutôt aisée, majoritairement blanche, qui vit presque exclusivement dans des pavillons avec jardin.</p>
<p>Les <em>suburbs</em> ont commencé à se développer après la Première Guerre mondiale, mais c’est à partir des années 1940 et 1950 qu’elles se sont surtout étendues, grâce notamment à une loi fédérale (la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/G.I._Bill">« GI Bill »</a>) qui favorise l’accès à la propriété aux soldats démobilisés. C’est ainsi que se sont créés les modèles de suburbs symboles du « rêve américain », comme les <a href="https://www.greelane.com/fr/sciences-humaines/la-g%C3%A9ographie/levittown-long-island-1435787/">Levittown</a>.</p>
<p>Mais la création de ces nouveaux quartiers résidentiels est intimement liée à la discrimination raciale qui existait alors non seulement dans le sud mais également dans les États du nord. Il s’agissait, pour beaucoup de Blancs, de fuir les centres urbains (le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/White_flight">« white flight »</a>) à la suite de la migration des Noirs venus du sud. Comme l’ont montré <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0885412204263509">plusieurs travaux universitaires</a>, les Noirs, en particulier, se sont trouvés systématiquement exclus des <em>suburbs</em>, en raison de discriminations à la fois individuelle et institutionnelle, que ce soit dans dans les secteurs immobilier, bancaire ou à travers les lois fédérales, y compris la GI Bill.</p>
<p>Dans <a href="https://www.epi.org/publication/the-color-of-law-a-forgotten-history-of-how-our-government-segregated-america/"><em>The Color of the Law</em></a>, l’historien Richard Rothstein montre combien la ségrégation raciale en matière de logement est le résultat de la politique gouvernementale à tous les niveaux – fédéral, étatique et local. Les <a href="https://www.liberation.fr/planete/2008/10/21/levittown-une-banlieue-americaine-ideale_187">Levittowns</a>, les lotissements de banlieue les plus célèbres de l’Histoire, qui serviront de modèles aux <em>suburbs</em>, seront à la fois le symbole du « rêve américain » et celui de la discrimination. Initialement réservés aux Blancs, les Noirs n’y représentent aujourd’hui encore qu’à peine <a href="https://projects.newsday.com/long-island/levittown-demographics-real-estate/">1 % de ses résidents</a>.</p>
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<h2>La fin de la discrimination ?</h2>
<p>En 1968, c’est finalement le passage d’une loi fédérale sur le logement équitable (Fair Housing Act) qui a permis de réduire cette discrimination au logement. Selon le démographe <a href="https://newrepublic.com/article/120385/black-white-segregation-steadily-declining">William Frey</a>, cette discrimination aurait diminué d’environ un <a href="https://www.brookings.edu/blog/the-avenue/2015/12/08/census-shows-modest-declines-in-black-white-segregation/">tiers</a> entre 1970 et 2010. Aujourd’hui, <a href="https://www.pewsocialtrends.org/2018/05/22/demographic-and-economic-trends-in-urban-suburban-and-rural-communities/">55 % de la population</a> vit dans les <em>suburbs</em>, dont environ un tiers de minorités ethniques. L’enjeu électoral est donc énorme.</p>
<p>Toutefois, derrière ces chiffres, se cache une réalité plus complexe. De nombreux chercheurs (<a href="https://www.brookings.edu/blog/the-avenue/2017/12/08/metro-areas-are-still-racially-segregated/">ici</a>, <a href="https://news.cornell.edu/stories/2015/07/racial-segregation-takes-new-forms-study-shows">ici</a> ou <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0049089X17305422">ici</a>) ont montré qu’il y avait une grande variabilité géographique et qu’il existait une nouvelle forme de ségrégation à l’intérieur des communautés suburbaines, entre les banlieues, où vivent des personnes de « races » différentes.</p>
<p>Le secrétaire d’État au logement et au développement urbain depuis 2017, le républicain Ben Carson, avait d’ailleurs lui-même <a href="https://abcnews.go.com/Politics/face-carson-backtracks-push-neighborhood-zoning/story?id=72425652">critiqué les zonages qui imposaient des maisons individuelles</a>, les accusant de rendre le logement trop cher et d’exacerber la crise des sans-abri, avant de professer exactement le contraire, notamment dans une <a href="https://www.wsj.com/articles/well-protect-americas-suburbs-11597608133">tribune</a> co-signée avec le président et intitulée « Nous protégerons les suburbs », publiée dans le <em>Wall Street Journal</em> en août dernier.</p>
<p>Comme Donald Trump le dit dans ses tweets, c’est au nom de la liberté, du marché et de la sécurité qu’il a tenu à éliminer la réglementation votée sous Obama qui avait pour but de renforcer la loi sur le logement équitable (<em>Affirmatively Furthering Fair Housing</em>, AFFH) de 1968. Quand bien même cette loi visait précisément à assouplir les règles de zonage et autoriser la libre construction de logements à bas prix.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/360564/original/file-20200929-20-1a707ql.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/360564/original/file-20200929-20-1a707ql.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=133&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/360564/original/file-20200929-20-1a707ql.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=133&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/360564/original/file-20200929-20-1a707ql.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=133&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/360564/original/file-20200929-20-1a707ql.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=167&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/360564/original/file-20200929-20-1a707ql.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=167&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/360564/original/file-20200929-20-1a707ql.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=167&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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<h2>Une vision binaire, racialisée et mythifiée</h2>
<p>Citant en exemple la ville de Westchester, dans l’État de New York, Donald Trump construit un <a href="https://factba.se/transcript/donald-trump-interview-laura-ingraham-fox-news-august-31-2020">récit binaire</a> qui oppose la banlieue, « un endroit magnifique », celui du « rêve américain » aux « logements à bas prix [qui] viennent [avec] beaucoup d’autres problèmes, y compris la criminalité. » C’est, d’ailleurs, un endroit qu’il connaît bien puisque <a href="https://www.nytimes.com/2020/09/03/nyregion/trump-westchester-housing.html">son organisation y possède plusieurs propriétés</a>. Or, Westchester est depuis des années poursuivie par le gouvernement fédéral pour avoir <a href="https://www.nytimes.com/2009/02/27/nyregion/27westchester.html">failli dans sa politique de déségrégation</a>. Donald Trump a d’ailleurs lui-même été, dans sa jeunesse, en <a href="https://www.nytimes.com/2016/08/28/us/politics/donald-trump-housing-race.html">procès avec le gouvernement fédéral</a> qui accusait son père de discriminer les Noirs dans l’accès au logement. Par « logement à bas prix », il faut donc comprendre « logements occupés par des gens de couleurs », même si, en réalité, de <a href="https://nlihc.org/sites/default/files/HousingSpotlight2-2.pdf">nombreux blancs en bénéficient</a>.</p>
<p>Donald Trump oppose une vision idéalisée des <em>suburbs</em> aux villes, dirigées par les Démocrates, qui seraient des lieux de violence, d’émeute et de corruption :</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/360566/original/file-20200929-16-1lec071.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/360566/original/file-20200929-16-1lec071.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=278&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/360566/original/file-20200929-16-1lec071.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=278&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/360566/original/file-20200929-16-1lec071.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=278&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/360566/original/file-20200929-16-1lec071.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=350&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/360566/original/file-20200929-16-1lec071.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=350&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/360566/original/file-20200929-16-1lec071.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=350&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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<p>Il puise ici dans un mythe fondateur américain, déjà présent chez Jefferson, qui oppose les villes, lieux du vice, à la ruralité, puis à l’Amérique des villages bucoliques (<a href="https://www.jstor.org/stable/23416170?seq=1">« small-town America »</a>), symbole de vertu, devenu aujourd’hui le <em>suburb</em>. Cette vertu est illustrée par l’association de la banlieue à la domesticité, à la beauté, et à la femme au foyer, forcément vulnérable, qu’il doit donc protéger, comme il l’explique dans une <a href="https://factba.se/transcript/donald-trump-interview-laura-ingraham-fox-news-august-31-2020">interview à Laura Ingraham</a> sur Fox News.</p>
<blockquote>
<p>« Les femmes, plus que toute autre chose, elles veulent de la sécurité. Elles doivent avoir la sécurité. Il y a un niveau de violence que vous ne voyez pas. Vous avez donc cette belle communauté dans les banlieues, y compris les femmes, n’est-ce pas ? Les femmes, elles veulent de la sécurité. »</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/360568/original/file-20200929-14-1wowlkk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/360568/original/file-20200929-14-1wowlkk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=322&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/360568/original/file-20200929-14-1wowlkk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=322&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/360568/original/file-20200929-14-1wowlkk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=322&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/360568/original/file-20200929-14-1wowlkk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=405&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/360568/original/file-20200929-14-1wowlkk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=405&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/360568/original/file-20200929-14-1wowlkk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=405&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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<p>L’usage du mot <em>housewives</em>, « femmes au foyer », un terme qui a connu son heure de gloire dans les années 1950, est d’ailleurs significatif et parfaitement assumé par le président qui <a href="https://factba.se/transcript/donald-trump-speech-oshkosh-wisconsin-august-17-2020">se réjouit d’utiliser des termes « politiquement incorrects »</a>.</p>
<p>Tout cela fait partie d’une stratégie de campagne basée sur le thème de la <a href="https://theconversation.com/trumps-law-and-order-campaign-relies-on-a-historic-american-tradition-of-racist-and-anti-immigrant-politics-145366">loi et de l’ordre</a>. Elle vise à susciter la peur des conservateurs nostalgiques d’une Amérique idéalisée, forcément blanche, qui était supposée exister avant les bouleversements des années 1960, et des lois des droits civiques et sur l’égalité d’accès au logement. Joe Biden a justement répondu lors du premier débat présidentiel que « ce ne sont plus les années 50 », mais l'image qu'il a présenté ensuite de la mixité ethnique que l'on trouverait en banlieue ressemble encore davantage à un idéal qu'à la réalité. </p>
<hr>
<p><em>La rubrique Fact check US a reçu le soutien de Craig Newmark Philanthropies, une fondation américaine qui lutte contre la désinformation.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/147148/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jérôme Viala-Gaudefroy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Donald Trump accuse Joe Biden de vouloir détruire les banlieues pavillonnaires cossues en y injectant de la mixité sociale. Ce débat est crucial, les États-Unis étant devenus une nation de banlieues.Jérôme Viala-Gaudefroy, Assistant lecturer, CY Cergy Paris UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1393992020-05-29T00:10:29Z2020-05-29T00:10:29ZJoe Biden en route vers la Maison Blanche ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/337668/original/file-20200526-106819-19kb1w9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=25%2C0%2C4224%2C2822&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><span class="source">AAP/EPA/Tracie van Auken</span></span></figcaption></figure><p>À 77 ans, au crépuscule de sa vie, la troisième fois a été la bonne pour Joe Biden.</p>
<p>Il l’a emporté sur 24 autres aspirants à l’investiture démocrate, issus de tous les horizons politiques, et s’est imposé comme le candidat à la présidence de son parti, lequel se retrouve aujourd’hui dans une situation qui aurait paru impensable en janvier : uni de la gauche à la droite, par-delà les races et les croyances, l’âge et l’idéologie.</p>
<p>Biden est sorti vainqueur des primaires alors même qu’il a effectué une collecte de fonds médiocre, que son impact sur les réseaux sociaux est faible et qu’il ne dispose pas d’une base d’adeptes enthousiastes.</p>
<p>Les électeurs ont dû surmonter un certain scepticisme à son endroit avant d’accepter l’idée que c’est bien Joe Biden – cet homme qui a échoué dans ses candidatures à la Maison Blanche en 1988 et 2008 – qui était le démocrate le mieux à même de venir à bout de Donald Trump en novembre prochain.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/coronavirus-aux-etats-unis-la-campagne-de-la-peur-134179">Coronavirus aux États-Unis : la campagne de la peur</a>
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<p>Sur le fond, Biden n’a pas changé depuis sa première tentative, il y a plus de trois décennies. Comme Richard Ben Cramer l’a rapporté dans le <a href="https://www.penguinrandomhouse.com/books/33217/what-it-takes-by-richard-ben-cramer/">fameux récit</a> qu’il a fait de la campagne de 1988, « What It Takes », Biden avait à l’époque compris ceci :</p>
<blockquote>
<p>« Les Américains voulaient seulement de leur gouvernement un coup de main pour atteindre une vie meilleure pour leurs enfants, une aide pour se propulser un peu plus haut sur l’échelle sociale… C’était sa vie : celle d’un gamin de la classe moyenne qui avait reçu un peu d’aide en cours de route… et c’était tout ce qu’il avait à montrer. Mais c’est ce qui le reliait à un grand nombre d’électeurs du pays. C’est tout ce dont il avait besoin ! »</p>
</blockquote>
<p>Vingt ans plus tard, voici Biden au poste de vice-président de l’administration Obama. J’ai pris des notes sur tous ses discours adressés aux démocrates de la Chambre des Représentants. Voici trois citations que j’avais notées dans les carnets qui ont servi de support au livre que j’ai co-écrit avec Bryan Marshall, <a href="https://www.press.umich.edu/8918588/committee"><em>The Committee</em></a>, consacré aux mesures législatives historiques que l’administration Obama a cherché à faire adopter par le Congrès.</p>
<p>En 2010 :</p>
<blockquote>
<p>« Nous devons aider la classe moyenne et les travailleurs américains, c’est-à-dire les gens qui nous ont envoyés ici. »</p>
</blockquote>
<p>En 2012 :</p>
<blockquote>
<p>« Il est absolument clair que les décisions que nous avons prises sont efficaces. Et les gens voient bien qu’elles sont efficaces. […] Le peuple américain comprend que les républicains ont rejeté la notion de compromis. Ce n’est pas de cette façon que le peuple américain veut que nous fonctionnions. […] Nous ne pouvons pas faire entendre raison aux républicains, mais le peuple américain s’en chargera en novembre.</p>
<p>Nous gagnerons tout simplement parce que notre position est la bonne. Cette année, l’Amérique aura sous les yeux une comparaison très parlante. C’est un contraste saisissant, saisissant : Oussama Ben Laden est mort et General Motors est vivant. »</p>
</blockquote>
<p>Toute sa vie durant, Biden s’est voulu profondément lié à l’Amérique moyenne. Son message en 2020 est le même qu’en 1988. Et sa tâche est la même que lorsqu’il était sur le ticket de Barack Obama en 2008 : faire en sorte que l’Amérique se remette de la pire crise économique depuis la Grande Dépression.</p>
<p>À l’époque, c’est Biden qui avait été chargé de veiller à la mise en œuvre de l’<a href="https://en.wikipedia.org/wiki/American_Recovery_and_Reinvestment_Act_of_2009">American Recovery Act</a>, la première loi importante adoptée après l’entrée en fonctions du duo Obama-Biden. Au bout du compte, cette loi a donné l’impulsion d’une décennie de croissance économique et de plein emploi. Biden s’est donc déjà trouvé aux commandes au moment où l’exécutif devait juguler une crise économique majeure, et s’efforcera de recommencer s’il est élu en novembre prochain.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/335943/original/file-20200519-83348-14t5q0z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/335943/original/file-20200519-83348-14t5q0z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=479&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/335943/original/file-20200519-83348-14t5q0z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=479&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/335943/original/file-20200519-83348-14t5q0z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=479&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/335943/original/file-20200519-83348-14t5q0z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=601&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/335943/original/file-20200519-83348-14t5q0z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=601&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/335943/original/file-20200519-83348-14t5q0z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=601&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le président Barack Obama et le vice-président Joe Biden à la Maison Blanche en 2015.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Jonathan Ernst/AAP/EPA</span></span>
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<h2>Une vice-présidente à choisir</h2>
<p>À ce stade, nous savons seulement que le choix de Biden pour la vice-présidence s’orientera vers une femme. Le débat fait rage dans les éditoriaux des grands journaux et sur les réseaux sociaux : quelle candidate serait la mieux placée ? Aux yeux de Biden, qui connaît bien les exigences de cette fonction pour l’avoir occupée pendant huit ans, deux aspects sont absolument prépondérants.</p>
<p>Compte tenu de son âge, il est impératif que la vice-présidente soit pleinement qualifiée et capable d’assumer sans ciller la fonction présidentielle s’il venait à décéder pendant son mandat. C’est en cela que Sarah Palin a gravement nui à la candidature de John McCain en 2008.</p>
<p>D’autres personnalités médiocres, qu’elles soient insipides (Dan Quayle sous George H.W. Bush) ou accusées de délits (Spiro Agnew sous Richard Nixon) ont exercé la fonction de vice-président mais n’ont pas accédé à la présidence.</p>
<p>En revanche, certains vice-présidents, comme Walter Mondale sous Jimmy Carter, Al Gore sous Bill Clinton et Dick Cheney sous George W. Bush, sont devenus de véritables partenaires de gouvernance, dotés d’un réel pouvoir et de réelles responsabilités, réinventant la fonction. C’est ce type de vice-présidence qui inspire Biden.</p>
<p>Biden avait exigé d’Obama – et obtenu satisfaction – qu’il soit toujours la dernière personne dans la pièce avec le président avant que des décisions importantes ne soient prises, afin de pouvoir pleinement exprimer son avis, que le président se range à celui-ci ou non. Par exemple, (Obama n’a pas suivi les conseils de Biden](https://www.washingtonpost.com/politics/2020/01/08/bidens-claim-that-he-didnt-tell-obama-not-launch-bin-laden-raid/) lors du raid qui a tué Oussama Ben Laden).</p>
<p>Biden veut une vice-présidente qui puisse jouer auprès de lui le même rôle que celui qu’il a joué auprès d’Obama. L’avantage électoral qu’elle pourrait apporter au ticket démocrate en novembre prochain (la sénatrice du Minnesota Amy Klobuchar susciterait des votes en faveur de Biden dans le Midwest, et la sénatrice de Californie Kamala Harris mobiliserait les Afro-Américains), est aux yeux du candidat un aspect secondaire.</p>
<p>Le deuxième facteur est l’alchimie personnelle : Biden doit ressentir, dans sa relation avec sa colistière, la même intensité qu’il a connue avec Obama pendant leurs huit années de cohabitation. Ainsi, une femme parfaitement qualifiée et dotée d’une grande notoriété ne sera pas désignée si Biden estime que le duo qu’il formerait avec elle ne parviendrait pas à faire de grandes choses ensemble faute de convictions communes et de confiance réciproque.</p>
<p>Étant donné que depuis 1952 cinq vice-présidents ont fini par accéder à la présidence, le choix qu’effectuera Biden pourrait bien avoir des conséquences majeures sur l’avenir du Parti démocrate et du pays pendant les douze prochaines années.</p>
<h2>Une élection à gagner</h2>
<p>Posez la question à n’importe quel Américain qui s’intéresse à la vie politique et il vous dira que l’élection de novembre 2020 sera la plus importante de sa vie.</p>
<p>Depuis la Maison Blanche, le président Donald Trump utilise pleinement l’avantage que lui offre sa position actuelle pour marteler son message sur les ondes, comme nous l’avons particulièrement constaté depuis le début la pandémie de Covid-19.</p>
<p>Il dispose d’un réseau de chaînes de télévision qui est indéniablement devenu un média d’État. Il peut également s’appuyer sur une majorité républicaine au Sénat qui n’exercera aucun contrôle sur ses actions, quelles qu’elles soient, et ne fera rien pour protéger le scrutin contre l’ingérence russe en sa faveur, pas plus qu’elle ne s’opposera aux <a href="https://www.brennancenter.org/our-work/research-reports/new-voter-suppression">processus mis en œuvre afin d’empêcher une partie des électeurs de se rendre aux urnes</a>.</p>
<p>Trump peut compter sur un <a href="https://thehill.com/hilltv/rising/476978-trump-support-among-republicans-reaches-all-time-high-in-poll">taux de soutien de 90 % parmi les sympathisants républicains</a>. Il a le pouvoir de déclarer des urgences nationales et de lancer des actions militaires pour défendre les États-Unis. Sa campagne est dotée d’une machine de guerre redoutablement efficace sur les réseaux sociaux. Ses dépenses de campagne dépasseront celles de Biden de <a href="https://www.washingtonpost.com/opinions/why-campaign-fundraising-isnt-the-factor-to-bank-on/2020/05/19/ff7042b8-99f0-11ea-a282-386f56d579e6_story.html">bien plus de 100 millions de dollars</a>. Sa base électorale ne s’est pas effritée – elle est <a href="https://www.realclearpolitics.com/epolls/other/president_trump_job_approval-6179.html">solidement fixée aux alentours de 46 % des intentions de vote</a> – malgré les coups de boutoir qu’ont portés au président certains médias qu’il qualifie d’« ennemis du peuple » et de propagateurs de « fake news » et malgré le <a href="https://www.theguardian.com/us-news/2020/feb/05/how-donald-trump-got-acquitted-after-impeachment">discrédit que fait peser sur lui la procédure d’impeachment dont il a fait l’objet</a>.</p>
<p>L’avalanche de mensonges de Trump va se poursuivre. Il mène campagne comme personne dans l’histoire américaine moderne, sans honte et sans relâche. Et s’il obtient suffisamment de voix dans les États clés qu’il a gagnés en 2016, il peut être réélu.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/donald-trump-blames-everyone-but-himself-for-the-coronavirus-crisis-will-voters-agree-135205">Donald Trump blames everyone but himself for the coronavirus crisis. Will voters agree?</a>
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<p>La tâche de Biden est claire : récupérer les États traditionnellement acquis aux démocrates – Pennsylvanie, Michigan, Wisconsin – que Trump a gagnés en 2016 à la faveur d’une explosion de colère populiste contre un establishment politique dont Hillary Clinton était l’une des incarnations. Pour cela, il devra résister aux accusations de conspiration et de corruption que Trump déchaîne contre lui en dénonçant le prétendu <a href="https://www.nytimes.com/reuters/2020/05/14/us/politics/14reuters-usa-trump-obamagate-explainer.html">« Obamagate »</a>.</p>
<p>À l’heure où ces lignes sont écrites, les sondages donnent Biden vainqueur du vote populaire avec une marge de trois à neuf points. Il est en tête dans trois États clés, dont la Floride, et a une chance de s’emparer de l’Arizona et de la Caroline du Nord. Trump, de son côté, vise le Minnesota, le New Hampshire et le Nouveau-Mexique. Le consensus aujourd’hui est que si l’élection avait lieu maintenant, Biden gagnerait.</p>
<p>Le scrutin de novembre apparaît de plus en plus comme un référendum sur la personne de Trump et sa gestion de la pandémie. La question est de savoir si les électeurs, confrontés à des difficultés désastreuses (plus de 16 millions d’Américains ont perdu leur assurance maladie en perdant leur emploi), feront confiance à Trump pour relancer l’économie.</p>
<p>Le message de Biden est simple : l’incapacité de Trump à prendre la mesure de la pandémie et à agir pour protéger le peuple américain a coûté des dizaines de milliers de vies qui auraient pu être sauvées. Biden, lui, a contribué à sortir la nation de la Grande Récession en 2009, et sait comment le faire à nouveau en 2021.</p>
<h2>Un pays à guérir</h2>
<p>Dans sa <a href="https://www.youtube.com/watch?v=FaN-Pf_LW1Q">vidéo de lancement de campagne</a> en avril 2019, Biden n’aurait pas pu être plus clair :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai écrit à l’époque de [la marche des nazis à Charlottesville en 2017] que nous étions engagés dans une bataille pour l’âme de cette nation. Eh bien, c’est encore plus vrai aujourd’hui. Je crois que l’Histoire se souviendra des quatre années de ce président et de tout ce qu’il représente comme d’un moment aberrant. Mais si nous laissons à Donald Trump la possibilité de rester huit ans à la Maison Blanche, il changera à jamais et fondamentalement le caractère de cette nation – ce que nous sommes – et je ne peux regarder cela se produire sans réagir. […] Les valeurs fondamentales de cette nation, notre position dans le monde, notre démocratie même, tout ce qui a fait l’Amérique, est en jeu. […] Plus important encore, nous devons nous rappeler qui nous sommes. Nous sommes l’Amérique. »</p>
</blockquote>
<p>À la fin des primaires, l’objectif de la plupart des démocrates était évident : se débarrasser de Trump. Comme les électeurs voyaient des limites aux candidatures de Bernie Sanders et d’Elizabeth Warren, et comme Kamala Harris, Amy Klobuchar ou encore Pete Buttigieg ne pouvaient tout simplement pas atteindre la masse critique nécessaire pour l’emporter, ils ont conclu que c’était Biden, un homme bien connu de tous ses concitoyens, qui était le mieux placé pour réussir à libérer le pays de Trump.</p>
<p>Parce qu’eux aussi veulent avant tout que l’Amérique soit guérie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/139399/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bruce Wolpe a travaillé pendant dix ans pour le groupe démocrate à la Chambre des représentants des États-Unis. Il a voté pour que Joe Biden soit le candidat démocrate à la présidence lors du Super Tuesday du 3 mars 2020 au Colorado. Il reçoit une allocation en tant que Senior Fellow non-résident du United States Studies Centre de l'Université de Sydney.
</span></em></p>Candidat pour la troisième fois à la Maison Blanche et vice-président de Barack Obama, Joe Biden doit maintenant relever un grand défi : choisir le bon colistier et vaincre Donald Trump en novembre.Bruce Wolpe, Non-resident Senior Fellow, United States Study Centre, University of SydneyLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1312592020-02-09T18:15:51Z2020-02-09T18:15:51Z« Privés de télé » : quand la télévision mettait en scène ses « dangers »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/314185/original/file-20200207-27569-lvslbv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=11%2C2%2C1905%2C1276&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Vivre sans télé dans les années 1980, une folle expérience.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/photos/tv-t%C3%A9l%C3%A9vision-r%C3%A9tro-classique-1844964/">Pixabay</a></span></figcaption></figure><p>La chaîne parlementaire (LCP) a diffusé dimanche 2 février 2020 un numéro de l’émission <em>Rembob’Ina</em> – « L’émission qui rembobine notre passé et s’interroge sur le rôle et la place de la télévision » – <a href="http://www.lcp.fr/collection/rembobina/289648">consacré au documentaire <em>Privés de télé</em> (1986)</a>. Ce dernier met en scène le quotidien – plutôt amélioré par l’expérience – de familles qui ont accepté de se séparer de leur poste de télévision pendant un mois. Cette diffusion nous donne l’occasion de nous interroger sur les discours qui accompagnent la place de la télévision – et des écrans plus largement – dans notre société. Comment la télévision concourt-elle elle-même à nourrir un discours sur ses dangers présumés ?</p>
<h2>Des familles volontairement « privées de télévision »</h2>
<p><em>Privés de télé</em> est un documentaire audiovisuel, de 60 minutes, réalisé par Antenne 2 en partenariat avec Télérama, produit par Pascale Breugnot et diffusé par la chaîne Antenne 2 lundi 7 avril 1986. Il présente une expérience réalisée l’année précédente (juin 1985) dans la ville de Créteil : le documentaire montre le quotidien de familles qui ont accepté de passer un mois sans leur poste de télévision. Le 28 mai 1985, après une présentation du projet par la productrice, accompagnée de deux journalistes, Jean‑Claude Raspiengeas et Patrick Volson, 35 familles (sur les 900 que compte la ville) ont donné leur accord. Mais, après une nuit de réflexion, seules 22 familles ont finalement accepté de donner leur poste à l’équipe de journalistes, qui a ensuite suivi leur quotidien pendant un mois.</p>
<p>Une mise en contexte s’impose : en 1985, l’offre télévisuelle se compose de trois chaînes de télévision publiques (TF1, Antenne 2 et FR3) ; Canal+, première chaîne à péage, vient d’être créée en décembre 1984. La décennie 1980 est celle où la télévision est véritablement installée comme équipement quotidien et domestique chez une grande majorité de Français (<a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00518136/">93 % des foyers sont équipés à partir de 1980</a>). Elle est regardée en moyenne 2h49 par jour durant la décennie – en 2019, l’institut officiel de mesure de l’audience Médiamétrie a recensé une <a href="https://www.mediametrie.fr/sites/default/files/2019-12/2019%2012%2030%20M%C3%A9diamat%20Annuel%202019.pdfhttps://www.mediametrie.fr/sites/default/files/2019-12/2019%2012%2030%20M%C3%A9diamat%20Annuel%202019.pdf">durée d’écoute moyenne quotidienne de 3h40</a>. Alors que la télévision est devenu un média populaire, une critique virulente à son égard s’installe notamment dans les milieux intellectuels, et ce, durablement. On lui reproche – à l’instar de tous les médias de masse – d’être <a href="https://www.cairn.info/sociologie-de-la-television--9782707150646.htm">médiocre, abêtissante, addictive et source de pathologies</a>. Dans ce contexte, il est surprenant d’observer la télévision mettre en scène elle-même volontairement ses dangers présumés.</p>
<h2>La mise en scène des dangers d’une télévision addictive</h2>
<p>Tout au long du documentaire, le danger que représente la télévision dans la vie des gens est mis en exergue, à travers un vocabulaire explicite. Les champs lexicaux de l’addiction, de la punition (« Privés de télé ») et de la tricherie sont mobilisés pour qualifier à la fois les pratiques télévisuelles et l’expérience menée, perçue comme une « idée diabolique » selon certains.</p>
<p>L’annonce de l’expérience aux habitants de la ville de Créteil est ainsi formulée : « Qu’y a-t-il de pire pour un téléspectateur que d’être privé de sa télé pendant un mois ? » Au moment où la productrice annonce concrètement le projet – « Pendant un mois nous souhaiterions que vous nous confiiez votre récepteur de télévision » – un rire collectif s’élève de l’assemblée, mi-amusé, mi-gêné voire consterné : quel drôle d’idée que de se séparer de sa télévision.</p>
<p>Le terme « victime » est souvent employé pour parler de ceux qui accepteraient de « subir » ce sort. Certains se considèrent « intoxiqués » par le média et Pascale Breugnot parle de sentiments de « frustration » et de « dépossession » chez les participants. Au bout de quatre jours d’expérience, le buraliste de Créteil témoigne avoir rencontré des personnes « désespérées ». Par la suite, le documentaire met en scène les journalistes – dont certains soupçonnent qu’ils tiendront le rôle de « flics » – qui surprennent des « tricheurs » : un couple est allé regarder la finale de la coupe du monde de football chez ses voisins ; un participant a emprunté un poste à son voisin pour regarder la finale du tournoi de tennis à Roland Garros, il est dénoncé par sa femme.</p>
<p>L’expérience a aussi consisté à prêter un poste de télévision à une famille qui n’en possédait pas et hésitait à en acquérir un. Ce cas particulier a été présenté dans un reportage diffusé dans l’émission <em>Moi Je</em> (également produite par Pascale Breugnot) du 7 mai 1986. La mise en scène est particulièrement édifiante en ce qu’elle corrobore la thèse du danger de l’écran : au bout d’un mois d’expérience, l’équipe de tournage vient éteindre et prendre le poste de télévision au moment où l’enfant de la famille (un garçon âgé de 3 ou 4 ans) regarde son dessin animé. On voit et entend ensuite l’enfant pleurer pendant de longues minutes tandis que le journaliste « essaie » d’interviewer le père, qui est amené à évoquer sa crainte de voir son enfant « bloqué devant la télé le mercredi après midi ». Interrogée quelques mois plus tard, la famille « avoue » être allée acheter un poste de télévision à la suite de l’expérience.</p>
<p>Au final, si certaines fonctions dévolues à la télévision ont été difficiles à occuper autrement (distraire les enfants pendant la préparation du dîner, suivre les événements sportifs ou télévisuels annoncés, comme la participation de Serge Gainsbourg au <em>Jeu de la vérité</em>), il ressort de l’expérience menée une certaine satisfaction des participants : redécouverte d’autres pratiques médiatiques (radio, lecture…), amélioration des relations parents-enfants et/ou de couple due à une meilleure connaissance des uns et des autres, communication et socialisation accrues. En ce sens, une idée dominante du documentaire au sujet de la télévision a confirmé une des critiques faites au média : la pratique prend trop de temps, elle empêche de faire d’autres activités et elle rend passif. Cela est particulièrement incarné par le personnage de Jeanne, qui, à la réunion de présentation du projet, a manifesté son enthousiasme en déclarant « Moi je veux bien j’ai d’autres hobbies ». Elle a finalement « craqué » et demandé à reprendre son récepteur au bout de 18 jours d’expérience.</p>
<p>L’expérience <em>Privés de télé</em> a été renouvelée vingt ans plus tard et a donné lieu à la diffusion en 2005 (19-23 septembre) d’un <a href="http://download.pro.arte.tv/archives/fichiers/02128035.pdf">documentaire</a> en cinq parties sur Arte (5x26 minutes). Si les jugements normatifs sur la passivité du téléspectateur et sa dépendance à l’égard du média sont encore plus prégnants, la capacité des individus à produire un discours critique à l’égard des contenus télévisuels y est manifeste. Celui-ci est renforcé par l’attachement éprouvé par les participants à l’égard de la télévision. Et c’est ce que révèle également <em>Privés de télé</em>, c’est-à-dire une relation affective entre la télévision et les individus.</p>
<p>À l’heure actuelle, la représentation d’une télévision <a href="https://editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Ma_vie_au_poste-9782707190543.html">médiocre</a> et <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-fabrique-du-cretin-digital-michel-desmurget/9782021423310">dangereuse</a> est consolidée par la multiplication et l’installation des écrans dans notre quotidien et la pratique addictive qui peut les accompagner. Néanmoins, nombre de travaux scientifiques conduits en Sciences humaines et sociales depuis 70 ans <a href="https://journals.openedition.org/questionsdecommunication/6686">attestent</a> de la pluralité des pratiques ainsi que des capacités d’interprétation et d’appropriation des individus des messages médiatiques. Plutôt qu’à condamner, ce type de documentaire peut nous conduire à envisager les écrans comme les médiations d’une <a href="https://cfeditions.com/cultureParticipative/ressources/cultureParticipative_specimen.pdf">culture participative</a> dont les enjeux sont à étudier.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/131259/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Céline Ségur ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La rediffusion d’une émission en forme de défi aux téléspectateurs permet d’interroger les discours qui accompagnent la place de la télévision – et des écrans plus largement – dans notre société.Céline Ségur, Maître de conférences en sciences de l'information et de la communication, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1127102019-03-29T00:51:00Z2019-03-29T00:51:00ZLe commerce de centre-ville n’a pas dit son dernier mot…<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/261426/original/file-20190228-106371-tfni3u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=20%2C10%2C967%2C655&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La problématique du commerce de centre-ville nécessite un regard pluriel (Ici, Honfleur dans le Calvados). </span> <span class="attribution"><span class="source">RossHelen / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>« Et c’est pour ça que je suis assez optimiste quant à l’avenir des centres-villes, c’est que si on sait jouer de tous ces atouts-là et ces cartes-là, on a quelque chose à faire. […] Ici, on peut vous parler pendant des heures des commerçants qui sont géniaux qu’on a détectés dans toute la France… ». C’est ainsi que Jean‑Pierre Lehmann, président de l’association <a href="https://www.fncv.org">Vitrines de France</a>, conclut une interview d’une 1H30 sur le commerce de centre-ville menée dans le cadre de la rédaction de l’ouvrage collectif « (R)évolution du commerce de centre-ville : de l’état des lieux à la résilience ».</p>
<p>Cet optimisme et cet appel à l’entrepreneuriat peuvent apparaître quelque peu en décalage avec le discours ambiant plutôt pessimiste et alarmiste sur le commerce de centre-ville. À titre d’illustration, mentionnons quelques titres d’articles de presse traitant de cette thématique <a href="https://www.lesechos.fr/05/07/2017/LesEchos/22480-103-ECH_declin-des-commerces-de-centre-ville---les-acteurs-reclament-un-plan-marshall.htm">« Déclin des commerces de centre-ville : les acteurs réclament un plan Marshall »</a> (<em>Les Echos</em> du 5 juillet 2017), <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2016/10/20/le-declin-commercial-des-centres-villes-s-aggrave_5017351_3234.html">« Le déclin commercial des centres-villes s’aggrave »</a> (<em>Le Monde</em> du 20 octobre 2016), <a href="https://www.lagazettedescommunes.com/524921/centres-villes-en-declin-le-malheur-des-villes-moyennes/">« Centres-villes en déclin : la malédiction des villes moyennes »</a> (<em>La Gazette des Communes</em> du 22 septembre 2017), <a href="http://www.lavoixdunord.fr/118667/article/2017-02-14/le-declin-du-commerce-de-centre-ville-est-il-une-fatalite">« Le déclin du commerce de centre-ville est-il une fatalité ? »</a> (<em>La Voix du Nord</em> du 14 février 2017), etc. Et même le <em>New York Times</em> qui titrait, en février 2017, <a href="https://www.nytimes.com/2017/03/07/world/europe/france-albi.html">« En France, le déclin des villes de province est celui d’un marqueur de son identité »</a>. Le consommateur est aussi inquiet d’observer ce déclin, en effet, selon ce 3<sup>e</sup> baromètre des centres-villes de l’institut CSA (2018). 68 % des Français interrogés se disent ainsi préoccupés par la situation en centre-ville et cette proportion grimpe à 80 % dans les villes de 50 000 à 100 000 habitants.</p>
<h2>Le commerce, entre complexité et hétérogénéité</h2>
<p>Comme le rappellent les auteurs, « en France, le développement économique et l’explosion démographique qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale ont représenté un terreau fertile au développement de nouveaux formats de commerce, dans le secteur alimentaire avec le supermarché, l’hypermarché et le hard discount, et dans le secteur non alimentaire, avec l’émergence des grandes surfaces spécialisées. L’émergence de ces formats proposant une offre commerciale peu différenciée et des prix attractifs a pris forme dans les périphéries des villes ».</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/261419/original/file-20190228-106362-1qy3nz3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/261419/original/file-20190228-106362-1qy3nz3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/261419/original/file-20190228-106362-1qy3nz3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/261419/original/file-20190228-106362-1qy3nz3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/261419/original/file-20190228-106362-1qy3nz3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/261419/original/file-20190228-106362-1qy3nz3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/261419/original/file-20190228-106362-1qy3nz3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/261419/original/file-20190228-106362-1qy3nz3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Vue aérienne de Cap Sud, zone commerciale de Moulins dans l’Allier.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jeanlouis_zimmermann/205301680">Jean‑Louis Zimmermann/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/261420/original/file-20190228-106353-1eq47sa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/261420/original/file-20190228-106353-1eq47sa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/261420/original/file-20190228-106353-1eq47sa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/261420/original/file-20190228-106353-1eq47sa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/261420/original/file-20190228-106353-1eq47sa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/261420/original/file-20190228-106353-1eq47sa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/261420/original/file-20190228-106353-1eq47sa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/261420/original/file-20190228-106353-1eq47sa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La zone commerciale du Coudoulet, à proximité d’Orange dans le Vaucluse.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jeanlouis_zimmermann/1817157212">Jean‑Louis Zimmermann/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>À partir des années 1990, leur développement a provoqué un déséquilibre entre commerce de périphérie et commerce de centre-ville qui s’est encore accentué avec l’avènement du format drive et du commerce électronique dans le milieu des années 2000. Mutations des modes de vie, mutations des centres-villes et de leur aménagement, mutations de la consommation, etc. La problématique du commerce de centre-ville est donc complexe et nécessite un regard pluriel. Géographes, chercheurs en marketing, sociologues se sont ainsi intéressés à la problématique du commerce de centre-ville.</p>
<h2>Nœud de flux</h2>
<p>En première approche, si cette question peut apparaître triviale, la problématique abordée ici conduit les auteurs à s’interroger sur les contours du centre-ville : « Le Petit Larousse donne comme définition du centre-ville : quartier central d’une ville, le plus animé ou le plus ancien. Sont ainsi soulignées les caractéristiques essentielles du centre-ville : la centralité résultant d’une histoire, le territoire environnant qui est attiré et les flux réciproques entre centre et territoire. </p>
<p>Le centre-ville est parcouru par les principaux axes de liaisons internes et externes de la commune qui s’y rejoignent. Il se caractérise comme un nœud de flux. Dans la littérature académique, cette conception spatiale du commerce de centre-ville s’inscrit dans les travaux pionniers délimitant la notion de centralité et d’attractivité d’une ville. Ce premier modèle a contribué à de nombreuses recherches et prolongements dans le champ du marketing et a ainsi été complété par d’autres variables, comme le choix du lieu d’achat en fonction des critères du chaland dans une ville ».</p>
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<span class="caption">Après-midi lèche-vitrine dans les rues de Sète, dans l’Hérault.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Pierre-Olivier/Shutterstock</span></span>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/261421/original/file-20190228-106338-1xjkzs2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/261421/original/file-20190228-106338-1xjkzs2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/261421/original/file-20190228-106338-1xjkzs2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/261421/original/file-20190228-106338-1xjkzs2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/261421/original/file-20190228-106338-1xjkzs2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/261421/original/file-20190228-106338-1xjkzs2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/261421/original/file-20190228-106338-1xjkzs2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/261421/original/file-20190228-106338-1xjkzs2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Une rue commerçante à Beauvais, dans l’Oise.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jeanlouis_zimmermann/3756480358">Jean‑Louis Zimmermann/Flickr</a></span>
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<p>La problématique du commerce de centre-ville n’est pas seulement économique et ne peut se résumer à la longue et inévitable évolution d’une forme ou d’un format de distribution. Repensez aux différentes fois où vous vous rendez au centre-ville et indéniablement, vous tomberez sur les termes : achat de produit, retrait de colis à des points relais, virée shopping entre amis, lèche-vitrine pour préparer les soldes, achats de Noël, déjeuner dans un restaurant traditionnel, soirée au cinéma, après-midi culturelle au musée, démarches administratives – le centre-ville est ainsi un lieu d’échanges de biens et de services, un lieu d’expériences multiples – bref, un lieu de vie ! La multiplicité de ces activités pose subséquemment des questions économiques, écologiques, sociales, territoriales et humaines. Quel visage souhaite-t-on pour nos villes, nos bourgs et nos villages ? Quelles relations avec les entreprises ? Quel mode de vie souhaitons-nous ?</p>
<p>Pourtant, malgré la gravité de la situation, peu de travaux de recherche portent sur cette thématique. Sans doute parce que les causes sont multiples et doivent mobiliser les sciences de gestion, la géographie, la sociologie, etc.</p>
<h2>Des lieux d’échange ouverts, attractifs et vivants</h2>
<p>Quel avenir peut-on alors envisager ? Pour les auteurs, « le commerce de centre-ville ou de centre-bourg est susceptible de connaître des évolutions contrastées, notamment selon ses capacités d’adaptation exprimées en trois scénarios : un déclin généralisé, une domination par des enseignes d’envergure nationale (spécialisées ou de la grande distribution), une articulation entre des enseignes motrices et des commerçants indépendants localement organisés. Les ressources territoriales en présence, les stratégies mises en place et le volontarisme des acteurs publics apparaissent alors comme déterminants dans la trajectoire qu’il suivra. Ces évolutions supposent une action volontariste et coordonnée des acteurs dans le sens de l’appropriation par les commerçants des outils numériques, de l’expérimentation et de l’innovation.</p>
<p>Les interviews menées soulignent également « l’importance d’une construction collective du commerce de centre-ville ou du centre-bourg et même plus globalement, du vivre ensemble. Réconcilier les dynamiques du commerce avec la ville durable : tel est l’enjeu d’une réorientation de la politique d’une ville. Sa finalité doit transcender les différences de sensibilités et les oppositions entre les divers types de commerce ou d’opérateurs commerciaux qui sauront développer leur activité selon les nouvelles règles du jeu. Il s’agit de susciter une organisation urbaine plus cohérente autour de centralités confortées avec des lieux d’échange ouverts, attractifs et vivants qui sont, au cœur des villes et des quartiers, indispensables tant au maintien d’une cohésion sociale capable de surmonter les risques de division qu’à l’émergence d’une société́ dynamique et conviviale ». Le centre-ville apparaît donc moins condamné au déclin qu’on pourrait le croire…</p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/261657/original/file-20190301-110119-187vh6p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/261657/original/file-20190301-110119-187vh6p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/261657/original/file-20190301-110119-187vh6p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/261657/original/file-20190301-110119-187vh6p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/261657/original/file-20190301-110119-187vh6p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/261657/original/file-20190301-110119-187vh6p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/261657/original/file-20190301-110119-187vh6p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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<p><em>Ce texte est extrait de l’ouvrage collectif de recherche « (R)évolution du commerce de centre-ville : de l’état des lieux à la résilience », publié en mars 2019 aux <a href="http://www.lcdpu.fr/livre/?GCOI=27000100406460">Presses universitaires de Nancy, Editions universitaires de Lorraine</a>. Cet ouvrage, préfacé par le professeur Marc Filser, a été coordonné par Hélène Yildiz, Sandrine Heitz-Spahn et Béatrice Siadou-Martin. Les différents contributeurs sont, par ordre alphabétique : Mathias Boquet, Franck Cochoy, Anaïs Daniau, Samuel Deprez, Jean‑Pierre Douard, Inès Gugen-Gicquel, Michèle Heitz, Sandrine Heitz-Spahn, Karine Picot-Coupey, Béatrice Siadou-Martin, Géraldine Thévenot, Régine Vanheems, Hélène Yildiz. Ces travaux visent à apporter des éléments de réflexion et de réponse sur l’état actuel du commerce de centre-ville, ses évolutions, ou encore sur ses formes de résilience.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/112710/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cet ouvrage prend sa source dans un projet intitulé «MADinLOR : Made in Lorraine : construire une offre attractive et valorisable du patrimoine lorrain », financé par le fonds régional Grand Est Alsace Champagne-Ardenne Lorraine.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Sandrine Heitz-Spahn a obtenu des financements du fonds régional Grand Est Alsace Champagne-Ardenne Lorraine.</span></em></p>Son déclin n’est pas inéluctable, à condition de repenser le centre-ville au-delà de sa dimension économique, soulignent les auteurs du livre « évolution du commerce de centre-ville ».Hélène Yildiz, Maître de Conférences HDR Sciences de Gestion, Université de LorraineBéatrice Siadou-Martin, Professeur des universités en sciences de gestion, Université de LorraineSandrine Heitz-Spahn, Maître de Conférences en Sciences de Gestion, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1121482019-02-25T21:03:44Z2019-02-25T21:03:44ZLa campagne de boycott « Moukatioun » au Maroc : une contestation du modèle des entreprises financiarisées<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/260212/original/file-20190221-195883-crn12d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C3%2C1134%2C824&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Moukatioun ! L'image de la campagne de boycott sur Facebook.</span> <span class="attribution"><span class="source">Facebook</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Durant le printemps-été 2018, la campagne de boycott « Moukatioun » (« boycotteurs ») qui a ciblé plusieurs produits de grande consommation a été au centre du débat social, économique et politique au Maroc. En particulier, cette campagne, lancée sur les réseaux sociaux, a visé l’eau minérale Sidi Ali, les produits laitiers du groupe Centrale-Danone et les stations-service Afriquia, accusés d’avoir augmenté leurs prix sans égard au pouvoir d’achat des consommateurs.</p>
<p>On peut relever deux spécificités majeures à cette compagne de boycott. La première est que la contestation sociale a dépassé le champ politique pour investir le champ économique. La seconde est que, contrairement aux mouvements de contestation récents au Maroc comme le <a href="https://www.rtl.fr/actu/international/maroc-qu-est-ce-que-le-mouvement-contestataire-al-hirak-7793909049">Hirak du Rif</a> en 2016, le boycott a largement emporté l’adhésion des classes moyennes et moyennes supérieures composées de professions libérales, de cadres et de patrons de TPE et PME.</p>
<p>Comment expliquer alors le soutien massif au mouvement de boycott de ces catégories sociales, généralement réputées « pro entreprises et business » ?</p>
<p>La première explication est que les classes moyennes subissent une baisse conséquente de leur pouvoir d’achat. En effet, le <a href="https://www.hcp.ma/downloads/Indicateurs-sociaux_t11880.html">rapport 2018 des « indicateurs sociaux du Maroc » du Haut-Commissariat au Plan</a> fait clairement état de la dégradation du pouvoir d’achat des classes moyennes. Plusieurs indicateurs soutiennent ce constat, parmi lesquels une hausse de l’indice de pauvreté subjective atteignant 37,7 % et une hausse du pessimisme des ménages de la classe moyenne quant à leur capacité à épargner. Cependant, l’argument du pouvoir d’achat seul ne suffit à expliquer ni le recours au boycott comme forme de contestation, ni le choix des entreprises visées.</p>
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<p>Une seconde explication est que ces catégories sociales expriment par là une revendication de justice sociale, un désaveu d’un modèle de développement économique et une opposition à la financiarisation non contrôlée des grandes entreprises.</p>
<h2>Contestation d’un modèle financiarisé</h2>
<p>L’économiste américain <a href="http://www.peri.umass.edu/media/k2/attachments/WP394.pdf">Gérald Epstein</a> décrit la financiarisation comme un accroissement important du rôle des institutions, des acteurs et des raisonnements financiers dans la conduite des activités économiques et la gestion des entreprises. Dans un <a href="http://lelibellio.com/wp-content/uploads/2013/01/Le-Libellio-d-volume-14-num%C3%A9ro-1-Printemps-2018.pdf">management financiarisé</a>, la finance devient une fin en soi qui bouscule d’autres valeurs et modes de pensée comme le bon, le juste, le généreux ou le solidaire.</p>
<p>Qu’en est-il pour l’économie et les entreprises marocaines ? Durant la dernière décennie, le poids de l’industrie financière a connu un accroissement sans précédent au Maroc, principalement porté par la libéralisation du secteur de l’intermédiation bancaire. Le taux de bancarisation a été multiplié par trois depuis le début des années 2000 et la place financière de Casablanca est devenue le premier centre financier africain devant Johannesburg.</p>
<p>À tort ou à raison, les membres des classes moyennes et moyennes supérieures ont le sentiment que ce développement ne leur profite pas. Chez les dirigeants de TPE et PME, le sentiment que le système financier sert d’abord les intérêts des banques elles-mêmes et des grandes entreprises, au détriment des entrepreneurs et des artisans est tenace.</p>
<p>Les entreprises industrielles, notamment celles visées par le boycott, sont perçues comme fortement financiarisées. Premièrement, ces entreprises ont développé un discours tourné vers la performance financière et la valeur actionnariale. Ce discours est d’autant plus visible que, les actionnaires-dirigeants de ces entreprises sont des personnalités exposées médiatiquement du fait de leur poids économique et politique dans le pays. C’est en particulier le cas pour les dirigeants de Sidi Ali et d’Afriquia, respectivement femme la plus influente et première fortune du pays selon le magazine <a href="https://www.forbes.com/#7a26ec952254"><em>Forbes</em></a>. Pour une large frange de la société marocaine, cette nouvelle élite des affaires s’enrichit au-delà de ce qui est moralement acceptable.</p>
<p>Deuxièmement, du point de vue du consommateur-boycotteur, les stratégies et les politiques de prix de ces entreprises privilégient la sacro-sainte rentabilité financière aux dépens des enjeux industriels et de l’orientation client. La structure oligopolistique des marchés concernés par le boycott renforce le soupçon d’une puissance dont les entreprises bénéficieraient au détriment des consommateurs et des fournisseurs.</p>
<p>C’est en réaction à ces évolutions que le mouvement « Moukatioun » traduit une rupture entre le peuple et les élites économiques en adoptant « une posture de défiance envers les grandes entreprises accusées de « s’enrichir sur le dos des citoyens » (<a href="https://www.middleeasteye.net/fr/news/maroc-un-boycott-de-grandes-marques-aux-allures-de-hirak-virtuel">Middle East Eye</a>). Cette contestation de la financiarisation de l’économie est un leitmotiv commun aux mouvements sociaux dans plusieurs pays d’Afrique du Nord. En Tunisie, les manifestations, actes de blocage et appels au boycott se sont multipliés depuis la révolution de 2011, avec une remise en cause du modèle de développement économique et du rôle des grandes entreprises perçues comme étant plus concernées par la génération de profits que par leur impact social.</p>
<h2>Est-il temps de repenser le rôle des entreprises ?</h2>
<p>Au moment où les leaders politiques et économiques du Maroc s’emploient à repenser le modèle de développement du pays, l’épisode du boycott invite à redéfinir le rôle des grandes entreprises et la manière dont ce rôle s’incarne dans les stratégies, les pratiques de gestion et les décisions commerciales et financières.</p>
<p>La réaction de Danone au mouvement de boycott est sans doute emblématique de cette évolution. Pour endiguer la chute des ventes (moins 19 % du chiffre d’affaires au 1<sup>er</sup> semestre 2018) et des résultats financiers (moins 50 % d’excédent brute d’exploitation), Danone a dépêché au Maroc son PDG Emmanuel Faber.</p>
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<p>Décrivant le boycott comme un « message fort », le PDG de Danone annonce travailler à « un nouveau modèle équitable et pérenne » pour les producteurs, les petits distributeurs et les consommateurs. Il a déclaré vouloir s’inspirer de ce qui se passe en France avec le label « C’est qui le patron ? », où les prix sont fixés par les consommateurs. Ainsi, le groupe laitier va vendre sa gamme de lait frais pasteurisé à prix coûtant.</p>
<p>L’entreprise s’engage également à « assurer une plus grande transparence de la collecte à la commercialisation du lait », notamment en rendant publiques les grilles tarifaires moyennes d’achat auprès des éleveurs. L’objectif est ainsi de rompre avec les représentations collectives de l’entreprise financiarisée et de remettre en avant des valeurs d’engagement, de confiance et de responsabilité sociale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/112148/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>En 2018, le Maroc a connu un large mouvement de boycott de plusieurs produits de consommation qui traduit un désaveu des élites économiques et une contestation des grandes entreprises financiarisées.Hicham Sebti, Professeur-Chercheur en Contrôle de Gestion, Co-directeur d'Euromed Fès Business School, Université Euro-Méditerranéenne de Fès - UEMFMohamed Ikram Nasr, Professeur Assistant en Comportement Organisationnel, EM Lyon Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1121712019-02-25T21:03:43Z2019-02-25T21:03:43ZLa culture matérielle des « gilets jaunes », une lecture anthropologique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/259982/original/file-20190220-148509-z6xxnp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=11%2C4%2C986%2C661&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'analyse de l'évolution de la classe moyenne au niveau mondial peut aider à mieux comprendre le mouvement des « gilets jaunes » en France. </span> <span class="attribution"><span class="source">Mathis Boussuge / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Toutes les analyses dans les journaux, la radio et la télévision l’ont bien montré, le mouvement des « gilets jaunes » est socialement et politiquement <a href="https://www.bfmtv.com/societe/gilets-jaunes-une-grogne-eparse-heterogene-et-disparate-selon-les-services-de-renseignement-1571566.html">hétérogène</a>. Et pourtant le mouvement a été soutenu pendant longtemps par près de <a href="https://www.nouvelobs.com/politique/20181219.OBS7415/70-des-francais-approuvent-toujours-les-gilets-jaunes.html">70 % des Français</a>. L’enquête anthropologique, qui repose sur une l’accumulation d’observations qualitatives plutôt que sur une méthodologie déductive, montre que, derrière l’hétérogénéité sociale, la culture matérielle fait apparaître une communauté de pratiques et de problèmes à résoudre propres à la classe moyenne la moins favorisée en France et dans le monde.</p>
<p>L’analyse présentée ici s’appuie à la fois sur des observations qui ont été faites dans les livings, les cuisines, les salles de bains ou les jardins, en France, en Chine, au Brésil ou aux États-Unis, depuis 1990, et sur les reportages audio et visuels présentés depuis novembre 2018. Dès 2011, avec la montée des dépenses contraintes, on pouvait observer ce que j’ai appelé <a href="http://www.argonautes.fr/2011-04-d-desjeux-classe-moyenne-mondiale-le-chasse-croise/">« le chassé-croisé des classes moyennes mondiales »</a> dont les « gilets jaunes » en sont, pour une part, la résultante.</p>
<h2>La peur de la panne</h2>
<p>Le mouvement des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/gilets-jaunes-62467">« gilets jaunes »</a> tient son unité symbolique à un objet matériel, le gilet obligatoire de sécurité jaune fluo dont le prix peut varier de 3 à 7 euros. Sa symbolique est simple et forte : comment être mieux vue quand on est avec sa voiture sur le bas-côté de la route suite à un accident ou à une panne.</p>
<p>La peur de la panne et la crainte d’un accident de la vie, comme le chômage ou une séparation conjugale, sont au cœur des inquiétudes de la vie de la classe moyenne à revenu tendu et irrégulier, dont les « gilets jaunes » dans leur diversité en sont l’expression. La panne menace la plupart des budgets familiaux dont l’équilibre tient bien souvent à l’existence d’un ou plusieurs crédits. Les pannes les plus critiques portent sur quatre objets : celle de la machine à laver qui conditionne l’organisation de la vie domestique, celle du réfrigérateur qui contribue à la gestion des courses alimentaires, celle de la chaudière, au fioul, au gaz ou au bois, qui permet de se chauffer et d’avoir de l’eau chaude et celle de la voiture sans laquelle certains ne pourraient pas aller au travail, conduire les enfants à l’école et à leur activité de loisir, faire les courses et remplir le caddie.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/259955/original/file-20190220-148520-bbqvhy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/259955/original/file-20190220-148520-bbqvhy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/259955/original/file-20190220-148520-bbqvhy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/259955/original/file-20190220-148520-bbqvhy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/259955/original/file-20190220-148520-bbqvhy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/259955/original/file-20190220-148520-bbqvhy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/259955/original/file-20190220-148520-bbqvhy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La voiture fait partie des objets dont la panne est la plus redoutée par les ménages.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Patat/Shutterstock</span></span>
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<p>Toutes ces incertitudes qui se traduisent par des dépenses imprévues constituent comme un fonds commun à l’hétérogénéité politique et sociale des « gilets jaunes » et des Français qui se reconnaissent dans le mouvement, au moins entre novembre et décembre 2018. Consommation, vie quotidienne et image positive de soi sont en permanence menacée par les <a href="https://theconversation.com/la-dependance-energetique-source-dinegalites-entre-les-menages-francais-108212">coûts de l’énergie</a> (essence, gasoil, gaz, électricité) dont dépendent le chauffage, l’eau chaude, la voiture, l’entretien du jardin, les pratiques de bricolage et les technologies de la communication. </p>
<p>Selon l’<a href="https://www.credoc.fr/download/pdf/4p/219.pdf">Insee</a>, les coûts alimentaires qui, bien qu’ils aient baissé en moyenne dans le budget des ménages de 27 % en 1960 à 15 % aujourd’hui, pèsent beaucoup plus fort sur les revenus les plus bas. À l’inverse, les coûts du logement dans la part du budget sont passés de 8 % à 20 % en 50 ans, et peuvent atteindre 50 % pour les ménages aux revenus les plus bas. La communication digitale représentait moins de 1 % du budget en 1960, puisqu’elle était presque inexistante en dehors de la télévision et du téléphone fixe. Elle atteint 8 % en moyenne aujourd’hui et monte 17 % pour les budgets des plus pauvres, avec l’ordinateur, le téléphone mobile, les tablettes, la télévision et les consoles de jeux.</p>
<p>Quand une dépense de consommation de la classe moyenne à bas revenu dépasse la moyenne de celle de la population, elle est l’indicateur que l’on a à faire à une dépense contrainte socialement, ce qui est un peu plus large que le terme de dépenses préengagées des économistes qui ne tiennent pas compte de la pression des enfants, de l’importance des réseaux numériques ou du sentiment de rejet social quand certains ont l’impression de ne pas pouvoir tenir leur rang dans le mouvement général de la consommation.</p>
<h2>Changement des modes de vie</h2>
<p>Cette pression est très visible dans le living, la pièce à vivre, qui dans les années 1960 soit n’existait pas, soit représentait une pièce plus formelle, le « salon ». C’est le lieu qui depuis les années 2000 concentre une grande partie des écrans utilisés par la famille de la télévision aux jeux vidéo. On y trouve le « salon complet », avec le canapé, la bibliothèque et le meuble pour la télévision, achetés à crédit. Un insert à bois y a souvent été installé pour économiser l’énergie. Pour les familles monoparentales, le living, la cuisine, la salle de bain et la chambre à coucher peuvent ne faire qu’une seule pièce.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/259961/original/file-20190220-148533-1nl0q9q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/259961/original/file-20190220-148533-1nl0q9q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/259961/original/file-20190220-148533-1nl0q9q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/259961/original/file-20190220-148533-1nl0q9q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/259961/original/file-20190220-148533-1nl0q9q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/259961/original/file-20190220-148533-1nl0q9q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/259961/original/file-20190220-148533-1nl0q9q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Depuis les années 2000, le salon concentre une grande partie des écrans utilisés par la famille.</span>
<span class="attribution"><span class="source">ThomasDeco/Shutterstock</span></span>
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<p>Depuis 2000, la dynamique générale consumériste qui avait démarré dans les années 1920 aux États-Unis et 1950 en Europe de l’Ouest, s’est déplacée de l’Ouest vers l’Est, avec la montée d’une nouvelle classe moyenne mondiale qui représente près de 2 milliards de personnes aujourd’hui et 5 milliards dans une trentaine d’années. Elle se trouve principalement en Asie et en Asie du Sud-Est, avec la Chine, l’Inde et l’Indonésie, mais aussi ailleurs avec le Brésil, le Mexique, la Russie, l’Afrique du Sud, l’Éthiopie, la Turquie ou Israël. Entre 2000 et 2008, les cours du soja <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2008/05/BAILLARD/15864">ont explosé</a> parce que la classe moyenne chinoise s’est mise à manger de la viande, ce qui a pesé directement sur les coûts de production du porc en France. Les changements de la consommation et des modes de vie déterminent maintenant les changements de société, de la production à la distribution, aux usages des biens et services et à leurs effets sur la pollution, le réchauffement climatique et les risques de guerre.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-metamorphoses-du-consommateur-producteur-distributeur-72162">Les métamorphoses du consommateur-producteur-distributeur</a>
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<p>Le renversement du champ de force au sein de la mondialisation, plus que sa nouveauté, puisqu’elle a existé depuis les débuts de l’humanité, donne un des sens possibles de la revendication des « gilets jaunes » qui se demandent ce qu’ils deviennent dans cet immense maelstrom incontrôlable et avec une mobilité de plus en plus limitée et chère.</p>
<h2>Les grandes contradictions</h2>
<p>On comprend cette hésitation quand on est conscient que le nouveau contrat social doit prendre en compte quatre grandes contradictions qui paraissent insolubles : celle de l’augmentation du pouvoir d’achat et en même temps celle d’une consommation plus économe, celle d’un soutien aux entreprises pour qu’elles produisent plus de valeur tout en mobilisant moins de matières premières et d’énergie fossiles, celle d’une diminution de la pression fiscale et des dépenses de l’État tout en améliorant la qualité des services administratifs, celle d’une plus grande autonomie locale sans que cela conduise à plus de dépenses de l’État ou à plus de dérogations sur les permis de construire qui concourent à l’ampleur des catastrophes dites naturelles ou la limitation de la vitesse sur les routes mortellement dangereuses.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1097638678724296712"}"></div></p>
<p>Paradoxalement la solution à tous ces problèmes ne tient pas tant d’un « manque de démocratie », quand on voit le nombre de réunions municipales, d’associations, d’États généraux ou de conférences de citoyens qui se sont tenues à travers la France depuis plusieurs dizaines d’années. La solution ne vient pas non plus de son corollaire, le « mépris des élites », mais plutôt d’un manque de méthode, celle qui permettrait d’augmenter les capacités de négociation entre les acteurs pour les amener à construire des compromis acceptables, comme cela se fait dans les pays scandinaves ou en Allemagne. L’urgence écologique, la concurrence internationale et la menace populiste autoritaire peuvent amener les Français à accélérer ce processus d’apprentissage qui autrement demande au moins une génération.</p>
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<p><em>Dominique Desjeux est l’auteur du livre « L’empreinte anthropologique du monde. Méthode inductive illustrée » sur la montée de la classe moyenne mondiale publié aux Éditions Peter Lang (2018).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/112171/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dominique Desjeux a reçu des financements d'enquêtes de terrain pour Pernod Ricard, Danone, L’Oréal, Chanel, EDF, Bouygues Telecom, La FDJ, l'ADEME, Lego et de nombreuses autres entreprises, ONG et administrations pour des enquêtes en Chine, à Singapour, à Taïwan, au Brésil, aux États-Unis, en France, en Grande Bretagne, en Espagne, au Danemark et en Afrique</span></em></p>L’approche anthropologique permet de révéler des pratiques et des problématiques communes dans un mouvement particulièrement hétérogène.Dominique Desjeux, Professeur émérite en anthropologie, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1084762018-12-10T14:01:59Z2018-12-10T14:01:59ZLes « gilets jaunes », des catégories populaires en quête d’autonomie<p>À force d’être laissés au bord de la route, les « gilets jaunes » ont fini par l’occuper ! Malgré une large sympathie dans la population dans son ensemble, le mouvement repose principalement sur une mobilisation des catégories populaires. Dans le dernier sondage de l’<a href="https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2018/12/115209-Rapport-CN-SR-50B.pdf">IFOP pour Cnews et Sud Radio</a>, si 40 % des Français déclarent soutenir le mouvement, c’est le cas de 53 % des employés et 56 % des ouvriers. Et si les retraités dans leur ensemble ne sont que 31 %, on trouverait sans doute d’assez fortes variations entre ceux qui étaient dans le monde populaire et les autres. Et il est frappant de voir dans les reportages sur les barrages beaucoup d’ouvriers ou d’aides-soignantes, par exemple. Qu’est-ce donc qui pousse ces catégories à cette colère ?</p>
<h2>Du « cri muet » à la colère jaune</h2>
<p>Au-delà des arguments bien réels sur le pouvoir d’achat, on peut se risquer à une hypothèse spécifique sur le rapport de ces catégories à la démocratie représentative. Ils contestent notre système qui leur demande de voter mais qui ne se traduit plus par une amélioration de leurs conditions de vie. Et leur défiance à l’égard du Président et du gouvernement ne date pas d’hier. Elle était déjà présente en octobre dans un sondage pour <em>Ouest-France</em> : employés et ouvriers se distinguaient notablement de la tendance globale en considérant que l’<a href="https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2018/10/115896-Rapport.pdf">exécutif avait trop de pouvoir</a> (respectivement 60 % et 56 % contre 47 % en moyenne). Dès les élections de 2017, on sait que les employés, ouvriers et autres personnes sans activité (hors retraités) avaient été ceux qui avaient le moins <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/fichier/version-html/3138704/ip1670.pdf">voté de façon systématique à la présidentielle et aux législatives</a> (respectivement 30 % et 26 % contre 35,5 % dans la population globale.</p>
<p>L’insatisfaction de ces catégories populaires à l’égard du monde politique s’exprime donc depuis longtemps sous la forme d’une contestation et d’un retrait. Elle n’est pas prise en compte par le personnel politique. Depuis le 21 avril 2002 ou le référendum de 2005, les institutions n’ont pas notablement changé et les sources d’insatisfaction n’ont pas disparu. Du « cri muet » dans les urnes (comme le suggérait Jean‑Claude Kaufmann dans <a href="https://www.leslibraires.fr/livre/1802605-l-invention-de-soi-une-theorie-de-l-identite-jean-claude-kaufmann-fayard-pluriel">L’invention de soi</a>), les catégories populaires sont passées à la colère jaune.</p>
<p>Et leur <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2018/12/07/ni-porte-parole-ni-leaders-portraits-des-huit-visages-des-gilets-jaunes_5393792_3224.html">revendication de changements dans nos institutions</a> remonte à la racine du mal en posant la question de leur représentation dans le cadre actuel. Au sein de l’hémicycle actuel, les <a href="http://www.assemblee-nationale.fr/11/tribun/csp1.asp">députés qui étaient employés et ouvriers</a> ne sont que 10 sur 577 (1,7 %) – soit plus de trois fois moins que les seuls médecins (31). On est bien loin du poids de ces catégories dans la population française : en 2015, <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/fichier/2492226/FPORSOC16k2_F3.2_emlpoi.pdf">48 % des personnes en emploi étaient employés ou ouvriers</a>.</p>
<p>La précarisation et l’intensification du travail ne les ont pas épargnés. Les députés ont voté ces lois et les syndicats n’ont pas empêché de les voir s’imposer. La réduction des coûts et la compétitivité de l’économie sont aussi le produit de leurs efforts. Ces politiques dont ils ont été les jouets ne leur permettent plus d’accéder à la promesse de la deuxième modernité.</p>
<h2>Vers une autonomie concrète</h2>
<p><a href="https://www.leslibraires.fr/livre/8044145-l-individualisme-est-un-humanisme-singly-francois-de-editions-de-l-aube">La première modernité avait conduit à un individualisme abstrait</a> ou générique dans lequel les individus étaient reconnus en tant que porteurs de droits et rassemblés par la référence à l’universalité de la science, de l’éducation, de la justice ou de la santé.</p>
<p>À partir des années 1960, cette vision de la modernité est progressivement remise en question parce qu’elle ne prend pas en compte la singularité des personnes. Les femmes et les jeunes ont particulièrement porté cette revendication, car ils pâtissaient plus que les hommes adultes d’un monde dans lequel ils restaient objectivement sous tutelle bien que citoyens. Les femmes n’étaient pas les égales de leur mari dans leur accès à l’indépendance économique ou dans l’éducation des enfants. Les jeunes restaient sous la tutelle de leurs parents, y compris à travers une majorité à 21 ans. Après le droit de vote acquis par les premières en 1944, les seconds accèdent à la parole par la décision de Giscard d’avancer l’âge à la majorité à 18 ans.</p>
<p>Plus largement, leur situation s’est améliorée par une prise en compte de leur aspiration propre. L’individualisme ne pouvait plus rester abstrait, il est devenu concret. Les femmes et les jeunes ont ainsi acquis un poids plus large dans notre société, même s’il reste encore beaucoup d’inégalités. Et d’ailleurs, la présence importante des femmes (y compris mères célibataires) dans le mouvement des gilets jaunes peut être vue comme une continuation des revendications d’affranchissement des femmes par rapport à une tutelle masculine.</p>
<p>Les catégories populaires prennent le chemin de cette revendication d’une reconnaissance non seulement de l’autonomie abstraite de l’individu mais des conditions qui la rendent possible. Cela signifie qu’elles veulent pouvoir résider où elles le veulent et se déplacer sans se ruiner, mais également disposer de pouvoir d’achat pour pouvoir faire des choix à travers lesquels se construire. Voter c’est bien, mais vivre c’est mieux… L’opposition souvent entendue entre « vivre » et « survivre » désigne ce souhait de ne pas être enfermé dans les dépenses contraintes, de disposer de moyens pour exercer le principe de l’autonomie personnelle. À quoi bon être autorisé à être soi-même si on ne dispose pas des moyens minimaux pour se le permettre ?</p>
<h2>Réformer la démocratie</h2>
<p>Si l’analyse en termes de fractures sociales profondes dans notre société n’est pas dénuée de fondement, elle ne doit pas négliger ce qui rassemble les catégories populaires de l’ensemble de notre société : il ne s’agit pas de détruire l’ordre social mais d’accéder aux moyens de l’exercice de l’autonomie personnelle. A-t-on déjà vu une révolution qui se mène le samedi et se suspend les autres jours ? Il n’est pas davantage question de sécession et la Marseillaise, qui souvent retentit, atteste de cette adhésion à la République.</p>
<p>En revanche, il faut prendre acte de l’incapacité persistante de notre système politique actuel à répondre à cette aspiration dont la légitimité ne peut pas être contestée par ceux qui font l’expérience de la vie autonome à travers un pouvoir d’achat leur permettant voyages (d’où l’injustice perçue de l’absence de taxation du kérozen), loisirs (les sorties au cinéma et au restaurant sont souvent citées) et confiance dans l’avenir.</p>
<p>La réponse à la crise actuelle ne peut pas venir de la seule figure personnelle de notre Président. <a href="https://theconversation.com/gilets-jaunes-contre-emmanuel-macron-aux-racines-de-lincommunication-108048">La rudesse de certains de ses propos à l’égard des catégories populaires</a> a ajouté du mépris aux difficultés objectives dans lesquelles elles se trouvent. Le remplacement d’Édouard Philippe ne résoudrait en rien la crise.</p>
<p>Dès lors, la seule sortie possible est sans doute de prendre une initiative constitutionnelle forte. Il faut imaginer des modalités d’expression directe du point de vue des catégories populaires de façon à les réintroduire dans la citoyenneté réelle. C’est une fois cela acquis qu’il faudra reprendre le dialogue et discuter de façon contradictoire sur les enjeux communs autour de l’écologie et de l’économie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/108476/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claude Poissenot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Malgré une large sympathie dans la population, le mouvement repose principalement sur une mobilisation des catégories populaires. Qu’est-ce qui pousse ces catégories à cette colère ?Claude Poissenot, Enseignant-chercheur à l'IUT Nancy-Charlemagne et au Centre de REcherches sur les Médiations (CREM), Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1082342018-12-06T23:50:04Z2018-12-06T23:50:04ZManagers intermédiaires et « gilets jaunes », une seule et même lutte ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/248846/original/file-20181204-34125-1eokdv9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=103%2C0%2C817%2C634&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les managers de proximité souffriraient des ordres venus de supérieurs déconnectés des réalités de leur travail.</span> <span class="attribution"><span class="source">Halfpoint / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Depuis plusieurs semaines le mouvement des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/gilets-jaunes-62467">« gilets jaunes »</a> interroge les politiques comme les journalistes. De très nombreux articles et émissions commentent et cherchent à comprendre l’origine, les causes et les conséquences de ce mouvement. Ce mouvement, né d’une réaction à la montée des taxes sur le carburant apparaît de plus en plus comme le symbole d’une crise majeure marquant la fin d’une époque et l’entrée dans un nouveau monde non compris par ceux qui nous dirigent.</p>
<p>Une des particularités de ce mouvement est qu’il n’est pas porté par une frange spécifique de la population, comme la crise des banlieues en 2005 ou même le mouvement étudiant et ouvrier de 1968. Ce mouvement rassemble des acteurs venant de <a href="https://theconversation.com/conversation-avec-herve-le-bras-le-mouvement-des-gilets-jaunes-repose-sur-deux-clienteles-differentes-107851">groupes sociaux différents</a> et réunis autour de ce qui communément appelée la classe moyenne. Ce terme, dont on ne sait pas véritablement définir les contours, est employé pour classer des individus qui se vivent comme ni vraiment riches, ni vraiment pauvres et jouent finalement les intermédiaires entre deux mondes quant à eux clairement identifiés.</p>
<h2>Les managers intermédiaires, un groupe hétérogène</h2>
<p>En bonne chercheuse en management que je suis, cette particularité m’amène à faire le rapprochement avec un mouvement moins visible, mais tout aussi profond qui touche cette frange du milieu de l’entreprise que sont les managers de proximité. Groupe tout aussi hétérogène que la classe moyenne dans la société civile, ces managers sont eux aussi des intermédiaires pris entre les collaborateurs à qui ils donnent des directives et des top managers dont ils doivent mettre en œuvre les directives.</p>
<p>Alors que la critique de la politique de l’entreprise émanait jusqu’à présent plutôt des salariés, aujourd’hui, ces managers de proximité et tout particulièrement ceux qui gèrent des cadres « autonomes » se rebellent aussi. Un fort mouvement de contestation contre ceux qui les dirigent est perceptible au sein de cette population. Comprendre cette contestation et les pistes envisagées pour y répondre pourrait peut-être contribuer à renouveler la réflexion sur les réponses à apporter au mouvement des gilets jaunes.</p>
<h2>Sentiment d’inutilité</h2>
<p>Selon une étude OpinionWay pour la Maison du Management parue en 2018, 41 % des managers estiment aujourd’hui que leur <a href="https://www.opinion-way.com/fr/component/edocman/opinionway-pour-le-salon-du-management-etre-manager-fait-il-toujours-rever-novembre-2018/viewdocument.html?Itemid=0">fonction est inutile</a> dans le monde du travail actuel. Une étude plus qualitative que nous avons menée entre 2013 et 2018 au sein du <a href="http://www.anvie.fr/club-digitalisation-2019">Club Digitalisation et Organisation de l’Anvie</a> (Association nationale de valorisation interdisciplinaire de la recherche en sciences humaines et sociales auprès des entreprises) auprès de managers de grandes entreprises françaises souligne que, si la fonction est perçue comme inutile, c’est parce que sa mise en œuvre est <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-La_transformation_digitale_des_entreprises-9782348036019.html">vécue comme impossible</a> dans les organisations actuelles.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/249228/original/file-20181206-128193-2vmhms.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/249228/original/file-20181206-128193-2vmhms.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=958&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/249228/original/file-20181206-128193-2vmhms.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=958&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/249228/original/file-20181206-128193-2vmhms.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=958&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/249228/original/file-20181206-128193-2vmhms.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1204&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/249228/original/file-20181206-128193-2vmhms.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1204&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/249228/original/file-20181206-128193-2vmhms.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1204&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p>Les managers de proximité font un constat tout simple : l’encadrement du travail des collaborateurs se fonde sur le <em>Command & Control</em>, c’est-à-dire la planification et le contrôle des tâches, qu’ils jugent totalement contreproductif et inefficace au regard de l’évolution des pratiques de travail (polyvalence, adaptation, etc.) et du niveau de qualification des équipes (niveau de formation plus élevé, autonomie, etc.). Or, c’est ce mode de management fondé sur le <em>reporting</em>, le contrôle et la structuration stricte des processus qui est affirmé comme légitime par leurs supérieurs, le top management, et qu’ils doivent appliquer à leur équipe. D’où l’impression chez ces managers de proximité d’une déconnexion forte des dirigeants avec la réalité de la pratique de travail et le sentiment que leur fonction est intenable.</p>
<h2>Une contestation en forme de désengagement</h2>
<p>Aussi, pour ces managers la tension entre les modalités d’encadrement qu’ils mettent aujourd’hui en œuvre dans leurs équipes et les contraintes exercées par leurs propres hiérarchies structurées autour du <em>Command and Control</em> est insupportable. Un fort mouvement de contestation est perceptible au sein de cette population, soit de façon affirmée et découverte au regard de l’entreprise (mouvement des <a href="https://television.telerama.fr/tele/programmes-tv/hackers-makers,103450477.php">Hackers-Makers</a>), soit de façon sourde avec le développement du <em>slashing</em> (cumul de plusieurs emplois) et le désengagement progressif de ces acteurs de l’activité. De nombreux ouvrages se font l’écho de cette frustration voire colère et sont aujourd’hui de véritables best-sellers (voir le succès de « Bullshit Jobs » de David Graeber ou de « La comédie inhumaine » de Nicolas Bouzou et Julia de Funès par exemple). Ce mouvement infuse imperceptiblement : toujours selon la même étude OpinionWay, 62 % des salariés aujourd’hui ne cherchent pas à devenir managers.</p>
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<p>Face à cette situation, comment réagir quand on est dirigeant d’entreprise ? Deux voies sont possibles. La première est la position autoritaire. Cette position repose sur deux piliers : premièrement, la réaffirmation de la pertinence du management fondée sur le <em>Command and Control</em> avec un renforcement des procédures centralisatrices et un rappel à l’ordre des managers de proximité sur leurs rôles. Deuxièmement, l’endoctrinement autour d’opérations de séduction fondées sur le Marketing RH en proposant aux managers de proximité de nouveaux espaces de travail superbes centrés sur la convivialité, la flexibilité, le jeu, etc.</p>
<h2>Remobiliser autour d’un projet commun</h2>
<p>Cette position autoritaire est difficilement tenable sur le long terme, d’une part parce que les salariés ne sont pas des idiots et qu’ils savent décrypter une bonne partie des techniques marketing mises en œuvre, d’autre part parce que l’entreprise, en renforçant le contrôle, fait fuir tous les « bons » managers de proximité qui savent mobiliser les salariés. Cette fuite impacte inévitablement ce potentiel d’innovation dont l’entreprise a cruellement besoin pour continuer à exister sur les marchés.</p>
<p>La seconde voie est plus risquée, mais probablement plus rentable sur le long terme : il s’agit de revenir aux fondements du projet d’entreprendre qui porte l’entreprise. C’est cette seconde voie qui est prônée en particulier par les travaux du <a href="https://www.collegedesbernardins.fr/recherche/economie-et-entreprise">Collège des Bernardins</a> sur la refondation de l’entreprise. Comme l’évoque Blanche Ségeste, professeur à l’école Mines-ParisTech, « l’entreprise n’est pas seulement un lieu de production, une entité commerciale, c’est un dispositif de création collective. Elle naît de la volonté de <a href="http://www.te.mines-paristech.fr/wp-content/uploads/2018/07/AFCI-Cahiers-Entretien-Blanche-Segrestin.pdf">construire un futur souhaitable</a>. Il ne s’agit donc pas d’administrer la société, mais de penser un nouvel usage des ressources ». En somme, il s’agit de refonder l’autorité du management non pas sur les procédures et l’institution elle-même mais autour du projet qui a conduit un collectif d’acteurs à travailler ensemble pour atteindre un but commun.</p>
<p>Face à cet autre mouvement du « milieu » qu’est celui des gilets jaunes cette seconde voie ne pourrait-elle être une source d’inspiration pour ceux qui dirigent la nation ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/108234/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Aurélie Dudézert est responsable du Club Digitalisation et Organisation de l'ANVIE</span></em></p>Les protestations des « gilets jaunes » présentent des ressemblances troublantes avec les contestations des managers intermédiaires en entreprise.Aurélie Dudézert, Professeur des Universités en Sciences de Gestion, Laboratoire RITM, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1082132018-12-04T20:55:56Z2018-12-04T20:55:56ZLes « gilets jaunes », qu’est-ce que c’est ?<p>Souvent, les catégories des sciences sociales et celles de la vie quotidienne, de la politique et des médias reposent sur le même vocabulaire, ce qui est source de confusion. Il en est ainsi de l’expression « mouvement social », qui renvoie aussi bien à une conceptualisation sociologique ou de science politique qu’à des usages courants, ordinaires, quand une partie de la société se mobilise, qu’une lutte sociale fait l’actualité et par exemple qu’une grève paralyse la SNCF ou la RATP.</p>
<p>Et, pour compliquer le problème, les concepts, les définitions varient d’une école sociologique à une autre. De de ce point de vue, il faut être reconnaissant à The Conversation d’accueillir des articles qui témoignent de la vitalité des sciences sociales dès qu’il s’agit d’une mobilisation aussi importante que celle des gilets jaunes, tout en faisant apparaître la diversité des orientations théoriques des chercheurs.</p>
<p>Autant dire que si l’on veut qualifier l’action des « gilets jaunes » de « mouvement social », il est souhaitable d’indiquer ce que l’on entend en recourant à ce qualificatif. Ainsi, <a href="https://theconversation.com/gilets-jaunes-macron-pris-au-piege-dun-mouvement-social-deliberement-desorganise-108119">Thomas Roulet et Bertrand Valiorgue, dans leur article du 3 décembre</a>, se réclament d’un courant fréquemment qualifié de « la mobilisation des ressources », et dont la plus haute figure fut l’historien Charles Tilly. Dans cette perspective, un mouvement social est un mécontentement mobilisant des ressources pour parvenir à des fins qui éventuellement incluent son institutionnalisation.</p>
<p>Différemment, pour le courant auquel j’appartiens, avec pour chef de file depuis une soixantaine d’années Alain Touraine, un « mouvement social » est la signification la plus élevée d’une action contestataire mettant en cause face à un adversaire social les orientations générales de la vie collective et présentant deux faces, l’une tendue vers un projet, l’autre défensive. On notera, au passage, que dans les deux cas – Tilly et Touraine –, la figure paradigmatique du mouvement social est donnée par le mouvement ouvrier.</p>
<p>La mobilisation actuelle des « gilets jaunes » comporte-t-elle, parmi d’autres, la signification singulière de « mouvement social », au sens auquel je me réfère ? De façon certainement réelle, mais aussi limitée.</p>
<h2>Les deux faces des gilets jaunes</h2>
<p><a href="https://theconversation.com/les-gilets-jaunes-quand-la-france-se-cabre-107581">Lorsqu’ils demandent du respect, la fin du mépris ou de l’arrogance de la part du pouvoir</a>, lorsqu’ils se disent citoyens, qu’ils veulent être entendus et écoutés au sommet de l’État pour faire connaître leurs souffrances et leurs difficultés, et qu’ils plaident pour une démocratie renouvelée, étendue, on peut admettre que les gilets jaunes s’inscrivent dans la logique d’un « mouvement social » tel que je l’entends.</p>
<p>Lorsqu’ils dénoncent la précarité, les revenus insuffisants pour une vie digne, qu’ils demandent à ne pas être les laissés-pour-compte du changement et des réformes, ils incarnent à haut niveau, là encore, la face défensive du mouvement, et beaucoup moins celle d’un acteur capable de se tendre vers une utopie ou un contre-projet de société. D’autres revendications n’atteignent pas ce stade de la mise en cause des orientations générales de la vie collective, et sont d’envergure plus limitée, par exemple lorsqu’est demandée l’annulation d’une mesure fiscale.</p>
<p>Il arrive, comme dans toute mobilisation d’ampleur, qu’à partir de là, des dérapages s’observent, par exemple racistes ou xénophobes. On notera simplement ici que le cœur des revendications est bien social, et n’a rien à voir avec les questions de l’islam, de la laïcité, de l’immigration ou de l’ethnicité. La question de la violence, par contre, mérite qu’on s’y arrête.</p>
<h2>Violence et mouvement social</h2>
<p>De façon générale, et c’est le <a href="https://blogs.mediapart.fr/pascalboniface/blog/050218/face-au-mal-3-questions-michel-wieviorka">thème principal de mon dernier livre</a>, la violence est le contraire du mouvement social, en tous cas au sens indiqué plus haut. Elle surgit quand celui-ci ne parvient pas ou plus à exister et à se transcrire en action concrète, et transforme en rupture ce qui dans un conflit est de l’ordre de la relation, du débat et, éventuellement, de la négociation.</p>
<p>Le conflit met aux prises des adversaires, là où la violence oppose des ennemis. Mais cette dernière peut aussi être un élément du mouvement social, une composante à la fois stratégique et expressive. C’est même ainsi qu’il faut comprendre, à certains égards, les violences des samedi 24 novembre et 1<sup>er</sup> décembre derniers à Paris – sans oublier qu’il y en a eu aussi dans quelques autres villes de France.</p>
<p>Si l’on considère le <a href="https://theconversation.com/deux-ou-trois-choses-dont-je-suis-presque-certain-a-propos-des-gilets-jaunes-108183">profil des personnes interpellées et transmises à la justice</a>, les violences parisiennes ont été le fait d’ultra (de gauche et de droite), de purs casseurs voire pilleurs venus souvent de la périphérie, et de gilets jaunes enragés, peut-être montés à Paris pour en découdre éventuellement avec les forces de l’ordre, peut-être portés par le climat insurrectionnel dans lequel ils étaient immergés. Ce qui déjà oblige à corriger l’image simpliste qui ressortait des premiers commentaires, le 24 novembre, pour lesquels il fallait distinguer entre les « casseurs », politisés ou non, et le mouvement à la base, très éloigné de la violence. Mais il y a plus.</p>
<p>Pour être visibles et audibles, et attirer l’attention des médias, les gilets jaunes sont déjà venus à deux reprises à Paris, et ont tenté de manifester au plus près des lieux symboliques du pouvoir. La réussite, de ce point de vue, a été dans l’impact médiatique dû aux affrontements avec les forces de l’ordre et non pas tant à une présence massive de « gilets jaunes », en fait peu nombreux.</p>
<p>La violence est à la fois nécessaire, ou utile, pour occuper le devant de la scène, et inacceptable pour nombre de gilets jaunes. Il y a là une ambivalence du mouvement, qui est sous tension entre l’importance que revêtait leur présence à Paris et la violence inéluctable qui en a découlé jusqu’ici. Il faut distinguer analytiquement, même si elles ont frayé ensemble, la violence qui constitue l’extrémité enragée du mouvement, et celle qui, en dehors, en est le contraire, une sorte alors d’anti-mouvement. Et il faut en même temps considérer la totalité de la violence dans sa relation fonctionnelle, voire légitimante avec un mouvement social qui est par essence, en lui-même, non ou peu violent.</p>
<h2>Mouvement social et force politique</h2>
<p>Un mouvement social n’est pas une force politique, mais ses acteurs se posent la question du traitement politique de ses demandes. Certains, en son sein, peuvent vouloir se transformer en parti, un peu comme Podemos a jailli des « Indignados » du 15-M en Espagne. D’autres considèrent que l’action politique peut être portée par un parti qui l’exprime, comme dans la social-démocratie au bon temps de la splendeur du mouvement ouvrier, ou qui le dirige sur un mode léniniste.</p>
<p>Les gilets jaunes sont loin, aujourd’hui, de pouvoir donner naissance à une force politique qui leur serait propre, et ne se reconnaissent dans aucun parti, même si le Rassemblement national et la France insoumise s’efforcent, plus encore que la droite classique, de capitaliser leur mobilisation. Leurs revendications initiales, limitées <a href="https://theconversation.com/les-etroites-marges-de-manoeuvre-pour-attenuer-le-ras-le-bol-fiscal-108189">pour l’essentiel à des mesures fiscales</a>, n’ont pas été immédiatement entendues par le pouvoir, et leurs demandes se sont complexifiées et diversifiées.</p>
<p>Mais il n’existe pas de force sociale ou politique capable d’en assurer le traitement institutionnel. Dès lors, elles s’agglutinent dans une confusion que des propositions politiques de changement global tentent de ramener à une formulation unique.</p>
<h2>Référendum, dissolution, autoritarisme et VI<sup>e</sup> République</h2>
<p>C’est ainsi que quatre tendances se dessinent, au moins.</p>
<p>La première – transmission en langage politique du discours des acteurs quand ils scandent « Macron démission ! » – consiste à exiger un référendum. Ce qui, dans la tradition française et compte tenu des circonstances, ne peut être qu’un plébiscite à l’envers : la question en serait dictée par les contestataires, et le résultat prévisible en serait la mise en échec du président, avec à la clé son départ.</p>
<p>La deuxième est une mise en forme politique de l’idée « dégagiste » selon laquelle il faut en finir avec les parlementaires en place. Elle passe par la dissolution de l’Assemblée nationale, et ne peut aboutir qu’à une cohabitation, puisque le président reste en place dans une telle hypothèse.</p>
<p>Troisième tendance : l’autoritarisme, qui commence à se faire entendre. Il est alors demandé à la tête du gouvernement un nouveau premier ministre qui ait de la poigne – le nom du Général de Villiers circule dans certains milieux, vraisemblablement à son corps défendant. Parfois encore, quatrième tendance, il redevient question d’un changement institutionnel radical, et le thème de la « VI<sup>e</sup> République » refait alors surface.</p>
<p>Ainsi, <a href="https://theconversation.com/debat-macron-et-les-gilets-jaunes-le-miroir-de-la-desintermediation-107635">faute de niveau intermédiaire</a> dans le système politique et social institutionnel, les demandes du mouvement deviennent des projets politiques au sommet. Elles ne sont susceptibles d’aboutir alors qu’au prix d’un spasme social prolongé et paralysant pour le pays, encouragé par des politiciens désireux non pas de voir ramener rapidement la paix, le dialogue et la négociation que de faire vivre les tensions incarnées par le couple paradoxal gilets jaunes–violence.</p>
<h2>Un acteur défensif et… neuf</h2>
<p>Dans la définition du « mouvement social » qui est la mienne, celui-ci ne se réduit pas à un épisode, une lutte, un moment ; il s’inscrit dans l’épaisseur historique d’un type de société, il en est l’acteur contestataire. Les gilets jaunes, dans la mesure où une de leurs significations est celle du « mouvement social », s’inscrivent bien plus dans le type de société qui se défait que dans celui qui naît – c’est ce que dit fort justement <a href="https://theconversation.com/la-crise-des-gilets-jaunes-revele-lhistoire-dune-france-qui-disparait-107842">Daniel Behar sur ce site</a>.</p>
<p>Les gilets jaunes incarnent, avant tout, le refus de faire les frais de cette transformation, ils sont l’acteur défensif d’un modèle qui a commencé à se décomposer avec la fin des Trente Glorieuses. Mais les mobilisations actuelles sont-elles dans la continuité avec d’autres, plus anciennes, liées au mouvement social de l’ère industrielle classique que nous quittons, le mouvement ouvrier ? Pas vraiment. Les grandes luttes des cinquante dernières années n’ont jamais été portées par les acteurs d’aujourd’hui, et les témoignages abondent de personnes d’un certain âge expliquant qu’il s’agit là pour elles de leur toute première expérience de l’engagement et de la manifestation.</p>
<p>Pourtant, les comparaisons historiques vont bon train, y compris avec 1995. Ce qui n’est pas sérieux, et source de confusion et d’idéologie. Il faut une bonne dose d’incurie intellectuelle <a href="https://www.franceculture.fr/sociologie/racisme-de-classe-ou-conflit-mesquin-face-aux-gilets-jaunes-les-fantomes-de-1995">chez certains</a> pour profiter de la situation présente pour régler on ne sait quels comptes avec des chercheurs s’étant exprimés en 1995 à propos de la mobilisation de l’époque, et suggérer une continuité avec 2018 : les acteurs de 1995 défendaient un modèle social assurant diverses garanties aux salariés et fonctionnaires ; ceux de 2018 demandent des mesures fiscales et sociales au profit de tout autres catégories.</p>
<p>Le mouvement des gilets jaunes est neuf, alors même qu’il exprime la fin d’un monde sans entretenir un quelconque lien avec le syndicalisme ou ce qui reste de la classe ouvrière comme telle. Il est encore plus neuf, et par contre installé alors dans un nouveau monde, si l’on considère ses formes de mobilisation, qui conjuguent le recours aux technologies modernes de communication, et la présence physique en des lieux multiples permettant la couverture de tout le territoire national.</p>
<p>Mais la technologie est une chose, le sens en est une autre : les gilets jaunes ne nous parlent guère de l’entrée dans un nouveau monde où ils auraient une place créatrice, y compris sur un monde contestataire. Tout au plus plaident-ils – on l’a dit – pour un renouveau de la démocratie, et expriment-ils ça et là une réelle sensibilité au thème de l’environnement.</p>
<h2>Gilets jaunes, quel avenir ?</h2>
<p>Un mouvement n’est pas une classe sociale, et encore moins une catégorie ou un ensemble de catégories sociales : les « gilets jaunes » sont socialement diversifiés, et donc indéterminés, les uns modestes, les autres moins, ils comptent en leur sein des femmes, et pas seulement ou principalement des hommes ; des jeunes, et des « seniors ».</p>
<p>Ils ont raison de ne pas vouloir faire les frais d’une longue mutation dont ils ont été les « oubliés » et les <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-La_France_invisible-9782707153746.html">« invisibles »</a>, de demander des mesures sociales en leur faveur, d’exiger, aussi, du respect et de la démocratie. Mais ils ne constituent pas le sel de la terre, et leur mouvement pour l’instant n’invente aucun avenir au-delà de ce qu’exigent des politiques sociales et de dignité.</p>
<p>Il est injuste d’y voir une ébauche de fascisme, à l’italienne, car ils ne sont pas porteurs de revendications qui en donneraient l’image ; il est tout autant erroné d’y voir l’acteur contestataire d’un monde nouveau, car ils n’apportent pas d’appels au renouveau culturel, intellectuel, utopique, créatif – ou fort peu.</p>
<p>Céder à leurs demandes est à la fois nécessaire, voire incontournable, et périlleux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/108213/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Michel Wieviorka dirige avec Jean-Pierre Dozon le Panel international sur la sortie de violence (IPEV), un projet de la Plateforme Violence et sortie de la violence (FMSH). La Carnegie Corporation of New York en est le principal soutien. </span></em></p>Le mouvement des gilets jaunes est neuf, alors même qu’il exprime la fin d’un monde sans entretenir un quelconque lien avec le syndicalisme ou ce qui reste de la classe ouvrière comme telle.Michel Wieviorka, Sociologue, Président de la FMSH, Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1081892018-12-04T14:25:34Z2018-12-04T14:25:34ZLes étroites marges de manœuvre pour atténuer le « ras-le-bol fiscal »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/248701/original/file-20181204-34142-cfxqze.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=287%2C556%2C5523%2C3422&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le haut niveau de taxes en France trouve sa source dans des dépenses publiques supérieures à celles constatées chez nos voisins européens.</span> <span class="attribution"><span class="source">Birdog Vasile-Radu / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>L'annulation de la hausse de la taxe carbone, annoncée le 5 décembre par l'Élysée, suffira-t-il à calmer la colère des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/gilets-jaunes-62467">gilets jaunes</a> ? Rien n’est moins sûr. En effet, le mouvement s’alimente plus généralement d’un « ras-le-bol fiscal » en France. Mais ce sentiment d’exaspération se fonde-t-il sur une réalité ? Et, si oui, quelles pistes pour y remédier alors que les revendications restent pour le moins <a href="https://www.republicain-lorrain.fr/france-monde/2018/11/29/gilets-jaunes-doleances-disparates">disparates</a> ?</p>
<h2>Un niveau de taxes inédit au niveau international</h2>
<p>Comme le montre très clairement le graphique ci-dessous, le taux des prélèvements obligatoires (impôts et cotisations sociales) français est le plus élevé d’Europe. De fait, les gilets jaunes ont raison lorsqu’ils dénoncent le poids excessif des taxes en France.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/248703/original/file-20181204-34157-1o44tph.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/248703/original/file-20181204-34157-1o44tph.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1022&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/248703/original/file-20181204-34157-1o44tph.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1022&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/248703/original/file-20181204-34157-1o44tph.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1022&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/248703/original/file-20181204-34157-1o44tph.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1284&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/248703/original/file-20181204-34157-1o44tph.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1284&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/248703/original/file-20181204-34157-1o44tph.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1284&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p>La raison principale du niveau de taxes excessif trouve logiquement sa source dans des dépenses publiques, elles-mêmes très supérieures à celles constatées chez nos voisins européens.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/248704/original/file-20181204-34134-13dpnay.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/248704/original/file-20181204-34134-13dpnay.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=997&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/248704/original/file-20181204-34134-13dpnay.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=997&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/248704/original/file-20181204-34134-13dpnay.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=997&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/248704/original/file-20181204-34134-13dpnay.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1253&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/248704/original/file-20181204-34134-13dpnay.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1253&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/248704/original/file-20181204-34134-13dpnay.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1253&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p>Si l’on souhaite réduire le poids des taxes en France, il faut donc d’abord réduire le poids des dépenses publiques sur le PIB (la richesse créée par l’économie française). Dès lors, deux options complémentaires s’offrent au gouvernement : soit agir sur le dénominateur, le PIB, pour qu’il augmente plus rapidement que les dépenses ; soit agir sur le numérateur en réduisant ces dépenses publiques.</p>
<h2>La voie de l’accroissement du PIB</h2>
<p>Depuis l’élection du président Emmanuel Macron, le gouvernement privilégie la première option, comme semblent l’indiquer des éléments incantatoires comme la <a href="https://theconversation.com/la-start-up-nation-un-symptome-mais-de-quoi-105599">« start-up nation »</a>, ou plus fondamentaux comme l’<a href="https://www.village-justice.com/articles/reforme-code-travail-assouplissement-notable-procedure-licenciement-majoration,25785.html">assouplissement du droit du travail</a>. Le problème de cette option, c’est que la croissance ne se décrète pas : le gouvernement peut simplement essayer de créer des conditions favorables au dynamisme entrepreneurial.</p>
<p>La croissance dépend également d’éléments exogènes comme la <a href="https://www.un.org/development/desa/dpad/publication/situation-et-perspectives-de-leconomie-mondiale-2018-resume/">conjoncture économique internationale</a>. Par ailleurs, les réformes conduites par le gouvernement ne peuvent produire des résultats que sur le temps long, d’autant plus que l’instabilité traditionnelle des politiques fiscales françaises à la faveur des changements de majorité ou d’orientation en cours de mandat rend les destinataires des réformes <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2016/11/10/l-instabilite-fiscale-un-fleau-de-longue-date-pour-les-entreprises_5028947_3232.html">méfiants et prudents</a>.</p>
<p>Par rapport aux revendications pour le moins diverses des gilets jaunes, des mesures isolées comme l’augmentation du smic, comme le <a href="https://www.francebleu.fr/infos/economie-social/gilets-jaunes-le-medef-envisage-une-baisse-du-smic-et-reclame-un-moratoire-sur-les-augmentations-de-1543907225">propose le Medef</a>, iraient en outre à l’encontre de l’objectif visé d’accroissement de la compétitivité des entreprises françaises et conforteraient les entrepreneurs dans leur méfiance vis-à-vis de l’instabilité des politiques publiques si elle ne sont pas compensées par une baisse des charges. Voilà sans doute pourquoi, pour le moment, le gouvernement ne l’envisage pas.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1067687912559521792"}"></div></p>
<h2>L’équation délicate de la réduction des dépenses publiques</h2>
<p>Sujet pourtant <a href="https://www.challenges.fr/election-presidentielle-2017/depenses-publiques-les-economies-d-emmanuel-macron-et-francois-fillon_459901">phare</a> de la dernière campagne présidentielle, la réduction des dépenses publiques n’a pour l’heure pas été au cœur de l’action du gouvernement, celles-ci <a href="https://www.lci.fr/politique/baisse-des-depenses-une-promesse-de-campagne-d-emmanuel-macron-2105949.html">continuant à progresser</a>.</p>
<p>Si l’on adopte une posture rationnelle, ce sont les postes de dépenses les plus importants qui doivent faire l’objet d’une attention plus marquée. Certes, pour répondre symboliquement à la demande populaire, on pourrait supprimer les nombreux « hauts comités Théodule », ou le Conseil Economique Social et Environnemental (CESE) et ses avatars régionaux dont les rapports ne sont lus par personne. Mais le compte n’y serait pas, comme on peut le constater en étudiant la structure de la dépense publique.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/248705/original/file-20181204-34145-153mctd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/248705/original/file-20181204-34145-153mctd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=462&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/248705/original/file-20181204-34145-153mctd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=462&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/248705/original/file-20181204-34145-153mctd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=462&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/248705/original/file-20181204-34145-153mctd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=581&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/248705/original/file-20181204-34145-153mctd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=581&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/248705/original/file-20181204-34145-153mctd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=581&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<h2>Comment compenser une baisse de la fiscalité ?</h2>
<p>Le premier poste de dépenses publiques concerne de loin les prestations sociales et la santé, c’est-à-dire principalement les retraites, la dépendance, la maternité-famille, la santé, la perte d’emploi, le logement, la pauvreté et l’exclusion sociale. En l’absence de croissance suffisante du PIB pour répondre aux objectifs gouvernementaux, c’est donc là qu’il faudrait aller chercher des économies pour compenser une baisse du niveau de fiscalité.</p>
<p>On se retrouve ici au cœur d’une des contradictions des gilets jaunes qui dénoncent, à juste titre comme on l’a vu, le poids excessif des taxes, mais en même temps se plaignent des <a href="https://www.europe1.fr/societe/smic-sdf-et-taxations-les-revendications-des-gilets-jaunes-sont-elles-realistes-3811325">aides insuffisantes</a> qu’ils reçoivent. En effet, un effort en direction des personnes aux revenus du travail faibles qui payent l’impôt se ferait nécessairement au détriment de la population active sans travail.</p>
<p>Faut-il alors augmenter l’imposition de nos concitoyens les plus aisés ? La solution serait non seulement inefficace économiquement, mais aussi contradictoire avec un appel à une baisse des taxes. Elle pourrait même froisser une frange des gilets jaunes. En effet, pour qu’un impôt soit efficace, il est nécessaire que la base soit <a href="https://www.lecercledesfiscalistes.com/publication/un-bon-impot-a-une-assiette-large-peu-dexceptions-et-des-taux-faibles/165">suffisamment large</a> pour que les ressources générées soit suffisantes. Or, de nombreuses personnes, y compris des gilets jaunes, risquent de constater à leur grande surprise qu’ils ont de hauts revenus ou qu’ils sont « riches ». Rappelons simplement que moins de 50 % des Français payent déjà l’<a href="https://www.latribune.fr/economie/france/qui-paie-l-impot-sur-le-revenu-746211.html">impôt sur le revenu</a> (Un taux par ailleurs en diminution). Toute augmentation des taxes se traduira donc certainement par une augmentation des prélèvements sur les classes moyennes et supérieures, qui sont également les principaux pourvoyeurs de charges sociales.</p>
<p>Il semble donc difficile d’accroître encore la pression fiscale sur ces classes moyennes, d’autant plus que ces dernières ont connu ces récemment une baisse de leur niveau de vie comme l’illustre le tableau ci-dessous. Cette baisse du niveau de vie a bénéficié surtout aux catégories les plus pauvres, tandis que celles qui perçoivent un bas salaire et peu d’aides sociales (la population a priori la plus représentée chez les gilets jaunes) n’en ont que très peu bénéficié.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/248706/original/file-20181204-34122-1n9s10y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/248706/original/file-20181204-34122-1n9s10y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=331&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/248706/original/file-20181204-34122-1n9s10y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=331&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/248706/original/file-20181204-34122-1n9s10y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=331&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/248706/original/file-20181204-34122-1n9s10y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=416&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/248706/original/file-20181204-34122-1n9s10y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=416&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/248706/original/file-20181204-34122-1n9s10y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=416&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p>Une autre solution pour résoudre l’équation budgétaire pourrait être une refonte drastique du système de protection sociale français, avec par exemple un allongement important de l’âge de départ à la retraite, la définition d’un socle forcément restreint des prestations de santé qui sont prises en charge par la solidarité nationale, une remise à plat du maquis de l’ensemble des aides pour s’assurer de leur efficacité pour le retour à l’emploi et de leur équité, etc. Mais cet immense chantier, peu consensuel, ne répondra pas à court terme aux demandes des gilets jaunes et la réelle détresse de certains d’entre eux.</p>
<h2>Face à un mur ?</h2>
<p>Si l’on écarte les dépenses militaires ou liés aux forces de sécurité dans une période marquée par une instabilité géopolitique internationale et le terrorisme, ou d’autres fonctions régaliennes comme la justice, on ne peut donc que constater l’étroitesse des marges de manœuvre.</p>
<p>On pourrait dès lors sombrer dans le pessimisme en se disant que nous sommes face à un mur où à la fois tout le monde a de bonnes raisons de se plaindre et où tout le monde cultive son intérêt personnel (pour ne pas dire son égoïsme) de façon parfois inconséquente (« j’ai travaillé au <em>noir</em> et je n’ai pas suffisamment cotisé pour ma retraite, mais je veux une retraite comme les autres », ou encore « je pars en retraite au Portugal pour ne pas payer d’impôts, mais je veux bénéficier du service public français de santé ») au détriment de l’intérêt général.</p>
<p>On peut aussi conserver l’espoir que l’intérêt général l’emporte sur les intérêts particuliers, en étudiant par exemple le <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2013/01/10/vive-le-modele-suedois_1815026_3232.html">cas de la Suède</a>, qui a réduit drastiquement son taux de prélèvements obligatoires tout en demeurant un des pays au niveau d’équité après redistribution sociale les plus performants.</p>
<p>Si, pour calmer à court terme la vindicte populaire et répondre aux situations légitimes de détresse, le gouvernement décide de mesures à destination des gilets jaunes qui se traduisent par une augmentation des dépenses publiques ou des salaires, il devra de façon urgente et prioritaire s’attacher à réduire les dépenses publiques pour ne pas poursuivre sur la trajectoire mortifère de leur augmentation qui, in fine, <a href="http://www.oecd.org/eco/the-effect-of-the-size-and-mix-of-public-spending-on-growth-and-inequality.htm">pénalise la croissance du PIB</a>, c’est-à-dire de la richesse collective.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/108189/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jérôme Caby ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une baisse de la fiscalité pour répondre aux revendications des gilets jaunes aurait forcément des conséquences budgétaires et sociales que le gouvernement devra traiter à long terme.Jérôme Caby, Professeur des Universités, IAE Paris – Sorbonne Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/931112018-03-27T22:22:37Z2018-03-27T22:22:37ZEn Côte d’Ivoire, qui sont réellement les classes moyennes ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/211599/original/file-20180322-54875-12ad5qo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C0%2C2038%2C1149&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le supermarche Hayat, à Abidjan.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/4/4d/Supermarche_Hayat_2_Plateaux_%2810%29.jpg/2048px-Supermarche_Hayat_2_Plateaux_%2810%29.jpg">Hanay/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p><em>Christian Bouquet (LAM CNRS, Sciences Po Bordeaux), Anne Bekelynck (PAC-CI, ANRS Côte d’Ivoire) et Dominique Darbon (LAM CNRS, Sciences Po Bordeaux) ont participé à la rédaction de cet article.</em></p>
<hr>
<p>Certains auteurs estiment que 80 % des membres de la classe moyenne mondiale vivront en dehors des pays riches en 2030. Or, on attend beaucoup de cette « classe moyenne » pour le développement des pays émergents, notamment parce qu’elle est censée doper la consommation, donc favoriser la croissance, et contribuer à une stabilisation politique sans laquelle l’émergence économique n’est guère possible.</p>
<p>Pour le continent africain, l’engouement autour des classes moyennes est plus récent que pour les autres régions en développement. En 2011, la Banque africaine de développement (BAD) a estimé que près d’un tiers de la population du continent africain <a href="https://www.one.org/fr/blog/un-africain-sur-trois-appartient-a-la-classe-moyenne-selon-la-banque-africaine-de-developpement/">appartenait à la classe moyenne</a>. Les magazines économiques et les cabinets internationaux de marketing lui ont emboîté le pas.</p>
<h2>Mesurer un essor présupposé</h2>
<p>La Côte d’Ivoire n’a pas échappé à ce phénomène. Si la notion de classe moyenne est quasi absente des documents officiels, elle est en revanche très présente dans la presse économique et généraliste. En témoignent les deux récentes études de marché sur la classe moyenne abidjanaise conduite par Ipsos en 2015 et en 2017 <a href="http://www.cfaogroup.com/static/2017/12/08/CFAO-Livre%20blanc%20Les%20classes%20moyennes%20en%20Afrique%20Avril2016.pdf?NuQGUm6wY7DPB3RNc9hU7Q:NuQGUm6wY7DPB3RNc9hU7Q:oc94Es_nXXFuecrTA4pDjw">pour le compte de la CFAO</a> et de Unilever. Les ouvertures récentes de grands centres commerciaux à Abidjan illustrent cet engouement du secteur privé autour de l’essor présupposé des classes moyennes.</p>
<p>C’est sur la base de ces hypothèses que l’AFD (Agence française de développement) a commandé une <a href="http://www.afd.fr/fr/quelles-classes-moyennes-en-afrique">étude sur les classes moyennes</a> dans quatre pays considérés comme émergents et choisis dans des aires géographiques différentes : le Brésil, le Vietnam, la Turquie et la Côte d’Ivoire. Cette étude a été pilotée par une équipe de chercheurs en économie et science politique du GREThA (Université de Bordeaux) et du LAM (Sciences Po Bordeaux).</p>
<p>Pour la Côte d’Ivoire, à partir des données de l’enquête Niveau de Vie (ENV) des ménages ivoiriens, menée en 2015 par l’INS (Institut national de la Statistique) et portant sur un échantillon représentatif d’environ 13 000 ménages, l’équipe de chercheurs a tenté d’identifier et de caractériser les classes moyennes ivoiriennes et de mesurer les conséquences de leur éventuel « réveil » sur les politiques publiques.</p>
<h2>Après le « miracle » des années 1960-1980, le long déclin des classes moyennes</h2>
<p>Évoquer le réveil des classes moyennes prend un sens particulier en Côte d’Ivoire. Chacun a en effet en mémoire les « vingt glorieuses » des années 1960-1980, cette période du « modèle » ou du « miracle » ivoirien qui avait permis à Félix Houphouët-Boigny de narguer son voisin ghanéen Kwamé N’Krumah en lui démontrant qu’il avait eu tort de choisir le « modèle communiste ».</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/211601/original/file-20180322-54893-qavhro.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/211601/original/file-20180322-54893-qavhro.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/211601/original/file-20180322-54893-qavhro.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/211601/original/file-20180322-54893-qavhro.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/211601/original/file-20180322-54893-qavhro.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/211601/original/file-20180322-54893-qavhro.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/211601/original/file-20180322-54893-qavhro.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Boulevard de Gaulle, à Abidjan.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/5/53/Boulevard_De_Gaulle_-_Abidjan.jpg/1280px-Boulevard_De_Gaulle_-_Abidjan.jpg">fr.zil/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>À cette époque, grâce à la fameuse Caisse de stabilisation, des dizaines de milliers de planteurs, de la filière cacao notamment, appartenaient à la classe moyenne, ainsi que bon nombre de fonctionnaires bien calés derrière des rémunérations avantageuses, et de salariés d’un secteur privé florissant, en particulier à Abidjan.</p>
<p>Et puis la machine s’est enrayée au début des années 1980. D’abord sous l’effet des premiers programmes d’ajustement structurel (PAS) qui eurent pour conséquence principale un sérieux tour de vis sur les salaires de la fonction publique, malgré le combat d’arrière-garde du Président Houphoüet-Boigny pour « décrocher » les enseignants, les magistrats et les militaires de la grille salariale imposée par les institutions de Bretton Woods.</p>
<p>Puis le « père de l’indépendance », ancien fondateur du puissant syndicat des planteurs, perdit la <a href="http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4805776t.texteImage">« guerre du cacao »</a> avec à la clé une réduction par deux du prix garanti aux producteurs. Enfin, la dévaluation du franc CFA décidée en janvier 1994 – juste après sa mort en décembre 1993 car il s’y était toujours opposé – et la période qui suivit acheva de « déclasser » ceux qui avaient commencé à goûter à l’aisance et contribua à une « séparation irréversible » entre l’élite dominante et le reste de la population.</p>
<h2>Instabilité politique et esquisse de redressement</h2>
<p>Comme souvent, l’instabilité politique accompagna cette évolution. Celle-ci commença avec la succession d’Houphoüet, disputée entre Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara, rapidement envenimée par des tensions ethniques autour de l’« ivoirité ». La Côte d’Ivoire connut alors son premier coup d’État militaire fin 1999 et fut aspirée dans une spirale de turbulences que le régime de Laurent Gbagbo (2000-2011) ne parvint pas à juguler.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/xbL7CUAcrYQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Dans le même temps, et même si les fondamentaux de l’économie ivoirienne ne s’effondrèrent pas, les taux de croissance jusque-là prometteurs finirent pas passer dans le rouge. Autant dire que la classe moyenne n’existait pratiquement plus à la sortie de la crise post-électorale (avril 2011).</p>
<p>Depuis, le pays s’est redressé et a retrouvé un rythme moyen de croissance du PIB autour de 8 à 9 % par an, grâce à des investissements ambitieux, à un soutien sans faille de la communauté internationale et au retour des gros opérateurs étrangers. Cette croissance a contribué à booster le pouvoir d’achat et la consommation des ménages, ce qui pourrait laisser penser que la classe moyenne est en cours de reconstitution.</p>
<p>Il était donc intéressant d’entreprendre des investigations approfondies dans ce domaine, et les chercheurs bordelais, avec l’appui d’une équipe ivoirienne rattachée à l’<a href="https://www.ensea.ed.ci/">ENSEA</a> (École nationale supérieure des statistiques et des études économiques), s’y sont lancés en adoptant une méthodologie originale qui combine des méthodes quantitatives et qualitatives.</p>
<h2>Une « classe moyenne » limitée à 26 % de la population en 2015</h2>
<p>Le calibrage de la catégorie « gens du milieu » a été effectué sur des critères de revenus. On a estimé que la classe moyenne en Côte d’Ivoire se situait entre une borne inférieure fixée à 4 dollars par jour et par tête en parité de pouvoir d’achat (soit un niveau deux fois supérieur au seuil de pauvreté de 2$) et une borne supérieure qui exclut les 5 % les plus riches.</p>
<p>La taille moyenne des ménages de cette classe étant de 3 personnes et le chef de famille contribuant pour 90 % aux revenus du ménage, on obtient un revenu mensuel moyen par ménage approximativement compris entre 95 500 FCFA (400 dollars) et 455 000 FCFA (1 900 dollars). Cela concerne donc une large gamme de revenus, mais, cette fourchette ne représente qu’une proportion relativement limitée de la population ivoirienne : 26,4 %.</p>
<p>Cette « classe moyenne » ivoirienne présente <strong>quelques caractéristiques globales</strong> intéressantes. D’abord, les chefs de ménage de cette catégorie sont analphabètes à 48,1 %, ce qui apparaît en décalage avec les représentations habituelles. Ensuite, si 60 % habitent en ville, seuls 16 % sont abidjanais.</p>
<p>Ils affichent des comportements communs, notamment la même importance accordée à l’éducation des enfants – ce qui conduit la plupart de ces familles à opter pour l’enseignement privé, et donc à consacrer à ce poste budgétaire une part importante des revenus, passant souvent par un effort d’épargne conséquent.</p>
<h2>Un « monde du milieu » très hétéroclite</h2>
<p>Reste alors à étudier la cohérence de ce groupe qui formerait donc un quart de la population du pays. Force est de constater que l’on passe d’une catégorie limitée de « gens du milieu » à une catégorie éclatée de « gens de milieux différents ». Ainsi ont pu être identifiés <strong>cinq grands groupes</strong> qui apparaissent sur la figure 1 selon leur niveau moyen de revenu, leur degré d’informalité dans l’emploi et le poids du salariat en leur sein.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/209602/original/file-20180308-30979-zmvhrd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/209602/original/file-20180308-30979-zmvhrd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/209602/original/file-20180308-30979-zmvhrd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/209602/original/file-20180308-30979-zmvhrd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/209602/original/file-20180308-30979-zmvhrd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/209602/original/file-20180308-30979-zmvhrd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/209602/original/file-20180308-30979-zmvhrd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p>La classe moyenne des <strong>travailleurs de l’informel</strong> constitue la part la plus importante (39 % du total). Les chefs de ménage y sont plutôt jeunes et leur famille est plus petite. Pour la plupart, ils sont entrepreneurs indépendants dans le secteur des transports routiers, du commerce et de la petite industrie manufacturière non déclarée. Une part significative de leurs revenus (plutôt faibles), est dédiée aux transferts (redistribution à la famille élargie). Beaucoup aspirent à devenir de véritables entrepreneurs.</p>
<p>La classe moyenne des <strong>agriculteurs</strong> – et en particulier des planteurs du Sud-Ouest – représente 25 % du total. Naturellement installés en milieu rural, ils sont relativement âgés et, s’ils attachent beaucoup d’importance à la scolarisation de leurs enfants, leur faible revenu ne leur permet pas d’y consacrer beaucoup d’argent. Ils apparaissent très vulnérables et se plaignent notamment d’être à la merci des fluctuations du marché sur les produits d’exportation (café et cacao). Ils « vivent selon la courbe ».</p>
<p>Les <strong>dirigeants, cadres et professions intermédiaires du secteur public</strong> constituent le troisième sous-groupe (17 %). Ils affichent les plus hauts niveaux moyens de revenu et d’éducation, et appartiennent pour beaucoup d’entre eux au secteur de l’éducation et de l’enseignement supérieur où les salaires sont relativement élevés. Mais une part substantielle de leurs revenus peut provenir d’une ou de plusieurs autres activités, notamment comme « planteurs absentéistes » (fonctionnaires investissant dans les activités de plantation).</p>
<p>La classe moyenne des <strong>retraités et inactifs</strong> (15 %), souvent représentée par des femmes, apparaît comme vulnérable et dépendante des transferts familiaux. Elle se singularise par le fait que ses membres sont souvent propriétaires de leurs logements. Mais leurs revenus sont en moyenne les plus bas de cette classe moyenne et l’augmentation de l’espérance de vie risque arithmétiquement de dégrader leur condition.</p>
<p>Enfin, la classe moyenne intermédiaire du <strong>secteur privé formel</strong> (4 %) rassemble des employés et salariés bien rémunérés, représentés surtout dans les secteurs de l’immobilier, du commercial et de la finance. Ils sont davantage que les autres connectés à l’Internet et dépensent beaucoup dans l’éducation des enfants, la santé et les communications. Eux aussi investissent volontiers dans l’immobilier ou les plantations.</p>
<h2>« Classe moyenne » : une expression avant tout performative</h2>
<p>Au-delà de ces cinq groupes, un fort dualisme se dégage. D’un côté, on trouve en minorité (21 %) une <strong>strate haute et stabilisée</strong> de la classe moyenne, constituée plutôt d’héritiers des groupes intermédiaires des années 1960-1970. De l’autre, on observe une <strong>strate basse</strong> majoritaire (79 %) <strong>et instable</strong>, composée de ménages en situation de petite prospérité en même temps que de grande vulnérabilité et dont les trajectoires sociales ascendantes et descendantes alternent au gré des différents chocs (économiques, sociaux, politiques, climatiques, etc.) auxquels ces populations sont confrontées.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/211602/original/file-20180322-54887-mbshbi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/211602/original/file-20180322-54887-mbshbi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=564&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/211602/original/file-20180322-54887-mbshbi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=564&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/211602/original/file-20180322-54887-mbshbi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=564&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/211602/original/file-20180322-54887-mbshbi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=709&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/211602/original/file-20180322-54887-mbshbi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=709&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/211602/original/file-20180322-54887-mbshbi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=709&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">« Cabine téléphonique cellulaire » à Abidjan (en 2012).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/9/90/Cabine_telephonique_cellulaire_abidjan.JPG/1024px-Cabine_telephonique_cellulaire_abidjan.JPG">Serein/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>La société est ainsi divisée en trois strates majeures : une majorité de pauvres, une strate instable de petite prospérité en expansion et les plus aisés de la petite <em>Upper middle class</em> et de la classe des 5 % les plus riches.</p>
<p>L’hétérogénéité du groupe « du milieu » conduit à une très faible et inégale politisation, dont l’expression lorsqu’elle existe repose davantage sur l’identité socioprofessionnelle (fonctionnaires notamment) que sur l’appartenance à une quelconque classe moyenne.</p>
<p>En Côte d’Ivoire, comme presque partout ailleurs en Afrique, l’expression « classe moyenne » apparaît ainsi très largement comme une expression performative, c’est-à-dire une expression permettant de créer des représentations de la réalité sociale qui ne sont que partiellement vraies mais qui intéressent – ou sur lesquelles jouent à des degrés divers – les politiques, les investisseurs et les bailleurs de fonds.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/93111/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Philippe Berrou receives funding from AFD (Agence Française de Développement).
</span></em></p>En Côte d’Ivoire, comme presque partout ailleurs en Afrique, l’expression « classe moyenne » apparaît très largement comme une expression performative.Jean-Philippe Berrou, Maître de conférences en sciences économiques (LAM, CNRS), Sciences Po BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/876392017-11-20T20:49:34Z2017-11-20T20:49:34ZEnquête chez les agents immobiliers, ces précaires en col blanc<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/195201/original/file-20171117-7520-julq07.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les agents immobiliers ne vivent pas (tous) dans les positions confortables que nous croyons. Leur profession est emblématique de transformations profondes qui affectent notre société.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/en/key-home-house-estate-business-2323278/">mastersenaiper/Pixabay</a></span></figcaption></figure><p>« T’as qu’à vendre ta Porsche et ta Ferrari ! » Luc Jouhan fut affecté par cette remarque de ses compagnons de voyage. </p>
<p>Luc, 43 ans, diplômé d’un BTS, est agent immobilier à Paris. Les prix du logement sont, dans les années 2000, très élevés et, dans de nombreuses villes françaises, les agences immobilières se sont emparées du paysage. Entré dans le métier il y a deux ans à la suite d’un licenciement, Luc travaille sur des affaires qui, quand elles aboutissent, lui procurent des revenus confortables. Il a conclu plusieurs ventes, mais ses revenus sont très irréguliers.</p>
<p>Il travaille pour une agence tout en ayant un statut d’indépendant : il est payé entièrement en fonction de ses résultats. Depuis quelque temps, il peine à gagner sa vie. Il a connu récemment plusieurs « mois à zéro », c’est-à-dire des mois où, faute de faire des ventes, il n’a perçu aucun revenu. Cette situation l’inquiète. Il se demande si, dans les mois qui viennent, il aura encore la possibilité de se maintenir dans son emploi. Luc n’a pas pris de vacances depuis deux ans. Ses revenus ne lui permettent pas de quitter Paris et il craint, en s’absentant de son agence, de passer à côté d’une affaire qui pourrait l’aider à aborder les mois à venir avec plus de sérénité. Mais, usé par les heures de travail (près de 60 heures par semaine), il songe finalement à partir une semaine pendant l’été. Célibataire et sans enfant, il envisage de faire un stage de plongée, comme il y a plusieurs années, alors qu’il était technicien dans l’informatique. Il choisit, cette fois-ci, la formule de stage la moins onéreuse. Luc vient d’arriver au point de rendez-vous fixé pour le départ, et fait connaissance avec ses compagnons de voyage. L’un d’entre eux lui demande sa profession. Au cours de la discussion qui s’engage, Luc explique qu’il traverse, sur le plan professionnel, une période difficile. « T’as qu’à vendre ta Porsche et ta Ferrari ! » Affecté par ces paroles, Luc n’ose pas leur dire qu’il a dû emprunter à sa sœur la somme nécessaire pour faire partie du voyage.</p>
<p>Cette scène est doublement révélatrice du fait que, pour beaucoup, l’immobilier est un commerce très rémunérateur, mais aussi que la réalité du métier peut être éloignée de cette image réductrice. Si des agents immobiliers du secteur de la vente, qu’ils soient directeurs d’agence ou négociateurs (ces derniers ont pour tâche de chercher des logements à vendre et de leur trouver des acquéreurs, sans être à la tête d’une agence), peuvent percevoir des revenus élevés, une très large partie d’entre eux se trouvent dans des positions fragiles, confrontés au risque, à l’indétermination de l’avenir.</p>
<h2>Critiques récurrentes</h2>
<p>À première vue, le fait que les agents immobiliers puissent se trouver dans des positions fragiles peut étonner. Et ce pour plusieurs raisons.</p>
<p>D’abord, les agents immobiliers perçoivent, s’ils concluent une vente, un pourcentage des honoraires d’agence. Ces honoraires paraissent souvent élevés aux clients. L’exercice du métier ne semblant pas, aux yeux de beaucoup, présenter de réelles difficultés (d’après une image répandue, leur travail consiste en effet surtout à « ouvrir des portes »), l’accès à une rémunération confortable peut sembler aisé.</p>
<p>Ensuite, les contraintes de ce métier de présentation (le fait de porter une tenue vestimentaire soignée, de sourire face aux clients) laissent peu imaginer l’instabilité de leurs conditions de vie.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/195207/original/file-20171117-7559-11z03i0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/195207/original/file-20171117-7559-11z03i0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/195207/original/file-20171117-7559-11z03i0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/195207/original/file-20171117-7559-11z03i0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/195207/original/file-20171117-7559-11z03i0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/195207/original/file-20171117-7559-11z03i0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/195207/original/file-20171117-7559-11z03i0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une agence à St Valérien. Le métier continue d’attirer malgré la position fragile de ses membres.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/4/43/Saint-Val%C3%A9rien-FR-89-agence_immobili%C3%A8re-02.jpg">François Goglins/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
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<p>Par ailleurs, si les agents immobiliers ne sont pas absents du débat public, leur activité fait avant tout l’objet de critiques récurrentes, occultant de fait la question de leurs conditions d’existence. Si la part des transactions conclues par leur intermédiaire est, en France, assez proche de la moyenne européenne, elle se distingue des pays où ils réalisent la grande majorité des ventes. La profession souffre en effet, en France, d’un certain discrédit ; les clients la perçoivent souvent avec défiance. On entend régulièrement que les services rendus par les agents immobiliers ne sont pas à la hauteur du montant de leurs honoraires, qui font partie des plus élevés d’Europe. La nature de leur activité s’accompagne en fait d’un paradoxe : en mettant rapidement en relation deux clients qui concluent une vente, leur tâche est bien accomplie mais peut aussi sembler aisée à réaliser et, par là, peu méritante. Leur travail peut ainsi paraître facile et peu coûteux, et les frais d’agence peu justifiés. Plus fondamentalement, <a href="https://patrimoine.lesechos.fr/dossiers/agent-immobilier/index.php">certains doutent de leur utilité</a>, dans la mesure où il est possible de vendre un logement en se dispensant de leurs services. Et ce d’autant plus que les notaires – qui constituent, à la différence des agents immobiliers, des interlocuteurs nécessaires – garantissent, en France, la dimension juridique de la vente. Ces critiques récurrentes conduisent à négliger les conditions réelles d’existence d’une majorité d’entre eux.</p>
<h2>Une position attirante et fragile</h2>
<p>Les agents immobiliers ne font pas partie des fractions inférieures du monde du travail. Ils détiennent un statut de col blanc. Ce dernier peut être attractif en raison notamment de leurs espoirs de revenu et de leur autonomie importante dans leur activité.</p>
<p>Dans le même temps, les agents immobiliers sont confrontés à une forme de précarité. La notion de précarité est polysémique. Elle ne renvoie pas ici à l’absence de travail, ni à une grande pauvreté, ni à un manque de liens sociaux. Les agents immobiliers exercent un emploi et tous n’ont pas de faibles revenus. La précarité fait référence ici à la précarité de l’emploi, à l’indétermination de l’avenir. Les agents immobiliers sont très exposés aux incertitudes du marché. En tant que chefs d’entreprise, les directeurs d’agence immobilière n’ont pas de sécurité de revenu. Leur rémunération repose sur les ventes qu’ils réalisent et sur celles des négociateurs qui travaillent à leurs côtés. De façon peut-être plus surprenante, les négociateurs, qu’ils soient indépendants ou salariés, sont aussi très exposés au marché. Leur fonction étant essentiellement commerciale, leurs rémunérations reposent entièrement ou en grande partie sur les ventes qu’ils effectuent. Ces modes de rémunération font de la précarité de l’emploi une réalité ou une menace quotidienne. Nombreux sont d’ailleurs ceux qui quittent le métier faute de pouvoir en vivre.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/195033/original/file-20171116-15410-t7wjs7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/195033/original/file-20171116-15410-t7wjs7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=868&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/195033/original/file-20171116-15410-t7wjs7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=868&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/195033/original/file-20171116-15410-t7wjs7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=868&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/195033/original/file-20171116-15410-t7wjs7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1091&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/195033/original/file-20171116-15410-t7wjs7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1091&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/195033/original/file-20171116-15410-t7wjs7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1091&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"><em>La précarité en col blanc</em>, PUF, 2017.</span>
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<p>Les agents immobiliers sont confrontés à ce que je propose d’appeler une « précarité en col blanc ». La notion de « précarité en col blanc » revêt deux significations qui expriment la « double vérité » de l’existence sociale des agents immobiliers. C’est d’abord une précarité <em>de</em> cols blancs, c’est-à-dire une précarité que connaissent des cols blancs. C’est aussi une précarité <em>qui porte</em> (au sens métaphorique) un col blanc, c’est-à-dire une précarité à l’apparence soignée, qui peut présenter des aspects attrayants, contenir des promesses. Et ce notamment en termes de revenu et d’autonomie dans le travail. La précarité en col blanc n’est ainsi pas systématiquement vécue sur le monde du manque. Il existe des manières très diverses de vivre cette incertitude. Tous les agents immobiliers n’aspirent pas au salariat stable. Au total, la position des agents immobiliers est marquée par l’ambivalence : elle est à la fois attirante et fragile.</p>
<h2>Une condition révélatrice de tendances profondes</h2>
<p>Il importe d’étudier la condition de précarité en col blanc des agents immobiliers pour plusieurs raisons.</p>
<p>Elle permet d’abord de mieux comprendre de nombreux aspects de leurs manières de faire au travail, les contraintes qui sont les leurs, leurs aspirations, ainsi que plusieurs dimensions de leur rapport au monde.</p>
<p>Ensuite, cette condition est révélatrice de tendances profondes qui traversent la société française. Elle est, en particulier, intimement liée au développement du secteur tertiaire et à celui <a href="https://theconversation.com/comment-contenir-le-phenomene-des-travailleurs-pauvres-75486">d’entreprises sans salarié</a>. <a href="https://theconversation.com/la-gig-economy-vers-une-economie-a-la-tache-mondialisee-70982">La multiplication des positions d’indépendants des services</a> qui exigent, par comparaison à d’autres activités, un patrimoine relativement faible, prend sens dans le cadre du marché du travail contemporain. Dans un contexte de chômage, ces entreprises peuvent d’abord constituer un moyen de créer son propre emploi. De plus, dans un cadre de « course au diplôme », de déclassement et d’effritement du salariat, créer une entreprise de ce type, ne comportant souvent pas d’employé, peut apparaître comme plus attrayant et pas nécessairement plus risqué que certains postes de salariés. Être satisfait de son travail tout en occupant une position fragile s’observe aussi, mais sous des formes différentes (en particulier quand les perspectives de revenus sont moins prometteuses), dans d’autres régions de l’espace social, comme chez des artistes ou des « intellectuels précaires ». Ces précarités sont liées aux nouvelles formes du capitalisme.</p>
<h2>Ethnographie et statistiques</h2>
<p>Mon livre invite le lecteur à pénétrer dans l’univers de vie des agents immobiliers du secteur de la vente et à découvrir les coulisses de leur métier. Il fait le récit de leur quotidien, de leurs inquiétudes, de leurs représentations, de leurs valeurs.</p>
<p>Il s’appuie sur un dispositif d’enquête articulant ethnographie et statistiques. J’ai effectué une enquête de terrain dans une agence immobilière parisienne dans laquelle j’ai travaillé pendant quinze mois. J’y étais chargée de tâches administratives, accompagnais les négociateurs dans leurs diverses activités, participais aux réunions de travail et aux formations. Afin de multiplier et de diversifier les interlocuteurs, j’ai également réalisé une cinquantaine d’entretiens avec des agents immobiliers travaillant dans des types d’agences différents, des villes et des quartiers variés, et présentant des degrés divers d’ancienneté et de réussite dans le métier. Par ailleurs, des analyses statistiques ont été menées à partir des enquêtes Emploi de l’Insee, afin notamment de mettre en évidence les groupes professionnels qui, au regard de plusieurs variables, sont les plus proches des agents immobiliers.</p>
<p>À partir du cas des agents immobiliers, cet ouvrage contribue aussi à l’exploration d’un monde plus vaste, que l’on peut nommer les « cols blancs du commerce ». Ce dernier, en plein essor depuis le début des années 1980, est emblématique de transformations sociales récentes. Ce livre aide ainsi à réfléchir aux manières de travailler et de vivre dans une société où les services à la personne, les relations de clientèle et l’individualisation des trajectoires ne cessent de se répandre.</p>
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<p><em>Lise Bernard vient de publier <a href="https://www.puf.com/content/La_pr%C3%A9carit%C3%A9_en_col_blanc">« La précarité en col blanc : une enquête sur les agents immobiliers »</a>, PUF, Paris, 338 p. (collection Le lien social).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/87639/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lise Bernard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’univers de vie des agents immobiliers du secteur de la vente et les coulisses de leur métier montrent une véritable précarité « en col blanc » symptomatique de notre société.Lise Bernard, Sociologue, chargée de recherche CNRS, Centre Maurice Halbwachs, École normale supérieure (ENS) – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.