tag:theconversation.com,2011:/us/topics/conditions-de-travail-31410/articlesconditions de travail – The Conversation2024-03-11T10:59:40Ztag:theconversation.com,2011:article/2250292024-03-11T10:59:40Z2024-03-11T10:59:40ZLe management des travailleurs indépendants nécessite une communication adaptée<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/579581/original/file-20240304-28-1uzfss.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=15%2C15%2C1793%2C1161&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">On compte aujourd’hui plus de 3,4&nbsp;millions de travailleurs indépendants en France.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/157089461@N07/26239556407">Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le travail indépendant, même s’il n’est pas nouveau, gagne en popularité en France. Depuis 2008 et le lancement du statut d’auto-entrepreneur, le nombre de « free-lancers » n’a ainsi jamais cessé de croître pour <a href="https://fr.statista.com/themes/6975/les-freelances-en-france/#topicOverview">dépasser les 3,4 millions en 2022</a>. La tendance montre une <a href="https://fr.statista.com/statistiques/938358/nombre-travailleurs-independants-france/">croissance constante</a> dans tous les différents secteurs d’activité, dont 20 % dans le <a href="https://fr.statista.com/statistiques/1134520/micro-entrepreneurs-par-secteur-france/">e-commerce</a>.</p>
<p><iframe id="08Rwq" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/08Rwq/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Ce phénomène soulève toutefois des enjeux managériaux pour les entreprises. Parmi les défis majeurs figure notamment la question de leur inclusion, sur des durées par définition déterminées à l’avance, au sein des équipes en place. En effet, les travailleurs indépendants ne sont pas intégrés directement dans l’organisation et ne sont donc pas concernés par les politiques de ressources humaines à destination des salariés.</p>
<p>C’est pourquoi il s’agit, pour les managers, de redoubler d’efforts dans la communication, comme nous le soulignons dans une <a href="https://en.em-normandie.com/professors-directory/aneta-orlinska">recherche</a> récente.</p>
<h2>Communication ouverte sur les tâches</h2>
<p>Dans les entreprises, le manque d’intérêt pour les pratiques formelles d’inclusion peut notamment s’expliquer par le fait que les travailleurs indépendants sont engagés dans des projets à court terme et qu’ils travaillent avec plusieurs clients à la fois. La communication d’informations précises concernant le travail et les instructions relatives aux tâches par les managers, au moyen d’échanges informels et directs, devient donc nécessaire compenser l’absence de pratiques organisationnelles d’inclusion.</p>
<p>Une analyste que nous avons rencontrée dans le cadre de nos travaux a souligné le rôle clé joué par la clarté des consignes lors d’une de ses missions en cours :</p>
<blockquote>
<p>« Pour ce travail, je reçois des indications claires, quand j’en ai besoin […]. J’apprécie cela […]. Sinon je ne me sentirais pas à l’aise de travailler pour une organisation ni ne me sentirais incluse. »</p>
</blockquote>
<p>Un autre élément important de la communication est l’utilisation de divers canaux, offrant ainsi une plus grande flexibilité aux travailleurs indépendants. Un des interviewés l’exprime clairement :</p>
<blockquote>
<p>« Être inclusif, pour moi, c’est accepter que les travailleurs indépendants indiquent leurs préférences de communication et ce qui leur convient le mieux »</p>
</blockquote>
<h2>Un management différent</h2>
<p>Dans les organisations qui font appel à des travailleurs indépendants, les échanges informels prévalent donc sur les <a href="https://en.em-normandie.com/professors-directory/aneta-orlinska">procédures formelles</a> de gestion des ressources humaines. Ainsi, mettre l’accent sur l’ambiance de travail reste essentiel pour créer un environnement inclusif.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>Interrogés sur ce que représente la notion d’« inclusion », les travailleurs indépendants insistent sur cette dimension d’ambiance, bien plus que sur des dimensions liées à l’identité de l’individu. Un rédacteur en free-lance apprécie par exemple :</p>
<blockquote>
<p>« Un environnement dynamique, flexible […] chaleureux, vivant […] et plus informel que dans les structures traditionnelles ».</p>
</blockquote>
<p>En effet, es travailleurs indépendants valorisent la flexibilité et l’adaptabilité dans leur travail, des caractéristiques mieux soutenues par une atmosphère informelle positive. Les structures rigides peuvent limiter leur capacité à s’adapter rapidement aux changements de projet ou aux demandes des clients. Pour les travailleurs en free-lance, qui peuvent se sentir isolés du fait de leur travail à distance ou en solo, l’ambiance informelle apparaît donc cruciale pour se sentir connectés avec leur manager et inclus.</p>
<p>Pour les managers, voici donc quelques points à méditer avant de se lancer dans des stratégies de gestion plus flexibles : externaliser certaines tâches auprès de free-lancers ne demandera pas forcément moins de management, mais un management différent.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225029/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Aneta Hamza-Orlinska ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une étude montre que les managers doivent veiller à la clarté de leurs consignes et contribuer à créer un environnement informel positif pour une meilleure collaboration avec les « freelancers ».Aneta Hamza-Orlinska, Professeure assistante en gestion des ressources humaines, EM NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2237542024-03-10T16:47:36Z2024-03-10T16:47:36ZDémissions d’enseignants : une question qui reste taboue<p>Qui veut encore devenir prof ? La question alimente le débat public sur l’éducation. Alors que les médias mettent régulièrement en évidence les <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/education/education-il-manque-des-enseignants-partout_6042710.html">difficultés à recruter des enseignants</a>, un autre phénomène, tout aussi préoccupant, reste souvent sous-estimé : celui des démissions de personnels en poste dans l’Éducation nationale.</p>
<p>Bien que ces démissions restent à un niveau relativement modéré par rapport à l’effectif total d’enseignants en France, <a href="https://www.senat.fr/rap/l23-128-314/l23-128-3141.pdf">elles sont en constante augmentation</a> : leur nombre a été multiplié par quatre en l’espace de dix ans.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/declassement-manque-de-reconnaissance-ces-enseignants-qui-veulent-changer-de-metier-176293">Déclassement, manque de reconnaissance… ces enseignants qui veulent changer de métier</a>
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<p>Les raisons en sont multiples et diverses, allant de l’alourdissement de la charge de travail – en particulier des tâches bureaucratiques – à l’émergence de nouvelles responsabilités, telles que la différenciation pédagogique et <a href="https://theconversation.com/quel-regard-les-enseignants-portent-ils-sur-lecole-inclusive-170418">l’accueil des élèves en situation de handicap</a>. Ceci dans un contexte de contraintes financières et de pressions liées aux réformes de la nouvelle gestion publique comme l’ont montré la <a href="https://www.cairn.info/revue-education-et-societes-2019-1-page-119.htm?contenu=article">chercheuse Magali Danner et ses co-autrices</a>. Le manque de reconnaissance et de soutien ainsi que des <a href="https://theconversation.com/salaires-des-profs-un-travail-invisible-a-prendre-en-compte-177034">salaires</a> jugés insuffisants contribuent à cette tendance.</p>
<p>Au-delà des motifs de découragement et de démissions, que sait-on de ces démarches de transition professionnelle ? Comment l’institution réagit-elle ? Vers qui les enseignants se tournent-ils pour envisager ces changements ?</p>
<h2>Les obstacles aux démissions enseignantes</h2>
<p>On pourrait croire que la mise en place des ruptures conventionnelles dans le secteur à partir de 2020 a facilité la sortie du métier d’enseignant. Cependant, les premières données révèlent une réalité différente. <a href="https://paris.sgen-cfdt.fr/actu/rupture-conventionnelle-premier-bilan-pour-2020-au-sein-de-leducation-nationale-2/">Un premier bilan des syndicats</a> sur les ruptures conventionnelles de l’année 2020, indique que près de 80 % des demandes ont été refusées.</p>
<p>Celles qui ont été acceptées provenaient essentiellement de trois académies : Montpellier, Bordeaux et Aix-Marseille, réputées pour ne pas être en tension. Par conséquent, les enseignants travaillant dans les académies les plus déficitaires et aux conditions de travail réputées les plus difficiles ont moins de chances de voir leur demande de rupture conventionnelle acceptée, ce qui accentue les disparités entre les régions.</p>
<p>De la même manière, les démissions simples <a href="https://www.bfmtv.com/societe/education/ces-profs-qui-ne-parviennent-pas-a-quitter-l-enseignement_AN-202309170053.html">sont susceptibles d’être refusées par l’administration</a> en raison de la nécessité de service. <a href="https://www.europe1.fr/societe/education-nationale-pourquoi-les-profs-obtiennent-rarement-une-rupture-conventionnelle-4130032">Un motif qui sert souvent de justification à cette décision</a> – le nombre de demandes de démissions refusées chaque année n’est à ce jour pas connu.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/HN7nEDrqekg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Entre manque de considération, salaires bas et pression, de plus en plus d’enseignants décident de quitter le navire. (Le Parisien, 2022).</span></figcaption>
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<p>Les enseignants désirant quitter la profession se heurtent souvent au manque de ressources, tant en termes d’information que de soutien humain, au sein de l’Éducation nationale. Par exemple, les informations sur les démissions sur les sites officiels sont plutôt succinctes. De plus, selon les académies, il peut être difficile de se procurer les circulaires relatives à l’Indemnité spécifique de rupture conventionnelle (ISRC) et les services des ressources humaines de proximité <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/occitanie/haute-garonne/toulouse/education-nationale-on-ne-va-pas-dans-le-bon-sens-monsieur-le-prof-figure-des-reseaux-sociaux-jette-l-eponge-2769742.html">peuvent prendre plusieurs mois pour répondre à leurs demandes</a>.</p>
<p>Cette situation témoigne en partie de la position de l’institution sur la sortie du métier. La question demeure taboue, les responsables politiques tendant à minimiser le phénomène. L’ancien ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, avait avancé l’idée selon laquelle <a href="https://www.senat.fr/basile/visio.do?id=qSEQ170800957&idtable=q335422%7Cq331133%7Cq324257%7Cq360452%7Cq417062%7Cq402127%7Cq324091%7Cq429087%7Cq324745%7Cq425052">l’évolution des démissions</a> serait peu significative et corrélée aux variations du nombre de postes ouverts.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quand-devenir-enseignant-cest-accepter-un-declassement-social-212206">Quand devenir enseignant, c’est accepter un déclassement social</a>
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<p>Selon cette perspective, une hausse des recrutements dans l’Éducation nationale se traduirait par une augmentation proportionnelle des démissions. Cependant, dans les faits, rien ne prouve que cette affirmation soit exacte, car l’Éducation nationale peine aujourd’hui à recruter, et le <a href="https://journals.openedition.org/lectures/22587">« malaise enseignant »</a> est aujourd’hui bien documenté dans la littérature scientifique.</p>
<h2>Des groupes d’entraide sur les réseaux sociaux</h2>
<p>C’est probablement pour toutes ces raisons que les enseignants se tournent de plus en plus vers d’autres espaces, notamment des <a href="https://www.theses.fr/2023BORD0364">groupes d’entraide sur les réseaux sociaux et les forums</a>. L’un des plus importants, créé en 2015, compte plus de 33 000 membres début 2024 (nous n’indiquons pas son nom pour préserver l’anonymat de ses membres).</p>
<p>Ces groupes sont le lieu, notamment de :</p>
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<li><p>demandes d’aide concernant les aspects techniques du changement de métier, comme l’obtention d’une disponibilité, d’un détachement ou d’une rupture conventionnelle, d’information sur les concours permettant de changer de voie et leurs modalités, etc.</p></li>
<li><p><a href="https://www.quitterlenseignement.org/">retours d’expériences</a> de personnes ayant franchi le pas, décrivant comment elles ont vécu leur reconversion et quelles sont leurs conditions de travail actuelles ;</p></li>
<li><p>témoignages de difficultés rencontrées dans le métier, destinés à montrer à ceux qui les vivent qu’ils ne sont pas seuls dans cette situation et à leur apporter du réconfort et des encouragements.</p></li>
</ul>
<p>En plus des échanges, <a href="https://pur-editions.fr/product/9786/en-quete-d-enseignants">ces groupes très actifs</a> partagent également une série de fichiers (dans un onglet dédié), tels que des CV, des exemples de lettres de démission, des documents juridiques (IDV, nécessité de service, etc.), des tableaux Excel permettant de calculer le montant des indemnités de départ en cas de rupture conventionnelle, des descriptions de postes concernant différents métiers, etc.</p>
<h2>L’apparition de prestataires de services…</h2>
<p>Parallèlement, un autre type de ressource émerge dans l’accompagnement des enseignants désireux de démissionner, apparu depuis le milieu des années 2000 : il s’agit de sites que nous qualifions de commerciaux car, contrairement aux groupes d’entraide, ils proposent des prestations de service moyennant un coût financier.</p>
<p>On en recense une vingtaine sur le Web, parmi lesquels une association se distingue, proposant un accompagnement personnalisé à la démission et à la reconversion. Elle fonctionne sur la base d’une cotisation unique assortie de prestations payantes (réinvestis dans l’association), telles que l’assistance pour lever la nécessité de service, ou l’aide à la création d’entreprise, et s’appuie sur un réseau étendu comprenant de hauts fonctionnaires, des hommes politiques, des chercheurs, des journalistes et d’anciens enseignants reconvertis.</p>
<p>D’autres <a href="https://www.prof-et-ensuite.fr/blog-prof/">prestataires</a> en ligne se concentrent principalement sur des services comme le bilan de compétences, largement reconnu comme une <a href="https://shs.hal.science/halshs-03243110/">étape essentielle</a> de la reconversion professionnelle. La durée du bilan de compétences est variable selon les besoins du bénéficiaire, mais ne dépasse généralement pas 24 heures, et son coût moyen varie entre 1 200 euros et 1 800 euros selon les prestataires recensés. Ou encore sur le coaching en outplacement, héritage, <a href="https://www.cairn.info/revue-nouvelle-revue-de-psychosociologie-2022-2-page-171.htm">selon certains chercheurs</a>, « du nouvel esprit capitaliste ».</p>
<p>La présence croissante de ces prestataires indique le développement d’un véritable marché autour de la démission et de la reconversion enseignante.</p>
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<p>En définitive, le pilotage de la problématique de la démission enseignante semble avoir été laissé entre les mains d’acteurs extérieurs à l’institution, malgré des points de vue convergents avec certains d’entre eux sur la gestion de carrière des enseignants, en accord avec les récentes évolutions législatives (mise en place de la rupture conventionnelle et élargissement des possibilités de recrutement de contractuels). Voilà qui rappelle les propos de l’ancien ministre de l’Éducation nationale Pap Ndiaye <a href="https://twitter.com/Ithyphallique/status/1594272414724145161">dans une interview en 2022</a>.</p>
<blockquote>
<p>« On n’entre plus dans le métier pour que ça se termine par un pot de retraite 40 ans plus tard » […] On veut pouvoir être enseignant 10 ans et puis faire autre chose. »</p>
</blockquote>
<p>L’augmentation des démissions enseignantes et l’apparition de nouveaux acteurs dans leur accompagnement remettent en question les normes établies concernant les entrées et sorties de la profession, et suscitent des interrogations sur la nature et l’efficacité de cet accompagnement. Comment concilier cette nouvelle flexibilité des trajectoires professionnelles avec la gestion de la carrière enseignante ? Ces questions exigent une réflexion approfondie sur les politiques éducatives et les pratiques de ressources humaines afin d’assurer un accompagnement tout au long de la carrière des enseignants, en réponse aux défis et aux évolutions du monde de l’éducation.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223754/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Camille Croizier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Alors qu’on parle souvent des difficultés à recruter des enseignants, un autre phénomène, tout aussi préoccupant, reste sous-estimé : celui des démissions de personnels de l’Éducation nationale.Camille Croizier, Docteure en Sciences de l'éducation, attachée temporaire d'enseignement et de recherche, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2239152024-03-07T16:19:29Z2024-03-07T16:19:29ZQuatre ans après le Covid, les régimes de télétravail restent moins favorables aux femmes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/576509/original/file-20240219-28-vjcwtt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=13%2C1%2C695%2C482&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">46% des femmes prennent moins de pauses en télétravail qu’en présentiel contre 35% des hommes.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pickpik.com/digital-nomad-millenial-woman-working-remotely-cafe-blonde-78850">Pickpic</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Près de 4 ans après le début de la pandémie mondiale de Covid-19, au cours de laquelle le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/teletravail-34157">télétravail</a> s’est particulièrement développé, l’<a href="https://obstt.fr/wp-content/uploads/sites/47/2023/12/Dossier_Presse-Observatoire_Teletravail-Ugict-CGT.pdf">enquête</a> de l’Observatoire du télétravail de l’Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens de la CGT, publiée le 6 décembre dernier, permet de dresser un état des lieux. Il en ressort notamment que les femmes se montrent particulièrement adeptes de cette forme de travail, alors même qu’elle se décline pour elles de manière moins favorable.</p>
<p>Les femmes sont plus nombreuses que les hommes à souhaiter télétravailler davantage. Rien d’étonnant, puisqu’en réduisant les temps de transport, le télétravail offre la perspective d’une meilleure articulation des temps professionnels et familiaux, dont la gestion repose principalement sur les femmes qui effectuent la <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/fichier/1303226/ES478E.pdf">majeure partie du travail domestique avant</a> comme <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/fichier/6477736/01_ES536-37_Pailhe-et-al_FR.pdf">pendant la pandémie</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/penser-a-tout-pourquoi-la-charge-mentale-des-femmes-nest-pas-pres-de-salleger-221659">« Penser à tout » : pourquoi la charge mentale des femmes n’est pas près de s’alléger</a>
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<p>Mais cette aspiration des femmes au télétravail est également intimement liée aux conditions d’exercice de l’activité professionnelle en présentiel. Sur site, elles bénéficient en moyenne de <a href="https://www.cairn.info/revue-des-politiques-sociales-et-familiales-2023-4-page-15.htm?contenu=article">moins de libertés dans l’organisation de leur temps de travail</a>, pouvant moins souvent que les hommes modifier elles-mêmes leurs horaires ou s’absenter en cas d’imprévu, y compris à poste équivalent. Le télétravail leur promet ainsi une plus grande autonomie.</p>
<p>Enfin, dans la mesure où <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/pdf/synthese_stat__expositions_professionnelles__contraintes_organisationnelles__relationnelles.pdf">elles occupent plus souvent que les hommes des métiers en contact avec le public</a> et sont plus exposées à effectuer du <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/le_prix_des_sentiments-9782707188960">« travail émotionnel »</a> avec la clientèle ou les collègues, le télétravail peut leur apparaître plus encore qu’aux hommes comme un moyen de se ménager des plages de travail avec moins d’interruptions et plus de concentration. Les télétravailleuses sont d’ailleurs plus nombreuses que les télétravailleurs à considérer que cette forme de travail leur permet de gagner en efficacité et une meilleure productivité, tout en étant moins sensibles qu’eux aux éventuelles déperditions d’information.</p>
<p><iframe id="40PdP" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/40PdP/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<h2>Le télétravail, plus contraignant au féminin</h2>
<p>Plus désiré par les femmes, le télétravail reste paradoxalement plus contraignant au féminin qu’au masculin. Plusieurs raisons à cela : les femmes disposent d’abord de moins de latitude pour faire valoir leurs souhaits et contraintes dans la mise en place de leur télétravail. Les choix du nombre de jours de télétravail hebdomadaire et de leur répartition sur la semaine leur sont plus souvent imposés qu’aux hommes (24 % pour les femmes et 13 % pour les hommes).</p>
<p>Ensuite, durant une journée de télétravail, les femmes sont plus souvent contraintes de respecter des plages horaires fixes durant lesquelles elles sont joignables (53 % contre 41 % des hommes), quel que soit leur niveau hiérarchique. Elles peuvent dès lors moins facilement que les hommes profiter du télétravail pour s’organiser en adaptant leurs horaires (22 % n’en ont pas la possibilité contre 12 % des hommes). Les conséquences sur le rythme de travail leur sont par ailleurs plus défavorables avec un travail plus dense en télétravail – 46 % des femmes prennent moins de pauses en télétravail qu’en présentiel contre 35 % des hommes.</p>
<p>A contrario, si la moitié des répondants (femmes comme hommes) déclarent profiter du temps gagné dans les transports pour le consacrer au repos et à leur famille, les hommes se démarquent en déclarant davantage que le télétravail leur permet de consacrer du temps à leurs loisirs (44 % des hommes pour seulement 28 % des femmes) et/ou de travailler plus (39 % des hommes contre 31 % des femmes).</p>
<p>Le télétravail se solde donc pour les femmes par des journées <a href="https://www.cairn.info/revue-germinal-2023-1-page-124.htm">pas forcément plus longues mais plus intenses</a>, d’autant plus qu’elles restent <a href="https://luttevirale.fr/wp-content/uploads/2020/05/RAPPORT-ENQUETE-UGICT-CGT-VFINALE.pdf">moins bien équipées</a> par leurs entreprises et qu’elles sont <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/5171e9d0f2d214774c44afc82353563a/Dares-Analyses_Teletravail-durant-crise-sanitaire-Partiques-Impacts.pdf">plus souvent concernées que les hommes par des difficultés techniques</a> qui rendent leur activité moins fluide et plus hachée (problèmes de connexion, de matériel, d’applications numériques).</p>
<p><iframe id="cKLM1" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/cKLM1/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<h2>Carence d’information</h2>
<p>Enfin, l’enquête de l’Observatoire du télétravail a pointé que les salariés sont trop rarement consultés lors de réorganisations des espaces de travail accompagnant la mise en place du télétravail (passage en « open space » ou en « flex office »).</p>
<p>Cette carence d’information s’observe également au niveau de l’organisation du travail. Un tiers seulement des salariés considèrent que la mise en place du télétravail a été décidée en concertation avec l’équipe. Les femmes semblent encore plus éloignées de ces prises de décisions : elles déclarent plus fréquemment que les hommes ne pas savoir comment le travail en équipe en distanciel a été organisé (28 % contre 21 % des hommes), ni si un dispositif de surveillance à distance de leur travail existe (47 % contre 39 %).</p>
<p>Les femmes sont donc à la fois plus contraintes par le télétravail et moins informées sur sa mise en place, ce qui témoigne de la place qu’elles occupent dans les politiques de télétravail des organisations.</p>
<h2>Le télétravail a souvent « mauvais genre »</h2>
<p>L’accès des femmes au télétravail reste relativement récent. Si elles télétravaillent aujourd’hui à même hauteur que les hommes et <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/fichier/6966932/ip1941.pdf">même un peu plus</a>, pendant longtemps le télétravailleur type était un <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/938f3d78a355590d73f21b2976526f8f/2004-51.3.pdf">homme, cadre</a>, qui travaillait à distance de manière occasionnelle et le plus souvent informelle, dans des arrangements interpersonnels au cas par cas.</p>
<p>Avant la pandémie encore, le <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/pdf/dares_analyses_salaries_teletravail.pdf">télétravail occasionnel prédomine</a> sur le télétravail régulier : il reste l’apanage des cadres et demeure plus masculin. Il a fallu la crise sanitaire et la <a href="https://theconversation.com/teletravail-le-Covid-a-accelere-la-mise-en-place-de-formules-a-la-carte-174090">multiplication des accords de télétravail</a> pour que les femmes accèdent plus largement au télétravail, en particulier les femmes non-cadres, qui occupent des positions de professions intermédiaires ou d’employées dans des métiers de bureau.</p>
<p>Cette forte féminisation et cette relative démocratisation du télétravail ne se font pas sans heurts. Les <a href="https://www.cairn.info/le-travail-a-distance--9782348079481-page-203.htm">enquêtes ethnographiques</a> au long cours menées par l’une de nous montrent que les politiques de télétravail menées par les organisations ne sont pas neutres du point de vue du genre. Alors que le télétravail est en théorie destiné à toutes et tous, elles en dessinent des figures plus ou moins désirables et légitimes, marquées par des stéréotypes.</p>
<p>Dans un certain nombre d’organisations, le télétravail est mis en place à reculons, du fait d’obligations réglementaires ou de la crise sanitaire. Il est conçu comme une politique sociale très (trop) favorable aux salariés qui risque de peser sur la productivité. À bien y regarder, le soupçon pèse d’abord sur les femmes et les mères de famille, suspectées d’être peu engagées et de vouloir télétravailler le mercredi pour garder leurs enfants, d’autant plus lorsqu’elles occupent des postes à peu de responsabilités.</p>
<p>Dans ces organisations, les hommes hésitent plus à recourir à un dispositif qui a « mauvais genre », tandis que les femmes qui le font sont stigmatisées et restent très contrôlées, leur travail à distance étant attentivement scruté.</p>
<p>Dans d’autres organisations, une <a href="https://www.anact.fr/teletravail-les-enjeux">orientation plus organisationnelle est donnée au télétravail</a>, abordé au contraire comme un signal de modernité et une opportunité pour mettre en place de « nouveaux modes de travail ». La figure implicite du télétravailleur est plutôt celle du « bon manager », qui fait confiance à ses équipes et leur donne de l’autonomie.</p>
<p>Pour autant, cette figure, <a href="https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2007-1-page-79.htm?contenu=article">construite au « masculin-neutre »</a>, peine à se décliner aux échelons hiérarchiques inférieurs, structurellement plus féminisés. L’accès au télétravail y demeure souvent plus compliqué – on rechigne par exemple à accorder du télétravail aux assistantes, que l’on aime garder sous la main – et sa pratique peut là aussi être plus restreinte en termes de nombre de jours accordés ou de possibilités d’adapter ses horaires.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223915/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Une enquête montre que, bien qu’apprécié par les salariées, ce mode de travail, à poste égal, les contraint davantage que les hommes.Gabrielle Schütz, Maîtresse de conférences en sociologie, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Céline Dumoulin, Ingénieure de recherche, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2239462024-02-27T16:13:54Z2024-02-27T16:13:54ZDans les hôpitaux, le mal-être des soignants face à l’accélération du rythme de travail<p>Depuis l’an 2000, en France, <a href="https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/infographies-comment-la-france-a-perdu-pres-de-80-000-lits-d-hospitalisation-publics-en-vingt-ans_4833931.html">environ 80 000 lits d’hospitalisation complète ont été fermés</a>, représentant un quart de la capacité d’accueil des hôpitaux. Cette évolution vise à favoriser une hospitalisation plus brève, connue sous le nom d’« ambulatoire » où les patients entrent le matin à l’hôpital, reçoivent leurs soins, et repartent dans la journée.</p>
<p>Cette tendance à accélérer la prise en charge s’inscrit dans une <a href="https://www.researchgate.net/publication/281512421_Post-NPM_Reforms_or_Administrative_Hybridization_in_the_French_Health_Care_System">logique d’amélioration de l’efficience et de la rentabilité des hôpitaux</a>, en lien avec les réformes inspirées du <a href="https://books.google.fr/books?hl=en&lr=&id=XFphDAAAQBAJ&oi=fnd&pg=PT4&dq=nouveau+management+public%3B+h%C3%B4pitaux">nouveau management public</a> (NMP), un modèle de gestion qui vise à importer des pratiques du secteur privé dans les organisations publiques. Le NMP permettrait de rendre plus performants les hôpitaux publics, en s’appuyant sur des principes tels que l’optimisation des ressources, le renforcement de la compétitivité face aux structures privées, et <a href="https://journals.openedition.org/quaderni/735">l’amélioration de la capacité de rendement</a>. L’application de ce nouveau modèle de gestion a des répercussions sur le terrain, comme nous avons pu le constater lors de <a href="https://www.researchgate.net/publication/372988846_Ethical_Implications_of_Acceleration_Perspectives_From_Health_Professionals">l’enquête</a> que nous avons réalisée, fondée sur des entretiens avec divers professionnels de santé ainsi que des observations menés <a href="https://inria.hal.science/tel-03553270/">entre 2017 et 2020</a>.</p>
<h2>Des mesures pour réduire les dépenses</h2>
<p>Les réformes, notamment la <a href="https://sante.gouv.fr/professionnels/gerer-un-etablissement-de-sante-medico-social/financement/financement-des-etablissements-de-sante-10795/article/financement-des-etablissements-de-sante">transition d’un budget global à une tarification à l’activité (T2A)</a> en 2004-2005, ont redéfini les incitations financières dans le système hospitalier. Ce changement a instauré une relation entre le volume d’activité réalisé et le financement des établissements, encourageant ainsi une augmentation du nombre de patients pris en charge pour obtenir des fonds liés à l’activité.</p>
<p>Parallèlement, l’émergence des pôles d’activités médico-économiques, initiée par <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000606537/">l’ordonnance du 2 mai 2005</a> et confirmée en <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000020879475">2009</a> par une loi portant réforme de l’hôpital, a ajouté une dimension nouvelle.</p>
<p>Les pôles placent les médecins, en tant que chefs de pôles, au cœur des pratiques budgétaires. Ils jouent un rôle déterminant dans l’établissement et la réalisation des objectifs financiers des hôpitaux. La performance est devenue la pierre angulaire de ces changements, répondant à l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM).</p>
<p>Une des conséquences de ces réformes est la <a href="https://inria.hal.science/tel-03553270/">mise en avant d’objectifs de performance quantitatifs</a> tels que la réduction des durées moyennes de séjour, l’augmentation du taux d’occupation des lits et l’augmentation du taux d’activité médicale, incitant les professionnels de santé à <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/AAAJ-12-2019-4309/full/html">accélérer le <em>turn-over</em> des patients</a>.</p>
<h2>La rentabilité est associée à l’accélération du <em>turn-over</em></h2>
<p>Cette accélération du rythme s’inscrit dans le concept plus large d’<a href="https://www.lemonde.fr/livres/article/2010/04/15/la-fuite-en-avant-de-la-modernite_1333903_3260.html">« accélération sociale »</a> et de <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/alienation_et_acceleration-9782707182067">« stabilisation dynamique »</a> du sociologue allemand Hartmut Rosa.</p>
<p>L’accélération sociale est définie par Hartmut Rosa comme une tendance de la société moderne à accélérer dans trois domaines principaux : les innovations technologiques, les normes culturelles, et nos rythmes de vie (en réalisant davantage d’actions par unité de temps). Ces processus d’accélération créent un stress chez les individus qui doivent constamment s’adapter à ce rythme effréné caractéristique de la modernité. Afin d’expliciter le processus de stabilisation dynamique, Rosa compare les systèmes capitalistes à un vélo.</p>
<p>Pour maintenir un équilibre, il faut pédaler en continu, aller de l’avant, et augmenter la vitesse sinon le vélo risque de basculer. Dans le contexte des entreprises, cette tentative pour maintenir une stabilité et rester en place se traduit par une intensité de travail croissante. Les décisionnaires voient dans cette accélération une opportunité, associant la rapidité à la rentabilité. Cependant, cette vision occidentale industrialisée du temps, axée sur l’optimisation, peut conduire à des effets néfastes pour les salariés.</p>
<h2>Des effets néfastes sur les soignants</h2>
<p>Du point de vue des soignants, les soins nécessitent du temps, de la lenteur afin d’être présents pour les patients et leur famille. Cependant, cette dimension relationnelle n’est pas toujours possible en raison du manque de temps. On constate alors une <a href="https://www.jstor.org/stable/44875693">érosion de l’éthique du soin</a>. Une cadre de santé, Sylvie, chargée de coordonner les équipes soignantes, a déploré lors de nos entretiens « la perte de cette dimension relationnelle essentielle ». Cette réalité alimente chez elle un sentiment d’insatisfaction au travail.</p>
<p>L’accélération du <em>turn-over</em> des patients a aussi un impact sur le bien-être au travail des soignants. « Cela crée du stress pour tout le monde », affirme Olivier, un autre cadre de santé interviewé lors de notre enquête. Plus le <em>turn-over</em> est élevé, plus la charge de travail des médecins, des internes et des paramédicaux est importante et plus la fatigue se fait sentir, et peut entraîner des cas de dépression, d’absentéisme et de burn-out. Une infirmière, Sara, nous a expliqué que pendant les six premiers mois après son embauche, une fois par semaine, en rentrant du travail dans sa voiture, elle pleurait juste pour des choses stupides, témoignant de l’impact émotionnel de la charge et du rythme de travail intense. Aujourd’hui, elle prévient ses nouveaux collègues qu’elle forme des défis qui les attendent, soulignant la réalité difficile de ce contexte de travail.</p>
<p>Les professionnels se sentent souvent traités comme des automates, semblables à des machines et alertent sur le risque de déshumanisation des soignants. Plusieurs cadres de santé comparent maintenant l’hôpital à une chaîne de production dans une usine.</p>
<h2>Une spirale vicieuse qui crée de la désorganisation collective</h2>
<p>L’accélération du <em>turn-over</em> des patients crée donc non seulement une pression accrue mais aussi une désorganisation collective. En effet, plus l’absentéisme augmente, plus les infirmiers doivent faire des heures supplémentaires et raccourcir leur temps de repos avant leur prochain tour de travail. L’accélération peut donc devenir une spirale vicieuse, brouillant les frontières entre la vie privée et professionnelle des infirmiers.</p>
<p>Camille, une infirmière qui est employée depuis deux ans et demi à l’hôpital, a déjà fait 150 heures supplémentaires. Elle précise que « cela représente plus d’un mois d’heures supplémentaires ». Tandis que sa responsable a réussi à lui octroyer des jours de congé, elle lui conseille de ne pas répondre si l’hôpital l’appelle car il est probable qu’on lui demande de revenir de son congé pour apporter son aide au fonctionnement des services de l’hôpital. Camille estime que « ce type de management est déshumanisant ».</p>
<p>Du point de vue des cadres de santé, cette gestion les pousse à prendre des décisions managériales qui vont à l’encontre de leurs valeurs, générant un sentiment de ne pas respecter les infirmiers, de les manipuler et de les utiliser pour faire face à l’absentéisme. Pour Nathalie, le rôle de cadre de santé voudrait de respecter leur vie personnelle, de respecter les horaires, mais « ce n’est tout simplement pas possible ». Alors, nous confie-t-elle, elle se retrouve régulièrement « contrainte de les épuiser ».</p>
<p>L’impact de ces effets sur les soignants ne fait guère de doute aujourd’hui, en raison d’une littérature scientifique et d’une presse importante. Pourtant, le gouvernement a reporté à 2028 la fin du caractère central de la tarification à l’activité dans le financement des hôpitaux et n’a pas fait d’annonce concernant un plan stratégique visant à assurer le bien-être des professionnels de santé.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223946/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Agathe Morinière ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Plus le turn-over des patients est élevé, plus la charge de travail des soignants est importante et entraîne stress, dépression, absentéisme et cas de burn-out.Agathe Morinière, Maître de conférence (Professeur assistant), EM Lyon Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2236862024-02-26T15:47:24Z2024-02-26T15:47:24ZQuiet quitting : ce que nous apprend TikTok sur les « démissionnaires silencieux »<p>Après le <a href="https://theconversation.com/le-mystere-de-la-grande-demission-comment-expliquer-les-difficultes-actuelles-de-recrutement-en-france-173454">« big quit »</a> ou grande démission, le <a href="https://theconversation.com/quiet-quitting-au-dela-du-buzz-ce-que-revelent-les-demissions-silencieuses-192267"><em>quiet quitting</em></a> ou démission silencieuse apparaît en juillet 2022. L’institut de sondage <a href="https://www.gallup.com/workplace/398306/quiet-quitting-real.aspx">Gallup</a> désigne avec ce terme les personnes qui « ne se surpassent pas au travail et se contentent de répondre à la description de leur poste ». La démission silencieuse reflète-t-elle un désengagement progressif de l’individu vis-à-vis de ses tâches professionnelles ? Serait-elle un préliminaire au changement professionnel ?</p>
<p>Pour tenter de comprendre ce phénomène censé être silencieux, nous sommes allées enquêter dans un endroit plutôt bruyant : TikTok. Y ont été analysées toutes les vidéos postées entre juillet et décembre 2022, ainsi que leurs commentaires, qui ressortaient en entrant les mots-clés « quiet quitting » ou « démission silencieuse ».</p>
<p>Les vidéos présentent une grande variété de profils, ce dans le monde entier. L’<a href="https://www.persee.fr/doc/rfp_0556-7807_1993_num_105_1_2525_t1_0132_0000_2">analyse</a> textuelle manuelle puis <a href="https://www.lexicool.com/text_analyzer.asp">automatisée</a> que nous avons menée, et qui a fait l’objet d’une communication au congrès 2023 de l’Association francophone de gestion des ressources humaines (<a href="https://www.agrh.fr/actes-des-congrs">AGRH</a>), a permis de mettre en lumière quelques traits majeurs du phénomène.</p>
<h2>Raisonnables ou fainéants ?</h2>
<p>« Ne plus s’investir », « pas d’implication », <a href="https://www.tiktok.com/@thelizjane/video/7134760912354905350">« se déconnecter des valeurs de l’entreprise »</a>, « se définir autrement que par le travail ». Celles et ceux s’inscrivant dans une démission silencieuse témoignent en premier lieu d’une perte de sens et d’un mal-être au travail. Les signes manifestes de cette démission silencieuse sont un désengagement, une démotivation, un détachement vis-à-vis du travail. Parmi leurs souhaits figurent la recherche d’un équilibre entre vie professionnelle et personnelle et un meilleur respect de leur sphère privée. La démission silencieuse peut même être présentée comme allant de soi : il s’agirait juste de <a href="https://www.tiktok.com/@scottseiss/video/7136571129325489451?q=Cartel%20Pagel%20quiet%20quitting&t=1706866481233">« faire son travail normalement »</a>, de « travailler de manière raisonnée » ; elle est même revendiquée quelquefois avec virulence.</p>
<p><div data-react-class="TiktokEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.tiktok.com/@scottseiss/video/7136571129325489451"}"></div></p>
<p>Certains continuent alors d’œuvrer normalement mais sans dépasser certaines limites qu’ils se fixent : <a href="https://www.tiktok.com/@yorchbesos/video/7138120624739716358?q=yoch%20besos%20quiet%20quitting&t=1707468055064">« pas d’heure supplémentaire »</a>, « pas de tâches additionnelles ». Ils indiquent « faire le strict minimum » ; ils peuvent aussi, sciemment, « rendre les travaux en retard », ou même revendiquent un « non-respect des horaires ».</p>
<p>Beaucoup jouent avec les limites de ce qu’il est possible de (ne pas) faire. « Faire des pauses » est autorisé, mais en faire trop est peu professionnel, voire prohibé. La question est celle de la frontière, floue, entre ce qu’établit le salarié et ce qui est acceptable par l’employeur. Souvent, le démissionnaire silencieux est qualifié comme tel car la limite, si elle est franchie, l’est de façon difficilement perceptible ou peu répréhensible. On parle ici de comportements de « retrait ».</p>
<p>Des approches plus critiques vis-à-vis des démissionnaires silencieux émanent alors de personnes se présentant comme étant en position de management. Pour ces dernières, le démissionnaire silencieux est paresseux, <a href="https://www.tiktok.com/@kevinolearytv/video/7136748485453434155?q=mr.%20wonderful%20quiet%20quitting&t=1706865446780">« fainéant »</a>. Il manquerait d’ambition, serait en train de « tromper son employeur ». Il aurait un comportement contre-productif, serait une perte de temps pour l’entreprise : d’ailleurs il <a href="https://www.tiktok.com/@mattwalsh_/video/7153769990234049835?q=matt%20walsh%20quiet%20quitting&t=1706868610225">« ne souhaite pas évoluer »</a>.</p>
<p><div data-react-class="TiktokEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.tiktok.com/@kevinolearytv/video/7136748485453434155"}"></div></p>
<h2>Se mettre en retrait</h2>
<p>Plusieurs raisons sont avancées pour expliquer la démission silencieuse. La première est relative à une rémunération en deçà du niveau espéré étant donné le travail accompli : le souhait est de <a href="https://www.tiktok.com/@ioli_dice/video/7135270119088950533?q=Ioli%20dice%20quiet%20quitting&t=1706867168230">« travailler à la hauteur de [« son »] salaire »</a>. Une injustice perçue serait ainsi réparée.</p>
<p>Une autre famille de raisons concerne la surcharge de travail ressentie. Le démissionnaire silencieux n’a « pas de temps, pas de vacances » ; il souffre de « surmenage ». Il peut également avoir pour sentiment qu’il n’a <a href="https://www.tiktok.com/@michou_bidoo/video/7137197496081665285?q=michou%20bidoo%20quiet%20quitting&t=1706867490571">« pas de reconnaissance de [« son »] employeur sur [« son »] travail »</a>. Certaines raisons invoquées concernent également des enjeux sociétaux auxquels ils réagissent : un <a href="https://www.tiktok.com/@laurabienetreautravail/video/7142538268892990726">« malaise profond [« inhérent au »] monde du travail »</a> dans son ensemble ; une « réflexion et [une] remise en question post-Covid » ; ou encore la <a href="https://www.tiktok.com/@jobhackeuse/video/7138093854682615046?q=laura%20d%C3%A9mission%20silencieuse&t=1706867641173">« suite de la grande démission »</a>.</p>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/reel/Cxu3MvbqsT1","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<p>Quand cela prend la forme d’un comportement de retrait, est-ce une phase amont du <a href="https://www.cairn.info/reconstruire-sa-vie-professionnelle--9782130607687.htm">changement professionnel</a> ? Ces démissionnaires silencieux seraient, peut-être, dans un <a href="https://sci-hub.se/10.1016/j.childyouth.2010.06.006">désinvestissement organisationnel</a> progressif. Le comportement de retrait pourrait être une <a href="https://portaildocumentaire.inrs.fr/Default/doc/SYRACUSE/132324/les-conduites-de-retrait-comme-strategies-defensives-face-au-harcelement-psychologique-au-travail-3-?_lg=fr-FR">protection utilisée par l’individu</a>, une stratégie de désinvestissement psychologique pour, par exemple, se prémunir d’un éventuel <a href="https://www.researchgate.net/publication/227634716_The_Measurement_of_Experienced_Burnout">burn-out</a>.</p>
<p>En attente d’un changement, nos tiktokeurs maintiendraient un niveau d’activité minimal. Ils pourraient également <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/105348229190011Z">calculer leur implication</a> au travail pour s’engager davantage dans leur sphère privée, nommant alors cette posture par un terme en vogue. Enfin, parce qu’ils seraient sur le départ, en fin de contrat par exemple, ils se désengageraient naturellement de l’organisation et de leur travail. Nous avons donc ici plusieurs hypothèses quant aux suites de leurs parcours qu’une recherche plus approfondie, longitudinale, permettrait de creuser.</p>
<h2>Pour les RH repérer les signaux faibles</h2>
<p>Cette recherche ouvre néanmoins des perspectives aux gestionnaires des ressources humaines pour détecter des transitions professionnelles avant leur survenue effective.</p>
<p>En amont d’un changement professionnel, des signaux faibles sont émis. La démission silencieuse pourrait être l’un d’entre eux. En identifiant le désinvestissement même peu apparent, le refus de prendre des responsabilités, de faire des heures supplémentaires, le gestionnaire des ressources humaines peut détecter les individus à réengager dans le collectif de travail. Il peut aussi faciliter leur transition professionnelle, qu’elle soit interne ou externe à l’organisation.</p>
<p>Notre recherche ne permet pas de conclure définitivement sur le long terme : les démissionnaires silencieux peuvent décider de partir ou pas, de continuer à se comporter ainsi ou pas. Et le réseau social étudié est non exempt de limites et de biais. La richesse des verbatim, la diversité des répondants, la cohérence des données et de leur analyse avec la littérature relative au changement professionnel en fait cependant un matériau tout à fait passionnant notamment pour appréhender un phénomène se revendiquant comme silencieux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223686/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La démission silencieuse fait malgré tout parler sur TikTok, un matériau exploité par nos experts pour mieux comprendre le phénomène.Sylvie Rascol-Boutard, Maître de conférences HDR en sciences de gestion, Université de MontpellierAurélia El Yacoubi, Doctorante en Sciences de Gestion, Université de MontpellierLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2237032024-02-25T16:26:42Z2024-02-25T16:26:42ZParler salaires, un tabou en France ? Vraiment ?<p>Il existe en France une idée bien installée selon laquelle les <a href="https://theconversation.com/topics/salaires-26163">salaires</a> seraient <a href="https://theconversation.com/topics/tabou-98565">tabous</a> et que les <a href="https://theconversation.com/topics/salaries-51494">salariés</a> devraient éviter d’en parler. C’est tout l’inverse cependant que l’on peut observer dans les <a href="https://theconversation.com/topics/entreprises-20563">entreprises</a> : des discussions à ce sujet ont effectivement lieu. Quand on les interroge, les salariés mentionnent des échanges qui peuvent s’inscrire dans le cadre formel des entretiens annuels au cours desquels on peut parler primes et augmentation, mais aussi dans des contextes informels, avec leurs collègues à la machine à café par exemple.</p>
<p>L’inflation récente participe, certes, à ramener les salaires sur le devant de la scène. Au-delà de la question cruciale des inégalités, en parler représente aujourd’hui une pratique sociale signifiante pour les salariés en ce qu’elle leur permet de mieux évaluer le montant de leur rémunération, mais également leur place dans les organisations et la division du travail. Cette transparence salariale, quand elle n’est pas l’initiative des entreprises elles-mêmes, est la conséquence d’un mouvement relativement récent d’individualisation et de complexification des rémunérations dans les organisations. Ce phénomène a tout à la fois participé au brouillage de la perception des rémunérations, au sens propre comme au sens figuré, et à la tenue des discussions pour mieux les appréhender. La règlementation, aussi, a favorisé les affichages.</p>
<h2>Des initiatives des entreprises</h2>
<p>À l’occasion d’une enquête sur ce que les salariés pensent de leur rémunération, menée par entretiens et questionnaire, un fait nous a sauté aux yeux : les salariés discutent bien de leur paie. Et ces discussions semblent de plus en plus décomplexées. Elles peuvent se tenir de manière imprévue entre collègues à l’occasion d’un document qui traîne à la photocopieuse mais aussi avoir pour origine des outils pour dire les rémunérations, outils mis en place par les entreprises elles-mêmes.</p>
<p>Conscients que des informations sur les échelles salariales circulent, les membres des Ressources humaines ou les patrons proposent en effet parfois des dispositifs afin d’accompagner ces formes informelles de lecture de leurs rémunérations par les salariés : des « référents rémunération » sont nommés afin d’expliquer le fonctionnement des primes aux nouveaux entrants, des affiches sont épinglées dans les salles de pauses, des tableaux Excel sont publiés en ligne…</p>
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<p>Certaines firmes, peu nombreuses encore, vont jusqu’à embrasser pleinement le chemin de la transparence salariale en divulguant l’ensemble des rémunérations de leurs salariés. C’est ce qu’a fait Edouard Pick, PDG du groupe <a href="https://www.lavoixdunord.fr/1368762/article/2023-09-03/transparence-des-salaires-le-retour-d-experience-d-edouard-pick-pdg-de-clinitex">Clinitex</a>, entreprise spécialisée dans le nettoyage des locaux professionnels et qui emploie plus de 4 000 personnes sur l’ensemble du territoire français. Dans un esprit de « coming out managérial », comme il le dit lui-même, ce PDG raconte avoir mis un soir en ligne l’ensemble des rémunérations des salariés, en se demandant quand même quelle serait leur réaction. Il rassure :</p>
<blockquote>
<p>« Pas de pneus brûlés sur le parking ! »</p>
</blockquote>
<p>Il dresse le constat de trois types d’effets à cette transparence, trois effets que nous retrouvons également dans notre enquête. D’abord, cette publication a permis l’objectivation d’inégalités salariales injustifiées pour deux salariés, qui ont pu être rattrapés. Ensuite, elle a eu pour effet la revalorisation salariale d’une catégorie de personnels importante pour le fonctionnement de l’entreprise, mais en bas de l’échelle des salaires. Et enfin, la divulgation du salaire du patron, finalement moindre que ce que les salariés auraient pu croire, a permis de dégonfler un peu les fantasmes autour de cette somme.</p>
<h2>Des rémunérations toujours plus complexes</h2>
<p>Mais pourquoi les salariés se mettent-ils à parler de leurs salaires ? Ces discussions adviennent notamment car les trente dernières années se caractérisent par une forte individualisation et complexification des rémunérations. D’un salaire fixe, facilement rattachable à une catégorie de salariés grâce aux classifications, on est passé à de nouvelles gestions des rémunérations par les compétences ou les incitations. Sont venus s’ajouter nombre de dispositifs : prime de performance, intéressement, participation, épargne salariale… qui brouillent quelque peu la lecture des fiches de paie. Bref, il a fallu parfois simplement se mettre à en parler pour bien comprendre !</p>
<p>L’enquête sur les coûts de la main-d’œuvre et la structure des salaires (<a href="https://www.insee.fr/fr/metadonnees/source/serie/s1221">Ecmoss</a>, enquête de l’Insee et du ministère du Travail), que nous avons reprise dans notre ouvrage <em>la Frustration Salariale</em>, à paraître le 20 mars 2024 aux Sorbonne Université Presses, montre bien une augmentation de la part des primes : en 1994, 22,4 % des salariés touchent une prime de performance individuelle, ils sont 34,7 % en 2006 et 40,9 % en 2014. Néanmoins, on note de fortes variations entre cadres et non-cadres et selon le secteur d’activité ou la branche : l’industrie et la finance versent beaucoup de primes. En outre, les petites entreprises ont plutôt recours aux heures supplémentaires pour compléter leurs politiques salariales qu’aux primes.</p>
<p>Enfin, il existe une spécialisation des primes selon le type de salariés : tous ne touchent pas la même chose. Les cadres restent les premiers bénéficiaires de ces dispositifs : 62 % d’entre eux touchent de tels dispositifs contre 55 % des professions intermédiaires, 42 % des employés et 43 % des ouvriers. Une grande hétérogénéité s’observe néanmoins à l’intérieur même de cette catégorie. Des dispositifs comme les <em>stock-options</em> ou les dispositifs de retraite « article 83 » ne sont accessibles qu’aux membres du <em>top management</em>. En 2010, l’argent versé au titre de l’épargne salariale représente un surcroît de rémunération équivalent en moyenne à 6,9 % de la rémunération des salariés bénéficiaires, pour en moyenne 48,7 % des salariés des entreprises de 10 salariés ou plus.</p>
<p>La complexification des éléments de rémunérations ces trente dernières années ne <a href="https://presses.ens.psl.eu/collections_1_cepremap_bien-ou-mal-payes-_978-2-7288-0518-1.html">correspond ainsi pas à un mouvement uniforme</a>.</p>
<h2>Des réglementations qui poussent à plus de transparence</h2>
<p>Si les salaires s’affichent plus volontiers, la démarche visant à les dévoiler reste pourtant controversée et certains se questionnent même sur leur légalité. Dans le monde anglo-saxon, des clauses dites de <em>pay secrecy</em> s’appliquent parfois dans certains secteurs, interdisant aux salariés de parler de leurs revenus. Et ce malgré l’existence du <em>National Labor Relations Act</em>, qui protège depuis 1935 les Américains contre les inégalités salariales qui pourraient se nicher dans ces non-dits. En France, un tournant réglementaire se dessine en revanche dans le sens d’une plus grande transparence des salaires. Ces évolutions réglementaires portent principalement sur deux domaines de revendications : l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et les écarts salariaux entre les patrons et le reste des salariés dans les entreprises, ces derniers étant aussi de <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/les_remunerations_obscenes-9782355220418">plus en plus contestés</a>.</p>
<p>Le principe du <a href="https://www.amf-france.org/fr/actualites-publications/actualites/les-regimes-europeen-et-francais-du-say-pay"><em>Say on Pay</em></a> a par exemple été introduit dans la loi Sapin II de 2016 : c’est par un vote de l’assemblée générale des actionnaires que peut se décider le salaire des dirigeants. L’index d’égalité entre les femmes et les hommes a, lui, été mis en place à partir de 2019, obligeant les entreprises à publier des données notamment relatives aux écarts salariaux. Au niveau européen, la directive européenne <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/pay-transparency/"><em>Pay Transparency</em></a> a été adoptée en mars 2023 et doit participer à l’égalité salariale en rendant publics ces écarts de salaires pour mieux sanctionner les entreprises qui dépasseraient les 5 %. Car dire les salaires, c’est rendre visibles les écarts salariaux, au risque de ne pouvoir justifier l’injustifiable.</p>
<p>Des <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/gwao.12298">études</a> montrent bien que les indicateurs de <em>reporting</em> des inégalités salariales peuvent se montrer féconds, offrant par exemple aux syndicats un espace pour les contestations. Néanmoins, cet espace est investi différemment selon les rapports de pouvoir en présence. Parfois la mise au jour de ces écarts risque d’être <a href="https://www.cairn.info/revue-terrains-et-travaux-2019-2-page-69.htm?ref=doi">instrumentalisée par les directions</a> apportant des justifications fondées sur une interprétation erronée de ces chiffres.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/576030/original/file-20240215-28-rdmhxj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/576030/original/file-20240215-28-rdmhxj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/576030/original/file-20240215-28-rdmhxj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=261&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/576030/original/file-20240215-28-rdmhxj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=261&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/576030/original/file-20240215-28-rdmhxj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=261&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/576030/original/file-20240215-28-rdmhxj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=328&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/576030/original/file-20240215-28-rdmhxj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=328&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/576030/original/file-20240215-28-rdmhxj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=328&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p><em>Cet article fait partie du dossier <a href="https://dauphine.psl.eu/eclairages">« Le travail à l’épreuve des “nouvelles” organisations »</a>, publié par le média scientifique en ligne de l’Université Paris Dauphine – PSL.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223703/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Elise Penalva-Icher a reçu des financements de l'APEC et de l'ANR dans le cadre du programme PROVIRCAP </span></em></p>Contrairement aux idées reçues, les salariés parlent volontiers de leur rémunération, soit que l’entreprise ou la loi les y poussent, soit tout simplement… pour mieux les comprendre.Elise Penalva-Icher, Professeure des universités en sociologie, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2227722024-02-07T15:43:50Z2024-02-07T15:43:50ZLa solitude des agriculteurs : retour sur l’ambivalence d’une notion<p>Ces dernières semaines la France, comme d’autres <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/02/03/colere-des-agriculteurs-ou-en-sont-les-mobilisations-en-europe_6214619_3234.html">pays européens</a>, a vu émerger une <a href="https://www.lemonde.fr/economie/visuel/2024/02/02/aux-racines-de-la-crise-l-eprouvant-quotidien-des-agriculteurs_6214412_3234.html">mobilisation massive</a> d’agriculteurs et d’agricultrices. Réunissant des producteurs de filières différentes, une certaine solidarité dans la colère s’est rendue visible.</p>
<p>Dans le même temps, la journée mondiale des solitudes a eu lieu le 23 janvier dernier, se consacrant à la sensibilisation et à la mobilisation contre les solitudes. La solitude comme sentiment (se sentir seul) et comme pratique (être seul) comprend une histoire difficile à situer, ses significations sociales ayant évolué au fil du temps. On pourrait commencer l’entreprise par une tournure souvent proscrite car trop générale : de tout temps, les individus connaissent la solitude. Mais que signifie cette notion pour celles et ceux qui la vivent ?</p>
<p>Étudier le cas des professionnels du monde agricole peut permettre d’illustrer l’ambivalence de la solitude : la notion pouvant être tout à la fois bénéfique pour les professionnels, comme se révéler négative. Nous mêlons ci-dessous des résultats issus de deux terrains différents, au Canada (pour Mélissa Moriceau) et en France (pour Romain Daviere).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/loin-de-leternel-paysan-la-figure-tres-paradoxale-de-lagriculteur-francais-169470">Loin de « l’éternel paysan », la figure très paradoxale de l’agriculteur français</a>
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<h2>Une solitude valorisée</h2>
<p>En pratique, la vie solitaire est restée longtemps interdite en société. L’historien français Georges Minois dans son <a href="https://www.fayard.fr/livre/histoire-de-la-solitude-et-des-solitaires-9782213670669/"><em>Histoire de la solitude et des solitaires</em></a> précise que dans les sociétés du Moyen Âge qui pensent l’individu depuis le collectif : nulle place pour la solitude, sinon comme une sanction à travers l’exclusion ou l’isolement qu’elle engendre.</p>
<p>Mais Georges Minois rapporte aussi que c’est à cette époque que la notion devient synonyme de pratiques spirituelles, faisant découvrir à nouveaux frais son sentiment. Au XIII<sup>e</sup>, à travers la promotion de la lecture silencieuse, il note également le renouveau de la solitude.</p>
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<p>Puis, à l’époque moderne, la notion devient surtout le produit d’un choix : une terminologie <a href="https://www.albin-michel.fr/solitude-volontaire-9782226397171">toujours à l’œuvre en philosophie</a>. Alors d’usage dans des communautés religieuses, philosophiques ou des créateurs, le sens de la solitude se transforme jusqu’à signifier une manière d’être qu’il faut adopter. Avec la retraite choisie, la solitude est l’occasion non seulement de se découvrir soi, mais également de critiquer la société tout en prenant du recul. On comprend alors l’émergence des fameux récits sur la solitude, de <a href="https://ebooks-bnr.com/ebooks/pdf4/rousseau_reveries_promeneur_solitaire.pdf">Jean-Jacques Rousseau</a> et ses rêveries au philosophe américain <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/L-Imaginaire/Walden-ou-La-vie-dans-les-bois">Henry David Thoreau</a> et son projet politique mobilisateur.</p>
<h2>La naissance d’un mal qui inquiète</h2>
<p>Cependant, la solitude a moins bonne réputation qu’avant, en témoignent les dispositifs récents qui visent à lutter contre elle comme les <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2018/01/24/au-royaume-uni-une-ministre-de-la-solitude-pour-lutter-contre-l-isolement-social_5246449_3214.html">ministères de la Solitude</a> au Japon et au Royaume-Uni par exemple.</p>
<p>En France, selon le <a href="https://www.fondationdefrance.org/fr/les-solitudes-en-france/etude-solitudes-2024">dernier rapport de la Fondation de France</a>, 20 % de la population âgée de plus de 15 ans affirme se sentir seule.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/573750/original/file-20240206-24-hpior.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Portrait du philosophe Alexis de Toqueville" src="https://images.theconversation.com/files/573750/original/file-20240206-24-hpior.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/573750/original/file-20240206-24-hpior.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=810&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/573750/original/file-20240206-24-hpior.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=810&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/573750/original/file-20240206-24-hpior.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=810&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/573750/original/file-20240206-24-hpior.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1017&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/573750/original/file-20240206-24-hpior.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1017&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/573750/original/file-20240206-24-hpior.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1017&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Alexis de Tocqueville (1805,1859), philosophe auteur d’analyses du système démocratique, ses vertus, ses risques et de ses dynamiques.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikicommons</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Déjà, en 1849, le philosophe <a href="https://editions.flammarion.com/de-la-democratie-en-amerique-1/9782080703538">Alexis de Tocqueville</a> constate que les âmes sont plus inquiètes chez les peuples des nouvelles démocraties, avec le risque que le développement des sociétés individualistes « ramène sans cesse [l’individu] vers lui seul et menace de le renfermer enfin tout entier dans la solitude de son propre cœur ». Dans ce contexte, le sentiment de solitude gagne du terrain depuis le siècle dernier.</p>
<p>En sociologie, de <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/socsoc/2018-v50-n1-socsoc04838/">nombreux travaux</a> étudient de <a href="https://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2015-2-page-20.htm">manière inédite</a> ce fléau en le délimitant selon certains groupes sociaux (les personnes âgées, les femmes, celles et ceux qui vivent seuls, entre autres). La difficulté réside dans la compréhension des solitudes modernes, universelles, mais contingentes, selon la position dans l’espace social.</p>
<h2>Le solitude désirée des agriculteurs</h2>
<p>Entre volonté d’autonomie et désir de reconnaissance, l’exemple des agriculteurs bretons et québécois est révélateur des différents sens que peut recouvrir la solitude.</p>
<p>Elle se rapporte parfois à une expérience positive et désirable, notamment lorsqu’elle se lie à l’envie de passer son temps à <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-rurales-2014-1-page-45.htm">prendre soin des animaux</a>.</p>
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<p>« Ce que je préfère ? La liberté, être dehors. Les animaux. La nature quoi. Quand je dis dehors, c’est la nature. Personne sur mon dos. Juste moi et mes vaches. Je suis pas solitaire, mais faut prévenir si tu veux venir me voir. J’aime être seule » déclare Irène, 60 ans, éleveuse laitière en Bretagne quand on l’interroge sur son métier.</p>
</blockquote>
<p>Les entrées dans la profession d’agriculteur sont souvent justifiées par cette quête d’autonomie : « être son propre patron », « prendre seul ses décisions », « être indépendant », « être libre » constituent de puissants attraits de la profession permettant de (re)définir, pour soi, ses conditions de travail.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/BbqdGmJPs7Y?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Agriculture en Europe : la colère est dans les prés (Arte Europe l’Hebdo).</span></figcaption>
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<p>Ce désir revendiqué d’autonomie, à la fois hiérarchique (mais aussi souvent alimentaire, voire énergétique), n’est pourtant pas synonyme d’autarcie. Loin d’être des ermites modernes, les producteurs agricoles cherchent à s’intégrer dans les communautés locales, que ce soit avec le voisinage ou la municipalité (au Québec comme en France) ou à travers l’installation à plusieurs, comme chez les agriculteurs français qui s’installent souvent <a href="https://www.decitre.fr/ebooks/famille-travail-et-agriculture-9782402465502_9782402465502_1.html">à l’aide d’un parent</a>. Au-delà des ressources qui deviennent accessibles (prêts de matériels, transmission des savoirs, entraide, etc.), l’effort vise à lutter contre le risque de l’expérience déplaisante de la solitude au travail.</p>
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<p>« Tu fais tes récoltes le matin, tu n’as pas dit un mot à personne, et là le soir arrive, et je me demande si j’ai dit un mot à voix haute dans la journée » témoigne Claudia, 47 ans, ancienne gestionnaire de bibliothèque devenue productrice de fleurs comestibles au Québec.</p>
<p>« Je trais le lait seul. Le midi, des fois, je suis tout seul à manger. Ce n’est pas drôle. Même le soir de Noël, il faut traire. Tu quittes le repas de famille pour aller traire tes vaches. Tu n’as pas de vie. » Octave, 46 ans, éleveur laitier en Bretagne.</p>
</blockquote>
<p>Expérience tantôt positive et valorisée, tantôt synonyme de souffrance au travail : la solitude expose déjà son ambivalence. Le sentiment d’isolement s’installant, celui-ci peut se conjuguer avec celui du manque de reconnaissance sociale.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1753725650056237208"}"></div></p>
<h2>Un besoin de reconnaissance</h2>
<p>Les <a href="https://www.ifop.com/publication/le-barometre-dimage-des-agriculteurs-vague-19/">Français soutiennent majoritairement les professionnels</a> mais l’impression d’être mal jugé persiste, les agriculteurs et les agricultrices appuyant souvent la déconnexion qui réside entre eux et les autres travailleurs. Cette situation s’exprime par exemple depuis un décalage entre un sentiment d’auto-exploitation des agriculteurs pour produire à des prix accessibles et la dévaluation de la valeur des produits et, par extension, du travail de certains producteurs (comme celles et ceux en agriculture biologiques par exemple) :</p>
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<p>« Les agriculteurs s’exploitent beaucoup. On porte un espèce de fardeau. On travaille comme des dingues pour un salaire de crève-faim pour essayer d’offrir des produits le moins cher possible à des gens qui ne reconnaissent pas vraiment la valeur des produits qu’on leur offre. » (Anthony, 27 ans, ancien étudiant en communication maintenant producteur de fleurs au Québec)</p>
</blockquote>
<p>Or, en milieu agricole, le sentiment de reconnaissance évoqué constitue une source de rétribution majeure et un puissant facteur d’engagement au travail. Chez les agriculteurs, la reconnaissance participe à compenser les aléas et certains aspects négatifs du métier tels que l’isolement, la surcharge de travail, le stress, etc. <a href="https://psycnet.apa.org/record/1996-04477-003">La reconnaissance au travail</a> vient en effet rééquilibrer les efforts, les engagements et les sacrifices donnés dans le travail. C’est aussi ce que souligne la sociologue <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-internationaux-de-sociologie-2005-2-page-311.htm">Catherine Négroni</a> : la souffrance n’est plus vaine lorsque les efforts et les doutes sont reconnus, laissant alors la place aux solitudes positives.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222772/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>L’exemple des agriculteurs est révélateur des différents sens que peut recouvrir la solitude, parfois subie mais aussi recherchée car synonyme d'autonomie.Romain Daviere, Doctorant en sociologie, Sorbonne UniversitéMelissa Moriceau, Docteure en sociologie, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2207172024-01-22T11:00:24Z2024-01-22T11:00:24Z8 % des télétravailleurs (seulement) se sentent surveillés<p>Le <a href="https://theconversation.com/topics/teletravail-34157">télétravail</a> est sans doute, et de loin, le thème qui revient le plus depuis la pandémie liée au coronavirus lorsque l’on aborde le thème des transformations de la vie professionnelle. Et c’est tout un <a href="https://theconversation.com/topics/droit-21145">cadre légal</a> qui a dû se déployer pour accompagner le mouvement. L’article <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000047864720#:%7E:text=Le%20t%C3%A9l%C3%A9travail%20est%20mis%20en,%C3%A9conomique%2C%20s%E2%80%99il%20existe">L1222-9 du code du travail</a> le définissait dès 2012 :</p>
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<p>« Le télétravail désigne toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication. »</p>
</blockquote>
<p>Les lignes suivantes précisent que le télétravailleur est un salarié comme un autre et bénéficie à ce titre des mêmes droits et devoirs que ses collègues. Cela vaut y compris en matière de surveillance, domaine pour lequel le droit est assez strict. Dans quelle mesure un manager peut-il encadrer ses équipes lorsqu’elles se trouvent à leur domicile et vérifier qu’elles sont bien au travail ?</p>
<p>En vertu de son pouvoir de direction, l’employeur peut certes déployer divers dispositifs de contrôle : contrôle des temps de connexion, <a href="https://www.capital.fr/votre-carriere/votre-employeur-peut-il-vous-geolocaliser-1421242">géolocalisation</a>… à condition de <a href="https://lespratiquesdumanager.com/fiches-pratiques/352-comprendre-le-controle-en-entreprise.html">respecter certaines contraintes</a>. La géolocalisation, via un ordinateur, un téléphone professionnel ou une voiture de fonction n’est par exemple qu’un <a href="https://www.village-justice.com/articles/geolocalisation-materiel-informatique-entreprise-les-bonnes-pratiques,41839.html">outil de dernier recours</a> lorsqu’il s’agit de contrôler le temps de travail, c’est-à-dire quand ce contrôle ne peut pas être effectué par un autre moyen, même moins efficace. Il peut sinon être déployé à certaines fins très précises : satisfaire une obligation légale, justifier une prestation de transport auprès d’un client, sécuriser un transporteur ou encore répartir au mieux les tâches d’une flotte de véhicules et notamment d’urgence (une société d’ambulance par exemple).</p>
<p>Le code du travail, le code civil, la jurisprudence mais aussi le Règlement général sur la protection des données (RGPD) encadrent plus généralement les pratiques et les éléments collectés. Tout dispositif de contrôle doit ainsi être <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006900785#:%7E:text=Nul%20ne%20peut%20apporter%20aux,ni%20proportionn%C3%A9es%20au%20but%20recherch%C3%A9">justifié par la nature de la tâche à accomplir, et proportionné au but recherché</a>. Il doit également faire l’objet d’une consultation des représentants du personnel, et d’une <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006900861#:%7E:text=Article%20L1222%2D4-,Version%20en%20vigueur%20depuis%20le%2001%20mai%202008,port%C3%A9%20pr%C3%A9alablement%20%C3%A0%20sa%20connaissance">information individuelle</a> des salariés. Un dispositif de surveillance ne doit en outre <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/cnil/id/CNILTEXT000029302625">pas conduire à une mise sous surveillance généralisée et permanente du personnel</a>.</p>
<h2>Une surveillance que l’on pensait connue et acceptée</h2>
<p>En pratique les entreprises utilisent <a href="https://www.annales.org/gc/2022/resumes/septembre/04-gc-resum-FR-AN-septembre-2022.html">plusieurs formes de contrôle</a> : un contrôle formel de l’organisation (la vérification de l’atteinte d’objectifs par exemple), un contrôle exercé par le groupe, un contrôle reposant sur le pouvoir d’un individu hors de ses attributions formelles, et même éventuellement un autocontrôle. Auparavant, cela reposait sur une structure hiérarchique, le présentiel et la possibilité de voir ses salariés. Dorénavant, il s’exerce potentiellement à tout moment et à distance par l’<a href="https://www.village-justice.com/articles/teletravail-cameras-surveillance-mariage-impossible,40244.html">intermédiaire de la technologie</a>.</p>
<p>Du côté du télétravailleur, dont le <a href="https://obstt.fr/wp-content/uploads/sites/47/2023/12/Dossier_Presse-Observatoire_Teletravail-Ugict-CGT.pdf#page=9">profil type</a> est une femme jeune (30-39 ans), qui travaille dans le secteur privé, comme cadre ou comme ingénieure dans le secteur de l’informatique et des télécommunications ou de l’industrie avec 2 jours de présentiels hebdomadaires <a href="https://obstt.fr/actualites/">résultats</a>, la visibilité « numérique » apparait comme un facteur important de la relation de confiance. La présence derrière l’écran assoit une bonne réputation à la fois auprès de son manager et envers ses collègues. Le numérique à distance permet aussi de contrebalancer l’adage « les absents ont toujours tort » : les canaux technologiques sont utilisés pour communiquer mais aussi pour maintenir des liens avec des collègues éloignés et renforcer leur sentiment d’appartenance à un groupe et/ou à une organisation. Cela <a href="https://psycnet.apa.org/record/2012-10167-004">renforce l’efficacité du contrôle organisationnel</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p><em>Chaque lundi, que vous soyez dirigeants en quête de stratégies ou salariés qui s’interrogent sur les choix de leur hiérarchie, recevez dans votre boîte mail les clés de la recherche pour la vie professionnelle et les conseils de nos experts dans notre newsletter thématique « Entreprise(s) ».</em></p>
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<p>De <a href="https://www.cairn.info/revue-recherches-en-sciences-de-gestion-2019-1-page-181.htm">précédents travaux</a> se sont intéressés à l’attitude des salariés vis-à-vis des caméras de vidéoprotection en entreprise, technologie qui, au-delà des débats éthiques qu’elle soulève parfois, semble plutôt bien acceptée. D’autres <a href="https://www.cairn.info/revue-gerer-et-comprendre-2021-2-page-38.htm">études</a> ont montré que l’autonomie gagnée grâce au télétravail rend le salarié redevable. Il est parfois tenté de prouver son engagement et sa loyauté par une hyperconnectivité.</p>
<p>Membres du comité scientifique de l’observatoire du télétravail de l’UGIC-CGT, ces conclusions nous laissaient envisager un contrôle très présent dans les entreprises en situation de télétravail au moment de construire une enquête dont les <a href="https://obstt.fr/actualites/">résultats</a> ont commencé à être présentés. Ce n’est plus du tout le même scénario qui s’écrit.</p>
<h2>Surveillance, nombre de jours et liberté de choix</h2>
<p>5732 personnes en situation de télétravail nous ont répondu entre juin et décembre 2023. Elles ont été questionnées sur leur perception de la surveillance organisationnelle et sur le contrôle managérial. Plusieurs questions relatives aux dispositifs potentiels ont été posées, concernant notamment l’activation de la caméra, le suivi des frappes sur le clavier et mouvement de souris ou encore les appels/mails réguliers du manager. Nous avons été surpris de constater que la perception de la surveillance est peu présente, à la fois pour la dimension technologique et humaine : seulement 8 % des répondants déclarent ressentir au moins un de ces deux types de surveillance.</p>
<p>Plusieurs constats ont été dressés au-delà, deux principalement. Premièrement, plus le volume accordé de jours en télétravail est important, et plus le sentiment d’être surveillé par la technologie s’accroît. À noter que pareille observation ne s’applique pas au télétravail très occasionnel. Second constat, la surveillance sera moins perçue lorsque le salarié est libre de choisir ses jours en télétravail.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1729510738685747404"}"></div></p>
<p>Plusieurs hypothèses explicatives peuvent être avancées. Une explication peut reposer sur le fait que certains outils utilisés pour le travail à distance le sont dans l’esprit des salariés à d’autres fins que des fins de contrôle : ceux qui permettent par exemple d’organiser une réunion en visioconférence. Ils sont susceptibles d’être aussi utilisés à des fins de contrôle et les salariés ne semblent pas en avoir conscience.</p>
<p>Le manque, ou l’absence, d’informations, même si c’est une obligation légale, peut aussi être avancé : 69 % des répondants déclarent en effet ne pas avoir eu d’information. Or, de précédents travaux ont montré qu’il y a là un <a href="https://scholar.google.fr/citations?view_op=view_citation&hl=fr&user=hXAD0mUAAAAJ&cstart=20&pagesize=80&sortby=pubdate&citation_for_view=hXAD0mUAAAAJ:zYLM7Y9cAGgC">déterminant de l’acceptation des technologies de contrôle</a>. Si les répondants perçoivent la situation comme juste et équitable, cela minore la perception de surveillance.</p>
<p>Le sentiment de redevabilité que nous évoquions, enfin, peut nourrir d’autres hypothèses. Le télétravailleur a tendance à aller au-delà des attentes du manager (heures en plus, forte concentration, autocontrôle, hyperconnectivité), et par la même à surpasser les promesses initiales liées au contrat de travail. En faisant plus, se sentant redevable, il accepterait en même temps tacitement la surveillance, comme une forme de compensation à l’amélioration de sa qualité de vie : une forme de situation donnant/donnant où le télétravailleur accepte la surveillance, n’y prête pas attention, ceci lui permettant d’accroitre son autonomie et d’avoir des conditions de travail plus agréables à distance.</p>
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<p><em>Nicolas Cochard, docteur en Histoire des mondes modernes et directeur Recherche & Développement de Kardham a également contribué à la rédaction de cet article.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220717/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Caroline Diard est membre de CERCLE K2. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Damien Pouillanges travaille pour Kardham, entreprise dans le secteur de l'immobilier professionnel.</span></em></p>Comment comprendre que peu de salariés en télétravail se sentent surveillés alors que les dispositifs de contrôle sont nombreux ?Caroline Diard, Professeur associé - Département Droit des Affaires et Ressources Humaines, TBS EducationDamien Pouillanges, Associate research scientist, Université Toulouse – Jean JaurèsLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2214502024-01-22T10:59:55Z2024-01-22T10:59:55ZUn flou, un fond virtuel, des plantes ou votre salon… Comment habiller vos arrière-plans lorsque vous êtes en visio ?<p>Le <a href="https://theconversation.com/topics/teletravail-34157">télétravail</a> a facilité à bien des égards vos <a href="https://theconversation.com/topics/entretien-58370">entretiens</a> d’embauche et vos débuts dans un nouvel emploi. Lorsque tout se déroule sur <a href="https://theconversation.com/topics/visio-conference-120890">Zoom, Microsoft Teams ou Google Meet</a>, vous n’avez pas à vous soucier d’un train raté ou d’un café renversé qui mènerait sur de mauvais rails un rendez-vous avec un nouvel employeur. Néanmoins, il reste que vous devez tout de même impressionner votre interlocuteur.</p>
<p>L’environnement dans lequel vous vous trouvez aide à montrer votre personnalité à la personne qui se trouve de l’autre côté de l’écran. Celles et ceux qui ont jugé les <a href="https://www.nytimes.com/2020/05/01/arts/quarantine-bookcase-coronavirus.html">bibliothèques des politiciens et des célébrités</a> pendant les premiers jours des confinements l’ont bien souligné.</p>
<p>Mes collègues et moi-même avons récemment mené une <a href="https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0291444">étude</a> qui a révélé que les objets de votre arrière-plan numérique peuvent influencer la façon dont les gens vous perçoivent. Certes, il est déjà bien établi que les individus forgent leur première impression en se référant au <a href="https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fpsyg.2022.857511/full">visage</a> et à la <a href="https://www.sciencefocus.com/news/hardwired-trust-confident-voices">voix</a> de leur interlocuteur. Mais une table en désordre derrière vous peut être perçue comme une indication à propos de votre caractère et de vos capacités. Un lit défait témoigne d’un manque d’attention aux détails. En revanche, les plantes que vous avez gardées en vie témoignent de votre sens des responsabilités et de votre maturité.</p>
<p>Pour explorer le phénomène plus finement, nous avons créé des images fixes d’hommes et de femmes aux expressions souriantes et neutres devant divers arrière-plans lors d’un appel Zoom. Nous avons ensuite demandé à 167 personnes d’évaluer les visages à l’aide d’une échelle de sept points sur le degré de confiance et de compétence qu’elles leur accordaient. Nous n’avons volontairement pas mentionné les arrière-plans, ce qui nous a permis de déterminer si le même visage serait évalué différemment en fonction de ce qui se trouvait derrière lui.</p>
<h2>Des plantes ou une bibliothèque font bonne impression</h2>
<p>Nous avons ainsi constaté que des plantes ou une bibliothèque en arrière-plan augmentaient de manière significative les évaluations de la confiance et de la compétence. À l’inverse, un salon ou un fond virtuel plus ou moins fantaisiste entraînait une baisse des évaluations. Un arrière-plan vide ou flou se situe entre les deux. Nous avons également constaté que les visages souriants et les femmes étaient généralement considérés comme <a href="https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0243230">plus dignes de confiance et plus compétents</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/570116/original/file-20240118-17-sdm2xg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/570116/original/file-20240118-17-sdm2xg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/570116/original/file-20240118-17-sdm2xg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=795&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/570116/original/file-20240118-17-sdm2xg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=795&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/570116/original/file-20240118-17-sdm2xg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=795&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/570116/original/file-20240118-17-sdm2xg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=999&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/570116/original/file-20240118-17-sdm2xg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=999&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/570116/original/file-20240118-17-sdm2xg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=999&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Grille soumise aux enquêtés, avec différents arrières plans (des plantes, une bibliothèque, un salon flouté ou non, un mur blanc et un fond virtuel fantaisiste).</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Lorsque nous avons examiné spécifiquement les visages aux expressions neutres, nous n’avons pas trouvé de différence entre les sexes dans les évaluations de la confiance ou de la compétence lorsqu’ils étaient assis devant les plantes et la bibliothèque. En revanche, les visages masculins ont été jugés nettement moins compétents lorsqu’ils se trouvaient devant un salon, un arrière-plan « original » ou un mur blanc.</p>
<p>Tous les visages de la base de données que nous avons utilisée sont blancs, ce qui évite d’éventuels biais liés à la couleur de peau et nous permet de nous concentrer sur l’effet des arrière-plans Zoom. En effet, d’autres recherches nous ont appris que des <a href="https://harvest.usask.ca/items/668b2e7e-2c70-4052-859c-f0f6a7b7ea28">préjugés inconscients</a> concernant cette variable, la classe sociale ou le handicap peuvent affecter la manière dont les candidats à l’emploi sont perçus. Les arrière-plans Zoom peuvent donner lieu à des interprétations quant à l’héritage, le handicap ou le statut socio-économique d’une personne, et c’est tout un effort que doivent fournir les intervieweurs pour rester impartiaux.</p>
<h2>Surtout, souriez !</h2>
<p>Beaucoup d’entre nous consacrent du temps et de l’énergie à soigner leur apparence lors d’une réunion ou d’un entretien sur Zoom. Néanmoins, il faut bien garder en tête que ce qui est capté par notre webcam, c’est en grande partie ce qui se trouve derrière nous.</p>
<p>Nos recherches montrent qu’il est possible de procéder à de petits ajustements pour faire une bonne première impression virtuelle. Mettre des plantes derrière soi ou tournez son bureau de manière à ce qu’il soit encadré par une bibliothèque et ce sont des points de gagner.</p>
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<p>Bien sûr, l’inconvénient du travail à domicile est que de nombreux facteurs échappent à notre contrôle. Il se peut que vous deviez partager une pièce de travail avec un colocataire ou un compagnon/une compagne, ou qu’il y ait des travaux de construction à proximité. Comme le montrent nos résultats, si vous n’avez pas beaucoup de contrôle sur votre environnement, le sourire peut vous aider. Il existe également des <a href="https://www.theverge.com/2023/11/15/23961943/microsoft-teams-ai-decorate-background-voice-isolation">outils d’intelligence artificielle</a> qui vous permettent de « ranger » virtuellement ou d’ajouter un peu d’éclat à votre espace d’arrière-plan.</p>
<p>Ainsi, après avoir révisé vos notes et enfilé des vêtements élégants (au moins sur la partie supérieure de votre corps), regardez votre vidéo avant de rejoindre la visioconférence ou par-dessus votre épaule. L’arrière-plan donne-t-il la meilleure impression possible ? Si ce n’est pas le cas, n’hésitez pas à regarder à quelle distance se trouve la jardinerie la plus proche ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221450/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Paddy Ross ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une étude montre que tous les cadres ne se valent pas pour inspirer confiance et compétence par écrans interposés.Paddy Ross, Associate Professor, Department of Psychology, Durham UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2204412024-01-08T10:58:58Z2024-01-08T10:58:58ZFini le flex office pur et dur, place à l’« activity-based working » ?<p>Il ne semble à la mode que depuis quelques années : le <a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-flex-office-210657"><em>flex office</em></a> va-t-il déjà être supplanté ? Critiqué pour de multiples raisons alors qu’il promettait plus de productivité et l’instauration de dynamiques soutenues de travail collectif, il est aussi associé, parfois, à une perte d’identité et de repères pour le salarié.</p>
<p>Comme nous l’observons au cœur d’un ouvrage récemment publié aux éditions Deboeck Supérieur, <em>Le Travail et ses espaces, le pari du bien-être et de la performance</em>, les réponses se trouvent peut-être dans une <a href="https://core.ac.uk/download/pdf/4379526.pdf">expérimentation</a> restée relativement confidentielle réalisée au sein des locaux l’entreprise <a href="https://theconversation.com/topics/ibm-52569">IBM</a> en 1970, la même qui inventera cette nouvelle organisation des bureaux. C’est elle qui pensera la déterritorialisation des espaces de travail, des postes non attribués dans le cadre d’un espace ouvert et diversifié, elle qui génèrera à partir du milieu des années 1990 le concept de <em>flex office</em>. C’est elle aussi, en en identifiant les limites, qui porte en germes une forme d’espaces enrichis et diversifiés fondés sur les activités. Encore peu connue en France, elle dessine une nouvelle organisation du travail que l’on nomme « activity-based working ».</p>
<h2>Aux origines, une expérimentation discrète en 1970</h2>
<p>Financée par la firme de Armonk et menée par deux chercheurs du MIT, Thomas Allen et Peter Gersterberger (1971), l’expérience se donnait pour objectif d’évaluer l’impact d’un réaménagement radical des bureaux sur le comportement au travail, la communication et les performances d’une équipe d’une quinzaine d’ingénieurs produits « cobayes » appelés à se déplacer assez fréquemment. En lieu et place des anciens bureaux très cloisonnés a été imaginée une nouvelle configuration dite « non territoriale », sans poste attribué. Chacun des équipiers était amené à s’installer librement selon ses souhaits autour de grandes tables spatialement réparties ou de petites tables rondes éparpillées. Les signes extérieurs de pouvoir étaient appelés à disparaître.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/567568/original/file-20240102-29-e1au68.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/567568/original/file-20240102-29-e1au68.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/567568/original/file-20240102-29-e1au68.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/567568/original/file-20240102-29-e1au68.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/567568/original/file-20240102-29-e1au68.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/567568/original/file-20240102-29-e1au68.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/567568/original/file-20240102-29-e1au68.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p>Le bilan de cette expérience particulièrement novatrice se révéla, du point de vue des usagers, assez largement positif. En termes de confort environnemental, le nouvel aménagement spatial ayant leur préférence, tout retour en arrière leur paraissant inenvisageable. La plus grande fluidité des communications et donc de coordination entre équipiers répartie de manière plus homogène a par ailleurs constitué un facteur de satisfaction. Les chercheurs ont également relevé une baisse des coûts d’exploitation liée à la limitation des travaux de modification de l’espace visant à l’adapter aux évolutions de l’organisation.</p>
<p>Aucun accroissement mesurable de l’efficacité durant la période de la recherche n’a pour autant pu être observé. Pour les auteurs néanmoins, la satisfaction liée au confort environnemental et aux conditions de travail dans ce nouvel espace apparaissait malgré tout plus importante que les économies de coûts, tout en soulignant qu’il pouvait contribuer à améliorer leurs performances à long terme. Ils précisaient logiquement que cet aménagement « non territorial » est particulièrement adapté aux travailleurs mobiles.</p>
<p>Cette expérience, relativement confidentielle, ne sera <a href="https://journals.openedition.org/nrt/2847">pas généralisée</a>, ni au sein d’IBM ni au-delà. Cela s’explique par la lourdeur des équipements informatiques fixes de l’époque mais aussi parce qu’elle concernait une population spécifique. Elle demeure en tout état de cause particulièrement innovante, et sera largement remise au goût du jour. D’abord à grande échelle avec une concentration prioritaire sur les objectifs économiques, le <em>flex office</em>, dans les années 1990, puis, à partir des années 2010, dans le cadre d’espaces diversifiés, enrichis et augmentés.</p>
<h2>Un modèle devenu populaire au milieu des années 1990</h2>
<p>C’est probablement avec l’agence de publicité TBWA Chiat/Day que le mouvement d’adoption du modèle a pris <a href="https://boutique.lemoniteur.fr/de-l-immeuble-de-bureau-aux-lieux-du-travail.html">naissance en 1994</a>. Son dirigeant Jay Chiat avait alors demandé à l’architecte Gaetano Pesce de repenser profondément son organisation afin d’y transformer les habitudes de travail. Celui-ci imagine alors de vastes espaces de travail dépourvus de place individuelle attitrée pour l’ensemble des collaborateurs. L’idée : faire tomber les murs, faciliter la communication, les échanges et la collaboration entre les employés. Elle remet en cause la tradition du bureau fixe, d’un espace approprié, d’une intimité territoriale personnalisée.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1705985872993063137"}"></div></p>
<p>Cette innovation se combine avec une forme de rationalisation spatiale en optimisant les surfaces. Elle séduit rapidement nombre d’entreprises aux États-Unis et en Europe du Nord, en particulier celles qui emploient des travailleurs mobiles par essence, tels les consultants et les commerciaux. Il se déploiera ensuite en France au sein des secteurs de la banque et de la santé, ainsi que progressivement dans d’autres grandes firmes et dans certaines administrations.</p>
<p>Le cabinet Andersen Consulting s’est <a href="https://www.agrh.fr/assets/actes/2003leon074.pdf">totalement inscrit dans cette logique</a>, avec une assez forte <a href="https://www.adi-france.fr/produit/guide-de-la-flexibilite-de-lorganisation-et-de-lenvironnement-de-travail/">médiatisation en France</a>. Localisé initialement au sein de la tour Gan dans le quartier d’affaires de La Défense, le siège social français de la firme de conseil reposait sur un mode d’organisation managérial et spatial traditionnel. L’attribution et la surface d’un bureau personnel y constituaient un marqueur de reconnaissance statutaire, acquis à partir du grade de manager. Les consultants étaient basés dans un espace de travail collectif nommé « staff room ».</p>
<p>C’est en 1995 que les dirigeants de la firme mondiale décident de repenser radicalement les bureaux sur le modèle de TBWA, en déménageant vers l’immeuble dénommé en interne le « George V », au sein du quartier huppé, attractif et symbolique des Champs-Élysées. En janvier 1996 un millier de consultants quittent ainsi La Défense pour environ trois cents postes de travail déterritorialisés. La logique y est celle d’une réservation « hôtelière » : « premier arrivé, premier servi » avec des limites dans le temps (de quelques heures à quelques jours). Et ce quel que soit son niveau hiérarchique.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>Sachant que les espaces occupés doivent être obligatoirement libérés chaque soir, leur appropriation devient alors quasiment impossible. Dans cette même logique, l’occupation d’un poste de travail est imputée en charge sur le budget d’affaires du consultant, qui bénéficie par ailleurs des services d’une conciergerie (concept hôtelier incluant la réservation de billets, ou l’apport d’un costume au pressing…). D’autres types d’espaces sont par ailleurs réservés aux réunions.</p>
<p>Les associés « perdent » ainsi symboliquement le bénéfice statutaire de l’attribution d’un bureau individuel, ce que le changement de lieu a pu faciliter. Ces derniers, toutefois, offrent une résistance en se réappropriant collectivement un étage pour retrouver certains repères, en proximité avec certains collègues, comme s’il leur était intuitivement ou inconsciemment réservé.</p>
<p>La firme de conseil technologique poursuivait à travers cette transformation radicale deux objectifs de nature différente. En premier lieu, favoriser une productivité croissante liée à une présence accrue chez le client combiné avec l’optimisation de l’usage des surfaces de l’espace de l’immeuble. En second lieu, susciter des interactions plus fortes entre consultants de manière à favoriser le travail collaboratif et le décloisonnement, réalité assurément plus difficile à démontrer. En juillet 2001, la firme décide de se relocaliser vers l’Est parisien au sein de l’immeuble « Axe France » bibliothèque nationale, vraisemblablement pour des raisons économiques et symboliques (quartier « branché »), tout en conservant l’essentiel de cette organisation.</p>
<h2>Promesses d’un modèle enrichi</h2>
<p>Les résistances diverses ont fait qu’une vingtaine d’années ont été nécessaires pour que le modèle du <em>flex office</em> soit adopté dans l’Hexagone au-delà du seul monde des consultants. Pour autant, l’usage de ce modèle soulève toujours questionnements et inquiétudes annonçant les questions qui se poseront avec plus d’acuité au moment de la pandémie : difficulté de forger et surtout d’entretenir une culture d’entreprise dès lors que les collaborateurs ne travaillent pas au même endroit ni au même moment, pertes de repères professionnels et relationnels rendant délicate l’acceptabilité sociale de cette non-territorialisation, perte identitaire liée à l’impossibilité de s’approprier un espace réservé et non territorialisé « à soi »…</p>
<p>Inspiré également par l’expérimentation chez IBM, le concept d’<em>activity-based working</em> (ABW) tend à se frayer une place et pourrait bien gagner nos entreprises. Il repose sur des principes analogues à ceux du <em>flex office</em> (notamment la non-territorialisation des bureaux), mais s’en distingue singulièrement par son enrichissement qualitatif.</p>
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<p>Le maitre mot est celui d’activité, d’où sa dénomination : les usagers choisissent d’utiliser au cours de la journée les espaces dédiés précisément à leurs activités en fonction de leurs besoins et donc de leur travail réel. Cela aurait pour effet de contribuer à accroître la collaboration et les interactions entre les « habitants ». Concrètement cela se traduit par une diversification plus marquée des différents espaces ainsi qu’un rattachement des groupes ou équipes à des « territoires », inspirés d’une « ville en miniature » avec ses différents quartiers. C’est l’architecte des environnements de travail néerlandais Erik Veldhoen qui est considéré comme l’inventeur et le <a href="https://search.worldcat.org/fr/title/art-of-working/oclc/636352368">pionnier de l’ABW</a>, et qui le déploya en 1995 au sein de la firme Interpolis, une compagnie d’assurance aux Pays-Bas.</p>
<p>Curieusement cette notion apparait très peu dans la littérature académique et professionnelle en langue française, bien qu’elle se généralise dans les grandes organisations. De manière symbolique comme l’illustre le <a href="https://www.gartner.com/en/documents/3604517">cabinet Gartner</a>, ces espaces sont souvent désignés par des termes représentatifs à connotation symbolique. La « place publique » est l’espace commun destiné aux réunions générales ou aux fêtes d’entreprises ; le « quartier » est conçu pour de petits groupes de travailleurs qui doivent se côtoyer pendant de longues périodes pour réaliser des activités similaires et répétées (un service comptabilité, par exemple, peut s’installer dans un quartier) ; l’« établi » est destiné aux projets collaboratifs ponctuels et limités dans le temps ; la « bibliothèque » offre un petit espace communautaire dans lequel tout collaborateur peut accomplir des tâches ponctuelles ou peu structurées (lecture, recherche, écriture de code…).</p>
<p>On retrouve aussi des « alcôves », zones tranquilles et privées dans lesquelles les employés peuvent récupérer, réfléchir et se détendre. Elles ne sont pas des espaces de travail. Viennent enfin les « espaces bien-être », destinés à des activités communes favorisant le bien-être physique et mental des employés. Ils peuvent être intérieurs ou extérieurs, des postes de travail permettant de travailler debout, des zones de méditation, des chemins sur lesquels peuvent se tenir des réunions ambulantes…</p>
<p>Il s’agit de modeler l’environnement de travail dans ses différentes composantes, espaces, mobilier, décors, technologies, services, en les adaptant aux activités de leurs usagers, en réallouant et diversifiant en quelque sorte les différences ressources spatiales. La logique de réduction des coûts n’est pas nécessairement évoquée. Ce type d’environnement s’imposera et se développera singulièrement à partir des années 2010, principalement au sein de grandes firmes. Ses maîtres-mots associés sont flexibilité, modularité, bien-être, diversité, convivialité, hybridité et végétalisation.</p>
<p>De plus en plus populaire, ce modèle cependant des limites selon plusieurs chercheurs. L’<a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/%20articles/PMC5982044/">écart</a> entre la promesse et le vécu réel des utilisateurs est fréquent. De même des <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/%2010.1080/00140139.2017.1398844">comportements de nidification</a> ont été observés. Ce modèle enrichi ne résout pas globalement la question de l’appropriation et de la personnalisation par les salariés du bénéfice de l’usage d’un espace « à soi » attitré. Il n’empêche l’<em>activity-based working</em>, apparait à plusieurs égards prometteur.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220441/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Pierre Bouchez ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une expérience menée en 1970 dans les locaux IBM a été prémonitoire tant quant à l’instauration des flex office, ces espaces sans postes attribués, que du modèle qui pourrait venir le supplanter.Jean-Pierre Bouchez, Directeur de recherches en sciences de gestion, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2195092024-01-04T21:57:00Z2024-01-04T21:57:00ZLe vélo, meilleur atout pour réduire la pollution et les temps de trajet - L'exemple de l'Île de France<p>Marginal et en déclin partout en France au début des années 1990, le vélo a fait un retour remarqué à Paris. Entre 2018 et 2022, la fréquentation des aménagements cyclables y <a href="https://www.paris.fr/pages/le-bilan-des-deplacements-a-paris-en-2022-24072">a été multipliée par 2,7</a> et a encore doublé <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/11/11/a-paris-la-frequentation-des-pistes-cyclables-a-double-en-un-an_6199510_4355770.html">entre octobre 2022 et octobre 2023</a>. Aux heures de pointe y circulent maintenant <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/11/11/a-paris-la-frequentation-des-pistes-cyclables-a-double-en-un-an_6199510_4355770.html">plus de vélos que de voitures</a>.</p>
<p>Pour autant, Paris <a href="https://theconversation.com/dependance-a-la-voiture-en-zone-rurale-quelles-solutions-109016">n’est pas la France</a>, et pas même l’Île-de-France où la part du vélo reste bien inférieure à celle des transports en commun ou de la voiture. En 2018, dernière année pour laquelle on dispose de données, seuls 1,9 % des déplacements ont été effectués à vélo dans la région francilienne. Bien que ce chiffre ait certainement augmenté depuis, on part de très loin.</p>
<p>Certes, les transports en commun y ont une place nettement <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/3714237">plus importante que dans les autres régions</a>. Reste qu’environ la moitié des déplacements y sont faits en voiture individuelle, avec les <a href="https://theconversation.com/nous-sous-estimons-les-effets-negatifs-de-la-voiture-sur-la-sante-206911">nuisances</a> bien connues qu’elle entraîne : changement climatique, pollution de l’air, bruit, congestion, accidents, consommation d’espace…</p>
<p>De nombreuses pistes sont défendues pour réduire ces nuisances : développement des transports en commun, <a href="https://theconversation.com/le-velo-ce-mode-de-deplacement-super-resilient-138039">du vélo</a>, télétravail, électrification des véhicules… Pourtant, il existe peu de quantification de leur potentiel, qui varie bien sûr entre les régions. Dans un <a href="https://doi.org/10.1016/j.ecolecon.2023.107951">article récent</a>, nous avons donc tenté de le faire – en nous concentrant sur le cas de l’Île-de-France.</p>
<h2>Quelle substitution à la voiture ?</h2>
<p>Pour cela, nous avons utilisé la dernière enquête représentative sur les transports, l’<a href="https://www.institutparisregion.fr/nos-travaux/publications/les-fiches-de-lenquete-globale-transport/">enquête globale des transports 2010</a>, qui couvre 45 000 déplacements en voiture géolocalisés effectués dans la région.</p>
<p>Grâce aux informations fournies par l’enquête sur les véhicules, nous avons estimé les émissions de CO<sub>2</sub> (le principal gaz à effet de serre anthropique), NO<sub>X</sub> et PM<sub>2.5</sub> (deux polluants atmosphériques importants) de chaque déplacement.</p>
<p>Bien que la voiture ne soit utilisée que pour la moitié des déplacements au sein de la région, elle entraîne 79 % des émissions de PM<sub>2.5</sub>, 86 % des émissions de CO<sub>2</sub> et 93 % des émissions de NO<sub>X</sub> dus aux transports.</p>
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<p>Pour tous ces déplacements en voiture, nous avons ensuite étudié s’ils pourraient être effectués à vélo – y compris vélo à assistance électrique – ou en transports en commun, en fonction du temps que prendrait alors chaque déplacement, d’après un simulateur d’itinéraires et en fonction des informations dont nous disposons sur ces déplacements.</p>
<p>Nous distinguons ainsi trois scénarios, qui présentent des contraintes de plus en plus strictes sur le type de déplacement en voiture « substituables ».</p>
<ul>
<li><p>Le scénario 1 suppose tous les déplacements substituables, sauf ceux réalisés par les plus de 70 ans.</p></li>
<li><p>Le scénario 2 exclut de plus les déplacements vers les hypermarchés et centres commerciaux (considérant qu’ils impliquent le transport de charges importantes) ainsi que les tournées professionnelles comme celles des artisans, plombiers, etc.</p></li>
<li><p>Le scénario 3 exclut en outre les trajets avec plus d’une personne par voiture.</p></li>
</ul>
<h2>Vélo ou transports en commun ?</h2>
<p>Nous avons ainsi calculé le pourcentage d’automobilistes qui pourraient passer au vélo ou aux transports en commun (axe vertical) dans le cas d’une hausse du temps de trajet quotidien inférieure à X minutes (axe horizontal).</p>
<p>La conclusion est la suivante : pour les scénarios 1 et 2, environ 25 % des automobilistes gagneraient du temps en utilisant l’un de ces types de mobilités – beaucoup moins dans le scénario 3.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/564598/original/file-20231209-27-den1ls.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/564598/original/file-20231209-27-den1ls.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/564598/original/file-20231209-27-den1ls.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=436&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/564598/original/file-20231209-27-den1ls.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=436&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/564598/original/file-20231209-27-den1ls.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=436&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/564598/original/file-20231209-27-den1ls.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=548&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/564598/original/file-20231209-27-den1ls.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=548&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/564598/original/file-20231209-27-den1ls.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=548&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Sur l’axe vertical, le pourcentage d’automobilistes qui pourraient passer au vélo ou aux transports en commun. Sur l’axe horizontal, la hausse du temps de trajet quotidien maximale à laquelle cela correspondrait.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Leroutier, M., & Quirion, P. (2023). Tackling car emissions in urban areas : Shift, Avoid, Improve. Ecological Economics, 213, 107951</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Qu’en est-il des baisses d’émissions polluantes ? Dans les scénarios 1 et 2, elles diminuent d’environ 8 % si le temps de trajet quotidien est contraint de ne pas progresser – chiffre quasiment identique pour chacun des trois polluants étudiés. Ce pourcentage est inférieur aux 25 % mentionnés précédemment, car les déplacements substituables sont de courte distance. La baisse d’émissions atteint 15 % pour une augmentation du temps de trajet quotidien inférieure à 10 minutes, et 20 % pour une hausse inférieure à 20 minutes.</p>
<p>Nous pouvons attribuer une valeur monétaire aux nuisances générées par ces émissions en utilisant les recommandations officielles en France (85 euros par tonne de CO<sub>2</sub>) et en Europe (28 euros par kg de NO<sub>X</sub> et 419 euros par kg de PM<sub>2.5</sub>). Pour une hausse du temps de trajet quotidien inférieure à 10 minutes, les bénéfices sanitaires et climatiques du report modal atteignent entre 70 et 142 millions d’euros par an, selon les scénarios.</p>
<p>Il est intéressant de noter que c’est le vélo qui permet l’essentiel du transfert modal et des réductions d’émissions, alors que les transports publics existants ont peu de potentiel. Toutefois, notre méthode ne permet pas de tester l’effet de nouvelles lignes de transports publics, ni de l’augmentation de la fréquence sur les lignes en place.</p>
<h2>Qui dépend le plus de sa voiture ?</h2>
<p>Selon nos calculs, 59 % des individus ne peuvent pas abandonner leur voiture dans le scénario 2 si l’on fixe un seuil limite de 10 minutes de temps supplémentaire passé à se déplacer par jour.</p>
<p>Par rapport au reste de la population d’Île-de-France, statistiquement, ces personnes ont de plus longs déplacements quotidiens (35 km en moyenne contre 9 pour les non-dépendants). Elles vivent davantage en grande couronne, loin d’un arrêt de transport en commun ferré, ont un revenu élevé, et sont plus souvent des hommes.</p>
<p>Concernant ceux de ces individus qui ont un emploi, travailler en horaires atypiques accroît la probabilité d’être « dépendant de la voiture », comme l’est le fait d’aller de banlieue à banlieue pour les trajets domicile-travail. Beaucoup de ces caractéristiques sont corrélées avec le fait de parcourir des distances plus importantes et d’être <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0140988322001189">parmi les 20 % des individus contribuant le plus aux émissions</a>.</p>
<h2>La place du télétravail et de la voiture électrique</h2>
<p>Nous avons ensuite étudié dans quelle mesure les individus « dépendants de la voiture » pourraient réduire leurs émissions en télétravaillant. En considérant que c’est impossible pour les artisans, patrons, agriculteurs, vendeurs et travailleurs manuels, un passage au télétravail deux jours de plus par semaine pour les autres professions amènerait une baisse d’environ 5 % d’émissions, en plus de ce que permet le report modal.</p>
<p>Pour réduire davantage les émissions, il est nécessaire de rendre moins polluants les véhicules, en particulier par le passage aux véhicules électriques. Nos données n’apportent qu’un éclairage partiel sur le potentiel de cette option, mais elles indiquent tout de même que l’accès à la recharge et l’autonomie ne semblent pas être des contraintes importantes : 76 % des ménages dépendants de la voiture ont une place de parking privée, où une borne de recharge pourrait donc être installée, et parmi les autres, 23 % avaient accès à une borne de recharge à moins de 500 mètres de leur domicile en 2020.</p>
<p>Ce chiffre va augmenter rapidement car la région Île-de-France a annoncé le triplement du nombre de bornes entre 2020 et fin 2023. L’autonomie ne constitue pas non plus un obstacle pour les déplacements internes à la région puisque moins de 0,5 % des personnes y roulent plus de 200 km par jour.</p>
<h2>Le vélo, levier le plus efficace</h2>
<p>Soulignons que la généralisation des véhicules électriques prendra du temps puisque des véhicules thermiques neufs continueront à être vendus jusqu’en 2035, et donc à être utilisés jusqu’au milieu du siècle.</p>
<p>Ces véhicules ne résolvent par ailleurs qu’une partie des problèmes générés par la voiture : des émissions de particules importantes subsistent, dues à l’usure des freins, des pneus et des routes. Ni la congestion routière, ni le <a href="https://theconversation.com/marche-velo-les-gains-sanitaires-et-economiques-du-developpement-des-transports-actifs-en-france-189487">manque d’activité physique lié à la voiture</a> ne sont atténués.</p>
<p>Lever les obstacles à l’adoption du vélo partout dans la région devrait donc être une priorité. Le <a href="https://fifteen.eu/fr/resources/guides/velo-en-ile-de-france-resultats-de-l-etude-opinion-way-x-fifteen">premier facteur cité par les Franciliens</a> parmi les solutions pour accroître les déplacements quotidiens en vélo serait un meilleur aménagement de la voie publique, comprenant la mise en place de plus de pistes sécurisées et d’espaces de stationnement.</p>
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<p><em>Le projet <a href="https://anr.fr/ProjetIA-17-EURE-0001">ANR- 17-EURE-0001</a> est soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. Elle a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’<a href="https://anr.fr/">ANR</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219509/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Philippe Quirion est président de l'association Réseau Action Climat France (activité bénévole) et membre de l'association négaWatt.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Marion Leroutier a reçu des financements de l'Agence Nationale pour la Recherche (France) et de la Fondation Mistra (Suède) pour ce projet de recherche.</span></em></p>Des chercheurs ont quantifié la possibilité de substituer le vélo et les transports en commun à la voiture dans la région et les effets que cela aurait sur la pollution.Philippe Quirion, Directeur de recherche, économie, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)Marion Leroutier, Postdoc Fellow, Institute for Fiscal StudiesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2161052023-12-17T15:34:32Z2023-12-17T15:34:32ZLe silence, un outil de performance managériale sous-estimé<p>Les managers travaillent évidemment avec des mots… mais peuvent-ils travailler avec le silence ? Lorsqu’il était président-directeur général (PDG) d’Amazon, Jeff Bezos avait supprimé les présentations PowerPoint des réunions et avait introduit 30 minutes de silence <a href="https://www.cnbc.com/2019/10/14/jeff-bezos-this-is-the-smartest-thing-we-ever-did-at-amazon.html">au début de chaque réunion</a>. Il a qualifié ce changement radical de « chose la plus intelligente que nous n’ayons jamais faite » au sein du géant de la distribution en ligne. De manière similaire, Diane Greene, ex-PDG de Google Cloud, explique que « les <a href="https://hbr.org/2017/03/bursting-the-ceo-bubble">moments calmes sont essentiels</a> pour penser clairement et augmenter les chances de poser les bonnes questions ».</p>
<p>Ces propos peuvent sembler surprenants dans nos quotidiens suractifs, parce que le calme est souvent négligé dans les environnements de travail. En 2022, plus de <a href="https://www.sante-auditive-autravail.org/pdf/enquete-Ifop-JNA-SSAT-2022.pdf">50 % des actifs</a> se disaient ainsi gênés par le bruit au travail, un chiffre qui n’a que peu évolué ces dernières années.</p>
<p><iframe id="xP7a9" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/xP7a9/4/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Pourtant, le silence peut constituer un formidable vecteur de performances…</p>
<h2>90 minutes perdues par jour</h2>
<p>Alors que d’autres types de silence, comme la communication non verbale ou la rétention d’information, ont été largement étudiés en management, nous nous intéressons à l’environnement de travail et à la pratique intentionnelle du silence par les individus, les groupes et les organisations. Ces situations ont fait l’objet de très peu de recherches. À l’inverse, des études montrent sans ambiguïté les pertes considérables de temps liées au bruit et à l’absence de tranquillité sur le lieu de travail (<a href="https://hbr.org/2015/03/stop-noise-from-ruining-your-open-office">près de 90 minutes par jour et par employé</a>).</p>
<p>Ollie Campbell, PDG et co-fondateur de Milanote, une entreprise australienne de développement d’applications, a par exemple estimé que l’introduction de moments de calme <a href="https://medium.com/@oliebol/quiet-time-969ccc3416f8">a augmenté la productivité de l’entreprise de 23 %</a>. Une étude portant sur le fait de motiver les autres a en outre démontré que le fait de se taire et d’être silencieux pouvait être <a href="https://www.jmir.org/2013/6/e104/">nettement plus efficace que des mots d’encouragement</a>.</p>
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<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-limiter-la-pollution-sonore-au-bureau-197165">Comment limiter la pollution sonore au bureau ?</a>
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<p>Comme les temps perdus par le bruit sont peu quantifiables, ils restent cependant négligés et constituent des coûts cachés : ils impactent pourtant significativement les performances individuelle et organisationnelle, auxquelles il faut ajouter leurs effets potentiels sur les problématiques majeures que sont l’absentéisme, la qualité de vie au travail ou la santé des collaborateurs.</p>
<p>La question du silence dans les environnements de travail apparaît donc très pertinente. Celui-ci peut procurer un certain nombre de bénéfices indirects, à commencer par un renforcement du potentiel d’attractivité et de fidélisation pour les collaborateurs. Combien d’employés dont on attend une production sont – très paradoxalement ! – mis dans des situations bruyantes rendant difficiles leur concentration, leur attention et leur capacité d’analyse, altérant donc leur productivité ?</p>
<h2>Organiser le silence</h2>
<p>Certes, apprivoiser le silence en entreprise n’est pas chose aisée. Pour démarrer un tel processus où la place du silence est reconnue et valorisée, nous proposons aux managers, sur la base de notre <a href="https://hal.inrae.fr/hal-04251781">étude</a> dans la revue <em>Industrial & Organizational Psychology</em>, les deux recommandations suivantes.</p>
<p>Tout d’abord, accorder de la valeur au silence en <strong>prévoyant explicitement des moments et des espaces de silence</strong> dans l’espace de travail : la configuration des locaux peut consacrer des espaces dédiés au silence, où le bruit n’a pas sa place. De même, des périodes silencieuses peuvent être placées en début de réunion, à l’instar de la méthode de Jeff Bezos, ou insérées en cours de discussion.</p>
<p>Il s’agit ensuite de s’accorder – et accorder – des <strong>moments de déconnexion totale dans la nature</strong>,** **<a href="https://hbr.org/2017/03/the-busier-you-are-the-more-you-need-quiet-time">voire des retraites silencieuses</a>. A priori, cela peut sembler surprenant, mais les effets de ces moments sont puissants, comme le fait de renouveler son stock d’énergie, de procéder à un « rangement » intérieur ou d’être plus à l’écoute des autres.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"825035424829685763"}"></div></p>
<p>Sally Blount, doyenne de la Kellogg School of Management aux États-Unis, <a href="https://www.linkedin.com/pulse/burnt-out-work-consider-silent-retreat-sally-blount">conseille même</a> :</p>
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<p>« La prochaine fois que vous vous sentirez coincé au travail avec un problème difficile à résoudre, une dynamique d’équipe compliquée ou que vous vous sentirez simplement épuisé – au lieu d’embaucher un consultant, d’aller à un séminaire ou de tweeter à ce sujet – envisagez de partir pour deux à trois jours de silence. »</p>
</blockquote>
<p>Même si les effets restent essentiellement indirects et difficilement quantifiables, le silence mériterait une bien meilleure considération de la part des managers et des organisations. Cette question pourrait par exemple s’insérer dans les négociations employeurs-employés sur les modalités de télétravail, la productivité, la santé/qualité de vie au travail. L’objectif n’est pas de transformer les organisations en cathédrales ni de proposer des mesures qui seraient efficaces partout et toujours. Simplement d’ouvrir une perspective qui semble receler, dans de nombreux contextes, un formidable potentiel d’opportunités.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216105/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Pour organiser le calme au calme au travail, un travail de recherche préconise d’aménager des espaces et des plages horaires spécifiques mais aussi de partir parfois en retraite en pleine nature.Alexandre Asselineau, Professeur associé en Management stratégique, Burgundy School of Business Gilles Grolleau, Professor, ESSCA School of ManagementNaoufel Mzoughi, Chargé de recherches en économie, InraeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2183632023-12-03T16:28:14Z2023-12-03T16:28:14ZLe plaisir de travailler pour une grande marque, une question de place dans l’organigramme<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/560999/original/file-20231122-27-sdjkuk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=34%2C60%2C1815%2C950&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En 2017, la compagnie américaine Southwest Airlines, qui a mis en place des politiques visant à renforcer l’image de marque en interne, enregistrait le taux moyen de rotation du personnel le plus bas du secteur aérien.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Southwest_Airlines#/media/Fichier:N8704Q_Southwest_Airlines_Boeing_737-8_MAX_s-n_36988_(25859981728).jpg">Tomás Del Coro/Wikimedia commons</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>La recherche désigne par le terme de <a href="https://www.jstor.org/stable/1252054">« capital marque »</a> ce qui influence un consommateur à choisir un produit plutôt qu’un autre, à payer davantage, à lui rester fidèle, ou à vouloir l’essayer. Autrement dit, tout ce qui permet à une entreprise de récolter plus d’avantages qu’elle ne le ferait sans le nom de la marque. Grâce à ces mécanismes, le capital marque augmente le volume et les prix de vente. Les entreprises deviennent par ailleurs <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0148296319305399">plus attractives aux yeux des candidats</a> à l’emploi et la fidélisation des collaborateurs s’améliore.</p>
<p>C’est pourquoi les entreprises suivent de près l’évolution de la perception de leur marque aussi bien auprès du consommateur qu’en interne, <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/15332960802619082">au sein de leurs équipes</a>. Par exemple, la société de luxe française LVMH a récemment intensifié ses efforts sur les questions sociales et environnementales et a découvert que « le pourcentage de fierté d’appartenir au groupe LVMH a augmenté » suite à ces efforts.</p>
<p>S’il existe encore peu de recherches sur ce sujet, certains cas d’entreprises semblent suggérer que le capital marque a un impact positif sur la satisfaction des employés. Par exemple, Southwest Airlines est bien connue pour avoir utilisé la marque d’employeur afin de fidéliser les employés et d’augmenter leur niveau de motivation. En 2017, la compagnie aérienne américaine a enregistré un <a href="https://www.brunswickgroup.com/southwest-airlines-i6401/">taux moyen de rotation du personnel de 2,5 %</a>, soit le taux le plus bas du secteur aérien.</p>
<p>Faut-il en conclure que les employés sont généralement plus satisfaits lorsqu’ils travaillent pour des entreprises dont la marque est forte ? Dans une récente <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0263237322001232">recherche</a>, nous avons montré que ce niveau de satisfaction dépend en réalité du niveau de hiérarchie dans l’organigramme de l’entreprise : pour les salariés de haut rang, l’effet est quasi neutre alors qu’il est généralement positif pour les salariés de bas échelon, mais négatif pour les salariés de niveau intermédiaire.</p>
<h2>Gardiens de la marque</h2>
<p>Nos données sur l’expérience collaborateur envers une marque, issues d’un vaste échantillon intersectoriel, viennent appuyer l’hypothèse selon laquelle une marque forte ne facilite pas la tâche des salariés de niveau intermédiaire. En effet, ces derniers participent directement au renforcement et au maintien du capital marque. Ils planifient les actions de marketing externe et interne, rédigent les scripts des centres d’appels, évaluent les performances et, plus généralement, « incarnent la marque ». Or plus la marque est prestigieuse, plus les exigences envers le personnel de rang intermédiaire sont nombreuses.</p>
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<img alt="Vitrine Louis Vuitton, marque du groupe LVMH" src="https://images.theconversation.com/files/560998/original/file-20231122-23-mn9kzr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/560998/original/file-20231122-23-mn9kzr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/560998/original/file-20231122-23-mn9kzr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/560998/original/file-20231122-23-mn9kzr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/560998/original/file-20231122-23-mn9kzr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/560998/original/file-20231122-23-mn9kzr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/560998/original/file-20231122-23-mn9kzr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le géant du luxe LVMH s’est réjoui de voir « le pourcentage de fierté d’appartenir au groupe » augmenter après une intensification des efforts sur les questions sociales et environnementales.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/sottolestelle/44586424454">Julien Chatelain/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Si les salariés de niveau intermédiaire sont décrits comme des gardiens de la marque, leurs supérieurs hiérarchiques s’en soucient moins. En effet, les salariés de haut rang tirent profit d’une marque forte en termes d’avantages matériels et de réputation professionnelle, mais sont moins impliqués dans les activités qui contribuent à préserver le capital marque.</p>
<p>Il en va de même pour les salariés qui se situent dans les plus bas échelons de la hiérarchie : ces derniers occupent une fonction opérationnelle et non stratégique (à quelques exceptions près dans certains services ou dans les métiers d’assistance à la clientèle).</p>
<h2>Bienfaits émotionnels</h2>
<p>Cependant, le comportement d’un responsable influence, positivement ou négativement, celui de son équipe. Ainsi, les salariés de niveau intermédiaire exercent une forte influence sur les salariés qu’ils supervisent. De même, on observe que les salariés de niveau intermédiaire ne seront pas sans réagir s’ils remarquent une différence de traitement entre eux et leurs propres supérieurs.</p>
<p>Ces derniers doivent donc être considérés de la même manière que leurs supérieurs, à la fois en termes d’avantages socio-émotionnels (par exemple, mots de remerciements, ou événements d’équipe) qu’utilitaires (par exemple, l’intéressement au capital). Ils pourront alors à leur tour jouer un rôle clé en inspirant et en motivant le reste du personnel. Dans le cas contraire, ils risquent de faire « payer » aux salariés de moindre échelon ce traitement qui leur est défavorable.</p>
<p>En effet, comme le montre la <a href="https://www.researchgate.net/profile/Karen-Cook-12/publication/227109881_Social_Exchange_Theory/links/0deec51e95c0ff0d3c000000/Social-Exchange-Theory.pdf">théorie de l’échange social</a>, mieux une personne (ou une entité sociale comme une marque) vous traite, mieux vous la traiterez en retour, et pas seulement au niveau transactionnel, mais aussi en termes de bienfaits émotionnels (loyauté, respect…).</p>
<p>Le secteur tertiaire constitue un exemple particulièrement éloquent de détérioration du comportement des salariés de rang inférieur et intermédiaire à mesure que le capital marque s’accroît. Dans ce secteur, si le comportement des salariés de rang intermédiaire et élevé n’est pas le bon, il y a de fortes chances que celui des salariés de rang inférieur et intermédiaire aille à l’encontre de la marque.</p>
<p>Cela s’explique en partie parce qu’au sein des grandes marques de service, les collaborateurs de première ligne doivent impérativement représenter la marque auprès des clients, donc leur enthousiasme et la qualité de service dépendent encore plus du comportement de leurs responsables.</p>
<p>Nos recherches soulignent donc qu’une marque forte va de pair avec plus de responsabilités stratégiques. Lorsqu’une marque commence à se faire connaître, l’entreprise doit ainsi veiller à utiliser les bonnes méthodes de marketing interne pour préserver au mieux son organisation.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218363/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Une marque reconnue, qui fidélise les clients et augmente les ventes, n’affecte pas tous les collaborateurs de la même manière au sein de l’entreprise qui la propose.Dominique Rouziès, Professeur de marketing, HEC Paris Business SchoolEmine Sarigollu, Associate Professor in Marketing, McGill UniversityMyriam Ertz, Professeure adjointe en marketing, responsable du LaboNFC, Université du Québec à Chicoutimi (UQAC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2140132023-11-19T16:34:54Z2023-11-19T16:34:54ZContre les douleurs dans le BTP, est-ce efficace de faire des exercices physiques au travail ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/553642/original/file-20231013-19-oq39a6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Renforcement musculaire, étirements, échauffements... la pratique d'exercices physiques au travail se développe, en particulier sur les chantiers du BTP, pour prévenir les troubles musculosquelettiques. Mais leur efficacité n'est pas démontrée.</span> <span class="attribution"><span class="source">OPPBTP</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Des douleurs au niveau de l’épaule, du coude, des articulations des membres inférieurs ou encore du dos… Les troubles musculosquelettiques ou <a href="https://www.ameli.fr/paris/entreprise/sante-travail/risques/troubles-musculosquelettiques-tms/tms-definition-impact">TMS</a> regroupent de nombreuses pathologies des tissus mous de l’appareil locomoteur. Liés aux activités professionnelles, leur nombre demeure élevé et notamment dans le domaine du bâtiment et des travaux publics (BTP). Ainsi, les TMS se situent à la première place des maladies professionnelles reconnues en France et représentent 87 % d’entre elles.</p>
<p>Ces maladies ont des conséquences sur le salarié et sa qualité de vie, mais aussi au-delà : absentéisme, pertes de compétences, sursollicitation des autres collaborateurs dont l’encadrement, pertes de performances, coûts pour l’entreprise et la collectivité, etc. La prévention des <a href="https://theconversation.com/tendinites-douleurs-a-lepaule-chez-les-femmes-et-si-cetait-le-travail-77210">TMS</a> représente donc un fort enjeu social et économique, au-delà de la santé au travail, que l’intensification du travail, le vieillissement de la population et les difficultés de recrutement ne font aujourd’hui que renforcer.</p>
<h2>Échauffements et renforcement musculaire sur les chantiers</h2>
<p>Face à ce fléau durable, les entreprises mettent en œuvre de nombreuses actions, qu’elles soient techniques, organisationnelles ou humaines (en passant par la formation par exemple). Elles expérimentent également des solutions « innovantes ». Parmi celles-ci, figure la mise en place d’exercices physiques sur le lieu de travail.</p>
<p>Les exercices sont destinés à favoriser la capacité des travailleurs à effectuer la tâche demandée puis à récupérer après l’avoir réalisée. Toutefois, <a href="https://www.inrs.fr/media.html?refINRS=TC%20161">cette pratique pose de nombreuses questions</a> auprès des acteurs de la prévention et rien n’en montre aujourd’hui l’efficacité pour prévenir les TMS.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/douleurs-chroniques-un-mal-aussi-silencieux-que-ravageur-en-entreprise-127661">Douleurs chroniques, un mal aussi silencieux que ravageur en entreprise</a>
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<p>Depuis quelques années, la pratique d’exercices physiques au travail se développe, particulièrement sur les chantiers des entreprises du BTP. Inspirée des méthodes japonaises ou encore de la pratique sportive, il s’agit le plus souvent d’échauffements, de réveil ou de renforcement musculaire ou encore d’étirements. Les principaux objectifs annoncés sont de réduire la survenue des TMS, mais aussi et parfois de réduire les accidents de travail (AT), plus particulièrement ceux qui surviennent durant l’heure qui suit la prise de poste (chute de plain-pied, lombalgies…).</p>
<h2>Face aux TMS, pas d’effet démontré des exercices physiques au travail</h2>
<p>Pourtant, à ce jour, le lien entre la pratique d’exercices physiques au travail et les TMS ou les accidents de travail n’est pas démontré. Les recherches à ce sujet sont encore peu nombreuses, notamment dans le BTP. L’Organisme professionnel de prévention du BTP (OPPBTP) a par exemple publié en 2021 un « retour d’expérience » dans lequel sont rapportés une « mise en route physique et mentale », un « renforcement du collectif », « une amélioration de l’ambiance de travail ». Mais les <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/2165079916629688">revues</a> de littérature scientifique qui font le point dans le domaine du BTP et dans <a href="https://bmjopen.bmj.com/content/13/5/e056560">d’autres secteurs</a>, ne montrent pas d’effet significatif concernant les douleurs musculosquelettiques.</p>
<h2>Des intervenants extérieurs aux pratiques hétérogènes</h2>
<p>Plusieurs enseignements d’importance peuvent néanmoins être tirés de ces travaux. Ainsi, il en ressort que, pour la mise en place de ces actions, les entreprises du BTP font le plus souvent appel à des prestataires extérieurs (coachs sportifs, kinésithérapeutes, ostéopathes…), à la médecine du travail ou encore de membres du personnel « sportifs ».</p>
<p>Les séances d’exercices physiques au travail sont alors très hétérogènes selon les chantiers et les individus. Ces pratiques diffèrent, que ce soit dans la façon dont les séances sont mises en place au sein de l’entreprise ou des chantiers, ou même dans la réalisation des exercices physiques (choix des exercices, durée…). Les objectifs à l’origine de la mise en place de ces actions peuvent eux aussi varier et s’avèrent parfois peu explicites et non formalisés.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lactivite-physique-adaptee-pour-rester-durablement-en-bonne-sante-171979">L’activité physique adaptée, pour rester durablement en bonne santé</a>
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<p>Finalement une séance d’exercice physique sur le lieu de travail semble viser non pas un seul objectif, mais plusieurs, et notamment mettre le corps dans des conditions favorables en termes d’éveil, grâce à un déverrouillage et/ou une montée en température.</p>
<h2>Ne pas agir sur les seuls facteurs individuels et physiologiques</h2>
<p>Cette mise en place d’exercices physiques au travail semble s’inscrire dans une approche individuelle de la prévention : mieux préparé à l’effort, l’individu sera moins exposé aux effets délétères des tâches qu’il doit réaliser. Toutes les <a href="https://www.preventionbtp.fr/ressources/questions/que-sont-les-principes-generaux-de-prevention-pgp_9PHWmXNf6DQMBBAi6B8JZC">connaissances</a> et <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006072050/LEGISCTA000006160774/">réglementations en vigueur</a> insistent pourtant sur toutes les mesures collectives de prévention.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-comment-mieux-prevenir-les-risques-psychosociaux-et-accidents-du-travail-159945">Bonnes feuilles : « Comment mieux prévenir les risques psychosociaux et accidents du travail ? »</a>
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<p>Je suis engagée dans un projet de thèse CIFRE (Convention industrielle de formation par la recherche) en ergonomie pour lequel je suis rattachée à trois établissements : l’OPPBTP, le laboratoire ESTER (Epidémiologie en santé au travail et ergonomie) de l’université d’Angers et le laboratoire ACTé (Activité, Connaissance, Transmission, éducation) de l’université de Clermont-Ferrand en tant que chercheuse associée.</p>
<p>Dans ce cadre, nous menons des recherches au sein de l’OPPBTP qui visent à comprendre les raisons de cet engouement pour une approche basée sur l’individu. Nous étudions également les conditions d’une intégration efficace de ces pratiques aux démarches globales de prévention des TMS.</p>
<h2>Identifier les prérequis à la pratique d’exercices physiques en entreprise</h2>
<p>L’objectif de cette étude est d’identifier les conditions dans lesquelles sont réalisées les séances. En effet, pour qu’elles puissent être présentées comme des actions complémentaires dans la prévention des TMS, ces séances doivent agir sur plusieurs facteurs d’apparition des TMS, et pas seulement sur les facteurs individuels et physiologiques.</p>
<p>Cette recherche nous permettra d’identifier quelques prérequis à la mise en place d’exercices physiques au travail, mais aussi des conditions qui pourraient favoriser l’intégration d’une telle action à une démarche globale de prévention des TMS.</p>
<p>D’ores et déjà, quelques premières recommandations peuvent être émises. Elles seront détaillées et précisées par la suite, à l’issue du projet de thèse.</p>
<h2>D’abord, améliorer les conditions de travail</h2>
<p>En premier lieu, ces actions doivent être intégrées à une démarche globale de prévention. Ainsi, l’entreprise doit mettre en place d’autres actions de prévention des TMS qui permettent d’agir sur les conditions de travail. C’est-à-dire sur les facteurs professionnels à l’origine des TMS et qui représentent la cause principale de survenue de ces pathologies.</p>
<p>À titre d’exemple, les chantiers du BTP proposent très souvent des situations extrêmement sollicitantes physiquement. Les TMS proviennent ainsi d’un déséquilibre entre les capacités corporelles du travailleur et les contraintes auxquelles il se trouve exposé. Dans ce contexte, en matière de prévention, suivre des programmes d’exercices physiques, quels qu’ils soient, aura, au mieux, des effets très limités. Il faut donc d’abord améliorer les situations de travail, notamment les plus critiques.</p>
<h2>Adapter les exercices à la situation de santé de chacun et à son métier</h2>
<p>De plus, ces exercices physiques pratiqués sur le lieu de travail ne doivent pas avoir d’effet néfaste sur les compagnons, notamment pour ceux d’entre eux souffrant de douleurs préexistantes. Les exercices devront être adaptés à la situation de santé de tous les participants, des exercices de substitution devront sinon être proposés. Pour cette étape, il est nécessaire de se faire accompagner par des professionnels, par exemple le service de prévention et de santé au travail.</p>
<p>Les séances d’exercices physiques au travail doivent aussi être adaptées à la nature de l’activité professionnelle qui suivra ces séances. Ainsi, selon les métiers ou même selon l’organisation de la journée qui suit pour chaque compagnon, les séances pourraient ne pas se dérouler de la même façon.</p>
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<p>À titre d’exemple, un conducteur d’engins pourrait cibler un réveil musculaire, des échauffements et quelques étirements du bassin et du dos, le dos étant chez lui l’une des parties du corps les plus sollicitées par son activité professionnelle, notamment du fait des vibrations transmises par le véhicule. D’un autre côté, un chef d’équipe en maçonnerie visera plutôt une montée du corps en température (ce que l’on appelle du « cardio ») et un échauffement des chevilles, au vu du nombre de déplacements qui s’effectuent sur sol instable sur le chantier.</p>
<h2>Une implication et des compétences spécifiques pour l’animateur des séances</h2>
<p>L’animateur (ou les animateurs) des séances doit disposer des ressources nécessaires à l’animation des séances. Notre étude met en avant son implication lors des séances, notamment par sa capacité à contrôler la bonne exécution des mouvements et par sa maîtrise et sa connaissance des exercices qui lui permettent d’émettre des recommandations.</p>
<p>L’animateur doit aussi maîtriser les compétences spécifiques liées à la réalisation d’une séance. Cela dépend en partie de l’objectif que vise la séance (réveil musculaire, étirements, échauffement…). Par exemple, lorsque l’on vise un échauffement et donc une montée en température du corps, l’intensité et la durée de la séance doivent être suffisantes pour ressentir cet échauffement. De plus, le temps de transition entre la fin de la séance d’échauffement et les premières tâches professionnelles qui suivent doit être court pour maintenir le bénéfice de l’échauffement.</p>
<h2>Des séances propices aux échanges entre compagnons</h2>
<p>Ce temps de séance est très souvent le seul temps de la journée durant lequel l’ensemble des compagnons se rassemblent (encadrement, personnel, intérimaires et même sous-traitants).</p>
<p>C’est donc un temps qui pourrait permettre aux compagnons de conduire des échanges sur les actions utiles à la prévention des TMS, comme les stratégies de travail qui leur permettraient de se protéger (échanges sur des procédés plus efficients que d’autres, sur l’utilisation d’un outil plutôt qu’un autre…), ou encore sur l’organisation de la journée après la séance d’exercices et les possibilités d’entraide.</p>
<p>Ce temps de séance peut aussi favoriser l’anticipation et l’organisation de la suite de la journée par l’encadrement qui pourrait profiter de cette séquence pour planifier les différentes tâches à effectuer, ajuster les équipes selon les besoins et la perception de l’état des compagnons…</p>
<p>Au travers de cette étude, nous questionnons donc de manière plus générale la mise en place de nouveaux dispositifs proposés aux entreprises ou parfois sollicités par celles-ci. Toutes transformations du travail, qu’elles soient techniques ou organisationnelles, modifient les situations de travail, l’ensemble de ces modifications sont à anticiper en amont.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=250&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=250&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=250&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=314&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=314&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=314&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a lieu du 6 au 16 octobre 2023 en métropole et du 10 au 27 novembre 2023 en outre-mer et à l’international), et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition porte sur la thématique « sport et science ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site <a href="https://www.fetedelascience.fr/">Fetedelascience.fr</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214013/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Caitlin Troussier-Thevenot travaille pour l'OPPBTP. </span></em></p>Des entreprises du BTP mettent en place des séances d'exercices physiques sur le lieu de travail pour prévenir les troubles musculosquelettiques. Une pratique qui n'a pas démontré son efficacité.Caitlin Troussier-Thévenot, Doctorante en ergonomie - Inserm UMR 1085 - Equipe d'épidémiologie en santé au travail et ergonomie (Ester), Université d'AngersLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2178442023-11-19T16:32:53Z2023-11-19T16:32:53ZQuand les conditions de travail se dégradent, faut-il s’en accommoder ou changer d’emploi ?<p>Si la <a href="https://theconversation.com/quiet-quitting-au-dela-du-buzz-ce-que-revelent-les-demissions-silencieuses-192267">« grande démission »</a> n’a pas eu lieu et que les Français ne se sont pas détournés de l’emploi, faut-il pour autant en conclure qu’ils consentent pleinement à leurs <a href="https://theconversation.com/topics/conditions-de-travail-31410">conditions de travail</a> ?</p>
<p>Le grand nombre de <a href="https://theconversation.com/topics/demission-124250">démissions</a> s’explique par l’augmentation de la population active et la reprise de l’activité économique après la crise sanitaire plutôt que par un retrait du marché du travail. Au contraire, le taux d’emploi a atteint en août 2022 son plus haut niveau depuis que l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) le mesure, avec <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/6658008#titre-bloc-10">68,3 % des 15-64 exerçant une activité rémunérée</a>. </p>
<p>La crise sanitaire n’a donc pas produit de phénomène massif de <a href="https://editionsdudetour.com/index.php/les-livres/le-refus-du-travail/#:%7E:text=Th%C3%A9orie%20et%20pratique%20de%20la%20r%C3%A9sistance%20au%20travail&text=Son%20but%20est%20de%20mettre,une%20autre%20vision%20du%20bonheur">« refus du travail »</a>. En revanche, paraphrasant le titre du dernier colloque du Groupe de recherche sur le travail et la santé au travail (<a href="https://gestes.cnrs.fr/">GIS Gestes</a>) – « Changer de travail ou changer le travail ? – nous observons qu’un faisceau d’indices pointe vers un refus des conditions de travail.</p>
<h2>Des contraintes de plus en plus fortes</h2>
<p>Les thématiques de la « grande démission » ou de la « démission silencieuse » sont à restituer dans un contexte de <a href="https://www.sciencespo.fr/liepp/fr/content/maelezig-bigi-dominique-meda-prendre-la-mesure-de-la-crise-du-travail-en-france.html">conditions de travail particulièrement dégradées</a> en France. C’est ce que nous montrons avec la sociologue Dominique Méda à partir des données de l’Enquête européenne sur les conditions de travail 2021.</p>
<p>Travailleurs et travailleuses en France sont davantage exposés aux facteurs de pénibilité physique (postures douloureuses, port de charges lourdes, mouvements répétitifs, exposition à des produits toxiques) qu’en Allemagne, aux Pays-Bas et au Danemark. La situation n’est pas meilleure sur le plan des facteurs psychosociaux de risques. Plus de la moitié des enquêtés travaillent par exemple dans des délais très stricts ou très courts.</p>
<p><iframe id="HEb72" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/HEb72/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Ces expositions s’inscrivent dans le contexte d’organisations du travail où les contraintes sont plus fortes que les ressources pour y faire face. Ainsi tandis que seuls 36,7 % des salariés en France déclarent que leurs collègues les aident et les soutiennent ; ils sont 54,5 % au Danemark. De même, ils sont moins souvent consultés ou informés des décisions qui sont importantes pour leur travail.</p>
<p>Finalement, ils sont peu à estimer que le travail contribue à la construction de leur santé. Au contraire, près de 39 % des personnes interrogées estiment qu’elle est menacée par leur activité professionnelle. Si les atteintes physiques sont importantes (mal de dos, douleurs dans les membres inférieurs ou supérieurs), elles sont également très marquées du côté des atteintes psychiques : 49 % des enquêtés déclarent avoir souffert d’anxiété, contre 30,4 % en moyenne dans l’Union européenne et 7,6 % au Danemark.</p>
<h2>S’accommoder de mauvaises conditions de travail… ?</h2>
<p>La thèse du « compromis fordiste », inspirée par l’<a href="https://www.cairn.info/theorie-de-la-regulation-1-les-fondamentaux-2004%E2%80%939782707132161.htm">école de la régulation</a> en économie a pu laisser penser que de mauvaises conditions de travail (c’est-à-dire concernant l’activité elle-même) pouvaient être acceptées, en contrepartie de bonnes conditions d’emploi (salaire, congés, perspectives de carrières, liens sociaux…). Pour des auteurs comme Robert Boyer ou Alain Lipietz, les rares périodes de stabilité économique, comme celle des années 1950 à 1970, s’expliquent par l’adéquation entre le régime d’accumulation et les modes de régulation par les institutions.</p>
<p>S’inscrivant dans l’esprit de ces analyses, le livre publié en 2012 par le syndicaliste italien Bruno Trentin, <a href="https://laviedesidees.fr/Reconcilier-travail-et-citoyennete"><em>La Cité du travail. La gauche et la crise du fordisme</em></a>, soutient qu’une partie des acteurs de la critique sociale se seraient alors accommodés des mauvaises conditions de travail que produisent le taylorisme et le fordisme au nom de la dignité sociale et de l’intégration économique que ces modes d’organisation procurent aux travailleurs.</p>
<p>Pourtant, les <a href="https://www.cairn.info/revue-travailler-2023-2-page-31.htm">travaux</a> portant sur syndicalisme et santé au travail nous invitent à nuancer la thèse selon laquelle l’organisation du travail n’aurait pas ou peu fait l’objet de revendications, au profit des enjeux d’emploi et de rémunération, y compris sur les enjeux de souffrance au travail. Il faut donc se garder de conclure que les travailleurs et travailleuses se seraient satisfaits au cours d’un moment historiquement marqué par la croissance économique, d’abîmer leur santé au travail en contrepartie de meilleures conditions de vie.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1655829957665521670"}"></div></p>
<p>À partir du choc pétrolier de 1973, le récit du compromis fordiste peine doublement à tenir ses promesses. D’une part l’irruption du chômage de masse, la précarisation de l’emploi et les crises économiques qui se succèdent introduisent une compétition entre les travailleurs qui obère leur capacité à peser dans les négociations avec les employeurs. D’autre part, l’amélioration des conditions de travail qui était attendue des progrès techniques et organisationnels n’a pas lieu.</p>
<p>En France, au contraire, à partir du milieu des années 1980, le <a href="https://www.lespetitsmatins.fr/collections/essais/292-le-travail-presse.html">travail s’intensifie</a> sous la forme d’une accumulation de contraintes industrielles et marchandes pesant en même temps sur des activités de plus en plus variées. Pour s’accommoder de ces conditions de travail, les individus usent de différentes méthodes comme l’autoaccélération décrite par la psychodynamique du travail.</p>
<p>Ainsi, dans les usines à colis d’aujourd’hui, les préparateurs de commandes qui travaillent sous commande vocale « jouent-ils » à faire de « belles palettes » et <a href="https://journals.openedition.org/nrt/240">rivalisent de vitesse entre eux pour tenir leur poste</a>. Travailler plus pour tenir n’est cependant pas le propre de l’usine. Pour les chercheurs de l’industrie énergétique, par exemple, travailler chez soi en <a href="https://www.cairn.info/revue-travail-et-emploi-2016-3-page-27.htm">« débordement »</a> contribue, dans certains cas, à se maintenir en bonne santé en permettant de retrouver du sens à son activité.</p>
<h2>… ou changer d’emploi ?</h2>
<p>À côté de ces pratiques d’accommodement, de nombreux travaux nous montrent que les salariés cherchent aussi à améliorer leurs conditions de travail. Et la poursuite de cet objectif peut passer par un changement d’emploi, comme on l’observe en analysant les trajectoires des salariés dont les conditions travail s’améliorent ou se dégradent.</p>
<p>D’après les <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publications/faut-il-changer-d-emploi-pour-ameliorer-ses-conditions-de-travail">enquêtes</a> de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (la Dares, qui dépend du ministère du Travail), entre 2013 et 2016, les salariés dont les conditions de travail se sont améliorées le plus sont ceux qui ont changé d’emploi ou de profession. Celles et ceux qui font l’épreuve d’une perte de <a href="https://theconversation.com/et-si-vous-profitiez-de-lete-pour-reflechir-au-sens-de-votre-travail-210914">sens au travail</a> – défini comme l’alliance de l’utilité sociale, de la cohérence éthique et des possibilités de développement de soi – ont tendance à <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publication/quand-le-travail-perd-son-sens">quitter leur emploi davantage que les autres</a>.</p>
<p>Si l’on considère que, dans un contexte de précarité de l’emploi, les possibilités de changer d’emploi sont inégalement réparties parmi les catégories socioprofessionnelles, il est intéressant d’interroger le désir de changement des salariés plutôt que leurs changements effectifs. L’enquête Défi du Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Cereq) montre qu’en 2015, un <a href="https://www.cereq.fr/se-reconvertir-cest-du-boulot-enquete-sur-les-travailleurs-non-qualifies">tiers des salariés</a> souhaitait changer d’emploi.</p>
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<p>Les travailleurs les moins qualifiés exprimaient plus souvent que les autres (39 %) un désir de changement, principalement pour sécuriser un emploi qui leur semble menacé. Les employés et ouvriers qualifiés qui indiquaient vouloir changer d’emploi (32 %) mettaient, eux, en avant la volonté d’échapper à des conditions de travail fortement taylorisées et d’avoir plus de flexibilité quant à l’articulation des temps sociaux. Enfin, les cadres (29 %), insistaient sur leurs conditions de travail (intérêt du travail, moins de débordement sur la vie personnelle) et anticipent des réorganisations au sein de leur entreprise, dont ils estiment que leur emploi ou leur carrière pourrait pâtir.</p>
<p>Le refus de mauvaises conditions de travail s’observe aussi en interrogeant les difficultés de recrutement des employeurs. En mars 2022, un <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/1c94dd73c9034a033a0f0c2bd87e133d/DI_MMO_T1%202022pdf.pdf">tiers des salariés</a> déclaraient travailler dans des entreprises ayant amélioré les conditions de travail et d’emploi pour pallier des difficultés de recrutement. Dans le contexte de reprise économique qui a suivi la sortie de la crise sanitaire, le rapport de force entre employeurs et salariés se serait légèrement infléchi en faveur du pouvoir de négociation de ces derniers.</p>
<p>Ces résultats confirment ceux de l’enquête Conditions de travail 2019 : les employeurs qui connaissent le plus de difficultés de recrutement sont aussi ceux qui estiment que leurs employés sont exposés à des pénibilités physiques ou psychiques, notamment les expositions physiques, le travail de nuit et les horaires imprévisibles et, du côté des facteurs psychosociaux de risques, le travail dans l’urgence, les tensions avec le public ainsi que l’impossibilité de faire un travail de qualité. Toutefois, ces difficultés de recrutement diminuent lorsque l’employeur estime que ses employés craignent de <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publication/quelles-sont-les-conditions-de-travail-qui-contribuent-le-plus-aux-difficultes-de-recrutement">perdre leur emploi</a>.</p>
<h2>Une troisième voie ?</h2>
<p>Deux manières de composer donc avec de mauvaises conditions de travail : s’en accommoder ou changer d’emploi. Les vagues de démissions dans les secteurs connaissant une pénurie de main-d’œuvre à la sortie de la crise sanitaire soulignent le caractère déterminant du rapport de force entre salariés et employeurs dans le refus des conditions de travail alors qu’à l’inverse, la peur du chômage et les craintes de déclassement agissent comme de puissants leviers d’acceptation.</p>
<p>Une troisième voie consisterait à transformer les organisations du travail pour les rendre plus soutenables, en redonnant du pouvoir de négociation aux salariés par l’intermédiaire des instances représentatives du personnel. Toutefois, la disparition des <em>comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail</em> (CHSCT) au profit des comités sociaux et économiques (CSE) risque de réduire à portion congrue la mise en discussion des conditions de travail.</p>
<hr>
<p><em>Cette contribution à The Conversation France prolonge une intervention de l’auteur aux <a href="https://www.journeeseconomie.org">Jéco 2023</a> qui se sont tenues à Lyon du 14 au 16 novembre 2023</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217844/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Maëlezig Bigi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Entre le départ et la résignation, une troisième voie apparaît dans le contexte actuel de pénurie de main-d’œuvre : peser sur les employeurs pour refuser l’intensification des contraintes.Maëlezig Bigi, Chercheuse affiliée au Centre d’études de l’emploi et du travail, Co-directrice du Groupe d’études sur le travail et la santé au travail (GIS Gestes), Maîtresse de conférences en sociologie, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2160882023-10-23T18:07:16Z2023-10-23T18:07:16ZAprès la réforme des retraites, le « printemps syndical » peut-il durer ?<p>On disait le syndicalisme moribond. Certains, le classant parmi les <a href="https://giuseppecapograssi.files.wordpress.com/2014/01/bauman-liquid-modernity.pdf">organisations « zombies »</a>, l’avaient même déjà enterré. De fait, la plupart des indicateurs tendaient à confirmer qu’en France, comme dans la plupart des pays dits « développés », le mouvement syndical était entré dans une phase d’hibernation depuis 40 ans : <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/73d70d2f04ce15c6ee16dbd65c81601e/2023-06.pdf">forte érosion du nombre de membres</a>, <a href="https://www.cairn.info/revue-annales-historiques-de-l-electricite-2008-1-page-11.htm">opinion publique de plus en plus hostile</a>, des <a href="https://www.usinenouvelle.com/article/la-nouveaute-c-est-l-individualisation-de-la-violence-au-travail-pour-le-sociologue-jerome-pelisse.N487579">conflits de moins en moins intenses</a>, etc.</p>
<p>Néanmoins, à l’orée des années 2020, un ensemble de signaux témoigne d’<a href="https://www.nouvelobs.com/economie/20230315.OBS70841/reforme-des-retraites-le-printemps-des-syndicats.html">« un printemps syndical »</a>, au premier rang duquel figurent les fortes mobilisations contre la réforme des retraites il y a quelques mois. Et le phénomène de revitalisation syndical dépasse assez largement les frontières hexagonales.</p>
<p>En juillet dernier, Marylise Léon, secrétaire générale de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), se targuait d’avoir enregistré près de <a href="https://ile-de-france.cfdt.fr/portail/ile-de-france/temps-forts/-interview-marylise-leon-secretaire-generale-de-la-cfdt-srv2_1305779">50 000 nouveaux adhérents</a> au cours du premier semestre 2023. Dans le même temps, la <a href="https://www.cgt.fr/actualites/france/interprofessionnel/mobilisation/la-cgt-le-vent-en-poupe">Confédération générale du travail</a> (CGT) et <a href="https://www.force-ouvriere.fr/developpement-syndical-les-adhesions-syndicales?lang=fr">Force ouvrière</a> (FO) ont connu un regain d’intérêt similaire</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1635889779148480512"}"></div></p>
<p>De façon générale, c’est l’ensemble des organisations syndicales qui a profité des mouvements sociaux du printemps dernier et qui se voit de plus en plus sollicité par les salariés, y compris par ceux qui travaillent dans des entreprises sans représentants du personnel.</p>
<h2>Un retour en grâce mondial</h2>
<p>Cette demande d’expertise syndicale s’accompagne également d’une amélioration de l’image des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/syndicats-25856">syndicats</a>. En effet, les récentes enquêtes d’opinion montrent que les Français sont désormais plus nombreux à leur accorder une opinion favorable. Ainsi, les personnes interrogées seraient aujourd’hui 59 % à faire confiance aux syndicats pour défendre leurs intérêts, selon le baromètre d’image de Kantar réalisé en juin dernier.</p>
<p>Ce retour en grâce des syndicats est aussi perceptible dans d’autres pays industrialisés où le syndicalisme semble connaître un regain d’intérêt. Aux États-Unis, par exemple, les travailleurs n’ont <a href="https://news.gallup.com/poll/510281/unions-strengthening.aspx">jamais été aussi nombreux à soutenir les syndicats</a> et à vouloir que ces derniers participent plus activement aux débats sociaux. Cet engouement pour le syndicalisme se traduit, dans le contexte américain, par une <a href="https://www.cnbc.com/2023/10/09/from-uaw-to-wga-heres-why-so-many-workers-are-on-strike-this-year.html">recrudescence de mouvements sociaux</a> et par <a href="https://www.nlrb.gov/news-outreach/news-story/election-petitions-up-53-board-continues-to-reduce-case-processing-time-in">l’augmentation du nombre de pétitions</a> des salariés américains afin d’obtenir une représentation syndicale dans leur entreprise.</p>
<p><iframe id="YOodA" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/YOodA/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Ce constat semble également valable dans d’autres pays industrialisés. C’est le cas notamment du Canada, où quatre grands syndicats de la fonction publique québécoise ont voté, il y a quelques semaines, une <a href="https://www.ledevoir.com/societe/799146/mi-parcours-votes-greve-secteur-public-toujours-aussi-forts">grève illimitée</a> pour améliorer leurs conditions de travail, une première depuis près de quatre décennies.</p>
<h2>Alignement des planètes</h2>
<p>Les organisations syndicales semblent en effet bénéficier d’un alignement des planètes extraordinairement favorable. Plusieurs événements concomitants contribuent à ce renouveau syndical. Tout d’abord, le contexte économique, marqué par une reprise de l’activité, des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/penurie-de-main-doeuvre-119110">pénuries de main-d’œuvre</a> et <a href="https://theconversation.com/fr/topics/inflation-28219">l’inflation</a> <a href="https://ires.fr/publications/chronique-internationale-de-l-ires/n-36-2/international-cycle-des-greves-et-cycle-economique-approches-theoriques-et-comparatives-en-debat/">pousse la demande de hausses de salaires</a> tout en accentuant l’intensité conflictuelle et le recours aux syndicats.</p>
<p>Ensuite, la prise de conscience croissante des inégalités et les <a href="https://theconversation.com/taxation-des-superprofits-un-outil-de-redistribution-des-gagnants-vers-les-perdants-des-crises-203014">superprofits</a> enregistrés en sortie de pandémie par les grands groupes multinationaux ont conduit de nombreuses personnes à manifester leur mécontentement. Par exemple, le groupe TotalEnergies a connu en octobre 2022 un <a href="https://actu.fr/societe/totalenergies-la-greve-continue-le-gouvernement-appelle-a-des-hausses-de-salaires_54340699.html">conflit social de grande ampleur</a> après l’annonce de bénéfices records. Enfin, les <a href="https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/emmanuel-macron-toujours-et-encore-le-neo-liberalisme-915134.html">politiques libérales</a> opérées, par exemple, en France par le président de la République Emmanuel Macron ou <a href="https://www.marianne.net/monde/europe/avec-rishi-sunak-lultraliberalisme-continue-au-royaume-uni-et-les-scandales-aussi">au Royaume-Uni</a> par le gouvernement conservateur constituent également des fenêtres d’opportunités pour les syndicats.</p>
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<img alt="Pénurie liée aux grèves dans le carburant en France en octobre 2022, station TotalEnergies, 65 route d’Agde (Toulouse)" src="https://images.theconversation.com/files/554932/original/file-20231020-25-gmpei9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/554932/original/file-20231020-25-gmpei9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/554932/original/file-20231020-25-gmpei9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/554932/original/file-20231020-25-gmpei9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/554932/original/file-20231020-25-gmpei9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/554932/original/file-20231020-25-gmpei9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/554932/original/file-20231020-25-gmpei9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La grève chez TotalEnergies a conduit à des pénuries de carburants en France en octobre 2022.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Gr%C3%A8ves_dans_le_carburant_en_France_en_2022#/media/Fichier:Station_Total_%C3%89nergies,_65_route_d'Agde_(Toulouse).jpg">Abdoucondorcet/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Par ailleurs, la syndicalisation dépend de la <a href="https://www.econstor.eu/bitstream/10419/222500/1/1724719793.pdf">croyance dans le potentiel du syndicat</a> d’améliorer concrètement les conditions de travail. Or, plusieurs sondages récents – dont une <a href="https://www.institutmontaigne.org/expressions/sondage-les-francais-et-les-syndicats-de-salaries">enquête</a> du think tank libéral Institut Montaigne – montrent que plus de la moitié des Français juge l’action des syndicats efficace au sein des entreprises, ce qui témoigne d’une véritable évolution des opinions.</p>
<h2>Des facteurs d’attractivité nouveaux</h2>
<p>En parallèle, plusieurs facteurs inédits peuvent également expliquer ce printemps syndical. D’abord, le 31 mars 2023, Sophie Binet a été <a href="https://www.bfmtv.com/economie/economie-social/social/congres-de-la-cgt-sophie-binet-elue-secretaire-generale-en-remplacement-de-philippe-martinez_DN-202303310258.html">élue secrétaire générale de la CGT</a>. Peu de temps après, le 21 juin, c’est une autre femme qui est nommée à la tête du second syndicat national : <a href="https://www.cfdt.fr/portail/actualites/marylise-leon-nouvelle-secretaire-generale-de-la-cfdt-srv1_1301103">Marylise Léon à la CFDT</a>.</p>
<p>Cette <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/06/20/nominations-de-sophie-binet-et-de-marylise-leon-multiplier-le-nombre-de-femmes-en-responsabilite-permet-de-banaliser-les-figures-feminines-dans-les-spheres-dirigeantes_6178405_3232.html">féminisation de la direction des deux syndicats majoritaires</a> en France s’observe d’ailleurs également en dehors des frontières : au Québec, Magalie Picard est présidente de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) depuis le 23 janvier 2023 tandis que Caroline Senneville a accédé aux mêmes responsabilités au sein de la Confédération des syndicats nationaux (CSN) depuis juin 2021. Ce changement de leadership peut désormais contribuer à changer la perception des syndicats par le pouvoir politique, mais plus encore peut-être par l’opinion.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1710904367279169549"}"></div></p>
<p>Nous observons également un élargissement des thématiques couvertes par l’action syndicale. Des néo-syndicats, qui attirent des adhérents éloignés de la culture syndicale, ont ainsi vu le jour en France ces cinq dernières années, centrés sur les enjeux écologiques (par exemple, le <a href="https://www.printemps-ecologique.fr/">Printemps écologique</a>) ou la représentation des travailleurs indépendants (<a href="https://independants.co/">Indépendants.co</a>).</p>
<p>Pour finir, nous pourrions revenir sur les adhésions massives ayant eu lieu au moment de la réforme des retraites en France, car <a href="https://www.actuel-ce.fr/content/renouvellement-syndical-le-defi-de-la-fidelisation">nombre de ces adhésions se sont faites en ligne</a>. Or, ce mode d’adhésion rompt avec les processus habituels de recrutement basé sur des rencontres dans les locaux syndicaux. La question se pose donc du maintien dans le temps de ces nouvelles adhésions.</p>
<h2>Un renouveau fragile</h2>
<p>Ce « printemps » constitue-t-il, dès lors, les prémices d’une revitalisation durable du mouvement syndical ou ne sera qu’une brève éclaircie ? Un certain nombre d’éléments plaide pour un essoufflement progressif de ce mouvement de revitalisation avant un retour à la normale. Tout d’abord, la nature cyclique de l’économie capitaliste suggère que l’alignement des planètes (inflation forte, croissance économique, chômage bas) ne pourra durer éternellement.</p>
<p>De plus, les analyses sur le temps long indiquent que les <a href="https://www.routledge.com/Reigniting-the-Labor-Movement-Restoring-means-to-ends-in-a-democratic-Labor/Friedman/p/book/9780415780018">effectifs syndicaux sont également soumis à une cyclicité</a>. Les périodes de forte croissance des adhésions syndicales correspondent souvent à des épisodes de conflictualité… sur lesquels les organisations syndicales peinent à capitaliser : la fin des conflits marque alors un étiolement du nombre d’adhérents.</p>
<p>Néanmoins, il n’est pas complètement déraisonnable de supposer que ce renouveau pourrait s’inscrire dans la durée. Ainsi, l’histoire semble indiquer que la période néolibérale dans laquelle nous sommes entrés il y a une quarantaine d’années ne sera pas éternelle. Une phase où les forces de régulation, dont le syndicalisme, se reconstruiront, <a href="https://lirsa.cnam.fr/medias/fichier/polanyihtml__1262962770199.html">pourrait ainsi lui succéder</a>. Cette reconstruction sera d’autant plus solide que les signaux faibles de transformation de l’action syndicale (féminisation, élargissement des thèmes, renouveau tactique, etc.) percoleront en profondeur dans ces organisations.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216088/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La revitalisation syndicale observée en France ces dernières années se constate également ailleurs en Europe et en Amérique du Nord. Mais la capacité de cet élan à s’inscrire dans la durée interroge.Juliette Fronty, Maîtresse de conférence en Sciences de Gestion, Université de Toulouse III – Paul SabatierPatrice Laroche, Professeur des Universités en sciences de gestion, Université de LorraineVincent Pasquier, Professeur en GRH et relations professionnelles, HEC MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2156772023-10-23T10:13:36Z2023-10-23T10:13:36ZLe rapport à l’autorité de la génération Z, entre bouleversements et idées reçues<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/553827/original/file-20231015-23-q6301t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=74%2C88%2C1203%2C762&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un jeune sur deux souhaite conserver les niveaux hiérarchiques en entreprise.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pxhere.com/en/photo/1562525">Fox/PxHere</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p><em>La « <a href="https://theconversation.com/fr/topics/generation-z-46146">génération Z</a> » – une communauté de 2,5 milliards de personnes nées entre 1995 et 2010 – se distingue à bien des égards des générations précédentes : quête de sens, besoin de cocréer, besoin d’authenticité ou encore besoin de lien social, mais aussi un rapport différent à l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/autorite-63058">autorité</a>.</em></p>
<p><em>Le représentant de la génération Z, qu’il convient toutefois de ne pas essentialiser, ne reconnaît plus l’antériorité et l’expérience des parents comme des valeurs sûres et conteste leur autorité. À l’aise avec les technologies numériques, il crée de nouvelles règles et de nouveaux codes. Ayant l’information de référence à portée d’écran et de clic, il remet en cause le savoir, les connaissances et l’autorité de ses aînés (parents, professeurs, managers) au nom d’autres sources : Internet, les réseaux sociaux numériques… Sommes-nous face à une crise de l’autorité ou plutôt à une crise de la crédibilité des porteurs de l’autorité ?</em></p>
<p><em>Cette interrogation fait partie des nombreuses questions auxquelles Élodie Gentina tente d’apporter des éléments de réponse dans son dernier ouvrage <a href="https://www.dunod.com/entreprise-et-economie/manager-generation-z-mieux-apprehender-nouveaux-comportements">« Manager la Génération Z, mieux appréhender les nouveaux comportements »</a> (Éditions Dunod), dont The Conversation France publie quelques extraits.</em></p>
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<h2>Une culture d’expérimentation</h2>
<p>Vivant dorénavant dans un monde de l’immédiateté et de l’instant présent, les jeunes ne reconnaissent plus l’antériorité et l’expérience des parents comme des valeurs sûres. [La pédopsychiatre] Anne-Marie Garnier explique :</p>
<blockquote>
<p>« <a href="https://www.cairn.info/revue-therapie-familiale-2007-2-page-139.htm">L’obéissance n’est plus exigée</a> par les parents comme une évidence, ils craignent d’obtenir l’obéissance de leurs enfants par la force. »</p>
</blockquote>
<p>Les parents privilégient la qualité des relations avec leurs enfants, en adoptant des stratégies de négociation, en faisant appel à l’intelligence de leurs enfants plutôt qu’en imposant leur autorité. Dans ces conditions, les parents risquent de perdre la capacité à exiger ce qui est nécessaire pour le bon développement de l’enfant. De plus, ayant l’information à portée d’écran et de clic, les jeunes contestent le savoir de leurs professeurs au nom d’autres sources d’information comme Internet.</p>
<h2>L’autorité se gagne</h2>
<p>[Toutefois], les enfants et adolescents issus de la génération Z s’assujettissent très tôt à des formes d’autorité bien plus puissantes que celles que nous voudrions leur imposer. Ces formes d’autorité ne sont pas fondées sur des légitimités (le savoir, le bien commun par exemple). Pour les adultes issus des générations baby-boomers et X, le modèle d’identification était le maître qui disposait du savoir, et c’est par le savoir que l’on disposait des outils. Pour les Z, qui sont dans une culture d’expérimentation, la figure d’identification est celle qui expérimente le mieux. Les Z n’ont pas besoin de lire le mode d’emploi pour accéder au maniement de l’outil : ils expérimentent. […]</p>
<p>L’autorité est en crise, puisque nous sommes passés d’une société hiérarchique, verticale, à une société plus transversale, notamment grâce à Internet et aux réseaux sociaux numériques. Une nouvelle démocratie du savoir est en marche, et la seule autorité qui peut s’imposer est fondée sur la compétence.</p>
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<img alt="Jeunes avec leurs smartphones" src="https://images.theconversation.com/files/554219/original/file-20231017-24-hg44ox.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/554219/original/file-20231017-24-hg44ox.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/554219/original/file-20231017-24-hg44ox.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/554219/original/file-20231017-24-hg44ox.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/554219/original/file-20231017-24-hg44ox.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/554219/original/file-20231017-24-hg44ox.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/554219/original/file-20231017-24-hg44ox.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Ayant l’information à portée d’écran et de clic, les jeunes contestent le savoir de leurs professeurs au nom d’autres sources d’information comme Internet.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/nodstrum/43403338471">Lyncconf Games/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Une <a href="https://www.dunod.com/entreprise-et-economie/generation-z-z-consommateurs-aux-z-collaborateurs">étude</a> que j’ai menée en partenariat avec Marie-Ève Delécluse entre janvier et mai 2017, auprès de 2 300 personnes âgées de 15 à 22 ans, a mis en exergue qu’un jeune sur deux souhaite conserver les niveaux hiérarchiques en entreprise. Il importe de préciser que ce n’est pas la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/hierarchie-31139">hiérarchie</a> en elle-même qui est problématique, mais davantage les conditions à son recours, la légitimité que les jeunes lui accordent. Nous tendons à penser que la hiérarchie, en termes d’organe décisionnel, est à conserver mais que sa pratique, son sens et sa forme doivent être transformés.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/equilibre-de-vie-sens-ethique-les-nouvelles-cles-pour-fideliser-les-jeunes-en-entreprise-184504">Équilibre de vie, sens, éthique… Les nouvelles clés pour fidéliser les jeunes en entreprise</a>
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<p>Patrice Huerre, pédopsychiatre des adolescents et auteur de l’ouvrage <em><a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/psychologie/psychologie-generale/autorite-en-question_9782738155894.php">Nouveau monde, nouveaux chefs</a> : l’autorité en question</em> (Éditions Odile Jacob, 2021), se questionne sur l’autorité de demain en <a href="https://theconversation.com/fr/topics/entreprises-20563">entreprise</a>. Les jeunes ne remettent pas en cause l’existence même de la hiérarchie, mais plutôt la forme qu’elle prend en entreprise. Ils préfèrent une autorité de compétence à une autorité de fait.</p>
<p>Dans leur esprit, il ne suffit plus d’être « chef » : l’autorité se gagne, par l’expérimentation. Pour eux, le pouvoir est dans les mains de celui qui sait partager et transformer la connaissance, plutôt que de celui qui possède le savoir. Il est donc nécessaire de « renverser la pyramide », lâcher prise, faire confiance et mettre les jeunes au cœur des processus de transformation.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p><em>Chaque lundi, que vous soyez dirigeants en quête de stratégies ou salariés qui s’interrogent sur les choix de leur hiérarchie, recevez dans votre boîte mail les clés de la recherche pour la vie professionnelle et les conseils de nos experts dans notre newsletter thématique « Entreprise(s) ».</em></p>
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<p>Les entreprises attractives pour les jeunes sont celles qui sont organisées selon des modèles agiles. On évoque d’ailleurs le management agile comme la nouvelle posture de réussite managériale. Les jeunes collaborateurs ont besoin, malgré tout, de ressentir le chef au-dessus d’eux, la structure hiérarchique ayant apporté ses points positifs et ayant fait ses preuves. La nuance est le vecteur de réussite dans tout modèle managérial. La partie hiérarchique est source de sécurité – elle ordonne et structure –, alors que la partie agile favorise la créativité et la coopération. Les rapports hiérarchiques tendent à être plus aplanis et souples.</p>
<h2>Manager par « le vide organisé »</h2>
<p>Il existe deux types de management : d’une part le « management du trop-plein » ou management contraint, enlisé dans les procédures, balisé par des contrôles administratifs, des directoires et des plans élaborés par la hiérarchie ; d’autre part le « management par le vide » demandant des marges de liberté et laissant une grande autonomie sur le lieu de travail. Mais laisser un espace vide, sans fiche de poste bien définie, et sans la figure bienveillante et indispensable d’un chef, peut amener un sentiment de peur et de perte de repère.</p>
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<img alt="Illustration de hiérarchie" src="https://images.theconversation.com/files/554218/original/file-20231017-19-ywzx7q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/554218/original/file-20231017-19-ywzx7q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/554218/original/file-20231017-19-ywzx7q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/554218/original/file-20231017-19-ywzx7q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/554218/original/file-20231017-19-ywzx7q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/554218/original/file-20231017-19-ywzx7q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/554218/original/file-20231017-19-ywzx7q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Pour la génération Z, ce n’est pas la hiérarchie en elle-même qui est problématique, mais davantage les conditions à son recours.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://pxhere.com/fr/photo/990769">Pxhere</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Un entre-deux pourrait être la solution. À l’heure de la transformation digitale et culturelle des entreprises, le collaborateur a besoin de marges de manœuvre pour accompagner l’agilité de l’entreprise. Cela ne signifie pas pour autant isoler les collaborateurs, au contraire : ils ont besoin de repères et de cadre. Dans un <a href="https://www.hbrfrance.fr/chroniques-experts/2019/11/28440-manager-la-generation-z-par-le-vide-encadre/">article</a> co-écrit avec Anne-Laure Boncori (2019), nous expliquons que les entreprises qui fonctionnent encore sous un mode hiérarchique et pyramidal doivent commencer à créer des poches de liberté en dehors des silos, des processus pour permettre aux jeunes collaborateurs de développer leurs idées et de les faire travailler sur des sujets plus transverses.</p>
<p>Laisser un espace vide organisé, avec un cadre et des repères, stimule la créativité, la prise d’initiative, le droit à l’erreur comme expériences apprenantes. Bien que les jeunes revendiquent d’être « entrepreneurs » dans leur apprentissage, leurs formations, leurs parcours et leurs missions, ils ont besoin de feedback constant, auprès de leurs équipes. Être entrepreneur, c’est être capable de reconnaître ses échecs, et le point de départ de la mise en place d’un management par le vide organisé passe par la verbalisation des échecs, des problèmes et des difficultés de l’organisation.</p>
<p>Les entreprises doivent changer leur regard sur le droit à l’erreur, comme le dit (la conférencière) Stéphanie Loureiro (2021) dans son ouvrage <a href="https://www.dunod.com/entreprise-et-economie/droit-erreur-bons-collaborateurs-font-erreurs-bonnes-entreprises-permettent"><em>Le droit à l’erreur</em></a> (Éditions Dunod, 2021). Il importe d’encadrer ce droit à l’erreur grâce au feedback, pour en tirer parti dans l’entreprise.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/554217/original/file-20231017-17-owayqr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Éditions Dunod" src="https://images.theconversation.com/files/554217/original/file-20231017-17-owayqr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/554217/original/file-20231017-17-owayqr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=824&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/554217/original/file-20231017-17-owayqr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=824&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/554217/original/file-20231017-17-owayqr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=824&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/554217/original/file-20231017-17-owayqr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1035&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/554217/original/file-20231017-17-owayqr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1035&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/554217/original/file-20231017-17-owayqr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1035&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><span class="source">(https://www.dunod.com/entreprise-et-economie/manager-generation-z-mieux-apprehender-nouveaux-comportements) _</span></span>
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<h2>L’avènement du « manager coach »</h2>
<p>Les entreprises doivent inventer de nouvelles façons de travailler, plus humaines, basées sur la confiance mutuelle. C’est pourquoi la culture managériale doit évoluer afin de répondre aux nouvelles attentes des jeunes collaborateurs, parmi lesquelles figure notamment la prise en compte de leurs besoins émotionnels. Ces derniers rassemblent tous les affects qu’un collaborateur peut ressentir : la confiance, l’empathie, l’étonnement mais aussi le doute, la frustration ou la perte de sens.</p>
<p>Ainsi, les besoins émotionnels doivent être pris en considération par les dirigeants, les responsables des ressources humaines et les managers. […]</p>
<p>En partenariat avec l’association « À Compétence égale », j’ai réalisé une enquête intitulée <a href="https://acompetenceegale.com/wp-content/uploads/2021/08/Prsentation-juniors-2018.pdf">« L’accès à l’emploi et les juniors »</a> auprès de 790 jeunes, âgés de 18 à 30 ans. Les résultats montrent que 50 % des managers et 48 % des juniors placent la capacité à travailler en équipe et le sens des responsabilités en priorité dans leurs attentes respectives. Le manager n’est plus perçu comme l’expert de son métier, mais plutôt comme un leader inspirant, un « manager coach », doté des compétences de savoir-être suivantes : la confiance, l’écoute empathique, l’esprit critique, la pédagogie, l’esprit constructif, le respect.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215677/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Elodie Gentina ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les jeunes générations ne refusent pas en bloc la hiérarchie, mais attendent que ses principes s’exercent différemment de ce qu’ont connu leurs aînés.Elodie Gentina, Professor, management, marketing, IÉSEG School of ManagementLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2147782023-10-10T21:20:33Z2023-10-10T21:20:33ZEnseigner en France, en Espagne, au Royaume-Uni : un bien-être professionnel qui se dégrade ?<p>Le Baromètre international de la santé et du bien-être des personnels de l’éducation (I-BEST) a pour objectif de mieux connaître les conditions de travail et le ressenti des personnels de l’éducation. Il a été mis en place en 2021 par le Réseau Éducation et Solidarité (RES) et la Fondation d’entreprise pour la santé publique (FESP), avec l’appui de l’Internationale de l’Éducation et la Chaire Unesco « ÉducationS et Santé », dans une finalité de promotion de la santé globale, et avec l’idée que l’équilibre physique et mental de ces professionnels est une condition essentielle d’une éducation de qualité.</p>
<p>En 2021, après 18 mois de pandémie, la <a href="https://www.educationsolidarite.org/nos-actions/barometre-international-de-la-sante-du-personnel-de-leducation/">première édition d’I-BEST</a> avait objectivé <a href="https://theconversation.com/la-crise-sanitaire-met-la-sante-du-personnel-enseignant-sous-haute-tension-171620">l’épuisement des enseignants à travers le monde</a>. Deux ans plus tard, la deuxième édition du Baromètre s’est élargie à 11 territoires repartis sur 4 continents et plus de 26 000 personnels de l’éducation ont répondu à l’enquête en ligne. Parmi eux, 9 595 enseignent en France, 2 723 en Espagne et 2 524 au Royaume-Uni, trois pays d’Europe géographiquement et économiquement proches, mais avec des cultures différentes, et dont la langue est un marqueur fort.</p>
<p>Au sortir de la crise Covid-19, alors que l’année scolaire 2022-2023 <a href="https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000381091">marque pour l’école dans son fonctionnement un certain retour à la normale</a>, qu’en est-il du ressenti des enseignants en Europe ? Selon les territoires, leurs ressentis sont-ils similaires, nuancés ou franchement contrastés ?</p>
<h2>Des enseignants qui travaillent 40h par semaine en moyenne</h2>
<p>Sept enseignants sur dix sont des femmes dans les échantillons français, espagnol et britannique, ce qui reflète la féminisation très large du secteur de l’éducation en Europe. Les profils des enseignants des trois pays sont également similaires en âge et niveau d’enseignement (Figure 1), tout comme leur cadre de travail, avec des distributions assez proches en ce qui concerne la taille de l’établissement, le caractère urbain-rural du quartier environnant, le niveau de sécurité perçue au quotidien ou encore les temps de trajet domicile-travail.</p>
<p>L’Espagne se distingue toutefois par des classes plus souvent petites (moins de 20 élèves) et par une relative insatisfaction vis-à-vis des locaux et des conditions matérielles.</p>
<p>Le temps de travail effectif par semaine apparait partout important, supérieur en moyenne à 40 heures hebdomadaires, et même 48 heures au Royaume-Uni. Parallèlement, les enseignants britanniques se révèlent moins satisfaits de l’autonomie dans leur travail et de leurs relations professionnelles tant en équipe qu’avec la hiérarchie. Les réponses en France vont aussi dans le sens d’une crispation avec la hiérarchie, alors que le travail en équipe y est jugé plus favorablement.</p>
<p>En ce qui concerne les possibilités de formation, d’évolutions et le salaire, des trois pays, l’insatisfaction est systématiquement la plus répandue en France (Figure 2).</p>
<p>Avec plus d’un quart des enseignants concernés, la proportion de personnels victimes de violence au travail dans les 12 derniers mois est partout préoccupante : 25 % en Espagne, 27 % au Royaume-Uni, et 35 % en France.</p>
<p>L’équilibre vie professionnelle/vie personnelle est jugé un peu plus défavorablement en France et au Royaume-Uni qu’en Espagne : 6 enseignants sur 10 y sont insatisfaits de cet aspect contre 5 sur 10 en Espagne. Pourtant, une plus forte proportion d’enseignants espagnols sont amenés à apporter, en plus de leur travail, un soutien régulier à un proche : 7 sur 10 en Espagne, versus 1 sur 2 en France et au Royaume-Uni.</p>
<h2>Des indicateurs de santé au travail contrastés</h2>
<p>Les enseignants espagnols apparaissent un peu plus satisfaits globalement de leur travail que ceux de France ou du Royaume-Uni (Figure 3). Dans ces deux pays, moins d’un enseignant sur deux est « d’accord » ou « tout à fait d’accord » avec l’affirmation « Dans l’ensemble, mon travail me donne satisfaction » contre plus de 7 sur 10 en Espagne. À noter que les enseignants en France déplorent quasi systématiquement une faible valorisation sociétale du métier : 97 % contre 86 % en Espagne et 84 % au Royaume-Uni.</p>
<p>Néanmoins, et faisant écho à la réserve des enseignants espagnols vis-à-vis de leurs conditions matérielles de travail, la proportion de ceux ayant été dans l’impossibilité de travailler à cause d’un problème de voix dans l’année écoulée est sensiblement plus élevée dans le pays : 41 % en Espagne, 26 % en France et 19 % au Royaume-Uni.</p>
<p>L’état de santé général des enseignants se maintient à un niveau favorable, avec un taux similaire dans les 3 pays de plus de 8 enseignants sur 10 qui le qualifient positivement. L’évaluation du bonheur, de la santé mentale et du sommeil est plus contrastée : ainsi les enseignants se situent sur une échelle de bonheur dans la vie plutôt positivement en Espagne (61 % de satisfaits), de manière intermédiaire au Royaume-Uni (53 %) et plus négativement en France (49 %).</p>
<p>La santé psychologique des enseignants apparait d’ailleurs fragilisée en France, et dans une moindre mesure au Royaume-Uni, avec près d’un personnel sur 2 qui y rapporte ressentir souvent, très souvent ou toujours des sentiments négatifs ; de même pour l’insatisfaction vis-à-vis du sommeil (Figure 4).</p>
<h2>Outils numériques : une bonne adhésion mais une pointe d’ambivalence</h2>
<p>Dans l’enseignement européen, la mise à disposition à titre professionnel d’outils numériques (ordinateur, tablette, connexion Internet…) apparait inégale selon les pays, les enseignants britanniques bénéficiant globalement de taux d’équipement meilleurs et la France de moins bon (Figure 5). En miroir, le taux d’utilisation systématique du matériel numérique personnel pour le travail va de 23 % au Royaume-Uni à 55 % en France.</p>
<p>Dans les trois pays, les outils numériques font partie du quotidien enseignant et l’adhésion est globalement bonne, puisque partout, au moins 8 enseignants sur 10 s’estiment à l’aise avec les outils numériques et considèrent qu’ils leur facilitent le travail. Cependant, tant en France qu’en Espagne et au Royaume-Uni, 4 enseignants sur 10 estiment que les outils numériques sont une source de stress. L’opinion est également partagée sur l’impact du numérique sur les relations avec les élèves et les familles : plus de 4 enseignants sur 10 dans les trois pays (même 6 sur 10 en France) expriment une réserve sur ce point.</p>
<h2>Des pistes d’amélioration différentes selon le pays</h2>
<p>I-BEST nous livre, en 2023, un tableau nuancé du bien-être professionnel et général des enseignants en France, au Royaume-Uni et en Espagne, mettant en lumière des marges de progression spécifiques au territoire.</p>
<p>Dans les trois pays, la lutte contre la violence à l’école et une meilleure valorisation du métier d’enseignant sont à renforcer. Mais aussi, l’accent gagnerait à être mis :</p>
<ul>
<li><p>en Espagne, sur les conditions matérielles d’enseignement, les possibilités d’évolution de carrière et la prévention des troubles de la voix ;</p></li>
<li><p>au Royaume-Uni, sur la charge de travail, les relations professionnelles, l’autonomie et l’équilibre vie professionnelle/vie personnelle ;</p></li>
<li><p>et en France, sur les possibilités de formation et d’évolutions de carrière, le salaire, l’amélioration de la relation avec la hiérarchie, et toujours, l’équilibre vie professionnelle/vie personnelle.</p></li>
</ul>
<p>Un meilleur accompagnement médical de la santé professionnelle est aussi une piste à considérer au Royaume-Uni et en France, alors que 95 % des enseignants de ces deux pays ne voient jamais la médecine du travail, contre 45 % en Espagne (dans ce pays, un tiers des enseignants bénéficie d’une consultation annuelle).</p>
<p>Étant donné les retombées sociétales majeures à court ou plus long-terme de la santé des enseignants, alors que le bien-être est indispensable au bien-faire, suivre les évolutions au plus près du terrain doit rester une priorité afin d’identifier de manière réactive les pistes d’amélioration.</p>
<hr>
<p><em>Remerciement : le Réseau Éducation et Solidarité et tous ses partenaires pour la mise en œuvre d’I-BEST ; Nathalie Billaudeau pour les statistiques et les figures ; Nathalie Billaudeau, Pascale Lapie-Legouis, Karim Ould-Kaci, Ange-Andréa Lopoa et Morgane Richard.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214778/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie-Noël Vercambre-Jacquot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment les enseignants se sentent-ils dans leur métier alors que l’année scolaire 2022-2023 marque un certain retour à la normale ? Quelques éléments de réponse avec le baromètre I-BEST 2023.Marie-Noël Vercambre-Jacquot, Chercheur épidémiologiste, Fondation d'entreprise pour la santé publiqueLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2122952023-08-28T16:54:43Z2023-08-28T16:54:43ZEn vue des canicules futures, il semble important de faire évoluer le droit du travail<p>Les <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/08/25/une-canicule-caracteristique-du-rechauffement-climatique-du-xxi-si%C3%A8cle_6186487_3244.html">vagues de chaleur et les périodes de canicule</a> constituent désormais une réalité qui affectera chaque année les personnes au travail. Chaque <a href="https://theconversation.com/topics/salaries-51494">salarié</a> se trouve concerné mais plus particulièrement ceux qui œuvrent à l’extérieur comme les ouvriers agricoles, du bâtiment ou des travaux publics, ceux qui manutentionnent des charges lourdes ou encore ceux qui exercent leurs métiers dans des lieux où la température est déjà élevée comme les cuisines de restaurants, boulangeries, pressings ou ateliers de soudure. </p>
<p>Les hausses du mercure telles qu’on en a connu cet été et tel qu’on en reconnaîtra à l’avenir entraîne de fortes dégradations des conditions de travail et de la santé des salariés pouvant dans les cas extrêmes aller jusqu’à la mort comme Santé publique France a pu le répertorier à l’<a href="https://www.santepubliquefrance.fr/determinants-de-sante/climat/fortes-chaleurs-canicule/documents/bulletin-national/systeme-d-alerte-canicule-et-sante.-point-national-au-16-ao%C3%BBt-2022">été 2022</a> et en <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/les-actualites/2023/episode-de-canicule-du-7-au-13-juillet-publication-de-la-premiere-estimation-de-l-exces-de-mortalite-toutes-causes">juillet 2023</a>.</p>
<p>Parmi les <a href="https://www.anses.fr/fr/content/effets-du-changement-climatique-en-milieu-de-travail-des-risques-professionnels-augment%C3%A9s-et#:%7E:text=L%E2%80%99exposition%20%C3%A0%20la%20chaleur,risques%20accidentels%20li%C3%A9s%20%C3%A0%20une">risques connus</a>, figurent l’aggravation de la pénibilité, des malaises, la déshydratation, des coups de chaleur, des accidents liés à une altération de la vigilance ou encore des risques psychosociaux dus aux situations de tension.</p>
<p>Pour l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) et la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés, la chaleur peut constituer un <a href="http://www.inrs.fr/risques/chaleur/ce-qu-il-faut-retenir.html">risque professionnel</a> ayant de graves effets sur la santé et augmentant les risques d’accidents du travail. Les seuils sont de 30 °C pour une activité sédentaire et de 28 °C pour un travail nécessitant une activité physique. Le travail au-dessus de 33 °C présente des dangers pour la santé des travailleurs.</p>
<p>Certes, le <a href="https://theconversation.com/topics/droit-du-travail-20394">droit du travail</a> prévoit des dispositions de sauvegarde de la santé au travail lors des <a href="https://theconversation.com/topics/canicules-109244">épisodes caniculaires</a>. La protection effective des travailleurs gagnerait cependant à ce que soient adoptés de nouveaux textes plus précis.</p>
<h2>Les principaux généraux applicables</h2>
<p>En application de son <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006072050/LEGISCTA000006160774/#LEGISCTA000006160774">obligation légale de sécurité</a>, tout employeur est « obligé d’assurer la sécurité et la santé des travailleurs dans tous les aspects liés au travail », en mettant en œuvre les principes généraux de prévention. Il doit ainsi procéder à une évaluation des risques professionnels dans l’entreprise avec la contribution des représentants des travailleurs au comité social et économique (CSÉ).</p>
<p>Cette évaluation doit inventorier dans le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000043893923">document unique d’évaluation des risques professionnels</a> (le DUERP) tous les risques identifiés dans chaque unité de travail de l’entreprise y compris ceux liés aux ambiances thermiques, comme les fortes chaleurs, en tenant compte de l’impact différencié de l’exposition au risque en fonction du sexe. Ce document doit être accessible à tous les travailleurs concernés dans l’entreprise.</p>
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<p>Dans le prolongement de cette évaluation, l’employeur doit définir et mettre en œuvre, après consultation des élus du CSÉ, une politique de prévention efficace pour protéger les salariés au regard des risques causés par l’influence des facteurs ambiants comme le niveau thermique. Dans les entreprises d’au moins 50 salariés, le DUERP doit comprendre « un <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000043893919">programme annuel de prévention</a> des risques professionnels et d’amélioration des conditions de travail qui fixe la liste détaillée des mesures devant être prises au cours de l’année à venir au regard de ces risques, précisant pour chaque mesure ses conditions d’exécution, des indicateurs de résultat et l’estimation de son coût, ainsi qu’un calendrier de mise en œuvre ».</p>
<p>Même s’il s’agit en priorité d’un document de prévention, le DUERP de l’entreprise sera examiné en cas de dégradation de la santé causée par le travail, dans tout contentieux, civil ou pénal, et les carences de l’entreprise sanctionnées. Le document doit être conservé pendant 40 ans.</p>
<p>Le droit prévoit que l’employeur mette à la disposition des travailleurs de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006072050/LEGISCTA000018489041/">l’eau potable et fraîche</a>. Pour le secteur du bâtiment et des travaux publics, les entreprises doivent en fournir à raison de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000018528987">trois litres au moins par jour</a> et par travailleur.</p>
<h2>Des droits à mobiliser</h2>
<p>En cas de température « élevée », au regard des recommandations de l’INRS, et de carence de l’entreprise en matière de prévention, plusieurs droits peuvent être mobilisés, avec le concours de différents acteurs, pour protéger la santé des travailleurs.</p>
<p>Tout représentant élu du personnel au CSÉ peut déclencher un <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGISCTA000006178069/">droit d’alerte</a> pour « danger grave et imminent » pouvant aboutir rapidement à l’adoption de mesures de mise en sécurité, notamment par arrêt du travail. Lorsque le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000035653203/">médecin du travail</a> constate, lui, la présence d’un risque pour la santé de travailleurs, ce qui peut relever d’une température élevée, il est prévu qu’« il propose par un écrit motivé et circonstancié des mesures visant à la préserver ». Selon la loi, « l’employeur prend en considération ces propositions et, en cas de refus, fait connaître par écrit les motifs qui s’opposent à ce qu’il y soit donné suite ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1694220461154980319"}"></div></p>
<p>Sur le rapport de l’inspection du travail constatant une situation dangereuse liée à la température élevée et résultant d’un non-respect par l’employeur des principes généraux de prévention, le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006072050/LEGISCTA000006178066/">directeur régional du travail</a> peut mettre en demeure l’employeur de prendre toutes mesures utiles pour y remédier. L’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006072050/LEGISCTA000006178115/">inspecteur</a> du travail peut, dans certaines circonstances, saisir le juge judiciaire statuant en référé pour voir « ordonner toutes mesures propres à faire cesser le risque » telles que la fermeture temporaire d’un atelier ou chantier. Le mécanisme intervient lorsqu’il « constate un risque sérieux d’atteinte à l’intégrité physique d’un travailleur » résultant de l’inobservation de certaines dispositions du code du travail.</p>
<p>Le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006903155">salarié</a>, enfin, peut de lui-même se retirer de son poste de travail lorsqu’il a « un motif raisonnable de penser que sa situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé », ce qui peut être lié à la chaleur. L’appréciation du risque est subjective et dépend de chaque personne, en fonction de différents paramètres (état de santé, âge, etc.). L’employeur ne peut demander au travailleur de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent résultant d’une température élevée.</p>
<h2>Des textes trop peu précis</h2>
<p>De nombreuses imprécisions demeurent néanmoins. Ainsi le droit stipule-t-il que « les postes de travail extérieurs sont aménagés de telle sorte que les travailleurs puissent rapidement quitter leur poste de travail en cas de danger » et « dans la mesure du possible » soient <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGISCTA000018532177/">protégés contre les conditions atmosphériques</a>. Ce que sont ces « conditions atmosphériques » n’est pas précisé dans le code du travail.</p>
<p>Autre exemple, les jeunes travailleurs de moins de 18 ans ne doivent pas être affectés à des « travaux les exposant à une <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000028058771">température extrême</a> susceptible de nuire à la santé ». La notion n’est, à nouveau, pas définie, de même que lorsque le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000018532340">droit</a> précise que dans les locaux de travail fermés, l’air doit être renouvelé de façon à éviter « les élévations exagérées de température ».</p>
<p>La Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés préconise, de son côté, l’<a href="https://infosdroits.fr/wp-content/uploads/2013/05/Recommandation-R226-CNAMTS.pdf">évacuation des locaux au-delà de 34 °C</a>, en cas d’« arrêt prolongé des installations de conditionnement d’air dans les immeubles à usage de bureaux ». Le code du travail en matière d’ambiance thermique dans les locaux de travail se montre en fait surtout soucieux de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006072050/LEGISCTA000018488961/#LEGISCTA000018532247">protection contre le froid</a>.</p>
<p>Dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, l’employeur peut décider en cas d’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006072050/LEGISCTA000006189830/#LEGISCTA000006189830">intempéries</a>, après avis du comité social et économique, l’arrêt du travail ; les salariés perçoivent alors une indemnisation. Sont considérées comme intempéries les conditions atmosphériques « lorsqu’elles rendent dangereux ou impossible l’accomplissement du travail eu égard soit à la santé ou à la sécurité des salariés, soit à la nature ou à la technique du travail à accomplir ». Il s’agit du gel, de la neige, du verglas, de la pluie, du vent et des inondations du chantier, selon les lettres ministérielles du 20 janvier et du 15 avril 1947. Les températures élevées ne sont pas visées.</p>
<h2>Un droit à améliorer</h2>
<p>Les bouleversements climatiques impliquent des changements dans les conditions et l’organisation du travail. Dans cette perspective le droit du travail semble à actualiser pour assurer la santé au travail au regard des nouvelles réalités climatiques.</p>
<p>En France, le droit national demeure donc incomplet. Les ministères de la Transition écologique et du Travail ont récemment adopté des <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/08.06.2023_Plan_vagues_de_chaleur.pdf">plans</a> et <a href="https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/instruction_ministerielle_vagues_de_chaleur_du_130623.pdf">instructions</a> mais ceux-ci reposent pour l’essentiel sur des actions d’information, avec le rappel du droit applicable et l’incitation à la mise en œuvre de <a href="https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/guide_prevention_chaleur_2023.pdf">mesures de prévention</a> comme l’aménagement des locaux et des horaires, du rythme de travail, des durées et fréquence des pauses. Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique a, certes, émis l’idée d’instaurer dans la loi des <a href="https://www.lepoint.fr/societe/canicule-christophe-bechu-evoque-des-journees-de-travail-reduites-en-cas-de-fortes-chaleurs-22-08-2023-2532489_23.php">journées réduites</a>. Aucun projet de loi ne semble cependant pour l’instant dans l’agenda du gouvernement ; du côté des parlementaires de l’opposition, une proposition a été déposée le 20 juillet.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1693977621091000509"}"></div></p>
<p>Au regard de l’insuffisance des législations nationales, la <a href="https://www.etuc.org/fr/pressrelease/la-crise-climatique-appelle-une-legislation-de-lue-sur-les-temperatures-maximales-de">Confédération européenne des syndicats (CES)</a> affirmait ainsi l’an passé :</p>
<blockquote>
<p>« La crise climatique appelle à une législation de l’UE sur les températures maximales de travail. »</p>
</blockquote>
<p>Penser des « valeurs limites d’exposition » à la chaleur, prévues dans une directive européenne comme pour les produits chimiques, pourrait reposer sur différents paramètres tenant aux conditions du travail selon qu’il s’effectue en intérieur ou à l’extérieur, sa nature ou l’environnement dans lequel il est effectué. Des données personnelles comme l’état de santé du salarié ou son âge pourraient également être prises en compte.</p>
<p>Lier la dégradation de la santé causée par le travail à des températures élevées du fait des nouvelles conditions climatiques et l’âge de départ à la retraite ne manquerait sans doute pas de pertinence.</p>
<p>Dans le bâtiment et les travaux publics, le régime d’indemnisation devrait être applicable en cas de température élevée pour raisons climatiques, au-delà du traitement des demandes au cas par cas (alertes « orange » et a fortiori « rouge »). Des règles économiques mériteraient également d’être révisées. Il s’agit d’éviter les pénalités de retard en cas de livraison tardive d’une construction causée par des arrêts de travail liés aux températures élevées. Les maîtres d’ouvrage devraient être tenus d’intégrer cette problématique lors de la fixation des délais, notamment pour les ouvrages relevant de la commande publique par les collectivités territoriales.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/212295/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Miné est membre du Réseau académique pour la Charte sociale européenne (RACSE). </span></em></p>S’il est aujourd’hui possible de faire usage de dispositions prévues par le code du travail, la multiplication des épisodes caniculaires exige que le droit gagne en précision.Michel Miné, Professeur du Cnam, titulaire de la chaire Droit du travail et droits de la personne, Lise/Cnam/Cnrs, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2089882023-08-01T16:20:13Z2023-08-01T16:20:13ZSe tuer au travail ? Non merci !<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/539476/original/file-20230726-25-d79t1g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C21%2C4830%2C3152&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En 2021, selon les derniers chiffres publiés par l’assurance maladie, 645 personnes ont été victimes d’un accident du travail mortel. Or ces chiffres ne tiennent compte que des travailleurs soumis au régime général.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pxhere.com/fr/photo/829849">Pxhere</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Les récentes mobilisations sociales contre le report de l’âge légal de la retraite ont rappelé que l’activité professionnelle n’était pas toujours synonyme de bonne santé. Au contraire, le travail peut user, mentalement et physiquement, jusqu’à parfois devenir <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publication/quels-facteurs-influencent-la-capacite-des-salaries-faire-le-meme-travail-jusqua-la-retraite">« insoutenable »</a>.</p>
<p>Il peut aussi tuer, brutalement. Ainsi, le 29 juin 2023, un technicien en télécommunications âgé de 46 ans est mort d’une chute d’environ 20 m alors qu’il travaillait sur un <a href="https://www.nordlittoral.fr/178306/article/2023-06-29/arques-un-homme-decede-suite-une-chute-d-environ-30-metres">pylône électrique, à Arques</a>, dans le Pas-de-Calais. Six jours plus tôt, <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/isere/un-cordiste-tue-apres-une-chute-de-15-metres-il-posait-des-filets-de-securisation-au-dessus-d-une-route-en-isere-2801756.html">André Serena Nunes</a>, 34 ans, cordiste sur le chantier de sécurisation d’une falaise, perdait la vie à la suite d’une chute de 15 mètres, à Oulles, en Isère. Son nom s’ajoute à ceux figurant sur la longue liste des personnes qui, chaque année, décèdent de leur travail. Certaines sont très jeunes, comme Peter Menanteau, un apprenti de 17 ans décédé le 17 juillet 2023 en <a href="https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/vendee/mort-dun-jeune-de-17-ans-en-vendee-le-recours-a-la-sous-traitance-deiffage-pointe-par-la-cgt-b50b420a-26f5-11ee-8a0d-55c2c7a44080">chutant avec son engin dans une carrière</a>, à Essarts-en-Bocage, en Vendée.</p>
<p>Un constat insupportable, en premier lieu pour les familles des victimes qui, à l’instar de la mère de Benjamin – mort à 23 ans en tombant d’une toiture sur laquelle il travaillait, à Chinon, en Indre-et-Loire – <a href="https://matthieulepine.wordpress.com/2022/03/23/jaimerais-tellement-que-la-mort-de-mon-enfant-ne-soit-pas-quun-fait-divers/">entend dénoncer</a> ce qui est sinon le plus souvent banalisé : « J’aimerais tellement que la mort de mon enfant ne soit pas qu’un fait divers d’un petit journal de province ».</p>
<h2>645 personnes mortes au travail en 2021</h2>
<p>En 2021, <a href="https://assurance-maladie.ameli.fr/etudes-et-donnees/2021-rapport-annuel-assurance-maladie-risques-professionnels">selon les derniers chiffres publiés par l’assurance maladie</a>, 645 personnes ont été victimes d’un accident du travail mortel. Ces données ne rendent toutefois compte que d’une partie du phénomène, puisqu’elles ne concernent que les salariés relevant du régime général : ni les fonctionnaires, les salariés du régime agricole ou les marins-pêcheurs, ni les <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/6041208">auto-entrepreneurs</a> et les salariés détachés – ces formes d’emploi en progression ces dernières années – ne sont pris en compte dans ces statistiques, encore moins les travailleurs sans papier et non déclarés.</p>
<hr>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://theconversation.com/fr/topics/controverses-133629">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p><em><a href="https://theconversation.com/fr/topics/controverses-133629">« Controverses »</a> est un nouveau format de The Conversation France. Nous avons choisi d’y aborder des sujets complexes qui entraînent des prises de positions souvent opposées, voire extrêmes. Afin de réfléchir dans un climat plus apaisé et de faire progresser le débat public, nous vous proposons des analyses qui sollicitent différentes disciplines de recherche et croisent les approches</em>.</p>
<p><em>La série « travail » s’attache à décrypter des aspects improbables, parfois inconnus ou impensés autour de cette notion actuellement au cœur des débats politiques.</em></p>
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<p>Longtemps condamnés à n’être que des faits divers évoqués dans les pages de la presse régionale, le plus souvent sans même que leur nom ne soit cité, ces morts du travail sont progressivement parvenus à prendre place ces dernières années dans le débat public, grâce notamment au travail méthodique de recension et d’interpellation mené par l’enseignant <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/l-hecatombe-invisible-matthieu-lepine/9782021517385">Matthieu Lépine</a> et aux récentes mobilisations du collectif <a href="https://www.facebook.com/profile.php?id=100089216336090">Stop à la mort au travail</a>, créé à l’initiative de familles de victimes. La réduction des accidents du travail graves et mortels est ainsi devenue en 2022 une <a href="https://travail-emploi.gouv.fr/sante-au-travail/plans-gouvernementaux-sante-au-travail/article/plan-pour-la-prevention-des-accidents-du-travail-graves-et-mortels">priorité affichée des pouvoirs publics</a>.</p>
<p>Mais, dans une plus grande indifférence, le <a href="https://editionsatelier.com/boutique/accueil/370-mourir-de-son-travail-aujourd-hui-enquete-sur-les-cancers-professionnels--9782708253926.html">travail tue aussi à petit feu</a>, par contamination lente ou empoisonnement progressif à des substances toxiques.</p>
<h2>Des milliers de professionnels exposés au risque de cancer</h2>
<p>On l’ignore souvent, mais des milliers de personnes sont exposées à des cancérogènes, en toute légalité et dans l’exercice habituel de leur métier. C’est le cas de 11 % des salariés en moyenne selon la dernière enquête <a href="https://www.inrs.fr/media.html?refINRS=TF%20303">SUMER</a>, comme « Surveillance médicale des expositions des salariés aux risques professionnels ».</p>
<p>Ils sont par exemple encore nombreux à être exposés à l’amiante, dont l’usage est interdit <a href="https://www.lesechos.fr/1997/01/lamiante-declare-hors-la-loi-en-1997-806530">depuis janvier 1997</a>. Ouvriers du BTP, électriciens ou encore plombiers, tous les salariés intervenant dans la rénovation peuvent en effet être encore confrontés à ces fibres dans l’exercice de leurs métiers. Plus largement, en l’absence d’un inventaire précis et exhaustif des bâtiments amiantés, de nombreux salariés et usagers sont en contact avec l’amiante sans le savoir, jusqu’aux enfants dans les <a href="https://urgence-amiante-ecoles.fr/">écoles</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/539488/original/file-20230726-29-qewgtp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/539488/original/file-20230726-29-qewgtp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/539488/original/file-20230726-29-qewgtp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/539488/original/file-20230726-29-qewgtp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/539488/original/file-20230726-29-qewgtp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/539488/original/file-20230726-29-qewgtp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/539488/original/file-20230726-29-qewgtp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des milliers de personnes sont exposées à des cancérogènes, en toute légalité et dans l’exercice habituel de leur métier.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://pxhere.com/fr/photo/132425">Pxhere</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Mais les fibres d’amiante ne sont pas seules en cause, loin de là. Huiles de coupe, poussières de bois, de silice ou de métaux, fumées de soudage, solvants chlorés, amines dans les vernis et couleurs, médicaments cytostatiques contenus notamment dans les <a href="https://basta.media/Cancerologie-cancers-professionnels-soignants-chimiotherapie-anti-cancereux-radium">chimiothérapies</a>, gaz d’échappement de moteur diesel, rayonnements ionisants (<a href="https://www.irsn.fr/actualites/bilan-2017-expositions-professionnelles-rayonnements-ionisants-france">dans le milieu médical, l’industrie nucléaire…</a>) et ultraviolets (qu’ils soient naturels, dans le travail en extérieur, ou artificiels, dans les cabines de bronzage), pesticides, formaldéhyde, <a href="https://theconversation.com/why-does-night-shift-increase-the-risk-of-cancer-diabetes-and-heart-disease-heres-what-we-know-so-far-190652">travail de nuit posté</a>, etc., la liste est longue. Et les études sur les effets de l’exposition à ces produits font gravement défaut.</p>
<h2>Un manque de données de toxicité problématique</h2>
<p>Le Centre international de recherche sur le cancer (<a href="https://www.iarc.who.int/fr/a-propos-du-circ/">CIRC</a>) identifie jusqu’à présent pas moins de 120 cancérogènes certains pour l’espèce humaine et plus de 400 probables ou possibles, dont un grand nombre sont présents dans l’univers professionnel. En raison du manque d’études menées, aucune donnée n’existe quant à la toxicité de centaines de milliers d’autres molécules chimiques.</p>
<p>Des centaines de nouvelles molécules sont en effet mises en circulation chaque année, la toxicité des plus anciennes n’a pas toujours été étudiée et, par ailleurs, le caractère pathogène de substances chimiques peut varier, voire s’aggraver, lorsqu’elles se retrouvent mélangées à d’autres.</p>
<p>Des molécules qui, prises séparément, n’ont qu’un effet limité peuvent ainsi avoir des effets beaucoup plus délétères lorsqu’elles se trouvent dans des mélanges complexes. Des travaux suggèrent par exemple que l’exposition à de multiples composants chimiques non cancérogènes lorsqu’ils sont pris isolément pourraient mener <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4480130/">au développement de cancers</a>. Or, cet « effet cocktail » est très mal documenté et la réglementation ne concerne le plus souvent que les composés isolés.</p>
<h2>Quels sont les salariés les plus concernés ?</h2>
<p>Selon l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS), <a href="https://www.inrs.fr/risques/cancers-professionnels/agents-cancerogenes-reconnus.html">« tous les secteurs d’activité, sans exception, sont susceptibles d’être concernés »</a> par le risque de cancer.</p>
<p>Pour autant, on constate une distribution très inégale de ce risque dans le monde du travail, en fonction de la catégorie socioprofessionnelle, du secteur d’activité ou du statut d’emploi. Ainsi, selon l’étude SUMER déjà citée, les plus exposés sont les ouvriers qualifiés (34,5 % d’entre eux contre 2,8 % des cadres et professions intellectuelles), particulièrement ceux de la réparation automobile (90 % d’entre eux) ou de la maintenance (60,3 %) et, tous secteurs confondus, les intérimaires (19,8 % d’entre eux).</p>
<p>C’est parfois à l’adolescence que commencent ces expositions, par exemple dans la filière des métiers de la beauté où les apprenties coiffeuses et esthéticiennes sont au contact avec des <a href="https://www.inrs.fr/dms/inrs/CataloguePapier/TS/TI-TS796page13/ts796page13.pdf">substances chimiques et cancérogènes</a>, dont certaines sont également mutagènes et reprotoxiques, particulièrement dans <a href="https://www.anses.fr/fr/system/files/CONSO2014SA0148Ra.pdf">l’onglerie</a>, une activité en forte croissance et peu <a href="https://www.etui.org/sites/default/files/Hesamag_17_FR_0.pdf">réglementée</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/539490/original/file-20230726-27-n2rxp7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/539490/original/file-20230726-27-n2rxp7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/539490/original/file-20230726-27-n2rxp7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/539490/original/file-20230726-27-n2rxp7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/539490/original/file-20230726-27-n2rxp7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/539490/original/file-20230726-27-n2rxp7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/539490/original/file-20230726-27-n2rxp7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">C’est parfois à l’adolescence que commencent ces expositions, par exemple dans la filière des métiers de la beauté.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://pxhere.com/fr/photo/1095989">Pxhere</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Être exposé à ces toxiques, quel que soit son niveau d’exposition, c’est faire face au risque d’être atteint d’un cancer des décennies plus tard : la majorité des cancérogènes n’ont pas d’effet seuil. Autrement dit, il n’existe pas de seuil en dessous duquel le risque de contracter un cancer n’existe pas. Dans le cas de l’amiante par exemple, quelques fibres peuvent suffire à provoquer un mésothéliome, un redoutable cancer de la plèvre.</p>
<p>Du fait de leur travail, nombre d’ouvriers et d’ouvrières ne parviennent pas à l’âge de leur retraite, ou alors en mauvaise santé. Des chercheurs de l’Institut national d’études démographiques (Ined) évoquent ainsi leur double peine, <a href="https://www.ined.fr/fr/publications/editions/population-et-societes/la-double-peine-des-ouvriers-plus-d-annees-d-incapacite-au-sein-d-une-vie-plus-courte/">« plus d’année d’incapacité au sein d’une vie plus courte »</a>. Les principaux concernés eux-mêmes, salariés ou retraités atteints d’un cancer, ne savent pas le plus souvent que leur cancer peut trouver son origine dans leur travail passé.</p>
<p>Et pour cause, la maladie survient à distance des activités qui les ont exposés, le plus souvent des dizaines d’années après, jusqu’à cinquante ans dans le cas de l’amiante. Ils ignorent le plus souvent avoir été au contact avec ces toxiques. Ils ne sont alors pas en mesure de faire reconnaître leur cancer en maladie professionnelle.</p>
<h2>Des campagnes de prévention insuffisantes</h2>
<p>Moins de <a href="https://assurance-maladie.ameli.fr/sites/default/files/rapport_annuel_2021_de_lassurance_maladie_-_risques_professionnels_novembre_2022_4.pdf">1 650 cas de cancers</a> ont ainsi été reconnus en maladie professionnelle en 2021 quand, selon les <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/34172838/">études épidémiologiques</a>, de 14 000 à 30 000 nouveaux cas de cancer seraient chaque année d’origine professionnelle, et sans doute beaucoup plus au regard des modalités incertaines de construction mathématiques de ces <a href="https://journals.openedition.org/sdt/18116#tocto1n2">estimations</a>.</p>
<p>La pathologie cancéreuse est même identifiée comme la première cause de décès par le travail en Europe. Mais alors que cette maladie est en progression constante depuis le début du XX<sup>e</sup> siècle, jusqu’à représenter aujourd’hui la <a href="https://www.e-cancer.fr/Expertises-et-publications/Catalogue-des-publications/Panorama-des-cancers-en-France-Edition-2022">première cause de mortalité en France</a>, les campagnes de prévention en santé publique ignorent la contribution de l’activité de travail à cette épidémie.</p>
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<span class="caption">La maladie survient à distance des activités qui ont exposés les employés, le plus souvent des dizaines d’années après, jusqu’à cinquante ans dans le cas de l’amiante.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://pxhere.com/fr/photo/985345">Pxhere</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Elles se focalisent au contraire sur les comportements dits individuels, invitant les personnes à <a href="https://www.sante.fr/prevention-des-cancers-0">« se respecter »</a>, autrement dit à stopper leur tabagisme, à réduire leur consommation d’alcool, à adopter une alimentation équilibrée et à pratiquer une activité physique régulière. Comme si le travail n’influait pas sur leur vie et sur leur état de santé, <a href="https://www.etui.org/fr/themes/sante-et-securite-conditions-de-travail/hesamag/sous-le-vernis-des-professionnels-de-la-beaute-en-danger/les-lieux-de-travail-comme-lieux-de-vie">comme si les lieux de travail n’étaient pas aussi des lieux de vie</a>.</p>
<h2>Interroger la contribution du travail dans la survenue des cancers</h2>
<p>Depuis plus de 20 ans, un dispositif de recherche-action interdisciplinaire que je co-dirige avec <a href="https://www.cerlis.eu/team-view/rollin-zoe/">Zoé Rollin</a>, le Groupement d’intérêt scientifique sur les cancers d’origine professionnelle en Seine-Saint-Denis (<a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2022/06/DERKAOUI/64767">Giscop93</a>), s’est donné pour ambition d’interroger la contribution du travail dans la survenue des cancers et de la rendre visible dans la perspective de contribuer à rendre <a href="https://www.medecinesciences.org/en/articles/medsci/full_html/2023/05/msc230035/msc230035.html">ces maladies évitables</a>, au même titre que les cancers du fumeur.</p>
<p>Dans cette perspective, il est à l’initiative de plusieurs projets de recherche : sur la <a href="https://www.rst-sante-travail.fr/rst/pages-article/ArticleRST.html?ref=RST.TM%2075">prévention des apprentis aux expositions cancérogènes</a>, sur les <a href="https://www.calameo.com/read/00019846638ddd8a6fe70">contaminations environnementales à l’amiante</a>, ou encore sur l’identification des activités de travail exposantes.</p>
<p>Pour répondre à ce dernier objectif, des services hospitaliers partenaires signalent à l’équipe de chercheurs tous leurs patients nouvellement diagnostiqués d’un cancer broncho-pulmonaires ou urinaires (vessie et rein). À ceux qui acceptent de rejoindre cette enquête, il leur est proposé de raconter leur parcours professionnel, depuis leur sortie de l’école jusqu’à la survenue de leur maladie.</p>
<p>L’enquêteur de l’équipe, le plus souvent sociologue, les invite à décrire le <a href="https://journals.openedition.org/nrt/653">plus finement possible</a> les activités qu’ils ont réalisées, dans quel contexte et environnement. Ainsi reconstitués, ces parcours professionnels sont soumis à l’expertise d’un collectif constitués de médecins et infirmières du travail, de toxicologues, de contrôleurs de prévention, d’hygiénistes industriels qui vont identifier ou non des cancérogènes, et les qualifier (probabilité, fréquence, intensité, durée), avant de préconiser ou non une déclaration en maladie professionnelle. Empruntant cette méthodologie d’enquête, un Giscop 84 s’est créé en 2017 <a href="https://www.etui.org/fr/themes/sante-et-securite-conditions-de-travail/hesamag/cancer-et-travail-sortir-de-l-invisibilite/a-la-traque-des-cancerogenes-au-travail">dans le Vaucluse</a> à l’initiative d’un oncologue, chef du service d’hématologie à l’hôpital d’Avignon. Ses premiers résultats vont dans le même sens que ceux du Giscop93.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/539491/original/file-20230726-25-gzwmcz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/539491/original/file-20230726-25-gzwmcz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/539491/original/file-20230726-25-gzwmcz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/539491/original/file-20230726-25-gzwmcz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/539491/original/file-20230726-25-gzwmcz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/539491/original/file-20230726-25-gzwmcz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/539491/original/file-20230726-25-gzwmcz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La poussière de bois, l’usage de certains outils et produits contribuent à accentuer ou développer des pathologies mortelles qui ne se déclarent parfois que des années plus tard.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://pxhere.com/fr/photo/889962">pxhere</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Parmi ces résultats qui ont déjà fait l’objet de <a href="https://giscop93.univ-paris13.fr/publications/rapports-de-stage-theses.html">plusieurs publications</a>, certains méritent une attention particulière à l’heure où les débats sur le travail sont relancés. Tout d’abord, les <a href="https://www.senat.fr/travaux-parlementaires/office-et-delegations/delegation-aux-droits-des-femmes-et-a-legalite-des-chances/sante-des-femmes-au-travail.html">expositions des femmes sont plus difficiles à documenter</a> que celles des hommes, majoritaires dans l’enquête, les recherches sur les risques professionnels s’étant, jusqu’à peu, essentiellement centrées sur les <a href="https://theconversation.com/les-stereotypes-de-genre-nuisent-a-la-sante-des-femmes-et-des-hommes-88989">populations masculines</a>.</p>
<p>La récente médiatisation autour de la <a href="https://www.liberation.fr/societe/sante/le-cancer-du-sein-dune-ancienne-infirmiere-reconnu-comme-maladie-professionnelle-20230327_RIZP6SFSR5FUPJ6R4KNZYARE54/?redirected=1">reconnaissance d’un cancer du sein en maladie professionnelle</a> chez une infirmière ayant travaillé de nuit permet par exemple de rappeler que loin d’être une fatalité pour les femmes, ce cancer peut aussi être le résultat de conditions de travail pathogènes, comme le travail de nuit, l’exposition aux rayonnements ionisants et, selon l’Anses, plusieurs <a href="https://www.la-croix.com/Sciences-et-ethique/Lexposition-femmes-cancers-professionnels-sous-estimee-2022-06-13-1201219734">dizaines de molécules chimiques</a> présentes dans l’espace productif. Et qu’il est, à ce titre, lui aussi évitable, à condition de prévenir ces risques cancérogènes à leur source, au travail.</p>
<p>Autre constat, les patients dont les parcours ont été expertisés ont été majoritairement exposés, au cours de leur carrière, non pas à un seul cancérogène mais à plusieurs, au même poste ou dans une succession de postes et d’emplois différents. Ceux qui ont travaillé dans le cadre de l’intérim et de la sous-traitance sont particulièrement concernés. Ce sont ces mêmes situations d’emploi qui sont <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publication/precarite-demploi-et-conditions-de-travail">bien identifiées</a> pour être celles où les règles de prévention peinent le plus à s’appliquer ; la sous-traitance et l’externalisation des activités – souvent les plus exposantes, comme la maintenance ou le nettoyage – s’apparentant à une sous-traitance et à une externalisation des risques. Le secteur <a href="https://presse.inserm.fr/wp-content/uploads/2017/01/2001_01_05_CP_IndustrieNucleaire.pdf">nucléaire</a> en est un exemple frappant, celui de l’<a href="https://journals.openedition.org/sdt/11585">agriculture</a> également.</p>
<p>Mais <a href="https://shs.hal.science/tel-02105285">l’exemple de M. Boutef,</a> emporté à l’âge de 34 ans d’un cancer fulgurant, témoigne des arbitrages également exercés au sein de grandes entreprises comme la sienne, une multinationale du secteur de l’aéronautique. Ouvrier en fonderie, exposé à près d’une dizaine de cancérogènes, il revendiquait régulièrement avec ses collègues élus comme lui délégués du Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), le respect du code du travail qui <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGISCTA000006178066">oblige l’employeur à préserver la santé de ses salariés</a>, et notamment l’installation de hottes aspirantes là où les poussières toxiques les empêchaient de respirer. Inscrite noir sur blanc dans le procès-verbal d’une des séances, la réponse du représentant de l’employeur est éclairante : « Il nous faut cadencer nos investissements ».</p>
<p>Même inscrite dans les textes, gravée dans la loi, la préservation de la santé des femmes et des hommes au travail ne s’impose pas d’elle-même aux employeurs comme une priorité.</p>
<h2>Politique de l’affichage ?</h2>
<p>Inscrite dans la feuille de route du gouvernement et des partenaires sociaux au sein du <a href="https://travail-emploi.gouv.fr/sante-au-travail/plans-gouvernementaux-sante-au-travail/article/plans-sante-au-travail-pst">Plan santé travail 2021-2025</a>, et dans la <a href="https://www.e-cancer.fr/Institut-national-du-cancer/Strategie-de-lutte-contre-les-cancers-en-France/La-strategie-decennale-de-lutte-contre-les-cancers-2021-2030">stratégie décennale de lutte contre les cancers</a>, la prévention des cancérogènes en milieu de travail pourrait ne demeurer qu’un simple affichage.</p>
<p>La pénurie actuelle de médecins du travail et d’inspecteurs du travail en fait craindre l’hypothèse. Pour mettre un terme à cette épidémie silencieuse de cancers du travail, il y a urgence à remettre en cause les conditions de travail pathogènes et à revendiquer une intervention plus contraignante de l’État dans le monde du travail pour garantir le droit à ne pas y perdre sa vie.</p>
<p>En inscrivant en juin 2022 la sécurité et la santé aux principes et droits fondamentaux au travail, l’OIT l’y incite fortement. La crise écologique que nous traversons invite également à repenser ensemble les conditions de travail et les conditions de vie, la santé des salariés et celle des populations, tant les liens sont étroits entre les expositions toxiques et cancérogènes qui ont lieu au sein des entreprises et celles qui sont présentes dans l’environnement, résultant le plus souvent de <a href="https://www.pur-editions.fr/product/5513/debordements-industriels">débordements industriels</a>.</p>
<p>La découverte récente de <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/02/23/revelations-sur-la-contamination-massive-de-l-europe-par-les-pfas-ces-polluants-eternels_6162940_4355770.html">l’impact des perfluorés PFAS sur la santé humaine</a> en est une illustration criante : les <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/rhone/lyon/temoignage-exclusif-polluants-eternels-maintenant-je-suis-foutu-des-salaries-contamines-par-les-pfas-pres-de-lyon-2786426.html">salariés sont les premiers à être exposés</a> à ces substances toxiques et cancérogènes avant qu’elles ne soient rejetées au-dehors et ne polluent de façon persistante, l’eau, le sol, l’air, mais aussi le lait maternel. La survie de notre planète dépend ainsi étroitement de comment le travail se réalise et dans quelles conditions.</p>
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<p><em>À lire aussi</em></p>
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<li><p><a href="https://theconversation.com/le-debat-sur-la-valeur-travail-est-une-necessite-204875">Le débat sur la valeur travail est une nécessité</a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/conges-menstruels-neuroatypisme-maladies-chroniques-et-si-lentreprise-tenait-compte-de-nos-differences-biologiques-206321">Congés menstruels, neuroatypisme, maladies chroniques : et si l’entreprise tenait compte de nos différences biologiques ?</a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/le-travail-pour-autrui-survivance-de-lesclavagisme-dans-nos-economies-150317">Le « travail pour autrui », survivance de l’esclavagisme dans nos économies</a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/mon-salaire-est-il-vraiment-le-fruit-de-mon-travail-204833">Mon salaire est-il vraiment le fruit de mon travail ?</a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/la-dette-nouvelle-forme-de-travail-des-femmes-204323">La dette, nouvelle forme de travail des femmes</a></p></li>
</ul>
<hr><img src="https://counter.theconversation.com/content/208988/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne Marchand est membre du Giscop93 (Groupement d'intérêt scientifique sur les cancers d'origine professionnelle en Seine-Saint-Denis). À ce titre, elle a conduit des recherches qui ont été financées par plusieurs organismes publics, parmi lesquels la Direction générale du travail, le Conseil départemental de la Seine-Saint-Denis, l'Institut national du cancer (INCA), la Ville de Paris, etc. </span></em></p>Si les morts au travail deviennent un sujet plus important dans le débat public, beaucoup demeurent encore invisibles du fait des maladies lentes et substances qui empoisonnent sur le long terme.Anne Marchand, Chargée de recherche en sociologie et en histoire, Université Sorbonne Paris NordLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2068962023-06-27T18:25:04Z2023-06-27T18:25:04Z« Forçats du numérique » : Comment une décision de justice au Kenya fragilise la sous-traitance des multinationales du web<p>L’histoire commence en mai 2022 au Kenya : Daniel Motaung, un ancien modérateur de contenu de la société locale Samasource Ltd dépose alors une <a href="https://videos-cloudfront.jwpsrv.com/647897f3_5bec6dcbb2468547552b60296026dacc2f4e5165/content/conversions/eLnWahTz/videos/YkrYeJro-33331102.mp4">plainte</a> (<em>petition</em> en anglais) contre ses dirigeants, ainsi que leurs donneurs d’ordre, de nombreux géants du web, dont Meta (la société mère de Facebook).</p>
<p>Dans cette plainte, Daniel Motaung accuse Sama et Meta de traite d’êtres humains, de démantèlement de syndicats et de ne pas fournir un soutien adéquat en matière de santé mentale.</p>
<p>Sama – leader dans le domaine de l’annotation – emploie des <a href="https://cset.georgetown.edu/wp-content/uploads/Key-Concepts-in-AI-Safety-Specification-in-Machine-Learning.pdf">« étiqueteurs »</a>, qui ont pour mission de visionner et de taguer des contenus très éclectiques, souvent consternants, parfois extrêmement violents, provenant de divers réseaux sociaux et d’internet. L’objectif : modérer les contenus sur les réseaux sociaux et fournir des bases de données équilibrées pour l’apprentissage des intelligences artificielles.</p>
<p>Neuf mois, plus tard, le 6 février 2023, une première décision historique a été rendue par le juge <a href="http://kenyalaw.org/caselaw/cases/view/250879/">kényan Jakob Gakeri</a> : ce dernier a statué sur le fait que les cours kényanes étaient compétentes pour juger des sociétés étrangères dont des filiales se trouvent au Kenya, ainsi que la responsabilité des donneurs d’ordre. La procédure est en cours pour de nouvelles audiences.</p>
<p>C’est la première fois qu’une telle affaire est jugée dans les pays où vivent ces « forçats du numérique », et que le jugement se fait selon les termes de la plainte déposée. Une façon d’exposer à la planète entière les coûts humains du numérique.</p>
<h2>Les termes de la plainte</h2>
<p>Sama fait ainsi travailler des milliers d’opérateurs venant de toute l’Afrique subsaharienne pour modérer et étiqueter des contenus des géants du web comme Meta, Microsoft et OpenAI (la société à l’origine de ChatGPT) dans le cadre de « partenariats d’externalisation ». Cette dernière a d’ailleurs <a href="https://time.com/6247678/openai-chatgpt-kenya-workers/">confirmé</a> que les employés de Sama l’avaient aidé à filtrer certains contenus toxiques.</p>
<p>Le juge a entériné les termes de la pétition sur la violation des droits constitutionnels de ces opérateurs, et dénonce ainsi les conditions matérielles et psychologiques déplorables dans lesquelles ils travaillent.</p>
<p>Avec cette décision, le juge a aussi retenu le bien-fondé des termes de la demande qui, élaborant sur les salaires insuffisants pour vivre décemment à Nairobi, sur la détresse psychologique des salariés (le demandeur souffrant de troubles du stress post-traumatique – selon ses conseils) et sur la définition du <a href="https://www.unodc.org/documents/e4j/tip-som/Module_6_-_E4J_TiP-_final_FR_final.pdf">Haut-Commissariat des Nations unies aux Droits de l’Homme</a> (HCDH), soutenait que la situation vécue par les étiqueteurs pouvait être qualifiée d’exploitation en vue d’un gain économique, en d’autres termes, de « traite d’êtres humains »… d’autant plus que les soutiens psychologiques contractuellement annoncés n’auraient jamais été mis en œuvre (à nouveau, selon les attendus de la pétition et les termes des conseils du demandeur).</p>
<p>Meta a tenté de faire appel de cette décision du juge Gakeri afin d’éviter le procès, sans succès. De plus, suite à cette décision du juge Gakeri, le contrat de Sama avec Meta a été annulé, et le repreneur, Majorel, aurait essayé de blacklister les étiqueteurs de Sama. Deux cent d’entre eux ont porté plainte contre Meta et Sama pour licenciement abusif, dans une autre procédure.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/enquete-derriere-lia-les-travailleurs-precaires-des-pays-du-sud-201503">Enquête : derrière l’IA, les travailleurs précaires des pays du Sud</a>
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<h2>L’étiquetage des données permet les services de modération du web et l’apprentissage des systèmes d’IA</h2>
<p>Cette décision du juge Gakeri – et les suivantes – pourrait avoir un impact majeur sur les services de modération portés par les grandes plates-formes Internet, en particulier celles qui utilisent l’intelligence artificielle.</p>
<p>En effet, l’<a href="https://ieeexplore.ieee.org/abstract/document/6685834">étiquetage précis des données est essentiel pour que les algorithmes d’intelligence artificielle puissent apprendre et arbitrer correctement leurs résultats</a> : par exemple, si une image est étiquetée « route » alors qu’il s’agit d’un mur, l’IA équipant une voiture autonome pourrait se tromper et provoquer un accident.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-fonctionne-chatgpt-decrypter-son-nom-pour-comprendre-les-modeles-de-langage-206788">Comment fonctionne ChatGPT ? Décrypter son nom pour comprendre les modèles de langage</a>
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<p>L’étiquetage des données consiste à fournir des informations pour aider les machines à apprendre à partir de données brutes comme des images, des fichiers texte et des vidéos. Cependant, <a href="https://theconversation.com/intelligence-artificielle-les-defis-de-lapprentissage-profond-111522">différents types d’apprentissages</a> existent (supervisé, semi-supervisé, par renforcement…) et on a besoin de plus ou moins de données en fonction de l’expérience utilisateur escomptée.</p>
<h2>L’étiquetage des données est source de valeur pour les acteurs du numérique</h2>
<p>Ces informations viennent des bases de données constituées par les géants du net lors d’opérations d’étiquetage et de <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-319-67256-4_32">modération des contenus</a>. Celles-ci sont censées prévenir et protéger tous les individus d’un accès non désiré à certaines données – comme une vidéo de décapitation par exemple – en créant et complétant les <a href="https://citeseerx.ist.psu.edu/document?repid=rep1&type=pdf&doi=3363e2b897cdfe9f8dcb546ac420d28584867a27">métadonnées</a>, des données qui informent sur le contenu du fichier associé. Cette méthodologie a permis la création d’immenses bases de métadonnées, informées – et informant – en temps réel de la nature des contenus transitant par les réseaux.</p>
<p>Les métadonnées font le lien entre contenu et information, ce qui a permis de rénover le modèle économique des acteurs du web et des <a href="https://theconversation.com/la-moderation-des-contenus-est-elle-compatible-avec-lactivite-commerciale-des-reseaux-sociaux-199573">réseaux</a>, qui ont réalisé la <a href="https://www.inderscienceonline.com/doi/abs/10.1504/IJMSO.2007.019442">valeur de ces métadonnées</a>. En effet, celles-ci peuvent servir à entraîner certains algorithmes d’intelligence artificielle : ce n’est pas un hasard si Facebook a changé son nom pour Meta. Les coûts de la modération sont colossaux, car pour que les algorithmes de modération soient précis et efficaces, les données doivent être soigneusement contrôlées et décrites – une tâche qui nécessite une analyse de haute qualité et donc <a href="https://heinonline.org/HOL/LandingPage?handle=hein.journals/hjl58&div=7&id=&page=">onéreuse</a> – et ce d’autant plus qu’elle doit faire l’objet de validations multiples afin d’éviter les <a href="https://doi.org/10.1016/j.bpg.2020.101712">biais des étiqueteurs</a>.</p>
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<p>Sous réserve de maintenir la qualité, ces coûts se sont donc transformés en valeur pour les géants du net. En effet, un algorithme mal entraîné peut rapidement devenir <a href="https://arxiv.org/abs/2303.01325">toxique</a>, <a href="https://theconversation.com/ia-et-moderation-des-reseaux-sociaux-un-cas-decole-de-discrimination-algorithmique-166614">biaisé</a> ou même produire des <a href="https://ccforum.biomedcentral.com/articles/10.1186/s13054-023-04473-y">hallucinations</a> (c’est-à-dire créant des résultats qui ne correspondent à aucune donnée sur laquelle l’algorithme a été entraîné, ou qui ne suivent aucun autre modèle discernable). Ceci détériore la confiance dans les contenus, ce qui affecte l’audience et donc l’intérêt des annonceurs.</p>
<p>Du côté des algorithmes d’apprentissage des systèmes d’IA, comme leur <a href="https://scholar.google.com/scholar_url?url=https://dl.acm.org/doi/abs/10.1145/3544548.3580805&hl=fr&sa=T&oi=gsb&ct=res&cd=1&d=3898150833569525423&ei=kKZ1ZKfsIu3AsQKExJC4Cg&scisig=AGlGAw9vGHbPuCjU2ICSUe-bVyzP">crédibilité est avant tout fondée sur la capacité à fournir des réponses plausibles et précises</a>, une <a href="https://arxiv.org/abs/2301.09902">tâche impossible</a> sans données bien étiquetées.</p>
<p>Pour ces différentes raisons, une bonne qualité d’étiquetage nécessite un grand nombre d’étiqueteurs. En d’autres termes, cette <a href="https://www.imf.org/en/Publications/fandd/issues/2020/12/rethinking-the-world-of-work-dewan">industrie est à forte intensité de main-d’œuvre</a>… d’autant qu’au moins <a href="https://www.internetlivestats.com/google-search-statistics/">10 % à 15 % des données crées chaque jour sont nouvelles et uniques</a>.</p>
<h2>Quel modèle économique pour l’étiquetage ?</h2>
<p>Les industriels cherchent à trouver un équilibre entre la nécessité d’innover et le coût de cette innovation. Par exemple, le <a href="https://www.govtech.com/question-of-the-day/how-much-does-it-cost-to-run-chatgpt-per-day">fonctionnement de ChatGPT coûte 700 000 dollars par jour sans amélioration des modèles</a>, alors que pour encourager <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1461444816629474">l’adoption</a> d’un outil numérique, on considère généralement que le prix doit être modéré pour l’utilisateur (environ 20 euros par mois pour ChatGPT+ par exemple).</p>
<p>Les coûts de main-d’œuvre (d’étiquetage) représentent une <a href="https://www.jstor.org/stable/j.ctv1ghv45t">grande partie des dépenses dans ce secteur</a>. Dans une approche un <a href="https://link.springer.com/content/pdf/10.1007/978-3-030-58675-1_2-1.pdf">peu obsolète de la division du travail</a> et de réduction des coûts, l’étiquetage a donc été sous-traité à des acteurs spécialistes comme Sama aux États-Unis ou Majorel au Luxembourg, qui disposent de filiales au Kenya.</p>
<p>Ce travail implique une exposition continue à des images, des sons, des contenus parfois insoutenables. Dans le cas Sama, il a été rémunéré à hauteur de 1,5 euro de l’heure après impôts – soit moins de la moitié du salaire moyen dans le secteur informatique kenyan qui est à <a href="https://kenya.paylab.com/salaryinfo/information-technology">4,3 euros de l’heure</a>.</p>
<p>Ce sont les conditions de cette sous-traitance qui sont à l’origine de la décision du Juge Gakeri.</p>
<h2>Les impacts des décisions des juges</h2>
<p>L’originalité de cette lecture juridique tient au fait qu’elle bat en brèche la stratégie usuelle des entreprises du secteur des technologies de l’information, qui sont de fait des entreprises de main-d’œuvre, mais qui refusent d’être qualifiées comme telles et dissimulent leurs importants besoins humains derrière une chaîne de sous-traitants – bien loin des <a href="https://cup.columbia.edu/book/in-the-name-of-humanity/9780231110204">productions sans humains fantasmées à la fin du XXᵉ siècle</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/532160/original/file-20230615-23-cdzd6y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="maison de poupée représentant un sweat shop, atelier de couture" src="https://images.theconversation.com/files/532160/original/file-20230615-23-cdzd6y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/532160/original/file-20230615-23-cdzd6y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/532160/original/file-20230615-23-cdzd6y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/532160/original/file-20230615-23-cdzd6y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/532160/original/file-20230615-23-cdzd6y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/532160/original/file-20230615-23-cdzd6y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/532160/original/file-20230615-23-cdzd6y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les filiales de sous-traitance pour l’étiquetage des données du web sont-elles les nouveaux sweat shops ? Ici une maison de poupées présentée au Great American Dollhouse Museum.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Dollhouse-sweatshop.jpg">Photomatters/Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Cette pratique constitue un <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-319-58643-4_3">non-sens économique</a>, puisque c’est la connaissance, la maîtrise sur toutes leurs phases des processus productifs et leur optimisation qui permettent la consolidation des marges et la pérennisation des modèles concernés.</p>
<p>Peut-être que la position du juge Gakeri apportera aux multinationales du web une aide précieuse en matière d’amélioration de leur rentabilité et de leur modèle économique. Toujours est-il que désormais, le donneur d’ordre sera autant responsable et justiciable que son prestataire en matière de conditions de travail, voire davantage.</p>
<p>On scrute aujourd’hui l’impact environnemental d’une structure dans toutes ses ramifications planétaires. Évaluera-t-on demain la responsabilité sociale des entreprises de la même manière, en considérant le processus de production des technologies de l’information comme un tout mondialisé ?</p>
<h2>Au-delà de l’éthique des usages de l’IA, faut-il inventer une éthique des processus de sa fabrication ?</h2>
<p>L’usage des technologies d’intelligence artificielle soulève déjà des questions éthiques, par exemple celle d’<a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/0960085X.2021.1960905">utiliser ou non la décision algorithmique pour établir des demandes de remboursement de prestations sociales</a>.</p>
<p>On voit désormais émerger le besoin impérieux d’une <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s43681-021-00084-x">éthique de la <strong>production</strong> des systèmes d’intelligence artificielle</a>, car ici l’absence d’éthique sanctionne en temps réel la qualité et la confiance que l’on peut avoir dans les algorithmes produits. Si un <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10677-016-9745-2">algorithme mal entraîné</a> peut demain faire dérailler un train ou une chaîne de production, la qualité de l’annotation devient non négociable – et cette activité demande mieux et plus que les conditions constatées au Kenya.</p>
<p>Le procès en cours depuis mars (puisque le juge a validé la compétence des cours kényanes dans ce domaine) changera peut-être la donne. D’autres secteurs confrontés à ces problématiques, la mode par exemple, ont <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/JFMM-05-2015-0040/full/html?fullSc=1">amélioré leurs pratiques, la transparence de leurs fournisseurs et de leurs méthodologies de productions</a>, notamment du fait d’opérations massives de « Name and shame » par la société civile, qui ont amené progressivement des utilisateurs finaux à se détourner des marques non vertueuses (sans pour autant que ces dernières ne le deviennent toutes).</p>
<p>Il n’est pas certain que, dans le domaine des technologies de l’information et d’intelligence artificielle, l’utilisateur final puisse effectuer ce type d’arbitrage, car ceux-ci deviennent de plus en plus partie intégrante des outils de productivité informatique utilisés quotidiennement par tous. En outre, les critères constituant les processus de production éthiques de l’IA demeurent à inventer. L’affaire en cours pourrait-elle constituer une bonne motivation pour penser à ces derniers ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/206896/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Caroline Gans Combe a reçu des financements de l'Union Européenne dans le cadre de ses recherches, notamment sur les questions relatives à l'éthique de l'intelligence artificielle et des algorithmes. </span></em></p>Des plaintes récentes au Kenya exposent les coûts humains de l’IA et de la modération du web, dissimulés dans des chaines de sous-traitance.Caroline Gans Combe, Associate professor Data, econometrics, ethics, OMNES EducationLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2063212023-06-04T16:09:40Z2023-06-04T16:09:40ZCongés menstruels, neuroatypisme, maladies chroniques : et si l’entreprise tenait compte de nos différences biologiques ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/529830/original/file-20230602-29-tnl3c3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C94%2C5760%2C3707&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Mieux prendre en compte les rythmes biologiques de chacun et adapter l'organisation du travail en fonction pourrait changer la vie en entreprise.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/fr-fr/photo/femme-appuyee-sur-la-table-3767411/">andrea piacquadio/pexels</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><hr>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://theconversation.com/fr/topics/controverses-133629">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p><em><a href="https://theconversation.com/fr/topics/controverses-133629">« Controverses »</a> est un nouveau format de The Conversation France. Nous avons choisi d’y aborder des sujets complexes qui entraînent des prises de positions souvent opposées, voire extrêmes. Afin de réfléchir dans un climat plus apaisé et de faire progresser le débat public, nous vous proposons des analyses qui sollicitent différentes disciplines de recherche et croisent les approches</em>.</p>
<p><em>La série « travail » s’attache à décrypter des aspects improbables, parfois inconnus ou impensés autour de cette notion actuellement au cœur des débats politiques.</em></p>
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<p>Faire des pauses plus longues sur l’heure du déjeuner pour pallier ses insomnies chroniques, rester en télétravail lors de règles douloureuses, pouvoir se maintenir en poste suite à un traitement contre le cancer : et si le travail prenait en compte les dimensions biologiques des individus, qui, pour la plupart, en France, y consacrent au moins 35 heures par semaine ? Ces enjeux pourraient jouer un rôle considérable pour les salariés ainsi que leurs encadrants.</p>
<p>Ces derniers sont d’ailleurs au cœur du rapport <a href="https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/assises_du_travail_-_rapport_des_garants.pdf">« Re-considérer le travail »</a>, remis le 18 avril au ministre du Travail et font écho avec les propositions récentes de certains députés, <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/conge-menstruel-ce-que-l-on-sait-de-la-proposition-de-loi-des-ecologistes-2733376">comme le congé menstruel</a>, actuellement en cours d’expérimentation <a href="https://www.francebleu.fr/infos/societe/les-agentes-de-la-ville-pourront-bientot-prendre-un-conge-menstruel-a-seyssinet-pariset-7788864">dans une commune en Isère (38)</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/semaine-de-quatre-jours-autant-de-travail-a-faire-en-moins-de-temps-195656">Semaine de quatre jours : autant de travail à faire en moins de temps ?</a>
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<h2>Quel pacte de la vie au travail ?</h2>
<p>L’évolution des pratiques managériales est ainsi pensée comme la clé pour « donner plus de responsabilité, d’autonomie et de reconnaissance aux salariés ». De plus, l’équilibre des temps de vie et la santé au travail sont affirmés comme des finalités centrales de ce qui pourrait constituer, selon la formulation du président Emmanuel Macron, un <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/04/24/pacte-de-la-vie-au-travail-des-pistes-pour-nourrir-la-proposition-d-emmanuel-macron_6170860_823448.html">« pacte de la vie au travail »</a>. Si les recommandations formulées sont très complètes sur l’ensemble des problématiques identifiées, celles relatives à la santé au travail sont avant tout ancrées dans une logique de prévention pour que le travail n’altère pas la santé physique et mentale des travailleurs.</p>
<p>Or, la relation entre la santé des personnes et leur travail est à double sens et constitue, à la fois, une source de bien-être psychologique et un risque psychosocial. Le rapport <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/a4721cae6f340145769c66ec6ce544d3/Document%20d%E2%80%99%C3%A9tudes%202018-217%20-%20Travail%20et%20bien-%C3%AAtre%20psychologique%20-%20L%E2%80%99apport%20de%20l%E2%80%99enqu%C3%AAte%20CT-RPS%202016.pdf">« Travail et bien-être psychologique »</a> publié par la Direction de l’Animation de la Recherche, des Études et des Statistiques (DARES) en 2018 permet de comprendre, au travers de l’analyse statistique des données d’enquête sur les conditions de travail de 2016, que le travail « pourrait contribuer à construire la santé mentale pour environ deux actifs sur cinq, à la dégrader pour deux actifs sur cinq, et serait relativement neutre sur le bien-être d’un actif sur cinq ».</p>
<h2>S’intéresser aux conditions biologiques</h2>
<p>S’il existe ainsi des conditions de travail qui ont des effets au quotidien et à plus long terme sur les travailleurs et travailleuses, nous proposons de nous intéresser ici aux différences de conditions biologiques qui produisent des écarts en termes de capacité de travail.</p>
<p>En l’état des connaissances actuelles issues de différents domaines scientifiques, il est possible de distinguer trois ensembles de conditions reposant sur le fonctionnement biologique humain et qui ont des conséquences sur la capacité de travail au quotidien et à plus long terme :</p>
<ul>
<li><p>Les conditions chroniques</p></li>
<li><p>Les conditions neurodéveloppementales</p></li>
<li><p>Les rythmes chronobiologiques</p></li>
</ul>
<h2>La condition chronique</h2>
<p>La condition chronique ou « chronic health conditions » en anglais est mobilisée dans le domaine de la santé au travail pour décrire les effets de maladies dites chroniques comme le diabète, certains cancers, les troubles mentaux ainsi que les maladies pulmonaires, gastro-intestinales et cardiovasculaires. Cette condition nécessite de penser les pratiques d’emploi et de travail qui permettent aux personnes concernées de <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10926-016-9670-1">pouvoir se maintenir en emploi</a>.</p>
<p>Les données de l’assurance maladie indiquent que <a href="https://data.ameli.fr/pages/data-pathologies/">près de 20 millions de Français</a> ont été traités pour maladie chronique en 2020, soit environ 30 % de la population. L’Agence Nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT) estime qu’un <a href="https://www.anact.fr/maladies-chroniques-evolutives-les-enjeux">travailleur sur six souffre de maladie chronique évolutive</a>. On peut également inclure dans cette catégorie les femmes souffrant d’<a href="https://theconversation.com/endometriose-mieux-cibler-lorigine-des-douleurs-pour-les-soulager-plus-efficacement-173560">endométriose</a> ainsi que les changements biologiques qui interviennent au long de la vie des femmes comme les grossesses et la ménopause.</p>
<p>Cette condition chronique limite les capacités des personnes au quotidien avec plus de fatigue, des traitements parfois très invasifs et dans certains cas une dégradation importante de l’état de santé sur le long terme.</p>
<h2>Les différences neurodéveloppementales</h2>
<p>La condition neurodéveloppementale correspond à des différences de développement neurologique impliquant des diagnostics médicaux de troubles du spectre de l’autisme, trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité, dyslexie, dyspraxie et autres troubles en « dys » (<a href="https://psyclinicfes.files.wordpress.com/2020/03/dsm-5-manuel-diagnostique-et-statistique-des-troubles-mentaux.pdf">p.33 du Manuel de référence en santé mentale le « DSM-5 »</a>). Cette approche médicale considère ces spécificités neurologiques comme étant des troubles qu’il s’agit de corriger, en <a href="https://www.has-sante.fr/jcms/p_3161334/fr/troubles-du-neurodeveloppement-reperage-et-orientation-des-enfants-a-risque">particulier chez les enfants</a>. Or, les évaluations internationales estiment que ces différences neurodéveloppementales concernent <a href="https://www.ameli.fr/medecin/exercice-liberal/prescription-prise-charge/prise-charge-situation-type-soin/troubles-neurodeveloppement-autisme">près d’une personne sur dix</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/ces-femmes-autistes-qui-signorent-75998">Ces femmes autistes qui s’ignorent</a>
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<p>Le terme de neurodiversité correspond ainsi à une approche considérant que ces différences ne sont pas des troubles mais un <a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=-gLpDwAAQBAJ">fonctionnement du cerveau qui doit être envisagé dans sa diversité</a>. Cette approche met en lumière une norme de fonctionnement cérébral dite « neurotypique » correspondant aux attendus de notre société. Les personnes « neurodiverses » ou « neuroatypiques » ont un cerveau qui fonctionne, apprend et traite l’information d’une manière différente.</p>
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<img alt="Groupe de travail, personne en retrait" src="https://images.theconversation.com/files/529835/original/file-20230602-23-ai145r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/529835/original/file-20230602-23-ai145r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/529835/original/file-20230602-23-ai145r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/529835/original/file-20230602-23-ai145r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/529835/original/file-20230602-23-ai145r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/529835/original/file-20230602-23-ai145r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/529835/original/file-20230602-23-ai145r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Pour certaines personnes neuroatypiques, le travail en groupe, l’environnement sonore, ou encore l’usage d’outils spécifiques peut s’avérer délicat, créer de la distance ou du malaise dans l’entreprise.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/fr-fr/photo/les-gens-qui-regardent-un-ordinateur-portable-1595391/">Fox/Pexels</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Dans le cas de l’autisme sans déficience intellectuelle (anciennement appelé syndrome d’Asperger), la <a href="https://archive.bu.univ-nantes.fr/pollux/fichiers/download/42fe3ba9-5c57-47bc-bd7f-e3085b214f0c">thèse en psychologie sociale de Julie Dachez</a> défend cette approche par la différence et non par le déficit visant à le considérer comme « un mode de fonctionnement cognitif différent qui doit être respecté en tant que tel ».</p>
<p>Néanmoins, cette condition limite les capacités des personnes au quotidien et à plus long terme car elles doivent faire face à des normes sociales et cognitives qui ne correspondent pas à leur fonctionnement biologique. Par exemple, l’organisation des espaces de travail en bureaux partagés peut induire des difficultés de concentration et de stress pour les personnes neurodiverses qui vont devoir déployer des <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/09500170221117420">stratégies d’adaptation coûteuses en énergie</a>.</p>
<h2>« Être du matin ou du soir » ?</h2>
<p>Les rythmes chronobiologiques concernent les <a href="https://www.inserm.fr/dossier/chronobiologie/">mécanismes de régulation des horloges internes</a>. <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0013700609755344">Des recherches</a> montrent que ces rythmes reposent sur des prédispositions biologiques qui font que les périodes optimales d’activité ne seront pas les mêmes d’une personne à une autre (d’où l’expression « être du matin ou du soir »).</p>
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<img alt="Homme travaillant de nuit sur l’ordinateur" src="https://images.theconversation.com/files/529832/original/file-20230602-17-bfmtcq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/529832/original/file-20230602-17-bfmtcq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/529832/original/file-20230602-17-bfmtcq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/529832/original/file-20230602-17-bfmtcq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/529832/original/file-20230602-17-bfmtcq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/529832/original/file-20230602-17-bfmtcq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/529832/original/file-20230602-17-bfmtcq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Certaines personnes sont plus actives et productives de nuit, d’autres très tôt le matin.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/fr-fr/photo/homme-nuit-sombre-travailler-4384141/">Kulik Stepan/Pexels</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Ainsi, les contraintes professionnelles et sociales imposent d’être actif parfois à contretemps des besoins physiologiques en repos. Les différences entre les personnes cumulées aux différentes contraintes peuvent aboutir à des troubles du sommeil, du métabolisme ainsi que du fonctionnement du système cardiovasculaire et du système immunitaire.</p>
<p>Dans le travail, le rythme chronobiologique est important lorsque les tâches à réaliser nécessitent des efforts mentaux et physiques soutenus. <a href="https://www.cairn.info/revue-de-neuropsychologie-2016-3-page-173.htm">Les différences chronobiologiques expliquent</a> que les personnes ont des performances mentales plus ou moins importantes selon la plage horaire, que ce soit en journée ou la nuit.</p>
<h2>Remettre en cause la norme du « salarié idéal »</h2>
<p>Penser ensemble ces trois conditions biologiques nécessite de revoir les attendus qui pèsent sur les travailleurs et travailleuses. En particulier, la norme du salarié idéal, qui s’est imposée ces dernières années, repose sur un fort engagement dans l’entreprise et une disponibilité permanente pour le travail. Nous l’avons vu, de nombreuses personnes sont concernées par au moins une condition, ce qui ne leur donne pas la possibilité de travailler de manière constante et productive dans les temporalités demandées par l’organisation, que ce soit sur les rythmes quotidiens ou à plus long terme.</p>
<p>Leur fonctionnement biologique se heurte, de fait, à l’injonction à la sur-disponibilité pour le travail. Certains vont alors recourir au <a href="https://theconversation.com/dois-je-vraiment-etre-ici-la-malediction-du-presenteisme-au-travail-125959">« présentéisme maladie »</a> qui consiste à travailler alors que l’état de santé nécessiterait un arrêt de travail.</p>
<p>De même, le recours au travail à distance en particulier au domicile peut sembler une pratique permettant de réguler le fonctionnement biologique mais se pose alors la question du <a href="https://theconversation.com/le-droit-a-la-deconnexion-vers-une-remise-en-question-de-la-norme-du-salarie-ideal-71658">droit à la déconnexion qui renvoie lui aussi à la norme du salarié idéal</a>.</p>
<p>Ainsi, au-delà du lieu ou du temps de travail les plus adaptés pour les personnes avec ces conditions biologiques, il s’agit de remettre en cause la norme du salarié idéal pour pouvoir prendre en compte les différences de fonctionnement biologique au travail.</p>
<h2>Des aménagements personnalisés</h2>
<p>En France, il est possible d’<a href="https://travail-emploi.gouv.fr/emploi-et-insertion/prevention-maintien-emploi/employeur-ou-representant-de-l-employeur/adapter-le-poste-d-un-salarie/article/adapter-le-poste-d-un-salarie-a-sa-situation">adapter le poste d’un salarié à sa situation</a>. L’approche retenue est celle du maintien en emploi. De plus, lorsqu’elles font l’objet d’un diagnostic médical, les conditions chroniques et neurodéveloppementales ouvrent la possibilité à demander une <a href="https://www.monparcourshandicap.gouv.fr/etudes-superieures/pourquoi-demander-la-rqth-modalites-et-avantages">reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé</a> (RQTH).</p>
<p>Leur diagnostic permet également de pouvoir suspendre le contrat de travail quand c’est nécessaire soit de manière complète (arrêt de travail) ou de manière partielle (<a href="https://www.sante.fr/endometriose/quest-ce-que-le-temps-partiel-therapeutique">temps partiel thérapeutique</a>).</p>
<p>À l’international, certaines entreprises déploient des pratiques permettant de prendre en compte la différence neurodéveloppementale au sein d’une approche par la neurodiversité. Dans le cas de l’autisme sans déficience intellectuelle, les <a href="https://theconversation.com/efficacite-constance-faible-absenteisme-tout-ce-que-les-autistes-asperger-apportent-a-lentreprise-197803">recherches d’Alexandre Richet</a> en sciences de gestion mettent en exergue des pratiques de gestion des ressources humaines spécifiques dans des entreprises comme SAP et Microsoft.</p>
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<img alt="Homme fatigué" src="https://images.theconversation.com/files/529836/original/file-20230602-29-vij8kn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/529836/original/file-20230602-29-vij8kn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=419&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/529836/original/file-20230602-29-vij8kn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=419&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/529836/original/file-20230602-29-vij8kn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=419&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/529836/original/file-20230602-29-vij8kn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=527&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/529836/original/file-20230602-29-vij8kn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=527&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/529836/original/file-20230602-29-vij8kn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=527&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les différences chronobiologiques, les traitements invasifs de maladies longue durée nécessiterait des aménagements qui concernent aussi bien employés que managers.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/fr-fr/photo/homme-d-affaires-mature-triste-pensant-aux-problemes-dans-le-salon-3772618/">Andrea Piacquadio/pexels</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Dans ces entreprises, des programmes spécifiques ciblent les personnes avec autisme en proposant des manières de recruter qui tiennent compte des spécificités d’interaction sociale et permettent d’évaluer les compétences techniques au-delà d’une conformité aux normes sociales.</p>
<p>Enfin, lorsqu’il n’y a pas de diagnostic médical mais que les personnes expriment une demande d’aménagement des conditions de travail, certains employeurs mettent en œuvre des politiques de flexibilité au profit des salariés (<em>flexible work arrangements</em> dans la littérature anglophone) voire des <a href="https://www.jstor.org/stable/20159261">accords idiosyncratiques</a> (<em>i-deals</em> pour <em>idiosyncratic deals</em> dans la littérature anglophone).</p>
<p>Ces approches individualisées des conditions de travail peuvent permettre d’optimiser la capacité de travail de la personne selon son fonctionnement biologique en aménageant ses horaires de travail, sa charge de travail ou encore d’autoriser le travail à son domicile quand cela est nécessaire pour préserver sa santé.</p>
<h2>Penser un management soutenable aussi pour la santé des managers</h2>
<p>En revanche, ces aménagements rendent difficiles une <a href="https://www.cairn.info/les-grands-courants-gestion-ressources-humaines--9782376874638-page-199.htm">gestion collective</a> et le maintien d’un collectif de travail tant les modes de fonctionnement peuvent s’exclure les uns des autres. Dans le cas des rythmes chronobiologiques, si les périodes optimales d’activité diffèrent trop parmi les membres d’une même équipe, cela peut constituer une réelle difficulté de faire travailler ensemble l’équipe au même moment. De même, si les membres de l’équipe ne sont jamais présents au même moment dans l’entreprise.</p>
<p>Compte tenu des effets ambivalents du travail sur la santé des personnes, la prise en compte des différences individuelles de fonctionnement biologique se révèle d’une complexité décourageante pour le manager de proximité.</p>
<p>Comment jongler entre une personne en télétravail pour douleurs chroniques, une autre arrivant à midi quand l’ensemble arrive à 9h et une dernière dispensée de certains outils de travail en raison de son neuroatypisme ?</p>
<p>Alors que les personnes qui doivent tenir ce rôle exigeant de manager sont 48 % à se déclarer stressées au travail, elles sont sur-représentées dans les statistiques d’absentéisme maladie avec un pourcentage de <a href="https://newsroom.malakoffhumanis.com/actualites/avec-plus-de-40-de-salaries-arretes-chaque-annee-labsenteisme-maladie-reste-un-probleme-majeur-2f9e-63a59.html">2 à 5 points au-dessus de la moyenne des salariés depuis 2018</a>.24 % d’entre elles disent consommer des somnifères ou antidépresseurs contre 18 % des salariés.</p>
<p>Les managers sont ainsi particulièrement exposés en termes de santé mentale au travail. Les personnes à ces postes peuvent également être elles-mêmes concernées par une ou plusieurs conditions qu’elles soient chroniques, neurodéveloppementales ou chronobiologique.</p>
<h2>Repenser le travail à l’échelle collective</h2>
<p>Alors que le rapport des assises du travail insiste sur la formation des managers, il semble important que cette formation permette de comprendre les différences de fonctionnement biologique et leurs effets sur les capacités de travail au quotidien et à plus long terme.</p>
<p>Dans le cas des maladies chroniques par exemple, une recherche sur la rétention des salariés souffrant de <a href="https://www.ameli.fr/rhone/assure/sante/themes/polyarthrite-rhumatoide/comprendre-polyarthrite-rhumatoide">polyarthrite rhumatoïde</a> a démontré <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/09585192.2020.1737175">l’importance des connaissances ou une expérience personnelle du handicap détenues par les managers</a> pour la mise en œuvre d’aménagements qui soient productifs pour la personne et son employeur.</p>
<p>Pour les managers, cela implique également de <a href="https://www.hbrfrance.fr/chroniques-experts/2016/06/11208-comment-manager-sans-sepuiser/">renoncer à être un manager idéal en acceptant ses limites</a>. La question de l’importance de la récupération (pour « recharger les batteries ») pourrait s’envisager au niveau du collectif et pas seulement individuel.</p>
<p>Aussi, de plus en plus d’entreprises réfléchissent aujourd’hui à la manière d’organiser le temps de travail. Les débats sur la <a href="https://theconversation.com/semaine-de-quatre-jours-autant-de-travail-a-faire-en-moins-de-temps-195656">semaine de 4 jours</a> illustrent cette quête d’une meilleure gestion du temps passé au travail et de ses effets à la fois sur la productivité des salariés et leur santé. Les expérimentations menées au Royaume-Uni visant à réduire le temps de travail sur quatre jours au lieu de cinq sans perte de productivité ont montré qu’il est possible de repenser l’organisation du travail pour <a href="https://podcast.ausha.co/explorhation/semaine-de-4-jours-marie-rachel-jacob">viser une productivité collective et pas seulement individuelle</a>.</p>
<p>En France la <a href="https://www.anact.fr/maladies-chroniques-evolutives-la-methode-anact">méthode proposée par l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT)</a> pour repenser le travail au niveau collectif dans la prise en compte des maladies chroniques évolutives pourrait être étendue à la prise en compte des différences biologiques humaines de manière générale.</p>
<p>Intégrer les différences de fonctionnement biologique dans la conception même de l’organisation du travail s’inscrit dans la démarche visant à atteindre un <a href="https://www.cairn.info/qu-est-ce-qu-un-regime-de-travail--9782705697662-page-5.htm">régime de travail réellement humain</a>. Au final, la définition d’un pacte de la vie au travail ne peut pas faire l’impasse sur une meilleure prise en compte de la dimension biologique de la vie humaine dans l’environnement de travail.</p>
<hr>
<p><em>À lire aussi</em></p>
<ul>
<li><p><a href="https://theconversation.com/le-travail-pour-autrui-survivance-de-lesclavagisme-dans-nos-economies-150317">Le « travail pour autrui », survivance de l’esclavagisme dans nos économies</a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/mon-salaire-est-il-vraiment-le-fruit-de-mon-travail-204833">Mon salaire est-il vraiment le fruit de mon travail ?</a></p></li>
</ul>
<p><a href="https://theconversation.com/la-dette-nouvelle-forme-de-travail-des-femmes-204323">La dette, nouvelle forme de travail des femmes</a></p>
<ul>
<li><a href="https://theconversation.com/le-beau-travail-une-revendication-ouvriere-trop-souvent-oubliee-173446">Le beau travail, une revendication ouvrière trop souvent oubliée</a></li>
</ul><img src="https://counter.theconversation.com/content/206321/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie-Rachel Jacob ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les différences de conditions biologiques produisent des écarts en termes de capacité de travail : n’est-il pas temps de mieux les prendre en considération ?Marie-Rachel Jacob, Professeur-chercheur en management, EM Lyon Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2048332023-05-15T18:02:30Z2023-05-15T18:02:30ZMon salaire est-il vraiment le fruit de mon travail ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/526166/original/file-20230515-9834-7dmd16.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C21%2C939%2C901&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un talent brut qui ne serait pas exploité par l'effort individuel n'aurait aucune valeur. Kylan Mbappé ici en 2018.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/5/52/Kylian_Mbapp%C3%A9_%282%29.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><a class="source" href="https://theconversation.com/fr/topics/controverses-133629">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p><em><a href="https://theconversation.com/fr/topics/controverses-133629">« Controverses »</a> est un nouveau format de The Conversation France. Nous avons choisi d’y aborder des sujets complexes qui entraînent des prises de positions souvent opposées, voire extrêmes. Afin de réfléchir dans un climat plus apaisé et de faire progresser le débat public, nous vous proposons des analyses qui sollicitent différentes disciplines de recherche et croisent les approches. La série « travail » s’attache à décrypter des aspects improbables, parfois inconnus ou impensés autour de cette notion actuellement au cœur des débats politiques</em>.</p>
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<p>Au cours de la période moderne, un lien idéologique fort s’est noué entre travail et appropriation. Ce lien est un des piliers de ce que j’ai appelé l’idéologie propriétaire dans mon précédent ouvrage <a href="http://www.editionsamsterdam.fr/la-part-commune/"><em>La part commune</em></a>. Une des croyances constitutives de cette idéologie consiste à considérer que seul le travail peut légitimer la propriété de quelque chose et, de façon complémentaire, que tout travail mérite salaire. Cette croyance rend très difficile de dissocier le revenu du travail. C’est pourtant aujourd’hui un enjeu de justice essentiel.</p>
<p>En réalité, pour s’approprier quelque chose, beaucoup d’autres voies sont possibles : on peut acheter, recevoir un don, trouver, chasser quelque chose, longtemps, par ailleurs, on acquérait des terres par la conquête et par la guerre. Inversement, certains travaux bénévoles ou invisibles – comme le travail parental plus souvent <a href="https://www.cairn.info/revue-societes-contemporaines-2012-3-page-5.htm">assumé par les femmes</a> – ne donnent lieu à aucun salaire.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-dette-nouvelle-forme-de-travail-des-femmes-204323">La dette, nouvelle forme de travail des femmes</a>
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<h2>Tout travail mérite récompense : le legs de John Locke</h2>
<p>L’idée selon laquelle la forme naturellement légitime de l’acquisition devrait être le travail et que tout travail mériterait récompense a sans doute trouvé sa première formulation sous la plume du philosophe anglais du XVII<sup>e</sup> siècle, John Locke, au chapitre 5 du <a href="https://www.puf.com/content/Le_second_trait%C3%A9_du_gouvernement"><em>Second traité du gouvernement</em></a> (1689). Dans ce chapitre, Locke s’intéresse à la façon dont on peut devenir propriétaire d’une parcelle des ressources naturelles livrées par Dieu à tous les hommes.</p>
<p>Pour ce faire, il ne voit que le travail. Cela se comprend aisément à travers l’argument du mélange qu’il donne. Voici comment le restitue le professeur de philosophie <a href="https://www.asc.ox.ac.uk/person/professor-jeremy-waldron">Jérémy Waldron</a> :</p>
<ol>
<li><p>Un individu qui travaille une chose mélange son travail à la chose ; à condition que cette chose ne soit à personne ;</p></li>
<li><p>Or, cet individu est propriétaire du travail qu’il mélange à la chose ;</p></li>
<li><p>Donc la chose qui a été travaillée contient « quelque chose » qui appartient au travailleur ;</p></li>
<li><p>Donc enlever la chose au travailleur sans son consentement implique de lui retirer également ce « quelque chose » qu’il a mêlé à la chose par son travail et qui lui appartient ;</p></li>
<li><p>Donc personne ne peut retirer au travailleur la chose qu’il a travaillée sans le consentement de celui-ci ;</p></li>
<li><p>Donc l’objet est la propriété du travailleur.</p></li>
</ol>
<p>Le meilleur exemple de la structure de justification présentée ici abstraitement est peut-être celui de l’agriculteur qui mélange son travail à sa terre. Une fois le mélange réalisé, nul n’a plus aucune légitimité morale à prendre possession du sol, dans la mesure précise où notre paysan, en labourant son champ, y a mis quelque chose qui est naturellement à lui (et que personne n’aurait l’idée de lui contester), à savoir son effort laborieux. Par suite, maître en son domaine, il pourrait disposer à sa guise de ce qu’il a acquis par son labeur sans que nul n’ait l’autorisation d’interférer.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Un agriculteur laboure un champ de vignes" src="https://images.theconversation.com/files/525606/original/file-20230511-21-st7auf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/525606/original/file-20230511-21-st7auf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=425&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/525606/original/file-20230511-21-st7auf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=425&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/525606/original/file-20230511-21-st7auf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=425&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/525606/original/file-20230511-21-st7auf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=534&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/525606/original/file-20230511-21-st7auf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=534&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/525606/original/file-20230511-21-st7auf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=534&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un agriculteur laboure un champ de vignes.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://pxhere.com/fr/photo/629583">Pxhere</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Certes, il faut remettre Locke dans son contexte et se garder d’en faire un théoricien de l’économie de marché comme a pu le faire le théoricien en sciences politiques canadien du milieu du XX<sup>e</sup> siècle <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Crawford_Brough_Macpherson">Crawford Brought Macpherson</a>, car telle n’était pas sa perspective.</p>
<p>Il cherchait plutôt à asseoir une doctrine des droits naturels contre l’arbitraire. Et il appelait ces droits des propriétés naturelles des individus qu’il énumérait ainsi : l’existence, la liberté et les biens. C’est d’ailleurs cette ligne que suivra <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1989/10/15/il-y-a-trois-cents-ans-le-bill-of-rights_4133479_1819218.html">Guillaume d’Orange avec le « Bill of Rights »</a> (Charte des droits) de 1689. Or <a href="https://www.cairn.info/la-republique-et-le-prince-moderne--9782130585572-page-101.htm">Locke gravitait dans les cercles de Guillaume</a>, qui prit le pouvoir en Angleterre en 1689 suite à la deuxième révolution anglaise, dite Glorieuse révolution.</p>
<p>Néanmoins, on doit admettre qu’en mettant au jour un fondement moral aux droits individuels en vue d’établir une limite au-delà de laquelle un gouvernement légitime ne devait pas aller, Locke a participé à façonner une idéologie qui continue de structurer puissamment nos sociétés modernes.</p>
<h2>L’éthique protestante de Weber</h2>
<p>On pourrait aussi associer l’importance donnée au travail à ce que le sociologue et économiste allemand Max Weber a appelé <a href="https://editions.flammarion.com/lethique-protestante-et-lesprit-du-capitalisme/9782081416789">l’éthique protestante</a>. Le travail serait rédempteur et travailler ferait partie de la vocation spirituelle de l’être humain sur terre. Cette idée n’est d’ailleurs pas absente de la pensée de Locke dans la mesure où ce dernier présente le travail comme un devoir imposé par Dieu à ses créatures pour s’approprier les ressources nécessaires à leur conservation et pour mettre en valeur la Création.</p>
<p>Le travail est, en ce sens, un effort méritoire parce qu’il valorise la Création tout en permettant la satisfaction de nos besoins faisant ainsi se rejoindre le lexique de la loi de nature et celui des droits individuels. Le travail fonderait, en ce sens, un mérite et justifierait la récompense.</p>
<p>Ce n’est pas ici le lieu de revenir sur l’existence ou non de limites à l’appropriation dans la philosophie lockéenne. Il me semble plus intéressant de discuter le lien idéologique entre travail et propriété que Locke opère parce qu’il fait obstacle à bien des progrès.</p>
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<p>Pensons, par exemple, au revenu de base ou revenu universel. Un des arguments progressistes – par exemple ceux soulevés par le sociologue <a href="https://luxediteur.com/catalogue/contre-lallocation-universelle/">Mateo Alaluf</a> – pour en contester le principe est qu’il serait une manière de s’accommoder du chômage de masse au lieu de donner du travail à tous, avec l’idée sous-jacente que le revenu devrait nécessairement dériver du travail et qu’un revenu sans travail serait comme un effet sans cause.</p>
<p>En réalité, il y a bien des arguments contre cette thèse d’un lien naturel entre le travail et la propriété.</p>
<h2>Indemniser pour compenser ce qui a été produit sans effort</h2>
<p>Je me contenterai d’en examiner certains succinctement. On peut d’abord assez facilement montrer que le travail est un facteur insuffisant pour expliquer la production. En effet, il est évident que le paysan qui travaille un terrain fertile et celui qui travaille beaucoup une terre caillouteuse n’auront pas la même récolte et ce indépendamment de l’intensité et de la qualité de l’effort fourni.</p>
<p>Le travail du plus riche d’entre eux n’expliquera donc pas seul sa bonne fortune. Ce dernier ne fera pas que récolter les fruits de son labeur, mais profitera peut-être avant tout d’une ressource naturelle qu’il n’a pas créée et dont il a la chance de bénéficier à l’exclusion des autres. Évidemment cet exemple est généralisable : il entre dans toute production une partie que je n’ai pas produite mais dont mon effort dépend pour être productif.</p>
<p>Admettons que je sois propriétaire de mon travail, puis-je, pour autant, m’approprier la ressource naturelle que j’exploite à mon propre bénéfice alors que je ne l’ai pas produite, ne suis-je pas alors spoliateur en retirant au reste de l’humanité une ressource dont je tire un bénéfice exclusif ?</p>
<p>On pourrait certes répondre que ce bénéfice n’est pas exclusif parce qu’en récoltant les fruits des arbres qui poussent dans mon champ et en les vendant j’en fais profiter mes congénères. Mais, même si c’était le cas, cela ne retirerait rien au fait que je me suis approprié indûment quelque chose qui existait avant mon travail sous la forme d’une ressource naturelle commune.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Femmes cueillant des fruits" src="https://images.theconversation.com/files/525609/original/file-20230511-19-nmisnr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/525609/original/file-20230511-19-nmisnr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/525609/original/file-20230511-19-nmisnr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/525609/original/file-20230511-19-nmisnr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/525609/original/file-20230511-19-nmisnr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/525609/original/file-20230511-19-nmisnr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/525609/original/file-20230511-19-nmisnr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Puis-je m’approprier la ressource naturelle que j’exploite à mon propre bénéfice alors que je ne l’ai pas produite ?</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/fr-fr/photo/jardinier-ethnique-recolte-des-fruits-avec-sa-fille-5529012/">Pexels</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>C’est cette intuition qui a été développée par le philosophe anglais et révolutionnaire français Thomas Paine, à la fin du XVIII<sup>e</sup> siècle dans son ouvrage, <a href="https://link.springer.com/book/9780333794678"><em>Agrarian Justice</em></a>.</p>
<p>Il considérait que les propriétaires devaient indemniser le reste de l’humanité qu’ils avaient spolié en abondant une caisse. Celle-ci serait capable de fournir de quoi donner à chaque jeune adulte un héritage universel pour lui permettre de débuter dans la vie adulte et à toute personne âgée incapable de travailler de recevoir une pension. C’est un équivalent de ce que, plus tard, au XIX<sup>e</sup> siècle, l’économiste américain Henry George appellera la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Henry_George_( %C3 %A9conomiste)">« Land tax »</a>.</p>
<p>C’est aussi une idée dont tireront partie des philosophes libertariens de gauche comme Hillel Steiner, Peter Vallentyne ou Michel Otsuka. Tout en acceptant, comme les libertariens de droite, le principe de la propriété absolue de soi-même, les libertariens de gauche proposent une théorie normative qui permet de justifier des formes de justice redistributive.</p>
<p>Hillel Steiner, par exemple, affirme que tout ce que l’on produit ne nous revient pas parce que tout processus de production dépend de façon plus ou moins étroite de deux ensembles de ressources qui sont indépendantes de nos choix et de notre travail individuels. Ces deux ensembles sont les ressources externes (comme le champ dont nous venons de parler) d’une part et d’autre part ce qu’il appelle les ressources internes comme le patrimoine génétique que l’on reçoit comme un don de la nature.</p>
<p>De ce fait, nul ne peut être considéré comme plein propriétaire de tout ce qu’il produit en exploitant son patrimoine génétique quand celui-ci lui donne un avantage sur les autres. Inversement, les personnes en situation de handicap n’ont pas à pâtir d’une position qui leur porte préjudice indépendamment des efforts méritoires qu’elles peuvent, par ailleurs, fournir. Il conviendrait donc, selon Steiner, que les mieux dotés à la loterie génétique versent une compensation aux autres pour <a href="https://blackwells.co.uk/bookshop/product/An-Essay-on-Rights-by-Hillel-Steiner-author/9780631190271">corriger l’injustice génétique</a>.</p>
<h2>Tenir compte du contexte extérieur à soi</h2>
<p>Il ne s’agit pas de dire alors que tous nos talents viendraient de notre code génétique et seraient indépendants de notre travail. D’aucuns pourraient d’ailleurs dire qu’entre deux personnes génétiquement bien dotées, ce qui fera la différence c’est, précisément, le travail parce qu’un talent brut qui ne serait pas exploité par l’effort individuel n’aurait aucune valeur. Certes un champion de foot a pu profiter d’un patrimoine génétique avantageux, mais il a bien fallu qu’il travaille dur pour en tirer partie. C’est ce travail qui doit être récompensé.</p>
<p>Sauf que, cet argument lui-même, est discutable au sens où la capacité à se mettre au travail dépend, notamment, de la confiance en soi, de la croyance selon laquelle notre effort peut produire quelque chose qui a de la valeur aux yeux des autres, et cette confiance dépend très largement de l’amour parental et des expériences du passé qui auront ou non donné confiance à la personne.</p>
<p>La confiance en soi elle-même qui, seule, permet de se mettre au travail nous est donc très largement donnée par un contexte social extérieur à soi. Il est, par conséquent, extrêmement difficile de faire la part entre ce qui nous revient parce que nous avons travaillé pour l’obtenir et ce qui ne nous revient pas parce que cela provient d’un contexte extérieur sur lequel nous n’avons aucune prise par la volonté.</p>
<p>Outre les avantages que nous procurent indûment les ressources naturelles, nous avons toujours tendance à nous approprier également ce que les opportunités et les avantages de la vie sociale nous apportent en en tirant un bénéfice personnel exclusif.</p>
<p>Cette intuition peut s’exprimer dans la phrase pascalienne selon laquelle quand nous travaillons et produisons quelque chose, nous le faisons toujours <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Des_nains_sur_des_%C3%A9paules_de_g%C3%A9ants">juchés sur des épaules de géants</a>. Nous nous contentons de nous servir dans le tronc commun fournit par la société sans jamais nous demander si nous lui sommes redevables de cela.</p>
<h2>Une dette sociale</h2>
<p>Une telle thèse consiste à défendre que nous contractons, sans le savoir, une dette à l’égard du reste de la société du fait des avantages gratuits qu’elle nous fournit et desquels notre réussite personnelle dépend largement. Or si nous imaginons devoir être pleinement propriétaires des fruits de notre travail qui contiennent un matériau irréductiblement social, nous nous approprions à nouveau quelque chose qui ne nous revient pas.</p>
<p>C’est une intuition qui a été exploitée par des philosophes et hommes politiques <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/NRF-Essais/Le-moment-republicain-en-France">appelés solidaristes</a>. Léon Bourgeois, par exemple, qui a été président du conseil en 1895, a défendu le principe de l’impôt sur le revenu (qui n’existait pas encore à cette époque) sur cette base : tout ce que nous gagnons ne vous revient pas parce que nous aurions toutes et tous une « dette sociale », dette qui s’accroîtrait à mesure que nous bénéficierions des avantages de la vie en société. L’idée que l’association humaine produit quelque chose qui ne se réduit pas à la somme des travaux individuels et qui rend tout individu débiteur de la société est d’ailleurs également une intuition centrale de la pensée ouvrière de la deuxième moitié du XIX<sup>e</sup> siècle, par exemple <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/philosophie-et-histoire-des-idees/proudhon-contemporain/">chez Proudhon</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Montage photo" src="https://images.theconversation.com/files/525684/original/file-20230511-17-sg2wru.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C12%2C2048%2C1348&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/525684/original/file-20230511-17-sg2wru.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/525684/original/file-20230511-17-sg2wru.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/525684/original/file-20230511-17-sg2wru.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/525684/original/file-20230511-17-sg2wru.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/525684/original/file-20230511-17-sg2wru.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/525684/original/file-20230511-17-sg2wru.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les choses que nous achetons et que nous possédons sont-elles vraiment issues du labeur que nous consacrons à les acquérir ? Montage photographique « Morning Shopping. ».</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/eole/3669364668/in/photostream/">Éole Wind/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>On pourrait, par ailleurs, ajouter que c’est souvent la chance plutôt que le mérite qui explique les trajectoires de réussite sociale. Les phénomènes d’héritage distordent également en permanence la distribution des ressources au sein de la société et rendent bien difficile la possibilité d’attribuer telle ou telle fortune au seul <a href="https://www.puf.com/content/Les_transclasses_ou_la_non-reproduction">travail isolé d’une personne</a>. La propriété permet ainsi de ne pas travailler quand on est rentier, et le marché lui-même ne fonctionne pas au mérite et à la récompense du travail, il est simplement le <a href="https://www.vrin.fr/livre/9782711621606/abolir-le-hasard">résultat des échanges contractuels et de bien des hasards</a>.</p>
<p>Bref, il conviendrait de rompre avec l’idée que le travail serait la seule base légitime d’une distribution juste. Pourtant, aujourd’hui, y compris ceux qui critiquent l’exploitation du travail, restent, en un sens, fidèles à la pensée lockéenne, dans la mesure où ils estiment que la production devrait revenir aux travailleurs alors qu’elle est détournée par les propriétaires des moyens de production. Face à ces idées datées, il me semble urgent de dissocier travail et appropriation pour penser les cadres d’une société juste sur d’autres bases.</p>
<hr>
<p><em>À lire aussi</em></p>
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<li><p><a href="https://theconversation.com/la-dette-nouvelle-forme-de-travail-des-femmes-204323">La dette, nouvelle forme de travail des femmes</a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/le-beau-travail-une-revendication-ouvriere-trop-souvent-oubliee-173446">Le beau travail, une revendication ouvrière trop souvent oubliée</a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/le-travail-ultime-lieu-de-fabrique-de-la-politique-et-de-labstention-178668">Le travail, ultime lieu de fabrique de la politique et de l’abstention</a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/penser-lapres-seule-la-reconversion-ecologique-pourra-eviter-la-deshumanisation-du-travail-138008">Penser l’après : seule la reconversion écologique pourra éviter la déshumanisation du travail</a></p></li>
</ul><img src="https://counter.theconversation.com/content/204833/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Crétois ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Un lien idéologique fort s’est noué entre travail et appropriation des ressources, dont la notion de propriété. Pourtant, certains penseurs questionnent ce rapport entre revenu et travail.Pierre Crétois, Chercheur en philosophie, maître de conférence, Université Bordeaux MontaigneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2049432023-05-11T18:14:15Z2023-05-11T18:14:15ZMobilisations : et maintenant ?<p>La réforme des retraites voulue par le président Macron, pour faire sens, aurait dû venir à l’issue d’une co-production avec les partenaires sociaux de transformations relatives au travail. Après, et non avant. Une large consultation du gouvernement avec les acteurs concernés par le travail aurait certainement autorisé une présentation plus convaincante d’une loi sur les retraites. La place, le sens, le contenu du travail, ce qu’il signifie du point de vue collectif, comme pour chaque individu, appelaient en amont attention et profondeur de vue. <a href="https://theconversation.com/emmanuel-macron-la-verticale-du-vide-202672">Le pouvoir l’a compris trop tard</a> : Emmanuel Macron proposant a posteriori une vaste réflexion sur la <a href="https://www.ouest-france.fr/politique/emmanuel-macron/emmanuel-macron-evoque-trois-grands-chantiers-du-gouvernement-28b03e5e-dd4a-11ed-b05e-feb93315b60b">question du travail</a>.</p>
<p>Et maintenant ?</p>
<p>La contestation, même si elle a pu trouver un espace au sein d’entreprises ou de certains secteurs comme l’Éducation nationale n’a été qu’accessoirement l’occasion d’un conflit direct du <a href="https://theconversation.com/syndicats-moins-dencartes-mais-une-image-toujours-positive-aupres-des-salaries-201209">mouvement syndical</a> avec les directions d’entreprise.</p>
<p>Déjà avec les « gilets jaunes », apparus en novembre 2018, la protestation sociale se jouait en <a href="https://theconversation.com/gilets-jaunes-quelle-democratie-veulent-ils-170146">dehors</a> des lieux de travail, avec même indifférence ou hostilité vis-à-vis des syndicats. Avec le refus de la loi de réformes des retraites, il y a bien eu ici et là action sur ces lieux. Mais pour contribuer à l’arrêt du pays et de fait à un début de paralysie dans le pétrole, le ramassage des ordures ménagères ou les transports publics, plus que pour s’affirmer face aux employeurs. Le patronat s’est montré peu loquace, et absent dans le débat sur la loi de réforme, à laquelle il était plutôt favorable ; il ne s’est guère mis en avant.</p>
<h2>Le travail, lieu de l’action</h2>
<p>Or c’est là où l’on travaille que se jouent les relations qui confèrent son sens à l’action syndicale. Il y a là un paradoxe. Il a fallu les accords de Grenelle, en 1968, pour que le droit à la section syndicale d’entreprise, <a href="https://www.clesdusocial.com/accords-de-grenelle-25-27-mai-1968">revendication-phare de la CFDT</a>, soit acquis, puis entériné par la loi en décembre 1968.</p>
<p>Or lorsque le président Emmanuel Macron veut bien concéder un rôle au syndicalisme, c’est à ce seul niveau de l’entreprise, et de plus en l’y affaiblissant, on l’a vu avec les ordonnances du 22 septembre 2017 réduisant le nombre de représentants du personnel. Ainsi, une conquête des syndicats est devenue l’horizon où les enferme un chef de l’État qui proscrit pour eux tout rôle d’interlocuteur national, y compris en <a href="https://www.senat.fr/rap/r20-722/r20-722.html">disqualifiant les branches professionnelles</a>.</p>
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<p>Pendant un siècle et demi, le travail a été pensé sous deux angles, celui de l’émancipation et de la créativité, et celui de l’aliénation et de l’exploitation. Il a été au fondement de rapports dits de production, que l’action syndicale et politique de gauche mettait en cause sur un mode réformiste ou révolutionnaire. C’est en tant que travailleurs que se dressaient des acteurs porteurs de projets allant jusqu’à en appeler à l’accès au pouvoir d’État au moins en partie d’en bas, depuis l’usine, ou les bureaux, pour tenter de s’élever au niveau politique et institutionnel et à celui de l’État.</p>
<p>Associé à l’injustice, à des privations de droits, au manque ou à la perte de sens, à des atteintes à l’intégrité physique et morale des ouvriers, le travail dans le passé <a href="https://theconversation.com/le-travail-ultime-lieu-de-fabrique-de-la-politique-et-de-labstention-178668">a fondé des logiques de résistance et de reconnaissance</a>, alimenté des contre-projets, des utopies, l’appel ardent à un autre monde. L’acteur se définissait comme un travailleur concerné aussi bien par des enjeux modestes que par la contestation de l’organisation sociale et politique, et de la division du travail ; par des demandes limitées mais aussi des visées relatives à l’investissement, à la formation, ou à la culture. Le bon syndicaliste était celui qui savait passer des unes aux autres.</p>
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<h2>D’autres enjeux entrent dans la sphère professionnelle</h2>
<p>Le travail a été indissociable de projets de renversement de la domination, de rejet de l’aliénation, de refus de l’exploitation et d’accès au pouvoir, et la figure du travailleur a pu incarner les mythes liés à ces projets. Puis d’immenses transformations ont marqué l’entrée dans une ère post-industrielle, de communication.</p>
<p>Féminisme, débats éthiques portant sur la procréation ou sur la fin de vie : des conflits inédits ou renouvelés mettent directement en jeu la personne singulière, dans son intimité, ses relations interpersonnelles, sexuelles, familiales, et dans ce qui touche à la vie et à la mort. Le travail est concerné, qu’il s’agisse par exemple de l’égalité des femmes et des hommes, ou de questions de harcèlement.</p>
<p>Environnement, changement climatique : d’autres sujets percutent la sphère professionnelle quand il s’agit par exemple de produire sans polluer.</p>
<p>La place du travail en est relativisée, il cesse d’accompagner des visées historiques ou politiques. Arrêtons d’en parler comme dans le passé, et d’y voir l’identité de ceux qui seraient le sel de la terre : <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/livres/le-mythe-porteur-de-la-fin-du-travail-1898998">c’est fini</a>. Mais sans accepter tout ce qui l’évacue et conduit à parler de « fin du travail » comme dans le <a href="https://www.lemonde.fr/festival/article/2017/08/18/la-fin-du-travail-le-nerf-de-la-guerre_5174023_4415198.html">livre de Jeremy Rifkin</a> qui porte ce titre (1996).</p>
<p>Parler du travail, c’est savoir que les <a href="https://theconversation.com/travailler-oui-mais-pour-pouvoir-aussi-se-realiser-en-dehors-199613">« travailleurs » veulent du temps libre</a>, en vacances, durant la retraite, c’est évoquer sa pénibilité, les injustices et les inégalités qu’il accompagne, les rémunérations insuffisantes qui le rétribuent.</p>
<p>Ce peut aussi consister à demander l’élargissement du cadre du dialogue social, malmené avec le président Macron, à œuvrer pour plus de droits sociaux. Ne plus rêver d’une société des travailleurs, qui parviendraient en tant que tels au pouvoir, au contrôle de la production, de l’accumulation, et des orientations principales de la vie collective ne devrait pas empêcher de revendiquer une participation au pouvoir et à la décision, au niveau de l’entreprise comme à celui de la vie générale du pays.</p>
<h2>Trois voies se dessinent</h2>
<p>Les grandes centrales syndicales annoncent en mai 2023 des dizaines de milliers de <a href="https://www.tf1info.fr/societe/video-retraites-des-adhesions-aux-syndicats-en-hausse-depuis-le-debut-de-la-mobilisation-2254690.html">nouveaux adhérents</a>.</p>
<p>Il y a là un point essentiel. Si les travailleurs en tant que tels désirent obtenir des avancées sociales, il leur faut effectivement se mobiliser par le bas, sur le terrain, là où se jouent les relations de travail et où, sans qu’on puisse comparer l’action contemporaine aux espoirs passés du mouvement ouvrier, au temps de sa splendeur, des changements considérables peuvent résulter de leur engagement.</p>
<p>En fait, trois voies principales dessinent aujourd’hui un avenir possible pour la poursuite du mouvement. La première est politique, et vaine vu la déliquescence de la <a href="https://theconversation.com/comment-une-crise-parlementaire-inedite-est-nee-avec-la-reforme-des-retraites-204596">vie parlementaire et partisane</a>* ; elle ne peut qu’osciller entre radicalité sans perspective – c’est plutôt le cas avec la France Insoumise – et combinaisons politiciennes peu glorieuses, du type de celles ayant échoué entre le pouvoir et les Républicains pour le vote de la loi de réforme des retraites.</p>
<p>La deuxième est celle d’une violence plus ou moins étrangère à l’action syndicale : elle substitue au débat sur le fond des polémiques relatives à ses responsables et acteurs, policiers et <a href="https://theconversation.com/le-black-bloc-quand-lantisysteme-effraie-80857">black blocs</a> notamment.</p>
<p>La troisième est sociale, syndicale. La lutte sur les retraites s’est jouée à un niveau national, dans l’attente d’un traitement politique de la demande d’abandon du passage de 62 à 64 ans de l’âge légal de la retraite.</p>
<h2>Transformer le paysage</h2>
<p>La mobilisation pourrait se prolonger durablement, avec des résultats peut-être moins visibles, car plus diversifiés, mais peut-être bien plus encore durables et importants en exigeant que s’élargisse et se transforme le paysage du travail au sein des entreprises privées comme du secteur public.</p>
<p>Conditions de travail, de son organisation, qui pourrait devenir bien plus participative, cogestion, prise en charge de thèmes sociétaux forts : l’espace des améliorations possibles est immense.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/retraites-vers-un-durcissement-du-mouvement-social-pour-faire-reculer-le-gouvernement-199815">Le syndicalisme</a> pourrait trouver là de quoi poursuivre sa relance, et à partir de là, mener des combats généraux. Le pouvoir politique y trouverait une certaine crédibilité dans l’opinion, la fin d’une séquence où il est apparu brutal et sourd. Une telle évolution ne réglerait évidemment pas tous les problèmes, qu’il s’agisse de l’engagement, notamment des jeunes, <a href="https://theconversation.com/comment-les-soulevements-de-la-terre-federent-une-nouvelle-ecologie-radicale-et-sociale-204355">sur des enjeux d’une autre nature</a>, hors travail, ou des carences d’une gauche qui ne peut assurer le traitement politique du social. Mais elle serait une contribution décisive à la relance générale de la vie démocratique.</p>
<p>Le moment est venu pour les secteurs réformistes du syndicalisme de faire valoir d’importantes exigences pour modifier en profondeur, de bas en haut, et d’abord en bas, le système social français, et pour accentuer la dynamique qu’a mise en branle la contestation de la loi de réforme des retraites. Cette voie offre d’autres alternatives au système politique actuel ou à la tentation d’une radicalité plus ou moins violente.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204943/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Wieviorka ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>C’est là où l’on travaille que se jouent les relations qui confèrent son sens à l’action syndicale : les mobilisations actuelles montrent que les débats sociétaux interpénètrent ces espaces.Michel Wieviorka, Sociologue, membre Centre d'analyse et d'intervention sociologiques (CADIS, EHSS-CNRS), Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2016992023-05-09T18:24:25Z2023-05-09T18:24:25ZD’où vient la souffrance au travail des magistrats ?<p>En octobre dernier, le <a href="https://www.leparisien.fr/hauts-de-seine-92/nanterre-une-magistrate-succombe-a-un-malaise-en-pleine-audience-18-10-2022-4JPKIJPVDRD6BING6IENBFQJUM.php">décès d’une magistrate en pleine audience à Nanterre</a> a suscité une forte émotion dans le monde judiciaire. Au sein de ce dernier, depuis plusieurs années, les magistrat·e·s ont exprimé des formes de souffrance au travail, à travers des prises de parole publiques et des interventions sur les réseaux sociaux jusqu’à une <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/11/23/l-appel-de-3-000-magistrats-et-d-une-centaine-de-greffiers-nous-ne-voulons-plus-d-une-justice-qui-n-ecoute-pas-et-qui-chronometre-tout_6103309_3232.html">tribune</a> publiée en novembre 2021.</p>
<p>À partir d’une enquête par questionnaire et par entretien qui a donné lieu à la publication <a href="https://www.dunod.com/sciences-humaines-et-sociales/sociologie-magistrature-genese-morphologie-sociale-et-conditions">d’un ouvrage</a>, nous présentons d’abord comment s’est construit le problème des conditions de travail dans la magistrature. Nous décrivons ensuite ces difficultés d’une manière générale, avant d’en montrer les variations en proposant une typologie des situations de travail des magistrat·e·s.</p>
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<a href="https://theconversation.com/justice-une-confiance-a-restaurer-161596">Justice : une confiance à restaurer</a>
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<h2>Des alertes répétées</h2>
<p>Depuis une dizaine d’années, les organisations syndicales alertent le ministère de la Justice et l’opinion sur leurs conditions de travail. Dès février 2015, l’Union Syndicale des Magistrats publie un (second) <a href="https://www.union-syndicale-magistrats.org/web/upload_fich/publication/livre_blanc_2015/livre_blanc_soufffance.pdf">« livre blanc »</a>, qui fait suite à un <a href="https://www.union-syndicale-magistrats.org/web2/fr/livre-blanc-2010_p_361">premier</a>, publié en 2010 consacré d’une manière plus générale à « l’état de la justice ». Ce dernier dressait déjà un bilan très négatif de la situation des tribunaux et de la magistrature, même si Michèle Alliot-Marie, la ministre de la Justice de l’époque, avait jugé les conclusions <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2010/11/25/la-justice-francaise-en-ses-palais-delabres_1444852_3224.html">« ridicules »</a>.</p>
<p>Afin de mesurer la difficulté des conditions de travail, le Syndicat de la magistrature (SM) a envoyé en 2018 à l’ensemble des membres du corps un <a href="https://www.syndicat-magistrature.fr/toutes-nos-publications/nos-guides-et-livrets/2160-lenvers-du-decor-notre-grande-enquete-sur-la-charge-de-travail-dans-la-magistrature.html">questionnaire</a>, dont les résultats paraissent en 2019.</p>
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<a href="https://theconversation.com/justice-que-va-changer-la-generalisation-des-cours-criminelles-departementales-197464">Justice : que va changer la généralisation des cours criminelles départementales ?</a>
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<p>La constitution de cette souffrance en problème public atteint son paroxysme dans la tribune évoquée en introduction, signée d’abord par plus de 3000 magistrat·e·s et fonctionnaires de greffe. Montrant en quoi le suicide d’une juge placée de 29 ans dans le nord de la France a des causes professionnelles, les auteurs concluent que « [la] justice souffre de cette logique de rationalisation qui déshumanise […] ».</p>
<p>Cette montée en généralité ne doit pas faire oublier la réalité quotidienne de ces conditions de travail, sur laquelle il est nécessaire de revenir le plus précisément possible.</p>
<h2>Un débordement généralisé</h2>
<p>Notre enquête montre en premier lieu la prévalence du « débordement » du travail. Hors périodes d’astreinte et de permanence, plus de 40 % des magistrats ayant répondu à notre questionnaire disent travailler en soirée au moins plusieurs fois par semaine ; 72 % affirment ne pas réussir à prendre l’ensemble de leurs congés, et près de 80 % déclarent travailler le week-end au moins une fois par mois.</p>
<p>La magistrature s’inscrit ainsi dans la catégorie plus générale des cadres, qui, selon la <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/5432463?sommaire=5435421#consulter">dernière enquête de l’Insee</a>, en 2021, sont 36 % à avoir déclaré travailler au moins une fois le soir (contre 23 % pour l’ensemble des salariés), 29 % le samedi et 16 % le dimanche.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/BDHLovyimss?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« Des collègues pleurent dans leur bureau » : les magistrats en colère réclament plus de moyens. YouTube.</span></figcaption>
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<p>L’analyse des entretiens montre que ce débordement est composé de deux éléments. En premier lieu, le temps du soir et du week-end est consacré à « écluser » (prendre une décision, formuler une proposition de jugement, etc.). De fait, le travail semble ne jamais s’arrêter, du côté du siège comme du parquet (les <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/38125-existe-t-il-plusieurs-categories-de-magistrats-siege-parquet">magistrats du siège</a> – les juges – sont chargés de dire le droit en rendant des décisions de justice. Les magistrats du parquet – les procureurs – ont pour fonction de requérir l’application de la loi. Ils défendent l’intérêt public et sont partis au procès) : les dossiers s’accumulent, et la « pile » est toujours renouvelée.</p>
<p>Le débordement du temps de travail rend possible par ailleurs l’activité de la réflexion longue et de la rédaction. Rédiger les jugements nécessite de se soustraire aux urgences. Pour les magistrats·e·s du siège, les moments ouvrés de la semaine sont souvent ceux des audiences qui se prolongent ou se succèdent, et seuls les soirs, les week-ends ou les congés permettent cette prise de distance.</p>
<h2>La place centrale du travail à domicile</h2>
<p>Le rapport des magistrat·e·s à leur espace de travail constitue un autre enjeu important, comme il l’est d’ailleurs pour les autres salariés, pour qui l’espace est « un enjeu des rapports sociaux de service ». L’élément central est celui du travail à domicile.</p>
<p>Avec quelques professions intellectuelles et indépendant·e·s, la magistrature semble pionnière du « télétravail », avant la mise en œuvre de « politiques organisationnelles de télétravail » puis sa généralisation à l’occasion du confinement du printemps 2020.</p>
<p>Selon notre questionnaire, presque deux tiers des magistrat·e·s affirment travailler en partie à domicile, et 10 % le font majoritairement. On retrouve dans la magistrature les <a href="https://theconversation.com/emploi-teletravail-et-conditions-de-travail-les-femmes-ont-perdu-a-tous-les-niveaux-pendant-le-Covid-19-141230">inégalités de genre liées au télétravail</a> que les épisodes de confinement de 2020-2021 ont mises en lumière. La présence au domicile contraint ainsi souvent les femmes, principalement lorsqu’elles ont des enfants, à « jongler » entre activité professionnelle et activité domestique.</p>
<p>En somme, les temps et les lieux du travail de la magistrature se retrouvent ainsi au cœur des contradictions vécues par le corps et des interrogations sur ce que juger, punir ou requérir veut dire.</p>
<h2>Un travail intense marqué du sceau de la pluriactivité</h2>
<p>À ce débordement, s’ajoute l’impression souvent évoquée par les magistrat·e·s qu’ils et elles ont de faire le « sale boulot ». La faiblesse des « personnels de renfort » chargée des tâches administratives et logistiques renforce un sentiment de dévalorisation en plus d’ajouter des tâches vécues comme illégitimes.</p>
<p>Cette multiplication des tâches revêt aussi la forme de la pluriactivité contentieuse. Dans des tribunaux de petite taille, certain·e·s juges sont amené·e·s à passer, au cours d’une semaine ou même d’une journée, d’un contentieux à l’autre, d’une spécialité à une autre, et par conséquent d’un domaine du droit à l’autre.</p>
<p>Ces enjeux sont rendus encore plus forts par les logiques d’accélération du temps de la réponse judiciaire. Cette « justice dans l’urgence » transforme profondément l’organisation des parquets et finalement de l’ensemble de la chaîne pénale, alors que la contrainte managériale tend à s’imposer, au moins dans les discours, dans les tribunaux.</p>
<p>On comprend en définitive la perte du sens de leur travail que peuvent vivre les magistrat·e·s, ces éléments fragilisant l’éthos professionnel des magistrat·e·s, cet « art judiciaire » marqué par la sérénité, le discernement et l’empathie. On a là des facteurs bien connus de <a href="https://www.cairn.info/les-conditions-de-travail--9782707183392.htm">risques psychosociaux</a>, quand des formes de surinvestissement sont reliées à des insatisfactions profondes concernant le sens du travail.</p>
<p>Un aspect des conditions de travail renvoie à la question des relations de travail entre les collègues et avec les différents acteurs (en particulier supérieurs hiérarchiques et justiciables). Sur ce plan, notre enquête renvoie globalement à une présence modérée de tensions. 88 % de l’ensemble des personnes ayant répondu au questionnaire estiment qu’il n’existe pas de tension avec leurs collègues. Seul·e·s 14,5 % des répondant·e·s ressentent de la solitude toujours ou souvent.</p>
<p>Pour autant, cet « esprit de corps » résiste difficilement à l’ampleur de l’intensification du travail.</p>
<h2>De fortes inégalités dans les conditions de travail</h2>
<p>La difficulté des conditions de travail ne doit pas masquer des disparités fortes, liées à des effets de genre, d’âge, de fonction et de juridiction. Une analyse typologique fait apparaître quatre classes de magistrat·e·s selon l’intensité et le cumul des tensions qui caractérisent leur activité : la conflictualité peut se cumuler au débordement, à des degrés plus ou moins forts.</p>
<p>Si seule une partie des magistrat·e·s semble échapper à des conditions de travail difficiles, la classe 4 renvoie aux portraits d’une population en grande détresse proposée par la « Tribune des 3 000 ».</p>
<p>Composée de 18 % des enquêté·e·s, ces magistrat·e·s cumulent conflictualité et débordement du travail. Constituée aux trois quarts par des femmes, les magistrat·e·s y sont plus souvent jeunes, exerçant au ministère public ou bien occupant des fonctions spécialisées (typiquement l’instruction, ou dans une moindre mesure, juge d’instance, juge d’application des peines, juge des enfants) ; les lieux d’exercice sont typiquement des TGI de petite et de moyenne taille.</p>
<p>Mais cette classe ne doit pas faire oublier la problématique plus large du débordement, désormais consubstantiel à l’ensemble du corps : l’enquête montre que, quels que soient la fonction, le lieu d’exercice ainsi que l’ancienneté, la souffrance au travail concerne une grande partie des magistrat·e·s. Si certaines configurations apparaissent particulièrement altérer la qualité de vie au travail des magistrat·e·s, ajoutant parfois la conflictualité au débordement, il est à parier, hélas, qu’aucun·e magistrat·e, au cours de sa carrière, au fil des postes, n’échappe, à un moment ou à un autre, à l’une et/ou l’autre de ces difficultés.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201699/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Depuis une dizaine d’années, les organisations syndicales alertent le ministère de la Justice et l’opinion sur leurs conditions de travail.Yoann Demoli, Maître de conférences en sociologie, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Laurent Willemez, Professeur de sociologie, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.