tag:theconversation.com,2011:/us/topics/contestation-35779/articlescontestation – The Conversation2024-03-20T16:01:18Ztag:theconversation.com,2011:article/2241762024-03-20T16:01:18Z2024-03-20T16:01:18ZComment dépasser l’opposition entre écologie punitive et écologie réaliste ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/578711/original/file-20240228-28-sdi57d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=59%2C5%2C3902%2C2964&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Vouloir réglementer le transport et l'agriculture afin de réduire l'empreinte carbone de ces secteurs, est-ce nécessairement punir ? </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/part-aircraft-wing-blurry-shadow-airplane-2140528403">Burning Bright/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>« Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde » déplorait Albert Camus. Par les temps qui courent, c’est aussi, parfois, aggraver la crise environnementale. Une expression en est la preuve criante, celle d’« écologie punitive ». Elle a été employée en ce début d’année par le Premier ministre Gabriel Attal pour justifier le gel d’un certain nombre de normes environnementales s’imposant aux agriculteurs comme l’usage des produits phytosanitaires, la replantation des haies et l’entretien des zones humides. </p>
<p>Lors de son discours de politique générale donné le 30 janvier à l’Assemblée Nationale, le Premier ministre s’est ainsi réclamé d’une écologie réaliste, « populaire » et « à la française » qu’il a opposé explicitement à l’« écologie punitive » faite de normes et de contraintes rimant « avec nécessité plus qu’avec réalité ».</p>
<p>Mais est-ce que ça existe seulement l’« écologie punitive ? ». Et, si oui, est-il possible de l’opposer à « écologie réaliste » pour permettre au pays d’affronter la crise environnementale et climatique tout en ne condamnant pas un segment de la population à une adaptation impossible ?</p>
<h2>Écologie punitive ou normative ?</h2>
<p>Commençons par regarder d’un peu plus près ce qui est entendu par « écologie punitive. »</p>
<p>Si ce concept n’est jamais très bien défini, il est cependant régulièrement utilisé par certains partis politiques ou médias dans le but de <a href="https://www.hellocarbo.com/blog/compenser/ecologie-punitive/">discréditer</a> les politiques normatives de transition environnementale. </p>
<p>Lorsqu’on regarde de plus près ce qui est désigné par cette expression, on trouve cependant ce qui s’apparente plus à une écologie normative, faite de règles et de contraintes.</p>
<p>Or, cette caractéristique n’est pas propre aux lois environnementales : une grande partie des politiques publiques sont normatives : elles décrivent une règle contraignante mise au service d’un objectif social et une sanction en cas de non-respect de la règle. Ces règles et sanctions sont légitimes car délibérées et décidées collectivement dans un cadre démocratique. Les politiques de l’emploi reposent par exemple sur les règles juridiques du droit du travail qui imposent des contraintes aux employeurs et employés et sur le pouvoir de sanction des contrevenants notamment par les conseils des prud’hommes. </p>
<p>L’utilisation du terme <em>punitif</em> pour décrire des normes environnementales suggère cependant que celles-ci imposent aux acteurs économiques, entreprises, ménages ou agriculteurs une <a href="https://bonpote.com/lecologie-punitive-a-t-elle-un-sens/">relation de soumission</a> à un autoritarisme étatique asymétrique et abusif, là où il n’est en réalité question que de règle organisant la vie collective et de sanction prévue par la règle. </p>
<p>L’usage du terme <em>punitif</em> constitue dès lors peut-être surtout une exagération rhétorique au regard de la <a href="https://www.dalloz-actualite.fr/flash/l-efficacite-du-droit-de-l-environnement-toujours-en-debat">réalité de l’exercice du droit et des sanctions dans le domaine environnemental</a> et de la <a href="https://theconversation.com/loin-du-mythe-de-lecologie-punitive-la-faiblesse-des-polices-de-lenvironnement-223018">faiblesse des moyens contraignants</a> dont disposent en réalité les agents du contrôle et de la sanction.</p>
<h2>Les politiques de la transition doivent être à la fois normatives et réalistes</h2>
<p>Paradoxalement, à mille lieues des oppositions faites par Gabriel Attal entre contraintes et réalisme, les sciences sociales ont plutôt montré qu’une politique normative, pour avoir une chance de s’appliquer, se devait d’être… réaliste. </p>
<p>L’économie institutionaliste, récompensée par plusieurs prix Nobel (<a href="https://theconversation.com/in-memoriam-douglass-cecil-north-un-prix-nobel-a-linsatiable-curiosite-52736">Douglass North</a> et <a href="https://www.deboecksuperieur.com/ouvrage/9782804161415-gouvernance-des-biens-communs">Elinor Ostrom</a>) a ainsi montré que les hommes et les sociétés ont fabriqué des sanctions et des systèmes d’information sur les comportements pour que les règles définies par les institutions ou normes puissent être effectivement appliquées. </p>
<p>Vouloir rejeter la sanction reviendrait donc à rejeter l’ensemble de l’institution ou de la règle, c’est-à-dire à renoncer à réguler. </p>
<p>Prenons par exemple les pesticides. Nous savons aujourd’hui qu’ils représentent un danger pour la biodiversité, les hommes, et la confiance dans la qualité de ce que produisent les agriculteurs grâce à la terre qu’ils travaillent. Il parait donc nécessaire d’en réduire l’usage par des normes ou interdictions (comme l’ambitionnait initialement le plan « Ecophyto » et la ratification de l’<a href="https://www.gouvernement.fr/actualite/accord-historique-sur-la-biodiversite-cop15#:%7E:text=Ce%20contenu%20a%20%C3%A9t%C3%A9%20publi%C3%A9,la%20Premi%C3%A8re%20ministre%2C%20%C3%89lisabeth%20Borne.&text=Les%20pays%20du%20monde%20entier,%2C%20indispensables%20%C3%A0%20l%E2%80%99humanit%C3%A9.">Accord de la COP15 de la biodiversité</a>) tout en proposant des solutions aux agriculteurs afin qu’ils puissent continuer de valoriser les sols et nourrir les populations. Des compensations seraient pour cela nécessaires afin de prémunir les agriculteurs contre les risques de perte de production et de compétitivité qu’ils prennent en s’ajustant. </p>
<p>La régulation n’est donc pas une situation de gain mutuel immédiat, elle est conflictuelle et inégalitaire car elle génère des pertes pour certains souvent au bénéfice de tous. C’est justement ce bénéfice social net qui en justifie l’existence et qui donne un droit à une compensation pour les perdants. Selon une <a href="https://www.generations-futures.fr/actualites/sondage-pesticides/">récente enquête menée par Ipsos pour le Pesticide Action Network (PAN)</a> montre que 82,5 % des Français interrogés sont préoccupés par l’impact environnemental de l’utilisation de pesticides. Or si la punition associée à la baisse et à l’élimination de l’usage des pesticides par exemple est légitime et réaliste aux yeux d’une majorité de la population c’est aussi parce qu’elle apparaît facilement compensable car les perdants sont en nombre limité et bien identifiés. </p>
<p>En ce sens, la politique « réaliste » et « non-punitive » de dérégulation qu’a choisi le gouvernement pour traiter la crise agricole est en fait irréaliste et super-punitive à moyen et long terme car ses effets négatifs toucheront beaucoup plus de monde (humains et non-humains), et qu’ils ne seront pas facilement compensables en raison des coûts financiers et des <a href="https://www.cairn.info/revue-environnement-risques-et-sante-2020-2-page-93.htm">difficultés d’identification des perdants et de la taille de la perte</a></p>
<p>La punition potentiellement associée à la prétendue politique réaliste du gouvernement français est en fait bien plus importante et grave que celle qui consistait à maintenir la trajectoire de réduction des pesticides en compensant le petit nombre de perdants par des aides. </p>
<p>En d’autres termes, une politique écologique normative n’est réaliste que si elle incorpore ses effets sur l’ensemble de la population (incluant le coût de la compensation) et donc ses conditions d’acceptabilité présentes et futures par les populations cibles et non-cibles dans ses modalités d’application.</p>
<h2>Les politiques de la transition doivent être inclusives et systémiques</h2>
<p>La bonne nouvelle, dans cette période où l’environnement déchaîne des passions et où l’on crie à tout va à « l’écologie punitive », c’est que les ingrédients d’une politique de transition préservant l’ordre social et démocratique commencent à être de mieux en mieux connus car au centre de l’attention des sciences sociales de la soutenabilité. </p>
<p>Parmi eux, l’inclusion de la diversité des intérêts des parties prenantes, la persuasion via la production et diffusion des idées alignées avec les objectifs planétaires, la définition collective de régulations et compensations efficaces et justes devraient faire l’objet de toute l’attention des gouvernements. Toutes ces dimensions sont par exemple explicitement articulées dans trois projets de recherche sur les politiques de transition (<a href="https://www.sustainabilityperformances.eu/">SPES</a> (<em>sustainability, performances, evidence and scenarios</em>), <a href="https://toberesearch.eu/">ToBe</a> (<em>towards an economy for sustainable well-being</em>), et <a href="https://wisehorizons.world/"><em>Wise Horizon</em></a>) actuellement financés par l’Union européenne et impliquant tous des équipes françaises.</p>
<p>Même si plusieurs visions du chemin vers la transition peuvent s’opposer – croissance verte et juste ou post-croissance – et si plusieurs trajectoires de politiques publiques pour y parvenir sont sur la table – innovation ou sobriété –, les recherches des sciences sociales de la soutenabilité se rejoignent sur la nécessité de replacer au centre la question de l’acceptabilité sociopolitique de la rupture comportementale et politique que constitue la transition. </p>
<h2>Mieux penser, en amont, les compensations</h2>
<p>Il s’agit par exemple de mieux connaître les effets distributifs de la transition, c’est à dire qui sont les gagnants et qui sont les perdants d’une mesure de politique publique, et quel est le mécanisme et le montant de la compensation pour les perdants. On sait depuis la crise des « gilets jaunes » que l’augmentation de la taxe carbone sur les carburants pénalise plus les populations modestes et rurales parce qu’elles sont <a href="https://journals.openedition.org/popvuln/1327">plus dépendantes de l’automobile</a>. Pour être juste, l’incitation fiscale doit donc être associée à une compensation des populations lésées sous forme d’aide à la transition vers une mobilité décarbonée. </p>
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<img alt="https://www.Flickr.com/photos/computerhotline/44416865700" src="https://images.theconversation.com/files/578715/original/file-20240228-18-nhbvkz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/578715/original/file-20240228-18-nhbvkz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=196&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/578715/original/file-20240228-18-nhbvkz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=196&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/578715/original/file-20240228-18-nhbvkz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=196&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/578715/original/file-20240228-18-nhbvkz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=247&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/578715/original/file-20240228-18-nhbvkz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=247&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/578715/original/file-20240228-18-nhbvkz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=247&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le mouvement des « gilets jaunes », ici lors d’une mobilisation à Belfort en décembre 2018.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Thomas Bresson/Flickr</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>On sait égalemement que l’acceptabilité socio-politique de la transition repose assez largement sur la façon dont les différentes catégories de ménages appréhendent les arbitrages ou sacrifices qu’impose la bifurcation vers une société décarbonée. Il est donc urgent et stratégique de connaître précisément le prix que les différents groupes sociaux sont prêts à payer en termes de réduction de leurs consommations les plus carbonées pour améliorer leur cadre de vie et celui de leurs enfants. </p>
<p>Ce prix ne sera pas le même pour les classes modestes des zones rurales que pour les classes aisées des métropoles. Pour les premiers, la réduction de l’usage des moteurs thermiques est ainsi beaucoup plus coûteuse en termes de sacrifice que la diminution des voyages aériens, alors que c’est l’inverse pour les seconds.</p>
<p>Pour éviter que les normes ne soient perçues comme punitives, elles doivent être délibérées, négociées et faire l’objet d’un accord politique entre les différentes parties prenantes, de l’échelle internationale à l’échelle locale. Comme l’expliquent <a href="https://allary-editions.fr/products/david-djaiz-et-xavier-desjardins-la-revolution-obligee">David Daïz et Xavier Desjardins dans leur ouvrage récent <em>La Révolution obligée</em></a>, ces délibérations et négociations sur les normes peuvent être différenciées selon les territoires et leurs contraintes spécifiques. Dans ces conditions, chaque acteur percevra la norme comme acceptable, notamment parce que porteuse de bénéfices collectifs et individuels à court ou plus long terme.</p>
<p>Enfin, les exemples de l’intensification des migrations environnementales ou de la colère des agriculteurs face aux écarts de normes environnementales entre l’Europe et le <a href="https://www.gouvernement.fr/sites/default/files/document/document/2020/09/rapport_de_la_commission_devaluation_du_projet_daccord_ue_mercosur.pdf">Mercosur</a> démontrent que les enjeux sont systémiques, toute tension dans le domaine environnemental au niveau global ou régional se traduisant rapidement en tension politique, sociale et économique. </p>
<p>Un des principaux messages des sciences sociales de la transition est que la politique de transition vers la soutenabilité n’est pas une politique qui se superpose aux autres politiques sectorielles (agriculture, santé, emploi, innovation, protection sociale…) et en limite l’action par des normes et contraintes, mais plutôt un ensemble coordonné et intégré de politiques sectorielles qui dès leur conception intègrent l’impératif de transition. </p>
<p>Les politiques sociales doivent par exemple être repensées pour que les risques couverts par la solidarité facilitent la transition vers la sobriété. C’est ce que font les projets de fourniture de services de base universels lorsqu’au lieu de verser une subvention monétaire pour compenser les effets d’une taxe carbone sur les plus modestes, ils donnent un accès gratuit à des services de transport collectif propre ou à une énergie verte avec des <a href="https://iopscience.iop.org/article/10.1088/1748-9326/ac2cb1">résultats très positifs à la fois en termes de réduction de la vulnérabilité et de transition environnementale</a>. </p>
<p>Les politiques économiques et sociales des pays riches doivent donc être systémiques et inclusives, c’est-à-dire portées par un projet collectif et juste de transition vers un modèle économique, social et culturel soutenable pour toute la planète. Pour recueillir une adhésion suffisamment large et être capable de mobiliser les populations autour d’un ensemble aussi massif de changements des politiques et des comportements, ce projet doit paraître à la fois crédible c’est-à-dire être à la fois contraignant et légitime, et réalisable socialement et politiquement car perçu comme inclusif et juste par les différentes parties de la population.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224176/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Eric Rougier est membre de l'Association Française d'Economie du Développement</span></em></p>C'est un terme qui surgit régulièrement dans l'arène politique : celui d'écologie punitive ? Mais une telle notion existe-t-elle vraiment ? Et est-elle nécessairement à opposer à une écologie réaliste ?Eric Rougier, Professeur d'économie à l'université de Bordeaux et membre de Bordeaux School of Economics, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2246782024-03-11T16:14:31Z2024-03-11T16:14:31ZEn Russie, la plainte étouffée des mobilisés et de leurs familles<p>Le 26 février 2024, le <a href="https://www.kommersant.ru/doc/6533550">premier débat officiel de la campagne présidentielle russe a lieu à la télévision d’État</a>. Des quatre candidats autorisés à concourir, deux sont présents sur le plateau. Un troisième a envoyé un représentant à sa place. Le président sortant Vladimir Poutine, quatrième candidat de cette campagne, a déclaré, comme lors de tous les scrutins précédents, qu’il ne prendrait pas part aux débats.</p>
<p>La campagne électorale de 2024 se déroule dans un contexte sans précédent : la Russie conduit depuis deux ans une guerre de haute intensité contre l’Ukraine ; l’économie russe est placée sous de <a href="https://theconversation.com/russie-les-sanctions-occidentales-commencent-a-faire-effet-221623">lourdes sanctions</a> décrétées par les pays occidentaux ; plusieurs centaines de milliers de Russes ont quitté le pays ; et <a href="https://meduza.io/en/feature/2024/02/24/at-least-75-000-dead-russian-soldiers">au moins 75 000 soldats russes</a> ont perdu la vie sur le front.</p>
<p>On aurait pu s’attendre à ce que le sujet de la guerre soit central dans la campagne électorale. L’un des débats de la campagne a bien été consacré à « l’opération militaire spéciale » et a permis aux trois candidats de dérouler leur positionnement sur la guerre : attachement à la victoire totale pour les candidats communiste (Nikolaï Kharitonov) et nationaliste (Léonid Sloutski), volonté de lancer un processus de négociation pour le candidat se présentant comme libéral (Vladislav Davankov), sans que les contours ou les conditions de cette négociation ne soient précisés.</p>
<p>Cependant, l’essentiel des débats – qui n’ont pas passionné le public russe – ont été consacrés à d’autres sujets : l’éducation, la culture, l’économie, l’agriculture, la démographie, le logement, dans une confrontation routinisée et encadrée… Les candidats eux-mêmes ne se sont pas toujours déplacés pour les débats, se faisant représenter par d’autres personnes appartenant à leurs partis politiques.</p>
<h2>La guerre est l’affaire des familles des soldats</h2>
<p>De l’autre côté du spectre médiatique, la guerre est une réalité bien différente. Sur la chaîne Telegram <a href="https://t.me/putdomo/543">« Le chemin de la maison »</a>, qui regroupe les membres des familles des combattants mobilisés et compte plus de 70 000 abonnés, le deuxième anniversaire de la guerre n’est pas l’occasion d’une autocongratulation, mais d’une commémoration. « Voilà deux ans que l’opération militaire spéciale déchire et brise sans pitié nos cœurs. Détruit les familles. Fabrique des veuves, des orphelins, des personnes âgées isolées », peut-on y lire.</p>
<p>La critique de la guerre est <a href="https://t.me/PYTY_DOMOY/902">explicite</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Il y a deux ans, la Russie tout entière a plongé dans le chaos et l’horreur. Plus personne ne peut faire des projets d’avenir. […] Nous nous sommes tous retrouvés en enfer. Nos familles ont été les premières à être broyées par l’appareil d’État, et votre famille et vos amis risquent de subir le même sort après notre destruction. »</p>
</blockquote>
<p>C’est en septembre-octobre 2022, au moment du déclenchement de la mobilisation militaire qui a permis à l’État russe d’enrôler de force et d’envoyer sur le front ukrainien près de 300 000 civils, souvent à peine formés au combat, que les premiers groupes de familles de soldats se sont formés. Se réunissant devant les administrations locales et postant des vidéos en ligne, ces femmes ne s’opposaient pas au principe de la mobilisation, mais critiquaient son déroulement chaotique.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/aAgja19-_as?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Vidéo du 4 novembre 2022.</span></figcaption>
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<p>La consigne donnée par le pouvoir central aux autorités locales était alors d’être réceptives aux demandes de ces familles, et de tenter de résoudre les problèmes qu’elles soulevaient. Après plusieurs mois de silence, le mouvement est redevenu actif à l’approche du premier anniversaire de la mobilisation, à la fin de l’été 2023.</p>
<p>Ce premier anniversaire n’était pas seulement un seuil symbolique : il s’accompagnait d’une attente de démobilisation. Si la durée de l’enrôlement n’était précisée dans aucun document ni formalisée dans aucune promesse, la fatigue et la conviction d’avoir déjà trop donné commençaient à se répandre dans les familles des mobilisés.</p>
<p>Loyaliste à ses débuts, demandant une nouvelle vague de mobilisation pour remplacer la première, la chaîne Telegram « Le chemin de la maison » s’est progressivement radicalisée et politisée face au refus des autorités d’entendre la demande de démobilisation. À l’approche de la campagne présidentielle, les activistes des groupes de femmes ont cherché à prendre contact avec les candidats pour leur demander d’endosser leurs revendications. Un seul candidat, Boris Nadejdine, opposé à la guerre, leur avait réservé un accueil favorable, mais avait été <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2024/02/08/russie-le-candidat-antiguerre-boris-nadejdine-exclu-a-son-tour-de-la-presidentielle_6215417_3210.html">rapidement empêché de concourir</a>. Le candidat Davankov a bien évoqué, lors du débat télévisé consacré à l’« opération militaire spéciale », le désir des familles de voir la guerre se terminer, sans aller plus loin. Vladimir Poutine, quant à lui, n’a pas abordé le sujet lors de son <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2024/02/29/vladimir-poutine-dans-son-discours-annuel-a-la-nation-met-en-garde-les-occidentaux-contre-une-menace-reelle-de-guerre-nucleaire_6219303_3210.html">discours annuel à la nation</a> : la démobilisation des combattants n’est pas vraiment à l’ordre du jour de cette campagne.</p>
<h2>Dans les pas des mouvements de mères de soldats ?</h2>
<p>L’analogie de ces groupes de femmes de mobilisés avec les mouvements des mères de soldats se rappelle rapidement à l’esprit de ceux qui connaissent l’histoire russe contemporaine. Les <a href="https://journals.openedition.org/lectures/12594">associations des mères de soldats</a> créées dans les dernières années de l’Union soviétique, à la fin de la guerre en Afghanistan, ont été des opposantes actives et puissantes aux deux guerres conduites par l’État russe en Tchétchénie, en 1994-1996, puis en 1999-2004.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/580407/original/file-20240307-26-kaqsqw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/580407/original/file-20240307-26-kaqsqw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/580407/original/file-20240307-26-kaqsqw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=428&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/580407/original/file-20240307-26-kaqsqw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=428&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/580407/original/file-20240307-26-kaqsqw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=428&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/580407/original/file-20240307-26-kaqsqw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=537&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/580407/original/file-20240307-26-kaqsqw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=537&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/580407/original/file-20240307-26-kaqsqw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=537&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Rassemblement de mères de soldats russes pendant la guerre de Tchétchénie, 1996. Sur les pancartes, on lit notamment des appels à la démobilisation adressés au ministre de la Défense de l’époque Pavel Gratchev.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://rightlivelihood.org/app/uploads/2016/09/1996-Soldiers-Mothers-Against-the-Chechen-war-Salzb05.jpg">rightlivelihood.org</a></span>
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<p>En dehors des situations de guerre, elles ont aussi sauvé des dizaines de milliers de conscrits des mauvais traitements, violences et risques de mort encourus dans l’armée russe. Les Mères de soldats ont été l’un des mouvements sociaux les plus influents dans la Russie des années 1990 et 2000. Les épouses de mobilisés reprennent-elles leur flambeau, et peuvent-elles peser sur la représentation de la guerre dans la société russe ?</p>
<p>Lorsque les premiers groupes de femmes ont pris la parole en septembre 2022, beaucoup de commentateurs <a href="https://eu.usatoday.com/story/opinion/columnists/2022/05/02/russian-mothers-putin-war-ukraine/9546447002/">y ont vu un espoir d’opposition de la société à la guerre</a>, mais ils ont rapidement déchanté devant le loyalisme affiché de ces épouses, mères et sœurs. En réalité, ce n’est pas l’absence de critique de la guerre qui distingue ces femmes de leurs illustres prédécesseuses. Bien des mamans de soldats envoyés combattre en Tchétchénie formulaient leur protestation de la même manière : si mon fils doit accomplir son devoir pour sa patrie, je n’ai rien à y redire, mais qu’en retour l’État le respecte. Ce qui distingue les deux mouvements, c’est plutôt la possibilité même de conduire une action collective.</p>
<h2>L’impossible dénonciation publique de la guerre</h2>
<p>Si les premières années postsoviétiques qui ont vu le développement des mouvements de Mères de soldats ont été une époque de chaos et de pauvreté, elles étaient aussi caractérisées par un pluralisme politique et une authentique liberté d’expression. Les activistes n’encouraient pas de risques personnels à manifester leur opposition, et leurs revendications étaient librement relayées par les médias et par des acteurs politiques.</p>
<p>L’efficacité de l’action des Mères tenait aussi à leur capacité à tisser des relations de travail avec des institutions militaires, dans une logique gagnant-gagnant : la vigilance des mères de soldats permettait à l’armée de repérer et de réparer un certain nombre de dysfonctionnements flagrants ; la coopération des militaires permettait aux Mères de mieux venir en aide aux soldats et à leurs proches.</p>
<p>Peu d’éléments de cette équation sont réunis dans la Russie de 2024. Si les mouvements de mères de soldats existent encore, leurs leaders ne peuvent plus dénoncer ouvertement la guerre. <a href="https://www.amnesty.fr/actualites/russie-des-lois-pour-reduire-les-voix-antiguerre-ukraine">Toute parole critique est sévèrement sanctionnée</a>, y compris dans la classe politique censée représenter l’opposition au parti du pouvoir. Les journalistes tentant de couvrir les cérémonies commémoratives des femmes de mobilisés sont <a href="https://www.themoscowtimes.com/2024/02/03/reporters-detained-at-moscow-protest-by-soldiers-wives-afp-a83966">immédiatement interpellés par les forces de l’ordre</a>. L’espace médiatique verrouillé ne permet pas aux activistes de se faire entendre au-delà des réseaux sociaux.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1753770811108762038"}"></div></p>
<p>La marge de manœuvre dans la discussion avec les autorités militaires semble aussi ténue, tant la marge d’action de l’armée est elle-même verrouillée par le contexte répressif et par une guerre difficile et vorace en ressources.</p>
<p>Enfin, la <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/russie-plus-de-75-000-euros-aux-familles-de-certains-soldats-morts-en-ukraine-ou-en-syrie_5181916.html">manne financière promise aux combattants et à leurs familles</a> freine aussi, paradoxalement, le mouvement des femmes de mobilisés, en forçant certaines d’entre elles à se taire, et en ternissant l’image des autres, jalousées pour le pactole qu’elles sont supposées toucher.</p>
<h2>L’embarras du pouvoir</h2>
<p>Cependant, l’équation est aussi délicate à tenir pour le pouvoir russe, qui hésite à se lancer dans une répression ouverte contre les femmes de mobilisés. Les combattants engagés sur le front sont non seulement l’un des socles du récit héroïque sur la guerre, mais aussi un groupe sensible et potentiellement dangereux.</p>
<p>Si la rotation des troupes demandée par les femmes des mobilisés n’a pas encore été mise en œuvre, c’est sans doute en raison d’une difficulté à remplacer les combattants désormais aguerris, mais peut-être aussi d’une peur de l’effet que pourrait provoquer le retour de ces hommes dans leurs foyers. Traumatisés, maltraités, porteurs d’une expérience violente en décalage avec le récit officiel, les mobilisés, comme les soldats sous contrat, pourraient être difficiles à contrôler par le pouvoir après leur retour d’Ukraine.</p>
<p>Il est possible également que les autorités redoutent aujourd’hui une réaction de ces hommes s’ils apprenaient, alors qu’ils sont sur le front, que leurs épouses sont victimes de répressions. <a href="https://theconversation.com/cinq-questions-apres-la-marche-pour-la-justice-de-wagner-208593">La marche des combattants du groupe Wagner sur Moscou</a> est un précédent de mutinerie que le pouvoir ne souhaite sans doute pas voir se répéter.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/2nOASfejREU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>De la même manière que le Kremlin a évité jusqu’à maintenant d’envoyer combattre des conscrits de 18 ans, pour ne pas voir se soulever les mères de soldats, il ménage pour l’heure les femmes de mobilisés. Le choix est donc celui, déjà éprouvé, de l’invisibilisation, de la répression indirecte et des <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/11/25/la-rencontre-tres-encadree-de-vladimir-poutine-avec-des-meres-de-soldats-mobilises_6151660_3210.html">tentatives de cooptation</a>. Les forces de l’ordre n’emprisonnent pas les femmes de mobilisés, mais les militaires font pression sur elles, et tout espace médiatique leur est refusé. Un récit différent de la guerre ne doit pas percer dans la campagne présidentielle.</p>
<p>Cette stratégie s’inscrit parfaitement dans la volonté du pouvoir de rendre la guerre le moins présente possible dans l’espace public, afin de rassurer la population russe. Cependant, la fatigue de la guerre que le Kremlin espère voir se développer dans les sociétés occidentales <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/apres-deux-ans-de-guerre-en-ukraine-la-fatigue-de-l-opinion-publique-russe-7838880">est déjà visible à l’intérieur de la Russie</a>. Si le nombre de Russes viscéralement attachés à la poursuite de l’« opération militaire spéciale » a diminué au cours de l’année 2023 et <a href="https://www.chronicles.report/en">représente moins de 20 % de la population</a>, une majorité croissante, estimée à deux tiers de la population, <a href="https://www.extremescan.eu/post/second-demobilisation-how-public-opinion-changed-during-the-second-year-of-the-war">serait soulagée de voir la guerre s’arrêter</a>, même s’ils ne s’opposent pas ouvertement au conflit armé conduit par leur pays.</p>
<p>Pour ceux-là, le discours ronronnant d’une campagne dont la guerre est quasi absente joue un effet anesthésiant. Cependant, la partie de la Russie, combattants en tête, qui vit quotidiennement la guerre est une bombe à retardement pour la société russe, quels que soient les efforts du pouvoir pour la rendre invisible aujourd’hui.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224678/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anna Colin-Lebedev ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Au moins 75 000 soldats russes sont morts en deux ans de guerre en Ukraine. Les familles des combattants mobilisés peinent à faire entendre leur inquiétude dans l’espace public.Anna Colin-Lebedev, Enseignante-chercheuse en sciences politiques, spécialiste des sociétés postsoviétiques, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2191052023-12-13T10:44:30Z2023-12-13T10:44:30ZMadagacar : la réélection d'Andry Rajoelina ouvre une nouvelle phase politique<p>La réélection d'Andry Rajoelina à la présidence de Madagascar a été confirmée par la <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/12/01/a-madagascar-la-reelection-andry-rajoelina-confirmee_6203341_3212.html*">Haute cour constitutionnelle</a>. Ainsi, Andry Rajoelina a obtenu 58.96 % des suffrages exprimés, contre 14,39 % pour Siteny Randrianasoloniako et 12,09 % pour Marc Ravalomanana. En fait, on pourrait aussi dire que <a href="https://theconversation.com/madagascar-une-election-presidentielle-a-haut-risque-216327">cette élection a été jouée d'avance</a> du moment que la grande majorité des candidats (10 sur 13), y compris le concurrent qui aurait le plus de chance de gagner, c'est-à-dire Marc Ravalomanana, ont décidé finalement de ne pas y participer, laissant ainsi le champ tout à fait libre à Andry Rajoelina. </p>
<p>Le président sortant est ainsi réélu dès le premier tour, malgré un taux de participation de 46,35 % plutôt bas à cause du boycott par les dix candidats de l’opposition. </p>
<p>J'ai étudié la politique malgache pendant plusieurs années, en me focalisant sur le processus de démocratisation, les conflits et transitions politiques. Cet article analyse les résultats de l'élection, le taux de participation, les contestations de l'opposition et examine les perspectives post-électorales dans un contexte de polarisation politique.</p>
<h2>Un faible taux de participation</h2>
<p>La violence électorale, tant redoutée par de nombreux acteurs politiques et observateurs quelques jours avant l’élection n’a pas eu lieu finalement. Tout au contraire, l’élection s’est déroulée dans le calme le plus absolu. Cette crainte de la violence aurait justifié la <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/11/13/election-a-madagascar-la-presidente-de-l-assemblee-nationale-fait-appel-a-la-sadc-pour-sortir-de-la-crise_6199925_3212.html">tenue d’urgence d’une “négociation” </a>sous la houlette de la présidente de l’Assemblée nationale, Christine Razanamahasoa et du Conseil œcuménique des églises chrétiennes (FFKM).</p>
<p>Les dix candidats membres du collectif <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/11/16/a-madagascar-jour-de-vote-sous-tension-pour-l-election-presidentielle_6200527_3212.html">se sont opposés</a> à cette élection. ils avaient en outre donné la consigne à leurs partisans de ne pas voter. Par conséquent, il y avait très peu de monde dans les rues, surtout dans la capitale, et aux alentours des bureaux de vote le jour de l’élection. </p>
<p>Dès lors, le faible taux de participation est descendu jusqu’à 31,65% dans la capitale et ses environs. Il est devenu le plus important sujet de conversation aussi bien pour l'opposition que pour les observateurs nationaux et internationaux. Par contre, on a noté l’enthousiasme des électeurs dans les régions périphériques, comme à Toliara où le taux de participation a atteint 62,03 %, ou comme à Fianarantsoa, 55,06 %. </p>
<p>De plus, il faut rappeler que le taux de participation du premier tour de l’élection présidentielle en 2018 était de 53,95 %. Au second tour, qui avait marqué la victoire d'Andry Rajoelina, il n'avait atteint que de 48,09 %. Ainsi, le taux de participation <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/12/01/a-madagascar-la-reelection-andry-rajoelina-confirmee_6203341_3212.html">de 46,35 % selon les résultats définitifs</a> de l’élection du 16 novembre 2023 n’a rien de catastrophique. </p>
<p>Au lendemain du scrutin, malgré les conditions calmes du vote et ce taux de participation officiel plutôt correct, l'Organisation internationale de la francophonie (OIF)<a href="https://www.francophonie.org/elections-presidentielles-madagascar-loif-prend-acte-des-resultats-provisoires-3008">a pris une position forte en conseillant aux acteurs malgaches de privilégier la discussion et le dialogue</a>. Elle les a ainsi invités “à privilégier la concertation et le dialogue en vue de créer les conditions d’un retour à une vie politique plus apaisée, gage de la préservation de la paix, de la stabilité et du développement intégral et durable de Madagascar”.</p>
<h2>Une victoire contestée</h2>
<p>D’ores et déjà, les membres du Collectif de candidats ont déclaré qu’ils rejetaient ces résultats en bloc et qu’ils considèrent que “cette élection n’a même pas eu lieu”, selon les mots de leur porte-parole et président du parti Malagasy Miara Miainga (MMM), Hajo Andrianainarivelo. Ils réclament l'organisation d'une nouvelle élection. </p>
<p>Transparency International – Initiative Madagascar <a href="https://www.transparency.mg/communiques-de-presse/presidentielles-2023-le-triomphe-de-la-corruption-de-largent-et-de-la-complaisance-sur-la-democratie/">a accusé la communauté internationale d’être complaisante envers Andry Rajoelina</a>. Elle a cependant noté que les observateurs internationaux seraient “unanimes” en affirmant que l’élection présidentielle du 16 novembre à Madagascar s’était déroulée “sans incident majeur”. </p>
<p>L'ONG souligne aussi la position générale de la communauté internationale qu'elle considère inquiétante, selon laquelle “les quelques manquements et imperfections constatés çà et là ne peuvent remettre en cause de façon globale le bon déroulement et la crédibilité de cette élection”. </p>
<p>Ceci laisse déjà présager que la communauté internationale, dans son ensemble, ne va pas s’opposer à l’investiture d’Andry Rajoelina en tant que nouveau président se succédant à lui-même. En effet, les félicitations de la part des grandes puissances telles que les États-Unis, la Chine et l'Inde n'ont cessé de parvenir à Antananarivo dès la proclamation des résultats officiels. </p>
<p>De son côté, sans qu'il soit encore investi officiellement de ses fonctions, Andry Rajoelina s'est déjà permis de faire le déplacement à Dubai pour assister à la COP 28. Il a reçu les félicitations de ses pairs africains et arabes dont les présidents des Comores, Azali Assoumani, du Sénégal, Maki Sall, du Congo, Denis Sassou Nguesso, et des Seychelles, Wavel Ramkalawan. Cependant, la France est curieusement restée muette jusqu'à maintenant. Paris se garde bien de féliciter ou de rejeter <a href="https://information.tv5monde.com/afrique/madagascar-la-nationalite-francaise-presumee-du-president-andry-rajoelina-provoque-une">le “Français” Andry Rajoelina</a>!</p>
<p>L'après-élection s'annonce donc positif pour Andry Rajoelina sur le plan international. Mais au niveau national, des combats acharnés avec l'opposition se profilent déjà à l'horizon. En effet, au cours de son premier mandat, Andry Rajoelina (2018-2023) a déjà fait face à des attaques de la part de l'opposition, et en particulier de Marc Ravalomanana lui-même, visant à renverser son pouvoir. </p>
<p>Des associations regroupant tous les opposants ont été créées et des slogans (voire “cris de guerre”) ont été lancés. Quelques mois seulement après son investiture en janvier 2019, Andry Rajoelina devait ainsi affronter un “rodoben'ny mpanohitra” (<a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20220723-%C3%A0-madagascar-les-forces-de-l-ordre-emp%C3%AAchent-un-rassemblement-de-l-opposition">rassemblement de tous les opposants</a>), ensuite une opération <a href="https://www.madagascar-tribune.com/Affaire-Appollo-21-Des-hauts-politiciens-impliques-selon-Andry-Rajoelina.html">“Appolo 21” (une tentative d'assassinat qui impliquait des hauts responsables de son gouvernment et des ressortissants Francais)</a>, et finalement une plateforme dénommée “<a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20230202-madagascar-la-plateforme-d-opposition-c-lera-f%C3%A9d%C3%A9r%C3%A9e-par-le-rejet-du-pouvoir-avant-la-pr%C3%A9sidentielle-2023">Lera</a>” (“l'heure de renverser Andry Rajoelina est venue”). Cependant, l'une après l'autre, ces attaques ont échoué. Et au début de cette année, l'opposition n'avait plus le choix que d'affronter Andry Rajoelina dans une élection présidentielle pour tenter de le bouter hors du pouvoir. </p>
<h2>Une nouvelle phase politique</h2>
<p>Toutefois, au lieu de jouer le jeu et accepter ses règles, biaisées ou non (ce qui est encore discutable), l'opposition a misé sur la disqualification d'Andry Rajoelina lui-même et le contrôle des institutions avant l'élection et elle a perdu. </p>
<p>Aujourd'hui, malgré sa défaite électorale, l'opposition ne s'avoue pas encore vaincue. Une “cellule de crise” pour continuer la lutte est déjà mise sur pied. Les réunions et déclarations se succèdent.</p>
<p>En définitive, l'élection présidentielle de 2023 a commencé avec des batailles juridiques, politiques, et même physiques dans les rues d'Antananarivo. Elle s'est terminée dans un calme relatif avec la victoire d'Andry Rajoelina au premier tour. La question est maintenant de savoir si Andry Rajoelina parviendra à se maintenir au pouvoir pour son second mandat, ou bien si l'opposition réussira cette fois-ci à le renverser. C'est en effet comme si “les alternances, à Madadagascar, devaient toujours se faire en dehors des cadres constitutionnels”, pour <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/10/16/a-madagascar-toutes-les-alternances-se-sont-faites-en-dehors-des-regles_6194827_3212.html">paraphraser un collègue</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219105/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Adrien Ratsimbaharison does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.</span></em></p>La victoire d'Andry Rajoelina ouvre une nouvelle phase politique. Les défis persistants et les perspectives incertaines nécessitent la restauration de la confiance entre les acteurs.Adrien Ratsimbaharison, Professor of Political Science, Benedict CollegeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2158462023-10-25T16:01:45Z2023-10-25T16:01:45ZOù en est la lutte de la population iranienne un an après la mort de Mahsa Amini ?<p>Le 16 septembre 2022, à Téhéran, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/09/17/en-iran-la-mort-d-une-jeune-femme-arretee-par-la-police-des-m-urs-suscite-des-protestations_6142073_3210.html">Mahsa Jina Amini décède sous les coups de la police des mœurs</a> (<em>gasht-e-ershâd</em>) après avoir été arrêtée pour port incorrect du voile (<em>bad hedjâbi</em>). Elle devient l’étendard d’une vague de <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/iran/manifestations/4.html">protestations inédites en République islamique d’Iran</a>.</p>
<p>Ces protestations évoluent rapidement en un véritable processus révolutionnaire à travers lequel, dans plusieurs villes du pays, des femmes s’opposent au <a href="https://theconversation.com/le-controle-du-corps-des-femmes-un-enjeu-fondamental-pour-la-republique-islamique-diran-192157">port obligatoire du voile</a>. Elles sont <a href="https://theconversation.com/iran-quand-la-revolte-des-femmes-accueille-dautres-luttes-192156">rejointes par une grande partie de la population, y compris de nombreux hommes</a>. Les contestataires se battant pour leurs droits, dénoncent le régime et réclament sa fin.</p>
<p>La réponse des autorités, <a href="https://www.lepoint.fr/monde/iran-le-bilan-de-la-repression-monte-a-537-morts-depuis-septembre-04-04-2023-2514924_24.php">sanglante</a> et sans états d’âme, ne se fait pas attendre. Depuis, les arrestations, les morts et les assassinats ne se comptent plus : <a href="https://www.tf1info.fr/international/iran-un-an-apres-la-mort-de-mahsa-amini-les-chiffres-pour-comprendre-la-mobilisation-2269779.html">selon différentes sources</a>, on dénombre plus de 500 morts, dont de nombreux mineurs, et plus de 20 000 arrestations, sans compter les disparus, les « suicidés », les exécutions sous d’autres prétextes, les morts non déclarées et les personnes décédées dans les représailles visant les <a href="https://www.osar.ch/publications/news-et-recits/iran-les-minorites-ethniques-et-religieuses-sont-sous-pression">minorités ethniques et religieuses</a> s’étant jointes au mouvement général.</p>
<p>Aujourd’hui, quand le prix Nobel de la paix a été décerné à la <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/prix-nobel/le-prix-nobel-de-la-paix-est-attribue-a-la-militante-iranienne-narges-mohammadi-pour-sa-lutte-contre-l-oppression-des-femmes_6105279.html">militante emprisonnée Nargues Mohammadi</a> pour « sa lutte contre l’oppression des femmes en Iran et son combat pour promouvoir les droits humains et la liberté pour tous », et quand la France célèbre la <a href="https://www.liberation.fr/international/moyen-orient/la-chercheuse-fariba-adelkhah-de-retour-en-france-apres-quatre-annees-de-retention-en-iran-20231018_U4W2LMGZ5VBHPM6A4QTKI6YJFE/">libération de la chercheuse Fariba Adelkhah</a> après des années d’emprisonnement à Téhéran pour avoir notamment travaillé sur les femmes de ce pays où en sont la lutte des Iraniennes – et des Iraniens – et le mouvement connu sous le nom de son principal <a href="https://www.lemonde.fr/un-si-proche-orient/article/2022/10/09/femme-vie-liberte-un-slogan-qui-vient-de-loin_6145039_6116995.html">slogan « Femme, Vie, Liberté »</a> ?</p>
<h2>De la révolte des femmes à une lutte multiforme de tous les Iraniens</h2>
<p>Les Iraniennes ont été les premières à s’insurger, enlevant leur voile, le <a href="https://www.bbc.com/afrique/monde-62981497">brûlant</a> ou <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/10/18/iran-se-couper-des-meches-de-cheveux-un-geste-symbolique-qui-mobilise-les-rebelles-au-pouvoir-islamiste_6146232_3232.html">se coupant des mèches de cheveux</a>.</p>
<p>Très vite, les militantes prennent conscience que si elles sortent tête nue et contestent, elles peuvent être arrêtées, emprisonnées, torturées, <a href="https://www.bfmtv.com/international/moyen-orient/iran/iran-comment-les-forces-de-securite-utilisent-le-viol-pour-reprimer-les-protestations_AV-202211230375.html">violées</a> et, depuis peu, perdre tous leurs droits, dont ceux de travailler ou de voyager, dans la mesure où leur passeport est confisqué, leur inscription à l’université peut être suspendue ou annulée, et elles risquent de ne plus avoir accès à des services bancaires. Pourtant, rien ne les arrête.</p>
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<p>Aujourd’hui, la lutte et la résistance sont celles des Iraniens dans leur ensemble : femmes et hommes de tous bords et de toutes origines. Des femmes voilées participent aux manifestations. <a href="https://www.lefigaro.fr/international/iran-des-hommes-portent-le-voile-pour-soutenir-les-femmes-contre-la-politique-stricte-du-regime-20230314">Des jeunes hommes portent le voile</a> en signe de soutien et de solidarité avec leurs sœurs. Des <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20221207-manifestations-en-iran-cette-r%C3%A9volution-a-commenc%C3%A9-dans-les-universit%C3%A9s">grèves</a> sont organisées dans tous les secteurs, en particulier dans l’industrie pétrolière et gazière ou dans la métallurgie. Dans les régions où vivent des minorités ethniques, entre autres celles du <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/01/31/en-iran-les-kurdes-premieres-victimes-de-la-repression_6159913_3210.html">Kurdistan</a> et du <a href="https://www.rts.ch/info/monde/13465898-le-sistanbaloutchistan-province-martyre-de-la-repression-iranienne.html">Baloutchistan</a>, ignorées et abandonnées depuis longtemps par le régime, la colère ne faiblit pas.</p>
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<p>Dans ce cadre, les motivations des contestataires ne sont pas identiques : discriminations ethniques et religieuses, <a href="https://www.letemps.ch/monde/je-mets-en-vente-mon-rein-en-iran-une-crise-economique-qui-risque-d-embraser-le-pays">situation économique désastreuse</a>, inflation <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/07/24/en-iran-de-plus-en-plus-de-menages-ne-peuvent-plus-payer-leur-loyer-en-raison-de-l-inflation-galopante_6183242_3210.html">atteignant les 50 %</a>, salaires insuffisants, <a href="https://www.courrierinternational.com/dessin/dessin-du-jour-en-plein-hiver-l-iran-frappe-par-une-severe-penurie-de-gaz">pénuries de toutes sortes</a> – dont le gaz et le pétrole, dans un pays qui dispose des quatrièmes réserves mondiales de pétrole et des deuxièmes réserves de gaz, un comble… Toutes les catégories sociales se retrouvent dans un même élan contre le régime.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1635359924686561284"}"></div></p>
<h2>De la contestation ouverte à la désobéissance civile</h2>
<p>Après plus d’un an de luttes, face à la répression et probablement en raison de l’épuisement des participants, les manifestations et la résistance ont pris de nouvelles formes. Les grandes processions, en dehors du Baloutchistan et à l’exception de sursauts ponctuels partout dans le pays, ont diminué et l’opposition est devenue plus discrète et, surtout, s’est transformée en désobéissance civile.</p>
<p>En ce qui concerne les femmes, le rôle de certaines figures publiques et surtout des réseaux sociaux, qui relaient les événements dans un contexte de répression et de censure, est devenu central.</p>
<p>Des prisonnières libérées refusent de porter le voile à leur libération. C’est le cas, par exemple, de la journaliste <a href="https://www.20minutes.fr/monde/4049383-20230818-iran-journaliste-publie-nouvelle-photo-voile-sortie-prison">Nazila Maroufian</a> ou de l’actrice <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20221110-iran-au-nom-des-femmes-la-star-de-cin%C3%A9ma-taraneh-alidoosti-%C3%B4te-son-voile">Taraneh Alidousti</a>.</p>
<p>Des femmes scientifiques s’affirment également, comme Zainab Kazempour qui quitte une conférence en jetant son voile à terre, ce qui lui vaut d’être <a href="https://www.bfmtv.com/replay-emissions/le-choix-d-angele/en-iran-une-ingenieure-condamnee-a-74-coups-de-fouet-pour-avoir-jete-son-voile_VN-202309080128.html">condamnée à 74 coups de fouet</a>. Des jeunes filles chantent, dansent et se filment, toujours sans voile.</p>
<p>Des actrices prennent la parole sans voile et publient leurs photos sur les réseaux sociaux. Des sportives invitées à des compétitions à l’étranger se passent du <em>hedjâb</em>. <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/10/19/iran-elnaz-rekabi-la-grimpeuse-disparue-depuis-sa-participation-sans-voile-a-une-competition-reapparait-a-teheran_6146470_3210.html">Elnaz Rekabi</a>, championne d’escalade, grimpe lors de la finale des championnats d’Asie sans voile. La championne d’échecs <a href="https://www.liberation.fr/international/moyen-orient/apres-avoir-joue-sans-voile-la-championne-dechecs-iranienne-sara-khademalsharieh-sest-exilee-en-espagne-20230122_JOPXKFYTE5FONBQPZZU2OUYA5M/">Sara Khademalsharieh</a> apparaît tête nue lors d’un tournoi international. Exilée en Espagne peu après, elle met ses pas dans ceux de <a href="https://www.ouest-france.fr/gaming/jeux-de-societe/a-30-ans-mitra-hejazipour-est-sacree-championne-de-france-dechecs-38f0b714-4580-11ee-a014-fc15152f6424">Mitra Hejazipour</a>, qui avait quitté le pays en 2019 dans des circonstances similaires et vient d’être sacrée championne de France.</p>
<p>Un an après le début des contestations, un grand nombre de femmes continuent à braver le régime et à transgresser l’interdiction de sortir tête nue. Certaines, par prudence, préfèrent se promener en groupe car les altercations et les maltraitances sont plus compliquées que face à une femme seule.</p>
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<p>Les femmes incarcérées multiplient les messages vers l’extérieur. Récemment, <em>Le Monde</em> a publié les <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/09/08/cinq-iraniennes-ecrivent-depuis-leur-prison-nous-sommes-coupables-du-desir-de-vivre_6188463_3232.html">textes écrits et transmis clandestinement</a> par des militantes iraniennes des droits humains dont celui de Nargues Mohammadi (prix Nobel de la paix 2023, voir plus bas).</p>
<p>Enfin, des chanteurs populaires relaient le mécontentement général. <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20230827-iran-le-chanteur-mehdi-yarrahi-poursuivi-pour-avoir-contest%C3%A9-le-voile-obligatoire">Mehdi Yarrahi</a> a soutenu sur Instagram le mouvement « Femme, vie, liberté ». Son morceau « Soroode Zan » (« Hymne de la femme »), était devenu un hymne pour les manifestants, notamment dans les universités, tout comme l’avait été celui de <a href="https://csdhi.org/actualites/repression/39618-le-chanteur-iranien-shervin-hajipour-risque-la-prison-mais-remporte-un-grammy-pour-son-hymne-de-protestation/">Shervin Hajipour</a> « Baraye » (« Pour »). Finalement, la chanson « Enlève ton foulard » de Yarrahi a <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20230827-iran-le-chanteur-mehdi-yarrahi-poursuivi-pour-avoir-contest%C3%A9-le-voile-obligatoire">mené à son arrestation</a>.</p>
<h2>Une répression multiforme</h2>
<p>En parallèle, la répression n’a pas faibli, au contraire. Les tribunaux se sont mis à condamner celles qui transgressent les lois à des peines de type « rééducation morale », à travers des <a href="https://www.lejdd.fr/international/en-iran-les-femmes-refusant-le-voile-sont-condamnees-pour-trouble-mental-et-envoyees-en-psychiatrie-137590">internements psychiatriques</a>, des obligations d’assister à des séances de conseil pour « comportement antisocial » ou des <a href="https://www.smh.com.au/world/middle-east/iranian-women-forced-to-wash-corpses-for-refusing-to-wear-veil-20230809-p5dvar.html">lavages de cadavres à la morgue</a>. Les médias renchérissent en les qualifiant de dépravées sexuelles et de porteuses de « maladies sociales ».</p>
<p>Depuis septembre 2023, la répression s’est dotée d’un nouvel outil juridique : la loi <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/les-histoires-du-monde/histoires-du-monde-du-jeudi-14-septembre-2023-6669871">« <em>hedjâb</em> et chasteté »</a>, qui assimile le fait de se dévoiler à une menace pour la sécurité nationale. Des sanctions financières pour « promotion de la nudité » ou « moquerie du hedjâb » dans les médias et sur les réseaux sociaux sont prévues, ainsi que des privations importantes de droits, voire des peines d’emprisonnement du quatrième degré, soit entre cinq à dix ans.</p>
<p>Cette loi va plus loin encore en condamnant également, entre autres, à des amendes et à des interdictions de quitter le pays les propriétaires d’entreprises dont les employées ne portent pas de voile. Il va sans dire que les athlètes et les artistes et toutes les autres personnalités publiques sont visés par des interdictions de participer à des activités professionnelles et, souvent, à des amendes voire à des <a href="https://women.ncr-iran.org/fr/2022/12/22/flagellationflagellation/">flagellations</a>. Au-delà, les retombées des transgressions touchent toute la société. Ainsi, à Machhad, un grand parc aquatique, a été fermé <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/09/04/en-iran-un-parc-aquatique-ferme-pour-avoir-permis-a-des-femmes-d-entrer-sans-voile_6187777_3210.html">pour avoir laissé entrer des femmes dévoilées</a>.</p>
<p>Dans la répression généralisée, le <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/iran-des-cameras-intelligentes-pour-sanctionner-les-femmes-non-voilees-20230408">recours à l’intelligence artificielle</a> est devenu un nouvel instrument aux mains du régime. Des millions de femmes sont ainsi photographiées, puis identifiées, menacées voire arrêtées.</p>
<p>Enfin, les plus jeunes, dans les écoles et les lycées de filles – tous les établissements éducatifs sont non mixtes –, ont été nombreuses à être touchées par des <a href="https://information.tv5monde.com/terriennes/vague-dintoxications-dans-les-ecoles-en-iran-qui-veut-nuire-leducation-des-filles">attaques chimiques</a> visant à <a href="https://www.ei-ie.org/fr/item/27836:iran-les-attaques-chimiques-a-repetition-menees-contre-les-ecoles-mettent-en-evidence-la-violence-fondee-sur-le-genre-et-les-obstacles-a-leducation-des-filles">semer la terreur</a> et, probablement, à les dissuader de rejoindre le mouvement de contestation, même si le régime évoque vaguement « certains individus voulant fermer les écoles de filles ».</p>
<h2>L’octroi du prix Nobel de la paix à Nargues Mohammadi</h2>
<p>Le 15 septembre 2023, vingt ans après <a href="https://www.lejdd.fr/International/Shirin-Ebadi-une-vie-de-combat-813184-3150128">Shirin Ebadi</a>, Nargues Mohammadi <a href="https://information.tv5monde.com/terriennes/la-militante-iranienne-narges-mohammadi-fiere-de-ses-codetenues-2667765">s’est vu décerner le prix Nobel de la paix</a> pour sa lutte contre l’oppression des femmes – et pas seulement des femmes – en Iran. La lauréate se trouve derrière les barreaux, où <a href="https://actualitte.com/article/112922/international/en-iran-pres-de-11-ans-de-prison-pour-l-autrice-narges-mohammadi">elle purge une peine d’onze ans de prison</a>. Il y a peu de chances qu’au-delà de la signification symbolique, cette récompense puisse avoir des répercussions sur sa situation ou sur celle des Iraniennes en général. Téhéran a aussitôt réagi en qualifiant ce choix de <a href="https://edition.cnn.com/2023/10/06/world/nobel-peace-prize-winner-2023-intl/index.html">« politique et partial »</a> et d’acte interventionniste impliquant certains gouvernements européens. Il en est de même du <a href="https://www.letemps.ch/societe/egalite/le-prix-sakharov-recompense-mahsa-amini-et-le-mouvement-des-femmes-en-iran">prix Sakharov accordé le 19 octobre à Mahsa Amini et au mouvement « Femme vie liberté »</a>.</p>
<p>Un an après la révolte des Iraniennes et des Iraniens, aucune amélioration n’est visible. Au contraire, le gouvernement fait fi des critiques internationales et consolide ses liens à l’international, notamment <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/09/05/la-russie-livre-des-avions-a-l-armee-de-l-air-iranienne_6187893_3210.html">avec la Russie</a>, mais aussi <a href="https://theconversation.com/iran-arabie-saoudite-un-compromis-diplomatique-sous-legide-de-pekin-201828">avec l’Arabie saoudite</a>.</p>
<p>Enfin, dernièrement, les massacres perpétrés en Israël par le Hamas et dans la préparation desquels l’Iran est <a href="https://www.lopinion.fr/international/comment-liran-a-aide-le-hamas-a-attaquer-israel">largement soupçonné d’avoir été impliqué</a>, tout comme les bombardements de Gaza qui se sont ensuivis ont fait passer la situation intérieure en Iran, le prix Nobel de la paix et la question des femmes au second plan de l’attention de la communauté internationale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215846/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Firouzeh Nahavandi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>De très nombreuses Iraniennes, et de très nombreux Iraniens, continuent de défier le régime, malgré une répression impitoyable.Firouzeh Nahavandi, Professeure émérite, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2138252023-09-19T16:13:06Z2023-09-19T16:13:06ZAlexandre Loukachenko, le « cobelligérant biélorusse malgré lui »<p>Il y a à peine trois ans, en août 2020, le <a href="https://theconversation.com/belarus-le-debut-de-la-fin-pour-loukachenko-144588">régime autoritaire biélorusse d’Alexandre Loukachenko vacillait</a> sous la pression d’une vague de contestation inédite, déclenchée par l’annonce des résultats falsifiés de sa sixième élection au poste du président. Au terme de cette crise, il paraissait complètement délégitimé aux yeux de sa propre population, fragilisé d’un côté par les critiques et <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/sanctions/restrictive-measures-against-belarus/belarus-timeline/">l’accumulation des sanctions des pays occidentaux</a>, de l’autre par les pressions d’une Russie qui <a href="https://www.liberation.fr/planete/2020/09/08/pour-se-maintenir-loukachenko-se-met-dans-la-main-de-moscou_1798929/">cherchait plus que jamais à le vassaliser</a>.</p>
<p>Et pourtant, en cet automne 2023, il trône toujours dans son palais présidentiel, s’affichant serein et décontracté. Il vient de battre tous les records de longévité au poste de président dans l’espace post-soviétique, y compris celui de l’ancien leader kazakhstanais Noursoultan Nazarbaïev, resté au pouvoir 29 ans. Loukachenko pourrait fêter l’été prochain ses 30 ans à la tête de la Biélorussie.</p>
<p>Comment a-t-il réussi à se maintenir face à la fronde d’une grande partie de sa population et dans un contexte régional hautement instable, bouleversé par la guerre en Ukraine dont il est devenu, à son corps défendant, un <a href="https://theses.hal.science/CEMMC/hal-04088028v1">cobelligérant aux côtés de la Russie de Vladimir Poutine</a> ?</p>
<h2>Le subterfuge de la réforme constitutionnelle de 2022</h2>
<p>Sous l’influence et l’insistance russes, l’idée d’une réforme constitutionnelle avait été évoquée depuis la fin 2020 comme un moyen de restaurer la légitimité, fortement érodée, du régime biélorusse.</p>
<p>Le projet de modifications constitutionnelles a été publié le 27 décembre 2021 et, au terme d’un simulacre de consultation populaire, le texte définitif a été approuvé par référendum le 27 février 2022, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/02/28/bielorussie-les-pouvoirs-du-president-loukachenko-renforces-a-l-issue-d-un-referendum_6115490_3210.html">avec un score soviétique de 82,9 %</a>.</p>
<p>L’un des éléments clés de cette réforme consistait à inscrire dans la constitution l’existence de l’Assemblée populaire panbiélorusse (VNS). Cet organe extra-constitutionnel avait été créé par Loukachenko en 1996 au moment de la <a href="https://www.nytimes.com/1996/11/22/opinion/the-crisis-in-belarus.html">crise institutionnelle qui l’avait opposé à l’époque au Parlement</a>. Le rôle principal de la VNS consistait à donner l’apparence d’un large soutien populaire au président, et c’est dans cet objectif qu’elle a été <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20210210-bi%C3%A9lorussie-loukachenko-r%C3%A9unit-son-assembl%C3%A9e-populaire-pan-bi%C3%A9lorusse-sans-l-opposition">convoquée en février 2021</a>.</p>
<p>La réforme constitutionnelle a doté la VNS de compétences élargies. Des rumeurs insistantes ont annoncé que Loukachenko pourrait en prendre la tête, abandonnant alors le poste de président afin d’éviter les aléas d’une septième élection. Selon certains experts, <a href="https://www.bbc.com/russian/news-59803171">ce scénario de transfert du pouvoir aurait été soutenu, voire imposé, par la Russie</a> dans l’espoir de pousser Loukachenko à prendre une forme de retraite politique et de mettre en place un successeur plus docile et plus conciliant.</p>
<p>Mais le 24 février, quatre jours avant le référendum biélorusse, la Russie lançait son invasion de l’Ukraine. Le scénario du transfert du pouvoir est immédiatement devenu nettement moins probable, la légitimité et la succession de Loukachenko passant au dernier plan des préoccupations du Kremlin.</p>
<p>Par ailleurs, dans ce nouveau contexte géopolitique, l’opposition en exil, cantonnée de l’autre côté du <a href="https://theconversation.com/la-bielorussie-detat-pivot-a-nouveau-rideau-de-fer-en-europe-165454">rideau de fer</a> ne dispose pas de leviers pour susciter une forte mobilisation contestataire dans le pays. In fine, rien ne semble pouvoir empêcher Loukachenko, 69 ans, de se présenter encore, en 2025 puis en 2030, pour deux nouveaux mandats présidentiels successifs. Leur limitation (non rétroactive) était une autre innovation constitutionnelle, à l’image de la fameuse <a href="https://theconversation.com/russie-les-faux-semblants-du-scrutin-constitutionnel-142106">« remise des compteurs à zéro » utilisée en 2020 par son homologue Poutine</a>. Sur le fond, son pouvoir n’a pas été remis en question par cette réforme, en dépit de nombreuses modifications qui ont revêtu en grande partie un caractère purement décoratif.</p>
<h2>L’affaiblissement du potentiel contestataire à l’intérieur du pays</h2>
<p>La <a href="https://www.liberation.fr/international/europe/au-belarus-la-repression-a-atteint-un-niveau-de-folie-totale-20221121_GRLBJIS3BVCVFOH6RN554JYL7U/">répression tous azimuts</a> lancée à l’automne 2020 s’est poursuivie au cours des années suivantes. L’objectif est non seulement d’étouffer l’expression de la contestation dans l’espace public, mais d’éradiquer autant que possible toute velléité de contestation tout court.</p>
<p>Selon l’ONG de défense des droits humains <em>Viasna</em>, dont le fondateur Ales Bialiatski, prix Nobel de la paix 2022, <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20230303-bi%C3%A9lorussie-le-prix-nobel-de-la-paix-ales-bialiatski-condamn%C3%A9-%C3%A0-10-ans-de-prison">est en prison pour encore de longues années</a>, plus de 4 000 personnes ont fait l’objet de poursuites pour des motifs politiques depuis 2020 et le nombre de prisonniers politiques a atteint le chiffre record de <a href="https://spring96.org/ru/news/111731">2 291 personnes en mai 2023</a>. Il était estimé à <a href="https://www.rfi.fr/ru/%D0%B5%D0%B2%D1%80%D0%BE%D0%BF%D0%B0/20230424-%D0%B2-%D0%B1%D0%B5%D0%BB%D0%B0%D1%80%D1%83%D1%81%D0%B8-%D0%BD%D0%B5-%D0%BC%D0%B5%D0%BD%D0%B5%D0%B5-5-%D1%82%D1%8B%D1%81%D1%8F%D1%87-%D0%BF%D0%BE%D0%BB%D0%B8%D1%82%D0%B7%D0%B0%D0%BA%D0%BB%D1%8E%D1%87%D0%B5%D0%BD%D0%BD%D1%8B%D1%85-%D0%B4%D0%BE-%D1%81%D0%B2%D0%BE%D0%B1%D0%BE%D0%B4%D1%8B-%D1%81 %D0 %BC %D0 %BE %D0 %B3 %D1 %83 %D1 %82- %D0 %B4 %D0 %BE %D0 %B6 %D0 %B8 %D1 %82 %D1 %8C- %D0 %BD %D0 %B5- %D0 %B2 %D1 %81 %D0 %B5">presque 5 000 par les représentants de l’opposition en exil</a>.</p>
<p>En mars 2023, plusieurs modifications ont été apportées au code pénal, notamment aux articles concernant le sabotage, la haute trahison ou la diffamation des forces armées. Le nombre de chefs d’accusation passibles de la peine de mort a été élargi, ce qui rend pratiquement impossible l’expression non seulement de la moindre contestation vis-à-vis du régime politique, mais également de toute critique à l’égard du soutien apporté par les autorités biélorusses à la Russie dans la guerre en Ukraine.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/alexandre-loukachenko-un-dictateur-vassal-de-vladimir-poutine-dans-la-guerre-en-ukraine-179639">Alexandre Loukachenko, un dictateur vassal de Vladimir Poutine dans la guerre en Ukraine</a>
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<p>Par ailleurs, le 5 janvier 2023, Loukachenko a approuvé les modifications de la loi sur la citoyenneté, qui prévoit dorénavant la possibilité de déchoir de sa citoyenneté toute personne qui se trouve à l’étranger en cas de condamnation pour « activités extrémistes » ou pour « atteinte grave aux intérêts du pays ». Le 6 mars 2023, plusieurs leaders de l’opposition en exil ont été condamnés par contumace par le tribunal de la ville de Minsk pour extrémisme et tentative de prise du pouvoir par des moyens anticonstitutionnels. Ainsi, <a href="https://spring96.org/en/news/110987">Svetlana Tikhanovskaïa, la candidate de l’opposition à la présidentielle de 2020, et Pavel Latouchko, ancien diplomate et ministre de la Culture</a>, ont été respectivement condamnés à 15 et 18 ans de prison, et pourraient donc être déchus de leur nationalité biélorusse.</p>
<p>En revanche, Roman Protassevitch, dont <a href="https://theconversation.com/le-coup-de-force-de-loukachenko-souligne-limpuissance-de-lue-161597">l’arrestation suite à l’atterrissage forcé de l’avion Ryanair en juin 2021</a> a ébranlé la chronique internationale et conduit au blocage de l’espace aérien biélorusse et au durcissement des sanctions, a été <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/05/22/la-bielorussie-gracie-le-journaliste-roman-protassevitch_6174364_3210.html">gracié</a> et libéré en mai 2023 après avoir fait, sans doute suite à de fortes pressions, un <em>mea culpa</em> public et vanté les « qualités exceptionnelles » de Loukachenko.</p>
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<p>La poursuite des répressions et le début de la guerre en Ukraine ont poussé de nombreux Biélorusses, essentiellement des jeunes entre 20 et 40 ans ayant un bon niveau d’éducation, à <a href="https://www.ohchr.org/en/press-releases/2022/10/belarus-crackdown-rights-forcing-citizens-flee-says-un-expert">émigrer en Pologne, dans les pays baltes et en Géorgie</a>.</p>
<p>Entre 300 000 et 400 000 personnes auraient quitté le pays depuis fin 2020. Cette nouvelle vague d’émigration est la plus importante dans l’histoire de la Biélorussie contemporaine. L’une de ses conséquences immédiates est l’affaiblissement du potentiel contestataire de la société à l’intérieur du pays. Néanmoins, à moyen et long terme, elle pourrait renforcer les capacités de la diaspora biélorusse, politiquement active et déterminée à voir son pays changer.</p>
<p>On a également constaté la radicalisation d’une partie des jeunes Biélorusses, avec la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/05/03/pour-les-volontaires-du-bataillon-kastous-kalinowski-la-bielorussie-ne-sera-jamais-libre-si-l-ukraine-ne-l-est-pas_6124560_3210.html">création des bataillons <em>Pahonia</em> et <em>Kastus Kalinouski</em></a>. Ce dernier, estimé à mille hommes, se compose de volontaires qui se battent au sein de l’armée ukrainienne. Ses leaders envisagent ouvertement le recours aux armes pour <a href="https://www.youtube.com/watch?v=sD92SIdQ0QkoulachaineTelegramdeDenisProkhorov%C2%ABKit/Cachalot%C2%BB">renverser le régime d’Alexandre Loukachenko le moment venu</a>.</p>
<h2>L’art de l’ambiguïté face à la guerre en Ukraine</h2>
<p>Début 2022, Loukachenko semblait s’accommoder du statut de leader d’un pays aux avant-postes du nouveau « rideau de fer », bien à l’abri de l’opposition en exil, des critiques et des sanctions occidentales grâce au parapluie sécuritaire russe.</p>
<p>En revanche, en contrepartie du soutien de Moscou, il a dû faire de nombreuses concessions et négocier âprement avec Poutine tout au long de l’année 2021 sur l’approfondissement de l’intégration dans le cadre de <a href="https://www.geo.fr/geopolitique/la-russie-veut-elle-prendre-le-controle-total-de-la-bielorussie-213663">l’État de l’Union Russie-Biélorussie</a>. Le début de la guerre en Ukraine a confirmé la perte de toute autonomie stratégique de Loukachenko, qui n’a eu aucune possibilité de peser sur les choix militaires russes. Il ne pouvait qu’emboîter le pas à Poutine, fournir un soutien logistique à l’armée russe et lui laisser la liberté d’utiliser son territoire en vertu de son statut de l’allié.</p>
<p>Il a toutefois contesté avec véhémence le statut de cobelligérant qui lui a été attribué par les pays occidentaux, mettant en avant le fait qu’il a toujours refusé d’envoyer ses troupes en renfort à la Russie.</p>
<p>D’après lui, il s’est positionné dès le début en faveur d’une résolution rapide du conflit, en proposant d’accueillir les négociations sur le territoire biélorusse, tournant en ridicule les tentatives de déplacer celles-ci en Turquie ou en Arabie saoudite et feignant de ne pas comprendre la décision des dirigeants ukrainiens de trouver un terrain de négociations plus neutre et plus éloigné de la zone du conflit.</p>
<p>Il a récemment évoqué l’idée de la nécessité d’envisager des concessions de la part des deux belligérants, réaffirmé l’urgence de trouver une solution rapide pour mettre fin à la guerre et même commencer à songer à une réconciliation russo-ukranienne. Mais dans le même temps, il continue d’affirmer que la Biélorussie est un « bouclier » qui protège le flanc occidental de la Russie en cas d’attaque des troupes de l’OTAN, et a fait planer une menace palpable sur les pays voisins, en particulier en accueillant de manière ostensible les armes nucléaires russes sur son territoire (ce qu’autorisent les changements apportés à la constitution en février 2022).</p>
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<p>Le déclenchement de la guerre en Ukraine a <a href="https://politiqueinternationale.com/revue/n179/article/bielorussie-la-base-arriere">accru l’importance de la Biélorussie aux yeux du Kremlin</a>. En échange de la « vassalisation » stratégique de la Biélorussie concédé par Loukachenko, le gouvernement russe a accepté de repousser les termes du remboursement de plus de 1 milliard de dollars de dettes biélorusses. En octobre 2022, il a accordé un nouveau crédit de 1,5 milliard de dollars, qui s’est ajouté au 1,5 milliard attribué deux ans plus tôt, au lendemain de la crise politique.</p>
<p>Moscou a soigneusement évité d’augmenter les tarifs sur ses ressources énergétiques et il n’est plus question de limiter l’accès des produits biélorusses agro-alimentaires à son marché. La Russie a également renforcé son aide logistique pour permettre l’acheminement via son territoire des exportations biélorusses vers les pays qui n’appliquent pas des sanctions, notamment la Chine, un acheminement devenu impossible via les pays baltes ou l’Ukraine à cause des sanctions. Une aide a été également promise pour la modernisation des équipements militaires biélorusses, ce que Loukachenko avait auparavant réclamé sans succès.</p>
<p>Lors de sa <a href="https://fr.euronews.com/2022/12/19/poutine-prone-un-renforcement-des-liens-militaires-avec-le-belarus">visite surprise à Minsk le 19 décembre 2022</a>, Poutine s’est dit très satisfait de la coopération sécuritaire entre les deux pays. Quant à Loukachenko, il s’est félicité à l’issue de cette rencontre d’avoir obtenu les concessions économiques, notamment <a href="https://www.belta.by/president/view/lukashenko-my-udovletvoreny-rezultatami-obsuzhdenija-edinogo-rynka-gaza-i-tsen-na-blizhajshie-tri-goda-540916-2022/">l’assurance du maintien des tarifs préférentiels du gaz</a>. <em>In fine</em>, il est resté fidèle à sa stratégie de marchandage des avantages économiques russes en échange de sa loyauté géopolitique. Par ailleurs, il a endossé avec enthousiasme un rôle de médiateur pour rendre service à Poutine et <a href="https://www.huffingtonpost.fr/international/article/rebellion-de-wagner-loukachenko-mediateur-entre-poutine-et-prigojine-pour-le-meilleur-et-pour-le-pire_219808.html">l’aider à régler le fâcheux épisode de la mutinerie de Wagner en juin 2023</a>, puis accueillir Evguéni Prigojine et le reste de ses troupes en Biélorussie, et dont le sort reste incertain <a href="https://theconversation.com/disparition-de-prigojine-quelles-consequences-pour-les-ultra-nationalistes-russes-212404">après la mort de Prigojine</a>.</p>
<p>Finalement, depuis le début de la guerre en Ukraine ; Loukachenko a su habilement mettre à profit l’instabilité régionale pour ne plus être inquiété ni par l’opposition biélorusse en exil, ni par les pressions russes sur son éventuelle succession. Sur fond d’érosion de la souveraineté biélorusse, il a réussi à consolider son propre pouvoir. Près de trente ans après avoir pris les rênes du pays, il ne semble pas proche de la sortie…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213825/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olga Gille-Belova ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le dictateur biélorusse, au pouvoir depuis presque 30 ans, est devenu un vassal de Vladimir Poutine, mais cherche à éviter d’être entièrement entraîné dans la guerre.Olga Gille-Belova, Maître de conférences au Département d'Études slaves, Université Bordeaux MontaigneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2094152023-07-23T15:13:05Z2023-07-23T15:13:05ZLes mouvements écologistes et l’État : itinéraire d’une rupture<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/537002/original/file-20230712-15-qud6am.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C0%2C5419%2C3621&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des manifestants se protègent derrière des boucliers de fortune lors d'affrontements avec des gendarmes à Sainte-Soline, pendant une manifestation contre les méga-bassines, le 25 mars 2023. </span> <span class="attribution"><span class="source">Pascal Lachenaud / AFP</span></span></figcaption></figure><p>Ils et elles avaient fondé leurs espoirs sur leur capacité à pousser les États à agir à la hauteur de leurs ambitions climatiques. Près de cinq ans après les marches massives pour le climat, leurs espoirs ont été balayés. Pour les militant·e·s écologistes, la <a href="https://theconversation.com/comment-les-soulevements-de-la-terre-federent-une-nouvelle-ecologie-radicale-et-sociale-204355">dissolution des Soulèvements de la Terre</a> en France et la promulgation de lois répressives en réaction aux <a href="https://www.amnesty.org.uk/blogs/campaigns-blog/public-order-bill-explained">actions de désobéissance civile au Royaume-Uni</a> marquent un tournant important.</p>
<p>De l’enthousiasme des débuts à l’expérience de leur criminalisation, comment les rapports à l’État des mouvements et des militant·e·s écologistes engagés dans la désobéissance civile ont-ils évolué ? L’observation des cas français et britannique montre des convergences.</p>
<h2>Un « retour » optimiste à l’État</h2>
<p>Les marches pour le climat et les actions de désobéissance civile <a href="https://www.theguardian.com/environment/2019/sep/21/across-the-globe-millions-join-biggest-climate-protest-ever">émergent en 2018/2019</a>, à mi-chemin entre le militantisme institutionnel transnational des ONG et la radicalité de certaines luttes locales. En déployant des actions médiatiques (<a href="https://www.bbc.com/news/uk-england-london-47935416">blocage de routes, occupation de ponts, enchaînement à des bâtiments</a>) dans les grandes capitales européennes, ces mouvements ont fait le choix de revenir explicitement à l’État.</p>
<p>Dans une tradition de désobéissance civile de <a href="https://hal.science/hal-01613874">type libérale</a>, l’objectif n’est pas de renverser le système politique mais d’inciter les gouvernements à agir pour respecter des objectifs de réduction d’émissions qu’ils se sont eux-mêmes fixés.</p>
<p>L’usage de modes d’action illégaux s’explique alors avant tout par l’incapacité de la démocratie représentative à répondre à ces demandes.</p>
<p>Elle s’inscrit également dans une critique de l’institutionnalisation des ONG. Contrairement à ces dernières <a href="https://www.persee.fr/doc/reso_0751-7971_1999_num_17_98_2183">qui recourent à des activistes professionnels</a>, les mouvements tels <a href="https://theconversation.com/extinction-rebellion-pourquoi-je-mengage-dans-laction-non-violente-contre-le-changement-climatique-107337">Extinction Rebellion</a> optent pour une désobéissance civile de « masse » qui consiste à occuper l’espace public avec un grand nombre d’activistes, comme ce fut le cas lors des blocages de ponts organisés pendant plusieurs jours à Londres, en avril 2019. La pression sur le gouvernement est toutefois envisagée de manière essentiellement symbolique, mue par la volonté d’acquérir le soutien de l’opinion publique et de susciter une réaction policière mesurée.</p>
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<figcaption><span class="caption">Blocage du pont de Waterloo par des militants d’Extinction Rebellion.</span></figcaption>
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<p>Cette stratégie semble avoir initialement répondu à l’enthousiasme des militant·e·s puisque le parlement britannique a voté, fin avril 2019, une <a href="https://www.bbc.com/news/uk-politics-48126677">motion déclarant « l’urgence climatique »</a>. De même, l’annonce de la <a href="https://theconversation.com/debat-la-convention-citoyenne-pour-le-climat-et-apres-141891">Convention Citoyenne pour le Climat</a> en France, si elle résulte avant tout de la crise des gilets jaunes, a été perçue comme un signe encourageant par <a href="https://theconversation.com/extinction-rebellion-a-la-clusaz-quand-la-zad-gagne-la-montagne-174358">Extinction Rebellion</a> qui achevait alors une phase d’actions à Paris et en avait fait une priorité.</p>
<h2>Les désillusions post-Covid</h2>
<p>La crise sanitaire et les mesures de confinement du printemps 2020 stoppent net la dynamique enclenchée comme le montrent les <a href="https://youtu.be/7cDCMn1a-VE?t=304">enquêtes de terrain</a> : les effectifs militants s’effondrent, de nombreux groupes locaux disparaissent faute de volontaires. Ils doivent aussi faire face au désintérêt des médias (l’effet de nouveauté s’est dissipé) ainsi qu’à l’adaptation des stratégies policières (le démantèlement des blocages est désormais facilité par la mobilisation d’équipes spécialisées). L’épisode du Covid conforte toutefois les militant·e·s dans leur conviction que les États demeurent un outil d’intervention puissant dans la société et l’économie.</p>
<p>L’enterrement des ambitions de la <a href="https://theconversation.com/comment-rendre-les-conventions-citoyennes-pour-le-climat-encore-plus-democratiques-201521">Convention Citoyenne pour le Climat</a> en France, l’absence d’avancées concrètes lors de la <a href="https://theconversation.com/que-retenir-de-la-cop26-171796">COP26 de Glasgow</a> et la succession de <a href="https://www.theguardian.com/environment/2022/oct/10/rspb-not-ruling-out-direct-action-to-defend-nature-from-government-policy">décisions néfastes à l’environnement</a> émanant des gouvernements conservateurs au Royaume-Uni douchent les espoirs d’un tournant écologiste post-Covid.</p>
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<p>Le diagnostic des militant·e·s évolue progressivement : initialement optimistes quant à leur capacité à rallier une opinion publique et des responsables politiques qu’ils jugent insuffisamment informés, ils focalisent désormais leur attention sur les intérêts économiques et les lobbys qui sous-tendent l’inaction climatique.</p>
<h2>Un changement de stratégie</h2>
<p>Dans ce contexte, les mouvements écologistes empruntent des trajectoires différentes des deux côtés de la Manche. Au Royaume-Uni, des militant·e·s d’Extinction Rebellion déçus par l’apathie de leur mouvement se fédèrent pour donner naissance à <a href="https://www.bbc.co.uk/news/uk-58916326">Insulate Britain</a> puis à <a href="https://www.bbc.com/news/uk-63543307">Just Stop Oil</a>. Ces mouvements adoptent une même stratégie : se concentrer sur une cible (le gouvernement) et une demande (la rénovation thermique des bâtiments puis l’arrêt des licences accordées aux projets d’extraction pétroliers et gaziers). Les modes d’action employés cherchent à choquer sans se préoccuper d’avoir le soutien majoritaire de l’opinion publique : <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Rewp2EXSL9k&pp=ygURanVzdCBzdG9wIG9pbCBtMjU%3D">blocage de routes</a>, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=0fKGIimgW1Q&pp=ygUaanVzdCBzdG9wIG9pbCBwb29sIHNub29rZXI%3D">interruption d’événements sportifs</a>, <a href="https://theconversation.com/scandale-s-au-musee-une-affaire-ancienne-192915">profanations symboliques</a> d’œuvres d’art…</p>
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<figcaption><span class="caption">Des militants d’Extinction Rebellion jettent de la soupe sur une toile de Van Gogh, interrogeant : l’atteinte à l’art nous scandaliserait plus que celle au vivant ?</span></figcaption>
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<p>En France, le renouveau vient surtout des <a href="https://theconversation.com/sainte-soline-un-tournant-pour-les-mouvements-ecologistes-203304">Soulèvements de la Terre</a>. Ces derniers opèrent une convergence entre le militantisme local et direct des <a href="https://theconversation.com/les-zad-et-leurs-mondes-89992">Zones à défendre</a> (ZAD) et le caractère national et épisodique des mouvements de désobéissance civile. Ces mobilisations se déploient sur des terrains différents : dans la capitale, Londres, pour Just Stop Oil ; sur le lieu des projets contestés pour les Soulèvements de la Terre. Elles ont pour dénominateur commun de cibler des points névralgiques de l’inaction climatique des États : la <a href="https://www.carbonbrief.org/renewable-energy-grows-but-uk-still-mostly-dependent-on-fossil-fuels/">dépendance aux énergies fossiles</a> dans le cas britannique, le soutien actif à des modèles d’<a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/11/24/les-megabassines-sont-le-symbole-d-un-modele-nefaste-aux-paysans-et-a-nos-territoires-l-agriculture-productiviste_6103372_3232.html">agriculture et d’aménagement productivistes</a> en France.</p>
<h2>Expérimenter la répression</h2>
<p>Depuis qu’ils ont affiné leurs cibles et leurs méthodes, les mouvements écologistes de désobéissance civile font l’objet d’une forte répression. Au Royaume-Uni, celle-ci se traduit par une restriction des libertés de manifester au travers de lois établissant des <a href="https://netpol.org/2023/05/18/explainer-the-public-order-act-2023/">seuils très stricts pour interdire un rassemblement</a> (un niveau sonore jugé trop important, par exemple, ou une perturbation, même minime, de la circulation). </p>
<p>Ce durcissement législatif <a href="https://www.ohchr.org/en/press-releases/2023/04/un-human-rights-chief-urges-uk-reverse-deeply-troubling-public-order-bill">pointé du doigt par les Nations unies</a> coïncide avec une multiplication des procès contre des militant·e·s. Ces derniers aboutissent à de lourdes condamnations pénales (des <a href="https://www.theguardian.com/environment/2023/apr/21/just-stop-oil-protesters-jailed-for-dartford-crossing-protest">mois voire des années de prison</a> dans les cas les plus graves) ainsi qu’à des procédures très onéreuses pour les militants (à la hauteur de plusieurs centaines, voire milliers d’euros) lorsqu’ils sont <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2023/jun/29/punishment-without-trial-britain-civil-injunctions-climate-activists">poursuivis par des entreprises</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1669372419885154304"}"></div></p>
<p>En France, ce tournant répressif s’est illustré récemment par des interventions policières brutales qui, depuis l’épisode de <a href="https://theconversation.com/sainte-soline-un-tournant-pour-les-mouvements-ecologistes-203304">Sainte-Soline</a> (également mentionné dans un <a href="https://www.ohchr.org/fr/press-releases/2023/06/france-must-respect-and-promote-right-peaceful-protest-un-experts">avertissement des Nations unies</a>), ne se limitent plus aux ZAD. Quelques mois avant la dissolution des Soulèvements de la Terre pour « agissements violents à l’encontre des personnes et des biens », le préfet de la Vienne avait demandé de retirer les financements de la mairie de Poitiers à <a href="https://alternatiba.eu">Alternatiba</a>, une organisation de désobéissance civile. <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/nouvelle-aquitaine/vienne/poitiers/desobeissance-civile-suite-au-maintien-des-subventions-le-prefet-de-la-vienne-porte-l-affaire-devant-le-tribunal-administratif-2645188.html">En application du « contrat d’engagement républicain »</a>, la préfecture pointait le risque de trouble à l’ordre public. Ainsi, tout mouvement doit considérer qu’il est désormais dans le viseur des autorités.</p>
<p>Ce tournant répressif met à mal les <a href="https://hal.science/hal-01613874">stratégies libérales de désobéissance civile</a> fondées sur l’exercice d’une pression symbolique et le ralliement de l’opinion publique. Il encourage une approche plus offensive : agir directement pour mettre un terme aux atteintes à l’environnement, d’où la popularité du livre d’Andreas Malm, <a href="https://lafabrique.fr/comment-saboter-un-pipeline/"><em>Comment saboter un pipeline</em></a>. On ignore encore dans quelle mesure les mouvements écologistes emprunteront cette voie, mais il est clair que pour ses membres, l’action étatique représente de moins en moins un horizon de transformation réaliste et désirable. Tant que les gouvernements continueront à privilégier la répression à l’action climatique, il est fort probable que cette vision désenchantée gagne du terrain au-delà des seules militant·e·s.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209415/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lucien Thabourey ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Il y a quatre ans, Greta Thunberg était reçue à bras ouverts en Europe. Aujourd’hui, les militants écologistes sont qualifiés d’« éco-terroristes ». Comment en est-on arrivé là ?Lucien Thabourey, Sociologie du militantisme écologiste, Centre d'études européennes et de politique comparée, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2092392023-07-12T15:41:06Z2023-07-12T15:41:06ZÉmeutes : au-delà des éclats, le reflet de vies brutalisées<p>Combien de fois le feu ? Inspirée du célèbre essai publié par l’écrivain afro-américain <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782072786204-la-prochaine-fois-le-feu-james-baldwin/">James Baldwin</a> il y a tout juste soixante ans, la question résonne avec un contexte social tendu, suite au contrôle de police qui, le mardi 27 juin 2023, s’est avéré fatal pour Nahel M., 17 ans.</p>
<p>Les récentes interpellations, tout comme les blessures infligées aux manifestants de la marche parisienne du samedi 8 juillet – où l’un des frères d’Adama Traoré, Yssoufou, <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/07/09/marche-pour-adama-traore-questions-autour-de-l-intervention-de-la-brav-m-en-fin-de-manifestation_6181219_3224.html">a été violemment plaqué au sol par des policiers de la Brav-M</a> – témoignent de cet <a href="https://theconversation.com/comment-la-mort-de-nahel-m-enflamme-une-republique-deja-sur-des-braises-208894">embrasement généralisé</a> que l’État semble avoir du mal à contenir.</p>
<p>Plus profondément, la brutalité reprochée aux populations insubordonnées, régulièrement discréditées par celles et ceux qui représentent nos institutions – qu’il s’agisse de la fin de non-recevoir opposée aux gilets jaunes, ou aux « émeutiers » de début juillet –, interroge la façon dont les accusations de violence peuvent apparaître à sens unique dans le discours public ; car tout se passe comme s’il s’agissait de disqualifier <a href="https://www.cairn.info/revue-espaces-et-societes-2017-4-page-7.htm">« les marges »</a> de la société, un processus bien documenté par les sciences sociales et que j’explore <a href="https://www.researchgate.net/profile/Jerome-Beauchez">dans mes travaux</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/prends-moi-un-yop-labsurde-au-coeur-des-emeutes-208958">« Prends-moi un Yop » : l’absurde au cœur des émeutes</a>
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<h2>Identifier les violences</h2>
<p>De quelle violence parle-t-on ? Plutôt que de celles commises à l’encontre de Nahel M., jusqu’au tir fatal, en tant que violence originelle, nombre de discours publics – à commencer par celui du <a href="https://www.brut.media/fr/news/mort-de-nahel-emmanuel-macron-condamne-une-situation-inacceptable--4f388f7c-a14f-4ab3-b9bd-b7e8694ea576">Président Macron</a> – se concentrent sur la violence des émeutiers, qualifiée d’inacceptable et d’injustifiable.</p>
<p>C’est à la fois une manière de réaffirmer que l’État détient le « monopole de la violence légitime » – selon la célèbre formule du sociologue Max Weber que nos politiques ont pris l’habitude de <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/la-violence-legitime-de-l-etat-de-max-weber-8101512">détourner</a> – et une façon d’écarter la colère des banlieues de la sphère des légitimités.</p>
<p>Réinterroger cette colère et ses manifestations juvéniles pourrait cependant amener à les voir autrement : sous l’angle des <a href="http://editions.ehess.fr/ouvrages/ouvrage/lempreinte-du-poing/">« vies brutalisées »</a> et des « violences-reflets » dont nous ne percevons que trop souvent les effets sans identifier leurs causes.</p>
<p>J’ai forgé ces <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/00380261211029456">concepts</a> en menant des recherches auprès de <a href="https://www.jstor.org/stable/24469650">différents groupes marginalisés</a>, qui ont tous en commun d’être ou d’avoir été traités en <a href="http://www.editionsamsterdam.fr/les-sauvages-de-la-civilisation">« sauvages de la civilisation »</a> par une grande part de l’opinion, comme par nos institutions.</p>
<h2>Des imbrications intimes</h2>
<p>Les vies brutalisées comportent deux aspects intimement liés. L’un est subi, l’autre agi. Tout d’abord, ces vies font l’objet d’une brutalisation continue par les <a href="https://theconversation.com/quartiers-populaires-40-ans-de-deni-209008">effets des conditions sociales d’existence</a>, des disqualifications socio-économiques et des ségrégations spatiales aussi bien que socioraciales.</p>
<p>Ensuite, ces vies incarnent tant et si bien ce continuum de brutalités qu’elles en deviennent un instrument, potentiellement aussi violent que le contexte social qui l’a forgé. L’éclat des émeutes n’est jamais qu’un exemple de ces brutalités qui, sans être excusables, restent explicables par la violence d’une situation sociale dont elles sont le triste prolongement.</p>
<p>C’est précisément là qu’entrent en jeu les « violences-reflets ». Elles sont à l’image des brutalités originelles dont elles masquent toutefois la source aux yeux du plus grand nombre ; comme c’est le cas pour le décès de Nahel M. et la révolte qui a suivi ce drame. Cette dernière éclate comme une violence-reflet, c’est-à-dire une violence réactive qui, aussi inexcusable et inacceptable soit-elle du point de vue des autorités, reflète la brutalité que nombre de jeunes hommes banlieusards et racisés reprochent à la police française.</p>
<p>Les pouvoirs publics n’ont pas la même perspective sur le sujet. Pour voir les émeutes comme une violence-reflet, encore faudrait-il qu’ils reconnaissent leur <a href="https://theconversation.com/les-mots-choisis-du-ministre-de-linterieur-pour-une-strategie-tres-politique-203513">propre brutalité</a> à l’égard de certains groupes aussi minorisés que ségrégués et repoussés hors de la <a href="https://theconversation.com/comment-la-mort-de-nahel-m-enflamme-une-republique-deja-sur-des-braises-208894">sphère des légitimités</a>.</p>
<p>En effet, les moyens (auto) destructeurs dont usent les jeunes qui laissent éclater leur rage – en s’en prenant à leurs propres quartiers, comme aux biens publics ou privés – disqualifient jusqu’aux motifs de leurs actions. Ainsi le <a href="https://www.lexpress.fr/societe/emeutes-macron-denonce-une-instrumentalisation-inacceptable-de-la-mort-de-nahel-RZWOZHIQONCJDMJSTQTMS3UEP4/">Président Macron</a> a-t-il pu les accuser d’« instrumentaliser » la mort de Nahel M. « pour essayer de créer le désordre et d’attaquer nos institutions », ajoutant que ces fauteurs de troubles « portent de fait une responsabilité accablante ».</p>
<h2>Que reste-t-il de la cohésion du corps social ?</h2>
<p>Quid de notre responsabilité en tant que société ? Cette question n’a pas été posée par le président de la République ; et ce n’est pas tant la mienne que celle d’<a href="https://www.puf.com/content/De_la_division_du_travail_social">Émile Durkheim</a>. Dans la perspective de ce fondateur de la sociologie en France, l’« intégration » de la société renvoyait à la cohésion du corps social, suffisamment forte pour être capable d’offrir une place et un rôle à toutes et tous.</p>
<p>Comme l’ont fait remarquer les sociologues Ahmed Boubeker et Olivier Noël dès 2013 dans un <a href="https://www.vie-publique.fr/rapport/33625-refonder-la-politique-dintegration-groupe-de-travail-faire-societe">rapport</a> rendu au Premier ministre Jean-Marc Ayrault (Parti socialiste), cette conception englobante n’a pas grand-chose de commun avec la conception culpabilisante de l’intégration qui pointe du doigt les groupes jugés par trop éloignés du foyer central de notre société.</p>
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<p>S’ensuit une dialectique destructrice du centre et des périphéries urbaines délaissées par une puissance publique qui a concentré dans ces quartiers les familles issues des immigrations les plus récentes. Le problème est connu depuis plus de quarante ans. Les sociologues l’ont abondamment documenté, depuis les premières enquêtes menées par l’équipe de <a href="https://www.fayard.fr/sciences-humaines/la-galere-jeunes-en-survie-9782213019048">François Dubet</a> jusqu’aux travaux de <a href="https://lafabrique.fr/la-republique-mise-a-nu-par-son-immigration/">Nacira Guénif-Souilamas</a>, <a href="https://www.puf.com/content/La_formation_des_bandes">Marwan Mohammed</a>, <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/jeunesses_francaises-9782707186881">Fabien Truong</a> et bien d’autres.</p>
<h2>D’une réaction sécuritaire à l’autre</h2>
<p>Suivant les lignes de partage qui se creusaient – celle des richesses (largement décrite), comme celle des <a href="https://theconversation.com/la-chronique-des-bridgerton-voir-ou-ne-pas-voir-les-couleurs-158848">couleurs</a> auxquelles la France reste <a href="https://www.canal-u.tv/chaines/univcotedazur/colloque-ideric-relations-interethniques/15-patrick-simon-discriminations">officiellement « aveugle »</a> et ce en dépit des alertes de nombreux universitaires et acteurs de terrain – chercheuses et chercheurs <a href="https://theconversation.com/quartiers-populaires-40-ans-de-deni-209008">ont diagnostiqué</a> la fragmentation de notre société.</p>
<p>Il y aurait donc, d’un côté, des agresseurs qui bafouent l’État et, de l’autre, leurs victimes qui attendent de la puissance publique qu’elle les rétablisse dans leurs droits. Et si les jeunes émeutiers accusés de poignarder la République appartenaient précisément aux groupes sociaux qui sont les plus désespérés de nos institutions ? Comme d’autres, le <a href="https://www.lesechos.fr/politique-societe/societe/mort-de-nahel-a-nanterre-le-point-sur-la-situation-ce-lundi-3-juillet-1958156">ministre</a> rejetterait assurément cette question ; n’a-t-il pas précisé qu’« il ne faut pas trouver d’excuse sociale là où il n’y en a pas » ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/reforme-des-retraites-a-t-on-atteint-notre-capacite-collective-a-supporter-la-brutalite-du-monde-199736">Réforme des retraites : A-t-on atteint notre capacité collective à supporter la brutalité du monde ?</a>
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<p>Une telle position se place juste en deçà de toute une kyrielle d’envolées pour le moins <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/06/30/de-l-etat-d-urgence-aux-emeutes-raciales-l-escalade-des-mots-entre-ciotti-zemmour-et-le-rn_6179937_823448.html">sécuritaires</a>, sinon réactionnaires, réclamant « l’instauration de l’état d’urgence » et dénonçant le caractère « racial » des émeutes qui manifesteraient une véritable « haine de la France ».</p>
<p>Propagée depuis les quartiers périphériques de nos villes, cette dernière serait la preuve d’un <a href="http://www.editionsamsterdam.fr/les-sauvages-de-la-civilisation/">« ensauvagement »</a> autant que d’un divorce consommé entre les banlieues, leurs populations, et le reste de la nation.</p>
<h2>Dans la zone</h2>
<p>Ne verrait-on là que des « sauvages de la civilisation » ? D’une étrange actualité, cette expression a été popularisée au XIX<sup>e</sup> siècle par <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782072730672-les-miserables-victor-hugo/">Victor Hugo</a>, après avoir été forgée par le journaliste <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2045247.image">Alfred Delvau</a> et l’écrivain <a href="https://www.grasset.fr/livre/paris-anecdote-9782246812586/">Alexandre Privat d’Anglemont</a>.</p>
<p>D’origine guadeloupéenne, ce dernier l’a appliquée, non sans ironie, aux chiffonniers de Paris (les plus pauvres et les plus méprisés d’entre les prolétaires), de même qu’aux colonisés ; car les uns comme les autres apparaissaient aux Français comme des « sauvages de la civilisation », qu’il s’agissait de contenir et de maintenir <a href="https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2018-2-page-329.htm">aux confins de leur monde</a> – soit dans les lointaines colonies, soit dans les « cités » où les chiffonniers étaient concentrés.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/536998/original/file-20230712-27-6xh65w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/536998/original/file-20230712-27-6xh65w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/536998/original/file-20230712-27-6xh65w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=245&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/536998/original/file-20230712-27-6xh65w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=245&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/536998/original/file-20230712-27-6xh65w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=245&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/536998/original/file-20230712-27-6xh65w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=308&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/536998/original/file-20230712-27-6xh65w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=308&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/536998/original/file-20230712-27-6xh65w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=308&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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« Quelques types d’Apaches des différents quartiers parisiens.ˮ Dessins de Louis Maleteste.
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<span class="attribution"><span class="source">Musée Carnavalet/In Beauchez J. Sans foi ni loi ? Paris 1900 sous la menace des Apaches -- RSASC, « The Law of the Outlaw »</span></span>
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<p>Nombre d’entre eux vivaient aussi dans <a href="http://www.editionsamsterdam.fr/les-sauvages-de-la-civilisation/">« la Zone »</a>, un espace interlope qui, <a href="https://journals.openedition.org/terrain/17600">à la frontière de Paris</a>, concentrait les classes considérées comme « dangereuses ».</p>
<p>Selon la presse, la « Zone » constituait également le refuge des <a href="https://journals.openedition.org/rhei/51">« Apaches »</a> : ces bandes de voyous parisiens que journalistes et politiciens ont indianisés, comme pour mieux souligner le caractère « sauvage » de leur altérité, pour la correction duquel certains réclamaient toutes sortes de châtiments – dont le fouet.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/536628/original/file-20230710-23-98abm4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Couverture du Petit Journal, 1907" src="https://images.theconversation.com/files/536628/original/file-20230710-23-98abm4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/536628/original/file-20230710-23-98abm4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=842&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/536628/original/file-20230710-23-98abm4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=842&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/536628/original/file-20230710-23-98abm4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=842&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/536628/original/file-20230710-23-98abm4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1058&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/536628/original/file-20230710-23-98abm4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1058&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/536628/original/file-20230710-23-98abm4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1058&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Portant une casquette plate à visière de titi parisien, un foulard rouge, un veston sur pull rayé, un pantalon « mince des g’noux et large des pattes » (Aristide Bruand) ainsi que des chaussures luisantes de cirage, un apache surdimensionné domine la police parisienne qu’il menace de son surin. La légende indique : « L’apache est la plaie de Paris. Plus de 30 000 rôdeurs contre 8 000 sergents de ville. »</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Apaches_(voyous)#/media/Fichier:Le_Petit_Journal_-_Apache.jpg">Le Petit Journal, 20 octobre 1907</a></span>
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<h2>Disqualifier les marges</h2>
<p>Ces conceptions qui conjuguent racisme et mépris de classe appartiennent-elles réellement au passé ? D’une part, l’ancien territoire de la « zone », où passe aujourd’hui l’autoroute du périphérique urbain, conserve un statut de <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/la-zone-l-ancetre-du-peripherique-parisien-2123331">frontière</a> entre Paris et ses banlieues.</p>
<p>D’autre part, le thème de l’ensauvagement des marges ressurgit dans les discours publics dès lors qu’il est question de la sécurité des populations menacées, ou effrayées par leurs marges déclarées inciviles, pour ne pas dire incivilisées. Or, la violence qu’on leur prête sert souvent à mieux cacher celle qu’on leur fait.</p>
<p>À l’instar de ceux de la sociologue <a href="https://www.syllepse.net/la-race-tue-deux-fois-_r_65_i_821.html">Rachida Brahim</a>, les travaux qui font apparaître l’historicité de cette violence faite aux subalternes sont, plus que d’autres, questionnés du point de vue de leur « objectivité ». Une expression forgée il y a plus d’un demi-siècle par le sociologue américain <a href="https://www.cairn.info/question-morale--9782130589396-page-475.htm">Howard Becker</a> a mis un nom sur ce phénomène. Il s’agit de la « hiérarchie des crédibilités ».</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/0O5yRu6jB88?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Chant d’apaches 1912 (musique et paroles d’Aristide Bruant) chanté par Aristide Bruant.</span></figcaption>
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<p>Son principal effet conduit à délivrer le label d’objectivité aux analyses qui vont dans le sens de la raison dominante – généralement celle des groupes du même nom –, tandis que leurs critiques plus proches du quotidien des groupes subalternisés sont renvoyées à la sphère des subjectivités relevant non pas de la raison, mais de l’opinion. Ce reproche est notamment adressé aux travaux sociologiques qui <a href="https://www.horsdatteinte.org/livre/les-femmes-musulmanes-ne-sont-elles-pas-des-femmes/">critiquent les dominations socioraciales</a> et les <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/islamophobie-9782707189462">discriminations islamophobes</a>.</p>
<p>Ainsi peut-on, en même temps que l’on s’octroie le privilège de la raison, entretenir le mécanisme d’un « ensauvagement » des marges aussi ancien que performatif. Non seulement il produit les « sauvages » qu’il dénonce, mais il recrée perpétuellement le cercle vicieux dans lequel nous restons collectivement enfermés et polarisés dans nos oppositions.</p>
<p>Cet état de fait rappelle une phrase écrite en 1918 par le philosophe italien <a href="https://www.payot.ch/Detail/pourquoi_je_hais_lindifference-antonio_gramsci-9782743623432">Antonio Gramsci</a>, qui disait : « en surface, on voulait l’ordre et la discipline, et c’est de la surface qu’on jugeait la gravité du désordre et de l’indiscipline. »</p>
<p>Quand acceptera-t-on de regarder plus en profondeur, au risque de plonger dans des abîmes qui regarderont aussi en nous ? Combien de fois le feu avant que nous ne sortions du cercle vicieux pour changer de modèle de société, si nous le pouvons encore ?</p>
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<p><em>L’auteur a récemment publié <a href="http://www.editionsamsterdam.fr/les-sauvages-de-la-civilisation/">« Les sauvages de la civilisation. Regards sur la Zone, d’hier à aujourd’hui »</a>, aux éditions Amsterdam.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209239/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jérôme Beauchez ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Réinterroger la colère et ses manifestations peut amener à les voir autrement : sous l’angle des « vies brutalisées », dont nous ne percevons que trop souvent les effets sans identifier leurs causes.Jérôme Beauchez, Sociologue et anthropologue, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2088962023-07-06T17:20:15Z2023-07-06T17:20:15ZÉmeutes en France : des films pour mieux comprendre le conflit<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/535048/original/file-20230630-42965-kgb8rn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C11%2C1920%2C1270&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Image tirée du film _La classe_.</span> </figcaption></figure><p>La France a été secouée par plusieurs journées d'émeutes, après qu'un adolescent a été <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/07/01/mort-de-nahel-m-un-besoin-de-vraies-reponses-face-a-la-colere-et-a-la-peur_6180123_3232.html">abattu mardi 27 juin</a> par un policier à Nanterre, suite à un refus d’obtempérer. </p>
<p>Certains artistes, intellectuels et citoyens se sont indignés et ont réagi face un phénomène de violences policières. Le Haut Commissaire des Nations unies a exhorté la France à <a href="https://www.huffingtonpost.fr/international/article/apres-la-mort-de-nahel-la-france-doit-s-attaquer-aux-profonds-problemes-de-racisme-dans-la-police-pour-cette-instance-de-l-onu_219986.html">s’attaquer au racisme au sein de la police et des forces de l’ordre</a>. Il y a quelques semaines, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a également <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/onu/la-france-epinglee-a-l-onu-pour-les-discriminations-raciales-et-les-violences-policieres_5801627.html">accusé la France de discrimination raciale et de violences policières</a>.</p>
<p>En fait, le cinéma français raconte cette histoire depuis plusieurs années. Par exemple, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=I4Fr6xokozw"><em>Athena</em></a> (2022) raconte comment, après le meurtre d’une adolescente, le conflit dégénère en quasi-guerre civile.</p>
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<figcaption><span class="caption">Bande annonce du film <em>Athena</em> (2022).</span></figcaption>
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<h2>Ce n’est pas la première fois</h2>
<p>Ce film peut sembler prémonitoire, mais il y a eu des précédents en termes d'émeutes et de révoltes dans les quartiers populaires dans l’actualité française, notamment en 2005.</p>
<p>Dans la nuit du 27 octobre de cette année-là, à Clichy-sous-Bois, à l’est de Paris, trois jeunes hommes se sont cachés dans un transformateur électrique pour ne pas avoir à répondre aux interrogatoires de la police. Deux d’entre eux sont morts électrocutés et le troisième a survécu à de graves brûlures après avoir été hospitalisé dans un état très sérieux.</p>
<p>La réaction fut une <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/2005_French_riots">immense et violente révolte populaire</a> qui dura trois semaines. Les émeutes se sont étendues à toute la France et ont touché les banlieues de 200 villes. Les propos du ministre de l’Intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy, qui a qualifié les jeunes des banlieues de « racailles » lors d’une visite dans le quartier du Val d’argent à Argenteuil, n’ont pas arrangé les choses. Devant l’impossibilité de maîtriser la situation, le Premier ministre Dominique de Villepin a déclaré l’état d’urgence. Neuf mille véhicules ont été détruits et des bâtiments institutionnels attaqués, sans compter les blessés et les interpellations. Au total, les <a href="https://www.nouvelobs.com/societe/20061027.OBS7196/le-bilan-des-violences-de-2005.html">dégâts ont été estimés à plus de 150 millions d’euros</a>.</p>
<p>Ce qui se passe aujourd’hui est similaire et n’est ni isolé ni nouveau en France. Ces incidents ne sont pas toujours couverts par les médias européens, même s'ils se produisent régulièrement. Les films sortis en France ces dernières décennies en témoignent, dénonçant une fracture sociale quotidienne, des rapports difficiles avec la police, la frustration de ne pouvoir sortir du cercle du quartier, et une école qui se veut rédemptrice face à un problème qui semble perdurer.</p>
<h2>Les origines du conflit</h2>
<p>Le film <a href="https://www.youtube.com/watch?v=gsRxwuj1AxU"><em>Retour à Reims</em></a> (2021), réalisé à partir de fragments documentaires issus du fonds de l’<a href="https://www.ina.fr/">Institut national de l’audiovisuel</a> (INA), retrace avec précision le phénomène de l’arrivée massive de l’immigration grâce aux lois qui l’ont favorisée après la Seconde Guerre mondiale. Le paysage social des villes s’en trouve transformé, entraînant une cohabitation qui n’est pas toujours facile.</p>
<p>Dans les années 1940 et 1950, des bateaux en provenance d’Algérie et du Maroc arrivent chaque jour sur les côtes françaises avec des milliers de personnes. Ils sont reçus et accueillis par les institutions et les entreprises avec des mesures <a href="https://www.youtube.com/watch?v=L0lrA1jiQxk">déjà discriminatoires en termes de salaires et de droits</a>.</p>
<p>Le film <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ykg0DfSkwmc"><em>Les Femmes du 6e étage</em></a> (2010) raconte également le quotidien d’un groupe de femmes espagnoles qui ont émigré pour devenir employées de maison. Dans la tendresse de la nostalgie et de l’humour, il raconte aussi le harcèlement, les abus et les difficultés auxquels de nombreuses femmes étrangères <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Z_OaJMUvDuU">ont dû faire face</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Bande annonce du film <em>Les Femmes du 6e étage</em> (2010).</span></figcaption>
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<h2>Les problèmes de la <em>banlieue</em>, un thème récurrent du cinéma français</h2>
<p>Quel rapport avec le meurtre récent de Nahel et les émeutes ? Eh bien, les années ont passé et les enfants et petits-enfants de ces premières générations d’immigrés sont nés en France, ont été élevés sous la devise « liberté, égalité, fraternité », mais ont vite découvert qu’elle ne s’appliquait pas à eux.</p>
<p>C’est pourquoi, dans les années 1980, ont eu lieu les <a href="https://fresques.ina.fr/sudorama/fiche-media/00000000269/l-arrivee-de-la-marche-pour-l-egalite-et-contre-le-racisme-a-paris.html">premières manifestations contre le racisme</a> et les discriminations liées à l’origine.</p>
<p>Les quartiers des grandes villes ont été configurés pour accueillir l’ensemble de la population active, étrangère ou non, en construisant massivement des HLM (<em>habitation à loyer modéré</em>) dans les ZUP (<em>zone d’urbanisation prioritaire</em>). Ils ont été construits en très peu de temps, avec des matériaux de mauvaise qualité, pour loger les milliers de personnes que des villes comme Paris, Toulouse ou Marseille accueillaient. Aujourd’hui, ce sont de véritables ghettos, appelés <em>quartiers sensibles</em> en référence aux problèmes constants qui les habitent.</p>
<p>Le film <a href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=12551.html"><em>La Haine</em></a> (1995) montre la vie de jeunes vivant dans une banlieue, sans aller à l’école, fuyant les contrôles de police, essayant sans succès d’éviter la drogue et la délinquance. Cela ne se termine pas bien. Sans en dévoiler l’issue, on peut s’en faire une idée rien qu’en regardant les informations de ces derniers jours.</p>
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<figcaption><span class="caption">Trailer pour <em>La Haine</em> (1995).</span></figcaption>
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<p>Trois décennies plus tard, <a href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=273579.html"><em>Les Misérables</em></a> (2019), qui a remporté de nombreux prix, est devenu un reflet actualisé du même thème : l’abandon des quartiers, la <em>banlieue</em> devenue ghetto, la relation compliquée entre des cultures différentes et le travail de la police, montré comme une forme d’ingérence continue et ennuyeuse dans la vie quotidienne des banlieues françaises, <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGISCTA000006151880/">avec des contrôles plus intenses depuis les attaques terroristes à Paris</a>, notamment sur les personnes d’apparence maghrébine et noire africaine.</p>
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<figcaption><span class="caption">Bande annonce du film <em>Les Misérables</em> (2019).</span></figcaption>
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<h2>L’école comme base de la solution</h2>
<p>La réalité s’entête, mais le cinéma crée d’autres espaces, confrontant les clichés et posant un autre regard sur le réel. Dans un esprit profondément français, l’école est très souvent présentée comme la solution universelle à ces problèmes sociétaux. En effet, de <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/10/03/le-cinema-s-engage-sur-les-chemins-de-l-ecole_6144133_3232.html">nombreux films traitent du thème de l’éducation et de l’école</a>.</p>
<p>C’est le cas de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=QPXyGosb3_g"><em>Entre les murs</em></a> (2008), également primé, fait directement référence à l’oasis apparente de la salle de classe, qui reproduit pourtant ce qu’il y a à l’extérieur. Une mosaïque diverse qui expose la délicate complexité d’une société, remettant en question les généralisations, les stéréotypes et les préjugés.</p>
<p>Dans <a href="https://www.youtube.com/watch?v=0BufXB1AUfM"><em>Le brio</em></a> (2017), il est question de l’université. Dans ce film, un professeur de littérature montre à travers Schopenhauer – et son livre <a href="https://www.schopenhauer.fr/oeuvres/fichier/l-art-d-avoir-toujours-raison.pdf"><em>L’art d’avoir toujours raison</em></a> – comment les mots peuvent créer un nouvel univers. L’étudiante, elle, sauve le professeur de l’expulsion et atteint ses objectifs académiques. La compréhension émerge dans le processus de découverte de leurs différences apparemment irréconciliables.</p>
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<figcaption><span class="caption">Trailer pour <em>Le brio</em> (2017).</span></figcaption>
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<p>La littérature française est fréquemment utilisée comme une planche de salut : les personnages, les histoires et les auteurs sont les références des protagonistes. Dans le film <a href="https://www.youtube.com/watch?v=o7g0hQDNAFs"><em>Les grands esprits</em></a> (2017), le livre rédempteur est <em>Les Misérables</em>, de Victor Hugo, analysé par chacun des personnages comme s’il était l’un des symboles de la marginalisation et des problèmes actuels. D’autre part, le professeur blanc, aux yeux bleus, bourgeois, accablé de préjugés, se découvre lui-même à travers l’autre qu’il méprisait.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/534977/original/file-20230630-29-6883q1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/534977/original/file-20230630-29-6883q1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=869&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/534977/original/file-20230630-29-6883q1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=869&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/534977/original/file-20230630-29-6883q1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=869&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/534977/original/file-20230630-29-6883q1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1092&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/534977/original/file-20230630-29-6883q1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1092&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/534977/original/file-20230630-29-6883q1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1092&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Cartel des <em>Intocables</em>.</span>
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<p>Le savoir et l’école sont des instruments qui viennent sans cesse à la rescousse des problèmes sociaux dans le cinéma français. Ils finissent, malgré les obstacles, à créer de nouvelles relations d’empathie qui, dans l’espace filmique, résoudront le conflit. Mais dans la vie réelle, il reste encore beaucoup à résoudre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208896/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ana María Iglesias Botrán ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le cinéma français dénonce les violences policières depuis des années.Ana María Iglesias Botrán, Profesora del Departamento de Filología Francesa en la Facultad de Filosofía y Letras. Doctora especialista en estudios culturales franceses y Análisis del Discurso, Universidad de ValladolidLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2088942023-07-02T16:13:16Z2023-07-02T16:13:16ZComment la mort de Nahel M. enflamme une République déjà sur des braises<p>Les événements qui agitent la France depuis mardi, suite à la mort du jeune Nahel M. abattu par un tir policier, interviennent dans les « cent jours » d’apaisement annoncés par le président de la République.</p>
<p>Au vu de la période, l’apaisement prononcé ne semble être ici qu’un mot, une incantation. Tant que cet « apaisement » ne s’incarne pas concrètement, la parole politique demeure déceptive et alimente la défiance à l’égard des responsables politiques. Ainsi, le mot de François Hollande sur <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ZE8pE2t__pc">« mon ennemi est la finance »</a> est resté dans l’électorat de gauche comme une déclamation marquante de son… échec.</p>
<p>Ces mots sont supposés être <a href="https://www.lalanguefrancaise.com/dictionnaire/definition/illocutoire">illocutoires</a> – « quand dire c’est faire ». Or, la parole n’est pas toujours suivie de faits, et comme le montre le dernier baromètre du Cevipof, la <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/fr/content/le-barometre-de-la-confiance-politique.html">méfiance grandit</a> envers les politiques.</p>
<p>Il est en outre délicat d’être dans une injonction autour de « l’apaisement » et de mener, en même temps, et depuis des mois, une politique considérée par un certain nombre de Français comme plutôt conflictuelle, comme l’a montré la <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/reforme-des-retraites-emmanuel-macron-au-defi-d-une-crise-qui-se-durcit-20230323">séquence des retraites</a> qui a laissé une impression de brutalité.</p>
<p>Alors même que les manifestations de mai n’avaient pas encore eu lieu, fin avril, 65 % des Français considéraient <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/politique/sondage-65-des-francais-jugent-emmanuel-macron-brutal-selon-notre-barometre-odoxa">Emmanuel Macron comme « brutal »</a>.</p>
<p>Ce contexte a été par ailleurs entaché d’un autre événement : l’affaire du fonds Marianne. Cette dernière, du nom d’une association destinée à honorer la mémoire de Samuel Paty (enseignant assassiné le 16 octobre 2020) contient à elle seule plusieurs éléments explosifs nourrissant le <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/06/16/fonds-marianne-les-enjeux-et-les-rebondissements-de-l-affaire-qui-met-en-cause-marlene-schiappa_6173534_4355771.html">discrédit envers le gouvernement Macron</a> et pour cause. Le détournement du fonds Marianne mêle laïcité, subventions publiques détournées et le nom d’une ministre, <a href="https://www.humanite.fr/politique/fonds-marianne/fonds-marianne-oui-madame-schiappa-vous-etes-responsable-799143">Marlène Schiappa</a>, toujours en poste malgré le scandale.</p>
<p>Ces enchaînements difficiles pour l’exécutif conduisent même à des chiffres inédits dans les sondages où le président, pourtant perçu par certains comme un technocrate habile, perd désormais des points sur la question de sa compétence. Selon le sondage Odoxa cité précédemment, seuls 36 % des Français le trouvent compétent – moins 13 % par rapport à mai 2022.</p>
<h2>Les « petites phrases » qui mettent le feu aux poudres</h2>
<p>Tandis qu’une partie de la France s’embrase, la présidence Macron semble poursuivre sur une ligne relativement indifférente face aux perceptions, aux émotions de l’opinion. Ainsi, malgré <a href="https://www.tf1info.fr/politique/emmanuel-macron-sur-tf1-et-lci-dit-regretter-certaines-de-ses-petites-phrases-terriblement-blessantes-pendant-sa-presidence-2204700.html">quelques excuses</a> entre ses deux mandats, le président continue d’émailler sa parole présidentielle de nombreuses <a href="https://www.cairn.info/revue-communication-et-langages1-2011-2-page-17.htm">« petites phrases »</a>.</p>
<p>Ces dernières désignent un ensemble hétérogène de phénomènes concourant à aviver le désarroi ou la défiance parmi ses électeurs. Entre « les gens qui ne sont rien » « un pognon de dingue » ; « traverser la rue » ; « les factieux » ; « la foule » ; « les Gaulois réfractaires » ; <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/06/19/parler-de-decivilisation-comme-le-fait-emmanuel-macron-releve-du-contresens_6178328_3232.html">« décivilisation »</a> et « trouver dix jobs sur le Vieux-Port » au printemps 2023.</p>
<p>Ces petites phrases contribuent à nourrir son personnage, marquent les esprits, et surtout portent en elles une tension, voire une mise en dramatisation du politique. Elles deviennent alors des marqueurs et déclencheurs et abîment la question du « vivre ensemble », du « commun » du « faire société » puisqu’il est reproché dès lors au président de la République de faire preuve de mépris de classe.</p>
<p>Partant, au-delà de la politique menée, ces phrases-marqueurs collent à son image et participent d’une façon de faire tout en paradoxe entre émotion ressentie et volonté régulière d’apaisement. Lors de son déplacement à Marseille, à la mort de Nahel, le président déclare : </p>
<blockquote>
<p>« Je veux dire l’émotion de la nation tout entière et dire à sa famille toute l’affection de la nation […] nous avons un adolescent qui a été tué, c’est inexplicable, inexcusable. »</p>
</blockquote>
<p>Un jour après des émeutes éclatent, et Emmanuel Macron adopte immédiatement un discours mettant en cause les jeux vidéos, les réseaux sociaux et les parents ; il se place directement derrière les forces de l’ordre, donne sa confiance à Gérald Darmanin et n’aura plus un mot pour les quartiers populaires – notamment ceux qui souffrent des émeutes.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Iyy1AA1eZGw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">La réaction d’Emmanuel Macron à la mort de Nahel.</span></figcaption>
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<p>C’est dans ce contexte déjà chargé que le décès de Nahel M. s’inscrit comme dernier marqueur décisif d’une politique générale déjà très décriée, et encore plus dans le cadre de la politique de la ville.</p>
<h2>La politique de la ville</h2>
<p>Dès 2017, Emmanuel Macron promettait la <a href="https://en-marche.fr/articles/actualites/emplois-francs-lutter-contre-l-assignation-a-residence">fin d’assignation à résidence »</a> pour les quartiers difficiles.</p>
<p>Pourtant, dès 2018, il torpille lui-même le <a href="https://www.lemonde.fr/banlieues/article/2018/04/26/ce-qu-il-faut-retenir-du-rapport-borloo-sur-les-quartiers-prioritaires_5291093_1653530.html">plan Borloo</a>. Dans ce plan, l’ancien ministre de la ville présente au président Macron des mesures comme le lancement des cités éducatives, la reconquête républicaine, la réactivation de l’Agence nationale pour le rénovation urbaine(ANRU), l’accompagnement vers l’emploi des jeunes habitants dans les quartiers relevant de la Politique de la ville (QPV)…</p>
<p>Ce rapport ambitieux de 5 milliards d’euros a pourtant été <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/non-classe/rapport-borloo-macron-l-a-enterre-de-la-maniere-la-plus-brutale-qui-soit-fustige">rapidement enterré</a> par l’exécutif durant son premier mandat. Mais, ce qui a peut être le plus choqué c’est l’attitude d’Emmanuel Macron lors de la présentation du plan. Il tiendra face aux porteurs du projet des propos sans appel.</p>
<blockquote>
<p>« Que deux mâles blancs [Julien Denormandie, ministre de la ville, et de Jean-Louis Borloo] ne vivant pas dans ces quartiers s’échangent l’un un rapport, l’autre disant “on m’a remis un plan”, je l’ai découvert… Ce n’est pas vrai. Cela ne marche plus comme ça. »</p>
<p>« Les gens qui vivent dans ces quartiers, ce sont des acteurs de ces sujets. Ils ont envie de faire, ils ont une bonne partie des solutions […] Ces personnes ont besoin qu’on leur donne un statut […] qu’on les aide à réussir. »</p>
</blockquote>
<p>La dureté des propos envers Jean-Louis Borloo notamment est manifeste, et la président tente bien maladroitement de dire – peut-être – que c’est aux concernés de prendre leur avenir en main, de dire leurs besoins…</p>
<p>Depuis, s’il est vrai qu’une large partie du programme de Borloo a été mise en place, le lien entre quartiers et exécutif ne semble pas avoir été construit pour autant et la banlieue-start-up n’est pas. Et déjà, en novembre 2020, dans un contexte délicat de confinement, <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/11/13/quartiers-populaires-110-maires-interpellent-emmanuel-macron-sur-la-crise-sanitaire-et-economique_6059695_3234.html">110 maires interpellent le président</a> sur la situation très difficile des quartiers populaires.</p>
<p>Le plan de 2022 nommé <a href="https://www.ville-et-banlieue.org/quartiers-2030-nouveau-fil-directeur-politique-ville-33179.html">« Quartiers 2030 »</a> donne des signes d’une volonté de (re) prendre en considération ces zones et leurs habitants. La campagne présidentielle n’ayant pas vraiment eu lieu, ces questions n’ont pas été abordées. Emmanuel Macron tente alors de rattraper cette lacune et affirme, lors de cette séquence, « que les quartiers populaires sont une chance pour notre république ».</p>
<p>Le 24 mai 2023, il est pourtant – de nouveau – vivement alerté par une trentaine d’élus qui veulent un <a href="https://rmc.bfmtv.com/actualites/societe/plan-d-urgence-pour-les-banlieues-une-trentaine-de-maires-interpellent-l-executif_AD-202305240497.html">plan d’urgence pour les banlieues</a>.</p>
<p>Son voyage à Marseille dans des cités difficiles <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/06/27/a-marseille-emmanuel-macron-face-a-la-colere-des-quartiers-nord_6179337_823448.html">n’aura rien changé ni rien apaisé durablement</a>. Il disait pourtant vouloir « transformer la colère en projet » mais les mots sont tombés un peu à plat face à l’étendue des trafics de drogue, face à une maman pleurant son fils et face au déclin des services publics sur le terrain. </p>
<p>La mort de Nahel aura transformé la colère en émeutes.</p>
<h2>Le clivage gauche droite</h2>
<p>Autre facteur de l’embrasement ou de la radicalisation : le clivage gauche droite. En voulant enjamber ce gauche droite et <a href="https://theconversation.com/trianguler-ou-lart-de-sapproprier-les-idees-des-autres-en-politique-161326">trianguler</a> en prenant les idées du camp adversaire <a href="https://www.cairn.info/la-sociologie-de-anthony-giddens--9782707151902.htm">tout en minimisant la dimension idéologique</a>, Emmanuel Macron a introduit une confusion dans les politiques et objectifs à atteindre.</p>
<p>Quelle fut la ligne de l’exécutif sur les quartiers populaires en réalité ? Une ligne plutôt service public dans la tradition française d’un état-providence ? une ligne plutôt start-up-uber qui semblerait être celle de E. Macron vue dans son ouvrage <em>Revolution</em> ou une ligne plutôt autoritaire incarnée par son Ministre de l’intérieur ?</p>
<p>Souvenons nous en effet de Gerald Darmanin considérant que Marine Le Pen est <a href="https://www.leparisien.fr/politique/debat-a-front-renverse-entre-marine-le-pen-et-gerald-darmanin-11-02-2021-8424502.php">trop molle</a> sur les questions d’immigration. Souvenons-nous aussi – sur les question sociétales – Jean Michel Blanquer, alors ministre de l’éducation nationale, <a href="https://etudiant.lefigaro.fr/article/a-la-sorbonne-jean-michel-blanquer-participe-a-un-colloque-contre-l-ideologie-woke_8928e404-6ee5-11ec-bcfb-2ff4eb85ac20/">tenant un colloque à la Sorbonne contre le « wokisme »</a> ? Est-ce que ces coups de menton, ces symboles politiques ne créent pas trop de confusion ? </p>
<p>Ce « en même temps » brouille les cartes. Un brouillage qui a participé de la fragilisation du clivage, fragilisation qui asphyxie la démocratie et radicalise mécaniquement les oppositions. Car, pour s’opposer à Emmanuel Macron – qui a enjambé le clivage – il est en effet mécaniquement nécessaire d’aller plus loin à droite et plus loin à gauche.</p>
<p>En siphonnant la gauche et la droite dite de gouvernement, l’espoir d’une alternance à portée de main est détruit. Le citoyen se sent comme menotté dans une situation intenable. Son camp n’arrivera jamais au pouvoir ; ou ce sera très difficile.</p>
<p>Il est à noter que l’on pouvait déjà percevoir tous ces éléments lors de la présidentielle 2017. On voyait très clairement deux France. Aujourd’hui, elles subsistent toujours. Comme une ligne de fracture, et avec un défi de réconcilier et de faire « commun » qui semble bien loin.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208894/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Virginie Martin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Sur le dossier des quartiers populaires comme sur d’autres, Emmanuel Macron n’a pas su trouver la voie d’un projet commun.Virginie Martin, Docteure sciences politiques, HDR sciences de gestion, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2088992023-07-02T09:40:51Z2023-07-02T09:40:51ZLa répétition et la rage, au cœur des émeutes françaises<p>Bien qu’elles nous surprennent chaque fois, depuis les <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/affaires-sensibles/l-ete-des-minguettes-1981-les-rodeos-de-la-colere-7720633">révoltes des Minguettes</a> dans les années 1980, les émeutes se répètent en suivant le même scénario : un jeune est tué ou gravement blessé par le police et les violences explosent dans le quartier concerné, dans les quartiers voisins, parfois, <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/adolescent-tue-par-un-policier-a-nanterre/violences-urbaines-comment-se-sont-deroulees-les-emeutes-de-2005_5919854.html">comme en 2005</a> et aujourd’hui, dans tous les quartiers « difficiles » qui se reconnaissent dans la victime de la police.</p>
<p>Depuis quarante ans, les révoltes urbaines sont dominées par la rage des jeunes qui s’attaquent aux symboles de l’ordre et de l’État, aux mairies, aux centres sociaux, aux écoles, puis aux commerces…</p>
<h2>Une rage et un vide institutionnel</h2>
<p>La rage conduit <a href="https://www.letelegramme.fr/morbihan/lorient-56100/nuit-de-violences-a-lorient-a-quoi-bon-detruire-leur-propre-quartier-6383853.php">à détruire son propre quartier</a> devant les habitants qui condamnent mais « comprennent » et se sentent impuissants.</p>
<p>Dans tous les cas aussi se révèle un vide institutionnel et politique dans la mesure où les acteurs locaux, les élus, les associations, les églises et les mosquées, les travailleurs sociaux et les enseignants avouent leur impuissance et ne sont pas audibles.</p>
<p>Seule la révolte des Minguettes en 1981 avait débouché sur la <a href="https://www.histoire-immigration.fr/sites/default/files/musee-numerique/documents/marche_egalite.pdf">Marche pour l’égalité et contre le racisme</a>. Mais depuis, aucun mouvement ne semble naître des colères.</p>
<p>Enfin, dans tous les cas aussi, <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-brief-politique/mort-de-nahel-la-choregraphie-tres-classique-des-reactions-politiques_5888596.html">chacun joue son rôle</a> : la droite dénonce la violence et stigmatise les quartiers et les victimes de la police ; la gauche dénonce les injustices et promet des politiques sociales dans les quartiers. Nicolas Sarkozy avait choisi la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/emeutes-urbaines-quatre-questions-sur-le-precedent-de-2005-qui-est-dans-toutes-les-tetes-8489821">police en 2005</a>, Macron a manifesté <a href="https://www.ladepeche.fr/2023/06/28/jeune-tue-a-nanterre-rien-ne-justifie-la-mort-dun-jeune-declare-emmanuel-macron-11306938.php">sa compassion</a> pour le jeune tué par la police à Nanterre, mais il faut bien dire que les hommes politiques et les présidents ne sont guère entendus dans les quartiers concernés.</p>
<p>Puis le silence s’installe jusqu’à la prochaine fois où on redécouvrira à nouveau les problèmes des quartiers et ceux de la police. </p>
<h2>Des leçons à tirer</h2>
<p>La récurrence des émeutes urbaines et de leurs scénarios devrait nous conduire à tirer quelques leçons relativement simples.</p>
<p>Les politiques urbaines ratent leurs cibles. Depuis 40 ans, de <a href="https://www.capital.fr/immobilier/emeute-les-vraies-raisons-de-lechec-de-politique-de-la-ville-1473031">considérables efforts ont été consacrés à l’amélioration des logements et des équipements</a>. Les appartements sont de meilleure qualité, il y a des centres sociaux, des écoles, des collèges, des lignes de bus… Il est faux de dire que ces quartiers ont été abandonnés.</p>
<p>En revanche, la mixité sociale et culturelle des quartiers s’est plutôt dégradée. Le plus souvent, les habitants sont pauvres, précaires, et sont immigrés ou issus des immigrations successives.</p>
<p>Mais surtout, ceux qui « s’en sortent » quittent le quartier et sont remplacés par des habitants encore plus pauvres et venant d’encore plus loin. Le bâti s’améliore et le social se dégrade.</p>
<p>On répugne à parler de ghettos, mais le processus social à l’œuvre est bien celui <a href="https://www.cairn.info/revue-economique-2016-3-page-415.htm">d’une ghettoïsation</a>, d’un clivage croissant entre les quartiers et leur environnement, d’un entre soi imposé et qui se renforce de l’intérieur. On fréquente la même école, le même centre social, on a les mêmes relations, on participe à la même économie plus ou moins légale…</p>
<p>Malgré les moyens mobilisés et la bonne volonté des élus locaux, on se sent hors de la société en raison de ses origines, de sa culture, de sa religion… Malgré les politiques sociales et le travail des élus, les quartiers n’ont pas de ressources institutionnelles et politiques propres.</p>
<p>Alors que les <a href="http://e-cours.univ-paris1.fr/modules/uoh/paris-banlieues/u4/co/-module_1.html">banlieues rouges</a> étaient fortement encadrées par les partis, les syndicats et les mouvements d’éducation populaires, les quartiers n’ont guère de porte-voix. En tous cas, pas de porte-voix dans lesquels ils se reconnaissent : les travailleurs sociaux et les enseignants sont pleins de bonne volonté, mais ils ne vivent plus depuis longtemps dans les quartiers où ils travaillent.</p>
<p>Cette coupure fonctionne dans les deux sens et l’émeute révèle que les élus et les associations n’ont pas de véritables relais dans les quartiers dont les habitants se sentent ignorés et abandonnés. Les appels au calme sont sans échos. Le clivage n’est seulement social, il est aussi politique. </p>
<h2>Un constant face-à-face</h2>
<p>Dans ce contexte, se construit un <a href="https://www.bfmtv.com/police-justice/nanterre-on-assiste-depuis-une-trentaine-d-annees-a-ce-face-a-face-entre-la-police-et-une-ultra-minorite-de-jeunes-qui-abiment-nos-quartiers-deplore-mokrane-kessi-france-des-banlieues_VN-202306290630.html">face à face entre les jeunes et les policiers</a>. Les uns et les autres fonctionnent comme des « bandes » avec leurs haines et leurs territoires.</p>
<p>L’État est réduit à la violence légale et les jeunes à leur délinquance réelle ou potentielle. La police est jugée « mécaniquement » raciste puisque tout jeune est a priori suspect. Les jeunes haïssent la police, ce qui « justifie » le racisme des policiers et la violence des jeunes. Les habitants voudraient plus de policiers afin d’assurer un peu d’ordre, tout en étant solidaires de leurs enfants.</p>
<p>Cette « guerre » se joue habituellement à niveau bas, mais quand un jeune est tué, tout explose et c’est reparti pour un tour, jusqu’à la prochaine révolte qui nous surprendra autant que les précédentes.</p>
<p>Il y a cependant quelque chose de nouveau dans cette répétition tragique. C’est d’abord la montée de l’extrême droite, pas seulement à l’extrême droite, avec un récit parfaitement raciste des révoltes de banlieue qui s’installe, qui parle d’ensauvagement et <a href="https://www.bfmtv.com/politique/jordan-bardella-si-monsieur-darmanin-veut-lutter-contre-l-islamisme-alors-il-faut-maitriser-l-immigration_VN-202306280290.html">d’immigration</a>, et dont on peut craindre qu’il finisse par triompher dans les urnes.</p>
<p>La seconde nouveauté est la paralysie politique et intellectuelle de la gauche qui dénonce les injustices, qui, parfois, soutient les émeutes, mais qui ne semble pas avoir de solution politique à l’exception d’une réforme nécessaire de la police.</p>
<p>Tant que le processus de ghettoïsation se poursuivra, tant que le face-à-face des jeunes et de la police sera la règle, on voit mal comment la prochaine bavure et la prochaine émeute ne seraient pas déjà là.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208899/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François Dubet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Même si des efforts pour améliorer les logements ont été réalisés dans les quartiers populaires, la mixité sociale et culturelle s'est dégradée. Reste un face à face entre les jeunes et la police.François Dubet, Professeur des universités émérite, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2081232023-06-29T19:12:05Z2023-06-29T19:12:05ZSénégal : une crise politique majeure qui aurait pu être évitée<p>Comment expliquer les récents accès de violence politique au <a href="https://theconversation.com/fr/topics/senegal-27632">Sénégal</a>, pays tant vanté par le passé pour sa supposée « exception démocratique » ?</p>
<p>Ces dernières années, les crises politiques se répètent et se ressemblent : une dizaine de morts en <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/550569/senegal-violences-manifestations-morts">janvier-février 2012</a> après l’annonce de la candidature du président sortant Abdoulaye Wade à un troisième mandat ; 14 morts en <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/campaigns/2022/03/senegal-noublie-pas-mars-2021/">mars 2021</a> suite à l’arrestation de l’opposant Ousmane Sonko ; 4 morts en <a href="https://www.jeuneafrique.com/1362410/politique/senegal-pourquoi-le-deces-dun-manifestant-proche-de-lopposition-pose-question/">juillet 2022</a> lors des manifestations contre l’invalidation des candidats des listes d’opposition aux législatives ; enfin, 23 morts <a href="https://information.tv5monde.com/afrique/senegal-23-morts-selon-amnesty-international-qui-reclame-une-enquete-2646005#">début juin 2023</a> après la condamnation du même Ousmane Sonko pour « corruption de la jeunesse ».</p>
<p>Cette dernière crise a particulièrement marqué les esprits. Pourtant, ses ingrédients étaient bien connus depuis longtemps…</p>
<h2>Usure du pouvoir et tentation autoritaire</h2>
<p>En 2012, Abdoulaye Wade s’était porté candidat à sa propre succession alors qu’il avait déjà effectué deux mandats présidentiels, ce qui avait entraîné une sérieuse crise politico-constitutionnelle. Il avait alors été vaincu au second tour par son ancien premier ministre Macky Sall. La victoire de ce dernier, pour un mandat de sept ans, avait engendré de grands espoirs : le nouveau chef de l’État, voulait-on croire, allait mettre en œuvre une transformation institutionnelle qui éviterait qu’une telle situation ne se répète.</p>
<p>L’optimisme démocratique n’a pas duré : à chaque étape, le président Sall a semblé privilégier le rapport de force.</p>
<p>Plutôt qu’appliquer les propositions des <a href="https://www.jeuneafrique.com/203156/politique/assises-nationales-et-apr-s/">Assises nationales de 2009</a> pour une réforme en profondeur des institutions, qu’il a signées, il mène à la hâte une <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/03/18/senegal-que-disent-les-15-points-soumis-a-referendum_4886000_3212.html">révision constitutionnelle en 2016</a>. Celle-ci réduit la durée du mandat présidentiel à cinq ans, mais ne prend pas à bras-le-corps le problème principal identifié depuis longtemps, à savoir l’hyperprésidentialisme du système politique sénégalais, produit de son histoire depuis le <a href="https://www.seneplus.com/opinions/regard-sur-les-evenements-de-decembre-1962">coup de force de Senghor en 1962</a>.</p>
<p>En 2019, l’instauration d’un <a href="https://www.jeuneafrique.com/1331019/politique/legislatives-au-senegal-la-guerre-des-parrainages-est-declaree/">système de parrainages</a> pour les candidatures à l’élection présidentielle – qui en soi n’a rien d’anti-démocratique, mais qui a été mis en place sans concertation et compte parmi les plus stricts d’Afrique ou d’Europe – entrave sérieusement le pluralisme des élections.</p>
<p>Surtout, l’élimination judiciaire préalable des deux opposants les plus importants, le fils de l’ancien président Karim Wade et le maire de Dakar Khalifa Sall, <a href="https://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2018-3-page-187.htm?ref=doi">emprisonnés puis libérés mais devenus inéligibles</a>, confirme la volonté du pouvoir de n’organiser que des élections sans danger.</p>
<p>C’est dans ce contexte que Sall est réélu en 2019 pour un second mandat, de cinq ans cette fois. La <a href="https://theconversation.com/enjeux-et-usages-du-poste-de-premier-ministre-au-senegal-117575">suppression surprise du poste de premier ministre</a> au lendemain de l’élection, pour éviter toute concurrence politique possible et renforcer toujours plus les pouvoirs présidentiels, avant la réinstauration de la fonction en 2022, pose la question de la crédibilité des institutions. Dans les classements internationaux sur l’état de droit et la liberté de la presse, le <a href="https://rsf.org/fr/pays-s%C3%A9n%C3%A9gal">Sénégal dégringole régulièrement</a>.</p>
<p>Dans le même temps, les signes du déclin électoral de la coalition au pouvoir Benno Bokk Yakaar se multiplient durant le second mandat, alors même qu’elle ne cesse de coopter des opposants, tant du camp libéral de l’ex-président Abdoulaye Wade que des rangs socialistes. En janvier 2022, l’opposition remporte la majorité des grandes villes aux <a href="https://www.lepoint.fr/afrique/elections-locales-du-senegal-maintenant-que-le-vin-est-tire-04-02-2022-2463355_3826.php">municipales</a>. Six mois plus tard, lors des <a href="https://www.france24.com/fr/afrique/20220812-l%C3%A9gislatives-au-s%C3%A9n%C3%A9gal-le-camp-pr%C3%A9sidentiel-garde-la-majorit%C3%A9-absolue-gr%C3%A2ce-%C3%A0-une-alliance">législatives</a>, le pouvoir évite de peu une cohabitation avec la coalition d’opposition Yewwi Askan Wi, qui regroupe notamment les soutiens d’Ousmane Sonko, de Khalifa Sall et de Karim Wade.</p>
<h2>Tout pouvoir n’a-t-il pas l’opposition qu’il mérite ?</h2>
<p>Plus que l’usure inexorable, et finalement très classique, du pouvoir, c’est la persécution au long cours de l’opposition qui a conduit la direction actuelle du pays dans l’impasse. Cette stratégie jusqu’au-boutiste s’est peut-être retournée aujourd’hui contre ses initiateurs.</p>
<p>En 2019 déjà, le pouvoir n’avait pas lésiné sur les moyens, au point de faire appel à une <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2023/02/15/revelations-sur-team-jorge-des-mercenaires-de-la-desinformation-operant-dans-le-monde-entier_6161842_4408996.html">officine israélienne produisant des fake news</a>. Diverses <a href="https://www.bbc.com/afrique/region-53043804">rumeurs infondées</a> circulent alors sur les réseaux sociaux afin de décrédibiliser Ousmane Sonko.</p>
<p>Ce dernier, qui n’était alors qu’un opposant parmi d’autres, détonnait déjà dans le champ politique par la modernité de ses campagnes et de ses levées de fonds en ligne, et par la capacité de son parti, les Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), à mobiliser une bonne partie de la jeunesse urbaine et estudiantine, mais aussi au-delà, dans les classes populaires et la diaspora.</p>
<p>Inspecteur des impôts, radié de la fonction publique par un décret de Macky Sall en 2016 suite à ses sorties médiatiques sur des scandales financiers présumés, puis élu député en 2017, Sonko, né en 1974, se distingue par un discours intransigeant axé sur la lutte contre la corruption, le souverainisme et un nationalisme mâtiné de conservatisme religieux. Il obtient un score encourageant de 15 % à la présidentielle de 2019.</p>
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<p>En janvier 2021, le pouvoir menace une première fois de <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20210104-s%C3%A9n%C3%A9gal-le-pastef-d-ousmane-sonko-menac%C3%A9-de-dissolution">dissoudre le Pastef</a> au prétexte d’une levée de fonds en ligne ayant permis au parti de récolter environ 200 000 euros. Le mois suivant, une <a href="https://www.jeuneafrique.com/1117077/politique/senegal-ce-que-contient-la-plainte-pour-viols-et-menaces-de-mort-contre-ousmane-sonko/">plainte est déposée</a> contre Ousmane Sonko pour viols répétés et menaces de mort par une employée de salon de massage, Adji Sarr. C’est le coup d’envoi de « l’affaire Ousmane Sonko », qui tient en otage le Sénégal depuis lors.</p>
<p>Sonko radicalise alors son discours et lance l’épreuve de force avec la justice. Son arrestation en mars 2021 dans le cadre de cette enquête provoque la première <a href="https://theconversation.com/la-place-essentielle-des-reseaux-socionumeriques-dans-la-contestation-au-senegal-157467">grande série d’émeutes</a>, dont la répression fera 14 morts.</p>
<p>Face à la réaction de ses partisans, le pouvoir est contraint de le libérer. Sonko ne peut plus quitter le territoire national et ses moindres faits et gestes sont scrutés… ce qui ne l’empêche pas de <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20220124-s%C3%A9n%C3%A9gal-l-opposant-ousmane-sonko-remporte-la-mairie-de-ziguinchor-une-%C3%A9tape-importante">se faire élire maire de Ziguinchor</a> (la grande ville de Casamance) en mai 2022 et d’organiser de grands meetings pour démontrer sa popularité et s’en servir comme bouclier.</p>
<p>Après les scrutins de 2022, une autre plainte, pour diffamation cette fois, est déposée par un ministre, ancien chef de cabinet de Macky Sall. Elle aboutira en avril 2023 à une condamnation pour six mois de prison avec sursis, une amende considérable et le risque de l’inéligibilité pour Ousmane Sonko.</p>
<p>Mais c’est le procès Adji Sarr contre Ousmane Sonko qui attise la tension maximale. Le verdict de juin 2023, qui requalifie les faits en « corruption de la jeunesse », délit exhumé du code pénal mais presque jamais utilisé, met le feu aux poudres en condamnant Ousmane Sonko à deux ans de prison ferme. S’il reste pour l’instant en liberté, <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20230628-s%C3%A9n%C3%A9gal-ousmane-sonko-s-exprime-pour-la-premi%C3%A8re-fois-depuis-sa-condamnation">son arrestation semble imminente</a>.</p>
<p>Alors qu’il sonne pour l’opinion comme un acquittement puisque les accusations de viols et menaces ne sont pas retenues, et qu’il semble crédibiliser les suspicions d’instrumentalisation de la justice et/ou de la plaignante, le verdict rend encore plus incertaine la possibilité pour Sonko de concourir à la prochaine présidentielle, prévue pour début 2024.</p>
<h2>La mécanique infernale de la polarisation</h2>
<p>La <a href="https://afriquexxi.info/Au-Senegal-chronique-d-une-insurrection-annoncee">polarisation suscitée par cette affaire</a> divise jusqu’au sein des familles. Elle synthétise de façon vertigineuse toute une série de clivages au Sénégal (rapports entre les générations, conceptions de la citoyenneté, rapports de genre, rapport au religieux, à la justice et aux forces de l’ordre, rapports de classe et inégalités sociales, etc.).</p>
<p>Chaque camp se rejette la responsabilité de la crise. Le pouvoir dénonce la mégalomanie d’un politicien qui entendrait se soustraire à la justice de son pays, et instrumentaliserait ses partisans pour se construire une immunité « populaire » à la Trump et défier les institutions. Pour leur part, Ousmane Sonko et ses partisans crient au complot, au harcèlement judiciaire et policier, et à la volonté de liquidation politique.</p>
<p>Souligner la responsabilité première et écrasante du pouvoir dans ce processus de polarisation n’exonère certes pas les outrances d’Ousmane Sonko, qui ont pu faire douter jusque dans ses rangs. Pour un prétendant à la magistrature suprême, les <a href="https://www.france24.com/fr/%C3%A9missions/journal-de-l-afrique/20230530-ousmane-sonko-appelle-les-s%C3%A9n%C3%A9galais-%C3%A0-se-lever-comme-un-seul-homme-contre-le-pouvoir">appels à la confrontation directe et violente</a> passent mal auprès d’une part importante de l’opinion.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/tensions-politiques-au-senegal-sachemine-t-on-vers-une-impasse-201224">Tensions politiques au Sénégal : s'achemine-t-on vers une impasse?</a>
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<p>Les <a href="https://afriquexxi.info/Senegal-Le-corps-des-femmes-cet-objet-politique">organisations féministes</a>, ainsi que divers médias ou intellectuels rappellent <a href="https://www.seneplus.com/opinions/sonko-criton-plutot-que-socrate">ses discours misogynes</a> et soulignent le hiatus entre l’image de rigueur morale qui était le fonds de commerce du leader du Pastef et la fréquentation nocturne d’un salon de massage et/ou de prostitution.</p>
<p>Mais le verdict aura aussi sans doute contribué à cimenter sa base, qui n’attend plus grand-chose des institutions. Les <a href="https://information.tv5monde.com/afrique/tensions-au-senegal-500-arrestations-les-deux-camps-se-renvoient-la-responsabilite-des">arrestations massives</a> opérées parmi les membres du Pastef, y compris des élus (députés ou maires), combinées à des arrestations de nombreux <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/03/08/au-senegal-les-journalistes-inquiets-apres-une-nouvelle-arrestation-dans-le-cadre-de-l-affaire-ousmane-sonko_6164695_3212.html">journalistes</a>, lient temporairement le destin du parti à la société civile, signe que la tentative visant à isoler le Pastef a largement échoué. Échec supplémentaire pour le pouvoir : les autres partis d’opposition ont plutôt apporté leur soutien à Ousmane Sonko.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/au-senegal-les-manoeuvres-politiciennes-autour-du-dialogue-politique-122929">Au Sénégal, les manœuvres politiciennes autour du dialogue politique</a>
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<p>Le recours documenté à des « nervis » – ces hommes de main prêts à tout –, en particulier dans le camp du pouvoir, là encore aussi vieux que l’existence des campagnes électorales, <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2023/06/senegal-amnesty-international-demande-une-enquete-independante-sur-la-repression-meurtriere-lors-des-manifestations/">inquiète les organisations internationales et de défense des droits de l’homme</a>, d’autant qu’il se généralise même hors des périodes électorales. Les attaques de maisons d’hommes politiques, du pouvoir comme de l’opposition, sont là aussi tout sauf nouvelles, mais à l’ère des réseaux sociaux leur retentissement est majeur.</p>
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<p>Le Sénégal semble ainsi redécouvrir la part d’ombre de sa vie politique. Entre la tentation de la milicianisation chez certains soutiens du pouvoir en place, et celle de l’insurrection chez certains éléments du Pastef, l’impasse semblait totale début juin et <a href="https://www.youtube.com/watch?v=T0NT8ydFe4c">l’affrontement de grande ampleur inévitable</a>. Mais l’intensité des réactions dans les médias, la classe politique et la population signale un profond refus de la banalisation de la violence. L’examen de conscience général qu’a produit la crise pourrait redonner toute sa légitimité à un espace central, convaincu que ces deux polarités extrêmes mènent à l’impasse démocratique.</p>
<p>Certains faucons proches du pouvoir souhaitent <a href="https://www.seneweb.com/news/Contribution/reponse-a-l-rsquo-insurrection-terrorist_n_411594.html">« éradiquer » le Pastef</a>, ce qui serait le moyen le plus sûr de conduire à davantage de radicalisation et à des lendemains encore plus incertains pour le Sénégal.</p>
<p>Ce parti joue un rôle important pour l’intégration politique des élites intermédiaires et d’une certaine jeunesse urbaine désenchantée. Le pouvoir aurait tout intérêt à l’inclure dans le jeu électoral, quitte à bousculer un peu l’entre-soi de la classe politique sénégalaise. Le « risque » serait bien moindre que son exclusion des rouages de la démocratie représentative. D’autant que pour Ousmane Sonko, l’épreuve électorale est peut-être plus redoutable que l’épreuve judiciaire qui lui est imposée actuellement : il lui faudra faire face à des contradicteurs, défendre la crédibilité économique et budgétaire d’un programme, aligner des potentielles équipes gouvernementales et des compétences, rassurer des potentiels alliés pour une coalition…</p>
<h2>Les solutions sont connues</h2>
<p>Certes, le Sénégal peut s’enorgueillir de deux alternances politiques réussies en 2000 et 2012. Mais ce que la <a href="https://theconversation.com/presidentielle-au-senegal-les-faux-semblants-dune-democratie-modele-112776">légende dorée de l’exception démocratique sénégalaise</a> ne signale pas, ce sont les conséquences de la présence des présidents sortants dans ces deux scrutins. Seule l’existence du second tour a permis leur défaite, par un « vote utile » ou « dégagiste ». Le président élu tend alors à prendre son élection pour un vaste soutien populaire à sa personne et le réveil de l’impopularité n’en est que plus brutal.</p>
<p>La cristallisation d’un débat sur le troisième mandat, qui dans un pays normalement démocratique ne devrait même pas exister, souligne bien <a href="https://www.seneweb.com/news/Contribution/cette-verite-que-l-rsquo-on-ne-saurait-c_n_411628.html">l’absence de consolidation institutionnelle de la démocratie</a>. Le franchissement d’un véritable seuil qualitatif pour la démocratie au Sénégal serait donc qu’un président sortant ne se représente pas après ses deux mandats permis par la Constitution. Si Macky Sall entend marquer l’histoire politique de son pays, c’est en annonçant son départ qu’il pourra le faire.</p>
<p>La construction d’institutions politiques démocratiques fortes – et fortes parce que démocratiques – est essentielle pour la légitimité du pouvoir et la stabilité à long terme. <a href="https://obamawhitehouse.archives.gov/the-press-office/remarks-president-ghanaian-parliament">Barack Obama ne disait pas autre chose</a> en rappelant, en 2009, lors de sa visite au Ghana, cette vérité simple mais efficace : « L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts. Elle a besoin d’institutions fortes. »</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208123/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Etienne Smith ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La condamnation de l’opposant Ousmane Sonko dans une affaire montée de toutes pièces selon ses partisans a mis le feu aux poudres au Sénégal.Etienne Smith, Maître de conférences, Sciences Po BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2059022023-05-22T16:37:40Z2023-05-22T16:37:40ZPakistan : le spectre de l’embrasement<p>Au Pakistan, <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20230509-pakistan-l-ex-premier-ministre-imran-khan-arr%C3%AAt%C3%A9-alors-qu-il-comparaissait-devant-un-tribunal">l’arrestation</a>, le 9 mai dernier, de l’ancien premier ministre Imran Khan (août 2018-avril 2022), pour des faits supposés de corruption, a mis le feu aux poudres.</p>
<p>Dans plusieurs villes, de <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20230511-au-pakistan-l-arm%C3%A9e-d%C3%A9ploy%C3%A9e-face-aux-manifestants-soutenant-l-ex-premier-ministre-khan">violents affrontements</a> ont mis aux prises les sympathisants de son parti, le Pakistan Tehrik-e-Insaf (Mouvement du Pakistan pour la justice, PTI, de tendance islamo-nationaliste) et les forces de sécurité.</p>
<p>Le 12 mai, l’homme politique a été <a href="https://www.lejdd.fr/international/pakistan-lex-premier-ministre-imran-khan-libere-sous-caution-par-la-cour-supreme-135688">remis en liberté</a> à la suite d’une décision de la Cour suprême, mais <a href="https://news.sky.com/story/imran-khan-pakistans-former-prime-minister-says-police-have-surrounded-his-house-12882936">ses ennuis judiciaires ne sont pas terminés</a>, puisqu’il doit encore comparaître pour les faits qui lui sont reprochés.</p>
<p>Cet épisode de contestation, inédit par son intensité, s’inscrit dans le long bras de fer opposant le PTI à la coalition réunie autour de l’actuel premier ministre Shahbaz Sharif, alors que l’armée, dans ce pays de 230 millions d’habitants, continue de jouer un rôle de premier plan. </p>
<h2>Une déflagration inattendue</h2>
<p>L’ampleur et la virulence des mobilisations semblent avoir pris de court le gouvernement et l’armée, qui pour la première fois a <a href="https://www.nation.com.pk/10-May-2023/ghq-attacked-lahore-corps-commander-house-set-on-fire-by-pti-protesters">directement été prise pour cible par les protestataires</a>. Cet effet de surprise tient notamment à une perception erronée de la base sociale d’Imran Khan : selon un cliché largement répandu chez leurs opposants et dans les cercles gouvernementaux, les soutiens du PTI seraient essentiellement des « activistes du clavier » cantonnant leur engagement aux réseaux sociaux. </p>
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<p>Ces clichés ont été sévèrement démentis par la composition des foules émeutières des derniers jours, au sein desquelles on retrouvait aussi bien des femmes très motivées que des hommes d’affaires et des jeunes de milieu populaire. À cet égard, il faut souligner que 65 % des Pakistanais ont moins de 30 ans et environ 30 % d'entre eux ont entre 15 et 29 ans. Cette génération a grandi dans un monde où la menace djihadiste a perdu son caractère existentiel et où le rôle central de l’armée ne va plus de soi. </p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1657017808851554309"}"></div></p>
<p>La capacité d’Imran Khan et de son parti à fédérer les colères et à donner un sens et une direction à des sections très différentes de la population a été minimisée par les autorités, tant civiles que militaires.</p>
<p>Ce n’est pourtant pas la première fois que le PTI démontre ses capacités de mobilisation : en 2014, le parti avait organisé une <a href="https://www.ladepeche.fr/article/2014/08/14/1934318-pakistan-islamabad-prepare-grandes-manifestations-contre-pouvoir.html">« marche de la liberté »</a> qui, quatre mois durant, avait drainé des milliers de personnes de Lahore à Islamabad. </p>
<h2>Une société traversée d’une multitude de clivages sociaux, ethniques et religieux</h2>
<p>Les conflits sociaux qui agitent le Pakistan se mesurent aussi à travers les mouvements antimilitaristes apparus ces dernières années dans les marches tribales du pays, notamment au <a href="https://www.liberation.fr/international/asie-pacifique/pakistan-au-moins-neuf-policiers-tues-dans-un-attentat-suicide-20230306_GFSGKSH4N5EWPJKFN332VD7LCE/">Baloutchistan</a>, et dans les <a href="https://www.diploweb.com/En-Afghanistan-et-au-Pakistan-qui-sont-les-Pachtouns-Un-peuple-sans-pays.html">régions pachtounes</a>, où le Pashtun Tahafuz Movement (Mouvement de protection des Pachtounes – PTM) est parvenu à mobiliser massivement pour dénoncer les exactions commises par les forces de sécurité dans le cadre des opérations antiterroristes, et ce malgré une <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2019/02/pakistan-end-crackdown-on-ptm-and-release-protestors/">féroce répression</a>.</p>
<p>Au cours des dernières années, les groupes nationalistes <a href="https://minorityrights.org/minorities/sindhis-and-mohajirs/">sindhis</a>, plutôt marqués à gauche, ont également refait parler d’eux, notamment en <a href="https://www.samaaenglish.tv/news/40018121">s’attaquant aux intérêts chinois</a>. Mais c’est surtout au Baloutchistan, à la frontière de l’Iran, que le nationalisme ethnique pose le plus grand défi à l’État et à une conception unitaire de la nation qui se suffirait de l’islam comme référent. C’est d’ailleurs dans cette région, interdite aux observateurs étrangers, que l’armée pakistanaise et les milices pro-gouvernementales font preuve de la violence la plus désinhibée. </p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1341720208541503489"}"></div></p>
<p>À cela s’ajoutent des clivages religieux, opposant sunnites et chiites (autour de 20 % de la population musulmane, qui constitue elle-même 96 % de la population) mais aussi différents courants religieux sunnites, notamment les <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-enjeux-internationaux/au-pakistan-qui-sont-les-barelwis-islamistes-soufis-mobilises-contre-la-france-1066731">Barelwis</a>, adeptes d’un islam dévotionnel aux influences soufies, et les <a href="https://newlinesmag.com/essays/the-long-shadow-of-deobandism-in-south-asia/">Deobandis</a>, appartenant à un courant réformé qui s’est détaché de l’islam populaire par son rigorisme et son scripturalisme. </p>
<p>Enfin, la société pakistanaise est profondément inégalitaire. Au Pendjab et à Karachi – deux régions historiquement ancrées dans le monde indien –, les hiérarchies de caste restent très prégnantes. En pays pachtoune ou au Baloutchistan, la société reste dominée par des notables ou des chefs tribaux tandis que dans le Sindh rural le pouvoir économique et politique est concentré entre les mains des grands propriétaires terriens. Dans ce contexte de hiérarchies sociales superposées, le thème du « peuple contre l’establishment », dont le PTI s’est emparé, est fortement mobilisateur. </p>
<p>La grande force du PTI est d’être parvenu à surmonter ces clivages structurels en articulant un discours antisystème transcendant les divisions de caste, de classe et d’ethnie, tout en promouvant un islamo-nationalisme qui, s’il apparaît excluant pour les minorités religieuses (hindous, chrétiens, ahmadis), permet de rassembler l’ensemble de la population musulmane. </p>
<p>Tout en rassemblant largement, Imran Khan a cependant <a href="https://www.theguardian.com/world/2023/may/09/how-imran-khan-became-the-man-who-divided-pakistan">fortement polarisé la société pakistanaise</a>. Il a divisé l’armée, dont une partie des officiers semblent le soutenir, mais aussi les familles, où le PTI et son chef suscitent des opinions fortement contrastées. Ce sont aussi ces divisions qui expliquent la profondeur de la crise actuelle, qui traverse les institutions plutôt qu’elle ne les oppose frontalement.</p>
<h2>Une coalition au pouvoir désunie</h2>
<p>Il n’y a qu’une unité de façade dans la coalition du Pakistan Democratic Movement (PDM) actuellement au pouvoir.</p>
<p>Les dynasties politiques qui se trouvent à la tête du Pakistan Peoples Party (les Bhutto-Zardari) et de la Pakistan Muslim League Nawaz (les Sharif) sont des rivaux historiques, qui n’ont cessé de se disputer le pouvoir depuis la fin du régime militaire de Zia-ul-Haq en 1988.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1515181395039211522"}"></div></p>
<p>Ils partagent cependant un objectif : consolider les institutions démocratiques pour renforcer leur autonomie face au pouvoir militaire, même s’il leur arrive fréquemment de s’incliner devant les coups de force de l’armée, par faiblesse ou par opportunisme. L’objectif du PTI et de son chef est sensiblement différent : il s’agit plutôt pour eux de soumettre l’ensemble des institutions, y compris l’armée, en les contraignant à faire allégeance au leader de la nation.</p>
<p>Imran Khan ne se bat ni pour la démocratie, ni contre l’institution militaire. Il est dans un rapport de force très personnalisé avec le chef de l’armée, qui par certains côtés rappelle la tentative de Zulfikar Ali Bhutto, dans les années 1970, de monopoliser le pouvoir autour de sa personne.</p>
<h2>Le poids de l’armée</h2>
<p>L’armée conserve un rôle central dans tous les domaines d’activité. On trouve des généraux à la retraite à la tête de nombreuses institutions, du National Accountability Bureau (l’agence anti-corruption, à l’origine de l’arrestation d’Imran Khan, le 9 mai) jusqu’aux instances de direction des universités. À travers ses fondations, l’armée contrôle des pans entiers de l’économie. Elle est aussi l’un des premiers propriétaires fonciers du pays, tant en milieu rural (où les officiers méritants se voient attribuer des terres en fin de carrière) que dans les grandes villes (où elle gère de nombreux projets immobiliers). </p>
<p>Au plan politique, depuis la fin des années 2000, les militaires veillent à ne pas se mettre en première ligne et préfèrent contrôler les affaires en coulisse. C’est ce qui les a conduits à soutenir l’accession au pouvoir d’Imran Khan, à l’issue des élections de 2018. Il s’agissait alors pour l’armée de contenir le PPP et la PMLN, qui représentaient pour elle une menace, avec leur volonté de renforcer l’autonomie du pouvoir civil et des institutions démocratiques aux dépens du pouvoir militaire.</p>
<p>Au cours des années suivantes s’est mis en place un régime hybride, présentant une façade démocratique mais en réalité contrôlé par les militaires. Imran Khan n’a cependant pas tardé à vouloir s’autonomiser de ses anciens patrons, notamment en tentant de placer à la tête de l’armée et de ses puissants services de renseignement des généraux réputés proches de lui.</p>
<p>C’est ce qui a provoqué sa chute, à l’issue d’une motion de censure, en avril 2022 – une destitution dans laquelle la direction du PTI a vu un <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-enjeux-internationaux/au-pakistan-imran-khan-destitue-joue-la-carte-du-martyr-9350584">complot ourdi par l’armée pakistanaise et les États-Unis</a>. Le conflit est encore monté d’un cran suite à la récente arrestation de Khan, dont il a publiquement tenu responsable le chef de l’armée, le général Asim Munir.</p>
<p>Pour le leader du PTI, il s’agit pourtant moins de lancer un processus de démilitarisation du pays que de régler ses comptes et de remporter un bras de fer avec le seul homme susceptible de lui tenir tête. Même s’il engage l’avenir des relations civils-militaires, il s’agit plus là d’un conflit de personnes que d’institutions.</p>
<h2>Quels scénarios peut-on envisager ?</h2>
<p>Le premier scénario est celui d’une montée des tensions entre le PTI et l’armée. Jouant la carte de la polarisation et de l’agitation, Imran Khan pourrait appeler ses partisans à la résistance, en pariant sur le soutien d’une partie de l’armée voire sur une mutinerie qui pousserait le général Munir vers la sortie. Ce scénario est très improbable. Si l’armée semble plus divisée que jamais, elle reste pour l’instant unie derrière son chef.</p>
<p>Un second scénario est celui d’un retour au pouvoir d’Imran Khan, à l’issue des élections actuellement programmées pour octobre 2023. La tenue du scrutin à la date prévue semble cependant compromise par la crise actuelle et l’on voit mal les chefs de l’armée et les opposants du PTI se résigner au retour de Khan, dont l’un des premiers objectifs sera de punir et d’emprisonner ses adversaires.</p>
<p>Le dernier scénario, le plus probable à court terme, est celui d’une consolidation autoritaire à l’initiative et au bénéfice de l’armée. Celle-ci semble déterminée à instrumentaliser les mobilisations violentes des dernières semaines pour mettre au pas le PTI. Des milliers de sympathisants du parti ont été interpellés ces derniers jours et pourraient être jugés devant des tribunaux militaires. Une grande partie des dirigeants du parti sont également sous les barreaux. Cette stratégie répressive a le soutien du gouvernement de Shahbaz Sharif qui, non sans cynisme, instrumentalise la colère de l’armée pour régler ses propres comptes avec le PTI. Certains membres de la coalition au pouvoir souhaiteraient même profiter des événements des derniers jours pour interdire leur principal rival, afin de l’empêcher de se présenter aux prochaines élections.</p>
<p>En tout état de cause, la démocratie risque de ne pas sortir grandie de cette épreuve…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/205902/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Gayer ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les partisans de l’ex-premier ministre Imran Khan s’en prennent avec une véhémence sans précédent au pouvoir en place, qui veut emprisonner leur leader. Le spectre de la guerre civile rôde.Laurent Gayer, Directeur de recherche CNRS au CERI-Sciences Po, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2049432023-05-11T18:14:15Z2023-05-11T18:14:15ZMobilisations : et maintenant ?<p>La réforme des retraites voulue par le président Macron, pour faire sens, aurait dû venir à l’issue d’une co-production avec les partenaires sociaux de transformations relatives au travail. Après, et non avant. Une large consultation du gouvernement avec les acteurs concernés par le travail aurait certainement autorisé une présentation plus convaincante d’une loi sur les retraites. La place, le sens, le contenu du travail, ce qu’il signifie du point de vue collectif, comme pour chaque individu, appelaient en amont attention et profondeur de vue. <a href="https://theconversation.com/emmanuel-macron-la-verticale-du-vide-202672">Le pouvoir l’a compris trop tard</a> : Emmanuel Macron proposant a posteriori une vaste réflexion sur la <a href="https://www.ouest-france.fr/politique/emmanuel-macron/emmanuel-macron-evoque-trois-grands-chantiers-du-gouvernement-28b03e5e-dd4a-11ed-b05e-feb93315b60b">question du travail</a>.</p>
<p>Et maintenant ?</p>
<p>La contestation, même si elle a pu trouver un espace au sein d’entreprises ou de certains secteurs comme l’Éducation nationale n’a été qu’accessoirement l’occasion d’un conflit direct du <a href="https://theconversation.com/syndicats-moins-dencartes-mais-une-image-toujours-positive-aupres-des-salaries-201209">mouvement syndical</a> avec les directions d’entreprise.</p>
<p>Déjà avec les « gilets jaunes », apparus en novembre 2018, la protestation sociale se jouait en <a href="https://theconversation.com/gilets-jaunes-quelle-democratie-veulent-ils-170146">dehors</a> des lieux de travail, avec même indifférence ou hostilité vis-à-vis des syndicats. Avec le refus de la loi de réformes des retraites, il y a bien eu ici et là action sur ces lieux. Mais pour contribuer à l’arrêt du pays et de fait à un début de paralysie dans le pétrole, le ramassage des ordures ménagères ou les transports publics, plus que pour s’affirmer face aux employeurs. Le patronat s’est montré peu loquace, et absent dans le débat sur la loi de réforme, à laquelle il était plutôt favorable ; il ne s’est guère mis en avant.</p>
<h2>Le travail, lieu de l’action</h2>
<p>Or c’est là où l’on travaille que se jouent les relations qui confèrent son sens à l’action syndicale. Il y a là un paradoxe. Il a fallu les accords de Grenelle, en 1968, pour que le droit à la section syndicale d’entreprise, <a href="https://www.clesdusocial.com/accords-de-grenelle-25-27-mai-1968">revendication-phare de la CFDT</a>, soit acquis, puis entériné par la loi en décembre 1968.</p>
<p>Or lorsque le président Emmanuel Macron veut bien concéder un rôle au syndicalisme, c’est à ce seul niveau de l’entreprise, et de plus en l’y affaiblissant, on l’a vu avec les ordonnances du 22 septembre 2017 réduisant le nombre de représentants du personnel. Ainsi, une conquête des syndicats est devenue l’horizon où les enferme un chef de l’État qui proscrit pour eux tout rôle d’interlocuteur national, y compris en <a href="https://www.senat.fr/rap/r20-722/r20-722.html">disqualifiant les branches professionnelles</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/a-65-ans-la-v-republique-devrait-elle-partir-a-la-retraite-203431">À 65 ans, la Vᵉ République devrait-elle partir à la retraite ?</a>
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<p>Pendant un siècle et demi, le travail a été pensé sous deux angles, celui de l’émancipation et de la créativité, et celui de l’aliénation et de l’exploitation. Il a été au fondement de rapports dits de production, que l’action syndicale et politique de gauche mettait en cause sur un mode réformiste ou révolutionnaire. C’est en tant que travailleurs que se dressaient des acteurs porteurs de projets allant jusqu’à en appeler à l’accès au pouvoir d’État au moins en partie d’en bas, depuis l’usine, ou les bureaux, pour tenter de s’élever au niveau politique et institutionnel et à celui de l’État.</p>
<p>Associé à l’injustice, à des privations de droits, au manque ou à la perte de sens, à des atteintes à l’intégrité physique et morale des ouvriers, le travail dans le passé <a href="https://theconversation.com/le-travail-ultime-lieu-de-fabrique-de-la-politique-et-de-labstention-178668">a fondé des logiques de résistance et de reconnaissance</a>, alimenté des contre-projets, des utopies, l’appel ardent à un autre monde. L’acteur se définissait comme un travailleur concerné aussi bien par des enjeux modestes que par la contestation de l’organisation sociale et politique, et de la division du travail ; par des demandes limitées mais aussi des visées relatives à l’investissement, à la formation, ou à la culture. Le bon syndicaliste était celui qui savait passer des unes aux autres.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-experiences-du-travail-influencent-elles-les-choix-de-vote-181506">Les expériences du travail influencent-elles les choix de vote ?</a>
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<h2>D’autres enjeux entrent dans la sphère professionnelle</h2>
<p>Le travail a été indissociable de projets de renversement de la domination, de rejet de l’aliénation, de refus de l’exploitation et d’accès au pouvoir, et la figure du travailleur a pu incarner les mythes liés à ces projets. Puis d’immenses transformations ont marqué l’entrée dans une ère post-industrielle, de communication.</p>
<p>Féminisme, débats éthiques portant sur la procréation ou sur la fin de vie : des conflits inédits ou renouvelés mettent directement en jeu la personne singulière, dans son intimité, ses relations interpersonnelles, sexuelles, familiales, et dans ce qui touche à la vie et à la mort. Le travail est concerné, qu’il s’agisse par exemple de l’égalité des femmes et des hommes, ou de questions de harcèlement.</p>
<p>Environnement, changement climatique : d’autres sujets percutent la sphère professionnelle quand il s’agit par exemple de produire sans polluer.</p>
<p>La place du travail en est relativisée, il cesse d’accompagner des visées historiques ou politiques. Arrêtons d’en parler comme dans le passé, et d’y voir l’identité de ceux qui seraient le sel de la terre : <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/livres/le-mythe-porteur-de-la-fin-du-travail-1898998">c’est fini</a>. Mais sans accepter tout ce qui l’évacue et conduit à parler de « fin du travail » comme dans le <a href="https://www.lemonde.fr/festival/article/2017/08/18/la-fin-du-travail-le-nerf-de-la-guerre_5174023_4415198.html">livre de Jeremy Rifkin</a> qui porte ce titre (1996).</p>
<p>Parler du travail, c’est savoir que les <a href="https://theconversation.com/travailler-oui-mais-pour-pouvoir-aussi-se-realiser-en-dehors-199613">« travailleurs » veulent du temps libre</a>, en vacances, durant la retraite, c’est évoquer sa pénibilité, les injustices et les inégalités qu’il accompagne, les rémunérations insuffisantes qui le rétribuent.</p>
<p>Ce peut aussi consister à demander l’élargissement du cadre du dialogue social, malmené avec le président Macron, à œuvrer pour plus de droits sociaux. Ne plus rêver d’une société des travailleurs, qui parviendraient en tant que tels au pouvoir, au contrôle de la production, de l’accumulation, et des orientations principales de la vie collective ne devrait pas empêcher de revendiquer une participation au pouvoir et à la décision, au niveau de l’entreprise comme à celui de la vie générale du pays.</p>
<h2>Trois voies se dessinent</h2>
<p>Les grandes centrales syndicales annoncent en mai 2023 des dizaines de milliers de <a href="https://www.tf1info.fr/societe/video-retraites-des-adhesions-aux-syndicats-en-hausse-depuis-le-debut-de-la-mobilisation-2254690.html">nouveaux adhérents</a>.</p>
<p>Il y a là un point essentiel. Si les travailleurs en tant que tels désirent obtenir des avancées sociales, il leur faut effectivement se mobiliser par le bas, sur le terrain, là où se jouent les relations de travail et où, sans qu’on puisse comparer l’action contemporaine aux espoirs passés du mouvement ouvrier, au temps de sa splendeur, des changements considérables peuvent résulter de leur engagement.</p>
<p>En fait, trois voies principales dessinent aujourd’hui un avenir possible pour la poursuite du mouvement. La première est politique, et vaine vu la déliquescence de la <a href="https://theconversation.com/comment-une-crise-parlementaire-inedite-est-nee-avec-la-reforme-des-retraites-204596">vie parlementaire et partisane</a>* ; elle ne peut qu’osciller entre radicalité sans perspective – c’est plutôt le cas avec la France Insoumise – et combinaisons politiciennes peu glorieuses, du type de celles ayant échoué entre le pouvoir et les Républicains pour le vote de la loi de réforme des retraites.</p>
<p>La deuxième est celle d’une violence plus ou moins étrangère à l’action syndicale : elle substitue au débat sur le fond des polémiques relatives à ses responsables et acteurs, policiers et <a href="https://theconversation.com/le-black-bloc-quand-lantisysteme-effraie-80857">black blocs</a> notamment.</p>
<p>La troisième est sociale, syndicale. La lutte sur les retraites s’est jouée à un niveau national, dans l’attente d’un traitement politique de la demande d’abandon du passage de 62 à 64 ans de l’âge légal de la retraite.</p>
<h2>Transformer le paysage</h2>
<p>La mobilisation pourrait se prolonger durablement, avec des résultats peut-être moins visibles, car plus diversifiés, mais peut-être bien plus encore durables et importants en exigeant que s’élargisse et se transforme le paysage du travail au sein des entreprises privées comme du secteur public.</p>
<p>Conditions de travail, de son organisation, qui pourrait devenir bien plus participative, cogestion, prise en charge de thèmes sociétaux forts : l’espace des améliorations possibles est immense.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/retraites-vers-un-durcissement-du-mouvement-social-pour-faire-reculer-le-gouvernement-199815">Le syndicalisme</a> pourrait trouver là de quoi poursuivre sa relance, et à partir de là, mener des combats généraux. Le pouvoir politique y trouverait une certaine crédibilité dans l’opinion, la fin d’une séquence où il est apparu brutal et sourd. Une telle évolution ne réglerait évidemment pas tous les problèmes, qu’il s’agisse de l’engagement, notamment des jeunes, <a href="https://theconversation.com/comment-les-soulevements-de-la-terre-federent-une-nouvelle-ecologie-radicale-et-sociale-204355">sur des enjeux d’une autre nature</a>, hors travail, ou des carences d’une gauche qui ne peut assurer le traitement politique du social. Mais elle serait une contribution décisive à la relance générale de la vie démocratique.</p>
<p>Le moment est venu pour les secteurs réformistes du syndicalisme de faire valoir d’importantes exigences pour modifier en profondeur, de bas en haut, et d’abord en bas, le système social français, et pour accentuer la dynamique qu’a mise en branle la contestation de la loi de réforme des retraites. Cette voie offre d’autres alternatives au système politique actuel ou à la tentation d’une radicalité plus ou moins violente.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204943/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Wieviorka ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>C’est là où l’on travaille que se jouent les relations qui confèrent son sens à l’action syndicale : les mobilisations actuelles montrent que les débats sociétaux interpénètrent ces espaces.Michel Wieviorka, Sociologue, membre Centre d'analyse et d'intervention sociologiques (CADIS, EHSS-CNRS), Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2027982023-03-29T18:26:25Z2023-03-29T18:26:25ZComment expliquer la forte et persistante révolte contre la réforme des retraites ?<p>La gronde ne retombe pas. Le mardi 28 mars, entre 740 000 et deux millions de personnes ont manifesté à l’occasion de la 10<sup>e</sup> journée d’action contre la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/reforme-des-retraites-82342">réforme des retraites</a>. Malgré un repli de ces chiffres par rapport à la précédente journée de mobilisation, l’intersyndicale se dit toujours « déterminée après deux mois de mobilisation exemplaire » et a appelé à une <a href="https://www.leparisien.fr/economie/greve-du-28-mars-contre-la-reforme-des-retraites-sncf-ratp-ecolessuivez-en-direct-la-10e-journee-de-mobilisation-28-03-2023-I5L2RONWVJBVZM5IAHODPCYODE.php">nouvelle journée d’action le jeudi 6 avril</a>.</p>
<p>Des sociologues américains m’ont demandé de leur expliquer l’actuelle révolte des Français contre l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans. Une révolte qu’il leur est difficile de comprendre, eux qui peuvent travailler jusqu’à 70 ans et plus. J’ai trouvé que leur demande était une excellente occasion de prendre un peu de recul et de se demander : qu’est-ce qui est en jeu dans les considérables mouvements de foule que l’on observe actuellement en France ?</p>
<p>Ce n’est pas seulement, ni peut-être principalement les réglages très techniques des paramètres de notre système de retraite par répartition qui sont en jeu. En effet, une grande partie des Français – qu’ils soient manifestants ou non – <a href="https://www.fondapol.org/etude/les-francais-jugent-leur-systeme-de-retraite/">ne comprend pas les subtilités de ce système</a>, ni les permanents rajustements nécessaires à son équilibre financier.</p>
<p>C’est donc autre chose qui est à l’œuvre. Mais quoi ?</p>
<p>Commençons par une évidence : du point de vue individuel de chaque citoyen, l’obligation de travailler plus longtemps est une mauvaise nouvelle (sauf pour les quelques-uns qui <a href="https://www.lesechos.fr/politique-societe/societe/ces-seniors-qui-veulent-continuer-a-travailler-apres-lage-de-la-retraite-1901728">souhaitent continuer à travailler au-delà de l’âge « légal » de départ</a> à la retraite).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1620001522745483264"}"></div></p>
<p>Cette nouvelle « norme » a tous les aspects d’une perte d’avantage acquis. Dire que l’on passe de 62 à 64 ans, cela revient à dire : deux ans de perdu !</p>
<h2>Président ou patron ?</h2>
<p>Pour justifier cette apparente perte d’avantage acquis, le gouvernement en appelle à la science des <a href="https://www.cor-retraites.fr/node/595">modélisateurs</a>. Malheureusement, ajuster les paramètres d’un système de retraite par répartition pour qu’il soit équilibré vingt ans plus tard est une tâche scientifiquement impossible. Il y a <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/02/15/herve-le-bras-demographe-l-incertitude-est-au-c-ur-de-la-projection-du-conseil-d-orientation-des-retraites_6161919_3232.html">trop d’incertitudes</a> sur l’avenir, comme le soulignait le démographe Hervé Le Bras dans une interview récente au journal <em>Le Monde</em>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1625948057190760450"}"></div></p>
<p>Toute modélisation est contestable et peut être évidemment contestée, ce qui laisse le président et son gouvernement sans justification absolument convaincante, sauf à déplacer la question et à rechercher l’équilibre financier de l’État français dans son ensemble. Mais alors, c’est en « chef de l’État » qu’Emmanuel Macron se comporte, autrement dit en « patron » de l’entreprise France, au risque de ne plus être reconnu comme le président de tous les Français.</p>
<p>Or, on ne peut nier que l’État français est très endetté (<a href="https://www.lexpress.fr/economie/finances-publiques-pourquoi-le-quoi-quil-en-coute-continue-de-faire-flamber-la-dette-P7KYN33G4FC7VJM3M65OFQUNCQ/">plus de 110 % du PIB</a>), que le budget est constamment en déficit et que la balance des paiements est constamment négative faute <a href="https://www.banque-france.fr/statistiques/balance-des-paiements-et-statistiques-bancaires-internationales/la-balance-des-paiements-et-la-position-exterieure/balance-des-paiements-et-la-position-exterieure-de-la-france-donnees">d’exportations suffisantes</a>. En tant que « chef de l’État », <a href="https://theconversation.com/fr/topics/emmanuel-macron-30514">Emmanuel Macron</a> peut donc souhaiter que les Français travaillent plus longtemps, et affirmer qu’il impose cet allongement de la durée légale du travail dans « <a href="https://www.lapresse.ca/international/europe/2023-03-23/reforme-des-retraites/macron-persiste-et-signe.php">l’intérêt général</a> », et pour assurer la continuité de l’État providence.</p>
<p>Le problème est que, ce faisant, sa conduite se confond avec celle des « patrons » qui ont fait l’objet de nos <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/portrait_de_l_homme_d_affaires_en_predateur-9782707150745">travaux</a> de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/sociologie-21532">sociologie</a>. Même en se présentant comme un patron social, il entre alors inévitablement en opposition frontale avec des organisations syndicales, dont les adhérents sont principalement des salariés de la fonction publique et des entreprises publiques.</p>
<p>C’est ici que se noue le nœud gordien. Un président de la V<sup>e</sup> République ne peut être un « patron », car il est supposé protéger les Français contre les excès du capitalisme. Dans une perspective anthropologique de longue durée, il faut plutôt le comparer à un roi de l’Ancien Régime, car la population attend de lui qu’il protège, et prenne personnellement en charge tous les problèmes. S’il n’y parvient pas, il est détesté et devient l’ennemi du peuple. L’image des « <a href="https://www.cairn.info/les-deux-corps-du-roi--9782072878091.htm">deux corps du roi</a> », théorisée par l’historien allemand naturalisé américain Ernst Kantorowicz en 1957. Le politologue Loïc Blondiaux a <a href="https://www.persee.fr/doc/polix_0295-2319_1989_num_2_6_2102">décrit</a> cette image ainsi :</p>
<blockquote>
<p>« Le roi posséderait deux corps, l’un naturel, mortel, soumis aux infirmités, aux tares de l’enfance et de la vieillesse ; l’autre surnaturel, immortel, entièrement dépourvu de faiblesses, ne se trompant jamais et incarnant le royaume tout entier ».</p>
</blockquote>
<h2>Une morale sociale toujours vivace et opérante</h2>
<p>Pendant la Révolution française, les royalistes étaient considérés comme des traîtres à la nation, des êtres nuisibles qu’il fallait éliminer. Pour être une personne de bonne moralité, il fallait se mobiliser et soutenir « la nation en armes ». Cette vision dualiste de la morale a été renforcée au XIX<sup>e</sup> siècle par la philosophie marxiste qui postule qu’il est moral d’être avec et pour la « classe ouvrière », et immoral de se ranger au côté des puissants, des nantis, des élites, des bourgeois.</p>
<p>Un élément complémentaire de cette morale traditionnelle française, sans doute en lien avec notre tradition catholique, consiste à rejeter, a priori, tout argument d’inspiration économique, toute question d’argent. Encore aujourd’hui, beaucoup de Français sont convaincus que les visions économiques du monde sont la <a href="https://www.bfmtv.com/economie/economie-social/france/le-capitalisme-a-toujours-une-mauvaise-image-en-france_AN-202112020015.html">source de tous les maux</a>. Ils parlent volontiers de <a href="https://www.fayard.fr/documents-temoignages/l-horreur-economique-9782213597195">« l’horreur économique »</a> pour reprendre le titre d’un célèbre livre écrit par l’essayiste Vivianne Forester.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Pour être moral, selon une majorité de Français, il faut donc être pour le peuple, indifférent aux questions d’argent et éviter les raisonnements économiques, les calculs. Mais ce n’est pas encore assez. Être une personne morale, c’est aussi être une personne qui s’indigne, qui proteste, qui manifeste contre les puissants. Soutenir les institutions et leurs dirigeants est plutôt un signe de soumission, une faiblesse.</p>
<p>La grandeur est dans l’indignation, comme l’a bien dit le titre du best-seller du résistant Stéphane Hessel publié en 2011 <a href="https://indigene-editions.fr/indignez-vous-stephane-hessel/">« : Indignez-vous ! »</a>. Dans ces conditions, avancer des arguments démographiques et économiques en faveur d’une gestion prudente des finances publiques, c’est « trahir la bonne cause ».</p>
<p>On comprend aisément que l’âge légal de départ à la retraite ne soit plus la question principale en ce mois de mars 2023. Un glissement s’est opéré vers une nouvelle question : l’incapacité du Président de la République à se comporter en roi débonnaire capable de protéger les citoyens contre des <a href="https://www.leparisien.fr/economie/retraites/retraites-macron-invoque-des-risques-financiers-trop-grands-pour-justifier-le-493-16-03-2023-HDSKQGVEDRCLFMXSR5PESXJ2PE.php">« risques financiers trop grands »</a>, pour reprendre sa formule, pour justifier le recours au 49.3.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1636384512094662660"}"></div></p>
<p>Ce qui est en jeu, c’est sa capacité à se comporter en « roi nourricier », à assurer le bien être de son peuple et à lui promettre qu’il en sera toujours ainsi. Une conception traditionnelle de la morale est à l’œuvre. Elle s’exprime par des manifestations, une liesse populaire, un désordre. Il devient moralement obligatoire de participer à ce désordre pour être un « bon citoyen ».</p>
<h2>Et si on abolissait l’âge « légal » ?</h2>
<p>Il y a peut-être une solution pour réconcilier la logique économique et la morale sociale traditionnelle des Français : au lieu de fixer un âge légal de départ à la retraite, il faut au contraire abolir solennellement l’âge « légal ». L’État doit cesser d’être arrogant et d’imposer sa loi.</p>
<p>Bien que je ne sois pas un spécialiste de l’économie des systèmes de retraite, il me semble que cette proposition n’est pas impraticable. C’est ce que suggère, par exemple, Peter A. Diamond en 2006 dans la <em>Revue française d’économie</em>. Dans son <a href="https://doi.org/10.3406/rfeco.2006.1583">article</a> académique, l’économiste américain souligne que :</p>
<blockquote>
<p>« Certains travailleurs aiment leur travail et voudraient continuer leur activité au-delà de ce que certains considèrent comme l’âge normal de départ à la retraite. D’autres n’aiment plus leur travail (ou ne l’ont jamais aimé), et sont pressés d’arrêter leur activité dès qu’ils peuvent bénéficier d’une retraite décente. Un bon système de retraite ne devrait pas encourager le premier groupe à quitter le marché du travail au même âge que le second groupe. Cette opinion est largement, voire unanimement partagée par les économistes ».</p>
</blockquote>
<p>Ce même auteur ajoute à propos du système de retraite par répartition français (qu’il compare au système suédois) :</p>
<blockquote>
<p>« Nous pensons que les systèmes de retraite seraient mieux compris si l’on abandonnait le concept d’âge “normal” de départ à la retraite. On devrait plutôt parler de l’âge minimum de liquidation des droits, et d’ajustement des prestations en cas de départ au-delà de cet âge ».</p>
</blockquote>
<p>Il resterait alors aux caisses de retraite à fournir chaque année, une information précise et fiable sur le montant de la pension à laquelle chacun pourrait prétendre, s’il partait à 60, 65 ou même 70 ans, ce qui devrait permettre au citoyen de faire son choix, entre un peu plus de temps à la retraite ou bien un peu plus de revenus pendant cette période.</p>
<p>Cette solution de libre choix des personnes reste applicable, quel que soit l’état du système de calcul du montant des prestations. Cependant, il est évident que si ce système est trop inégalitaire, les plus bas salaires n’auront d’autre choix que d’essayer de travailler le plus longtemps possible pour bénéficier d’une retraite à la hauteur de leurs espérances. Il restera donc aux politiques, aux syndicalistes et aux gestionnaires à s’attaquer au vrai problème : les criantes <a href="https://www.cairn.info/revue-travailler-2005-2-page-73.htm">injustices entre métiers, professions et statuts</a>. Un sujet important qui justifiera sans nul doute encore bien des débats.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/202798/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Villette ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Face à la mobilisation, le président de la République Emmanuel Macron adopte une posture de « patron d’entreprise » qui ne correspond pas aux attentes des Français.Michel Villette, Professeur de Sociologie, Chercheur au Centre Maurice Halbwachs ENS/EHESS/CNRS , professeur de sociologie, AgroParisTech – Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2025242023-03-27T16:52:04Z2023-03-27T16:52:04ZDe la manifestation encadrée à la révolte « spontanée », comprendre le déclenchement des actions contestataires<p>Les grandes manifestations auxquelles on assiste en ce moment, mais aussi les blocages, les regroupements spontanés et les initiatives originales, ramènent à une grande question des sciences sociales : qu’est-ce qui conduit au déclenchement d’une action contestataire ?</p>
<p>Cette question a suscité de nombreux fantasmes chez les journalistes, chercheurs et autres commentateurs de mouvements médiatisés. Beaucoup se sont demandé pourquoi il y avait des révoltes, se sont intéressés aux événements situés en amont de ces dernières et ont considéré que les frustrations des gens expliquaient naturellement le passage à l’acte, voyant par exemple dans tel événement déclencheur la « goutte d’eau de trop ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/reforme-des-retraites-comment-se-construit-une-crise-politique-202284">Réforme des retraites : comment se construit une crise politique ?</a>
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<p>Mais les gens qui se révoltent ne sont pas des vases remplis d’eau, ce sont des individus qui pensent et calculent. La métaphore n’explique pas la réalité du déclenchement de la mobilisation.</p>
<h2>La bonne question : pourquoi n’y a-t-il pas plus de révoltes ?</h2>
<p>Pour comprendre ce qui crée la <a href="https://theconversation.com/vivons-nous-une-ere-de-soulevements-200950">révolte</a>, il faut changer la question posée. Dans toute société, un grand nombre de gens vivent des brimades et frustrations et sont conscients de subir des injustices et de ne pas être les seuls à en subir.</p>
<p>Dès lors, la bonne question n’est pas pourquoi y a-t-il des révoltes mais, comme l’a souligné il y a plus de 40 ans le sociologue <a href="https://www.abebooks.fr/9780394737270/Injustice-Social-Bases-Obedience-Revolt-039473727X/plp">Barrington Moore</a> : pourquoi n’y en a-t-il pas plus souvent ? Il est nettement plus simple de répondre à cette question : s’il n’y en a pas plus souvent, c’est parce qu’organiser une révolte est une entreprise incertaine et coûteuse. Si les choses se passent mal, si l’on se retrouve seul à agir, on craint, selon le contexte politique, d’être ridicule, d’être arrêté, d’être violenté ou d’être tué par la police.</p>
<p>Le moyen le plus évident de réduire ces risques est de s’assurer qu’on ne sera pas seul à agir. De fait, c’est ça qui préoccupe le plus les individus qui tentent de soulever le début d’un mouvement collectif et qui s’apprêtent à se montrer au rendez-vous, à commencer à agir, à s’engager publiquement.</p>
<p>Parvenir à s’assurer que du monde va venir est une chose difficile. On peut le faire si l’on a un réseau fiable de contacts, une position d’autorité, ou que l’on appartient à un groupe qui a l’habitude de contester collectivement. Ces éléments sont autant de <a href="https://editions-croquant.org/hors-collection/821-sociologie-des-declenchements-d-actions-protestataires.html">« facteurs de probabilité »</a> de l’action qui permettent de rassurer les acteurs sur le fait qu’ils ne seront pas seuls au moment de se jeter à l’eau.</p>
<h2>Tâter le terrain pour ne pas être seuls</h2>
<p>S’assurer de ne pas se retrouver seul à agir n’est pas une préoccupation que l’on trouve seulement dans les actions de révoltes « ordinaires » comme les grèves, manifestations ou blocages. Cette préoccupation est présente pour d’autres types de mobilisations qui sont au cœur de la construction des crises, telles <a href="https://ojs.uclouvain.be/index.php/emulations/article/view/lecomte/50873">qu’une fronde parlementaire</a> ou un processus de dénonciation publique.</p>
<p>Les dénonciations publiques de viols, par exemple, même si elles font souvent apparaître une femme seule, n’ont lieu qu’après un travail collectif visant à garantir à cette femme <a href="https://editions.flammarion.com/parler/9782081416642">qu’elle bénéficiera de certains soutiens</a>.</p>
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<p>C’est aussi au cœur des inquiétudes, de façon bien plus nette encore, de ceux qui organisent des actions collectives aussi engageantes que le sont certains attentats <a href="https://www.jstor.org/stable/j.ctvjghwdq">ou les coups d’État</a>, où la défection est particulièrement coûteuse, à la fois pour celui qui « plante » les autres et pour les autres.</p>
<p>Cela conduit généralement les organisateurs et participants de ces coups à écrire précisément leur scénario à l’avance (répartition des rôles, timing de l’action…), mais sans échanger longuement à l’avance les garanties qu’ils vont agir, en tâtant longuement le terrain et en repoussant les coups irréversibles au dernier moment.</p>
<h2>Les types de facteurs de probabilité de l’action</h2>
<p>Les « facteurs de probabilité » qui permettent de s’assurer que d’autres entreront en action peuvent être des engagements explicites, ou des indices tacites. Mais en pratique, un engagement explicite seul est sans effet.</p>
<p>Si vous croisez dans la rue un passant que vous ne connaissez ni d’Ève ni d’Adam et qui vous dit de le rejoindre car il prépare un coup d’État pour le lendemain à 14 heures, vous n’en croirez pas un mot. Par contre, si un groupe d’amis s’engage à venir bloquer l’entrée de la fac avec vous le lendemain, que votre histoire passée avec eux et le contexte dans lequel ils s’y engagent vous persuadent de la fiabilité de leur parole, l’engagement a de bonne chance de vous donner la certitude de ne pas être seul à agir.</p>
<p>On croit aux engagements d’une personne ou d’un groupe de gens parce que des éléments tacites donnent de la crédibilité à leur parole. Ce sont alors des engagements à la fois explicites et tacites : ils sont mixtes. Un appel à la mobilisation aura d’autant plus de chances d’être suivi qu’il s’appuie sur des personnes ou groupes perçus comme fiables et/ou a lieu dans une situation qui paraît mobilisatrice, par exemple après l’annonce d’un projet de réforme largement défini comme portant une atteinte lourde à certains principes… Une réforme repoussant l’âge de la retraite, par exemple.</p>
<p>Mais certains facteurs de probabilité sont entièrement tacites, c’est-à-dire qu’ils permettent une coordination d’acteurs sans qu’il ne soit forcément nécessaire d’appeler explicitement à l’action. C’est le cas quand le groupe social dans lequel on s’inscrit est réputé très facile à mobiliser, ou quand surviennent certains événements, des « déclencheurs types », qui rendent la mobilisation hautement probable et agissent comme une prophétie autoréalisatrice, facilitant, voire mâchant le travail aux organisateurs.</p>
<p>Le décès d’un jeune de certains quartiers populaires suite à une bavure policière est par exemple un <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2016-6-page-937.htm">célèbre déclencheur type</a> qui a spécialement fait effet dans les années 1990 et 2000. C’est un événement qui, parce qu’il est chargé d’une mémoire collective très particulière, suffit à assurer aux gens que des mouvements de révolte auront lieu.</p>
<p>C’est ce qui se passe dans la banlieue Est Lyonnaise à partir de 1990 : la population locale est tellement persuadée que chaque bavure est suivie d’émeute que, effectivement, l’occasion est saisie à chaque fois par quelques dizaines de personnes. Dans la décennie qui suit, <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2016-6-page-937.htm">toutes les bavures policières meurtrières sont suivies d’émeutes le soir-même</a>.</p>
<p>Dans le cas des manifestations spontanées qui se sont répandues le soir dans les grandes villes françaises en particulier à partir du 20 mars 2023, jour de l’échec des motions de censure contre le gouvernement Borne, c’est le même type de logique autoréalisatrice qui est à l’œuvre.</p>
<p>Les médias d’info en continu et réseaux sociaux ont vite permis de comprendre aux personnes ou petits groupes souhaitant participer à des actions qu’en se rendant sur certaines places ou avenues identifiées, il était hautement probable qu’ils retrouvent des congénères. D’autant plus probable qu’au fil des soirs, la pratique s’est reproduite et institutionnalisée : l’essentiel des gens savaient d’avance, avant même de le vérifier sur leurs médias, qu’ils ne seraient pas seuls en descendant dans la rue.</p>
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<h2>L’auteur de cet article vient de publier</h2>
<p><em><a href="https://librairie.studyrama.com/produit/4664/9782749552293/antimanuel-de-socio">Antimanuel de socio. Les ressorts de l’action et de l’ordre social</a></em>, Bréal.</p>
<p><em><a href="https://editions-croquant.org/hors-collection/821-sociologie-des-declenchements-d-actions-protestataires.html">Sociologie des déclenchements d’actions protestataires</a></em>, Le croquant.</p>
<p><em><a href="https://www.atlande.eu/sciences-economiques-et-sociales/974-les-crises-politiques-9782350308678.html">Les crises politiques</a></em>, Atlande.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/202524/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alessio Motta est consultant chez Mobilisations.org</span></em></p>La bonne question n’est pas pourquoi y a-t-il des révoltes, mais pourquoi n’y en a-t-il pas plus souvent ?Alessio Motta, Enseignant chercheur en sciences sociales, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2022992023-03-23T11:40:27Z2023-03-23T11:40:27ZLes punks, ces pionniers des combats écologiques<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/517144/original/file-20230323-24-mdtovq.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=11%2C0%2C1449%2C844&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Détail de la couverture de l’album P.E.A.C.E sorti en 1984. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/International_P.E.A.C.E._Benefit_Compilation#/media/File:Peace_war.jpg">Wikipedia</a></span></figcaption></figure><p><em>Formidable élan de créativité et d’énergie artistiques, le punk rock est aussi une constellation d’idées et de pratiques collectives qui forment depuis les années 1980 un puissant mouvement contestataire, notamment en matière d’écologie. Le sociologue Fabien Hein (Université de Lorraine) et l’éditeur et traducteur Dom Blake nous plongent dans ce monde en mouvement avec leur ouvrage « Écopunk », <a href="https://www.lepassagerclandestin.fr/catalogue/essais/ecopunk/">paru le 22 mars 2023 aux éditions Le Passager clandestin</a>, et dont nous vous proposons de découvrir un extrait</em>. </p>
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<p>« Si les animaux pouvaient parler. Si les planètes, les arbres, les rivières, les montagnes et les océans pouvaient protester, eux aussi réclameraient l’arrêt des dégradations causées à la nature par l’avidité des êtres humains. L’instinct de conservation est le premier des instincts, mais nous avons été tellement bernés, désinformés, sous-instruits et, en définitive, roulés dans la farine que même des parents bienveillants enseignent, sans en avoir conscience, l’autodestruction et la destruction de la planète à leurs enfants dès le plus jeune âge. </p>
<p>A priori, on pourrait s’attendre à ce que le monde aille vers davantage d’intelligence et de délicatesse. Qu’il réponde aux besoins de la population et résolve les problèmes sociaux. Mais il semblerait que les détenteurs du pouvoir aient choisi de prendre exactement le chemin inverse, générant ainsi toujours plus de faim, d’exploitation, de racisme et de pollution sous l’égide de régimes militarisés à tendance dictatoriale. »</p>
<p>Cette déclaration accompagne la parution, en 1984, d’une compilation de titres joués par 55 groupes punks de divers pays, parmi lesquelles Crass, Dead Kennedys, MDC, Reagan Youth, Conflict ou encore Negazione. Le projet avait été initié en 1982 par le label indépendant du groupe étatsunien MDC, R Radical Records, en association avec le tout nouveau <em>Maximumrocknroll</em>, futur fanzine de référence pour l’ensemble de la scène punk anglo-saxonne. </p>
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<img alt="Le groupe Crass sur scène" src="https://images.theconversation.com/files/517146/original/file-20230323-26-fvfyyc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/517146/original/file-20230323-26-fvfyyc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/517146/original/file-20230323-26-fvfyyc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/517146/original/file-20230323-26-fvfyyc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/517146/original/file-20230323-26-fvfyyc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/517146/original/file-20230323-26-fvfyyc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/517146/original/file-20230323-26-fvfyyc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le groupe Crass en concert à Cleator Moor (Grande-Bretagne) en 1984. De gauche à droite : Pete Wright (guitare basse), Steve Ignorant (chanteur), N.A. Palmer (guitare).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Crass#/media/Fichier:Crass_pete_steve_andy.png">Trunt/Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>L’album s’intitule <em>P.E.A.C.E./War</em>, l’acronyme PEACE déclinant les principes fondamentaux qui animent ces formations de la scène punk : « peace, energy, action, cooperation, evolution ». </p>
<p>Le texte exprime une préoccupation caractéristique de la scène punk des années 1980 : celle de ne pas dissocier les problèmes environnementaux de l’ensemble des logiques économiques, sociales et politiques qui président à leur manifestation. La destruction de la planète est la conséquence d’une organisation sociale, voire d’une idéologie, qui induit un rapport prédateur au monde et qui passe par le consentement tacite de ceux-là mêmes qui devraient le combattre. </p>
<p>Le texte laisse aussi affleurer deux thèmes écologiques de prédilection de la scène punk de l’époque : le respect impératif du vivant, d’une part ; l’appel à une coexistence pacifiée et sensible avec la nature en général, d’autre part. De fait, par la prise de conscience que le système d’oppression qu’ils dénoncent est aussi un système d’exploitation intensive de la nature, les punks entrent en écologie. </p>
<p>Ils le font en se joignant massivement aux organisations qui, dès les années 1970, organisent la lutte pour la défense des animaux, et ce combat est indissociable d’une éthique impliquant l’adoption d’un régime alimentaire et d’un mode de vie idoines. Mais les punks sont aussi très tôt inquiets de la propension de l’humanité à remettre son destin entre les mains d’une technique devenue hors de contrôle. Leur prise de position contre le nucléaire en est la première expression, mais elle s’étend rapidement à d’autres formes d’exploitation technique et industrielle de la nature et aux multiples infrastructures sur lesquelles elles s’appuient. </p>
<p>Contre la société de l’automobile, en particulier, ils se font les chantres d’un rapport à l’espace privilégiant la lenteur et l’énergie du corps, en défendant collectivement l’usage de mode de transports non technologiques ou, pour emprunter à Ivan Illich l’un de ses concepts phares, « conviviaux ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/re-lire-andre-gorz-le-pere-de-lecologie-politique-francaise-84657">(Re)lire André Gorz, le père de l’écologie politique française</a>
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<p>Souvent lucides et fort documentés, dotés parfois d’une vision tragique de l’existence, ces punks entrevoient le surgissement d’une rupture écologique majeure. Inquiets de la dégradation de l’environnement, informés de la fragilité des équilibres naturels, hostiles à tout anthropocentrisme, et peu à peu sensibilisés à la beauté de la nature, ils se posent dans un premier temps, comme leur contemporain le philosophe Günther Anders, en <a href="https://www.editions-allia.com/fr/livre/453/et-si-je-suis-desespere-que-voulez-vous-que-jy-fasse">« semeurs de panique »</a>, afin de « faire comprendre aux hommes qu’ils doivent s’inquiéter et qu’ils doivent ouvertement proclamer leur peur légitime ». </p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/517145/original/file-20230323-28-42gqqq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Couverture de l’ouvrage Écopunk" src="https://images.theconversation.com/files/517145/original/file-20230323-28-42gqqq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/517145/original/file-20230323-28-42gqqq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=884&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/517145/original/file-20230323-28-42gqqq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=884&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/517145/original/file-20230323-28-42gqqq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=884&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/517145/original/file-20230323-28-42gqqq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1111&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/517145/original/file-20230323-28-42gqqq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1111&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/517145/original/file-20230323-28-42gqqq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1111&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Paru en mars 2023.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.lepassagerclandestin.fr/catalogue/essais/ecopunk/">Éditions Le Passager clandestin</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Mais leur action ne se résume pas au rôle de lanceurs d’alerte, si efficaces que soient en ce domaine les modes d’expression artistique qui sont les leurs. Ils appuient aussi massivement certaines formes organisées de résistance écologique, et contribuent, en entraînant avec eux une bonne part de la jeunesse révoltée de leur temps, à leur visibilité et, bien souvent, à la consécration des causes qu’elles défendent. Quitte à contribuer, parfois, à la dispersion de ces forces subversives dans le tamis de la culture dominante.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/202299/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fabien Hein ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Depuis les années 1980, la contre-culture punk a exercé une influence décisive sur la diffusion de modes d’action politiques et environnementaux.Fabien Hein, Maître de conférences en sociologie, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2019052023-03-15T19:58:17Z2023-03-15T19:58:17ZRéforme des retraites : l’heure de vérité<p>Pour la seconde fois sous l’ère d’Emmanuel Macron, le dossier des retraites se trouve mis sur la table des discussions : lors du premier quinquennat, la réforme avait franchi une étape parlementaire, puis elle avait été enterrée sous les sables de l’épidémie du Covid-19. Elle se voulait systémique, uniformisant et universalisant un système de calcul par points à la place des années de cotisation, mettant un terme aux régimes spéciaux.</p>
<p>Aujourd’hui, la nouvelle version de cette même réforme apparaît comme un défi majeur du second quinquennat d’Emmanuel Macron. Elle a conduit à une union syndicale rare en France et à une forte mobilisation dans la rue. Elle a aussi engendré des débats houleux à l’Assemblée nationale, mettant à jour les dissensions entre la droite représentée par Les Républicains et la Macronie.</p>
<p>La séquence attend un possible épilogue parlementaire ce jeudi 16 mars, alors que l’on se pose toujours des questions sur la forme que prendra le mécontentement social.</p>
<h2>Une provocation ?</h2>
<p>Lors de la campagne présidentielle en 2022, Emmanuel Macron avait affiché très clairement dans <a href="https://en-marche.fr/emmanuel-macron/le-programme">son programme</a> sa volonté de faire de la réforme des retraites l’une des priorités de son second mandat.</p>
<p>Si l’objectif déclaré est le même qu’en 2019, « sauver le régime par répartition », la démarche est cette fois inversée et resserrée : il s’agit maintenant d’une réforme paramétrique, subordonnant les mesures d’accompagnement à la fixation préalable d’un recul du départ à taux plein, au lieu d’une réforme d’attribution des points rendant secondaire cette fixation.</p>
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<p>En imposant ce renversement, qui place les <a href="https://theconversation.com/reforme-des-retraites-les-syndicats-peuvent-ils-reprendre-la-main-197468">syndicats</a> en position protestataire, Emmanuel Macron agissait-il par provocation ?</p>
<p>Il semble bien que non : les temps avaient changé, l’Assemblée nationale aussi. Surtout, la France sortait à peine de cette crise sanitaire exceptionnellement coûteuse, qui avait lourdement aggravé la dette publique et qui amenait le président, sinon à prôner l’austérité, au moins à renoncer à l’insouciance et à l’abondance.</p>
<h2>Le nouveau rôle de l’Assemblée nationale</h2>
<p>Dans ce contexte, le report de l’âge à 65 ans résonne comme un appel à l’effort collectif. Au Parlement, terminée la belle époque de la majorité absolue, l’heure est désormais à la <a href="https://theconversation.com/legislatives-la-vie-politique-bouleversee-par-un-scrutin-inattendu-185375">discussion politique et au compromis</a>.</p>
<p>Aucune réforme névralgique ne peut être entreprise sans la garantie préalable d’un consensus avec une part majoritaire de la représentation. Seule cette position politique débordant de la majorité présidentielle, preuve d’une véritable autorité politique, permettrait de poursuivre la négociation avec les syndicats pour l’application, et d’apaiser postérieurement la crise sociale assumée. Le choix de l’âge barrière à 65 ans allait d’ailleurs parfaitement dans cette direction, puisqu’il s’agissait de celui retenu par LR depuis François Fillon. Le pont était donc naturel. Restait à le franchir.</p>
<p>Ce fut difficile. À l’évidence, les oppositions n’ont pas assumé leur part du message envoyé par les Français au moment des dernières législatives : faute de mode de scrutin adapté aux nuances de l’opinion, les électeurs avaient bricolé spontanément une manière de proportionnelle, n’octroyant pas de blanc seing à la majorité présidentielle et invitant au dialogue et au compromis entre les différents partis. Loin d’ouvrir le jeu, on l’a rigidifié encore plus.</p>
<h2>Entre effraction et soustraction électorales</h2>
<p>Emmanuel Macron, élu par effraction en 2017, semble aux vieux partis décimés avoir été réélu par soustraction. La gauche, explosée et implosée en même temps, a fait le choix d’un réalignement autour de sa forme radicale, fermant le ban à tout rapprochement avec la majorité présidentielle. Ne reste donc disponible dans cet univers politique triphasé que l’espace incertain de la droite modérée tiraillée entre ses aspirations centristes et sa peur d’être débordée par le RN devant ses électeurs.</p>
<p>Dans cette logique du déni de légitimité, on cherche le conflit et le blocage. Les débats sur la réforme des retraites en auront été le paroxysme, même si le gouvernement estime avoir fait des concessions en annonçant un âge légal finalement établi à 64 ans lors de la présentation de la réforme en janvier 2023.</p>
<p>Il faudra au gouvernement avoir recours à tout un <a href="https://theconversation.com/reforme-des-retraites-par-quels-moyens-legislatifs-le-gouvernement-peut-il-la-faire-adopter-197929">capharnaüm constitutionnel</a> pour contourner le blocus qu’a tenté de réaliser l’opposition de gauche soutenue, avec une discrète fermeté, par l’extrême droite : art. 48, 47-1, 44 al. 3, tout un arsenal disponible prévu par la constitution, précisément pour faire face à ce genre de situation.</p>
<p>D’autant que le feu du débat à l’Assemblée était synchronisé avec la protestation de la rue : les tambours syndicaux unifiés rythmant la marche des huit journées de protestation.</p>
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<figcaption><span class="caption">« Personne n’a craqué ! » : la colère de Dussopt face à LFI qui quitte l’Assemblée. YouTube.</span></figcaption>
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<p>Aujourd’hui, bien qu’une très large partie de l’opinion se soit déclarée défavorable à la réforme, l’exécutif n’a pas cédé sur l’essentiel, et il se pourrait même à terme, lorsque les choses seront apaisées, la négociation sociale reprise, que cette intransigeance ne vienne à son crédit. Car les enjeux de cette affaire sont aussi multiples que considérables, au plan interne comme au plan international. Il pourrait même marquer un tournant de ce deuxième quinquennat.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/retraites-comment-la-reforme-incarne-le-bras-de-fer-entre-le-pouvoir-et-la-rue-198083">Retraites : comment la réforme incarne le bras de fer entre le pouvoir et la rue</a>
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<h2>Réduire la fracture politique</h2>
<p>La capacité de la France d’entreprendre, après le fameux quoiqu’il en coûte, un redressement de sa dépense publique sans creuser plus la dette, ne peut que rassurer ses partenaires politiques européens. Et c’est là un enjeu important, en cette période de hausse des taux d’intérêt.</p>
<p>Mais c’est dans la vie politique interne que le jeu bénéfice/perte est potentiellement le plus fort. Parvenir à briser les circonvallations qui retenaient le président isolé des acteurs de la vie politique était une gageure qui tardait à se résoudre. S’ils parviennent, sur un sujet socialement sensible, à amener Les Républicains à surmonter au final leurs craintes du RN et le gros de leurs divisions, Elisabeth Borne et Emmanuel Macron auront franchi une étape décisive.</p>
<p>Désormais, cette brèche pourrait potentiellement être empruntée à d’autres occasions. Et sans doute aussi par d’autres forces politiques : le parti socialiste, aujourd’hui allié aux autres forces de la Nupes continuera-t-il longtemps à laisser la droite monopoliser le dialogue avec Emmanuel Macron ?</p>
<p>Enfin, s’il surmonte dans les prochaines semaines un mur d’opinion hostile à son projet en arguant de la solidarité et du long terme, le président aura replacé la question essentielle de la légitimité sur son vrai terrain : celui de l’autorité qu’implique la décision politique.</p>
<p>Pour cela, il faut qu’au fil d’article 47-1 en aiguille d’article 44 al. 3, de négociations en reculs tactiques, le projet de loi de réforme des retraites soit adopté par le Parlement après les derniers ajustements de la commission mixte paritaire. Mais aussi, au vu des concessions réciproques obtenues, que le scénario se déroule sans recours à l’article 49 al. 3 qui en affaiblirait la portée politique. À Emmanuel Macron de relever alors le défi de « l’après ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201905/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claude Patriat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Alors que le texte est présenté aux députés pour le vote final ce jeudi 16 mars, la séquence politique ouverte par la réforme des retraites trouvera-t-elle sa conclusion cette semaine ?Claude Patriat, Professeur émérite de Science politique Université de Bourgogne, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2009502023-03-14T19:59:49Z2023-03-14T19:59:49ZVivons-nous une ère de soulèvements ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/513929/original/file-20230307-172-ka5zxa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C7348%2C4902&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des manifestants anti-gouvernementaux de Hong Kong encerclés par des gaz lacrymogènes lors d'un affrontement avec la police anti-émeute à Wong Tai Sin, le 1 octobre 2019.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Comment un mouvement majoritaire et légitimement démocratique peut-il faire plier l’intransigeance néo-libérale d’un gouvernement ? Telle est la question d’actualité en France. </p>
<p>Elle résume sans doute l’enjeu mondial d’un XXI<sup>e</sup> siècle déjà marqué par des vagues d’émeutes et de <a href="https://editions-croquant.org/hors-collection/594-time-over.html">soulèvements</a> d’une ampleur et d’une densité rare.</p>
<p><a href="https://www.revue-etudes.com/critiques-de-livres/pouvoir-de-la-non-violence-de-erica-chenoweth-et-maria-j-stephan/23661">Une récente étude américaine</a> montre qu’au XX<sup>e</sup> siècle les résistances civiles non violentes ont été plus efficaces que les luttes armées. Mais l’étude s’arrête en 2006 et dans un <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/12/23/l-efficacite-des-mouvements-sociaux-non-violents-est-en-declin-depuis-une-decennie_6155460_3210.html">entretien au <em>Monde</em> en décembre 2022</a>, la politologue américaine Maria J. Stephan, une des deux autrices, admet que cette efficacité est en net déclin depuis une décennie.</p>
<h2>Vers la violence ?</h2>
<p>Une rupture est intervenue au début du siècle dans l’interlocution politique entre les peuples et les pouvoirs, cassant le pacte politique et démocratique implicite selon lequel le <em>cratos</em> (le pouvoir en grec) ne peut être sourd au <em>demos</em> (le peuple). Dans la recherche du consentement populaire, les États semblent passés de la construction patiente de l’hégémonie à l’établissement brutal de l’obéissance.</p>
<p>« Oderint, dum metuant ». « Qu’ils me haïssent, pourvu qu’ils me craignent » aurait dit l’empereur Caligula selon Cicéron. Cette phrase exprime l’essence la phase de <a href="https://theconversation.com/a-t-on-atteint-notre-capacite-collective-a-supporter-la-brutalite-du-monde-199736">brutalisation des rapports politiques</a> qui s’est ouverte avec le XXI<sup>e</sup> siècle. Alors que le <a href="https://theconversation.com/le-forum-social-mondial-reinvente-la-force-dune-idee-87135">Forum social Mondial de Porto Alegre</a> a fait lever l’espoir d’une contre-mondialisation pacifique, la répression des manifestations contre le sommet du G8 coûte la vie à <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Carlo_Giuliani">Carlo Giuliani</a>, un étudiant de 24 ans abattu par la police de Gènes le 20 juillet 2001.</p>
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<p>Les peuples ne choisissent pas sans raison de déborder du terrain de la non-violence. Depuis 20 ans, l’émeute ou l’affrontement prend souvent le pas sur le débat politique, comme nous l'avons vu le week end dernier lors des manifestations contre les mégabassines à Sainte-Soline. Tandis que la stratégie de répression mesure l’inquiétude des pouvoirs, le <a href="https://journals.openedition.org/socio/12034">langage du corps prend de plus en plus souvent le pas sur le langage des mots</a>.</p>
<p>Ce tournant est quantifiable. Je m’y suis investi depuis 2007 en constituant une base de données mondiale consultable en ligne sur le site [ <a href="https://berthoalain.com/">Anthropologie du présent</a>]. Le relevé se fait sur Google news les dernières 24 heures à partir de cinq mots clefs : <em>émeutes</em>, <em>affrontements</em>, <em>riots</em>, <em>clashes</em>, <em>disturbios</em>. Il est complété par des recherches spécifiques sur chaque lieu identifié en anglais et dans la langue du pays sur Google et sur YouTube. L’unité statistique de compte est un jour/une ville.</p>
<p>Toute confrontation physique collective entre des civils et les forces de l’ordre (armée ou police), ou entre les gens eux-mêmes (affrontements communautaires ou incidents de stade) y est répertoriée quelle que soit la gravité de l’événement ou son origine, de l’émeute spontanée aux incidents de manifestation. On parlera de <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2014-1-page-73.htm">soulèvement</a> quand cette confrontation s’installe dans la durée et s’étend sur un territoire plus vaste.</p>
<h2>Des vagues de soulèvements</h2>
<p>Si les situations d’émeutes et d’affrontements civils locaux se multiplient, parfois, sans crier gare, l’étincelle met le feu au pays… ou à plusieurs. L’émeute devient soulèvement comme en France en <a href="https://theconversation.com/jeunes-de-quartier-2005-ca-a-marque-lhistoire-179799">2005</a>, en Grèce en 2008, en Tunisie en 2010, aux États-Unis en <a href="https://theconversation.com/mort-de-george-floyd-une-condamnation-historique-dans-une-societe-divisee-157164">2020</a>, en Iran en <a href="https://theconversation.com/ce-nest-pas-la-premiere-fois-que-les-iraniennes-descendent-dans-la-rue-cette-fois-ci-sera-t-elle-la-bonne-192480">2022</a>, la mort d’un jeune, d’un homme noir, d’une femme assassiné·e·s par le pouvoir est le levier de l’embrasement.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/513931/original/file-20230307-18-fh1wto.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="« Une émeute est le langage de ceux qui ne sont pas écoutés », sur une pancarte brandie lors d’une manifestation dénonçant la mort de George Floyd à Los Angeles, Californie le 30 mai 2020" src="https://images.theconversation.com/files/513931/original/file-20230307-18-fh1wto.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/513931/original/file-20230307-18-fh1wto.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/513931/original/file-20230307-18-fh1wto.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/513931/original/file-20230307-18-fh1wto.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/513931/original/file-20230307-18-fh1wto.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/513931/original/file-20230307-18-fh1wto.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/513931/original/file-20230307-18-fh1wto.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">« Une émeute est le langage de ceux qui ne sont pas écoutés », sur une pancarte brandie lors d’une manifestation dénonçant la mort de George Floyd à Los Angeles, Californie le 30 mai 2020.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Ce début de siècle a été scandé par des vagues de soulèvement successives. En 2011, le <a href="https://theconversation.com/revolutions-arabes-an-x-des-societes-a-jamais-transformees-161029">« printemps arabe »</a> sidère le monde. Partout des peuples se sont levés avec le drapeau national comme étendard et la volonté farouche de « dégager » des pouvoirs honnis.</p>
<p>À compter du 15 mai 2011, le soulèvement et l’occupation des places traversent la méditerranée. Le double modèle de Tahrir (Égypte) et de la Puerta del Sol (Madrid), inspire les initiateurs d’<a href="https://luxediteur.com/catalogue/comme-si-nous-etions-deja-libres/">Occupy Wall Street</a> (New York) à partir du 15 octobre. Plus de 600 villes sont ainsi « occupées », redonnant temporairement consistance à la puissance symbolique de la non-violence. Ces places en sont le chaudron populaire de Taksim en Turquie (mai-juin 2013) à Maidan en Ukraine (2013-2014) jusqu’au mouvement des Ombrelles à Hong Kong (novembre-décembre 2014), puis au soulèvement de cette ville en juin-août 2019.</p>
<p>La troisième vague est celle de la justice et de la moralité politique (contre la corruption et le clientélisme). Par une révolte sur le prix de l’essence, les gilets jaunes ont inauguré et marqué une <a href="https://www.terrestres.org/2019/11/22/leffondrement-a-commence-il-est-politique/">année exceptionnelle de soulèvements nationaux</a>. <a href="https://editions-croquant.org/hors-collection/594-time-over.html">Vingt pays sont concernés</a>, sur quatre continents (France, Venezuela, Soudan, Haïti, Sénégal, Algérie, Colombie, Honduras, Hong Kong, Indonésie, Éthiopie, Bolivie, Équateur, Panama, Irak, Liban, Guinée, Catalogne, Iran, Inde). L’onde de choc se fait sentir jusqu’en 2022, y compris durant la pandémie.</p>
<h2>Vivre et survivre</h2>
<p>Le mouvement français contre la réforme des retraites s’inscrit dans cette troisième vague. Celle-ci s’enracine dans les mobilisations antérieures de survie ou de résistance vitale contre la vie chère et l’austérité, la pénurie d’eau ou d’électricité, la casse du statut et de la valeur du travail, jusqu’aux conséquences sociales de la gestion de la pandémie. Cette montée en puissance de la lutte contre la précarisation néo-libérale ne concerne pas que les pays les plus pauvres.</p>
<p>On peut remonter en 2006 dans notre pays avec le refus du Contrat Premier Embauche (CPE), dernière grande mobilisation nationale victorieuse. À l’échelle mondiale, le point de départ est sans doute l’année 2008, celles des <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/publications/l_atlas_un_monde_a_l_envers/a53818">« émeutes de la faim"</a> consécutives à la spéculation financière sur les céréales. Des mobilisations violentes ont alors lieu en Indonésie en janvier, au Cameroun et aux Philippines en février au Sénégal en mars, à Haïti, en Côte d’Ivoire, en Égypte en avril.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/513463/original/file-20230304-28-58cdoi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/513463/original/file-20230304-28-58cdoi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/513463/original/file-20230304-28-58cdoi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/513463/original/file-20230304-28-58cdoi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/513463/original/file-20230304-28-58cdoi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/513463/original/file-20230304-28-58cdoi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=567&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/513463/original/file-20230304-28-58cdoi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=567&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/513463/original/file-20230304-28-58cdoi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=567&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Émeutes et affrontements durant des mobilisation pour la retraite 2009-2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Alain Bertho</span></span>
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<p>La retraite comme question vitale n’est pas qu’une affaire française, ni même européenne. Si elle mobilise l’Espagne (2011), la Grèce (2016) et la Russie (2018), elle mobilise aussi en Asie (Sri Lanka 2011 et Taiwan 2017), en Afrique du Nord (Maroc 2016 et Algérie 2018) et surtout en l’Amérique latine (Argentine 2012, Chili 2016, Nicaragua 2018, Colombie 2019 et Brésil 2021).</p>
<p>La France y tient pourtant une place particulière. A-t-on déjà oublié la dureté du mouvement de 2010, sa détermination tant dans les blocages que dans les solidarités interprofessionnelles, la place particulière tenue par une <a href="https://berthoalain.com/2010/10/09/reforme-des-retraites-troubles-lyceens-octobre-2010/">jeunesse lycéenne réprimée avec une brutalité sans précédent</a>] ? A-t-on oublié que cette puissance collective fut sans effet décisif sur les décisions gouvernementales ? Il est vraisemblable que les stratégies syndicales de l’époque cherchaient <a href="https://www.lesechos.fr/2010/11/retraites-la-cfdt-gagne-a-perdre-1088169">moins la victoire immédiate que le pouvoir de peser sur l’élection de 2012</a>.</p>
<h2>La quête d’une autre politique</h2>
<p>La stratégie syndicale de 2023 semble assimiler l’expérience de 2010, dans ses rapports avec les partis comme dans son attitude inclusive à l’égard de la diversité des luttes.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/513933/original/file-20230307-18-ec6yuw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Émeute lors de manifestations contre le gouvernement à Antagagosta au Chili le 21 octobre 2019" src="https://images.theconversation.com/files/513933/original/file-20230307-18-ec6yuw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/513933/original/file-20230307-18-ec6yuw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/513933/original/file-20230307-18-ec6yuw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/513933/original/file-20230307-18-ec6yuw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/513933/original/file-20230307-18-ec6yuw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/513933/original/file-20230307-18-ec6yuw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/513933/original/file-20230307-18-ec6yuw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Émeute lors de manifestations contre le gouvernement à Antagagosta au Chili le 21 octobre 2019.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span>
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<p>Mais l’ampleur et de la rapidité de la catastrophe climatique comme l’expérience de la pandémie semble accélérer le temps des exigences. La question du sens du travail et de la valeur de la vie prend une épaisseur inédite, notamment dans une jeunesse tentée par la <a href="https://theconversation.com/agroparistech-quand-de-futurs-ingenieurs-racontent-leur-conversion-ecologique-183764">« désertion »</a>.</p>
<p>Des dominations structurelles de l’humanité sont massivement remises en cause, faisant de <a href="https://blogs.mediapart.fr/alain-bertho/blog/300121/bilan-2020-les-peuples-ne-peuvent-plus-respirer">« I can’t breathe »</a> et de « Femme Vie Liberté » des slogans à résonance mondiale. Face à la gestion purement comptable de la vie, l’époque s’apparente à une sorte de <a href="https://www.terrestres.org/2019/11/22/leffondrement-a-commence-il-est-politique/">« soulèvement du vivant »</a>.</p>
<p>Ce contexte alimente la profondeur du refus populaire de la réforme. Mais la question stratégique reste entière. S’il est avéré que depuis le début du siècle, les stratégies non-violentes perdent nettement en efficacité en raison de l’intransigeance des pouvoirs, émeutes et soulèvements n’ont pas fait la preuve d’une plus grande efficience.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/reforme-des-retraites-bloquer-les-chaines-dapprovisionnement-est-il-plus-efficace-que-manifester-201002">Réforme des retraites : bloquer les chaînes d’approvisionnement est-il plus efficace que manifester ?</a>
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<p>Combien, depuis le début du siècle, ont été couronnés de succès et à quel prix ? Qu’est devenu le <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/tunisie/tunisie-egypte-libye-dix-ans-apres-ou-en-sont-les-pays-qui-ont-connu-un-printemps-arabe_4253173.html">« printemps de jasmin » tunisien de 2011</a> ? Où en est <a href="https://www.cairn.info/revue-multitudes-2022-4-page-22.htm">« Femmes Vie Liberté »</a> en Iran ? Quel prix ont payé les Chiliennes et Chiliens à qui on avait <a href="https://www.politis.fr/articles/2019/10/chili-ils-nous-ont-tant-vole-quils-nous-ont-meme-pris-notre-peur-40959/">« tout volé même la peur »</a>, pour finalement renverser le Président Pinera ?</p>
<p>Face à l’incontournable confrontation, l’enjeu est partout de dépasser la simple capacité de résistance pour incarner une alternative face à la brutalité de gouvernements qui dépolitisent leurs décisions. Voilà le fil rouge des soulèvements du siècle : comment incarner une restauration de la politique, de la délibération populaire, de la décision collective.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/514163/original/file-20230308-24-olplyc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/514163/original/file-20230308-24-olplyc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=250&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/514163/original/file-20230308-24-olplyc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=250&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/514163/original/file-20230308-24-olplyc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=250&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/514163/original/file-20230308-24-olplyc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=314&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/514163/original/file-20230308-24-olplyc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=314&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/514163/original/file-20230308-24-olplyc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=314&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">« I can’t breathe ». Saint-Denis juin 2020.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Alain Bertho</span></span>
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</figure><img src="https://counter.theconversation.com/content/200950/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alain Bertho ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Depuis 20 ans, l’émeute ou l’affrontement prend souvent le pas sur le débat politique mais les peuples ne choisissent pas sans raison de déborder du terrain de la non-violence.Alain Bertho, Professeur émérite d'anthropologie, Université Paris 8 – Vincennes Saint-DenisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1928932023-03-07T18:21:17Z2023-03-07T18:21:17ZRedistribution des richesses : quand mobilisation contre la réforme des retraites et « gilets jaunes » se rejoignent<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/509209/original/file-20230209-14-1wycav.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=10%2C4%2C988%2C658&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En creux, les manifestants d’aujourd'hui contre la réforme des retraites rappellent aussi les revendications initiées par les « gilets jaunes» .
Les Gilets Jaunes, Acte 62 Bordeaux, 2020.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/patrice_calatayu/49405531306/">Patrice Calatayu,/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le mouvement social d’opposition à la réforme des retraites qui rassemble un grand nombre de personnes et reçoit un fort soutien de l’opinion, rappelle, certes, la capacité des organisations syndicales à mobiliser mais aussi que la revendication salariale et le travail constituent encore un sujet de mobilisation collective.</p>
<p>Longtemps escamotée dans le débat public, elle concerne aussi bien les salaires sous leur forme de rémunération que les pensions de retraites liées aux contributions sociales.</p>
<p>Le conflit social qui a touché les <a href="https://www.lexpress.fr/economie/carburant-les-raffineries-de-france-en-greve_1795017.html">raffineries et plates-formes pétrolières</a> au mois d’octobre 2022 a mis en lumière la persistance de la question salariale dans la conflictualité sociale. La répartition des fruits du travail et des profits était <a href="https://snjcgt.fr/wp-content/uploads/sites/11/2022/10/CGT-Industries-petrolieres-La-re%CC%81alite-salariale-11-oct.-2022.pdf">au cœur de la contestation</a>. Ce phénomène n’est pas nouveau mais l’absence de redistribution aux travailleuses et travailleurs des <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/10/27/totalenergies-annonce-un-benefice-de-6-6-milliards-de-dollars-au-troisieme-trimestre-2022_6147526_3234.htm">bénéfices records du groupe</a>, au moment où l’inflation ronge la capacité des ménages à subvenir à leurs besoins élémentaires, suscite un sentiment d’injustice.</p>
<p>C’est l’un des points essentiels qui cimente l’opposition au projet de loi sur les retraites. C’est aussi l’un des points qui avait entraîné le mouvement des « gilets jaunes » mais dans un cadre bien différent.</p>
<h2>Un mécontentement commun mais des approches différentes</h2>
<p>Dans le contexte des dernières semaines, les syndicats ont montré leur capacité à initier et encadrer la <a href="https://theconversation.com/les-syndicats-peuvent-ils-encore-peser-dans-les-mouvements-sociaux-190802">conflictualité sociale</a>, les uns privilégiant le compromis avec la direction, les autres la défense des revendications salariales.</p>
<p>Le temps semble loin de la mobilisation « spontanée » des « gilets jaunes », en dehors des organisations syndicales, <a href="https://laviedesidees.fr/Syndicalisme-et-gilets-jaunes.html;https://books.openedition.org/pul/48271">qui ont suivi et accompagné</a> – plus qu’ils ne l’ont initié – la contestation des projets de loi sur les retraites de 2019-2020 et 2023.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/MuHPtf6kLt0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Tours : Les « gilets jaunes », le retour ? (Nouvelle République, 14 janvier 2023).</span></figcaption>
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<p>Aujourd’hui, les « gilets jaunes », <a href="https://reporterre.net/Reforme-des-retraites-et-ecologie-les-Gilets-jaunes-font-leur-rentree">qui ont poursuivi leur mobilisation</a> depuis novembre 2018, relaient les conflits sociaux sur les salaires et les retraites sur les réseaux sociaux et sur les ronds-points. Leur présence sur les blocages, en manifestation et plus occasionnellement sur les ronds-points à l’automne et l’hiver 2022-2023, reconfigure les relations.</p>
<p>Certains étaient ainsi aux côtés des syndicalistes lors de la journée d’action du 18 octobre 2022 pour demander une juste répartition des fruits du travail entre les salariés et les actionnaires. D’autres ont appelé à prendre part aux blocages des raffineries, <a href="https://www.vivre-villes.fr/lyon/economie-actualite-lyon/2023/02/01/reforme-des-retraites-greve-tres-suivie-a-la-raffinerie-de-feyzin-hier-mardi-31-janvier-un-mouvement-destine-a-durer/">comme à Feyzin</a> (Rhône).</p>
<h2>Des syndicats tenus à distance</h2>
<p>Nous avons analysé les données issues d’un questionnaire passé durant les six premiers mois des « gilets jaunes » de novembre 2018 à mars 2019. Bien que ces données comportent des limites, elles sont significatives de la diversité des personnes engagées, de leurs parcours et valeurs durant la <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2019-5-page-869.htm">phase la plus intense</a> du mouvement social.</p>
<p>L’étude de la base de questionnaires permet d’apporter quelques éclairages sur la composition du mouvement et la présence de personnes ayant adhéré ou adhérente à un syndicat.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-candidats-pro-ric-favoris-des-gilets-jaunes-182821">Les candidats pro-RIC, favoris des « gilets jaunes »</a>
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<p>Malgré la surreprésentation de personnes syndiquées ou l’ayant été dans le mouvement des « gilets jaunes », les organisations syndicales sont tenues à distance, notamment pour des raisons liées à leur prise de position jugée défavorable au mouvement social.</p>
<p>Le secrétaire général de la Confédération générale du travail, Philippe Martinez, avait ainsi déclaré le <a href="https://www.letelegramme.fr/bretagne/p-martinez-la-cgt-ne-defile-ni-avec-l-extreme-droite-ni-avec-les-patrons-video-16-11-2018-12135916.php">16 novembre 2018</a> :</p>
<blockquote>
<p>« On ne défile ni avec les gens d’extrême droite ni avec des patrons, qui, quand ils parlent de taxes, parlent aussi de cotisations sociales et autres droits sociaux »</p>
</blockquote>
<p>Ces paroles coïncident aussi avec des <a href="https://www.liberation.fr/france/2018/12/06/gilets-jaunes-les-syndicats-a-mots-prudents_1696465/">expériences mitigées</a> de l’engagement syndical chez les « gilets jaunes ». Certains reprochent le manque de combativité ou de soutien des syndicats, d’autres redoutent d’être phagocytés par ces organisations.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/508352/original/file-20230206-19-uiqrbl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/508352/original/file-20230206-19-uiqrbl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/508352/original/file-20230206-19-uiqrbl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=408&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/508352/original/file-20230206-19-uiqrbl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=408&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/508352/original/file-20230206-19-uiqrbl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=408&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/508352/original/file-20230206-19-uiqrbl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=512&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/508352/original/file-20230206-19-uiqrbl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=512&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/508352/original/file-20230206-19-uiqrbl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=512&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Photo du groupe Facebook du Collectif de Bassens.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.facebook.com/CollectifdeBassens">Collectif de Bassens</a></span>
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</figure>
<h2>Un contournement de l’espace de la négociation collective</h2>
<p>Nos résultats montrent que le mouvement social des « gilets jaunes » témoigne d’un contournement de <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/220519/salaires-comment-les-gilets-jaunes-ont-court-circuite-les-negociations-collectives">l’espace de la négociation collective</a>. Face à l’impossibilité de porter cette revendication salariale dans l’entreprise, les personnes engagées dans les « gilets jaunes » l’ont revendiquée sur les ronds-points et durant les actes du samedi.</p>
<p>La composition du mouvement peut ainsi contribuer à éclairer la manière dont la question salariale a été contournée par les « gilets jaunes » dans un premier temps, puis concurrencée et occultée par le RIC à partir de l’Acte 8 (5 janvier 2019 et au-delà), avant que le mouvement ne s’en saisisse à nouveau sur la question des retraites en 2020 puis en 2023.</p>
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<p>En effet, il faut se rappeler que le salaire et les revenus des plus riches sont invoqués comme motifs de colère et d’injustice. Le travail étant envisagé pour beaucoup comme une valeur centrale dans leur <a href="https://samuelhayat.wordpress.com/2018/12/05/les-gilets-jaunes-leconomie-morale-et-le-pouvoir">économie morale</a>,mais insuffisamment. Comme le soulignent différentes enquêtes, le sujet politique des « gilets jaunes » dans les premières semaines du mouvement est le <a href="https://doi.org/10.1057/s41253-020-00143-5">peuple du travail</a>, ou le peuple des personnes qui vivent ou aimeraient pouvoir vivre de leur travail.</p>
<p>Moins visible que le <a href="https://theconversation.com/primaire-populaire-ric-tirage-au-sort-la-participation-est-elle-la-solution-148584">référendum d’initiative citoyenne</a> (RIC), la question salariale remonte au mois de novembre 2018 lorsque des « gilets jaunes » étaient <a href="https://www.lefigaro.fr/societes/2018/11/22/20005-20181122ARTFIG00279-plusieurs-sites-de-total-bloques-par-des-grevistes-et-des-gilets-jaunes.php">engagés</a> dans les blocages de raffinerie, l’occupation de sites de production ou dans des conflits sociaux, notamment dans le secteur de la santé – fonction publique hospitalière, transport sanitaire.</p>
<h2>Des revendications similaires</h2>
<p><a href="https://giletsjaunes.hypotheses.org">Nos enquêtes</a> et celles de l’équipe du laboratoire <a href="https://books.openedition.org/pul/48156?lang=fr">Triangle à Lyon</a> montrent cependant que ces revendications n’ont pas disparu et présentent une <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2019-5-page-869.htm">articulation plus complexe</a>, propre aux <a href="https://ejpr.onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/1475-6765.12153">« mouvements anti-austérité »</a> qui ont émergé depuis la crise de 2008 pour demander davantage de justice sociale et de démocratie, mouvements qui se passent aussi parfois des organisations syndicales.</p>
<p>À travers une analyse des termes utilisés se dessinent différents registres d’expression de la <a href="https://theconversation.com/le-beau-travail-une-revendication-ouvriere-trop-souvent-oubliee-173446">question du travail</a> qui permettent de comprendre comment une partie des personnes mobilisées peuvent se reconnaître dans d’autres mouvements sociaux.</p>
<p>À l’aune de ces données, on peut analyser aujourd’hui la manière dont les conflits sociaux actuels rechargent la contestation des « gilets jaunes » en mobilisant des personnes qui s’étaient désengagées, d’une part, et d’autre part comment les « gilets jaunes » passent d’initiateurs de mouvement social en 2018 à accompagnateurs aujourd’hui.</p>
<p>Ainsi, en Gironde, nous observons un nombre significatif de collectifs et de « gilets jaunes » encore actifs, partie prenante des cortèges contre le projet de loi sur les retraites présenté au Conseil des ministres du 23 janvier 2023 par Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, et par le ministre du Travail, du plein emploi et de l’insertion, l’ancien socialiste Olivier Dussopt.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192893/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Magali Della Sudda est membre du Conseil de surveillance de la Fondation pour l'écologie politique et experte auprès de l'Institut La Boétie. </span></em></p>La présence des « gilets jaunes » sur les mobilisations sociales ravive les débats sur les inégalités salariales et une plus juste répartition des ressources.Magali Della Sudda, Politiste et socio-historienne, Sciences Po BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2010022023-03-06T19:31:40Z2023-03-06T19:31:40ZRéforme des retraites : bloquer les chaînes d’approvisionnement est-il plus efficace que manifester ?<p>La réforme des retraites voulue par Emmanuel Macron est à l’origine depuis janvier 2023 d’un mouvement social de grande ampleur. Il se caractérise notamment par des manifestations régulières pendant lesquelles plusieurs centaines de milliers de personnes arpentent les villes pour dire « non » à un allongement de la durée de cotisation et un report de l’âge du départ à la retraite de 62 à 64 ans.</p>
<p>Plus symbolique encore, le puissant front intersyndical menace de <a href="https://www.rfi.fr/fr/%C3%A9conomie/20230305-la-mobilisation-contre-la-r%C3%A9forme-des-retraites-se-pr%C3%A9pare-%C3%A0-mettre-la-france-%C3%A0-l-arr%C3%AAt">« mettre la France à l’arrêt »</a>, en encourageant des grèves sur plusieurs jours dans des secteurs jugés stratégiques comme le transport ou le raffinage du pétrole.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/retraites-vers-un-durcissement-du-mouvement-social-pour-faire-reculer-le-gouvernement-199815">Retraites : vers un durcissement du mouvement social pour faire reculer le gouvernement ?</a>
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<p>De telles démarches ont pour objectif de faire plier le gouvernement pour qu’il abandonne cette réforme. Or, manifester dans les rues et paralyser le pays exige une forte implication des salariés, alors même que la crise du pouvoir d’achat les rend parfois frileux à conduire des actions dures et coûteuses pour leur fin de mois.</p>
<p>Une autre option pourrait être envisagée par les personnes mobilisées : bloquer les flux et donc les chaînes d’approvisionnement des marchandises pour geler tout le système et gagner la bataille face au politique. L’investissement humain pour y parvenir serait certainement plus faible, à condition de bien comprendre comment fonctionnent aujourd’hui la plupart des chaînes logistiques.</p>
<h2>Des flux de plus en plus « concentrés »</h2>
<p>L’évolution des chaînes logistiques, le plus souvent connues sous l’appellation anglo-saxonne de <em>supply chains</em>, obéit à une tendance de fond pour un très grand nombre de produits. Le modèle dominant est celui d’une concentration des opérations d’approvisionnement depuis les usines sur quelques « nœuds » logistiques, aujourd’hui dénommés <em>hubs</em>, avant une expédition des produits finis vers différents points de réception (magasin, <em>drive</em>, point relais, domicile du client).</p>
<p>La raison principale en est la réduction des coûts unitaires par le biais d’une massification extrême des flux. Pour une usine, approvisionner un <em>hub</em> avec des centaines de tonnes de produits est plus avantageux que livrer des centaines de magasins en direct avec à peine quelques dizaines de kilos par camion.</p>
<p><a href="https://classiques-garnier.com/european-review-of-service-economics-and-management-2020-2-n-10-varia-service-innovation-in-historical-perspective.html">Le modèle des hubs</a> s’est donc imposé depuis plusieurs décennies, autant pour des acheminements transcontinentaux, avec des porte-conteneurs géants pouvant transporter jusqu’à 20 000 caisses à la fois, que pour des acheminements nationaux, avec des trains complets livrant quelques plates-formes et entrepôts régionaux chargés ensuite d’alimenter les points de réception.</p>
<h2>Vulnérabilité des <em>hubs</em></h2>
<p>Si la vulnérabilité du modèle des <em>hubs</em> n’est pas ignorée, elle reste en tout cas <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=275154">largement minorée</a>. En effet, un <em>hub</em> est une sorte de nœud logistique vers lequel convergent des millions de produits avant d’alimenter les marchés, autrement dit la demande des consommateurs. Si une action coordonnée est conduite par quelques manifestants et syndicalistes pugnaces, qui bloquent les entrées et sorties du <em>hub</em>, le <a href="https://www.contretemps.eu/ouvriers-logistique-syndicalisme-strategie/">risque d’asphyxie de la chaîne logistique</a> devient maximal. Si l’on devait prendre une image qui rappellera de mauvais souvenirs aux victimes d’un infarctus, c’est un peu comme si le sang (les produits finis) venait à ne plus circuler dans les artères (les points de réception des produits). Convenons-en : voilà un extraordinaire pouvoir de nuisance… ou de négociation musclée.</p>
<p>Imaginons en outre un instant que les <em>hubs</em> se regroupent sur un même lieu, par exemple pour bénéficier de facilités d’accès à des infrastructures routières ou ferroviaires, mais aussi de la mise en commun de services aux professionnels. Là aussi, il suffit de s’intéresser au secteur de la logistique pour découvrir qu’il s’agit d’une réalité courante : celle des « centres de fret » et autres « zones logistiques », dont un exemple remarquable est fourni par la <a href="https://www.saintmartindecrau.fr/Zone-ecopole.html">zone logistique de Saint-Martin-de-Crau</a>, dans les Bouches-du-Rhône, au bord de l’autoroute qui relie Marseille à l’Espagne et à l’Europe du Nord. Dans ce cas, quelques dizaines de grévistes bien placés sur le site bloqueront sans difficulté… une vingtaine de <em>hubs</em> d’entreprises à la fois, voire plus.</p>
<h2>Peur sur la distribution alimentaire</h2>
<p>On parle souvent de la fragilité de la chaîne logistique de l’automobile, apparue au grand jour pendant la <a href="https://theconversation.com/coronavirus-un-revelateur-de-la-fragilite-du-systeme-logistique-mondial-132780">crise de la Covid-19</a> lorsque des approvisionnements en matières et composants ont été interrompus. Pourtant, c’est au niveau de la distribution alimentaire que la vulnérabilité des <em>hubs</em> pourrait avoir les effets les plus importants. En effet, les magasins et <em>drives</em> alimentaires fonctionnent selon une logique de stock zéro, notamment pour améliorer leur performance financière. C’est par conséquent un approvisionnement journalier par un <em>hub</em> (entrepôt ou plate-forme) qui a été mis en place, et il suffit que le <em>hub</em> soit bloqué pour qu’en l’espace de quelques jours, les rayons soient totalement dégarnis, avec les comportements hystériques de certains consommateurs que nous avons connus en <a href="https://www.lemonde.fr/big-browser/article/2020/03/23/Covid-19-dans-le-monde-la-fievre-du-stockage-et-une-ruee-sur-le-papier-toilette_6034158_4832693.html">2020</a> (les fameuses batailles rangées autour… du papier toilette).</p>
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<p>Un célèbre distributeur alimentaire a connu une telle mésaventure il y a quelques décennies de cela. Un conflit du travail d’une rare intensité a conduit au blocage de l’un de ses <em>hubs</em>, pendant près d’une année, par une trentaine de syndicalistes. Ces militants ont ainsi obligé le distributeur à faire livrer ses magasins du Sud-Est de la France à partir d’un <em>hub</em> déporté, localisé à plusieurs centaines de kilomètres de là. Résultat : une explosion des coûts de livraison qui a entraîné une augmentation des prix de vente des produits et la défection d’une partie importante de la clientèle des magasins. Autrement dit, une trentaine de personnes ont « mis à genoux » l’un des plus puissants distributeurs français, sachant qu’il est loin d’être le seul à avoir connu une <a href="https://www.ouest-france.fr/bretagne/cotes-d-armor/bretagne-la-cgt-menace-de-bloquer-l-approvisionnement-des-magasins-carrefour-f4b3e3f0-955a-11eb-86f2-205af1d9b1c1">telle mésaventure</a>.</p>
<h2>Des gouvernements peuvent plier</h2>
<p>Il est donc fort probable que bloquer les flux est plus efficace que manifester pour atteindre un objectif, qu’il s’agisse de négocier le retrait d’une réforme des retraites ou, hélas, de renverser par la force un régime politique.</p>
<p>Dans un article publié au début des années 1980, <a href="https://www.cairn.info/les-grands-auteurs-en-logistique-et-supply-chain--9782847698770-page-94.htm">Jacques Colin</a>, l’un des penseurs visionnaires de la pensée logistique française, avait évoqué le « syndrome chilien », en rappelant que la chute du président Allende et l’arrivée au pouvoir de la sanglante dictature du général Pinochet trouvaient leur origine dans une grève de transporteurs routiers <a href="https://www.researchgate.net/publication/313861112_Une_greve_insurrectionnelle_a_front_renverse_La_rebellion_de_la_bourgeoisie_chilienne_contre_le_gouvernement_de_Salvador_Allende_en_octobre_1972">(financés par la CIA)</a> qui avait justement bloqué les flux de produits alimentaires à destination de la capitale, en créant un mécontentement violent des <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1973/08/18/le-parti-democrate-chretien-soutient-les-transporteurs-routiers-en-greve_2561850_1819218.html">classes moyennes</a>. Comme le notait Jacques Colin, il avait suffi pour cela de placer quelques camions sur un nombre réduit d’axes passants.</p>
<p>Plus près de nous, le mouvement des « gilets jaunes » de 2018 a montré que le blocage de ronds-points pouvait avoir des effets délétères sur les flux de produits, jusqu’à faire plier le gouvernement français quant à l’augmentation programmée du prix des carburants (hausse de la TIPP).</p>
<p>Certes, il fut alors question du <a href="https://www.supplychainmagazine.fr/bibliotheque-numerique/supply-chain-magazine/27/cote-recherche/gilets-jaunes-vers-un-nouveau-modele-de-perturbation-des-chaines-logistiques-551940.php">blocage de plusieurs milliers de ronds-points</a> dans toute la France, ce qui n’est pas simple à organiser. En ce qui concerne la distribution alimentaire, l’ampleur des blocages pour paralyser les flux serait certainement beaucoup plus faible, sans doute de l’ordre d’une centaine de sites en France. En bref, rien à voir avec des foules record qui battent le pavé, et dont l’action ponctuelle d’une journée sera peu comparable à une paralysie durable de <em>hubs</em> risquant de créer des mouvements de panique incontrôlables chez les clients de la distribution alimentaire, et une potentielle menace pour le gouvernement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201002/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gilles Paché ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Depuis le mois de janvier, les manifestations se multiplient contre la réforme des retraites. Mais s’agit-il de la méthode la plus adaptée pour faire plier Emmanuel Macron et son gouvernement ?Gilles Paché, Professeur des Universités en Sciences de Gestion, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2012142023-03-06T19:31:20Z2023-03-06T19:31:20ZComment les manifestants sont-ils comptés ?<p>« La manifestation contre la réforme des retraites mardi 31 janvier a rassemblé 2,8 millions de personnes en France, d’après la CGT, qui a également évoqué 500 000 personnes dans le cortège parisien. La police a estimé à 1,2 million le nombre de manifestants dans le pays et 87 000 dans la capitale. Le cabinet indépendant Occurrence n’en a lui dénombré que 55 000 dans les rues de Paris », comme l’a rapporté <a href="https://www.la-croix.com/France/Reforme-retraites-2023-28-millions-manifestants-selon-CGT-prochaines-mobilisations-7-11-fevrier-2023-01-31-1201253174">« La Croix »</a>.</p>
<p>Le conflit social de ce début 2023 donne lieu aux habituelles polémiques sur le comptage des manifestants. Les médias ont pris l’habitude de présenter deux chiffres très éloignés, en miroir, sans plus de commentaire : beaucoup semblent penser vaguement que « la vérité est entre les deux ». Est-il si difficile, dans un pays développé, au début du XXI<sup>e</sup> siècle, de déterminer approximativement combien de personnes ont participé à une manifestation déclarée, prévue et autorisée ?</p>
<h2>Pour la police, le compte est bon</h2>
<p>Tout le monde ne se résigne pas à cette situation. En 2014, une <a href="https://www.huffingtonpost.fr/actualites/article/manifestations-une-commission-pour-ameliorer-le-comptage_45265.html">commission d’étude</a> sur le comptage des manifestants a été mise en place par le Préfet de police de Paris. Elle était constituée par Dominique Schnapper, ancienne membre du Conseil constitutionnel, Pierre Muller, ancien inspecteur général de l’Insee, et Daniel Gaxie, professeur de science politique à Paris.</p>
<p>Ces trois personnalités ont remis leur <a href="https://www.actuel-ce.fr/sites/default/files/article-files/ce/rapportmanifestations31mars15.pdf">rapport</a> en avril 2015. Pour l’essentiel, ce rapport validait les méthodes de comptage de la préfecture de police. La presse nationale y a très largement fait écho à l’époque, et aucune voix ne s’est élevée pour contester cette conclusion. <a href="https://www.liberation.fr/futurs/2015/04/13/et-les-meilleurs-en-comptage-de-manifestants-sont-les-policiers_1240327/"><em>Libération</em></a> a même titré « Et les meilleurs en comptage de manifestants sont… les policiers ». Une expérience menée par des journalistes de <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/121010/paris-mediapart-compte-le-chiffre-qui-fache">Mediapart</a> avait d’ailleurs conclu dans le même sens quelques années auparavant.</p>
<p>Après ce rapport, on aurait pu espérer un changement. Il n’en a rien été, ni en 2016 (manifestations contre la loi Travail), ni en 2017 (rassemblements à l’occasion de l’élection présidentielle). De nouveau, un effort a été entrepris. Fin 2017, un collectif de 80 médias a mandaté un cabinet d’études spécialisé, Occurrence, pour réaliser des estimations du nombre de manifestants dans les cortèges, indépendamment du travail du ministère de l’Intérieur et des comptages des syndicats. Cinq ans après, <a href="https://www.acrimed.org/Occurrence-le-fiasco-du-comptage-independant-des">cette tentative d’arbitrage a fait long feu</a> : les syndicats et les partis de gauche récusent les estimations d’Occurrence, les jugeant trop proches de celles du ministère de l’Intérieur. Retour à la case départ.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/MAjgoB5tVE4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Un collectif de 80 médias a mandaté un cabinet d’études spécialisé, Occurrence, pour réaliser des estimations du nombre de manifestants dans les cortèges.</span></figcaption>
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<h2>Pourquoi cette impasse du comptage ?</h2>
<p>S’agit-il d’un désaccord sur la définition de l’objet à mesurer ? On le sait, tout travail statistique sérieux suppose un effort de définition ; et l’objet « manifestation » n’est pas aussi simple qu’il y paraît. Les défilés peuvent avoir plusieurs parcours ; certains manifestants peuvent n’en réaliser qu’une partie ou la manifestation peut s’étirer dans le temps.</p>
<p>Mais tout cela ne peut avoir qu’une influence limitée. Délimitée dans le temps et dans l’espace, caractérisée par une intention commune claire des participants, la manifestation classique est un « objet social » bien plus simple que beaucoup d’autres : bien plus simple, par exemple, que les démonstrations des « gilets jaunes » en 2018-2019. Pour définir une manifestation classique, un petit nombre de caractéristiques suffisent, et peuvent faire l’objet d’un accord rapide.</p>
<p>S’agit-il, alors, d’incertitudes dues aux méthodes de mesure ?</p>
<h2>Un problème de méthode ?</h2>
<p>Les méthodes de la préfecture de police de Paris n’ont rien de moderne : selon le rapport de la commission Schnapper, ce sont des fonctionnaires de police, placés en hauteur dans plusieurs locaux en bordure du parcours des cortèges, qui comptent « à vue », manuellement, les rangées qui défilent, pendant toute la durée de la manifestation. Ce travail est recommencé quelques jours après, en bureau, en visionnant des vidéos de l’évènement. Les différents comptages sont confrontés, et une estimation finale est produite et diffusée à la presse.</p>
<p>On connaît très peu les méthodes des syndicats : « nous n’avons pas pour habitude de communiquer sur nos méthodes de comptage » a déclaré par exemple un porte-parole de la CGT au <a href="https://www.letelegramme.fr/economie/retraites/comment-se-deroule-le-comptage-des-manifestants-et-pourquoi-est-il-si-controverse-31-01-2023-13270046.php">Télégramme de Brest</a> après la manifestation du 31 janvier, et <a href="https://www.dailymotion.com/video/x3dp9jo">ce syndicat a refusé d’être entendu par la commission Schnapper en 2014</a>. <a href="https://www.lavoixdunord.fr/1286120/article/2023-02-01/comptage-des-manifestants-comment-expliquer-les-differentes-estimations">D’autres sources au sein des syndicats</a> affirment que des comptages sont réalisés à partir des moyens de transports – trains et bus – réservés pour amener les groupes de manifestants sur place. Les syndicats font aussi appel à des compteurs qui se placent à des points de passage précis du cortège. Chaque union départementale effectue un comptage et fait ensuite remonter les chiffres au siège national. Mais comment sont prises en compte les données sur les cars ? Comment sont éliminés les double-comptes ? Et surtout, comment un comptage « depuis le sol » peut-il s’appliquer à une foule nombreuse dans une avenue de Paris ?</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/513675/original/file-20230306-17-kex2vx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Manifestation pour la défense des retraites du 31 janvier 2023" src="https://images.theconversation.com/files/513675/original/file-20230306-17-kex2vx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/513675/original/file-20230306-17-kex2vx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/513675/original/file-20230306-17-kex2vx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/513675/original/file-20230306-17-kex2vx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/513675/original/file-20230306-17-kex2vx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/513675/original/file-20230306-17-kex2vx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/513675/original/file-20230306-17-kex2vx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La méthode de comptage la plus répandue est simple : se placer en bordure du parcours des cortèges et compter « à vue », manuellement, les rangées qui défilent, pendant toute la durée de la manifestation.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jmenj/52660732717/in/album-72177720305356181/">Jeanne Menjoulet</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span>
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<p>Quant au <a href="http://occurrence.fr/comptage-des-manifestants/">cabinet Occurrence</a>, il a recours à des outils plus modernes de traitement des enregistrements vidéo des cortèges, impliquant un logiciel d’intelligence artificielle ; le principe reste de dénombrer les franchissements de lignes virtuelles dessinées sur le parcours du cortège.</p>
<p>Toutes les méthodes ont certainement leurs qualités et leurs défauts. Pour les apprécier, il faudrait les confronter en détail sur des cas précis, avec la collaboration de toutes les parties. Faute de quoi, on ne peut juger que d’après les résultats et noter que les résultats de l’administration et ceux des bureaux d’étude sont en général proches. Déjà relevée par la commission Schnapper, cette proximité a été confirmée lors de la mise en place de la convention entre le consortium de médias et Occurence en 2017. <a href="http://occurrence.fr/comptage-des-manifestants/">Le 16 novembre 2017</a> a eu lieu une manifestation « contre la politique libérale d’Emmanuel Macron ». Le cabinet Occurrence a alors dénombré 8 250 manifestants. Pour valider cette estimation, cette manifestation a été intégralement filmée par BFM TV puis comptée manuellement, manifestant par manifestant, par 4 équipes séparément : Occurrence, Europe 1, TF1 et <em>Le Monde</em>. Ces recomptages ont validé la méthode de comptage puisqu’ils étaient proches de celui d’Occurrence. Ce jour-là, la police avait dénombré 8 000 manifestants, alors que la CGT en annonçait 40 000.</p>
<h2>Une question de bonne foi ?</h2>
<p>Qu’il s’agisse des conventions de définition, ou des méthodes de dénombrement, rien n’indique qu’une divergence technique puisse expliquer des écarts aussi grands que ceux qui nous sont présentés. Alors, de quoi s’agit-il ?</p>
<p>Revenons aux conditions fondamentales de l’observation. Si l’on veut qu’une observation partagée puisse advenir, il faut que deux conditions soient remplies :</p>
<ul>
<li><p>Il faut admettre l’existence d’une « vérité » indépendante de la volonté des acteurs ;</p></li>
<li><p>Il faut chercher à s’en approcher « de bonne foi » en mettant de côté toute considération politique ou militante.</p></li>
</ul>
<p>Si ces deux conditions sont remplies, les techniciens de la statistique peuvent se mettre au travail ; et alors ils parviennent en général rapidement à se mettre d’accord, au moins sur les ordres de grandeur.</p>
<p>Quand on s’intéresse aux manifestations, ces deux conditions ne sont pas remplies. On ne peut évidemment pas garantir que la plus entière bonne foi règne du côté de l’administration et des bureaux d’études ; mais on doit exprimer des doutes sur celle des syndicats et des voix qui les soutiennent dans cette polémique. Ces derniers critiquent souvent les méthodes du camp opposé, en n’hésitant pas à discréditer les observateurs qui n’arrivent pas aux mêmes résultats qu’eux, en <a href="https://linsoumission.fr/2022/10/17/comptage-cabinet-occurrence/">invoquant leurs appartenances politiques</a>) ou idéologiques, réelles ou supposées mais ne communiquent pas les leurs d’une manière suffisamment détaillée pour en permettre la critique.</p>
<p>En statistique, la confiance se construit par la publicité des définitions et des méthodes, et par le travail en commun des techniciens. Tant que cela manquera dans le domaine du comptage des manifestants, les conflits de chiffres persisteront.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201214/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-François Royer ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les manifestations contre la réforme des retraites de ce début 2023 donnent lieu aux habituelles polémiques sur le comptage des manifestants.Jean-François Royer, Statisticien, Société Française de Statistique (SFdS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2002932023-03-05T16:51:25Z2023-03-05T16:51:25ZAu-delà du mouvement social, quel avenir pour les syndicats ?<p>Le recours à l'article 49.3 pour adopter le projet de réformes des retraites pourrait redonner un second souffle aux syndicats après un mouvement social qui semblait ralentir. Dès le 19 février 2023, <a href="https://www.bfmtv.com/replay-emissions/bfm-story-week-end/les-politiques-quand-il-y-a-un-tel-mouvement-social-ils-doivent-soutenir-et-accompagner-ce-mouvement-philippe-martinez-19-02_VN-202302190175.html">Philippe Martinez</a>, le secrétaire général de la CGT, indiquait ainsi vertement que la mobilisation organisée par les syndicats était sociale et qu'elle ne devait rien aux partis politiques. Une adresse faite à l'intention du leader de la France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, et à ceux qui tentent de « s’approprier ce mouvement social […] et de se substituer aux organisations syndicales ou essaient de se mettre en avant (par rapport à elles et à) ceux qui défilent dans la rue ».</p>
<p>Après la décision d'Emmanuel Macron et d'Elisabeth Borne de passer outre le vote des députés, les syndicats ont donc l'occasion de reprendre la main. A l’Assemblée nationale, le <a href="https://www.mediapart.fr/journal/politique/260223/retraites-derriere-le-fiasco-de-l-assemblee-des-strategies-politiques-deliberees">spectacle offert par les députés a été jugé pitoyable par nombre d’observateurs</a>. Et la réforme, que l'on pensait portée au niveau institutionnel par un axe Emmanuel Macron/Eric Ciotti, a finalement révélé les dissensions entre la majorité et le parti <a href="https://theconversation.com/eric-ciotti-peut-il-rassembler-les-republicains-200754">Les Républicains</a>.</p>
<p>En realité, la mobilisation sociale contre le projet du gouvernement ne s'est pas transformée, au Parlement, en négociation ou recherche de compromis puisque ceux qui négocient n’ont aucun lien ni avec le syndicalisme, ni avec la protestation populaire. Cette dernière est organisée, résolue mais non violente. Elle est structurée par un ensemble d’organisations syndicales qui font preuve d’unité pour la première fois depuis 2010.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/retraites-vers-un-durcissement-du-mouvement-social-pour-faire-reculer-le-gouvernement-199815">Retraites : vers un durcissement du mouvement social pour faire reculer le gouvernement ?</a>
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<p>Il y a là un signe de vitalité démocratique et politique, dont la fragilité ne doit pas être sous-estimée : que restera-t-il de l'unité syndicale une fois la réforme votée, ou au contraire abandonnée ? </p>
<p>Et surtout, le syndicalisme peut-il constituer durablement un acteur décisif sans ancrage renforcé sur le terrain, sans un enracinement plus marqué là où il côtoie et représente les travailleurs au plus près ? C’est d’abord là où l’on travaille qu’il est légalement et pas seulement légitimement actif, reconnu par le droit, où il a des élus, où sa voix est officiellement reconnue.</p>
<h2>De la rue aux entreprises</h2>
<p>L’articulation ici aussi n’est pas évidente. Même si dans les deux cas la mobilisation est organisée par les mêmes acteurs, les syndicats, il n’y a pas une relation automatique et forte entre celle de la « rue », et celle qui peut s’opérer sur les lieux de travail ; entre l’espace d’une pression directement politique, ce qui ne veut pas dire politicienne ou partisane, et celui d’une action sociale prévue par la loi et divers accords et règlements.</p>
<p>Le <a href="https://www.lesechos.fr/economie-france/social/le-nombre-de-salaries-syndiques-a-nettement-baisse-1903186">taux de syndicalisation en France est faible</a>, et en un demi-siècle, la présence des syndicats sur le terrain, a dans l’ensemble <a href="https://ruedeseine.fr/livre/les-syndicats-peuvent-ils-mourir/">régressé</a>. Ce qui fut un acquis des <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/25-27-mai-1968-les-accords-de-grenelle">négociations de Grenelle en 1968</a>, la création de la section syndicale d’entreprise, actée dans la loi du 27 décembre 1968, n’a pas débouché finalement sur un renforcement du syndicalisme sur les <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000317291">lieux de travail</a>.</p>
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<p>Les grèves les plus efficaces se jouent dans quelques secteurs stratégiques, et notamment dans les transports publics. Les chiffres relatifs à la mobilisation contre la réforme des retraites, à la baisse, suggèrent non pas tant une démobilisation que l’idée d’un déplacement : jusqu’ici, le lieu principal de la contestation a pu être un temps non pas celui où l’on travaille, mais « la rue », avant que l’action se déplace, et mette en scène d’autres acteurs – les manifestants ne sont exactement pas la même population que les grévistes, ce ne sont pas nécessairement des syndiqués, ou même des travailleurs, on a pu voir des familles entières défiler, ou des commerçants se préparer à fermer le rideau de fer en guise de participation à l’action.</p>
<p>A partir du 7 mars 2023, les grèves, et donc la capacité de mobilisation syndicale sur les lieux de travail peuvent devenir d’autant plus décisifs qu’à elle seule « la rue » n’empêche pas le pays de fonctionner, l’économie de tourner, ou les écoles d’accueillir les élèves</p>
<h2>Le retour de la « grève par procuration » ?</h2>
<p>En 1995 était apparue à l’occasion de la contestation de la réforme Juppé la notion de <a href="https://www.fayard.fr/documents-temoignages/le-grand-refus-9782213596990">« grève par procuration »</a> : l’opinion se reconnaissait dans les grèves, sans que les grévistes aient été particulièrement nombreux, il suffisait que leur action, en des secteurs-clés, et surtout dans tout ce qui touche à la mobilité, puisse paralyser le pays avec la bienveillance de la population. Mais les temps ont changé.</p>
<p>La mobilité est perçue par certains comme moins importante, notamment du fait du télétravail alors que pour d’autres, elle est vitale ou décisive, prioritaire, en particulier en régions, quand l’emploi, l’école l’hôpital, et autres services publics, ou bien encore les commerces exigent de se déplacer en voiture.</p>
<p>L’entraver peut désolidariser ceux qui doivent se déplacer ou veulent pouvoir le faire, ne serait-ce que pour prendre leurs congés – <a href="https://www.youtube.com/watch?v=HvWYc8r7Nhk">Philippe Martinez</a> l’a bien perçu et a accepté le choix des syndicats de cheminots de retirer un mot d’ordre de grève un samedi de départs en vacances, « il faut garder un peu de force pour la suite » a-t-il expliqué le 7 février 2023 au micro de RTL.</p>
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<figcaption><span class="caption">Philippe Martinez, secrétaire général de CGT invité par RTL le 7 février 2023.</span></figcaption>
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<p>Les régimes particuliers de retraite sont perçus aujourd’hui plus qu’hier comme injustes, ce qu’indiquent divers <a href="https://www.lesechos.fr/politique-societe/emmanuel-macron-president/sondage-exclusif-retraites-les-francais-favorables-a-une-reforme-mais-pas-a-celle-demmanuel-macron-1897646">sondages d’opinion</a>, ils seraient tenus pour des facteurs d’inégalités. Ils ont été construits dans le passé, et si la pénibilité est un enjeu important, et bien compris de l’opinion, elle n’est plus nécessairement celle qui a légitimé ces régimes.</p>
<p>La scène que constituent les lieux de travail n’est donc pas un terrain évident pour la mobilisation syndicale actuelle, et la jonction avec celle qu’offre « la rue » n’est pas évidente.</p>
<p>Certes, <a href="https://www.rtl.fr/actu/politique/invite-rtl-reforme-des-retraites-plus-de-7-000-adhesions-a-la-cfdt-depuis-la-semaine-derniere-annonce-berger-7900230967">Laurent Berger</a>, pour la CFDT, a fait savoir en février 2023 que la contestation avait fait augmenter le nombre de nouvelles adhésions à son syndicat. Ce n’est pas négligeable. Mais un problème de fond demeure : le syndicalisme peut-il être l’opérateur politique de mécontentements généraux – « la rue » – sans se relancer par le bas pour être l’expression de demandes qui naissent dans l’atelier, au bureau, et auxquelles il apporte une capacité de négociation et de traitement local, par entreprises, par branches et éventuellement national et interprofessionnel ?</p>
<h2>Vers un nouveau souffle syndical dans les entreprises ?</h2>
<p>Il y faudrait certainement un souffle nouveau, comme celui qu’apporte la mobilisation actuelle, mais perceptible en interne, dans les entreprises et les administrations ou à l’école, ainsi que des dispositifs qui y soient favorables. Le président <a href="https://ruedeseine.fr/livre/alors-monsieur-macron-heureux/">Emmanuel Macron</a> a toujours fait preuve de grandes réserves, voire de mépris à l’encontre du syndicalisme, même réformiste comme c’est le cas avec la CFDT.</p>
<p>En se donnant à voir comme l’héritier de Le Chapelier, ce député aux États généraux de 1789, président de l’Assemblée constituante qui a voulu la suppression des communautés de métiers et l’a obtenue par la loi de 1791 qui porte son nom, ce qui exercera par la suite un impact historique durable, désastreux pour le syndicalisme jusqu’à nos jours, le chef de l’État n’aidera certainement pas à une revitalisation par le bas de l’action syndicale.</p>
<p>Emmanuel Macron parle, en la visant parmi d’autres, de « corporatisme », une thématique reprise par le ministre du travail <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/288085-olivier-dussopt-gabriel-attal-06022023-plfrss">Olivier Dussopt devant l’Assemblée nationale</a> : « nous avons été élus pour débarrasser les Français des corporatismes, fluidifier la société, assécher les rentes […] Il y a un grand conservatisme des partenaires sociaux ».</p>
<p>Quant au patronat des grandes entreprises, il n’a en aucune façon au cours du conflit actuel donné l’image de la moindre ouverture, il a été peu loquace, favorable à une réforme qui ne lui demande aucun effort particulier, alors qu’il pourrait et devrait jouer un rôle décisif dans l’éventuelle réinvention du dialogue social au niveau des entreprises.</p>
<p>Les syndicats peuvent sortir grandis de la mobilisation de janvier-février 2023. Le syndicalisme apparaît comme une force politique, mais extra-parlementaire. Il est la fierté retrouvée du peuple de gauche, mais à l’extérieur des partis politiques, et il n’est pas sérieux d’envisager de transformer <a href="https://rmc.bfmtv.com/actualites/politique/laurent-berger-candidat-a-la-presidentielle-a-gauche-certains-y-croient_AV-202302080335.html">Laurent Berger</a> en futur candidat à la présidence de la République.</p>
<p>Quel que soit l’aboutissement de la mobilisation actuelle, déjà se profile l’étape suivante, qui aurait dû en fait précéder tout projet de réformes sur les retraites : obtenir du pouvoir qu’il prenne la mesure de ce que représente le travail aujourd’hui, et qu’il change réellement de méthode, oubliant la verticalité toute descendante avec laquelle il continue encore de s’exercer, pour accepter et même encourager le fonctionnement des médiations syndicales, en particulier au plus près, dans les entreprises, les administrations, dans l’éducation nationale ou dans la santé.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/200293/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Wieviorka ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Que restera-t-il de l’unité syndicale une fois la réforme votée, ou abandonnée ? Surtout, le syndicalisme peut-il constituer durablement un acteur décisif sans ancrage renforcé dans les entreprises ?Michel Wieviorka, Sociologue, Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2003912023-03-01T19:56:03Z2023-03-01T19:56:03ZQuatre ans après la Révolution du sourire, où en est la jeunesse algérienne ?<p><a href="https://www.cairn.info/hirak-en-algerie--9782358721929.htm">Le Hirak</a>, terme qui signifie en arabe tout simplement « mouvement », est né en février 2019, quand à travers des manifestations régulières, d’une ampleur inédite dans le pays, les Algériens ont massivement rejeté l’idée d’un cinquième mandat présidentiel d’Abdelaziz Bouteflika, en poste depuis 1999 et pratiquement grabataire. </p>
<p>Ce mouvement résilient, novateur, non violent et innovant, largement porté par les jeunes, <a href="https://theconversation.com/algerie-quand-les-millennials-defont-le-trauma-avec-humour-et-imagination-113377">usant de slogans humoristiques incisifs</a>, ce qui lui a valu d’être surnommé <a href="https://theconversation.com/algerie-la-revolution-du-sourire-pacifique-persiste-et-signe-157615">« Révolution du sourire »</a>, a obtenu gain de cause puisque Bouteflika a <a href="https://www.europe1.fr/international/bouteflika-renonce-a-un-cinquieme-mandat-cest-un-moment-historique-pour-lalgerie-3872081">renoncé à son projet</a> et s’est retiré de la vie politique, avant de décéder en 2021.</p>
<p>Les protestataires n’ont pas souhaité s’arrêter là. Au-delà du seul cas de Bouteflika, ils aspiraient à une profonde démocratisation de l’Algérie et à un changement de génération à la tête du pays, exigence exprimée par le slogan <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Yetnahaw_Ga%C3%A2_!">« Yetnahaw ga3, qu’ils dégagent tous »</a>.</p>
<p>Le mouvement a donc continué même après le départ de « Boutef » et l’élection en décembre 2019 d’un cacique du régime, <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Afrique/Algerie-Abdelmadjid-Tebboune-elu-president-huees-2019-12-13-1201066362">Abdelmadjid Tebboune</a>, alors âgé de 74 ans. En dépit de la répression et de l’épidémie de Covid, qui a permis au pouvoir de justifier l’interdiction des grands rassemblements, le Hirak est toujours vivant aujourd’hui, mais sous une forme différente de celle qui était la sienne à l’origine : les <a href="https://fr.hespress.com/302992-algerie-hirak-quatre-bougies-et-peu-de-dents-contre-la-tyrannie.html">rues algériennes sont restées vides</a> en ce quatrième anniversaire.</p>
<h2>L’évolution du Hirak</h2>
<p>Début 2020, les mesures visant à endiguer la pandémie ont contraint les manifestants à <a href="https://www.algerie-eco.com/2020/03/16/coronavirus-les-appels-a-une-treve-du-hirak-se-multiplient/">observer une trêve dans la rue</a>. Le Hirak a alors mué en une sorte de « e-Révolution », l’essentiel de la contestation se déployant désormais en ligne.</p>
<p>Mais le pouvoir n’a pas tardé à réagir, se dotant de différents textes de loi permettant d’interpeller des individus <a href="https://rsf.org/fr/projet-de-loi-anti-fake-news-en-alg%C3%A9rie-comment-museler-un-peu-plus-la-libert%C3%A9-de-la-presse">pour des propos tenus sur les réseaux sociaux</a>. Plus généralement, selon le Comité national pour la libération des détenus (CNLD), des <a href="https://www.hrw.org/fr/news/2022/02/21/algerie-trois-ans-apres-le-debut-du-mouvement-du-hirak-la-repression-se-durcit">centaines de personnes ont été inquiétées depuis le début du Hirak</a> : hommes, femmes, figures connues et inconnues, journalistes, personnel politique, étudiants, chômeurs, salariés, chefs d’entreprise…</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/DPvoevcDpcQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Dès lors, devant ce risque diffus, une autocensure s’est instaurée. Le mur de la peur semble être de nouveau retombé sur les aspirations de la jeunesse algérienne. Celle-ci avait initié un mode de protestation qui a su, un temps, déstabiliser l’exécutif par la combinaison d’une projection vers le futur (codes du digital, culture de consommation globale, mixité, chanson et danse) et du maintien d’une filiation historique avec la guerre d’indépendance algérienne, puisque les manifestants réclamaient que ses idéaux s’appliquent.</p>
<p>La reprise des marches en février 2021, avant leur nouvelle interdiction en juin 2021, s’est faite selon des modalités moins festives. L’été 2021, marqué par une <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/07/29/en-algerie-le-systeme-de-sante-est-submerge-par-le-variant-delta_6089865_3212.html">nouvelle flambée de Covid</a>, ainsi que par des incendies meurtriers qui ont suscité un <a href="https://theconversation.com/a-lepreuve-du-feu-et-de-la-pandemie-un-regain-de-solidarite-nationale-en-algerie-166119">regain de solidarité nationale</a>, a contribué au retour en force non pas des marches en tant que telles, mais de l’idée du Hirak.</p>
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<p>Un drame dans le drame a marqué une partie de la jeunesse hirakiste : le <a href="https://www.algerie360.com/victimes-des-incendies-florilege-dhommages-artistiques/">lynchage à mort de Djamal Bensmail</a>, artiste venu prêter main-forte aux personnes luttant contre les incendies en Kabylie, dont la personnalité condensait les valeurs défendues par le Hirak.</p>
<h2>Des champs d’expression plus restreints</h2>
<p>La fin de l’année 2022 voit la mise sous scellés de Radio M et du site associé, Maghreb Emergent, l’un des derniers médias en ligne dont l’image était associée au Hirak, et <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1323137/ihsane-el-kadi-icone-de-la-presse-libre-en-algerie.html">l’incarcération de leur fondateur et directeur, le journaliste Ihsane El Kadi</a>.</p>
<p>L’ONG internationale Reporters sans Frontières <a href="https://rsf.org/fr/rsf-saisit-l-onu-apr%C3%A8s-l-incarc%C3%A9ration-d-ihsane-el-kadi-en-alg%C3%A9rie">saisit l’ONU</a> et publie une lettre ouverte signée de 16 patrons de rédactions de 14 pays, dont Dmitri Mouratov, prix Nobel de la paix, qui appellent à la libération de leur confrère Ihsane El Kadi. Sans succès. L’affaire El Kadi rappelle <a href="https://information.tv5monde.com/afrique/algerie-appel-la-mobilisation-internationale-pour-le-journaliste-khaled-drareni-371023">l’incarcération pendant un an, en 2020-2021, du journaliste Khaled Drareni</a>, qui a été un animateur phare de Radio M, dont le cas avait suscité une vague de soutien international. *Aujourd’hui, dans le pays, le climat est plus frileux au vu de la multiplication de ces affaires.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1614973055796760576"}"></div></p>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/02/01/en-algerie-la-dissolution-de-la-ligue-des-droits-de-l-homme-illustre-l-escalade-repressive-du-regime_6160088_3212.html">La ligue algérienne des droits de l’homme est dissoute</a> depuis peu, et son vice-président a fui en France. Le RAJ <a href="https://www.jeuneafrique.com/1421053/politique/en-algerie-dissolution-du-raj-une-ong-emblematique-du-hirak/">(Rassemblement actions jeunesse)</a>, une ONG emblématique du Hirak, a également été interdit. <a href="https://www.slate.fr/story/225879/presse-francophone-algerie-declin-liberte-soir-dalgerie-el-watan">La presse indépendante francophone est moribonde</a>, ce qui réduit encore les espaces d’expression libre.</p>
<p>Des frictions diplomatiques ont mis aux prises Alger et Paris autour de l’affaire Bouraoui. Cette gynécologue, militante déjà connue depuis 2014 pour le <a href="https://www.lexpress.fr/monde/afrique/barakat-le-mouvement-anti-bouteflika-peut-il-s-etendre-en-algerie_1506636.html">mouvement Barakat</a> contre le quatrième mandat de Bouteflika et animatrice d’un programme sur Radio M, qui faisait l’objet d’une interdiction de sortie du territoire algérien, a rejoint la France sous protection consulaire française au vu de sa double nationalité. </p>
<p>En réaction, <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20230208-affaire-amira-bouraoui-l-alg%C3%A9rie-rappelle-son-ambassadeur-en-france">Alger a rappelé son ambassadeur</a>. Ce <em>Bouraouigate</em> a semble-t-il provoqué l’incarcération du journaliste <a href="https://cpj.org/2023/02/algerian-journalist-mustapha-bendjama-arrested/">Mustapha Bendjama</a>, exerçant au <em>Provincial</em> d’Annaba. Notons qu’un lanceur d’alerte, Zaki Hannache, décrit comme un pilier du Hirak, a obtenu un <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/02/17/je-suis-le-prochain-sur-la-liste-a-tunis-l-exil-intranquille-du-militant-algerien-zaki-hannache_6162243_3212.html">statut de réfugié en Tunisie depuis trois mois</a>. Il avait reçu un prix pour son engagement lors d’une cérémonie organisée par Radio M.</p>
<h2>Radio M, une caisse de résonance à la jeunesse dans la ligne de mire du pouvoir ?</h2>
<p>Plusieurs protagonistes sont reliés à l’espace Radio M, cette radio web qui offrait des programmes classiques de débats et d’informations.</p>
<p>Pour la jeunesse algérienne, deux programmes ont, pendant la crise sanitaire, représenté une sorte de continuité de l’esprit positif du Hirak. Ils étaient tous deux animés par le regretté <a href="https://www.dzairdaily.com/algerie-anis-hamza-chelouche-decede-journaliste-radio-m-plus/">Anis Hamza Chelouche</a>, dit AHC, décédé lors d’un photoreportage en mer en septembre 2021. Chelouche, qui était une sorte d’archétype de cette jeunesse d’avant-garde patriote, avait couvert toutes les marches. Polyglotte, progressiste, il avait vécu dans trois pays européens mais était rentré au pays pensant contribuer à l’ouverture du champ des possibles pour les jeunes.</p>
<p>Le premier programme, <a href="https://www.facebook.com/watch/live/?ref=watch_permalink&v=677656219575478">Maranach Saktine</a> (Nous n’allons pas nous taire), qui fait directement écho au slogan Maranach Habsin (Nous n’allons pas nous arrêter), a consacré de nombreux numéros à des sujets sociétaux tabous ou mis a la marge. Il se caractérisait par un ton très particulier, donnant la parole aux jeunes, y compris à ceux que l’on n’entend jamais, qui s’exprimaient avec leurs mots, dans toute leur diversité – un véritable prolongement du Hirak de la rue.</p>
<p>L’autre émission animée par AHC, <a href="https://m.youtube.com/playlist?list=PLYQuO64wrGlV2bXru70sPIMxsqsQIeB8w">Doing DZ</a>, était consacrée à l’entrepreneuriat. Elle représentait l’autre versant du Hirak, celui d’une société civile en mouvement, qui ne fait pas que marcher mais qui crée ses propres opportunités, souvent en adaptant au marché algérien des services disponibles à l’étranger et en promouvant le <em>made in Algeria</em>, avec une vision start up ou libérale, qui n’attend pas l’État et ses subventions pour agir. Le Hirak a concerné les jeunes de toutes classes sociales qui ont signifié à leurs aînés leur volonté de trouver leur place dans la société, et de s’émanciper vis-à-vis du pouvoir politique mais aussi de toutes les institutions qui semblent sclérosées et bloquées, inhibant l’initiative individuelle.</p>
<h2>Jeunesse algérienne : quelles perspectives ? Le départ ou le silence</h2>
<p>Quelles solutions pour cette jeunesse ? Si durant les premiers mois du Hirak, on ressentait une effervescence des Algériens de l’intérieur et de l’extérieur à l’idée de bâtir le pays, aujourd’hui le départ devient un une option fréquente. De plus en plus d’étudiants y aspirent. En outre, alors que le Hirak espérait que moins de <em>harragas</em> (clandestins) risqueraient de prendre la mer au vu de l’espoir suscité par le mouvement, il semble que leur flux reste constant. Le phénomène concerne parfois femmes et enfants, avec hélas, régulièrement, des <a href="https://observalgerie.com/2022/08/21/societe/parties-harraga-espagne-trois-femmes-algeriennes-decedent-mer/">issues tragiques</a>.</p>
<p>Un mur, <a href="https://www.jeune-independant.net/un-mur-controverse-pour-fermer-les-plages-aux-harraga/">bâti le long de la corniche oranaise</a> et censé dissuader les candidats au départ, avait provoqué l’indignation des habitants. Ce mur était perçu comme une <a href="https://www.middleeasteye.net/fr/opinionfr/algerie-oran-harraga-mur-repression-enfermement-libertes">métaphore de l’enfermement et de la rétention</a> de la jeunesse algérienne dans les murs du pays.</p>
<p>Pendant la crise sanitaire, les frontières maritimes et terrestres algériennes avaient été drastiquement fermées. Le retour à la normale a été long, privant d’échanges familiaux les Algériens vivant des deux côtés de la Méditerranée. Le Hirak a également été un temps particulièrement fluide et collaboratif entre les Algériens de l’intérieur et la diaspora.</p>
<p>Ces dernières semaines, plusieurs mesures gouvernementales montrent un décalage du pouvoir avec le Hirak, dont l’exécutif se réclame, mais en le cantonnant à un Hirak originel (celui qui a duré jusqu’à l’élection présidentielle de 2019) et dont il incarnerait désormais officiellement les aspirations. Le ministère du Commerce a <a href="https://maghrebemergent.net/signes-et-couleurs-contraires-aux-valeurs-morales-de-la-societe-le-gouvernement-mene-la-guerre/">fait retirer les produits comportant l’arc-en-ciel</a> car ils constitueraient une atteinte aux mœurs. Les internautes n’ont pas hésité à railler une mesure jugée absurde en proposant l’interdiction de l’arc-en-ciel dans le ciel. Une limitation des importations de produits de mode a été évoquée pour encourager la production nationale.</p>
<p>Récemment, la ministre de la Culture a exigé des sanctions pour les chansons comportant du contenu <a href="https://www.algerie360.com/ministere-culutre-chansons-vulgaires/">offensant pour les bonnes mœurs algériennes</a>. Bien sûr, comme ailleurs, le rap algérien se développe, et l’art en général sert à exprimer des transgressions et un besoin d’évasion surtout dans un champ d’expression fermé. Le rap mais aussi les chants des supporters dans les stades ont notamment <a href="https://academic.oup.com/book/45355/chapter-abstract/389273637?redirectedFrom=fulltext">joué un rôle important pour le Hirak</a>. Aujourd’hui, dans un contexte économique qui n’offre aux jeunes guère d’opportunités de se réaliser, leurs codes culturels (tech, mode,arts) semblent scrutés et policés par les autorités. On l’aura compris : pour le moment,la jeunesse algérienne n’est pas récompensée pour le pacifisme, le civisme, le patriotisme et l’ouverture de sa Révolution du Sourire… </p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/200391/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nacima Ourahmoune ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Apparu en 2019 avant de se voir relégué au second plan pendant la pandémie, le mouvement du Hirak cherche à subsister face à une répression gouvernementale qui s’intensifie.Nacima Ourahmoune, Professeur / Chercheur/ Consultant en marketing et sociologie de la consommation, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2002072023-02-23T20:33:33Z2023-02-23T20:33:33Z« Manu, tu nous mets 64, on te Mai 68 ! » : ce que les slogans disent de notre histoire sociale<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/510946/original/file-20230218-22-ljn0lz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=75%2C137%2C4525%2C2924&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Manifestation du 31 janvier 2023. Beaucoup de références à Mai 68 dans les cortèges.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jmenj/52660733582/in/album-72177720305356181/">Jeanne Menjoulet/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Les dernières manifestations et grèves dénonçant le projet de réforme des retraites du gouvernement ont donné lieu à d’importantes mobilisations : si les formes ont été relativement <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/02/19/reforme-des-retraites-a-gauche-et-dans-la-rue-la-tentation-de-la-radicalite_6162433_823448.html">convenues et attendues</a>, encadrées par une <a href="https://theconversation.com/greves-les-syndicats-doivent-ils-durcir-le-mouvement-pour-peser-199815">intersyndicale redynamisée</a>, on a vu aussi apparaître de nombreuses références à Mai 68 dans les cortèges.</p>
<p>Un phénomène qui peut surprendre tant la référence à 68 et plus encore aux « soixante-huitards » a souvent été objet d’ironie voire de lassitude dans les décennies passées. Une illustration de cette sensibilité critique se trouve dans les travaux du <a href="https://www.liberation.fr/debats/2018/02/14/jean-pierre-le-goff-ex-fan-de-68_1629735/">sociologue Jean-Pierre Le Goff</a>. Souvent sollicité par les médias à ce propos, il évoque un <a href="https://www.facebook.com/RTSinfo/videos/jean-pierre-le-goff-il-faut-en-finir-avec-lh%C3%A9ritage-impossible-de-mai-68/978607298969125/">« héritage impossible »</a>.</p>
<p>Son analyse repose sur deux critiques centrales. D’un côté ce qu’on peut appeler « le 68 politique » avec la floraison des <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/06/14/philippe-buton-le-gauchisme-ce-n-est-pas-seulement-l-extreme-gauche-c-est-une-attitude-globale-la-marque-d-une-epoque_6084035_3232.html">groupes gauchistes</a>, qui n’aurait produit que dogmatisme, psalmodies sectaires et propositions politiques aussi radicales qu’inquiétantes. Certes, un mot d’ordre comme « dictature du prolétariat » sonne vétuste ou alarmant. Et la célébration d’une classe ouvrière qui n’aurait guère changé depuis les « Trente glorieuses » – <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/entendez-vous-l-eco/une-histoire-de-la-condition-ouvriere-4833505">telle qu’elle a existé et pesé avant la désindustrialisation de la France</a> semble bien décalée par rapport à la nouvelle génération de travailleurs <a href="https://theconversation.com/plates-formes-lorganisation-syndicale-une-reponse-a-la-desillusion-des-chauffeurs-uber-157515">précaires ou uberisés</a>.</p>
<p>Allant plus loin, Le Goff prend aussi pour cible ce qu’on peut nommer le « gauchisme culturel ». Ce dernier prône et met en pratique une remise en cause des mœurs et rapports hiérarchiques traditionnels, qui a pu participer de ce que Luc Boltanski et Eve Chiapello ont nommé <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Tel/Le-nouvel-esprit-du-capitalisme">« la critique artiste »</a>. Il s’agit moins de cibler le capitalisme comme exploiteur que comme aliénant, anesthésiant toute force créative par son obsession de la rationalité et des hiérarchies.</p>
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<figcaption><span class="caption">Luc Boltanski et Eve Chiapello, Mediapart.</span></figcaption>
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<h2>Une vaste anomie sociale ?</h2>
<p>Toujours selon Le Goff, l’esprit de Mai 68 aurait instillé le chaos dans les couples et les familles, disqualifié tout rapport d’autorité, et promu une culture narcissique de l’épanouissement individuel sapant la possibilité même de faire société. Soit, une vaste <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Anomie#cite_note-1">anomie</a> sociale. Le terme désigne une situation dans laquelle les individus sont déboussolés faute de règles claires sur ce qui est propre à un statut, un rôle social, sur ce qu’on peut raisonnablement attendre de l’existence.</p>
<p>Or, si les thèses de Le Goff apparaissent comme une ponctuation de <a href="https://www.persee.fr/doc/socco_1150-1944_1994_num_20_1_1365">trente ans de lectures critiques de Mai 68</a> elles s’inscrivent aussi dans une vision mémorielle dominante de Mai 68. Cette dernière se concentre principalement sur le Mai parisien, la composante étudiante-gauchiste du mouvement et sa dimension idéologique, en occultant la mémoire ouvrière et populaire, celle des huit millions de grévistes.</p>
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<figcaption><span class="caption">Mai 1968, une révolution sociétale ? (INA).</span></figcaption>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/mai-68-quand-la-france-se-joignait-aux-convulsions-du-monde-92896">Mai 68, quand la France se joignait aux convulsions du monde</a>
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<h2>La figure négative du « soixante-huitard »</h2>
<p>On peut ajouter qu’à partir des années 1990 a émergé dans les médias, par le biais des récits de fiction et des discours politiques une <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/NRF-Essais/Des-soixante-huitards-ordinaires">figure très négative</a> du « soixante-huitard ».</p>
<p>Ce dernier aurait vite jeté par-dessus bord ses proclamations radicales, fait carrière avec cynisme sans hésiter à piétiner ses concurrents, fort bien réussi dans les univers de la presse, de l’université, de la culture, de la publicité. Daniel Cohn-Bendit, Romain Goupil ou hier André Glucksmann ont été pointé du doigt comme illustrations de telles évolutions. Car le « soixante-huitard » serait aussi un incurable donneur de leçons, s’autorisant de ses reniements pour prêcher aux nouvelles générations la vanité des révolutions et les vertus d’une posture libérale-libertaire.</p>
<p>On retrouvait une part de ces thématiques dans les <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/3339757001014/les-propos-de-nicolas-sarkozy-sur-mai-68">discours de Nicolas Sarkozy</a> ainsi que dans de nombreux articles de presse.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/511626/original/file-20230222-18-ocxjwd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/511626/original/file-20230222-18-ocxjwd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/511626/original/file-20230222-18-ocxjwd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=848&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/511626/original/file-20230222-18-ocxjwd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=848&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/511626/original/file-20230222-18-ocxjwd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=848&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/511626/original/file-20230222-18-ocxjwd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1065&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/511626/original/file-20230222-18-ocxjwd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1065&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/511626/original/file-20230222-18-ocxjwd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1065&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">dossier de Technikart (n°47, 2000) se moquant de la figure du soixante-huitard.</span>
<span class="attribution"><span class="source">E.Neveu</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>En témoigne le livre <a href="https://www.babelio.com/livres/Sportes-Maos/39635"><em>Maos</em></a> (2006) de Morgan Sportes dans lequel d’anciens maoïstes devenus sommités du tout Paris culturel crachent leur mépris des classes populaires. Dans un autre registre, l’ancien leader de la « gauche prolétarienne » <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/01/06/serge-july-de-retour-a-liberation_6156896_3234.html">Serge July</a>, devenu rédac-chef de <em>Libération</em> a lui fait office de punching-ball pour bien des critiques.</p>
<h2>Le retour du refoulé</h2>
<p>Le quarantième anniversaire de Mai a vu s’opérer un virage. Il repose largement sur l’investissement des historiens, sociologues et politistes longtemps restés à distance d’un objet trop brûlant.</p>
<p>Le travail sur archives, les <a href="https://theconversation.com/quand-mai-68-secrivait-au-feminin-rencontre-avec-anne-militante-a-19-ans-92895">collectes de récits de vie</a>, l’enquête systématique, ont permis de questionner des pans entiers de la mémoire officielle. Ces chercheurs ont ainsi <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/68_une_histoire_collective_1962_1981-9782348036040">revalorisé l’époque</a> comme celle d’une séquence d’insubordination ouvrière et de conflits du travail.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ht1RkTMY0h4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Wonder, Mai 68.</span></figcaption>
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<p>Ils ont montré qu’à mesure qu’on s’éloignait des dirigeants, spécialement de ceux consacrés par les médias, le recrutement des groupes gauchistes était largement populaire et petit-bourgeois, non élitiste. Ils ont plus encore permis de constater – à partir du suivi d’effectifs qui chiffrent désormais par milliers de militants – que ni gauchistes, ni féministes de ces années n’avaient abandonné toute forme d’engagement ou abdiqués du <a href="https://www.actes-sud.fr/node/63026">désir de changer la vie</a>. </p>
<p>La plupart ont au contraire massivement <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/NRF-Essais/Des-soixante-huitards-ordinaires">poursuivi des activités militantes</a> dans le syndicalisme, les causes écologiques, la solidarité avec les migrants, l’économie sociale et solidaire, les structures d’éducation populaire, les mouvements comme ATTAC… Ce faisant ces « soixante-huitards » ont côtoyé d’autres générations plus jeunes et sans se borner au rôle d’ancien combattant radoteur, mais en jouant au contraire un rôle de passeurs de savoirs.</p>
<p>De manière contre-intuitive ces travaux ont aussi montré que, si ceux qui avaient acquis des diplômes universitaires ont profité des dynamiques de mobilité sociale ascendante, les militants des années 68 n’avaient pas connu de réussites sociales remarquables. Au contraire, à qualification égales, de par leurs engagements, beaucoup ont exprimé leur répugnance à exercer des fonctions d’autorité quitte à <a href="https://www.revue-etudes.com/article/changer-le-monde-changer-sa-vie-d-olivier-fillieule-19319">entraver</a> les carrières qu’ils avaient pu envisager.</p>
<h2>Un héritage retrouvé</h2>
<p>Que tant de pancartes en manifestations reprennent des slogans phares de 68 peut traduire un sens de la formule. Il est aussi possible d’y voir l’expression d’une réhabilitation. Cette dernière questionne aussi la manière dont une mémoire officielle « prend » ou non, quand elle circule via des supports (essais, magazines d’information, journaux) dont on oublie trop souvent que leur lecture est socialement clivante car faible en milieux populaires.</p>
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<img alt="Les slogans dans les manifestations (ici à Paris le 31 janvier 2023) contre le projet de réforme des retraites s’inspirent consciemment ou non d’un héritage collectif issu de Mai 38" src="https://images.theconversation.com/files/511431/original/file-20230221-22-9ddifm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/511431/original/file-20230221-22-9ddifm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/511431/original/file-20230221-22-9ddifm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/511431/original/file-20230221-22-9ddifm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/511431/original/file-20230221-22-9ddifm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/511431/original/file-20230221-22-9ddifm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/511431/original/file-20230221-22-9ddifm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les slogans dans les manifestations (ici à Paris le 31 janvier 2023) contre le projet de réforme des retraites s’inspirent consciemment ou non d’un héritage collectif issu de Mai 38.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jmenj/52660733067/in/album-72177720305356181/">Jeanne Menjoulet/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Il faut donc penser à d’autres vecteurs de circulation d’une autre mémoire, celle des millions d’anonymes qui ont participé à la mobilisation de 68 : <a href="http://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?GCOI=27246100611320">propos et souvenirs « privés »</a> ou semi-publics tenus lors de fêtes de famille, de pots de départ en retraite, de réunions syndicales ou associatives.</p>
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<p>Il faut regarder les manuels d’histoire du secondaire rédigés par des auteurs soucieux de faits et non d’audacieuses interprétations, aller du coté des cultures alternatives (romans noirs, rock). Si l’on prend la peine de consulter les <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/2008/05/13/01011-20080513FILWWW00232-mai-periode-progres-social-sondage.php">sondages faits tant en 2008 qu’en 2018</a>, on verra que l’image de Mai comme moment d’émancipation sociale et de libération des mœurs est très majoritairement positive, et ce d’abord dans les <a href="https://www.pur-editions.fr/product/2165/l-insubordination-ouvriere-dans-les-annees-68">milieux populaires</a>. </p>
<h2>Résurgences et renouveaux</h2>
<p>Pour rester en partie éclairants, slogans, livres et théories d’il y a un demi-siècle ne donnent pas les clés du présent. Mieux vaut raisonner en termes de résurgences et renouveaux. On peut faire l’hypothèse d’une résurgence de la « vocation d’hétérodoxie » soixante-huitarde, <a href="http://colloque-mai68.ens-lyon.fr/spip.php?article29">théorisée</a> par Boris Gobille, et qui questionnait toutes les formes instituées de la division sociale du travail et du pouvoir.</p>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/02/17/le-nouveau-conflit-des-generations_6162187_3232.html">On le voit aujourd’hui</a> sur les rapports hommes femmes, la critique de la suffisance des « experts », la revendication de la reconnaissance de celles et ceux des « première et seconde lignes », le refus d’inégalités sans précédent de richesses.</p>
<p>Le renouveau lui s’exprime à travers le sentiment diffus que des formes de conflictualité plus généralisées, plus intenses seraient le seul moyen de vaincre. Comme le soulignait sur ce site Romain Huet, se font jour <a href="https://theconversation.com/a-t-on-atteint-notre-capacite-collective-a-supporter-la-brutalite-du-monde-199736">doutes ou lassitudes</a> quant aux formes routinisées de la protestation.</p>
<p>Autre parfum des années 68 que le constat persistant d’une « société bloquée » que proposait <a href="https://www.babelio.com/livres/Crozier-La-societe-bloquee/274979">alors feu le sociologue Michel Crozier</a>. Si on peut ne partager ni tout le diagnostic, ni les préconisations de cet auteur, il n’était pas sans lucidité sur l’extraordinaire incapacité des élites sociales françaises à écouter, dialoguer, envisager d’autres savoirs.</p>
<p>Vouloir en finir énergiquement avec ce blocage n’est ni romantisme de la révolution, ni vain radicalisme, mais conscience de plus en plus partagée de ce que le système politique français semble être devenu l’un des plus centralisés, hermétique aux tentatives de contre-pouvoirs institutionnels (référendums, syndicats). Il est donc aussi le plus propre à stimuler les désirs d’insurrection et la possibilité de violences.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/200207/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Erik Neveu ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les retours à la référence de Mai 68 dans les manifestations invitent à réfléchir à la manière dont la mémoire d’un événement varie.Erik Neveu, Sociologue, Université de Rennes 1 - Université de RennesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2002952023-02-20T17:22:16Z2023-02-20T17:22:16ZAprès les mobilisations, quel sens donner au travail ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/511188/original/file-20230220-16-i473nr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C3%2C2048%2C1361&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les mobilisations contre le projet de réforme des retraites mettent aussi en exergue un autre rapport au travail au coeur de la société française.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jmenj/52637319993/in/album-72177720305356181/">Jeanne Menjoulet/Flickr </a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Les débats autour du projet de loi sur la réforme des retraites ont entraîné d’importantes discussions <a href="https://theconversation.com/reforme-des-retraites-la-difficile-prise-en-compte-de-la-penibilite-du-travail-130263">sur la pénibilité</a>, les inégalités des femmes et des hommes, l’emploi des seniors, ainsi que sur le travail : son contenu et son sens, au-delà du terme contestable <a href="https://aoc.media/opinion/2023/01/23/les-quiproquo-de-la-valeur-travail/">« de valeur »</a>.</p>
<p>Le travail semble ainsi être revenu au centre de l’action syndicale et des nouvelles dynamiques <a href="https://theconversation.com/greves-les-syndicats-doivent-ils-durcir-le-mouvement-pour-peser-199815">que l’on observe</a> depuis plusieurs jours et qui pourraient prendre de l’ampleur lors de la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/attendre-le-7-mars-pour-faire-greve-pas-une-mauvaise-idee-si-l-on-en-croit-l-histoire-2781187">journée de mobilisation du 7 mars</a>.</p>
<p>Au-delà de la mobilisation, le sens même de ce que le travail représente pourrait connaître un tournant, après des décennies de contestations ouvrières et syndicales.</p>
<h2>Une rupture avec l’histoire ouvrière</h2>
<p>Tout au long de l’ère industrielle, le travail a été en France au cœur du conflit opposant le mouvement ouvrier aux maîtres des organisations. Les travailleurs les plus qualifiés apportaient leur créativité, un savoir-faire ils étaient porteurs d’une <a href="https://theconversation.com/le-beau-travail-une-revendication-ouvriere-trop-souvent-oubliee-173446">conscience fière</a>. Ces derniers étaient les héritiers des ouvriers de métier, qui, avant le <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/270751-quest-ce-que-le-taylorisme">taylorisme</a>, étaient seuls à pouvoir faire ce qu’ils faisaient, tels des artisans. Les patrons étaient alors perçus comme des intermédiaires inutiles entre eux-mêmes et le marché.</p>
<p>Les travailleurs non qualifiés étaient pour leur part porteurs d’une conscience prolétarienne, ils apportaient leur force de travail. Ceux qu’on appelle les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ouvrier#Sociologie">ouvriers spécialisés</a> (OS) étaient les héritiers des manœuvres, dont les tâches étaient purement physiques. Le passage au taylorisme a signifié ppur eux aliénation et exploitation maximale.</p>
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<figcaption><span class="caption">Grèves dans les usines Renault, 1947, INA.</span></figcaption>
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<p>Le mouvement ouvrier n’a jamais été aussi puissant que dans les grandes entreprises taylorisées, dont les usines Renault furent le symbole durant plusieurs années. Alain Touraine <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-conscience-ouvriere-alain-touraine/9782020026963">l’avait montré dès les années 60</a>, et nous en avons eu confirmation ensemble <a href="https://www.fayard.fr/sciences-humaines/le-mouvement-ouvrier-9782213013619">dans une vaste recherche publiée en 1984</a>.</p>
<h2>Remplacer un carreau cassé, sauver l’emploi</h2>
<p>La conscience ouvrière a longtemps animé des luttes diverses – obtenir de meilleurs salaires, tenter de peser sur la législation pour qu’elle soit plus favorable aux travailleurs, sauver l’emploi, trouver un travail à un camarade chômeur.</p>
<p>Dans cette perspective, un bon syndicaliste savait assurer la remontée de demandes modestes et très localisées, comme exiger et obtenir le remplacement d’un carreau cassé dans le vestiaire mais aussi faire valoir un haut niveau de projet, incarner le désir des ouvriers de diriger l’historicité.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/511133/original/file-20230220-16-r28jt8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Le Dîner de l’ouvrier. Huile sur toile de Francesco Sardà Ladico (1877-1912). Exposé au Musée National d’Art de Catalogne, à Barcelone" src="https://images.theconversation.com/files/511133/original/file-20230220-16-r28jt8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/511133/original/file-20230220-16-r28jt8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/511133/original/file-20230220-16-r28jt8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/511133/original/file-20230220-16-r28jt8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/511133/original/file-20230220-16-r28jt8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/511133/original/file-20230220-16-r28jt8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/511133/original/file-20230220-16-r28jt8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le Dîner de l’ouvrier. Huile sur toile de Francesco Sardà Ladico (1877-1912). Exposé au Musée National d’Art de Catalogne, à Barcelone.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Le_Diner_de_louvrier_-_Francesc_Sard%C3%A0_Ladico.jpg?uselang=fr">Francesco Sardà Ladico/Wikimedia</a></span>
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<p>Ce qui fondait cette conviction, c’était le travail effectué, une conviction qui remonte aux tous débuts du mouvement ouvrier, que l’on retrouve dans le <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/fernand-pelloutier-et-les-origines-du-syndicalisme-d-action-directe-jacques-julliard/9782020026710">syndicalisme d’action directe</a>.</p>
<h2>Visées politiques du travail</h2>
<p>Le travail était aussi indissociable d’améliorations du quotidien que de visées politiques. Ces dernières culminaient avec la perspective de voir les travailleurs ou leurs représentants s’approprier le pouvoir d’État, que ce soit de façon convulsive, par la Révolution, par la grève générale, au cœur de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ApQIY2LuGyo">l’anarcho-syndicalisme du début du XXᵉ siècle</a>, ou par une action sur la longue durée, de type social-démocrate.</p>
<p>Le travail, de l’atelier ou du bureau jusqu’à l’État, fondait une action collective de haut niveau de projet, avec ses espoirs, ses utopies, et ses formes d’organisation, à commencer par les syndicats. La figure centrale de l’ouvrier d’industrie incarnait cette action par laquelle, disait Marx, le <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/proletariat-et-proletarisation/">prolétariat en se « libérant »</a> libérera la société tout entière. C’est pourquoi d’autres acteurs se réclamaient de sa lutte, qui donnait son sens à leur propre action – paysans, enseignants par exemple.</p>
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<img alt="Manif des ouvriers de la SNIAS (aérospatiale) (1974)" src="https://images.theconversation.com/files/511191/original/file-20230220-28-wj8b68.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/511191/original/file-20230220-28-wj8b68.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/511191/original/file-20230220-28-wj8b68.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/511191/original/file-20230220-28-wj8b68.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/511191/original/file-20230220-28-wj8b68.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/511191/original/file-20230220-28-wj8b68.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/511191/original/file-20230220-28-wj8b68.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Manif des ouvriers de la SNIAS (aérospatiale) (1974).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:24.9.74._Manif_des_ouvriers_de_la_SNIAS_%28a%C3%A9rospatiale%29_%281974%29_-_53Fi5269.jpg">Wikimedia</a></span>
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<p>Cette période historique est derrière nous, d’autant que les <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/02/17/le-nouveau-conflit-des-generations_6162187_3232.html">nouvelles mobilisations</a> féministes, éthiques, antiracistes, ou sur le changement climatique et l’environnement paraissent éloignées de celles qui mettent le travail au centre, ce qui a pu contribuer à relativiser cet enjeu dans les luttes.</p>
<p>Et ce, d’autant plus que depuis les années 80’, le <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/sociologie_des_syndicats-9782707170125">syndicalisme s’est affaibli</a> comme <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/57f40cb98d31fd9bc9422a9a0bd005a8/L%C3%A9ger%20repli%20de%20la%20syndicalisation%20en%20France%20entre%202013%20et%202019%20dans%20quelles%20activit%C3%A9s%20et%20pour%20quelles%20cat%C3%A9gories%20de%20salari%C3%A9s.pdf">l’indiquent différentes études</a> montrant un repli du nombre de syndiqués, y compris dans la fonction publique.</p>
<h2>De nouvelles contestations</h2>
<p>Si les revendications sociétales intègrent parfois d’autres enjeux liés au travail, on constate aussi que de nouvelles formes de contestations émergent, liées au revenu, au niveau de vie, à la fin du mois. Ces dernières sont portées par des acteurs qui ne se réclament que peu du travail proprement dit et qui sont éloignés des espaces classiques où ce dernier nourrit l’action syndicale.</p>
<p>Ainsi les « gilets jaunes » étaient distants de l’univers de l’entreprise et <a href="https://theconversation.com/la-fin-du-syndicalisme-vivant-106759">ignoraient les syndicats</a>, leurs revendications ne pouvaient pas à leurs yeux être portées par eux, ne serait-ce qu’en raison de leur faiblesse ou de leur absence dans bien des secteurs ayant fortement suscité la <a href="https://theconversation.com/les-gilets-jaunes-sursaut-dun-nouvel-engagement-107213">mobilisation des ronds-points</a>.</p>
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<p>Toute sorte de figures incarnent désormais l’injustice sociale et la pénibilité du travail – la caissière de supermarché, le <a href="https://theconversation.com/les-livreurs-de-plateformes-en-quete-de-protection-sociale-168962">livreur</a>, l’aide-soignante, <a href="https://theconversation.com/travailler-plus-longtemps-mais-dans-quel-etat-le-cas-des-eboueurs-198888">l’éboueur</a>, etc. Une grande partie d’entre elles sont aussi peu syndiquées du fait d’un nouveau système <a href="https://theconversation.com/linstabilite-des-revenus-une-source-de-mal-etre-de-plus-en-plus-repandue-198551">d’emplois précaires</a> directement liés au <a href="https://theconversation.com/uberisation-turc-mecanique-economie-a-la-demande-ou-va-le-capitalisme-de-plateforme-64150">capitalisme de plate-forme</a>.</p>
<p>Cela a été souligné avec la pandémie. Pour d’autres, parfois aussi les mêmes, le problème n’est pas tant l’exploitation, que la reconnaissance, ce qui a été au cœur de l’enquête d’une <a href="http://cadis.ehess.fr/index.php?2467">enquête collective</a>. Les demandes de reconnaissance sont individuelles, portées par une <a href="https://wieviorka.hypotheses.org/359">subjectivité déçue ou malmenée</a> mais ne deviennent pas pour autant la source d’une contestation collective pouvant s’élever jusqu’à des utopies ou des projets de prise du pouvoir d’État.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/emploi-teletravail-et-conditions-de-travail-les-femmes-ont-perdu-a-tous-les-niveaux-pendant-le-covid-19-141230">Emploi, télétravail et conditions de travail : les femmes ont perdu à tous les niveaux pendant le Covid-19</a>
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<h2>Le travail, porte d’entrée d’enjeux plus larges</h2>
<p>Les syndicats qui rejettent aujourd’hui la réforme des retraites du gouvernement ne prétendent pas diriger la société, ils ne visent pas le pouvoir d’État au nom de leur apport par le travail. S’ils continuent à lui conférer un sens, à y voir une voie de possible réalisation de soi, celle-ci est désormais <a href="https://theconversation.com/travailler-oui-mais-pour-pouvoir-aussi-se-realiser-en-dehors-199613">comme encapsulée dans des enjeux plus larges</a>. Le travail n’est plus, pour beaucoup, qu’un élément d’une existence qui comporte aussi la famille, les amis, les loisirs, les vacances, mais aussi des engagements, associatifs ou autres. S’il demeure, pour certains, source d’émancipation, de libération, de réalisation de soi, il est pour d’autres avant tout pénible, ennuyeux, sans intérêt ou associé aux pires images de l’exploitation.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/511189/original/file-20230220-26-639p4t.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/511189/original/file-20230220-26-639p4t.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/511189/original/file-20230220-26-639p4t.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/511189/original/file-20230220-26-639p4t.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/511189/original/file-20230220-26-639p4t.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/511189/original/file-20230220-26-639p4t.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/511189/original/file-20230220-26-639p4t.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Manifestation pour la défense des retraites du 31 janvier 2023.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jmenj/52661723993/in/album-72177720305356181/">Jeanne Menjoulet/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Et si le télétravail autorise une meilleure articulation de la vie personnelle et du travail, il affaiblit aussi la socialisation qu’apportent les relations interpersonnelles dans l’entreprise ou l’administration. Rappelons aussi que le travail à distance est interdit à ceux que la pandémie du Covid-19 et le confinement ont <a href="https://blog.insee.fr/qui-sont-les-travailleurs-essentiels/">mis en première ligne</a>. Aujourd’hui, ceux qui se mobilisent pour les retraites veulent aussi profiter de ce temps libre, plus qu’ils ne rêvent de « lendemains qui chantent » et de pouvoir politique.</p>
<p>S’il n’est plus possible de faire du travail le cœur unique des grandes mobilisations sociales, il n’est pas pour autant possible de le rejeter dans le non-sens ni même d’en faire un enjeu secondaire.</p>
<p>Il demeure indissociable du lien social dans une société où celui-ci procède aussi d’autres thématiques – le réchauffement climatique, l’éthique sur les questions de vie et de mort, les relations entre générations, l’égalité des femmes et des hommes, etc. La forte mobilisation contre le projet de réforme sur les retraites en témoigne.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/200295/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Wieviorka ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le travail est revenu au centre de l’action syndicale depuis les mobilisations de janvier 2023 contre la réforme des retraites mais son sens semble avoir changé.Michel Wieviorka, Sociologue, Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.