tag:theconversation.com,2011:/us/topics/crimes-24773/articlescrimes – The Conversation2024-03-21T15:42:38Ztag:theconversation.com,2011:article/2260942024-03-21T15:42:38Z2024-03-21T15:42:38Z#MeTooGarçons : « 80% des violences ont lieu ou commencent avant l’âge de 18 ans »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/583163/original/file-20240320-30-k0hlnv.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=21%2C28%2C4790%2C3491&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Selon les chiffres de l'enquête Virage (2015) au cours de leur vie, 3,9 % des hommes interrogés ont subi des violences sexuelles, contre 14,5 % des femmes</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/fr-fr/photo/silhouette-de-l-homme-448834/">Pexels</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p><em>Les comédiens <a href="https://www.france24.com/fr/france/20240227-metoogar%C3%A7ons-les-hommes-victimes-minoritaires-en-chiffres-et-minor%C3%A9s-dans-leurs-traumatismes-violences-agressions-sexuelles-tabou">Aurélien Wiick</a> puis Francis Renaud ont récemment révélé les abus à caractère sexuel dont ils auraient victimes plus jeunes de la part de réalisateurs ou producteurs de <a href="https://theconversation.com/la-face-cachee-de-lexception-culturelle-francaise-un-cinema-dauteur-au-dessus-des-lois-224003">cinéma</a>, donnant lieu à la première vague <a href="https://www.lefigaro.fr/cinema/metoogarcons-accuse-d-agressions-sexuelles-par-deux-hommes-dominique-besnehard-se-defend-20240302">#MeTooGarçons en France</a>.
Cette récente prise de parole s’inscrit dans un <a href="https://theconversation.com/violences-sexuelles-familiales-la-triste-realite-des-donnees-154492">phénomène de plus grande ampleur</a> dénonçant les <a href="https://theconversation.com/violences-sexuelles-sur-mineurs-pourquoi-la-question-dun-age-legal-de-consentement-fait-debat-153987">violences et agressions sexuelles commises sur mineurs</a>. La sociologue Lucie Wicky, doctorante à l’EHESS et l’Ined, interroge la spécificité des violences sexuelles subies par les hommes. Ses premiers résultats de recherche questionnent la conception même de l’enfance et de son statut dans la société.</em></p>
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<h2>Vous êtes la première chercheuse en France à vous intéresser en détail aux violences sexuelles commises sur des hommes. Comment avez-vous travaillé ?</h2>
<p>J’ai mobilisé <a href="https://virage.site.ined.fr/">l’enquête Virage, conduite en 2015 par l’Ined</a>, qui est la dernière grande enquête probabiliste de ce type en France, portant sur plus de 27,000 répondants (questionnaire téléphonique) de 20 à 69 ans vivant en France métropolitaine. On estime que l’échantillon est représentatif et la méthodologie – proche de la première enquête sur les violences envers les femmes qui date d’il y a 25 ans <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/docs/violences-envers-les-femmes-et-etat-de-sante-mentale-resultats-de-l-enquete-enveff-2000">(Enveff, 2000)</a> – intègre la question des violences subies sur les douze derniers mois ainsi que tout au long de la vie.</p>
<p>L’enquête interroge des éléments biographiques, traite les violences des plus énonciables aux plus intimes (psychologique, physique puis sexuelle) en investissant aussi bien les espaces de vie considérés comme publics (milieu scolaire, professionnel, espaces publics) que privés (couple, ancienne relation, famille et entourage). La méthodologie est très spécifique dans ce type d’enquêtes : les questionnaires ne mobilisent pas les termes de « violences » ou « viols », empreints de lourdes représentations, mais listent plutôt des faits et laissent à chaque répondant la possibilité de répondre par oui ou non, car beaucoup d’enquêtés n’ont pas identifié les violences comme telles.</p>
<p>Je me suis aussi appuyée sur l’enquête « Contexte de la sexualité en France » qui <a href="https://www.ined.fr/fichier/rte/2/Publications/Autres/CSF-dossierdepresse0307.pdf">date de 2006</a> pour explorer le rapport aux normes de genre et de sexualité des hommes qui ont déclaré des violences. Enfin, j’ai réalisé 50 entretiens biographiques avec des hommes qui avaient déclaré des violences sexuelles dans le cadre de l’enquête Virage et accepté un entretien complémentaire. J’ai aussi interrogé 10 femmes pour avoir un point de comparaison.</p>
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<figcaption><span class="caption">#MeTooGarçons, témoignage de l’acteur Aurélien Wiick (<em>C hebdo</em>, février 2024).</span></figcaption>
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<p>Il existe assez peu de données plus récentes du fait de l’investissement que ce type d’enquêtes nécessite, ce qui en dit aussi long sur la prise en compte de ces violences et de leurs poids par les pouvoirs publics. Les enquêtes de <a href="https://mobile.interieur.gouv.fr/Interstats/Sources-et-methodes-statistiques/Glossaire/Victimation">victimation du ministère</a> ou les sources judiciaires ne sont pas toujours fiables car les dépôts de plaintes et leur suivi ne sont pas représentatifs : peu de victimes déposent plainte et ces dernières ne donnent pas toujours lieu à des poursuites.</p>
<p>J’émets d’ailleurs l’hypothèse qu’avec l’émergence des mouvements #MeToo et une <a href="https://theconversation.com/violences-sexuelles-contre-les-hommes-une-prise-de-conscience-progressive-57325">certaine prise de conscience sociétale</a> vis-à-vis de ces violences, les chiffres seraient plus importants si l’enquête était reproduite aujourd’hui. Les différentes vagues du mouvement ont certainement participé à la prise de conscience des violences subies par les victimes elles-mêmes. Une partie de mes recherches se concentre justement sur cette question de la qualification des violences comme telles.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lopera-un-univers-propice-aux-violences-sexistes-et-sexuelles-222421">L’opéra, un univers propice aux violences sexistes et sexuelles ?</a>
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<h2>Dans quel sens ?</h2>
<p><a href="https://www.ined.fr/fr/recherche/chercheurs/Wicky+Lucie">Ma thèse</a> porte sur les violences subies par les hommes à différents moments de leur vie, enfants, adolescents ou adultes, et la façon dont ils les qualifient et les énoncent. En réalisant les entretiens, je me suis rendue compte que certains enquêtés ont du mal à qualifier de « violence sexuelle » les faits subis, et plus spécifiquement lorsque ces derniers ont été commis à l’adolescence ou à l’âge adulte.</p>
<p>En revanche, lorsque les faits sont survenus à l’enfance (principalement avant 11 ans), ils expriment plus « facilement » les choses une fois les faits qualifiés. Beaucoup parlent d’ailleurs des faits à la troisième personne pour les mettre à distance. La majorité décrit des violences sexuelles commises par d’autres hommes, généralement des adultes, toujours en situation de domination.</p>
<p>Cela m’a amené à retravailler la définition même de violence de genre et j’assume de requalifier certains faits décrits par les enquêtés comme étant des agressions sexuelles même lorsque ces derniers ne l’énoncent pas de cette façon. Leurs récits décrivent des pratiques sexuelles contraintes par des rapports de domination interactionnels et structurels, autrement dit, des dominations liées aux rapports de pouvoir : genre, statut social, âge, etc.</p>
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<p>Ce qui m’a aussi frappé, c’est l’intérêt public centré sur les faits en termes de gradation allant des attouchements aux viols, <a href="https://theses.fr/2011IEPP007">dans un carcan juridique plutôt hétéronormé</a> – c’est-à-dire où l’hétérosexualité est la norme – mais qui ne reflète pas forcément le ressenti et la gravité perçue. Ainsi, pour beaucoup d’enquêtés, c’est bien l’exposition aux violences par la répétition, la durée, leur fréquence, l’environnement, la proximité avec l’auteur – sans forcément qu’il y ait systématiquement violences avec pénétration – qui influence le sentiment de gravité.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/culture-pornographique-et-tele-realite-quand-linceste-envahit-nos-ecrans-220437">Culture pornographique et télé-réalité : quand l’inceste envahit nos écrans</a>
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<h2>Comment expliquez-vous ce phénomène de « silenciation » et non de tabou que vous décrivez dans vos travaux ?</h2>
<p>Il faut distinguer « silenciation » et tabou. D’une part, les hommes ayant subi des violences sexuelles évoquent surtout des faits commis durant l’enfance et l’adolescence (80 % des violences sexuelles déclarées ont lieu ou ont commencé avant l’âge de 18 ans), moins une fois adultes. Pour les femmes, ce sont des violences qui existent et perdurent tout au long de la vie. Et quand elles déposent plainte, comme le montrait récemment une <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/1748895819863095">enquête parue au Royaume-Uni en 2019</a>, leurs paroles sont moins prises en compte que les hommes, pour qui la plainte mène plus souvent au procès.</p>
<p>Comme les femmes, les hommes parlent rarement de ces violences subies enfants, mais plutôt adultes. Toutefois, contrairement aux femmes, leur parole est plus facilement prise au sérieux lorsqu’ils énoncent les violences, ils sont plus soutenus par leurs proches, sauf lorsqu’ils sont homosexuels. Dans ces cas-là, comme pour les femmes, on leur incombe la responsabilité de leur agression, comme si leurs corps étaient, de fait, sexualisés, et on les rappelle à l’ordre hétérosexuel en les responsabilisant des violences sexuelles qu’ils ont subies. Autrement dit, la société considère que les « hommes sont des enfants avant 11 ans, alors que les femmes sont des “filles” quel que soit leur âge aux violences », sauf s’ils s’identifient comme gays.</p>
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<figcaption><span class="caption">Anne-Claude Ambroise-Rendu, « L’histoire de la reconnaissance de l’inceste subi par les garçons », 2022.</span></figcaption>
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<p>Mais le dénominateur commun est bien que tous et toutes ont été agressés principalement par des hommes (adultes, parfois mineurs eux aussi, d’après les entretiens ils sont toujours plus âgés que les victimes mais les données ne permettent pas d’être aussi précis). À partir de là, je ne pense pas qu’on puisse parler de tabou mais en revanche on peut parler de silenciation.</p>
<p><a href="https://journals.openedition.org/popvuln/4281">D’après mes résultats</a>, ces pratiques opèrent à différents niveaux. Structurellement tout d’abord, avec par exemple la création tardive d’un numéro, le <a href="https://www.allo119.gouv.fr/presentation">119</a>, gratuit depuis 2003, <a href="https://www.cairn.info/revue-nouvelles-questions-feministes-2013-1-page-16.htm">mais aussi des signalements</a> qui n’aboutissent pas et des <a href="https://www.cairn.info/viol--9782724624007.htm">plaintes qui ne donnent rien</a>.</p>
<p>Tout concourt à rappeler aux victimes que leurs récits n’aboutiront pas à des actes ou une répression des violences. Ces pratiques structurelles imprègnent l’institution familiale : lorsqu’il y a violence, on n’en parle pas, on ne réagit pas. Et bien sûr il y a le niveau de silenciation imposé par le ou les auteurs des faits. Très souvent ces derniers sont minorés ou intériorisés comme étant « normaux », y compris par les auteurs qui vont parler d’« initiation » à la sexualité ou de « jeux » par exemple.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/inceste-la-fin-dun-tabou-politique-153666">Inceste : la fin d’un tabou politique ?</a>
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<h2>Comment expliquer qu’aujourd’hui il existe une prise de parole aussi importante ?</h2>
<p>Je montre que ces violences sont tributaires d’un rapport de domination lié à l’âge, social ou biologique, mais aussi générationnel. Il y a eu plusieurs événements qui ont aidé à prendre la parole publiquement ; les premiers témoignages d’inceste de femmes dans les années 1980, avec le témoignage marquant d’<a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/isere/grenoble/l-incroyable-temoignage-d-eva-thomas-victime-d-inceste-vous-avez-eu-une-belle-histoire-d-amour-avec-votre-pere-vous-pourriez-etre-contente-2515632.html">Eva Thomas en 1986</a>, premier témoignage à visage découvert, puis les <a href="https://www.fayard.fr/livre/histoire-de-la-pedophilie-9782213672328/ie-9782213672328/">affaires de pédocriminalité</a> dans les années 1990 où l’on voit émerger une certaine parole des hommes. <a href="https://www.cairn.info/revue-apres-demain-2010-3-page-12.htm">L’affaire Outreau</a> en revanche a eu des conséquences lourdes quant à la prise en compte de la parole des enfants, <a href="https://www.cairn.info/revue-societes-et-representations-2016-2-page-59.htm">dans les années 2000</a>.</p>
<p>Je fais l’hypothèse que les années 2010/2015 marquent un tournant, avec la constitution d’associations comme <a href="https://colosse.fr/">Colosse pied d’argile</a> dans le rugby ou <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/rhone/lyon/a-lyon-la-parole-liberee-tourne-la-page-et-publie-un-livre-blanc-2010217.html">La Parole Libérée</a> dénonçant le silence dans l’Église et à l’origine de l’affaire Philippe Barbarin par exemple. Les violences sont dénoncées par « secteurs » où elles s’exercent : le sport, l’Église, la famille (avec <a href="https://www.liberation.fr/societe/familles/metooinceste-depuis-deux-ans-des-temoignages-par-milliers-et-des-enseignements-tires-20230921_UKJHZLZFWNDDRPS4PM3BHNX3Q4/">#MeTooInceste</a> par exemple), etc.</p>
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<figcaption><span class="caption">Association Colosse Pied d’Argile, présentation, YouTube.</span></figcaption>
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<p>L’émergence des réseaux sociaux constitue de nouveaux espaces de prise de parole pour les hommes comme pour les femmes. Ces effets sociohistoriques et ceux de la légitimation de la parole impulsée plutôt par des personnalités, produit aujourd’hui une prise de parole plus importante que dans le passé, qui amène à une certaine visibilité, associée à une partielle prise de conscience sociale de la réalité des violences sexuelles, pourtant observée et décrite de longue date.</p>
<p>C’est là où l’effet générationnel joue aussi un rôle : les hommes ayant grandi dans les années 1950, jusqu’aux années 1980 environ, ont vécu dans l’idée qu’un enfant se tait et que sa parole n’a pas d’importance. À table, en public, avec les adultes… Un enfant ne parle pas, dans sa famille comme dans l’espace public.</p>
<p>La domination masculine et adulte s’illustre ici à travers la figure de l’homme tout puissant, le « chef de famille » au rôle hégémonique au sein du foyer. Ce dernier ne laisse alors pas d’espaces de parole possibles. C’était aussi constitutif de la façon dont on envisageait les masculinités, valorisée à travers une certaine forme de violence dans le passé, moins aujourd’hui. C’est d’ailleurs aussi pour cela que des hommes ayant subi des violences après le début de leur construction de genre – à l’adolescence ou jeune adulte – ont du mal à s’envisager comme victimes.</p>
<h2>Comment analysez-vous ces changements d’époque ?</h2>
<p>Mon travail de recherche questionne en filigrane le concept de l’enfance qui a été longtemps dominant : celui où la hiérarchie sociale et les besoins des adultes passent avant ceux des enfants.</p>
<p>La parole de ces derniers est déconsidérée, silenciée et leur corps n’est pas respecté. Quand on force un enfant à faire un bisou à un adulte, quand on le contraint physiquement, on lui rappelle que l’adulte a le contrôle de son corps, et que son corps ne lui appartient pas.</p>
<p>Or, ne pas parler aux enfants, ne pas leur apprendre que leur corps est à eux, ne pas prendre en compte leur parole, leur mobilisation (pensons aux <a href="https://basta.media/Mobilisation-reprimee-dans-les-lycees-et-facs-Une-volonte-de-museler-la-jeunesse-par-la-violence">grèves lycéennes</a> par exemple et la forte répression en réponse) entrave leur compréhension de la violence mais aussi leur autonomie et façonne ainsi leur mise en vulnérabilité.</p>
<p>Peut-être doit-on aujourd’hui repenser le <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2023-3-page-14.htm">statut de mineur</a> et ce qu’il recouvre pour mieux protéger les enfants – et peut-être aussi envisager de les <a href="https://www.cairn.info/revue-du-crieur-2020-1-page-106.htm">laisser se protéger eux-mêmes</a>.</p>
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<p><em>Propos recueillis par Clea Chakraverty.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/226094/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lucie Wicky a reçu des financements de l'Ined et l'Université de Strasbourg. </span></em></p>Les violences sexuelles à l’encontre des garçons relèvent de rapports de domination liés au genre, à l’âge mais aussi un effet générationnel, englobant une vision spécifique des enfants.Lucie Wicky, Doctorante, EHESS, Ined, Institut National d'Études Démographiques (INED)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2262522024-03-20T16:00:56Z2024-03-20T16:00:56ZMarseille vue de l’intérieur : une exploration de la violence urbaine<p><em>L’année 2023 a été particulièrement meurtrière à Marseille : selon des chiffres avancés par le procureur de la ville, <a href="https://www.lefigaro.fr/marseille/marseille-la-rivalite-sanglante-entre-deux-bandes-rivales-a-l-origine-du-record-de-narchomicides-20231221">au moins 49 personnes seraient mortes et plus d’une centaine auraient été blessées</a> du fait de trafic de stupéfiants. Au point où le terme <a href="https://www.liberation.fr/checknews/narchomicide-la-delinquance-change-de-visage-les-mots-pour-la-comptabiliser-aussi-20230912_JO4V77R6JJEPDBGSESXQDDTHAM/">« narchomicides »</a> est évoqué et que le président de la République s'y est rendu le 19 mars 2024, annonçant <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/03/19/a-marseille-emmanuel-macron-annonce-plus-de-82-interpellations-dans-le-cadre-d-une-operation-sans-precedent-contre-le-trafic-de-drogue_6222863_823449.html">« une opération sans précédent »</a> pour lutter contre le trafic de drogue.
Faisant un pas de côté, les anthropologues Dennis Rodgers et Steffen Jensen ont choisi d’explorer cette violence de manière plus large et plus contextualisée, en se basant sur un terrain de sept mois effectué entre 2021 et 2023 dans la cité Félix-Pyat. Située au cœur du III<sup>e</sup> arrondissement marseillais, elle est souvent décrite comme l’une des plus difficiles de la préfecture des Bouches-du-Rhône.</em></p>
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<h2><a href="https://theconversation.com/marseille-immersion-dans-la-cite-felix-pyat-1-4-la-mauvaise-reputation-220875">La mauvaise réputation</a></h2>
<p>Les représentations des cités marseillaises comme lieux de violence tributaires du trafic de drogue nourrissent des imaginaires masquant d’autres formes de violences structurelles.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/marseille-immersion-dans-la-cite-felix-pyat-2-4-des-trafics-pas-si-juteux-des-morts-complexes-220893">Des trafics pas si juteux, des morts complexes</a></h2>
<p>Il existe de profondes contradictions et ambiguïtés concernant le trafic de la drogue à Félix-Pyat, qu'il est nécessaire saisir dans son contexte social, économique, et culturel pour véritablement le comprendre.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/marseille-immersion-dans-la-cite-felix-pyat-34-des-murs-devant-les-yeux-221139">Des murs devant les yeux</a></h2>
<p>Certains aménagements des infrastructures du territoire à Marseille peuvent être vus comme une forme de violence, dont les effets sont tout aussi insécurisants que les activités du trafic de drogue.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/marseille-immersion-dans-la-cite-felix-pyat-44-etat-partout-etat-nulle-part-221195">État partout, État nulle part ?</a></h2>
<p>Les habitants de cités comme Félix-Pyat ne se perçoivent plus comme vivant au sein d’espaces bénéficiant d’un état de droit, mais plutôt dans des lieux d’exception devant être disciplinés et punis.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/226252/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dennis Rodgers a reçu une bourse ERC Advanced Grant (no. 787935) du Conseil Européen de la Recherche (<a href="https://erc.europa.eu">https://erc.europa.eu</a>) pour un projet intitulé “Gangs, Gangsters, and Ganglands: Towards a Global Comparative Ethnography” (GANGS).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Steffen Bo Jensen is a senior researcher at DIGNITY-Danish Institute Against Torture and a professor at the Department of Politics and Society, Aalborg University in Denmark</span></em></p>À partir du quartier Félix Pyat à Marseille, deux anthropologues ont choisi de comprendre le contexte de violence au-delà du phénomène de trafic de drogue qui mine la cité phocéenne.Dennis Rodgers, Research Professor, Anthropology and Sociology, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)Steffen Bo Jensen, Professor, Department of Politics and Society, Aalborg UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2208932024-03-12T16:05:11Z2024-03-12T16:05:11ZMarseille : immersion dans la cité Félix-Pyat (2/4) - Des trafics pas si juteux, des morts complexes<p><em>L’année 2023 a été particulièrement meurtrière à Marseille : selon des chiffres avancés par le procureur de la ville, <a href="https://www.lefigaro.fr/marseille/marseille-la-rivalite-sanglante-entre-deux-bandes-rivales-a-l-origine-du-record-de-narchomicides-20231221">au moins 49 personnes seraient mortes et plus d’une centaine auraient été blessées</a> du fait de trafic de stupéfiants. Au point où le terme <a href="https://www.liberation.fr/checknews/narchomicide-la-delinquance-change-de-visage-les-mots-pour-la-comptabiliser-aussi-20230912_JO4V77R6JJEPDBGSESXQDDTHAM/">« narchomicides »</a> est évoqué. Les médias ont été nombreux à couvrir ce <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/visuel/2024/01/12/un-mort-par-semaine-a-marseille-les-ravages-de-la-guerre-de-la-drogue_6210524_4500055.html">phénomène</a> qui semble dépasser les pouvoirs publics. Faisant un pas de côté, les anthropologues Dennis Rodgers et Steffen Jensen ont choisi d’explorer cette violence de manière plus large et plus contextualisée, en se basant sur un terrain de sept mois effectué entre 2021 et 2023 dans la cité Félix-Pyat. Située au cœur du III<sup>e</sup> arrondissement marseillais, elle est souvent décrite comme l’une des plus difficiles de la préfecture des Bouches-du-Rhône. Mais le pouvoir d’attraction de la drogue et de son trafic recèle aussi de nombreuses parts d’ombre.</em></p>
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<p>« Il faut se méfier des apparences… Ça paraît déstructuré, on sait nous en les observant que tous les 2-3 jours, tout le monde change de rôle… [Le réseau], ça génère… à peu près, 80,000 euros par semaine, donc ça fait beaucoup d’argent dans l’arrondissement le plus pauvre de France… ».</p>
</blockquote>
<p>Cette phrase est issue d’un entretien que nous avons effectué avec un policier, lors de nos recherches dans la cité de Félix-Pyat dans le III<sup>e</sup> arrondissement de Marseille. Elle résume bien la manière contradictoire dont le trafic de drogue dans les cités de la ville est perçu : il est à la fois opaque et énigmatique, organisé et lucratif.</p>
<h2>Un guetteur ne touche pas quatre fois le smic</h2>
<p>Si l’on s’attarde par exemple sur la particularité du vocabulaire utilisé, l’expression « le réseau », confère au trafic un certain formalisme et une structure tentaculaire, tout comme la rhétorique qui l’accompagne via d’autres termes communément mis en avant, tels que le « business » ou le <a href="https://www.rtl.fr/actu/justice-faits-divers/marseille-comment-le-trafic-de-drogue-gangrene-des-quartiers-de-la-ville-7900063451">« supermarché de la drogue »</a>.</p>
<p>Pourtant, de profondes contradictions et ambiguïtés sous-tendent le trafic de drogue à Félix-Pyat. Le chiffre de 80 000 euros de bénéfice hebdomadaire avancé par le policier nous semble difficile à réconcilier avec les niveaux de trafic que nous avons pu observer lors de nos recherches dans la cité. Et ceci même en prenant en compte le fait qu’une grande partie des ventes se font par <a href="https://www.ofdt.fr/BDD/publications/docs/eftxcg2dc.pdf">internet</a> plutôt que par le deal de rue.</p>
<p>En tout cas, les chiffres de saisies policières partielles concernant le trafic prenant place dans la cité auxquels nous avons eu accès impliquent souvent des quantités de drogue très faibles. Nous avons également essayé de confirmer certains des chiffres sur les rémunérations des différents « métiers » de la drogue, comme les « guetteurs », c’est-à-dire l’échelon le plus bas du trafic qui concerne surtout des jeunes de 14 à 18 ans. Postés en des lieux stratégiques de la cité, ils ont la responsabilité de donner l’alerte si la police ou toute personne jugée « suspecte » pénètre dans les lieux. Les autorités, mais aussi les travailleurs sociaux, associatifs, et même certains habitants du quartier, affirment qu’ils gagnent près de 200 euros par jour.</p>
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<figcaption><span class="caption">So La Zone, le jeune rappeur marseillais, originaire de la Castellane, s’est fait connaître en racontant notamment son quotidien de dealer et ses relations avec la police et les institutions judiciaires.</span></figcaption>
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<p>Cela signifierait donc qu’un « guetteur » gagne quatre fois plus que le smic. À la lumière de nos observations sur le terrain, ce montant nous parait peu probable. En effet, les guetteurs que nous avons vus n’affichent que très peu de signes ostentatoires d’une quelconque richesse et donnent souvent même plutôt l’impression d’être dans le besoin à la façon dont ils sont habillés.</p>
<p>De plus, il s’agit d’une activité irrégulière et à temps partiel. Les jeunes proches du réseau avec qui nous avons échangé ont suggéré qu’au mieux un guetteur pouvait s’attendre à recevoir « un kebab ou un peu de drogue, peut-être 20 euros, s’il a de la chance ». Certains <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ms4LVcABjiI">reportages</a> à propos du trafic de drogue à Félix-Pyat semblent en outre confirmer ces dires.</p>
<p>Il arrive même que les guetteurs ne perçoivent aucune rémunération, en tout cas quand ils commencent cette activité. Comme nous l’a expliqué un jeune de Félix-Pyat qui avait été « aspirant guetteur », il s’était mis à guetter « juste comme ça », en imitant d’autres jeunes, pour essayer de se rapprocher du réseau, parce qu’il « voulait se faire de l’argent facile ». Ce dernier a rapidement déchanté et a vite délaissé le trafic après quelques semaines.</p>
<p>Au vu de la condition socio-économique de ceux qui nous ont confié avoir été impliqués par le passé dans le trafic de la drogue à Félix-Pyat, on peut aussi estimer que la grande majorité ne s’est pas enrichie (une situation qui s’applique aussi à <a href="https://www.berghahnjournals.com/downloadpdf/view/journals/focaal/2017/78/fcl780109.pdf">d’autres contextes</a>).</p>
<p>Selon nos recherches et nos entretiens, il apparaîtrait donc que les niveaux de rémunérations liés au trafic de drogue restent en vérité assez flous et souvent de l’ordre du fantasme, en tout cas au niveau de la cité – ceci ne veut pas dire que le trafic de drogue ne génère pas des revenus importants, mais ceux-ci sont surtout associés avec les hautes sphères du crime organisé, comme l’ont par exemple documenté <a href="https://www.cairn.info/milieux-criminels-et-pouvoirs-politiques--9782811100179.htm">Jean-Louis Briquet et Gilles Favarel-Garrigues</a>.</p>
<h2>Qu’est-ce qu’un règlement de compte ?</h2>
<p>S’il existe des éléments de contradictions et de confusion autour des discours concernant les rémunérations associées avec le trafic de drogue, ils sont encore plus importants concernant d’autres notions associées avec celui-ci, comme celle du « règlement de compte », largement relayée par les <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/bouches-du-rhone/marseille/reglement-de-comptes-a-marseille-coup-de-filet-contre-une-equipe-de-la-dz-mafia-suspectee-d-un-narchomicide-a-la-cite-des-micocouliers-2905520.html">médias</a> pour parler des homicides liés au trafic de drogue à Marseille.</p>
<p>Si l’expression n’a aucun statut juridique formel, elle n’en est pas moins utilisée, notamment par la police ou les institutions publiques, pour décrire une grande partie des <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/bouches-du-rhone/marseille/carte-reglements-de-comptes-dans-quels-quartiers-ont-eu-lieu-les-narchomicides-a-marseille-en-2023-2873189.html">homicides</a> liés au trafic de drogue qui ont lieu dans cité phocéenne ou ailleurs. À Marseille, on dénombre chaque année entre 20 et 30 règlements de compte par an depuis 2015, avec un pic exceptionnel de <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/visuel/2024/01/12/un-mort-par-semaine-a-marseille-les-ravages-de-la-guerre-de-la-drogue_6210524_4500055.html">49 morts en 2023</a>.</p>
<p>La logique sous-jacente du « règlement de compte » est de distinguer les <a href="https://books.openedition.org/pup/50550">meurtres liés aux dynamiques internes du trafic de drogue</a> – par exemple pour des questions de conflits d’ordre financiers ou de contrôle du marché – de meurtres qui seraient plus d’ordre interpersonnel ou accidentel.</p>
<p>Les médias parlent clairement beaucoup moins de ces derniers, préférant plutôt établir des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_de_r%C3%A8glements_de_comptes_%C3%A0_Marseille_et_sa_r%C3%A9gion">décomptes annuels</a> du nombre croissant de règlements de compte à Marseille.</p>
<p>Mais décrire un homicide systématiquement comme un « règlement de compte » est épistémologiquement problématique, car il décontextualise cette violence, limitant sa cause et ses conséquences au seul trafic de drogue et aux personnes directement impliquées, c’est-à-dire à un conflit entre la victime et son meurtrier.</p>
<p>En réalité, les dynamiques et les motivations qui sous-tendent la violence liée au trafic de drogue ont souvent d’autres dimensions, et trouvent leurs origines dans un contexte plus large qui reste méconnu.</p>
<h2>Comprendre les logiques de la violence</h2>
<p>Prenons par exemple le <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/bouches-du-rhone/marseille/homme-24-ans-abattu-cite-felix-pyat-marseille-1364327.html">conflit violent survenu à Félix-Pyat en 2017</a> impliquant la mort d’un trafiquant local, tué par d’autres trafiquants de la cité. À priori, ce meurtre correspondrait très bien à la notion d’un règlement de compte, c’est-à-dire une tuerie entre dealers pour le contrôle du trafic dans la cité. C’est effectivement ce qui a été rapporté dans les médias à l’époque.</p>
<p>Mais même si ces éléments étaient factuels, parler de ce meurtre uniquement en termes de règlement de compte est réducteur et masque certains facteurs significatifs, historiques, communautaires ou démographiques. Le fait notamment que la victime était d’origine maghrébine et que ses assassins étaient Comoriens. Aucun média ne l’a mentionné, or c’est capital si l’on veut comprendre les logiques de cette violence.</p>
<p>L’assassinat peut être lié à un moment critique de transition dans l’organisation du trafic de drogue à Félix-Pyat. Ce dernier était jusque-là dominé par un groupe de Maghrébins qui cantonnait les Comoriens à des tâches subalternes, en les maltraitant au passage. Suite à l’assassinat du trafiquant maghrébin, c’est un groupe de Comoriens qui a pris les commandes du trafic local.</p>
<p>Ce basculement peut être associé à des évolutions démographiques plus larges, et plus particulièrement à la minorisation de la population maghrébine de Félix-Pyat suite à une <a href="https://recitsdevie.org/projet_au-143-rue-felix-pyat.htm">importante vague migratoire comorienne</a> dans les années 1990 et 2000.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/SUO3NGtd8FU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Reportage LCP sur la diaspora comorienne à Marseille.</span></figcaption>
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<p>Ceci a conduit à des tensions raciales dans la cité, qui ont certainement contribué au cycle de violences débouchant sur le meurtre, et dont on retrouve trace lors d’entretiens que nous avons effectués.</p>
<p>Les discours, tant de ceux impliqués dans le trafic que de nombreux habitants du quartier, expliquaient le meurtre comme une vengeance des « esclaves noirs » contre les « esclavagistes arabes », reprenant une rhétorique historique et racialisée symboliquement puissante.</p>
<p>Ce meurtre montre ainsi que les causes de ce genre de violence débordent souvent les seuls enjeux du trafic de drogue et qu’ils peuvent être liés à une histoire et à des dynamiques locales particulières.</p>
<p>Cette contextualisation est d’autant plus importante quand on considère la réponse policière à ces meurtres. La stratégie dite de « pilonnage » notamment qui, comme <a href="https://www.20minutes.fr/societe/3227239-20220201-marseille-quoi-strategie-pilonnage-trafics-stup">l’indiquait un article récent</a>, consiste principalement à « taper de façon massive et répétée sur les endroits les plus problématiques pour effriter les points de deals et les réseaux de trafiquants » ne prend pas forcément en compte ces éléments contextuels.</p>
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<img alt="Contrôle d’un scooter dans le IIIᵉ arrondissement de Marseille, 2010. Photo d’illustration" src="https://images.theconversation.com/files/577976/original/file-20240226-17-zie9ae.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/577976/original/file-20240226-17-zie9ae.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/577976/original/file-20240226-17-zie9ae.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/577976/original/file-20240226-17-zie9ae.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/577976/original/file-20240226-17-zie9ae.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/577976/original/file-20240226-17-zie9ae.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/577976/original/file-20240226-17-zie9ae.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Contrôle d’un scooter, 2010. Photo d’illustration.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/25998107@N03/4460904556/in/album-72157623565134453/">Philippe Pujol/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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</figure>
<p>Comme le relèvent les chercheurs Michel Peraldi et Claire Duport, ces interventions policières s’inscrivent dans un champ d’action limitée, celui du <a href="https://www.transverscite.org/IMG/pdf/marseille_une_affaire_d_etat_aoc_2021.pdf">« harcèlement policier et judiciaire »</a> uniquement des individus perçus comme directement associés avec le trafic de la drogue. Une compréhension plus large des enjeux démographiques et historiques pourrait peut-être permettre de mettre en place des mesures plus efficaces – et pas uniquement répressives – pour lutter contre et pallier les effets du trafic de la drogue.</p>
<h2>Des morts imbriquées dans des dynamiques plus larges</h2>
<p>La violence liée au trafic de la drogue est également indissociable de la vie sociale de la cité, dans la mesure où un trafiquant de drogue assassiné dans un règlement de compte est toujours le fils, l’ami, l’amant, le voisin ou une connaissance de quelqu’un. Autant de perspectives qui nourrissent un récit plus complexe que celui généralement rendu public et qui permettent aussi de mieux comprendre la place et les conséquences du trafic et de sa violence dans la cité.</p>
<p>Prenons par exemple un deuxième homicide qui a eu lieu à Félix-Pyat en février 2022, lorsque nous étions sur le terrain. La victime était un jeune homme de 23 ans. Selon les médias et la police, il était <a href="https://www.francebleu.fr/infos/faits-divers-justice/un-marseillais-de-23-ans-tue-par-balles-a-la-cite-felix-pyat-1644832997">« connu des forces de l’ordre »</a>, laissant ainsi entendre que cette mort était probablement un règlement de compte on ne peut plus « classique ».</p>
<p>Dans la cité, par contre, de nombreuses rumeurs contradictoires ont circulé. Si aucune de celles-ci ne remettait en cause le fait que la victime ait été impliquée dans le trafic de drogue, il a été dit que les causes de sa mort étaient toutes autres, et que le jeune homme aurait « mal regardé » ou « mal parlé » à quelqu’un, qu’il aurait fait de l’œil à la femme d’un d’autre, qu’il devait de l’argent ou encore qu’il était au centre d’un conflit familial.</p>
<p>Nous ne savons pas ce qui est vrai ou pas, mais le fait qu’il y ait eu de multiples rumeurs est significatif, car cela suggère, comme dans le cas du meurtre qui a eu lieu à Félix-Pyat en 2017, que cette mort était potentiellement au cœur de dynamiques plus larges que des conflits d’intérêts internes au trafic de drogue.</p>
<p>Il ne s’agit pas juste d’un problème d’ordre conceptuel ou de représentation. Une expression telle que la notion du « règlement de compte » – ou bien aussi celle plus récente de <a href="https://www.lefigaro.fr/marseille/narchomicide-a-marseille-deux-hommes-mis-en-examen-20240112">« narchomicide »</a> – finit par conditionner la manière dont on traite la violence.</p>
<p>La couverture médiatique des règlements de compte contribue en particulier à déshumaniser les protagonistes de ces violences, les qualifiant en général uniquement de personnes « connues des services de police », « connues pour des délits liés aux stupéfiants », ou bien « connues pour des faits de trafic de drogue ».</p>
<p>Réduire ainsi tant les auteurs et victimes d’un règlement de compte ou narchomicide à leur seul statut de criminel récidiviste conditionne non seulement la réponse des autorités publiques au trafic de la drogue mais aussi la réception émotionnelle et morale de cette violence, empêchant en particulier de comprendre comment cette violence peut émerger et les conséquences profondes qu’elle peut avoir.</p>
<h2>Une ambiance changée</h2>
<p>En mai 2023, nous sommes retournés à Félix-Pyat après quelques mois d’absence. La cité était en deuil, car <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/bouches-du-rhone/marseille/trois-jeunes-hommes-tues-par-balles-devant-une-boite-de-nuit-a-marseille-2777410.html">trois jeunes avaient été assassinés</a> dans leur voiture à la sortie d’une boite de nuit. Les médias ont présenté l’affaire comme un règlement de compte, soulignant en particulier :</p>
<blockquote>
<p>« parmi les occupants de la voiture (visée) trois étaient connus des services de police pour trafic de stupéfiants et sont originaires d’une cité qui est connue pour les trafics de stupéfiants, la cité Félix-Pyat ».</p>
</blockquote>
<p>Il y avait en fait <a href="https://www.leparisien.fr/faits-divers/marseille-trois-hommes-tues-par-balles-ce-matin-selon-les-secours-21-05-2023-UTW5UM74QVHIBEYLXIGD5XNIXQ.php">cinq personnes dans la voiture</a>, et d’après les habitants de Félix-Pyat avec qui nous en avons parlé, une seule des trois victimes aurait été impliquée dans le trafic.</p>
<p>Cependant, tous « étaient des gens que tout le monde connaissait ». Des centaines de personnes de la cité sont allées à leurs prières funéraires, et encore plus ont circulé sans discriminer entre les appartements des familles des trois défunts afin de leur présenter leurs condoléances, et en particulier aux mères, « qui sont celles qui souffrent le plus de la violence », comme nous a dit Nadia lors d’un entretien.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/meres-des-quartiers-populaires-des-intermediaires-sur-le-fil-210141">Mères des quartiers populaires : des intermédiaires sur le fil</a>
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<h2>« Tu pourrais mourir juste parce que tu sors acheter du pain… »</h2>
<p>Mais au-delà du choc, l’ambiance dans la cité nous a semblé particulièrement pesante en mai 2023, en partie parce que ces meurtres ont eu lieu durant une période de six mois de violence accrue à Félix-Pyat.</p>
<p>De multiples attaques perpétrées depuis des voitures en marche par des personnes extérieures à la cité avaient notamment eu lieu, faisant plusieurs dizaines de blessés, dont beaucoup de victimes « collatérales » qui n’étaient pas liées au trafic de drogue.</p>
<p>Les habitants du quartier liaient cette nouvelle violence indiscriminée à une guerre entre <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/08/17/a-marseille-la-rivalite-entre-deux-bandes-de-trafiquants-de-drogue-de-plus-en-plus-meurtriere_6185612_3224.html">deux réseaux du trafic de drogue</a> opérant au niveau de la ville de Marseille tout entière <a href="https://www.ouest-france.fr/provence-alpes-cote-dazur/marseille-13000/dz-mafia-vs-yoda-trois-choses-a-savoir-sur-ces-deux-gangs-de-trafiquants-en-guerre-a-marseille-1ccb662a-3ce2-11ee-96f7-905515ebb819">et avec des ramifications internationales</a>. Ils n’en comprenaient pas la logique car elle n’était plus locale, dépassant le cadre de la cité, ce qui générait une énorme peur.</p>
<p>Les habitants de la cité se voyaient comme les victimes d’enjeux qui les dépassaient totalement :</p>
<blockquote>
<p>« Avant la personne qui mourrait était la personne qui était visée, c’était normal. Maintenant il n’y a plus de logique… » nous dit Aamira, une habitante de longue date.</p>
</blockquote>
<p>Fatima, pour sa part, renchérit :</p>
<blockquote>
<p>« on a tous peur, tu t’imagines, tu pourrais mourir juste parce que tu sors acheter du pain… ».</p>
</blockquote>
<p>Face à cette violence imprévisible et d’origine externe, la réponse des habitants a donc été de mettre en avant les liens sociaux et la solidarité au sein de la communauté, et de commémorer les trois jeunes morts. Cette réaction collective démontre bien à quel point les effets de la violence du trafic de la drogue vont au-delà de celui-ci, et comment ils affectent la communauté locale tout entière.</p>
<p>Sans une compréhension plus globale du contexte et des conséquences sociales et culturelles de cette violence et de la façon dont elle se structure, nous ne pourrons pas développer d’outils efficaces pour la contrer. Et limiter ses effets.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220893/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dennis Rodgers a reçu une bourse ERC Advanced Grant (no. 787935) du Conseil Européen de la Recherche (<a href="https://erc.europa.eu">https://erc.europa.eu</a>) pour un projet intitulé “Gangs, Gangsters, and Ganglands: Towards a Global Comparative Ethnography” (GANGS).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Steffen Bo Jensen is a senior researcher at DIGNITY-Danish Institute Against Torture and a professor at the Department of Politics and Society, Aalborg University in Denmark
</span></em></p>Il existe de profondes contradictions et ambiguïtés concernant le trafic de la drogue à Félix-Pyat.Dennis Rodgers, Research Professor, Anthropology and Sociology, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)Steffen Bo Jensen, Professor, Department of Politics and Society, Aalborg UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2200542024-01-02T16:25:57Z2024-01-02T16:25:57ZAttentats, agressions : comment l’injonction de soins peut-elle être utilisée par la justice ?<p>Après <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/12/06/attentat-de-paris-le-terroriste-avait-initialement-prevu-d-attaquer-une-cible-juive_6204271_3224.html">l’attentat perpétré à Paris le 2 décembre dernier</a>, la <a href="https://www.la-croix.com/debat/Faut-permettre-lEtat-delivrer-injonctions-soins-2023-12-04-1201293312">presse</a> et les <a href="https://www.ouest-france.fr/faits-divers/attentat/attaque-a-paris-gerald-darmanin-veut-que-les-autorites-puissent-demander-une-injonction-de-soins-66708d68-9201-11ee-8602-1e868188f4e2">politiques</a> se sont penchés sur une mesure pouvant être appliquée par les praticiens de la justice et de la santé : l’injonction de soins. En effet, le mis en cause venait d’arriver au terme de cette mesure après la fin de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006070719/LEGISCTA000006181747/">son sursis probatoire</a>.</p>
<p>La mesure d’injonction de soins, ordonnée par la justice, permet d’enjoindre une personne condamnée à suivre des soins de nature psychiatrique et/ou psychologique en dehors du milieu carcéral. Si la personne décide de ne pas suivre les soins, elle s’expose à sa réincarcération pour non-respect de ses obligations.</p>
<p>Cette mesure a été créée par la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGISCTA000006094059">loi n°98-468 du 17 juin 1998</a> relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs. Alors qu’elle concernait initialement les auteurs d’infractions à caractère sexuel, son champ d’application n’a cessé de s’élargir à d’autres infractions et cadres procéduraux.</p>
<h2>Lutter contre la récidive</h2>
<p>La mesure d’injonction de soin a été créée par le législateur après la médiatisation de <a href="https://www.leparisien.fr/faits-divers/reclusion-a-perpetuite-pour-les-freres-jourdain-28-10-2000-2001724762.php">crimes sexuels</a> commis par des <a href="https://www.lemonde.fr/ete-2007/article/2006/08/23/guy-georges-le-tueur-de-l-est-parisien_805633_781732.html">individus déjà connus de la justice</a>. Elle répondait à la volonté de prévenir la récidive des auteurs d’infractions sexuelles, en leur imposant un suivi post-pénal de nature judiciaire et médico-social.</p>
<p>L’injonction de soins a été instaurée dans le cadre de la peine de suivi sociojudiciaire qui oblige le condamné à se soumettre à des <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006070719/LEGISCTA000006181732/">mesures de surveillance</a> et d’assistance une fois la peine de réclusion ou d’emprisonnement effectuée. Elle s’applique pendant une durée pouvant aller jusqu’à dix ans dans le cadre d’une condamnation pour un délit et jusqu’à vingt ans pour une condamnation criminelle.</p>
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<p>L’objectif initial de cette loi était de mener des individus vers des opportunités de soins, alors qu’ils n’y auraient pas nécessairement recours eux-mêmes, de façon à limiter leur risque de récidive. Néanmoins, progressivement, les mesures prévues dans le cadre de la loi de 1998 ont été perçues comme insuffisantes.</p>
<p>Au début des années 2000, la médiatisation de faits divers dramatiques (le meurtre de <a href="https://www.ladepeche.fr/article/2008/06/17/460209-assassinat-nelly-cremel-perpetuite-gateau-30-ans-mathey.html">Nelly Cremel</a> en 2005, l’enlèvement et le <a href="https://www.francetvinfo.fr/france/viol-d-enis-evrard-condamne-a-30-ans-de-reclusion_245897.html">viol d’Enis</a> en 2007 et <a href="https://www.leparisien.fr/essonne-91/en-2009-l-effroi-apres-le-viol-et-le-meurtre-d-une-joggeuse-02-09-2016-6087131.php">l’assassinat de Marie-Christine Hodeau</a> en 2009), cristallise les débats publics autour de la prévention de la récidive et des soins ordonnés aux délinquants. En 2009, Michèle Alliot-Marie, alors ministre de la Justice exprimait vouloir, en réponse à la délinquance sexuelle, <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2009/10/02/nicolas-sarkozy-exige-de-nouvelles-mesures-contre-la-recidive-des-delinquants-sexuels_1248342_3224.html">« la castration chimique ou la prison »</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/CXr5puqLZLA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">L’affaire Nelly Cremel en 2005.</span></figcaption>
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<p>Dans ce contexte social et politique, pas moins de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000249995">six lois</a> ont été <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000786845/#:%7E:text=%C2%AB%20La%20juridiction%20p%C3%A9nale%20ne%20peut,en%20%C3%A9tat%20de%20r%C3%A9cidive%20l%C3%A9gale">adoptées</a> afin de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000615568">prévenir</a> la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/dossierlegislatif/JORFDOLE000017758194/#:%7E:text=Projets%20de%20lois-,Loi%20n%C2%B0%202007%2D1198%20du%2010%20ao%C3%BBt%202007%20renfor%C3%A7ant,des%20majeurs%20et%20des%20mineurs&text=Communiqu%C3%A9%20de%20presse%20du%20Conseil,des%20majeurs%20et%20des%20mineurs">délinquance</a> entre <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000018162705">2004</a> et <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000021954436#:%7E:text=LOI%20n%C2%B0%202010%2D242,proc%C3%A9dure%20p%C3%A9nale%20(1) %20 %2D %20L %C3 %A9gifrance">2010</a>. Le soin apparaît alors comme l’instrument par excellence de lutte contre la récidive.</p>
<h2>Une disposition progressivement élargie</h2>
<p>Bien que la <a href="https://www.senat.fr/rap/l06-358/l06-358.html">Commission des lois</a> rapportait l’opacité entourant la mesure d’injonction de soins et son application, <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000801164">plusieurs</a> <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000786845/#:%7E:text=%C2%AB%20La%20juridiction%20p%C3%A9nale%20ne%20peut,en%20%C3%A9tat%20de%20r%C3%A9cidive%20l%C3%A9gale">lois</a> <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000615568">ont</a> <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000022454032/#:%7E:text=au%20sein%20%E2%80%A6-,LOI%20n%C2%B0%202010%2D769%20du%209%20juillet%202010%20relative,derni%C3%A8res%20sur%20les%20enfants%20(1)">élargi</a> et <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043403203#:%7E:text=%E2%80%98inceste%20%E2%80%A6-,LOI%20n%C2%B0%202021%2D478%20du%2021%20avril%202021%20visant,de%20l%E2%80%99inceste%20(1)&text=Recherche %20simple %20dans %20le %20code %20Rechercher %20dans %20le %20texte%E2%80%A6">renforcé son cadre d’application</a>. Les dispositions légales du suivi sociojudiciaire se sont progressivement élargies à plusieurs faits de nature violente.</p>
<p>Désormais, l’injonction de soins peut concerner des personnes placées sous main de justice aux profils pluriels condamnées pour des faits d’atteintes à la vie, de violences conjugales, pour des actes de terrorismes et de destructions et dégradations par moyens dangereux. Ainsi, le domaine d’application de l’injonction de soins dépasse aujourd’hui le seul cadre de la peine de suivi sociojudiciaire puisque les personnes peuvent être soumises à cette mesure dans divers cadres légaux (mesures de sûreté, aménagements de peines, peines probatoires).</p>
<p>Pour être soumis à une injonction de soins, il faut qu’un expert psychiatre détermine qu’il est opportun que la personne entre dans un processus de soins.</p>
<p>Récemment, une <a href="https://repeso.hypotheses.org/">équipe de chercheurs</a> a procédé à l’analyse de rapports d’expertises et constate que les indications de soins « viennent en réponse à une question implicite qui serait : le prévenu ou l’accusé pourrait-il bénéficier de soins sous contrainte et ceux-ci contribueraient-ils à éviter, sinon limiter, une réitération d’actes similaires de sa part ? » Selon les auteurs, l’opportunité de soins ne serait pas toujours appréciée en fonction des pathologies ou des troubles de la personne, mais plutôt selon l’intérêt de la mesure de soins pénalement ordonnée pour limiter la récidive et accompagner l’auteur de l’infraction.</p>
<h2>Comment mesurer le véritable effet de cette mesure ?</h2>
<p>La mise en place de l’injonction de soins correspond à un enchevêtrement de différentes modalités d’application et à une articulation entre les acteurs de la chaîne pénale et du soin. En effet, la personne placée sous main de justice doit, en plus de ses soins, respecter diverses obligations et se soumettre à des mesures de contrôle. Tout manquement à ces obligations pourra conduire à son retour en détention. Afin de justifier l’exécution et le respect de ses obligations, elle doit rencontrer un conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation. Ce dernier assure également le suivi de la personne dans les différents aspects de sa situation.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1731392072815436191"}"></div></p>
<p>Dans le cadre de la mise en œuvre de son injonction de soins, la personne doit rencontrer plusieurs fois par an un médecin coordonnateur. Il est désigné par le juge de l’application des peines pour faire le lien entre les professionnels de la santé et les professionnels de la justice. Le médecin coordonnateur a un double rôle de conseil. Il conseille la personne placée sous main de justice dans le choix du professionnel assurant sa prise en soins (nommé médecin ou psychologue traitant). Il conseille également le médecin psychiatre ou le psychologue traitant dans l’orientation et la mise en place des soins. Ce dernier professionnel n’a aucun contact avec les acteurs de la chaîne pénale. Toutes les informations relatives aux soins sont transmises au médecin coordonnateur, qui en assure la diffusion aux acteurs compétents.</p>
<p>L’application de cette mesure nécessite une articulation et un maillage important entre les professionnels du champ sanitaire et les professionnels du champ judiciaire, ce qui peut parfois engendrer des difficultés. Les acteurs en présence ne partagent pas nécessairement les mêmes objectifs dans la mise en œuvre de l’obligation judiciaire, qui s’applique pendant une durée relativement longue. En effet, les professionnels ont un rôle distinct dans l’accompagnement des personnes et l’application de cette mesure qui s’inscrit dans une double dimension de soins et de contrôle. De plus, le manque de moyens humains dans les différentes institutions peut avoir un impact sur le temps dédié aux échanges pluridisciplinaires.</p>
<p>À ce jour, aucune statistique publique ne permet d’analyser le nombre de recours à l’injonction de soins. Cette absence de statistiques et d’évaluation conduit à s’interroger sur l’impact des réformes successives sur le recours à l’injonction de soins et sur la diversification – ou non – du profil des personnes qui y sont soumises.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220054/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lisa Colombier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’injonction de soins concernait initialement les auteurs d’infractions à caractère sexuel. Depuis, son champ d’application n’a cessé de s’élargir à d’autres infractions.Lisa Colombier, Doctorante en sociologie et en droit, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2158182023-10-18T17:04:23Z2023-10-18T17:04:23ZTerrorisme : ces individus instables qui se dopent aveuglement à la foi idéologique<p>Paris ce samedi 2 décembre, Bruxelles le lundi 16 octobre dernier, Arras le vendredi 13 octobre… En quelques semaines, des innocents ont été à plusieurs fois pris pour cibles par des individus se revendiquant du fondamentalisme islamiste sans que nous sachions, pour l’instant, à quel point ils <a href="https://www.midilibre.fr/2023/10/17/attentat-darras-lassaillant-mohammed-mogouchkov-mis-en-examen-par-un-juge-dinstruction-antiterroriste-11525836.php">étaient préparés</a>.</p>
<p>À la différence de l’assassin de Samuel Paty et de celui de Dominique Bernard, l’auteur des faits, arrêté à Paris et désigné comme Armand R.-M., souffre de pathologies psychiatriques connues. Placé en garde à vue, visé par une « fiche S », il avait déjà été condamné et a déclaré aux policiers qu’il « en avait marre de voir des musulmans mourir », notamment à Gaza, et que la France était « complice » d’Israël.</p>
<p>Le conflit israélo-palestinien déclenché depuis le 7 octobre par le Hamas peut-il contribuer à fragiliser des individus au rapport déjà altéré à la réalité, et à accentuer un sentiment d’impuissance qu’ils pensent résoudre en devenant justiciers ?</p>
<p><a href="https://www.cairn.info/revue-cliniques-mediterraneennes-2019-2-page-23.htm?ref=doi">La recherche montre</a> qu’un terroriste noue ses problématiques subjectives à une cause collective, notamment lorsqu’il s’engage dans une action meurtrière.</p>
<p>Des extrémistes peuvent-ils être déterminés à agir par la nouvelle guerre déclenchée en Israël, 50 ans après Kippour ?</p>
<h2>« Frères » d’idéal</h2>
<p>Venger le tort fait au prophète est l’un des arguments mis en avant par les terroristes, comme l’ont montré les assauts de Chérif et Saïd Kouachi à la rédaction de <em>Charlie Hebdo</em>, le 7 janvier 2015, ou ceux d’Adoullakh Anzorov au lycée de Conflans-Sainte-Honorine, le 16 octobre 2020.</p>
<p>Ils ont « puni » les façonneurs d’image, complices de l’idolâtrie du peuple souverain, tels que d’éminents <a href="https://www.editions-msh.fr/livre/la-radicalisation-2/">idéologues du djihadisme</a> (Maqdidi, Tartusi, Abu Mus’ab al-Suri, Abou Quatada, etc.) les perçoivent.</p>
<p>Les assaillants du Bataclan, eux, voulaient attaquer la « capitale des abominations et de la perversion ». D’autres terroristes semblent avoir des motivations idéologiques moins solides, comme l’a montré <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/terrorisme/attaque-au-camion-a-nice/proces-de-l-attentat-de-nice-du-14-juillet-2016/paranoiaque-obsede-sexuel-fascine-par-la-violence-l-ombre-de-mohamed-lahouaiej-bouhlel-plane-sur-le-proces-de-l-attentat-de-nice_5343256.html">Mohamed Lahouiaej Bouhlel à Nice le 14 juillet 2016</a>, ou encore <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/01/06/attaque-de-villejuif-le-profil-du-tueur-se-precise_6024912_3224.html">Nathan Chiasson à Villejuif le 3 janvier 2020</a>.</p>
<p>Mais les djihadistes n’ont pas que le prophète à « défendre ». Il y a aussi ce qu’ils considèrent être les souffrances causées à l’Oumma, la communauté musulmane homogène et mythique. Le conflit israélo-palestinien a longtemps été identifié comme le point de fixation des <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/l-orientalisme-l-orient-cree-par-l-occident-edward-w-said/9782020792936">humiliations arabes</a>.</p>
<p>Avec la <a href="https://www.editionspoints.com/ouvrage/l-echec-de-l-islam-politique-olivier-roy/9782757853832">globalisation de l’islam</a>, les nouvelles générations de terroristes lui ont substitué les conflits en Afghanistan, en Bosnie, en Tchétchénie, en Irak ou en Syrie. L’affaiblissement militaire de l’EI sur les territoires syriens et irakiens n’a pas éteint les velléités d’engagement.</p>
<p>La guerre en Israël peut-elle accélérer le projet de fanatiques de se battre pour une identité commune, prise comme sorte d’unique référentiel politico-religieux ?</p>
<h2>Interroger le passage à l’acte</h2>
<p>Armand R.-M. pourrait sembler l’un de ces <a href="https://theconversation.com/sous-la-carapace-ideologique-comment-comprendre-le-chemin-de-radicalisation-des-terroristes-solitaires-128423">« loups solitaires »</a> avec des moyens rudimentaires. Mais il ferait surtout partie de ceux qui souffrent d’affections psychiatriques. S’agit-il d’un <a href="https://www.bfmtv.com/international/europe/belgique/attentat-a-bruxelles-il-y-a-des-milliers-de-personnes-radicalisees-dans-nos-societes-avec-a-chaque-fois-une-possibilite-de-passage-a-l-acte-pour-l-ancien-premier-ministre-manuel-valls_VN-202310160983.html">« passage à l’acte »</a> résolutif d’une angoisse ou délirant que l’auteur aurait inscrit dans une logique idéologique ?</p>
<p>Un passage à l’acte semble surgir <a href="https://www.cairn.info/revue-la-clinique-lacanienne-2013-1-page-109.htm">ex nihilo</a> mais il désigne en psychopathologie que son auteur est traversé par une angoisse qu’il cherche à dissiper. S’il est traversé par des angoisses d’anéantissement par exemple, il peut les résoudre en privilégiant l’identification d’une menace externe. C’est ce qu’apporte le sentiment de persécution, qui peut s’accroitre et inciter à se faire justice.</p>
<p>Le sens du passage à l’acte échappe à son auteur, mais pas le sens qu’il donne à son action meurtrière : il exerce cette dernière consciemment au nom d’une logique idéologique. Bien sûr, les enjeux inconscients et conscients peuvent très bien se conjuguer.</p>
<p>Aussi un individu peut-il par exemple se sentir « frère », sur la base d’un obscur sentiment d’injustice qu’il partage avec d’autres et choisir délibérément de renoncer à l’idée de société, ou de contrat social, pour lui préférer l’adhésion à une idéologie communautaire.</p>
<h2>Un rapport fragile à la loi</h2>
<p>Parmi le nombre important de personnes radicalisées, il en existe une proportion – pas nécessairement plus importante que dans la population générale – qui souffre d’affections psychiatriques. L’expérience du <a href="https://www.cipdr.gouv.fr/premier-centre-de-prevention-dinsertion-et-de-citoyennete/">Centre de Prévention, Insertion, Citoyenneté</a>, en 2016, l’a confirmé : un seul des bénéficiaires de cette structure pour la prévention de la radicalisation souffrait de troubles relevant de la psychiatrie.</p>
<p>Néanmoins, l’articulation d’une souffrance psychique aiguë avec une idéologie offre à l’individu une perspective d’acte à prendre au sérieux. Il n’est pas rare qu’un individu <a href="https://www.cairn.info/revue-europeenne-des-sciences-sociales-2020-1-page-293.htm">se canalise avec la religion</a>, au gré de son suivi à la lettre de certains hadiths, ces recueils des actes et paroles de Mahomet. D’autres individus fragiles donnent un sens à leur vision apocalyptique du monde avec des éléments de la réalité leur permettant d’alimenter un délire de persécution, de rédemption, mégalomaniaque ou mystique. Ils peuvent parvenir à une forme d’équilibre instable, jusqu’à ce qu’ils se sentent psychiquement contraints à agir.</p>
<p>L’observation du parcours d’assaillants montre des biographies, des impasses psychiques et des tentatives de résolution proches.</p>
<p>C’est le cas de Mohamed Lahouaiej Bouhlel, qui s’est fait connaître pour son attentat particulièrement meurtrier sur la Promenade des Anglais à Nice, un soir de 14 juillet. Les investigations firent apparaître un homme perçu par son entourage comme colérique, étrange, violent. Il s’était séparé un an plus tôt de sa femme dont il avait eu trois enfants. Cette dernière déplorait chez lui ce qu’elle vivait comme du « harcèlement psychologique », tandis qu’une amie ne voyait en lui « aucune humanité » et des agissements par « pur sadisme ».</p>
<p><a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/portrait-de-mohamed-lahouaeij-bouhlel-le-terroriste-du-14-juillet-a-nice-fascine-par-la-violence-7769710">Mohamed Lahouaiej Bouhlel</a> avait donné à son rapport altéré à l’altérité, notamment le sens de la misogynie. Son médecin reliait ses épisodes dépressifs sévères à des « troubles psychotiques, avec somatisations ». Affecté dans son rapport au corps et au langage, Mohamed Lahouaiej Bouhlel se réfugiait parfois dans la violence. Le terroriste trouvait de l’inspiration en regardant sur la toile des photos de combattants de Daech, de ben Laden, ou encore des scènes de décapitation.</p>
<p>Non inféodé aux principes islamiques, il a radicalisé ses excès au profit de l’idéologie djihadiste.</p>
<p>Chez certains, la foi en Allah prend le relais d’assuétudes, par exemple des addictions ou des passages à l’acte itératifs, comme de voler ou de brûler des voitures. Ils s’acharnent plutôt contre le <em>taghout</em>, l’autorité non fondée sur la foi que l’état incarne dans ses institutions. L’armée et la police sont les plus représentatives.</p>
<h2>Se venger d’injustices perçues</h2>
<p>Pour nombre de terroristes islamistes, venger des caricatures n’est qu’une de leurs actions destinées à faire triompher leur cause.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/troubles-psy-et-radicalisation-quelques-enseignements-du-centre-de-deradicalisation-de-pontourny-158841">L’expérience clinique du CPIC de Pontourny</a>, même s’il a été fermé, nous a appris que l’islam radical peut être entendu comme une solution à un sentiment d’injustice. Des individus aux problématiques subjectives toujours singulières trouvent dans l’idéologie politico-religieuse djihadiste de quoi superposer au tort qu’ils pensent leur avoir été fait, celui causé à la communauté musulmane.</p>
<p><a href="http://www.gip-recherche-justice.fr/publication/la-delinquance-carcerale-au-prisme-des-peines-internes">Des recherches récentes</a> sur les peines internes en milieu carcéral montrent que des détenus transforment leur frustration en sentiment d’humiliation sous l’effet d’une incarcération ou de conditions d’incarcération qu’ils jugent abusives.</p>
<p>Ils s’enlisent parfois d’autant plus dans des altercations avec le personnel ou d’autres détenus, dans une surenchère qui peine à être endiguée par la coordination des services pénitentiaires et judiciaires. Même des non radicalisés peuvent se réveiller du « mensonge » avec la foi et accentuer leur sentiment d’injustice avec les moyens d’y remédier : par l’islam radical, dont l’enseignement est parfois dispensé par des prédicateurs autoproclamés.</p>
<p>Par ailleurs, il est important de souligner l’occurrence des troubles psychiatriques non détectés en prison, l’accentuation de certains troubles psychiques par le choc carcéral, et le manque de suivi psychiatrique dont certains anciens détenus continuent de manquer, par défaut d’assiduité en service de psychiatrie ambulatoire et/ou par défaut de moyen du personnel soignant.</p>
<h2>Une fureur divine</h2>
<p>D’autres adoptent l’islam radical pour assouvir des <a href="https://www.peterlang.com/document/1172245">pulsions meurtrières</a> au nom d’une idéologie qui les sacralisent.</p>
<p>Ils s’identifient au prophète et s’émancipent des lois en prétendant servir sa cause. Tous galvanisés, ils trouvent en Allah un <a href="https://www.inpress.fr/livre/passionnement-a-la-folie">exaltant produit dopant</a>, conjurant les carences et les échecs, et permettant de retrouver leur intégrité. Du latin <em>fanaticus</em>, signifiant « inspiré », « prophétique », « en délire », « fanatique » désigne celui qui se croit transporté d’une fureur divine ou qui s’emporte sous l’effet d’une passion pour un idéal politique ou religieux.</p>
<p>En épousant leur destin d’élus d’Allah, ils veulent inspirer la crainte dont ils obtiendront le sentiment d’être respectés. Ils attendent de la valeur performative de leur acte de soumettre une société tout entière à leur affirmation de soi. Le Hamas offre-t-il à certains la perspective d’être reconnus comme préjudiciés, et de prendre une part héroïque à la guerre ?</p>
<h2>Un nombre encore important d’individus radicalisés</h2>
<p>Depuis la <a href="https://www.lanouvellerepublique.fr/indre-et-loire/commune/beaumont-en-veron/le-centre-de-deradicalisation-un-echec-relatif">fermeture du CPIC en 2017</a>, l’accompagnement des personnes radicalisées a été privilégié au niveau local. Un <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_lois/l15b2082_rapport-information">rapport d’information</a>, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 27 juin 2019 stipule que, selon l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT), au mois d’avril 2019, la prise en charge a été relayée dans 269 communes. Ces mesures semblent insuffisantes, si l’on en croit que chaque année depuis 2015 des attentats sont commis sur notre sol, bien que bon nombre soient <a href="https://www.puf.com/content/La_lutte_antiterroriste">déjoués</a>. Parallèlement, on compte en France, en mars 2022, 570 détenus de droit commun radicalisés et 430 détenus pour terrorisme islamiste. Une centaine de détenus radicalisés seraient libérables en 2023.</p>
<p>La DGSI avait rapporté cet été que la menace terroriste était toujours la <a href="https://www.dgsi.interieur.gouv.fr/decouvrir-la-dgsi/au-micro/djihadisme-ultradroite-et-ultragauche-lappel-a-la-vigilance-de-la-dgsi">première en France</a>.</p>
<p>L’attentat de ce samedi montre que derrière des « passages à l’acte », il y a des individus en échec d’intégration et inscrits dans des logiques idéologiques meurtrières.</p>
<p>Armand R.-M. démontre, comme Mohamed Mogouchkov, qu’il convient de rester vigilants et de se doter de moyens de suivre certains individus fragiles. D’autres pourraient s’inspirer du nouveau climat de tension internationale pour agir, galvanisés par la mise en avant de leur cause et l’exacerbation médiatique de leur sentiment d’injustice.</p>
<p>Cette thanato-politique naissant du désespoir d’une jeunesse qui ne parvient pas à imaginer d’autre avenir que le combat pour la foi, engage nos sociétés hypersécularisées à réfléchir à de nouvelles modalités de vivre-ensemble.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215818/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laure Westphal ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’assaillant arrêté à Paris le 2 décembre était pathologiquement instable et a fait référence au conflit israélo-palestinien. Il avait déjà été condamné pour terrorisme.Laure Westphal, Psychologue clinicienne, Docteure en psychopathologie et psychanalyse, Enseignante, Chercheuse associée, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2085232023-08-21T15:46:31Z2023-08-21T15:46:31Z2023 : le coup de grâce au jury populaire ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/540460/original/file-20230801-27-6kaua9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=6%2C0%2C2156%2C1556&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Croquis représentant la salle d'audience de la cour d'assises du Pas-de-Calais lors du procès de l'affaire de pédophilie d'Outreau (2004). Les jurés sont assis autour du magistrat (en rouge).</span> <span class="attribution"><span class="source">Laurence De Vellou / AFP</span></span></figcaption></figure><p>Il y a encore quelques mois, en France, les crimes étaient jugés devant une <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/cour-d-assises-jury-populaire-jures">cour constituée de citoyens tirés au sort</a>. Depuis le 1<sup>re</sup> janvier 2023, ces jurés des <a href="https://theconversation.com/podcast-21-millisecondes-devant-la-cour-dassises-5-5-120946">Cours d’assises</a> ont perdu <a href="https://www.rfi.fr/fr/france/20230102-les-cours-d-assises-remplac%C3%A9es-en-partie-par-des-cours-criminelles-la-r%C3%A9forme-de-la-justice-entre-en-vigueur">environ 50 % des affaires</a> auparavant portées devant eux. Viols, coups et blessures entraînant la mort sans intention ou vols à main armée : ce sont désormais les toutes nouvelles <a href="https://theconversation.com/justice-que-va-changer-la-generalisation-des-cours-criminelles-departementales-197464">Cours criminelles départementales</a>, ou CCD, qui s’en chargent. Et elles ne sont composées que de magistrats professionnels !</p>
<p>Alors que la participation des gouvernés à l’exercice du pouvoir devient une question de plus en plus brûlante, ce <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/11/03/l-effacement-programme-du-jury-populaire-de-cour-d-assises-porte-atteinte-a-la-liberte-l-humanite-et-la-citoyennete_6148296_3232.html">recul historique interroge</a>. Pourtant, cette même perspective historique nous permet de comprendre que le jury était pensé pour périr dès ses prémices…</p>
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<h2>Un jury français d’inspiration anglaise</h2>
<p>Revenons en arrière, plus précisément au XVIII<sup>e</sup> siècle, à la fin de l’Ancien Régime. Le système judiciaire français est aux abois pour nombre de penseurs de l’époque. <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9691133s/f270.item">Montesquieu</a> critique vertement le régime en place, <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k312564h/f98.item">Voltaire</a> s’empare de procès célèbres pour en démontrer l’iniquité, le <a href="https://doi.org/10.4000/rde.5556">baron d’Holbach</a> importe et traduit de la littérature anglaise pour sensibiliser l’opinion sur d’autres manières d’opérer : nous sommes dans une période qualifiée d’anglophilie. « L’herbe est toujours plus verte de l’autre côté de la barrière » diront certains, et c’est chez nos voisins anglais, qui disposent d’une organisation étatique et judiciaire différente, que nous sommes allés puiser notre inspiration.</p>
<p>C’est alors qu’un auteur milanais, Cesare Beccaria, publie un opuscule, <a href="https://gallica.bnf.fr/blog/09022021/des-delits-et-des-peines-de-cesare-beccaria?mode=desktop"><em>Des délits et des peines</em></a>, qui finit de cristalliser les tensions et mène, pour partie, à la Révolution française de 1789.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/539277/original/file-20230725-25-nk1buz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/539277/original/file-20230725-25-nk1buz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=939&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/539277/original/file-20230725-25-nk1buz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=939&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/539277/original/file-20230725-25-nk1buz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=939&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/539277/original/file-20230725-25-nk1buz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1180&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/539277/original/file-20230725-25-nk1buz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1180&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/539277/original/file-20230725-25-nk1buz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1180&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Source : Bibliothèque nationale de France.</span>
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<p>Désireux de rompre avec l’ancien, les révolutionnaires vont alors majoritairement adopter les idées venues d’autres pays. Ici, nous nous concentrons sur le jury, et c’est précisément sous la Révolution qu’il est mis en place. Certes, les <a href="https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1881_num_12_1_6223_t1_0490_0000_1">débats parlementaires autour de ce nouvel organe de la justice sont houleux</a>. Mais la peur du <a href="https://rdv-histoire.com/programme/le-gouvernement-des-juges-en-france-du-moyen-age-nos-jours">gouvernement des juges</a>, l’hostilité profonde à l’encontre des juristes et le désir de poser de nouvelles fondations conduisent à la victoire du système accusatoire et l’instauration du jury.</p>
<p>Voulu au civil et au pénal, il n’intervient finalement qu’au pénal, exclusivement pour les crimes (les offenses punies d’au moins 15 ans d’enfermement). Il est convoqué à deux phases du procès : la mise en accusation, forme de préparation du jugement (le jury vérifie qu’il y a assez de preuves pour mener vers une seconde phase, celle du jugement), et le jugement en lui-même (le jury tranche sur la réalité des faits : à la fin des auditions, il répond par oui ou non à des questions telles que « est-ce que M. X est coupable d’avoir tué sa femme ? »). Le juge opère uniquement en bout de course, pour prononcer la peine édictée par le code pénal et qui correspond à l’infraction retenue par le jury de jugement.</p>
<p>Le cadre est en place : grâce à la Révolution française, <a href="https://doi.org/10.3917/amx.032.0083">nourrie par diverses influences exogènes</a>, nous disposons de Codes qui écrivent les interdits, de jurés populaires pour contrer la toute-puissance des magistrats, et de juges qui, en matière criminelle, appliquent la peine correspondante à l’infraction retenue par les jurés-citoyens. Néanmoins, cette toile de maître se craquèle bien vite.</p>
<h2>Le pouvoir du jury contesté dès sa création</h2>
<p>Dès leur mise en place en 1791, les jurés attisent le feu des critiques des parlementaires, juges, avocats… Les jurés-citoyens auraient notamment tendance à confondre leurs attributions entre accusation et jugement. En 1808, Napoléon <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4800785/f269.item">réforme la procédure pénale</a> pour pallier ce problème. Le jury d’accusation est le premier pion à tomber : la mise en accusation retourne aux juges. Le jury de jugement, quoiqu’attaqué, survit à cette première étape, sur le fil.</p>
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<p>Nous l’avons dit, l’institution du jury a été importée d’Angleterre ou, plus généralement, du fonctionnement de la justice dans les pays de <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/Common_Law/114241"><em>common law</em></a>. Le principe de répartition des pouvoirs entre les jurés et le juge est simple : aux jurés les faits, aux juges le droit. Cette répartition a vécu un temps en France, avant de faire l’objet de nouveaux chamboulements. Les gouvernements en place souhaitaient <a href="https://www.cairn.info/revue-idees-economiques-et-sociales-2017-2-page-41.htm">guider</a> le jury sur des voies qu’ils considéraient plus acceptables, ou les commander indirectement.</p>
<p>En effet, l’une des principales critiques contre le jury tient dans sa <a href="https://www.persee.fr/doc/rural_0014-2182_1984_num_95_1_3024">générosité à l’égard des accusés</a>. Au fil des ans, le législateur n’a de cesse que de modifier les attributions des jurés ou la procédure pénale pour essayer d’endiguer ce phénomène. Ce faisant, il rogne sur certains principes matriciels du jury tel qu’importé, ce qui nous pousse à parler de « jury à la française », tant notre modèle s’éloigne du patron qui nous servit de mètre étalon.</p>
<h2>Le détricotage progressif de tout ce qui fait un jury-citoyen autonome</h2>
<p>Si la mise en accusation a tout bonnement été retirée des missions du jury en 1808, le pouvoir de jugement, lui, sera conservé mais réduit à peau de chagrin au gré des réformes successives.</p>
<p>Six grandes étapes marquent cette érosion progressive, parfois insidieuse, qui se cache derrière des stratégies politiques de canalisation du jury. Dès lors que les acquittements deviennent trop nombreux, le <a href="https://www.academia.edu/98109838/Thesis_La_recherche_de_lintention_en_droit_p%C3%A9nal_contemporain_XIXe_XXe_si%C3%A8cles_The_Search_for_Intent_in_Contemporary_Criminal_Law_XIXe_XXe_Centuries_#page=219">gouvernement imagine une réforme judiciaire pour inciter les jurés à mieux condamner</a>.</p>
<p>En <a href="https://ledroitcriminel.fr/la_legislation_criminelle/anciens_textes/code_penal_1810/code_penal_1810_1.htm">1810</a>, le code pénal napoléonien est promulgué. Celui-ci ne reconnaît que les circonstances aggravantes. De fait, si les jurés admettent un meurtre, la sanction est automatiquement la peine de mort. Les jurés ont donc tendance à acquitter les personnes qui disposent de circonstances atténuantes à leurs yeux, pour éviter une sanction qu’ils estiment trop rigoureuse.</p>
<p>En <a href="https://criminocorpus.org/fr/reperes/textes-juridiques-lois-decre/textes-juridiques-relatifs-la-recidive/25-juin-1824-loi-contenant-diverses-modifications-au-code-penal/">1824</a>, les circonstances atténuantes sont introduites. Seuls les magistrats peuvent les accorder. Les jurés craignent alors que ces circonstances ne soient pas retenues… et continuent d’acquitter excessivement selon les pouvoirs publics.</p>
<p><a href="https://criminocorpus.org/fr/reperes/textes-juridiques-lois-decre/textes-juridiques-relatifs-la-recidive/28-avril-1832-loi-contenant-des-modifications-au-code-penal-et-au-code-dinstruction-criminelle/">1832</a> marque un tournant majeur. Face à l’échec de la réforme de 1824, le législateur réagit et mélange les attributions.</p>
<p>Désormais, ce sont exclusivement les jurés qui peuvent prononcer des circonstances atténuantes (ou aggravantes). Selon les hypothèses, les <a href="https://criminocorpus.org/fr/reperes/textes-juridiques-lois-decre/textes-juridiques-relatifs-la-recidive/28-avril-1832-loi-contenant-des-modifications-au-code-penal-et-au-code-dinstruction-criminelle/">juges récupèrent un pouvoir officiel de mitigation de la pénalité</a> sous certaines limites.</p>
<p>Auparavant les jurés déterminaient l’infraction. Désormais, ils décident indirectement de la sanction, puisque ce sont les circonstances atténuantes ou aggravantes retenues qui déterminent en partie la pénalité. La situation est paradoxale : c’est en augmentant les pouvoirs de jurés honnis que le législateur les guide sur la voie de la sévérité.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/539320/original/file-20230725-29-op9sd1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/539320/original/file-20230725-29-op9sd1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=733&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/539320/original/file-20230725-29-op9sd1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=733&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/539320/original/file-20230725-29-op9sd1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=733&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/539320/original/file-20230725-29-op9sd1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=921&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/539320/original/file-20230725-29-op9sd1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=921&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/539320/original/file-20230725-29-op9sd1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=921&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="attribution"><span class="source">Alexandre Frambéry-Iacobone, La recherche de l’intention en droit pénal contemporain (XIXe-XXe siècles), thèse droit, Bordeaux, 2022.</span></span>
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<p>La date de <a href="https://www.senat.fr/rap/l96-275/l96-27511.html">1932</a> montre un nouveau revirement : on décide que les jurés, après avoir statué sur la culpabilité, retrouvent les magistrats pour délibérer sur la peine, offrant l’illusion qu’ils auraient un mot à dire sur le choix véritable de la sanction. Le revers de la médaille tient en ce que les jurés sont ancrés, toujours plus, dans le giron de la magistrature.</p>
<p>En pleine Seconde Guerre mondiale, et plus précisément en <a href="https://www.dalloz-actualite.fr/interview/selon-francois-saint-pierre-cour-d-assises-perdu-son-intelligence-et-son-ame-depuis-1941">1941</a>, sous la gouvernance de Vichy, l’ultime barrière est franchie : juges et jurés délibèrent ensemble sur la pénalité – depuis 1932 –, et sont désormais rejoints par les juges concernant la culpabilité ; ils n’ont plus d’autonomie réelle. Pour certains, à cette date, “la <a href="https://www.dalloz-actualite.fr/interview/selon-francois-saint-pierre-cour-d-assises-perdu-son-intelligence-et-son-ame-depuis-1941">Cour d’assises a perdu son intelligence et son âme</a>”.</p>
<p>En <a href="https://ledroitcriminel.fr/la_legislation_criminelle/code_de_procedure_penale/anciennes_versions/cpp_leg_1957.htm">1959</a> est adopté le nouveau Code de procédure pénale. D’aucuns pourraient penser que le recul démocratique acté sous Vichy, entremêlant jurés et juges, ne tiendrait pas. Il est pourtant confirmé par cette réforme. Les chiffres guident la main d’un législateur qui ne tremble pas : depuis que juges et jurés statuent ensemble en 1941, le <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-de-droit-p%C3%A9nal-2001-1-page-175.htm">taux d’acquittement a chuté de 25 à 8 %</a>.</p>
<h2>2023 : le coup de grâce ?</h2>
<p>Avec la création des cours criminelles départementales, le champ d’action des jurés est encore réduit. Des crimes qui étaient jugés par des citoyens depuis la Révolution française sont désormais exclusivement jugés par des <a href="https://theconversation.com/dou-vient-la-souffrance-au-travail-des-magistrats-201699">magistrats professionnels</a>.</p>
<p>Et il ne s’agit que de la face visible de l’iceberg. Le discrédit des jurés s’exprime également par la <a href="https://questions.assemblee-nationale.fr/q14/14-56902QE.htm">correctionnalisation</a> massive des crimes. Ceux-ci deviennent de simples délits, jugés sans jurés, par un <a href="https://doi.org/10.3917/drs1.111.0269">agile tour de passe-passe</a> qui peut être procédural ou législatif.</p>
<p>Si ces correctionnalisations sont <a href="https://www.village-justice.com/articles/correctionnalisations-solutions-demonstrations-une-justice-inefficace,31403.html">parfois salvatrices</a>, elles s’inscrivent malgré tout dans une continuité du détricotage du rôle des jurés. Il en va de même avec l’institution des cours criminelles, qui soulève d’ailleurs de <a href="https://twitter.com/benjaminfiorini/status/1673332383011971072?s=46&t=jcPIBcJ4-4lvlrNtPZmUQw">nombreuses</a> <a href="https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20210913/lois.html">réserves</a>.</p>
<p>Difficile de ne pas y voir une nouvelle manifestation de la <a href="https://journals.openedition.org/questionsdecommunication/2334">défiance historique</a> que les pouvoirs publics ont à l’encontre du jury, qui coûterait trop cher, serait chronophage, laxiste… En somme, <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5803576q/f297.image.r=raige">« quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage »</a> et le jury populaire a depuis longtemps été accusé de tous les maux. Prochaine étape, la suppression totale des jurés ? L’épée de Damoclès, suspendue par un fil au-dessus du jury, <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/metiers/droit-et-justice/reforme-de-la-justice-dans-quelques-annees-le-jury-populaire-aura-disparu-pour-toutes-les-affaires-estime-le-president-de-l-association-des-avocats-penalistes_4371871.html">ne semble pas si fictive</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208523/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexandre Frambéry-Iacobone ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Avec la généralisation des cours criminelles, les jurys populaires jugent 50 % moins d’affaires. Pourquoi et comment la participation des citoyens à la Justice a-t-elle été réduite au fil des ans ?Alexandre Frambéry-Iacobone, Doctor Europeus en droit (mention histoire du droit – label européen) / chercheur post-doctoral, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2109042023-08-02T18:06:45Z2023-08-02T18:06:45ZDonald Trump de nouveau inculpé, mais ses procès pourraient ne pas l’empêcher de faire campagne<p>La plupart des commentateurs qui ont discuté des procès pénaux en cours de Donald Trump à New York, en Floride et désormais du prochain à venir avec avec l’inculpation le 1<sup>re</sup> août 2023 par un grand jury de Washington, DC, pour <a href="https://www.nytimes.com/live/2023/08/01/us/trump-indictment-jan-6">son rôle dans les émeutes du 6 janvier</a>, ont conclu que ces procès nécessiteraient sa présence. Et que cela pourrait compromettre sa capacité à faire vigoureusement campagne pour l’investiture républicaine et la présidence.</p>
<p>La Constitution américaine protège en effet le droit des <a href="https://supreme.justia.com/cases/federal/us/470/522/">accusés</a> à assister à leur procès pénal, en interdisant au gouvernement d’organiser des procès en l’absence de l’accusé. Cette règle différencie les États-Unis des autres démocraties qui autorisent la tenue de procès pénaux sans la présence de l’accusé. Par exemple, <a href="https://www.npr.org/sections/thetwo-way/2013/08/26/215756246/amanda-knox-wont-attend-new-italian-trial-lawyer-says">l’Italie a jugé et condamné l’Américiane Amanda Knox</a> pour le meurtre de sa colocataire Meredith Kercher alors qu’elle n’était pas là. La condamnation a été annulée par la suite.</p>
<p>Dans les poursuites fédérales de surcroit, une <a href="https://www.law.cornell.edu/rules/frcrmp/rule_43">règle fédérale de procédure pénale</a> semble exiger que le plaignant assiste à l’intégralité du procès. Mais, quand on regarde en détail, cela ne signifie pas pour autant que l’accusé se présentera au tribunal jour après jour. Dans le cas de Trump, la question se pose : l’ancien président pourrait-il boycotter ses procès ?</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/539614/original/file-20230726-19-zw4cjc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Un homme en costume parle à un pupitre à l’avant d’une salle de réunion, avec un drapeau américain derrière lui" src="https://images.theconversation.com/files/539614/original/file-20230726-19-zw4cjc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/539614/original/file-20230726-19-zw4cjc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=386&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/539614/original/file-20230726-19-zw4cjc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=386&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/539614/original/file-20230726-19-zw4cjc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=386&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/539614/original/file-20230726-19-zw4cjc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=485&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/539614/original/file-20230726-19-zw4cjc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=485&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/539614/original/file-20230726-19-zw4cjc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=485&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Alvin Bragg, procureur de Manhattan, lors d’une conférence de presse tenue le 4 avril 2023 à la suite de la mise en accusation de l’ancien président des États-Unis Donald Trump.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/manhattan-district-attorney-alvin-bragg-speaks-during-a-news-photo/1250778290?adppopup=true">Kena Betancur/Getty Images</a></span>
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<h2>Poursuites fédérales</h2>
<p>Conformément à la <a href="https://www.law.cornell.edu/rules/frcrmp/rule_43">règle 43 des règles fédérales de procédure pénale</a>, le prévenu « doit être présent » lors de la mise en accusation, au moment du plaidoyer, à chaque étape du procès, y compris la constitution du jury et le prononcé du verdict, ainsi qu’au moment de la condamnation. Cette règle consacre le droit constitutionnel de l’accusé à être présent au procès. Et en vertu des précédents de la Cour suprême des États-Unis qui <a href="https://supreme.justia.com/cases/federal/us/506/255/">interprètent la règle 43</a>, un accusé doit absolument être présent au début d’un procès pénal fédéral.</p>
<p>Mais après le début du procès, de nombreux tribunaux ont reconnu le droit du prévenu de s’absenter volontairement du reste du procès. À tout le moins, plusieurs tribunaux ont reconnu que le juge de première instance avait le pouvoir discrétionnaire d’autoriser l’absence du prévenu. Ces décisions mentionnent de la renonciation consciente de ce dernier à son droit constitutionnel d’être présent à son procès.</p>
<p>De plus, ces textes soulignent une exception à la règle fédérale 43 <a href="https://www.federalrulesofcriminalprocedure.org/title-ix/rule-43-defendants-presence/">qui permet aux défendeurs de renoncer à leur droit</a> d’être présent au procès « lorsque le prévenu est volontairement absent après le début du procès, que le tribunal ait ou non informé le défendeur de son obligation de rester ».</p>
<p>Au moins un tribunal fédéral <a href="https://casetext.com/case/united-states-v-sterling-10?__cf_chl_tk=9S3Qt_Ap17Qy49CSCp1KSLtG8qMTzHrD20dh8LxeTpI-1690483077-0-gaNycGzNDhA">a jugé</a> qu’un procès fédéral commence au plus tard le jour de la sélection du jury.</p>
<p>Ainsi, tant que Trump renonce sciemment à son droit d’être présent à son propre procès pénal, le juge qui préside peut accepter que ses circonstances uniques – sa candidature à la présidence – constituent des motifs suffisants pour reconnaître et approuver ce renoncement.</p>
<h2>Poursuites au niveau de l’État</h2>
<p>De même, lorsque Trump fait l’objet de poursuites au niveau de l’État, à <a href="https://case-law.vlex.com/vid/people-v-epps-894221707">New York</a> et potentiellement en <a href="https://casetext.com/case/pennie-v-state">Géorgie</a>, les deux États autorisent une renonciation volontaire de l’accusé à son droit d’assister à son procès pénal. Les constitutions des États de Géorgie et de New York et les lois de ces deux États protègent le droit du défendeur d’être présent à tous les stades d’un procès pénal. Mais elles permettent également à l’accusé de renoncer à ce droit, à condition que cette renonciation soit volontaire.</p>
<p>Cela signifie que Trump n’aurait pas même besoin d’essayer de retarder un procès pénal en refusant tout simplement d’y assister.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/539636/original/file-20230726-29-44gjjc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Cinq personnes assises d’un côté d’une table avec des documents sur la table devant eux" src="https://images.theconversation.com/files/539636/original/file-20230726-29-44gjjc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/539636/original/file-20230726-29-44gjjc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=404&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/539636/original/file-20230726-29-44gjjc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=404&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/539636/original/file-20230726-29-44gjjc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=404&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/539636/original/file-20230726-29-44gjjc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=507&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/539636/original/file-20230726-29-44gjjc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=507&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/539636/original/file-20230726-29-44gjjc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=507&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">L’ancien président Donald Trump avec ses avocats à l’intérieur de la salle d’audience lors de sa mise en accusation au tribunal pénal de Manhattan le 4 avril 2023.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/former-us-president-donald-trump-appears-in-court-at-the-news-photo/1250772070?adppopup=true">Seth Wenig/AFP</a></span>
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<h2>Dommages potentiels</h2>
<p>Chaque fois qu’un accusé refuse d’assister à son propre procès pénal, il peut néanmoins y avoir des conséquences.</p>
<p>Par exemple, le juge qui prononce la sentence peut interpréter le refus d’un prévenu d’assister à son procès comme un acte de manque de respect envers le tribunal. Ou, dans le cas d’un procès avec jury, les jurés peuvent être irrités par l’absence volontaire de l’accusé.</p>
<p>En tant que <a href="https://search.asu.edu/profile/3033197">spécialiste du droit constitutionnel</a>, je ne doute pas que les avocats de Donald Trump lui conseilleront d’être présent. Mais aucun de ces facteurs n’a d’importance pour l’ancien président, qui semble se concentrer sur la délégitimation des poursuites qu’il considère comme des <a href="https://apnews.com/article/trump-retribution-indictment-documents-biden-american-democracy-5a8ec37b359fee85d0f0956139d79f51">persécutions à caractère politique</a>.</p>
<p>Trump n’est par ailleurs peut-être pas capable d’assister jour après jour à un procès pénal, étant donné <a href="https://www.axios.com/2017/12/15/report-nato-altering-meeting-to-fit-trump-attention-span-1513302313">ce que l’on sait de sa faible capacité d’attention</a>.</p>
<p>Même s’il est en mesure de s’absenter volontairement d’un ou de plusieurs des procès en cours, Trump pourrait en tout cas faire valoir auprès de l’opinion, et il le fera probablement, qu’il est confronté à un choix difficile : assister au procès et perdre la présidence, ou boycotter le procès et perdre sa liberté.</p>
<p>Nombre de ses partisans rejetteront l’une ou l’autre de ces scénarios.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210904/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stefanie Lindquist ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Donald Trump a été inculpé pour des crimes liés à ses efforts pour renverser l’élection de 2020. Pourra-t-il ou non boycotter ses prochains procès ?Stefanie Lindquist, Foundation Professor of Law and Political Science, Arizona State UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2080402023-06-21T18:38:49Z2023-06-21T18:38:49ZPourquoi l’attaque à Annecy n’a-t-elle pas été qualifiée de terroriste ?<p>Le 10 juin dernier, l’auteur de l’agression au couteau à Annecy de quatre enfants et des adultes qui s’étaient interposés a été mis en examen pour tentative d’assassinat. Dans les heures et les jours qui ont suivi ce crime, plusieurs voix se sont élevées pour interroger <a href="https://www.la-croix.com/France/Attaque-dAnnecy-pourquoi-justice-estime-nest-pas-acte-terroriste-2023-06-09-1201270883">l’absence de qualification terroriste donnée à ces actes</a>. </p>
<p>L’ensemble des témoignages rapportés par la presse font en effet apparaître qu’au moment des faits, l’agresseur <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/06/09/annecy-le-suspect-abdelmessih-h-est-un-refugie-syrien-chretien-venu-de-suede_6176810_3224.html">a répété agir « au nom de Jésus Christ »</a>. Or, au cours des dernières années, des attaques au couteau commises par des personnes prétendant agir au nom d’une religion – en l’occurrence l’islam – ont très régulièrement été qualifiées de <a href="https://theconversation.com/de-halle-a-manchester-le-terrorisme-est-la-domination-par-la-panique-113935">terroristes</a> par les autorités, que ce soit <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Attentat_de_la_gare_Saint-Charles_de_Marseille">à Marseille en octobre 2017</a>, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Attentat_du_march%C3%A9_de_No%C3%ABl_de_Strasbourg">à Strasbourg en décembre 2018</a>, ou encore <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Attentat_de_la_basilique_Notre-Dame_de_Nice">à Nice en octobre 2020</a>. Pourquoi donc cette qualification a-t-elle été exclue s’agissant de l’attaque commise à Annecy ?</p>
<h2>Un caractère foncièrement subjectif</h2>
<p>D’un point de vue strictement juridique, cette décision apparaît certes tout à fait régulière. Mais l’honnêteté intellectuelle invite immédiatement à préciser que le choix contraire de retenir la qualification terroriste aurait été tout aussi conforme au cadre légal applicable.</p>
<p>Le propre de cette qualification est en effet de présenter un caractère foncièrement subjectif. Aux termes de l’article 421-1 du code pénal, un crime ou un délit terroriste est en réalité une infraction de droit commun – tel un meurtre, un enlèvement ou encore des destructions par incendie – mais qui se trouve « en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/france-mere-des-arts-des-lois-et-du-terrorisme-50995">France, mère des arts, des lois… et du terrorisme</a>
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<p>Une définition qui offre aux autorités répressives une marge d’appréciation considérable. Définir ce qui trouble, ou non, gravement l’ordre public implique déjà une approche nécessairement subjective, dépendant de la sensibilité relative des pouvoirs publics – et des médias – à tel ou tel fait criminel. Mais déterminer si la personne avait également l’intention spécifique d’intimider ou de terroriser autrui par son geste, ouvre inévitablement sur l’arbitraire.</p>
<p>Sauf à ce que l’acte soit clairement revendiqué comme tel, la caractérisation d’une telle intention reposera alors nécessairement, non sur des éléments objectivables, mais sur des éléments au mieux contextuels ou, pire encore, sur l’émotion suscitée par les faits, a fortiori lorsque ces derniers sont fortement médiatisés. </p>
<p>C’est ainsi qu’après le <a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-les-memoriaux-du-13-novembre-150334">traumatisme</a> suscité par les attentats du 13 novembre 2015, des milliers de personnes ont été perquisitionnées sur le fondement de suspicions particulièrement vagues, la réalité de leur implication <a href="https://theconversation.com/quel-bilan-pour-les-mesures-administratives-de-lutte-contre-le-terrorisme-147163">dans un éventuel projet terroriste</a> n’étant avérée que dans moins de 1 % des cas. En dernière analyse, la qualification d’une infraction comme terroriste recèle ainsi d’un inévitable arbitraire.</p>
<h2>Une situation délicate</h2>
<p>Cette situation pose, d’un point de vue démocratique, plusieurs difficultés. En premier lieu, elle nous expose au risque d’une répression arbitraire ou, à tout le moins, disproportionnée. Bien sûr, il est des crimes dont la dimension véritablement « terroriste » ne souffre en pratique <a href="https://www.cairn.info/revue-les-champs-de-mars-ldm-2002-1-page-131.htm">d’aucune discussion sérieuse</a>, à l’image des attentats de New York du 11 septembre 2001.</p>
<p>Mais il faut avoir l’esprit que la plupart des faits aujourd’hui poursuivis comme acte de terrorisme ne constituent pas des meurtres de masse clairement revendiqués ni même des agressions de rues commises par des personnes isolées mais des actes de participation à des groupements suspectés de fomenter des projets d’attentat – et qualifiés à ce titre d’associations de malfaiteurs terroristes. C’est par exemple sous cette qualification qu’ont été mises en cause la plupart des personnes soupçonnées de revenir ou de vouloir se rendre en <a href="https://www.cairn.info/revue-rhizome-2016-1-page-69.htm">Syrie</a> à l’époque où ce territoire était partiellement sous contrôle de l’organisation de l’État islamique.</p>
<p>Mais comment alors, sans risquer de basculer dans l’arbitraire, caractériser une volonté d’intimider ou de terrifier <a href="https://www.cairn.info/revue-deliberee-2017-2-page-16.htm">au seul stade des actes préparatoires</a> ? Soulignons par ailleurs que ce risque d’arbitraire ne pose pas seulement difficulté du point de vue des droits des personnes poursuivies ou suspectées. En étendant démesurément le filet pénal, il a aussi pour conséquence un <a href="https://theconversation.com/lutte-antiterroriste-les-mailles-du-filet-francais-sont-encore-bien-trop-larges-167814">potentiel éparpillement des forces répressives</a> affectant leur capacité à répondre en temps utile aux projets d’attentat avérés.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-terreur-un-instrument-politique-171874">La terreur, un instrument politique ?</a>
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<h2>Le risque de la stigmatisation</h2>
<p>En second lieu, le caractère trop malléable de la qualification terroriste fait également courir le risque d’une approche discriminatoire, par les pouvoirs publics, de ce type de criminalité. Comment en effet justifier que, devant un mode opératoire similaire, des actes commis au nom d’une religion soient qualifiés tels quand ceux qui sont commis au nom d’une autre ne le sont pas ? Depuis de nombreuses années, des organisations internationales comme le <a href="https://www.ohchr.org/fr/press-releases/2017/06/counter-terrorism-measures-are-fuelling-racism-un-rights-expert-warns">haut-commissariat aux droits de l’homme de l’ONU</a> ou des organisations non gouvernementales comme Amnesty International alertent sur le fait que :</p>
<blockquote>
<p>« Les discriminations contre les personnes musulmanes dans le cadre de la lutte contre le terrorisme en Europe ont contribué à créer un environnement qui les expose davantage <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/press-release/2021/02/europe-how-to-combat-counter-terror-discrimination/">aux propos haineux et aux attaques</a>. »</p>
</blockquote>
<p>Une situation qui ne pose pas seulement problème en soi, mais aussi en raison du rôle paradoxal qu’une telle stigmatisation peut jouer dans le basculement dans la violence criminelle de jeunes gens qui verront dans un Islam aussi mythifié qu’il est diabolisé par d’autres le <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2018/09/BONELLI/59014">moyen de donner un sens à leur envie de revanche sociale</a>.</p>
<h2>Resserrer la notion juridique</h2>
<p>C’est pourquoi il apparaît aujourd’hui nécessaire de réfléchir, sinon à sa suppression, du moins à un resserrement de la notion juridique de terrorisme pour en limiter le potentiel d’arbitraire. Il ne s’agit nullement de priver les autorités des leurs moyens d’action mais, bien au contraire, de leur permettre de se recentrer sur les projets criminels avérés, lesquels seront d’autant mieux prévenus que leurs critères d’identification sont définis avec davantage de rigueur. </p>
<p>À cet égard, le droit de l’Union européenne nous suggère des pistes intéressantes. <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:32017L0541#d1e614-6-1">La directive du 15 mars 2017 relative à la lutte contre le terrorisme</a> définit en effet les infractions terroristes, de façon sensiblement plus précise que le droit français, comme celles ayant pour objet de « gravement intimider une population », de « contraindre indûment des pouvoirs publics ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque » ou de « gravement déstabiliser ou détruire les structures politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales fondamentales d’un pays ou d’une organisation internationale ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/penser-le-terrorisme-le-cas-albert-camus-118847">Penser le terrorisme : le cas Albert Camus</a>
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<p>Loin de s’étendre potentiellement à tout acte perçu comme terrorisant, la définition européenne restreint ainsi <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/20371-actes-juridiques-de-lue-quest-ce-quune-directive#:%7E:text=La%20directive%20est%20un%20acte,quant%20%C3%A0%20eux%20d%C3%A9termin%C3%A9s%20nationalement.">la notion</a> non seulement aux actes d’une particulière gravité – en exigeant notamment des actes explicitement dirigés non contre des personnes isolées, mais contre un groupe de personnes spécifiques – mais aussi aux actes destinés, directement ou indirectement, à faire pression sur les pouvoirs publics. À l’aune d’une telle définition, les attaques commises sans revendication explicite, fut-ce avec une coloration religieuse, n’auraient plus vocation à être qualifiés de terroristes. </p>
<p>Une telle redéfinition ne priverait nullement le pouvoir répressif des moyens de sanctionner ce type d’infractions : elles le seraient simplement en vertu du droit commun. Elle n’empêcherait pas davantage de recourir à des mesures d’enquêtes particulièrement poussées et mises en œuvre par des services spécialisés, s’agissant des crimes ou délits qui, ne relevant plus de la notion de terrorisme, n’en resterait pas moins commis en bande organisée – le régime d’enquête applicable aux faits terroristes n’étant qu’une <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006071154/LEGISCTA000006138138?etatTexte=VIGUEUR&etatTexte=VIGUEUR_DIFF&anchor=LEGISCTA000038311675#LEGISCTA000038311675">déclinaison d’un régime applicable à la criminalité organisée</a>. En étant limitée aux actes les plus graves, à ceux qui déstabilisent véritablement les structures sociales d’une nation, elle permettrait en revanche de renforcer la condamnation symbolique de ce type de criminalité, quand sa généralisation tend au contraire à la banaliser dangereusement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208040/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Vincent Sizaire ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La qualification d’attaque « terroriste » présente un caractère foncièrement subjectif et mérite d’être affiné au regard des diverses attaques récentes comme à Annecy.Vincent Sizaire, Maître de conférence associé, membre du centre de droit pénal et de criminologie, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2066322023-06-05T15:49:59Z2023-06-05T15:49:59ZCrimes violents : une vaste étude met en évidence le traumatisme des enquêteurs<p>Ce 8 juin, l'attaque au couteau qui a fait plusieurs blessés graves, pour la plupart des enfants, à Annecy, a été filmée par des passants. Ces images effarantes ont été largement partagées sur les réseaux sociaux, avant d'être promptement supprimées par la plupart des plateformes. </p>
<p>L'immense majorité de la population n'aura soit pas pu, soit pas souhaité les visionner. Il existe pourtant une catégorie de professionnels dont le métier consiste précisément à examiner minutieusement de tels enregistrements et à se plonger dans les récits des victimes et des témoins (et parfois des agresseurs) - au prix, souvent, d'une profonde déstabilisation psychologique.
Ce sont les analystes travaillant dans les secteurs de la police et de la justice. </p>
<p>Viols, meurtres, tortures, incendies criminels, actes de terrorisme… : ces spécialistes sont régulièrement confrontés à la cruauté et à la capacité de destruction de l'humanité.</p>
<p>Les experts qui oeuvrent à traduire les criminels en justice en examinant les éléments de preuves des crimes commis sont régulièrement exposés à l'expérience traumatisante que constitue la consultation de témoignages écrits, de séquences vidéo ou d'enregistrements audio. Et il apparaît de plus en plus clairement <a href="https://www.qao.qld.gov.au/reports-resources/managing-mental-health-queensland-police-employees">que les systèmes en place ne parviennent pas à protéger leur santé mentale</a> face au déferlement d'atrocités auxquelles ils doivent faire face.</p>
<p>En Europe, les chiffres sont alarmants. En 2022, les problèmes de santé mentale ont conduit les policiers anglais à prendre <a href="https://www.mirror.co.uk/news/uk-news/huge-rise-number-police-officers-29251463">730 000 jours de congé maladie</a>, contre 320 000 en 2012/2013. En Espagne, <a href="https://theobjective.com/espana/2023-01-01/suicidio-agentes-peores-datos/">28 membres des forces de l'ordre se sont suicidés en 2022</a> - c'est 21,4 % de moins qu'en 2021, mais il s'agit tout de même du deuxième nombre le plus élevé depuis que cette statistique est relevée. Les chiffres sont encore plus dramatiques en France - <a href="https://www.leparisien.fr/faits-divers/pas-une-fois-on-ne-sattaque-aux-problemes-de-management-deux-flics-sortent-un-livre-choc-sur-les-suicides-dans-la-police-27-01-2023-2F4MJ3UFOBHC7CW4ZHFXF5SCRA.php">78 suicides en 2022</a> si l'on inclut les surveillants pénitentiaires – et en Grèce qui, quoique nettement moins peuplée, <a href="https://spectrumlocalnews.com/nys/rochester/news/2019/09/25/greece-police-spearhead-law-enforcement-suicide-awareness-walk">a enregistré 159 suicides</a> parmi ses forces de police en 2019.</p>
<p>La situation est aggravée par le fait que parler de ses problèmes de santé mentale demeure largement stigmatisé, les agents craignant d'être considérés comme des « faibles » ou d'être privés d'une promotion.</p>
<p>Pour mieux comprendre comment l'exposition à des scènes traumatisantes affecte les forces de police, notre équipe de psychologues de l'université de Birmingham a mené <a href="https://www.axa-research.org/en/project/fazeelat-duran">40 entretiens</a> avec des experts travaillant sur des enquêtes criminelles au Royaume-Uni, en Belgique, en Espagne, aux Pays-Bas et au Canada.</p>
<p>Qu'ils soient criminologues, officiers de renseignement, experts en <a href="https://www.interpol.int/fr/Notre-action/Innovation/Criminalistique-numerique">criminalistique numérique</a> ou <a href="https://www.gendarmerie.interieur.gouv.fr/gendinfo/dossiers/criminalistique-le-futur-des-a-present/analystes-comportementaux-des-gendarmes-sous-un-autre-profil">analystes comportementaux</a>, ces spécialistes font partie intégrante du système de justice pénale. Ils fournissent des analyses, des renseignements et un soutien précieux aux enquêtes et aux poursuites relatives aux crimes les plus graves.</p>
<p>Parmi eux, selon <a href="https://www.axa-research.org/en/project/fazeelat-duran">notre enquête</a> réalisée au début de cette année, 37 % ont été diagnostiqués comme souffrant de dépression sévère et environ 55 % comme souffrant de dépression modérée.</p>
<h2>Les échos du traumatisme</h2>
<p>Les personnes que nous avons interrogées ont confié que l'exposition constante à des scènes traumatisantes pesait sur leur perception du monde, mais aussi de leur vie familiale et sociale. Reflétant leur inquiétude générale quant à la sécurité de leurs proches, une femme a déclaré :</p>
<blockquote>
<p>« Je m'inquiète plus qu'avant pour ma sœur si elle me dit qu'elle va se promener en soirée dans une zone tranquille. »</p>
</blockquote>
<p>Nos interlocuteurs décrivent leurs comportements de précaution et d'évitement face aux scènes dont ils ont lu des descriptions ou visionné des images dans le cadre de leur travail. Cela affecte leur vie et celle de leur entourage. L'un d'entre eux, S. (tous les participants à notre recherche ont été anonymisés), se demande comment il peut « laisser ses enfants chez quelqu'un pour une soirée pyjama ». La voix tremblante, il reconnaît qu'il « pense qu'il est plus anxieux qu'un parent normal ne le serait ». De son côté, Y. ne laisse pas son chargeur de téléphone près de son lit, car elle « pense qu'un cambrioleur pourrait s'en servir pour [l]‘étrangler ».</p>
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<p>Ces professionnels doivent gérer des émotions intenses, et évoquent des cas d'« effondrement émotionnel». « Les témoignages des victimes sont pénibles à lire », soupire Z, en s'agitant nerveusement. « Ils sont relatés d'une façon si détaillée qu'en les consultant, il m'arrive souvent de me mettre à pleurer. »</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Beaucoup déclarent avoir « oublié comment faire confiance ». « Je suis plus conscient de ce qui m'entoure sur le plan social », déclare un homme. « Je dirais que je suis plus prudent et que je ne me fais pas d'amis aussi facilement ». « Je suis devenue paranoïaque dans mes relations personnelles », confie une femme, qui poursuit : « Si je sortais avec un homme, je craindrais qu'il se comporte comme l'un des criminels sur lesquels j'ai travaillé. »</p>
<p>Nous avons découvert que les analystes initialement persuadés que de bonnes choses arrivent aux bonnes personnes et de mauvaises choses arrivent aux mauvaises personnes (une approche résumée par la formule « croire en un monde juste») sont plus exposés que les autres à la dépression et au stress post-traumatique, probablement parce qu'ils ont constaté que des mauvaises choses arrivent souvent à des bonnes personnes et que des mauvaises actions restent souvent impunies.</p>
<h2>L'indifférence des gouvernements</h2>
<p>En dépit du prix psychologique qu'ils paient du fait de leur exposition à ces scènes douloureuses, les personnes que nous avons interrogées restent négligées par les responsables, leur bien-être faisant l'objet de bien moins d'attention que celui des officiers en première ligne. L'une de nos interlocutrices nous a remerciés pour notre enquête car celle-ci signifiait qu'on s'intéressait enfin à eux.</p>
<p>La plupart des analystes qui nous ont parlé ont expliqué qu'ils n'avaient reçu aucune formation sur les mécanismes permettant de s'adapter à une exposition régulière à des scènes traumatisantes dans le cadre professionnel. Ils jugent que le soutien dont ils ont bénéficié jusqu'ici a été surtout réactif, et pas préventif, et que la stigmatisation sur leur lieu de travail constituait pour bon nombre d'entre eux un obstacle les empêchant de solliciter de l'aide.</p>
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<figcaption><span class="caption">Ways police and staff personnel cope.</span></figcaption>
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<p>« La seule option à ma disposition est de me tourner vers mes proches. Si j'en parle à mes collègues, tout le monde sera au courant des difficultés que j'éprouve et certains penseront que je ne suis pas capable de remplir mes obligations ou que je ne suis pas fait pour ce travail. »</p>
</blockquote>
<p>Pour que ces professionnels nous protègent, nous devons les protéger. En plus de nos recherches universitaires, nous avons produit <a href="https://www.birmingham.ac.uk/schools/psychology/research/protecting-the-protectors/resources.aspx">deux vidéos</a> pour leur donner la parole et sensibiliser les décideurs à l'impact de leur travail sur leur santé mentale.</p>
<p>Nous coproduisons également une boîte à outils contenant des recommandations pratiques pour les organisations, et nous travaillons avec le responsable du volet 3 du <a href="https://www.oscarkilo.org.uk/">groupe national sur le bien-être de la police britannique</a>, qui se concentre sur le bien-être des enquêteurs. L'objectif de notre travail est de leur donner une voix et une reconnaissance.</p>
<p>À l'avenir, des recherches supplémentaires seront nécessaires pour mieux comprendre les facteurs de risque et de résilience pour ces analystes et les autres professionnels qui travaillent indirectement avec des expériences traumatisantes vécues par d'autres personnes. Cela aidera les employeurs et les décideurs politiques à leur fournir un soutien adéquat.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/308798/original/file-20200107-123373-wmivra.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/308798/original/file-20200107-123373-wmivra.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/308798/original/file-20200107-123373-wmivra.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/308798/original/file-20200107-123373-wmivra.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/308798/original/file-20200107-123373-wmivra.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/308798/original/file-20200107-123373-wmivra.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/308798/original/file-20200107-123373-wmivra.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Créé en 2007 pour accélérer et partager les connaissances scientifiques sur les grands enjeux sociétaux, le Fonds Axa pour la Recherche a soutenu près de 700 projets dans le monde entier, menés par des chercheurs originaires de 38 pays. Pour en savoir plus, consultez le site Axa Research Fund ou suivez-nous sur Twitter @AXAResearchFund.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/206632/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fazeelat Duran a reçu des financements de AXA.</span></em></p>Tous les éléments relatifs à l'effroyable attaque d'Annecy seront longuement examinés par des analystes de la police. Le profond impact psychologique que ce travail a sur eux est sous-estimé.Fazeelat Duran, Postdoctoral researcher in occupational psychology, AXA Fonds pour la RechercheLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2028872023-05-08T18:07:01Z2023-05-08T18:07:01ZL’évolution du vol de bestiaux au XIXᵉ siècle, ou comment un crime se transforme en délit<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/522759/original/file-20230425-16-srqqol.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=72%2C81%2C5162%2C2674&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">« Labourage nivernais », Rosa Bonheur, 1849.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Labourage_nivernais#/media/Fichier:Rosa_Bonheur_-_Ploughing_in_Nevers_-_Google_Art_Project.jpg">Wikipédia</a></span></figcaption></figure><p>Voler des bestiaux comme on volerait des outils ou des victuailles ? Cette réalité étonnera sans nul doute le lecteur contemporain. Si les débats juridiques actuels relatifs à la création d’une personnalité animale envisagent d’écarter les bêtes de la <a href="https://www.dalloz.fr/lien?famille=revues&dochype=RECUEIL%2FCHRON%2F2020%2F0066">catégorie des biens au regard de leur sensibilité</a>, la réalité est bien différente au XIX<sup>e</sup> siècle. À cette époque, l’utilité des animaux domestiques, et a fortiori des bestiaux dans le travail et le quotidien des individus est primordiale. Désignés au titre des propriétés par le code pénal de 1810, ces animaux peuvent bel et bien faire l’objet d’un vol.</p>
<h2>Les bestiaux, symboles de richesse économique</h2>
<p>Les animaux domestiques sont définis, dès le XIX<sup>e</sup> siècle, comme <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5774602r/f506.image.r=lichiere">« tous les animaux qui vivent, s’élèvent, sont nourris et se reproduisent sous le toit de l’homme et par ses soins »</a>. Les bestiaux représentent la catégorie d’animaux domestiques peuplant majoritairement la France au XIX<sup>e</sup> siècle. À ce propos, l’historien Damien Baldin écrit qu’à cette époque « Bœufs, vaches, moutons et cochons se multiplient, et les étables et les porcheries n’ont jamais été aussi nombreuses. »</p>
<p>Afin de comprendre précisément quels sont les animaux qui composent la catégorie des bestiaux, il nous faut nous tourner vers certains juristes du XIX<sup>e</sup> siècle tels que Joseph Carnot ou Édouard Fuzier-Herman. Le premier définit les bestiaux comme <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5813165t/f318.item.texteImage">« les animaux à quatre pattes qui servent à la nourriture de l’homme »</a> tandis que le second les rattache <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5758489p.r=r%C3%A9pertoire%20g%C3%A9n%C3%A9ral%20alphab%C3%A9tique%20du%20droit%20fran%C3%A7ais?rk=708158;0">« à la culture des terres »</a>.</p>
<p>Les bestiaux représentent non seulement une catégorie d’animaux très différents (bœufs, moutons, chevaux, etc.), mais surtout une véritable richesse économique pour <a href="https://theconversation.com/loin-de-leternel-paysan-la-figure-tres-paradoxale-de-lagriculteur-francais-169470">l’individu vivant dans la ruralité</a>.</p>
<p>Par ailleurs, le XIX<sup>e</sup> siècle est une période bouleversée par des mutations économiques et sociales d’une grande ampleur. L’exode de nombreux paysans vers les villes et la prolifération de puissantes machines en sont deux exemples significatifs. Face à ces multiples transformations, le droit doit nécessairement s’adapter. Infraction inédite et grave dans une société ruralisée, ce vol est relégué au rang d’infraction anecdotique quand la société industrielle fait place à la société rurale et que les bestiaux perdent de leur valeur matérielle et symbolique.</p>
<h2>Un vol fréquent et grave dans une société rurale</h2>
<p>Le code pénal de 1810 est, <a href="https://www-cairn-info.docelec.u-bordeaux.fr/feuilleter.php?ID_ARTICLE=PUF_CARBA_2014_01_0459">selon l’expression de l’historien du droit Jean-Marie Carbasse</a>, un « code de fer » du fait de la grande sévérité des peines qu’il renferme. L’infraction de vol de bestiaux commise dans les champs, <a href="http://www.ledroitcriminel.fr/la_legislation_criminelle/anciens_textes/code_penal_1810/code_penal_1810_2.htm">envisagée à l’article 388 du code pénal de 1810</a>, est une belle illustration du caractère drastique des peines édictées par le Code.</p>
<p>En effet, elle n’est pas considérée comme un vol simple puni d’une courte peine d’emprisonnement et d’une peine d’amende peu importante, mais d’une sanction particulièrement grave : la réclusion. En adoptant une telle pénalité, la législateur a poursuivi deux objectifs : réprimer une infraction d’une particulière gravité au regard de l’importance de la valeur économique des bestiaux, mais aussi punir la facilité avec laquelle le voleur a pu voler un bestiau dans un champ.</p>
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<p>La société du XIX<sup>e</sup> siècle, au moins jusqu’à l’exode rural débutant au milieu du siècle, est une société paysanne dans laquelle règne une hiérarchie entre les paysans. Les classes sociales paysannes sont ainsi énumérées par l’historien Georges Duby : « les propriétaires cultivateurs, les fermiers, les métayers ou colons, les journaliers et les domestiques attachés à l’exploitation. »</p>
<p>Au sein d’une société dans laquelle une réelle inégalité règne entre les individus, les vols de bestiaux sont légion. Nos statistiques réalisées à partir des archives papier des Comptes généraux de la justice criminelle donnent à voir 1 460 vols d’animaux domestiques commis au XIX<sup>e</sup> siècle, dont la valeur économique est comprise entre 100 et 1 000 francs (cela correspond de nos jours à une somme comprise entre 200 et 2 500 euros). Or, tout bestiau représente une richesse importante dans le patrimoine de chaque paysan. L’historien Jean-Pierre Jessenne désigne la vache comme étant « l’animal du pauvre » dans la mesure où la majorité des paysans en possèdent, et ce quelle que soit leur condition sociale.</p>
<p>Par ailleurs, les bestiaux sont placés sous la foi publique, notion définie par l’historienne du droit Marie-Hélène Renaut comme une <a href="https://www.jstor.org/stable/40955943">« sauvegarde collective implicite »</a>. Cela signifie qu’ils sont exposés dans les champs sans surveillance particulière, et que le voleur peut les dérober avec une certaine facilité. Par conséquent, il s’agit de réprimer drastiquement l’atteinte à un bien d’une utilité particulière, mais également la malice du voleur.</p>
<p>À titre d’exemple, une décision de justice rendue par la Cour de cassation en 1818 sanctionne un voleur de brebis de la peine de la réclusion au motif que ces animaux <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6119632j/f1260.image.r=carbonnel">sont confiés à la foi publique</a>.</p>
<p>Il faut toutefois comprendre que la société du XIX<sup>e</sup> siècle change considérablement et rapidement. La répression du vol de bestiaux fait l’objet d’une adaptation au mouvement d’industrialisation de la société et aux conséquences engendrées par ce phénomène socio-économique de grande ampleur.</p>
<h2>Un vol rare et déconsidéré dans une société industrialisée</h2>
<p>La richesse économique des bestiaux et leur utilité dans les activités quotidiennes du paysan se justifient moins aisément qu’au début du siècle. Le droit pénal ne demeure pas insensible à cette transformation contextuelle majeure. Ainsi, le législateur intervient <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k58511281/f53.image.r=388">avec une loi pénale datant de 1824</a> qui modifie l’article 388 du code pénal de 1810, et partant la nature pénale du vol de bestiaux.</p>
<p>Jusqu’alors considéré comme un crime, le vol de bestiaux est correctionnalisé, c’est-à-dire qu’il devient un simple délit puni des peines applicables à toutes les formes de vol simple. Cette correctionnalisation est encouragée par la clémence des jurés lors du prononcé de la peine, ces derniers <a href="https://ledroitcriminel.fr/la_science_criminelle/penalistes/le_proces_penal/le_jugement/sanction/doucet_circ_attenuantes.htm">accordant largement des circonstances atténuantes</a> au voleur de bestiaux. Selon les mots du député Jean-Louis DOZON, prononcés devant la chambre des députés en 1824, <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54742388.texteImage">« dans presque tous les cas, au moyen du système des circonstances atténuantes, il ne sera prononcé que des peines correctionnelles. »</a></p>
<p>Outre la plus grande clémence du système répressif, les vols d’animaux domestiques sont numériquement moins importants au fil du siècle. Ainsi, nos statistiques réalisées à partir des Comptes généraux de la justice criminelle montrent qu’entre l’année 1839 et l’année 1869, le nombre de vols d’animaux domestiques est passé de 295 à 100.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lagriculture-bio-garantit-elle-un-meilleur-bien-etre-des-animaux-delevage-170351">L’agriculture bio garantit-elle un meilleur « bien-être » des animaux d’élevage ?</a>
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<p>La raréfaction de cette forme de vol doit être comprise à la lumière d’un contexte socio-économique en pleine mutation : le rapport économique entre les individus et leurs bestiaux change considérablement. En effet, ces derniers se voient progressivement remplacés par des machines de plus en plus sophistiquées. L’économiste Bertrand de Jouvenel résume parfaitement cette mutation économique en écrivant que « La puissance matérielle disponible à l’homme était limitée tant qu’elle reposait sur le travail obtenu d’organismes vivants ». En somme, la machine remplace le bestiau.</p>
<p>S’ajoute à cela une transformation de la délinquance avec l’apparition de nouvelles formes de vol visant des bijoux et des billets de banque, désignées par l’historienne Michelle Perrot sous l’expression de <a href="https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1975_num_30_1_293588">« délinquance en col blanc »</a>. Face à l’industrialisation de la société, le vol de bestiaux se voit donc définitivement relégué au rang des infractions anecdotiques.</p>
<p>Si les bestiaux devaient un jour être écartés de la catégorie juridique des biens, l’avenir de l’existence même du vol de bestiaux pourrait être légitimement interrogé. Relevant aujourd’hui de l’anecdote, cette forme de vol pourrait tendre à la disparition pure et simple du paysage juridique français.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/202887/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Joaquim Verges ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Avec la révolution industrielle, le statut des « bestiaux » change en France, et il devient peu à peu moins fréquent et moins grave de les voler.Joaquim Verges, Doctorant en histoire du droit, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2021652023-04-27T18:00:52Z2023-04-27T18:00:52ZPourquoi les faits divers passionnent-ils ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/516906/original/file-20230322-24-wkcxg4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">1 000 homicides ont eu lieu en France en 2022. Beaucoup sont source de fascination.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/fr/photos/Uy9z0oFecD8">Faruk Tokluoglu / Unsplash</a></span></figcaption></figure><p>Meurtre d'une <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/fillette-retrouvee-morte-dans-les-vosges-ce-que-l-on-sait-apres-la-decouverte-du-corps-d-une-enfant-de-5-ans-dans-un-appartement-de-rambervillers_5792351.html">fillette dans les Vosges</a>, <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/paris-ile-de-france/paris/femme-decoupee-au-parc-des-buttes-chaumont-le-corps-de-la-victime-identifie-2714650.html">corps de femme découpé</a> dans un parc parisien, <a href="https://www.liberation.fr/economie/medias/affaire-palmade-dans-les-medias-loverdose-20230304_IPSI2UZVGZE6LKMHDK3W53TL7A">affaire Pierre Palmade</a> … Ce type d'informations suscite émoi, compassion ou réprobation, mais engendre surtout un <a href="https://www.liberation.fr/economie/medias/affaire-palmade-dans-les-medias-loverdose-20230304_IPSI2UZVGZE6LKMHDK3W53TL7A/">flux médiatique de grande ampleur</a>. Certains parlent d’overdose, de médias qui courent après l’audience ou de voyeurisme, mais c’est oublier le grand intérêt du public pour les faits divers.</p>
<p>Or, ces derniers sont extrêmement nombreux : selon les <a href="https://www.interieur.gouv.fr/Interstats/Actualites/Insecurite-et-delinquance-en-2022-une-premiere-photographie-Interstats-Analyse-N-54">statistiques du ministère de l’Intérieur</a>, l’année 2022 a connu près de 1 000 homicides, plus de 3 000 morts par accident de la route, près de 200 000 violences intrafamiliales, près de 100 000 violences sexuelles, sans compter les vols (plus d’un million), les dégradations (plus de 500 000), les mises en cause pour trafic de stupéfiants (près de 300 000) ou les escroqueries (près de 500 000). La plupart de ces <a href="https://theconversation.com/de-faits-divers-a-fait-de-societe-comment-le-viol-est-peu-a-peu-devenu-un-sujet-politique-145744">faits divers</a> sont rarement rapportés, ou alors dans de courts articles de la presse locale. Mais certains « émergent » plus que d’autres et, répercutés par de nombreux médias, ils prennent une dimension sociale qui fascine le public. Pourquoi un tel engouement ?</p>
<p>Ces faits divers ont une fonction socioculturelle qui permet aux humains de « faire société ». Ils correspondent en cela aux <a href="https://theconversation.com/pourquoi-lantiquite-fascine-t-elle-les-jeunes-daujourdhui-93093">mythes grecs</a>, eux-mêmes emplis de meurtres, <a href="https://theconversation.com/inceste-au-dela-du-bruit-mediatique-entendre-la-tragique-banalite-du-phenomene-152841">incestes</a> et <a href="https://theconversation.com/faire-le-recit-dun-viol-la-domination-sexuelle-se-joue-aussi-dans-les-mots-127353">viols</a>, ou aux contes de Perrault et de Grimm, plus dans le symbolique. Le fait divers résume l’enjeu de la vie en société, il est le reflet des dérives possibles de l’être humain en communauté. Un fait divers donne à voir un animal social perturbé par ses pulsions, tiraillé entre ses passions et sa raison. Et comme nous le sommes tous, il ne peut que nous passionner.</p>
<h2>Comment les faits divers ont envahi la société</h2>
<p>À partir du milieu du XIX<sup>e</sup> siècle, la presse industrielle à grand tirage, l’alphabétisation croissante et la sécularisation des sociétés européennes créent un « marché » du fait divers journalistique qui prend la place des mythes et contes d’antan. <a href="https://www-cairn-info.ezpaarse.univ-paris1.fr/revue-le-temps-des-medias-2010-1-page-47.htm">L’affaire Troppmann</a>, un tueur en série de Pantin, feuilletonnée en septembre et octobre 1869 par <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k590517q"><em>Le Petit journal</em></a> est emblématique de l’irruption du fait divers qui passionne les foules et permet d’augmenter les tirages.</p>
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<p>Ce « marché » est amplifié aux XX<sup>e</sup> et XXI<sup>e</sup> siècle par la multiplication des canaux d’information (radio, télévision, Internet, réseaux sociaux). Le fait divers est devenu un genre journalistique à part entière, décliné sur tous les supports d’information. Ainsi, l’émission <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/affaires-sensibles">Affaires sensibles par Fabrice Drouelle</a> est présente sur France Inter depuis 2014 et sur France 2 depuis 2021, tandis que <a href="https://www.europe1.fr/emissions/hondelatte-raconte">Hondelatte raconte</a>, animée par Christophe Hondelatte, est diffusée quotidiennement sur Europe 1 depuis 2016. La chercheuse <a href="http://limprevu.fr/droit-de-suite/fait-divers-entre-empathie-mediatique-et-opportunisme-polique/">Claire Sécail</a> a montré comment la télévision s’est emparée massivement des faits divers depuis une vingtaine d’années. Livres, documentaires et films viennent compléter le panorama.</p>
<h2>Déviance, fantasmes, émotions</h2>
<p>Si les faits divers passionnent le public, c’est parce qu’ils reflètent la réalité de toutes les déviances que nous avons un jour envisagées, fantasmées ou rêvées (généralement sans les accomplir) : meurtres, vols, viols, etc. Ils envahissent l’actualité médiatique lorsqu’ils revêtent un caractère d’exception, soit parce qu’ils suscitent une forte émotion (les violences faites aux enfants et les féminicides), soit parce qu’ils concernent des célébrités (stars, politiques, hommes d’affaires, etc.), soit encore parce qu’ils demeurent non-élucidés.</p>
<p>Ces dernières affaires sont l’objet d’innombrables rebondissements. Elles rejaillissent régulièrement dans l’actualité où chacun prend parti : en 1984, après l’assassinat du petit <a href="https://making-of.afp.com/eric-darcourt-lezat">Grégory Villemin</a>, journalistes, policiers et gendarmes, juges ou écrivains, mais aussi le public, se déchirent pour trouver un coupable.</p>
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<p>En 2011, les supposés crimes de Xavier Dupont de Ligonnès, qui reste à ce jour introuvable, émeuvent parce ce nobliau catholique issu des milieux conservateurs de Versailles aurait exécuté froidement épouse, <a href="https://theconversation.com/quand-les-tueurs-denfants-ninteressaient-personne-193875">enfants</a> et chiens avant de disparaître. La transgression sociétale est absolue.</p>
<p>Dans le registre de l’émotion, la pédocriminalité tient le haut de l’affiche, notamment depuis les crimes de <a href="https://www.lemonde.fr/culture/article/2022/06/08/innommable-l-affaire-dutroux-sur-arte-le-fait-divers-tragique-qui-a-ebranle-la-belgique_6129436_3246.html">Marc Dutroux</a> (1996), d’<a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2013/10/20/emile-louis-rattrape-20-ans-apres_3499809_3224.html">Émile Louis</a> (2000), du fiasco judiciaire d’<a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2015/05/18/outreau-le-proces-sans-fin_4635002_3224.html">Outreau</a> (2001-2005), de <a href="https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2020/12/10/affaire-fourniret-autopsie-d-un-fiasco-judiciaire_6062833_1653578.html">Michel Fourniret</a> (2003) ou de <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/02/18/nordahl-lelandais-condamne-a-la-perpetuite-pour-l-enlevement-et-le-meurtre-de-maelys-de-araujo_6114290_3224.html">Nordahl Lelandais</a>, condamné en 2022 pour le meurtre de Maëlys (8 ans) en 2017. L’horreur et la perversité de ces crimes nous entraînent parfois vers un voyeurisme malsain et nous confrontent à nos propres fantasmes.</p>
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<figcaption><span class="caption">Le film « La Nuit du 12 » emmène le spectateur dans une enquête sur un féminicide. Gros succès de 2022, il a fait plus de 530 000 entrées et a remporté 6 césars.</span></figcaption>
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<p>Le <a href="https://theconversation.com/feminicide-a-lorigine-dun-mot-pour-mieux-prevenir-les-drames-162024">féminicide</a>, dont la fréquence a été révélée depuis quelques années par les actions des collectifs <a href="https://theconversation.com/mobiliser-dans-un-contexte-post-metoo-la-strategie-du-collectif-noustoutes-193771">#Noustoutes</a> et des <a href="https://theconversation.com/collages-feministes-lutter-contre-la-violence-ca-sorganise-199207">colleuses</a>, engendre aussi de fortes émotions. En 2011, le meurtre d’<a href="https://www.nouvelobs.com/justice/20130614.OBS3443/meurtre-d-agnes-un-si-jeune-psychopathe-devant-les-assises.html">Agnès Marin</a> (13 ans) dont le corps est retrouvé brûlé dans la forêt proche du Collège Cévenol, est l’œuvre d’un de ses condisciples plus âgé. Fin 2017 et début 2018, Jonathann, le mari d’<a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/11/21/la-reclusion-criminelle-a-perpetuite-requise-au-proces-de-jonathann-daval_6060635_3224.html">Alexia Daval</a> qu’il a assassinée, joue durant plusieurs semaines la comédie du veuf éploré ; il émeut les foules, mais la gendarmerie comme les journalistes chevronnés ne sont pas dupes : ils savent que dans 95 % des cas les féminicides sont commis par des proches. Finalement, il avoue et est condamné en 2020.</p>
<p>Les tueurs en série, tels <a href="https://www.retronews.fr/edito/landru-un-assassin-tres-mediatique">Henri-Désiré Landru</a> (1919-1922) ou <a href="https://www.retronews.fr/justice/echo-de-presse/2021/08/04/le-proces-du-docteur-petiot-faux-resistant-et-vrai-tueur">Marcel Petiot</a> (1946), auxquels il faut ajouter quelques pédocriminels cités plus haut, font moins trembler les foules lorsqu’ils sont attirés par l’appât du gain. En revanche, <a href="https://www.liberation.fr/cinema/2015/01/06/guy-georges-la-chasse-au-monstre_1174825/">Guy Georges</a>, « le tueur de l’Est parisien » a semé la panique entre 1994 et 1998, notamment auprès des jeunes femmes qui étaient ses proies favorites.</p>
<h2>Les célébrités portent les faits divers</h2>
<p>Les célébrités ajoutent une dimension sociale au récit de leurs mésaventures, parce qu’elles rappellent que, riches ou misérables, les humains subissent un sort commun. Cette dimension sociale est parfois accentuée par un sentiment de revanche ou de lutte de classes. Les affaires concernant les stars, telles que Pierre Palmade (2023), <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/affaires-sensibles/11-ao%C3%BBt-1988-la-disparition-de-pauline-lafont-6514101">Pauline Lafont</a> (1988), <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-culture-change-le-monde/la-mort-de-lady-diana-et-la-fin-de-l-age-d-or-des-paparazzis-5507073">Lady Diana</a> (1997) déchaînent alors un emballement médiatique, qui tourne souvent à des interventions intempestives, voire mensongères.</p>
<p>Les mêmes ressorts se retrouvent dans les affaires concernant les politiques ou les grandes fortunes. <a href="https://www.liberation.fr/france/2018/05/15/avec-cahuzac-la-justice-pas-tres-ferme_1650316/">Jérôme Cahuzac</a> (2012-2013), <a href="https://www.liberation.fr/politique/francois-fillon-condamne-a-un-an-de-prison-ferme-lors-du-proces-en-appel-des-emplois-fictifs-de-son-epouse-penelope-20220509_CJRESUCQGRHRXNQZDSYKAXELDY/">François Fillon</a> (2017), <a href="https://www.liberation.fr/france/2017/09/21/liliane-bettencourt-heritiere-de-l-oreal-est-morte_1597967/">Liliane Bettencourt</a> (2008-2010), <a href="https://www.liberation.fr/societe/police-justice/la-mort-de-bernard-tapie-met-fin-aux-procedures-penales-qui-le-visaient-20211003_XJM6XT7OIJH5LKVTXQVO3J6PCI/">Bernard Tapie</a> aux multiples affaires de 1995 à son décès en 2021, suscitent parfois la colère du public et parfois la compassion. Mais quand ils sont pris à tort dans des « affaires » qui ne les concernent en rien, comme Georges Pompidou en 1968, compromis bien malgré lui dans le meurtre de Markovitch, ou <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/affaires-sensibles/l-affaire-alegre-baudis-quand-la-calomnie-devient-verite-9190259">Dominique Baudis</a> accusé à tort en 2003 par Patrice Alègre et des prostituées, ils ont de grandes difficultés à restaurer leur image publique.</p>
<p>Ce rapide tour d’horizon consacré aux affaires françaises, mais que l’on pourrait élargir à tous les pays ayant une sphère médiatique développée, nous fait comprendre que la fascination pour les faits divers n’est pas « sale » ou « voyeuriste », comme on le prétend parfois. A travers le récit de faits divers, on retrouve le titre de l’œuvre du philosophe Friedrich Nietzsche, « Humain, trop humain » : les êtres humains sont pétris de contradictions et de fantasmes. Ils doivent, pour faire société commune, mettre des limites à leurs pulsions et à leur « hubris ». C’est ce que nous racontent les faits divers, comme le faisaient les mythes grecs, qui nous passionnent toujours.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/202165/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Patrick Eveno ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pourquoi un tel engouement pour les faits divers ? S’agit-il vraiment d’une passion triste ou voyeuriste ?Patrick Eveno, Professeur émérite en histoire des médias, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1974642023-01-15T12:51:11Z2023-01-15T12:51:11ZJustice : que va changer la généralisation des cours criminelles départementales ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/504242/original/file-20230112-27936-iv8wqn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C24%2C5472%2C3415&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Viols, coups mortels, vols à main armée… Les personnes majeures et non récidivistes, accusées de ces crimes, comparaîtront désormais, en première instance, devant cette nouvelle juridiction composée uniquement de magistrats professionnels.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Depuis le premier janvier, une nouvelle juridiction jusqu’ici en phase d’expérimentation s’est généralisée : la disparition des jurys populaires dans certaines cours d’assises et la création des cours criminelles départementales. Ces cours criminelles sont composées uniquement de cinq magistrats professionnels, il n’y a pas de jurés, alors qu’ils représentaient la particularité et l’essence même de cette juridiction de jugement.</p>
<p>Jusqu’à présent selon <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006576048">l’article 240 du code de procédure pénale</a>, toutes les cours d’assises étaient mixtes, composées de la cour et du jury. La cour est composée de trois magistrats professionnels, le président qui doit être un magistrat de la cour d’appel, et les assesseurs. Le caractère mixte de la composition de cette juridiction provient de la présence du jury. Les jurés de jugement formant ce jury ne sont pas professionnels et sont tirés au sort au sein des listes électorales. Pour chaque procès les jurés de jugement sont au nombre de six en première instance et neuf en appel (depuis la <a href="http://www.textes.justice.gouv.fr/lois-et-ordonnances-10180/participation-des-citoyens-a-la-justice-et-jugement-des-mineurs-22817.html">loi n°2011-939 du 10 août 2011)</a>. Par ailleurs, <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006071154/LEGISCTA000006167460/#:%7E:text=Peuvent%20seuls%20remplir%20les%20fonctions,par%20les%20deux%20articles%20suivants.">l’article 254</a> du code de procédure pénale dispose que « le jury est composé de citoyens ». En ce sens la cour d’assises est qualifiée de juridiction populaire : des représentants du peuple participent au jugement des crimes.</p>
<h2>Une réforme aux ambitions floues</h2>
<p><a href="https://www.legifrance.gouv.fr/dossierlegislatif/JORFDOLE000036830320/#:%7E:text=Il%20pr%C3%A9voit%20l%E2%80%99exp%C3%A9rimentation%20d,diminuer%20la%20correctionnalisation%20des%20crimes.">La loi du 23 mars 2019</a> a instauré la cour criminelle départementale. Son article 63 dispose donc que « les personnes majeures accusées d’un crime puni de quinze ans ou de vingt ans de réclusion criminelle, lorsqu’il n’est pas commis en état de récidive légale, sont jugées en premier ressort par la cour criminelle ». La composition de cette juridiction est donc constituée d’un président et de quatre assesseurs, et juge les crimes les moins graves quant à leurs peines.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-la-presomption-dinnocence-continue-t-elle-de-faire-debat-193749">Pourquoi la présomption d’innocence continue-t-elle de faire débat ?</a>
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<p>Cette juridiction fut expérimentale jusqu’au 31 décembre 2022, et généralisée depuis le 1<sup>er</sup> janvier. L’objectif affiché est d’éviter la correctionnalisation des infractions criminelles (c’est-à-dire omettre la qualification criminelle du fait jugé pour le qualifier de délit et le faire juger par un tribunal correctionnel) et l’aléa des décisions des jurés.</p>
<p>Dans le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/dossierlegislatif/JORFDOLE000036830320/">projet de loi</a>, il est affirmé que cette nouvelle juridiction est créée « afin principalement de réduire la durée des audiences, de permettre ainsi le jugement d’un plus grand nombre d’affaires à chaque session, et de limiter par voie de conséquence les délais » avant l’audience. Le terme « principalement » laisse perplexe puisqu’il semble que d’autres objectifs sont assignés à cette nouvelle juridiction, notamment financiers et de ressources humaines. En toile de fond, il apparait un objectif budgétaire à cette réforme du fait du <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006518073/1972-07-09">coût des audiences criminelles</a> des <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006518058">cours d’assises</a>.</p>
<h2>Une efficacité relative</h2>
<p><a href="https://www.dalloz-actualite.fr/flash/cour-criminelle-departementale-bilan-positif-generalisation-hative#.Y8AdI-zMLBI">Le rapport du comité de suivi</a> sur cette nouvelle juridiction semble mitigé. Certes les dossiers sont jugés plus rapidement, les 387 affaires jugées « ont nécessité 863 jours d’audience (soit 2,23 jours par affaire) mais selon les éléments transmis à la mission chargée du bilan de l’expérimentation il aurait fallu 982 jours d’audience pour que les cours d’assises jugent ces dossiers, soit 12 % de plus ». </p>
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<p>Le taux d’acquittement est similaire à celui des cours d’assises, en revanche le taux d’appel est plus important. S’agissant des moyens employés pour cette justice criminelle « si les chiffres diffèrent parfois, le coût moyen d’une journée d’audience en cour criminelle départementale est estimé à 1 100 €, contre 2 060 € aux assises. La vraie difficulté est celle des personnels. La cour criminelle départementale est composée de cinq magistrats, dont au moins trois doivent être de carrière. Au total, les 387 affaires ont mobilisé 1 935 magistrats, dont 15 % étaient honoraires et 18 % étaient des magistrats à titre temporaire. Or la justice manque de moyens humains. »</p>
<p>Selon le <a href="http://images.lexbase.fr/sst/june/Editorial/Rapport%20du%20comit%c3%a9%20d%27%c3%a9valuation%20et%20de%20suivi%20des%20cours%20criminelles%20d%c3%a9partementales.pdf">comité d’évaluation</a> et de suivi de la cour criminelle départementale, chargé de faire le bilan de l’expérimentation : la généralisation des cours criminelles départementales</p>
<p>« apparaît comme prématurée en l’état des ressources humaines ». En revanche il est favorable à ce que ces juridictions jugent les accusés en état de récidive légale et les mineurs.</p>
<h2>Renversement de principes</h2>
<p>L’un des principes fondamentaux des cours d’assises françaises est l’oralité des débats. C’est un principe cardinal de notre organisation judiciaire. Si ce principe n’est pas expressément prévu dans le code de procédure pénale, la Cour de cassation le déduit de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006576281/1994-03-01#:%7E:text=Si%2C%20au%20cours%20de%20la,et%20de%20la%20partie%20civile">l’article 347</a>, alinéa 3 du code de procédure pénale au terme duquel le président ordonne que le dossier soit déposé auprès du greffier et que, lorsque les juges se retirent pour délibérer, ils n’emportent que la décision de mise en accusation. Quid alors devant la cour criminelle départementale ?</p>
<p>La nouvelle réforme affaiblie considérablement le principe de l’oralité des débats devant la cour d’assises, puisque l’ensemble de la composition a désormais accès au dossier et il pourra être emporté dans le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000032655471">cadre du délibéré</a>. C’est-à-dire que tous les magistrats qui siègent à la cour criminelle départementale pourront consulter le dossier de procédure et ce dernier sera présent lors du délibéré. Cela semble donc contraire au principe de l’oralité des débats car pendant la phase de jugement de la procédure criminelle tout élément à charge et à décharge contre l’accusé peut être discuté, débattu de manière contradictoire, publique, et la décision prononcée ne peut prendre appui que sur ce qui a été débattu oralement et non pas sur les pièces de la procédure écrite durant les phases précédant la phase de jugement.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/parole-des-accuses-de-son-importance-dans-un-proces-dassises-196235">Parole des accusés : de son importance dans un procès d’assises</a>
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<p>La généralisation des cours criminelles départementales semble donc hâtive. C’est d’ailleurs ce qui ressort de la tribune de <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/01/02/la-generalisation-des-cours-criminelles-parait-relever-de-l-absurde_6156275_3232.html">Benjamin Fiorini</a>, maître de conférence en droit privé et sciences criminelles, qui affirme à nouveau que les objectifs ne sont pas atteints, et que cette généralisation relève de l’absurde, notamment du fait de l’absence des jurés.</p>
<h2>Les citoyens éloignés de la justice ?</h2>
<p>Ce qui est principalement regrettable dans cette absence c’est qu’il enlève le <a href="https://www.vie-publique.fr/catalogue/22697-la-cour-dassises-actualite-dun-heritage-democratique">caractère démocratique des audiences criminelles</a>. Certes la cour d’assises n’est pas supprimée totalement, mais l’intervention moindre des jurés éloigne le citoyen de la justice en tant que juge.</p>
<p>On peut même considérer que dans ces espaces une forme de démocratie directe est à l’œuvre. C’est, il semble, hormis les cas de référendums, la seule possibilité pour le citoyen de s’exprimer directement et d’exercer un pouvoir concret.</p>
<p>Certains magistrats ont a cœur de rappeler le caractère démocratique des cours d’assises. La Présidente de la Cour d’assises de la Somme Sylvie Karas, introduisait presque systématiquement les sessions par ces quelques mots « la Cour d’assises est l’émanation de la démocratie » et le magistrat <a href="https://www.vie-publique.fr/catalogue/22697-la-cour-dassises-actualite-dun-heritage-democratique">Denis Salas</a> affirme qu’« avec son jury populaire, la Cour d’assises est le miroir d’un idéal démocratique ».</p>
<p>A l’heure où les <a href="http://www.gip-recherche-justice.fr/wp-content/uploads/2021/09/Gabarit-maquette%CC%81-RM-web-3.pdf">citoyens semblent éloignés de la justice</a> et montrent une méfiance de plus en plus importante envers le système judiciaire cette réforme ne semble pas opportune. C’est une des raisons qui ont conduits des parlementaires a déposé une proposition de loi visant à préserver le jury et donc supprimer <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b0309_proposition-loi">cette nouvelle juridiction</a>.</p>
<p>Si cette cour criminelle départementale n’est pas remise en cause, alors nous vivons sans doute les dernières heures de la cour d’assises telle qu’on la connaissait jusqu’à présent. Cette nouvelle juridiction vient compléter les juridictions répressives dans l’ordre judiciaire qui reposait jusqu’à présent sur le tribunal de police pour juger les contraventions, le tribunal correctionnel qui juge les auteurs des délits et la cour d’assises jugeant les crimes. Pour l’heure la cour criminelle départementale est généralisée et c’est la justice criminelle qui s’en trouve impactée tant dans ces principes que dans son organisation.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/197464/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thomas Hermand ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Depuis le 1ᵉʳ janvier, de nombreux crimes ne seront plus jugés par une cour d’assises mais par une cour criminelle, uniquement composée de magistrats.Thomas Hermand, Attaché d'enseignement (CUREJ, Université de Rouen), Doctorant (IRJI Tours), Université de Rouen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1938752022-11-07T19:54:25Z2022-11-07T19:54:25ZQuand les tueurs d’enfants n’intéressaient personne<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/493387/original/file-20221103-22-q3q9jy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=41%2C929%2C2718%2C2228&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le crime de Soleilland, dessin de Carlègle, _L’Assiette au Beurre_, 23 mars 1907.</span> <span class="attribution"><span class="source">Frédéric Chauvaud</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Le procès de Monique Olivier <a href="https://www.liberation.fr/societe/police-justice/monique-olivier-la-gardienne-des-derniers-secrets-devant-les-assises-20231127_IHYJFLQPBNE4PH3Y5RCEOGOIFQ/">s'ouvre le 28 novembre 2023 à Nanterre</a> afin de savoir dans quelle mesure elle a pris part aux viols et meurtres commis par son ex-époux, Michel Fourniret. Si cette actualité constitue un événement important aujourd'hui pour la société française, les meurtres d'enfants donnant souvent lieu à une forte instrumentalisation politique et à une préoccupation sociétale majeure, cela n'a pas toujours été le cas.</p>
<p>Pendant longtemps, la mort d’enfants ou d’adolescents n’a guère suscité l’intérêt des chroniqueurs judiciaires et, par rebond, de l’opinion publique. Dans le <a href="https://ledroitcriminel.fr/la_legislation_criminelle/anciens_textes/code_penal_1810/code_penal_1810_3.htm">Code pénal de 1810</a> l’infanticide est défini comme « le meurtre d’un enfant nouveau-né » et le législateur napoléonien est resté silencieux sur les homicides des enfants plus âgés.</p>
<p>De temps à autre, des enfants tués par leurs parents font irruption, en à peine quelques lignes, dans les colonnes des périodiques. Le lectorat découvre, effaré, d’abominables maltraitances, mais vite oubliées.</p>
<h2>La lente construction de l’enfant comme personne à part</h2>
<p>Abandonné, éborgné, éventré, brûlé, voire violé, l’enfant, en dehors de quelques affaires, reste sans protection face à la puissance paternelle jusqu’à la loi du 24 juillet 1889 qui invente la <a href="https://criminocorpus.org/fr/reperes/legislation/textes-juridiques-lois-decre/textes-relatifs-aux-p/de-la-monarchie-de-juillet-a-1/loi-du-24-juillet-1889/">« déchéance paternelle »</a> qui ne fit pas l’unanimité car des voix diverses y virent l’intrusion inacceptable de l’État dans les familles, bousculant les frontières du cercle privée et de la sphère publique.</p>
<p>Mais le sort des enfants brutalisés par un père, une mère, un oncle, un tuteur n’est plus indifférent. Une vaste enquête (dont les archives sont conservées aux Archives nationales, AN BB-18-1871) conduite dans les différents ressorts des cours d’appel en prend la mesure. En 1898, une nouvelle loi sur la répression des violences, voies de fait, actes de cruauté et attentats commis envers les enfants est adoptée et sanctionne pour la première fois les auteurs de coups, blessures et autres sévices contre des « enfants au-dessous de l’âge de quinze ans ».</p>
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<p>Malgré ses limites, la <a href="https://journals.openedition.org/rhei/141">loi du 19 avril 1898</a> témoigne à sa manière d’un changement de sensibilité. L’enfant est une personne à part entière. Auparavant, le crime le plus horrible qui pouvait être commis était le <a href="https://journals.openedition.org/chs/78">parricide</a>, placé au sommet de la hiérarchie pénale. Pour bien marquer qu’il s’agissait d’un crime exceptionnel, le législateur avait pris des <a href="https://www.decitre.fr/livres/la-mort-du-vieux-9782847341010.html">dispositions particulières</a>.</p>
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<img alt="Exécution d’Henri Désiré Landru, « tueur en série », en 1921. Huile sur toile. Anonyme" src="https://images.theconversation.com/files/493461/original/file-20221104-11-4a8nx4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/493461/original/file-20221104-11-4a8nx4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=498&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/493461/original/file-20221104-11-4a8nx4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=498&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/493461/original/file-20221104-11-4a8nx4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=498&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/493461/original/file-20221104-11-4a8nx4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=626&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/493461/original/file-20221104-11-4a8nx4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=626&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/493461/original/file-20221104-11-4a8nx4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=626&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Exécution d’Henri Désiré Landru, « tueur en série », en 1921. Huile sur toile. Anonyme.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://picryl.com/media/execution-de-landru-huile-sur-toile-anonyme-mucem-6b76ce">Mucem/Wikimedia</a></span>
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<p>Ayant commis un acte sans excuse pour lequel « aucune circonstance atténuante ne saurait être retenue », l’auteur du crime était recouvert d’un voile noir, et, nu-pieds, était conduit sur le lieu de l’exécution. Un huissier lisait l’arrêt de condamnation, avant que le bourreau lui glisse la tête dans la lunette de la guillotine. Jusqu’en 1832, on lui tranchait le poignet droit. Pour les tueurs d’enfants, aucune mise en scène similaire n’était prévue.</p>
<h2>L’archéologie des tueurs d’enfants</h2>
<p>À la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, les sentiments à l’égard de l’enfance martyrisée ne sont donc pas restés identiques mais en dehors des parents maltraitants, de nouvelles figures émergent : celles des tueurs d’enfants, sans liens de parenté avec les victimes.</p>
<p>Quelques cas abominables avaient défrayé la chronique en 1825. <em>La Gazette des tribunaux</em>, périodique judiciaire, avait relaté des <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/les-anormaux-michel-foucault/9782020307987">crimes incroyables</a> commis contre de petites victimes : l’une portait autour du cou les marques de la strangulation, une autre avait eu le cœur arraché, une troisième avait été décapitée et sa tête jetée par la fenêtre. Les contemporains s’étaient interrogés sur la sanité d’esprits des auteurs. Étaient-ils fous ?</p>
<p>En vertu de <a href="https://www.senat.fr/rap/r09-434/r09-4340.html">l’article 64 du code pénal</a> s’ils étaient reconnus irresponsables, ils ne pouvaient pas être jugés et donc encore moins condamnés. Un procureur trancha la question en affirmant qu’il n’y a pas d’inconvénient à guillotiner l’auteur d’un crime monstrueux, même s’il est atteint de « monomanie criminelle ».</p>
<p>Ces crimes toutefois, en dehors de quelques spécialistes et aliénistes, ne restent pas dans les mémoires, mais à partir des années 1880 deux affaires, médiatisées, ébranlent la société tout entière. Elles suscitent interrogations et examens de conscience ; elles provoquent des réflexions à la fois sur le mal et la méchanceté, sur la cruauté et sur les ressorts du passage à l’acte.</p>
<h2>1880 : Ménesclou le dépeceur d’enfant</h2>
<p>Louis Ménesclou, en 1880, à peine âgé de 20 ans, attire dans sa chambre d’un immeuble parisien, sa petite voisine qu’il viole, tue et découpe. Il fait du saccage du corps un mode opératoire qui surprend les contemporains. <a href="https://books.openedition.org/pur/127776?lang=fr">Il incarne le monstre contemporain</a>, tapi dans les anfractuosités et la pénombre des villes, il suscite d’autant plus la stupéfaction puis l’horreur car il vivait dans le même immeuble que la fillette de quatre ans et demi qu’il a étouffé, sans doute après lui avoir « fait subir les derniers outrages ». Dans la presse, il est dépeint comme un « être répugnant ». </p>
<p>Issu d’une famille « d’honnêtes ouvriers », il bat sa mère, vole son père, il est renvoyé de l’école, puis quitte la marine où, engagé, il n’y reste que trois ans et revient chez ses parents. « Oisif », il est « complètement à leur charge ». Un jour Louise disparaît, elle n’est pas venue dîner, la concierge ne l’a pas vue quitter l’immeuble de la rue de Grenelle. Sa mère interroge tous les locataires mais personne ne l’a aperçu. Le lendemain matin, une odeur épouvantable alerte le voisinage. Après avoir forcé la porte, le commissaire et des habitants de l’immeuble découvrent dans le poêle de Ménesclou une tête humaine en train de se consumer.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/493489/original/file-20221104-15-d44nix.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="La scène de crime (dossier de procédure, coll. F. Chauvaud)" src="https://images.theconversation.com/files/493489/original/file-20221104-15-d44nix.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/493489/original/file-20221104-15-d44nix.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=687&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/493489/original/file-20221104-15-d44nix.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=687&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/493489/original/file-20221104-15-d44nix.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=687&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/493489/original/file-20221104-15-d44nix.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=864&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/493489/original/file-20221104-15-d44nix.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=864&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/493489/original/file-20221104-15-d44nix.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=864&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">« La scène de crime » (dossier de procédure, coll. F. Chauvaud).</span>
<span class="attribution"><span class="source">F. Chauvaud</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Dans ses poches, les deux avant-bras de la fillette. Le médecin légiste compte et étiquette 43 pièces anatomiques. Pour ébranler l’opinion publique, il faut qu’un crime se transforme en fait divers et devienne une <a href="https://lawcat.berkeley.edu/record/416603">« belle affaire »</a>.</p>
<p><a href="http://www.histoiredesmedias.com/La-Chronique-judiciaire-Mille-ans.html">Albert Bataille</a>, le plus célèbre des chroniqueurs judiciaires de cette époque, suit le procès et donne un portrait physique que le lectorat découvre en frissonnant :</p>
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<p>« Figurez-vous une sorte d’avorton vouté et ridé, au teint terreux, aux yeux de fouine. »</p>
</blockquote>
<p>Les médecins experts qui l’ont examiné reconnaissent quelques « défectuosités mentales », mais sans plus. Il est donc responsable de ses actes. Il avoue le crime mais nie le viol qui est pourtant retenu par le jury. Si le procès évoque l’enfant disparu et la douleur d’une mère, les débats insistent surtout sur la monstruosité de l’auteur du crime, mais l’émotion collective, malgré la médiatisation, une fois Ménesclou exécuté en septembre 1880, place de la Roquette, <a href="https://complaintes.criminocorpus.org/complainte/grande-complainte-sur-le-sieur-menesclou-1er-et-la/">est éphémère</a>. En quelques années le crime est oublié.</p>
<h2>1907 : le viol-meurtre d’une enfant</h2>
<p>En 1907, un fait autre fait divers devient une affaire. Son retentissement est énorme en France et à l’étranger. Même le <em>Times</em> lui consacre plusieurs articles. À Paris, <a href="https://bibliographienumeriquedhistoiredudroit-ifg.univ-lorraine.fr/s/droit/item/67056">Albert Louis Jules Soleilland</a> est accusé d’avoir défloré violemment une fillette et, afin qu’elle ne puisse pas le dénoncer, de lui avoir donné la mort par strangulation et par un poinçon plongé dans la poitrine.</p>
<p>S’il n’a pas dépecé le corps, la presse relate qu’il l’a empaqueté dans une grosse toile et déposé dans un lieu destiné aux marchandises de boucherie. Son crime ressemble à celui de Ménesclou et <a href="https://editions.flammarion.com/les-experts-du-crime/9782700723236">bouleverse l’opinion publique</a>. Ernest Dupré médecin-chef de l’infirmerie spéciale de la préfecture de police de Paris, signe le rapport d’expertise médico-légale.</p>
<p>Solleilland, écrit-il, n’est pas un aliéné, un sadique ou un fou érotique. Si l’on peut observer des lenteurs intellectuelles et des troubles du caractère, il possède « la plénitude de ses facultés ». Il peut assumer l’entière responsabilité de son crime. Les journaux se mobilisent, la justice est sommée de réagir dans l’instant et d’infliger un châtiment exemplaire. La classe politique s’émeut et des manifestants défilent sur les boulevards parisiens, dénonçant l’insécurité et réclamant la mort immédiate pour Soleilland, alors que l’année précédente les 25 condamnés à la peine capitale avaient tous été graciés et que la commission du budget avait voté la suppression des crédits alloués au bourreau. </p>
<p>La suppression de la peine de mort semblait pourtant acquise et les abolitionnistes se réjouissaient de voir aboutir le combat mené par Victor Hugo. Mais il leur faut déchanter, l’affaire Soleilland suscite une <a href="https://www.decitre.fr/livres/le-crime-de-soleilland-1907-9782847340693.html">surenchère de la presse</a>, en particulier des quatre grands dont le tirage avoisine le million de lectrices et lecteurs. En 1908 les débats parlementaires n’aboutissent pas à la suppression de la peine de mort.</p>
<p>Si l’affaire peut témoigner d’une sensibilité neuve à l’égard des enfants, quelques voix dénoncent la médiatisation d’un fait divers sordide, son instrumentalisation politique, les arguments à l’emporte-pièce et le voyeurisme d’une partie de la presse.</p>
<p>Ainsi, en l’espace d’un demi-siècle à peine, ce type de fait divers hors norme est devenu fait politique et fait de société. Si le meurtre d’une enfant apparaît monstrueux, il échappe bien souvent à l’analyse, car il demeure une subversion de l’ordre social et symbolique par l’horreur et donne la possibilité d’en jouer sur le théâtre émotionnel des sociétés contemporaines.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/193875/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédéric Chauvaud ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Abandonné, éborgné, éventré, brûlé, voire violé, l’enfant, reste sans protection ou intérêt jusqu’à la loi du 24 juillet 1889. En moins d’un siècle, la perception du grand public a changé.Frédéric Chauvaud, Professeur d'Histoire contemporaine, Université de PoitiersLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1898312022-09-04T15:23:34Z2022-09-04T15:23:34ZVictimes de terrorisme : quelle indemnisation ?<p>Les procès des attentats terroristes donnent l’occasion aux victimes de <a href="https://www.ouest-france.fr/societe/faits-divers/attentat-nice/recit-attentat-du-14-juillet-a-nice-86-morts-des-centaines-de-blesses-en-4-minutes-et-17-secondes-d48199e4-2229-11ed-a185-6588d059195b">s’exprimer</a>, cela est important, à bien des égards.</p>
<p>Toutefois, contrairement à une audience pénale ordinaire où le juge peut se prononcer sur les intérêts civils, autrement dit indemniser les victimes, en matière de terrorisme, les victimes ne sont pas indemnisées à l’issue de tels procès, qui ne visent qu’à la sanction des coupables. Un choix politique a été fait : séparer les questions d’indemnisation et celles de la culpabilité. Les victimes d’actes de terrorisme bénéficient d’autres voies pour obtenir réparation de leurs préjudices.</p>
<p>Au-delà des drames individuels qu’il provoque, le terrorisme, de par sa définition juridique portée à <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006070719/LEGISCTA000006136045/">l’article 421-1 du code pénal</a>, a une dimension collective : il a « pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ». La résilience de la société est une réponse à apporter au terrorisme ; celle-ci passe par une solidarité forte avec les individus qui en sont victimes.</p>
<h2>Un double impératif, collectif et individuel</h2>
<p>Pour les victimes, un enjeu purement individuel existe : l’attentat lèse injustement leurs droits (droit à l’intégrité corporelle, et tant d’autres). Ces lésions se nomment préjudices, et doivent être réparées. Dans cette dimension individuelle, ces victimes ne se singularisent pas, a priori, par rapport aux victimes d’infractions de droit commun ou de divers accidents ; chaque poste de préjudice, tel qu’énoncé dans la <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/ministere/acteurs/partenaires/article/nomenclature-des-postes-de-prejudices-rapport-de-m-dintilhac">nomenclature dite Dintilhac</a>, doit trouver un équivalent monétaire. L’argent n’est souvent qu’une maigre consolation, mais a le mérite d’acter la reconnaissance du statut de victime, et de constater la violation de droits ; en outre, il est nécessaire pour couvrir nombre de dépenses que doivent exposer les victimes, ou pour compenser des pertes de gains professionnels.</p>
<p>Supposons une victime gardant un handicap important : elle est privée de revenus professionnels, doit assumer des dépenses pour salarier une tierce personne afin de l’assister, prévoir des dépenses de santé telles que renouvellements de prothèses ou fauteuil roulant, des frais de véhicule adapté, ou d’adaptation du logement, le tout pour sa vie entière. Compenser de tels frais représente des indemnisations pouvant atteindre ou dépasser le million d’euros. À cela s’ajoute l’indemnisation de préjudices extra-patrimoniaux, tels que les souffrances, la privation d’activités sportives, les retentissements sur la vie affective et sexuelle…</p>
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<p>L’indemnisation des victimes de terrorisme répond donc à un double impératif, collectif et individuel. Évidemment, il est impossible de songer à faire peser la charge de l’indemnisation sur le terroriste – insolvable – ou son assureur – qui ne peut être tenu des <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006791984/">conséquences des fautes intentionnelles</a>.</p>
<p>Les bases de notre système actuel sont à rechercher dans la législation de Vichy. En effet, la loi n° 684 du 24 décembre 1943 relative à l’assurance des sinistres résultant d’actes « de sabotage » ou « de terrorisme » (JORF 12 mars 1944, p. 753) jette les fondations de la collectivisation du risque terroriste. C’est toutefois la loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986, adoptée sous l’impulsion de Françoise Rudetzki, <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2022/06/01/hommage-national-a-francoise-rudetzki">récemment décédée</a>, qui forme le droit actuel de l’indemnisation, scindant la matière, d’une part, les dommages corporels, pour lesquels l’article L. 126-1 du Code des assurances renvoie aux articles L. 422-1 à L. 422-3 du même code, qui établissent un régime de solidarité nationale ; d’autre part, les dommages matériels, régis par les articles L. 126-2 du Code des assurances, reposant sur un mécanisme de garantie obligatoire.</p>
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<a href="https://theconversation.com/lutte-antiterroriste-les-mailles-du-filet-francais-sont-encore-bien-trop-larges-167814">Lutte antiterroriste : les mailles du filet français sont encore bien trop larges</a>
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<h2>Les indemnités et les aides non indemnitaires</h2>
<p>La sollicitude de la nation accorde certaines aides aux victimes du terrorisme : notamment, elles <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000031711475/">ont droit à pension comme victimes civiles de guerre</a> ; pour les soins liés à l’acte de terrorisme, elles sont exonérées de forfait journalier, de franchises et de participations, et les dépassements d’honoraires sont pris en charge par la sécurité sociale selon <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000042685149">l’article L. 169-2 du Code de la sécurité sociale</a> ; en cas de décès, <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000042909946">leur succession est exonérée d’impôt</a>, et <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000033761246">d’autres avantages sont accordés</a> ; les orphelins et enfants victimes deviennent <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006074068/LEGISCTA000031709929/">pupilles de la nation</a>.</p>
<p>L’indemnisation des victimes est assurée par le <a href="https://www.fondsdegarantie.fr/acte-terrorisme-france/">Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions</a>, dont il s’agit de l’une des principales missions. Il indemnise les victimes françaises, quel que soit le lieu de survenance de l’attentat, et les victimes d’attentats commis sur le sol français, quelle que soit leur nationalité. Ce mécanisme <a href="https://www.lalibre.be/belgique/judiciaire/2022/07/07/attentats-de-bruxelles-les-victimes-du-22-mars-reclament-toujours-un-fonds-dindemnisation-public-JO4U3URQQVBWXFL4LCI2NW6BMI/">suscite l’intérêt de juristes étrangers</a>, qui souhaiteraient, dans l’intérêt des victimes, en copier les principes. Si, dans l’Union européenne, de nombreux pays ont mis en place des <a href="https://ec.europa.eu/info/sites/default/files/law/eu_handbook_on_victims_of_terrorism_2021_04_22_fr_0.pdf">règles favorables aux victimes d’actes de terrorisme</a>,le système français est certainement le plus abouti et le plus favorable aux victimes.</p>
<p>Pour l’attentat de Nice, le <a href="https://www.fondsdegarantie.fr/wp-content/uploads/2022/07/CP_%C3%89tat_de_Lieux_juillet22_Attentat14_07_2016-1.pdf">Fonds indique</a> avoir déjà versé 92 millions d’euros aux victimes. Sur 2474 victimes directes et indirectes recensées, 2259 ont déjà reçu une offre, et, parmi celles-ci, 1728 l’ont acceptée. Plus de la moitié des dossiers ouverts sont donc clos.</p>
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<a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-les-surgissants-ces-terroristes-qui-viennent-de-nulle-part-180162">Bonnes feuilles : « Les surgissants, ces terroristes qui viennent de nulle part »</a>
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<h2>Des chiffrages d’indemnités contestés</h2>
<p>L’offre d’indemnisation est faite par le Fonds, qui s’appuie sur des expertises médicales, à partir d’un <a href="https://www.fondsdegarantie.fr/wp-content/uploads/2022/07/Guide_indemnisation_victimes_des_actes_terrorisme_juillet2022.pdf">référentiel, actualisé en juillet 2022</a>, donnant des repères pour l’indemnisation de chaque poste de préjudice : il s’agit de minimas, adaptés en fonction des situations particulières.</p>
<p>Néanmoins, il se trouve que les indemnisations données sont inférieures à celles qui sont <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03246155/document">habituellement allouées par les juridictions pour les victimes de droit commun</a>, et que certaines interprétations de la nomenclature Dintilhac, par exemple sur le <a href="https://www.labase-lextenso.fr/ouvrage/9782275114965-81#ref_titre_0082">préjudice esthétique temporaire</a>, sont nettement défavorables aux victimes, et contraires à ce qui est habituellement jugé.</p>
<p>Par exemple, là où le référentiel du Fonds indique, pour des souffrances physiques ou psychiques d’une victime directe, évaluées comme importantes (<a href="https://association-aide-victimes-france.fr/accueil-association-daide-a-lindemnisation-victimes/bareme-calcul-indemnisation-accident/souffrances-endurees-calcul-bareme">cotation de 6 sur un maximum de 7</a>) par un médecin expert, un minima à 30 000 euros, les juridictions ne statuent en principe pas en dessous de 35 000. Autre exemple : l’indemnisation des séquelles, appelées déficit fonctionnel permanent s’indemnise en recourant à un « prix du point » ; ce prix est, pour le Fonds, sensiblement inférieur à ce qui est pratiqué actuellement par les juridictions.</p>
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<a href="https://theconversation.com/vingt-ans-apres-les-attentats-du-11-septembre-que-reste-t-il-du-consensus-antiterrorisme-167616">Vingt ans après les attentats du 11 septembre, que reste-t-il du consensus antiterrorisme ?</a>
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<h2>Des sommes souvent majorées par le juge</h2>
<p>Si une victime n’accepte pas l’offre du Fonds, elle peut contester devant une juridiction unique, spécialisée, au sein du Tribunal judiciaire de Paris, le Juge d’indemnisation des victimes d’attentats terroristes (JIVAT). Les demandes peuvent concerner aussi bien des personnes qui s’estiment victimes, mais que le Fonds pense être trop loin des lieux de l’attentat ; ou des victimes qui contestent les montants d’indemnisation ; ou encore, des proches de victimes survivantes. En effet, le Fonds de garantie s’appuie sur une interprétation <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000038312684/">stricte de l’article L. 126-1 du Code des assurances</a>, pour dénier aux proches de victimes traumatisées, mais non décédées, la possibilité d’être indemnisées – alors qu’elles pourraient l’être dans le cadre d’un accident de droit commun ; les <a href="https://www.doctrine.fr/d/CA/Paris/2021/C3D32C23E24573BE3717B">juges ont pu valider cette interprétation</a>. Des associations se sont émues, <a href="http://www.fenvac.org/IMG/pdf/lettre_ouverte_des_associations_au_president_de_la_republique.pdf">dans une lettre ouverte</a>, de ce traitement péjoratif des proches des victimes survivantes.</p>
<p>Les décisions du JIVAT ne sont hélas pas accessibles ; lorsque des appels sont interjetés, toutefois, il s’avère que les juges n’hésitent pas à majorer les sommes offertes par le Fonds. Par exemple, la Cour d’appel de Paris a fixé à 100 000 euros l’indemnisation des souffrances endurées d’une victime du Bataclan <a href="https://www.doctrine.fr/d/CA/Paris/2022/C049AFD2E2B794691BD78">dans un arrêt du 21 avril 2022</a> : était demandé 200 000 euros, le fonds offrait 35 000.</p>
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<a href="https://theconversation.com/troubles-psy-et-radicalisation-quelques-enseignements-du-centre-de-deradicalisation-de-pontourny-158841">Troubles psy et radicalisation : quelques enseignements du centre de déradicalisation de Pontourny</a>
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<h2>Des préjudices spécifiques</h2>
<p>Il faut toutefois reconnaître que, désormais, le Fonds indemnise, <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000045422192">conformément à une jurisprudence récente datant du 25 mars 2022</a>, l’angoisse de mort imminente. Il s’agit de compenser, pour une victime décédée (ce sont donc ses héritiers qui en bénéficieront) les souffrances psychologiques spécifiques liées à la certitude de l’arrivée de sa mort.</p>
<p>Il reconnaît également un préjudice spécifique des victimes d’actes de terrorisme, lié aux circonstances particulières dans lesquels sont subis les dommages (grand nombre de personnes atteintes, médiatisation, désorganisation possible des secours…) répondant ainsi à une demande <a href="https://www.avocatparis.org/system/files/editos/barreauparis_livreblanc_victimes.pdf">d’un collectif d’avocats</a> et aux recommandations <a href="https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/174000190.pdf">d’un rapport dirigées par la professeure Porchy-Simon</a>.</p>
<p>Le financement de l’indemnisation des victimes et du fonctionnement du Fonds est réalisé essentiellement à l’aide <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000029370835/">d’un prélèvement sur les contrats d’assurance de biens</a>, actuellement à 5,90 euros par an. C’est donc la collectivité des assurés qui supporte le coût de ce dispositif.</p>
<p>S’il est fondamental que la société ait une attention particulière pour les victimes d’actes de terrorisme, les avantages fiscaux et autres ne sont sans doute pas aussi essentiels que le fait de ne pas traiter leurs demandes indemnitaires moins bien que celles émanant de victimes d’accidents ordinaires.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/189831/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christophe Quézel-Ambrunaz a reçu des financements de l'Institut Universitaire de France. </span></em></p>Quels sont les enjeux de la réparation des préjudices des victimes d’actes de terrorisme ?Christophe Quézel-Ambrunaz, Professeur de droit privé, Université Savoie Mont BlancLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1895972022-09-01T17:47:33Z2022-09-01T17:47:33ZLuxe : l’achat de contrefaçon n’est pas qu’une question de prix<p>En imitant les lettres apposées sur les bouchons d’amphores, un vigneron gaulois essaie de vendre son vin en le présentant comme un des meilleurs vins italiens. Nous sommes au II<sup>e</sup> siècle av. J.-C., et le <a href="https://www.persee.fr/doc/ridc_0035-3337_1991_num_43_3_2308">premier cas de contrefaçon</a> vient de faire son apparition.</p>
<p>La contrefaçon, pire ennemi du marché de l’industrie du <a href="https://theconversation.com/fr/topics/luxe-34482">luxe</a>, est partout et à tous les niveaux.</p>
<p>En 2020, la valeur des marchandises saisies aux frontières de l’Union européenne s’est élevée à <a href="https://www.paragon-id.com/fr/inspiration/la-contrefacon-dans-le-secteur-du-luxe-defis-et-solutions">778 millions d’euros</a>. <a href="https://theconversation.com/fr/topics/industrie-de-la-mode-103977">L’industrie de la mode</a> est particulièrement touchée. Le marché de la mode contrefaite est évalué à <a href="https://www.voguebusiness.com/fashion/how-independent-brands-are-resisting-counterfeits">464 milliards de dollars</a> en 2019 et les pertes de ventes de mode liées aux produits contrefaits ont atteint <a href="https://www.statista.com/statistics/1117921/sales-losses-due-to-fake-good-by-industry-worldwide/">26,3 milliards d’euros</a> dans le monde en 2020.</p>
<p>Les effets économiques négatifs de la contrefaçon, comme les pertes d’emploi et les pertes de revenus, sont aujourd’hui <a href="https://ideas.repec.org/a/eee/jbrese/v69y2016i10p4249-4258.html">bien connus</a>. Un rapport de l’UE en 2015 montrait que <a href="https://euipo.europa.eu/ohimportal/en/web/observatory/ip-infringements_clothing-accessories-footwear">365 000 emplois directs</a> avaient été perdus à cause de la contrefaçon. Et les impacts négatifs ne sont pas qu’économiques, ils sont aussi humains : <a href="https://fr.fashionnetwork.com/news/Julio-laporta-la-contrefacon-n-est-pas-un-crime-sans-victime-,1422261.html">travail forcé, cybercriminalité, financement du terrorisme</a>, <a href="https://lescoulissesdelacontrefacon.weebly.com/conseacutequences-et-risques.html">problèmes de santé</a> et <a href="https://www.ingentaconnect.com/content/mcb/096/2011/00000020/00000005/art00005">perte de confiance et d’estime de soi</a> chez les consommateurs.</p>
<h2>Expériences contrastées</h2>
<p>Acheter ou vendre un article contrefait est illégal. En France, un <a href="https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/Publications/Vie-pratique/Fiches-pratiques/La-contrefacon">acheteur de contrefaçon</a> se verra confisquer l’article et devra payer une amende d’une valeur entre une et deux fois le prix de l’article contrefait. La sanction des <a href="https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/Publications/Vie-pratique/Fiches-pratiques/La-contrefacon">vendeurs ou détenteurs d’articles contrefaits</a> peut aller jusqu’à 300 000 euros d’amende et trois ans de prison. Malgré ce cadre légal, le marché de la contrefaçon reste dynamique, notamment en raison de la <a href="https://ideas.repec.org/a/eee/joreco/v62y2021ics0969698921001624.html">digitalisation de la consommation</a> et de l’engouement des consommateurs pour le <a href="https://hapticmedia.com/blog/fr/le-march%C3%A9-du-luxe-en-chiffre/">marché du luxe</a>.</p>
<p>Outre un renforcement des solutions légales et douanières, de nouvelles <a href="https://www.hbrfrance.fr/chroniques-experts/2019/05/26022-comment-mieux-combattre-la-contrefacon/">solutions technologiques</a> se sont pourtant développées : blockchain, Internet des objets, traceurs chimiques, hologramme. Des start-up, telles que <a href="https://www.veworld.com/home">vechain</a> et <a href="https://www.arianee.org/">arianee</a> se sont emparées de ces solutions pour aider les marques de luxe à lutter contre la contrefaçon.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/des-marqueurs-luminescents-pour-lutter-contre-la-contrefacon-et-mieux-recycler-les-materiaux-176713">Des marqueurs luminescents pour lutter contre la contrefaçon et mieux recycler les matériaux</a>
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<p>Dans contexte, notre équipe de recherche a récemment finalisé un article académique (à paraître) ayant pour but de mieux comprendre les raisons et l’impact psychologique de l’achat de la contrefaçon de mode de luxe. 10 participants, 2 hommes et 8 femmes, tous européens et âgés entre 20 et 34 ans, ont pris part au projet. Chaque participant a réalisé un entretien individuel pour mieux comprendre ses habitudes d’achat de contrefaçon et sa perception de la contrefaçon de mode de luxe.</p>
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<p>L’étude a identifié des expériences contrastées : alors que certains participants ont acheté impulsivement et ont ensuite regretté leur décision, d’autres ont soigneusement examiné leur achat et ont finalement été satisfaits de leur achat.</p>
<p>La première catégorie regroupe des acheteurs plutôt « impulsifs » ont expliqué avoir acheté leur article contrefait sur « un coup de tête », ayant été attiré par la ressemblance immédiate de l’article contrefait avec une <a href="https://theconversation.com/fr/topics/marques-39209">marque</a> de luxe, ou parce que leur achat avait été en ligne et donc très rapide et peu réfléchi. Ces acheteurs ont exprimé un vif regret très peu de temps après l’achat. Ce regret est couplé, et même peut être expliqué, par une prise de conscience éthique et écologique, comme l’illustre le témoignage suivant :</p>
<blockquote>
<p>« En achetant de la contrefaçon, je nourris la pauvreté. J’ai l’impression de soutenir le travail illégal en achetant de la contrefaçon. […] Je me sentais coupable en raison de l’impact de la contrefaçon, de la chaîne d’approvisionnement non sécurisée, du travail des enfants, etc. »</p>
</blockquote>
<p>Ces participants ont ressenti une telle culpabilité et une telle honte qu’ils ont déclaré ne plus vouloir acheter de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/contrefacon-42995">contrefaçon</a>. Ils expliquent même partager ce sentiment avec d’autres consommateurs pour les convaincre de ne plus acheter de contrefaçon.</p>
<h2>Un pied de nez à l’industrie</h2>
<p>Contrairement à ces acheteurs « impulsifs », les autres participants ont une approche différente de leurs achats de contrefaçon. Ces participants examinent soigneusement et de manière non impulsive les articles de contrefaçon. Ils ont développé une expertise et une connaissance pour trouver de la contrefaçon de qualité et d’une grande ressemblance avec les articles de luxe.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pme-industrielles-six-principes-pour-gerer-le-risque-de-contrefacon-133254">PME industrielles : six principes pour gérer le risque de contrefaçon</a>
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<p>Alors que les participants « impulsifs » achètent des articles contrefaits à faible prix (entre 5 et 20 euros), ces participants « experts » sont prêts à payer un article contrefait plus cher (entre 20 et 400 euros) tant que la qualité de l’article est garantie. Ces acheteurs « experts » estiment notamment que leurs achats constituent un pied de nez à l’industrie de luxe, comme l’illustre le témoignage d’un participant :</p>
<blockquote>
<p>« Les marques de luxe nous manipulent. La qualité n’est pas si bonne que ça. Je ne le trouve pas éthiquement correct. Je sais ce que coûte vraiment le produit, et les marques de luxe augmentent tellement le prix, c’est trop et ça n’en vaut pas la peine. »</p>
</blockquote>
<p>Notre étude montre donc que la perception des consommateurs concernant l’aspect <a href="https://theconversation.com/fr/topics/ethique-20383">éthique</a> du monde du luxe est le pivot dans la finalisation d’un achat de contrefaçon. Alors que certains consommateurs culpabilisent d’avoir acheté de la contrefaçon qu’ils considèrent non éthiques, d’autres consommateurs considèrent l’industrie de luxe et ses politiques de prix comme non-éthique, ce qui les amène à consommer de la contrefaçon. Notre travail de recherche souligne ainsi l’importance de l’éducation sur les caractéristiques éthiques et légales de l’industrie de la contrefaçon.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/189597/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Selon un travail de recherche, certains acheteurs de faux produits justifient leur acte comme une réponse aux pratiques des acteurs du luxe qu’ils considèrent non éthiques.Aurore Bardey, Associate Professor in Marketing, Burgundy School of Business Patrice Piccardi, Director Msc Luxury Management & Innovation, Burgundy School of Business Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1810872022-05-01T16:45:53Z2022-05-01T16:45:53ZLe trafic d’armes, pierre angulaire de la criminalité au Mexique<p>Andrés Manuel López Obrador (gauche) a été <a href="https://www.france24.com/fr/20180628-mexique-amlo-andres-manuel-lopez-obrador-gauche-favori-presidentielle-morena">élu président du Mexique en 2018</a> à l’issue d’une campagne au cours de laquelle il avait promis à ses concitoyens de réduire significativement la <a href="http://www.scielo.org.co/scielo.php?script=sci_abstract&pid=S0121-51672019000100286&lng=en&nrm=iso&tlng=es">corruption, l’impunité et l’insécurité</a>. Des thèmes correspondant aux préoccupations des Mexicains : en septembre 2017, un sondage avait montré que <a href="https://www.pewresearch.org/global/2017/09/14/mexicans-are-downbeat-about-their-countrys-direction/">84 % d’entre eux considéraient</a> que la criminalité et la corruption étaient les principaux problèmes du pays.</p>
<p>L’une des principales stratégies de lutte contre la corruption et le crime a été résumée dans une phrase fameuse du film <a href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=3690.html"><em>Les Hommes du président</em></a> (1976) (consacré à l’affaire du Watergate), invitant à cesser de se concentrer sur les personnes impliquées en bout de chaîne et, plutôt, à suivre la piste de l’argent : « Follow the money ». Ce phénomène a été étudié dans de nombreux travaux, notamment consacrés aux <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-richesse-cachee-des-nations-gabriel-zucman/9782021375688">paradis fiscaux</a>.</p>
<p>S’inspirant de ce principe, la présente contribution se propose, pour mieux comprendre le <a href="https://urbanviolence.org/the-micro-geopolitics-of-organised-crime/">phénomène de la criminalité au Mexique</a>, de ne pas suivre la piste des criminels, mais des armes, puisque la quantité d’armes en circulation est directement liée à celle des homicides et autres crimes. Dans les faits, il y a plus d’homicides de civils au <a href="http://www.pbs.org/wgbh/frontline/article/the-staggering-death-toll-of-mexicos-drug-war/">Mexique qu’en Afghanistan ou en Irak</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Mexique : fusils d’assaut et véhicules blindés, la démonstration de force d’un puissant cartel – Le Parisien.</span></figcaption>
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<h2>L’afflux d’armes achetées aux États-Unis</h2>
<p>En 2010, le Mexique a <a href="http://armsglobe.chromeexperiments.com/">dépensé</a> 47 878 654 USD pour importer des armes à feu militaires, civiles et munitions, dont plus de <a href="https://journals.openedition.org/etudescaribeennes/16805">50 % provenaient des États-Unis (67 % des munitions)</a>. Cela représentait 0,45 % du PIB et, en 2020, le pourcentage passe à près de <a href="https://datos.bancomundial.org/indicador/MS.MIL.XPND.GD.ZS?end=2020&locations=MX&start=2000&view=chart">0,57 %</a>.</p>
<p>Cependant, il existe tout un marché invisible, facilité par les politiques étatsuniennes. Les États-Unis sont les <a href="https://www.sipri.org/media/press-release/2020/new-sipri-data-reveals-scale-chinese-arms-industry">plus grands producteurs d’armes au monde</a>, et le port d’armes y est <a href="https://www.pewresearch.org/fact-tank/2021/09/13/key-facts-about-americans-and-guns/">considéré comme un droit constitutionnel</a>. À l’inverse, le Mexique a des politiques prohibitives sur le port d’armes. Or, il existe une concentration de <a href="https://www.mcclatchydc.com/news/nation-world/world/article24726304.html">magasins d’armes</a> dans les <a href="http://fileserver.idpc.net/library/Informe%20de%20pol%C3%83%C2%ADtica%20del%20IDPC%20Mexico.pdf">États du sud des États-Unis qui bordent le Mexique</a>, bien que de récentes études montrent que ce n’est pas « toute la frontière » qui est concernée, mais plutôt certains <a href="https://www.animalpolitico.com/el-blog-de-causa-en-comun/la-venta-de-armas-en-la-frontera-sur-de-los-eu/"><em>hotspots</em> d’armes</a>. Une proportion importante des armureries étatsuniennes <a href="https://academic.oup.com/joeg/article-abstract/15/2/297/929819">dépend</a> de la demande croissante en provenance du Mexique, et 14 % des armes destinées à entrer illégalement au Mexique sont interceptées par les autorités des deux pays (12 % par les Mexicains et 2 % par les États-Uniens). En d’autres termes, le contrôle des armes à la frontière est totalement inefficace, aussi bien du côté mexicain qu’étatsunien.</p>
<p>L’une des explications de cette inefficacité tient probablement au fait que les deux gouvernements ont élaboré en 2009 une stratégie secrète appelée <a href="https://www.washingtonpost.com/investigations/us-anti-gunrunning-effort-turns-fatally-wrong/2011/07/14/gIQAH5d6YI_story.html">« Fast and furious »</a> visant à arrêter les trafiquants de drogue. Des traceurs avaient été intégrés à cette fin aux armes illégales que les trafiquants achetaient aux États-Unis et avec lesquelles ils traversaient la frontière. Le président mexicain Felipe Calderón (droite, 2006-2012) a ainsi accepté que ces armes à feu entrent au Mexique – et y fassent donc des victimes –, estimant que cela permettrait d’arrêter un certain nombre de narcotrafiquants.</p>
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<figcaption><span class="caption">Le Mexique inculpe sept personnes dans le cadre de la stratégie « Fast and furious » (Fox 10 Phoenix).</span></figcaption>
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<p>Depuis le <a href="https://www.theguardian.com/news/2016/dec/08/mexico-war-on-drugs-cost-achievements-us-billions">début de la « guerre contre la drogue »</a> en 2007, les groupes trafiquants sont devenus plus violents, se sont multipliés et ont commencé à obtenir des revenus d’autres activités, si bien qu’ils ont pu être qualifiés de <a href="https://www.redalyc.org/pdf/767/76746670008.pdf">« criminels géopolitiques »</a>. Comme l’indique un <a href="https://ioangrillo.substack.com/p/who-is-really-killing-mexican-journalists?s=r">spécialiste de la criminalité organisée au Mexique</a>, les cartels se sont depuis longtemps transformés en réseaux d’affaires organisant de multiples types d’escroqueries : des fraudes financières (blanchiment d’argent ou utilisation de paradis fiscaux) au trafic de personnes (migrants), en passant par le vol de pétrole, l’extorsion de mines d’or, le très rentable trafic de médicaments ou encore, évidemment, le trafic d’armes de gros calibre.</p>
<p>La frontière entre les États-Unis et le Mexique est poreuse pour tout ce qui va vers le sud et hermétique pour tout ce qui va vers le nord. Il est vrai que les réalités sont extrêmement contrastées en termes de <a href="https://www.amazon.fr/Why-Nations-Fail-Origins-Prosperity/dp/1846684307">confiance dans les institutions</a> ou de salaires (5 dollars par jour dans l’une et 7 dollars par heure dans l’autre).</p>
<h2>Un procès qui pourrait changer la donne</h2>
<p>Si l’on replace ce phénomène dans le contexte d’un État mexicain aux faibles capacités ; d’un système judiciaire <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-03503523/document">dysfonctionnel</a> ; d’une société marquée par de <a href="https://journals.openedition.org/etudescaribeennes/21569">grandes inégalités et des conditions de travail épouvantables</a> ; d’une guerre contre la drogue ratée depuis 2007 ; des décennies de présence criminelle ; et de <a href="https://ioangrillo.substack.com/p/who-is-really-killing-mexican-journalists?s=r">l’incapacité de la société dans son ensemble à faire face à ces problèmes</a>, on constate sans surprise que la situation est conforme à ce que de multiples études ont révélé à l’échelle planétaire : les <a href="https://www.jstor.org/stable/10.5749/j.ctt6wr830">cellules criminelles</a> sont entretenues et reproduites par les jeunes de 16 à 24 ans défavorisés sur le plan socio-économique, <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=4057578">et le Mexique ne fait pas exception</a>.</p>
<p>Cependant, depuis son élection en 2018, Andrés Manuel López Obrador n’est pas resté les bras croisés. En août 2021, le gouvernement mexicain, représenté par son ministre des Affaires étrangères Marcelo Ebrard, a intenté à Boston un procès aux fabricants d’armes Smith & Wesson, Beretta, Century Arms, Colt, Glock et Ruger, les <a href="https://www.theguardian.com/world/2011/dec/08/us-guns-mexico-drug-cartels">accusant d’être des facilitateurs d’armes pour les cartels mexicains</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1513799583167836164"}"></div></p>
<p>Un <a href="https://www.gob.mx/sre/documentos/nota-informativa-relaciones-exteriores-no-16">document officiel</a> présenté par le Mexique lors de ce procès affirme qu’entre 70 et 90 % des armes découvertes sur les scènes de crime au Mexique ont fait l’objet d’un trafic illégal depuis les États-Unis et que l’industrie étatsunienne « sait comment fabriquer et vendre des armes pour éviter ce commerce illégal », puisque son propre gouvernement lui a recommandé depuis 2001 de contrôler et de superviser la vente d’armes, ce qu’elle a refusé.</p>
<h2>L’indispensable contrôle de l’industrie américaine de l’armement</h2>
<p>Il est clair que le marché de l’armement des États-Unis a <a href="https://igarape.org.br/en/the-way-of-the-gun-estimating-firearms-traffic-across-the-us-mexico-border/">besoin de la demande mexicaine pour survivre</a>. On estime que <a href="https://www.theguardian.com/world/2021/aug/04/mexico-guns-us-manufacturers-lawsuit">2,5 millions d’armes</a> sont entrées illégalement au Mexique au cours des dix dernières années : le crime organisé mexicain a donc largement contribué à la bonne santé financière de l’industrie étatsunienne des armes pendant cette décennie.</p>
<p>Les deux pays ont évidemment intérêt à ce que leurs citoyens cessent d’être tués par des armes à feu aux mains d’éléments criminels, et donc que ces armes à feu soient nettement plus contrôlées. De fait, <a href="https://edition.cnn.com/2022/02/06/us/mexico-lawsuit-us-gun-manufacturers/index.html">treize États</a> des États-Unis ont soutenu le procès du gouvernement mexicain. Parce qu’elle alimente la violence armée, la politique de commercialisation est selon eux inacceptable, y compris aux États-Unis mêmes.</p>
<p>Réduire ces flux d’armes aurait un impact évident sur le taux d’homicides au Mexique – qui <a href="https://dataunodc.un.org/content/Country-profile ?country=Mexico">atteignait en 2018</a> le scandaleux niveau de 29,1 victimes pour 100 000 habitants –, et aux États-Unis – <a href="https://worldpopulationreview.com/country-rankings/murder-rate-by-country">4,9</a>, parmi le plus élevé des pays du G7. Sans collaboration, aucune politique publique ne pourra réduire efficacement la violence, les inégalités et la criminalité dans ces deux pays.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181087/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jaime Aragon Falomir ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La circulation non contrôlée d’armes à feu, en provenance essentiellement des États-Unis, fait du Mexique un des pays comptant le plus d’homicides volontaires au monde. Comment y remédier ?Jaime Aragon Falomir, Maître de conférences en civilisation latino-américaine, Université des AntillesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1813672022-05-01T16:42:42Z2022-05-01T16:42:42ZInterpellations pour trafic et usages de drogue : comment se fabrique le « délit de sale gueule »<p>Le profilage policier fait régulièrement l’actualité en France et à l’international, notamment après le décès de George Floyd le 25 mai 2020 aux États-Unis suivi du mouvement Black Lives Matter. En 2021, <a href="https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2021/06/08/l-etat-condamne-pour-faute-lourde-apres-les-controles-d-identite-au-facies-de-trois-lyceens_6083382_1653578.html">l’État français a été attaqué et condamné</a> pour faute lourde après « les contrôles d’identité au faciès de trois lycéens » effectués en 2017 par des policiers dans une gare parisienne. La même année, six ONG françaises et internationales ont saisi pour la première fois le Conseil d’État sur la <a href="https://www.francebleu.fr/infos/faits-divers-justice/controles-au-facies-action-de-groupe-en-justice-contre-l-etat-une-premiere-1626937188">question des contrôles au faciès</a>. Ces ONG qualifient les contrôles policiers fondés sur l’apparence de discrimination systémique, illégale selon le droit français et le droit international des droits humains.</p>
<h2>Le profilage policier</h2>
<p>Le profilage policier est initialement une technique d’enquête qui permet de dresser le portrait-robot d’un suspect après un crime ou un délit pour le retrouver, comme l’explique Tim Newburn dans son livre <a href="https://www.academia.edu/45615136/Handbook_of_Criminal_Investigation">Handbook of Criminal Investigation</a> sorti en 2007. Le profilage est peu à peu devenu un mécanisme de contrôle et de surveillance de certains groupes sociaux, en amont de tout acte illicite. Ce profilage policier repose, dans le cas français, sur des contrôles proactifs impulsés par des agents des forces de l’ordre présents sur le terrain, sur la base de critères particulièrement visibles à partir desquels les policiers divisent la population, en particulier le genre, l’origine ethnique, l’âge et l’attitude de la personne interpellée.</p>
<p>Les infractions à la législation sur les stupéfiants (ILS) constituent en France l’un des motifs d’interpellation et d’arrestation les plus fréquents : entre 2016 et 2020, 208 000 personnes sont en moyenne chaque année mises en cause pour ILS, ce qui représente 18 % de <a href="https://www.interieur.gouv.fr/actualites/communiques/infractions-a-legislation-sur-stupefiants-premier-etat-des-lieux-statistique">l’ensemble des mis en cause</a>. Les jeunes hommes racisés et précaires sont surreprésentés parmi les mis en cause pour ILS : 91 % sont des hommes et 74 % ont moins de 30 ans. Les enquêtes de terrain de <a href="https://journals.openedition.org/lectures/6899">Didier Fassin</a> ou de <a href="https://www.cairn.info/revue-droit-et-societe-2017-3-page-485.htm">Jacques de Maillard et Matthieu Zagrodzki</a> permettent de démontrer l’importance de l’origine ethnique, de l’âge, du genre et du niveau de vie supposés dans les interpellations et les arrestations. À ce titre, la guerre aux drogues peut aussi être considérée comme une <a href="https://esprit.presse.fr/article/olivet-fabrice-et-roberts-samuel/guerre-a-la-drogue-guerre-raciale-entretien-39227">guerre raciale</a> et sociale.</p>
<p>Sur la base de quels critères les policiers procèdent-ils à des interpellations et arrestations ? Comment perçoivent-ils et justifient-ils le profilage policier ? Un des objectifs de ma thèse est d’analyser le profilage policier dans la répression contre les drogues dans une grande ville de province française.</p>
<p>Les résultats présentés reposent sur douze entretiens avec des policiers conduits dans le cadre de ma <a href="https://durkheim.u-bordeaux.fr/Notre-equipe/Doctorant-e-s/CV/Sarah-Perrin">thèse en sociologie</a>. Ces policiers appartiennent à différents services concernés par la lutte contre les usages et ventes de stupéfiants.</p>
<p>L’écriture inclusive est utilisée pour citer les policiers et policières rencontrés par souci, d’une part, d’anonymiser les agents interrogés (la part de femmes dans les services étant très faible) et d’autre part, de souligner l’importance du statut policier plutôt que du genre, dont l’influence sur les discours et pratiques ici analysés n’apparaît pas significative. Tous les policiers interrogés reconnaissent interpeller ou arrêter, dans l’immense majorité, des hommes racisés. Dans leurs discours et leurs pratiques, l’origine ethnique supposée des individus joue un rôle central dans la manière dont les policiers les catégorisent.</p>
<h2>Les femmes jugées par les policiers moins capables de s’intégrer dans les trafics</h2>
<p>Alors que les <a href="http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2009/10_11/beh_10_11_2009.pdf">usages de drogues se féminisent depuis plusieurs décennies</a>, la part de femmes parmi les interpellés pour ILS demeure stable. Si les policiers interpellent moins de femmes que d’hommes pour une ILS, c’est parce que la plupart des policiers rencontrés estiment que les femmes ont bien moins de chances de vendre ou consommer des drogues. Les policiers ont intériorisé des stéréotypes de genre selon lesquels les femmes seraient moins violentes, plus douces, plus craintives, plus conformistes et plus intelligentes, alors que des <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/penser_la_violence_des_femmes-9782707196422">recherches récentes démontrent de la violence des femmes à travers l’histoire</a>. Un.e policier.e explique par exemple que les femmes « ont plus peur de la police » que les hommes et qu’elles sont « plus prudentes, moins en marge de la société, plus structurées, plus intelligentes ».</p>
<p>Plusieurs agents des forces de l’ordre interrogés pensent aussi que les trafics sont tenus par des personnes arabes et musulmanes qui auraient une culture sexiste au sein desquelles les femmes ne pourraient s’intégrer.</p>
<p>Un.e membre des forces de l’ordre me dit ainsi que :</p>
<blockquote>
<p>« si vous avez affaire à des trafiquants, s’ils sont plutôt nord-africains, donc plutôt de culture musulmane, la femme elle a rien à faire en responsabilités. Quand vous avez des trafiquants marocains, tunisiens, algériens, la place des femmes dans ces sociétés est quand même moindre ».</p>
</blockquote>
<p>Ces stéréotypes de genre et culturalistes rendant improbable, voire impossible la présence de femmes dans les mondes de la drogue, ont déjà été analysés dans la thèse de <a href="https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01628202">Kathia Barbier</a> qui s’intéresse aux facteurs expliquant l’invisibilisation des femmes dans les procédures pénales en matière de stupéfiants.</p>
<h2>Une surreprésentation d’hommes racisés</h2>
<p>Plusieurs policiers expliquent la surreprésentation de personnes racisées et précaires dans les ILS par une analyse historique et socio-économique : du fait de l’histoire coloniale française, les personnes racisées descendantes de l’immigration vivent dans de moins bonnes conditions socio-économiques que le reste de la population. L’engagement dans la vente de drogues viendrait donc répondre à des besoins financiers. Un.e policier.e considère qu’il s’agit d’une « question politique » liée à « l’époque de l’après-guerre » :</p>
<blockquote>
<p>« Nous on était colonisateurs, donc on a demandé aux colonies de venir nous aider pour reconstruire le pays, on leur a construit, avec leur aide, des immeubles, des barres d’immeubles, sur la périphérie d’une ville, pour qu’ils soient logés, donc y a eu des enfants, des petits-enfants, des arrière-petits-enfants… Après, pourquoi y a des trafics de stupéfiants-là… Y a le chômage, les jeunes ne travaillent pas… Ils trouvent pas de boulot… »</p>
</blockquote>
<p>Cette hypothèse est étayée par <a href="https://www.persee.fr/doc/sosan_0294-0337_2001_num_19_3_1792">certaines recherches en sciences sociales</a> selon lesquelles la délinquance des jeunes hommes racisés vivant dans les cités est liée à leurs conditions de vie et leur l’environnement. La vente de drogues répondrait à une frustration relative, pour reprendre la <a href="https://www.cairn.info/la-sociologie-de-robert-k-merton--9782707168870-page-77.htm">théorie de Robert K. Merton</a> : la société prescrit des buts culturels (tels que l’enrichissement) et des moyens légitimes pour les atteindre (tels que le travail et les études). Certains groupes n’ont pas la même égalité d’accès aux moyens institutionnels légitimes : les <a href="https://www.inegalites.fr/Les-immigres-et-leurs-descendants-face-aux-inegalites">populations issues de l’immigration ont moins de chances d’accéder à un certain niveau de diplôme, à certains postes et salaires</a>. Il y a donc, pour ces groupes, une inadéquation entre les buts prescrits et les moyens légitimes pour y parvenir. En réponse, des individus vont innover en optant pour des moyens illégitimes (ici la vente de drogues) pour atteindre les buts culturels prescrits.</p>
<p>D’autres policiers considèrent que l’usage et la vente de drogues sont liés à des traditions culturelles qui se transmettent au sein de certaines communautés. Un.e policier.e dit ainsi que le trafic et la consommation sont « favorisés par les mœurs » de certaines populations :</p>
<blockquote>
<p>« Les Nord-Africains fument du shit, c’est leur tradition. Les Antillais, c’est de l’herbe. Ils connaissent ça depuis petit, la consommation, ils savent qu’en vendant ils se font de l’argent donc voilà, ils le font. »</p>
</blockquote>
<p>Cette manière culturaliste et communautaire d’envisager la consommation et la vente de drogues est critiquée par <a href="https://www.persee.fr/doc/sosan_0294-0337_2001_num_19_3_1792">certains chercheurs</a> : le fait que des drogues soient vendues dans certains quartiers et pas dans d’autres serait davantage lié à la structure et à l’histoire des réseaux de vente plutôt qu’à l’origine ethnique des résidents.</p>
<h2>Les policiers se concentrent sur « ce qui brûle les yeux »</h2>
<p>La focalisation sur les personnes racisées et précaires est aussi justifiée par plusieurs policiers du fait de la plus grande visibilité des activités illicites de ces populations : le deal de rue ou de cité est plus visible que le deal en appartement. Les policiers se concentrent sur « ce qui brûle les yeux », pour reprendre les mots d’une policière. Un.e policier.e explique qu’enquêter sur un vendeur inséré, « c’est pas le même investissement : il faut plus de temps, plus de travail, plus de moyens ». En se focalisant sur les hommes précaires et racisés, les policiers ont une cible facile.</p>
<p>Selon les services auxquels ils sont rattachés, les policiers ne sont pas toujours incités à mener de longues enquêtes coûteuses en moyens humains et financiers. Les policiers reproduisent donc les enquêtes précédentes, dans une logique hypothético-déductive mise en avant dans l’ouvrage de <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/sur-le-trottoir-l-etat-gwenaelle-mainsant/9782021397895">Gwenaëlle Mainsant</a>. Un.e policier.e parle d’automatismes, expliquant qu’elle et ses collègues contrôlent spontanément :</p>
<blockquote>
<p>« Du Nord-Africain essentiellement, du Turc, du Géorgien, les gens du voyage parce qu’on sait que c’est des clients, on les connaît bien » le [terme client désignant ici dans le jargon policier des personnes fortement susceptibles de commettre une infraction, ndla].</p>
</blockquote>
<p>L’agent.e des forces de l’ordre emploie le terme d’engrenage :</p>
<blockquote>
<p>« Des fois on essaie de se détacher de ces engrenages-là et on se dit ‘bon on va aller aussi contrôler ailleurs, et d’autres personnes’. […] Faut pas tomber dans ce schéma là effectivement quotidien. Mais c’est pas facile parce que… on sait qu’ils y reviennent. Mais effectivement, forcément si on ne cherche qu’eux on ne trouvera qu’eux. »</p>
</blockquote>
<p>Certains policiers sont moins réflexifs sur leurs pratiques professionnelles. Un.e policier.e défend ces réflexes acquis durant la socialisation professionnelle policière en comparant le travail policier à celui d’un commercial vendant des contrats d’obsèques, omettant par-là les conséquences majeures que peut avoir l’action policière sur la trajectoire d’un individu :</p>
<blockquote>
<p>« Vous êtes commercial dans les contrats obsèques, vous allez démarcher qui ? Les vieux, vous allez pas démarcher les mecs au lycée. Et c’est exactement pareil. Quand on sait que par exemple dans le trafic de stup’, des auteurs sont issus de certaines populations, les collègues vont pas perdre du temps à aller à l’hospice du coin pour aller faire des interpellations, ils en feront pas. Donc ils vont là où ils sont susceptibles de trouver quelque chose. »</p>
</blockquote>
<h2>« C’est du délit de sale gueule »</h2>
<p>Quelques policiers attribuent la faible part de femmes, de personnes blanches et insérées dans les ILS aux préjugés des policiers. Un.e policier.e, critique envers son institution, parle de « délit de sale gueule » et affirme que « beaucoup d’usagers de produits stupéfiants sont faits au profil ethnique ». D’autres critères interviennent, comme l’attitude ou l’apparence des individus. Concernant l’attitude de l’interpellé, une agente des forces de l’ordre rapporte qu’un individu qui fume un joint mais qui est « propre sur lui, correct, qui répond correctement », repartira sans encombre. Plusieurs policiers admettent qu’une femme bien habillée avec une poussette sera bien moins soupçonnée et interpellée qu’un jeune homme en jogging sur un scooter.</p>
<p>Concernant l’apparence, un.e policier.e parle de « clichés du quotidien » qui orientent l’action policière.</p>
<p>Ces « clichés du quotidien » ont été documentés quantitativement par <a href="https://www.cairn.info/revue-population-2012-3-page-423.html">l’enquête de Fabien Jobard, René Lévy, John Lamberth et Sophie Névanen</a>. Ces chercheurs ont pu déterminer qu’une femme a entre 1,6 et 10 fois moins de chances d’être contrôlée qu’un homme. Les hommes noirs et maghrébins ont bien plus de chances d’être contrôlés que les hommes blancs (entre 3,3 et 11,5 fois plus de chances pour un homme noir, entre 1,8 à 14,8 fois plus de chances pour un homme maghrébin). Concernant l’âge, les personnes de plus de 30 ans ont entre 3,6 et 100 fois moins de chances d’être contrôlées que des individus de moins de 30 ans. Les chercheurs ont aussi constaté que le fait de porter une tenue de « jeune » (jogging, basket…) accroît les risques de contrôle, bien que la variable de l’habillement soit moins influente que celles de l’origine ethnique, l’âge ou le sexe.</p>
<p><a href="https://www.cairn.info/revue-droit-et-societe-2017-3-page-457.htm">Les policiers bénéficient d’un pouvoir discrétionnaire important</a>, et ils peuvent donc mettre en place, consciemment ou inconsciemment, un traitement différencié envers des minorités sociales et ethniques. Tous les individus ne sont pas également concernés par le risque de répression de leurs pratiques d’usages et de ventes de drogues. En conséquence, le profilage policier génère, pour reprendre les mots de <a href="https://www.cairn.info/societe-avec-drogues--9782865869961-page-185.htm">Christine Guillain et Claire Scohier</a>, « la criminalisation, non d’un comportement, mais bien d’individus membres de certains groupes au sein de la société ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181367/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sarah Perrin a reçu des financements de l'Université de Bordeaux.</span></em></p>Sur la base de quels critères les policiers procèdent-ils à des interpellations et arrestations liées au trafic de stupéfiants ?Sarah Perrin, Doctorante en sociologie, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1817352022-04-26T19:46:19Z2022-04-26T19:46:19ZQu’est-ce qui pousse les entrepreneurs à adopter des comportements frauduleux ?<p><a href="https://www.asanet.org/sites/default/files/savvy/journals/soe/Oct15SOEFeature.pdf">« Fais semblant jusqu’à ce que tu y arrives vraiment »</a> (Fake it ‘til you make it). <a href="https://www.forbes.com/sites/bradauerbach/2017/04/18/move-fast-and-break-things-how-facebook-google-and-amazon-cornered-culture-book-review/">« Va vite et casse les codes »</a> (Move fast and break things). Ces mantras de la Silicon Valley sont devenus la philosophie business de nombreux entrepreneurs. Ils ont d’ailleurs fonctionné à merveille pour des entreprises comme Theranos et Facebook… du moins pendant un certain temps. Car aujourd’hui, <a href="https://theconversation.com/theranos-les-inavouables-secrets-dune-start-up-frauduleuse-103860">Theranos n’existe plus</a> et son PDG a été reconnu début 2022 coupable d’accusations de fraude massive. De même, Facebook fait l’objet d’une enquête fédérale pour s’être livré à des <a href="https://www.journaldugeek.com/2021/03/24/facebook-vise-par-une-plainte-francaise-pour-pratique-commerciale-trompeuse/">« pratiques commerciales trompeuses »</a> (encore une fois).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1478394198852345856"}"></div></p>
<p>Mais pourquoi les entrepreneurs et les dirigeants s’engagent-ils parfois dans de telles pratiques antisociales ? Nous avons mené une <a href="https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fpsyg.2021.760258/full">recherche</a> pour tenter d’apporter des éléments de réponse à cette question.</p>
<h2>« Joie de la destruction »</h2>
<p>Un observateur avisé pourrait de prime abord se demander pourquoi ces mantras cités ci-dessus sont si problématiques. Pourtant, « fais semblant jusqu’à ce que tu y arrives vraiment » pose souci parce qu’il prescrit des comportements tels que la falsification des informations présentées aux parties prenantes (investisseurs, actionnaires, mais aussi employés et clients), déformant ainsi la proposition de valeur de l’entreprise.</p>
<p>Il ne s’agit pas ici du risque élevé et inévitable que représente la création d’une nouvelle entreprise (« y arriver »), mais plutôt de la déformation intentionnelle des informations présentées aux parties prenantes (« fais semblant »). Dans notre projet de recherche, nous avons considéré ce comportement antisocial pour ce qu’il est, à savoir une forme de tricherie visant à obtenir un avantage commercial déloyal.</p>
<p>De même, s’il n’y pas de problème à « aller vite », l’idée de « casser les codes » peut apparaître problématique. Ce mantra prescrit des comportements visant à « passer à la vitesse supérieure » à tout prix, à transgresser, même si ces actions sont préjudiciables (involontairement) à des tiers. Le problème est que, contrairement aux « codes » ou aux « choses » (des applications ou logiciels par exemple), les personnes ne peuvent pas être « réparées » aussi facilement.</p>
<p>En outre, si cette logique est poussée à l’extrême, les entrepreneurs pourraient être tentés très concrètement d’« aller vite en cassant les codes ou des choses ». Là encore, nous avons qualifié ce comportement en utilisant un concept issu d’un jeu d’économie comportementale, la « joie de la destruction ». Dans ce type de jeu, les joueurs ont le choix de « nuire » volontairement à l’entreprise d’un autre joueur (symbolisant la concurrence, les parties prenantes), sans augmenter leurs profits directs résultant du jeu économique mais en gagnant du statut face aux concurrents.</p>
<p>En adoptant une approche pluridisciplinaire, nous nous sommes interrogés sur les moteurs de ces comportements économiques antisociaux. L’explication évidente serait que les exemples ci-dessus ne sont que des exemples de « brebis galeuses ». Cependant, d’autres éléments pourraient être à l’origine de ces comportements, et notamment le genre.</p>
<h2>Genre et leadership authentique</h2>
<p>Nous avons mené deux études en laboratoire pour explorer ces questions, l’une portant sur 82 étudiants français d’écoles de commerce, hommes et femmes, et une seconde étude de suivi. Les résultats de la première étude nous ont permis d’obtenir deux informations précieuses : d’abord, les stéréotypes traditionnels liés au rôle du genre (identification à un genre masculin ou féminin) influencent le comportement économique antisocial. Autrement dit, les étudiants masculins étaient plus susceptibles de choisir de « nuire » à la concurrence que les étudiantes.</p>
<p>La deuxième conclusion est relative au leadership positif et authentique : les étudiants qui ont un score élevé sur cette dimension, qui mesure la confiance ou encore la personnalité, ont une probabilité moindre d’adopter un comportement économique antisocial, indépendamment de l’identité sexuelle de l’étudiant.</p>
<p>Une étude de suivi nous a dans un second temps permis d’approfondir les résultats, car ces étudiants n’avaient aucune expérience réelle en tant que leaders ou entrepreneurs. Grâce à cette étude complémentaire impliquant 64 managers et entrepreneurs latino-américains, hommes et femmes, nous avons confirmé les résultats de notre première étude en laboratoire : dans ce nouvel échantillon de participants, nous avons pu constater de nouveau que les hommes étaient plus susceptibles de « tricher » que les femmes, qu’ils soient managers ou entrepreneurs. De même, les hommes ayant obtenu un score élevé sur l’échelle de leadership authentique étaient moins susceptibles de le faire.</p>
<p>Nous avons trouvé un schéma similaire dans le jeu de la « joie de la destruction ». Comme le prescrivent les comportements hyperconcurrentiels du stéréotype de l’entrepreneur, les entrepreneurs (quel que soit leur sexe) sont plus susceptibles de tricher et d’essayer de nuire à leurs concurrents. Il est intéressant de noter que plus les hommes ou les entrepreneurs obtiennent un score élevé sur l’échelle de leadership authentique, moins ils sont susceptibles de manifester ces comportements.)</p>
<h2>Vertueuse intégrité</h2>
<p>Lorsqu’ils sont poussés à l’extrême, les mantras tels que « fais semblant jusqu’à ce que tu y arrives vraiment » et « va vite et casse les codes » semblent donc normaliser et entretenir les comportements économiques antisociaux et les pratiques commerciales douteuses. Autrement dit, les entrepreneurs semblent inviter à penser que leurs partenaires (ou la société dans son ensemble) attendent d’eux qu’ils « gagnent à tout prix », même si cela implique des pratiques commerciales douteuses.</p>
<p>Toutefois, nos conclusions ont un côté positif. Nous avons en effet constaté que le fait d’être intègre lorsqu’on occupe un rôle de manager ou d’entrepreneur aide les hommes et les femmes à résister à la pression sociétale de « gagner à tout prix ». Au contraire, les managers et les entrepreneurs authentiques ont tendance à prendre des décisions plus responsables.</p>
<p>À leur tour, ces décisions plus responsables sont susceptibles de protéger leurs intérêts et les ressources que les investisseurs en capital-risque et les autres parties prenantes leur ont confiées à long terme. En d’autres termes, en tant qu’entrepreneur ou dirigeant, ne faites jamais semblant, même après avoir réussi.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181735/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Des études en laboratoire montrent que la propension à tricher dans les affaires serait notamment liée au genre et qu’elle est plus forte chez les hommes que chez les femmes.Guillermo Mateu, Assistant professor at UV. Research fellow at LESSAC (Laboratoire d'Expérimentation en Sciences Sociales et Analyse des Comportements), Burgundy School of Business., Burgundy School of Business Lucas Monzani, Assistant Professor of Organizational Behavior, Western UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1796352022-03-20T17:53:40Z2022-03-20T17:53:40ZGuerre en Ukraine : quel rôle pour la Cour pénale internationale ?<p>« Le mal doit être puni ». C’est ce qu’<a href="https://www.nytimes.com/2022/03/16/us/politics/transcript-zelensky-speech.html">affirmait</a> le 16 mars dernier devant le Congrès américain le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, faisant référence à l’invasion de son pays par la Russie.</p>
<p>Pour punir ce mal, le gouvernement ukrainien a très rapidement agi sur le front judiciaire en mobilisant différentes juridictions internationales dont la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/03/03/la-cpi-ouvre-une-enquete-sur-la-situation-en-ukraine_6115910_3210.html">Cour pénale internationale</a> (CPI).</p>
<p>L’objectif de l’Ukraine est clair : judiciariser la guerre afin d’affirmer son statut de victime face à l’agresseur russe. Mais face à un Vladimir Poutine qui n’a que faire des injonctions internationales, que peut accomplir la justice internationale ? La CPI peut-elle jouer le rôle de moralisateur des relations internationales ? Alors que des milliers de civils ukrainiens ont déjà péri durant le conflit et que des millions d’autres ont trouvé refuge partout en Europe, la paix en Ukraine peut-elle s’établir grâce au droit ?</p>
<h2>L’ouverture d’une enquête par le procureur de la CPI : une première victoire pour l’Ukraine</h2>
<p>La <a href="https://www.icc-cpi.int/">Cour pénale internationale</a> est une organisation internationale chargée de juger les individus accusés de crimes internationaux (génocide, crime de guerre, crime contre l’humanité, crime d’agression) au regard du <a href="https://www.icc-cpi.int/nr/rdonlyres/add16852-aee9-4757-abe7-9cdc7cf02886/283948/romestatutefra1.pdf">Statut de Rome</a> (traité international signé en 1998 établissant la CPI).</p>
<p>À ce titre, elle ne juge pas directement des États, mais a pour rôle d’établir des responsabilités pénales individuelles. Son objectif est de lutter contre l’impunité afin de prévenir et de dissuader la commission de ces crimes qui touchent toute l’humanité en raison de leur gravité. Pour y parvenir, la Cour s’appuie sur ses plus de 900 membres du personnel et un budget annuel d’environ 148 millions d’euros. 123 États sont actuellement membres de la Cour.</p>
<p>Bien que ni l’<a href="https://www.coalitionfortheicc.org/country/ukraine#:%7E:text=Ukraine%20signed%20the%20Rome%20Statute%20on%2020%20January%202000%2C%20but,the%20ICC%20for%20many%20years.">Ukraine</a> ni la Russie ne soient partie au Statut de Rome (la <a href="https://www.letemps.ch/russie-se-retire-cour-penale-internationale">Russie s’est retirée du Statut en 2016, reprochant à la Cour son manque d’indépendance</a>), le procureur de la CPI, Karim Khan, a <a href="https://www.icc-cpi.int/Pages/item.aspx?name=20220228-prosecutor-statement-ukraine&ln=fr">annoncé</a> le 28 février l’ouverture d’une enquête au regard d’allégations de crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis en Ukraine.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/kHuYhdHQGZM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Ukraine : pour le procureur de la CPI, « si les civils sont pris pour cible, c’est un crime », France 24, 3 mars 2022.</span></figcaption>
</figure>
<p>Le procureur fonde sa compétence au regard de deux déclarations <em>ad hoc</em> produites par l’Ukraine en <a href="https://www.icc-cpi.int/Pages/item.aspx?name=pr997&ln=fr">2014</a> et <a href="https://www.icc-cpi.int/Pages/item.aspx?name=pr1146&ln=fr">2015</a> sur la base de l’article 12-3 du Statut. Celles-ci reconnaissent la compétence de la Cour pour des faits commis sur le sol ukrainien depuis le 21 novembre 2013. Si ces déclarations ont été émises dans le cadre de la guerre dans le Donbass et de l’annexion de la Crimée par la Russie, elles permettent aujourd’hui d’élargir le cadre géographique afin de mener une enquête sur l’intégralité du sol ukrainien.</p>
<p>Avant le début de l’invasion russe, le Bureau du Procureur de la CPI fut très critiqué par la société civile ukrainienne. Celle-ci lui reprochait sa lenteur dans la mise en évidence des responsabilités pénales, alors que la guerre dans le Donbass aurait coûté la vie à <a href="https://www.unian.info/war/10416549-donbas-war-death-toll-rises-up-to-nearly-13-000-un.html">13 000 personnes</a>, dont 3 350 civils entre 2014 et 2020 d’après les Nations unies. Le déclenchement de la guerre par la Russie le 24 février dernier a contraint le procureur à prendre en main ce dossier.</p>
<p>Dans sa <a href="https://www.lapresse.ca/international/europe/2022-02-28/guerre-en-ukraine/le-procureur-de-la-cpi-va-enqueter.php">déclaration</a> du 28 février, Karim Khan se dit convaincu qu’« il existe une base raisonnable de croire que les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité allégués ont bel et bien été commis ». Pour confirmer l’ouverture d’une enquête, le Procureur devait alors obtenir soit l’autorisation des juges de la Chambre préliminaire de la Cour, soit le renvoi de l’affaire à son Bureau par un ou plusieurs États membres de la CPI.</p>
<p>La seconde option a finalement été retenue. Début mars, <a href="https://www.icc-cpi.int/ukraine">41 États</a> – incluant tous les pays membres de l’Union européenne – ont soumis un renvoi de la situation au procureur. Cette mobilisation sans précédent d’un si grand nombre d’États démontre la volonté d’une partie de la société internationale de mobiliser le droit international pour rétablir la paix en Ukraine. De manière inédite, la philosophie kantienne de la <a href="https://books.openedition.org/psorbonne/18624?lang=fr">paix par le droit</a> semble enfin trouver un large écho en Europe et ailleurs…</p>
<h2>Les allégations de crimes de guerre au cœur de l’enquête de la CPI</h2>
<p>Désormais, Karim Khan entend faire de cette enquête une priorité. Ce 16 mars, il <a href="https://www.icc-cpi.int/Pages/item.aspx?name=20220316-prosecutor-statement-visit-ukraine-poland">s’est rendu en Ukraine</a> et a <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/le-procureur-de-la-cpi-s-est-rendu-en-ukraine-et-s-est-entretenu-en-visioconference-avec-zelensky-20220316">échangé virtuellement</a> avec le président Zelensky.</p>
<p>Cependant, le procureur fait preuve de pragmatisme. La collecte des preuves ne peut se faire sans le soutien des États. C’est pourquoi lors de l’annonce de l’ouverture de son enquête, il s’est directement adressé à la société internationale pour demander des moyens financiers et humains supplémentaires. Le manque de ressources est au cœur des difficultés rencontrées par la Cour depuis son entrée en fonction en 2002, contraignant le procureur à faire parfois des choix politiques dans la sélection de ses dossiers. Au-delà des moyens, il est aussi question d’obtenir une pleine coopération des parties au conflit, des ONG, de la société civile et des États afin de recueillir les preuves et les témoignages nécessaires à l’établissement des responsabilités pénales.</p>
<p>S’il semble logique que les dirigeants russes refuseront toute coopération avec la Cour, l’organisation internationale peut s’appuyer sur une société civile ukrainienne déjà très mobilisée depuis 2014. L’expérience de la guerre dans le Donbass a favorisé cette bonne structuration. De nombreuses preuves avaient déjà pu être récoltées.</p>
<p>Parmi les crimes invoqués par la Cour, les allégations de commissions de crimes de guerre sont celles qui reviennent le plus fréquemment et pour lesquelles il semble plus simple d’établir des preuves. Un <a href="https://www.un.org/fr/genocideprevention/war-crimes.shtml">crime de guerre</a> est une violation grave du droit international humanitaire. Trois éléments – légal, matériel et psychologique – doivent être remplis pour qualifier un agissement de crime de guerre. L’acte doit être prohibé par l’<a href="https://blogs.parisnanterre.fr/content/article-8-du-statut-de-rome-et-titre-18-du-united-states-code-une-d%C3%A9finition-limit%C3%A9e-des-cri">article 8 du Statut de Rome</a> (élément légal). Sont notamment interdits l’homicide intentionnel, la torture et les traitements inhumains, les attaques intentionnelles contre la population et des biens civils, les attaques et bombardements contre des lieux non défendus et qui ne sont pas des objectifs militaires, etc. (élément matériel). L’acte doit avoir été commis dans le cadre d’un conflit armé – ce qui est le cas en Ukraine – et la personne mise en cause doit avoir commis le crime avec intention et connaissance (élément psychologique).</p>
<p>Dans les faits, de nombreux agissements sont visés. Il s’agit notamment des frappes indiscriminées et aveugles de l’armée russe contre des zones abritant des infrastructures civiles et médicales à Kiev, Kharkiv, Marioupol et ailleurs. Ces attaques auraient déjà causé la mort de centaines de civils. Par exemple, le jeudi 3 mars, l’armée russe aurait largué huit bombes à Tchernihiv, ville située à 130 kilomètres de Kiev, dans une zone où étaient rassemblés des civils venus acheter de la nourriture. Aucune cible militaire ne semblait présente à proximité. <a href="https://www.amnesty.be/infos/actualites/article/ukraine-frappe-aerienne-russe-menee-bombes-guidees-civils">D’après Amnesty international</a>, ces attaques auraient coûté la vie à 47 civils. Cette opération s’apparente à un crime de guerre. Par ailleurs, l’armée russe semble faire preuve d’un recours disproportionné à la force, au regard du nombre important de destructions de biens et d’équipements civils (habitations civiles, maternités, hôpitaux, etc.) et des grandes souffrances infligées à la population civile ukrainienne.</p>
<p>Si à ce stade, Karim Khan n’a pas fait état de la nature précise de ces crimes, le <a href="https://www.lefigaro.fr/international/guerre-en-ukraine-poutine-est-un-criminel-de-guerre-dit-biden-20220316">président Joe Biden</a> et le premier ministre britannique <a href="https://www.bbc.com/news/uk-60588031">Boris Johnson</a> n’ont pas hésité à qualifier le président Poutine de criminel de guerre.</p>
<p>Désormais, il appartient au procureur d’établir les responsabilités pénales individuelles. Au-delà de Vladimir Poutine, des responsables militaires et politiques russes – mais aussi ukrainiens – pourraient être mis en cause. Des mandats d’arrêt pourraient ensuite être émis. Cependant, il est difficilement envisageable à ce stade de voir la Russie coopérer et transférer à La Haye – où se trouve le siège de la CPI – certains de ses dirigeants. Le gouvernement ukrainien le sait. Mais l’objectif n’est pas là. Il s’agit de poursuivre son action pour isoler la Russie et accroître la pression à son encontre.</p>
<h2>Une judiciarisation du conflit dans un objectif de moralisation des relations internationales</h2>
<p>Par ailleurs, la mobilisation de la CPI par l’Ukraine s’inscrit dans une stratégie plus globale de judiciarisation du conflit afin d’affirmer son statut de victime face à l’agresseur russe. Au-delà de la CPI, la Cour internationale de Justice – qui établit des responsabilités étatiques – a rendu ce 16 mars une <a href="https://news.un.org/fr/story/2022/03/1116482">ordonnance</a> exigeant de la Russie qu’elle cesse ses opérations militaires en Ukraine.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/E8JgYRTfzcI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« Russia must immediately suspend military operations in Ukraine » – International Court of Justice, Nations unies, 17 mars 2022.</span></figcaption>
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<p>Le gouvernement ukrainien entend mettre à profit ses différents recours juridictionnels pour obtenir un avantage diplomatique. L’Ukraine n’est pas le premier pays à judiciariser sa cause pour bénéficier de gains politiques. Avant elle, la Palestine fit le même calcul quand elle décida d’<a href="https://orientxxi.info/magazine/ce-que-change-l-adhesion-de-la-palestine-a-la-cour-penale-internationale,0790">adhérer à la CPI en 2015</a>. Finalement, nombre d’États perçoivent la CPI comme un acteur politique capable de contribuer à moraliser les relations internationales et à participer au rétablissement de la paix, faisant vivre l’idée que la paix ne peut advenir sans le triomphe de la justice.</p>
<p>Si le dossier ukrainien devrait permettre à la Cour pénale internationale de renforcer sa stature sur la scène internationale, il faut cependant relativiser la capacité de la juridiction pénale à contribuer à la restauration de la paix dans le pays. Le temps long de la justice semble éloigné des objectifs à court terme visant à mettre fin au conflit.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/179635/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Insaf Rezagui ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La Cour pénale internationale a lancé une enquête qui s’annonce longue et difficile pour établir si des crimes de guerre ont été commis dans le cadre de l’invasion de l’Ukraine par la Russie.Insaf Rezagui, Doctorante en droit international public, Le Mans Université - Chercheuse au Centre Thucydide Paris Panthéon-Assas, Le Mans UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1729982022-01-19T14:01:08Z2022-01-19T14:01:08ZPortrait(s) de France(s) : Insécurité, de quoi parle-t-on ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/441694/original/file-20220120-17-bbv8vn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1920%2C1077&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'insécurité, un thème redondant dans les campagnes électorales.</span> <span class="attribution"><span class="source">AFP/ Pixabay/ Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p><em>Portrait(s) de France(s), un rendez-vous bi-mensuel et thématique réunissant articles inédits, cartographies et podcasts, pour aborder les grands enjeux de l’élection présidentielle de 2022.</em></p>
<hr>
<p><strong>L'édito de Renée Zauberman</strong></p>
<p>Périodiquement, on sonne l’alarme à l’insécurité à la faveur de faits divers. Si ce ballon d’essai sature suffisamment les réseaux sociaux, s’il est repris sur les chaînes d’information continue spécialisées dans cet office, il peut gagner le statut d’évidence médiatique qui entraîne le ralliement du monde politique. C'est d'autant plus vrai en période électorale, qui voit la thématique sécuritaire faire un bond dans l'opinion publique, notamment lorsque la peur de l'attentat terroriste revient de façon récurrente, malgré une <a href="https://theconversation.com/la-terreur-un-instrument-politique-171874">histoire diffuse et complexe</a> en France. </p>
<p>Pourtant les <a href="https://theconversation.com/parler-de-ladministration-penitentiaire-differemment-pour-lenvisager-autrement-170057">données collectées</a> par des chercheurs <a href="https://theconversation.com/en-graphiques-qui-a-peur-de-quoi-en-france-172084">montrent des tendances assez différentes</a>.</p>
<p>L’homicide se situe (hors attentat terroriste) à un niveau d’étiage, les agressions physiques oscillent depuis le milieu des années 1990 dans un ordre de grandeur inchangé (2,5 à 3 % sur deux ans), les atteintes aux biens baissent, principalement en raison du repli des vols de et dans les véhicules.</p>
<p>Il y aurait pourtant matière à développer une attention particulière aux atteintes dans <a href="https://theconversation.com/la-securite-des-femmes-une-question-surtout-domestique-170841">l’espace privé</a> qui échappent encore largement aux radars malgré les entreprises de décamouflage de type MeToo, mais aussi à <a href="https://theconversation.com/que-font-les-hackers-de-vos-donnees-volees-171032">la cybercriminalité</a> dont témoigne l’envolée des débits frauduleux, enfin aux atteintes aux finances publiques qui pèsent lourdement sur les inégalités.</p>
<p>Il faut aussi veiller à l’intégrité des instruments de mesure : non seulement la mesure de la criminalité économique et financière reste déficitaire mais encore le remplacement, en pleine période préélectorale, de l’enquête nationale de victimation de l’INSEE par une enquête du ministère de l’Intérieur d’une toute autre logique risque de rendre difficile toute évaluation des tendances de long terme. Il est aussi des lieux où la peinture serait plus alarmante que celle dessinée par l’examen des données nationales.</p>
<p>Le centralisme des politiques de sécurité empêche de bien prendre en compte cette diversité : on oscille entre généralisation abusive de situations particulières ou dénégation de leur existence. Il en irait autrement si la sécurité était davantage de compétence régionale ou locale ; encore faudrait-il que ces échelles de gouvernement disposent des ressources pour développer des politiques de sécurité appuyées sur des descriptifs locaux suffisamment armés. </p>
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<h2>La terreur, un instrument politique ?</h2>
<p>L’attentat terroriste parvient à focaliser toutes les conversations personnelles, l’ouverture des journaux radiophoniques et télévisés, et son traitement dans tous les médias.</p>
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<p><a href="https://theconversation.com/la-terreur-un-instrument-politique-171874">Lire l’article</a></p>
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<h2>La sécurité des femmes : une question surtout domestique</h2>
<p>Si les violences faites aux femmes sont multiples, elles restent le plus souvent peu visibles voire banalisées et se concentrent majoritairement dans les espaces privés.</p>
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<p><a href="https://theconversation.com/la-securite-des-femmes-une-question-surtout-domestique-170841">Lire l’article</a> </p>
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<h2>Que font les hackers de vos données volées ?</h2>
<p>Les attaques de serveurs et avec elles le piratage de données explosent. Comment sont-elles menées, par qui, à quelles fins et comment s’en protéger ?</p>
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<p><a href="https://theconversation.com/que-font-les-hackers-de-vos-donnees-volees-171032">Lire l’article</a></p>
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<h2>Parler de l’administration pénitentiaire différemment pour l’envisager autrement ?</h2>
<p>L'administration pénitentiaire ne se résume pas à la prison. Elle est chargée de multiples fonctions mises en oeuvres à travers des pratiques et des régimes de détention multiples. Jean-François Monier/AFP</p>
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<p><a href="https://theconversation.com/parler-de-ladministration-penitentiaire-differemment-pour-lenvisager-autrement-170057">Lire l’article</a></p>
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<h2>Bonnes feuilles: « Le harcèlement à l’école. Mythes et réalités »</h2>
<p>Le harcèlement scolaire augmente-t-il à l’adolescence ? Ne seraient-ce pas plutôt ses formes qui tendent à évoluer au fil de la scolarité ? Retour sur quelques enseignements de la recherche.</p>
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<p><a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-le-harcelement-a-lecole-mythes-et-realites-171450">Lire l’article</a></p>
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<h2>L’infographie: Qui a peur de quoi en France?</h2>
<iframe title="Évolution de la peur dans le quartier (%), 1996-2019" aria-label="Interactive line chart" id="datawrapper-chart-xr3t6" src="https://datawrapper.dwcdn.net/xr3t6/1/" scrolling="no" frameborder="0" style="width: 0; min-width: 100% !important; border: none;" height="514" width="100%"></iframe>
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<p><a href="https://theconversation.com/en-graphiques-qui-a-peur-de-quoi-en-france-172084">Lire l'article</a> </p>
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<h2>Le podcast</h2>
<iframe frameborder="0" width="100%" height="110px" style="overflow:hidden;" src="https://podcasts.ouest-france.fr/share/player_of/mode=broadcast&id=12775">Wikiradio Saooti</iframe>
<p><iframe id="tc-infographic-610" class="tc-infographic" height="100" src="https://cdn.theconversation.com/infographics/610/72c170d08decb232b562838500852df6833297ca/site/index.html" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/172998/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Portrait(s) de France(s), un rendez thématique pour aborder les grands enjeux de la présidentielle 2022. Dans cet épisode, focus sur la thématique sécuritaire.Renée Zauberman, Directrice de recherche émérite, Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CNRS/UMR 8183), Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Benoît Galand, Professeur en sciences de l'éducation, Université catholique de Louvain (UCLouvain)Benoit Loeillet, Associate professor, EM Lyon Business SchoolFrédéric Chauvaud, Professeur d'Histoire contemporaine, Université de PoitiersJohanna Dagorn, Sociologue, Université de BordeauxLaurine Basse, Doctorante en Management Public, Aix-Marseille Université (AMU)Philippe Robert, Sociologue, Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP), Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1724262021-12-28T16:52:10Z2021-12-28T16:52:10ZÉtudier en prison aide à sortir des circuits de délinquance<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/438678/original/file-20211221-25-8hlf6p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C32%2C3648%2C2686&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">A l’intérieur de la section universitaire de la prison des Deux Palais à Padoue, Italie.</span> <span class="attribution"><span class="source">Elton Kalica</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>À rebours des discours sécuritaires foisonnants en période de pré-campagne électorale, le garde des Sceaux Éric Dupont-Moretti a récemment défendu la vocation de <a href="https://www.lalsace.fr/faits-divers-justice/2021/11/10/si-la-prison-a-vocation-a-punir-elle-doit-aussi-travailler-a-reinserer">réinsertion</a> de la prison lors d’un déplacement en Alsace. Différents modes de réinsertion existent en effet en France depuis la loi pénitentiaire de 2009 (Loi n ° 2009-1436, ministère de la Justice) qui, en vue d’assurer la réinsertion des détenus, fixe un nouveau principe pour les pratiques d’éducation et de formation des détenus et les soumet à une obligation d’activité. Parmi eux l’école et l’enseignement universitaire, à distinguer de la formation professionnelle.</p>
<p>Si l’école est active et présente de manière diffuse dans tous les établissements pénitentiaires français, les effets du parcours éducatif sur le processus de réhabilitation des détenus et sur la prévention de la récidive ne sont, apparemment, pas immédiats : la littérature sur le sujet est faible et il manque encore des études longitudinales qui peuvent le confirmer pleinement.</p>
<p>Ils ne sont pas non plus aussi évidents par rapport à ceux obtenus par la formation professionnelle bien qu’ils soient plus incisifs et plus profonds comme il ressort des <a href="http://www.enap.justice.fr/atelier-du-cirap-promouvoir-la-formation-universitaire-en-milieu-carceral-experiences-comparees">études en cours</a> de l’auteur (voir aussi <em>L’exercice effectif du droit aux études universitaires en milieu carcéral. L’expérience française</em>. Rassegna italiana di criminologia, en cours de publication).</p>
<p>L’étude en milieu carcéral ne se limite pas aux concepts d’apprentissage : elle offre bien plus et de manière transversale en contribuant à l’amélioration de plusieurs aspects de la vie quotidienne. Des observations effectuées sur le terrain et des résultats des entretiens réalisés au cours de mes recherches menées pendant 4 ans dans les prisons de France et <a href="https://www.ibs.it/carcere-luogo-dimenticato-libro-patrizia-pacini-volpe/e/9788833395500">d’Italie</a>, et les études mises en évidence par le courant d’études de la <a href="http://www.ombrecorte.it/index.php/prodotto/farsi-la-galera/">Convict Criminology</a> ont montré contrairement à l’opinion apparemment la plus répandue, que l’étude en prison produit des effets immédiats et à <a href="http://www.thelabs.sp.unipi.it/patrizia-pacini-volpe-il-valore-della-cultura-in-carcere-lesperienza-francese-del-polo-universitario-di-paris-diderot">long terme</a>.</p>
<h2>Des effets sur la santé</h2>
<p>Les effets les plus immédiats se retrouvent dans le domaine de la santé mentale et physique de la personne détenue. Dès les premières semaines de scolarité, les observations effectuées sur le <a href="https://www.ibs.it/carcere-luogo-dimenticato-libro-patrizia-pacini-volpe/e/9788833395500">terrain</a> donnent lieu à une estime de soi croissante, à un soin particulier de la personne, à l’apparence physique et à une amélioration de l’humeur.</p>
<p>En conséquence, les effets s’étendent à des sphères plus profondes : l’amélioration du sommeil, la réduction des cigarettes chez les fumeurs compulsifs. De nombreux détenus et médecins témoignent également d’un moindre recours aux calmants et aux médicaments psychotropes et la volonté de se désintoxiquer. L’étude interrompt en effet un dialogue intérieur fait de colère et de désespoir.</p>
<p>Par les nombreux témoignages de médecins, psychologues et psychiatres pénitentiaires, il ressort que les détenus ont moins recours aux médicaments parce que ce vide qui produit de l’angoisse et de la consternation est compensé, et permet au détenu d’échapper d’une négligence existentielle parce qu’on se confronte avec les autres, on a moins recours aux provocations constantes parce qu’on prend conscience qu’il y a une autre façon de réagir et d’obtenir les choses. Enfin, l’étude écarte la pensée de la mort, de la dépression, du suicide. Alors que les actes d’automutilation, comme des brûlures, coupures sur la peau, avaler des lames ou des substances toxiques sont courants en prison, on observe qu’ils diminuent chez les personnes engagées dans un processus éducatif (<em>L’exercice effectif du droit aux études universitaires en milieu carcéral. L’expérience française</em>. Rassegna italiana di criminologia, en cours de publication).</p>
<p>Intéressant à cet égard le témoignage S., 31 ans, détenu en Maison d’arrêt :</p>
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<p>« La dépression est un vortex capable de tout aspirer, c’est pourquoi il faut le bloquer au plus vite en s’accrochant à une pensée, à une chose à faire. Quand je ressentais cette angoisse grandir en moi, je me levais de ma couchette et j’allais étudier. L’anxiété s’apaisait peu après et les choses que je faisais me faisaient me sentir utile » (entretien fait le 6 juin 2019).</p>
</blockquote>
<h2>L’amélioration des relations interpersonnelles</h2>
<p>La recherche actuelle de l’auteur s’est concentrée sur un échantillon de 35 ex-détenus (hommes et femmes) qui ont effectué un parcours d’études en présentiel en milieu carcéral (principalement en maisons d’arrêt) en référence surtout aux études supérieures et universitaires.</p>
<p>La relation avec d’autres personnes, la confrontation avec d’autres modes de pensée, la comparaison des modèles positifs et l’échange de communication avec l’enseignant génèrent une attente constructive qui motive et guide. Se donner un but, un objectif, se préparer à la prochaine rencontre avec le professeur <a href="https://www.cairn.info/revue-deviance-et-societe-2004-1-page-57.htm">rend le temps de la prison moins accablant</a>.</p>
<p>En fonction des résultats de la recherche empirique menée on remarque moins de conflits avec les agents de surveillance et moins de bagarres entre détenus à l’intérieur des quartiers de prisons comme en témoigne un surveillant-chef d’une maison d’arrêt.</p>
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<p>« Parmi les détenus qui se trouvent en prison, ceux qui vont à l’école sont moins violents et moins agressifs que les autres. Le changement est perceptible dès les premiers mois. Les détenus respectent davantage les règles, demandent les choses avec plus de gentillesse, ils améliorent leur langage, leur façon de se comporter envers les autres devient de plus en plus compréhensif, patients. Nous comprenons tout de suite, avant même les professeurs, qui continuera et qui est réellement motivé à poursuivre ses études » (M., 50 ans, en service depuis 1991, entretien réalisé le 6 novembre 2019).</p>
</blockquote>
<p>La culture par le biais de l’éducation assume donc un rôle : elle est vécue comme facteur de rachat et inclusion, favorise un savoir-faire réflexif, un parcours introspectif, une nouvelle idée d’ordre, une <a href="http://www.champsocial.com/book-l_enseignement_universitaire_en_milieu_carceral_experiences_comparees_entre_la_france_et_l_italie,1195.html">nouvelle planification de vie</a>. Pour cette raison, parier sur la culture et la formation peut être un élément important pour promouvoir la réadaptation et la réinsertion des détenus.</p>
<h2>Les effets sur les familles</h2>
<p>L’engagement culturel, ponctuel et continu, de la personne qui décide d’étudier en prison a un effet étonnamment positif sur les dynamiques familiales. L’étude stimule un dialogue constructif, le lexique utilisé dans les rencontres est meilleur, la façon de poser les questions change, la personne est moins agressive, les rapports sont moins tendus et les enfants sont les premiers à apprécier ce type de changement.</p>
<p>Par exemple, la femme d’un détenu me confie que son fils craignait son père, même s’il n’avait jamais été violent envers lui, ni envers son épouse, mais à chaque fois il inventait des prétextes parce qu’il ne voulait pas aller lui rendre visite en prison. Les deux se connaissaient très peu et le mari, complètement pris par ses soucis, n’était pas en mesure de vraiment parler. Il n’y avait pas de dialogue. Après que son mari ait commencé le parcours éducatif, il s’est montré plus intéressé aux problèmes de l’enfant, à sa vie. Il l’écoutait plus, savait parler de manière plus douce et plus attentive reprenant peu à peu le contact avec son fils, entraînant un cercle vertueux. De fait, la colère et l’incompréhension des membres de la famille se traduisent souvent par l’absence de visite, ce qui fait que le détenu est plus nerveux et irascible en section ou fortement déprimé. La famille est une aide et un point de référence substantiel pour ceux qui vivent en détention et toutes les modalités pour renforcer ce type de liens doivent être <a href="https://www.cairn.info/famille-a-l-epreuve-de-la-prison--9782130592181.htm">absolument encouragées</a>.</p>
<p>Avec l’étude, on acquiert un langage plus approprié, à mieux maîtriser la colère réprimée et la frustration. Ces compétences acquises augmentent progressivement la capacité de communication et la confiance en soi permettant au détenu-étudiant d’avoir plus de chances de trouver un <a href="https://www.ibs.it/carcere-luogo-dimenticato-libro-patrizia-pacini-volpe/e/9788833395500">emploi mieux rémunéré une fois libéré</a> comme il ressort des nombreux exemples étudiants détenus italiens qui ont fait leurs études universitaires en prison.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/438828/original/file-20211222-49721-w0ixrd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/438828/original/file-20211222-49721-w0ixrd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/438828/original/file-20211222-49721-w0ixrd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=833&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/438828/original/file-20211222-49721-w0ixrd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=833&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/438828/original/file-20211222-49721-w0ixrd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=833&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/438828/original/file-20211222-49721-w0ixrd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1046&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/438828/original/file-20211222-49721-w0ixrd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1046&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/438828/original/file-20211222-49721-w0ixrd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1046&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Elton Kalica, chercheur en sociologie à l’université de Padoue et auteur de deux livres : La pena di morte viva. Ergastolo, 41 bis e diritto penale del nemico, Meltemi, Roma, 2019 et a dirigé avec Simone Santorso, Farsi la galera. Spazi e culture del penitenziario, Ombre Corte, Verona, 2018.</span>
<span class="attribution"><span class="source">E.Kalica</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Nous citerons ainsi le cas de Elton Kalica condamné à de nombreuses années de prison qui a obtenu un diplôme en prison en poursuivant ses études de doctorat en sociologie une fois libre. Il est actuellement chercheur à l’Université de Padoue.</p>
<p>Pensons aussi à W.F., détenu pour des délits politiques, qui, une fois diplômé en prison et fort de l’habilitation nécessaire, a obtenu un emploi de professeur de lettres dans l’école publique. C’est aussi le cas de M., condamné à une longue peine. Après avoir obtenu un diplôme en philosophie et publié certains livres, il est actuellement rédacteur d’une importante revue littéraire suisse. L’expérience de C., est également intéressante. Détenu extracommunautaire, diplômé en ingénierie en milieu carcéral, il est depuis deux ans employé dans une entreprise technique très réputée. Nos enquêtes ont montré qu’il ne s’agit pas de cas isolés.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/-Mb5UVyC8bM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Philippe Maurice, ancien détenu et gracié en 1981 est devenu chercheur au CNRS et spécialiste en histoire médiévale.</span></figcaption>
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<p>En France, l’histoire de <a href="https://journals.openedition.org/labyrinthe/928">Philippe Maurice</a> est certainement célèbre. Cet ancien détenu, condamné à mort par la justice française en 1980 puis gracié, est devenu historien au cours de sa détention après avoir obtenu son doctorat à l’université de Tours.</p>
<p>Il s’est spécialisé en histoire médiévale et est désormais chargé de recherche au <a href="http://www.thelabs.sp.unipi.it/patrizia-pacini-volpe-il-valore-della-cultura-in-carcere-lesperienza-francese-del-polo-universitario-di-paris-diderot">CNRS</a>. À cet égard, on pourrait aussi citer des cas internationaux déjà connus par les médias tels <a href="https://edition.cnn.com/2020/12/12/us/former-gang-member-teacher-trnd/index.html">Darrion Cockrell</a> ancien membre de gang devenu l’un des meilleurs enseignants du Missouri.</p>
<h2>Les obstacles</h2>
<p>Malgré la reconnaissance désormais unanime de l’étude dans le parcours de réinsertion des condamnés, la réalité reste plutôt contrastée et les parcours d’études se heurtent à de nombreuses <a href="https://www.guerini.it/index.php/prodotto/universita-e-carcere/">difficultés</a>.</p>
<p>En effet, comme je l’ai observé dans mes recherches, bien que les prisonniers soient fortement motivés pour obtenir un diplôme ou reprendre les parcours de formation culturelle prématurément interrompus, l’étude en milieu carcéral se produit souvent par <a href="http://www.champsocial.com/book-l_enseignement_universitaire_en_milieu_carceral_experiences_comparees_entre_la_france_et_l_italie,1195.html">« stop et go »</a>. En effet les nombreuses fragilités psychologiques et émotionnelles, amplifiées par l’incarcération, entravent souvent le processus d’apprentissage.</p>
<p>Ainsi tel a peur d’être trompé par sa femme ou angoisse à l’idée de ne pouvoir revoir ses enfants. Tel autre est miné par le décès d’un parent, un rapport disciplinaire jugé injuste, une audience qui a mal tourné… Ces facteurs peuvent provoquer un <a href="https://www.ibs.it/carcere-luogo-dimenticato-libro-patrizia-pacini-volpe/e/9788833395500">état de profonde dépression</a> mettant souvent fin au travail entrepris.</p>
<p>Des obstacles de type technico-gestionnaire et sécuritaires parasitent <a href="https://www.cairn.info/par-dela-les-murs--9782130539377.htm">voire paralysent aussi</a> le processus.</p>
<p>La mise en place et déroulement des cours dépendent largement de la surveillance et des moyens économiques attribués à cette activité. Or les recherches font état d’une forte disproportion entre moyens sécuritaires et services éducatifs (et même psychologiques) au regard des besoins réels des prisonniers et de leur réinsertion future dans la <a href="https://www.ibs.it/carcere-luogo-dimenticato-libro-patrizia-pacini-volpe/e/9788833395500">société</a>.</p>
<h2>Un caprice culturel ?</h2>
<p>L’étude en prison, en particulier le parcours universitaire, est considérée à divers titres par l’administration pénitentiaire comme un caprice culturel bénéficiant à quelques heureux élus, et <a href="http://www.thelabs.sp.unipi.it/patrizia-pacini-volpe-il-valore-della-cultura-in-carcere-lesperienza-francese-del-polo-universitario-di-paris-diderot/">donc comme une perte de temps, en particulier pour les surveillants</a>.</p>
<p>Les surveillants montrent une certaine réticence face à la présence d’externes, capables d’émettre un jugement critique sur la prison. De cette manière, les cours prévus par la loi se limitent dans la plupart des cas à des cours essentiels en privilégiant nettement les cours à distance, bien que, comme il a été remarqué lors de cette recherche, ils n’aient pas les mêmes effets sur les détenus.</p>
<h2>Le droit d’étudier : une mesure à élargir ?</h2>
<p>En l’Italie, l’expérience des études universitaires en prison est répandue et implique à ce jour 31 universités, environ 1000 détenus-étudiants inscrits et 70 <a href="http://www.enap.justice.fr/atelier-du-cirap-promouvoir-la-formation-universitaire-en-milieu-carceral-experiences-comparees">pénitenciers</a>. En France seule <a href="http://www.thelabs.sp.unipi.it/patrizia-pacini-volpe-il-valore-della-cultura-in-carcere-lesperienza-francese-del-polo-universitario-di-paris-diderot">l’université Paris Diderot</a> propose des cours au sein de la prison de la Santé et de Fresnes.</p>
<p>Par ailleurs, la possibilité d’étudier n’est pas donnée <a href="http://www.champsocial.com/book-l_enseignement_universitaire_en_milieu_carceral_experiences_comparees_entre_la_france_et_l_italie,1195.html">à tous</a> : ce sont les éducateurs du SPIP (Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation) qui font une sélection préalable parmi ceux qui peuvent accéder aux cours, or souvent les détenus n’ont même pas connaissance de ces dispositifs.</p>
<p>Ces derniers font l’objet de communication assez aléatoire, souvent en fonction de l’ouverture d’esprit du directeur et du commandant de la sécurité et non des droits que devraient protéger les détenus.</p>
<p>C’est en partant de ce constat que j’ai proposé, avec le soutien du Centre de Recherches en Histoire des Idées de l’Université Côte d’Azur et le laboratoire Mesopolhis d’Aix-Marseille Université, de lancer une initiative expérimentale afin de sensibiliser les universités françaises et la direction de l’Administration pénitentiaire (DAP) pour essayer de créer un circuit éducatif semblable au circuit italien. L’objectif étant de sensibiliser les professionnels et instaurer un dialogue avec l’aide d’experts français et italiens pour promouvoir de nouvelles lignes d’intervention.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/172426/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Patrizia Pacini Volpe est membre de l'association A.N.V.P.</span></em></p>Des enquêtes montrent que contrairement à l’opinion la plus répandue, l’étude en prison a des conséquences positives et immédiates sur la réinsertion des détenus.Patrizia Pacini Volpe, ATER en science politique, Sciences Po RennesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1734532021-12-23T19:58:39Z2021-12-23T19:58:39ZComment les amphétamines de synthèse se sont imposées<p>Dans un <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/emmanuel-macron-au-figaro-je-me-bats-pour-le-droit-a-la-vie-paisible-20210418">entretien publié le 18 avril 2021</a>, le président de la République Emmanuel Macron appelait à «lancer un grand débat national sur la consommation de drogues». L'interview développait surtout le volet répressif de la politique en matière de lutte contre les drogues et l'efficacité des mesures envisagées a immédiatement fait l'objet de controverses.</p>
<p>Un consensus devrait pourtant se dégager du débat quant à la reconnaissance des addictions comme risque majeur pour la santé publique.</p>
<p>La consommation d'amphétamines (des psychotropes stimulants), documentée depuis plus d'un siècle, ne doit pas être écartée de cette prise de conscience. En effet, l’<a href="https://theconversation.com/sexe-et-amphetamine-ou-chemsex-les-dessous-dune-association-dangereuse-en-plein-essor-157804">émergence de nouvelles formes de toxicomanies associées aux amphétamines de la famille des cathinones</a> constitue désormais en France un phénomène préoccupant.</p>
<h2>Brève histoire (médicale) des amphétamines de synthèse</h2>
<p>La <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/21365072/">première purification chimique d'une amphétamine</a> (l'éphédrine) est attribuée à Nagai Nagayoshi, un pharmacien japonais, et daterait de 1885. La <a href="https://www.researchgate.net/publication/6646370_The_origin_of_MDMA_Ecstasy_-_Separating_the_facts_from_the_myth">synthèse de l'ecstasy</a> (ou MDMA, pour 3,4-méthylènedioxy-N-méthylamphétamine) par les laboratoires Merck remonte quant à elle à 1912, et la première synthèse d'une cathinone (la β-kéto-amphétamine) à 1929.</p>
<p>Dans la première moitié du XX<sup>e</sup> siècle, les effets de ces molécules de synthèse ont captivé les chimistes et suscité l'intérêt du monde médical.</p>
<p>Leurs activités <a href="https://dictionnaire.acadpharm.org/w/Sympathomim%C3%A9tique">sympathomimétique (stimulant)</a>, <a href="https://dictionnaire.acadpharm.org/w/Anorexig%C3%A8ne">anorexigène (coupe-faim)</a> et <a href="https://dictionnaire.acadpharm.org/w/Psychostimulant">psychostimulante (dopante)</a> ont conduit à la <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3666194/">commercialisation des premiers médicaments à base d'amphétamine</a> : un bronchodilatateur avec la Benzédrine® en 1934 aux États-Unis (un sulfate d'amphétamine), un coupe-faim avec l'Obetrol® dès les années 1950 également aux États-Unis (une combinaison de sels d'amphétamine), et un énergisant avec le Pervitin® (une méthamphétamine) en Allemagne à la fin des années 1930.</p>
<p>Puissante méthamphétamine, cette dernière molécule sera délivrée en pharmacie sans ordonnance et largement distribuée aux troupes allemandes pendant la Seconde Guerre mondiale. Grâce à son effet dopant de longue durée, elle aurait joué un rôle déterminant au début du conflit dans le succès de la stratégie de guerre éclair (<em>blitzkrieg</em>), en permettant aux <a href="https://books.google.fr/books/about/L_extase_totale.html?id=MLBmDwAAQBAJ">soldats de marcher et de se battre sans dormir pendant plusieurs jours</a>.</p>
<p>L'utilisation médicale des dérivés d'amphétamines s'est poursuivie après guerre. À la fin du XX<sup>e</sup> siècle, sont ainsi prescrits des psychostimulants pour lutter contre les déficits d'attention comme l'Ordinator® (qui cessera d'être commercialisé en 1997) ou encore des coupe-faim comme l'Isoméride® et le Mediator® (prescrits pour des troubles métaboliques et en particulier le diabète). Ils seront retirés du marché en 1997 et 2009, respectivement, en raison de graves effets indésirables entraînant plusieurs <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/03/29/scandale-du-mediator-les-laboratoires-servier-condamnes-a-2-7-millions-d-euros-d-amende_6074840_3224.html">condamnations des Laboratoires Servier</a>.</p>
<p>Aujourd'hui, demeurent disponibles mais avec d'importantes restrictions de prescription : le Zyban®, comme aide au sevrage tabagique, et la Ritaline® pour les troubles du déficit de l'attention chez l'enfant et la narcolepsie chez l'adulte. Cette dernière spécialité, dont le <a href="https://www.has-sante.fr/upload/docs/evamed/CT-18471_CONCERTA_PIC_REEV_RI_AvisDef_CT18471.pdf">service médical rendu a été confirmé par la Haute Autorité de Santé</a>, est probablement celle ayant été la plus utile sur le plan médical à ce jour.</p>
<h2>Du rôle naturel aux premières consommations</h2>
<p>L'usage des amphétamines ne date pas de leur découverte par la chimie de synthèse. Ces composés existent à l’<a href="https://www.pourlascience.fr/sd/botanique/l-arsenal-immunitaire-des-plantes-6985.php">état naturel dans certaines plantes</a>. Ils y constituent des molécules de défense contre les herbivores, comme d'autres alcaloïdes végétaux.</p>
<p>Ainsi, l'éphédrine a été purifiée à partir d'un végétal utilisé dans la pharmacopée chinoise – <a href="https://www.vidal.fr/parapharmacie/complements-alimentaires/ephedrine-ma-huang.html"><em>Ephedra sinica</em></a>. Mais la plante la plus connue et la plus importante sur le plan sociétal et économique est le khat, de son nom latin <a href="https://www.mnhn.fr/fr/collections/ensembles-collections/collections-vivantes/jardin-botanique-val-rahmeh-menton/khat"><em>Catha edulis</em></a>, dont les feuilles fraîchement récoltées contiennent de la β-kéto-amphétamine ou cathinone (qui se dégrade rapidement après récolte).</p>
<p>Le khat serait originaire d'Éthiopie, où il pousse à l'état sauvage dans des zones tempérées situées à plus de 1500 mètres d'altitude et bénéficiant d'une bonne pluviométrie. Ces exigences de culture proches de celle du café arabica ont permis à la culture du khat de s'étendre à certaines zones de la péninsule Arabique, de l'Afrique de l'Est et de Madagascar.</p>
<p>La consommation de khat pourrait être antérieure à l'an 1000, bien qu'elle semble s'être intensifiée à partir du XV<sup>e</sup> siècle. Au Yémen, où environ 60% de la population en consomme (30% en Éthiopie et en Somalie), sa culture représente près de <a href="https://openknowledge.worldbank.org/handle/10986/7734">6% du produit intérieur brut et mobilise 14% de la population active</a>.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="Rameaux de khat saisis" src="https://images.theconversation.com/files/436416/original/file-20211208-19-16wgk73.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/436416/original/file-20211208-19-16wgk73.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=930&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/436416/original/file-20211208-19-16wgk73.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=930&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/436416/original/file-20211208-19-16wgk73.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=930&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/436416/original/file-20211208-19-16wgk73.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1169&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/436416/original/file-20211208-19-16wgk73.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1169&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/436416/original/file-20211208-19-16wgk73.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1169&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les feuilles de khat doivent être consommées en grande quantité et rapidement, car la cathinone qu'elles contiennent se dégrade vite. Ce qui en complexifie l'usage.</span>
<span class="attribution"><span class="source">DEA</span></span>
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<p>Pour le consommateur, l'accès aux effets psychotropes des cathinones n'est pas aisé. Il faut d'abord se procurer des rameaux fraîchement coupés puis mastiquer longuement ses feuilles amères pour en extraire le principe actif. Une botte de 500 grammes de rameaux, soit environ 150 g de feuilles, nécessite deux heures de mastication.</p>
<p><a href="https://www.bibliomed.org/?mno=14421">Consommer du khat</a> de façon traditionnelle demande donc du temps, mais aussi de l'argent – au détriment de la santé ou de l'éducation des enfants.</p>
<h2>De l'ecstasy aux cathinones de synthèse</h2>
<p>Comparativement au khat, les amphétamines de synthèse offrent des effets psychotropes décuplés, tout en étant plus simples à produire, transporter, conserver et consommer.</p>
<p>En France, les <a href="https://www.drogues.gouv.fr/comprendre/les-produits/amphetamines">amphétamines sont classées comme stupéfiants depuis 1967</a>. Le développement de leur utilisation comme drogue à partir des années 1990 est associé à l'avènement de la musique électronique et aux raves parties : l'ecstasy (MDMA) est alors utilisée comme drogue festive, pour son effet dopant et facilitateur de contacts humains.</p>
<p>Le tournant des années 2000 est quant à lui marqué par l'émergence du marché des drogues de synthèse sur Internet – ou nouveaux produits de synthèse (NPS). On y trouve les déclinaisons de différents de psychotropes, principalement : les <a href="https://dictionnaire.acadpharm.org/w/Cannabino%C3%AFde">cannabinoïdes</a>, les amphétamines <a href="https://dictionnaire.acadpharm.org/w/Opio%C3%AFde">opioïdes</a>, les <a href="https://dictionnaire.acadpharm.org/w/K%C3%A9tamine">kétamines</a> et, à partir des années 2010, les cathinones de synthèse – cousines bodybuildées de l'alcaloïde du khat.</p>
<p>Avec elles, les amphétamines vont sortir de l'usage occasionnel et marginal d'expérimentateurs peu nombreux pour toucher une large population, socialement bien intégrée et consommatrice régulière.</p>
<h2>Une drogue qui active le système de la récompense</h2>
<p>Pour comprendre le dangereux succès actuel des cathinones, il faut se pencher sur le mode d'action des amphétamines sur notre cerveau.</p>
<p>La structure des cathinones est proche de celle de la dopamine, un <a href="https://dictionnaire.acadpharm.org/w/Neurotransmetteur">neurotransmetteur</a> qui joue un rôle majeur dans le circuit de la récompense. Le système de renforcement/récompense est présent chez beaucoup d'animaux (poissons, oiseaux, mammifères) où il favorise des comportements essentiels à la perpétuation de l'espèce : manger, apprendre, se reproduire, avoir des relations sociales. Les cathinones agissent directement sur ce système.</p>
<p>Après ingestion, inhalation ou injection, les cathinones, de petite taille, passent facilement la barrière hémato-encéphalique qui protège le cerveau. Elles vont alors interagir avec les neurones à dopamine, en empêchant sa recapture et en favorisant sa libération. Les cathinones induisent par ces mécanismes une augmentation considérable de dopamine. Chez le rat, 40 minutes après l'administration d'une dose standard de cathinone, la <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/21615721/">hausse du taux de dopamine est de l'ordre de 500%</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/437184/original/file-20211213-25-1fgnj5d.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Schéma décrivant le mode d'action des cathinones" src="https://images.theconversation.com/files/437184/original/file-20211213-25-1fgnj5d.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/437184/original/file-20211213-25-1fgnj5d.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=388&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/437184/original/file-20211213-25-1fgnj5d.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=388&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/437184/original/file-20211213-25-1fgnj5d.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=388&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/437184/original/file-20211213-25-1fgnj5d.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=488&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/437184/original/file-20211213-25-1fgnj5d.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=488&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/437184/original/file-20211213-25-1fgnj5d.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=488&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les cathinones influent sur le système de la récompense en interagissant avec les neurones à dopamine, un neurotransmetteur qui intervient dans la sensation de plaisir.</span>
<span class="attribution"><span class="source">E. Tuaillon</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>Cet afflux de dopamine va activer les circuits du système de la récompense. Ce sont ces effets stimulants et entactogènes (altérant le désir de contact physique) que vont rechercher les consommateurs dans un usage à visée sexuelle notamment.</p>
<p>En l'absence de nouvelle prise, la concentration de dopamine baisse rapidement et revient à la normale après environ 180 minutes. Un bref syndrome de sevrage (descente) est fréquemment rapporté par les consommateurs 24h à 48h après les prises, il se caractérise notamment par une fatigue et un sentiment négatif général (dysphorie).</p>
<p>L'usage des amphétamines au XX<sup>e</sup> siècle a ainsi été marqué non seulement par un accès plus aisé, grâce à la synthèse chimique, mais également par la tentation d'améliorer ses capacités physiologiques – le tout souvent dans un contexte festif.</p>
<p>À notre époque de réalité augmentée et de satisfactions immédiates, les cathinones sont devenues les porteuses d'une trompeuse promesse de satisfaire facilement nos désirs…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/173453/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Edouard TUAILLON est membre de la Société française de microbiologie.
Il a reçu des soutiens financiers, bourse de recherches subventions des organisations suivantes : l'Agence national de recherche sur le Sida et les hépatites virales (ANRS), l'Université et du CHU de Montpellier, des groupements Interrégionaux de Recherche Clinique et d'innovation, la fondation Pierre Fabre, les laboratoire Gilead et ViiV, les sociétés Biomérieux, Biocentric et DiaSorin</span></em></p>D'où viennent les amphétamines ? Quels ont été leurs usages, de médical à festif ? Comment agissent-elles ? Retour sur leur étonnant parcours pour comprendre leur impact en santé publique.Edouard TUAILLON, Professeur des Universités-Praticien Hospitalier. Domaines d'expertise : maladies infectieuses, virologie, santé sexuelle, Université de MontpellierLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1719692021-12-02T19:17:03Z2021-12-02T19:17:03ZLes équivoques du pardon : la conférence épiscopale face au rapport Sauvé<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/435003/original/file-20211201-15-15ni95c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C23%2C794%2C541&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Confessionaux de la chapelle de Chateau-Vieux d'Allinges, Haute-Savoie, France.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Fr_Allinges_Chapel_of_Chateau-Vieux_Confessionals.jpg">Pethrus/Wikimedia </a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>L’interrogation sur la moralité du pardon revient en force à l’occasion de la révélation de l’ampleur de la pédocriminalité dans l’Église catholique en France de 1950 à 2020. Le <a href="https://www.ciase.fr/rapport-final/">rapport</a> de la commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (CIASE) appelle l’institution à la reconnaissance de la réalité du mal commis et à « une humble reconnaissance de responsabilité de la part des autorités de l’Église pour les fautes et les crimes commis en son sein » ; à un « chemin de contrition » et à une entreprise de réparation. « Il ne peut y avoir d’avenir commun sans un travail de vérité, de pardon et de réconciliation. »</p>
<p>Les études philosophiques sur le pardon peuvent éclairer ces conclusions, car elles affrontent deux questions. Quelles sont les conditions pour qu’il s’agisse d’un pardon et non d’autre chose (oubli ou insouciance) ? Et quelles conditions pour que cette pratique soit appropriée ?</p>
<p>Selon le <a href="https://www.jstor.org/stable/4544851">paradoxe du philosophe Aurel Kolnai</a>, le pardon, supposé répondre à une faute grave, est soit injustifié, soit sans objet. À première vue, il n’est donc jamais justifié. On accorde qu’il ne consiste pas à fermer, mais à ouvrir les yeux sur la réalité de la faute et suppose sa <a href="https://doi.org/10.1093/acprof:oso/9780199329397.001.0001">mémoire partagée</a>. On admet généralement qu’il n’y a pas de droit au pardon. La réflexion a été particulièrement alimentée par l’expérience des commissions de <a href="https://doi.org/10.1017/CBO9780511619168">vérité et réconciliation</a> qui ont dû faire face aux crimes collectifs de l’apartheid.</p>
<h2>« Le risque de dévoiement du pardon »</h2>
<p>Dans le cas du rapport Sauvé, le registre emprunte à la fois au lexique du sacrement de pénitence et à celui, tant séculier que religieux, de la réparation et d’une forme de <a href="https://www.cairn.info/revue-rue-descartes-2018-1-page-58.htm">justice restaurative</a> centrée sur les victimes. Cependant, le Rapport dénonce l’instrumentalisation du pardon par les agresseurs. Une recommandation de la CIASE attire l’attention sur « le risque de dévoiement du pardon en facile absolution des bourreaux, pire comme une exigence incombant aux victimes de pardonner à leurs persécuteurs ». Il s’agit aussi, dans la formation des prêtres, de rappeler « la nécessité préalable de la sanction ou de la rétribution des crimes et des délits… ».</p>
<p>Le <a href="https://eglise.catholique.fr/actualites/dossiers/assemblee-pleniere-de-novembre-2021/520477-discours-de-cloture-de-lassemblee-pleniere-de-la-conference-des-eveques-de-france-le-lundi-8-novembre-2021/">discours de clôture</a> de l’assemblée de la Conférence des évêques de France, le 8 novembre 2021, fait référence à un pardon de Dieu qui « devrait fortifier le coupable pour qu’il se prépare à rendre compte de ses actes et à en assumer les conséquences ».</p>
<p>Il n’est pas étonnant que des clercs expriment dans le vocabulaire de leur confession la manière dont ils croient devoir répondre à des crimes engageant leur église.</p>
<h2>La matrice théologique du pardon</h2>
<p>Mais des visions différentes du pardon se télescopent. La première est celle du pardon interpersonnel, celui que la <a href="https://doi.org/10.7202/1042752ar">victime seule</a> ou son représentant est en droit d’accorder ou de refuser au coupable, ou de ne même pas considérer. La seconde est celle du pardon que, selon la théologie catholique, Dieu peut accorder, souverainement, au pécheur.</p>
<p>La Conférence espère dans le pardon divin des fautes qu’elle reconnaît être celles de l’institution, et qui sont distinctes de celles des auteurs des agressions sexuelles. De manière oblique, elle fait allusion au pardon humain qu’elle sait ne pas être en droit d’attendre. Elle entend le rapport de la CIASE :</p>
<blockquote>
<p>« Lorsqu’elles ont été prises au sérieux, les personnes agressées ont reçu une demande de pardon au nom de l’Église, et ont été invitées à pardonner [à] leur agresseur. Ces demandes de pardon, de même que les offres de prières, ont été perçues par les enquêtées comme une violence supplémentaire… »</p>
</blockquote>
<h2>Conditionnel ou inconditionnel ?</h2>
<p>Dans le cas de crimes graves, on a du mal à admettre que le pardon humain puisse être inconditionnel. On peut l’admettre de la part de victimes à la suite d’une punition légale sévère. Mais un regard religieux peut être tenté de valoriser le pardon inconditionnel comme l’expression de cet amour pratique qui est une image de l’amour divin. La théologie catholique fixe cependant des conditions du sacrement de pénitence et de réconciliation. Selon la conception catholique de l’absolution des péchés, le prêtre a un pouvoir de pardonner au nom du Christ, qu’il exerce en l’assortissant d’une condition d’examen de conscience, d’aveu, de repentir ; la pénitence, selon la gravité de la faute, peut impliquer une réparation.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/434500/original/file-20211129-72623-fm387j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/434500/original/file-20211129-72623-fm387j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/434500/original/file-20211129-72623-fm387j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=938&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/434500/original/file-20211129-72623-fm387j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=938&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/434500/original/file-20211129-72623-fm387j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=938&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/434500/original/file-20211129-72623-fm387j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1179&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/434500/original/file-20211129-72623-fm387j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1179&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/434500/original/file-20211129-72623-fm387j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1179&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"><em>Te absolvo</em>, une œuvre de Josip Urbanija (1910).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Absolution_(christianisme)#/media/Fichier:Josip_Urbanija_-_Absolvo_te_1910.jpg">Digital Library of Slovenia/Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le pardon humain n’est pas incompatible avec la punition légale humaine (ni avec la supposée punition divine). Ils peuvent <a href="https://doi.org/10.1093/arisoc/aoy003">se cumuler</a>. Mais le pardon divin, compatible aussi avec la punition humaine, comme le rappelle la Conférence, est par définition incompatible avec la punition divine (il peut y faire suite, mais dans ce cas il y met un terme). Et cela, que l’on conçoive ce pardon comme une suspension de la colère divine ou, selon une métaphore qui insiste plus sur la justice que sur les émotions supposées de Dieu, comme un effacement de la dette que, <a href="https://doi.org/10.1093/0198248490.001.0001">selon certains</a>, le péché constitue.</p>
<p>Le christianisme assigne une condition au pardon divin, à savoir le pardon humain lui-même, bien que la nécessité et la causalité de cette condition restent l’objet de controverses qui ont une grande affinité avec celles qui concernent la grâce, comme on le voit dans la théologie d’<a href="https://www.cairn.info/saint-augustin-et-les-actes-de-parole--9782130524694-page-223.htm">Augustin</a>. Le Notre Père en donne un condensé : « Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés ». On attache communément au catholicisme une conception très forte de la condition de pardon humain, comme s’il était un moyen d’obtenir le pardon divin.</p>
<h2>Vers la libération ?</h2>
<p>Le président de la Conférence déclare :</p>
<blockquote>
<p>« La miséricorde de Dieu met à nu ce qui fait notre honte mais pour nous permettre d’en être libérés et soignés, peut-être un jour guéris, et elle nous indique un chemin de relèvement. »</p>
</blockquote>
<p>L’horizon suggéré par le vocabulaire de la libération est l’absolution. Il peut sembler présomptueux de l’employer quand l’institution fautive n’a pas fini de parcourir les étapes d’examen de conscience et de contrition.</p>
<p>Ce registre n’est pas adéquat à l’engagement de la Conférence dans une entreprise de pénitence institutionnelle qui consiste notamment en la prise en charge de réparations. Comme le dit une victime :</p>
<blockquote>
<p>« Le pardon c’est quand on peut tourner la page une fois qu’on l’a lue, si on la tourne sans la lire, ça ne va pas. »</p>
</blockquote>
<p>Il est douteux qu’une perspective qui donne au pardon un sens religieux soit la bonne optique. Les crimes individuels et les fautes collectives qui leur sont associées appellent des réponses autres que théologiques. Le salut de leurs agresseurs n’importe pas aux victimes.</p>
<p>L’Église catholique n’a-t-elle été que le « lieu » des agressions sexuelles, selon un mot du <a href="https://eglise.catholique.fr/actualites/dossiers/assemblee-pleniere-de-novembre-2021/520477-discours-de-cloture-de-lassemblee-pleniere-de-la-conference-des-eveques-de-france-le-lundi-8-novembre-2021/">discours du 8 novembre</a> ?</p>
<p>Le rapport de la CIASE y voit plus fortement leur « terreau ». Et l’Église admet sa part de responsabilité en s’engageant dans une réparation à venir, au-delà de la seule reconnaissance, et en deçà d’un pardon. C’est pourquoi ces quelques remarques sur le choc entre le scandale de la violence et le langage du pardon réagissent seulement à ce qui est dit, et non à ce qui sera fait.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171969/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Jaffro a reçu des financements de l'Agence nationale de la recherche pour le projet REACT : <a href="https://react.sciencesconf.org/">https://react.sciencesconf.org/</a></span></em></p>La conférence des évêques de France a réagi au rapport sur la pédocriminalité dans l’Église catholique en s’engageant dans une voie pénitentielle qu’elle envisage encore sous l’horizon du pardon.Laurent Jaffro, Professeur de philosophie morale, membre senior de l'Institut universitaire de France, directeur de Phare ("Philosophie, Histoire et Analyse des Représentations Economiques"), Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1718742021-11-24T11:23:52Z2021-11-24T11:23:52ZLa terreur, un instrument politique ?<p>Attentats ou projets d’attaques terroristes – islamistes ou <a href="https://www.la-croix.com/France/membres-lultra-droite-juges-projets-dattentats-2021-09-21-1201176455">d’extrême droite</a> – surveillance accrue des espaces publics, appareil législatif étendu en matière de sécurité, menaces récurrentes de <a href="https://www.streetpress.com/sujet/1636975134-neonazis-appellent-meurtre-melenchon-obono-bouhafs-journalistes-justice-extreme-droite-zemmour">personnalités publiques</a> sur les réseaux sociaux… En pleine campagne présidentielle, la thématique sécuritaire est remise en avant par le biais des <a href="https://elabe.fr/francais-securite-3/">sondages et des discours politiques</a>. La terreur, la peur du terrorisme, la façon dont on peut s’en protéger, sont ainsi entrées dans le champ lexical des candidats et de leurs programmes. À tel point qu’il importe de se demander si la peur du terrorisme et de la terreur n’est pas devenue un outil récurrent du politique ces dernières décennies.</p>
<p>Pourtant les ressorts de la violence et de la terreur s’avèrent divers et complexes et nécessitent de faire un détour par la violence politique, qui elle-même n’est pas identique <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/histoire/terrorismes/">au terme terreur</a>. Ainsi, le tyrannicide, la conjuration, l’attentat sont des manifestations de la <a href="https://calenda.org/281559">violence politique depuis l’Antiquité</a>.</p>
<p>Le mot terrorisme a été véritablement utilisé <a href="https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/fiche_produit/pdf/3303330403952_EX.pdf">à la fin du XVIIIᵉ siècle</a> et au XIX<sup>e</sup> siècle. Le terroriste n’est pas un opposant, il est dépeint comme un fanatique à abattre. On ne discute pas avec les terroristes, on les décime.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/432153/original/file-20211116-13-1nhve0p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/432153/original/file-20211116-13-1nhve0p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=463&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/432153/original/file-20211116-13-1nhve0p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=463&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/432153/original/file-20211116-13-1nhve0p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=463&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/432153/original/file-20211116-13-1nhve0p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=582&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/432153/original/file-20211116-13-1nhve0p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=582&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/432153/original/file-20211116-13-1nhve0p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=582&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Interrogatoire d’Émile Henry (Barcelone, 26 septembre 1872 – Paris, 21 mai 1894), anarchiste français, guillotiné pour avoir commis plusieurs attentats, dont le dernier visait les clients d’un café.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89mile_Henry_(anarchiste)#/media/Fichier:Interrogatorio_de_emile_henry.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le monde politique devient binaire. D’un côté les amis, de l’autre les ennemis. <a href="https://www.cairn.info/revue-parlements1-2010-2-page-159.htm">Émile Henry, une des figures de l’anarchisme</a> avait déclaré lors de <a href="https://www.lemonde.fr/livres/article/2009/07/09/dynamite-club-l-invention-du-terrorisme-moderne-a-paris-de-john-merriman_1216981_3260.html">son procès en 1894</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Dans cette guerre sans pitié que nous avons déclarée à la bourgeoisie, nous ne demandons aucune pitié. Nous donnons la mort. Nous saurons la subir. »</p>
</blockquote>
<h2>Comment définir la terreur ?</h2>
<p>La terreur n’est pas forcément le terrorisme. <a href="https://www.un.org/fr/observances/terrorism-victims-day">L’ONU a décrété en 2017</a> que le 21 août serait la journée internationale du souvenir en hommage aux victimes du terrorisme et donne une définition qui se veut atemporelle et englobante :</p>
<blockquote>
<p>« Des actes de terrorisme propageant un ensemble d’idéologies haineuses continuent de blesser, de nuire ou de tuer des milliers d’innocents chaque année ». De la sorte, ce qui importe, c’est moins les intentions ou les raisons invoquées que les gestes perpétrés.</p>
</blockquote>
<p>Au-delà des mises en perspective et des définitions, le terrorisme se caractérise par le carnage. À partir de 1800 avec <a href="https://journals.openedition.org/rh19/3991">l’explosion provoquée</a> rue Saint Nicaise à Paris contre Bonaparte, qui provoqua le décès de 22 personnes et une centaine de blessés ; <a href="https://www.senat.fr/histoire/les_proces_de_la_cour_des_pairs/le_proces_fieschi_1835.html">l’attaque de Fieschi en 1835</a> qui fit une vingtaine de morts et deux fois plus de blessés, ouvre un cycle nouveau de violence politique.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/432154/original/file-20211116-27-1bx39yj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/432154/original/file-20211116-27-1bx39yj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=371&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/432154/original/file-20211116-27-1bx39yj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=371&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/432154/original/file-20211116-27-1bx39yj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=371&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/432154/original/file-20211116-27-1bx39yj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=467&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/432154/original/file-20211116-27-1bx39yj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=467&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/432154/original/file-20211116-27-1bx39yj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=467&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’attentat de Felice Orsini contre Napoléon III devant la façade de l’Opéra, le 14 janvier 1858, par H. Vittori Romano (1862).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://carnavalet.paris.fr/fr/collections/l-attentat-de-felice-orsini-contre-napoleon-iii-devant-la-facade-de-l-opera-le-14">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pour les contemporains, la nouveauté résulte du fait qu’il ne s’agit plus d’armes blanches, mais de « véritables machines infernales », faites de barils de poudre, de grenades ou de bombes, qui provoquent le saccage des corps.</p>
<p>Avec l’attentat d’Orsini commis en 1858 contre Napoléon III et qui fit cent cinquante-six victimes, dont une dizaine succomba, la monstruosité du geste est mise en exergue par la presse et les politiques.</p>
<p>Il ne s’agit pas d’une simple comptabilité macabre. La vie humaine des promeneurs et des passants n’a plus guère d’importance. La description donnée dans <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k65270679.texteImage"><em>Les Mémoires de Monsieur Claude</em></a>, chef de la sûreté sous le Second Empire évoque « l’ouragan homicide », la saturation du paysage sonore et le regard qui semble se colorer de pourpre.</p>
<p>En effet, les mouvements de la foule, la fuite éperdue, les cris de terreur qui se mêlent aux plaintes des blessés et des mourants donnent l’impression que « Le sang ruisselait sur le pavé ; les affiches, sur les murs en étaient éclaboussées ». « C’est un fanatique » écrivent des journalistes.</p>
<p>Il convient cependant de distinguer le terrorisme d’État et le terrorisme contre l’État. Deux moments l’illustrent mieux que d’autres : la Révolution française et la période <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Bibliotheque-des-Histoires/Les-noms-d-epoque">« Fin de siècle »</a>.</p>
<h2>L’avènement d’un « appareil terroriste »</h2>
<p>Au moment de la Révolution française est institué ce que l’on a appelé la grande Terreur, qui n’est pas le fait d’individus isolés ou de groupes, mais du gouvernement révolutionnaire qui met en place un « appareil terroriste ».</p>
<p>À la différence d’autres situations ou d’autres massacres, <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/histoire/la-revolution-terrorisee/">elle est encadrée</a> par des <a href="https://www.academia.edu/25147592/Visages_de_la_Terreur_L_exception_politique_de_l_an_II_dir_Michel_Biard_et_Herv%C3%A9_Leuwers_Paris_Armand_Colin_2014_">textes, des votes et des décrets</a>.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/432157/original/file-20211116-27-6sbkxa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/432157/original/file-20211116-27-6sbkxa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/432157/original/file-20211116-27-6sbkxa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=915&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/432157/original/file-20211116-27-6sbkxa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=915&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/432157/original/file-20211116-27-6sbkxa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=915&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/432157/original/file-20211116-27-6sbkxa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1150&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/432157/original/file-20211116-27-6sbkxa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1150&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/432157/original/file-20211116-27-6sbkxa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1150&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Georges Danton (1759-1794) à la tribune (gravure, XIXᵉ siècle).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Georges_Jacques_Danton#/media/Fichier:DantonSpeaking.jpg">Auteur inconnu/Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La Terreur légale est au centre des <a href="http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/publications/TC_VARIA/CR_ouvrages/malaty_septembre2018.html">controverses</a> des <a href="https://journals.openedition.org/aad/3585">observateurs et historiens</a> de la Révolution.</p>
<p>Pour les uns, elle est le fruit des circonstances, devenue une nécessité inéluctable pour faire face à la guerre extérieure et à la guerre civile. Pour d’autres, elle n’est pas fortuite, car elle correspond à un système pensé entre le mois de mars et le mois de septembre 1793, autrement dit entre la création du tribunal révolutionnaire et la loi sur les suspects (17 septembre).</p>
<p>Entre les deux lectures existe une variété d’interprétations, renouvelée par les analyses sur l’instauration de la Grande Terreur, le 10 juin 1794. La phrase de Danton, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9cret_sur_la_cr%C3%A9ation_du_Tribunal_r%C3%A9volutionnaire">prononcée le 9 mars 1793</a>, est devenue célèbre :</p>
<blockquote>
<p>« Soyons terribles pour dispenser le peuple de l’être ».</p>
</blockquote>
<p>Une juridiction extraordinaire est préférable aux tueries collectives et l’allusion aux massacres de Septembre 1792 dans les prisons apparaît évidente. Il convient donc de créer un tribunal révolutionnaire, présenté comme « le tribunal suprême de la vengeance du peuple [qui] punira les ennemis de la Liberté ».</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/432159/original/file-20211116-13-1033b4s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/432159/original/file-20211116-13-1033b4s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/432159/original/file-20211116-13-1033b4s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=883&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/432159/original/file-20211116-13-1033b4s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=883&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/432159/original/file-20211116-13-1033b4s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=883&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/432159/original/file-20211116-13-1033b4s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1109&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/432159/original/file-20211116-13-1033b4s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1109&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/432159/original/file-20211116-13-1033b4s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1109&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Attentat de l’hôtel Terminus, Le Petit Journal Illustré, 26 Février 1894.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89mile_Henry_(anarchiste)#/media/Fichier:Attentat_de_l'h%C3%B4tel_Terminus.jpg">Osvaldo Tofani -- Bibliothèque nationale de France</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Un nouveau genre de terrorisme</h2>
<p>À la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, la France connaît des inégalités sociales considérables. Dans ce contexte, la France et le monde occidental connaissent des années 1880 à 1914 des attentats à la bombe. Un terrorisme d’un genre nouveau émerge. Lorsque Émile Henry qui se présente comme anarchiste s’attaque au café Terminus : des inconnus, des femmes et des hommes ordinaires deviennent des cibles.</p>
<p>Lors du procès d’un autre attentat commis en 1894 dans le restaurant Véry, un chroniqueur judiciaire ne cache pas sa stupeur quand des pièces à conviction sont présentées par l’expert légiste :</p>
<blockquote>
<p>« Au milieu de l’horreur générale, il montre aux jurés la jambe de l’infortuné Véry, déchiquetée, tombant en lambeaux, effroyable dans ce bocal d’alcool où on l’a conservé pour les besoins de l’audience. »</p>
</blockquote>
<h2>Des charges émotionnelles fortes</h2>
<p>Les intentions et les contextes ne sont pas similaires, mais les effets s’avèrent semblables. Les actes apparaissent aux yeux du plus grand nombre comme illégitimes. La <a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?gcoi=27246100505640">politiste Isabelle Sommier</a> avait évoqué en 1998 la violence politique et son deuil, <a href="https://www.librairiedalloz.fr/livre/9782200616878-violences-politiques-theories-formes-dynamiques-xavier-crettiez-nathalie-duclos/">c’est-à-dire l’abandon de la violence politique</a>.</p>
<p>La disqualification vient du fait que dans les démocraties d’opinion contemporaine, il existe de multiples façons de faire entendre sa voix, ce qui n’est pas le cas dans les régimes autoritaires ou dictatoriaux. Dans le passé, comme aujourd’hui, même si les causes défendues – régionaliste, religieuse, ou politique –, peuvent susciter, auprès de certains, la sympathie ou l’adhésion, les moyens employés par les terroristes suscitent l’indignation, le désaveu et la condamnation presque unanime.</p>
<p>Par ailleurs, le terrorisme symbolique qui choisit des cibles à forte charge émotionnelle comme les attentats du Bataclan ou de Charlie Hebdo véhicule une nouvelle série d’émotions.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/432162/original/file-20211116-15-1n239bm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/432162/original/file-20211116-15-1n239bm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/432162/original/file-20211116-15-1n239bm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/432162/original/file-20211116-15-1n239bm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/432162/original/file-20211116-15-1n239bm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/432162/original/file-20211116-15-1n239bm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/432162/original/file-20211116-15-1n239bm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le Bataclan après les attentats, Paris, le 15 novembre 2015.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Le_Bataclan_apr%C3%A8s_les_attentats,_Paris_3.jpg">Desiderio MauroWikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Il s’agit pour les auteurs de provoquer une réaction immédiate : la sidération, l’incompréhension, la peur. L’émotion devient un enjeu. Tout un pays, voire le monde entier, se trouve confronté à l’irruption d’un événement qui suscite souvent, dans un premier temps, la confusion et la recherche d’informations. Que s’est-il exactement passé ? De la sorte, la visée qui consiste, par l’entremise de l’horreur, à occuper l’espace médiatique est parfaitement accomplie.</p>
<p>L’attentat terroriste parvient en effet à focaliser toutes les conversations personnelles, l’ouverture des journaux radiophoniques et télévisés, et son traitement dans tous les médias. La différence avec les époques antérieures réside aussi dans la diffusion des images, parfois ressassées avec des spectatrices et spectateurs placés dans un état presque hypnotique. Que la rédaction de Charlie Hebdo soit choisie montre bien le glissement opéré : il ne s’agit pas du Parlement ni d’un ministère, mais bien d’un symbole de la liberté d’expression.</p>
<p>Insistons également sur le fait que le terrorisme symbolique peut s’en prendre aussi à des monuments, statues et plaques commémoratives, allant jusqu’à la destruction de sites appartenant au patrimoine de l’humanité.</p>
<h2>Un tournant auprès de l’opinion ?</h2>
<p>Il existe certes des différences entre les attentats commis par les terroristes russes du début du XX<sup>e</sup> siècle, parfois baptisé, les <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Tel/Politique-et-crime">« rêveurs de l’absolu »</a> et les actes terroristes commis au nom d’un Islam fondamentaliste.</p>
<p>L’attentat contemporain s’apparente à la catastrophe, il est immédiat et il doit être partagé dans l’instant. De la sorte, il n’autorise guère, en dehors de cercles étroits, l’analyse et la compréhension.</p>
<p>Le temps où Albert Londres consacra en 1932 un livre sur <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k206743q.image"><em>Le terrorisme dans les Balkans</em></a> semble très éloigné. On pourrait presque dire qu’un attentat chasse l’autre. Le « présentisme » fait que l’acte terroriste ne gagne pas en intelligibilité, mais en charge émotionnelle qui suscite la peur et renforce la demande de sécurité.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/432415/original/file-20211117-17-1o04zib.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/432415/original/file-20211117-17-1o04zib.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=369&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/432415/original/file-20211117-17-1o04zib.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=369&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/432415/original/file-20211117-17-1o04zib.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=369&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/432415/original/file-20211117-17-1o04zib.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=464&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/432415/original/file-20211117-17-1o04zib.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=464&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/432415/original/file-20211117-17-1o04zib.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=464&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Albert Soleilland, photographie d’identité judiciaire, 8 février 1907.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Albert_Soleilland#/media/Fichier:Albert_Soleilland_-_photos_d'identit%C3%A9_judiciaire.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Les actions terroristes peuvent s’apparenter au fait divers horrible. Il ne faut pas oublier que l’abolition de la peine de mort n’a pu être votée au début du XX<sup>e</sup> siècle à cause d’un fait divers sordide – <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/une-histoire-particuliere-un-recit-documentaire-en-deux-parties/laffaire-soleilland">l’affaire Soleilland</a> – arrêtant brutalement la dynamique du mouvement.</p>
<p>Les attentats anarchistes, dans une période qui ne connaissait guère de tensions et d’incertitudes sur le plan politique, ont abouti à l’adoption des lois dites « scélérates », restreignant les libertés.</p>
<p>Plus tard, au moment de la guerre d’Algérie, les attentats de l’OAS, conduisent à la création d’une police parallèle, peuplée de « Barbouzes ». De la sorte, <a href="http://journals.openedition.org/criminocorpus/6932">l’attentat terroriste encourage l’adoption de lois ou de mesures répressives</a> et permet aussi à des courants populistes de s’en emparer en promettant de juguler la menace.</p>
<p>Un des enjeux des démocraties est assurément de ne céder ni à la noirceur psychique ni, sans angélisme, aux sirènes émotionnelles. Même s’il s’avère impossible de parvenir à une définition internationale du terrorisme, s’est mise en place une stratégie d’ensemble contre le « terrorisme global » qui a durci le cadre juridique, mais reste inscrite dans la protection des droits de l’homme.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171874/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédéric Chauvaud ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’attentat terroriste parvient à focaliser toutes les conversations personnelles, l’ouverture des journaux radiophoniques et télévisés, et son traitement dans tous les médias.Frédéric Chauvaud, Professeur d'Histoire contemporaine, Université de PoitiersLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1716152021-11-16T18:52:30Z2021-11-16T18:52:30ZCommunication catholique et pédocriminalité des prêtres<p>Il y a somme toute quelque chose de paradoxal à parler de la communication catholique. Car le <a href="https://www.ciase.fr/rapport-final/">rapport</a> de la commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (<a href="https://www.ciase.fr/">Ciase</a>) montre que l’Église catholique, dans bien des cas, n’a pas communiqué, volontairement. Les affaires ont été tenues au secret. Les choses se sont dites discrètement, à mots couverts. Il fallait éviter de faire du bruit, éviter que ça se sache. Éviter la communication, donc. Éviter le scandale, car ce terme se trouve dans l’évangile. </p>
<p>Et comme le souligne <a href="https://www.essachess.com/index.php/jcs/article/view/218/248">Stéphane Dufour</a>, l’Église catholique aime sans doute le secret. Elle se sentait, sans doute, <a href="https://theconversation.com/quand-leglise-catholique-se-pensait-en-societe-parfaite-et-intouchable-130430">« parfaite et intouchable »</a>, forte de son appareil juridique propre (le droit canon), avant que <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Abus_sexuels_sur_mineurs_dans_l%27%C3%89glise_catholique">plusieurs scandales</a> n’éclatent, dans les années 1980. Cela s’inscrit cependant dans une histoire longue, comme l’a montré récemment <a href="https://www.reforme.net/gratuit/2020/09/25/un-livre-retrace-lhistoire-de-la-pedophilie-dans-leglise-catholique/">Claude Langlois</a>.</p>
<p>C’est que l’Église catholique, comme d’autres institutions chrétiennes, et d’autres religions (les islams, par exemple) ne <a href="https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2015-1-page-225.htm">communique</a> pas seulement par des discours, des images normées, des médias, des assemblées, des rites publics et médiatisés, aussi, des sites Internet et des applications ou des <a href="https://www.cairn.info/revue-communication-et-langages1-2016-3-page-25.htm">vidéos</a>, mais aussi par le <a href="https://www.cairn.info/revue-communication-et-langages1-2016-3-page-47.htm">témoignage humain</a>.</p>
<h2>Une communication par le comportement : le témoignage chrétien</h2>
<p>Le comportement d’une personne, son célibat engagé, est censé en effet, à l’époque moderne et en Occident, pour une société qui l’admet et le reconnaît, témoigner de l’amour du dieu chrétien et de Jésus, son fils, pour les humains. Autrement dit, c’est le comportement qui est « donné à voir » et qui parle, à qui saurait l’entendre de la sorte (et pas autrement).</p>
<p>C’est le sens d’une « sainteté » exigée au quotidien. Puisqu’un homme (ou une femme) renonce au pouvoir (économique ou politique), à l’argent, à la sexualité (du moins en principe), c’est que le dieu le nourrit et est tout, est-on invité ainsi à penser. Or, dans l’affaire de la pédocriminalité des prêtres catholiques, le comportement d’un certain nombre de ces derniers laisse apparaître autre chose, et ne témoigne pas en faveur du dieu et du souci des plus faibles. En termes catholiques, c’est donc un <a href="https://fr.aleteia.org/2015/05/26/pape-francois-un-chretien-mondain-est-un-contre-temoignage/">« contre-témoignage »</a>. La communication chrétienne est obstruée par ces gestes, pervers, destructeurs et criminels, au lieu même où elle « communique ».</p>
<p>Ce n’est pas l’Église catholique, <a href="https://www.vatican.va/content/francesco/fr/messages/communications/documents/papa-francesco_20180124_messaggio-comunicazioni-sociali.html">soucieuse de vérité</a> et d’aveu (par la confession demandée aux fidèles pour le sacrement dit de réconciliation), qui plus est, qui communique d’abord sur ces questions (elle se tait) : ce sont les victimes, les journalistes et les médias.</p>
<h2>Une impossibilité de contrôler désormais la communication</h2>
<p>La parole du témoin, c’est celle de l’homme (ou de la femme) victime d’attouchements ou de pénétration quand il ou elle était scout. Qui évoque le refus d’entendre des familles. « Ça communique », mais pas là où on voudrait. L’Église catholique, en tant qu’<a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/hal-03194352/">institution fermée</a>, comme l’armée ou la franc-maçonnerie, contrôle en grande partie sa communication. Les réseaux numériques lui ont d’ailleurs posé une difficulté, qu’elle a <a href="https://eglise.catholique.fr/conference-des-eveques-de-france/sommaire-publications/documents-episcopat-sommaire/439601-documents-episcopat-communion-a-lere-numerique/">cherché à réguler</a>, en ce qu’ils permettaient à « tous » de s’exprimer.</p>
<p>Une parole interne, dans un contexte de « censure » (de volonté que ça n’advienne pas publiquement, que cela ne soit pas publicisé), soutenue par des associations de victimes, passe par l’extérieur, et est entendue depuis l’extérieur. Il s’est passé quelque chose de semblable pour la crise des suicides à France Télécom-Orange en 2004 : c’est <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00499666/document">l’écho médiatique</a> qui a obligé à une écoute et une prise de conscience interne, là où les interrogations syndicales et les alertes publiques n’étaient pas entendues.</p>
<h2>Un temps propre pour communiquer ?</h2>
<p>Mais, s’interrogent certains, comme l’expert et conseiller en communication – interlocuteur du pape François – Dominique Wolton, l’écrit dans <a href="https://aufildelapense.wordpress.com/2018/12/09/politique-et-societe-le-pape-francois-avec-dominique-wolton">Pape François, <em>Politique et Société</em></a> :</p>
<blockquote>
<p>« Le temps de l’Église n’est pas toujours celui de la société. Ce n’est pas celui des médias non plus. Or aujourd’hui, les médias sont devenus le tribunal des mœurs [car] l’Église manipule aussi du temps, des valeurs, qui sont différentes. »</p>
</blockquote>
<p>L’institution, liée à l’intemporalité sinon à l’éternité, échapperait donc au temps médiatique (à défaut d’échapper à la loi ?). Cette soustraction à la temporalité comme à la communication ordinaire pose question, ou du moins est difficilement acceptable dans une société qui vit dans le désir d’une temporalité commune et dans laquelle les acteurs, notamment religieux, sont amenés à rendre des comptes de leur action, et s’exposent au <a href="https://journals.openedition.org/questionsdecommunication/22362">regard du tiers</a>. C’est la possibilité d’un regard extérieur sur le religieux qui est en cause, et en jeu.</p>
<p>Il semble cependant que le pape catholique accepte désormais la communication et le rôle des médias dans cette affaire, puisque François, <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1281446/francois-salue-le-role-de-la-presse-face-aux-abus-sexuels-dans-leglise.html">s’adressant aux journalistes</a>, les remerciait, le 12 novembre 2021, pour ce qu’ils disent « sur ce qui ne va pas dans l’Église » afin de l’« aider à ne pas le mettre sous le tapis » et « pour la voix donnée aux victimes d’abus ». Une dette communicationnelle envers les médias, en quelque sorte, s’acquitte ainsi.</p>
<h2>Le religieux, une affaire publique</h2>
<p>Le religieux ne peut toutefois pas être seulement l’affaire des évêques, des rabbins (mêmes femmes), de « savants religieux » ou d’imams. Il concerne les citoyens, qui peuvent également entendre à leur propos les analyses de chercheurs en <a href="https://afsr.hypotheses.org/">sciences sociales du religieux</a>. On comprend bien, toutefois, que le religieux pourrait vouloir échapper au regard, surtout quand il est malveillant, ou qu’<a href="https://journals.openedition.org/rfsic/3728">il ne comprend pas le propos « spirituel » du religieux</a>, ce qui est souvent le cas des médias.</p>
<p>Ces derniers peuvent en effet ne <a href="https://journals.openedition.org/rfsic/3756">s’intéresser à l’Église catholique qu’à propos de</a> questions de sexualité (homosexualité, pédophilie, viols, domination masculine, préservatifs), précisément, d’argent (détournement, placements, liens avec la mafia), ou bien, de façon presque folklorique, de production monastique de bière ou de fromage… (ou, plus spirituellement, de chant grégorien). Peut-être cela est-il le signe d’un effondrement social radical du religieux, qui ne peut plus être compris dans son propos propre, mais seulement dans ses signes extérieurs.</p>
<p>Ceci ne fonde pas toutefois le religieux à ne revendiquer d’expertise adéquate <a href="https://journals.openedition.org/questionsdecommunication/22568">que de lui-même</a>. Les clercs ou les « dévots » ne sont pas les seuls autorisés à parler du religieux, dans l’espace public, surtout quand le religieux affiche ou implique des <a href="https://journals.openedition.org/assr/26432">préoccupations politiques et sociales</a> : refus du mariage entre personnes de même sexe, rejet de l’avortement, rejet de l’homosexualité, de la contraception, de l’euthanasie…</p>
<p>Qu’une institution soucieuse de pureté et avide de recommandations morales, se préoccupant si souvent de la vie sexuelle, matrimoniale et familiale des personnes, trouvant aisément impur le moindre geste érotique, et se souciant du caractère sain ou non des contenus et images circulant dans l’espace public, s’avère ainsi criminelle interroge donc le public notamment quant à sa communication, interne et publique.</p>
<h2>Communiquer sur un ensemble de drames</h2>
<p>Les dispositifs et actes qu’a mis en place l’Église catholique pour faire face à ces crimes et à ce drame, gérer ce scandale et y répondre ont été nombreux : demande publique de pardon au plus haut niveau et affichage d’une préoccupation forte, <a href="https://journals.openedition.org/rfsic/3739">contre-communication</a> montrant le souci de l’institution pour les enfants, prières, espaces d’accueil et d’écoute dans les églises, commission d’enquête indépendante, communication par le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=yg_RZeTCzH4">geste</a> symbolique, ritualisation presque liturgique, à Lourdes (les <a href="https://www.ktotv.com/video/00385735/2021-11-06-geste-penitentiel-lourdes">genoux à terre</a>), de la <a href="https://eglise.catholique.fr/conference-des-eveques-de-france/textes-et-declarations/520414-assemblee-pleniere-des-eveques-de-france-textes-de-mgr-emb/">repentance</a>, reconnaissance de la dimension institutionnelle et du <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/religion/pedophilie-de-l-eglise/pedocriminalite-les-eveques-de-france-reconnaissent-la-responsabilite-institutionnelle-de-l-eglise-et-la-dimension-systemique-de-ces-crimes_4834035.html">caractère « systémique »</a> (mettant en jeu l’organisation entière et son silence) de ces crimes, par la Conférence des évêques de France…</p>
<p>Toutefois, ils peuvent ne pas suffire à apaiser le public, inquiet de ces actes comme de leur mise sous silence. Ils n’effacent pas le manque de conscience et de <a href="https://www.revue-etudes.com/article/un-moment-de-verite-pour-l-eglise-23859">débat</a> interne à l’Église, cette autre forme de communication, constructive.</p>
<p>Sans doute, cette affaire forme aussi l’occasion opportune, en contexte de laïcité en tension (car la laïcité républicaine française est à la fois utilisée par l’extrême droite dans une perspective xénophobe, et attaquée autant par une partie de la gauche que par des défenseurs des religions, qu’il s’agisse du christianisme ou d’un islam), d’attaques fortes, cette fois justifiées, contre l’Église catholique.</p>
<p>Elle demeure une institution finalement mal connue et ses objectifs ne semblent pas toujours en phase avec un certain nombre d’orientations et de tendances sociales (avortement, mariage pour les couples homosexuels, aménagement des conditions de décès…).</p>
<h2>Difficultés à admettre</h2>
<p>La diversité des expressions ecclésiales dans les médias et sur les réseaux toutefois surprend : <a href="https://twitter.com/AbbeRaffray/status/1446141804710174725">« le temps des persécutions est venu »</a>, dit un prêtre, il y a bien plus de pédocriminalité dans les familles ou d’autres institutions, <a href="https://www.france24.com/fr/20190308-france-pedophilie-eglise-institutions-famille-education-nationale-agressions-sexuelles?ref=tw_i">disent plusieurs</a>, tout comme le pape François qui déclarait lui-même en 2017 que « « la majeure partie des abus sur les mineurs viennent du cercle familial ou des voisins du quartier » (<em>Politique et société</em>, p.223).</p>
<p>La confession est un secret majeur, déclare par ailleurs le <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/religion/pedophilie-de-l-eglise/video-pedocriminalite-dans-l-eglise-le-secret-de-la-confession-est-plus-fort-que-les-lois-de-la-republique-selon-mgr-eric-de-moulins-beaufort_4796947.html">porte-parole de la Conférence des évêques de France</a>.</p>
<p>La Conférence des évêques de France, réunie à Lourdes en novembre 2021, s’est exprimée cependant de façon plus ferme et plus forte. Elle a mis en place et communiqué un <a href="https://eglise.catholique.fr/conference-des-eveques-de-france/textes-et-declarations/520492-resolutions-votees-par-les-eveques-de-france-en-assemblee-pleniere-le-8-novembre-2021/">programme d’actions</a>. Lorsque les associations de victimes, les réseaux sociaux et les médias font éclater la communication, l’institution ne peut plus être muette, craindre le dissensus, ou couvrir des forfaits de son silence prudent.</p>
<p>Il importe donc de communiquer sur le religieux, qui a ses silences, et ne tient pas toujours la promesse qu’il porte, et d’interroger autant ses <a href="https://mei-info.com/revue/38/religion-et-communication/">communications</a>, internes et externes, que sa non-communication, et, peut-être, de dialoguer avec lui, s’il consent à une relation égalitaire, ainsi qu’au débat.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171615/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>David Douyère ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le rapport Sauvé (Ciase) sur la pédocriminalité au sein de l’Église met à mal la communication catholique.David Douyère, Professeur de sciences de l'information et de la communication, Université de ToursLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.