tag:theconversation.com,2011:/us/topics/crimes-sexuels-22207/articlescrimes sexuels – The Conversation2024-03-21T15:42:38Ztag:theconversation.com,2011:article/2260942024-03-21T15:42:38Z2024-03-21T15:42:38Z#MeTooGarçons : « 80% des violences ont lieu ou commencent avant l’âge de 18 ans »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/583163/original/file-20240320-30-k0hlnv.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=21%2C28%2C4790%2C3491&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Selon les chiffres de l'enquête Virage (2015) au cours de leur vie, 3,9 % des hommes interrogés ont subi des violences sexuelles, contre 14,5 % des femmes</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/fr-fr/photo/silhouette-de-l-homme-448834/">Pexels</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p><em>Les comédiens <a href="https://www.france24.com/fr/france/20240227-metoogar%C3%A7ons-les-hommes-victimes-minoritaires-en-chiffres-et-minor%C3%A9s-dans-leurs-traumatismes-violences-agressions-sexuelles-tabou">Aurélien Wiick</a> puis Francis Renaud ont récemment révélé les abus à caractère sexuel dont ils auraient victimes plus jeunes de la part de réalisateurs ou producteurs de <a href="https://theconversation.com/la-face-cachee-de-lexception-culturelle-francaise-un-cinema-dauteur-au-dessus-des-lois-224003">cinéma</a>, donnant lieu à la première vague <a href="https://www.lefigaro.fr/cinema/metoogarcons-accuse-d-agressions-sexuelles-par-deux-hommes-dominique-besnehard-se-defend-20240302">#MeTooGarçons en France</a>.
Cette récente prise de parole s’inscrit dans un <a href="https://theconversation.com/violences-sexuelles-familiales-la-triste-realite-des-donnees-154492">phénomène de plus grande ampleur</a> dénonçant les <a href="https://theconversation.com/violences-sexuelles-sur-mineurs-pourquoi-la-question-dun-age-legal-de-consentement-fait-debat-153987">violences et agressions sexuelles commises sur mineurs</a>. La sociologue Lucie Wicky, doctorante à l’EHESS et l’Ined, interroge la spécificité des violences sexuelles subies par les hommes. Ses premiers résultats de recherche questionnent la conception même de l’enfance et de son statut dans la société.</em></p>
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<h2>Vous êtes la première chercheuse en France à vous intéresser en détail aux violences sexuelles commises sur des hommes. Comment avez-vous travaillé ?</h2>
<p>J’ai mobilisé <a href="https://virage.site.ined.fr/">l’enquête Virage, conduite en 2015 par l’Ined</a>, qui est la dernière grande enquête probabiliste de ce type en France, portant sur plus de 27,000 répondants (questionnaire téléphonique) de 20 à 69 ans vivant en France métropolitaine. On estime que l’échantillon est représentatif et la méthodologie – proche de la première enquête sur les violences envers les femmes qui date d’il y a 25 ans <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/docs/violences-envers-les-femmes-et-etat-de-sante-mentale-resultats-de-l-enquete-enveff-2000">(Enveff, 2000)</a> – intègre la question des violences subies sur les douze derniers mois ainsi que tout au long de la vie.</p>
<p>L’enquête interroge des éléments biographiques, traite les violences des plus énonciables aux plus intimes (psychologique, physique puis sexuelle) en investissant aussi bien les espaces de vie considérés comme publics (milieu scolaire, professionnel, espaces publics) que privés (couple, ancienne relation, famille et entourage). La méthodologie est très spécifique dans ce type d’enquêtes : les questionnaires ne mobilisent pas les termes de « violences » ou « viols », empreints de lourdes représentations, mais listent plutôt des faits et laissent à chaque répondant la possibilité de répondre par oui ou non, car beaucoup d’enquêtés n’ont pas identifié les violences comme telles.</p>
<p>Je me suis aussi appuyée sur l’enquête « Contexte de la sexualité en France » qui <a href="https://www.ined.fr/fichier/rte/2/Publications/Autres/CSF-dossierdepresse0307.pdf">date de 2006</a> pour explorer le rapport aux normes de genre et de sexualité des hommes qui ont déclaré des violences. Enfin, j’ai réalisé 50 entretiens biographiques avec des hommes qui avaient déclaré des violences sexuelles dans le cadre de l’enquête Virage et accepté un entretien complémentaire. J’ai aussi interrogé 10 femmes pour avoir un point de comparaison.</p>
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<figcaption><span class="caption">#MeTooGarçons, témoignage de l’acteur Aurélien Wiick (<em>C hebdo</em>, février 2024).</span></figcaption>
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<p>Il existe assez peu de données plus récentes du fait de l’investissement que ce type d’enquêtes nécessite, ce qui en dit aussi long sur la prise en compte de ces violences et de leurs poids par les pouvoirs publics. Les enquêtes de <a href="https://mobile.interieur.gouv.fr/Interstats/Sources-et-methodes-statistiques/Glossaire/Victimation">victimation du ministère</a> ou les sources judiciaires ne sont pas toujours fiables car les dépôts de plaintes et leur suivi ne sont pas représentatifs : peu de victimes déposent plainte et ces dernières ne donnent pas toujours lieu à des poursuites.</p>
<p>J’émets d’ailleurs l’hypothèse qu’avec l’émergence des mouvements #MeToo et une <a href="https://theconversation.com/violences-sexuelles-contre-les-hommes-une-prise-de-conscience-progressive-57325">certaine prise de conscience sociétale</a> vis-à-vis de ces violences, les chiffres seraient plus importants si l’enquête était reproduite aujourd’hui. Les différentes vagues du mouvement ont certainement participé à la prise de conscience des violences subies par les victimes elles-mêmes. Une partie de mes recherches se concentre justement sur cette question de la qualification des violences comme telles.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lopera-un-univers-propice-aux-violences-sexistes-et-sexuelles-222421">L’opéra, un univers propice aux violences sexistes et sexuelles ?</a>
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<h2>Dans quel sens ?</h2>
<p><a href="https://www.ined.fr/fr/recherche/chercheurs/Wicky+Lucie">Ma thèse</a> porte sur les violences subies par les hommes à différents moments de leur vie, enfants, adolescents ou adultes, et la façon dont ils les qualifient et les énoncent. En réalisant les entretiens, je me suis rendue compte que certains enquêtés ont du mal à qualifier de « violence sexuelle » les faits subis, et plus spécifiquement lorsque ces derniers ont été commis à l’adolescence ou à l’âge adulte.</p>
<p>En revanche, lorsque les faits sont survenus à l’enfance (principalement avant 11 ans), ils expriment plus « facilement » les choses une fois les faits qualifiés. Beaucoup parlent d’ailleurs des faits à la troisième personne pour les mettre à distance. La majorité décrit des violences sexuelles commises par d’autres hommes, généralement des adultes, toujours en situation de domination.</p>
<p>Cela m’a amené à retravailler la définition même de violence de genre et j’assume de requalifier certains faits décrits par les enquêtés comme étant des agressions sexuelles même lorsque ces derniers ne l’énoncent pas de cette façon. Leurs récits décrivent des pratiques sexuelles contraintes par des rapports de domination interactionnels et structurels, autrement dit, des dominations liées aux rapports de pouvoir : genre, statut social, âge, etc.</p>
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<p>Ce qui m’a aussi frappé, c’est l’intérêt public centré sur les faits en termes de gradation allant des attouchements aux viols, <a href="https://theses.fr/2011IEPP007">dans un carcan juridique plutôt hétéronormé</a> – c’est-à-dire où l’hétérosexualité est la norme – mais qui ne reflète pas forcément le ressenti et la gravité perçue. Ainsi, pour beaucoup d’enquêtés, c’est bien l’exposition aux violences par la répétition, la durée, leur fréquence, l’environnement, la proximité avec l’auteur – sans forcément qu’il y ait systématiquement violences avec pénétration – qui influence le sentiment de gravité.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/culture-pornographique-et-tele-realite-quand-linceste-envahit-nos-ecrans-220437">Culture pornographique et télé-réalité : quand l’inceste envahit nos écrans</a>
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<h2>Comment expliquez-vous ce phénomène de « silenciation » et non de tabou que vous décrivez dans vos travaux ?</h2>
<p>Il faut distinguer « silenciation » et tabou. D’une part, les hommes ayant subi des violences sexuelles évoquent surtout des faits commis durant l’enfance et l’adolescence (80 % des violences sexuelles déclarées ont lieu ou ont commencé avant l’âge de 18 ans), moins une fois adultes. Pour les femmes, ce sont des violences qui existent et perdurent tout au long de la vie. Et quand elles déposent plainte, comme le montrait récemment une <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/1748895819863095">enquête parue au Royaume-Uni en 2019</a>, leurs paroles sont moins prises en compte que les hommes, pour qui la plainte mène plus souvent au procès.</p>
<p>Comme les femmes, les hommes parlent rarement de ces violences subies enfants, mais plutôt adultes. Toutefois, contrairement aux femmes, leur parole est plus facilement prise au sérieux lorsqu’ils énoncent les violences, ils sont plus soutenus par leurs proches, sauf lorsqu’ils sont homosexuels. Dans ces cas-là, comme pour les femmes, on leur incombe la responsabilité de leur agression, comme si leurs corps étaient, de fait, sexualisés, et on les rappelle à l’ordre hétérosexuel en les responsabilisant des violences sexuelles qu’ils ont subies. Autrement dit, la société considère que les « hommes sont des enfants avant 11 ans, alors que les femmes sont des “filles” quel que soit leur âge aux violences », sauf s’ils s’identifient comme gays.</p>
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<figcaption><span class="caption">Anne-Claude Ambroise-Rendu, « L’histoire de la reconnaissance de l’inceste subi par les garçons », 2022.</span></figcaption>
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<p>Mais le dénominateur commun est bien que tous et toutes ont été agressés principalement par des hommes (adultes, parfois mineurs eux aussi, d’après les entretiens ils sont toujours plus âgés que les victimes mais les données ne permettent pas d’être aussi précis). À partir de là, je ne pense pas qu’on puisse parler de tabou mais en revanche on peut parler de silenciation.</p>
<p><a href="https://journals.openedition.org/popvuln/4281">D’après mes résultats</a>, ces pratiques opèrent à différents niveaux. Structurellement tout d’abord, avec par exemple la création tardive d’un numéro, le <a href="https://www.allo119.gouv.fr/presentation">119</a>, gratuit depuis 2003, <a href="https://www.cairn.info/revue-nouvelles-questions-feministes-2013-1-page-16.htm">mais aussi des signalements</a> qui n’aboutissent pas et des <a href="https://www.cairn.info/viol--9782724624007.htm">plaintes qui ne donnent rien</a>.</p>
<p>Tout concourt à rappeler aux victimes que leurs récits n’aboutiront pas à des actes ou une répression des violences. Ces pratiques structurelles imprègnent l’institution familiale : lorsqu’il y a violence, on n’en parle pas, on ne réagit pas. Et bien sûr il y a le niveau de silenciation imposé par le ou les auteurs des faits. Très souvent ces derniers sont minorés ou intériorisés comme étant « normaux », y compris par les auteurs qui vont parler d’« initiation » à la sexualité ou de « jeux » par exemple.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/inceste-la-fin-dun-tabou-politique-153666">Inceste : la fin d’un tabou politique ?</a>
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<h2>Comment expliquer qu’aujourd’hui il existe une prise de parole aussi importante ?</h2>
<p>Je montre que ces violences sont tributaires d’un rapport de domination lié à l’âge, social ou biologique, mais aussi générationnel. Il y a eu plusieurs événements qui ont aidé à prendre la parole publiquement ; les premiers témoignages d’inceste de femmes dans les années 1980, avec le témoignage marquant d’<a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/isere/grenoble/l-incroyable-temoignage-d-eva-thomas-victime-d-inceste-vous-avez-eu-une-belle-histoire-d-amour-avec-votre-pere-vous-pourriez-etre-contente-2515632.html">Eva Thomas en 1986</a>, premier témoignage à visage découvert, puis les <a href="https://www.fayard.fr/livre/histoire-de-la-pedophilie-9782213672328/ie-9782213672328/">affaires de pédocriminalité</a> dans les années 1990 où l’on voit émerger une certaine parole des hommes. <a href="https://www.cairn.info/revue-apres-demain-2010-3-page-12.htm">L’affaire Outreau</a> en revanche a eu des conséquences lourdes quant à la prise en compte de la parole des enfants, <a href="https://www.cairn.info/revue-societes-et-representations-2016-2-page-59.htm">dans les années 2000</a>.</p>
<p>Je fais l’hypothèse que les années 2010/2015 marquent un tournant, avec la constitution d’associations comme <a href="https://colosse.fr/">Colosse pied d’argile</a> dans le rugby ou <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/rhone/lyon/a-lyon-la-parole-liberee-tourne-la-page-et-publie-un-livre-blanc-2010217.html">La Parole Libérée</a> dénonçant le silence dans l’Église et à l’origine de l’affaire Philippe Barbarin par exemple. Les violences sont dénoncées par « secteurs » où elles s’exercent : le sport, l’Église, la famille (avec <a href="https://www.liberation.fr/societe/familles/metooinceste-depuis-deux-ans-des-temoignages-par-milliers-et-des-enseignements-tires-20230921_UKJHZLZFWNDDRPS4PM3BHNX3Q4/">#MeTooInceste</a> par exemple), etc.</p>
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<figcaption><span class="caption">Association Colosse Pied d’Argile, présentation, YouTube.</span></figcaption>
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<p>L’émergence des réseaux sociaux constitue de nouveaux espaces de prise de parole pour les hommes comme pour les femmes. Ces effets sociohistoriques et ceux de la légitimation de la parole impulsée plutôt par des personnalités, produit aujourd’hui une prise de parole plus importante que dans le passé, qui amène à une certaine visibilité, associée à une partielle prise de conscience sociale de la réalité des violences sexuelles, pourtant observée et décrite de longue date.</p>
<p>C’est là où l’effet générationnel joue aussi un rôle : les hommes ayant grandi dans les années 1950, jusqu’aux années 1980 environ, ont vécu dans l’idée qu’un enfant se tait et que sa parole n’a pas d’importance. À table, en public, avec les adultes… Un enfant ne parle pas, dans sa famille comme dans l’espace public.</p>
<p>La domination masculine et adulte s’illustre ici à travers la figure de l’homme tout puissant, le « chef de famille » au rôle hégémonique au sein du foyer. Ce dernier ne laisse alors pas d’espaces de parole possibles. C’était aussi constitutif de la façon dont on envisageait les masculinités, valorisée à travers une certaine forme de violence dans le passé, moins aujourd’hui. C’est d’ailleurs aussi pour cela que des hommes ayant subi des violences après le début de leur construction de genre – à l’adolescence ou jeune adulte – ont du mal à s’envisager comme victimes.</p>
<h2>Comment analysez-vous ces changements d’époque ?</h2>
<p>Mon travail de recherche questionne en filigrane le concept de l’enfance qui a été longtemps dominant : celui où la hiérarchie sociale et les besoins des adultes passent avant ceux des enfants.</p>
<p>La parole de ces derniers est déconsidérée, silenciée et leur corps n’est pas respecté. Quand on force un enfant à faire un bisou à un adulte, quand on le contraint physiquement, on lui rappelle que l’adulte a le contrôle de son corps, et que son corps ne lui appartient pas.</p>
<p>Or, ne pas parler aux enfants, ne pas leur apprendre que leur corps est à eux, ne pas prendre en compte leur parole, leur mobilisation (pensons aux <a href="https://basta.media/Mobilisation-reprimee-dans-les-lycees-et-facs-Une-volonte-de-museler-la-jeunesse-par-la-violence">grèves lycéennes</a> par exemple et la forte répression en réponse) entrave leur compréhension de la violence mais aussi leur autonomie et façonne ainsi leur mise en vulnérabilité.</p>
<p>Peut-être doit-on aujourd’hui repenser le <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2023-3-page-14.htm">statut de mineur</a> et ce qu’il recouvre pour mieux protéger les enfants – et peut-être aussi envisager de les <a href="https://www.cairn.info/revue-du-crieur-2020-1-page-106.htm">laisser se protéger eux-mêmes</a>.</p>
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<p><em>Propos recueillis par Clea Chakraverty.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/226094/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lucie Wicky a reçu des financements de l'Ined et l'Université de Strasbourg. </span></em></p>Les violences sexuelles à l’encontre des garçons relèvent de rapports de domination liés au genre, à l’âge mais aussi un effet générationnel, englobant une vision spécifique des enfants.Lucie Wicky, Doctorante, EHESS, Ined, Institut National d'Études Démographiques (INED)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2224212024-03-06T16:14:15Z2024-03-06T16:14:15ZL’opéra, un univers propice aux violences sexistes et sexuelles ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/580461/original/file-20240307-29-1r3uj9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=155%2C0%2C6334%2C4281&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'Opéra de Paris (Palais Garnier).</span> </figcaption></figure><p><em>Cet article a été écrit avec Soline Helbert (le nom a été changé), chanteuse lyrique, diplômée en droit des universités Paris I et Paris II.</em></p>
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<p>Dans le sillage du mouvement #MeToo, la question des violences sexistes et sexuelles à l’œuvre dans les mondes de l’art – musique, cinéma, cirque, danse ou théâtre – s’est imposée avec force dans les débats publics, les médias ou encore les institutions publiques et privées. Les points de vue sont nombreux, les interventions sont variées, les solutions proposées sont multiples. Et pourtant, aucune enquête scientifique n’a été pour l’instant menée à son terme dans un monde de l’art en France, et ce alors même que les inégalités femmes/hommes <a href="https://ojs.letras.up.pt/index.php/taa/article/view/5037">ont fait l’objet de recherches sérieuses ces vingt dernières années</a>.</p>
<p>C’est tout le sens de <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/sqrm/2021-v22-n1-2-sqrm07828/1097857ar.pdf">l’enquête scientifique</a> menée en 2020 dans le monde de l’opéra par deux universitaires spécialisées en sociologie des arts et du genre et par une chanteuse lyrique. L’enquête n’a pas été conduite au sein de structures spécifiques, mais au moyen d’un questionnaire en ligne (336 répondantes et répondants) et de dix-huit entretiens qualitatifs. Elle a saisi aussi bien la force des violences sexistes et sexuelles à l’œuvre dans l’opéra français, quel que soit le lieu d’exercice, que ses conditions sociales de production, de légitimation et de non-dénonciation.</p>
<h2>Des agissements sexistes et sexuels omniprésents</h2>
<p>Une liste d’agissements sexistes et sexuels était soumise aux répondantes et répondants, du plus banal comme la blague sexiste au plus grave comme un acte sexuel non désiré (voir graphiques pour la liste des agissements et les principaux résultats statistiques).</p>
<p>Or, ces agissements sont récurrents d’après 75 % des répondantes et répondants, dont 25 % les jugent quasi permanents.</p>
<p>Quelle que soit la profession exercée (soliste, artiste de chœurs), les femmes sont surreprésentées parmi les victimes et les répondantes et répondants désignent à 74 % des hommes comme étant à l’origine des faits rapportés, les femmes n’étant autrices exclusives que dans quatre cas.</p>
<p>La personne qui est à l’origine des agissements sexistes est le plus souvent un homme qui a du pouvoir sur elles de manière directe, mais aussi dans une large proportion un collègue.</p>
<p><iframe id="GHhoa" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/GHhoa/3/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<h2>Un très faible niveau de dénonciation</h2>
<p>Interrogés sur leurs réactions face aux agissements sexistes et sexuels, les répondantes et répondants révèlent une difficulté à dénoncer les faits. Seuls 18 % confirment parfois rapporter les agissements à un supérieur hiérarchique et 6 % l’ont fait à une autorité extérieure.</p>
<p>Pourtant, l’impact psychologique de ces faits est important tel qu’un sentiment de honte et d’humiliation ou une perte de confiance. Et une partie des répondantes et répondants rapportent avoir subi des conséquences professionnelles en lien avec ces agissements sexistes et sexuels.</p>
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<p>La peur est le sentiment impliqué dans 3 des 4 causes de non-dénonciation cochées par plus de 30 % des répondants : « peur pour la suite de votre carrière » (32 %), « peur de passer pour chiante ou chiant » (34 %) ou « pour ne pas attirer l’attention, faire de vagues » (40 %) – qui suppose implicitement une peur d’être exposé.</p>
<p>Comment expliquer aussi bien l’omniprésence des agissements sexistes et sexuels que leur faible dénonciation malgré des conséquences négatives évidentes ?</p>
<p><iframe id="PtlZl" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/PtlZl/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<h2>Les conditions sociales de production et de faible dénonciation des agissements sexistes et sexuels</h2>
<p>La peur, qui est au cœur de la difficulté à dénoncer, prend tout d’abord racine dans le caractère saturé, concurrentiel et précaire des mondes de l’art. Les personnels de l’opéra craignent que chaque production dans un théâtre soit la dernière :</p>
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<p>« Lorsqu’on travaille sur une même production, bien sûr, on s’entend bien et il y a de l’entraide. Mais étant donné que le métier est très fortement concurrentiel, cela rend difficile le fait d’être vraiment solidaires. Chacune fait ce qu’elle peut pour mener sa carrière. » (Alice, chanteuse lyrique, 30-40 ans)</p>
</blockquote>
<p>Un deuxième phénomène favorise la production d’agissements sexistes et sexuels : le poids de la séduction physique dans les interactions sociales. Elle est au cœur des métiers de la scène, mais surtout elle conduit souvent à l’hypersexualisation des femmes. Ce phénomène semble rendre particulièrement difficile pour une partie des personnes concernées, notamment des hommes en situation de pouvoir, la construction de frontières « claires » entre les comportements professionnels de séduction attendus – liés notamment au jeu de scène – et les agissements sexistes ou sexuels dégradants et relevant des violences de genre.</p>
<p>De fait, les personnages féminins dans les œuvres sont souvent des femmes séduisantes et amoureuses, généralement impliquées exclusivement dans des enjeux amoureux ou sexuels. Et les mises en scène actuelles tendent à sexualiser encore davantage ces personnages féminins.</p>
<p>À la question de savoir si ses costumes mettent en valeur son sex-appeal, une chanteuse répond : « Oui, complètement. Sauf si mon personnage est une vieille dame, ou un personnage inspiré du dessin animé […]. Mais ces productions-là se comptent sur les doigts d’une main. Dans de nombreuses autres, on me met un porte-jarretelle, un mini short, alors que rien ne l’impose dans l’histoire ! » (Amanda, chanteuse lyrique, 30-40 ans)</p>
<p>Le port de ces tenues sexualisées semble encore transformer ces chanteuses en objets de désir disponibles. Cela peut expliquer que certains directeurs de casting privilégient des chanteuses sexuellement attirantes :</p>
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<p>« J’ai entendu des metteurs en scène dire lors du choix d’une chanteuse qu’il fallait quand même qu’on ait envie de la baiser. » (Céline, chanteuse lyrique, 30-40 ans)</p>
</blockquote>
<p>Certains metteurs en scène, chanteurs ou responsables de production peuvent alors poursuivre ces femmes de leurs assiduités, leur « voler » des baisers après les répétitions, avoir des gestes ou des paroles déplacés. Les femmes chanteuses lyriques apprennent à <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/sciences-politiques-et-sociologie/les-femmes-du-jazz/">« fermer la séduction »</a> afin d’éviter au mieux les violences sexuelles et les agissements sexistes. Ainsi, certaines choisissent des tenues peu suggestives ou des comportements distants : ne pas répondre aux SMS, ne pas sortir entre collègues, mettre en avant une relation stable, son rôle de mère. Cette nécessaire autoprotection démontre le poids de ces violences de genre sur leur quotidien.</p>
<p>Un dernier point montre enfin le caractère circulaire du sexisme à l’œuvre dans ce monde professionnel. Quand les femmes décident de dénoncer une violence sexuelle subie, elles se trouvent alors soumises à un paradoxe. Ayant été transformées en objets sexuels, elles ne peuvent qu’être la cause des violences subies, sauf preuves contraires. Elles doivent justifier d’un comportement exemplaire et le moindre écart est interprété comme la cause du comportement répréhensible de l’agresseur. Voici ce qu’en dit cette femme victime d’une violence sexuelle – embrassée de force à plusieurs reprises et harcelée par messages par son metteur en scène :</p>
<p>À notre question « Vous avez indiqué ne pas avoir parlé des choses que vous aviez subies par peur que l’on vous renvoie la faute », cette chanteuse répond : « J’ai une collègue qui a porté plainte, et je sais comment ça se passe. On analyse tes faits et gestes pour savoir si tu n’as pas provoqué la situation. C’est toujours pareil… des messages décalés des directeurs, parfois à une heure du matin. Au début, tu es toute jeune, tu te demandes ce qui va se passer si tu ne réponds pas, s’il ne va pas annuler ton contrat. Donc tu réponds. Et après on va te dire « si tu as répondu à minuit, il ne faut pas t’étonner qu’après… » À cause de ça, je n’ai jamais eu envie de me retrouver sous les feux de ce genre d’enquête ! » (Coline, chanteuse lyrique, 20-30 ans)</p>
<p>Pour finir, le « talent » supposé de l’agresseur tend à freiner toute velléité de dénonciation. Il justifierait d’accepter certaines « dérives » comportementales, et notamment les pratiques sexistes et sexuelles :</p>
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<p>« Ah oui, X – un metteur en scène reconnu –, c’était Minitel rose, il sautait l’administratrice […]. J’ai repris des gens au sujet de l’affaire Domingo dans des dîners qui disaient “quand même, attaquer un si grand artiste, qui n’a rien fait…” Non. Rien fait, vous ne savez pas. En fait je sais, mais on va dire qu’on ne sait pas ! » (Amélie, chanteuse lyrique, 50-60 ans)</p>
</blockquote>
<p><iframe id="ZMRvP" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/ZMRvP/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Précarité et incertitude professionnelles, hypersexualisation des chanteuses, prépondérance des capacités de séduction physique dans les critères de recrutement et dans les interactions sociales, tolérance des personnels vis-à-vis des « dérives » des grands noms du spectacle… Nombreux sont les éléments structurels participant à produire et à légitimer <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2019-1-page-17.htm?ref=doi">« un continuum »</a> des violences sexistes et sexuelles récurrentes et non dénoncées.</p>
<p>Les mondes de l’art gagneraient à ouvrir les portes aux chercheurs et aux chercheures afin de mieux identifier les agissements sexistes et sexuels à l’œuvre et, plus important encore, les conditions sociales de production de ces agissements afin de pouvoir envisager des réponses adaptées à ce phénomène à l’avenir.</p>
<p>Précisons enfin que depuis que l’enquête a été menée, en 2020, le recours à des coordinatrices et des coordinateurs d’intimité s’est développé sur les productions d’opéra, sans que l’on puisse se prononcer sur la capacité réelle de ces intervenantes à prévenir les dérapages lors de scènes intimes. <a href="https://www.radiofrance.fr/francemusique/menaces-les-artistes-lyriques-creent-le-collectif-unisson-et-appellent-l-etat-a-l-aide-7403286">Le collectif Unisson</a> joue également un rôle favorable dans la circulation de la parole sur le sujet. Si une prise de conscience semble se produire petit à petit, les résultats de l’enquête menée en 2020 semblent cependant toujours d’actualité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222421/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Une enquête sociologique permet de mesurer la force des violences sexistes et sexuelles à l’œuvre dans l’opéra français.Marie Buscatto, Professeure de sociologie, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneIonela Roharik, Sociologue, ingénieure d’études, École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2204372024-01-25T14:53:19Z2024-01-25T14:53:19ZCulture pornographique et télé-réalité : quand l’inceste envahit nos écrans<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/570917/original/file-20240123-27-4v3kbw.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=13%2C10%2C997%2C570&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Kelle embrasse son fils Joey, image de promotion de l’émission MILF Manor, 2023. </span> <span class="attribution"><span class="source">TLC</span></span></figcaption></figure><p>Dans l’émission de télé-réalité <em>Loft Story</em>, la désormais célèbre « scène de la piscine », dans laquelle il y aurait eu un rapport sexuel filmé entre Loana et Jean-Édouard, fait les gros titres en 2001. À ce moment-là, la polémique que suscite l’émission est symptomatique d’une panique morale plus large qui accompagne l’émergence de la télé-réalité en France : un genre télévisuel que certains appellent alors la « télé-poubelle » ou autrement dit en anglais la « trash TV ».</p>
<p>Plus de vingt ans après <em>Loft Story</em>, l’émission <em>Frenchie shore</em> diffusée fin 2023 sur la plate-forme de streaming payante Paramount+ et sur MTV fait à son tour scandale. Alors qu’elle donne à voir de manière bien plus explicite des personnes assumant « baiser devant les caméras » pour reprendre les mots d’Ouryel, une candidate de l’émission, <em>Frenchie Shore</em> montrerait alors, selon une journaliste de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=TrjrU1MVIXI"><em>C l’hebdo</em></a>, une « image assez particulière de la sexualité ».</p>
<p>Si certains sonnent alors le retour de « la vraie télé-réalité » avec <em>Frenchie Shore</em>, considérée comme l’émission la plus « trashissime » jamais diffusée en France, ce genre d’émissions n’est pourtant pas nouveau. On pense à <em>L’île de la tentation</em> (diffusée à partir de 2002 sur TF1), <em>Opération séduction aux Caraïbes</em> (2002), <em>Secret Story</em> (première diffusion en 2007), <em>Les Anges de la télé-réalité</em> (diffusée pendant 10 ans à partir de 2007 également), <em>Les Marseillais</em> (de 2012 à 2022) ou encore <em>Adam recherche Eve</em>, une émission de <em>dating</em> diffusée en 2015 sur la chaîne C8, dans laquelle des hommes et des femmes se rencontrent totalement nus sur une île déserte.</p>
<h2>Les bikinis shows : sexualité et nudité au programme</h2>
<p>En fait, l’émission <em>Frenchie Shore</em>, dans laquelle de jeunes gens passent des vacances plutôt torrides dans une villa au Cap d’Adge, pourrait être classée du côté de ce que l’industrie appelle en anglais les bikinis shows : des émissions aux couleurs saturées, qui reposent sur un casting de jeunes adultes, hommes et femmes aux plastiques standardisées. </p>
<p>Notons par ailleurs que la plate-forme de streaming Netflix a elle aussi investi dans les <em>bikinis shows</em>, en diffusant par exemple depuis 2020 l’émission <em>Séduction haute tension</em> (<em>Too Hot to Handle</em> en anglais), dans laquelle les téléspectateurs assistent aux ébats sexuels des participantes et participants qui doivent pourtant rester chastes (sous peine de voir leur cagnotte collective diminuer à chaque transgression). Connue pour être désormais l’émission « la plus chaude » de Netflix, cette émission de télé-réalité américaine a depuis été déclinée dans plusieurs versions, comme en Allemagne ou au Brésil par exemple.</p>
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<p>En ce qui concerne <em>Frenchie Shore</em>, le producteur de l’émission précise que « ce n’est pas de la pornographie ». Pour ne pas franchir ce qui semblerait être les limites communément admises de ce qu’est ou non un contenu pornographique, les producteurs font usage de stratégies variées : floutages des parties génitales, images filmées en caméra infrarouges, <em>smiley</em> cachant des actes sexuels telles que des fellations ou des pénétrations, etc. Par ces procédés, les émissions de télé-réalité jouent de fait avec les limites de la pornographie, et en France, dans un contexte de nouvelle légifération entourant l’accessibilité des contenus pornographiques, l’émission <em>Frenchie Shore</em> fait sensation. Si l’émission ne peut être qualifié de « contenu pornographique » en tant que tel, elle permet néanmoins de poser la question des circulations entre télé-réalité et pornographie.</p>
<p>Subrepticement, l’émergence des thématiques incestueuses dans la télé-réalité permet d’approfondir la nature de ces liens et leurs conditions d’existence : d’autres émissions, cette fois-ci américaines mais disponibles aussi en France, s’emparent en effet plus manifestement des codes de la pornographie mainstream, en s’appuyant notamment sur la trend pornographique de l’érotisation de l’inceste, et méritent que l’on y prête une plus grande attention.</p>
<h2>« Dans la famille sexy », je demande… la mère et le fils !</h2>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/570921/original/file-20240123-19-l5gcw6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/570921/original/file-20240123-19-l5gcw6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=417&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/570921/original/file-20240123-19-l5gcw6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=417&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/570921/original/file-20240123-19-l5gcw6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=417&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/570921/original/file-20240123-19-l5gcw6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=524&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/570921/original/file-20240123-19-l5gcw6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=524&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/570921/original/file-20240123-19-l5gcw6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=524&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Joey et sa mère, « ça va être une période effrayante » en parlant de l’émission de télé-réalité <em>MILF Manor</em> (2023).</span>
<span class="attribution"><span class="source">TLC</span></span>
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<p>En 2023, les émissions américaines <em>MILF Manor</em> (diffusé sur TLC en 2023) puis <em>Dated and Related</em> (en français <em>Dans la famille sexy</em> diffusée sur Netflix la même année) s’inscrivent dans la dynastie des bikinis shows, mais avec un twist narratif inédit : la co-présence de frères et sœurs (parfois jumeaux) ou de mères et de leurs fils dans les villas faisant office d’espaces de séduction clos.</p>
<p>Ainsi, <em>MILF Manor</em> filme huit femmes âgées de 44 à 60 ans cherchant à rencontrer des hommes plus jeunes qu’elles et à entamer une relation avec l’un d’entre eux. Mais « surprise », les huit jeunes hommes qui les rejoignent dans la villa ne sont autres que leurs fils respectifs, âgés de 20 à 30 ans environ. Dans l’émission <em>Dated and Related</em>, présentée par la plate-forme comme son émission la plus « gênante », des duos composés de frères et de sœurs ou de cousines et de cousins se rencontrent et cherchent à relationner sous l’œil plus ou moins complaisant de leurs collatéraux, dans une villa située dans les hauteurs de Cannes.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/570923/original/file-20240123-15-xe6e6m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/570923/original/file-20240123-15-xe6e6m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=314&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/570923/original/file-20240123-15-xe6e6m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=314&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/570923/original/file-20240123-15-xe6e6m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=314&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/570923/original/file-20240123-15-xe6e6m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=395&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/570923/original/file-20240123-15-xe6e6m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=395&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/570923/original/file-20240123-15-xe6e6m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=395&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les sœurs jumelles Diana et Nina dans l’émission Dated and Related (<em>Dans la famille sexy</em> en français) 2023.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Netflix</span></span>
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<p>À première vue, <em>MILF Manor</em> et <em>Dated and Related</em> pourraient appartenir à la lignée des émissions portées sur l’investissement de membres de la parenté dans la planification et le jugement de relations conjugales ou matrimoniales d’un·e des leurs (comme dans <em>Qui veut épouser mon fils ?</em> ou encore par exemple <em>Ma mère, ton père, l’amour et moi</em>, diffusée récemment sur TF1). Mais contrairement à ces émissions, l’enjeu entre les candidats appartenant à la même famille n’est pas l’intégration par la conjugalité d’un nouveau membre dans leur famille.</p>
<p>Les émissions <em>MILF Manor</em> et <em>Dated and Related</em> portent en effet sur la vie affective et sexuelle des candidates et candidats et s’inscrivent de cette façon dans le genre des bikinis shows et se distinguent par plusieurs aspects des émissions engageant les membres d’une même famille. D’abord, elles mettent en scène des corps standardisés et hypersexualisés propres aux codes de la pornographie mainstream.</p>
<p>Ensuite, le fait que les duos « mères/fils » dans <em>MILF Manor</em>, ou les duos de sœurs, de cousins, etc. dans <em>Dated and Related</em> soient simultanément à la recherche d’un partenaire dans le même espace clos est une mécanique narrative inédite dans la télé-réalité. Ainsi, dans ces deux émissions, les membres de la famille commentent les désirs des uns et des autres ou ce que chacun décide de faire avec son corps, dans sa vie intime : des sujets qui les invitent à se sexualiser mutuellement, ce qui est généralement esquivé dans les <em>dating shows</em> impliquant les familles des candidat·e·s.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/570922/original/file-20240123-19-mgvtb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/570922/original/file-20240123-19-mgvtb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=354&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/570922/original/file-20240123-19-mgvtb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=354&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/570922/original/file-20240123-19-mgvtb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=354&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/570922/original/file-20240123-19-mgvtb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=445&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/570922/original/file-20240123-19-mgvtb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=445&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/570922/original/file-20240123-19-mgvtb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=445&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le défi massage dans <em>MILF Manor</em>, lors duquel les fils massent chacune des mamans à l’aveugle, 2023.</span>
<span class="attribution"><span class="source">TLC</span></span>
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<p>Par ailleurs, <em>MILF Manor</em> joue de manière plus flagrante sur l’ambiguïté produite par la co-présence de celles et ceux présentés tout au long de l’émission comme les « moms » et les « sons » (en français « les mamans » et les « fils »). En effet, les duos mère-fils partagent une même chambre, ce qui ne les empêche pas d’avoir simultanément des invité·e·s dans leurs lits respectifs. Une confusion des générations est constamment mise en scène, des « moms » étant successivement amenées à « esquiver » d’autres MILFS pour s’acoquiner avec les « sons » sans se faire prendre, puis à exprimer une réprobation toute maternelle quant aux choix de fréquentations de leurs fils.</p>
<p>L’humour et le scandale reposent ainsi sur le risque érotisé de l’inceste et la suggestion de son existence, puisque les « défis » consistent par exemple, pour les mères, à reconnaître le torse de leur fils, les yeux bandés, en palpant un à un les garçons. En retour, les « sons » seront notamment invités à réaliser des massages sensuels, les yeux bandés, sur les dos nus de chacune des « moms ». Tous auront également à reconnaître un maximum de sous-vêtements sales appartenant à leur mère/fils pour obtenir une victoire.</p>
<h2>L’inceste : une nouvelle trend de la télé-réalité ?</h2>
<p>C’est avant tout dans l’industrie pornographique que l’inceste est devenu omniprésent au fil des dernières années, comme l’explique Ovidie dans <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-culture-de-l-inceste-collectif/9782021502053"><em>La culture de l’inceste</em></a> à travers un article sur la « step-mom » (belle-mère), « le tag le plus recherché au monde » sur les sites pornographiques.</p>
<p>Dans la pornographie, elle explique que l’inceste est montré comme fun et consenti. Outre les scénarios incestueux, il arrive également que des acteur·rices apparenté·e·s tournent ensemble dans des vidéos, tandis que des pages X (Twitter), Instagram ou Onlyfans proposent leur lot de contenus érotiques amateurs mettant en scènes des frères, des sœurs, des jumeaux. Les émissions <em>Dated and Related</em> et <em>MILF Manor</em> capitalisent de fait sur cette tendance pornographique pour capter l’attention du public.</p>
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<p>Cela étant, la pirouette narrative de l’émission consiste au montage à accompagner systématiquement ces moments d’érotisation de l’inceste par les commentaires de candidat·e·s exprimant soit du dégoût, soit de l’excitation, mettant ainsi en exergue l’ambiguïté attendue dans la réception de ces scènes. Il s’agit donc de suggérer l’éventualité de la transgression (ici incestueuse), sans que celle-ci ne soit jamais actualisée, pour reprendre l’analyse de la chercheuse Divina Frau-Meigs dans un <a href="https://core.ac.uk/download/pdf/15502322.pdf">article</a> qu’elle consacre aux liens entre télé-réalité et pornographie en 2003.</p>
<p>Si s’appuyer sur la culture de l’inceste dans la télé-réalité semble relativement nouveau, dans la pornographie, cette tendance est en revanche loin d’être marginale. Les journalistes de <em>Cash Investigation</em> (France TV, 2023) expliquent <a href="https://www.france.tv/france-2/cash-investigation/5247165-porno-un-business-impitoyable.html">par exemple</a> que des sites pornographiques s’obligent en fait à « défaire » les liens de parenté dans leurs titres (en ajoutant par exemple « step » devant « brother and sister » ou devant « moms ») pour que les vidéos soient diffusables et ne soient pas qualifiées d’incestueuses. La popularité de l’inceste dans la pornographie souligne ainsi une contradiction entre les discours publics de rejet et de dégoût en réaction à l’inceste (et donc aux émissions citées), et entre l’excitation générée par la consommation de contenus en privé.</p>
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<h2>Décloisonner certains imaginaires pornographiques</h2>
<p>Il est important de souligner que la télé-réalité fait l’objet d’une forte dévaluation sociale, ici en montrant notamment dans <em>Frenchie Shore</em> des formes de sexualités jugées socialement inacceptables car considérées « trop vulgaires » et « débridées ». En fait, cette émission, comme beaucoup d’autres avant elle, brouille les frontières du public et de l’intime et s’inscrit dans un mouvement plus général de publicisation de l’intime, alors au cœur du « modèle néolibéral » (comme le note plus précisément Divina Frau-Meigs). Cela dit, la nouveauté dans <em>Frenchie Shore</em>, c’est qu’en plaçant la sexualité au cœur de son dispositif télévisuel de manière explicite, elle pousse le brouillage à son paroxysme, rendant alors quasi-visibles des choses qui demeurent habituellement cachées, sauf dans le cadre de la production pornographique. De la même manière, ce qui suscite l’indignation dans <em>Dated and Related</em> et <em>MILF Manor</em>, c’est que des éléments de l’intimité des candidat·e·s sont exposés et commentés par des membres de leur famille.</p>
<p>Quoi qu’en disent plusieurs journalistes et internautes, notons que ces émissions de télé-réalité ne traduisent pas un intérêt nouveau pour l’inceste. À ce titre, il est important de rappeler que l’érotisation des relations incestueuses est un procédé récurrent des productions culturelles (comme le démontre Iris Brey dans <em>La culture de l’inceste</em>), qui nourrissent la culture de l’inceste et en occultent le véritable phénomène social : les violences sexuelles intrafamiliales commises sur les enfants, dont nous savons aujourd’hui qu’elles concernent un <a href="https://facealinceste.fr/blog/publication/comment-nous-arrivons-au-chiffre-de-1-francais-sur-10-victime-d-inceste">enfant sur dix</a> et qu’elles relèvent de l’exercice d’une domination.</p>
<p>Finalement, la question n’est donc pas de savoir si ce type d’émissions se place ou non à la limite de la pornographie, mais d’analyser la manière dont la télé-réalité décloisonne certains imaginaires pornographiques et les propulse dans la sphère publique. Filmer des actes sexuels ou érotiser l’inceste s’inscrit dans la continuité de circulations et d’emprunts qui s’opèrent entre le genre de la télé-réalité et la pornographie. </p>
<p>Alors que ces représentations ne semblent guère entaillées par une période de lutte renouvelée contre les violences sexuelles intrafamiliales, la place d’un inceste illusoire, car « fun » et « consenti », dans ce genre de contenus qui troublent la notion de réalité, doit être questionnée de manière critique. Cela, dans un contexte où les productions culturelles montrant la violente réalité de l’inceste demeurent rares. La réception de certaines d’entre elles, tel que <em>Triste Tigre</em> de Neige Sinno qui a remporté les prix Femina et le Goncourt des lycéens en 2023, atteste d’ailleurs d’un intérêt renouvelé pour ces récits restituant les réalités subies par les victimes. Ainsi, la question de l’inceste ne cesse de mettre la société face à ses propres contradictions.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220437/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La télé-réalité décloisonne certains imaginaires pornographiques et les propulse dans la sphère publique.Aziliz Kondracki, Doctorante en anthropologie, École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)Corentin Legras, Doctorant en athropologie, École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2200542024-01-02T16:25:57Z2024-01-02T16:25:57ZAttentats, agressions : comment l’injonction de soins peut-elle être utilisée par la justice ?<p>Après <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/12/06/attentat-de-paris-le-terroriste-avait-initialement-prevu-d-attaquer-une-cible-juive_6204271_3224.html">l’attentat perpétré à Paris le 2 décembre dernier</a>, la <a href="https://www.la-croix.com/debat/Faut-permettre-lEtat-delivrer-injonctions-soins-2023-12-04-1201293312">presse</a> et les <a href="https://www.ouest-france.fr/faits-divers/attentat/attaque-a-paris-gerald-darmanin-veut-que-les-autorites-puissent-demander-une-injonction-de-soins-66708d68-9201-11ee-8602-1e868188f4e2">politiques</a> se sont penchés sur une mesure pouvant être appliquée par les praticiens de la justice et de la santé : l’injonction de soins. En effet, le mis en cause venait d’arriver au terme de cette mesure après la fin de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006070719/LEGISCTA000006181747/">son sursis probatoire</a>.</p>
<p>La mesure d’injonction de soins, ordonnée par la justice, permet d’enjoindre une personne condamnée à suivre des soins de nature psychiatrique et/ou psychologique en dehors du milieu carcéral. Si la personne décide de ne pas suivre les soins, elle s’expose à sa réincarcération pour non-respect de ses obligations.</p>
<p>Cette mesure a été créée par la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGISCTA000006094059">loi n°98-468 du 17 juin 1998</a> relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs. Alors qu’elle concernait initialement les auteurs d’infractions à caractère sexuel, son champ d’application n’a cessé de s’élargir à d’autres infractions et cadres procéduraux.</p>
<h2>Lutter contre la récidive</h2>
<p>La mesure d’injonction de soin a été créée par le législateur après la médiatisation de <a href="https://www.leparisien.fr/faits-divers/reclusion-a-perpetuite-pour-les-freres-jourdain-28-10-2000-2001724762.php">crimes sexuels</a> commis par des <a href="https://www.lemonde.fr/ete-2007/article/2006/08/23/guy-georges-le-tueur-de-l-est-parisien_805633_781732.html">individus déjà connus de la justice</a>. Elle répondait à la volonté de prévenir la récidive des auteurs d’infractions sexuelles, en leur imposant un suivi post-pénal de nature judiciaire et médico-social.</p>
<p>L’injonction de soins a été instaurée dans le cadre de la peine de suivi sociojudiciaire qui oblige le condamné à se soumettre à des <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006070719/LEGISCTA000006181732/">mesures de surveillance</a> et d’assistance une fois la peine de réclusion ou d’emprisonnement effectuée. Elle s’applique pendant une durée pouvant aller jusqu’à dix ans dans le cadre d’une condamnation pour un délit et jusqu’à vingt ans pour une condamnation criminelle.</p>
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<p>L’objectif initial de cette loi était de mener des individus vers des opportunités de soins, alors qu’ils n’y auraient pas nécessairement recours eux-mêmes, de façon à limiter leur risque de récidive. Néanmoins, progressivement, les mesures prévues dans le cadre de la loi de 1998 ont été perçues comme insuffisantes.</p>
<p>Au début des années 2000, la médiatisation de faits divers dramatiques (le meurtre de <a href="https://www.ladepeche.fr/article/2008/06/17/460209-assassinat-nelly-cremel-perpetuite-gateau-30-ans-mathey.html">Nelly Cremel</a> en 2005, l’enlèvement et le <a href="https://www.francetvinfo.fr/france/viol-d-enis-evrard-condamne-a-30-ans-de-reclusion_245897.html">viol d’Enis</a> en 2007 et <a href="https://www.leparisien.fr/essonne-91/en-2009-l-effroi-apres-le-viol-et-le-meurtre-d-une-joggeuse-02-09-2016-6087131.php">l’assassinat de Marie-Christine Hodeau</a> en 2009), cristallise les débats publics autour de la prévention de la récidive et des soins ordonnés aux délinquants. En 2009, Michèle Alliot-Marie, alors ministre de la Justice exprimait vouloir, en réponse à la délinquance sexuelle, <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2009/10/02/nicolas-sarkozy-exige-de-nouvelles-mesures-contre-la-recidive-des-delinquants-sexuels_1248342_3224.html">« la castration chimique ou la prison »</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">L’affaire Nelly Cremel en 2005.</span></figcaption>
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<p>Dans ce contexte social et politique, pas moins de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000249995">six lois</a> ont été <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000786845/#:%7E:text=%C2%AB%20La%20juridiction%20p%C3%A9nale%20ne%20peut,en%20%C3%A9tat%20de%20r%C3%A9cidive%20l%C3%A9gale">adoptées</a> afin de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000615568">prévenir</a> la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/dossierlegislatif/JORFDOLE000017758194/#:%7E:text=Projets%20de%20lois-,Loi%20n%C2%B0%202007%2D1198%20du%2010%20ao%C3%BBt%202007%20renfor%C3%A7ant,des%20majeurs%20et%20des%20mineurs&text=Communiqu%C3%A9%20de%20presse%20du%20Conseil,des%20majeurs%20et%20des%20mineurs">délinquance</a> entre <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000018162705">2004</a> et <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000021954436#:%7E:text=LOI%20n%C2%B0%202010%2D242,proc%C3%A9dure%20p%C3%A9nale%20(1) %20 %2D %20L %C3 %A9gifrance">2010</a>. Le soin apparaît alors comme l’instrument par excellence de lutte contre la récidive.</p>
<h2>Une disposition progressivement élargie</h2>
<p>Bien que la <a href="https://www.senat.fr/rap/l06-358/l06-358.html">Commission des lois</a> rapportait l’opacité entourant la mesure d’injonction de soins et son application, <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000801164">plusieurs</a> <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000786845/#:%7E:text=%C2%AB%20La%20juridiction%20p%C3%A9nale%20ne%20peut,en%20%C3%A9tat%20de%20r%C3%A9cidive%20l%C3%A9gale">lois</a> <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000615568">ont</a> <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000022454032/#:%7E:text=au%20sein%20%E2%80%A6-,LOI%20n%C2%B0%202010%2D769%20du%209%20juillet%202010%20relative,derni%C3%A8res%20sur%20les%20enfants%20(1)">élargi</a> et <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043403203#:%7E:text=%E2%80%98inceste%20%E2%80%A6-,LOI%20n%C2%B0%202021%2D478%20du%2021%20avril%202021%20visant,de%20l%E2%80%99inceste%20(1)&text=Recherche %20simple %20dans %20le %20code %20Rechercher %20dans %20le %20texte%E2%80%A6">renforcé son cadre d’application</a>. Les dispositions légales du suivi sociojudiciaire se sont progressivement élargies à plusieurs faits de nature violente.</p>
<p>Désormais, l’injonction de soins peut concerner des personnes placées sous main de justice aux profils pluriels condamnées pour des faits d’atteintes à la vie, de violences conjugales, pour des actes de terrorismes et de destructions et dégradations par moyens dangereux. Ainsi, le domaine d’application de l’injonction de soins dépasse aujourd’hui le seul cadre de la peine de suivi sociojudiciaire puisque les personnes peuvent être soumises à cette mesure dans divers cadres légaux (mesures de sûreté, aménagements de peines, peines probatoires).</p>
<p>Pour être soumis à une injonction de soins, il faut qu’un expert psychiatre détermine qu’il est opportun que la personne entre dans un processus de soins.</p>
<p>Récemment, une <a href="https://repeso.hypotheses.org/">équipe de chercheurs</a> a procédé à l’analyse de rapports d’expertises et constate que les indications de soins « viennent en réponse à une question implicite qui serait : le prévenu ou l’accusé pourrait-il bénéficier de soins sous contrainte et ceux-ci contribueraient-ils à éviter, sinon limiter, une réitération d’actes similaires de sa part ? » Selon les auteurs, l’opportunité de soins ne serait pas toujours appréciée en fonction des pathologies ou des troubles de la personne, mais plutôt selon l’intérêt de la mesure de soins pénalement ordonnée pour limiter la récidive et accompagner l’auteur de l’infraction.</p>
<h2>Comment mesurer le véritable effet de cette mesure ?</h2>
<p>La mise en place de l’injonction de soins correspond à un enchevêtrement de différentes modalités d’application et à une articulation entre les acteurs de la chaîne pénale et du soin. En effet, la personne placée sous main de justice doit, en plus de ses soins, respecter diverses obligations et se soumettre à des mesures de contrôle. Tout manquement à ces obligations pourra conduire à son retour en détention. Afin de justifier l’exécution et le respect de ses obligations, elle doit rencontrer un conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation. Ce dernier assure également le suivi de la personne dans les différents aspects de sa situation.</p>
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<p>Dans le cadre de la mise en œuvre de son injonction de soins, la personne doit rencontrer plusieurs fois par an un médecin coordonnateur. Il est désigné par le juge de l’application des peines pour faire le lien entre les professionnels de la santé et les professionnels de la justice. Le médecin coordonnateur a un double rôle de conseil. Il conseille la personne placée sous main de justice dans le choix du professionnel assurant sa prise en soins (nommé médecin ou psychologue traitant). Il conseille également le médecin psychiatre ou le psychologue traitant dans l’orientation et la mise en place des soins. Ce dernier professionnel n’a aucun contact avec les acteurs de la chaîne pénale. Toutes les informations relatives aux soins sont transmises au médecin coordonnateur, qui en assure la diffusion aux acteurs compétents.</p>
<p>L’application de cette mesure nécessite une articulation et un maillage important entre les professionnels du champ sanitaire et les professionnels du champ judiciaire, ce qui peut parfois engendrer des difficultés. Les acteurs en présence ne partagent pas nécessairement les mêmes objectifs dans la mise en œuvre de l’obligation judiciaire, qui s’applique pendant une durée relativement longue. En effet, les professionnels ont un rôle distinct dans l’accompagnement des personnes et l’application de cette mesure qui s’inscrit dans une double dimension de soins et de contrôle. De plus, le manque de moyens humains dans les différentes institutions peut avoir un impact sur le temps dédié aux échanges pluridisciplinaires.</p>
<p>À ce jour, aucune statistique publique ne permet d’analyser le nombre de recours à l’injonction de soins. Cette absence de statistiques et d’évaluation conduit à s’interroger sur l’impact des réformes successives sur le recours à l’injonction de soins et sur la diversification – ou non – du profil des personnes qui y sont soumises.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220054/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lisa Colombier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’injonction de soins concernait initialement les auteurs d’infractions à caractère sexuel. Depuis, son champ d’application n’a cessé de s’élargir à d’autres infractions.Lisa Colombier, Doctorante en sociologie et en droit, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2184092023-11-23T17:55:45Z2023-11-23T17:55:45ZConversation avec Christelle Taraud : « Le féminicide est un crime de possession »<p><em>Historienne spécialiste des questions de genre, autrice du livre <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/feminicides-9782348057915">« Féminicides : une histoire mondiale »</a> (éditions la Découverte, 2022), Christelle Taraud lors des Tribunes de la presse 2023, a insisté sur le caractère systémique de ces crimes, leur traitement médiatique et son engagement féministe.</em></p>
<hr>
<p><strong>Pourquoi avez-vous décidé d’intervenir aux Tribunes de la presse sur le thème des passions ?</strong></p>
<p><strong>Christelle Taraud</strong> : Je ne suis pas venue sur le thème des passions, mais pour discuter des féminicides. La question « Peut-on encore parler de crime passionnel ? » était posée de manière provocatrice. L’idée était de dire que pendant des années, voire des siècles, on a parlé de crime passionnel. Aujourd’hui, on a bien compris que cela n’existe pas, que ce n’est qu’une <a href="https://theconversation.com/feminicide-a-lorigine-dun-mot-pour-mieux-prevenir-les-drames-162024">construction issue des systèmes patriarcaux</a>. C’est une expression extrêmement problématique qui est en train de disparaître du paysage social, mais aussi du paysage médiatique.</p>
<p>Les exécutions très médiatisées de <a href="https://information.tv5monde.com/terriennes/sohane-morte-brulee-vive-dans-une-banlieue-parisienne-il-y-vingt-ans-1302548">Sohane Benziane</a> et de <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/feminicides/meurtre-de-marie-trintignant-20-ans-apres_5983646.html">Marie Trintignant</a> en 2002 et en 2003 ont marqué le caractère systémique de ces crimes. Les deux sont présentées comme des crimes passionnels dans la presse, alors que ce n’est pas du tout ce dont il s’agit. Quand Marie Trintignant est opérée en urgence et que le chirurgien explique la nature des blessures dont elle a été victime, on comprend que ce n’est pas du tout une petite claque « comme ça ». Elle ne s’est pas cognée contre un meuble, elle a le crâne totalement défoncé, le visage en miettes. Son meurtre est un acte de contrôle.</p>
<p>Sa mère m’a confié que, juste avant d’être tuée, Marie Trintignant avait précisé à Bertrand Cantat qu’elle mettait fin à leur relation. On est donc tout à fait dans le modus operandi du <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/06/02/feminicides-la-rupture-premier-declencheur-du-passage-a-l-acte_6041468_3224.html">féminicide qui survient à la rupture</a>. Toutes les amies de Marie Trintignant racontent depuis, de manière récurrente, le contrôle coercitif qu’elle subissait dans sa relation avec Bertrand Cantat. Elle était obligée de mettre, même quand elle tournait, son téléphone portable dans sa chaussette pour pouvoir entendre le téléphone vibrer, parce que si elle ne répondait pas, il devenait extrêmement violent. Que l’on s’appelle Sohane Benziane ou Marie Trintignant, on meurt du fait de la violence misogyne des hommes.</p>
<p>Lorsque les hommes tuent, c’est un crime de possession. Leur joujou leur échappe, donc ils le tuent. Ce crime est dû au fait que pendant très longtemps, les hommes se sont sentis autorisés à penser que les femmes étaient leur propriété. En France, cela remonte au début du XIX<sup>e</sup> siècle avec la <a href="https://www.gouvernement.fr/actualite/la-femme-mariee-avait-le-statut-de-mineure-au-meme-titre-que-les-enfants">mise en place du code civil napoléonien</a>. Il dit que la femme doit obéissance à son mari et qu’elle est la propriété de l’homme. Cette idée que nous ne sommes pas des individus à part entière a conduit à un régime qui autorise la violence des hommes et qui leur assure une impunité. Pour sortir de cela, il faut que nous travaillions à être des individus à part entière et à ne pas nous laisser enfermer, à être des extensions d’autre chose.</p>
<p><strong>Dans les années 90, vous militiez au sein du collectif Les Marie Pas Claire. Qu’est-ce qui vous a poussé à vous intéresser au féminisme ?</strong></p>
<p><strong>C. T.</strong> : Le féminisme est dans mon ADN ! J’ai toujours été féministe et je le serai toujours. C’est essentiel de l’être, parce que c’est la meilleure défense que nous avons pour construire une société véritablement égalitaire. J’ai été éduquée par une mère seule qui a vraiment planté le germe de la révolte. À cette époque, la violence était un truc de mecs. Il ne fallait surtout pas être violente, agressive, avoir des opinions trop tranchées, parce que sinon on sortait de la féminité. Les <a href="https://www.liberation.fr/vous/1995/11/25/zarmazones-et-marie-pas-claire-reinventent-la-lutte-choisissant-les-rythmes-funk-ou-l-humour-elles-r_148876/">Marie Pas claire</a> est le premier groupe féministe radical non mixte qui émerge dans l’héritage du <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/le-mlf-histoire-d-un-combat-feministe">Mouvement de libération des femmes</a>, aussi bien dans la radicalité politique que dans l’organisation.</p>
<p>C’est un militantisme horizontal, inclusif et égalitaire. J’ai participé à cette formidable expérience collective qui était une véritable sororité. C’était extrêmement fondateur ! J’ai appris à parler, à écrire et à me défendre. La première chose qu’on a mis en place, ce sont des stages d’autodéfense. On y a appris à crier, parce que quand les femmes sont victimes de violence, elles sont souvent sidérées. Cela est très dangereux car les hommes et la société en général utilisent le fait que nous ne disons rien. Par exemple, en cas de viols, on demande souvent aux filles si elles ont dit non ou si elles se sont défendues, mais la grande majorité des filles sont dans un état de sidération qui interdit cela. Si on veut contrecarrer cette logique qui consiste à dire « vous ne dites rien, vous ne faites rien, donc vous consentez », il faut donc commencer par dire clairement non.</p>
<p><strong>C’est donc votre mère qui a inspiré votre militantisme ?</strong></p>
<p><strong>C. T.</strong> : Oui, ma mère était une femme très en colère contre le monde tel qu’il était, en particulier vis-à-vis des relations très inégalitaires qu’elle a subies en tant que femme. Elle m’a toujours dit : « il faut être libre, il faut être indépendante, il faut travailler ». L’indépendance économique est un point très important : beaucoup de femmes sont obligées de rester dans des situations coercitives <a href="https://www.coe.int/fr/web/gender-matters/socio-economic-violence">car elles n’ont pas les moyens de s’émanciper économiquement</a>. On trouve aussi des <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-zoom-de-la-redaction/violences-conjugales-dans-les-milieux-favorises-5476881">femmes au plus haut niveau de la hiérarchie socio-économique</a> de nos sociétés qui sont victimes de féminicide. Si vous êtes une femme <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/les-femmes-pauvres-plus-battues-que-les-autres_1632389.html">pauvre</a>, <a href="https://www.amnesty.be/campagne/droits-femmes/viol/article/intersectionnalite-violences-sexuelles">racisée</a>, en <a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications/etudes-et-resultats/les-personnes-handicapees-sont-plus-souvent-victimes-de-violences">situation de handicap</a>, <a href="https://www.slate.fr/story/195551/violences-conjugales-personnes-agees">âgée</a>, <a href="https://www.slate.fr/story/195551/violences-conjugales-personnes-agees">dans un territoire rural</a>, <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/campaigns/2022/01/try-listening-to-the-people-who-actually-know-whats-going-on/">travailleuse du sexe</a> ou encore <a href="https://www.terrafemina.com/article/femmes-transgenres-l-activiste-lexie-pointe-les-violences-faites-aux-femmes-trans_a356078/1">transgenre</a>, vous êtes encore plus impactée.</p>
<p><strong>Vous dites que ce n’est pas en envoyant des hommes en prison qu’on règle le problème des féminicides, mais en les éduquant différemment. Comment peut-on les éduquer différemment ?</strong></p>
<p><strong>C. T.</strong> : Par une éducation égalitaire. Il faut éduquer les hommes différemment, mais il faut aussi éduquer les filles différemment. Le problème essentiel des femmes est le fait qu’elles ont complètement incorporé, par des politiques de dressage, le fait que la violence est une composante de leur vie. <a href="http://developpement.ccdmd.qc.ca/fiche/identite-de-genre">Dès 18 mois, on prend conscience qu’on a un sexe</a>, et on y associe des droits et des devoirs. Le dressage, inconscient, commence alors. Il est incorporé <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2010-2-page-55.htm">dans la famille</a> et dans toutes les instances de socialisation, <a href="https://www.enfant-encyclopedie.com/genre-socialisation-precoce/selon-experts/le-role-de-lecole-dans-la-differenciation-precoce-des">notamment à l’école</a>. C’est ce que j’appelle une guerre de basse intensité qui est menée contre les femmes.</p>
<p>En plus, elles vont hiérarchiser les violences : il y aurait des violences excusables et d’autres qui ne le sont pas. C’est pour cela que le continuum féminicidaire est un outil formidable, qui montre que les choses graves sont le produit direct des choses jugées pas graves. Imaginez qu’un homme vous insulte dans l’espace public. Si vous l’arrêtez et qu’il comprend que c’est inacceptable, vous avez peut-être une chance qu’au bout de la chaîne de la violence, il ne tue pas sa compagne. Si vous ne l’arrêtez pas, vous l’acclimatez au fait que la violence sexiste est normale, que c’est un régime d’impunité.</p>
<p><strong>Dans un entretien accordé à Médiapart, vous expliquiez que chaque moment de révolte des femmes se traduit par un pic de violence. Si, même lorsque les femmes se défendent, elles reçoivent de la violence en retour, quelles solutions nous reste-t-il et comment sort-on de ce cercle vicieux ?</strong></p>
<p><strong>C. T.</strong> : De toute façon, que l’on se révolte ou pas, la violence est là. La révolte montre que nous faisons avancer la société dans le bon sens. Nous ne sommes pas dans des sociétés d’égalité réelle, même si l’égalité formelle est là : on a par exemple fait passer des lois d’égalité salariale, mais, depuis le 6 novembre, les <a href="https://www.lesechos.fr/economie-france/social/inegalites-salariales-a-partir-de-ce-lundi-11h35-les-francaises-travaillent-gratuitement-2026856">femmes en France travaillent gratuitement</a>. Il faut donc mener des luttes partout, tout le temps ! C’est un peu épuisant, mais totalement nécessaire. Alors, comment faire ? Je crois beaucoup au concept de sororité inclusive, qui constitue des sororités mixtes. S’il y a des femmes qui collaborent avec le patriarcat, il y a des hommes qui le combattent.</p>
<p>Donc, quand les hommes acceptent d’abandonner le privilège masculin, qui est un privilège exorbitant, ils sont les bienvenus dans nos sororités ! Il faut ensuite plusieurs choses pour changer le monde. D’abord, une politique des femmes. On voit à quel point le monde aurait besoin aujourd’hui d’une diplomatie féministe et de femmes au pouvoir. Nous ne sommes pas des êtres naturellement angéliques, bienveillants, doux, mais nous avons été socialisées comme cela. Cette socialisation fait tenir la société. Donc, si on veut construire une autre société, je pense qu’il faut que les hommes deviennent des femmes.</p>
<p>Évidemment, ils auront toujours des différences physiologiques. Mais le comportement est induit par la construction sociale et n’est pas induit par le fait que nous ayons des pénis ou des utérus. On peut très bien devenir une femme sociale en gardant son pénis ! Mais si les femmes se mettent à adhérer aux valeurs de la masculinité hégémonique, nous sommes foutus. Les sociétés sont de plus en plus violentes, parce que cette masculinité se construit par la violence, l’agressivité, la possession, la conquête, le ravage. Heureusement pour nous, nos grands mâles blancs ont déjà prévu une échappatoire, puisqu’ils ont prévu de coloniser des planètes étrangères après avoir ruiné celle-ci, pourtant magnifique !</p>
<p><strong>Dans le même entretien, vous dites, à propos des féminicides : « Je ne crois pas que parler de quelque chose permette de changer immédiatement, comme par magie, les mentalités. » À quoi sert alors la presse qui s’empare de ces questions ?</strong></p>
<p><strong>C. T.</strong> : Je ne crois pas qu’en parler suffise. Mais en parler avec les bons termes est important ! Le problème est que les terminologies « crime passionnel » ou « crime d’honneur » <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/06/02/feminicides-le-crime-passionnel-un-si-commode-alibi_6041444_3224.html">accréditent de manière positive la violence</a>. Derrière cela, la réalité, ce sont des exécutions de femmes. Quand on écrit un article, on ne dit pas « la femme est morte », on dit « la femme a été exécutée ». Cela ne dit pas la même chose. Une femme meurt d’un cancer du sein. Mais si ton compagnon te tire une balle dans la tête, asperge ton corps d’essence, après t’avoir violée, coupé la tête et enlevé l’utérus, tu n’es pas morte : il t’a exécutée. C’est un sur-meurtre.</p>
<p>Ensuite, qu’on arrête de parler de violences conjugales ou de violences domestiques ! Ce sont des euphémismes qui accréditent la symétrie de la violence. Alors qu’en réalité, on sait que <a href="https://www.actu-juridique.fr/theorie-sociologie/la-masculinite-est-un-facteur-central-des-violences-conjugales/">l’essentiel de cette violence est produite par les hommes</a> contre les femmes, contre les enfants et contre d’autres hommes qui dérogent. Si les agresseurs sont des hommes, il faut le dire ! Les récits ont un grand pouvoir, et les mots tuent. Les femmes sont tuées une première fois dans leur corps, dans leur identité. Ensuite, elles sont tuées dans le récit qu’on fait de leur mort. Pendant très longtemps, on évoquait d’ailleurs très peu la victime en général, et seulement pour la blâmer. Il y a alors une inversion de la responsabilité. La presse a un rôle tout à fait déterminant à jouer dans ce processus et on arrivera, j’espère bientôt, à un code de déontologie.</p>
<p><strong>Libération a publié le 10 novembre dernier une tribune <a href="https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/pour-la-reconnaissance-dun-feminicide-de-masse-en-israel-le-7-octobre-20231110_EMTPN3H2EBDLJBMLLTZ2SRLY6A/">« Pour la reconnaissance d’un féminicide de masse en Israël le 7 octobre »</a>. Est-ce que vous l’avez signée ?</strong></p>
<p><strong>C. T.</strong> : On ne m’a pas demandé de la signer. Évidemment, les violences qui sont dirigées contre les femmes en Israël, qui sont le fait du Hamas, constituent un crime. Ce crime de masse, ce féminicide, il faut le condamner avec la plus grande vigueur. <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2017-4-page-9.htm?ref=doi">La violence de guerre est bien sûr une violence genrée</a>. Il s’agit de misogynie. Dans les conflits, il y a toujours une animalisation, une déshumanisation du corps de l’ennemi. Elle est maximisée quand il s’agit de femmes.</p>
<p><strong>Si les massacres de guerre sont relayés par les médias, le sort spécifique que subissent les femmes est peu évoqué. Quel est votre regard là-dessus ?</strong></p>
<p><strong>C. T.</strong> : Cela est de plus en plus évoqué. On a toujours tendance à considérer que la violence touche tout le monde de la même manière dans un couple, une guerre ou un génocide, mais c’est faux. Je trouve par exemple très désolant que la question du <a href="https://www.unwomen.org/sites/default/files/Headquarters/Media/Publications/UNIFEM/EVAWkit_06_Factsheet_ConflictAndPostConflict_fr.pdf">viol comme arme de guerre</a> ne soit pas utilisée systématiquement dans les analyses des conflits. C’est pourtant une arme de destruction massive. J’invite donc les médias à avoir un peu de subtilité quand ils parlent des conflits.</p>
<hr>
<p><em>Propos recueillis par Lisa Défossez et Agathe Di Lenardo, étudiantes en master professionnel de journalisme à l’Institut de Journalisme Bordeaux Aquitaine (IJBA).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218409/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christelle Taraud ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Au cours de cet entretien, Christelle Taraud nous parle du traitement médiatique des féminicides et de son parcours militant.Christelle Taraud, Historienne, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2109112023-08-03T21:33:46Z2023-08-03T21:33:46ZSinead O’Connor, une vie de quête spirituelle à travers la musique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/541037/original/file-20230803-27-los2z2.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=22%2C0%2C1815%2C1231&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La chanteuse au Paradiso, à Amsterdam, en mars 1988. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/irish-singer-sinead-oconnor-performs-at-paradiso-amsterdam-news-photo/997813120?adppopup=true">Paul Bergen/Redferns via Getty Images</a></span></figcaption></figure><p>Le 26 juillet 2023, alors qu’on apprenait la <a href="https://www.bbc.com/news/entertainment-arts-66318626">mort de la chanteuse irlandaise Sinead O’Connor</a>, des anecdotes sur un célèbre incident ont refait surface.</p>
<p>Il y a 31 ans, après une interprétation envoûtante de la chanson « War » de Bob Marley, Sinead O’Connor avait déchiré une photo du pape Jean-Paul II en direct à la télévision, déclarant : « Combattez le véritable ennemi », en référence <a href="https://theconversation.com/the-catholic-church-sex-abuse-crisis-4-essential-reads-169442">aux abus sexuels commis par des ecclésiastiques</a>. Pendant les mois qui ont suivi, elle a été bannie, <a href="https://www.rollingstone.com/music/music-news/sinead-o-connor-booed-pope-bob-dylan-concert-1176338/">huée et moquée</a>, rejetée comme une rebelle et une folle.</p>
<p>Les commémorations qui ont suivi sa mort ont cependant jeté une lumière très différente sur cet épisode. Sa déclaration-choc au <em>Saturday Night Live</em> est désormais considérée comme « revigorante » <a href="https://www.nytimes.com/2023/07/26/arts/music/sinead-oconnor-snl-pope.html">écrit le critique pop du <em>New York Times</em></a> et comme « un appel aux armes pour les dépossédés ».</p>
<p>Les mentalités ont beaucoup changé depuis 1992, que ce soit à l’égard du catholicisme, du sexe et du pouvoir, que ce soit à New York ou à Dublin, la ville natale d’O’Connor. Aux yeux de nombreuses personnes, la crédibilité morale de l’Église catholique dans le monde <a href="https://news.gallup.com/poll/245858/catholics-faith-clergy-shaken.aspx">s’est effondrée</a>, et la confiance dans les institutions religieuses, quelles qu’elles soient, est <a href="https://news.gallup.com/poll/1597/confidence-institutions.aspx">au plus bas</a>. Les abus sexuels, dont on ne parlait autrefois qu’à voix basse, sont aujourd’hui évoqués ouvertement.</p>
<p>Je me joins au chœur des voix qui affirment aujourd’hui qu’O’Connor était en avance de plusieurs décennies sur son temps. Mais si l’on s’en tient à cela, on passe à côté de quelque chose de profond quant à la complexité et à la profondeur de son imagination religieuse. Sinead O’Connor était sans doute l’une des artistes les plus sensibles à la spiritualité de notre époque. </p>
<p>Je suis une <a href="https://www.fordham.edu/academics/departments/theology/faculty/brenna-moore/">spécialiste du catholicisme à l’époque moderne</a> et je m’intéresse depuis longtemps à ces personnages – les poètes, les artistes, les chercheurs – qui errent en <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/K/bo90478851.html">marge de leur tradition religieuse</a>. Ces hommes et ces femmes déçus par les représentants du pouvoir religieux, mais dont l’imagination artistique et l’inspiration tiennent beaucoup à la spiritualité.</p>
<p>Tout au long de sa vie, O’Connor a défié les étiquettes religieuses, explorant de multiples croyances. L’exquise liberté de sa musique ne peut pas être dissociée de l’amour qu’elle porte à la religion.</p>
<h2>« Sauver Dieu de la religion »</h2>
<p>La religion est souvent considérée comme une affaire intime et personnelle : on est croyant ou on ne l’est pas. Mais en réalité, c’est rarement aussi simple.</p>
<p>L’Église catholique avait une forte emprise sur la société irlandaise à l’époque où Mme O’Connor grandissait – une « théocratie », comme elle l’a qualifiée <a href="https://www.theguardian.com/world/2010/sep/10/sinead-oconnor-pope-visit">dans des interviews</a> et dans ses mémoires, <a href="https://www.penguin.co.uk/authors/126006/sinead-oconnor"><em>Rememberings</em></a> – et pendant de nombreuses années, elle a <a href="https://www.reuters.com/article/us-oconnor/singer-sinead-oconnor-demands-pope-steps-down-idUSTRE5BA39Y20091211">alerté et appelé à plus de responsabilité</a> au sujet des abus sexuels commis par des ecclésiastiques. Mais elle aimait ouvertement d’autres aspects de la foi, même si c’était souvent de manière peu orthodoxe. Elle s’est fait tatouer Jésus sur la poitrine et a continué à critiquer l’Église tout en apparaissant à la télévision avec un collier de prêtre.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/539864/original/file-20230727-27-jtkhdm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Une femme en robe violette, au crâne rasé et au grand tatouage coloré, embrasse une femme blonde" src="https://images.theconversation.com/files/539864/original/file-20230727-27-jtkhdm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/539864/original/file-20230727-27-jtkhdm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=431&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/539864/original/file-20230727-27-jtkhdm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=431&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/539864/original/file-20230727-27-jtkhdm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=431&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/539864/original/file-20230727-27-jtkhdm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=542&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/539864/original/file-20230727-27-jtkhdm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=542&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/539864/original/file-20230727-27-jtkhdm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=542&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Sinead O’Connor, avec son tatouage de Jésus, embrasse la chanteuse Deborah Harry lors du gala Inspiration 2011 de l’amfAR à Los Angeles.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/singers-sinead-oconnor-and-deborah-harry-attend-the-the-news-photo/130660855?adppopup=true">Jeff Vespa/Getty Images for amfAR</a></span>
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<p>Dix ans après sa prestation au SNL, O’Connor a suivi des cours dans un séminaire de Dublin avec un prêtre dominicain catholique, le révérend Wilfred Harrington. Ensemble, ils lisaient les prophètes de la Bible hébraïque et les Psaumes : des écritures sacrées dans lesquelles les paroles de Dieu sont exprimées.</p>
<p>Inspirée par son professeur, elle lui a dédié le magnifique album <a href="https://www.youtube.com/watch?v=xncY5WP12BQ"><em>Theology</em></a>. L’album est un mélange de certaines de ses propres chansons inspirées par la Bible hébraïque – comme <a href="https://www.youtube.com/wat,h?v=Kf24-rgyOeI">« If You Had a Vineyard »</a>, inspirée par le Livre d’Isaïe, et <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Jh7s5BKphw8">« Watcher of Men »</a>, qui s’inspire de l’histoire biblique de Job – et d’autres morceaux qui sont essentiellement des versions chantées de ses psaumes préférés.</p>
<p>Dans une <a href="https://wfuv.org/content/sinead-oconnor-words-and-music-2007">interview de 2007</a> pour la station de radio WFUV de l’Université Fordham, O’Connor a déclaré qu’elle espérait que l’album pourrait montrer Dieu aux gens lorsque la religion elle-même leur avait bloqué l’accès à Dieu. Il s’agissait en quelque sorte de « sauver Dieu de la religion », de « sortir Dieu de la religion ». Plutôt que de prêcher ou d’écrire, « la musique est le petit moyen que j’ai de le faire », a-t-elle déclaré, ajoutant : « Je dis cela en tant que personne qui a beaucoup d’amour pour la religion ».</p>
<h2>Lire les prophètes</h2>
<p>Ce faisant, elle s’inscrit dans la longue lignée de la tradition prophétique. Le livre <a href="https://www.harpercollins.com/products/the-prophets-abraham-j-heschel?variant=40970012721186"><em>Les prophètes</em></a> du grand penseur juif, le <a href="https://www.myjewishlearning.com/article/abraham-joshua-heschel-a-prophets-prophet/">rabbin Abraham Joshua Heschel</a> commence par cette phrase : « Ce livre traite de certaines des personnes les plus troublantes qui aient jamais vécu ». À maintes reprises, la Bible montre les prophètes comme des êtres humains.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/539863/original/file-20230727-21-4u2iz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Une poignée de personnes tiennent des pancartes de protestation rouges, blanches et noires devant un bâtiment, avec une grande photo d’une femme déchirant une photographie devant eux" src="https://images.theconversation.com/files/539863/original/file-20230727-21-4u2iz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/539863/original/file-20230727-21-4u2iz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/539863/original/file-20230727-21-4u2iz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/539863/original/file-20230727-21-4u2iz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/539863/original/file-20230727-21-4u2iz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/539863/original/file-20230727-21-4u2iz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/539863/original/file-20230727-21-4u2iz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Une photo de Sinead O’Connor déchirant la photographie du pape Jean-Paul II se trouve lors d’une manifestation à Cracovie, en Pologne, en 2023, accusant la hiérarchie de l’église d’avoir dissimulé des abus sexuels.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/banners-are-seen-during-a-protest-next-to-the-bishops-news-photo/1248867957?adppopup=true">Beata Zawrzel/NurPhoto via Getty Images</a></span>
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<p>Pour de nombreux catholiques horrifiés, l’apparition de Mme O’Connor dans le <em>SNL</em> et ses nombreuses autres critiques de l’Église étaient blasphématoires ou servaient juste à attirer l’attention sur sa personne. D’autres fans, en revanche, y ont vu une condamnation prophétique. Il ne s’agissait pas seulement d’une critique de la maltraitance, mais aussi d’une critique de la prétendue compassion des responsables de l’Église pour les enfants, tenant des propos moralisateurs <a href="https://www.theguardian.com/world/2009/nov/26/catholic-church-ireland-child-abuse">alors qu’ils couvraient la maltraitance</a>.</p>
<p>En dénonçant tout cela et bien d’autres choses encore, O’Connor a souvent été considérée comme dérangeante : pas seulement à cause de l’incident de la photo du pape, mais en raison de son androgynie, son crâne rasé, son ouverture sur ses propres luttes contre la maladie mentale. Mais pour de nombreux admirateurs, comme le montre le documentaire <a href="https://www.youtube.com/watch?v=-VLy1A4En4U"><em>Nothing Compares</em></a>, tout cela montrait qu’elle était libre et, comme les prophètes d’autrefois, qu’elle n’avait ni honte ni peur de provoquer.</p>
<h2>Du rasta à l’islam</h2>
<p>En même temps, l’imagination religieuse d’O’Connor représentait bien plus qu’une relation complexe avec le catholicisme. La religion autour d’O’Connor était éclectique et intense.</p>
<p>Elle était profondément influencée par les <a href="https://theconversation.com/reggaes-sacred-roots-and-call-to-protest-injustice-99069">traditions rastafari</a> de la Jamaïque, <a href="https://wfuv.org/content/sinead-oconnor-words-and-music-2007">qu’elle décrivait</a> comme « un mouvement spirituel antireligieux, mais massivement pro-Dieu ». Elle considérait le premier album de Sam Cooke avec les Soul Stirrers comme le meilleur album de gospel jamais réalisé. Elle compte parmi ses héros spirituels Muhammad Ali – et <a href="https://www.bbc.com/news/entertainment-arts-45987127">s’est convertie à l’islam en 2018</a>, changeant son nom en Shuhada’ Sadaqat.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/539862/original/file-20230727-21-olv2cm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Une femme en robe à carreaux et coiffe chante avec passion devant des lumières violettes" src="https://images.theconversation.com/files/539862/original/file-20230727-21-olv2cm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/539862/original/file-20230727-21-olv2cm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/539862/original/file-20230727-21-olv2cm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/539862/original/file-20230727-21-olv2cm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/539862/original/file-20230727-21-olv2cm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/539862/original/file-20230727-21-olv2cm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/539862/original/file-20230727-21-olv2cm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">O’Connor se produit lors d’un concert à l’Admiralspalast de Berlin en décembre 2019, après sa conversion à l’islam.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/irish-singer-sinead-oconnor-aka-shuhada-sadaqat-performs-news-photo/1187273491?adppopup=true">Frank Hoensch/Redferns/AFP</a></span>
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<p>Pourtant, la vision d’O’Connor n’était pas fragmentée. Le miracle de Sinead O’Connor, c’est que tout est cohérent, d’une certaine manière, dans les mots d’une artiste qui refuse de mentir, de se cacher ou de ne pas dire ce qu’elle pense.</p>
<p>Interrogée sur la spiritualité, O’Connor a dit un jour qu’elle préférait la chanter plutôt que d’en parler – comme elle le fait dans de nombreuses chansons, depuis <a href="https://www.youtube.com/watch?v=XkP-0rnr_Gw">son chant lumineux de l’antienne</a>, un hymne marial chanté lors des services de Pâques, jusqu’à son album inspiré par les Rasta, <a href="https://pitchfork.com/reviews/albums/5945-throw-down-your-arms/"><em>Throw Down Your Arms</em></a>.</p>
<p>Dans <a href="https://www.youtube.com/watch?v=haYbyQIEgQk">« Something Beautiful »</a>, un morceau de l’album <em>Theology</em>, O’Connor s’adresse à la fois à Dieu et à l’auditeur : « Je veux faire/Quelque chose de beau/Pour toi et de toi/Pour te montrer/Je t’adore ».</p>
<p>Et c’est bien ce qu’elle a fait. Être ému par son art, c’est ressentir une transcendance, un regard sur une forme lumineuse de spiritualité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210911/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Brenna Moore ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’emblématique chanteuse irlandaise s’est toujours imprégnée de spiritualité, tout en critiquant les institutions religieuses.Brenna Moore, Professor of Theology, Fordham UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1783532022-05-24T17:59:42Z2022-05-24T17:59:42ZProstitution: comment travaille-t-on sur des éléments d’enquête sensible ?<p>La dernière législation sur la <a href="https://www.vie-publique.fr/en-bref/284851-loi-2016-contre-la-prostitution-quel-bilan-six-ans-apres">prostitution date de 2016</a> avec l’adoption de la « loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées ». Cette loi se compose d’un volet pénal avec l’abolition du délit de racolage et la pénalisation des clients, d’un volet social avec la mise en place d’un « parcours de sortie de la prostitution » et d’un volet éducatif centré sur la « prévention des pratiques prostitutionnelles et du recours à la prostitution ».</p>
<p>En France, circule le chiffre de 30 000 personnes concernées. Il est difficile d’avoir des données précises sur une activité le plus souvent non déclarée et qui concerne un grand nombre de personnes migrantes, très mobiles et pour beaucoup en situation de séjour irrégulier.</p>
<p>En 2021, en coopération avec les services documentaires de Sciences Po Paris, j’ai mis en ligne une enquête sur l’impact de la loi prostitution sur la plate-forme <a href="https://data.sciencespo.fr/">data.sciencespo</a>. Cet article retrace le cheminement depuis la mise en place de l’enquête jusqu’à sa mise en accès libre.</p>
<h2>Des points de vue radicalement opposés sur le sujet</h2>
<p>Les débats, au sein du parlement et dans la société civile, se sont concentrés sur le volet pénal. Dans le monde associatif, deux groupes s’opposent radicalement sur le choix du modèle dit « modèle suédois », à savoir la <a href="https://www.routledge.com/Criminalising-the-Purchase-of-Sex-Lessons-from-Sweden/Levy/p/book/9781138659803">proposition de réduire la demande en visant les clients</a>. Le débat sur la pertinence ou non de la pénalisation des clients repose en grande partie sur l’équation dressée entre travail du sexe et traite ou exploitation des personnes.</p>
<p>Pour les promoteurs de la pénalisation des clients (rassemblés dans la collectif <a href="https://osezlefeminisme.fr/abolition-2012">Abolition 2012</a>), c’est un moyen d’enrayer le système de trafic des personnes en coupant la demande et donc l’offre.</p>
<p>Pour les opposants à ce modèle – associations de personnes concernées, telles le Strass, et de prévention santé, telles <a href="https://www.aides.org/communique/prostitution-un-de-penalisation-un-de-trop">Aides</a> ou Médecins du Monde –, le choix de pénaliser l’activité n’est pas la bonne solution.</p>
<p>Selon ces associations une meilleure façon de lutter contre la traite serait de lutter contre les politiques migratoires répressives et de régulariser les personnes ; la loi ferait fausse route dès le départ en créant un amalgame entre travailleuses du sexe migrantes et victimes de traite et toute forme de répression, directe ou indirecte, serait préjudiciable au travail de prévention et source de stigmatisation, or les premières victimes seront les plus fragiles dont les victimes d’exploitation.</p>
<h2>Le processus d’enquête</h2>
<p><a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000032396046/">La loi est votée</a> en avril 2016. Le gouvernement a deux ans pour établir une <a href="http://www.justice.gouv.fr/art_pix/rapport_renfort_lutte_systeme_prostitutionnel.pdf">évaluation</a> basée sur l’observation de l’impact sur les conditions de vie et de travail des travailleurs et travailleuses du sexe. Dans ce même laps de temps, les opposants à la loi décident d’organiser une « contre-évaluation » de la loi.</p>
<p>À l’époque, je suis responsable bénévole d’un programme de Médecins du Monde qui s’appelle le Lotus Bus ; les acteurs du réseau savent que je suis chercheuse et sollicitent ma participation. Je propose de prendre pleinement une place de chercheuse et de contribuer à mettre en place un protocole de recherche dans une <a href="https://data.sciencespo.fr/file.xhtml?fileId=1311&version=1.0">démarche profondément collective</a>.</p>
<p>Étant donné la position militante du réseau associatif et la division idéologique violente sur le sujet, il nous fallait penser dès le début à gérer les biais et à consolider les résultats. Nous avons pour cela pris plusieurs mesures : faire relire la <a href="https://data.sciencespo.fr/file.xhtml?fileId=1316&version=1.0">grille d’entretien</a> par une chercheuse extérieure, ne pas solliciter des personnes impliquées dans des activités militantes pour les entretiens et privilégier des personnes que les associations ne connaissaient pas forcément bien.</p>
<p>Vers la fin de l’enquête, nous avons intégré un chercheur extérieur, Calogero Giametta pour mener les derniers entretiens et l’analyse des données avec moi. Enfin, pour être le moins attaquables possible, nous avons réalisé un nombre important d’entretiens en face à face avec des <a href="https://data.sciencespo.fr/dataset.xhtml?persistentId=doi:10.21410/7E4/ZLRSEQ">personnes concernées</a> et les avons complétés avec 24 entretiens auprès <a href="https://data.sciencespo.fr/dataset.xhtml?persistentId=doi:10.21410/7E4/GTCX6L">d’associations</a> qui avaient des positionnements différents sur la loi.</p>
<h2>Quelques résultats</h2>
<p>Les résultats de l’enquête ont donné lieu à un rapport disponible en ligne et traduit en plusieurs langues : <a href="https://www.medecinsdumonde.org/fr/actualites/publications/2018/04/12/loi-prostitution-ce-quen-pensent-les-travailleurs-et-travailleuses-du-sexe">« Loi prostitution : ce que pensent les travailleurs et travailleuses du sexe »</a> ?. Nous reproduisons ici quelques conclusions clés.</p>
<p>Malgré l’intention de protection des personnes affichée par la loi, la majorité des travailleuses et travailleurs du sexe interrogés considèrent que la pénalisation des clients sape leurs capacités à maitriser leurs conditions de travail. En outre, localement, dans une approche de tranquillité publique, des arrêtés municipaux et des opérations de contrôles d’identité font que les travailleuses et travailleurs du sexe restent plus souvent pénalisés ou arrêtés que les clients.</p>
<p>Étant donné que la majorité continue malgré tout de travailler, leurs conditions de travail se sont fortement dégradées en termes de sécurité, de santé et de conditions de vie en général. La quasi-totalité des travailleuses et travailleurs du sexe et toutes les associations interrogées décrivent une « perte de contrôle dans la relation de pouvoir avec le client » : ce dernier impose plus souvent ses conditions (rapports non protégés, baisse des prix, tentative de ne pas payer, etc.) parce qu’il est celui qui prend des risques.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/463337/original/file-20220516-17-t97dpl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/463337/original/file-20220516-17-t97dpl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=179&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/463337/original/file-20220516-17-t97dpl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=179&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/463337/original/file-20220516-17-t97dpl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=179&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/463337/original/file-20220516-17-t97dpl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=225&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/463337/original/file-20220516-17-t97dpl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=225&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/463337/original/file-20220516-17-t97dpl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=225&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le Lotus Bus, programme de Médecins du Monde ayant permis de récolter de nombreuses données pour l’enquête ayant donné lieu au rapport.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.medecinsdumonde.org/fr/actualites/publications/2018/04/12/loi-prostitution-ce-quen-pensent-les-travailleurs-et-travailleuses-du-sexe">Boris Svartzman/Médecins du Monde</a></span>
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<p>La perte de revenus pousse les personnes à prendre plus de risques au travail et les impacts sur la santé sont préoccupants. En particulier, les entretiens évoquent de manière inquiétante un recul de l’usage du préservatif ainsi que des ruptures de traitement pour des personnes séropositives. La réalisation d’un questionnaire complémentaire auprès de 583 personnes a souligné que <a href="https://www.medecinsdumonde.org/fr/file/79619/download?token=AFSylItt">78 % accusaient une baisse de revenus</a> et 38 % avaient plus de difficulté à imposer le préservatif.</p>
<h2>Une augmentation des violences multiformes</h2>
<p>Le stress engendré par la précarisation entraine divers problèmes psychosomatiques, pour certaines et certains des problèmes de consommation d’alcool, de tabac ou autres substances, voire suscite des pensées suicidaires. Les résultats de l’enquête qualitative mettent en évidence une augmentation des violences multiformes : insultes de rue de la part des passants, violences physiques, violences sexuelles, vols de la part de clients ou de personnes se faisant passer pour des clients, braquages dans les appartements par des criminels en groupes. Par ailleurs les contrôles de police, souvent vécus comme des violences, ne semblent pas avoir reculé.</p>
<p>Concernant le volet social et le « parcours de sortie de la prostitution », l’enquête n’a pu analyser que le tout début de la mise en place du programme, qui est toujours <a href="https://hal-sciencespo.archives-ouvertes.fr/hal-03054400/document">au-dessous des attentes cinq ans plus tard</a>.</p>
<p>Les critiques portent, entre autres, sur le caractère sélectif et moralisateur du programme (par exemple l’obligation d’arrêter de travailler avant de commencer les démarches en échange d’une aide de quelques 300 euros par mois est vécue par beaucoup comme méprisante) ; sur la lourdeur du système et les disparités de traitement d’un département à l’autre. Enfin les enquêtés s’inquiètent de la possibilité d’un renforcement de la stigmatisation pour la majorité des personnes qui ne souhaiteront pas entrer dans ce « parcours de sortie ».</p>
<h2>La mise en accès libre, pourquoi ?</h2>
<p>En 2021, l’enquête a été archivée sur <a href="https://data.sciencespo.fr/dataverse/elp2016">l’entrepôt des données</a> de la recherche de Sciences Po Paris.</p>
<p>Cet entrepôt répond <a href="https://www.nature.com/articles/sdata201618">aux principes FAIR</a> de gestion des données de la recherche et répond également à la nécessité pour les institutions d’encadrer les obligations faites aux chercheurs par les financeurs de favoriser l’accès aux données de la recherche (ces tendances et les débats qu’ils soulèvent ont fait l’objet <a href="https://journals.openedition.org/traces/10518">d’un dossier spécial dans Tracés no 19 de 2019</a>. Pour ma part, je n’avais aucune obligation car l’enquête, comme nous l’avons vu, était née à l’initiative d’associations. Ma motivation venait ainsi de plusieurs considérations que je résume ci-dessous.</p>
<p>Premièrement, l’enquête ayant été collective, il était important de trouver un espace unique d’archivage qui soit pérenne et accessible à tous ceux qui avaient participé. Le travail avec Dorian Ryser, documentaliste au CERI, et Cyril Heude, bibliothécaire à Sciences Po, a permis de trouver des solutions à l’attribution des droits sur la base d’une charte d’utilisation. Ainsi, je ne restais pas la seule personne ayant accès à l’ensemble des données. En outre, avec ces collègues, nous avons pu ordonner les données, les harmoniser et rendre clair le contenu grâce à un travail de métadonnées : mots clés, résumés, liens vers les publications, etc. Il s’agit normalement d’un travail extrêmement couteux en termes de temps et donc d’argent : reprendre chaque entretien, vérifier qu’il soit pseudonyme, harmoniser la nomenclature et la présentation de chaque fichier et surtout contextualiser l’enquête, à savoir comment les données ont été construites.</p>
<p>L’atout que j’avais est, qu’ayant travaillé de manière collective, comme décris ci-dessus, nous avions pensé dès le début à l’importance que nos données soient utilisables par toutes les personnes impliquées dans leur analyse. Ce travail de nettoyage et de préparation a donc été relativement léger. De plus, comme il s’agissait d’une population stigmatisée, les techniques de pseudonymisation avaient également été mises en place dès le début (faux prénoms et modification des détails personnels). Enfin, le travail de contextualisation était largement fait en amont car le travail collectif nous avait amenés à rédiger un protocole de recherche détaillé et argumenté. C’était donc un vrai plaisir de voir toutes ces données rangées et accessibles à tous ceux qui avaient contribué à l’enquête.</p>
<h2>La question de l’engagement des chercheurs</h2>
<p>Ma motivation venait aussi du souci de rendre cette enquête visible et potentiellement réutilisable. N’étant pas le fruit de mon seul travail, je peux me targuer du fait qu’il s’agit d’une des très rares enquêtes qualitatives de cette ampleur auprès de travailleurs et travailleuses du sexe réalisées en France.</p>
<p>Il s’agit de plus d’une enquête qui a posé d’emblée la <a href="https://www.cairn.info/revue-geneses-2009-2-page-109.htm">question de l’engagement militant</a> et qui a mis en place des moyens pour limiter les <a href="https://data.sciencespo.fr/file.xhtml?fileId=1311&version=1.0">biais de méthodologie et d’analyse</a>. J’avais donc envie que le processus d’enquête soit connu.</p>
<p>Il faut noter de manière plus large que si les données peuvent faire l’objet d’un second travail d’analyse, il est aussi utile de partager les outils qui ont été créés pour l’enquête, de les mettre à disposition des collègues qui se lancent dans des enquêtes similaires. Dans le cas présent, nous avons laissé une protection sur les entretiens qui ne sont accessibles que sur demande et n’avons mis en total accès libre que le protocole d’enquête, les grilles d’entretiens en plusieurs langues, et les autres outils créés à l’occasion de cette enquête.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=484&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=484&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=484&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Cet article fait partie de la série « Les belles histoires de la science ouverte », publiée avec le soutien du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Pour en savoir plus, veuillez consulter la page <a href="https://www.ouvrirlascience.fr/">Ouvrirlascience.fr</a>.</em></p>
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<a href="https://theconversation.com/images-de-science-voir-le-ciel-moins-noir-ou-la-renaissance-de-lastronomie-profonde-161450">Images de science : Voir le ciel moins noir, ou la renaissance de l’astronomie profonde</a>
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<img src="https://counter.theconversation.com/content/178353/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Helene Le Bail est membre de Médecins du Monde. </span></em></p>La loi prostitution de 2016 a eu un impact important sur les personnes prostituées. Les données, utiles pour des enquêtes ultérieures ont été mises en ligne.Helene Le Bail, Chargée de recherche au CNRS et affiliée à l'Institut Convergences Migrations, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1695712022-04-14T18:22:02Z2022-04-14T18:22:02ZAbus sexuels au sein de l’Église catholique : une longue histoire<p>Début avril, la Commission reconnaissance et réparation <a href="https://www.la-croix.com/Religion/l-Eglise-face-a-la-pedophilie">a annoncé</a> un barème s’échelonnant de 1 à 7 fixé pour les personnes ayant été abusées sexuellement par des membres de l’Église catholique en France. <a href="https://www.leparisien.fr/faits-divers/pedocriminalite-dans-leglise-des-reparations-allant-de-5000-a-60000-euros-12-04-2022-6YVLYUSMQZEDXAUPLLN5EDKQ74.php?ts=1649833915912">Ces montants</a> iront de 5 000 à 60 000 en fonction de différents critères.</p>
<p>Ces décisions font suite à plusieurs enquêtes entreprises après la publication du rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (<a href="https://www.ciase.fr/rapport-final/">CIASE</a>). Au-delà de l’écho reçu dans la presse et l’opinion publique, cette commission a voulu concilier l’écoute des victimes, l’établissement des faits sur 70 ans, et l’audit des réponses apportées par l’institution. Les apports de l’enquête Sauvé recoupent les autres travaux déjà réalisés à l’étranger.</p>
<p>Les rapports du Grand Jury en <a href="https://www.leparisien.fr/faits-divers/pretres-accuses-de-pedophilie-aux-etats-unis-500-000-pages-de-dossiers-secrets-deux-ans-d-enquete-16-08-2018-7854561.php">Pennsylvanie</a> (USA) et en <a href="https://www.lepoint.fr/europe/pedophilie-la-honte-de-l-eglise-catholique-allemande-13-09-2018-2250895_2626.php">Allemagne</a> en 2018, la démission des 34 évêques <a href="https://www.franceinter.fr/monde/les-34-eveques-chiliens-remettent-leur-demission-au-pape-francois">chiliens</a> en 2019, avaient déjà dévoilé l’ampleur des crimes commis au sein de l’Église catholique et le nombre considérable de victimes.</p>
<h2>Une chronologie des attitudes</h2>
<p>Au-delà des chiffres épouvantables de victimes, d’abuseurs et de témoins, se dessine l’aspect « massif » et <a href="https://www.rtl.fr/actu/justice-faits-divers/pedophilie-dans-l-eglise-216-000-victimes-depuis-1950-selon-le-rapport-sauve-7900081502">« systémique »</a> des violences sexuelles au sein de l’Église. S’établit ici une <a href="https://www.ciase.fr/medias/Ciase-Rapport-5-octobre-2021-Resume.pdf">chronologie des attitudes</a> : ainsi dans les années 1950-1960, il s’agit de préserver l’Église par l’éloignement des criminels et le silence des victimes, puis la question disparaît avant que, dans les années 1990, timidement, une attention aux victimes commence à émerger suivie d’une reconnaissance partielle <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/le-catholicisme-francais-a-l-epreuve-des-scandales-sexuels-celine-beraud/9782021462838">à partir des années 2010</a>.</p>
<p>Alors qu’une des principales associations de victimes, celle des abus du Père Preynat, fondée à Lyon dès 2015, s’appelle <a href="https://www.laparoleliberee.org/">« La Parole libérée »</a>, la publication parallèle d’un recueil, intitulé <a href="https://www.ciase.fr/medias/Ciase-Rapport-5-octobre-2021-Annexe-AN32-Recueil-de-temoignages-De-victimes-a-temoins.pdf">« De victimes à témoins »</a>, marque le changement de regard qui s’est amorcé.</p>
<p>Pour la première fois, on reconnaît et rend publique la parole des victimes, ce qui contraste avec le long silence et le long aveuglement devant l’ampleur des abus. Alors que la préoccupation est croissante face à la <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/on-savait-mais-quoi-claude-langlois/9782021439281">question des abus sexuels</a>, l’institution a longtemps privilégié une résolution en interne des abus, elle s’est souvent opposée à la judiciarisation et a largement promu une politique de transfert des clercs défaillants. Elle s’est aussi plus consacrée aux <a href="https://www.cairn.info/revue-archives-de-sciences-sociales-des-religions-2021-1-page-177.html">prêtres coupables</a> qu’aux victimes, alors que l’Église apparaît comme le deuxième lieu en France des <a href="https://www.ciase.fr/medias/Ciase-Rapport-5-octobre-2021-Resume.pdf">violences sexuelles</a> envers les enfants, après la <a href="https://www.ciase.fr/medias/Ciase-Rapport-5-octobre-2021-Resume.pdf">famille</a>.</p>
<h2>Une autre commission pionnière</h2>
<p>L’appel à une commission pour affronter un divorce profond entre l’opinion et l’image de l’Église n’est pas une nouveauté. Le choix de la CIASE, une commission voulue par les évêques et dirigée par un catholique reconnu, est inspiré par le succès d’une autre commission identique dirigée elle par l’historien René Rémond.</p>
<p>En 1992, vivement mis en cause par les médias, le primat des Gaules, Mgr Decourtray, fit le choix d’une commission d’enquête « indépendante », sur <a href="https://www.fayard.fr/histoire/paul-touvier-et-leglise-9782213028804">« l’affaire Touvier »</a>. Pauk Touvier, chef milicien à Lyon, réprime la résistance et poursuit les Juifs aux côtés des Allemands. Il participe à l’arrestation des époux Victor et Hélène Basch, tués peu après, et choisit personnellement les Juifs exécutés à Rillieux-la-Pape en juin 1944.</p>
<p>Condamné à mort à la Libération, il échappe à la justice grâce à des complicités au sein de l’Église. Une somme d’initiatives individuelles plus qu’une politique volontaire et un mélange mal venu de miséricorde, de méconnaissance des enjeux politiques, et parfois de proximité idéologique contre-révolutionnaire, favorisa sa cavale. L’historien René Rémond ajoutait qu’une <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1995_num_45_4_403565">conception trop cléricale</a> avait enfermé des clercs dans un soutien criminel qui oubliait les victimes.</p>
<p>Or l’enfermement des autorités ecclésiastiques dans des logiques internes qui, en oubliant la victime, privilégie l’attention aux clercs coupables, est à l’œuvre aussi dans les abus sexuels et favorise l’ampleur des crimes. Si le rapport Touvier dévoila l’histoire des protections accordées au milicien Touvier, il permit à l’Église d’éteindre le scandale.</p>
<p>La remise d’un tel rapport à l’occasion d’un scandale qui remet en cause l’institution permet de créer un an zéro, un avant et un après. Les évêques, espéraient-ils renouveler le succès du rapport Touvier avec la CIASE ?</p>
<h2>Un rapport qui produit un choc, et après ?</h2>
<p>S’il est trop tôt pour totalement dégager l’impact du rapport de la CIASE sur les fidèles, au-delà de la souffrance d’être associé à une communauté souillée par ces crimes et trahie par des clercs qui devraient la guider vers le salut, trois attitudes semblent se dessiner : une résistance réelle de certains croyants, qui regrettent la <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/10/05/personne-n-aurait-imagine-le-chiffre-final-l-eglise-catholique-face-aux-conclusions-de-la-commission-sauve-sur-la-pedocriminalite_6097262_3224.html">mise en place de la commission</a>, tandis que d’autres s’interrogent sur la place et le <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/le-catholicisme-francais-a-l-epreuve-des-scandales-sexuels-celine-beraud/9782021462838">rôle du clergé</a>. Emergent alors des <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLMARD/Bibliotheque-de-Philosophie/Chretiens-sans-Eglise">« chrétiens sans Église »</a>. Sans rompre avec la foi, ces croyants, par objection de conscience se détachent des rites et de l’institution. Il ne s’agit pas nécessairement d’une contestation de la croyance mais un refus de s’inscrire dans une <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/10/07/pedocriminalite-l-eglise-catholique-face-a-trente-ans-de-scandales-dans-le-monde_6097419_3210.html">certaine forme d’organisation de la foi</a>.</p>
<p>Cette troisième voie donnera-t-elle naissance à un « troisième homme » ? Sous ce terme, le jésuite François Roustang <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences-humaines/religions-spiritualites/troisieme-homme-entre-rupture-personnelle-et-crise-catholique_9782738146632.php">évoquait en 1966</a> l’émergence de croyants ayant adopté un « désintérêt » institutionnel pour mieux vivre leur foi de façon plus spirituelle.</p>
<p>Si la reconnaissance des victimes ne semble plus remise en cause, ces positionnements reflètent des interprétations divergentes. Si les prêtres abuseurs sont des cas isolés, il suffit de les exclure. Les brebis galeuses ne remettent pas en cause ni la sainteté de l’Église ni son organisation et sa doctrine. Si les abus sont « systémiques », ce qu’a démontré la CIASE, surgissent des interrogations au moins sur l’autorité et son exercice au sein de l’institution. L’enjeu, au-delà du rapport Sauvé, est bien de débattre d’une certaine idée de l’Église.</p>
<h2>Une conception cléricale de l’Église</h2>
<p>Cette dernière a déjà subi un grand nombre de réformes quant à son clergé. La plus importante est peut-être celle qui s’opéra au <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Concile_de_Trente">Concile de Trente</a> (1545-1563) en réponse à la Réforme protestante, qui avait entre autres dénoncé l’indignité de certains clercs. La Papauté choisit alors de s’appuyer sur le clergé pour accomplir la <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/church-history/article/abs/council-of-trent-reform-and-controversy-in-europe-and-beyond-15451700-edited-by-wim-francois-and-violet-soen-refo-500-academic-studies-35-gottingen-vandenhoeck-and-ruprecht-2018-3-vols-25000-hardcover/5F0E5F5BBA6516EA01D6924EE5BCE80A">réforme catholique et la reconquête spirituelle de l’Europe</a>.</p>
<p>Ce choix rejette la conception protestante du sacerdoce – le sacerdoce universel donné à tous par le baptême – et exalte l’exemplarité du prêtre.</p>
<p>Si le rapport de la CIASE ne remet pas en cause le catholicisme comme foi, la défaillance de l’Église enseignante ébranle une certaine conception de l’Église. Parmi les explications avancées, la commission Sauvé, comme dans le rapport Rémond, dégage en effet une « excessive sacralisation de la personne du prêtre » et un « dévoiement de l’obéissance ». La crise des abus sexuels marque une remise en cause possible d’une organisation appuyée sur une caste spécialisée sans qu’il soit possible de fixer jusqu’où ira la « dévaluation du sacerdoce ».</p>
<h2>Quelle réputation pour l’Église ?</h2>
<p>L’Église est une des sources morales reconnues de la société. Du fait de son droit d’aînesse, qui est un droit d’ancienneté historique, le catholicisme continue d’affirmer sa préséance numérique et historique et revendique <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03042387">d’inspirer la vie sociale</a>.</p>
<p>L’enjeu de cette « reconnaissance » est la recomposition des relations entretenues entre les expressions religieuses dans le pays et leur place dans les institutions publiques (armée, école, hôpitaux, prison). Quand l’aumônier se révèle un abuseur, peut-on conserver confiance dans son employeur ?</p>
<p>Les catholiques revendiquent de participer à l’élaboration des normes et valeurs du <a href="https://www.karthala.com/signes-des-temps/3152-catholicisme-et-identite-regards-croises-sur-le-catholicisme-francais-contemporain-1980-2017-9782811118396.html">vivre-ensemble</a>. Mais cette revendication socio-éthique au cœur des combats menés par l’Église catholique ces dernières années – les mouvements pro-vie et le rejet de l’avortement, le refus du mariage homosexuel, l’opposition à la procréation médicalement assistée et à l’adoption par des couples de même sexe – est bousculée par le rapport de la CIASE. En France, la Manif pour Tous en 2012-2013 a incarné cette exigence. Sa défense de la famille qu’illustre le slogan « Papa, maman et les enfants, c’est naturel », se brise sur le dévoilement des crimes « de famille » et du silence qui les a entourés.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/169571/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédéric Gugelot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les apports de l’enquête Sauvé recoupent d’autres travaux déjà réalisés à l’étranger, éclairant une histoire longue et internationale des abus.Frédéric Gugelot, Professeur d'Histoire contemporaine, Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1725362021-12-05T17:18:45Z2021-12-05T17:18:45Z#MeTooPolitique : vers la fin d’un système hégémonique ?<p>Plusieurs militants et professionnels politiques ont été récemment accusés de violences, d'agressions ou d'abus à l'encontre <a href="https://www.liberation.fr/politique/taha-bouhafs-sort-de-son-silence-et-conteste-les-accusations-de-violences-sexuelles-20220705_3VLVALUOLVED5BDHX74FOG6DUQ/">d'autres militant-es</a>, de leurs partenaires ou <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/eelv/violences-faites-aux-femmes-sandrine-rousseau-affirme-s-etre-entretenue-avec-une-accusatrice-de-julien-bayou_5370247.html">ex-compagnes</a>. Ces faits, parfois portés à connaissance <a href="https://www.liberation.fr/politique/affaire-quatennens-chez-lfi-le-soutien-de-melenchon-passe-male-20220919_5Z3KQAYMJFDQRA65QURKSB23WQ/">des cadres</a> des organisations, s’inscrivent dans une série d’événements ébranlant le corps politique, et ont été <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/11/15/nous-exigeons-que-le-monde-politique-prenne-enfin-en-compte-le-mouvement-metoo_6102086_3232.html">dénoncés</a> par le mouvement <a href="https://www.metoopolitique.fr/">#MeTooPolitique</a>. Il a mis en lumière, à différents degrés, des agissements et des actes répréhensibles loin d’être unanimement condamné et gérés par les appareils politiques.</p>
<p>Sans transparence ni exemplarité, le microcosme politique serait-il à l’image de la société dans les <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-domination-masculine-pierre-bourdieu/9782020352512">rapports de domination</a> entre hommes et femmes ? Ce système socioculturel qu’est la classe politique, davantage exacerbé par les jeux de pouvoir à <a href="https://theconversation.com/peut-on-en-finir-avec-le-virilisme-en-politique-178097">caractère viriliste</a>, représenterait-il un entre-soi où règnent un ordre établi et une hiérarchie sexuée que les dominants souhaitent insatiablement reproduire en réifiant (rendre objet) « le deuxième sexe » ?</p>
<p>Malgré des préjugés et stéréotypes sexués dévalorisants, les femmes impliquées en politiques essayent d’évoluer dans un milieu surreprésenté par des hommes au profil type suivant : bourgeois, blanc, âgé, hétérosexuel cumulant différents capitaux et réseaux, <a href="https://theconversation.com/comment-lexperience-du-pouvoir-change-lindividu-184275">s’attribuant une autorité</a> « morale » ainsi qu’une légitimité « naturelle » à travers l’exercice démesuré d’un pouvoir qui tend à exclure ceux qui ne correspondent pas aux « élus ». En ce sens s’érige un mythe de la puissance de l’homme politique, lequel est présenté à la fois comme conquérant – auprès de l’électorat avec l’expérience et le cumul des « responsabilités », mais également des femmes – et, forcément, irrésistible aux yeux de ces dernières qui ne pourraient résister à leur suprême aura masculine. Ce mythe vit-il ses derniers moments ?</p>
<h2>Le sexisme comme barrière à l’espace politique</h2>
<p>La scène politique se caractérise par <a href="http://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_etat_des_lieux_du_sexisme_2019-2.pdf">l’imprégnation d’un sexisme d’apparence « ordinaire</a> » alors qu’il est fréquent et banalisé comme le montre, notamment, les données du site <a href="https://chaircollaboratrice.wordpress.com/">« Chair collaboratrice »</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1463789410076536834"}"></div></p>
<p>En cela, s’applique un processus qui tend à décourager et à faire renoncer nombre de femmes souhaitant entrer ou se pérenniser dans la vie politique.</p>
<p>Dans ce champ, les hommes évoluent dans un milieu patriarcal et fratriarcal où le culte de la virilité est manifesté et célébré à travers l’exercice du pouvoir. Comme les femmes sont perçues et jugées incapables de penser et de faire de la politique sans l’influence ou la tutelle d’un homme, elles sont inéluctablement associées à une figure masculine d’autorité : prêtre à une époque, père, conjoint, protecteur, mentor…</p>
<p>Ainsi, dans la vie politique, s’exerce fréquemment un parrainage, une cooptation voire un clientélisme pour lequel il faudrait se montrer reconnaissant·e et redevable, parfois de manière disproportionnée pour une femme possiblement « en dette » (accès à un stage, un poste, une investiture, une candidature, un logement, un mode de garde ou une école pour son enfant, etc.)</p>
<p>Ce sexisme en politique se retrouve dans nombre de situations de la mise en scène d’un quotidien hostile, discriminant, insultant et agressif envers les femmes parce qu’elles sont femmes…</p>
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<figcaption><span class="caption">Le pire du sexisme en politique, Brut.</span></figcaption>
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<h2>Se montrer résistantes et transgressives</h2>
<p>Dès lors, les quelques femmes – « hors-normes » – pouvant se montrer résistantes et transgressives en parvenant à se professionnaliser et/ou à perdurer en politique, le savent bien au point que leurs témoignages attestent au-delà des conflits, des affrontements ainsi que des tentatives de marginalisation et d’exclusion dont elles ont été sujettes, de véritables agressions symboliques voire physiques, y compris dans leur propre camp. Plusieurs femmes politiques et collaboratrices s’en sont ainsi confiées dans <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-femmes_politiques_le_troisieme_sexe_merabha_benchikh-9782336007144-39944.html">l’ouvrage issu de mes recherches</a>, p.213) :</p>
<blockquote>
<p>La peur d’être jugée est bien présente chez les femmes alors que c’est ça de faire de la politique : c’est aussi se soumettre au jugement et à l’appréciation des autres. Montrer qui on est, découvrir, dévoiler… Ça veut dire la peur de livrer certaines choses leur appartenant. Et puis il faut dire que les quelques femmes qui se sont exposées et qui sont en politique, on leur a fait un tel sort que comment avoir envie de vivre ça ? Moi, Ségolène Royal photographiée en maillot de bain sur la plage : franchement, c’est terrifiant !“ (Directrice d’un service municipal et membre de cabinet)</p>
</blockquote>
<p>Cette situation complexe et éprouvante que des femmes en politique ont souvent vécue, se réfère fréquemment aux agressions et aux insultes à caractère sexiste qui prennent une <a href="https://info.arte.tv/fr/les-males-politiques-tous-sexistes">dimension collective</a> et non individuelle.</p>
<p>En effet, ces attaques ne sont pas dirigées contre leur singularité mais, incontestablement, contre l’ensemble des femmes en raison de leur appartenance à l’autre sexe jugé « contre-nature » dans la sphère politique et, qui, par conséquent, en est différencié, dévalorisé et infériorisé.</p>
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<h2>Un sexisme politique tout aussi féminin</h2>
<p>Le sexisme en politique s’exprime, paradoxalement et également, à travers les voix et les actes de certaines femmes. C’est d’ailleurs le cas lorsque sont missionnées d’autres femmes, politiques ou non, reprenant à leur compte les attaques dont les femmes politiques sont couramment ciblées de la part de nombre de leurs homologues masculins.</p>
<blockquote>
<p>« Les femmes ne font pas plus de cadeaux que les hommes d’ailleurs. Moi, la dernière attaque que j’ai entendu sur moi, c’est une femme qui a été la plus violente. Avec une attaque de femme contre une femme. Elle ne l’aurait jamais dit d’un homme hein. Et c’est une femme, une femme qui vient d’être élue conseillère régionale de mon propre parti. Et c’était parce qu’en fait j’étais une femme. C’est sûrement dans les attaques qui m’ont le plus touché parce que c’était une femme… » (Députée Parti socialiste et ancienne ministre, 60 ans, extrait d’entretien de <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livrefemmes_politiques_le_troisieme_sexe_merabha_benchikh-9782336007144-39944.html">mon livre</a>, p. 218)</p>
</blockquote>
<p>Dès lors, la confrontation indirecte à une femme politique par le biais et avec la complicité d’autres femmes, est de plus en plus encouragée dans la compétition politique, à l’initiative d’opposants masculins qui tentent de ne pas apparaître publiquement sexistes et agressifs envers l’autre sexe.</p>
<p>De fait, le sexisme se manifeste plus insidieusement et de manière détournée, en déployant <a href="https://theconversation.com/violences-sexuelles-quand-les-femmes-journalistes-se-taisent-184665">des stratagèmes</a> dont le but est de contrer une potentielle concurrente voire, plus largement, de nuire à une autre femme…</p>
<h2>Entre démesure et toute-puissance</h2>
<p>Violence symbolique, violence verbale voire, moins fréquemment, violences physiques et sexuelles : voilà de quoi est constitué la violence politique que subit grand nombre de femmes réduites à un <a href="https://www.liberation.fr/france/2013/06/19/najat-vallaud-belkacem-suce-son-stylo-tres-erotiquement-tweete-un-elu-de-droite_912165/">corps biologique</a> fantasmé, érotisé et stigmatisé.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/pqXytbMveCw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Réactions de députés à l’Assemblée nationale après que Cécile Duflot ait été chahutée pour sa robe à fleurs (<em>L’Obs</em>, 2012).</span></figcaption>
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<p>D’un point de vue psychique, les postures narcissiques et mégalomanes de certains politiques reflètent l’image d’un sujet autocentré et sans limites, à travers une attitude vécue comme stimulante et excitante – du moins à son niveau.</p>
<p>À travers le <a href="https://www.cerveauetpsycho.fr/sd/psychanalyse/le-syndrome-d-hubris-la-maladie-du-pouvoir-3250.php">syndrôme d’Hubris</a> – ou la maladie du pouvoir – tous les mécanismes de défense masculiniste sont à l’œuvre pour inhiber et s’attaquer à la parole des femmes : celui d’une misandrie, de la menace <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2003/08/HALIMI/10360_">« d’un péril féministe »</a> prenant sa source d’une sororité revendicative et vindicative ; celui du brandissement d’un « <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/261121/metoo-la-strategie-mediatique-des-personnalites-accusees">tribunal médiatique</a>, d’un « lynchage populaire », d’une « présomption de culpabilité » voire d’une mort sociale annoncée en cas d’expressions et de manifestations féminines jusqu’à là frappées par une chape de plomb.</p>
<p>Pendant longtemps, et dans l’omerta, les femmes ne souhaitaient pas publiquement se confier sur ce genre de sujet jugé honteux voire tabou, allant même jusqu’à le contester voire le dénier lorsqu’elles étaient interrogées dessus. De fait, la <a href="https://theconversation.com/inceste-comment-laffaire-violette-noziere-resonne-avec-lactualite-153703">temporalité du traumatisme</a> des victimes se heurte au temps judiciaire et aux risques de classement sans suite ou au délai de prescription des faits. Souvent le processus de <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-temps-du-debat/dans-le-sillage-du-mouvement-metoo-comment-la-parole-intime-peut-devenir-une-arme-politique">libération de la parole est long</a>.</p>
<h2>La crainte des représailles</h2>
<p>Par crainte de se distinguer de leurs homologues masculins en apparaissant comme « différentes », « faibles », « victimes » ou, par peur des représailles socio-économiques, elles tentent de refouler, de faire oublier ou de se faire oublier…</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1460220016008253440"}"></div></p>
<p>Ces représailles qui planent sur leurs paroles à l’instar d’autres secteurs comme le dévoilait récemment une enquête du <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/10/18/a-la-ratp-les-violences-sexistes-persistent_6098813_3234.html"><em>Monde</em> sur la RATP</a>, menacent leur emploi, leurs revenus, leur statut professionnel précaire de <a href="https://www.lemonde.fr/affaire-penelope-fillon/article/2017/02/03/pas-d-avantage-pas-de-chauffeur-pas-d-appart-de-fonction-pas-de-7-000-par-mois-je-suis-tristement-banale_5074378_5070021.html">collaboratrice</a> voire celui d’un possible mandat éléctif, leur évolution professionnelle ou politique ; leur engagement à la chose publique, l’image de sa « famille » politique pour qui les révélations implosives et explosives de harcèlement ou d’agression pourraient nuire. À titre d’exemple, l’<a href="https://www.lexpress.fr/actualite/societe/justice/proces-baupin-on-savait-tous-et-on-savait-presque-tout_2061283.html">affaire Denis Baupin en 2016</a> – l’élu a été mis en cause pour agressions sexuelles mais l’enquête a été classée sans suite pour prescription – illustre parfaitement l’intériorisation et l’intégration de codes, de normes et de règles liées la violence et au virilisme où le refoulement des unes et le déni des autres en sont les révélateurs.</p>
<p>Sur un plan plus personnel, des allégations peuvent aussi porter sur leur réputation à travers un phénomène de rumeur, des répercussions susceptibles d’être dirigées également contre leur entourage…</p>
<h2>Des stratégies d’évitement et de survie</h2>
<p>Dans ces conditions, se manifestent, chez ces femmes, autant d’obstacles à la dénonciation d’une agression – aussi diverse soit-elle – ou d’un harcèlement à caractère sexuel subi ou dont elles auraient été témoin. Cela ne signifie pas qu’entre collègues féminines, elles ne s’en confient pas – tout du moins de manière préventive pour éviter le contact ou la collaboration avec certains hommes à travers le déploiement de stratégies de contournement, d’évitement voire de survie.</p>
<p>Alors, au fil du temps, la parole des femmes se serait-elle libérée dans le milieu politique ? Dans ce contexte, l’objectif visé pour elles : serait-il de rendre audible l’inaudible et de rendre visible l’invisible ? Et par là même, de pouvoir agir sur la représentation des invisibles dans une caste politique s’attribuant n’importe quels « droits » et cumulant des privilèges dans un sentiment de toute-puissance ? En ce sens, quelle réelle prise en compte des violences sexistes voire sexuelles par les organisations politiques, au-delà même d’une prise de conscience collective par la société ?</p>
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<figcaption><span class="caption">Cinq femmes politiques répondent au sexisme ordinaire (Brut, 2019).</span></figcaption>
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<p>Dans cette configuration et afin de ne pas être davantage affaiblies, les femmes demeurent dans l’obligation de s’emparer, individuellement et/ou collectivement, de leurs destins (politiques) pour s’imposer malgré un climat de violence qui pourrait, dans la mesure du possible, être contournée à raison de résistances, de mobilisations et d’alliances.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1467093921725562888"}"></div></p>
<p>Globalement et à ce jour, la parole et la mobilisation des femmes font encore état d’un manque de transparence et d’exemplarité des organisations politiques, à travers des comportements irresponsables de « responsables ». Ces agissements, parfois délictueux, peuvent être condamnables voire sanctionnables afin de mettre fin à une impunité à la fois judiciaire et politique. Néanmoins, certains partis expérimentent des cellules de veille pour recueillir et entendre la parole, de part et d’autre, enquêter, interroger puis intervenir dans une volonté éthique et déontologique. Cependant, le chemin reste encore long…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/172536/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>j'ai un employeur principal dans le domaine de la formation dans le secteur social et médico-social</span></em></p>Le mythe de la puissance de l’homme politique, conquérant et forcément, irrésistible s’ébranle face un système socioculturel de plus en plus remis en question.Mérabha Benchikh, Sociologue, enseignante et chercheuse, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1719692021-12-02T19:17:03Z2021-12-02T19:17:03ZLes équivoques du pardon : la conférence épiscopale face au rapport Sauvé<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/435003/original/file-20211201-15-15ni95c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C23%2C794%2C541&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Confessionaux de la chapelle de Chateau-Vieux d'Allinges, Haute-Savoie, France.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Fr_Allinges_Chapel_of_Chateau-Vieux_Confessionals.jpg">Pethrus/Wikimedia </a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>L’interrogation sur la moralité du pardon revient en force à l’occasion de la révélation de l’ampleur de la pédocriminalité dans l’Église catholique en France de 1950 à 2020. Le <a href="https://www.ciase.fr/rapport-final/">rapport</a> de la commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (CIASE) appelle l’institution à la reconnaissance de la réalité du mal commis et à « une humble reconnaissance de responsabilité de la part des autorités de l’Église pour les fautes et les crimes commis en son sein » ; à un « chemin de contrition » et à une entreprise de réparation. « Il ne peut y avoir d’avenir commun sans un travail de vérité, de pardon et de réconciliation. »</p>
<p>Les études philosophiques sur le pardon peuvent éclairer ces conclusions, car elles affrontent deux questions. Quelles sont les conditions pour qu’il s’agisse d’un pardon et non d’autre chose (oubli ou insouciance) ? Et quelles conditions pour que cette pratique soit appropriée ?</p>
<p>Selon le <a href="https://www.jstor.org/stable/4544851">paradoxe du philosophe Aurel Kolnai</a>, le pardon, supposé répondre à une faute grave, est soit injustifié, soit sans objet. À première vue, il n’est donc jamais justifié. On accorde qu’il ne consiste pas à fermer, mais à ouvrir les yeux sur la réalité de la faute et suppose sa <a href="https://doi.org/10.1093/acprof:oso/9780199329397.001.0001">mémoire partagée</a>. On admet généralement qu’il n’y a pas de droit au pardon. La réflexion a été particulièrement alimentée par l’expérience des commissions de <a href="https://doi.org/10.1017/CBO9780511619168">vérité et réconciliation</a> qui ont dû faire face aux crimes collectifs de l’apartheid.</p>
<h2>« Le risque de dévoiement du pardon »</h2>
<p>Dans le cas du rapport Sauvé, le registre emprunte à la fois au lexique du sacrement de pénitence et à celui, tant séculier que religieux, de la réparation et d’une forme de <a href="https://www.cairn.info/revue-rue-descartes-2018-1-page-58.htm">justice restaurative</a> centrée sur les victimes. Cependant, le Rapport dénonce l’instrumentalisation du pardon par les agresseurs. Une recommandation de la CIASE attire l’attention sur « le risque de dévoiement du pardon en facile absolution des bourreaux, pire comme une exigence incombant aux victimes de pardonner à leurs persécuteurs ». Il s’agit aussi, dans la formation des prêtres, de rappeler « la nécessité préalable de la sanction ou de la rétribution des crimes et des délits… ».</p>
<p>Le <a href="https://eglise.catholique.fr/actualites/dossiers/assemblee-pleniere-de-novembre-2021/520477-discours-de-cloture-de-lassemblee-pleniere-de-la-conference-des-eveques-de-france-le-lundi-8-novembre-2021/">discours de clôture</a> de l’assemblée de la Conférence des évêques de France, le 8 novembre 2021, fait référence à un pardon de Dieu qui « devrait fortifier le coupable pour qu’il se prépare à rendre compte de ses actes et à en assumer les conséquences ».</p>
<p>Il n’est pas étonnant que des clercs expriment dans le vocabulaire de leur confession la manière dont ils croient devoir répondre à des crimes engageant leur église.</p>
<h2>La matrice théologique du pardon</h2>
<p>Mais des visions différentes du pardon se télescopent. La première est celle du pardon interpersonnel, celui que la <a href="https://doi.org/10.7202/1042752ar">victime seule</a> ou son représentant est en droit d’accorder ou de refuser au coupable, ou de ne même pas considérer. La seconde est celle du pardon que, selon la théologie catholique, Dieu peut accorder, souverainement, au pécheur.</p>
<p>La Conférence espère dans le pardon divin des fautes qu’elle reconnaît être celles de l’institution, et qui sont distinctes de celles des auteurs des agressions sexuelles. De manière oblique, elle fait allusion au pardon humain qu’elle sait ne pas être en droit d’attendre. Elle entend le rapport de la CIASE :</p>
<blockquote>
<p>« Lorsqu’elles ont été prises au sérieux, les personnes agressées ont reçu une demande de pardon au nom de l’Église, et ont été invitées à pardonner [à] leur agresseur. Ces demandes de pardon, de même que les offres de prières, ont été perçues par les enquêtées comme une violence supplémentaire… »</p>
</blockquote>
<h2>Conditionnel ou inconditionnel ?</h2>
<p>Dans le cas de crimes graves, on a du mal à admettre que le pardon humain puisse être inconditionnel. On peut l’admettre de la part de victimes à la suite d’une punition légale sévère. Mais un regard religieux peut être tenté de valoriser le pardon inconditionnel comme l’expression de cet amour pratique qui est une image de l’amour divin. La théologie catholique fixe cependant des conditions du sacrement de pénitence et de réconciliation. Selon la conception catholique de l’absolution des péchés, le prêtre a un pouvoir de pardonner au nom du Christ, qu’il exerce en l’assortissant d’une condition d’examen de conscience, d’aveu, de repentir ; la pénitence, selon la gravité de la faute, peut impliquer une réparation.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/434500/original/file-20211129-72623-fm387j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/434500/original/file-20211129-72623-fm387j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/434500/original/file-20211129-72623-fm387j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=938&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/434500/original/file-20211129-72623-fm387j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=938&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/434500/original/file-20211129-72623-fm387j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=938&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/434500/original/file-20211129-72623-fm387j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1179&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/434500/original/file-20211129-72623-fm387j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1179&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/434500/original/file-20211129-72623-fm387j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1179&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"><em>Te absolvo</em>, une œuvre de Josip Urbanija (1910).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Absolution_(christianisme)#/media/Fichier:Josip_Urbanija_-_Absolvo_te_1910.jpg">Digital Library of Slovenia/Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le pardon humain n’est pas incompatible avec la punition légale humaine (ni avec la supposée punition divine). Ils peuvent <a href="https://doi.org/10.1093/arisoc/aoy003">se cumuler</a>. Mais le pardon divin, compatible aussi avec la punition humaine, comme le rappelle la Conférence, est par définition incompatible avec la punition divine (il peut y faire suite, mais dans ce cas il y met un terme). Et cela, que l’on conçoive ce pardon comme une suspension de la colère divine ou, selon une métaphore qui insiste plus sur la justice que sur les émotions supposées de Dieu, comme un effacement de la dette que, <a href="https://doi.org/10.1093/0198248490.001.0001">selon certains</a>, le péché constitue.</p>
<p>Le christianisme assigne une condition au pardon divin, à savoir le pardon humain lui-même, bien que la nécessité et la causalité de cette condition restent l’objet de controverses qui ont une grande affinité avec celles qui concernent la grâce, comme on le voit dans la théologie d’<a href="https://www.cairn.info/saint-augustin-et-les-actes-de-parole--9782130524694-page-223.htm">Augustin</a>. Le Notre Père en donne un condensé : « Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés ». On attache communément au catholicisme une conception très forte de la condition de pardon humain, comme s’il était un moyen d’obtenir le pardon divin.</p>
<h2>Vers la libération ?</h2>
<p>Le président de la Conférence déclare :</p>
<blockquote>
<p>« La miséricorde de Dieu met à nu ce qui fait notre honte mais pour nous permettre d’en être libérés et soignés, peut-être un jour guéris, et elle nous indique un chemin de relèvement. »</p>
</blockquote>
<p>L’horizon suggéré par le vocabulaire de la libération est l’absolution. Il peut sembler présomptueux de l’employer quand l’institution fautive n’a pas fini de parcourir les étapes d’examen de conscience et de contrition.</p>
<p>Ce registre n’est pas adéquat à l’engagement de la Conférence dans une entreprise de pénitence institutionnelle qui consiste notamment en la prise en charge de réparations. Comme le dit une victime :</p>
<blockquote>
<p>« Le pardon c’est quand on peut tourner la page une fois qu’on l’a lue, si on la tourne sans la lire, ça ne va pas. »</p>
</blockquote>
<p>Il est douteux qu’une perspective qui donne au pardon un sens religieux soit la bonne optique. Les crimes individuels et les fautes collectives qui leur sont associées appellent des réponses autres que théologiques. Le salut de leurs agresseurs n’importe pas aux victimes.</p>
<p>L’Église catholique n’a-t-elle été que le « lieu » des agressions sexuelles, selon un mot du <a href="https://eglise.catholique.fr/actualites/dossiers/assemblee-pleniere-de-novembre-2021/520477-discours-de-cloture-de-lassemblee-pleniere-de-la-conference-des-eveques-de-france-le-lundi-8-novembre-2021/">discours du 8 novembre</a> ?</p>
<p>Le rapport de la CIASE y voit plus fortement leur « terreau ». Et l’Église admet sa part de responsabilité en s’engageant dans une réparation à venir, au-delà de la seule reconnaissance, et en deçà d’un pardon. C’est pourquoi ces quelques remarques sur le choc entre le scandale de la violence et le langage du pardon réagissent seulement à ce qui est dit, et non à ce qui sera fait.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171969/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Jaffro a reçu des financements de l'Agence nationale de la recherche pour le projet REACT : <a href="https://react.sciencesconf.org/">https://react.sciencesconf.org/</a></span></em></p>La conférence des évêques de France a réagi au rapport sur la pédocriminalité dans l’Église catholique en s’engageant dans une voie pénitentielle qu’elle envisage encore sous l’horizon du pardon.Laurent Jaffro, Professeur de philosophie morale, membre senior de l'Institut universitaire de France, directeur de Phare ("Philosophie, Histoire et Analyse des Représentations Economiques"), Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1716152021-11-16T18:52:30Z2021-11-16T18:52:30ZCommunication catholique et pédocriminalité des prêtres<p>Il y a somme toute quelque chose de paradoxal à parler de la communication catholique. Car le <a href="https://www.ciase.fr/rapport-final/">rapport</a> de la commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (<a href="https://www.ciase.fr/">Ciase</a>) montre que l’Église catholique, dans bien des cas, n’a pas communiqué, volontairement. Les affaires ont été tenues au secret. Les choses se sont dites discrètement, à mots couverts. Il fallait éviter de faire du bruit, éviter que ça se sache. Éviter la communication, donc. Éviter le scandale, car ce terme se trouve dans l’évangile. </p>
<p>Et comme le souligne <a href="https://www.essachess.com/index.php/jcs/article/view/218/248">Stéphane Dufour</a>, l’Église catholique aime sans doute le secret. Elle se sentait, sans doute, <a href="https://theconversation.com/quand-leglise-catholique-se-pensait-en-societe-parfaite-et-intouchable-130430">« parfaite et intouchable »</a>, forte de son appareil juridique propre (le droit canon), avant que <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Abus_sexuels_sur_mineurs_dans_l%27%C3%89glise_catholique">plusieurs scandales</a> n’éclatent, dans les années 1980. Cela s’inscrit cependant dans une histoire longue, comme l’a montré récemment <a href="https://www.reforme.net/gratuit/2020/09/25/un-livre-retrace-lhistoire-de-la-pedophilie-dans-leglise-catholique/">Claude Langlois</a>.</p>
<p>C’est que l’Église catholique, comme d’autres institutions chrétiennes, et d’autres religions (les islams, par exemple) ne <a href="https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2015-1-page-225.htm">communique</a> pas seulement par des discours, des images normées, des médias, des assemblées, des rites publics et médiatisés, aussi, des sites Internet et des applications ou des <a href="https://www.cairn.info/revue-communication-et-langages1-2016-3-page-25.htm">vidéos</a>, mais aussi par le <a href="https://www.cairn.info/revue-communication-et-langages1-2016-3-page-47.htm">témoignage humain</a>.</p>
<h2>Une communication par le comportement : le témoignage chrétien</h2>
<p>Le comportement d’une personne, son célibat engagé, est censé en effet, à l’époque moderne et en Occident, pour une société qui l’admet et le reconnaît, témoigner de l’amour du dieu chrétien et de Jésus, son fils, pour les humains. Autrement dit, c’est le comportement qui est « donné à voir » et qui parle, à qui saurait l’entendre de la sorte (et pas autrement).</p>
<p>C’est le sens d’une « sainteté » exigée au quotidien. Puisqu’un homme (ou une femme) renonce au pouvoir (économique ou politique), à l’argent, à la sexualité (du moins en principe), c’est que le dieu le nourrit et est tout, est-on invité ainsi à penser. Or, dans l’affaire de la pédocriminalité des prêtres catholiques, le comportement d’un certain nombre de ces derniers laisse apparaître autre chose, et ne témoigne pas en faveur du dieu et du souci des plus faibles. En termes catholiques, c’est donc un <a href="https://fr.aleteia.org/2015/05/26/pape-francois-un-chretien-mondain-est-un-contre-temoignage/">« contre-témoignage »</a>. La communication chrétienne est obstruée par ces gestes, pervers, destructeurs et criminels, au lieu même où elle « communique ».</p>
<p>Ce n’est pas l’Église catholique, <a href="https://www.vatican.va/content/francesco/fr/messages/communications/documents/papa-francesco_20180124_messaggio-comunicazioni-sociali.html">soucieuse de vérité</a> et d’aveu (par la confession demandée aux fidèles pour le sacrement dit de réconciliation), qui plus est, qui communique d’abord sur ces questions (elle se tait) : ce sont les victimes, les journalistes et les médias.</p>
<h2>Une impossibilité de contrôler désormais la communication</h2>
<p>La parole du témoin, c’est celle de l’homme (ou de la femme) victime d’attouchements ou de pénétration quand il ou elle était scout. Qui évoque le refus d’entendre des familles. « Ça communique », mais pas là où on voudrait. L’Église catholique, en tant qu’<a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/hal-03194352/">institution fermée</a>, comme l’armée ou la franc-maçonnerie, contrôle en grande partie sa communication. Les réseaux numériques lui ont d’ailleurs posé une difficulté, qu’elle a <a href="https://eglise.catholique.fr/conference-des-eveques-de-france/sommaire-publications/documents-episcopat-sommaire/439601-documents-episcopat-communion-a-lere-numerique/">cherché à réguler</a>, en ce qu’ils permettaient à « tous » de s’exprimer.</p>
<p>Une parole interne, dans un contexte de « censure » (de volonté que ça n’advienne pas publiquement, que cela ne soit pas publicisé), soutenue par des associations de victimes, passe par l’extérieur, et est entendue depuis l’extérieur. Il s’est passé quelque chose de semblable pour la crise des suicides à France Télécom-Orange en 2004 : c’est <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00499666/document">l’écho médiatique</a> qui a obligé à une écoute et une prise de conscience interne, là où les interrogations syndicales et les alertes publiques n’étaient pas entendues.</p>
<h2>Un temps propre pour communiquer ?</h2>
<p>Mais, s’interrogent certains, comme l’expert et conseiller en communication – interlocuteur du pape François – Dominique Wolton, l’écrit dans <a href="https://aufildelapense.wordpress.com/2018/12/09/politique-et-societe-le-pape-francois-avec-dominique-wolton">Pape François, <em>Politique et Société</em></a> :</p>
<blockquote>
<p>« Le temps de l’Église n’est pas toujours celui de la société. Ce n’est pas celui des médias non plus. Or aujourd’hui, les médias sont devenus le tribunal des mœurs [car] l’Église manipule aussi du temps, des valeurs, qui sont différentes. »</p>
</blockquote>
<p>L’institution, liée à l’intemporalité sinon à l’éternité, échapperait donc au temps médiatique (à défaut d’échapper à la loi ?). Cette soustraction à la temporalité comme à la communication ordinaire pose question, ou du moins est difficilement acceptable dans une société qui vit dans le désir d’une temporalité commune et dans laquelle les acteurs, notamment religieux, sont amenés à rendre des comptes de leur action, et s’exposent au <a href="https://journals.openedition.org/questionsdecommunication/22362">regard du tiers</a>. C’est la possibilité d’un regard extérieur sur le religieux qui est en cause, et en jeu.</p>
<p>Il semble cependant que le pape catholique accepte désormais la communication et le rôle des médias dans cette affaire, puisque François, <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1281446/francois-salue-le-role-de-la-presse-face-aux-abus-sexuels-dans-leglise.html">s’adressant aux journalistes</a>, les remerciait, le 12 novembre 2021, pour ce qu’ils disent « sur ce qui ne va pas dans l’Église » afin de l’« aider à ne pas le mettre sous le tapis » et « pour la voix donnée aux victimes d’abus ». Une dette communicationnelle envers les médias, en quelque sorte, s’acquitte ainsi.</p>
<h2>Le religieux, une affaire publique</h2>
<p>Le religieux ne peut toutefois pas être seulement l’affaire des évêques, des rabbins (mêmes femmes), de « savants religieux » ou d’imams. Il concerne les citoyens, qui peuvent également entendre à leur propos les analyses de chercheurs en <a href="https://afsr.hypotheses.org/">sciences sociales du religieux</a>. On comprend bien, toutefois, que le religieux pourrait vouloir échapper au regard, surtout quand il est malveillant, ou qu’<a href="https://journals.openedition.org/rfsic/3728">il ne comprend pas le propos « spirituel » du religieux</a>, ce qui est souvent le cas des médias.</p>
<p>Ces derniers peuvent en effet ne <a href="https://journals.openedition.org/rfsic/3756">s’intéresser à l’Église catholique qu’à propos de</a> questions de sexualité (homosexualité, pédophilie, viols, domination masculine, préservatifs), précisément, d’argent (détournement, placements, liens avec la mafia), ou bien, de façon presque folklorique, de production monastique de bière ou de fromage… (ou, plus spirituellement, de chant grégorien). Peut-être cela est-il le signe d’un effondrement social radical du religieux, qui ne peut plus être compris dans son propos propre, mais seulement dans ses signes extérieurs.</p>
<p>Ceci ne fonde pas toutefois le religieux à ne revendiquer d’expertise adéquate <a href="https://journals.openedition.org/questionsdecommunication/22568">que de lui-même</a>. Les clercs ou les « dévots » ne sont pas les seuls autorisés à parler du religieux, dans l’espace public, surtout quand le religieux affiche ou implique des <a href="https://journals.openedition.org/assr/26432">préoccupations politiques et sociales</a> : refus du mariage entre personnes de même sexe, rejet de l’avortement, rejet de l’homosexualité, de la contraception, de l’euthanasie…</p>
<p>Qu’une institution soucieuse de pureté et avide de recommandations morales, se préoccupant si souvent de la vie sexuelle, matrimoniale et familiale des personnes, trouvant aisément impur le moindre geste érotique, et se souciant du caractère sain ou non des contenus et images circulant dans l’espace public, s’avère ainsi criminelle interroge donc le public notamment quant à sa communication, interne et publique.</p>
<h2>Communiquer sur un ensemble de drames</h2>
<p>Les dispositifs et actes qu’a mis en place l’Église catholique pour faire face à ces crimes et à ce drame, gérer ce scandale et y répondre ont été nombreux : demande publique de pardon au plus haut niveau et affichage d’une préoccupation forte, <a href="https://journals.openedition.org/rfsic/3739">contre-communication</a> montrant le souci de l’institution pour les enfants, prières, espaces d’accueil et d’écoute dans les églises, commission d’enquête indépendante, communication par le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=yg_RZeTCzH4">geste</a> symbolique, ritualisation presque liturgique, à Lourdes (les <a href="https://www.ktotv.com/video/00385735/2021-11-06-geste-penitentiel-lourdes">genoux à terre</a>), de la <a href="https://eglise.catholique.fr/conference-des-eveques-de-france/textes-et-declarations/520414-assemblee-pleniere-des-eveques-de-france-textes-de-mgr-emb/">repentance</a>, reconnaissance de la dimension institutionnelle et du <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/religion/pedophilie-de-l-eglise/pedocriminalite-les-eveques-de-france-reconnaissent-la-responsabilite-institutionnelle-de-l-eglise-et-la-dimension-systemique-de-ces-crimes_4834035.html">caractère « systémique »</a> (mettant en jeu l’organisation entière et son silence) de ces crimes, par la Conférence des évêques de France…</p>
<p>Toutefois, ils peuvent ne pas suffire à apaiser le public, inquiet de ces actes comme de leur mise sous silence. Ils n’effacent pas le manque de conscience et de <a href="https://www.revue-etudes.com/article/un-moment-de-verite-pour-l-eglise-23859">débat</a> interne à l’Église, cette autre forme de communication, constructive.</p>
<p>Sans doute, cette affaire forme aussi l’occasion opportune, en contexte de laïcité en tension (car la laïcité républicaine française est à la fois utilisée par l’extrême droite dans une perspective xénophobe, et attaquée autant par une partie de la gauche que par des défenseurs des religions, qu’il s’agisse du christianisme ou d’un islam), d’attaques fortes, cette fois justifiées, contre l’Église catholique.</p>
<p>Elle demeure une institution finalement mal connue et ses objectifs ne semblent pas toujours en phase avec un certain nombre d’orientations et de tendances sociales (avortement, mariage pour les couples homosexuels, aménagement des conditions de décès…).</p>
<h2>Difficultés à admettre</h2>
<p>La diversité des expressions ecclésiales dans les médias et sur les réseaux toutefois surprend : <a href="https://twitter.com/AbbeRaffray/status/1446141804710174725">« le temps des persécutions est venu »</a>, dit un prêtre, il y a bien plus de pédocriminalité dans les familles ou d’autres institutions, <a href="https://www.france24.com/fr/20190308-france-pedophilie-eglise-institutions-famille-education-nationale-agressions-sexuelles?ref=tw_i">disent plusieurs</a>, tout comme le pape François qui déclarait lui-même en 2017 que « « la majeure partie des abus sur les mineurs viennent du cercle familial ou des voisins du quartier » (<em>Politique et société</em>, p.223).</p>
<p>La confession est un secret majeur, déclare par ailleurs le <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/religion/pedophilie-de-l-eglise/video-pedocriminalite-dans-l-eglise-le-secret-de-la-confession-est-plus-fort-que-les-lois-de-la-republique-selon-mgr-eric-de-moulins-beaufort_4796947.html">porte-parole de la Conférence des évêques de France</a>.</p>
<p>La Conférence des évêques de France, réunie à Lourdes en novembre 2021, s’est exprimée cependant de façon plus ferme et plus forte. Elle a mis en place et communiqué un <a href="https://eglise.catholique.fr/conference-des-eveques-de-france/textes-et-declarations/520492-resolutions-votees-par-les-eveques-de-france-en-assemblee-pleniere-le-8-novembre-2021/">programme d’actions</a>. Lorsque les associations de victimes, les réseaux sociaux et les médias font éclater la communication, l’institution ne peut plus être muette, craindre le dissensus, ou couvrir des forfaits de son silence prudent.</p>
<p>Il importe donc de communiquer sur le religieux, qui a ses silences, et ne tient pas toujours la promesse qu’il porte, et d’interroger autant ses <a href="https://mei-info.com/revue/38/religion-et-communication/">communications</a>, internes et externes, que sa non-communication, et, peut-être, de dialoguer avec lui, s’il consent à une relation égalitaire, ainsi qu’au débat.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171615/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>David Douyère ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le rapport Sauvé (Ciase) sur la pédocriminalité au sein de l’Église met à mal la communication catholique.David Douyère, Professeur de sciences de l'information et de la communication, Université de ToursLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1706772021-11-14T16:45:43Z2021-11-14T16:45:43ZHandicap : une enquête en Nouvelle-Aquitaine révèle qu’une femme sur deux a subi des violences sexuelles<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/430267/original/file-20211104-17-j8d0uo.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C14%2C1908%2C1261&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une enquête inédite menée en Nouvelle-Aquitaine révèle que toutes les femmes en situation de handicap interrogées ont tenté de mettre fin à leurs jours.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/photos/statue-sculpture-bronze-4595979/">Jacques Gaimard/Pixabay</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>En 2020, en France, <a href="https://iddhea.fr/un-point-sur-le-handicap-en-france-en-2020">1 personne sur 6</a> souffre d’un handicap, soit environ 12 millions de personnes.</p>
<p>Notre recherche, à paraître le 24 novembre, sur les femmes victimes de violences en situation de handicap montre que ces dernières sont particulièrement vulnérables aux violences sexuelles. Pour ces femmes, les violences avaient augmenté durant le confinement de près de20 % (contre 7 % pour les autres femmes lors de la <a href="https://associationaresvi.fr/violences-sexistes-et-sexuelles-resultats">précédente enquête</a> menée en 2020.</p>
<p>Ces violences engendrent des conséquences psychologiques importantes, mais aussi des contraintes matérielles ou sociales concernant les femmes malentendantes ou aveugles par exemple, davantage isolées, comme le soulignait déjà Maudy Piot, fondatrice de l’<a href="https://fdfa.fr/ecoute-violences-femmes-handicapees/">Association femmes pour le dire, femmes pour agir (FDFA)</a> lors d’un <a href="https://fdfa.fr/wp-content/uploads/2014/12/violences-contre-femmes-handicapees14.pdf">colloque tenu le 19 juin 2010</a>.</p>
<h2>Une enquête inédite</h2>
<p>De janvier à septembre 2021 nous avons mené une enquête inédite à l’aide d’une triple méthodologie : le croisement de deux questionnaires (N=149), d’entretiens semi-directifs auprès des professionnel.les et des personnes concernées (N=38), ainsi que des entretiens collectifs (N=24). Au total, 211 femmes en Nouvelle-Aquitaine, âgées de 19 a 72 ans, issues de toutes catégories sociales, ont été entendues, avec des entretiens extrêmement douloureux pour certains. Cette méthodologie a permis une triangulation des données propice à une compréhension plus fine des « violences invisibles ».</p>
<p>Il a été fait le choix de ne pas sélectionner un handicap et de s’en tenir à une définition <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000809647/2021-10-24">large au sens de la loi française</a>. Intégrant les troubles psychiques, distincts du handicap mental, cette définition peut donc concerner les personnes que des violences, notamment sexuelles, ont exposées à des troubles psychotraumatiques.</p>
<p>Ainsi, si le handicap accroît le risque de violences, il peut aussi en être la conséquence. Enfin, une différence méthodologique entre les femmes victimes à l’âge adulte, suite aux violences et celles ayant eu un parcours dès le plus jeune âge, traversé par le handicap et son corollaire de violences a été effectuée intégrant ainsi <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2019-1-page-17.htm">l’analyse des violences sur le temps long</a>.</p>
<h2>Un constat alarmant</h2>
<p>Nos résultats mettent en évidence plusieurs points clefs ;</p>
<ul>
<li><p>Les femmes en situation de handicap déclarent deux fois plus que les autres avoir subi des agressions incestueuses durant leur enfance.</p></li>
<li><p>Les personnes en situation de handicap sont bien plus exposées aux violences sous toutes leurs formes.</p></li>
<li><p>En raison de leur parcours, elles ont peu confiance aux institutions, et se tournent davantage vers les associations dédiées, qui peuvent les accompagner dans ces démarches encore plus difficiles pour elles. C’est grâce au soutien associatif qu’elles peuvent sortir des violences pour une majorité d’entre elles.</p></li>
<li><p>Près des trois quarts estiment l’intervention des forces de sécurité insatisfaisantes ; ce qui montre une forte déception vis-à-vis des institutions.</p></li>
<li><p>Plus de la moitié d’entre elles a fait appel à une association dédiée (en lien avec leur handicap).</p></li>
<li><p>40 % ont changé de ville suite aux violences.</p></li>
</ul>
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<p>Les femmes en situation de handicap mental et psychique sont davantage touchées dans la fréquence et l’intensité des violences. Elles connaissent trois fois plus de violences économiques que les autres. 40 % des femmes en situation de handicap relèvent des violences économiques et administratives (notamment la privation de l’allocation handicapée.). Parmi les 53 % des femmes qui réussissent à en parler, elles s’adressent majoritairement à la famille (48 %) et à un médecin (40 %) ou un travailleur social (23 %).</p>
<h2>Une femme sur deux a subi un inceste</h2>
<p>Par ailleurs, plus de la moitié des femmes en situation de handicap (tous handicaps confondus) entendues lors des entretiens ont rapporté des crimes incestueux.</p>
<p>Lors d’un entretien, une femme en situation de handicap psychique, violée durant l’enfance et boulimique suite à l’inceste subi, dit avoir « eu la chance d’avoir un compagnon malgré son poids ».</p>
<p>Cette personne rencontrée en unité hospitalière a subi des violences physiques, sexuelles et psychologiques dès le premier jour de sa rencontre :</p>
<blockquote>
<p>« Tous les jours et depuis toujours il m’a battue pour tout et n’importe quoi… Vous voulez un exemple ! Celui où j’ai été virée de la formation que j’attendais depuis un moment : Je faisais une formation professionnelle dans le domaine viticole. Mon compagnon m’a téléphoné et hurlé dessus en me disant qu’il fallait que je rentre de suite, sans vraiment d’explications. C’est ce que j’ai fait. Une fois arrivée à domicile, je l’ai surpris en train de dormir. Je lui ai alors demandé ce qu’il y avait il m’a dit que c’était comme ça et qu’il n’avait pas à se justifier et m’a mis des coups de pied quand j’étais par terre. J’étais sa chose et il décidait de tous mes mouvements. »</p>
</blockquote>
<p>Un autre témoignage issu du verbatim du questionnaire d’une dame en situation de handicap psychique âgée de 41 ans aujourd’hui montre l’amplitude des violences :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai été abusée sexuellement à l’âge de quatre ans par ma cousine qui avait huit ans de plus que moi. Malgré mon petit âge, plusieurs fois j’ai voulu prévenir ma tante, car j’avais déjà conscience que ce que me demandais et faisais à ma cousine était mal. Or, quand j’allais pour me plaindre à ma tante, celle-ci me répondait “le bureau des pleurs est fermé !”. Plus tard, à l’âge de 23 ans, un collègue de travail m’a obligé à le masturber sur le lieu de travail. Lorsque j’ai voulu en avertir mon employeur, on m’a traitée de menteuse et de folle… On me croit jamais parce que je suis travailleuse handicapée. »</p>
</blockquote>
<h2>Une violence symbolique accrue et intériorisée</h2>
<p>En raison de leur position économique et sociale fragile, de leur sentiment de culpabilité et d’infériorité, les femmes en situation de handicap mental et psychique sont victimes de doubles stéréotypes, et sont rarement crues lorsqu’elles en parlent, en dépit des témoignages.</p>
<p>Lors de nos entretiens, nous avons pu entendre que ces violences réelles et symboliques sont si présentes au quotidien que les femmes les perçoivent comme « normales » :</p>
<blockquote>
<p>« Moi je pensais que c’était normal que les couples vivaient un peu comme ça. »</p>
<p>À force de se sentir rabaissée, on finit par être endurcie. »</p>
<p>« Dans ma famille, on reçoit des coups pour être éduqué, c’est normal ! Mais de toute manière c’est comme ça que l’on se fait éduquer, c’est normal. »</p>
</blockquote>
<p>Toutes les personnes en situation de handicap psychique interrogées relatent des refus de plainte par les forces de sécurité, d’écoute ou de soin par les proches et professionnels, en raison d’une certaine « hystérie » mise en avant.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/433696/original/file-20211124-14-6qrdxx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/433696/original/file-20211124-14-6qrdxx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/433696/original/file-20211124-14-6qrdxx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=801&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/433696/original/file-20211124-14-6qrdxx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=801&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/433696/original/file-20211124-14-6qrdxx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=801&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/433696/original/file-20211124-14-6qrdxx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1007&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/433696/original/file-20211124-14-6qrdxx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1007&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/433696/original/file-20211124-14-6qrdxx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1007&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">CRP Sud NA. Centre Hospitalier Charles Perrens Bordeaux. Le 23 novembre 2021.</span>
<span class="attribution"><span class="source">J.Dagorn</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>En dépit d’un certain « embarras » de certains membres des services publics face aux agressions, plusieurs professionnels (majoritairement issus du social, médico-social et médical) interrogés ont rapporté l’ampleur du phénomène.</p>
<p>Ainsi 80 % des professionnel·le·s interrogés connaissent au moins une femme en situation de handicap victime de violences. Parmi ces violences, la moitié des professionnels révèlent des rapports sexuels forcés par un compagnon ou un parent. En rapportant également que ces femmes cumulent tous types de violences, y compris un fort taux de violences économiques, leurs témoignages font écho à ceux des personnes concernées.</p>
<h2>Le rôle ambivalent des aidants</h2>
<p>En effet, si la situation des femmes en situation de handicap physique diffère, elle peut aussi être extrêmement compliquée lorsque le <a href="https://www.senat.fr/rap/r19-014/r19-014_mono.html">conjoint violent est souvent « un aidant »</a>.</p>
<p>Plusieurs professionnelles interrogées ont fait part de la difficulté concrète de la séparation avec le conjoint violent lorsque ce dernier est également qualifié d’« aidant » alors qu’il s’agit du bourreau domestique.</p>
<p>Leur handicap est souvent source de dépendance physique, économique, financière et également source de revenus lorsque le conjoint a le <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/affaires-sociales/personnes-agees/droits-et-aides/article/allocation-journaliere-du-proche-aidant">statut de proche aidant</a>. Cet état de fait augmente le risque de subir des violences et la dépendance à l’égard du partenaire intime ou du ménage, car dénoncer c’est prendre le risque de perdre l’aide au quotidien et de se retrouver dans une situation de vulnérabilité encore plus forte, d’autant plus quand la nature du handicap se traduit par des difficultés dans les déplacements.</p>
<p>L’insuffisance des moyens humains et financiers lors de la séparation est un véritable frein pour ces femmes, qui subissent alors la double peine liée au parcours de sortie des violences et à l’incapacité de vivre seule dignement. Une personne concernée y a fait allusion lors d’un entretien individuel, en parlant de sa tentative de suicide par médicaments après être restée seule chez elle, sans « perspective d’aller mieux ».</p>
<p>Les professionnelles ont fait allusion à la situation « humiliante » dans laquelle se retrouvaient certaines femmes sans les « soins » prodigués par leur compagnon. C’est pourquoi ce paramètre doit absolument être pris en considération dans le calcul des aides en cas de séparation.</p>
<h2>Des capacités de résistances hors du commun</h2>
<p>Malgré des parcours de violences compliqués, nombre de femmes rencontrées expriment une force et des capacités de résistances inouïes comme en témoigne cette femme de 42 ans :</p>
<blockquote>
<p>« Aujourd’hui, même si les violences que j’ai vécues m’ont brisée, j’ai réussi à me reconstruire. J’ai réussi à m’accepter comme je suis et à refuser de me mettre de nouveau dans une situation de faiblesse. Je sais que nous sommes beaucoup de femmes handicapées à vivre des violences mais nous ne sommes pas obligées de subir. Nous ne sommes pas obligées de nous soumettre à une place que nous attribue la société. Le handicap n’est pas un frein. C’est vrai qu’il ne facilite pas les choses mais nous ne sommes pas condamnées à subir. Aujourd’hui je réapprends à m’aimer en tant que femme et plus en tant que handicapée. Je veux vivre heureuse et je me bats quotidiennement pour y arriver ».</p>
</blockquote>
<p>Une autre confie :</p>
<blockquote>
<p>« C’est étrange mais en quelque sorte j’estime que cela m’a aidé, je ne peux pas dire que j’en ai souffert. Ces remarques sur mon problème de vue m’ont permis de me construire et également de me protéger face à des réactions qui peuvent être plus ou moins virulentes. Il ne s’agit pas de banaliser la chose, mais dans mon cas, ou cela restait « minime » j’ai pu apprendre à réagir à certaines situations, finalement par la pratique. »</p>
</blockquote>
<p>Leur <a href="https://www.caf.fr/allocataires/droits-et-prestations/s-informer-sur-les-aides/solidarite-et-insertion/l-allocation-aux-adultes-handicapes-aah">Allocation handicapée</a> (AAH) représente aussi une manne financière non négligeable (903 euros maximum par mois) pour certains hommes, qui les privent de papier, d’argent, et peuvent aller jusqu’à les prostituer afin d’augmenter leurs revenus comme en témoigne une enquêtée en situation de dépendance à l’alcool.</p>
<blockquote>
<p>« Il me cachait mes bouteilles et m’enfermait dans la chambre… J’étais folle, je tremblais, j’avais mal à la tête… C’était horrible… Il faisait venir des amis dans la chambre et me faisait faire des tas de choses avec eux… Il me donnait une bière que quand c’était fini et qu’il n’y avait plus personne dans la maison… Puis une fois que je prenais ma bière […] Il me tapait au sol avec son pied… J’avais mal, mais j’avais ma bière… Maintenant, grâce au médicament qu’on m’a donné ici, j’ai plus envie de boire, ça me dégoute… J’essaie d’oublier, mais j’y arrive pas… je vois une psy qui m’aide… J’ai envie de retravailler et d’oublier tout ça madame ! »</p>
</blockquote>
<p>La prise en compte politique et médiatique de la situation de ces femmes, dans un contexte post #MeToo permet de lever une partie de la violence symbolique subie, de dénoncer, mais aussi de vivre autrement, sans souffrances, comme l’exprime cette dame porteuse de handicap, qui a 72 ans, se révèle pleine d’optimisme :</p>
<blockquote>
<p>« À l’époque je ne disais rien, aujourd’hui ça me révolte ! Je suis triste de ne pas avoir eu d’enfants mais je me dis que c’est mieux comme ça car l’enfant ne méritait pas d’avoir un père comme ça… Je vois à la télé qu’il y a beaucoup de publicité et il y a de plus d’associations qui existent il faut que ça continue c’est vraiment important. Il y a encore trop de féminicides et ça m’inquiète. J’ai réussi à sortir des griffes de cet homme mais toutes les femmes n’y arrivent pas et qu’elles soient accompagnées c’est important. »</p>
</blockquote>
<hr>
<p><em>Cet article reprend en avant-première les éléments d’analyse et la recherche menée par Johanna Dagorn pour l’Observatoire régional des <a href="https://associationaresvi.fr/category/violences-sexistes-et-sexuelles/">violences sexistes et sexuelles de Nouvelle-Aquitaine</a> et soutenue par la Région Nouvelle-Aquitaine et l’État.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/170677/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Johanna Dagorn ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Résultats d’une enquête inédite auprès de femmes en situation de handicap : plus de la moitié ont vécu ou vivent des situations d’abus physiques, psychologiques ou sexuels.Johanna Dagorn, Sociologue, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1710542021-11-08T20:35:21Z2021-11-08T20:35:21ZAbus sexuels, anorexie… Derrière la magie des podiums, le mal-être bien réel des mannequins<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/429768/original/file-20211102-29670-nit90m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C22%2C1255%2C818&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Trois pommes, le régime quotidien de Victoire Maçon-Dauxerre lorsqu’elle défilait.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/photos/pomme-trois-fruit-pommes-2173865/">b1-foto/Pixabay </a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>En 2016, l’ex-mannequin Victoire Maçon-Dauxerre publiait un récit criant de vérité et d’atrocité. Dans son livre <em>Jamais Trop Maigre. Journal d’un Top Model</em> (éditions Les Arènes), elle expliquait son quotidien de modèle au cours de sa fulgurante carrière dans le mannequinat. <a href="https://madame.lefigaro.fr/societe/jamais-assez-maigre-la-passe-de-cintre-de-victoire-110116-111679">Trois pommes par jour</a>, tel était son régime quotidien. Elle racontait, avec une sincérité faisant froid dans le dos, comment elle avait failli mourir de défiler.</p>
<p>Depuis la sortie de son livre, Victoire a été invitée dans plusieurs émissions, on l’a écoutée, on a pleuré, on s’est indigné. Son livre a été traduit <a href="https://www.standard.co.uk/culture/books/size-zero-my-life-as-a-disappearing-model-by-victoire-dauxerre-with-valerie-peronnet-translated-by-andy-bliss-review-a3457291.html">dans plusieurs langues</a>. Ce dernier, ainsi que ses interventions médiatiques qui ont suivi, a eu un immense impact jusqu’à la dimension juridique.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/hvDuZ4Na5Vc?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Interview de Victoire Maçon-Dauxerre à l’occasion de la publication de son livre « Jamais assez maigre » (TV5 Monde, 2016).</span></figcaption>
</figure>
<p>En effet, en 2017, <a href="https://www.sciencesetavenir.fr/nutrition/regimes/loi-mannequins-un-decret-publie-pour-lutter-contre-l-extreme-maigreur_112942">deux décrets d’applications de la loi « mannequins »</a> ont été adoptés pour lutter contre l’anorexie et la maigreur dans les défilés de mode. Tout le monde a applaudi des deux mains et <a href="https://www.leparisien.fr/laparisienne/actualites/la-loi-mannequins-entre-en-application-ce-samedi-05-05-2017-6919191.php">d’autres pays ont suivi l’exemple</a> français.</p>
<h2>« Marche ou crève »</h2>
<p>Pourtant, la maigreur et le mal-être sont toujours présents sur les podiums. Une équipe universitaire franco-britannique a récemment publié un <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/17569370.2021.1969754">travail de recherche</a> auquel j'ai participé soulignant le mal-être des mannequins. On y décrit une approche qui relève davantage de celle du business du corps que du glamour des paillettes.</p>
<p>Comme le révèle le témoignage que nous avons recueilli de Marie* :</p>
<blockquote>
<p>« Pour ce qui est de ma carrière, j’ai vécu plusieurs moments heureux, surtout quand je décrochais un boulot […]. Pour moi, le mannequinat, c’était du business, c’était avant tout gagner de l’argent. »</p>
</blockquote>
<p>Ou encore celui d’Amandine :</p>
<blockquote>
<p>« Le grand public considère ce travail comme très glamour, quelque chose que seules des personnes parfaites peuvent faire. Mais l’industrie elle-même est plus dure, sans cœur. »</p>
</blockquote>
<p>Notre recherche met en évidence une industrie de type « marche ou crève », une industrie où les mannequins doivent résister à une pression et des rythmes infernaux. Si elles ne tiennent pas, une file d’attente avec d’autres mannequins toutes aussi jolies attendent pour les remplacer.</p>
<p>Damien, un agent de modèles, le souligne :</p>
<blockquote>
<p>« C’est une industrie assez brutale. Les mannequins sont “jetables”, il y a un gros turnover. Ainsi, une fille pourrait avoir une saison de défilés incroyable, puis la saison suivante… personne ne veut d’elle. Pour gérer ça, vous devez absolument avoir une base très solide en termes de famille et d’amis. »</p>
</blockquote>
<p>En effet, derrière la beauté des podiums se cache un univers sombre où l’objectification des corps fait loi. Marylin, mannequin, déplore cette déshumanisation :</p>
<blockquote>
<p>« En séance de shooting et en défilé, les gens vont toujours parler de toi, de ta coiffure, de ton corps en face de toi mais sans te considérer, comme si tu n’étais pas là […]. Ils font des commentaires les plus étranges à propos de ton apparence ou de ton corps juste devant toi. »</p>
</blockquote>
<p>Cette objectification entraîne de graves problèmes, que Victoire Maçon-Dauxerre décrit dans son livre et qui sont toujours de mise. Le spectre de ces problèmes reste large, touchant à la fois le psychique et le physique, du déficit d’estime de soi aux troubles alimentaires. Betty décrit la réalité de ces conséquences :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai beaucoup de problèmes avec ma propre estime, notamment avec la perception de mon corps. Entendre constamment des commentaires du type “tu as des grosses et belles fesses”, c’est difficile puisque moi, je me dis constamment “je veux être un bâton”. En fait, j’évalue constamment ma valeur par rapport à mon poids. Par exemple, je n’aime pas le sentiment d’être rassasiée… Cela me donne l’impression que je fais quelque chose de mal. C’est profondément psychologique. »</p>
</blockquote>
<p>Betty souligne également que, pour chaque défilé, chaque photoshoot, il y a beaucoup d’appelées mais peu d’élues :</p>
<blockquote>
<p>« Tous les rejets qui arrivent dans cette carrière… On essaie de s’y habituer, mais ça nous affecte forcément. »</p>
</blockquote>
<p>Sans oublier l’exposition potentielle aux abus sexuels. La publication de notre article universitaire, en septembre 2021, fait ainsi sombrement écho à l’actualité. Une <a href="https://www.sudouest.fr/france/d-anciennes-mannequins-accusent-de-viols-gerald-marie-l-ancien-patron-de-l-agence-elite-5704519.php">enquête préliminaire visant l'ancien patron européen de l’agence Elite</a> a en effet été ouverte à ce moment-là.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1434165257270923264"}"></div></p>
<p>Il est accusé de viols et d’agressions sexuelles par une quinzaine de mannequins.</p>
<h2>« Traitées comme des cintres »</h2>
<p>Fin octobre, plusieurs mannequins <a href="https://www.info-flash.com/info-flash/actualites/france/ile-de-france/paris/30438-paris/9837579-information.html">ont trouvé en TikTok</a> une plate-forme pour expliquer leur quotidien. Selon les posts, sous les paillettes des défilés, sous le glamour des photoshoot, se cache un sombre univers de pression pour maigrir, de cocaïne, mais aussi d'abus sexuels. Marie, mannequin encore en activité, nous l’a confirmé :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai vécu une expérience vraiment dégoûtante. À un moment, pendant le photoshoot, tout le monde est parti, le photographe continuait de prendre des photos, j’étais sur le dos, et soudainement, il s’est retrouvé sur moi. Je n’ai pas compris ce qu’il se passait, j’ai paniqué. »</p>
</blockquote>
<p>Les pistes d’une saine évolution sont pourtant à portée de main : considérer les mannequins comme des êtres humains et non « comme des cintres », comme le déplore un mannequin sur TikTok, ou encore se baser sur l’humain et non sur le vêtement. Ces étapes sont basiques mais malheureusement largement ignorées. Or, comme l’a écrit Victoire Maçon-Dauxerre dans son livre : « ce sont les vêtements qu’ils regardent, pas toi… ! ».</p>
<hr>
<p><em>*Les prénoms figurant dans cet article sont des noms d’emprunt</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171054/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Aurore Bardey ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les top-modèles exercent leur profession sous la menace constante d’être remplacées par d’autres si elles ne parviennent pas à résister à une pression déshumanisante.Aurore Bardey, Associate Professor in Marketing, Burgundy School of Business Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1612552021-06-10T21:58:20Z2021-06-10T21:58:20ZViolences sexuelles : l’importance du soutien dit « informel »<p>Les violences sexuelles, qu’il s’agisse d’infractions à caractère sexuel (dont l’agression sexuelle et le viol) ou de faits non judiciarisés, constituent un problème social majeur dont les conséquences, notamment humaines, sont considérables. Souvent, c’est à des proches que les victimes se confient en premier lieu, ce qui interroge sur la manière dont ceux-ci peuvent y répondre de manière adaptée.</p>
<p>Bien qu’il soit acquis que la <a href="https://www.researchgate.net/publication/323391794_La_coercition_sexuelle_et_les_violences_sexuelles_dans_la_population_generale_definition_donnees_disponibles_et_implications">prévalence des violences reste largement sous-estimée dans les données officielles</a>, les études et enquêtes permettent de mieux en saisir l’ampleur. Les données internationales indiquent ainsi <a href="https://www.ojp.gov/pdffiles1/nij/grants/221153.pdf">qu’une femme sur cinq à une femme sur trois serait victime de violences sexuelles au cours de sa vie</a>.</p>
<p>Par ailleurs, les études disponibles indiquent que si les hommes sont moins touchés (ou déclarent être moins touchés), ces derniers peuvent également <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1359178917301908?via%3Dihub">être victimes de violences sexuelles</a>.</p>
<h2>Conséquences à très long terme</h2>
<p>En plus de <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1559827611409512">problèmes importants sur le plan de la santé, physique et mentale</a> (dont des symptômes de stress post-traumatique ou des manifestations cliniques apparentées), les conséquences des violences sexuelles peuvent se manifester <a href="https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/112325/WHO_RHR_14.11_eng.pdf">dans différentes sphères de vie</a> : dans le champ familial, social, et/ou dans celui de l’intimité.</p>
<p>Ainsi, peuvent intervenir un isolement ou un désengagement des relations sociales, mais aussi professionnelles et économiques (notamment au travers d’un retour difficile à l’emploi ou d’une perte de productivité).</p>
<p>Par ailleurs, des études soulignent l’impact des violences sexuelles <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3104243/">sur la parentalité</a>, suggérant de possibles conséquences <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/23786689/">à long, et très long terme</a>, voire <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0886260508317194">« transgénérationnelles »</a>, c’est-à-dire sur plusieurs générations. D’où la nécessité de considérer les violences sexuelles comme un problème de santé publique.</p>
<p>La reconstruction des victimes, aussi bien sur le plan physique que mental, est un processus long, difficile et qui peut rarement être mené seul·e. La révélation ou divulgation, c’est-à-dire le fait de pouvoir parler des violences subies, constitue généralement une étape importante de ce <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/20373205/">processus de reconstruction</a> dans la mesure où elle facilite le fait de solliciter une aide ou un soutien.</p>
<h2>Moins de 10 % des victimes portent plainte</h2>
<p>À cet égard, certains rapports suggèrent que si la plupart des victimes – de l’ordre de 60 à 70 % selon l’enquête sexualité, sécurité et interactions en milieu universitaire menée auprès de 6 universités québécoises – révèlent les violences subies, elles le font très peu – du moins dans un premier temps – auprès <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0093854802239161">d’acteurs « formels » ou « officiels »</a> tels que la police ou la gendarmerie, les professionnels de santé, ou encore les membres du personnel ou des représentants institutionnels.</p>
<p>À titre d’illustration, et sur la seule infraction de viol (sans inclure les autres formes de violences sexuelles), le dernier rapport publié par le Haut Conseil à l’Égalité entre les hommes et les femmes rapporte qu’en France, <a href="https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/164000633.pdf">moins de 10 % des 84 000 femmes se déclarant victimes de viol ou de tentative de viol déposent plainte</a>.</p>
<p>Dans la grande majorité des situations, les <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1111/j.1471-6402.2007.00329.x">personnes victimes privilégient donc un soutien dit « informel »</a>, notamment les ami·e·s et la famille, pour parler des violences subies.</p>
<p>Elles anticipent généralement davantage de réactions d’empathie de la part de ces proches, alors que le dépôt de plainte (ou le signalement institutionnel) est perçu comme pouvant avoir des effets néfastes : crainte de ne pas être cru·e, ou du moins de voir la véracité des faits rapportés questionnée.</p>
<h2>Écoute bienveillante</h2>
<p>Outre une réflexion nécessaire quant à la crainte, voire la méfiance, des victimes à l’égard des autorités judiciaires et institutionnelles, la préférence portée aux soutiens « informels » pose la question de la <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/29502508/">capacité de tout un chacun de pouvoir recevoir la parole des personnes victimes de violences et y répondre de manière adaptée</a>.</p>
<p>En effet, si la révélation des violences subies constitue une étape importante dans le processus de reconstruction, la <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1111/j.1471-6402.2007.00329.x">manière dont la parole des victimes est reçue est un élément déterminant</a>.</p>
<p>Lorsque les réactions et comportements ne rencontrent pas les attentes des personnes victimes, voire sont négatifs (par exemple, une forme d’attribution du blâme à la victime, de déresponsabilisation de l’auteur, ou de manque général d’empathie), les effets peuvent être extrêmement délétères.</p>
<p>Parmi les conséquences possibles, les symptômes cliniques et problèmes de santé peuvent être exacerbés, les victimes peuvent être amenées à se « murer » dans le silence pour plusieurs années et par là, à faire face seules au traumatisme des violences subies.</p>
<p>À l’inverse, des réactions positives, marquées par une écoute bienveillante, une absence de jugement ou simplement une non-remise en question des faits rapportés, sont susceptibles de soutenir le processus de reconstruction, aussi bien sur le plan mental que physique.</p>
<p>Ces réactions positives encouragent la recherche d’aide auprès de professionnels de santé, et peuvent favoriser un dépôt de plainte et/ou un signalement institutionnel ultérieur lorsque les personnes victimes souhaitent le faire.</p>
<h2>Quelles implications ?</h2>
<p>Aussi, l’accompagnement ne passe pas que par un développement des ressources institutionnelles, mais implique également de former, ou du moins de sensibiliser tout un chacun sur la réalité des violences sexuelles.</p>
<p>En effet, les quelques études disponibles indiquent que si les personnes qui reçoivent la parole des victimes sont – dans la très grande majorité des situations – fondamentalement bien intentionnées <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1111/j.1471-6402.2007.00329.x">elles peuvent ne pas toujours savoir comment réagir</a>, quoi dire ou comment le dire.</p>
<p>Dans ces situations, il peut arriver que les réactions se basent sur des représentations erronées quant aux violences sexuelles. Certain·e·s interrogent par exemple la relation entre l’auteur·e. et la victime, la manière dont la victime se comportait à son égard. D’autres demandent si l’agresseur était armé·e ou a utilisé la force physique, ou bien encore minimisent la gravité des faits rapportés.</p>
<p>Il est crucial de rappeler les effets négatifs de ces réactions, du type « ce n’est pas si grave », ou « essaie d’oublier et passe à autre chose ». Au regard des attentes de la majorité des personnes victimes, une écoute proactive – « je suis là pour toi, je t’écoute », ou simplement une écoute bienveillante – « je te crois », doivent être privilégiées.</p>
<h2>Créer des conditions propices</h2>
<p>Alors que les violences sexuelles constituent un problème social majeur, il est nécessaire de créer des conditions propices pour que des victimes, lorsqu’elles le souhaitent, puissent parler des violences subies. Sans nier l’importance que peut représenter le dépôt de plainte ou le signalement institutionnel, il faut :</p>
<ul>
<li><p>Pouvoir entendre, et accepter que pour certaines victimes, le processus de reconstruction ne passe pas par ces actions ;</p></li>
<li><p>Être conscient du fait que dans la majorité des situations, la révélation est d’abord faite auprès d’ami·e·s et/ou de membres de la famille.</p></li>
<li><p>Parce que leur réaction est fondamentale dans le processus de reconstruction des victimes, mais également parce qu’il ne peut pas être attendu que cela « va de soi » ou qu’il soit facile d’entendre la réalité des violences sexuelles, des efforts doivent également être consacrés à la sensibilisation des personnes quant à la manière d’entendre la parole et accompagner les victimes.</p></li>
</ul><img src="https://counter.theconversation.com/content/161255/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Massil Benbouriche ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les personnes victimes de violences sexuelles privilégient un soutien « informel ». D’où l’intérêt de former, ou du moins de sensibiliser, à la réception de cette parole.Massil Benbouriche, Maître de conférence en Psychologie et Justice, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1620242021-06-02T18:08:44Z2021-06-02T18:08:44ZFéminicide : à l’origine d’un mot pour mieux prévenir les drames<p>À <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/05/12/feminicide-de-merignac-une-mission-d-inspection-releve-une-serie-de-defaillances-dans-le-suivi-du-mari-violent_6079956_3224.html">Mérignac</a>, à <a href="https://www.liberation.fr/societe/droits-des-femmes/feminicide-a-hayange-tout-le-monde-savait-quil-la-battait-20210527_ZTHMOQYBSRCYZKWCKDHVGC4QYU/">Hayange</a>, l’actualité nous rappelle tous les jours ou presque le drame du féminicide, dont ont été victimes au moins 90 femmes en France <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/02/02/90-feminicides-ont-ete-commis-en-2020-contre-146-en-2019-annonce-le-ministere-de-la-justice_6068512_3224.html">pour la seule année 2020</a>. Si le terme s’est aujourd’hui fait une place dans le débat public, pour qualifier des meurtres de femmes parce qu’elles sont femmes, il a mis du temps à s’imposer.</p>
<p>Le mot <em>féminicide</em> est entré pour la première fois dans un dictionnaire français, <em>Le Petit Robert</em>, en 2015, et a été hissé sur le podium de la lexicographie en 2019, devenant le mot de l’année, mais la réalité qu’il décrit <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/07/06/lydie-bodiou-et-frederic-chauvaud-le-passe-regorge-de-meurtres-de-femmes_5486100_3232.html">ne date pas du XXIᵉ siècle</a>.</p>
<p>Pendant des siècles, il a été occulté par les termes « crime passionnel », « drame de la séparation », « tragédie conjugale » ou encore « drame de la jalousie », autant d’expressions qui ont contribué à dédouaner les auteurs de crime et à ignorer que l’immense majorité des victimes étaient des femmes.</p>
<h2>Vocable vagabond</h2>
<p>La première apparition du mot féminicide reste incertaine. Il semble bien que le terme a été utilisé pour la première fois dans la seconde moitié du XIX<sup>e</sup> siècle. Dans <em>Le Monde illustré</em>, journal hebdomadaire, évoquant aussi bien l’explosion d’une mine de charbon que le quotidien d’un pêcheur à la ligne, Jules Lecomte, en février 1863, lance une formule neuve : le « lacet féminicide », suggérant que les femmes mettent la corde au cou des hommes, les bridant, les corsetant et les dominant. Une acception complètement à l’opposé de la définition actuelle du mot.</p>
<p>Par la suite, il apparaît, de manière presque inattendue, dans des périodiques. Ainsi, <em>Le Rappel</em>, dans une livraison du 31 octobre 1887, évoque les « fusillades conjugales et le féminicide », mais ici, si le mot est bien associé à la violence, il désigne une femme qui tire au revolver sur une autre femme avant de retourner l’arme contre elle. Il est difficile ensuite de suivre le cheminement du <em>féminicide</em> qui n’est pas alors une notion mais un vocable vagabond.</p>
<p>Très proche, le <em>femmicide</em> est lui attesté dès le début du XVII<sup>e</sup> siècle dans une pièce de théâtre due à Paul Scarron, <em>Jodelet souffleté ou les Trois Dorothée</em>, joué pour la première fois en 1646 sur la scène du théâtre de l’Hôtel de Bourgogne à Paris. Le texte remanié en 1652 porte désormais comme titre <em>Le Jodelet duelliste</em>. Il s’agit d’une comédie. Le valet Jodelet dit à Don Félix, dès la scène I de l’acte I : « Là vos yeux travaillant à faire femmicide ». Le personnage rêve, comme un homme possessif, de brutaliser une femme.</p>
<p>Le <em>femminicide</em> s’apparente ici aussi au burlesque. Avec une double consonne le mot se retrouve encore au début du XIX<sup>e</sup> siècle sous la plume de Frédéric Soulié et Léo Lespès dans l’épilogue du <em>Veau d’Or</em>, publié dans la seconde moitié du XIX<sup>e</sup> siecle, puis finit par disparaître.</p>
<h2>L’« uxoricide » ou le meurtre de l’un des époux</h2>
<p>Quant au <em>féminicide</em>, il n’est pas loin de connaître le même sort. Dans une feuille confidentielle, <em>Le Parti ouvrier</em>, daté du 6 octobre 1888, on peut lire : « Fou-homicide – il faudrait dire féminicide ». L’auteur veut dire qu’il serait préférable d’utiliser <em>fou-féminicide</em> plutôt que <em>fou-homicide</em>.</p>
<p>Dix ans plus tard, <em>La Petite Presse</em> du 4 juillet 1899 parle d’un orateur féminicide se livrant à un véritable réquisitoire contre les femmes. L’idée de violence physique n’est pas automatique. C’est ainsi que <a href="http://www.folio-lesite.fr/Catalogue/Folio/Folio-histoire/Journal-d-une-suffragiste">Hubertine Auclert</a>, la suffragiste qui montait presque « toute seule à l’assaut des préjugés », condamne, <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k76092166/f1.item">dans <em>Le Radical</em></a> daté du 17 novembre 1902, un projet de loi concernant le divorce, qu’elle qualifie de « loi féminicide ». Mot sans date certifiée de baptême, <em>féminicide</em> disparaît pratiquement à partir du début du XX<sup>e</sup> siècle et ne désigne pas le meurtre d’une femme par son mari.</p>
<p>Il est vrai que du côté des juristes, un autre mot, dont l’usage n’est pas systématique, désigne depuis le XVII<sup>e</sup> siècle certains crimes dans la sphère conjugale : uxoricide (du latin <em>uxor</em>, <em>uxoris</em>, épouse). Dans un livre, traduit de l’allemand, <em>Sur la noblesse et excellence du sexe féminin</em> (Heinrich Cornelius Agrrippa von Nettesheim, 1537), un passage concerne les époux qui tuent leur femme.</p>
<p>Pierre François Muyart de Vauglans, un des <a href="https://journals.openedition.org/chs/828">juristes les plus importants de la fin du XVIIIᵉ siècle</a>, lui consacre un développement dans <em>Les Lois criminelles de France dans leur ordre naturel</em>, publié en 1780. Il cite Étienne V, pape du VII<sup>e</sup> siècle qui se désole de l’atrocité des conséquences du crime d’uxoricide et exige l’expiation du mari pendant tout le reste de son existence.</p>
<h2>« Inacceptables attentats contre la personne humaine »</h2>
<p>Au lendemain de la Révolution française et de la codification napoléonienne, l’uxoricide ne figure pas dans le code pénal. Cependant on le retrouve dans certains traités et articles spécialisés, mais il semble désuet, promis à une extinction rapide, même s’il apparaît sous la plume de César Lombroso, criminologiste italien, inventeur du <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/l-homme-criminel/">« criminel-né »</a>, en 1887. Il ne désigne plus seulement le meurtre de la femme mariée, mais, indifféremment, celui de l’un des époux.</p>
<p>Quant au féminicide, il resurgit beaucoup plus tard, en 1976, lors de la tenue, du 4 au 8 mars, à Bruxelles, du Tribunal international des crimes contre les femmes. Simone de Beauvoir n’a pu faire le déplacement mais a envoyé un texte dénonçant les « inacceptables attentats contre la personne humaine ».</p>
<p>Vingt-six pays sont représentés et des journalistes en rendent compte. Un article de <em>Ouest-France</em> souligne : « À cette occasion est apparu un nouveau mot, <em>féminicide</em> » (numéro daté du 5 mars 1976). L’anthropologue Diana Russel, qui l’utilise pour la première fois en public, <a href="https://www.dianarussell.com/origin_of_femicide.html">a confié qu’elle l’avait découvert en 1974</a>, apprenant que la romancière américaine Carol Orlock préparait un livre qu’elle allait intituler ainsi.</p>
<h2>Outil de qualification juridique</h2>
<p>Le mot fémicide quant à lui apparaît en 1992 dans un ouvrage collectif non traduit en français, <a href="http://www.dianarussell.com/f/femicde%28small%29.pdf"><em>Femicide : The Politics of Women Killing</em></a> dirigé par Diana Russell, Jill Radford et Jane Caputi. Le livre recense les meurtres commis contre des femmes en raison de leur sexe et met en lumière l’existence d’un « continuum des violences masculines contre les femmes » dont le point ultime est la mise à mort.</p>
<p>Si le mot ne fit pas l’effet d’une déflagration, il chemina à un rythme inégal en fonction des aires culturelles et politiques. C’est au Mexique, au début des années 2000, sous l’impulsion de l’anthropologue Marcela Lagarde y de los Rios, que le mot prend de l’épaisseur dans le contexte du pays et particulièrement à propos des assassinats de masse à Ciudad Juárez. À la tête d’une Commission d’enquête parlementaire, elle traduit le mot en espagnol : <em>feminicidio</em>.</p>
<p>L’intention est d’opérer une distinction avec <em>homicide</em> et d’en faire un outil spécifique de qualification juridique. C’est alors une manière de reconnaître leur particularité et de souligner l’impunité des auteurs. En Amérique latine, coexistent les deux termes – <em>féminicidio</em> et <em>femicidio</em> –, comme le souligne Ana Carcedo qui a coordonné une vaste enquête sur les meurtres de femmes en Amérique centrale de 2000 à 2006. Le mot est alors largement utilisé par les féministes sur tout le continent, puis par les diverses agences gouvernementales et internationales.</p>
<p>Ainsi l’Organisation des Nations unies, plus exactement l’Assemblée générale, avait émis le vœu de définir précisément les violences à l’égard des femmes. Il faut attendre la création de l’ONU femmes en 2010 pour que deux ans plus tard le terme de <em>féminicide</em> soit adopté.</p>
<h2>Faire advenir une prise de conscience collective</h2>
<p>De manière emblématique, le 12 mars 2013, Michelle Bachelet, ancienne présidente du Chili, devenue directrice exécutive de l’ONU Femmes, prononce un discours important. À son auditoire, elle indique :</p>
<blockquote>
<p>« Nous sommes ici pour discuter de la plus extrême manifestation de violence à l’égard des femmes : les meurtres motivés par des préjugés basés sur le genre, également appelés “fémicides”. Nous sommes ici pour discuter des meurtres de femmes commis simplement parce qu’elles sont des femmes. »</p>
</blockquote>
<p>Pour l’ONU comme pour l’OMS, le féminicide ou le fémicide, est un concept-outil permettant de sensibiliser l’opinion publique internationale et de faire advenir une prise de conscience collective.</p>
<p>Celle-ci vient à la faveur de la vague #MeToo à l’automne 2017 à la suite de l’affaire Weinstein qui secoue le milieu cinématographique hollywoodien. Les « briseuses de silence » livrent de courts témoignages sur les réseaux sociaux témoignant des regards, des viols, des agressions, des brimades, des injures… La réalité massive d’un phénomène social d’ampleur planétaire <a href="https://criham.labo.univ-poitiers.fr/publication-on-tue-une-femme-le-feminicide-histoire-et-actualites/">explose aux yeux et aux oreilles de tous</a>.</p>
<p>Les médias s’en font l’écho, l’opinion publique s’en empare. Le seuil de l’inacceptable est franchi. Il prend d’abord la forme d’une comptabilité macabre, égrainée sur les réseaux sociaux, à la radio ou dans les journaux, des femmes tuées sous les coups de leur conjoint, forme ultime de la domination masculine. Désormais, elles ont un nom et un visage, elles s’appellent Alexia Daval, Marie Trintignant, Magali Blandin ou Chahinez Boutaa Daoud à Mérignac en mai 2021. Victimes d’un crime de propriétaire et de défaillances de la société, incapable de les protéger.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/162024/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le terme de « féminicide » a mis du temps à s’imposer dans le débat public depuis son apparition au XIXᵉ siècle.Lydie Bodiou, Maîtresse de conférence en histoire ancienne, Université de PoitiersFrédéric Chauvaud, Professeur d'Histoire contemporaine, Université de PoitiersLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1598292021-05-18T17:31:52Z2021-05-18T17:31:52ZLa « Blague sur le viol » de Patricia Lockwood : analyse d’un poème coup de poing<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/401326/original/file-20210518-21-1pl221k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=9%2C9%2C2035%2C1723&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Robert Rauschenberg, Bed, 1955. Moma. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/profzucker/8490142005">Flickr / Steven Zucker</a></span></figcaption></figure><p>Après la déferlante du mouvement #MeToo, les victimes de violences sexuelles s’expriment de plus en plus ouvertement. C’est dans ce contexte que nous pouvons (re)lire la <a href="https://www.theawl.com/2013/07/patricia-lockwood-rape-joke/">« Blague sur le viol »</a> (« Rape joke ») de la poétesse, romancière et essayiste Patricia Lockwood – qui n’est pour l’heure pas traduite en français. Issue d’un milieu modeste, l’autrice américaine au style polymorphe, dotée d’une solide culture littéraire, n’hésite pas à aborder des <a href="https://www.poetryfoundation.org/poets/patricia-lockwood">sujets sensibles</a> (« Les dépenses du gouvernement » sur l’économie publique, « Ode sur une urne grecque » sur le regard masculin en littérature, « L’arc » sur l’aménagement des villes, « L’église de la boîte de crayons ouverte », sur la religion…).</p>
<p>Avec l’humour noir, il s’agit de rire de ce qui n’a rien de drôle (l’injustice, la malchance, la mort), l’angoisse venant amplifier le rire. C’est le cas, par exemple, dans le sous-titre de la comédie truculente de Stanley Kubrick, <a href="https://www.lafermedubuisson.com/docteur-folamour-ou-comment-jai-appris-a-ne-plus-men-faire-et-a-aimer-la-bombe"><em>Docteur Folamour ou : comment j’ai appris à ne plus m’en faire et à aimer la bombe</em></a>, qui plaisante au sujet de la folie de l’industrie de l’armement.</p>
<p>Dans ce poème en vers et en prose, qui a beaucoup circulé sur les réseaux sociaux, Lockwood semble s’inscrire dans cette tradition comique, tout en soulignant l’impossibilité de rire d’un viol – le sien, par un homme qui était à la fois un ami de la famille et son petit ami.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1375569969451302918"}"></div></p>
<h2>Un récit cathartique</h2>
<p>Le récit se déroule en trois étapes. Il y a d’abord les moments qui précèdent le viol, qu’elle aurait peut-être vu venir si elle avait su lire les signes, suggère-t-elle : « il portait un couteau, et te le montrait, et le faisait tourner dans sa main comme on tourne les pages d’un livre ». Le futur violeur avait chez lui une collection de livres sur les tueurs en série, ce qu’elle prenait pour une passion pour l’histoire, sans soupçonner sa culture de la violence. « J’étais stupide », dit-elle, comme pour réduire la tension et susciter l’empathie des lecteurs.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/398076/original/file-20210430-18-1jpz6lg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/398076/original/file-20210430-18-1jpz6lg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=458&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/398076/original/file-20210430-18-1jpz6lg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=458&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/398076/original/file-20210430-18-1jpz6lg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=458&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/398076/original/file-20210430-18-1jpz6lg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=576&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/398076/original/file-20210430-18-1jpz6lg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=576&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/398076/original/file-20210430-18-1jpz6lg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=576&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"><em>My Bed</em> par Tracey Emin (1998), de l’art sur la sphère intime.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le portrait du violeur, qui travaillait alors comme videur, est assez sordide : « il crachait le jus du tabac à travers son bouc dans une bouteille… de la marque Mountain Dew », admirait « The Rock » (un catcheur), avait failli tuer quelqu’un et tenait un journal, dans lequel il disait avoir eu l’intention de violer une autre jeune femme.</p>
<p>Puis il y a le passage, court et grotesque, dédié au viol proprement dit. La « Blague sur le viol, c’est que tu étais face contre terre. » Ici, l’acte traumatisant n’est pas occulté. La poétesse, avec ce texte, tente de montrer l’exemple et invite les victimes à parler, <a href="https://books.openedition.org/pur/45439?lang=fr">bien que ce soit très difficile</a> quand on est victime de violences sexuelles.</p>
<p>Pendant le viol, sa bouche était coincée sur le matelas, grande ouverte. Elle évoque cette position accidentelle pour créer une mise en abîme qui suggère le côté dérisoire de la littérature face à une telle adversité : « Comme si ta bouche s’ouvrait dans le futur, pour réciter un poème qui se nomme la “Blague sur le viol” ».</p>
<p>Enfin, après le viol, la peine ressentie par l’autrice est amplifiée par la bêtise du violeur et l’indifférence de la société : </p>
<blockquote>
<p>« La blague sur le viol, c’est que le lendemain il t’a offert l’album <em>Pet Sounds</em>. Non, mais vraiment. <em>Pet Sounds</em>. Il a dit qu’il était désolé et puis il t’a offert <em>Pet Sounds</em>. » </p>
</blockquote>
<p>Cet <a href="https://www.youtube.com/watch?v=hONnenV2lZg">album des Beach Boys</a> est une sorte d’antidépresseur musical que Michael Moore a utilisé avec une ironie appuyée dans son film <em>Roger et moi</em> (1989), qui parle des licenciements en masse chez General Motors.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/398077/original/file-20210430-23-10ykbh3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/398077/original/file-20210430-23-10ykbh3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=797&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/398077/original/file-20210430-23-10ykbh3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=797&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/398077/original/file-20210430-23-10ykbh3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=797&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/398077/original/file-20210430-23-10ykbh3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1002&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/398077/original/file-20210430-23-10ykbh3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1002&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/398077/original/file-20210430-23-10ykbh3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1002&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Miriam Cahn, <em>Aus der wüste</em> (du désert), crayon sur papier, 2015.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Galerie Jocelyn Wolff, Galerie François Doury</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dédramatiser se révèle impossible : « La blague sur le viol, c’est que bien sûr il y avait du sang, qui, chez les êtres humains, circule près de la surface. » Pas si superficielle, cette présence du sang teinte toute la scène de rouge.</p>
<p>Adoptant un ton plus sérieux, la poétesse raconte les conséquences de ce viol sur sa vie et son psychisme : « La blague sur le viol, c’est que tu es devenue dingue pendant les cinq années suivantes, que tu devais sans cesse changer de ville, changer d’État, et que des journées entières se sont engouffrées dans la même question – comment ça a pu arriver. C’était comme si tu allais dans ton jardin et que, d’un coup, il n’y avait plus qu’un grand vide… où se rejouait le même événement, encore et encore ».</p>
<h2>Exprimer le malaise</h2>
<p>La forme alterne entre tragique et comique. S’annonçant comme poème, la « Blague sur le viol », commence par trois vers de dix syllabes, marquant une cadence solennelle, puis diverge, comme pour signaler une perturbation, vers un modèle de discours alternatif, celui de l’histoire drôle. L’idée de la tentative de blague qui ne marche pas est concrétisée par des pseudotraits d’esprit qui tombent à plat : « Ne le prenez pas mal ! », « Ça va être encore plus drôle », « Reconnaissez-le ».</p>
<p>La phrase « Ça va être encore plus drôle » marque à la fois une maladresse (on n’arrive pas à faire rire son public), et un malaise (celui de la victime qui cherche un soutien en vain).</p>
<p>La chute : « Allez, c’est un peu drôle/Reconnaissez-le » nous invite à faire une lecture en biais : cette injonction (à reconnaître les faits, au fond) s’adresse au violeur et à la société entière. Tout le monde est concerné.</p>
<p>Le poème parle aussi d’une recherche de vérité frustrée : « La blague sur le viol c’est que tu lui as demandé pourquoi il l’avait fait. La blague sur le viol c’est qu’il a dit qu’il ne savait pas pourquoi, parce que qu’est-ce qu’une blague sur le viol dirait d’autre ? La blague sur le viol dit que c’est TOI qui étais ivre, et la blague sur le viol dit que tu te souviens de travers ».</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Nnv5eyE7QbA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Dans le récit, le père de la victime incarne les effets du non-dit : </p>
<blockquote>
<p>« La blague sur le viol c’est que quand tu l’as raconté à ton père, il a fait le signe de croix au-dessus de ta tête et a dit, “Je t’absous, toi et tes péchés, au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit” ce qui, même en étant à côté de la plaque, était empreint de gentillesse. » </p>
</blockquote>
<p>C’est une critique directe du puritanisme américain.</p>
<p>Lockwood évoque le fait que son propre texte détourne l’accusation malheureusement si fréquemment adressée aux victimes d’avoir été aguicheuses : « Si tu écris un poème qui s’appelle “blague sur le viol”, tu ne demandes qu’une chose : que le fait de l’avoir écrit devienne la seule chose de toi dont on se souviendra. » Lockwood affirme en outre, par ce geste littéraire et par cette déclaration, son statut d’autrice – au-delà de celui de victime d’un viol.</p>
<p>Ces mots répétés, « La blague sur le viol, c’est… » rythment le texte. Cette anaphore mime les efforts renouvelés pour sortir du labyrinthe de cette expérience traumatique et se mue en personnification du violeur : « La blague sur le viol, c’est qu’il portait un bouc. Un bouc. » Cette accusation implicite, traitant le violeur de « blague » ambulante, sonne juste.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/du-stigmate-a-la-performance-button-poetry-nouvel-eveil-de-la-poesie-americaine-95553">Du stigmate à la performance : « Button Poetry », nouvel éveil de la poésie américaine</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Avec ce texte fort, Lockwood apporte de l’oxygène aux victimes de violences sexuelles et leur redonne du pouvoir. Ce poème a d’ailleurs contribué à donner de <a href="https://thenorwichradical.com/2021/03/16/black-lives-matter-poems-review-ambrose-musiyiwa/">l’élan à une poésie polémiste d’aujourd’hui</a>.</p>
<p>Cette « Blague sur le viol » est tout à la fois la chronique directe d’un événement vécu, un poème abouti aux figures de style maîtrisées et le détournement littéraire de la tradition de l’humour social sans tabou d’un <a href="https://www.youtube.com/watch?v=G3QgxmiBfNY">Lenny Bruce</a> ou d’une <a href="https://www.youtube.com/watch?v=VPWwzEuqRXk">Margaret Cho</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/159829/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>David Reckford ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Avec son poème « Rape joke », mieux connu dans les pays anglo-saxons, l’Américaine Patricia Lockwood raconte un traumatisme personnel et prête sa voix aux victimes de violences sexuelles.David Reckford, Doctorant, poésie et peinture américaines, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1569182021-04-05T16:29:17Z2021-04-05T16:29:17ZIdentifier les mécanismes de la pédocriminalité<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/393256/original/file-20210402-19-bjxr93.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C11%2C1270%2C946&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Comment faire pour prévenir le passage à l'acte des pédocriminels ?</span> <span class="attribution"><span class="source">andreasfuchs8732 / pixabay</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>En France, une nouvelle commission sur l’inceste et les violences sexuelles a récemment <a href="https://www.humanite.fr/violences-sexuelles-une-commission-sur-linceste-et-la-pedocriminalite-701334">vu le jour</a> suite à plusieurs affaires très médiatiques, mettant en cause des personnalités du monde intellectuel, à l’instar des révélations de Vanessa Springora et de Camille Kouchner. Plus récemment, l’Eglise catholique a <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/pedocriminalite-leglise-catholique-devoile-une-premiere-plaque-hommage-aux-victimes-de-pretres_fr_604e5e82c5b672fce4ed8d98">fait poser une plaque</a> en Vendée commémorant les noms des victimes de prêtres pédocriminels.</p>
<p>Au Canada, la prévalence criminelle baisse globalement pour la majorité des infractions au cours des dernières années, sauf pour les <a href="https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/85-002-x/2019001/article/00013-fra.htm">infractions sexuelles</a> qui augmentent. La Fondation OAK a décidé de subventionner massivement un <a href="https://www.leroyal.ca/actualites/le-royal-et-le-centre-moore-pour-la-prevention-des-abus-sexuels-sur-les-enfants-recoivent-une-subvention-de-103-millions-usd-pour-lancer-une-initiative-de-prevention-lechelle-mondiale">programme de prévention</a> des agressions sexuelles à l’encontre des enfants. En France, l’État prend des <a href="https://www.france24.com/fr/france/20210126-les-mesures-de-lutte-contre-la-p%C3%A9docriminalit%C3%A9-en-france-jug%C3%A9es-insuffisantes">mesures</a> pour améliorer la lutte contre la pédocriminalité.</p>
<p>Inceste, pédophilie, pédocriminalité : des termes qui interrogent, qui recouvrent des réalités diverses, souvent mal ou peu comprises et qui nécessitent pour une meilleure prévention de ces violences une meilleure connaissance des mécanismes à l’œuvre, mais aussi la prise en charge des auteurs, parallèlement à celle des victimes.</p>
<h2>Définir les termes</h2>
<p>La pédocriminalité est la criminalité à l’encontre des enfants. C’est un terme encore peu utilisé qui inclut la pédophilie, l’inceste et l’exploitation sexuelle des enfants (prostitution infantile, pédopornographie).</p>
<p>La pédophilie est définie comme une préférence sexuelle pour les enfants (généralement d’âge prépubère ou au début de la puberté, c’est-à-dire de moins de 13 ans).</p>
<p>Il s’agit d’une paraphilie (qu’on appelait avant une « perversion sexuelle ») qui est définie comme un intérêt sexuel « atypique » ou « déviant » (désirs, fantasmes récurrents, extrêmes ou non conformes à la société), spécifique et constant (durée d’au moins six mois), nécessaire à l’excitation et la satisfaction sexuelles de la personne pédophile.</p>
<p>On parlera de <a href="https://www.theravive.com/therapedia/pedophilic-disorder-dsm--5-302.2-(f65.4)">trouble pédophilique</a> lorsque la personne est passé à l’acte ou que la paraphilie provoque une altération importante de plusieurs domaines de sa vie (familial, scolaire ou professionnel, social), avec une détresse (souffrance, désarroi) ou qu’elle présente un risque de nuire à autrui.</p>
<p>La pédophilie concerne des auteurs de violences sexuelles adultes (sujets de plus de 16 ans et d’au moins 5 ans de plus que la victime), mais l’intérêt sexuel déviant (paraphilie) existe souvent depuis l’adolescence (notion de « déviance sexuelle »). Sa prévalence est <a href="https://doi.org/10.1037/11639-000">estimée à 3 à 5 %</a>.</p>
<p>Elle concerne presque exclusivement des hommes (plus de 95 %), dont l’activité peut être exclusive (10 %) ou compatible avec une activité sexuelle dite conventionnelle. La pédophilie ne s’accompagne pas nécessairement de passages à l’acte sexuel. Elle peut se limiter par exemple à des visionnages d’images pédopornographiques (les liens entre <a href="https://doi.org/10.7202/013128ar">pornographie juvénile et pédophilie</a> restent complexes).</p>
<p>La pédophilie rend compte d’une hétérogénéité clinique importante, notamment en fonction de l’âge des victimes ou de leur sexe. <a href="https://nyaspubs.onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/j.1749-6632.2003.tb07303.x">Le risque de récidive sexuelle</a> pour l’ensemble des auteurs d’infraction à caractère sexuel est de 14 % sur 5 ans, 20 % sur 10 ans, 24 % sur 15 ans et 27 % sur 20 ans.</p>
<p>En cas de pédophilie, le risque de récidive augmente, particulièrement pour la pédophilie dite homosexuelle (c’est-à-dire avec une victime du même sexe que l’auteur) : de l’ordre de 35 % sur 5 ans.</p>
<h2>Inceste et pédophilie ?</h2>
<p>L’<a href="https://theconversation.com/ces-climats-familiaux-qui-favorisent-linceste-153954">inceste</a> se définit par des relations sexuelles au sein de la famille (entre parents très proches, c’est-à-dire des personnes d’une même famille dont le degré de parenté ou d’alliance ne permet pas le mariage). Si on distingue habituellement les agresseurs d’enfants intrafamiliaux (qualifiés d’agresseurs incestueux) des agresseurs d’enfants extrafamiliaux (pédophiles), il serait préférable de parler plutôt de <a href="https://doi.org/10.1002/car.649">pédophilie intra ou extrafamiliale</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/XVnxwGtmqso?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Podcast d’Arte radio sur l’inceste et la pédocriminalité.</span></figcaption>
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<p><a href="https://doi.org/10.1097/00131746-200209000-00004">Les agresseurs d’enfants intrafamiliaux (incestueux)</a> qui représentent 20 % des pédophiles ont plus d’antécédents de difficulté dans l’enfance (carences affectives précoces, maltraitance, perturbations familiales avec séparations, survenue d’évènements traumatiques, faible attachement aux figures parentales, etc.). Leurs passages à l’acte pourraient être favorisés par des situations de pertes affectives ou de situations aversives (deuil des parents, décès d’un enfant, « crise » conjugale, rupture, chômage ou accident grave). Les deux tiers de ces agresseurs incestueux ont aussi pu agresser un enfant en dehors du cadre familial.</p>
<p>Les <a href="https://doi.org/10.1016/j.cpr.2015.04.001">agresseurs d’enfants extrafamiliaux</a> (pédophiles) présentent généralement un niveau plus élevé de paraphilie pédophillique, une plus grande difficulté de régulation sexuelle, plus de déni et de distorsions cognitives (croyances erronées relatives à la sexualité des enfants).</p>
<p>Ils présentent également plus de traits antisociaux et ils ont plus souvent affaire à la Justice. Près d’un quart d’entre eux a aussi agressé une victime au sein de leur famille.</p>
<h2>Facteurs déterminants ?</h2>
<p>Les déterminants sont probablement multiples : biologiques, expérientiels (antécédents), d’ordre psycho-environnemental, etc. Le trouble paraphilique (pédophilique) tel que défini au début, autrement dit la « maladie » (équivalence du terme anglais « disorder ») qui implique généralement une souffrance ou détresse psychologique ou des dysfonctions majeures de la vie quotidienne reste sans doute rare, à l’inverse de la paraphilie (attrait sexuel à l’égard des enfants) qui pourrait être plus fréquente. Les causes de la pédophilie sont encore mal connues.</p>
<p>Le risque de passage à l’acte sexuel contre les enfants est lié de manière générale à l’attrait sexuel envers les enfants. La genèse de cette paraphilie (« déviance sexuelle ») est difficile à expliquer. Elle peut être en lien avec des violences sexuelles subies (environ 1/3 des cas chez tous les auteurs de violences sexuelles, mais jusqu’à 42 % en cas de pédophilie).</p>
<p>Un <a href="https://doi.org/10.1375/pplt.14.2.251">homme sur deux ayant subi des violences sexuelles</a> dans l’enfance agressera à son tour des victimes des deux sexes et parfois de plusieurs groupes d’âges différents. Elle peut aussi résulter d’autre types de rencontres précoces et inappropriées avec la sexualité et être plus largement favorisée par des carences, des maltraitances physique et psychologiques.</p>
<p>Le rôle des <a href="https://doi.org/10.1080/10683160601060564">distorsions cognitives</a> est majeur. Elles vont à la fois (i) justifier la paraphilie (« les enfants ont aussi le droit à une sexualité »), (ii) voire le passage à l’acte pédophile en mettant en avant que c’est l’enfant ou le préadolescent qui était demandeur d’une relation sexuelle (« il/elle m’a séduit » ; « il/elle m’a sollicité » ; « il/elle semblait curieux(se) »), mais aussi (iii) contribuer à minorer la responsabilité de l’auteur une fois l’infraction réalisé (« je ne lui ai pas fait mal » ; « il ne s’agissait que de caresses », etc.).</p>
<h2>Des troubles d’ordre neuropsychologique</h2>
<p>Il a été mis en évidence des <a href="https://doi.org/10.1177/1079063213482842">troubles d’ordre neuropsychologique</a>, en particulier un dysfonctionnement exécutif (impulsivité comportementale, difficulté d’inhibition). Des régions cérébrales pourraient être impliquées (cortex frontal et certaines régions sous-corticales temporales, notamment le complexe amygdalien) dans l’absence d’inhibition des comportements pédophiles. Un <a href="https://doi.org/10.1177/107906320101300205">déficit d’empathie</a> a également été mis en évidence chez les agresseurs d’enfants.</p>
<p>Il faut distinguer le niveau d’<a href="https://doi.org/10.1016/j.lpm.2016.09.004">empathie cognitive</a> (qui réfère à la capacité de se mettre à la place d’une autre personne) qui serait normal, voire élevé et qui pourrait servir une capacité d’identification aux enfants, de compréhension et d’anticipation de leurs besoins (dans le but d’établir avec eux des relations de séduction et d’emprise) du niveau d’empathie affective (qui réfère à la capacité de ressentir les mêmes émotions qu’une autre personne, de souffrir avec elle par exemple) qui serait abaissé.</p>
<p>On doit questionner plus largement la difficulté des sujets présentant une paraphilie (pédophillique) à établir des relations « sécurisées » avec les autres adultes (qui sont perçus comme hostiles) et le fait qu’ils <a href="https://doi.org/10.1177/107906320501700406">préféreraient porter leur attention sur des enfants</a> (ressentis comme moins menaçants, plus manipulables).</p>
<p>Cela pourrait être en lien avec des difficultés des habiletés sociales, une moins bonne image de soi (dévalorisation, sentiment de ne pas mériter l’amour d’autrui), des troubles anxio-dépressifs et pose plus largement la question des difficultés de construction de soi et une auto-centration sur ses besoins affectifs et sexuels.</p>
<h2>Prise en charge de la pédophilie</h2>
<p>La paraphilie pédophilique (attrait sexuel à l’égard des enfants, préférence sexuelle) va demeurer présente toute la vie du sujet, mais on peut l’aider à réduire son intensité et ses conséquences et tenter d’éviter les passages à l’acte ou leur récidive.</p>
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<figcaption><span class="caption">Témoignages de pédophiles recueillis par l’AFP dans le cadre d’un reportage.</span></figcaption>
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<p>Les traitements des troubles paraphiliques pédophiliques associent habituellement des prises en charge d’ordre psychothérapeutique (indiquée dans tous les cas) et médicale. Une prise en charge pharmacologique peut être recommandée, notamment pour réduire les fantasmes sexuels déviants et/ou l’activité sexuelle.</p>
<p>Ces <a href="https://doi.org/10.3109/15622971003671628">traitements sont codifiés</a>. Il peut s’agir d’antidépresseurs pour leurs effets secondaires de réduction de la libido ou des <a href="https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01766814/document">traitements dits anti-hormonaux</a> (anti-androgènes ou agonistes de la GnRH) pour les cas les plus sévères (niveau de risque élevé de récidive). Ces traitements requièrent l’accord du sujet et ils ont des effets secondaires importants.</p>
<p>La prise en charge des personnes présentant un trouble paraphilique (pédophilique) se fait le plus souvent dans un cadre de soins pénalement ordonnés, c’est-à-dire après une condamnation à une injonction de soins, avec suivi socio-judiciaire assuré par un conseiller du Service pénitentiaire d’Insertion et de Probation (SPIP).</p>
<p>Il est aussi important d’aider les personnes ayant une paraphilie (attrait sexuel) n’étant jamais passé à l’acte. C’est dans ce cadre qu’en France, la <a href="https://www.ffcriavs.org/accueil/">Fédération des CRIAVS</a> (Centres Ressources pour les Intervenants auprès des Auteurs de Violences Sexuelles) a mis en place un dispositif de prévention sous la forme d’un numéro de téléphone unique pour les personnes attirées sexuellement par les enfants : 0806 23 10 63.</p>
<hr>
<p><em>Pour les enfants victimes de violences ou d’abus, appelez le 119</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/156918/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian Joyal a reçu des financements de l'Office des Personnes Handicapées du Québec (OPHQ) et du Conseil de Recherches en Sciences Humaines (CRSH) du Canada. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Robert Courtois ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Inceste, pédophilie, pédocriminalité : des termes recouvrant des réalités diverses, nécessitant d'être mieux compris pour la prévention mais aussi prise en charge des victimes comme des auteurs.Robert Courtois, Psychiatre à temps partiel au CHU de Tours, Maître de conférences - HDR en psychologie, Université de ToursChristian C. Joyal, Professeur, Département de Psychologie, Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1573502021-03-25T21:08:42Z2021-03-25T21:08:42ZLes maladies chroniques, témoignages des souffrances de l’enfance ?<p>Et si les <a href="https://videos.univ-lorraine.fr/index.php?act=view&id=9227&fbclid=IwAR1CqZBo6upPrQsPxqY4MrKK3ssmI8x8SLfsxT86bhTBJk32OcE1XlgEYlE">souffrances de l’enfance</a> expliquaient les maladies chroniques de l’adulte ? </p>
<p>C’est l’hypothèse avancée au début des années 1990 par Vincent Felitti, responsable du département de médecine préventive au sein de la clinique Kaiser Permanente à San Diego, en Californie. </p>
<p>Depuis lors, bon nombre d’études tendent à le confirmer…</p>
<h2>Une étude tremplin</h2>
<p>Préoccupé par le constat récurrent d’abandon des participants à un programme de lutte contre l’obésité, Vincent Felitti cherchait à comprendre pourquoi. En 1993, il décide donc de lancer une <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/8322078/">étude par le biais d’entretiens</a> auprès d’un peu plus de deux cents patients, dont une moitié est en surpoids, et l’autre sert de groupe témoin. L’objectif est alors d’explorer les liens entre d’éventuels événements de vie négatifs durant l’enfance, et la présence de troubles du comportement alimentaire et d’obésité à l’âge adulte. Or que constate-t-il ?</p>
<p>Les violences sexuelles et physiques, l’alcoolisme parental, la perte précoce des parents sont nettement plus fréquents chez les personnes obèses que dans le groupe témoin. De même que la dépression et les problèmes familiaux et de couple dans leur vie d’adulte. Souvent, dans leurs propos, ces patients rapportent que l’obésité constitue pour eux un dispositif de protection contre la sexualité, la nourriture permettant par ailleurs de compenser et de faire face à la détresse émotionnelle.</p>
<p>Ces résultats ont servi de tremplin à une <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/9635069/">étude de plus grande ampleur</a> s’attachant à examiner les conséquences de formes multiples et concomitantes de maltraitances et de négligence pendant l’enfance. Plus précisément, les données de 17 000 personnes nées aux États-Unis entre 1900 et 1978 sont étudiées en détail, pour évaluer l’effet sur le long terme d’ACEs (<em>Adverse Childhood Experiences</em>) : des « événements vécus durant l’enfance, de sévérité variable et souvent chroniques, survenant dans l’environnement familial ou social d’un enfant, <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/jan.12329">qui causent un préjudice ou de la détresse et perturbent ainsi la santé et le développement physique ou psychologique de l’enfant »</a>.</p>
<h2>Des événements très perturbants</h2>
<p>Dans les premières études conduites sur les ACEs, <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/9635069/">sept catégories</a> sont distinguées : les violences physiques, psychologiques, sexuelles, mais aussi des violences envers la mère, ou encore le fait de vivre dans un foyer où des personnes consomment des substances psychoactives, ont des troubles psychiques, ou ont fait de la prison.</p>
<p>Interrogeant des volontaires par questionnaire, les chercheurs en tirent un score de 0 à 7 rendant compte de l’effet cumulatif des ACEs. Ce score est ensuite mis en parallèle avec les données se rapportant à l’évaluation médicale des participants. <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/9635069/">L’étude américaine du Kaiser Permanente de San Diego</a> révèle ainsi que plus une personne subit d’expériences traumatisantes durant l’enfance, plus elle est susceptible de présenter des facteurs de risque, et donc de souffrir à l’âge adulte de problèmes de santé pouvant conduire au décès.</p>
<p>Parmi les facteurs de risque, figurent le tabagisme, l’obésité grave, l’inactivité physique, l’humeur dépressive, les tentatives de suicide, l’alcoolisme, toutes formes de toxicomanie, y compris parentale, mais aussi un nombre élevé de partenaires sexuels au cours de la vie et des antécédents de maladies sexuellement transmissibles. Les causes de décès, elles, incluent la cardiopathie ischémique, les cancers, l’accident vasculaire cérébral, la bronchite chronique ou l’emphysème, le diabète, les hépatites, etc.</p>
<p>Ajoutons qu’<a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/11754674/">au début des années 2000</a>, la liste des expériences négatives de l’enfance s’est élargie pour inclure la négligence émotionnelle, la négligence physique et la séparation ou le divorce des parents. Depuis, les études <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0145213420305500?via%3Dihub">ne cessent de l’étendre</a>, pour suivre au mieux tous les événements traumatisants que peuvent vivre les enfants et les adolescents. En mettant à jour bon nombre de liens avec des maladies chroniques de l’adulte, notamment dans le registre des troubles métaboliques.</p>
<h2>Des risques accrus de troubles métaboliques</h2>
<p>Confirmant les <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/9635069/">premières observations</a> de l’équipe de San Diego (Californie), une étude conduite en Finlande a ainsi montré en 2009 que des enfants ayant dû faire face à l’adversité étaient exposés une fois adultes à un <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/18720095/">risque accru de diabète de type 2 et d’obésité</a>, mais aussi d’hypertension.</p>
<p><a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/24344611/">Une étude canadienne</a> a ensuite mis en évidence l’existence d’un lien entre ACEs et présence à l’adolescence d’un rythme cardiaque, d’un indice de masse corporelle (IMC) et d’un tour de taille significativement plus élevés. Peu après, une étude britannique <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/23689533/">a confirmé le lien</a> avec l’obésité : d’après ses résultats, les personnes confrontées à des ACEs ont 1,36 fois plus de risques de devenir obèses une fois adultes.</p>
<p>À ces données s’ajoutent celles d’une <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/19996051/">étude prospective menée en Nouvelle-Zélande</a>, et pointant l’association entre les expériences traumatisantes de l’enfance et la présence au début de l’âge adulte d’une série de facteurs de risque, notamment sur le plan métabolique (surpoids, hypertension, hypercholestérolémie, etc.).</p>
<p>Notons par ailleurs qu’un lien a été établi entre maltraitance des enfants et présence ultérieure de troubles gastro-intestinaux, qui est à mettre en perspective avec les critères diagnostiques du trauma complexe. Les troubles intestinaux font en effet partie des symptômes qui peuvent (et doivent) alerter le clinicien quant à la présence possible durant l’enfance de violences ou de maltraitance.</p>
<p>Enfin, il a été montré que le nombre d’ACEs augmente à l’âge adulte la probabilité d’<a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/19188532/">hospitalisation pour une maladie auto-immune</a>.</p>
<h2>Des pathologies surreprésentées</h2>
<p>Les liens que nous venons d’évoquer ne sont pas retrouvés dans toutes les études. Mais différentes variables (sexe, fréquence des ACEs, gravité…) pourraient l’expliquer, comme en témoigne une <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/20445210/">étude menée il y a une dizaine d’années auprès d’infirmières américaines</a> : d’après ses résultats, plus les abus physiques ou sexuels dont elles ont été victimes pendant l’enfance ou l’adolescence sont graves (étant entendu que juger de la gravité de certains ACEs est une option discutable), plus elles sont susceptibles de souffrir d’hypertension.</p>
<p>De fait, voilà quatre ans, une <a href="https://www.thelancet.com/pdfs/journals/lanpub/PIIS2468-2667(17)30118-4.pdf">revue systématique des études sur le sujet</a> parue dans le <em>Lancet</em> a mis en lumière la force du lien entre les ACEs et la surreprésentation de certaines pathologies ou comportements chez l’adulte.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/390741/original/file-20210321-23-1yvkbw1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/390741/original/file-20210321-23-1yvkbw1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=280&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/390741/original/file-20210321-23-1yvkbw1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=280&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/390741/original/file-20210321-23-1yvkbw1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=280&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/390741/original/file-20210321-23-1yvkbw1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=352&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/390741/original/file-20210321-23-1yvkbw1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=352&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/390741/original/file-20210321-23-1yvkbw1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=352&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Synthèse des résultats de la méta-analyse de Hughes et coll. 2017.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les résultats de cette méta-analyse nous révèlent que les comportements tabagiques et alcooliques sont fortement liés à la présence d’ACEs. On note, aussi, que les cancers, les maladies cardiovasculaires ou les maladies respiratoires semblent surreprésentés chez les victimes devenues adultes.</p>
<p>Le lien est encore plus net s’agissant des comportements sexuels à risque ou de la probabilité de développer une pathologie mentale – avec un effet cumulatif : avec quatre ACEs et plus, le risque de souffrir d’infections sexuellement transmissibles (IST), de cancers, de maladies du foie ou de l’appareil digestif est plus élevé. Enfin, le lien avec les ACEs est également avéré pour les addictions aux drogues, mais aussi les violences intrafamiliales et psychosociales.</p>
<p>Pour conclure, ces données témoignent de l’importance du dépistage d’un vécu d’adversité durant l’enfance. Une maladie chronique n’est pas le simple fait du hasard. Et parmi ses nombreux facteurs de risque, on doit y associer les expériences négatives de l’enfance. Si en psychologie les ACEs constituent depuis longtemps un champ de recherches, il y aurait tout intérêt pour la médecine à s’en saisir : il y a urgence à mieux comprendre en quoi les maladies chroniques peuvent en partie constituer l’expression « incarnée » de la souffrance de l’enfant et de l’adolescent que nous avons tous été.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/157350/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Au-delà des effets sur le développement psychique, les souffrances de l’enfance semblent associées à bon nombre de troubles métaboliques et de maladies chroniques de l’adulte.Cyril Tarquinio, Professeur de psychologie clinique, Université de LorraineCamille Louise Tarquinio, Doctorante en Psychologie, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1539542021-02-10T20:47:39Z2021-02-10T20:47:39ZCes climats familiaux qui favorisent l’inceste<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/383076/original/file-20210208-19-1s10imj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C2%2C1911%2C1195&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Il y aurait 1 à 2 millions de victimes en France et tous les milieux socioculturels sont concernés.</span> <span class="attribution"><span class="source">Enrique Meseguer /Pixabay</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>L’inceste peut se définir comme des relations sexuelles entre parents très proches (personnes d’une même famille dont le degré de parenté ou d’alliance ne permet pas le mariage, civil ou religieux). </p>
<p>Il est aujourd’hui interdit dans toutes les sociétés dont il représente un des fondements majeurs (voir notamment le principe de l’<a href="https://journals.openedition.org/socio-logos/2312">exogamie</a>).</p>
<p>La notion d’<a href="https://www.cairn.info/revue-empan-2006-2-page-39.htm">incestuel</a> définie par <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Paul-Claude_Racamier">Paul-Claude Racamier</a> désigne un climat psychique et de relations interpersonnelles intrafamiliales proches de l’inceste (mais a priori sans relation sexuelle véritable).</p>
<p>Il s’agit plutôt de relation de dépendance érotisée entre un parent souvent omniprésent et son enfant, qui s’accompagne d’une confusion des places et peut aboutir à un déni d’altérité pour l’enfant (un <a href="https://search.proquest.com/openview/a1029160225f14337e96a39411131655/1?pq-origsite=gscholar&cbl=1817462">« meurtre d’identité »</a>, c’est-à-dire des difficultés dans son individuation).</p>
<h2>Dynamiques familiales</h2>
<p>Par le climat incestuel qu’il établit, le parent incestuel tente de lutter contre la difficulté à faire face à des angoisses de perte. Au sein d’une dynamique familiale en huis clos, il peut contribuer à éviter la séparation des sujets (parents-enfants), des générations, à entretenir pour le parent un fantasme de prolongement de soi (forme d’auto-engendrement) en mettant le psychisme et le corps de l’enfant à son service.</p>
<p>Le complexe d’œdipe qui traite de l’amour d’un enfant pour son parent de sexe opposé ne peut être résolu que si le parent aide son enfant dans son développement sans le « séduire » et sans l’« agresser » (sans relation incestueuse). L’incestuel constitue une figure d’antiœdipe car la séduction sexuelle par le parent est mise au service d’une séduction narcissique qui vise à empêcher l’autonomisation psychique de l’enfant et à attendre de lui qu’il réponde à ses seuls manques. </p>
<p>Par sa dynamique, le climat incestuel pourrait favoriser l’inceste. Des auteurs ont tenté d’opérationnaliser ce concept par la création d’un <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0222961718301685">outil</a> d’évaluation du climat incestuel.</p>
<h2>Carences affectives précoces</h2>
<p>Le fonctionnement des familles incestuelles ou incestueuses peut être favorisé par l’existence de carences affectives précoces chez l’un des parents ou les deux, d’antécédents d’abus sexuels dans l’enfance (un tiers des cas), par la survenue d’évènement traumatique, de séparation affective, etc.</p>
<p>On retrouvera souvent des perturbations familiales où la différence des générations est abolie au niveau affectif et sexuel, où il peut exister une forme de porosité, de confusion entre ce qui est possible ou non entre adultes et enfants.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1356884274612473856"}"></div></p>
<p>Il existe probablement une grande hétérogénéité de profils des parents incestueux. On décrit des parents qui souvent n’ont pas réussi à se « structurer » suffisamment (parents « immatures »), qui peuvent demeurer passifs, soumis, dépendants, inhibés dans leur vie relationnelle, ayant eu du mal à trouver un·e partenaire à qui ils restent très attachés.</p>
<p>On peut rapprocher ces profils des actes incestueux commis sur les enfants après des périodes de tensions conjugales ou de séparations (par exemple un père qui « substituerait » sa fille à sa femme dans une demande à la fois affective et sexuelle).</p>
<p>On décrit aussi des parents incestueux despotiques (parfois uniquement en situation intrafamiliale) qui vont user de manipulations, de menaces ou avoir recours à la violence pour imposer des actes incestueux (par exemple un père qui considérerait qu’il a des droits sur sa fille dont il pourrait profiter comme il l’entend). Ces formes d’autoritarisme peuvent être compatibles avec des manques (l’« impuissance » du sujet étant retournée en toute-puissance à l’égard de la victime).</p>
<p>Si les pertes et les situations aversives (deuil des parents, décès d’un enfant, « crise » conjugale, rupture, chômage ou accident grave) peuvent favoriser la survenue ou le maintien et la réitération de passages à l’acte incestueux, ils n’en sont pas la cause. L’alcool peut aussi favoriser des actes par la désinhibition qu’il permet, mais aussi le fait d’aider à supporter la culpabilité ou les remords du parent incestueux.</p>
<h2>Inceste et pédophilie</h2>
<p>L’intérêt pour le corps de l’enfant peut se manifester à travers des jeux ambigus, des attouchements lors de la toilette ou des bains, de l’habillage pouvant évoluer vers des <a href="https://violences-sexuelles.info/definition-legale-du-viol/?gclid=EAIaIQobChMIkPDy3NbF7gIVD9PtCh0UbAU6EAAYASAAEgLU2PD_BwE">agressions sexuelles ou des viols</a> (par fellation, pénétration digitale ou par un objet, sodomie et coït).</p>
<p>Le fait d’opposer des violences sexuelles sur des victimes mineures en situation intrafamiliale (en parlant d’inceste) et extrafamiliale (en parlant de pédophilie) est schématique et sans doute erroné. Certains actes incestueux peuvent relever d’intérêts pédophiliques (<a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/paraphilies-et-troubles-paraphiliques/2-definition-de-la-paraphilie-et-du-trouble-paraphilique/">paraphilie ou trouble paraphilique</a>). Il peut s’agir d’une « découverte » de ces intérêts au cours des actes incestueux ou de stratégies d’instauration de relations incestueuses (notamment avec des enfants d’un conjoint en cas de couple recomposé) pour répondre aux intérêts paraphiliques.</p>
<p>Les <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0272735815000562">agresseurs intrafamiliaux</a> (incestueux) présentent plus d’antécédents de difficulté dans l’enfance (carence, abus) avec un faible attachement aux figures parentales.</p>
<p>Les agresseurs extrafamiliaux présentent plus d’excitation face aux enfants (du fait d’intérêts sexuels déviants plus importants), une plus grande difficulté de régulation sexuelle, plus de déni et de distorsions cognitives. Ils agressent plus souvent des mineurs garçons ou des deux sexes. Ils ont plus de traits antisociaux (même s’ils sont capables de forme d’empathie à l’égard des enfants qui leur permet de pouvoir les « séduire ») et ils ont plus souvent affaire à la Justice.</p>
<p>Les <a href="https://journals.lww.com/practicalpsychiatry/Fulltext/2002/09000/Clinical_Features_of_Pedophilia_and_Implications.4.aspx">pédophiles incestueux</a> (intrafamiliaux) représenteraient 20 % des pédophiles en sachant que deux tiers d’entre eux a aussi pu agresser un enfant en dehors du cadre familial. Aux classifications distinguant les catégories intra ou extrafamiliales d’agresseurs, il serait sans doute préférable de substituer une <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/car.649">catégorie unique</a> de pédophilie générale incluant l’inceste.</p>
<h2>Conséquences de l’inceste</h2>
<p>L’inceste est un sujet tabou. Il y aurait <a href="https://www.europe1.fr/societe/un-francais-sur-dix-a-deja-ete-victime-dinceste-une-difficile-liberation-de-la-parole-4006598">1 à 2 millions de victimes</a> en France et tous les milieux socioculturels sont concernés. Les victimes sont le plus souvent des filles et les auteurs des hommes, mais les femmes peuvent être concernées, comme complices et <a href="https://www.cairn.info/revue-l-information-psychiatrique-2013-9-page-723.htm">comme auteures</a> (cela reste rare).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1358136967431618565"}"></div></p>
<p>La question de la complicité des actes par la figure maternelle est un sujet complexe (entre connaissance partielle des faits, déni, participation à la dynamique familiale pathologique, etc.). Les victimes peuvent subir des relations sexuelles incestueuses toute leur enfance et adolescence (plus particulièrement vers l’âge de 4 à 9 ans et 12 à 15). Les victimes porteuses d’un handicap sont souvent plus exposées.</p>
<p>La <a href="https://france-victimes.fr/index.php/accueil/espace-aide-aux-victimes-2">révélation</a> des actes incestueux est encore rare (10 % uniquement) et très tardive. Plusieurs facteurs peuvent contribuer à cela : le sentiment de culpabilité et de honte des victimes, la peur de ne pas être cru(es), le fait que la relation incestueuse a pu évoluer pendant plusieurs mois ou plusieurs années, le silence des autres membres de la famille et la dynamique familiale (climat incestuel, famille en huis clos, banalisation des actes, les promesses de silence exigées par l’agresseur, la peur des représailles, d’être rejetée, etc.).</p>
<p>Les victimes d’inceste présentent des répercussions psychologiques, physiques et sexuelles d’autant plus graves qu’elles sont exposées à de multiples infractions et à des agressions plus graves au fil du temps.</p>
<p>Ces conséquences sont multiples : vécu de souffrance avec troubles dépressifs, risques élevés de tentatives de suicide, manifestations d’anxiété (troubles anxieux incluant des <a href="http://cn2r.fr/obtenir-de-laide-pour-soi-ou-pour-un-proche/">états de stress post-traumatique</a>), addictions, troubles des conduites alimentaires, perturbation de la sexualité (y compris des conduites sexuelles à risque et d’entrée dans la prostitution), perte d’estime de soi, etc.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/153954/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Robert Courtois ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le climat incestuel recouvre une relation de dépendance érotisée entre un parent et son enfant, qui s’accompagne d’une confusion des places et peut aboutir à un déni d’altérité pour l’enfant.Robert Courtois, Psychiatre à temps partiel au CHU de Tours, Maître de conférences - HDR en psychologie, Université de ToursLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1539872021-01-27T18:36:49Z2021-01-27T18:36:49ZViolences sexuelles sur mineurs : pourquoi la question d’un âge légal de consentement fait débat ?<p>Le Sénat vient d’adopter à l’unanimité en première lecture une proposition de loi fixant un âge de non-consentement du <a href="https://www.publicsenat.fr/article/parlementaire/crimes-sexuels-l-age-de-consentement-en-debat-au-senat-187116">mineur à 13 ans</a> pour les infractions sexuelles les plus graves (viol, agression sexuelle).</p>
<p>Cette volonté de poser un interdit sociétal clair est une réponse au <a href="https://www.nouvelobs.com/societe/20180802.OBS0472/violences-sexuelles-la-loi-n-a-pas-su-fixer-d-interdit-clair-pour-proteger-les-mineurs.html">« rendez-vous manqué »</a> de la loi du 3 août 2018, dite loi Schiappa, qui ne posait pas clairement la question.</p>
<p>Elle revient en force, relancée par l’affaire Duhamel et le mouvement <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/pas-son-genre/pas-son-genre-22-janvier-2021">#MeetooInceste</a> sur les réseaux sociaux.</p>
<p>Néanmoins cette proposition de loi sur le consentement continue de susciter le débat comme l’illustre la campagne #Avant15anscestnon.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1352937498352246784"}"></div></p>
<p>Aujourd’hui en France, un rapport sexuel avec un mineur ne constitue pas <em>de facto</em> un viol (ou une agression sexuelle s’il n’y a pas pénétration), à la <a href="https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/054000481.pdf">différence</a> d’autres législations européennes (la présomption de non-consentement existe au Royaume-Uni pour les mineurs de 13 ans, et de 14 ans en Belgique).</p>
<h2>En France, l’âge ne suffit pas à caractériser le viol</h2>
<p>La majorité sexuelle de 15 ans ne détermine pas un âge légal de non-consentement, mais un âge en dessous duquel tout acte sexuel d’un majeur sur un mineur de moins 15 ans (ou plus de 15 ans si par ascendant ou personne ayant autorité) est illicite.</p>
<p>Un tel acte constitue en droit une atteinte sexuelle qui ne nécessite pas de prouver une situation de « violence, contrainte, menace, surprise ».</p>
<p>La question du consentement ne se pose pas. Or, il s’agit d’un délit, et non d’un crime, faisant encourir des peines d’emprisonnement moins sévères (passibles de 7 ans).</p>
<p>Pour qu’une relation sexuelle avec un mineur soit caractérisée de viol ou d’agression, la preuve doit être apportée qu’il a été commis par « violence, contrainte, menace ou surprise ». Autrement dit l’âge (moins de 15 ans) est une circonstance aggravante, mais ne suffit pas à caractériser les infractions les plus graves.</p>
<p>La Cour de cassation casse régulièrement des arrêts où il n’a pas été prouvé en quoi les actes ont été commis sur le mineur par violence, contrainte, menace ou surprise.</p>
<p>Des décisions d’acquittement ou de relaxe peuvent être prononcées faute de preuve du non-consentement du mineur (affaires de Melun et Pontoise médiatisées à l’automne 2017 <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/250917/relation-sexuelle-11-ans-le-parquet-de-pontoise-ne-poursuit-pas-pour-viol">par Médiapart</a>) où l’on pensait que l’âge pouvait suffire à constituer la <a href="http://www.lemonde.fr/police-justice/article/2017/11/11/une-cour-d-assises-acquitte-un-homme-accuse-d-avoir-viole-une-fille-de-11-ans_5213592_1653578.html">contrainte</a>.</p>
<p>Dans la première, un homme de 20 ans accusé de viol sur une fille de 11 ans avait été acquitté par la Cour d’Assises ; dans la seconde, les faits de viol commis par un homme de 28 ans sur une fille de 11 ans avaient été requalifiés en atteinte sexuelle et renvoyés devant le tribunal correctionnel.</p>
<p>Plus récemment, <a href="https://www.dalloz-actualite.fr/flash/agression-sexuelle-imposee-sur-mineure-de-15-ans-relaxe-d-un-celebre-trompettiste#.YA6X_U-g_IU">dans une autre affaire</a>, les juges n’ont pas retenu le baiser sur la bouche d’une personne ayant autorité sur son élève de 14 ans, comme agression sexuelle, considérant qu’il n’était pas l’« initiateur » du baiser.</p>
<h2>Le droit pénal protège-t-il suffisamment le consentement du mineur ?</h2>
<p>Au-delà du <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/histoire-du-viol-georges-vigarello/9782020403641">consensus social</a> sur la gravité des actes, de l’intolérance croissante à l’égard des <a href="https://www.fayard.fr/histoire/histoire-de-la-pedophilie-9782213672328">violences sexuelles commises sur les mineurs</a>, la société reste incertaine sur leur qualification juridique.</p>
<p>Ces incertitudes expriment l’écart entre un discours social et politique qui s’attache désormais à dire que le consentement est une évidence et s’affiche clairement (« un enfant ne consent jamais ») et des pratiques judiciaires pour lesquelles ce critère engage des questions de preuves extrêmement complexes puisqu’il n’existe pas actuellement dans la loi en France un âge légal de non-consentement du mineur.</p>
<p>Dans le contexte de libération des mœurs et d’émancipation sexuelle des années 1970, la question du consentement du mineur avait été amenée par les défenseurs de la liberté sexuelle (comme certains homosexuels pour l’abrogation du délit d’homosexualité) et d’autres encore pour des raisons différentes, les défenseurs de pratiques pédophiles <a href="https://journals.openedition.org/clio/12778">(dépénalisation de la sexualité entre adultes et mineurs)</a>.</p>
<p>Ces arguments ne seraient pas audibles aujourd’hui. Ce qui est interdit moralement et juridiquement c’est la relation sexuelle entre un majeur et un mineur, considéré comme une <a href="https://www.armand-colin.com/lenfant-interdit-comment-la-pedophilie-est-devenue-scandaleuse-9782200286439">personne vulnérable, en devenir, sacralisée</a>.</p>
<h2>De profonds changements à l’œuvre</h2>
<p>Cette évolution de société soucieuse de protéger davantage le mineur explique le retentissement des livres de Camille Kouchner et Vanessa Springora.</p>
<p>De profonds changements sont à l’œuvre en matière de permis et d’interdits sexuels (voir la conférence d’Irène Théry, « Les trois révolutions du consentement, pour une approche socio-anthropologique de la sexualité » Dalloz, 2002), liés au contexte des inégalités de genre, de lutte contre les violences domestiques, de critique du modèle patriarcal et de domination masculine.</p>
<p>Ces métamorphoses en cours, encore inachevées, et peu comprises, génèrent tensions et incertitudes, et posent des questions inédites en droit sur la frontière des âges : peut-on invoquer le consentement d’un mineur ? Est-ce que « céder » c’est consentir ? Comment décrypter la relation d’emprise ?</p>
<p>Les problèmes de preuve occupent une place centrale dans le débat judiciaire. Non seulement sur la matérialité des faits (absence de trace, de témoin, révélations tardives) mais aussi, et principalement, sur la partie la plus difficile à appréhender ces affaires : le non-consentement du mineur.</p>
<h2>Caractériser l’infraction</h2>
<p>Tout l’enjeu est de caractériser l’infraction, dans des affaires où la violence est peu commune, souvent imperceptible, discrète, et empêche l’enfant de résister ou de s’opposer à son agresseur.</p>
<p>La surprise est rarement adaptée pour des faits qui se répètent et ne sont pas isolés. La menace est souvent postérieure aux faits pour garder le secret. Enfin la contrainte est massivement contestée par les auteurs. Certains d’entre eux invoquent même un consentement de l’enfant, une séduction de sa part. Comment dès lors prouver l’absence de consentement en situation de violences sexuelles, lorsque la victime mineure n’a pas été frappée, menacée, et a fini par céder face à la situation d’abus ?</p>
<p>La jurisprudence retient l’âge de 6 ans, comme <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/01/15/violences-sexuelles-la-presomption-de-non-consentement-des-mineures-revient-dans-une-proposition-de-loi_6026003_3224.html">seuil irréfragable de non-consentement dans l’agression sexuelle</a> (et viol si pénétration).</p>
<p>Le législateur a étendu la notion de « contrainte morale » aux asymétries d’âge et à la relation d’autorité entre auteur et victime, et vulnérabilité de cette dernière (en 2010 et 2018).</p>
<p>Le Conseil constitutionnel a rappelé dans une décision de février 2015 qu’« il appartient aux juridictions d’apprécier si le mineur était en état de consentir à la relation sexuelle en cause ». Les juges sont donc tenus d’apprécier <em>in concreto</em>, et rechercher au cas par cas, selon les situations, les circonstances, les personnalités des personnes impliquées, en quoi il y a eu atteinte au consentement du mineur.</p>
<h2>La pratique des juges</h2>
<p>La pratique judiciaire dans certains <a href="https://journals.openedition.org/glad/1230">tribunaux correctionnels</a> tend à montrer que les juges sont davantage enclins à considérer un abus sexuel d’un adulte sur mineur comme étant nécessairement une agression (au sens juridique), sans mentionner la « contrainte morale », ni préciser dans les comptes-rendus de jugement en quoi il y a eu « violence, contrainte, menace ou surprise ».</p>
<p>Étonnement, ils ont peu recours à la qualification d’atteinte sexuelle alors qu’elle est plus facile à caractériser puisque celle-ci n’implique pas la preuve du non-consentement. La distinction entre la qualification d’atteinte et d’agression semble de moins en moins acceptée dans les juridictions.</p>
<p>La présomption apparaît beaucoup plus forte dans les violences sexuelles intrafamiliales, lorsque l’auteur est un ascendant. Face à l’horreur de l’inceste intergénérationnel, les juges ont la certitude d’une contrainte. Il n’y a pas de débat sur le non-consentement du mineur. Ni sur la qualification d’agression.</p>
<p>Dans les tribunaux pour enfants, où sont jugés les délits sexuels commis par des mineurs, les juges sont confrontés à <a href="https://journals.openedition.org/sejed/9473">d’autres dilemmes</a>.</p>
<p>À savoir comment distinguer ce qui relève d’un abus caractérisé, d’un simple jeu, ou d’une initiation sexuelle entre mineurs de mêmes âges ?</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/380855/original/file-20210127-13-1di67fl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/380855/original/file-20210127-13-1di67fl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/380855/original/file-20210127-13-1di67fl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/380855/original/file-20210127-13-1di67fl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/380855/original/file-20210127-13-1di67fl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/380855/original/file-20210127-13-1di67fl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/380855/original/file-20210127-13-1di67fl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Dans la pratique, les juges sont souvent confrontés à la question de la zone « grise » du consentement qui empêche de savoir s’il y a abus ou non dans une relation.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/fr-fr/photo/jambes-etre-assis-sans-visage-photo-4858862/">Cottonbro/Pexels</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’écart d’âge important (plus de 5 ans) apparaît alors déterminant, comme c’est le cas dans d’autres législations. Au Canada, la législation tient compte des écarts d’âge : 5 ans ou 2 ans selon les âges des mineurs.</p>
<p>Entre des adolescents de faibles écarts d’âge (moins de 2 ans), proches de la majorité sexuelle, on entre dans une <a href="https://journals.openedition.org/revdh/1696">« zone grise »</a> du consentement (situations floues, tendancieuses).</p>
<h2>Du crime au délit : une hiérarchie des viols</h2>
<p>Dans les faits, les juges sont souvent confrontés à cette zone grise. Elle apparaît quand l’absence de consentement est plus difficile à établir et peut conduire à la correctionnalisation de certains viols.</p>
<p>Cette pratique se traduit en droit lorsqu’un même fait qualifié au départ de viol et donc de crime, devient un délit et est jugé, non pas en cours d’assises, mais en tribunal correctionnel (passible de 10 ans d’emprisonnement et non plus de 20 ans de réclusion criminelle).</p>
<p>Très critiquée par les associations de victimes car elle laisse un sentiment d’injustice, elle représente une <a href="http://www.justice.gouv.fr/art_pix/stat_infostat_160.pdf">part non négligeable des affaires</a>. Ainsi, dans 30 % des cas, la qualification de viol à l’arrivée au parquet est modifiée au cours de l’instruction au profit de l’agression sexuelle ou de l’atteinte sexuelle.</p>
<p>En effet, dans les dossiers « fragiles » les juges cherchent à éviter le risque d’un acquittement par un jury populaire faute de pouvoir caractériser le non-consentement et préfèrent renvoyer l’affaire devant des magistrats professionnels en tribunal correctionnel afin qu’il y ait plus de garanties que la victime obtienne gain de cause.</p>
<p>Les récents travaux de sociologie de <a href="http://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?GCOI=27246100513860">Véronique Le Goaziou</a> ou de <a href="https://www.cairn.info/revue-deliberee-2018-2-page-32.htm">Sylvie Cromer</a> confirment l’existence d’une « hiérarchie des viols » en lien avec le délicat problème de preuve de non-consentement.</p>
<p>Ainsi, les juges, et derrière eux la société entière, affirment aujourd’hui la certitude d’une contrainte inhérente à tout abus sexuel commis par un adulte sur un mineur.</p>
<p>C’est un indicateur majeur de l’évolution d’une société : celui de l’interdit des âges. Comment le législateur tiendra-t-il compte des spécificités d’âges (13, 15, 18 ans) et des rapports d’âge, entre d’un côté la nécessaire protection du mineur en raison de sa vulnérabilité, et de l’autre, son accompagnement pas-à-pas vers l’autonomie, en référence à la philosophie des droits de l’enfant et de l’ordonnance de 1945 ? Qu’en sera-t-il de l’inceste ? Parviendra-t-il <em>in fine</em> à énoncer avec force un interdit anthropologique devenu de plus en plus flou dans la loi ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/153987/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie Romero est membre du comité scientifique et technique de l'association Docteurs BRU. </span></em></p>Des décisions d’acquittement ou de relaxe peuvent être prononcées faute de preuve du non-consentement du mineur dans des affaires d’atteintes sexuelles : comment l’expliquer ?Marie Romero, Docteure en sociologie (CNE/EHESS), chercheure correspondant Centre Norbert Elias, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1536662021-01-24T17:23:46Z2021-01-24T17:23:46ZInceste : la fin d’un tabou politique ?<p>Pourquoi le livre de Camille Kouchner, dans lequel elle révèle l’inceste commis par son beau-père Olivier Duhamel sur son frère jumeau quand il était adolescent, fait-il ré-émerger la question des abus sexuels sur mineurs sur <a href="https://www.liberation.fr/france/2021/01/20/une-onde-de-choc-qui-agite-le-parlement_1818100">l’agenda public</a> et déclenche-t-il une campagne numérique de grande ampleur, <a href="https://www.franceinter.fr/metooinceste-il-y-aura-un-avant-et-apres">#MeTooInceste</a>, alors que le problème est connu depuis longtemps des autorités et n’est en rien une nouveauté dans notre société ?</p>
<p>Parce qu’il met en exergue un type particulier d’abus sexuels sur mineurs, ceux commis dans le cercle familial, et qu’il décrit avec justesse les mécanismes à l’œuvre empêchant les victimes de parler, faisant de l’inceste un des grands sujets tabous de notre société.</p>
<p>Parce que jusque-là, quand les politiques se sont intéressées à la question des abus sexuels sur mineurs, il n’était pas, ou pas seulement, question de l’inceste ; ce qui a eu des répercussions évidentes sur les politiques publiques adoptées.</p>
<p>Un tournant a-t-il été franchi? Samedi 23 janvier, le chef de l'Etat se fendait d'un tweet et d'une déclaration d'ampleur annonçant «son intention d’adapter la législation française pour mieux protéger les victimes d’inceste et de violences sexuelles» rapporte <em>Le Monde</em>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1353017208209866754"}"></div></p>
<p>La règle vaut pour tout problème public : la façon dont il sera traité variera en fonction de la perception qu’en ont le public et les responsables politiques.</p>
<h2>Les féministes, « faiseuses d’agenda » de l’inceste dans les années 1980</h2>
<p>Si les abus sexuels sur mineurs ont toujours existé, ce n’est que récemment, à la fin du XX<sup>e</sup> siècle, qu’ils ont été conçus comme un <a href="http://oppec.fr/boussaguet-laurie-2008-la-pedophilie-probleme-public-france-belgique-angleterre-dalloz">problème public</a> porteur d’une menace pour la société.</p>
<p>Il a fallu pour cela qu’un certain nombre d’évolutions importantes dans le domaine des valeurs, des normes et des connaissances se produisent sur le long terme : que l’enfant devienne progressivement un <a href="https://www.cairn.info/penser-les-droits-de-l-enfant--9782130503170.htm">sujet de droit</a> et acquière une place importante au sein de la société ; que des textes internationaux structurants sur les droits de l’enfant et sa protection soient adoptés ; et que le regard et les pratiques des professionnels travaillant au contact des enfants victimes comme des délinquants sexuels changent, afin de soigner autant les traumas de la victime que la déviance de l’abuseur.</p>
<p>Il a fallu aussi que des acteurs se mobilisent afin d’attirer l’attention du public et du gouvernement sur le sujet. Et ce sont les militantes féministes, les premières, qui ont joué ce rôle <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2009-2-page-221.htm">dans les années 1980</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/OZHcewux47I?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le Collectif féministe contre le viol a été l’un des premiers collectifs féministes à attirer l’attention du public et du gouvernement sur le sujet.</span></figcaption>
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<p>Luttant en effet contre le viol des femmes et les violences qui leur sont faites, elles obtiennent la création d’un numéro vert gratuit national, « Viols Femmes Informations » en <a href="https://cfcv.asso.fr/les-20-ans-du-cfcv/">1986</a> et découvrent l’ampleur des abus sexuels commis sur les enfants et les adolescents (45 % des victimes de viol qui téléphonent sont en effet des mineures).</p>
<p>Fortes de ces informations chiffrées inédites, elles se tournent vers les autorités politiques afin de solliciter leur aide, et multiplient les actions de sensibilisation (<a href="https://www.brut.media/fr/news/le-premier-temoignage-d-une-victime-d-inceste-a-la-television-francaise-44389e20-aa20-459f-a923-3bb9dd10109f">témoignages dans les médias</a>, publications d’ouvrages, réalisation de documentaires, etc.).</p>
<h2>Un premier relais politique</h2>
<p>Elles trouvent des relais au sein du pouvoir auprès de femmes à des postes gouvernementaux (généralement mineurs et relatifs aux questions sociales), sensibles à leurs discours et requêtes : Yvette Roudy, ministre chargée des droits des femmes en 1986 ; et surtout Hélène Dorlhac, <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1988/07/28/le-secret-d-helene-dorlhac_4085233_1819218.html">secrétaire d’État à la famille</a> à partir de 1988, qui fait adopter les premières mesures concrètes – campagne nationale de sensibilisation, dossier technique sur « Les abus sexuels à l’égard des enfants, comment en parler ? » pour les professionnels ; journée nationale de l’enfance maltraitée et vote de la loi de 1989 sur la protection de l’enfance.</p>
<p>Dans cette première séquence, l’inceste est au centre du débat et semble représenter l’ensemble des violences sexuelles sur mineurs.</p>
<p>Sa dénonciation participe d’un discours féministe plus général sur la critique de la domination masculine et des violences patriarcales, vécues ici au sein de la cellule familiale.</p>
<p>Le traitement politique du problème découle de cette perception particulière. Conjuguée à la découverte du trauma de l’enfant victime, notion méconnue des professionnels et des autorités jusqu’au début des années 80, elle conduit les autorités politiques à repenser la protection de l’enfance dans son ensemble (loi de 1989), afin de mieux pendre en charge les situations de maltraitance infantile, dont les violences sexuelles font partie.</p>
<h2>L’inceste oublié dans les années 1990, au profit de la pédophilie</h2>
<p>Dans la décennie qui suit, les discours évoluent. De grandes affaires de pédophilie éclatent en Europe, à l’image de l’affaire Dutroux en 1996 ; et des <a href="https://www.ecpat.org/">associations</a> se mobilisent pour dénoncer le <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1996/08/28/le-commerce-sexuel-des-enfants-mis-en-accusation-a-stockholm_3724098_1819218.html">tourisme sexuel occidental en Asie</a>.</p>
<p>Les gouvernements nationaux sont sommés de réagir et à la différence de la décennie précédente, ce sont des acteurs gouvernementaux de premier plan (ministre de la Justice en France) qui se saisissent du problème. Toutefois, si les abus sexuels sur mineurs reviennent sur le devant de la scène publique, l’inceste est cette fois-ci plus ou moins occulté.</p>
<p>Durant ces années, de nouveaux acteurs se mobilisent (associations de protection de l’enfance, familles de victimes, professionnels travaillant au contact des délinquants sexuels, médias) et font pression sur les autorités politiques ; ils réclament des lois plus efficaces pour lutter contre la menace pédophile et les risques de récidive des abuseurs.</p>
<p>L’accent est donc mis sur les abus sexuels extrafamiliaux. On se focalise principalement sur la figure du « monstre pédophile », ce que les anglo-saxons appellent le <a href="https://www.researchgate.net/publication/294688615_The_ultimate_neighbour_from_hell_Stranger_danger_and_the_media_framing_paedophilia">« stranger-danger »</a> (la menace étrangère ou inconnue), occultant par-là même la majeure partie des abus sexuels sur mineurs. Il est plus facile de mettre en garde les enfants contre l’inconnu qui offre des bonbons à la sortie de l’école, que le beau-père avec lequel ils vivent ou le grand-père qui les emmène en vacances…</p>
<p>Pourtant, déjà en 1997, plus des deux tiers des violences sexuelles sont perpétrées au sein du cercle familial (il en va ainsi pour <a href="https://www.cairn.info/revue-enfances-et-psy-2002-2-page-38.htm">75 à 80 % des abus sexuels</a> selon le Service national d’accueil téléphonique pour l’enfance maltraitée.)</p>
<p>Le traitement politique du problème est évidemment impacté par cette focale particulière : l’ensemble des <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000556901/2021-01-19/">mesures adoptées</a> en Europe dans cette période ne s’applique que partiellement et <a href="http://www.troubleandstrife.org/articles/issue-33/weasel-words-paedophiles-and-the-cycle-of-abuse/">très imparfaitement</a> au cas des violences incestueuses. On privilégie ainsi le suivi des délinquants sexuels (médical, psychologique, social) pendant leur détention et à leur sortie de prison, le développement de systèmes d’interdictions pour empêcher les délinquants sexuels de se retrouver au contact d’enfants, le registre des délinquants sexuels connus, etc.</p>
<h2>La redécouverte de l’inceste au XXIᵉ siècle ?</h2>
<p>Il n’est donc que peu surprenant que des acteurs se mobilisent à nouveau dans les années 2000, à l’instar de l’association <a href="https://facealinceste.fr/">« Face à l’inceste »</a>, afin d’attirer l’attention du public et des autorités sur un problème connu mais finalement peu ou toujours indirectement traité.</p>
<p>Cependant, le processus est long et souvent chaotique. Certes, des avancées notables ont été obtenues en matière de prescription (10 ans à compter de la majorité depuis 1998, 20 ans depuis 2004 et 30 ans depuis 2018).</p>
<p>Une <a href="https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/054000481.pdf">mission parlementaire</a> a été confiée par Jean‑Pierre Raffarin, alors Premier ministre, au parlementaire Christian Estrosi en 2005.</p>
<p>Enfin, l’inceste a fait « une percée » sur la scène politique comme problème à part entière avec l’adoption de la loi du 8 février 2010, visant à l’inscrire explicitement dans le code pénal, suite à une proposition de loi de la députée (LR ex-UMP) <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/13/propositions/pion1538.asp">Marie-Louise Fort</a>.</p>
<p>Toutefois, cette loi est censurée par le Conseil constitutionnel qui critique <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/sites/default/files/as/root/bank_mm/decisions/2011163qpc/2011163qpc.pdf">l’absence d’une définition claire de la famille</a>. Elle est abrogée en 2011.</p>
<p>Quant à la loi Schiappa de 2018 pour lutter contre les violences sexuelles et sexistes, elle « noie » l’inceste parmi les autres formes de violences sexuelles et <a href="https://www.vie-publique.fr/en-bref/277800-loi-de-2018-contre-les-violences-sexuelles-quel-bilan">reste finalement timide</a> en matière d’information et de prise en charge de ce problème spécifique.</p>
<p>Tout comme l’affaire Dutroux avait ouvert une fenêtre pour la lutte contre la pédophilie dans les années 1990, on peut donc espérer que l’onde de choc provoquée par l’affaire Duhamel sera l’occasion, enfin, dans les années 2020, de parler collectivement, de <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/01/18/la-france-a-un-probleme-avec-l-inceste-avec-metooinceste-des-dizaines-de-milliers-de-tweets-liberent-la-parole_6066605_3224.html">débattre en profondeur</a> (imprescriptibilité, non-consentement, etc.) et de légiférer sur l’inceste. </p>
<p>Après une premier examen d'une <a href="http://www.senat.fr/leg/exposes-des-motifs/ppr18-751-expose.html">proposition de loi</a> par le Sénat visant à faire de l’inceste un crime à part entière ce jeudi 21 janvier, d'autres mesures, notamment à l'école devraient suivre, ouvrant la voie à une évolution du droit relatif aux violences sexuelles, <a href="https://www.france24.com/fr/france/20210123-inceste-la-france-va-renforcer-sa-l%C3%A9gislation-pour-mieux-prot%C3%A9ger-les-victimes-assure-macron">comme l'a annoncé le chef de l'Etat</a> samedi.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/153666/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurie Boussaguet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La façon dont la question de l’inceste sera traitée variera en fonction de la perception qu’en ont le public et les responsables politiques.Laurie Boussaguet, Professeure des Universités en science politique, European University Institute, chercheure associée, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1530302021-01-14T11:44:04Z2021-01-14T11:44:04ZIncestes, viols, abus : pourquoi les organisations se taisent<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/378793/original/file-20210114-15-37mk1c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=11%2C28%2C1905%2C1181&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dans de très nombreux cas d'abus sur les individus, les organisations dans lesquelles ils évoluent gardent le silence.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/photos/silence-calme-la-biblioth%C3%A8que-%C3%A9tude-3810106/">Pixabay/ernie114</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/prohibition-de-l-inceste/">tabou de l’inceste</a> se nourrit de silences. L’ouvrage de Camille Kouchner ne fait pas seulement état d’un constat, un viol sur mineur et en filigrane une relative <a href="https://theconversation.com/inceste-au-dela-du-bruit-mediatique-entendre-la-tragique-banalite-du-phenomene-152841">banalité de l’inceste</a>. Il témoigne aussi d’un système complexe de silences qui entoure très souvent les abus commis par un individu dans son cercle privé. Le professeur Olivier Duhamel, accusé par Camille Kouchner, siégeait dans de <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/01/11/affaire-olivier-duhamel-les-atermoiements-du-directeur-de-sciences-po_6065905_3224.html">nombreuses institutions</a>, dont certains <a href="https://www.rtl.fr/actu/justice-faits-divers/affaire-duhamel-quand-j-ai-su-je-ne-pouvais-pas-me-taire-confie-aurelie-filippetti-7800952080">membres</a>, auraient été au fait des agissements qui lui sont imputés.</p>
<p>Beaucoup, comme dans d’autres affaires de ce type, se sont tus, alors que
ce week-end, les témoignages d'incestes se sont multipliés sur les réseaux sociaux sous le nouveau hashtag #Metooinceste comme une nouvelle libération de la parole. </p>
<p>Comment comprendre les rouages du silence, une fois qu’une situation problématique est connue par plusieurs individus ? </p>
<p>Pourquoi ces derniers se taisent-ils ?</p>
<h2>Un climat de silence</h2>
<p>Dans deux études consacrées au silence organisationnel (SO) publiées en <a href="https://serval.unil.ch/resource/serval:BIB_848DD708B27A.P001/REF">2020</a> et <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-de-psychosociologie-de-gestion-des-comportements-organisationnels-2017-56-page-309.htm">2017</a>, nous avons interrogé la théorie des organisations sur ce qui explique – sans justifier – le silence de ceux, qui, sans être coupables, savent mais se taisent.</p>
<p>En 2000, les chercheuses pionnières <a href="https://journals.aom.org/doi/abs/10.5465/amr.2000.3707697">Elizabeth Morrison et Frances Milliken</a> ont défini ce silence par le fait que</p>
<blockquote>
<p>« la plupart des [personnes] connaissent la vérité sur certaines questions et problèmes au sein de l’organisation mais n’osent pas en parler… »</p>
</blockquote>
<p>Généralement, le silence organisationnel génère un « climat de silence » qui se caractérise par l’idée partagée que s’exprimer sur certains problèmes ne permet pas de changer les choses et qu’en plus, cela peut être dangereux pour la personne qui s’exprime.</p>
<p>Ce silence peut apparaître après qu’une première tentative de parler a eu lieu. La personne dénonciatrice (« délatrice » pour ses contempteurs) a alors été rejetée ou « punie ».</p>
<p>Victime à son tour, quelquefois doublement victime, ayant pu elle-même subir des violences dans sa vie privée ou dans un cadre professionnel, elle est prise dans ce qu’on appelle la <a href="https://core.ac.uk/download/pdf/15496327.pdf">« spirale du silence »</a> : elle se tait.</p>
<p>Ce phénomène est d’autant plus puissant que l’organisation est diverse (taille, structure, nombre de personnes impliquées, etc.) et <a href="https://www.cairn.info/l-organisation-en-reseau-mythes-et-realites--9782130542544.htm">réticulaire</a> (appartenance multiple à d’autres organisations plus ou moins interdépendantes).</p>
<p>Cela amène un bon nombre de membres issus de ce réseau d’organisations à chercher, avant de s’exprimer, l’avis de la majorité, et finalement à se taire à leur tour… Dans un autre domaine, l’<a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2010-3-page-145.htm">imbrication des conseils d’administration</a> en France assure autant ces phénomènes de mécanismes de contrôle officieux que de transferts de ressources souhaitées.</p>
<h2>Trois facteurs clefs</h2>
<p>Dans leur étude théorique confirmée par une <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/j.1540-5915.2009.00255.x">enquête terrain</a>, Morrison et Milliken ont identifié trois facteurs clés à l’origine du silence organisationnel :</p>
<p>La structure organisationnelle et ses procédures : celles-ci sont d’autant plus complexes que ses membres appartiennent nécessairement à de multiples réseaux médiatiques, académiques, politiques, etc.</p>
<p>Les pratiques managériales qui lient entre elles les carrières professionnelles ainsi que la notoriété de ses membres. Ceci est d’autant plus vrai que la réputation de l’organisation est forte et son histoire particulière.</p>
<p>Les différences démographiques, culturelles et générationnelles entre les membres de l’organisation.</p>
<p>D’évidence dissimulateur, ce silence organisationnel demeure difficile à appréhender en raison de la dynamique mouvante des acteurs concernés. Toutefois, certains types de silences organisationnels permettent de nous éclairer.</p>
<h2>Différents types de silences</h2>
<p><strong><em>Le silence docile ou résigné</em></strong></p>
<p>Le silence docile concerne les personnes qui pensent que leur opinion n’est ni valorisée, ni désirée. La soumission et la résignation sont alors les corollaires d’un comportement qui génère une forme de désengagement progressif et inhibe toute volonté de changement dans l’organisation.</p>
<p>La question de l’évolution du rôle de ces personnes qui se taisent docilement à l’annonce d’un problème, a fortiori d’un crime, se pose : soit ils prennent fait et cause pour le dénonciateur qui s’est fait, pour un moment, leur porte-voix et tient un discours de justice ; soit ils se taisent en raison de leur absence totale d’implication, d’un certain fatalisme ou de la crainte de possibles représailles.</p>
<p><strong><em>Le silence craintif</em></strong></p>
<p>Le silence craintif amène justement des personnes à taire ce qu’elles savent, à refréner leur volonté de communiquer des informations, de crainte que leur situation au sein de l’institution en pâtisse : peur d’être mis en minorité et isolé, mais surtout peur d’être sanctionné ou rejeté à leur tour.</p>
<p>La crainte n’exclut pas des dilemmes moraux auxquels font face ces personnes ainsi que ceux qui les entourent et qui ont à se positionner vis-à-vis d’eux. Encore une fois, ce sont les profils et les caractéristiques personnelles qui sont prépondérants. Toutefois, la personne prise dans le SO craintif aura fort à faire si elle veut se débarrasser de sa peur.</p>
<p>D’un côté, il est possible, bien que peu probable, qu’elle dénonce le crime. De l’autre, sa position vis-à-vis de celui ou celle qui le dénonce (le « délateur »), peut être, elle, marquée par l’absence de soutien, voire un début d’opposition compte tenu des menaces qui pourraient peser sur elle-même en retour.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/378594/original/file-20210113-13-1yhuci7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/378594/original/file-20210113-13-1yhuci7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=395&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/378594/original/file-20210113-13-1yhuci7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=395&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/378594/original/file-20210113-13-1yhuci7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=395&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/378594/original/file-20210113-13-1yhuci7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=497&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/378594/original/file-20210113-13-1yhuci7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=497&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/378594/original/file-20210113-13-1yhuci7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=497&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Réduire au silence.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Silence_Art.jpg">Hiwa perdawood/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p><strong><em>Le silence pro-social</em></strong></p>
<p>Le silence pro-social caractérise un comportement véritablement altruiste au sens où l’individu qui se tait le fait dans la perspective de protéger son organisation et sa réputation.</p>
<p>De fait, il y a conflit au cœur de la personne qui adopte un silence pro-social. Les exigences s’entrechoquent au travers des valeurs et pratiques de l’organisation d’un côté et de ses propres valeurs de l’autre. L’absence de congruence entre ces deux exigences opposées amène la personne à se taire : elle cherche alors à maintenir son propre capital social au sein et en dehors de l’organisation.</p>
<p>Vis-à-vis de celui ou celle qui dénonce un crime intra/para-familial, les résistances des personnes alimentant le silence pro-social peuvent alors être très fortes, voire dévastatrices pour le dénonciateur. Elles peuvent devenir ses adversaires les plus féroces et alimenter les représailles les plus violentes.</p>
<p><strong><em>Le silence opportuniste</em></strong></p>
<p>Le silence pro-social décentre la personne en l’amenant à agir de manière non-éthique pour la conservation de l’organisation et indirectement pour sa propre personne en lui permettant de maintenir sa position. Au contraire, le silence opportuniste a pour début et fin la personne elle-même qui fait de la rétention d’information à son bénéfice propre dans l’objectif de continuer à jouir du capital social, culturel et symbolique que lui fournit son appartenance à l’organisation.</p>
<p>Il ne s’agit pas ici simplement de silence déviant qui vise à affaiblir l’organisation, mais plus d’un silence qui ambitionne le développement du pouvoir et du statut pour celui ou celle qui en use. Plus la dénonciation du crime sera forte et prompte à remporter une forme de soutien, plus vite la personne mettra cyniquement fin à son silence opportuniste.</p>
<h2>Que sait-on vraiment et quand le sait-on ?</h2>
<p>Dans notre perspective, la grille offerte par le silence organisationnel est intéressante mais comporte deux limites importantes : que sait-on vraiment et quand le sait-on ?</p>
<p>Souvent, on peut savoir, mais indirectement, c’est-à-dire non de la bouche même de la victime. Alors, comment être sûr ? Ensuite, on peut l’apprendre mais bien après : la victime est majeure, disparue ou même ne souhaite pas agir. Alors, pourquoi et comment s’engager à sa place ?</p>
<p>Considérant que l’inceste reste autant un <a href="https://www.cairn.info/revue-societes-et-representations-2016-2-page-73.htm">tabou</a>) sociétal qu’un <a href="https://virage.site.ined.fr/fr/actualites/">déni</a> familial recouvert par le silence, cela doit nous amener à saluer le courage de ceux qui parlent et à faire preuve à la fois d’humilité et de vigilance auprès de notre entourage.</p>
<p>Car même si les mécanismes d’alerte – <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/actualites/A13048#:%7E:text=Le%203919%20Violence%20Femmes%20Info,et%20de%20prise%20en%20charge.">publics</a> et <a href="https://enfance-et-partage.org/espace-adolescents/#:%7E:text=Si%20tu%20penses%20que%20tu,anonyme%200800%2005%2012%2034.">associatifs</a> – existent, briser le silence demeure aussi nécessaire que difficile.</p>
<hr>
<p><em><strong>Le numéro Allo Enfance en danger est le 119, 24h/24</strong>.</em></p>
<p><em>Jean‑Baptiste Mauvais a contribué à ce texte. Normalien et agrégé d’allemand, il est responsable du secteur Formation à la Fédération Suisse des Psychologues</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/153030/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Patrice Cailleba ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pourquoi, quand un crime est connu d'un ou plusieurs individus au sein d'une organisation, ces derniers gardent-ils le silence ?Patrice Cailleba, Professeur de Management, PSB Paris School of BusinessLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1528412021-01-11T20:30:14Z2021-01-11T20:30:14ZInceste : au-delà du bruit médiatique, entendre la tragique banalité du phénomène<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/377974/original/file-20210111-13-1coho7n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C22%2C1920%2C1253&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Oeuvre de l'artiste Niki de Saint-Phalle, qui a révélé en 1994 à sa propre fille l'inceste dont elle a été victime (Niki de Saint Phalle, Mon Secret, La Différence, 1994.).</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/photos/niki-de-saint-phalle-art-artiste-67681/">Pixabay</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>En ce mois de septembre, de nouvelles prises de paroles témoignent de cette réalité massive qu'est l'inceste. L'actrice Emmanuelle Béart révèle ainsi en avoir été victime <a href="https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/09/05/dans-un-silence-si-bruyant-emmanuelle-beart-evoque-l-inceste-dont-elle-fut-victime_6187987_3246.html">dans un documentaire à venir</a>. Quelques années après le livre de Camille Kouchner, un autre récit, <a href="https://www.lemonde.fr/livres/article/2023/09/06/neige-sinno-remporte-le-prix-litteraire-le-monde-2023-pour-triste-tigre_6188164_3260.html"><em>Triste Tigre</em></a>, de Neige Sinno, met des mots sur ce phénomène <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/01/05/l-inceste-un-phenomene-tabou-a-l-ampleur-meconnue_6065232_3224.html">qui toucherait un Français sur 10</a> - même si, rappelons-le, les chiffres, en particulier en matière de criminalité sexuelle, ne sont pas toujours fiables. </p>
<p>Si depuis quelques années, les prises de paroles des victimes sont plus visibles, il a fallu attendre la fin du XXe siècle pour que l’inceste devienne un sujet de discussion publique. <em>Le Monde</em> ne commence à consacrer des articles à la judiciarisation de l’inceste, c’est-à-dire à des procès pour attentats à la pudeur sur moins de 15 ans commis par un ascendant, <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1974/03/11/m-urs-l-inceste-a-la-campagne_3086659_1819218.html">qu’en mars 1974</a>, ouvrant le feu de manière très significative avec une affaire d’inceste rural.</p>
<p><a href="http://www.vrin.fr/book.php?code=9782711603916">L’inceste rural</a>, vu comme produit de l’arriération et de la rudesse des <a href="https://journals.openedition.org/ruralia/77">mœurs campagnardes</a>, est en effet un topos de la littérature médicale depuis le XIX<sup>e</sup> siècle.</p>
<h2>Dépasser la prohibition de l’inceste ?</h2>
<p>En avril 1971, Michel Polac consacre à l’inceste un épisode de son émission « Post scriptum », avec le film de Louis Malle, <a href="https://www.ina.fr/video/I04334200"><em>Le Souffle au cœur</em>, récit d’un inceste maternel</a>. Les invités, sans condamner ni louer l’inceste, l’analysent comme une donnée avec laquelle une société doit composer et s’interrogent sur la possibilité de dépasser la prohibition de l’inceste.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/qVYY3qeV340?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Entretien avec Louis Malle, à propos de son film Le Souffle au Coeur, TFO.</span></figcaption>
</figure>
<p>En réaction, Michel Polac reçoit une avalanche de lettres de protestation, qui dénoncent « un sujet infect » en souhaitant que les invités, ces « vicieux salopards », se fassent dérouiller et/ou castrer. Polac est finalement <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1971/05/11/bull-defense-aux-journaux-parles-et-televises-d-evoquer-aux-heures-de-grande-ecoute-les-films-interdits-aux-moins-de-18-ans-bull-l-emission-post-scriptum-ne-sera-plus-que-mensuell_3065536_1819218.html">sanctionné</a> par le conseil d’administration de l’ORTF et l’émission disparaît dans le courant du mois de mai.</p>
<p>Cet épisode, dont la rumeur s’éteint avec l’été commençant, montre d’une manière éloquente la force du silence qui pèse sur l’inceste : ce « sujet infect » n’a pas encore droit de cité à la télévision. Par ailleurs il montre aussi que pour de nombreux téléspectateurs, le traitement a été jugé trop léger et inadapté.</p>
<h2>Créer les conditions pour évoquer les affaires d’abus</h2>
<p>Après cela, la décennie 1970 va être pour les médias celle d’une ouverture au « discours sur la sexualité » qui créé les conditions d’évoquer peu à peu ce qu’on appelle alors la pédophilie.</p>
<p>La télévision en particulier affronte l’inceste et les évocations fictionnelles ou documentaires du viol par inceste se multiplient. Ainsi, en 1978, le journal de 20 h d’Antenne 2 consacre un reportage de trois minutes au cas d’un enfant de huit ans violé par son père – sans dommages cette fois pour la rédaction.</p>
<p>À partir du milieu des années 1980, différentes « affaires » attirent l’attention des médias et des pouvoirs publics sur les lacunes du dispositif de protection de l’enfance. Ainsi, dans <a href="https://www.babelio.com/livres/Bisson-Lenfant-derriere-la-porte/116386"><em>L’enfant derrière la porte</em></a> en 1982, <a href="https://www.parismatch.com/Actu/Societe/David-l-enfant-du-placard-159873">David Bisson</a> raconte son calvaire d’enfant martyrisé.</p>
<p>Peu après, 1986 marque un tournant décisif en matière de parole publique sur l’inceste. Lors des débats des <em>Dossiers de l’écran</em> diffusés par Antenne 2, le journaliste Alain Jérôme donne en direct la parole à trois femmes adultes, victimes de pères ou de frères incestueux, parmi lesquelles Éva Thomas qui vient de publier <a href="https://www.jailu.com/le-viol-du-silence/9782290305973"><em>Le viol du silence</em></a>.</p>
<iframe width="100%" height="349" frameborder="0" marginheight="0" marginwidth="0" scrolling="no" src="https://player.ina.fr/player/embed/I20048301/1/1b0bd203fbcd702f9bc9b10ac3d0fc21/620/349/1" allow="fullscreen,autoplay"></iframe>
<p>L’émission est annoncée par le magazine chrétien <em>La Vie</em> sous le titre : « les barreaux de la prison de l’inceste vont voler en éclats ».</p>
<h2>L’impact du témoignage</h2>
<p>La télévision prend le risque du témoignage vivant des victimes en même temps qu’elle sollicite l’avis des téléspectateurs. Après avoir écrit dans l’incipit de son livre – « À quinze ans j’ai été violée par mon père », pour la première fois, une victime d’inceste témoigne à visage découvert, après que deux autres femmes, de dos elles, ont raconté leur histoire (toujours dans cette même émission des <em>Dossiers de l’écran</em>).</p>
<p>Trente ans après les faits, ces victimes viennent parler de souffrance qui semblent toujours très vives, offrant l’occasion au public de comprendre que la particularité du dommage causé par le viol – incestueux ou non – est de se conjuguer au futur.</p>
<p>Le retentissement de l’émission est énorme et il n’est pas excessif de dire que toute la presse – nationale, régionale et étrangère (<em>L’illustré Suisse, Il Mattino, La Republica</em>) – en parle, d’une voix unanime.</p>
<p>L’insistance est mise sur le mutisme des victimes (<em>Le Républicain lorrain</em>, 29/08/1986, <em>La Voix du Nord</em>, 27/08), sur « l’hypocrisie et le silence complice » qui règne sur le sujet (<em>Le Figaro</em>,02/09/1986) et sur la grande victoire que constitue cette prise de parole : « Les petites filles ne se sentent plus coupables » (<em>Le Matin</em>, 02/09/1986). « Toutes les couches de la société sont concernées », remarquent enfin les journaux Télé Journal (30/08 au 05/09/1986,) et <em>Le Républicain lorrain</em> (27/08 et 29/08/1986).</p>
<h2>Une rupture dans le paysage littéraire</h2>
<p>Deux ans plus tard, l’écrivaine Christiane Rochefort publie <a href="https://www.grasset.fr/livres/la-porte-du-fond-9782246411611"><em>La Porte du fond</em></a>, avec cet exergue :</p>
<blockquote>
<p>Il était le pacha du harem avec ses deux femmes.<br>
Bon, une et demi.<br>
Moi ce n’était qu’un jeu.<br>
J’étais encore une enfant.<br>
Les enfants, c’est sacré.</p>
</blockquote>
<p>Couronné par le prix Médicis, l’ouvrage donne la mesure du changement qui s’opère dans le paysage littéraire après un siècle de silence ou de représentation irénique (inceste amoureux excessif ou passionnel) chez Emile Zola (<a href="https://www.bacdefrancais.net/curee-zola-chapitre-1-fin.php"><em>La Curée</em></a>) Jean Cocteau (<a href="https://www.franceinter.fr/emissions/affaires-sensibles/affaires-sensibles-07-octobre-2020"><em>Les Enfants Terribles</em></a>) ou Louis Malle (<a href="https://www.franceinter.fr/emissions/affaires-sensibles/affaires-sensibles-07-octobre-2020"><em>Le Souffle au cœur</em></a>).</p>
<p>En décrivant un inceste père-fille comme un cercle vicieux condamnant l’enfant abusé au silence, le <a href="https://next.liberation.fr/livres/2004/11/11/les-ailes-de-rochefort_499099">roman sarcastique et furieux</a> de Christiane Rochefort inscrit désormais cette figure littéraire dans le cadre de l’abus de pouvoir et du crime.</p>
<h2>Briser un « vieux tabou »</h2>
<p>C’est à nouveau, pour « pour briser ce qui reste un vieux tabou » que François de Closet réunit le 27 mars 1989 sur le plateau de son émission Médiations, des spécialistes et des témoins des actions diverses menées contre l’inceste.</p>
<p>Ainsi est présentée l’émission, fidèle au topos désormais presque classique de la <a href="https://larevuedesmedias.ina.fr/depuis-quand-les-medias-parlent-ils-de-pedophilie">révélation</a>. Le reportage réalisé auprès de très jeunes enfants n’est sans doute pas étranger à la réussite de cette soirée. L’émission aurait ce soir-là presque atteint le chiffre de 40 % de part d’audience : mieux que les <em>Dossiers de l’écran</em> trois ans plus tôt (Médias, 12/09/1986).</p>
<blockquote>
<p>« Après, il m’a dit de ne pas le dire à ma maman parce que sinon il m’a dit qu’il me tuerait moi et ma maman », murmure Sandrine, 10 ans, abusée pendant deux ans par l’ami de sa mère.</p>
</blockquote>
<p>De surcroit, ce magazine a un impact. Claudine, une des invitée, est <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1989/06/24/un-pere-poursuit-sa-fille-apres-une-emission-televisee-inceste-et-diffamation_4138749_1819218.html">poursuivie</a> peu après par le tribunal de grande instance de Saint-Brieuc, pour diffamation à l’encontre de son père, comme du reste Patrick Le Lay, PDG de TF1, et François de Closets lui-même.</p>
<p>La jeune femme est condamnée en juillet 1989 à un 1 franc symbolique. « Le tribunal de St Brieuc a tranché : le viol en famille doit rester secret » commente <em>Libération</em>, en juillet 1989.</p>
<h2>Rompre l’anonymat</h2>
<p>En donnant la parole aux victimes, mais surtout en offrant à la curiosité et à la compassion du téléspectateur leur visage, singulier, unique, la télévision <a href="https://www.cairn.info/revue-societes-et-representations-2016-2-page-59.htm">rompt l’anonymat</a> que maintient l’écrit.</p>
<p>Elle permet la reconnaissance et l’identification, bref elle fracasse le silence plus que n’importe quel média, le voyeurisme auquel elle invite étant la garantie même de la transgression qu’elle s’autorise.</p>
<p>Cette fois encore la presse écrite se fait un large écho de l’émission. Rappelant que « pendant que l’opinion se focalise sur quelques meurtres d’enfants, d’autres sont violés ou agressés par un parent dans l’indifférence générale » (Télérama, 15/03/1989).</p>
<p>C’est donc au cours de cette deuxième moitié des années quatre-vingt que les victimes commencent à se faire entendre. Désormais, la cause semble entendue : il s’agit de dénoncer des agissements massifs qui enfreignent les valeurs essentielles de la société, et la communauté de jugement est unie dans l’accusation. Dès lors, la parole des victimes semble désormais « autorisée » et les livres de témoignages se multiplient au cours des années 1990.</p>
<h2>Le paradoxe de la « parole sur l’inceste »</h2>
<p>Pourtant, et c’est tout le paradoxe de la « parole sur l’inceste », l’intense bruit médiatique qui caractérise ces quelques années, est oublié aussitôt que passé et depuis les années 2000 chaque « affaire » de dénonciation publique des viols d’enfants ou d’inceste semble provoquer la stupeur comme s’il s’agissant d’une « découverte » ou pis d’un fait nouveau.</p>
<p>Cette « stupeur » témoigne d’une résistance profonde persistante à reconnaître la banalité de l’inceste. Le faire c’est mettre en cause ce pilier de l’ordre social qu’est la famille, c’est délicat. Il faut compter également avec le système médiatique pour lequel seul l’inédit a une véritable valeur.</p>
<p>La personnalisation des dénonciations, l’appartenance des dénonciatrices à des milieux sociaux privilégiés, dans lesquels on maîtrise la parole et plus encore l’écriture, concentre le scandale sur quelques figures de notables, comme l’a montré <a href="https://www.francetvinfo.fr/culture/livres/affaire-gabriel-matzneff/">l’affaire Gabriel Matzneff</a>.</p>
<p>Cette dernière n’était pourtant pas neuve et répondait, 30 ans après, aux confessions littéraires de Matzneff qui n’a jamais rien dissimulé de ses goûts et de ses pratiques.</p>
<h2>Le mythe des années 68 « déviantes »</h2>
<p>Après le mythe de « l’inceste rural », voici le XXI<sup>e</sup> siècle obsédé par un autre mythe : l’inceste ou l’agression sexuelle sur mineur fruit de la libération des mœurs des années 1970 et déviance du gauchisme ou du progressisme. Il est devenu presque banal de <a href="https://www.lesechos.fr/2018/02/il-est-interdit-dinterdire-une-erreur-de-mai-68-984049">dénoncer</a> l’effet délétère de Mai 68 sur les comportements sexuels, ce qui témoigne d’une erreur d’appréciation.</p>
<p>Si Mai 68 a libéré la parole sur la sexualité, autorisant le développement de revendications relatives aux sexualités alternatives, l’événement a aussi ouvert une fenêtre et attiré l’attention sur la criminalité sexuelle et ses victimes.</p>
<p>Du même coup, l’enjeu de ces révélations se trouve fréquemment déporté, puisqu’elles sont instrumentalisées à des fins politiques faisant largement oublier que l’inceste est un phénomène que l’on pourrait malheureusement qualifier d’« ordinaire ».</p>
<p>Une chose demeure : alors que l’inceste est un des crimes les plus réprouvés moralement, il est aussi l’un des crimes les moins révélés et dénoncés, preuve s’il en fallait de la persistance du déni.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/152841/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne-Claude Ambroise-Rendu ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>À partir des années 1970, les affaires d’inceste trouvent de plus en plus d’écho médiatique, révélant la souffrance des victimes. Paradoxalement, chaque nouvelle affaire semble provoquer la stupeur.Anne-Claude Ambroise-Rendu, Professeur d'histoire contemporaine, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1457442020-10-26T22:14:56Z2020-10-26T22:14:56ZDe « faits divers » à fait de société, comment le viol est peu à peu devenu un sujet politique<p>« Glauques », « intimes », « aléatoires » : les récits de viol dérangent, importunent dans leur ensemble les journalistes chargé·e·s du suivi régulier des faits divers, majoritairement réticent·e·s à les couvrir exhaustivement. Les entretiens réalisés auprès d’une quarantaine de rédacteur·ices français·e·s dans le cadre de <a href="http://www.theses.fr/s197566">mes recherches doctorales</a> mettent en évidence des résistances d’ordres divers. Jugées « journalistiquement risquées » par anticipation de la critique du défaut de preuve, ces narrations sont par ailleurs le plus souvent perçues comme « sensibles », potentiellement « impudiques » en ce qu’elles renvoient à l’intime.</p>
<p>L’analyse des Unes de quatre quotidiens nationaux (<em>Le Figaro, Le Monde, Libération</em>) et régionaux (<em>Le Parisien</em>) menée dans le cadre du projet <a href="https://cpc-strafkulturen.eu/fr/project.html">« Cultures pénales continentales »</a> l’illustre : sur l’ensemble des 1903 titres relevés au cours du dernier trimestre des années 2007, 2012 et 2017, moins de 2 % (32 titres) traitent des atteintes sexuelles corporelles, quand 16,6 % des titres portent plus largement sur des enjeux de sécurité et/ou de criminalité. Plus encore, <em>Le Parisien</em> produit à lui seul près des 2/5 des 305 articles relatifs à un dossier de viol relevés en 2005, 2010, 2015 et 2017 dans ces quatre mêmes journaux. Autrement dit, les dossiers de viol figurent parmi les sujets criminels les moins fréquemment couverts par la presse imprimée généraliste.</p>
<figure>
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<figcaption><span class="caption">Le 23 décembre 1980, le viol est reconnu comme crime.</span></figcaption>
</figure>
<p>Le crime de viol, défini pour la première fois par la loi <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000886767">votée en 1980</a> à l’issue de la médiatisation retentissante du <a href="https://www.lefigaro.fr/histoire/archives/2017/09/18/26010-20170918ARTFIG00239-viol-recit-du-proces-de-1978-a-l-origine-d-une-nouvelle-loi.php">procès d’Aix-en-Provence</a>, figure aujourd’hui parmi les enjeux politiques fréquemment traités par la presse française.</p>
<p>L’analyse de sa mise à l’agenda médiatique nous renseigne tout autant sur l’évolution des représentations médiatiques des violences sexuelles que sur l’histoire de leur <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2006-1-page-5.htm">politisation</a> progressive, accélérée par la viralité du #MeToo.</p>
<h2>Des situations individuelles « tragiques »</h2>
<p><a href="https://www.ined.fr/fr/publications/editions/document-travail/enquete-virage-premiers-resultats-violences-sexuelles/">Statistiquement ordinaires</a>, les affaires de viol sont traditionnellement perçues par les journalistes de presse écrite française comme autant de situations individuelles tragiques, indépendantes les unes des autres. En somme, un fait divers parmi d’autres.</p>
<p>Relaté non pour ce que l’on pourrait en dire mais bien pour ce qu’il est, le <a href="http://www.theses.fr/1996AIX10091">fait divers se distingue du fait de société</a> par le désintérêt pour son environnement et ses causes. Le viol est dès lors traité comme un événement en soi, qui ne saurait à lui seul justifier une analyse systémique en termes de rapports de genre, de classe ou de race entre les parties prenantes.</p>
<p>L’assimilation des dossiers de viol au genre journalistiquement peu valorisé du fait divers permet de comprendre la difficile politisation de ces sujets par la presse écrite.</p>
<h2>Un décalage entre presse nationale et régionale</h2>
<p>Si les presses écrites nationale et régionale couvrent tendanciellement les mêmes types de configurations de viol – à savoir, les viols perpétrés par une personne connue de la victime, indifféremment dans l’espace dit public (rue, lieu professionnel, hôtel, etc.) ou privé (domicile), le quotidien régional <em>Le Parisien</em> se distingue par une plus forte propension à relayer le <a href="https://inhesj.fr/actualites/retour-sur-la-conference-violences-sexuelles-la-question-du-consentement">script du « vrai » viol</a>, commis dans l’espace public par un individu peu ou pas connu de la victime.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1313386132336513026"}"></div></p>
<p>Cette configuration idéal-typique du viol jugé « crédible » au vu des circonstances énoncées, est présente dans ¼ des articles publiés par le quotidien régional, pour environ 1/10 des contenus du <em>Monde</em>, du <em>Figaro</em> et de <em>Libération</em>.</p>
<p>La recherche de la « proximité avec le lectorat », au cœur de la ligne éditoriale du <a href="https://www.liberation.fr/futurs/2016/09/08/le-parisien-sera-plus-local-et-plus-pratique_1489934">quotidien régional</a>, explique en grande partie la plus forte tendance du <em>Parisien</em> à traiter ce type de viol, supposé intéresser les usagers des espaces et transports publics, sujets à la fatalité de ces événements dramatiques. La référence à la proximité géographique, économique et sociale du fait divers avec son audience est plus largement valorisée par l’ensemble des titres de <a href="https://www.persee.fr/doc/anami_0003-4398_1998_num_110_224_2600">presse quotidienne régionale</a>, comme tend à le confirmer mon enquête en cours.</p>
<h2>#MeToo : de faits divers à fait de société</h2>
<p>Si la médiatisation exceptionnelle des violences sexuelles observée à la suite de la mobilisation numérique #MeToo n’a pas contribué à modifier le traitement différencié des configurations du viol par les presses nationale et régionale, elle se distingue par la diversification des cadrages journalistiques de ces sujets.</p>
<p>Diffusé à travers le monde en réaction aux accusations pour harcèlement sexuel, agressions et viols formulées à l’encontre du producteur de cinéma américain Harvey Weinstein à l’automne 2017, le mouvement #MeToo s’est immédiatement imposé aux yeux des journalistes des rédactions parisiennes comme un événement historique singulier, révélateur d’un problème social mésestimé :</p>
<blockquote>
<p>« […] on ne peut pas appréhender un phénomène quand on n’a pas de chiffres. Et en général les pouvoirs publics sur ces sujets n’ont pas de chiffres. […] Quand on a vu le nombre de tweets, c’était énorme ! […] Donc on s’en est emparés. » (Marie, journaliste au <em>Parisien</em>)</p>
</blockquote>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2018/10/14/metoo-du-phenomene-viral-au-mouvement-social-feminin-du-XXIe-siecle_5369189_4408996.html">La publication continuelle de témoignages de femmes</a> dénonçant des violences sexuelles exercées par des hommes dans des contextes sociaux variés (professionnel, familial, conjugal, amical) a participé de la politisation inédite du traitement journalistique de ces enjeux, identifiable à l’imposition d’un cadrage thématique, <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/I/bo3684515.html">« qui situe les enjeux et événements politiques dans leur contexte général »</a>.</p>
<p>Concrètement, l’année 2017 se distingue par une hausse exceptionnelle du nombre de longs articles d’analyse, enquêtes et tribunes consacrés à ce thème : aux environs de 5 % en moyenne entre 2005 et 2015, les contenus de plus de mille mots représentent plus d’un quart des publications entre octobre 2017 et octobre 2018 (25,3 %).</p>
<h2>Systématiser pour politiser</h2>
<p>À la suite de #MeToo, la médiatisation du viol – et plus largement, des violences à caractère sexuel – se démarque de la couverture usuelle de ces sujets par la conduite d’enquêtes sans précédent au sein de secteurs variés (politique, culture, santé, sport), spécifiquement ciblés tant pour leur supposée portée auprès de l’audience, que pour la présence de sources jugées susceptibles de s’exprimer sur le sujet :</p>
<blockquote>
<p>« Il y avait des rumeurs persistantes depuis des années dans Paris. On avait une liste de noms, avec même des présentateurs de journal télévisé, des hommes politiques… Donc là tout est ressorti ! […] On a chacun essayé de se souvenir des rumeurs qui nous étaient remontées à l’occasion d’anciennes enquêtes. Ensuite, chacun dans sa spécialité a recontacté ses sources pour se mettre à jour et préciser tout ça. » (Louise, journaliste au <em>Monde</em>)</p>
</blockquote>
<p>Alors que plus de la moitié des articles publiés entre 2005 et 2015 mettent en cause des membres de l’Église catholique pour viols sur mineur·e·s, la quasi-totalité des dossiers relayés par la presse française étudiée en 2017 incrimine des personnalités publiques de premier rang, pour moitié titulaires d’un mandat d’élu politique.</p>
<p>Les rédactions nationales ont ainsi poursuivi la dénonciation du sexisme en politique, amorcée depuis plusieurs années par l’engagement de femmes journalistes à travers notamment la publication de tribunes professionnelles. <a href="https://www.liberation.fr/france/2015/05/04/nous-femmes-journalistes-en-politique_1289357">« Bas les pattes ! »</a> en 2015 ou une <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/violences-faites-aux-femmes/nous-toutes/tribune-noustoutes-400-femmes-journalistes-appellent-a-marcher-samedi-contre-les-violences-sexistes-et-sexuelles_3046829.html">tribune plus récente sur FranceInfo</a> rappellent ainsi que les violences sexuelles, présentes dans l’ensemble de la société, s’inscrivent dans des rapports de force préexistants, particulièrement observables au sein de l’arène politique, lieu de conquête et d’exercice du pouvoir.</p>
<p>Pensons aux affaires alors qualifiées de « scandales sexuels » ayant marqué l’actualité politique de ces dix dernières années : <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/affaire/dsk/">Dominique Strauss-Kahn</a> (mis en cause judiciairement en 2011 pour agression sexuelle, tentative de viol et séquestration ; dossier clos par une transaction civile en 2012), <a href="https://www.france24.com/fr/20170306-agressions-sexuelles-depute-denis-baupin-prescription-classement-suite-politique">Denis Baupin</a> (mis en cause judiciairement en 2016 pour harcèlement sexuel et agressions sexuelles ; classement sans suite en 2017 pour prescription ; condamné en 2019 à indemniser les femmes contre lesquelles il avait porté plainte pour dénonciation calomnieuse), <a href="https://www.liberation.fr/france/2018/11/15/proces-pour-viols-georges-tron-acquitte_1692145">Georges Tron</a> (mis en cause judiciairement en 2011 par deux anciennes employées pour viols et agressions sexuelles en réunion ; acquitté en 2018 ; procès en appel renvoyé à début 2021) et <a href="https://www.lepoint.fr/societe/gerald-darmanin-vise-par-une-nouvelle-enquete-pour-abus-de-faiblesse-14-02-2018-2194954_23.php#">Gérald Darmanin</a> (mis en cause judiciairement par une première plaignante en 2018 pour viol, harcèlement sexuel et abus de confiance ; classement sans suite en 2018 ; reprise des investigations en 2020 ; mis en cause judiciairement en 2018 pour abus de faiblesse par une seconde plaignante ; classement sans suite et démenti).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1271101362407968768"}"></div></p>
<p>L’intérêt nouveau des rédactions pour la démonstration des logiques d’« emprise » au sein de « systèmes dysfonctionnels » témoigne de l’introduction dans la presse nationale d’une analyse sociologique de ces comportements, jusque-là davantage perçus comme le fait d’individus jugés moralement déviants que de rapports de domination multidimensionnels (de genre, race et classe) :</p>
<blockquote>
<p>« Pour moi l’emprise, c’est vraiment ça [à propos d’un syndicat]. […] C’est du harcèlement de femmes, c’est du harcèlement en meute, c’est du harcèlement d’hommes qui se donnent de la force entre eux, qui se cooptent. C’est des agressions, des viols. […] Cette organisation régit votre vie de [militante], et donc régit votre vie sexuelle, vos connaissances, vos vacances. […] Nous, on cherche à raconter l’emprise politique et psychologique qui crée un environnement favorable, finalement, à ces dérives sexuelles. » (Anne, journaliste à <em>Libération</em>)</p>
</blockquote>
<p>La démultiplication de révélations impliquant des institutions et secteurs divers vise en ce sens la démonstration du caractère universel des violences sexuelles contre les femmes. L’attention prêtée en 2020 à des affaires impliquant les <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/la-theorie/la-theorie-du-vendredi-07-fevrier-2020">milieux littéraires</a>, sportif (<a href="https://www.lequipe.fr/Tous-sports/Article/La-fin-de-l-omerta-sur-les-violences-sexuelles-la-jeunesse-volee-des-patineuses/1103759">patinage français</a>, <a href="https://www.lequipe.fr/Tous-sports/Article/La-fin-de-l-omerta-sur-les-violences-sexuelles-l-enfer-a-font-romeu/1103783">natation</a>, <a href="https://www.liberation.fr/sports/2020/02/08/dans-l-equitation-aussi-une-ancienne-competitrice-accuse-de-viols-trois-encadrants_1777737">équitation</a>, <a href="https://www.lemonde.fr/sport/article/2020/03/06/violences-sexuelles-demission-du-president-de-la-federation-de-roller-et-skateboard_6032070_3242.html">roller derby</a>, <a href="https://www.lemonde.fr/sport/article/2020/08/18/violences-sexuelles-un-entraineur-d-athletisme-des-yvelines-suspendu-a-vie_6049249_3242.html">athlétisme</a>) et plus récemment encore musical (<a href="https://www.francetvinfo.fr/culture/musique/musictoofrance-un-appel-a-temoignage-pour-un-metoo-de-l-industrie-musicale_4058363.html">#MusicTooFrance</a>) illustre l’approfondissement de la désectorisation de la médiatisation du viol observée dans le prolongement de #MeToo, prémices de l’affirmation du continuum des violences masculines.</p>
<h2>L’affirmation du continuum des violences misogynes</h2>
<p>La politisation du traitement journalistique du viol s’observe enfin par le renouvellement des catégories médiatiques employées pour désigner l’ensemble des violences subies par les femmes, d’ordre verbal, psychologique, physique comme sexuel (insultes, harcèlement, agressions, viol, etc.).</p>
<p>L’imposition progressive des expressions « violences sexuelles et sexistes » ou encore « violences faites aux/contre les femmes » témoigne de l’importation réussie d’un schème de <a href="https://prenons-la-une.tumblr.com/post/153517597146/le-traitement-m%C3%A9diatique-des-violences-faites-aux">lecture systémique des violences</a> commises majoritairement par des hommes contre des femmes.</p>
<p>Par-delà leur fonction de synthèse évidente, ces catégories de langage permettent aux journalistes de souligner la domination de genre régissant les relations entre hommes et femmes, sans citer explicitement les travaux féministes dénonçant notamment la banalisation des violences sexuelles (<a href="https://www.franceculture.fr/societe/culture-du-viol-lhistoire-dune-expression-militante-mais-peu-academique">« culture du viol »</a>), s’évitant, par là même, la critique du <a href="https://www.le24heures.fr/2020/02/13/journalisme-et-militant-le-grand-debat/">journalisme militant</a> – partial donc.</p>
<p>La publicisation des discussions internes aux rédactions engendrées par la réappropriation mise en scène de certains termes militants (<a href="https://www.leparisien.fr/faits-divers/pedocriminalite-abus-sexuels-quels-mots-pour-qualifier-les-violences-sexuelles-sur-mineurs-31-12-2019-8226633.php">pédocriminalité</a>, <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/feminicides/pourquoi-le-mot-feminicide-fait-il-toujours-debat_3599073.html">féminicide</a>) met toutefois au jour la persistance des tensions relatives à la définition <a href="https://books.openedition.org/pur/24708">du rôle des journalistes et de leur distance au politique</a>.</p>
<hr>
<p><em>Les termes et expressions entre guillemets sont extraits d’entretiens conduits avec des journalistes de presse imprimée généraliste française. Les prénoms des journalistes cité·e·s ont été modifiés dans le souci du respect de l’anonymat.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/145744/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claire Ruffio ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’analyse du viol comme sujet récurrent dans les médias nous renseigne autant sur l’évolution des représentations des violences sexuelles que sur l’histoire de leur politisation progressive.Claire Ruffio, Doctorante en science politique, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1409632020-06-30T18:54:30Z2020-06-30T18:54:30ZQue sait-on des auteurs de violences sexuelles entre étudiants ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/344141/original/file-20200625-33563-1mrud3x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C432%2C2440%2C1260&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les agressions contre les femmes sont facilitées par l’approbation des pairs.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-vector/sad-woman-sitting-alone-between-man-1415276129">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Les violences sexuelles sont fréquentes en milieu universitaire et touchent <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/00224490309552168">environ 30 %</a> de la population étudiante. Une réalité longtemps taboue mais sur laquelle la parole a commencé à se libérer en 2020 avec la multiplication sur les réseaux sociaux de <a href="https://www.lemonde.fr/campus/article/2021/02/11/violences-sexuelles-sciencesporcs-interpelle-les-instituts-d-etudes-politiques_6069519_4401467.html">témoignages d'étudiants</a>, ou anciens étudiants, sur des faits de harcèlement et d'agressions, notamment sur Twitter avec le hashtag <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/02/09/sciencesporcs-soutiens-politiques-apres-des-denonciations-de-violences-sexuelles-dans-les-iep_6069342_3224.html">#sciencesporcs</a>. </p>
<p>Rebondissement majeur en ce mois d'octobre 2021 : la direction d'une école d'ingénieurs, la prestigieuse Centrale Supélec, <a href="https://www.challenges.fr/education/centrale-supelec-secouee-par-un-scandale-de-violences-sexuelles_783997">a décidé de saisir la justice</a> suite aux résultats d'une enquête auprès de ses étudiants. Menée dans le cadre d'un plan d'action pour l'égalité hommes/femmes, la consultation a fait remonter une centaine de déclarations d'agressions sexuelles et de viols entre élèves lors de l'année universitaire 2020-2021. </p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1446043843141513220"}"></div></p>
<p>Dans la majeure partie des cas, « les faits <a href="https://actu.orange.fr/societe/videos/directeur-de-centralesupelec-les-grosses-soirees-sont-tres-bien-cadrees-le-probleme-ce-sont-les-soirees-privees-CNT000001F7Zl1.html">se seraient déroulés</a> dans un contexte associatif ou au sein de la résidence étudiante », d'après <a href="https://www.lexpress.fr/actualites/1/societe/centralesupelec-saisit-la-justice-apres-une-enquete-revelant-une-centaine-d-agressions-sexuelles-et-viols_2160043.html">les informations communiquées</a> par l'école. Des déclarations qui rappellent que, d'après les données de la recherche sur ce type de violences, dans 9 cas sur 10, les <a href="https://ajph.aphapublications.org/doi/full/10.2105/AJPH.93.7.1104">victimes connaissent leur agresseur</a> qui peut être le petit copain, un partenaire romantique ou un autre étudiant. Les victimes sont essentiellement des femmes et les auteurs des hommes.</p>
<p>Il s’agit le plus souvent d’obtenir des victimes qu’elles s’engagent dans une relation sexuelle en dépit d’un consentement clair et réitéré, voire en outrepassant leur refus initial. Ces <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1111/j.1471-6402.2007.00385.x">manipulations coercitives</a> peuvent consister en manœuvres de séduction insistante avec des contacts physiques, en manipulations verbales et psychologiques ou en tentatives de culpabilisation. Elles peuvent s’appuyer sur la force, ou l’usage délibéré de substances psychoactives – <a href="https://www.jsad.com/doi/abs/10.15288/jsas.2002.s14.118">alcool</a>, cannabis – dans le cadre de soirées festives.</p>
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<figcaption><span class="caption">Un rapport montre l'ampleur des violences sexuelles dans l'enseignement supérieur (Brut)</span></figcaption>
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<p>Ces violences, qui existent <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/ab.20107">dans tous les milieux de vie</a> des jeunes adultes, <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/1077801214551575">débutent fréquemment à l’adolescence</a> – période où près de 20 % de relations sexuelles ne sont pas consenties. Elles s’intensifient jusqu’à 24-25 ans et diminuent par la suite.</p>
<h2>Facteurs socioculturels</h2>
<p>Les auteurs de ces violences peuvent partager des <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/9781118574003.wattso003">attitudes « normatives » négatives</a> à l’égard des femmes. Cela va des représentations masculines « traditionnelles » sexistes, jusqu’à des formes de sexualité « agressive » avec notamment l’acceptation et la légitimation de la violence à leur encontre. Ce recours à la violence peut masquer des vécus d’insécurité, des difficultés avec la proximité affective, ou encore un besoin excessif de contrôle du partenaire.</p>
<p>L’<a href="https://www.researchgate.net/publication/333475169_Scales_for_evaluating_the_Acceptance_of_the_Rape_Myth_Benefits_and_limitations">adhésion aux mythes du viol</a> <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/ejsp.284">favorise</a> les violences sexuelles, tout en minorant la responsabilité et la culpabilité des auteurs. Parmi ces distorsions cognitives, il y a le fait de penser que « les femmes peuvent résister au viol si elles le souhaitent », qu’« on ne peut pas leur faire confiance », que « les hommes ont des besoins sexuels plus importants », ce qui justifierait qu’ils cherchent toutes les opportunités d’y répondre, etc.</p>
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<figcaption><span class="caption">Campagne contre le harcèlement sexuel sur un campus (France 3, 2017).</span></figcaption>
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<p>Ces facteurs peuvent s’accompagner plus largement d’habitudes de nombreuses relations sexuelles occasionnelles, de promiscuité sexuelle et de sexualité permissive et impersonnelle. Certains hommes peuvent aussi interpréter l’intérêt amical d’une femme comme un intérêt sexuel, son absence de consentement comme une résistance feinte, sa sidération en cas d’agression comme une forme d’acceptation tacite.</p>
<p>Si une femme a accepté un début de romance ou a commencé à s’engager dans une relation sexuelle, certains hommes ne comprennent pas qu’elle dise non par la suite. Ils estiment qu’ils ont « droit au sexe », que la personne les a excités et est responsable de ce qui peut survenir par la suite. Les agressions contre les femmes sont facilitées par l’approbation des pairs à l’égard de rapports sexuels forcés.</p>
<h2>Facteurs expérientiels</h2>
<p>Les comportements sexuels à risque commencent souvent par une première expérience sexuelle précoce qui risque de provoquer une hypersexualisation, avec un plus grand nombre de partenaires, à un usage plus massif de la cyberpornographie, de l’alcool ou d’autres substances psychoactives. On parlera de facteurs expérientiels et situationnels. Mais il pourrait y avoir plusieurs cas de figure.</p>
<p>Certains hommes ont plus d’occasions de commettre une agression sexuelle en raison de leur activité sexuelle élevée, d’une excitation sexuelle exacerbée et d’une <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/BF01542105">frustration importante</a> quand la relation ne peut avoir lieu. Cette agression, qui pourrait même survenir après des relations sexuelles consensuelles intensives, peut être une réponse face à un vécu de privation, ou représenter une recherche de pouvoir agressif sur le partenaire féminin.</p>
<p>D’autres hommes n’ont pas autant de possibilités de commettre une agression sexuelle (relation différente à la sexualité, introversion, difficulté dans la relation à l’autre, etc.). Dans leur cas, l’alcool pourrait jouer un <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1359178903000119">rôle de « facilitateur » dans l’agression</a>. On retiendra que l’alcool intervient une fois sur deux dans les violences sexuelles et que son « abus » par les auteurs et les victimes est associé à une plus grande gravité de l’agression.</p>
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<figcaption><span class="caption">« Lutter contre le harcèlement sexuel à l’université » (campagne de prévention, 2016).</span></figcaption>
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<p>Les problèmes induits par l’alcool sont nombreux : focalisation à court terme des auteurs sur les « bénéfices » de l’agression, réduction de la résistance des victimes (qui est recherchée par les auteurs), augmentation des stéréotypes à l’égard des femmes qui boivent, avec l’idée que « ce qui leur arrive est de leur faute » (sous-entendu : « elles n’avaient qu’à pas se mettre dans cet état »).</p>
<h2>Traumatismes infantiles</h2>
<p>Des antécédents d’adversités et des expériences de traumatismes infantiles (ruptures affectives, carence, maltraitance, abus sexuel, exposition à la violence conjugale des parents) jouent un rôle dans une trajectoire de développement vers la violence et augmentent le <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/ab.20107">risque de recours</a> aux relations sexuelles coercitives.</p>
<p>Ces trajectoires pourraient favoriser la survenue d’une délinquance, avec un diagnostic possible de trouble des conduites dans l’enfance et l’adolescence, qui conduit souvent à un trouble de la personnalité antisociale à l’âge adulte – et, dans les cas les plus sévères, à la <a href="https://www.researchgate.net/publication/271838705_Psychopathie_et_evaluation_du_risque_de_recidive">psychopathie</a>. Ce trouble des conduites recouvre des comportements répétitifs et persistants dans lesquels les droits fondamentaux d’autrui ou les principales normes, règles ou lois sociétales sont bafouées, violées. Leur précocité augmente le risque d’une issue négative et grave à l’âge adulte.</p>
<p>Ces éléments sont le plus souvent « défensifs » en rapport avec le parcours infantile et notamment la difficulté d’avoir pu compter pour les autres et d’avoir pu compter sur eux. Or, ces hommes qui présentent une forte d’impulsivité, un manque d’empathie, des <a href="https://nyaspubs.onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/j.1749-6632.2003.tb07294.x">traits psychopathiques</a> rendent plus souvent responsables les autres des violences qu’ils exercent, notamment des contraintes sexuelles. Ils hésitent moins à utiliser des comportements opportunistes et manipulateurs, plus ou moins violents pour surmonter la résistance de leur victime.</p>
<p>Lorsqu’ils ont ce profil et qu’ils commettent des <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0886260514553635">violences sexuelles à l’âge adulte</a>, ils ont plus de chances d’avoir initié ces <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0093854803261342">comportements à l’adolescence</a>.</p>
<h2>Antédécents</h2>
<p>Les auteurs d’agressions sexuelles répétées présentent plus de croyances hostiles envers les femmes, moins d’empathie, sont plus enclins aux manipulations et consomment plus souvent de l’alcool avant les rapports sexuels. Ils présentent aussi des <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10508-013-0243-5">antécédents de délinquance à l’adolescence</a> en relation avec des traits psychopathiques.</p>
<p>Après les faits commis antérieurement, si certains hommes ont pu renoncer à ce type de conduites, d’autres, au contraire, vont continuer leurs stratégies et devenir des récidivistes avec au fil des années une plus grande acceptation du recours à la violence pour parvenir à leur fin. Cette tendance, lorsqu’elle existe, est un marqueur potentiel du fonctionnement antisocial et psychopathique et explique pourquoi le taux de violences diminue au cours des premières années universitaires, alors que la gravité des agressions augmente.</p>
<p>Il n’existe sans doute pas de portrait type d’un auteur de violences sexuelles. Les attitudes de sexualité « agressive » à l’égard des femmes, les consommations d’alcool et comportements sexuels à risque et les traits de la personnalité de type antisocial/psychopathique peuvent interagir. La <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/9781118574003.wattso003">combinaison des trois types</a> de facteurs prédit la chronicité et la gravité des agressions.</p>
<p>Les jeunes adultes que sont les étudiants sont dans une période particulièrement à risque à l’égard des violences sexuelles. S’il faut évidemment aider les victimes, il faut aussi aider les témoins et surtout les auteurs de ces violences à réaliser la gravité et les conséquences de ces actes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/140963/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les violences sexuelles touchent environ 30 % de la population étudiante. Si l’on ne peut pas dresser de portrait type de leurs auteurs, certains facteurs favorisent les risques d’agressions.Robert Courtois, Psychiatre à temps partiel au CHU de Tours, Maître de conférences - HDR en psychologie, Université de ToursCatherine Potard, Maitre de Conférences en Psychologie, Université d'AngersPhilippe Allain, Professeur des universités, Université d'AngersLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.