tag:theconversation.com,2011:/us/topics/droits-de-lhomme-20351/articlesdroits de l'homme – The Conversation2024-03-28T16:36:23Ztag:theconversation.com,2011:article/2254172024-03-28T16:36:23Z2024-03-28T16:36:23ZLe médiateur européen et la guerre en Ukraine<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/582853/original/file-20240319-26-cqx29y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1797%2C1199&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L’Irlandaise Emily O’Reilly exerce la fonction d’ombudsman de l’UE depuis 2013.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.europarl.europa.eu/topics/en/article/20210610STO05909/new-rules-to-allow-eu-ombudsman-to-serve-europeans-better">Fred Marvaux/Parlement européen</a></span></figcaption></figure><p><em>Cet article a été co-écrit avec Dimitri Oudin, président départemental et membre du Bureau national du Mouvement européen, adjoint au maire de Reims en charge des relations internationales et des affaires européennes.</em></p>
<p>La fonction d’<a href="https://www.un.org/ombudsman/fr/about-us/an-ombudsman">ombudsman</a>, aussi appelé « médiateur », ou « Défenseur des droits », existe désormais dans plus de 120 pays du monde. Dans les pays où l’ombudsman n’est pas qu’un <a href="https://www.bbc.com/news/world-europe-36112536">poste fantoche</a>, il est l’un des garants essentiels de l’État de droit. Sa raison d’être est de contribuer à protéger les citoyens d’un éventuel mauvais fonctionnement du service public et à prévenir d’éventuels abus de pouvoir de l’administration.</p>
<p>Au niveau de l’UE, l’ombudsman est <a href="https://www.europarl.europa.eu/factsheets/fr/sheet/18/le-mediateur-europeen">élu par le Parlement européen</a> pour la durée de sa législature, c’est-à-dire cinq ans. Il a pour rôle de <a href="https://doi.org/10.51149/ROEA.1.2020.1">promouvoir la démocratie</a> et de garantir une <a href="https://doi.org/10.1007/978-3-319-98800-9_19">administration européenne transparente et éthique</a>. Il agit à la fois en tant que médiateur au niveau de l’ensemble de l’UE et en tant que coordinateur du <a href="https://www.ombudsman.europa.eu/fr/european-network-of-ombudsmen/about/fr">Réseau européen des médiateurs</a>, qui regroupe les médiateurs de chacun des membres de l’Union et au-delà (notamment les pays candidats à l’adhésion à l’UE tels que la Moldavie, l’Albanie, la Serbie ou l’Ukraine).</p>
<p>À l’heure de la guerre en Ukraine, ce poste stratégique, détenu depuis 2013 par l’Irlandaise <a href="https://www.ombudsman.europa.eu/fr/emily-oreilly;jsessionid=18048767AB23EAA19EA1C3931EA68A71">Emily O’Reilly</a>, mérite d’être particulièrement mis en lumière.</p>
<h2>Des prérogatives progressivement étendues</h2>
<p>Le médiateur européen naît « dans les textes » en 1992, dans le cadre du <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:11992M/TXT">Traité de Maastricht</a>, avant de trouver sa première expression opérationnelle en 1995, lorsque le premier d’entre eux, le Finlandais Jacob Söderman, est élu par le Parlement européen. Il exercera cette fonction jusqu’en 2003, année où lui succédera pour dix ans le Grec Nikifóros Diamandoúros, lui-même remplacé en 2013 par Emily O’Reilly.</p>
<p>Créé concomitamment à la <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/la-citoyennete-europeenne">citoyenneté européenne</a>, institutionnalisée elle aussi par le Traité de Maastricht, le médiateur européen est censé <a href="https://doi.org/10.3917/poeu.061.0114">renforcer cette notion de citoyenneté supranationale</a>, comme l’explique la chercheuse Hélène Michel : « La possibilité pour les citoyens de saisir le Médiateur ne consiste pas seulement en l’augmentation de la protection du citoyen face à l’administration européenne. Elle s’inscrit dans une perspective plus générale, d’une part de renforcement de la légitimité des institutions en donnant le droit au citoyen de demander des comptes aux institutions européennes, et d’autre part de réduction de la distance qui séparerait ces institutions et les citoyens ».</p>
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<p>Précisons que la formule « médiateur européen » désigne à la fois la personne en charge de la fonction et l’entité que cette personne dirige (<a href="https://www.ombudsman.europa.eu/fr/office/staff">75 personnes</a>, pour un budget d’<a href="https://www.ombudsman.europa.eu/pdf/en/167855">environ 13 millions d’euros</a>).</p>
<p>Malgré un nombre de plaintes relativement faible (<a href="https://www.ombudsman.europa.eu/fr/doc/annual-report/en/183636">750 par an en moyenne, tournées pour un tiers contre la Commission européenne, les autres concernant des institutions de moindre importance</a>, et souvent formulées par des citoyens ayant un lien professionnel avec l’Europe) au regard de la taille de l’espace politique européen, le médiateur a peu à peu étendu son influence symbolique et politique comme instrument de « transparence » et de support à l’exercice de la citoyenneté européenne.</p>
<p>La <a href="https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/ATAG/2021/690635/EPRS_ATA(2021)690635_FR.pdf">réforme de 2021</a> a considérablement contribué à l’« institutionnalisation » de sa légitimité politique car elle a étendu ses prérogatives : sa fonction n’est désormais exclusivement plus uniquement défensive puisqu’il peut notamment utiliser le <a href="https://doi.org/10.3917/rfap.181.0189">dispositif d’enquête d’initiative stratégique</a>, qui vise à identifier en amont, de manière dite proactive, les <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-d-administration-publique-2022-1-page-187.htm?ref=doi">domaines d’importance considérée comme stratégique</a>. À titre d’exemple, le médiateur européen vient de lancer, début 2024, une <a href="https://www.ombudsman.europa.eu/fr/case/fr/65545">initiative stratégique</a> visant à garantir une transparence suffisante quant à la manière dont la Commission européenne utilise l’intelligence artificielle.</p>
<p>Le mandat du médiateur européen couvre « l’ensemble de l’administration de l’UE, à l’exception du Parlement européen dans son rôle politique et de la Cour de justice de l’Union européenne dans son rôle judiciaire. Le médiateur européen <a href="https://www.ombudsman.europa.eu/en/speech/en/175670">n’enquête pas sur les actions politiques des députés européens ou sur les décisions de la Cour</a> ».</p>
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<p>Le médiateur est européen parce que son action se concentre sur les institutions de l’UE ; il l’est aussi parce qu’il est une déclinaison supranationale d’une initiative qui est née en Europe, <a href="https://doi.org/10.3917/rfap.123.0387">scandinave</a>, sous le terme d’ombudsman.</p>
<p>L’influence de la « version » suédoise est manifeste puisqu’elle avait pour objectif, sans remettre en question les décisions de la Couronne, de se retourner contre les excès de pouvoir de l’administration royale au nom des individus. Désormais, cette institution existe dans la quasi-totalité des États membres de l’UE, avec des compétences certes légèrement différentes selon les pays ; le médiateur européen <a href="https://doi.org/10.4337/9781785367311.00006">joue le rôle de coordinateur</a> entre ces différents médiateurs nationaux.</p>
<p>Ce besoin de coordination est apparu nécessaire puisque le médiateur européen ne peut investiguer que sur les cas de maladministration au niveau des institutions européennes, avec lesquelles les citoyens européens sont très peu en contact direct. Ces derniers peuvent en revanche être sujets à un excès de pouvoir d’une administration nationale, en raison d’une mise en application, par l’État membre dont ils sont résidents, d’une loi européenne. De telles situations font émerger un besoin de coopération entre le niveau européen et les niveaux nationaux de la médiation citoyen/administration.</p>
<p>C’est ainsi que, dès 1996, le Réseau européen des médiateurs a été créé, avec pour objectif, notamment, d’échanges de bonnes pratiques et d’investigations menées en bonne intelligence lorsqu’elles concernent des sujets qui peuvent toucher les deux niveaux de maladministration, nationale et européenne – et tout cela dans une perspective horizontale, ni contraignante, ni hiérarchique, entre l’Ombudsman européen et les institutions médiatrices nationales.</p>
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<p>À ce jour, le Réseau se compose de près de 95 bureaux, présents dans 36 pays européens, qu’il s’agisse de pays membres de l’UE, de pays qui ne le sont pas, ou de pays candidats à l’adhésion à l’UE, comme l’Ukraine.</p>
<p>Sur ce point, il convient de rappeler que la garantie du respect de la démocratie, de l’État de droit et par conséquent des droits fondamentaux des citoyens figure parmi les conditions d’adhésion des pays candidats à l’Union. Cette conditionnalité a été d’autant plus importante que les élargissements successifs, depuis le <a href="https://theconversation.com/comprendre-lhistoire-de-lue-par-ses-elargissements-successifs-de-1973-a-1986-cap-au-sud-226063">milieu des années 1980 avec l’Espagne et la Grèce notamment</a>, puis au début des années 2000 avec les pays d’Europe centrale et orientale post-communistes, ont souvent concerné des États qui étaient en train d’opérer ou venaient de réaliser une transition démocratique – transition que leur entrée dans l’UE a permis de consolider.</p>
<p>Aujourd’hui, l’institution de l’Ombudsman, <a href="https://www.ombudsman.gov.ua/en/about">présente en Ukraine</a>, et la qualité de son travail, font explicitement partie des éléments de l’évaluation forgée par la Commission européenne <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/HTML/?uri=CELEX:52022DC0407">dans le cadre de l’examen de la candidature ukrainienne à l’UE</a>.</p>
<h2>L’action menée par l’ombudsman depuis le début de la guerre en Ukraine</h2>
<p>Nous avons recensé les principales minutes et décisions du Réseau européen des médiateurs sur la période mai 2022-octobre 2023 avec comme principal critère de sélection sa saisine au regard du rôle des institutions européennes en réponse à l’invasion de l’Ukraine par la Russie.</p>
<p>Plus particulièrement, nous avons identifié trois thématiques dominantes : 1) l’accueil des réfugiés au sein de l’UE ; 2) la transparence du processus décisionnel du Conseil de l’UE en lien avec les sanctions envers la Russie ; et 3) l’adhésion prochaine de l’Ukraine à l’UE examinée à l’aune des progrès du pays en matière de démocratie, d’État de droit et de lutte contre la corruption.</p>
<p>Le 10 mai 2022, <a href="https://www.ombudsman.europa.eu/fr/event/fr/1438">lors de la Conférence du Réseau européen des médiateurs à Strasbourg</a>, Emily O’Reilly soulignait qu’elle souhaitait avant tout définir « de quelle manière nous (les médiateurs européens) pouvons soutenir et surveiller au mieux les efforts déployés par l’UE pour offrir un abri et une protection à tous ceux qui sont contraints de quitter leur foyer et leur famille en Ukraine ». Le rôle des médiateurs européens est ainsi de veiller à ce que les réfugiés bénéficient de leurs droits, à savoir principalement d’« un accès aux soins de santé, à l’emploi, au logement, à l’éducation et au soutien social », dans les États membres où ils ont fui, tout en alertant sur le risque de traite des êtres humains.</p>
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<p>En ce qui concerne les sanctions infligées à la Russie, le médiateur européen a avant tout cherché à s’assurer de la capacité des citoyens européens à pouvoir consulter auprès de la Commission les documents relatifs à ces sanctions. En juin 2022, il a demandé au Conseil de l’UE la mise à disposition proactive de documents concernant l’adoption des sanctions contre la Russie, afin d’évaluer la transparence du processus décisionnel du Conseil de l’UE relatif à ces sanctions, ce qui lui a toutefois été refusé.</p>
<p>Par ailleurs, le médiateur européen a été saisi par un citoyen européen, suite au refus de la Banque centrale européenne d’accorder l’accès du public à des documents relatifs à la mise en application de ces sanctions vis-à-vis de la Russie. Le médiateur a été en capacité de consulter les documents en question et ainsi d’évaluer la réponse de la BCE qui justifiait ce refus par le fait qu’une divulgation intégrale porterait atteinte à la protection de l’intérêt public en ce qui concerne la politique financière, monétaire ou économique de l’Union et les relations financières internationales. Suite à son enquête, le médiateur <a href="https://www.ombudsman.europa.eu/fr/opening-summary/fr/158540">a conclu</a> qu’il n’y avait « pas eu de mauvaise administration par la Banque centrale européenne ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1534087046653943808"}"></div></p>
<p>Quant à la question de l’adhésion de l’Ukraine à l’UE, Emily O’Reilly s’est publiquement interrogée sur la conditionnalité de cette adhésion au respect de l’État de droit sur le territoire ukrainien : « L’UE a-t-elle la patience stratégique d’attendre la transformation des institutions ukrainiennes que le gouvernement a promise dans le cadre de ses réformes de lutte contre la corruption ? Ou le désir de créer rapidement un contrepoids géopolitique cohérent à la puissance dure russe et chinoise impliquera-t-il de fermer les yeux sur les lacunes institutionnelles ? »</p>
<p>Ces lacunes institutionnelles, si elles sont acceptées en l’état pour accélérer le processus d’adhésion, seront mises à l’épreuve par la possibilité pour tout citoyen européen de saisir le médiateur. C’est d’ailleurs déjà le cas, à l’image de la décision rendue le 18 août 2022 concernant le refus du Service européen pour l’action extérieure (SEAE) de donner au public l’accès à un document concernant la suspension de partis politiques en Ukraine (<a href="https://www.ombudsman.europa.eu/fr/decision/fr/159606">affaire 952/2022/MIG</a>).</p>
<h2>L’ombudsman ukrainien, un cas à part ?</h2>
<p>Une adhésion de l’Ukraine à l’UE renforcerait le poids du médiateur européen dans l’évaluation de la nécessaire transformation institutionnelle du pays. D’autant plus que l’indépendance de l’institution de l’ombudsman ukrainien vis-à-vis du pouvoir politique ne semble pas totale à ce stade. Ainsi, au terme du mandat de la médiatrice Valeria Lutkovska en 2017, il a fallu près d’un an au Parlement ukrainien pour désigner sa successeure, durée pendant laquelle la <a href="https://www.dw.com/en/why-ukraines-human-rights-chief-lyudmyla-denisova-was-dismissed/a-62017920">communauté internationale s’est inquiétée du manque de transparence et de l’ultra-politisation de cette nomination</a>. Deux des trois candidats étaient membres du Parlement (instance électrice de l’ombudsman) alors que les dispositions légales étaient relativement floues à ce sujet, puisqu’ils étaient censés être inéligibles à cette élection, sauf à démissionner de leur mandat – ce que Lyudmila Denisova fit, une fois enfin élue à ce poste en mars 2018.</p>
<p>Fin mai 2022, trois mois après le début de l’invasion de l’Ukraine, Lyudmila Denisova a été <a href="https://www.liberation.fr/international/europe/en-ukraine-le-parlement-renvoie-la-chargee-des-droits-humains-faute-de-resultats-20220531_O3AIETOU75DE7E6EUTUCOZQ7CQ/">démise de ses fonctions par le Parlement</a>. Elle avait été publiquement critiquée, notamment par un certain nombre d’associations humanitaires, pour sa gestion de la crise, notamment pour <a href="https://www.newsweek.com/lyudmila-denisova-ukraine-commissioner-human-rights-removed-russian-sexual-assault-claims-1711680">sa communication concernant les crimes sexuels supposément commis par des soldats russes à l’égard d’enfants</a> ; pour autant, <a href="https://ganhri.org/ganhri-and-ennhri-letter-on-nhri-ukraine/">ces mêmes associations se sont émues de la manière dont son mandat a été interrompu</a>, alors que rien dans la Constitution ni dans la loi ordinaire ne prévoyait une telle disposition.</p>
<p>Cette procédure n’a pu être justifiée que par l’instauration de la loi martiale, compte tenu des circonstances exceptionnelles ; elle n’en a pas moins été dénoncée par la <a href="https://www.ohchr.org/fr/countries/ukraine/our-presence">Mission de surveillance des droits de l’homme de l’ONU en Ukraine</a>, qui y a vu une « violation du droit international ». À notre connaissance, les représentants des institutions européennes, y compris de l’Ombudsman européen, n’ont pas publiquement dénoncé le limogeage de Denisova.</p>
<p>On peut néanmoins supposer que la nomination rapide, dès juin 2022, du nouvel ombudsman, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/02/10/dmytro-lubinets-commissaire-aux-droits-humains-ukrainien-le-comite-international-de-la-croix-rouge-doit-publiquement-condamner-la-russie_6161241_3210.html">Dmytro Lubinets</a>, montre que Kiev accorde une importance certaine à ce poste, notamment dans la perspective de sa candidature à l’adhésion à l’UE.</p>
<h2>Les futurs élargissements et l’importance de l’ombudsman</h2>
<p>Dans un monde en tension et face aux ambitions de plus en plus affirmées des puissances russe et chinoise, l’UE semble déterminée à accélérer le processus d’adhésion de certains États candidats, comme l’Ukraine mais aussi la Moldavie et, à plus lointaine échéance, la Géorgie. Les lacunes institutionnelles constatées dans ces États devront être rapidement corrigées, quand bien même l’UE ferait preuve d’une certaine mansuétude à leur égard, au vu du contexte international qui l’incite à agir prestement.</p>
<p>À terme, chacun de ces pays devra disposer d’un médiateur national qui agira à la fois de façon indépendante à l’intérieur et en concertation, si besoin, avec le Réseau européen des médiateurs, dont l’ombudsman européen est le coordinateur. Dès lors, ce dernier pourrait se trouver ainsi renforcé dans son influence au sein des frontières de l’Europe.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225417/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Guillaume Martin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’ombudsman, ou commissaire aux droits de l’homme, se fait progressivement une place au cœur des institutions de l’UE, notamment dans le contexte de la guerre en Ukraine.Guillaume Martin, Maître de conférences, Centre de recherche en management (LAREQUOI), Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2172242023-11-22T15:02:41Z2023-11-22T15:02:41ZCode de la famille au Maroc : le long chemin vers l'égalité<p>Dans son <a href="https://lematin.ma/express/2022/fete-tro-voici-discours-integral-sm-roi-mohammed-vi/379166.html">discours du 30 juillet 2022</a> au moment de la fête du trône, le roi Mohammed VI appelait à une refonte profonde du code de la famille. Depuis lors, la question des droits des femmes marocaines traverse une phase cruciale qui peut s’avérer décisive quant au <a href="https://aujourdhui.ma/societe/demographie-mariage-fecondite-la-femme-marocaine-en-chiffres#:%7E:text=Selon%20les%20donn%C3%A9es%20du%20HCP%2C%20les%20femmes%20repr%C3%A9sentent,hommes%20%C3%A0%20vivre%20en%20ville%20%2811.788.000%20contre%2011.402.000%29">devenir de plus de la moitié de la société</a> marocaine.</p>
<p>En effet, dans l’ensemble des sociétés à majorité musulmane, la question de l’égalité entre les sexes à tous les échelons de la société est intrinsèquement liée au problème fondamental du droit de la famille. Celui-ci demeure ancré dans la charia (loi islamique), née durant la période médiévale, qui légalise et sacralise la domination masculine dans chaque foyer à travers notamment la <a href="https://books.openedition.org/iheid/6523">tutelle matrimoniale, la polygamie et l’inégalité successorale</a>. Or, une inégalité légalisée, sacralisée et intériorisée au sein du premier lieu de la socialisation, la famille, ne peut aucunement favoriser une égalité pleine et entière entre les femmes et les hommes dans l’espace public. </p>
<p>Dans le cadre de nos recherches, nous avons notamment réalisé des travaux sur <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-feminismes_arabes_un_siecle_de_combat_les_cas_du_maroc_et_de_la_tunisie_leila_tauil-9782343146430-59538.html">les féminismes arabes</a> et la <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-les_femmes_dans_les_discours_freristes_salafistes_et_feministes_islamiques_leila_tauil-9782806105127-65477.html">place des femmes dans les discours islamistes</a>.</p>
<p>Cet article met en lumière le rôle déterminant du politique dans le choix du projet de société, moderne et égalitaire ou conservateur et hiérarchique, à adopter. </p>
<h2>Histoire du statut des femmes</h2>
<p>Dans de nombreux pays musulmans, malgré la présence de théologiens réformistes de la fin du 19 ème et du début du 20 ème siècles qui défendent alors des <a href="https://books.google.ch/books/about/The_Liberation_of_Women.html?id=HsH8QTftEs8C&redir_esc=y">thèses favorables à l’émancipation féminine</a>, les gouvernements adoptent majoritairement, au moment des indépendances durant les années 1950-1960, au nom de l’islam d’Etat, des codes du statut personnel et de la famille, inspirés de la charia, qui infériorisent légalement les femmes. </p>
<p>Les mouvements féministes, en plus de lutter contre ces inégalités institutionnalisées, doivent faire face, depuis les années 1980, aux mouvements islamistes et de la réislamisation. Ces derniers prônent le voilement du corps des femmes et leur assignation à leur rôle dit premier d’épouse et de mère inscrit dans un rapport hiérarchique des sexes. Ils s’opposent systématiquement aux réformes égalitaires revendiquées par les féministes. </p>
<p>Pour revenir brièvement à l’histoire du statut des femmes au Maroc, au lendemain de l’indépendance, un <a href="https://books.openedition.org/puam/1011">code du statut personnel</a> basé sur le <a href="https://www.doctrine-malikite.fr/">rite malékite</a> est promulgué, entre 1957 et 1958. Celui-ci entérine la prééminence masculine (autorité maritale, répudiation, polygamie, etc.) et fait immédiatement l’objet de contestations, entre autres, par la pionnière féministe <a href="https://www.yabiladi.com/articles/details/73233/malika-fassi-seule-femme-signataire.html">Malika Al Fassi</a> qui réclame publiquement une réforme égalitaire.</p>
<p>En mars 1992,<a href="https://books.openedition.org/irdeditions/8700?lang=en">l’Union pour l’action féministe </a> lance une pétition “Un million de signatures pour une réforme égalitaire du code du statut personnel”. Celle-ci aboutit, en 1993, à une réforme certes mineure mais avec l’effet non négligeable de sa désacralisation dans la mesure où il pouvait désormais faire l'objet de critiques entraînant des modifications. </p>
<p>En 1999, le <a href="http://www.albacharia.ma/xmlui/bitstream/handle/123456789/31645/1448L%E2%80%99exp%C3%A9rience%20marocaine%20d%E2%80%99int%C3%A9gration.pdf">Plan national d’intégration des femmes au développement</a>, qui comprend les réformes du code du statut personnel, divise la société marocaine entre les féministes et les islamistes qui s’affrontent sur le devenir de la place des femmes dans la société.</p>
<p>Une controverse sociétale qui témoigne plus largement d’un affrontement entre deux projets de société opposés, à savoir: sécularisé et égalitaire ou islamiste et patriarcal. Le nouveau code de la famille, <a href="http://ism.ma/ismfr/francais/Textes_francais/cf.pdf">adopté en février 2004</a> comprend de grandes avancées égalitaires telles que la responsabilité conjointe des deux époux, le droit pour la femme de demander le divorce, l'élévation de l'âge du mariage à 18 ans, etc. </p>
<p>Néanmoins, il comporte des limites liées à son application et à la présence d’articles permettant son contournement (mariage de mineurs, etc.) et demeure inégalitaire en maintenant notamment la polygamie et le partage de l’héritage.</p>
<h2>Des réformes profondes</h2>
<p>Près d’une vingtaine d’années après le nouveau code de la famille, le roi Mohammed VI, favorable à l’émancipation des femmes, charge le chef du gouvernement de s’atteler à la proposition de réformes profondes du code de la famille. Ce travail se fait en collaboration et en concertation avec les différentes composantes politiques, religieuses et civiles de la société (Conseil supérieur des oulémas, Conseil national des droits de l’Homme, collectifs féministes, etc.). </p>
<p>L'objectif est de le conformer à la nouvelle<a href="https://www.doctrine-malikite.fr/"> Constitution de 2011</a> comprenant l’article 19 qui consacre la pleine égalité entre les femmes et les hommes.</p>
<p>Cependant, les islamistes s’opposent formellement à une réforme du code de la famille, particulièrement à l’épineuse question de l’inégalité successorale, entérinée par le Coran. </p>
<p>A ce titre, <a href="https://www.yabiladi.com/articles/details/137571/maroc-relance-debat-l-egalite-dans.html">dans un communiqué </a> publié en février 2023, le Parti islamiste pour la justice et le développement (PJD) affirme que “certains ont osé appeler explicitement à l'égalité dans l'héritage, contre le texte coranique explicite réglementant l'héritage (…). C’est une menace pour la stabilité nationale, liée à ce que le système successoral a établi dans la société marocaine depuis plus de 12 siècles”. </p>
<p><a href="https://www.bladi.net/pjd-reforme-code-famille-maroc,100497.html">La réaction du mouvement féministe</a> ne s’est pas fait attendre. Quelques jours plus tard, il dénonce la prise de position du PJD assimilée à “une forme d’intimidation” et appelle les islamistes à “faire preuve de rationalité et d’ijtihad [effort d'interprétation du Coran] dans un climat démocratique permettant d’élaborer des dispositions innovantes au service de l’intérêt général et de celui de la famille marocaine”. </p>
<p>A ce propos, <a href="https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2011-1-page-187.htm">Mohammed Arkoun</a> souligne que les mouvements islamistes s’inscrivent dans une “régression intellectuelle et culturelle” tant avec l’héritage de l’islam rationaliste classique (VIIe-XIIIe siècles) ouvert à la philosophie que celui de l’islam réformiste libéral (XIXe-XXe siècles) ouvert à la modernité.</p>
<p>Ainsi, en ce qui concerne par exemple le verset relatif à l’inégalité successorale, voici ce qu’Allah vous enjoint au sujet de vos enfants : </p>
<blockquote>
<p>Au fils, une part équivalente à celle de deux filles". (sourate 4, verset 11)</p>
</blockquote>
<p>Pour le théologien réformiste tunisien Tahar Haddad, ce verset ne constitue pas un dogme puisque le Coran contient également des versets égalitaires : </p>
<blockquote>
<p>Aux hommes revient une part de ce qu’ont laissé les père et mère ainsi que les proches ; et aux femmes une part de ce qu’ont laissé les père et mère ainsi que les proches, que ce soit peu ou beaucoup : une part fixée. (sourate 4, verset 7)</p>
</blockquote>
<p>En 1930, Tahar Haddad, qui défend une refonte de la charia inscrite dans la promotion d’une égalité des sexes, affirme audacieusement : “comme il fut possible à la loi musulmane de décréter l’abolition de l’esclavage, en s’appuyant sur le but libéral de cette décision, il peut en être de même pour établir <a href="https://nirvanaedition.com/produit/notre-femme-dans-la-charia-et-la-societe/">l'égalité entre l'homme et la femme</a> sur les plans de la vie pratique et aux yeux de la loi (…)”. </p>
<p>C’est pourquoi, il prône notamment l’abolition de la polygamie, de la répudiation, de la tutelle matrimoniale, l’abandon du voile et l’égalité successorale. </p>
<p>Aussi, souligne Mohammed Arkoun, l’enjeu actuel majeur pour l’exercice de la pensée islamique est son passage de <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-mohammed_arkoun_une_approche_critique_subversive_et_humaniste_de_l_islam_leila_tauil-9782140310683-75606.html">l’épistémè médiévale</a> travaillée par des rapports hiérarchiques – supériorité du musulman sur le non-musulman dhimmî (sourate 9, verset 29), du libre sur l’esclave (sourate 16, verset 71), de l’homme sur la femme (sourate 4, verset 34) – à l’épistémè moderne travaillée par le concept d’égalité citoyenne tout en reconnaissant l’historicité des textes scripturaires. </p>
<p>Or, si les acteurs religieux orthodoxes et islamistes acceptent majoritairement l’abolition du statut – entériné par le Coran – des minorités non-musulmanes (dhimmitude) et de l’esclavage, ils continuent à s'opposer avec force, sous la bannière d'un patriarcat sacralisé, à l’émancipation des femmes. </p>
<h2>Un tournant historique</h2>
<p>Pourtant, il serait grand temps que tous les acteurs religieux acceptent l'abolition du statut infériorisé des femmes, tant au niveau des lois que dans les discours islamiques, pour les considérer véritablement comme leurs égales. </p>
<p>Aussi, gageons que l’instance chargée au Maroc de la révision du code de la famille qui a auditionné, entre autres, en novembre 2023, la Coalition féminine pour un code de la famille basé sur l’égalité et la dignité, tienne compte des revendications de Saida El Idrissi, membre de la Coalition. Celle-ci souligne:</p>
<blockquote>
<p><a href="https://www.mapnews.ma/fr/actualites/social/r%C3%A9vision-du-code-de-la-famille-la-%E2%80%9Ccoalition-f%C3%A9minine-pour-un-code-de-la-famille">l’importance</a> de procéder à la révision du code de la famille sur la base des Hautes orientations royales, de la Constitution de 2011 et des principes des droits de l’Homme, et ce, en adéquation avec les <a href="https://www.ohchr.org/fr/publications/policy-and-methodological-publications/convention-elimination-all-forms-discrimination">conventions internationales</a> ratifiées par le Maroc. </p>
</blockquote>
<p>Enfin, le Maroc a un rendez-vous avec l’histoire et peut devenir le pays avant-gardiste du monde arabe en adoptant l’égalité, les libertés individuelles et la pleine démocratie qui peuvent s’avérer totalement compatibles avec un islam moderne et humaniste.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217224/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Leïla Tauil does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.</span></em></p>Le Maroc peut devenir le pays avant-gardiste du monde arabe en adoptant l’égalité, les libertés individuelles et la démocratie qui peuvent s’avérer compatibles avec un islam moderne et humaniste.Leïla Tauil, Enseignante-chercheure, Université de GenèveLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2158602023-10-26T17:57:27Z2023-10-26T17:57:27ZGuinée : le procès du massacre du 28 septembre 2009, un grand pas pour la lutte contre l’impunité<p>Depuis plus d’un an se déroule à Conakry le procès historique de l’ancien chef d’État guinéen, le capitaine <a href="https://theconversation.com/guinee-un-proces-pour-lhistoire-191793">Moussa Dadis Camara</a>, et de dix de ses co-accusés, soupçonnés d’être les responsables du <a href="https://www.hrw.org/fr/report/2009/12/17/un-lundi-sanglant/le-massacre-et-les-viols-commis-par-les-forces-de-securite-en">massacre du 28 septembre 2009</a>.</p>
<p>Annoncé, puis <a href="https://theconversation.com/guinee-linterminable-attente-du-proces-des-auteurs-du-massacre-du-28-septembre-2009-168860">sans cesse repoussé sous la précédente présidence d’Alpha Condé</a> (2010-2021), ce procès a finalement débuté 13 années après les faits, le jour anniversaire du massacre, à la suite d’une décision du colonel Mamady Doumbouya, le nouvel homme fort du pays depuis le <a href="https://theconversation.com/guinee-un-coup-detat-previsible-167937">coup d’État du 5 septembre 2021</a>. Il représente un moment unique dans l’histoire de ce pays d’Afrique de l’Ouest, marquée depuis des décennies par des <a href="https://www.memoire-collective-guinee.org/">régimes autoritaires et des violations massives des droits humains</a> commises dans une totale impunité.</p>
<h2>Treize ans d’attente, un an de procès</h2>
<p><a href="https://www.hrw.org/fr/report/2009/12/17/un-lundi-sanglant/le-massacre-et-les-viols-commis-par-les-forces-de-securite-en">Le 28 septembre 2009</a> et les jours suivants, les forces de sécurité guinéennes ont réprimé un rassemblement politique pacifique qui avait réuni dans un stade de la capitale, Conakry, des manifestants venus exprimer leur hostilité au maintien au pouvoir du capitaine Moussa Dadis Camara, alors président de la junte militaire dite « Conseil national pour la démocratie et le développement » (CNDD), à la tête du pays depuis le putsch militaire du 8 décembre 2008.</p>
<p>À cette occasion, comme a pu l’établir une <a href="https://www.fidh.org/IMG/pdf/rapport_onu.pdf">commission des Nations unies</a>, plus de 150 personnes avaient été tuées, des milliers d’autres blessées et plus d’une centaine de femmes avaient été violées. Les forces de sécurité avaient ensuite cherché à dissimuler les faits en déplaçant les corps vers des fosses communes.</p>
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<p>L’étape de cette première année de procès tend à démontrer que les arguments mis en avant durant des années, sous la présidence d’Alpha Condé, par les autorités politiques pour justifier le report de l’ouverture d’un jugement visaient surtout à masquer <a href="https://www.rfi.fr/fr/podcasts/invit%C3%A9-afrique/20230411-massacre-du-28-septembre-en-guin%C3%A9e-alpha-cond%C3%A9-ne-voulait-pas-organiser-ce-proc%C3%A8s">leur souhait qu’un tel jugement n’ait pas lieu</a>. Elle démontre aussi que porte ses fruits la détermination de l’actuel chef d’État, le colonel Mamady Doumbouya, lui-même au pouvoir après un putsch militaire du 5 septembre 2021.</p>
<p>En dépit d’imprévus, comme la <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20230621-guin%C3%A9e-le-proc%C3%A8s-du-massacre-du-28-septembre-ajourn%C3%A9-apr%C3%A8s-une-gr%C3%A8ve-des-gardiens-de-prison">grève des gardiens de prison</a> ou le <a href="https://www.justiceinfo.net/fr/117294-proces-conakry-menace-questions-financieres.html">boycott des avocats</a> réclamant une aide juridictionnelle pour leurs clients, le procès des 11 accusés se déroule dans des conditions satisfaisantes devant le tribunal criminel, à Conakry.</p>
<p>Le capitaine Moussa Dadis Camara et ses acolytes du CNDD – qui comparaissent tous détenus après une courageuse décision du président du tribunal – sont accusés de meurtres, de violences sexuelles, d’actes de torture et d’enlèvements, chefs d’accusation pour lesquels ils risquent la prison à vie si leur culpabilité est reconnue. Tous ont plaidé non coupable pour l’ensemble de ces chefs d’accusation.</p>
<p>Le tribunal chargé de leur procès siège dans des locaux neufs financés par le budget national. Il est composé exclusivement de magistrats guinéens, qui appliquent le droit pénal guinéen. Au rythme de trois journées d’audiences par semaine, le procès est retransmis en direct à la télévision nationale. Loin d’occasionner des troubles dans le pays (y compris en Guinée forestière, le fief de plusieurs des accusés), il captive la population guinéenne, qui suit avec intérêt les débats au cours desquels ses anciens gouvernants sont jugés comme des criminels de droit commun.</p>
<p>Tandis que le Bureau du Procureur de la Cour pénale internationale (CPI) avait annoncé en 2009 l’ouverture d’un <a href="https://www.icc-cpi.int/fr/guinea">examen préliminaire</a> pour déterminer s’il y avait lieu d’ouvrir une enquête, la Guinée avait aussitôt affirmé avoir la capacité et la volonté de juger elle-même les auteurs des crimes de septembre 2009. Après avoir assisté à l’ouverture du procès, le Bureau du Procureur de la CPI a finalement décidé de clôturer son examen préliminaire.</p>
<p>Avec l’actuel procès, la démonstration est donc faite que même un État tel que la Guinée, aux moyens limités et à la stabilité politique relative, peut organiser efficacement et équitablement des procès d’auteurs de graves violations des droits humains.</p>
<h2>Un procès imparfait, mais conduit dans la dignité</h2>
<p>Certes, tout n’est pas parfait. Pour certaines ONG, le <a href="https://www.hrw.org/fr/news/2023/07/13/en-guinee-le-proces-historique-lie-au-massacre-du-stade-en-2009-repris">choix d’écarter des poursuites pour crimes contre l’humanité</a> – une incrimination pourtant incorporée dans le code pénal guinéen – semble minimiser l’ampleur et la gravité des crimes perpétrés dans ce pays de 13 millions d’habitants. Elles relèvent également que certains responsables du massacre ne sont pas dans le box des accusés.</p>
<p>La présidence du tribunal peine parfois à diriger les débats et à les recentrer sur les faits et sur la question essentielle de la responsabilité pénale des accusés. Le ministère public est mis en difficulté en raison de la <a href="https://revuedlf.com/droit-international/massacre-du-28-septembre-2009-la-guinee-a-lepreuve-du-principe-de-complementarite/">faible qualité de l’information judiciaire conduite par le pool des juges d’instruction</a> et du manque de preuves scientifiques. Les avocats de la partie civile paraissent ne pas maîtriser l’ensemble des questions juridiques et se perdent quelquefois dans des points secondaires.</p>
<p>Une partie seulement de la longue liste de près de 700 victimes s’étant constituées parties civiles a pu être entendue à ce jour. Les accusés, quant à eux, tiennent, des heures durant, des propos décousus, tandis que leurs avocats ne semblent avoir aucune réelle stratégie, si ce n’est celle de gagner du temps et d’ajouter de la confusion. Le procès traîne ainsi en longueur, nul ne pouvant prédire quand il s’achèvera, alors que des préoccupations demeurent quant à son <a href="https://www.justiceinfo.net/fr/117294-proces-conakry-menace-questions-financieres.html">financement</a> et quant aux réparations pour les victimes.</p>
<p>Malgré tout, les aspects positifs l’emportent amplement sur les imperfections d’une justice guinéenne <a href="https://www.justiceinfo.net/fr/37929-guinee.html">inexpérimentée en matière de jugement de violations des droits humains</a> de cette ampleur. On peut ainsi relever que le procès se tient de manière digne. Le ministère public et les parties civiles sont incisifs quand il le faut. Les accusés peuvent leur répondre autant qu’ils le souhaitent. La sécurité des témoins semble assurée.</p>
<h2>La mise au jour des faits</h2>
<p>Au fil des audiences, les déclarations des uns et des autres permettent de reconstituer les faits d’une terrifiante journée de l’histoire contemporaine de Guinée, où des militaires ont cru pouvoir mater des manifestants pour leur audace, sans jamais avoir à rendre compte de leurs actes. <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20230327-affaire-du-28-septembre-en-guin%C3%A9e-les-six-premiers-mois-d-un-proc%C3%A8s-historique">La spontanéité des débats</a> met en lumière le calvaire des victimes lors du massacre, les séquestrations et mauvais traitements dans les jours qui ont suivi, les menaces sur les témoins, les manœuvres des chefs de la junte pour masquer les preuves dans les rues, les hôpitaux et les cliniques, les échanges entre membres de la junte pour se dédouaner, ainsi que la tentative d’assassinat du capitaine Moussa Dadis Camara en décembre 2009 (menée par le lieutenant Toumba Diakité lorsqu’il comprit que Dadis Camara tentait de lui attribuer la responsabilité du massacre).</p>
<p>Cette spontanéité des débats est servie, il est vrai, par certains des accusés. D’un côté, il y a ceux qui nient contre toute évidence leur implication. C’est le cas du chef de la junte, le <a href="https://www.humanite.fr/monde/guinee-conakry/guinee-conakry-les-bouffonneries-de-moussa-dadis-camara-a-la-barre-780778">capitaine Moussa Dadis Camara</a>, du ministre de la Sécurité présidentielle, le capitaine Claude Pivi, du ministre chargé des Services spéciaux, le commandant <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20230510-proc%C3%A8s-du-28-septembre-en-guin%C3%A9e-la-version-de-moussa-tiegboro-camara-remise-en-cause">Moussa Tiégboro Camara</a>, de l’un des adjoints du commandant Tiégboro, le lieutenant Blaise Guemou, ou encore du garde du corps du lieutenant Toumba, l’adjudant Cécé Raphaël Haba.</p>
<p>Ils ont été vus et entendus par les victimes et les témoins au stade ou à proximité, et exerçaient les principales responsabilités sur les unités de l’armée, de la gendarmerie et de la police alors déployées. Pour autant, à les entendre, ils n’auraient eu aucun rôle actif et leurs attributions étaient limitées.</p>
<p>De l’autre côté, il y a ceux qui, désormais, se font accusateurs. Tel est le <a href="https://www.rfi.fr/fr/podcasts/reportage-afrique/20221123-proc%C3%A8s-du-28-septembre-toumba-un-accus%C3%A9-devenu-star-en-guin%C3%A9e">cas du lieutenant Toumba Diakité</a> qui, ayant rapidement compris que le capitaine Dadis Moussa Carama chercherait à le présenter comme le principal exécutant du massacre, a pris le parti d’impliquer la plupart des autres accusés dans la commission des faits. Tel est le cas également du <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20230710-guin%C3%A9e-marcel-guilavogui-accuse-moussa-dadis-camara-d-avoir-organis%C3%A9-le-massacre-du-28-septembre">sous-lieutenant Marcel Guilavogui</a>, qui a fini par déclarer que le capitaine Dadis Moussa Camara est bien l’homme ayant ordonné le massacre.</p>
<h2>Une victoire pour la justice en Afrique ?</h2>
<p>C’est sans doute ce « spectacle » étonnant des puissants – ayant perdu de leur superbe et se retrouvant soumis à des questions précises qu’ils tentent d’esquiver maladroitement – qui <a href="https://www.justiceinfo.net/fr/108875-proces-28-septembre-conakry-comme-serie-tele.html">fascine tant la population guinéenne</a> et, plus largement d’Afrique de l’Ouest.</p>
<p>Le procès est, en effet, très commenté, particulièrement sur les réseaux sociaux. Il peut offrir d’importants enseignements pour d’autres pays où la justice doit être rendue pour des crimes internationaux. Il s’agit, en soi, d’une victoire pour tous ceux qui croient que la justice en Afrique peut établir la responsabilité des auteurs de violations massives des droits humains, y compris ses suspects de haut rang, dès lors que le pouvoir exécutif la laisse travailler en toute indépendance.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215860/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Catherine Maia ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Ce procès hors norme dure depuis maintenant plus d’un an. Il constitue une réelle percée pour la justice en Guinée et ailleurs en Afrique.Catherine Maia, Professeure de droit international à l’Université Lusófona (Portugal) et professeure invitée à Sciences Po Paris (France), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2095832023-07-26T18:17:39Z2023-07-26T18:17:39ZEn France ou ailleurs, couper l’accès aux réseaux sociaux pour couper court aux émeutes ?<p>La mort de Nahel, <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/06/28/nanterre-un-policier-en-garde-a-vue-apres-la-mort-d-un-mineur-de-17-ans-incidents-entre-habitants-et-forces-de-l-ordre_6179501_3224.html">tué par un policier</a> à Nanterre lors d’un contrôle routier le 27 juin 2023, a déclenché en France une série de manifestations violentes qui se sont <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/07/07/la-cartographie-d-une-semaine-d-emeutes-en-france_6180894_3224.html">rapidement étendues</a> à tout le pays et ont même <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/haute-savoie/mort-de-nahel-des-violences-urbaines-et-des-arrestations-en-suisse-inspirees-par-les-emeutes-en-france-2806877.html">franchi les frontières nationales</a>.</p>
<p>Les réseaux sociaux ont joué un rôle déterminant dans cette affaire. Il n’est donc pas surprenant que ces plates-formes soient devenues l’une des cibles des autorités françaises, Emmanuel Macron <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2023/07/05/emmanuel-macron-suggere-de-bloquer-les-reseaux-sociaux-pendant-les-emeutes_6180622_4408996.html">ayant évoqué la possibilité</a> de couper l’accès aux réseaux sociaux durant des périodes de violences urbaines.</p>
<p>Les réactions à ces propos ont vite provoqué un rétropédalage du gouvernement, par l’intermédiaire de son porte-parole Olivier Véran, <a href="https://twitter.com/Elysee/status/1676531039127355392?s=20">qui a déclaré</a> que les restrictions pourraient se limiter à des suspensions de certaines fonctionnalités comme la géolocalisation. </p>
<p>Un débat qui agite aussi les instances internationales, comme l'ONU, qui s'interrogent sur le rôle des réseaux sociaux et sur la modération de contenus.</p>
<h2>Le rôle des réseaux sociaux</h2>
<p>Que les réseaux sociaux constituent, comme le soulignait déjà le Rapporteur spécial sur la liberté d’opinion et expression de l’ONU en <a href="https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N11/449/79/PDF/N1144979.pdf">2011</a>, « un instrument de communication essentiel au moyen duquel les individus peuvent exercer leur droit à la liberté d’expression, ou […] de recevoir et de répandre des informations » est un fait indéniable. C’est d’ailleurs une vidéo largement diffusée en ligne qui a permis de <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/06/28/nanterre-un-policier-en-garde-a-vue-apres-la-mort-d-un-mineur-de-17-ans-incidents-entre-habitants-et-forces-de-l-ordre_6179501_3224.html">remettre en cause</a> la version des faits sur la mort de Nahel initialement avancée par les policiers impliqués.</p>
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<p>Mais les réseaux sociaux ont ensuite beaucoup servi à partager des vidéos, <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/adolescent-tue-par-un-policier-a-nanterre/violences-apres-la-mort-de-nahel-trois-questions-sur-l-usage-des-reseaux-sociaux-durant-les-emeutes_5924039.html">y compris d’épisodes violents</a>, ainsi qu’à organiser et à géolocaliser les mobilisations et les endroits visés par les dégradations ou affrontements. D’où la réaction du gouvernement français, qui a tenu une <a href="https://www.20minutes.fr/by-the-web/4043796-20230701-emeutes-apres-mort-nahel-gouvernement-met-pression-reseaux-sociaux">réunion avec les représentants de Meta, Snapchat, Twitter et TikTok</a> afin de les appeler à la responsabilité concernant la diffusion de tels contenus.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Les plates-formes étant devenues les <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2937985">« nouveaux gouverneurs »</a> de la liberté d’expression, leurs politiques de modération ainsi que l’application de celles-ci se retrouvent scrutées de près. Or les règles en vigueur sont vagues et ne permettent pas une identification claire des contenus interdits ; en outre, l’usage de l’IA <a href="https://theconversation.com/ia-et-moderation-des-reseaux-sociaux-un-cas-decole-de-discrimination-algorithmique-166614">peut favoriser la discrimination</a>, alimenter des <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/european-law-open/article/rethinking-rights-in-social-media-governance-human-rights-ideology-and-inequality/7DF50DD0BD3466FF3BD86909A2A6437A">inégalités sociales</a> et conduire soit à une suppression excessive de contenus soit, à l’inverse, à la <a href="https://www.ivir.nl/publicaties/download/AI-Llanso-Van-Hoboken-Feb-2020.pdf">non-suppression</a> de contenus qui vont à l’encontre du droit international des droits humains.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/traquer-la-haine-sur-les-reseaux-sociaux-exige-bien-plus-quun-algorithme-123626">Traquer la haine sur les réseaux sociaux exige bien plus qu’un algorithme</a>
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<p>Parmi les exemples récents de l’incidence d’une modération de contenus opaque, citons le rôle de Facebook au Myanmar dans la <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2018/03/13/l-onu-accuse-facebook-d-avoir-laisse-se-propager-des-discours-de-haine-contre-les-rohingya_5270181_4408996.html">propagation de discours haineux contre les Rohingya</a>, mais aussi aux États-Unis lors de <a href="https://www.washingtonpost.com/technology/2021/10/22/jan-6-capitol-riot-facebook/">l’assaut du Capitole</a> par les supporters de Donald Trump le 6 janvier 2021, suite à l’élection de Joe Biden.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/fermeture-des-comptes-de-donald-trump-facebook-et-sa-cour-supreme-en-quete-de-legitimite-155064">Fermeture des comptes de Donald Trump : Facebook et sa « Cour suprême » en quête de légitimité</a>
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<p>Les réseaux sociaux ont, en vertu des <a href="https://www.ohchr.org/sites/default/files/documents/publications/guidingprinciplesbusinesshr_fr.pdf">Principes directeurs relatifs aux entreprises et droits de l’homme de l’ONU</a>, la responsabilité de veiller au respect des droits humains dans le cadre de leurs activités. L’appel à la responsabilité de la part du gouvernement français en matière de modération des contenus n’est donc pas, en soi, problématique.</p>
<h2>Le rôle des États</h2>
<p>Les États ont la possibilité, dans certaines circonstances, de mettre en place des mesures susceptibles de restreindre l’exercice des droits fondamentaux tels que la liberté d’expression, par exemple en imposant des règles strictes aux réseaux sociaux ; mais ces restrictions doivent être conformes à leurs obligations internationales.</p>
<p>La France ayant ratifié le <a href="https://www.ohchr.org/fr/instruments-mechanisms/instruments/international-covenant-civil-and-political-rights">Pacte international sur les droits civils et politiques</a>, toute restriction aux droits y énumérés doit correspondre aux dispositions établies dans ce traité.</p>
<p>Le Pacte précise que pour qu’une restriction à la liberté d’expression soit légitime, elle doit satisfaire trois conditions cumulatives : la restriction doit être « fixée par la loi » ; elle doit protéger exclusivement les intérêts énumérés à l’article 19 du Pacte (les droits ou la réputation d’autrui, la sécurité nationale ou l’ordre public, la santé ou la moralité publiques) ; et elle doit être nécessaire pour protéger effectivement l’intérêt légitime identifié, et proportionnée à l’objectif visé, ce qui signifie qu’elle doit compromettre le moins possible l’exercice du droit. Les mêmes conditions s’appliquent aussi aux restrictions aux droits à la liberté de réunion pacifique et libre association.</p>
<p>Or la proposition d’Emmanuel Macron peut précisément s’inscrire dans le cadre d’une restriction de la liberté d’expression, de la libre association et du droit à la réunion pacifique. Bien que cette idée soit présentée comme visant à protéger l’intérêt légitime du maintien de l’ordre public ou même de la sécurité nationale, de telles mesures ont été à plusieurs reprises jugées par les organisations internationales comme étant non conformes avec le droit international.</p>
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<p>Le Rapporteur spécial sur la liberté d’opinion et d’expression de l’ONU a largement traité ce sujet. En <a href="https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/G17/077/49/PDF/G1707749.pdf">2017</a>, il a souligné que les coupures d’Internet – qui peuvent être complètes ou partielles, c’est-à-dire n’affectant que l’accès à certains services de communication comme les réseaux sociaux ou les services de messagerie – « peuvent être expressément destinées à empêcher ou à perturber la consultation ou la diffusion de l’information en ligne, en violation […] des droits de l’homme » et que, « dans bien des cas, elles sont contre-productives ».</p>
<p>Le Rapporteur spécial sur la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association a pour sa part <a href="https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/G19/141/03/PDF/G1914103.pdf">précisé en 2019</a> que « les coupures de réseau constituent une violation flagrante du droit international et ne peuvent en aucun cas être justifiées » et que « bien que ces mesures soient généralement justifiées par des raisons d’ordre public et de sécurité nationale, ce sont des moyens disproportionnés, et la plupart du temps inefficaces, d’atteindre ces objectifs légitimes ».</p>
<p>En 2021, une <a href="https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/LTD/G21/173/57/PDF/G2117357.pdf">résolution</a> du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, dont le projet a notamment été porté par la France, condamne « fermement le recours aux coupures de l’accès à Internet pour empêcher ou perturber délibérément et arbitrairement l’accès à l’information en ligne ou sa diffusion ». La résolution demandait aussi au Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (OHCHR) de présenter une étude sur la tendance, observée dans plusieurs pays du monde, consistant à couper l’accès à Internet.</p>
<p>Le <a href="https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/G22/341/56/PDF/G2234156.pdf">rapport</a> de l’OHCHR, présenté au Conseil l’année suivante, souligne que « la grande majorité des coupures sont justifiées officiellement par le souci de préserver la sûreté publique et la sécurité nationale ou par la nécessité de restreindre la circulation d’informations jugées illégales ou susceptibles de causer des préjudices ». Cela a pu être constaté, entre autres exemples, au <a href="https://www.accessnow.org/wp-content/uploads/2023/05/2022-KIO-Report-final.pdf">Burkina Faso</a> lors des manifestations de l’opposition en novembre 2021, qui ont mené à une coupure d’Internet d’abord, puis à une restriction d’accès à Facebook, au nom de la sécurité nationale, ou au <a href="https://www.accessnow.org/wp-content/uploads/2023/05/2022-KIO-Report-final.pdf">Sri Lanka</a> en avril 2022, quand le gouvernement à coupé l’accès à toutes les plates-formes suite à des protestations contre la mise en place d’un état d’urgence.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/sri-lanka-de-la-crise-economique-a-la-crise-politique-183157">Sri Lanka : de la crise économique à la crise politique</a>
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<p>Si ces restrictions ont généralement lieu dans des <a href="https://fr.statista.com/infographie/23813/carte-pays-qui-bloquent-reseaux-sociaux-et-applications-messagerie/">pays non démocratiques</a>, les justifications avancées par leurs gouvernements correspondent à celles avancées par le gouvernement français à présent.</p>
<p>Le rapport note aussi qu’un nombre important de coupures d’Internet ont été suivies par des pics de violences, « ce qui semble démontrer que ces interventions ne permettent bien souvent pas d’atteindre les objectifs officiellement invoqués de sûreté et de sécurité » mais aussi qu’« on ne saurait invoquer la sécurité nationale pour justifier une action lorsque ce sont précisément des atteintes aux droits de l’homme qui sont à l’origine de la détérioration de la sécurité nationale ».</p>
<p>Par ailleurs, les manifestations <a href="https://www.ohchr.org/en/press-releases/2023/07/statement-france-un-committee-elimination-racial-discrimination">trouvant leur origine dans les violences policières et le profilage racial</a>, des mesures visant à restreindre l’accès aux réseaux sociaux en les accusant d’être responsables des violences constituent « une manière de dépolitiser et délégitimer la révolte [et] de dénier aux émeutiers le droit de se révolter contre les violences policières », comme le souligne le chercheur en sciences de l’information <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/07/06/accuser-les-reseaux-sociaux-d-etre-responsables-des-violences-est-une-maniere-de-depolitiser-la-revolte_6180761_3232.html">Romain Badouard</a>.</p>
<h2>Une question d’équilibre ?</h2>
<p>Les États et les réseaux sociaux ont, les uns comme les autres, un devoir de protection et de respect des droits humains, mais comme nous l’avons vu, ils peuvent également porter atteinte à ces droits. Le cas présent montre que les deux centres de pouvoir, les États et les réseaux sociaux, peuvent, et idéalement devraient, <a href="https://scholarship.law.upenn.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=9654&context=penn_law_review">se contrebalancer</a>, afin d’assurer une meilleure protection des droits des individus.</p>
<p>C’est dans ce cadre qu’une approche de la modération des contenus en ligne fondée sur les droits humains se révèle nécessaire. Le Rapporteur spécial sur la liberté d’opinion et expression de l’ONU avait déjà remarqué en <a href="https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/G18/096/73/PDF/G1809673.pdf">2018</a> que « certains États […] recourent à la censure et à l’incrimination pour façonner le cadre réglementaire en ligne », mettant en place « des lois restrictives formulées en termes généraux sur l’"extrémisme", le blasphème, la diffamation, les discours “offensants”, les fausses informations et la “propagande” [qui] servent souvent de prétexte pour exiger des entreprises qu’elles suppriment des discours légitimes ». D’autre part, si les réseaux sociaux se présentent comme <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/1369118X.2017.1289233?journalCode=rics20">promoteurs de droits</a> tels que la liberté d’expression, le Rapporteur spécial avait également relevé que la plupart d’entre eux ne se fondent pas sur les principes des droits humains dans leurs activités et politiques de modération de contenus.</p>
<p>Le cadre du droit international des droits humains offre non seulement aux individus la possibilité de contester les mesures prises par leurs gouvernements, mais il offre également aux réseaux sociaux un <a href="https://globalreports.columbia.edu/books/speech-police/">langage</a> permettant de contester les demandes illicites émanant des États et d’« articuler leurs positions dans le monde entier de manière à respecter les normes démocratiques ». Reste aux États comme aux plates-formes à se saisir pleinement de ces instruments. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209583/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stefania Di Stefano est Project Officer pour la Geneva Human Rights Platform, un projet de l'Académie de droit international humanitaire et de droits humains de Genève.</span></em></p>Les appels à la violence publiés en ligne pendant les émeutes consécutives à la mort de Nahel M. ont incité Emmanuel Macron à évoquer la possibilité d’un blocage des réseaux sociaux.Stefania Di Stefano, Doctorante en droit international, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2086082023-07-06T17:19:56Z2023-07-06T17:19:56ZRussie : la condamnation emblématique d’Oleg Orlov, figure de la lutte pour les droits humains<p><em>Oleg Orlov <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2024/02/27/le-dissident-russe-oleg-orlov-condamne-a-deux-ans-et-demi-de-prison-pour-ses-denonciations-de-l-offensive-militaire-en-ukraine_6218816_3210.html">vient d'être condamné à deux ans et demi de prison</a>. Nous vous proposons de relire cet article rédigé il y a quelques mois, au moment de la deuxième audience de son procès.</em></p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1762413076303823286"}"></div></p>
<p>Le 8 juin dernier, un <a href="https://www.liberation.fr/international/europe/russie-ouverture-du-proces-de-lactiviste-oleg-orlov-figure-de-long-memorial-accuse-davoir-discredite-larmee-20230608_3LE2R2WNWVCB7KETZGDZGNUHME/">procès s’est ouvert à Moscou</a> contre <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Oleg-Orlov-pacifiste-russe-indomptable-2022-07-14-1201224878">Oleg Orlov</a>, 70 ans, éminent défenseur des droits humains en Russie, coprésident de l’organisation Centre de défense des droits humains <a href="https://memorialcenter.org/">Memorial</a>. Il est jugé pour avoir « jeté le discrédit sur l’action de l’armée russe » en Ukraine. <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/russie/guerre-en-ukraine-cinq-questions-sur-la-loi-de-censure-votee-en-russie-qui-condamne-toute-information-mensongere-sur-l-armee_4992688.html">Une loi adoptée peu après l’attaque lancée par Moscou en février 2022</a>, interdisant toute forme de critique de l’armée russe.</p>
<p>Après une courte première audience, qui ne fut que formelle, une deuxième audience <a href="https://twitter.com/france_memorial/status/1675822606971273216">s’est tenue le 3 juillet</a>. Pour l’instant, si de nouvelles charges ne sont pas retenues contre lui, il risque une peine de trois ans de prison.</p>
<p>Sa vie entière a été consacrée à la défense des droits humains, dans l’URSS finissante d’abord, puis dans la Russie de Boris Eltsine, spécialement durant la première guerre de Tchétchénie (1994-1996) et, depuis 2000, dans celle de Vladimir Poutine, où la société civile a été progressivement, et de plus en plus rapidement au cours de ces dernières années, mise au pas par le régime. Revenir sur son engagement, qui lui a valu d’innombrables problèmes judiciaires et aussi des attaques physiques, permet de mieux saisir l’ampleur de la tâche à laquelle les défenseurs des droits humains se consacrent en Russie depuis des décennies, au péril souvent de leur liberté, parfois de leur vie.</p>
<h2>Une vie au service des droits humains</h2>
<p>La vocation d’Oleg Orlov s’est manifestée très tôt. En 1979, alors qu’il travaille comme biologiste à l’Institut de physiologie végétale, il imprime après le travail des tracts dénonçant la guerre en Afghanistan et les affiche dans des entrées d’immeubles, des stations de bus et des cabines téléphoniques. En 1981, il s’élève de la même manière contre l’interdiction du syndicat Solidarność en Pologne. Il expliquera plus tard qu’il avait agi ainsi, prenant des risques considérables dans le contexte de la dictature soviétique, car il sentait qu’il ne lui était pas possible de se taire.</p>
<p>C’est tout naturellement, que, à la fin des années 1980, il compte parmi les <a href="http://prequel.memo.ru/fr">fondateurs de l’ONG <em>Memorial</em></a>. Les membres de cette organisation <a href="https://www.cairn.info/revue-le-debat-2009-3-page-131.htm">créée à l’origine pour entretenir la mémoire des victimes de la répression stalinienne</a> et prévenir un retour à de telles répressions comprirent vite que leur mission allait de pair avec la protection des droits humains dans la Russie contemporaine. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/535529/original/file-20230704-17529-tbnchm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/535529/original/file-20230704-17529-tbnchm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=514&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/535529/original/file-20230704-17529-tbnchm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=514&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/535529/original/file-20230704-17529-tbnchm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=514&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/535529/original/file-20230704-17529-tbnchm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=646&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/535529/original/file-20230704-17529-tbnchm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=646&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/535529/original/file-20230704-17529-tbnchm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=646&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Oleg Orlov, deuxième à partir de la gauche, lors d’une manifestation de Memorial à Moscou le 1ᵉʳ mai 1990 en soutien à la Lituanie, placée sous blocus par les autorités soviétiques pour avoir proclamé son indépendance.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://prequel.memo.ru/fr">D. Bork Memorial</a></span>
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</figure>
<p>En 1990, Orlov abandonne sa profession de biologiste pour rejoindre la commission parlementaire des droits de l’homme, officiellement créée auprès du Soviet suprême de la République socialiste fédérative soviétique de Russie. Il ne lui était pas facile de devenir ainsi un représentant officiel de l’État, mais <a href="https://desk-russie.eu/2021/08/20/serguei-kovalev-la-conscience-de-la-russie.html">Sergueï Kovalev</a>, une des très grandes figures de la dissidence et ancien prisonnier politique soviétique, l’a convaincu d’accepter : « On doit profiter de cette occasion, cela ne durera peut-être pas longtemps. »</p>
<p>Il ne s’était pas trompé : Oleg Orlov ne resta à cette position que trois ans, durant lesquels son activité donna de nombreux résultats. La commission des droits de l’homme a notamment rédigé d’importantes lois sur la réhabilitation des victimes de la répression politique, sur les réfugiés et sur le système pénitentiaire.</p>
<p>En 1993, après le <a href="https://theconversation.com/comment-une-democratie-peut-sauto-dissoudre-lexemple-de-la-russie-des-annees-1990-196914">conflit sanglant entre le président Boris Eltsine et le Parlement</a>, Orlov décide de quitter une position officielle, pour se concentrer sur son travail au sein de Memorial. Cette même année, l’ONG se dote d’un Centre des droits humains, visant spécifiquement à documenter les violations commises par le pouvoir et à procurer une aide, notamment juridique, aux victimes. Orlov en prend rapidement la tête.</p>
<p>Depuis lors, pas un seul conflit armé dans lequel la Russie a été impliquée n’a échappé à la vigilance de cette organisation <a href="https://politiqueinternationale.com/revue/n128/article/russie-comment-defendre-les-droits-de-lhomme">et d’Oleg Orlov en particulier</a> : les deux guerres de Tchétchénie, la guerre contre la Géorgie en 2008, la guerre dans le Donbass en 2014-2016.</p>
<h2>Ne pas se taire sur les crimes du pouvoir</h2>
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<p>« Le “nettoyage” du village s’est accompagné de meurtres de civils, de violences à l’égard des personnes arrêtées, de pillages et d’incendies de maisons. C’est au cours de ce “nettoyage” que la plupart des villageois ont été tués et la plupart des maisons détruites. […]</p>
<p>Les tirs de mitrailleuses des véhicules blindés de transport de troupes et des chars d’assaut qui entraient dans le village ont aussi fait de nombreuses victimes parmi les villageois. Le 7 avril, 1<sup>er</sup> jour de l’opération, deux hommes âgés de 75 et 34 ans ont été tués lorsque les militaires sont entrés dans le village. Le lendemain, des tirs provenant de véhicules blindés de transport de troupes ou de chars qui passaient ont tué une jeune fille de 18 ans, un homme de 61 ans et un adolescent de 16 ans […]. De nombreux témoins ont rapporté que les soldats russes lançaient délibérément des grenades dans les sous-sols et les pièces des maisons, ainsi que dans les cours, sachant ou soupçonnant que des personnes s’y trouvaient. […]</p>
<p>Le 8 avril, un homme de 37 ans, blessé lors du bombardement de la veille, a été détenu chez lui avec son frère pour être “filtré”. Lors du convoi, d’autres détenus l’ont porté sur une civière. Près de la gare, sur ordre des convoyeurs, ils ont posé la civière au sol et les militaires ont abattu le blessé. Le même jour, un homme de 62 ans a été abattu à bout portant par des militaires dans une maison, puis aspergé d’essence et incendié. »</p>
</blockquote>
<p>Ce texte ne décrit pas les <a href="https://news.un.org/fr/story/2023/03/1133307#:%7E:text=Les%20attaques%20russes%20contre%20les,de%20l%E2%80%99homme%20de%20l%E2%80%99">crimes de guerre</a> commis par l’armée russe à <a href="https://theconversation.com/ukraine-comment-les-equipes-medico-legales-enquetent-sur-les-atrocites-de-boutcha-180991">Boutcha</a> ou Irpin. Il est extrait d’un rapport du Centre des droits humains Memorial, dont Orlov était l’un des auteurs, portant sur les événements survenus dans le <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1995/04/16/des-democrates-russes-denoncent-les-exactions-commises-dans-le-village-tchetchene-de-samachki_3868188_1819218.html">village tchétchène de Samachki</a> les 7 et 8 avril 1995, durant la première guerre de Tchétchénie. Depuis, le modus operandi de l’armée russe n’a pas beaucoup changé.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/finlande-1939-tchetchenie-1994-ukraine-2022-pourquoi-les-guerres-russes-se-ressemblent-elles-181730">Finlande 1939, Tchétchénie 1994, Ukraine 2022 : pourquoi les guerres russes se ressemblent-elles ?</a>
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<p>En Tchétchénie, Oleg Orlov a pris tous les risques. Ainsi, il a participé en juin 1995 aux <a href="https://www.rightsinrussia.org/orlov-2/">négociations avec les terroristes</a> qui, sous le commandement de Chamil Bassaïev, avaient pris des otages dans la ville de Boudionnovsk, dans le Caucase du Nord. À l’issue de ces échanges, des membres du groupe de négociateurs, dont Orlov, se sont portés volontaires pour rester aux mains du commando en tant qu’otages, en échange de la libération des 1 500 otages aux mains du groupe Bassaïev.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/iGMii7ZCTYo?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>En 2007, il est <a href="https://www.reuters.com/article/us-russia-ingushetia-idUSL242348520071124">enlevé avec un groupe de journalistes</a> par des hommes armés masqués dans un hôtel d’Ingouchie, toujours dans le Caucase russe. Conduits hors de la ville dans un champ, ils furent menacés d’exécution et finalement passés à tabac, leurs ravisseurs exigeant qu’ils quittent l’Ingouchie et n’y reviennent jamais.</p>
<p>Le modus operandi des forces répressives du Caucase du Nord, n’a pas changé depuis ces années, comme en témoigne l’agression violente contre la journaliste de Novaïa Gazeta Elena Milachina et l’avocat Alexandre Nemov commise le 4 juillet 2023, alors qu’ils se trouvaient en Tchétchénie pour suivre le procès d’une femme, Zarema Moussaïeva, ayant pour seul tort d’être la mère d’opposants au satrape local, Ramzan Kadyrov, et qui a d’ailleurs été <a href="https://www.themoscowtimes.com/2023/07/04/chechen-court-sentences-mother-of-prominent-activist-to-55-years-in-prison-a81728">condamnée ce même 4 juillet à cinq ans et demi de prison</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1676271581314662400"}"></div></p>
<p>Pendant toutes ces années, Oleg Orlov a vu ses collègues kidnappés, torturés et <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2009/07/16/natalia-estemirova-ou-la-mort-a-petit-feu-des-droits-de-l-homme-en-tchetchenie_1219634_3214.html">assassinés</a>, les bureaux de Memorial dans le Caucase du Nord <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20180117-russie-bureaux-ong-memorial-incendies-caucase">incendiés</a>, le Centre des droits humains Memorial <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2014/07/21/russie-l-ong-memorial-enregistree-comme-agent-de-l-etranger_4460831_3214.html">déclaré agent de l’étranger</a> en 2014 par les autorités russes, puis <a href="https://www.lepoint.fr/monde/russie-la-justice-dissout-le-centre-des-droits-humains-de-l-ong-memorial-29-12-2021-2458520_24.php">dissous</a> le 29 décembre 2021. Cette dissolution est officiellement entrée en vigueur le 5 avril 2022, quelques mois avant l’attribution à Memorial, conjointement avec le militant biélorusse Ales Bialiatski et l’ONG ukrainienne Centre pour les libertés civiles, du <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/10/07/le-prix-nobel-de-la-paix-2022-attribue-a-l-ong-russe-memorial-au-centre-pour-les-libertes-civiles-ukrainien-et-a-l-opposant-bielorusse-ales-bialiatski_6144814_3210.html">prix Nobel de la paix 2022</a>.</p>
<p>Trente ans durant, le <a href="https://www.rferl.org/a/russia-faces-of-memorial-stories-/31631658.html">Centre</a> aura documenté des milliers de cas de violations des droits humains et tenté de faire rendre des comptes aux responsables. Il était évident qu’avec l’invasion massive de l’Ukraine, les autorités russes décideraient de liquider définitivement une telle organisation et de réduire ses membres au silence, en les poussant au départ ou en les envoyant derrière les barreaux. Ce contexte pesant n’a toutefois jamais découragé Oleg Orlov de poursuivre son action de défense des droits humains.</p>
<h2>Protester contre la guerre en Ukraine depuis la Russie</h2>
<p>Le 26 février 2022, deux jours après le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, il s’est rendu devant le Parlement russe, portant une pancarte sur laquelle il avait dessiné une colombe de la paix. Il n’y est pas resté plus de cinq minutes, arrêté par la police. Pensait-il qu’une telle colombe dessinée sur une feuille A4 arrêterait la guerre ? Ou réveillerait la conscience des députés russes ?</p>
<p>Bien sûr, il n’est pas aussi naïf, mais une fois de plus, il ne pouvait se taire. Il est ainsi, entre le 24 février et mai 2022, descendu cinq fois dans la rue pour manifester seul, <a href="https://www.rtbf.be/article/guerre-en-ukraine-un-opposant-au-kremlin-interpelle-apres-une-manifestation-solitaire-sur-la-place-rouge-10972536">et s’est retrouvé chaque fois au poste de police</a>. Sur ces pancartes il avait écrit : « Paix à l’Ukraine, liberté à la Russie » ; « La folie de Poutine pousse l’humanité vers une guerre nucléaire » ; « Notre refus de connaître la vérité et notre silence nous rendent complices du crime » ; « URSS 1945, pays victorieux du fascisme ; Russie 2022, pays du fascisme triomphant ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1513141513764618248"}"></div></p>
<p>Chaque fois, un tribunal russe l’a reconnu coupable, d’abord d’avoir enfreint les règles de rassemblement, puis d’avoir violé les nouvelles lois adoptées à la hâte qui ont renforcé la censure de toute opposition à la guerre. Chacune de ces condamnations donne lieu à des amendes et, surtout, est inscrite dans son casier judiciaire ; c’est pourquoi, quand en novembre 2022, Orlov publie un <a href="https://blogs.mediapart.fr/russie-les-voix-de-la-dissidence-daujourdhui/blog/131122/russie-ils-voulaient-le-fascisme-ils-lont-eu">article</a> sur le site français Mediapart où il compare le régime de Poutine à un régime fasciste, article dont il dépose la version russe sur sa page Facebook, l’appareil répressif s’en saisit immédiatement et l’inculpe pour avoir « jeté le discrédit de façon répétée » sur les actions de l’armée russe.</p>
<p>Il risque désormais jusqu’à trois années de prison. Il est fort possible que ce ne soit que le début d’une longue persécution. Les autorités russes, qui <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/sep/20/russia-recruits-inmates-ukraine-war-wagner-prigozhin">amnistient facilement des assassins</a>, punissent durement les propos tenus contre le régime.</p>
<p>Oleg Orlov n’a pas été placé en détention avant son procès. Il est soumis à l’engagement de ne pas quitter le pays, comme si les autorités lui laissaient entendre qu’il n’est pas trop tard pour échapper à la prison en quittant clandestinement la Russie. Mais tout au long de sa vie, malgré les multiples pressions qu’il a subies, le militant n’a jamais souhaité émigrer. Bien que se sachant menacé, il a toujours considéré que sa place était là, à Moscou et partout sur le terrain.</p>
<p>Aujourd’hui, il n’a pas dérogé à ce choix. À la différence de la politique soviétique menée face à la dissidence, qui évitait, pour l’essentiel, que les opposants au régime quittent le territoire, ou les utilisait parfois comme des <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/14682745.2013.793310">monnaies d’échange</a>, les autorités russes <a href="https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/ifri_inozemstev_exode_juillet_2023.pdf">poussent aujourd’hui toutes celles et ceux qui les critiquent à quitter leur pays</a>. Elles mènent des perquisitions pour signifier à certains opposants qu’ils n’ont désormais pour choix que la fuite ou l’incarcération. Ils laissent les frontières ouvertes, espérant ainsi « purifier » le pays de tous ceux qui s’opposent à la guerre et à l’autoritarisme de Vladimir Poutine. Oleg Orlov n’a pas voulu céder à ce chantage. Il est resté et a continué, inlassablement, de se battre pour les droits humains. Au risque de perdre sa liberté pour de longues années.</p>
<p>Qu’advient-il de Memorial, l’organisation qui a été la sienne durant toutes ces années, désormais liquidée ? Son nom n’a pas été choisi par hasard : la mémoire ne peut être liquidée, quels que soient les efforts de l’appareil répressif et judiciaire russe. Le Centre des droits humains Memorial est devenu le Centre de défense des droits humains Memorial (organisation créée, mais non enregistrée, ce qui est pour l’instant un statut légal en Russie). Ses objectifs restent les mêmes et ses membres poursuivent son action, aujourd’hui comme hier. Cela d’autant plus que ces droits n’ont jamais été autant bafoués. Oleg Orlov est là pour nous le rappeler.</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été coécrit avec Natalia Morozova (FIDH et Centre de défense des droits humains Memorial)</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208608/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alain Blum est membre fondateur de Mémorial-France, association créée en 2021 pour soutenir l'ONG russe Mémorial et ses membres.</span></em></p>Inlassable militant des droits de l’homme Oleg Orlov, figure de la grande ONG russe Memorial, vient d’être condamné à deux ans et demi de prison pour avoir dénoncé la guerre russe en Ukraine.Alain Blum, Directeur de recherche, Institut National d'Études Démographiques (INED)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2044642023-05-15T09:53:10Z2023-05-15T09:53:10ZCameroun : la liberté de la presse mise à mal - voici comment y remédier<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/525882/original/file-20230512-27-28dwi7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une cérémonie d'hommage au journaliste Martinez Zogo.</span> <span class="attribution"><span class="source">Daniel Beloumou/AFP via Getty Images</span></span></figcaption></figure><p>Le journaliste camerounais <a href="https://www.france24.com/fr/%C3%A9missions/focus/20230503-au-cameroun-les-journalistes-vivent-dans-la-peur-depuis-l-assassinat-de-martinez-zogo">Martinez Zogo a été retrouvé mort</a> le 22 janvier, après avoir été enlevé le 17 janvier 2023, à Yaoundé. L'enquête de la police a abouti à l’<a href="https://rsf.org/fr/assassinat-de-martinez-zogo-au-cameroun-r%C3%A9cit-de-l-arrestation-de-l-un-des-commanditaires-pr%C3%A9sum%C3%A9s">arrestation</a> de plusieurs personnes de haut rang fortement soupçonnées d'être liées ou impliquées dans ce crime odieux. D'après le gouvernement, Martinez Zogo a subi <a href="https://www.aa.com.tr/fr/afrique/cameroun-assassinat-du-journaliste-martinez-zogo-le-gouvernement-annonce-l-ouverture-d-une-enqu%C3%AAte/2794972">“d'importants sévices”</a> au moment de sa mort. </p>
<p>Cet assassinat a suscité une <a href="https://www.hrw.org/fr/news/2023/01/27/cameroun-meurtre-dun-eminent-journaliste-dinvestigation">condamnation générale</a> de la part des organisations de défense des droits humains et des militants de la liberté de la presse qui sont très préoccupés par la situation.</p>
<p>La liberté d'expression et la libre circulation de l'information sont des éléments essentiels au développement d'une société démocratique. Dans une telle société, les journalistes et les médias contribuent à la transparence et la responsabilité des autorités publiques et gouvernementales. </p>
<p>Les médias constituent également un forum de discussion et de débat, contribuent à l'élaboration d'un consensus social et donnent une voix à ceux qui n'en ont pas. Pour travailler efficacement, les journalistes ont donc besoin de <a href="https://uni.oslomet.no/mekk/conferences/safety-of-journalists-digital-safety-2019/paper-sessions/">sûreté et de sécurité, ainsi que d'un environnement de travail favorable</a>. </p>
<p>Or, de plus en plus de journalistes sont tués dans des pays qui ne sont pas en guerre, et de plus en plus souvent alors qu'ils enquêtent sur des questions sensibles telles que la corruption débridée, <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/23743670.2020.1725777?journalCode=recq21">les détournements de fonds, le crime organisé et la mauvaise gouvernance</a>. </p>
<p>L'une des choses les plus dangereuses et les plus périlleuses que les journalistes puissent faire est de couvrir ou de rapporter les conflits, les abus de pouvoir et la corruption débridée dans leur pays d'origine. </p>
<p>Martinez Zogo a été délibérément pris pour cible pour avoir utilisé son émission de radio afin de dénoncer la corruption et les pratiques illégales impliquant des personnalités publiques. Martinez <a href="https://www.hrw.org/news/2023/01/27/cameroon-prominent-investigative-journalist-killed">a cité les noms de toutes les personnes soupçonnées</a> d'avoir commis des actes répréhensibles. Ce qui lui a valu la fureur et le marteau répressif de ceux qu'il a démasqués. </p>
<p>Dans cet article, j'analyse les obligations internationales contraignantes auxquelles le Cameroun a souscrit en matière de liberté d'expression et de presse. J'examine également les mesures pouvant atténuer les risques et la violence auxquels les journalistes sont confrontés, en tirant les leçons de l'assassinat de Martinez Zogo. </p>
<h2>Les médias comme chien de garde</h2>
<p>Martinez Zogo animait <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20230121-cameroun-le-gouvernement-r%C3%A9agit-%C3%A0-la-disparition-du-journaliste-martinez-zogo">l'émission d'actualité “Embouteillage”</a> sur la radio <em>Amplitude</em>, où il abordait des sujets sensibles, notamment la corruption débridée et les pratiques illégales impliquant des personnalités publiques. Afin de préserver la contribution des médias au débat public, les journalistes sont censés travailler sans menace et devraient pouvoir compter sur un niveau élevé de protection et de sécurité. </p>
<p>Les médias camerounais sont l'un des moyens par lesquels les dirigeants politiques, les milieux d'affaires et l'opinion publique peuvent vérifier que les ressources de l'État sont dépensées conformément aux principes de transparence et de responsabilité, et ne sont pas utilisées pour enrichir certains individus. Ainsi, l'enlèvement et l'assassinat de Martinez pour ses critiques, les révélations concernant des agents publics ou l'exposition d'actes répréhensibles ou de corruption demeurent une violation flagrante et une ingérence dans la liberté d'expression et de la presse. Ils ont <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/23743670.2019.1703776?src=recsys">un dangereux effet paralysant</a>, qui tend à dissuader les médias et leurs professionnels, les dénonciateurs et d'autres personnes de prendre part à la discussion sur des questions d'intérêt public. </p>
<h2>Marteau repressif de l'Etat</h2>
<p>Le cas de Martinez n'est pas nouveau. De nombreux journalistes camerounais ont subi la fureur et le marteau répressif de l'État pour avoir pratiqué un journalisme de surveillance ou utilisé les médias pour critiquer les institutions de l'État et leurs activités. Par exemple, en 2019, <a href="https://rsf.org/fr/cameroun-le-journaliste-samuel-wazizi-est-bien-mort-pendant-sa-d%C3%A9tention">Samuel Wazizi est mort </a>en détention à Yaoundé. Le 22 avril 2010, le rédacteur en chef de <em>Cameroon Expression</em>,<a href="https://www.jeuneafrique.com/154952/politique/le-journaliste-bibi-ngota-serait-il-d-c-d-suite-des-tortures/"> Ngota Ngota Germain</a>, est mort à la prison centrale de Kondengui. </p>
<p>De nombreux journalistes camerounais dont Mimi Mefo, Ahmed Abba et Mancho Bibix ont été arrêtés et détenus en vertu de la <a href="http://www.minjustice.gov.cm/index.php/fr/textes-lois/lois/382-loi-n-2014-28-du-23-decembre-2014-portant-repression-des-actes-de-terrorisme">loi antiterroriste de 2014</a> et de <a href="https://2019.landhumanrights.org/ponencia/the-trumping-effect-of-anti-terrorism-legislations-the-case-of-cameroon/">l'éclatement du conflit anglophone au Cameroun en 2016</a>. Le Cameroun est <a href="https://panafricanvisions.com/2023/01/cameroon-third-worse-jailer-of-african-journalists-in-2022-cpj/">le troisième pays d'Afrique qui emprisonne le plus de journalistes</a>, après l'Égypte et l'Érythrée. Le Cameroun est actuellement classé 135e sur 180 pays <a href="https://rsf.org/fr/pays-cameroun">classé 138e sur 180</a>. </p>
<p>Même dans les sociétés hautement démocratiques comme en Europe, les journalistes d'investigation comme du type Martinez Zogo sont attaqués. <a href="https://fr.euronews.com/2021/07/15/le-journaliste-neerlandais-peter-r-de-vries-a-succombe-a-ses-blessures-par-balles">Peter R. De Vries</a>, célèbre journaliste d'investigation et chroniqueur judiciaire néerlandais, a été abattu d'une balle dans la tête à Amsterdam. Il a succombé à ses blessures le 15 juillet 2021. Le journaliste grec spécialisé dans le crime organisé, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/04/09/george-karaivaz-journaliste-grec-specialise-dans-les-affaires-criminelles-abattu-a-athenes_6076237_3210.html">Giorgos Karaivaz, a été abattu en plein jour à Athènes le 9 avril 2021</a>. Daphné Caruana Galizia, écrivain, blogueuse, journaliste et militante anticorruption maltaise, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/07/05/assassinat-de-daphne-caruana-galizia-george-degiorgio-principal-suspect-affirme-avoir-tue-la-journaliste-maltaise_6133508_3210.html">est décédée </a>près de son domicile lorsqu'une voiture piégée a explosé. Une <a href="https://rsf.org/en/dutch-crime-reporter-fourth-journalist-murdered-many-years-european-union">vingtaine de journalistes</a> vivent actuellement sous protection policière permanente en Italie. </p>
<h2>Respect des obligations internationales</h2>
<p>Compte tenu de la pertinence et de l'importance de la liberté d'expression et de presse en tant qu'exigence et condition préalable au fonctionnement de la démocratie camerounaise, l'exercice de ces libertés ne dépend pas uniquement de l'impartialité de l'Etat. Elle <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/23743670.2019.1703776?src=recsys">peut nécessiter</a> des mesures positives de protection formalisées dans un <a href="https://www.eods.eu/library/UN_ICCPR_1966_FR.pdf">cadre juridique</a>.</p>
<p>Le Cameroun a ratifié <a href="https://tbinternet.ohchr.org/_layouts/15/TreatyBodyExternal/Treaty.aspx?CountryID=30&Lang=en">ce pacte le 27 juin 1984</a>. Il est donc tenu de remplir une série d'obligations positives, autrement dit de respecter des mesures juridiques, administratives et pratiques visant à assurer la sécurité des journalistes. En outre, le Cameroun, a ratifié la <a href="https://au.int/sites/default/files/treaties/36390-treaty-0011_-_african_charter_on_human_and_peoples_rights_f.pdf">Charte africaine des droits de l'homme et des peuples</a>, le <a href="https://achpr.au.int/en/state-reports/concluding-observations-and-recommendations-cameroon-2nd-periodic-report-200">20 juin 1989 </a>. Il est donc obligé de se conformer à la <a href="https://agp.africanlii.org/akn/aa-au/statement/resolution/achpr/2020/468/eng@2020-12-03">Résolution sur la sécurité des journalistes et des professionnels des média</a>. </p>
<p>Ainsi, le Cameroun a des obligations contraignantes en vertu du droit national (Constitution) et du droit international en ce qui concerne la sécurité et la protection des journalistes. Les États parties à ces traités doivent veiller à ce que leurs principes soient maintenus et respectés, non seulement au niveau national, mais aussi au niveau universel. </p>
<h2>Comment atténuer les risques?</h2>
<p>Pour inverser cette tendance et en vertu de ses engagements, le Cameroun doit : </p>
<ul>
<li><p>respecter ses obligations internationales en matière de sécurité et de protection des journalistes;</p></li>
<li><p>renforcer les mesures de protection des journalistes et des autres professionnels des médias, en particulier ceux qui travaillent sur des questions liées au crime organisé et à la corruption. </p></li>
<li><p>mener des enquêtes approfondies sur les crimes commis à l'encontre de journalistes victimes du crime organisé, afin de s'assurer que les responsables soient traduits en justice.</p></li>
</ul>
<p>Des programmes intensifs de formation à la sécurité sont également nécessaires pour assurer la sécurité des journalistes lors des manifestations, des conflits et des guerres. Les organisations de médias, les ONG et les agences gouvernementales doivent veiller à ce que des programmes de formation réguliers sur la sécurité soient disponibles. Par exemple, les employeurs et les salles de rédaction peuvent proposer une formation à la sécurité pour les reporters et les équipes de journalistes, notamment en ce qui concerne les manœuvres d'évitement et l'élaboration d'un plan d'intervention standard en matière de sécurité. </p>
<p>Il est également essentiel d'aborder la formation à la sécurité psychologique (reconnaissance des traumatismes et techniques d'auto-assistance).</p>
<p>Les journalistes doivent être constamment assurés et bénéficier d'une sécurité physique, c'est-à-dire d'équipements tels que des gilets pare-balles, des casques, des trousses de premiers secours, etc. Le gouvernement, les employeurs et les salles de presse devraient fournir aux équipes de journalistes et aux journalistes une sécurité privée, une police permanente ou une protection.</p>
<p>Il convient d'insister sur la nécessité de renforcer la solidarité pour assurer la sécurité des journalistes au-delà des frontières nationales. La coopération et la collaboration transfrontalières, y compris le partage d'informations, de techniques et de stratégies de prévention, de bonnes pratiques avec les journalistes d'investigation et les salles de rédaction, pourraient contribuer à combattre ou à atténuer la culture de l'impunité à l'égard des journalistes au Cameroun.</p>
<p>Il faut mettre en place un comité national pour la protection et la sécurité des journalistes. Ce comité devrait être composé de représentants du gouvernement, des journalistes, des forces de l'ordre, du pouvoir judiciaire et de la société civile. Le comité devrait avoir pour objectif principal de travailler ensemble pour s'assurer que les journalistes du Cameroun travaillent dans un environnement exempt de menaces et de violence.</p>
<h2>Conclusion</h2>
<p>Les risques auxquels sont confrontés les journalistes d'Afrique subsaharienne dans l'exercice de leur profession ne se limitent pas à ceux qui apparaissent dans les classements des organisations internationales. Si les mécanismes coercitifs de l'État ou des fonctionnaires sont indéniables, une meilleure sécurité et protection des journalistes africains, <a href="https://intellectdiscover.com/content/journals/10.1386/jams.6.2.181_1">confrontés à des risques professionnels quotidiens</a>, nécessite une approche plus holistique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204464/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Peter Tiako Ngangum does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.</span></em></p>Des programmes intensifs de formation à la sécurité sont nécessaires pour assurer la sécurité des journalistes lors des manifestations, des conflits et des guerres.Peter Tiako Ngangum, Chercheur en information et communication, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2015132023-03-16T22:05:17Z2023-03-16T22:05:17ZAprès le Qatar, l’Arabie saoudite joue la carte du « soft power » par le sport<p>Les <a href="https://www.bbc.co.uk/sport/boxing/64734184">puristes de la boxe</a> douteront peut-être de la valeur sportive d’un combat entre une star de la télé-réalité et un ancien YouTuber. Mais la valeur commerciale de l’événement, organisé en février 2023 et qui a fait l’objet d’une publicité massive, était, elle, évidente tant pour les concurrents (Tommy Fury et Jake Paul se sont partagé plus de <a href="https://www.bbc.co.uk/sport/boxing/64734184">13 millions de dollars américains</a>, soit plus de 12,3 millions d’euros) que pour le pays qui l’a organisé, l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/arabie-saoudite-23722">Arabie saoudite</a>.</p>
<p>Si l’organisation de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/coupe-du-monde-qatar-2022-130239">Coupe du monde de football</a> par le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/qatar-39492">Qatar</a> a attiré l’attention du monde entier en 2022, son voisin, <a href="https://www.donneesmondiales.com/comparaison-pays.php?country1=QAT&country2=SAU">au PIB quatre à cinq fois supérieur</a>, lui fait aujourd’hui concurrence avec des projets sportifs toujours plus ambitieux. On s’attend désormais à ce que le royaume se porte <a href="https://www.politico.eu/article/qatar-fifa-world-cup-the-secret-saudi-plan-to-buy-the-cup/">candidat pour co-organiser la Coupe du monde de football 2030</a>. D’ici là, il cherche déjà par tous les moyens à accroître sa présence dans le sport international.</p>
<p>Jusqu’à présent, ce plan a plutôt bien réussi. Dans le domaine du football, l’Arabie saoudite a récemment été choisie pour accueillir la <a href="https://www.eurosport.com/football/club-world-cup/2022/saudi-arabia-unanimously-chosen-to-host-december-s-fifa-club-world-cup-new-32-team-format-to-start-i_sto9393600/story.shtml">Coupe du monde des clubs</a> cette année, et elle organisera la <a href="https://gulfbusiness.com/saudi-arabia-hosting-rights-of-asian-cup-2027/">Coupe d’Asie en 2027</a>. L’autorité touristique du pays aurait également signé un accord pour <a href="https://www.theguardian.com/football/2023/jan/31/womens-world-cup-football-sponsored-visit-saudi-arabia">parrainer la Coupe du monde féminine</a> qui se déroulera dans quelques semaines en Australie.</p>
<p>L’Arabie saoudite s’est aussi offert, via son <a href="https://www.tandfonline.com/doi/pdf/10.1080/09692290.2022.2069143">fonds souverain</a>, le club anglais de <a href="https://www.bbc.co.uk/sport/football/58826899">Newcastle</a>, et se montre très intéressée par <a href="https://www.bbc.co.uk/sport/football/63748350">Manchester United et Liverpool</a>. Sans oublier que l’un des plus célèbres footballeurs du monde, le Portugais Cristiano Ronaldo, joue désormais pour le club saoudien d’Al-Nassr, où il gagnerait environ <a href="https://metro.co.uk/2023/01/01/cristiano-ronaldo-salary-how-much-will-he-earn-at-al-nassr-18021490/">560 000 euros… par jour</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Arrivée de Cristiano Ronaldo dans son nouveau club, Al-Nassr, en janvier 2023 (RMC Sport).</span></figcaption>
</figure>
<p>En dehors des terrains de football, des rumeurs ont fait état d’une offre de <a href="https://www.middleeastmonitor.com/20230124-saudi-arabia-20bn-takeover-bid-for-f1-rejected/">rachat des droits commerciaux de la Formule 1</a> soutenue par l’Arabie saoudite, qui accueillera pour la troisième fois un Grand Prix le 19 mars prochain, ainsi que d’un intérêt pour le <a href="https://hypebeast.com/2023/1/wwe-saudi-arabia-public-investment-fund-sale-rumor-info">catch</a>, le <a href="https://www.france24.com/en/live-news/20230203-saudi-arabia-captures-cycling-in-sports-charm-offensive">cyclisme</a> et le <a href="https://www.golfmonthly.com/news/saudi-golf-league-everything-we-know-so-far">golf</a>. Le royaume accueillera également, en 2029, les Jeux asiatiques… <a href="https://www.liberation.fr/international/moyen-orient/des-jeux-dhiver-en-plein-desert-larabie-saoudite-obtient-les-jeux-asiatiques-de-2029-20221004_I4JH66SYZ5E2HDXNDSFGZRWQDE/">d’hiver</a>, pour lesquels un énorme complexe doit encore sortir de terre dans le nord-ouest du pays.</p>
<h2>Instrument politique</h2>
<p>L’ampleur des investissements de l’Arabie saoudite, pour un montant total estimé à environ <a href="https://www.theguardian.com/world/2021/mar/28/saudi-arabia-has-spent-at-least-15bn-on-sportswashing-report-reveals">1,5 milliard de dollars américains</a>, n’est donc plus à démontrer. Mais il convient de rappeler que ces dépenses ne sont pas motivées par la vanité ou la générosité. Ils relèvent d’une stratégie soigneusement élaborée pour répondre aux défis économiques, politiques et sociaux urgents du royaume.</p>
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<p>Le dirigeant de facto de l’Arabie saoudite, le <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20220927-le-prince-h%C3%A9ritier-d-arabie-saoudite-mohammed-ben-salmane-nomm%C3%A9-premier-ministre">prince héritier Mohammed Ben Salman</a> (communément appelé « MBS »), comprend la valeur du sport utilisé comme un instrument politique pour assurer l’avenir à long terme de l’État du Golfe. Car si l’Arabie saoudite dispose de vastes richesses (son fonds de richesse détient des actifs d’une valeur de plus de <a href="https://www.arabnews.com/node/2062391/business-economy">600 milliards de dollars américains</a>), une grande partie de ses revenus provient du <a href="https://theconversation.com/fr/topics/petrole-21362">pétrole</a> et du <a href="https://theconversation.com/fr/topics/gaz-71069">gaz</a>. Alors que le monde se dirige vers un abandon progressif des combustibles à base de carbone, l’économie saoudienne se retrouve surspécialisée et <a href="https://agsiw.org/wp-content/uploads/2019/03/Al-Sarihi_Climate-Change_ONLINE.pdf">exposée à ce risque</a>.</p>
<p>Investir dans le sport constitue donc un moyen d’atténuer cette vulnérabilité et de <a href="http://rgi-documents.s3.amazonaws.com/8a13c2ce72e0225a58d0f9e9fb42f7363ba664ff.pdf">diversifier son économie</a>. Mais c’est l’ampleur des dépenses nationales consacrées au sport qui <a href="https://www.reuters.com/article/us-saudi-qiddiya-ceo-idUSKBN1HZ0WF">distingue l’Arabie saoudite de ses concurrents</a>, comme en témoigne la construction de <a href="https://www.reuters.com/article/us-saudi-qiddiya-ceo-idUSKBN1HZ0WF">Qiddiya</a>, un mégaprojet mêlant sport et divertissement conçu pour attirer les investissements et les touristes étrangers.</p>
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<figcaption><span class="caption">Présentation du projet de divertissement à Qiddiya (Fonds d’investissement public saoudien, en anglais).</span></figcaption>
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<p>Le processus de transformation saoudien est également politique. Le gouvernement reste vigilant face à l’éventualité d’événements similaires à ceux qui se sont déroulés lors des « printemps arabes » et qui ont conduit à des <a href="https://theconversation.com/arab-spring-after-a-decade-of-conflict-the-same-old-problems-remain-154314">manifestations populaires en 2010 et 2011</a>. Près de 70 % de sa population a <a href="https://gulfbusiness.com/two-thirds-of-saudi-arabias-population-is-under-the-age-of-35/">moins de 35 ans</a> et les craintes de <a href="https://arabcenterdc.org/resource/has-saudi-arabia-become-a-monarchy-of-fear/">troubles sociaux sont tangibles</a>.</p>
<p>À travers la promotion du sport, du divertissement et des loisirs, MBS et son administration cherchent ainsi à répondre aux intérêts et aux <a href="https://www.latimes.com/world-nation/story/2022-12-25/saudi-social-transformation-entertainment-political-crackdown">demandes des jeunes consommateurs d’Arabie saoudite</a> pour éviter toute protestation.</p>
<p>Mais en devenant propriétaire de Newcastle United et en prenant une <a href="https://news.sky.com/story/saudi-state-fund-buys-mclaren-stake-in-550m-deal-12356905">participation dans l’écurie de Formule 1 britannique McLaren</a>, l’Arabie saoudite cherche également à obtenir une légitimité internationale, à projeter son <a href="https://theconversation.com/fr/topics/soft-power-36628">« soft power »</a> et à nouer des relations diplomatiques.</p>
<h2>Les conservateurs préoccupés</h2>
<p>La santé publique constitue un autre problème en Arabie saoudite : <a href="https://www.brookings.edu/blog/future-development/2022/12/15/countdown-to-2030-addressing-the-stubborn-obesity-challenge-in-saudi-arabia/">l’obésité, le diabète et les maladies cardiaques sont en hausse</a>. Comme c’est le cas dans de nombreux autres pays, le sport est donc aussi utilisé comme instrument politique pour encourager la population à un mode de vie plus sain.</p>
<p>Or, cette politique n’est évidemment pas exempte de critiques. Au niveau national, les membres les plus conservateurs de la population restent préoccupés par les changements qui ont été impulsés, comme le <a href="https://theconversation.com/why-muslim-women-choose-to-wear-headscarves-while-participating-in-sports-176441">fait d’autoriser les femmes à y participer</a>. D’autres assurent que l’influence considérable de l’État sur l’activité économique étouffe la créativité, <a href="https://www.chathamhouse.org/2021/04/saudi-support-smes-must-focus-innovation">l’esprit d’entreprise et la croissance globale</a>.</p>
<p>À l’échelle internationale, l’Arabie saoudite est régulièrement accusée de se soustraire par le sport aux préoccupations en matière de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/droits-de-lhomme-20351">droits de l’homme</a>. Ce « sportwashing » pourrait ainsi constituer une tentative de détourner l’attention des exécutions régulières, de la <a href="https://www.bbc.co.uk/news/world-middle-east-29319423">guerre au Yémen</a> et du <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/affaires-sensibles/affaires-sensibles-du-vendredi-23-septembre-2022-4629916">meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi</a> en 2018. D’autres affirment que, malgré la transformation supposée du pays, les droits des femmes et des jeunes filles restent bafoués et que la <a href="https://www.deccanherald.com/opinion/panorama/in-salman-s-saudi-even-a-hint-of-dissent-can-land-you-in-prison-1193615.html">répression des dissidents</a> se poursuit.</p>
<p>Au sein du royaume, pourtant, l’enthousiasme est considérable quant au statut émergent du pays en tant que superpuissance sportive, et il semble peu probable que MBS s’écarte de la voie qu’il a tracée. Grâce au pouvoir d’achat considérable du pays, l’Arabie saoudite deviendra sans doute bientôt l’un des plus grands acteurs du sport international, et fera peut-être taire, par ce biais, les nombreux détracteurs du royaume. C’est en tous cas le but recherché.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201513/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Simon Chadwick ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Football, sports mécaniques et même jeux d’hiver… Le royaume investit avec des moyens encore plus importants que ceux de son voisin, récent organisateur de la Coupe du monde.Simon Chadwick, Professor of Sport and Geopolitical Economy, SKEMA Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2012242023-03-16T14:10:04Z2023-03-16T14:10:04ZTensions politiques au Sénégal : s'achemine-t-on vers une impasse?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/515608/original/file-20230315-14-bk4vnr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le chef de l'opposition sénégalaise, Ousmane Sonko (non visible), se rend au tribunal de Dakar, au Sénégal, le 3 mars 2021, sous l'œil d'un groupe de gendarmes.</span> <span class="attribution"><span class="source">Photo Seyllou. AFP via Getty Image.</span></span></figcaption></figure><p>“Gatsa-Gatsa” (“oeil pour œil”, en langue wolof). C'est l'expression qu'Ousmane Sonko, leader de l'opposition sénégalaise et fondateur du parti Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité, <a href="https://pastef.org/">Pastef</a>, a prononcée lors d'un méga meeting à Keur Massar (banlieue de Dakar) <a href="https://www.sudquotidien.sn/ousmane-sonko-en-meeting-a-keur-massar-jai-deja-fait-mon-testament-et-je-suis-pret-a-faire-face-a-macky-sur-tous-les-fronts/">le 22 janvier 2023</a>. </p>
<p>Depuis lors, l'expression est devenue un hashtag sur les médias sociaux et les forums en ligne ainsi qu'un cri de ralliement pour une bonne partie de la jeunesse sénégalaise qui, compte tenu des <a href="https://foreignpolicy.com/2022/07/29/senegal-sall-democratic-backsliding-african-democracy/">récents reculs démocratiques</a> du pays, a jugé inévitable une confrontation avec le régime de Macky Sall. Si le leitmotiv “Gatsa-Gatsa” fait écho aux appels incessants de Sonko à la résistance contre le régime Sall depuis février 2021 (date à laquelle il a été accusé de viol et de menaces de mort par la masseuse Adji Sarr), il s'agit également d'une réaction contre la récente décision judiciaire d'envoyer l'affaire <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/01/18/au-senegal-ousmane-sonko-renvoye-devant-un-tribunal-criminel-pour-viols-presumes_6158382_3212.html">en procès</a>. </p>
<h2>Équité judiciaire et confrontation</h2>
<p>Il a fallu deux ans à la justice sénégalaise pour organiser une audience préliminaire et une confrontation entre Sonko et son accusatrice, Adji Sarr. Samba Sall, le premier juge qui avait hérité de l'affaire,<a href="https://emedia.sn/DECES-DU-DOYEN-DES-JUGES-SAMBA-SALL.html">est décédé en avril 2021</a>, ce qui a entraîné la <a href="https://www.emedia.sn/OUMAR-MAHAM-DIALLO-NOUVEAU-DOYEN-DES-JUGES-OUSMANE-DIAGNE-A-LA-TETE-DU-PARQUET.html">nomination d'Oumar Maham Diallo</a> qui, huit mois auparavant, avait <a href="https://www.pressafrik.com/Ousmane-Sonko-attaque-le-juge-Maham-Diallo-Il-n-est-pas-juge-ni-magistrat-mais-plutot-un_a252288.html">partagé un post Facebook incriminant Ousmane Sonko</a>. Cette nomination a soulevé de nombreuses questions quant à l'impartialité du juge Diallo et a conforté les partisans de Sonko dans leur demande au juge de se récuser. </p>
<p>L'audience préliminaire et la confrontation entre le leader de Pastef et son accusatrice ont révélé des éléments intéressants qui, selon de nombreux observateurs, remettent sérieusement en cause le récit de la plaignante. </p>
<p>Tout d'abord, Baye Mbaye Niasse (le guide spirituel “autoproclamé” d'Adji Sarr) et les avocats de Sonko ont présenté au juge <a href="https://kewoulo.info/affaire-sweet-beaute-la-version-de-adji-sarr-sur-les-audios-de-mc-niass/">six conversations audio</a> entre Adji Sarr et Niasse. Dans l'une d'elles, Sarr dit que les accusations sont <a href="http://www.walf-groupe.com/adji-sarr-et-les-audios-de-mc-niasse-clap-de-fin-pour-sweet-beauty/?noamp=mobile">un complot contre Ousmane Sonko</a>. Sommée par le juge de s'expliquer, Adji Sarr a confirmé <a href="https://www.leral.net/Audios-produits-par-Mc-Niass-Adji-Sarr-confirme-l-authenticite-des-enregistrements-meme-si-elle-avance-que_a341440.html">l'authenticité des enregistrements</a> mais a déclaré que leur contenu était un stratagème pour tromper Niasse et tester sa loyauté puisqu'il prétendait vouloir la sortir de cette situation. Que sa justification soit convaincante ou non, les enregistrements ont jeté de sérieux doutes sur les accusations devant le tribunal de l'opinion publique. </p>
<p>Le deuxième élément qui transparaît lors de l'audience préliminaire est le rôle prétendument douteux du procureur général de l'époque, Serigne Bassirou Guèye, pendant la phase d'enquête. Sonko et ses avocats ont affirmé détenir des preuves que l'ancien procureur a “falsifié” le rapport d'enquête initial de la police en <a href="https://www.seneweb.com/news/Justice/sonko-annonce-une-plainte-contre-bassiro_n_392291.html">supprimant des preuves disculpatoires</a>. Ils ont également affirmé détenir un rapport interne de la gendarmerie ayant fait l'objet d'une fuite et qui prouve que le procureur s'est permis des libertés avec l'enquête.</p>
<p>Le troisième élément qui est apparu est l'existence du rapport de la gendarmerie, commandité par le général Jean-Baptiste Tine, à la suite du licenciement précipité du capitaine Oumar Touré, l'ancien officier de la gendarmerie qui a mené l'enquête préliminaire sur les accusations portées contre Sonko. Quelques semaines avant son licenciement, le capitaine Touré <a href="https://www.youtube.com/watch?v=jiTQmyWjgXQ">avait publié</a> une vidéo et un message sur les médias sociaux dans lesquels il déclarait être suivi par des individus non identifiés et craindre pour sa vie. </p>
<p>La démission de Touré et les messages sur les médias sociaux ont provoqué une onde de choc dans tout le pays, entraînant une <a href="https://www.sudquotidien.sn/affaire-sweet-beaute-sonko-mouille-serigne-bassirou-gueye-et-annonce-une-plainte-devant-la-cour-supreme-et-ligaj/">enquête interne</a> de la gendarmerie. </p>
<p>Le rapport a fuité et s'est retrouvé entre les mains d'un journaliste d'investigation, Pape Alé Niang, qui <a href="https://www.youtube.com/watch?v=6UBaCkvY4aE">a publiquement divulgué son contenu</a> avant d'être arrêté et emprisonné par le régime. <a href="https://www.nytimes.com/2023/01/07/world/africa/senegal-journalist-hunger-strike.html">Niang a été récemment libéré</a> après une intense pression nationale et internationale de la part d'organisations de la société civile, de défense des droits de l'homme et de journalistes.</p>
<p>En plus de ces éléments importants, le Dr Alphousseyni Gaye, le gynécologue qui a examiné l'accusatrice la nuit du crime présumé, a été entendu par le juge et a <a href="https://kewoulo.info/urgent-docteur-alfousseyni-gaye-lauteur-fameux-rapport-adji-sarr-attendu-demain-tribunal/">réaffirmé</a> que son examen médical n'a apporté aucune preuve de viol.</p>
<p>Malgré tous ces éléments et l'incapacité des avocats de l'accusatrice à présenter des preuves tangibles du crime, le juge Diallo a inculpé Sonko et renvoyé l'affaire en procès. Sonko et ses avocats, qui s'attendaient à un non-lieu, ont vainement fait appel de la décision du juge. Alors qu'aucune date n'a encore été fixée pour le procès, la rhétorique des deux parties (opposition et régime) a pris un ton plus incendiaire et belliqueux.</p>
<h2>L'affrontement a commencé</h2>
<p>Lors de son méga meeting à Keur Massar, Sonko <a href="https://www.sudquotidien.sn/ousmane-sonko-en-meeting-a-keur-massar-jai-deja-fait-mon-testament-et-je-suis-pret-a-faire-face-a-macky-sur-tous-les-fronts/">a déclaré</a> solennellement :“J'ai déjà écrit mon testament et maintenant, je suis prêt à affronter Macky Sall sur tous les fronts”. </p>
<p>Si cette déclaration a été accueillie avec enthousiasme par une foule extatique de partisans et de jeunes gens qui le considèrent comme un rédempteur et celui sur qui ils fondent leur espoir, elle a sans aucun doute résonné comme une menace et un défi pour les partisans du régime. Depuis lors, les deux camps continuent de se livrer une guerre par procuration via la presse, les médias sociaux ainsi que des visites et des tournées improvisées qui sont devenues l'arme d'attraction massive de Sonko.</p>
<p>Le 10 février 2023, Sonko et ses partisans ont bravé une interdiction de manifester à Mbacké (à deux heures et demie à l'est de Dakar) qui s'est transformée en une violente confrontation avec la police. La manifestation a entraîné d'importants dégâts matériels, des dizaines d'arrestations et de blessures. </p>
<p>La chaîne de télévision privée Wal-Fadjri, qui <a href="https://www.impact.sn/Gaze-et-bloque-le-convoi-d-Ousmane-Sonko-prend-une-route-sablonneuse-pour-rallier-Mbacke_a36837.html">a retransmis</a> en direct les affrontements, en a également subi les conséquences lorsque le <a href="http://www.cnra.sn/do/">CNRA</a> a coupé et suspendu son signal <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20230212-s%C3%A9n%C3%A9gal-la-cha%C3%AEne-walf-tv-suspendue-pour-sept-jours">pendant une semaine</a>. Malheureusement, <a href="https://theconversation.com/le-senegal-renoue-t-il-avec-la-censure-mediatique-200477">ce type de censure</a> est récurrent sous le régime Sall et prouve une volonté politique d'étouffer la liberté de la presse et la liberté d'opinion. Une semaine après la confrontation de Mbacké, Sonko a de nouveau été convoqué au tribunal, cette fois pour <a href="https://www.jeuneafrique.com/1420564/politique/laffaire-mame-mbaye-niang-contre-ousmane-sonko-du-vent/">un procès en diffamation </a>intenté contre lui par l'ancien ministre du Tourisme, Mame Mbaye Niang. </p>
<h2>Brutalité policère</h2>
<p>Mais ce qui ressort de cette journée reste <a href="https://www.youtube.com/watch?v=wMANGz8B4uE">la brutalité</a> avec laquelle une unité spéciale de la police a brisé la vitre de la voiture de Sonko, l'a trainé dehors et l'a forcé à monter dans un véhicule de police blindé. La vidéo s'est rapidement répandue dans les médias nationaux et internationaux ainsi que dans les réseaux sociaux. </p>
<p>Si ces images ont énormément terni la démocratie sénégalaise, elles ont exposé la nature de plus en plus répressive du régime et fait gagner davantage de soutien populaire et de sympathie pour Ousmane Sonko. Bien que la police n'ait pas arrêté Sonko, ses actions injustifiées continuent de mettre en danger et de menacer l'intégrité physique de l'opposant que le gouvernement doit protéger.</p>
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<figcaption><span class="caption">La voiture de Ousmane Sonko cassée par une unité spéciale de la police.</span></figcaption>
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<h2>Agitation contre une troisième candidature</h2>
<p>A moins d'un an de l'élection présidentielle de 2024, Macky Sall <a href="https://www.sudquotidien.sn/macky-sall-maintient-toujours-son-ni-oui-ni-non-sur-sa-candidature-a-la-presidentielle-de-2024/">n'a pas encore clarifié </a>son intention de quitter le pouvoir étant donné que constitutionnellement il ne peut plus déposer une candidature à la présidentielle. </p>
<p>Par conséquent, il existe une crainte réelle qu'il puisse forcer le passage à l'élection et plonger le pays dans une tension politique similaire à celle de 2011, lorsque le président de l'époque, <a href="https://www.presidence.sn/presidence/abdoulaye-wade">Abdoulaye Wade</a>, avait décidé de briguer “inconstitutionnellement” un troisième mandat. </p>
<p>En outre, il existe une appréhension palpable chez beaucoup de Sénégalais que Sonko pourrait perdre son procès sur les affaires de viol et de diffamation, scellant ainsi son destin de candidat à la présidence en 2024. En ce sens, la nouvelle stratégie de Pastef consiste à faire une démonstration de force par le biais de grands rassemblements et de démarchages à travers le pays pour consolider son soutien populaire et mettre une énorme pression sur le régime Sall. Cette approche répond à un double objectif. </p>
<p>Premièrement, elle vise à annihiler toute tentative de manipulation de la justice pour un verdict de culpabilité dans l'affaire de viol qui disqualifierait systématiquement Sonko de la course à la présidentielle de 2014. Le soulèvement populaire de 2021 a clairement montré que toute tentative d'instrumentaliser le système judiciaire à des fins politiques entraînera des confrontations violentes aux résultats désastreux. Ce que les Sénégalais attendent, c'est un procès équitable et transparent pour toutes les parties impliquées. </p>
<p>Deuxièmement, l'agitation politique envoie des signaux d'avertissement au Président Sall : toute tentative de briguer un troisième mandat se heurtera à une résistance populaire farouche.</p>
<p>Cependant, <a href="https://seneweb.com/news/Video/ousmane-sonko-et-sa-famille-empeches-de-_n_404361.html">le blocus du domicile de Sonko par la police</a> a considérablement limité sa liberté de mouvement. En outre, le refus systématique des demandes d'autorisation de rassemblement de son parti (par les administrations locales) entrave de plus en plus sa tactique de mobilisation de masse. Cette situation nie ainsi un droit constitutionnel fondamental (celui de manifester et de se rassembler) et crée des affrontements violents entre les forces de sécurité et les partisans de Sonko qui veulent à tout prix exercer leurs droits constitutionnels. </p>
<h2>Campagnes de dénonciation</h2>
<p>Récemment, le Pastef a inclus dans sa stratégie des campagnes internationales de dénonciation du régime et de correction de la rhétorique de diabolisation à son égard. </p>
<p>La coalition au pouvoir (Benno Bokk Yakkaar) a intensifié sa campagne visant à présenter Sonko comme un “salafiste”, un “terroriste” et un leader politique “anti-français/occidental” qui veut mettre en péril les intérêts occidentaux au Sénégal, une image contre laquelle Sonko et ses partisans ont riposté par une campagne de relations publiques soutenue. </p>
<p>Le 28 février 2023, Sonko a ainsi publié “<a href="https://www.ndarinfo.com/Ousmane-Sonko-s-adresse-a-la-Communaute-internationale_a35415.html">un message à la communauté internationale</a>”, un long discours traduit en arabe, en anglais et en français dans lequel il détaille le recul démocratique du Sénégal, notamment la multiplication des prisonniers politiques (y <a href="https://www.youtube.com/watch?v=m6r7ZNXYGac&t=1104s">compris des mineurs selon le journaliste d'investigation Pape Alé Niang</a>) et les récentes attaques contre son intégrité physique, entre autres formes de répression gouvernementale. Alors que Sonko continue de bénéficier d'un soutien populaire plus important, son discours à l'égard du régime s'est radicalisé et son appel à la résistance se transforme progressivement en un appel à la “riposte”. </p>
<p>D'un autre côté, le régime Sall semble également résolu à faire respecter la loi et l'ordre par tous les moyens nécessaires. Face à ce bras de fer et à une rhétorique cavalière de part et d'autre, des segments de la société civile et des leaders religieux multiplient les appels à la paix, au dialogue et à la médiation pour éviter une impasse sociopolitique sans précédent avant la présidentielle de 2024.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201224/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bamba Ndiaye does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.</span></em></p>Les velléités du pouvoir d'invalider la candidature de l'opposant Ousmane Sonko ont créé un climat crispé laissant présager une confrontation inévitable.Bamba Ndiaye, Assistant Professor, Emory UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2008562023-03-02T20:01:02Z2023-03-02T20:01:02Z« One Forest Summit » : à Libreville, la protection des forêts ne doit pas occulter les droits humains<p>Le <em>One Forest Summit</em>, qui se tient ce jeudi 1<sup>er</sup> mars ainsi que le 2 à Libreville réunit nombre de décideurs autour de la préservation des forêts, en particulier en Afrique centrale. Le risque reste pourtant élevé que les solutions proposées répètent les erreurs du passé, en se focalisant sur la <a href="https://theconversation.com/pour-preserver-la-biodiversite-ne-delaissons-pas-les-aires-non-protegees-175076">protection stricte des espaces</a> et des ressources naturelles.</p>
<p>D’autres voies existent, qui mettent les populations rurales au cœur de la protection des forêts. En particulier en matière de gestion de la faune, après des décennies de politiques de conservation qui les ont marginalisées.</p>
<p>Comment doubler la superficie des forêts tropicales protégées sans répéter les erreurs du passé ?</p>
<h2>Le monde au chevet des forêts tropicales</h2>
<p>L’événement a l’ambition d’être un moment clé pour renforcer l’action climatique et la protection de la biodiversité des <a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-vivre-avec-les-forets-tropicales-162367">forêts tropicales</a>. Ces dernières stockent en effet plus du quart du carbone terrestre, et en absorbent annuellement plus de 2,4 milliards de tonnes.</p>
<p>Mais elles ne font pas que stocker du carbone : elles rejettent aussi de l’oxygène, régulent les précipitations, protègent les sols et les bassins versants. Elles abritent également la <a href="https://www.cirad.fr/espace-presse/communiques-de-presse/2021/vivre-avec-les-forets-tropicales">moitié</a> des <a href="https://www.cirad.fr/espace-presse/communiques-de-presse/2021/vivre-avec-les-forets-tropicales">espèces</a> de plantes et d’animaux connus, bien qu’elles couvrent moins de 10 % des terres émergées.</p>
<p>Enfin, elles sont le lieu de vie de près de 700 millions de personnes dont les modes de vie, l’alimentation et les revenus sont fortement dépendants des ressources qu’elles produisent.</p>
<h2>Dans le sillon de la COP15</h2>
<p>Le <em>One Forest Summit</em> fait suite à la 15<sup>e</sup> réunion de la Conférence des Parties (COP15) à la Convention des Nations unies sur la diversité biologique à Montréal.</p>
<p>Près de 200 pays y ont adopté, en décembre 2022, un nouveau cadre mondial pour la biodiversité, l’<a href="https://www.novethic.fr/actualite/environnement/biodiversite/isr-rse/accord-de-kunming-montreal-voici-les-23-cibles-adoptees-a-la-cop15-biodiversite-151273.html">accord de Kunming-Montréal</a>.</p>
<p>Parmi les ambitions les plus remarquables figure notamment l’objectif de protéger 30 % des espaces terrestres et marins de la planète d’ici 2030. Les pays signataires se sont également engagés à promouvoir une gestion et une utilisation durables des espèces sauvages, offrant ainsi des avantages sociaux, économiques et environnementaux aux populations qui en dépendent.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="paysage de forêt tropicale" src="https://images.theconversation.com/files/512663/original/file-20230228-691-wx72pq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/512663/original/file-20230228-691-wx72pq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=518&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/512663/original/file-20230228-691-wx72pq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=518&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/512663/original/file-20230228-691-wx72pq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=518&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/512663/original/file-20230228-691-wx72pq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=650&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/512663/original/file-20230228-691-wx72pq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=650&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/512663/original/file-20230228-691-wx72pq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=650&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les forêts tropicales sont apparues il y a près de 390 millions d’années.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Cirad</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Second poumon forestier de la planète</h2>
<p>En Afrique centrale, les forêts tropicales du bassin du Congo sont considérées comme le second poumon forestier de la planète après l’Amazonie, et s’avèrent d’intérêt stratégique pour la régulation du climat et la protection de la biodiversité. Dans le bassin du Congo, où les <a href="https://theconversation.com/podcast-defis-globaux-solutions-locales-plus-daires-protegees-pour-quoi-pour-qui-195299">aires protégées</a> couvrent déjà 15 % du territoire, atteindre les objectifs de l’accord de Kunming-Montréal revient à doubler la superficie sous protection.</p>
<p>Souvenons-nous cependant que la création des aires protégées en Afrique centrale dès le début du XX<sup>e</sup> siècle a souvent été source de conflits avec les populations locales. L’absence de consentement préalable, l’expulsion des terroirs ancestraux et l’interdiction d’utiliser les ressources naturelles ont conduit à <a href="https://journals.openedition.org/com/5476">marginaliser les habitants</a> des forêts d’Afrique centrale.</p>
<p>Aujourd’hui dans cette région, <a href="https://www.cirad.fr/espace-presse/communiques-de-presse/2021/aires-protegees-d-afrique-centrale-etat-2020">moins de 1 % des aires protégées</a> sont gérées entièrement par les communautés, et <a href="https://www.cirad.fr/espace-presse/communiques-de-presse/2021/aires-protegees-d-afrique-centrale-etat-2020">plus de 70 % des aires protégées</a> excluent toute forme d’utilisation durable de la biodiversité.</p>
<p>L’exemple le plus parlant est celui de la faune sauvage, qui constitue une <a href="https://www.cirad.fr/espace-presse/communiques-de-presse/2021/vivre-avec-les-forets-tropicales">source vitale de nourriture, de revenus et d’identité culturelle</a> pour les peuples autochtones et les communautés locales.</p>
<h2>Une approche répressive inefficace</h2>
<p>La quantité de viandes sauvages consommée annuellement par les populations rurales et urbaines en Afrique centrale s’élève à plus de 4 millions de tonnes, soit l’équivalent de la moitié de la production bovine européenne.</p>
<p>Depuis quelques décennies, les effets combinés de l’accroissement démographique, de la conversion des habitats naturels et du manque de responsabilisation des communautés rurales entraînent une diminution inquiétante des populations animales et une augmentation des conflits homme-faune. De plus, certaines espèces ciblées par la chasse sont potentiellement porteuses de maladies transmissibles à l’homme ou aux animaux domestiques.</p>
<p>Face à ce constat, des campagnes d’information internationales ont alerté le grand public sur la « crise de la viande de brousse ». En réaction, des approches principalement répressives de la chasse ont été mises en œuvre, assimilant la <a href="https://www.cirad.fr/les-actualites-du-cirad/actualites/2022/podcast-la-chasse-une-question-de-survie">chasse villageoise</a> à la criminalité faunique et cantonnant le chasseur villageois dans un rôle de braconnier.</p>
<p>Ces mesures, qui ont mobilisé beaucoup d’efforts et de fonds, n’ont malheureusement pas permis d’endiguer l’érosion de la faune. Et pour cause, elles ciblent davantage les symptômes que la cause du problème.</p>
<h2>Un changement de paradigme indispensable</h2>
<p>L’extension de la surface sous protection en Afrique centrale de 15 à 30 % ne doit pas se faire en répétant les erreurs du passé. En particulier, interdire aux communautés l’usage de la faune sauvage serait voué à l’échec, compte tenu de la dépendance forte à cette ressource, mais aussi contraire aux engagements de l’accord de Kunming-Montréal de maintenir les avantages sociaux, économiques et environnementaux fournis aux communautés par les forêts tropicales.</p>
<p>Des approches plus inclusives, plaçant les communautés rurales en première ligne de la conservation de la faune sont à rechercher. Une piste actuellement très peu explorée en Afrique centrale est celle de la conservation par l’utilisation durable de la faune sauvage.</p>
<p>Depuis 2017, le programme de gestion durable de la faune ou <a href="https://www.swm-programme.info/fr/homepage">Programme SWM</a> (<em>Sustainable Wildlife Management</em>), principalement financé par l’Union européenne, facilite l’émergence de modèles collaboratifs et adaptatifs de gestion durable de la faune sauvage par et pour les communautés rurales et les peuples autochtones.</p>
<h2>Rendre la gestion de la faune aux communautés</h2>
<p>En zones urbaines et périurbaines, où l’offre en viandes domestiques existe, le programme promeut l’élevage d’espèces à cycle court comme le poulet, et déploie des campagnes de communication visant à détourner les consommateurs des viandes sauvages.</p>
<p>Dans les zones forestières reculées, peu propices à l’élevage, le Programme SWM met en place une chasse durable des espèces sauvages résilientes, pour promouvoir simultanément la conservation de la biodiversité, la sécurité alimentaire et économique des communautés et la maîtrise des risques sanitaires. L’hypothèse qui sous-tend ce modèle est que la gestion de la faune sauvage croît en efficacité si les utilisateurs locaux sont en mesure de la maîtriser et d’en profiter.</p>
<p>Ce modèle implique un transfert des droits, des obligations et des avantages de la gestion de la faune sauvage aux communautés locales. Pour cela, le Programme SWM travaille aussi avec les autorités nationales pour <a href="https://www.swm-programme.info/fr/legal-hub">améliorer les cadres légaux et réglementaires</a> qui encadrent la gestion de la faune et qui ont souvent peu évolué depuis la période coloniale.</p>
<h2>Au Gabon, vers une chasse villageoise durable</h2>
<p>Au Gabon, le programme SWM et ses partenaires nationaux collaborent avec 10 communautés villageoises (300 chasseurs sur 1500 km<sup>2</sup>) pour établir un <a href="https://agritrop.cirad.fr/601278/">système de chasse villageoise durable</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Les communautés visent une gestion durable de la chasse villageoise au Gabon – #SWMProgramme. Source : Food and Agriculture Organization of the United Nations, 7 février 2022.</span></figcaption>
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<p>Pour ce faire, le programme facilite le dialogue entre l’administration gabonaise et les communautés autour d’un projet commun : la dévolution des droits sur la faune aux communautés, en échange de garanties que le prélèvement de chasse soit durable. Le rôle des organismes de recherche nationaux et internationaux est à cet égard très important pour construire avec les communautés locales des outils d’aide à la décision en matière de gestion de la faune et permettre à l’administration d’évaluer la durabilité de la chasse.</p>
<p>L’ambition est à terme de développer au Gabon des filières de viandes sauvages légales, durables et saines, capables d’approvisionner les centres urbains de proximité avec des produits locaux et dont la provenance est connue. Ces filières formelles fournissent en outre un cadre solide pour monter des systèmes de surveillance des maladies transmises par les viandes sauvages permettant de détecter l’émergence d’épidémies et de réagir rapidement pour les endiguer.</p>
<h2>Abandonner les vieilles recettes</h2>
<p>D’ici à 2050, les projections démographiques anticipent un doublement de la population en Afrique centrale. Cette situation va exacerber les défis alimentaires, sanitaires et de conservation et contraindre les sociétés africaines à s’adapter. Les politiques actuelles doivent anticiper dès à présent ces changements de société sans marginaliser les populations rurales.</p>
<p>Préparer les communautés et administrations à affronter ces changements requiert de générer dès à présent le capital humain nécessaire et de promouvoir davantage la justice sociale.</p>
<p>Les objectifs de l’accord de Kunming-Montréal sont donc une opportunité de préparer cet avenir en changeant de paradigme. Le <em>One Forest Summit</em> de mars prochain, s’il ne se contente pas d’appliquer les vieilles recettes, pourrait effectivement être un moment décisif pour construire une nouvelle donne de la préservation de la biodiversité et de la lutte contre le changement climatique, qui mette les populations locales au cœur du dispositif.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/200856/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Daniel Cornélis est membre du Comité Nature de la Fondation François Sommer (Paris). Mes travaux sont en partie financés par l’Union européenne (SWM Programme/FAO - Cirad - Cifor - WCS), dont je coordonne le volet « Gestion des connaissances » (2018-2023).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Hadrien P.A. Vanthomme ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le rendez-vous qui se tient en ce moment au Gabon ne doit pas focaliser les solutions sur la protection stricte des espaces et des ressources naturelles.Daniel Cornélis, Chercheur en écologie de la faune sauvage, CiradHadrien P.A. Vanthomme, Researcher in natural resources and landscape management, CiradLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1988212023-01-31T19:33:27Z2023-01-31T19:33:27ZIsraël : sur fond de tensions croissantes, l’attaque frontale du gouvernement contre la Cour suprême<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/507109/original/file-20230130-22-idyjyc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=22%2C33%2C7326%2C4869&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Manifestations à Tel-Aviv le 21&nbsp;janvier 2023 contre le projet de réforme de la justice avancé par le nouveau gouvernement Nétanyahou.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/tel-aviv-israel-january-21-2023-2253746903">Avi Rozen/shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Près d’un mois après l’arrivée aux affaires du gouvernement de Benyamin Nétanyahou – le <a href="https://www.liberation.fr/international/moyen-orient/israel-netanyahou-nomme-le-gouvernement-le-plus-a-droite-de-lhistoire-du-pays-20221229_VP5PALAYCBG5ZIQQGGNOXEAB5U/">plus à droite de toute l’histoire du pays</a> –, Israël est le théâtre d’une <a href="https://www.tdg.ch/jerusalem-au-bord-dun-nouvel-embrasement-771522050513">nouvelle flambée de violence</a>. En toile de fond, un âpre conflit met aux prises le pouvoir exécutif et la Cour suprême. Celle-ci a d’ailleurs <a href="https://www.lefigaro.fr/international/israel-la-cour-supreme-invalide-la-nomination-d-un-ministre-de-netanyahou-20230118">invalidé, le 18 janvier, l’un des ministres nommés par Nétanyahou</a>.</p>
<p>Voilà des années que la droite israélienne accuse les juges de la Cour suprême d’avoir confisqué le pouvoir des députés démocratiquement élus par le peuple. Les mêmes reproches reviennent en boucle : une petite élite se serait érigée en un « gouvernement des juges ». Elle se serait arrogé le droit d’annuler des lois ordinaires votées par la Knesset. Tout-puissants, ces juges, fortement marqués à gauche, entraveraient l’action de l’exécutif. Leurs arrêts seraient purement idéologiques. Et leur nomination relèverait d’un système de cooptation opaque.</p>
<p>Ce narratif prend très bien dans une partie de l’opinion. Il a récemment reçu le soutien de personnalités prestigieuses. Exemple parmi d’autres : Israel Aumann, prix Nobel d’Économie en 2005, vient de dénoncer « l’activisme de la Cour suprême » et ses décisions « tendancieuses, orientées nettement à gauche », affirmant que les juges « se nomment eux-mêmes et choisissent des magistrats qui pensent comme eux » et allant jusqu’à parler de « dictature du pouvoir judiciaire ».</p>
<p>De même, le magazine américain <a href="https://www.newsweek.com/israels-judicial-reform-controversy-much-ado-about-nothing-opinion-1775181"><em>Newsweek</em></a> critique la « juristocratie » israélienne qui se serait arrogé « un pouvoir sans précédent pour une Cour suprême dans une démocratie de type occidental », usurpant le pouvoir d’« annuler n’importe quel texte de loi à tout moment, pour quelque raison que ce soit ».</p>
<p>Ces accusations ont justifié les <a href="https://www.france24.com/fr/vid%C3%A9o/20230105-en-isra%C3%ABl-une-r%C3%A9forme-majeure-de-la-cour-supr%C3%AAme-envisag%C3%A9e-par-le-ministre-de-la-justice-yariv-levin">initiatives du nouveau ministre de la Justice, Yariv Levin</a>, nommé fin décembre 2022, destinées à réduire significativement les prérogatives de la Cour suprême. Il projette, avec le soutien de Benyamin Nétanyahou, de faire adopter la « clause du contournement », qui permettrait aux parlementaires de revoter au bout de trois mois une loi ordinaire annulée par la Cour suprême, à une majorité non qualifiée de 61 députés sur les 120 que compte la Knesset. Auquel cas la loi annulée serait déclarée valide. Le ministre souhaite également peser sur les nominations des juges, pour « mettre fin à (leur) élection par leurs confrères ». Un programme que ne renierait pas <a href="https://www.euractiv.fr/section/economie/news/les-nouvelles-reformes-de-viktor-orban-provoquent-un-tolle-en-hongrie/">Viktor Orban</a>…</p>
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<h2>Qui nomme les juges ?</h2>
<p>Mais ces accusations sont-elles fondées ? Rien n’est moins sûr.</p>
<p>Commençons par la <a href="https://en.idi.org.il/galleries/25686">nomination des juges</a>. Il est faux de dire que les magistrats se « choisissent eux-mêmes ». Les 15 juges qui composent la Cour suprême sont choisis par une commission de neuf membres présidée par le ministre de la Justice : deux membres du gouvernement, trois juges de la Cour, dont son président, deux députés et deux représentants de l’Ordre des avocats.</p>
<p>Inamovibles, ils prennent leur retraite à l’âge de 70 ans. Le choix des juges dépend du rapport de forces qui se crée au sein de cette commission. Il arrive qu’il penche du côté des juges et à d’autres moments du côté du gouvernement.</p>
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<p>En février 2017, la ministre de la Justice, Ayelet Shaked, a réussi, en <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20170223-cour-supreme-israel-quatre-nouveaux-juges-conservateurs-nommes">exerçant des pressions sur les représentants du barreau</a>, à faire nommer trois juges « conservateurs » parmi les quatre juges devant être nommés. Dans la même veine, le ministre Levin ne veut voir à la Cour que des juges favorables à la droite.</p>
<h2>Une « révolution constitutionnelle » exagérée</h2>
<p>Depuis la naissance de l’État, la <a href="https://www.cairn.info/revue-nouveaux-cahiers-conseil-constitutionnel-2012-2-page-243.htm">Cour suprême a joué un rôle très important</a> en matière de défense des droits et des libertés, désavouant à plusieurs reprises des lois qui ne respectaient pas les valeurs d’égalité et de justice. À partir de la décennie 1980, elle a connu une importante mutation. Le droit de saisine de la Cour s’est élargi. Elle a étendu le champ de son intervention, proclamant que « tout était justiciable ».</p>
<p><a href="http://juspoliticum.com/article/La-Cour-supreme-et-la-Constitution-en-Israel-Entre-activisme-et-prudence-judiciaire-156.html">Les juges allèrent encore de l’avant</a>, pour protéger des droits non expressément garantis, comme le principe d’égalité, qui n’est protégé par aucune loi fondamentale. Pour contourner cette anomalie, ils s’appuyèrent sur deux lois fondamentales votées en 1992, sur la « Liberté professionnelle » et sur la « Dignité et la liberté de l’homme », interprétant le droit à l’égalité comme relevant de la « dignité de l’homme ».</p>
<p>En 1995, <a href="https://versa.cardozo.yu.edu/opinions/united-mizrahi-bank-v-migdal-cooperative-village">l’arrêt United Mizrahi Bank</a> ébranla les règles du jeu. La Cour suprême affirma dans un premier temps que les lois fondamentales de 1992 devaient être considérées comme des textes suprêmes garantis par le juge. Ce fait ne fut pas contesté à l’époque par les députés. Une fois la supériorité de ces lois fondamentales admise, les juges se sont reconnu le droit de contrôler la constitutionnalité des lois ordinaires votées par la Knesset au regard de ces lois fondamentales. Ils étaient intervenus dans ce sens une première fois en <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/israel-law-review/article/abs/aharon-a-bergman-v-the-minister-of-finance-and/075AC022BCEE40EB9DCABC7A37282E2C">1969 (arrêt Bergman)</a>, et à l’époque cette décision ne fut pas contestée.</p>
<p>S’agit-il d’« un pouvoir sans précédent pour une Cour suprême dans une démocratie de type occidental », comme l’affirme <em>Newsweek</em> ? Son éditorialiste ignore sans doute que la Cour israélienne s’était inspirée… des États-Unis. Dans l’arrêt <a href="https://mafr.fr/fr/article/cour-supreme-des-etats-unis/">Marbury vs. Madison</a> du 24 février 1803, la Cour suprême américaine avait décidé, dans une affaire secondaire, qu’elle seule pouvait statuer sur la constitutionnalité des lois et rejeter celles qui ne sont pas conformes à la Constitution, bien qu’aucun texte constitutionnel ne lui confère cette prérogative. Pour le juge <a href="https://www.cairn.info/revue-droits-2019-2-page-121.htm">John Marshall</a>, la Constitution étant la norme suprême, tout acte contraire à la Constitution devant être frappé de nullité. Le pouvoir de contrôler la constitutionnalité des lois par la Cour procédait, selon lui, de l’esprit de la Constitution américaine. Cette interprétation fut adoptée par le pays, malgré les <a href="https://www.yoramrabin.org/wp-content/uploads/2017/12/Yoram-Rabin-Arnon-Gutfeld-Marbury-v.-Madison-and-its-Impact-on-the-Israeli-Constitutional-Law-15-University-of-Miami-International-and-Comparative-Law-Review-303-2007..pdf">critiques émises par le président des États-Unis, Thomas Jefferson</a>, qui dénonça le « despotisme d’une oligarchie ».</p>
<h2>Un « gouvernement des juges » ?</h2>
<p>La droite reproche régulièrement à la Cour d’« abuser » de ses pouvoirs et d’« empêcher le gouvernement de gouverner ». Mais, en réalité, dans de nombreux cas, la Cour suprême a fait preuve d’une grande frilosité. Depuis la « révolution constitutionnelle » de 1995, elle s’est montrée prudente, consciente qu’un excès de pouvoir se retournerait contre elle.</p>
<p>Elle a réduit le nombre d’annulations pures et simples de lois ordinaires, de manière à épargner, autant que possible, une rebuffade aux parlementaires. La plupart du temps, elle a entretenu le dialogue avec eux, cherchant en amont des formules de compromis. Souvent, lorsqu’elle prononce une invalidation, elle assortit sa décision d’un délai de grâce afin de permettre au gouvernement de rectifier sa loi pour qu’elle soit compatible avec les lois fondamentales. Le gouvernement a également la possibilité de demander à la Cour un <a href="https://www.inss.org.il/publication/legislative-initiatives-to-change-the-judicial-system-are-unnecessary/">nouvel examen par un aréopage de juges élargi</a>.</p>
<p>À plusieurs reprises, la Cour a tranché en faveur de la droite au pouvoir, alors qu’on pouvait s’attendre à plus de fermeté de sa part. Ce fut le cas avec la <a href="https://www.adalah.org/en/law/view/494">loi des commissions d’admission</a>, la <a href="https://www.lalibre.be/international/2011/03/23/la-knesset-vote-une-loi-contre-la-commemoration-de-la-nakba-GBZVNESTC5GFXMQS7XIKC5WDUE/">loi sur la Naqba</a>, la <a href="https://www.amnesty.be/infos/actualites/article/israel-anti-boycott-attaque-liberte-expression">loi anti-boycott</a> et la <a href="https://fr.timesofisrael.com/premiere-etape-pour-le-projet-de-loi-sur-la-suspension-de-deputes/">loi de suspension des députés</a> – des lois très contestées en raison de leur caractère liberticide. Début mai 2020, <a href="https://www.fayard.fr/sciences-humaines/israel-une-democratie-fragile-9782213716725">elle s’est déclarée incompétente</a> pour statuer sur la demande d’interdire à Benyamin Nétanyahou, sous le coup d’une triple inculpation, de former un gouvernement. En juillet 2021, elle a refusé d’invalider la <a href="https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2018/07/19/israel-etat-nation-juif-les-dessous-d-une-loi-controversee_5333745_3218.html">loi fondamentale de l’État-nation du peuple juif, votée en juillet 2018</a>, une loi humiliante pour les minorités, en particulier arabe et druze, et qui ne mentionne ni le mot « démocratie », ne celui d’« égalité ».</p>
<p>Faut-il rappeler également <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2005-3-page-41.htm">l’effacement de la Cour</a> face à la colonisation des territoires conquis en juin 1967 ? Elle a évité de se prononcer sur la légalité des colonies, au motif que cette question ne relevait pas de sa compétence. Elle s’est abstenue, la plupart du temps, d’interférer sur les questions sécuritaires, ne voulant pas risquer l’accusation d’entraver la lutte contre le terrorisme. Sur toutes les questions relatives aux arrestations, déportations, détentions administratives, assignations à résidence de Palestiniens et couvre-feux, elle a refusé de gêner l’armée. Elle s’est abstenue, sauf une fois, d’intervenir sur la question des démolitions de maisons des familles de terroristes, une mesure qui constitue pourtant une punition collective, <a href="https://www.zulma.fr/livre/le-mur-et-la-porte-israel-palestine-50-ans-de-bataille-judiciaire-pour-les-droits-de-lhomme/">interdite par les conventions de Genève</a>.</p>
<p>Sur la question de la <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/press-release/2019/09/israel-opt-legally-sanctioned-torture-of-palestinian-detainee-left-him-in-critical-condition/">torture pratiquée par le Service de sécurité intérieure israélien</a> (Shabak), elle est intervenue avec une infinie précaution. En ce qui concerne les assassinats ciblés, elle n’a pas osé les interdire, elle a seulement encadré leur emploi. Elle a, en revanche, fait preuve de courage en <a href="https://www.liberation.fr/planete/2005/10/07/israel-la-cour-supreme-bannit-le-recours-au-bouclier-humain_534842/">interdisant (au grand dam de l’armée) le recours par les militaires israéliens à des « boucliers humains »</a> lors d’arrestations de suspects palestiniens. Rien ne justifie donc les attaques frontales menées par la droite, si ce n’est la volonté de gouverner sans entrave.</p>
<h2>« La démocratie, c’est nous »</h2>
<p>Les pourfendeurs de la Cour suprême opposent souvent la représentativité des députés au mode de nomination élitaire des juges. Cet argument relève d’un populisme judiciaire. Les organes judiciaire et législatif ne sauraient être mis sur le même plan. Le rôle des juges n’est pas de représenter le peuple ; il est d’interpréter la loi et de défendre les droits fondamentaux des citoyens face aux éventuels abus des deux autres pouvoirs.</p>
<p>Les députés de droite sont attachés à une version étriquée de la démocratie, selon laquelle « la démocratie, c’est nous ». Mais la démocratie ne se limite pas à la procédure électorale. Elle se reconnaît aussi à ses contre-pouvoirs, à sa capacité de défendre les plus faibles et à faire respecter l’État de droit. Toutes les démocraties libérales se reconnaissent à ces critères.</p>
<p>En France, au Royaume-Uni et aux États-Unis il existe plusieurs autres contre-pouvoirs, soit sous la forme d’une deuxième chambre, soit du fait du rôle joué par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).Israël n’est lié par aucune convention internationale, et il n’existe pas d’autre institution susceptible de contrebalancer le pouvoir de la Knesset. Le seul vrai contre-pouvoir institutionnel est la Cour suprême. Limiter ses pouvoirs reviendrait à octroyer à la Knesset le pouvoir de légiférer sans frein sur tout et n’importe quoi. Dans la situation de forte polarisation qui est celle de la société israélienne aujourd’hui, la clause du contournement serait un instrument de domination sans partage de la majorité sur la minorité. Ça serait la fin des « checks and balances » et le début d’un autre Israël.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/198821/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Samy Cohen ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La droite au pouvoir en Israël s’attaque avec virulence à la Cour suprême du pays, qu’elle juge politisée et anti-démocratique. Des accusations très largement infondées.Samy Cohen, Directeur de recherche émérite (CERI), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1976262023-01-25T18:01:32Z2023-01-25T18:01:32ZEnvoi de tous les migrants indésirables au Rwanda : quand le Royaume-Uni bafoue le droit d’asile<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/505628/original/file-20230120-7984-qp49hp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C5808%2C3860&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dungeness, Kent, Royaume-Uni, le 29&nbsp;août 2022. Des migrants arrivent sur la plage de Dungeness après avoir été secourus en mer par un bateau de sauvetage. Ils pourraient désormais en théorie être envoyés au Rwanda.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/dungeness-kent-uk-29th-august-2022-2198925823">Sean Aidan Calderbank/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Le 19 décembre, le « rêve » de Suella Braverman, la ministre de l’Intérieur britannique, s’est – presque – réalisé : celle qui rêvait de <a href="https://www.independent.co.uk/news/uk/politics/suella-braverman-rwanda-dream-obsession-b2195296.html">voir décoller avant le 25 décembre un premier avion</a> pour le Rwanda emportant à son bord des migrants entrés irrégulièrement sur le sol anglais n’aura pas reçu ce « cadeau de Noël », mais à tout le moins elle aura eu la satisfaction d’entendre la <a href="https://www.judiciary.uk/wp-content/uploads/2022/12/AAA-v-SSHD-Rwanda-judgment.pdf">Haute Cour de Londres valider la faisabilité juridique</a> du dispositif.</p>
<p>Attendu bien au-delà des frontières du Royaume-Uni et du cercle des spécialistes des questions de migrations, cet arrêt témoigne des enjeux d’un mécanisme téméraire par lequel le gouvernement britannique entend montrer à ses électeurs – car tel sera probablement son principal effet – que la « maîtrise des frontières », promise lors du Brexit, est à son agenda, et qu’il reste donc quelques raisons de voter « conservateur » lors des prochaines échéances électorales.</p>
<h2>Que prévoit cet accord ?</h2>
<p>L’ambition officielle de ce « memorandum of understanding » est de limiter les arrivées sur le territoire anglais d’étrangers dépourvus du droit d’y entrer et d’y séjourner. Il s’agit de décourager les traversées de la Manche sur des embarcations de fortune, lesquelles se sont multipliées ces derniers mois pour atteindre <a href="https://fr.euronews.com/2022/11/13/royaume-uni-plus-de-40-000-migrants-ont-traverse-la-manche-en-2022">plus de 40 000 en 2022</a>.</p>
<p>Issu d’un <a href="https://www.gov.uk/government/publications/memorandum-of-understanding-mou-between-the-uk-and-rwanda/memorandum-of-understanding-between-the-government-of-the-united-kingdom-of-great-britain-and-northern-ireland-and-the-government-of-the-republic-of-r">protocole d’accord signé le 13 avril 2022</a>, le dispositif prévoit l’acheminement vers le Rwanda des demandeurs d’asile arrivés au Royaume-Uni « illégalement ou par des méthodes dangereuses ou inutiles depuis des pays sûrs » et qui ne peuvent être admis sur le territoire anglais. Après un « screening » (examen sommaire) de leur situation, ces personnes, si elles entrent dans le champ d’application de l’accord, seront envoyées au Rwanda – quelle que soit leur nationalité, et quand bien même elles n’auraient jamais eu quelque contact que ce soit avec cet État. La plupart de ceux qui ont traversé la Manche en 2022 sur des embarcations de fortune sont d’ailleurs <a href="https://www.gov.uk/government/statistics/factsheet-small-boat-crossings-since-july-2022/factsheet-small-boat-crossings-since-july-2022">originaires d’Albanie, d’Afghanistan ou d’Iran</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Rwanda – Royaume-Uni : accord controversé sur les migrants, TV5 Monde, 11 juin 2022.</span></figcaption>
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<p>Une fois au Rwanda, cet État aura la charge de leur accueil et de l’examen de leur demande d’asile. Si celle-ci prospère, elles seront autorisées à séjourner au Rwanda, sans possibilité ou presque de retourner au Royaume-Uni. Si la demande est rejetée, le Rwanda devra accorder aux personnes ainsi déboutées un titre de séjour sur un autre fondement, ou les renvoyer vers un pays tiers qui les accepterait. Enfin, cet accord est défini par ses rédacteurs comme « non contraignant » juridiquement et insusceptible de recours.</p>
<p>Cela n’aura pas empêché la Cour européenne des droits de l’homme de demander, le <a href="https://hudoc.echr.coe.int/app/conversion/pdf/?library=ECHR&id=003-7360406-10055338&filename=Mesure%20provisoire%20accord%C3%A9e%20concernant%20le%20refoulement%20imminent%20d">14 juin 2022</a>, la suspension en urgence du premier vol prévu sur ce fondement et, le 19 décembre dernier, la Haute Cour anglaise de valider l’accord.</p>
<h2>Un dispositif juridiquement problématique</h2>
<p>Le dispositif imaginé par le Royaume-Uni participe de <a href="https://esprit.presse.fr/article/thibaut-fleury-graff/tenir-a-distance-la-politique-europeenne-d-externalisation-de-l-asile-44374">« ces apo-politiques »</a>, destinées à « tenir à distance » les migrants des territoires occidentaux.</p>
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<p><a href="https://www.la-croix.com/Monde/Asie-et-Oceanie/iles-prisons-migrants-lAustralie-pointees-doigt-2019-07-19-1201036431">L’Australie en a été précurseur</a> en confiant l’examen des demandes d’asile à Nauru ; l’UE a suivi au mitan des années 2010 en <a href="https://theconversation.com/laccord-union-europeenne-turquie-sur-les-migrants-un-troc-de-dupes-57601">facilitant le renvoi en Turquie des personnes arrivant en situation irrégulière</a> sur les côtes grecques ; le <a href="https://www.liberation.fr/international/europe/le-danemark-fait-un-pas-de-plus-vers-la-delocalisation-des-demandes-dasile-au-rwanda-20220909_6LU7QD55UBCM5LIITNYF36VNM4/">Danemark y songe</a>. Le Royaume-Uni est cependant le premier à confier à un État tiers, de manière générale, non seulement le soin d’examiner les demandes d’asile, mais encore d’accueillir sur son territoire les personnes protégées ou déboutées. Un tel dispositif soulève un certain nombre de difficultés juridiques, ainsi que l’a <a href="https://www.unhcr.org/62a317d34">notamment relevé le Haut-Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés</a> (UNHCR).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1615077160091262976"}"></div></p>
<p>L’une des principales tient à la qualification du Rwanda de « pays sûr ». En vertu de l’article 33§1 de la <a href="https://www.unhcr.org/fr/4b14f4a62">Convention de Genève de 1951</a> relative au statut de réfugié et du droit international coutumier, les États ne peuvent renvoyer les étrangers, même en situation irrégulière, vers un État où il existerait « un risque pour leur vie ou leur liberté » pour l’un des motifs prévus par la Convention (opinions politiques, race ou nationalité, religion ou appartenance à un groupe social).</p>
<p>Qui plus est, en vertu de l’article 3 de la <a href="https://www.echr.coe.int/documents/convention_fra.pdf">Convention européenne des droits de l’Homme</a>, à laquelle le Royaume-Uni n’a pas cessé d’être partie, la torture et les traitements inhumains ou dégradants sont interdits, ce qui prohibe également l’éloignement des étrangers vers des pays où existerait un risque de tels traitements. Il est également interdit de renvoyer les étrangers vers des États avec lesquels ils n’ont aucun lien.</p>
<p><em>A contrario</em>, l’éloignement est donc possible vers les États – dits « sûrs » – où un tel risque n’est pas constitué. Encore faut-il s’assurer que tel est bien le cas : cela suppose d’examiner la situation individuelle de l’étranger éloigné, de s’assurer que la qualification d’État sûr est bien fondée, et que l’étranger a un lien avec cet État. Or, en l’espèce, aucun de ces critères n’est rempli.</p>
<p>Tout étranger pourra être renvoyé au Rwanda. L’examen de la situation individuelle aura généralement lieu par téléphone, alors que l’étranger se trouve en détention. Quant au Rwanda, il est loin d’avoir un système d’asile, une justice et un gouvernement garantissant que les personnes transférées depuis le Royaume-Uni ne sont pas soumises à de tels traitements. Connu pour ses détentions arbitraires et ses exécutions extra-judiciaires, le Rwanda s’est illustré récemment encore par l’arrestation, la détention – et même <a href="https://www.hrw.org/news/2019/02/23/rwanda-year-no-justice-refugee-killings">l’exécution sommaire pour douze d’entre eux</a> ! – de réfugiés protestant contre leur accès insuffisant aux services les plus élémentaires. Le pays, par ailleurs, n’est <a href="https://theconversation.com/rwanda-lgbt-rights-are-protected-on-paper-but-discrimination-and-homophobia-persist-182949">guère actif, pour dire le moins, dans la lutte contre les discriminations</a> à l’égard des personnes LBTQ+.</p>
<h2>Pourquoi le Rwanda ?</h2>
<p>Pour quelles raisons le Royaume-Uni, peuplé de 67 millions d’habitants, cinquième puissance mondiale, bien connu pour ses textes fondateurs en matière de protection des libertés, a-t-il donc bien pu décider de confier au Rwanda, 13 millions d’habitants, 144<sup>e</sup> économie mondiale et piètre garant des droits humains, le soin de gérer à sa place les questions d’asile ? Et quel intérêt, pour ce petit pays africain, d’accepter cet « <em>asylum deal » ?</em></p>
<p>Du point de vue britannique, l’accord vise à démontrer que le gouvernement conservateur travaille à la concrétisation de l’une des promesses du Brexit : limiter les migrations, dites irrégulières, sur le territoire anglais. Il est peu probable que l’accord y parvienne réellement – le gouvernement ne s’est d’ailleurs pas risqué à chiffrer le nombre de personnes qui pourraient être concernées. <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/09/24/francois-heran-il-est-temps-que-nos-dirigeants-tiennent-sur-l-immigration-une-parole-de-raison-plutot-qu-un-discours-de-peur_6012799_3232.html">Comme souvent en la matière</a>, l’affichage politique semble plus précieux que l’efficacité pratique – ce dont il faut sans doute se réjouir en l’espèce tant l’accord est « épouvantable » <a href="https://www.theguardian.com/uk-news/2022/jun/10/prince-charles-criticises-appalling-rwanda-scheme-reports">selon les mots</a> du Roi Charles III lui-même.</p>
<p>Du point de vue rwandais, l’accord est un joli coup économique et diplomatique. Économique, d’abord, car il inclut le versement par Londres de 120 millions de livres sterling au titre de l’aide au développement, auxquels il faut ajouter 12 000 livres par étranger relocalisé. Diplomatique, ensuite, car l’accord constitue pour Kigali un instrument de pression sur le Royaume-Uni, tant dans leurs relations bilatérales – le président rwandais Paul Kagamé a d’ores et déjà <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/may/16/rwanda-president-suggests-uk-extradite-genocide-suspect-asylum-deal-paul-kagame">pris prétexte de l’accord pour demander l’extradition de l’un de ses ressortissants</a> – que dans un contexte plus général, où le soutien de Londres pourrait être précieux – que l’on songe par exemple aux <a href="https://theconversation.com/m23-quatre-elements-essentiels-a-retenir-sur-le-role-du-groupe-rebelle-dans-le-conflit-entre-le-rwanda-et-la-rdc-195243">accusations de soutien du Rwanda aux rebelles du M23</a> dans le cadre du conflit en RDC.</p>
<p>En signant la Convention de Genève, en participant au <a href="https://globalcompactrefugees.org/sites/default/files/2020-05/GCR%20Booklet%20FR.pdf">Pacte mondial pour les Réfugiés de 2018</a>, le Royaume-Uni s’est engagé à coopérer en matière d’asile de manière à favoriser la protection des réfugiés, le partage des responsabilités entre États, et la garantie des droits des personnes en besoin de protection internationale : Londres n’en a manifestement pas fini avec le renoncement à ses engagements internationaux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/197626/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thibaut Fleury Graff a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche (ANR) pour le Projet "RefWar - Protection en France des exilés de guerre" (2019-2023) associant les Universités Paris Panthéon-Assas, Paris-Saclay, de Bordeaux et le UNHCR. </span></em></p>Londres et Kigali ont signé un accord qui permettra au Royaume-Uni d'envoyer au Rwanda les migrants qu'il refuse d'accueillir. Un texte qui enfreint, entre autres, la Convention de Genève.Thibaut Fleury Graff, Professeur de droit international, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1966762022-12-19T16:43:17Z2022-12-19T16:43:17ZDroits humains : l’efficacité très limitée des sanctions internationales<p>Les sanctions constituent un levier économique de pression répandu dans le cadre de la politique étrangère. Mais elles restent controversées en raison de leur <a href="https://theconversation.com/avec-la-mondialisation-les-sanctions-economiques-sont-devenues-plus-courantes-que-les-interventions-militaires-181207">efficacité limitée</a>. En outre, de telles décisions comportent inévitablement des répercussions sur les populations. C’est pourquoi, pour être légales, les sanctions doivent être proportionnées.</p>
<p>Le principe de proportionnalité s’applique à deux niveaux. Premièrement, les sanctions doivent être nécessaires et globalement adaptées à l’atteinte de leur objectif. En d’autres termes, des mesures qui ne sont pas efficaces et ne favorisent pas leur objectif ne sont pas « nécessaires » et sont donc illégales. Deuxièmement, même si les sanctions sont efficaces, elles doivent être aussi peu contraignantes que possible. Si elles entraînent des dommages importants dans le pays, alors le principe de proportionnalité n’est pas respecté.</p>
<p>Dans notre dernier <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3175885">article</a> de recherche, nous avons étudié l’ensemble des sanctions imposées par les États-Unis entre 1976 et 2012, soit un total de 235 années-sanctions et 34 pays ciblés. Il en ressort que, malgré leur intention première, ces sanctions ont globalement aggravé la situation en matière de droits humains.</p>
<h2>Plusieurs catégories de droits humains</h2>
<p>En particulier, nous observons des répercussions négatives sur les droits fondamentaux, tels que le droit à la vie ou l’inviolabilité de la personne, et les droits politiques, comme la liberté de réunion et d’expression. Il s’avère que les atteintes à ces droits humains sont d’autant plus marquées lorsque le but des sanctions n’est pas explicitement lié aux droits humains (par exemple si les sanctions ont pour but de mettre fin à des conflits violents ou de soutenir le changement démocratique).</p>
<p>Nous relevons notamment que ce phénomène peut s’expliquer par une notion de droits humains prise dans un sens trop large. En effet, lorsqu’ils évoquent les effets des sanctions, les juristes ne font pas de distinction entre les différentes catégories de droits humains. Nous pensons au contraire qu’il en existe quatre : les droits fondamentaux, les droits économiques, les droits des femmes et les droits politiques, et que les effets des sanctions sur ces droits doivent être évalués séparément.</p>
<p>En outre, les juristes ont tendance à préférer les sanctions multilatérales aux sanctions unilatérales. Les sanctions imposées par les États-Unis semblent ainsi plus légitimes si elles sont cautionnées par les Nations unies. Pourtant, nous démontrons que les dommages réels sont similaires, que les sanctions soient multilatérales ou unilatérales. Nos résultats empiriques confortent l’idée selon laquelle les sanctions multilatérales ne portent pas moins atteinte aux droits humains que les sanctions unilatérales.</p>
<h2>Les sanctions intelligentes ne le sont pas</h2>
<p>Enfin, nous nous sommes intéressées aux effets des sanctions dites « intelligentes » car moins lourdes pour les populations : restrictions de déplacement pour les dirigeants, sanctions diplomatiques, etc. En ciblant l’élite d’un pays plutôt que toute la société, on limite ainsi les désagréments. À ce titre, les sanctions intelligentes sont considérées comme plus proportionnées que les autres. Cependant, contre toute attente, nous observons que les sanctions intelligentes ne produisent pas plus d’effet que les autres, ce qui pourrait laisser penser qu’elles ne sont finalement pas mieux proportionnées.</p>
<p>Nos résultats quantitatifs mettent d’ailleurs en évidence le rôle des statistiques dans l’étude des sanctions, de la proportionnalité et, plus généralement, du droit international. Or, le droit est une science normative, dans laquelle les données empiriques sont difficiles à intégrer. Nous tenons pourtant à montrer que le recours aux données peut permettre de mieux cerner les effets empiriques des sanctions pour juger de leur légalité ou illégalité.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/196676/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Armin Steinbach ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Un article de recherche dresse un bilan mitigé des nombreuses sanctions commerciales et financières imposées par les États-Unis entre 1976 et 2012.Armin Steinbach, Professeur, droit et fiscalité, HEC Paris Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1929102022-11-18T11:47:34Z2022-11-18T11:47:34ZLes footballeurs, ces « leaders involontaires » (mais leaders quand même)<p>À moins d’une semaine du coup d’envoi de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/exemplarite-62932">Coupe du monde</a> 2022, le mardi 15 novembre, Hugo Lloris, capitaine de l’équipe de France, a assuré que « <a href="https://www.lequipe.fr/Football/Actualites/Hugo-lloris-capitaine-de-l-equipe-de-france-quelque-chose-sera-fait-pour-defendre-les-droits-humains-au-qatar/1364865">quelque chose sera fait</a> » concernant les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/droits-de-lhomme-20351">droits humains</a> au <a href="https://theconversation.com/fr/topics/qatar-39492">Qatar</a>, pays-organisateur. « On ne peut pas rester insensibles à ces sujets-là. Ce sera fait dans quelques jours, ou heures, on verra », a poursuivi le gardien de but, sans détailler.</p>
<p>À la question « en attend-on trop des joueurs ? », Hugo Lloris a ensuite répondu par l’affirmative : « le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/football-20898">football</a> a une place assez importante dans la société et on en demande de plus en plus aux joueurs. Mais je crois que ce qu’on nous demande avant tout, c’est d’être performant sur le terrain ».</p>
<p>Cette déclaration, qui intervient après <a href="https://theconversation.com/le-boycott-de-la-coupe-du-monde-aura-ses-limites-mais-le-qatar-ne-sen-sortira-pas-indemne-194587">plusieurs semaines d’appels au boycott</a> de la compétition, signifie-t-elle que, à l’instar des Bleus, on peut être « leader » sans le vouloir ? Et si la réponse est positive, s’ensuit celle de l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/exemplarite-62932">exemplarité</a> et de la responsabilité de ces « leaders involontaires ».</p>
<p>Lorsque l’entraîneur du Paris Saint-Germain Christophe Galtier fait rire (jaune), début septembre, en proposant sarcastiquement, au nom de l’écologie, le char à voile comme alternative à l’avion privé pour aller disputer un match à Nantes, mais aussi lorsqu’<a href="https://www.eurosport.fr/football/coupe-du-monde/2022/eric-cantona-va-boycotter-la-coupe-du-monde-2022-au-qatar_sto9144232/story.shtml">Éric Cantona</a> annonce qu’il ne regardera pas la Coupe du onde au Qatar pour se dissocier d’un événement environnementalement et éthiquement désastreux, ils s’attirent une audience prête à les suivre – ou à les conspuer.</p>
<p>La parole s’avère d’ailleurs à peine nécessaire : l’éclat de rire de Killian Mbappé en écho à son entraîneur sur les chars à voile valait mille mots. Il pouvait signifier que les stars du foot n’ont pas à se sentir concernées par les débats qui préoccupent le grand public. Il pouvait aussi signifier à ses fans que l’écologie n’a pas d’importance.</p>
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<p>La recherche définit le leadership à partir de l’influence que peut avoir une personne sur les autres. C’est ce que l’on retrouve dans les <a href="https://books.google.fr/books?id=dMMEnn-OJQMC"><em>handbooks</em></a> de référence de la discipline comme celui de Bernard et Ruth Bass. Et c’est en ce sens que les prises de position des stars en font des leaders.</p>
<p>Cependant, les études sur le leadership involontaire restent encore <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1048984321000849">sous-développées</a> dans la littérature scientifique. Les chercheurs préfèrent le plus souvent observer l’influence de managers, c’est-à-dire de personnes dotées d’un pouvoir hiérarchique a priori, dans le cadre d’organisations. Leur leadership est alors un instrument au service des objectifs de l’organisation.</p>
<h2>La contagion du ballon rond</h2>
<p>L’une des façons de comprendre le leadership involontaire suppose de ne plus se concentrer sur le leader (le manager par exemple) mais sur la relation entre le leader et les personnes dont il suscite l’adhésion. Exprimer ses propres vues, lorsqu’elles font écho à un ressenti ou à une attente implicite de la part d’une audience, constitue clairement un acte de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/leadership-24112">leadership</a>.</p>
<p>La relation de principe est à sens unique. Elle repose par exemple sur le <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1048984321000849">charisme</a>, une forme de pouvoir identifiée dès le début du XX<sup>e</sup> siècle par le sociologue allemand Max Weber qui se fonde sur une attribution prêtée par les suiveurs au leader : celui-ci serait capable de faire ce qui reste impossible au commun des mortels.</p>
<p>Dans le cadre du business ou de la politique, cela passe par l’affirmation d’une certitude dans l’accomplissement d’une vision. On parle alors de « leadership <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1048984399000168">transformationnel</a> ». Mais rien ne garantit que l’audience y croit. Pour les sportifs, la chose est en revanche facilitée par deux éléments.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>D’une part, les études montrent que les attributions sont contagieuses : la reconnaissance d’un seul talent exceptionnel suffit à attribuer au leader une distinction charismatique. Marquer des buts, faire des passes millimétrées et des tacles tout en finesse sont autant d’éléments qui, pour les fans, font du footballeur une personne hors du commun. Il sera, en conséquence, perçu comme doué de clairvoyance et donc suivi.</p>
<p>Le second élément est ce que l’on appelle « l’amiabilité », le capital de sympathie dont jouissent les stars. Il induit dans ce qu’elles disent (ou ce dont elles s’esclaffent) un certain degré de véracité et donc une invitation à s’inscrire dans les foulées du leader. Le leadership n’a donc pas à être délibéré, intentionnel. Par leur talent balle au pied, par leur image sur la pelouse, les footballeurs stars sont des leaders sans le vouloir.</p>
<h2>Un leadership éthique ?</h2>
<p>Quant à savoir quels devraient être les messages de ces leaders par inadvertance, les débats académiques restent grand ouverts. Depuis le début des années 2000 et le crash d’organisations dirigées par de grands charismatiques la recherche a largement intégré une <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/ijmr.12082">dimension éthique comme clé de l’influence</a>. La meilleure inspiration pourrait être le leadership responsable, proposé par toute une école de <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10551-011-1114-4">chercheurs suisses</a>.</p>
<p>Ce courant théorise une influence positive du leader sur la base de sa considération pour de multiples parties prenantes. Les leaders responsables parviennent à équilibrer, voire à mettre en synergie les demandes nombreuses et souvent contradictoires qui s’exercent sur leurs organisations. Leur influence se développe ainsi auprès de plusieurs audiences, déterminant des « effets de réseau » qui se renforcent mutuellement.</p>
<p>À condition d’être capables d’intégrer un discours de leader responsable, singulièrement sur les questions du réchauffement climatique et du respect des droits humains, les stars du foot pourraient se construire une influence dépassant largement le cadre qui les a rendus célèbres. C’est à peu près la voie que personnifie Éric Cantona, footballeur retraité, avec sa dénonciation de la coupe du monde au Qatar.</p>
<h2>Face aux contradictions</h2>
<p>Ceux qui évoluent toujours sur les terrains, pour leur part, se trouvent pris dans des contraintes rendant difficile cette forme de leadership. Il n’est pas certain que les exigences de l’entraînement et des matchs laissent l’ouverture d’esprit nécessaire aux joueurs du Paris-Saint-Germain pour se pencher sur les grands défis de la planète, malgré les dénégations de <a href="https://sports.orange.fr/football/ligue-1/psg/article/psg-galtier-prend-la-defense-de-son-equipe-a-propos-de-l-ecologie-CNT000001SIJmf.html">Christophe Galtier</a>.</p>
<p>Il leur est surtout compliqué de dénoncer des parties prenantes, comme les milliardaires du Golfe ou d’ailleurs, qui peuvent être leur employeur et qui leur donnent les moyens de leur distinction via un mode de vie hors du commun. Les conceptions classiques interdisent au leader de se contredire. Seules des théories alternatives comme le <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1048984308000040">servant leadership</a> intègrent l’admission d’une vulnérabilité.</p>
<p>En outre, les tournants responsable et <a href="https://theconversation.com/fr/topics/ethique-20383">éthique</a> de la recherche en leadership sont actuellement pris à contre-pied. La promesse d’un leadership positif « universel » est battue en brèche. De plus en plus, le leadership se concentre autour de communautés polarisées, voire opposées. Les leaders personnifient un rêve. Mais que ce rêve ne soit partagé que par une communauté de fans acquis à une cause – gagner la Ligue des champions ou la Coupe du monde, intégrer la jet-set des buteurs et des rappeurs – ne diminue pas la puissance de l’influence exercée par ceux qui l’expriment.</p>
<p>Il existe cependant une limite à l’influence que peuvent exercer les stars du foot. Le leadership en tant que phénomène relationnel suppose de la constance. Pour que l’influence de Christophe Galtier ou Killian Mbappé ait un réel impact, ils devront répéter le message. Peu de chances, vu les polémiques suscitées, qu’on les y reprenne.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192910/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Vincent Giolito ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les sportifs, considérés comme doués de capacités hors normes, sont généralement pour cette raison également perçus comme dotés d’une grande clairvoyance hors des stades.Vincent Giolito, Professeur, EM Lyon Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1917922022-10-16T15:36:21Z2022-10-16T15:36:21ZAmnesty International et l’Ukraine : de la difficulté d’invoquer le droit humanitaire en temps de guerre<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/489584/original/file-20221013-16-zstxyc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C36%2C6016%2C3971&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Manifestation organisée par Amnesty International à Bangkok pour dénoncer l’invasion de l’Ukraine par la Russie, en mars 2022. Récemment, l’ONG s’est retrouvée sous le feu des critiques pour un rapport dénonçant certains agissements des militaires ukrainiens.
</span> <span class="attribution"><span class="source">teera.noisakran/Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Le 4 août 2022, dans le contexte du conflit armé russo-ukrainien, Amnesty International publiait un <a href="https://www.amnesty.fr/actualites/ukraine-les-tactiques-de-combats-ukrainiennes-mettent-en-danger-la-population-civile">communiqué de presse</a> faisant état de «tactiques de combats ukrainiennes mett[ant] en danger la population civile». Le reproche fait à l’armée ukrainienne est de placer des objectifs militaires, que les forces armées russes sont autorisées à prendre pour cible sous certaines conditions, au milieu de la population civile ukrainienne (zone d’habitation, écoles et hôpitaux) et ainsi de mettre en danger cette population civile.</p>
<p>Immédiatement, ce communiqué et l'ONG qui le porte, que l'on peut difficilement soupçonner de complaisance à l'égard des autorités russes <a href="https://www.amnesty.org/fr/location/europe-and-central-asia/russian-federation/">en général</a> et <a href="https://www.amnesty.fr/actualites/ukraine-les-forces-russes-crimes-de-guerre-commis-dans-la-region-de-kiev">dans le conflit actuel</a>, se sont trouvés au cœur d'une vive polémique aux ramifications tant politiques que juridiques.</p>
<p>Politiquement, l'ONG est accusée par la responsable démissionnaire d'Amnesty en Ukraine de <a href="https://www.lepoint.fr/monde/ukraine-la-responsable-d-amnesty-demissionne-apres-un-rapport-conteste-06-08-2022-2485589_24.php">servir la «propagande russe»</a> et par le président Zelensky de <a href="https://fr.euronews.com/2022/08/05/volodymyr-zelensky-fustige-le-dernier-rapport-damnesty-international">« tentative d'amnistier un État terroriste»</a>.</p>
<p>Juridiquement, les analyses se sont multipliées pour soutenir, plus ou moins explicitement, que le droit international humanitaire devait être interprété différemment selon qu'il s'applique à un État agresseur ou à un État agressé. Encore récemment, le 21 septembre 2022, dans <a href="https://www.france.tv/france-5/c-ce-soir/c-ce-soir-saison-3/4073953-emission-du-mercredi-21-septembre-2022.html">l'émission «C ce soir» consacrée au conflit</a>, un intervenant qui désignait la Russie et l'Ukraine comme les «belligérants» s'est vu reprocher cette expression tirée du droit international humanitaire (DIH) et prié de désigner ces États comme l'agresseur et l'agressé. Le constat paraît sans appel : la Russie et l'Ukraine ne sont pas sur un pied d'égalité, y compris quand il s'agit de DIH.</p>
<h2>Que dit le droit ?</h2>
<p>Pourtant, ce constat « de bon sens » est erroné en droit international qui, comme l'ont rappelé depuis plusieurs spécialistes comme <a href="https://genevasolutions.news/peace-humanitarian/amnesty-report-on-ukraine-do-rules-of-war-apply-to-everyone">Marco Sassolì</a> ou <a href="https://lerubicon.org/publication/cause-juste-et-respect-du-droit-international-humanitaire-a-propos-du-rapport-damnesty-international-2/">Julia Grignon</a>, différencie d<a href="https://www.icrc.org/fr/document/droit-international-humanitaire-autres-regimes-juridiques">eux corps de règles strictement indépendants</a> : le <em>jus ad bellum</em> (ou droit de recourir à la force), qui distingue effectivement l'État agresseur de l'État agressé, et le <em>jus in bello</em> (ou droit international des conflits armés, ou DIH), qui s'applique à toutes «les parties au conflit armé» ou «belligérants» indifféremment quant à leur qualité d'agressé ou d'agresseur ou à la cause que ces parties défendent.</p>
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<p>Le premier corps de règles, le <em>jus ad bellum</em>, permet d'affirmer quel État utilise la force licitement, c'est-à-dire conformément à la Charte des Nations unies, et lequel viole le droit international et met en danger la paix et la sécurité internationales. En l'occurrence, il est largement admis que la Russie a agressé l'Ukraine, qui utilise la force en légitime défense pour préserver son intégrité territoriale.</p>
<p>Le second corps de règles, le <em>jus in bello</em>, permet de déterminer si les parties au conflit armé respectent les règles minimales d'humanité dans la conduite de leurs hostilités. En la matière, les deux États impliqués dans un conflit peuvent violer le droit, et la gravité ou l'ampleur des violations commises par l'une des parties ne dispense ni n'excuse les violations commises par l'autre. Il n'est plus question de savoir pourquoi les États utilisent la force armée et s'ils en ont le droit, mais comment ils l'utilisent et si la manière de «faire la guerre» est conforme au droit. Russes et Ukrainiens ont donc les mêmes droits et obligations en tant que «belligérants» ou «parties au conflit armé» — c'est ce qu'on désigne comme le «principe d'égalité des belligérants» (pour les conflits armés non internationaux, ce principe <a href="https://international-review.icrc.org/sites/default/files/irrc-882-sassoli-shany-provost_0.pdf">fait cependant débat</a>).</p>
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<figcaption><span class="caption">Ukraine : Amnesty International dans la tourmente, TV5 Monde, 6 août 2022.</span></figcaption>
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<p>Le lecteur intéressé pourra utilement se reporter aux références susmentionnées pour approfondir l'analyse juridique du communiqué et des règles de DIH qu'Amnesty reproche aux ukrainiens de ne pas respecter. Sera-t-il pour autant convaincu qu'il est primordial d'imposer strictement les mêmes règles aux combattants russes et ukrainiens ? Qu'il est impératif de ne pas faire preuve de plus d'indulgence vis-à-vis des forces ukrainiennes qui défendent leur territoire que vis-à-vis des forces russes qui attaquent un territoire et un peuple étranger ?</p>
<p>Rien n'est moins certain dans ce contexte de polarisation des opinions publiques et, quoi qu'en dise le droit, chacun demeure libre de défendre l'idée qu'il faudrait opérer une différence entre l'État agresseur et l'État agressé. C'est pourquoi il n'est pas suffisant d'affirmer professoralement l'existence de ce principe d'égalité des belligérants. Il faut l'expliquer et tenter de convaincre chacun, quelles que soient ses convictions, que personne n'a intérêt à ce qu'il soit remis en question.</p>
<h2>Le principe d'égalité des belligérants, fruit de plusieurs siècles d'expérience pour limiter les maux de la guerre</h2>
<p>Contrairement aux autres principes du DIH dont on trouve des traces dès l'Antiquité, le principe d'égalité des belligérants est relativement nouveau puisqu'il ne s'est imposé qu'après la Seconde Guerre mondiale et n'a été explicitement inscrit dans une convention, à savoir dans le dernier alinéa du <a href="https://ihl-databases.icrc.org/applic/ihl/dih.nsf/Article.xsp?action=openDocument&documentId=150CF363CA4FF48CC12563BD002C1D89">préambule du premier protocole additionnel aux Conventions de Genève</a>, qu'en 1977.</p>
<p>Longtemps, le droit international humanitaire a été dominé par ce qu'on désigne comme les <a href="https://www.cairn.info/l-idee-de-guerre-juste--9782130584735-page-17.htm">«théories de la guerre juste»</a>. Sans entrer dans le détail, ces théories successives consistaient à écarter ou moduler les règles applicables dans la conduite des hostilités selon la légitimité de la cause défendue, le respect par l'autre belligérant de ses obligations ou encore la licéité de l'usage de la force. L'idée est simple : pourquoi le combattant qui défend une juste cause ou prend licitement les armes devrait se voir imposer les mêmes obligations que celui qui combat illicitement ou dont la cause est injuste ? Pourquoi ce premier devrait continuer à respecter les règles si le second ne les respecte pas ?</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1556274300897959936"}"></div></p>
<p>Ces interrogations légitimes se sont toutefois confrontées à l'expérience séculaire des guerres et force est de constater que la mise en œuvre de ces théories aboutit systématiquement à ce qu'aucune des parties au conflit ne respecte le DIH, c'est-à-dire à une violence débridée où tous les moyens et méthodes de guerre sont utilisés pour vaincre l'ennemi. Plusieurs éléments, tirés de cette expérience et déjà identifiés en 1624 par <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/archives-diplomatiques/action-scientifique-et-culturelle/cabinet-des-decouvertes/article/a-l-origine-du-droit-international-public">Hugo Grotius dans son <em>De Jure Belli ac Pacis</em></a>, expliquent ce phénomène et peuvent être résumés en une succession de questions.</p>
<p>Quel critère doit-on utiliser pour désigner la partie «vertueuse» ? Est-ce que la légalité est toujours aussi évidente qu'on le souhaiterait ? Est-ce que la légalité du recours à la force l'emporte sur la légalité dans la conduite des hostilités ? Est-ce que la légalité est toujours plus importante que la moralité ?</p>
<p>Ces questions sont plus complexes qu'il n'y parait et ont, par exemple, été au cœur des débats entre les États durant l'adoption, en 1977, des <a href="https://www.icrc.org/fr/document/conventions-geneve-1949-protocoles-additionnels">protocoles additionnels aux Conventions de Genève</a>. D'un côté, la plupart des États occidentaux soutenaient que les «guerres de décolonisation» étaient des conflits internes, sans protection juridique pour les combattants colonisés. De l'autre, les États nouvellement décolonisés, les États du tiers-monde et les mouvements de libération nationale arguaient de la légitimité de leurs luttes et du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes pour faire reconnaître ce statut de combattant (qui empêche, notamment, de condamner pénalement le membre d'une partie au conflit qui prend les armes en respectant le DIH) et obtenir des aménagements du droit à l'aune des caractéristiques de leurs combats (notamment des méthodes de guérilla). En 2014 et en 2022, les discours russes et séparatistes se sont <a href="https://www.bfmtv.com/international/annexions-russes-en-ukraine-le-discours-de-vladimir-poutine-en-integralite_VN-202209300430.html">amplement servis</a> de la rhétorique du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, de l'agression occidentale et de la légitimité de la lutte anticoloniale. D'aucuns avanceront, à raison selon nous mais certainement pas pour d'autres, qu'il s'agit de propagande ou d'arguments intenables juridiquement.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1555154327815192577"}"></div></p>
<p>Ce qui conduit à la seconde interrogation : en admettant que l'on puisse identifier un critère consensuel entre les parties, qui peut départager les prétentions concurrentes de deux belligérants, <em>a fortiori</em> lorsqu'il s'agit de deux États souverains qui ne disposent d'aucune autorité supérieure ?</p>
<p>Certes, les États ont consenti et octroyé un certain nombre de ces compétences aux organes des Nations unies avec l'adoption en 1945 de la Charte des Nations unies. Toutefois, la légitimité et l'impartialité de ces organes est régulièrement débattue et leur activité peut être paralysée quand il est question d'un des cinq États permanents du Conseil de sécurité, ou de leurs alliés, qui disposent d'un droit de veto.</p>
<p>Le blocage au Conseil de sécurité <a href="https://press.un.org/fr/2022/cs14808.doc.htm">empêchant de qualifier l'agression de la Russie contre l'Ukraine</a>, ainsi que l'inefficacité de la <a href="https://news.un.org/fr/story/2022/03/1115472">résolution condamnant l'agression adoptée par l'Assemblée générale des Nations unies</a> mettent en exergue l'élément crucial : il ne suffit pas de dire le droit, il faut une entité, inexistante à ce jour et sans doute peu souhaitable, qui soit capable de contraindre, au besoin par la force armée, les parties au conflit à accepter ses décisions.</p>
<p>En effet, quand bien même la désignation de l'État «juste» et de l'État «injuste» serait irréfutable, est-il plausible que ce dernier admette ses torts et renonce à la guerre ou qu'il accepte de respecter des obligations juridiques plus contraignantes que son ennemi ? À notre connaissance, cela ne s'est jamais produit. En revanche, ce qui se produit quand les parties au conflit contestent leur égalité juridique est une négation ou une minimisation des protections juridiques accordées aux personnes et biens protégés par le DIH (les personnes et biens civils, les personnes détenues et prisonniers de guerre ou encore l'environnement).</p>
<h2>Les remises en question du principe d'égalité des belligérants : un abandon des principes élémentaires d'humanité dans les conflits armés</h2>
<p>Sans prétendre à l'exhaustivité, plusieurs précédents classiques peuvent être évoqués pour montrer que l'interférence de considérations morales ou de licéité du recours à la force conduit à nier les principes les plus élémentaires d'humanité.</p>
<p>Il a été fait mention des «combattants de la liberté» qui ont eu recours à des pratiques mettant en péril les civils, souvent désignées comme des méthodes de guérilla (se dissimuler au sein de la population civile) ou de terrorisme (prendre pour cible des populations civiles) en les justifiant par la cause supérieure qu'ils défendent. Cette rhétorique est en réalité tout à fait banale dans la plupart des guerres dites asymétriques, opposant une puissance militaire importante à une autre manifestement plus faible et moins expérimentée, assurée de perdre en cas de confrontation ouverte.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/guerre-en-ukraine-et-destruction-de-lenvironnement-que-peut-le-droit-international-183774">Guerre en Ukraine et destruction de l’environnement : que peut le droit international ?</a>
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<p>Il n'existe pas de systématicité dans la légitimité de ceux qui l'invoquent : il peut s'agir alternativement de forces armées étatiques ou paraétatiques (certains actes commis contre les forces d'occupation en Afghanistan après 2001 ou dans le conflit israélo-palestinien), de mouvements de libération nationale (les actes du FLN algérien) ou encore de groupes djihadistes (par exemple au Mali depuis 2013).</p>
<p>La rhétorique de la cause licite ou juste est également utilisée par des puissances militaires de premier plan. L'exemple le plus évident est celui du camp de Guantanamo créé par les États-Unis pour détenir les «combattants illégaux» c'est-à-dire, d'après les autorités américaines, des individus qui ne bénéficiaient plus d'aucun droit (ni ceux du DIH, ni ceux des droits de l'homme). À Guantanamo, comme dans de nombreuses autres situations, l'invocation de la guerre légitime contre un ennemi «illégal», «barbare» ou «injuste» sert à justifier la torture, le fait de prendre pour cible des populations civiles suspectées de soutenir l'ennemi, et divers autres méthodes et moyens de guerre illicites comme l'usage d'armes interdites.</p>
<h2>Les questions qui comptent</h2>
<p>Finalement, dans le conflit russo-ukrainien comme dans tout conflit, il est fallacieux de se demander si les forces armées ukrainiennes et russes doivent être liées par les mêmes obligations juridiques du DIH. À ce jour, toutes les tentatives pour différencier les parties à un conflit armé devant le DIH ont abouti au même constat de la négation, par les deux parties, des principes élémentaires d'humanité. L'expérience a montré que les seules questions qui comptent <em>in fine</em> sont les suivantes : est-ce que tout doit être permis dans la guerre et est-ce que la fin justifie les moyens ? À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, nos prédécesseurs ont répondu par la négative à ces questions. Ils ont affirmé que lorsqu'une guerre éclate, toutes les parties au conflit armé doivent respecter certaines obligations qui, sans les empêcher de combattre, préservaient <em>a minima</em> l'humanité de tous, combattants et civils, d'un camp et de l'autre.</p>
<p>Les conflits armés mettent sans cesse à l'épreuve ce patrimoine juridique et humaniste, particulièrement face à un ennemi «sans foi ni loi». Sa préservation doit ainsi demeurer une priorité absolue quelles que soient les circonstances. Le conflit russo-ukrainien prendra fin mais d'autres viendront, avec toujours les mêmes prétentions de justice et les mêmes besoins de règles minimales d'humanité.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 23 et 24 septembre 2022 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/191792/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Elsa Marie a reçu des financements de l'Université Paris-Nanterre pour effectuer sa thèse. </span></em></p>En août, un communiqué d’Amnesty International a été interprété comme la mise sur le même plan des militaires ukrainiens et des agresseurs russes. Décryptage.Elsa Marie, Doctorante en droit international, Centre de droit international de Nanterre (CEDIN), Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1850702022-06-15T18:25:30Z2022-06-15T18:25:30ZParodie de justice en « DNR » : quand les séparatistes pro-russes violent les Conventions de Genève<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/468762/original/file-20220614-14-dzcyvl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C2%2C1527%2C864&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les Britanniques Aiden Aslin et Shaun Pinner et le Marocain Brahim Saadoun pendant leur procès. Image tirée d’un enregistrement diffusé par la Cour suprême de la République populaire autoproclamée de Donetsk.
</span> </figcaption></figure><p>Deux Britanniques et un Marocain, capturés alors qu’ils combattaient au sein des forces armées ukrainiennes, viennent d’être <a href="https://www.rts.ch/info/monde/13163230-consterne-le-royaumeuni-cherche-a-liberer-les-deux-britanniques-condamnes-a-mort-en-ukraine.html">condamnés à mort</a> par les autorités pro-russes de l’autoproclamée République populaire de Donetsk (Donetskaïa Narodnaïa Respoublika, DNR). Aiden Aslin, Shaun Pinner et Brahim Saadoun, qui se sont rendus aux forces russes pendant le siège de l’aciérie Azovstal, à Marioupol, ont été reconnus coupables d’« être des mercenaires ». Ils ont un mois pour faire appel et, si l’appel est accueilli favorablement, leur peine pourrait être commuée en emprisonnement à perpétuité ou pour une durée de 25 ans.</p>
<p>Les responsables de la DNR affirment que les actions des trois hommes ont « entraîné la mort et la blessure de civils, ainsi que des dommages aux infrastructures ».</p>
<p>Cet épisode, que de nombreux observateurs ont qualifié de <a href="https://www.express.co.uk/news/world/1623304/russia-ukraine-news-vladimir-putin-tory-mp-Robert-Jenrick-uk-fighters-life-sentences-vn">« procès spectacle »</a> fondé sur des « accusations forgées de toutes pièces », soulève d’importantes questions relatives au statut des condamnés au regard du droit international et à la compatibilité de ces procès avec les droits qui accompagnent ce statut.</p>
<h2>Ces hommes sont-ils des prisonniers de guerre ?</h2>
<p>Le statut de « prisonnier de guerre » est juridiquement protégé. Il correspond à une définition spécifique et des droits qui lui sont attachés en vertu du droit international. La <a href="https://ihl-databases.icrc.org/applic/ihl/dih.nsf/INTRO/375">troisième Convention de Genève</a> de 1949 et le <a href="https://ihl-databases.icrc.org/applic/ihl/dih.nsf/INTRO/470">premier Protocole additionnel</a> de 1977 définissent les personnes qui ont droit au statut de prisonnier de guerre et la manière dont elles doivent être traitées par l’État qui les détient pendant un conflit armé.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-crimes-commis-en-ukraine-pourront-ils-un-jour-faire-lobjet-dun-proces-international-181021">Les crimes commis en Ukraine pourront-ils un jour faire l’objet d’un procès international ?</a>
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<p>D’après les médias, Aslin (28 ans) et Pinner (48 ans) semblent avoir été <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/apr/18/captured-britons-russian-tv-johnson-help-free-shaun-pinner-aiden-aslin">intégrés dans les forces armées ukrainiennes</a>, auraient servi <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/jun/07/pro-russia-officials-open-trial-against-britons-captured-fighting-in-ukraine">au sein du corps des Marines</a> (et non pas simplement combattu à leurs côtés), et se trouvaient apparemment en Ukraine <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/apr/21/aiden-aslin-shaun-pinner-fears-for-british-prisoners-of-war-in-ukraine">depuis plusieurs années</a>. Quant à Saadoun, âgé de 21 ans, il aurait été <a href="https://medias24.com/2022/06/12/ce-que-lon-sait-de-laffaire-brahim-saadoun/">étudiant en Ukraine avant l’invasion russe</a> ; c’est alors qu’il aurait rejoint les forces ukrainiennes.</p>
<p>Si ces informations sont vraies, alors les trois hommes correspondent parfaitement à la définition des personnes ayant droit au statut de prisonnier de guerre. Cela signifie également qu’ils sont des <a href="https://ihl-databases.icrc.org/applic/ihl/ihl.nsf/Article.xsp?action=openDocument&documentId=AF64638EB5530E58C12563CD0051DB93">« combattants »</a> légitimes – un statut connexe qui leur donne le droit de prendre part aux hostilités contre l’ennemi.</p>
<p>Les responsables russes ont qualifié de <a href="https://www.newyorker.com/news/daily-comment/will-mercenaries-and-foreign-fighters-change-the-course-of-ukraines-war">« mercenaires »</a> tous les combattants étrangers qui se battent aux côtés de l’Ukraine. Il s’agit d’un terme juridique désignant un combattant étranger qui n’est pas membre des forces armées d’un État mais qui combat à ses côtés en échange d’une importante compensation financière.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/x19Uo7Tmvt8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Guerre en Ukraine : deux combattants britanniques et un marocain condamnés à mort, Euronews, 10 juin 2022.</span></figcaption>
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<p>Si les <a href="https://ihl-databases.icrc.org/applic/ihl/ihl.nsf/Article.xsp?action=openDocument&documentId=9EDC5096D2C036E9C12563CD0051DC30">mercenaires n’ont pas droit au statut de prisonnier de guerre</a>, que les condamnés soient apparemment officiellement membres des forces armées ukrainiennes signifie qu’ils ne sont pas des mercenaires. En outre, Aslin <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/jun/08/ukraine-captured-britons-face-20-years-in-jail">aurait la nationalité ukrainienne</a>.</p>
<p>En fait, toute personne ayant rejoint la <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/guerre-en-ukraine-quatre-questions-sur-la-legion-internationale-creee-par-zelensky_2169774.html">Légion internationale ukrainienne</a> n’est pas considérée comme mercenaire et devrait avoir droit au statut de prisonnier de guerre dans la mesure où les membres de la Légion internationale sont <a href="https://www.ejiltalk.org/mercenary-or-combatant-ukraines-international-legion-of-territorial-defense-under-international-humanitarian-law/">incorporés dans les forces armées ukrainiennes</a>.</p>
<p>Il apparaît donc que les condamnés devraient avoir droit au statut de combattant et de prisonnier de guerre. La question suivante, dès lors, est de savoir si les droits que leur confère ce statut ont été violés durant leur procès.</p>
<h2>Quels sont leurs droits ?</h2>
<p>Une fois que vous disposez du statut de combattant et de prisonnier de guerre, le droit international vous accorde une longue liste de droits lorsque vous êtes détenu par un État ennemi. L’un de ces droits, qui découle du statut de combattant légitime et du droit de participer aux hostilités, est celui de <a href="https://casebook.icrc.org/glossary/immunities">ne pas être poursuivi</a> pour avoir combattu, tant qu’aucun crime de guerre n’a été commis.</p>
<p>Les combattants sont protégés contre toute poursuite pour ce qui serait un crime en droit national, comme l’homicide ou la destruction de biens. L’idée qui sous-tend cette règle est que les soldats ennemis ne doivent pas être punis pour avoir fait ce que les soldats de l’autre camp font également (combattre dans une guerre au nom de leur pays).</p>
<p>Les <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/jun/07/pro-russia-officials-open-trial-against-britons-captured-fighting-in-ukraine">accusations contre les condamnés</a> sont rapportées comme suit : « commission de crime en tant que membre d’un groupe criminel », « prise de pouvoir ou maintien au pouvoir par la force », « mercenariat » et « promotion de la formation aux activités terroristes ». Tous ces chefs d’accusation semblent relever du simple fait d’avoir rejoint les forces armées ukrainiennes et d’avoir combattu avec elles. Dès lors, les poursuites engagées à l’égard des trois hommes violent les droits que leur confère leur statut de combattants en vertu du droit international.</p>
<p>Le droit des combattants à ne pas être poursuivis pour leur participation à la guerre ne s’étend pas aux crimes de guerre, que les États sont <a href="https://ihl-databases.icrc.org/applic/ihl/ihl.nsf/ART/375-590155?OpenDocument">tenus de poursuivre</a>. Il a été rapporté que les trois hommes étaient également accusés d’avoir causé la mort de civils. Mais même si les charges retenues contre eux allaient au-delà du fait qu’ils ont rejoint les forces ukrainiennes, et alléguaient d’actes spécifiques – tels que des crimes de guerre –, le droit international leur accorde des <a href="https://ihl-databases.icrc.org/applic/ihl/ihl.nsf/ART/375-590126?OpenDocument">droits très détaillés</a> à un procès équitable en tant que prisonniers de guerre. Ils ont notamment le droit <a href="https://ihl-databases.icrc.org/applic/ihl/ihl.nsf/Article.xsp?action=openDocument&documentId=274D7903FCEF66D3C12563CD0051B1B1">d’être jugés par un tribunal indépendant et impartial</a> (une norme à laquelle les tribunaux établis à Donetsk aujourd’hui <a href="https://www.ohchr.org/sites/default/files/Documents/Countries/UA/Ukraine-admin-justice-conflict-related-cases-en.pdf">ne correspondent pas</a>).</p>
<p>Il est par ailleurs important de noter qu’ils ne peuvent être poursuivis que <a href="https://ihl-databases.icrc.org/applic/ihl/ihl.nsf/ART/375-590123?OpenDocument">par les mêmes tribunaux et conformément aux mêmes procédures</a> que celles qui s’appliquent aux forces armées russes. Étant donné que la Russie semble avoir remis les deux hommes aux autorités chargées des poursuites dans la république séparatiste autoproclamée de Donetsk, le procès viole clairement cette règle.</p>
<p>Sur la base de ce qui a été rapporté, le procès des trois hommes semble clairement avoir violé leurs droits en tant que combattants et prisonniers de guerre.</p>
<h2>Quelles conséquences ?</h2>
<p>La principale difficulté réside dans l’application de ces obligations à l’encontre de la Russie. <a href="https://lieber.westpoint.edu/litigating-russias-invasion-ukraine/">Divers mécanismes</a> ont déjà été mis en place pour tenter de traduire la Russie et certains de ses représentants devant différents tribunaux, mais ils sont tous confrontés à leurs propres limites. Le fait de priver délibérément un prisonnier de guerre de son droit à un procès équitable ou de le transférer illégalement constitue un crime de guerre, et la Cour pénale internationale <a href="https://www.icc-cpi.int/fr/ukraine">enquête déjà</a> sur les crimes de guerre présumés commis en Ukraine (mais il faut pour cela que les auteurs soient placés sous la garde de la CPI).</p>
<p>Les prisonniers de guerre peuvent également porter plainte contre le gouvernement russe devant la Cour européenne des droits de l’homme (comme de <a href="https://hudoc.echr.coe.int/app/conversion/pdf/?library=ECHR&id=003-7277548-9913621&filename=Decision%20of%20the%20Court%20on%20requests%20for%20interim%20measures%20in%20individual%20applications%20concerning%20Russian.pdf">nombreux individus l’ont déjà fait depuis février</a>). Mais il semble certain que la Russie <a href="https://tass.com/russia/1463889">ne se conformera pas</a> à d’éventuels jugements rendus par celle-ci.</p>
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<p><em>La traduction vers la version française a été assurée par le site <a href="https://www.justiceinfo.net/fr/">Justice Info</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/185070/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lawrence Hill-Cawthorne ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le procès et la condamnation à mort, dans la « République populaire de Donetsk », de trois combattants étrangers capturés par l’armée russe constituent une violation claire du droit de la guerre.Lawrence Hill-Cawthorne, Associate Professor of Law, University of BristolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1807672022-04-07T18:56:00Z2022-04-07T18:56:00ZLa Russie exclue du Conseil de l’Europe : séisme dans la « maison commune »<p>L’attaque de l’Ukraine par la Russie dans la nuit du 24 février 2022 a provoqué un séisme géopolitique mondial. Le Conseil de l’Europe n’en sort pas indemne : il a, pour la première fois, expulsé l’un de ses États parties, la Russie, parce que la <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMDictionnaire?iddictionnaire=1644">maison commune européenne</a> ne peut pas comprendre en son sein un État attaquant sans raison l’intégrité territoriale de son voisin, qui plus est dans des conditions dramatiquement incompatibles avec la protection des droits humains. Retour sur l’histoire tumultueuse des relations de l’institution installée à Strasbourg avec Moscou.</p>
<h2>La vision de Gorbatchev</h2>
<p>L’adhésion de la Russie au Conseil de l’Europe fut un processus long et difficile. Pourtant, à la fin des années 1980, les relations avec l’organisation européenne avaient bien commencé, car Mikhaïl Gorbatchev choisit le Conseil de l’Europe comme plate-forme d’expression pour son projet d’une « maison commune européenne ». Les conditions pour un rapprochement entre le Conseil de l’Europe et l’URSS étaient alors favorables, et l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe créa un nouveau <a href="https://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-XML2HTML-FR.asp?fileid=16328">statut d’invité spécial</a> qu’elle accorda en juin 1989 au Soviet suprême de l’URSS, premier parlement communiste à en bénéficier.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/456883/original/file-20220407-14-8b097t.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/456883/original/file-20220407-14-8b097t.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=425&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/456883/original/file-20220407-14-8b097t.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=425&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/456883/original/file-20220407-14-8b097t.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=425&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/456883/original/file-20220407-14-8b097t.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=535&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/456883/original/file-20220407-14-8b097t.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=535&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/456883/original/file-20220407-14-8b097t.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=535&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les 47 États membres du Conseil de l’Europe, avant l’exclusion de la Russie le 16 mars 2022.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://twitter.com/Hanasoph/status/1333847872434008064">Conseil de l’Europe</a></span>
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<p>Ainsi, le 6 juillet 1989 – dès avant la chute du mur de Berlin – le premier secrétaire général de l’URSS <a href="https://www.cvce.eu/content/publication/2002/9/20/4c021687-98f9-4727-9e8b-836e0bc1f6fb/publishable_fr.pdf">vint s’exprimer devant l’Assemblée parlementaire</a> du Conseil pour annoncer l’ouverture d’un consulat général à Strasbourg et pour laisser ainsi entendre que le Conseil de l’Europe pourrait devenir la structure d’accueil pour une maison commune européenne, où plusieurs systèmes politiques pourraient coexister au sein d’une organisation paneuropéenne.</p>
<h2>L’adhésion compliquée de la Russie</h2>
<p>La levée du rideau de fer fin 1989 changea la donne. Après la mise en place de nouvelles démocraties en Europe centrale et orientale, ce sont d’abord les pays de l’ancien glacis protecteur de l’URSS – la Hongrie, la Pologne, la Tchécoslovaquie, la Bulgarie et la Slovénie – qui, entre 1990 et 1993, intégrèrent la maison commune européenne à Strasbourg, sans pouvoir négocier de dérogation au système politique exigé par les statuts pour devenir membre, tenant au respect des valeurs fondamentales de la démocratie, de l’État de droit et des droits humains.</p>
<p>Même lorsque l’URSS éclata en 1991, la Russie ne fut pas la première ancienne république soviétique à adhérer. Après leur indépendance, ce sont d’abord les <a href="https://www.coe.int/fr/web/portal/46-members-states">pays baltes qui entrèrent</a> entre 1993 et 1995 –, puis la Moldavie et l’Ukraine en 1995.</p>
<p>Pour la Russie, l’adhésion au Conseil de l’Europe s’avéra plus compliquée. Pourtant, le 7 mai 1992, lorsque Moscou déposa sa candidature, le Comité des ministres salua cette décision comme « une date majeure dans l’histoire du continent » et transmit cette demande d’adhésion pour examen à l’Assemblée parlementaire avec leur avis positif.</p>
<h2>Les divisions sur l’opportunité d’intégrer la Russie au Conseil de l’Europe</h2>
<p>C’était la première fois que les ministres s’exprimaient à l’avance sur une demande d’adhésion, ce qui montre à quel point l’adhésion de la Russie revêtait une importance géopolitique. Mais deux facteurs pesèrent sur la procédure d’adhésion. Premièrement, en 1992, au sein de l’Assemblée parlementaire, une commission se pencha sur l’examen de la condition d’européanité des nouveaux candidats. Un véritable débat fut mené jusqu’en 1994 pour savoir qui, parmi les anciens membres de l’URSS, pouvait être qualifié d’européen sur des critères géographiques, culturels et politiques. De nombreuses voix s’élevèrent contre la Russie qui ne serait pas prête à rejoindre « les clubs de la démocratie », en arguant que le Conseil de l’Europe ne pouvait pas être une simple « école de démocratie ».</p>
<p>Le deuxième facteur semble confirmer les hésitations des parlementaires : fin 1994, pendant les négociations d’adhésion, la guerre de Tchétchénie éclata, ce qui conduisit l’Assemblée parlementaire à suspendre la procédure d’adhésion en février 1995 pour quelques mois. Après l’accord sur un cessez-le-feu, les négociations reprirent et se soldèrent par un feu vert pour l’adhésion le 26 janvier 1996. Les avis des commissions parlementaires restaient largement divisés : la commission des questions juridiques et celle des droits de l’homme se montraient sceptiques, alors que la commission politique et celle des relations avec les pays non membres se prononçaient en faveur de l’adhésion.</p>
<p>Finalement, les réflexions géopolitiques l’emportent et l’Assemblée parlementaire se prononce pour l’adhésion russe alors que la Russie ne respecte pas (encore) les standards des valeurs européennes. Le concept de l’école de la démocratie a gagné et, le 28 février 1996, la Russie rejoint le Conseil de l’Europe, alors que la guerre en Tchétchénie n’est pas terminée.</p>
<h2>Tensions récurrentes</h2>
<p>La Russie devient vite l’un des cinq plus grands <a href="https://www.coe.int/fr/web/about-us/budget">contributeurs financiers</a> du Conseil de l’Europe. Toutefois, sa participation à l’organisation européenne de Strasbourg reste problématique dès le départ. Le pays représente, avec la Turquie, l’un des plus grands pourvoyeurs d’affaires examinées par la Cour européenne des droits de l’homme. De nombreuses requêtes individuelles sont adressées tous les ans contre la Russie par ses citoyens et, plus délicat du point de vue diplomatique, les conflits territoriaux avec des ex-républiques soviétiques aboutissent à des affaires interétatiques.</p>
<p>La CEDH doit par exemple intervenir dans les disputes régionales entre la Russie et la Moldavie ou la Russie et la Géorgie. En 2004, elle condamne la Russie pour emprisonnement irrégulier en Transnistrie ; la guerre entre la Géorgie et la Russie à propos de l’Ossétie du Sud aboutit en 2008 à plus de 2 500 requêtes individuelles.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-transnistrie-prochaine-etape-de-la-guerre-en-ukraine-179679">La Transnistrie, prochaine étape de la guerre en Ukraine ?</a>
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<p>C’est sans doute aussi pour cette raison que la Russie s’oppose avec véhémence aux réformes de la Cour visant à améliorer l’efficacité de son fonctionnement. C’est le cas du protocole additionnel n°14 qui fut ouvert à la signature en mai 2004, mais bloqué par la Russie jusqu’à la négociation d’un protocole 14 bis qui permettait aux États membres d’appliquer les éléments du protocole 14 après trois ratifications seulement. Il fallut attendre 2010 pour que la Russie cède et <a href="https://www.gazette-du-palais.fr/actualites-juridiques/6449/">ratifie le protocole</a>, rejoignant enfin les autres États.</p>
<p>Le problème le plus ardu reste son comportement géopolitique avec son voisinage « proche ». Ainsi, lors de la deuxième guerre de Tchétchénie qui démarre en 1999, le commissaire aux droits de l’homme du Conseil se rendit sur place pour évaluer la situation et écrivit un rapport très défavorable à la Russie, notamment à cause du siège de la ville de Grozny. La brutalité de l’armée russe et le nombre important de victimes civiles lors de ce siège amenèrent l’Assemblée parlementaire à <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2000/04/08/le-conseil-de-l-europe-sanctionne-la-russie-pour-la-guerre-en-tchetchenie_3680822_1819218.html">voter</a>, le 6 avril 2000, en faveur de la suspension des droits de vote de la délégation russe par 78 contre 69 voix. Cette motion fut accompagnée d’une recommandation adressée au Comité des ministres lui demandant d’engager une procédure d’exclusion contre la Russie.</p>
<p>Toutefois, le Comité des ministres ne donna pas suite et, au contraire, rassura la Russie sur le fait qu’aucun texte sur la Tchétchénie ne serait adopté sans son aval. Le Conseil de l’Europe se montra donc extrêmement indulgent envers Moscou. En janvier 2001, même l’Assemblée parlementaire décida, malgré l’absence d’amélioration significative de la situation en Tchétchénie, de <a href="https://www.liberation.fr/planete/2001/01/26/le-conseil-de-l-europe-capitule-devant-la-russie_352390/">restaurer le droit de vote de la délégation russe</a> par une majorité écrasante (88 voix contre 20). La même attitude d’« apaisement » peut être observée après l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014. Certes, cette fois-ci, la délégation russe fut <a href="https://www.liberties.eu/fr/stories/le-droit-de-vote-de-la-russie-suspendu-au-conseil-de-l-europe-sn-3032/21985">privée de son droit de vote</a> pour plus longtemps (de 2014 à 2019).</p>
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<figcaption><span class="caption">Conseil de l’Europe : réintégrer la Russie ou non, un choix cornélien (France 24, 8 juillet 2019).</span></figcaption>
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<p>La Russie répliqua en 2016 par un boycott des sessions de l’Assemblée et surtout par le <a href="https://www.europe1.fr/international/la-russie-suspend-sa-participation-au-budget-du-conseil-de-leurope-3376559">refus de verser ses contributions</a> au budget du Conseil de l’Europe. Elle alla jusqu’à menacer d’aller plus loin et de quitter l’organisation. Cette situation amena le Conseil de l’Europe fin juin 2019 à <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/06/25/la-russie-autorisee-a-revenir-a-l-assemblee-du-conseil-de-l-europe-apres-cinq-annees-d-absence_5480958_3210.html">lever les sanctions</a> : 118 sur 190 parlementaires votèrent en faveur de la réintégration de la délégation russe à l’Assemblée parlementaire.</p>
<h2>La CEDH, dernière chance pour garantir le respect des valeurs du Conseil de l’Europe par la Russie</h2>
<p>Cette décision fut très controversée, surtout parce qu’elle fut prise sous le chantage financier et politique de la Russie et que la situation de l’annexion de la Crimée au mépris du droit international restait inchangée. La Cour européenne des droits de l’homme resta le « dernier rempart » contre les violations par la Russie des valeurs fondamentales du Conseil de l’Europe.</p>
<p>Le 21 janvier 2021, la Cour condamna la Russie pour violation des droits de l’homme en Crimée, tout comme elle ordonna le 17 février 2021 avec effet immédiat la libération de l’opposant Alexeï Navalny. Le 26 février 2021, le Comité des ministres <a href="https://www.coe.int/fr/web/portal/-/seventh-anniversary-of-annexion-of-crimea-by-russia-">rappelait que</a> la Russie avait violé le droit international en annexant illégalement la Crimée.</p>
<p>Lorsque Moscou commence son opération de guerre contre l’Ukraine le 24 février 2022, c’est bien la possibilité pour la CEDH de continuer à protéger les droits humains en Russie qui motive la <a href="https://www.coe.int/fr/web/portal/-/council-of-europe-suspends-russia-s-rights-of-representation">première réaction</a> du Conseil de l’Europe : ne pas d’exclure la Russie, mais seulement suspendre ses droits à l’Assemblée parlementaire et au Comité des ministres. Cette mesure permettait en outre de garder la porte ouverte pour un possible retour de la Russie au Conseil de l’Europe sans renégociation.</p>
<h2>Après l’invasion de l’Ukraine, la Russie exclue de la maison commune</h2>
<p>Mais la procédure d’exclusion de la Russie fut finalement privilégiée, et ce de manière très rapide.</p>
<p>Les institutions du Conseil de l’Europe se sont saisies de cette situation en commençant par enclencher l’article 8 de ses Statuts, permettant de suspendre « le droit de représentation » de la Russie <a href="https://search.coe.int/cm/Pages/result_details.aspx?ObjectId=0900001680a5a361">dès le 25 février</a>. Cette première phase supposait le constat d’une violation grave de l’<a href="https://rm.coe.int/1680935bd1">article 3 des Statuts</a>. L’article 8 prévoit ensuite que le Comité des ministres du Conseil de l’Europe peut inviter l’État à se retirer en notifiant sa décision à la Secrétaire générale au titre de l’article 7. Cette étape n’a pas même eu lieu ; le Comité des ministres a pris le 10 mars une <a href="https://search.coe.int/directorate_of_communications/Pages/result_details.aspx?ObjectId=0900001680a5ca51">décision</a> non formellement prévue par les Statuts, celle de consulter l’Assemblée parlementaire pour activer directement l’exclusion prévue au titre de l’article 8.</p>
<iframe allowfullscreen="" width="100%" height="140px" src="https://rcf.fr/actualite/place-de-leurope//embed?episodeId=225622"></iframe>
<p>On a alors assisté, dans une scénographie digne des chaînes d’information en continu, à un feuilleton sur la concurrence entre ces deux procédures, la Russie comme le Conseil de l’Europe cherchant à rester maître des horloges. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a d’abord décidé à l’unanimité que la Russie ne pouvait plus faire partie du Conseil de l’Europe le 15 mars 2022. Cet avis permit de donner une dimension plus démocratique au constat des violations des conditions d’appartenance au Conseil de l’Europe. Moscou a riposté par agence de presse en annonçant son départ de l’organisation.</p>
<p>Réuni en urgence, le Comité des ministres a constaté que la <a href="https://www.coe.int/fr/web/portal/-/the-russian-federation-is-excluded-from-the-council-of-europe">Russie cesse d’être membre du Conseil</a> à compter du 16 mars 2022. Le drapeau tombé dans le ciel gris de Strasbourg, il reste encore beaucoup de questions.</p>
<h2>La fermeté du Conseil de l’Europe</h2>
<p>Ces péripéties juridiques ont une importance politique majeure. La procédure de l’article 8 est engagée pour la première fois, d’où l’importance pour le Conseil d’aboutir au constat du 16 mars, même si la Russie finit par notifier dès la veille <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20220315-guerre-en-ukraine-menac%C3%A9e-d-exclusion-la-russie-quitte-le-conseil-de-l-europe">sa décision de départ</a>.</p>
<p>Le Comité souligne dans sa résolution que cette décision résulte de la violation grave de l’article 3 des statuts de l’institution. L’Assemblée parlementaire avait, dans son rapport, utilisé une formule rare dans le langage de la diplomatie, estimant que « dans la maison européenne commune, il n’y a pas de place pour un agresseur » après avoir constaté les violations du droit international, des droits humains et du droit international humanitaire.</p>
<p>Difficile en effet de faire plus grave ; l’<a href="https://pace.coe.int/fr/news/8638/the-russian-federation-can-no-longer-be-a-member-state-of-the-council-of-europe-pace-says">Assemblée parlementaire estime</a> même que les États parties au Conseil de l’Europe devraient « se tenir aux côtés du peuple ukrainien et défendre son droit à vivre dans un État indépendant et souverain, dont l’intégrité territoriale est respectée ». Une nouvelle géopolitique européenne est à l’œuvre et l’idée même d’un retour de la Russie semble définitivement écartée.</p>
<p>Ensuite, la date du départ de la Russie est effective au 16 mars, ce qui veut dire qu’elle ne siège plus ni à l’Assemblée parlementaire ni au Comité des ministres, ni dans aucun des groupes du Conseil rassemblant les États parties au statut. Il a été acté le 23 mars que la Convention européenne des droits de l’homme <a href="https://www.coe.int/fr/web/portal/-/russia-ceases-to-be-a-party-to-the-european-convention-of-human-rights-on-16-september-2022">ne s’applique plus à la Russie</a> et ne protège donc plus ses ressortissants.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1506607961816408070"}"></div></p>
<p>Cette décision est totalement inédite tant le jugement de la Cour des droits de l’Homme est <a href="https://www.dalloz-actualite.fr/flash/chronique-cedh-suspension-de-federation-de-russie">« une arme dont il ne faut surtout priver le justiciable quand l’État se laisse entraîner dans des dérives autoritaires »</a>. Cette arme a disparu même si les affaires contre la Russie, au nombre de 18 000, seront traitées jusqu’au 16 septembre prochain, date à laquelle le juge russe quittera la Cour. Le retrait de la Russie posera toute une série de défis juridiques et budgétaires pour le Conseil de l’Europe.</p>
<p>Le séisme produira encore de bien nombreuses répliques dans les mois à venir…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/180767/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédérique Berrod a reçu des financements de l'Union européenne dans le cadre de sa chaire Jean Monnet ou de programmes de recherche</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Birte Wassenberg ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Depuis son entrée dans le Conseil de l’Europe en 1996, la Russie a entretenu des relations tumultueuses avec l’institution. Elle vient d’en être exclue à cause de l’invasion de l’Ukraine.Frédérique Berrod, Professeure de droit public, Sciences Po Strasbourg – Université de StrasbourgBirte Wassenberg, Professeure en histoire contemporaine à Sciences Po Strasbourg, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1755582022-02-22T18:39:18Z2022-02-22T18:39:18ZDes crimes contre l’humanité ont-ils été commis au Venezuela ces dernières années ? La Cour pénale internationale va (peut-être) trancher<p>Le 3 novembre 2021, le bureau du Procureur de la Cour pénale internationale (ci-après « CPI » ou « Cour ») a décidé d’<a href="https://www.icc-cpi.int/Pages/item.aspx?name=pr1625&ln=fr">ouvrir une enquête</a> sur les crimes contre l’humanité qui auraient été commis depuis 2017 sur le territoire de la République bolivarienne du Venezuela. Aucune enquête de ce type n’avait encore été ouverte concernant un État américain depuis la <a href="https://www.amnesty.fr/focus/cour-penale-internationale">création de la Cour</a>.</p>
<p>Le lancement de cette procédure ne signifie pas que des individus seront nécessairement jugés, mais seulement que le bureau du Procureur est en capacité d’enquêter sur les faits commis et, éventuellement, d’identifier de suspects, si les éléments de preuves le permettent.</p>
<h2>Que s’est-il passé au Venezuela ?</h2>
<p>En 2012, une <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/01/28/venezuela-la-crise-expliquee-en-3-graphiques_5415726_4355770.html">crise économique</a> sans précédent a touché le Venezuela, provoquant une forte inflation et une pénurie des produits de première nécessité, notamment le carburant.</p>
<p>La crise a été déclenchée par une forte diminution de la production de pétrole au Venezuela. Cette production étant la principale source de revenu national, le PIB n’a cessé de chuter depuis.</p>
<p>Des <a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2014/02/18/au-venezuela-le-mouvement-etudiant-cristallise-la-grogne-sociale_4368489_3222.html">manifestations populaires</a> contre la politique du président Nicolás Maduro (<a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/2013/04/19/venezuela-portrait-nicolas-maduro-le-chauffeur-de-bus-devenu-president-28899.html">devenu président en 2013</a> après le décès d’Hugo Chavez) ont commencé en 2014. La violence s’est accrue en 2015 lorsque le Tribunal suprême de justice, la plus haute instance judiciaire vénézuelienne, a <a href="https://www.mediapart.fr/journal/international/200817/venezuela-le-parlement-se-reunit-malgre-sa-dissolution-de-fait?onglet=full">dissous le Parlement</a> car l’opposition y était devenue majoritaire, et s’est arrogé ses pouvoirs, avec le soutien du président.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-nicolas-maduro-se-maintient-au-pouvoir-au-venezuela-60751">Comment Nicolás Maduro se maintient au pouvoir au Venezuela</a>
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<p>Des affrontements entre les manifestants et les forces armées envoyées par le gouvernement ont eu lieu, faisant des centaines de blessés et <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/venezuela-67-personnes-sont-mortes-lors-de-manifestations-en-2019-20200124">au moins 68 morts entre 2014 et 2019</a>. De nombreuses <a href="https://www.coalitionfortheicc.org/sites/default/files/cicc_documents/venezuela-coi-august-19-final.pdf">exactions</a>, commises en majorité par la police contre les manifestants et, dans une moindre mesure, par les manifestants contre les forces de l’ordre ont été rapportées : arrestations arbitraires, torture et violences sexuelles en détention, assassinats politiques, disparitions forcées…</p>
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<p>Ces faits ne doivent pas être assimilés à ceux de la situation <a href="https://www.icc-cpi.int/venezuelaII?ln=fr">Venezuela II</a>, une deuxième situation ouverte par la CPI, qui concernent de possibles crimes contre l’humanité commis par les États-Unis sur le territoire du Venezuela depuis 2014 dans le cadre de mesures coercitives, notamment de fortes <a href="https://www.aa.com.tr/fr/monde/le-v%C3%A9n%C3%A9zuela-appelle-la-cour-p%C3%A9nale-internationale-%C3%A0-enqu%C3%AAter-sur-des-responsables-am%C3%A9ricains/1733839">sanctions économiques</a>. L’enquête sur cette question est toujours au stade de l’examen préliminaire.</p>
<h2>Pourquoi la Cour pénale internationale enquête-t-elle ?</h2>
<p>Selon le <a href="https://www.icc-cpi.int/nr/rdonlyres/add16852-aee9-4757-abe7-9cdc7cf02886/283948/romestatutefra1.pdf">Statut de Rome</a>, la Cour est compétente pour juger les hauts responsables de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre, de génocides et de crimes d’agression commis par des ressortissants d’un État partie ou sur le territoire de celui-ci. Cependant, celle-ci n’a compétence que lorsque tous les États pouvant juger eux-mêmes ces hauts responsables refusent ou sont en incapacité de le faire : il s’agit du <a href="https://www.un.org/press/fr/2014/ag11577.doc.htm">principe de complémentarité</a>.</p>
<p>Dans un premier temps, un <a href="https://www.sqdi.org/fr/examens-preliminaires-a-la-cour-penale-internationale-fondements-juridiques-pratique-du-bureau-de-la-procureure-et-developpements-judiciaires/">examen préliminaire relatif</a> est ouvert à la demande d’un État partie, du Conseil de sécurité des Nations unies ou par le Procureur de la CPI. Au cours de cet examen, le bureau du Procureur examine les éléments à sa disposition afin de déterminer s’il existe une base raisonnable pour ouvrir une enquête sur la situation. Il analyse également la compétence de la Cour, la recevabilité et les intérêts de la justice.</p>
<p>C’est seulement après l’étude de tous ces éléments que le bureau du Procureur peut décider d’ouvrir une <a href="https://www.icc-cpi.int/pages/situation.aspx?ln=fr">enquête</a> au cours de laquelle il pourra examiner des preuves, interroger des victimes et des témoins, etc. Enfin, au cours de cette période, le Procureur pourra identifier des suspects et demander l’émission de mandats d’arrêt dans le but d’ouvrir une <a href="https://www.icc-cpi.int/Pages/cases.aspx?ln=fr">affaire</a> sur un ou plusieurs individus suspectés d’avoir commis des crimes relevant de la compétence de la Cour.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1457679297955647495"}"></div></p>
<p>Dans le cas du Venezuela, État partie au Statut de Rome depuis juin 2002, un <a href="https://www.icc-cpi.int/nr/rdonlyres/4e2bc725-6a63-40b8-8cdc-adba7bcaa91f/143684/otp_letter_to_senders_re_venezuela_9_february_2006.pdf">premier examen</a> avait été ouvert en 2006 pour des violences du gouvernement à l’encontre de la population et d’opposants politiques, puis clos pour défaut de compétence temporelle de la Cour.</p>
<p>Un <a href="https://news.un.org/fr/story/2018/02/1005131">second examen préliminaire</a> a été ouvert le 8 février 2018 par l’ancienne Procureure Fatou Bensouda pour de potentiels crimes contre l’humanité commis depuis 2017 au cours des manifestations. Le 27 septembre 2018, six États américains ont demandé <a href="https://www.icc-cpi.int/itemsDocuments/180925-otp-referral-venezuela_ENG.pdf">l’ouverture d’une enquête</a> au bureau du Procureur ainsi qu’un élargissement de l’examen préliminaire aux faits remontant au 12 février 2014, date d’une des plus grosses manifestations à Caracas, au cours de laquelle <a href="https://www.ladepeche.fr/article/2014/02/12/1817495-venezuela-trois-morts-dans-des-manifestations-contre-le-gouvernement.html">trois manifestants ont été tués</a>. Le lendemain, la situation au Venezuela a été attribuée à la Chambre préliminaire I, instance chargée des décisions préalables à l’ouverture d’un procès telles que les mandats d’arrêt.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/illiberalisme-comment-lindulgence-des-voisins-du-venezuela-a-precipite-le-pays-dans-la-crise-111209">Illibéralisme : comment l’indulgence des voisins du Venezuela a précipité le pays dans la crise</a>
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<p>Au cours de cet examen préliminaire, le bureau du Procureur a dû déterminer si la CPI pouvait avoir compétence pour ouvrir une enquête sur la situation au Venezuela. La question principale était de savoir si le principe de complémentarité était respecté. En l’occurrence, il s’agissait d’établir si les juridictions nationales étaient en capacité de juger de manière effective les responsables des violences commises pendant et après les manifestations. <a href="https://www.icc-cpi.int/itemsDocuments/2020-PE/2020-pe-report-fra.pdf#page=55">L’examen préliminaire</a> a montré que les juridictions vénézuéliennes n’avaient pas l’indépendance nécessaire pour cela. C’est pourquoi, comme mentionné précédemment, le bureau du Procureur a décidé d’ouvrir une enquête sur la situation au Venezuela.</p>
<h2>Quel avenir pour cette enquête ?</h2>
<p>Il est difficile de se prononcer sur un possible aboutissement de cette enquête. Certains éléments laisser entrevoir de possibles suites. Le président Maduro a fait <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/11/04/la-cpi-ouvre-une-enquete-sur-les-allegations-de-crimes-commis-par-le-regime-au-venezuela_6100974_3210.html">preuve de bonne foi</a> au cours du voyage au Venezuela du Procureur actuel de la CPI, Karim Khan, entre le 31 octobre et le 3 novembre 2021. Les rencontres entre le Procureur, Nicolás Maduro et des membres du gouvernement vénézuélien ont abouti à la rédaction d’un <a href="https://www.icc-cpi.int/itemsDocuments/otp/acuerdo/acuerdo-eng.pdf"><em>mémorandum</em></a> de coopération entre le Venezuela et le bureau du Procureur : les autorités de Caracas s’engagent à coopérer pleinement avec la Cour et à faciliter le travail du Procureur sur le territoire.</p>
<p>Cet accord est à saluer dans la mesure où la coopération des États parties avec la Cour est fondamentale pour le travail du bureau du Procureur. En effet, la CPI ne dispose pas de forces propres : elle est totalement dépendante du bon vouloir des États en ce qui concerne l’arrestation des suspects ou l’accès aux preuves par exemple. En outre, il existe aussi un certain nombre de preuves à disposition de la Cour grâce <a href="http://www.oas.org/documents/eng/press/Informe-Panel-Independiente-Venezuela-EN.pdf">au travail des experts internationaux</a> nommés par le secrétaire général des Nations unies en mai 2018.</p>
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<p>En septembre 2020, la <a href="https://www.ohchr.org/Documents/HRBodies/HRCouncil/FFMV/A_HRC_45_33_AUV.pdf">mission internationale indépendante d’établissement des faits</a> des Nations unies sur le Venezuela a déterminé que des exécutions illégales, des disparitions forcées, des détentions arbitraires et des actes de torture ont été commis. Ce rapport a ensuite été <a href="https://www.oas.org/en/media_center/press_release.asp?sCodigo=E-122/20">étoffé</a> par <a href="https://archive.crin.org/fr/guides-pratiques/lonu-et-le-systeme-international/mecanismes-regionaux/organisation-des-etats.html">l’organisation des États américains</a> en décembre 2020.</p>
<p>Même si ces éléments laissent penser que le bureau du Procureur pourrait effectuer son travail d’enquête dans de bonnes conditions, un conflit d’intérêts demeure. Nicolás Maduro était au pouvoir au moment de la période de violence : les membres de son gouvernement et lui-même pourraient ainsi voir leur responsabilité engagée. Cette situation rappelle les problèmes rencontrés dans <a href="https://www.icc-cpi.int/kenya/kenyatta?ln=fr">l’affaire <em>Kenyatta</em></a>. Dans cette affaire, ouverte en 2011, l’accusé est devenu président du Kenya en 2013 et a stoppé toute coopération avec la CPI. Le Procureur a donc rencontré de fortes difficultés à présenter des éléments de preuves, ce qui a abouti au retrait des charges, faute de preuves suffisantes pour débuter un procès.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"540862197253931008"}"></div></p>
<p>Dans le cas où Nicolás Maduro, ou certains de ses proches, seraient inquiétés, il est possible que cette situation se présente à nouveau. En outre, Nicolás Maduro pourrait choisir de coopérer uniquement pour les enquêtes contre ses opposants politiques, et par là même instrumentaliser la Cour. À l’inverse, les opposants politiques et en particulier Juan Guaidó, toujours considéré <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/01/04/venezuela-l-opposition-confirme-juan-guaido-au-poste-de-president-par-interim_6108114_3210.html">par l’opposition</a> comme le président par intérim du pays, sont favorables à cette enquête de la Cour car elle permettrait de mettre en lumière des exactions commises à leur égard.</p>
<p>Enfin, l’enquête pourrait être close dans le cas où le principe de complémentarité ne s’appliquerait plus. Nous l’avons dit, l’enquête a été ouverte en raison de l’incapacité des juridictions vénézuéliennes à juger impartialement les auteurs de violences commises depuis 2017. Si les juridictions nationales venaient à acquérir une impartialité totale et à juger les auteurs, la CPI ne serait plus compétente. L’ouverture de cette enquête est un moyen d’inciter les autorités vénézuéliennes à développer cette impartialité, dans la continuité de l’évolution de la politique chaviste.</p>
<p>La clôture de l’enquête pour cette raison constituerait une avancée, car cela refléterait l’impartialité des juridictions. Pour autant, là encore, cette hypothèse semble illusoire tant que Nicolás Maduro sera au pouvoir (son mandat actuel s’achève en 2023), d’autant plus qu’il pourra à nouveau se présenter aux futures élections. Ce dernier n’a pas intérêt à ce que certains de ses proches soient inquiétés. En définitive, il semble difficilement imaginable que ce travail d’enquête puisse être accompli dans les meilleures conditions tant que le président Maduro restera au pouvoir, malgré l’apparente bonne foi des autorités vénézuéliennes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/175558/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Augustine Atry ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’ouverture d’une enquête de la Cour pénale internationale sur les crimes commis lors des manifestations de ces dernières années n’aboutira pas nécessairement à un procès. Voici pourquoi.Augustine Atry, Doctorante en droit public, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1746322022-01-16T17:15:28Z2022-01-16T17:15:28Z2022, une année de sport très géopolitique<p>L’année sportive 2022 promet d’être spectaculaire, autant sur les terrains de jeu qu’en dehors. Plusieurs <a href="https://www.ledevoir.com/sports/658917/jeux-de-puissance">méga-événements sportifs</a> seront organisés, notamment les Jeux olympiques d’hiver et la Coupe du monde de la FIFA, qui se dérouleront respectivement en Chine et au Qatar.</p>
<p>En plus de ces événements se dérouleront également les compétitions annuelles, entre grands matchs, ligues nationales, championnats et tournois internationaux. En janvier déjà, le <a href="https://www.dakar.com/fr">rallye Paris-Dakar</a> est en cours en Arabie saoudite et la Coupe d’Afrique des Nations au Cameroun. En mars, la Ligue des Champions de l’UEFA reprend et en avril, le championnat du monde de Formule 1 redémarre.</p>
<p>Pourtant, le contexte dans lequel chacun de ces événements va se tenir est en train de changer, et ce depuis trois décennies. Le monde du sport, comme le monde en général, est très différent de ce qu’il était <a href="https://journals.openedition.org/chrhc/1569">au XXᵉ siècle</a>.</p>
<p>En 1999, la majorité des courses de Formule 1 se déroulaient en Europe ; en 2022, les Grands Prix européens seront en minorité, des pays comme l’<a href="https://f1experiences.com/fr/2022-azerbaijan-grand-prix">Azerbaïdjan</a> ayant commencé à accueillir des courses. De même, l’Arabie saoudite est devenue la patrie du rallye Paris-Dakar, résultat de l’engagement politique du gouvernement de Riyad en faveur d’<a href="https://www.francetvinfo.fr/sports/automobile/rallye-dakar/rallye-dakar-comment-l-arabie-saoudite-a-mis-le-turbo-pour-redorer-son-image-grace-au-sport_3761243.html">investissements à grande échelle</a> dans le sport.</p>
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<h2>Diplomatie des stades</h2>
<p>La Ligue des Champions de l’UEFA sera à nouveau parrainée par la société publique russe d’énergie Gazprom, comme c’est le cas depuis près de <a href="https://www.lepoint.fr/sport/pourquoi-gazprom-drague-le-sport-europeen-24-10-2012-1520508_26.php">dix ans</a>. Gazprom ne vend rien directement aux consommateurs, mais conclut des accords pour vendre du gaz aux pays. Ces derniers mois, alors que les prix de l’énergie en Europe ont considérablement augmenté, des inquiétudes ont été exprimées quant au fait que Gazprom contrôle les approvisionnements énergétiques à des fins politiques. Certains critiques, comme l’ancien président américain Donald Trump, ont même <a href="https://www.reuters.com/article/us-nato-summit-pipeline-idUSKBN1K10VI">fustigé</a> des pays comme l’Allemagne pour leur dépendance au gaz russe.</p>
<p>Au Cameroun, les quatre stades utilisés pendant la Coupe d’Afrique des Nations ont été construits par la Chine, illustration de la « diplomatie des stades » mise en place par l’Empire du Milieu. Ces stades ont été offerts au Cameroun par Pékin ou ont été financés par des prêts à taux réduit (c’est-à-dire des prêts accordés à des taux inférieurs à ceux du marché). La raison en est que le pays africain possède des ressources naturelles dont la Chine a besoin pour assurer sa subsistance et sa croissance économique continue.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1386794177036537856"}"></div></p>
<p>L’organisation des Jeux olympiques d’hiver par la Chine est également importante, car elle a lieu dans un contexte de relations de plus en plus tendues avec l’Occident. Cette situation est due, par exemple, à des préoccupations concernant la <a href="https://www.geo.fr/geopolitique/comprendre-la-repression-des-ouighours-par-le-regime-chinois-207211">minorité ouïghoure</a> du Xinjiang, ainsi qu’à la façon dont la Chine a traité des questions telles que la mystérieuse <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/11/20/affaire-peng-shuai-ce-que-l-on-sait-de-la-disparition-de-la-joueuse-de-tennis-chinoise_6102954_3210.html">disparition</a> de la joueuse de tennis Peng Shuai. En effet, en réponse à cette dernière, la Women’s Tennis Association, basée en Floride, s’est <a href="https://theconversation.com/what-the-peng-shuai-saga-tells-us-about-beijings-grip-on-power-and-desire-to-crush-a-metoo-moment-172375">retirée de Chine</a>, ce qui a mis certains sponsors et athlètes dans une position délicate.</p>
<p>Le gouvernement de Pékin ne semble pas être particulièrement perturbé par ces préoccupations. Il s’agit plutôt pour la Chine d’affirmer sa crédibilité en tant qu’hôte de l’événement, en tant que membre important de l’industrie mondiale du sport et en tant que force économique et politique de plus en plus puissante.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-chine-premiere-puissance-sportive-de-demain-173551">La Chine, première puissance sportive de demain ?</a>
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<p>Le Qatar tient à adopter un ton plus conciliant avec le monde dans ses préparatifs en vue de l’organisation de la Coupe du monde de football de 2022, bien que l’importance du tournoi pour le pays ne soit pas moindre que celle des Jeux olympiques d’hiver pour la Chine. Le plus grand événement de football a servi de base à la construction d’une nation, à l’établissement d’une image de marque et à la projection d’une puissance douce, le petit État du Golfe cherchant à redorer <a href="https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2018-2-page-169.htm">son image et sa réputation</a> dans le monde.</p>
<p>Cela n’a pas été simple, car le Qatar fait toujours l’objet d’un <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/11/19/le-mondial-2022-au-qatar-c-est-un-petit-peu-de-sport-enormement-d-argent-et-des-violations-massives-des-droits-humains_6102649_3232.html">examen minutieux</a> de la part de l’Occident, qui s’inquiète des problèmes liés au marché du travail, à l’égalité et au traitement des groupes minoritaires.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1471165417280479238"}"></div></p>
<p>L’organisation par le Qatar de l’événement phare de la FIFA revêt une dimension géographique évidente, car cette toute petite nation cherche à asseoir sa légitimité et à se protéger dans une région sujette aux conflits. De même, le rôle de plus en plus important de Gazprom en tant que sponsor du sport reflète l’avantage géographique de la Russie, qui dispose d’énormes réserves de ressources naturelles.</p>
<p>Outre la géographie, la politique joue également un rôle au XXI<sup>e</sup> siècle, notamment par le biais du rôle accru que jouent les gouvernements et les États. Par exemple, l’Arabie saoudite dépense des milliards de dollars dans le sport, ce que le gouvernement de Riyad considère comme un moyen de promouvoir un programme de réformes nationales tout en donnant une image plus progressiste au reste du monde.</p>
<h2>Une économie géopolitique du sport</h2>
<p>Sur le plan économique, de nombreux pays considèrent désormais le sport comme un secteur industriel important, capable d’accroître le revenu national, de contribuer à la création d’emplois, de générer des recettes d’exportation et des impôts. Le gouvernement chinois cherche à mettre en place la plus grande économie sportive nationale du monde <a href="https://www.lemonde.fr/sport/article/2021/04/26/le-monde-du-sport-international-n-est-que-le-reflet-du-monde-reel-la-chine-se-positionne-pour-devenir-un-poids-lourd-de-la-geopolitique-du-sport_6078067_3242.html">d’ici 2025</a>, d’une valeur de 750 milliards de dollars. Par ailleurs, <a href="https://www.usine-digitale.fr/article/si-israel-ne-brille-pas-en-sport-la-start-up-nation-se-distingue-dans-la-sport-tech.N679604">Israël</a> veut s’imposer comme un centre mondial de la technologie sportive, tout comme la Corée du Sud veut faire de même dans l’industrie de <a href="https://www.erudit.org/en/journals/ritpu/1900-v1-n1-ritpu04609/1060000ar/abstract/">l’e-sport</a>.</p>
<p>La façon dont la géographie, la politique et l’économie interagissent les unes avec les autres rend nécessaire une nouvelle façon de concevoir le sport, que l’on peut appeler l’économie géopolitique du sport. Après trois décennies de profonds changements, dont la mondialisation et la numérisation, le sport n’est plus seulement une question de compétition sur le terrain de jeu.</p>
<p>Ces changements sont le résultat de l’évolution du pouvoir économique et politique mondial, les nations asiatiques, en particulier, exerçant désormais une influence croissante sur le sport. Dans le même temps, des pays comme les États-Unis, le Royaume-Uni et la France comprennent que le sport peut apporter des <a href="https://www.cairn.info/revue-savoir-agir-2011-1-page-49.htm">avantages considérables à un pays</a>, comme la projection d’un « soft power » (puissance douce) et la mise en place de relations commerciales plus fortes.</p>
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<p><iframe id="tc-infographic-569" class="tc-infographic" height="100" src="https://cdn.theconversation.com/infographics/569/0f88b06bf9c1e083bfc1a58400b33805aa379105/site/index.html" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-ecouter-les-podcasts-de-the-conversation-157070">Comment écouter les podcasts de The Conversation ?</a>
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<p>L’économie géopolitique du sport soulève toutefois des problèmes majeurs. Par exemple, alors que le Qatar croit être engagé dans la construction d’une nation, les critiques soulignent les problèmes permanents du pays avec son <a href="https://www.francesoir.fr/societe-economie/coupe-du-monde-de-football-en-2022-carton-rouge-pour-la-kafala">système de kafala</a>. Dans le cas de l’Arabie saoudite, qui cherche à devenir un important hôte d’événements sportifs mondiaux, beaucoup accusent le pays de blanchir son image et sa réputation par le biais du <a href="https://www.rfi.fr/fr/emission/20200105-sport-washing-arabie-saoudite-seduire-image-dakar-rigoulet-roze">« sport washing »</a>.</p>
<p>Ainsi, lorsque les fans se préparent cette année à profiter de certains de leurs événements et compétitions préférés, il est bon de se rappeler que le sport reste un jeu important. Même si, de nos jours, il se joue de plus en plus en termes géographiques, politiques et économiques.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174632/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Simon Chadwick ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>JO d’hiver en Chine, Coupe du Monde de football au Qatar, Paris-Dakar en Arabie saoudite… La carte des méga-événements de l’année révèle l’émergence d’une nouvelle économie géopolitique du sport.Simon Chadwick, Global Professor of Sport | Director of Eurasian Sport, EM Lyon Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1730292021-12-22T20:23:48Z2021-12-22T20:23:48ZL’exploitation minière menace les populations autochtones isolées de la région amazonienne du Brésil<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/435098/original/file-20211201-13-1vx3wd0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1356%2C665&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Membres d’une tribu isolée au Brésil.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Gleison Miranda/FUNAI/Survival</span></span></figcaption></figure><p>Les terres indigènes de l’Amazonie brésilienne abritent non seulement le plus grand nombre de peuples indigènes isolés au monde, mais aussi l’une des plus grandes réserves minérales mondiales encore inexploitée. C’est pourquoi elles se trouvent au centre des intérêts de développement du pays depuis des décennies.</p>
<p>Le président actuel du Brésil, Jair Bolsonaro, a l’intention d’autoriser l’exploitation de ces ressources minérales par le biais d’un projet de loi (<a href="https://www.camara.leg.br/proposicoesWeb/fichadetramitacao?idProposicao=2236765">PL191/2020</a>) qui <a href="https://doi.org/10.1525/elementa.427">met en danger les forêts et les sociétés uniques qu’elles protègent</a>.</p>
<p>Bien que l’exploitation minière ne soit pas encore autorisée sur les terres autochtones, les <a href="https://doi.org/10.1017/S0376892917000376">sociétés minières demandent des permis depuis des années</a>. Il existe actuellement plus de <a href="https://doi.org/10.1016/j.gloenvcha.2021.102398">3 600 projets de mines sur les terres indigènes</a> où vivent des groupes isolés, pour une superficie d’exploitation totale de plus de 10 millions d’hectares – une superficie comparable à celle de l’Islande. En outre, l’Agence nationale des mines du Brésil s’efforce d’attirer davantage d’investisseurs, et l’intérêt de ceux-ci devrait augmenter avec l’approbation de la loi PL191/2020.</p>
<p>Malheureusement, les zones riches en minéraux se trouvent précisément dans les régions les plus reculées, où les populations autochtones sont restées isolées. Ainsi, il y a <a href="https://doi.org/10.1016/j.gloenvcha.2021.102398">plus de projets miniers sur les terres indigènes avec des groupes isolés</a> que sur celles sans groupes isolés.</p>
<h2>Des groupes isolés à haut risque</h2>
<p>Si le projet de loi PL191/2020 est adopté, les opérations minières toucheront <a href="https://doi.org/10.1016/j.gloenvcha.2021.102398">25 terres indigènes abritant 43 groupes isolés</a>, avons-nous révélé dans une étude récemment publiée. La situation est particulièrement préoccupante pour 21 groupes, dont les terres sont visées par la majorité des projets.</p>
<p>Dans certains cas, l’exploitation minière laisserait peu de place à la sauvegarde des droits des autochtones. Par exemple, dans les terres indigènes Xikrin do Rio Catete et Baú, les projets miniers occuperaient environ 80 % du territoire. Or, le projet de loi ne prévoit aucune limite, ce qui pourrait amener à atteindre ce taux d’occupation sans problème pour les groupes miniers.</p>
<p>La situation est critique en terre indigène Yanomami, un vaste territoire à la frontière avec le Venezuela sur lequel vivent sept groupes isolés. Les concessions minières y couvrent 3,3 millions d’hectares, une superficie équivalente à celle de la Catalogne. Son impact s’ajouterait à <a href="https://news.mongabay.com/2020/11/the-amazons-yanomami-utterly-abandoned-by-brazilian-authorities-report/">l’invasion massive de chercheurs d’or illégaux</a> à laquelle est confronté le territoire, qui a déjà causé des centaines de morts indigènes <a href="https://doi.org/10.1126/science.abc0073">suite à la propagation du Covid-19</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/435300/original/file-20211202-23-11v5105.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/435300/original/file-20211202-23-11v5105.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/435300/original/file-20211202-23-11v5105.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1000&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/435300/original/file-20211202-23-11v5105.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1000&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/435300/original/file-20211202-23-11v5105.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1000&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/435300/original/file-20211202-23-11v5105.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1257&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/435300/original/file-20211202-23-11v5105.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1257&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/435300/original/file-20211202-23-11v5105.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1257&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Carte des terres indigènes en Amazonie brésilienne. Les couleurs indiquent le nombre de groupes autochtones isolés (en haut, en bleu) et le nombre de demandes d’exploitation minière (en bas, en rouge) enregistrées dans chacun d’eux.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Modifié de Villén-Pérez et coll. (2021)</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Les effets de l’exploitation minière sur les peuples autochtones</h2>
<p>L’exploitation minière affecte les populations autochtones isolées de plusieurs façons :</p>
<ul>
<li><p>La déforestation qu’elle entraîne réduit le territoire utilisable par ces groupes et augmente les risques de contacts indésirables. Il est parfois avancé que l’exploitation minière a un effet très localisé et donc non pertinent. Cependant, le développement généré autour d’un projet minier entraîne un impact environnemental important. En fait, 9 % de la déforestation en Amazonie est directement ou indirectement <a href="https://doi.org/10.1038/s41467-017-00557-w">due à l’exploitation minière</a>.</p></li>
<li><p>La pollution des rivières qu’elle cause est l’un des plus grands problèmes environnementaux et sanitaires de l’Amazonie. En raison de l’exploitation intensive de l’or, ses habitants sont parmi les plus exposés au mercure dans le monde. Il en va probablement de même pour les populations autochtones isolées, qui doivent elles aussi être touchées par les graves problèmes de santé causés par le mercure.</p></li>
<li><p>L’arrivée massive de travailleurs a des répercussions multiples. La croissance démographique peut épuiser les ressources alimentaires des forêts et des rivières de la région, compromettant ainsi les moyens de subsistance des communautés isolées. En outre, les non-autochtones apportent avec eux des maladies contre lesquelles les peuples isolés ne sont pas immunisés. Un bref contact peut <a href="https://doi.org/10.1038/srep14032">décimer leurs populations</a>, comme cela s’est produit à plusieurs reprises dans le passé. Et même en l’absence de contact, les populations isolées peuvent être affectées par une incidence accrue des maladies transmises par les moustiques, comme le paludisme.</p></li>
</ul>
<h2>Les connaître pour les protéger</h2>
<p>Il existe 120 groupes indigènes isolés <a href="https://acervo.socioambiental.org/acervo/publicacoes-isa/cercos-e-resistencias-povos-indigenas-isolados-na-amazonia-brasileira">enregistrés dans l’Amazonie brésilienne</a>. La Fondation nationale des Indiens (FUNAI) est l’agence gouvernementale chargée de les étudier et de les protéger. Elle est bien consciente de l’existence de certains groupes isolés, qui ont été localisés depuis le sol ou depuis les airs, même si, pour la plupart d’entre eux, cependant, il n’y a que quelques indications de leur existence.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/435302/original/file-20211202-15-13v1uei.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/435302/original/file-20211202-15-13v1uei.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/435302/original/file-20211202-15-13v1uei.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1008&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/435302/original/file-20211202-15-13v1uei.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1008&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/435302/original/file-20211202-15-13v1uei.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1008&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/435302/original/file-20211202-15-13v1uei.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1267&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/435302/original/file-20211202-15-13v1uei.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1267&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/435302/original/file-20211202-15-13v1uei.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1267&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Groupes indigènes isolés sur des terres indigènes en Amazonie brésilienne. Les cercles indiquent le nombre de demandes d’exploitation minière enregistrées sur chaque terre indigène.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Modifié de Villén-Pérez et al. (2021)</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<p>Le travail de la FUNAI est essentiel pour la protection de ces sociétés isolées. Sur toutes les terres indigènes, celles où se trouvent des groupes isolés connus <a href="https://doi.org/10.1016/j.gloenvcha.2021.102398">enregistrent moins d’intérêts miniers</a> que celles qui n’en ont pas. Les grandes entreprises minières préfèrent opérer là où il n’y a pas de groupes extérieurs connus susceptibles de compromettre leur réputation.</p>
<p>En outre, des groupes isolés connus pourraient entraver l’obtention des licences nécessaires. Le texte actuel du PL191/2020 ;autoriserait les opérations minières sur les terres indigènes où se trouvent des groupes isolés, mais pas sur les territoires exclusivement fréquentés par ces derniers. Par conséquent, les groupes isolés moins bien étudiés représentent un risque moindre pour l’obtention d’une licence, car les limites de leurs territoires sont totalement inconnues.</p>
<p>Aujourd’hui, de nouveaux groupes isolés sont encore enregistrés à un rythme plus élevé que celui des études. Mais la situation s’est aggravée depuis l’arrivée au pouvoir de l’administration Bolsonaro en 2019 : la <a href="https://www.socioambiental.org/sites/blog.socioambiental.org/files/arquivos/povos_isolados_cdh_onu_relatorio_2020.pdf">FUNAI est en cours de démantèlement</a> et fait face à des réductions de personnel et de budget paralysant son activité.</p>
<p>Or, il est urgent d’étudier tous les groupes isolés afin de les protéger. Le fait de bien les connaître dissuadera les entreprises d’investir sur leurs terres et fournira des informations sur leur localisation qui se révéleront essentielles si le projet de loi PL191/2020 est adopté. Pour y parvenir, le gouvernement brésilien doit remettre la FUNAI dans les conditions opérationnelles et financières nécessaires.</p>
<h2>Comment éviter leur disparition</h2>
<p>De nombreux peuples indigènes isolés de l’Amazonie brésilienne sont conscients de l’existence d’autres sociétés. Certains ont même subi des violences et des épidémies liées au contact dans le passé. Forts de cette expérience, ils ont choisi d’exercer leur droit à l’isolement comme stratégie de survie.</p>
<p>Le Brésil possède l’une des politiques les plus anciennes et les plus solides en matière de protection des droits des populations autochtones isolées. Cependant, les caractéristiques de l’Amazonie rendent sa mise en œuvre parfois difficile. Ces difficultés de gouvernance ont été exacerbées par la situation politique actuelle, qui rend impossible de garantir une coexistence sûre entre les opérations minières et les populations isolées.</p>
<p>Des <a href="https://doi.org/10.1016/j.gloenvcha.2021.102398">travaux scientifiques</a> indiquent que le gouvernement brésilien devrait investir dans l’étude de la localisation et de la vulnérabilité des groupes indigènes isolés connus en Amazonie brésilienne. Dans le même temps, il doit éviter toute augmentation de la pression de développement qui mettrait en danger les populations autochtones isolées vivant sur son territoire. Faute de quoi, des peuples, des sociétés et des cultures uniques pourraient s’éteindre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/173029/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sara Villén Pérez reçoit des financements de la Communauté de Madrid (Ayuda Atracción Talento Investigador 2017-T2/AMB-6035), de la Communauté de Madrid en collaboration avec l'Université d'Alcalá (projet CM/JIN/2019-003), de l'Université d'Alcalá (projet CGB2018/BIO-032), et du ministère de la Transition écologique et du Défi démographique à travers la Fondation Biodiversité (projet 2020/00085/001).</span></em></p>Au Brésil, un projet de loi proposé par Jair Bolsonaro risque d’étendre les zones d’exploitation minière dans des régions isolées d’Amazonie et de mettre en péril 43 groupes indigènes.Sara Villén Pérez, Investigadora postdoctoral en Ecología (Programa Talento de la Comunidad de Madrid), Universidad de AlcaláLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1673332021-12-08T20:33:34Z2021-12-08T20:33:34ZAfghanistan : un pays ne devient pas une démocratie parce que des puissances occidentales l’ont décidé<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/432474/original/file-20211117-19-135weu4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C5094%2C3450&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des combattants talibans bloquent les routes après une explosion dans un hôpital militaire à Kaboul, le 2 novembre. Les puissances occidentales ont échoué à faire de l'Afghanistan un État de droit.</span> <span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Ahmad Halabisaz) </span></span></figcaption></figure><p>Trois mois après la chute de Kaboul et la prise de pouvoir des talibans, l’Afghanistan <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/08/22/afghanistan-la-ruee-vers-l-aeroport-de-kaboul-cause-plusieurs-morts_6092052_3210.html">s’enfonce dans une grave crise alimentaire</a>. Selon les chiffres du Programme alimentaire mondial (PAM), 3,2 millions enfants de moins de 5 ans souffriront de malnutrition aiguë d’ici la fin de l’année.</p>
<p>À cela s’ajoute une <a href="https://www.lapresse.ca/international/moyen-orient/2021-11-11/l-afghanistan-iesau-bord-de-l-effondrement-economique.php">économie en banqueroute</a>, un chômage généralisé <a href="https://www.tvanouvelles.ca/2021/09/26/climat-de-terreur-en-afghanistan-ils-croient-beaucoup-dans-le-principe-de-rapport-de-force">et une population terrifiée, notamment les femmes</a>. Comment ce pays <a href="https://www.humanite.fr/etats-unisafghanistan-2-313-milliards-de-dollars-le-cout-de-la-strategie-canonniere-719562">sur lesquels des milliards de dollars se sont abattus</a> peut-il en être rendu là ? C’est que 20 ans de présence militaire américaine n’a fait qu’exacerber les problèmes.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Une femme voilée tient un bébé dans ses bras" src="https://images.theconversation.com/files/432476/original/file-20211117-21-1wgzmqn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/432476/original/file-20211117-21-1wgzmqn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/432476/original/file-20211117-21-1wgzmqn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/432476/original/file-20211117-21-1wgzmqn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/432476/original/file-20211117-21-1wgzmqn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/432476/original/file-20211117-21-1wgzmqn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/432476/original/file-20211117-21-1wgzmqn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une femme tient l’un de ses deux bébés en cours de traitement dans le service de malnutrition de l’hôpital pour enfants Indira Gandhi de Kaboul, le 5 octobre 2021. La famine menace 3,2 millions d’enfants.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Felipe Dana)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’Afghanistan s’ajoute en effet à la liste des pays où l’intervention militaire dirigée par des puissances occidentales a généré un nouveau cycle de violence et d’instabilité sociale, ce qui a eu pour effet de bloquer les transitions politiques censées mener à une forme d’État de droit.</p>
<p>Si l’usage de la force a entraîné un changement de régime et démembré certains groupes terroristes, la difficulté est demeurée entière d’aménager une organisation sociale paisible qui répond aux besoins des populations. De l’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_d%27Irak">Irak</a> à l’Afghanistan en passant par la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Deuxi%C3%A8me_guerre_civile_libyenne">Libye</a> et les <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/securite-desarmement-et-non-proliferation/terrorisme-l-action-internationale-de-la-france/l-action-de-la-france-au-sahel/article/la-force-conjointe-g5-sahel-et-l-alliance-sahel">pays du Sahel</a>, la chute des dictatures et la lutte contre le terrorisme n’ont pas ouvert la voie à l’émancipation des peuples et à la démocratie, ni à relever les défis du développement humain, social et politique. Pourquoi ?</p>
<p>En tant que directeur de la Chaire de recherches interethniques et interculturelles de l’Université du Québec à Chicoutimi, je m’intéresse notamment à la radicalisation islamique depuis la défaite de l’État Islamique (EI).</p>
<h2>L’échec du « nation building »</h2>
<p>C’est en termes d’échec politique et diplomatique qu’il faut interpréter le retour au pouvoir des talibans : l’intervention militaire des Américains et de leurs alliés occidentaux n’a pas été précédée et accompagnée d’une réflexion sur la complexité socio-anthropologique de l’Afghanistan et sur les dispositifs politiques et institutionnels nécessaires à sa transition.</p>
<p>Il est vrai que <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2001/12/13/l-accord-de-bonn-prevoit-un-retour-progressif-a-la-democratie_254726_1819218.html">l’Accord de Bonn</a> a été un moment important de délibération sur le devenir démocratique et la pacification de la société afghane. L’objectif de cet accord visait à jeter les bases sociales et institutionnelles d’une paix durable, de la stabilité et du respect des droits de la personne.</p>
<p>Mais la nature provisoire de cet accord n’a pas permis de réaliser ces objectifs. En fait, l’empressement d’organiser des élections démocratiques et la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/08/31/lakhdar-brahimi-la-paix-etait-possible-avec-les-talibans-mais-encore-eut-il-fallu-qu-on-leur-parle_6092908_3210.html">sous-évaluation de l’enracinement communautaire des talibans</a> ont empêché l’ONU et les puissances occidentales de concevoir une transition politique susceptible d’asseoir la société afghane sur des bases institutionnelles solides et durables. Le « nation building » a échoué parce que le système international et les démocraties libérales soutiennent des transitions politiques qui ne prennent pas au sérieux la <a href="https://www.un.org/ruleoflaw/fr/thematic-areas/international-law-courts-tribunals/transitional-justice/">problématique de la justice transitionnelle</a>. On n’a pas tenu compte du caractère multiculturel de la société afghane, de la représentativité des différentes communautés et régions du pays, de la redistribution des richesses et du partage du pouvoir.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Soldats pointant leurs armes dans le désert" src="https://images.theconversation.com/files/432475/original/file-20211117-17-7ldjy1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/432475/original/file-20211117-17-7ldjy1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=423&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/432475/original/file-20211117-17-7ldjy1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=423&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/432475/original/file-20211117-17-7ldjy1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=423&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/432475/original/file-20211117-17-7ldjy1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=532&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/432475/original/file-20211117-17-7ldjy1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=532&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/432475/original/file-20211117-17-7ldjy1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=532&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Des combattants frontaliers talibans participent à un exercice d’entraînement à Lashkar Gah, dans le sud-ouest de l’Afghanistan, le 25 octobre 2021. Tout au long de l’occupation américaine, les talibans sont demeurés enracinés dans le pays.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Abdul Khaliq)</span></span>
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</figure>
<p>En Afghanistan — comme au Mali et au Tchad, où les Occidentaux ont voulu instaurer la démocratie, les considérations électorales et les solutions militaires ont marginalisé la question pourtant centrale de l’organisation éthique et politique de la coexistence sociale. Une élection démocratique n’est pas synonyme d’une organisation démocratique de la société et d’une démocratisation de la gouvernance. Avant même de promouvoir la démocratie et l’État de droit, ne faudrait-il pas s’interroger sur les conditions nécessaires à une vie commune paisible et juste et sur la nature des pouvoirs censés garantir la paix sociale et la justice politique ?</p>
<p>Des considérations géopolitiques et la lutte hégémonique entre les grandes puissances conduisent très souvent à privilégier des solutions inefficaces et des questions périphériques, qui n’aident en rien les peuples brimés par la tyrannie et la misère.</p>
<h2>Une instrumentalisation politique de l’islam</h2>
<p>La chute de Kaboul ne doit pas seulement être analysée sous l’angle des insuffisances de la diplomatie et des actions des Occidentaux. Le succès des talibans tient aussi à des raisons idéologiques qui ont permis de repositionner la <a href="https://theconversation.com/afghanistan-le-triomphe-des-talibans-malgre-les-milliards-depenses-par-les-etats-unis-166158">mouvance islamiste tant au niveau social que sous-régional</a>. Les leaders de l’organisation ont su se réorganiser autour d’une stratégie qui s’articule autour du respect de la souveraineté nationale et de la défense de l’islam.</p>
<p>C’est à la faveur d’une réinterprétation radicale de l’islam et de l’exigence d’un Émirat islamique que les talibans ont rebâti leur critique de l’invasion américaine et des puissances occidentales.</p>
<p>L’inefficacité des gouvernements successifs depuis 2001 et leur immense corruption ont permis cette instrumentalisation politique de l’islam de la part des talibans. Les nouveaux maîtres de l’Afghanistan ont su attirer la <a href="https://timbuktu-institute.org/index.php/toutes-l-actualites/item/507-les-mouvements-islamiques-en-afrique-et-la-reconnaissance-internationale-des-talibans">sympathie d’organisations musulmanes, notamment africaines, comme la Ligue des Oulémas musulmane</a>.</p>
<p>Cela dit, le <a href="https://www.lefigaro.fr/international/afghanistan-la-reconnaissance-du-regime-taliban-en-question-au-g20-20211011">régime reste isolé sur la scène internationale</a>. Peu après leur prise de pouvoir, les talibans <a href="https://www.lindependant.fr/2021/08/17/pas-de-represailles-respect-du-droit-des-femmes-les-talibans-adoptent-un-ton-conciliant-lors-de-leur-premiere-conference-a-kaboul-9737123.php">ont tenté d’apaiser les craintes sur le sort réservé aux femmes</a>. Mais <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/afghanistan/entretien-pour-olivier-roy-on-a-sous-estime-la-strategie-des-talibans-24a13c0e-fe9a-11eb-b25b-e686c75688fc">cette posture, loin d’être la conséquence d’un profond changement idéologique</a>, est en réalité un <a href="https://theconversation.com/les-talibans-nont-pas-change-dapres-les-femmes-assujetties-a-leur-regime-extremiste-166322">calcul politique</a> visant à se positionner comme un acteur fréquentable sur la scène internationale, <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2021/09/eu-saudi-arabia-first-human-rights-meeting-must-not-be-a-whitewash/">comme l’Arabie saoudite tente de le faire depuis quelques années</a>.</p>
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<img alt="Trois femmes vêtues de noir et voilées debout devant une porte" src="https://images.theconversation.com/files/432477/original/file-20211117-25-inl2ve.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/432477/original/file-20211117-25-inl2ve.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/432477/original/file-20211117-25-inl2ve.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/432477/original/file-20211117-25-inl2ve.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/432477/original/file-20211117-25-inl2ve.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/432477/original/file-20211117-25-inl2ve.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/432477/original/file-20211117-25-inl2ve.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des femmes à l’Université de Kaboul, le 11 septembre 2021. Le retour des talibans a un impact considérable sur la vie des femmes, qui doivent recommencer à se voiler intégralement.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Felipe Dana)</span></span>
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<p>Il est difficile d’évaluer l’appui réel de la population afghane au type d’islam promu par les talibans. <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/08/22/afghanistan-la-ruee-vers-l-aeroport-de-kaboul-cause-plusieurs-morts_6092052_3210.html">La ruée vers l’aéroport de Kaboul</a>, au lendemain de la chute de la capitale, témoigne d’une peur évidente face au nouveau régime. Mais la société afghane <a href="https://nouvelles.ulaval.ca/2021/10/06/le-retour-des-talibans-au-pouvoir-4348c38b8be26c9339147854f88baaa2">demeure largement conservatrice, analphabète et pauvre</a>.</p>
<p>La démocratie comme mode de gouvernement de la société n’a pas réussi à gagner les esprits. Les logiques communautaires, les rivalités tribales et la <a href="https://www.lapresse.ca/international/moyen-orient/2021-09-15/corruption-en-afghanistan/des-millions-de-dollars-et-de-l-or-trouves-chez-d-anciens-dirigeants.php">généralisation de la corruption</a> ont entraîné un écrasement des structures officielles de la gouvernance au profit des talibans.</p>
<p>Le président américain Joe Biden <a href="https://www.journaldequebec.com/2021/08/16/retrait-dafghanistan-biden-decline-la-responsabilite">a en partie raison lorsqu’il impute aux responsables politiques</a> et à l’armée afghans le retour au pouvoir des talibans. Leur victoire est idéologique et sociale avant d’être politique. Les Américains et leurs alliés ont échoué dans leur tentative de « nation building ». Mais des facteurs endogènes ont pavé la voie à l’absence d’un modèle de gouvernance politique capable de représenter une alternative durable à celle proposée par les talibans.</p>
<p><em>Amadou Sadjo Barry, professeur de philosophie au Cégep de Saint-Hyacinthe et chercheur associé au CELAT, a participé à la rédaction de cet article.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167333/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>khadiyatoulah Fall a reçu des financements du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada( CRSHC). Depuis novembre 2021, il est ministre conseiller à la présidence de la république du Sénégal.
</span></em></p>Une élection démocratique n’est pas synonyme d’une organisation démocratique de la société et de sa gouvernance. À cet égard, la tentative de faire de l’Afghanistan une démocratie est un échec total.khadiyatoulah Fall, Professor, Université du Québec à Chicoutimi (UQAC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1724182021-11-24T23:19:52Z2021-11-24T23:19:52ZViolences faites aux femmes : l’inquiétante évolution de la Turquie<p>Faire défiler la page Instagram de la plate-forme turque <a href="http://kadincinayetlerinidurduracagiz.net/">« Nous arrêterons les féminicides »</a> (<em>Kadın cinayetlerini durduracağız platformu</em>, <a href="https://www.instagram.com/kadincinayetlerinidurduracagiz/">@kadıncinayetlerinidurduracağızplatformu</a>), équivaut à feuilleter un album de photos, une collection de portraits en noir et blanc et en couleur dont la mise en page suit un schéma récurrent : d’un côté, l’image d’une femme ; de l’autre, ses nom et prénom, suivis par une inscription, toujours la même : <em>Bu bir kadin cinayetidir</em>, « ceci est un féminicide ».</p>
<p>La consultation de cet album macabre est certes dure, mais elle demeure un acte nécessaire qui permet de prendre la mesure d’une tragédie, le féminicide, qui jalonne le quotidien de la Turquie.</p>
<p>Cette page Instagram a pour fonction de commémorer les victimes et d’alerter sur un problème systémique qui concerne toutes les femmes turques, indépendamment de leur provenance sociale et géographique ou de leur âge. Elle rend compte de ce que veut dire être une femme en Turquie, où les chiffres officiels relatifs aux féminicides n’existent pas, où aucun canal d’information institutionnel ne s’occupe ouvertement de cette question et où seul le travail des associations et la communication qui en est faite sur les réseaux sociaux permettent de saisir l’ampleur du phénomène.</p>
<h2>La Turquie et la Convention d’Istanbul</h2>
<p>En 2011, la Turquie est le premier pays à parapher un texte fondamental adopté par le Conseil de l’Europe et signé par 45 de ses 47 États membres, seuls l’Azerbaïdjan et la Russie refusant de le faire : la <a href="https://www.coe.int/fr/web/istanbul-convention/">Convention d’Istanbul</a> (d’où le nom du traité), dont le but est de mettre fin à toute forme de violence envers les femmes à l’échelle internationale, à travers des initiatives de prévention et des campagnes exigeant que les responsables de ces violences soient punis plus sévèrement.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/en-turquie-les-inegalites-homme-femme-aggravees-par-la-pandemie-de-covid-19-151620">En Turquie, les inégalités homme-femme aggravées par la pandémie de Covid-19</a>
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<p>Or, malgré l’urgence du problème, véritable phénomène systémique qui s’est encore aggravé durant les confinements, la Turquie a décidé, en juillet dernier, de <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/violences-faites-aux-femmes/la-turquie-quitte-officiellement-la-convention-d-istanbul-qui-reprime-les-violences-faites-aux-femmes_4686287.html">se retirer de la Convention</a>. Prétexte invoqué : ce texte menacerait l’intégrité de la famille (car il a été conçu en Europe et pour des États européens qui, d’après le président, placent l’individu avant la famille) et <a href="https://www.iletisim.gov.tr/english/haberler/detay/statement-regarding-turkeys-withdrawal-from-the-istanbul-convention">risquerait</a> de <a href="https://www.bbc.com/turkce/haberler-turkiye-56492232">normaliser l’homosexualité</a>. En Turquie, l’homosexualité n’est pas illégale, mais elle reste un sujet tabou, dont l’explicitation risque d’avoir des répercussions (notamment en termes d’agressions et de discrimination au travail).</p>
<p>Sacralisée, l’institution familiale traditionnelle devient un totem qu’il faut, selon le gouvernement en place, défendre contre d’hypothétiques « menaces ». Dans les faits, cette posture des autorités nuit au combat qu’une partie de la société civile turque livre contre une menace qui, elle, est dramatiquement réelle : les violences faites aux femmes.</p>
<p>Le maintien du <em>statu quo</em> de la famille traditionnelle ne peut pas s’accompagner de la protection des femmes contre les violences : les deux sont mutuellement exclusifs. La ligne cynique suivie par le pouvoir relègue les féminicides à un problème secondaire en Turquie. Là aussi, le fait de renoncer à une Convention qui est censée protéger les femmes turques contre des agressions qui ont lieu tous les jours, sous prétexte que la vision que l’Europe a de la famille est différente, voire incompatible avec celle d’Ankara, signifie que, aux yeux du gouvernement, défendre cette idée de famille face à des menaces supposées est plus important que défendre les femmes exposées à des menaces très concrètes.</p>
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<figcaption><span class="caption">La Turquie quitte la Convention d’Istanbul réprimant les violences contre les femmes, France 24, 20 mars 2021.</span></figcaption>
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<h2>Avant Erdogan : un féminisme d’État ambigu</h2>
<p>Comment en sommes-nous arrivés là ? Comment le pays qui a été un des premiers en Europe à <a href="https://orientxxi.info/magazine/en-turquie-la-politique-porte-toujours-la-moustache,2150">autoriser les femmes à voter</a> est devenu le premier à sortir de la Convention d’Istanbul ?</p>
<p>Lorsque l’Empire ottoman <a href="https://www.nationalgeographic.fr/histoire/2019/12/comment-le-puissant-empire-ottoman-sest-effondre-avec-fracas">s’effondre définitivement</a> après la Première Guerre mondiale, l’idéologie nationaliste qui contribue à la <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/Turquie_histoire/187043">fondation de la nouvelle République de Turquie</a> donne une définition très nette « des rapports de sexe » et <a href="http://leoscheer.com/spip.php?article91">« du rôle attendu de chacun dans le récit que l’on se fait de soi »</a>.</p>
<p>À travers l’adoption d’un <a href="https://www.swissinfo.ch/fre/d-inspiration-suisse--le-code-civil-turc-a-80-ans/1059520">nouveau code civil</a> qui abolit la polygamie (1926), puis <a href="https://orientxxi.info/magazine/en-turquie-la-politique-porte-toujours-la-moustache,2150">l’octroi du droit de vote</a> (1934), le droit au divorce et l’encouragement à adopter un style de vie (et vestimentaire) à l’occidentale, le gouvernement kémaliste cherche à <a href="https://www.cairn.info/revue-apres-demain-2007-1-page-16.htm?contenu=plan">faire des femmes turques un exemple</a>, une vitrine ; la preuve de la <a href="https://brill.com/view/title/17402">« révolution culturelle »</a> qu’il entame dans le pays.</p>
<p>La situation des femmes est ainsi inscrite dans le cadre de la modernisation à marche forcée du pays, nécessaire pour montrer son évolution par rapport à l’époque impériale ottomane (<a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/autre-region/Empire_ottoman/136521">XIVᵉ-XXᵉ siècle</a>) et, par conséquent, <a href="https://www.taylorfrancis.com/chapters/edit/10.4324/9780429502606-4/awakening-emergence-women-movements-modern-middle-east-1900%E2%80%931940-ellen-fleischmann">son droit à être inclus</a> au sein des grandes nations modernes européennes.</p>
<p>Néanmoins, ce <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/new-perspectives-on-turkey/article/abs/feminism-in-turkey-a-short-history/0A24AB74EC8736D02821EFC79EC04ECE">« féminisme d’État »</a> prôné par une élite masculine et accueilli avec une grande joie par les femmes issues de la bourgeoisie urbaine (Istanbul, Ankara, Izmir, etc.) peine à s’imposer chez les femmes les plus conservatrices, contraintes à ne pas porter le voile dans les universités et dans la fonction publique, ou chez <a href="https://www.jstor.org/stable/3177804">celles vivant dans les zones rurales du pays</a>.</p>
<p>En même temps, lorsque des femmes souhaitent former des partis politiques indépendants de celui au pouvoir, leurs initiatives sont étouffées, au <a href="https://www.taylorfrancis.com/chapters/edit/10.4324/9780429502606-4/awakening-emergence-women-movements-modern-middle-east-1900%E2%80%931940-ellen-fleischmann">prétexte que leur émancipation a déjà été atteinte</a>.</p>
<p>Par conséquent, dès les années 1980, nombreuses sont les militantes et les intellectuelles qui rappellent que l’affranchissement des femmes turques au début du XX<sup>e</sup> siècle a été partiel, voire illusoire : les femmes étaient <a href="https://books.google.fr/books/about/Women_Family_and_Social_Change_in_Turkey.html?id=VSC3AAAAIAAJ&redir_esc=y">« émancipées mais pas libres »</a>, autorisées à poursuivre un modèle d’affranchissement à l’européenne sans pourtant pouvoir remettre en cause les codes patriarcaux dominant la société et les cadres familiaux.</p>
<h2>L’AKP et les femmes : du progressisme à la répression</h2>
<p>Lorsque <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-tour-du-monde-des-idees/quest-ce-que-lakp-le-retour-en-turquie-du-refoule-islamique">l’AKP</a> de Recep Tayyip Erdogan se porte <a href="https://www.la-croix.com/Actualite/Monde/Le-choc-de-l-arrivee-au-pouvoir-de-l-AKP-en-2002-_NG_-2011-06-09-626101">candidat aux législatives de 2002</a>, qu’il remportera, son programme électoral contient une rubrique consacrée aux femmes, et à la nécessité de les inclure au sein de la vie politique du pays.</p>
<p>Dans une logique différente de celle de son prédécesseur, le <em>Refah Partisi</em> (le Parti de la prospérité), l’AKP se présente dès le début de son mandat comme étant plus ouvert et enclin à avancer sur les réformes portant sur la <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/14683849.2018.1543026">condition des femmes turques</a>.</p>
<p>Cependant, selon certains, cette politique, nettement visible durant le premier mandat de l’AKP (2002–2007), n’a été favorisée que par le fait qu’à l’époque, la Turquie <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/00263206.2015.1125339">essayait encore de se plier</a> aux conditions d’adhésion à l’UE posées par Bruxelles.</p>
<p>Étant donné les exigences de l’Union en termes de droits civils, la réussite de certains chantiers (notamment celui du changement du code pénal de 2004 accordant, entre autres, un statut égalitaire aux hommes et aux femmes mariés) s’explique non seulement par la détermination des activistes, mais également par les pressions exercées par l’Union européenne.</p>
<p>Néanmoins, une fois que les négociations avec l’UE furent gelées, et en concomitance avec le virage autoritaire d’Erdogan (à partir du deuxième mandat de l’AKP, qui démarre en 2007), les discours tenus par la classe dirigeante sur les femmes <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/19448953.2017.1328887">s’imprégnèrent d’une idéologie plus conservatrice</a>.</p>
<p>En témoignent les <a href="http://www.radikal.com.tr/turkiye/basbakan-her-kurtaj-bir-uluderedir-1089235">déclarations</a> faites en 2012 par Recep Tayyip Erdogan, alors premier ministre, à propos de l’avortement – dont le délai autorisé passe alors de 10 à 4 semaines – et de la <a href="https://theconversation.com/erdogan-banned-caesarean-sections-so-why-does-turkey-have-the-highest-rates-in-the-oecd-65660">césarienne</a>, les deux étant <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/14683849.2015.1067863">comparés à une action criminelle</a> fomentée par les ennemis de la Turquie. Erdogan a également appelé les femmes à rester à la maison, à faire au moins trois enfants, et à s’occuper de la famille – car, selon le pouvoir turc, du bien-être de la famille dépend la survie et le salut de la nation entière.</p>
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<figcaption><span class="caption">Nous, femmes journalistes, en résistance en Turquie – Leila à Istanbul.</span></figcaption>
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<h2>La nécessité de résister</h2>
<p>Tous ces discours sont des illustrations criantes d’un environnement où le rôle de la femme n’est envisagé qu’à travers une <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/19448953.2017.1328887">optique religieuse conservatrice</a> qui fait d’elles les seules en charge de l’assistance familiale (c’est-à-dire du <em>care</em>), un domaine délaissé par l’État <a href="https://www.jstor.org/stable/41427090">notamment pour des raisons économiques</a>.</p>
<p>À l’heure où la famille traditionnelle qui cantonne les femmes au foyer est présentée comme la seule organisation familiale possible pour garantir la survie de l’État turc, les militantes qui y s’opposent sont discréditées et accusées d’être les <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/00263206.2015.1125339">agents des conspirations occidentales</a>.</p>
<p>Autrefois exemples visibles de la révolution culturelle prônée par Kemal Atatürk, les femmes turques, qui se retrouvent pour manifester dans le quartier du <a href="https://www.google.com/maps/search/terminal+ferry+de+Kad %C4 %B1k %C3 %B6y/@40.9690271,28.9268822,10.71z">terminal du ferry de Kadıköy</a> en 2021, demandent à grands cris à être entendues et protégées ; elles demandent des peines plus sévères pour les hommes qui ont tué leurs amies, leurs sœurs et leurs mères. Elles chantent et montrent fièrement leurs pancartes et leur corps, malgré la foule de policiers anti-émeute qui les encercle.</p>
<p>Et si l’espace public est trop dangereux ou inaccessible, des comptes Instagram tels que @kadıncinayetlerinidurduracağızplatformu, ou des hashtags sur Twitter tel que #yeterartık (<em>maintenant, ça suffit</em>) permettent de donner un nouvel élan à leur propos. Se crée ainsi une nouvelle forme de solidarité (et de sororité) qui fait des likes et des hashtags un outil du combat pour la défense des femmes turques.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/172418/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ludovica Tua ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La Turquie s’est récemment retirée de la Convention d’Istanbul, un texte qui lutte contre les violences faites aux femmes. Un fléau pourtant très réel dans ce pays.Ludovica Tua, Doctorante en co-tutelle à l'Université Toulouse 2 Jean Jaurès, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1667072021-08-26T18:43:47Z2021-08-26T18:43:47ZL’exil ou la mort ? Pour une politisation de la question migratoire<p><em>Près d'une centaine de personnes <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/migrants/naufrage-d-un-bateau-de-migrants-en-grece-ce-que-l-on-sait-du-drame-qui-a-fait-au-moins-78-morts-et-des-centaines-de-disparus_5889532.html">auraient trouvé la mort</a> dans la nuit du mardi 13 juin, au large des côtes grecques. Parmi elles, des femmes, des enfants. Ce drame questionne de nouveau les autorités compétentes (garde-côtes et Frontex). Dans son ouvrage « Droit d’exil. Pour une politisation de la question migratoire » récemment paru aux <a href="https://editions-mix.com/2021/03/01/alexis-nouss/">Éditions MIX</a>, le chercheur Alexis Nouss s’interroge sur la notion même d’exil et plaide pour la reconnaissance politique de la figure du migrant. Extraits choisis.</em></p>
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<p>Le migrant d’aujourd’hui n’est pas celui d’hier, travailleur algérien ou immigré polonais. Il n’est pas que migrant, agent d’un processus global, il est aussi exilé, acteur de son histoire et de la nôtre. Comme pour tout processus de connaissance, nommer précisément les choses constitue une étape initiale indispensable. Or, une crise de la nomination est venue animer un débat terminologique sur la désignation des migrants qui arrivent en Europe – à ne plus nommer ainsi : cessons de les nommer migrants, ce sont des réfugiés.</p>
<p>Le raisonnement veut que les migrants quittent leur lieu de naissance ou de résidence pour trouver de meilleures conditions de vie et que, par conséquent, nommer tous ceux qui arrivent aujourd’hui en Europe des « migrants » gomme la guerre, l’oppression, la persécution qui ont fait fuir ceux qui ont droit à l’asile et au statut de réfugié. L’argument, de plus, se renforce lorsque la France, par exemple, veut accepter les réfugiés (politiques) et rejeter les migrants (économiques).</p>
<p>Unis par la détresse, les réfugiés seraient tous ceux qui ont fui les conditions d’une vie impossible et ce départ involontaire fait partie de leur identité. À ce titre, qu’ils fuient la guerre ou la misère importe peu, distinction proscrite au demeurant par la <a href="https://www.unhcr.org/fr/convention-1951-relative-statut-refugies.html">Convention de Genève de 1951</a>. Loin d’une lâcheté, leur fuite affirme la noblesse humaine qu’ils n’acceptent pas de voir niée en eux. S’ils fuient afin de vivre, leur refuser l’asile, même sous la forme d’une simple dénomination, équivaut à adopter une complicité passive avec ceux qui les ont poussé à la fuite. Être réfugié signifie d’abord être lorsqu’un sujet fuit la menace <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/talmudiques/andre-neher-lheritage-dun-maitre-de-lecture-0">du non-être</a>. L’exil ou la mort. […]</p>
<h2>Quand le migrant cesse de migrer</h2>
<p>Pour commencer, il est bon de soumettre les deux termes à la logique grammaticale. Migrant : participe présent du verbe « migrer ». Le migrant migre, le participe présent désignant en français une action en train de se faire et l’agent de cette action. Quand le migrant cesse de migrer, quand il est arrivé, il n’est donc plus (un) migrant. Qu’est-il donc ? Réfugié : vient du latin <em>fugere</em>, qui signifie « fuir », le préfixe re – indiquant non la répétition mais l’intensité. Un réfugié fuit.</p>
<p>Quand le réfugié cesse de fuir, quand il est arrivé, il n’est donc plus (un) réfugié. Qu’est-il donc ?</p>
<p>La rigueur terminologique prend le relais. Elle nous rappelle que la famille « migrante » appartient au vocabulaire animalier : les oiseaux ou les poissons migrent par instinct sans pouvoir s’y soustraire alors que les humains s’exilent en ce que, même soumis à la nécessité du départ, ils peuvent en bâtir un projet et transformer leur condition en conscience. En outre, les termes connexes (émigrants, immigrants, émigrés, immigrés) fleurent les décennies de l’après-guerre en Europe où l’idéologie du progrès et de la reconstruction demandait de la main-d’œuvre, « années-bonheur » dissipées aux vents de crises économiques successives.</p>
<p>Quant à l’emploi de « refugié », il relaie une erreur de catégorisation juridique et une approximation lexicale puisque la langue du droit n’utilise le terme et n’octroie le statut que lorsque l’asile a été administrativement accordé. De surcroît, l’appellation reconnaît à l’arrivant un destin mais qui ne dépend pas de lui car celui qui nomme (ou non) le réfugié en décidant de son statut se trouve sur un seuil, investi du pouvoir d’ouvrir ou non la porte. Un privilège qui sert à pleinement fonder l’hospitalité (« je t’accueille car tu viens ») autant que son refus (« je ne t’accueille pas car tu viens me tuer »).</p>
<h2>Le « demandeur »</h2>
<p>Autre prétendant lexical, le « demandeur d’asile ». Encore faut-il que la demande soit faite, c’est-à-dire que les conditions qui permettent de la déposer soient réunies, un encouragement qu’en France sont loin de dispenser les autorités. Si la position de demandeur crée de facto et d’une façon générale une asymétrie qui place les uns en position de pouvoir et les autres de soumission, la notion d’asile, elle, appelle à être examinée dans sa dimension temporelle.</p>
<p>On demande le refuge ou l’asile comme on donne le refuge ou l’asile mais cela ne suffit pas pour poser l’équivalence entre les deux notions. Puisque refuge sous-entend une fuite, il souligne une action en mettant l’accent sur la destination, en l’occurrence le dispositif qui donnera refuge et il suppose un terme éventuel à cette action, la valeur d’un refuge prenant sens devant l’imminence d’un danger et le perd lorsque le péril est écarté.</p>
<p>Ce qui éclaire des mesures telles que, en France, la « protection subsidiaire » et, au niveau européen, la « protection immédiate et temporaire », statuts de substitution lorsque les conditions pour l’octroi du statut de réfugié ne sont pas réunies. Celui-ci, d’ailleurs, n’est pas inamovible car il peut être révoqué ou on peut y renoncer.</p>
<h2>L’asile, espace préservé</h2>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/418021/original/file-20210826-18-nlx61k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/418021/original/file-20210826-18-nlx61k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/418021/original/file-20210826-18-nlx61k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1055&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/418021/original/file-20210826-18-nlx61k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1055&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/418021/original/file-20210826-18-nlx61k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1055&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/418021/original/file-20210826-18-nlx61k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1326&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/418021/original/file-20210826-18-nlx61k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1326&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/418021/original/file-20210826-18-nlx61k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1326&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La Esmeralda donne à boire à Quasimodo. Une larme pour une goutte d’eau, huile sur toile de Luc-Olivier Merson, Maison de Victor Hugo, 1903.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Esmeralda_(personnage)#/media/Fichier:Merson_-_esmeralda-and-quasimodo-1905(1).jpg">Luc-Olivier Merson/Wikimedia</a></span>
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<p>Asile, par contre, dont le sens étymologique renvoie à un espace préservé du pillage, implique un lieu et induit une idée de permanence. L’asile offre de reconstruire une vie, le refuge la protège provisoirement. Dans <em>Notre-Dame de Paris</em>, Victor Hugo évoque les villes françaises qui, depuis le Moyen-Âge jusqu’au XVI<sup>e</sup> siècle, intégraient des « lieux d’asile » considérés comme « des espèces d’îles qui s’élevaient au-dessus du niveau de la justice humaine » et qu’il détaille :</p>
<blockquote>
<p>« Les palais du roi, les hôtels des princes, les églises surtout avaient droit d’asile ».</p>
</blockquote>
<p>Au grand bonheur (hélas provisoire) d’Esmeralda, c’est le lieu – cathédrale qui possédait et exerçait le droit d’asile auquel avait accès l’individu le choisissant. Dans certains états américains, cette tradition de l’asile dans les lieux de culte est perpétuée. On se souvient aussi de l’Église Saint-Bernard à Paris en 1996 dont l’évacuation anticipa les violences policières ultérieures à l’endroit des migrants.</p>
<p>Un mélange de droit du sol et du droit de la personne, en somme, moins arbitraire en cela que le droit d’asile tel qu’administré aujourd’hui sous les auspices de l’OFPRA, du CNDA et du ministère de l’Intérieur. Ce qui est d’autant plus inacceptable que ce droit appartient au registre démocratique fondamental. Alors qu’il souffrait de ne pas le recevoir du gouvernement allemand de 1930, <a href="https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/mavie/mv47.htm">Trotsky</a> y voyait une contradiction car il considérait le droit d’asile comme un principe essentiel de la démocratie :</p>
<blockquote>
<p>« L’utilisation du droit d’asile, en principe, ne se distingue nullement de l’utilisation du droit de vote, des droits de liberté de la presse, de réunions, etc. »</p>
</blockquote>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/aru3kVwuETs?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Ina, évacuation des migrants à l’église Saint-Bernard, Paris, 1996.</span></figcaption>
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<h2>Ni migrant, ni réfugié, alors qui est-il ?</h2>
<p>Ni migrant, ni réfugié, qu’est-il alors, celui qui vient et demande asile ? Toute la question. Migrants ou réfugiés : les termes, supposés qualifier les individus visés, servent surtout à les agglomérer en une masse anonyme.</p>
<p>Les nommer « exilés » les sort d’une telle opacité et affirme que le migrant est un sujet, un sujet en exil, avec une histoire, une mémoire, un chemin, un récit, une expérience à partager dont les récits religieux ou littéraires des pays d’accueil ont façonné les cadres et les mémoires familiales recueilli les traces.</p>
<p>Le terme « migrant » n’est pas abandonné dans ces pages afin d’affirmer un lien dialectique avec « exilé » et puisqu’il est celui employé par l’opinion publique et par la prose journalistique pour désigner les arrivants irréguliers en Europe, celles et ceux vivant le drame de l’exil de masse contemporain. En outre, il s’attache encore à la notion d’exil une connotation élitiste comme si elle ne concernait qu’une minorité somme toute privilégiée (des personnalités artistiques ou politiques), ce qui la rend préjudiciable à notre usage.</p>
<p>« L’exilé » s’inscrit dans une tradition culturelle connue et positivement valorisée en Europe au point qu’une aura de respect s’attache à sa figure, une noblesse – indépendamment du fait que de nombreux aristocrates ont fui les révolutions car, symétriquement, de nombreux révolutionnaires roturiers ont dû choisir l’exil. À ce titre, le migrant doit d’abord être reconnu comme un exilé. En outre l’usage de ce dernier terme pour désigner les migrants irréguliers aide à spécifier cette migration autrement que par son irrégularité.</p>
<h2>La transmissibilité de l’exil</h2>
<p>La pérennité de l’asile résonne avec la transmissibilité de l’expérience exilique. Là où le migrant porte une identité destinée à disparaître après <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2016/11/11/integration-ou-assimilation-une-histoire-de-nuances_5029629_3232.html">l’intégration ou l’assimilation</a>, l’exilé conserve la sienne quelle que soit l’issue du parcours car il garde mémoire de l’avant qu’il fait dialoguer avec le présent pour le transmettre aux générations à venir et <a href="https://ooks.openedition.org/editionsmsh/5919?lang=fr">féconder le futur</a>.</p>
<p>La migration réclame des chiffres, l’exil exige des mots ; la migration consiste en un trajet, l’exil dans le récit du trajet. L’entendre redonne un vécu au migrant, riche et pluriel, apte à guider le vivre-ensemble malaisé des sociétés contemporaines. Car même lorsque l’itinéraire migratoire est reconnu, le discours citoyen insiste sur le point d’arrivée, le discours communautariste sur le point de départ.</p>
<p>Or, l’expérience exilique conjoint les deux, dans une dynamique de multi – appartenance qui vient redonner souffle aux mécanismes de cohésion interne, ce dont ont vitalement besoin les nations européennes autant que la communauté les rassemblant, tant elles sont toutes en panne d’idéaux unificateurs, mis à part les populismes de tout bord.</p>
<p>Dire que le migrant est d’abord un exilé, c’est passer de la stricte question migratoire à la condition exilique et initier un changement qui compte stratégiquement car il permet, élargissant considérablement l’angle de vue, de fonder conceptuellement la possibilité d’un droit d’exil inhérent à cette condition. Une condition exilique, de même qu’on a pu traiter d’une condition humaine, d’une condition féminine, d’une condition noire, d’une condition juive, même si ces exemples peuvent sembler suspects en nos temps de déconstruction identitaire généralisée.</p>
<h2>On habite le monde, le monde nous habite</h2>
<p>Si les conditions de ces « conditions » sont évidemment historiques, variées et variables, brisant ainsi toute prétention d’essentialisation, les identifier et les désigner permet de les considérer comme des aspects de l’« humaine condition » qui, de Montaigne à Hannah Arendt, a inspiré les luttes d’émancipation en sollicitant la conscience née d’une appartenance commune.</p>
<p>L’expérience exilique module et traduit à la fois la condition humaine comme l’interprètent à leur façon la condition noire ou la condition féminine, nuances du prisme aux multiples facettes qu’est le vivre-humain. L’exil ou la mort car seul l’exilé meurt – le migrant et le réfugié n’ont que des existences de (sans-)papier. Ne pas accueillir l’arrivant par devoir moral ou politique ou par intérêt mais parce que nous partageons une même condition de vivant, un même habitat sur terre. Un lieu ne garantit pas plus une appartenance qu’une identité – on habite le monde, le monde nous habite : « Casa mia, casa tua » disent les Italiens, « Casa nostra, casa vostra », disent les Espagnols.</p>
<p>Célébrer l’exil en tant que <a href="https://mitpress.mit.edu/books/wittgenstein-exile">forme de vie</a> – selon l’expression de Ludwig Wittgenstein qui, de Vienne à Londres, pratiquait la philosophie comme un exil loin de toute certitude – amène à regarder différemment le monde qui nous entoure. Si l’exil, au-delà de sa définition géographique ou politique, désigne d’une manière générale, l’absence d’un chez-soi permanent et protecteur, toute personne privée d’un tel droit fondamental peut être considérée en exil : en dehors d’un pays, en dehors d’un tissu communautaire, en dehors d’une norme sociale. Habiter l’incertain résume l’expérience de la migration en y intégrant celles de la précarité urbaine, de l’internement psychiatrique, de la prison, de la prostitution, de la maladie ou du handicap.</p>
<p>Ce sont là des exils de proximité qui devraient éveiller la sensibilité aux migrations venues de loin. L’entendre et le comprendre veille à l’exercice d’une démocratie qui ne connaît de frontières, internes ou externes, que pour savoir, lorsqu’il le faut, les ouvrir et accueillir l’autre.</p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/166707/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexis Nuselovici (Nouss) ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>« S’ils fuient afin de vivre, leur refuser l’asile, même sous la forme d’une simple dénomination, équivaut à adopter une complicité passive avec ceux qui les ont poussés à la fuite. » Extraits.Alexis Nuselovici (Nouss), Professeur Littérature générale, CIELAM, Aix-Marseille Université, Chaire « Exil et migrations », Collège d’études mondiales, Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1659002021-08-22T16:34:58Z2021-08-22T16:34:58ZAux États-Unis, l’invocation de la liberté religieuse continue d’entraver les droits des couples mariés de même sexe<p>La Cour suprême américaine a récemment rendu un arrêt de portée limitée dans l’affaire <a href="https://www.supremecourt.gov/opinions/20pdf/19-123_g3bi.pdf"><em>Fulton v. City of Philadelphia</em></a>, réaffirmant que la moindre défaillance en matière de neutralité de l’État (au niveau fédéral et fédéré) et d’application générale de toute loi ou réglementation est susceptible de représenter une entrave substantielle à la liberté religieuse, ce qui relève d’une enfreinte à la clause de libre exercice des cultes du I<sup>er</sup> Amendement.</p>
<p>À l’unanimité des neuf juges, la Cour reconnaît que la ville de Philadelphie a failli à son obligation d’impartialité en mettant un terme au contrat qui la liait à une agence de placement familial catholique (<a href="https://cssphiladelphia.org/"><em>Catholic Social Services</em></a>, CSS), laquelle, au nom de ses croyances religieuses, refuse l’agrément des couples adoptifs de même sexe unis par les liens du mariage.</p>
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<p>Ce jugement, qui fait suite à l’arrêt rendu dans l’affaire <a href="https://www.supremecourt.gov/opinions/17pdf/16-111_j4el.pdf"><em>Masterpiece Cakeshop</em></a> (2018), quand la Cour avait donné raison à un pâtissier qui avait refusé, pour des raisons religieuses, de confectionner un gâteau de mariage pour un couple d’hommes, conforte un peu plus le principe de liberté religieuse tel que l’entend la Cour suprême.</p>
<h2>Un procès d’intention contre Catholic Social Services ?</h2>
<p>CSS et plusieurs de ses familles d’accueil ont attaqué en justice la ville de Philadelphie pour hostilité caractérisée à l’égard de convictions religieuses solidement ancrées, en lien avec une conception traditionnelle du mariage comme le « lien sacré entre un homme et une femme ».</p>
<p>Le président de la Cour suprême, John Roberts, auteur de l’opinion majoritaire, s’appuie notamment sur des éléments contextuels probants qui montrent que la ville n’avait aucune intention d’engager une approche conciliatrice pour permettre à CSS de poursuivre sa participation aux procédures d’agrément. Or l’histoire montre que l’Église catholique a fait preuve d’un engagement sans faille pour servir les intérêts de la communauté philadelphienne et de ses orphelins depuis 1798 ; et cela, dans le respect le plus strict de ses principes religieux.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1406282849947471885"}"></div></p>
<p>À l’origine de cette affaire, il y a un représentant de l’archidiocèse de Philadelphie, qui aurait affirmé en 2018 que CSS ne peut pas expertiser les demandes éventuelles de couples mariés de même sexe, dans la mesure où la délivrance d’un agrément constituerait une marque d’approbation du mariage des couples de même sexe. Selon la Cour, c’est sur la base de simples conjectures – relayées dans la presse – que la ville de Philadelphie a alors décidé d’ouvrir une enquête dont les conclusions font nettement apparaître une volonté de nuire aux convictions religieuses ancestrales de cette agence privée. En effet, lors de l’audition de CSS, un membre de la commission des ressources humaines de la ville déclare aux représentants de cette agence que « les choses ont changé depuis 100 ans » et qu’« il serait formidable de suivre les enseignements du pape François, la voix de l’Église catholique ».</p>
<p>Or, la liberté de conscience couvre un spectre très large de croyances placées sous les auspices du I<sup>er</sup> Amendement, sans qu’il soit nécessaire de juger de leur cohérence et de leur acceptabilité (<a href="https://supreme.justia.com/cases/federal/us/450/707/"><em>Thomas v. Review Bd. of Ind. Employment Security Div</em></a>., 1981). D’après Roberts, ce jugement réprobateur exprimé lors de l’audition de CSS suffit à démontrer que la commission a outrepassé ses prérogatives, en disqualifiant de manière hostile les croyances de CSS, ce qui constitue une violation du principe de neutralité – qui est au cœur de la conception états-unienne de la séparation des Églises et de l’État – ainsi que du libre exercice de la religion garanti par le I<sup>er</sup> Amendement (<a href="https://www.oyez.org/cases/1992/91-948"><em>Church of Lukumi Babalu Aye v. Hialeah</em></a>, 1993).</p>
<p>Roberts juge cohérent l’ensemble des conditions d’agrément fixées par cette agence, y compris les dispositions exceptionnelles à l’endroit des couples homosexuels ou hétérosexuels en concubinage, qui sont également exclus du dispositif. En revanche, les personnes homosexuelles célibataires restent éligibles. Dans ces conditions, les accusations de « discrimination fondée sur l’orientation sexuelle » sont pour le moins ténues, voire infondées, puisqu’aucune famille homoparentale n’a déposé la moindre demande d’agrément auprès de CSS. En outre, l’obligation d’égalité de traitement, issue du XIV<sup>e</sup> Amendement, est respectée dans la mesure où plus d’une vingtaine d’agences s’engagent à délivrer des agréments aux couples de même sexe et que, d’après Roberts, CSS promet, le cas échéant, de transférer à ces agences de telles demandes qu’elle recevrait.</p>
<p>Ainsi, pour la Cour, il ne fait aucun doute que la ville de Philadelphie a fait montre d’une attitude discriminante à l’égard de la liberté religieuse, en refusant tout compromis, alors que la réglementation en vigueur le permettait. Pire, elle impose un dilemme cornélien, en enjoignant à CSS d’agréer les couples de même sexe, sous peine de radiation définitive. En vertu du <em>Religious Freedom Restoration Act</em> (1993), cette affaire relève donc d’un examen strict de constitutionnalité. De surcroît, la procédure d’agrément des familles d’accueil de CSS n’a pas vocation à servir l’intérêt général au sens strict du terme.</p>
<h2>La Cour divisée sur la pertinence de la jurisprudence de l’affaire <em>Employment Division v. Smith</em> (1990)</h2>
<p>Dans cette <a href="https://www.oyez.org/cases/1989/88-1213">affaire</a>, la Cour avait conclu que des lois neutres d’application générale ne pouvaient constituer une violation de la clause de libre exercice du I<sup>er</sup> Amendement. L’État de l’Oregon était en droit de proscrire l’utilisation du peyotl (un psychotrope puissant) dans le cadre de rituels religieux, et de refuser l’allocation chômage à toute personne ayant été licenciée pour avoir enfreint cette règle.</p>
<p>D’après les représentants de la ville de Philadelphie, CSS ne serait pas en mesure d’objecter une exemption religieuse puisque l’agence aurait manqué à ses obligations contractuelles qui proscrivent la discrimination sur la base de l’orientation sexuelle, principe figurant également dans l’arrêté relatif aux pratiques professionnelles équitables (<a href="https://sarapennsylvania.org/wp-content/uploads/2013/03/Philadelphia-Fair-Practices-Ordinance.pdf"><em>Fair Practices Ordinance</em></a>), promulgué par la ville de Philadelphie.</p>
<p>Si l’on suit la logique des accusés, s’appuyant sur la jurisprudence rendue dans <em>Smith</em>, CSS devait se conformer à ses obligations sans se prévaloir de la clause de libre exercice du I<sup>er</sup> Amendement, étant donné que ces clauses s’appliquent de manière générale et neutre. Toutefois, Roberts s’emploie à démontrer que la ville de Philadelphie a commis une erreur d’exécution dans la mesure où l’interdiction de la discrimination ne relève pas d’une application générale, car les termes du contrat en vigueur prévoient des exceptions à la règle :</p>
<blockquote>
<p>« Rejet de la demande : le prestataire ne doit pas rejeter un enfant ou une famille, y compris, sans toutefois s’y limiter, les parents d’accueil ou adoptifs potentiels, pour des services, en raison de leur orientation sexuelle, à moins qu’une dérogation ne soit accordée par le Commissaire ou son représentant, à sa seule discrétion. »</p>
</blockquote>
<p>En d’autres termes, il revenait à la ville de Philadelphie d’établir un intérêt impérieux qui justifierait son traitement exceptionnel vis-à-vis de CSS. Or, « maximiser le nombre de parents adoptifs » et « protéger la ville contre toute responsabilité juridique » ne sont pas des motifs suffisamment crédibles aux yeux de la Cour, en l’absence d’éléments factuels précis et solides. En revanche, d’après Roberts, « garantir une égalité de traitement des familles d’accueil et des enfants qui leur sont confiés » est effectivement une nécessité absolue vu que « notre société a fini par reconnaître que les personnes homosexuelles et les couples de même sexe ne peuvent être traités comme des parias sociaux ou comme des êtres inférieurs en dignité et en valeur. » (<a href="https://www.supremecourt.gov/opinions/17pdf/16-111_j4el.pdf"><em>Masterpiece Cakeshop</em></a>, 2018).</p>
<p>Toutefois, rien ne saurait justifier le traitement défavorable auquel CSS a été soumis, puisque, dans l’état actuel des choses, cette agence n’a commis aucun impair incompatible avec cette obligation d’égalité de traitement. Si des dérogations sont possibles vis-à-vis d’autres agences d’adoption, dans une perspective laïque, alors CSS était en droit d’exiger un traitement similaire. Ainsi, il n’est nul besoin d’arbitrer le présent litige du point de vue de la jurisprudence rendue dans <em>Smith</em>, selon les juges.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1406980223048974342"}"></div></p>
<p>De manière habile et stratégique, Roberts, en tant qu’institutionnaliste, soutenu par les juges progressistes, consolide la jurisprudence actuelle, pour le moins hostile à la liberté religieuse. En revanche, trois autres des neuf juges de la Cour suprême, les conservateurs Alito, Thomas et Gorsuch, se positionnent favorablement face aux arguments avancés par la ville de Philadelphie, de sorte qu’un cheminement reste possible pour infirmer le jugement dans <em>Smith</em> afin de mieux sanctuariser les croyances et pratiques religieuses qui se heurteraient à l’application générale d’une loi, ce qui ouvrirait la voie à une politique d’exemptions religieuses. Dans son opinion convergente de 77 pages, Alito met en évidence la principale défaillance technique du jugement rendu dans <em>Fulton</em> pour mieux justifier un revirement de la jurisprudence actuelle :</p>
<blockquote>
<p>« La ville n’a pas hésité à faire pression sur CSS pour qu’elle cède, et si la ville veut contourner la décision d’aujourd’hui, elle peut simplement éliminer le pouvoir d’exemption jamais utilisé. Si elle fait cela, alors, voilà, la décision d’aujourd’hui disparaîtra – et les parties reviendront au point de départ. La ville prétendra qu’elle est protégée par <em>Smith</em> ; CSS soutiendra que <em>Smith</em> devrait être annulé ; les tribunaux inférieurs, liés par <em>Smith</em>, rejetteront cet argument ; et CSS déposera une nouvelle requête devant cette Cour pour contester <em>Smith</em>. »</p>
</blockquote>
<h2>L’égalité des Américain·e·s LGBTQ+ sur le plan fédéral : l’impasse</h2>
<p>Bien que la légitimité des lois anti-discrimination, fondées notamment sur l’orientation sexuelle, soit renforcée, cette affaire devrait interpeller le mouvement LGBTQ+ sur les limites actuelles de la judiciarisation de la liberté religieuse afin de la rendre intégralement compatible avec l’égalité des personnes LGBTQ+.</p>
<p>Un changement de paradigme s’impose. Le mouvement pourrait prôner, au contraire, une approche délibérative bilatérale, afin d’atteindre une résolution coopérative, au lieu de s’attaquer frontalement aux croyances religieuses des fidèles par opérateur juridique interposé – une démarche qui reste profondément contre-productive. En effet, elle conforte les prétentions des chrétiens conservateurs qui se disent « persécutés dans leur foi » et alimente une forte réaction négative, sur le plan politique, dans les États conservateurs, notamment depuis le jugement rendu dans <a href="https://theconversation.com/victoire-historique-la-cour-supreme-americaine-vote-en-faveur-des-droits-lgbtq-141488"><em>Bostock</em></a> (2020) et la défaite de Donald Trump. <a href="https://twitter.com/ACLU/status/1408818876331266052">Une centaine de projets de loi</a> discriminatoires contre les Américain·e·s transgenres ont été déposés, interdisant à ces personnes tout accès aux transitions médicales ainsi qu’à certaines compétitions sportives.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1408818876331266052"}"></div></p>
<p>Au Congrès, dans l’optique d’adopter l’<a href="https://theconversation.com/victoire-historique-la-cour-supreme-americaine-vote-en-faveur-des-droits-lgbtq-141488"><em>Equality Act</em></a> – qui prévoit justement d’amender le titre VII de la loi sur les droits civiques de 1964 afin de garantir que soient protégées l’orientation sexuelle et l’identité de genre contre la discrimination dans les domaines y compris l’accès au crédit bancaire, à l’éducation et à la fonction de juré –, l’absence d’une majorité de 60 sénateurs démocrates (ils sont aujourd’hui 48 contre 50 républicains et 2 indépendants), qui seule permettrait de neutraliser la <a href="https://theconversation.com/fact-check-us-lobstruction-parlementaire-lun-des-obstacles-majeurs-a-venir-pour-joe-biden-153902">filibuste</a>, est une aubaine pour Mitch McConnell, actuel chef de la minorité, et le Parti républicain. Ceux-ci se livrent à une <a href="https://eu.usatoday.com/story/news/politics/2021/02/25/marjorie-taylor-greene-criticized-anti-transgender-sign-tweets/6822977002/">guerre</a> sans merci contre le genre en tant que concept social et politique de la construction des sexes.</p>
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<p>Les discussions sont au point mort et la polarisation actuelle ne permet pas à Joe Biden d’avancer plus sereinement sur son programme de réformes. Dans ce contexte morose, une r<a href="https://www.washingtonblade.com/2021/06/23/white-house-meeting-with-lgbtq-leaders-renews-hope-for-equality-act/">encontre avec les leaders du mouvement LGBTQ+</a> a été organisée à la Maison Blanche pour réaffirmer l’engagement total du gouvernement Biden vis-à-vis de l’égalité LGBTQ+, bien qu’aucune stratégie d’influence visant à convaincre certains sénateurs républicains, ni même un calendrier d’adoption de la loi n’aient fuité.</p>
<p>Enfin, les propos tenus par l’un des membres de la commission RH de la ville de Philadelphie sont sujets à caution. En effet, les multiples déclarations encourageantes du pape François, qui s’est déclaré favorable <a href="https://www.youtube.com/watch?v=zhOuFEa52KA">aux unions civiles pour les couples de même sexe</a> (<a href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=289909.html"><em>Francesco</em></a>, 2020), ne doivent pas occulter les efforts qui restent à faire sur le plan doctrinal et hiérarchique pour permettre aux catholiques LGBTQ+, en dissonance cognitive, d’être mieux intégrés, tant que « <a href="https://www.nytimes.com/2021/06/27/world/europe/pope-sends-more-mixed-messages-on-lgbtq-rights.html">Dieu ne pourra en aucun cas bénir le péché</a>. » Le Vatican s’est effectivement inquiété d’un projet de loi du gouvernement italien qui s’apprêtait à condamner la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre ainsi que les crimes homophobes. Reste à savoir à quel moment opportun les déclarations du pape François seront suivies par des actes forts de la part du Vatican.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"616613580922712065"}"></div></p>
<p>Il appartient donc aux Églises d’entreprendre les démarches nécessaires pour participer à l’effort d’inclusion dans la lutte contre les discriminations, selon un calendrier qu’elles jugeront approprié. Sur le plan doctrinal, plusieurs <a href="https://www.pewresearch.org/fact-tank/2015/12/21/where-christian-churches-stand-on-gay-marriage/">exemples</a> d’Églises attestent que seul le recours à la démocratie participative, dans le respect mutuel de positions contradictoires, permettra, à terme, de désarmer la politisation, parfois haineuse, de la foi afin que des lieux de culte soient en mesure de contribuer au plein épanouissement des fidèles LGBTQ+. Comme l’écrit la chercheuse <a href="https://utsnyc.edu/faculty/serene-jones/">Serene Jones</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Il nous faut comprendre que Dieu est assez grand pour admettre d’innombrables formes de culte et de louange tout en explorant les spécificités de nos propres traditions religieuses. Mais aucune religion ne détient le monopole de la vérité et dans un monde pluraliste, personne ne devrait agir en ce sens. »</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/165900/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anthony Castet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Aux États-Unis, un arrêt de la Cour suprême vient à nouveau souligner le difficile équilibre entre liberté religieuse et égalité des personnes LGBTQ+ avec le reste de la population.Anthony Castet, Maître de Conférences civilisation nord-américaine, Université de ToursLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1645412021-07-21T16:34:16Z2021-07-21T16:34:16ZRépressions violentes en Colombie: le Canada doit clarifier sa position<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/412513/original/file-20210721-21-491o7t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=40%2C13%2C4500%2C2923&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des manifestants se heurtent à la police lors d’une manifestation contre le gouvernement à Cali, en Colombie, le mardi 20 juillet 2021, alors que le pays fête le jour de son indépendance.</span> <span class="attribution"><span class="source">(AP/Andres Gonzalez)</span></span></figcaption></figure><p>Le 7 juillet, la Commission interaméricaine des droits de l’Homme (CIDH) a publié un <a href="https://www.oas.org/en/iachr/jsForm/?File=/en/iachr/media_center/preleases/2021/167.asp">rapport détaillé</a> sur sa visite de trois jours en Colombie. Le même jour, le Président Iván Duque Márquez a rejeté les recommandations de la CIDH au motif que <a href="https://colombiareports.com/colombia-clashes-with-oas-over-damning-human-rights-report/">« personne ne peut recommander à un pays de tolérer des actes criminels »</a>.</p>
<p>Les forces de sécurité colombiennes ont commis de graves violations des droits de la personne, en réponse aux gigantesques rassemblements pacifiques organisés dans les villes principales du pays depuis le 28 avril. La grève nationale – connue sous le nom de <em>Paro Nacional</em> – a commencé en réaction au projet du gouvernement d’augmenter la taxe de vente de 5 à 19 % sur certains produits de base. Mais elle reflète aussi une <a href="https://www.crisisgroup.org/latin-america-caribbean/andes/colombia/90-pandemic-strikes-responding-colombias-mass-protests">frustration populaire</a> beaucoup plus vaste qui s’est manifestée à nouveau <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/07/21/en-colombie-des-milliers-de-manifestants-a-nouveau-dans-la-rue_6088968_3210.html">lors la Fête de l’indépendance</a>.</p>
<p>La troublante répression dont a été témoin la <a href="http://www.oas.org/en/iachr/mandate/composition.asp">CIDH</a> place le Canada à la croisée des chemins. Sa récente <a href="https://www.canada.ca/fr/affaires-mondiales/nouvelles/2021/07/le-ministre-garneau-sentretient-avec-la-vice-presidente-et-ministre-des-affaires-etrangeres-de-la-colombie.html">déclaration de préoccupation du 14 juillet</a> ne traite pas explicitement des abus commis par les forces de sécurité. Soutenir les recommandations de la CIDH clarifierait que toutes les sphères de la politique étrangère du Canada (commerce, développement, sécurité, etc.) exigent le respect des droits de la personne.</p>
<h2>Recours à la force au lieu du dialogue</h2>
<p>Depuis le début, l’administration Duque traite la grève nationale comme une question de sécurité plutôt que par le dialogue démocratique. Par exemple, la vice-présidente colombienne Marta Lucía Ramírez a récemment prétendu <a href="https://www.un.org/press/en/2021/sc14579.doc.htm">devant le Conseil de sécurité des Nations unies</a> que « Les décès survenus lors des manifestations – bien que regrettables – sont le résultat d’éléments marginaux qui se sont infiltrés dans les manifestations, parfois armées, pour commettre des actes de vandalisme. »</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/412456/original/file-20210721-27-13jkgci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=11%2C11%2C3982%2C2646&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/412456/original/file-20210721-27-13jkgci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/412456/original/file-20210721-27-13jkgci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/412456/original/file-20210721-27-13jkgci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/412456/original/file-20210721-27-13jkgci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/412456/original/file-20210721-27-13jkgci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/412456/original/file-20210721-27-13jkgci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Des jeunes hommes jouent du tambour lors d'une manifestation contre les réformes du gouvernement, à Bogota, en Colombie, le 20 juillet 2021, jour de fête nationale.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP/Ivan Valencia)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pourtant, en date du 26 juin, <a href="https://www.temblores.org/comunicados">2 005 cas de détention arbitraire par la police ont été rapportés, 1 617 cas de brutalité policière, 82 blessures aux yeux, 73 homicides et 28 cas de violences sexuelles</a>. Des vidéos troublantes circulant sur les <a href="https://www.instagram.com/jahfrann/">réseaux sociaux</a> montrent la police tirant sur des manifestants, parfois accompagnée par des civils faisant de même.</p>
<p>Le 17 juillet, le Rapporteur spécial des Nations unies sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association a exprimé <a href="https://twitter.com/cvoule/status/1416404427469099015">sa préoccupation</a> à l’endroit de l’immobilisation par la Police nationale d’autobus transportant des manifestants se rendant à Cali.</p>
<h2>Pression internationale</h2>
<p>Le 14 mai, la CIDH a <a href="http://www.oas.org/en/iachr/jsForm/?File=/en/iachr/media_center/preleases/2021/125.asp">demandé à la Colombie</a> l’autorisation d’effectuer une visite d’observation au pays. La demande a d’abord été rejetée, mais, cédant aux pressions nationales et internationales, l’administration Duque a finalement <a href="https://www.oas.org/es/CIDH/jsForm/?File=/es/cidh/prensa/comunicados/2021/143.asp">accepté une visite</a> qui s’est déroulée du 8 au 10 juin.</p>
<p>La CIDH a reçu plus de 300 soumissions et a rencontré plus de 500 personnes. Son rapport détaillé confirme que la gestion du <em>Paro Nacional</em> par la Colombie <a href="https://www.oas.org/es/cidh/informes/pdfs/ObservacionesVisita_CIDH_Colombia_SPA.pdf">« a été caractérisée par un usage excessif et disproportionné de la force, y compris, dans de nombreux cas, la force létale »</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/face-aux-injustices-la-colombie-senflamme-et-letat-reprime-brutalement-160667">Face aux injustices, la Colombie s'enflamme et l'État réprime brutalement</a>
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<p>La CIDH a formulé 41 recommandations, notamment : 1) s’abstenir de stigmatiser ou d’inciter à la violence à l’encontre des manifestants, 2) s’abstenir d’interdire de manière générale l’utilisation de barrages routiers comme forme de manifestation, 3) fournir les informations techniques nécessaires pour traiter les plaintes contre les coupures d’Internet, 4) retirer la Police nationale et son Escadron mobile antiémeute (ESMAD) du ministère de la Défense, et 5) établir une commission spéciale pour localiser les personnes disparues.</p>
<p>Fait intéressant, la CIDH a également annoncé la création d’un <a href="https://www.oas.org/en/iachr/activities/follow-up/special-mechanisms.asp">mécanisme spécial de suivi</a> de ses propres recommandations, similaire à ceux établis au sujet du Venezuela et du Nicaragua.</p>
<h2>Clarifier la position du Canada</h2>
<p>Dans sa déclaration initiale du 9 mai, le ministre des Affaires étrangères du Canada, Marc Garneau, s’est dit <a href="https://www.canada.ca/fr/affaires-mondiales/nouvelles/2021/05/le-canada-est-preoccupe-par-la-violence-persistante-en-colombie.html">préoccupé</a> par « l’usage disproportionné de la force par les forces de sécurité » ainsi que « les actes de vandalisme et les attaques dirigées contre des agents publics ».</p>
<p>Le fait qu’au moins deux policiers et un inspecteur de police soient décédés et que des centaines d’autres policiers aient été blessés ne donne pas lieu à des exceptions aux règles strictes de <a href="https://www.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=27093&LangID=E">nécessité et de proportionnalité</a> qui s’appliquent à l’usage de la force contre des manifestants.</p>
<p>En comparaison avec la position ambivalente du Canada, des membres du Congrès américain ont <a href="https://mcgovern.house.gov/news/documentsingle.aspx?DocumentID=398720">appelé à la suspension des appuis à la police colombienne ainsi que des ventes d’armes à l’ESMAD</a>. Des élus italiens ont aussi <a href="https://twitter.com/HRI_ONG/status/1400191637641379846">demandé à la Cour pénale internationale de faire enquête</a>. La Chambre des lords <a href="https://hansard.parliament.uk/lords/2021-07-12/debates/9AAA9886-CD52-4D96-AF6B-B9C3F33D0461/ColombiaHumanRights">vient tout juste de débattre</a> de la conformité ou non des actions du gouvernement colombien avec les dispositions sur les droits de la personne de l’accord de libre-échange avec le Royaume-Uni.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1416795297972461569"}"></div></p>
<p>La confrontation de la CIDH par le Président Duque presse le Canada de clarifier que sa politique étrangère en Colombie priorise les droits de la personne. Fait positif : le compte-rendu de la rencontre du ministre Garneau avec la vice-présidente Ramírez le <a href="https://www.canada.ca/fr/affaires-mondiales/nouvelles/2021/07/le-ministre-garneau-sentretient-avec-la-vice-presidente-et-ministre-des-affaires-etrangeres-de-la-colombie.html">14 juillet</a> révèle que le Canada a réitéré « les préoccupations du Canada concernant la violence en Colombie […] dans le contexte des manifestations sociales » et appelé le gouvernement « à tenir quiconque a violé les droits de la personne responsable de ses actes. »</p>
<p>Toutefois, le manque de référence directe aux violations attribuables aux forces de sécurité et aux recommandations de la CIDH de même que l’annonce d’un « nouveau financement de plus de 3 millions de dollars » pour des opérations de paix risque de légitimer l’approche de l’administration Duque.</p>
<h2>Trois pistes d’actions prioritaires</h2>
<p>En tant que chercheurs spécialisés en droits de la personne et ayant un intérêt particulier pour la Colombie, nous identifions trois pistes d’action prioritaires.</p>
<p>Premièrement, le Canada <a href="https://www.amnesty.org/en/latest/news/2021/07/colombia-las-autoridades-deben-cumplir-con-las-recomendaciones-de-la-cidh-relativas-a-las-violaciones-de-derechos-humanos-denunciadas-en-el-contexto-del-paro-nacional/">devrait publiquement appuyer les recommandations de la CIDH à la Colombie</a> et les efforts à venir de son mécanisme de suivi. Le Canada devrait avertir l’administration Duque que la poursuite de relations normales entre les deux pays est conditionnelle à l’acceptation de ces recommandations.</p>
<p>Le Canada vient tout juste d’imposer de <a href="https://www.international.gc.ca/world-monde/international_relations-relations_internationales/sanctions/nicaragua.aspx?lang=fra">nouvelles sanctions</a> contre le Nicaragua et a joué un rôle actif en tant que membre du <a href="https://www.international.gc.ca/world-monde/international_relations-relations_internationales/latin_america-amerique_latine/2021-01-05-lima_group-groupe_lima.aspx?lang=fra">Groupe de Lima sur la crise vénézuélienne</a>. Il a donc des antécédents de leadership en matière de droits de la personne dans les Amériques sur lesquels s’appuyer.</p>
<p>La deuxième priorité concerne la coopération du Canada avec la police et l’armée colombiennes. À la suite de son soutien à l’accord de paix de 2016, le <a href="https://www.canada.ca/fr/affaires-mondiales/nouvelles/2017/10/le_canada_apportesonsoutienalacolombie.html">Canada avait déjà investi 297 000 $</a> pour aider à transformer l’armée colombienne en une force professionnelle en temps de paix et déployé des policiers en Colombie à des fins de formation.</p>
<p>De plus, <a href="https://pbicanada.org/2021/05/19/canada-should-conduct-a-human-rights-review-its-export-of-military-goods-to-the-colombian-police-and-army/">au moins trois ventes de véhicules blindés</a> par des entreprises canadiennes au gouvernement colombien ont eu lieu au cours de la dernière décennie. L’un des ces véhicules <a href="https://pbicanada.org/2021/07/18/international-mission-calls-on-colombia-to-guarantee-the-right-to-mobility-assembly-and-social-protest/">aurait été impliqué</a> dans l’incident du 17 juillet mentionné plus haut.</p>
<p>Étant donné la gravité des actes reprochés aux forces de sécurité colombiennes, le Canada devrait s’assurer que toute coopération et toute vente d’équipement soient conditionnelles à des réformes décisives, comme le démantèlement de l’Escadron mobile antiémeute (ESMAD) et le retrait de la police du ministère de la Défense.</p>
<p>La troisième priorité consiste à effectuer un examen approfondi des relations entre le commerce, l’investissement et les droits de la personne au sein de la politique étrangère canadienne. En 2019, les sociétés minières canadiennes <a href="https://www.rncan.gc.ca/cartes-outils-et-publications/publications/publications-rapports-mines-materiaux/actifs-miniers-canadiens/actifs-miniers-canadiens-amc-selon-le-pays-et-la-region-2018-et-2019/15407?_ga=2.136844528.1112918262.1626318920-1770555787.1622691641">détenaient 1, 4 milliards de dollars d’actifs en Colombie</a>, en faisant une importante source de richesse pour notre pays.</p>
<p>Malheureusement, l’exploitation minière en Colombie est également associée à <a href="https://doi.org/10.1016/j.jclepro.2018.07.142">« des niveaux élevés de pauvreté, d’illégalité et de violence »</a> pour les communautés locales. Un rapport sur les violations des droits de la personne commises dans six projets miniers canadiens en Colombie a observé <a href="http://www.dplf.org/sites/default/files/report_canadian_mining_executive_summary.pdf">« l’impunité des auteurs et un manque d’accès à la justice à tous les niveaux pour les victimes »</a>.</p>
<p>Pour s’assurer que les entreprises canadiennes ne contribuent pas à de futures crises des droits de la personne en fragilisant l’état de droit en Colombie et dans d’autres pays en conflit, le Canada devrait <a href="https://doi.org/10.1017/bhj.2019.26">remédier aux lacunes</a> de son <a href="https://core-ombuds.canada.ca/core_ombuds-ocre_ombuds/index.aspx?lang=fra">Ombudsman de la responsabilité des entreprises</a> et offrir aux communautés locales un recours effectif au Canada contre les entreprises canadiennes dont les actions atteignent aux droits de la personne.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/164541/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christopher Campbell-Duruflé a reçu du financement de recherche doctorale de la part du gouvernement du Canada, du gouvernement de l'Ontario et de la Fondation Pierre Elliott Trudeau. Il a travaillé pour Avocats sans frontières Canada en Colombie en 2012 et pour la Commission interaméricaine des droits de l'Homme en 2013-2014.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Leila Celis est membre du Projet accompagnement solidarité Colombie (PASC)</span></em></p>Le jour de l’indépendance en Colombie a été marqué par d’autres manifestations réprimées violemment. Le Canada doit clarifier sa position sur ses actes de violation des droits de la personne.Christopher Campbell-Duruflé, Doctoral Candidate, Faculty of Law, University of TorontoLeila Celis, Professor, Sociology, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1643852021-07-21T14:22:56Z2021-07-21T14:22:56ZPour en finir avec les tests de féminité aux Jeux olympiques<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/411573/original/file-20210715-21-2i69tv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=19%2C0%2C3278%2C2042&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La médaillée d'argent du 800 mètres féminin Margaret Nyairera Wambui, à gauche, serre la main de la médaillée d'or Caster Semenya sur le podium des Jeux du Commonwealth 2018 en Australie. Les deux coureuses ont refusé de prendre des médicaments réducteurs d'hormones pour pouvoir participer aux Jeux olympiques de Tokyo. </span> <span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Mark Schiefelbein)</span></span></figcaption></figure><p>Même si les athlètes et les défenseurs des droits de la personne pensaient réussir à le faire abolir pour de bon, le test de féminité réapparaît à chaque Jeux olympiques. Or cette pratique a des effets désastreux pour les athlètes féminines du monde entier.</p>
<p>Le test a été introduit dans les années 1930 pour éliminer les <a href="https://www.cairn.info/revue-nouvelles-questions-feministes-2008-1-page-80.htm">« athlètes féminines anormales »</a>.</p>
<p>Dans les années 1960, lorsque les femmes ont commencé à s’opposer aux <a href="http://www.crdsc-sdrcc.ca/fr/documents/June_2019-In_the_Neutral_Zone_FR.pdf">« parades nues »</a> qu’imposait le test, la réponse officielle n’a pas été l’abolition, mais plutôt le remplacement de cette pratique par l’analyse hormonale.</p>
<p>Des féministes, des athlètes, des généticiens, des éthiciens et des gouvernements nationaux ont protesté, mais il a fallu attendre les années 1990 pour que la Fédération internationale d’athlétisme amateur (aujourd’hui connue sous le nom de World Athletics) et le Comité international olympique mettent fin au test.</p>
<h2>Les petits caractères</h2>
<p>Cette décision aura pourtant été de courte durée. Dans les petits caractères de ces décisions, les organes directeurs se réservaient le droit de reprendre les tests sur les femmes considérées <a href="http://www.slate.fr/story/122355/calvaire-athletes-homme-femme">« suspectes »</a>.</p>
<p>Après le triomphe de la coureuse de demi-fond sud-africaine Caster Semenya aux championnats du monde de Berlin en 2009, la World Athletics et le Comité international olympique (CIO) ont institué un test d’<a href="https://ici.radio-canada.ca/sports/1752911/hyperandrogenie-interminable-course-de-caster-semenya">« hyperandrogénie »</a> qui fixe à 10 nanomoles la quantité de testostérone naturelle qu’une femme peut posséder pour rester qualifiée.</p>
<p>En 2014, la sprinteuse indienne Dutee Chand a été montrée du doigt pour ce test et suspendue au moment où elle finalisait sa préparation pour les Jeux du Commonwealth, à Glasgow. Avec l’aide des universitaires Payoshni Mitra et Katrina Karkazis, de la Sport Authority of India et des avocats torontois Jim Bunting et Carlos Sayao, Dutee Chand a fait appel au Tribunal arbitral du sport (TAS), parfois appelé la Cour suprême du sport international. Elle a gagné.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/un-an-apres-laffaire-dutee-chand-science-et-sport-le-mauvais-genre-49187">Un an après : l’affaire Dutee Chand : science et sport, le mauvais genre</a>
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<img alt="L’athlète, avec un drapeau indien drapé sur ses épaules, lève un bras pour saluer la foule." src="https://images.theconversation.com/files/409754/original/file-20210705-126479-1jetgly.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/409754/original/file-20210705-126479-1jetgly.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=412&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/409754/original/file-20210705-126479-1jetgly.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=412&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/409754/original/file-20210705-126479-1jetgly.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=412&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/409754/original/file-20210705-126479-1jetgly.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=517&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/409754/original/file-20210705-126479-1jetgly.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=517&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/409754/original/file-20210705-126479-1jetgly.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=517&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’Indienne Dutee Chand célèbre après sa deuxième place en finale du 100 mètres féminin lors des Jeux asiatiques 2018 en Indonésie.</span>
<span class="attribution"><span class="source">AP Photo/Ashley Landis</span></span>
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<p>Le TAS a annulé la suspension de Chand et la politique elle-même, sous prétexte que les preuves scientifiques présentées par l’organisme d’athlétisme n’étaient pas convaincantes. Le CIO a annulé le test et Chand et Semenya ont tous deux participé aux Jeux olympiques de Rio. En 2016, Semenya a triomphé à nouveau à l’épreuve du 800 mètres.</p>
<h2>Protection à court terme</h2>
<p>Cependant, l’optimisme selon lequel le TAS se révélerait un protecteur efficace des droits des femmes s’est avéré de courte durée. En 2018, World Athletics a imposé un seuil révisé de cinq nanomoles de testostérone naturelle pour les cinq épreuves dans lesquelles Semenya court – allant du 400 mètres au 1,6 km – et l’a rapidement suspendue. Elle aussi a fait appel devant le TAS, évoquant le motif que ses droits fondamentaux en tant que femme avaient été violés.</p>
<p>Semenya a présenté de nombreuses preuves démontrant que le test avait poussé de nombreuses autres femmes à abandonner le sport, leur avait volé leurs moyens de subsistance, les avait exposées au ridicule et au harcèlement et, dans certains cas extrêmes, les avait forcées à subir une intervention médicale inutile et irréversible, y compris une opération chirurgicale. La plupart des athlètes concernées étaient originaires des pays du Sud.</p>
<p>Elle n’a pas eu gain de cause. Si le TAS a reconnu que le nouveau règlement était discriminatoire, il a affirmé que les droits de la personne ne relevaient pas de son mandat.</p>
<p>Semenya a depuis fait appel auprès de la Cour européenne des droits de la personne, mais aucune décision n’a été annoncée.</p>
<p>La décision de World Athletics signifie que Semenya peut participer à l’épreuve du 5 000 mètres sans avoir à suivre un traitement pour réduire sa testostérone naturelle. Bien qu’elle soit l’actuelle championne sud-africaine du 5 000 mètres, <a href="https://ici.radio-canada.ca/sports/1805817/semenya-jeux-olympiques-tokyo-athletisme-5000m">elle n’a pas été en mesure de satisfaire à la norme de qualification olympique</a>. Cela signifie qu’elle ne participera pas aux Jeux de Tokyo.</p>
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<img alt="Plan rapproché de Semenya au milieu d’un groupe d’autres coureurs, à mi-course" src="https://images.theconversation.com/files/409755/original/file-20210705-35872-1gfnvu4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/409755/original/file-20210705-35872-1gfnvu4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=483&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/409755/original/file-20210705-35872-1gfnvu4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=483&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/409755/original/file-20210705-35872-1gfnvu4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=483&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/409755/original/file-20210705-35872-1gfnvu4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=607&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/409755/original/file-20210705-35872-1gfnvu4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=607&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/409755/original/file-20210705-35872-1gfnvu4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=607&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Caster Semenya sur le point de remporter le 5000 mètres aux championnats nationaux d’Afrique du Sud en avril. Toutefois, elle n’a pas été en mesure de respecter le temps standard olympique pour pouvoir participer aux Jeux olympiques de Tokyo.</span>
<span class="attribution"><span class="source">AP Photo/Christiaan Kotze/File</span></span>
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<p>La persistance de ce test, malgré la condamnation du <a href="https://www.ohchr.org/Documents/Issues/Discrimination/LGBT/RES_40_5/Res40-5QuestionnaireFR.pdf">Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme</a>, de <a href="https://www.hrw.org/fr/news/2020/12/04/les-tests-de-feminite-abusifs-imposes-des-sportives-devraient-etre-supprimes">Human Rights Watch</a>, de <a href="https://www.wma.net/fr/news-post/lamm-exhorte-les-medecins-a-refuser-dappliquer-les-conditions-dadmissibilite-des-athletes-feminines-de-liaaf/">l’Association médicale mondiale</a> et de nombreux organismes scientifiques et universitaires, expose douloureusement la rhétorique vide des droits de la personne du CIO. Il n’existe aucune base scientifique, juridique ou éthique pour de tels tests.</p>
<h2>Une histoire d’ignorance</h2>
<p>Comme l’a reconnu le responsable de longue date de l’athlétisme et membre du CIO <a href="https://www.theglobeandmail.com/opinion/article-to-be-on-the-right-side-of-history-the-ioc-must-rule-out-sex-testing/">Arne Lundqvist</a> au TAS : « Il y a eu une longue histoire d’ignorance. »</p>
<p>La manière dont ces politiques ont été élaborées va à l’encontre des normes internationales en matière de vérification indépendante, de preuves et de consultation des personnes concernées.</p>
<p>Le fait que Semenya, double médaillée d’or olympique et triple championne du monde et l’une des athlètes les plus charismatiques du monde, n’ait pas été autorisée à défendre son titre de championne du 800 mètres sur la simple base de stéréotypes infondés constitue une tache sur les Jeux olympiques de Tokyo.</p>
<p>Donner le pouvoir à des organismes sportifs non responsables, conseillés par des médecins présélectionnés, d’exclure certaines femmes sur la base de leur perception personnelle de la féminité est à la fois malavisé et injuste. Le test de sexe devrait être aboli une fois pour toutes et l’auto-identification du sexe devrait devenir la base de l’éligibilité aux épreuves féminines des Jeux.</p>
<h2>Accent sur les droits de l’homme</h2>
<p>Comment abolir le test de féminité ? La solution la plus évidente est de suivre l’exemple de Semenya et de gagner les droits des femmes sous la bannière des droits de la personne. Human Rights Watch a suggéré que le CIO adopte les [principes directeurs des Nations unies] relatifs aux entreprises et aux droits de la personne, qui exigent la mise en place d’un mécanisme juridique formel pour entendre et traiter les plaintes.</p>
<p>Bien que la <a href="https://olympics.com/ioc/news/the-olympic-charter">Charte olympique</a> proclame que « la pratique du sport est un droit de la personne », le CIO n’a fourni aucun mécanisme pour faire respecter les droits de l’homme, affirmant qu’en tant qu’organisation privée, il jouit de « l’autonomie du sport » par rapport aux gouvernements et aux principes des droits de la personne. Or, de plus en plus d’études contestent cette affirmation.</p>
<p>Le CIO semble aller dans la bonne direction, en <a href="https://stillmed.olympic.org/media/Document%20Library/OlympicOrg/Documents/Olympic-Agenda-2020/Olympic-Agenda-2020-Recommendation-28-November-2016.pdf">évoquant la notion</a> d’« autonomie responsable » et en exigeant que les droits des travailleurs et des citoyens soient protégés lors de l’organisation des Jeux olympiques de 2024, à Paris, et de 2028, à Los Angeles.</p>
<p>Mais elle semble réticente à imposer des exigences ou des protections en matière de droits de la personne à Tokyo ou aux Jeux olympiques d’hiver de 2022 à Pékin. Elle continue de restreindre les droits des athlètes à la liberté d’expression dans les <a href="https://athletescan.com/fr/01-lignes-directrices-au-sujet-de-la-regle-50">révisions récemment annoncées de la règle 50</a> qui régit la conduite aux Jeux.</p>
<p>J’aimerais qu’il y ait une autre solution, mais pour mettre fin au test de féminité une fois pour toutes, nous devons d’abord gagner la bataille des droits de la personne aux Jeux olympiques.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/164385/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bruce Kidd est membre honoraire du Comité olympique canadien.</span></em></p>Les tests de féminité sont reconduits à tous les Jeux olympiques. Et ce, malgré les oppositions de nombreux athlètes, féministes, généticiens, éthiciens et gouvernements nationaux.Bruce Kidd, Professor Emeritus of Kinesiology and Physical Education, University of TorontoLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.