tag:theconversation.com,2011:/us/topics/ecologie-20587/articlesécologie – The Conversation2024-03-26T16:47:01Ztag:theconversation.com,2011:article/2260782024-03-26T16:47:01Z2024-03-26T16:47:01ZDune, fer de lance du mouvement environnemental qui a participé à l’essor de l’écologie<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/582589/original/file-20240314-18-4kv29v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=17%2C26%2C5983%2C3967&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les dunes Umpqua de l'Oregon ont inspiré la planète désertique Arrakis dans le roman Dune de Frank Herbert.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/sand-dunes-at-umpqua-dunes-oregon-dunes-national-recreation-news-photo/1150491467?adppopup=true">VWPics/Universal Images Group via Getty Images</a></span></figcaption></figure><p><a href="https://www.penguinrandomhouse.com/series/AU8/dune/">Dune</a>, largement considéré comme l’un des <a href="https://www.esquire.com/entertainment/books/g39358054/best-sci-fi-books/">meilleurs romans de science-fiction de tous les temps</a>, continue d’influencer la façon dont les écrivains, les artistes et les inventeurs imaginent le futur.</p>
<p>Bien sûr, il y a les films visuellement stupéfiants de Denis Villeneuve, <a href="https://www.imdb.com/title/tt1160419/">« Dune, première partie »</a> (2021) et <a href="https://www.imdb.com/title/tt1160419/">« Dune, deuxième partie »</a> (2024).</p>
<p>Mais le chef-d’œuvre de Frank Herbert a également aidé la romancière afrofuturiste <a href="https://www.salon.com/2015/08/13/dune_climate_fiction_pioneer_the_ecological_lessons_of_frank_herberts_sci_fi_masterpiece_were_ahead_of_its_time/">Octavia Butler</a> à imaginer un avenir de conflits dans un contexte de catastrophe environnementale ; il a inspiré <a href="https://www.inverse.com/article/46547-elon-musk-is-running-tesla-spacex-like-the-plot-of-dune">Elon Musk</a> à bâtir SpaceX et Tesla pour pousser l’humanité vers les étoiles et un avenir plus vert.</p>
<p>Enfin, il est difficile de ne pas voir des parallèles entre l’univers de Dune et la franchise <a href="https://theconversation.com/star-wars-une-saga-hors-norme-128590">Star Wars</a> de <a href="https://screenrant.com/star-wars-dune-story-concepts-ideas-lucas-copy/#people-survive-the-desert-the-same-way">George Lucas</a>, en particulier leur fascination pour les planètes désertiques et les vers géants.</p>
<p>Pourtant, lorsque Frank Herbert a commencé à écrire Dune en 1963, il ne songeait pas à quitter la Terre, mais à trouver la meilleure façon de la sauver.</p>
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<p>Il voulait raconter une histoire sur la crise environnementale de notre propre planète, un monde poussé au bord de la catastrophe écologique. Un monde où des technologies inconcevables 50 ans plus tôt ont mis le monde au bord de la guerre nucléaire – l’environnement au bord de l’effondrement. Un monde où des industries massives aspirent les richesses du sol et rejettent des fumées toxiques dans le ciel.</p>
<p>À l’époque de la publication du livre, ces thèmes étaient également au cœur des préoccupations. Après tout, les lecteurs d’alors vivaient à la fois le sillage de la crise de Cuba et dans celui de la publication du <a href="https://www.nrdc.org/stories/story-silent-spring">Printemps silencieux</a> de la biologiste Rachel Carson sur la menace que représente la pollution pour l’environnement et la santé humaine.</p>
<p>Dune est rapidement devenu un emblème pour le mouvement écologiste naissant et un porte-étendard pour la nouvelle science de l’écologie.</p>
<h2>Savoirs indigènes</h2>
<p>Même si le mot écologie avait déjà été inventé près d’un siècle plus tôt, le premier manuel sur l’écologie n’a été <a href="https://www.bioexplorer.net/history_of_biology/ecology/">rédigé qu’en 1953</a>. Le domaine était <a href="https://www.nytimes.com/search?dropmab=false&endDate=1966-01-01&query=ecology&sort=best&startDate=1963-01-01">peu médiatisé</a> dans les journaux ou les magazines de l’époque. Peu de lecteurs avaient déjà entendu parler de cette science émergente, et encore moins savaient ce qu’elle suggérait pour l’avenir de notre planète.</p>
<p>En étudiant Dune pour un livre que j’écris sur l’histoire de l’écologie, j’ai été surpris d’apprendre que Frank Herbert n’avait pas étudié l’écologie, ni pendant son cursus universitaire, ni en tant que journaliste.</p>
<p>Au contraire, ce sont les pratiques de conservation des tribus du nord-ouest du Pacifique qui l’ont incité à explorer le champ. Il en a entendu parler par deux amis en particulier.</p>
<p>Le premier était <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Wilbur_Ternyik">Wilbur Ternyik</a>, un descendant du chef Coboway, le leader Clatsop qui a accueilli les explorateurs Meriwether Lewis et William Clark lorsque <a href="https://www.britannica.com/event/Lewis-and-Clark-Expedition">leur expédition</a> a atteint la côte ouest en 1805. Le second, <a href="https://funerals.coop/obituaries/2018-obituaries/july-2018/howard-hansen.html">Howard Hansen</a>, était professeur d’art et historien oral de la tribu Quileute.</p>
<p>Wilbur Ternyik, qui était également un expert en écologie de terrain, a emmené Frank Herbert visiter les dunes de l’Oregon en 1958. Il lui a expliqué son travail de <a href="https://theconversation.com/montee-des-eaux-quelles-solutions-fondees-sur-la-nature-pour-aider-les-littoraux-francais-a-sadapter-221802">consolidation des dunes massives de sable à l’aide d’herbes spécifiques</a> et autres plantes à racines profondes pour empêcher le sable de s’étendre à la ville voisine de Florence – une <a href="https://www.earth.com/earthpedia-articles/terraforming/">technologie de terraformation</a> décrite en détail dans Dune.</p>
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<img alt="Plantes des dunes" src="https://images.theconversation.com/files/582000/original/file-20240314-24-jn6atf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/582000/original/file-20240314-24-jn6atf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/582000/original/file-20240314-24-jn6atf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/582000/original/file-20240314-24-jn6atf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/582000/original/file-20240314-24-jn6atf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/582000/original/file-20240314-24-jn6atf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/582000/original/file-20240314-24-jn6atf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une flore spécifique aide à fixer les dunes de sable sur les côtes de l’Oregon.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/dune-grass-along-the-coast-of-oregon-usa-news-photo/687657578?adppopup=true">Edwin Remsburg/VW Pics via Getty Images</a></span>
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<p>Comme l’explique Wilbur Ternyik <a href="https://cdn.theconversation.com/static_files/files/3147/Turnyik.USDA_SCS.DunesManual.pdf?1710454532">dans un manuel</a> qu’il a rédigé pour le ministère américain de l’agriculture, son travail dans l’Oregon s’inscrivait dans le cadre d’un effort visant à « guérir » les paysages marqués par la colonisation européenne, en particulier les grandes jetées fluviales construites par les premiers colons.</p>
<p>Ces structures ont perturbé les courants côtiers et créé de vastes étendues de sable, transformant en désert des pans entiers du paysage luxuriant du nord-ouest du Pacifique. Ce scénario se retrouve dans Dune, où le cadre du roman, la <a href="https://www.sciencenews.org/article/dune-planet-climate-plausible-science-sandworms">planète Arrakis</a>, a été mis à mal de la même manière par ses premiers colonisateurs.</p>
<p>Howard Hansen, qui est devenu le parrain du fils de Frank Herbert, a étudié de près l’impact radical de l’exploitation forestière sur les terres des <a href="https://quileutenation.org/history/">Quileutes</a> de la côte de l’État de Washington. <a href="https://www.nytimes.com/2021/10/23/opinion/culture/dune-frank-herbert-native-americans.html">Il a encouragé Frank Herbert</a> à étudier soigneusement l’écologie, en lui donnant un exemplaire de l’ouvrage de Paul B. Sears <a href="https://archive.org/details/wherethereislife0000paul/page/n7/mode/2up"><em>Where There is Life</em></a>, dont <a href="https://www.oreilly.com/tim/herbert/ch03.html">Frank Herbert a tiré</a> l’une de ses citations préférées : « La plus haute fonction de la science est de nous permettre de comprendre les conséquences. »</p>
<p><a href="https://screenrant.com/dune-movie-2021-fremen-origin-explained/">Les Fremen</a> de Dune qui vivent dans les déserts d’Arrakis et gèrent avec soin son écosystème et sa faune incarnent ces enseignements. Dans leur lutte pour sauver leur monde, ils associent avec expertise la science écologique et les pratiques indigènes.</p>
<h2>Les trésors cachés dans le sable</h2>
<p>Mais l’ouvrage qui a eu l’impact le plus profond sur Dune est l’ouvrage de Leslie Reid paru en 1962, <a href="https://books.google.com/books/about/The_Sociology_of_Nature.html?id=Ag22AAAAIAAJ"><em>The Sociology of Nature</em></a>.</p>
<p>Leslie Reid y explique l’écologie et la science des écosystèmes au grand public, en illustrant l’interdépendance complexe de toutes les créatures au sein de l’environnement.</p>
<blockquote>
<p>« Plus on étudie l’écologie en profondeur, écrit Leslie Reid, plus il est clair que la dépendance mutuelle est un principe directeur, que les animaux sont liés les uns aux autres par des liens de dépendance indéfectibles. »</p>
</blockquote>
<p>Dans les pages du livre de l’écologue, Frank Herbert a trouvé le modèle de l’écosystème d’Arrakis dans un endroit surprenant : les îles Chincha du Pérou. Comme l’explique Leslie Reid, l’accumulation de fientes d’oiseaux sur ces îles constituait un engrais idéal. Abritant des montagnes de fumier décrites comme un nouvel <a href="https://scholarsbank.uoregon.edu/xmlui/handle/1794/27727">« or blanc »</a> et comme l’une des substances les plus précieuses sur Terre, ces îles sont devenues, à la fin des années 1800, le point zéro d’une <a href="https://magazine.hortus-focus.fr/blog/2023/08/31/le-guano-richesse-guerres-et-esclavage/">série de guerres</a> pour le contrôle de la ressource entre l’Espagne et plusieurs de ses anciennes colonies, dont le Pérou, la Bolivie, le Chili et l’Équateur.</p>
<p>Au cœur de l’intrigue de Dune, on retrouve une bataille pour le contrôle de l’épice, une ressource inestimable. Récoltée dans les sables de la planète désertique, l’épice est à la fois un arôme luxueux pour la nourriture et une drogue hallucinogène qui permet à certaines personnes de plier l’espace-temps, rendant ainsi possibles les voyages interstellaires.</p>
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<img alt="Dessin au crayon représentant deux hommes debout dans une mer d’oiseaux" src="https://images.theconversation.com/files/581978/original/file-20240314-23-fbl8im.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/581978/original/file-20240314-23-fbl8im.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=423&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/581978/original/file-20240314-23-fbl8im.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=423&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/581978/original/file-20240314-23-fbl8im.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=423&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/581978/original/file-20240314-23-fbl8im.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=532&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/581978/original/file-20240314-23-fbl8im.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=532&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/581978/original/file-20240314-23-fbl8im.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=532&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Au XIXᵉ siècle, le guano du Pérou était une denrée précieuse utilisée comme engrais.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/an-illustration-of-birds-and-guano-on-an-island-off-the-news-photo/615336378?adppopup=true">Corbis Historical/Getty Images</a></span>
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<p>Il y a une certaine ironie dans le fait que Frank Herbert ait eu l’idée de fabriquer de l’épice à partir de fientes d’oiseaux. Mais il a été fasciné par l’exposé minutieux de Leslie Reid sur un écosystème unique produisant une denrée précieuse, bien que nocive.</p>
<p>Comme l’explique l’écologue, les courants glacés de l’océan Pacifique poussent les nutriments à la surface des eaux avoisinantes, ce qui permet au plancton de prospérer. Ce plancton est à l’origine d’une étonnante population de poissons, qui nourrissent des hordes d’oiseaux et de baleines.</p>
<p>Dans les premières versions de Dune, Frank Herbert a combiné toutes ces étapes dans le cycle de vie des vers de sable géants, des monstres de la taille d’un terrain de football qui rôdent dans les sables du désert et dévorent tout sur leur passage.</p>
<p>Il a imaginé chacune de ces créatures terrifiantes comme de petites plantes photosynthétiques qui se transforment en « truites des sables » plus grandes. Elles finissent par devenir d’immenses vers qui brassent les sables du désert, crachant de l’épice à la surface.</p>
<p>Dans le livre et dans « Dune, première partie », le soldat Gurney Halleck récite un vers énigmatique qui commente cette inversion de la vie marine et des régimes d’extraction arides : « Car ils suceront l’abondance des mers et les trésors cachés dans le sable. »</p>
<h2>Les révolutions de Dune</h2>
<p>Le mouvement écologiste a accueilli la publication de Dune, en 1965, avec enthousiasme.</p>
<p>Herbert a d’ailleurs pris la parole lors de la première Journée de la Terre à Philadelphie en 1970. Dans la première édition du <a href="https://wholeearth.info/">Whole Earth Catalog</a> – un célèbre manuel de bricolage et bulletin d’information pour les militants écologistes – Dune était évoqué en ces termes : « La métaphore est l’écologie. Le thème est la révolution. »</p>
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<img alt="Photo en noir et blanc d’un homme barbu assis sur une chaise et posant pour l’appareil photo" src="https://images.theconversation.com/files/581973/original/file-20240314-20-zaaj5r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/581973/original/file-20240314-20-zaaj5r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/581973/original/file-20240314-20-zaaj5r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/581973/original/file-20240314-20-zaaj5r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/581973/original/file-20240314-20-zaaj5r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=473&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/581973/original/file-20240314-20-zaaj5r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=473&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/581973/original/file-20240314-20-zaaj5r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=473&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Frank Herbert lors de la première Journée de la Terre de Philadelphie en 1970.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://newsroom.ap.org/detail/FrankHerbert/c8e4e5b356c240aaac0b6ff27fe17c33/photo?Query=frank%20herbert&mediaType=photo&sortBy=creationdatetime:desc&dateRange=Anytime&totalCount=1&currentItemNo=0">AP Photo</a></span>
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<p>Dans l’ouverture du premier film de Denis Villeneuve, Chani, une Fremen indigène interprétée par Zendaya, pose une question qui anticipe la conclusion violente du deuxième film : « Qui seront nos prochains oppresseurs ? »</p>
<p>La transition immédiate vers un plan montrant Paul Atreides, le protagoniste blanc joué par Timothée Chalamet, fait passer le message anticolonial. En fait, les deux films de Denis Villeneuve développent de manière experte les thèmes anticoloniaux des romans de Frank Herbert.</p>
<p>Malheureusement, la critique environnementale a été quelque peu édulcorée. Mais Denis Villeneuve a <a href="https://theplaylist.net/dune-messiah-denis-villeneuve-says-florence-pugh-anya-taylor-joy-give-him-the-will-do-another-one-20240311/">suggéré</a> qu’il pourrait également adapter <a href="https://prhinternationalsales.com/book/?isbn=9780593098233">Le Messie de Dune</a>, un des romans de la série dans lequel les dommages écologiques causés à Arrakis sont flagrants.</p>
<p>J’espère que l’avertissement écologique prémonitoire de Frank Herbert, qui a trouvé un écho si puissant auprès des lecteurs des années 1960, sera réitéré dans Dune 3.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/226078/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Devin Griffiths ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Lorsque Herbert a commencé à écrire Dune en 1963, il ne songeait pas à quitter la Terre, mais à trouver la meilleure façon de la sauver.Devin Griffiths, Associate Professor of English and Comparative Literature, USC Dornsife College of Letters, Arts and SciencesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2211452024-03-24T17:52:32Z2024-03-24T17:52:32ZComment rendre l’électronique plus soutenable ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/583519/original/file-20240321-18-b6xkt4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=482%2C534%2C4604%2C2888&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Alors que la part de l’électronique dans nos déchets et nos émissions de carbone continue d’augmenter, il est urgent de diminuer l’impact de cette industrie.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/fr/photos/une-carte-de-circuit-imprime-cassee-posee-sur-le-sol-BRLT_FHxAEs">Hans Ripa/Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>L’électronique n’est aujourd’hui pas soutenable au sens du rapport de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Rapport_Brundtland">Brundtland</a> : elle ne répond pas « aux besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins. »</p>
<p>Pour pouvoir atteindre les engagements fixés par les <a href="https://unfccc.int/fr/a-propos-des-ndcs/l-accord-de-paris">accords de Paris pour 2050</a>, l’impact de toute l’industrie, y compris celle de l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/electronique-24110">électronique</a>, doit être fortement réduit. Des solutions existent, mais nécessitent une transformation globale de l’industrie électronique dont les impacts environnementaux augmentent rapidement, <a href="https://www.arcep.fr/uploads/tx_gspublication/rapport-pour-un-numerique-soutenable_dec2020.pdf">notamment de par son rôle dans la transformation numérique</a>.</p>
<p>En effet, le numérique représente <a href="https://infos.ademe.fr/magazine-avril-2022/faits-et-chiffres/numerique-quel-impact-environnemental/">2,5 % de l’empreinte carbone de la France</a> et jusqu’à <a href="https://joinup.ec.europa.eu/collection/rolling-plan-ict-standardisation/ict-environmental-impact-rp2023">4 % de l’empreinte carbone mondiale</a>. Or, le GIEC recommande de <a href="https://www.unep.org/resources/emissions-gap-report-2022">diviser par sept</a> les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050 pour limiter le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/climat-20577">réchauffement climatique</a> à un niveau acceptable.</p>
<p>Dans un tel monde décarboné, mais où la contribution du numérique resterait inchangée, sa part dans les émissions mondiales passerait de 4 % à 23 %. Cette projection est même plutôt optimiste puisque le secteur de l’électronique croît régulièrement. Par exemple, la fabrication des composants électroniques à base de semi-conducteurs, du type processeur ou mémoire, émet une <a href="https://hal-lara.archives-ouvertes.fr/hal-04112708/">quantité croissante</a> de gaz à effet de serre du fait de l’augmentation de leur complexité. En effet, leur miniaturisation fait appel à des matériaux toujours plus purs et divers, et à des processus extrêmement énergivores.</p>
<p>Au-delà des gaz à effet de serre, l’industrie électronique génère mondialement <a href="https://ewastemonitor.info/gem-2020/">53 mégatonnes</a> de déchets solides par an dans le monde, dont seulement 17 % sont collectés et recyclés. Pour le reste, on estime que <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/societe-africaine/la-decharge-de-dechets-electroniques-dagbogbloshie-veritable-defi-economique-et-environnemental-pour-le-ghana_3863287.html">80 % des déchets non recyclés</a> sont transportés illégalement dans des pays en développement.</p>
<h2>Évaluer l’impact pour mieux agir</h2>
<p>Une première étape pour converger vers une filière plus soutenable est d’être capable d’évaluer l’impact des produits électroniques. L’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/cycle-de-vie-21061">analyse de cycle de vie</a> (ACV) est l’outil standard permettant de mesurer les impacts environnementaux d’un produit ou d’un service. Elle intègre les impacts tout au long de la fabrication, de l’usage et de la fin de vie du produit ; par exemple les matières premières utilisées, le transport, les processus de transformation, l’énergie consommée, l’usage, le traitement, et le recyclage.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/581323/original/file-20240312-18-j4zf1n.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Les composants de l'ordinateur représente la majorité des émissions totales. Parmi les composants, la carte mère est la plus coûteuse en carbone, en particulier à cause du processeur." src="https://images.theconversation.com/files/581323/original/file-20240312-18-j4zf1n.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/581323/original/file-20240312-18-j4zf1n.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=533&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/581323/original/file-20240312-18-j4zf1n.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=533&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/581323/original/file-20240312-18-j4zf1n.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=533&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/581323/original/file-20240312-18-j4zf1n.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=670&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/581323/original/file-20240312-18-j4zf1n.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=670&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/581323/original/file-20240312-18-j4zf1n.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=670&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Émissions en CO2 équivalent d'un ordinateur Dell utilisé cinq ans. D'après Loubet et al.,</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://link.springer.com/article/10.1007/s11367-022-02131-z">Pierre Le Gargasson/INSA Rennes, d'après Loubet et al. 2023</a>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Dans une ACV, l’impact des produits ou d’un service est quantifié selon <a href="https://environment.ec.europa.eu/publications/recommendation-use-environmental-footprint-methods_en">16 catégories</a> incluant les émissions de gaz à effet de serre, l’utilisation d’eau, la toxicité ou encore l’utilisation de ressources non renouvelables. En électronique, la fabrication des circuits intégrés nécessite notamment beaucoup d’eau et émet des gaz fluorés qui ont un fort impact sur l’effet de serre.</p>
<p>Le résultat d’une ACV permet d’identifier quelles parties du produit contribuent majoritairement à son impact, ce qui permet de guider une transformation vers un produit plus soutenable. Une ACV d’un téléphone portable a, par exemple, permis d’établir que celui-ci émet <a href="http://arxiv.org/abs/2011.02839">plus de 80 % de son CO₂</a> au moment de sa production. Elle permet de déduire qu’une augmentation de la durée de vie du téléphone pourrait engendrer une réduction significative de son impact carbone.</p>
<h2>Augmenter la durée de vie des appareils</h2>
<p>L’obsolescence programmée est souvent considérée comme responsable de la fin de vie prématurée des appareils du fait de dysfonctionnements introduits par le fabricant. Cependant, la réalité semble être plus nuancée.</p>
<p>Par exemple, un téléphone portable a aujourd’hui une <a href="https://www.statista.com/statistics/619788/average-smartphone-life/">durée de vie moyenne de 2,8 ans</a>. Cette faible durée de vie s’explique davantage par un système économique qui pousse à un renouvellement régulier plutôt que par une panne de l’appareil, puisque la majorité des téléphones <a href="https://www.researchgate.net/profile/Tamar-Makov/publication/351912224_Submission_to_the_Journal_of_Cleaner_Production_SI_Investigating_Repair_Is_repairability_enough_big_data_insights_into_smartphone_obsolescence_and_consumer_interest_in_repair/links/60fd8b880c2bfa282afe209a/Submission-to-the-Journal-of-Cleaner-Production-SI-Investigating-Repair-Is-repairability-enough-big-data-insights-into-smartphone-obsolescence-and-consumer-interest-in-repair.pdf">restent fonctionnels bien au-delà de 3 ans</a>. Ainsi, l’obsolescence prématurée est un phénomène complexe qui, pour les produits destinés au grand public, s’explique principalement par des aspects sociaux (la pression à posséder un appareil récent) et psychologiques (la lenteur perçue de l’appareil).</p>
<p>Cela ne signifie pas pour autant que le produit n’est jamais en faute. Mais là encore, il s’agit probablement plus d’une <a href="https://ebooks.iospress.nl/volumearticle/47873">réduction des coûts de production engendrant une baisse de qualité</a> plutôt qu’une volonté délibérée des industriels de réduire la durée de vie.</p>
<p>Ainsi, une transformation des modes de consommation favorisant des produits de qualité avec une durée de vie plus longue est nécessaire. Celle-ci ne pourra cependant s’opérer que si des solutions alternatives existent sur le marché. Par exemple, les <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/ip_23_1794">initiatives réglementaires</a> qui imposent la réparabilité vont dans ce sens en offrant la possibilité de prolonger la durée de vie d’un appareil au-delà de sa première panne. Finalement, la <a href="https://smaaart.fr/blog/barometre-smaaart-ifop-2023-sur-le-marche-du-reconditionne/">popularité grandissante du reconditionné</a> indique que des modes de consommations alternatifs peuvent exister s’ils s’accompagnent d’une garantie de qualité auprès du consommateur.</p>
<h2>Mieux recycler</h2>
<p>Lorsque la réparation et la réutilisation ne sont plus efficaces, le processus de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/recyclage-21060">recyclage</a> doit permettre de <a href="https://theconversation.com/droit-a-la-reparation-leurope-sattaque-aux-millions-dappareils-electroniques-qui-dorment-dans-nos-tiroirs-225587">réutiliser les matières premières de l’électronique</a>. En 2021 en France, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) estimait que <a href="https://librairie.ademe.fr/dechets-economie-circulaire/6555-equipements-electriques-et-electroniques-donnees-2021.html">seulement 49,8 %</a> des déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE) avaient été traités. Ce faible taux de traitement s’explique par un coût de gestion élevé de ces déchets. De plus, sur près d’une mégatonne de DEEE traités chaque année, 75,4 % sont recyclés et 1,8 % réutilisés. Le reste est incinéré (11,8 %) ou enfoui (11 %).</p>
<p>Cette nouvelle manne financière attire des <a href="https://www.ouest-france.fr/europe/espagne/une-mafia-du-dechet-electronique-tombe-aux-canaries-2310d4e6-8da8-11ed-9545-6a86069fe887">entreprises peu scrupuleuses</a> qui font disparaître les déchets à moindre coût en les envoyant illégalement dans d’autres pays ou bien en les <a href="https://www.sudouest.fr/france/pres-de-marseille-la-justice-frappe-la-mafia-des-dechets-10909274.php">incinérant dans la nature</a>.</p>
<p>Des solutions sont en développement pour valoriser ces déchets en extrayant leurs métaux pour les réinjecter dans la chaîne de production. Le <a href="https://www.apple.com/fr/newsroom/2019/04/apple-expands-global-recycling-programs/">robot Daisy d’Apple</a> permet déjà de désassembler des iPhones pour en récupérer les métaux.</p>
<p>Cependant, les métaux sont mélangés avec d’autres éléments moins valorisables (comme de la résine époxy et la fibre de verre des circuits imprimés) et les procédés actuellement utilisés pour les séparer nécessitent l’utilisation de composés polluants tels que l’acide sulfurique, allant à l’encontre de l’objectif initial de soutenabilité. De <a href="https://www.inc.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/des-mousses-pour-recuperer-proprement-les-metaux-des-e-dechets">nouveaux procédés</a> sont néanmoins à l’étude et pourraient permettre une extraction plus respectueuse de l’environnement.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/de-nouvelles-technologies-pour-recycler-les-dechets-electroniques-132530">De nouvelles technologies pour recycler les déchets électroniques</a>
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<h2>Former dans une industrie en mutation</h2>
<p>Une solution à plus long terme pour réduire l’impact de l’électronique sera de modifier en profondeur les processus de production en réponse aux analyses de cycle de vie. Le problème est que, en électronique plus que dans d’autres industries, les techniques de fabrication sont maintenues secrètes. Ainsi, si une entreprise souhaite améliorer la soutenabilité de sa chaîne de production, elle s’appuiera sur des compétences internes. Or, les formations d’ingénieurs n’incluent que rarement les <a href="https://theshiftproject.org/wp-content/uploads/2022/06/Manifeste-Climatsup-INSA-version-Print.pdf">enjeux climatiques</a>.</p>
<p>Le défi de l’adaptation de l’électronique aux contraintes environnementales est considérable, car il doit prendre en compte les aspects sociaux et économiques de la soutenabilité. À l’horizon 2050, la moitié des ingénieurs actuellement en poste le <a href="https://numeum.fr/les-ingenieurs-dans-le-numerique-en-2022">seront encore</a>. Il faut donc non seulement former les futurs professionnels aux méthodes permettant d’atteindre une électronique soutenable, mais également les professionnels déjà en exercice. <a href="https://esos.insa-rennes.fr">Le projet ESOS</a> (électronique soutenable, ouverte et souveraine) financé par France2030 de 2023 à 2028 vise à créer des formations permettant d’engager l’électronique sur une trajectoire soutenable.</p>
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<p><em>Le projet <a href="https://anr.fr/ProjetIA-23-CMAS-0007">ESOS</a> est soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. Elle a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’<a href="https://anr.fr/">ANR</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221145/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicolas Beuve a reçu des financements du projet France2030 ESOS - Electronique Soutenable, Ouverte and Souveraine,
opéré par l'ANR (Agence Nationale de la Recherche). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Maxime Pelcat a reçu des financements du projet France2030 ESOS - Electronique Soutenable, Ouverte and Souveraine, opéré par l'ANR (Agence Nationale de la Recherche). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Olivier Weppe a reçu des financements du projet France2030 ESOS - Electronique Soutenable, Ouverte and Souveraine, opéré par l'ANR (Agence Nationale de la Recherche). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Pierre Le Gargasson a reçu des financements du projet France2030 ESOS - Electronique Soutenable, Ouverte and Souveraine, opéré par l'ANR (Agence Nationale de la Recherche). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Thibaut Marty a reçu des financements du projet France2030 ESOS - Electronique Soutenable, Ouverte et Souveraine, opéré par l'ANR (Agence Nationale de la Recherche). </span></em></p>L’électronique pèse lourd dans nos émissions de carbone et nos déchets. Quelles sont les voies pour diminuer l’impact de cette industrie cruciale pour la transition écologique ?Nicolas Beuve, Enseignant-Chercheur en modelisation et optimisation mathématiques, INSA Rennes, INSA RennesMaxime Pelcat, Maître de conférences, INSA RennesOlivier Weppe, Enseignant-Chercheur en électronique soutenable, INSA RennesPierre Le Gargasson, Enseignant-Chercheur spécialisé en électronique, INSA RennesThibaut Marty, Enseignant-Chercheur en électronique numérique, INSA RennesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2241762024-03-20T16:01:18Z2024-03-20T16:01:18ZComment dépasser l’opposition entre écologie punitive et écologie réaliste ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/578711/original/file-20240228-28-sdi57d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=59%2C5%2C3902%2C2964&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Vouloir réglementer le transport et l'agriculture afin de réduire l'empreinte carbone de ces secteurs, est-ce nécessairement punir ? </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/part-aircraft-wing-blurry-shadow-airplane-2140528403">Burning Bright/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>« Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde » déplorait Albert Camus. Par les temps qui courent, c’est aussi, parfois, aggraver la crise environnementale. Une expression en est la preuve criante, celle d’« écologie punitive ». Elle a été employée en ce début d’année par le Premier ministre Gabriel Attal pour justifier le gel d’un certain nombre de normes environnementales s’imposant aux agriculteurs comme l’usage des produits phytosanitaires, la replantation des haies et l’entretien des zones humides. </p>
<p>Lors de son discours de politique générale donné le 30 janvier à l’Assemblée Nationale, le Premier ministre s’est ainsi réclamé d’une écologie réaliste, « populaire » et « à la française » qu’il a opposé explicitement à l’« écologie punitive » faite de normes et de contraintes rimant « avec nécessité plus qu’avec réalité ».</p>
<p>Mais est-ce que ça existe seulement l’« écologie punitive ? ». Et, si oui, est-il possible de l’opposer à « écologie réaliste » pour permettre au pays d’affronter la crise environnementale et climatique tout en ne condamnant pas un segment de la population à une adaptation impossible ?</p>
<h2>Écologie punitive ou normative ?</h2>
<p>Commençons par regarder d’un peu plus près ce qui est entendu par « écologie punitive. »</p>
<p>Si ce concept n’est jamais très bien défini, il est cependant régulièrement utilisé par certains partis politiques ou médias dans le but de <a href="https://www.hellocarbo.com/blog/compenser/ecologie-punitive/">discréditer</a> les politiques normatives de transition environnementale. </p>
<p>Lorsqu’on regarde de plus près ce qui est désigné par cette expression, on trouve cependant ce qui s’apparente plus à une écologie normative, faite de règles et de contraintes.</p>
<p>Or, cette caractéristique n’est pas propre aux lois environnementales : une grande partie des politiques publiques sont normatives : elles décrivent une règle contraignante mise au service d’un objectif social et une sanction en cas de non-respect de la règle. Ces règles et sanctions sont légitimes car délibérées et décidées collectivement dans un cadre démocratique. Les politiques de l’emploi reposent par exemple sur les règles juridiques du droit du travail qui imposent des contraintes aux employeurs et employés et sur le pouvoir de sanction des contrevenants notamment par les conseils des prud’hommes. </p>
<p>L’utilisation du terme <em>punitif</em> pour décrire des normes environnementales suggère cependant que celles-ci imposent aux acteurs économiques, entreprises, ménages ou agriculteurs une <a href="https://bonpote.com/lecologie-punitive-a-t-elle-un-sens/">relation de soumission</a> à un autoritarisme étatique asymétrique et abusif, là où il n’est en réalité question que de règle organisant la vie collective et de sanction prévue par la règle. </p>
<p>L’usage du terme <em>punitif</em> constitue dès lors peut-être surtout une exagération rhétorique au regard de la <a href="https://www.dalloz-actualite.fr/flash/l-efficacite-du-droit-de-l-environnement-toujours-en-debat">réalité de l’exercice du droit et des sanctions dans le domaine environnemental</a> et de la <a href="https://theconversation.com/loin-du-mythe-de-lecologie-punitive-la-faiblesse-des-polices-de-lenvironnement-223018">faiblesse des moyens contraignants</a> dont disposent en réalité les agents du contrôle et de la sanction.</p>
<h2>Les politiques de la transition doivent être à la fois normatives et réalistes</h2>
<p>Paradoxalement, à mille lieues des oppositions faites par Gabriel Attal entre contraintes et réalisme, les sciences sociales ont plutôt montré qu’une politique normative, pour avoir une chance de s’appliquer, se devait d’être… réaliste. </p>
<p>L’économie institutionaliste, récompensée par plusieurs prix Nobel (<a href="https://theconversation.com/in-memoriam-douglass-cecil-north-un-prix-nobel-a-linsatiable-curiosite-52736">Douglass North</a> et <a href="https://www.deboecksuperieur.com/ouvrage/9782804161415-gouvernance-des-biens-communs">Elinor Ostrom</a>) a ainsi montré que les hommes et les sociétés ont fabriqué des sanctions et des systèmes d’information sur les comportements pour que les règles définies par les institutions ou normes puissent être effectivement appliquées. </p>
<p>Vouloir rejeter la sanction reviendrait donc à rejeter l’ensemble de l’institution ou de la règle, c’est-à-dire à renoncer à réguler. </p>
<p>Prenons par exemple les pesticides. Nous savons aujourd’hui qu’ils représentent un danger pour la biodiversité, les hommes, et la confiance dans la qualité de ce que produisent les agriculteurs grâce à la terre qu’ils travaillent. Il parait donc nécessaire d’en réduire l’usage par des normes ou interdictions (comme l’ambitionnait initialement le plan « Ecophyto » et la ratification de l’<a href="https://www.gouvernement.fr/actualite/accord-historique-sur-la-biodiversite-cop15#:%7E:text=Ce%20contenu%20a%20%C3%A9t%C3%A9%20publi%C3%A9,la%20Premi%C3%A8re%20ministre%2C%20%C3%89lisabeth%20Borne.&text=Les%20pays%20du%20monde%20entier,%2C%20indispensables%20%C3%A0%20l%E2%80%99humanit%C3%A9.">Accord de la COP15 de la biodiversité</a>) tout en proposant des solutions aux agriculteurs afin qu’ils puissent continuer de valoriser les sols et nourrir les populations. Des compensations seraient pour cela nécessaires afin de prémunir les agriculteurs contre les risques de perte de production et de compétitivité qu’ils prennent en s’ajustant. </p>
<p>La régulation n’est donc pas une situation de gain mutuel immédiat, elle est conflictuelle et inégalitaire car elle génère des pertes pour certains souvent au bénéfice de tous. C’est justement ce bénéfice social net qui en justifie l’existence et qui donne un droit à une compensation pour les perdants. Selon une <a href="https://www.generations-futures.fr/actualites/sondage-pesticides/">récente enquête menée par Ipsos pour le Pesticide Action Network (PAN)</a> montre que 82,5 % des Français interrogés sont préoccupés par l’impact environnemental de l’utilisation de pesticides. Or si la punition associée à la baisse et à l’élimination de l’usage des pesticides par exemple est légitime et réaliste aux yeux d’une majorité de la population c’est aussi parce qu’elle apparaît facilement compensable car les perdants sont en nombre limité et bien identifiés. </p>
<p>En ce sens, la politique « réaliste » et « non-punitive » de dérégulation qu’a choisi le gouvernement pour traiter la crise agricole est en fait irréaliste et super-punitive à moyen et long terme car ses effets négatifs toucheront beaucoup plus de monde (humains et non-humains), et qu’ils ne seront pas facilement compensables en raison des coûts financiers et des <a href="https://www.cairn.info/revue-environnement-risques-et-sante-2020-2-page-93.htm">difficultés d’identification des perdants et de la taille de la perte</a></p>
<p>La punition potentiellement associée à la prétendue politique réaliste du gouvernement français est en fait bien plus importante et grave que celle qui consistait à maintenir la trajectoire de réduction des pesticides en compensant le petit nombre de perdants par des aides. </p>
<p>En d’autres termes, une politique écologique normative n’est réaliste que si elle incorpore ses effets sur l’ensemble de la population (incluant le coût de la compensation) et donc ses conditions d’acceptabilité présentes et futures par les populations cibles et non-cibles dans ses modalités d’application.</p>
<h2>Les politiques de la transition doivent être inclusives et systémiques</h2>
<p>La bonne nouvelle, dans cette période où l’environnement déchaîne des passions et où l’on crie à tout va à « l’écologie punitive », c’est que les ingrédients d’une politique de transition préservant l’ordre social et démocratique commencent à être de mieux en mieux connus car au centre de l’attention des sciences sociales de la soutenabilité. </p>
<p>Parmi eux, l’inclusion de la diversité des intérêts des parties prenantes, la persuasion via la production et diffusion des idées alignées avec les objectifs planétaires, la définition collective de régulations et compensations efficaces et justes devraient faire l’objet de toute l’attention des gouvernements. Toutes ces dimensions sont par exemple explicitement articulées dans trois projets de recherche sur les politiques de transition (<a href="https://www.sustainabilityperformances.eu/">SPES</a> (<em>sustainability, performances, evidence and scenarios</em>), <a href="https://toberesearch.eu/">ToBe</a> (<em>towards an economy for sustainable well-being</em>), et <a href="https://wisehorizons.world/"><em>Wise Horizon</em></a>) actuellement financés par l’Union européenne et impliquant tous des équipes françaises.</p>
<p>Même si plusieurs visions du chemin vers la transition peuvent s’opposer – croissance verte et juste ou post-croissance – et si plusieurs trajectoires de politiques publiques pour y parvenir sont sur la table – innovation ou sobriété –, les recherches des sciences sociales de la soutenabilité se rejoignent sur la nécessité de replacer au centre la question de l’acceptabilité sociopolitique de la rupture comportementale et politique que constitue la transition. </p>
<h2>Mieux penser, en amont, les compensations</h2>
<p>Il s’agit par exemple de mieux connaître les effets distributifs de la transition, c’est à dire qui sont les gagnants et qui sont les perdants d’une mesure de politique publique, et quel est le mécanisme et le montant de la compensation pour les perdants. On sait depuis la crise des « gilets jaunes » que l’augmentation de la taxe carbone sur les carburants pénalise plus les populations modestes et rurales parce qu’elles sont <a href="https://journals.openedition.org/popvuln/1327">plus dépendantes de l’automobile</a>. Pour être juste, l’incitation fiscale doit donc être associée à une compensation des populations lésées sous forme d’aide à la transition vers une mobilité décarbonée. </p>
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<img alt="https://www.Flickr.com/photos/computerhotline/44416865700" src="https://images.theconversation.com/files/578715/original/file-20240228-18-nhbvkz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/578715/original/file-20240228-18-nhbvkz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=196&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/578715/original/file-20240228-18-nhbvkz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=196&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/578715/original/file-20240228-18-nhbvkz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=196&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/578715/original/file-20240228-18-nhbvkz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=247&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/578715/original/file-20240228-18-nhbvkz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=247&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/578715/original/file-20240228-18-nhbvkz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=247&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le mouvement des « gilets jaunes », ici lors d’une mobilisation à Belfort en décembre 2018.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Thomas Bresson/Flickr</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>On sait égalemement que l’acceptabilité socio-politique de la transition repose assez largement sur la façon dont les différentes catégories de ménages appréhendent les arbitrages ou sacrifices qu’impose la bifurcation vers une société décarbonée. Il est donc urgent et stratégique de connaître précisément le prix que les différents groupes sociaux sont prêts à payer en termes de réduction de leurs consommations les plus carbonées pour améliorer leur cadre de vie et celui de leurs enfants. </p>
<p>Ce prix ne sera pas le même pour les classes modestes des zones rurales que pour les classes aisées des métropoles. Pour les premiers, la réduction de l’usage des moteurs thermiques est ainsi beaucoup plus coûteuse en termes de sacrifice que la diminution des voyages aériens, alors que c’est l’inverse pour les seconds.</p>
<p>Pour éviter que les normes ne soient perçues comme punitives, elles doivent être délibérées, négociées et faire l’objet d’un accord politique entre les différentes parties prenantes, de l’échelle internationale à l’échelle locale. Comme l’expliquent <a href="https://allary-editions.fr/products/david-djaiz-et-xavier-desjardins-la-revolution-obligee">David Daïz et Xavier Desjardins dans leur ouvrage récent <em>La Révolution obligée</em></a>, ces délibérations et négociations sur les normes peuvent être différenciées selon les territoires et leurs contraintes spécifiques. Dans ces conditions, chaque acteur percevra la norme comme acceptable, notamment parce que porteuse de bénéfices collectifs et individuels à court ou plus long terme.</p>
<p>Enfin, les exemples de l’intensification des migrations environnementales ou de la colère des agriculteurs face aux écarts de normes environnementales entre l’Europe et le <a href="https://www.gouvernement.fr/sites/default/files/document/document/2020/09/rapport_de_la_commission_devaluation_du_projet_daccord_ue_mercosur.pdf">Mercosur</a> démontrent que les enjeux sont systémiques, toute tension dans le domaine environnemental au niveau global ou régional se traduisant rapidement en tension politique, sociale et économique. </p>
<p>Un des principaux messages des sciences sociales de la transition est que la politique de transition vers la soutenabilité n’est pas une politique qui se superpose aux autres politiques sectorielles (agriculture, santé, emploi, innovation, protection sociale…) et en limite l’action par des normes et contraintes, mais plutôt un ensemble coordonné et intégré de politiques sectorielles qui dès leur conception intègrent l’impératif de transition. </p>
<p>Les politiques sociales doivent par exemple être repensées pour que les risques couverts par la solidarité facilitent la transition vers la sobriété. C’est ce que font les projets de fourniture de services de base universels lorsqu’au lieu de verser une subvention monétaire pour compenser les effets d’une taxe carbone sur les plus modestes, ils donnent un accès gratuit à des services de transport collectif propre ou à une énergie verte avec des <a href="https://iopscience.iop.org/article/10.1088/1748-9326/ac2cb1">résultats très positifs à la fois en termes de réduction de la vulnérabilité et de transition environnementale</a>. </p>
<p>Les politiques économiques et sociales des pays riches doivent donc être systémiques et inclusives, c’est-à-dire portées par un projet collectif et juste de transition vers un modèle économique, social et culturel soutenable pour toute la planète. Pour recueillir une adhésion suffisamment large et être capable de mobiliser les populations autour d’un ensemble aussi massif de changements des politiques et des comportements, ce projet doit paraître à la fois crédible c’est-à-dire être à la fois contraignant et légitime, et réalisable socialement et politiquement car perçu comme inclusif et juste par les différentes parties de la population.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224176/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Eric Rougier est membre de l'Association Française d'Economie du Développement</span></em></p>C'est un terme qui surgit régulièrement dans l'arène politique : celui d'écologie punitive ? Mais une telle notion existe-t-elle vraiment ? Et est-elle nécessairement à opposer à une écologie réaliste ?Eric Rougier, Professeur d'économie à l'université de Bordeaux et membre de Bordeaux School of Economics, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2217642024-03-12T16:04:05Z2024-03-12T16:04:05ZQuand les cormorans huppés collaborent avec les biologistes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/580672/original/file-20240308-30-hix4g6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C2619%2C2005&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Par les pelotes qu'ils rejettent, les cormorans livrent régulièrement de précieuses informations sur la biodiversité marine aux scientifiques.</span> <span class="attribution"><span class="source">Philippe Maes/Université Bretagne Sud</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Voici une pelote de réjection de cormoran huppé, <em>Gulosus aristotelis</em>, posée sur la vitre d’un scanner de bureau. Je l’ai ramassée avec beaucoup d’autres en mai 2012 sur l’îlot Er Valueg, non loin de l’île de Houat, à une quinzaine de kilomètres au large de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/bretagne-35081">côte du Morbihan</a>. Ces <a href="https://theconversation.com/fr/topics/oiseaux-20808">oiseaux</a> marins rejettent à peu près une pelote par jour sur les îlots qu’ils fréquentent toute l’année. Ils s’y retrouvent en période de reproduction mais aussi le reste du temps pour se toiletter, interagir socialement, digérer, dormir, et aussi… pour régurgiter des pelotes entre deux sessions de pêche en mer.</p>
<p>Les pelotes contiennent les restes non digérés des proies des cormorans. Ils attrapent et engloutissent tout ce qui bouge sous la surface de la mer : essentiellement des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/poissons-21149">poissons</a>, mais aussi des crevettes et d’autres crustacés. Parmi ces restes, on peut voir ici des fragments de crâne, des vertèbres et même, au centre de la pelote sur cette image, la petite bille transparente d’un cristallin, reste indigeste d’un œil de poisson.</p>
<h2>Récolteur de pelotes</h2>
<p>Si je suis devenu ramasseur de pelotes, c’est en fait pour étudier la biodiversité marine. Peu de recherches sont menées pour caractériser les peuplements de poissons côtiers, qui entrent largement dans le régime alimentaire d’<a href="https://www.documentation.eauetbiodiversite.fr/notice/00000000015df173f15a0ec0cffbb6ff">espèces exploitées par la pêche</a>. Ainsi, merlans, merlus, lieus, bars, des poissons habituels des étals de nos marchés, sont <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.0022-1112.2004.00400.x">des prédateurs de petites espèces côtières communes</a> tels le lançon ou le tacaud, sans grande valeur commerciale. De plus, ces petites espèces abondantes et ordinaires sont une composante essentielle de la biodiversité marine, un peu comme le sont les oiseaux communs de nos jardins. Ainsi leur suivi temporel à long terme permet de réaliser un état des lieux des écosystèmes et nous renseigne globalement sur leur évolution.</p>
<p>Il est donc intéressant de mieux connaître l’état des peuplements de ces espèces. L’abondance des différentes espèces fluctue-t-elle avec les saisons ? Ou d’une année à l’autre ? Est-elle dépendante de facteurs environnementaux comme la température et donc du réchauffement global ? Le biologiste peut aussi avoir besoin de mesurer certains paramètres biologiques de ces espèces comme leur vitesse de croissance ou encore de déterminer quelle est leur période de reproduction.</p>
<p>Mais pour répondre à ces questions, il faut des moyens en mer : bateaux, lignes, filets… Il faut aussi prélever des spécimens toute l’année, par tous les temps, en toutes saisons. Et répéter ces campagnes plusieurs années de suite, pour consolider les données. La méthode est à la hauteur du questionnement, mais coûte très cher et demande beaucoup de temps et d’énergie. Idéalement il faudrait, pour le chercheur biologiste que je suis, sous-traiter cette phase de prélèvements : trouver une main-d’œuvre motivée, compétente et capable d’échantillonner à bas coût par tout temps. Bref, il faut un plan B.</p>
<h2>Des déchets pleins de données</h2>
<p>La main-d’œuvre est justement fournie par les cormorans huppés et la pelote sur l’image montre comment ils nous font parvenir leurs échantillons. De fait, il est possible d’en ramasser tout au long de l’année sur les îlots de la côte sud-morbihannaise où stationnent les cormorans. Ensuite, au laboratoire, en triant et étudiant les restes non digérés qui s’y trouvent, nous obtenons des indices sur ce que ces oiseaux marins chassent et mangent, et donc sur les espèces de poissons présentes dans les zones prospectées.</p>
<p>Les éléments qui nous intéressent tout particulièrement ici sont les « otolithes » : ces petites concrétions blanches en forme d’écaille ou de pointe de lance visibles sur l’image. L’otolithe, littéralement « pierre d’oreille », fait partie de l’oreille interne des poissons osseux, organe de l’équilibre qui leur permet de capter et ressentir leurs mouvements dans les trois directions de l’espace.</p>
<p>La forme des otolithes est <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/journal-of-the-marine-biological-association-of-the-united-kingdom/article/abs/t-harkonen-guide-to-the-otoliths-of-the-bony-fishes-of-the-northeast-atlantic-256-pp-hellerup-denmark-danbiu-aps-1986-price-5200/9D245F52472A7FD0D81EB5262EDA427C">propre à chaque espèce de poisson</a>. Ce sont eux qui nous permettent d’identifier les proies des cormorans huppés, de les dénombrer, et même d’en calculer la taille ou la masse, celles-ci étant proportionnelles à la longueur de l’otolithe. On peut mentionner que ces otolithes enregistrent aussi les caractéristiques du milieu dans lequel a vécu le poisson, entre leurs cernes de croissance semblables à celles des arbres, <a href="https://www.inc.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/biodiversite-lotolithe-un-gps-chimique-dans-loreille-des-poissons">mais c’est une autre histoire</a>.</p>
<h2>Reconstituer les cycles de vie des petits poissons côtiers</h2>
<p>Notre suivi à long terme montre qu’une bonne vingtaine d’espèces différentes peuvent être capturées par les cormorans de la côte sud du Morbihan. Certaines sont présentes toute l’année, d’autres nettement saisonnières. C’est le cas du chabot par exemple, un poisson benthique (c’est-à-dire vivant sur le fond de l’océan). La <a href="https://cdnsciencepub.com/doi/10.1139/f70-227">littérature mentionne</a> que les chabots mâles, qui surveillent et défendent leurs œufs, ne fuient pas les prédateurs, voire même les attaquent, et ce quelle que soit leur taille. Ce comportement expliquant l’abondance d’otolithes de chabot dans les pelotes en hiver et la <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1095-8649.2002.tb02489.x">surmortalité des mâles à cette période</a>. Le gobie est capturé pour les mêmes raisons mais un peu plus tard que le chabot, <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1095-8649.2002.tb01743.x">sa reproduction s’étendant d’avril à août</a>.</p>
<p>Autre exemple : le tacaud commun, un poisson à croissance rapide se reproduisant en fin d’hiver. Ici, les adultes sont trop gros pour les cormorans, et les otolithes vus dans les pelotes à partir d’avril-mai correspondent exclusivement à la capture de jeunes tacauds de l’année. Leur croissance peut être déduite des longueurs d’otolithes mesurées au fil des mois. On sait ainsi que de mai à septembre leur croissance est linéaire et d’environ 7 cm. En déduisant la date correspondant à de jeunes tacauds de 0 cm, on peut aussi remonter à la date de ponte, qui se situe vers la 3<sup>e</sup> semaine de mars. Intéressant à savoir quand on sait que le tacaud est au menu du merlu, espèce pêchée et d’intérêt économique.</p>
<p>Sans s’en douter, le cormoran huppé est devenu un collaborateur, un auxiliaire du biologiste, fonctionnant comme un engin de pêche à maille fine rapportant dans ses pelotes un échantillonnage régulier et ininterrompu de petits poissons côtiers communs. Dans le contexte actuel, où les changements globaux impriment des modifications de plus en plus importantes dans le fonctionnement des écosystèmes, ce type de suivi à long terme fournit un jeu de données permettant de décrire un état biologique initial des écosystèmes côtiers. Cela permet de dresser une sorte de « point zéro » auquel se référer en cas de grosse variation climatique ou d’un accident environnemental imprévu. Ce travail de suivi permet de voir qu’en réalité, l’état initial est dynamique et caractérisé par de fortes variations saisonnières ou interannuelles.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221764/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Philippe Maes a reçu des financements de l'Agence des Aires Marines Protégées</span></em></p>Cette pelote, constituée des restes de proies non digérés par un cormoran, contient de précieuses données que les biologistes qui les ramassent utilisent pour suivre la biodiversité marine.Philippe Maes, Maître de conférences en biologie marine, Université Bretagne SudLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2239272024-03-01T16:30:15Z2024-03-01T16:30:15ZRevoir notre vision de la nature pour réconcilier biodiversité et agriculture<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/578652/original/file-20240228-24-g22th9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C5%2C3986%2C2982&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Deux approches s'opposent : celle du land sparing, qui veut séparer les espace agricoles et ceux de la biodiversité, et celle du land sharing, qui vise à combiner production agricole et conservation de la biodiversité sur les mêmes territoires</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/aerial-view-car-driving-on-road-1675885519">nblx/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>L’instant était qualifié d’historique par Ursula von der Leyen, elle-même. En <a href="https://france.representation.ec.europa.eu/informations/declaration-de-la-presidente-von-der-leyen-au-sujet-de-laccord-de-kunming-montreal-sur-la-2022-12-19_fr">décembre 2022</a>, la présidente de la Commission européenne se félicitait de l’<a href="https://theconversation.com/accord-de-kunming-montreal-sur-la-biodiversite-pourquoi-on-peut-vraiment-douter-de-son-efficacite-197183">accord de Kunming-Montréal</a> sur la biodiversité, dont la protection, soulignait-elle, est capitale à l’heure où « la moitié du PIB mondial dépend des services écosystémiques ». Les objectifs de ce traité étaient aussi précis qu’ambitieux : la protection de 30 % des zones terrestres et marines mondiales et la restauration de 30 % des écosystèmes dégradés.</p>
<p>Un an et demi plus tard, à l’échelle européenne, le report de mesures phares (<a href="https://agriculture.gouv.fr/derogation-lobligation-de-maintenir-des-jacheres-sur-les-terres-arables-pour-la-campagne-pac-2024">4 % de terres arables en jachère</a>, <a href="https://www.vie-publique.fr/questions-reponses/291363-glyphosate-une-autorisation-renouvelee-dans-lue-jusquen-2033">interdiction du glyphosate</a>, diminution de <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/metiers/agriculture/mise-en-pause-du-plan-ecophyto-les-ong-vent-debout-contre-le-possible-abandon-du-nodu_6363886.html">l’usage des pesticides</a>…) semble cependant sonner le glas d’une telle ambition. De quoi nous interroger : si les enjeux de protection de la biodiversité sont colossaux, les politiques qui la concernent sont-elles condamnées à cet incessant mouvement d’avancées trop rapidement qualifiées d’historiques et de reculs ? Comment comprendre de tels rétropédalages ?</p>
<p>On explique souvent ces revirements par les limites évidentes d’un système influencé par les intérêts commerciaux et financiers, mais une autre explication est peut-être à trouver dans la vision de l’écologie qui transparaît derrière ces ambitions : celle d’un humain forcément destructeur de la biodiversité. Partant d’un tel a priori, il convient de compartimenter l’espace, d’isoler l’humain de la « Nature » remarquable (dans la <a href="https://biodiv.mnhn.fr/fr/strategie-de-lue-pour-la-biodiversite-lhorizon-2030">stratégie pour la biodiversité 2030 par exemple</a>) et de lui imposer des règles pour <a href="https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20231031IPR08714/loi-sur-la-restauration-de-la-nature-les-deputes-concluent-un-accord">l’empêcher de détruire les autres espaces</a>, via les lois sur la restauration de 2023 par exemple. Cette écologie, qui ignore le poids des contextes socio-écologiques comme les dimensions géographiques et territoriales des problèmes, n’a guère de chance de réussir. Voici pourquoi.</p>
<h2>La dimension spatiale n’est pas bien pensée</h2>
<p>L’objectif phare de la <a href="https://biodiversite.gouv.fr/les-objets-phares-de-la-strategie-nationale-pour-la-biodiversite-2030">stratégie biodiversité 2030</a> de l’Union européenne consiste à protéger 30 % des terres et des mers de l’Union européenne, dont le tiers en protection stricte.</p>
<p>Cet objectif répond-il à une nécessité identifiée par les scientifiques ? il est permis d’en douter. De nombreux travaux d’écologues, s’ils soulignent les résultats obtenus pour la conservation d’espèces et d’écosystèmes remarquables,constatent dans le même temps que les aires de protection ne font souvent qu’atténuer la perte de biodiversité. Elles s’avèrent en outre peu adaptées au contexte du changement climatique qui devrait entraîner un déplacement des aires de répartition des espèces et des écosystèmes. Dès lors, est-il judicieux de se focaliser sur des aires de protection alors <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1461-0248.2011.01610.x">que 60 % des espèces actuellement présentes</a> dans les aires de protection européennes ne bénéficieront plus d’un climat adapté en 2080 ?</p>
<p>Cet objectif possède en outre l’inconvénient de concentrer l’attention et les crédits sur la biodiversité remarquable alors que depuis plus de 20 ans les travaux des écologues ont montré le <a href="https://journals.openedition.org/ethnoecologie/1979#tocto2n1">rôle décisif de la biodiversité ordinaire</a> dans le maintien de l’ensemble du vivant.</p>
<p>De plus, les aires de protection restent peu connectées entre elles car entourées d’espaces longtemps délaissés par les politiques de protection.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/578668/original/file-20240228-9454-s5xddp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/578668/original/file-20240228-9454-s5xddp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/578668/original/file-20240228-9454-s5xddp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/578668/original/file-20240228-9454-s5xddp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/578668/original/file-20240228-9454-s5xddp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/578668/original/file-20240228-9454-s5xddp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/578668/original/file-20240228-9454-s5xddp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’alouette des champs fait partie de ces espèces d’oiseaux autrefois ordinaire dans les plaines agricoles qui ont perdu en moyenne un individu sur trois en quinze ans.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Yann Brilland/Flickr</span></span>
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</figure>
<p>Une telle démarche avait déjà été critiquée lors de la COP15 par <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2022/12/biodiversity-cop15-biodiversity-deal-a-missed-opportunity-to-protect-indigenous-peoples-rights/">nombre d’associations</a> la considérant comme une émanation de la pensée conservationniste étasunienne, reposant sur la patrimonialisation d’une nature sauvage largement fantasmée. Or l’histoire nous montre que la réalisation d’une telle vision, s’est souvent traduite par la spoliation des terres des communautés locales. Elle paraît donc aujourd’hui inadaptée à bien des situations dans lesquelles les communautés locales vivent en partie de la biodiversité et l’entretiennent avec attention.</p>
<p>Pour les espaces « ordinaires » (notamment les espaces agricoles dégradés), l’UE s’appuie sur une approche de type « land sharing » selon laquelle l’ensemble des espaces doit combiner biodiversité et production agricole : introduction de <a href="https://agriculture.gouv.fr/sites/default/files/150209_fiche-sie_cle49c446.pdf">surfaces d’intérêts ecologiques</a> (haies, bandes enherbées, bosquets…), diminution de 50 % des pesticides, <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/bio-secteur-resilient-au-coeur-transition-alimentaire">25 % d’agriculture biologique sur l’ensemble du territoire</a>. Là encore, de nombreux travaux d’écologues et d’agronomes discutent le <a href="https://zslpublications.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/jzo.12920">bien-fondé d’une telle approche</a>.</p>
<p>Une étude récente menée <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0065250420300301">au niveau européen</a> montre que la coexistence d’espaces d’agriculture bio et conventionnelle adaptée est à privilégier et à équilibrer à l’échelle des territoires, tant en termes de productions agricoles qu’en termes de biodiversité, s’approchant ainsi plus du « land sparing » qui vise à compartimenter les espaces agricoles et les espaces réservés à la biodiversité. <a href="https://zslpublications.onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/jzo.12920">Certains auteurs</a> plaident également au niveau international pour une telle approche. Le débat est ainsi loin d’être clos sur le sujet dans la communauté scientifique avec nombre de travaux avançant l’idée d’une cohabitation des deux modèles en fonction des contextes propres aux différents socio-écosystèmes.L’<a href="https://www.inrae.fr/sites/default/files/pdf/etude-4-pour-1000-resume-en-francais-pdf-1_0.pdf">étude de l’Inrae</a> de 2019 sur le carbone dans le sol, indicateur important pour la biodiversité et pour la transition énergétique, conclut ainsi que « La solution la plus efficace est une combinaison de bonnes pratiques aux bons endroits, où chaque région contribue en fonction de ses caractéristiques ».</p>
<p>Faut-il dès lors imposer, sur l’ensemble d’un continent européen morcelé par l’histoire et la géographie, une approche uniformisante fondée sur une démarche quantitative à base d’objectifs chiffrés, de critères, et d’indicateurs bien peu pertinents pour caractériser les dynamiques du vivant et leurs multiples déclinaisons en fonction de contextes variés ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-oiseaux-victimes-collaterales-de-lintensification-agricole-en-europe-223495">Les oiseaux, victimes collatérales de l’intensification agricole en Europe</a>
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<h2>Une approche managériale incapable de mobiliser</h2>
<p>Ouvrir le débat est d’autant plus nécessaire que la stratégie européenne en faveur de la biodiversité peine à susciter l’adhésion.</p>
<p>Ses critères et indicateurs manquent également de justifications scientifiques. Protection légale de 30 % de la superficie terrestre, protection stricte de 30 % des zones protégées ; veiller à ce que 30 % des habitats dégradés atteignent un état favorable ; réduire de moitié l’utilisation de pesticides chimiques, gérer un quart des terres agricoles en agriculture biologique ; réduire l’utilisation des engrais de 25 %… L’accumulation des chiffres n’est pas une garantie de scientificité et le flou masque mal les approximations.</p>
<p>Le chiffre de 30 % est déjà considéré par certains comme insuffisant car il ne constituerait qu’une étape vers les 50 % – le <a href="https://reporterre.net/Pour-sauver-la-vie-sauvage-il-faut-lui-reserver-la-moitie-de-la-Terre">« Half Earth » cher au biologiste américain E.O. Wilson</a>. On ignore également ce que recouvre le terme « protection stricte » : libre évolution ou gestion conservatoire ? et qu’est-ce qu’un état favorable ? Certains, comme l’UICN, parlent de « protection stricte » (Zones I et II de la nomenclature UICN), quand les autres parlent de « protection forte » sans non plus définir véritablement ce terme. Ainsi, en France, par exemple, l’OFB parle de <a href="https://www.ofb.gouv.fr/la-strategie-nationale-pour-les-aires-protegees">1,8 %</a> du territoire national en protection forte, le gouvernement de <a href="https://aides-territoires.beta.gouv.fr/aides/proteger-et-restaurer-les-espaces-naturels-4/">4,2 %</a>.</p>
<p>Faute d’avoir été discutés, ces critères et ces indicateurs apparaissent comme une norme imposée d’en haut sans véritable fondement. L’approche quantitative est vite considérée comme technocratique et mise en cause dans son application : il ne suffit pas, par exemple, de planter une haie pour accroître la biodiversité ; il faut encore la planter avec des espèces différenciées, l’entretenir, la tailler au bon moment, hors des périodes de nidification, qu’elle soit connectée à d’autres haies, bref il faut avoir envie d’entretenir la haie. La quantité ne remplace pas la qualité.</p>
<p>Une telle approche par les seuls indicateurs ne fait au final que des mécontents : les agriculteurs conventionnels qui considèrent les normes comme des handicaps et les agriculteurs engagés dans la transition qui ne bénéficient pas du soutien qu’ils attendent. La démarche top-down se solde alors soit par des reculades comme celle que nous voyons actuellement, soit par des compromis boiteux tel celui qui fut adopté pour le Parc national des forêts en France avec l’autorisation d’exploitation du bois dans la zone cœur du parc et de la chasse dans la réserve dite intégrale normalement exempte de toute activité anthropique. Un compromis entre l’état et les acteurs locaux de la chasse et de la filière-bois qui marque, selon certains juristes, une <a href="https://www.cairn.info/revue-juridique-de-l-environnement-2020-1-page-81.htm">régression du droit de l’environnement</a>.</p>
<h2>Privilégier le processus, l’engagement, le commun</h2>
<p>Tous ces débats qui traversent le monde scientifique permettent d’esquisser une autre démarche que celle adoptée par l’UE.</p>
<p>Davantage qu’un plan d’action prédéfini, c’est d’une <a href="https://library.oapen.org/handle/20.500.12657/87556">démarche réellement stratégique</a> dont l’Europe a besoin. Il faut bien évidemment développer l’agriculture écologique mais fixer un seuil de 25 % sans connaître l’état futur du marché et de la demande revient à prendre un risque considérable pour la filière agroécologique. Les épisodes récents avec la guerre en Ukraine et la crise agricole soulignent que le réel n’est que rarement conforme aux plans d’action.</p>
<p>Pour que cette stratégie soit efficace, elle se doit également de susciter l’adhésion, de favoriser les engagements en faveur du vivant. Tous les travaux de recherche fondés sur l’étude de cas pratiques soulignent combien <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0006320718306700">l’adhésion des populations</a> est une condition du succès des actions entreprises. Pourquoi ne pas valoriser davantage l’agriculture de conservation et les pratiques innovantes qui, dans l’agriculture productiviste, permettent de limiter les impacts négatifs voire de protéger un compartiment essentiel de la biodiversité à savoir le sol ? Mieux cibler par ailleurs les aides aux agriculteurs engagés dans la transition, leur assurer une visibilité à long terme est également indispensable.</p>
<p>Sortir enfin d’une démarche qui individualise les choix, qui laisse les agriculteurs souvent seuls face aux difficultés pour soutenir les initiatives territoriales qui existent déjà ou qui cherchent à se développer et qui associent agriculture écologique – biodiversité – alimentation et santé. De tels dispositifs existent déjà (<a href="https://www.ofb.gouv.fr/territoires-engages-pour-la-nature">Territoires engagés pour la Nature</a>, <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/territoires-energie-positive-croissance-verte">territoires à énergie positive</a>…) mais restent peu soutenus et peu reconnus. Les développer et les soutenir constituerait un levier d’action pertinent et permettrait la structuration des réseaux d’acteurs motivés.</p>
<p>La politique de l’Union européenne, dans le droit fil de la COP 15, résulte très largement d’une expertise, celle des grandes ONG, qui masque les débats et les interrogations traversant le monde scientifique. Ces débats laissent entrevoir en creux la possibilité d’une écologie humaniste qui prenne en compte les dynamiques en partie incertaines du vivant (humain compris), la diversité des contextes et des histoires et la nécessité de rassembler les énergies <a href="https://www.jstor.org/stable/26677964">pour dépasser les blocages et les verrouillages</a>. Si l’on veut bien sortir d’une approche qui fonctionne de manière indifférenciée avec des objectifs, des critères et des indicateurs, guère pertinents pour tracer les chemins du changement, peut-être pourra-t-on alors dépasser les fausses oppositions, les manipulations et les simplifications et laisser place aux vraies questions.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223927/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Simon est expert au sein de "La Fabrique Ecologique"</span></em></p>Un dilemme continue d’animer la recherche sur la biodiversité. Faut-il séparer les espaces agricoles et ceux de la biodiversité, ou combiner production agricole et conservation sur les mêmes terres ?Laurent Simon, Professeur émérite en géographie de l’environnement, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2235892024-02-26T15:51:13Z2024-02-26T15:51:13ZÀ la découverte du meilleur poivre du monde<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/577361/original/file-20240222-22-jhwzut.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=53%2C0%2C6000%2C3961&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">À Madagascar, le voatsiperifery est un poivre sauvage endémique qui suscite les convoitises. Mais son exploitation s'accompagne d'un destruction de son milieu.</span> <span class="attribution"><span class="source">Jérome Queste/Cirad</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Le voatsiperifery : quelle est donc cette nouvelle épice au nom imprononçable, <a href="https://www.facebook.com/100044563800645/posts/10158492682644935/">coup de cœur de la cheffe triplement étoilée Anne-Sophie Pic</a> ? Il s’agit du poivre sauvage de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/madagascar-24701">Madagascar</a>, une épice endémique de l’île devenue populaire il y a une quinzaine d’années. </p>
<p>Considéré comme un des meilleurs poivres au monde, il possède un goût d’une subtilité rarement égalée, plus de saveurs et de senteurs et moins de piquant que les autres poivres. Une fois séchées, les baies dégagent des arômes à la fois boisés, terreux et fruités ; fraîches, ses saveurs et senteurs sont encore plus équilibrées. Le voatsiperifery est l’illustration parfaite des services écosystémiques dits <a href="https://www.millenniumassessment.org/documents/document.354.aspx.pdf">« culturels »</a> que fournissent les forêts naturelles de Madagascar et leur biodiversité.</p>
<h2>De la médecine à la gastronomie</h2>
<p>Si le voatsiperifery ne contribue pas à la sécurité alimentaire, il fournit cependant un plaisir gustatif à des gastronomes du monde entier ; une raison de plus d’investir dans la conservation de la biodiversité. <a href="https://doi.org/10.17660/th2017/72.6.1">Sa cueillette constitue une source de revenus</a> pour les paysans vivant en lisière de forêts, notamment durant la période de soudure, période entre deux récoltes durant laquelle les gens n’ont presque pas à manger : les récoltes précédentes sont épuisées et les suivantes ne sont pas encore disponibles.</p>
<p>Il est aussi le parfait ambassadeur de Madagascar. C’est la <a href="https://doi.org/10.1007/s10457-022-00732-z">seule épice exportée de Madagascar</a> qui soit endémique de la grande île. Ce poivre sauvage est une petite baie ronde ou ovoïde. Ces baies s’organisent en grappes qui poussent sur de grandes lianes dans les forêts naturelles humides orientales de Madagascar, des littorales jusqu’aux hautes terres centrales. <a href="https://doi.org/10.17660/th2017/72.6.1">La plante est dioïque</a>, c’est-à-dire que les fleurs mâles et femelles sont portées par des pieds distincts.</p>
<p>En malgache, <em>voatsiperifery</em> est la contraction de « voa » qui signifie fruit et de tsiperifery signifie « qui fait que les plaies n’existent pas ». Ce nom provient de l’usage médicinal de cette plante pour <a href="https://www.fofifa.mg/wp-content/uploads/2021/01/Th%C3%A8seVF_Rharizoly_EDGRND_compressed.pdf">cicatriser les plaies</a> et désigne la baie elle-même, alors que <em>tsiperifery</em> est le nom donné à la plante. De la famille des pipéracées, le voatsiperifery est un cousin du poivre noir (<em>Piper nigrum</em>) et a été un temps assimilé au <em>Piper borbonense</em> de l’île de La Réunion. Cependant, à l’heure où nous écrivons cet article, le tsiperifery n’a en revanche toujours pas de nom scientifique valide.</p>
<h2>Une histoire qui s’accélère</h2>
<p>Les premières références écrites à la liane de tsiperifery remontent à l’époque coloniale. Des écrits du XIX<sup>e</sup> siècle et du début du XX<sup>e</sup> siècle décrivent un poivre rond utilisé localement à des fins médicinales, pour soigner des maladies vénériennes, des coliques et pour noircir les dents. Des spécimens collectés par les premiers explorateurs européens sont conservés au Muséum national d’histoire naturelle de Paris.</p>
<p>Les populations riveraines des forêts exploitent et utilisent de façon traditionnelle le tsiperifery pour ses valeurs culinaires, médicinales mais aussi culturelles et spirituelles. Les feuilles sont utilisées dans des rites pour se protéger de la foudre et empêcher la pluie de tomber. Les tiges et racines sont préparées dans des tisanes contre les mauvais sorts. En plus d’être un bon cicatrisant, <a href="https://doi.org/10.17660/th2017/72.6.1">il est utilisé pour soigner des maladies respiratoires, vénériennes, dermatologiques et les troubles sexuels</a>.</p>
<p>Les qualités gustatives exceptionnelles du tsiperifery sont découvertes entre 2004 et 2010, par deux « découvreurs d’épices », Olivier Roellinger et Gérard Vives. À compter de 2010, la demande explose et déclenche une ruée vers ce poivre sauvage. L’exploitation de cette ressource s’appuie sur les circuits de collecte existants : les cueilleurs s’enfoncent en forêt et vendent des baies fraîches à des collecteurs. Ces derniers collectent tout type de produit forestier et les revendent à des opérateurs économiques qui assurent la transformation, l’ensachage et l’exportation. Ces derniers capturent l’essentiel de la rente de la chaîne de valeur.</p>
<p>Mais la cueillette de ce poivre sauvage est difficile. En forêt naturelle, les lianes fructifient très haut dans la canopée. Arracher la liane fructifère, voire abattre l’arbre qui lui sert de tuteur est alors la solution la plus simple. À peine découvert, le poivre sauvage se voit déjà menacé de disparition et contribue à la destruction de son habitat.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/577914/original/file-20240226-18-e3jz30.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Liane adulte de tsiperifery grimpant le long d’un arbre en forêt" src="https://images.theconversation.com/files/577914/original/file-20240226-18-e3jz30.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/577914/original/file-20240226-18-e3jz30.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=942&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/577914/original/file-20240226-18-e3jz30.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=942&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/577914/original/file-20240226-18-e3jz30.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=942&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/577914/original/file-20240226-18-e3jz30.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1184&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/577914/original/file-20240226-18-e3jz30.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1184&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/577914/original/file-20240226-18-e3jz30.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1184&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le tsiperifery est une liane qui pousse haut le long des arbres, rendant la récolte des baies difficile.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Harizoly Razafimandimby/FOFIFA</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dès 2010, des chercheurs malgaches et français, dont nous faisons partie, initient <a href="https://doi.org/10.1051/cagri/2021009">plusieurs programmes de recherche</a> interdisciplinaires pour acquérir, dans l’urgence, les connaissances permettant d’accompagner le développement de la filière d’exportation du tsiperifery. Ces recherches portent sur la <a href="https://www.fofifa.mg/wp-content/uploads/2021/01/Th%C3%A8seVF_Rharizoly_EDGRND_compressed.pdf">biologie et l’écologie des lianes</a>, sur son <a href="https://www.forets-biodiv.org/content/download/4770/35531/version/1/file/RAHERINJATOVOARISON+2017+Aire+de+distribution.pdf">aire de distribution</a>, l’économie de <a href="https://www.forets-biodiv.org/content/download/4771/35535/version/1/file/Rakotomalala+2017+Filiere+tsiperifery+et+encastrement.pdf">leur chaîne de valeur</a> et sur la <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0031942221002351">chimie de leur transformation</a>. Ces recherches aboutissent à la production de <a href="https://www.forets-biodiv.org/productions/ouvrages/guides-de-bonnes-pratiques-tsiperifery">guides de bonnes pratiques pour la culture et la transformation du tsiperifery</a>.</p>
<h2>La culture du tsiperifery en forêt naturelle</h2>
<p>À l’instar d’autres produits forestiers non ligneux (PFNL) comme les champignons, certaines écorces ou le miel, les retombées de l’exploitation du tsiperifery devraient bénéficier aux populations riveraines de forêts qui sont en grande précarité. C’est en tout cas le principe à l’origine du protocole de Nagoya, qui traite notamment du partage juste et équitable des résultats de recherches ou financiers liés à l’exploitation des ressources. En pratique, la <a href="http://www.ecologyandsociety.org/vol11/iss2/art20/">durabilité de l’exploitation des PFNL est controversée</a>.</p>
<p>Dans le cas du tsiperifery, les techniques de cueillette s’avèrent destructives. Dans les forêts malgaches, les <a href="http://www.jstor.org/stable/1724745">PFNL sont traditionnellement en accès libre</a>, donc rapidement surexploités. La faiblesse de l’État malgache rend illusoire toute forme de régulation étatique. Les instruments de régulation des filières comme la certification butent sur le vide juridique qui encadre la collecte de produits sauvages en forêt.</p>
<p>Les travaux de recherche en cours visent à sortir de ce paradigme en <a href="https://doi.org/10.17660/th2021/76.3.3">accélérant le processus de domestication du tsiperifery</a>, à l’instar de ses cousins pipers. Des lianes cultivées sont susceptibles d’être considérées comme des ressources privées ou associatives, protégées par ceux qui les exploitent. <a href="http://www.ecologyandsociety.org/vol5/iss2/art13/">Cette promesse plausible</a> a servi de principe d’action à <a href="https://doi.org/10.1051/cagri/2017059">deux programmes de recherche concertée</a> menés par le Cirad et le FOFIFA en concertation avec quatre villages de cueilleurs de voatsiperifery.</p>
<p>Dans deux d’entre eux, la concurrence avec d’autres cultures plus lucratives – la vanille et les fruits de la passion – a conduit à un abandon de la tentative de domestication. Dans les deux autres, les recherches ont permis de <a href="https://doi.org/10.17660/ActaHortic.2023.1362.80">maîtriser les premières étapes de multiplication par bouturage et germination</a>.</p>
<p>Les premières enquêtes conduites trois ans après la replantation de lianes en forêt mettent en évidence une forte augmentation de la densité en lianes de tsiperifery, y compris dans des zones hors plantation. Les riverains de la forêt ont donc cessé d’arracher les lianes, en replantent et opèrent une surveillance des parcelles forestières qui les abritent. Le tsiperifery y a changé de statut. De liane sauvage en libre accès, il devient un argument en faveur de la conservation de la forêt.</p>
<p>Le chemin vers la domestication du poivre sauvage reste cependant encore long. Il faut à présent investir des aspects agronomiques comme la fertilisation, la sélection variétale et la protection des cultures. Au niveau de la filière, les paysans ne cultiveront du tsiperifery que s’ils sont convaincus de pouvoir écouler leurs produits à un prix acceptable. Une évolution des relations entre amont et aval de la filière semble nécessaire à cet égard.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223589/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jérôme Queste travaille au Cirad. Cet établissement de recherche public français a reçu des financements de l'Union Européenne et de la société Solina pour la mise en œuvre de recherches sur le tsiperifery. D'autres financements de l'Agence Nationale de la Recherche, des sociétés Yves Rocher et l'Oréal ont été perçus pour développer des recherches sur d'autres produits forestiers non ligneux à Madagascar.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Harizoly Razafimandimby a reçu des financements de International Foundation for Science.</span></em></p>Poivre sauvage endémique de Madagascar, le voatsiperifery est une épice prisée des grandes tables. Mais son exploitation doit réussir à préserver son milieu et garantir aux producteurs une rémunération juste.Jérôme Queste, Sociologue, CiradHarizoly Razafimandimby, Maître de Recherche Gestion des Ressources Naturelles et Développement, FOFIFALicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2238902024-02-22T15:39:42Z2024-02-22T15:39:42ZQue sait-on sur les captures accidentelles de dauphins dans le golfe de Gascogne, et pourquoi est-il si difficile de les éviter ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/577272/original/file-20240222-26-y4ku3i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C2500%2C1328&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les dauphins retrouvés échoués présentent très souvent des signes de capture accidentelle, causée par différents dispositifs de pêche.</span> <span class="attribution"><span class="source">Hélène Peltier/Pelagis/La Rochelle Université/CNRS</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Les petits cétacés (marsouins et <a href="https://theconversation.com/fr/topics/dauphins-37180">dauphins</a>) ont longtemps été abattus comme concurrents directs de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/peche-21609">pêche</a>, ou capturés pour la consommation humaine dans le golfe de Gascogne, avant d’être légalement protégés en France à partir de 1970. Leur statut de protection a été renforcé à l’échelle européenne en 1992. Néanmoins, des mortalités importantes de dauphins dues aux activités humaines perdurent.</p>
<p>Ainsi, bien que les pics d’échouages traduisant des surmortalités soient documentés depuis les années 80, le nombre d’échouages de petits cétacés sur les côtes du golfe de Gascogne a fortement augmenté depuis 2016 atteignant des niveaux jamais observés en 40 ans. Ces pics d’échouages surviennent majoritairement en hiver (décembre à mars).</p>
<iframe title="Nombre de dauphins communs échoués en hiver (décembre à mars) sur le littoral de la Manche au Pays Basque, de 2000 à 2023" aria-label="Column Chart" id="datawrapper-chart-FTgio" src="https://datawrapper.dwcdn.net/FTgio/1/" scrolling="no" frameborder="0" style="border: none;" width="100%" height="400" data-external="1"></iframe>
<p>La plupart des cétacés échoués morts sont des dauphins communs à bec court, <em>Delphinus delphis</em>. Ils présentent des traces de capture (lésions externes et internes causées par les engins de pêche, la manipulation des animaux à bord des bateaux et une mort d’origine traumatique) dans environ <a href="https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fmars.2021.617342/full">70 % des échouages et jusqu’à plus de 90 % lors de certains pics hivernaux</a>.</p>
<p>D’après les données récoltées par les observateurs scientifiques à bord des bateaux, les captures accidentelles de petits cétacés ont lieu avec plusieurs types d’engins, incluant des filets fixes calés au fond, mais aussi des chaluts pélagiques, c’est-à-dire tractés en pleine eau, et des chaluts de fond à grande ouverture verticale. Les individus capturés sont remontés morts, et sont rejetés à la mer par l’équipage (ce qui est exigé par la réglementation) ou se décrochent et tombent à l’eau au moment de la remontée de l’engin.</p>
<p>Le dauphin commun est l’espèce de petits cétacés la plus abondante dans l’Atlantique nord-est. Les indices d’abondance issus de campagnes de survols aériens ne concluent pas aujourd’hui à une diminution de la population en nombre d’individus, mais les connaissances sur l’état et la dynamique de cette population restent encore limitées. <a href="https://ices-library.figshare.com/articles/report/EU_request_on_mitigation_measures_to_reduce_bycatches_of_common_dolphin_Delphinus_delphis_in_the_Bay_of_Biscay_ICES_Subarea_8_/23515176">Les récents travaux du Conseil international pour l’exploitation de la mer</a> (CIEM), de la <a href="https://oap.ospar.org/en/ospar-assessments/quality-status-reports/qsr-2023/indicator-assessments/marine-mammal-bycatch/">convention OSPAR</a> et de la directive-cadre stratégie pour le milieu marin ont cependant conclu que le niveau actuel de captures n’est pas soutenable à long terme pour cette population. Ce diagnostic est corroboré par la <a href="https://theses.hal.science/tel-03957142/">baisse de l’âge des animaux échoués</a>, signalant une baisse de l’espérance de vie des dauphins.</p>
<p>Les accords de protection de la biodiversité signés par la France ainsi que plusieurs règlements et directives européennes, dont la politique commune de la pêche, imposent de prendre des mesures. Saisie par 26 ONG en 2019, la Commission européenne a ainsi entamé, dès 2020, une procédure d’infraction contre la France et l’Espagne pour inaction dans la réduction des captures de dauphins communs dans cette zone. Considérant comme insuffisantes les actions mises en œuvre au niveau national depuis, trois ONG françaises ont saisi le Conseil d’État début 2023.</p>
<h2>Des mesures insatisfaisantes</h2>
<p>Le 20 mars 2023, le <a href="https://www.conseil-etat.fr/actualites/captures-accidentelles-de-dauphins-et-marsouins-le-gouvernement-doit-agir-sous-6-mois-pour-garantir-leur-survie-dans-le-golfe-de-gascogne">Conseil a ordonné au gouvernement</a> de prendre des mesures, dans un délai de six mois, pour limiter les captures accidentelles de petits cétacés par les activités de pêche dans le golfe de Gascogne. Cette injonction a abouti à l’interdiction de pêche pour tous les bateaux de plus de 8 mètres équipés d’engins présentant des risques de capture de dauphins du 22 janvier au 20 février 2024, une période où la surmortalité est maximale selon la moyenne des pics d’échouages observés au cours des années récentes. Cette mesure devrait être reconduite en 2025 et 2026.</p>
<p>Le constat de risque de conséquences négatives, tant sociales que psychologiques ou économiques de cette mesure d’urgence pour les pêcheurs et l’ensemble des filières amont et aval (activités portuaires, criées, poissonneries, consommateurs…) est largement partagé, <a href="https://ices-library.figshare.com/articles/report/EU_request_on_mitigation_measures_to_reduce_bycatches_of_common_dolphin_Delphinus_delphis_in_the_Bay_of_Biscay_ICES_Subarea_8_/23515176">y compris par les scientifiques</a>.</p>
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<p>De plus, au vu des connaissances actuelles, <a href="https://ices-library.figshare.com/articles/report/EU_request_on_mitigation_measures_to_reduce_bycatches_of_common_dolphin_Delphinus_delphis_in_the_Bay_of_Biscay_ICES_Subarea_8_/23515176">cette mesure ne peut pas non plus être considérée comme suffisante</a> pour atteindre les objectifs de conservation de l’espèce. Son efficacité dépend notamment de facteurs difficilement prévisibles, tels que la présence effective des dauphins et de leurs proies dans les zones concernées lorsque la pêche est interdite. Cette mesure d’urgence n’apparaît donc pas comme une solution satisfaisante, et impose de réfléchir à la mise en place de mesures alternatives, qui permettraient d’assurer à long terme l’équilibre socio-économique de la pêche et la viabilité des populations de cétacés dans le golfe de Gascogne. Mais l’élaboration de solutions efficaces nécessite de mieux comprendre les circonstances des captures : quelles pratiques de pêche les favorisent ? Quels changements dans le comportement des dauphins ou les processus écologiques et halieutiques ont entraîné l’augmentation des captures accidentelles depuis 2016 ?</p>
<p>Ces questions écologiques et techniques ont motivé le développement de différents projets de recherche, dont le plus vaste est le <a href="https://delmoges.recherche.univ-lr.fr/">projet de recherche Delmoges</a> (2022-2025), porté par La Rochelle Université, le CNRS et l’Ifremer en partenariat avec l’Université de Bretagne occidentale (UBO) et le Comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM). Les survols aériens confirment que la distribution des dauphins a changé, avec une présence côtière plus importante. Les dauphins communs sont ainsi plus présents dans la partie interne du plateau continental où se concentrent les activités de pêche. Ils seraient alors exposés à une pression de pêche plus importante et à un risque plus élevé de captures accidentelles. Dans Delmoges, une hypothèse étudiée pour expliquer ce changement est un lien possible avec la modification de leur « paysage alimentaire ».</p>
<h2>Comprendre où vivent les proies des dauphins</h2>
<p>Une campagne scientifique a été réalisée en février 2023 dans le cadre de ce projet, afin de cartographier pour la première fois simultanément les dauphins communs et leurs proies préférentielles (petits poissons pélagiques, c’est-à-dire nageant en bancs en pleine eau : anchois, sardines, etc.) en hiver, lors du pic d’échouages. Des survols aériens et une campagne à la mer avec le drone de surface DriX menés dans la zone centrale du golfe de Gascogne ont confirmé que les dauphins et leurs proies étaient distribués majoritairement près des côtes en hiver, au-dessus de fonds inférieurs à 100 m.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/577099/original/file-20240221-16-duvqqp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/577099/original/file-20240221-16-duvqqp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/577099/original/file-20240221-16-duvqqp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=848&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/577099/original/file-20240221-16-duvqqp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=848&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/577099/original/file-20240221-16-duvqqp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=848&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/577099/original/file-20240221-16-duvqqp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1066&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/577099/original/file-20240221-16-duvqqp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1066&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/577099/original/file-20240221-16-duvqqp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1066&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Carte de l’abondance des dauphins communs (ronds bleus) et de leurs proies (gradient de couleur). Campagne Delmoges février 2023. Crédit .</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ifremer, Mathieu Doray</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Les scientifiques ont détecté pour la première fois la présence de bancs très étendus de petits poissons pélagiques, concentrés sous forme de couches denses très près du fond. À cette saison ces fortes concentrations de proies ne sont pas ciblées par les pêcheurs, qui pêchent surtout des espèces de fond telles que la sole et le merlu. Mais elles pourraient inciter les dauphins à plonger pour se nourrir très près du fond, dans la zone d’action des filets. Ces agrégations de proies proches du fond pourraient ainsi augmenter le risque de captures accidentelles de dauphins, mais les processus à fine échelle menant aux captures restent encore à identifier. L’évolution éventuelle du régime alimentaire des dauphins depuis vingt ans est également étudiée afin d’approfondir ces hypothèses.</p>
<p>Le projet Delmoges vise également à étudier l’évolution de la population à long terme, en cherchant en particulier à déterminer si les dauphins communs occupant le plateau continental du golfe de Gascogne constituent une population distincte de celle des dauphins occupant les eaux océaniques plus au large. Si tel était le cas, les captures accidentelles représenteraient alors un risque plus important pour la pérennité de cette population. D’autre part, les scientifiques de Delmoges évaluent l’état de santé des dauphins capturés, en mesurant notamment les contaminants dans leurs tissus.</p>
<p>Concernant les pratiques de pêche, les données disponibles ne permettent pas une compréhension fine des circonstances et engins causant le plus de captures accidentelles. En effet, la déclaration de ces captures, pourtant obligatoire, a été et reste largement insuffisante – une réticence des professionnels qui peut être pour partie liée à une peur de l’exposition publique et nominative de ceux qui déclareraient. Des programmes de caméras embarquées (<a href="https://professionnels.ofb.fr/fr/node/1624">projet OBSCAMe</a>) et d’observation en mer sont déployés à la place, à bord de navires volontaires, pour apporter des éléments de réponse statistique sur de possibles changements dans les pratiques et les efforts de pêche, et identifier l’importance relative de chaque pêcherie dans les mortalités totales. Restaurer la confiance, la coopération et la transparence de tous les acteurs apparaît aujourd’hui indispensable pour partager une compréhension commune des mécanismes conduisant à ces captures accidentelles et progresser vers l’identification de mesures à la fois plus ciblées et plus efficaces.</p>
<p>Parmi elles, les solutions techniques de signaux acoustiques (effaroucheurs, communément appelés « pingers », ou balises) sont privilégiées par les professionnels et explorées avec eux dans divers projets de recherche (projets LICADO, PIFIL, Dolphinfree en particulier, également en collaboration avec l’Université de Montpellier), pour être spécifiquement adaptées à la situation du golfe de Gascogne. Les défis technologiques sont nombreux, car il faut à la fois comprendre et reproduire la gamme des signaux acoustiques émis par les dauphins, limiter les temps d’émission acoustique au strict minimum pour éviter les phénomènes de pollution sonore et d’habituation, et encapsuler tout cela dans des dispositifs performants, à forte autonomie de charge, faciles d’utilisation par les pêcheurs et à coût acceptable. Des progrès importants ont été réalisés autour de tels dispositifs « intelligents », mais les tests en conditions réelles avec des pêcheurs doivent être poursuivis pour mesurer leur efficacité et optimiser leur utilisation.</p>
<p>Au sein du projet Delmoges, les progrès sur la compréhension du phénomène de capture, obtenus grâce à ces différents travaux, alimentent la réflexion sur des alternatives aux mesures d’urgence actuelles. La volonté du monde de la pêche est forte pour trouver des solutions lui permettant de réduire son impact sur les dauphins. La combinaison de diverses options telles que des interdictions de pêche temporaires ciblées, l’utilisation de balises acoustiques spécifiques aux dauphins, et des mesures incitatives expérimentées dans d’autres pêcheries à travers le monde est à l’étude pour élaborer des scénarios théoriques de réduction des captures accidentelles. Une évaluation de l’impact des différents scénarios est en cours, estimant leur effet attendu sur l’écosystème, mais aussi leurs conséquences économiques et sociales. Le but est de rechercher des compromis entre la conservation de la biodiversité et l’exploitation des ressources, acceptables tant par les professionnels de la mer que par la société.</p>
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<p><em>Cet article a été écrit avec l’aide de Matthieu Authier, Tiphaine Chouvelon, Olivier Van Canneyt, Marion Pillet, et Vincent Ridoux (La Rochelle Université) ; Manuel Bellanger, Germain Boussarie, Thomas Cloâtre, Mathieu Doray, Laurent Dubroca, Robin Faillettaz, Sophie Gourguet, Emilie Leblond, Yves Le Gall, et Sigrid Lehuta (Ifremer), Bastien Merigot (Université de Montpellier) ; Amélia Viricel (Université de Bretagne occidentale).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223890/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Le travail sur lequel se base cet article a été soutenu par le projet Delmoges, cofinancé par le Ministère de l'Ecologie, les Directions DGAMPA (Pêche et Aquaculture) et DEB (Biodiversité Aquatique) et l'Association du Secteur de la Pêche (FFP - France Filière Pêche).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Hélène Peltier a reçu des financements de du Ministère en charge de environnement (Direction de l'Eau et de la Biodiversité, DEB), de l'Office Français de la Biodiversité et de l'Union Européenne. Delmoges est un programme co-financé par la DEB, la DGAMPA (Direction générale des affaires maritimes, de la pêche et de l'aquaculture) et France Filière Pêche.
Elle a également été co-chair du "Workshop on mitigation measures to reduce bycatch of short-beaked common dolphins in the Bay of Biscay" du CIEM en 2022.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Spitz Jérôme a reçu des financements du Ministère en charge de environnement (Direction de l'Eau et de la Biodiversité, DEB), de l'Office Français de la Biodiversité et de l'Union Européenne. Delmoges est un programme co-financé par la DEB, la DGAMPA (Direction générale des affaires maritimes, de la pêche et de l'aquaculture) et France Filière Pêche.</span></em></p>Le nombre de dauphins retrouvés échoués sur les côtes du Golfe de Gascogne n’a jamais été aussi élevé. Comment éviter la catastrophe ?Clara Ulrich, Coordinatrice des expertises halieutiques, IfremerHélène Peltier, Conservation des prédateurs supérieurs marins, La Rochelle UniversitéJérôme Spitz, Ecologie et conservation des prédateurs marins, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)Pierre PETITGAS, Adjoint Director, Marine Biological Resources and Environment, IfremerLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2235722024-02-20T14:42:26Z2024-02-20T14:42:26ZLes bernard-l’ermite déménagent dans des déchets plastiques… et intriguent les scientifiques<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/575576/original/file-20240129-15-j4gupx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les bernard-l'ermite utilisent de plus en plus le plastique (et d'autres déchets) pour se protéger.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/hermit-crab-carrying-plastic-bottle-cap-1962035515">metamorworks/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Les bernard-l’ermite terrestres utilisent des bouchons de bouteille, des morceaux d’ampoules électriques ou même de bouteilles en verre cassées à la place des coquilles.</p>
<p>C’est ce que montre une récente étude menée par des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0048969723075885">chercheurs polonais</a>, qui ont étudié 386 images de bernard-l’ermite occupant ces coquilles artificielles. Les photos ont été analysées par ces scientifiques grâce à une approche connue sous le nom de <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S016953472030077X">« iEcology », ou écologie Internet</a>, qui se base sur des photographies collectées à d’autres fins que des fins de recherche. Sur les 386 photos, la grande majorité (326 cas) montrait des bernard-l’ermite utilisant des objets en plastique comme abri.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-pollution-par-microplastiques-est-partout-mais-on-connait-mal-ses-effets-sur-la-faune-130757">La pollution par microplastiques est partout, mais on connaît mal ses effets sur la faune</a>
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<p>À première vue, il s’agit d’un exemple révélateur de la façon dont les activités humaines peuvent modifier le comportement des animaux sauvages, et même la façon dont les <a href="https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fevo.2022.893453/full">populations et les écosystèmes interagissent</a> en conséquence. Mais de nombreux facteurs entrent en jeu et, bien qu’il soit facile de tirer des conclusions hâtives, il est important de s’interroger sur les causes exactes de ce changement particulier.</p>
<h2>Comment choisir sa coquille ?</h2>
<p>Le bernard-l’ermite est un modèle animal intéressant, parce qu’il se comporte de différentes façons qui peuvent être facilement mesurées. Au lieu de laisser pousser sa propre carapace pour se protéger, comme le ferait un crabe normal ou un homard, il utilise les coquilles vides laissées par d’autres espèces.</p>
<p>Lorsqu’ils se déplacent, la coquille protège leur abdomen, mais lorsqu’ils sont menacés, ils rentrent tout entier dans la coquille. Leur coquille leur sert alors d’abri portatif.</p>
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<p>Il est donc essentiel pour la survie d’un individu d’avoir une coquille de suffisamment bonne qualité, c’est pourquoi les bernard-l’ermite changent de coquille ou l’améliorent au fur et à mesure de leur croissance. Ils vont jusqu’à se battre avec d’autres bernard-l’ermite pour obtenir de meilleures coquilles, et évaluent toute nouvelle coquille découverte pour voir si elle pourrait leur convenir.</p>
<p>Ils recherchent avant tout des coquilles suffisamment grandes pour les protéger, mais <a href="https://royalsocietypublishing.org/doi/10.1098/rsbl.2010.0761">leur choix</a> tient également compte du type de coquille, de son état et même de sa couleur, un facteur qui peut avoir une incidence sur la visibilité du crabe.</p>
<p>Un autre facteur qui limite le choix de la coquille est la disponibilité de coquilles appropriées. Or, pour une raison encore inconnue, une partie des bernard-l’ermite terrestres choisissent d’occuper des objets en plastique plutôt que des coquilles naturelles, comme le montre cette <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0048969723075885">dernière étude</a>.</p>
<h2>Crise du logement ou déménagement audacieux ? Des questions en suspens</h2>
<p>Depuis des millénaires, l’homme modifie intentionnellement le comportement des animaux en les <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S2213305413000052">domestiquant</a>. Toute modification involontaire du comportement des populations animales naturelles est potentiellement préoccupante, mais dans quelle mesure devrions-nous nous inquiéter du fait que les bernard-l’ermite utilisent des <a href="https://theconversation.com/que-deviennent-les-dechets-plastiques-rejetes-dans-locean-depuis-les-cotes-et-les-rivieres-155535">déchets plastiques</a> comme abri ?</p>
<p>La recherche polonaise soulève un certain nombre de questions. Tout d’abord, le recours aux déchets plastiques en guise de coquilles est-il fréquent ? 326 crabes s’abritant dans du plastique, cela semble beaucoup. Pourtant, ce nombre est probablement sous-estimé, étant donné que les images analysées se limitaient aux zones accessibles aux humains des populations de crabes.</p>
<p>L’inverse est également possible : les internautes pourraient avoir tendance à mettre en ligne les images les plus frappantes ou les plus inhabituelles. De sorte que l’approche iEcology pourrait donner une impression exagérée de la proportion de bernard-l’ermite qui optent pour des coquilles en plastique plutôt que naturelles. Nous avons besoin d’études structurées sur le terrain pour clarifier ce point.</p>
<p>La deuxième question qui se pose, c’est de savoir pourquoi certains crabes préfèrent le plastique. Il est possible qu’ils y soient contraints par le manque de coquilles naturelles, mais nous ne pouvons pas vérifier cette hypothèse sans disposer de plus d’informations sur la démographie des populations locales d’escargots. Peut-être les crabes préfèrent vraiment le plastique… ou alors, ce dernier est-il plus facile à trouver que de vraies coquilles ?</p>
<p>Comme le soulignent les auteurs de l’étude, le plastique pourrait être plus léger que les coquillages équivalents, offrant ainsi la même protection, mais en demandant à l’animal moins d’énergie pour transporter son abri. Étonnement, les produits chimiques que libère le plastique sont connus pour attirer les bernard-l’ermite marins, car <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0025326X21005671">ils imitent l’odeur de sa nourriture</a>.</p>
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<img alt="Bernard-l’ermite utilisant un bouchon de bouteille en plastique rouge comme coquille sur une plage couverte de sable et d’algues." src="https://images.theconversation.com/files/572811/original/file-20240201-23-4epat6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/572811/original/file-20240201-23-4epat6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/572811/original/file-20240201-23-4epat6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/572811/original/file-20240201-23-4epat6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/572811/original/file-20240201-23-4epat6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/572811/original/file-20240201-23-4epat6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/572811/original/file-20240201-23-4epat6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les bernard-l’ermite s’adaptent à l’augmentation de la pollution plastique, mais des recherches supplémentaires sont nécessaires pour comprendre ce comportement.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/hermit-crab-plastic-shell-zanzibar-2270754839">Bertrand Godfroid/Shutterstock</a></span>
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<p>Cela nous amène à une troisième question sur les inconvénients possibles du plastique. Par rapport aux vraies carapaces, les déchets plastiques ont tendance à être plus brillants et à contraster davantage avec l’arrière-plan, ce qui rend les crabes plus vulnérables aux prédateurs.</p>
<p>En outre, nous savons que l’exposition aux <a href="https://theconversation.com/que-sont-les-microplastiques-et-pourquoi-sont-ils-un-enorme-probleme-dans-les-oceans-144634">microplastiques</a> et aux autres composés chimiques qui s’échappent du plastique peut modifier le comportement des bernard-l’ermite, les rendant <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/36978596/">moins exigeants</a> quant aux coquilles qu’ils choisissent, moins enclins à <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC8511743/">se battre pour les coquilles</a> et changeant jusqu’à leur personnalité en les rendant plus enclins à <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2666911020300058">prendre des risques</a>. Pour répondre à ces questions sur les causes et les conséquences de l’utilisation des déchets plastiques par les bernard-l’ermite, nous devons étudier leur comportement de sélection des coquilles au moyen d’une série d’expériences en laboratoire.</p>
<h2>La pollution change le comportement des coquillages</h2>
<p>La pollution plastique n’est qu’une des façons dont nous modifions notre environnement. C’est de loin la <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0025326X14008571">forme la plus médiatisée</a> de débris introduits par l’humain dans les environnements marins. Mais le comportement des animaux est également affecté par <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0048969723059879">d’autres formes de pollution</a>, comme les microplastiques, les produits pharmaceutiques, la lumière et le bruit, ainsi que la hausse des températures et l’acidification des océans que provoque le changement climatique.</p>
<p>Ainsi, si l’étude de l’utilisation des déchets plastiques par le bernard-l’ermite peut nous aider à mieux comprendre les conséquences de certains impacts humains sur l’environnement, elle ne montre pas exactement comment les animaux s’adapteront à l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/anthropocene-25399">anthropocène</a>, où l’activité humaine affecte significativement la planète.</p>
<p>Les bernard-l’ermite s’adapteront-ils en utilisant des réponses comportementales basées sur le recours au plastique, évolueront-ils au fil des générations, ou peut-être les deux à la fois ? À elle seule, l’approche iEcology ne peut pas répondre à de telles questions. Cette étude tire simplement la sonnette d’alarme, en mettant en lumière des changements qui doivent maintenant être étudiés de manière approfondie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223572/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mark Briffa travaille pour l'université de Plymouth. Il a reçu des financements du BBSRC britannique.</span></em></p>Après Plastic Bertrand, Plastic Bernard ? Les bernard-l’ermite élisent normalement domicile dans des coquilles vides, mais optent de plus en plus souvent pour des déchets plastiques.Mark Briffa, Professor of Animal Behaviour, University of PlymouthLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2140082024-02-14T14:27:25Z2024-02-14T14:27:25ZRecenser les oiseaux, identifier les plantes : les sciences participatives font-elles vraiment avancer la recherche ?<p>Le phénomène des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/sciences-participatives-28466">sciences participatives</a> n’est pas nouveau, mais il a pris de l’ampleur au cours des de la dernière décennie. D’ailleurs avez-vous peut-être vous-même contribué en observant les oiseaux depuis votre balcon ou votre jardin pendant le confinement de 2020, ou en <a href="https://theconversation.com/plantnet-ebird-spipoll-inaturalist-ces-applis-au-service-de-li-ecologie-174383">utilisant votre smartphone pour identifier une plante</a> ou un insecte lors d’une promenade en forêt. Ce faisant, vous avez partagé vos observations avec les scientifiques qui les utilisent pour décrire la biodiversité et comprendre son évolution. Mais comment savoir à quel point vous les avez aidés ? Dans la recherche en écologie, cette démarche a un réel impact sur les publications scientifiques, surtout sur des thématiques qui font le lien entre société et environnement.</p>
<p>Les sciences participatives se définissent comme la production de connaissances scientifiques à laquelle sont associées des personnes dont ce n’est pas la profession, qui participent de manière active, délibérée et souvent bénévole. Les sciences participatives sont bien développées dans le <a href="https://www.inserm.fr/nous-connaitre/college-relecteurs-inserm/">domaine de la santé</a>, des <a href="https://francaisdenosregions.com/">sciences humaines</a>, et même en <a href="https://www.vigie-ciel.org/">astronomie</a>. C’est toutefois dans le domaine des sciences de l’environnement et de l’écologie que cette démarche d’ouverture de la pratique de la recherche aux acteurs non professionnels est la plus répandue.</p>
<h2>Pourquoi, ou pour quoi participer ?</h2>
<p>Pour les scientifiques en écologie, la participation des acteurs non professionnels à la recherche donne accès à des données qui seraient inaccessibles par ailleurs, ou à un rythme trop lent, incompatible avec le besoin de connaissances scientifiques face à l’urgence écologique. Les plates-formes <a href="https://plantnet.org/">Pl@ntNet</a> et <a href="https://www.inaturalist.org/">iNaturalist</a> s’appuient sur des photos prises par les curieux de nature, identifiées par un algorithme et validées par la communauté des utilisateurs. Elles permettent un recensement de la biodiversité à très grande échelle et sur le temps long.</p>
<p>Plusieurs auteurs ont analysé la <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-030-58278-4_13">motivation du public à s’engager dans des programmes de science participative</a>. Ce qui revient souvent, c’est la curiosité et le souhait d’en apprendre plus sur un sujet (par exemple, apprendre à <a href="https://plantnet.org/">reconnaître les plantes</a> ou les <a href="https://www.oiseauxdesjardins.fr/">oiseaux</a>), mais aussi la <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0006320719313771">volonté d’être utile</a>, à la recherche d’une part, et à la préservation de l’environnement d’autre part.</p>
<p>Le lien entre l’utilité pour la recherche et l’utilité pour l’environnement doit se comprendre, très schématiquement, en suivant cette séquence : les observations fournissent des données, qui sont analysées, pour aboutir à la publication d’un article scientifique, qui permet de mettre en place des mesures concrètes pour l’environnement.</p>
<p>C’est évidemment très caricatural. Trop, parce qu’en amont de cette séquence, une somme de connaissances et des constructions théoriques orientent les scientifiques dans la manière de poser les questions de recherche et de définir les stratégies d’analyse des données permettant d’y répondre. Il est également évident, mais il faut le rappeler, que les applications des résultats de la recherche en termes de stratégie de gestion de l’environnement ne s’appuient pas sur un, mais sur un ensemble d’articles scientifiques.</p>
<p>D’où une question simple : les démarches de sciences participatives contribuent-elles à la production et à l’évolution des connaissances scientifiques dans le domaine de l’écologie ? Autrement dit : « Suis-je vraiment utile si je participe » ?</p>
<p>À noter au passage que cette question est légitime des deux côtés de la participation, pour les volontaires comme pour les scientifiques. L’acquisition de certaines données peut en effet requérir de solides connaissances naturalistes ou la manipulation de capteurs complexes ou onéreux. Dans de tels cas, <a href="https://hal.science/hal-03856478/document">on peut s’interroger sur la pertinence ou la précision des observations</a> réalisées par des personnes qui ne sont pas spécifiquement formées.</p>
<p>Cela nous amène donc à une seconde question : produit-on les mêmes connaissances lorsque la recherche est menée par des professionnels uniquement, ou au travers de la participation de volontaires dont le degré d’expertise est variable ?</p>
<h2>À quoi ma participation sert-elle vraiment ?</h2>
<p>Nous avons cherché à répondre à ces deux questions dans un article publié en accès ouvert dans la revue <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/ece3.10488"><em>Ecology and Evolution</em></a>. Nous avons utilisé une approche bibliométrique pour évaluer l’impact des sciences participatives sur l’évolution de l’écologie comme discipline scientifique.</p>
<p>Nous avons interrogé la base de données <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Web_of_Science"><em>Web of Science</em></a>, une référence au niveau international, pour retrouver tous les articles faisant mention des sciences participatives et publiés sur la période 2011-2022. Nous avons identifié plus de 3000 articles à propos des sciences participatives en écologie. Cela représentait moins de 1 % du nombre total d’articles en écologie publiés sur cette période, mais ce nombre était en constante augmentation. </p>
<p>D’un strict point de vue quantitatif, la réponse est sans appel : la science participative se publie. <a href="https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0258350">Une étude récente</a> montre non seulement que c’est le cas, mais que les articles qui s’appuient sur elles sont également cités par les chercheuses et les chercheurs. Les articles scientifiques étant à la base de la diffusion des savoirs, c’est une première indication que les sciences participatives, et donc la participation des volontaires, contribue bien à l’avancement des connaissances en écologie. Qu’en est-il dans le détail ?</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/574226/original/file-20240207-24-w3wq5s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/574226/original/file-20240207-24-w3wq5s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/574226/original/file-20240207-24-w3wq5s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=560&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/574226/original/file-20240207-24-w3wq5s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=560&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/574226/original/file-20240207-24-w3wq5s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=560&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/574226/original/file-20240207-24-w3wq5s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=704&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/574226/original/file-20240207-24-w3wq5s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=704&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/574226/original/file-20240207-24-w3wq5s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=704&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Figure 1. Évolution du nombre d'articles sur les sciences participatives en écologie entre 2011 et 2022. L'axe horizontal représente l'année de publication. L'axe vertical indique le pourcentage d'articles en écologie s'appuyant sur les sciences participatives. Le nombre absolu d'articles de sciences participatives publiés chaque année est indiqué à l'intérieur de la figure.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Bastien Castagneyrol et Baptiste Bedessem</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Pour faire simple, appelons SP le corpus d’articles s’appuyant sur les sciences participatives. Nous l’avons comparé à un corpus témoin, assemblé en tirant au hasard un même nombre d’articles parmi ceux publiés en écologie sur la période 2011-2022. Nous avons extrait les mots clés utilisés par les auteurs et autrices des articles de ces deux corpus pour les comparer. Cette approche nous a permis de déterminer si les mêmes thématiques sont abordées dans les articles qui s’appuient sur les sciences participatives (le corpus SP) et les articles disons conventionnels (le corpus témoin).</p>
<p>Nous avons constaté une certaine similitude dans les mots clés les plus fréquemment utilisés dans les deux corpus. Au cours des deux dernières années, la biodiversité (les mots clés <em>biodiversity</em>, <em>conservation</em>) et le changement climatique (<em>climate change</em>) étaient au cœur des recherches en écologie, quelle que soit l’approche employée (participative ou non) par les écologues pour aborder ces sujets. Il y a toutefois des subtilités dans le détail.</p>
<p>En examinant de plus près les différences dans l’utilisation des mots clés les plus fréquents dans chaque corpus (comment les mots clés sont associés entre eux), une différence majeure apparaît entre les articles du corpus SP et ceux du corpus témoin. Les mots clés liés aux processus écologiques (prédation, compétition, dispersion…) ou évolutifs (plasticité phénotypique, adaptation) étaient plus fréquents dans le corpus témoin, voire seulement présents dans celui-ci. Au contraire les mots clés liés aux interactions entre les êtres humains et leur environnement (socio-écosystèmes, services écosystémiques, services culturels, écologie urbaine) étaient plus fréquents, ou présents uniquement dans le corpus SP.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/574227/original/file-20240207-24-yswhv7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/574227/original/file-20240207-24-yswhv7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=540&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/574227/original/file-20240207-24-yswhv7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=540&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/574227/original/file-20240207-24-yswhv7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=540&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/574227/original/file-20240207-24-yswhv7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=679&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/574227/original/file-20240207-24-yswhv7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=679&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/574227/original/file-20240207-24-yswhv7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=679&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Figure 2. Principaux mots clés décrivant les articles du corpus SP et du corpus témoin.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Bastien Castagneyrol et Baptiste Bedessem</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Les associations de mots clés dans le corpus SP sont également révélatrices de la manière dont les thématiques « biodiversité » et « changement climatique » sont abordées dans les sciences participatives. Ces thèmes étaient associés à des mots clés suggérant une approche descriptive de la biodiversité, par exemple surveillance (<em>monitoring</em>), répartition des espèces (<em>species distribution</em>), ou modèle de répartition des espèces (<em>species distribution model</em>).</p>
<p>Il semble donc que lorsque les scientifiques ont recours aux démarches de sciences participatives, ce soit avant tout pour décrire l’état de la biodiversité, la manière dont elle est impactée par les changements globaux (notamment le changement climatique et l’urbanisation), et les conséquences que cela peut avoir sur le fonctionnement des <a href="https://sitesweb-tmp35.dsi.sorbonne-universite.fr/sites/default/files/media/2022-01/Couvet_socio%C3%A9cosyst%C3%A8me.pdf">socio-écosystèmes</a> (l’ensemble formé par l’écosystème et les activités humaines qui s’y déroulent). Les associations de mots clés du corpus témoin faisaient quant à elle plutôt référence aux mécanismes régissant les interactions entre espèces. On peut expliquer cette différence par le fait que les personnes contribuant à la science participative sont plus à même de s’investir dans des projets qui les touchent directement que dans des projets plus théoriques.</p>
<p>Les sciences participatives en écologie contribuent bien, de manière significative, à la production de connaissances nouvelles qui s’insèrent dans les grandes questions qui traversent l’écologie. Il y a là de quoi rassurer les personnes qui donnent de leur temps et de leur énergie en participant volontairement à ces programmes : oui, elles sont utiles. Il y a également de quoi rassurer les écologues : les sciences participatives ne sont pas en marge de la recherche traditionnelle en écologie, elles s’inscrivent parfaitement dans la boîte à outils dont les scientifiques disposent pour décrire et comprendre le monde dans lequel nous vivons.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Science et Société se nourrissent mutuellement et gagnent à converser. La recherche peut s’appuyer sur la participation des citoyens, améliorer leur quotidien ou bien encore éclairer la décision publique. C’est ce que montrent les articles publiés dans notre série « Science et société, un nouveau dialogue », publiée avec le soutien du <a href="https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr">ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214008/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bastien Castagneyrol a reçu, pour ses travaux sur les sciences participatives, des financements de la région Nouvelle Aquitaine, de l'ANR, de l'université de Bordeaux et de la fondation BNP Paribas au travers de son initiative pour le climat et la biodiversité.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Baptiste Bedessem a reçu des financements de l'ADEME, de l'INRAE </span></em></p>Les sciences participatives invitent tout un chacun à apporter sa pierre à l'édifice de la recherche. Mais comment déterminer l'apport réel de cette pratique aux connaissances ?Bastien Castagneyrol, Chercheur en écologie, InraeBaptiste Bedessem, Chargé de recherche, InraeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2212662024-01-28T16:06:21Z2024-01-28T16:06:21ZAvec l’écopédagogie, repenser l’éducation au développement durable<p><a href="https://theconversation.com/quelle-ecole-dans-un-monde-en-surchauffe-208152">L’éducation au développement durable</a> concentre de plus en plus d’attentions et s’est fait une place dans les programmes scolaires. Elle se focalise souvent sur les responsabilités individuelles, en incitant les jeunes à changer d’attitudes et de comportements, à travers notamment les écogestes – le tri des déchets, par exemple à la cantine.</p>
<p>Avec une telle approche, comme l’observent Angela Barthes et Yves Alpe, professeurs en sciences de l’éducation, « la <a href="https://shs.hal.science/halshs-00963810/document">question de la responsabilité des systèmes de production dans les atteintes à l’environnement</a> est peu abordée » alors qu’elle est déterminante si l’on veut changer la situation à grande échelle.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/etre-eco-delegues-au-college-ou-au-lycee-quels-moyens-daction-195979">Être éco-délégués au collège ou au lycée : quels moyens d’action ?</a>
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<p>À la frontière entre la philosophie, les sciences sociales et la didactique, un champ de recherche se développe pour permettre à chacun de mieux se repérer dans tous les <a href="https://journals.openedition.org/vertigo/28518">enjeux relatifs à l’environnement</a>, notamment les questions de justice sociale. Arrêtons-nous sur l’un de ses courants, l’écopédagogie, qui propose une autre approche aux citoyens et citoyennes.</p>
<h2>L’écopédagogie, de l’Amérique latine aux États-Unis</h2>
<p><a href="https://www.bloomsbury.com/uk/ecopedagogy-9781350083790/">L’écopédagogie</a> est un courant de la recherche en éducation qui est apparu en Amérique latine dans la deuxième moitié des années 1990, <a href="https://lecourrier.ch/2018/08/03/leco-pedagogie-une-conscience-planetaire/">d’abord au Costa Rica, avec Cruz Prado et Fernando Gutierrez</a>, puis au Brésil avec Moacir Gadotti de l’Institut Paulo Freire. La <a href="https://www.questionsdeclasses.org/la-charte-de-l-ecopedagogie/">Charte de l’écopédagogie</a>, en 1999, met en avant la nécessité de développer une conscience planétaire seule à même de pouvoir prendre en compte les défis écologiques.</p>
<p>L’écopédagogie se situe dans la continuité de l’œuvre du pédagogue brésilien <a href="https://theconversation.com/les-enseignements-de-paulo-freire-un-pedagogue-toujours-actuel-73079">Paulo Freire</a> qu’elle entend compléter en y intégrant la dimension environnementale. Paulo Freire, en particulier dans son ouvrage <a href="https://journals.openedition.org/lectures/53295"><em>Pédagogie des opprimés</em></a>, a avancé l’idée que l’éducation devait favoriser la conscience sociale critique. C’est ce qu’il appelle la conscientisation, tournée vers la prise de conscience des injustices sociales. Cela a donné lieu au développement des pédagogies critiques.</p>
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<img alt="Fresque représentant Paulo Freire, père des pédagogies critiques" src="https://images.theconversation.com/files/571443/original/file-20240125-25-famlqp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/571443/original/file-20240125-25-famlqp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=298&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/571443/original/file-20240125-25-famlqp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=298&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/571443/original/file-20240125-25-famlqp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=298&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/571443/original/file-20240125-25-famlqp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=374&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/571443/original/file-20240125-25-famlqp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=374&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/571443/original/file-20240125-25-famlqp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=374&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Fresque représentant Paulo Freire, père des pédagogies critiques.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Painel.Paulo.Freire.JPG">Luiz Carlos Cappellano, via Wikimedia</a></span>
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<p>Néanmoins, aussi bien en Amérique latine qu’aux États-Unis se sont constitués des mouvements sociaux qui ont lié les questions environnementales et les questions sociales. L’économiste <a href="https://www.cairn.info/revue-projet-2015-2-page-90.htm">Joan Martinez Alier</a> a ainsi parlé pour l’Amérique latine d’écologie des pauvres. Aux États-Unis, c’est le mouvement pour la <a href="https://www.academia.edu/31821047/Les_enjeux_du_Vert_en_Noir_et_Blanc_racisme_environnemental_et_antiracisme_critique_en_contextes_de_racialisation">justice environnementale</a> qui a mis en lumière les liens entre inégalités sociales et les nuisances environnementales.</p>
<h2>Articuler écologie anthropocentrée et écologie non anthropocentrée</h2>
<p>Le chercheur en écopédagogie <a href="https://www.youtube.com/watch?v=LAdhj--3qnA">Greg Misiaszek</a> a développé une philosophie de l’éducation écopédagogique où il établit une distinction conceptuelle entre le monde et la planète.</p>
<ul>
<li><p>Le monde désigne la sphère anthropocentrée. La question de l’environnement y est abordée à partir des intérêts humains. La pédagogie critique et le mouvement de la justice environnementale se situent à ce niveau. Ils sont tournés vers des préoccupations de justice sociale relativement aux êtres humains.</p></li>
<li><p>La planète désigne la sphère non anthropocentrée, celle des vivants non humains. Il faut signaler que l’écopédagogie repose sur une écologie biocentrée, ce qui veut dire qu’elle considère la planète Terre comme un grand organisme vivant. Elle s’appuie sur <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/l-hypothese-gaia-de-james-lovelock-theorie-influente-et-controversee-1824581">l’hypothèse Gaia</a>.</p></li>
</ul>
<p>À cette première distinction conceptuelle est liée une autre, celle entre les opprimés et les dominés.</p>
<ul>
<li><p>Les opprimés désignent les groupes sociaux humains qui souffrent des inégalités sociales. Les opprimés sont capables d’autoréflexion et d’une prise de conscience qui peut les conduire à devenir des sujets de la transformation sociale.</p></li>
<li><p>Les dominés désignent les vivants non-humains. Contrairement aux êtres humains, les vivants non-humains ne peuvent pas produire d’injustices, en revanche ils peuvent souffrir des injustices produites par les humains.</p></li>
</ul>
<p>L’articulation de ce qu’on appelle l’écologie anthropocentrée et l’écologie non anthropocentrée est l’enjeu de l’écopédagogie. Cette dernière pense la sphère humaine comme une dimension de la sphère planétaire.</p>
<h2>Qui souffre et qui profite des atteintes à l’environnement ?</h2>
<p>L’écopédagogie propose une réflexion philosophique et pédagogique sur les différents niveaux de justice qui sont enchevêtrés lorsqu’on réfléchit aux questions environnementales.</p>
<p>Une première dimension consiste à affirmer que ce sont les êtres humains dans leur ensemble qui souffrent par exemple du changement climatique. C’est en cela que l’écopédagogie suppose une conscience planétaire. Mais, on peut ajouter que la réflexion doit prendre en compte également les générations humaines futures.</p>
<p>Néanmoins, il est en outre possible de réfléchir au fait que les dégradations environnementales ne touchent pas autant tous les groupes sociaux. C’est ce que les sciences humaines et sociales étudient sous le nom d’inégalités environnementales en relation avec les inégalités sociales. L’économiste <a href="https://www.ofce.sciences-po.fr/pages-chercheurs/page.php?id=18">Laurent Eloi</a> parle ainsi de social-écologie.</p>
<p>Ces deux dimensions doivent être prises en compte, mais elles abordent néanmoins la question environnementale uniquement au prisme des intérêts humains. C’est pourquoi l’écopédagogie intègre dans sa réflexion la souffrance animale et l’impact sur la planète Terre qui subit également une souffrance en tant qu’organisme vivant.</p>
<p>La seconde perspective de réflexion de l’écopédagogie est de poser la question de qui profite des dégradations environnementales. À un premier niveau, il est possible de dire que ces dégradations sont faites au profit de l’ensemble de l’humanité. On pourrait même parler d’anthropocène pour signifier ici que c’est l’ensemble de l’humanité qui profiterait de ces dégradations au détriment des vivants non-humains.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/anthropocene-ou-anthro-probleme-une-question-detymologie-et-surtout-dechelle-220232">Anthropocène… ou anthro-problème ? Une question d’étymologie et surtout d’échelle</a>
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<p>Mais, il est également possible de resserrer encore la focale pour s’intéresser, à ce que par exemple le géographe <a href="https://www.arte.tv/fr/videos/103447-003-A/climat-qui-a-allume-le-feu/">Andréas Malm</a>, appelle le capitalocène, c’est-à-dire à l’impact qu’ont plus spécifiquement le mode de vie des classes sociales supérieures et le fonctionnement du système capitaliste.</p>
<p>L’écopédagogie s’intéresse à la manière dont il est possible de développer la conscience citoyenne des différents niveaux de justice sociale et écologique. Cette approche à plusieurs enjeux. Elle vise par exemple à ne pas prendre en compte que la perspective relevant des modes de consommation individuels pour se pencher aussi à des éléments structurels socio-économiques, mettant notamment en lumière l’impact des dégradations environnementales sur les groupes les plus socialement minorisés.</p>
<p>Au lieu de partir d’injonctions ou de modes d’emploi, l’écopédagogie remet le citoyen au centre de la réflexion en lui donnant les moyens de comprendre les tenants et les aboutissants des controverses en écologie. Elle permet à chacun et chacune de se repérer dans les différentes thèses concernant les êtres impactés par les dégradations environnementales et les groupes humains qui ont le plus d’impact. L’objectif est d’ouvrir des discussions sur le caractère contradictoire de ses différentes thèses ou leur possible articulation.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221266/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Irène Pereira est membre du Conseil Mondial des Instituts Paulo Freire et du Conseil scientifique de la collection Freire Focus des Editions Bloomsbury</span></em></p>En mettant l’accent notamment sur les écogestes, l’éducation au développement durable tend à se focaliser sur les responsabilités individuelles. L’écopédagogie propose de changer d’angle de réflexion.Irène Pereira, Professeure des Universités en sciences de l'éducation et de la formation, Université de Rouen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2202972024-01-18T10:25:37Z2024-01-18T10:25:37ZPeut-on « restaurer » la nature ?<p>En juillet 2023, au comble de la torpeur estivale, une question brûlante échauffait l’hémicycle du Parlement européen. L’Europe en fait-elle assez pour protéger l’environnement ? Au-delà de la protection de la nature, ne faudrait-il pas s’engager un cran plus loin, proactivement, à la « restaurer » ? Cette idée était au centre d’une proposition de règlement adoptée à une très courte majorité, le 11 juillet 2023, après un parcours législatif particulièrement houleux au sein de la Commission agriculture. L’essentiel des débats a porté sur le périmètre de ce règlement (dont les terres agricoles ont finalement été exclues) ainsi que sur le niveau de contrainte qu’elle exerce sur les États membres.</p>
<p>Pour les résumer succinctement, les débats mettaient en scène l’habituelle opposition entre la protection de l’environnement, plutôt soutenue à gauche et par les verts, et la protection de l’économie et des activités agricoles, plutôt soutenue à droite et, en particulier, par le Parti populaire européen.</p>
<p>Si personne n’était d’accord sur la réponse à apporter, le constat de départ fait consensus. Il est celui d’une perte considérable de biodiversité et d’une incapacité à endiguer la déplétion des écosystèmes terrestres et marins. Ce constat, établi par un <a href="https://www.eea.europa.eu/publications/state-of-nature-in-the-eu-2020">rapport de l’Agence européenne de l’environnement</a>, désigne les facteurs responsables de cette situation : l’emprise toujours croissante du bâti, des modèles agricoles très intensifs mais encore et surtout une incapacité du cadre réglementaire actuel à produire des effets concrets. Ce diagnostic a conduit la Commission à faire de la restauration de la nature un enjeu politique majeur de son <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A52019DC0640">Pacte vert</a>, en renforçant le caractère contraignant des mesures.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/567154/original/file-20231221-19-msylta.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/567154/original/file-20231221-19-msylta.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/567154/original/file-20231221-19-msylta.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/567154/original/file-20231221-19-msylta.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/567154/original/file-20231221-19-msylta.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/567154/original/file-20231221-19-msylta.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/567154/original/file-20231221-19-msylta.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="attribution"><span class="source">The Conversation France</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Mais ni la notion de restauration elle-même, ni le type de démarche que cette notion implique n’ont été discutés.</p>
<h2>Restaurer à l’identique ou réinterpréter la nature ?</h2>
<p>Pourtant, cette idée ne va pas de soi, et la question mérite d’être posée : peut-on seulement « restaurer » la nature ? Le terme de restauration suggère un retour, sinon à un état initial, du moins à un état antérieur. Dès lors, comment déterminer quel état antérieur fait référence ? Faut-il revenir à la situation qui existait il y a 10, 20, 50 ou 100 ans ? <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/2514848619898092">Et comment caractériser l’état auquel il faudrait revenir ?</a> Parmi les innombrables espèces végétales et animales peuplant les sites concernés, lesquelles seront prises en compte dans une démarche de restauration de l’écosystème ? Comment établir la liste des entités qui ont souffert (sols, animaux, humains, rivières, végétation, etc.) ? Comment faire le tri entre ce qui compte et ce qui sera négligé ? En pratique, les réponses à de telles questions dépendent toujours de circonstances situées.</p>
<p>Prenons le cas de l’exploitation de l’or alluvionnaire en forêt tropicale, en Guyane française. Ce type d’exploitation consiste à creuser le lit argileux d’un cours d’eau pour en extraire de l’or, ce qui implique nécessairement de détruire une zone de forêt et de détourner un cours d’eau. La fine couche de sol fertile est rapidement dispersée par les pluies, laissant à nu un sol stérile et en proie à une érosion rapide. Depuis les années 2000, les <a href="https://sciencespo.hal.science/ENSMP_CSI/hal-04139043v1">exploitants ont l’obligation légale de réhabiliter et de revégétaliser les sites miniers</a>. Il est notamment attendu des opérateurs miniers qu’ils effectuent des travaux de terrassement afin de reboucher les trous qu’ils ont creusés et de recréer les méandres de la rivière, et qu’ils replantent des arbres sur au moins 30 % de la surface déboisée. Mais, en pratique, un flou persiste sur les critères permettant de juger si les travaux de réhabilitation et de revégétalisation sont satisfaisants, afin de libérer (ou non) l’exploitant minier de ses obligations.</p>
<p>Agents de l’ONF (office national des forêts), experts travaillant dans des bureaux d’étude, chercheurs et fonctionnaires de l’administration impliqués dans les processus de reforestation se penchent sur le problème et y apportent des réponses différentes. Certains acteurs insistent sur le rétablissement d’un couvert végétal sur le sol déboisé, d’autres sur le retour d’une activité microbienne dans le sol, d’autres encore sur la <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/1743873X.2011.620116">présence d’arbres « charismatiques »</a>, endémiques de la Guyane. Quant à la rivière, certains acteurs insistent sur un reprofilage du cours d’eau fidèle aux tracés d’origine, quand d’autres préfèrent des méthodes qui portent moins sur la reconstruction d’un paysage que sur le retour de la vie aquatique.</p>
<h2>Les limites de la restauration</h2>
<p>Dans un contexte de ressources techniques et financières limitées – les entreprises impliquées dans l’exploitation de l’or alluvionnaire, souvent décrites comme « artisanales », opèrent avec relativement peu de moyens – il est difficile de mettre en pratique ces diverses exigences. Pour prendre la mesure de ces limites techniques et financières, on peut citer par exemple le cas de très petites entreprises travaillant avec une ou deux pelles mécaniques et qui jugent trop chers les services des bureaux d’étude spécialisés dans les travaux de réhabilitation et de revégétalisation. Dans ces cas-là, les travaux de réhabilitation sont conduits en interne, par les mêmes ouvriers qui ont creusé le flat alluvionnaire. Une autre difficulté souvent évoquée est liée à l’approvisionnement en graines ou en plants en grande quantité, au vu du petit nombre de pépinières spécialisées dans la revégétalisation des sites endommagés par l’activité minière.</p>
<p>Finalement, l’ambition d’un retour à un état antérieur aux perturbations liées à l’activité humaine peut se révéler discutable si elle se fonde sur une vision de la nature dans laquelle les humains n’ont pas de place et sont pensés comme extérieurs. C’est en particulier un problème pour des groupes humains autochtones dont les modes de vie et de subsistance sont étroitement liés au milieu. Des politiques fondées sur une telle vision de la nature peuvent par exemple conduire à exclure certaines activités humaines (chasse, pêche, cueillette), en favoriser d’autres (tourisme vert) et ainsi définir de bons et mauvais usages d’un milieu naturel. Par ailleurs, les paysages pensés comme naturels sont souvent le <a href="https://www.journals.uchicago.edu/doi/abs/10.2307/3985059">résultat d’interventions humaines</a> et portent donc la trace d’événements et d’organisations sociales et politiques passés, impliquant souvent de multiples oppressions. Ainsi, la forêt tropicale guyanaise est un espace qui ne peut être envisagé comme « vierge » et vide d’humains que parce que l’arrivée des colons européens a provoqué, par la violence et la propagation de maladies, une <a href="https://www.cairn.info/revue-z-2018-1-page-106.htm">chute tristement spectaculaire de la population autochtone qui la peuplait</a>.</p>
<p>On le voit, au travers de situations concrètes faites de contraintes financières, d’incertitudes scientifiques et de difficultés techniques, l’ambition de restaurer la nature se traduit par un geste partiel et partial, qui suppose une réinvention et une réinterprétation a minima d’un milieu naturel plutôt qu’un retour à l’identique. Les acteurs impliqués dans le contrôle des travaux de réhabilitation des zones endommagées par l’exploitation minière ont d’ailleurs cessé d’employer le terme de restauration, estimant qu’un retour à l’identique des sites est impossible, et que la destruction causée par les mines d’or est en partie irrémédiable.</p>
<h2>Remédiation plutôt que restauration</h2>
<p>En plus d’idéaliser le passé, la notion de « restauration » dépolitise le futur. En effet, l’idée qu’une restauration de la nature est possible peut se révéler délétère si elle est employée pour justifier de nouveaux projets impliquant des dommages environnementaux. Nous proposons de mettre en avant la notion de remédiation écologique.</p>
<p>D’abord, remédier signifie apporter un remède : ce terme insiste sur le dommage causé et rappelle ainsi l’existence d’une situation problématique nécessitant de l’attention et du soin. Plutôt qu’un retour en arrière ou à l’identique, la « remédiation » évoque un processus de transformation à l’issue incertaine, qui laisse visibles non seulement les traces des destructions écologiques passées, mais aussi les traces des gestes de réparation accomplis sur un milieu. En effet, certaines opérations de remédiation peuvent échouer tout à fait, ou ne réussir que partiellement. Dans le cas de la forêt guyanaise par exemple, les arbres replantés sur les sites miniers ne survivent pas toujours sur un sol stérile, ou bien forment un couvert végétal qui améliore la situation en limitant l’érosion sans pour autant évoluer vers un retour de la forêt tropicale.</p>
<p>Plutôt que de revenir à un passé figé, la notion de remédiation invite à fabriquer de nouvelles médiations écologiques, et donc à poser explicitement la question inévitable de ce qui est considéré comme important et précieux dans une situation donnée. En d’autres termes, elle rend visibles et débattable les choix qui doivent être faits. En effet, les différentes options techniques favorisent différents types d’êtres (arbres, animaux, micro-organismes, etc.) en organisant des conditions propices à leur implantation à partir de la situation de dégât écologique. Il s’agit donc de réinterpréter les relations entre les êtres peuplant un milieu qui a changé, souvent avec des moyens limités.</p>
<p>Au-delà de la question sémantique, le choix d’un terme pour décrire des opérations de réparation de la nature implique différents rapports à la nature, aux torts qui ont été causés aux milieux et aux façons d’y répondre. Ainsi, « restaurer » naturalise un état auquel il faudrait revenir alors que « remédier » implique de fabriquer de nouvelles médiations tout en faisant exister, de façon pratique, le fait même que ces relations aient été endommagées en premier lieu – et donc la nécessité de les réparer. En ce sens, le terme de remédiation nous semble mieux indiqué pour tendre vers une réinvention des relations entre humains et non-humains, réunis <a href="https://www.cirad.fr/espace-presse/communiques-de-presse/2020/sante-globale-humains-animaux-environnement">dans une seule communauté de destin</a>. Finalement, la notion de remédiation écologique offre une ligne de fuite entre une position cynique, postulant que les écosystèmes sont irrémédiablement détruits, et une position prométhéenne utilisant les possibilités de restauration comme argument pour justifier qu’on continue à produire et à exploiter comme avant.</p>
<hr>
<p><em>Cet article s’appuie sur des articles scientifiques à paraître à la suite de travaux sur les exploitations minières dans la forêt guyanaise menés conjointement par Nassima Abdelghafour, Liliana Doganova et Brice Laurent, ainsi que sur le projet de recherche interdisciplinaire financé par le European Research Council, « The Body Societal », sous la coordination de François Thoreau (GA959477).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220297/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nassima Abdelghafour a reçu des financements de la Chaire Industrie Minérale & Territoires. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>François Thoreau a reçu des financements du European Research Council (GA959477) et du F.R.S.-FNRS de Belgique. </span></em></p>Restaurer, c’est revenir à un état initial et antérieur. Mais lequel ? Et lorsqu’il est question de la nature, est-ce seulement possible ?Nassima Abdelghafour, chercheuse post-doc en sciences sociales, École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)François Thoreau, Sciences Techniques et Société, Humanités environnementales, Université de LiègeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2191252024-01-03T17:36:32Z2024-01-03T17:36:32ZDans les mers, des tonnes de déchets radioactifs laissés à l’abandon<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/564809/original/file-20231211-19-wbrfv3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C4992%2C2851&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Rien qu'en Atlantique nord-est, près de 200 000 fûts de 200 litres de déchets radiacatifs ont été immergés, et n'ont pour l'heure toujours pas été récupérés.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>La gestion des <a href="https://www.lefigaro.fr/conjoncture/la-france-compte-1-76-million-de-m3-de-dechets-radioactifs-a-gerer-20231212">déchets radioactifs</a> est <a href="https://www.ouest-france.fr/environnement/nucleaire/uranium-issu-des-combustibles-uses-les-liens-sont-tenaces-entre-le-nucleaire-francais-et-la-russie-10900e3a-bcd9-11ed-95d7-ae0463183236">l’une des faces sombres</a> du recours à l’énergie nucléaire. La NASA avait un temps envisagé de les envoyer en <a href="https://www.science-et-vie.com/questions-reponses/pourrait-on-envoyer-nos-dechets-dans-le-soleil-62359.html">orbite autour du Soleil</a>, avant de renoncer à ce projet dispendieux et risqué.</p>
<p>Les États nucléarisés ont vite opté pour la solution la plus simple et la moins coûteuse, en immergeant ces déchets en mer. <a href="https://hal.science/hal-01091818/document">Le principe de dilution</a> justifiait cette pratique : on considérait la mer si vaste que les déchets radioactifs allaient se diluer sans conséquence notable pour la faune et la flore marines. Les campagnes de <a href="https://www.bing.com/videos/riverview/relatedvideo?&q=zodiacs+greenpeace+dechet+radioactifs&&mid=2C8F9C3FC0D81BCD2AF92C8F9C3FC0D81BCD2AF9&&FORM=VRDGAR">Greenpeace</a> ont toutefois marqué l’opinion dans les années 1970, en <a href="https://www.dailymotion.com/video/xfdqno">mettant des images</a> sur une réalité qui n’était pas secrète, mais que l’on pouvait avoir du mal à se représenter.</p>
<p>Rien qu’en Atlantique nord-est, près de <a href="https://lejournal.cnrs.fr/articles/atlantique-sur-la-piste-des-futs-radioactifs">200 000 fûts</a> de 200 litres de ces déchets ont ainsi été immergés, et n’ont pour l’heure toujours pas été récupérés. Nombre d’entre eux sont désormais en état de détérioration avancé, ce qui rend cette récupération presque impossible. L’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (AIEA) précise que dans ces fûts « des <a href="https://theconversation.com/quappelle-t-on-un-dechet-radioactif-179347">déchets radioactifs</a> provenant de la recherche, de la médecine, de l’énergie nucléaire et des activités militaires ont été emballés […], enrobés dans une matrice en béton ou en bitume ».</p>
<p><a href="https://lejournal.cnrs.fr/articles/atlantique-sur-la-piste-des-futs-radioactifs">Une mission scientifique est prévue en 2024</a> pour cartographier le fond des zones maritimes concernées, et estimer la dangerosité de ces dépôts. Il s’agira alors d’évaluer le comportement des <a href="https://energie-nucleaire.net/qu-est-ce-que-l-energie-nucleaire/radioactivite/radionucleide">radionucléides</a> là où les fûts ont été détériorés. L’incertitude actuelle porte sur leur mobilité et la possibilité qu’ils migrent dans la <a href="http://www2.ecolex.org/server2neu.php/libcat/docs/TRE/Full/Fr/TRE-001268.pdf">colonne d’eau</a>, présentant un <a href="https://www.futura-sciences.com/planete/actualites/pollution-futs-radioactifs-mer-70-ans-apres-y-t-il-risque-environnement-marin-97798/">risque potentiel encore mal évalué pour les animaux</a> qui y vivent.</p>
<h2>De 1946 à 1982 : des immersions tous azimuts</h2>
<p>Rapidement <a href="https://afcn.fgov.be/fr/dossiers/dechets-radioactifs/gestion-des-dechets-radioactifs/immersion-en-mer-de-dechets-radioactifs">imitée par d’autres pays</a>, la <a href="https://www.andra.fr/sites/default/files/2018-01/585.pdf">première immersion a été réalisée par les États-Unis</a>, à 80 km des côtes californiennes, en 1946. En France, un projet similaire du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) envisageant des immersions dans la Méditerranée a été enterré dans les années 1960, à la suite des contestations des populations locales concernées et des écologistes, le <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1960/10/11/le-commandant-cousteau-critique-les-conditions-dans-lesquelles-a-ete-organisee-l-immersion-de-dechets-radio-actifs_2109120_1819218.html">Commandant Cousteau en tête</a>.</p>
<p>Les pratiques étrangères d’immersion ont eu un impact réel en France, comme l’attestent les <a href="https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_1965_num_11_1_1847">témoignages de marins-pêcheurs en Atlantique de l’époque</a>, au large de La Rochelle, de Guilvinec ou de Concarneau, déplorant remonter dans leurs filets des déchets radioactifs immergés dans leurs lieux de pêche.</p>
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<figcaption><span class="caption">Au fond de la Manche, ces déchets nucléaires qui inquiètent….</span></figcaption>
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<p>Dans l’Atlantique nord-est, la France a elle aussi participé à <a href="https://www.youtube.com/watch?v=rUDwK5IEaGw">deux campagnes d’immersions coordonnées</a> par l’agence nucléaire de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), avec l’Allemagne, la Belgique, le Royaume-Uni et les Pays-Bas. En 1967, 11 000 tonnes de déchets radioactifs sont ainsi immergés au large de la Galice, et deux ans plus tard, 9 000 nouvelles tonnes le sont à 900 km des côtes bretonnes.</p>
<p>La construction du <a href="https://www.ouest-france.fr/environnement/nucleaire/nucleaire-le-stockage-de-surface-des-dechets-a-la-hague-confronte-a-la-realite-du-temps-long-b8fdde4e-95ba-11ed-9400-7aba786c7303">centre de traitement de la Hague</a> dans la Manche a mis un terme à la pratique française de l’immersion en Atlantique, tandis que d’autres États nucléarisés l’ont poursuivie plusieurs années durant. Toutefois, dans son inventaire national publié en 2018, l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (<a href="https://www.connaissancedesenergies.org/sites/default/files/pdf-actualites/andra-synthese-2018-web.pdf">l’Andra</a>) indique que la France a continué à immerger 3200 tonnes de déchets radioactifs produits par ses essais nucléaires dans le Pacifique, en Polynésie, jusqu’en 1982, au large des atolls de Hao et Mururoa.</p>
<h2>Une interdiction progressive de l’immersion en mer</h2>
<p>En 1958, la <a href="https://legal.un.org/ilc/texts/instruments/french/conventions/8_1_1958_high_seas.pdf">Convention sur la haute mer</a> commence par préciser en son article 25 que « tout État est tenu de prendre des mesures pour éviter la pollution des mers due à l’immersion de déchets radioactifs ». Mais cette convention ne concerne alors que la haute mer, et aucune définition de la notion de « pollution des mers » n’y est précisée.</p>
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<figcaption><span class="caption">Dans les années 1960, la France décide d’immerger une partie de ses déchets radioactifs dans l’Atlantique. INA.</span></figcaption>
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<p>Il faut attendre la <a href="https://www.imo.org/fr/about/Conventions/pages/convention-on-the-prevention-of-marine-pollution-by-dumping-of-wastes-and-other-matter.aspx">Convention de Londres de 1972</a>, pour que soit interdite l’immersion des <a href="https://www.andra.fr/les-dechets-radioactifs/tout-comprendre-sur-la-radioactivite/classification">déchets de haute activité</a>, et limitée celle des autres déchets radioactifs de plus faible activité. Surtout, la Convention arrête une définition large de l’immersion, qui désigne « l’élimination délibérée dans la mer de déchets ou autres matières à partir de navires, aéronefs, plates-formes ou autres ouvrages artificiels, ainsi que le sabordage en mer de ces navires ou plates-formes ». Les annexes énumèrent les déchets dont l’immersion est interdite et ceux pour lesquels un permis spécifique d’immersion est requis.</p>
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<p>Puis, en 1983, est décidée la suspension provisoire et volontaire de toute immersion de déchets radioactifs en mer, <a href="http://www.informationnucleaire.ch/pdf_fiche_1/01_RAPPORT_AIEA.pdf">jusqu’à ce que de nouvelles études sur les effets de ces activités</a> soient disponibles en 1985. Mais cette suspension a été prolongée afin que les gouvernements puissent analyser les résultats obtenus. <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1993/11/16/le-vote-de-la-convention-de-londres-l-immersion-des-dechets-radio-actifs-est-definitivement-interdite_3971903_1819218.html">L’adoption d’une résolution, en 1993</a>, a rendu pérenne l’interdiction de toute immersion, devenue ainsi totale et définitive.</p>
<h2>L’étape essentielle du Protocole de Londres en 1996</h2>
<p>Le <a href="http://www2.ecolex.org/server2neu.php/libcat/docs/TRE/Full/Fr/TRE-001268.pdf">Protocole de Londres en 1996</a> remplace quant à lui la Convention de 1972 depuis son entrée en vigueur, en 2006. Il comprend trois apports principaux.</p>
<p>Premièrement, il inverse la logique de l’interdiction. En 1972, on avait énuméré les matières qui ne pouvaient plus être immergées. Le Protocole, lui, érige en principe l’interdiction d’immerger des déchets radioactifs, à l’exception de ceux qui sont énumérés dans une annexe. Pour ces déchets toutefois, un permis d’immerger est nécessaire.</p>
<p>Deuxièmement, le Protocole définit une approche de précaution. Il convient ainsi de « prendre les mesures préventives appropriées lorsqu’il y a des raisons de penser que des déchets ou autres matières introduites dans le milieu marin risquent de causer un préjudice et ce, même en l’absence de preuves concluantes de l’existence d’un lien causal entre les apports et leurs effets ».</p>
<p>Troisièmement, sans s’attarder sur les modalités, le Protocole précise que le pollueur « devrait, en principe, assumer le coût de la pollution » et que les parties contractantes doivent s’assurer que ledit Protocole n’a pas simplement pour résultat de déplacer la pollution d’un secteur de l’environnement à un autre.</p>
<h2>Que faire des déchets radioactifs déjà immergés ?</h2>
<p>L’appréhension juridique des immersions de déchets radioactifs se heurte à des difficultés intrinsèques. Si tant est qu’au sein de l’immensité océane on parvienne un jour à déceler la présence de déchets radioactifs non déclarés, il restera difficile de savoir qui les a immergés, à quel moment, et même à quel endroit, puisque les courants pourraient les avoir déplacés. Aussi, la désignation du responsable peut être complexe à établir. Excepté si un navire était pris sur le vif, l’effectivité de cet assemblage juridique resterait difficile à mettre en œuvre si un État ayant signé le Protocole décidait d’y faire entorse. Son existence a cependant le mérite d’acter l’engagement des États nucléarisés à ne plus utiliser la mer comme le dépotoir de leurs activités nucléaires.</p>
<p>L’une des interrogations qui subsistent réside toutefois dans la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=iEPJO62qEk8">pratique de l’immersion réalisée par la Russie</a>, l’un des États nucléarisés les plus pollueurs qui semble plus réticent à suivre le mouvement d’interdiction des immersions. Le peu de données disponibles laisse augurer le pire scénario, notamment en mer de Kara, en mer de Barent et en mer Blanche. L’eau y est peu profonde, et il s’agit de zones géographiques très sensibles au réchauffement climatique. Outre les fûts et conteneurs que l’on retrouve ailleurs, elles abriteraient aussi plusieurs sous-marins et réacteurs nucléaires.</p>
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<figcaption><span class="caption">Océan Arctique, cimetière atomique. Arte.</span></figcaption>
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<p>Les <a href="https://lejournal.cnrs.fr/articles/atlantique-sur-la-piste-des-futs-radioactifs">missions scientifiques prévues dans l’océan Atlantique</a> détermineront si ces déchets radioactifs sont en l’état dangereux ou non. Quoi qu’il en soit, l’interdiction de leur immersion en mer est essentielle à la construction d’une éthique en la matière. Celle-ci reste incomplète, tant qu’une solution n’aura pas été trouvée pour le devenir des déchets immergés en état d’être repêchés. Cela serait cohérent avec la préoccupation émergente dans notre droit contemporain de ne pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins.</p>
<p>Dans son principe au moins, celle-ci vient d’être consacrée en France par le <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/actualites/communique/decision-n-2023-1066-qpc-du-27-octobre-2023-communique-de-presse">Conseil constitutionnel</a>, à l’occasion du contrôle des dispositions législatives instituant le <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-magazine/france-2/complement-d-enquete/complement-d-enquete-dechets-nucleaires-quand-nos-poubelles-debordent_6077022.html">projet d’enfouissement sous terre des déchets radioactifs à Bure</a>. Il a néanmoins estimé ici que les conditions de stockage permettent « de protéger l’environnement et la santé contre les risques à long terme de dissémination de substances radioactives », et que la charge de la gestion de ces déchets n’est pas « reportée sur les seules générations futures ». Depuis, le <a href="https://www.conseil-etat.fr/actualites/stockage-de-dechets-radioactifs-le-conseil-d-etat-confirme-l-utilite-publique-du-projet-de-stockage-de-dechets-radioactifs-cigeo">Conseil d’État</a> s’est notamment appuyé sur cette décision pour considérer que le projet Cigéo était bien d’utilité publique.</p>
<p>Le régime juridique devant traduire en droit la <a href="https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-la-justice-2019-3-page-441.html">prise en compte d’une telle capacité des générations futures</a> reste toutefois encore à l’état larvaire. D’ici à ce qu’il gagne en consistance, les fûts encore en état solide qui tapissent les planchers océaniques ont le temps de subir l’inexorable détérioration à laquelle ils semblent promis.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219125/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicolas Pauthe est membre de la Société Française de l'Environnement (SFDE) et de l'Association Française de Droit Constitutionnel (AFDC)
</span></em></p>Depuis 1993, l’immersion de déchets radioactifs en mer est interdite. Mais que faire des déchets jetés auparavant dans les océans ?Nicolas Pauthe, Docteur en droit public, enseignant-chercheur post-doctorant, Université de Pau et des pays de l'Adour (UPPA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2197242023-12-26T16:58:27Z2023-12-26T16:58:27ZLes deux corps de l’écologie politique : EELV et la « Booty Therapy »<p>Lors du lancement de leur campagne des Européennes, le 3 décembre 2023 à Paris, Les Écologistes ont, pendant plus de deux heures, <a href="https://youtu.be/FrCp8FNwHYU?feature=shared">présenté leur programme</a>. La tête de liste, Marie Toussaint, propose un « <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2019/05/15/avec-son-traite-environnemental-eelv-veut-changer-les-tables-de-la-loi-en-europe_5462448_823448.html">traité environnemental européen</a> » et défend l’idée de faire de la lutte contre la pauvreté la colonne vertébrale de l’Europe, en instaurant un droit de « véto social ». Un discours rationnel et ambitieux. Mais de ce meeting, beaucoup ne retiendront que les quelques minutes de <a href="https://www.youtube.com/live/Nt7h5C5gFPQ?feature=shared&t=4418"><em>Booty Therapy</em></a> qui ont agité les corps des militants.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1731027516570112240"}"></div></p>
<p>L’historien Ernst Kantorowicz a montré l’importance des <a href="https://www.cairn.info/les-deux-corps-du-roi--9782072878091.htm"><em>Deux Corps du roi</em></a> (1957). Le roi est, comme tout le monde, doté d’un corps mortel, soumis à sa sensibilité. Mais le Roi incarne aussi le corps immortel et politique de la royauté (l’État) et de Dieu. Les écologistes ont aussi deux corps. Le premier est tout aussi sensible que celui du roi – c’est le corps de chaque adhérent. L’autre est un corps proprement politique qui représente une pensée politique originale et singulière, matérialisé par un parti Vert. Ce <em>Body Politic</em> (corps politique) a vocation à symboliser la communauté militante.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/re-lire-andre-gorz-le-pere-de-lecologie-politique-francaise-84657">L’écologie politique</a> a, dès son origine, accordé toute son importante à la sensibilité de chaque militant, notamment à partir du respect de l’individualité de chacun. Il est aussi le seul parti à considérer que la relation avec le monde vivant est essentielle pour construire une gouvernance plus viable (c’est la position écocentrée qu’elle mobilise plus ou moins ouvertement). Le corps de chaque militant, ainsi que le corps partisan, mobilisent peu ou prou cette affectivité. Par conséquent, la sensibilité de chacun et la sensibilité dans sa relation au monde sont des référents importants chez les <a href="https://www.cairn.info/l-ecologie-politique-en-france--9782348035616.htm">écologistes politiques</a>.</p>
<h2>Sensibilité personnelle et rationalité politique</h2>
<p>Lors de ce meeting, les Écologistes ont tenté de réconcilier leurs deux corps, le sensible et le politique, afin de témoigner de la possibilité de relier la <a href="https://theconversation.com/radicalite-et-emotions-comment-se-mobilisent-les-militants-pour-le-climat-181502">part émotionnelle de chacun</a> avec la part froide et rationnelle de la politique. Leur tête de liste, Marie Toussaint, a souhaité construire un meeting qui encouragerait les militants à « <a href="https://www.youtube.com/live/Nt7h5C5gFPQ?feature=shared">écouter les pulsations du vivant</a> », à accepter la fragilité de la vie et à mener une campagne en « douceur ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1727399336890229123"}"></div></p>
<p>Il s’agit désormais de faire de la « politique autrement » en valorisant sa dimension relationnelle et dans un travail d’introspection de chacun. Pour autant, les Écologistes ne négligent pas le poids des rapports de force ou l’importance de produire un rapport cartésien à la politique (comme le montre par exemple l’utilisation du droit par Marie Toussaint dans l’<a href="https://www.cairn.info/revue-juridique-de-l-environnement-2022-2-page-257.htm">Affaire du siècle</a>).</p>
<p>Mais qu’importe le temps consacré dans ce meeting à la mise en mouvement de ce corps politique collectif. Qu’importe l’effort délicat de construction d’une forme de corporalité des idées écologistes, consistant à fusionner la part émotive/intuitive de chacun et la part rationnelle/contraignante de l’action politique collective. L’émergence d’un <em>Body Politics</em>, même doux, dépasse nécessairement l’individualité subjective de chaque militant. Comment parvenir à réaliser un équilibre entre le choix du « booty therapy » et, la mise en scène du sensible/corps sensible et celle d’un corps politique ?</p>
<h2>Politiser la sensibilité</h2>
<p>Comme le rappelle le politiste <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-avec_pierre_sansot_i_flaneur_du_sensible_i_michel_hastings-9782140498534-77775.html">Michel Hastings</a>, le sensible est le chemin qu’emprunte ce qui nous affecte et retentit en nous. La politisation de la sensibilité est l’une des contre-propositions politiques la plus vieille et la plus intéressante de l’écologie politique. Faire en sorte que notre rapport sensible au monde participe à la gestion de ce monde. Que notre médiation au monde passe autant par une relation rationnelle que relationnelle. C’est une sensibilité qui ouvre au monde, plutôt que de se refermer sur son monde intérieur.</p>
<p>Cela peut passer par une reconnaissance de notre vulnérabilité partagée avec tous les êtres vivants, comme le souligne la philosophe <a href="https://www.editionsducerf.fr/librairie/livre/8552/elements-pour-une-ethique-de-la-vulnerabilite">Corine Pelluchon</a>. Ou bien encore par la prise en compte d’une forme « d’<a href="https://www.seuil.com/ouvrage/comment-tout-peut-s-effondrer-pablo-servigne/9782021223316">intuition</a> » pour imaginer d’autres formes d’organisations politiques plus respectueuses des limites planétaires.</p>
<p>Par conséquent, il est heureux qu’un parti écologiste propose d’autres pistes de médiation pour gérer les crises écologiques et sociales actuelles et pour construire des modes de relations plus résilients entre les humains et les « autres qu’humains » (selon le joli terme de <a href="https://www.cairn.info/revue-societes-2010-3-page-11.htm?ref=doi">l’anthropologue Hélène Melin</a>).</p>
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<h2>Construire l’image du corps politique</h2>
<p>La politique est souvent une question de mise en scène de la transgression des codes admis pour faire avancer les choses (le <a href="https://theconversation.com/iel-itineraire-dune-polemique-172338">vocabulaire</a>, les répertoires d’action, comme la <a href="https://theconversation.com/provocation-implicite-et-salades-arrachees-les-raisons-de-la-dissolution-annulee-des-soulevements-de-la-terre-217481">violence</a>). L’utilisation du corps ne fait pas exception et c’est en soi un <a href="https://www.cairn.info/un-corps-a-nous--9782724640755.htm">acte politique</a>. De plus, dans notre société, la mise en scène du corps sensible est facilitée, encouragée et amplifiée par les réseaux numériques. Le culte de l’image s’individualise. Et nous faisons assaut d’inventivité pour se démarquer, afin de se prouver et de prouver sa propre existence. La construction de l’image du corps politique est, elle, plus compliquée à élaborer, comme viennent de le constater les militants écologistes et leurs dirigeants.</p>
<p>Nous ne nous prononcerons pas sur la qualité esthétique de la prestation de la <a href="https://www.youtube.com/live/Nt7h5C5gFPQ?feature=shared&t=4418"><em>Booty Therapy</em></a> (<a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/culture-africaine/video-c-est-quoi-la-booty-therapy_4866761.html">thérapie par une danse du fessier</a>). On peut simplement souligner qu’elle exprime à la fois une revendication d’identité (le corps libéré de la femme), une dimension festive mais aussi commerciale et thérapeutique. La <em>Booty Therapy</em> a comme objectif d’aider à mieux se comprendre, pour résoudre ses problèmes, ses traumas et de mettre en mouvement l’expression de cette réconciliation.</p>
<p>Un parti politique a-t-il vocation à soigner ses militants, notamment à partir de techniques de développement personnel ? Ce brouillage révèle le décalage entre la fonction d’un meeting politique (créer la mobilisation commune autour de valeurs partagées) et le but d’une thérapie (créer l’apaisement par le soin psychique).</p>
<p>Le happening a été justifié, a posteriori, comme <a href="https://www.huffingtonpost.fr/politique/article/les-ecologistes-lancent-leur-campagne-des-europeennes-avec-une-booty-therapy-marine-tondelier-s-explique_226549.html">un complément des discours délivrés lors du meeting</a>. Mais il n’était pas un simple entracte : il participait pleinement à l’incarnation des propos des dirigeants écologistes. En faisant ce choix, les responsables écologistes ont sans doute voulu montrer qu’ils accordaient toute sa place à la parole et au corps de la femme, qui plus est « racisée », souhaité mettre en scène la continuité entre leurs propositions politiques (le féminisme, l’antiracisme, la non-violence…) et une forme d’expression corporelle qui traduit la réalité de ces propositions. Le corps politique des écologistes s’incarne ainsi, par transfert, dans le corps sensible animé par la danse du fessier.</p>
<h2>Un « corps politique » qui s’individualise ?</h2>
<p>Malheureusement, la perception symbolique et politique entre ce corps sensible (<em>Booty</em>) et ce corps politique (<em>Body Politic</em>) n’est pas évidente à décrypter. C’est toute la difficulté de construire un discours politique à partir du sensible. Le corps sensible ne peut se construire en dehors du corps politique. S’il faut danser, autant mettre en mouvement le corps du parti, celui qui représente la communauté des militants. Dans cette danse collective, chaque individualité doit renoncer à une partie de sa souveraineté, afin de renforcer l’efficacité du combat politique. C’est toute la difficulté d’inventer une grammaire proprement politique de cette médiation corporelle.</p>
<p>Avec ce happening, les écologistes tentent de produire une forme de <a href="https://excerpts.numilog.com/books/9782746524613.pdf">résonance</a> entre le corps qui exprime une sensibilité toute personnelle et la communauté des corps militants, qui sont traversés à la fois par de multiples sensibilités mais aussi la nécessité de faire corps commun dans le combat politique. Et c’est là, sans doute, que le choix de la <em>Booty Therapy</em> a manqué d’une énonciation et d’une présentation vraiment politique. On peut donc se demander s’il n’existait pas d’autres formes d’expressions artistiques qui pouvaient atteindre les mêmes buts, sans nécessairement passer par la boîte à outil (discutable) du <a href="https://editions-observatoire.com/livre/Le-developpement-%28im%29personnel/270">développement personnel</a>.</p>
<p>Pour témoigner de leur sensibilité, Les Écologistes auraient pu, par exemple, choisir une <a href="http://www.universalis.fr/encyclopedie/buto/">danse butō</a>, cette chorégraphie du corps obscur inventé pour rendre compte de la souffrance des explosions atomiques d’Hiroshima et Nagasaki : danse minimaliste qui montre pourtant notre intime relation au monde et à ses menaces ; danse de la transgression (des codes, des formes, des frontières entre homme, femme et animal) et <a href="https://www.actes-sud.fr/node/9979">danse de la gravité</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/PlDjTp6pwik?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Avec un tel choix, les écologistes auraient ainsi affirmé la priorité accordée à la menace atomique, au moment où l’on va nous imposer un nouveau développement de ce péril. Difficile de faire des images faciles avec un tel sujet ou d’éviter la critique de l’élitisme culturel… La politique est aussi une question de choix assumés.</p>
<p>En défendant la primauté de cette représentation du corps individuel, Les Écologistes ne prennent-ils pas le risque d’individualiser chaque militant en le renvoyant avant tout à la sensibilité de son propre corps, au détriment de la projection dans un corps politique commun ? C’est l’équilibre intérieur qui est alors avant tout recherché, plutôt que l’autonomie politique, valeur cardinale de l’écologie politique.</p>
<p>Reconstruire un autre rapport au monde suppose de façonner une autonomie proportionnée aux limites planétaires : un <em>Body Politics</em>, qui comme le second corps du Roi a vocation à s’inscrire dans l’histoire. Cela bouscule les corps individuels (« ma » sensibilité, « mon » émotion…) et interroge la primauté du droit à l’affirmation première et illimitée de la construction de « mon » identité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219724/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>proximité idéologique des écologistes mais pas membre d'EELV</span></em></p>La politisation de la sensibilité est une des contre-propositions les plus vieilles et intéressantes de l’écologie politique. Mais comment la mettre en pratique lors d’un meeting ?Bruno Villalba, Professeur de science politique environnementale, AgroParisTech – Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2201312023-12-21T14:28:23Z2023-12-21T14:28:23ZLa faim justifie les moyens – quand l’ours polaire s’attaque à l’oie des neiges<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/566997/original/file-20231220-19-d2je5g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C1%2C989%2C745&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les adaptations que les ours devront déployer pour faire face aux défis imposés par les changements climatiques sont multiples et imprévisibles.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>C’est durant l’hiver que les ours polaires (<em>Ursus maritimus</em>) constituent leurs <a href="https://doi.org/10.1086/physzool.69.2.30164186">réserves de graisses</a>. La chasse intensive de phoques – une ressource <a href="https://doi.org/10.1139/z75-117">riche en gras</a> – leur permet d’emmagasiner assez d’énergie pour traverser l’été.</p>
<p>Avec le réchauffement du climat, les opportunités de chasse sur la banquise <a href="https://doi.org/10.1111/1365-2656.12685">diminuent</a>. Et les experts estiment qu’il n’y a pas assez de nourriture sur la terre ferme pour compenser la <a href="https://doi.org/10.1890/140202">diminution des réserves énergétiques chez les ours</a>.</p>
<p>Face à ces changements, certains individus profitent des colonies <a href="https://doi.org/10.1098/rspb.2013.3128">d’oiseaux nicheurs et de leurs œufs</a>, l’une des rares ressources faciles à obtenir sur la terre ferme, pour combler en partie leurs déficits énergétiques. Les adaptations que les ours devront déployer pour faire face aux défis imposés par les changements climatiques sont multiples et imprévisibles.</p>
<p>Étudiant-chercheur en écologie, je profitais d’un court séjour au nord de l’île de Baffin, au Nunavut, pour travailler sur la petite faune de l’île Bylot. Le temps d’un après-midi, un ours polaire en a décidé autrement. Nous vous livrons ici ses prouesses, qui ont mené à l’observation d’un comportement inédit.</p>
<h2>L’observation inusitée – l’ours polaire en eau douce</h2>
<p>Nous sommes le 8 août 2021. À 80 km de la communauté inuite de Mittimatalik, le camp de recherche de l’île Bylot fourmille d’activité.</p>
<p><a href="https://doi.org/10.1139/as-2023-0029">Établi depuis 30 ans</a>, il est situé en plein cœur de l’aire d’élevage de la plus grande colonie connue d’oie des neiges (<em>Anser caerulescens caerulescens</em>). Aujourd’hui, les scientifiques de différents horizons parcourent le fond de la vallée Quarliktuvik – généralement plat – pour étudier le sol, l’eau, les plantes et la faune.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/566995/original/file-20231220-25-jybcic.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Bylot Island main research station TimMoser x" src="https://images.theconversation.com/files/566995/original/file-20231220-25-jybcic.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/566995/original/file-20231220-25-jybcic.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=246&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/566995/original/file-20231220-25-jybcic.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=246&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/566995/original/file-20231220-25-jybcic.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=246&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/566995/original/file-20231220-25-jybcic.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=310&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/566995/original/file-20231220-25-jybcic.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=310&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/566995/original/file-20231220-25-jybcic.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=310&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le camp de recherche de l’île Bylot.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Tim Moser)</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>En sortant d’un ravin, l’un des rares reliefs des environs, je balaie la vallée de mes jumelles. Deux paires de jambes retiennent mon attention au loin. Les brumes de chaleur brouillent l’image, mais ce que je considérais être des collègues marchant côte à côte prend soudainement la forme floue – mais caractéristique – d’un ours polaire. Bien que tous aient l’équipement nécessaire – vaporisateurs chasse-ours, cartouches anti-ours et parfois même un fusil – je retourne <em>presto</em> au camp après avoir alerté le groupe par radio.</p>
<p>Plusieurs collègues se sont regroupés sur une petite colline pour garder à l’œil le nouveau venu. En effet, le temps que je parcoure le kilomètre me séparant du camp, <em>nanuk</em> en avait fait trois dans sa direction et s’affairait autour d’un étang occupé par des oies. À cette période de l’année, <a href="https://doi.org/10.1111/jav.00982">celles-ci sont en mues</a> – donc incapables de voler – et s’attroupent près des étangs pour échapper au <a href="https://doi.org/10.14430/arctic604">renard arctique (<em>Vulpes lagopus</em>)</a>, qui dédaigne de se jeter à l’eau. Avec un ours dans les parages, les activités sur le terrain cessent et nous profitons de cet après-midi radieux pour observer le roi de la banquise.</p>
<p>Fidèles à leur habitude, les oies se sont réfugiées dans l’étang le plus proche à la vue du danger. Elles pataugent suffisamment rapidement pour maintenir l’ours, qui nage à la surface, à une bonne distance.</p>
<p>Celui-ci utilise alors une technique inédite : il plonge sous l’eau, disparaît aux yeux des oies qui cessent de fuir, et sort sous l’une d’elle.</p>
<p>Ma collègue Mathilde Poirier consigne ce comportement dans son carnet :</p>
<blockquote>
<p>13h45 – 14h00 : l’ours nage dans le lac […], effectue 4 plongées pour essayer d’attraper une oie. Réussi à sa 4<sup>e</sup> tentative (attrape l’oie par en dessous, lors d’une plongée).</p>
</blockquote>
<p>Au cours de l’après-midi, l’ours utilise cette technique deux autres fois, avec un échec et une réussite.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/566996/original/file-20231220-19-utj9iv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="schéma" src="https://images.theconversation.com/files/566996/original/file-20231220-19-utj9iv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/566996/original/file-20231220-19-utj9iv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/566996/original/file-20231220-19-utj9iv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/566996/original/file-20231220-19-utj9iv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/566996/original/file-20231220-19-utj9iv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=473&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/566996/original/file-20231220-19-utj9iv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=473&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/566996/original/file-20231220-19-utj9iv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=473&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Nous avons observé une technique de chasse inédite chez un ours polaire : il plonge sous l’eau, disparaît aux yeux des oies qui cessent de fuir, puis sort sous l’une d’elle.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Madeleine-Zoé Corbeil-Robitaille)</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<h2>Quels bénéfices les ours peuvent-ils tirer de ce comportement ?</h2>
<p>Deux mois plus tard, de retour l’Université Laval, cette observation nous fascine toujours. Nulle part dans la littérature scientifique ne fait-on mention d’un tel comportement. Au mieux, on y rapporte des <a href="https://doi.org/10.33265/polar.v41.8176">attaques sur des guillemots dans l’océan</a>, près des côtes, un environnement fort différent des étangs calmes et peu profond où nous avons observé les attaques.</p>
<p>Étant au fait des <a href="https://doi.org/10.1890/140202">défis énergétiques</a> auxquels font face les ours durant l’été, notre groupe de recherche a voulu répondre à la question suivante : est-ce que cette technique de chasse permettrait à l’ours polaire de bénéficier de la consommation d’oie des neiges ?</p>
<p>L’information consignée sur le terrain, soit le temps nagé par l’ours et son succès de chasse, nous permettait justement d’y répondre. En combinant nos observations avec des <a href="https://doi.org/10.1007/s00300-017-2209-x">estimations du coût énergétique</a> de la nage chez l’ours et <a href="https://doi.org/10.1093/conphys/cow045">l’énergie contenue dans une oie des neiges</a>, nous avons pu modéliser l’efficacité énergétique de la technique.</p>
<p><a href="https://doi.org/10.1139/AS-2023-0036">Ces calculs révèlent</a> que cette technique de chasse pourrait permettre aux ours d’acquérir plus d’énergie qu’ils n’en dépensent, particulièrement pour les ours de petite taille, et s’ils arrivent rapidement à attraper l’oie.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/566994/original/file-20231220-25-lint0u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="ours polaire" src="https://images.theconversation.com/files/566994/original/file-20231220-25-lint0u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/566994/original/file-20231220-25-lint0u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/566994/original/file-20231220-25-lint0u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/566994/original/file-20231220-25-lint0u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/566994/original/file-20231220-25-lint0u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/566994/original/file-20231220-25-lint0u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/566994/original/file-20231220-25-lint0u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">L’ours en question s’affairait autour d’un étang occupé par des oies.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Yannick Seyer)</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<h2>Un apport énergétique qui est loin d’être suffisant</h2>
<p>Cet apport énergétique aurait toutefois une portée très limitée.</p>
<p>Tout d’abord, une oie fournit relativement peu d’énergie – environ 200 fois moins qu’un <a href="https://doi.org/10.1139/z75-117">phoque annelé de 45 kilogrammes</a>.</p>
<p>De plus, elles sont rarement disponibles comme proies : elles perdent la capacité de voler seulement 3 ou 4 semaines chaque été et leurs colonies sont situés à <a href="http://dx.doi.org/10.1002/jwmg.879">quelques endroits</a> seulement dans l’arctique.</p>
<p>La chasse d’oies pourrait donc bénéficier ponctuellement à certains ours, mais ne permettra pas, à l’échelle de la population, d’alléger les déficits énergétiques causés par la fonte de la banquise.</p>
<p>Bien que notre observation souligne l’éventail comportemental que peuvent déployer les ours pour exploiter les ressources terrestres, ce type d’interaction entre l’oie des neiges et l’ours polaire ne devrait pas avoir d’impact sur les populations des deux espèces.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220131/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>David Bolduc a reçu des financements du PFSN et de l'Association canadienne pour le trappage sans cruauté. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Matthieu Weiss-Blais a reçu des financements de CRSNG, FRQNT, PFSN. </span></em></p>Des chercheurs ont fait une observation fascinante : un ours polaire a employé une technique de chasse en plongée, encore jamais rapportée, pour capturer de grandes oies des neiges en mue.David Bolduc, Étudiant au doctorat en écologie animale, Université LavalMatthieu Weiss-Blais, Étudiant la maîtrise en biologie, Université LavalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2114532023-11-19T16:36:15Z2023-11-19T16:36:15ZRécit : Des cochons et des hommes<p><em>« Faire le cochon » endurcirait nos existences molles de petits consommateurs, dépossédés, déconnectés des réalités de la vie. L’anthropologue Madeleine Sallustio a effectué une enquête de terrain de plusieurs semaines dans un collectif autogéré en Italie. Avec ces habitants, elle participe à la transformation du cochon. Cela l’amène à documenter des clivages de genre communs dans ces collectifs. Premier article de notre série de récits écrits pour The Conversation France.</em></p>
<hr>
<p>Nous nous sommes levés tôt. Il fait encore nuit. À la frontale, nous sommes plusieurs à converger vers le lieu de rendez-vous : Casa Gialla, un des gros bâtiments de ferme qui compose Montecaro. Ce collectif agricole, dans les collines toscanes, en Italie, est squatté depuis déjà huit ans.</p>
<p>Il recouvre près de 200 hectares d’oliviers, des vignes, quelques champs de blé, de petits jardins et plusieurs bâtis, transformés en habitation. Le groupe de jeunes adultes qui y habite et travaille s’est transformé au cours du temps. Certains étaient poussés par le souci de maintenir la vocation agricole de cet espace face à la <a href="https://www.torrossa.com/en/resources/an/4536290">spéculation immobilière et le marché de la résidence secondaire</a>. D’autres, étaient motivés par l’envie d’expérimenter un <a href="https://www.cairn.info/revue-techniques-et-culture-2020-2-page-178.htm">mode de vie autonome</a>, de voir de quelle utopie ils étaient capables, d’aller un peu plus loin que des <a href="https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2022-3-page-487.htm?contenu=article">mouvements sociaux urbains</a> desquels beaucoup d’entre eux étaient familiers.</p>
<p>Vivre « ici et maintenant » le monde que l’on souhaiterait voir advenir, sans l’aide des partis ou des syndicats, sans espérer ni la révolution ni l’effondrement : telle était la démarche politique défendue ici. C’est ce que je suis venue étudier, moi, Madeleine, anthropologue belge. J’étudie le rapport que les êtres humains entretiennent à l’égard du temps, les choix d’organisation du travail, le rapport au passé, au présent, à l’avenir.</p>
<p>Peu sportive, je trottine de manière précipitée derrière ‘Cici qui, malgré mon italien basique, semble m’avoir trouvée sympathique. Il me taquine, et parfois, me tape gaillardement dans le dos en se moquant de mes origines molisaines. Cette région d’Italie si petite, si dépeuplée, qu’on dit, en Toscane, qu’elle n’existe pas.</p>
<p>Mais ‘Cici avait aussi été accueillant. Il avait trouvé important de m’expliquer comment était né le projet. Il avait « pris le temps », comme on dit. Depuis huit ans, le travail est collectif et autogéré à Montecaro, tout comme la vie quotidienne. On vise l’égalité, l’horizontalité et l’anti-autoritarisme dans les prises de décisions. « Pas de patron dans nos sillons ! », ainsi pourrait-on traduire leur slogan, écrit sur leurs affiches, banderoles et étiquettes, sans trahir leur anonymat. Cette semaine, une des priorités sur laquelle s’est mis d’accord le collectif est l’abattage de plusieurs cochons. Il est déjà un peu tard pour la saison, on a peur des mouches.</p>
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<span class="caption">Un groupe du collectif se prépare pour l’abattage du cochon.</span>
<span class="attribution"><span class="source">M. Sallusto</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>On arrive sur place. Francesco, Giuseppe, Simone, Luca, ‘Cici qui s’appelle en réalité également Francesco, Daniele, Lisa et moi, qui sommes les deux seules femmes.</p>
<p>On prépare un gros chaudron d’eau qu’on fait bouillir dans la cour. On installe des palettes en bois, qu’on rince au jet d’eau. Le groupe est calme, parle peu, fume. Il est difficile de distinguer la nervosité de la fatigue. Francesco nous fait un café. Lui, ne participera pas à l’abattage. Il dit avoir d’autres choses à faire, et que, de toute façon, faire le cochon, « ce n’est pas son truc ».</p>
<p>Lorsque l’eau est assez chaude, on se dirige vers l’enclos des cochons. Nous sommes plusieurs à suivre même si notre présence n’est pas requise.</p>
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<h2>Abattre et transformer le cochon consacre la quête de paysannerie</h2>
<p>Une curiosité solennelle flotte dans l’air. Les cochons sont isolés et c’est Giuseppe, un des premiers squatteurs du lieu, formé à l’abattage des cochons par un agriculteur voisin, qui tue le premier animal, au pistolet. Le cochon crie peu. Appâté par un sac de grain, il s’était laissé approcher facilement. Il faut l’aide de deux personnes pour contenir les spasmes post-mortem du corps de l’animal. Giuseppe pointe du doigt certains membres de l’assemblée pour demander de l’aide. Il cherche les gros bras. Cela dure plusieurs minutes. Une fois inerte, le corps de l’animal, d’environ 200 kg, est finalement attaché à une corde et traîné en tracteur jusqu’à l’atelier.</p>
<p>On le hisse sur les palettes. Le travail peut enfin commencer pour les petites mains, comme moi.</p>
<figure class="align-center zoomable">
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<span class="caption">Le cochon est tracté par un tracteur jusqu’au lieu où il sera travaillé par le collectif.</span>
<span class="attribution"><span class="source">M. Sallustio</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/554544/original/file-20231018-15-4zni3i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/554544/original/file-20231018-15-4zni3i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/554544/original/file-20231018-15-4zni3i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/554544/original/file-20231018-15-4zni3i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/554544/original/file-20231018-15-4zni3i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/554544/original/file-20231018-15-4zni3i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/554544/original/file-20231018-15-4zni3i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une fois tué, le cochon est hissé sur un plan de travail en hauteur. L’échaudage peut commencer.</span>
<span class="attribution"><span class="source">M. Sallusto</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>L’abattage et la découpe du cochon sont un travail qui nécessite d’être nombreux. Il dure toute la journée. De nombreuses personnes passeront relayer l’équipe ou filer des coups de main, sans nécessairement rester toute la journée. Certains ont plus d’expérience, d’autres moins. L’événement attire aussi de nombreux curieux. De manière générale, <a href="https://www.jstor.org/stable/40988615">comme en France</a>, l’abattage du cochon est un événement. Il incarne l’imaginaire que se font les habitants de Montecaro de la vie paysanne. Il consacre leur projet de vie et de travail agricole en collectif.</p>
<h2>Endurcir nos existences</h2>
<p>On parle beaucoup de l’abattage du cochon dans les pièces communes, avant et après le jour J. Certains compatissent, tantôt avec la bête, tant avec le bourreau. On parle de « courage d’abattre ». De l’importance de tuer sans faire souffrir. On parle aussi de la cohérence que procure le fait de pouvoir tout gérer, de A à Z, manger les bêtes qu’on élève, celles qu’on a chéries, nourries, tuées, découpées, cuisinées. On débat sur le respect de la vie animale.</p>
<p>Certains défendent le fait que manger de la viande sans être capable de tuer ou, a minima, de se confronter à la mort, serait peu honorable. Cela consisterait à déléguer le « sale boulot » qui, par cette rhétorique, cesse aussitôt d’en être un. Cet événement ravive le souhait originel d’autonomie. Apprendre à « faire soi-même ». Et pas n’importe quoi : de la viande, des protéines.</p>
<p>« Faire le cochon », en somme, endurcirait nos existences molles de petits consommateurs, privilégiés et pourtant dépossédés, impuissants, déconnectés des réalités de la vie. Être capable de se confronter à la mort, au lourd, au sale. C’est un discours qui est commun, notamment dans les registres de légitimation de consommation de viande, une <a href="https://www.fayard.fr/livre/apologie-du-carnivore-9782213655826/">« éthique du carnivore »</a> qui défend l’acceptabilité de manger de la viande à condition d’être capable de tuer.</p>
<p>On parle aussi des <a href="https://journals.openedition.org/cm/2910">paysans d’antan</a>, du rôle qu’avait le cochon dans l’alimentation, des recettes toscanes traditionnelles. On tisse un rapport de filiation identitaire avec la paysannerie. « Faire le cochon » est alors, pour certains, une manière de continuer ce que faisaient les anciens.</p>
<p>Ce type d’événement, qui consacre, qui réactualise le ou les projets que chacun est venu chercher ici, n’est pas uniquement l’apanage de l’abattage du cochon. D’autres événements similaires ont cet effet : les vendanges, les moissons, ou des réunions politiques annuelles avec d’autres fermes.</p>
<h2>Avoir sa place</h2>
<p>Mais retournons à nos cochons. Une fois sur les palettes, une petite entaille dans le cou de la bête permet de le vider de son sang. Le plus vite est le mieux. Sans quoi, le sang coagule. Ce dernier est récupéré dans un saladier. On agite le fluide avec un fouet. Il sera cuisiné dans la journée sous forme de crêpe, le <em>migliaccio di sangue</em>.</p>
<p>Ensuite, on procède au toilettage. Il s’agit de raser à blanc le cochon. Le travail se fait par équipes de deux. Une personne gratte la fourrure de l’animal à l’aide d’un couteau et guide son acolyte, qui arrose méticuleusement d’un filet d’eau bouillante les zones à l’aide d’un petit broc en métal. Le travail est précis. Trop d’eau bouillante d’un coup cuirait la peau du cochon et refermerait les pores de sa peau définitivement. Les poils ne s’épileraient plus, ce serait gâcher du lard.</p>
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<span class="caption">Le cochon est saigné.</span>
<span class="attribution"><span class="source">M. Sallustio</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<span class="caption">Le cochon est échaudé.</span>
<span class="attribution"><span class="source">M. Sallustio</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<span class="caption">La préparation des carcasses pour la boucherie prend toute la journée et est un travail collectif.</span>
<span class="attribution"><span class="source">M. Sallustio</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Lisa et moi sommes à ce poste, avec la nièce de Daniele, une enfant d’une dizaine d’années, que je trouve particulièrement volontaire. À trois, nous versons de l’eau à la demande des manieurs de couteaux et remplissons nos petits brocs en métal dans la grosse marmite d’eau. Les autres habitantes du collectif n’interviendront dans ce travail qu’à l’étape de préparation des saucisses et pâtés, le jour qui suit la boucherie. Et encore, plusieurs d’entre elles sont végétariennes, ce qui diminue la main-d’œuvre féminine potentielle, dans un collectif déjà majoritairement <a href="https://journals.openedition.org/itti/2667">composé d’hommes</a>.</p>
<p>Derrière cette organisation du travail spontanée qui se met en place, il existe des enjeux d’égalité de genre. Lisa, qui n’en est pas à son premier cochon, m’explique qu’il lui a été difficile de s’imposer comme légitime dans cette activité.</p>
<blockquote>
<p>« La première fois que j’étais là pour le cochon, j’avais dit la veille que j’aurais aimé participer et ils sont partis le faire sans me prévenir ! Ils disaient qu’ils n’avaient pas pensé que j’étais sérieuse, que les filles étaient d’habitude dégoutées par le sang, la mort, ce genre de chose. Mais pas moi ! Alors, je suis venue, et on m’a fait verser de l’eau chaude pendant des heures. J’avais pas le droit de tenir le couteau quoi ! On finissait toujours par me l’enlever des mains. Quand ils coupaient la viande, j’avais très envie d’apprendre. Mais comme c’était la veille d’une fête, il y avait plein de choses à faire et quelqu’un est venu me chercher pour que je peigne des panneaux pour indiquer le parking. Pourquoi il ne l’a pas demandé à Francesco ? Lui non plus n’avait jamais découpé le cochon, c’était pas comme s’il était plus efficace que moi ! Non, mais c’est un mec. Il avait sa place là. »</p>
</blockquote>
<h2>Travail visible, travail invisible</h2>
<p>Cette situation est récurrente dans le travail agricole, et ce, dans la très grande majorité des collectifs que j’ai rencontrés, tant en France, qu’en Italie et qu’en Espagne. La division genrée du travail fait la norme. Cela se manifeste par la répartition inégale des genres dans les activités. Les femmes sont plus souvent en charge des plantes médicinales, de l’éducation des enfants, du ménage ou un travail administratif ; et les hommes aux machines, sur les tracteurs, avec les tronçonneuses, les charges lourdes et les outils coupants. Ce n’est pas un hasard si nous sommes si minoritaires aujourd’hui, Lisa et moi. Des mises à l’écart informelles s’exercent, notamment sous le couvert de l’efficacité et de la sécurité (que chacun fasse ce qu’il <em>sait</em> faire), ou de l’aisance et du choix personnel (que chacun fasse ce qu’il a <em>envie</em> de faire, là où il se sent le plus à l’aise).</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/554551/original/file-20231018-27-13jw82.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/554551/original/file-20231018-27-13jw82.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/554551/original/file-20231018-27-13jw82.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=899&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/554551/original/file-20231018-27-13jw82.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=899&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/554551/original/file-20231018-27-13jw82.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=899&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/554551/original/file-20231018-27-13jw82.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1130&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/554551/original/file-20231018-27-13jw82.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1130&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/554551/original/file-20231018-27-13jw82.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1130&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Une fois les bêtes échaudées, elles sont suspendues par les tendons à des crochets pour être vidées de leurs entrailles.</span>
<span class="attribution"><span class="source">M. Sallusto</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Pourtant, rares sont ceux qui arrivent formés à l’agriculture : des relations de formation informelles existent. La division genrée commence par ce biais : les tâches d’hommes seront enseignées prioritairement aux hommes, façonnant par là un ensemble de compétences et d’attitudes genrées dans le quotidien. Il en va de la manipulation du tracteur, de la sollicitation pour porter de lourdes charges (comme des ballots de foin, des bûches de bois, du matériel de construction, des sacs de grain), ou encore de la camaraderie autour de la boisson alcoolisée. La vinification ou le brassage de la bière sont effectivement aussi des activités qui attirent davantage les hommes.</p>
<p>Lisa a bien conscience de cette division qu’elle considère à la fois comme une injustice et comme le risque de se voir dépossédée du projet en tant que tel.</p>
<blockquote>
<p>« Quand tu es dans une ferme, tu fais le cochon, tu conduis le tracteur, tu bucheronnes… c’est ça qui est visible. Personne ne va venir dans la ferme et te dire “qu’est-ce qu’ils sont jolis tes panneaux de parking.” […] Mais du coup on va féliciter Giuseppe pour ses cochons. “Bravo, Giuseppe, merci, Giuseppe”. Ça donne du pouvoir ça ! Il devient plus irremplaçable. Moi quand on dit ça, je réagis toujours : “non, ce sont NOS cochons” ».</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/554550/original/file-20231018-19-2gsipg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/554550/original/file-20231018-19-2gsipg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/554550/original/file-20231018-19-2gsipg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/554550/original/file-20231018-19-2gsipg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/554550/original/file-20231018-19-2gsipg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/554550/original/file-20231018-19-2gsipg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/554550/original/file-20231018-19-2gsipg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les carcasses sont fendues dans le sens de la longueur et amenées au lieu de boucherie.</span>
<span class="attribution"><span class="source">M. Sallusto</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<h2>Les femmes redoublent d’efforts pour se situer à l’égal des hommes</h2>
<p>Le toilettage continue. Nous insistons pour prendre un couteau, tourner, changer de poste. Ce que nous vivons comme une revendication politique est en vérité accepté sans discussion. On me tend le couteau. Je découvre qu’être à ce poste implique, à un moment, d’extraire l’anus du cochon. L’opération me dégoûte profondément pour diverses raisons, mais je tente de garder mes haut-le-cœur pour moi. L’heure n’est pas aux aveux de faiblesse, il s’agit de montrer que je suis à la hauteur, sans quoi je crains être reléguée et à jamais enfermée dans le rôle de la verseuse d’eau, avec les femmes et les enfants. Lisa note mon désemparement et éclate de rire.</p>
<blockquote>
<p>« J’ai eu la même réaction quand j’ai dû couper les couilles de mon premier cochon ! J’ai pas réussi… J’étais tellement déçue que Tonio le fasse à ma place, j’avais l’impression d’avoir confirmé l’image qu’ils avaient de moi. »</p>
</blockquote>
<p>Ici comme ailleurs, il est intéressant de constater à quel point les femmes redoublent souvent d’efforts pour se situer à l’égal de l’homme. Chantiers non mixtes pour apprendre à manier la tronçonneuse, cours d’ergonomie pour porter des charges lourdes, démonstration de force. L’inverse est rarement vrai. C’est par exemple ce que m’expliquait Rita, une autre habitante du collectif :</p>
<blockquote>
<p>« On ne prend pas assez au sérieux la cuisine. Or, ce n’est pas si évident de prévoir des menus équilibrés sur la semaine pour 25 personnes avec les produits du jardin ! Ça aussi, ça nécessite des formations. Pour les gars, ça irait si on mangeait juste des pâtes midi et soir, mais ce n’est pas sain. Sauf que si ça ne te convient pas, alors, c’est toi qui te retrouves à faire à manger. Prendre soin, c’est encore pour les femmes ».</p>
</blockquote>
<p>D’autres cochons sont tués : un adulte et trois petits. Une fois les bêtes échaudées, elles sont suspendues par les tendons à des crochets pour être vidées de leurs entrailles. Ici encore, c’est Giuseppe qui veille à ce que les coups de hachette et de couteaux soient précis. Il s’agit de ne pas perforer les intestins. Les abats destinés à être cuisinés le jour même sont mis de côté. Une fois le cochon lavé, vidé, il est fendu en deux dans le sens de la longueur. Il faudra être plusieurs pour amener sa carcasse, devenue viande, jusqu’au lieu de boucherie. Là encore, on appelle aux gros bras. On laisse faisander les carcasses une nuit. La boucherie n’aura lieu que le lendemain.</p>
<h2>« Et alors ! ? On ne t’a pas appris à aiguiser des couteaux à Milan ? »</h2>
<p>Le lendemain, je réponds présente. Il y a moins de monde. C’est moins spectaculaire. Lisa n’est pas là. C’est une autre ambiance. Nous sommes à l’intérieur d’un grand hangar dont la fonction est polyvalente. Salle de fête, d’assemblée, de formation, de stockage, de boucherie. On écoute du rap très fort. On aiguise des couteaux réservés à cet usage.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/558638/original/file-20231109-21-u53mqf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/558638/original/file-20231109-21-u53mqf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/558638/original/file-20231109-21-u53mqf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/558638/original/file-20231109-21-u53mqf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/558638/original/file-20231109-21-u53mqf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/558638/original/file-20231109-21-u53mqf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/558638/original/file-20231109-21-u53mqf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Boucherie : les os sont fendus à la hache, les jambons coupés, ainsi que les côtelettes et filets.</span>
<span class="attribution"><span class="source">M. Sallusto</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>Giuseppe et ‘Cici ne quittent pas leur posture de pédagogue de la veille. Ils seront très patients et bienveillants avec moi, s’assurant que tout aille bien, que je ne me coupe pas, que je n’aie pas mal au dos. Ils sont en revanche beaucoup plus moqueurs et provocateurs avec Enzo, plus jeune. Ancien étudiant de philosophie, Enzo a rejoint le collectif depuis peu. Il était arrivé en vélo, faisait de la musique, et surjouait une attitude légère et dilettante.</p>
<p>Giuseppe lève les yeux au ciel en voyant Enzo tenter d’aiguiser un couteau avec le fusil. Il lui prend le couteau des mains :</p>
<blockquote>
<p>« Et alors ! ? On ne t’a pas appris à aiguiser des couteaux à Milan ? »</p>
</blockquote>
<p>Tous les hommes éclatent de rire. Les railleries sur son origine milanaise sont nombreuses, Milan apparaissant comme la ville bourgeoise et « bling bling », loin de l’autonomie libertaire. Enzo en joue. Il incarne tantôt le vagabond bohème, tantôt l’enfant de riche, voire l’enfant tout court. Jouer au fou, au Mat, lui permet d’échapper au sérieux et aux responsabilités qui l’accompagnent. Sa posture est intéressante car le décalage de cet homme avec la virilité et l’ardeur technique au travail attendues de lui permet de mettre en lumière le rôle qu’il ne remplit pas. Cela fait donc l’objet de moqueries et, par là, visibilise les normes relatives à la masculinité dans ce collectif.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/554958/original/file-20231020-27-tchtxe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/554958/original/file-20231020-27-tchtxe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/554958/original/file-20231020-27-tchtxe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/554958/original/file-20231020-27-tchtxe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/554958/original/file-20231020-27-tchtxe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/554958/original/file-20231020-27-tchtxe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/554958/original/file-20231020-27-tchtxe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les premiers bouts de viande sont cuits au barbecue alors que la boucherie continue. Ce sera l’occasion de faire une pause.</span>
<span class="attribution"><span class="source">M. Sallustio</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Francesco, quant à lui, est depuis hier pendu aux lèvres de Giuseppe et ‘Cici. Clope au bec, il apprend. Un jour, il devra pouvoir le faire seul. Je travaille pour ma part avec Enzo. Nous sommes en bout de chaîne, à dégraisser, désosser, et tailler le lard et les plus petits morceaux de viande pour le hachoir à saucisse. Les autres, vrais bouchers, fendent des os à la hache, à la scie, détachent jambons, côtelettes, filets. Aucune partie du cochon ne sera gâchée. Tous les os, bouts de peau, de gras, les pieds et autres morceaux seront bouillis dans une grande marmite. On épicera le tout selon différentes recettes pour faire du pâté de tête.</p>
<p>La viande sera congelée ou transformée en saucisse, elle-même congelée pour les grandes occasions. Quelques morceaux seront consommés au barbecue, petit privilège des travailleurs. L’équipe de boulangers, à l’œuvre en même temps que nous dans le fournil, fait de même avec la <em>focaccia</em> sortie du four. Bénéficier directement de son labeur, après tout, est un des leitmotive du travail tel qu’il est déployé ici.</p>
<h2>Ce sont systématiquement les femmes qui s’en vont</h2>
<p>Malgré les aspirations égalitaires des collectifs que j’ai rencontrés dans le cadre de mes terrains en Italie, en France et en Espagne, l’organisation du travail et de la vie quotidienne demeure donc fortement genrée. Si l’objectif de ces lieux est de réinventer des manières de s’organiser « alternatives », on est en droit de se demander de quelle alternative au patriarcat il est question.</p>
<p>Les initiatives néo-paysannes reproduisent en effet la matrice dominante dans leur manière de penser les archétypes, en l’occurence, le <a href="https://anthrosource.onlinelibrary.wiley.com/doi/epdf/10.1525/ae.2005.32.4.593">paysan traditionnel, homme, blanc, hétérosexuel</a>. S’identifier à la paysannerie, pour les femmes, demande un travail de désexualisation de cet archétype, sans quoi, l’identification au rôle de la <em>paysanne</em> et de sa position dans les rapports de domination n’est pas enviable.</p>
<p>Cet effort de nécessairement penser l’anticapitalisme et le « retour à la terre » selon une perspective écoféministe est permanent et la difficulté à transformer les rapports de force internes à ces groupes se manifeste notamment par la désertion des femmes.</p>
<p>À la fin de mon terrain en novembre 2021, de nombreuses femmes allaient en effet quitter le collectif, laissant Lisa comme seule habitante. Cela l’attristait, malgré les blagues des habitants du lieu qui cherchaient à dédramatiser la situation. « Vive la reine ! Vive la reine ! Vive la reine des lieux ! » était une phrase souvent scandée à son égard dans les espaces collectifs, tout particulièrement pour la remercier d’avoir fait la cuisine. Elle se séparera un an après de son conjoint et quittera également le collectif.</p>
<p>Ce sont systématiquement les femmes qui s’en vont. Les hommes, davantage intégrés, formés, engagés dans le projet, sont plus systématiquement intégrés au travail, non sans pression sociale. Si le but de ces initiatives est de reprendre de la maîtrise sur son environnement, se ressaisir, multiplier les savoirs et savoir-faire, les hommes ont une expérience finalement plus émancipatrice que les femmes dans ces aventures néo-paysannes pour qui le « retour à la terre » s’apparente plutôt à un <a href="https://www-sciencedirect-com.ezproxy.ulb.ac.be/science/article/pii/S0743016714000400">« retour au foyer »</a>.</p>
<p>Si pour <a href="https://thecommunists.org/2023/06/15/news/environment-day-un-ecology-without-class-struggle-gardening/">Chico Mendes</a> l’écologie sans la lutte des classes se résume à du jardinage, on est en droit de se demander ce qu’est le « retour à la terre » s’il fait l’économie du féminisme.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/211453/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Madeleine Sallustio a reçu des financements de l'InSHS (CNRS) et du Centre de sociologie des organisations (CSO) de SciencesPo pour la réalisation de cette recherche. </span></em></p>Au sein d’un collectif agricole autogéré, on abat soi-même le cochon. Si cet événement témoigne d’une forte volonté politique, il visibilise aussi des clivages de genre. Récit.Madeleine Sallustio, Anthropologue, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2179342023-11-16T11:52:56Z2023-11-16T11:52:56ZÀ quoi sert la violence des mouvements écologistes ? Le rituel de l’écodésordre, entre spectacle et espoir d'un nouveau monde<p>La question de la violence a récemment été mise en tension avec celle de l’écologie politique, à travers la dissolution – finalement annulée par le Conseil d’État – du <a href="https://theconversation.com/provocation-implicite-et-salades-arrachees-les-raisons-de-la-dissolution-annulee-des-soulevements-de-la-terre-217481">collectif écologiste Les Soulèvements de la Terre</a>. Argument invoqué : les affrontements avec les forces de l’ordre lors des manifestations, mais surtout la violence contre les biens, en particulier <a href="https://theconversation.com/sainte-soline-un-tournant-pour-les-mouvements-ecologistes-203304">ce printemps à Sainte-Soline</a>.</p>
<p>« Un cap supplémentaire a été franchi » dans la violence, tant lors des manifestations contre la réforme des retraites que lors du rassemblement contre les mégabassines à Sainte-Soline, estimait le <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cegrvimani/l16b1824-t1_rapport-enquete">rapport de la commission d’enquête</a> sur les « groupuscules violents » <a href="https://lcp.fr/actualites/groupuscules-violents-en-manifestations-la-commission-d-enquete-s-inquiete-d-un">rendu public ce 14 novembre</a>. Désobéissance civile pacifiste nécessaire pour les uns, illégalisme violent à réprimer pour les autres. Qu’en est-il vraiment ?</p>
<h2>La violence comme rituel et comme spectacle</h2>
<p>Dans l’immense majorité des cas, pour les activistes écologistes, le franchissement de la légalité advient lorsqu’ils estiment que toutes les tentatives de contestations démocratiques ont été épuisées. Ensuite, certains <a href="https://aoc.media/analyse/2023/05/21/jusquou-assumer-la-contre-violence-en-anthropocene/">éléments ethnographiques</a> semblent nous indiquer que dans les pratiques de dégradations, de désarmements, d’occupations illégales ou de manifestations de masse menant à la confrontation, la violence est avant tout une tentative politique de reprendre le pouvoir sur un monde menaçant par l’ouverture d’un nouvel imaginaire spectaculaire.</p>
<hr>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<hr>
<p>Il faut souligner que les mobilisations écologistes semblent faire office de catalyseur des luttes, et apportent de ce fait une diversité de tactiques militantes dont l’intensité est variable, mais dont la violence reste essentiellement codée et limitée. Ces observations ethnographiques convergent, à ce titre, avec les <a href="https://www.cairn.info/le-vertige-de-l-emeute--9782130819097.htm">travaux de terrain portant sur la violence émeutière</a>, laquelle obéit à une casuistique de l’affrontement, un désordre chaotique et pourtant réglé s’apparentant bien souvent à une pratique festive.</p>
<p>Comprendre : cette violence produit un spectacle, dans le sens où il y a en général un petit nombre d’acteurs de la violence, face à un grand nombre de spectateurs qui l’approuvent. Comme tout spectacle, et donc comme tout rituel, l’usage de la violence reste limité par un ensemble de règles, de code, et par des individus dans le groupe qui vont orchestrer sa régulation.</p>
<h2>Qu’est-ce que la violence légitime ?</h2>
<p>C’est pourquoi, sur les terrains étudiés en France depuis janvier 2022 à travers une ethnographie de proximité, nous n’avons jamais observé un membre des forces de l’ordre isolé se faire lyncher, et ce même lorsque la répression avait infligé des mutilations et blessures importantes dans le camp militant. Les tirs de cocktails Molotov restent relativement marginaux, peu de militants étant enclin à franchir ce degré d’intensité de la violence qui nécessiterait selon eux de « réunir certaines conditions de sécurité ».</p>
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<p>Face à une administration publique gardée par quelques agents, les grilles vont être découpées, mais l’affront s’arrêtera là : « on leur a montré qu’on aurait pu rentrer quand on voulait ! » Il est possible de détériorer une entreprise, par exemple en lui coupant l’eau, ou en la saccageant, mais l’incendier ou la faire exploser dépasserait sans doute les limites tacites de la violence légitime.</p>
<p>Il ne s’agit pas ici d’évacuer les conséquences de la violence : la confrontation provoquant des brûlures et bris d’os chez les forces de l’ordre, éborgnements, arrachage de mains, perte du visage, voire <a href="https://www.radiofrance.fr/mouv/la-france-est-le-pays-d-europe-qui-compte-le-plus-de-morts-en-manifestations-4872972">la mort chez les militants</a>. Les conséquences plus complexes sur les systèmes sociaux des « désarmements » et obstructions des voix publiques sont également bien réelles. Il ne s’agit pas ici non plus de minimiser les effets de contingence et d’opportunisme, ou encore le fait que la violence échappe parfois à tout contrôle (il nous est arrivé d’échapper de justesse à des tirs « amis », et parfois certaines dégradations dépassent les organisations).</p>
<p>Mais la violence semble malgré tout obéir à des règles qui la limitent. Si la violence est à ce point limitée, quelle en est donc sa fonction ? Que sert-elle ?</p>
<h2>Un rituel de l’écodésordre pour imaginer un nouveau monde</h2>
<p>Une observation des phénomènes d’action directe offensive nous indique que la violence semble être au service d’un rituel consistant à mettre à bas l’ordre établi en franchissant la limite de la loi et ceci afin de plonger dans l’imaginaire d’un nouvel ordre du monde. L’illégalisme s’entendrait comme le franchissement d’une frontière, un passage entre deux mondes. La violence est le couteau qui découpe une fenêtre vers cet autre monde, elle rend présent, aux yeux de tous, un avenir souhaité.</p>
<p>La nature des actions menées nous renseigne sur ce nouveau monde, dont les grilles des institutions seraient ouvertes, les infrastructures dégradant l’environnement mises hors d’état de nuire, la liberté d’occuper l’espace public absolue, l’alimentation non carnée, les échanges non marchands, la solidarité désinstitutionnalisée, etc.</p>
<p>Il s’agit d’un écodésordre, dont toutes les composantes tactiques participent à l’avènement d’un nouvel imaginaire qui devient plus palpable dans ce passage ouvert par la violence. Cette violence doit donc avant tout être comprise comme une résistance physique, qui s’inscrit dans le réel en opposition face à un ordre.</p>
<h2>De l’impunité désacralisée</h2>
<p>Reste que l’écodésordre est évalué, jugé et sanctionné au regard du référentiel établi par l’ordre politique et social de notre démocratie libérale. Dans cet ordre, le coup de cutter dans une bâche est une atteinte impardonnable à l’outil de production agricole. Dans l’ordre – pour l’instant imaginaire – de l’écologie radicale, il s’agit de désarmer une bombe climatique : désacraliser la propriété privée pour montrer ce qu’elle masque.</p>
<p>Autre exemple, lors des suites du <a href="http://paris.tribunal-administratif.fr/Actualites-du-Tribunal/Espace-presse/Cellule-Demeter-le-tribunal-juge-illegales-les-missions-de-prevention-et-de-suivi-des-actions-ideologiques-contre-le-secteur-agricole">premier procès issu de la cellule Déméter</a>, le procureur accusait les antispécistes de vol et de maltraitance animale, provoquant quelques murmures outrés des activistes présents à nos côtés dans la salle. Pour le prévenu, celui-ci avait en effet libéré – et donc sauvé – un animal du massacre et des tortures d’un élevage intensif.</p>
<p>Ainsi, la violence exprimée à travers ces mobilisations exprime davantage une contre-violence qui vise à empêcher le développement d’une violence jugée encore plus grande et plus dangereuse, car elle vise toute la communauté (la crise climatique, l’effondrement de la biodiversité…) et pas simplement le propriétaire du bien. Mais l’écodésordre peut-il être légal ?</p>
<h2>Écodésordre et illégalisme</h2>
<p>Il semble que ce soit la constitutionnalité même de la république qui est touchée par cette question. On peut en effet lire dans ce texte fondateur que « le peuple français proclame solennellement son attachement aux droits et devoirs définis dans la <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/le-bloc-de-constitutionnalite/charte-de-l-environnement-de-2004">Charte de l’environnement de 2004</a> ». Rappelons, à toutes fins utiles, que cette charte de l’environnement édicte </p>
<blockquote>
<p>« qu’afin d’assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ».</p>
</blockquote>
<p>Or, en s’appuyant sur des arguments scientifiques, les activistes écologistes considèrent que les décisions gouvernementales confortent la trajectoire catastrophique de l’Anthropocène, et précipitent des effondrements à venir. Selon eux, il y aurait une faillite de l’État à protéger ses propres citoyens et les générations à venir. C’est de là sans doute que d’anciennes aspirations jacobines réemergent à nouveau, et que <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/les-constitutions-dans-l-histoire/constitution-du-24-juin-1793#:%7E:text=Article%2035.,le%20plus%20indispensable%20des%20devoirs.">l’article 35 de la Constitution du 24 juin 1793 résonne dans certains imaginaires</a> : « quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. »</p>
<p>On assiste alors à un renversement de la perception de la violence. Au nom du progrès social, nos sociétés ont accepté le développement d’une violence écologique (écocidaire) contre l’environnement autrefois perçu comme une « bonne violence ». Cela a produit une forme d’impunité environnementale : <a href="https://www.septentrion.com/fr/livre/?GCOI=27574100234100">ni responsable, ni coupable pour les actes préjudiciables à l’environnement</a>.</p>
<p>Mais aujourd’hui, la perception et la justification de cette violence contre l’environnement ne sont plus acceptées par certains activistes. Continuer à détruire l’environnement n’est plus justifiable au regard de l’ampleur des conséquences terrestres. Selon cette logique, il y aurait une nécessité de remettre en cause l’ordre social, économique et politique qui continue à justifier ces attaques contre l’environnement au nom de principes jugés obsolètes.</p>
<h2>Désobéissance civile ou mouvement de résistance ?</h2>
<p>Dans cette perspective, il nous semble absurde de parler de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/desobeissance-civile-69805">désobéissance civile</a> pour l’écologie radicale. Elle relèverait bien plus de la catégorie des mouvements de résistance dans la mesure où elle affirme son identité non pas dans la transition, mais dans la rupture. Elle regroupe un collectif d’acteurs civils et institutionnels mêlant un ensemble de procédés plus ou moins radicaux de non-coopération, voire de confrontation avec une adversité.</p>
<p>Comme la résistance, elle s’attaque au pouvoir en place, mettant en cause la prétendue <a href="https://arenes.fr/livre/sans-armes-face-a-hitler/">légitimité de sa présence, ses symboles, sa propagande et ses moyens de répression</a>. L’écologie radicale pose aujourd’hui les mêmes questions que la résistance (civile en particulier). Ainsi que l’écrivait Jacques Semelin en 1989 dans « Sans armes face à Hitler », les questions sont les suivantes :</p>
<ul>
<li><p>Qu’avons-nous aujourd’hui à défendre ?</p></li>
<li><p>Qu’est-ce qui fonde notre identité collective ?</p></li>
<li><p>Quelles sont les valeurs qui méritent d’être défendues en cas de crise menaçant la sécurité et l’intégrité de nos sociétés ?</p></li>
</ul>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/559897/original/file-20231116-19-nefu7e.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/559897/original/file-20231116-19-nefu7e.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/559897/original/file-20231116-19-nefu7e.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/559897/original/file-20231116-19-nefu7e.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/559897/original/file-20231116-19-nefu7e.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/559897/original/file-20231116-19-nefu7e.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=544&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/559897/original/file-20231116-19-nefu7e.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=544&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/559897/original/file-20231116-19-nefu7e.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=544&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La lutte du Larzac, un combat pas exempt de répression policière, ici avec la mobilisation de gendarmes mobiles.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Community of the Ark of Lanza del Vasto/Wikipedia, CC BY</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Finalement, assiste-t-on vraiment à une intensification de la violence au sein du mouvement écologiste ? Si l’on se souvient qu’en 1982 l’élu écologiste Shaïm Nissim tirait « pacifiquement » au lance-roquette sur Malville et que quelques années auparavant un <a href="https://theconversation.com/la-desobeissance-civile-climatique-les-etats-face-a-un-nouveau-defi-democratique-214988">véhicule bélier du Larzac</a> enfonçait les grilles de la préfecture, on peut en douter. Mais qu’adviendra-t-il de la contestation sociale globale lorsque les conditions environnementales seront tellement dégradées que la satisfaction des besoins sera remise en cause ?</p>
<p>Bien heureux alors le temps des salades arrachées et de la violence contenue au seul rituel de l’écodésordre de la résistance civile. La dissolution du mouvement par les autorités se révèle ainsi être une tentative maladroite – ou désespérée – de circonscrire le désordre dans un mouvement, alors que nous serions en fait en présence d’un phénomène social diffus : une désacralisation de l’impunité environnementale à l’origine de l’avènement d’un illégalisme. Et qui, face à la menace existentielle, pose la question de la régulation globale de la violence à nouveaux frais.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217934/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>David Porchon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les vicissitudes des Soulèvements de la Terre interrogent sur la violence des mouvements écologistes. Violence qui a une fonction clé : celle d'un grand spectacle qui entend imaginer un nouveau monde.David Porchon, Doctorant en sciences politiques, AgroParisTech – Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2101402023-11-14T18:55:05Z2023-11-14T18:55:05ZSi écologie et capitalisme sont incompatibles, comment « re-naturer » les humains ?<p>« Des forêts, pas des faux rêves », ont inscrit les militants qui luttent contre le <a href="https://www.mediapart.fr/journal/ecologie/211023/les-opposants-l-a69-reussissent-leur-ramdam">projet de l’A69 Toulouse-Castres</a> à l’entrée de la nouvelle zone à défendre, la Cremzade, qu’ils ont créée le 21 octobre dernier, avant d’être délogés dès le lendemain. Ce jour-là, plusieurs milliers de personnes ont rejoint la grande mobilisation « Ramdam sur le macadam » pour réclamer l’arrêt des travaux. Écologie contre capitalisme, capitalisme contre écologie, une fois de plus.</p>
<p>Depuis 2022, <a href="https://www.stockholmresilience.org/download/18.8615c78125078c8d3380002197/ES-2009-3180.pdf">six des neuf limites planétaires</a> qui définissent un espace de développement sûr pour l’humanité sont dépassées, notamment le changement climatique et l’intégrité de la biosphère, contre <a href="https://pubs.acs.org/doi/10.1021/acs.est.1c04158">trois en 2009</a>. Face à ce constat, dans notre système capitaliste, quelle entreprise n’affirme pas participer à l’objectif de <a href="https://unfccc.int/fr/a-propos-des-ndcs/l-accord-de-paris">l’accord de Paris</a> de maintenir nettement en dessous de 2 °C la hausse des températures mondiales d’ici 2100 ? Partout foisonnent des pratiques de développement durable dont l’engagement écologique constitue l’un des trois piliers (avec la dimension économique et la dimension sociale). Pourtant, la crise écologique continue de mettre à mal la légitimité du capitalisme et les initiatives pour y répondre ne suffisent pas à entériner les désastres.</p>
<p>Des initiatives comme les <a href="https://theconversation.com/les-zad-et-leurs-mondes-89992">ZAD</a>, ou des mouvements tels que les Soulèvements de la Terre, Extinction Rebellion, ou Attac s’indignent, se révoltent et luttent pour mettre en évidence l’antagonisme entre capitalisme et écologie. Mais quelle est la nature cet antagonisme ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/extinction-rebellion-a-la-clusaz-quand-la-zad-gagne-la-montagne-174358">Extinction Rebellion à La Clusaz, quand la ZAD gagne la montagne</a>
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<h2>Une incompatibilité matérielle</h2>
<p>Le capitalisme est décrit en 1999 par les sociologues français <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Tel/Le-nouvel-esprit-du-capitalisme">Luc Boltanski et Eve Chiapello</a> comme un processus d’accumulation du capital dénué de justification propre, mais qui est toujours parvenu à se justifier et à mettre en place des pratiques « correctives » pour répondre aux critiques qui lui étaient adressé, et pour, in fine, qu’elles ne constituent plus un danger pour la légitimité et la longévité du capitalisme.</p>
<p>Comme le développe quelques années plus tard <a href="https://academic.oup.com/book/12730">Eve Chiapello</a>, la critique écologique apparaît d’une autre nature : elle interroge la capacité du système capitaliste à garantir l’avenir de l’humanité, à commencer par sa reproductibilité et dénonce le capitalisme comme potentiellement destructeur pour notre civilisation.</p>
<p>La question écologique invite effectivement à s’interroger sur les limites structurelles du capitalisme. En mettant en exergue le fait que les ressources naturelles sont limitées, la crise écologique pointe du doigt l’incompatibilité matérielle entre l’écologie et le capitalisme, un système d’accumulation sans limite.</p>
<p>La notion de <a href="https://doi.org/10.3917/mouv.063.0099">« capitalisme vert »</a> comporte alors une contradiction matérielle fondamentale. Mais l’antagonisme entre écologie et capitalisme est-il uniquement matériel ? Ou plutôt, que traduit la vision matérialiste de la nature des sociétés capitalistes ? Au-delà de l’évidente incompatibilité matérielle entre écologie planétaire et capitalisme, comment interpréter l’opposition entre écologie et capitalisme ?</p>
<h2>Une nature « ressource » ou une nature « vivante » ?</h2>
<p>Dans le système capitaliste, la nature est majoritairement appréhendée, à travers <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/13505084221098249">sa fonction pour l’entreprise</a>, comme un ensemble de ressources. Son caractère vivant n’est pas nécessairement nié mais les pratiques organisationnelles visent à gérer la ressource, à l’exploiter, voire à la protéger, dans un contexte de crise écologique.</p>
<p>Cette appréhension de la nature comme une ressource séparée et à la disposition de l’homme, bien qu’engageant la <a href="https://editions.flammarion.com/le-principe-responsabilite/9782081307698">responsabilité morale</a> de ce dernier, notamment pour assurer la survie des générations futures, continue de séparer humanité et nature et conserve une distance entre ce qui devrait pourtant être rapproché dans un contexte de crise écologique.</p>
<p>Parallèlement à la multiplication des ZAD et des luttes écologiques, le contexte de crise écologique favorise l’émergence en Occident d’initiatives qui invitent à <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/13505084221098249">revoir radicalement l’appréhension de la nature dans les entreprises</a>. En particulier, certaines agroécologies, comme la permaculture, la biodynamie ou certaines agricultures biologiques ou durables, s’appuient sur la croyance en une nature vivante, variable et singulière, qui inclut et met en relation les hommes, les plantes, les animaux, les minéraux au sein d’écosystèmes non hiérarchisés et communicants.</p>
<h2>Les agroécologies en Occident : des expériences de re-naturation de l’homme</h2>
<p>Les agroécologies prônent des solutions techniques, elles refusent les intrants chimiques, leur préférant le compost, le fumier ou les assemblages bénéfiques entre plantes et animaux dans une logique d’équilibre interne de la ferme. Mais aussi et surtout, elles proposent une approche des organisations humaines qui permettent de ré-inclure l’homme dans le vivant, de le <a href="http://www.editions-galilee.fr/f/index.php?sp=liv&livre_id=2862">« re-naturer »</a>, c’est-à-dire de restaurer sa conscience qu’il n’est pas séparé de la nature mais qu’il en fait partie.</p>
<p>Par exemple, les agriculteurs de la biodynamie, méthode agricole alternative à l’origine de l’agriculture biologique née en 1924 dans les pays germaniques, considèrent la <a href="https://www.demeter.fr/wp-content/uploads/2023/03/Cahier-des-charges-Demeter-France-version-2023.pdf">ferme comme un organisme vivant</a> auquel les hommes, les plantes et les animaux contribuent de manière collaborative. La vache se nourrit de l’herbe et produit à son tour de la bouse qui est travaillée et répandue par l’homme pour nourrir le sol et les cultures. Cette approche de la ferme comme organisme vivant implique de conserver des parcelles « à taille humaine ».</p>
<p>À l’inverse des tendances agricoles au <a href="https://theconversation.com/climat-biodiversite-le-retour-gagnant-des-arbres-champetres-174944">remembrement</a>, c’est-à-dire à la constitution de plus grandes exploitations agricoles d’un seul tenant dans le but de faciliter l’exploitation des terres, les fermes agroécologiques ont tendance à préférer les fermes de petite taille et des modes de croissance par essaimage, c’est-à-dire par l’acquisition de petites parcelles autonomes plutôt que par l’agrandissement d’une parcelle unique.</p>
<p>Ainsi, les agriculteurs travaillent la terre sur des lieux singuliers, dans lesquels ils peuvent <a href="https://journals.aom.org/doi/abs/10.5465/1556349">s’ancrer écologiquement</a>, connaître le lieu et ses spécificités, les êtres vivants qui le composent, s’y identifier et développer à leur égard un attachement, cet ancrage écologique étant favorisé par la petite taille. <a href="https://journals.aom.org/doi/abs/10.5465/AMBPP.2020.11608abstract">L’essaimage</a> permet en outre à la ferme de travailler des terroirs diversifiés et de se prémunir contre les aléas naturels en répartissant les risques sur plusieurs parcelles indépendantes.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Enfin, le rapport sensible à la terre, aux plantes et aux animaux est fondamental dans ces fermes. L’agriculteur déambule sur ses parcelles, il observe, il sent, il écoute. Le temps passé dans ces lieux à l’éprouver par ses sens est à la fois un outil de diagnostic avant la prise de décisions agricoles, un moyen de collecter de l’information et de connaître de lieu, mais aussi un facteur d’approfondissement de la relation et de l’attachement au vivant. Les agroécologies convoquent ainsi la corporalité de l’homme à travers l’expérience d’une relation sensorielle à une nature non séparée et non étrangère à lui. Une expérience quotidienne par laquelle <a href="http://www.editions-galilee.fr/f/index.php?sp=liv&livre_id=2862">l’homme se reconnait comme faisant partie de la nature</a>. Une expérience qui lui révèle ou lui rappelle l’impossibilité du vivant à s’adapter à des formes d’organisation industrielle et capitaliste.</p>
<h2>Quelles définitions de l’homme et de la nature ?</h2>
<p>La crise écologique ne soulève pas uniquement la question de savoir ce qui est juste, mais aussi de savoir ce qui est. Autrement dit, quelles définitions de l’homme et de la nature souhaitons-nous adopter ? La conception de l’homme et de la nature véhiculée par les agroécologies, et les pratiques qu’elles proposent, amènent à questionner la distinction supposée fondamentale en Occident entre <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Bibliotheque-des-Sciences-humaines/Par-dela-nature-et-culture">nature et culture</a> et à envisager d’autres modes d’identification et de lien. Prenant la question écologique à sa racine, elles permettent d’envisager des façons d’habiter la terre radicalement autre.</p>
<p>Les agroécologies proposent des expériences concrètes d’inclusion des hommes dans le vivant au sein des organisations agricoles. La posture écologique des êtres humains peut certes être alimentée par l’indignation et les luttes face aux désastres écologiques, mais les métamorphoses du capitalisme prennent également leur source dans la multiplication d’expériences sensibles, situant l’homme dans sa relation avec les êtres vivants non humains et avec les écosystèmes auquel il appartient. Au-delà des solutions techniques et matérielles, la ré-intégration de l’homme dans la nature comporte un fondement sensible et une portée radicale qui questionne les définitions capitalistes de la nature et de l’homme.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210140/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claire-Isabelle Roquebert ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le contexte de crise écologique favorise l’émergence d’initiatives qui invitent à revoir radicalement le rapport entre les hommes et la nature.Claire-Isabelle Roquebert, Chercheuse en organisations - durabilité, ancrage écologique, responsabilité sociale de l'entreprise, agroécologies, Université de RennesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2144062023-10-12T08:35:50Z2023-10-12T08:35:50ZPourquoi il faudrait en finir avec la « préservation des ressources »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/553303/original/file-20231011-29-fq9put.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des injonctions viennent régulièrement le rappeler au consommateur : l'eau est une ressource précieuse et il convient de l'économiser. Mais le concept même de "ressource" peut conduire à des impensés…</span> <span class="attribution"><span class="source">Susanne Nilsson / Creative Commons</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span></figcaption></figure><p>« Économiser des ressources », « les consommer de façon plus responsable », « mieux les gérer » ou « mieux les préserver », les expressions ne manquent pas pour exprimer l’urgence face à la catastrophe écologique en cours. Elles soulignent aussi la nécessité de réduire l’emprise qu’une part de l’humanité exerce sur les ressources terrestres. Le récent discours du président de la République sur la <a href="https://theconversation.com/les-grands-impenses-du-plan-ecologique-demmanuel-macron-214603">planification écologique</a> en est un exemple, parmi d’autres. Et déjà, certains se préoccupent des <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/societe/espace-un-rapport-du-senat-se-penche-sur-les-enjeux-de-lexploitation-des-ressources-extraterrestres">ressources extraterrestres</a> abritées <a href="https://theconversation.com/a-qui-appartiennent-mars-la-lune-et-leurs-ressources-naturelles-141406">par les corps célestes</a>…</p>
<p>Sans doute sommes-nous toutes et tous d’accord sur le principe : qui nierait que les humains doivent se montrer « plus responsables » dans leurs pratiques s’ils ne veulent pas hypothéquer l’avenir ? Mais l’usage — souvent inflationniste — du terme « ressource » et la multiplication tous azimuts des sommations associées posent de sérieux problèmes sur lesquels il est tout aussi urgent de s’arrêter.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<h2>Les ressources <em>a priori</em> n’existent pas</h2>
<p>Une ressource, en effet, ce n’est pas une qualité substantielle que certaines choses auraient alors que d’autres non. C’est plutôt une relation d’usage, un rapport de moyen à fin. Toute chose peut tenir lieu de ressource, mais le monde n’est pas composé de ressources <em>a priori</em>.</p>
<p>Ainsi le pétrole ne se donne pas comme ressource dans l’environnement, il faut un travail considérable pour qu’il puisse finalement servir à la locomotion. L’eau s’offre parfois de façon plus spontanée. Mais pour devenir ressource et servir à l’agriculture — ou à la continuité physiologique des êtres vivants — elle doit en général être découverte, stockée (dans le creux d’une main aussi bien que dans un réservoir), canalisée, traitée et/ou transportée.</p>
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<h2>Capitalisme et rapport utilitariste</h2>
<p>Ce qui qualifie une ressource, c’est donc un caractère de disponibilité, conséquence d’un travail plus ou moins important de mise à disposition. Bien sûr, toutes les sociétés humaines ont été dans ce type de rapport avec certaines choses, y compris les sociétés de chasseurs-cueilleurs : tous les humains sont pris dans des rapports de moyen à fin.</p>
<p>Toutes n’ont cependant pas voulu systématiser et/ou naturaliser cette forme utilitariste de rapport. Les travaux d’anthropologues comme <a href="https://read.dukeupress.edu/common-knowledge/article-abstract/18/3/505/6827/On-NonscalabilityThe-Living-World-Is-Not-Amenable">Anna Tsing</a>, <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/homo_domesticus-9782707199232">James C. Scott</a> ou du sociologue <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/rendre_le_monde_indisponible-9782348045882">Hartmut Rosa</a> suggèrent même que c’est précisément là ce qui singularise les sociétés capitalistes contemporaines.</p>
<p>La première citée s’appuie ainsi sur le modèle de la plantation de canne à sucre pour incarner <a href="https://read.dukeupress.edu/common-knowledge/article-abstract/18/3/505/6827/On-NonscalabilityThe-Living-World-Is-Not-Amenable">l’épistémologie de la modernité</a>. Dans ce modèle, le caractère de disponibilité se décline dans les forces de travail (esclaves et/ou travailleurs pauvres) jusque dans les végétaux (variétés sélectionnées à dessein) et les écologies, « appauvries » parce qu’elles sont entièrement subordonnées à des objectifs de production.</p>
<h2>Quand la mise en ressource aplatit le monde</h2>
<p>Dans des mondes qui se sont ainsi construits sur le principe de l’accessibilité des ressources, les injonctions à les préserver posent donc au moins deux problèmes, dont il convient plus que jamais d’avoir conscience.</p>
<p>D’abord parce qu’elles tendent à faire oublier ce qu’il en coûte de produire des ressources : la disponibilité invisibilise le <a href="https://theconversation.com/le-travail-pour-autrui-survivance-de-lesclavagisme-dans-nos-economies-150317">travail de mise à disposition</a>.</p>
<p>Elle écrase les perspectives temporelles et spatiales, comme si avoir accès à l’eau courante et pouvoir la « consommer » de façon responsable (ou non) allait de soi. En contribuant à la naturalisation du caractère acquis de ressource, elle aplatit le monde.</p>
<p>L’invitation à préserver les ressources forme par ailleurs un oxymore aux implications délétères : elle définit des choses (du pétrole, de l’eau, des plantes, etc.) par leur destination (leur vocation de consommables), mais elle demande de ne pas les y réduire.</p>
<p>Parce qu’elle favorise l’usage, la mise en ressource du monde augmente enfin mécaniquement l’impératif de son contrôle : rendez l’eau ou le chocolat disponibles à tout moment et vous augmenterez sûrement la tentation… En même temps, par conséquent, que le besoin de la refréner.</p>
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<img alt="Le rayon chocolat d’u supermarché" src="https://images.theconversation.com/files/553329/original/file-20231011-19-pfisv7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/553329/original/file-20231011-19-pfisv7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/553329/original/file-20231011-19-pfisv7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/553329/original/file-20231011-19-pfisv7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/553329/original/file-20231011-19-pfisv7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/553329/original/file-20231011-19-pfisv7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/553329/original/file-20231011-19-pfisv7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Avec l’abondance de la ressource, peut émerger un sentiment de culpabilité.</span>
<span class="attribution"><span class="source">AdminOfPlaygroup/Creative Commons</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>D’où l’inflation contemporaine de normes expressément promues pour amoindrir la disponibilité qu’on a paradoxalement faite acquérir aux choses. D’où peut-être, aussi, l’émergence et la diffusion d’un sentiment de culpabilité, l’impression légitime de ne pas pouvoir être à la hauteur d’une exigence de modération qui est exactement proportionnelle à la facilité d’accès.</p>
<p>Enjoindre à préserver les ressources c’est, en somme, concentrer l’attention sur l’usure — enjoindre à préserver, économiser, gérer — sans contester l’usage, le caractère de disponibilité. On fait ainsi peser toute la responsabilité de la modération sur le public, comme si le problème n’était pas aussi celui de la mise en ressource, et de celles et ceux qui l’exacerbent.</p>
<p>Préserver les ressources est peut-être nécessaire, mais changer de rapports au vivant et/ou à la biodiversité ou à la terre implique beaucoup plus. Il faut changer de rapport, justement, ne pas se contenter de le faire varier en degré (d’économiser, de gérer, de préserver) mais changer sa nature.</p>
<p>Nous ne pouvons plus nous contenter de réduire la pression sur les ressources, de réaliser des économies ou d’être plus respectueux. Ce ne sont là que des normes humaines, en effet, des choix dont on peut discuter les vertus, mais qui prennent le rapport à la ressource pour donné.</p>
<h2>Rendre le monde moins disponible</h2>
<p>Pour penser autrement, on pourrait commencer par suivre le sociologue Hartmut Rosa et chercher à <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/rendre_le_monde_indisponible-9782348045882">« rendre le monde indisponible »</a>, moins disponible a minima. Cela implique, éventuellement, de mieux accepter les moments — en réalité, nombreux — où il ne l’est pas, en rendant par exemple leur saisonnalité aux tomates ou aux fraises, en nous forçant ainsi à dépendre davantage de notre environnement et de ses temporalités.</p>
<p>On irait alors à rebours de la modernité, qui s’est précisément construite autour d’un idéal d’autonomisation, contre cette hétéronomie (étymologiquement, « autre norme », soit le fait de vivre selon des règles imposées par autrui ou autre chose), en refusant que l’humanité soit normée de l’extérieur et dépendante d’une variabilité qu’elle n’aurait pas tout à fait choisie.</p>
<p>C’est même ainsi qu’elle a conçu la liberté, dans cet élan émancipateur, portée par son extraordinaire capacité à ne dépendre que d’elle-même. Finalement, le concept de ressource exprime l’impasse dans laquelle ce fantasme d’autonomie conduit. Réfléchir à l’indisponibilité des choses et à l’hétéronomie des rapports au monde est une façon de remettre la question de la dépendance au cœur des pensées du futur.</p>
<p>Cela implique, évidemment, de ne plus toujours l’envisager comme une contrainte et une aliénation, mais aussi de la considérer comme une opportunité :</p>
<ul>
<li><p>pour le vivant d’abord, dans la mesure où dépendre de l’environnement, ne plus l’avoir indéfiniment comme ressource, est une façon de favoriser son déploiement au-delà de tout contrôle anthropique.</p></li>
<li><p>Pour les humains ensuite, parce que la dépendance est une reconnaissance de l’altérité. Elle demande de « faire avec ». À ce titre elle est susceptible de les contraindre parfois, mais aussi de les étonner et de les enrichir, de les sortir en tous cas du narcissisme dans lequel les plonge la projection sans cesse renouvelée de leur volonté sur le monde, et cela qu’elle soit « bonne » ou « mauvaise ».</p></li>
</ul>
<p>En tout cas, c’est ce que suggèrent les <a href="https://presses-universitaires.parisnanterre.fr/index.php/produit/le-gout-des-possibles-enquetes-sur-les-ressorts-symbolistes-dune-crise-ecologique/">travaux que j’ai déjà réalisés en la matière</a>, ainsi que d’autres travaux en cours ou qui ont été produits par quelques étudiants.</p>
<p>Ils montrent aussi que les sciences humaines et sociales ont beaucoup à apporter en ce sens, en particulier lorsque, comme l’anthropologie et l’archéologie, elles s’intéressent à des groupes humains qui ont choisi d’accueillir et d’explorer leurs dépendances. Elles offrent ainsi de puissants outils pour penser un avenir moins univoque que celui de la modernité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214406/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Léo Mariani ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Changement climatique, crise de la biodiversité… Partout fusent les injonctions à économiser nos ressources. Mais le terme même de « ressource » pose problème. Et si on pensait le monde autrement ?Léo Mariani, Anthropologue, Maître de conférence Habilité à diriger des recherches, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2149882023-10-05T08:23:10Z2023-10-05T08:23:10ZLa désobéissance civile climatique : les États face à un nouveau défi démocratique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/552066/original/file-20231004-23-zkgz2e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=179%2C62%2C5811%2C3925&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">« La désobéissance civile marche » assure sur cette pancarte cette militante australienne d'Extinction Rebellion. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/rebellion-day-brisbane-australia-july-2009-1487980760">Ramji Creations/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Le 28 août 1963, Martin Luther King prononçait son célèbre discours à la suite d’une marche à Washington pour les droits civiques des Noirs américains, dont l’histoire a gardé la formule « I have a dream ». La mémoire collective a principalement conservé des images de marches, de boycotts de bus voire d’occupations illégales d’espaces d’exclusion des personnes dites de couleur de cette pratique de la désobéissance civile. Une expression forgée par le philosophe précurseur de l’écologie Henry David Thoreau qui renvoie à des registres de mobilisations variées allant du refus d’appliquer la loi à celle de la transgresser voire à l’interpeller pour montrer son caractère injuste.</p>
<p>Mais pour les acteurs de ces mouvements, pour ces personnes revendiquant leur citoyenneté pour pratiquer des illégalismes sans recourir à une remise en cause du récit démocratique, la désobéissance civile, avant de fournir de possibles symboles marquants, s’appuie d’abord sur un corpus de pensée et de théories qui les autorisent, aux yeux de l’opinion publique, d’enfreindre la loi en toute conscience, de s’opposer avec leur détermination voire de se mettre en danger tout en acceptant la répression.</p>
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<img alt="Photographie de Martin Luther King incarcéré en 1963 suite à sa participation à une manifestation pacifique pour les droits civiques des Noirs Américains" src="https://images.theconversation.com/files/552091/original/file-20231004-17-9ypi1g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/552091/original/file-20231004-17-9ypi1g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/552091/original/file-20231004-17-9ypi1g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/552091/original/file-20231004-17-9ypi1g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/552091/original/file-20231004-17-9ypi1g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/552091/original/file-20231004-17-9ypi1g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/552091/original/file-20231004-17-9ypi1g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">photographie de Martin Luther King incarcéré en 1963 suite à sa participation à une manifestation pacifique pour les droits civiques des Noirs Américains.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Flickr</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>La pratique de la désobéissance civile contemporaine des écologistes s’inscrit clairement dans cette lignée de « I have a dream ». Car il s’agit de faire advenir un monde nouveau, de pousser les lignes du récit démocratique en le renouvelant par de nouvelles générations, de nouveaux enjeux. Le caractère idéaliste voire révolutionnaire de transformation est au cœur de la pratique même si, en France, cet aspect-là a longtemps pu seulement renvoyer à des épisodes de « violence » ou de recours à des actions de confrontations, avec par exemple la vague d’attentats anarchistes à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle ou l’extrême gauche des années 1970.</p>
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<p><em>Pour suivre au plus près les questions environnementales, retrouvez chaque jeudi notre newsletter thématique « Ici la Terre ». <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-environnement-150/">Abonnez-vous dès aujourd’hui</a>.</em></p>
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<p>Mais à l’heure où les effets du dérèglement climatiques sont de plus en plus tangibles, et où l’inaction des gouvernants est de plus en plus pointée du doigt, en quoi la désobéissance civile peut-elle ou non permettre de mobiliser en faveur du climat ? Sous fond de crise sociale et démocratique, avec une abstention croissante et des institutions malmenées, on voit les militants climatiques interpeller via divers biais les pouvoirs étatiques.</p>
<p>Le mouvement de désobéissance civile est un canal d’action et d’expression possible, qui demeure cependant au carrefour d’un risque de répression d’une part, et de banalisation d’autre part. Depuis son émergence, jusqu’aux rassemblements récents et l’organisation des Soulèvements de la Terre, la désobéissance civile climatique a, de surcroît, dû se réinventer face à un contexte paradoxal mêlant la reconnaissance de l’urgence, l’accroissement du climatoscepticisme et de la répression. Voyons comment nous en sommes arrivés là.</p>
<h2>De la « paix verte » à la génération Climat en colère</h2>
<p>La désobéissance civile en France a connu ses premières armes sur le plateau du Larzac dans les années 1970, même si les militants parlaient alors plutôt de résistance civile. Cette lutte locale, dont le soutien dépassera rapidement les frontières nationales, est née du refus de voir l’extension d’un camp militaire sur plateau du Larzac qui risquait notamment de provoquer l’expropriation d’un certain nombre de paysans et s’achèvera par l’abandon du projet d’extension avec l’arrivée de François Mitterrand au pouvoir, en 1981.</p>
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<img alt="Des gendarmes mobiles en action" src="https://images.theconversation.com/files/552083/original/file-20231004-29-cxlds9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/552083/original/file-20231004-29-cxlds9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/552083/original/file-20231004-29-cxlds9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/552083/original/file-20231004-29-cxlds9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/552083/original/file-20231004-29-cxlds9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=544&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/552083/original/file-20231004-29-cxlds9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=544&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/552083/original/file-20231004-29-cxlds9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=544&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La lutte du Larzac, un combat pas exempt de répression policière, ici avec la mobilisation de gendarmes mobiles.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Lutte_du_Larzac#/media/Fichier:Crs_larzac2.jpg">Community of the Ark of Lanza del Vasto/Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Une des premières applications de la désobéissance civile de cette lutte fut l’abandon du service militaire, à une époque où l’objection de conscience, c’est-à-dire le refus de faire son service militaire ou de rejoindre des conflits n’était pas reconnue, et où la question de la désobéissance civile rejoignait celle de l’éthique humaniste face à des États qui réclamaient de leurs citoyens masculins le prix du sang.</p>
<p>Loin d’être anecdotique, cette réalité rappelle combien l’écologie française et nord-américaine, avec, outre-Atlantique, un pareil refus d’être enrôlé pour la guerre du Vietnam est né autant de la volonté de protéger la nature que de l’exigence morale de ne pas attenter à la vie humaine. Parmi les premiers militants de l’ONG Greenpeace, on retrouve ainsi des quakers (puritains fondateurs d’un mouvement pacifiste et non violent) et étudiants refusant de se battre pour des guerres lointaines à l’heure de la nucléarisation des moyens de destruction.</p>
<p>L’exigence morale d’une paix verte (<em>green peace</em> en anglais) surgit ainsi de ce lien fait entre le vivant et l’humain. Dans cette dynamique, il n’est pas étonnant de voir l’écologie choisir peu à peu des moyens de pression de la non-violence et se distancer ainsi des groupes plus révolutionnaires recourant à des actions plus violentes voire ou s’y opposant pas frontalement comme les maoïstes qui utilisaient l’opportunité du service militaire pour soit créer des comités de soldats, soit se socialiser aux maniements des armes.</p>
<p>La désobéissance civile a ensuite réémergé au moment des vagues d’altermondialisme de la fin des années 1990 pour contester contre les OGM puis contre l’exploitation des gaz de schiste en insistant, cette fois-ci, sur la protection de la biodiversité ou du vivant. Dans cette époque post-effondrement du bloc soviétique, les écologistes se sont attachés à rappeler les limites du récit néo-libéral et de la brevetabilité du vivant ou encore, se sont appliqués à mettre les paysans au cœur de l’activité agricole face aux grands groupes, à expliciter les effets néfastes pour l’environnement de l’exploitation du <a href="https://theconversation.com/la-guerre-du-gaz-de-schiste-naura-sans-doute-pas-lieu-181535">gaz de schiste</a>.</p>
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<img alt="Rassemblement anti-OGM en 2008" src="https://images.theconversation.com/files/552086/original/file-20231004-17-s39a9k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/552086/original/file-20231004-17-s39a9k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/552086/original/file-20231004-17-s39a9k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/552086/original/file-20231004-17-s39a9k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/552086/original/file-20231004-17-s39a9k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/552086/original/file-20231004-17-s39a9k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/552086/original/file-20231004-17-s39a9k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Rassemblement anti-OGM en 2008.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/ernest-morales/2493604466">Ernest Morales/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Comme pour le Larzac, l’émergence de ces luttes est souvent le fruit d’un engagement local, via par exemple une opposition à des projets futurs, en Ardèche par exemple avec des projets d’extraction de gaz de schiste, avant d’émerger comme une question de société. Les actions de certains militants (fauchage de champs d’OGM, « démontage » du McDonald’s de Millau) ont pu être <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2013/03/27/jose-bove-et-sept-autres-faucheurs-volontaires-definitivement-condamnes_3148824_3244.html">sanctionnées par la loi</a>, mais <a href="https://www.lepoint.fr/societe/gaz-de-schiste-la-porte-fermee-a-double-tour-selon-jose-bove-11-10-2013-1742630_23.php">l’interdiction de l’exploitation du gaz de schiste</a> sur le territoire français, validée par le Conseil constitutionnel en 2014, et l’interdiction de la première génération d’OGM en France ont pu permettre aux <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/bistroscopie/bistroscopie-du-samedi-30-septembre-2023-1040939">figures de ces luttes</a> de considérer leur combat et leurs moyens comme légitimes et utiles.</p>
<p>Ces dernières années, la génération des années 2020 et la figure de Greta Thunberg ont de nouveau convoqué la notion de désobéissance civile pour lutter contre le dérèglement climatique, en dérangeant au passage autant les États, les groupes multinationaux voire, depuis 2022, à force de coups médiatiques, de rassemblements ou de menace de sabotage.</p>
<p>Sommes-nous ainsi passés d’une écologie qui voulait éviter le pire à celle qui veut gérer la catastrophe annoncée et reconnue par les États en y employant tous les moyens ?</p>
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<p><em>L’article que vous parcourez vous est proposé en partenariat avec <a href="https://shows.acast.com/64c3b1758e16bd0011b77c44/episodes/64f885b7b20f810011c5577f?">« Sur la Terre »</a>, un podcast de l’AFP audio. Une création pour explorer des initiatives en faveur de la transition écologique, partout sur la planète. <a href="https://smartlink.ausha.co/sur-la-terre">Abonnez-vous !</a></em></p>
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<h2>La génération Climat, exigence écologiste et impatience démocratique</h2>
<p>Par commodité, nous appellerons la génération Climat celle qui a suivi les appels à la grève scolaire de Greta Thunberg de la fin des années 2010 et qui a été socialisée au développement durable et aux problèmes environnementaux dès leur enfance. Une génération qui a ensuite pu grandir et s’informer sur le dérèglement climatique au gré de la publication, de plus en plus médiatique, des rapports successifs du GIEC et de divers ONG. Sous ces influences, le cadre des luttes environnementales a pu sensiblement évoluer en se focalisant sur le dérèglement climatique comme un problème global qui rend par exemple vain de protéger telle ou telle espèce ou espace, si, en parallèle, le climat ou la planète se trouve dans un tel état que l’ensemble de l’écosystème serait irrémédiablement modifié ou en péril.</p>
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<p>Si cette mobilisation a débuté avant l’arrivée du Covid-19, ses militants ont cependant tâché, durant la pandémie, et les mois de mise à l’arrêt total de notre système social, de maintenir le cap de l’alerte maximale sur les questions de réchauffement climatique, et de réfléchir au « monde d’après » sans pourtant réussir à ce que le système redémarre en y incluant centralement cette préoccupation dite de « survie » de la planète et ses effets sur les populations les plus vulnérables.</p>
<p>Dans un contexte de plus en plus inquiétant, la désobéissance civile a pu d’abord être pratiquée dans le registre de l’alerte. On peut y rassembler les manifestations d’<a href="https://theconversation.com/extinction-rebellion-a-la-clusaz-quand-la-zad-gagne-la-montagne-174358">Extinction Rebellion</a>, les perturbations de Dernière Rénovation ou encore les actions directes médiatiques de Just Stop Oil. Au-delà de leurs actions symboliques, les écologistes ont également commencé à s’organiser en réseau, avec des interconnexions transnationales comme les Soulèvements de la Terre.</p>
<p>Leurs discours réclament, dès lors d’être entendus, écoutés au nom de victimes du Climat présentes voire futures et expriment une impatience à l’égard des élus, des institutions qui ne prendraient pas les mesures adaptées à l’enjeu mondial. Dans le temps comme dans l’espace, les enjeux de ces luttes s’éloignent de seules questions locales et revendiquent de façon explicite la nécessité d’un changement de paradigme global.</p>
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<img alt="Docteur membre d’Extinction Rebellion arrêté après le blocage d’un pont de Londres en avril 2022" src="https://images.theconversation.com/files/552102/original/file-20231004-23-glcnhr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/552102/original/file-20231004-23-glcnhr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/552102/original/file-20231004-23-glcnhr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/552102/original/file-20231004-23-glcnhr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/552102/original/file-20231004-23-glcnhr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/552102/original/file-20231004-23-glcnhr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/552102/original/file-20231004-23-glcnhr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Docteur membre d’Extinction Rebellion arrêté après le blocage d’un pont de Londres en avril 2022.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/alisdare/51995882398/in/photolist-2ndGuk1-2ndJVaQ-2neoi2N-2ndHAvg-24ZFRrv-2fhcBAB-2ndK2xu-2neqR9g-2neo7Sz-2nei56Z-2neqXF1-2ndPvDy-2ndPuh7-2ne6D4m-2nepxWZ-2ndG4Re-2nepvyh-2nenVEV-24ECPez-2neodui-2nehJ49-2neov5h-2nenYve-2hseZbb-2nehPGt-2nehZBZ-2nehVYM-RvQJjK-2nehT36-2neocwK-2neoteD-2ng1GBZ-2nepvWm-2nei2W8-2kNspFM-2hseVkk-2hsepYo-2nehGVT-2fhc55R-2hsdZ1Y-2hsmwZA-2fhc3VB-2fcvLAq-2nci77E-2fhcqvF-RvQunB-2ebihEq-RvQwct-2fcw2af-2dTiZRM/">Alisdare Hickson/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Mus par une dynamique de colère, d’impatience, de demandes de politiques actives, ces militants commencent à mobiliser dans le registre de la désobéissance civile non seulement le répertoire pacifique avec arrestation ou procès, mais également celui dit du désarmement, c’est-à-dire le sabotage préventif avant que les atteintes à l’environnement soient majeures et irréparables. Or, les États, garant de l’ordre public et les groupes d’intérêts mis en cause réagissent en travaillant l’opinion publique, voire en créant des catégories pour stigmatiser la mobilisation qui ciblent autant l’espace public que les propriétés privées (golf, piscine, entreprises, banques…).</p>
<p>L’opinion publique peut s’en étonner, car elle a en mémoire les grandes marches de Gandhi ou Martin Luther King en oubliant que la désobéissance civile a visé des intérêts privés dès sa naissance avec l’appel à boycott d’entreprise. Ainsi, par le passé, la ségrégation passait également par des espaces privés comme les bus, les cafés, les toilettes ou les magasins ; hier, José Bové s’attaquait à des enseignes mondialisées comme McDonald ou Monsanto. C’est peut-être plus finalement le contexte qui a changé, avec des États et en particulier la France, depuis les attentats de 2015, qui ont adopté des législations de plus en plus restrictives dans un souci de prévention des radicalisations au point que des militants peuvent se sentir « criminalisés », et réajuster leur militantisme dans ce contexte avec une culture du secret.</p>
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<p>De plus, la répression de citoyens désarmés est un véritable défi des appareils d’État démocratique qui jouent sur la crête de l’autoritarisme et de l’illibéralisme. Dans ce cadre, le jeu de polarité entre contestataires désobéissants et appareil répressif se tend en faisant augmenter le coût de l’engagement du côté des manifestants et le coût de l’image et de la répression au nom de la violence légitime de l’autre. Comme un symbole de ce jeu d’équilibrisme inédit, on a ainsi pu voir en août 2023 le Conseil d’Etat désavouer une partie de l’analyse de l’État qui rangeait les Soulèvements de la Terre comme une organisation « terroriste » alors que les associations restaient confortées par la légitimité de leurs combats. Pour preuve, au nom de la sous-estimation des effets environnementaux et de l’enjeu du réchauffement climatique, le juge administratif annule des projets de retenues d’eau de substitution, dites les méga-bassines, et renforce ce paradoxe : celui d’un engagement réprimé et pourtant légitime.</p>
<p>Cette nouvelle désobéissance civile transnationale s’immisce ainsi au cœur d’un malentendu entre des États qui ont la volonté d’être les seuls maîtres de leur agenda concernant les mesures à prendre contre le réchauffement climatique et une génération Climat porteuse, avec des ONG et des associations, d’un sentiment d’urgence qui ne serait pas pris en compte. Une ignorance perçue également comme une injustice au vu de la non-considération de leur demande démocratique et de mesures d’intérêt général planétaire. L’Europe et les pays industrialisés se retrouvent de ce fait face à un double défi : celui d’un enjeu écologique majeur et d’un récit démocratique à réinventer dans un siècle traversé par le renouveau des pandémies et des crises environnementales mondialisées.</p>
<p><em>Why we can’t wait</em>, traduit en Français par <em>La Révolution non violente</em>, est le titre d’un ouvrage de référence que Martin Luther King a écrit en prison à Birmingham et qui fait étrangement écho aux justifications de ces nouvelles causes de la Désobéissance civile. Dans ce texte publié quatre ans avant son assassinat, le militant <em>in fine</em> récompensé du prix Nobel de la Paix explicite l’urgence de transformation de la société américaine, l’importance de la reconnaissance d’égalité réelle des droits des populations afro-américaines. Ce sentiment d’urgence au cœur de la désobéissance civile nous le retrouvons intact dans les justifications climatiques après près de 40 ans de lutte et d’alerte. Cette bascule marque l’impatience de groupes de citoyens qui sont prêts à entrer dans l’illégalité et à accepter la répression dans un cadre qui se veut celui des droits.</p>
<hr>
<p><em>Cet article s’inscrit dans le cadre d’un projet associant The Conversation France et l’AFP audio. Il a bénéficié de l’appui financier du Centre européen de journalisme, dans le cadre du programme « Solutions Journalism Accelerator » soutenu par la Fondation Bill et Melinda Gates. L’AFP et The Conversation France ont conservé leur indépendance éditoriale à chaque étape du projet.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214988/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvie Ollitrault ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Des plateaux du Larzac jusqu’à Ste-Soline, la désobéissance civile climatique a dû se réinventer face à un contexte paradoxal mêlant la reconnaissance de l’urgence et l’accroissement de la répression.Sylvie Ollitrault, Directrice de recherche en sciences politiques, École des hautes études en santé publique (EHESP) Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2144952023-10-01T15:45:34Z2023-10-01T15:45:34ZEt si l’écologie, c’était plutôt de rouler avec nos vieilles voitures ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/550659/original/file-20230927-29-x8d4j0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C9%2C2048%2C1143&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une Renault 16 garée à Nevers, 2017. La voiture écolo par définition ?
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/152930510@N02/38493865784/">crash71100/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>L’urgence écologique nous impose désormais de repenser nos mobilités, seul secteur pour lequel les émissions n’ont jamais cessé de croître. Depuis plusieurs années, les pouvoirs publics multiplient les directives qui enjoignent les citoyens à abandonner leurs voitures thermiques pour des véhicules électriques. En témoignent les <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/automobile/planification-ecologique-pourquoi-le-leasing-de-voitures-electriques-a-100-euros-par-mois-tarde-t-il-a-voir-le-jour_6084969.html">récentes annonces</a> du gouvernement qui entend généraliser leur possession par des subventions massives permettant à de nombreux ménages de s’équiper pour une centaine d’euros par mois.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p><em>Pour suivre au plus près les questions environnementales, retrouvez chaque jeudi notre newsletter thématique « Ici la Terre ». <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-environnement-150/">Abonnez-vous dès aujourd’hui</a>.</em></p>
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<p>Un certain nombre de zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m), qui consistent à restreindre l’accès aux véhicules qui dépassent un certain seuil d’émission de gaz polluants, ont ainsi été instaurées dans quelques métropoles : Paris, Lyon ou Grenoble par exemple. Avec la <a href="https://www.vie-publique.fr/loi/278460-loi-22-ao%C3%BBt-2021-climat-et-resilience-convention-citoyenne-climat">loi « climat et résilience »</a> adoptée en 2021, l’ensemble des agglomérations de plus de 150 000 habitants seront concernées d’ici 2024.</p>
<p>De fait, dans ces zones, seules les voitures qui répondent à des normes écologiques très récentes (majoritairement électriques ou hybrides) seront autorisées à circuler. Nous assistons dès lors à une épuration de grande ampleur du parc automobile, qui traduit une conception pour le moins enchantée des mobilités électriques présentées comme salvatrices. Cette vision fait reposer le problème de la pollution de l’air sur les usagers de voitures qui, parce que trop anciennes, ne répondent plus aux exigences actuelles en termes d’émissions polluantes, soit celles disposant d’un moteur thermique et construites avant les années 2010.</p>
<p>Notre <a href="https://www.theses.fr/2022UBFCH020">thèse de doctorat en sociologie menée entre 2017 et 2022</a>, qui se donne pour ambition de comprendre la possession et l’usage d’une voiture de plus de 20 ans à l’époque contemporaine, révèle pourtant que les impératifs de durabilité ne sont pas étrangers à de telles mobilités. Dans la quarantaine d’entretiens réalisés, l’analyse de la presse spécialisée, mais aussi les moments plus informels de bricolage et de discussion dans des garages ou en rassemblements de passionnés d’automobiles qui ont constitué les terrains de cette thèse, il devient même possible d’entrevoir, chez certains usagers, qu’ils soient urbains ou ruraux, des engagements forts en faveur d’une certaine écologie.</p>
<h2>Se servir de l’existant</h2>
<p>Dans une large majorité, les propos des usagers de vieilles automobiles expriment une rhétorique du réemploi opposée à la production et la consommation de masse. Il s’agit de promouvoir une écologie priorisant l’usage d’outils fonctionnels (ou réparables) au recours à du neuf. Dans leurs discours, cette <a href="https://journals.openedition.org/developpementdurable/20877">écologie du réemploi</a> apparaît comme davantage réaliste parce qu’elle se veut plus accessible financièrement, et correspondrait à un mode de vie sobre dont l’expertise existe déjà dans les catégories populaires qui la développent <a href="https://theconversation.com/sobriete-et-si-on-sinspirait-de-ceux-et-celles-qui-la-pratiquent-au-quotidien-198428">au quotidien</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/550641/original/file-20230927-27-94ktec.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/550641/original/file-20230927-27-94ktec.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/550641/original/file-20230927-27-94ktec.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/550641/original/file-20230927-27-94ktec.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/550641/original/file-20230927-27-94ktec.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/550641/original/file-20230927-27-94ktec.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/550641/original/file-20230927-27-94ktec.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La Clio de Chantal, 52 ans.</span>
<span class="attribution"><span class="source">G.Mangin</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Peu coûteuse à l’achat comme à l’entretien, la voiture d’occasion désuète serait aussi écologique parce que le coût écologique de sa production a déjà été assumé.</p>
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<p>« Il n’est pas évident d’expliquer à nos chers écolos que conserver et faire rouler une “vieille” auto à la place d’en fabriquer une neuve permet d’économiser des hectolitres d’eau, des kilos d’acier, de caoutchouc et de plastique, etc. C’est tout le problème de ne s’en tenir qu’à la pollution des gaz qui sortent de l’échappement, plutôt que d’analyser le cycle de vie total, de la fabrication au recyclage en passant par l’usage… » (Richard, s’exprimant dans la revue « Youngtimers » n°79)</p>
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<h2>Prendre soin, pour redéfinir ce qui est durable</h2>
<p>Comme tout objet technique, une voiture a besoin d’être entretenue pour durer, et une vieille automobile nécessite une attention soutenue, à l’état de ses organes de sécurité notamment (plusieurs fois par an).</p>
<p>Aujourd’hui, un grand nombre de concessions automobiles ne sont plus équipées pour intervenir sur des véhicules dénués de systèmes de diagnostic électronique, et les mécaniciens ne sont plus formés pour intervenir sur une mécanique commercialement dépassée. Dès lors, la maintenance incombe largement aux possesseurs qui développent, aux fil de leurs interventions, un <a href="https://journals.openedition.org/lectures/58828">attachement à la voiture dont ils prennent soin</a>, ainsi qu’une connaissance fine qui leur permet de croire que leur objet perdurera encore longtemps à leurs côtés.</p>
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<p>« Moi, ma voiture, je l’entretiens ! Pour qu’elle soit belle et pouvoir continuer de rouler avec. Je voudrais l’user jusqu’à la corde, celle-là. Attends, une Golf comme ça, je fais 300 000 kilomètres avec ! Elle peut encore vivre 30 ans, ma voiture ! » (Larry, 64 ans, décorateur retraité, roule en Volkswagen Golf 3 de 1993)</p>
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<h2>Refuser une transition écologique soupçonnée de « greenwashing »</h2>
<p>Refuser de passer à une voiture plus récente relève également d’un scepticisme assumé envers les intentions écologiques des constructeurs. La voiture contemporaine, surtout lorsqu’elle est électrique, est soupçonnée d’être <a href="https://theconversation.com/fin-de-la-voiture-thermique-pourquoi-le-tout-electrique-na-rien-dune-solution-miracle-192264">bien plus polluante qu’il n’y paraît</a>, notamment par sa production qui nécessite <a href="http://www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-La_guerre_des_m%C3%A9taux_rares-531-1-1-0-1.html">l’extraction de métaux précieux tels que le lithium ou le cobalt</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/550642/original/file-20230927-19-sv3xj1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/550642/original/file-20230927-19-sv3xj1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=327&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/550642/original/file-20230927-19-sv3xj1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=327&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/550642/original/file-20230927-19-sv3xj1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=327&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/550642/original/file-20230927-19-sv3xj1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=411&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/550642/original/file-20230927-19-sv3xj1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=411&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/550642/original/file-20230927-19-sv3xj1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=411&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La 205 de Mickaël, mécanicien, 22 ans.</span>
<span class="attribution"><span class="source">G.Mangin</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Ses équipements électroniques et numériques font eux aussi l’objet de méfiance <a href="http://www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-Bon_pour_la_casse-359-1-1-0-1.html">quant à la planification de leur obsolescence</a>. C’est, là aussi, la logique de remplacement précoce qui est critiquée, et avec elle la stratégie consistant à rendre chaque modèle rapidement obsolète en le remplaçant par un autre ou en en proposant une version restylisée.</p>
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<p>« Par leur fiabilité, elles se retrouvent plus vite à la casse qu’une voiture ancienne. Elles ont pas vocation à durer, non… le but, c’est de consommer ! Avant, on faisait des voitures robustes ! La Saab 900, c’est de la voiture robuste. Pourquoi ? Parce qu’on n’était pas dans cette démarche-là, de consommation ! » (Yannis, 40 ans, Chef d’entreprise, roule en Saab 900 de 1985)</p>
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<h2>Rompre avec la frénésie pour rouler « moins mais mieux »</h2>
<p>Si on les compare aux voitures récentes, les voitures de plus de 15 ans sont moins confortables et moins sécurisées, ce qui requiert une attention plus soutenue de la part du conducteur qui devra davantage faire preuve d’observation et d’anticipation.</p>
<p>Elles sont aussi plus exigeantes à conduire, ce qui sollicite davantage ses cinq sens. Par exemple, elles ne bénéficient pas de régulateurs de vitesse, d’aide au freinage d’urgence, ni même parfois de direction assistée, ce qui complique particulièrement les manœuvres. Parce qu’elles se trouvent à l’opposé des impératifs d’efficacité, de telles voitures deviennent l’outil idéal pour tenir à distance un <a href="https://journals.openedition.org/lectures/990">sentiment d’accélération qui caractérise notre époque</a>, en s’immergeant dans des mobilités « douces » car convoquant un imaginaire du voyage, empreint de lenteur et de contemplation.</p>
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<p>« Mes parents, ils sont là-dedans. Ils gagnent du temps, ils ont le petit boîtier pour passer au péage et puis tout est prélevé sur leur compte… Moi, je trouve ça effrayant ! C’est effrayant ! T’as l’impression que c’est simple, mais au final, ça va encore plus vite ! » (Lucas, 22 ans, étudiant en philosophie reconverti en charpentier traditionnel, roule en Renault 4 de 1982)</p>
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<h2>Tenir à distance… l’automobilisme !</h2>
<p>Plus encore que des marchandises et un système économique, c’est aussi tout un système de mobilité qui se trouve tenu à distance. Pour bon nombre d’usagers en effet, faire persister la <a href="https://theconversation.com/lautomobile-est-toujours-la-et-encore-pour-longtemps-169211">centralité de la voiture dans l’aménagement du territoire et dans les mobilités quotidiennes</a>, ce serait manquer d’ambition face aux enjeux écologiques contemporains.</p>
<p>Ainsi, nombre d’usagers de vieilles voitures plaident pour une refonte ambitieuse du système de mobilité qui ferait la part belle aux mobilités alternatives, et qui prendrait notamment au sérieux la bicyclette en tant que moyen de transport efficace. Aussi, tous affirment qu’ils se passeraient de voiture au quotidien si cela leur était possible.</p>
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<p>« Moi, je suis pas nostalgique. Je pense que cette société d’avant, celle de la conquête, on se trompait. Elle a oublié la finitude des choses, comme je pense qu’aujourd’hui on oublie qu’il y a des perspectives ! La perspective c’est le vélo par exemple […] Avec le vélo, on va dans des endroits où la voiture ne va plus, on s’affranchit des embouteillages, voilà. On peut se projeter de nouveau ! » (Fabrice, 47 ans, enseignant-chercheur, roule avec plusieurs Citroën des années 1970 à 2000)</p>
</blockquote>
<h2>La composante d’un mode de vie sobre</h2>
<p>Rouler en vieille voiture, c’est donc pour certains une manière de vivre ses mobilités de façon plus sobre, en privilégiant la qualité (du trajet, de l’objet…) à une forme d’abondance.</p>
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<p>« Je trouve qu’on a été trop loin sur certaines choses, qu’on va trop loin par rapport à la planète aussi, la pollution, tout ça. Je veux pas rentrer là-dedans, enfin je veux plus. Un de mes rêves, ce serait d’être autonome au niveau énergétique. Donc il y a, dans ma démarche, quelque chose d’écolo… Oui, écolo ! On peut dire écolo. » (Bruno, 56 ans, éducateur spécialisé, roule en Renault 4 de 1986).</p>
</blockquote>
<p>Cette éthique de la sobriété se trouve bien souvent au fondement d’un mode de vie plus frugal, et suppose une posture réflexive quant à nos actions et leurs conséquences. Si convertir tout un chacun à la « vieille voiture » ne peut représenter un projet de transition écologique, le rapport de tels usagers à leurs mobilités nous invite toutefois à ne plus prendre la route à la légère. Il exhorte, au contraire, à questionner la banalité de notre recours à la voiture pour penser un <a href="https://www.letemps.ch/opinions/debats/vers-un-automobilisme-eclaire">automobilisme plus éclairé</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214495/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gaëtan Mangin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Rouler en vieille voiture est pour certains une manière de vivre ses mobilités de façon plus sobre, en privilégiant la qualité du trajet à une forme d’abondance et d’accélération.Gaëtan Mangin, ATER en sociologie, Université d'Artois, docteur en sociologie, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2105762023-10-01T15:43:41Z2023-10-01T15:43:41ZMarie Huot : antispécisme et féminisme, un même combat contre les dominations au XIXᵉ siècle<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/550325/original/file-20230926-29-8eev1u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=14%2C89%2C766%2C602&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Portrait de Marie Huot par Nadar.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53162049q">Gallica </a></span></figcaption></figure><p>A l’heure de l’urgence des défis écologiques, l’itinéraire singulier de Marie Huot (1846–1930) ressurgit dans toute son actualité. Longtemps invisibilisé, son combat pour la cause animale et l’émancipation des femmes devient, un siècle plus tard, une source d’inspiration pour les jeunes générations.</p>
<p>Écrivaine, poétesse et militante libertaire, <a href="http://www.atelierdecreationlibertaire.com/Marie-Huot.html">Marie Huot</a> fut une pionnière de la limitation des naissances. Son nom est réapparu en novembre 2022, au moment où la population mondiale a franchi le seuil des huit milliards d’habitants. La croissance démographique <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-telephone-sonne/le-telephone-sonne-du-mardi-15-novembre-2022-5774448">redevient un sujet politique d’actualité</a>.</p>
<h2>Un combat d’hier et d’aujourd’hui</h2>
<p>Ses idées trouvent une résonance très contemporaine dans les <a href="https://theconversation.com/a-lheure-du-dereglement-climatique-doit-on-arreter-davoir-des-enfants-212631">mouvements écologistes</a>. Les questionnements actuels d’une génération qui se <a href="https://www.payot-rivages.fr/payot/livre/faut-il-arr%C3%AAter-de-faire-des-enfants-pour-sauver-la-plan%C3%A8te-9782228929684">demande s’il faut avoir des enfants</a>, alors que les gouvernements et les opinions publiques restent immobiles ou paralysés face aux actions à entreprendre dans le domaine climatique et environnemental, mettent en lumière l’héritage potentiel de Marie Huot.</p>
<p>En parallèle, sa lutte contre les violences infligées aux animaux fait écho aux revendications de nombreux militants écologistes et végans. Cette pionnière de <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/zoom-zoom-zen/zoom-zoom-zen-du-lundi-30-janvier-2023-2005710">l’antispécisme</a> mena un combat acharné contre la tauromachie qui reste un modèle pour les <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b0635_proposition-loi#">luttes actuelles</a>.</p>
<p>Enfin, son engagement a ouvert la voie à des débats sur la <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/transports/sncf/greve-a-la-sncf/quest-ce-que-la-convergence-des-luttes_2697938.html">convergence des luttes</a>, mettant en évidence l’intersectionnalité des combats sociaux, <a href="https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000000406/appel-du-mlf-a-la-greve-des-femmes.html">féministes</a> et écologistes, dans le but de dessiner une autre société plus solidaire et égalitaire.</p>
<h2>La grève des ventres</h2>
<p>Marie Huot ne défend pas une simple limitation des naissances. Elle préconise un moyen d’action humain et politique plus radical : la <a href="https://www.cairn.info/la-greve-des-ventres--9782700701777.htm">grève des ventres</a>.</p>
<p>En 1892, dans son article <a href="http://www.atelierdecreationlibertaire.com/Marie-Huot.html">« Maternités »</a>, paru dans le journal anarchiste l’<em>En dehors</em>, elle aborde directement la question de l’avortement et de la nécessité d’une « grève des ventres » pour lutter contre la misère et l’inégalité entre hommes et femmes. Sa contribution aux combats féministes est emblématique de la volonté de faire de la maternité un acte conscient, réfléchi, et un élément de transformation de la société.</p>
<p>En faisant de la maternité, ou du refus de la maternité, un objet de lutte politique, elle s’inscrit également dans le <a href="https://www.persee.fr/doc/mat_0769-3206_1989_num_16_1_404023">courant antimilitariste</a> qui refuse de considérer les enfants comme de la « chair à canon ».</p>
<p>En 2019, le mouvement international <a href="https://theconversation.com/too-afraid-to-have-kids-how-birthstrike-for-climate-lost-control-of-its-political-message-181198">Birthstrike</a> reprend directement l’héritage de Marie Huot et son mode d’action, relayé par des personnalités de premier plan comme <a href="https://www.independent.co.uk/news/world/americas/us-politics/alexandria-ocasio-cortez-children-climate-change-aoc-instagram-young-people-a8797806.html">Alexandria Ocasio-Cortez</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/E0i5OnJnUkA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<h2>Mon corps m’appartient !</h2>
<p>Surtout, pour Marie Huot, les femmes doivent s’engager pleinement dans les combats politiques afin de s’émanciper du <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/03/01/michelle-perrot-au-XIXe-si%C3%A8cle-une-femme-bien-elevee-est-une-femme-silencieuse_5429745_3232.html">rôle exclusif d’épouse et de mère</a> auquel la société bourgeoise et capitaliste du XIXᵉ siècle les cantonne.</p>
<p>Marie Huot s’engage dans le courant <a href="http://mirbeau.asso.fr/dicomirbeau/index.php?option=com_glossary&id=196">« néomalthusianiste »</a> qui prône une limitation des naissances comme préalable à une vie meilleure pour les prolétaires. Elle participe à des manifestations, signe des pétitions, donne des conférences pour promouvoir l’émergence d’un contrôle des naissances, qu’elle considère comme la <a href="https://ehne.fr/fr/encyclopedie/th%C3%A9matiques/genre-et-europe/f%C3%A9minismes-et-mouvements-f%C3%A9ministes-en-europe/f%C3%A9minisme-et-n%C3%A9o-malthusianisme">condition première de l’émancipation des femmes</a>.</p>
<p>Un combat que l’on retrouve actuellement dans de <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/greve-feministe-de-la-greve-des-ventres-a-l-egalite-de-salaire-9050426">nombreux courants féministes</a> au nom de la justice sociale.</p>
<p>Elle soutient le pédagogue anarchiste <a href="https://maitron.fr/spip.php?article155235">Paul Robin</a> dans sa lutte pour une éducation intégrale prenant en compte les différentes facettes de l’enfant, contrairement à la vision de l’enseignement traditionnel. Apprendre avec la tête, mais aussi le corps et les émotions demeure révolutionnaire dans le domaine de l’éducation, <a href="http://www.atelierdecreationlibertaire.com/L-education-integrale.html">hier comme aujourd’hui</a>.</p>
<p>Pour Marie Huot, l’éducation sexuelle est indispensable, un préalable incontournable à l’avènement d’une « génération consciente ». Connaître son corps, lorsqu’on est une femme, c’est se donner la possibilité d’en disposer librement. Faut-il rappeler qu’il faut attendre 2017 pour qu’un <a href="https://information.tv5monde.com/terriennes/le-clitoris-correctement-represente-dans-un-manuel-scolaire-enfin-27242">manuel scolaire représente un clitoris</a> ?</p>
<p>Il convient également de souligner qu’à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, la « prudence procréatrice » et le contrôle des naissances étaient violemment attaqués par les conservateurs et les religieux qui prônaient une morale puritaine et rigoriste. Et au sein des courants révolutionnaires et progressistes, il s’agissait de questions minoritaires.</p>
<h2>Cause animale et féminisme</h2>
<p>Avec les <a href="https://journals.openedition.org/amnis/1057">premières féministes libertaires françaises</a>, <a href="https://theses.hal.science/tel-03450965">« ni ménagères, ni courtisanes »</a>, Marie Huot s’engage à lutter contre le système de domination patriarcal. Pour elle, la <a href="https://ehne.fr/fr/encyclopedie/th%C3%A9matiques/%C3%A9cologies-et-environnements/non-humains/militer-pour-la-cause-animale%C2%A0-une-affaire-de-genre">convergence des combats féministes et pour la cause animale</a> est une évidence car le système patriarcal et capitaliste opprime et domine à la fois les femmes et les animaux.</p>
<p>Elle souligne constamment, dans ses écrits sur les <a href="https://www.cahiers-antispecistes.org/le-droit-des-animaux/">droits des animaux</a>, les points communs entre les violences infligées aux animaux et celles subies par les femmes. Ainsi, par des interventions concrètes, elle lutte contre la médecine expérimentale pratiquée par des hommes médecins qui profitent de leur ascendant pour mener des <a href="https://journals.openedition.org/trajectoires/1236?lang=de">expériences violentes et inutiles sur les animaux, mais aussi sur les femmes</a>.</p>
<p>Elle s’insurge contre les médecins qui, au nom de la méthode dite expérimentale de <a href="https://books.openedition.org/lisaa/892?lang=fr">Claude Bernard</a>, abusent de la vivisection « dans des démonstrations mille fois répétées ». Elle n’hésite pas à <a href="https://journals.openedition.org/genrehistoire/4102?lang=en">interrompre le médecin Brown-Séquard</a> qui pratiquait une vivisection publique sur un jeune singe vivant. Ses liens d’amitié avec Louise Michel, militante anarchiste et figure majeure de la Commune de Paris, mis au jour par leur correspondance, montrent une Marie Huot offensive, multipliant les actions « coup de poing » et les interventions au sein de la <a href="https://books.openedition.org/cths/15685">Ligue populaire contre la vivisection</a>, en particulier contre la tauromachie qui commence à se développer en France.</p>
<p>De son vivant, Marie Huot a été attaquée en tant que <a href="https://hal.science/hal-01900699/document">femme, libertaire et antispéciste</a>. Invisibilisée par les historiens en raison de son éclectisme et de la difficulté à la « caser » dans un courant idéologique spécifique. Pourtant, Marie Huot jette les bases d’une philosophie antispéciste. Elle affirme, avec force, que le sexisme et le spécisme partagent une même racine de discrimination et de domination, et qu’ils doivent être combattus ensemble pour un nouvel équilibre entre tous les êtres vivants, fondé non plus sur la domination mais sur l’égalité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210576/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvain Wagnon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Longtemps invisibilisé, le combat de cette écrivaine et militante pour la cause animale et l’émancipation des femmes résonne avec l’actualité.Sylvain Wagnon, Professeur des universités en sciences de l'éducation, Faculté d'éducation, Université de MontpellierLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2137872023-09-27T20:18:49Z2023-09-27T20:18:49ZThomas Brail et l’A69, ou les paradoxes de la désobéissance civile<p>En 1972, le <a href="https://theconversation.com/rapport-meadows-pourquoi-les-alertes-de-1972-ont-ete-ignorees-par-les-chercheurs-en-management-201644">rapport du club de Rome</a> établissait les limites de la croissance et les menaces que celle-ci faisait courir à l’avenir de la planète et de l’humanité. Depuis, la cause environnementale a alimenté un activisme politique dont les revendications se sont peu à peu étendues : du risque nucléaire à la destruction de la biodiversité, de la frénésie de consommation aux ravages du <a href="https://theconversation.com/le-debat-sur-la-valeur-travail-est-une-necessite-204875">productivisme</a> et de l’extractivisme, de l’urgence climatique au partage de l’eau, de la pollution atmosphérique à <a href="https://theconversation.com/limiter-lartificialisation-des-sols-pour-eviter-une-dette-ecologique-se-chiffrant-en-dizaines-de-milliards-deuros-166073">l’artificialisation des sols</a>. Ou au refus de l’abattage d’arbres centenaires pour permettre la construction d’une autoroute.</p>
<p>C’est le combat que mène Thomas Brail, cet « écureuil » – du nom que se donnent ces défenseurs des arbres qui se nichent dans leurs branches <a href="https://www.linkedin.com/posts/groupe-national-de-surveillance-des-arbres_a69-soutien%C3%A0thomasbrail-engr%C3%A8vedelafaim-activity-7106585916961382400-PZIX/?trk=public_profile_like_view&originalSubdomain=fr">pour empêcher leur destruction</a> – qui s’est installé dans un hamac au sommet d’un platane en face du ministère de la Transition écologique en entamant une grève de la faim pour s’opposer à la reprise des travaux de l’<a href="https://www.a69-atosca.fr/">A69 entre Tarbes et Toulouse</a>. Au sixième jour de cette occupation, il a été délogé et conduit à l’hôpital avant que Clément Beaune, ministre des Transports n’annonce la suspension de quelques projets autoroutiers, sauf celui de l’A69, dont il a toutefois promis de « réduire l’impact environnemental ».</p>
<p>Un <a href="https://www.editionstextuel.com/livre/une-histoire-des-luttes-pour-lenvironnement">demi-siècle de mobilisations</a> a réussi à placer la question climatique au cœur de la vie politique mondiale, en forçant la création, sous l’égide de l’ONU, des COP dont la 28<sup>e</sup> session se tiendra à Dubaï à la fin de l’année. Mais cet affichage public et universel du souci écologique ne parvient pas à masquer le fait que, en dépit de leurs résolutions et de leurs efforts pour les réaliser, les pouvoirs en place s’attaquent très frileusement aux fléaux liés au réchauffement de la planète.</p>
<h2>L’action directe, levier face à l’inaction des puissants</h2>
<p>C’est à cette dissonance que les associations, organisations non gouvernementales et collectifs citoyens qui font vivre l’écologie ne cessent de se heurter. Avec le temps, ces activistes sont devenus experts dans l’art de mettre au service de leur combat un ensemble de méthodes appropriées à sa visée : travaux scientifiques, études d’impact indépendantes, manifestations de masse, pétitions, blocages, occupations, recours en justice, diffusion de vidéos sur les réseaux sociaux, boycott, allant jusqu’à des actions pouvant être considérées comme du terrorisme.</p>
<p>Le recours à la violence directe contre des équipements et des installations qui portent atteinte à l’environnement a été en vogue aux États-Unis dans les années 1980, comme le rappelle Benoît Gagnon dans <a href="https://isidore.science/document/10670/1.i23zjg">« L’écoterrorisme : vers une cinquième vague terroriste nord-américaine ? »</a>. Il est cependant devenu un moyen de protestation résiduel, en dépit de l’invitation à en faire usage proposée par Andreas Malm dans <a href="https://lafabrique.fr/comment-saboter-un-pipeline/"><em>Comment saboter un pipe-line</em></a>. L’invocation de l’« éco-terrorisme » permet surtout aux autorités de criminaliser l’action des mouvements environnementalistes, en témoigne par exemple le <a href="https://twitter.com/GDarmanin/status/1586786511684620290">discours du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin fin 2022</a>, après l’installation de la ZAD de Sainte-Soline.</p>
<p>La désobéissance civile n’est qu’une des formes d’action politique qui peut être utilisée en ce domaine, mais de façon détournée. En règle générale, un acte de désobéissance civile consiste à refuser publiquement de se soumettre à une loi ou un texte réglementaire qui fait obligation d’accomplir un acte jugé injuste ou indigne afin de provoquer un procès qui servira de tribune pour remettre en cause la légitimité de cette obligation et, éventuellement, obtenir son abrogation, comme nous le montrions en 2011 dans notre ouvrage Sandra Laugier, <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/pourquoi_desobeir_en_democratie_-9782707169754"><em>Pourquoi désobéir en démocratie ?</em></a>.</p>
<p>En ce qui concerne la cause environnementale, aucune loi n’existe qui obligerait à polluer, à émettre du carbone, à investir dans les énergies fossiles ou à détruire des espèces protégées. Ce serait même plutôt le contraire. Dans ce cas, la désobéissance civile consiste à commettre ostensiblement une infraction ou un trouble à l’ordre public afin d’attirer l’attention sur l’inaction ou les agissements coupables des pouvoirs publics ou privés en la matière (arrachage de champs d’OGM, vol de sièges dans des agences bancaires par les <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/desobeissance-civile-les-faucheurs-de-chaises-font-reparler-d-eux-3975651">« Faucheurs de chaises »</a>, décrochage de portraits du Président dans les mairies, etc.).</p>
<p>Plus qu’à de la désobéissance civile, ce à quoi on a affaire aujourd’hui relève de l’action directe non violente ou de la résistance civile : se coller les mains sur un tableau ou sur l’asphalte ; occuper un espace promis à l’artificialisation ; « désarmer » une industrie polluante ou des réserves d’eau ; recouvrir de peinture noire le siège d’une entreprise fossile ; traquer les pirates des mers qui harponnent les baleines ou les navires de pêche qui contreviennent aux réglementations ; ou empêcher l’ouverture de fermes usines.</p>
<h2>L’activisme face à son impuissance, ou le syndrome <em>Don’t look up</em></h2>
<p>En dépit du bruit que l’activisme environnemental fait pour imposer la réalité de l’urgence climatique, il bute toujours sur un obstacle : l’incapacité à lever les réticences et les peurs de ceux et celles qui rechignent à changer brutalement de logique économique, de comportements, d’habitudes et de croyances. C’est ce qu’on peut appeler le syndrome <em>Don’t look up</em> – du nom d’un film d’Adam McKay diffusé en 2021 et traitant du déni de la menace climatique – qui se résume en une question : pourquoi le péril existentiel que le dérèglement fait courir à l’humanité ne conduit-il pas les milieux dirigeants et les populations à en reconnaître la gravité et à agir en conséquence ?</p>
<p>Ils ont bien sûr de bonnes raisons pour ne pas le faire : l’emploi, la concurrence, le profit, l’aversion pour les mesures coercitives, le respect des libertés individuelles ou la hantise de la perte. Mais cette inertie renvoie sans cesse les activistes à leur impuissance à convaincre de la nécessité d’inventer un nouveau modèle de développement.</p>
<p>Les luttes pour le climat sont toutes prises dans une ambiguïté : la légitimité qui leur est volontiers reconnue est constamment remise en cause par l’accusation d’irréalisme portée contre les propositions qu’elles formulent ou par l’illégalité des actions qui leur donnent une visibilité dans l’espace public. Cette légitimité est également ignorée par des gouvernements élus qui brocardent le droit que s’octroient des citoyens ordinaires de s’opposer à des décisions prises en respectant les procédures légales.</p>
<h2>Des forces qui sont aussi des faiblesses</h2>
<p>L’activisme peine à répondre à ces attaques. Il se déploie en effet hors des institutions officielles de la représentation et se consacre à la défense d’une « cause », l’environnement, en s’interdisant de vouloir imposer un modèle de société inspiré par une théorie de transformation sociale clairement définie. Ces deux traits l’immunisent contre toute tentation dogmatique, d’autant qu’il se développe généralement sans chef, sans programme et sans stratégie.</p>
<p>C’est précisément ce qui le rend si attractif pour ceux et celles (en particulier, les jeunes générations) qui acceptent mal de devoir suivre docilement les directives émanant de sommets d’une organisation centralisée comme je le relate dans l’ouvrage <a href="https://www.puf.com/content/Politique_de_lactivisme"><em>Politique de l’activisme</em></a> (paru en 2021). Ce qui fait la force de l’activisme (l’absence de direction, le rejet de la représentation, le dégoût de la discipline, la détestation des certitudes idéologiques) est aussi ce qui le dessert. L’adhésion peut être passagère, circonstancielle, paradoxale, contradictoire ; les convictions sont plus passionnelles que réfléchies ; l’impatience ne permet pas de supporter l’adversité ; l’échec provoque la défection.</p>
<p>A quoi s’ajoute le caractère de plus en plus implacable de la répression dont il fait l’objet de la part des pouvoirs qui cherchent à dissuader, contenir ou éradiquer la critique en militarisant le maintien de l’ordre, en criminalisant la liberté d’opinion (loi sur le séparatisme, extension de la définition du terrorisme et des troubles à l’ordre public, surveillance des organisations agricoles dissidentes par la cellule DEMETER de la gendarmerie, intimidations, gardes à vue préventives…) ou en prononçant la dissolution de mouvements jugés dangereux (comme les <a href="https://theconversation.com/comment-les-soulevements-de-la-terre-federent-une-nouvelle-ecologie-radicale-et-sociale-204355">Soulèvements de la Terre</a>).</p>
<p>Ce mauvais réflexe sécuritaire reflète la peur des gouvernants face à des citoyens qui s’organisent de mieux en mieux pour contester la manière dont ils répondent aux urgences sociales et environnementales. Et tout porte à croire qu’ils ne parviendront pas à éteindre leur détermination de sitôt.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213787/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Albert Ogien ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le combat de l’activiste climatique Thomas Brail révèle les paradoxes de la désobéissance civile, dont la légitimité est trop souvent remise en question.Albert Ogien, Directeur de recherche émérite au CNRS, École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2133932023-09-18T16:01:17Z2023-09-18T16:01:17ZLes restaurants écoresponsables par le menu<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/548776/original/file-20230918-34002-sxflpx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C0%2C4992%2C3335&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un plat écoresponsable proposé par le restaurant l'Aiguillage à Grenoble : panais entier confit au citron, polenta crémeuse au tofu fumé, condiments d'herbes poivrées et mizuna.</span> <span class="attribution"><span class="source">Pascale Cholette</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Chaque année, en France, ce sont près de <a href="https://www.lhotellerie-restauration.fr/journal/hygiene-securite/2020-08/la-gestion-des-dechets-au-restaurant.htm">7 milliards de repas</a> qui sont pris au restaurant. Or, depuis quelque temps déjà, dans un contexte prégnant de crise environnementale, les Français s’interrogent sur leur alimentation : ils souhaitent davantage savoir ce qu’ils consomment et visent une <a href="https://www.senat.fr/rap/r19-476/r19-4764.html">restauration plus durable</a>. Alors que débute la <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/actualites/A1674">semaine européenne du développement durable</a>, à quoi ressemblent les quelques centaines de restaurants écoresponsables de l’hexagone ?</p>
<h2>Impacts environnementaux et sociétaux</h2>
<p>Les restaurateurs écoresponsables ont repensé leur façon de travailler afin de l’inscrire dans une démarche beaucoup plus durable. Ainsi, au niveau environnemental, l’accent est essentiellement mis sur la réduction de l’empreinte carbone avec l’utilisation de produits locaux, si possible biologiques et de saison ; l’offre de plats végétaux, la limitation du gaspillage alimentaire ; la réduction, le tri et le recyclage des déchets ; la réduction de la consommation d’eau ; l’utilisation d’emballages durables ; l’offre de doggy bags ; le don des produits non consommés à des associations.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/548802/original/file-20230918-19-f0ikob.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/548802/original/file-20230918-19-f0ikob.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/548802/original/file-20230918-19-f0ikob.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/548802/original/file-20230918-19-f0ikob.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/548802/original/file-20230918-19-f0ikob.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/548802/original/file-20230918-19-f0ikob.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/548802/original/file-20230918-19-f0ikob.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Elodie (à gauche), la cheffe du restaurant l’Aiguillage à Grenoble, et l’ensemble de son équipe.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Pascale Cholette</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Ces actions sont importantes dans un pays où le <a href="https://theconversation.com/invendus-rebuts-et-surplus-des-initiatives-novatrices-pour-lutter-contre-le-gaspillage-alimentaire-208995">gaspillage alimentaire</a> et les pertes en général atteignent <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/gaspillage-alimentaire">10 millions de tonnes de produits par an</a>. Il s’agit d’un immense gâchis de ressources naturelles (terres arables et eau) mais aussi une production inutile de gaz à effet de serre (3 % des émissions nationales selon l’ADEME). Or, la restauration est l’un des secteurs les plus impactés par le problème du gaspillage tout particulièrement en ce qui concerne les produits non consommés et la gestion des déchets.</p>
<p>Les actions écoresponsables se jouent aussi au niveau sociétal. Ainsi, pour les restaurateurs écoengagés, il est important de former leur personnel au développement durable pour qu’il se sente impliqué et qu’il y participe pleinement. Si ces initiatives sont individuelles et encore peu nombreuses, l’espoir est placé dans les écoles de cuisine comme <a href="https://www.ferrandi-paris.com/fr/actualites/des-modules-sur-lecoresponsabilite-delivres-par-ecotable-des-etudiants-de-ferrandi-paris">Ferrandi</a> ou Lyfe Institut qui sensibilisent leurs étudiants à l’écoresponsabilité. D’autre part, mettre en avant ses engagements durables pour les restaurateurs favorise l’attractivité de l’établissement, la <a href="https://ecotable.fr/blog/articles/partager-sa-demarche-eco-responsable-pour-attirer-ses-equipes-restauration-article-blog">fidélisation des équipes</a> et limite ainsi le turn-over dans un secteur souvent confronté à une réelle pénurie de main-d’œuvre. En effet, pour de nombreux employés et tout particulièrement les plus jeunes, l’engagement écoresponsable d’un restaurant est une garantie de trouver un établissement en phase avec ses valeurs écologiques.</p>
<h2>L’importance grandissante des labels</h2>
<p>Depuis quelques années, des labels sont apparus pour accompagner et valoriser les engagements et les implications des restaurateurs dans le développement durable. Ces labels sont de plus en plus nombreux avec par exemple le label FIG (Food Index for Good), le Green Food, le titre de Maître restaurateur de France, la « plastic-free certification », etc. Le label <a href="https://ecotable.fr/">Ecotable</a>, créé en 2019, est le premier label de restauration durable en France. Il émane de l’association du même nom. Il permet à tous les types de restaurateurs de s’engager dans l’écoresponsabilité en mesurant leur impact environnemental et en les accompagnant dans leurs démarches écologiques.</p>
<p>Ce label mesure la cohérence écologique des restaurants et délivre un, deux ou trois écotables en fonction de leur degré d’écoresponsabilité. Pour en obtenir un, le restaurateur doit respecter les saisons, proposer au minimum 15 % de produits issus de <a href="https://theconversation.com/agriculture-pourquoi-la-bio-marque-t-elle-le-pas-en-france-207510">l’agriculture bio</a> ou de filières agricoles durables. Pour deux écotables, on monte à 30 % de produits bio et à 50 % pour trois. Les critères de saisonnalité des produits, de tri, de valorisation des déchets, de choix de producteurs ou encore de propositions d’alternatives végétariennes font aussi partie du cahier des charges. Aujourd’hui ce sont environ 250 restaurants en France qui sont labélisés, parmi lesquels le <a href="https://www.radiofrance.fr/francebleu/podcasts/coin-cuisine/natacha-et-elodie-du-restaurant-l-aiguillage-a-grenoble-cuisinent-le-chou-dans-tous-ses-etats-4598828">restaurant l’<em>Aiguillage</em> à Grenoble</a>, qui détient trois écotables et qui propose une cuisine saine, locale et soucieuse de l’environnement.</p>
<p>Le guide Michelin a lui aussi décidé, en 2020, de prendre en compte l’engagement écoresponsable des restaurants figurants dans son guide (assiettes Michelin, Bib gourmands et étoiles Michelin) en créant <a href="https://guide.michelin.com/fr/fr/article/sustainable-gastronomy/on-vous-dit-tout-sur-l-etoile-verte-michelin">l’étoile verte</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/548103/original/file-20230913-21-6higos.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/548103/original/file-20230913-21-6higos.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/548103/original/file-20230913-21-6higos.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/548103/original/file-20230913-21-6higos.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/548103/original/file-20230913-21-6higos.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/548103/original/file-20230913-21-6higos.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/548103/original/file-20230913-21-6higos.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/548103/original/file-20230913-21-6higos.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le chef isérois Christophe Aribert, au fort engagement écoresponsable, détient deux toiles rouges et une étoile verte Michelin.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Studio Papi aime Mamie</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Pour se voir attribuer [l’étoile verte], il faut montrer un fort engagement dans une approche durable de la gastronomie, avec le respect de la terre, des saisons, des animaux, mais aussi offrir une cuisine plus verte, avec l’utilisation de produits locaux et bio, une bonne gestion des déchets ou encore de bonnes performances énergétiques. Cependant, à ce jour, seuls 90 restaurants la détiennent, parmi lesquels le chef isérois deux étoiles <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-magazine/france-2/13h15/13h15-du-samedi-24-avril-2021_4362491.html">Christophe Aribert</a> de la <em>Maison Aribert</em>. Ce chef, au très fort engagement écoresponsable, respecte entre autres « les saisons, les produits de saison, les produits locaux et les gens qui les produisent. » Il détient d’ailleurs aussi trois écotables et la « plastic-free certification ».</p>
<h2>Greenwashing et freins financiers</h2>
<p>Si on assiste à une prise de conscience générale des enjeux de la durabilité de l’alimentation, aussi bien par le grand public que par les professionnels, la situation n’est cependant pas encore idyllique.</p>
<p>En effet, on ne trouve en France que quelques centaines de restaurants écoresponsables – principalement à Paris – dans un pays qui compte environ 175 000 établissements selon l’Insee, soit environ 0,2 % des restaurants, ce qui est minime. Ensuite, les labels servant à les identifier ne sont pas toujours très clairs pour des clients qui ne savent pas forcément les reconnaître. De plus, ces labels émanent essentiellement d’initiatives privées et supposent une adhésion en contrepartie.</p>
<p>Même si l’engagement de la plupart des restaurateurs qui souscrivent à ces labels ne fait aucun doute, on pourrait se demander, tout comme <a href="https://www.leparisien.fr/bien-manger/ecotable-green-food-etiquettable-que-valent-les-labels-qui-promettent-des-restaurants-ecoresponsables-22-10-2021-TQKN2CZH6RGWTPJJ35ZLUMHJGM.php"><em>Le Parisien</em></a>, si le niveau de garantie est le même que celui qui pourrait être apporté par un référentiel officiel doté d’un cahier des charges transparent, validé par les pouvoirs publics et audité par un organisme indépendant.</p>
<p>D’autre part, on peut s’interroger sur une éventuelle forme de greenwashing même dans certains restaurants labellisés. S’il n’est nullement question de remettre en cause les différents labels, une étude faite dans les restaurants détenteurs de l’étoile verte a relevé des incohérences avec le modèle écoresponsable. <a href="https://i-buycott.org/etoile-verte-michelin-greenwashing-buycott/">Les enquêteurs</a> se sont, par exemple, rendus compte que certains produits n’étaient pas locaux ou que l’impact carbone des assiettes n’était pas toujours respecté (de la viande de bœuf était parfois proposée.) Selon eux, dans ces restaurants, les produits bovins, bovidés, les crustacés, le chocolat et le café devraient être proscrits.</p>
<p>Un autre frein au développement des restaurants écoresponsables est d’ordre financier. En effet, de nombreux professionnels estiment que mettre en place des pratiques de développement durable dans leur restaurant par exemple une restauration bio et locale est très intéressant mais que <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2018/08/31/les-restaurants-peinent-a-prendre-la-vague-ecolo_5348405_3234.html">cela coûte plus cher</a> que d’utiliser les produits habituels. Les clients ne sont pas toujours prêts à payer plus et le risque pour le restaurant est une réduction de la rentabilité. Voilà pourquoi ils aimeraient pouvoir obtenir des aides et des subventions. D’autre part, tous les restaurants n’ont pas la place pour produire leur compost ou pour avoir plusieurs poubelles dans leur cuisine. Enfin, un restaurant milieu de gamme n’aura sans doute pas les mêmes moyens financiers, ni les mêmes retombées économiques qu’un restaurant étoilé s’il souhaite devenir écoresponsable.</p>
<p>Malgré l’engouement pour une alimentation durable, les restaurants écoresponsables semblent avoir du mal à se développer en France. Pour l’heure, il n’est pas si simple que cela pour les restaurateurs de s’engager dans cette démarche, d’autant plus que cette dernière coûte cher.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213393/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nathalie Louisgrand ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En France, 0,2 % des restaurants peuvent se dire écoresponsables. Quelles sont leurs spécificités ? Pourquoi sont-ils encore si peu nombreux ?Nathalie Louisgrand, Enseignante-chercheuse, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2134962023-09-14T08:05:45Z2023-09-14T08:05:45ZTous les jeunes ne sont pas Greta Thunberg, et ceux qui aspirent à l’être restent bien en peine<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/548087/original/file-20230913-27-dr1woh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C143%2C2982%2C1841&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Si la figure de Greta Thunberg et de son mouvement de grève scolaire a été fort médiatisé, son combat n'est cependant suivi que par une petite partie de la jeunesse française. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/bristol-uk-february-28-2020-environment-1659421072">1000 Words/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Greta Thunberg, Camille Étienne, ces ados du Montana ayant fait valoir leur droit à « un environnement sain » lors d’un procès contre leur État… Médiatiquement, les figures de jeunes engagés contre le dérèglement climatique sont omniprésentes. Pour englober toutes ces différentes figures du militantisme, l’appellation parfois abusive de « Génération Climat » a pu laisser penser que la jeunesse était globalement engagée contre le dérèglement climatique. Alors qu’en est-il ? Une Greta Thunberg sommeille-t-elle vraiment en chaque ado ? Rien n’est moins sûr.</p>
<p>Une <a href="http://ecocov.fr/wp-content/uploads/2022/06/RAPPORT-JEUNES-ENQUETE-ECOCOV.pdf">enquête</a> menée auprès d’un échantillon représentatif de la population française nous permet de remettre les pendules à l’heure : les jeunes ne sont en réalité pas si différents du reste de la population. Si 74 % des Français déclarent se sentir « devoir agir pour protéger l’environnement » ils sont 75 % chez les 15-24 ans.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/548077/original/file-20230913-25-3adfov.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/548077/original/file-20230913-25-3adfov.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=564&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/548077/original/file-20230913-25-3adfov.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=564&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/548077/original/file-20230913-25-3adfov.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=564&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/548077/original/file-20230913-25-3adfov.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=709&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/548077/original/file-20230913-25-3adfov.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=709&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/548077/original/file-20230913-25-3adfov.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=709&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les jeunes, à peine plus soucieux de l'environnement que le reste de la population.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Mais lorsqu’on sonde la responsabilité vis-à-vis du dérèglement climatique, le fossé entre la classe d’âge des jeunes et la population globale se creuse : ainsi 46 % des Français assurent se sentir responsable de l’état de la planète. Un chiffre qui grimpe à 59 % chez les 15-24 ans. Derrière cette déclaration se cache une autre idée préconçue que nous avons pu déconstruire à travers les séries d’entretiens menés : si le terme « éco-anxiété » est devenu fort médiatique pour décrire l’angoisse de cette jeunesse engagée contre le dérèglement climatique, ces jeunes militants manifestent en réalité surtout de la colère, souvent de la honte, et peuvent parfois risquer l’épuisement ou la dépression. Car la transformation de leur engagement en actes se heurte à de nombreux obstacles, notamment économiques, et l’affichage public de leur conviction demeure difficile vis-à-vis de leurs pairs.</p>
<h2>Honte d’appartenir à une société qui détruit la planète</h2>
<p>Les premiers compagnons de route des jeunes désireux de s’engager pour le climat demeurent souvent la honte et la culpabilité. Des sentiments qui, nous le verrons, sont amenés à changer d’objets mais pas de nature. La honte initiale sur laquelle beaucoup s’attarde est celle d’appartenir à une société qu’ils qualifient de polluante, de capitaliste, voire de coloniale. Et c’est notamment la volonté de se distinguer d’un groupe auquel ils se sentent appartenir par défaut, en contradiction avec leur valeur personnelle de protection de la nature, qui explique souvent leur décision de s’engager.</p>
<p>Mais l’entrée dans le processus d’engagement ne fait pas disparaître ce sentiment de honte. Celui-ci ne fait que se déplacer. Car la désagréable confrontation aux regards de celles et ceux qui se moquent de l’écologie ou qui ne veulent plus en entendre parler n’est pas rare. Les insultes sont aussi légion, que ce soit en ligne ou hors ligne.</p>
<p>Le cadre scolaire n’en est pas exempt, comme le montre une étude inédite sur les éco-délégués réalisée par Florine Gonzalez. En effet, si certains éco-délégués vivent leur statut comme une opportunité de faire valoir leurs sensibilités, d’autres ont raconté être pour cela la risée de leur camarade, certains l’ont même vécu comme une punition.</p>
<h2>Honte de ne pas assumer l’étiquette d’écolo et stratégies de dissimulation</h2>
<p>En d’autres termes, si ces jeunes trouvent des alliés au sein de certains groupes d’appartenance, la diversité des personnes qu’ils fréquentent au quotidien les amène tôt ou tard à subir des moments d’adversité, voire d’affrontement, que certains vivent avec plus ou moins de difficultés. À la honte d’appartenance initiale se substitue alors la honte de l’étiquette dégradée de « l’écolo ». <a href="https://www.editions-hermann.fr/livre/les-paradoxes-de-l-engagement-jocelyn-lachance">Endosser une identité de jeune engagé en faveur de l’écologie ne relève donc pas de l’évidence</a> que ce soit face à des inconnus mais aussi des proches. Une jeune fille de de 18 ans engagée dans le mouvement Youth for Climate confessait par exemple : </p>
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<p>« À certains moments, je dis rien, je laisse couler, j’en parle pas parce que je sais que ça va créer des conflits, je sais que la personne va peut-être se moquer, et moi après ça va m’énerver.»</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
<img alt="Une petite fille seule dans une salle de classe, la tête dans les mains" src="https://images.theconversation.com/files/548075/original/file-20230913-17-fnv50h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/548075/original/file-20230913-17-fnv50h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=391&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/548075/original/file-20230913-17-fnv50h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=391&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/548075/original/file-20230913-17-fnv50h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=391&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/548075/original/file-20230913-17-fnv50h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=491&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/548075/original/file-20230913-17-fnv50h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=491&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/548075/original/file-20230913-17-fnv50h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=491&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Dans un environnement parfois beaucoup moins préoccupés qu’eux par le dérèglement climatique, les jeunes peuvent avoir du mal à assumer leurs convictions écologiques.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/stress-girl-sitting-thinking-on-classroom-303878768">Tom Wang/Shutterstock</a></span>
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<p>Sur les réseaux sociaux, parfois considéré à tort comme le terrain de prédilection des jeunes, l’affichage ostentatoire des convictions n’est pas non plus toujours le bienvenu ni même l’option de prédilection des jeunes militants pour le climat. Ces derniers se retrouvent souvent à utiliser plusieurs comptes en parallèle : certains pour échanger sur les questions environnementales, quand d’autres profils ne seront jamais le moyen de partage de ses valeurs écologiques comme le montre <a href="https://www.researchgate.net/profile/Mathias-Przygoda">Mathias Przygoda</a> dans ses travaux de doctorat.</p>
<blockquote>
<p>Il y a peut-être un risque aussi de stigmatisation par rapport à notre vie professionnelle […]. C’est vrai que je me suis déjà demandé : « Est-ce que ce que je partage sur les réseaux sociaux va influer sur des personnes qui vont regarder mon Facebook ? Et qui vont se dire : “Ah oui, écolo, qui a l’air un petit peu radicale, c’est dangereux, je vais pas trop la prendre dans mon équipe.” » (Marie-Louise, 18 ans)</p>
</blockquote>
<p>Voici un exemple parmi tant d’autres de stratégie de dissimulation. Elles témoignent d’obstacles rencontrés, parfois d’expériences révélées de violence à leur égard que des jeunes veulent désormais éviter. Elles constituent aussi des moyens de s’assurer que certaines scènes de la vie sociale échappent à la nécessité d’argumenter et de se défendre, encore et encore, parfois au risque de leur exaspération, voire de leur épuisement.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Graphique" src="https://images.theconversation.com/files/548078/original/file-20230913-27-5ujo8f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/548078/original/file-20230913-27-5ujo8f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=406&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/548078/original/file-20230913-27-5ujo8f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=406&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/548078/original/file-20230913-27-5ujo8f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=406&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/548078/original/file-20230913-27-5ujo8f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/548078/original/file-20230913-27-5ujo8f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/548078/original/file-20230913-27-5ujo8f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Près d’un jeune sur trois assure avoir honte d’exprimer ses opinions sur les enjeux environnementaux.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<h2>Honte de ne pas être à la hauteur</h2>
<p>À cela s’ajoute la pression de faire mentir les <a href="https://theconversation.com/sommes-nous-adophobes-72536">préjugés</a> dont sont régulièrement victimes les jeunes, notamment lorsqu’ils prennent la parole. Exposer publiquement ses engagements écologiques n’est pas aisé, pour les jeunes militants : il leur faut être convaincants face à des adultes qui les considèrent très souvent avec condescendance comme « insouciants », « rêveurs ». Un militant de 17 ans, engagé dans Youth For Climate confiait ainsi : </p>
<blockquote>
<p>« J’ai pas peur de défendre ce en quoi je crois parce que je pense que c’est vrai et c’est naturel, c’est juste surtout une peur de mal manier la langue ou de me tromper de chiffres. Y’a vraiment cette exigence d’être au mieux pour paraître crédible puisque déjà, là je parle en tant que militant à Youth For Climate, y’a ce double jugement à la fois de par le discours qui est mené, c’est-à-dire autour de la crise climatique et sociale, et du fait qu’on soit jeunes et que donc en étant jeunes y’a ce jugement de : “ Ah, l’immaturité, l’insouciance ! »</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
<img alt="Greta Thunberg, activiste climatique suédoise de 16 ans, participe à l’événement du Comité économique et social européen. Assises elle est entourées d’adultes qui sont eux debouts" src="https://images.theconversation.com/files/548073/original/file-20230913-19-s4rmjh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/548073/original/file-20230913-19-s4rmjh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/548073/original/file-20230913-19-s4rmjh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/548073/original/file-20230913-19-s4rmjh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/548073/original/file-20230913-19-s4rmjh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/548073/original/file-20230913-19-s4rmjh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/548073/original/file-20230913-19-s4rmjh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">À l’instar de Greta Thunberg, les jeunes militants pour le climat peuvent souvent souffrir de la condescendance qu’ils perçoivent chez les générations plus âgées qu’eux.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/brussels-belgium-21st-february-2019-sixteen-1318996028">Alexandros Michailidis/Shutterstock</a></span>
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<p>En plus de bien parler et bien défendre leur cause, les jeunes militants se retrouvent souvent à devoir prouver que leur engagement est « authentique », sincère, et que leurs actions sont les seuls résultats de leurs convictions profondes, et non du souci de se faire remarquer ou d’entrer en conflit avec leurs parents. Ainsi, il ne faut pas seulement agir, mais montrer que l’on agit de « bonne foi », sincèrement, en adéquation avec ses valeurs, ce qui induit une pression supplémentaire dans la mesure où un affichage ne suffit pas. Il doit être étayé, défendu, justifié et maîtrisé.</p>
<h2>La violence de son propre regard</h2>
<p>Mais si le jeune militant peut réussir à surmonter la honte de son appartenance à une société polluante, la honte de la stigmatisation, une nouvelle honte le guette alors, celle, intime, de ne pas être à la hauteur de ses propres convictions. Ce n’est alors plus le regard des autres qui pèse, mais bien son propre regard qui s’impose à soi-même. Tout se prête alors potentiellement à l’examen de sa capacité à respecter, en tout temps, ses valeurs : du choix du moyen de transport aux modalités d’hygiène, de la consommation de vêtements à ses loisirs… L’examen critique peut-être sans fin. Trouver la limite de son engagement s’impose alors comme un travail nécessaire pour des jeunes qui ne disposent pas tous des mêmes ressources.</p>
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<p>Car si certains arrivent à freiner leur ardeur ou à bien vivre leurs exigences de militant, d’autres ne trouveront que dans l’expression corporelle de leur malaise une limite. On nous parle alors de la fatigue ressentie, voire d’épuisement… Aux inquiétudes liées à l’avenir perçu comme étant sombre s’ajoute l’inquiétude pour sa propre santé, sa détresse, voire des signes annonciateurs de la dépression. En d’autres termes, tout se passe comme si le processus d’engagement entrainait avec lui le risque du sentiment de sur-responsabilisation de l’individu au regard d’un défi qui le dépasse largement.</p>
<blockquote>
<p>« On avait beaucoup de pression sur nos épaules pour gérer tout ce qui était événements, publications et tout. Du coup, ça me stressait plus qu’autre chose, parce que ça faisait beaucoup de pression, sachant que quand tu fais tes études, tu as aussi des trucs à rendre pour les cours, donc ça faisait ça plus ça et quand tu es dans une asso, c’est bénévole, tu fais tout ça sur ton temps libre […]. Je ne dirais pas que ça m’aide, parce que ça me rajoute de la pression supplémentaire. » (Sarah, 21 ans)</p>
</blockquote>
<h2>De l’expérience de la limite au risque pour sa santé</h2>
<p>Le défi climatique est certes global, mais les causes pour lesquelles s’engager dans cette lignée se révèlent, elles, presque innombrables. De la défense du droit des femmes et/ou des minorités linguistiques, de l’implication auprès des migrants ou des communautés LGBT, l’engagement écologique s’accompagne le plus souvent d’une vision globale d’une société à améliorer sur plusieurs fronts. Interrogée sur l’amenuisement des ressources, une jeune militante de 19 ans développait ainsi : « Ça va créer soit des guerres, ça peut créer aussi des déplacements de populations qui vont aussi créer de la xénophobie, et du coup ça va être vraiment le bordel d’un point de vue politique ».</p>
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<img alt="groupe de manifestantes brandissant une pancarte où l’on peut dire « épidémie d’éco-anxiété »" src="https://images.theconversation.com/files/548072/original/file-20230913-29-mgyqii.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/548072/original/file-20230913-29-mgyqii.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=382&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/548072/original/file-20230913-29-mgyqii.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=382&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/548072/original/file-20230913-29-mgyqii.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=382&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/548072/original/file-20230913-29-mgyqii.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=480&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/548072/original/file-20230913-29-mgyqii.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=480&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/548072/original/file-20230913-29-mgyqii.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=480&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La lutte contre le dérèglement climatique peut parfois mener à des troubles pour la santé mentale comme l’épuisement ou les épisodes dépressifs.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:%C3%89coanxi%C3%A9t%C3%A9.jpg">JBouchez/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Il en résulte un risque de dispersion, pour de jeunes engagés qui témoignent de la difficulté à choisir parmi les offres qui se présentent à eux. S’ajoute alors sans surprise la difficile question de la temporalité de l’engagement. Dans un monde connecté, la possibilité de continuer à s’informer, à échanger, voire à organiser des évènements en ligne, en permanence, s’érige en énième limite à définir. Tout le temps de l’existence peut alors se colorer de l’engagement, et la question « Suis-je à la hauteur de mes propres valeurs ? » peut être posée potentiellement à tout moment. La gestion de passage de temps « forts » à des temps « faibles » compte aussi au nombre des difficultés à surmonter. Si la préparation en amont, parfois durant des mois, d’opérations à portée médiatique demande de l’énergie et une certaine constance, qui souvent s’intensifie à l’approche de l’évènement, les « lendemains » sont parfois difficiles lorsqu’à l’intensité se substitue le vide. Il ne faut pas seulement gérer les limites spatiales et temporelles de l’engagement mais aussi le rythme de celui-ci.</p>
<p>Si l’engagement a toujours été principalement perçu positivement, force est de constater l’existence d’une « face cachée », comme le résultat de contradictions, voire d’une énième injonction paradoxale que nous imposons aux plus jeunes : montez sur la scène de l’engagement, mais au risque du mépris. Prenez en charge votre avenir, mais au risque de mettre votre santé en péril… Ainsi les dispositifs d’encouragement à l’engagement devraient désormais s’accompagner d’une attention à ses effets parfois insoupçonnés, d’autant plus que les yeux des adultes semblent souvent tournés en direction de la jeunesse, dont elle attend, plus ou moins explicitement, qu’elle « sauve le monde ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213496/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jocelyn Lachance ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La jeunesse française n'est pas plus sensibilisée que le reste de la population générale aux enjeux climatiques. Mais les jeunes qui le sont le vivent souvent comme une honte.Jocelyn Lachance, Enseignant-chercheur en sociologie et conférencier, Université de Pau et des pays de l'Adour (UPPA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2129112023-09-14T08:04:11Z2023-09-14T08:04:11ZL’activisme climatique : une affaire de famille ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/548038/original/file-20230913-27-6uv78.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=130%2C38%2C4973%2C3351&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Quel rôle joue le positionnement des parents dans l'engagement des jeunes contre le dérèglement climatique ? </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/melbourne-australia-may-21-2021-primary-2009174780">Wirestock Creators/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Les actions engagées par les activistes du mouvement climat, que ce soit à travers les <a href="https://www.lemonde.fr/planete/video/2019/03/15/des-jeunes-du-monde-entier-defilent-pour-le-climat_5436856_3244.html">marches</a>, les <a href="https://www.liberation.fr/environnement/occupation-dextinction-rebellion-a-paris-on-ne-peut-pas-attendre-cinq-ans-de-plus-20220418_6QZEMUAWGNFMVJECWFKZW6KLJ4/">occupations de places et de sites industriels</a> ou diverses actions de <a href="https://www.cairn.info/revue-droit-et-societe1-2015-3-page-579.htm">désobéissance civile</a>, sont régulièrement présentées comme des réactions « impulsives » ou « spontanées ». L’engagement des jeunes activistes surviendrait en réponse au sentiment d’urgence qui les anime, aux affects, aux angoisses et à <a href="https://theconversation.com/face-au-changement-climatique-faire-de-la-peur-un-moteur-et-non-un-frein-200876">l’éco-anxiété</a> face aux conséquences du dérèglement climatique.</p>
<h2>Le rôle essentiel joué par l’univers familial</h2>
<p>Si cette perception des raisons poussant des jeunes à se mobiliser dans ce type de cause peuvent avoir leur part de vérité, elle se révèle toutefois insuffisante dès lors que l’on cherche à comprendre pourquoi, parmi des jeunes exposés aux mêmes risques environnementaux et éprouvant un même degré d’anxiété, certains agiront dans des collectifs ou participeront à des actions, quand d’autres resteront silencieux.</p>
<p>L’enquête réalisée par <a href="https://injep.fr/publication/les-jeunes-activistes-dans-les-mouvements-climat/">l’INJEP</a> entre 2021 et 2023 auprès de 52 activistes âgés de 14 à 28 ans répartis dans 11 régions de la France hexagonale fait apparaître le rôle essentiel joué par l’univers familial dans l’entrée dans le mouvement, avec une prise de conscience des enjeux climatiques démarrant le plus souvent dès l’adolescence.</p>
<p><a href="https://hal.science/hal-03085899">L’imprégnation familiale précoce à la politique</a> fonde et consolide les engagements ultérieurs. Elle fournit de futures clés de lecture sur les débats de société qui les agitent, en les dotant d’outils pour défendre leurs réflexions et points de vue, mais aussi, dans d’autres cas, en les éloignant des orientations politiques défendues par leurs parents à travers certaines velléités émancipatrices susceptibles de générer des « disputes », de légères « prises de tête » ou de plus profonds « ressentiments » selon les propos rapportés par plusieurs activistes.</p>
<h2>Socialisation politique par identification</h2>
<p>Dans une large majorité des cas, les activistes rencontrés au cours de l’enquête témoignent de l’existence, dès leur adolescence, de discussions politiques au cours des échanges familiaux, lors des « repas de famille », dans le contexte d’échéances électorales ou de certains mouvements sociaux.</p>
<p>La socialisation politique ne s’élabore toutefois pas qu’au travers des discussions politiques. Il apparaît notamment que plus la transmission est explicite et arrimée à des usages concrets au sein de la famille, plus les chances de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=In1R0DCfnKo">transmissibilité des choix politiques des parents aux enfants</a> sont importantes.</p>
<p>On retrouve notamment des parents impliqués à différents degrés dans leur quotidien dans des gestes écoresponsables et sensibilisés à des problématiques environnementales.</p>
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<img alt="Trois poubelles de tri sélectif" src="https://images.theconversation.com/files/548040/original/file-20230913-15-7ou6ym.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/548040/original/file-20230913-15-7ou6ym.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/548040/original/file-20230913-15-7ou6ym.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/548040/original/file-20230913-15-7ou6ym.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/548040/original/file-20230913-15-7ou6ym.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/548040/original/file-20230913-15-7ou6ym.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/548040/original/file-20230913-15-7ou6ym.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les éco-gestes en famille, une transmission des engagements écologiques ?</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/fr/photos/FoG7PKNYjpM">Nareeta Martin/Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dans d’autres foyers, la sensibilisation aux causes écologiques ou politiques voire, pour certains d’entre eux, l’inclination aux modes de vie « alternatifs », peuvent être plus affirmé encore. Elia, 19 ans, activiste dans une antenne locale du collectif <a href="https://youthforclimate.fr/">Youth for Climate</a> en région Bretagne, évoque à ce sujet le « terreau » dans lequel elle a grandi, avec une mère qu’elle qualifie d’« anticonformiste », productrice et manager de musique pour des groupes émergents, et politiquement engagés contre les « gros acteurs de l’industrie culturelle ». Une mère qui l’a sensibilisée très jeune à ces nombreux espaces alternatifs où se discutent collectivement d’autres modèles de vie et où s’affirment des prises de position fortes contre les inégalités.</p>
<h2>L’inversion</h2>
<p>L’image répandue d’une socialisation politique qui se ferait de façon descendante des parents politisés vers leurs enfants dépolitisés peut toutefois être mise à mal dès lors que plusieurs d’entre eux affirment à l’inverse avoir « conscientisé » leurs parents « ignorants » aux questions politiques à travers des sujets qu’ils pensaient mieux maîtriser qu’eux, comme le souligne Raphaël, 17 ans, activiste de <a href="https://derniererenovation.fr/">Dernière rénovation</a>.</p>
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<p>Pauline, 21 ans et activiste à Youth for Climate, estime à ce sujet avoir grandi dans une « bulle apolitique », ses parents considérant ces thématiques inadaptées aux jeunes de son âge. Dans son cas, cette socialisation politique inexistante a paradoxalement contribué à intensifier sa politisation ultérieure.</p>
<p>Dans d’autres cas, il semble que ce soit moins par souci de protection des parents que par une certaine <a href="https://www.philomag.com/articles/abstention-avons-nous-perdu-le-gout-de-la-politique">dépolitisation</a> de leur part que certains activistes affirment avoir été tenus éloignés des sujets politiques au cours de leur enfance ou adolescence. Leur curiosité ultérieure peut alors naître du besoin ressenti de rechercher les réponses aux « mystères du fonctionnement du monde » (Rémy, 31 ans, <a href="https://extinctionrebellion.fr/">Extinction Rebellion</a>), aux « énigmes » (Prune, 23 ans, Extinction Rebellion) involontairement avancées par des parents parfois indifférents aux problématiques politiques.</p>
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<img alt="Grands-parents tenant une pancarte où l’on peut lire « Save the Climate for my Grandchildren » à Copenhague, Danemark le 30 octobre 2022" src="https://images.theconversation.com/files/548034/original/file-20230913-27-1hkx7e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/548034/original/file-20230913-27-1hkx7e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=387&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/548034/original/file-20230913-27-1hkx7e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=387&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/548034/original/file-20230913-27-1hkx7e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=387&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/548034/original/file-20230913-27-1hkx7e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/548034/original/file-20230913-27-1hkx7e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/548034/original/file-20230913-27-1hkx7e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Dans la sphère familiale, certains jeunes militants contre le dérèglement climatique peuvent se retrouver à jouer le rôle de référent, voire à politiser leurs aînés sur les questions environnementales.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/grandparents-holding-sign-reading-save-climate-2220213349">Oleschwander/Shutterstock</a></span>
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<p>Plusieurs affirment de ce point de vue être devenus des « référents », celles et ceux que l’on consulte en période électorale pour mieux connaître leurs points de vue, leurs réflexions ou prédictions sur de prochaines mesures ou nouvelles réformes.</p>
<p>Par souci de « garder le contact » avec leurs enfants émancipés politiquement, certains parents vont accepter ce retournement progressif des rôles au sein de la famille en se résignant à être placés au rang d’« apprentis » sur les questions écologiques face à des enfants devenus experts du sujet, lecteurs assidus des <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/publication-du-6e-rapport-synthese-du-giec">rapports scientifiques</a> et fins éclaireurs des <a href="https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/edition-numerique/chiffres-cles-du-climat/1-observations-du-changement-climatique">évolutions climatiques prochaines</a>.</p>
<p>Certains activistes confirment être parvenus à modifier le comportement alimentaire de leurs parents « viandards », à limiter « leur bilan carbone désastreux », les avoir sensibilisés au tri sélectif, les avoir incités à se documenter et à s’informer sur le dérèglement climatique, sans toutefois que ces modifications, et plus largement certains retournements de positions entre parents et enfants, ne se fassent sans « tension » au sein de la famille.</p>
<h2>L’expérimentation</h2>
<p>Si deux tiers des Français (63 %) s’inscrivent dans la <a href="https://www.ofce.sciences-po.fr/publications/srevue.php?num=156">continuité des choix idéologiques de leurs parents</a>, il importe toutefois de ne pas sous-estimer la part des cas plus marginaux. L’enquête fait notamment ressortir des positionnements politiques des activistes qui se construisent dans certains cas en dissymétrie avec les valeurs défendues au sein de la famille.</p>
<p>La surexposition familiale à la politique peut aussi devenir un sujet conflictuel avec des valeurs et des positionnements prenant des chemins à l’exact opposé de ceux prônés par les parents. Théo, activiste de 19 ans dans une antenne locale de Youth For Climate de la région Rhône-Alpes, se définit lui-même « anarchiste issu de la petite bourgeoisie », fils de « cadres de multinationales du CAC 40, Total et Renault, <a href="https://reporterre.net/Changement-climatique-Total-savait">réputées pour leur participation à la crise écologique</a> ».</p>
<p>Les rudiments politiques transmis par ses parents sont qualifiés par Théo de « caricaturaux » entre une gauche présentée quand il était enfant comme « laxiste et dépensière » et une droite à l’inverse caractérisée par sa sobriété et sa rigueur. « C’est vraiment l’apolitisme de base avec beaucoup de mauvaise foi. »</p>
<p>Le divorce de ses parents a accéléré sa remise en question de « la famille idéale » et de ses systèmes de valeurs. Il est témoin de modèles de vie et de références politiques qui se transforment. Lorsque sa mère se remet en couple avec un syndicaliste d’EDF « historiquement d’une famille communiste et tout », Théo se familiarise avec les milieux politiques d’extrême gauche.</p>
<h2>Réappropriation d’un héritage politique</h2>
<p>C’est au cours de cette période de remise en question des valeurs politiques inculquées pendant l’enfance que Théo trouve « une porte de sortie » dans un <a href="https://coop.tierslieux.net/tiers-lieux/typologies-definition/">tiers-lieu</a> militant engagé sur les questions de justice sociale et climatique.</p>
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<p>Ses nouveaux choix de vie et orientations politiques ont été, selon Théo, mieux compris par sa mère que par son père dont les positionnements opposés sont régulièrement facteurs de troubles et de violentes oppositions.</p>
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<img alt="Manifestations de lycéens contre le dérèglement climatique en mars 2023 à Paris" src="https://images.theconversation.com/files/548042/original/file-20230913-25-7et5fq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/548042/original/file-20230913-25-7et5fq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/548042/original/file-20230913-25-7et5fq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/548042/original/file-20230913-25-7et5fq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/548042/original/file-20230913-25-7et5fq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/548042/original/file-20230913-25-7et5fq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/548042/original/file-20230913-25-7et5fq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Mouvement international de grève étudiante lancé par la jeune suédoise Greta Thunberg en 2018, Fridays For Future a provoqué, en France, la naissance du mouvement Youth For Climate.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/demonstrators-hold-placards-during-demonstration-climate-2283230231">Victor Velter/Shutterstock</a></span>
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<p>Prendre acte d’un héritage politique et d’une transmission de certaines valeurs ne signifient pas nécessairement reproduction mécanique à l’identique mais peut aussi passer par une transformation des causes de l’engagement et de son déroulement.</p>
<h2>Entre affiliation et recherche d’autonomie</h2>
<p>La transmission politique intrafamiliale opère au travers d’une double contrainte : le besoin d’affiliation et la revendication d’autonomie, avec des nouvelles générations pouvant à la fois exprimer une continuité idéologique intergénérationnelle et une marge d’innovation en matière d’expression ou de positionnement politique pour faire advenir de nouveaux régimes de citoyenneté plus en phase avec leurs valeurs et pratiques citoyennes.</p>
<p>La jeunesse n’est pas qu’une période de transition dans la formation de l’identité sociale, elle est aussi une étape importante dans le processus de socialisation politique, entendu comme les processus spécifiques qui s’accomplissent au sein d’instances politiques et qui se traduisent par des <a href="https://www.cairn.info/dictionnaire-des-mouvements-sociaux--9782724611267-page-510.htm">pratiques et des représentations dans le domaine politique</a>.</p>
<p>Étape charnière entre le temps de l’apprentissage de la vie politique où s’acquièrent et se transmettent les premiers codes et premiers repères pour interpréter le champ politique et celui de la mise à l’épreuve de ceux-ci dans le cours des premiers engagements, c’est dans ce mouvement biographique que les jeunes activistes font leurs premiers pas dans les mouvements climat.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/212911/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Lardeux ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une étude inédite de l'INJEP explore le contexte familial qui permet de comprendre pourquoi, face au changement climatique, certains jeunes agissent quand d’autres restent silencieux.Laurent Lardeux, Chargé d'études et de recherche, sociologue, INJEP, chercheur associé laboratoire Triangle, ENS de LyonLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.